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N° 1024

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 mai 2013.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER (1) sur la défiscalisation des investissements outre-mer

PAR MM. Jean-Claude FRUTEAU et Patrick OLLIER

Députés.

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation aux Outre-mer est composée de : M. Jean-Claude Fruteau, président ; Mme Catherine Beaubatie, Mme Huguette Bello, Mme Chantal Berthelot, Mme Sonia Lagarde, M. Serge Letchimy, M. Didier Quentin vice-présidents ; Mme Brigitte Allain, M. Dominique Bussereau, Mme Annick Girardin, M. Bernard Lesterlin, secrétaires ; M. Ibrahim Aboubacar, M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Jean-Jacques Bridey, M. Ary Chalus, M. Alain Chrétien, M. Édouard Courtial, Mme Florence Delaunay, M. René Dosière, Mme Sophie Errante, M. Georges Fenech, M. Édouard Fritch, M. Hervé Gaymard, M. Daniel Gibbes , M. Philippe Gomes, M. Philippe Gosselin, Mme Geneviève Gosselin, M. Mathieu Hanotin, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, Mme Monique Iborra, M. Éric Jalton, M. Serge Janquin, M. François-Michel Lambert, M. Guillaume Larrivé, M. Patrick Lebreton, M. Gilbert Le Bris, M. Patrick Lemasle, M. Bruno Le Roux, M. Michel Lesage, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Thierry Mariani, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Hervé Mariton, M. Olivier Marleix, M. Jean-Philippe Nilor, M. Patrick Ollier, Mme Monique Orphé, M. Pascal Popelin, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, M. Boinali Said, M. Paul Salen, M. François Scellier, M. Gabriel Serville, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Gérard Terrier, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. David Vergé, M. Jean Jacques Vlody

INTRODUCTION 5

I.– LES MÉCANISMES JURIDIQUES DE DÉFISCALISATION EN FAVEUR DE L’OUTRE-MER : UN SYSTÈME TRÈS EFFICACE POUR MOBILISER L’ÉPARGNE 9

A. LES DISPOSITIONS EN VIGUEUR 10

1. L’article 199 undecies A du code général des impôts : la réduction d’impôt sur le revenu au titre des investissements effectués dans le domaine du logement 10

2. L’article 199 undecies B du code général des impôts : la réduction d’impôt sur le revenu au titre des investissements productifs 11

3. L’article 199 undecies C du code général des impôts : la réduction d’impôt sur le revenu au titre des investissements dans le domaine du logement social 13

4. L’article 217 undecies du code général des impôts : la réduction d’impôt sur les sociétés au titre des investissements qu’elles réalisent 14

B. DEUX EXEMPLES, À TITRE D’ILLUSTRATION 15

1. La défiscalisation d’un investissement dans le secteur productif par le biais de l’article 199 undecies B du CGI 15

2. La défiscalisation d’un investissement dans le secteur du logement social par le biais de l’article 199 undecies C du CGI 18

C. APPRÉCIATION PORTÉE SUR LES DIFFÉRENTS MÉCANISMES DE DÉFISCALISATION 21

II. – UNE AIDE FISCALE JUSTIFIÉE 24

A. LE MONTANT DE L’AIDE FISCALE 24

B. LA RÉPARTITION DES INVESTISSEMENTS 26

1. Le poids prépondérant du logement social 26

2. Les autres secteurs aidés par la défiscalisation 29

C. L’ACCÉLÉRATION DU NOMBRE DE LOGEMENTS SOCIAUX FINANCÉS DANS LES DÉPARTEMENTS D’OUTRE-MER 31

III.– UN DISPOSITIF QU’IL FAUT PRÉSERVER AVEC CERTAINES MODIFICATIONS 35

A. LA DÉFISCALISATION A SUSCITÉ DES CRITIQUES, MAIS LES CONSÉQUENCES CONCRÈTES DE CES CRITIQUES POSENT PROBLÈME 35

1. Les critiques du ministère de l’Économie et des finances 35

2. Les critiques de la Cour des comptes 36

3. La décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012 38

B. LE SYSTÈME DOIT DONC ÊTRE PRÉSERVÉ GLOBALEMENT, CE QUI N’EXCLUT PAS CERTAINES AMÉLIORATIONS 40

1. Le maintien de la défiscalisation pour les particuliers, les entrepreneurs individuels et les petites entreprises ainsi que pour les investissements réalisés dans les territoires ultramarins à autonomie fiscale 41

a) Le maintien de la défiscalisation pour les particuliers et les entrepreneurs individuels assujettis à l’impôt sur le revenu 42

b) Le maintien de la défiscalisation pour les petites entreprises 42

c) Le maintien de la défiscalisation des investissements réalisés dans les collectivités à autonomie fiscale 43

2. La réalisation d’une étude d’impact précise permettant une éventuelle modification du système par le biais d’un crédit d’impôt destiné aux grosses entreprises 44

3. L’instauration de certaines règles plus contraignantes 45

a) Baisser le seuil des projets éligibles de plein droit 45

b) Mieux « flécher » les secteurs éligibles 46

c) Mieux définir le concept d’investissement productif 47

d) Favoriser la mise en concurrence des prestataires 47

e) Réglementer la profession d’intermédiaire financier dans le domaine de la défiscalisation 48

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 49

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES 58

PERSONNES ENTENDUES PAR LA DÉLÉGATION 61

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION 63

MESDAMES, MESSIEURS,

Le système de la défiscalisation des investissements effectués outre-mer repose sur quatre articles du code général des impôts : les articles 199 undecies A, 199 undecies B, 199 undecies C et 217 undecies.

Ces quatre articles instituent un mécanisme très particulier et qui n’a pas beaucoup d’équivalents dans le reste de la fiscalité française : ils permettent, soit une déduction d’impôt (impôt sur le revenu ou impôt sur les sociétés) pour un investissement effectué directement outre-mer et portant sur un logement neuf – spécialement un logement neuf relevant du secteur du logement social – ou encore sur un équipement industriel ou commercial, soit une déduction d’impôt (de même concernant l’IR ou l’IS) pour un investissement effectué de manière indirecte par le détour d’une société de portage qui fait l’acquisition de l’immobilisation ou de l’investissement productif, puis qui le loue pendant cinq ans à un exploitant outre-mer.

En 2013, la somme totale des déductions fiscales liées à ces quatre articles du code général des impôts représentera 1,1 milliard d’euros.

Comme la déductibilité fiscale est plafonnée à 50 % du montant de l’investissement, cela correspond à des investissements réels de l’ordre de 2 milliards d’euros.

De plus, si l’on se réfère à la théorie économique du multiplicateur d’investissement – un investissement donné en créant un autre par un effet « boule de neige », mais un effet que le calcul économique peut quantifier – c’est certainement près de 2,5 milliards d’euros qui sont en jeu dans l’économie réelle, au travers de ce mécanisme fiscal.

En 2012, les sommes collectées sont allées, de manière quasi égale, pour partie vers le logement social (54 %) et pour partie vers les investissements productifs (46 %).

Si l’investissement industriel se ventile dans une quinzaine de secteurs, le logement social, en revanche, manifeste une forte concentration de capitaux sur un même secteur. Ainsi, en 2013, en se limitant au seul montant de la dépense fiscale, c’est près de 500 millions d’euros qui devraient être « fléchés » vers la construction du logement locatif relevant des bailleurs sociaux.

Conséquence de la concentration, la dépense est d’une grande efficacité : l’effectif des logements sociaux programmés dans les DOM a progressé, grâce à ce dispositif, en 2011, de près de 70 % par rapport à la moyenne constatée des années 2006 à 2009 (étant entendu que l’article 199 undecies C qui vise le logement social a été institué en 2009). D’autre part, les logements financés avec la défiscalisation sont généralement construits dans les deux ans qui suivent la déduction fiscale de l’investissement (la plupart du temps, les fondations de l’immeuble sont réalisées la même année que la défiscalisation).

Enfin, d’une manière plus globale, on notera que le dispositif fiscal participe à l’aménagement du territoire en mobilisant de l’épargne disponible vers les départements et les collectivités d’outre-mer.

Certes, le dispositif fiscal constitue un élément un peu spécifique dans le contexte du « paysage fiscal français », mais cette particularité est bien adaptée aux spécificités des collectivités territoriales ultramarines.

En drainant de l’épargne là où celle-ci fait défaut à cause des caractéristiques propres des économies locales (insularité, étroitesse des marchés, dépendance des industries à l’égard de l’extérieur…), la défiscalisation est un des éléments qui permet de compenser les handicaps territoriaux et ainsi de rétablir les équilibres économiques.

L’investissement productif – quoique piloté sans doute de manière insuffisante par l’État – cible des domaines clefs dans le développement économique des territoires. La construction de HLM, pour sa part, permet de mettre fin à des conditions de vie souvent indécentes pour bon nombre de ressortissants des territoires ultramarins. Elle contribue à mettre fin, osons le mot, aux bidonvilles.

Par ailleurs, les investissements sont créateurs d’emplois et l’effet multiplicateur de l’investissement produit de nouvelles richesses dont l’État profite lui-même, en contrepartie de la dépense fiscale, puisque ces ressources sont elles-mêmes génératrices de recettes fiscales.

Pourtant, le dispositif est fréquemment critiqué à l’heure actuelle. La Cour des comptes, notamment, a énuméré, dans son rapport annuel pour 2012, un certain nombre de dysfonctionnements attachés au système.

La critique principale – du moins celle qui paraît aux rapporteurs la plus pertinente – est celle qui relève que, dans la défiscalisation indirecte, le montant du placement défiscalisé du contribuable ne va pas se porter dans son intégralité sur le projet d’investissement, dans la mesure où une partie des sommes déduites disparaît du circuit économique au titre de l’intermédiation des monteurs financiers et une autre au titre de l’intéressement du contribuable (qui, sinon, se bornerait à acquitter le montant de son impôt sans investir outre-mer).

Le dispositif pourrait donc être repensé et amélioré.

De toute manière, la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012 invite les décideurs politiques à procéder à cette réflexion. En effet, en déclarant inconstitutionnel le fait qu’il soit prévu une part variable du revenu dans le plafonnement général de la déduction fiscale, le Conseil a apporté, temporairement, un coup d’arrêt au mécanisme, en bouleversant la sociologie des investisseurs et en réduisant significativement le nombre des foyers fiscaux qui peuvent être tentés par un investissement défiscalisé.

La Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale a donc décidé de se saisir de cette question. Elle fera des propositions qui – tout en conservant l’architecture globale du système – tiennent compte des critiques pour aboutir à une logique fiscale exempte de toute interrogation et donc pérenne.

L’exposé des rapporteurs procédera en trois temps :

Tout d’abord, ils analyseront le contenu des quatre articles du code général des impôts instituant la défiscalisation et ils montreront que le dispositif, quoique très complexe, est aussi très ingénieux et particulièrement bien adapté à la collecte de l’épargne en faveur de l’outre-mer.

Ensuite, ils se livreront à une évaluation du dispositif. Ils montreront que les résultats concrets obtenus sont très positifs et que la défiscalisation constitue un outil irremplaçable mis à la disposition des bailleurs sociaux.

Enfin, ils passeront en revue les critiques apportées au système et ils feront des propositions pour y répondre et pour aboutir à de nouvelles règles qui – tout en préservant le dispositif – lui permettent de remédier à ses principales faiblesses.

*

* *

I.– LES MÉCANISMES JURIDIQUES DE DÉFISCALISATION EN FAVEUR DE L’OUTRE-MER : UN SYSTÈME TRÈS EFFICACE POUR MOBILISER L’ÉPARGNE

La loi de finances rectificative du 11 juillet 1986 s’est attachée à fixer les grandes lignes des réductions d’impôt en faveur des investissements réalisés outre-mer. Ces aides fiscales ont ensuite été souvent modifiées, principalement par la loi de finances pour 2001, puis par la loi de programme pour l’outre-mer, dite loi « Girardin » (du nom du ministre de l’outre-mer alors en fonction, Mme Brigitte Girardin) du 21 juillet 2003, et enfin par la loi pour le développement économique des outre-mer du 27 mai 2009, dite loi LODEOM.

Au cours de l’année 2012, il a existé ainsi quatre mécanismes applicables en matière de défiscalisation, ceux relevant de l’article 199 undecies A, B et C du code général des impôts et celui relevant de l’article 217 undecies du même code. À compter du 1er janvier 2013, le dispositif relevant de l’article 199 undecies A du code général des impôts (CGI) a cessé de s’appliquer. Subsistent donc, au 1er janvier 2013, les deux dispositifs « Girardin » (articles 199 undecies B et 217 undecies du code général des impôts) et le dispositif créé par la loi LODEOM (article 199 undecies C du CGI).

Succinctement, le contenu de ces quatre articles est le suivant :

– L’article 199 undecies A du code général des impôts prévoit, pour l’essentiel, une réduction d’impôt sur le revenu pour tout contribuable qui achète un immeuble neuf outre-mer, soit pour l’habiter, soit pour le louer, pendant une durée de cinq ans. Il s’agit d’une disposition qui, dans le domaine de la location, tout en visant tous les types de logements, c’est-à-dire notamment les logements du secteur à loyer intermédiaire, s’est appliquée principalement aux logements du secteur libre. Pour éviter un effet d’éviction du logement social, le dispositif s’est éteint au 31 décembre 2012, au bénéfice des dispositions du 199 undecies C du CGI.

– L’article 199 undecies B du CGI prévoit une réduction d’impôt sur le revenu pour tout contribuable qui réalise des investissements productifs neufs outre-mer. Ces investissements sont effectués sous forme de participation à des sociétés qui achètent des matériels et des biens d’équipement en vue d’une location aux entreprises sur cinq ans.

– L’article 199 undecies C du CGI prévoit que les investissements outre-mer dans la construction ou l’acquisition de logements neufs ouvrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu. Pour que les contribuables puissent bénéficier de la réduction d’impôt sur le revenu, les logements financés doivent être loués nus, dans les six mois de leur achèvement ou de leur acquisition, pour au moins cinq ans, à un organisme de logement social (OLS).

– Enfin, l’article 217 undecies du CGI dispose que les réductions d’impôt prévues à l’article 199 undecies A, B et C du code à l’intention des particuliers sont également applicables, selon des règles spécifiques, pour les sociétés. Les règles sont distinctes dans la mesure où, dans le cas des sociétés, les déductions visent l’assiette de l’impôt et non plus le montant de l’impôt lui-même.

Au total, les défiscalisations « Girardin » visent à favoriser les investissements en logements ou les investissements productifs réalisés outre-mer en permettant aux investisseurs de déduire de leurs impôts une partie du coût de ces investissements. Ces investisseurs peuvent être des personnes physiques qui réduisent ainsi le montant de leur impôt sur le revenu ou bien des entreprises qui diminuent le montant de l’assiette de l’impôt sur les sociétés. La loi LODEOM, pour sa part, a mis fin, de manière progressive, aux déductions fiscales concernant le logement destiné à la location, sauf le logement social. Comme les défiscalisations « Girardin », la loi LODEOM vise aussi bien les particuliers que les sociétés.

A. LES DISPOSITIONS EN VIGUEUR

Les quatre articles du code général des impôts instituant le mécanisme de la défiscalisation vont être examinés tour à tour.

1. L’article 199 undecies A du code général des impôts : la réduction d’impôt sur le revenu au titre des investissements effectués dans le domaine du logement

Cet article prévoit trois formes d’investissements dans le domaine du logement – investissements réalisés dans les cinq départements d’outre-mer, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin – et ouvrant droit à une réduction d’impôt pour les contribuables domiciliés en France.

Pour l’achat d’un logement destiné à la location, la réduction d’impôt, étalée sur cinq ans, est variable selon que le logement relève d’un secteur à loyer libre ou d’un secteur à loyer intermédiaire : elle était, jusqu’en 2011, de 40 % du prix du logement (1) pour le secteur à loyer libre et de 50 % pour le secteur à loyer intermédiaire et elle pouvait même atteindre jusqu’à 64 % dans certains cas (2) L’application d’un « coup de rabot » sur les niches fiscales par la loi de finances initiale pour l’année 2011 a légèrement diminué ces taux.

La réduction d’impôt est subordonnée à la location du logement pendant cinq ans (secteur libre) ou six ans (secteur intermédiaire).

À noter que ce mécanisme de défiscalisation s’est éteint le 31 décembre 2011 pour le logement libre et le 31 décembre 2012 pour le logement intermédiaire. En remplacement, la loi du 27 mai 2009, dite loi LODEOM, a créé un mécanisme équivalent réservé aux logements sociaux qui est entré en vigueur à compter de la décision de validation de l’aide fiscale par la Commission européenne du 4 décembre 2009 (3). La réduction d’impôt est de 50 % du prix des logements, l’année suivant leur construction, à condition notamment qu’ils soient loués pendant au moins 5 ans à des personnes dont les ressources n’excèdent pas certains plafonds.

La deuxième forme de défiscalisation prévue par l’article 199 undecies A du code général des impôts concerne l’achat d’un logement destiné à servir de résidence principale. Jusqu’en 2011, la réduction d’impôt était de 25 % du coût d’achat, étalée sur dix ans. Depuis 2011, elle est de 22 % (4). La loi du 27 mai 2009 a réduit cette aide fiscale en la réservant aux primo accédants, c’est-à-dire aux personnes qui ne sont pas propriétaires de leur logement depuis au moins deux ans, et en limitant les surfaces prises en compte (entre 50 et 150 m² selon la taille des familles). Un texte réglementaire a relevé ce plafond légal, en prenant en compte, en plus, les varangues (5) dans la limite de 14 m². L’ensemble de ce dispositif doit perdurer jusqu’au 31 décembre 2017.

Enfin, la troisième forme de défiscalisation prévue par l’article undecies A du CGI est liée à la rénovation de logements ou à la mise aux normes antisismiques. La loi du 27 mai 2009 a étendu les possibilités de défiscalisation en ce domaine : l’article 199 undecies A s’applique désormais aux immeubles de plus de 20 ans, et non plus de plus de 40 ans comme auparavant. La surface des logements concernés n’est pas plafonnée, contrairement à celle des logements neufs, alors que certaines rénovations doivent correspondre à des critères précis. De même, ce dispositif doit rester en vigueur jusqu’au 31 décembre 2017.

2. L’article 199 undecies B du code général des impôts : la réduction d’impôt sur le revenu au titre des investissements productifs

Cet article permet aux contribuables domiciliés en France de réduire leur impôt sur le revenu à raison des investissements productifs qu’ils réalisent dans les cinq départements d’outre-mer, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.

L’impôt acquitté l’année suivant l’investissement est diminué de 50 % de son montant, voire 60 % ou même 70 % (6), à condition, notamment, que ce dernier soit exploité par une entreprise exerçant une activité dans tout secteur sauf ceux explicitement exclus par la loi (7).

Le « coup de rabot » sur les niches fiscales appliqué par la loi de finances pour 2011 a légèrement réduit ces taux qui aujourd’hui sont de 44,12 % ou 45,30 % (au lieu de 50 %), 52,95 % ou 54,36 % (au lieu de 60 %) et 61,77 % ou 63,42 % (au lieu de 70 %).

La loi de mai 2009 (LODEOM) a étendu le champ de ces mécanismes de défiscalisation aux activités de recherche-développement et à la pose de câbles sous-marins de communication. En revanche, elle l’a restreint pour les véhicules de tourisme.

Pour que l’investissement ouvre droit à réduction d’impôt, il doit être loué pendant cinq ans, sauf exceptions, à des conditions telles qu’une partie de la réduction d’impôt obtenue par les contribuables investisseurs soit rétrocédée à l’entreprise d’outre-mer locataire.

Entre 2003 et 2010, cette partie rétrocédée devait être au minimum de 60 % pour les investissements d’un montant supérieur à 300 000 € et de 50 % pour les autres. Ces taux ont été portés à respectivement 62,5 % et 52,63 % par la loi de finances pour 2011, de manière concomitante avec l’abaissement du taux de réduction de l’impôt.

L’exemple suivant donne la mesure de la particulière attractivité de ce type de défiscalisation pour le contribuable bénéficiaire. Un investissement de 1 000 000 € donne droit à une réduction d’impôt de 453 000 € dont 62,50 % minimum et en pratique plutôt 65 % (294 450 €) sont rétrocédés à l’exploitant outre-mer sous forme d’abandon par les contribuables investisseurs de leur apport initial. Les contribuables décaissent ainsi 294 450 € à fonds perdus l’année de l’investissement, puis bénéficient d’une réduction de 453 000 € sur leur impôt payé l’année suivante. Ils constatent ainsi un gain brut de 158 550 €.

En pratique, la rentabilité de l’opération est plus faible car les contribuables investisseurs décaissent en plus les frais de montage des opérations. Ceux-ci sont mal connus et très variables ; dans les opérations examinées par la Cour des comptes dans son rapport public annuel de 2012, la plupart étaient de l’ordre de 6 à 7 % du montant de l’investissement. Appliqué aux données ci-dessus, un taux de 7 % conduirait les contribuables à décaisser 364 450 € l’année de l’investissement (et non 294 450 €) et réduirait leur bénéfice à 88 550 €, soit une rentabilité de leur « placement » d’environ 30 %, nette d’impôt, en moins d’un an (88 550 € / 294 450 €).

Concernant le montant de la réduction d’impôt maximale, l’article 199 undecies B impose un plafonnement de la réduction d’impôt maximale, nette de la quote-part minimale légale rétrocédée à l’outre-mer, fixé à 30 600 €. Pour les investissements de plein droit (rétrocession légale de 52,63 %) : la réduction d’impôt maximale est de 64 598 € (= 30 600 / (100 - 52,63)). Pour les investissements soumis à agrément (rétrocession légale minimale de 62,5 %) : la réduction d’impôt maximale est de 81 600 € (= 30 600 / (100 - 62,50)). Depuis la censure du Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 portant sur la loi de finances pour 2013, le plafond global applicable aux investissements outre-mer est ramené à 18 000 €. Il s’exprime toujours net de la quote-part rétrocédée à l’outre-mer.

3. L’article 199 undecies C du code général des impôts : la réduction d’impôt sur le revenu au titre des investissements dans le domaine du logement social

Cet article permet aux contribuables domiciliés en France de réduire leur impôt sur le revenu à raison des investissements qu’ils réalisent dans le logement social dans les cinq départements d’outre-mer, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. Contrairement au dispositif de l’article 199 undecies A, il faut ici que les biens immeubles faisant l’objet d’une acquisition soient destinés à la location ou à une opération d’accession sociale à la propriété.

Pour les programmes immobiliers excédant 2 000 000 d’euros ou pour ceux réalisés, quel qu’en soit le montant, par des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés et ouvrant droit à la réduction d’impôt, le bénéfice du dispositif est subordonné à l’obtention d’un agrément préalable du ministre chargé du budget.

Le bénéfice de cet article exige qu’au terme de la période de location convenue entre le propriétaire de l’investissement et le bailleur social, les logements doivent être cédés à l’organisme de logement social locataire. Le prix doit tenir compte de la rétrocession de l’avantage fiscal. Par ailleurs, une fraction correspondant au moins à 65 % de la réduction acquise doit être rétrocédée à l’organisme de logement social, sous la forme d’une diminution des loyers et d’une diminution du prix de cession à l’organisme locataire ou, le cas échéant, au profit de personnes physiques désignées par l’organisme et respectant les plafonds de ressources définis au V de l’article 46 AG sexdecies de l’annexe III du CGI.

La réduction d’impôt est accordée au titre de l’année d’achèvement du logement ou de son acquisition si elle est postérieure. La base de la réduction d’impôt est égale au prix de revient du logement minoré, d’une part, des taxes et des commissions d’acquisition versées et, d’autre part, des subventions publiques reçues. Le taux de la réduction d’impôt est égal à 50 %. Lorsque le montant de la réduction d’impôt excède l’impôt dû par le contribuable ayant réalisé l’investissement, le solde peut être reporté, dans les mêmes conditions, sur l’impôt sur le revenu des années suivantes jusqu’à la cinquième année incluse.

Pour un même investissement, cette réduction d’impôt ne se cumule pas, notamment, avec celle prévue à l’article 199 undecies A du CGI.

Concernant le montant de la réduction d’impôt maximale, l’article 199 undecies C prévoit un plafonnement spécifique, net de rétrocession, fixé à 40 000 € soit, compte tenu d’une rétrocession légale minimale de 65 %, un plafond spécifique de 114 285 € (= 40 000 / (100 - 65)). Le contribuable peut aussi opter pour un plafond égal à 15 % du revenu net global imposable. Depuis la censure du Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 portant sur la loi de finances pour 2013, le plafond global applicable aux investissements outre-mer est ramené à 18 000 €. Il s’exprime toujours net de la quote-part rétrocédée à l’outre-mer.

4. L’article 217 undecies du code général des impôts : la réduction d’impôt sur les sociétés au titre des investissements qu’elles réalisent

Cet article permet aux entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés de déduire de leurs résultats imposables, selon les règles ci-dessous, une somme, hors taxes et hors frais de toute nature, liée au montant des investissements qu’elles réalisent au titre de l’article 199 undecies A, B et C, dans les cinq départements d’outre-mer, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. Par ailleurs, l’article 217 undecies du CGI vise les souscriptions au capital des sociétés de développement régional des départements d’outre-mer.

La déduction fiscale s’applique aux investissements productifs mis à la disposition d’une entreprise dans le cadre d’un contrat de location à hauteur de la moitié de leur coût de revient. La déduction de 50 % s’applique également aux acquisitions ou constructions de logements neufs à usage locatif situés dans les départements d’outre-mer. Pour les équipements et opérations de pose de câble de secours, la déduction s’applique aux investissements à hauteur du quart de leur coût de revient.

Les dispositions de l’article 217 undecies permettent de déterminer le bénéfice imposable. La déduction est opérée sur le résultat de l’exercice au cours duquel l’investissement est réalisé, le déficit éventuel de l’exercice pouvant quant à lui être reporté.

Les réductions d’impôt prévues aux articles 199 undecies C et 217 undecies du CGI peuvent être cumulées avec l’octroi de subventions et de prêts pour la construction, l’acquisition et l’amélioration de logements locatifs aidés (loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, article 170).

Par ailleurs, Les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés peuvent également déduire de leurs résultats imposables une somme égale au montant total des souscriptions au capital des sociétés de développement régional des départements d’outre-mer. Lorsque le montant des investissements ou des souscriptions au capital est supérieur à 1 000 000 €, il ne peut ouvrir droit à déduction que si ces investissements ou souscriptions ont reçu un agrément préalable du ministre chargé du budget.

B. DEUX EXEMPLES, À TITRE D’ILLUSTRATION

Les précisions qui viennent d’être apportées sur les quatre articles du code général des impôts susceptibles de s’appliquer en matière de défiscalisation outre-mer peuvent être complétées par deux exemples concrets.

1. La défiscalisation d’un investissement dans le secteur productif par le biais de l’article 199 undecies B du CGI

Le premier exemple concernera la défiscalisation d’un investissement productif sur la base d’un schéma de location externalisée (199 undecies B).

Hypothèses

– Département concerné : la Guadeloupe,

– Exploitant ultramarin : la société Y,

– Nature des investissements : autobus,

– Coût des investissements : 1 530 000 €, dont base éligible à la réduction d’impôt compte tenu de la TVA non perçue récupérable (NPR) : 1 530 000 – 130 050 = 1 399 950 €,

– Date de réalisation de l’investissement : 30 décembre 2012,

– Schéma juridique : une société en nom collectif ou une société par actions simplifiée X composée d’associés personnes physiques achète directement auprès du fournisseur les véhicules et les donne en location pendant cinq ans à la société Y, située en Guadeloupe, qui s’engage à racheter les biens au terme de la période de location.

Financement

– Apports des investisseurs au capital de la société X : 510 000 € dont 418 000 € affectés à l’acquisition du bien au 30 décembre 2012, 57 000 € aux frais de mise en œuvre de l’opération et 35 000 € de gestion de la société X provisionnés pendant 5 ans,

– TVA non perçue récupérable : 130 050 €,

– Dépôt de garantie versé par la société Y à la société X dans le cadre du contrat de location : 153 000 €,

– Emprunt bancaire souscrit par la société Y, sous une forme linéaire d’une durée de 5 ans, au taux annuel de 6 % : 828 950 €, avec échéance trimestrielle constante de 48 282,80 € arrondie à 48 283 €.

Le prix de rachat sur lequel la société Y s’est engagée au terme du contrat de location est égal au montant du dépôt de garantie, soit 153 000 €.

Les échéances d’emprunt et les loyers sont égaux et payés à termes échus à des dates identiques, soit 48 283 € par trimestre. Les loyers sont les seuls débours que doit effectuer la société Y pour la mise à disposition des véhicules compte tenu du montage juridique et financier retenu.

Intérêt du schéma du point de vue de la société Y, exploitant ultramarin

La valeur actualisée à 6 % (taux de l’emprunt) des sommes payées par le locataire sur la période des 5 ans s’établit à 981 950 €, somme qui est égale au dépôt de garantie additionné aux loyers actualisés, ces derniers étant eux-mêmes égaux, dans l’exemple, au montant de l’emprunt. Cette somme correspond au coût global pour la société Y de la mise à disposition puis du rachat des autobus.

La société Y a ainsi pu acquérir en 5 ans un investissement de 1 350 000 € pour un coût de 981 950 € contre un coût de 1 399 950 € (1 530 000 – 130 050 de TVA NPR) dans un schéma classique, soit une économie de 418 000 € à son niveau.

Cette économie correspond à la part de l’économie fiscale, constatée par la société X et ses associés du fait de l’article 199 undecies B et rétrocédée à la société Y.

Le taux de rétrocession se détermine comme suit :

(Coût de l’investissement - subvention - valeur actualisée des sommes payées par le locataire) / réduction d’impôt = (1 399 950 (8) - 981 950) / 634 177 (9) = 65,91 %.

Intérêt du schéma pour les investisseurs fiscaux

Les investisseurs fiscaux réunis au sein de la société X peuvent déduire de leur impôt payable en 2013, sur les revenus 2012, 45,30 % de la base éligible (1 399 950 €) soit 634 177 €.

Cette économie d’impôt est la contrepartie – et la seule (ils ne reçoivent ni loyers, ni dividendes, ni plus-value à terme et ne se constituent pas de patrimoine) – à leur investissement de 510 000 € dans la société X.

Les 510 000 € ne leur seront jamais restitués par la société X (qui les a utilisés pour acquérir les autobus qui seront cédés à la société Y au bout de 5 ans sans que la société X n’encaisse aucun flux et ne soit en mesure de restituer leurs apports à ses associés).

Le gain des investisseurs est constitué de la seule différence entre leur économie d’impôt (634 177 €) et leur apport dans la société X (510 000 €), soit une somme de 124 177 € (19,58 % de leur économie d’impôt, 24,35 % de leur apport).

Effet du plafonnement sur la participation maximale d’un investissement dans la société Y

Avant la loi de finances pour 2009, les investissements n’étaient soumis à aucun plafonnement et un contribuable qui avait un impôt de 634 177 € pouvait l’annuler totalement en souscrivant dans sa totalité à une opération du type de celle de la société X.

Il substituait alors, à un chèque de 634 177 € à l’ordre du Trésor, un chèque de 510 000 € à l’ordre de la société X, réalisant ainsi une économie de 124 177 €, soit 19,58 % de son impôt.

Depuis 2009, les plafonds successifs ont réduit, de manière significative, ses possibilités d’investissement.

Exemple

– Pour un couple marié avec 2 enfants,

– Revenu net global imposable (RNGI) : 250 000 €,

– Impôt progressif théorique : 71 133 €,

– Salaires pour emplois à domicile 15 000 € à Crédit d’impôt = 7 500 € (15 000 X 50 %).

Ø En 2012

Le plafond de 18 000 € + 4 % a limité la souscription du foyer fiscal au capital de la société Y à une réduction d’impôt de :

[18 000 + 4% x (250 000) – 7 500] / (100 – 62,50) = 54 666 €,

C’est-à-dire une souscription de (54 666 / 634 177) x 510 000 = 43 962 € dans la société X,

Soit un gain net de 54 666 € – 43 962 € = 10 704 €, toujours égal à 19,58 % de son impôt économisé.

Selon ce plafond, il fallait, en 2012, réunir au sein de la société X, pour couvrir son besoin de financement de 510 000 € (510 000 / 54 666), 9 investisseurs de ce profil.

Ø En 2013

Avec le plafond de 18 000 €, tel qu’il ressort de la loi de finances pour 2013 après la décision du Conseil constitutionnel tendant à supprimer le complément constitué par les 4 % du revenu imposable, la réduction d’impôt du même contribuable sera limitée à :

(18 000 – 7 500) / (100 – 62,5) = 28 000 €,

Soit une souscription au capital de la société X de (28 000 / 634 177) x 510 000 = 22 517 €,

Et un gain net de 28 000 – 22 517 = 5 483 €.

Il faudra, dans ce cas, réunir près de 23 contribuables dans la société X (510 000 / 22 517) pour couvrir ses besoins de financement de 510 000 €.

2. La défiscalisation d’un investissement dans le secteur du logement social par le biais de l’article 199 undecies C du CGI

Le second exemple concernera la défiscalisation d’un programme de logements sociaux sur la base d’un schéma de location externalisée (article 199 undecies C).

Hypothèses

– Département concerné : La Réunion,

– Exploitant ultramarin : l’organisme de logement social (OLS) A,

– Nature des investissements : 50 logements sociaux,

– Coût des investissements : 7 600 000 € – dont base éligible à la réduction d’impôt compte tenu d’une subvention de la ligne budgétaire unique (LBU) du ministère des Outre-mer (10 %) de 760 000 € et de divers postes exclus : 7 600 000 – 760 000 – 380 000 = 6 460 000 €,

– Date de réalisation de l’investissement : décembre 2012,

– Schéma juridique : une société par actions simplifiée B, composée d’associés personnes physiques, achète directement, auprès de l’OLS A lui-même ou d’un promoteur, les 50 logements sociaux et les donne en location pendant cinq ans à l’OLS A, situé à La Réunion, qui s’engage à racheter les biens au terme de la période de location.

Financement

– Apport des investisseurs au capital de la société B : 2 745 500 € dont 2 519 400 € affectés à l’acquisition des 50 logements sociaux en décembre 2012, 156 100 € aux frais de mise en œuvre de l’opération et 70 000 € de gestion de la société B provisionnés pendant 5 ans,

– Subvention de la ligne budgétaire unique (LBU) du ministère des Outre-mer : 760 000 €,

– Emprunt bancaire, souscrit généralement auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) sur 40 ans par l’OLS A qui financera à due concurrence la société B en compte courant d’associés ou par un crédit vendeur à 5 ans ; cet emprunt est égal à 4 320 600 € au taux de 3 %, avec échéance trimestrielle constante de 46 461,12 € arrondi à 46 461 €.

Le prix de rachat sur lequel l’OLS A s’est engagé au terme du contrat de location est égal à l’encours de son compte courant d’associés ou du crédit vendeur à 5 ans, soit 4 018 506 € (10). Il se règle par compensation – sans débours par l’OLS A qui continuera par la suite à rembourser le prêt CDC.

Les échéances de remboursement du compte courant d’associés et les loyers sont égaux et payés à termes échus à des dates identiques, soit 46 461 € par trimestre. Ils se payent par compensation, de telle sorte qu’il n’y a pas de flux entre l’OLS A et la société B et que les seuls débours de l’OLS A sont les remboursements de son prêt CDC (11).

Intérêt du schéma du point de vue de l’OLS A

La valeur actualisée à 3 % (taux de l’emprunt) des sommes payées par l’OLS A sur la période de son financement (40 ans) s’établit à 4 320 600 €, somme qui est égale au montant de l’emprunt. Cette somme correspond au coût global de l’opération pour l’OLS A.

L’OLS A a ainsi pu acquérir, en 40 ans, un effectif de 50 logements sociaux de 7 600 000 €, pour un coût de 4 320 600 €, contre un coût de 6 840 000 € dans un schéma classique (c’est-à-dire un schéma bénéficiant seulement de la subvention de 10 % de la LBU), soit une économie de 2 519 400 € à son niveau.

Cette économie correspond à la part de l’économie fiscale constatée par la société B et ses associés du fait de l’article 199 undecies C et rétrocédée à l’OLS A.

Le taux de rétrocession se détermine comme suit :

(Coût de l’investissement - subvention - valeur actualisée des sommes payées par le locataire) / réduction d’impôt = (7 600 000 – 760 000 – 4 320 600) / 3 230 000 = 78 %.

Intérêt du schéma pour les investisseurs fiscaux

Les investisseurs fiscaux réunis au sein de la société B peuvent déduire de leur impôt payable en 2013, sur les revenus 2012, 50 % de la base éligible (6 460 000 €) soit 3 230 000 €.

Cette économie d’impôt est la contrepartie – et la seule (ils ne reçoivent ni loyers, ni dividendes, ni plus-value à terme et ne se constituent pas de patrimoine) – à leur investissement de 2 745 500 € dans la société B.

Les 2 745 500 € ne leur seront jamais restitués par la société B (qui les a utilisés pour acquérir les 50 logements qui seront cédés à l’OLS A au bout de 5 ans sans que la société B n’encaisse aucun flux et ne soit en mesure de restituer leurs apports à ses associés).

Le gain des investisseurs est constitué de la seule différence entre leur économie d’impôt (3 230 000 €) et leur apport dans la société B (2 745 500 €), soit une somme de 484 500 € (15 % de leur économie d’impôt, 17,65 % de leur apport).

Effet du plafonnement sur la participation maximale d’un investissement dans la société B

Depuis 2009, année où a été voté l’article 199 undecies C, les plafonds successifs ont réduit, de manière significative, les possibilités d’investissement des foyers fiscaux.

Exemple

- Pour un couple marié avec 2 enfants,

- Revenu net global imposable (RNGI) : 250 000 €,

- Impôt progressif théorique : 71 133 €,

- Salaires pour emplois à domicile 15 000 € à Crédit d’impôt = 7 500 € (15 000 x 50 %).

Ø En 2012

Le plafond de 18 000 € + 4 % a limité la souscription de ce foyer fiscal au capital de la société B à une réduction d’impôt de :

[18 000 + 4 % x (250 000) – 7 500] / (100 – 65) = 58 571 €,

C’est-à-dire une souscription de (58 571 / 3 230 000) x 2 745 500 = 49 785 € dans la société B,

Soit un gain net de 58 571 € – 49 785 € = 8 786 €, toujours égal à 15 % de son impôt économisé.

Selon ce plafond, il fallait, en 2012, réunir au sein de la société B, pour couvrir son besoin de financement de 2 745 500 € (2 745 500 / 49 785), 55 investisseurs de ce profil.

Ø En 2013

Avec le plafond de 18 000 €, tel qu’il ressort de la loi de finances pour 2013 après la décision du Conseil constitutionnel, la réduction d’impôt du même contribuable sera limitée à :

(18 000 – 7 500) / (100 – 65) = 30 000 €,

Soit une souscription au capital de la société B de (30 000 / 3 230 000) x 2 745 500 = 25 500 €,

Et un gain net à 30 000 – 25 500 = 4 500 €.

Il faudra, dans ce cas, réunir près de 108 contribuables dans la société B (2 745 500 / 25 500) pour couvrir ses besoins de financement de 2 745 500 €.

C. APPRÉCIATION PORTÉE SUR LES DIFFÉRENTS MÉCANISMES DE DÉFISCALISATION

Au terme de cet examen des mécanismes juridiques de la défiscalisation outre-mer, il est possible de faire part des remarques suivantes :

– Tout d’abord, force est de reconnaître que les mécanismes mis en place sont relativement compliqués.

En pratique, ils obligent le contribuable à faire appel, la plupart du temps, à un cabinet de conseil spécialiste en défiscalisation. C’est ce cabinet qui procède aux calculs nécessaires pour déterminer le montant de l’investissement et qui possède aussi les liens indispensables pour orienter l’épargne vers un projet – agréé ou non par l’État (pour la construction de logements sociaux l’agrément du projet par l’État est obligatoire au-dessus d’un montant de 250 000 euros (12)) – projet susceptible de servir de support pour le placement financier.

– À l’inverse, on doit remarquer aussi que, si le système est complexe, il est également particulièrement bien adapté, comme on l’a vu à l’occasion des deux exemples mentionnés plus haut, pour permettre la mise en place des montages financiers dont la présence est indispensable en vue de rapprocher les différents opérateurs devant concourir à la réalisation de tel ou tel projet (que ce soit la réalisation d’investissements productifs ou la construction de logements neufs).

– En outre, on doit noter que le système de défiscalisation – du moins jusqu’à la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012 – mobilisait des montants d’épargne importants. Comme on l’a vu, avant la loi de finances pour 2009, il n’y avait d’autres limites à la défiscalisation pour un contribuable que le montant de son impôt dû avant la déduction fiscale et le plafond de 50 % calculé sur le montant de l’investissement. Depuis 2009, l’institution de plafonds successifs a limité le niveau des montants susceptibles d’être défiscalisés. Mais ces derniers sont restés encore significatifs.

– Par suite, les mécanismes de défiscalisation s’adressent à des contribuables aisés. En témoignent les statistiques fiscales pour l’année 2011.

Selon les informations communiquées par le ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des finances, chargé du Budget (13), pour les 1 000 foyers fiscaux présentant les montants les plus élevés de réductions outre-mer, prévues aux articles 199 undecies A, 199 undecies B et 199 undecies C du CGI, le montant moyen de l’impôt avant imputation de l’ensemble des réductions d’impôt est de 340 600 €. Pour ces contribuables, le montant moyen de l’ensemble des réductions d’impôt outre-mer imputé s’élève à 158 500 €, avec un montant moyen de réduction d’impôt relative aux investissements dans le cadre d’une entreprise, prévue à l’article 199 undecies B du CGI, de 77 700 € et un montant moyen de réduction d’impôt relative aux investissements dans le logement social, prévue à l’article 199 undecies C du CGI, de 67 300 €.

Pour les 100 foyers présentant les montants les plus élevés de réduction outre-mer, le montant moyen de l’impôt avant imputation de l’ensemble des réductions d’impôt est de 906 600 €. Pour ces contribuables, le montant moyen de l’ensemble des réductions d’impôt outre-mer imputé s’élève à 437 500 €, avec un montant moyen imputé de réduction d’impôt prévue à l’article 199 undecies B du CGI de 317 800 € et un montant moyen imputé de réduction d’impôt prévue à l’article 199 undecies C du CGI de 78 900 €.

Dans cette statistique, il convient néanmoins de nuancer la portée des déductions moyennes obtenues, soit 77 700 € pour les 1 000 premiers contribuables et 317 800 € pour les 100 premiers contribuables au titre de l’article 199 undecies B du CGI ; puis 67 300 € pour les 1 000 premiers contribuables et 78 900 € pour les 100 premiers contribuables au titre de l’article 199 undecies C du CGI.

En effet, ces déductions fiscales correspondent au plafonnement de 50 % du montant des investissements réellement effectués sans autre contrepartie que l’avantage fiscal. Il ne s’agit donc pas d’une pure « dépense fiscale » pour l’État. Il existe aussi, en vis-à-vis, un apport en liquidités du contribuable en faveur des entreprises ou des organismes de logements sociaux.

– On doit noter, cependant, que la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012 est venue limiter, de manière tout à fait nouvelle, et de manière également tout à fait drastique, les mécanismes de défiscalisation outre-mer, en supprimant la disposition visant à compléter le plafonnement de 18 000 € par une quote-part correspondant à 4 % du revenu imposable.

Ainsi, si l’on reprend le second exemple de défiscalisation qui a été donné précédemment et qui porte sur un projet de construction de logement social au titre de l’article 199 undecies C du CGI, on a pu voir que la décision du Conseil constitutionnel a eu pour effet de diminuer de près de la moitié le montant maximum de la déduction fiscale.

Cela oblige, comme on l’a vu également dans l’exemple, à doubler le nombre d’investisseurs requis pour un projet donné.

Dans la mesure où les contribuables intéressés par ce type de dispositif ne sont pas si nombreux (car ils s’identifient en fait aux contribuables assujettis aux tranches médianes du barème de l’impôt sur le revenu : entre 120 000 et 400 000 euros, soit 370 000 foyers fiscaux), la décision du Conseil constitutionnel équivaut à introduire – ni plus, ni moins – un risque certain de rupture dans la collecte. Elle équivaut ainsi à conduire le système à son point d’achèvement.

– Le Président de la République a pris l’engagement, le 3 janvier 2013, que les fonds qui n’auraient pu être investis, du fait de cette annulation des 4 % du revenu imposable, seraient redéployés en actions de subvention directe.

À la suite de cela, un rapport a été demandé par le Gouvernement à l’Inspection générale des finances (IGF), afin d’étudier les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel. Les conclusions de ce rapport guideront l’action des pouvoirs publics.

Dans ce contexte, la Délégation aux outre-mer a estimé qu’il entrait pleinement dans ses attributions de se saisir de cette question et d’apporter sa contribution au débat en cours : telle est la raison pour laquelle elle a confié aux deux rapporteurs le présent rapport d’information qui, dans sa troisième partie, formule des recommandations destinées à préserver la collecte de l’épargne en direction des investissements productifs et du logement social, collecte si nécessaire aux départements et aux collectivités d’outre-mer.

II. – UNE AIDE FISCALE JUSTIFIÉE

Il convient, à présent, de procéder à l’évaluation des différents dispositifs de défiscalisation pour les investissements outre-mer.

Cette évaluation n’est pas facile. En effet, aucune étude de fond n’a jamais été réalisée sur cette question et, par conséquent, les statistiques économiques disponibles ne permettent pas de conduire une analyse exhaustive. Néanmoins, les quelques éléments existants semblent montrer que les dispositifs fiscaux tendent à se justifier pleinement.

Dans un premier temps, nous examinerons le coût pour l’État de cette forme d’aide aux investissements outre-mer. Nous verrons que celle-ci peut être chiffrée à 1,1 milliard d’euros pour l’année 2013.

Puis, grâce aux statistiques présentées par la FEDOM (Fédération des entreprises d’outre-mer), nous étudierons les secteurs les plus marquants au sein desquels cette aide se trouve principalement concentrée. À cette occasion, nous verrons que la place du logement social est absolument prépondérante. Et c’est là un point très important car le financement du logement social – précisément – a toujours constitué une priorité dans le cadre des politiques conduites à l’égard de l’outre-mer.

Enfin, de manière plus détaillée, nous verrons comment la défiscalisation a pu contribuer à soutenir le logement social ces dernières années. On verra notamment que les logements locatifs sociaux neufs, dans les seuls DOM, ainsi que dans l’île de Saint-Martin, sont passés, grâce à la défiscalisation, de 4 620 logements programmés en 2006 à 7 418 en 2011, soit une hausse de 22 %. Cette hausse est considérable et, à travers la construction du logement social, c’est tout le BTP qui profite de cette situation favorable, donc naturellement aussi l’emploi.

A. LE MONTANT DE L’AIDE FISCALE

Le tableau ci-dessous retrace le coût de la dépense fiscale depuis l’année 2005.

Comme on vient de l’indiquer, le coût de la défiscalisation pour l’État représente une somme équivalent à environ 1,1 milliard d’euros pour l’année 2013.

Sont compris dans cette somme les trois dispositifs liés à l’impôt sur le revenu (IR), c’est-à-dire ce qui reste du « Girardin » locatif pour 265 millions d’euros, le « Girardin » industriel pour 410 millions d’euros et le mécanisme prévu par la LODEOM pour le logement social d’un montant de 210 millions d’euros ; s’y ajoute la défiscalisation liée à l’impôt sur les sociétés (IS), qui comprend aussi une part de logement social, ainsi que de l’investissement productif, pour un total de 180 millions d’euros. Au total, on recense 885 millions d’euros pour les trois dispositifs à l’IR et 180 millions d’euros pour la défiscalisation à l’IS, dont 500 millions d’euros, au moins, sont dédiés au logement social.

(en millions d’euros)

Dispositifs

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Réduction d’impôt sur le revenu au titre des investissements productifs (1)

340

450

530

640

767

710

700

480

410

Réduction d’impôt sur le revenu au titre des investissements en logements (secteur libre et intermédiaire) (2)

170

200

240

300

361

355

355

355

265

Réduction d’impôt sur le revenu au titre des logements sociaux (3)

_

_

_

_

_

11

68

210

210

Réduction d’impôt sur les sociétés (4)

170

140

150

150

135

160

175

180

180

Totaux

680

790

920

1 090

1 263

1 236

1 298

1 225

1 065

Évolution en %

 

+ 16

+ 16

+ 18

+ 16

- 2

+ 5

- 6

- 13

(1) Article 199 undecies B du CGI (3) Article 199 undecies C du CGI. Cet article ne s’applique pas avant 2010

(2) Article 199 undecies A du CGI (4) Article 217 undecies du CGI

Source : Rapport public annuel de la Cour des comptes pour 2012, tome 1, les observations ; dépenses fiscales principales sur impôts d’État relevant du programme 123, annexe au PLF 2013 pour l’outre-mer, et DEGEOM.

Le tableau ci-dessus appelle encore trois remarques :

– Tout d’abord, on note une hausse constante du montant global de l’avantage fiscal sur toute la période qui s’étend de 2005 à 2012, sauf en 2010 (où la diminution de la dépense fiscale fait suite à la grave crise économique qui a frappé les départements et les collectivités d’outre-mer en 2009) et en 2012 (où l’on constate les effets du « coup de rabot » sur les niches fiscales appliqué par la loi de finances pour 2011) ;

– Cette hausse constante est à mettre en relation avec celle des contribuables pratiquant la défiscalisation dont la Cour des comptes indique que l’effectif a cru sensiblement sur la période. Ainsi, entre 2005 et 2009, ils sont passés de 7 700 bénéficiaires à 18 600 pour les investissements productifs (+ 142 %) et de 27 000 à 41 700 pour les investissements immobiliers (+ 54 %).

– Enfin, on remarque que le montant de la dépense fiscale liée à la défiscalisation des investissements outre-mer diminue significativement en 2013
(- 13 %). Cette baisse est due à l’extinction progressive des avantages relevant de l’article 199 undecies A du code général des impôts. On peut d’ailleurs se demander si la perte de recettes prévisionnelle pour l’État au titre du « Girardin » locatif (265 millions d’euros) en 2013 n’est pas un peu surévaluée.

B. LA RÉPARTITION DES INVESTISSEMENTS

Jusqu’en 2010, des chiffres précis, comportant des données sectorielles et géographiques, étaient fournis régulièrement par le bureau des Agréments et des rescrits (BAGR) de la Direction générale des finances publiques(DGFiP) au ministère de l’Économie et des finances. Ces chiffres portaient sur les seuls dossiers agréés au niveau local ou central, à l’exclusion des dossiers éligibles de plein droit.

On rappellera que les projets susceptibles de servir de supports à une défiscalisation sont souvent soumis à agréments. Dans le cas de ce que l’on appelle une défiscalisation directe (cas où l’exploitant ultramarin défiscalise pour lui-même), le seuil de l’agrément est à 1 million d’euros. En défiscalisation indirecte (les investisseurs acquièrent l’investissement et le louent pendant 5 ans au moins à l’exploitant ultramarin), les projets inférieurs à 250 000 euros sont défiscalisés de plein droit et les projets d’un montant supérieur doivent obtenir un agrément, délivré par les services fiscaux locaux, s’ils sont inférieurs à 1,525 million d’euros, ou centraux (auprès du BAGR) si leur montant est supérieur à cette somme. Par ailleurs, dans les secteurs dits « sensibles » : navigation de plaisance, agriculture, pêche maritime et aquaculture, construction navale, rénovation hôtelière, exploitation d’une concession de service public, l’agrément est au 1er euro, sauf si l’exploitant, procédant à une défiscalisation directe ou loueur du bien défiscalisé, exerce depuis au moins deux ans dans l’un de ces secteurs. Dans le secteur des transports, tous les projets sont agréés au 1er euro, sauf pour les taxis.

Malheureusement, depuis 2010, le BAGR n’a plus fait paraître de rapport, de telle sorte que les dernières statistiques disponibles sur les investissements défiscalisés, sauf exceptions, portent sur les années 2006-2009.

Les chiffres de 2009 montrent une forte concentration des investissements sur les énergies renouvelables d’origine solaire, secteur aujourd’hui supprimé de l’éligibilité à la procédure, alors que la concentration des dossiers tend à s’effectuer désormais sur les constructions de logement social.

Pour affiner ce constat, il nous faut donc recourir aux chiffres présentés par la FEDOM.

1. Le poids prépondérant du logement social

La FEDOM a réalisé une synthèse des statistiques de ses adhérents ainsi que d’un cabinet de défiscalisation non adhérent.

Les principaux chiffres de cette synthèse sont donnés dans le tableau ci-après.

Les montants exprimés dans ce tableau correspondent à la part des investissements totaux éligibles à la défiscalisation (c’est-à-dire le montant des investissements net de toutes les sommes non retenues par la réglementation, telles que les frais, les subventions, etc.). Si l’on compare ces données avec les dépenses fiscales présentées dans le tableau précédent, ces chiffres FEDOM – qui doivent être divisés par deux pour être rapprochés des chiffres du ministère de l’Économie et des finances, puisque la réglementation fiscale plafonne la prise en charge des dépenses au titre de la défiscalisation à 50 % du montant de l’investissement – représentent, eux-mêmes, également, environ 50 % du total des investissements retenus par l’administration fiscale.

Les chiffres montrent, par exemple pour l’année 2012, que l’investissement en logement social, défiscalisé à l’IR ou à l’IS, est sensiblement supérieur à l’investissement productif (637 millions d’euros contre 534 millions d’euros). Sur un montant total d’investissements représentant 1 171 millions d’euros (et correspondant donc à 585,5 millions d’euros en dépenses fiscales par rapport à un total de 1 225 millions d’euros, soit 47,7 %), le logement social représente 54 % de l’enveloppe et les investissements productifs 46 %.

Par ailleurs, au sein des investissements productifs, la part des investissements qui se porte sur des projets éligibles de plein droit (405 millions d’euros) est 4 fois supérieure à celle des investissements qui se porte sur des projets agréés (103 millions d’euros).

S’agissant de ces projets défiscalisés de plein droit, la FEDOM indique que, pour 2012, ce sont environ 16 000 TPE et PME qui ont bénéficié d’une aide pour des projets dont le montant moyen est de 33 000 euros.

Par ailleurs, selon une étude du GIFOM, en 2010, 91 % des entreprises ayant eu recours à la défiscalisation de plein droit sur leurs investissements productifs avaient un chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros.

Pour les projets soumis à agrément, ce sont 30 % des entreprises bénéficiaires qui ont un chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros et 38 % qui ont un chiffre d’affaires inférieur à 10 millions d’euros. Pour ces mêmes projets, la plupart des investissements réalisés sont aujourd’hui compris entre 2 millions d’euros et 10 millions d’euros et 53 % sont d’un montant inférieur à 4,5 millions d’euros.

Au total, on voit donc que les bénéficiaires de la défiscalisation sont, d’une part, pour le logement social, au final (c'est-à-dire à l’issue des montages financiers), les sociétés qui assurent la gestion des logements sociaux (sociétés que l’on appelle les OLS) et, d’autre part, pour les investissements productifs, principalement les PME.

RÉPARTITION DES INVESTISSEMENTS PAR GRANDS DOMAINES

2011

199 undecies B

199 undecies A

199 undecies C

217 undecies

Total

Plein droit

Agrément

Plein droit

Agrément

Plein droit

Agrément

Plein droit

Agrément

Photovoltaïque

                 

Industriel (autre)

456 972

153 030

         

18 101

628 103

Logement

   

5 012

   

366 778

 

110 562

482 352

Total

456 972

153 030

5 012

0

0

366 778

0

128 663

1 110 455

2012

(prévisionnel)

199 undecies B

199 undecies A

199 undecies C

217 undecies

Total

Plein droit

Agrément

Plein droit

Agrément

Plein droit

Agrément

Plein droit

Agrément

Photovoltaïque

                 

Industriel (autre)

404 909

103 162

         

26 247

534 318

Logement

         

460 497

 

176 614

637 111

Total

404 909

103 162

0

0

0

460 497

0

202 861

1 171 429

2013

(prévisionnel)

199 undecies B

199 undecies A

199 undecies C

217 undecies

Total

Plein droit

Agrément

Plein droit

Agrément

Plein droit

Agrément

Plein droit

Agrément

Photovoltaïque

                 

Industriel (autre)

325 800

139 000

         

159 700

624 500

Logement

       

3 000

510 400

 

160 200

673 600

Total

325 800

139 000

0

0

3 000

510 400

0

319 900

1 298 100

Source : FEDOM.

2. Les autres secteurs aidés par la défiscalisation

Indépendamment du logement social qui, comme on vient de le voir, occupe une place prépondérante dans la collecte de l’épargne liée à la défiscalisation, il est possible, pour les projets réalisés sous agrément, de rassembler ces derniers autour d’un certain nombre de grands thèmes – thèmes qui sont particulièrement éclairants sur la nature des projets qui sont réellement financés grâce aux mécanismes fiscaux.

Les deux tableaux ci-dessous rassemblent donc ces projets autour de 17 grands secteurs (16 si l’on enlève le logement social) pour l’année 2011.

Le premier tableau analyse les projets traités par le BAGR en 2011 et leur montant (y compris les projets refusés). Les sommes mises en jeu sont de l’ordre de 1,4 milliard d’euros.

Source : BAGR, statistiques sur les investissements au niveau local et central pour l'année 2011.

Le second tableau présente les agréments accordés. La somme totale des projets agréés est à peu près égale à 1,1 milliard d’euros, montant qui est, lui-même, à peu près égal au montant de la déduction fiscale pour 2011(1,3 milliard d’euros) ou pour 2012 (1,2 milliard d’euros). Toutefois, ce phénomène n’est pas significatif en soi. En fait, le montant des projets d’investissement est toujours plus élevé que le montant des déductions fiscales dans la mesure où ces dernières sont plafonnées à 50 % du montant des investissements. D’autre part, un projet agréé ne correspond pas nécessairement à une déduction fiscale exposée la même année. Ici, l’identité des chiffres reflète surtout l’importance des projets éligibles de plein droit et qui échappent à ce tableau parce qu’ils échappent aussi aux contrôles du BAGR. Si l’on se reporte aux statistiques de la FEDOM pour 2011, on voit que le plein droit représente 462 millions d’euros, soit 924 millions au total en 2011, en se souvenant que les statistiques de la FEDOM ne représentent environ que 50 % de l’ensemble des projets. Dès lors, on retrouve à peu près la concordance avec le montant de la dépense fiscale pour les années 2011 ou 2012. Cela illustre, en tout cas, un élément fondamental lié à la défiscalisation : 1 milliard de dépenses fiscales génèrent 2 milliards d’investissements.

Source : BAGR

Dans le second tableau, on voit que la défiscalisation, en dehors du logement social, permet de financer de multiples projets, dans le domaine principalement des transports, de l’énergie renouvelable (hors photovoltaïque), des télécommunications, de l’hôtellerie, de l’audiovisuel, de l’agriculture et, bien évidemment, de l’industrie.

Ces projets, comme cela a déjà été indiqué plus haut, sont d’une ampleur variable, beaucoup concernant les PME. Néanmoins, un certain nombre constitue aussi de grands projets structurants, projets qui ont indéniablement contribué à la création ou au maintien des emplois, à la réduction des coûts ou à la lutte contre la vie chère.

Dans le cadre de ces grands projets structurants, on peut citer les réalisations suivantes qui sont intervenues ces trois dernières années :

– En Guadeloupe, le projet « Logidom » qui a permis la création d’une plateforme logistique contribuant à la réduction des coûts et à la lutte contre la vie chère ;

– En Martinique, le projet « Les jardins de Château Gaillard » consistant en la création d’une unité de production de tomates sous serres à Morne Rouge, projet qui a permis, en 2009, la création de 24 emplois et dont une extension est actuellement en cours ;

– À La Réunion, le projet « Source des eaux de Basse Vallée » qui est un projet consistant en la réalisation d’une usine de mise en bouteille d’eau de source dans la commune de Saint-Philippe ; ce projet a été réalisé en 2010 et il a permis la création de 7 emplois ;

– À Mayotte, le projet de câble sous-marin « Lion 2 », en fibre optique, qui a permis de relier Madagascar et le Kenya ;

– En Guyane, d’une part, le projet « Frigodom » qui est un projet consistant à réaliser une plateforme logistique et qui a permis la création de 10 emplois et, d’autre part, le projet « Endel » qui est un projet de centre de traitement des déchets, dédié à la gestion des déchets dangereux, et qui a permis le maintien de 130 emplois ;

– En Nouvelle-Calédonie, les deux projets de création d’usines minières au nord (Koniambo) et au sud (Vale Inco), projets qui ont permis, respectivement, la création de 685 emplois au nord et de 600 emplois au sud ;

– Enfin, en Polynésie française, le projet de câble « Honotua » consistant en la réalisation d’un système de communication par câble sous-marin à fibre optique reliant la Polynésie française à Hawaii ; ce projet a permis la création de 937 emplois.

Au total, tous ces exemples concrets montrent le grand intérêt du mécanisme de la défiscalisation qui est parfaitement adapté au montage financier de projets très variés.

C. L’ACCÉLÉRATION DU NOMBRE DE LOGEMENTS SOCIAUX FINANCÉS DANS LES DÉPARTEMENTS D’OUTRE-MER

Si l’on aborde maintenant, de manière détaillée, non plus la question du montant de la dépense fiscale consacré au logement social outre-mer, au titre des dispositifs de défiscalisation, mais celle des effectifs des logements financés, on peut voir que l’augmentation du nombre de logements sociaux financés est très forte à partir de 2010, première année de pleine application du dispositif de défiscalisation du logement locatif social prévu par la loi LODEOM.

Cette progression apparaît très clairement dans le tableau ci-dessous.

 

TOTAL DOM* et Saint Martin

Type de logements

2006

2007

2008

2009

2010

2011

moyenne
2006/2011

LLS (1)

3137

2710

2461

2621

3606

3664

3033

LLTS (2)

949

858

1215

1285

1622

2487

1403

PLS (3)

534

261

698

908

1148

1267

803

TOTAL logements locatifs

4620

3829

4374

4814

6376

7418

5239

*DOM = Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, Mayotte

(1) LLS : Logements locatifs sociaux

(2) LLTS : Logements locatifs très sociaux

(3) PLS : Prêts locatifs sociaux ; ces trois catégories correspondent à trois types de plafonds de revenus et de loyers destinés aux occupants des logements sociaux.

Source : Rapport d’information de la commission des Finances du Sénat n° 48, 16 octobre 2012, et DEGEOM.

Si l’on s’en rapporte à ce tableau, on peut remarquer que, en 2011, le nombre de logements sociaux financés dépasse de près de 70 % la moyenne des années 2006 à 2009. Par ailleurs, entre 2007 et 2011, le nombre de logements financés a quasiment doublé.

À noter que, dans cet effectif de logements financés, les logements construits à La Réunion occupent une place importante. En effet, le volume global de logements locatifs sociaux programmés dans ce département est passé de 1 688 logements en 2008 à 4 505 logements en 2012.

Il est précisé que les logements financés sont les logements qui ont donné lieu à une décision de subvention de la ligne budgétaire unique (LBU) gérée par le ministère des Outre-mer et également, le cas échéant, à un agrément délivré par les services de l’État en charge du logement ouvrant droit aux prêts de la Caisse des dépôts et consignations (sauf PLS dont l’attribution est généralement exclusive de la LBU). On dit qu’ils sont « financés » car leur plan de financement est arrêté de manière précise et a fait l’objet d’un accord entre les services de l’État et les OLS. Le plan de financement prévoit naturellement, de manière très fréquente, l’utilisation de la défiscalisation (mais pas toujours).

Lorsqu’ils sont financés avec la défiscalisation seule, les logements sont généralement mis en chantier après la validation définitive du plan de financement et achevés deux ans plus tard. En effet, le financement avec défiscalisation seule s’accompagne d’une pression à l’achèvement des travaux au bout de deux ans – faute de quoi, l’avantage fiscal est perdu. En revanche, lorsque le logement est financé avec une forte participation de subventions budgétaires, le délai peut être plus long car le « délai sanction » est de quatre ans pour ce type de financement.

Le tableau ci-dessous retrace, pour l’année 2011, les modes de financement retenus (hors prêts complémentaires sauf PLS) pour l’effectif de logements sociaux financés arrêté par l’État et les OLS la même année (7 418 logements).

 

LLS

LLTS

PLS

Total

LBU seule (ou PLS hors défiscalisation)

390

179

82

651

Défiscalisation seule

574

558

1 185

2 317

Mixte LBU/défiscalisation

2 700

1 750

0

4 450

Total

3 664

2 487

1 267

7 418

Source : Rapport d’information de la commission des Finances du Sénat, n°48, 16 octobre 2012, et DEGEOM

Dans ce tableau, on peut voir que 90 % des logements sociaux financés en 2011 ont eu recours, au moins partiellement, à l’aide fiscale et un tiers à la défiscalisation seule. Le mécanisme de la défiscalisation joue donc, à l’évidence, un rôle considérable dans le financement de ces logements.

Par suite, compte tenu de ce que l’on a dit précédemment, et aussi, tout simplement, compte tenu des délais inhérents à tout chantier de construction, il existe un certain décalage entre la mise en route des logements et la livraison de ces derniers. Il faut compter en moyenne un délai de deux à trois ans pour réaliser un logement. Néanmoins, on observera que, grâce à la défiscalisation, la courbe des logements mis en chantier suit d’assez près celle des logements financés.

Source : DEGEOM

Au total, le système de la défiscalisation est très intéressant pour les organismes de logements sociaux. En effet, avec la défiscalisation, ceux-ci bénéficient de ressources qu’ils ne rémunèrent pas (il s’agit des rétrocessions qui se montent au minimum à 65 % des sommes versées par les investisseurs pratiquant la défiscalisation mais qui, en fait, peuvent atteindre des montants beaucoup plus élevés – parfois jusqu’à 80 % de l’investissement consenti). Du coup, les OLS paient moins cher le solde des ressources qui leur sont nécessaires pour compléter le financement de leurs projets (c’est-à-dire leurs prêts, dont les montants sont moins élevés, de même que les intérêts de remboursement).

Ce système profite aussi aux bénéficiaires des logements sociaux. Car il permet d’abaisser ou du moins de limiter les loyers. Et ce dernier point est capital car les revenus des ménages locataires des logements sociaux outre-mer sont nettement inférieurs à ceux des ménages des logements sociaux en métropole. Ainsi, en Guyane et à La Réunion, 80 % des ménages locataires ont des revenus inférieurs à ceux qui sont éligibles au « PLUS » (prêt locatif à usage social ouvert aux OLS) contre 60 % dans l’hexagone, alors même que les plafonds de ressources sont inférieurs outre-mer.

III.– UN DISPOSITIF QU’IL FAUT PRÉSERVER AVEC CERTAINES MODIFICATIONS

En dépit de sa grande efficacité, le système de la défiscalisation des investissements outre-mer fait aujourd’hui l’objet de critiques. Le ministère de l’Économie et des finances, la Cour des comptes et le Conseil constitutionnel ont émis des objections sur certains aspects du dispositif et certaines mesures qui ont été arrêtées – par exemple, par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 décembre 2012 – ont déjà eu des incidences concrètes sur le fonctionnement du mécanisme en 2013.

Dans un premier temps, les rapporteurs passeront donc en revue les objections faites à la défiscalisation et les conséquences concrètes de ces critiques. Ils montreront que beaucoup de ces conséquences posent problème.

Puis, dans un second temps, ils s’attacheront à faire des propositions pour répondre aux critiques posées, afin de sortir des difficultés que les décisions liées à ces critiques ont générées et afin de pérenniser le dispositif.

A. LA DÉFISCALISATION A SUSCITÉ DES CRITIQUES, MAIS LES CONSÉQUENCES CONCRÈTES DE CES CRITIQUES POSENT PROBLÈME

Les critiques du dispositif émanent principalement du ministère de l’Économie et des finances – et ce sont ces critiques qui justifient le rapport qui a été demandé au Gouvernement par le Parlement dans le cadre du vote de l’article 79 de la loi du 29 décembre 2012 portant loi de finances pour 2013 –, de la Cour des comptes, dans son rapport public annuel pour l’année 2012, et du Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012. On notera que les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel doivent également faire l’objet d’un rapport de l’Inspection générale des finances, rapport dont les conclusions devraient être connues prochainement.

1. Les critiques du ministère de l’Économie et des finances

Il s’agit d’une remise en cause assez profonde du système, jugé insatisfaisant du point de vue des finances publiques, dans la mesure où toute l’épargne récoltée ne va pas absolument sur les projets, qu’ils soient agréés ou de plein droit.

Dans le système de la défiscalisation, échappent en effet au circuit de financement du projet, d’une part, la part des intermédiaires financiers (c'est-à-dire 6 à 7 % du montant de l’investissement collecté) et, d’autre part, la part de l’avantage fiscal qui reste la propriété du contribuable en échappant à la rétrocession. Cette dernière part correspond à une somme qui oscille entre 18 et 20 % de la réduction d’impôt pour un projet agréé dans le secteur productif, qui varie, de même, entre 13 et 16 % dans le secteur du logement social et qui atteint environ 16 % pour un projet de plein droit.

Faut-il, pour autant, en déduire qu’il faudrait supprimer le système pour les particuliers et ne le conserver que pour les entreprises, en faisant l’économie des intermédiaires financiers (avec le crédit d’impôt) et en compensant les manques à gagner par des subventions budgétaires directes ? (14)

Pour les rapporteurs, la conséquence directe de cette démarche devrait être alors l’augmentation très significative de la ligne budgétaire unique (LBU), destinée précisément à alimenter les subventions et gérée par le ministère des Outre-mer.

Globalement, en supposant que la collecte de l’épargne demeure la même après les modifications du dispositif, il s’agirait de compenser, d’une part, le montant de la dépense fiscale correspondant à l’article 199 undecies C du code général des impôts et, d’autre part, le montant de l’investissement correspondant, soit une somme totale approximative de 400 millions d’euros pour 2012 ou 2013. La LBU s’élevant, pour 2012, à 245,8 millions d’euros d’autorisations d’engagement et à 225,4 millions d’euros de crédits de paiement, cela équivaudrait à multiplier par 3 ce crédit budgétaire pour conserver le socle de la LBU et y ajouter le montant des investissements faisant désormais défaut.

Une telle perspective est concevable mais en réalité peu crédible dans le contexte budgétaire actuel. Il est donc à craindre que cette solution, si elle était retenue dans le cadre de la loi de finances pour 2014, ne se solde par une diminution nette des investissements dans le domaine du logement social. En outre, la partie de la subvention correspondant à l’investissement même (et non plus seulement à la déduction fiscale) contribuerait immédiatement à l’aggravation du solde budgétaire et donc à l’accroissement du déficit public.

La conclusion, pour les rapporteurs, est donc qu’il convient absolument de sauvegarder cette source privilégiée de financement du logement social auprès des particuliers que constitue actuellement le dispositif de l’article 199 undecies C du code général des impôts.

2. Les critiques de la Cour des comptes

Ces critiques sont contenues dans le rapport public annuel de la Cour des comptes pour l’année 2012 (15). Globalement elles sont au nombre de sept :

– Une rentabilité excessive pour les contribuables, déconnectée de toute contrepartie réelle d’une prise de risque;

– À cause des limites apportées à la rétrocession des fonds investis (afin d’intéresser fiscalement les investisseurs), on enregistre une « déperdition » du soutien apporté à l’outre-mer ;

– On note également un manque de visibilité certain pour l’administration sur les projets défiscalisés « de plein droit » (c’est-à-dire en dessous du seuil de 250 000 euros en défiscalisation indirecte ou du seuil d’un million d’euros en défiscalisation directe, c’est-à-dire si l’exploitant ultramarin défiscalise pour lui-même sans passer par un intermédiaire financier). Cette méconnaissance perdure malgré les obligations déclaratives prévues en 2009 par la loi LODEOM et en 2010 dans la loi de finances pour 2011. En effet, les obligations de transmission des particuliers, des exploitants et des sociétés de portage imposées à des fins statistiques ne sont pas correctement accomplies ;

– Par ailleurs, selon la Cour des comptes, la dépense fiscale est mal maîtrisée car le système est « ouvert ». Tout investisseur qui veut participer au système a, en effet, la faculté de défiscaliser. Il est donc difficile de prévoir le montant de la dépense fiscale pour l’État. En pratique, les déductions fiscales constatées pour une année donnée, une fois les comptes publics définitivement arrêtés, sont souvent supérieures à celles estimées dans le projet de loi de finances initiale ;

– Il existe des possibilités de fraude dans les montages financiers (on a pu constater, par exemple, des cas de surfacturations qui ont d’ailleurs donné lieu à des poursuites judiciaires) ;

– Les mécanismes de défiscalisation s’insèrent dans le cadre d’un foisonnement de dispositifs d’aide à l’économie ultramarine (réduction des charges sociales des entreprises, taux différenciés de l’octroi de mer, système de la TVA non perçue récupérable, etc.). Il est donc très difficile d’évaluer l’impact réel de ces mécanismes sur l’économie locale, dans la mesure où il est relativement complexe d’isoler les effets spécifiques d’une mesure intriquée dans un ensemble qui en regroupe beaucoup d’autres ;

– Enfin, on constate un excès d’investissement dans certains secteurs. La défiscalisation a ainsi contribué, indique la Cour des comptes, à accroître de façon très importante le parc des camions aux Antilles. Il existe bien, en effet, un agrément au 1er euro dans le secteur des transports ; néanmoins, une entreprise qui n’appartient pas au secteur des transports, par exemple une entreprise de BTP, peut bénéficier de l’aide fiscale accordée au titre des projets éligibles de plein droit pour acquérir un camion de transport.

Au total, ces critiques mettent en lumière la nécessité d’apporter un certain nombre de réformes au système.

Les propositions que l’on trouvera dans la troisième partie de ce rapport, portant sur la baisse du seuil des projets éligibles de plein droit ou même sur la possibilité de prévoir des agréments sur tous les projets au 1er euro, sur la nécessité pour les OLS de prévoir des mises en concurrence entre prestataires afin d’obtenir les meilleurs taux possibles de rétrocession des avantages fiscaux, ou encore sur l’éventualité de recentrer les projets éligibles sur certains secteurs seulement – qui deviendraient ainsi des secteurs « fléchés » – visent directement à répondre à ces critiques.

3. La décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012

La décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 du Conseil constitutionnel a annulé la mesure consistant, dans l’article 73 de la loi de finances pour 2013, à prévoir, pour les articles 199 undecies A, 199 undecies B et 199 undecies C du CGI, une majoration égale à 4 % du revenu imposable, majoration s’ajoutant au plafonnement de la réduction d’impôt sur le revenu au titre de ces trois avantages fixé à 18 000 euros.

Cette décision constitue à la fois une critique du dispositif de défiscalisation des investissements outre-mer et un frein sérieux à son application.

Une critique, car le Conseil constitutionnel a considéré que le fait d’introduire une part proportionnelle au revenu dans le système de plafonnement de la défiscalisation était contraire au principe constitutionnel de l’égalité devant l’impôt. Il n’est donc désormais plus possible de prévoir une part proportionnelle au revenu dans le plafond de la défiscalisation concernant les particuliers. Il faut se limiter à prévoir un plafonnement exprimé en valeur absolue.

Et un frein, car cette décision emporte immédiatement plusieurs conséquences concrètes de la plus haute importance :

– Tout d’abord, cette décision a pour effet de ralentir la collecte des ressources financières nécessaires aux investissements auprès des particuliers.

En effet, avec un système intégrant une part variable liée aux revenus dans son plafonnement, le mécanisme de la défiscalisation attirait potentiellement tous les contribuables, aussi bien les foyers aisés que les foyers disposant de revenus imposables à partir de 100 000 euros – car, en dessous de 100 000 euros, les contribuables ne disposent pas de ressources suffisantes pour mobiliser les fonds nécessaires à un investissement. Or, avec un système qui limite le plafonnement à 18 000 euros seulement, le système tend à ne plus s’adresser qu’à une catégorie médiane d’investisseurs, très exactement ceux dont les revenus imposables se situent entre 120 000 et 400 000 euros. Cela s’explique par le fait qu’au-dessus de 400 000 euros, la défiscalisation au titre d’un investissement outre-mer n’intéresse plus les contribuables (le profit, de l’ordre de 6 %, est trop faible). Cette tranche de revenus imposables, entre 120 000 et 400 000 euros, représente 370 000 foyers fiscaux.

Selon le GIFOM (groupement qui rassemble environ 60 % des cabinets de défiscalisation et qui fait partie de la FEDOM), on recense actuellement 26 000 foyers qui défiscalisent au titre des articles 199 undecies B et 199 undecies C du CGI.

Comme, avec un plafond limité à 18 000 euros, on tend à diviser par deux le montant maximum des investissements pour chaque contribuable, si l’on veut maintenir le niveau de la collecte, il faudra nécessairement doubler le nombre des investisseurs. Par suite, il faudra passer à 50 000 foyers fiscaux sur 370 000 foyers potentiels.

Cette conclusion paraît peu réaliste et incite à penser que l’on n’arrivera pas à maintenir la collecte de l’épargne à son niveau de 2012 pour les dossiers en cours d’agrément au titre de l’année 2013. De fait, toujours selon le GIFOM, la collecte a diminué de 25 % sur les deux premiers mois de l’année 2013.

Très précisément, selon la FEDOM, si 77 projets, dont les dossiers ont été déposés au BAGR avant le 31 décembre 2012, peuvent bénéficier de l’ancien plafond, 96 sont en cours d’instruction pour un montant de 320 millions d’euros (dont 59 concernent le logement social). Ces 96 dossiers devraient être validés en 2013 pour une collecte de fonds également prévue en 2013. Leur réalisation devient très improbable avec le nouveau plafond.

– Par ailleurs, la décision du Conseil constitutionnel ne tend pas seulement à ralentir la collecte de l’épargne nécessaire au financement des projets programmés pour 2013 mais elle peut aussi avoir pour effet d’introduire des aléas dans le déroulement des chantiers lancés au cours de cette même année.

En effet, en pratique, un projet agréé, notamment dans le domaine de la construction de logements sociaux, débute – certes – après que le plan de financement a été arrêté, mais pas nécessairement après que toutes les sources de financement correspondantes, notamment celles provenant de la défiscalisation, ont été mobilisées.

Comme on l’a indiqué précédemment, l’exploitant outre-mer confie à une société de portage le soin de monter son projet, la défiscalisation pouvant représenter jusqu’aux deux tiers du financement de ce dernier. Le projet commence après que les différentes sources de financement ont été validées, mais avant que la totalité des fonds ait été rassemblée (c’est ainsi que l’on peut respecter un délai de construction d’environ deux ans lorsque le plan de financement inclut de la défiscalisation, contre plus de trois ans hors défiscalisation). Mais si, avec le nouveau plafond, on s’aperçoit tardivement que la totalité des fonds n’est pas réunie, les chantiers peuvent se trouver subitement interrompus – le constructeur (en pratique, les entreprises sociales de l’habitat – les SAHLM – ou les six sociétés d’économie mixte des DOM, dites sociétés immobilières des départements d’outre-mer) pouvant se voir pris en défaut, pour des sommes dont le montant peut alors facilement représenter 20 à 30 % de l’enveloppe globale, alors qu’il compte sur le monteur pour récupérer les fonds défiscalisés.

– Enfin, la décision du Conseil constitutionnel, en introduisant une certaine incertitude sur le dispositif de plafonnement du montant de la défiscalisation (en attendant que le Gouvernement ait réexaminé le dossier et ait statué), retarde la notification de ce type d’aide auprès de la Direction générale « Concurrence » de la Commission européenne, au titre des aides à finalité régionale (AFR). Or, celle-ci doit les redéfinir, dans le courant de l’année 2013, pour la période 2014-2020. Une notification est donc urgente pour que le système relevant de la défiscalisation soit bien pris en compte par la Commission sur cette période.

Au total, il est donc indispensable de pouvoir disposer, sans tarder, d’un système de défiscalisation pérenne ; d’un système qui garantisse la collecte de l’épargne au cours de l’année 2013, en améliorant le plafond de la défiscalisation pour les particuliers sur une base exprimée en valeur absolue ; et d’un système qui soit bien adapté, non seulement pour faire repartir les investissements en 2013, mais aussi pour assurer la transition entre l’année 2013 et les années à venir (les projets d’investissement pour 2014 et 2015 se préparent en effet dès l’année 2013).

Dans les pages qui suivent, les rapporteurs feront part de leurs propositions pour parvenir à ce but, un but qui est essentiel pour le développement des départements et des collectivités d’outre-mer.

B. LE SYSTÈME DOIT DONC ÊTRE PRÉSERVÉ GLOBALEMENT, CE QUI N’EXCLUT PAS CERTAINES AMÉLIORATIONS

La pérennisation du dispositif repose sur trois piliers : tout d’abord, le maintien tel qu’il est du système de la défiscalisation pour les particuliers (ou les entrepreneurs individuels assujettis à l’IR) et les petites entreprises (sous réserve de reconsidérer le plafond de la déduction d’impôt concernant l’impôt sur le revenu), ainsi que pour les investissements réalisés dans les territoires ultramarins à autonomie fiscale ; ensuite, la réalisation d’une étude d’impacts précise visant une éventuelle modification du système en prévoyant la mise en place d’un crédit d’impôt pour les grosses entreprises (ce crédit d’impôt pouvant être intéressant pour faire l’économie des intermédiaires financiers et donc pour permettre une plus grande allocation des ressources en faveur des projets retenus, pourvu que les entreprises disposent de suffisamment de fonds propres pour éviter les difficultés liées au préfinancement) ; et enfin, des mesures d’accompagnement tendant à modifier certains aspects de la défiscalisation – il s’agit de mesures destinées à introduire des règles plus contraignantes dans certains domaines et à répondre, notamment, aux critiques de la Cour des comptes.

1. Le maintien de la défiscalisation pour les particuliers, les entrepreneurs individuels et les petites entreprises ainsi que pour les investissements réalisés dans les territoires ultramarins à autonomie fiscale

Compte tenu de ce qui a été exposé précédemment, il apparaît absolument essentiel aux rapporteurs de préserver le financement du logement social outre-mer, que ce financement transite par les déductions fiscales à l’IR ou à l’IS des petites entreprises (les entreprises les plus importantes pouvant, dans le schéma proposé par les rapporteurs, bénéficier du crédit d’impôt, sous réserve que l’étude d’impact demandée aboutisse à sa création).

De plus, il importe, bien évidemment, de ne pas perdre de vue les investissements productifs qui, de la même manière, peuvent être financés grâce aux déductions fiscales à l’IR ou à l’IS des petites entreprises (les plus grosses pouvant recourir, comme cela vient d’être indiqué, au crédit d’impôt).

Par ailleurs, il serait également intéressant de mieux définir le contenu des investissements productifs dans le code général des impôts, la ligne directrice en ce domaine étant qu’il convient de favoriser principalement ceux qui – à des degrés divers – combinent la création de valeur ajoutée, donc la création de richesses, et la création d’emplois (16).

Enfin, il paraît important de ne pas déstabiliser le système actuel des investissements pour les collectivités à autonomie fiscale.

Pour réaliser ces trois buts, il est possible d’explorer trois pistes :

– Il paraît souhaitable de maintenir la défiscalisation pour les particuliers ou les entrepreneurs individuels assujettis à l’IR (article 199 undecies B et article 199 undecies C du code général des impôts) en augmentant le plafond global applicable aux investissements outre-mer.

– Il convient également de maintenir la défiscalisation pour les petites entreprises, la définition de la notion de « petite entreprise » en matière de défiscalisation pouvant être discutée, mais l’idée étant qu’il pourrait s’agir de celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’euros ou qui ont moins de 50 salariés.

– Enfin, il semble indispensable de conserver sans modification la défiscalisation existante pour les investissements réalisés dans les territoires ultramarins à autonomie fiscale.

a) Le maintien de la défiscalisation pour les particuliers et les entrepreneurs individuels assujettis à l’impôt sur le revenu

Il s’agit de maintenir inchangés les dispositifs des articles 199 undecies B et 199 undecies C du code général des impôts, l’article 199 undecies C, en particulier, jouant un rôle essentiel dans le financement du logement social.

Mais il faut revaloriser le montant du plafond global des déductions fiscales outre-mer, compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel.

De ce point de vue, il est proposé de se calquer sur le dispositif de défiscalisation qui a été créé par André Malraux en 1962 mais qui vient d’être modifié dans le cadre de la loi de finances pour 2013. Ce dispositif prévoit aujourd’hui un plafond de 30 000 euros déconnecté du plafond général.

Le plafond outre-mer pourrait ainsi être porté à 30 000 euros. Il serait spécifique aux opérations d’investissement réalisées outre-mer et serait donc cumulable avec le plafond général de 10 000 euros. (17)

Proposition 1 : Conserver impérativement le dispositif des articles 199 undecies B et 199 undecies C du code général des impôts et prévoir, pour l’application des trois articles 199 undecies A, 199 undecies B et 199 undecies C, un plafonnement global de 30 000 euros, intégralement cumulable avec le plafonnement général de 10 000 euros.

b) Le maintien de la défiscalisation pour les petites entreprises

Il est également proposé de maintenir le système de la défiscalisation existant (article 217 undecies du code général des impôts) pour les petites entreprises.

On pourrait définir ces petites entreprises comme étant celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’euros ou qui ont moins de 50 salariés.

Il est naturellement possible de discuter sur les seuils (10 millions d’euros ou 50 salariés). En revanche, dans le cadre de cette définition, il n’est pas possible d’entrer dans une logique cumulative (moins de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires et moins de 50 salariés). En effet, l’une des particularités des entreprises d’outre-mer consiste en ce fait que, à mesure que celles-ci se développent, elles pratiquent une forte concentration de capital fixe. Ce point a bien été mis en relief par le rapport Lengrand (rendu au ministère des Outre-mer en mai 2012), rapport consacré à l’évaluation de la taxe de l’octroi de mer. Ainsi, une entreprise comportant un fort taux de main-d’œuvre n’est pas nécessairement une « grosse » entreprise. Tel est le cas, par exemple, pour les entreprises de productions maraîchères sous serres. Avec l’application d’un double critère, on risquerait, par conséquent, de requalifier de petites entreprises de main-d’œuvre en grosses entreprises, alors qu’elles ne disposent pas du tout de la même structure de bilan.

Le produit de la défiscalisation irait, comme précédemment, au financement du logement social et à celui des investissements productifs.

Pourquoi une telle proposition pour les petites entreprises ? Parce que le système de la défiscalisation a fait ses preuves en ce qui les concerne et parce que les petites entreprises, dans les territoires ultramarins, ne disposent – comme d’ailleurs celles de l’hexagone – que de très peu de fonds propres. Pour elles, aucune autre solution ne pourrait donc trouver à s’appliquer, et certainement pas le crédit d’impôt, sauf à prévoir des systèmes compliqués de préfinancement.

Au demeurant, ces systèmes ont été évoqués dans la réflexion sur la défiscalisation. Cependant, si le préfinancement est une subvention budgétaire, on voit mal l’État ouvrir 16 000 dossiers annuels de subventions publiques pour les 16 000 TPE et PME qui défiscalisent annuellement dans le cadre des opérations éligibles de plein droit. D’autre part, si le préfinancement s’analyse en fait comme une créance à faire escompter auprès de banques spécialisées, comme Oséo (la banque publique d’aide aux PME) ou la future banque d’investissement (la BPI), de ce point de vue, il y a fort à parier que les entreprises recourront aux services d’intermédiaires financiers pour porter la créance, de telle sorte que les déperditions de crédits relevées par la Cour des comptes dans les opérations d’investissement outre-mer – déperditions liées à la présence d’intermédiaires financiers – continueront de subsister.

Proposition 2 : Conserver la défiscalisation au titre de l’article 217 undecies du code général des impôts pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’euros ou qui ont moins de 50 salariés.

c) Le maintien de la défiscalisation des investissements réalisés dans les collectivités à autonomie fiscale

Ces collectivités à autonomie fiscale sont, d’une part, les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution, telle que la Polynésie française, et, d’autre part, la collectivité à statut particulier que constitue la Nouvelle-Calédonie (articles 76 et 77 de la Constitution). Compte tenu de leur statut, elles ne sont pas assujetties aux impôts d’État mais elles prélèvent les impôts et les taxes dont elles se sont librement dotées.

Ainsi, elles ne disposent pas de l’impôt sur les sociétés. Par conséquent, il serait difficile d’envisager pour elles tout autre régime de défiscalisation que celui relevant du modèle actuel. Notamment, il serait impossible d’appliquer aux entreprises le crédit d’impôt. Par ailleurs, les spécificités du régime fiscal de Saint-Pierre-et-Miquelon, se rapprochant davantage du droit commun, imposent également une attention particulière, ainsi que le maintien du système actuel.

Proposition 3 : Conserver sans modification la défiscalisation existante pour les investissements réalisés dans les territoires ultramarins à autonomie fiscale.

2. La réalisation d’une étude d’impact précise permettant une éventuelle modification du système par le biais d’un crédit d’impôt destiné aux grosses entreprises

Une seconde piste à explorer pour pérenniser à l’avenir le système de la défiscalisation serait de réformer ce système ponctuellement en prévoyant l’instauration d’un crédit d’impôt pour les grosses entreprises, c'est-à-dire les entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions d’euros ou avec un effectif supérieur à 50 salariés.

L’intérêt du crédit d’impôt serait de permettre à ces entreprises de procéder à des investissements directs sans passer par des intermédiaires financiers. Ainsi, le taux d’intermédiation pourrait être économisé. D’autre part, le fait de laisser cette facilité seulement aux grosses entreprises – qui, dès lors, ne seraient pas éligibles à la défiscalisation puisque, précisément, elles disposeraient du crédit d’impôt – permettrait de régler le délicat problème du préfinancement. En effet, ces entreprises disposent de ressources suffisantes pour faire l’avance des dépenses liées à l’investissement (ou pour prendre un crédit bancaire).

Les caractéristiques de ce crédit d’impôt pourraient être les suivantes :

– Les entreprises concernées seraient celles des DOM puisque l’on a vu plus haut que le système de la défiscalisation propre aux collectivités d’outre-mer (COM) resterait inchangé.

– Il s’agirait d’un crédit d’impôt sur l’IR ou sur l’IS car beaucoup de grosses entreprises peuvent ne pas avoir la forme d’une société et donc reposer sur un régime fiscal relevant de l’IR.

– Il conviendrait, en tout état de cause, que le régime fiscal de la société soit un régime réel d’imposition.

– Le taux retenu pourrait être celui de 30 % de l’investissement réalisé pour ne pas être en retrait par rapport à l’aide de la défiscalisation, la base étant diminuée des éventuelles subventions publiques.

– Le crédit d’impôt serait remboursable pour le montant non utilisé en diminution des impôts dus au titre de l’année de réalisation de l’investissement (situation qui se présente si le montant de l’investissement excède le montant de l’impôt dont l’entreprise est redevable).

– Le crédit d’impôt pourrait être repris par l’État si le bien n’est pas utilisé pendant cinq ans au moins par l’entreprise bénéficiaire, sauf s’il est cédé à une autre entreprise exerçant dans un DOM.

Proposition 4 : Demander au ministère de l’Économie et des finances de réaliser, avant le dépôt de la prochaine loi de finances initiale, une étude d’impact précise permettant une éventuelle modification du système de la défiscalisation par l’introduction d’un crédit d’impôt concernant les entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions d’euros ou un effectif supérieur à 50 salariés.

Par ailleurs, dans cette configuration, il sera aussi nécessaire de prévoir un fonds de garantie.

En effet, actuellement, dans le cas d’un portage financier de fonds défiscalisés suivi d’une location de l’investissement pendant cinq ans, l’exploitant ultramarin, à qui le bien est loué, est supposé être le propriétaire du bien, mais c’est la société qui a bénéficié de la défiscalisation qui doit rembourser l’avantage fiscal si l’exploitant fait faillite et ne peut plus exploiter le bien.

Dans le cas du crédit d’impôt, si l’entreprise fait faillite, il n’y a plus la garantie de solvabilité de la société contribuable pour rembourser l’État – ce dernier devenant pourtant un créancier privilégié. Par conséquent, il faut prévoir une garantie spécifique.

Plus généralement, la garantie pourrait aussi servir pour tous les risques liés à l’opération de défiscalisation et liés au prêt de l’investissement pendant cinq ans.

Proposition 5 : Dans le cadre de cette étude, prévoir la possibilité d’instituer un fonds de garantie.

3. L’instauration de certaines règles plus contraignantes

Les mesures que l’on vient d’analyser peuvent être complétées par cinq propositions destinées à répondre aux critiques de la Cour des comptes et donc à mieux encadrer le dispositif. Il s’agit de baisser le seuil des projets de plein droit, de mieux « flécher » les secteurs éligibles, de mieux définir le concept d’investissement productif, de favoriser la mise en concurrence des prestataires pour arriver au meilleur taux de rétrocession et, plus généralement, de prévoir une réglementation pour les intermédiaires financiers intervenant dans le domaine de la défiscalisation.

a) Baisser le seuil des projets éligibles de plein droit

À l’heure actuelle, en défiscalisation indirecte, c'est-à-dire en recourant à un intermédiaire financier qui fait l’acquisition d’un bien et le loue pendant cinq ans à un exploitant ultramarin, le seuil de la défiscalisation de plein droit s’élève à 250 000 euros.

Pour que l’administration fiscale puisse avoir une meilleure connaissance des projets, il serait possible, soit de prévoir un agrément, quel que soit le secteur, dès le 1er euro, soit de réduire le seuil des projets éligibles de plein droit.

Cette seconde solution paraît plus expédiente, car la première – c'est-à-dire la proposition de prévoir un agrément systématique quel que soit le dossier – constituerait sans doute une phase longue et compliquée pour les petites entreprises, lorsque ces dernières préparent leurs décisions d’investissement et qu’elles font le choix de recourir à la défiscalisation.

Il est donc proposé de baisser le seuil du plein droit à 150 000 euros. Naturellement, entre 150 000 et 250 000 euros, il serait possible de prévoir un système d’agrément simplifié.

D’autre part, il conviendrait de renforcer les déclarations obligatoires pour toutes procédures de défiscalisation, et notamment pour les projets qui resteraient dans le domaine du plein droit.

Proposition 6 : Il est souhaitable de réduire le seuil de la défiscalisation de plein droit en le faisant passer de 250 000 à 150 000 euros ; les projets compris entre 150 000 et 250 000 euros pourraient faire l’objet d’un agrément simplifié. Par ailleurs, il conviendrait de prévoir un renforcement de la déclaration obligatoire, quelle que soit la procédure de défiscalisation.

b) Mieux « flécher » les secteurs éligibles

Pour éviter le « saupoudrage » dans l’aide fiscale, il pourrait être également opportun de mieux définir les secteurs éligibles à la défiscalisation.

Il ne suffit pas, en effet, de dire que les investissements éligibles sont, par exemple, des biens d’investissement amortissables acquis à l’état neuf, ou encore des logiciels (qui constituent des éléments d’actif immobilisés), ou bien des travaux de rénovation, mais il faudrait aussi préciser dans quels secteurs ou quelles filières on voudrait les voir pris en compte.

On pourrait ainsi favoriser, mieux qu’on ne le fait maintenant, certaines filières absolument indispensables à l’économie ultramarine, telles que les filières agricoles ou agroalimentaires, les filières animales, les industries de transformation, les industries de diversification, les énergies renouvelables (telles que la bagasse), etc.

Proposition 7 : « Flécher » les secteurs et les filières éligibles pour éviter le manque d’homogénéité dans l’aide fiscale.

c) Mieux définir le concept d’investissement productif

Indépendamment de la question des secteurs ou des filières éligibles qui devraient être mieux définis, c’est le concept même d’investissement productif qui devrait être repensé.

Le domaine de définition de ce concept est sans doute trop large. Soit il vise certains secteurs – comme le photovoltaïque jusqu’en 2009 – soit il concerne certaines opérations – comme les achats d’équipements de transport – mais il ne se résout pas, en dernier ressort, à une liste spécifique figurant dans le code général des impôts.

Sans vouloir créer une nomenclature totalement arrêtée (ce qui pourrait nuire à l’innovation), il pourrait être intéressant de mieux appréhender le contenu du concept d’investissement productif. De grandes catégories pourraient être fixées en posant comme principe que les investissements retenus devraient combiner – en proportions variables – la création de valeur ajoutée, donc la création de richesses, et la création d’emplois.

Ces catégories pourraient être coordonnées avec celles retenues par le Gouvernement pour son grand plan d’investissement, plan annoncé le 6 mai 2013.

En outre, l’étude demandée au ministère de l’Économie et des finances, dans le présent rapport, sur le crédit d’impôt pourrait comporter un volet sur cette question.

Proposition 8 : Mieux définir le concept d’investissement productif dans le code général des impôts en posant comme principe que l’aide fiscale ne pourra concerner que des travaux ou des équipements combinant valeur ajoutée, création de richesses et création d’emplois

d) Favoriser la mise en concurrence des prestataires

En défiscalisation indirecte, il pourrait être souhaitable, notamment dans le secteur du logement social, de mettre systématiquement en concurrence les intermédiaires financiers, afin d’obtenir le meilleur taux de rétrocession possible pour un dossier donné.

En effet, en pratique, les intermédiaires consentent souvent des taux de rétrocession supérieurs à ceux qui sont prévus par la réglementation. Il peut donc être d’un grand intérêt de les faire concourir sur un même projet.

Au demeurant, ces consultations, qui s’inspirent des règles édictées par le code des marchés publics, sont souvent pratiquées par les bailleurs sociaux dans les départements d’outre-mer. Tel est le cas, par exemple, pour les bailleurs sociaux de La Réunion.

Proposition 9 : Favoriser les procédures de consultation pour obtenir les meilleurs taux de rétrocession possibles, notamment dans le domaine du logement social.

e) Réglementer la profession d’intermédiaire financier dans le domaine de la défiscalisation

Enfin, il serait intéressant, soit que la profession d’intermédiaire financier dans le domaine de la défiscalisation puisse être réglementée, soit qu’une charte de déontologie applicable aux activités de ces prestataires financiers puisse être élaborée, en accord, naturellement, avec ces derniers.

Cette charte fixerait les bonnes pratiques, notamment en ce qui concerne les taux d’intermédiation.

Proposition 10 : Réglementer la profession d’intermédiaire financier dans le domaine de la défiscalisation ou prévoir une charte de déontologie fixant les bonnes pratiques, notamment en ce qui concerne les taux d’intermédiation.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux outre-mer s’est réunie le mardi 14 mai 2013 pour examiner le rapport d’information.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Notre ordre du jour appelle l’examen du projet de rapport sur la défiscalisation des investissements outre-mer, rapport pour lequel M. Patrick Ollier et moi-même avons été désignés rapporteur.

Je me dois d’abord de vous présenter des excuses au nom de M. Patrick Ollier. Il se trouve que ce mardi 14 mai après-midi, alors qu’il s’était organisé pour participer à la réunion de notre Délégation et à la présentation de notre rapport, des impératifs imprévus se sont imposés à lui, de telle sorte qu’il ne pourra être présent à mes côtés pour la présentation de nos travaux. Il m’a fait savoir cependant qu’il n’y avait pas l’ombre d’une divergence de vues s’agissant du contenu du rapport et qu’il me faisait toute confiance pour défendre, devant les membres de la Délégation, les propositions qu’il contenait.

Pour répondre, par ailleurs, à ceux de nos collègues qui se sont étonnés que le projet de rapport ne leur ait été communiqué qu’hier, je fais observer que ce resserrement du calendrier est lié à l’ajournement des travaux de notre Assemblée ces quinze derniers jours.

J’aborde maintenant le contenu du rapport. La défiscalisation des investissements outre-mer repose sur quatre articles du code général des impôts : l’article 199 undecies A, 199 undecies B, 199 undecies C et 217 undecies.

Il s’agit de déductions fiscales appliquées soit à l’impôt sur le revenu, soit à l’impôt sur les sociétés pour des investissements concernant aussi bien le domaine industriel que le secteur du logement social (l’article 199 undecies A qui vise le logement à loyer libre ou intermédiaire est en extinction à compter du 31 décembre 2012).

L’ensemble des dépenses fiscales concernant ces quatre articles est évalué à 1,1 milliard d’euros pour 2013.

La part correspondant au logement social est évaluée, toujours en 2013, à environ 500 millions d’euros.

Par ailleurs, dans l’enveloppe globale des dépenses fiscales, figure également une somme que l’on peut évaluer, selon la FEDOM, à 400 millions d’euros en 2012 et qui correspond à des investissements industriels dans le secteur dit du « plein droit » (il s’agit de petits projets inférieurs à 250 000 euros, ce montant correspondant au seuil de l’agrément). Ces investissements sont défiscalisés au titre de l’impôt sur le revenu (article 199 undecies B du code général des impôts). Ainsi, les statistiques montrent bien que les petites entreprises, les TPE et les PME, bénéficient, de manière tout à fait significative, de l’avantage fiscal.

Certes, ce dispositif fiscal constitue un élément un peu spécifique dans le contexte du « paysage fiscal français », mais cette particularité est bien adaptée aux spécificités des collectivités territoriales ultramarines.

En drainant de l’épargne là où celle-ci fait défaut à cause des caractéristiques propres des économies locales (insularité, étroitesse des marchés, dépendance des industries à l’égard de l’extérieur…), la défiscalisation est un des éléments qui permettent de compenser les handicaps territoriaux et ainsi de rétablir les équilibres économiques.

Pourtant le système fait actuellement l’objet de critiques. La principale d’entre elles consiste à indiquer que l’industrie et le logement social ne sont pas destinataires de l’ensemble des ressources collectées car il faut tenir compte de l’intéressement des contribuables qui défiscalisent et de l’intervention des intermédiaires financiers, ces deux facteurs provoquant des « déperditions » hors de l’économie réelle.

D’autre part, la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012 semble avoir apporté un coup d’arrêt au mécanisme de la défiscalisation en diminuant, de façon drastique, le plafond des déductions concernant l’outre-mer et s’appliquant à l’impôt sur le revenu.

La Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale a souhaité se saisir de la question de l’évaluation de ce dispositif.

Le rapport qui vous est proposé, et notamment sa seconde partie, montre que cette évaluation est très largement positive.

Il a donc paru souhaitable aux deux rapporteurs de proposer le maintien du système, moyennant un certain nombre de modifications pour répondre aux critiques, modifications permettant de faire évoluer le dispositif vers plus de rigueur.

Nous sommes bien conscients, préconisant cela, que nous allons peut-être à contre-courant des intentions du ministère de l’Économie et des finances, intentions qui seraient plutôt de « raboter » les niches fiscales.

Mais il nous semble aussi qu’actuellement, tant la conjoncture économique que l’évolution de la pensée politique vont dans notre sens.

Dans le rapport qui vous est présenté, les rapporteurs ont souhaité montrer que le dispositif de défiscalisation était bien adapté à la collecte de l’épargne sur des objectifs ciblés, que ce soit la réalisation de grands projets structurants dans les DOM et dans les COM, que ce soit la mise en place de projets plus petits mais tenant à cœur à près de 16 000 PME, pour ne parler que du secteur du plein droit, ou que ce soit, enfin, la construction de logements neufs destinés aux bailleurs sociaux.

Le système a donc pleinement rempli son but qui était de contribuer à l’aménagement du territoire.

Par suite, une grande partie du dispositif mérite d’être conservée et le rapport présente un certain nombre d’orientations en ce sens :

- Maintien des articles 199 undecies B et 199 undecies C du code général des impôts (proposition 1) ;

- Maintien de la défiscalisation au titre de l’article 217 undecies du CGI mais limitée aux petites entreprises, c'est-à-dire celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’euros ou qui ont moins de 50 salariés (proposition 2) ;

- Maintien de la défiscalisation existante pour les investissements réalisés dans les territoires ultramarins à autonomie fiscale (proposition 3) ;

Ces orientations n’empêchent pas de prévoir aussi un certain nombre de dispositions pour améliorer le système tout en le rendant plus rigoureux. Le rapport présente neuf propositions qui poursuivent tout particulièrement ce double objectif :

- Instituer un plafonnement des déductions à l’impôt sur le revenu pour l’outre-mer égal à 30 000 euros et intégralement cumulable avec le plafond général des déductions fiscales actuellement fixé à 10 000 euros (ce plafond de 30 000 euros, quoique fixé en valeur absolue, permettant, en moyenne, de ramener le montant des déductions fiscales par contribuable défiscalisateur à ce qu’il était avant la décision du Conseil constitutionnel). Cette proposition fait partie de la proposition 1 du rapport ;

- Demander au ministère de l’Économie et des finances de réaliser, avant le dépôt de la prochaine loi de finances initiale, une étude d’impact précise visant à permettre l’introduction d’un crédit d’impôt concernant les entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions d’euros ou un effectif supérieur à 50 salariés (le crédit d’impôt permettant une défiscalisation directe sans intermédiaires financiers). Cette proposition est la proposition 4 du rapport ;

- Prévoir, dans le cadre de ce crédit d’impôt, la possibilité d’instituer un fonds de garantie pour les entreprises (proposition 5) ;

- Réduire le seuil de la défiscalisation de plein droit en le faisant passer de 250 000 euros à 150 000 euros ; les projets compris entre 150 000 et 250 000 euros pourront faire l’objet d’un agrément simplifié (proposition 6) ;

- Prévoir un renforcement du mécanisme de la déclaration obligatoire, quelle que soit la procédure de défiscalisation (proposition 6 également) ;

- Flécher les secteurs et les filières éligibles pour éviter le manque d’homogénéité dans les domaines faisant l’objet de l’aide fiscale (proposition 7) ;

- Mieux définir le concept d’investissement productif en ne retenant dans les investissements éligibles que ceux qui combinent – selon une proportion variable – la création de valeur ajoutée, la création de richesses et la création d’emplois (proposition 8) ;

- Favoriser les procédures de consultation, par analogie avec le code des marchés publics, pour obtenir les meilleurs taux de rétrocession possibles, notamment dans le domaine du logement social (proposition 9) ;

- Et enfin réglementer la profession de monteur d’opérations de défiscalisation (MOD) ou prévoir une charte de déontologie fixant les bonnes pratiques, notamment en ce qui concerne les taux d’intermédiation (proposition 10).

Au total, l’ensemble de ces préconisations ont pour objet de préserver l’efficience de l’instrument que constitue la défiscalisation, un instrument qui permet une très bonne mobilisation de l’épargne en faveur des collectivités territoriales d’outre-mer. Nous pensons, en revanche, qu’une solution visant à remplacer tout ou partie de la défiscalisation par une augmentation, même très significative, de la ligne budgétaire unique (LBU) ne pourrait constituer qu’une démarche très aléatoire.

M. Philippe Gomes. J’aurais souhaité effectivement, M. le président, pouvoir disposer du projet de rapport un peu plus tôt que cela n’a été, mais le débat sur la défiscalisation va certainement durer jusqu’à l’adoption de la prochaine loi de finances et nous aurons donc encore le temps de débattre et de roder nos arguments.

Je suis tout à fait d’accord avec les propositions contenues dans le rapport dont la plus grande part constitue des correctifs qui doivent permettre d’adapter le dispositif aux attentes de l’opinion publique.

L’idée de base du rapport – et que j’approuve – est qu’il ne faut pas casser quelque chose qui marche. Ainsi, il est incontestable que la défiscalisation a puissamment contribué à l’essor du logement social ces dernières années. Par exemple, à La Réunion, si le volume global des logements locatifs sociaux programmés dans ce département est passé de 1 688 logements en 2008 à 4 505 logements en 2012, c’est bien grâce aux dispositions combinées des articles 199 undecies C et 217 undecies du code général des impôts.

Dire que l’on va renforcer la LBU pour mobiliser les mêmes moyens financiers et, notamment, pour compenser la perte de ressources liée à une suppression éventuelle de l’article 199 undecies C du code général des impôts, paraît tout de même assez inquiétant. Cette idée risque même, selon moi, d’aboutir, si l’on n’y prend pas garde, à des effets catastrophiques.

L’essor constaté du logement social est d’autant plus remarquable que, dans le même temps, le logement intermédiaire marque le pas. À cela s’ajoute le fait que le dispositif « Duflot outre-mer » n’est toujours pas applicable. Pour le logement intermédiaire, on quitte donc un système dont les effets étaient insuffisants pour s’acheminer vers un dispositif qui n’est pas encore opérationnel.

S’agissant des investissements productifs, je souscris à tout ce qui a été dit. En particulier, je pense qu’abaisser le seuil de la défiscalisation dite « de plein droit » est une bonne piste. J’avais proposé moi-même une mesure analogue à la fin de l’année 2012.

S’agissant des propositions 7 et 8, il faudra rester vigilant afin que les mesures de redéfinition et de « fléchage » n’aboutissent pas à une suppression de l’essentiel des secteurs éligibles à la défiscalisation.

Je suis d’accord, enfin, sur les deux propositions visant à systématiser les procédures d’appels d’offres et à réglementer la profession d’intermédiaire financier.

J’adresse donc mes félicitations aux deux rapporteurs pour la qualité des propositions de ce rapport. S’agissant de leur mise en œuvre, je souhaiterais que tout puisse être mis en route le plus vite possible, et au plus tard au 1er janvier 2014. Je souhaiterais d’ailleurs que la Délégation puisse adopter une proposition en ce sens.

Je voulais par ailleurs savoir s’il serait possible de mettre en place un dispositif intermédiaire pour l’année 2013, tenant compte des effets de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012.

M. le président Jean-Claude Fruteau. À l’heure actuelle, beaucoup de projets agréés ont été lancés sous l’empire de la réglementation encore en vigueur au 31 décembre 2012 : la situation n’est donc pas encore alarmante. Cependant, la décision du Conseil constitutionnel qui diminue, de manière drastique, le plafond de la défiscalisation des investissements outre-mer pour les contribuables taxés à l’impôt sur le revenu risque de raréfier l’épargne collectée au milieu de l’année 2013. On risque donc de constater une « bulle d’air » dans la collecte de l’épargne jusqu’en août 2014, date qui coïncidera, à peu près, avec la montée en puissance du dispositif rénové pour les déductions fiscales outre-mer, dispositif que la Délégation espère conforme aux préconisations de son rapport. Tout ce que l’on peut faire dans l’immédiat, c’est d’inciter rapidement les pouvoirs publics à prendre des décisions pérennes dans le domaine de la défiscalisation, des décisions à forte lisibilité, de façon à ce que l’investissement puisse repartir, de façon satisfaisante, dans le courant de l’année 2014.

M. Philippe Gomes. Ne pourrait-on espérer des mesures anticipées dans un collectif budgétaire ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je pense que les perspectives concernant une nouvelle réglementation se situent plutôt à l’horizon du début de l’année 2014. Il faut donc s’attendre à ce que le sujet soit encore débattu jusqu’à la fin de cette année.

M. Jean Jacques Vlody. Indépendamment du logement social, le rapport a, à mes yeux, le grand mérite de réaffirmer l’importance de l’investissement productif.

Il est vrai que la population a souvent une perception désastreuse de la défiscalisation. Pourtant, la défiscalisation des investissements productifs constitue un outil important pour le soutien de très nombreuses filières industrielles et aussi pour leur organisation et pour leur structuration.

Par exemple, j’ai eu récemment l’occasion de visiter, dans le sud de La Réunion, une unité d’éclosion avicole – ce type d’exploitation, on s’accordera à le reconnaître, jouant un rôle capital en amont des filières d’élevage de poulets. Sans la défiscalisation, cette unité n’aurait jamais vu le jour. La défiscalisation n’est donc pas un saupoudrage de ressources publiques : elle joue un rôle essentiel dans le soutien aux filières et dans leur organisation.

J’insiste auprès de nos collègues qui voudraient mettre fin à la défiscalisation et s’en rapporter entièrement au budget de l’État sur le fait que, dans bon nombre de domaines, l’on ne peut pas se passer d’un accompagnement financier des subventions publiques. Les seules subventions publiques ne suffisent pas. Il faut donc valoriser l’investissement productif et lui donner tous les instruments nécessaires à son développement, y compris la défiscalisation qu’il convient de préserver.

M. René Dosière. Après une lecture rapide du rapport, je pense que vous avez eu raison, M. le président, de faire apparaître le grand intérêt de la défiscalisation pour le logement social. En même temps, il ne faut pas sous-estimer l’opinion hexagonale, à qui il est demandé des efforts budgétaires considérables, alors qu’elle peut avoir l’impression que l’outre-mer échappe à ces efforts. Pour moi, M. le président, le maintien du dispositif en suppose une perception favorable par l’opinion publique. Or, il est difficile de nier que, dans le contexte budgétaire actuel, cette perception est problématique.

Je voulais aussi vous poser une question sur les collectivités territoriales à autonomie fiscale. Avez-vous pu faire des études sur les régimes applicables dans les COM et sur les différents taux de défiscalisation et de rétrocession ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. Les COM ne sont pas assujetties aux impôts d’État. Elles fixent elles-mêmes les régimes fiscaux dont elles dépendent. À partir de là, de multiples régimes sont possibles qui ne différent pas sensiblement, dans leur pratique, des dispositions qui sont retenues en métropole. Ce qu’il faut observer en tout cas, c’est que, dans la plupart des COM, il n’existe pas, dans le cadre de la fiscalité des entreprises, d’impôt sur les sociétés. Par suite, le crédit d’impôt, si ce dernier devait être retenu pour remplacer la défiscalisation, ne pourrait leur être applicable.

Mme Ericka Bareigts. Je voudrais poser une question sur la proposition 7. Le « fléchage » dont il est question, dans cette proposition, est-il un « fléchage » global ou territorial et, s’il est territorial, pourrait-il reposer, le cas échéant, sur la contractualisation ? Je souligne, par ailleurs, l’importance de la proposition 8 : elle est capitale si l’on veut « coupler «  les investissements productifs et l’emploi.

M. le président Jean-Claude Fruteau. La réponse est que le « fléchage » serait plutôt territorial. Nous pourrons mieux préciser cette notion tout à l’heure, au moment des votes, si vous souhaitez compléter la proposition 7.

M. Daniel Gibbes. Je suis frappé par le fait que la mauvaise presse qui caractérise la défiscalisation est liée, fréquemment, aux changements brusques de la réglementation. Par exemple, dans ma collectivité, on a d’abord défiscalisé, au titre de l’investissement productif, dans les équipements liés au tourisme, c'est-à-dire dans la construction de chambres d’hôtels. Ensuite, on a changé les procédures incitatives et on a défiscalisé dans la construction d’habitations neuves. À la suite de cela, d’ailleurs, on a pu constater un déficit de chambres hôtelières. Par ailleurs, la rénovation dans l’immobilier ancien n’a jamais été prise en compte. C’est ainsi que la sortie d’un domaine à l’autre se fait mal et qu’elle laisse subsister des carences. Du coup, l’image donnée est mauvaise. Il faudrait mieux gérer les changements de réglementation et, à l’heure actuelle, songer à défiscaliser la rénovation dans l’immobilier ancien. Il faudrait aussi pouvoir disposer de produits sur lesquels on puisse investir en revolving, c'est-à-dire des produits « réactualisés ».

M. Ibrahim Aboubacar. Je suis assez d’accord avec ce que dit notre collègue M. Gibbes. Tout d’abord, la réglementation pousse à investir puis, après, l’architecture mise en place disparaît. C’est détestable en termes d’image. Je suis d’accord aussi avec ce que dit notre collègue M. Gomes : il faut introduire de la visibilité dans le système. C’est bien le minimum auquel on puisse procéder pour passer du concept tant décrié de « niche » à celui de véritable procédure incitative visant à la relance des investissements. Il faut aussi impérativement réglementer les activités des intermédiaires financiers.

M. le président Jean-Claude Fruteau. D’ailleurs la profession n’y est pas hostile.

Mme Chantal Berthelot. Je souhaiterais rappeler qu’autrefois, la défiscalisation était ouverte aussi aux primo accédants à la propriété.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cette disposition figurait dans la LODEOM, la loi pour le développement économique des outre-mer ?

Mme Chantal Berthelot. Oui, mais la disposition a ensuite été supprimée. En Guyane, elle fait cruellement défaut. Sans vouloir faire de cette idée une proposition dans le présent rapport, je tenais à ce que ceci soit rappelé, car cette mesure présentait un intérêt certain pour les DOM et les COM.

M. Philippe Gomes. Je voudrais observer que la Cour des comptes, par exemple, s’appuie beaucoup sur les fraudes possibles pour critiquer le dispositif. Mais il convient de noter que, depuis les origines de la réglementation, des efforts ont été faits, de manière constante, par les gouvernements successifs, pour éviter les abus. En fait, aucun gouvernement n’a jamais été insensible à la moralisation du dispositif. Il ne faut donc pas tout rejeter en bloc aujourd’hui, alors que nous disposons d’un mécanisme qui fonctionne et que des efforts peuvent encore être faits pour en améliorer la rigueur. Je souscris donc pleinement à toutes les propositions contenues dans le rapport et destinées à accroître les règles prudentielles liées à la défiscalisation.

Le Conseil constitutionnel a incontestablement donné un coup de grâce au dispositif, du moins pour ce qui a trait aux déductions fiscales correspondant à l’impôt sur le revenu, en indiquant qu’il n’y avait plus lieu de prévoir une part variable dans le plafond des déductions, part variable qui, avant sa décision de décembre 2012, correspondait à 4 % du revenu imposable. Mais il me semble que, comme le fait le rapport, on peut repenser le montant du plafonnement des déductions fiscales en l’exprimant en valeur absolue.

Il faudra que notre Délégation soit très attentive à la mise en œuvre de la proposition 8 afin que la nouvelle définition des investissements productifs ne tende pas à évincer la filière des énergies renouvelables, une filière qui, quoique novatrice, n’est pas créatrice d’un très grand nombre d’emplois.

Je suis tout à fait d’accord pour réglementer la profession de monteur financier. L’Assemblée nationale avait déjà demandé une telle réglementation au cours de ses débats, mais le Gouvernement a toujours été réticent sur ce point. Je pense que l’on achoppe sur la question des contrôles dont les services du ministère de l’Économie et des finances ne souhaitent pas nécessairement se charger.

Enfin, je redis mon inquiétude sur le logement outre-mer. La « loi Duflot » prévoit différentes sources de financement mais personne n’arrive, outre-mer, à les mobiliser toutes à la fois. Le logement intermédiaire fait complètement défaut, les investissements aidés par le « dispositif Scellier » sont insuffisants et le mécanisme « Duflot outre-mer » n’est pas en route. Si l’on supprime les dispositifs de défiscalisation spécifiques étudiés dans le présent rapport, je pressens une catastrophe.

Il faudrait que notre Délégation s’intéresse à ces questions et entende la ministre de l’Égalité des territoires et du Logement.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je suis d’accord pour que la Délégation conduise une réflexion élargie sur le logement dans les DOM et les COM. Je pense également comme vous, mon cher Collègue, que le système de la défiscalisation des investissements outre-mer doit faire l’objet de règles plus strictes, sinon il ne pourra pas être conservé.

Je vous propose de passer aux votes.

Mme Ericka Bareigts. Je souhaiterais compléter la proposition 7 par la phrase suivante : « Le fléchage pourrait être territorial sur une base contractuelle, établi par l’État en accord avec les collectivités. »

Il en est ainsi décidé.

M. Philippe Gomes. Je souhaiterais, pour ma part, proposer une onzième résolution : « Le dispositif recommandé devra être mis en œuvre dès le 1er janvier 2014 pour une durée devant conférer une stabilité et une visibilité dans le temps. »

Il en est ainsi décidé.

Le rapport, ainsi complété, est ensuite adopté à l’unanimité.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

1. Conserver impérativement le dispositif des articles 199 undecies B et 199 undecies C du code général des impôts et prévoir, pour l’application des trois articles 199 undecies A, 199 undecies B et 199 undecies C, un plafonnement égal à 30 000 euros, intégralement cumulable avec le plafonnement général de 10 000 euros.

2. Conserver la défiscalisation au titre de l’article 217 undecies du code général des impôts pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’euros ou qui ont moins de 50 salariés.

3. Conserver sans modification la défiscalisation existante pour les investissements réalisés dans les territoires ultramarins à autonomie fiscale.

4. Demander au ministère de l’Économie et des finances de réaliser, avant le dépôt de la prochaine loi de finances initiale, une étude d’impact précise permettant une éventuelle modification du système de la défiscalisation par l’introduction d’un crédit d’impôt concernant les entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions d’euros ou un effectif supérieur à 50 salariés.

5. Dans le cadre de cette étude, prévoir la possibilité d’instituer un fonds de garantie.

6. Il est souhaitable de réduire le seuil de la défiscalisation de plein droit en le faisant passer de 250 000 à 150 000 euros ; les projets compris entre 150 000 et 250 000 euros pourraient faire l’objet d’un agrément simplifié. Par ailleurs, il conviendrait de prévoir un renforcement de la déclaration obligatoire, quelle que soit la procédure de défiscalisation.

7. « Flécher » les secteurs et les filières éligibles pour éviter le manque d’homogénéité dans l’aide fiscale. Le « fléchage » pourrait être territorial sur une base contractuelle, établi par l’État en accord avec les collectivités.

8. Mieux définir le concept d’investissement productif dans le code général des impôts en posant comme principe que l’aide fiscale ne pourra concerner que des travaux ou des équipements combinant valeur ajoutée, création de richesses et création d’emplois.

9. Favoriser les procédures de consultation pour obtenir les meilleurs taux de rétrocession possibles, notamment dans le domaine du logement social.

10. Réglementer la profession d’intermédiaire financier dans le domaine de la défiscalisation ou prévoir une charte de déontologie fixant les bonnes pratiques, notamment en ce qui concerne les taux d’intermédiation.

11. Le dispositif recommandé devra être mis en œuvre dès le 1er janvier 2014 pour une durée devant conférer une stabilité et une visibilité dans le temps.

PERSONNES ENTENDUES PAR LA DÉLÉGATION

• M. Victorin LUREL, ministre des Outre-mer

• M. Grégory ABATE, chef du bureau B1 à la direction de la législation fiscale (fiscalité directe des entreprises)

• Mme Samia BADAT-KARAM, directrice des affaires publiques de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM)

• Mme Véronique BIED-CHARRETON, directrice de la législation fiscale (direction générale des finances publiques – ministère de l’Économie et des finances)

• Mme Anne BOLLIET, Inspectrice générale des finances (Ministère de l’Économie et des finances)

• M. Thomas de COINTET (FIPROMER)

• M. Thomas DEGOS, Délégué général à l’outre-mer

• M. Marc DEL GRANDE, sous-directeur du service des politiques publiques à la Délégation générale à l’outre-mer (DEGEOM)

• M. Luc DOMERGUE, administrateur du Groupement des Ingénieurs Financiers de l’Outre-mer (GIFOM)

• M. Claude GIRAULT, Délégué général adjoint à l’outre-mer

• Mme Annie IASNOGORODSKI, déléguée générale de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM)

• M. Dariusz KACZYNSKI, chef du bureau des agréments et rescrits  – ministère de l’Économie et des finances

• M. Alexandre LAURENT (Cabinet I2F)

• Madame Nathalie LEROY (Cabinet INFI)

• M. Jean-Pierre PHILIBERT, président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM)

• Mme Ingrid ROY, responsable de la première division du bureau des agréments – ministère de l’Économie et des finances

• M. Bernard SIRIEX, président de la Fédération du bâtiment (FFB) et des travaux publics de La Réunion

•  M. Benoît VANSTAVEL, directeur des relations parlementaires et institutionnelles de la Fédération Française du Bâtiment (FFB)

• M. Daniel PETIT, président-directeur général du cabinet Inter Invest

• M. Vincent DECLERCQ, directeur en charge du réseau d’agences dans les DOM et les COM, cabinet Inter Invest

• M. Jérôme DEVAUD, directeur commercial, cabinet Inter Invest

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION

Audition de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, sur la taxe de l’octroi de mer, la défiscalisation et l’agriculture outre-mer

Compte rendu de la réunion du 26 mars 20013

M. le président Jean-Claude Fruteau. L’ordre du jour appelle, tout d'abord, la désignation de deux rapporteurs sur la défiscalisation des investissements outre-mer.

Comme vous le savez, l'article 79 de la loi de finances initiale pour 2013 prévoit – mais pour un an seulement – le maintien de la défiscalisation des investissements outre-mer, défiscalisation qui concerne notamment les investissements industriels et le logement social.

D’autre part, le Parlement avait étendu le plafonnement de la défiscalisation à 18 000 euros plus 4 % du revenu imposable – mais le Conseil constitutionnel a supprimé la disposition des 4 % à la fin de l'année 2012.

À la suite de cela, deux rapports ont été demandés, le premier, pour le mois de mai, à Bercy, qui doit traiter de l'évaluation de la défiscalisation, et le second à l'Inspection générale des finances (IGF), qui doit étudier les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel.

Cette situation fait naître une certaine inquiétude dans nos départements d’outre-mer notamment : nous avons donc souhaité rédiger un rapport sur ce sujet.

Je précise que M. Larcher, président de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, procède de la même manière, puisqu'il a créé un groupe de travail commun à la Délégation et à la commission des Affaires économiques du Sénat.

Pour réaliser ce rapport, je vous propose, comme nous en avons pris l'habitude, de désigner deux parlementaires, l'un issu de l'outre-mer et l’autre de l'hexagone. Je vous suggère la candidature de M. Patrick Ollier, ancien président de l'Assemblée nationale et rapporteur spécial du budget de l’outre-mer, ainsi que de moi-même.

Mme Annick Girardin. Monsieur le président, vous êtes tout à fait légitime dans ce rôle, d’autant que vous êtes membre de la commission des Finances, tout comme M. Ollier, ce qui a son importance sur un tel sujet.

Cela m’aurait également intéressée, mais le Gouvernement m’a demandé de faire partie du groupe de réflexion qu’il a mis en place dans ce domaine.

M. le président Jean-Claude Fruteau. S’il n’y a pas d’opposition, il en est ainsi décidé.

*

* *

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous allons maintenant entendre M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, que je remercie de sa présence. Son audition portera en premier lieu sur l’octroi de mer, à la suite du rapport réalisé par la Délégation sur ce sujet. Nous souhaiterions, monsieur le ministre, que vous fassiez le point de la réflexion du Gouvernement et que vous nous indiquiez vos conclusions ainsi que les demandes formulées dans les négociations avec Bruxelles.

Nous aborderons ensuite la défiscalisation des investissements outre-mer et l’agriculture – un volet spécifique sur l’outre-mer étant prévu dans le projet de loi que le Gouvernement a l’intention de présenter dans ce domaine. Nous avons d’ailleurs désigné deux rapporteurs sur ce dernier sujet : Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard.

M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. C’est moi qui vous remercie de votre accueil.

En ce qui concerne l’octroi de mer, nous faisons nôtres toutes les conclusions de votre rapport : elles correspondent globalement aux demandes que nous avons transmises à Bruxelles début février dans le cadre du mémoire que nous lui avons communiqué en vue de reconduire le dispositif existant – ce qui n’est pas évident, compte tenu de la position de la Commission européenne.

Je rappelle que l’octroi de mer constitue une ressource essentielle pour les départements d’outre-mer : un peu plus d'un milliard d'euros par an – 1 milliard et 32 millions d’euros précisément en 2011.

De plus, il s'agit d'un dispositif de soutien important pour les entreprises de production. Il a en effet contribué depuis une dizaine d'années au maintien et au développement de certaines activités de production, permettant ainsi de créer un nombre significatif d'emplois pérennes dans les départements et régions d’outre-mer (DROM).

L'évaluation conduite par le cabinet Lengrand, un organisme indépendant – j’insiste sur ce terme, les institutions européennes vérifiant la qualité des audits réalisés – conclut à l'absence de surcompensation, de surprotection, ou d'effet de rente. L'octroi de mer ne crée donc pas de distorsion de concurrence mesurable.

Or la permanence de plusieurs handicaps structurels conduit à solliciter le renouvellement de ce dispositif.

Les propositions que nous avons transmises à Bruxelles sont de cinq ordres.

D’abord, nous proposons de modifier le champ d'application de l'octroi de mer en l’étendant à Mayotte dès le 1er janvier 2014, date à laquelle le texte permettant à ce territoire d’accéder au statut de RUP – région ultra-périphérique – entre en vigueur. Cette particularité va nécessiter l’adoption d'un texte spécifique pour cette collectivité afin de couvrir la période du 1er janvier au 1er juillet 2014 – lorsque le dispositif actuel arrive à échéance. Les commissaires européens sont d’accord pour prendre d’ici la fin de l’année les deux décisions nécessaires à cette fin, l’une du Conseil, l’autre de la Commission.

Notre deuxième demande porte sur les conditions d’assujettissement et les redevables : elle tend à exclure du champ d'application de la taxe les entreprises réalisant un chiffre d'affaires inférieur à un seuil de 300 000 euros. Je rappelle qu’aujourd’hui, seules les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 550 000 euros par an sont assujetties. Nous aurons à voir avec les élus locaux, notamment les présidents de région, comment le surplus de recettes devra être affecté.

Troisièmement, s’agissant des taux, il est proposé la création d'un différentiel temporaire de taxation pour les nouvelles productions non listées de 15 % maximum. Pour mémoire, le dispositif actuel comporte trois listes de produits, avec un différentiel de taxation allant jusqu’à 10 %, 20 % et 30 % respectivement pour les listes A, B et C. Reste néanmoins à vérifier si un tel différentiel est suffisant pour permettre de faire émerger une production nouvelle, sachant que Bruxelles est réticente à aller au-delà de 5 ou 7 %. Nous devons en effet affronter la concurrence de produits n’ayant pas nos problèmes de coûts salariaux et pouvant bénéficier de dévaluations monétaires.

En quatrième lieu, nous souhaitons une meilleure flexibilité de l'encadrement juridique du dispositif, en assouplissant les modalités de révision de l'annexe relative aux listes de produits pouvant être exonérés ou taxés à un taux réduit.

Enfin, deux autres mesures sont proposées : l’extension des possibilités d'exonération en faveur de certaines activités – les infrastructures de développement économique, la recherche ou le tourisme – et la modernisation des systèmes informatiques de collecte et de traitement de données par l'administration fiscale française afin de rendre davantage fiable le suivi des données statistiques.

Je me suis rendu à la Commission européenne : les commissaires ont été francs tout en manifestant leur bienveillance ; ils sont conscients qu’on ne peut remettre en cause fondamentalement le dispositif.

Cela étant, le commissaire chargé de la fiscalité, M. Semeta, m’a fait part d’une certaine méfiance de la Commission vis-à-vis de la philosophie de l'octroi de mer, vue en quelque sorte comme une entrave à la libre circulation. Il a souligné le caractère dérogatoire de ce régime – fondé sur l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – et estimé fondamental de justifier la nécessité de son maintien.

Il a également indiqué son souci de veiller à l'absence de toute finalité « protectionniste » de ce régime et invité la France à bien démontrer le caractère proportionné de l'aide.

Cela supposait donc que, pour chaque produit bénéficiant d'un taux réduit d'octroi de mer, notre pays justifie l'existence d'une production locale, d'importations significatives et de surcoûts de production. La Commission a besoin de ces éléments aussi rapidement que possible pour pouvoir instruire la demande française dans les meilleurs délais. Je me suis d’ailleurs engagé à les lui communiquer avant la fin du mois d’avril.

En effet, les délais sont contraints : l'octroi de mer est régi par un double encadrement communautaire – une décision du Conseil et une décision de la Commission.

Le calendrier est le suivant : l’examen par la direction générale TAXUD, chargée de la fiscalité, jusqu'à la fin du premier semestre 2013 de notre demande de renouvellement et des listes A, B et C actualisées de produits bénéficiant du différentiel – des instructions ont été données aux préfets et des demandes formulées aux présidents de région à cet égard afin d’arrêter la position française – ; puis la proposition législative de la Commission au Conseil ; la saisine pour avis du Parlement européen ; et l’adoption par le Conseil de la décision par un vote à la majorité qualifiée.

Parallèlement, à partir de septembre 2013, est prévue la notification du dispositif d'exonération d'octroi de mer auprès de la direction générale de la concurrence (COMP).

Enfin, le Parlement français devra, dans le cadre d’un projet de loi, transposer la décision de l'Union européenne dans le droit national afin de permettre une entrée en vigueur du nouveau dispositif pour le 1er juillet 2014.

La consultation des régions concernées – y compris Mayotte – est déjà engagée – au travers des préfets, des collectivités locales et des socioprofessionnels – sur la base d'un tableau commun qui permettra pour chaque produit de justifier les raisons pour lesquelles un différentiel de taxation est demandé. Je devrais être destinataire de leurs propositions d’ici la mi-avril. L'harmonisation de la base de données permettra également de faire des comparaisons, de manière plus aisée, d'un territoire à l'autre et d'éviter dans les bassins régionaux des concurrences entre territoires du fait de différentiels de taxation inexpliqués. Je rappelle qu’on a tenté, il y a quelques années, de régler ce type de problème entre la Guadeloupe et la Martinique pour éviter des différentiels de taxation susceptibles de créer des détournements de trafic indus.

Il faut donc que le différentiel de taxation fasse l’objet d’une analyse rigoureuse et argumentée.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Quelles sont précisément les modifications réclamées en termes d’assujettissement ?

M. le ministre. Nous avons demandé d’abaisser le seuil d’assujettissement de 550 000 à 300 000 euros. Nous avions proposé que jusqu’à 80 000 euros, les entreprises ne soient pas assujetties et que de 80 000 à 300 000, elles le soient mais bénéficient d’une exonération : cependant, les services fiscaux et les douanes avaient expliqué que c’était compliqué. Il est donc préférable de faire une césure à 300 000 euros.

Cela n’empêche pas un débat avec les élus locaux. Les représentants socioprofessionnels ne manqueront pas de dire que cette mesure est inflationniste, mais c’est une question d’équité : certaines entreprises peuvent aujourd’hui bénéficier de certaines exonérations, avoir directement ou indirectement des aides tirées de l’octroi de mer, sans participer à l’effort commun. Il faut voir comment elles pourraient participer.

Mais au-delà de ce point, Bruxelles devrait faire porter son analyse sur la hiérarchisation des listes et le différentiel de taux, en fonction des éléments qui lui seront communiqués. La discussion portera également sur le différentiel applicable aux produits nouveaux – sachant que les révisions des listes sont assez lourdes et justifient un dispositif simplifié. Elle devrait s’appuyer sur des études de statistique économique objectives.

Une chose n’a pas été réclamée – même si j’ai demandé à l’IGF et au service de législation fiscale de poursuivre la réflexion – : l’extension aux services. Aujourd’hui, l’octroi de mer est recouvré par les douanes, et non les services fiscaux. Une telle mesure supposerait un changement d’organisation et des redéploiements entre ces deux administrations dont on nous a fait comprendre qu’ils seraient trop compliqués à mettre en œuvre pour le moment.

L’autre point non demandé, mais évoqué par beaucoup, consisterait à transformer l’octroi de mer en TVA – ou son équivalent – gérée par les régions. Si le mécanisme de déduction de la TVA est intéressant, il y a tellement d’incertitudes sur le produit fiscal attendu qu’on ne peut changer de système sans avoir fait des simulations sérieuses ou une expérimentation préalable. Mais les institutions européennes sont-elles disposées à accepter une expérimentation ? Par ailleurs, où celle-ci serait-elle menée ?

Un autre débat pourrait être engagé avec les présidents de région et d’association des maires sur la question de l’affectation du surcroît des recettes attendues : les plus-values seraient-elles affectées en faveur du fonctionnement, comme aujourd’hui, ou, partiellement, des investissements ?

Peut-on par ailleurs demander aux régions de baisser les taux sur les produits de consommation courante ou de première nécessité ? Cette question nécessitera un accord préalable avec les élus régionaux et les maires, car il s’agit de leur dotation globale garantie.

M. Serge Letchimy. Les frais de recouvrement représentent 2,5 % des recettes : ils constituent des sommes très élevées, qui pourraient être mieux partagées. À plusieurs reprises, nous avons demandé d’ouvrir un débat sur ce point afin de faire le lien entre le coût de recouvrement et les recettes correspondantes : cela pourra-t-il être le cas ?

Deuxièmement, une étude d’impact sur l’abaissement du seuil d’imposition à 300 000 euros ne serait-elle pas utile pour voir quelles seraient les entreprises concernées et les conséquences de cette mesure sur elles ?

Je suis heureux que vous ayez pu obtenir la réaffirmation de l’application de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, car, lors de ma dernière visite à Bruxelles, il a fallu beaucoup batailler pour que ce soit le cas.

La question de la transformation de l’octroi de mer en TVA est pertinente : elle mérite d’être expertisée, notamment au regard des conséquences en termes de stratégie économique, d’accompagnement de la production, de relance de la consommation, ainsi que sur le plan fiscal. Certains considèrent en effet que cette mesure pourrait être un moyen de relancer la consommation par des mécanismes de déduction.

M. le ministre. Les frais de recouvrement permettent de rémunérer les services de l’État mais aussi de servir des indemnités aux douaniers. Il s’agit, il est vrai, de sommes importantes, qui donnent lieu à un débat récurrent. Certains ont d’ailleurs estimé qu’une proportion d’1 ou 1,5 % pourrait largement suffire sans remettre en cause le régime indemnitaire des douaniers. Cela permettrait en outre d’engendrer un surcroît de recettes non inflationniste pour les collectivités locales. Mais nous avons du mal à convaincre le ministère chargé des finances sur ce point.

Sur l’abaissement du seuil, j’ai demandé la réalisation d’une étude d’impact avant l’entrée en vigueur du nouveau dispositif : nous l’attendons. Cet abaissement peut gêner les entreprises si elles n’en répercutent pas le coût, mais si elles le font, cela peut être inflationniste. Il est utile à cet égard de connaître l’impact selon les produits et leur volume de consommation.

Le texte de juillet 2004 prévoit un mécanisme de déduction proche de celui de la TVA, mais qui ne semble pas bien marcher. Deux ou trois grandes entreprises l’utilisent, notamment EDF, qui a un régime d’imputation et de crédit d’impôt proche de la TVA, lequel fonctionne d’ailleurs différemment en Martinique et en Guadeloupe. À ce sujet, nous avons eu il y a quelques années des différends – non tranchés – sur le mécanisme comptable utilisé par EDF pour rendre éligible certains produits, comme les véhicules importés.

L’octroi de mer s’applique à l’électricité et tous les clients le paient. Or il se trouve qu’EDF ne l’acquitte pas en Guadeloupe – en Martinique cela est légèrement différent – et un crédit d’impôt est reversé. Il faut élucider cette question et voir comment le mécanisme actuel pourrait fonctionner efficacement avant d’en changer. J’ai demandé à approfondir ce point. En tout cas, si on devait retenir un mécanisme proche de la TVA, il faudrait qu’il soit maîtrisé par les régions – aucun élu n’accepterait que ce ne soit pas le cas.

Pour pallier le caractère inflationniste de l’octroi de mer, on peut aussi recourir, au-delà du mécanisme de déduction de la TVA, au régime des droits d’accise, notamment sur les alcools – un régime qui, pour l’entreprise, constitue un coût fixe, en principe non répercuté sur les prix. J’ai demandé que l’on voie dans quelle mesure il serait transposable.

Toutes ces réflexions se situent dans le prolongement de la loi relative à la régulation économique outre-mer. Il s’agit que la fiscalité se combine avec la lutte contre la vie chère. On peut avoir sur ce point un partenariat intelligent avec les régions et les communes. Si l’on arrive à leur donner un surcroît de ressources, se pose la question de savoir comment en répercuter une partie en faveur des produits de première nécessité ou de consommation courante.

Nous nous sommes donnés, avec la loi de régulation économique, un arsenal de moyens pour baisser le coût de la vie. La loi comporte une disposition – issue d’un amendement de M. Serge Letchimy – sur la répétition de l’indu qui pourrait être utilisée le cas échéant : si une collectivité demande à baisser ou accepte de réduire des taux sur des produits de consommation courante, il ne faut pas que la différence soit gardée au profit des importateurs, des distributeurs ou des intermédiaires, mais qu’elle soit répercutée sur le consommateur final.

Mme Chantal Berthelot. Si entre 2004 et 2013, un nouveau produit a fait son apparition et qu’une région souhaite l’introduire dans les listes, faut-il passer par la procédure de justification économique ?

Par ailleurs, qu’en est-il du marché unique Antilles-Guyane ?

Mme Monique Orphé. Il existe un vrai malaise au sein de la population au sujet de l’octroi de mer et de son utilisation. Se posent en effet les problèmes de la vie chère, du chômage et des revenus, qui sont très faibles. Certains militent pour la suppression de cette taxe, qui est vue comme la cause du coût de la vie. Il y a deux jours, le président de la chambre de commerce de la Réunion a d’ailleurs dit qu’elle était injuste et qu’il fallait y mettre un terme.

Je voudrais donc qu’il y ait aussi un débat sur ce sujet avec la population, qui nourrit de grandes réticences vis-à-vis de cette taxe, qu’elle trouve injuste, alors même que sa recette est utile aux collectivités locales et permet la création d’emplois – 30 000 à la Réunion. Nous risquons, à défaut, si nous ne faisons pas preuve de plus de transparence, d’être très vite totalement incompris, notamment par les élus locaux.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cette question a été longuement débattue au sein de la Délégation et le rapport du cabinet Lengrand y apporte une réponse. Quand on discute de l’éventuelle suppression de l’octroi de mer – mesure catastrophique à mes yeux –, on oublie qu’elle entraînerait l’application d’un taux normal de TVA, qui est sans doute plus inflationniste.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Il faut aussi rappeler l’importance de l’octroi de mer pour les régions et les communes. Cela justifie que nous nous battions pour la reconduction du régime en vigueur.

M. le ministre. L’octroi de mer représente en effet 40 % des ressources des collectivités locales. Le fonds régional pour le développement de l'emploi (FRDE) qu’il alimente est d’ailleurs une précieuse ressource pour financer des équipements.

Que l’octroi de mer n’existe pas à Saint-Martin pose à cet égard la question de savoir si l’on peut mettre au point une taxe équivalente dans ce territoire pour rattraper son retard structurel en équipements. J’aimerais que le service de législation fiscale et l’IGF m’aident à y répondre.

On n’a pas non plus résolu le problème du département de la Guyane, qui est le seul bénéficiaire de l’octroi de mer. J’ai reçu d’ailleurs une demande de parlementaires, à la faveur de la création de la collectivité unique, en vue de régler cette affaire en donnant aux communes les 27 millions d’euros octroyés au département.

Madame Berthelot, la procédure pour les nouveaux produits est extrêmement lourde : c’est la raison pour laquelle on veut l’assouplir au travers d’un dispositif plus simple et rapide.

Quant au marché unique antillo-guyanais, on l’a fait avec la Martinique – sachant qu’on n’a pas fini d’harmoniser les taux –, mais pas suffisamment avec la Guyane. En Martinique, il y a eu des problèmes lors de la discussion de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) : Mme Berthelot et un autre député de la Guyane avaient refusé la pression concurrentielle de la Martinique et de la Guadeloupe. La question s’était encore posée lorsque ces deux régions ont accepté la péréquation en matière de transport des hydrocarbures pour aider à baisser les prix de ceux-ci en Guyane. On avait alors été étonné d’entendre qu’on acceptait la pression concurrentielle de la métropole et de l’Europe mais pas de ces régions !

Il faudra que les présidents de région reprennent la discussion dans le cadre de l’Union régionale Antilles-Guyane (URAG), où toutes ces questions d’intérêt commun sont débattues. Il serait utile d’harmoniser les conditions de la concurrence dans la zone : nous serons forts si nous sommes tous ensemble et un marché d’un million d’habitants est plus solide qu’un marché de 400 000 habitants en Martinique ou en Guadeloupe, ou encore de 300 000 habitants en Guyane.

Il doit en être de même entre Mayotte et la Réunion demain : il faudra engager une discussion sur ce point, même s’il peut paraître nécessaire d’envisager une période de transition pour Mayotte.

Madame Orphé, le malaise au sein de la population que vous évoquez est entretenu par les socioprofessionnels, qui disent que l’octroi de mer est inflationniste. D’ailleurs, le rapport de la Délégation montre bien que cela n’est pas si vrai : au total, il représente entre 2,3 et 5,2 % de la hausse des prix sur une longue période et les rapporteurs relèvent qu’il ne joue pas un rôle majeur à cet égard.

Cela étant, il serait bon de répondre aux demandes qui sont exprimées, au moins sur les produits de première nécessité. Cela ne sera pas simple car si, dans ce que l’on appelle le « bouclier qualité/ prix », on a toutes sortes de produits, ils ne correspondent pas forcément aux nomenclatures douanières. Il faudra faire une cote mal taillée pour prendre en compte les produits les plus consommés dans les régions concernées : cela demandera de la bonne volonté de toutes parts. Puis, après une longue concertation, le Gouvernement prendra ses responsabilités.

M. le président Jean-Claude Fruteau. L’essentiel est de conserver cet outil que constitue l’octroi de mer, à la fois comme ressource des collectivités locales et comme moyen de protection de la production locale. Il a été démontré que, s’il y avait eu une augmentation de la production locale d’un certain nombre de secteurs protégés, il y avait eu aussi un accroissement des importations dans les mêmes secteurs, ce qui veut dire que, s’il n’y avait pas eu l’octroi de mer pour protéger cette production, les importations l’auraient sans doute tuée.

Je vous propose de passer maintenant au sujet de la défiscalisation des investissements. Lors de la discussion de la loi de finances initiale, nous avons réussi à conserver le dispositif en vigueur d’une défiscalisation plafonnée à 18 000 euros plus 4 % du revenu net global imposable, le Gouvernement devant présenter au Parlement un rapport d’évaluation de l’efficacité de ce dispositif dans le courant du premier semestre de cette année. Puis le Conseil constitutionnel a supprimé les 4 %, éveillant, dans nos départements, des craintes au regard du financement des investissements et du logement social. Le Président de la République a alors apporté des apaisements en garantissant que le financement de ce dernier pourrait passer par des subventions directes. Toutefois, ce ne sera pas chose facile compte tenu de l’importance des sommes que la défiscalisation procurait au logement social comme aux investissements productifs. Que pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, sur cette question essentielle, à la fois pour les entreprises, les acteurs économiques et les acteurs du logement social dans nos départements ?

M. le ministre. Les engagements du Président de la République ont été respectés mais ils ont été pour partie censurés, notamment la part variable de 4 %. Il est vrai que le dispositif avait été adopté sous réserve de conduire une réflexion visant à le rationaliser. J’ai été désigné comme pilote de l’évaluation de la défiscalisation et je dois en présenter, le 2 avril, en comité interministériel de modernisation de l’action publique, dit CIMAP, les grandes orientations. C’est la raison pour laquelle je suis très attentif à toutes les propositions.

Le dispositif en question remonte à 1986 et il est efficace quoi qu’on en dise. En dépit de ses défauts, c’est l’un des rares instruments sur lesquels l’outre-mer peut s’appuyer pour soutenir son développement. L’État est donc conscient à la fois qu’il ne peut pas se désengager, de manière subite, de la défiscalisation, mais qu’il est nécessaire d’entendre les critiques.

Une part de la dépense fiscale actuelle rémunère le contribuable et les intermédiaires, ce qui est parfois perçu comme une évaporation. Moi-même, quand j’étais député, j’avais du mal à croire qu’on pouvait atteindre de tels taux. On entend également dire que le dispositif bénéficie mécaniquement et trop souvent aux seuls revenus élevés, ce qui n’est pas toujours juste ; que son efficacité sur la croissance et l’emploi n’est pas démontrable ; que sa lisibilité est faible en raison de la dispersion des aides et de la complexité et de l’instabilité des textes qui ont été modifiés cinq fois au cours des cinq dernières années ; enfin, que l’ensemble des règles de droit applicables en ce domaine est mal maîtrisé par les différents intervenants.

Entre 2004 et 2012, la dépense fiscale a représenté en moyenne 1 milliard d’euros. Dans le projet de loi de finances pour 2013, elle est fixée à 1,1 milliard, dont 885 millions pour les trois dispositifs relatifs à l’impôt sur le revenu et 180 millions pour la défiscalisation de l’impôt sur les sociétés. Ce milliard est un levier pour déclencher et solvabiliser 2 à 3 milliards d’investissements chaque année dans nos territoires. La défiscalisation a permis un bond décisif dans la construction de logements sociaux, qui est passée de 4 800 unités neuves à 7 500 par an. Il convient donc de maintenir ce dispositif, quitte à le contrôler et à le moraliser davantage.

Les modifications que je vais présenter le 2 avril s’appuient sur quelques principes clairs et forts. Le premier est le maintien de l’effort. Le Président de la République et le Premier ministre l’ont dit, la ressource bénéficiant aux projets d’investissement dans les outre-mer ne doit pas être inférieure à celle allouée au titre des mécanismes actuels. Compte tenu de la conjoncture, je peux vous dire que ce n’est pas simple. Les discussions avec Bercy ont commencé pour l’élaboration du budget 2014, et chacun doit faire des efforts et des économies sans augmenter les prélèvements obligatoires. Deuxième principe, l’efficience, qui commande de privilégier les options présentant le plus faible coût et permettant un gain équivalent ou supérieur. Ce n’est pas la quadrature du cercle, c’est possible. Le troisième principe est la continuité, au titre de laquelle la réforme ne doit pas entraîner d’année blanche dans les investissements outre-mer. Lisibilité et sécurité sont les piliers du quatrième principe, tant il est vrai que les investisseurs doivent pouvoir se reposer sur des dispositifs simples, stables et efficaces. Enfin, le cinquième principe est la concertation. Un débat, que je souhaite ouvert, doit être engagé pour permettre à toutes les approches et à toutes les sensibilités de s’exprimer. C’est la raison pour laquelle il m’intéresse vraiment de vous entendre.

En termes de méthode, un travail interministériel est engagé, le Gouvernement devant présenter un rapport au Parlement dans le courant du mois de mai. Tout ce travail est supervisé par un comité de pilotage composé des parlementaires des deux assemblées. Ces travaux nourriront l’évaluation menée dans le cadre du CIMAP qui aura lieu le 2 avril prochain, en présence du Premier ministre. Une instance de concertation large et ouverte se réunira régulièrement pour faire avancer la réflexion.

Le calendrier est le suivant : le 2 avril, le CIMAP fera un point sur l’avancement des évaluations sans retenir encore de solution – jusqu’à cette date, je suis très demandeur d’éléments susceptibles d’enrichir ma réflexion ; le 9 avril, première réunion de l’instance de concertation au ministère des Outre-mer ; entre le début du mois de mai et la mi-mai, remise du rapport gouvernemental au Parlement ; courant juin, troisième réunion de l’instance de concertation avec arbitrages budgétaires ; enfin, courant juillet, avant le débat d’orientation budgétaire, communication en CIMAP des termes de la réforme, avec peut-être, en conclusion des travaux, l’adoption de cette dernière. D’ici-là, il sera donc encore possible d’enrichir les propositions qui auront été formulées.

Je peux déjà vous faire part des grandes orientations, même si j’attends d’autres éléments de votre part. D’abord, nous réfléchissons au maintien des mécanismes de défiscalisation à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur les sociétés, en en faisant des dispositifs mieux encadrés et mieux contrôlés. On peut aller assez loin dans le contrôle et la moralisation. Sont susceptibles de participer à la moralisation des mesures telles que l’abaissement du seuil pour les projets éligibles à la défiscalisation de plein droit, l’imposition d’un agrément dès le premier euro pour les projets supposant un agrément, le renforcement de la réglementation de la profession d’intermédiaire financier, pour lequel un décret était prêt mais n’est jamais sorti, ou la restriction de l’accès à cette profession. On peut aussi augmenter les taux de rétrocession, mieux définir les plafonds pour les contribuables, recentrer l’aide sur les secteurs prioritaires, réduire ou plafonner la déduction à l’impôt sur les sociétés.

Ensuite, nous pourrions envisager de budgétiser l’aide fiscale en faveur du logement social, c’est-à-dire de l’inscrire sur la ligne budgétaire unique (LBU) gérée par le ministère des Outre-mer, et de substituer un crédit d’impôt à la défiscalisation des investissements productifs. Cela présente des avantages et des inconvénients dont on peut discuter. Ainsi, il faudra mettre en place des mécanismes de remboursement si le crédit d’impôt excède la contribution due, des mécanismes de préfinancement et des paramètres de taux et d’assiette suffisamment attractifs. Ces dispositions ne s’appliqueraient pas aux collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution, contrairement à la pratique actuelle qui leur permet de bénéficier d’une défiscalisation locale et d’une défiscalisation nationale.

Une autre grande orientation pourrait consister dans le couplage d’une défiscalisation mieux encadrée sur le logement social et d’un mécanisme alternatif pour l’investissement productif. Le logement social est le secteur où le taux de rétrocession est le plus élevé, celui dans lequel les résultats de la défiscalisation sont les plus spectaculaires puisqu’elle contribue également à soutenir l’emploi non délocalisable. Ces mécanismes peuvent être mieux maîtrisés et encadrés, et c’est une piste que l’on peut explorer. Concernant les investissements productifs, il ne faut pas s’interdire de réfléchir à un dispositif de remplacement tel que le crédit d’impôt, s’il est efficace et applicable aux collectivités régies par l’article 74. En la matière, je sollicite la créativité des parlementaires, qui pourrait venir enrichir les nombreuses propositions que nous recevons déjà des socioprofessionnels.

M. le président Jean-Claude Fruteau. La budgétisation de l’aide fiscale au logement social n’est pas compatible avec notre proposition de garder la défiscalisation dans le secteur du logement, piste que ma nature prudente inclinerait à suivre. Dans mon département de La Réunion, l’aide directe apportée par l’État à la construction de logements sociaux passe pour un tiers par la LBU et pour deux tiers par l’effort de défiscalisation. Dans le contexte budgétaire actuel, est-il possible d’imaginer la multiplication de la LBU par trois d’un coup ? La substitution d’un mécanisme à un autre n’est envisageable qu’à condition de maintenir le niveau de construction, donc d’investissement, dans le logement social, tant il est vrai que nous sommes encore bien loin de satisfaire à toutes les demandes.

Cela est d’autant plus important que c’est dans ce secteur, disiez-vous, que la défiscalisation est la plus morale puisque le taux de rétrocession y est le plus important, de l’ordre de 80 à 90 %. Ce mécanisme fonctionne, il est attractif et exempt des reproches habituellement attachés à la défiscalisation. La prudence commande de le conserver en l’état, de peur de perdre une ressource très importante qu’on aura du mal à retrouver sur le plan strictement budgétaire.

M. Serge Letchimy. Nous avons entendu de bonnes nouvelles et le calendrier est respecté, mais permettez-moi de vous taquiner un peu, monsieur le ministre. Vous entendez conserver la défiscalisation au niveau du budget de 2013, or elle est en diminution depuis plusieurs années. Nous avons été nombreux à nous battre dans l’hémicycle contre le rabotage, même si nous sommes bien conscients que chacun doit faire des efforts.

J’ai quelques inquiétudes sur le fonctionnement d’un mariage LBU-défiscalisation sur le plan local. En matière de logement social, le financement peut être assuré à travers soit la LBU, soit la défiscalisation, soit une combinaison LBU-défiscalisation. Là, les choses se compliquent puisque, en fonction des interprétations respectives de la direction générale des finances publiques (DGFiP), de la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) et de la préfecture, les investissements peuvent être considérablement freinés. J’ai pu constater que la simple résolution de ces tracasseries techniques a permis de construire 900 logements de plus en 2013. Je vous suggère de travailler sur ce point pour débloquer certaines situations.

Si je soutiens le couplage LBU et défiscalisation pour financer le logement social, je souhaiterais aussi qu’une analyse fine soit effectuée pour le logement intermédiaire. Aujourd’hui, c’est grâce au BTP, notamment dans le logement, que nous tenons le coup. En Martinique, on est passé de 274 logements sociaux à 800 l’an dernier et on atteindra 1 750 cette année, ce qui est le signe que le dispositif commence à fonctionner. Seulement, le logement intermédiaire est en panne. Certes, le Duflot DOM va arriver mais il diffère tout de même quelque peu du  Girardin intermédiaire. Puisque vous attendez des propositions, je vous suggère de revisiter les dispositifs en faveur du logement intermédiaire, car, entre le logement social et le logement de luxe, il n’y a rien. Cela pourrait relancer la machine.

Je pense également qu’il faut revoir les investissements productifs dont la palette n’est pas suffisante et qui ne s’inscrivent pas dans une logique de filière ou d’activité économique. La défiscalisation pourrait participer au financement de la viabilisation de zones d’activité économique, de même qu’elle pourrait être intégrée de manière globale, pas seulement par entreprises, dans une filière que l’on souhaite dynamiser. Le tourisme, l’agro-pharmacie, l’agro-transformation, toutes ces filières pourraient être aidées de A à Z, depuis l’étude jusqu’à la concrétisation d’une entreprise et à l’exportation.

Mme Annick Girardin. Le logement intermédiaire est aussi un besoin à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les intermédiaires en défiscalisation ont tendance à porter des gros projets et à exclure les petits parce que c’est compliqué. Or, sur mon territoire, nous n’avons que de petits projets et, de ce fait, nous avons bien du mal à trouver des intermédiaires. Il faudrait veiller à ce que tous les types de projet puissent bénéficier de la défiscalisation, peut-être en mettant des quotas.

Pour les petits territoires, la réflexion sur la filière pourrait avoir une pertinence. Ainsi, la pêche est une problématique à Saint-Pierre-et-Miquelon mais aussi dans presque tous les départements et territoires d’outre-mer. Raisonner en termes de filière pourrait véritablement relancer un développement économique du secteur.

Mme Chantal Berthelot. Il est vrai que le calendrier que vous avez indiqué est de nature à rassurer.

Je suis d’accord avec le président sur la nécessité de garder le couplage LBU-défiscalisation pour pouvoir faire de nouvelles opérations de logement social et maintenir le rythme des constructions. La situation de la LBU, vous l’avez dénoncée en votre temps et malheureusement vous en héritez aujourd’hui. Elle se caractérise par l’insuffisance des crédits pour faire face aux dossiers. Vous avez adressé un courrier aux opérateurs immobiliers de Guyane pour les rassurer. Effectivement, la filière du BTP, non seulement soutient nos économies, mais répond au besoin de logement de nos concitoyens. C’est pourquoi il faut l’accompagner. Ne dit-on pas que quand le BTP va tout va ?

Je partage tout à fait l’idée de filière. Si nous ambitionnons de faire de l’agriculture la locomotive du développement d’une production locale sur nos territoires, il faudra bien fournir un effort important d’accompagnement financier. La dépense fiscale doit également accompagner la filière de la pêche. Pour combattre la vie chère, réduire les émissions de CO2 en même temps que les coûts de transports et être en cohérence avec la démarche voulue par le ministre de l’agriculture de productions de proximité et de circuits courts, il faudra bien s’inscrire dans une logique de filière, notamment agricole.

M. Daniel Gibbes. J’interviens pour affirmer ma solidarité avec mes collègues puisque l’article 74 confère à Saint-Martin la compétence fiscale. Je n’oublie pas que, lors de la discussion du texte contre la vie chère, nous avions défendu ensemble la partie défiscalisation qui peut être un levier pour le logement social et intermédiaire, plus approprié à nos localités, ainsi que pour les équipements structurants.

M. Jean-Philippe Nilor. Chacun ici ne peut qu’adhérer aux options présentées. Maintenir le niveau tout en moralisant, en encadrant et en contrôlant mieux, n’est-ce pas ce que souhaitent, depuis des années, beaucoup de parlementaires, et pas seulement des parlementaires non ultramarins ? Nous aussi, nous souhaitons la moralisation ; elle ne nous est pas imposée, nous en avons pris l’initiative et voulons l’accompagner. Il me paraît important de communiquer sur ce point.

Le logement social et le logement intermédiaires sont cruciaux pour répondre aux besoins objectifs de nos populations. Il faut les soutenir par la défiscalisation, le cas échéant en rendant celle-ci encore plus efficace. Ce n’est toutefois pas grâce à ces deux segments que nous sortirons d’une logique d’importation au profit d’une logique de production locale. Le bon sens commande donc de consacrer la défiscalisation en priorité à l’investissement productif dans les filières et la recherche, par exemple dans le développement d’une agriculture propre à travers des alternatives à l’épandage aérien. En permettant de sortir d’un mode de production peu écologique, qui ne présente pas toutes les garanties en termes de santé publique, ce dispositif prendrait tout son sens.

Y aura-t-il un lien entre la défiscalisation des investissements dans les secteurs productifs et la future Banque publique d’investissement (BPI), qui peut, elle aussi, apporter un accompagnement à travers des financements, ou les choses se feront-elles de manière déconnectée ?

M. le ministre. Parmi vos nombreuses suggestions, je retiens celle relative au logement intermédiaire. Celui-ci bénéficiait du dispositif Girardin, qui a été supprimé il y a deux ou trois ans et dont ne subsistent que quelques crédits résiduels, de l’ordre de 265 millions en 2013. Le taux est meilleur que dans l’hexagone – 29 % sur une assiette de 300 000 euros – avec une obligation de location de neuf ans, comme ici. Ce type de dispositif avait bien marché en son temps. Il faudra donc surveiller très attentivement le nouveau dispositif, quitte à l’améliorer par le travail parlementaire.

Je peux entendre la demande du président Fruteau de maintenir la défiscalisation du logement social. Elle est frappée au coin du réalisme puisque, de toute évidence, le dispositif fonctionne. Je ne vous cache pas que, malgré les engagements pris au plus haut niveau, la censure du Conseil constitutionnel et la nécessité de faire des économies nous causent quelques embarras, auquel s’ajoute, pour moi, un souci d’efficacité. Aujourd’hui, il faudrait construire 10 000 logements pour répondre aux besoins sociaux. La combinaison « un tiers LBU – deux tiers défiscalisation », soit à peu près 500 millions contre 250 millions pour la défiscalisation, serait le dispositif le plus efficace et le plus rapide. Reste à analyser comment le maintenir tout en respectant nos contraintes budgétaires et de redressement des finances publiques.

Serge Letchimy veut connaître le montant des défiscalisations. J’ai pris la précaution de citer une moyenne, mais je peux préciser les chiffres : en 2011, le montant total de la défiscalisation était de 1,298 milliard ; en 2012, de 1,225 milliard ; en 2013, il est prévu 1,065 milliard. Sont compris les trois dispositifs liés à l’impôt sur le revenu (IR), à savoir ce qui reste du Girardin locatif pour 265 millions, le Girardin industriel pour 410 millions, le Girardin logement social pour 210 millions, ainsi que la défiscalisation liée à l’impôt sur les sociétés (IS), qui comprend aussi une part de logement social et de l’investissement productif pour un total de 180 millions. En résumé, 885 millions pour les trois dispositifs à l’IR et 180 millions pour la défiscalisation à l’IS, dont 500 millions à peu près sont dédiés au logement social.

Dans les arbitrages ministériels, c’est le seuil de départ qui déterminera les éventuelles économies, et c’est ce qui fait débat entre la commission des Finances, Bercy et moi-même. En accord avec Bercy, nous partons sur une épure de 1,1 milliard.

Sachant que chacun doit contribuer à l’effort de redressement, dans le contexte actuel de gel et de « surgel » des dotations budgétaires, mon souci de ministre des outre-mer, c’est de conserver aussi l’avance de 5 % que nous avons obtenue pour 2013 et de 13 % sur le triennal 2014-2016. Faire mieux avec moins, c’est ce que nous devons nous attacher à rechercher. Même si j’ai obtenu des assurances qu’il n’y aurait pas d’économies sur les outre-mer, il faut être honnête, il y a des incertitudes sur les montants.

La coordination entre les différentes autorités – préfecture, services fiscaux, DEAL – est un vrai sujet. J’ai proposé ce matin que les directions régionales des finances publiques (DRFiP) des outre-mer, qui sont gérées dans quatre villes différentes – Lyon, Marseille, Orléans et Paris –, soient rassemblées de manière à offrir à Bercy et au ministère des Outre-mer une vision plus globale des finances de ces territoires. Sur le plan local, il faut véritablement améliorer la coordination entre les projets qui sont éligibles de plein droit et ceux qui relèvent des agréments et définir qui délivre quoi. Il faudra trouver aussi un haut responsable pour le fonds d’initiative locale pour l’agriculture (FILA), une personne bien assurée, qui sache réduire les temps d’instruction des dossiers, car des durées trop longues sont préjudiciables aux investissements. Ce sera un élément de la nouvelle organisation.

Organiser des filières peut être pertinent, à condition de flécher. La LODEOM avait prévu une organisation, soit en filières, soit en zones géographiques, avec notamment les zones franches d’activité (ZFA). La Martinique, la Guadeloupe et La Réunion ont choisi les zones. J’ai demandé une évaluation de cette loi pour éventuellement réactiver des dispositifs encore bons. Or, la réforme de la taxe professionnelle a fait perdre tout intérêt à la ZFA. Du reste, celle-ci ne concernait pas la défiscalisation mais les exonérations de charges patronales de sécurité sociale pour les entreprises de plus de onze salariés. Il y a là un reprofilage à faire au bénéfice des entreprises. Je crains que cibler la défiscalisation sur l’agroalimentaire, le BTP ou l’agriculture n’empêche, en cette période d’économies, de financer aussi le tout-venant ; ou encore que l’on ne puisse pas financer à la fois la globalité, le polyvalent et la filière. Il y aura nécessairement concentration et je me méfie des concentrations thématiques, comme on en trouve en Europe et dont on veut sortir aujourd’hui, parce que, dans le cadre de ces concentrations, il n’y a pas de crédits pour tout le monde.

Pour le moment, la défiscalisation s’adresse à tout promoteur qui propose quelque chose. Les élus souhaitent un ciblage sur une activité locomotive pour le développement de la production locale. C’est là un point intéressant que, dans l’attente d’une évaluation, je n’ai pas encore tranché. Je suis preneur de toute information supplémentaire.

Annick Girardin a plaidé pour les petits projets de logements intermédiaires à la taille de son territoire. C’est vrai qu’il ne faut pas les négliger. Nous allons prendre des ordonnances qui devraient améliorer les choses et permettre à la défiscalisation de s’appliquer à des petits projets à taille humaine.

Saint-Martin, comme les collectivités du Pacifique, ont la compétence fiscale. Le problème avec notre réforme, c’est que les solutions qui pourraient être efficaces très rapidement ne peuvent pas s’appliquer dans les collectivités de l’article 74. Il faut trouver un dispositif général qui réponde aux spécificités de chaque territoire, y compris de ces collectivités et notamment de Saint-Martin.

La moralisation a commencé depuis longtemps, monsieur Nilor, à l’initiative d’Alain Richard, après que M. Séguéla a baptisé son yacht « Merci Béré ! » Même si cela remonte à plus de vingt ans, c’est l’image qui est malheureusement restée gravée dans les esprits, et c’est cette anecdote que rappellent les médias. Pourtant, aujourd’hui, il n’est plus possible pour la nomenklatura ou pour les privilégiés d’acheter en défiscalisation des biens à des fins de loisirs personnels sous les cocotiers. La seule chose qui n’ait pas été faite par nos prédécesseurs, alors pourtant qu’un décret était prêt, est la moralisation des sociétés de défiscalisation, dites « monteurs », pour éviter que certains n’accaparent une part essentielle des ressources collectées. Ce sera l’une des dernières étapes pour finaliser la moralisation, mais il faudra toutefois veiller à ne pas rendre inefficace le dispositif. Pour autant, même si cela contribue à une meilleure acceptation par l’opinion publique, ce n’est pas là que réside la solution.

La défiscalisation doit effectivement servir au développement des productions locales, d’où l’utilité des schémas de développement économique. Si l’on n’arrivait pas à placer le curseur pour le développement de filières, il y aurait moyen, à travers un partenariat avec les régions et les départements, d’associer à la défiscalisation des incitations pour diriger l’investissement productif, même porté par des promoteurs privés, vers une filière ou une autre. Demain soir, vous allez voter sur un dispositif nouveau concernant l’accès au marché de la restauration collective, dispositif qui n’avait pas été intégré dans la loi contre la vie chère par erreur. Nul besoin de loi, cependant, pour que, en amont, l’État s’entende avec les collectivités sur des plans d’action pour développer l’agriculture et l’agroalimentaire. En même temps qu’un gain en produits frais ou une plus-value consistant en de moindres émissions de CO2, on devrait ainsi, tout en respectant les législations européenne et nationale, pouvoir prioriser la production locale, en particulier l’agriculture et l’agro-transformation. C’est considérable ! Si l’on arrive à flécher une défiscalisation accompagnée d’aides incitatives des régions, on pourra donner une vraie impulsion aux filières choisies par les élus. C’est une voie qui pourrait passer par le fameux contrat territorial de développement dont je discute actuellement avec les uns et les autres.

Enfin, il pourrait y avoir un lien entre défiscalisation et BPI à travers le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), ce crédit d’impôt étant un bon moyen pour favoriser les investissements et la BPI intervenant en préfinancement. Le crédit d’impôt est refusé par les entreprises au motif que toutes ne paient pas d’impôt. Mais ce n’est pas pour autant qu’elles n’y sont pas assujetties. Elles pourraient donc bénéficier du crédit d’impôt sous la même forme que les personnes physiques reçoivent la prime pour l’emploi : un chèque du Trésor. La difficulté du crédit d’impôt, c’est qu’il est perçu ex post, ce qui pose un problème de financement ex ante. La réflexion est en cours pour trouver les dispositifs appropriés pour financer la trésorerie. De même, l’organisation de la présence de la BPI dans les régions est en discussion. En particulier, n’est pas encore tranchée la question de savoir qui, de l’Agence française de développement, d’Oséo, de la Caisse des dépôts ou de la BPI elle-même, fera office de correspondant. Nous avons déjà quelque idée sur cette question et nous rencontrerons prochainement les parlementaires et les présidents de région pour choisir la formule définitive

M. le président Jean-Claude Fruteau. Sachant que le sujet vous est cher, nous avons réservé le meilleur pour la fin : l’agriculture.

M. le ministre. En la matière, le ministère des Outre-mer devait porter un texte spécifique. Or, le calendrier parlementaire ne permettait pas de trouver une fenêtre pour le discuter. Je me suis donc entendu avec M. Stéphane Le Foll pour qu’un volet outre-mer soit attaché à sa loi d’avenir pour l’agriculture. Je vise deux objectifs opérationnels : adapter la gouvernance du développement économique de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt dans nos territoires ; définir des pratiques agro-écologiques adaptées à chaque territoire.

Le calendrier est difficile. Un travail interne à l’administration est engagé depuis quelque temps déjà pour identifier les grandes orientations et les sujets de nature législative qui pourraient être traités dans le titre « Outre-mer ». Je travaille avec M. Stéphane Le Foll à en définir le cadre général. J’ai également engagé une concertation locale avec les socioprofessionnels et les élus. Je suis très attentif à ce que vous faites de votre côté, et j’attends les propositions que la Délégation ne manquera pas de faire dans son rapport. La date de présentation du texte en Conseil des ministres a été repoussée à septembre et le Parlement devrait pouvoir l’examiner à la fin du second semestre ou au début du premier semestre 2014. Je n’ai pas de date plus précise.

Les réflexions en cours concernent la territorialisation de la gouvernance du développement agricole. Aujourd’hui, les régions n’ont pas beaucoup de responsabilités dans ce domaine, c’est une compétence plutôt communautaire et encore un peu nationale. On ne sollicite les régions que pour des subventions, pas pour peser sur des orientations. Il faut leur donner plus de responsabilités réelles sans pour autant faire disparaître l’État. Il y a là un équilibre à trouver, peut-être en partie dans l’acte III de la décentralisation.

Le dossier considérable de la décentralisation des fonds communautaires fait l’objet d’une réflexion. Le Président de la République, en recevant l’Association des régions de France et l’Association des départements de France, a très clairement indiqué que, dès le 1er janvier, si les régions le demandaient, elles pourraient gérer les fonds communautaires. Aucune ne l’a demandé et la seule expérimentation qui s’est déroulée en Alsace n’a pas été généralisée. À partir de l’adoption de l’acte III, deux ou trois solutions seront envisageables : le transfert, la délégation ou une sorte de cogestion avec l’État, que La Réunion expérimente un peu par le biais de l’AGIL, l’Agence de gestion des initiatives locales. Il est envisagé de décentraliser et réformer l’action des programmes opérationnels et du futur FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) pour l’agriculture. Certains posent la question pour le POSEI, Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, le premier pilier de la PAC, pour mieux coller aux problématiques locales.

En tout état de cause, il faudra conserver un rôle à l’État, ne serait-ce que de soutien, par exemple au cas où, à la suite d’erreurs, la commission interministérielle de coordination des contrôles demanderait un remboursement qui pourrait ruiner une région. Si une région demande le transfert plein et entier, elle assumera ses responsabilités. Si elle opte pour une délégation, la région aura prééminence mais l’État sera présent à travers les préfets et pourra faire entendre ses orientations sur le FEADER. Je ne parle pas de l’affectation du CASDAR, compte d’affectation spéciale pour le développement agricole et rural, qui présente un problème d’adaptation et pourrait faire l’objet d’un programme spécifique.

Pour le développement de leur agriculture, les outre-mer disposent d’outils comme l’Office de développement de l’économie agricole des départements d’outre-mer (ODEADOM) et les chambres d’agriculture. L’ODEADOM gère les fonds européens. Si ces derniers étaient décentralisés, ce qui resterait à l’office reviendrait à FranceAgriMer. Quant aux chambres d’agriculture, elles sont partout en difficulté. Sans les régions, elles ne tiendraient pas, d’où la proposition, parmi d’autres, d’en faire des établissements publics régionaux. Je comprends l’émoi des socioprofessionnels s’agissant d’instances élues au suffrage universel. Ce serait un coup dur pour la démocratie de proximité. Sur cette question du statut des chambres, on pourrait peut-être s’inspirer de la pratique dans les collectivités de l’article 74. Les régions doivent aussi mettre en œuvre un plan d’action par territoire, fondé sur le POSEI et le FEADER, et qui définisse des programmes coordonnés.

Une réflexion va être lancée sur les nouvelles pratiques culturales, tant en ce qui concerne les modalités de leur mise en œuvre que l’identification de celles qui sont les plus adaptées à la reconquête des marchés intérieurs, ainsi que sur les moyens de mieux peser sur la demande ou de proposer une offre répondant mieux aux attentes des consommateurs. La facilitation des signes de qualité ou les groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE), dont la fonction reste à préciser, peuvent constituer des outils utiles. Un travail réel sur la qualité est le meilleur moyen pour diversifier l’offre de produits transformés, obtenir des signes de qualité reconnus et conquérir des marchés.

Le soutien et le développement de l’agriculture familiale sont une autre piste de réflexion. Elle aurait dû être la première, d’ailleurs, en raison de l’inadaptation à nos territoires du modèle transposé de développement agricole spécifique aux zones tempérées. Il faut repenser la philosophie du développement dans une perspective de territoires d’excellence biologique et agro-écologique.

Autre sujet, la réorientation du financement. Aujourd’hui, deux secteurs  préemptent 81 % du financement : la banane pour 53 % et la filière « canne-sucre-rhum » pour 28 %. Autant dire qu’il ne reste pas grand-chose pour la diversification animale et végétale. La question suscite des crispations mais il est indispensable de la soulever. Ce sera aux élus de prendre leurs responsabilités pour réorienter les ressources vers un développement plus localisé, plus axé sur la conquête du marché local. C’est la raison pour laquelle le marché de la restauration collective est éminemment important pour le développement agricole.

La commercialisation directe locale est un enjeu, et elle est au cœur du texte que porte Mme Hélène Vainqueur, intitulé « Garantir la qualité de l’offre alimentaire ». Dépassant la simple problématique du sucre ou des produits surdosés en sucre, cette proposition de loi introduit deux nouveautés : à travers la date limite de consommation, elle égalise les conditions de concurrence ; en définissant un environnement juridique plus précis, elle favorise la conquête du marché local et ouvre des possibilités de développement à nos agricultures et à notre transformation agroalimentaire.

Seront également abordées l’installation des jeunes et les retraites, ces dernières constituant une question très prégnante. Les temps sont difficiles mais on ne peut pas faire l’impasse sur ce dossier et sur les efforts que chacun doit être prêt à consentir.

En matière de foncier, la remise à niveau des terres agricoles insuffisamment exploitées est un serpent de mer qu’il faut reprendre. Citons aussi les différents problèmes connexes : la définition d’un périmètre agricole sur les terres de l’État, les conditions de l’aménagement foncier sur les terres inexploitées aux fins d’exploitation et le code du domaine public en Guyane ; la révision de certains articles du code général de la propriété publique ; l’agriculture sur abattis ; les procédures de défrichement ; la révision du statut départemental ou domanial aux Antilles comme à La Réunion ; les problèmes de nue-propriété et de droit d’usage sur les anciens domaines de la colonie passés sous statut en 1948.

Je terminerai ce panorama avec l’industrie agroalimentaire, pour laquelle nous prévoyons d’organiser des assises. Sur ce dossier, vous pourriez m’aider à enrichir le texte.

Mme Chantal Berthelot. Comme vous, monsieur le ministre, je regrette que les agricultures des outre-mer ne puissent pas être traitées dans une loi spécifique. Après vos explications, nous en comprenons les raisons.

Dans le cadre de la Délégation, nous avons défini cinq thèmes sur lesquels travailler : les structures agricoles et le foncier ; le renforcement des productions locales ; la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » ; l’installation des jeunes agriculteurs ; le statut social des agriculteurs et la situation des retraités agricoles outre-mer. Puisque notre rapport aura vocation à vous fournir des éléments dans l’élaboration de votre projet de loi, nous souhaiterions, d’abord, avoir quelques précisions sur le calendrier auquel nous-mêmes devrons nous tenir. Ensuite, outre les sujets que je viens d’indiquer, peut-être en est-il d’autres que nous pourrions aborder, qui vous sembleraient plus directement en rapport avec le texte.

Parmi les thématiques que nous avons en commun, il y a les structures agricoles. À ce sujet, vous avez parlé d’agriculture familiale ; je précise que l’on parle plutôt d’agriculture traditionnelle.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Il nous revient de déterminer notre calendrier en fonction de la date butoir que nous a indiquée M. le ministre. Notre rapport n’aura d’intérêt que s’il est livré bien avant la présentation du texte en conseil des ministres.

M. Jean-Philippe Nilor. Je ne vois pas d’inconvénients à ne pas avoir de loi spécifique pourvu que la loi générale soit construite autour de bonnes orientations et pourvu qu’elle prenne nos intérêts en considération. Plutôt que de flatter notre ego, mieux vaut privilégier le fond, et les orientations que vous avez présentées, monsieur le ministre, m’ont paru excellentes. Espérons que, d’ici à 2014, elles ne s’infléchiront pas sous diverses pressions. Par esprit de provocation, je dirais que nous avons retrouvé, à la tête du département ministériel, le fougueux jeune député utopiste qui voulait changer les choses en profondeur, et je m’en réjouis. Je dirais même plus : ces orientations, Hugo Chávez ne les aurait pas reniées ! Derrière ces idées de développer les pratiques culturales et de soutenir l’agriculture familiale, je sens les vraies valeurs du socialisme, d’un socialisme qui n’est pas du tout superficiel.

Je n’ai rien entendu sur le chlordécone. Vouloir développer les productions locales, c’est très bien, mais si ce que l’on sert à nos enfants ne présente pas toutes les garanties sanitaires, à quoi bon ? J’espère que nous ne manquerons pas l’occasion de légiférer une fois pour toutes sur la question de l’épandage aérien des pesticides. Sachez que si le texte n’aborde pas ce sujet de santé publique, nous présenterons des amendements pour le régler définitivement. Pour le reste, les orientations présentées me paraissent relever d’une excellente politique.

M. Boinali Said.  Je suis, moi aussi, satisfait de la richesse des thématiques abordées et j’espère que les projections se réaliseront.

Je souhaite attirer l’attention sur deux aspects propres à Mayotte : l’insertion et le foncier, notamment agricole, dont la gestion est problématique.

M. Serge Letchimy. Notre Délégation a ceci d’intéressant qu’elle nous permet de nous impliquer dans les textes très en amont grâce à la production de rapports. La politique agricole est un sujet central et je regrette, même si je me range à vos arguments, monsieur le ministre, qu’un texte spécifique ne traite pas celle de l’ensemble des régions ultramarines. Malgré votre bonne volonté et votre détermination, il faut s’attendre à ce que le volet outre-mer du texte de M. Le Foll subisse un effet de rétrécissement lié à la discussion législative.

Vous avez posé une série de problèmes que je ne conteste pas, excepté pour ce qui relève des fonds européens : la Martinique a demandé la gestion directe de ces fonds, de même, me semble-t-il, que la Guyane. Dans notre lettre au préfet, nous avons demandé l’ensemble des fonds transférables. Au regard de la gouvernance et du pilotage des politiques agricoles locales, c’est un élément central pour éviter que, dans le patchwork des responsabilités, la politique agricole du département de la Martinique perde toute cohérence, diluée entre la direction départementale de l’agriculture (DDA) pour les aspects scientifiques et techniques, la chambre d’agriculture pour certaines orientations, la région pour les financements, parfois le département pour le foncier, et j’en passe. D’autant que, avec l’acte III de la décentralisation et l’évolution vers la compétence de la collectivité unique en matière de politique agricole, un pas extrêmement important va être franchi. C’est pourquoi le risque de voir cette question noyée dans le débat national, subissant, en quelque sorte, un traitement « d’assimilation législative », me paraît difficilement acceptable.

Je suis très satisfait de l’amendement concernant l’accès à la restauration collective. La loi d’avenir pour l’agriculture nous permettra d’aller beaucoup plus loin par un ajout au code des marchés qui me semble très utile. De même que pour l’accès à la restauration collective, les aides publiques, à l’hôtellerie par exemple, sont soumises, et doivent continuer à être soumises, à conditions. Nous signons également, avec les centres commerciaux, des conventions qui garantissent l’accès des productions locales.

Nous avons un vrai problème de structuration des interprofessions en filières à l’image de celle de la banane, qui est organisée du pied de bananier jusqu’à Rungis. Sans être pro-banane, je salue cette réussite, même si elle est entachée du problème des pesticides et du chlordécone. Pour ne pas être dépendants d’un seul produit, il me semble utile de réfléchir à des filières d’excellence labellisables, qu’elles soient nouvelles ou à relancer. Le café martiniquais, par exemple, pourrait fort bien concurrencer le café d’excellence de La Réunion, très cher et fort prisé des Japonais. Mais on peut également penser au cacao, au manioc, à la vanille.

Toujours dans une logique de filière, l’agro-transformation doit être soutenue, à travers notamment la possibilité d’importer des intrants de pays tiers non européens, et l’exportation doit être accompagnée. Il faut trouver le moyen de protéger a minima la production locale, notamment de diversification agricole, car la banane accapare toutes les compensations européennes. Je serais d’avis de copier le modèle de la banane, qui sort d’un espace européen pour rentrer dans un autre espace européen sous un régime de quota. La clause de sauvegarde de la Communauté européenne, appliquée de manière exceptionnelle, permettrait, pendant une durée comprise entre trois et six ans, d’assurer l’éclosion d’une production de base. C’est peut-être une forme de protectionnisme mais comment faire autrement ? Puisque nous avons retrouvé notre Hugo Chávez à nous, osons naître pour être concurrentiels ! Créez des incubateurs économiques en Guadeloupe et en Martinique, monsieur le ministre, et vous verrez comme l’agriculture va décoller !

M. le ministre. J’ai appris à être pragmatique et réaliste : jamais une loi spécifique à l’agriculture des outre-mer n’aurait pu passer dans un délai raisonnable. En revanche, pour éviter sa dilution dans un texte répondant plutôt aux besoins d’une agriculture de zone continentale et tempérée, je serai sur le banc du Gouvernement avec mon collègue, M. Stéphane Le Foll, pendant la discussion au Parlement. Plutôt qu’une loi d’orientation et de modernisation, ce sera une loi d’une nouvelle catégorie juridique, une loi d’avenir qui sera porteuse de dispositifs opérationnels.

Au-delà d’une loi spécifique, ce qui nous manque, c’est un texte de codification à législation constante qui permettrait de réunir les textes aujourd’hui dispersés dans plusieurs codes : le code civil, le code de l’environnement, le code rural et le code de l’urbanisme. Avec un tel code, nous pourrions faire valoir nos particularités.

Je serai très attentif aux réflexions de votre Délégation que Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard reprendront dans leur rapport.

Je ne rêve plus à l’autosuffisance alimentaire, tout au plus à une certaine autonomie. Cela nécessite de mettre au point, en amont, un système et des itinéraires techniques, toutes précisions qui ne figureront pas dans la loi. Celle-ci pourra affirmer la volonté de faire de nos îles et de la Guyane des territoires d’excellence écologique, mais jamais elle ne précisera que les seuls systèmes désormais tolérés dans les outre-mer seront la fertilisation croisée ou les pratiques biologiques et écologiques.

Comment passer de l’exploitation familiale à plusieurs unités de travail humain (UTH), intensive et productiviste, à l’agriculture raisonnée, biologique et écologique, dans des régions tropicales qui ne bénéficient pas des vertus de l’hiver ? Sous nos latitudes, il suffit d’intensifier quelque peu la production pour favoriser les maladies. En l’absence de solutions permettant de gagner en efficacité tout en respectant certains principes fondamentaux, l’épandage aérien s’est imposé comme une réponse. Il est temps de se tourner vers des systèmes agro-écologiques. C’est le moment ou jamais de parler de l’épandage aérien, des pesticides, des plans d’action à engager sur le chlordécone, notamment pour répondre aux réglementations de minimis que l’Union européenne veut imposer aux pêcheurs martiniquais et guadeloupéens à cause de la pollution des eaux dont ils ne sont pas responsables.

Le département de Mayotte est en effet confronté à un problème lié aux structures foncières, que ce soit les structures foncières en général ou les structures agricoles, et à des difficultés concernant aussi bien le cadastre que le plan local d’urbanisme (PLU), les règlements d’urbanisme ou encore les normes fixant la destination des sols et des zones agricoles protégées. C’est vrai chez nous aussi. Les SAR, schémas d’aménagement régionaux, devront en tenir compte en définissant des objectifs réalistes, des plans d’action dans la durée.

La conditionnalité peut commencer à travers les donneurs d’ordre que sont les maires en matière de cantine scolaire, les directeurs d’hôpitaux, les directeurs de maisons de retraite, les grandes entreprises qui proposent une restauration collective. L’agriculture doit s’organiser pour y répondre.

La structuration des filières soulève le problème des interprofessions. En Martinique et à La Réunion, l’interprofession, qui paie une redevance sur les importations de viande, tente d’organiser la filière de l’élevage en regroupant les éleveurs, les bouchers, les importateurs, les frigoristes. L’ARIBEV à La Réunion, l’AMIBEV à la Martinique, ça marche ! Il faut encourager ces groupements de producteurs, ces coopératives, ces mutuelles, qui ont, dans nos régions, un cycle de vie d’une quinzaine d’années, ce qui nécessite de les renouveler sans cesse. Entêtons-nous, poursuivons inlassablement ce travail de structuration ! La filière de la banane fonctionne parce qu’il s’agit d’un produit d’exportation. La banane produite en Martinique ne pourrait jamais être consommée localement, sauf si elle y était transformée, par exemple en petits pots pour bébé ou en jus.

Il faut maintenant chercher à développer des marchés intérieurs, en particulier celui de la restauration collective qui est considérable par sa permanence et sa régularité. C’est à cette seule condition que le maraîchage et la transformation auront suffisamment de débouchés. Quand les donneurs d’ordre, les maires, ajoutent à leurs critères d’attribution de marchés une clause de performance visant la fraîcheur et les émissions de CO2, ils contribuent à mettre en place l’agro-écologie et l’excellence, à travailler à la sauvegarde de la planète.

La loi qui pose les grands principes doit être accompagnée de plans d’action. Ainsi, parallèlement à la loi de lutte contre la vie chère, des régions, des départements, des villes, des chambres consulaires, notamment à Pointe-à-Pitre et à Saint-Pierre-de-La-Réunion, ont créé des plates-formes logistiques, des centrales d’achat. Et cela fonctionne ! Je suis convaincu que si les petits commerçants de proximité se regroupaient aussi, ils arriveraient à faire baisser les prix dans les campagnes, tout en préservant leurs marges. Ce n’est pas de la loi qu’il faut attendre cela, il faut le décider, le vouloir. La structuration réclamée par M. Serge Letchimy, c’est l’affaire des professionnels. D’où l’importance d’avoir des chambres consulaires offrant un encadrement de qualité, des instituts de recherche compétents, ainsi que le courage politique de redéfinir et de réorienter les financements sur d’autres filières que la seule banane, sans que cela nuise à ce type de production. Le temps est venu de récolter les dividendes de l’argent public qui a été mis dans les mûrisseries, de regarder en toute transparence si les investissements sont payés de retour. C’est un dossier qui demandera un énorme travail.

Monsieur Letchimy, je vais vérifier où en est la demande de gestion directe des fonds européens par la Martinique.

Nous avons entamé la transposition, dans la loi de modernisation agricole (LMA), du texte relatif à la restauration collective qui sera examiné demain. Les critères de performance, qui n’étaient qu’optionnels, deviendront obligatoires dans les appels d’offres. Évidemment, en l’absence de production locale, ce critère ne sera pas pris en considération dans le marché.

Introduire la conditionnalité est séduisant, mais il faut s’assurer qu’elle ne sera pas censurée, en tant que mesure protectionniste, par les lois nationales et le droit communautaire. Les critères d’émission de CO2, les obligations de fournir des produits frais et relevant d’une agriculture de proximité, ont déjà passé l’épreuve de la censure de différents organismes, y compris le Conseil constitutionnel. Quant à soumettre l’obtention d’un marché à des conditions telles que l’embauche de jeunes de la commune, le respect de l’environnement ou d’un cahier des charges – un itinéraire technique en agriculture –, cela existe déjà. Pour cela non plus, il n’y a pas besoin de loi.

Les nouvelles filières en Martinique et en Guadeloupe en sont au démarrage. Dans le café, elles s’appuient sur des cultivars très connus, comme le jamaïcain, meilleur que le Blue Mountain. Il y a très longtemps, on nous avait demandé de renforcer la protection du café en fixant l’octroi de mer à 25 %, alors que le café consommé en Guadeloupe vient de Colombie. Pourtant, nous avons une petite production locale, de grande qualité, qui travaille un cultivar rare, et que nous pourrions relancer à travers une démarche de développement impliquant une très haute qualité environnementale et une labellisation. L’avenir de notre agriculture, comme de notre tourisme, est dans la très haute qualité.

S’agissant de l’accompagnement à l’exportation vers les pays voisins et de la protection a minima de la production agricole, dans une logique d’économies d’échelle et d’étendue de marché, il est incontestable que les pays voisins peuvent constituer de vrais débouchés dans la réciprocité. Mais je fais remarquer à M. le président Fruteau que certains responsables de La Réunion m’avaient reproché d’exposer à la ruine la production locale avec l’ouverture aux pays voisins dans la loi sur la régulation économique outre-mer. C’est pourquoi une condition de réciprocité avait été posée. Or, certains accords de partenariat économique ne comportent pas une telle condition, ce qui pose problème. Pendant une période d’asymétrie, les produits de l’Afrique, des Caraïbes et du pacifique (ACP) peuvent entrer chez nous, mais l’inverse n’est pas vrai. Je vais tâcher de rééquilibrer les termes de l’échange.

Comment, tout en restant dans le territoire douanier européen, sous le statut de région ultrapériphérique (RUP), s’ouvrir aux pays voisins ? Comment déroger aux normes européennes et importer, par exemple, du pétrole du Venezuela, du Brésil ou de Curaçao – du brut uniquement pour ne pas risquer la disparition de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA) ? J’ai déjà demandé à Shell si le pétrole guyanais qui sera exploité dans dix ans pourra être en partie raffiné à la Martinique. A priori, il irait à Trinidad, mais tout dépendra de l’importance du gisement. Il faudra être très vigilant.

Sur la protection a minima, le seul instrument dont nous disposions aujourd’hui est constitué par l’octroi de mer dont il faudrait pouvoir moduler les taux selon les cycles de production. En pleine saison de l’igname en Guadeloupe et en Martinique, par exemple, il n’est pas normal de faire entrer dans ces départements les ignames du Costa Rica, à des prix cassés et sans garantie de traitement sans chlordécone. Or, l’Europe ne nous permet pas d’aller au-delà de 30 %. C’est, là encore, un sujet que nous aurons à creuser lorsque le projet de loi arrivera.

À ce sujet, je vous indique, et je finirai là-dessus, que le texte sera soumis au Conseil d’État au mois de juin. Il vous reste donc deux mois pour formuler vos propositions, car c’est en amont qu’il faut apporter des enrichissements. Toute modification ultérieure devra passer par voie d’amendement, ce qui, vous le savez, est plus compliqué.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, monsieur le ministre, de nous avoir consacré autant de temps. Nous y avons été très sensibles. Soyez persuadé que nous vous solliciterons encore.

M. le ministre. Je suis à la disposition de la Délégation.

Échange de vues sur la défiscalisation des investissements outre-mer sous la forme d’une table ronde réunissant :

– M. Thomas Degos, Délégué général à l’outre-mer, accompagné par MM. Marc Del Grande, sous-directeur du service des politiques publiques à la Délégation générale à l’outre-mer (DEGEOM) ;

– M. Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM), accompagné par Mme Annie Iasnogorodski, déléguée générale, et par Mme Samia Badat-Karam, directrice des affaires publiques ;

– Mme Véronique Bied-Charreton, directrice de la législation fiscale (direction générale des finances publiques – ministère de l’Économie et des finances), accompagnée de M. Grégory Abate, chef du bureau B1 à la direction de la législation fiscale (fiscalité directe des entreprises) ;

– M. Dariusz Kaczynski, chef du bureau des agréments et rescrits  – ministère de l’Économie et des finances, accompagné de Mme Ingrid Roy, responsable de la première division du bureau des agréments.

Compte rendu de la réunion du 10 avril 2013

M. le président Jean-Claude Fruteau, rapporteur. Je remercie nos invités d’avoir accepté de participer à cette table ronde sur la défiscalisation des investissements, ou plutôt – le terme « défiscalisation » étant devenu un gros mot pour l’opinion publique – sur le soutien de l’État aux investissements productifs et au logement dans les départements et collectivités d’outre-mer. Ce n’est pas une simple question de sémantique : ce soutien nous paraît indispensable, car les besoins en logements sociaux sont immenses outre-mer, où il faudrait, le plus rapidement possible, en construire une centaine de milliers.

Nous sommes donc attachés à la préservation du principal outil dont l’État dispose pour soutenir l’économie dans ces régions. Or, peu après que le Gouvernement se fut engagé à présenter avant le 1er mai 2013 un rapport sur l’opportunité de transformer en de nouvelles dotations budgétaires tout ou partie de la dépense fiscale relative à l’outre-mer, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 décembre 2012, a réduit l’avantage spécifique dont bénéficiaient ces investissements : le plafond spécial est maintenu à 18 000 euros, mais le Conseil a supprimé la part proportionnelle de 4 % du revenu imposable, ce qui change passablement les choses.

Les plus hautes autorités de l’État se sont toutefois engagées à garantir un effort de soutien équivalent. Il convient donc de trouver un système conforme à la norme constitutionnelle, efficace, à l’abri des reproches sur le plan moral, et offrant la plus grande lisibilité et la plus grande visibilité aux acteurs de terrain – notamment les entreprises et les bailleurs sociaux.

Le rôle de notre Délégation étant de mettre l’accent sur les problèmes spécifiques à l’outre-mer, nous avons décidé de rédiger un rapport sur le sujet. Comme nous en avons désormais l’habitude, deux rapporteurs ont été désignés, l’un parmi les élus ultramarins – moi-même – et un autre parmi ceux issus de l’hexagone, M. Patrick Ollier.

C’est aussi pour discuter de ce sujet que nous avons invité aujourd’hui de nombreux spécialistes. Je salue donc la présence de M. Thomas Degos, Délégué général à l’outre-mer, accompagné par M. Marc Del Grande, sous-directeur du service des politiques publiques à la Délégation générale à l’outre-mer (DEGEOM) ; de Mme Véronique Bied-Charreton, directrice de la législation fiscale au ministère de l’Économie et des finances, accompagnée de M. Grégory Abate, chef du bureau B1 à la direction de la législation fiscale, responsable de la fiscalité directe des entreprises ; de M. Dariusz Kaczynski, chef du bureau des agréments et rescrits au ministère de l’Économie et des finances, accompagné de Mme Ingrid Roy, responsable de la première division du bureau des agréments.

Pour leur faire face, si j’ose dire, nous avons la joie d’accueillir M. Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM), ainsi que Mme Annie Iasnogorodski, déléguée générale, et Mme Samia Badat-Karam, directrice des affaires publiques.

Je vous remercie d’avoir bien voulu mettre votre expérience au service de notre réflexion. Pour sa part, la Délégation s’emploiera, comme elle le fait généralement, à mettre de côté les aspects politiciens pour travailler de manière objective sur cette question de politique économique et sociale.

Il ne s’agit pas de demander à nos invités, notamment à ceux qui sont fonctionnaires, quels mécanismes seront finalement retenus, puisque ces choix ne sont pas de leur ressort, mais simplement d’opérer une évaluation de la défiscalisation, de rappeler les critiques dont elle a fait l’objet – notamment de la part de la Cour des comptes –, et d’indiquer des pistes pour surmonter les problèmes actuels et mettre en place un dispositif fiable.

M. Patrick Ollier, rapporteur. Si j’ai accepté d’être co-rapporteur au côté de Jean-Claude Fruteau, c’est d’abord parce que, en tant que rapporteur spécial du budget de l’Outre-mer pour la commission des Finances, je ne peux qu’être attentif à un système de défiscalisation dont le coût dépasse le milliard d’euros. En outre, j’ai déjà présidé de nombreuses missions d’information sur l’outre-mer, un sujet auquel je m’intéresse depuis longtemps, ce qui m’a conduit à visiter tous les départements d’outre-mer et à prendre conscience des problèmes spécifiques qu’ils rencontrent. Enfin, en dépit de nos différences politiques, nous avons développé des relations amicales avec Jean-Claude Fruteau, dont j’apprécie la droiture, l’indépendance d’esprit et le sens de l’intérêt général. Cela nous permettra de faire front commun, notamment devant Bercy.

Sur le plan politique, je considère que la défiscalisation n’est qu’un instrument au service de la politique d’aménagement du territoire. L’égalité entre les territoires passe selon moi par une inégalité de traitement. En particulier, l’éloignement, le caractère insulaire des départements et territoires d’outre-mer justifient que s’y appliquent des dispositions différentes. L’État a besoin d’instruments adaptés à ces situations particulières pour favoriser la production de richesse, le développement de l’activité et la création d’emplois au bénéfice de la population locale. C’est d’ailleurs le même raisonnement qui a conduit à la mise en place des zones de revitalisation rurale et des dispositifs de défiscalisation des investissements effectués en zone de montagne, qui ont produit d’excellents résultats.

Notre rapport sera objectif et honnête, mais aussi convaincu. J’espère que nous parviendrons à défendre nos idées devant le Gouvernement et au moment de l’examen du budget.

Mme Ericka Bareigts. En tant qu’élus de l’outre-mer, nous souhaitons absolument préserver l’outil qu’est la défiscalisation, car c’est ainsi que nous pourrons poursuivre ce que nous avons entrepris dans nos territoires – La Réunion, pour ce qui me concerne. Mais il convient d’en revoir les modalités afin que le bénéfice de cet avantage fiscal entraîne réellement des obligations en termes de développement du territoire et, surtout, de création d’emplois, qu’il se traduise par des effets directs, sensibles pour la population. Au-delà des questions de morale, il importe avant tout que les politiques publiques soient efficaces.

De nombreuses pistes peuvent être explorées. Mais nous sommes attendus par nos populations, qu’il s’agisse des chefs d’entreprise ou des nombreux jeunes formés à La Réunion ou ailleurs et qui n’attendent que de montrer leurs talents, dans les secteurs économiques existants comme dans les nouveaux domaines d’activité qu’il nous reste à développer.

M. Patrick Lebreton. Les arguments de nos invités seront déterminants pour convaincre nombre de nos collègues de l’effet bénéfique de la défiscalisation dans les outre-mer. En effet, même si l’usage de cet outil est déjà ancien, il reste nécessaire, parfois même au sein de nos groupes, d’en défendre chaque année le bien-fondé, de faire sans cesse la démonstration de son utilité pour le développement économique et social, et même de tordre le cou à certaines caricatures. La défiscalisation a fait ses preuves dans le secteur du logement social : alors qu’il y a quelques années encore, je n’y croyais absolument pas, j’ai pu en apprécier les effets en tant que vice-président d’une société d’économie mixte œuvrant pour le logement social à La Réunion, la Société de développement du groupement intercommunal du sud (SODEGIS). Mais elle est aussi utile pour les investissements productifs et contribue à lutter contre la cherté de la vie.

Certes, des excès ont été commis. Que n’a-t-on pas entendu à propos du logement libre, de la plaisance, du photovoltaïque ! Mais le dispositif a été assaini au cours des dernières années, et les contrôles ont été renforcés.

Surtout, les entreprises d’outre-mer ont encore besoin de la défiscalisation pour se développer, car il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’outil susceptible de la remplacer. Pendant la campagne présidentielle, M. François Hollande s’était d’ailleurs engagé à préserver ce système, non sans toutefois avoir appelé à en évaluer l’efficacité de manière responsable. C’est ce pour quoi nous sommes réunis aujourd’hui.

J’appelle donc à faire œuvre de pédagogie sur cette question, afin de convaincre nos collègues de l’intérêt de conserver le dispositif, quitte à l’améliorer pour tenir compte de l’état de nos finances publiques.

M. Thomas Degos, Délégué général à l’outre-mer. Trois points forment le cadre du débat sur cette question complexe.

Tout d’abord, nous avons une responsabilité, celle de participer à l’effort collectif de la nation en faveur de la réduction de la dette.

Mais, après la décision du Conseil constitutionnel, nous avons aussi une opportunité à saisir : nous devons nous interroger sur le dispositif de soutien à l’investissement dans l’économie d’outre-mer – expression en effet plus adéquate que celle de défiscalisation.

Enfin, nous avons une garantie, celle donnée par le Président de la République, qui a précisé que le niveau global de l’aide directe au financement de l’économie ultramarine ne serait pas réduit.

Reste à trouver des marges d’efficience, et c’est ce à quoi s’emploient actuellement les services du ministère des Outre-mer et ceux de Bercy, réunis dans un comité interministériel de modernisation de l’action publique, sans pour autant, à ce stade, privilégier une piste plutôt qu’une autre. Le ministre des Outre-mer a déjà eu l’occasion d’en parler avec des parlementaires dans un comité de pilotage, mais il a aussi créé une instance de concertation plus large, comprenant des élus locaux, des parlementaires et des acteurs socio-économiques, et dont la première réunion a eu lieu hier. Ce parcours vise à préparer la décision finale qui sera prise en conseil des ministres et proposée aux parlementaires lors de l’examen du budget.

Nous travaillons plus précisément sur trois scénarios.

Le premier est celui d’une réforme en profondeur du dispositif de défiscalisation, afin de mieux l’encadrer et de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel. Il est de toute évidence possible d’améliorer le dispositif et de faire en sorte que les masses financières qu’il permet de mobiliser soient plus directement consacrées au financement de l’économie. Il est possible d’augmenter le taux de retour, non seulement par la mise en place de systèmes de plafonnement et d’un pilotage de la dépense fiscale, mais aussi en laissant moins de place aux monteurs et autres intermédiaires.

Le deuxième scénario prend le contre-pied du premier en proposant la suppression de la défiscalisation. L’ensemble de la dépense fiscale en matière d’aide au logement social serait ainsi transféré sur la ligne budgétaire unique (LBU) et transformé en crédits budgétaires, tandis qu’un crédit d’impôt serait consacré à l’aide à l’investissement productif.

Le troisième scénario constitue une combinaison des deux précédents. Le logement social continuerait à être financé par un système de défiscalisation, lequel serait toutefois réformé en profondeur de façon à en améliorer l’efficience, tandis que l’investissement productif ferait l’objet d’un crédit d’impôt.

Bien entendu, chacun de ces scénarios a ses avantages et ses inconvénients, sur lesquels nous pourrons revenir.

M. Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM). Vous avez dit, monsieur le président, que le nouveau système devrait offrir la plus grande visibilité et la plus grande lisibilité aux acteurs de terrain. J’ajoute qu’il devra être caractérisé par la pérennité et la simplicité.

La pérennité est sans doute ce dont la législation fiscale et sociale applicable outre-mer a le plus manqué ces dernières années. Ainsi, des lois-programmes prévues pour s’appliquer sur une durée de quinze ans ont été remises en question après seulement un ou deux ans.

Par ailleurs, il faut faire preuve de simplicité, et éviter de construire une usine à gaz dans laquelle iraient se perdre les chefs d’entreprise, notamment les plus petits d’entre eux, ceux qui dirigent des PME et des TPE.

Dans ce débat qui, je m’en réjouis, réunit l’ensemble des responsables concernés, les entrepreneurs, à travers la FEDOM, se présentent sans le moindre a priori. Ce qui nous importe, ce n’est pas tant de pérenniser tel ou tel outil que de veiller à ce que les entreprises d’outre-mer aient les moyens de se développer, et donc de créer de la richesse et de l’emploi. Dès lors, s’il existait un dispositif aussi simple et souple que la défiscalisation, nous ne trouverions aucune raison à opposer à sa mise en place. Mais le simple fait de dire cela indique où va ma préférence.

Je remercie M. Degos pour la grande honnêteté intellectuelle dont il a fait preuve en présentant son diagnostic et les différentes options envisageables. Je ne veux pas dire que les discours tenus sur la défiscalisation sont malhonnêtes, mais il reste qu’ils sont parfois marqués par les préjugés, même si je reconnais bien volontiers que le dispositif, en dépit de ses incontestables effets positifs, doit encore être amélioré.

J’ai évoqué hier les difficultés que nous avons à obtenir des chiffres en matière de défiscalisation outre-mer. Mais nous avons tout de même réalisé une étude sur le sujet avec le concours des adhérents de notre fédération et de certains spécialistes sérieux du montage d’opérations de défiscalisation. Ses conclusions permettent notamment d’en savoir plus sur l’aspect le moins connu de la défiscalisation, c’est-à-dire le plein droit.

En 2012, la défiscalisation représentait 1,173 milliard d’euros, la somme se répartissant équitablement entre le logement social et les investissements productifs. Ce n’était pas le cas au cours des années précédentes, puisque les dispositions de l’article 199 undecies C du code général des impôts, prévoyant une défiscalisation en faveur du logement social, avaient eu du mal à s’appliquer dans un premier temps. Aujourd’hui, ce sont les opérations réalisées au titre de l’article 199 undecies B et 217 undecies, c’est-à-dire en faveur des investissements productifs, qui tendent à diminuer de façon sensible, en raison de la crise, bien sûr, mais aussi de la suppression des avantages fiscaux consentis en faveur du secteur photovoltaïque. Au total, le montant des réductions d’impôts consenties au bénéfice des investissements productifs est tombé à 509 millions d’euros, dont 406 millions pour les opérations de plein droit et 103 millions pour celles avec agrément. Quant à la réduction prévue par l’article 199 undecies A, qui a entraîné des effets pervers pour le logement intermédiaire et le logement libre, son usage tend progressivement à disparaître.

S’agissant de la défiscalisation de plein droit, le montant moyen des investissements donnant droit à un avantage au titre de l’article 199 undecies B est de 33 000 euros. Les 16 000 dossiers dont nous avons connaissance concernent donc avant tout de petits investissements réalisés au profit de très petites entreprises ou de PME – par exemple l’achat d’une machine à couper la canne à La Réunion. Il faut prendre conscience que les investissements réalisés dans ce cadre de la défiscalisation sont bien souvent ceux qui permettent l’obtention d’un emprunt bancaire.

C’est donc en raison de sa souplesse et de sa réactivité que le dispositif actuel nous semble mériter d’être préservé. J’imagine mal, en effet, que l’on puisse ouvrir 16 000 guichets afin d’accorder autant de subventions… Mais cela ne signifie pas, bien sûr, que les règles actuelles doivent rester intangibles. Nous sommes ainsi, nous aussi, favorables à une moralisation du système – d’ailleurs déjà largement entamée par le Gouvernement précédent. Un meilleur encadrement est sans doute nécessaire, mais il convient de noter que les dispositions qui faisaient le plus scandale, permettant à certains contribuables parmi les plus fortunés de ne pas payer d’impôt sur le revenu, ont d’ores et déjà été supprimées.

On a aussi prétendu que la défiscalisation était essentiellement consacrée à la construction d’hôtels de luxe ou à l’achat de yachts. Mais les hôtels ont plutôt tendance à fermer, notamment en Polynésie. Il n’y a guère qu’à La Réunion que l’on a développé, à la demande des élus et des professionnels du tourisme, une offre hôtelière susceptible de répondre à la demande. Le ministre nous a d’ailleurs demandé hier de réfléchir aux moyens d’améliorer le dispositif d’aide à la rénovation hôtelière dans les collectivités d’outre-mer. S’il ne fonctionne pas pour l’instant, c’est précisément parce qu’il n’est pas préfinancé : les professionnels, dont la trésorerie est exsangue, n’ont pas les moyens d’avancer les fonds nécessaires et doivent renoncer aux travaux de rénovation, si bien que leurs bâtiments continuent à se détériorer.

Autre reproche adressé à la défiscalisation, en raison de l’ampleur des frais de montage des opérations, une partie de l’argent disponible ne va pas où il devrait aller, c’est-à-dire dans les caisses des entreprises. Cette critique est en partie justifiée : il est indiscutable qu’éliminer les intermédiaires permettrait de consacrer plus d’argent à l’investissement. Mais vous avez vous-même noté hier, monsieur le président, à quel point le taux de rétrocession était élevé, en particulier dans le domaine du logement social, où il peut dépasser 80 %. Grâce aux appels d’offres, c’est sur les honoraires et les frais d’opération que l’on peut faire jouer la concurrence. La régulation se fait donc naturellement, à travers le marché.

Pour autant, il est possible d’aller plus loin, de moraliser la profession et d’en améliorer la déontologie et l’encadrement : le ministre y a fait allusion hier, et nous sommes demandeurs d’une telle évolution. Mais les administrations ont tendance à se repasser le mistigri : qu’il s’agisse de Bercy ou de l’Autorité des marchés financiers, personne ne veut gérer la liste des monteurs en opérations de défiscalisation. Il faudra bien, un jour, trancher la question.

Toujours dans l’hypothèse d’une réforme en profondeur du système de défiscalisation – scénario sur lequel j’ai naturellement tendance à m’attarder –, il a été envisagé, hier, d’abaisser le seuil au-delà duquel les investissements sont soumis à un agrément préalable : actuellement de 250 000 euros, il pourrait passer à 200 000 euros. Nous ne serions en tout cas pas hostiles à un encadrement renforcé, et nous ferons des propositions en ce sens. Il importe de mieux savoir qui fait quoi et dans quel secteur va l’argent.

La dernière question qui se pose à propos de la défiscalisation est de savoir s’il faut la flécher. On pourrait par exemple imaginer d’en réserver le bénéfice à certains investissements spécifiques – en matière de développement durable, par exemple. On pourrait aussi exiger des contreparties en termes de créations d’emplois, mais c’est une hypothèse sur laquelle j’émettrais des réserves. Ou encore, on peut envisager de privilégier l’achat de biens et de services produits en France, de façon à éviter – pour reprendre les propos d’un trésorier-payeur général d’une collectivité du Pacifique – que la dépense fiscale ne serve à faire travailler les chantiers navals coréens. L’idée est séduisante, mais je ne suis pas sûr qu’elle soit conforme aux règles du commerce international.

Le plus important est que la défiscalisation a permis un décollage de la construction de logements sociaux dans les collectivités d’outre-mer, au moment même où le secteur du bâtiment connaissait une période extrêmement difficile – à La Réunion, le nombre d’emplois dans la filière est passé de 27 000 en 2008 à 17 000 aujourd’hui. C’est donc un système qui fonctionne. Certes, la construction de logements coûte un peu plus cher dans le cadre de la défiscalisation que dans celui de la ligne budgétaire unique. C’est d’ailleurs pour cette raison, monsieur le président, que vous avez demandé hier aux bailleurs sociaux dans quelle mesure il serait possible de réduire les coûts. Nous sommes prêts à nous engager dans une réflexion à ce sujet.

En tout état de cause, nous ne croyons pas au deuxième scénario, associant crédit d’impôt et financement du logement social par la LBU. Je lis, dans le projet élaboré par les collaborateurs de M. Degos, qu’un dispositif ad hoc devra être étudié pour les collectivités à autonomie fiscale. Autant dire qu’on ne sait pas comment aborder le problème ! À tout le moins, ce sera très compliqué. Dans le cas du crédit d’impôt en faveur des investissements en Corse, la part de la défiscalisation est fixée à 25 % des investissements, alors qu’on peut aller jusqu’à plus d’un tiers. De plus, aucun système de préfinancement n’est prévu. Certes, il existe un crédit d’impôt doté d’un préfinancement : c’est le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), récemment adopté. Mais il est ainsi présenté par le ministère : « Le préfinancement sera adossé sur un dispositif de garantie partielle d’Oséo/BPI pour certaines PME. Il reviendra à l’établissement de crédit de solliciter cette garantie, sans que l’entreprise ait à effectuer elle-même de démarche particulière. » Transposé aux investissements outre-mer, cela signifie que les coupeurs de canne pourraient présenter leur créance à la banque sans avoir à remplir de formalités administratives. Mais comment croire que le banquier acceptera de s’occuper gratuitement de constituer le dossier, connaissant les honoraires que perçoivent les monteurs en opérations de défiscalisation pour un travail similaire ?

Soyons simples, pragmatiques. On peut citer des chiffres, avancer des arguments : il n’en est pas moins vrai que la défiscalisation est efficace et que, même si elle doit être encore améliorée, nous avons tout intérêt à la conserver.

M. Patrick Ollier, rapporteur. Je ne suis pas fanatiquement attaché à la défiscalisation, qui n’est qu’un instrument au service de la politique d’aménagement du territoire. Encore faut-il trouver un dispositif performant pour la remplacer. Elle permet à un acteur privé de financer des activités privées plutôt que de payer des impôts à l’État : en cas de budgétisation, les crédits affectés à la LBU risquent d’être inférieurs aux montants des investissements qui auraient été réalisés dans le cadre de la défiscalisation. L’outre-mer serait alors perdant. La seule budgétisation ne paraît donc pas être une bonne solution. Il me semblerait plus judicieux d’améliorer le dispositif de défiscalisation en le rendant plus vertueux. Pourquoi ne pas combiner les deux premiers scénarios ?

M. Jean-Pierre Philibert. Il est possible d’appliquer le deuxième scénario dans les collectivités à autonomie fiscale en passant par les contrats de projet. Mais je vous invite à constater ce qu’est devenu l’argent destiné au logement social dans certaines collectivités ayant conclu de tels contrats – en Polynésie française, notamment.

Mme Véronique Bied-Charreton, directrice de la législation fiscale au ministère de l’Économie et des finances. La direction générale des finances publiques du ministère de l’Économie et des finances travaille de concert avec la DEGEOM et s’inscrit dans une démarche de soutien aux investissements productifs et au logement social outre-mer dans le cadre de sa réflexion sur le dispositif le mieux à même de remplir cet objectif.

Alors que les aides directes à l’investisseur exploitant prennent la forme d’une réduction d’impôt – le dispositif que nous proposons va plus loin en prévoyant un crédit d’impôt –, la défiscalisation est une aide fiscale à l’investissement indirect : elle permet en effet à des personnes qui ne sont ni exploitantes ni investisseurs, et qui ont peu de rapport avec l’outre-mer, d’acheter des parts de société ou des instruments fiscaux.

Comme le montrent plusieurs rapports évaluant l’efficacité de cet outil, l’argent qui arrive directement outre-mer fait l’objet d’une déperdition de 30 %, ce qui représente un important gaspillage d’argent public.

En outre, en considérant qu’il faut retenir des plafonds en valeur absolue, et non plus la part proportionnelle aux revenus, dans les différents plafonds qui encadrent des réductions ou des crédits d’impôt, le Conseil constitutionnel nous semble condamner en partie le dispositif. En effet, 1 % de la population française – celle qui a les plus hauts revenus – concentre 86 % de la dépense fiscale au titre de l’article 119 undecies B, et 92 % de la dépense fiscale au titre de l’article 199 undecies C du code général des impôts. Autrement dit, le montant de la dépense fiscale est bien supérieur au montant en valeur absolue qui résulte de la décision du Conseil constitutionnel. Par conséquent, en réduisant le niveau absolu de réduction d’impôt, cette décision bouleversera la sociologie des investisseurs indirects et conduira à rechercher d’autres investisseurs.

Les inconvénients de ce dispositif de défiscalisation indirecte, à peu près unique en son genre dans le paysage fiscal, nécessitent de réfléchir à leur modification pour les rendre plus efficients.

En ce qui concerne les investissements productifs, on pourrait transformer cette réduction d’impôt indirecte en crédit d’impôt direct au profit des investisseurs domiens. Il conviendrait ensuite de fixer le montant et le ciblage de ce crédit d’impôt en fonction de l’effort que l’État veut consacrer à l’outre-mer.

En ce qui concerne le logement social, un autre scénario serait la budgétisation des aides à travers la LBU. Il s’agirait donc d’un abondement budgétaire à hauteur du montant de l’aide fiscale indirecte dont bénéficie aujourd’hui in fine ce secteur dans les DOM. L’aide prendrait la forme d’une subvention ce qui permettrait de mieux cibler les opérations bénéficiaires.

M. Patrick Ollier, rapporteur. Dans le contexte de maîtrise des dépenses publiques, l’État a-t-il les moyens de budgéter 1,2 milliard supplémentaire pour l’aide à l’outre-mer ?

Mme Véronique Bied-Charreton. Dorénavant, il faut également raisonner en solde budgétaire, ce qui signifie, dans ce cadre, qu’une dépense fiscale est égale à une dépense budgétaire. C’est ce qui explique que nous ayons une action très forte sur les dépenses fiscales, que la loi de programmation des finances publiques plafonne en valeur absolue sur la période triennale.

M. Patrick Ollier, rapporteur. Si le dispositif est maintenu, nous avons la certitude que l’outre-mer continuera à bénéficier de ces aides. S’il est modifié, nous craignons que ce ne soit plus le cas à l’aune de la régulation budgétaire et des affectations de crédits.

Mme Véronique Bied-Charreton. Le Président de la République a pris des engagements, et, chaque année, le Parlement autorise les dépenses de l’État par le vote du budget.

M. Dariusz Kaczynski, chef du bureau des agréments et rescrits (ministère de l’Économie et des finances). Dans la mesure où il y a unanimité sur l’objectif, la question est de savoir quel outil permet d’assurer au mieux la politique d’aide à l’outre-mer, sachant que la défiscalisation – ou dépense fiscale – n’est que l’un des instruments possibles.

Avec la technique de la dépense fiscale, l’enveloppe budgétaire n’est pas fermée. C’est ce qui a expliqué l’explosion de la dépense pour le photovoltaïque, si bien que le législateur a dû exclure ce secteur du dispositif. En outre, cela constitue une exception à l’un des grands principes budgétaires, la règle de non-affectation. Enfin, Mme Bied-Charreton l’a dit, la déperdition de la défiscalisation outre-mer est évaluée à 30 % de la dépense.

Pour les opérations avec agrément, le dispositif ne présente pas un bilan très positif en termes de pilotage de la politique publique. En effet, les deux objectifs – aide au logement social et aide à l’investissement productif – ne se recoupent pas totalement, le premier étant avant tout une dépense sociale, le second un soutien à l’économie ultramarine, et l’on observe un effet d’éviction très net sur ce dernier qui doit pourtant assurer le développement économique des territoires. Ainsi, le secteur du logement social représentait 75 % des dépenses fiscales sous agrément en 2012 – cette tendance étant le résultat non d’une décision politique, mais d’un choix des opérateurs, attirés par les avantages plus grands du dispositif en faveur du logement social. J’ajoute que La Réunion a bénéficié de plus de la moitié de la dépense publique sous agrément en 2012.

Dans nombre de dossiers de financement de l’investissement productif, nous constatons un effet d’aubaine : certains bénéficient d’une aide dont ils n’ont pas vraiment besoin. Nous avons été en litige avec une entreprise qui demandait un investissement de 1,5 million, alors qu’elle avait distribué près de 6 millions de dividendes l’année précédente. On peut se demander, en l’occurrence, si la dépense publique finance l’investissement ou les dividendes distribués à des actionnaires qui ne sont pas nécessairement ultramarins…

Enfin, le risque de fraude est inhérent au système. Or nos moyens de contrôle restent insuffisants. En effet, si la fraude est repérée au niveau de l’entreprise aidée, l’administration devra procéder aux redressements auprès d’autres contribuables, parfois nombreux – les investisseurs fiscaux – présents, eux, en métropole. Au surplus, les moyens de fraude au dispositif sont réels, car l’encadrement légal ne permet pas au Bureau des agréments et à ses directions d’analyser la pertinence des dossiers au regard du coût de la dépense. Autrement dit, la loi ne nous permet pas de refuser un agrément en cas d’investissement trop élevé ou de surfacturation – techniques de fraude qui ont fleuri ces dernières années. Ce sont les dysfonctionnements du système qui ont conduit à l’explosion de la dépense pour le photovoltaïque. Il n’est pas exclu que de tels dysfonctionnements se reproduisent à l’avenir.

M. le président Jean-Claude Fruteau, rapporteur. Certes, le logement social occupe une grande part dans la dépense, mais le dispositif a permis de multiplier par trois les constructions de logements à La Réunion, dont le nombre est passé de 1 600 en 2008 à 4 500 en 2012. En outre, la défiscalisation répond bien à une volonté du législateur, puisqu’elle est prévue dans la loi pour le développement économique des outre-mer.

Les bailleurs sociaux font ce qu’ils peuvent pour accélérer la moralisation du système – moralisation que mes collègues, de droite comme de gauche, prônent depuis de nombreuses années. En tant que président de la SEMAC, société d’économie mixte d’aménagement et de construction située à La Réunion, je peux vous dire que le taux de déperdition diminue – le taux de rétrocession avoisinant les 90 %.

Je m’interroge donc sur l’hypothèse d’une « rebudgétisation intégrale ». Il me paraît en effet très difficile dans le contexte actuel, et en dépit des engagements du Président de la République, de multiplier la ligne budgétaire unique par trois ou quatre, voire plus.

Les besoins en logements sociaux restent criants outre-mer. La politique publique dans ce domaine a un coût et elle s’est révélée très efficace, puisque le dispositif a permis de loger des gens qui vivaient auparavant dans des bidonvilles. Le maintien du niveau actuel de construction de logements sociaux est impossible dans le cadre de la LBU : aucun gouvernement n’en serait capable.

M. Jean-Pierre Philibert. Je remercie M. Kaczynski et Mme Bied-Charreton pour l’objectivité de leurs propos.

Madame Bied-Charreton, vous citez un taux de déperdition de 30 % : d’après nos informations, il se situerait plutôt entre 13 % et 20 %. Vous avez toutefois raison de dire que la suppression de la part en pourcentage du plafond entraînera une réduction de la sociologie des investisseurs. À cet égard, les chiffres issus de notre enquête sont éclairants. Nous constatons d’abord une baisse de 25 % de la collecte – qui est passée de 30 100 euros en moyenne l’année dernière à 23 200 euros depuis le début de l’année. D’autre part, lorsqu’on réduit la sociologie des investisseurs, la capacité de ceux qui veulent faire de l’optimisation fiscale est réduite d’autant, ce qui fait que l’on n’est pas sûr de retrouver l’intégralité de la collecte dont on a besoin. Sur les 10 000 premiers euros, 7 000 à 7 500 sont consacrés à autre chose que l’investissement outre-mer, essentiellement aux emplois à domicile. Par conséquent, dans le cadre du plafond de 18 000 euros, qui n’est pas déconnecté du plafond général de 10 000 euros, la dépense fiscale possible est en réalité comprise entre 10 500 et 11 000 euros.

La défiscalisation, dit-on, incite des gens ayant un peu d’argent à le placer là où ils n’auraient pas envisagé de le faire, ce qui illustre bien l’esprit de la loi Pons. Si cette tendance à la baisse de la collecte se confirme, 4 000 PME ne pourront pas financer leur investissement en 2013.

Nous disposons également de statistiques en fonction de la nature des dossiers avec agrément. Les dossiers déposés avant le 31 décembre et soumis au plafond de 18 000 euros + 4 %, sont au nombre de soixante-dix-sept – majoritairement en faveur du logement social. On compte quatre-vingt-seize projets déposés depuis le début de l’année et soumis au plafond de 18 000 euros. Ceux qui n’ont pas encore été déposés, mais pour lesquels la collecte est prévue en 2013, s’élèvent à 173. Quant aux projets lancés en 2013 et réalisables à partir de 2014, ils sont au nombre de cinquante-deux. Pour Mayotte, par exemple, trois dossiers sont déposés et quatre sont susceptibles de l’être en faveur de l’investissement productif, et quatre projets d’un montant inférieur à 4,5 millions sont prévus en faveur du logement social.

Comme nous avions salué le vote de la loi relative à la résorption de l’habitat insalubre, nous nous réjouissons que le débat sur la défiscalisation soit ouvert. Nous n’interférerons pas dans la décision des pouvoirs publics : si elle permet de promouvoir l’activité, nous la soutiendrons.

Pour finir, si les moyens de contrôle des dossiers soumis à agrément sont insuffisants, comme l’a expliqué M. Kaczynski, qu’en serait-il alors des 16 000 dossiers avec crédit d’impôt préfinancé ? Et si l’on tend vers une subvention, celle-ci ne devrait-elle pas être non réintégrable ? Certes, je caricature, mais vous l’aurez compris : le crédit d’impôt n’est pas ce que nous souhaitons.

M. Bernard Lesterlin. Sans être un spécialiste de ces questions, je pense pouvoir dire que mes collègues sont unanimes à penser que, si nous ne trouvons pas une solution pour maintenir l’aide publique à l’outre-mer, nous recréerons rapidement les conditions de 2009 qui ont conduit au vote du régime social du bonus exceptionnel outre-mer – dont l’Assemblée examine, en ce moment même, la prorogation jusqu’au 31 décembre 2013.

Madame Bied-Charreton, j’ai le sentiment qu’il n’y a qu’une alternative : soit le maintien du système actuel de défiscalisation, soit l’instauration de la budgétisation. Je ne peux pas croire que la décision politique aboutira à réduire l’aide publique en faveur de la construction de logements sociaux, pour lesquels les besoins sont criants, alors que le dispositif a prouvé son efficacité.

Les parlementaires, de droite comme de gauche, doivent impérativement trouver une solution, d’autant que la moralisation sera dans l’air du temps dans les mois à venir. Le problème des 1,2 milliard serait réglé si l’administration, dont la faiblesse des moyens de contrôle a été soulignée par M. Kaczynski, parvenait à récupérer les sommes perdues chaque année au titre de l’évasion fiscale, qui représentent à peu près 2 % du PIB. Certes, quelques personnes ont un peu d’argent et ne savent pas où le placer, mais nous savons que de plus en plus de gens ont beaucoup d’argent et savent très bien comment l’optimiser.

Nous devrons, dans les mois à venir, faire preuve de plus d’imagination, de plus de conviction pour attirer l’épargne privée vers des projets qui sont essentiels à la survie de l’outre-mer, mais dont la réalisation ne pourra se faire entièrement par le biais de la budgétisation. Enfin, nous devrons également faire œuvre de pédagogie dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2014.

Mme Véronique Bied-Charreton. En matière d’investissement productif, l’investisseur indirect se soucie moins de savoir sur quoi porte l’investissement que de la défiscalisation dont il va bénéficier : l’orientation des investissements est donc plus incertaine que s’il s’agissait d’un investisseur bénéficiant d’une aide directe. Autrement dit, un investisseur parisien, à qui l’on promet un retour sur investissement fiscal supérieur à son investissement dans le photovoltaïque, n’a rien à voir avec une entreprise domienne qui investirait dans ce secteur parce qu’elle y a un intérêt propre. Ainsi, défiscalisation et crédit d’impôt direct n’auront pas forcément les mêmes impacts.

M. Patrick Ollier, rapporteur. Ne faut-il pas tout simplement mieux adapter la défiscalisation, plutôt que la supprimer par souci de moralisation ?

Je trouve inquiétant que la dépense fiscale ne soit en réalité que de 11 000 euros, comme l’a expliqué M. Philibert. Le Gouvernement doit comprendre que nous souhaitons, à droite comme à gauche, le maintien de l’aide à l’investissement productif et au logement social dans les DOM.

Nous sommes tous prêts à accepter une solution crédible : encore faut-il qu’elle existe. Nous sommes convaincus que la budgétisation à elle seule ne permettra pas de soutenir l’investissement outre-mer. Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités.

M. Thomas Degos. Je tiens à saluer la qualité des échanges qui ont présidé à cette réunion.

Nous restons à la disposition de la Délégation aux outre-mer pour lui communiquer tout élément d’information supplémentaire et poursuivre le dialogue sur le pilotage et la maîtrise de la dépense fiscale, sur l’encadrement de la rémunération des monteurs ou des intermédiaires – bref, sur tout ce qui a trait à la moralisation que vous appelez de vos vœux –, ainsi que sur les avantages et les inconvénients que j’ai présentés pour chaque scénario.

M. Jean-Pierre Philibert. Nous avons rédigé douze propositions relatives à la moralisation et à l’encadrement du régime de plein droit, que nous vous communiquerons si vous le souhaitez.

M. le président Jean-Claude Fruteau, rapporteur. Mesdames, Messieurs, je vous remercie.

*

* *

Échange de vues sur la défiscalisation des investissements outre-mer sous la forme d’une table ronde réunissant :

– Mme Anne Bolliet, Inspectrice générale des finances (Ministère de l’Économie et des finances)

– M. Claude Girault, Délégué général adjoint à l’outre-mer (DEGEOM)

– M. Bernard Siriex, président de la Fédération du bâtiment et des travaux publics de La Réunion, accompagné de M. Benoît Vanstavel, directeur des relations parlementaires et institutionnelles de la Fédération Française du Bâtiment (FFB)

– M. Luc Domergue, administrateur du Groupement des Ingénieurs Financiers de l’Outre-mer (GIFOM), accompagné de Madame Nathalie Leroy (Cabinet INFI), de M. Thomas de Cointet (FIPROMER) et de M. Alexandre Laurent (Cabinet I2F)

– M. Daniel Petit, président-directeur général du cabinet Inter Invest, accompagné de M. Vincent Declercq, directeur en charge du réseau d’agences dans les DOM et COM, et de M. Jérôme Devaud, directeur commercial

Compte rendu de la réunion du 24 avril 2013

M. le président Jean-Claude Fruteau, rapporteur. Voici donc ouverte la deuxième table ronde consacrée à la défiscalisation des investissements outre mer. Notre co-rapporteur, M. Patrick Ollier, ne sera malheureusement pas parmi nous en raison d’un impératif auquel il n’a pu se soustraire.

Nous entendons des personnalités représentant des intérêts différents afin qu’elles éclairent notre analyse du dossier compte tenu, d’une part, de la décision du Conseil constitutionnel de décembre 2012, d’autre part de l’intention inscrite dans la loi de finances pour 2013 de remettre à plat le régime fiscal des investissements ultramarins au vu d’un rapport d’évaluation que le Gouvernement était censé remettre en mai prochain.

M. Claude Girault, Délégué général adjoint à l’outre-mer. Le ministère des Outre-mer travaille effectivement à l’évaluation du régime fiscal des investissements, qui sera transmise au comité interministériel pour la modernisation de l’action publique puis au Parlement. L’instance de concertation créée à cet effet, et réunissant les différentes parties prenantes, tiendra une nouvelle réunion le 22 ou le 23 mai prochain. Le rapport devrait donc être disponible à la fin du mois de mai ou au début de juin, car il faut aussi tenir compte du calendrier budgétaire pour 2014.

Nous essayons, dans ce but, de recueillir le plus possible de données chiffrées, aussi bien pour les investissements, industriels comme dans le logement social, que pour la dépense fiscale, dont le coût et l’effet ont été mis en évidence par le Conseil constitutionnel, au nom du principe d’égalité devant les charges publiques.

La modification du dispositif devra intervenir aussi rapidement et aussi complètement que possible pour éviter aux acteurs économiques d’être soumis à trop d’aléas et d’incertitudes. Elle devra aussi avoir pris en compte toutes les suggestions formulées, notamment par le secteur du bâtiment et des travaux publics, moteur de l’activité outre mer, et par les monteurs d’opérations de défiscalisation.

M. le président Jean-Claude Fruteau, rapporteur. De ce travail du Gouvernement se dégage-t-il déjà quelques pistes, ou du moins quelques hypothèses ?

M. Claude Girault. Il ne s’agit que d’hypothèses de travail, qui nécessitent encore des expertises. Les ministres concernés ne se sont toujours pas prononcés et ne le feront qu’après vérification de la viabilité juridique, économique et financière des solutions proposées.

Nos réflexions s’orientent dans trois directions alternatives, mais toutes conformes aux engagements du Président de la République et du Gouvernement sur l’effort consenti par la collectivité nationale en faveur de ses outre-mer, celui-ci devant être avant tout efficace.

La première consisterait à moraliser et à élaguer les dépenses qui ne sont pas directement utiles à l’économie ultramarine tout en maintenant le système de défiscalisation dans le respect de la décision du Conseil constitutionnel, c’est-à-dire en supprimant la part proportionnelle au revenu dans le plafond de déduction fiscale.

La deuxième, dans l’esprit de l’article 79 de la loi de finances pour 2013, irait dans le sens strictement opposé en supprimant totalement les mécanismes de défiscalisation et en les remplaçant par des crédits d’impôt pour l’investissement et par une aide budgétaire pour le logement social, à volume financier équivalent par rapport à l’actuelle dépense fiscale.

La troisième combinerait les deux premières, d’une part en maintenant le crédit d’impôt « Girardin » pour l’industrie, d’autre part en améliorant et en contrôlant mieux la défiscalisation pour le logement social.

Tous nos interlocuteurs ont insisté sur la nécessité de préserver l’intervention publique dans ce domaine.

M. Bernard Siriex, président de la Fédération du bâtiment et des travaux publics à la Réunion (FBTPR). L’économie de La Réunion traverse une passe critique, avec un taux de chômage atteignant 30% de la population active et un marché déprimé. Le chiffre d’affaires annuel de notre branche est descendu de 2,1 milliards d’euros à 1 milliard. En six ans, le nombre d’emplois est passé de 25 000 à moins de 15 000 (en mars dernier).

Faute d’activité suffisante, nous comptons 8 000 entreprises en graves difficultés, hors d’état de payer leurs cotisations sociales et fiscales.

La défiscalisation n’est pas le seul instrument de soutien public à l’investissement dans la construction de logements : d’autres formules sont actuellement à l’étude.

Aujourd’hui, 25 000 familles de La Réunion sont sans logement. Beaucoup sont mal logées et la population du département s’accroît de 1,5 % par an.

Nous avons donc besoin de financeurs extérieurs.

Nous avons construit, en 2011, 4 500 logements sociaux, contre 1 500 en 2008, époque où le système de défiscalisation n’existait pas. Nous souhaitons donc conserver cet outil qui a prouvé son efficacité.

Toutefois, le nombre annuel de constructions est très variable d’une année sur l’autre, faute d’une bonne organisation des bailleurs sociaux. Ainsi, la plupart des garanties de financement étaient assurée, jusqu’en 2012, par le conseil général de La Réunion. Celui-ci a voulu les remettre en cause en cours d’année puis, après notre opiniâtre résistance, les a finalement débloquées. Cela nous a tout de même fait perdre la construction de 2 000 logements et 4 400 emplois puisque, chez nous, la construction d’un logement génère 2,2 emplois directs et indirects.

Il nous faut donner de l’espoir aux familles réunionnaises à travers les logements intermédiaires, qui s’étaient bien développés grâce à la loi « Girardin » : nous construisions environ 9 000 logements par an, avec une contribution financière extérieure de l’ordre d’un milliard d’euros.

Quoique satisfaisant, ce dispositif fut remplacé par le « Scellier DOM » qui présentait les mêmes avantages que le « Scellier métropole ». Moyennant quoi, un investisseur pouvant défiscaliser à 10 km de chez lui n’allait pas le faire à 10 000 km ! Nous n’avons dès lors pas construit plus de 750 logements en une année !

On entend aujourd’hui parler d’un éventuel « Duflot DOM », mais il nous semble fort peu attrayant pour les investisseurs extérieurs. Nous avons donc présenté des suggestions pour en améliorer l’efficience en l’alignant sur le régime de la Nouvelle-Calédonie.

Nous avons également, au nom de la FBTPR et des promoteurs immobiliers, remis tout récemment un dossier de propositions au ministre des Outre-mer, insistant sur l’importance du taux de 29% et de la durée de six ans si l’on veut pouvoir construire des logements d’au moins trois pièces, nos familles réunionnaises étant souvent des familles nombreuses.

Avec une réduction d’impôt de 70 000 euros, la collectivité publique récupère la première année 20 000 euros en équivalent de TVA puis de nombreuses taxes assises sur les logements et leurs habitants, soit une recette nette de 28 000 euros environ.

Nous avons calculé que, pour 1 000 logements ainsi financés, le coût brut pour l’État s’élève à 47 millions d’euros en y intégrant les comptes sociaux, mais le coût net n’est que de 4,5 millions. Pour les collectivités locales en revanche, le solde net est positif, de 21 millions.

Le logement représente, à La Réunion, 30 % du chiffre d’affaires du BTP, employant 12 % de la population et créant 10 % des richesses de l’île, ce qui en fait le troisième contributeur économique et le deuxième acteur marchand.

Nous élaborons une charte d’insertion pour les jeunes sans activité, mais avec beaucoup de difficultés car notre secteur continue de licencier.

M. le président Jean-Claude Fruteau, rapporteur. Je confirme, en effet, l’importance économique et sociale du logement intermédiaire, bien qu’il nous faille, en priorité, sauver le logement social compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel.

M. Luc Domergue, administrateur du Groupement des ingénieurs financiers de l’outre-mer (GIFOM). Le financement de projets d’investissements permet de nourrir le tissu industriel et le BTP ultramarins. C’est pourquoi nous avons, en 2004, créé ce GIE avec une charte de déontologie approuvée par le ministère des Outre-mer et fixant les obligations des monteurs d’opérations de défiscalisation (MOD) vis-à-vis des autres parties prenantes.

Représentant 60 % des flux d’investissements agréés, dans les DOM comme dans les COM, et 30 % de la défiscalisation de plein droit, dite « plein droit », le GIFOM exerce le rôle d’expert auprès des pouvoirs publics. Mais nous ne pensions pas, en 2004, devoir répondre à autant de sollicitations en raison de l’incroyable instabilité des dispositifs. Jamais nous n’avons connu d’année calme. Car deux univers s’entrechoquent continuellement – celui de l’équité fiscale et celui du financement de projets –, qui ne poursuivent pas les mêmes objectifs.

Établir des statistiques fiables, comme l’a montré tout à l’heure M. le Délégué général adjoint à l’outre-mer, fut notre principale difficulté. Il a fallu des années pour obtenir qu’une déclaration statistique soit faite pour chaque opération de plein droit, ce qui fournit aux pouvoirs publics une visibilité minimale. Auparavant, son absence ne faisait qu’alimenter les suspicions et les discussions irrationnelles.

Pour autant, le ministère des Finances n’a jamais vraiment traité ces données et l’obligation instituée par la loi de finances de 1992 de communiquer au Parlement un rapport statistique annuel n’a jamais été respectée. De sorte que l’on discute dans le vide lors de l’examen de chaque loi de finances annuelle, ravivant soupçons et fantasmes et empêchant toute évaluation sérieuse des politiques publiques. Le dernier rapport d’évaluation réalisé par le Bureau des agréments et des rescrits (BAGR) en 2009 reposait sur des chiffres très anciens et qui n’intégraient nullement l’incidence des dernières dispositions législatives. Sa seule « utilité » fut de rendre encore plus négative l’image de l’outre-mer.

Nous proposons donc d’abord qu’un mécanisme de recueil de données statistiques, rigoureux et transparent, soit enfin mis en place.

Le GIFOM produit certes ses propres chiffres, mais qui ne sauraient être fiables à 100 %.

Mme Nathalie Leroy (cabinet INFI). Depuis 2009, le logement social outre mer bénéficie de mesures de défiscalisation, à hauteur moyenne de 30 % des investissements, dont chacun reconnaît l’efficacité : le volume de construction a été presque multiplié par trois.

La question qui se pose aujourd’hui porte sur le remplacement de l’outil existant par un mécanisme de subventions directes, c’est-à-dire par celui qui l’avait précédé et n’avait pas donné de très bons résultats … On peut, bien sûr, toujours augmenter une subvention – et Dieu sait que la République sait faire ça ! –, mais les techniciens de la défiscalisation considèrent qu’il est préférable d’avoir, comme aujourd’hui, deux fers au feu. Cela sécurise les plans de financement des bailleurs sociaux, qui reposent sur des cycles de deux à trois ans en sus de la durée nécessaire à la construction des logements. Car se présenter à un guichet pour obtenir une subvention fait toujours redouter de voir celle-ci refusée parce que les fonds ne sont plus disponibles. En d’autres termes, un secteur déjà fragilisé apprécie d’autant moins de lâcher la proie pour l’ombre.

La défiscalisation permet à des intermédiaires comme nous d’intervenir afin de sécuriser les investissements et de rassurer les investisseurs.

Un investisseur gagne aujourd’hui entre 15 et 20 % d’économie d’impôt, tandis que les monteurs d’opérations de défiscalisation (MOD) en profitent à hauteur de 4 à 6 % pour rémunération de leur prestation.

Compte tenu, à la fois de la loi de finances pour 2013 et de la décision du Conseil constitutionnel, nous fonctionnons avec un plafond global de 18 000 euros, trop étroit pour collecter des fonds dans de bonnes conditions. Toutefois, les opérations initiées en 2011 et en 2012 bénéficient des anciens plafonds. Mais nous risquons de manquer de fonds mobilisables au cours du deuxième semestre de 2013, ce qui pourrait entraîner des arrêts de chantier et donc des suppressions d’emplois. Il serait bon de trouver une solution dans le cadre d’un collectif budgétaire.

Actuellement, les entreprises et les bailleurs sociaux nous confient des dossiers de demande d’agrément pour des projets à réaliser en 2014 et en 2015. Ce qui pose un problème transitoire de vide juridique au regard de la Commission européenne, indépendamment de toute modification du dispositif national, à partir du premier janvier 2014. Celui-ci exigera nécessairement des textes d’application et une nouvelle notification aux autorités européennes, d’où le risque d’un nouveau « trou d’air » dans les investissements.

M. Thomas de Cointet (FIPROMER). Le logement social est, dans les COM, régi par les mêmes règles que dans les DOM, mais sans intervention de la ligne budgétaire unique (LBU).

Les investissements productifs à long terme ont besoin de visibilité également à long terme, c’est-à-dire au moment du retour sur investissement, soit à la fin de la construction et lors de la mise en exploitation quand il s’agit de logements.

Lisser les incidences de décisions politiques ou juridictionnelles exige de ménager des périodes de transition pour des investisseurs qui interviennent en continuité et non par à-coups en fonction de décisions externes immédiatement opposables. La période actuelle génère donc une grande anxiété.

La censure du Conseil constitutionnel réduit considérablement la gamme des projets finançables selon le système hier encore applicable. Ceux-ci se trouvent considérablement limités dans leur taille et les passerelles entre personnes morales et personnes physiques ne s’édifient pas du jour au lendemain, de même que l’éventuel recours à l’offre publique de titres financiers.

C’est pourquoi nous proposons, pour les projets structurants, de « donner de l’air au plafond » dès 2013, nonobstant la fin en sifflet du dispositif censuré.

M. Alexandre Laurent (cabinet I2F). C’est en fonction de sa présence exclusive en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie que notre société regarde les hypothèses de travail évoquées pour remplacer l’actuel régime de défiscalisation. Car, là-bas, la structure fiscale locale, liée à l’autonomie financière et douanière, empêche toute mise en place d’un crédit d’impôt, ce qui rend inopérantes aussi bien la deuxième que la troisième solution, parmi les trois possibilités évoquées par M. le Délégué général adjoint à l’outre-mer. Aussi bien, à moins d’un mois de la remise du rapport annoncé, seule la première hypothèse demeure crédible pour nos territoires.

Le régime du plein droit représente 16 000 dossiers par an, pour un montant moyen de 30 à 35 000 euros, soit encore 10 000 entreprises recourant quotidiennement à cet outil, qui existe depuis plus de vingt ans et qui est devenu le socle du financement des TPE. Gardons-nous donc de le modifier trop brutalement.

Certes perfectible, le système de l’aide fiscale à l’investissement outre-mer (AFIOM) en vigueur présente le double avantage, notamment pour les TPE qui représentent 95 % de l’activité économique ultramarine, sous le régime du plein droit, d’une part, d’apporter très vite des fonds aux entreprises – dans un délai allant de deux à quinze jours – et, d’autre part, par voie de conséquence, de dispenser celles-ci de recourir à des crédits relais bancaires.

Toute recherche de substitution au système actuel doit tenir compte de ces données essentielles.

M. Claude Girault. Nous connaissons parfaitement les contraintes propres aux COM. Quelle que soit la formule définitivement retenue, il lui faudra rester opérationnelle dans ces territoires.

Nous sommes très attentifs aux difficultés d’accès des petites entreprises au crédit bancaire, déjà manifestes dans l’hexagone et exacerbées outre-mer, qui seront pleinement prises en compte dans le futur dispositif.

M. Daniel Petit, président-directeur général du Cabinet Inter Invest. Notre groupe, qui existe depuis vingt-deux ans, a financé, l’année dernière, pour 172 millions de projets d’investissements – 3 500 dossiers –, ce qui nous place parmi les tout premiers acteurs de la scène financière des DOM et des COM.

L’ensemble de nos équipes, dans tout l’outre-mer, représente une centaine de personnes. Sur les 15 000 dossiers que nous avons traités au cours du temps, trois seulement ont fait l’objet d’un redressement.

Nous intervenons aussi dans le conseil en management, avec une filiale à Chicago et une autre à Munich. Nous sommes présents dans les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) de la « loi Malraux ».

Nous sommes particulièrement actifs sur le marché du plein droit, qui irrigue l’essentiel de l’économie ultramarine et dont nous représentons entre 25 et 30%.

En tant que professionnels de la défiscalisation, nous avons plusieurs suggestions à vous soumettre.

Nous sommes, bien sûr, favorables à la première des options mentionnées par M. le Délégué général adjoint à l’outre-mer.

Le système actuel est réformable sans qu’il soit besoin d’en altérer l’esprit. J’avais, moi-même, proposé au ministre en charge de l’Outre-mer de baisser le plafond susmentionné, ce qui avait d’abord provoqué un tollé lors de l’assemblée générale de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM). Mais le Conseil constitutionnel a tranché, nous donnant raison plus brutalement que nous ne l’espérions.

Toutefois, malgré la baisse du plafond dont nous avons parlé, la captation des dossiers d’investissement par les différents opérateurs reste aussi compétitive que par le passé. Le prouvent les taux de rétrocession aux entreprises locales, de 5 à 10 %, supérieurs aux planchers réglementaires. Après un trimestre d’exercice, aucun dossier n’a essuyé de refus avec le plafond de 18 000 euros. Mais celui-ci devrait être désormais déconnecté du plafond global.

Si nous autres, opérateurs, faisons l’effort de rechercher une clientèle beaucoup plus large, il sera alors possible de financer des investissements malgré des plafonds de défiscalisation relativement bas.

En outre, l’abaissement du plafond, par son effet mécanique sur le nombre d’investisseurs comme sur le montant unitaire des souscriptions, peut nous aider à améliorer l’image, aujourd’hui épouvantable en métropole, de la défiscalisation outre mer. La presse présente en effet régulièrement le système en vigueur comme une scandaleuse aide aux plus riches.

La moralisation de la réglementation vient donc à point nommé pour effacer les errements du passé. La loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) de 2009 en avait déjà arrêté le principe, sans qu’il fut suivi d’effet. Les procédures administratives prévues afin d’en améliorer l’objectivité et la transparence sont restées lettre morte : quand nous présentons nos dossiers, dans tous les DOM et dans tous les COM, le préfet nous répond systématiquement que le décret d’application n’est toujours pas paru et que, dans ces conditions, il n’est pas compétent pour agréer notre activité.

En réalité, notre profession relève du code monétaire et financier, soit directement soit indirectement. Car nous sommes des loueurs offrant à nos locataires des options d’achat, ce qui s’appelle du crédit bail. À ce titre, nous sommes soumis à l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) qui dépend de la Banque de France.

Certains d’entre nous vendent aussi des parts de sociétés anonymes (SA) ou de sociétés par actions simplifiées (SAS) qui, en tant qu’instruments financiers, relèvent indiscutablement du code précité et, partant, de l’agrément délivré par l’ACP.

Tout le monde pourrait donc s’accorder sur une moralisation consistant à ce qu’un tel organisme de contrôle chapeaute la réglementation de notre profession et assure le suivi périodique des opérations, par exemple selon un rythme trimestriel. Une telle formule, à la fois, améliorerait l’image de notre profession et sécuriserait les investisseurs.

Dans les appels d’offres auxquels nous répondons sur le logement social, nous sommes souvent en concurrence avec les banques ou avec des conseils qui travaillent dans le cadre de l’impôt sur les sociétés (IS), tandis que nous travaillons sur l’impôt sur le revenu (IR). Or, le coût pour l’État de la défiscalisation à l’IS est bien plus élevé que celui de la défiscalisation à l’IR : 56,5% contre 44,12 %, soit un différentiel de 28 %. Voilà un considérable gisement d’économies que je vous invite à explorer : si l’on prend en compte le retard de 45 000 logements sociaux, soit environ 2 milliards d’investissement, par rapport aux besoins, cette économie pourrait osciller entre 700 millions et 1 milliard d’euros.

M. Victorin Lurel, député en 2009, avait obtenu la création des fonds d’investissement de proximité outre-mer (FIP DOM), mais ces outils remarquables mériteraient d’être reconsidérés. On pourrait en effet envisager de permettre aux souscripteurs métropolitains d’investir en fonds propres dans les petites entreprises. Cela apporterait un judicieux complément à la défiscalisation « Girardin » et offrirait à l’outre-mer une parité avec l’Île de beauté.

Nous souhaitons, en somme, un système plus pérenne et plus présentable.

M. le président Jean-Claude Fruteau, rapporteur. Vos propositions sortent parfois de l’ordinaire, mais présentent un incontestable intérêt pour nos futures discussions.

Mme Anne Bolliet, Inspectrice générale des finances (IGF). Lors des premiers travaux d’évaluation sur le financement du logement social dans les départements d’outre-mer auxquels j’ai participé en 2006, la mission avait considéré que la défiscalisation, qui s’appliquait alors quasiment au seul logement libre, avait des conséquences très dommageables sur le logement social (prix du foncier, échec des appels d’offres…) et qu’il fallait recentrer l’aide fiscale de l’État sur le logement social. Une telle audace avait alors suscité bien des critiques. L’idée a néanmoins fait son chemin et a trouvé une traduction dans la LODEOM. Ses effets dépassent même les prévisions initiales.

La question de la moralisation de la défiscalisation – qui a été évoquée par certains intervenants – ne doit pas être la seule réponse à la question soulevée, depuis le dernier débat budgétaire, d’un reformatage des outils d’aide à l’investissement outre-mer, pour un développement économique plus efficace de nos régions ultramarines.

Ceci dit, les collectivités d’outre-mer sont confrontées à des problèmes de fraude, parfois importante, notamment dans la mise en œuvre du régime dit de plein droit.

De plus, entre le régime de plein droit et le régime d’agrément s’insinuaient des disparités et des différences de traitement. C’est pourquoi la LODEOM a prévu que, dans le premier (le plein droit), il fallait prouver, comme dans le régime d’agrément, que l’on était à jour de ses obligations fiscales et sociales. Je ne sais pas comment cela a été mis en œuvre et contrôlé…

Je ne peux évoquer le contenu du rapport commandé par le Premier ministre. Mais je peux quand même dire certaines choses …

À ma connaissance, l’article L. 45 F du Livre des procédures fiscales, visant à contrôler, sur le lieu de l’exploitation, le respect des conditions posées par la loi pour les investissements défiscalisés, n’a pas encore été mis en œuvre dans les collectivités d’outre-mer, notamment du Pacifique, et en Nouvelle-Calédonie. C’est un point faible pour le fonctionnement du plein droit dans les COM.

Le plafonnement global des réductions d’impôt sur le revenu, mis en place en 2009, a commencé à produire ses effets, conformément à l’objectif visé.

Principal vecteur de la réduction d’impôt pour les revenus les plus élevés, l’article 199 undecies B du code général des impôts permettait de défiscaliser, pour les contribuables du dernier centile de revenu, des centaines de milliers d’euros, ou plus. Depuis lors, les sommes en question ne sont plus du tout les mêmes, atteignant en moyenne entre 100 000 et 200 000 euros. Le document budgétaire annuel, « Voies et moyens », confirme cette évolution due à l’institution du plafonnement : le nombre de bénéficiaires du dispositif a été multiplié par deux et demi entre 2009 et 2013.

Les investisseurs outre-mer sont aujourd’hui plus nombreux et se recrutent dans des catégories de revenus moins élevés que lorsque le plafonnement n’existait pas, et l’avantage fiscal moyen s’est réduit. Le ticket d’entrée dans la défiscalisation a sensiblement diminué.

Les dernières simulations portent sur les chiffres de 2011.

Et la décision du Conseil constitutionnel selon laquelle il faut passer d’un plafond de 18 000 euros plus 4 % du revenu imposable à un plafond à 18 000 euros ne devrait pas changer radicalement les choses. C’est la même tendance, en œuvre depuis le premier plafonnement, qui se poursuit depuis quatre ou cinq ans.

S’agissant de l’écart de concurrence entre l’IS et l’IR, je suis un peu surprise, Monsieur Petit, de votre propos selon lequel les mécanismes de déduction à l’impôt sur les sociétés seraient plus coûteux pour l’État ! Je serais intéressée par votre mode de calcul !

M. Daniel Petit. Madame l’Inspectrice générale, nous recevons chaque année une centaine de demandes d’information des autorités fiscales émanant des investisseurs qui entendent vérifier si les exploitants sont à jour de leurs obligations sociales et fiscales. Sachez que, si un monteur n’a pas pris la précaution de vérifier ce point important, c’est lui et les investisseurs qui supporteront le redressement fiscal, ce dont personne ne veut.

Par ailleurs, en 2008, avant la mise en place du plafonnement, le niveau moyen de souscription pour les avantages à l’IR s’élevait à 50 000 euros ; au cours du premier trimestre de l’année 2013, il n’est plus que de 15 000 euros. Et nous acceptons les investisseurs à partir de 2 500 euros, ce qui en fait presque un dispositif populaire.

Mme Nathalie Leroy. La différence entre les dispositifs tient à la taille des projets : si le montant maximum de l’investissement pour le plein droit est fixé à 250 000 euros, les montants sont beaucoup plus importants – jusqu’à 10 millions d’euros – pour les dossiers en logement social ou les dossiers productifs nécessitant un agrément, et les règles de la collecte ne sont plus du tout les mêmes. Abaisser le seuil à 2 500 euros pour les gros projets nécessiterait un appel public à l’épargne. C’est techniquement possible, mais cela ajouterait un échelon supplémentaire aux procédures déjà longues de l’agrément. Compte tenu de ce que sont nos calendriers en fin d’année, il nous serait impossible de généraliser cette technique.

Si tout le monde a joué le jeu de la baisse du ticket moyen, c’est que les monteurs en opérations de défiscalisation ne défendent pas les investisseurs. Nos clients sont des entreprises outre-mer qui ont un projet pour lequel nous collectons. Si techniquement nous pouvons collecter auprès d’un plus grand nombre d’investisseurs, nous le faisons. Le plafond de 18 000 euros plus 4 % de part variable était une limite acceptable pour les gros projets. La part variable de 4 % ayant été censurée, il convient de redonner de l’oxygène au dispositif.

Si par hasard nous nous trompions et que Mme Bolliet avait raison, tant mieux. Mais si nous ne nous trompons pas, cela signifie que la collecte sera bloquée. Le plafonnement ne permet pas de réaliser des économies budgétaires ; c’est une mesure d’équité fiscale. On est en train de jouer avec cette limite « sur le dos » de l’outre-mer, si je puis dire, car si l’on franchit cette ligne jaune, on mettra à mal les entreprises outre-mer. L’équité fiscale est un objectif qu’il faut naturellement chercher à atteindre, mais il faut aussi savoir se censurer.

Mme Anne Bolliet. Je suis d’accord avec Mme Leroy, le plafonnement est une mesure qui, en pratique, tend vers davantage d’équité dans l’accès aux avantages fiscaux et qui ne s’est pas traduite par des économies budgétaires. La preuve en est que la baisse du plafond a fait s’envoler le nombre des opérations réalisées au titre de l’article 199 undecies C du code général des impôts. J’ai découvert récemment que le nombre des dossiers faisant appel public à l’épargne, notamment pour du logement social, était en augmentation croissante.

Mme Nathalie Leroy. Certes, mais cela ne peut être généralisé à l’ensemble des opérations.

M. Patrick Lebreton. Je remercie les différents intervenants pour les informations qu’ils nous ont communiquées. Leurs arguments nous aideront à mettre en place un système fiscal efficace et stable pour les outre-mer.

La défiscalisation outre-mer est souvent pour les hexagonaux un objet de fantasmes et de caricatures. Pourtant, c’est un dispositif fondamental pour le secteur du BTP et le logement social. M. le président Fruteau et un certain nombre d’entre nous y étions farouchement opposés lors de sa présentation, mais nous reconnaissons aujourd’hui son efficacité et constatons les dégâts occasionnés par la décision du Conseil constitutionnel.

Nos collègues, Mme Karine Berger et M. Dominique Lefebvre préconisent dans leur rapport de transformer les dispositifs de défiscalisation en crédit d’impôt et surtout de les cibler vers des exploitants ultramarins, en d’autres termes de réserver la dépense fiscale à ses réels bénéficiaires. Que pensez-vous de cette proposition ?

En tant qu’élu ultramarin, je préférerais que nous nous intéressions aux sommes investies dans nos territoires. Nous pouvons décider que demain les Réunionnais seront les moteurs financiers de la défiscalisation à La Réunion, mais cela aura sans nul doute pour effet d’assécher les opérations. Or ce n’est pas ce que nous recherchons. Ce que nous regardons, ce sont les transferts d’investissements dans nos économies et les efforts de l’État en direction de nos territoires. Je vous invite donc à prendre en compte la dimension économique de la défiscalisation outre-mer plutôt que telle ou telle idéologie fiscale.

Mme Chantal Berthelot. Je ne suis personnellement pas favorable au système de défiscalisation.

De quoi parle-t-on ? L’État n’a pas accompagné comme il le devait le développement de l’économie des outre-mer. Pour y remédier, il a imaginé un jour un système qu’il a nommé « défiscalisation ». C’est regrettable car nos économies, tout au moins celle de mon territoire, la Guyane, ont besoin de l’accompagnement de l’État, dans le cadre, naturellement, de son champ de compétences qui comprend l’aide aux entreprises et le soutien au logement social par le biais de la LBU.

Pour pallier cette carence, un gouvernement de droite a mis en place le dispositif de défiscalisation. Je suis d’autant plus surprise des propos de M. Luc Domergue qu’il est bien placé pour faire en sorte que nous obtenions des chiffres réels et non des évaluations statistiques.

Depuis que les outre-mer bénéficient de la défiscalisation, nos économies sont dépendantes d’un système pourtant décrié tant par la gauche que par la droite, qui est considéré comme une niche fiscale et profite à des investisseurs de l’hexagone. Quant aux dérapages qui se sont produits, ils sont le fait de ces derniers.

En 2009, nous étions un certain nombre de parlementaires à combattre la défiscalisation sur le logement social, considérant qu’elle permettait à l’État de se dérober à ses obligations. Face aux besoins criants de logements dans nos territoires, nous avions préféré sanctuariser la LBU. Mais dans la mesure où nous ne pourrons, dans le prochain budget, débloquer un milliard d’euros, nous devons maintenir le dispositif de défiscalisation.

C’est vrai, le système fonctionne, encore faut-il savoir à qui il profite. Nous nous réjouissons du succès de nos opérateurs, mais, je le répète, la compétence en matière de logement social appartient à l’État.

Nous voulons aujourd’hui moraliser le système, mais je rappelle que le Premier ministre et le ministre des Outre-mer se sont battus en 2013 pour faire évoluer le dispositif et que si nous en sommes là, c’est parce que l’UMP a saisi le Conseil constitutionnel.

À l’heure où nous parlons beaucoup de moralisation et de transparence, nous devons faire en sorte que nos concitoyens jugent la défiscalisation acceptable, car après tout il s’agit de sommes qui n’entrent pas dans les recettes de l’État. Quant au plafonnement, je veux bien admettre que ce n’est pas un dispositif réservé aux plus riches.

Vous indiquez, Madame Leroy, que le taux exigé par les monteurs de dossiers se situe entre 4 et 6 %. Or il semble qu’en Guyane il soit plutôt entre 8 et 10 %.

Dans le but de favoriser l’accession à la propriété sur nos territoires, je suggère de maintenir la défiscalisation pour les jeunes ménages qui font une première acquisition.

Madame Bolliet, j’ai bien compris que vous ne dévoileriez rien de ce qui figure dans le rapport que vous devez remettre au Premier ministre, mais y a-t-il encore quelque chose dont vous voudriez que nous tenions compte parmi les propositions que vous avez faites en 2006 – par exemple au sujet du logement social ?

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Tous les ministres de l’Outre-mer ont cherché des solutions pour aider les collectivités d’outre-mer. C’est ainsi qu’est née la défiscalisation. Lors de la discussion du dernier projet de budget, nous nous sommes aperçus que celle-ci avait une mauvaise image en métropole, tant parmi nos collègues parlementaires que dans la population.

Je ne suis pas opposée à la défiscalisation, car elle aide nos investisseurs et favorise la construction de logements outre-mer. Nos territoires d’outre-mer connaissent de grandes difficultés, nos collectivités locales sont exsangues et le taux de chômage y est très élevé. Il nous faut donc trouver une solution qui ne peut être que la défiscalisation, l’État n’ayant pas les moyens d’abonder la LBU.

Mon propos n’est pas d’accuser l’État et ceux qui défiscalisent – nous aurions dû mettre en place des garde-fous. Mais je souhaite, pour la Guadeloupe et les autres collectivités outre-mer, que nous trouvions un dispositif plus transparent et plus fiable pour aider les économies insulaires à traverser la crise.

Mme Ericka Bareigts. Je vous remercie, Mesdames, Messieurs, pour la qualité de vos réflexions et les pistes que vous nous avez indiquées.

Je ne voudrais pas porter de jugement avant d’avoir pris connaissance des rapports en cours et des différentes évaluations, mais je peux affirmer que sur le terrain, la défiscalisation n’est pas toujours perçue de façon positive. Nos territoires, dont les difficultés ne sont en rien comparables à celles que doivent affronter certaines régions de l’hexagone, doivent se doter d’outils propres à soutenir un tissu économique fragile, composé essentiellement de TPE et de PME qui doivent faire face à une forte concurrence et supporter des handicaps structurels.

Considérer la défiscalisation sous l’angle des économies budgétaires n’est pas, à mon avis, la bonne approche et aurait de graves conséquences économiques et sociales pour nos territoires.

La recherche d’un équilibre entre équité fiscale et efficacité économique, en termes de créations d’emplois, doit être une exigence. C’est sur ce critère que doit être évalué tout projet aidé. Or cet élément n’est pas toujours pris en compte par les porteurs de projet. Cette exigence d’équité et d’efficacité économique est une piste sérieuse pour la moralisation des dispositifs.

La mise en place de FIP DOM me paraît être une idée intéressante.

Enfin, dans la mesure où les entreprises et les projets ne se ressemblent pas, où les moyens financiers mis en œuvre sont très différents, ne pourrait-on mettre en place des outils complémentaires qui seraient adaptés à chaque projet et à chaque entreprise ?

M. Bernard Lesterlin. Notre président, M. Jean-Claude Fruteau, en a été le témoin, nous avons assisté à des psychodrames lors de la préparation de la loi de finances pour 2013. Le contexte ne sera pas meilleur lorsque nous élaborerons le projet de loi de finances pour 2014, que ce soit sur le plan politique, budgétaire ou économique.

Nous avons tous intérêt à faire preuve d’imagination pour présenter des argumentaires convaincants devant le Parlement, car c’est lui qui votera le budget. Je ne suis pas certain que nous parvenions cette année à faire repousser un amendement du rapporteur général au profit d’un amendement gouvernemental, comme nous l’avons fait l’année dernière.

Il est de l’intérêt des monteurs de nous aider à trouver des arguments, car nous aurons beaucoup de mal à soutenir une position qui sera très difficile à plaider devant la majorité et l’opinion publique. Peut-être devons-nous creuser les pistes proposées par Mme Karine Berger dans son rapport. Quoi qu’il en soit, notre travail immédiat consiste à construire un argumentaire et à prévoir des limitations susceptibles de rendre le dispositif plus acceptable par l’opinion publique, la majorité et le Gouvernement. Car je ne suis pas persuadé que M. Victorin Lurel bénéficiera d’arbitrages aussi favorables cette année. Nous devons trouver une solution acceptable, autre que budgétaire, faute de quoi des bombes à retardement éclateront dans les outre-mer où la question du logement est primordiale. Si le rythme de construction de logements que nous devons à la défiscalisation ralentissait, cela pourrait générer des tensions sociales, ce que personne ne souhaite.

Mme Ericka Bareigts. Le logement est une priorité indiscutable, mais le projet économique ne peut se limiter à cet aspect. Il convient d’assurer le financement d’activités économiques privilégiées dans chaque territoire et d’inventer les outils permettant d’installer ou de fortifier ces activités. Ces deux préoccupations doivent être traitées avec des outils dont le spectre est suffisamment large.

M. le président Jean-Claude Fruteau, rapporteur. Nous traitons de deux sujets distincts, le financement des investissements productifs outre-mer et le logement, qui pourraient appeler des réponses différentes.

M. Lesterlin, c’est parce que nous allons être confrontés à des difficultés que la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée s’est saisie de cette question. Nous voulons prendre notre part dans ce combat et apporter notre contribution politique au débat.

Parmi les trente engagements pour les outre-mer du candidat François Hollande, à la rédaction desquels j’ai participé, avec M. Victorin Lurel, figuraient les investissements productifs, le maintien de la défiscalisation et le soutien au logement. Au début de l’année, à l’occasion de ses vœux à l’outre-mer, M. le Président de la République a réaffirmé son souhait de maintenir l’effort de l’État en direction des outre-mer. Voilà le cadre que je me suis fixé, auquel s’ajoute ma volonté, partagée par nombre d’entre vous, de ne pas me laisser séduire par des propositions alléchantes de budgétisation, notamment en matière de logement social.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire, il n’y a pour moi que deux scénarios. Le troisième est basé sur la rebudgétisation des crédits du logement social et je le rejette. Ce n’est pas une piste à suivre et le rapport que nous allons rédiger avec le co-rapporteur, M. Patrick Ollier, exprimera les plus grandes réserves à cet égard. Si nous vous avons réunis cet après-midi, Mesdames, Messieurs, c’est que nous souhaitons être des acteurs de la réflexion qui conduira à réformer le dispositif en place ou à en adopter un nouveau.

Mme Anne Bolliet. Concernant les opérations agréées, la montée en puissance des opérations relevant de l’article 199 undecies C du code général des impôts, qui concernent le logement social, va de pair avec une chute très importante de celles relevant de l’article 199 undecies B, qui portent sur les investissements productifs. Est-ce qu’il s’agit là d’un phénomène de vases communicants ?

Dans le cadre de différentes missions d’évaluation de la défiscalisation, nous avions proposé une obligation déclarative des investissements faisant l’objet d’une défiscalisation. L’efficacité de cette obligation, mise en place en 2006 et modifiée à de nombreuses reprises, est encore peu satisfaisante. À législation constante, il faudrait améliorer la connaissance du dispositif et instaurer une véritable obligation déclarative plus contraignante.

Mme Nathalie Leroy. Nous assistons effectivement à une forte montée en puissance des opérations relevant du logement social, mais cette évolution ne se fait pas au détriment des investissements productifs car ce sont deux mondes qui évoluent en parallèle.

Il n’existe pas de préférence des investisseurs qui nous empêcherait de collecter pour les investissements productifs. Certes, un dossier de logement social et un dossier productif ne comportent pas les mêmes risques, mais nous faisons en sorte d’avoir des rentabilités différentes et nous trouvons toujours des investisseurs dès lors qu’il s’agit de dossiers de bonne qualité. Nous n’avons pas rencontré, au cours des deux dernières années, de difficultés particulières pour collecter les fonds. Seule la situation économique outre-mer très dégradée explique l’absence de projets de qualité, et c’est encore plus vrai pour les dossiers importants qui nécessitent un agrément. Aujourd’hui, les entreprises sont très réticentes à investir plusieurs millions d’euros. Mais ce phénomène est indépendant du logement social.

Il est effectivement difficile de parler de la loi et de ses effets sans disposer de chiffres. C’est pourquoi le GIFOM demande depuis de nombreuses années que des statistiques soient établies. Jusqu’en 2007, le bureau des agréments fournissait chaque année à l’Assemblée nationale un rapport contenant les statistiques des opérations agrées, réparties par secteur d’activité et par territoire. Hélas, ce rapport, qui détaillait l’évolution en volume des opérations et la nature des investissements, n’a pas été publié par la suite.

Mme Anne Bolliet. Il a été publié jusqu’en 2009 et il devrait paraître à nouveau.

Mme Nathalie Leroy. C’est une très bonne chose.

Nous souhaitons tous que les opérations de plein droit fassent l’objet de statistiques. Des rapports ont été rédigés, mais ils ne sont pas centralisés et les services ne sont pas organisés pour traiter les statistiques. Quant aux pourcentages, ils doivent être maniés avec précaution car la somme qu’ils représentent dépend de l’assiette et du montant de l’investissement. Un pourcentage correspond à une partie fixe et une partie variable : la première concerne l’évaluation d’un dossier, la seconde correspond à la collecte. Plus une opération est importante, plus la collecte est importante, ce qui exige de passer par des intermédiaires qu’il faut rémunérer. Le pourcentage est le même, mais le montant en valeur absolue est très différent.

Le jeu de la concurrence fonctionne très bien. Dans le domaine du logement social, tous les dossiers sont issus d’appels d’offre, ce qui augmente le taux des rétrocessions que la loi a fixé à 65 %. Récemment, à La Réunion, on a vu des rétrocessions atteindre 84 % de l’aide fiscale. Les chiffres de 4 à 6 % que j’ai cités tout à l’heure correspondent à ces dossiers.

Pour ce qui est de la transparence, le Bureau des agréments et les directions régionales des finances publiques (DRFiP) disposent de tous les éléments et seraient parfaitement en mesure d’établir des statistiques.

Au sein de la profession, nous sommes favorables à cette transparence et nous avons conscience que nous défendrons mieux le dispositif si nous fournissons tous les éléments nécessaires. Nous sommes quelque peu frustrés de constater à quel point la mise en place de la moralisation est lente et laborieuse.

Le texte relatif à la moralisation des monteurs fait apparaître que le ministère des Finances a connaissance de ces opérations. Il nous semblerait dès lors normal que l’administration fiscale effectue le contrôle. M. Daniel Petit, du cabinet Inter Invest, propose que celui-ci soit assuré par les autorités de marché. Pourquoi pas, mais ces dernières ne s’intéresseront qu’à la partie collecte. Veillons à ne pas reproduire la situation que nous avons connue il y a deux ans : lorsque le premier texte, qui renvoyait les monteurs à l’ORIAS (registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance), a été voté, nous avons demandé notre intégration au registre. Cela n’a pas été possible car nous ne répondions pas au cahier des charges des entreprises pouvant être référencées à l’ORIAS ! Il en irait de même aujourd’hui si l’on nous envoyait vers les autorités de marché, car nous ne sommes pas des établissements financiers.

M. Alexandre Laurent. Les errements qu’a connus l’AFIOM sont essentiellement liés à des cas de fraude. Celle-ci est inacceptable et nous devons la réprimer. Veillons toutefois à ne pas lâcher la proie pour l’ombre car, à ma connaissance, ces fraudes auraient pu concerner d’autres dispositifs comme les subventions ou les crédits d’impôt.

Il existe des pistes permettant d’améliorer le dispositif, via, notamment, la moralisation et le contrôle. La première passe par un meilleur encadrement de la profession. Il suffit pour cela d’appliquer l’article 242 septies du CGI, qui impose un certain nombre d’obligations à la profession de monteur, et d’étendre l’usage des obligations déclaratives, notamment pour le régime de plein droit. Tous les cabinets et les placeurs métropolitains sérieux sont prêts à communiquer un maximum d’informations. Il faudrait étudier avec l’administration fiscale la possibilité de confier le contrôle des opérations à l’organisme le mieux placé pour cela et de définir de quelles informations il devrait bénéficier, sachant que les opérations de plein droit représentent 16 000 dossiers par an.

Madame Bolliet, les territoires bénéficiant de l’autonomie fiscale peuvent être contrôlés. Je peux en témoigner car, en Polynésie, j’ai vu des dossiers faire l’objet de contrôles des services fiscaux locaux chargés par les services fiscaux métropolitains de vérifier l’existence des biens et la façon dont ils sont exploités.

Mme Anne Bolliet. Cet échange d’informations est prévu par la LODEOM.

M. Alexandre Laurent. Transformer la défiscalisation en crédit d’impôt que les entreprises « auto-consommeraient » ne fonctionne pas dans les COM et nous amène à réfléchir à ce que nous voulons financer et dans quelle entreprise. L’autoconsommation peut sans doute fonctionner pour de petits investissements, mais pas pour de gros investissements de développement, car ceux-ci généreraient un crédit d’impôt tellement énorme que l’entreprise serait incapable de le consommer.

M. Daniel Petit. Je vous indique, Madame Leroy, qu’Inter Invest est une entreprise enregistrée à l’ORIAS et que nous déposerons dans quelques jours un dossier de demande d’agrément à l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP). La réglementation est donc possible.

La défiscalisation est un jeu à somme nulle qui met en présence les investisseurs
– dont 99 % sont des métropolitains qui en tirent un avantage fiscal –, les exploitants locaux et les monteurs. Pour ces derniers, la concurrence est telle, tant sur les programmes importants que sur le logement social, que l’on peut se demander comment ils survivent.

En ce qui concerne l’activité de plein droit, dont nous assurons 25 à 30 % suivant les départements, nous sommes confrontés à un grave problème car les taux de rentabilité proposés aux investisseurs sont très importants – entre 20 et 25 % nets d’impôt, d’où un énorme gap par rapport au livret A qui, lui, rapporte 1,75 % net d’impôt. Notre cabinet connaît actuellement un taux de rentabilité de 13 %, ce qui est déjà extrêmement élevé. En tout état de cause, la redistribution pourrait être plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Je considère en effet que l’État devrait poursuivre son œuvre de rabot afin d’affaiblir au maximum la rentabilité des investisseurs et d’augmenter la rétrocession. Je ne doute pas que cette proposition plaise à Mme Berthelot, qui regrette que l’avantage ne soit pas suffisamment redistribué dans les départements outre-mer.

Comment améliorer la redistribution ? Dans le passé, nous avons atteint un taux de rentabilité de 60 %, mais il était le fruit d’un montage illégal. Si la défiscalisation est maintenue, ce que nous souhaitons ardemment, il faut réglementer et éviter l’accroissement du nombre d’acteurs qui se lancent dans la défiscalisation. Car nombreux sont ceux qui font n’importe quoi, surtout dans les opérations de plein droit, ce qui donne une mauvaise image à notre profession.

Mme Nathalie Leroy. En effet, les taux de rétrocession sont beaucoup plus élevés que ce que prévoyait la loi.

Quel avenir pour le financement du logement social ? Les tenants de l’intervention de l’État considéreront que celui-ci doit remplir son rôle en abondant la LBU, tandis que les autres, ne voulant pas lâcher la proie pour l’ombre, ne voudront pas renoncer à la défiscalisation. Pourtant, il suffirait de maintenir les deux dispositifs en prévoyant un plafond pour le cumul des deux et en alimentant correctement la LBU, et la défiscalisation tomberait d’elle-même !

M. le président Jean-Claude Fruteau, rapporteur. Je vous rassure, Madame, je ne souhaite nullement supprimer la LBU. Celle-ci doit être non seulement maintenue, mais augmentée. Elle l’a d’ailleurs été dans le budget de 2013, conformément à l’engagement du candidat François Hollande. Mais personne ne me fera croire que la LBU pourra être multipliée par trois – c’est impossible – ; il faut donc maintenir la défiscalisation sur le logement social.

Mme Chantal Berthelot. Mme Bolliet ne peut proposer de supprimer la défiscalisation sur le logement social puisque c’est elle qui l’avait proposée en 2006 – et de surcroît, cela fonctionne !

Le logement social est une compétence d’État qui n’a pas été correctement assurée. Il revient au Gouvernement, quel qu’il soit, d’assurer son financement dans nos territoires.

Il est nécessaire de maintenir le dispositif cumulant LBU et défiscalisation, sans pour autant faire porter aux ultramarins le discrédit lié au fait que la défiscalisation est parfois considérée comme une niche fiscale. Je rappelle que le logement est un droit qui n’est pas suffisamment respecté, en métropole comme outre-mer.

M. Claude Girault. Je vous remercie de m’avoir invité. Les échanges qui ont eu lieu confirment que les solutions sur lesquelles nous travaillons répondent aux questions qui se posent, même si certaines font l’objet d’oppositions très marquées. Vos réactions nourrissent le débat interministériel et nous en tiendrons compte lors de l’écriture du rapport que nous présenterons au Gouvernement, et in fine au Parlement.

Il apparaît clairement que la concurrence et la transparence sont de nature à améliorer les choses. Les premiers chiffres dont nous disposons font apparaître une forte fluctuation de la dépense fiscale et des investissements, avec un effet d’éviction ou un mécanisme pro-cyclique qui fait que la demande s’accroît lorsque la conjoncture est bonne et ralentit lorsque la conjoncture l’est moins. Nous devrons distinguer le pourquoi du comment, ce que l’on doit à la défiscalisation de ce qu’il faut mettre sur le compte d’un environnement différent.

Par ailleurs, nos interlocuteurs du bâtiment et de la construction nous ont amenés à nous interroger sur un éventuel élargissement de l’assiette de la défiscalisation. Dans l’environnement budgétaire que nous connaissons, doit-on investir dans le logement intermédiaire au détriment du logement social dès lors que cela correspond mieux à la demande ? En clair, devons-nous moins construire de T1 dans le logement social si nous avons besoin de T4 dans l’intermédiaire ?

En outre, la réforme se doit de favoriser non seulement l’emploi, mais également l’accumulation de capital dans les entreprises.

Enfin, s’agissant de la moralisation de la profession des monteurs, les textes existent, un projet de décret est en cours de finalisation. Le travail avance.

M. le président Jean-Claude Fruteau, rapporteur. Mesdames, Messieurs, je vous remercie.

*

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1 () Limité par un coût maximum au m².

2 () Logement situé dans une zone urbaine sensible (+ 10 %) et avec une installation en énergie renouvelable (+ 4 %).

3 () Article 199 undecies C du code général des impôts.

4 () Avant 2011, le taux, de 25 %, pouvait être majoré de 10 points pour un appartement situé en zone urbaine sensible et de 4 points en cas d’usage de sources d’énergie renouvelable Depuis 2011, le taux, de 22 %, peut être majoré de 9 et 4 points.

5 () Grands balcons couverts.

6 () 60 % en Guyane sous certaines conditions, à Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna. Les taux peuvent être majorés de 10 points pour des investissements de production d’énergie renouvelable.

7 () Notamment dans sa version en vigueur en 2011 : commerce, conseils ou expertise, éducation, santé et action sociale, banque, finance et assurance, activités immobilières, navigation de croisière, divers services aux entreprises, activités associatives, activités postales.

8 () 1 530 000 € - 130 050 €.

9 () 1 399 950 € X 45,30 %.

10 () Somme qui correspond au prêt de 4 320 600 € dont on a ôté l’amortissement du capital au titre des intérêts acquittés sur les 5 premières années de remboursement.

11 () Au total, l’investissement est bien financé par 2,5 M€ correspondant à la défiscalisation, 0,7 M€ correspondant à la subvention LBU et 4,3 M€ correspondant à un prêt de la CDC, soit un total de 7,6 M€.

12 () Sauf si l’exploitant ultramarin réalise l’opération lui-même et ne loue pas le bien pendant 5 ans, auquel cas le seuil de l’agrément est de 1M€.

13 () Réponses à deux questions écrites posées par un parlementaire JOAN, 12 février 2013, page 1570 et JOAN, 12 mars 2013, page 2792.

14 () Cf. table ronde du 10 avril 2013

15 () Rapport public annuel pour 2012, tome 1, les observations, p.79 et suivantes.

16 () Cf. inf. section 3, sous partie c : « Mieux définir le concept d’investissement productif ».

17 () Il a paru préférable de choisir un plafond de 30 000 euros déconnecté du plafond général plutôt qu’un plafond analogue mais limité à 18 000 euros comme cela a été proposé plusieurs fois dans le cadre des auditions liées au présent rapport. En effet, 18 000 euros, même déconnectés, génèrent en moyenne, après calcul fiscal, une somme plafond inférieure au produit résultant du calcul prenant pour base 18 000 euros + 4 % du revenu imposable. En revanche, avec 30 000 euros, l’avantage antérieur se trouve à peu près maintenu.


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