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N° 659

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 janvier 2013.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER (1) sur l’octroi de mer,

PAR MM. Mathieu HANOTIN et Jean Jacques VLODY

Députés.

——

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation aux Outre-mer est composée de : M. Jean-Claude Fruteau, président ; Mme Catherine Beaubatie, Mme Huguette Bello, Mme Chantal Berthelot, Mme Sonia Lagarde, M. Serge Letchimy, M. Didier Quentin vice-présidents ; Mme Brigitte Allain, M. Dominique Bussereau, Mme Annick Girardin, M. Bernard Lesterlin, secrétaires ; M. Ibrahim Aboubacar, M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Jean-Jacques Bridey, M. Ary Chalus, M. Alain Chrétien, M. Édouard Courtial, Mme Florence Delaunay, M. René Dosière, Mme Sophie Errante, M. Georges Fenech, M. Édouard Fritch, M. Hervé Gaymard, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Gomes, M. Philippe Gosselin, Mme Geneviève Gosselin, M. Mathieu Hanotin, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, Mme Monique Iborra, M. Éric Jalton, M. Serge Janquin, M. François-Michel Lambert, M. Guillaume Larrivé, M. Patrick Lebreton, M. Gilbert Le Bris, M. Patrick Lemasle, M. Bruno Le Roux, M. Michel Lesage, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Thierry Mariani, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Hervé Mariton, M. Olivier Marleix, M. Jean-Philippe Nilor, M. Patrick Ollier, Mme Monique Orphé, M. Pascal Popelin, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, M. Boinali Said, M. Paul Salen, M. François Scellier, M. Gabriel Serville, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Gérard Terrier, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. David Vergé, M. Jean Jacques Vlody

INTRODUCTION 7

I.– L’OCTROI DE MER : UN IMPÔT TRÈS ANCIEN DONT LA FINALITÉ EST D’ABONDER LE BUDGET DES COLLECTIVITÉS LOCALES 7

A. UN RÉGIME PLUSIEURS FOIS CENTENAIRE 7

B. UN RÉGIME JURIDIQUE ÉTABLI PAR LA LOI DU 2 JUILLET 2004 9

1. Assiette de l’imposition 9

2. Les exonérations 10

a) Les exonérations obligatoires 10

b) Les exonérations facultatives 11

3. Les taux 12

4. Les taux sur les alcools 12

5. Le système de déduction 13

6. La procédure de mise à jour des listes de produits bénéficiant d’un différentiel d’octroi de mer 13

7. Obligations déclaratives des entreprises 14

C. RENDEMENT DE LA TAXE ET AFFECTATION DES RESSOURCES 15

1. L’octroi de mer et les finances publiques locales 15

a) Un impôt assez largement piloté par les conseils régionaux 15

b) Un impôt qui va principalement aux communes 15

2. Les recettes correspondant à l’octroi de mer : un impôt à fort rendement mais très sensible à la conjoncture 16

a) Évolution des recettes globales 16

b) La part affectée aux communes par le biais de la Dotation globale garantie (DGG) 17

c) L’octroi de mer régional 18

3. La répartition des recettes entre les différentes collectivités attributaires : un montant variable en fonction de l’activité économique 18

a) Un Fonds régional pour le développement et l’emploi (FRDE) très dépendant des aléas économiques 19

b) La répartition des recettes en Guadeloupe 21

c) En Martinique 21

d) En Guyane 23

e) À La Réunion 23

II.– UNE TAXE AUTORISÉE PAR L’UNION EUROPÉENNE, QUI COMPENSE PAR SES TAUX LES HANDICAPS STRUCTURELS DES ENTREPRISES LOCALES ET QUI EST ACTUELLEMENT EN COURS DE RENÉGOCIATION 27

A. LES NÉGOCIATIONS EUROPÉENNES DE 2003 ET 2004 : DU PROTECTIONNISME À LA COMPENSATION 27

B. LE RAPPORT D’ÉTAPE DE 2008 : LES DOUTES DE LA COMMISSION EUROPÉENNE 31

C. LE RAPPORT DU CABINET LENGRAND DE 2012 : DE NOMBREUSES PRÉCISIONS APPORTÉES SUR LES DIFFÉRENTIELS DE TAUX 34

D. LES GRANDES ÉTAPES DE LA NÉGOCIATION À VENIR 37

III.– UN IMPÔT QUI DOIT ÊTRE RECONDUIT AVEC QUELQUES ADAPTATIONS 39

A. L’OCTROI DE MER : UN DISPOSITIF FISCAL QUI DOIT ÊTRE PROROGÉ 39

1. L’impôt a une faible incidence sur les prix 39

2. Il constitue une aide très réelle en faveur des entreprises 41

3. Il est bien adapté à la situation des régions ultrapériphériques 42

4. Son remplacement par une TVA régionale ou par une taxe sur le prix de vente n’a pas fait l’objet d’études suffisamment approfondies 43

5. Hormis la TVA, il n’y a pas d’alternative fiscale ou budgétaire crédible pour compenser la disparition de l’octroi de mer ou même la diminution des recettes qu’il génère 45

B. LES ORIENTATIONS POSSIBLES POUR AMÉLIORER LE DISPOSITIF DE L’IMPÔT 46

1. Améliorer la connaissance statistique de l’impôt 46

2. Introduire de la souplesse et de la simplification dans son dispositif 47

3. Conserver globalement l’assiette de l’impôt 49

4. Mettre l’impôt au service de la lutte contre la vie chère 49

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 51

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES 63

PERSONNES ENTENDUES PAR LA DÉLÉGATION 65

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION 67

MESDAMES, MESSIEURS,

L’octroi de mer est un très vieil impôt. Sa création remonte en effet à 1670, c’est-à-dire au règne de Louis XIV.

Naturellement, depuis cette date, l’imposition a évolué. Aujourd’hui, la taxe concerne toujours les marchandises, produites ou importées dans les départements d’outre-mer, mais elle est très largement régie par des décisions qui relèvent de l’Union européenne, au titre des « mesures spécifiques » concernant les régions ultrapériphériques, mesures prévues par l’article 299 § 2 du traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997, puis par l’article 349 du traité de Lisbonne du 13 décembre 2007.

L’octroi de mer est un impôt à gros rendement. Son produit s’élève, en 2011, à environ un milliard d’euros et il alimente les budgets des collectivités locales des départements d’outre-mer, tout particulièrement les budgets des communes, que ce soit leurs sections de fonctionnement ou d’investissement. Le solde des recettes à répartir abonde le Fonds régional pour le développement et l’emploi (FRDE) qui oriente les ressources disponibles vers des actions de développement économique concernant aussi bien les communes que la région.

Il s’agit cependant d’un impôt faiblement dynamique. En effet, pesant sur les produits, il est très sensible aux mauvaises performances de la conjoncture. D’autre part, contrairement à la fiscalité directe locale, ses taux demeurent relativement stables après leur fixation initiale par les conseils régionaux à la fin de l’année 2004, les délibérations des conseils régionaux ayant suivi la décision du Conseil de l’Union européenne du 10 février 2004 disposant du régime de l’octroi de mer jusqu’au 1er juillet 2014.

Néanmoins, remplacer un jour l’octroi de mer par un impôt susceptible d’enregistrer une progression plus constante dans son rendement, par exemple une « TVA régionale », ne serait pas non plus sans présenter un certain nombre d’inconvénients, à commencer par une hausse des prix certaine dans les différents départements d’outre-mer, et spécialement en Guyane et à Mayotte (qui devra appliquer l’octroi de mer à partir du 1er janvier 2014), ces deux collectivités territoriales ne connaissant pas le régime de la TVA.

Par ailleurs, l’octroi de mer joue aussi un rôle d’aide aux entreprises locales, dans la mesure où il prévoit des différentiels de taux pour un certain nombre de produits figurant sur des listes présentées en annexe de la décision du Conseil du 10 février 2004, les produits locaux figurant sur ces listes étant taxés moins lourdement que les produits importés.

Cet aspect de l’impôt fait l’objet d’une surveillance toute particulière de la part des autorités européennes. En effet, l’Union européenne a accepté ces différentiels dans la perspective de compenser les handicaps structurels qui frappent les régions ultrapériphériques (éloignement, étroitesse des marchés…) et donc leurs entreprises. Néanmoins, les instances européennes sont très attachées à ce que cette compensation de handicaps ne tourne pas à la distorsion de concurrence.

À cet égard, la Commission européenne a été assez critique à l’égard de la France, en 2008, au moment de la remise du rapport d’étape prévu à l’article 4 de la décision du Conseil, compte tenu, notamment, de la faiblesse de l’outil statistique permettant d’évaluer les conséquences réelles des différentiels de taux sur le développement de l’économie locale.

Ces critiques auraient pu se reproduire dans les mois qui viennent, au moment où le Gouvernement va être conduit à renégocier le dispositif à Bruxelles, puisque ce dernier prend fin à l’issue du premier semestre de l’année 2014.

Cependant, la Délégation générale à l’outre-mer (DEGEOM) a procédé, en 2011, avec l’aide d’un cabinet d’audit privé, le cabinet Lengrand, à une étude d’évaluation de l’impact de l’octroi de mer dans les DOM, étude rendue en juin 2012 au ministre des Outre-mer, M. Victorin Lurel. Ce rapport, très détaillé, apporte, en principe, toutes les justifications souhaitées aux services de la Commission européenne.

Les négociations, au niveau européen, en vue de la reconduction du dispositif de l’octroi de mer devraient donc s’effectuer dans un climat de compréhension réciproque.

Quoi qu’il en soit, il a paru utile à la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale de faire le point sur ce dossier – un dossier extrêmement important pour le développement économique des DOM, pour l’essor des entreprises ultramarines et aussi pour le maintien de l’équilibre des finances publiques locales –, au moment crucial de l’ouverture des négociations en vue de la prorogation de l’imposition.

Dans la première partie du présent rapport, les rapporteurs analyseront la place de l’octroi de mer dans les finances locales.

Dans la seconde partie, ils replaceront l’imposition dans la perspective européenne, tout en insistant sur le fait que, dans l’esprit des membres de la Commission, les différentiels de taux d’octroi de mer ne pourront être prorogés que s’il est prouvé qu’ils ne constituent pas des mesures protectionnistes.

Enfin, dans la dernière partie, ils expliqueront pourquoi il faut reconduire l’impôt, le cas échéant avec quelques adaptations.

I.– L’OCTROI DE MER : UN IMPÔT TRÈS ANCIEN DONT LA FINALITÉ EST D’ABONDER LE BUDGET DES COLLECTIVITÉS LOCALES

L’octroi de mer est très probablement l’une des plus anciennes taxes du système fiscal français. On trouve en effet trace, dès 1670, dans les documents juridiques de l’ancien régime, d’une taxe dénommée « droit des poids » qui frappe exclusivement les produits importés outre-mer.

Naturellement, depuis lors, le régime juridique de l’impôt a beaucoup évolué et, depuis l’Acte unique européen signé les 17 et 28 février 1986, il doit faire l’objet d’une approbation de la part des autorités européennes.

Aujourd’hui, les dispositions applicables concernant cette taxe sont la décision 2004/162/CE du Conseil de l’Union européenne du 10 février 2004 relative au régime de l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer et la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer.

L’impôt rapporte annuellement environ 1 milliard d’euros aux collectivités locales. Il s’agit donc d’une imposition à gros rendement, mais cette dernière, assise principalement sur la production industrielle, est très sensible à la conjoncture économique.

A. UN RÉGIME PLUSIEURS FOIS CENTENAIRE

Dès 1670, il est fait référence à une taxe dénommée « droit des poids » qui concerne les importations outre-mer.

Cette taxe disparaît en 1789, au lendemain de la Révolution française, puis est réintroduite outre-mer par l’ordonnance du 1er mars 1819. Ce nouvel « octroi aux portes de mer » constitue, à partir de cette date, une recette ordinaire alimentant les budgets des communes de Martinique.

Son application est étendue en 1825 à la Guadeloupe, en 1850 à La Réunion et en 1878 à la Guyane.

Le Sénatus-consulte du 4 juillet 1866 reprécise le régime de cet impôt pesant sur les produits arrivant de la mer en le qualifiant pour la première fois « d’octroi de mer ». Les conseils généraux reçoivent la compétence de voter les tarifs d’octroi de mer, ces tarifs devant être soumis à l’approbation du pouvoir central.

Ces dispositions sont maintenues en vigueur par un décret d’application de la loi de départementalisation du 19 mars 1946. Puis, la loi de décentralisation du 2 mars 1982 confère de nouvelles compétences aux conseils généraux des DOM et, notamment, rend désormais exécutoires de plein droit leurs délibérations relatives à l’octroi de mer.

C’est la loi du 2 août 1984 relative aux compétences des quatre régions de Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion qui, tout en conservant le régime de l’octroi de mer issu de la loi de décentralisation de mars 1982, transfère aux conseils régionaux la compétence de fixer les tarifs de l’octroi de mer dans les DOM.

L’Acte unique européen, signé par les États les 17 et 28 février 1986, rend nécessaire une réforme de cette imposition, en principe prohibée dans le cadre d’un marché unique européen. L’octroi de mer devient ainsi une imposition intérieure, licite à condition qu’elle soit autorisée par les autorités européennes, dans des conditions proposées par les autorités françaises et pour une période contractuelle.

Une première autorisation est intervenue en application de la décision 89/688 du Conseil des Communautés européennes du 22 décembre 1989, décision valable pour 10 ans. Cette décision du Conseil a été transposée dans le droit interne par la loi du 17 juillet 1992. Elle étend aux productions locales la taxation de l’octroi de mer jusqu’ici limitée aux produits importés et elle accepte des exonérations d’octroi de mer au bénéfice des productions locales qui pourraient en avoir besoin.

Puis, une nouvelle autorisation a eu lieu le 10 février 2004, de même valable pour 10 ans, au titre de la décision 2004/162 du Conseil. Cette décision a été transposée dans le droit français par la loi du 2 juillet 2004. Dans le cadre de ces deux textes, on substitue au précédent système d’exonération en faveur des entreprises locales un nouveau système basé sur des écarts de taxation maxima entre produits locaux et produits importés, ces produits devant figurer sur des listes en annexe de la décision du Conseil.

Ces deux derniers textes sont essentiels aujourd’hui, puisque ce sont eux qui fixent le régime applicable, à l’heure actuelle, pour l’imposition de l’octroi de mer et que ce sont eux, également, qu’il faudra renouveler au cours des deux années à venir.

À noter, enfin, que Mayotte appliquera le régime de l’octroi de mer à partir du 1er janvier 2014, en même temps que l’île deviendra région ultrapériphérique (RUP) au titre de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). La loi relative au département de Mayotte du 7 décembre 2010 prévoit en effet l’extinction de l’actuel dispositif fiscal et douanier au 31 décembre 2013, ainsi que l’institution de la taxe de l’octroi de mer à compter du 1er janvier 2014. La Direction générale des douanes et des droits indirects indiquera, dans le courant de l’année 2013, comment, en pratique, cette taxation interviendra dans l’île.

B. UN RÉGIME JURIDIQUE ÉTABLI PAR LA LOI DU 2 JUILLET 2004

Nous étudierons successivement les principales composantes de l’impôt, c'est-à-dire son assiette, ses exonérations, ses taux, son système de déduction, la procédure de mise à jour des listes de produits bénéficiant d’un différentiel d’octroi de mer, ainsi que les obligations déclaratives des entreprises.

1. Assiette de l’imposition

Dans les quatre départements de Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion, les opérations suivantes sont soumises à l’octroi de mer (octroi de mer et taxe additionnelle appelée « octroi de mer régional ») :

– l’importation de marchandises,

– les livraisons de biens, faites à titre onéreux, par des personnes qui y exercent des activités de production.

Sont considérées comme des activités de production les opérations de fabrication, de transformation ou de rénovation d’un bien meuble corporel, ainsi que les opérations agricoles et extractives.

La livraison d’un bien s’entend du transfert du pouvoir de disposer d’un bien meuble corporel comme un propriétaire.

Les prestations de service n’entrent pas dans le champ d’application de la taxe.

La base d’imposition est constituée :

– pour les importations de biens, par la valeur en douane au sens de la réglementation communautaire (c'est-à-dire calculée CAF : coût, assurances et fret),

– pour les livraisons de biens produits localement, par le prix hors taxe sur la valeur ajoutée et hors accises.

L’octroi de mer est exigible :

– pour les importations de biens, lors de l’entrée ou lors de la mise à la consommation en cas de placement des biens lors de leur entrée sous un régime suspensif douanier ou fiscal,

– pour les livraisons de biens, au moment de la livraison.

Il est liquidé :

– pour les importations de biens, sur la déclaration en douane,

– pour les livraisons de biens, sur les déclarations trimestrielles souscrites par les assujettis auprès du bureau de douane territorialement compétent.

Au total, dans les départements d’outre-mer, l’octroi de mer est donc applicable indistinctement aussi bien aux produits importés qu’aux produits fabriqués localement, dès lors que ces derniers ont été livrés au consommateur.

2. Les exonérations

Deux types d’exonérations existent : les exonérations obligatoires et les exonérations facultatives.

a) Les exonérations obligatoires

Elles concernent :

– les exportations ; les biens expédiés ou transportés hors de la région de production sont exonérés d’octroi de mer ; pour les exportations intra-DOM, le principe est que les produits ne sont taxés qu’une seule fois ;

– les livraisons de biens réalisés par les petites entreprises, dont le chiffre d’affaires est inférieur à 550 000 euros ;

– les livraisons de biens, réalisés par les entreprises locales dont le chiffre d’affaires est supérieur à 550 000 euros, si les produits figurent sur l’une des trois listes A, B ou C placées en annexe de la décision du Conseil de l’Union européenne du 10 février 2004 ; en ce cas, l’entreprise se voit appliquer une exonération consistant en un taux d’octroi de mer inférieur à celui appliqué pour l’importation d’un produit similaire.

Ces trois listes s’inscrivent dans la stratégie de développement économique et social des départements d’outre-mer, le différentiel de taux devant compenser les handicaps structurels des entreprises locales et leur permettre de poursuivre leur croissance, malgré la concurrence des entreprises extérieures aux DOM.

. Pour les produits présents à l’annexe A, l’écart de taxation ne peut dépasser 10 points de pourcentage : la liste concerne les produits de base et ceux ayant trouvé un relatif équilibre entre production locale et production extérieure.

. Pour les produits présents à l’annexe B, l’écart de taxation ne peut dépasser 20 points de pourcentage : la liste concerne les produits nécessitant des investissements lourds et influant sur les prix de revient des biens fabriqués localement pour un marché limité.

. Enfin, pour les produits présents à l’annexe C, l’écart de taxation ne peut dépasser 30 points de pourcentage : la liste concerne les produits fabriqués par les entreprises de grande taille et les produits d’une très grande vulnérabilité par rapport aux importations en provenance des pays voisins des DOM.

Par ailleurs, les écarts de taxation peuvent être majorés de 5 points de pourcentage supplémentaires lorsque les produits importés viennent concurrencer des productions locales d’entreprises ayant un chiffre d’affaires inférieur à 550 000 euros. Cela signifie que, pour les produits figurant aux annexes, fabriqués par des entreprises de moins de 550 000 euros de chiffre d’affaires annuel, les différentiels maximum autorisés sont respectivement de 15 %, 25 % et 35 % ; tandis que, pour les produits ne figurant pas aux annexes, le différentiel maximum autorisé est de 5 %.

Tout cela peut apparaître plus clairement avec un exemple : pour un produit appartenant à l’annexe C, si la production locale est taxée d’un octroi de mer à 5 %, le taux maximal auquel peut être taxé ce même produit s’il est importé est de 35 %. Si, de surcroît, ce produit est fabriqué localement par une entreprise ayant un chiffre d’affaires inférieur à 550 000 euros, le produit importé peut être taxé jusqu’à 40 %.

On notera enfin que le système des « produits listés » n’est pas une spécificité purement française. Il existe également en Espagne, avec l’imposition dite AIEM (arbitrio sobre los importaciones y entregas de mercancias en las islas Canarias), imposition actuellement régie par la décision du Conseil de l’Union européenne du 20 juin 2002 et applicable aux îles Canaries. L’AIEM ressemble à l’octroi de mer français, même si le régime comporte des différences notables.

b) Les exonérations facultatives

Les conseils régionaux peuvent exonérer cinq types de marchandises qui correspondent toutes à des biens importés dans les DOM :

– les matières premières destinées à des activités locales de production ;

– les matériels d’équipement destinés à l’industrie hôtelière et touristique, ainsi que les produits, matériaux de construction, engrais et outillages industriels et agricoles ;

– les équipements destinés à l’accomplissement des missions régaliennes de l’État ;

– les équipements sanitaires destinés aux établissements de santé publics ou privés ;

– les biens réimportés dans leur état initial par la personne qui les a exportés (régime dit des « retours »).

En pratique, les exonérations à l’importation sont assez variables en fonction des départements.

3. Les taux

Ce sont les conseils régionaux qui votent les taux de l’octroi de mer et de l’octroi de mer régional.

En pratique, les taux de l’octroi de mer sont assez nombreux. On dénombre dix taux distincts en Guadeloupe (de 0 à 50 %), onze taux distincts en Martinique (de 0 à 50 %), quinze taux en Guyane (de 0 à 57,5 %) et huit taux à La Réunion (de 0 à 49 %).

S’agissant des produits locaux, on constate que l’ensemble des conseils régionaux ont adopté le taux de taxation nul, à l’exception de la Guyane qui a fixé l’octroi de mer à un taux faible de 0,25 %.

Cette décision des conseils régionaux est d’une grande logique : il est bien certain que c’est le taux 0 généralisé qui apparaît comme étant la politique de taxation la plus fondée concernant la production locale, puisque c’est elle qui permet d’éviter d’ajouter un surcoût fiscal supplémentaire aux surcoûts structurels déjà présents dans les économies locales et que les pouvoirs publics cherchent à compenser.

D’autre part, comme le taux de taxation du produit local, pour un différentiel donné, fixe aussi le taux plafond du produit importé équivalent, il en résulte que le taux de 0 % pour la production locale est, bien sûr, celui qui aboutit au taux plafond de taxation le plus bas pour les produits importés.

Enfin, c’est l’option du taux zéro d’octroi de mer pour la production locale qui a le moins d’incidence sur le prix de vente final au consommateur, aussi bien pour le produit local que pour le produit importé.

Cependant, c’est, à l’inverse, l’option qui génère le moins de recettes fiscales pour les collectivités locales. (1)

4. Les taux sur les alcools

Les taux d’octroi de mer qui pèsent sur les importations d’alcool, et notamment sur les importations de rhum, sont généralement assez élevés. Ainsi, le taux applicable est de 27,5 % à la Guadeloupe, de 30 % à la Guyane, de 32,5 % à la Martinique et de 43 % à La Réunion pour les rhums d’importation.

On notera que le rhum traditionnel des DOM est assez différent du rhum importé. Le conditionnement est distinct (les bouteilles contiennent 100 cl) et le titrage en alcool est plus important (généralement 45°).

Pour préserver la filière industrielle « canne, sucre et rhum », à La Réunion et en Guyane, outre le système des listes, un différentiel de 50 % pour les alcools importés, et tout particulièrement pour le rhum, pourrait être appliqué.

Cependant, ce différentiel n’a pas été mis en place. En fait, tous les DOM ont inscrit le rhum traditionnel, produit localement, sur la liste C. Il enregistre donc un différentiel de taux de 30 % par rapport aux autres rhums, c'est-à-dire les rhums issus notamment des États-Unis et du Brésil (et d’ailleurs largement subventionnés par ces deux pays). Dans le cadre de cette liste C, les taux appliqués sur les rhums traditionnels ne sont pas très élevés : 2,5 % en Guadeloupe, 0 % en Guyane, 2,5 % en Martinique et 13 % à La Réunion.

À cela s’ajoute un régime d’accises différent. La décision du Conseil de l’Union européenne du 19 décembre 2011 autorise la France à appliquer un taux d’accises minoré (- 42 %) sur le rhum traditionnel des DOM jusqu’au 31 décembre 2013. Une demande de renouvellement de ce dispositif fiscal, à compter de 2014, auprès de la Commission européenne, est actuellement en préparation.

5. Le système de déduction

Les entreprises de production locale bénéficient d’un régime de déduction au titre de l’article 14 de la loi du 2 juillet 2004.

L’octroi de mer ayant grevé les éléments de prix d’une opération imposable est déductible de l’octroi de mer applicable à cette opération.

Par ailleurs, l’article 24 de la même loi précise que l’octroi de mer dont l’imputation n’a pu être opérée ne peut faire l’objet d’un remboursement, à l’exception de l’octroi de mer ayant grevé l’importation de biens d’investissement, de celui ayant frappé des éléments constitutifs du prix pour des produits locaux exportés hors des quatre DOM ou encore quand le crédit d’octroi de mer est généré par des opérations assimilées à des opérations taxées (c’est le cas pour les opérations taxées à taux zéro et dont l’octroi de mer amont, portant sur les consommations intermédiaires, ne peut être imputé : le remboursement reste effectué pour la totalité du crédit généré).

6. La procédure de mise à jour des listes de produits bénéficiant d’un différentiel d’octroi de mer

Il s’agit d’une procédure très lourde prévue par l’article 30 de la loi du 2 juillet 2004.

En vue de l’actualisation des listes de produits A, B et C mentionnées en annexe de la décision du Conseil de l’Union européenne du 10 février 2004, les conseils régionaux adressent au ministre des Outre-mer des demandes circonstanciées concernant les productions locales dont l’inclusion dans les listes est sollicitée et permettant, notamment, de justifier les différences de taux à retenir au regard des surcoûts exposés par les entreprises.

Ces demandes des conseils régionaux interviennent au maximum une fois par an et au cours du premier trimestre de l’année.

En cas de mise en péril d’une production locale ou de besoin impérieux pour une nouvelle production locale, la demande du conseil régional peut être adressée au ministère indépendamment de cette périodicité.

La décision est prise par le Conseil de l’Union européenne, sur proposition de la Commission.

Concrètement, le conseil régional est donc saisi par les entreprises en vue de l’introduction de nouveaux produits dans les listes. Celles-ci doivent justifier des surcoûts de fabrication dont elles font état à propos de ces produits. Ensuite, le conseil régional saisit le ministère qui transmet, à son tour, le dossier à la Commission de l’Union européenne. Enfin, celle-ci, après avoir analysé la demande, la fait passer au Conseil qui statue au vu du rapport de la Commission. Ce dernier retient – ou non – les propositions faites par le conseil régional et relayées par les représentants de l’État français à Bruxelles.

On doit observer que cette procédure est très longue. Ainsi, la Guyane a demandé, en 2010, un élargissement des listes des produits bénéficiant d’un différentiel de taux à cinquante nouveaux produits locaux. La Commission a saisi le Conseil à cette fin, le 14 décembre 2010. Depuis, ce département demeure dans l’attente d’une validation de cette proposition par le Conseil de l’Union européenne.

7. Obligations déclaratives des entreprises

Toutes les entreprises de production doivent s’identifier auprès de la recette des douanes territorialement compétente.

Cette obligation vaut, tant pour les entreprises réalisant plus de 550 000 euros de chiffre d’affaires, qui doivent, en plus de cette identification, déclarer leur production trimestriellement, que pour les entreprises de moins de 550 000 euros de chiffres d’affaires, qui ne font pas de déclarations trimestrielles car elles sont exonérées d’octroi de mer.

Ces formalités sont très importantes car elles permettent de recenser et de justifier de l’existence de productions locales pour lesquelles une demande de différentiel de taux pourrait être formulée auprès de la Commission de l’Union européenne.

Cependant, il faut bien observer que les entreprises placées au-dessous du seuil des 550 000 euros ont tendance à ne pas s’identifier auprès de l’administration des douanes. Cela génère de véritables lacunes dans la connaissance du tissu industriel des DOM.

Il convient maintenant d’aborder la question de l’affectation des fonds issus des recettes de l’octroi de mer.

C. RENDEMENT DE LA TAXE ET AFFECTATION DES RESSOURCES

Il convient tout d’abord de rappeler les liens très étroits qui existent entre l’octroi de mer et les finances publiques locales, ces caractéristiques devant permettre de mieux comprendre les tableaux statistiques qui seront présentés ci-dessous.

1. L’octroi de mer et les finances publiques locales

Comme il a été indiqué précédemment, l’octroi de mer est une taxe qui s’applique actuellement aux quatre départements de Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion.

a) Un impôt assez largement piloté par les conseils régionaux

L’octroi de mer et le droit additionnel appelé « octroi de mer régional » (droit additionnel plafonné à 2,5 %) sont applicables aux importations de marchandises, quelle que soit leur provenance (volet dit « externe »), et aux livraisons de biens faites à titre onéreux par des personnes (physiques ou morales) qui, aux termes de l’article 1er de la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004, « exercent des activités de production » (volet « interne »).

Les conseils régionaux votent les taux d’octroi de mer et d’octroi de mer régional, ainsi que les exonérations à l’importation et les exonérations ou les taux réduits en faveur de la production locale, selon les conditions fixées par la loi.

À noter que, dans ce dernier cas – les exonérations ou les taux réduits correspondant à la production locale –, les produits concernés figurent sur trois listes : la liste A, B ou C. Ces listes prévoient des différentiels maxima de taxation s’élevant à 10 %, 20 % ou 30 % par rapport aux produits similaires importés. Par conséquent, les conseils régionaux votent les taux, tant pour les produits locaux que pour les produits importés, en restant dans les limites des différentiels autorisés.

Ce sont les services de l’État (directions régionales des douanes) qui contrôlent et perçoivent ces impositions, moyennant un prélèvement pour frais d’assiette et de recouvrement égal à 2,5 % du produit fiscal.

b) Un impôt qui va principalement aux communes

Le produit de l’octroi de mer, dans chaque DOM, est versé aux communes par la voie de la dotation globale garantie (DGG) dont le calcul et la répartition sont fixés par décret sur proposition du conseil régional. La DGG alimente les budgets de fonctionnement des communes et leurs sections d’investissement.

Une fois cette dotation déterminée, le solde de l’octroi de mer – s’il en existe un – est affecté au fonds régional pour le développement et l’emploi (FRDE).

Institué en 1992, ce fonds a pour objet de financer, dans chaque DOM, des actions de développement économique spécifiques en faveur des communes. Après plusieurs aménagements en 2000 (extension aux établissements publics de coopération intercommunale) et en 2003 (possibilité de financer des infrastructures et des équipements publics contribuant au développement économique), le FRDE a été modifié par la loi du 2 juillet 2004 pour donner aux communes une plus grande latitude dans la gestion de leurs investissements.

Par ailleurs, mises à part les communes qui sont les principales bénéficiaires de l’octroi de mer, on notera que les conseils régionaux reçoivent le produit de la taxe correspondant à l’octroi de mer régional.

Enfin, en Guyane, le conseil général reçoit une partie des recettes de l’octroi de mer, contrairement aux autres départements d’outre-mer où les conseils généraux ne perçoivent pas ce type de recettes. Depuis la loi du 2 juillet 2004, la part d’octroi de mer octroyée au conseil général représente 35 % des recettes plafonnés à 27 M€.

Ces indications ayant été rappelées, il est possible, à présent, d’étudier, de manière statistique, le montant des recettes correspondant à l’octroi de mer et la ventilation de ces dernières entre les différentes collectivités attributaires.

2. Les recettes correspondant à l’octroi de mer : un impôt à fort rendement mais très sensible à la conjoncture

a) Évolution des recettes globales

Le tableau ci-après retrace le produit de l’octroi de mer, ainsi que de l’octroi de mer régional, depuis 2008.

Comme on peut l’observer, le montant total des recettes de l’octroi de mer et de l’octroi de mer régional s’élève, en 2011, à la somme de 1,033 milliard d’euros, ce qui est une somme considérable.

Si l’impôt dispose d’un fort rendement, il enregistre cependant une faible progression sur la période, dans la mesure où il est très sensible à la conjoncture économique.

C’est ainsi que, de 2008 à 2011, les recettes ont progressé de + 0,9 % seulement, avec une baisse très significative en 2009 (- 12,5 %), cette date coïncidant avec la crise sociale des DOM, à laquelle se sont ajoutés les effets de la crise économique mondiale.

b) La part affectée aux communes par le biais de la Dotation globale garantie (DGG)

Dans le cadre de ces recettes, les communes apparaissent comme étant les principales bénéficiaires de l’imposition. Pour la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, la part perçue par les communes en 2011, c'est-à-dire le montant de la DGG hors FRDE (Fonds régional pour le développement et l’emploi), s’élève en effet à plus de 60 % du produit de l’impôt (très précisément la part des communes représente 62,9 % des recettes en Guadeloupe, 72,6 % à la Martinique et 71,7 % à La Réunion). Ce n’est qu’en Guyane que la part des communes représente 48,6 % des recettes. Mais il convient d’observer que, dans ce département, une partie de l’imposition, soit 18,4 % des recettes (ce pourcentage étant équivalent au plafond de 27 millions d’euros), est affectée au conseil général.

LES RECETTES D’OCTROI DE MER DE 2008 À 2011 (EN EUROS)

 

2008

2009

2010

2011

GUADELOUPE

254 431 475

OM = 181 863 838

OMR = 72 567 637

Part communes =

151 602 764

220 778 421

OM = 156 699 471

OMR = 64 078 950

Part communes =

151 227 086

238 193 902

OM = 168 022 790

OMR = 70 151 112

Part communes =

153 718 034

253 962 961

OM = 180 851 093

OMR = 73 111 868

Part communes =

159 740 836

MARTINIQUE

272 075 025

OM = 201 907 719

OMR = 70 167 306

Part communes =

180 837 504

216 869 301

OM = 161 124 219

OMR = 55 745 082

Part communes =

161 124 219

236 058 789

OM = 172 405 672

OMR = 63 653 117

Part communes =

177 162 986

251 574 717

OM = 182 805 533

OMR = 68 769 184

Part communes =

182 805 533

GUYANE

130 704 294

OM = 104 068 835

OMR = 26 635 459

Part communes =

63 055 637

126 640 351

OM = 102 708 265

OMR = 23 932 086

Part communes =

65 307 028

133 822 539

OM = 108 597 104

OMR = 25 225 435

Part communes =

67 707 010

146 922 398

OM = 118 536 036

OMR = 28 386 362

Part communes =

71 305 877

LA RÉUNION

365 993 183

OM = 295 313 671

OMR = 70 679 512

Part communes =

251 600 843

329 207 027

OM = 255 848 049

OMR = 73 358 978

Part communes =

255 848 049

348 629 544

OM = 267 694 258

OMR = 80 935 286

Part communes =

262 796 082

380 162 278

OM = 291 632 031

OMR = 88 530 247

Part communes =

272 783 370

TOTAL

1 023 203 977

895 495 100

956 704 774

1 032 622 354

OM : recettes de la taxe octroi de mer

OMR : recettes de la taxe octroi de mer régional

Part communes : part des recettes d’octroi de mer reversée aux communes (DGG)

Source : Délégation générale à l’outre-mer

Selon la Cour des comptes, (2) l’octroi de mer représente une part significative des recettes de fonctionnement des communes : de 25 à 33 % en moyenne, avec d’importantes disparités à l’intérieur d’un même DOM. Cette part est en général inversement proportionnelle à la taille des communes, les plus peuplées disposant de ressources plus diversifiées et de produits de fiscalité directs plus conséquents.

c) L’octroi de mer régional

On notera enfin que le produit de l’octroi de mer régional, sur la période 2008-2011, présente une situation contrastée.

Les recettes de l’octroi de mer régional diminuent en Martinique (- 2 %) ou progressent faiblement en Guadeloupe (+ 0,7 %). Cela est d’autant plus frappant que, selon les DOM, il existe deux ou trois taux d’octroi de mer régional : un taux normal (2,5 %, taux qui correspond au maximum autorisé), un taux nul et un taux réduit à 1,5 ou 2 % (à l’exception de la Guyane qui n’applique pas de taux réduit). Or, en Martinique et en Guadeloupe, il n’y a pour ainsi dire pas de taux nul d’octroi de mer régional et toutes les positions (même taxées à 0% d’octroi de mer) sont taxées à l’octroi de mer régional (sauf, en Guadeloupe, pour les opérations concernant la canne à sucre). La cause du faible dynamisme des recettes provient donc des effets de la crise de 2009 et 2010.

En revanche, les recettes d’octroi de mer régional progressent, entre 2008 et 2011, de 6,6 % pour la Guyane et de 25,2 % à La Réunion. Ces deux DOM, de ce point de vue, semblent avoir mieux résisté à la crise économique.

3. La répartition des recettes entre les différentes collectivités attributaires : un montant variable en fonction de l’activité économique

Les quatre tableaux suivants présentent, pour les quatre départements concernés : Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion, la ventilation fine des recettes issues de l’octroi de mer et de l’octroi de mer régional entre les communes et les régions. Ils font apparaître aussi, pour la Guyane, la part affectée au département.

La totalité des recettes d’octroi de mer affectée aux communes est présentée dans ces tableaux, c'est-à-dire les montants correspondants à la DGG et ceux correspondant au FRDE.

a) Un Fonds régional pour le développement et l’emploi (FRDE) très dépendant des aléas économiques

On pourra noter, à la lecture de ces tableaux, combien le FRDE, plus encore que les autres comptes, est sensible aux aléas de la conjoncture.

Ainsi, en 2009, ce fonds n’a pas été doté aux Antilles et à La Réunion.

Par ailleurs, s’agissant de la part du FRDE dans les recettes d’investissement des communes, la Cour des comptes précise (3) que celle-ci, en Guadeloupe, varie de 4 à 40 % selon les communes, étant entendu qu’elle est proportionnellement plus importante dans les plus petites ou dans celles qui disposent de marges de manœuvre financières limitées ou nulles. En Guyane, les écarts sont moins importants (de 5 à 28 %) et la part relative du FRDE est plus faible en raison d’un volume plus important de subventions provenant de l’Union européenne, de l’État et des collectivités régionale et départementale. À La Réunion, enfin, la part du FRDE ne dépasse pas 15 %.

La présentation en détail de l’affectation des recettes de l’octroi de mer par département et par collectivités bénéficiaires (y compris FRDE) est la suivante :

GUADELOUPE

OCTROI DE MER

OM brut externe

OM brut interne

Frais d'assiette et de perception

Remboursements trop perçus

OM reversé à MQ par GP

OM reversé à GP par MQ

OM net perçu

Reversement aux communes

Reversement FRDE

2008

188 653 007

1 753 236

4 602 230

1 285 673

4 412 324

1 757 821

181 863 838

151 602 764

23 944 292

2009

159 372 724

776 210

4 017 781

893 147

988 154

2 449 619

156 699 471

151 227 086

0

2010

175 189 536

2 206 626

4 271 845

1 437 949

4 879 285

1 215 707

168 022 790

153 718 034

3 715 696

2011

176 993 329

2 289 695

4 637 212

937 672

6 208 894

1 568 078

180 851 093

159 740 836

14 454 389

                   

OCTROI DE MER RÉGIONAL

OMRE brut taux réduit

OMRE brut taux normal

OMI (sur livraisons)

Remboursements trop perçus

OMR reversé à MQ par GP

OMR reversé à GP par MQ

OMR net perçu

   
   

2008

2 124 623

64 842 484

6 597 150

336 820

1 034 317

374 516

72 567 637

   

2009

254 666

57 288 022

6 680 749

446 761

100 000

402 274

64 078 950

   

2010

4 189

63 852 566

7 424 048

426 915

1 400 579

697 803

70 151 112

   

2011

1 908

66 548 553

6 216 123

58 999

2 624 484

345 684

73 111 868

   

 

 

               

Total OM + OMR perçu en 2008

254 431 475

               

Total OM + OMR perçu en 2009

220 778 421

               

Total OM + OMR perçu en 2010

238 193 902

               

Total OM + OMR perçu en 2011

253 962 961

               

Source : Direction générale des douanes et des droits indirects

b) La répartition des recettes en Guadeloupe

À la lecture du tableau concernant la Guadeloupe, il apparaît que ce département a perçu, en 2011, 180,8 millions d’euros au titre de l’octroi de mer et 73 millions d’euros au titre de l’octroi de mer régional.

Les 73 millions d’euros ont alimenté le budget du conseil régional.

S’agissant des communes, une fois comptabilisés, en plus ou en moins, les reversements liés au marché antillais (c'est-à-dire les taxes prélevées sur les produits qui arrivent en Guadeloupe à destination de la Martinique ou en Martinique à destination de la Guadeloupe, ce système de compensation permettant à la région destinatrice d’une marchandise importée dans l’autre région de recevoir finalement le produit de la taxe attachée à cette marchandise), la part de la DGG s’élève à environ 160 millions d’euros et celle du FRDE à 14,4 millions d’euros. Les communes ont donc reçu un peu plus de 174 millions d’euros.

On notera que le FRDE n’a pas été abondé en 2009, le produit global de l’octroi de mer n’ayant pas permis d’allouer la DGG à son plafond réglementaire. Par ailleurs, les crédits du FRDE, en 2011, sont restés très inférieurs à leur niveau de 2008 (près de 24 millions d’euros).

c) En Martinique

Le tableau concernant la Martinique montre que ce département a perçu, en 2011, 182,8 millions d’euros au titre de l’octroi de mer, après imputation des compensations liées au marché antillais (étant observé que la Martinique perçoit davantage de reversements que la Guadeloupe : 6,3 millions d’euros reçus en 2011 contre 1,5 million reçu par la Guadeloupe), et 68,7 millions d’euros au titre de l’octroi de mer régional.

Les 68,7 millions d’euros ont abondé le budget du conseil régional.

En ce qui concerne les communes la part de la DGG s’est élevée à 182,8 millions d’euros, soit la totalité de la recette fiscale.

En revanche, pour la troisième année de suite, il n’a pas été possible d’alimenter le FRDE.

MARTINIQUE

OCTROI DE MER

OM brut externe

OM brut interne

Frais d'assiette et de perception

Remboursements trop perçus

OM reversé à GP par MQ

OM reversé à MQ par GD

OM net perçu

Reversement aux communes

Reversement FRDE

2008

196 591 591

850 841

5 176 989

1 081 782

2 173 324

4 465 287

201 907 719

180 837 504

21 070 215

2009

169 596 857

865 610

4 125 344

2 268 107

2 079 186

1 652 776

161 124 219

161 124 219

0

2010

178 679 822

973 556

4 420 498

1 214 170

1 613 038

4 757 314

172 405 672

177 162 986

0

2011

183 830 836

990 753

4 687 320

2 164 132

1 489 849

6 325 245

182 805 533

182 805 533

0

                   

OCTROI DE MER RÉGIONAL

OMRE brut taux réduit

OMRE brut taux normal

OMI (sur livraisons)

Remboursements trop perçus

OMR reversé à GP par MQ

OMR reversé à MQ par GD

OMR net perçu

   
   

2008

9 567 234

50 017 634

9 558 571

330 491

481 470

1 023 866

70 167 306

   

2009

7 065 676

41 306 022

8 207 600

655 587

480 267

301 638

55 745 082

   

2010

8 670 825

45 575 973

8 788 480

363 832

418 909

1 400 579

63 653 117

   

2011

12 057 178

47 260 222

8 566 264

864 624

345 684

2 095 828

68 769 184

   
                   

Total OM + OMR perçu en 2008

272 075 025

 

             

Total OM + OMR perçu en 2009

216 869 301

 

             

Total OM + OMR perçu en 2010

236 058 789

 

             

Total OM + OMR perçu en 2011

251 574 717

               

Source : Direction générale des douanes et des droits indirects

d) En Guyane

Pour la Guyane, les statistiques indiquent que le département a perçu, en 2011, 118,5 millions d’euros au titre de l’octroi de mer et 28,3 millions d’euros au titre de l’octroi de mer régional.

Les 28,3 millions d’euros ont alimenté le budget du conseil régional. D’autre part, un crédit de 27 millions d’euros a été prélevé sur les recettes de l’octroi de mer « de base » pour financer le conseil général.

S’agissant des communes, celles-ci ont reçu une somme de 91,5 millions d’euros, soit 71,3 millions correspondant à la DGG et 20,2 correspondant au FRDE.

À noter que seules les communes de Guyane ont pu bénéficier de crédits au titre du FRDE pendant toute la période 2008-2011. Notamment, la Guyane a conservé un crédit d’un peu plus de 10 millions d’euros, en 2009, au moment de la crise économique. En 2010, la reprise de l’activité industrielle et commerciale a permis de retrouver le montant perçu en 2008. Enfin, en 2011, le FRDE a de nouveau progressé pour atteindre un montant de plus de 20 millions d’euros

e) À La Réunion

S’agissant, en dernier lieu, du département de La Réunion, ce dernier a perçu, en 2011, un crédit s’élevant à 291,6 millions d’euros au titre de l’octroi de mer et à 88,5 millions d’euros au titre de l’octroi de mer régional.

Les 291,6 millions d’euros ont été versés aux communes, soit par le biais de la DGG (272,8 millions d’euros), soit par le biais du FRDE (18,8 millions d’euros). Les 88,5 millions d’euros sont allés au conseil régional.

Le FRDE n’a pas été abondé en 2009. En 2011, ses crédits sont restés très inférieurs à leur montant de 2008 (plus de 43 millions d’euros).

Néanmoins, en termes de dotations (DGG + FRDE), les communes de La Réunion sont celles, parmi les quatre départements étudiés, qui ont bénéficié le plus des recettes de l’octroi de mer.

GUYANE

OCTROI DE MER

OM brut externe

OM brut interne

Frais d'assiette et de perception

Remboursements trop perçus

OM net perçu

Reversement aux communes

Reversement département

Reversement FRDE

2008

100 694 715

7 009 368

2 658 509

976 739

104 068 835

63 055 637

27 000 000

14 013 198

2009

98 587 142

7 148 091

2 631 790

395 178

102 708 265

65 307 028

27 000 000

10 401 237

2010

106 204 859

5 957 136

2 784 393

780 498

108 597 104

67 707 010

27 000 000

13 890 093

 

OM net externe

OM net interne

Frais d'assiette et de perception

Remboursements trop perçus

OM net perçu

     

 

     

2011 (*)

113 408 738

5 127 298

3 009 709

1 202 407

118 536 036

71 305 877

27 000 000

20 230 159

                 

OCTROI DE MER RÉGIONAL

OMR brut externe taux réduit

OMR brut externe taux normal

OM sur livraisons

Remboursements trop perçus

OMR net perçu

     
     

2008

144 756

25 502 802

1 288 706

300 805

26 635 459

     

2009

23

23 021 798

1 003 187

92 921

23 932 086

     

2010

5

25 115 678

353 760

244 008

25 225 435

     

 

OMR net externe taux réduit

OMR net externe taux normal

OM sur livraisons

Remboursements trop perçus

OMR net perçu

     

 

     

2011 (*)

694

27 800 330

585 338

243 468

28 386 362

     
                 

Total OM + OMR perçu en 2008

130 704 294

             

Total OM + OMR perçu en 2009

126 640 351

             

Total OM + OMR perçu en 2010

133 822 539

             

Total OM + OMR perçu en 2011 (*)

146 922 398

             

Source : Direction générale des douanes et des droits indirects (*) Pour 2011 toutes les recettes des différentes colonnes correspondant à l’octroi de mer pour la Guyane sont données en chiffres nets

LA RÉUNION

OCTROI DE MER

OM brut externe

OM brut interne

Frais d'assiette et de perception

Remboursements trop perçus

OM net perçu

Reversement aux communes

Reversement FRDE

2008

299 729 570

4 444 185

7 575 535

1 284 549

295 313 671

251 600 843

43 712 828

2009

258 377 410

5 500 702

6 550 746

1 479 317

255 848 049

255 848 049

0

2010

269 319 542

6 315 072

6 863 971

1 076 385

267 694 258

262 796 082

4 898 176

2011

292 886 875

6 952 934

7 477 358

730 420

291 632 031

272 783 370

18 848 661

   

 

         

OCTROI DE MER REGIONAL

OMR net externe taux réduit

OMR net externe taux normal

OM sur livraisons

Remboursements trop perçus

OMR net perçu

   
   

2008

378

68 963 332

1 715 802

346 193

70 679 512

   

2009

209

71 683 396

2 145 207

469 834

73 358 978

   

2010

31 496

78 328 326

2 575 464

468 775

80 935 286

   

2011

28 554

85 993 038

2 768 199

259 544

88 530 247

   
   

 

         
               

Total OM + OMR perçu en 2008

365 993 183

           

Total OM + OMR perçu en 2009

329 207 027

           

Total OM + OMR perçu en 2010

348 629 544

           

Total OM + OMR perçu en 2011

380 162 278

           

Source : Direction générale des douanes et des droits indirects

Au total, en termes de recettes fiscales, il est possible d’affirmer qu’à l’heure actuelle, l’octroi de mer est un impôt qui a fait ses preuves. Il s’agit d’une imposition dont le prélèvement est bien maîtrisé et qui assure de gros rendements.

Toutefois, comme tout impôt assis sur l’activité économique, il est sensible à la conjoncture. C’est cette caractéristique qui explique sa faible croissance ou son faible dynamisme global depuis 2008.

*

* *

II.– UNE TAXE AUTORISÉE PAR L’UNION EUROPÉENNE, QUI COMPENSE PAR SES TAUX LES HANDICAPS STRUCTURELS DES ENTREPRISES LOCALES ET QUI EST ACTUELLEMENT EN COURS DE RENÉGOCIATION

Comme on l’a dit plus haut, le régime actuel de la taxe de l’octroi de mer a été institué par la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer.

Cette taxe ne relève pas seulement de l’ordre juridique français mais aussi du droit communautaire, et notamment des « mesures spécifiques » qui peuvent s’appliquer aux départements d’outre-mer du fait de leur statut de régions « ultrapériphériques », reconnu par l’article 299 § 2 du traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997 devenu l’article 349 du traité de Lisbonne du 13 décembre 2007.

Par suite, la loi du 2 juillet 2004 n’a fait que transposer, dans l’ordre juridique interne, la décision 2004/162/CE du Conseil de l’Union européenne du 10 février 2004 relative à l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer.

Le dispositif de la décision du Conseil vient à échéance le 1er juillet 2014 et il en ira de même pour la loi du 2 juillet 2004 (même si celle-ci ne comporte pas, en soi, de date d’abrogation). À cette date, une prorogation du dispositif pourra être accordée, à condition que les différentes instances de l’Union européenne en soient bien d’accord et qu’une nouvelle décision du Conseil soit prise, servant de prélude au vote d’une nouvelle loi en France. La décision du Conseil et la loi tiendront bien évidemment compte des bilans d’étapes qui auront été réalisés au titre de cette taxe.

Il faut donc se replonger un instant dans le déroulé des négociations européennes de 2003 et de 2004 – discussions qui ont abouti à la décision prise par le Conseil de l’Union européenne le 10 février 2004 – et dans le bilan d’étape de l’application de la taxe, dressé en 2008, pour bien comprendre les données de la renégociation qui va s’ouvrir prochainement au niveau européen.

A. LES NÉGOCIATIONS EUROPÉENNES DE 2003 ET 2004 : DU PROTECTIONNISME À LA COMPENSATION

Jusqu’en 1989, la taxation de l’octroi de mer se limitait aux produits importés. En 1989, une décision du Conseil des Communautés européennes obligea la France à étendre aux productions locales l’imposition de l’octroi de mer. Les conseils régionaux pouvaient cependant prévoir des dérogations en vue de soutenir le développement spécifique des territoires. Tel fut l’objet de la loi du 17 juillet 1992, applicable pour dix ans.

Après avoir obtenu un moratoire d’un an, la France a présenté une demande de renouvellement du dispositif à la Commission européenne le 14 avril 2003.

Il s’en est suivi une période de négociation et d’échange d’informations entre les autorités françaises et les services de la Commission, en particulier la Direction générale « Fiscalité et union douanière » et la Direction générale « Concurrence », qui a duré huit mois et qui a abouti à la proposition de la Commission présentée au Conseil de l’Union le 17 décembre 2003.

Cette proposition de la Commission constitue un projet de décision soumis au Conseil et que ce dernier est susceptible d’adopter après avis du Parlement européen. Elle prévoit la prorogation du dispositif de l’octroi de mer pour dix nouvelles années, mais en le subordonnant à plusieurs contraintes qui aboutissent finalement à une réforme assez importante du dispositif.

Trois idées doivent être retenues en ce domaine :

– il ne doit pas y avoir en principe de différences de taux entre un produit importé et un produit local, sauf pour certains produits figurant limitativement sur trois listes annexées à la proposition de décision ;

– dans ce cas, il peut y avoir des différentiels de taux entre produits locaux et produits importés mais ils sont encadrés dans une marge de variation maximale ;

– enfin, les marges ne doivent pas être conçues comme une forme de protectionnisme mais comme un calcul devant permettre de compenser les surcoûts liés à la production locale.

De ce point de vue, un considérant de la décision du Conseil du 10 février 2004 (décision à laquelle a abouti la proposition de la Commission du 17 décembre 2003) est très éclairant. Il s’agit du considérant 16, rédigé de la manière suivante :

« Il convient toutefois de combiner les exigences de l’article 299, paragraphe 2, et l’article 90 du Traité (4), ainsi que de veiller à la cohérence du droit communautaire et du marché intérieur. Cela suppose de se limiter aux mesures qui sont strictement nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis, compte tenu des handicaps de l’ultrapériphéricité. Le champ d’application du cadre communautaire est donc constitué d’une liste de produits sensibles pour lesquels il a pu être prouvé que, lorsqu’ils sont produits localement, leur prix de revient est sensiblement supérieur au prix de revient de produits similaires provenant de l’extérieur. Toutefois, le niveau de taxation doit être adapté de manière à ce que le différentiel de taxation, en ce qui concerne l’octroi de mer, n’ait pour objet que de compenser ce handicap et ne transforme pas cet impôt en une arme protectionniste remettant en cause les principes de fonctionnement du marché intérieur. »

Au total, les règles correspondant à la taxation différenciée de l’octroi de mer sont ainsi bien posées. Il ne doit pas s’agir d’une « arme protectionniste » mais d’un moyen de « compenser », de manière parfaitement équivalente, quasi mathématique, les majorations de prix de revient existant pour les productions des DOM et résultant de l’ultrapériphéricité.

La proposition de la Commission du 17 décembre 2003, telle qu’elle vient d’être analysée, a alors été soumise pour avis au Parlement européen. Ce dernier a rendu un avis favorable le 15 janvier 2004.

Enfin, la proposition a été adoptée, à la majorité qualifiée, par le Conseil de l’Union européenne le 10 février 2004.

L’article 6 de la décision du Conseil autorise une seconde prorogation de la décision de 1989 jusqu’au 31 juillet 2004, l’article 5 rendant l’article 6 lui-même applicable au 1er janvier 2004, couvrant ainsi juridiquement la période comprise entre le 31 décembre 2003, date de l’échéance de la première prorogation de la décision de 1989, et la date d’adoption par le Conseil de la nouvelle décision et du nouveau statut de l’octroi de mer. Malgré la courte période séparant la fin du précédent système de taxation et le début du nouveau système d’imposition, il n’y a donc pas d’irrégularité résultant d’un défaut de base légale et pouvant donner lieu à des reversements à l’Union européenne. Telle est la raison pour laquelle, très exactement, la décision du Conseil est intitulée : décision 2004/162/CE relative à l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer et prorogeant la décision 89/688/CEE.

Par ailleurs, l’article 4 de la décision du Conseil prévoit la remise par la France à la Commission européenne d’un rapport relatif à l’application de la taxe après quatre ans de mise en œuvre effective. Ce rapport doit être rendu au plus tard le 31 juillet 2008. Il servira de base à la rédaction d’un rapport et d’une proposition par la Commission à l’intention du Conseil « visant à adapter les dispositions de la présente décision ». Cet article est très important. Il montre bien que, dans l’esprit des membres de la Commission européenne, le dispositif de l’octroi de mer « nouveau régime » ne se suffit plus en lui-même. Dans la mesure où il peut être analysé, en dernier ressort, comme une exception au principe communautaire de la libre circulation des marchandises (puisqu’il repose, dans le cas des produits « listés », sur une différence de taxation entre les biens importés et les biens produits localement), il doit faire l’objet d’une évaluation pour voir, notamment, si les avantages consentis aux entreprises locales ne tournent pas, à terme, à une « surcompensation » ou à une rente de situation.

D’autre part, la France a dû aussi, indépendamment de la décision du Conseil, notifier le dispositif d’exonération de l’octroi de mer des productions des DOM à la Direction générale « Concurrence » de la Commission européenne pour que le dispositif soit agréé par elle en tant qu’aide d’État.

Ce dispositif d’exonération est constitué, d’une part, par les règles qui dispensent de l’octroi de mer les entreprises de production locale dont le chiffre d’affaires annuel relatif à leur activité de production est inférieur à 550 000 € ; et, d’autre part, par celles, validées par les conseils régionaux, qui exonèrent les livraisons de biens produits localement par les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 550 000 € – les exonérations étant, soit un taux réduit d’octroi de mer, soit un taux 0, pourvu que le produit concerné figure sur l’une des trois listes prévues par le Conseil européen et que l’on respecte le différentiel de taux maximum avec le produit importé analogue.

La décision d’agrément du régime d’exonération a été confirmée à la France par la Commission le 27 mai 2004.

À noter toutefois que la France, en 2006, s’est engagée à notifier à nouveau auprès de la Direction générale « Concurrence », avant le 31 décembre 2013, donc sans attendre le 1er juillet 2014, les nouvelles règles d’exonération des entreprises au titre de l’octroi de mer. Cet engagement est lié au fait que ces aides d’État, appelées aussi aides à finalité régionale (AFR), seront redéfinies par la Commission dans le courant de l’année 2013, pour la période 2014-2020. Il s’agit donc là d’une mesure de coordination. Néanmoins, cet accord fait qu’en pratique, le régime actuel de l’octroi de mer n’est pérenne que jusqu’au 31 décembre 2013. Ensuite, il conviendra d’avoir une idée très précise du nouveau régime pour en notifier certains éléments à la Direction générale « Concurrence », sachant que celui-ci devra, bien évidemment, s’harmoniser avec celui des aides à finalité régionale, défini précisément par cette Direction au sein de la Commission.

La transposition, en droit interne, de l’ensemble de ces instruments juridiques s’est effectuée par le biais de la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer et par celui du décret d’application n° 2004-1550 du 30 décembre 2004.

Enfin, sont intervenues les délibérations de principe des conseils régionaux sur les taux de l’octroi de mer. Elles sont intervenues le 29 juin 2004 pour La Réunion, le 12 juillet 2004 pour la Martinique (avec des modifications le 26 octobre 2004), le 13 juillet 2004 pour la Guyane et le 23 juillet 2004 pour la Guadeloupe. Ces délibérations ont non seulement fixé les taux applicables aux différents produits, mais elles ont aussi utilisé les possibilités offertes par la décision du Conseil d’établir des différentiels de taxation sur les produits listés. Bien entendu, les taux peuvent être ensuite ajustés chaque année par les conseils régionaux (encore que ces derniers, aux termes de l’article 27 de la loi du 2 juillet 2004, n’ont aucune obligation de fixer ou de moduler les taux par délibération annuelle). Cependant, ces décisions initiales ont une importance capitale dans la taxation par région ; elles ont en effet un caractère cadre et les délibérations suivantes, lorsqu’elles interviennent, ne procèdent plus, en quelque sorte, que comme des corrections de détail ; de plus, la grande difficulté qui existe, en pratique, pour modifier les listes en annexe de la décision du Conseil, par exemple pour y adjoindre de nouveaux produits fabriqués localement – puisqu’il faut, en fait, que les conseils régionaux saisissent l’État qui doit saisir la Commission – a pour conséquence, après les délibérations initiales, que la marge de manœuvre des conseils régionaux, notamment en cas de produits innovants, demeure relativement limitée.

Quoi qu’il en soit, ces délibérations de principe sont venues compléter, de manière très concrète, l’ensemble des normes juridiques définissant les modalités de la taxation.

B. LE RAPPORT D’ÉTAPE DE 2008 : LES DOUTES DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

L’article 4 de la décision 2004/162/CE du Conseil européen du 10 février 2004 relative à l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer prévoyait la remise d’un rapport d’étape au plus tard au 31 juillet 2008.

En demandant un rapport, les institutions européennes, et spécialement la Commission, voulaient vérifier, à mi-parcours dans la durée de mise en œuvre du dispositif de l’octroi de mer, que les exonérations favorisant les industries locales ne « surcompensaient » pas leurs surcoûts de production.

L’idée, en ce domaine, est que la Commission a accepté des différentiels de taux et un double taux d’imposition, pour les livraisons locales et à l’importation, par dérogation au principe communautaire de la libre circulation des marchandises, dans le but unique et clairement affiché de compenser les surcoûts de l’industrie locale, surcoûts dont l’existence a été reconnue dans les économies des DOM, en même temps qu’ils sont devenus RUP, par le traité instituant la Communauté européenne. Néanmoins, il ne faut pas que le système, en dernier ressort, puisse s’analyser comme un système malthusien à l’importation et que les industries locales en tirent une rente de situation.

Plus généralement, il faut montrer que le dispositif ne se suffit pas en lui-même mais qu’il s’insère dans une perspective de développement économique, prévoyant des objectifs d’amélioration en termes de compensation des handicaps et supposant des mécanismes de mesure des performances réalisées.

C’est bien des éléments sur l’ensemble de ces préoccupations que la commission attendait dans le rapport de 2008.

La loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer, pour faciliter les remontées d’information concernant cette imposition, a rendu obligatoire, dans son article 31, la remise d’un rapport annuel par les conseils régionaux de chaque DOM, rapport devant détailler la mise en œuvre des exonérations liées à la taxe au cours de l’année précédente.

Cela dit, en 2008, il n’existait pas, outre-mer, d’instrument d’analyse efficace permettant de faire la relation entre la modulation des taux et ses effets économiques. Il n’y avait donc aucun modèle économétrique fiable permettant une véritable analyse des performances.

Par suite, le rapport de 2008 fourni par la France à l’Union européenne, malgré les apports des conseils régionaux, a été jugé très décevant par la Commission.

Par lettre du 15 avril 2009, les services de la Commission ont informé les autorités françaises que les informations fournies étaient insuffisantes pour apprécier les effets réels des différentiels de taxation sur l’activité des DOM. Aussi a-t-il été demandé à la France, pour chaque DOM, et pour chaque catégorie de produits faisant l’objet, au sein du DOM concerné, d’un différentiel de taxation à l’octroi de mer, de communiquer une étude portant sur l’évaluation de l’incidence du régime en termes de maintien ou de promotion des activités locales et de conditions des échanges.

La lettre ajoutait la phrase suivante à propos du différentiel d’imposition : « En effet, si aucun impact positif ne peut être démontré, cette mesure qui est, rappelons-le, dérogatoire aux principes du traité protégeant la libre circulation des marchandises pourrait être considérée comme injustifiée et son abandon pourrait être envisagé. » (5)

La France a fourni à la Commission, le 16 avril 2010, différents tableaux présentant, pour chacune des 32 grandes catégories de produits bénéficiant d’un différentiel de taxation à l’octroi de mer, des informations relatives au montant de l’aide ainsi reçue par les entreprises concernées, au bénéfice ou à la perte dégagées par ces entreprises, au nombre de leurs salariés, à la part de marché des produits fabriqués localement par rapport à l’ensemble des produits vendus, ainsi qu’à l’évolution des exportations.

Ce complément, apporté par la France au rapport rendu en 2008, a permis à la Commission de présenter elle-même un rapport au Conseil, le 14 décembre 2010, relatif au régime de l’impôt de l’octroi de mer appliqué dans les départements français d’outre-mer (6).

Les conclusions générales de ce rapport, au nombre de quatre, restent finalement assez mitigées.

Du point de vue de la méthode, malgré les compléments apportés, la Commission déclare que « les informations fournies par les autorités françaises ne permettent pas d’avoir une vue complète sur l’impact qu’a eu, au niveau économique et social, sur la production locale dans les DOM l’application d’une taxation différenciée à l’octroi de mer des produits locaux par rapport aux produits venant de l’extérieur ».

D’autre part, la Commission regrette que « le rapport des autorités françaises ne contienne pas d’information sur l’impact du régime de taxation différenciée des produits sur le niveau général des prix dans les DOM [] dans la mesure où la taxation différenciée a pour effet de modifier la concurrence entre produits sur la base du prix de revient le plus élevé qui est celui des produits élaborés dans les DOM ».

La Commission reconnaît cependant que les informations fournies permettent de constater « que le régime de taxation différenciée à l’octroi de mer a permis de maintenir, pour la majorité des produits concernés, une production locale capable d’occuper une part plus ou moins grande du marché local. Il est très probable que, sans l’existence de cette taxation différenciée, dans bien des cas l’activité locale de production n’aurait pas pu se maintenir, d’où des conséquences dommageables au niveau économique et social».

Enfin, dans la mesure où certains produits locaux bénéficiant d’une taxation différenciée occupent la quasi-totalité, voire la totalité du marché, et où la part des produits importés est, dès lors, très faible, voire nulle, la question est posée de l’opportunité de maintenir une taxation différenciée sur ces produits. Le rapport européen indique en effet que « pour certains produits pour lesquels les produits locaux occupent la part prépondérante du marché et parfois même la quasi-totalité du marché la Commission a plus de doutes quant à la nécessité de maintenir un différentiel de taxation. Ces doutes sont encore plus importants pour les produits pour lesquels les produits venant de l’extérieur sont totalement absents. Ce sujet devra, s’il y a lieu, être examiné en détail à la fin de la période couverte par la décision du Conseil de 2004 ».

Au total, à la fin de l’année 2010, le Gouvernement français, face aux demandes de la Commission européenne, et notamment dans la perspective du renouvellement du dispositif de l’octroi de mer à partir du 1er juillet 2014 – et même, en fait, à partir du 31 décembre 2013 –, s’est trouvé dans l’obligation de reconsidérer son évaluation de la taxation.

En 2011, le Gouvernement a donc mandaté un cabinet d’expertise privé, le cabinet Louis Lengrand – qui avait l’avantage de disposer d’une bonne connaissance aussi bien des problématiques européennes que des problématiques ultramarines –, afin de faire une évaluation de l’impact de l’octroi de mer dans les DOM. L’étude a été rendue publique au cours du mois de juin 2012.

C. LE RAPPORT DU CABINET LENGRAND DE 2012 : DE NOMBREUSES PRÉCISIONS APPORTÉES SUR LES DIFFÉRENTIELS DE TAUX

Dans l’élaboration de son rapport, le cabinet Lengrand s’est heurté, comme cela avait été le cas, en 2008, pour les services du ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des Collectivités territoriales, et, en 2009, pour les services du ministère délégué à l’Outre-mer, aux limites de l’appareil statistique. Elles tiennent à l’indisponibilité de bon nombre de sources, d’une part, parce que les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 550 000 euros, et qui constituent l’essentiel du tissu économique outre-mer, ne sont pas soumises à l’obligation de déclarer leur production ; et, d’autre part, parce que l’analyse, par territoire ultramarin, par filière et par produit, n’a souvent pour objet qu’une ou deux entreprises et qu’alors l’analyste se heurte au secret des affaires.

Le cabinet Lengrand, en liaison avec le Gouvernement, est néanmoins parvenu à mettre au point une méthodologie lui permettant de recueillir des données d’une manière beaucoup plus fine que cela n’avait été fait auparavant ; et il est parvenu également à analyser les performances du dispositif d’une manière beaucoup plus scientifique.

Le cabinet a, en effet, conduit ses études dans le cadre d’un partenariat élargi intégrant les conseils régionaux, les organisations socioprofessionnelles et les services de l’État, notamment l’INSEE et la Direction générale des douanes et des doits indirects.

Il a procédé à la fois par analyses statistiques et par visites dans les DOM, ces dernières lui ayant permis de rencontrer de nombreux acteurs, régionaux et locaux, et de recueillir des données au plus près du terrain.

La méthodologie, enfin, a consisté à conjuguer une analyse macro-économique à partir de grands agrégats, des analyses sectorielles par filières et des analyses microéconomiques par produits. (7)

À partir de là, le cabinet Lengrand a été en mesure de reprendre intégralement les éléments constitutifs de la réponse à apporter à la demande de la Commission européenne concernant l’octroi de mer, demande formulée dans sa lettre du 15 avril 2009 et qui était de fournir « une évaluation de l’incidence du régime en termes de maintien ou de promotion des activités locales et de conditions des échanges ».

Face à cette demande, le rapport Lengrand présente un certain nombre d’analyses et de conclusions, ces apports étant aujourd’hui clairement à même de répondre aux attentes de la Commission européenne.

Tout d’abord, le rapport montre que la taxation différentielle au titre de l’octroi de mer constitue un appui déterminant à la productivité des entreprises locales puisque l’aide correspondante représente entre 42 et 52 % de la valeur ajoutée en fonction des filières de produits. Le rapport établit également que l’accroissement de la valeur ajoutée des entreprises locales bénéficiant d’un différentiel de taxation, sur la période 2005-2011, était dû à l’octroi de mer à hauteur de 50 à 66 %.

D’autre part, le rapport montre qu’il n’y a pas de phénomène de rente. Une analyse comparée de la rentabilité des entreprises locales bénéficiaires du différentiel d’octroi de mer indique que le surplus de valeur ajoutée dégagé par les entreprises du fait de l’avantage fiscal est partagé de manière équilibrée entre les profits, les salaires et les investissements.

Par ailleurs, le différentiel de taxation ne « surcompense » pas les handicaps de la production locale, handicaps liés, par exemple, à l’étroitesse ou à l’éloignement des marchés.

En effet, le prix de revient unitaire des produits locaux bénéficiant du différentiel est toujours supérieur à celui des produits importés. Cela provient, notamment, d’un suréquipement des entreprises et donc d’un coût élevé du facteur de production correspondant au capital fixe. Dans ce contexte, c’est le surcroît de valeur ajoutée signalé plus haut qui permet aux entreprises des DOM de faire face à ces surcoûts de production. Il n’y a pas de « surcompensation ».

Il n’y a pas non plus de distorsion de concurrence en termes d’échanges commerciaux ou de présence des produits sur les marchés.

La majeure partie des importations des territoires ultramarins concernent des produits ne relevant pas des listes A, B ou C et donc ne bénéficiant pas d’une taxation différentielle. Cela revient à dire que la majorité des recettes issues de l’octroi de mer provient de produits qui ne bénéficient pas d’un différentiel de taxation et que la taxation différentielle pour certains produits « listés » ne décourage nullement les importations qui, globalement, ont tendance à concerner d’autres secteurs que les secteurs bénéficiant d’un différentiel.

D’autre part, si l’on raisonne dans le cadre des marchés des différents départements d’outre-mer, on observe que, entre 2005 et 2011, les parts de marché des productions locales bénéficiant d’un différentiel diminuent en Guadeloupe et en Martinique, c’est-à-dire dans deux DOM sur quatre. Par ailleurs, hormis le cas particulier de la Guyane, les parts de marché des productions locales bénéficiant d’un différentiel de taxation ne représentent, sur la même période, qu’une proportion d’environ 20 % des marchés totaux. En fait, on doit relever que les productions locales sont confrontées à une très forte concurrence, parce qu’elles sont chères et mises en balance avec les produits issus des pays émergents. On a même pu constater que les importations de produits soumis à un différentiel augmentaient plus vite, sur la période prise en compte, que l’ensemble des importations des territoires ultramarins considérés. Cela signifie donc que la taxation différentielle à l’octroi de mer ne fait pas du tout obstacle aux importations sur le même marché et pour les mêmes produits, alors que le système semblerait pourtant être malthusien en vue de protéger la production locale.

Enfin, l’imposition de l’octroi de mer n’est pas une taxation aux effets inflationnistes.

En dépit d’une augmentation très significative du PIB des territoires ultramarins observée de 2005 à 2011 – entre + 2,3 % et + 5,2 % selon les territoires –, le produit de l’octroi de mer a varié entre - 0,8 % et + 3,3 % de ce même PIB, au cours de la même période. Cela provient du fait que cette taxation est surtout assise sur la production industrielle, alors que le PIB des territoires ultramarins dépend plutôt des activités de service. La pression fiscale liée à l’octroi de mer a ainsi connu une diminution évaluée entre 0,1 % et 0,5 % en fonction des territoires. Cela montre l’impact limité de l’octroi de mer sur le niveau des prix.

Indépendamment des développements du rapport Lengrand, on peut d’ailleurs mentionner trois autres arguments pour expliquer que l’octroi de mer n’a pas de fortes incidences sur les prix. (8)

D’abord, le système de l’octroi de mer n’aboutit pas à une taxation globalement plus élevée que celle qui résulte de l’imposition de la TVA en métropole. Le taux de la TVA outre-mer est en effet de 8,5 %, contre 19,6 % dans l’hexagone. Or, quand on ajoute, pour un produit donné, le taux applicable de l’octroi de mer au 8,5 % de TVA ultramarine, on n’est quasiment jamais au-dessus du taux métropolitain de 18,6 %.

D’autre part, toujours à propos de la TVA, à taux égal, l’impact de l’octroi de mer sur les prix de détail est très inférieur à celui de la TVA. En effet, faisant partie du prix de revient, l’octroi de mer est répercuté sur les marges, alors que la TVA est répercutée directement sur les prix à la consommation. Si l’on appliquait le taux de TVA de la métropole outre-mer, au lieu de la combinaison actuelle TVA réduite/octroi de mer, l’impact sur les prix de détail serait beaucoup plus élevé.

Enfin, on remarque que les importations (parce qu’elles sont moins chères que les produits locaux) ont tendance à s’ajuster, à cause des marges des importateurs et des grossistes, sur les prix de la production locale, y compris celle bénéficiant du différentiel de taxation. Si l’on supprimait ce dispositif de protection, une nouvelle augmentation des prix serait immédiate.

À la lecture du rapport Lengrand, il semble donc bien acquis, en définitive, après le premier essai malheureux de justification du dispositif qu’a constitué le rapport présenté à la Commission en 2008, que l’octroi de mer ne provoque pas de distorsion de concurrence et qu’il s’agit bien là d’une taxation que l’on peut maintenir et proroger.

Bien sûr, on peut améliorer cette taxe, à la fois pour lutter contre la vie chère (par exemple en baissant les taux correspondant aux produits qui seront retenus au titre du bouclier qualité-prix prévu par la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer), pour simplifier l’imposition ou pour favoriser l’innovation et le développement économique (par exemple en prévoyant de nouveaux produits dans les listes figurant en annexe de la décision du Conseil, ainsi qu’un système de modification plus aisé pour ces listes).

Prolongation et amodiations du dispositif seront précisément les enjeux du nouveau round de négociations à Bruxelles.

D. LES GRANDES ÉTAPES DE LA NÉGOCIATION À VENIR

Le régime actuel de la taxation prenant fin, au niveau européen, au 1er juillet 2014 (et même au 31 décembre 2013 du point de vue de la Direction générale « Concurrence »), il convient de procéder à un rétro-planning à partir de ces deux dates, si l’on veut fixer un calendrier pour les négociations européennes à venir.

Dans ce cadre, et par analogie avec le calendrier qui a été suivi au cours des négociations européennes de 2003 et de 2004, selon les informations qui ont été fournies aux rapporteurs, (9) il est possible de distinguer les grandes étapes suivantes :

– à la fin du mois de janvier 2013, élaboration d’une décision interministérielle fixant la position du Gouvernement sur le nouveau régime de l’octroi de mer ;

– au tout début du mois de février 2013, la France introduit officiellement une demande relative à l’octroi de mer auprès de la Commission européenne ;

– dans le courant du mois de février 2013, prise de contact par le ministre des Outre-mer avec la Commission européenne, et en particulier avec le Commissaire européen chargé de la fiscalité et des douanes ;

– la demande est étudiée par les services de la Commission, sans doute jusqu’à la fin du premier semestre de l’année 2013 ;

– la Commission élabore alors un projet de décision du Conseil qui est la proposition de la Commission présentée au Conseil de l’Union ;

– le Parlement est saisi pour avis dans le cadre d’une procédure spéciale prévue par l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; cette saisine pour avis pourrait avoir lieu en septembre 2013 ;

– enfin, le Conseil adopte, par un vote à la majorité qualifiée, le projet de décision de la Commission, sans doute à la fin de l’année 2013.

En parallèle, au cours du second semestre de l’année 2013, il conviendra que la France notifie le dispositif d’exonération d’octroi de mer en faveur des productions locales, sous forme d’une notification d’aides d’État auprès de la Direction générale « Concurrence », et après que cette dernière ait défini les lignes directrices des aides à finalité régionale pour la période 2014-2020.

Enfin, le Parlement français devra adopter une loi pour transposer la décision du Conseil dans le droit national, loi dont le vote pourrait intervenir au premier semestre de l’année 2014.

Le présent rapport a entendu se situer assez en amont dans le calendrier précité, afin de pouvoir faire part de l’avis de la Délégation aux outre-mer sur l’imposition, ainsi que de ses propositions, notamment sur les amodiations qu’il serait possible d’apporter à cette taxe, avant la remise du document final à la Commission par le Gouvernement.

*

* *

III.– UN IMPÔT QUI DOIT ÊTRE RECONDUIT AVEC QUELQUES ADAPTATIONS

Compte tenu des justifications apportées par le rapport Lengrand, et compte tenu aussi des différentes réflexions qui vont être développées ci-dessous, il ne paraîtra pas du tout étonnant que les rapporteurs concluent à ce que l’octroi de mer constitue un impôt indispensable, tant pour le bon fonctionnement des collectivités locales que pour le soutien de l’activité économique. Il serait donc tout à fait souhaitable que cet impôt puisse être reconduit par les autorités européennes.

Des amodiations sont néanmoins possibles dans le régime de cette taxation. Elles auront pour objet d’introduire plus de souplesse dans le dispositif, de favoriser une meilleure homogénéité dans ses différentes composantes et de contribuer à la lutte contre la vie chère.

A. L’OCTROI DE MER : UN DISPOSITIF FISCAL QUI DOIT ÊTRE PROROGÉ

Cinq grandes raisons militent pour la prorogation du dispositif fiscal par Bruxelles. Tout d’abord, l’impôt n’a pas une grosse incidence sur les prix ; d’autre part, il constitue une aide très réelle en faveur des entreprises, aide qui, d’ailleurs, se cumule avec d’autres dispositifs consacrés à l’industrie et en vigueur dans les DOM ; par ailleurs, ce système fiscal est bien adapté à la situation des régions ultrapériphériques ; son remplacement par une TVA régionale, ou par une taxation spécifique sur le prix de vente, ne semble pas, actuellement, avoir fait l’objet d’études suffisamment approfondies ; et enfin, si l’on venait à supprimer cet impôt, ou même à envisager une baisse significative de ce dernier, on devrait bien noter qu’à part précisément la TVA, il n’existe aucune alternative budgétaire ou fiscale crédible pour compenser, en faveur des communes, les pertes de recettes correspondant à cette décision.

1. L’impôt a une faible incidence sur les prix

Le rapport Lengrand montre tout d’abord, au niveau macro-économique, que le PIB en valeur, dans les DOM, tend à augmenter significativement sur la période qu’il étudie (2005-2011), entre + 2,3 % et + 5,2 % selon les territoires, alors même que le produit de l’octroi de mer diminue : entre – 0,8 % et + 3,3 % du PIB au cours de la même période. L’octroi de mer n’a donc pas un rôle majeur dans la hausse des prix.

Au niveau micro-économique, on reproche à la taxe de l’octroi de mer d’être inflationniste parce que les marges (de l’importateur-grossiste, du semi-grossiste, du détaillant…) s’ajoutent en cascade à un prix de base qui, à cause précisément de l’octroi de mer acquitté en amont, se trouve être plus élevé que le montant qu’il pourrait atteindre s’il n’y avait pas d’octroi de mer, et qu’il atteint donc en métropole, toutes choses égales par ailleurs.

À cela s’ajoute le fait que, lorsque l’on a affaire à un produit importé, le prix de base du produit intègre les prix de l’assurance et du fret, si bien que l’octroi de mer s’applique à ce coût majoré.

En fait, les détracteurs de l’octroi de mer indiquent que, pour des marges données (entre 28 et 30 % par intermédiaire), plus l’octroi de mer est élevé et plus le prix est cher.

Ces éléments ont été mis en avant par exemple par la Chambre régionale des comptes (CRC) de La Réunion. (10)

Il s’agit là cependant d’un jugement qui peut paraître un peu sévère.

Naturellement, un impôt n’est jamais neutre et il influence, bien sûr, toujours le niveau des prix, au moins à la marge.

Mais, dans le cas de l’octroi de mer, son incidence sur les prix reste limitée.

Tout d’abord, il ne faut pas l’oublier, il existe beaucoup de produits taxés à taux 0. Dans ce cas-là, l’impôt est donc neutre.

D’autre part, il faut bien voir aussi que l’octroi de mer fait partie des coûts fixes des entreprises.

Or, tous les coûts fixes ne sont pas répercutés dans les prix. Tel est le cas, par exemple, pour les assurances de l’entreprise, les amortissements, certains impôts, etc. Ces coûts fixes sont pris en charge, au niveau de la comptabilité des entreprises, et spécialement du compte d’exploitation, par l’agrégat comptable appelé « excédent brut d’exploitation ». Ce dernier ne résulte pas seulement des recettes de vente, et donc des prix, mais aussi des subventions reçues, des exonérations ou des diminutions de charges, des reports, etc.

Par conséquent, la part des coûts fixes répercutée dans les prix n’est pas inflationniste car elle reste limitée ; Et, a fortiori, l’octroi de mer n’est pas d’avantage inflationniste car il ne représente qu’une toute petite part des coûts fixes répercutés. En fait, l’essentiel du montant du prix, à la vente, est lié à la marge des intermédiaires.

Par ailleurs, deux remarques peuvent être encore formulées.

La première est que, si l’on créait, à la place de l’octroi de mer, un impôt calculé sur le prix de vente, type TVA, comme on le propose parfois, ce dernier aurait un effet beaucoup plus inflationniste que l’octroi de mer.

En effet, cet impôt viendrait s’ajouter in fine à un cycle complet de marges de distribution et, du fait du calcul statistique en fréquences cumulées, un impôt appliqué à l’issue de tout un cycle est plus élevé qu’un impôt appliqué au départ, sur les premières composantes du prix d’un produit. (11)

Transformer l’octroi de mer en une TVA régionale, ou en un impôt sur le prix de vente, serait donc de nature à contribuer davantage à la hausse des prix.

La seconde remarque consiste à rappeler qu’en cas d’importation, le fret est intégralement répercuté sur les prix. Or, le fret est très élevé outre-mer. C’est donc aussi sur le fret qu’il faudrait agir prioritairement pour faire baisser les prix.

2. Il constitue une aide très réelle en faveur des entreprises

Comme on l’a dit plus haut, les différentiels d’octroi de mer fonctionnent, dans les bilans des entreprises locales, comme de véritables allègements de charges.

Ils peuvent ainsi se comparer légitimement à d’autres aides en faveur des entreprises et destinées à améliorer leurs structures de bilan, telles que les exonérations de charges sociales, ainsi que certaines particularités des DOM comme les recettes de TVA non perçues récupérables (NPR) ou les abattements au titre de l’impôt sur les sociétés (supprimés après 2009).

Tous ces avantages sont retracés dans le tableau 15 (page 58) du rapport Lengrand ci-dessous :

APERÇU DES MONTANTS D’AIDES PERÇUS OU ESTIMÉS DANS LES DOM

 

Guadeloupe

Guyane

Martinique

Réunion

DOM

Exonération de cotisations patronales de sécurité sociale (estimation IGF, 2009)

Montant d’exonération

32 349 500

12 658 500

36 569 000

59 073 000

140 650 000

Abattement d’un tiers des résultats d’exploitation, retenus pour l’assiette de l’IS (estimation IGF, 2009)

Recettes non perçues

1 953 000

558 000

2 790 000

3 990 000

9 300 000

TVA NPR (montants estimés pour 2006, Rapport IGF)

Volet achats (industrie)

7 000 000

0

8 000 000

15 000 000

30 000 000

Volet investissements (industrie)

3 452 760

0

12 468 676

9 085 714

25 007 150

Octroi de mer (estimations du montant de l’aide, moyenne annuelle 2005-2007/2006-2007 pour Guyane)

Fourchette haute

43 878 464

22 643 471

79 774 598

104 479 493

250 776 026

Fourchette basse

28 759 330

8 534 198

57 908 899

73 815 362

169 017 789

Source : Inspection Générale des Finances, calculs internes. Tableau présenté dans l’évaluation réalisée par le cabinet Lengrand sur l’impact du dispositif d’octroi de mer dans les DOM, juin 2012.

Au total, si l’on recense toutes les cotisations d’octroi de mer non payées par les entreprises locales, tous produits confondus, du fait des différentiels de taux, on peut évaluer l’avantage annuel correspondant à un montant se situant dans une fourchette qui oscille entre 170 et 250 millions d’euros pour les quatre DOM.

Il s’agit là d’un avantage très conséquent, qui l’emporte, comme le montre le tableau précité, sur les autres avantages analogues consentis par les pouvoirs publics et qui est d’autant plus intéressant qu’il ne correspond pas à une dépense directe à la charge de l’État.

3. Il est bien adapté à la situation des régions ultrapériphériques

À l’issue des délibérations des conseils régionaux, le système de l’octroi de mer repose, comme on l’a vu, sur un ensemble de taux qui varie entre huit et onze en fonction des DOM, sans compter le taux de l’octroi de mer régional.

Ce système permet de gérer chaque situation avec beaucoup de finesse et l’on peut donc dire, compte tenu de cette approche très diversifiée, que l’impôt est bien adapté à la situation locale de chacune des régions où il s’applique.

Il convient d’observer que l’Espagne, avec son imposition dite AIEM qui concerne les îles Canaries, dispose d’un système fiscal assez proche de l’octroi de mer français.

Il y a cependant une différence essentielle : aux îles Canaries, contrairement aux DOM français, ce sont uniquement les productions locales qui sont soumises à la taxe, ainsi que les produits importés lorsqu’ils sont semblables à ces productions. Les autres produits importés ne sont pas taxés.

En revanche, comme pour l’octroi de mer français, en cas de taxation, il existe trois listes et trois différentiels de taux en fonction des produits (5 %, 15 % et 25 %). Par suite, la production locale peut être plus ou moins largement exonérée de taxation, dans le cadre de ces différentiels, comme c’est le cas pour la France.

L’Espagne connaît donc, elle aussi, une certaine variété dans le nombre des taux applicables pour l’AIEM, variété qui semble bien adaptée à la situation des entreprises locales implantées aux Canaries.

Le régime de l’AIEM, édicté pour dix ans par la décision du Conseil de l’Union européenne du 20 juin 2002, a été prorogé jusqu’au 31 décembre 2013.

D’après les informations recueillies par les rapporteurs, il ne semble pas que l’Espagne, à l’occasion d’une prochaine demande à la Commission européenne de renouvellement de l’impôt, souhaite un changement notable du système existant. Cet élément d’information vient conforter, en quelque sorte, la position des rapporteurs, position qui est de conserver également le système de taxation de l’octroi de mer en France.

4. Son remplacement par une TVA régionale ou par une taxe sur le prix de vente n’a pas fait l’objet d’études suffisamment approfondies

Depuis assez longtemps, il a été envisagé, à intervalles réguliers, de remplacer l’octroi de mer par une taxe sur le prix de vente ou par une certaine forme de TVA que l’on qualifie alors de « TVA régionale », dans la mesure où les taux retenus ne seraient pas nécessairement ceux en vigueur dans l’hexagone.

Les raisons de ce remplacement sont les suivantes :

– Il s’agirait par là, tout d’abord, d’introduire plus de transparence sur les marges bénéficiaires des détaillants en distinguant plus clairement l’impôt de ces dernières ; en effet, actuellement, l’octroi de mer est acquitté sur le prix d’un produit calculé hors taxes (c’est-à-dire hors TVA) et hors marges des distributeurs ; de la sorte, pour le consommateur, les marges de la distribution restent floues et se confondent avec la fiscalité indirecte ;

– Ensuite, on pourrait simplifier l’impôt en fusionnant octroi de mer et TVA puisque, aussi bien, les deux impositions pèsent sur le même produit ;

– Enfin, on mettrait fin, avec cette imposition unifiée, à un système consistant à appliquer de la TVA sur de l’octroi de mer, un phénomène qui paraissait souvent excessif, notamment aux yeux des importateurs.

Dans cette perspective, on peut noter que les propositions de remplacement de l’octroi de mer par la TVA prévoient aussi une limitation des taux pour éviter la hausse des prix due au fait qu’un impôt exigible en fin de cycle est plus élevé qu’un impôt avant distribution. D’autre part, pour conserver l’aspect « aide aux entreprises », il est également prévu, en règle générale, de conserver les listes de produits et les différentiels de taux. (12)

Par ailleurs, à une période tout à fait récente, la question de la transformation de l’octroi de mer en un impôt de type TVA a rebondi pour plusieurs autres raisons :

– La création d’une TVA régionale permettrait d’accroître le rendement de l’impôt ;

– Elle permettrait de l’appliquer aux services marchands qui ne sont pas pris en compte actuellement par l’octroi de mer ;

– Elle permettrait, notamment, de mieux gérer la question des déductions intermédiaires dans le cycle de la distribution pour la taxation des services ;

– Enfin, cette taxe constituerait une alternative pour l’avenir, notamment en cas de difficultés pour la reconduction de l’octroi de mer à Bruxelles.(13)

Dans ce contexte, bien entendu, il est clair qu’il n’est plus question de différentiels. D’ailleurs, les différentiels seraient, pour ainsi dire, impossibles à appliquer dans le cas de la taxation des services. En effet, il paraîtrait difficile d’invoquer des handicaps structurels pour justifier, à l’égard des autorités européennes, le fait que les honoraires d’un cabinet de conseil, par exemple, soient taxés de manière différente dans les DOM et hors des DOM.

Il s’agit là, comme on le voit, de problèmes très complexes. D’un côté, nous avons affaire, avec l’octroi de mer, à un impôt très ancien et qui a fait ses preuves, tant pour alimenter les budgets des collectivités locales que pour soutenir l’activité économique. On pourrait lui appliquer volontiers l’adage bien connu en matière de finances publiques : « vieil impôt, bon impôt ». De l’autre – et dans la seconde hypothèse évoquée notamment –, il s’agit de substituer à un système fondamentalement basé sur la taxation des produits un autre type de fiscalité, d’assiette beaucoup plus large.

Il convient de relever, cependant, que le passage d’une forme de l’impôt à l’autre aurait des inconvénients très réels, inconvénients que l’on peut rappeler :

– Comme on l’a dit plus haut, le passage à la TVA aura tendance à faire monter les prix ; un impôt de consommation appliqué à la fin de la chaîne de la distribution crée un produit plus élevé qu’un impôt qui pèse sur les coûts fixes de production ;

– Comme la TVA est un impôt d’État, ses recettes n’iront pas forcément en totalité en direction des communes ; par conséquent, en cas de modification de la fiscalité, les collectivités locales devront immédiatement poser la question, toujours délicate, du reversement ou de la compensation de la ressource ;

– L’impôt ne conservera pas les différentiels de taux en faveur des entreprises locales ;

– Le dispositif ne pourra plus servir aux entreprises dans une perspective de compensation des handicaps structurels ;

– Enfin, les décideurs disposeront sans doute de moins de taux pour moduler les effets de l’impôt qu’avec l’octroi de mer ; le dispositif perdra donc en finesse.

À cela s’ajoute le fait que le passage d’un impôt à l’autre n’est pas du tout opérationnel, à l’heure actuelle, au niveau des services fiscaux et qu’aucune étude d’impact n’a été conduite sur les conséquences d’un tel passage.

La question de la TVA régionale ne paraît donc pas, aujourd’hui, avoir donné lieu à des études suffisamment approfondies pour qu’on puisse préconiser une telle solution. Dans l’immédiat, il convient donc de concentrer son attention sur l’octroi de mer.

5. Hormis la TVA, il n’y a pas d’alternative fiscale ou budgétaire crédible pour compenser la disparition de l’octroi de mer ou même la diminution des recettes qu’il génère

En dernier lieu, on notera qu’à part une hausse de la TVA (en l’affectant aux communes) ou l’institution de la TVA régionale évoquée ci-dessus, il n’existe aucune alternative crédible de compensation par des recettes budgétaires ou fiscales, au cas où l’octroi de mer viendrait à disparaître ou à baisser significativement, par exemple si Bruxelles demandait la suppression des différentiels et l’alignement de tous les taux à la baisse. L’essentiel des recettes des communes apparaît en effet dans le tableau ci -dessous :

LES PRINCIPALES RESSOURCES DES COMMUNES DES DOM EN 2011/2012

(En millions d’euros)

 

Dotation globale garantie (DGG) (octroi de mer) (1)

Dotation globale de fonctionnement (DGF) – dotation forfaitaire (2)

Fiscalité directe locale (1)

Guadeloupe

159,7

84,7

155,6

Martinique

182,8

73

131,3

Guyane

71,3

45,1

53,9

Réunion

272,7

139

274,5

Total

686,5

341,8

615,3

(1) Chiffres 2011.

(2) Chiffres 2012. À cette dotation viennent s’ajouter, pour les quatre DOM, une quote-part affectée aux communes de DSU (dotation de solidarité urbaine) et de DSR (dotation de solidarité régionale) soit 83,8 millions d’euros et une quote-part, également affectée aux communes, de DNP (dotation nationale de péréquation) de 28,5 millions d’euros.

Source : DEGEOM et bilan de la répartition de la DGF pour 2012.

Si l’on imagine, par exemple, qu’à la suite d’une décision de la Commission européenne, il faille compenser 20 % des ressources d’octroi de mer, soit environ 140 millions d’euros, on voit, à la lecture de ce tableau, qu’il faudrait, en raisonnant à structure constante, et en une seule année, soit augmenter de 40 % les ressources tirées de la DGF (encore que la DGF n’est aucunement liée à la DGG : les niveaux des deux dotations, juridiquement, n’interagissent pas et ne se compensent pas), soit augmenter de 20 % la fiscalité directe locale, soit encore, augmenter de 15 % chacune des recettes concernées. L’ensemble de ces hypothèses ne paraît pas réaliste.

La solution la plus simple et la plus expédiente est donc de pérenniser l’octroi de mer.

Proposition 1 : Demander la prorogation de la taxe de l’octroi de mer aux autorités européennes.

B. LES ORIENTATIONS POSSIBLES POUR AMÉLIORER LE DISPOSITIF DE L’IMPÔT

Le dispositif de l’octroi de mer arrive à échéance le 1er juillet 2014 et sa prorogation nécessite une nouvelle décision du Conseil de l’Union européenne et une nouvelle notification d’aide d’État à finalité régionale sur la base de cette décision.

Toutefois, la mise en œuvre du régime actuel a présenté, sur la durée, un certain nombre de rigidités que l’on a pu passer en revue, dans les pages qui ont précédé, en même temps que l’on examinait dans le détail les différentes modalités pratiques de l’imposition.

Par ailleurs, la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer a prévu, dans son article 15, la mise en place d’un bouclier qualité/prix destiné à faire baisser les prix d’un certain nombre de produits de grande consommation. Or, il est très certain que l’octroi de mer – taxe qui s’applique à tous ces produits – peut avoir un rôle à jouer, en étant évidemment reconsidéré à la baisse, dans le cadre du bouclier prévu par la loi.

C’est pourquoi il pourrait apparaître comme judicieux de saisir l’opportunité du réexamen européen des modalités de l’octroi de mer pour apporter à cet impôt un certain nombre de modifications.

Ces amodiations devraient s’articuler autour de trois objectifs : introduire plus de clarté dans les informations apportées aux décideurs, apporter plus de souplesse dans la gestion de l’impôt et permettre de lutter contre la vie chère. En revanche, il paraît prématuré de se prononcer sur la question de l’élargissement de l’assiette de l’impôt aux services, en l’absence d’étude d’impact.

1. Améliorer la connaissance statistique de l’impôt

On a pu voir, en particulier au cours de la période 2008-2012, que l’appareil statistique, notamment en ce qui concerne les effets économiques dérivant directement de l’application – ou de la non application – de l’imposition, restait insuffisant et qu’il avait d’ailleurs posé problème face aux attentes de Bruxelles.

Il pourrait donc être pertinent de mettre en place un système statistique homogène entre les différents DOM qui permette de mieux appréhender le fonctionnement du dispositif et de mieux en justifier l’efficacité auprès des autorités européennes.

Proposition 2 : Mettre en place un outil d’observation inter-RUP pour exercer un suivi statistique homogène entre les différents DOM (y compris Mayotte) afin de mieux appréhender le fonctionnement du dispositif et afin de mieux en justifier l’efficacité auprès de la Commission européenne.

Ce nouveau système devra, bien entendu, s’appuyer étroitement sur les déclarations des entreprises.

Dans cette perspective, le traitement des petites entreprises vis-à-vis de l’octroi de mer devra être réexaminé.

Actuellement, les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires de production inférieur à 550 000 euros par an sont assujetties à l’octroi de mer et donc soumises à déclaration, mais elles sont exonérées. Cependant, les déclarations sont quasi inexistantes ou erronées.

Il serait donc préférable de prévoir le non-assujettissement des petites entreprises jusqu’à 85 000 euros ; puis, à partir de ce seuil, un assujettissement assorti d’une exonération jusqu’à 300 000 € ; et enfin, un assujettissement complet à l’impôt au-delà de 300 000 €.

Les obligations déclaratives interviendraient donc à partir de 85 000 € et le paiement de l’impôt à partir de 300 000 €. Bien entendu, les obligations déclaratives des entreprises devraient s’effectuer sur la base de documents très simples.

Proposition 3 : Revoir le traitement des petites entreprises vis-à-vis de l’octroi de mer. Actuellement, les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires de production inférieur à 550 000 euros par an sont assujetties à l’octroi de mer, et donc soumises à déclaration, mais elles sont exonérées. Cependant, les déclarations sont quasi inexistantes ou erronées. Il serait préférable de revoir à la baisse ce seuil et d’établir une obligation déclarative à partir de 85 000 € et un assujettissement effectif à l’impôt à partir de 300 000 €.

2. Introduire de la souplesse et de la simplification dans son dispositif

Trois pistes peuvent être poursuivies pour introduire davantage de simplification dans le dispositif fiscal de l’octroi de mer.

Tout d’abord, la modification des listes A, B et C, concernant les produits faisant l’objet d’un différentiel de taxation, devrait pouvoir être réalisée de manière plus souple, par exemple pour prendre en compte de nouvelles productions ou l’évolution de contextes concurrentiels.

Il pourrait être ainsi envisagé que, selon un calendrier annuel prédéterminé, les collectivités régionales soumettent leurs propositions de modifications justifiées aux autorités nationales qui les feraient valider par les autorités européennes, selon un mécanisme proche de celui applicable au POSEI (programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité).

Le POSEI est un programme qui a été créé en 2006, sur la base de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (article qui prévoit des mesures spécifiques pour les régions ultrapériphériques appelées aussi RUP).

Ce programme comporte différents volets, dont l’un vise le développement agricole des RUP. S’agissant de la France, le POSEI agricole propose un dispositif d’aides financières aux quatre DOM en vue d’aider les productions agricoles locales (aides à la surface ou à la production, primes animales, versements aux producteurs, etc.). Les aides transitent via le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural).

La gestion des aides liées au POSEI, et notamment des aides relevant du POSEI agricole, est très décentralisée. Il serait donc possible de s’en inspirer pour la mise à jour des listes des produits éligibles aux différentiels de taux pour l’octroi de mer. On pourrait poser l’idée, par exemple, que l’on se bornerait à notifier chaque année à la Commission européenne les nouveaux produits faisant l’objet d’un différentiel de taux, sans devoir, à chaque fois, renégocier les annexes correspondantes de la décision du Conseil de l’Union européenne.

Bien entendu, la question reste posée de savoir si la Commission acceptera d’entériner, en quelque sorte, la dissociation des listes présentées en annexe de la décision du Conseil portant sur l’octroi de mer du corps de cette décision elle-même.

Néanmoins, il s’agirait là d’une mesure très utile, surtout si l’on pense, par exemple, aux difficultés qu’a connues un département comme la Guyane pour la mise à jour de ces listes.

Proposition 4 : Faire en sorte que la modification des listes A, B et C des produits faisant l’objet d’un différentiel de taxation puisse être réalisée avec plus de souplesse. Il conviendrait que, selon un calendrier annuel préétabli, les conseils régionaux soumettent leurs propositions de modifications justifiées au ministre chargé des outre-mer. Ce dernier, en liaison avec les autres ministères concernés, les ferait valider par les autorités européennes selon un mécanisme proche de celui du POSEI (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité).

D’autre part, il conviendrait d’harmoniser, au niveau des différents DOM, tous les régimes locaux d’exonération à l’importation, ainsi que les mécanismes de déductibilité des octrois de mer acquittés en amont des productions.

Proposition 5 : Harmoniser au sein des différents DOM tous les régimes locaux d’exonération à l’importation, ainsi que les mécanismes de déductibilité pour les taxes d’octroi de mer payées en amont des productions.

Enfin, pour faciliter l’innovation et le développement économique, il conviendrait d’accroître le nombre des exonérations obligatoires à l’octroi de mer en y ajoutant les investissements publics intégrant une forte part de recherche et développement.

Proposition 6 : Ajouter au nombre des exonérations obligatoires à l’octroi de mer les investissements publics intégrant une forte composante de recherche et développement.

3. Conserver globalement l’assiette de l’impôt

De même que l’instauration d’une TVA « régionale », il a fréquemment été évoqué, au cours des auditions de la Délégation consacrées à l’octroi de mer, la possibilité, afin de dynamiser le rendement de l’impôt, d’élargir son assiette en l’étendant aux services marchands.

Il ne semble pas que cette option soit intégrée dans les demandes de la France qui seront prochainement adressées à la Commission européenne.

Les rapporteurs considèrent qu’il est prématuré de se prononcer sur cette question, en l’absence d’étude d’impact.

Si cette mesure devait apparaître dans les débats, cette année ou l’année prochaine, à l’occasion de la prorogation du dispositif de l’octroi de mer, elle devrait faire l’objet d’une étude d’impact très précise. Notamment, certains services devraient être exclus de l’assiette, compte tenu de leur caractère extrêmement sensible outre-mer : les rapporteurs pensent ici notamment aux services de téléphonie mobile et aux services bancaires.

Proposition 7 : Prévoir impérativement une étude d’impact, si la question de l’extension de l’octroi de mer aux services venait à l’ordre du jour, cette année ou l’année prochaine, à l’occasion des débats consacrés à la prorogation de l’impôt.

4. Mettre l’impôt au service de la lutte contre la vie chère

Enfin, la taxe de l’octroi de mer pourrait servir aussi d’instrument pour la lutte contre la vie chère.

L’article 15 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer prévoit, dans un article L. 410-5 nouveau du code de commerce, des accords annuels de modération de prix pour les produits de grande consommation. Il s’agit là de ce que l’on appelle le bouclier qualité/prix, conformément à une promesse de campagne du Président de la République.

Dans ce contexte, on pourrait prévoir l’instauration impérative d’un taux zéro d’octroi de mer pour tous les produits retenus par le bouclier qualité/prix.

Ce taux serait à 0 pour les produits locaux et aussi à 0 pour les produits importés à condition qu’ils ne concurrencent pas les produits locaux. (Les DOM importent environ 5 500 produits différents dont 4 000 ne sont pas produits localement ; dans le cadre de ce taux 0, on jouerait sur ces 4 000 produits qui n’impactent pas la production locale).

Ce serait là une réponse évidente aux objections de la Commission européenne formulées en 2008 et précisant que le dispositif n’apporte pas de réponses claires sur l’objectif de lutte contre la hausse des prix.

Proposition 8 : Prévoir obligatoirement un taux 0 d’octroi de mer pour tous les produits retenus par le bouclier qualité/prix. Ce taux serait à 0 pour les produits fabriqués localement et aussi à 0 pour les produits importés à condition qu’ils ne concurrencent pas les produits locaux.

Dans ce contexte, il faudrait aussi faire baisser le fret pour les produits importés figurant dans le bouclier qualité/prix.

Proposition 9 : S’efforcer de faire baisser le coût du fret pour les produits importés figurant dans le bouclier qualité/prix.

Par ailleurs, on pourrait prévoir la suppression de la TVA pour tous les produits figurant dans le bouclier qualité/prix et pour lesquels le taux d’octroi de mer aura préalablement été fixé à 0 par les conseils régionaux.

Proposition 10 : Prévoir une TVA à taux 0 pour tous les produits figurant dans le bouclier qualité/prix et pour lesquels le taux d’octroi de mer aura aussi été fixé à 0.

Enfin, on pourrait également « flécher », à l’intention des consommateurs, les produits pour lesquels un taux 0 d’octroi de mer (et éventuellement de TVA) aura été prévu, par exemple en prévoyant un symbole particulier sur les étiquettes ou sur les emballages de ces produits.

Proposition 11 : Prévoir un « fléchage » particulier sur les étiquettes ou sur les emballages des produits pour lesquels un taux 0 d’octroi de mer (et éventuellement de TVA) aura été prévu au titre du bouclier qualité/prix.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux outre-mer a examiné le présent rapport d’information au cours de sa réunion du mardi 29 janvier 2013.

M. Mathieu Hanotin, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, le rapport que nous vous présentons aujourd’hui sur l’octroi de mer s’inscrit dans le contexte des négociations qui vont s’ouvrir entre le Gouvernement et la Commission européenne sur l’avenir du dispositif. Ce rapport doit être un point d’appui pour la France lors de ces discussions.

L’octroi de mer est l’un des plus vieux impôts français : il existe depuis le XVIIe siècle, même s’il a beaucoup évolué depuis. Depuis 1986 et l’Acte unique européen, il ne relève plus seulement de la compétence de la France, mais aussi des autorités européennes.

L’octroi de mer ne frappe que les marchandises ; sa spécificité repose sur les différentiels de taux entre les produits importés et ceux fabriqués localement. Il s’applique dans les quatre départements d’outre-mer (DOM), et s’appliquera à Mayotte à partir de janvier 2014.

L’octroi de mer doit s’inscrire dans le cadre des règles de libre concurrence fixées par Bruxelles. Son but n’est pas de créer des distorsions de concurrence, mais de compenser les handicaps structurels des territoires ultramarins. Ceux-ci ont en effet des spécificités qui ont un impact sur les coûts de production, comme l’éloignement et la petite taille des marchés intérieurs.

C’est sur cette base qu’en 2004, Bruxelles a accepté la reconduction du dispositif pour dix ans. Celui-ci prendra donc fin en 2014 : si nous souhaitons le reconduire, c’est dès à présent qu’il faut y réfléchir.

À n’en pas douter, l’octroi de mer représente un enjeu économique majeur pour les DOM, car il permet tout d’abord de maintenir une production locale, les entreprises locales bénéficiant d’une exonération ou de taux réduits. Il est donc essentiel pour la sauvegarde de l’emploi dans ces territoires.

Il constitue également une ressource majeure pour les collectivités locales, puisqu’il génère 1 milliard d’euros de recettes essentiellement affectées aux communes : il représente en moyenne 30 % de leurs budgets, cette proportion pouvant même atteindre 50 %. Rappelons, à cet égard, que les collectivités ont un rôle primordial dans l’investissement et les politiques sociales : sans cette ressource, elles n’auraient pas d’autre choix que d’augmenter la fiscalité directe ou de stopper les investissements.

Il est donc essentiel d’obtenir la reconduction du dispositif ; pourtant, la partie n’est pas tout à fait gagnée. Lors du rapport d’étape en 2008, la Commission européenne avait émis de vives critiques, reprochant notamment le manque d’éléments justifiant cette reconduction. En effet, faute d’un outil statistique suffisant, le rapport, principalement élaboré à partir des remontées des conseils régionaux des quatre DOM, n’a pas convaincu la Commission. Dans une lettre adressée au Gouvernement, celle-ci a demandé que, lors de la renégociation de l’impôt, des justifications extrêmement précises soient apportées sur les conséquences économiques des différentiels de taux ; à défaut, la Commission se réservait le droit de ne pas proroger le dispositif. C’est dans ces conditions que le cabinet Lengrand fut chargé, en 2011, de rédiger un rapport détaillé sur l’octroi de mer. Ce rapport, remis au Gouvernement en juin 2012, a démontré que la taxe a des effets positifs sur la sauvegarde de l’activité locale, et ce sans entraver les importations. Enfin, il est prouvé que son impact sur les prix à la consommation est faible.

Nous avons donc conclu, avec mon collègue Jean Jacques Vlody, à la nécessité de reconduire l’octroi de mer, tout en faisant quelques propositions d’aménagement pour le rendre plus efficace.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Après un examen approfondi du régime de l’octroi de mer, examen éclairé par les auditions de la Délégation, il nous est apparu que la reconduction de cette taxe était une nécessité absolue ; c’est d’ailleurs notre première recommandation.

La meilleure raison est que l’octroi de mer est utile, en premier lieu aux entreprises, pour lesquelles, selon le rapport Lengrand, son bénéfice avoisine les 170 millions d’euros par an, sans que cela nécessite de dépenses pour l’État, puisque ce chiffre correspond, non à des subventions, mais au montant des exonérations.

L’octroi de mer est également utile aux collectivités, auxquelles il rapporte 1 milliard d’euros : s’il était supprimé, il faudrait bien compenser ce manque à gagner, avec les conséquences prévisibles sur la fiscalité locale directe.

L’octroi de mer doit aussi être conservé car les solutions alternatives sont des mirages. Le système qui consisterait à le remplacer par une TVA régionale n’est pas du tout au point : aujourd’hui, les services des douanes seraient incapables de le faire fonctionner.

D’autre part, une TVA régionale ne manquerait pas de favoriser une certaine hausse des prix dans les DOM, en particulier en Guyane et à Mayotte, où la TVA n’est pas applicable. Au moment où le Gouvernement s’est engagé dans la lutte contre la vie chère, cela semble peu approprié.

Enfin, avec la TVA régionale, il n’y aurait plus de différentiels de taux ; par conséquent, l’aspect d’aide aux entreprises qui caractérise l’octroi de mer n’existerait plus.

Cela n’exclut pas que l’on modifie ce dernier à la marge pour le rendre plus efficace. Nous formulons plusieurs propositions en ce sens, selon trois objectifs : introduire plus de clarté dans les informations apportées aux décideurs, apporter plus de souplesse dans la gestion de l’impôt et en faire un instrument de lutte contre la vie chère.

Pour répondre au premier objectif, il convient d’améliorer la connaissance statistique de l’impôt. Notre deuxième proposition est donc de « mettre en place un observatoire pour exercer un suivi statistique homogène entre les différents DOM (y compris Mayotte) afin de mieux appréhender le fonctionnement du dispositif et afin de mieux en justifier l’efficacité auprès de la Commission européenne ». Par le fait, ces outils statistiques font aujourd’hui défaut.

Le traitement des petites entreprises vis-à-vis de l’octroi de mer devra aussi être revu et simplifié. C’est le sens de la proposition 3. Actuellement, les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires de production inférieur à 550 000 euros par an sont assujetties à l’octroi de mer et donc soumises à déclaration, mais elles sont exonérées. Cependant, les déclarations sont quasi inexistantes ou erronées. Il serait préférable de ne plus assujettir les petites entreprises, qui réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 85 000 euros ; puis, à partir de ce seuil et jusqu’à 300 000 euros, d’instaurer un assujettissement effectif avec exonération, et enfin un assujettissement complet pour les entreprises réalisant plus de 300 000 euros de chiffre d’affaires.

Nous préconisons aussi d’introduire de la souplesse et de la simplification. Je ne reviendrai pas sur le détail des mesures parfois techniques, bien qu’essentielles, dont vous avez pu prendre connaissance à la lecture du rapport : meilleure prise en considération des nouvelles productions et de l’évolution de la concurrence, et décentralisation accrue dans la mise à jour des listes des produits éligibles aux différentiels de taux (proposition 4) ; harmonisation, au niveau des différents DOM, de tous les régimes locaux d’exonération à l’importation (proposition 5) ; accroissement, enfin, du nombre des exonérations obligatoires à l’octroi de mer, auxquelles il convient, à notre sens, d’ajouter les investissements publics intégrant une forte part de recherche et de développement – selon les termes de la proposition 6 –, afin de favoriser un développement économique à long terme.

Le troisième objectif est de mettre l’octroi de mer au service de la lutte contre la vie chère. L’article 15 de la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer prévoit des accords annuels de modération de prix sur les produits de grande consommation : cette mesure, plus communément appelée « bouclier qualité/prix », correspond à une promesse de campagne du Président de la République. Dans cette optique nous suggérons, au travers de notre proposition 8, de « prévoir obligatoirement un taux 0 d’octroi de mer pour tous les produits retenus par le bouclier qualité/prix. Ce taux serait à 0 pour les produits locaux et aussi à 0 pour les produits importés à condition qu’ils ne concurrencent pas les produits locaux ». Ce serait là une réponse aux objections de la Commission européenne en 2008, selon lesquelles le dispositif n’apporte pas de réponses claires sur l’objectif de lutte contre la hausse des prix.

Dans cette même logique, il faudrait aussi « s’efforcer de faire baisser le coût du fret pour les produits importés figurant dans le bouclier qualité/prix » : c’est le sens de la proposition 9.

Notre dixième proposition consiste à « prévoir une TVA à taux 0 pour tous les produits figurant dans le bouclier qualité/prix et pour lesquels le taux d’octroi de mer aura aussi été fixé à 0 » par les conseils régionaux.

Notre onzième proposition, enfin, poursuit un objectif pédagogique et permettrait de battre en brèche l’idée reçue selon laquelle l’octroi de mer contribue à la vie chère : il s’agit de flécher les produits exonérés de cette taxe, afin que les consommateurs ne lui imputent pas leur éventuel renchérissement.

Nous ne nous sommes pas prononcés, en revanche, sur une éventuelle extension de l’assiette de l’octroi de mer aux services. Il nous est en effet apparu qu’aucun moyen technique ne permettait aujourd’hui la mise en œuvre de cette mesure, et qu’une fiscalité supplémentaire sur certains services, par exemple dans la banque ou la téléphonie, serait susceptible de provoquer une hausse des prix. De surcroît, le Gouvernement ne souhaite pas précipiter les choses, en l’absence de données suffisantes sur l’impact d’une telle disposition.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci pour cette présentation succincte mais complète.

M. Patrick Lebreton. Je salue la qualité et la précision de ce travail, dont les propositions sont de nature à moderniser l’octroi de mer, même si je me demande si nous ne devrions pas aller plus loin.

L’octroi de mer est en effet stratégique, tant pour la compétitivité des acteurs économiques locaux que pour le budget des collectivités. Je ne suis pas sûr, cependant, d’avoir compris la logique qui vous conduit à écarter un élargissement de son assiette au secteur des services. Vous dites redouter un risque inflationniste dans la transformation de l’octroi de mer en une TVA régionale : ce constat n’accrédite-t-il pas la thèse selon laquelle l’octroi de mer est une cause de la vie chère ?

Dans nos territoires, les entreprises de services sont presque toutes confrontées à la concurrence de celles des pays voisins ; ce fut le cas, dans ma commune, pour un opérateur spécialisé dans la photocomposition du bulletin municipal. Contrairement à ce que soutenait le représentant du Conseil économique, social et environnemental régional de La Réunion, l’élargissement de l’assiette aux services ne provoquerait pas de délocalisations : celles-ci résultent plutôt d’un coût du travail plus faible dans certains pays voisins. L’octroi de mer pourrait même, à l’inverse, constituer une arme efficace pour protéger les secteurs concernés, d’autant que les services peuvent être un pilier de développement économique, compte tenu de la quasi-inexistence de potentiel industriel dans nos territoires.

Enfin, les recettes de la taxe ne devraient-elles pas être prioritairement affectées à l’aménagement du territoire plutôt qu’au fonctionnement des collectivités ?

M. Ary Chalus. Lors d’une réunion au ministère des Outre-mer, M. le ministre a indiqué que l’idée d’élargir l’assiette aux services nécessitait le temps de la réflexion. Le représentant de la Cour des comptes, de son côté, a rappelé que la Commission européenne nous demandait d’évaluer le réel intérêt de la taxe pour les outre-mer. Dans cette optique, ne faudrait-il pas insister, comme vient de le dire M. Lebreton, sur les objectifs d’aménagement du territoire, lesquels, aux yeux de la Commission, priment assurément sur le fonctionnement des collectivités, qui perçoivent des dotations de l’État ?

M. Mathieu Hanotin, rapporteur. Le chapitre relatif à l’élargissement de l’assiette au secteur des services est sans doute celui qui a suscité le plus de débats. Je suis très favorable à l’élargissement que vous proposez, et souhaiterais même que des arguments analogues prévalent pour régler, aux frontières de l’Union, les problèmes de concurrence que posent certains pays où les droits sociaux ne sont pas les mêmes. Reste que l’objectif principal du rapport est la reconduction de la taxe et la pérennisation des ressources des collectivités à court et moyen terme. L’élargissement aux services sera peut-être possible à moyen terme, moyennant un ciblage sur quelques secteurs ; mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Un tel élargissement peut aussi bien favoriser les délocalisations que les empêcher : tout dépend de la méthode. Des études préalables sont donc nécessaires.

Par ailleurs, la question de l’aménagement du territoire relève davantage d’une réflexion sur le rôle et les compétences des collectivités que sur l’affectation de la taxe.

M. Patrick Lebreton. Du solde de l’octroi de mer, une fois consommées les dépenses de fonctionnement, dépend le Fonds régional pour le développement et l’emploi, dit FRDE. Un élargissement de l’assiette permettrait donc de stimuler les investissements.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur.  L’octroi de mer étant intégré dans les charges fixes de l’entreprise, il n’est pas considéré comme inflationniste : en matière de fiscalité, seule la TVA l’est. La proposition 11, par ailleurs, consiste à identifier les produits non soumis à l’octroi de mer, afin de ne pas imputer leur prix à ce dernier.

Quant à l’élargissement de l’assiette aux services, n’oublions pas que la Commission européenne n’accepte l’application de taux différenciés qu’au titre des handicaps structurels – éloignement et étroitesse du marché intérieur, notamment – des régions ultrapériphériques (RUP). Or, aux yeux de la Commission, ces handicaps ne pénalisent pas les services : il serait donc bien plus difficile de faire valoir une demande de différentiel de taux d’octroi de mer pour eux que pour les marchandises. Et, par conséquent, l’aspect protecteur de l’octroi de mer pour les services produits par des entreprises locales ne pourrait être que limité.

Nous ne préconisons, enfin, aucune répartition nouvelle du produit de la taxe, car notre rapport vise à proposer des arguments au Gouvernement afin qu’il obtienne la prorogation de celle-ci auprès des instances européennes. Or, la question de la répartition, que l’on peut d’ailleurs poser, relève d’un débat entre l’État et les collectivités.

M. le président Jean-Claude Fruteau. L’éventuel élargissement de l’assiette aux services mérite sans doute d’être étudié à l’avenir : peut-être pourriez-vous y faire allusion dans l’une de vos recommandations, mais on ne peut prendre une telle décision sans une étude préalable approfondie – comme le préconise la proposition 7 – car, si certains arguments plaident en sa faveur, d’autres montrent qu’elle comporte des risques. Ne jouons pas aux apprentis sorciers. En tout état de cause, il conviendrait de cantonner une telle disposition aux services délocalisables, faute de quoi elle pourrait contrarier certains objectifs de la loi relative à la régulation économique outre-mer.

D’autre part, le Gouvernement ne semble pas avoir choisi cette voie. Sans nous imposer aucune obligation, ce constat est tout de même une indication, car le mieux est que nos propositions restent cohérentes avec l’action gouvernementale. L’objectif, en l’occurrence, est de permettre au Gouvernement de défendre la prorogation de l’octroi de mer auprès des autorités européennes.

M. Ary Chalus. Ne pourrions-nous, pour mettre tous les atouts de notre côté, rencontrer les trois députés européens qui représentent l’outre-mer, et qui auront à défendre ce dossier ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. C’est une idée intéressante.

M. Ibrahim Aboubacar. Je sais gré aux rapporteurs de ce travail clair et pédagogique sur un sujet pourtant complexe.

La proposition 2 préconise la création d’un « observatoire pour exercer un suivi statistique homogène entre les différents DOM » afin de mieux évaluer les effets économiques du dispositif, en ayant peut-être comme modèle l’Observatoire des prix et des marges, qui étudie en particulier l’incidence des droits de douane sur les prix. Entend-on qu’il convient de renforcer les observatoires existants ou d’en créer un nouveau ? Y aurait-il des exigences de résultats ?

Par ailleurs, l’extension de l’octroi de mer à Mayotte, à partir du 1er janvier 2014, sans différentiel de taux, comme semble le laisser entendre le rapport, lorsqu’il analyse le contenu de la loi de 2010, ne laisse pas de m’interpeller. Le système mahorais inclut en effet beaucoup de différentiels de taux, qu’il s’agisse des droits de douane – seulement exigibles pour les produits importés de pays situés hors de l’Union européenne – ou de la taxe à la consommation, qui peut être considérée comme l’équivalent actuel de l’octroi de mer. Si celui-ci est appelé à remplacer les taxations que je viens d’évoquer, comment l’envisager sans taux différenciés ?

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. La proposition 2 répond aux remarques du rapport Lengrand et de la Commission européenne en 2008, s’agissant de l’absence d’éléments statistiques probants sur le rôle des différentiels de taux dans le soutien aux économies locales : les données recueillies par l’observatoire montreront à la Commission que l’octroi de mer est un système incitatif pour le maintien de l’activité, de la richesse et de l’emploi au niveau local.

Le problème est que, comme nous l’observons page 47, les entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 550 000 euros sont exonérées de la taxe, si bien qu’elles ne remplissent pas toujours la déclaration correspondante ; d’où notre proposition d’obliger toutes les entreprises à le faire, quitte à simplifier la procédure pour celles dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 85 000 euros. Nous disposerions ainsi d’une évaluation chiffrée sur les exonérations de l’octroi de mer, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

L’autre objectif est d’assurer, entre les différents départements d’outre-mer, des taux cohérents pour chaque famille de produits.

M. Mathieu Hanotin, rapporteur. L’observatoire doit aussi, dans notre esprit, « tordre le cou » à certaines rumeurs selon lesquelles l’octroi de mer aurait des effets inflationnistes : il montrerait à l’opinion les avantages de cette taxe pour le maintien de la production locale, donc des emplois.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Peut-être, monsieur Aboubacar, faut-il veiller à proroger les actuels différentiels de taux applicables aux droits de douane à Mayotte ; mais je vous rappelle que de tels différentiels sont décidés au niveau européen. Nous pourrions éventuellement préconiser, dans notre rapport, que le Gouvernement soutienne cette demande auprès des instances européennes, s’agissant de l’extension de l’octroi de mer à Mayotte à compter de janvier 2014. Pour l’heure, cependant, un dispositif avec trois listes A, B et C ne semble pas arrêté.

M. Mathieu Hanotin, rapporteur. L’extension de l’octroi de mer à Mayotte sans différentiel de taux ne traduit pas la position des rapporteurs, mais le fait que rien n’est prévu en ce sens dans la loi de 2010.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous pourrions enlever du rapport les quatre mots « sans différentiel de taux » pour ne pas donner l’impression d’approuver la loi sur ce point.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Nous pourrions aussi ajouter une proposition consistant à demander au Gouvernement d’appuyer, auprès de la Commission, l’idée d’appliquer l’octroi de mer assorti d’un différentiel de taux à Mayotte.

M. Mathieu Hanotin, rapporteur. À ce stade, je reprendrais volontiers ces deux propositions à mon compte. Nous pourrions également demander au Gouvernement de clarifier sa position sur cette question, et d’engager au besoin des consultations.

M. Boinali Said. Des informations précises sur la mise en place de l’octroi de mer à Mayotte me semblent effectivement nécessaires.

Les missions de l’observatoire proposé ne risquent-elles pas de se chevaucher avec celles de l’Observatoire des prix et des marges, qui a toutes compétences en matière d’éléments statistiques ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je propose, s’agissant de l’extension de l’octroi de mer à Mayotte, de supprimer du rapport l’expression « sans différentiel de taux », intégrée dans l’analyse du dispositif de la loi de 2010, et je suggère d’ajouter une proposition pour demander au Gouvernement de clarifier sa position en ce domaine (Assentiment).

Quant à l’observatoire, la question est de savoir s’il doit être « inter-DOM », comme le souhaite la Cour des comptes, ou spécifique à chaque département. M. Said s’interroge aussi sur son opportunité, au regard de l’existence de l’Observatoire des prix et des marges. Il peut, certes, y avoir une certaine redondance, mais l’objectif est bien différent puisqu’il s’agit d’exercer un suivi statistique homogène entre les différents DOM, afin de montrer l’efficacité du dispositif auprès de la Commission européenne.

M. Patrick Lebreton. Je souscris à cette analyse. La question de la prorogation se pose, à chaque échéance, comme une épée de Damoclès. Il appartiendra, bien entendu, au Gouvernement de poser la question de la répartition du produit de la taxe. En proposant d’aller plus loin, je songeais plutôt à la loi de 2004, qui est un peu restée en travers de la gorge de certains élus locaux.

Reste que je ne partage pas les arguments au nom desquels la Délégation pourrait écarter un élargissement de l’assiette aux services : est-ce à dire que ma commune, juchée sur des remparts montagneux, ne présente pas de particularités ? Nous comprenons l’exigence d’obtenir la prorogation ; mais cela ne doit pas nous empêcher d’aller plus loin, en particulier dans la perspective de la demande de prorogation qui suivra celle-ci. En ce sens, la création d’un observatoire, dont je ne trouve pas du tout qu’il soit redondant, me semble très utile.

M. Mathieu Hanotin, rapporteur. Le but n’est pas de créer une agence supplémentaire, coûteuse pour les finances publiques ; au demeurant, le nom importe peu : l’enjeu est de créer un outil permettant un suivi statistique aujourd’hui impossible, afin d’éclairer la Commission européenne et, accessoirement, l’opinion publique.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Le suivi de l’octroi de mer n’entre pas dans les missions de l’Observatoire des prix et des marges. La création d’une nouvelle instance, dont le nom importe effectivement peu, permettra d’évaluer le dispositif au cours de la décennie, si tant est que les autorités européennes le prorogent, comme nous le souhaitons tous.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Seul compte le principe de cet outil d’observation inter-DOM. Mais ces missions ne peuvent-elles être confiées à la Délégation générale à l’outre-mer (DEGEOM), qui est chargée d’évaluer les politiques publiques outre-mer ? Nous pourrions, le cas échéant, en faire la demande au Gouvernement.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. J’en suis d’accord.

M. Mathieu Hanotin, rapporteur. Nous pourrions, dans cette optique, remplacer le mot « observatoire » par l’expression plus générale « outil d’observation inter-DOM ».

M. Jean-Philippe Nilor. Cet outil doit-il être « inter-DOM » ? Les réalités économiques de nos territoires étant très différentes les unes des autres, ne serait-il pas plus pertinent de créer un outil spécifique à chacun d’entre eux ? Je n’ai pas envie, par exemple, que la réalité martiniquaise soit « noyée » dans des analyses générales.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Il ne s’agit pas d’uniformiser les réalités territoriales, monsieur Nilor : elles sont d’ailleurs reconnues dans l’intitulé du « ministère des Outre-mer » – au pluriel. L’outil que nous proposons peut et doit révéler les spécificités territoriales ; mais l’Union européenne appréciera la question de l’octroi de mer pour l’ensemble des régions ultrapériphériques françaises, non pour chacune d’elles individuellement.

Mme Huguette Bello. Nos différences doivent apparaître comme des richesses, non comme des facteurs de division – d’autant que la Commission européenne n’attend que de nous voir divisés, pour remettre en cause la taxe. Soyons complémentaires et unis.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je souscris aux propos de Mme Bello, même si, monsieur Nilor, je comprends votre préoccupation : nul n’a envie de voir l’identité de son territoire noyée dans la nébuleuse des huit « régions ultrapériphériques » – cinq françaises, deux portugaises et une espagnole – pour reprendre la terminologie bruxelloise. En tout état de cause, chaque DOM devra bien faire état de sa situation particulière ; mais la Commission européenne n’entre pas dans ces détails : c’est donc pour elle qu’il convient de faire la synthèse, afin de justifier un régime dérogatoire aux règles douanières de l’Union, dont les DOM, je le rappelle, font partie. Une telle synthèse n’exclut évidemment pas les situations particulières, auxquelles elle se réfère toujours explicitement. N’oublions pas non plus que nous ne parlons que de l’octroi de mer : les différences peuvent s’exprimer dans bien d’autres domaines.

La taxe, je le rappelle, va à l’encontre du souci de cohérence et d’harmonisation qui prévaut à Bruxelles, ainsi que des règles du marché unique européen. La France doit donc démontrer qu’elle n’a pas d’effets inflationnistes et qu’elle permet de soutenir les productions locales, sans oublier son rôle dans le financement des collectivités, dont dépendent aussi leurs capacités d’investissement.

M. Jean-Philippe Nilor. Loin de moi l’idée de diviser, bien entendu : je n’avais pas envisagé les choses sous cet angle, monsieur le président. Mon propos consiste seulement à dire que l’approche globale doit reposer sur le respect des particularités, d’où mes interrogations sur le terme « inter-DOM » : l’Europe, d’ailleurs, ne reconnaît pas les DOM en général, mais chacun des départements en particulier.

M. le président Jean-Claude Fruteau. De fait, l’expression « inter-RUP » serait plus appropriée.

M. Mathieu Hanotin, rapporteur. Nous modifierons la rédaction en ce sens.

M. Bernard Lesterlin. Les deux objectifs dont nous venons de parler ne sont pas de même nature. Le premier, tactique, concerne la négociation avec les instances européennes, dont on peut penser qu’elles aspirent, compte tenu des complexités déjà existantes, à homogénéiser les systèmes dérogatoires ; le second est d’évaluer la pertinence des dispositifs fiscaux dans chacune des RUP, ce qui pose, du point de vue des taux comme de la composition des listes, la question de leurs spécificités respectives. Il est assurément difficile de faire entendre ces deux objectifs dans une même formule. D’autre part, on ne peut procéder par des non-dits.

D’aucuns jugeaient le ministère des outre-mer inutile, mais d’autres considèrent qu’il est une force de négociation, notamment au niveau européen : servons-nous en comme d’un lobby en faveur de l’octroi de mer, dont il nous faut évaluer l’efficacité en fonction des produits assujettis et des taux qui leur sont appliqués. Notre objectif commun est le développement économique des outre-mer et la liquidation des pesanteurs du passé ou de certaines rentes de situation. L’octroi de mer est-il de nature à y contribuer, y compris pour constituer des points d’appui de la France et de l’Europe sur les océans ? Si oui, à quelles conditions ? Les deux objectifs que j’évoquais sont nécessaires, même si je ne sais s’il faut les formuler dans un même alinéa. Quoi qu’il en soit, et sous réserve que Bercy lui transmette les bonnes informations, le ministère des Outre-mer est le mieux placé pour faire la synthèse présentée aux instances européennes.

M. le président Jean-Claude Fruteau. De fait, le rapport propose un argumentaire en faveur de l’octroi de mer, comme l’avait fait, avant lui, l’étude du cabinet Lengrand. Il n’est donc peut-être pas nécessaire, à ce stade, d’entrer dans de plus amples détails.

Pour obtenir la reconduction du dispositif, le temps presse puisque la décision, qui fait l’objet de longs examens préalables, interviendra en juillet 2014. M. le ministre des Outre-mer, à qui j’en ai parlé, est d’accord pour organiser une remise officielle du rapport au sein même de notre délégation, dont le travail se trouverait ainsi valorisé.

Quant au ministère des Outre-mer, monsieur Lesterlin, je partage vos remarques : nous sommes loin, désormais du « ministère des DOM-TOM » qui, en devenant une sorte d’office gouvernemental, avait perdu beaucoup de sa substance. Le Président de la République a clairement affirmé sa volonté de faire de ce portefeuille un ministère de plein exercice : cela s’est vérifié dans la composition même du Gouvernement.

Mme Huguette Bello. Je souhaite aussi que ce ministère soit vraiment, profondément, celui de tous les départements et de toutes les collectivités d’outre-mer. Il m’est parfois pénible, je l’avoue, de devoir déployer tant efforts pour défendre la cause de La Réunion, alors que celle-ci est peuplée de 850 000 habitants. Ainsi, la Guadeloupe a reçu 590 millions d’euros pour ses hôpitaux et la Martinique 280 millions. Comment comprendre que, pour des équipements similaires, la dotation de 140 millions en faveur de ce département soit si difficile à débloquer ? De plus, des Guyanais et des Antillais ont été nommés à de hauts postes, laissant les autres ultramarins se partager des missions de moindre importance. Je me permets donc de plaider pour les 850 000 Réunionnais, qui sont des hommes et femmes de valeur.

M. Ary Chalus. J’approuve ces remarques. Nous devons faire savoir au ministre que nous sommes là pour travailler à ses côtés, unis, dans l’intérêt de tous les ressortissants des départements et des collectivités d’outre-mer.

M. le président Jean-Claude Fruteau. La Délégation est le lieu où l’on peut avoir ce type d’échanges, sans acrimonie et avec courtoisie, comme l’a montré Mme Bello.

M. Ibrahim Aboubacar. Je veux revenir à la proposition 2 et à l’outil inter-RUP.

Les exonérations obligatoires et facultatives, dont il est question pages 10 et 11 du rapport, sont concernées par la proposition 5 qui prévoit leur « harmonisation au sein des différents DOM ». Cette proposition tient compte, plus que la proposition 2 qui concerne l’outil d’observation, de la perception globale que l’Union européenne souhaite avoir de nos territoires. Je peux y souscrire, pourvu que cette harmonisation intègre aussi les différentiels de taux qui seraient tout à fait utiles au développement économique de Mayotte.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Je vous soumets donc une douzième proposition formulée en ces termes :

« Prévoir, au cours des négociations européennes, que Mayotte, lorsque le département sera soumis à l’imposition de l’octroi de mer, disposera d’un système avec différentiel de taux. Des consultations doivent être engagées par le Gouvernement avec le département de Mayotte dès maintenant pour la mise au point de ces différentiels. »

La Délégation adopte la résolution ainsi rédigée.

Puis elle adopte, à l’unanimité, le rapport ainsi modifié.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

1. Demander la prorogation de la taxe de l’octroi de mer aux autorités européennes.

2. Mettre en place un outil d’observation inter-RUP pour exercer un suivi statistique homogène entre les différents DOM (y compris Mayotte) afin de mieux appréhender le fonctionnement du dispositif et afin de mieux en justifier l’efficacité auprès de la Commission européenne.

3. Revoir le traitement des petites entreprises vis-à-vis de l’octroi de mer. Actuellement, les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires de production inférieur à 550 000 euros par an sont assujetties à l’octroi de mer, et donc soumises à déclaration, mais elles sont exonérées. Cependant, les déclarations sont quasi inexistantes ou erronées. Il serait préférable de revoir à la baisse ce seuil et d’établir une obligation déclarative à partir de 85 000 € et un assujettissement effectif à l’impôt à partir de 300 000 €.

4. Faire en sorte que la modification des listes A, B et C des produits faisant l’objet d’un différentiel de taxation puisse être réalisée avec plus de souplesse. Il conviendrait que, selon un calendrier annuel préétabli, les conseils régionaux soumettent leurs propositions de modifications justifiées au ministre chargé des outre-mer. Ce dernier, en liaison avec les autres ministères concernés, les ferait valider par les autorités européennes selon un mécanisme proche de celui du POSEI (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité).

5. Harmoniser au sein des différents DOM tous les régimes locaux d’exonération à l’importation, ainsi que les mécanismes de déductibilité pour les taxes d’octroi de mer payées en amont des productions.

6. Ajouter au nombre des exonérations obligatoires à l’octroi de mer les investissements publics intégrant une forte composante de recherche et développement.

7. Prévoir impérativement une étude d’impact, si la question de l’extension de l’octroi de mer aux services venait à l’ordre du jour, cette année ou l’année prochaine, à l’occasion des débats sur la prorogation de l’impôt.

8. Prévoir obligatoirement un taux 0 d’octroi de mer pour tous les produits retenus par le bouclier qualité/prix. Ce taux serait à 0 pour les produits fabriqués localement et aussi à 0 pour les produits importés à condition qu’ils ne concurrencent pas les produits locaux.

9. S’efforcer de faire baisser le coût du fret pour les produits importés figurant dans le bouclier qualité/prix.

10. Prévoir une TVA à taux 0 pour tous les produits figurant dans le bouclier qualité/prix et pour lesquels le taux d’octroi de mer aura aussi été fixé à 0.

11. Prévoir un « fléchage » particulier sur les étiquettes ou sur les emballages des produits pour lesquels un taux 0 d’octroi de mer (et éventuellement de TVA) aura été prévu au titre du bouclier qualité/prix.

12. Prévoir, au cours des négociations européennes, que Mayotte, lorsque le département sera soumis à l’imposition de l’octroi de mer, disposera d’un système avec différentiels de taux. Des consultations doivent être engagées par le Gouvernement avec le département de Mayotte, dès maintenant, pour la mise au point de ces différentiels.

PERSONNES ENTENDUES PAR LA DÉLÉGATION

• M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer,

• M. Gérard Bally, délégué général d’EURODOM (association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de MM. Pierre Marie-Joseph, premier vice-président, Benoît Lombrière, délégué général adjoint, et Emmanuel Detter, consultant, ainsi que de Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement,

• Mme Anne Bolliet, inspectrice générale des finances, référent outre-mer à l’Inspection générale des finances, co-auteur de plusieurs rapports de mission sur les politiques publiques outre-mer,

• M. Marc Del Grande, sous-directeur du service des politiques publiques à la Délégation générale à l’outre-mer (DEGEOM), et M. Hervé Jonathan, sous-directeur du service de l’évaluation, de la prospective et de la dépense de l’État à la DEGEOM,

• M. Jérôme Fournel, directeur général des douanes et des droits indirects, (ministère de l’Économie et des finances) et M. Henri Havard, sous-directeur des droits indirects (ministère de l’Économie et des finances), accompagnés par Mme Laurence Jaclard, chargée des relations institutionnelles,

• M. Jean-Raymond Mondon, président du Conseil économique, social et environnemental régional de La Réunion (CESER) et M. Abdoullah Lala, vice-président,

• M. Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM), accompagné de MM. Pierre Marie-Joseph, premier vice-président, et Alain Vienney, délégué général, ainsi que de Mme Samia Badat-Karam, directrice des affaires publiques,

• M. Jean-Luc Uguen, conseiller maître, responsable du secteur outre-mer à la 4e chambre de la Cour des comptes.

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION

Audition de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer

Compte rendu de l’audition du 13 novembre 2012

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir bien voulu répondre à notre invitation. Comme vous le savez, à l’issue de l’examen du projet de loi sur la régulation économique outre-mer, le bureau de la Délégation s’est réuni, après avoir recueilli l’avis de l’ensemble des membres de la Délégation, et a arrêté, pour la fin de l’année 2012 et le début de l’année 2013, un programme de travail portant sur cinq thèmes : l’octroi de mer ; l’agriculture outre-mer, avec un chapitre sur la filière « canne, sucre, rhum et bagasse » – ce sujet pouvant devenir d’actualité avec le possible dépôt d’un texte par le Gouvernement sur l’agriculture et pouvant comporter un volet spécifique à l’outre-mer ; une meilleure adaptation du code de la fonction publique pour les problèmes spécifiques des fonctionnaires issus de l’outre-mer ; la justice et les prisons outre-mer ; et, enfin, les enjeux de la jeunesse outre-mer.

Pour chaque sujet, deux rapporteurs seront désignés : un député élu d’outre-mer et un député élu de l’Hexagone – sauf peut-être pour l’agriculture où nous constituerons un groupe de travail ; la Délégation, dans ses séances plénières, procédera à des auditions, tous les quinze jours, en liaison avec le thème programmé, ce qui n’empêchera pas les rapporteurs de poursuivre, de leur côté, leur mission propre, afin d’aboutir à l’élaboration d’un rapport qui appellera l’attention de l’Assemblée sur un certain nombre de problématiques particulières à l’outre-mer.

C’est avec grand intérêt que nous allons recueillir votre sentiment sur les questions qui nous occupent ce matin.

M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, permettez-moi quelques mots que je souhaite très brefs afin de ne pas empiéter sur le temps disponible pour nos échanges.

Vous le savez, j’ai pris l’engagement de me présenter devant vous aussi souvent que nécessaire. Il ne s’agit pas pour moi d’un exercice théorique, mais bien d’un moment d’échange constructif. La concertation n’est pas un prétexte pour différer la décision comme d’aucuns se plaisent à le croire : c’est une étape nécessaire pour la construire, en s’appuyant sur l’expérience et la connaissance de chacun. Les points que vous avez inscrits à l’ordre du jour constituent tous des priorités de l’action de mon ministère. Ils figurent d’ailleurs, pour la plupart, dans les trente engagements du Président de la République pour les outre-mer et contribuent à l’objectif général de redressement des outre-mer et de rétablissement de la justice.

Il en est ainsi de l’agriculture, levier important de développement de nos territoires. Contrairement à ce que l’on entend dire, ici ou là, cette activité est en outre performante – j’ai pu encore le constater le week-end dernier, à la Réunion. Avec M. Stéphane Le Foll, nous allons donc nous atteler à la préparation du projet de loi d’avenir pour l’agriculture des territoires. Je le sais, le titre « Outre-mer » est très attendu. Nous devons faire de nos agricultures des secteurs d’avenir. L’agriculture et les productions locales doivent, de plus, s’articuler avec la loi de lutte contre la vie chère, et constituer une part de la réflexion que M. Serge Letchimy conduira dans la mission qui lui est confiée par le Premier ministre pour améliorer l’insertion des régions ultra-périphériques (RUP) dans leur environnement régional.

L’octroi de mer est également un sujet majeur, puisqu’il nous revient de négocier la reconduction de ce régime indispensable pour la protection de nos productions locales, fragilisées par des handicaps que nous connaissons trop bien – l’éloignement, le coût des intrants, l’étroitesse des marchés....–, tout comme pour la sécurisation des recettes des collectivités territoriales – nous parlons en moyenne d’1 milliard d’euros par an. Je souhaite faire également de l’octroi de mer un instrument de lutte contre la vie chère en facilitant la modulation des taux, notamment sur les produits de grande consommation qui seront intégrés dans le bouclier qualité/prix. La reconduction de ce dispositif est donc pour nous impérative.

Sur la fonction publique, des inquiétudes s’expriment ; je les entends, s’agissant des mutations par exemple ou de la persistance de spécificités locales du droit de la fonction publique. Le sujet est ouvert et je sais que vous avez des propositions à faire. Certes, il ne figure pas formellement parmi les trente engagements. Mais le Président de la République, M. François Hollande, dans deux conférences organisées à la Réunion, avait décidé, tout en respectant le droit commun et l’égalité entre tous les Français, de mieux domicilier l’emploi dans les outre-mer. Comment organiser les concours à cet effet ? Comment donner une sorte de « priorisation » à l’emploi local sans tomber dans la « réunionisation », la « martinicanisation », la « guadeloupéanisation » ou la « guyanisation » de l’emploi ? Il faut trouver les voies et les moyens pour améliorer le système. Des revendications montent d’ailleurs ici ou là. En Nouvelle-Calédonie, par exemple, des demandes ont été faites pour que le personnel pénitentiaire corresponde davantage à l’origine des détenus. Ce point est délicat mais il en va de la cohésion de nos territoires.

Sur la justice et l’état des prisons : comment ne pas mettre ce sujet au cœur de nos préoccupations lorsque l’on connaît la situation indigne de certains établissements pénitentiaires ? On ne peut traiter ce dossier du simple point de vue budgétaire, il en va de la dignité des personnes. Je sais que la Chancellerie s’efforce d’agir en ce sens.

La jeunesse enfin, tellement prometteuse et parfois aussi tellement démunie : c’est un engagement essentiel du chef de l’État. Si nous ne réussissions pas à redonner espoir à notre jeunesse, c’est tout l’avenir de nos territoires qui serait compromis. L’avenir de notre jeunesse est notre capital commun. Éducation, formation, insertion, valorisation des talents, toutes les politiques publiques doivent être mobilisées afin de proposer des solutions à une jeunesse qui, livrée à elle-même, peut, si l’on n’y prend garde, devenir une bombe à retardement.

Je vais arrêter là ce propos liminaire car je sais que de nos échanges naîtront des propositions, des voies que nous n’avons pas encore explorées. Je l’ai déjà fait savoir à plusieurs reprises : ce ministère est le vôtre et j’entends que les politiques que nous menons soient partagées le plus en amont avec vous. Nous abordons avec un esprit d’ouverture le processus de réflexion, d’études et de traduction en actes législatifs, notamment pour l’agriculture, qui s’engage. Je l’ai dit aux organisations professionnelles que j’ai rencontrées hier à la Réunion et aux élus.

Un travail de codification, à législation constante, est d’ores et déjà en cours avec le Conseil d’État. Les textes régissant l’agriculture de l’outre-mer sont en effet dispersés dans plusieurs codes – rural, civil, de l’environnement. Il faut tenter d’y mettre bon ordre : la tâche est considérable.

Il faut également mener un travail de réflexion, adossé aux réalités, avec un objectif de modernisation et de développement pour concevoir l’avenir de ce secteur important. Quelle sera la place des produits locaux dans la politique engagée pour lutter contre le niveau trop élevé des prix ? Comment lutter contre une inflation encore trop importante ? Cela nous renvoie au bouclier qualité/prix. Comment pourrait-on faire l’économie de ces produits dans le chariot-type ? En tout cas, chaque fois qu’on demande aux distributeurs de baisser les prix, une pression est exercée sur les producteurs locaux, sans pour autant, d’ailleurs, qu’on diminue la part des produits importés. Il est donc nécessaire de trouver un équilibre. Ce dernier implique de peser sur tous les maillons de la chaîne afin que l’effort ne porte pas seulement sur les producteurs qui, souvent, commercialisent en circuit court. Les préfets seront en première ligne en la matière.

Je peux vous annoncer à cet égard, et même si la mesure n’est pas tout à fait arrêtée, que les préfets seront très directement impliqués. Le régime indemnitaire de ces derniers est calé, en effet, sur leur ardeur à lutter contre l’insécurité routière, les violences : je souhaite y ajouter la lutte contre la vie chère. Peut-être obtiendrons-nous de meilleurs résultats si le combat est engagé avec intensité… Une incitation, dans ce registre, peut être utile. Cette disposition, dont je vous fais part en avant-première, semble plutôt bien accueillie par les intéressés. Les discussions, qui vont s’engager très prochainement, devraient aboutir dès le mois de janvier. Il est évident que, dans un premier temps, nous allons essuyer les plâtres. Mais nous améliorerons progressivement les procédures et les méthodes.

M. Jean-Paul Tuaiva.  Ma première question concerne le CRSD, le contrat de redynamisation des sites de la défense en Polynésie. Nous nous félicitons qu’un amendement ait permis d’étendre aux communes de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie le fonds de soutien aux communes touchées par le redéploiement territorial des armées. Mais, si le dossier relatif au CRSD n’est pas débloqué, les collectivités ne pourront rien entreprendre. Je le rappelle, une étude menée par le cabinet SOFRED vise à mettre en place un schéma directeur de développement de projets mixtes pour favoriser la relance de l’activité économique en Polynésie.

Deuxièmement, vous avez fait savoir la semaine dernière que vous souhaitiez vous rendre en Polynésie. Certes, l’initiative est bonne. Mais la campagne relative aux élections du mois d’avril prochain a déjà commencé. Votre venue, en cette période, ne serait-elle pas, dès lors, interprétée comme un soutien à vos alliés polynésiens ? Je n’ose imaginer que le président Temaru puisse en tirer parti.

Ma dernière question concernera Air France. Les organisations syndicales nous interpellent : un plan social serait, semble-t-il, à l’étude, un retrait de Polynésie serait même envisagé. Cela serait lourd de conséquences, d’autant que le tourisme est la première ressource de notre territoire.

M. Éric Jalton. Monsieur le ministre, les priorités que vous avez évoquées sont aussi les nôtres, et figuraient d’ailleurs dans les trente engagements du Président de la République pour les outre-mer français. Pourrez-vous également nous dire un mot de la santé et de la sécurité civile ? Je pense plus particulièrement aux difficultés d’accès aux structures d’accueil des personnes âgées et handicapées, singulièrement en Guadeloupe, et à la prolifération inquiétante des armes à feu.

Sur la jeunesse, quelle est votre stratégie en matière d’accompagnement à l’emploi. On pourrait presque parler de sauvetage tant le taux de chômage est élevé – il est autrement supérieur à celui qui, dans certaines banlieues, défraie la chronique dans l’Hexagone.

M. Gabriel Serville.  Monsieur le ministre, je suis en phase avec les priorités que vous avez évoquées. Notre réunion coïncide avec la visite, à Paris, d’une délégation de la communauté des communes de l’Est guyanais qui nous a fait part, en outre, de préoccupations liées à la préservation des ressources faunistiques, aux méfaits de l’orpaillage clandestin, à l’adaptabilité des lois relatives à la gestion des déchets – elle demande même un moratoire sur la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), injuste à ses yeux.

Par ailleurs, tout le monde s’interroge, en Guyane, sur le montant de la recette qui proviendra de l’or rapatrié récemment. L’ancien Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, avait dit que cette somme pourrait servir à venir en aide aux communes enclavées et sinistrées de Guyane. Je note, à cet égard, qu’on est passé de 200 à 160 kilogrammes. Vous m’avez même dit, monsieur le ministre, qu’il ne s’agirait que de 107 kilos d’or. Cette déflation inquiète – que ce soit la population ou les élus. N’y voyez aucun harcèlement mais je souhaiterais vraiment savoir comment va être ventilée cette recette. La Guyane peut-elle espérer que 50 %, au moins de l’or récupéré seront dédiés à la lutte contre l’orpaillage clandestin et à la sécurisation des finances de nos collectivités, notamment les plus faibles ?

Mme Annick Girardin.  Je rappelle que nous travaillons en concertation avec la Délégation aux outre-mer du Sénat et que nous avons répartis les thèmes de réflexion dans un souci de complémentarité.

Sur la justice, je répéterai une fois encore que Saint-Pierre-et-Miquelon dépend du tribunal administratif de la Martinique, qui vient tous les deux ans. Je vous laisse imaginer les délais que cela signifie. Je considère qu’il y a là une inégalité de traitement des citoyens.

Sur la fonction publique et s’agissant notamment du retour au pays des jeunes qui, après différentes expériences en métropole, souhaitent rentrer chez eux, nous avons un vrai travail à faire. Il faudra néanmoins être prudents car la démarche devra être interprétée, non pas comme une priorité donnée aux natifs des territoires, mais comme la prise en compte de la volonté de prendre sa part au développement dudit territoire.

Il faudra également s’intéresser aux avis que donne le ministère des Outre-mer sur les nominations de fonctionnaires outre-mer effectuées par les administrations centrales. J’ai le sentiment qu’ils sont systématiquement positifs. Pourquoi ne pas prendre davantage en compte le profil du fonctionnaire concerné ou les missions qu’il aura à remplir ? Compte tenu des faibles moyens en fonctionnaires locaux dont nous disposons dans nos territoires, le chef de service envoyé depuis Paris joue en effet un rôle très important. Peut-être devrions-nous nous inspirer des procédures de sélection en vigueur au ministère des Affaires étrangères. Certes, l’outre-mer n’est pas l’étranger. Il reste que les candidats à un poste dans une ambassade ou un consulat doivent passer un entretien et envoyer une lettre de motivation. Cela me semble intéressant alors que l’on constate que les chefs de service envoyés outre-mer n’ont pas toujours le profil requis pour répondre à nos besoins. Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre ?

Je terminerai par une question sur les régimes sociaux spéciaux, ceux de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie. Certes, nous avons travaillé à une harmonisation avec le régime métropolitain. Mais il faut penser à harmoniser les différents régimes des outre-mer. Je pourrais citer l’exemple d’un habitant de Saint-Pierre-et-Miquelon qui a travaillé au Vanuatu – alors Nouvelles-Hébrides – puis en Nouvelle-Calédonie et qui a bien du mal à reconstituer ses droits à la retraite.

Monsieur le président, je me réjouis de la création de cette Délégation, de la tâche que nous allons accomplir, tous ensemble, sur des sujets qui, le plus souvent, nous unissent. Nous pourrons ainsi avancer et nous faire entendre davantage.

M. Thierry Mariani.  C’est le représentant des Français de l’étranger, qui compte entre autres dans sa circonscription la totalité du Pacifique, qui vous interroge, monsieur le ministre. Quelle sera votre politique en matière de coopération avec les différents États dans cette zone ? Comment entendez-vous assurer la présence française dans les différents organismes internationaux qui rassemblent ces États ? Même si cette question concerne peut-être davantage le ministère des affaires étrangères, vous aurez forcément votre mot à dire.

Mme Florence Delaunay. Lorsque se pose la question de déterminer la cohérence de la politique publique dans les outre-mer, qui présentent des particularismes locaux, je réponds que celle-ci est incluse dans les valeurs de la République : l’égalité de tous devant la loi, le soutien de l’État français à ses ressortissants, l’égal accès aux services publics. Pour ce qui est des politiques d’intégration des outre-mer au sein de leur zone géographique – Caraïbes, Pacifique, Amérique du Sud –, on peut les voir comme un levier de développement important, notamment pour la jeunesse tant au niveau de l’éducation que de l’histoire. Qu’en pensez-vous sachant que des échanges économiques, sociaux et culturels, pour enrichissants qu’ils soient, pourraient aussi contribuer à éloigner les territoires de la métropole ? Par ailleurs, quel est votre sentiment sur l’espace Schengen et sur son éventuel élargissement ?

Mme Hélène Vainqueur-Christophe.  Je me réjouis du travail qui sera fait par la Délégation. Les thématiques dégagées seront essentielles pour nos territoires.

Monsieur le ministre, ma première question concerne l’agriculture. Ce matin, j’ai entendu sur France Ô qu’une convention avait été signée entre le CIRAD et le Brésil à propos de l’utilisation d’un nouveau fongicide pour le traitement de la cercosporiose de la banane. Or, il semblerait que ce produit soit interdit en France. Certes, les études d’impact sont longues. Mais peut-être pourrait-on demander à l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire) d’accélérer les choses. Je sais que vous recherchez une alternative à l’épandage aérien : ce nouveau produit pourrait être la solution. Je rappelle que l’économie de la Guadeloupe repose en grande partie sur la culture de la banane.

Sur les prisons, celle de Basse-Terre était une priorité il y a dix ans. Or, j’ai constaté, dans le projet de loi de finances initiale pour 2013, que tel ne serait pas le cas dans les trois prochaines années. Les conditions d’incarcération sont pourtant indignes et contraires aux directives européennes. Comment parler de réinsertion aux jeunes si nous ne leur donnons pas les moyens de se réinsérer ? Avez-vous envisagé avec la ministre de la justice de procéder à la reconstruction de cette prison avant trois ans ? Notre jeunesse ne peut pas attendre.

M. Serge Letchimy.  S’agissant de la collectivité unique de Martinique ou de Guyane, il importe de clarifier les choses : contrairement à ce que certains veulent laisser croire, il n’a jamais été dit en 2010 que celle-ci devait être mise en place en 2012 ou en 2014. La loi du 27 juillet 2011 mettant en place la collectivité unique a simplement inscrit une date qui correspond au report global des élections en France et en outre-mer. La réforme territoriale présentée par la nouvelle majorité prévoit de reporter l’ensemble des élections en 2015, y compris en outre-mer, pour les collectivités régionales. Pouvez-vous préciser, monsieur le ministre, que tel est bien le processus ?

Par ailleurs, la situation est effectivement explosive dans les prisons. Celle de Martinique compte ainsi 900 détenus pour 400 places.

Sur la jeunesse, enfin, il est effectivement possible de répéter à l’envi que les jeunes sont à 64 % au chômage. Mais peut-être faudrait-il prévoir un plan spécifique à l’outre-mer pour lutter contre ce fléau. Je n’ignore pas que les emplois d’avenir ou les contrats de génération seront adaptés à l’outre-mer. Il faut cependant aller plus loin tant la situation est explosive. Il importe de trouver des solutions spécifiques sur une durée précise. La Délégation pourrait faire des suggestions. Nous ne tiendrons pas longtemps avec un tel taux de chômage – je rappelle qu’il est de 22 % en France. Nous allons vers une déperdition démographique, une déliquescence morale, une fuite des cerveaux : tout est combiné pour que la Martinique et la Guadeloupe deviennent les départements les plus vieux de France. Le plus grave est bien la perte des énergies qui devraient permettre de favoriser le développement local. C’est un défi qu’il nous faut relever.

M. Bernard Lesterlin.  Ma question portera également sur la jeunesse. Représentant l’Assemblée nationale au comité stratégique du service civique qui s’est réuni hier, je souhaite vous faire part des préoccupations des membres de cette instance. Ils craignent que l’ensemble des mesures s’adressant à la jeunesse outre-mer soient mal présentées et, ce faisant, créent des concurrences entre des dispositifs qui n’ont pourtant pas la même vocation. Cela concerne notamment le service civique outre-mer et les emplois d’avenir. Il importe donc d’insister sur les explications qui sont absolument nécessaires. J’ai pris la mesure du problème lors d’une visite à Pôle emploi en Guyane.

Avec la ministre chargée de la jeunesse, nous avons fixé hier les axes stratégiques du service civique. Je les porte à votre connaissance : qualité des missions, mixité, gouvernance locale. Je vous encourage donc à donner des instructions aux services déconcentrés de l’État afin que soit mis en place des dispositifs de gouvernance partenariale, et de proximité, et définie une argumentation présentant les différentes formules, emploi d’avenir, contrat de génération ou service militaire adapté (SMA). Il s’agit de permettre à chaque jeune de trouver une réponse à ses besoins.

M. Boinali Said.  Monsieur le ministre, quelle est votre appréciation sur les conflits sociaux qui reprennent à Mayotte et qui relayent les questions relatives à l’égalité de traitement des fonctions publiques, à la vie chère, au développement local et aux problèmes de la jeunesse ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rappeler le calendrier pour la modification de l’octroi de mer ? Cette imposition est en effet très importante pour les ressources des collectivités locales mais également pour nos petites productions locales.

La Délégation a en outre reçu de nombreux courriers émanant d’acteurs socioprofessionnels des cinq régions ultra-périphériques qui s’alarment de la diminution drastique pour la période 2014-2020 de l’allocation spécifique du FEDER. Quelles précisions pouvez-vous nous apporter en la matière ?

M. le ministre. Sur le CRSD, monsieur Tuaiva, le dossier, qui a été engagé en 2011 et pour lequel un accompagnement financier avait été fixé à hauteur de 6 millions d’euros, n’a pas abouti. Le problème venait d’une clause prévoyant la cession à l’euro symbolique de terrains, notamment dans la commune d’Arue pour 2,8 hectares. Après plusieurs réunions interministérielles, France Domaine a donné un avis technique favorable. Le Gouvernement s’étant prononcé pour cette cession, il n’y a plus de contestation et le dossier devrait à présent rapidement aboutir.

S’agissant de ma possible venue en Polynésie française, vous avez émis un soupçon sur mes intentions : je viendrais pour aider mes amis politiques, avez-vous dit. Je m’étonne d’un tel propos. En effet, les élections en Polynésie ayant lieu les 21 avril et 5 mai prochains, si je dois attendre l’issue du scrutin, cela signifiera qu’en un an, puisque j’ai été nommé le 16 mai 2012, je ne me serai jamais rendu sur ce territoire. Or cela me semblerait très discourtois à l’égard des Polynésiens. Je ferai en sorte de venir bien avant le premier tour. Je ne procéderai pas comme d’autres qui, en pleine campagne électorale et sous couvert de réunions officielles, tenaient en fait des meetings privés sur fonds publics – j’ai personnellement eu à subir de telles pratiques. Telle n’est pas ma philosophie. La situation financière, budgétaire et sociale est déjà suffisamment difficile en Polynésie. Et c’est en partie le résultat d’actes politiciens.

M. Jean-Paul Tuaiva.  Idéologiques également !

M. le ministre. Peut-être. Mais c’était sous un gouvernement qui contestait la légitimité d’élus, quelles que soient leurs opinions politiques. Je le répète ici, le ministère des outre-mer reste le ministère des élus, ouvert à tous. Nous avons tous eu à souffrir de manque, voire d’absence de considération. Ainsi l’entretien que j’avais demandé à l’un de mes prédécesseurs n’avait-il duré que douze minutes ! Je n’agirai pas de la sorte : je reçois tous les élus même si cela bouleverse mon agenda. Ayant été de ceux-là, vous avez pu apprécier ce changement d’attitude, monsieur le député. Ne soupçonnez pas le Gouvernement de vouloir se lancer dans la campagne et soutenir tel ou tel candidat. Cela étant, nous avons des amis et des alliés et cela n’a rien d’infamant.

J’irai en Nouvelle-Calédonie, fin novembre. Je souhaiterais aller également à Wallis-et-Futuna et en Polynésie. J’estime que, jusqu’au mois de janvier ou février, je peux me rendre en Polynésie sans être soupçonné de venir faire campagne.

M. Jean-Paul Tuaiva.  Je ne faisais que poser la question.

M. le ministre. Certes. Mais je sais que, par ailleurs, vous menacez d’orienter votre vote dans tel ou tel sens si je devais me rendre en Polynésie. Ce n’est pas acceptable. Je tente de faire mon travail du mieux possible, avec le plus d’objectivité possible, même si, c’est évident, j’ai une idéologie et une philosophie personnelles. Les élections servent à évaluer nos démarches et actions respectives.

Sur Air France, la négociation à laquelle vous avez fait allusion est interne à l’entreprise. Nous sommes très préoccupés. La compagnie prétend être confrontée à des problèmes qui imposent des plans sociaux. Elle dit que, malgré un taux de remplissage de près de 97 % sur la ligne Los Angeles-Papeete, elle est déficitaire. Des discussions vont probablement s’ouvrir et chacun devra prendre ses responsabilités. Je suis quelque peu gêné de m’immiscer dans une affaire interne à une entreprise, même si je ne méconnais pas l’importance des dessertes aériennes pour nos territoires. Je reste donc prudent dans ma réponse : des contacts sont établis avec Air France, attendons de voir ce qui en ressortira. Nous tentons de peser sur les décisions, tout en respectant l’autonomie et la liberté de la compagnie.

Monsieur Jalton, les territoires d’outre-mer sont en effet un peu trop ouverts aux trafics d’armes et de produits illicites : j’ai demandé aux préfets concernés, notamment en Guyane, Martinique et Guadeloupe, de nous faire un point sur ce sujet afin de disposer d’une information fiable. En tout cas, beaucoup trop d’armes circulent, empruntant les mêmes voies que les stupéfiants. Tous ces trafics sont d’ailleurs liés.

S’agissant de la jeunesse, je suis d’accord avec vous, ainsi qu’avec M. Serge Letchimy : au-delà de ce qui existe déjà – qu’il s’agisse des contrats aidés, des futurs contrats d’avenir ou de génération, ou des actions locales conduites par les collectivités territoriales ou les associations, telles que les écoles de la deuxième chance ou les chantiers d’insertion –, il faut un plan d’action global. Compte tenu de l’ampleur du chômage des jeunes, un dispositif spécifique est justifié. Nous sommes ouverts à toutes les propositions.

On pourrait envisager qu’à côté des emplois d’avenir s’adressant aux jeunes jusqu’à l’âge de 25 ans, les emplois tremplins créés à l’initiative de certaines régions soient davantage ciblés sur ceux âgés de 26 à 30 ans.

Il faut faire valoir aussi, au-delà du principe d’égalité, ce que les Réunionnais appellent « la priorité à compétence requise » : l’opinion publique d’outre-mer comprend mal parfois qu’un compatriote de métropole trouve plus facilement du travail par ses réseaux qu’un jeune local diplômé de bac+5 ou bac+7. Ce sujet est délicat, mais nous devons avoir le courage de l’évoquer dans le respect de nos valeurs et des lois de la République ; il s’agit d’une question de cohésion.

Je rappelle que, lors des mouvements sociaux en Guadeloupe, des syndicats s’étaient placés à la sortie de la grande zone commerciale de Jarry à Pointe-à-Pitre pour montrer que ceux qui en sortaient n’étaient pas forcément des Guadeloupéens d’origine…

Le Président de la République nous a d’ailleurs invités au courage dans ce domaine lors de son séjour à la Réunion. Il a ajouté que nous aurons aussi à faire un effort d’ouverture vers les pays voisins de la zone.

Il a également évoqué une possible dérogation aux normes européennes. À cet égard, la précédente commission des affaires économiques de votre assemblée, présidée par M. Patrick Ollier, avait débattu d’un éventuel retour au régime applicable avant 2005 en matière de carburants. En effet, lorsque les normes européennes sont entrées en vigueur au début de 2009, il y a eu des émeutes en Guyane, en Guadeloupe, en Martinique, puis à Mayotte et à la Réunion. Si la plupart des membres de cette commission s’étaient alors opposés à cette idée, la réflexion a évolué. La Guyane pourra-t-elle seule protéger le massif amazonien, sachant que, dans toute la zone, s’appliquent des normes américaines ? Cette question devra donc être reposée. D’autant que, comme l’a dit l’ancien premier ministre de Curaçao, les raffineries de la zone pourront raffiner aux normes européennes, et à un coût nettement moins élevé.

Monsieur Serville, la TGAP, qui est progressive et a déjà atteint le niveau prévu de 120 euros par tonne, constitue une question explosive pour les communes d’outre-mer. Un amendement sera d’ailleurs déposé au Sénat pour reporter le dispositif relatif à la TGAP sur les carburants. S’il devait être rejeté, il sera à nouveau présenté à l’Assemblée nationale et le Gouvernement prendra ses responsabilités. J’espère que ce report sera effectif.

Au-delà, se pose la question de l’abrogation pure et simple du dispositif, mais je n’ai pas de réponse définitive à ce stade, sachant qu’il faut aussi tenir compte des besoins de recettes fiscales.

Concernant le rapatriement de l’or guyanais, les engagements pris pour affecter l’équivalent en euros pour lutter contre l’orpaillage clandestin seront respectés. Les ministères de la justice et de l’intérieur statueront sur la répartition de cette somme entre les échelons local et central.

Le code minier doit introduire de nouvelles infractions et redéfinir la garde à vue, spécifiquement pour les personnes arrêtées en pleine forêt amazonienne – ce qui pose des problèmes de droit des personnes qui ne sont pas encore tout à fait réglés, même si l’on est récemment parvenu à un compromis satisfaisant.

Au sujet de Saint-Pierre-et-Miquelon, j’apprends avec satisfaction que vous vous êtes mis d’accord avec la délégation du Sénat pour arrêter un certain nombre de thèmes.

Le fait que le tribunal administratif de la Martinique soit compétent pour ce territoire soulève la question de l’éloignement, qui se pose aussi dans d’autres domaines, comme le contrôle des comptes, pour lequel l’Île-de-France est compétente. Il m’est difficile de faire des annonces qu’on ne pourrait tenir en la matière, même si je ne sous-estime pas les difficultés.

S’agissant des fonctionnaires souhaitant revenir dans leur région d’origine, beaucoup de choses sont à l’œuvre : j’ai d’ailleurs apporté un début de réponse après les récents événements de la Réunion. Je compte sur vous pour nous aider à trouver des idées. À Mayotte, par exemple, lors d’une grève des personnels des services pénitentiaires, une mesure ponctuelle a été trouvée pour les intégrer progressivement dans la fonction publique d’État, mais il ne peut s’agir d’une solution globale. On pourrait aussi s’interroger sur l’idée d’un système de points de bonification comme celui qui existe déjà dans l’éducation nationale, ou bien de concours organisés sur place pour les fonctions publiques d’État et hospitalière ou certaines fonctions publiques particulières comme celle des magistrats et des militaires.

Il faudra modifier de nombreux textes, notamment les lois de 1984 – pour les fonctions publiques d’État et territoriale – et 1986 – pour la fonction publique hospitalière –, lesquelles ont déjà été révisées plus d’une cinquantaine de fois depuis 1984. Il s’agit d’un travail considérable, d’autant qu’il faut tenir compte des statuts particuliers, niveau par niveau.

Quant aux avis émis par le ministère des Outre-mer sur les nominations, ils ont été à juste titre renforcés après la réunion du Comité interministériel de l’outre-mer (CIOM) par le gouvernement précédent : il est vrai que les premières mesures prises à l’époque avaient été assez étonnantes. Peut-être pourrait-t-on me reprocher une insuffisante réflexion avant le recrutement de tel ou tel chef de service : nous cherchons pourtant chaque fois à trouver le bon profil. Par ailleurs, j’ai essayé d’associer les parlementaires à ces choix, mais c’est compliqué et, parfois, il est préférable de ne pas trop engager de consultations sous peine de ne rien faire du tout ! Cela étant, pour certains fonctionnaires d’autorité, je pense qu’il est légitime que les parlementaires soient associés à la décision : je le fais chaque fois que c’est possible, même si les textes ne l’imposent pas.

Je demanderai à mon cabinet d’étudier la méthode utilisée par le ministère des Affaires étrangères pour voir dans quelle mesure on pourrait s’en inspirer, à condition de garantir objectivité et transparence.

Je rappelle que j’ai déjà refusé d’approuver certaines nominations : il n’y a donc aucune automaticité de notre part ; nous restons vigilants. Pour les nominations au sein de l’audiovisuel public, nous sommes très prudents, en raison des engagements pris par le Président de la République dans ce domaine : certaines procédures doivent être respectées pour éviter certains travers passés, même si certaines nominations sont parfois mal comprises.

Par ailleurs, une proposition de loi a été déposée au Sénat par Mme Jacqueline Farreyrol pour améliorer le système des mutations : vous voyez que nous sommes ouverts à toutes les suggestions, d’où qu’elles viennent, dès l’instant où elles sont utiles !

Quant aux régimes sociaux, il est bien sûr souhaitable de les harmoniser, au nom du principe d’égalité. Mais doit-on avoir pour autant la même règle dans tous les territoires d’outre-mer ? Je ne sais pas. Des actions sont en cours à cet égard en Polynésie, en Nouvelle Calédonie et à Wallis-et-Futuna.

Il est vrai que certaines situations ne sont pas acceptables : il n’est pas normal, par exemple, que les 13 500 Français de Wallis-et-Futuna paient l’électricité six fois plus cher qu’à Paris et que certains en reviennent à la bougie ! Le Premier ministre a d’ailleurs montré beaucoup de célérité à vouloir régler ce problème. Je donnerai le moment venu les instructions nécessaires à cette fin et des protocoles ont déjà été signés avec cette collectivité.

S’agissant plus précisément des reconstitutions de carrière pour le calcul de la retraite, on observe en effet des cas surprenants.

Certes, il existe des minima sociaux, mais souvent ils ne sont pas appliqués. Ainsi, la retraite agricole à la Réunion est de 322 euros en moyenne et la moyenne des prestations minimales du régime général est de l’ordre de 530 euros, soit des montants inférieurs aux minima officiels. Les textes ne sont pas bien respectés dans ce domaine.

Nous allons essayer de trouver une solution dans le cadre de la loi de modernisation agricole.

Cela étant, il faut tenir compte de la diversité des territoires : si l’on peut admettre une différenciation sur le plan technique, l’égalité de traitement doit être garantie entre les personnes.

Je suis heureux à cet égard que cette Délégation existe et que des parlementaires de tous horizons puissent y participer. On ne parle trop souvent des territoires d’outre-mer que pour évoquer les niches fiscales, les cocotiers, les yachts de luxe, ou encore lorsqu’il y a des grèves, des séismes, des cyclones ou un scandale quelconque, ce qui plombe leur image. D’ailleurs, je suis probablement le ministre le moins connu du Gouvernement !

Monsieur Mariani, nous avons des relations étroites avec l’Australie et la Nouvelle Zélande. Avec Fidji, la situation est plus complexe, en raison de la situation politique de ce pays, mais celui-ci a pris plusieurs engagements : nous espérons qu’ils seront respectés.

Par ailleurs, le processus de décolonisation engagée en Nouvelle Calédonie est très observé et apprécié dans tous les États de la zone. D’autres pays souhaiteraient d’ailleurs s’inspirer de cette démarche constitutionnalisée de pacification sur longue période – quelles que soient les alternances politiques à Paris.

Sur le Vanuatu, je vous apporterai ultérieurement une réponse spécifique.

Madame Delaunay, un ensemble d’actions a été engagé pour renforcer l’insertion des territoires dans leur environnement géographique immédiat. Le précédent ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, avait autorisé les présidents de région à lancer des discussions en vue d’adhérer à des organisations régionales : cette démarche a été renforcée récemment par M. Laurent Fabius et donne lieu à des négociations internationales dans les Caraïbes. Dans le cadre de la stratégie « 20-20 », nous cherchons à conforter les moyens donnés à la coopération régionale. La région Guadeloupe est ainsi autorité de gestion, pour les trois départements de la Caraïbe et de Guyane, d’un fonds Interreg « espace Caraïbes », doté de 63 millions d’euros. De même, la région de la Réunion gère un fonds spécifique. Nous espérons renforcer ce dispositif.

Certes, l’allocation spécifique du FEDER nous pose problème, la Commission européenne voulant réduire l’aide par habitant de 44 % : il faut donc continuer à se battre. D’autant que Chypre, dans le cadre du paquet budgétaire, a fait part d’une proposition tout à fait inacceptable – en retrait par rapport à celle de la Commission. Les régions ultra-périphériques risquent d’en souffrir. J’ai d’ailleurs déjà été sollicité par des députés européens à cet égard.

En ce qui concerne l’espace Schengen, il faut peut-être améliorer les procédures pour éviter certaines complications aux frontières : des réponses à des questions écrites ont déjà été apportées sur ce point. Mais il n’est pas souhaitable a priori que les territoires d’outre-mer en fassent partie – ce qui entraînerait beaucoup d’inconvénients – et il est sage de les avoir dès l’origine maintenus à l’écart.

Madame Vainqueur-Christophe, ce matin, dans les quotidiens de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane, a été publié un article sur l’étude de l’ANSES concernant les populations exposées aux pesticides. Elle concerne 122 échantillons, 444 substances autorisées et 8 500 résultats d’analyse. Il en ressort que, sur 22 substances, soit 40 % des substances prioritaires analysées, l’exposition des consommateurs reste toujours en deçà des doses journalières admissibles (DJA). Mais sur 14, soit 25 % des substances prioritaires analysées, le risque de dépassement de la DJA ne peut être exclu pour certaines populations : 8 d’entre elles sont détectées dans des denrées d’origine locale et 7 présentent une probabilité de dépassement élevé de la DJA pour au moins une catégorie d’âge, la plupart du temps les enfants entre 3 et 15 ans. En bref, les populations antillo-guyanaises ne sont a priori guère plus exposées que les autres, mais des recherches restent encore à faire.

J’attends une étude de l’ANSES sur le Banol – qui est retardée – pour statuer : le Gouvernement souhaite parvenir à l’interdiction des dérogations pour l’épandage de pesticides ou de fongicides. Nous en ferons le bilan d’ici la fin de l’année et, au vu de cette étude, nous statuerons. Si le Gouvernement entend bien ceux qui invoquent le principe de précaution, il faut aussi tenir compte du principe de réalité : il ne serait pas responsable de prendre une décision sans s’appuyer sur des analyses scientifiques, d’autant que 270 000 tonnes de bananes sont en jeu. Un député européen est allé jusqu’à me vilipender, m’accusant presque d’être vendu aux lobbies industriels : je pense néanmoins que, dans l’attente de cette étude, nous devons rester prudents.

Nous verrons ce qui se fait au Brésil. Je rappelle que le Banol est utilisé à Saint-Domingue comme produit biologique et que les bananes de la Martinique et de la Guadeloupe sont les plus durables au monde, dans la mesure où ce sont celles qui ont connu la plus forte baisse de pesticides.

S’agissant de la prison de Basse-Terre, il faut revoir le projet – que tous les récents gouvernements ont refusé, alors que la région de Guadeloupe offrait à bon prix 4 hectares dans les hauteurs de Gourbeyre. Les chantiers prévus de construction d’une maison d’arrêt à Saint-Martin et d’extension de la grande prison de Baie-Mahault ont été abandonnés.

La garde des sceaux a déjà pris des engagements sur la Polynésie, la Nouvelle Calédonie et la Martinique dans ce domaine.

Par ailleurs, il faudra inventer une nouvelle politique de réinsertion pour les jeunes prisonniers.

Monsieur Letchimy, votre question sur la date de la mise en place de la collectivité unique de Martinique et de Guyane est tout à fait pertinente. Il faudra la trancher. Je reste attentif aux demandes des élus de ces régions : en tout état de cause, ce qu’une loi a fait hier, une autre pourra le défaire demain pour mieux répondre aux attentes de ces élus et des opinions publiques. Si des résolutions du conseil général, du conseil régional ou du Congrès des élus départementaux et régionaux sont adoptées en ce sens, nous les examinerons et le Gouvernement prendra ses responsabilités – sans céder aux menaces. Je n’ignore pas les crispations en Martinique sur ce sujet, ni que certains députés en font un casus belli.

Je rappelle que le calendrier national pour les élections départementales et régionales a été reporté à 2015 et qu’en 2014, auront lieu les élections municipales, européennes et sénatoriales.

Monsieur Lesterlin, il faut en effet éviter une concurrence de mauvais aloi entre le service civique et les emplois d’avenir et améliorer la coordination entre ces deux dispositifs de qualité.

Monsieur Boinali Said, les conflits sociaux en cours à Mayotte sont liés à la question de la sur-rémunération demandée par la fonction publique. Le Président de la République a pris l’engagement de tout faire pour la régler, mais il faut nous en laisser le temps. Comment peut-on exiger par une grève d’avoir tout de suite 40 % de rémunération supplémentaire quand on sait que le coût d’une telle mesure porte sur des centaines de millions d’euros, que, malgré les dénégations entendues ici ou là, elle aura un impact sur la fonction publique territoriale et que le conseil général de Mayotte aura du mal à payer les importantes sommes prévues – soit 35 à 40 millions selon une première simulation ?

Nous avons envoyé une mission composée de quatre inspecteurs, qui devrait prendre au moins trois mois pour examiner tous les aspects de la question. Dès qu’elle sera achevée, les parlementaires et le conseil général seront associés et un calendrier sera adopté. Nous sommes ouverts au dialogue. Mais je rappelle que, dans les autres territoires d’outre-mer, ce type de réforme a été mis en œuvre progressivement. Je demande aux fonctionnaires de Mayotte de le comprendre.

D’autant que, si la vie est chère, elle ne l’est pas seulement pour les fonctionnaires, elle l’est pour tout le monde ! Il ne faudrait pas créer une société à plusieurs vitesses, génératrice d’inégalités supplémentaires, dans un univers mahorais déjà très inégalitaire.

Monsieur le président, j’ai engagé une réflexion sur l’avenir de l’octroi de mer, à la fois sur son évolution pour tenir compte des exigences européennes, mais aussi sa reconversion en un instrument permettant de préserver les ressources des collectivités d’une manière dynamique. Aujourd’hui, paradoxalement, plus on importe et moins on développe la production locale, plus cette taxe rapporte.

Par ailleurs, il faut préserver l’autonomie des collectivités territoriales : il n’est pas question de transformer l’octroi de mer en un forfait comparable à la dotation globale de fonctionnement (DGF) ; il revient aux élus locaux d’en fixer les taux et ensuite aux électeurs de juger.

Il convient aussi de sauvegarder la compétitivité des entreprises, voire leur rentabilité.

Si la réunion de toutes ces conditions s’apparente pour certains à la quadrature du cercle, elle est pourtant possible. Aujourd’hui, l’assiette est uniquement constituée par la production, sachant que la production locale est exonérée pour dix ans mais que nous sommes confrontés à l’échéance de réforme de 2014 demandée par l’Union européenne.

J’ai écrit aux présidents de région en les invitant à s’entourer de cabinets de conseil pour se forger leur propre approche. Nous confronterons les points de vue pour trouver la meilleure solution.

On pourrait également imposer les services. De plus, le seuil d’assujettissement, qui est de 550 000 euros, pourrait être revu : il n’est pas normal que des entreprises ayant un chiffre d’affaires de 250 000 ou 300 000 euros échappent à la taxe. Alors qu’il y a aujourd’hui environ 40 000 entreprises et établissements en Martinique et en Guadeloupe, seulement 175 entreprises paient l’octroi de mer dans cette dernière région, pour un montant de 160 à 180 millions d’euros. De plus, les entreprises exonérées bénéficient par ailleurs d’autres dérogations.

On peut également se demander si, pour préserver la compétitivité des entreprises, le mécanisme de déduction de TVA ne pourrait pas être transposé dans le régime de l’octroi de mer. À cet égard, le régime cumulé de la TVA et de cette imposition présente des particularités discutables.

Enfin, je rappelle qu’est parue ce matin au Journal officiel la nomination de M. Serge Letchimy en tant que parlementaire en mission – que j’avais demandée au Premier ministre. Il serait utile, à cet égard, qu’un autre parlementaire en mission soit nommé sur la fonction publique outre-mer, afin d’améliorer les dispositifs existants.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie très sincèrement, M. le ministre, pour la qualité de vos réponses.

Audition de M. Marc Del Grande, sous-directeur du service des politiques publiques à la Délégation générale à l’outre-mer (DEGEOM), et de M. Hervé Jonathan, sous-directeur du service de l’évaluation, de la prospective et de la dépense de l’État à la DEGEOM

Compte rendu de l’audition du 20 novembre 2012

M. le président Jean-Claude Fruteau. Monsieur Del Grande, vous nous décrirez le régime fiscal de l’octroi de mer et vous évoquerez la procédure et le calendrier de son éventuelle reconduction, notamment dans le contexte européen, ainsi que les éventuelles modifications pouvant être apportées à cette taxe. M. Jonathan, vous nous parlerez, pour votre part, de l’évaluation de l’impôt.

Pourrez-vous, tous deux, nous rappeler le calendrier prévu pour la réforme de cette imposition ? Nous savons en effet que les institutions européennes s’opposent à ce que le même produit relève de deux régimes d’imposition différents, selon qu’il est importé ou produit localement, et qu’en conséquence l’Union européenne a demandé à la France de reconsidérer cette taxe pour le début de l’année 2014.

Quels seront les principes de la nouvelle imposition, et quelles en seront les conséquences ? Comment sera notamment compensée la perte de recettes correspondante pour les collectivités locales bénéficiaires ?

M. Marc Del Grande, sous-directeur, chef du service des politiques publiques à la Délégation générale à l’outre-mer (DEGEOM). Notre exposé comptera trois parties. Dans une première partie, je vous présenterai un bref historique du régime de l’octroi de mer et je vous décrirai le dispositif actuel. M. Jonathan fera ensuite un point sur l’évaluation du dispositif. Enfin, je détaillerai dans une troisième partie le calendrier de nos négociations avec l’Union européenne.

L’octroi de mer constitue l’une des plus anciennes taxes du système fiscal français. Dès 1670, il est fait référence à une taxe dénommée « droit des poids » frappant les produits importés en outre-mer. Cette taxe disparaît en 1789, au lendemain de la Révolution française, puis est réintroduite outre-mer par l’ordonnance du 1er mars 1819 : ce nouvel « octroi aux portes de mer » constitue à compter de cette date une recette ordinaire alimentant les budgets des communes de Martinique. Son application est étendue en 1825 à la Guadeloupe, en 1850 à La Réunion et en 1878 à la Guyane.

Le sénatus-consulte du 4 juillet 1866 rend officiel cet impôt de consommation sur les produits arrivant de la mer en le qualifiant pour la première fois d’« octroi de mer ». Ce texte, qui accordait l’indépendance commerciale aux Antilles et à la Réunion sous forme d’autonomie douanière, conférait également aux conseils généraux de chacun de ces territoires le pouvoir de voter les tarifs d’octroi de mer sur les produits de toutes provenances, ainsi que les tarifs de douane sur les produits étrangers importés dans ces territoires.

L’Acte unique européen de 1986 a rendu nécessaire une réforme de cette imposition, prohibée dans le contexte d’un marché unique européen. La seule solution était donc de transformer cette charge pécuniaire en une imposition intérieure licite, soumise aux dispositions de l’article 90 du Traité CE – devenu l’article 110 et suivants du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le TFUE. Cette réforme, opérationnelle à compter de 1993, impliquait en théorie l’extension de l’octroi de mer aux productions locales. Cependant, pour tenir compte de la fragilité du tissu économique des territoires ultramarins, l’Union européenne a accepté le principe d’une période transitoire de dix ans durant laquelle des exonérations d’octroi de mer seraient autorisées au bénéfice des productions locales qui en auraient besoin.

Nous arrivons à la décision du 10 février 2004 relative au régime de l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer, décision essentielle puisque c’est elle qu’il s’agit de renouveler en 2014. À cette date, le Conseil de l’Union européenne a décidé de maintenir un régime d’octroi de mer jusqu’au 1er juillet 2014, en prévoyant notamment des exonérations ou des réductions de taxe en faveur des productions locales. Cette disposition a pour objet de protéger certaines productions locales de la concurrence des produits importés.

En outre, cette décision renouvelle le régime de l’octroi de mer par la création de listes de produits, désignées par les lettres A, B, C, adaptées à chaque région, chacune correspondant à un différentiel de taux maximum pouvant être fixé entre la production locale et l’importation d’un produit similaire.

Le principe de ces listes répond à un double objectif : il permet d’éviter aux conseils régionaux d’avoir à transmettre leurs délibérations à la Commission européenne à chaque fois qu’une exonération est décidée ; il donne à la Commission européenne une meilleure lisibilité du système d’aide aux entreprises locales.

Ce différentiel fait l’objet d’une décision de la Commission européenne du 23 octobre 2007 relative aux possibilités d’exonération ou de réduction de la taxe. Ce régime dit d’aide d’État doit être notifié à chaque période de contractualisation. C’est l’exercice à laquelle la DEGEOM devra se livrer dans le courant de l’année 2013.

La modification assez radicale du dispositif a conduit les autorités françaises à redéfinir le cadre juridique national et à prévoir de nouvelles modalités d’organisation pour sa mise en œuvre effective dans les départements d’outre-mer – quatre à l’époque, cinq à partir du 1er janvier 2014.

La décision du Conseil a été transposée en droit français par la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer et son décret d’application du 30 décembre 2004. Elle préserve l’essentiel du système issu de la loi de 1992 s’agissant de l’exercice de la compétence fiscale des conseils régionaux relative à la fixation des taux de l’octroi de mer. Cette loi est entrée en vigueur le 1er août 2004.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous devrons retourner devant la Commission avant le 1er juillet 2014 pour renouveler le dispositif de l’octroi de mer. Nous vous présenterons tout à l’heure le « rétro-planning » que nous avons élaboré avec la Direction générale des douanes et droits indirects.

L’octroi de mer est une source de financement importante pour les collectivités en même temps qu’un puissant instrument de soutien à l’économie. C’est une taxe sur les importations de biens dans les quatre départements d’outre-mer dont l’objectif est double. Premièrement, elle vise à assurer le financement des collectivités territoriales : de 2008 à 2011, la taxe a rapporté en moyenne 976 millions d’euros par an. Deuxièmement, elle sert à stimuler le développement économique grâce à la possibilité d’exonérer totalement ou partiellement les productions locales, ce qui leur permet de supporter la concurrence des produits importés similaires.

Par ailleurs, l’octroi de mer est composite, puisqu’il se compose en réalité de deux taxes : l’octroi de mer en tant que tel, issu de la décision de 2004, dont le produit est affecté aux communes, ainsi qu’au département dans le cas de la Guyane ; et l’octroi de mer régional, l’OMR, ancien droit additionnel à l’octroi de mer, dont les recettes sont affectées aux conseils régionaux.

La fixation des taux d’octroi de mer relève de la compétence des conseils régionaux, qui peuvent octroyer dans certaines conditions des exonérations totales ou partielles. Les conseils régionaux sont en effet autorisés à pratiquer des différences de taxation en faveur de productions locales sensibles, définies par référence à la nomenclature douanière et reprises aux listes A, B et C annexées à la décision. Ces écarts de taxation entre les importations et les productions locales ne peuvent pas excéder 10 % pour les produits de la liste A, 20 % pour les produits de la liste B ou 30 % pour les produits de la liste C. Les produits qui ne figurent pas dans l’annexe ne peuvent faire l’objet d’aucune différence de taxation.

Les livraisons de biens réalisées par des entreprises dont le chiffre d’affaires annuel de production est inférieur à 550 000 euros sont exonérées d’octroi de mer et d’octroi de mer régional.

L’octroi de mer régional porte sur la même assiette que l’octroi de mer et ne peut excéder 2,5 %, dans la limite du différentiel autorisé lorsqu’il existe. Son produit est affecté aux budgets des régions.

Vous me permettrez d’illustrer d’un exemple la complémentarité de ces deux taxes. Si le conseil régional décide de taxer au taux de 7 % un produit local de la liste A, il ne pourra pas taxer à un taux de plus de 17 % le même produit importé. Le taux de 7 % pourrait se répartir en 5 % au titre de l’octroi de mer et 2 % au titre de l’OMR ; pour le taux de 17 %, la répartition pourrait être de 15 % au titre de l’octroi de mer et 2 % au titre de l’OMR.

Le Conseil avait assorti sa décision de 2004 de l’obligation pour la France de lui présenter un rapport d’étape en 2008. Ce rapport a fait l’objet, en 2010, de deux reproches essentiels de la part de la Commission. Celle-ci a en effet jugé que les informations fournies par la France n’étaient pas assez complètes pour lui permettre d’apprécier l’impact de la taxation différenciée sur la croissance et sur l’emploi dans chaque secteur considéré. Ensuite, le fait que les produits locaux bénéficiant d’une taxation différenciée occupent la quasi-totalité, voire la totalité du marché et que la part des produits importés soit dès lors très faible, voire nulle, a conduit la Commission à s’interroger sur l’opportunité de maintenir une taxation différenciée.

C’est donc sur ces deux points que la DEGEOM, issue des réformes de 2008, a décidé de lancer l’évaluation dont Hervé Jonathan va vous parler.

M. Hervé Jonathan, sous-directeur, chef du service de l’évaluation, de la prospective et de la dépense de l’État à la DEGEOM. En effet, le différentiel de taxation peut être considéré par le droit communautaire comme une dérogation aux règles du marché intérieur, devant à ce titre être justifiée comme une compensation à des handicaps structurels liés à l’insularité, l’étroitesse des marchés ou l’éloignement. Le ministère des outre-mer a donc lancé une évaluation du différentiel de taxation afin de mesurer la proportionnalité entre l’avantage théorique procuré par celui-ci et les handicaps structurels des territoires ultramarins.

À la suite d’un appel d’offres, nous avons retenu comme prestataire le cabinet Louis Lengrand, qui présentait l’avantage de disposer d'une bonne connaissance à la fois des milieux communautaires et des problématiques ultramarines pour avoir déjà travaillé sur l’octroi de mer. Nous avons agi dans le cadre d’un partenariat élargi, puisque nous avons constitué un comité de pilotage associant les conseils régionaux, les organisations socioprofessionnelles et les services de l’État concernés, notamment l’INSEE et la Direction générale des douanes.

Le prestataire a procédé à des analyses macroéconomiques et économétriques, ainsi qu’à des visites de terrain qui lui ont permis de rencontrer un certain nombre d’acteurs au sein des conseils régionaux, des services de l’État et des organisations socioprofessionnelles.

La méthodologie retenue par le prestataire a conjugué une analyse macroéconomique à partir des grands agrégats, des analyses sectorielles par filières économiques et des analyses microéconomiques par produits.

Ces travaux se sont heurtés à des limites statistiques tenant à l’indisponibilité des sources, concernant notamment les entreprises dont le chiffre d’affaire est inférieur à 550 000 euros, qui constituent l’essentiel du tissu économique des outre-mer et qui ne sont pas soumises à l’obligation de déclarer leur production. En outre, l’analyse par territoire ultramarin, par filière ou par produit n’ayant souvent pour objet qu’une ou deux entreprises, nos investigations se heurtaient rapidement au secret statistique.

Ces réserves étant faites, les principales conclusions de l’étude du cabinet Lengrand, qui ont été approuvées par le comité de pilotage, sont les suivantes : le différentiel d’octroi de mer constitue un appui déterminant à la productivité des entreprises ultramarines ; il existe un partage équilibré de la valeur ajoutée entre les profits, les salaires et l’investissement, ce qui exclut toute situation de rente liée au différentiel de taxation ; enfin, le différentiel de taxation ne surcompense pas les handicaps.

En outre, le prestataire a proposé plusieurs pistes d’évolution. Pour parvenir à ses conclusions, il a notamment analysé l’impact du différentiel sur le plan macroéconomique. Les résultats auxquels il est arrivé l’ont amené à considérer que l’octroi de mer est une ressource fiscale peu dynamique, cette taxation étant assise surtout sur la production industrielle alors que le PIB des territoires ultramarins dépend plutôt des activités de service. En dépit d’une augmentation très significative du PIB observée de 2005 à 2011 – entre 2,3% et 5,2 % selon les territoires –, le produit de l’octroi de mer a varié entre moins 0,8 % et 3,3% du PIB au cours de la même période. La pression fiscale liée à l’octroi de mer a ainsi connu une diminution évaluée entre 0,1 % et 0,5 % selon les territoires, ce qui montre l’impact limité de l’octroi de mer sur le niveau des prix.

L’évaluation permet aussi de constater que la majeure partie des importations des territoires ultramarins concernent des produits ne relevant pas des listes A, B ou C, et donc ne bénéficiant pas d’une taxation différentielle. La majorité des recettes issues de l’octroi de mer provient donc de produits qui ne bénéficient pas d’un différentiel de taxation.

Cette évaluation visait surtout à établir si le différentiel de taxation pouvait constituer une distorsion de concurrence au regard des règles communautaires. Le prestataire a constaté que, entre 2005 et 2011, les parts de marché des productions locales bénéficiant d’un différentiel diminuaient aux Antilles, notamment en Guadeloupe et en Martinique, et augmentaient à La Réunion et en Guyane. Hormis le cas particulier de la Guyane, les parts de marché des productions locales bénéficiant d’un différentiel de taxation représentaient autour de 20 %. En fait, ces productions locales sont confrontées à une très forte concurrence. On a même pu constater que les importations des produits bénéficiant d’un différentiel augmentaient plus vite sur la période prise en compte que l’ensemble des importations du territoire ultramarin considéré.

Sur un plan plus microéconomique, l’impact par filière a également été évalué. On a ainsi constaté que l’octroi de mer constituait une part déterminante de la productivité, puisque le différentiel de taxation représentait entre 42 % et 52 % de la valeur ajoutée des entreprises. Il a également été établi que l’accroissement de la valeur ajoutée des entreprises bénéficiant d’un différentiel de taxation sur la période 2005-2011 était dû à l’octroi de mer à hauteur de 50 à 66 %. Le différentiel d’octroi de mer constitue donc un appui déterminant à la productivité des entreprises considérées.

En outre, une analyse comparée de rentabilité a montré que le surplus de valeur ajoutée dégagée par les entreprises bénéficiant du différentiel d’octroi de mer se répartissait de manière équitable entre les profits, les salaires et les investissements. Il n’y avait donc pas constitution d’une rente.

Par ailleurs, le prestataire a constaté une faible productivité des facteurs de production dans les entreprises ultramarines, qu’il s’agisse du travail ou du capital. Il note un suréquipement des entreprises, qui s’explique par l’étroitesse et l’éloignement des marchés ultramarins.

Enfin, l’analyse par produits a permis au prestataire de constater que le prix de revient unitaire des produits locaux bénéficiant du différentiel était toujours supérieur à celui des produits importés et que le différentiel de taxation constituait une part minoritaire des coûts fixes des entreprises pour les produits considérés. Il n’y avait donc pas là non plus de distorsion de concurrence.

Sur la base de ces constats, le prestataire a proposé au comité de pilotage des scenarii d’évolution.

Le premier de ces scénarii, la suppression du différentiel, a été écarté compte tenu des conclusions de l’évaluation.

Le deuxième consiste en une amélioration progressive du dispositif existant. Il s’agirait d’abord de supprimer les listes A, B et C afin de donner à la réglementation suffisamment de souplesse pour s’adapter à l’évolution de l’offre des entreprises, ce qui favoriserait l’innovation. Il s’agirait aussi de mieux prendre en compte les petites entreprises, en soumettant à l’obligation de déclaration celles dont le chiffre d’affaires est compris entre 100 000 et 550 000 euros, et en maintenant l’exonération de toute déclaration pour celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 100 000 euros. Cela permettrait une meilleure connaissance statistique de l’impact de l’octroi de mer.

Enfin, le prestataire a formulé des propositions de simplification des mécanismes de déduction, voire d’exonération de taxation. Il a notamment souligné qu’une exonération des investissements publics, à tout le moins de ceux en faveur de la recherche-développement et de l’innovation, aurait l’avantage de favoriser le développement économique des outre-mer.

Il a par ailleurs posé la question d’un élargissement de l’assiette de l’octroi de mer aux activités de service, dans la perspective d’améliorer le dynamisme de cet impôt.

Il a également formulé des préconisations en matière de transparence et de traçabilité.

Je n’évoquerai pas la transformation de l’octroi de mer en TVA régionale, ce scénario d’évolution n’ayant pas été vraiment expertisé.

Sur la base de ces conclusions, le comité de pilotage et le ministre ont demandé au prestataire d’approfondir certaines pistes, notamment en mesurant l’impact de ces dernières à la fois sur les charges des entreprises – je pense notamment à l’impact d’un abaissement du seuil d’exonération de 550 000 à 300 000 euros –, sur les recettes fiscales et sur les prix.

Le prestataire doit nous faire parvenir ses conclusions avant la fin de l’année. Elles pourront ainsi enrichir l’évaluation à laquelle nous avons procédé.

M. Marc Del Grande. C’est sur la base de cette évaluation que la France, par l’intermédiaire du ministère des Outre-mer, et par l’intermédiaire aussi du ministère de l’Économie et des finances, notamment la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), bataillera pour obtenir de la Commission le renouvellement de l’octroi de mer. Sachant que l’étude du cabinet Lengrand est la meilleure expertise dont nous disposions de l’impact de l’octroi de mer sur les outre-mer, il est fondamental, au moment où nos partenaires du groupe ACP et du Cariforum s’interrogent fortement sur la légitimité de cette taxation, que cette évaluation ne fasse apparaître aucune distorsion de concurrence entre les productions locales et les productions importées.

D’autre part, parallèlement à l’exploration de certains scénarii évoqués, à l’instant même, par Hervé Jonathan, le calendrier de la réforme est en cours de préparation. Les services de la DEGEOM et ceux de la DGDDI se sont déjà mis d’accord pour prévoir un retro-planning en commun. La solution de la transformation de l’octroi de mer en TVA ou en un autre impôt a d’ores et déjà été écartée : nous engagerons la bataille de Bruxelles sur la base d’un octroi de mer révisé, ou tout du moins amélioré d’un point de vue bruxellois.

Sachant qu’il faudra transcrire la décision du Conseil en droit français d’ici au 1er juillet 2014, nous devons obtenir, dans le courant du mois de décembre, un accord interministériel sur la stratégie et le niveau d’amodiation de l’octroi de mer actuel. L’ampleur de ces modifications dépendra des conclusions de l’approfondissement de l’évaluation en cours de finalisation. Il reste que ces modifications seront sans doute relatives aux conditions d’assujettissement des opérateurs – M. le ministre se pose la question de l’abaissement du seuil de 550 000 euros, l’idée étant de consolider les finances des collectivités locales –, ainsi qu’aux mécanismes d’exonération. Il serait également envisagé de notifier les listes A, B, C en tant qu’aides d’État, ce qui serait beaucoup plus simple que d’obtenir qu’elles soient à nouveau annexées à la décision du Conseil. L’amodiation la plus ambitieuse, mais la plus difficile à mettre en œuvre, viserait à élargir l’assiette de la taxe à certaines prestations de service.

L’objectif serait donc d’obtenir cet accord interministériel avant la fin de l’année, sous l’égide du Secrétariat général des affaires européennes. Cela permettrait au ministre des Outre-mer de prendre contact avec M. Semeta, Commissaire européen chargé de la fiscalité et des douanes, en janvier 2013. Dans la foulée de cette visite, les autorités françaises pourraient alors adresser officiellement à la Commission une demande circonstanciée de prorogation du régime d’octroi de mer et boucler rapidement les négociations avec les services de la Commission, afin d’obtenir une proposition de décision vers la fin du premier semestre 2013, avant les congés d’été. Le Parlement européen pourrait, dans ces conditions, être consulté au début de l’automne – nous visons le mois de septembre – afin que le Conseil puisse adopter, par un vote à la majorité qualifiée, une décision relative au renouvellement de l’octroi de mer.

Nous comptons lancer, parallèlement, une procédure de notification d’aides d’État, mais il faut pour cela attendre que soient définies les lignes directrices des aides à finalité régionale pour la période 2014-2020, ce qui risque de ne pas être fait avant mars 2013. Il nous restera un semestre pour transposer la décision en droit français, ce qui suppose le vote d’une loi et la publication de ses décrets. Sachez qu’en 2004, la décision du Conseil avait été obtenue en février.

Ce calendrier peut paraître serré, mais il est conforme à la volonté exprimée à plusieurs reprises par M. Lurel d’agir sans précipitation, afin de s’assurer de l’accord de l’ensemble des acteurs, notamment des élus – au premier rang desquels les présidents de conseils régionaux – pour définir le dispositif sur la base duquel nous allons batailler à Bruxelles.

M. le président Jean-Claude Fruteau. À vous écouter, j’ai le sentiment que cela ne se présente pas trop mal pour nous.

M. Marc Del Grande. Le « stress » collectif étant un gage de réussite en ces matières, il convient de ne pas rompre les rangs. Ce dont nous sommes certains, c’est qu’il n’y a jamais eu de meilleure défense de l’octroi de mer que l’évaluation menée par le cabinet Lengrand. Certes, l’Espagne n’a jamais eu de problème pour faire accepter par Bruxelles l’AIEM, qui est l’équivalent de l’octroi de mer pour les Canaries, mais ce dispositif s’applique dans un seul territoire. Évaluer l’impact de l’octroi de mer suppose, en revanche, d’expertiser quatre, voire cinq dispositifs distincts, dans des environnements régionaux très différents. Le travail accompli par le cabinet Lengrand nous semble tout à fait à même de recueillir l’adhésion de la Commission.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cette étude permet, d’ores et déjà, de tordre le cou au préjugé trop répandu selon lequel la suppression de l’octroi de mer permettrait d’abaisser le coût de la vie en outre-mer. Elle confirme, en revanche, notre conviction que ce dispositif soutient véritablement la production locale. Enfin, point essentiel aux yeux de l’Europe, elle démontre que le différentiel de taxation n’entraîne pas de distorsion de concurrence.

M. Ibrahim Aboubacar. La loi relative au département de Mayotte prévoit l’extinction de l’actuel dispositif fiscal et douanier au 31 décembre 2013, ainsi que l’institution d’un octroi de mer à compter du 1er janvier 2014, cette seconde disposition ayant été introduite à l’initiative du Parlement. Pourtant, à l’heure où je vous parle, les parlementaires de Mayotte n’ont pas de précisions sur cette réforme fiscale et douanière qui doit être mise en place d’ici quatorze mois. Pouvez-vous nous décrire plus précisément l’état de vos discussions avec l’Europe sur l’octroi de mer dans le département de Mayotte ? L’actuel régime douanier rapporte à Mayotte environ 120 millions d’euros par an, soit un montant comparable au produit de l’octroi de mer pour un département comme la Guyane.

M. Patrick Lebreton. Sachant que l’octroi de mer représente 24 % des ressources de la commune de 37 000 habitants dont je suis le maire, vous comprendrez notre inquiétude quand nous entendons dans l’hexagone nombre de personnes envisager sa disparition sans même imaginer les difficultés que cela générerait pour nous. Nous sommes particulièrement inquiets devant la possibilité, évoquée à maintes reprises, de lui substituer une TVA. Pouvez-vous confirmer que cette hypothèse a bien été écartée ?

M. Mathieu Hanotin. Quand sera rendu le rapport Lengrand ?

M. Hervé Jonathan. Un premier rapport est déjà à votre disposition. Les approfondissements que j’ai évoqués seront en principe disponibles à la fin de l’année.

M. Mathieu Hanotin. Pouvez-vous préciser le champ des exonérations des investissements publics dont vous avez évoqué la possibilité ?

M. Hervé Jonathan. Nous n’avons pas encore approfondi cette piste. L’idée serait d’exonérer l’importation de certains produits indispensables à la recherche-développement. La recherche publique serait certainement concernée.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Si je vous ai bien compris, le ministre des Outre-mer et celui des Finances se battront pour la prorogation de l’octroi de mer, même avec des simplifications. C’est là l’essentiel, et j’espère qu’ils réussiront, car c’est cette taxe qui permet en grande partie aux maires de payer le personnel communal.

M. Marc Del Grande. Selon le rapport Lengrand, l’octroi de mer rapporte en moyenne 1 milliard d’euros aux collectivités locales d’outre-mer, et entre 169 et 250 millions d’euros aux entreprises des quatre territoires. Ce sont là des montants importants, et qui nous motivent encore davantage pour obtenir le renouvellement de cette taxe.

Le 1er janvier 2014, deux évolutions institutionnelles s’appliqueront à Mayotte : le passage à la fiscalité de droit commun, induit par la départementalisation, et le passage au statut de région ultrapériphérique, RUP. Comme vous l’avez rappelé, la loi prévoit déjà que l’octroi de mer s’applique de plein droit à Mayotte, sans différentiel de taux. La DGDDI a donc engagé une réflexion sur la façon dont l’octroi de mer pourra se configurer à Mayotte. Sur ce point, la phase opérationnelle débutera au début de l’année 2013.

S’agissant du passage à la fiscalité de droit commun au 1er janvier 2014, un amendement au projet de loi de finances prévoira une habilitation à mettre en place les dispositifs prévus par la Direction générale des finances publiques.

Le ministre des Outre-mer a clairement écarté l’hypothèse de la transformation de l’octroi de mer en TVA. La difficulté d’étendre l’octroi de mer à des activités de service tient précisément au fait qu’il est délicat de justifier devant Bruxelles un différentiel de taux sur les services en se fondant sur l’article 349 du TFUE, qui permet de compenser des handicaps structurels. Cette difficulté prouve par construction que la TVA n’est pas une hypothèse prioritaire.

M. Bernard Lesterlin. Je ne comprends pas pourquoi il est si difficile de justifier une taxation différentielle sur les services.

M. Marc Del Grande. Il est plus compliqué de prouver que les handicaps structurels dont souffrent ces territoires rendent plus malaisée la création d’un centre d’appel, par exemple. Ce n’est pas impossible, mais c’est plus délicat.

Audition de M. Jérôme Fournel, directeur général des douanes et des droits indirects (ministère de l’Économie et des finances), et de M. Henri Havard, sous-directeur des droits indirects (ministère de l’Économie et des finances), accompagnés par Mme Laurence Jaclard, chargée des relations institutionnelles

Compte rendu de l’audition du 20 novembre 2012

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir à présent M. Jérôme Fournel, directeur général des douanes et des droits indirects, et M. Henri Havard, sous-directeur des droits indirects, pour les entendre sur l’octroi de mer et avoir leur sentiment sur la bataille que devra mener la France au niveau européen pour maintenir ce régime après l’échéance de 2014.

M. Jérôme Fournel, directeur général des douanes et des droits indirects. L’octroi de mer est l’une des plus anciennes taxes du système fiscal français, et il est spécifique à quatre DOM. Cet impôt visait initialement à protéger les productions locales des importations. En 1993, il a été étendu aux produits locaux, mais il a fait l’objet de plusieurs réformes, dont la dernière en 2004 a créé des différentiels de taux en faveur de certains produits locaux.

Le montant des ressources procurées par l’octroi de mer est très important. En 2011, il s’élevait à 146 millions pour la Guyane, à 250 millions pour la Martinique et la Guadeloupe, et à 380 millions pour la Réunion. Le produit de l’octroi de mer est affecté principalement aux communes. Une part est attribuée aux régions. Il constitue donc une ressource essentielle des collectivités territoriales outre-mer.

Aujourd’hui, la question qui se pose aux autorités françaises est de savoir comment justifier la reconduction de ce dispositif à l’horizon 2014, échéance fixée par la Commission européenne.

Premièrement, du point de vue économique, deux questions se posent. D’abord, l’octroi de mer a-t-il rempli son rôle d’appui au développement économique en favorisant les productions locales et, en l’absence de celles-ci, en ne décourageant pas les importations de marchandises ? Ensuite, l’octroi de mer a-t-il un impact sur les prix et donc sur le pouvoir d’achat des populations domiennes ?

S’agissant du rôle de l’octroi de mer, l’étude demandée au cabinet Louis Lengrand & Associés (LL&A) par le ministère des Outre-mer prouve de façon pertinente que ce dispositif n’a pas desservi le développement économique local, bien au contraire. Elle montre en effet que l’octroi de mer a permis le développement des productions locales sans pour autant empêcher la progression des échanges avec l’extérieur. Autrement dit, la production locale n’est pas évincée par les importations, et celles-ci ne sont pas découragées, d’où l’absence de renchérissement des ressources et des intrants. De ce point de vue, l’octroi de mer est plutôt une réussite.

S’agissant de l’impact sur les prix, les chiffres montrent que ce dispositif ne déclenche pas une spirale inflationniste dans les départements d’outre-mer. Les tensions sur les prix qui peuvent exister dans certaines filières, comme les carburants, ne sont pas directement liées à l’octroi de mer, qui représente une toute petite part de la constitution des prix, notamment par rapport au coût de l’importation, même en cas de différentiels significatifs. Ce sont très souvent les structurations des circuits de distribution et les comportements de marge des différents acteurs – importateurs et distributeurs locaux ou étrangers – qui jouent un rôle. Certes, comme toute fiscalité, cette taxe a une incidence, mais elle n’a pas d’effet nocif sur les prix. Au final, le bilan est plutôt favorable.

Deuxièmement, du point de vue du fonctionnement de l’octroi de mer, deux sujets s’imposent. Le premier porte sur l’adaptation du dispositif dans la durée, en particulier sur la capacité à faire évoluer les listes de produits. Le second a trait au champ couvert par le dispositif, qui ne pèse que sur les marchandises, non sur les services, sachant que les entreprises qui sont en dessous des seuils n’entrent pas dans le dispositif et que d’autres ont l’obligation de s’identifier même si elles sont exonérées de l’octroi de mer, leur chiffre d’affaires étant inférieur à 550 000 euros.

S’agissant de l’adaptation de l’octroi de mer, les dispositifs issus de la réforme de 2004 permettent de faire évoluer les listes de produits, mais ils ont été très peu utilisés. Il faut reconnaître qu’ils sont assez complexes et qu’une mécanique plus simple pourrait être envisagée. Cet aspect est très important au regard de l’efficacité économique du dispositif : un secteur où naît une production locale devrait pouvoir bénéficier d’un différentiel de taux ; un autre qui souffre d’une pénurie de marchandises devrait obtenir un ajustement de l’octroi de mer pour favoriser l’importation de marchandises. En définitive, toutes les possibilités n’ont pas été utilisées pour ajuster le régime.

S’agissant du champ du dispositif, certaines entreprises, comme je viens de le dire, ont l’obligation de se déclarer, mais cette formalité administrative présente peu d’intérêt pour celles qui sont exonérées. Par conséquent, notre connaissance statistique est insuffisante dans la mesure où certaines entreprises ne se déclarent pas. Une solution serait que le seuil s’applique en termes à la fois d’exonération et de déclaration et, éventuellement, qu’il soit plus bas pour éviter des formalités aux entreprises ne dépassant pas ce seuil.

Troisièmement, du point de vue juridique et du fonctionnement interne de l’administration des douanes, un problème lié au principe de légalité se pose. En effet, dans certains cas, les délibérations des conseils régionaux sur la fixation des taux et des différentiels sont prises avec effet rétroactif, ce qui n’est pas légal. Dans d’autres, les dispositifs ne respectent pas les plafonds de taux et les différentiels. Il faut reconnaître que le dispositif est complexe. Une des difficultés tient au fait que l’émergence d’une nouvelle production, par exemple, modifie la situation par rapport à celle qui prévalait lors de la délibération initiale. En effet, les règles diffèrent selon l’existence ou non de productions locales. Ainsi, même si un conseil régional a pris une délibération en toute bonne foi, le différentiel de taux peut présenter in fine une fragilité juridique. Nous avons observé ce type de situation à de multiples reprises dans le passé. La douane joue un rôle d’assistance auprès des conseils régionaux, mais ne leur fournit peut-être pas suffisamment d’éléments en matière de contrôle de légalité.

Je précise que le marché unique antillais présente des particularités. En effet, selon que la marchandise entre en Guadeloupe ou en Martinique, les effets fiscaux ne sont pas forcément identiques puisque des comportements d’optimisation fiscale sont à l’œuvre à l’intérieur de ce marché, via l’octroi de mer. Pour l’heure, il n’existe pas de mécanisme de convergence qui permette d’éviter ce type de comportements que l’Union européenne connaît bien.

Voilà pour les dysfonctionnements.

La Direction des douanes et des droits indirects envisage de se doter, à l’horizon 2013-2014, d’outils de gestion informatisés plus performants que ceux dont elle dispose actuellement pour l’octroi de mer. L’objectif est double : il s’agit d’améliorer la capacité de suivi de l’octroi de mer et la capacité d’identification de la ressource affectée aux collectivités d’outre-mer. Ce système informatique nous permettra de mieux répondre aux attentes de l’Union européenne et des élus.

J’en viens au bilan du dispositif, aux discussions entre les autorités françaises et l’Union européenne et aux options qui s’offrent à nous.

Globalement, l’octroi de mer n’a pas présenté de défaillances majeures au cours des dernières années. Certes, un certain nombre de collectivités jugent la recette de l’octroi de mer insuffisamment dynamique, mais elles peuvent faire des choix en matière de modulations des taux et d’accroissements de recettes.

Une remise en cause de l’octroi de mer est-elle possible ? Existe-t-il un risque majeur que la Commission européenne refuse la reconduction de ce dispositif ?

Je pense que si les autorités françaises parviennent à démontrer à la Commission européenne que l’octroi de mer remplit son rôle en permettant à la production locale de se développer sans décourager les importations – et le rapport du cabinet LL&A est clair sur ce point –, elles auront réussi à prouver la pertinence du dispositif en termes de développement économique. Certes, les failles que j’ai évoquées, qui ont trait à la légalité de certaines dispositions et au champ des entreprises, ne vont pas échapper à la Commission. Néanmoins, la France est capable de la rassurer en lui démontrant sa capacité à améliorer à l’avenir les règles de fonctionnement interne et, éventuellement, à ajuster les taux et à faire évoluer les listes de produits dans la durée.

Pour en avoir parlé avec des collègues de Bruxelles, je sais que l’octroi de mer ne revêt pas un caractère problématique pour la Commission dans la mesure où il est très spécifique, comme dans d’autres pays où il porte un nom différent, par exemple à Madère ou aux Canaries. La Commission a pris en compte ces situations particulières. Tant qu’elle peut les justifier sur le fond et faire en sorte qu’elles restent autonomes pour éviter tout effet de contagion notamment au plan communautaire, elle est souvent prête à franchir le pas de la reconduction, voire d’une forme de pérennisation. Tous ces éléments plaident en faveur d’une reconduction fort probable du dispositif.

Une des – rares – alternatives à l’octroi de mer serait une taxe sur la valeur ajoutée régionalisée, évoquée dans plusieurs rapports. Si l’objectif d’une telle taxe est d’accroître la recette, cela implique une assiette plus large. Cela suppose donc d’intégrer dans celle-ci des livraisons de biens ou de services qui n’y figurent pas aujourd’hui. Or, cette mesure aurait un impact immédiat sur le pouvoir d’achat des populations outre-mer.

Une telle taxe sur la valeur ajoutée régionalisée aurait-elle plus de chances d’être acceptée par la Commission européenne que l’octroi de mer ? La question est ouverte. Certes, une taxe sur la valeur ajoutée régionalisée est possible dans le cadre de notre droit national. Néanmoins, mes discussions avec les collègues de Bruxelles m’ont donné le sentiment que plus l’on s’oriente vers des dispositifs qui sont soumis à une réglementation communautaire transversale, plus il est difficile de justifier un régime particulier. En outre, un tel dispositif risquerait d’imposer des contraintes plus fortes que celles de l’octroi de mer, y compris en termes de choix des taux et des produits pour les autorités régionales.

En conclusion, l’octroi de mer, à condition d’être perfectionné, est un pari qui fait sens au regard de l’échéance de 2014.

M. Mathieu Hanotin. J’approuve totalement votre conclusion.

Selon vous, une taxation différenciée en fonction de l’origine des produits et, éventuellement, des conditions de production des marchandises, est-elle envisageable ? Dans le cadre des discussions avec l’Union européenne, une différenciation entre produits provenant de l’UE et produits provenant de pays non-membres de l’UE vous paraît-elle intéressante ?

M. Boinali Said. Les études d’impact dont vous avez fait état ont-elles été menées à Mayotte, où l’octroi de mer n’est pas encore applicable ? Quels avantages présente l’octroi de mer par rapport au système douanier actuellement en vigueur à Mayotte ?

M. Bernard Lesterlin. La difficulté pour nous est de convaincre l’Union européenne de nous accorder la prorogation d’un dispositif auquel les élus ultramarins sont attachés au regard de l’importance de cette ressource dans le budget des collectivités territoriales.

Monsieur le directeur général, toutes les situations ne présentent pas le risque de distorsion de concurrence. Je prendrai l’exemple du poulet, très consommé outre-mer. Pour sa consommation de mabawa, Mayotte fait acheminer les ailerons de poulet depuis le Brésil : ce sont des bas morceaux congelés qui arrivent à un prix très concurrentiel. Cette situation n’est pas de nature à inciter des productions locales dans le secteur de l’aviculture.

En Guyane, les communes du fleuve, dépourvues de route et où le transport aérien est limité, doivent faire acheminer les produits agroalimentaires par le fleuve. D’où la préoccupation récemment exprimée par les élus, auprès notamment de la gendarmerie, d’équiper les pirogues de dispositifs de congélation afin d’acheminer les ailes de poulet vers les communes situées au-delà de Maripasoula.

Ces deux situations montrent qu’il n’y a pas de risque réel de distorsion de concurrence, mais témoignent d’une inhibition de l’initiative économique locale. La loi sur la vie chère, que nous avons adoptée récemment, illustre notre volonté d’agir sur la chaîne de formation des prix des produits.

Monsieur le directeur général, comment la fiscalité spécifique que représente l’octroi de mer pourrait-elle inciter l’initiative locale, tout en préservant les ressources des collectivités locales ?

M. Jérôme Fournel. On peut effectivement défendre l’idée d’une plus grande flexibilité des différentiels de taux de taxation. Cependant la Commission européenne, même si elle fait preuve d’une grande mansuétude, ne nous autorisera jamais à instaurer un différentiel pour créer une activité économique, ce qui reviendrait à anticiper sur le comportement des acteurs. En effet, si elle peut admettre que l’on soutienne une activité locale, elle refuse que cela constitue un obstacle pour les nouveaux entrants. Elle pourrait en revanche accepter que l’on favorise l’émergence d’un produit local en l’inscrivant sur l’une des listes, y compris la liste C. Jusqu’à présent, il est vrai, les listes n’ont que rarement été révisées. Pour reprendre votre exemple de l’élevage de poulets, il faudrait, pour ajouter les produits concernés à la liste C, convaincre le conseil régional, lequel devrait convaincre l’État qui devrait à son tour convaincre la Commission !

Si je reste confiant sur la reconduction de l’octroi de mer, toute demande consistant à revendiquer davantage de pouvoirs en l’absence d’un droit de regard accru de Bruxelles me semble pour le moins délicate : en 2004, ne l’oublions pas, la Commission avait refermé tous les verrous. Dix ans plus tard, à la faveur d’un bilan économique défendable, on peut essayer de rouvrir certains d’entre eux. Il est néanmoins possible que la Commission accepte une plus grande souplesse entre les listes A, B et C, mais qu’elle exige un droit de regard sur l’ajout de nouveaux produits à l’une d’elles. Nous pourrions alors plaider une certaine subsidiarité en la matière, sous réserve que l’on démontre à la Commission, par exemple un an plus tard, que l’ajout d’un produit n’a pas contrarié les objectifs économiques visés, c’est-à-dire que la production locale s’est développée sans affecter sensiblement les importations. Nous pourrons d’ailleurs tirer argument de ce que, au cours de la décennie écoulée, le droit de modification des listes n’a été que peu utilisé. Le dispositif gagnerait ainsi en souplesse et en en dynamisme, pour autant que les acteurs économiques locaux, les conseils régionaux et l’État fassent preuve de rapidité dans leur gestion.

M. Henri Havard, sous-directeur des droits indirects. La Commission est très attentive à la neutralité fiscale des dispositifs que nous lui soumettons – même si cette neutralité ne peut évidemment jamais être totale –, tous les pays de l’Union étant au demeurant attachés au principe d’égalité. Les négociations porteront assurément sur la possibilité de réviser plus rapidement les listes ; quant à soutenir une activité par la mise en place ab initio d’un différentiel, c’est un argument qui nous mettrait plutôt en difficulté.

M. Jérôme Fournel. Pour Mayotte, la projection est difficile, y compris en termes d’impact sur les acteurs économiques et sur les échanges avec les pays alentour, car la mise en place du dispositif n’en est qu’à ses débuts. Au reste, la question s’était posée du choix entre l’octroi de mer, en faveur duquel nous plaidions, et des solutions alternatives.

M. Henri Havard. Les simulations que nous avons adressées au ministère des Outre-mer, à partir des bases de données connues d’importations, sont forcément imparfaites puisque le comportement des acteurs varie en fonction des systèmes de taxation. De surcroît, la crise a évidemment affecté les importations dans les DOM en 2009 et 2010 ; or il est difficile de redresser les données en prenant ce facteur en compte. Moyennant ces limites méthodologiques, nous nous sommes efforcés de mesurer l’écart entre le produit du futur octroi de mer et celui de l’actuelle taxe à l’importation, écart qui apparaît moins grand que nous ne l’imaginions – même s’il est évidemment difficile de prédire le comportement économique des acteurs. Je me suis néanmoins engagé à réactualiser cette évaluation tous les ans, pour permettre au ministère des Outre-mer et à la Direction générale des collectivités locales de mesurer l’éventuel impact sur le budget de la collectivité de Mayotte. La seule certitude est que les effets de seuil joueront beaucoup, car les très petites entreprises sont nombreuses sur cette île.

M. Jérôme Fournel. L’effet de seuil a aussi un fort impact, qu’il s’agisse du rendement de la taxe ou du nombre d’assujettis, dans les autres collectivités d’outre-mer.

M. Henri Havard. Vaut-il mieux une assiette large ou resserrée afin d’exempter un plus grand nombre d’entreprises de charges ? Où placer le curseur ? Par ailleurs, l’obligation de déclaration se justifie par le souci de « tracer » tous les contribuables, y compris ceux qui sont exemptés de l’impôt ; mais il est évidemment difficile de les poursuivre lorsqu’ils ne répondent pas à cette formalité administrative.

M. Jérôme Fournel. C’est d’ailleurs l’une des raisons de nos lacunes statistiques.

M. Henri Havard. Reste que le seuil est une véritable question, y compris pour la Commission européenne.

M. Bernard Lesterlin. Pour les non-assujettis, au vu de la nature du produit et du chiffre d’affaires, la déclaration pourrait être allégée tout en restant obligatoire, de sorte que ces informations n’échappent pas à votre contrôle.

M. Jérôme Fournel. Les déclarations des contribuables exonérés sont d’ores et déjà plus simples.

On peut concevoir, monsieur Hanotin, des différenciations géographiques, sociales ou environnementales, ou d’autres encore combinant ces critères entre eux : l’octroi de mer pourrait ainsi devenir un instrument d’innovation fiscale ! Il n’y a pas de raison, a priori, pour que la Commission rejette l’idée d’une différenciation entre les produits, selon qu’ils sont importés de pays appartenant ou non à l’Union, à condition que cela ne contrevienne pas à certains accords commerciaux signés par cette dernière. Un tel dispositif reviendrait en effet à instaurer une forme de tarif extérieur commun qui en l’occurrence n’aurait rien de commun puisqu’il serait spécifique aux outre-mer. La question est donc sensible.

S’agissant de la différenciation par pays, le risque est le même que pour la différenciation par critères sociaux ou environnementaux : la Commission pourrait objecter que cela change l’objectif de l’outil fiscal, dont les spécialistes disent qu’il doit précisément se limiter à un seul objectif. En d’autres termes, la Commission pourrait nous demander les motifs de cette compensation par rapport à tel ou tel pays – sachant qu’à La Réunion, les importations chinoises arrivent en troisième position, avec 305 millions d’euros –, et au regard de l’objectif sous lequel nous défendons l’octroi de mer auprès d’elle, à savoir le développement économique local. Bref, la Commission pourrait nous reprocher de « broder » autour du dispositif des éléments qui lui sont étrangers.

Lorsque le produit importé répond à certaines normes, notamment sociales ou environnementales, sa labellisation est mise en avant avec la déclaration à l’importation. Or l’octroi de mer est déjà très complexe : si l’on accroît encore cette complexité, en introduisant des critères géographiques, sociaux ou environnementaux – tels que le mécanisme d’inclusion carbone –, il est à craindre que les redevables comme les bénéficiaires y perdent leur latin. L’idée n’est donc pas inenvisageable au plan juridique, mais elle risque de créer de la complexité et de la confusion sur les objectifs.

M. Henri Havard. Les importations chinoises, par exemple, représentent 6 % du total des importations à La Réunion : on ne pourrait prédire les effets économiques d’un renchérissement de ces produits. De plus, l’octroi de mer est applicable à des produits : l’ajout de critères géographiques rendrait les effets économiques moins prévisibles encore. Si d’ailleurs les produits visés sont ceux de première nécessité, il n’est pas exclu qu’une taxation différenciée plus forte favorise les importations chinoises.

Enfin, nous sommes à un an et demi du terme des négociations. En ajoutant des éléments de complexité, nous pourrions mettre en péril un calendrier contraint et donner le sentiment que nous poursuivons plusieurs objectifs à la fois, dont certains apparaissent de surcroît peu lisibles. En tout état de cause, une étude d’impact détaillée serait nécessaire.

M. Mathieu Hanotin. Je n’ignore pas l’impératif du délai ; au demeurant ma réflexion ne porte que sur la différenciation entre production locale et production étrangère, non sur l’octroi de mer en général. En outre, la prise en compte des conditions de production dans le pays d’origine répond tout à fait à l’un des deux objectifs de l’octroi de mer, qui est de favoriser la production locale.

M. Jérôme Fournel. Ainsi formulée, l’idée apparaît en effet plus conforme à l’objectif ; reste le problème de la complexité. La Commission n’a pas encore présenté de véritable projet sur le renchérissement de produits justifié par des distorsions de concurrence ou le non-respect, par exemple, de critères environnementaux. Le risque est donc qu’elle écarte l’idée dont vous faites état, non pour des raisons juridiques, même si celles-ci ne sont pas exclues, mais parce qu’un tel sujet ne relève pas d’une fiscalité aussi spécifique que l’octroi de mer. La Commission voudra sans doute éviter de créer un précédent en ce domaine.

M. le président Jean-Claude Fruteau. C’est en effet, pour elle, une question de philosophie.

Il s’agit d’obtenir la prolongation d’un dispositif ancien, qui concerne un petit nombre de régions européennes. Pour avoir été député européen pendant huit ans, je sais que la Commission souhaite la disparition des taxes et des barrières douanières, selon la logique du marché unique européen qu’elle aimerait voir étendre à l’ensemble du monde. Michel Rocard, Kader Arif et moi avions d’ailleurs publié une tribune dans Le Monde pour nous élever contre cette idée ambiante, selon laquelle la libéralisation totale des échanges permettrait de résorber la pauvreté. Mais c’est bien, hélas, la philosophie de l’Union !

Nous devons être prudents, comme l’ont souligné M. Fournel et M. Havard. En matière de clauses sociales et environnementales, l’Union européenne n’est pas parvenue, pour l’instant, à obtenir de résultats tangibles auprès de l’Organisation mondiale du commerce. Remettre pour la énième fois ces propositions sur la table, sur un sujet aussi précis que l’octroi de mer, me semble donc voué à l’échec ; il faudra résister à la tentation, mon cher collègue, même si elle est forte.

M. Mathieu Hanotin. J’en suis conscient, monsieur le président ; je souhaitais seulement profiter de nos échanges pour faire avancer la réflexion.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. Gérard Bally, délégué général d’Eurodom
(association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de MM. Pierre Marie-Joseph, premier vice-président, Benoît Lombrière, délégué général adjoint, et Emmanuel Detter, consultant, ainsi que de Mme Laetitia
de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement

Compte rendu de la réunion du 4 décembre 2012

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous accueillons aujourd’hui les représentants du groupe Eurodom, qui s’occupe de promouvoir les entreprises des départements d’outre-mer (DOM) au niveau européen. À ce titre, le groupe suit un certain nombre de dossiers importants à Bruxelles. Ses responsables nous parleront de la question de l’octroi de mer, mais nous pourrons leur poser aussi des questions sur les dossiers agricoles et industriels qui sont en cours d’examen ou qui seront bientôt examinés par la Commission européenne.

S’agissant de l’octroi de mer, beaucoup considèrent que le système des listes en annexe de la décision du Conseil de l’Union européenne est trop compliqué : comment pourrait-il être réformé ? Pourrait-il être remplacé par un système de notification à la Commission européenne une fois par an ?

Par ailleurs, le projet de loi sur la régulation économique outre-mer, que nous avons récemment adopté, comporte un dispositif de bouclier qualité-prix portant sur un panel de 100 à 150 produits : que penseriez-vous d’une baisse significative de la taxe sur ceux-ci ?

M. Gérard Bally, Délégué général d’Eurodom. Pour bien comprendre le dossier de l’octroi de mer, il faut en retracer l’historique.

Avant les années 1970, cette taxe était gérée par le conseil général et s’appliquait exclusivement aux produits importés.

Puis, dès le début des années 1970, on a choisi de la moduler pour développer l’industrie locale.

Lorsqu’en 1989, l’ouverture du marché unique européen a été préparée pour le 1er janvier 1993, les instances européennes ont demandé à la France de mettre le dispositif de la taxe en conformité avec le droit communautaire, c’est-à-dire de transformer ce qui s’apparentait à un droit de douane en un instrument fiscal frappant tous les biens, quelle que soit leur origine – métropole, pays tiers ou territoires d’outre-mer.

Depuis 1993, le dispositif en vigueur est donc « eurocompatible ».

Dès lors, la principale question qui nous préoccupe est celle de l’exonération. Quand Bruxelles a autorisé la transformation de la taxe en instrument fiscal, elle savait, en effet, que les productions locales avaient besoin de continuer de bénéficier de la protection offerte par la modulation de celle-ci.

Le dispositif mis en place en 1993 était, à cet égard, d’une grande souplesse : les régions et l’État géraient quotidiennement les listes de produits bénéficiant d’exonérations.

Mais, au bout de dix ans, le système a fait l’objet de plus d’une centaine de recours devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), formés par des importateurs de nos régions – ce qui n’a pas permis, d’ailleurs, de défendre le dossier dans les meilleures conditions.

Ces recours ont suscité beaucoup de craintes de la Commission quant à la légalité du dispositif et aux conséquences financières qui pourraient s’ensuivre – l’arrêt Lancry ayant, par exemple, donné lieu à un remboursement. Or, tous les requérants ont été déboutés et jamais le caractère proportionnel des aides accordées au travers des exonérations n’a été examiné par la Cour.

Le régime de l’octroi de mer a ensuite été modifié en 2004, au grand dam de certains socioprofessionnels. La Commission a alors cherché à se protéger des risques que comportait le système précédent : elle n’a pas voulu prendre la responsabilité de donner des autorisations de différentiels ou d’exonérations de taxe, souhaitant sur ce point s’en remettre au Conseil.

Nous avons dès lors un dispositif plus rigide, exigeant que le Conseil donne son accord a priori sur les listes de produits et les différentiels qui leur sont applicables.

Cela a eu des conséquences importantes, notamment en Guyane, qui n’avait pratiquement jamais acquitté d’octroi de mer – elle bénéficiait d’une large exonération, les entreprises de moins de 550 000 euros de chiffre d’affaires n’y étant pas assujetties. Comme elle n’a pas de TVA, elle n’avait pas l’habitude de rédiger de déclarations : il a donc été extrêmement difficile pour les Guyanais de participer aux négociations sur le nouveau système ; ils ne se sont d’ailleurs pas impliqués, ne voyant pas le risque que celui-ci représentait. Or, lors de l’adoption de ce dernier, cette région avait une liste comportant seulement une douzaine de produits, alors que la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion avaient des listes oscillant entre 100 et 180 produits.

Elle a donc vécu un véritable chemin de croix pendant plusieurs années – l’économie locale en a beaucoup souffert – jusqu’à ce que l’on modifie, en 2011, les listes, de manière à lui permettre d’avoir une protection suffisante pour ses entreprises.

Le règlement en vigueur n’offrait pas, en effet, la possibilité de réviser ces listes à tout moment : il a fallu attendre le rapport à mi-parcours de la France à la Commission et de celle-ci au Conseil.

Dans ces conditions, il faudra être particulièrement convaincant pour obtenir que la Commission accepte d’endosser la responsabilité des dérogations.

Je rappelle, à cet égard, que le rapport de la Commission au Conseil a été particulièrement critique sur la qualité des informations de justification transmises par la France – lesquelles émanent des régions et des socioprofessionnels.

M. Emmanuel Detter, consultant. Ce rapport, en date du 14 décembre 2010, indique, au point 3, que « la Commission regrette que les autorités françaises n'aient pas été en mesure de fournir, dès juillet 2008, comme le prévoit l'article 4 de la décision du Conseil du 10 février 2004, une évaluation précise de l'impact, pour chaque catégorie de produits bénéficiant d'un différentiel de taxation à l'octroi de mer, de l'incidence des mesures prises et de leur contribution à la promotion ou au maintien des activités économiques locales ».

Il ajoute que « compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la Commission n'est pas en mesure de présenter un rapport qui contienne, comme le prévoit l'article 4 de la décision du 10 février 2004, "une analyse économique complète". Dans la mesure où la Commission est largement tributaire des informations fournies par la France et où elle ne dispose pas d'autres moyens de recueillir davantage d'informations, elle ne peut effectuer une analyse que sur la base de l'information reçue ».

Enfin, la Commission déclare, dans sa conclusion générale, que « les informations fournies par les autorités françaises ne permettent pas d'avoir une vue complète sur l'impact qu'a eu, au niveau économique et social, sur la production locale dans les DOM, l'application d'une taxation différenciée à l'octroi de mer des produits locaux par rapport aux produits venant de l'extérieur. Les informations fragmentaires fournies permettent cependant de constater que le régime de taxation différenciée à l'octroi de mer a permis de maintenir, pour la majorité des produits concernés, une production locale capable d'occuper une part plus ou moins grande du marché local. Il est très probable que, sans l'existence de cette taxation différenciée, dans bien des cas l'activité locale de production n'aurait pas pu se maintenir, d'où des conséquences dommageables au niveau économique et social ».

M. Gérard Bally. On voit que la Commission estime que les exonérations sont nécessaires pour maintenir l’appareil de production industrielle : elle ne conteste donc pas le dispositif lui-même, mais la façon dont nous justifions nos demandes à Bruxelles.

Nous sommes en train de fournir un effort important sur ce point avec les organisations représentatives des quatre DOM, notamment en termes d’harmonisation des données : si nous ne réussissons pas à fournir des informations plus complètes et parfaitement convaincantes, nous risquons de voir beaucoup de produits disparaître des listes – ce qui pourrait être très préjudiciable.

Le dispositif a aussi une vocation budgétaire, qui relève des institutions et préoccupe moins les entreprises. Toutefois, depuis le dernier Conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM), différents points ont été évoqués créant des éléments de contexte dont il faut tenir compte. C’est ainsi qu’Eurodom a adopté une position commune.

M. Emmanuel Detter. Je vous lis une partie du compte rendu de notre réunion du 21 novembre 2011 :

« En préambule, il est considéré par toutes les parties prenantes la nécessité d'accorder une attention particulière au cas de la Guyane quant à l'augmentation du nombre de références inscrites dans la décision du Conseil.

La position qui se dégage des échanges de points de vue exprimés est la suivante : les membres d’Eurodom défendront une position unique quelle que soit la position qui pourra être soutenue par d’autres parties au dossier de l’octroi de mer.

Cette position est d'abord de poursuivre l'objectif de la reconduction de la décision actuelle du Conseil et de son mécanisme d'octroi de différentiels en faveur de la production locale.

Elle vise également à tout mettre en œuvre pour que des améliorations, corrections ou assouplissements soient apportés au dispositif d'exonération de la taxe et aux modalités de la décision elle-même.

Sous l'égide d'Eurodom, un recensement de ces modifications nécessaires sera effectué afin que les membres disposent d'une analyse et d'une position unanime sur les différents points identifiés et sur les objectifs d'amélioration de ces différents points.

Il s'agira par ailleurs de développer des argumentaires techniques pour justifier les niveaux de différentiels pour chaque position tarifaire proposée.

La perspective de n'obtenir que partiellement gain de cause quant aux améliorations recherchées ne doit en aucun cas mettre en cause la priorité de reconduire la décision actuelle.

Eurodom pour sa part, par la voix de son délégué général, a souligné ne pas être en mesure de défendre le dossier si l'objectif poursuivi n'est pas strictement celui défini ci-dessus ou s'il existe la moindre divergence d'approche entre les quatre organisations représentant les industries locales des quatre DOM.

Le présent compte rendu tient lieu de position commune et d'engagement irrévocable … ».

M. Gérard Bally. Les entreprises demandent, en fait, lorsque le régime de l’octroi de mer sera réexaminé par Bruxelles, que leur soit conservée la même marge de manœuvre en matière d’exonérations que par le passé. Pour ce faire, nous pensons qu’il ne faut pas trop bousculer l’édifice existant, sauf à faire un pas vers l’inconnu – sachant que la discussion avec la Commission sur la base du dispositif actuel sera déjà très difficile. Chaque fois que l’octroi de mer a donné lieu à une négociation, cela a été très laborieux.

Nous avons donc une réticence de principe vis-à-vis d’une évolution de l’architecture du système. Dans une telle hypothèse, il y aurait deux négociations, ce qui compliquerait les choses : l’une sur cette nouvelle architecture, l’autre sur les exonérations.

Il faudrait d’ailleurs de bonnes raisons pour convaincre la Commission de se diriger vers un tel changement, étayées notamment par une étude d’impact.

Le dispositif actuel apporte, selon nous, la solution optimale, dans la mesure où il repose sur un équilibre fondé sur trois pieds : les exonérations et la capacité de protéger l’industrie ; l’aptitude à générer des recettes pour les collectivités locales ; la faculté de ne pas avoir un impact trop important sur les prix de détail.

M. le président Jean-Claude Fruteau. J’ai cru comprendre, au vu notamment des travaux du sénateur Georges Patient, que la Commission n’était pas satisfaite du fait que le Gouvernement ne semble pas vouloir faire des propositions d’évolution.

M. Gérard Bally. Selon nos informations, la Commission ne demande pas une telle évolution, dans la mesure où elle considère que le dispositif a atteint ses objectifs. Et si on la lui proposait, elle réclamerait qu’on le justifie.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Qu’est-ce qui vous laisse penser que certains voudraient remettre en cause le système existant ?

M. Gérard Bally. Certaines idées émises ici ou là, des études commandées en ce sens, ainsi que les récentes déclarations du ministre, même si elles sont plus vagues – sans parler des positions des adversaires traditionnels de l’octroi de mer que sont les importateurs !

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Dans quelle mesure l’octroi de mer est-il « eurocompatible » depuis 1993 ?

M. Gérard Bally. Il est « eurocompatible » s’il est appliqué sans exonérations, en raison des règles communautaires de libre circulation des marchandises et de la concurrence. Ces exonérations ne sont donc autorisées qu’à des conditions bien précises, définies par la jurisprudence, sur la base de l’article 349 du traité de Lisbonne du 13 décembre 2007, entré en vigueur le 1er décembre 2009 : il faut justifier qu’elles soient nécessaires et proportionnelles.

Il y a deux échéances de révision : à mi-parcours, au bout de cinq ans, puis au bout de dix ans. Entre-temps, on demande beaucoup de rapports aux régions et à l’État, lesquels ne sont réalisés que pour 10 à 20 % d’entre eux.

Dès que le système a été adopté par le Conseil, les régions disposent, au travers des annexes les concernant, d’une certaine sécurité juridique, ce qui est bien. Mais on peut regretter que, pour modifier les listes, il faille de nouveau son aval.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Quelle serait votre proposition pour remédier à cette difficulté de justifier tous les dix ans du bien-fondé des dérogations ? Ne pourrait-on pérenniser davantage le système en évitant la procédure actuelle de révision des listes, trop complexe et trop longue ?

M. Gérard Bally. Selon nous, la Commission devrait reprendre la responsabilité, non de l’établissement des listes – établissement qui resterait de la compétence du Conseil –, mais de leur modification. Par ailleurs, il faudrait prévoir, dans la décision du Conseil, la possibilité pour l’État de présenter chaque année à la Commission une proposition de modification pour les quatre DOM, qui serait instruite au plus vite. Les demandes des entreprises seraient rassemblées à un moment précis de l’année à cet effet.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Une révision annuelle ne serait-elle pas trop lourde ?

M. Gérard Bally. Non. Si l’on veut assouplir le système et éviter une procédure lourde devant le Conseil, il faut que la Commission assume la responsabilité de la révision de ces listes selon une procédure ad hoc, en vertu d’une délégation du Conseil.

Je rappelle qu’aujourd’hui, en cas de nouveau produit ou de péril particulier dans le cadre de la production locale, on peut demander au Conseil, selon une procédure spécifique, une modification ponctuelle.

M. Pierre Marie-Joseph, Premier vice-président. Certaines demandes ont mis trois ou quatre ans à être instruites, décalant d’autant les décisions des entreprises…

M. le président Jean-Claude Fruteau. Les procédures devant la Commission sont en effet beaucoup plus souples.

M. Gérard Bally. Je précise à cet égard que l’octroi de mer fait l’objet d’une décision selon la procédure de consultation du Parlement européen, qui est beaucoup plus rapide que la procédure législative ordinaire.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Les importateurs disent que cette taxe favorise l’augmentation du coût de la vie : que leur répondez-vous ?

M. Gérard Bally. Notre dispositif fiscal repose à la fois sur l’octroi de mer et la TVA, dont le taux est réduit de moitié par rapport à la métropole.

Si l’octroi de mer augmente naturellement le prix des marchandises, il protège aussi nos industries et a pour effet de créer des emplois.

Or, il est sans doute préférable d’avoir des personnes ayant un emploi, mais achetant des produits coûtant un peu plus cher du fait de l’octroi de mer, plutôt que des chômeurs assistés payant des produits moins chers !

M. Pierre Marie-Joseph. Notre taux de TVA est de 8,5 %, contre 19,6 % en métropole : or, quand on y ajoute l’octroi de mer, on n’est quasiment jamais au-dessus de ce dernier taux. Compte tenu des besoins de recettes budgétaires des collectivités locales, si l’on supprimait cet octroi, il faudrait recréer une taxe en compensation. Celui-ci n’est donc pas inflationniste. D’autant qu’il faut tenir compte des remises.

M. Gérard Bally. En outre, à taux égal, l’impact de l’octroi de mer sur les prix de détail est très inférieur à celui de la TVA, même si celle-ci est plus génératrice de recettes budgétaires : il est donc moins inflationniste. Faisant partie du prix de revient, il est, en effet, répercuté sur les marges alors que la TVA l’est directement sur les prix de détail. D’ailleurs, si l’on appliquait le taux de TVA de la métropole en outre-mer – au lieu de la combinaison actuelle TVA réduite/octroi de mer – l’impact sur les prix de détail serait beaucoup plus élevé.

Enfin, on observe que les importations tendent à s’ajuster en fonction du dispositif actuel de protection de la production locale. Or, si l’on supprimait celui-ci, l’augmentation des prix serait immédiate.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. N’est-ce pas plutôt la production locale qui s’ajuste en fonction du prix des produits importés du fait de l’octroi de mer ?

M. Pierre Marie-Joseph. On peut avoir les deux phénomènes. Ce peut être le cas notamment pour les produits alimentaires vendus à prix fixes en hypermarché ; mais il en va différemment dans le domaine de la menuiserie en bois ou en aluminium, par exemple, où les importateurs peuvent faire jusqu’à 50 ou 60 % de remise.

M. Mathieu Hanotin, rapporteur. De récents exemples ont montré que les diminutions de taux de TVA n’entraînaient pas nécessairement des baisses de prix et qu’elles pouvaient servir plutôt à augmenter les marges. De plus, les moyens de contrôle sont limités dans ce domaine, surtout au-delà d’un an. Il me semble donc qu’il faut s’intéresser davantage à l’objet même de l’octroi de mer, qui est de protéger la production et l’emploi locaux.

Comment les listes devraient-elles, selon vous, être révisées précisément ?

M. Gérard Bally. Aujourd’hui, la décision d’établissement des listes est prise par le Conseil sur proposition de la Commission. Il en est de même de leur modification.

Or, la rédaction de l’article traitant de cette modification est très restrictive, dans la mesure où elle parle de produit en péril ou de nouveau produit.

Nous estimons que, lorsque l’on crée un nouveau produit, on devrait avoir la possibilité de faire adopter rapidement une révision de liste à cet effet.

La rigidité du système est à la fois un avantage – en termes de stabilité – et un inconvénient – pour obtenir des modifications. On pourrait donc supprimer cet inconvénient en assouplissant la procédure de révision, d’autant que nous avons beaucoup amélioré la présentation des demandes.

M. Emmanuel Detter. L’idée est de s’inspirer du règlement POSEI dans le domaine agricole, lequel permet de modifier chaque année un certain nombre de mesures, les régions devant faire remonter leurs demandes, en même temps, à l’État au mois de mars, à charge pour lui de les transmettre au mois de juillet aux institutions communautaires, qui doivent y répondre pour le 1er janvier de l’année suivante. Il s’agit de faire admettre à la Commission, à l’État et aux régions une forme d’automaticité de traitement des éventuelles demandes.

M. Mathieu Hanotin, rapporteur. Cela ne risque-t-il pas de remettre en cause les listes chaque année ?

M. Gérard Bally. Non, car la procédure ne concernerait que les produits nouveaux.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je change de dossier pour vous poser une question sur la filière « sucre et rhum » et sur sa fiscalité spécifique. Quelle est votre position sur les taux d’accises sur le rhum ?

M. Gérard Bally. Le Tribunal de première instance (TPI) de Luxembourg a rendu un arrêt, en mars dernier, condamnant le « double guichet », consistant à ce que le Conseil adopte un dispositif – comme les accises sur le rhum ou l’octroi de mer – puis, que la Commission demande une notification à l’État membre concerné, de manière à l’instruire en tant qu’aide d’État.

Nous avons commencé à discuter avec Bruxelles sur les décisions prises par le Gouvernement fin 2011 et mises en place début 2012, qui ont modifié les paramètres autorisés pour les accises. Depuis cet arrêt, nous estimons que la France n’est plus dans l’illégalité – l’illégalité qui aurait pu être celle d’un système non notifié entre le 1er janvier et le 8 août dernier.

Par ailleurs, cette suppression du « double guichet » constitue un point positif en vue des négociations à venir sur l’octroi de mer.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie.

Audition de M. Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM), accompagné de MM. Pierre Marie-Joseph, premier vice-président, et Alain Vienney, délégué général, ainsi que de Mme Samia Badat-Karam, directrice des affaires publiques

Compte rendu de l’audition du 4 décembre 2012

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mes chers collègues, nous recevons maintenant M. Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM), accompagné de MM. Pierre Marie-Joseph, premier vice-président, et Alain Vienney, délégué général, et de Mme Samia Badat-Karam, directrice des affaires publiques.

Madame et messieurs, vous le savez, la question de la reconduction du dispositif de l’octroi de mer se pose à brève échéance. Il était donc logique que la Délégation aux outre-mer, créée au mois de juillet dernier, se saisisse immédiatement de cet enjeu, d’autant plus important pour les collectivités d’outre-mer que la pratique de l’Union européenne, qui repose sur la philosophie du libre-échange total, pourtant démenti par les faits, va dans le sens de l’harmonisation des pratiques et non dans celui de l’instauration de régimes spécifiques. Aussi, l’octroi de mer peut-il apparaître, aux yeux de la Commission européenne, à tout le moins archaïque, au pire trop dérogatoire.

C’est pourquoi, afin d’accompagner la réflexion et l’action du Gouvernement en la matière, la Délégation a nommé deux co-rapporteurs, MM. Jean Jacques Vlody et Mathieu Hanotin. Ils vous poseront des questions.

M. Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM). Nous sommes très heureux d’entamer des échanges avec la Délégation aux outre-mer, échanges que nous désirons inscrire dans la pérennité. Nous avons, en effet, trop souvent souffert de la difficulté de relayer les positions des représentants, non seulement de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM), mais aussi, tout simplement, des intérêts économiques de l’ensemble des outre-mer – la FEDOM ayant vocation à s’intéresser à toutes les activités industrielles et commerciales des territoires ultramarins. Je vous remercie donc pour cette volonté nouvelle d’écoute.

Monsieur le président, nous avons été également très sensibles à la détermination dont les parlementaires ultramarins ont fait preuve au cours des débats sur le projet de loi de finances pour défendre le financement des économies ultramarines. La communauté économique ultramarine, employeurs et salariés réunis, leur en est très reconnaissante. C’est grâce à leur action déterminée et à celle du ministre, M. Victorin Lurel, que les fondements du financement des économies ultramarines ont pu être préservés pour 2013. Nous participerons à ce débat sans aucun a priori, à condition évidemment que la disparition de la défiscalisation ne soit pas posée comme préalable, alors qu’il convient de réfléchir ensemble, non à la disparition, mais à l’aménagement du dispositif, pour le rendre encore plus performant. Je souhaiterais également aborder, à la fin de cette audition, le dispositif « Duflot » outre-mer.

Nous mesurons combien le combat pour la reconduction du dispositif des différentiels entre octroi de mer externe et octroi de mer interne, lequel est soumis à l’approbation de l’Union européenne, est compliqué. L’année dernière, déjà, Bruxelles a supprimé l’abattement supplémentaire de 30 % sur l’impôt sur les sociétés dont bénéficiaient les entreprises ultramarines. Nous regrettons que ce dispositif, qui avait été acquis de haute lutte au temps de l’Europe des Quinze, ait disparu. C’est la raison pour laquelle nous serons très vigilants sur la question du maintien des différentiels de taxation à l’octroi de mer.

Si nous ne sommes pas compétents en matière de fiscalité – domaine qui est du ressort des collectivités locales –, en revanche, la bataille pour le maintien du dispositif lui-même, qui vient à échéance le 1er juillet 2014, nous concerne directement. C’est en effet le seul dispositif qui reconnaisse l’existence des handicaps structurels propres aux économies ultramarines, puisqu’il vise, sinon à les éradiquer, du moins à les atténuer. Je ne me permettrai pas de vous rappeler, mesdames et messieurs les députés, les handicaps liés à l’éloignement, à un marché étroit, à l’organisation du fret ou à la fixation de normes internationales – sachant, sur ce dernier point, que les marchés qui se développent autour de nos outre-mer ne se privent pas pour fixer leurs règles ! Nous sommes évidemment très attachés au fait que l’Europe reconnaisse nos handicaps structurels, que le différentiel a pour vocation de corriger.

Je rappellerai que la FEDOM s’est organisée autour de deux idées aussi simples que complémentaires : d’une part, assurer le meilleur financement des économies ultramarines, via notamment la défiscalisation, pour fonder le développement des outre-mer sur la richesse partagée entre les entreprises et les salariés ; d’autre part, développer la production locale. En effet, les territoires ultramarins ne pourront continuer de se développer économiquement que dans le cadre d’une production performante et de qualité, ce qui suppose de reconnaître leurs spécificités, handicaps structurels compris.

C’est pourquoi il convient de réfléchir à une amélioration du dispositif existant, au profit notamment des TPE et PME ultramarines. Elles sont, certes, déjà exonérées, mais l’exonération est-elle en soi un dispositif satisfaisant ? Ne serait-il pas préférable d’envisager un autre dispositif ? Il faut savoir que la FEDOM représente 100 000 entreprises pour quelque 600 000 salariés. La taille moyenne d’une entreprise outre-mer est donc de six salariés. Nous sommes là au cœur du sujet.

M. Alain Vienney, délégué général de la FEDOM. Le dispositif des différentiels est l’objet, vous le savez, de suspicions de la part de la Commission européenne : aussi craignons-nous qu’elle ne veuille profiter de son renouvellement pour, tout simplement, le supprimer. Le renouvellement du dispositif, en 2004, s’était déjà accompagné d’un encadrement très sévère, avec l’obligation de fournir un nombre croissant de justifications, ce qui l’a rendu très rigide. De même, la Guyane a dû attendre plusieurs années avant d’obtenir l’inscription de certains produits sur la liste des produits pouvant faire l’objet d’un différentiel de taxation.

C’est pourquoi le ministre des outre-mer, M. Victorin Lurel, a eu raison de faire appel à un cabinet d’experts, le cabinet Lengrand, pour réaliser une évaluation du dispositif. Il fallait en effet commencer par une telle étude pour dissiper d’éventuels soupçons de distorsion de concurrence ou d’effets de rentes. Le cabinet a conclu que le dispositif était sain et qu’il pouvait être pérennisé. Il a notamment observé qu’entre 20 % et 50 % de la valeur ajoutée des entreprises qui bénéficient du différentiel de taxation à l’octroi de mer proviendraient de cette aide spécifique. Le rapport d’évaluation mentionne également que, sur la période 2000-2008, les effectifs dans l’industrie ultramarine ont augmenté de 15 %, même si le régime de l’octroi de mer n’est pas le seul facteur de cette progression, alors que, dans le même temps, ils diminuaient de 13,5 % en métropole. L’octroi de mer constitue ainsi une aide indirecte pour les entreprises qui a l’avantage, non négligeable en cette période budgétaire contrainte, de ne pas mobilier de fonds publics.

Il convient évidemment de profiter du renouvellement de ce dispositif, au 1er juillet 2014, pour améliorer son efficacité et en supprimer d’éventuels travers ou effets pervers.

La reconduction dans son principe du dispositif est plébiscitée par tous les acteurs, notamment par rapport à l’introduction éventuelle de la TVA. D’ailleurs, comment la Commission européenne pourrait-elle préférer l’introduction d’un système inconnu, qui pourrait vite se révéler une véritable boîte de Pandore, à la prorogation d’un dispositif stabilisé et consolidé, déjà pérennisé en 2004 pour dix ans ? D’autant qu’une partie des handicaps supportés par l’outre-mer et reconnus officiellement par les textes européens peut être légitimement compensée par le différentiel de taxation à l’octroi de mer.

De plus, les petites entreprises ne bénéficient, ou presque, que de ce seul dispositif. En effet, en raison de leurs maigres effectifs, elles ne profitent qu’à la marge des exonérations de charges sociales.

Il convient également de rappeler que ce dispositif participe de l’autonomie financière des collectivités locales en alimentant leurs finances publiques et qu’il ne pèse que très modérément sur les prix. Il a enfin rempli son office, qui est de soutenir la production locale au service du développement endogène ou solidaire.

Il est toutefois nécessaire de l’améliorer en y introduisant de la souplesse et en le simplifiant. La modification des listes A, B et C de produits pouvant faire l’objet d’un différentiel de taxation se révèle aujourd'hui longue et difficile, ce qui est un handicap supplémentaire dans un monde où il faut s’adapter rapidement, tant face à l’apparition de nouvelles productions que face à l’évolution des contextes concurrentiels.

Le groupe Eurodom partage incontestablement ce souci. C’est pourquoi il conviendrait que les collectivités régionales, obéissant à un calendrier annuel prédéterminé, soumettent leurs propositions de modifications aux autorités nationales, qui les feraient valider par les autorités européennes selon un mécanisme proche de celui applicable au POSEI – programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité – des DOM.

Il a également été suggéré que la liste des produits soit laissée à l’appréciation des États : toutefois, une telle proposition a peu de chance d’être retenue au plan européen.

La situation des petites entreprises vis-à-vis de l’octroi de mer mérite aussi d’être revue et simplifiée. À ce jour, les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires de production inférieur à 550 000 euros par an sont exonérées de l’octroi de mer tout en étant soumises à déclaration. Cependant, les déclarations étant quasiment inexistantes ou erronées, ne serait-il pas plus simple – cette mesure doit faire l’objet d’un débat – de prévoir le non-assujettissement des petites entreprises, quitte à revoir à la baisse le seuil à partir duquel elles deviennent imposables à l’octroi de mer ? Le rapport Lengrand prévoit, quant à lui, d’adapter le seuil actuel aux conditions économiques et à l’inflation, qui a couru depuis son adoption.

Au plan national, le fonctionnement du dispositif pourrait être rationalisé entre les différents territoires, le régime des exonérations étant aujourd'hui différent d’un département et d’un secteur à l’autre. Il conviendrait également de préciser la notion de production locale équivalente, qui reste floue sur le plan juridique, alors qu’elle conditionne l’application ou la non-application de droits à l’importation de certains types de produits. Il y a lieu, par ailleurs, de revoir les mécanismes de déductibilité des octrois de mer acquittés en amont des productions, dont les régimes sont très variés. Alors que la TVA acquittée en amont est récupérée sur la TVA perçue en aval, tel n’est pas le cas pour l’octroi de mer, dont les conditions de récupération des droits acquittés en amont sont très restrictives. Il conviendrait d’améliorer le dispositif sur le plan technique.

Enfin, il serait pertinent, pour disposer d’un outil statistique fiable, de mettre en place un système déclaratif statistique homogène entre les différents DOM, ce qui permettrait de mieux appréhender le fonctionnement du dispositif et de mieux en justifier l’efficacité auprès de la Commission européenne.

Telles sont les pistes d’amélioration d’un système dont il convient de pérenniser le principe car il a fait ses preuves.

M. Pierre Marie-Joseph, premier vice-président de la FEDOM. Il convenait effectivement de rappeler la prudence de la Commission et du Conseil européens sur l’octroi de mer compte tenu des vicissitudes passées et des sommes qui ont dû être versées alors que le dispositif ne doit théoriquement rien coûter.

Il n’a jamais été fait état de TVA régionale mais, par certains, d’une taxation sur le prix de vente, avec possibilité de récupération et élargissement du champ d’application de la taxation à quelques services, en vue de diminuer certains taux dans d’autres secteurs. Toutefois l’Europe ne serait-elle pas, dans ces conditions, amenée à considérer un tel système comme une TVA ? Ce serait signer la mort du différentiel, alors que les industriels ont besoin de cette compensation des surcoûts de production – le mot « protection » est prohibé par l’Europe – pour demeurer compétitifs face à des importations qui viennent de partout. En matière d’importation, les outre-mer subissent en effet la double peine puisqu’ils ont à faire face à la fois aux importations en provenance de la métropole et du reste du monde. Nos acteurs économiques vont chercher des produits de plus en plus loin. Si, à condition que nous demeurions compétitifs, le projet de troisième écluse du canal de Panama peut constituer un progrès en termes de transbordement, il pourra également ouvrir la porte à l’invasion de produits venant de pays très éloignés mais qui pratiquent le dumping social. C’est la raison pour laquelle Eurodom et le FEDOM souhaitent le maintien de l’octroi de mer avec des modifications a minima, en termes notamment d’assouplissement des modifications des listes. M. Victorin Lurel serait également favorable à un abaissement du seuil de 550 000 euros à 200 000 euros, voire à 150 000 euros, car le seuil actuel, trop élevé, écarte de la taxation la grande majorité des entreprises, notamment guadeloupéennes.

M. Jean-Pierre Philibert. La TVA régionale est une fausse bonne idée.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Compte tenu de tous les inconvénients que vous avez détaillés, j’ai effectivement du mal à comprendre pourquoi d’aucuns continuent d’agiter l’idée d’un nouveau dispositif.

M. Pierre Marie-Joseph. Je préfère parler de taxation sur le prix de vente plutôt que de TVA régionale.

Il faut savoir que, contrairement à l’octroi de mer régional qui porte sur le prix de vente, l’octroi de mer à l’importation a pour assiette la valeur Coût, assurance et fret (CAF) – CIF pour Cost Insurance and Freight – du produit : il est acquitté une fois pour toutes à l’entrée. Ce système, qui n’est pas transparent, autorise des marges finales de trois ou quatre au profit de l’importateur et du distributeur.

Au contraire, le dispositif de l’octroi de mer régional, dont le taux varie entre 1,5 % et 2,5 %, est transparent puisqu’il repose, je le répète, sur le prix de vente. C’est la raison pour laquelle il sera certainement possible un jour d’instaurer une taxation générale sur le prix de vente, mais l’heure n’est pas encore venue, compte tenu notamment de la crise économique et du fait que nous ignorons toujours si l’Europe ne sera pas tentée de qualifier juridiquement une telle taxation sur le prix de vente de TVA. Ce dernier point ferait alors disparaître, je tiens également à le répéter, le mécanisme du différentiel.

M. Jean-Pierre Philibert. Par ailleurs, l’État serait-il prêt à se dessaisir au profit des collectivités locales de ses droits en matière de TVA ?

Sommes-nous enfin certains que la recette restera sur le territoire ?

M. Pierre Marie-Joseph. Je ne pense pas que les collectivités outre-mer seraient prêtes à abandonner leur autonomie fiscale.

M. Jean-Pierre Philibert. En effet, une telle réforme irait à l’encontre du principe de l’autonomie fiscale des collectivités locales.

Ces incertitudes majeures nous conduisent donc à ne pas commettre l’imprudence de demander que l’on crée une TVA régionale.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. La remise en cause du dispositif n’est pas la voie vers laquelle nous nous orientons, même si d’aucuns réfléchissent effectivement à l’idée d’une TVA régionale. Si le terme me paraît inapproprié, ne conviendrait-il pas toutefois de s’orienter vers l’élargissement de la base de l’octroi de mer, notamment aux services ? Un tel élargissement pourrait être une source de recettes supplémentaires pour les collectivités tout en autorisant l’exonération d’autres champs de production, concernant aussi bien les services que la production industrielle locale, dans un système de bascule sur un territoire.

M. Pierre Marie-Joseph. Il conviendrait également de diminuer l’octroi de mer sur les produits de première nécessité.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Le bouclier qualité-prix étant inscrit dans la loi relative à la régulation économique outre-mer, si l’on diminue l’octroi de mer sur certains produits, comment compenser le moins-perçu en termes de recettes fiscales ? Telle est l’interrogation qui préside à la réflexion actuelle.

Un abaissement du seuil d’exonération est une autre piste. Le fait que ce soit vous, les représentants des entreprises, qui ayez évoqué une telle possibilité est intéressant. Il ne nous appartient évidemment pas de déterminer ce soir un nouveau seuil.

M. Jean-Pierre Philibert. Un abaissement du seuil n’aurait à nos yeux d’intérêt que s’il s’accompagnait du non-assujettissement des entreprises situées au-dessous de ce nouveau seuil. À l’heure actuelle, les entreprises exonérées continuent d’être assujetties dans le cadre d’un système déclaratif peu fiable.

En outre, je me méfie toujours des propositions d’élargissement de base avec, en contrepartie, l’instauration de dispositifs d’exonérations ou de non-assujettissement. Trop souvent la contrepartie est oubliée : la base est élargie mais les exonérations sont passées à la trappe ! Chacun se rappelle encore la création de la vignette : elle n’a jamais servi à alimenter les retraites. Je suis un pragmatique. L’abaissement du seuil est une idée qui suscite en notre sein un débat difficile. C’est pourquoi nous ne signerons aucun chèque en blanc. Nous devrons auparavant avoir obtenu des garanties en matière de non-assujettissement et d’exonérations. Sinon, nous nous ferions huer à notre prochaine assemblée générale ! La défiscalisation est un débat d’intérêt commun, visant à assurer le meilleur développement des économies ultramarines.

M. Mathieu Hanotin, rapporteur. L’abaissement des seuils me paraît une voie à emprunter.

Je suis d’accord avec vous : simplifions les dispositifs ! Un non-assujettissement est préférable à un système déclaratif qui ne donne satisfaction à personne, pas même aux douanes qui, comme elles nous l’ont elles-mêmes expliqué, ne peuvent pas s’en servir pour obtenir une base statistique fiable. Ce sont des heures de travail perdues pour tout le monde !

Le député métropolitain que je suis tient à vous faire passer un message : les entreprises doivent mener une action d’information auprès des populations, afin de mettre fin aux rumeurs qui courent sur l’outre-mer. Il convient de montrer à tous les acteurs locaux, y compris aux consommateurs, l’intérêt que représente l’octroi de mer, notamment en termes d’emplois.

M. Jean-Pierre Philibert. Nous avons perdu depuis plusieurs années déjà le combat sur la défense des outils de financement des économies ultramarines. Le terme « défiscalisation » est devenu un gros mot. Même la presse économique fait courir la rumeur que la défiscalisation n’a d’autre effet que de financer des hôtels de luxe ou des yachts. J’aimerais bien ! Cela signifierait au moins que le tourisme se porte bien outre-mer ! Quant aux yachts, voilà bien longtemps que je n’en ai vu dans les ports ultramarins. Que dire de la TVA non perçue récupérable – TVA NPR – ? Que dire demain d’un éventuel crédit d’impôt non payé remboursé ? Peut-être conviendrait-il de rompre avec le jargon. Je le répète : l’octroi de mer est le seul dispositif qui reconnaisse les handicaps structurels supportés par les économies ultramarines. Quel que soit le dispositif adopté, il conviendra de l’expliquer : nous devons nous améliorer en termes de communication. Le mot « octroi » lui-même est-il judicieux ?

M. Mathieu Hanotin, rapporteur. S’il paraît déterminant de mener un travail d’explication auprès de la population pour montrer l’intérêt de la taxation différenciée en termes de préservation de la production locale et donc en termes d’emploi, il me paraît tout aussi important d’expliquer aux entreprises de la FEDOM qu’il leur faut faire un effort en matière de prix, pour lutter contre la vie chère et éviter ainsi la colère populaire, laquelle finirait par remettre en cause le dispositif lui-même.

M. Pierre Marie-Joseph. Ce travail d’explication de l’importance des dispositifs compensatoires et dérogatoires dont nous bénéficions, je n’ai cessé de le mener depuis onze ans, en tant que président de l’Association martiniquaise de promotion de l’industrie (AMPI). Sinon, pourquoi, dans mon cas, préférer à l’import la production locale de menuiserie aluminium, qui me permet d’employer quelque cinquante salariés ? Importer me coûterait moins cher ! D’ailleurs, même les importateurs ne font plus aujourd'hui de recours contre l’octroi de mer. On évite désormais de tirer à boulets rouges sur cette taxation. Il en est ainsi du moins en Martinique.

M. Alfred Marie-Jeanne. C’est un phénomène récent.

M. Pierre Marie-Joseph. Les problèmes d’investissement public, engendrés par la diminution des recettes à la suite de l’importante baisse de l’octroi de mer en 2009 sur les produits de première nécessité, ont participé de cette prise de conscience. Les populations ultramarines perçoivent d’autant mieux aujourd’hui le développement endogène comme un enjeu majeur que les jeunes savent, en raison de la réduction des effectifs dans la fonction publique, qu’aller en métropole pour tenter un concours de fonctionnaire n’est plus la voie d’accès privilégiée à l’emploi. Ils ont compris que c’est le secteur marchand qui créera désormais la valeur ajoutée : c’est pourquoi ils s’orientent vers les entreprises.

M. Jean-Pierre Philibert. S’agissant de la loi relative à la régulation économique outre-mer, je n’ai jamais contesté aux politiques le droit de légiférer dans un domaine qui relevait, du reste, d’une promesse de campagne du candidat François Hollande, d’autant que la FEDOM n’a jamais nié le phénomène de la vie chère. Une des vertus de ce texte est d’avoir instauré une harmonisation des observatoires de prix. En revanche, si l’on légifère, autant le faire bien. Or, le texte issu du Parlement est moins juridique que le texte présenté par le Gouvernement et qui avait été soumis à l’avis du Conseil d’État. C’est pourquoi il sera source de nombreux contentieux. En effet, que signifie un « prix élevé » ? Je sais ce qu’est un prix abusif, j’ignore en revanche ce qu’est un « prix élevé », car c’est une notion subjective. En précisant que le prix est « élevé » par rapport à la moyenne des prix constatés dans le même secteur, la loi est, je le répète, source de contentieux.

En tant que député, j’ai été, en 1996, rapporteur pour avis pour la commission des Lois sur le texte concernant la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, dite loi Galland. À l’époque, notre objectif était d’éviter que la loi ne jargonne. Si nous sommes prêts à aider le Gouvernement en matière de lutte contre la vie chère, nous préférerions le faire dans un cadre législatif favorable – on vient de réinventer la vente à perte ! D’autant que, la production locale coûtant souvent plus cher qu’un produit importé, le critère du « prix élevé » risque de déstabiliser les producteurs locaux. Si, en tant que républicains, nous sommes conduits à appliquer la loi, nous n’en regrettons pas moins qu’elle soit insuffisamment étayée sur le plan juridique.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Le propre des députés est de faire de la politique, pas du juridique. La politique est la gestion des affaires de la cité.

M. Jean-Pierre Philibert. C’est ce que m’a dit M. le ministre des Outre-mer.

M. le président Jean-Claude Fruteau. C’est notre appréciation des affaires de la cité qui nous conduit à corriger les formulations des techniciens lorsqu’elles ne nous paraissent pas conformes à l’idée que nous nous faisons des intérêts majeurs de nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Philibert. Je ne vous contesterai jamais ce droit, monsieur le président. Toutefois, la loi est ensuite codifiée.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Il appartient à la jurisprudence d’en préciser l’application.

M. Philippe Houillon. En tant qu’ancien président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, je tiens à réagir à cet échange.

S’il est vrai, monsieur le président, que nous sommes ici pour faire, non pas du juridique, mais de la politique, il est tout de même préférable d’adopter des lois juridiquement bien inspirées. J’ignore si la loi relative à la régulation économique outre-mer a été soumise au Conseil constitutionnel : en tout cas, une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité risque d’invalider un jour cette partie du texte.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous verrons bien ! La volonté politique l’emporte toujours sur le juridique. Du reste, quand il y a une volonté, il y a un chemin.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Vous êtes favorable à la variation des taux, qui permet de favoriser telle ou telle production. Comment les entreprises envisagent-elles de conjuguer le différentiel avec la lutte contre la vie chère ? Envisagez-vous les exonérations comme un moyen de faire baisser les prix ?

M. Jean-Pierre Philibert. Le non-assujettissement des entreprises ne saurait évidemment entraîner un surenchérissement des produits, bien au contraire. Toutefois, l’étude Lengrand a démontré que le différentiel de taxation à l’octroi de mer a été sans effet, ou presque, sur la formation des prix. C’est pourquoi, les exonérations futures ne sauraient engendrer une baisse des prix. L’enjeu de l’octroi de mer est la valorisation de la production locale.

M. Alain Vienney. L’élargissement de la base aux services risque d’entraîner une hausse des prix, avec le risque qu’à terme, l’octroi de mer évolue vers un régime de TVA, si cet élargissement s’accompagne d’une uniformisation des octrois de mer externe et interne.

De nombreux biens de première nécessité font déjà l’objet de taux réduits, notamment à la suite des événements de 2009. Un effort particulier de différenciation de ces produits a donc déjà été consenti. C’est pourquoi l’effet actuel sur les prix du différentiel de taxation à l’octroi de mer est modéré. Au contraire, un changement de régime risquerait d’avoir un impact plus important.

Il faut noter également que la production locale coûte généralement plus cher que la production importée : si l’on veut la préserver, il convient d’en assumer le coût, lequel est largement compensé en termes d’emplois, de richesse locale et d’activités. L’octroi de mer y contribue, à côté d’autres dispositifs, notamment les exonérations de charges sociales ou la défiscalisation, comme le précise l’étude Lengrand.

M. Jean-Pierre Philibert. Je tiens à aborder brièvement le dispositif « Duflot » outre-mer. L’Assemblée nationale a voté, à l’article 57 du projet de loi de finances, un amendement du Gouvernement portant le taux de réduction d’impôt à 29 % au lieu du taux de droit commun de 18 %, pour les investissements réalisés dans les départements et collectivités d’outre-mer – le différentiel étant le même par rapport au « Duflot » métropole que celui du « Scellier » outre-mer par rapport au « Scellier » métropole.

Malheureusement, si le « Scellier » outre-mer n’a pas connu la réussite escomptée, alors que la réduction d’impôt était supérieure, c’est qu’en dehors de la zone Pacifique où la durée a été réduite à cinq ans, il ne prévoyait aucune réduction de durée par rapport à la métropole.

Or, la crise du logement intermédiaire nous préoccupe beaucoup. Le parcours locatif ne se fait plus car le stock des logements intermédiaires est épuisé, notamment à La Réunion, si bien que ceux qui devraient accéder au logement intermédiaire restent dans le logement social. C’est pourquoi, il faut réduire la durée du « Duflot » outre-mer de neuf à six ans. Nous ne demandons plus que la réduction d’impôt soit établie sous le plafonnement global applicable à l’outre-mer de 18 000 euros et 4 % du revenu imposable du contribuable, ce qui était le cas du « Scellier », car, nous le savons, nous ne serions pas entendus, même si le Gouvernement a accepté, à la demande de M. Christian Eckert, rapporteur, une dérogation semblable pour la réduction d’impôt dite « Madelin », au nom précisément de l’efficacité du dispositif. En revanche, l’abaissement de la durée de neuf à six ans, qui coûtera seulement en année N +1, est indispensable. Les professionnels ultramarins du bâtiment ont dû vous alerter. Telle est la voie de la réussite du « Duflot » outre-mer. Je crains, sinon, que ce dispositif ne courre à l’échec.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je me ferai votre interprète auprès du Gouvernement.

L’intérêt de la Délégation aux outre-mer est de travailler au bien collectif dans le cadre d’un dialogue concret et d’échanges de vues constructifs.

M. Jean-Pierre Philibert. Nous espérons pouvoir travailler avec le Gouvernement et avec la représentation nationale, notamment sur toutes les questions relatives à la défiscalisation.

M. le président Jean-Claude Fruteau. La Délégation aux outre-mer sera associée aux travaux que le Gouvernement et l’Assemblée nationale conduiront en matière d’évaluation et d’amélioration du dispositif existant, afin de lui faire perdre sa réputation diabolique. Savez-vous que la presse, de droite comme de gauche, a refusé de publier la lettre ouverte conjointe, signée par une quarantaine de parlementaires de la Délégation sénatoriale à l’outre-mer, présidée par M. Gérard Larcher, et de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, qui visait à expliquer les dispositifs actuels ?

M. Jean-Pierre Philibert. Nous l’avons diffusée en interne à tous nos membres.

M. le président Jean-Claude Fruteau. L’opinion publique métropolitaine est malheureusement perdue sur le sujet, comme, du reste, presque toute l’opinion parlementaire.

Vous avez eu raison d’insister sur l’importance de l’action du ministre des Outre-mer, laquelle répond à l’arbitrage ferme du Premier ministre et à l’engagement du Président de la République en la matière.

Il est nécessaire de se livrer à une évaluation du dispositif et à une réflexion approfondie sur sa consolidation, puis d’en diffuser largement les résultats auprès de l’opinion publique. Donnons-nous-en les moyens, d’autant que l’État ne prendra pas sur les recettes publiques pour compenser la disparition du dispositif.

Je vous remercie de la franchise de vos propos et de votre offre de réflexion commune.

Audition de Mme Anne Bolliet, inspectrice générale des finances,
référent outre-mer à l’Inspection générale des finances, co-auteur de plusieurs rapports de mission sur les politiques publiques outre-mer

Compte rendu de l’audition du 18 décembre 2012

M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation. Nous accueillons ce soir Mme Anne Bolliet, inspectrice générale des finances, agrégée d’histoire, que nous connaissons pour ses travaux sur les politiques publiques menées outre-mer dans divers domaines comme le financement du logement social, la desserte aérienne, la défiscalisation, les exonérations de charges, l’indemnité temporaire de retraite ou encore la TVA non perçue récupérable. Mme l’inspectrice générale a également analysé l’impact de la révision générale des politiques publiques (RGPP) dans les outre-mer et plus récemment elle a étudié la situation de la Polynésie.

Je suis heureux de vous accueillir, madame l’inspectrice générale, et vous remercie d’avoir accepté l’invitation de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale qui, après avoir étudié l’impact de la loi de régulation économique dans les outre-mer, s’est penchée sur la question de l’octroi de mer dans la perspective de sa reconduction par la Commission européenne. La Délégation a désigné deux rapporteurs pour conduire cette mission : Mathieu Hanotin, député de Seine-Saint-Denis, qui n’est pas présent ce soir, et Jean Jacques Vlody, député de la Réunion.

La Délégation aux outre-mer est composée de députés des outre-mer mais également de l’hexagone de façon à sensibiliser l’ensemble de l’Assemblée nationale aux problématiques spécifiques des outre-mer et aux solutions qu’il serait souhaitable de leur apporter.

Madame l’inspectrice générale, faut-il selon vous reconduire l’octroi de mer en l’état ou lui apporter quelques modifications ? Quels éléments nous faut-il prendre en considération ? Convient-il d’en élargir l’assiette ?

Mme Anne Bolliet, inspectrice générale des finances. Je suis heureuse d’être parmi vous et vous indique que je ne m’exprimerai pas au nom de telle ou telle administration ou de tel ou tel ministère mais en mon nom personnel, donc librement.

Je suppose que vous ne m’entendez pas ce soir en qualité de technicien de l’octroi de mer. Pour cela, vous avez auditionné les représentants de la Direction générale des douanes et de la Délégation générale à l’outre-mer (DEGEOM) qui vous ont certainement apporté les éclairages nécessaires sur le mécanisme de l’octroi de mer – qui, au demeurant, est très complexe.

Le produit de l’octroi de mer s’élève à un milliard d’euros. Si, depuis le XVIIe siècle, il représentait un impôt de rendement pour les collectivités locales – communes, conseils régionaux, département de la Guyane –, il est devenu, du fait des mécanismes qui lui ont été ajoutés au fil du temps, un outil protectionniste.

Un certain nombre d’études, en particulier le rapport Lengrand – dont l’intérêt a été si souvent salué – soulignent que l’assiette de l’octroi de mer, à savoir la marchandise, du fait de sa caractéristique et de son ancienneté, est nécessairement peu dynamique. S’agissant d’un impôt de rendement, cet aspect est préoccupant.

J’ai moi-même eu l’occasion de saluer le travail accompli dans le rapport Lengrand. Lors de mes travaux sur les conséquences de la RGPP dans les outre-mer, j’avais vivement préconisé la mise en place par la DEGEOM d’un service d’évaluation autonome consacré aux politiques publiques outre-mer. Cette mission d’évaluation a été mise en place, mais elle a mis beaucoup de temps avant d’être opérationnelle – pas moins de quatre responsables sont venus me consulter pour cela. Le rapport Lengrand fut le premier travail d’évaluation commandité par la nouvelle DEGEOM, dont il convient de saluer la faculté d’adaptation.

Selon ses propres termes, le rapport Lengrand n’a pas pour objet de procéder à une évaluation générale de l’octroi de mer mais de répondre à une commande de l’ancien gouvernement soucieux de présenter des arguments en vue de la reconduction en 2014 du dispositif par la Commission européenne – sachant que celle-ci avait déjà douté de son bien-fondé en 2008 au vu d’un certain nombre d’arguments peu convaincants présentés dans les rapports intermédiaires.

L’évaluation de la DEGEOM répondait parfaitement à cette commande visant à évaluer le mécanisme de différenciation s’appliquant à l’octroi de mer ainsi que les différentes aides à finalité régionale destinées à compenser un certain nombre de handicaps.

Le rapport Lengrand porte donc essentiellement sur la différenciation. Il n’étudie pas l’impact de l’octroi de mer en outre-mer en général et n’apporte aucune information, sauf peut-être à la marge, concernant son impact sur les finances des collectivités locales, les prix et le pouvoir d’achat dans les outre-mer. Ces trois points devront être étudiés ultérieurement.

Il serait intéressant de disposer d’une étude sur le niveau des prix, sachant qu’une telle étude nécessitera beaucoup de temps. Lors des travaux des états généraux de l’outre-mer, en 2009, dont j’étais l’un des rapporteurs, nous avions entendu les consommateurs des départements d’outre-mer, notamment de la Guyane et des Antilles. Selon eux, l’octroi de mer était un facteur d’augmentation des prix et il suffirait de le supprimer pour que les prix baissent. Je précise que les choses ne sont pas aussi simples et qu’à l’évidence, si l’octroi de mer disparaissait, on lui substituerait un autre impôt.

L’autorité de la concurrence, dans le cadre des travaux qu’elle a menés en 2009 sur les Antilles, a indiqué que l’octroi de mer n’était que l’un des éléments de renchérissement du coût de la vie.

L’octroi de mer doit donc faire l’objet d’investigations complémentaires.

Le rapport Lengrand a emprunté beaucoup de ses informations à l’INSEE, mais il a basé son analyse sur la nomenclature douanière, n’étudiant par conséquent que les produits. Il a tenté d’analyser les conséquences de l’octroi de mer sur l’activité des services des entreprises, mais la nomenclature étant très différente, le croisement des fichiers n’était pas toujours concluant. Les auteurs du rapport expliquent longuement la difficulté de leurs travaux méthodologiques et reconnaissent que les estimations proposées n’étaient pas parfaitement fiables.

Indépendamment de ces problèmes statistiques et des limites de l’exercice, propres à toute analyse macro-économique, les auteurs du rapport indiquent que le mécanisme de l’octroi de mer compense la faible production dans les départements d’outre-mer, qu’il n’a aucun effet inflationniste et n’entraîne aucune distorsion de concurrence ou de rente sur les produits protégés par la différenciation tarifaire – ce dernier point étant un argument important pour la Commission européenne.

En revanche, et c’est un point tout aussi important, le rapport note que le mécanisme de différenciation ne produit pas d’effet protectionniste parce que le volume des importations n’a cessé d’augmenter, y compris pour les produits bénéficiant d’une différenciation tarifaire élevée. Les éléments qui ont été ajoutés au cours des dix dernières années n’ont donc pas produit les effets attendus en matière de protection des productions locales.

À cet égard, nous pouvons nous demander si, à l’aube du XXIe siècle, l’assiette basée sur les marchandises est parfaitement adaptée, tant à la nécessité d’un produit fiscal significatif qu’au mode de consommation de la population. En effet, la population des départements d’outre-mer s’est enrichie – même si d’importantes inégalités de revenus persistent – et consomme des produits de plus en plus sophistiqués qui ne sont pas fabriqués localement. Les jouets, par exemple, sont importés de pays à faible coût de production. Le mode de consommation de la population ne correspond plus aujourd’hui à la production qui est censée être protégée par l’octroi de mer.

Cette évolution doit nous amener à réfléchir sur l’avenir du dispositif à long terme. J’ai eu l’occasion d’étudier avec l’INSEE la problématique des œufs à la Réunion. Les œufs produits localement, qui sont naturellement plus frais et de meilleure qualité, sont protégés par la mécanique de différenciation, tandis que les œufs importés, qui supportent un octroi de mer plus élevé, sont plus chers. Mais les productions locales se sont alignées et le prix des œufs est devenu globalement plus élevé, ce qui incite les populations dont les revenus sont très modestes à consommer des œufs réfrigérés. Cette situation nécessite un arbitrage politique car il s’agit de trouver un équilibre entre deux nécessités : préserver l’emploi local et offrir aux populations à faibles revenus des produits peu chers. Il est clair que nous ne pourrons, à moyen terme, faire l’impasse sur des études complémentaires.

Le rapport Lengrand est allé au-delà de la commande en proposant des améliorations techniques. Il suggère notamment que la liste des produits soit adoptée localement ou par la Commission européenne et il évoque la possibilité d’étendre l’octroi de mer aux services. Cette extension a fait l’objet de rares expertises, mais une étude complémentaire a été demandée et devrait aboutir prochainement.

Il est parfaitement légitime de s’interroger sur l’intégration des services dans l’assiette de l’octroi de mer et l’assujettissement à l’impôt des prestations de service, non seulement parce que l’assiette actuelle n’est pas évolutive mais également parce que les services représentent une part croissante de la valeur ajoutée.

Selon les chiffres de l’INSEE pour 2007, les services marchands, en excluant les services administratifs et de santé, représentent 36 % de la valeur ajoutée en Guadeloupe et en Martinique, 27 % en Guyane et 32 % à la Réunion. Il faut y ajouter la valeur ajoutée de services répertoriés comme tels par l’INSEE, à savoir les prestations de service du commerce, les transports, les postes et les télécommunications, qui représentent, selon les départements, entre 15 et 18 % de la valeur ajoutée. Les services marchands représentent donc aujourd’hui près de 50 % de la valeur ajoutée des activités de production et de services dans les départements d’outre-mer, et cette valeur ajoutée n’entre pas dans la fiscalité des collectivités territoriales.

Il convient d’ajouter à ce constat la tertiarisation croissante des économies ultramarines. À la Réunion, par exemple, plus de la moitié des salariés travaillent dans les services marchands. Le problème ira donc en s’accroissant.

Mais l’extension de l’octroi de mer aux services n’a jamais été expertisée par la Direction de la législation fiscale (DLF). Quant à la Douane, si elle connaît bien la marchandise d’importation, elle ne connaît rien aux services. Leur intégration à l’assiette de l’octroi de mer obligerait la Direction générale des finances publiques (DGFIP) à s’emparer de la question. Dans la mesure où les négociations auront lieu dans les mois qui viennent, je ne vois pas comment nous pourrions proposer une telle innovation à la Commission européenne. Cette extension me semblerait totalement déraisonnable en l’absence de toute étude d’impact et sans avoir expertisé la façon dont le dispositif pourrait être mis en place.

À l’évidence, le fait d’ajouter un produit fiscal sans en retrancher un autre pourrait avoir un effet inflationniste, dont il convient de se prémunir. Faudrait-il imposer tous les services, les petites entreprises autant que les grandes ? Faudrait-il préserver les TPE, comme on le fait pour l’octroi de mer appliqué à la production ? Faudrait-il prévoir une différenciation tarifaire ? Ces questions n’ont pas été étudiées.

Il serait difficile à la France de proposer à la Commission européenne la différenciation tarifaire sur les services, car nous l’avions incitée, en 2004, à accepter la différenciation sur les productions locales comme étant susceptible de compenser un certain nombre de handicaps. Or, taxer plus lourdement un cabinet d’ingénierie métropolitain qu’un cabinet local dans le but de compenser un handicap serait difficile à plaider.

La différenciation tarifaire sur les services se heurte à la question de la déductibilité de l’octroi de mer, celui-ci étant déjà payé par le prestataire de services. Ainsi un artisan qui poserait des portes et des fenêtres dans la maison d’un de ses clients paierait l’octroi de mer sur ces produits, qu’il les ait importés ou achetés à un producteur local, mais ne pourrait le facturer deux fois à son client.

En étendant l’octroi de mer aux prestations de services, nous ferions de la TVA sans le dire, tout comme M. Jourdain fait de la prose. Cette disposition nécessite de sérieuses études d’impact.

L’extension de l’octroi de mer aux services s’apparente à une taxe locale sur les activités locales. Cette TVA locale, qui ne saurait être mise en place dans un avenir proche, ne doit pas nous faire peur. En Nouvelle-Calédonie, territoire doté de l’autonomie fiscale, les autorités ont mis en place un dispositif inspiré de la TVA et visant, après une expertise de trois ans, à supprimer cinq taxes pour les remplacer par une taxe locale sur les activités (TLA) comportant des droits à déduction. Ce dispositif aurait dû s’appliquer au 1er janvier 2013, mais il a été reporté pour des raisons politiques.

Nous ne pourrons donc que plaider auprès de la Commission la reconduction du dispositif actuel, moyennant quelques améliorations suggérées dans le rapport Lengrand. Mais il serait intéressant d’expertiser pendant deux ou trois ans l’intégration des services dans l’assiette de l’octroi de mer ou – ce qui revient au même – l’instauration d’une taxe locale sur les activités, en maintenant la faculté accordée aux conseils régionaux d’en fixer le taux.

Je rappelle qu’en Guyane la TVA ne s’applique pas, même si ce dispositif est temporaire. Pourquoi ne pas nous baser sur ce département d’outre-mer pour engager une réflexion concrète sur un dispositif qui dépasserait le cadre de l’octroi de mer ? Ce serait d’autant plus opportun que, lors des états généraux de l’octroi de mer, la Guyane avait souhaité que lui soit appliquée la TVA.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous sommes satisfaits d’avoir pu recueillir votre sentiment, madame l’inspectrice générale, car il nous invite à de nouveaux questionnements.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Je vous remercie à mon tour, madame, de vous être exprimée en votre nom propre.

Selon le rapport Lengrand, l’octroi de mer ne protégerait pas la production locale. Qu’en pensez-vous ? Le fait que la fiscalisation des produits importés ne protège pas les produits locaux devrait satisfaire l’Union européenne, qui avait jugé l’octroi de mer contraire aux règles du commerce européen. Faut-il évoquer cet argument lors des négociations ?

Quant à la TVA régionale, ne disposant pas d’éléments techniques fiables, nous ne pouvons la proposer à la Commission.

M. Boinali Said. L’octroi de mer ne s’applique pas à Mayotte, pourtant les produits locaux y sont extrêmement chers par rapport aux produits importés, malgré la barrière douanière qui est censée les protéger. L’extension de l’octroi de mer apporterait de la valeur ajoutée à l’économie locale.

Quant à l’instauration d’une TVA locale, pourquoi ne pas profiter des spécificités de Mayotte pour y situer l’expérimentation ?

M. Bernard Lesterlin. Je retiens de vos propos, madame, que l’octroi de mer ne protège pas la production locale. Or nous attendons de la fiscalité qu’elle instaure les conditions d’une plus grande justice fiscale, qu’elle utilise les atouts de l’outre-mer et apporte une réponse aux chiffres dramatiques du chômage, en particulier celui des jeunes.

Vous avez pris l’exemple des œufs, je prendrai celui des poulets. Lors d’un récent déplacement en Guyane, j’ai noté que les élus des territoires bordant le fleuve envisageaient d’installer des congélateurs à bord des pirogues pour livrer des poulets congelés aux collectivités. Or, il s’agit de poulets achetés à l’extérieur, alors même que les collectivités disposent de suffisamment d’espaces déboisés pour implanter des élevages avicoles – actuellement la production locale ne couvre que 2 % des besoins. Cet exemple édifiant doit nous convaincre de la nécessité de mettre en place une fiscalité dynamique, propre à contribuer au développement local et à l’emploi.

L’outre-mer a vocation à devenir un terrain d’expérimentation : pourquoi ne pas nous inspirer de l’exemple de territoires comme la Nouvelle-Calédonie, qui dispose de l’autonomie fiscale, pour expérimenter de nouveaux dispositifs fiscaux comme l’instauration d’une TVA inversée par exemple ?

Je m’explique : l’enjeu essentiel de demain est l’avenir de la planète et, à cet égard, les outre-mer représentent un formidable potentiel écologique. Sachant que les conditions politiques ne sont pas réunies pour le faire au niveau européen, pourquoi ne pas profiter de nos régions ultrapériphériques pour expérimenter non pas une taxe à la valeur ajoutée, mais une taxe à la valeur soustraite ? Cette taxe, qui s’appliquerait à toutes les activités ayant un impact sur notre patrimoine écologique et dont le produit serait destiné à une utilisation strictement locale et adaptée aux besoins du territoire, donnerait à nos régions les moyens de financer du capital risque et d’engager des investissements vertueux dans le domaine de l’énergie et créateurs d’emplois.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. L’octroi de mer alimente en effet les collectivités locales et, bien qu’il ne protège pas la production locale, je m’étais résignée à sa reconduction. Mais en écoutant une experte comme Mme Bolliet, je me demande s’il ne serait pas opportun pour les ultramarins de choisir la solution la plus satisfaisante en termes de développement économique et qui nous permettrait de sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons.

Peut-être faudrait-il donc, au lieu de reconduire l’octroi de mer sur de mauvaises bases, créer une taxe locale sur les activités dont l’assiette serait élargie aux services.

On nous parle de développement endogène, de solidarité, mais n’est-ce pas à nous, élus des outre-mer, de prendre nos responsabilités, au risque de provoquer des changements institutionnels ? Pour cela, nous devons savoir précisément ce que nous rapporte l’octroi de mer et choisir les solutions les plus adaptées à nos territoires respectifs. Mes propos peuvent vous paraître choquants, monsieur le président…

M. le président Jean-Claude Fruteau. Aucun discours ne saurait choquer la Délégation, madame, et chacun a le droit d’exposer les idées qui lui tiennent à cœur.

Je suis aussi perplexe que vous quand j’entends Mme Bolliet dire que nous ne pouvons que plaider pour la reconduction du dispositif, même si ce n’est pas une position satisfaisante. Il convient d’expertiser dans les meilleurs délais l’extension de l’octroi de mer aux services et la taxe locale sur les activités, en laissant aux collectivités régionales le soin d’en déterminer le taux. Mais, en tout état de cause, nous sommes contraints par les échéances du calendrier européen, et tout particulièrement de la Commission.

M. Ibrahim Aboubacar. J’ai écouté avec beaucoup d’attention vos propos, madame, en tant que parlementaire de Mayotte, d’une part, et en tant qu’ancien premier vice-président du conseil général en charge des finances de cette collectivité, d’autre part.

J’apprends avec intérêt l’expérimentation par la Nouvelle-Calédonie d’une taxe qui viendrait en remplacement de cinq taxes existantes. Pour les Mahorais, le temps presse. La semaine dernière, une habilitation a été accordée au Gouvernement pour étendre par ordonnance un dispositif d’octroi de mer qui viendra se substituer à trois ou quatre taxes douanières en vigueur, alors même qu’aucune étude d’impact n’a été engagée.

À douze mois de l’échéance européenne, faut-il, selon vous, étendre à Mayotte le dispositif en vigueur dans les quatre DOM, ou enrichir le dispositif transitoire déjà mis en place ?

Mme Anne Bolliet. Je ne suis pas en mesure de répondre à votre dernière question, monsieur Aboubacar.

Le recours aux ordonnances pour mettre en place le dispositif qui entrera en vigueur au 1er janvier 2014 produira sans nul doute des effets positifs. Je note qu’il existe à Mayotte des taxes et des droits à l’importation qui ne sont pas prévus par le code général des impôts.

Nos marges de manœuvre sont faibles, mais elles existent. D’une part, parce qu’en matière de TVA, le droit communautaire ne s’applique pas dans les départements d’outre-mer. Il ne s’opposera donc pas à certaines adaptations, conformément à l’article 73 de la Constitution qui dispose que « dans les régions et départements d’outre-mer les lois et règlements peuvent faire l’objet d’adaptations ». Ainsi le code général des impôts prévoit, à titre temporaire, l’absence de TVA en Guyane.

Toutefois, nous ne pourrons, l’année prochaine, que demander la reconduction du dispositif. Mais n’attendons pas, comme nous avons coutume de le faire, la prochaine échéance pour agir. Votre Délégation pourrait fort bien suggérer de mettre en place un mécanisme plus proche du mode de consommation des habitants et qui, à l’instar de ce qui a été fait en Nouvelle-Calédonie, n’alourdirait pas la pression fiscale. Quoi qu’il en soit, vous ne pourrez agir sans étude d’impact.

Il est également possible que la Commission européenne reconduise le dispositif pour cinq ans, ce qui représente une autre marge de manœuvre.

Monsieur Vlody, entre le protectionnisme et l’ouverture sur l’extérieur, il ne m’appartient pas de dire quelle est la bonne approche.

Je participais hier à une commission sur les agréments fiscaux en Nouvelle-Calédonie. Le directeur d’une usine fabriquant du papier toilette nous a adressé une demande de défiscalisation en vue du remplacement de ses machines. Sachant que l’entreprise couvre 75 % du marché, nous lui avons refusé l’agrément, considérant qu’il n’améliorerait en rien la situation concurrentielle et ne ferait que conforter une entreprise déjà bien installée. Mais quelle qu’ait été notre décision, faut-il encore produire en Nouvelle-Calédonie du papier toilette qui coûte très cher ou l’importer à bas prix ? Il ne m’appartient pas de répondre à cette question, mais c’est bien celle-ci qu’il convient de se poser. Faut-il continuer à fabriquer des produits à valeur ajoutée faible, qui génèrent peu d’emplois compte tenu de l’automatisation des chaînes de production, ou importer des produits, de Malaisie ou de pays similaires, dont les coûts resteront inférieurs ? Je n’ai pas la réponse à cette question. Elle relève d’arbitrages qui sont de la responsabilité des élus.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Monsieur le président, si nous proposons de reconduire l’octroi de mer, nous devons poursuivre notre réflexion en auditionnant un certain nombre d’experts.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je suis d’accord avec vous, mais nous avons de nombreux travaux en cours et il serait difficile d’augmenter le nombre de nos réunions.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. N’attendons pas de nous trouver au pied du mur. Nos enfants nous reprocheraient de n’avoir pas agi.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je prends note de vos réflexions.

Je vous remercie et vous adresse à tous mes meilleurs vœux pour les fêtes de fin d’année ainsi qu’une très bonne année 2013.

Audition de M. Jean-Raymond Mondon, président du Conseil économique, social et environnemental régional de La Réunion (CESER), et de M. Abdoullah Lala, vice-président

Compte rendu de l’audition du 15 janvier 2013

Mme Chantal Berthelot, présidente. Messieurs, le président Jean-Claude Fruteau, retenu sur son territoire par ses obligations, m’a chargée de vous présenter ses excuses, ainsi que les vœux de la Délégation aux outre-mer. J’espère, pour ma part, que nous serons, en 2013, plus nombreux encore à porter la cause de l’outre-mer et à assurer l’égalité et la continuité de la République au sein de nos territoires.

M. Jean-Raymond Mondon, président du Conseil économique, social et environnemental régional de la Réunion. Le CESER de La Réunion, tout comme l’ensemble des CESER d’outre-mer, se félicitent de la création, par l’Assemblée nationale, de cette Délégation, qui témoigne de votre intérêt pour l’outre-mer. Nous nous associons bien évidemment au souhait que vous avez formulés de voir l’outre-mer mieux reconnu au niveau national. Pour avoir assumé durant quelques années, au titre de l’outre-mer, la vice-présidence de l’Association des conseils économiques et sociaux régionaux de France, je suis conscient de la réalité et de la nécessité de faire passer certains messages.

Il est rare qu’une Délégation de l’Assemblée nationale ou du Sénat auditionne les CESER, qui représentent pourtant les forces vives du monde de l’économie et du monde syndical et associatif. Le CESER de La Réunion se distingue d’ailleurs des autres CESER : le premier collège, celui des représentants du monde patronal, est structuré, non pas en fonction des délégations, mais des activités – et notamment des activités d’avenir – de la région. Cela nous permet d’être à l’écoute des uns et des autres.

Je suis accompagné de mon vice-président, M. Abdoullah Lala, qui préside la Commission du développement économique du Conseil et dont les précédentes fonctions étaient en relation étroite avec le monde de l’entreprise et de l’économie.

Notre Conseil s’est fortement impliqué dans la vie économique et sociale de La Réunion, en participant à la rédaction de différents documents stratégiques – Stratégie régionale d’innovation, Schéma régional de développement, Plan régional de développement économique. Il a rendu plusieurs rapports, par exemple sur les accords de partenariat économique (APE). J’ai moi-même rendu un rapport, en tant que président du CESER, sur le devenir de la Commission de l’océan indien (COI) et le développement des échanges avec les pays de la zone. Nous sommes donc au cœur du sujet.

L’octroi de mer, dont il me semble inutile de retracer l’historique, a fait l’objet de nombreux rapports.

L’un, portant sur l’ensemble de l’outre-mer, a été commandé par le ministère. Un autre, portant spécifiquement sur l’octroi de mer, son utilité et son impact sur le coût de la vie à La Réunion, a été demandé par la région, en accord avec le CESER, après les événements de 2009. J’ai eu le plaisir de transmettre à votre Délégation la première partie de ce rapport, dont nous recevrons la deuxième partie – relative aux évolutions de l’octroi de mer – mardi prochain. Le ministère et la région s’étant adressés au même cabinet, à savoir le cabinet Louis Lengrand et Associés, il ne faut pas s’attendre à de grandes divergences.

La première partie de notre rapport a été appréciée par l’ensemble des socioprofessionnels, qu’ils viennent du monde patronal ou du monde syndical. En effet, il convenait de faire preuve de pédagogie, après les événements de 2009, où l’existence même de l’octroi de mer avait été remise en cause.

D’autres rapports ont été réalisés au niveau local sur un sujet connexe, à savoir le Fonds régional pour le développement de l’économie et de l’emploi (FRDE), par la Chambre régionale des comptes et par le CESER.

Le dossier de l’octroi de mer ne peut pas non plus être séparé de celui de la nouvelle programmation européenne 2014-2020, au moment où s’engagent des discussions avec Bruxelles. En effet, une partie de cette négociation concerne la problématique de l’éloignement et de l’insularité. Or, il semblerait que Bruxelles ait l’intention de diminuer la dotation tenant compte de ces contraintes spécifiques. Nul n’ignore que l’octroi de mer est lié au développement économique et social de nos régions d’outre-mer. Ces régions ultrapériphériques sont confrontées à un certain nombre de problèmes, dont celui des échanges avec les pays de la zone. Sur ce point, je reconnais que le rapport de M. Solbes fournit, au Gouvernement français comme aux socioprofessionnels, des arguments en faveur de la défense de l’octroi de mer.

À La Réunion, nous ne pouvons pas négliger le fait que certains pays, notamment Maurice, ont avancé que l’octroi de mer était un droit de douane, ce qui n’est pas le cas. Mais – je le sais pour en avoir discuté dernièrement avec le secrétaire général de la Commission de l’océan indien (COI) – la situation a beaucoup évolué.

L’existence de l’octroi de mer avait été remise en cause dans le cadre des discussions sur les APE. Le CESER de La Réunion, qui était en discussion avec les fonctionnaires européens, avait joué un rôle important en établissant les listes dites « offensives » et « défensives » en matière d’APE.

La Réunion n’a pas d’APE définitifs, mais intermédiaires, qui ne concernent que les produits de consommation. Les discussions sur les services s’ouvriront dans les semaines ou les mois qui viennent. On ne peut pas faire l’impasse sur le sujet, d’autant que certains sont favorables à l’extension de l’octroi de mer aux services. Mais cela risque de créer des tensions au moment des négociations avec les pays de la zone et avec la Commission européenne.

M. Abdoullah Lala, vice-président. Comme l’a rappelé en préambule le président Mondon, avant d’être président de la Commission de développement économique au CESER de La Réunion, j’ai occupé pendant quatre ans les fonctions de Président des experts-comptables de l’île de La Réunion. C’est également à ce titre que je vais m’exprimer. De fait, l’expert-comptable est un observateur privilégié du terrain socio-économique, car il est aux côtés des petites entreprises et au plus près de leurs préoccupations quotidiennes.

Dans ce cadre, nous avons développé à Paris, la cellule INFODOM. Celle-ci a été mise en place en 2009, au moment du vote de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM). Concernant les Antilles, la Guyane et à La Réunion, elle a pour objectif de soutenir nos régions et de leur expliquer la fiscalité ultramarine. Nous avons pu ainsi constater que nos instances nationales, tout comme les chefs d’entreprise, connaissaient mal les dispositifs applicables outre-mer.

Par ailleurs, au sein de la Commission de développement économique, qui regroupe les socioéconomiques, mais aussi les représentants de la société civile, syndicats et représentants des consommateurs, nous avons beaucoup travaillé sur le dossier de l’octroi de mer. Je suis donc en mesure aujourd’hui de vous présenter les constats que nous avons faits et les pistes d’évolution que nous avons dégagées.

Premier constat : l’octroi de mer est un outil qui permet à notre économie et à nos entreprises de compenser les handicaps liés à l’éloignement et à l’étroitesse du marché. Ce n’est pas le seul, mais il nous aide beaucoup.

Deuxième constat : grâce à l’octroi de mer, nous avons pu développer à La Réunion une politique économique qui a permis l’essor de filières de productions locales – industrie agroalimentaire, usines produisant des chauffe-eau solaires. De véritables filières à l’export ont été soutenues grâce à l’exonération de l’octroi de mer sur les intrants.

Troisième constat : l’octroi de mer a permis de financer le développement économique. À La Réunion, 380 millions d’euros ont été récoltés en 2011.

À partir de ces constats, notre Commission a évoqué quelques pistes de réflexion.

D’abord, et le Conseil est unanime sur ce point, il faut maintenir l’octroi de mer, en conservant le même dispositif et les différentiels de taux – listes A, B et C – applicables. C’est fondamental si l’on veut protéger les filiales locales de production, notamment les filières d’avenir qui se développent rapidement.

Nous avons l’appui non seulement des industriels, mais aussi des représentants des syndicats et des consommateurs. Pour assurer le développement de l’industrie et des emplois locaux, le dispositif actuel de l’octroi de mer doit être préservé. Si quelqu’un prétend que l’octroi de mer freine les échanges, il suffit de lui opposer les chiffres de La Réunion, dont le taux de couverture est de 7 %. Il se trouve que notre région importe, grosso modo, quatorze fois plus qu’elle n’exporte. L’octroi de mer n’a donc pas été pénalisant.

Mais avant de se réjouir, il convient tout de même de porter à l’attention de votre Délégation les éléments suivants :

La Commission a soulevé le problème de la lisibilité du dispositif et, au-delà, de son acceptabilité par les populations ultramarines. Nous proposons d’aller vers un peu plus de transparence. Celle-ci pourrait passer par la simplification de l’échelle des taux, qui sont différents selon les catégories de produits. Pourquoi ne pas adopter un mécanisme simple, avec trois taux ?

Il faudrait informer le consommateur sur l’utilisation des fonds récoltés dans le cadre de l’octroi de mer. Des débats ont eu lieu à ce propos au sein de la Commission. Certains ont même évoqué l’éventualité d’un fléchage.

Il faudrait également apporter des assouplissements en adaptant les listes des produits qui supportent l’octroi de mer, et en adaptant le dispositif aux réalités et à l’évolution des facteurs de production. Une trop grande rigidité a en effet tendance à freiner les collectivités. C’est du moins ce que l’on a constaté sur nos territoires, en particulier à La Réunion.

Par ailleurs, doit-on étendre la base de l’octroi de mer aux services ? L’avis de la Commission a été unanime : c’est une fausse bonne idée. Comme l’a rappelé le président Mondon, le problème de la concurrence avec les pays avoisinants se posera nécessairement. Or, nous n’avons pas encore mené à terme la négociation sur les APE de notre région.

Ensuite, frapper les services d’octroi de mer pénalisera des secteurs qui ne sont pas délocalisables et donc qui répercuteront fortement leurs surcoûts sur l’emploi local. Il est, en effet, plus facile de délocaliser la production de biens industriels que de services, comme la coiffure ou l’esthétique.

Enfin, une telle extension aurait un impact direct sur les prix. Elle aboutirait à accroître le coût de la vie dans nos régions, d’autant que les services tendent à y prendre une part de plus en plus importante par rapport à celle des biens consommés. Cela irait à l’encontre de la politique conduite aujourd’hui par les pouvoirs publics.

M. Jean-Raymond Mondon. Je considère, pour ma part, que, dans un monde de concurrence et en perpétuelle évolution, on ne peut pas décider de mettre en place, pour dix ans, un système dont l’organisation générale et surtout la structure des taux ne seraient modifiables qu’au bout de cinq ans. Aujourd’hui, il est possible de faire évoluer les dispositifs ou les taux de manière beaucoup plus rapide.

Je voudrais citer cet exemple : dans le cadre des APE, sur les biens de consommation courante, et compte tenu des accords passés dans notre région, l’Union européenne avait institué une clause de sauvegarde. Pour l’application de cette clause, il a fallu faire preuve d’innovation. En partenariat avec l’ambassadeur de France pour les pays de la zone, les services de l’État, les services du Conseil régional, mais aussi les socioprofessionnels ont mis en place un service de veille qui permet de mieux comprendre les importations qui se font à La Réunion, et de nous alerter si certaines productions tendent à être en péril. Pourquoi ne pas procéder de la même façon avec l’octroi de mer ? Nos pays sont en pleine évolution. Nous pouvons nous attendre à des créations de nouveaux secteurs d’activité et à des changements de productions : nous avons donc besoin d’être beaucoup plus réactifs.

Nous avons également besoin de suivre et d’évaluer le dispositif de l’octroi de mer. Mais on ne saurait demander aux régions d’établir un rapport tous les ans sur le sujet, puisque les services statistiques ne peuvent pas fournir de données fiables sur l’année précédente – seulement des données provisoires au bout de six mois et des données fiables au bout de deux ans. Il conviendrait d’y remédier.

À l’occasion des États généraux de l’outre-mer, nous avons réclamé une véritable évaluation des politiques publiques de nos régions. Les Délégations du Sénat et de l’Assemblée nous ayant demandé quelles mesures devaient être prises pour La Réunion, nous avons mis l’accent sur cette nécessité. Et je vous renvoie aux propos que le Président de la Cour des comptes a prononcés à ce sujet lors de la cérémonie des vœux adressés au Président de la République.

J’ajoute que le dossier de l’octroi de mer demande toute notre attention, car il s’agit de ne pas commettre d’erreurs. Prenons garde aux propositions que nous pourrions faire. En effet, les fonctionnaires européens voient d’un mauvais œil les régions ultrapériphériques, consacrées par l’article 299-2 du traité des Communautés européennes, devenu l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Notre CESER aura très prochainement l’occasion de s’entretenir, à La Réunion, avec M. Serge Letchimy qui a été chargé d’une mission sur l’article 349 du TFUE ; il aura également l’occasion de rencontrer un représentant de la Cour des comptes qui viendra faire une étude sur les services de l’État en région. Il y a bien des choses à dire en matière d’évaluation et de suivi. Je pense tout particulièrement aux insuffisances du service des douanes, que nous avons relevées lorsque nous avons travaillé sur le dossier des APE.

Comme on peut le lire dans le rapport Louis Lengrand, l’octroi de mer vise à défendre et à promouvoir les économies locales. Mais d’autres dispositifs y concourent. C’est le cas des exonérations de charges sociales. Avant la fin de l’année, notre Commission devrait rendre un avis et le CESER un rapport sur l’impact des exonérations de charges sociales sur l’emploi à La Réunion, rapport qui viendra compléter celui du cabinet d’études.

En conclusion, nous avons été heureux de la mise en place de votre Délégation. Nous serons à votre disposition sur tout sujet intéressant l’outre-mer. Je pense aussi bien aux contrats de génération, en raison de notre expérience en matière de congés de solidarité, qu’à la Banque publique d’investissement, sur laquelle nous avons commencé à travailler avec nos députés, l’Agence française de développement (AFD) et la Caisse des dépôts et consignations. Tous ces sujets, comme l’octroi de mer, sont en rapport avec le développement économique de La Réunion et de l’outre-mer. On ne doit pas faire n’importe quoi. Notre développement économique dépend de plusieurs éléments. Nous devons faire preuve de réactivité dans tous les domaines et adresser nos propositions à l’ensemble du Gouvernement et de la représentation nationale, Assemblée nationale ou Sénat.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Vous prouvez que les CESER sont à même d’aborder tous les domaines liés au développement économique. Vous avez dit que l’extension de l’octroi de mer aux services pourrait avoir un effet peut-être inverse à celui souhaité. Votre position est-elle définitive ? Une modulation serait-elle possible ?

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le vice-président, nous nous connaissons de longue date et nous apprécions le sérieux du travail que vous accomplissez au sein du CESER de La Réunion.

Vous avez indiqué que l’élargissement de la base de l’octroi de mer aux services pourrait créer des tensions, vous référant aux discussions menées avec les pays de la zone. Pourriez-vous nous donner des détails par rapport à l’environnement géographique ? En dehors de ce problème, pensez-vous que cet élargissement soit totalement à exclure pour l’instant ? Et si l’on y recourait, quelles précautions faudrait-il prendre ?

Par ailleurs, comment justifier l’efficacité économique de la différenciation des taux ? Cette différenciation a-t-elle eu un impact positif, soit sur le maintien de l’activité, soit sur son développement ? A-t-elle eu un impact sur le maintien des filières locales ?

Vous avez développé l’argument selon lequel l’octroi de mer n’avait pas été un frein aux importations, la part de la production locale ayant plutôt baissé par rapport aux importations. Certes, mais il faut faire valoir nos arguments de manière irréfutable. Or, nous ne disposons pas de statistiques ou d’éléments fiables. Et c’est d’ailleurs bien parce que la Commission européenne n’avait pas été convaincue, en 2008, par la façon dont on avait justifié la différenciation des taux que l’on a commandé un rapport au cabinet Lengrand.

Vous avez dit que l’octroi de mer était destiné à pallier certains handicaps, à favoriser le développement des filières locales et à soutenir l’export. J’aimerais que vous nous donniez des éléments chiffrés, plus concrets.

Enfin, nous travaillons aujourd’hui sur une piste consistant à abaisser de 550 000 à 250 000 euros le seuil du chiffre d’affaires des entreprises soumises à l’octroi de mer. En dessous de 250 000 euros, les entreprises seraient complètement exonérées. Quel est votre point de vue ?

M. Mathieu Hanotin, rapporteur. Je pense, moi aussi, que nous avons besoin de précisions sur la partie différenciée de l’octroi de mer. Vous avez dit que celui-ci était mal perçu : il serait bon, en conséquence, de montrer ce qu’il a pu apporter ces dernières années – en préservant, par exemple, certaines productions locales. Si l’on veut qu’il soit maintenu, il faut faire en sorte qu’il ne soit pas contesté, ni par les populations, ni par les autorités de l’Union européenne.

Mme Éricka Bareigts. Je souhaiterais obtenir des précisions sur l’échelle des taux, que M. Lala suggérait de simplifier, et sur le fléchage de la recette de l’octroi de mer, qui donnerait davantage de transparence au dispositif. Qu’entendez-vous par fléchage ? Dans quels domaines ? Ce fléchage devrait-il concerner certaines activités économiques prometteuses en termes d’emploi ?

Mme Monique Orphé. À La Réunion, pendant les événements, les populations ont dit que l’octroi de mer contribuait à la cherté de la vie. D’où cette idée reçue : si l’on supprime l’octroi de mer, les prix baisseront et tout ira mieux. Un effort de clarification et de transparence me semble donc nécessaire. Mais comment, en tant qu’élus, justifier cette disposition ? Comment mieux communiquer ? Le CESER nous y aiderait-il ? Nous pouvons toujours mettre en avant le fait que l’octroi de mer coûte moins cher que la TVA, ou qu’il participe au développement économique. Mais même ainsi, on risque de nous répondre que ce sont les entreprises, les élus ou les collectivités qui sont les principaux bénéficiaires.

M. Jean-Raymond Mondon. Il nous faut faire preuve de pédagogie. Je connais le dossier de l’octroi de mer depuis 1984, moment où, issu du syndicalisme, j’ai commencé à participer à un certain nombre de discussions avec les organisations patronales sur le thème de la vie chère à La Réunion. C’est grâce à ces discussions que nous avons pris conscience – en 1984, puis en 1989, en 1992, etc. – du problème posé par l’octroi de mer.

Premièrement, nous devons systématiquement expliquer à la population, en particulier à celle de La Réunion – la situation peut être différente dans d’autres départements – que, sur les produits de première nécessité, l’octroi de mer est à taux zéro et qu’il n’impacte donc pas les prix. Encore dernièrement, le vice-président du Conseil régional se demandait comment faire passer le message. Au moment où l’ensemble des produits est étiqueté de manière informatique dans les grandes surfaces ou dans les centrales d’achat, ne pourrait-on pas trouver un moyen simple d’indiquer sur les emballages des produits de première nécessité – avec une pastille de couleur ou un symbole – que le taux d’octroi de mer est de zéro ? Il faudrait faire des propositions concrètes en ce sens.

Deuxièmement, vous avez sans doute remarqué que la problématique de l’utilisation de l’octroi de mer par les collectivités territoriales a été totalement mise de côté. Pourtant, si l’on se base uniquement sur le budget de fonctionnement des communes, combien d’emplois seraient menacés ? Le pouvoir d’achat ne dépend pas que du niveau des prix. Faut-il plutôt accorder des subventions à un chômeur et maintenir des prix assez bas, ou lui procurer un emploi qui lui permettra de payer ce dont il a besoin ? Là encore, il faut faire preuve de pédagogie. Au CESER, nous nous y employons depuis des années.

Troisièmement, des manifestations ont eu lieu l’année dernière en outre-mer et à La Réunion. J’ai été contacté par le préfet de La Réunion – sans pouvoir aller au bout de cette mission – pour mettre en place un groupe de travail sur la consommation et les prix. L’objectif était de faire en sorte que les organismes de défense des consommateurs jouent un rôle important, ce qui supposait qu’on leur donne les moyens de travailler – chez nous, il n’y a pas d’UFC comme dans l’hexagone – et qu’on les forme. Au sein même de l’association de consommateurs relevant de mon organisation syndicale, je dois répondre à ceux qui proposent de remplacer l’octroi de mer par la TVA qu’une telle décision serait immédiatement suivie d’une augmentation des prix. Je rappelle que l’addition des taux d’octroi de mer et de TVA à La Réunion est inférieure au taux de TVA appliqué dans l’hexagone.

Revenons aux services et aux APE. Au CESER, nous avons travaillé sur les APE marchandises. Dans le cadre de mon travail sur le devenir de la Commission de l’océan indien (COI), nous avons également discuté avec les pays de la zone. Le message que l’on nous a fait passer – émanant notamment de Maurice – consistait à dire que l’octroi de mer était un droit de douane et qu’il fallait le supprimer. Si, aujourd’hui, nous disons aux pays de la zone que l’extension de l’octroi de mer aux services est l’avenir de La Réunion, nous risquons fort de nous mettre en difficulté lors des prochaines négociations. Et je peux vous assurer que Bruxelles écoutera davantage les pays ACP – compte tenu des accords OMC – que nous-mêmes. En outre, c’est Bruxelles qui décide en matière d’APE. Je vous rappelle que toutes les interventions en ce domaine, qu’elles émanent du Parlement ou du Gouvernement français, n’ont jamais été suivies d’effet.

Faut-il fixer le seuil de taxation à 250 000 euros de chiffre d’affaires ? Pourquoi pas ? Mais comment réagiront les chefs d’entreprise ? Des discussions que nous avons eues en début d’année avec les services du Conseil régional, il ressort que les entreprises de La Réunion sont en très grande difficulté, qu’elles ne peuvent pas accéder aux prêts bancaires et que les banques elles-mêmes rencontrent des problèmes parce que leur argent remonte vers Paris.

Enfin, notre position sur l’extension de l’octroi de mer aux services n’est pas définitive. On peut en discuter, mais je ne suis pas sûr qu’il faille le faire maintenant. Au moment où l’on commence à développer les échanges avec les pays de la zone, cela risquerait de mettre La Réunion en grande difficulté. Je vous renvoie aux propos que j’ai tenus devant le ministre des Outre-mer au moment de la Conférence sur la coopération régionale.

M. Ary Chalus. Je compte poser demain une question au Gouvernement sur les difficultés des entreprises. Vous avez évoqué celles de La Réunion. Mais je crois que c’est tout l’outre-mer qui est concerné. Rien qu’en Guadeloupe, 6 000 entreprises risquent de déposer leur bilan au mois de mai.

M. Jean-Raymond Mondon. On peut constater les difficultés de l’outre-mer en général, et celles de La Réunion en particulier. Mais ne comptez pas sur moi pour faire passer des messages qui ne seraient que pessimistes. Car nous avons des potentialités.

Comme je l’ai rappelé en fin de semaine dernière devant un autre public, La Réunion a connu des moments bien plus difficiles entre 1939 et 1942, quand elle a dû vivre en totale autarcie. Et aujourd’hui comme alors, nos chefs d’entreprise sont capables de faire preuve d’innovation. Ils pourront s’en sortir, à condition qu’on mette à leur disposition certains outils. C’est la raison pour laquelle je vous ai parlé de la Banque publique d’investissement, des exonérations de charges sociales et du FRDE, qui pourraient les aider.

M. Abdoullah Lala. Premièrement, je vous donnerai quelques chiffres sur les services. Certains de mes confrères experts-comptables sont tentés de délocaliser une partie de la saisie du traitement des comptabilités des entreprises à l’île Maurice ou à Madagascar, où le salaire moyen varie de 50 à 100 euros. Aujourd’hui, le coût de production horaire tourne autour de 100 euros à La Réunion et de 10 euros à Madagascar. Si l’on y rajoute un octroi de mer, par exemple de 10 %, le coût de production sera majoré de 10 euros à la Réunion et celui de mon confrère qui produit à Madagascar et qui importe le même service ne sera majoré que d’un euro. Imaginez donc vers quelle catastrophe sociale nous nous orientons !

Deuxièmement, qu’est-ce que la différenciation des taux apporte aux entreprises, sur le plan pratique ? J’ai parlé d’un client qui avait installé une usine de chauffe-eau solaires. S’il importait des chauffe-eau d’Australie, d’Inde ou d’ailleurs, cela lui reviendrait à 95 dollars pièce. Avec les coûts de production de La Réunion, il peut les proposer à 95 ou 100 dollars. Cela étant, ce n’est pas uniquement l’octroi de mer qui le protège, mais les différentes mesures dont il a pu bénéficier – aide fiscale à l’investissement, exonérations sur les charges sociales, notamment dans les secteurs bonifiés… Ainsi, en étant suffisamment innovant et imaginatif, il est possible d’avoir des coûts de production compétitifs. Ce chef d’entreprise a d’ailleurs créé une trentaine d’emplois, ce qui n’est pas négligeable.

Troisièmement, l’extension de l’octroi de mer aux services posera un problème de recouvrement. Aujourd’hui, le recouvrement de l’octroi de mer sur les produits de consommation se fait essentiellement à l’entrée du territoire – à La Réunion, au port de la Pointe des Galets et à l’aéroport. Comment faire pour les services ? Nous chargerons certaines personnes de procéder à une collecte auprès des entreprises ? Nous créerons un imprimé spécifique ? Cela ne fera qu’augmenter encore la complexité des procédures qui s’imposent aux petites entreprises. Et, si l’on abaisse de 550 000 à 250 000 euros le seuil de taxation, on ajoutera encore d’autres charges qui viendront grever leur comptabilité ; à La Réunion, 10 000 chefs d’entreprise sont en situation de dépôt de bilan virtuel. Je ne pense donc pas que ce soit le bon moment.

Quatrièmement, vous vous êtes interrogés sur l’échelle des taux. Je remarque que la TVA est un impôt simple, avec trois taux – demain, au niveau national, 5, 10 et 20 %. La transparence passe par des taux faciles à mémoriser.

Enfin, le fléchage aurait comme avantage de montrer à nos concitoyens que grâce à ces mécanismes qui soutiennent l’activité, nous avons pu créer des entreprises et des emplois à La Réunion.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Merci, messieurs.

Audition de M. Jean-Luc Uguen, conseiller maître, responsable du secteur outre-mer à la 4e chambre de la Cour des comptes

Compte rendu de l’audition du 15 janvier 2013

Mme Chantal Berthelot, présidente. Je vous prie d’excuser l’absence de notre président, M. Jean-Claude Fruteau, et je remercie M. Jean-Luc Uguen de sa présence.

M. Jean-Luc Uguen, conseiller maître, responsable du secteur outre-mer à la quatrième chambre de la Cour des comptes. L’octroi de mer relevant de la fiscalité locale, son contrôle dépend davantage des chambres régionales des comptes d’outre-mer que de la Cour des comptes. Celle-ci a néanmoins appréhendé ce dispositif dans un rapport de juillet 2011, à partir de chiffres remontant à 2009, sur la situation financière des communes des départements d’outre-mer, élaboré par plusieurs juridictions, dont la Cour des comptes sur les plans « cocarde » et sur le fonds de compensation de la TVA (FCTVA), ainsi que par les chambres régionales des comptes sur la fiscalité locale et sur le budget des communes. Actuellement, une formation interne à la Cour des comptes examine la question de la fiscalité des collectivités d’outre-mer, d’où notre approche assez globale des finances publiques ultramarines.

Votre Délégation a déjà procédé à plusieurs auditions sur ce thème. Je vais donc essayer de tracer quelques perspectives en vue de l’échéance de 2014 pour le maintien en vigueur de l’octroi de mer.

Alors que, dans l’hexagone, le rapport entre la fiscalité directe et la fiscalité indirecte s’établit autour de 80 % pour la première contre 20 % pour la seconde, outre-mer ce rapport est à peu près inversé. Ainsi, à la Martinique, la fiscalité directe représente 25% des impôts contre 75% pour la fiscalité indirecte, comprenant l’octroi de mer, la TVA et la taxe spéciale sur les carburants.

C’est notamment pourquoi les communes d’outre-mer disposent de ressources plus abondantes que celles de l’hexagone. Outre cela, la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF), en 2005, qui a pris en compte, pour la détermination de ses critères d’attribution, la superficie des communes et l’ensemble de leur population, a contribué à accroître considérablement son produit dans certains départements, particulièrement en Guyane.

Mais ces ressources sont aussi plus fragiles car, indexées sur le niveau de la consommation, elles subissent de plein fouet les fluctuations économiques. Ainsi l’année 2009 fut-elle marquée par un renversement de tendance pour la fiscalité indirecte. Afin de faire face à la crise, certaines régions ont baissé les taux d’imposition. Les ressources des communes tirées de l’octroi de mer ont donc considérablement diminué.

L’octroi de mer, mécanisme très ancien, a pour ancêtre le droit de poids institué au XVIIe siècle. Il vise, à la fois, à alimenter le budget des communes et à protéger les productions locales, d’où sa contestation par l’Union européenne.

C’est pourquoi, il faut s’interroger sur son avenir.

L’octroi de mer constitue une source de financement majeure pour les communes ultramarines. Il comprend deux volets : la dotation globale garantie (DGG), et le fonds régional pour le développement de l’emploi (FRDE).

La DGG représente 25 à 35% des ressources de fonctionnement des communes. Elle est répartie selon des critères prenant essentiellement en compte la population, de 36 % à La Réunion jusqu’à 100 % en Guyane, et fait apparaître de grandes disparités : la dotation peut atteindre 63 % des ressources de fonctionnement des plus petites communes car celles-ci, manquant d’approche cadastrale, ne bénéficient d’aucune fiscalité directe ou presque.

Très sensible à la conjoncture, l’octroi de mer a progressé de 10 à 15 % entre 2006 et 2008, puis a subi un recul d’environ 20 % en 2009. Il augmente de nouveau depuis 2011.

Le FRDE, ne représentant que le solde de la répartition de la ressource entre les collectivités, fut nul en 2009 dans trois départements sur quatre. Seule la Guyane en bénéficia mais avec une diminution de 33 % par rapport à 2008. Il est versé, pour 80 %, aux communes au titre de la dotation d’équipement local et, pour 20 %, à la région afin de financer le développement économique.

L’Union européenne conteste l’octroi de mer depuis 1989 en se fondant sur les différentes dispositions du traité instituant la Communauté européenne relatives au libre-échange. C’est pourquoi la loi de 1992, valable pour dix ans, a maintenu l’octroi de mer en se référant à l’article 299 du même traité qui réserve le cas des régions ultrapériphériques souffrant de handicaps économiques. Mais elle a étendu le mécanisme aux produits locaux, tout en permettant aux régions, qui déterminent l’assiette et les taux du prélèvement depuis 1984, de prévoir certaines exonérations, notamment pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 550 000 euros. Je signale au passage qu’au regard du principe d’autonomie des collectivités locales, il peut paraître choquant qu’une collectivité fixe le taux d’un prélèvement dont l’essentiel bénéficie à une autre collectivité.

Enfin, la même loi a institué un octroi de mer régional dont le taux est limité à 2,5%.

Puis une nouvelle décision, du 10 février 2004, de la Commission européenne a provoqué l’adoption de la loi du 2 juillet 2004, également valable pour dix ans. Nous arrivons donc maintenant au terme du processus.

La nouvelle loi a fixé des écarts maxima de taux entre les productions locales et les productions importées. Trois catégories de produits ont ainsi été définies, avec des variations de taux de 10, 20 et 30 points en pourcentage pour chacune d’entre elles. Mais la Commission européenne a indiqué que ces différentiels devaient reposer sur une logique économique et que les exonérations devaient être « nécessaires, proportionnelles et précisément déterminées ».

Tel est le cadre dans lequel se pose maintenant la question de l’avenir de l’octroi de mer.

La décision de la Commission européenne prévoyait aussi, dans son article 4, un rapport d’étape sur l’application du mécanisme, qui fut fourni par la France en 2008 mais qui fut jugé insuffisant. Car l’Union européenne entendait que celui-ci permît d’apprécier les effets réels des différentiels de taxation. La Commission européenne exigeait une évaluation du dispositif pour chaque département d’outre-mer et pour chaque catégorie de production, faute de quoi il faudrait envisager sa suppression.

Existe-t-il donc des formules alternatives à l’octroi de mer ? Le rapport du Sénat de 2009, Les départements d’outre-mer, défi pour la République, chance pour la France, montrait les difficultés de lui substituer la TVA. En premier lieu, parce qu’il n’existe pas d’octroi de mer sur les services, alors que ceux-ci constituent un élément important des économies ultramarines. En deuxième lieu, parce que le produit de l’octroi de mer, d’environ 1,5 milliard d’euros, est supérieur à celui de la TVA, d’environ 900 millions. Si l’on remplaçait donc le premier par la seconde, il faudrait augmenter sensiblement le taux de celle-ci. Sauf bien sûr en Guyane, où il n’y a pas de TVA et où il serait par conséquent difficile de l’instituer brutalement.

Rappelons qu’outre-mer, les taux de TVA sont sans rapport avec ceux en vigueur dans l’hexagone, s’établissant à 8,5 % contre 19,6 %. Ce qui, d’ailleurs, vide de son sens le débat métropolitain sur la nature juridique du FCTVA, subvention ou recette propre, les départements ultramarins percevant, en dépit de taux moindres, l’ensemble de la TVA sur la base forfaitaire de 15,3 %.

C’est notamment pourquoi le rapport du Sénat plaidait en faveur du maintien de l’octroi de mer. Mais ce type d’argument ne saurait bien sûr être retenu par les autorités européennes.

C’est pourquoi, en 2011, la Cour des comptes a cherché d’autres pistes pour 2014. Elle a d’abord estimé utile de disposer d’un outil, national, permettant une évaluation sérieuse de l’incidence du dispositif en vigueur sur les productions locales. Elle a ensuite considéré l’intérêt d’un système lié au développement économique et donc imaginé que l’octroi de mer ne soit plus affecté à la section de fonctionnement des budgets communaux mais à leur section d’investissement. Dans cette hypothèse, les recettes affectées à la première section seraient moindres, mais le niveau d’emprunt resterait le même afin de financer l’ensemble. Il ne s’agirait donc que d’un jeu d’écritures à somme nulle mais permettant d’afficher un discours économique plus acceptable pour les instances européennes.

En mai 2012, un rapport sur « l’évaluation de l’impact de l’octroi de mer dans les départements et régions d’outre-mer », réalisé par le cabinet Lengrand, a été remis au ministère des Outre-mer. Il est toujours étonnant de voir le Gouvernement payer des cabinets d’audit privés quand l’État dispose, en son sein, de suffisamment de corps d’inspection et de contrôle pour accomplir le même travail… La note de synthèse du rapport, qui doit être remis à la Commission européenne, me laisse dubitatif. Car, parmi les scénarios envisagés pour l’évolution du dispositif, le premier évoque « un encadrement plus flexible du différentiel » : je ne crois pas qu’une telle idée, allant à contre-courant, séduise les autorités européennes ; le deuxième imagine « un traitement spécifique pour les petites entreprises » : nous avons vu qu’il existe déjà ; un troisième mentionne la possibilité d’ « aménagements relatifs à la liquidation et à la mise en oeuvre de la taxe », simples mesures de procédure, presque marginales, et ne portant pas sur la question de fond qui réside dans la reconduction, ou non, de l’octroi de mer… On ne saurait donc aborder les questions que pose celui-ci sans tenir compte, d’une part, de la situation générale des finances publiques ultramarines, notamment des communes en grande difficulté devant déjà rembourser les prêts « Cocarde », et, d’autre part, des positions arrêtées par la Commission européenne au regard du droit européen.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Vous avez, par avance, répondu à bien des questions des commissaires. Vos réponses pourront donc être succinctes.

M. Patrick Lebreton. Après la clarté et les précisions apportées par M. Jean-Luc Uguen, je souhaiterais obtenir quelques indications supplémentaires concernant la répartition du FRDE, ressentie dans certaines communes, notamment à La Réunion, comme une injustice criante. Celui-ci, comme vous l’avez dit, n’est distribué que s’il existe un solde d’octroi de mer.

La fiscalité indirecte tient, en effet, une place déterminante dans le financement des communes d’outre-mer. Dans la mienne, qui compte 37 000 habitants, elle intervient pour 27 % dans les recettes du budget de la section de fonctionnement.

L’investissement exigé des communes, notamment pour l’assainissement et pour l’eau potable, que l’Europe nous impose, est devenu difficile. Nous mesurons donc notre dépendance à l’égard de l’octroi de mer, qui devrait être logiquement reconduit au-delà de 2014. Ce qui n’empêche pas d’améliorer le dispositif.

Je pense, en premier lieu, au FRDE afin de consacrer une part plus importante de l’octroi de mer au développement des communes. Parallèlement, un effort particulier doit être accompli en faveur des communes rurales, à faible densité de population et à niveau d’infrastructures notoirement insuffisant. Dans le cadre d’un rapport remis en 2008 à M. Yves Jego, alors ministre en charge de l’outre-mer, je proposais de modifier les règles de répartition du FRDE en tenant davantage compte des communes à faible densité de population subissant les déficits les plus lourds. Une telle évolution vous paraît-elle aller dans le sens d’un plus grand dynamisme et d’une meilleure efficacité des interventions publiques outre-mer ?

M. Jean-Luc Uguen. Le taux de 27 % que vous avez mentionné se situe dans la fourchette que j’ai indiquée plus haut.

Avec l’idée d’apporter des réponses aux questions de la Commission européenne, la Cour des comptes a envisagé un transfert des ressources de l’octroi de mer en section d’investissement selon des modalités qui, comme je l’ai indiqué plus haut, ne changeraient rien à la problématique des finances locales.

Les clés de répartition du FRDE reposent, d’abord, sur le critère de la population, assorti d’une majoration de 20 % pour les communes chefs de département et de 15 % pour les communes chefs d’arrondissement.

Introduire de nouveaux critères, comme celui de la densité de la population, soulève la question du mode de calcul de celle-ci en fonction de l’espace et de la plus ou moins grande concentration de l’habitat.

Dans une configuration de réforme, au mieux à somme constante et, plus probablement, à la baisse, on retranchera forcément à certaines collectivités ce qu’on aura apporté à d’autres. Toute péréquation fait nécessairement des heureux et des mécontents.

Ce qu’il nous faut désormais obtenir réside dans l’acceptation par la Commission européenne du mécanisme que nous reconduisons tous les dix ans depuis 1992. Si nous y parvenons, il sera alors temps de nous interroger sur l’amélioration des clés de répartition.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Comment convaincre Bruxelles de la pertinence du maintien de l’octroi de mer, préoccupation nationale et non pas communautaire, en raison de son efficacité économique ?

Dans l’hypothèse basse où nous ne pourrions conserver le dispositif existant, peut-on envisager, comme alternative ou comme option supplémentaire, la mise en place d’une TVA régionale ? Ou bien l’extension aux services du mécanisme existant ? Nous savons que le ministère chargé de l’économie et des finances réfléchit sur ces thèmes. L’octroi de mer constitue en effet, comme vous l’avez souligné, une recette fragile, sensible aux soubresauts de la conjoncture économique, ainsi que nous avons pu le mesurer en 2009.

M. Jean-Luc Uguen. L’Union européenne nous demande, en effet, de démonter l’efficacité du système existant au regard des critères européens que j’ai indiqués. C’est pourquoi la Cour des comptes a demandé, en 2011, la mise en place d’un outil d’évaluation. Pourquoi n’est-il toujours pas institué à l’heure actuelle ? Le rapport Lengrand aurait aussi proposé la mise en œuvre d’un tel outil, semble-t-il, mais à côté de préconisations maladroites – des préconisations que je viens de rappeler et que la Commission européenne pourrait bien ne pas comprendre.

Par quoi remplacerait-on l’octroi de mer ?

Le recours à la TVA, quel que soit le nom qu’on lui donne, se heurte aux limites que je vous ai exposées.

Il nous faut donc revenir à la question fondamentale qui réside dans le déséquilibre, déjà signalé, des proportions, dans l’hexagone et outre-mer, entre fiscalité directe et indirecte. Très exactement, il faut travailler aux moyens de redresser, outre-mer, la part de la fiscalité directe. Ce qui suppose d’établir des bases cadastrales là où elles font défaut, bases servant d’assiette aux impositions locales directes et qui permettraient de collecter l’impôt le plus correctement possible. Des conventions ont été passées, à cet effet, entre l’État et certaines communes ultramarines, notamment en Guyane. La solution coule de source… Même si les difficultés pratiques, notamment en raison des indivisions, sont importantes.

Par ailleurs, il est vrai que, pour un élu, la fiscalité directe est plus impopulaire que la fiscalité indirecte, alors qu’elle est beaucoup plus juste.

Quoi qu’il en soit, on parviendrait ainsi à un niveau d’imposition directe plus proche de celui qui existe dans l’hexagone, sans qu’il soit nécessaire d’accroître inconsidérément les taux de TVA. Il s’agirait, pour le citoyen contribuable, d’un jeu à somme nulle, même si les effets attendus ne se produisent qu’à terme.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. Et la taxation des services ?

M. Jean-Luc Uguen. Le rapport du Sénat a éliminé cette hypothèse pour les raisons que j’ai indiquées.

Ne touchons pas aux taux des impôts locaux mais élargissons leur assiette. On doit bien noter qu’aujourd’hui, l’insuffisance des moyens que peut consacrer l’administration à cette tâche arrange tout le monde …

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Dans ma commune de 9 000 habitants, une commune qui reste modeste, l’octroi de mer représente 50 % des ressources de fonctionnement. Il n’est donc pas évident de transférer son produit vers la section d’investissement.

Le déséquilibre que vous avez signalé, entre métropole et outre-mer, dans le partage entre les impôts directs et les impôts indirects, résulte-t-il uniquement de l’insuffisance des données cadastrales ? Car d’importants progrès ont été réalisés en la matière, au cours de ces dernières années, notamment dans la plupart des communes de la Guadeloupe. Au demeurant, dans ma commune, il me semble que le ratio impôts directs/impôts indirects est plus élevé au bénéfice de la fiscalité directe.

M. Jean-Luc Uguen. Une commune de 9 000 habitants n’est pas une petite commune : elle fait partie des 5 % des communes françaises les plus peuplées. La Cour des comptes a fait la proposition de transférer les ressources tirées de l’octroi de mer de la section de fonctionnement des budgets locaux à la section d’investissement car elle a observé, tout en n’approuvant pas cette pratique, que certains prêts, comme les prêts « Cocarde », étaient affectés en section de fonctionnement.

En Guadeloupe, le ratio susmentionné est de 65% (fiscalité indirecte) contre 35 % (fiscalité directe), notamment à la suite, comme en Guyane, de la mise en œuvre des plans « Cocarde », ces plans prévoyant une amélioration des données cadastrales afin d’élargir l’assiette des impôts locaux.

M. Gabriel Serville. Le cabinet indépendant dont on a parlé a peut-être été désigné afin de lever la suspicion que la Commission européenne fait peser sur le dispositif public français.

Il y a en effet des cas fréquents de suspicion à l’égard des outre-mer dans la vie publique. Par exemple, indépendamment de la remise en cause de l’octroi de mer, nous avons assisté récemment à la remise en cause de certains avantages fiscaux consentis à l’outre-mer, ainsi qu’à la confiscation des recettes de l’extraction de l’or en Guyane.

Nos communes, souffrant d’une insuffisance de ressources stables, pâtissent également d’une rupture de l’égalité – et à plusieurs niveaux – avec celles de l’hexagone. Il en va ainsi, notamment, des prix pratiqués par les compagnies aériennes et maritimes.

Je partage votre sentiment sur le fait qu’il ne faut pas aborder la question de la réforme de l’octroi de mer indépendamment de celle du financement global de nos communes.

S’agissant de la dynamisation de la fiscalité directe locale, je souligne que la direction générale des finances publiques (DGFIP) en Guyane manque aujourd’hui, et de manière très sensible, de moyens pour effectuer le travail nécessaire sur les bases cadastrales afin de bien recenser les ressources foncières : le manque de volonté politique des élus n’explique pas toutes les carences en la matière …

Plus généralement, auriez-vous des préconisations en vue de favoriser une meilleure évaluation des politiques publiques outre-mer,  et donc en vue d’améliorer l’allocation des ressources, dans un contexte de raréfaction des moyens publics ?

M. Jean-Luc Uguen. On ne peut, en effet, moderniser le cadastre sans moyens adaptés.

Le cabinet indépendant dont nous avons parlé a dû être choisi à la suite d’un appel d’offres de la part du précédent Gouvernement, en mai 2011, mais je n’en sais pas plus…

Nous ne nous situons pas, selon moi, dans un processus de défiance entre l’État français, les outre-mer et l’Union européenne. Simplement, l’octroi de mer, comme je l’ai indiqué, se situe au croisement de deux nécessités plus ou moins compatibles au regard de l’Union européenne : la libre circulation des marchandises et la reconnaissance des handicaps structurels des régions ultramarines, justifiant à leur profit des dispositifs dérogatoires. Dans ce contexte, la Commission européenne nous demande de lui prouver que l’octroi de mer a bien une incidence positive sur l’économie des territoires considérés et qu’il ne constitue pas un système purement protectionniste.

M. Jean Jacques Vlody, rapporteur. L’écart entre métropole et outre-mer des poids respectifs de la fiscalité directe et de la fiscalité indirecte est-il dû simplement à la faiblesse des recettes fiscales directes ou bien également à la part revenant à l’octroi de mer, qui n’existe pas dans l’hexagone ?

M. Jean-Luc Uguen. Les deux facteurs interviennent évidemment. La seule question que je me pose, au nom de la Cour des comptes, consiste à savoir comment trouver une alternative à l’octroi de mer si on le supprime.

Les communes d’outre-mer disposent, je le répète, de ressources fiscales abondantes : celles-ci s’élèvent, fiscalités directe et indirecte confondues, à 535 euros par habitant et par an dans l’hexagone, quand elles atteignent 741 euros à la Guadeloupe, 827 à La Réunion, 832 en Guyane et 833 à la Martinique.

De plus, la réforme de la DGF, en 2005, notamment pour la Guyane, a sensiblement accru son rendement outre-mer, de l’ordre de 20 % en trois ans.

On ne peut donc parler de crise de la recette fiscale dans les communes d’outre-mer. Non plus que de manque de personnels relevant des collectivités territoriales, surtout avec les contrats aidés, sous toutes les formes juridiques existantes, qui se transforment en emplois permanents.

Mme Florence Delaunay. Puisqu’il faut trouver auprès de l’Union européenne des arguments convaincants pour le maintien de l’octroi de mer, ne faut-il pas invoquer les difficultés propres aux productions locales, telles que les difficultés d’approvisionnement et le coût des matériaux importés ?

M. Jean-Luc Uguen. Tous ces arguments ont déjà été pris en compte pour justifier le maintien de l’octroi de mer depuis 1992. Les handicaps visés par l’article 299 du traité instituant la Communauté européenne portent sur l’éloignement, l’insularité, la faible superficie, le relief et le climat difficiles, la dépendance à l’égard d’un petit nombre de produits. Sans quoi, il n’y aurait pas d’octroi de mer. La Commission européenne demande seulement qu’on en vérifie la pertinence au regard des critères énoncés. D’où, je le répète, la nécessité d’un instrument d’évaluation.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Vos analyses rejoignent, sur ce point, les préoccupations de nos rapporteurs. C’est à l’État que revient la charge d’évaluer un dispositif qu’il souhaite par ailleurs maintenir afin d’accompagner le développement économique local. Nous demanderons la création de l’outil correspondant.

M. Jean-Luc Uguen. La Cour des comptes préconise, dans son rapport thématique de 2011, La situation financière des communes des départements d’outre-mer, que l’État « conçoive un outil d’analyse de l’effet économique produit par le dispositif mis en place par chaque région, permettant de mesurer les performances réalisées et d’apprécier l’efficacité de la stratégie de développement économique suivi pour chacune d’elles ». Nous suggérons, dans ce but, la mise en place d’un outil unique, et non de quatre outils départementaux.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Les rapports d’étape sur l’octroi de mer ont été faits par les régions alors que cette tâche relevait de la responsabilité de l’État.

Il ne me reste qu’à vous remercier.

1 () Cf. Richard Crestor : L’octroi de mer 2004-2014, de la protection à la compensation, RC Éditions, Sainte-Anne, Martinique, 2005, p.55 et 56.

2 () La situation financière des communes des départements d’outre-mer, rapport public thématique, juillet 2011, Paris, La documentation française, p.36.

3 () Op. cit. p.36 et 37.

4 () L’article 90 du traité instituant la Communauté européenne, devenu, à partir du 1er décembre 2009, l’article 110 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), dispose qu’aucun État membre ne peut frapper les produits des autres États membres d’impositions intérieures supérieures à celles qui frappent les produits nationaux similaires.

5 () Lettre de la Commission européenne du 15 avril 2009, citée par la Cour des comptes dans son rapport sur la situation financière des communes des départements d’outre-mer, op. cit. p.35.

6 () Rapport de la Commission au Conseil du 14 décembre 2010, Bruxelles, Com (2010) 742 final, Sec(2010) 1558 final.

7 () Cf. Audition de M. Hervé Jonathan, sous directeur, chef du service de l’Évaluation, de la prospective et de la dépense de l’État à la DEGEOM, le 20 novembre 2012.

8 () Cf. Audition de M. Gérard Bally, Délégué général d’Eurodom, le 4 décembre 2012.

9 () Audition de MM. Marc Del Grande et Hervé Jonathan, sous-directeurs à la DEGEOM, du 20 novembre 2012.

10 () Rapport d’observations définitives sur la gestion de l’octroi de mer à La Réunion, Chambre régionale des comptes de La Réunion, novembre 2006.

11 () Cela peut apparaître en prenant un exemple. Si l’on se réfère à un produit de valeur 100 sur lequel pèse un taux d’octroi de mer de 10 % et pour lequel il y a trois intermédiaires (deux avec une marge de 10 et un avec une marge de 20), le système actuel conduit à une structure de prix comme suit : 100 + 10 % = 110 ; 110 + 10 ( première marge) = 120 ;120 +10 ( deuxième marge) = 130 ;130 + 20 ( troisième marge ) = 150 ; 150 + 8,5 % de TVA = 162,75. Avec un impôt sur le prix de vente à 18,5 %, on aurait : 100 + 10 = 110 ; 110 +10 =120 ; 120 + 20 =140 ; 140 +18,5 % = 165,90.

12 () Cf. par exemple : Le pouvoir d’achat dans les DOM, incidence de la structure des coûts et des prix, t.1 La Réunion, p. 78, étude réalisée par le cabinet Syndex sur les causes de la vie chère à La Réunion pour l’UIR-CFDT, janvier 2010.

13 () Cf. Audition de Mme Anne Bolliet, inspectrice générale des finances, le 18 décembre 2012.


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