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N° 1122

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 juin 2013

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE (1)

Contribution au débat sur le volet énergétique

de la transition écologique

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Jean-Paul CHANTEGUET,

Président.

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(1) La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire est composée (au 11 juin 2013) de : M. Jean-Paul Chanteguet, président ; Mme Catherine Quéré, MM. Christophe Bouillon, Alain Gest, François-Michel Lambert, vice-présidents ; MM. Patrice Carvalho, Stéphane Demilly, Jacques Kossowski, Arnaud Leroy, secrétaires ; Mmes et MM. Laurence Abeille, Sylviane Alaux, Yves Albarello, Christian Assaf, Julien Aubert, Alexis Bachelay, Serge Bardy, Denis Baupin, Catherine Beaubatie, Jacques Alain Bénisti, Chantal Berthelot, Philippe Bies, Florent Boudié, Jean-Louis Bricout, Sabine Buis, Vincent Burroni, Alain Calmette, Yann Capet, Jean-Yves Caullet, Guillaume Chevrollier, Jean-Jacques Cottel, Florence Delaunay, Fanny Dombre Coste, David Douillet, Françoise Dubois, Philippe Duron, Sophie Errante, Olivier Falorni, Yannick Favennec, Jean-Christophe Fromantin, Laurent Furst, Geneviève Gaillard, Claude de Ganay, Charles-Ange Ginesy, Michel Heinrich, Christian Jacob, Jacques Krabal, Valérie Lacroute, Alain Leboeuf, Viviane Le Dissez, Michel Lesage, Martine Lignières-Cassou, Olivier Marleix, Franck Marlin, Philippe Martin (Gers), Jean-Luc Moudenc, Philippe Noguès, Bertrand Pancher, Rémi Pauvros, Edouard Philippe, Philippe Plisson, Napole Polutélé, Christophe Priou, Marie-Line Reynaud, Sophie Rohfritsch, Martial Saddier, Gilbert Sauvan, Gilles Savary, Jean-Marie Sermier, Gabriel Serville, Thierry Solère, Suzanne Tallard, Jean-Pierre Vigier et Patrick Vignal.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

DÉBAT EN COMMISSION (mardi 11 juin 2013) 23

TRAVAUX EN COMMISSION 35

I.— TABLE RONDE : LES ÉNERGIES RENOUVELABLES AU SERVICE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE (mercredi 3 octobre 2012) 35

II.— TABLE RONDE : QUELLE ÉNERGIE POUR DEMAIN ? (mercredi 10 octobre 2012) 67

III.— TABLE RONDE : LE DÉVELOPPEMENT DURABLE OUTRE-MER
(
mercredi 17 octobre 2012)
111

IV.— TABLE RONDE : QUELLE VISION POUR L’ÉNERGIE DE L’AVENIR ?
(
mardi 11 décembre 2012)
137

V.— AUDITION : CHANGEMENT CLIMATIQUE ET TRANSITION ÉCOLOGIQUE (mercredi 6 février 2013) 163

VI.— AUDITION : L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE AU CœUR DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE (mercredi 13 février 2013) 181

VII.— TABLE RONDE : L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE DANS LE SECTEUR DU BÂTIMENT (mercredi 27 février 2013) 203

VIII.— AUDITION : ASPECTS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET ENVIRONNEMENTAUX DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE (mercredi 13 mars 2013) 225

IX.— TABLE RONDE : LES INFRASTRUCTURES DE RÉSEAUX DANS LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE (mardi 23 avril 2013) 245

MESDAMES, MESSIEURS,

Parmi les orientations majeures qu’il revient à cette législature d’assigner au pays, la transition écologique s’inscrit au rang des plus fondamentales. Bien plus qu’une promesse de campagne ou une option économique, elle s’impose à tous, par-delà les clivages politiques, comme l’impérieuse nécessité de notre temps, comme la condition à satisfaire pour léguer à nos enfants une France préservée dans un monde vivable.

Le Gouvernement a pris la mesure de l’urgence comme il a compris la nécessité d’un consensus national fort pour une transition réussie. En septembre 2012, la conférence environnementale a été le premier acte de cette discussion ; le débat national en constitue en ce moment le second. Des arguments échangés, des réflexions partagées, la ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie, Delphine Batho, saura tirer la quintessence pour présenter au Parlement un projet de loi que chaque parlementaire attend chaque jour avec davantage d’impatience. Nous sommes tous conscients, pour faire écho aux terribles paroles prononcées par un précédent Président de la République, que « notre maison brûle et nous regardons ailleurs », que « nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ».

Dès l’été 2012, le pouvoir exécutif a créé les conditions du débat le plus large, et il convient de l’en remercier. On se félicitera également de la participation active des collectivités territoriales et des élus locaux pour que tous les citoyens puissent appréhender les paramètres de l’équation sur l’ensemble du territoire. La transition écologique ne peut réussir qu’en étant l’affaire de tous, partagée par tous et façonnée par tous.

Personne n’aurait compris que la seule enceinte hermétique à cette mobilisation nationale soit celle du Palais-Bourbon. Certes, il reviendra aux parlementaires d’approuver par leur vote les dispositifs retenus par le Gouvernement. Mais comment trancher sans être parfaitement informé, comment parfaire un édifice sans connaître ses fondations ? Comment imaginer que les représentants de la nation demeurent étrangers aux discussions qui la traversent, pour ensuite imposer leurs vues dans le calendrier contraint qui est, trop souvent, celui du Parlement ? Si une pause de l’activité législative a sa légitimité, l’Assemblée nationale conserve sa mission d’information et de contrôle des politiques publiques.

La commission du développement durable, première comptable du succès de la transition écologique et énergétique, a souhaité réunir des visions et des compétences pour les verser au débat et pour révéler aux parlementaires les données économiques, écologiques et prospectives à partir desquelles ils devront construire un ensemble normatif cohérent. Depuis l’ouverture de la session ordinaire, en octobre 2012, elle a mené un large programme d’auditions permettant de recueillir les opinions les plus variées, sans exclusive. Ce sont les comptes rendus de ces réunions, compilés et ordonnés, qui figurent dans le présent rapport.

Les débats ont vu se confronter des approches différentes, mais toujours dans le cadre d’un échange constructif. Les députés s’opposent sur les questions du nucléaire, du caractère centralisé ou déconcentré de la production énergétique, ou encore des hydrocarbures de schiste, mais il n’existe pas de ligne de fracture idéologique sur le principe même d’une transition écologique en général, de son volet énergétique en particulier, et des effets escomptés pour l’avenir. Même le vocabulaire retenu fait consensus, ainsi que l’indiquait lors de la réunion du 23 avril un de nos collègues : « On ne change pas du jour au lendemain une filière industrielle. À cet égard, le Gouvernement a choisi le bon terme en parlant de transition énergétique. Une transition, ce n’est ni un "big bang" ni une révolution. Elle doit permettre le maintien de la péréquation et l’extension des réseaux. Elle est synonyme d’évolution de l’outil industriel, de progressivité, d’adaptation. Une révolution ne permet pas tout cela. »

Description : http://rse-pro.com/wp-content/uploads/2011/07/les-piliers-du-developpement-durable.png

L’édiction des modalités sépare, mais l’expression des principes unit. En cela, l’objectif de cette première phase de transition est atteint puisqu’un consensus existe autour d’une ambition partagée - car objective et consciente des contraintes de la réalité. Plus que jamais, la commission s’est attachée aux fondements de sa dénomination : parce que le développement durable associe les préoccupations écologiques aux nécessités économiques et aux progrès sociaux, il est acceptable partout et par tous, et il offre un modèle de développement soutenable pour l’environnement.

Les débats ont mis en évidence un accord sur cinq points : une sobriété énergétique, un verdissement du bouquet, une décentralisation des compétences en matière d’énergie, un autofinancement et une coordination européenne renforcée. La commission du développement durable souhaite les verser au débat et s’assurera de leur respect tout au long du processus législatif à venir.

La discussion s’est également achevée sur quelques constats de désaccord, tous relatifs à la composition du bouquet énergétique. Nul ne s’étonnera de lire que la politique nucléaire divise, que la question des gaz de schiste sépare, et que l’implantation des parcs éoliens interroge. Ces divergences, qui se retrouvent dans les différentes enceintes du débat, doivent être actées. Elles signifient que toutes les mesures d’application de la transition écologique ne pourront se fonder sur un consensus, qu’il faudra parfois en passer, conformément aux règles de notre démocratie, par un vote et par la décision de la majorité.

Qu’il soit permis, enfin, au président de la commission du développement durable, au-delà de cette restitution objective des débats, de prendre position sur chacun des thèmes exposés. Afin de ne permettre aucune confusion entre expressions collectives et opinions personnelles, ces dernières seront formulées à la fin de chaque paragraphe et dûment annoncées comme telles.

A.— LES CONSENSUS MIS EN ÉVIDENCE PAR LES DÉBATS

1. La transition passe par la sobriété énergétique

Le premier consensus révélé par les débats est celui, traditionnel, d’une impérative maîtrise de la demande d’énergie. On n’y verra aucune novation : ce n’est jamais que l’un des engagements du Triple Vingt européen, selon lequel les États membres devront avoir accru leur efficacité énergétique de 20 % en 2020 par rapport à 1990. Il est vrai que l’énergie la moins chère, la moins polluante et la plus facile à entreposer reste celle qui n’est pas consommée.

Au-delà des habituelles campagnes éducatives destinées à généraliser les bonnes pratiques et à répandre les bons réflexes au sein de la population, toujours nécessaires, la maîtrise de la demande d’énergie passera par des investissements conséquents dans les bâtiments et les infrastructures. Les discussions se sont concentrées sur le secteur immobilier résidentiel, tant il apparaît que les entreprises limitent déjà grandement leur consommation du fait des nouvelles technologies et du ralentissement de l’activité inhérent à la crise économique. Les réglementations thermiques successives élèvent progressivement les standards de qualité des constructions ; toutefois, l’inévitable inertie du parc et son renouvellement très lent limitent les effets concrets de cette approche réglementaire. Des économies substantielles dans un délai raisonnable ne peuvent se concevoir sans une action résolue sur les logements anciens.

Les gisements d’économie les plus conséquents sont aussi, paradoxalement, ceux qui nécessitent les aménagements les moins coûteux. Si la maison à énergie positive, équipée de façon à satisfaire sa propre demande et à injecter le surplus sur le réseau, reste une panacée, il serait contre-productif d’imaginer la réaliser à des millions d’exemplaires. L’action publique doit élever les performances énergétiques du parc existant, fût-ce graduellement, avant d’édifier de nouveaux logements répondant aux normes les plus exigeantes. Conformément aux principes de sobriété et d’efficacité énergétiques, avant de « produire vert », mieux vaut chercher à ne pas « consommer gris » : il ne sert guère de convertir l’énergie solaire si c’est pour la dilapider en chauffage dans des pièces aux murs et aux ouvertures mal isolés. Ce sont donc d’abord les artisans et les entreprises du bâtiment qu’il faudra solliciter.

Bien sûr, nul n’imagine une approche uniquement réglementaire qui obligerait les propriétaires à respecter des normes renforcées à brève échéance. Les professionnels, qui s’inscrivent dans une démarche de formation volontariste qu’il convient de saluer, ne seraient d’ailleurs sans doute pas prêts à honorer un tel afflux de sollicitations. Si l’on recommande un rythme élevé pour amorcer un mouvement d’ensemble, une montée en charge progressive s’imposera. Il restera à trouver les bons mécanismes, forcément adaptés et différenciés, pour agir dans le parc locatif, social ou libre, et chez les propriétaires occupants. Tel sera le rôle de l’État et de son bras financier – on pense ici à la Banque publique d’investissement, à laquelle la loi du 31 décembre 2012 assigne, à l’initiative de la commission du développement durable, la mission d’« apporte[r] son soutien à la mise en œuvre de la transition écologique et énergétique ». Parmi les conditions de ces interventions, on ne négligera pas l’impératif de justice sociale, car les ménages « précaires énergétiques » ne sont que rarement les plus aisés de notre société.

Cependant, même si le secteur immobilier résidentiel vient le premier à l’esprit en raison des gains potentiels importants qu’il recèle, la transition énergétique ne pourra se limiter à lui. Elle provoquera forcément la réorganisation d’autres secteurs, dans lesquels les gains énergétiques seront plus diffus mais tout aussi importants.

D’une part, le domaine des transports doit évoluer conformément aux principes de la mobilité durable, par la massification des échanges de marchandises et par la rationalisation des plans de déplacement. Les schémas qui président à l’édification d’infrastructures, outre l’efficacité économique brute, intégreront une variable de maîtrise de l’énergie et des flux – d’ailleurs tout aussi valorisables économiquement. Le Parlement a voté, dans les précédentes lois de protection de l’environnement, des objectifs ambitieux de report du transport routier vers le rail, la mer et les canaux. Les résultats ne sont pas vraiment au rendez-vous, et peut-être conviendra-t-il de prévoir des mesures plus incitatives si l’entrée en vigueur de l’écotaxe poids lourds, récemment adoptée, ne suffisait pas à favoriser le report modal.

D’autre part, au sein des entreprises, le passage d’une économie linéaire à une économie circulaire, tout en réduisant les volumes de déchets et les pollutions diverses, permettra également une utilisation rationalisée de l’énergie, directement ou indirectement. La commission du développement durable, qui prépare aussi le futur projet de loi de réforme du code minier, a appris avec intérêt que 10 % de la production annuelle d’énergie primaire est consacrée à l’extraction de substances de mines, alors que nos décharges regorgent de matières premières abandonnées. Des procédés plus intelligents, plus économes, et in fine plus rentables pour l’industrie comme pour la nation pourront probablement être mis en œuvre dans le cadre de la transition écologique.

Dans cette sobriété générale, qui ne serait que la nécessaire désintoxication d’une addiction à l’énergie due à notre modèle de développement, un commentaire particulier doit être réservé à la consommation électrique. Pour l’organisation du marché de l’électricité, les lois juridiques et économiques cèdent grandement devant les lois physiques : parce que le stockage est impossible et que l’inadéquation de l’offre et de la demande mettrait le réseau en péril, le prix du kilowattheure varie dans des proportions incomparables, jusqu’à atteindre des valeurs négatives en cas de temps doux et venté, à la fois favorable à la production issue de sources renouvelables et peu propice à des consommations importantes. On sait la France en surcapacité pour sa production de base, mais très vulnérable pour les horaires de pointe des soirées d’hiver. Faut-il chercher absolument à « couvrir » ces besoins de pointe en installant de nouvelles centrales thermiques ? Les discussions laissent penser que des solutions alternatives existent, qui passent par des réseaux plus performants, par une coopération renforcée avec les partenaires européens de la France ou par l’effacement volontaire de gros consommateurs – même si cette dernière option, déjà orchestrée depuis plusieurs années, ne semble plus offrir qu’un potentiel forcément limité. Reste que les progrès technologiques dans les équipements du quotidien devraient permettre de programmer en heures creuses de plus en plus d’actes de la vie courante, comme laver du linge ou chauffer un ballon d’eau chaude. La généralisation des compteurs communicants Linky et Gazpar, prévue pour les prochaines années, devrait permettre aux gestionnaires de réseau de mieux convoyer l’énergie, et aux consommateurs de mieux identifier les gisements d’économie.

L’opinion du président de la commission

Si l’objectif de sobriété énergétique est partagé dans son principe, tous ne s’entendent pas sur l’ampleur de l’effort à fournir à l’horizon 2050. Le groupe de travail du Conseil national du débat sur la transition énergétique (CNDTE) consacré aux scénarios et au bouquet énergétiques a été le théâtre de fortes divergences sur cette question. Quatre trames – dites sobriété énergétique et sortie du nucléaire (SOB), Efficacité énergétique et diversification des vecteurs (EFF), Demande moyenne et diversité des vecteurs (DIV) et Demande forte et décarbonation de l’électricité (DEC) – ont été tissées, en conformité avec les engagements internationaux de la France, mais sur la base de choix stratégiques différents.

Si la transition écologique est vouée à construire un nouveau modèle de développement plus soutenable, il est cohérent de lui assigner des objectifs volontaristes, tant sur le plan environnemental que sur le plan économique, afin de faire émerger des filières d’excellence nouvelles. Seul un objectif ambitieux de 50 % de réduction de notre consommation d’énergie à l’horizon 2050 nous permettra de changer nos modes de consommation, de production et d’organisation.

2. La transition passe par le verdissement du bouquet énergétique

La lutte internationale contre le changement climatique a donné lieu à peu de décisions concrètes, mais elle a permis d’éveiller les consciences sur les dangers des émissions de gaz à effet de serre et sur leur impact sur le climat, désormais admis par une écrasante majorité de la communauté scientifique. Le Sommet de la Terre de Rio, en 1992, a vu la signature de la convention cadre des Nations-Unies sur le changement climatique (CCNUCC), et l’élaboration du protocole de Kyôto, adopté cinq ans plus tard, en 1997. L’Union européenne a transcrit ses obligations dans le droit des États-membres à travers le système européen d’échange de quotas, qui a donné une impulsion forte – hélas sans grand lendemain – pour limiter les émissions de CO2 sur le continent.

Le chemin à parcourir reste long, cependant, pour décarboner massivement les économies développées. Le graphique ci-contre, issu du ministère du développement durable, présente la répartition de la consommation d’énergie primaire en France en 2011. Si l’électricité y tient la première place en raison de l’importance du parc nucléaire national, les combustibles fossiles additionnés occupent près de la moitié de l’ensemble en raison du caractère irremplaçable du pétrole dans les activités de transport.

Ces chiffres sont peu réjouissants. Les débats l’ont été moins encore en faisant apparaître une croissance de la consommation de charbon en Europe ces derniers mois : évincé des États-Unis avec l’exploitation massive des gaz de schiste, ce combustible a vu une baisse importante de son cours mondial que ne contrebalance pas la dramatique atonie du marché de quotas d’émission de gaz à effet de serre. Les cycles combinés de gaz, modernes et peu polluants, sont donc arrêtés tandis que les centrales à charbon, bien plus polluantes, fonctionnent toujours davantage, notamment à l’est du continent européen. Cette trajectoire, mortifère à moyen terme et contraire à toutes les recommandations internationales pour la préservation du climat, doit être interrompue par la transition énergétique. La commission recommande une décarbonation progressive de l’économie par le recours aux énergies renouvelables. Un financement accru de la recherche doit permettre de lever les obstacles physiques auxquels celles-ci se heurtent encore.

Les énergies vertes constituent l’avenir de la France, tant pour son approvisionnement énergétique que pour le développement de son industrie. Alors que les objectifs assignés par le Grenelle de l’environnement donnent lieu à des réalisations variées en fonction des secteurs – décevante pour l’éolien, explosive pour le solaire, inquiétante pour les biocarburants de première génération –, le territoire exceptionnel du pays donne toujours aux Français l’opportunité de profiter intelligemment de la géographie et du climat. Chacun peut comprendre l’exaspération d’un département où pullulent les aérogénérateurs, mais le potentiel éolien national reste particulièrement prometteur, notamment en mer, où les premiers appels d’offres permettront aux industriels d’acquérir un savoir-faire qui pourra utilement être valorisé à l’export. Le soleil offre des perspectives économiquement viables dans les zones non interconnectées. Quant à la biomasse, encore dominée par le traditionnel bois bûche mais qui fournit déjà 60 % de la production d’énergie primaire renouvelable, sa montée en puissance permettrait tout à la fois de valoriser les déchets, d’écouler des surplus agricoles ponctuels et d’entretenir la forêt française trop peu mise à contribution – en Europe comme outre-mer.

Les pouvoirs publics ne peuvent s’autoriser à cesser leur soutien à ces filières d’avenir au seul motif de leur impéritie dans le secteur photovoltaïque. Il conviendra, toutefois, de tenir compte des enseignements de ce passé récent et coûteux pour les finances publiques : l’aide à la filière doit se limiter au nécessaire et être rapidement révisable à la baisse, sous peine de voir des financiers se substituer aux industriels, dans le respect des territoires pour garantir l’adhésion des populations.

Pour favorable qu’elle soit aux énergies renouvelables, la commission ne cède pas à un enthousiasme aveugle : elles n’apportent pas la solution à tous les problèmes énergétiques, et elles soulèvent des difficultés techniques. En premier lieu, cette énergie verte est le plus souvent électrique alors que l’électricité française, essentiellement issue du parc nucléaire, n’émet que peu de gaz à effet de serre : développer l’éolien et le photovoltaïque sur le territoire continental est donc sans effet dans la limitation des émissions de gaz à effet de serre. Les énergies fossiles, surtout utilisées dans le secteur des transports, sont faiblement substituables par des énergies vertes. En second lieu, les réseaux de transport et de distribution ont été conçus et dimensionnés sur un modèle centralisé, et leur évolution vers une production répartie sur tout le territoire prendra du temps – principalement dans le secteur du gaz. En troisième lieu, et surtout, les énergies renouvelables, éolienne et solaire, présentent un caractère intermittent et fatal, c'est-à-dire incontrôlable, qui complique l’équilibre du réseau une fois qu’elles représentent une fraction importante de la production. Or il est absolument exclu de prévoir de nouvelles capacités thermiques pour gager cette faiblesse, si d’aventure un temps froid et nuageux survenait sans vent. Pour cette raison, donner une part plus importante aux énergies renouvelables dans le bouquet énergétique doit s’accompagner de nouvelles avancées technologiques.

De fait, un consensus existe pour favoriser la recherche dans le domaine des énergies renouvelables afin de rompre ces barrières techniques. Les progrès se succèdent pour des cellules solaires plus performantes et pour des chaudières biomasse plus efficaces. Il reste surtout à maîtriser la technologie qui donnera leur pleine compétitivité aux énergies vertes : le stockage de l’énergie. Les stations de pompage qui emmagasinent l’électricité sous forme d’énergie potentielle de l’eau sont coûteuses et limitées par la géographie. Des expériences prometteuses existent pour utiliser l’électricité superflue dans des électrolyses produisant de l’hydrogène, puis du gaz injectable sur le réseau. La méthanisation œuvre dans le même sens. Quant aux nouvelles générations de biocarburants, elles devraient permettre, à l’horizon 2020, de réserver les terres arables aux productions alimentaires.

Une fois le stockage de l’énergie possible à grande échelle, les énergies renouvelables pourront s’imposer pleinement et prendre la place des combustibles fossiles, assurant un approvisionnement propre et sans danger de la nation en énergie.

Il convient aussi, les débats l’ont montré, de distinguer la situation de la France métropolitaine des territoires ultramarins. Ceux-ci se trouvent dans une situation énergétique qui n’est guère comparable à celle de l’Europe. La faible population n’a pas permis l’installation de centrales de forte puissance, et la taille limitée du réseau oblige une autonomie énergétique qui ne peut être suppléée par un recours ponctuel aux importations. En tant que zones non interconnectées (ZNI), ces collectivités bénéficient d’une péréquation tarifaire. Or le signal-prix plus élevé devrait permettre d’y voir fleurir les énergies renouvelables dans des conditions de vent, d’ensoleillement, de houle ou d’accessibilité à la ressource en bois incomparables avec celles de la métropole. Surtout, l’outre-mer français aura moins besoin d’une transition écologique que d’un développement durable : parce que beaucoup d’infrastructures restent à édifier ou doivent être modernisées, des investissements intelligents, créant une offre d’énergie à proximité d’une demande planifiée, devraient faire des territoires ultramarins une vitrine du savoir-faire français en matière de système énergétique.

La France dispose d’atouts pour mener à bien ce volet de la transition écologique : des façades maritimes, divers régimes de vent, une vaste forêt et une agriculture performante, et des talents à foison qui lui permettent de compter quatre groupes d’envergure mondiale dans le secteur de l’énergie avec EDF, GDF-Suez, Total et Areva. Mais pareille évolution exigera une concertation avec les États voisins, que la transition française pourrait perturber dans leurs propres plans d’approvisionnement.

L’opinion du président de la commission

Les positions de la commission sont relativement homogènes en matière d’énergies renouvelables si l’on excepte les difficultés d’acceptabilité qui seront évoquées plus avant.

On soulignera que, pour pleinement faire sentir leurs effets sur le système énergétique, les énergies renouvelables devront voir évoluer le soutien public dont elles bénéficient à travers les tarifs d’achat. Le droit actuel incite le possesseur d’un équipement de production d’énergie à injecter sur le réseau l’intégralité de l’électricité produite, achetée à bon prix, et à satisfaire ses propres besoins par une énergie achetée moins cher – sur le marché ou au tarif régulé. Ce fonctionnement aura eu l’avantage de populariser les énergies renouvelables et de les faire entrer dans le quotidien des Français. Mais il a fait la preuve des dangers qu’il suscite en provoquant la bulle du marché du photovoltaïque de 2010. Couteux pour les finances publiques et peu avantageux pour l’architecture des réseaux puisqu’il implique des dessertes renforcées, il est d’autant plus préjudiciable que le prix modéré de l’électricité française – par rapport aux autres États européens – accroît le bénéfice tiré d’une revente intégrale. La transition écologique devra encourager l’autoconsommation de l’électricité produite et la seule revente du surplus non consommé, prévoir un cadre juridique en ce sens et moduler les tarifs de rachat en conséquence.

Dans le respect des principes du développement durable qui ne sacrifient en rien le progrès social à la protection de l’environnement, il conviendra d’accompagner la transition écologique de mécanismes de transition professionnelle destinés aux travailleurs dont les métiers sont voués à connaître une forte évolution. Le passage des énergies fossiles aux énergies renouvelables, et du transport routier individuel aux modes massifiés alternatifs, tout comme la réduction du nucléaire, devront s’accompagner, pour les travailleurs des secteurs touchés, de la possibilité de compléter leurs qualifications pour conserver un emploi. Il est tout aussi important, pour l’équilibre des territoires, que cette évolution puisse se dérouler dans une échelle géographique restreinte. Une planification à long terme des besoins de formation devrait permettre de relever ce défi avec succès.

Le choix des filières, enfin, sera primordial. La réussite environnementale sera largement conditionnée par les potentialités physiques du territoire – régime des vents, littoral ou montagne, massifs forestiers ou foncier abondant, etc. Mais le succès économique nécessitera, pour sa part, de concentrer le savoir-faire français sur quelques secteurs à fort potentiel et dans lesquels la concurrence internationale reste modérée. Les plus grandes promesses semblent portées par les énergies marines et par l’éolien en mer, même si des évolutions rapides peuvent se produire. On ne négligera pas les potentialités de la biomasse pour l’édification de réseaux de chaleur : ainsi que l’a affirmé un auditionné, l’électricité qui occupe 80 % des discussions ne représente pourtant que 20 % du problème. Avec ses forêts, les déchets fermentescibles qu’elle produit et sa puissance agricole, la France dispose d’une ressource abondante, mal exploitée et dont le statut juridique reste grandement perfectible.

3. La transition passe par une décentralisation des compétences énergétiques

Dans les décennies précédentes, où les investissements considérables requis par la production d’énergie ne pouvaient être rentabilisés que par des centrales de forte puissance desservant de vastes territoires, la compétence presque exclusive de l’État dans le domaine de l’énergie s’imposait avec force. Le progrès technologique et le développement des énergies renouvelables, depuis dix ans, créent un nouvel environnement. Désormais, des sites de production à taille humaine peuvent alimenter de petites collectivités dans des conditions économiques équilibrées ; des bâtiments à énergie positive n’ont plus besoin de centrales et même deviennent des centrales.

Dans ce contexte, la transition écologique rencontre un autre axe majeur de la législature : l’acte III de la décentralisation. Il convient, en effet, de prendre acte des évolutions qui rendent possible – et souhaitable – un retour du pouvoir de décision au plus proche du citoyen. Les communes sont déjà propriétaires des réseaux de distribution sur leur territoire, dont elles concèdent le plus souvent l’usage à un distributeur, ou qu’elles opèrent à travers des entreprises locales de distribution par exception historique. Les relations entre concédant et concessionnaires ne sont pas toujours les plus claires, et la commune manque de compétence pour valoriser son espace par une production d’électricité renouvelable. Ce n’est qu’une disposition juridique et non un défaut d’initiative ou un manque d’appétence : les réseaux de chaleur fondés sur la biomasse ont montré que les collectivités territoriales étaient tout à fait à même de mener des projets soutenables, directement ou par l’entremise d’un professionnel, pour un meilleur respect de l’environnement et un coût fréquemment plus avantageux pour les administrés.

L’échelon communal ou intercommunal paraît le plus pertinent pour organiser des unités de production à taille humaine ; une planification préalable pourrait demeurer de la compétence des régions dans le cadre du schéma régional climat, air, énergie. Là encore, le rôle d’un bras financier de l’État tel que la Banque publique d’investissement pourrait s’avérer crucial, conditionnant la capacité des communes à s’équiper. Les entreprises locales de distribution pourraient utilement servir d’exemple puisque certaines contrôlent déjà des unités de production.

Un point appelle précision : si la commission plaide en faveur d’une décentralisation pour une meilleure cohérence des choix énergétiques avec les aspirations de la population locale, elle ne souhaite nullement le désengagement de l’État, aux compétences techniques précieuses, et moins encore la remise en cause du principe fondamental de solidarité dont il est le garant. Pour des raisons qui tiennent à l’histoire et à la géographie, certains espaces sont mieux dotés et mieux équipés que d’autres. Il ne serait pas admissible, sauf à vouloir désertifier les territoires les moins favorisés, d’en tirer pour conséquence que le prix de l’énergie doit s’y trouver majoré. Il importe que les zones les mieux dotées alimentent les plus précaires, et que la péréquation tarifaire perdure pour assurer à tout Français un même prix de l’énergie sans préjudice de son lieu de vie.

L’opinion du président de la commission

Une plus grande liberté locale dans le respect de la solidarité nationale, exprimée notamment à travers le principe de péréquation tarifaire : voici probablement un des plus forts consensus affirmés durant les auditions de la commission.

Une plus grande proximité de la décision publique en matière énergétique, en termes de distribution mais aussi dans le choix des capacités de production, apparaît comme un élément impératif de la future réforme. Il faudra sans doute, sur ce point, modifier la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz, pour renforcer le poids des communes et des intercommunalités face aux opérateurs nationaux de distribution.

Cette évolution concourra au développement des énergies renouvelables sur le territoire, car qui mieux que l’élu local connaît les territoires les plus propices à l’installation d’un parc éolien ou d’une centrale solaire, garantissant l’accord des populations.

4. La transition passe par un autofinancement

Si les modalités de réalisation de la transition écologique ont largement occupé les débats, la commission du développement durable n’a pas manqué d’aborder la question des moyens de sa mise en œuvre. Tous soulignent le coût extrêmement élevé de ce volet énergétique de la transition écologique, de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards d’euros, d’autant plus difficiles à rassembler que les finances publiques sont désormais allouées avec une grande parcimonie. Il est donc admis que la transition énergétique sera tenue de générer elle-même ses propres financements ou, du moins, de permettre la récupération avec le temps des sommes qui lui auront été initialement consenties.

La transition vers un système énergétique durable permettra, en premier lieu, de considérablement réduire la dépendance extérieure de la France en termes de combustibles fossiles. En 2012, la facture s’est élevée à 68,5 milliards d’euros, soit davantage que le déficit de la balance commerciale française, car la France importe 98 % du gaz et 99 % du pétrole et du charbon qu’elle consomme. Finalement, 54,5 milliards d’euros de la facture 2012 sont imputables aux produits pétroliers, 14,3 milliards d’euros au gaz et 2,4 milliards d’euros au charbon. Outre l’avantage géostratégique induit par une dépendance énergétique moindre, une transition énergétique réussie permettrait de la réduire substantiellement.

Un autre gisement d’économies repose dans les coûts très élevés du fonctionnement actuel des entreprises : d’après les travaux de la commission, c’est un gain de l’ordre de 10 % du PIB qui pourrait être obtenu par une organisation logistique rationalisée. La transition écologique en sera l’occasion dans le secteur des transports. L’application des principes de la mobilité durable, la massification et l’adaptation des dessertes aux réalités économiques généreraient des économies considérables pour les entreprises.

Enfin, dans un système économique marchand fondé sur la confrontation de l’offre et de la demande comme le nôtre, le meilleur encouragement de la transition écologique réside dans le signal-prix. S’il est plus élevé pour les produits énergivores, plus faible pour les biens respectueux de l’environnement, le consommateur en tiendra compte dans l’établissement de ses préférences d’achat. La façon la plus simple de donner une réalité à la valeur de l’environnement consiste à tarifer à leur juste prix, c’est-à-dire progressivement, l’ensemble des usages et des atteintes à l’environnement : c’est la fiscalité écologique. Or, l’actuel modèle français se révèle au mieux limité, au pire contre-productif par le subventionnement des énergies fossiles. La Cour des Comptes, dans son référé sur les dépenses fiscales relatives à l’énergie publié en mars 2013, a recommandé de les réorienter dans un sens favorable à la transition énergétique. Elle pourrait surtout en assurer le financement, estimé à un coût voisin de 50 milliards d’euros, tout en promouvant les comportements responsables et en préservant l’environnement. Le Président de la République comme le Premier ministre ont déjà semblé souscrire à ces objectifs, et une proposition de résolution en ce sens a d’ailleurs été adoptée par l’Assemblée nationale le 4 juin dernier.

L’opinion du président de la commission

Chacun admet que le volet énergétique de la transition écologique mobilisera des financements élevés. Chacun admet tout autant, sans même aborder des considérations environnementales, que la trajectoire actuelle, dans laquelle la facture énergétique représente quasiment la totalité du déficit extérieur français, et 3 % du PIB, n’est pas économiquement soutenable. Il n’y a donc aucune alternative et, par conséquent, aucun doute à nourrir sur le bien-fondé d’un investissement massif dans cette transition.

Nombre de simulations ont été publiées sur les créations d’emplois suscitées par le passage à une économie plus respectueuse de l’environnement, et sur les moyens qu’il faudra y consacrer. Il n’est pas utile de faire assaut de chiffres, d’autant que l’expérience montre combien ces prévisions sont délicates. On se bornera à affirmer que les dizaines de milliards d’euros nécessaires à la rénovation des logements, par exemple, ou encore à la modernisation des réseaux énergétiques, seront investis à bon escient puisqu’ils permettront, aussi, une modernisation des équipements nationaux.

Les produits de la fiscalité écologique, de même que l’épargne nationale, devront être orientés vers le financement de la transition écologique. Les pouvoirs publics auront un rôle important à jouer, non seulement dans l’édiction de normes réalistes et responsables, mais aussi dans la mobilisation d’acteurs financiers de premier ordre – secteur privé comme opérateurs publics. On met souvent en avant la KfW allemande (Kreditanstalt für Wiederaufbau), instituée initialement pour la reconstruction d’après-guerre, qui joue désormais un rôle pivot dans l’incitation à l’investissement dans la maîtrise d’énergie. La BPI pourrait tout à fait envisager de jouer un rôle similaire.

5. La transition passe par une coopération européenne sur l’énergie

Les débats de la commission ont montré que, pour évoquer la transition française, l’Allemagne et l’Europe sont des passages obligés.

Notre voisin d’outre-Rhin constitue à la fois un modèle et un contre-exemple. Sa politique volontariste en faveur des énergies renouvelables force l’admiration, mais elle nous interroge aussi. Est-il bien conforme à la tradition française de solidarité de reporter sur les ménages un coût élevé de l’électricité pour offrir aux entreprises un prix plus raisonnable ? En outre, s’il est pertinent, sans le moindre doute, de développer des capacités éoliennes dans les territoires les plus exposés au vent, comment affronter le prix de l’extension des réseaux lorsqu’apparaît une cartographie de l’énergie qui voit la production au nord et la consommation au sud ? Enfin, si l’abandon de l’option nucléaire correspond aux aspirations des uns ou attriste les autres, tous s’accordent à regretter que la décision allemande s’impose aussi à ses voisins et partenaires sans aucune discussion préalable.

Car l’Europe de l’énergie « existe sans exister » : elle s’incarne dans les réseaux, pénètre le droit mais déserte la politique. Pour les électriciens, il est plus facile d’équilibrer un réseau étendu, disposant de plusieurs sources d’approvisionnement et susceptible de fournir de la puissance en cas de besoins inopinés. L’interconnexion avec les pays voisins sécurise l’ensemble européen, et elle offre de surcroît l’opportunité d’écouler les surplus de production. Quant aux gaziers, eu égard aux faibles réserves dont dispose la France depuis l’épuisement du gisement de Lacq, la connexion avec les États producteurs est une évidence, qu’elle emprunte la route terrestre par conduits ou la voie des mers par des méthaniers. Le réseau de gaz, contrairement au réseau électrique, n’est cependant pas « réversible » : la crise russo-ukrainienne de 2009 a mis en exergue son architecture capillaire d’est en ouest, interdisant à l’Europe occidentale de puiser dans ses stocks stratégiques pour alimenter les États orientaux.

Du point de vue juridique, l’Europe de l’énergie s’est attachée à démanteler les monopoles nationaux issus du XXe siècle pour favoriser une concurrence tarifaire entre les différents acteurs. Les résultats restent à évaluer, et il n’est pas certain que les entreprises historiques aient été scindées à l’avantage des populations.

Quant à la politique européenne de l’énergie, elle est à l’état de friche. Hormis, très indirectement, les règles sur les accises et le marché de quotas dont l’inefficacité a déjà été évoquée, aucune concertation n’a lieu, laissant aux États la maîtrise de leurs politiques sans rechercher la moindre cohérence d’ensemble.

Les débats ont montré le besoin de cette Europe de l’énergie, d’un forum de concertation où vérifier que les décisions prises sur les rives de la Mer du Nord n’auront pas une incidence néfaste au bord de la Méditerranée. Il ne s’agirait jamais que d’un retour aux sources, l’Europe politique ayant fait ses premiers pas sur la question de l’acier et du charbon en 1951, et ce besoin d’information fait l’unanimité. La définition d’une politique unique à l’échelon européen conduit, pour sa part, à beaucoup plus de circonspection. L’Europe s’unit dans la diversité, et c’est aussi valable pour l’énergie. On peut comprendre que certains peuples soient hostiles au nucléaire et pas d’autres, que certains s’enthousiasment pour le gaz de schiste et pas d’autres. Imposer l’un ou l’autre à des populations qui le rejettent aurait un effet dévastateur sur l’image de l’Europe, et sans doute guère propice à une rationalisation de l’approvisionnement énergétique. Du reste, mieux vaut favoriser la biomasse en Allemagne et le solaire en Sicile, plutôt qu’uniformément l’un ou l’autre sur tout le continent.

La commission défend le principe d’une Europe de l’énergie fondée sur la subsidiarité, c'est-à-dire sur un niveau de décision pertinent en fonction des enjeux. Une politique unique communautarisée aurait probablement autant d’inconvénients qu’une pluralité de stratégies nationales non coordonnées. Chaque nation demeure libre de ses orientations, ce qui est conforme au Traité de Lisbonne, à la condition de permettre l’adaptation de ses voisins aux conséquences de ces orientations. Il faut espérer que cette vision française prospère auprès des autres États.

L’opinion du président de la commission

L’appel de la commission à une plus grande coopération européenne rencontre le vœu exprimé par le Président de la République dans son discours de mai 2013. Sans préjuger du niveau d’intégration idéal de cette nouvelle construction, il semble clair que l’interdépendance des réseaux doit maintenant trouver une traduction juridique et politique : en cas de défaillance d’un État voisin, il est possible que la France se trouve touchée.

L’expérience étrangère peut utilement servir de modèle, a fortiori dans les pays frontaliers qui présentent des économies et des besoins similaires. Elle peut, aussi, donner à voir combien certaines craintes sont infondées, et dissiper des chimères. Beaucoup répètent que le prix de l’électricité est bien plus élevé en Allemagne qu’en France. C’est exact : en 2010, le tarif final d’électricité pour un ménage moyen est de 21 centimes le kilowattheure outre-Rhin contre 13 centimes en France. Pourtant, les mêmes omettent volontiers de préciser que ces proportions ne se retrouvent pas sur les factures des consommateurs du fait de l’investissement consenti depuis les années 1990 dans l’efficacité énergétique en Allemagne : un ménage allemand consomme ainsi, à confort de vie égal, 25 % d’électricité de moins qu’un ménage français.

Il est mensonger de prétendre que la facture énergétique des Français augmentera fortement en raison de la transition écologique – elle augmente d’ailleurs régulièrement depuis plusieurs années, sans même prendre en compte les coûts engendrés par le démantèlement futur des installations nucléaires, et sans rappeler à nouveau que l’essentiel des importations françaises est constitué d’hydrocarbures. L’investissement financier consenti, à court terme, pour réaliser la transition écologique, sera compensé et même dépassé par les économies générées à long terme : l’exemple allemand le montre.

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B.— LES DISSENSUS MIS EN ÉVIDENCE PAR LES DÉBATS

1. Une divergence fondamentale sur la question nucléaire

Les échanges ont démontré qu’un clivage important existe au sein des parlementaires de la commission sur la contribution des installations nucléaires au bouquet énergétique national. Tous reconnaissent que la prévalence de l’atome dans les capacités de production électrique a pour conséquence des émissions moindres de CO2, et qu’il y a lieu de se féliciter de l’existence d’un parc électrique faiblement carboné. C’est, à peu de choses près, le seul point d’accord.

Les députés divergent sur deux points : la probabilité du risque d’accident et le traitement des déchets radioactifs consécutifs à l’exploitation des centrales – y compris le démantèlement de ces dernières.

Les défenseurs de la filière nucléaire soulignent que le niveau de sécurité des installations françaises, rigoureusement contrôlé, ne suscite aucune inquiétude légitime. Leur possession par des groupes publics, couplée à la surveillance d’autorités de contrôle indépendantes et à la vigilance des organisations non gouvernementales, garantit une exploitation dans les meilleures conditions de sécurité dont témoigne l’absence d’accident dans l’histoire déjà riche du nucléaire civil français. En ce qui concerne les déchets, leur conditionnement est assuré en attendant la finalisation du site de stockage de Bure, supervisé par l’ANDRA. Les inconvénients sont donc minimes en retour d’avantages conséquents : filière industrielle performante et reconnue, nombreux emplois offerts, électricité de base abondante et peu coûteuse qu’il est possible d’exporter et qui permet de fixer des tarifs accessibles pour les ménages comme pour les industriels. Dans cette logique, la décision du Président de la République de fermer la centrale de Fessenheim, alors même que ses dernières inspections autoriseraient un amortissement supplémentaire, relève de l’idéologie et non d’une analyse économique objective : elle renchérira l’électricité et privera le territoire d’emplois qualifiés.

Les opposants à la filière nucléaire réfutent ces arguments. Ils soulignent que l’absence de réalisation d’un risque n’équivaut pas à l’absence du risque lui-même. Le coût du stockage des déchets et du démantèlement des centrales n’est pas pris en compte dans les calculs de coût de production, ce qui permet d’aboutir à un prix faussement bas qui, d’ailleurs, dissimule à la population la vraie valeur de l’électricité et affaiblit la compétitivité des filières renouvelables. De plus, l’électricité nucléaire assure une production abondante de base alors que les besoins de la France se situent de plus en plus dans les périodes de pointe, moments auxquels le pays doit acheter au prix fort de l’énergie à ses voisins. La sortie du tout-nucléaire doit donc être engagée ; il faut y substituer des sources renouvelables.

Cette opposition entre politiques énergétiques trouve un écho dans la définition des priorités de la recherche publique en matière d’énergie. Les uns appellent de leurs vœux les réacteurs de quatrième génération et la maîtrise de la fusion ; les autres y voient un détournement des financements dont sauraient utilement profiter les énergies nouvelles.

Ce débat est crucial car il détermine le scénario de la transition écologique. Selon que la production nucléaire française demeure élevée ou non, les trajectoires diffèrent et les engagements changent de nature – la psychologie des parties prenantes également. Faut-il fermer les centrales au bout de quarante années de fonctionnement ou les prolonger autant que possible ? Faut-il poursuivre les recherches pour des réacteurs moins gourmands en matières fissiles, de façon à limiter la dépendance extérieure envers les pays exportateurs d’uranium, ou tout miser sur le développement d’énergies renouvelables abondantes sur le territoire ? La réponse à cette question dépend aussi des progrès à venir dans la maîtrise de l’intermittence, dans la prédiction des vents et des courants, dans les technologies de stockage de l’énergie.

L’opinion du président de la commission

Toutes les opinions sont respectables et, dans leur expression, ont été respectées au cours des débats de la commission.

Décidée par le Président de la République Georges Pompidou, l’option de l’atome a été la dernière transition énergétique qu’ait connu la France jusqu’à aujourd’hui : elle a engagé le pays sur un demi-siècle ; elle était synonyme de modernité, d’abondance et d’indépendance envers les pays producteurs d’hydrocarbures à l’origine des chocs pétroliers. Avec le Président Mitterrand, ce choix était devenu celui de la nation sur tous les bancs du Parlement. Mais les accidents successifs de Three Mile Island, de Tchernobyl et de Fukushima montrent que le risque perdure malgré toutes les précautions, en dépit du talent des ingénieurs. D’autres technologies sont apparues, certes plus modestes, mais aussi plus sûres et formidablement prometteuses, que les progrès de la science ne manqueront pas d’améliorer encore. La puissance maximale d’une éolienne marine atteint aujourd’hui 5 MW soit à peu près autant que les premiers réacteurs nucléaires français des années 1950.

Si la décision du Président de la République de rééquilibrer le bouquet énergétique, en passant de 75 % à 50 % d’électricité d’origine nucléaire d’ici 2025, apparaît pertinente, elle n’épuise pas les interrogations que beaucoup se posent sur l’avenir de cette énergie.

En effet, dans le cadre du débat sur la transition énergétique, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) vient de rendre sur le sujet un avis qui soulève de nombreuses questions : elle indique que « la possibilité de maintenir en fonctionnement notre parc de cinquante-huit réacteurs nucléaires, dont la moyenne d’âge dépasse vingt-cinq ans, au-delà de quarante ans, n’est pas aujourd’hui acquise » et que, compte-tenu de leurs dates de mise en service initiales, il est possible que « les arrêts définitifs des différents réacteurs soient relativement concentrés dans le temps ». Pour l’ASN, « il faut donc les anticiper dès maintenant » et, pour y faire face, elle souligne « la nécessité de décisions à court terme relatives aux capacités de production d’électricité, quelle qu’en soit la nature, et aux économies d’énergie ».

Au-delà des critiques que suscite habituellement la filière nucléaire, qu’il s’agisse de la fausse indépendance énergétique de la France assise sur un uranium en totalité importé, du prix de l’électricité qui ne reflète pas les véritables coûts liés au démantèlement et à la gestion des déchets radioactifs, ou des risques sanitaires ou environnementaux, il n’est pas souhaitable de faire dépendre la politique énergétique nationale d’hypothétiques prolongations de notre parc nucléaire, soumises aux recommandations de l’ASN. Il serait donc raisonnable de ne pas dépasser une durée de vie moyenne du parc de quarante ans, déjà bien supérieure aux trente années prévues au moment de sa conception.

2. Des équilibres différents entre économie et environnement

La transition écologique, en privilégiant la sobriété énergétique, le respect de l’environnement et l’économie circulaire, poursuit une logique différente de l’économie traditionnelle, que d’aucuns qualifieront de linéaire et de productiviste. Il est prévisible que les premiers temps de l’évolution verront entrer en conflit ces deux logiques, dans les faits comme dans les positions des parlementaires. Cette confrontation sera parfaitement légitime : il ne s’agit pas de mettre à bas le monde ancien, mais de le faire évoluer progressivement ; il s’agit d’organiser une transition et non de fomenter une révolution. Un point d’équilibre devra donc être trouvé, et un rythme convenable défini. Les professionnels des secteurs touchés doivent avoir l’opportunité de se réorienter, avec le soutien de la puissance publique, et les territoires de s’adapter pour définir de nouvelles stratégies de développement.

Il reste que, dans la définition du bon rythme et du bon équilibre, les opinions divergent. On l’a vu, lors de la discussion en séance publique de la résolution relative à la fiscalité écologique, lorsqu’a été abordé le thème de la taxation du diesel. Entre le soutien à l’industrie automobile spécialisée, pourvoyeuse d’emplois et de richesses, et la promotion d’un nouveau modèle centré sur la protection de la santé environnementale ainsi que sur le développement de motorisations alternatives, il est délicat de concilier les approches et les priorités.

Un sujet particulièrement passionnel, emblématique, et que la commission du développement durable connaît pour l’avoir maintes fois examiné dans le cadre de ses travaux préparatoires à la réforme du code minier, est celui des gaz et huiles de schiste. Alors que les géologues indiquent que le sous-sol national pourrait receler des quantités importantes d’hydrocarbures, que les États-Unis exploitent déjà pour leur plus grand avantage, et qui réduiraient de façon appréciable notre déficit extérieur, il est normal que le Parlement se saisisse de la question. Trois thèses sont en présence : la première recommande d’engager sans tarder les procédures conduisant à une exploitation dans les meilleurs délais ; la deuxième prône une recherche destinée à identifier les ressources en question et à les laisser demeurer sous terre où elles restent accessibles dans l’attente d’un moment et d’une technologie d’extraction opportuns ; la troisième écarte toute perspective d’exploitation en raison des émissions de gaz à effet de serre, des risques environnementaux et de la nécessité d’entamer la transition énergétique.

Toute industrie a un impact sur l’environnement. Il revient au peuple et à ses représentants de déterminer ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, de séparer l’inévitable de l’intolérable. C’est dans la confrontation des positions que le meilleur équilibre sera trouvé.

L’opinion du président de la commission

Les gaz et huiles de schiste constituent une révolution énergétique, dans le mauvais sens du terme, dont il n’est pas question de nier l’ampleur. En exploitant à grande échelle les réserves de leur sous-sol, les États-Unis sont parvenus à bouleverser la géopolitique de l’énergie. Le gaz et le pétrole, surabondants, évincent du bouquet énergétique les autres sources d’énergie. Le programme nucléaire américain est stoppé. Les investissements dans les renouvelables ont subi un coup d’arrêt. Quant au charbon, s’il n’est plus compétitif en Amérique du Nord, c’est pour être vendu en Europe où il concurrence durement les centrales à gaz pourtant moins polluantes. Dans la chimie, qui emploie les molécules d’hydrocarbures, la ruée sur les gaz de schiste a permis de diviser les coûts de fonctionnement.

On voit qu’il n’est pas même nécessaire d’invoquer les dangers environnementaux et sismiques attachés à la technique de fracturation hydraulique pour juger les hydrocarbures non conventionnels contraires à la logique profonde de la transition énergétique. En restaurant un temps d’abondance des hydrocarbures bon marché que l’on croyait révolu, sans grande considération pour les implications induites sur le changement climatique, les États-Unis donnent l’illusion que changer de modèle de production, d’une impérieuse nécessité, retombe au rang de simple orientation politique. La baisse du signal-prix de l’énergie, dont la hausse régulière incitait les investisseurs à privilégier l’expansion des énergies vertes, signifie leur retour vers les marchés traditionnels plus rapidement rentables.

Quoique les orientations européennes paraissent aller en sens contraire – auquel cas on se félicitera, pour cette fois, de l’absence de compétence de l’Union européenne dans le secteur de l’énergie –, il est important que la France maintienne son opposition à l’exploitation des gaz de schiste sur son territoire. Une extraction signifierait, sans nuance, une capitulation court-termiste pour une relance à courte vue, et un abandon de la seule stratégie de long terme qui s’impose avec évidence. La France doit concentrer ses efforts sur la sobriété et l’efficacité énergétiques d’abord, sur le verdissement de son bouquet énergétique ensuite. Augmenter les quantités de gaz et de pétrole en circulation contreviendrait à ces deux ambitions.

3. L’acceptabilité des renouvelables

La commission n’est pas parvenue à s’accorder sur la question de l’acceptabilité sociale des équipements de production d’énergie de source renouvelables. Ces débats se sont notamment déroulés alors que l’Assemblée nationale examinait la proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre, dont certains articles additionnels touchaient au régime d’installation des éoliennes et à la « règle des cinq mâts ».

Certains parlementaires ont défendu la levée d’un maximum de contraintes réglementaires afin de dynamiser les installations. D’autres se sont élevés contre une liberté excessive laissée aux opérateurs, au mépris des populations locales peu enclines à résider à proximité d’un champ d’éoliennes. Il est vrai que certaines zones sont plus propices que d’autres à l’activité des aérogénérateurs, et donc plus demandées par les industriels car plus rentables.

Les éoliennes offrent un cas typique à la réflexion. La même question s’est posée, il y a quelques années, à propos des parcs solaires qui proliféraient et captaient préférentiellement des terrains planes, facilement visibles et accessibles, et recouverts de terres arables parfaites pour une exploitation agricole. On pourrait aussi évoquer, au moment de l’élaboration de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006, l’exaspération des usagers des cours d’eau et des associations environnementales devant la multiplication des installations micro-hydrauliques.

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La transition écologique est l’affaire de tous. Il est normal que le Parlement se saisisse du premier volet dont il aura connaissance, la transition énergétique, pour susciter le débat en son sein. Ces discussions peuvent faire émerger des oppositions, mais aussi des consensus. Le Président de la commission, rapporteur de ses travaux, s’est efforcé de les transcrire sans trahir la pensée des commissaires, afin que le projet de loi qui leur sera soumis en tienne compte, déjà lors de sa phase de rédaction.

Ce rapport ne marque pas la fin des investigations ; les auditions se poursuivront jusqu’au commencement de la procédure législative. Il ne sonne pas, non plus la fin des débats : les opinions de chacun doivent être entendues. Il appartiendra alors à l’Assemblée nationale, convenablement informée des enjeux et des perspectives, de faire entrer le pays dans un nouveau modèle de société.

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DÉBAT EN COMMISSION

Le mardi 11 juin 2013, la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé un débat sur sa « contribution au débat sur la transition énergétique et écologique ».

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Comme je vous l’ai indiqué il y a deux semaines, nous organisons cette réunion à la suite des auditions et des tables rondes que nous avons tenues sur la transition écologique et énergétique – neuf rendez-vous depuis le début de la session. J’ai pris la décision et l’initiative de publier un rapport regroupant les comptes rendus et de leur adjoindre la position des différents groupes politiques sur le sujet. L’ensemble sera précédé d’une introduction, rédigée par mes soins, qui vous a été adressée avant cette réunion : elle résume nos consensus et nos dissensus ; elle exprime aussi mes opinions.

Je rappelle les points identifiés comme consensuels entre nous : la sobriété et l’efficacité énergétique, le verdissement du bouquet énergétique, la décentralisation des compétences en matière d’énergie, l’autofinancement de la transition énergétique, et enfin une meilleure coordination à l’échelle européenne.

Quant à nos divergences, elles tiennent aux questions du nucléaire et de l’acceptabilité. À l’occasion de l’examen de la proposition de loi de notre collègue François Brottes, devenue la loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, différents amendements avaient suscité le débat sur cette dernière question.

Je passe maintenant la parole aux représentants des groupes politiques afin qu’ils expriment leurs orientations, qui figureront dans le rapport sous forme de compte rendu. Si des parlementaires souhaitent s’exprimer sur un point précis, ils pourront le faire par la suite.

M. Philippe Plisson a la parole au nom du groupe SRC.

M. Philippe Plisson. Alors que s’est achevée la deuxième phase du débat sur la transition énergétique, celle de la participation et concertation, nous souhaitons saluer cette initiative visant à préparer au mieux le futur projet de loi sur la transition énergétique, qui devrait être débattu en séance publique à partir de février 2014.

La préoccupation environnementale fait désormais partie intégrante des politiques publiques. Les idées écologistes ont fait leur chemin dans les esprits et chacun, par-delà les divergences idéologiques, est convaincu de la nécessité d’un développement soutenable, comme en témoigne l’existence de cette commission du développement durable. En quelques décennies, les idées dominantes sur le progrès et le développement ont été transformées par une prise de conscience : les sociétés doivent inscrire leur développement dans le temps long, afin que la réponse aux besoins du présent n’entre pas en contradiction avec ceux des générations futures.

Dans ce contexte, il convient de s’attaquer à un ensemble de défis : la limitation des activités polluante et des émissions de gaz à effet de serre, responsable d’un réchauffement climatique dont les effets négatifs sur les écosystèmes sont bien connus, la protection de la biodiversité, la lutte contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols, la protection des équilibres écologiques.

Notre modèle de développement actuel, fondé sur les hydrocarbures fossiles, ne survivra pas à l’épuisement des gisements de pétrole et de gaz, et le recours à la fracturation hydraulique pour exploiter les gaz et huiles de schiste n’est qu’une fuite en avant, qui ne résout en rien le problème des émissions polluantes, et qui nous ralentit dans la mise en place d’un bouquet énergétique décarboné.

La nécessité de trouver d’autres sources d’énergie et l’objectif de réduire l’impact environnemental de nos activités sont les deux principaux moteurs de la transition énergétique. En vertu du principe de précaution, ce processus se veut progressif et inscrit dans le temps long. Il ne s’agit pas, à l’instar des révolutions industrielles, de faire table rase du passé pour changer nos modes de production et de consommation, mais plutôt de préparer l’avenir avec tout le recul et la mesure que nous impose la gravité de la situation.

Ces éléments de contexte visent à rappeler l’importance de la mission confiée à cette commission : réaliser le travail de préparation de la transition énergétique, un travail de fond qui s’étale sur de longs mois. Il nous incombe d’appliquer les propositions du président de la République : limitation progressive des gaz à effet de serre, économies d’énergie, rééquilibrage du bouquet énergétique en faveur des sources renouvelables, tout en prenant en compte la réalité sociale, économique et politique du pays. Nous devons être à la fois des idéologues et des pragmatiques. Si notre rôle est crucial, c’est que le projet global de la transition énergétique transcende l’ensemble des membres du corps social.

Tout d’abord, ce projet bouscule certains intérêts privés et inquiète de nombreux agents économiques, comme on le voit dans le débat sur la taxation du gazole. La protection de l’environnement peut paraître menaçante aux yeux des citoyens ; les connaisseurs des problématiques de chasse le savent bien. À travers la classe politique, même si le développement durable est sur toutes les bouches, les divergences idéologiques conduisent à des projets opposés. Des écologistes aux productivistes, il nous faut trouver un consensus qui fédère l’ensemble des élus en gardant à l’esprit que la transition énergétique doit servir trois objectif : l’écologie, le développement humain, le développement économique. Néanmoins, il ne faut sûrement pas que la transition énergétique amène une fois encore l’écologie en second plan.

Depuis la mise en place du débat national, la commission est allée à la rencontre des acteurs de la société civile. Il est primordial qu’elle assume son rôle de porte-voix des citoyens et de leurs groupements en la matière car cette question mérite une réflexion collective.

Le principe d’un développement durable fait consensus, mais les modalités font débat. Il n’est pas de réponse unique, mais un ensemble de solutions qu’il faut combiner en fonction des besoins et des caractéristiques des territoires. S’agissant des sources d’énergies, il apparaît évident qu’il faut mettre en place un bouquet énergétique où le nucléaire conserve sa part aux côtés de l’ensemble des énergies renouvelables, alors que les hydrocarbures sont voués à disparaître. La problématique centrale est la proportion de ces différentes sources d’énergie et leur répartition territoriale. À ce titre, nous devrions nous pencher sur l’éventualité d’un plan national des équipements énergétiques. Mais la diversification des sources d’énergie ne doit pas remettre en cause le principe d’égalité des citoyens d’accès à la ressource à travers la péréquation tarifaire. Si la diversité territoriale implique que le solaire soit privilégié dans le Midi et l’éolien sur la façade atlantique, les tarifs ne sauraient être régionalisés.

Les adversaires des renouvelables mettent souvent en avant les limites techniques qui s’opposeraient à une généralisation de ces technologies. Ainsi du problème d’intermittence pour le solaire et l’éolien : l’électricité disponible n’est pas continue mais évolue en fonction du vent et de l’ensoleillement. Or il existe des solutions à ces problèmes techniques. Le développement des outils de stockage et la possibilité de mettre en place des réseaux intelligents permettent de surmonter l’obstacle de l’intermittence. L’intervention publique est ici nécessaire, à la fois pour encourager la recherche rendant possible la transition énergétique et pour édifier des infrastructures coûteuses. Car le nerf de la guerre de la transition écologique est son financement : son coût oscillera entre 40 et 65 millions d’euros par an sur plusieurs décennies. Or la question du financement n’a pas été beaucoup mise en avant… Gardons-nous de voir ce projet de loi devenir une coquille vide, au sein de laquelle les grands projets avancés ne trouveraient pas leurs nécessaires financements.

Il convient, enfin, de souligner les avantages économiques que notre pays peut tirer de ce processus. Trouver des énergies nationales respectueuses de l’environnement serait un moyen de réduire la facture énergétique – 68,5 milliards d’euros cette année – qui pèse sur la balance commerciale. La recherche-développement, en la matière, fait partie du redressement productif dans lequel s’est engagé le Gouvernement. Elle doit faire l’objet d’un consensus et mobiliser toutes les énergies, au sens propre comme au sens figuré.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La parole est maintenant à M. Julien Aubert, au nom du groupe UMP.

M. Julien Aubert. Ce débat sur la transition énergétique fait apparaître des points de consensus. Le groupe UMP soutient l’idée d’une diversification du bouquet énergétique ; il faut permettre à des sources alternatives de trouver toute leur place. Quant à la méthode que nous recommandons, elle tient en un mot : pragmatisme. Nous récusons toutes les idéologies avec trois priorités à l’esprit.

La première priorité est de lutter contre les émissions de CO2. Compte tenu de ses engagements internationaux, la France doit s’engager pour en réduire le volume. Ceci n’interdit pas de se poser des questions sur l’exploitation des gaz de schiste ou sur l’impact d’une croissance des énergies nouvelles sur le bilan carbone. Une étude récente de la fondation Concorde a montré que, à cause des délocalisations, leur impact est probablement plus limité qu’espéré sur ce dernier point. Notons aussi que le nucléaire est une énergie décarbonée puisque les émissions françaises sont six fois inférieures à celles de l’Allemagne.

Notre deuxième impératif est celui de l’emploi. Il faut raisonner en termes de filière, maximiser celles qui créent de l’emploi – comme le nucléaire, justement, qu’il n’est pas envisageable d’affaiblir. Créer d’autres filières est tout aussi souhaitable. Veillons toutefois à la qualité des emplois qui sont détruits et créées, car tous ne se valent pas.

Enfin, notre troisième objectif doit être de maintenir le coût de l’énergie aussi peu élevé que possible. Quels que soient les secteurs – efficacité énergétique, enfouissement des déchets, développement de nouvelles filières, etc. –, on compte en dizaines de milliards d’euros. Gardons-nous d’obérer les choix futurs : les ressources se raréfient et il ne faut surtout pas qu’elles viennent à manquer au moment de passer à la troisième ou à la quatrième génération nucléaire.

Nous devons garantir l’indépendance énergétique de la France, qui fait sa force, ainsi que les emplois qui y participent, si possible en en créant d’autres, et préserver ce qui fonctionne, notamment la filière nucléaire. Nous devons aussi réfléchir à des sujets connexes, comme les réseaux, puisqu’un déploiement intensif des énergies renouvelables et des centres de faible production obligerait à repenser leur architecture prévue pour des centrales d’envergure. Au regard des nombreuses étapes et des enjeux financiers, avançons avec pragmatisme en gardant en mémoire nos priorités.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. J’invite maintenant M. Bertrand Pancher à s’exprimer pour le groupe UDI.

M. Bertrand Pancher. Nous nous félicitons de l’organisation du débat public autour de la transition énergétique, car ses enjeux nous concernent tous. J’avais d’ailleurs essayé, moi-même, de l’organiser sous la précédente législature. Nous devons veiller, c’est nécessaire, à élever la qualité de ce débat, à l’heure où certains sondages révèlent qu’un quart de nos compatriotes n’en a jamais entendu parler. Or rien ne se fera sans l’adhésion de tous les Français.

Au premier plan des grandes priorités de l’économie verte se trouve le logement, et d’abord le logement neuf, dans lequel nous avons désormais l’obligation de construire un parc dont la consommation énergétique s’élève au plus à 50 kilowattheure par mètre carré et par an. La multiplication des contrôles et les progrès de la construction nous poussent à définir de nouveaux objectifs, plus ambitieux, en matière de bâtiments à énergie positive : cela pourrait figurer dans une prochaine loi. Dans l’ancien, lors de la Conférence environnementale, le chef de l’État avait fixé un objectif très ambitieux avec la rénovation de 500 000 logements par an : tout indique qu’il ne sera pas atteint, en raison de la faiblesse de la mobilisation des moyens existants – je pense à l’éco-prêt à taux zéro, qu’il faudrait simplement adapter. Certaines mesures, comme des baisses ciblées de taux de TVA pour certains travaux, permettraient de s’en approcher. La généralisation des sociétés de service en économie d’énergie auprès de l’ensemble des collectivités pourrait s’avérer une piste intéressante : pourquoi ne pas en parler lors du débat sur la décentralisation ?

Au second plan de l’économie verte se trouve le transport durable, qui concerne tous les moyens de déplacement, du ferroviaire à la route avec les transports en commun en site propre (TCSP) et bien sûr le secteur fluvial. La fiscalité verte a fait ses débuts dans ce domaine : nous avons récemment adopté la loi précisant le contenu de l’écotaxe poids-lourds, qui permettra d’abonder le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), ce qui n’est pas le cas actuellement, et donc de financer de nouvelles infrastructures vertueuses. En Allemagne, l’écotaxe poids lourds rapporte 5 milliards d’euros par an, ce qui permet des initiatives importantes dans le financement des infrastructures.

Au troisième plan figure les énergies renouvelables : il faut que les projets visant à les développer sur notre territoire soient acceptés par tous. Des décrets restent à prendre afin de stabiliser les tarifs de rachat et de raccordement. Parmi les idées qui ont émergé lors de nos différents débats, je retiens celle de la chaleur renouvelable : il faut, pour la favoriser, optimiser l’utilisation de nos forêts – dont 40 % ne font l’objet d’aucune exploitation – et augmenter la dotation du fonds chaleur de l’ADEME, limité à 200 millions d’euros aujourd’hui, notamment en explorant des recettes annexes. Cela devrait nous permettre de définir des objectifs ambitieux.

M. Jean-Paul Chanteguet, président. Je donne la parole à M. Denis Baupin pour présenter la position du groupe écologiste.

M. Denis Baupin. Mon sentiment sur le débat sur la transition énergétique reste positif : il a permis de montrer que nos choix concernant notre bouquet énergétique ne sont pas le fruit de la fatalité. Ce débat, qui a permis de faire émerger, comme le rappelait le président Chanteguet à l’instant, des consensus comme celui de la sobriété et de l’efficacité énergétiques, se poursuivra naturellement au Parlement.

Il ne s’agit pas d’organiser la récession, comme certains voudraient nous le faire croire, mais bien d’augmenter la productivité de notre économie. Ce n’est pas un hasard si le Royaume-Uni ou l’Allemagne se sont fixé pour objectif de diviser par deux leur consommation d’énergie d’ici 2050 : nous devrions faire de même.

S’agissant de la mobilité, question cruciale, nous soutenons le développement de la voiture propre que le Premier ministre a évoquée ce matin : cela nous paraît essentiel pour progresser. Nous soutenons, de la même façon, le développement des énergies renouvelables, d’abord pour leur aspect environnemental et indolore pour les ressources, mais aussi parce qu’elles constituent un levier très puissant de création d’emplois. En Allemagne, le secteur emploie déjà 390 000 personnes quand la filière nucléaire n’en fait vivre que 60 000 en France… Nous devons agir, dans un contexte de croissance faible, pour favoriser la création de tels emplois, qui constitueront des ressources – non délocalisables – pour les territoires, plutôt que de dépenser des milliards à importer des énergies fossiles.

Le montant de la facture énergétique, dans la situation économique très fragile que nous connaissons, ne doit pas être oublié. Quel sera-t-il ? La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a rappelé récemment que le prix de l’énergie est appelé à augmenter. Comment faire pour que la facture du consommateur diminue lorsque le coût global d’une énergie augmente ? En faisant le choix de l’efficacité énergétique, justement, car elle offre l’avantage de faire baisser la consommation dans un contexte haussier, et donc de permettre en fin de cycle une limitation du tarif acquitté par le consommateur.

S’agissant de l’avenir du nucléaire, cette question demeure primordiale. Nous sommes liés par l’engagement du Président de la République, dont nous pensons qu’il va dans le sens d’une plus grande sûreté et d’une moindre vulnérabilité de notre système électrique à l’énergie nucléaire, qui l’alimente à hauteur de 75 %. Notre pays se trouvant seul dans cette situation, peut-être l’évolution à laquelle nous sommes favorables – la réduction de la part du nucléaire dans la production électrique – pourrait-elle faire consensus ? Quoi qu’il en soit, la question de la durée de vie des réacteurs – j’ai vu que le président Chanteguet a pris position dans l’introduction du rapport – se pose : nous estimons que leur prolongation au-delà de trente ans n’est pas souhaitable.

La question du rythme de la transition énergétique revêt une importance centrale : nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen du futur projet de loi.

On parle beaucoup d’acceptabilité des énergies renouvelables, mais il faut s’interroger sur celle de toutes les énergies. Nous avons l’impression qu’il y a là une bonne illustration du « deux poids, deux mesures » : nous avons accepté sans problème 200 000 pylônes supportant des lignes à haute tension sur le territoire national, mais 20 000 éoliennes seraient aujourd’hui inenvisageables. Pour évoquer les gaz de schiste, pensez-vous que nos compatriotes seraient prêts à voir un derrick au fond de leur jardin ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. M. Jacques Krabal a la parole au nom du groupe RRDP.

M. Jacques Krabal. Je voudrais tout d’abord vous remercier, monsieur le président, de cette double initiative : le présent débat et l’idée d’apporter une contribution au débat d’ensemble sur la transition énergétique et écologique. Une contribution unanime serait une excellente chose. Il me semble qu’elle est possible sur l’essentiel : la biodiversité, l’efficacité énergétique, l’économie verte, la nécessaire décentralisation des compétences énergétiques.

En revanche, je suis favorable à un taux de TVA à 5% pour les travaux de réhabilitation énergétique.

Un autre point qui me tient à cœur : il faut rappeler que la démocratie écologique se vit au quotidien, dans la proximité, par l’intermédiaire de nos collectivités. Notre commission est celle de l’aménagement du territoire : cette dimension doit figurer dans notre contribution. Celle-ci doit aussi réaffirmer la nécessité de l’information des citoyens et de la concertation avec eux au plus proche de leurs bassins de vie quotidienne.

Ensuite il me semble que notre commission a montré une sensibilité particulière en ce qui concerne les gaz et huiles de schiste. À ce sujet, je tiens à rappeler que les Radicaux sont, certes, des scientistes, favorables à la recherche scientifique, au progrès technique et humain. Mais nous ne voulons pas d’un progrès technique dans les mains des multinationales énergétiques qui dicteraient leurs volontés aux élus et aux décideurs, au mépris des considérations écologiques. Nous savons ce que cela a donné aux États-Unis ! Nous soutenons une recherche indépendante, encadrée par les pouvoirs publics.

L’immense sujet que constituent l’exploitation et le recours à la fracturation hydraulique présente sur un plan purement économique et financier des coûts majeurs en termes d’émissions de méthane, de besoins en eau et de conséquences sanitaires.

La vérité des prix doit être effectivement établie, sur tous les prix, mais avec une prise en compte de tous les coûts globaux, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Je me sens très proche des propos du président Chanteguet sur le rapport récemment présenté par l’OPECST. Ce rapport est très contestable. Même l’exploration est un marché de dupes, dans lequel nous ne devons pas tomber, et envisager cette perspective est totalement incohérent avec le processus de transition écologique qui s’est engagé sur tous nos territoires avec cette volonté de mix énergétique. Je souhaite que notre commission affirme une position claire et ferme, un choix collectif, dans cette contribution, dans la continuité des propos du président. J’évoquerai un exemple précis que je connais bien : à Château-Thierry, un permis d’exploitation a été délivré en 2009 sans aucune concertation, et le préfet a signé la semaine dernière un arrêté interdisant, certes, les forages horizontaux, mais autorisant les forages verticaux profonds. L’incompréhension et le mécontentement des citoyens sont justifiés ! Et puis la réflexion est actuellement en cours sur la réforme du code minier : pourquoi l’accélérer ?

Nous devons réaffirmer que la transition énergétique, ce sont de nouvelles perspectives de développement durable respectueuses de notre environnement, mais aussi un modèle économique plus vertueux et porteur d’emplois.

M. Yannick Favennec. Définir une politique énergétique, n’est-ce pas hiérarchiser des objectifs ? Le moment est venu de dire quelles sont nos priorités, pour les intégrer dans la future loi : voulons-nous rechercher l’indépendance énergétique ? Lutter contre les émissions de gaz à effet de serre ? Préparer la période « post-carbone fossile » ? Développer des leaders industriels ? Créer des emplois ? Rechercher les prix les plus bas pour les usagers domestiques et industriels ? Peut-être tous ces objectifs à la fois. Il faut donc les classer.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je suis entièrement d’accord avec vos propos.

M. Guillaume Chevrollier. Je partage avec vous, monsieur le président, quelques points de consensus : sur l’objectif de sobriété et d’efficacité énergétiques, sur l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments, sur le verdissement, sur la gestion politique au niveau européen.

Mais je relève plusieurs points de divergence : s’agissant du nucléaire, je considère que la France détient un savoir-faire et qu’elle doit l’exploiter. J’émets des réserves sur le développement anarchique des énergies renouvelables, notamment de l’énergie éolienne qui implique une défiguration des paysages – préoccupation particulièrement forte dans mon département, où le bocage fait partie essentielle du patrimoine collectif. Je mets le développement durable au même niveau que le patrimoine paysager de notre pays. Je relève aussi que le coût des éoliennes et des panneaux photovoltaïques ne pourront qu’accentuer le déséquilibre de la balance commerciale, et que sur le terrain les extensions de réseaux ont un coût important, notamment dans les territoires ruraux. Il faut enfin reconnaître les problèmes environnementaux que posent ces énergies : intermittentes et fluctuantes, elles peuvent amener à recourir à des centrales à gaz ou à charbon, comme c’est le cas en Allemagne.

Il faut donc bien peser l’ensemble de ces éléments avant de prendre des décisions. Le débat sur la transition énergétique est parfaitement fondé !

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Et il ne fait que commencer.

M. Michel Lesage. La transition énergétique passe bien par la sobriété, le verdissement, la décentralisation des compétences. J’avoue avoir besoin de précisions sur la question de l’autofinancement.

Beaucoup de ces actions relèvent de l’État ou de l’Union européenne : prenons garde aux visions trop centralisatrices en la matière. La mobilisation des territoires est nécessaire, il faut l’encourager. Elle est en cours : les collectivités adoptent des plans énergie, créent des agences locales de l’énergie. Il faut favoriser la diffusion de cette culture de responsabilité dans les territoires, auprès des élus et des citoyens. Il faut imaginer des productions d’énergie locales au plus proche des territoires : pour la Bretagne, l’enjeu majeur que constituent l’énergie marine et l’énergie éolienne offshore rend possible des consensus, y compris sur la question des paysages.

Cette dimension de mobilisation des territoires pourrait également être utilement intégrée dans notre contribution.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Elle le sera, à travers le compte rendu de notre réunion.

Mme Sophie Rohfritsch. J’ai le sentiment que ce rapport permettra à notre commission de se positionner de manière centrale dans un débat qui peut, quelquefois, donner l’impression de nous échapper partiellement – y compris au sein de notre institution, où d’autres acteurs défendent parfois des visions différentes des nôtres.

Notre commission a vocation à être au cœur du débat sur la transition énergétique, de sorte que rien ne se passe sans que notre avis soit, au moins, sollicité.

Comme le projet de rapport le souligne très honnêtement, les avis des différentes formations politiques divergent sur certains points : le nucléaire, les gaz de schiste, etc. Au-delà de ceux-ci, il me semble que notre commission doit également s’attaquer à d’autres sujets extrêmement lourds, comme le fonctionnement de la Commission de régulation de l’énergie. Il faut avoir le courage, à son égard, de dire les choses nettement et de souligner, par exemple, que, si des décisions administratives continuent d’être prises sans consultation des responsables politiques, on restera sur un registre purement incantatoire et les actions seront inexistantes. Il en va de même des orientations de l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), de l’allocation de ses moyens budgétaires, etc.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Restons donc éveillés, vigilants et réactifs !

M. Yves Albarello. La question du nucléaire a déjà été abordée à plusieurs reprises. L’objectif ambitieux de réduction à 50 % de la part de l’atome dans la production d’électricité d’ici à 2025 implique, de facto, l’arrêt de vingt-deux tranches de 1 000 MW, soit deux tranches par an à partir de 2016. Le remplacement des capacités ne pourra se faire avec l’aide des seules énergies renouvelables ; il supposera donc l’ouverture de nouvelles centrales à charbon ou à gaz.

Le remplacement d’une tranche de 1 000 MW par un parc éolien de même puissance nécessite le doublement de celui-ci par une centrale thermique. L’Allemagne, souvent évoquée, doit ainsi prévoir à court terme 22 GW de capacités supplémentaires, en centrales à charbon ou à gaz. Chacun appréciera l’impact de telles décisions sur le bilan carbone d’un pays !

S’agissant du coût, la facture pétrolière et gazière de la France au titre du transport et du chauffage s’élève à 61 milliards d’euros pour 270 millions de tonnes-équivalent pétrole (MTep) – c’est-à-dire pratiquement l’équivalent de notre déficit commercial. Inversement, la production nationale actuelle d’énergie électrique, qui équivaut à 117 MTep, s’établit à 700 millions d’euros grâce au nucléaire.

Aux États-Unis, on mise actuellement beaucoup sur le stockage de l’énergie dans le cadre d’études poursuivies dans plusieurs grandes universités.

Je rappelle que la fermeture programmée de Fessenheim coûtera, à elle seule, 1,5 milliard d’euros. Si on ferme vingt tranches pour tenir l’objectif annoncé, la facture globale sera de l’ordre de 30 milliards d’euros.

La réduction de la part du nucléaire dans la fourniture d’énergie nationale ne peut donc être envisagée dans les délais prévus, c’est-à-dire d’ici à 2025, sans une perte financière considérable due à la mauvaise utilisation des moyens nucléaires existants et à la multiplication des centrales thermiques de substitution, impliquant de surcroît l’abandon des efforts consentis en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Une utilisation optimisée des énergies renouvelables ne peut qu’être le fruit d’un programme de recherche, mené aux niveaux européen et international sur une durée minimale de l’ordre d’une décennie. Ce programme visera non seulement l’alimentation des réseaux électriques nationaux, mais aussi la mise en place de substituts au pétrole et au gaz pour le chauffage et les transports.

Mme Suzanne Tallard. Je voudrais simplement insister sur le fait que transition énergétique et transition écologique sont liées de manière indissociable.

Un consensus se révèle, au cours des débats, sur la nature des actions à mener. Il faut donc avancer sans tarder sur les voies ainsi ouvertes et sans attendre nécessairement l’obtention d’un accord global.

Le rôle des citoyens me semble essentiel pour assurer le succès de ces deux transitions. Ils sont le maillon nécessaire pour articuler les différentes échelles de territoire, pour mettre en place des politiques volontaristes, transversales, complexes et pérennes. Chacun doit jouer pleinement son rôle au niveau qui est le sien : État, collectivités territoriales, associations, experts, citoyens, etc. Il faudra organiser les conditions d’un grand débat démocratique.

M. Martial Saddier. Le projet de rapport est fidèle aux travaux de la commission, ce qui ne me surprend d’ailleurs pas venant de notre président.

La transition énergétique dans notre pays doit se déployer dans une perspective européenne. Il en va de la sécurité de nos approvisionnements, de l’interconnexion transfrontalière des réseaux, de la maitrise des impacts sur l’environnement – je rappelle, pour mémoire, que le nord de la France reçoit malheureusement des quantités importantes de particules fines émises dans des pays voisins, qui ont fait des choix énergétiques différents – ou encore de la compétitivité de nos entreprises et du portefeuille de nos concitoyens.

La transition devra s’inscrire dans une logique d’aménagement du territoire, car les sites de production ne sont pas toujours les sites de consommation.

Elle doit enfin être inspirée par des principes de justice sociale, ce qui signifie le maintien de la péréquation en matière énergétique, qui est au cœur du pacte qui gouverne la distribution d’électricité depuis 1946. Je suis, à titre personnel, très favorable à la décentralisation, tout en étant conscient que cette décentralisation peut, à un moment, se heurter à la logique propre de la péréquation.

Je terminerai en faisant part de mes craintes en matière d’évolution de la fiscalité. Le contexte budgétaire extrêmement difficile, que nous connaissons en 2013 et que nous connaitrons encore en 2014, peut avoir pour conséquence qu’une partie de la fiscalité écologique soit détournée de son objet initial pour alimenter le budget général de l’État. Je pense ainsi qu’un débat sur la fiscalité du diesel se justifie pleinement, mais que les efforts consentis sur les normes Euro 5 et Euro 6 conduisent à un rééquilibrage du parc à l’horizon de 2020, voire un partage plus favorable à l’essence qu’au diesel en 2022. Si le coût du diesel venait à augmenter, il faudrait que cet effort permette d’accélérer le renouvellement du parc ancien : je crains que tel ne soit pas le chemin que le Gouvernement se dispose à emprunter.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. S’agissant d’une aide au renouvellement du parc diesel ancien, le plus polluant, je confirme qu’une proposition en ce sens sera présentée par M. Christian de Perthuis, président du Comité pour la fiscalité écologique, le 13 juin prochain. J’ai d’ailleurs joué quelque rôle pour l’appuyer et j’en suis pleinement satisfait.

Sans revenir sur le fond du débat, nous constatons tous qu’il y a des consensus et des dissensus, des orientations, des interrogations, des questionnements. L’ensemble de ces remarques figureront dans le compte rendu de cette réunion, lui-même annexé au rapport.

Il est essentiel, comme beaucoup l’ont souligné, que notre commission assume pleinement toutes ses responsabilités. L’exercice n’est pas toujours facile, notamment du fait de la répartition des compétences entre les commissions, décidée par nos prédécesseurs dans le prolongement de la réforme constitutionnelle de 2008. Il y a des superpositions, des chevauchements, quelquefois des concurrences. Il nous appartient d’essayer de gérer au mieux, ensemble, ces difficultés.

Si nous avons la réelle volonté de faire avancer le débat, dans le respect de nos engagements respectifs, je suis convaincu que nous réussirons. Je remercie tous les parlementaires de la commission pour leur investissement dans nos travaux.

——fpfp——

TRAVAUX EN COMMISSION

I.— TABLE RONDE : LES ÉNERGIES RENOUVELABLES AU SERVICE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

Le mercredi 3 octobre 2012, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur les énergies renouvelables au service de la transition écologique, avec la participation de MM. Nicolas Wolff, président de France énergie éolienne, Cyril Le Picard, président de France biomasse énergie, Yann-Hervé de Roeck, directeur général de France énergies marines et Thierry Mueth, président d’Énerplan.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. À la suite de la conférence environnementale qui s’est tenue les 14 et 15 septembre 2012 et des mesures décidées par le Gouvernement dans la « feuille de route pour la transition écologique », la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a décidé d’organiser une série de tables rondes sur les sujets liés à la transition écologique.

Aujourd’hui, notre rencontre associe plusieurs filières des énergies renouvelables afin de mieux comprendre comment elles peuvent participer à la diversification de sources d’approvisionnement et contribuer ainsi au développement durable de la société française.

Ce cycle se poursuivra la semaine prochaine par une autre table ronde, organisée conjointement avec la commission des affaires économiques, qui s’interrogera sur la composition du bouquet énergétique de demain. Nous recevrons alors des représentants d’EDF, d’Areva, d’IFP Énergie nouvelles et du Syndicat des énergies renouvelables.

En votre nom à tous, je suis heureux d’accueillir M. Nicolas Wolff, président de France énergie éolienne, M. Cyril Le Picard, président de France biomasse énergie, M. Yann-Hervé de Roeck, directeur général de France énergies marines et M. Thierry Mueth, président d’Énerplan.

M. Nicolas Wolff, président de France énergie éolienne. L’association France énergie éolienne représente l’ensemble des acteurs de la filière éolienne, soit plus de deux cent cinquante membres. Cette activité s’appuie sur 4 000 machines et 7 000 mégawatts installés ; elle génère 11 000 emplois directs répartis sur l’ensemble du territoire national et non délocalisables. La France ne fabrique pas les machines elles-mêmes, toutefois bon nombre de leurs équipements et de leurs composants sont produits par des PME et des PMI hexagonales. La balance commerciale est ainsi presque à l’équilibre : les 950 millions d’euros de composants exportés viennent quasiment couvrir le milliard et demi d’euros de machines importées.

Le prix du mégawatt par heure est de 82 euros, ce qui rend cette énergie compétitive. À titre de comparaison, le coût annoncé de la production du réacteur EPR devrait se situer dans une fourchette allant de 70 à 90 euros le mégawatt-heure, et celui de l’énergie électrique s’élève à 75 euros en tarif de pointe. Nous sommes donc très proches de la parité réseau, objectif que la profession souhaite rapidement atteindre. La contribution au service public de l’électricité – la CSPE – ne représente que deux à trois euros par an et par ménage pour l’éolien.

L’année 2012 s’annonce très mauvaise pour la filière puisque nous estimons que seuls 700 mégawatts seront installés contre 875 en 2011 et 1 080 en 2010. Cette décélération est due à l’incertitude qui prévaut autour du tarif d’achat et à l’accumulation de textes réglementaires.

Le tarif a fait l’objet d’un recours formé par des associations anti-éoliennes il y a quatre ans. En mai dernier, le Conseil d’État a renvoyé ce contentieux à la Cour de Justice de l’Union européenne dont la décision ne devrait pas être rendue avant un an et demi à deux ans. Dans l’intervalle, les banques refusent de financer les projets éoliens en raison de cette incertitude juridique. Nous avons demandé au Gouvernement d’élaborer un nouveau tarif qui serait, lui, notifié à la Commission européenne.

L’excès de réglementation s’est accru depuis la promulgation de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite Grenelle 2. Ainsi, six ans sont nécessaires pour développer un projet éolien en France, contre trente mois en Allemagne. En outre, plus de 40 % des permis déposés font l’objet d’un contentieux qui confirme, dans 85 % des cas, leur légalité. Les recours juridiques constituent un instrument utilisé par les associations anti-éoliennes pour entraver le développement de cette énergie.

L’objectif fixé par le Grenelle 2, à l’horizon 2020, est de disposer d’une puissance éolienne de 25 000 mégawatts – soit 19 000 mégawatts sur terre et 6 000 en mer. Cela représente l’installation de 1 300 à 1 400 mégawatts par an : nous ne réalisons aujourd’hui que la moitié de cette exigence. Atteindre ce résultat permettrait l’embauche de 60 000 personnes, mais cela nécessiterait un environnement réglementaire stable et favorable au développement de la filière.

L’énergie éolienne possède une grande légitimité dans le nouveau bouquet énergétique. C’est ce message que nous porterons dans le cadre du débat sur la transition écologique. Nous avons suggéré la rédaction d’amendements à la proposition de loi instaurant une tarification progressive de l’énergie : suppression des zones de développement éolien, les ZDE, qui ne fonctionnent pas ; abandon de la règle des cinq mâts, qui bloque de nombreux projets dans l’ouest de la France ; aménagement de la loi littoral ; modification du régime de l’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) qui pourrait devenir déclaratif. Nous espérons leur adoption.

M. Cyril Le Picard, président de France biomasse énergie. France biomasse énergie est une branche sectorielle du Syndicat des énergies renouvelables, qui a proposé plusieurs idées reprises dans les conclusions de la récente conférence environnementale – à laquelle elle a, d’ailleurs, participé. Je suis également président de l’Union des coopératives forestières françaises et, à ce titre, je pourrai répondre à des questions relatives à l’approvisionnement en bois-énergie.

L’ensemble des composantes de la biomasse – le bois, le biocarburant et les déchets organiques – produit 65 % des énergies renouvelables en France. C’est donc la source majoritaire. L’énergie créée par le bois représente 46 % de la biomasse ; le biogaz, obtenu par fermentation de matières organiques animales, est la deuxième source en forte progression ; les biocarburants ferment la marche avec 11 %. La France est le troisième pays européen en termes de production de biomasse, derrière l’Allemagne mais devant la Suède.

Plus de 4 000 chaufferies utilisent du bois ou de la biomasse. Deux tiers d’entre elles sont collectives et tertiaires, les autres industrielles. La puissance installée s’élève à plus de 3 300 mégawatts. La production de chaleur est supérieure à un million de tonnes équivalent pétrole. La cogénération biomasse prend de plus en plus d’importance ; elle est effectuée par une quinzaine d’installations d’une puissance cumulée de 181 mégawatts électriques. Le biogaz est produit dans des décharges couvertes, centres de stockage non dangereux, par une méthanisation de matières provenant du secteur agricole.

À l’horizon 2020, l’objectif fixé est très ambitieux puisque 23 % de la consommation énergétique devront provenir d’énergies renouvelables. Le Grenelle de l’environnement a confié à la biomasse la responsabilité de réaliser 42 % de cet effort. Le bois-énergie a vocation à effectuer plus de la moitié de cette montée en puissance. La production de chaleur provenant de la biomasse doit être multipliée par trois entre 2010 et 2020. Dans cette optique, France biomasse énergie a sollicité une dotation du fonds chaleur de 500 millions d’euros ; elle se montera à 250 millions seulement en 2013.

M. Yann-Hervé de Roeck, directeur général de France énergies marines. France énergies marines n’est pas un syndicat mais un institut d’excellence en matière d’énergies décarbonées (IEED). Ce label lui a été octroyé en mars 2012. Les trente membres de l’association – en attendant un conventionnement – proviennent des secteurs privé et public ; ils travaillent à la conception d’un centre de recherche capable de débloquer les verrous technologiques, environnementaux et sociétaux qui freinent le développement des énergies marines renouvelables. Nous développons aussi des centres d’essais pour la validation et la certification de systèmes qui sont, pour l’heure, au stade de prototypes. Le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Espagne – nos concurrents – élaborent également des programmes de déploiement de ces énergies. Un centre de ressources a été ouvert à la profession pour des actions de formation, cette filière disposant de fortes capacités de création d’emplois dans des métiers nouveaux.

Les établissements privés participant à notre partenariat représentent les principaux acteurs de ce secteur. Ces entreprises sont à la fois de grands groupes – Alstom, Areva, DCNS, STX, Technip, EDF – et des PME. Les pôles de compétitivité mer et Capénergies sont à nos côtés, tout comme six régions, dont La Réunion.

Les énergies marines sont les énergies physiques de la mer. Elles comprennent l’éolien, dont les premières installations en mer auront lieu en 2016 ou 2017. L’expérience de l’Europe du nord est mobilisée mais des interrogations subsistent, d’où la phase actuelle – qui devrait durer dix-huit mois – de levée de risques sur l’appel d’offres déjà lancé.

L’éolien en mer flottant est une perspective encore plus attrayante pour la France : notre plateau continental est relativement court, mais nos eaux territoriales et notre zone économique exclusive (ZEE) nous permettent de nous éloigner du littoral et de bénéficier des connaissances des industries navale et pétrolière.

S’agissant de l’énergie marémotrice, la France en a longtemps été le leader mondial grâce à son usine de la Rance – dont la puissance installée vient d’être supplantée par la Corée du Sud. Du fait de son impact sur la biodiversité des estuaires, lui est aujourd’hui préférée l’exploitation des courants en mer ouverte, qui permet la production d’énergie hydrolienne.

La récupération de l’énergie des vagues, le houlomoteur, est également une source à fort potentiel. Comme pour l’hydrolien, la France métropolitaine dispose de la deuxième ressource virtuelle en Europe. L’outre-mer offre également des possibilités – à l’embouchure des atolls, par exemple.

L’énergie thermique des mers – qui, le jour où de l’énergie sera transportée sur de grandes distances, pourrait produire des dizaines de térawatts par heure – est une source d’avenir potentiellement très importante pour la France grâce à sa ZEE, la deuxième mondiale. Les pompes à chaleur permettent de recourir à cette énergie en zone tempérée ; ainsi, un quartier de La Seyne-sur-Mer et la ville de Stockholm l’utilisent pour leur chauffage collectif.

Il faut savoir que, en ce domaine, la base industrielle française est forte – l’industrie navale doit se reconvertir –, que des grands groupes industriels se sont développés à partir de l’industrie pétrolière en mer et que des énergéticiens investissent déjà dans des installations de ce type. Des consortiums ont vu le jour.

Pour ces types d’énergies, qui sont encore chères, l’effort doit porter sur le lancement de la filière et sur l’innovation. Ainsi, le coût élevé du mégawatt installé dans l’hydrolien et l’houlomoteur se situe dans une fourchette comprise entre quatre à cinq millions d’euros. En 2015, le prix du mégawatt-heure devrait s’élever à 200 euros.

Ce montant atteint 400 euros pour l’énergie thermique des mers. À titre de comparaison, la production d’énergie thermique revient à 600 ou 700 euros le mégawatt-heure dans les îles d’accès difficile des zones intertropicales. Là, le prix est déjà compétitif.

En ce qui concerne l’éolien posé sur la mer et l’éolien flottant, leur montant respectif, en 2020, devrait atteindre 170 et 200 euros le mégawatt-heure.

Les objectifs de coût devraient être atteints par les effets d’échelle et les retours d’expérience des différents modes de production d’énergie marine au sein des grands groupes tels que DCNS, Alstom, EDF ou GDF – l’expérience de l’éolien posé en mer étant ensuite transféré à l’éolien flottant puis à l’hydrolien et, en enfin, à l’houlomoteur et à énergie thermique marine.

Quels sont nos souhaits d’actions publiques ? Nous souhaitons la création de guichets uniques pour les principales autorisations : c’est nécessaire afin d’unifier les pratiques de l’administration et de répondre à la complexité du droit maritime. Cette création devrait s’accompagner de la simplification des procédures pour la conduite de projet. Des appels d’offres ouverts aux autres types d’énergie marine que l’éolienne devraient être lancés. L’élaboration d’une véritable feuille de route devrait comporter un zonage exhaustif, un mode de déploiement et une tarification. La question de l’extension de la réglementation aux eaux territoriales doit être tranchée par le Conseil d’État.

L’effort d’innovation doit être amplifié : un premier appel à manifestation d’intérêt de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise d’énergie (ADEME) n’a représenté que quelques dizaines de millions d’euros et ne concernait que cinq démonstrateurs : deux pour l’hydrolien, deux pour l’éolien flottant, un pour le houlomoteur. Il y a de la place pour de nouveaux concepts, notamment celui de fermes comportant plusieurs machines.

Enfin, la compétition énergétique étant mondiale, une stratégie européenne est requise. Le Royaume-Uni dispose d’ailleurs d’une avance en matière d’hydrolien et l’Irlande nourrit de grandes ambitions pour l’houlomoteur grâce à son long plateau continental. Mais il faut savoir que tous les prototypes qui ont pu être inventés pour l’hydrolien ou pour le houlomoteur sont déjà clonés dans les universités chinoises.

M. Thierry Mueth, président d’Énerplan. Énerplan représente deux cents entreprises – principalement des PME – agissant dans le domaine du solaire thermique et photovoltaïque.

Le photovoltaïque emploie encore dix mille personnes malgré la perte de dix mille autres postes. Il s’agit de l’énergie dont la baisse du prix de revient a été la plus forte. En 2006-2007, l’énergie photovoltaïque était achetée 60 centimes le kilowattheure. Ce montant est désormais de 18,4 centimes pour les petites centrales. Le tarif trop élevé avait conduit beaucoup de financiers à investir dans ce secteur pourtant industriel. À la suite du moratoire, les financiers ont disparu mais de nombreux entrepreneurs ont emprunté la même voie. Depuis, de fortes économies d’échelle ont été réalisées : il est désormais possible de délivrer douze à quinze gigawatt-heures pour le coût de production qui permettait auparavant d’en fabriquer trois

L’énergie solaire n’est pas qu’une énergie d’avenir ; elle est surtout une énergie du présent. La filière, qui ne se limite pas aux panneaux solaires, doit être structurée en France car elle recèle, dans la compétition internationale, un enjeu considérable qui est une source de croissance potentielle. Il faut que des entreprises françaises puissent se développer sur le territoire national, grandir et exporter. Cela permettrait que le français devienne une langue de ce secteur, dominé aujourd’hui par l’allemand et l’espagnol. Les perspectives d’emplois sont fortes si les entreprises françaises et européennes peuvent accroître leur production afin d’en amortir les coûts et de réduire l’écart avec leurs concurrentes chinoises. Mais il n’y a pas que les panneaux, il y a aussi les études, la distribution de matériels, les installations, la fabrication de matériels électriques – onduleurs, câbles, protections –, la maintenance, autant d’éléments que l’on trouve dans la filière française.

Le photovoltaïque est constitué du solaire énergie, soit les centrales de moyenne ou de grande puissance, et du solaire bâtiment qui correspond aux toitures sur de l’habitat et des sites industriels. D’ici à 2017, la « fausse » parité réseau – celle calculée au regard du prix d’achat et non du coût de production – devrait être atteinte : le prix de l’autoconsommation devrait être inférieur à celui de l’énergie acquise sur le réseau. Cette parité sera plus rapide dans les grandes centrales que dans l’habitat, où le photovoltaïque doit venir en complément d’une bonne isolation.

L’évolution du photovoltaïque devrait être similaire à celle de l’informatique : la puissance de production va se décentraliser de la centrale à l’habitat qui produira son eau chaude et son chauffage, comme jadis l’immense calculateur s’est effacé devant les ordinateurs personnels. Dans cette évolution, les compétences des régions devraient s’élargir pour une production énergétique décentralisée.

Quant au solaire thermique, il s’agit d’une technologie largement répandue dans de nombreux pays étrangers du fait de sa simplicité. Les entreprises françaises furent longtemps en pointe et elles sont toujours présentes dans le secteur. L’assimilation avec le photovoltaïque et ses déboires a conduit à une relative désertion provoquée par le questionnement sur la pérennité des aides comme le crédit d’impôt ou le prêt à taux zéro. Le solaire thermique a donc, lui aussi, besoin de visibilité et de pérennité.

M. Jean-Yves Caullet. Pour paraphraser un ancien Président de la République, je dirai : « les freins au développement des énergies renouvelables, ça suffit » ! Les interventions que nous venons d’entendre tissent le fil d’une schizophrénie d’un pays et d’une société qui promeuvent la diversité énergétique et le développement des énergies renouvelables tout en s’ingéniant à compliquer leur situation, dans la loi comme dans le règlement. Pour autant, il ne faut pas se départir de toutes les précautions : nous sommes tout à fait conscients de la nécessité de préserver l’environnement et le développement harmonieux du territoire. Cela dit, dans la circonscription rurale où je suis élu, une grande société européenne fabriquant des roulements d’orientation – dont la phase de croissance soutenue il y a trois ou quatre ans asséchait le bassin d’emploi – a connu un arrêt brutal de son développement qui a entraîné une période de chômage technique.

Quelle est notre capacité à définir une stratégie conciliant une vision énergétique globale, la mise en œuvre de projets grâce aux compétences disponibles et la promotion technique de solutions simples que pourraient appliquer les collectivités locales et les particuliers, sans rencontrer une série de difficultés – et pas seulement financières ?

Je forme le vœu que le quinquennat qui s’ouvre permette la mobilisation de moyens stratégiques qui assureront le développement des énergies renouvelables, objectif qui semble partagé par tous.

M. Martial Saddier. Pour les députés de la majorité, l’année 2012 a connu deux phases : celle des critiques durant les échéances électorales et celle, actuelle, de reprise des objectifs et des initiatives de l’ancienne majorité.

Ainsi, la conférence environnementale a réactivé les principes comme la forme du Grenelle de l’environnement, hier voué aux gémonies. Nous vous remercions de reprendre les principaux objectifs des lois Grenelle 1 et 2 ; nous vous aiderons à les atteindre en étant vigilants lorsque vous dévierez de cette ligne conductrice. Ainsi, la part de 23 % d’énergies renouvelables dans la production nationale figurait dans le Grenelle 1. Le Grenelle 2 avait permis l’adoption de plusieurs mesures : le crédit d’impôt, l’obligation d’achat d’énergie propre, l’hydroélectricité – amorcée par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 que la XIIe Législature avait été incapable d’élaborer –, la simplification des démarches administratives pour faciliter l’installation de dispositifs énergétiques domestiques et la certification de professionnels. L’éolien en mer a été développé jusqu’à faire de la France le septième acteur mondial : le premier appel d’offres a été lancé le 12 juillet 2011 ; le Gouvernement n’a plus qu’à lancer le second, qui a été entièrement préparé par son prédécesseur.

Malgré les difficultés qu’a connues la filière voltaïque, son activité a triplé. L’éolien a crû de 22 %. Ainsi, la part de l’ensemble des énergies renouvelables atteint 13 % actuellement contre 6 % avant le Grenelle. Sur les 35 milliards d’euros des investissements d’avenir, 10 milliards ont été alloués au développement durable. S’agissant de la biomasse, 172 nouveaux projets de pompe à chaleur ont été lancés, 866 dans le domaine solaire et 236 dans les réseaux de chaleur. Les mesures en faveur de la production de chaleur de la filière biomasse devraient lui permettre d’atteindre l’objectif du Grenelle d’une croissance de 50 % d’ici à 2020 : le Fonds chaleur a été doté de 1,2 milliard d’euros.

L’énergie la moins chère est celle qui n’est pas consommée ; celle qui l’est doit s’inscrire dans le développement durable : la mise en œuvre de ces principes reste notre priorité, bien plus que le système de bonus-malus promu par la proposition de loi de François Brottes et qui sera impossible à appliquer.

Le Président de la République n’a pas fait de l’environnement une priorité. Au reste, l’environnement est le grand perdant du projet de loi de finances pour 2013.

Nous sommes favorables à l’éolien, mais à un éolien organisé. Et quand M. Wolff parle d’amendements qui auraient pour but de s’exonérer des dispositions de la loi littoral, cela me fait froid dans le dos.

Je constate que fonds chaleur n’est doté que de 250 millions d’euros quand le double serait nécessaire pour remplir l’objectif fixé pour 2020, qu’aucune mesure n’est prévue pour structurer l’amont de la filière d’approvisionnement de la biomasse et, enfin, que des inquiétudes existent quant au crédit d’impôt alloué au remplacement des appareils de chauffage domestique alors qu’au-delà du volet social, cinq millions de nos concitoyens se chauffent au bois. Je rappelle d’ailleurs que, dans ce secteur du chauffage au bois, nous avons été condamnés par l’Europe.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Monsieur Saddier – et cette remarque s’adresse à tous les membres de la commission – cette réunion n’a pas pour objet de débattre du budget de la mission « Écologie, développement et aménagement durables ». Par respect pour les personnes invitées et pour nous permettre de réfléchir collectivement aux dispositions législatives qu’il conviendrait d’adopter, nos discussions ne doivent pas dévier de leur objet. Évitons de transformer cette salle en cours de récréation !

M. Bertrand Pancher. Les objectifs que nous nous sommes fixés en matière d’énergies renouvelables sont ambitieux et il est normal que tout ne soit pas simple dans les progrès que nous voulons accomplir. La réglementation et les procédures doivent être améliorées. Des freins, de nature non financière, doivent également être levés.

Monsieur Wolff, la superposition des procédures entrave le développement de l’éolien, mais elles n’ont pas été conçues dans ce dessein. Dans le département où je suis élu, la Meuse, beaucoup d’éoliennes ont été implantées, mais cette installation a rencontré de fortes oppositions en raison d’une certaine anarchie, d’où la nécessité d’un encadrement juridique.

Le problème réside dans le fait que quatre niveaux de réglementation ont été créés. Le dispositif des ZDE devait permettre de dialoguer et de déterminer les endroits d’établissement des éoliennes afin d’attirer les promoteurs. Les schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie – les SRCAE – ont été conçus comme des instruments où sont définies des priorités. Aux côtés de ces espaces de dialogue local et régional, on a introduit les permis de construire et les ICPE. Or, les ZDE et les SRCAE ont été utilisés comme un outil de validation des procédures réglementaires. Ainsi, quatre échelons réglementaires ont émergé, ce qui explique que les projets traînent plusieurs années. Supprimer les ZDE serait une erreur, et il conviendrait de veiller à ce qu’elles restent des espaces de concertation afin de surmonter les oppositions. Que pensez-vous de l’avantage d’une telle évolution par rapport à la suppression des ZDE et des SRCAE ?

Je vous remercie, monsieur Le Picard, d’avoir rappelé que la biomasse constituait une part importante des énergies renouvelables sur laquelle repose la moitié des efforts à réaliser pour atteindre nos objectifs. Des moyens financiers doivent être dégagés, notamment en direction du réseau de l’ADEME, afin de mettre en place les unités de valorisation de la biomasse. Doter le Fonds chaleur de 500 millions d’euros est ainsi indispensable. Le montant prévu dans le projet de loi de finances est-il suffisant ?

S’agissant de la mobilisation des ressources en biomasse, la forêt est négligée. Dans le Grenelle de l’environnement, nous nous étions engagés à utiliser 40 % des sous-produits du bois ; or, nous ne disposons pas de plan de mobilisation de la forêt, et ce manque n’est pas uniquement dû à des raisons financières. Il résulte de l’absence de réflexion sur des sujets comme le remembrement des petites parcelles de bois, le rôle des petites parcelles forestières et le transport du bois. Quelles sont vos idées sur cette question ?

Enfin, pour ce qui est du photovoltaïque, la stabilisation des prix est indispensable. Si nous n’y sommes pas parvenus jusqu’à présent, cela est dû au yo-yo mondial des tarifs de rachat lié à l’augmentation de la productivité et à la baisse du coût des matériaux. Monsieur Mueth, quel regard portez-vous sur la législation internationale et que conseillez-vous pour assurer une constance à ce secteur ?

M. Patrice Carvalho. Tous les projets rencontrent une multitude d’obstacles : six ans pour une éolienne, dix ans pour une route. N’importe quelle association, aussi petite soit-elle, peut bloquer une opération plusieurs années. Cette réglementation est néanmoins le prix de la démocratie.

Pour revenir à la loi sur l’eau évoquée par Martial Saddier, elle s’avère, dans son application, une catastrophe. Des dizaines et des dizaines de turbines électriques sont fermées alors qu’elles produisent de l’électricité. Surdimensionnée pour certains territoires, cette loi est appliquée de manière homogène dans l’ensemble du pays. Monsieur le Président, une enquête serait utile car la plupart de ces turbines cesseront de fonctionner en 2014.

Quelle est la capacité de production d’une éolienne, monsieur Wolff, sachant que dans des parcs de vingt machines, il arrive parfois que seule la moitié soit en activité malgré un vent puissant ? Vous avez, par ailleurs, évoqué le nombre de 11 000 emplois : comment se répartissent-ils ? Vous avez rapidement indiqué que les machines étaient importées. Or, la production d’aluminium pourrait être stimulée si elles étaient fabriquées en France.

Concernant la biomasse, je suis, comme Bertrand Pancher, étonné du gaspillage des ressources forestières. Peut-on quantifier la biomasse que l’on pourrait utiliser pour fabriquer de l’énergie ? Enfin, comment pourrait-on développer les unités de méthanisation pour réduire fortement les gaz à effet de serre ?

M. Denis Baupin. Les énergies renouvelables sont bonnes pour l’environnement, l’emploi, l’économie et le développement de nos territoires. La France est en retard dans ce domaine ; elle doit prendre un virage industriel négocié avec nos voisins puisque certains d’entre eux ont de l’avance. Le Président de la République, en lançant l’idée d’une communauté européenne de l’énergie, a créé l’occasion de mettre en place cette coopération.

Nous disposons pourtant d’un formidable potentiel qui a été décrit pour les énergies marines et pour la biomasse, et qui existe pour l’ensemble des énergies renouvelables. En reprenant un vieux slogan, « en France, on n’a pas de pétrole », nous devons nous dire que nous avons bien mieux puisque nous possédons une grande quantité d’énergies renouvelables, inépuisables et qui n’émettent pas de gaz à effet de serre.

Afin de favoriser ces énergies, la suppression de contraintes administratives est nécessaire. Quand on parle de compétitivité sur tous les bancs de l’Assemblée nationale, on ne devrait pas accepter que nos délais pour les projets éoliens soient largement supérieurs à la moyenne européenne. Le groupe écologique soutiendra donc, à l’occasion de la discussion de la proposition de loi instaurant une tarification progressive de l’énergie, des amendements qui permettront de faire disparaître la règle des cinq mâts, celle obligeant un projet à être réalisé dans une ZDE pour bénéficier du tarif d’achat et celle créée par l’ICPE qui astreint les éoliennes aux exigences des industries polluantes.

Si nous voulons comparer le prix des énergies, il est nécessaire que les conditions de la concurrence soient identiques. Ainsi, pourquoi les promoteurs d’un parc éolien doivent-ils acquitter l’intégralité du prix du raccordement quand d’autres énergies n’ont pas à subir cette obligation ? Pourquoi le coût du démantèlement de la future éolienne doit-il être versé dès sa construction alors que son versement pourrait être, au minimum, étalé dans le temps ? Là encore, la comparaison avec d’autres énergies est intéressante, puisque l’on ignore le montant de ce coût et l’identité de celui qui devra le solder. De même, pourquoi des assurances doivent-elles être souscrites par les promoteurs d’éoliennes alors que, pour d’autres énergies susceptibles de causer des dégâts bien plus importants, l’assurance n’est pas à la charge de l’exploitant ? Mon intention n’est pas de polémiquer mais de permettre une comparaison équitable du coût des différentes sources d’énergie. Si l’on subventionne autant celle à laquelle je fais allusion et que l’on fait peser autant de contraintes sur les autres, il n’est pas difficile de faire apparaître la première comme bon marché.

S’agissant de l’acceptabilité, elle doit être prise en compte pour toutes les sources d’énergie et pas seulement pour les éoliennes. Une ligne à très haute tension est en construction en Normandie ; son acceptabilité par les riverains reste à démontrer. Des sondages ont fait apparaître que 67 % de nos concitoyens sont favorables à l’implantation d’une éolienne à un kilomètre de chez eux. Quand Areva diffuse une publicité à la télévision, elle choisit de montrer des éoliennes plutôt que des fûts de déchets radioactifs ; il doit y avoir une raison.

En conclusion, nous avons besoin de lisibilité et de pérennité de notre cadre réglementaire et tarifaire pour développer une filière industrielle. J’aimerais demander aux intervenants ce qu’ils attendent du grand débat sur l’énergie à venir.

M. Jacques Krabal. L’utilité des énergies renouvelables pour lutter contre le réchauffement climatique, favoriser la transition écologique et permettre l’évolution de notre modèle économique est aujourd’hui un constat partagé. Il reste à aplanir les difficultés dans la mise en œuvre de leur développement.

Nous ne pouvons que constater l’absence de véritable pilote régional et local. L’État joue ce rôle d’un point de vue stratégique et devrait se réapproprier l’ensemble du sujet en lien avec les régions. Les obstacles administratifs ont été identifiés et la réflexion doit maintenant porter sur les moyens de les lever. Les financements – de fonctionnement comme d’investissement – doivent être pérennes. Un guichet unique est également nécessaire.

La décentralisation de la production énergétique doit être accompagnée localement. Les PME doivent être aidées car la concentration de l’activité dans certaines entreprises ne permettra pas de créer autant d’emplois que nous espérons. Les agriculteurs, enfin, doivent pouvoir participer à cet essor pour relocaliser l’activité économique dans nos territoires ruraux.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie les représentants des groupes pour toutes les questions. Je souhaite indiquer à Patrice Carvalho que, s’agissant des petites centrales hydroélectriques, la difficulté provient de l’application de la directive cadre sur l’eau, de la continuité écologique et de la lecture différente des circulaires et des textes par les fonctionnaires de l’État dans les départements.

Qu’attendent les intervenants de l’acte III de la décentralisation prévu en 2013 et dont le lien avec la décentralisation énergétique est fondamental ? L’autonomie énergétique des territoires, des collectivités, des acteurs locaux, des industriels et des particuliers est souvent évoquée. Si cette évolution est souhaitable, elle devra trouver une concrétisation législative.

M. Nicolas Wolff. Ce que l’on reproche à la superposition réglementaire, monsieur Pancher, c’est d’organiser une double planification. Les SRCAE définissent des zones propices. Ceci vide les ZDE de leur utilité, mis à part le dialogue avec la population dont nous souhaitons le maintien à travers les études d’impact et d’opinion inhérentes au permis de construire. Si l’on ajoute l’ICPE, le système repose sur une double planification et une double autorisation. Cette situation a multiplié par trois la durée de traitement des demandes de permis, d’où un délai supérieur à six ans pour implanter un parc d’éoliennes.

S’agissant du tarif, il a certes été validé par le Conseil d’État. Mais le financement des parcs éoliens est aujourd’hui impossible puisque les banques attendent la décision de la CJUE. Nous souhaitons que soit mis en place un nouveau tarif dûment notifié à la Commission européenne. Sans initiative rapide, les opérateurs seront contraints de licencier dès la fin de cette année.

Sur le fonctionnement des machines, monsieur Carvalho, les éoliennes tournent environ les deux tiers du temps – si les opérateurs choisissent une bonne machine – et génèrent 3 % de l’électricité produite en France. Il y a une semaine, elles ont fourni 9 % de l’électricité. L’objectif se monte à 10 % en 2020.

Le nombre des emplois directs créés par la filière éolienne est validé par l’ADEME. Ces postes concernent l’ensemble de la chaîne de production. Ainsi, de nombreuses PME fournissent des composants intégrés dans les machines ; cent cinquante entreprises sont des fournisseurs attitrés des fabricants. Ce tissu économique permet une balance commerciale presque à l’équilibre. Mon souhait est évidemment d’attirer en France des constructeurs de machines mais cela nécessiterait une stabilité de la réglementation.

Nous attendons du débat sur l’énergie le courage de comparer le véritable coût des différentes filières. Nous avons besoin de plusieurs sources énergétiques et nous devons donc élaborer une feuille de route qui assure la stabilité de la réglementation, qui permette le déploiement de l’éolien et de l’ensemble des énergies renouvelables. Or, depuis cinq ans, tout a été mis en œuvre pour nous entraver.

L’industrie éolienne est mature et responsable. Elle conduira sa croissance en harmonie avec les activités des régions mais elle a besoin d’une réglementation efficace, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas.

M. Cyril Le Picard. D’emblée, je dirai que la biomasse est une énergie locale, et même rurale, et une source d’emploi sur tout le territoire. En ce sens, je rejoins le député qui insistait sur l’importance des collectivités : elles sont un catalyseur de premier ordre.

Le député de la Meuse parlait des moyens financiers nécessaires pour concrétiser nos ambitions. En fait, les obstacles auxquels nous nous heurtons sont relatifs au développement de la filière, s’agissant plus particulièrement de la chaufferie bois.

La première inquiétude est liée à notre incertitude sur la pérennité du soutien aux installations – le fameux Fonds chaleur. Il nous faudrait disposer, entre 2013 et 2020, de 500 millions d’euros par an pour tenir les objectifs du Grenelle de l’environnement. Actuellement, et pour 2013, nous n’en serons qu’à 220 millions d’euros. Il est donc évident que nous allons prendre du retard.

La deuxième inquiétude est liée à la mobilisation forestière. Celle-ci n’a jamais été aussi dynamique, en amont comme en aval, depuis la création de l’organisation interprofessionnelle « France Bois Forêt », qui réunit la totalité des intervenants, producteurs ou transformateurs. Malgré tout, il reste beaucoup à faire. C’est essentiellement dans la forêt privée qu’on trouve du combustible forestier, mais nous nous heurtons à l’épouvantable atomisation des forêts françaises. Il faut mobiliser les 3,5 millions de propriétaires forestiers, très attachés à leur patrimoine et qui entendent le conserver pour leurs enfants. Or une forêt doit d’être entretenue, travaillée et produire du bois. Nous tentons donc, dans nos coopératives forestières, de faire du propriétaire inactif un producteur et un planteur.

Je rappelle que la forêt publique fournit très peu de bois-énergie car son exploitation est surtout orientée vers le bois d’œuvre. Néanmoins, les coopératives forestières et ONF Énergie Bois assurent plus de 50 % de la consommation du bois-énergie en France.

Il y a quelques années, des incitations fiscales intéressantes ont été mises en place pour les propriétaires privés. M. Stéphane Le Foll, ministre chargé de la Forêt, est très sensible à cet aspect des choses. La dynamique forestière est en marche.

L’un de vous a évoqué un gaspillage autour du bois mort et des petits rémanents de coupe. Il se trouve que de nouveaux métiers sont nés : des TPE ou des PME sont particulièrement actives sur le petit-bois mort. Ce dernier représente des volumes très importants et permet d’alimenter de grosses chaufferies industrielles ou collectives.

En ce qui concerne la méthanisation, les agriculteurs modernes et performants savent qu’elle constitue un facteur de rentabilité. Il y a encore beaucoup d’efforts à faire en ce domaine, mais un conseiller technique du ministère de l’agriculture s’en occupe activement.

Enfin, nous espérons que le fonds chaleur pourra gagner en envergure. En effet, nous sommes très en retard. Sur le plan purement administratif, nous travaillons avec les permanents du Syndicat des énergies renouvelables à lever deux ou trois contraintes, afin de faciliter les installations de biomasse. C’est le moment de se dépêcher.

M. Yann-Hervé de Roeck. Les énergies marines ont été peu citées malgré leur potentiel de développement. Cela dit, je voudrais corriger quelques points.

Plutôt que du second appel d’offres pour l’éolien en mer, je préférerais que l’on parle du deuxième. En effet, si un troisième appel d’offres n’intervient pas dans les deux ou trois ans à venir, les 6 gigawatts prévus pour 2020 seront inaccessibles : le deuxième appel d’offres ne nous conduit qu’à la moitié. La mise en place des éoliennes prend beaucoup de temps et un accompagnement est nécessaire.

L’appel d’offres pourrait également être ouvert à l’éolien en mer flottant et à l’hydrolien à partir des prospectives de l’IFREMER, lesquelles figurent dans certains plans. Nous pourrions produire 500 mégawatts avec l’hydrolien, 200 avec le houlomoteur, jusqu’à 1 gigawatt avec l’éolien en mer flottant, et encore 200 mégawatts avec l’énergie thermique des mers d’ici à 2020.

S’agissant des autorisations, l’expérience des sites pilotes et des sites d’essais prouve que, avant la mise en place effective des implantations, les durées sont à peu près équivalentes à celles nécessaires pour l’installation d’éoliennes terrestres : plus de six ans.

Il faut aussi se préoccuper des lignes. RTE se penche sur la question du réseau à déployer en mer. Malgré tout, nous restons éloignés de l’Allemagne et de la mer du Nord, où existe un réseau public auquel les fermes se raccrochent. Il y a encore beaucoup à faire.

Les énergies marines sont pour la plupart intermittentes. Je remarque que l’éolien en mer affiche des taux de charge un peu plus importants que l’éolien terrestre, dans la mesure où le vent est plus constant et plus fort en mer. C’est un élément à ne pas négliger, surtout dans le calcul des coûts finaux. L’hydrolien produit, quant à lui, une énergie que l’on peut prédire très facilement – c’est ce que l’on sait faire depuis plusieurs siècles s’agissant de la marée. C’est également le cas du houlomoteur, dont les taux de charge peuvent tourner autour de 30 et 35 %. Enfin, s’agissant de l’énergie thermique de mer, il existe une énergie thermique de base qui peut être produite à longueur d’année, comme en milieu naturel, avec les pompes à chaleur.

Tout à l’heure, je n’ai pas mentionné le nombre d’emplois liés aux énergies marines. On l’évalue aujourd’hui à 1 000 en comptant le déploiement de l’éolien maritime. Les prévisions sont de 40 000 emplois pour 2020.

Nous allons contribuer à la diversité des sources énergétiques. Je représente un ensemble qui ne demande qu’à se développer, ne serait-ce qu’en raison des particularités physiques différentes d’un lieu à un autre. Ce sont des énergies pour lesquelles il y a peu d’externalités, notamment d’approvisionnement. Reste le problème des aimants permanents, mais si nous passons à la supraconductivité, nous pourrons peut-être nous en passer. Quant au déploiement de l’éolien maritime posé, il peut sans doute relancer l’industrie sidérurgique : des centaines de milliers de tonnes d’acier seront nécessaires pour construire les éoliennes.

Enfin, je me réjouis du dépôt de l’amendement tendant à supprimer la règle des cinq mâts, laquelle pénalise aussi les sites pilotes et les sites d’essais en mer.

M. Thierry Mueth. L’énergie solaire ne se construit pas contre d’autres énergies plus traditionnelles. Nous demandons que la réciproque soit vraie. Il faudrait donc éviter de diffuser le discours tournant des maux du solaire, par exemple son caractère intermittent ou son manque de maturité. On avance que le soleil n’est jamais là quand on en a besoin. Mais je remarque qu’à l’instant précis où nous nous parlons, alors que nous ne sommes pas en pic de consommation, 70 % de notre électricité provient du nucléaire et 6 % du charbon. Or, si on regarde dehors, on s’aperçoit qu’il fait beau : du point de vue environnemental, il aurait mieux valu recourir au solaire qu’au charbon.

Pour évoquer la visibilité, je comparerai la situation en France et en Afrique du Sud. Dans ce pays, les séries d’appels d’offres sont planifiées : remise du dossier à telle date, puis fourniture de certaines pièces, puis remise de toutes les pièces, puis début du travail, etc. En une année, trois salves d’appels d’offres sont lancées et trois procédures sont engagées. En France, il en va différemment : le premier appel d’offres organisé il y a quelques années pour les centrales solaires est devenu caduc. Quant au second, annoncé en mars 2011, il n’a reçu les dossiers qu’en février dernier pour des résultats en juillet.

De plus, les garanties bancaires exigées pour répondre aux appels d’offres sont source de difficultés pour les PME. Pour le dernier appel d’offres, la première garantie bancaire était de 55 000 euros par mégawatt pour l’installation et la seconde de 33 000 euros par mégawatt pour provision de démantèlement. Un grand groupe peut se prévaloir d’une garantie d’entreprise, mais pas une PME qui doit bloquer ces sommes pendant tout le temps de traitement du dossier. En outre, si elle n’a pas l’heur d’être sélectionnée, elle devra demander une mainlevée à l’État, laquelle prendra environ un an. Il est un peu compliqué pour une PME de bloquer 88 000 euros par mégawatt sur des périodes aussi longues. Pour améliorer la situation, il faudrait que l’entreprise puisse être présélectionnée sur un appel d’offres et n’ait que trois semaines pour justifier ses capacités financières – au risque de sortir de la file d’attente.

Nous souhaiterions aussi que les règles ne changent pas à tout moment. Le mois dernier, pour les petits projets de moins de 100 kilowatts – à peu près 700 mètres carrés – il suffisait de faire installer un compteur permettant de faire de l’injection et du sous-tirage. Or, depuis quinze jours, il faut deux compteurs : l’un d’injection et l’autre de sous-tirage, soit deux abonnements et deux taxations TURPE pour utilisation du réseau. Nous ne sommes pas persuadés que ce soit très utile. Ce genre de pratiques ne nous aide pas.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Qui l’a décidé ?

M. Thierry Mueth. ERDF, je pense …

M. Bertrand Pancher. Ce n’est pas le précédent Gouvernement !

Mme Florence Delaunay. J’ai une question pour M. Le Picard à propos du bois-énergie et des freins au développement de la ressource. Je précise que je suis élue des Landes. Les installations de chaudières industrielles et de réseaux de chaleur collective, auxquels s’ajoutent les chaudières individuelles et les poêles, bénéficient d’incitations financières. Néanmoins, les sylviculteurs correctement rémunérés pour le bois d’œuvre le sont un peu moins pour le bois destiné à la papeterie, et encore moins pour le bois-énergie souvent composé de résidus – récupérés soit sur la parcelle, soit en scierie. Il est à craindre que la ressource issue des coupes d’entretien et des éclaircies soit insuffisante si le secteur devait connaître un fort développement. Avez-vous des propositions à faire pour dynamiser le bois-énergie au niveau de l’exploitation forestière ?

M. Cyril Le Picard. Madame Delaunay, vous parlez de conflits d’usage. Dans un arbre, il y a du bois d’œuvre, du bois d’industrie et du bois-énergie. Il n’est pas question, avec l’évolution de la biomasse forestière, de confondre ces trois catégories qui n’ont ni les mêmes qualités ni le même prix. Sans doute craignez-vous des glissements entre chacune des utilisations du bois – par exemple en faisant passer le bois d’industrie pour du chauffage. C’est en effet un risque. Mais pour sortir du bois-énergie dans la forêt, il ne suffit pas de picorer, il faut ouvrir des chantiers de coupe. Pour autant, qu’il s’agisse d’une coupe rase ou d’une coupe sélective, on sort ensuite du bois d’œuvre, du bois d’industrie et du bois-énergie. Les forestiers, notamment les exploitants forestiers, ne les confondent pas. La plupart du temps, y compris dans les Landes, la partie haute de l’arbre est destinée au bois-énergie. Et, actuellement, le haut de l’arbre est suffisant pour approvisionner les chantiers.

Je précise que la forêt française recouvre 16 millions d’hectares, soit 28 % de la surface du pays. Le potentiel de bois en général, et plus particulièrement le potentiel de bois-énergie, est considérable. Les études publiées par les instances officielles nous le confirment. Je remarque par ailleurs que la mobilisation du bois en France est liée à cette politique de non conflit d’usage. Tous ceux qui sortent le bois des forêts – les coopératives, les exploitants et les experts, mais aussi les propriétaires forestiers – doivent faire très attention à l’utilisation du bois. Je pense plus particulièrement aux propriétaires forestiers qui, il y a encore deux ou trois ans, ne savaient pas ce qu’était le bois-énergie. En fait, c’est une nouvelle industrie qui suppose des moyens et des intervenants nouveaux, ainsi que de nouvelles stratégies. Voilà pourquoi nous devons prendre des initiatives vis-à-vis des propriétaires privés et leur faire comprendre qu’il y a des milliers de tonnes de bois-énergie à sortir de leurs forêts sans compromettre le bois d’œuvre et le bois d’industrie.

Mme Sophie Rohfritsch. Monsieur Le Picard, il arrive que la Commission de régulation de l’énergie sélectionne par appels d’offres des projets d’importance de nature à assécher d’autres projets plus modestes, qui pourraient émarger au fonds chaleur. On sait par ailleurs que la quasi-totalité les projets validés par la CRE ne sont pas encore opérationnels et ne le seront peut-être jamais. Intervenez-vous dans cette sélection, voire dans celle des appels d’offres européens ?

M. Cyril Le Picard. Nous n’intervenons pas directement car ce n’est pas du tout l’objet de France biomasse énergie. Mais vous vous doutez bien que je surveille cela de très près en tant que président de l’Union des coopératives forestières. Peut-être pensiez-vous au projet de Gardanne, que connaît bien M. le député Lambert. Il convient d’être réaliste et vigilant s’agissant de l’approvisionnement des grandes centrales, dont les besoins devraient atteindre 14 millions de tonnes de bois en 2020. Pour y parvenir, il est impératif de mobiliser toute la filière forestière.

Tout comme vous, je ne suis pas sûr que tous les projets se concrétisent. Déjà, pour les premiers projets, les réalisations prévues n’ont pas toutes abouti. Quoi qu’il en soit, en tant que président de France biomasse énergie, je me place au niveau de l’approvisionnement.

M. Jean-Jacques Cottel. Je voudrais revenir sur l’éventuelle suppression des ZDE. Autant je suis favorable à l’idée de supprimer le minimum de cinq mâts pour favoriser le développement de l’éolien, autant je m’interroge à propos de ces zones. J’ai l’impression que la mise en place de la ZDE sur mon territoire a facilité le développement éolien. En effet, elle a permis de régler le conflit qui était né entre deux villages et deux investisseurs.

Par ailleurs, il me semble que ERDF, qui est en retard pour l’implantation des postes sources, se fonde sur l’implantation des éoliennes dans le cadre des ZDE pour planifier celle des postes sources manquants. De fait, il y aurait lieu d’accélérer cette implantation des postes sources, compte tenu de leur importance pour la récupération du courant. Or, selon ERDF, ses projets sont à trois ou quatre ans. C’est très long.

Enfin, nous rencontrons de nombreuses difficultés sur les territoires pour implanter des éoliennes : autoroutes, cimetières militaires, VOR (radiophare V.H.F omnidirectionnel) – il semble qu’on ne puisse pas implanter d’éoliennes à moins de 15 km de ces VOR. Tels sont les problèmes que l’on rencontre sur les territoires. Nous aimerions qu’ils soient rapidement résolus.

Mme Sophie Errante. Dans cette réflexion sur l’avenir énergétique, l’agriculture a toute sa place. Députée d’une circonscription où l’agriculture tient une place prépondérante, je connais son rôle majeur tant dans la diminution de la consommation énergétique que dans la diversification du bouquet énergétique. Pour un mode de vie plus économe en matière d’énergie, nous devons envisager la manière dont le secteur agricole peut concevoir cette exigence d’avenir. L’enjeu réside essentiellement dans la capacité d’adaptation de l’agriculture à ces nouveaux défis, ce qui soulève des interrogations tant sur le plan de l’économie et de l’environnement que sur celui de l’aménagement du territoire. Attachée à ce que notre agriculture prenne le chemin de la durabilité, je voudrais savoir ce qu’il est possible de faire à moyen terme pour lui permettre de s’adapter aux enjeux énergétiques.

Mme Martine Lignères-Cassou. Je déplore que personne n’évoque la géothermie dans l’ensemble des énergies renouvelables. En revanche, j’ai bien entendu que tout le monde demandait un cadre réglementaire stable et simple. Au-delà, j’ai cru comprendre que, pour l’innovation comme pour le déploiement des projets, il fallait d’importants fonds propres. Or je m’interroge sur la capacité de la future Banque publique d’investissement à aider les entreprises du secteur et sur le rôle que pourrait jouer l’Union européenne, notamment à travers le Pacte de croissance, pour soutenir les efforts d’innovation ou de recherche-développement.

M. Jean-Pierre Vigier. Aujourd’hui l’énergie nucléaire représente 75 % de l’électricité produite en France. Malgré cela, en période hivernale, nous achetons de l’énergie à certains pays voisins. Nous allons certainement, d’ici à 2025, diminuer de 25 % notre production nucléaire pour développer les énergies durables. C’est, je crois, une bonne chose. En revanche, comment sécuriser cette énergie renouvelable, qui est tributaire des éléments, notamment du vent et du soleil ? Et quel en sera l’impact sur la facture des ménages ?

M. Philippe Plisson. Martial Saddier se félicite de l’action du précédent Gouvernement en matière d’environnement. Certes, le Grenelle 1 représentait une avancée significative – le groupe SRC l’a d’ailleurs voté. Mais il a été détricoté par le Grenelle 2, lequel a plus particulièrement lesté les éoliennes, comme l’a affirmé le président du Syndicat des énergies renouvelables. Aujourd’hui, il va falloir lever les difficultés existantes.

Commençons par les ZDE. J’ai mis en place la première ZDE d’Aquitaine il y a six ans. Mais nous en sommes toujours au même point : devant le Conseil d’État. Les usagers en colère et la Fédération de l’environnement durable engagent systématiquement des actions en justice. La ZDE est plus qu’un frein, c’est un empêchement à faire.

Comme l’ont indiqué nos intervenants, le Gouvernement vient de faire un geste significatif en faveur des énergies renouvelables en augmentant le tarif d’achat photovoltaïque. La proposition de loi Brottes, dont nous allons reprendre l’examen demain, devrait desserrer le carcan administratif qui entoure l’installation des éoliennes. Concrètement, quelles décisions attendez-vous encore pour que les objectifs fixés par le Grenelle 1 dans le domaine des énergies renouvelables soient enfin atteints ? Je pense, en particulier, à la nécessaire adaptation des réseaux électriques.

J’ai entendu dire que vous étiez plutôt favorable à l’installation des éoliennes en mer. Ma circonscription borde l’estuaire de la Gironde, et j’aimerais savoir s’il serait envisageable d’en installer dans cette région. Je suis président d’un syndicat qui pourrait éventuellement diligenter une étude en ce sens.

Par ailleurs, le bois-énergie en tant qu’énergie renouvelable ne menace-t-il pas l’équilibre de la filière, déjà fragilisée par les délocalisations et la spéculation ? En effet, il est devenu une source d’approvisionnement, notamment pour les établissements scolaires, et j’ai peur qu’à ce rythme, la forêt n’y survive pas. Comment voyez-vous l’avenir ?

Enfin, la production de pétrole avec du CO2 et des algues, à partir de procédés de conversion énergétique accélérés, est-elle crédible ?

M. Stéphane Demilly. Dans les nouvelles filières figurent les biocarburants. Au sein du conseil d’administration de France biomasse énergie, je crois savoir que siège un représentant de Cristal Union dont une filiale, Cristanol, a développé un biocarburant, le bioéthanol.

Personnellement, je suis très inquiet pour l’avenir des biocarburants de première génération, après la conférence environnementale qui s’est tenue il y a quelques jours. Il me semble contradictoire de vouloir à la fois rompre avec le tout pétrole dans les transports et geler le développement des biocarburants dont les bénéfices environnementaux ont été confirmés par l’ADEME.

Je m’interroge sur la capacité de la France à respecter son engagement européen de porter à 10 % la part des énergies renouvelables dans les transports d’ici à 2020. Les biocarburants de deuxième génération ne seront lancés et industrialisés qu’à partir de 2020 et 2025.

Enfin, comme le disait très bien Mme Lignères-Cassou, en matière énergétique comme ailleurs, les investisseurs ont besoin d’un cadre législatif durable et stable. Or les à-coups pratiqués jusqu’à présent risquent d’avoir des conséquences très négatives. Je souhaiterais que vous nous apportiez vos lumières sur ce sujet.

M. Jacques Kossovski. En février dernier, une étude du cabinet Xerfi, intitulée Vers une filière française de l’éolien sur mer, a révélé l’existence de plusieurs freins importants susceptibles de retarder la maturation des projets de ce secteur.

Premièrement, le coût des parcs est élevé : il devrait être encore de 183 euros par mégawattheure en 2016, soit deux fois et demi celui de l’éolien terrestre et deux fois celui du nucléaire. Deuxièmement, alors que notre pays connaît une grave crise économique, l’accès aux financements par les opérateurs se trouve perturbé. Troisièmement, des recours ralentissent certains projets malgré la concertation préalable. Enfin, les acteurs devront relever les défis de la formation et de la logistique pour assurer la construction, l’exploitation et la maintenance des parcs.

Dans ce contexte, je souhaiterais savoir comment les acteurs concernés perçoivent l’avenir de l’éolien en mer. À court et à long terme, ces projets auront-ils un impact sur les emplois dans notre pays ?

M. François-Michel Lambert. S’agissant de l’énergie carburant, qui est le premier poste déficitaire de notre balance commerciale, il me semble que certaines analyses ne prennent pas suffisamment en compte le facteur que constitue l’appropriation des terres. Son impact environnemental n’est pas négligeable : ce phénomène est reconnu par l’ADEME pour les carburants de première génération, et c’est sans doute pour cette raison qu’on les abandonne partout dans le monde.

Je tiens à saluer M. Cyril Le Picard, président de France biomasse, avec lequel j’échange notamment dans le cadre de la mission d’information sur la biomasse au service du développement durable que notre commission m’a fait l’honneur de me confier. Notre collègue Sophie Rohfritsch en fait également partie, et nous entendrons cet après-midi même M. Le Picard en audition sur les enjeux de la biomasse.

Mon intervention portera sur le modèle de société qu’impliquerait un important développement des énergies renouvelables. La France énergétique est structurée autour d’une vingtaine de points de production nucléaire totalement incompatibles avec un modèle fondé sur des énergies renouvelables, inséré dans le territoire et adapté aux réalités socioéconomiques, ainsi qu’aux particularités géographiques et climatiques locales.

À cet égard, j’aimerais faire part des recommandations contenues dans le rapport des conseils généraux de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGEIET), remis aux ministres chargés de l’Écologie et du Redressement productif, et intitulé Éolien et photovoltaïque, enjeux énergétiques, industriels et sociétaux. Elles semblent marquées par une certaine schizophrénie. En effet, la première recommandation propose de « veiller, dans toute réflexion prospective sur le mix énergétique 2025 durable, à préserver une part conséquente de production d’électricité à bas coût ». Cela sous-entend donc de laisser toute sa place au nucléaire subventionné. Or cette préconisation entre en contradiction avec d’autres que je soutiens totalement : l’une qui suggère de « rapprocher la décision du citoyen en renforçant le rôle des collectivités locales, afin de permettre une meilleure appropriation locale, de susciter un intérêt financier pour l’accueil des éoliennes, et de faciliter la constitution de structures de financement participatif citoyen local, notamment de SEM, qui associent collectivités locales et privé dans le montage de projets » ; l’autre qui invite à « étudier de nouveaux modes de rémunération de l’électricité éolienne et photovoltaïque qui encouragent l’autoconsommation, la gestion de l’intermittence, la prise en compte par le producteur des risques de marché. »

D’où ma question : comment concilier, d’une part, une idéologie d’énergie électrique à bas coût, et, d’autre part, une vision bien plus large sur la valeur ajoutée d’une chaîne de production qui va de la source à la consommation en intégrant les externalités, comme l’entretien de la forêt, la robustesse du réseau, l’intégration locale, la création d’emplois locaux et le développement d’une filière industrielle pour l’exportation ?

M. Christophe Bouillon. Ma question, relative à l’autoconsommation énergétique, s’adresse à M. Thierry Mueth. Lorsque le photovoltaïque a commencé à percer sur le marché français, de nombreux propriétaires de maisons et de bâtiments se sont mis à rêver d’une autonomie énergétique. Ils voyaient peut-être là le moyen de s’affranchir du réseau et de gagner un peu de liberté. Mais leur déception fut grande. Comment en sont-ils arrivés à cette situation ? Est-ce parce qu’ils devaient vendre la totalité de leur production, que le kilowattheure électrique était encore bon marché ou que les tarifs de rachat étaient, au début, trop élevés ? Quoi qu’il en soit, nous devons aujourd’hui nous inscrire dans l’avenir et encourager l’autoconsommation en nous inspirant, par exemple, de modèles étrangers. Ainsi, en Allemagne, la production électrique qui est injectée dans le réseau bénéficie d’une bonification. En Espagne et en Italie, l’énergie injectée est déduite de celle consommée

D’ores et déjà, dans notre pays, des exemples de transition énergétique existent. On s’intéresse notamment à l’énergie diurne : il est sans doute possible, pendant la journée, d’utiliser l’énergie produite par le solaire photovoltaïque pour alimenter certains appareils électriques ou électroménagers – réfrigérateurs ou routeur internet – dont la consommation annuelle n’est pas négligeable. Je voudrais savoir si les réseaux intelligents, les onduleurs et les compteurs intelligents peuvent contribuer à inscrire notre pays dans ce modèle d’autoconsommation, qui est un avenir pour le photovoltaïque.

M. Arnaud Leroy. Je remercie les intervenants et les opérateurs de leur présence et je m’efforcerai d’être à leur écoute pendant les cinq prochaines années. La majorité, qui leur est favorable, essaiera de répondre à leur attente. Et surtout, elle ne jouera pas au yo-yo au gré des conjonctures politiques.

Je rejoins M. Baupin sur de nombreux points. Il existe effectivement une différence de traitement entre les énergies. Par exemple, on ne demande pas aux exploitants d’énergies traditionnelles des provisions pour le démantèlement de leurs installations. Cette dissymétrie, qui pénalise des énergies renouvelables, mérite réflexion. Les parlementaires que nous sommes devraient s’y intéresser.

J’en viens à l’éolien. Je suis élu de la 5e circonscription des Français de l’étranger qui comprend le Portugal et l’Espagne ainsi que les principautés de Monaco et d’Andorre. Il se trouve que le Portugal a parié sur cette énergie du vent. Des sociétés internationales, notamment canadiennes ou australiennes, s’y implantent pour développer des projets tests. Je voudrais savoir s’il existe au niveau européen des projets pilotes de coopération, en particulier entre la France, l’Espagne et le Portugal. Des parcs éoliens plus éloignés nous épargneraient peut-être les problèmes de cohabitation avec certains autres secteurs d’activité.

Je m’intéresse par ailleurs à la construction navale, secteur d’activité qui n’est pas au mieux de sa forme en Europe. Pourquoi ne pas développer la construction des navires de ravitaillement en mer (Supply Vessels) ? Quelques grands groupes comme Bourbon ou STX, qui travaillent dans l’éolien en mer, pourraient être intéressés. Cela permettrait de faire travailler les chantiers qui doivent quitter le secteur de la pêche. J’aurais enfin souhaité faire le point avec vous sur la réglementation en place, notamment au niveau des navigants.

M. Laurent Furst. Je remarque que le prix de l’électricité en France est parmi les moins élevés d’Europe. Quelles que soient les évolutions, qui sont nécessaires, il faudra conserver cet avantage comparatif au risque de perdre de nombreux emplois. Je remarque aussi que l’autoconsommation électrique n’a pas été encouragée, alors qu’elle pourrait bénéficier à deux filières : le photovoltaïque et le petit éolien de proximité. D’où ma question : ne faudrait-il pas légiférer pour l’encourager ?

M. Yann Capet. Je voudrais revenir sur les énergies marines et me féliciter de la création de France énergie marine. Notre pays dispose du deuxième espace maritime au monde, ce qui constitue une chance formidable de participer au développement des énergies propres, lequel contribue au développement de l’emploi – 1 000 emplois actuellement et 40 000 emplois à l’horizon 2020.

Pour autant, les contraintes attachées à ce type d’énergie sont grandes : celles que l’on subit sur terre – tarifs d’achat, coûts d’investissement – se superposent à d’autres spécifiques au milieu marin. De fait, les réglementations terrestre et maritime s’appliquent toutes les deux. Par ailleurs, si l’on veut développer les énergies marines sur la zone économique exclusive, il faudra résoudre un certain nombre de problèmes d’ordre juridique. Plus précisément, comment envisagez-vous la cohabitation avec les aires marines protégées et les parcs marins, garants de la protection de la biodiversité marine ? Ceux-ci peuvent être des instances de dialogue en cas de conflits d’usage.

Les énergies marines constituent une chance pour nos ports français et pour nos industries, notamment sidérurgique. Mais il ne faut pas oublier que le leader des câbles sous-marins est français et qu’il est implanté dans la ville principale de ma circonscription, Calais.

Enfin, je voudrais que vous nous parliez des zones tests. Il en existe au sud de la Grande-Bretagne, dans le détroit du Pas-de-Calais, ainsi qu’au Portugal, comme l’a dit notre collègue Arnaud Leroy. Ne sommes-nous pas en train d’accumuler du retard ?

M. Jean-Marie Sermier. Je regrette, monsieur le président, que les représentants de la filière hydrogène, qui me tient à cœur, ne participent pas à cette table ronde. Selon une récente étude, 35 millions de véhicules pourraient rouler grâce à cette énergie à l’horizon de 2030. Il serait donc important que notre pays s’y intéresse et développe sa recherche en ce domaine, à l’instar de ce que font les autres nations européennes.

S’agissant de la biomasse, il faudrait en finir avec le mythe du gaspillage du bois. À quand un véritable plan d’approvisionnement national tenant compte aussi bien de l’ensemble des forêts que de la topographie, des parcelles et des difficultés spécifiques à certains espaces, comme les zones humides ? Il ne faudrait pas confondre production théorique par hectare et possibilités de récolte.

À quand une réelle réflexion faisant la part entre les grands projets qui ont été évoqués tout à l’heure et les microprojets des territoires ? Il ne doit pas y avoir de concurrence entre eux, les uns devant tirer les autres.

À quand une véritable réflexion sur le transport de la biomasse, faisant intervenir le rail, avec des gares implantées à proximité des forêts, et le réseau fluvial ?

Je terminerai en formulant deux remarques. Premièrement, il faut éviter le travail clandestin en forêt, qui constitue un handicap pour la filière : l’ONF doit y veiller en permanence. Deuxièmement, il faut travailler sur le bois bûche et en faire la promotion : il est le moyen le plus facile pour se chauffer et le meilleur pour économiser du CO2.

M. Patrick Lebreton. Je souhaitais revenir sur la conférence environnementale pour la transition écologique qui s’est tenue dernièrement. Pour la première fois, nos territoires d’outre-mer ont été reconnus comme des territoires clé pour la mise en œuvre d’une nouvelle révolution industrielle et sociétale.

Nos territoires sont reconnus comme remarquables par leur biodiversité. Mais la mise en valeur de la biodiversité n’a pas un impact économique et social fort. La transition écologique pourrait représenter une chance réelle pour ces espaces faiblement industrialisés, économiquement mal développés et socialement sinistrés.

Vous avez été nombreux à souhaiter un cadre réglementaire stable et adapté, en particulier à l’éolien et au photovoltaïque. Nous sommes les premiers, sous les tropiques, à avoir souffert de cet effet yo-yo. Mais que faudrait-il d’autre pour faire des outre-mer un véritable champ d’investigation permettant de développer en milieu tropical une expertise française en matière d’énergies renouvelables ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous indique que nous organiserons une table ronde sur le développement durable outre-mer le mercredi 17 octobre.

M. Alain Gest. Monsieur le président, j’ai bien compris votre intervention tout à l’heure à propos de nos discussions, qui ne doivent pas dévier de leur objet. L’un d’entre nous a parlé de schizophrénie en matière d’énergies renouvelables, mais, pour ma part, je rêve du moment où l’on pourra débattre sereinement des problèmes liés à ces énergies, sans se jeter à la figure critiques et insultes. Quoi qu’il en soit, cela me paraît encore relever d’un vœu pieu.

Ma première question concerne l’éolien. J’ai entendu parler de la suppression des ZDE. Mais ne risque-t-on pas, de ce fait, de favoriser l’anarchie que nous avons connue et que nous déplorons tous ? Je conseille à l’honorable invité qui a affirmé que tout avait été fait pour stopper le développement de l’éolien, de ne pas venir le répéter dans la Somme, au candidat qui s’est présenté contre moi, uniquement pour protester contre les éoliennes. En effet, dans ma circonscription, dans quelque lieu qu’on se trouve, on voit des machines.

Ne risque-t-on pas non plus, si l’on abroge la règle des cinq mâts, de favoriser les implantations anarchiques ? Enfin, est-il opportun de revenir sur l’obligation d’installer des éoliennes à 500 mètres au moins des habitations ? Tout à l’heure, Denis Baupin nous a dit que 67 % des Français étaient favorables à ce qu’on les implante à une distance d’au moins un kilomètre – ce que j’avais moi-même proposé à l’époque.

Ma dernière question concerne les emplois générés par l’éolien et le photovoltaïque. Comment se fait-il que, dans un département particulièrement doté en éoliennes, aucune activité – au moins de maintenance – liée à cette technologie ne se soit développée ? Dans un même ordre d’idées, sur le photovoltaïque, on nous a parlé de 10 000 emplois restants et de 10 000 emplois supprimés. Mais où sont-ils ? Dans ma région, je n’en vois pas beaucoup.

M. Guillaume Chevrollier. Je souscris à l’objectif des 23 % d’énergie électrique renouvelable d’ici à 2020. Cependant, je considère que l’éolien pose deux problèmes notables, surtout lorsque j’entends parler de l’éventuelle suppression des ZDE.

Le premier problème est lié à l’implantation des éoliennes, qui ont un impact négatif sur nos paysages et sur notre patrimoine. Je pense notamment aux nombreux châteaux de mon département de la Mayenne. Ces paysages et ce patrimoine constituent des atouts durables pour nos territoires ruraux et il ne faudrait pas qu’ils soient sacrifiés au développement de cette énergie.

Le deuxième problème est lié au stockage de l’électricité. Aujourd’hui, avez-vous des solutions à nous proposer ?

M. Jean-Michel Clément. Bien qu’appartenant à la commission des lois, j’ai quelques responsabilités dans le domaine de l’énergie dans mon département. Nous sommes d’accord sur l’importance de la transition, de la diversité et de l’autonomie énergétiques et sur la nécessité de maîtriser les coûts. Les éoliennes se multiplient, des schémas régionaux sont mis en place et des études sont lancées. Toutefois, j’ai deux observations à présenter.

Premièrement, lorsqu’il n’y a pas de postes sources, il faut en créer. Mais ils ont un prix et, en fin de compte, c’est le consommateur qui paie. Cet élément me paraît devoir être pris en compte.

Deuxièmement, on ne fait pas de lien entre les besoins de consommation sur un territoire donné et la production. Dans mon département, j’ai fait procéder à une analyse prospective des besoins en électricité et nous avons découvert un territoire rural peu développé alimenté très au-delà de ses besoins. Et même en intégrant les futures exigences liées aux véhicules électriques et une probable augmentation de la consommation, il reste en surproduction. Est-il pertinent de produire, sur des territoires déjà très largement dotés, des énergies différenciées, quelles qu’elles soient ?

Mme Fanny Dombre-Coste. Un certain nombre de mes concitoyens m’ont alertée sur des techniques de commercialisation un peu douteuses, s’agissant de l’éolien domestique – de petites éoliennes qui se placent sur le toit des maisons. Certains modèles sont manifestement peu rentables et il faudrait réfléchir au moyen de protéger les consommateurs.

Par ailleurs, dans le cadre d’un contrat de filière bois signé entre l’État et la région Languedoc-Roussillon, nous avons mis en place une stratégie décennale, pour le bois-énergie comme pour le bois construction. Certes, le bois est un matériau innovant et moderne, qui a des qualités extraordinaires pour remplir les obligations de la RT 2012 dans la construction. Mais nous devons veiller à maintenir un équilibre entre les différents usages.

L’un de nos collègues a appelé de ses vœux un plan d’approvisionnement national en matière de bois-énergie, et il a raison. Dans la mesure où c’est un secteur qui va se développer de plus en plus dans nos régions, il convient d’avoir une vision globale de la question, de manière à maintenir un équilibre entre les territoires.

M. Thierry Mueth. Plusieurs facteurs interviennent dans le choix d’une source d’énergie. Il y a les émissions de CO2. Il y a les risques associés – et, à ce propos, je remarque que l’on a rarement vu une centrale solaire exploser. Il y a les coûts en matière de sécurité, d’approvisionnement et de démantèlement. Il y a enfin l’avenir de l’export ou le risque d’importation.

Cela m’amène à parler de l’autoconsommation qui, jusqu’à ce jour, a été très clairement pilotée par les coûts. On peut trouver le moyen d’alléger très significativement la contribution au service public de l’électricité. Légiférer sur ce point serait à mon avis une bonne démarche, sachant qu’un certain nombre de projets ont d’ores et déjà été engagés. C’est le cas à Perpignan, où un projet a été lancé pour le marché Saint-Charles dont les chambres froides consomment beaucoup d’énergie. Ce dossier avait été lancé avec un tarif d’achat ; avec la disparition de ce dernier, il va se poursuivre avec un système d’autoconsommation.

Certes, le solaire n’est pas disponible en permanence. Je remarque tout de même que les bases de données d’ensoleillement sur les vingt dernières années montrent un écart entre une bonne et une mauvaise année limité à 10 %. Pour d’autres énergies, les variations peuvent être bien plus élevées. Si le solaire n’est pas stable à l’échelle du jour ou de l’heure, il l’est à l’échelle de l’année. Toutefois, il n’est pas intégré dans des modèles mathématiques de gestion car ceux-ci ne prennent en compte que des données horaires. Je pense que le savoir-faire de RTE et ERDF est suffisant pour enrichir les modèles existant en y intégrant une planification plus longue.

Lorsque j’ai dit que 70 % de l’électricité que nous consommons était d’origine nucléaire, j’ai utilisé des données figurant sur le site de RTE, qui retrace la consommation et de la répartition de la production. Et je confirme bien qu’à l’instant, 6 % de l’électricité que nous utilisons proviennent du charbon, alors que nous sommes en plein jour et que nous pourrions utiliser de l’énergie d’origine solaire.

Le jour où l’on saura stocker l’énergie, on aura surmonté l’intermittence. Mais il faut reconnaître que nous ne savons pas le faire. Voilà pourquoi il est important de consacrer de l’argent à la recherche sur le stockage d’énergie. Toutes les énergies en bénéficieront.

Je veux dire quelques mots sur les emplois. Le Gouvernement précédent avait décidé, pour soutenir des projets de grandes centrales au sol, de régionaliser les tarifs. Une fois que ces équipements ont été attribués à un ou deux acteurs, le système a été abandonné. Pourtant, la régionalisation des tarifs pourrait permettre une répartition plus large du gisement d’emplois sur le solaire. Enfin, la maintenance est à l’origine d’une activité tout à fait significative dans notre pays. Certes, une société ne se consacre pas uniquement à la maintenance photovoltaïque. Mais l’emploi est bien là, et je peux vous citer le nom de plusieurs entreprises.

M. Yann-Hervé de Roeck. L’une des questions posées portait sur les hydroliennes en Garonne. Nous nous intéressons à la fois à l’éolien marin et estuarien. Un site d’essais a été créé pour les hydroliennes estuariennes et pour des prototypes de petite taille en hydrolien marin, qui se mettent place au pied du Pont de pierre de Bordeaux.

Il faut aussi créer des sites pilotes. Je précise qu’il y a une différence entre les sites d’essais et les sites pilotes : un site d’essais est une infrastructure ouverte à des développeurs pour tester et valider des prototypes ; un site pilote permet à un consortium ou à un développeur de faire la démonstration d’une technologie donnée – c’est donc un système moins ouvert.

S’agissant de l’éolien en mer, les chiffres de 280 euros le mégawattheure sont les bons. Mais comme pour l’éolien terrestre, ils sont amenés à baisser. Nous n’en sommes qu’à la première implantation en France d’éoliennes en mer. À titre de comparaison, la première éolienne marine a été implantée il y a vingt-deux ans au Danemark, époque où la première machine terrestre a été installée en France. Il y a donc des marges.

Mais surtout, l’intérêt de l’éolien en mer est qu’il permet d’installer des éoliennes de très forte puissance : loin des côtes, on peut envisager 8 à 10 mégawatts par machine avec des envergures spectaculaires soulevant peu de conflits d’usage. En outre, l’économie d’échelle réalisée permettra de faire baisser les coûts.

La maintenance en mer génère des emplois. Toutefois, comme l’a fait remarquer l’un d’entre vous, les réglementations marine et terrestre s’ajoutent, sans oublier celles liées au milieu marin. Il y a des efforts à faire ; je pense au déploiement du réseau par RTE.

Je n’ai pas connaissance d’initiative franco-espagnole ou franco-portugaise dans le golfe de Gascogne. Malgré tout, les Français et les Portugais sont très portés sur l’éolien flottant. C’est aussi le cas des Norvégiens, qui ont fabriqué le premier prototype : il fonctionne sur leur réseau depuis deux ans et nous avons participé techniquement à sa mise en place. L’éolien flottant – davantage d’ailleurs que l’éolien en mer posé – a donc un potentiel, et il faudrait sans doute passer des accords, tant du côté atlantique que du côté méditerranéen. Je pense aux projets d’éolien flottant en Catalogne et au projet Vertiwind d’éoliennes à axe vertical, particulièrement adaptées à la Méditerranée où le fond descend assez vite.

S’agissant de la construction de navires pour la maintenance et l’installation, il existe effectivement un très gros marché. Les groupes français sont déjà à l’affût des développements prévus, en particulier au Royaume-Uni, pour l’installation et la maintenance de plus d’une dizaine de gigawatts – c’est-à-dire deux fois plus ambitieux que le projet français sur l’éolien en mer posé.

L’un de vous a évoqué la cohabitation avec les aires marines protégées. À l’occasion des premières discussions que nous avons eues avec l’Agence, j’ai constaté qu’il n’y avait pas d’exclusion systématique des systèmes de récupération d’énergie marine. Ce sont des lieux de dialogue, tout particulièrement avec les milieux de la pêche. Au reste, la concertation est permanente. Lundi, dans le cadre d’une réunion du Comité national des pêches, nous avons prévu l’intervention des comités départementaux et régionaux pour chacun des sites d’essais mis en place par France énergie marine.

Les énergies marines, tout comme l’industrie navale, constituent une chance pour nos ports. Ceux-ci se sont rapidement mis en concurrence, alors que cela n’a pas lieu d’être : ne serait-ce qu’avec le projet des 3 gigawatts pour l’éolien en mer posé, il y a largement de quoi occuper l’ensemble des grands ports de la façade atlantique. Je remarque également que la France a un avantage par rapport au Royaume-Uni : ses systèmes portuaires sont publics et ont des capacités d’expansion supérieures.

S’agissant de la construction des réseaux câblés, elle représente un potentiel économique très important.

Avons-nous pris du retard ? D’autres pays que la France ont mis en place des sites d’essais. Les plus avancés sont très clairement les Britanniques, avec l’EMEC – l’European Marine Energy Center. Néanmoins celui-ci est situé dans les îles Orcades, où les conditions océaniques et météorologiques sont assez rudes. Il est clairement opportun de développer d’autres sites d’essais, notamment en France, ne serait-ce que parce qu’ils favorisent l’implantation des PME à leur proximité. Quant aux zones pilotes, elles sont bien plus nombreuses que les cinq ou six sites d’essais. Il y en a déjà plus d’une dizaine en France, en comptabilisant les zones pour le houlomoteur et l’hydrolien de petite capacité.

L’outre-mer représente un extraordinaire potentiel. Le Plan Réunion 2030-GERRI nous permet d’avancer dans tous les domaines des énergies renouvelables. Je citerai plus particulièrement l’utilisation directe de l’eau froide pour la climatisation, qui se développe à La Réunion et en Polynésie.

Cela m’amène à parler des schémas régionaux. France énergie marine est implantée en Bretagne, région qui dispose d’un schéma régional, le Triskell, destiné à remédier à sa position de péninsule « sous-énergétique ». En revanche, cette région a des objectifs en matière d’énergies renouvelables très ambitieux et fixés dans le schéma.

Les coûts des énergies marines sont les plus élevés de ceux que l’on a évoqués aujourd’hui. La recherche et l’innovation sont donc une nécessité. Sur les dix IEED (instituts d’excellence en matière d’énergies décarbonées) existants, trois sont dédiés aux énergies renouvelables dont un aux énergies marines. S’y sont associés, dans le cadre du partenariat public-privé, des établissements de recherche et de formation – l’IFREMER, l’IFP Énergies nouvelles, le CEAEA – EA pour énergies alternatives – pour les questions de stockage de l’énergie, le CNRS ; des écoles – Centrale Nantes, ENST Bretagne, etc. – et des universités telle celle de Bretagne occidentale. Il y a là tout un potentiel prêt à travailler dans une unité public-privé parce que c’est le meilleur moyen d’avancer très rapidement.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Vous avez eu raison de préciser que le CEAEA était le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives. Il n’y a pas eu une grande campagne de communication sur ce changement d’orientation et de dénomination.

M. Yann-Hervé de Roeck. C’est un peu la même chose à l’IFPEN (Institut français du pétrole Énergies nouvelles) où l’on ne parle pas du tout de pétrole.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Lorsque nous recevrons ses représentants la semaine prochaine, je le ferai remarquer.

M. Cyril Le Picard. S’agissant du biogaz, France biomasse énergie a organisé un colloque national le 13 septembre dernier à Rennes, ce qui prouve que nous n’oublions pas ce secteur d’activité. Nous avons accueilli trois cents personnes, dont deux cents agriculteurs. L’objectif du milieu agricole est de montrer les succès remportés en matière de biogaz malgré l’existence de freins importants, notamment financiers.

J’ai participé au lancement des assises régionales agroalimentaires et bois, qui ont été lancées par le ministère de l’Agriculture et qui se dérouleront jusqu’au printemps. Présente lors de cette première réunion, la Banque publique d’investissement s’est engagée à soutenir les agriculteurs dans le domaine de la biomasse.

Les biocarburants sont aujourd’hui la seule filière en substitution du carburant fossile. Les biocarburants de deuxième génération sont prévus pour 2020 et après 2020. Entre 2012 et 2020, l’objectif est d’incorporer 10 % de biocarburants dans les énergies fossiles. Je ne vous cache pas que c’est un secteur compliqué, et je ne pense pas que les objectifs qui ont été fixés seront atteints.

S’agissant d’un plan d’approvisionnement national en bois-énergie, il faut rappeler que le bois-énergie passe par des marchés régionaux, départementaux, voire cantonaux, avec un approvisionnement local. Il est compliqué de dresser un plan national. Malgré tout, l’ensemble des acteurs forestiers s’active. Les coopératives forestières ont créé une « super » coopérative pour le bois-énergie, le GCF – Groupe coopération forestière –associé à ONF Énergie pour répondre aux appels d’offres, y compris aux petits appels d’offres locaux. Il ne faut pas en effet que les grands projets biomasse nuisent aux petits ; c’est un danger, mais nous veillons à maintenir un équilibre.

Il faut également veiller à une pondération entre le bois-énergie et le bois d’œuvre qui, avec le bois d’industrie, donne sa valeur à une forêt. À cet égard, la ministre du Logement, Mme Duflot, a signé un accord de coopération avec les forestiers sur les maisons à ossature bois : sur quelques 200 000 logements sociaux prévus, le bois sera intégré par les concepteurs – les architectes, les bureaux d’études techniques et les promoteurs.

Même si l’ONF fait partie du conseil d’administration de France biomasse énergie, ce n’est pas à moi d’apporter une réponse sur le travail clandestin : c’est à son directeur, Pascal Viné, que revient ce rôle.

J’ajoute que tout propriétaire privé d’une forêt de plus de quatre hectares est tenu d’avoir un plan de gestion qui l’oblige à s’adresser à un homme de l’art pour exploiter son territoire. Faute de quoi, les impôts fonciers peuvent être relativement lourds. Ce système contribue à limiter le travail clandestin dans la forêt privée.

Le bois bûche n’est pas un secteur oublié. Il est même très dynamique puisqu’il y a actuellement sur le marché de 750 000 à 1 million de mètres cubes de bois bûche. C’est un marché qui grandit, notamment en périphérie des grandes villes, dans les zones pavillonnaires où se sont installés les fabricants de chaudières bois. La livraison est même organisée directement dans les foyers.

Je voudrais également souligner que le volume de bois est très important en France. Sachez, par exemple, que les plaquettes forestières – la forme qui sera très rapidement majoritaire dans l’approvisionnement des chaufferies – passeront de 800 000 tonnes actuellement à 3,2 millions de tonnes en 2020. Pour cela, nous disposons de tout le bois nécessaire dans la forêt française. Et qu’on ne vienne pas nous dire que l’on va l’abîmer : il s’agit de la gérer intelligemment, comme on le fait, par exemple, dans les Landes.

Enfin, je vous encourage à vous procurer le Livre blanc que le SER (Syndicat des énergies renouvelables) a édité, car il comprend un gros chapitre sur la biomasse.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pouvez-vous me confirmer ces informations chiffrées : l’Angleterre aurait demain le plus grand parc éolien du monde, avec 35 gigawatts, et l’Allemagne s’engagerait dans la mise en œuvre de deux plans successifs de développement de l’éolien : un premier de 15 gigawatts et un second de 10 gigawatts ?

M. Nicolas Wolff. La mise en place des ZDE avait pour objectif de favoriser les échanges locaux. Dans certains départements, comme celui de la Somme, les ZDE sont exemplaires. Mais dans la majorité des cas, elles sont attaquées. Or, même avec un permis de construire permettant d’installer un parc, ce n’est pas possible si la ZDE est attaquée.

Cela étant, les SRCAE définissent, comme les ZDE, des zones propices au développement de l’éolien et sont établis avec les régions – et donc, je l’imagine, avec les collectivités locales. Ils constituent sans doute la solution permettant d’assurer un développement harmonieux de l’éolien.

Il est entendu que l’on ne pourra pas réussir dans l’éolien sans prêter attention aux attentes des citoyens. L’ensemble de la profession travaille à faire en sorte que les projets soient réalisés en concertation avec les populations. D’ailleurs, tous les projets qui réussissent ont obtenu l’accord et le soutien des communes et des intercommunalités. Je voudrais que l’on cesse de dire que l’éolien n’est pas accepté en France : plusieurs sondages démontrent que les populations sont au contraire très favorables à son déploiement.

S’agissant du raccordement des installations, les retards s’accumulent. ERDF a beaucoup de mal à suivre le rythme, ou refuse de le suivre. Je remarque d’ailleurs que le décret sur le raccordement impose à la filière éolienne les surcoûts qui sont liés au raccordement. C’est tout à fait inéquitable puisque, à ma connaissance, il n’y a pas eu de transfert équivalent sur d’autres sources énergétiques.

Aujourd’hui, nous représentons à peu près 3 % de l’électricité produite, avec environ 7 gigawatts installés, très en deçà de ce qui se passe en Allemagne (29 gigawatts et 9 % de l’électricité) ou en Espagne (21 gigawatts). L’hiver dernier, à un moment où le vent soufflait fort, l’électricité éolienne a atteint 62 % de la production espagnole d’électricité, et les réseaux ne se sont pas effondrés. On peut donc monter en puissance. Bien évidemment, l’intégration au réseau nécessite des adaptations. Un des enjeux du débat sur la transition écologique consiste à considérer qu’il faut sortir d’un modèle centralisé – avec un squelette massif desservant les centrales nucléaires – pour aller vers un modèle décentralisé.

Pour ce qui est de l’éolien en mer, nous prenons du retard. Deux appels d’offres – deux tranches de 3 gigawatts – devaient être lancés en 2011 et début 2012. En définitive, il n’y a eu qu’un seul appel d’offres et 2 gigawatts attribués. Dans ces circonstances, je ne vois pas comment, en 2020, nous pourrions être au rendez-vous avec 6 gigawatts installés. C’est dommageable car, au-delà de l’enjeu français, il y a un enjeu international. Les Anglais ont un projet de 32 gigawatts, le Round 3, qui constitue la troisième étape de leur stratégie éolienne maritime. Je ne sais pas s’ils seront capables de mener à bien leurs ambitions mais, bien évidemment, les opérateurs et les industriels sont en train de s’y préparer. La France, qui possède des compétences, qui est dotée de sociétés capables de relever ce défi, est de nouveau en retard. Est-ce pertinent à une époque où des pans entiers de notre économie s’effondrent, alors que l’éolien, qui a un énorme potentiel, est prêt à décoller ?

Reste la question du coût, plus onéreux en mer, mais appelé à baisser comme M. de Roeck l’a souligné. Les Anglais, dans leur stratégie à vingt ans, estiment cette baisse de l’ordre de 20 %. Tous les industriels travaillent aujourd’hui à faire en sorte que ces sources énergétiques soient les plus proches possible de la parité réseau.

S’agissant des départements ultramarins, nous avons la chance d’avoir une PME installée dans la région Centre, la société Vergnet, qui est le seul fabricant de machines qui résistent aux conditions cycloniques. Mais cette entreprise a énormément souffert des changements incessants de réglementation, et elle se trouve aujourd’hui dans une situation particulièrement difficile.

Je dirai, en conclusion, qu’un des enjeux fondamentaux du grand débat sur la transition énergétique sera de finir par accepter qu’on ne peut plus vivre dans le paradigme d’une croissance forte avec une énergie à bas coût. Il faut que notre pays se prépare au futur.

M. Martial Saddier. Nous passons notre temps à l’expliquer !

M. Nicolas Wolff. Plus que des incantations, monsieur le député, j’aimerais des actes. Le cap fixé est ambitieux, mais les actions ne suivent pas. Or il faut profiter de l’opportunité qui se présente et permettre à la France de se positionner. Il s’agit de faire en sorte que notre économie se prépare à ce qui arrivera demain.

Nous organisons le 18 octobre à Paris une nouvelle édition du Colloque national éolien, auquel je vous invite à participer. Il est de notre devoir, de votre devoir, d’expliquer à nos concitoyens que nous ne pouvons plus vivre dans un monde dans lequel l’énergie sera durablement à bas coût, que nous allons entrer dans un monde où l’énergie sera traitée différemment, où elle sera décentralisée et autoconsommée. Cela suppose de consentir des investissements et de favoriser les échanges européens. Notre pays doit absolument se garder de toute approche franco-française.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je reconnais l’importance des enjeux. Tout le monde est conscient que, demain, l’énergie sera plus chère. Cela dit, j’observe que si le prix de l’électricité est moins élevé en France qu’en Allemagne, notre balance commerciale est déficitaire de 70 milliards d’euros, alors que celle de nos voisins d’outre-Rhin est excédentaire de 170 milliards...

Notre système est aujourd’hui très centralisé, tant au niveau de la production que de la distribution. Il faudra aller vers un système décentralisé. Il conviendra également de favoriser l’autonomie énergétique et l’autoconsommation. Tout cela suppose une véritable révolution. Et je pense que le débat sur la transition écologique favorisera une prise de conscience et nous incitera à nous engager dans la bonne direction. J’observe enfin que, malheureusement, nous risquons de ne pas pouvoir atteindre les objectifs que nous nous étions fixés en termes de développement des énergies renouvelables. Pour les atteindre, en particulier passer de 75 % à 50 % d’électricité d’origine nucléaire en 2025, il nous faudrait réviser nos moyens à la hausse.

Messieurs, je vous remercie très sincèrement pour votre participation à cette première table ronde.

——fpfp——

II.— TABLE RONDE : QUELLE ÉNERGIE POUR DEMAIN ?

Le mercredi 10 octobre 2012, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde, commune avec la commission des affaires économiques, dans le cadre des travaux préparatoires de la transition écologique et sur le thème « quelle énergie pour demain ? », avec MM. Henri Proglio, président d’EDF, Luc Oursel, président d’AREVA, Olivier Appert, président de l’IFPEN, et Jean-Louis Bal, Président du SER.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. À la suite de la Conférence environnementale des 14 et 15 septembre derniers et des mesures annoncées par le Gouvernement dans sa feuille de route, la commission du développement durable organise une série de tables rondes dans la perspective de la transition écologique. La semaine dernière, notre premier rendez-vous a réuni plusieurs filières des énergies renouvelables pour mieux comprendre comment les associer à la diversification du bouquet énergétique. La semaine prochaine, nous discuterons du développement durable dans les territoires ultramarins : ce sera l’occasion de parler biodiversité, prévention des risques, valorisation des ressources et approvisionnement en énergie.

Aujourd’hui, sur le thème « quelle énergie pour demain ? », nous allons nous pencher sur le bouquet énergétique de la France de demain avec quatre invités. M. Henri Proglio, président d’EDF, nous livrera la vision prospective de l’opérateur historique, présent dans toutes les filières de production d’électricité ou presque. M. Luc Oursel, président d’AREVA, parlera de la filière nucléaire, de ses promesses et de ses faiblesses. M. Olivier Appert, président de l’IFP Énergies nouvelles (IFPEN) évoquera le rôle dévolu aux hydrocarbures dans les prochaines décennies. M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables, détaillera la contribution des énergies vertes, dont nous attendons tous la maturité.

Je remercie M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques, d’avoir accepté de coprésider cette réunion.

M. le président François Brottes. Cher ami, nos destins et ceux de nos deux commissions sont liés, puisque nous sommes coresponsables de la réussite du « trois fois vingt », aux côtés du Gouvernement. Et, de fait, ces tables rondes auraient aussi bien pu s’intituler « Quelles économies d’énergie, quelle efficacité énergétique pour demain ? »

La transition énergétique fait l’objet d’une politique volontariste : lancement de la Conférence environnementale, mesures de responsabilisation des consommateurs, implication de tous dans les économies d’énergie, aplanissement de certains obstacles au développement des énergies renouvelables. Ces tables rondes nous donnent l’occasion de faire le point avec des acteurs essentiels du secteur.

La commission des affaires économiques a lancé, en juillet, le cycle des « Jeudis de l’Énergie », que nous reprendrons dès que le calendrier législatif nous le permettra : il s’agit de chercher ensemble tous les moyens d’offrir plus de visibilité à nos entreprises, d’accélérer le développement des énergies renouvelables et de hâter l’adoption de dispositifs d’économie d’énergie. Cette table ronde organisée en commun concourt à notre ambition : renforcer l’efficacité de notre politique énergétique.

M. Luc Oursel, président d’AREVA. Depuis 1981, il y a eu huit débats de politique énergétique au Parlement : cela suffit à démontrer l’importance du sujet et l’intérêt que nos concitoyens lui portent. Je crois qu’il faut viser plusieurs objectifs.

Le premier est la compétitivité, aussi bien pour les industriels que pour la consommation domestique. Cela suppose une énergie bon marché, mais surtout des prix aussi prévisibles que possible. En effet, particuliers comme industriels supportent de plus en plus mal la volatilité. En Allemagne par exemple, la mise en œuvre très rapide du nouveau modèle énergétique se traduit par un débat très intense sur la façon de répartir les surcoûts entraînés par le développement des énergies renouvelables – pour des sommes estimées entre 15 et 20 milliards d’euros par an.

Le deuxième objectif, c’est l’indépendance énergétique – et son corollaire, la sécurité d’approvisionnement. Depuis la fin de la Première guerre mondiale, cette préoccupation est au cœur de la politique française ; elle porte essentiellement sur les hydrocarbures. Aujourd’hui encore, on ressent des tensions sur le marché à la suite de la décision de l’Arabie saoudite de lancer un programme nucléaire pour réserver ses ressources à d’autres activités que la production d’électricité.

Il n’existe pas de panacée pour assurer cette indépendance. Comme l’a rappelé le président Brottes, il s’agit de conjuguer économies de consommation, recours à des productions locales et diversification des sources d’énergie. Bien évidemment, dans le domaine nucléaire, sécurité d’approvisionnement signifie sûreté des installations.

Le troisième objectif, c’est l’amélioration de la balance commerciale. Au Japon, l’arrêt des centrales nucléaires a suscité un déficit jusqu’ici inconnu.

Enfin, dernier objectif : préserver l’environnement, bien sûr. Ces temps de crise ne doivent pas nous faire oublier la nécessité de la réduction des émissions de CO2.

Plus généralement, la politique énergétique s’inscrit dans le long terme. Pour nous, opérateurs, les à-coups sont très coûteux et il ne peut pas être question, non plus, de nous imposer des marches forcées. Nous avons besoin de beaucoup de temps pour adapter notre production et pour engager des investissements nécessairement coûteux.

En France, la politique énergétique a toujours été liée à un modèle industriel assis sur des champions, capables non seulement de servir les objectifs nationaux mais aussi de conquérir les marchés internationaux. Peu de pays disposent, dans autant de filières, d’opérateurs de niveau mondial. Nous espérons que les choix futurs nous permettront de consolider ces filières. Cela suppose de soutenir l’investissement dans les infrastructures. C’est aussi une façon d’encourager l’activité économique – une des fins assignées au programme nucléaire lorsqu’il a été lancé dans les années soixante-dix.

AREVA est la résultante de tous ces facteurs. L’entreprise a connu une longue histoire, marquée par le partenariat historique – et renouvelé – avec EDF. Elle réalise aujourd’hui deux tiers de son chiffre d’affaires à l’export, contribuant fortement à la balance commerciale. Ses emplois sont, pour les deux tiers, basés en France ; ce sont des emplois hautement qualifiés puisque les trois quarts des salariés sont ingénieurs, cadres, techniciens ou agents de maîtrise.

Dans ce débat, nous souhaitons rappeler l’importance du nucléaire. Nous travaillons sur 360 des 440 réacteurs en fonctionnement dans le monde, ce qui nous donne une vision assez large. Nous sommes engagés, avec EDF, dans tous les appels d’offres pour le développement de nouvelles installations. Nous estimons que la capacité nucléaire mondiale continuera à croître d’à peu près 2 % par an jusqu’en 2030. De très nombreux projets ont été lancés. Il s’agit, dans la plupart des cas, de marchés où l’État s’implique fortement, puisqu’ils nécessitent de nouer une relation dans la durée. Nous considérons que la France dispose d’une carte à jouer puisque, avec les difficultés du Japon et les hésitations des États-Unis, notre pays constitue la référence en matière nucléaire, aussi bien dans le savoir-faire industriel que du point de vue institutionnel et politique.

Pour AREVA, l’avenir énergétique passe également par le développement des énergies renouvelables. Cette année, notre chiffre d’affaires dans ce secteur se situera entre 500 et 600 millions d’euros, alors qu’il était quasi nul il y a quatre ans. Nous avons choisi résolument de nous positionner sur ce marché, pour démontrer clairement l’erreur d’opposer nucléaire et renouvelable. Mais il reste beaucoup à faire ; notre ambition est d’être présents partout où la technologie permet de relever les défis auxquels est confronté le monde de l’énergie.

Tout d’abord, il faut améliorer la compétitivité. Même si certaines d’entre elles existent de longue date, les technologies n’ont pas encore atteint leur maturité économique. On peut estimer que le montant des subventions aux énergies renouvelables, en Europe, oscille entre 50 et 60 milliards d’euros par an. La marge de progrès est donc considérable.

Ensuite, nous devons remédier à l’intermittence. La solution réside sans doute dans la recherche sur le stockage de l’énergie.

Enfin, de façon générale, nous privilégions les activités à forte teneur de technologie, garantes d’emplois plus stables – méditons à cet égard l’exemple allemand, où le fort développement de l’activité photovoltaïque a essentiellement bénéficié aux manufactures chinoises.

En conclusion, même si elle n’a pas l’ambition d’apporter des réponses à toutes les questions, AREVA entend contribuer à la construction du futur bouquet énergétique français.

M. Olivier Appert, président d’IFP Énergies nouvelles (IFPEN). J’interviens en tant que président de l’IFPEN, mais aussi en tant que président du Conseil français de l’énergie, qui regroupe aussi bien les producteurs du secteur de l’énergie que les consommateurs. Selon moi, les défis en matière d’énergie et d’environnement sont par nature internationaux, et je me placerai à ce niveau-là.

Ces défis sont de trois natures. D’abord, la demande énergétique au niveau mondial va continuer à croître inéluctablement, stimulée par les pays émergents. Ensuite, l’énergie est responsable de deux tiers des émissions de CO2 – on ne peut donc plus parler d’énergie sans parler d’environnement. Enfin, les énergies fossiles, non renouvelables, continueront à représenter une part importante de l’approvisionnement énergétique.

Quelles sont les perspectives qui font consensus parmi les organisations internationales ? Si l’on se réfère aux projections de l’Agence internationale de l’énergie, la demande énergétique croîtra de plus d’un tiers entre 2009 et 2035. Dans un tel scénario, les énergies fossiles couvriront les trois quarts des besoins nouveaux. Par voie de conséquence, en 2035, la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures sera encore de 75 % – contre 80 % aujourd’hui. En d’autres termes, malgré des investissements considérables et de nombreuses incitations financières, la contribution de la biomasse et des énergies renouvelables, hors hydroélectricité, n’augmenterait que de 11 à 12 % d’ici à 2035.

Cette projection illustre une caractéristique majeure du secteur énergétique : sa grande inertie. En premier lieu, la durée de vie moyenne du parc immobilier approchant cent ans, les investissements dans les nouveaux bâtiments, s’ils se systématisaient aujourd’hui, n’auraient un impact significatif que dans un avenir lointain. En second lieu, la durée de vie d’une centrale électrique – nucléaire, thermique ou hydraulique – étant également de cent ans, la composition du bouquet énergétique n’évoluera que très lentement.

De tels scénarii, qui tendent à démontrer notre large dépendance envers les énergies fossiles perdurera en 2035, nous amènent à nous demander si les ressources seront suffisantes pour satisfaire la demande. C’est une question récurrente. Mais grâce au progrès technique et du fait de la hausse des prix de l’énergie, les réserves d’hydrocarbures n’ont pas cessé d’augmenter : elles représentent aujourd’hui environ quarante à soixante années de consommation, même si celle-ci devait se maintenir au niveau actuel.

À plus court terme, nous avons davantage à nous inquiéter, selon moi, de l’inégale répartition des ressources pétrolières. Elles sont notamment concentrées au Moyen-Orient et au Venezuela. Les enjeux géopolitiques seront élevés. Le plafonnement des ressources d’hydrocarbures, pétrole et gaz, résultera davantage de problèmes situés au-dessus du sol qu’en dessous.

Un autre défi important, dont on ne parle pas assez, tient à l’évolution de la facture énergétique française : en 2011, elle a dépassé, en euros constants, le montant du pic de 1980. Et elle a encore augmenté de 15 milliards d’euros entre 2011 et 2012, pour atteindre 61 milliards d’euros. Comment réduire notre dépendance aux importations ? Après le premier choc pétrolier, elles avaient pu se réduire grâce au développement du programme nucléaire. Mais aujourd’hui, les possibilités de rééditer cette opération sont limitées. Nous ne pouvons plus escompter de réduction de notre facture que d’une efficacité énergétique accrue dans les secteurs des transports et du résidentiel, responsables de 75 % de notre consommation. Cependant, nous disposons aussi d’un certain potentiel nous permettant de développer des productions nationales.

La technologie peut également nous aider, comme le démontre une autre étude de l’Agence internationale de l’énergie recensant l’ensemble des approches pour diviser par deux les émissions mondiales de gaz à effet de serre à l’horizon de 2050. Pour autant, c’est l’efficacité énergétique qui, à elle seule, permettra de couvrir entre 35 et 45 % de la différence entre ce niveau vertueux et celui auquel on arriverait en suivant les tendances naturelles.

La substitution d’énergie a aussi un rôle à jouer. Dans ce scénario, le nucléaire contribue à couvrir 6 % de la différence, les énergies renouvelables 17 %. Enfin, le captage et le stockage du CO2 permettent de boucler cette équation, en couvrant environ 19 % de l’écart.

L’Union européenne a dessiné sa vision de la transition énergétique dans sa feuille de route pour 2050, imaginant toute une série de scénarii dans lesquels seraient mobilisés l’ensemble des moyens politiques, techniques et économiques. Ces scénarios soulèvent un certain nombre de questions ; certaines ont été évoquées par Luc Oursel.

La première est relative à l’efficacité énergétique. Cette dernière est essentielle, mais quel est exactement son potentiel et quel sera son coût ? Les énergies renouvelables vont se développer, mais à quel prix et avec quelle rentabilité ? N’oublions pas que des problèmes d’acceptabilité commencent à se poser, par exemple pour les biocarburants et pour l’éolien.

Le stockage de l’énergie constitue un autre enjeu majeur, trop peu discuté. Quelles technologies utiliser ? Quel en sera le coût ?

Ensuite, quel sera le rôle du nucléaire dans le bouquet énergétique européen à échéance de 2050 ? Quel rôle joueront les hydrocarbures non conventionnels ?

Enfin, se pose la question du prix du CO2. Son cours européen actuel est totalement dissuasif pour des investissements en faveur de la transition énergétique : alors qu’on anticipait des prix de l’ordre de 30 ou 40 euros par tonne, nous en sommes à 5 ou 10 euros. A contrario, si ce prix augmentait, quel impact aurait-il sur l’activité économique ?

En conclusion, pour assurer la transition, il faudra faire flèche de tout bois. Cela impose des changements de comportement chez les consommateurs ainsi que le déploiement de nouvelles technologies. C’est à cette dernière tâche que s’emploie IFP Énergies nouvelles.

M. Henri Proglio, président d’EDF. Messieurs les présidents, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour cette matinée d’échanges sur l’énergie. Le sujet mérite en effet qu’on s’y penche avec attention.

Nous n’abordons pas ce débat à partir d’une feuille blanche, puisque la France dispose d’atouts importants à mobiliser pour réussir la transition énergétique : tout d’abord un prix de l’électricité qui, de 40 % inférieur à la moyenne européenne, sert le pouvoir d’achat et la compétitivité de notre économie nationale ; ensuite, des filières industrielles efficaces adossées à des groupes industriels d’envergure mondiale, dont AREVA, et sur des PME créatrices d’emplois qualifiés, de plus en plus nombreuses à l’export. De son côté, EDF embauchera 6 000 personnes en 2013, dont 2 000 créations d’emplois nettes.

Dernier atout : un parc de production fiable, faiblement émetteur de CO2 – un Français en émet 6 tonnes par an contre 9 pour un Allemand ou un Danois, la production d’électricité de ces deux pays reposant encore à 60 % sur le charbon et sur le gaz.

Un approvisionnement garanti est positif pour la balance commerciale, dans la mesure où il permet de réduire le recours aux productions étrangères. En 2011, les importations françaises de pétrole et de gaz ont dépassé 61 milliards d’euros, soit près de 90 % du déficit commercial et 3 % du produit intérieur brut.

De quoi sera fait le paysage énergétique de demain ? Le bouquet énergétique de 2025 sera composé d’économies d’énergies, de nucléaire et d’énergies renouvelables. EDF est en pointe dans chacun de ces trois domaines, et j’ai la conviction que la solution aux défis de demain réside dans leur complémentarité, non dans leur opposition. Tous les modes de production ont leur utilité propre, mais je m’arrêterai sur les deux qui font le plus débat : le nucléaire, d’une part, et les énergies nouvelles, de l’autre.

La sûreté nucléaire, première des exigences, n’est mise en question par aucun des acteurs pour aucune des 58 tranches du parc en fonctionnement. Toutes sont parfaitement conformes aux exigences en vigueur, et l’intégralité des travaux prescrits par l’ASN afin de relever encore les normes, suite au retour d’expérience de Fukushima, sera réalisée par EDF dans les délais prévus.

Sur le plan économique, le nucléaire contribue à la compétitivité, à l’emploi industriel et à une balance commerciale positive. Les travaux récents de la Cour des comptes situent le coût complet du nucléaire existant à 49,50 euros le mégawattheure. C’est un avantage considérable et un atout précieux pour le pouvoir d’achat des ménages comme pour la compétitivité de l’économie française. Les filières industrielles du secteur rassemblent un tissu d’entreprises, petites et moyennes, réparties sur l’ensemble du territoire, et pour lesquelles le programme de rénovation du parc existant représente un enjeu majeur : 20 000 nouveaux emplois nets pour le grand carénage, et plus de 30 000 embauches pour remplacer les départs en retraite.

Le nucléaire permet également d’éviter l’importation coûteuse de gaz ou de charbon qui dégraderait notre balance commerciale tout en contribuant à nos émissions de CO2.

Le parc nucléaire existant constitue donc, avec l’hydraulique, le socle de la compétitivité de l’électricité française. C’est un bien tout à fait précieux pour notre pays. Faut-il en déduire qu’il n’y a pas de place pour une diversification du bouquet à l’horizon 2025 ? Certainement pas, et pour ce qui concerne EDF, cette diversification est déjà engagée à travers nos investissements récents, et massifs, dans les énergies nouvelles.

Passons à l’effort à produire en matière d’économies d’énergie. C’est un enjeu majeur, à la fois environnemental et social. Certains pensent qu’EDF avance timidement, voire à reculons. Or l’entreprise est, de loin, le premier producteur d’économies d’énergie en France, c’est-à-dire d’actions concrètes réalisées chez les Français et dont l’efficacité est validée par la délivrance de certificats par l’ADEME. Depuis 2006, ces économies équivalent à 750 térawattheures cumulés et actualisés (cumac).

De nouveaux objectifs très ambitieux viennent d’être fixés en matière de rénovation de l’habitat. EDF, entreprise de service public, sera un acteur de premier plan. Concrètement, nous tirons de notre expérience que les gestes les plus urgents dans ce domaine sont de deux ordres.

Il faut d’abord identifier, en particulier avec les acteurs locaux, les 4 millions de logements les plus énergivores. EDF peut apporter son expérience de terrain, acquise depuis quinze ans auprès des offices d’HLM – elle a participé depuis 2006 à la rénovation de 1,6 million d’habitations, dont 500 000 logements sociaux – et, plus récemment, dans le cadre du programme Habiter Mieux de l’ANAH, auquel elle contribue pour 50 millions d’euros.

Ensuite, il faut systématiser le réflexe énergétique auprès des filières du bâtiment, en leur proposant des formules adaptées. Nous avons le retour d’expérience du programme FEE Bat (Formation aux économies d’énergie dans le bâtiment), qui a permis en quatre ans de former 50 000 artisans, et du programme « Règles de l’art » accompagnant l’évolution des normes du bâtiment.

EDF va contribuer à cet élan de la politique d’économies d’énergie. Pour autant, ma conviction est que l’électricité reste l’énergie de l’avenir et, par ses qualités physiques, l’énergie de la transition. En effet, de nouveaux usages permettent des substitutions aux énergies fossiles, qu’il s’agisse des pompes à chaleur pour le bâtiment et l’industrie, des véhicules électriques, du chauffage par induction pour la cuisson et l’industrie, sans parler de la domotique. Enfin, elle est produite en France à 98 % sans CO2, grâce à l’hydraulique, au nucléaire et aux sources renouvelables.

Pour conclure sur la demande, j’insiste sur la nécessité de distinguer entre l’utilité d’une maîtrise accrue de l’énergie, qui permet qu’un même logement consomme moins, et l’évolution de la demande globale d’électricité du pays, liée aux croissances démographique et économique, au développement d’usages spécifiques et aux processus de substitution. Nous devons garantir la sécurité d’approvisionnement en toutes circonstances. Qui accepterait en effet qu’EDF ne soit pas prête à répondre aux nouveaux besoins lors de la reprise de la croissance économique ?

En ce qui concerne les énergies vertes, leur développement fait désormais partie intégrante de la stratégie d’EDF, qui s’en est donné les moyens industriels par l’intégration à 100 % d’EDF Énergies nouvelles. En 2011, nos investissements dans de nouveaux moyens de production ont été supérieurs dans ce secteur à ceux que nous avons consacrés au nucléaire.

EDF développe, en France et dans le monde, les trois principales technologies : l’éolien terrestre, l’éolien en mer et le photovoltaïque. Il s’y ajoute des expérimentations concernant notamment les énergies marines et le stockage. Chaque technologie a bien sûr ses atouts et ses défis.

L’éolien terrestre est le plus proche de la compétitivité, mais il reste à construire une filière industrielle française, au moins pour l’assemblage des composants. EDF exploite en France vingt-cinq parcs éoliens pour une puissance installée de 370 mégawatts. 59 autres mégawatts en cours de construction – il faudra aller, ici, vers une simplification des procédures administratives.

L’éolien en mer est bien sûr plus éloigné de la compétitivité, mais une filière industrielle française est en cours de développement suite au succès du partenariat EDF-Alstom dans trois des quatre premiers appels d’offres. Deux usines vont sortir de terre à Saint-Nazaire et à Cherbourg. L’ensemble de la filière éolienne en mer, emmenée par EDF, devrait représenter 7 000 emplois sur le territoire national.

Le solaire photovoltaïque demeure lui aussi éloigné de la compétitivité. Les filières européennes sont fortement déstabilisées par la concurrence asiatique. Mais les évolutions sont très rapides, des ruptures technologiques sont possibles, et tout l’enjeu pour EDF est de contribuer à l’émergence d’une filière technologique française ou européenne, à un coût de production plus compétitif. Aujourd’hui, EDF compte vingt centrales solaires en service ou en construction pour plus de 310 mégawatts-crête, mais aussi 10 000 toitures individuelles et près de 500 grandes toitures industrielles ou agricoles. Le défi majeur demeure l’intermittence de la production, qui doit être prise en compte dans les documents de planification nationaux et locaux. EDF engage d’importants travaux de recherche et des expérimentations, par exemple sur le stockage de grande capacité afin de desserrer cette contrainte.

Pour être durable, le développement des énergies renouvelables nécessite absolument une diversification de son mode de financement. Celui-ci repose aujourd’hui quasi exclusivement sur le consommateur d’électricité, à travers la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Ce n’est pas soutenable. Le dispositif, dont la loi prévoit pourtant qu’il soit équilibré, connaît un déficit qui se creuse chaque année et qui, porté presque entièrement par EDF, approche maintenant les 5 milliards d’euros.

La diversification du bouquet énergétique à l’horizon 2025 résultera de l’évolution de la demande et de la dynamique de développement des énergies nouvelles, assurée notamment par EDF – premier développeur et producteur d’énergies renouvelables en France. Cette diversification témoigne du fait qu’énergies renouvelables et nucléaire ne s’opposent en aucune manière : ils sont liés. Un développement ambitieux des premières en France suppose de compter sur un socle compétitif, qui provient des performances du parc existant.

EDF participera donc au débat sur la transition énergétique, et sera évidemment une force de proposition.

M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Je tiens, moi aussi, à souligner l’intérêt de ce débat, tout en espérant qu’il ne sera pas circonscrit à l’électricité : l’énergie, ce sont aussi de la chaleur et des transports.

Le Syndicat des énergies renouvelables regroupe 450 entreprises : 10 % de grands groupes et instituts de recherche, et 90 % d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) et de PME. C’est un vrai lieu d’échange. Il est clair que la transition énergétique ne se fera pas sans une implication forte des grands groupes et sans leur synergie avec les PME, qui bénéficieront du dynamisme et de l’inventivité nécessaires pour développer des solutions innovantes.

Les entreprises du SER réalisent 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires – et je ne tiens pas compte de la progression d’AREVA dans ce domaine des énergies renouvelables – qui représentent 80 000 emplois. Elles sont actives dans toutes les filières – éolien, photovoltaïque, biomasse, hydroélectricité, géothermie, solaire thermique, pompes à chaleur, solaire thermodynamique et énergies marines –, de la R & D jusqu’au marché, c’est-à-dire jusqu’à l’exploitation des systèmes, qu’il s’agisse de chaleur ou d’électricité. Nous constatons en outre, parmi nos adhérents, une forte montée en puissance de la partie industrielle.

Commençons par notre branche éolienne. Nous étions liés depuis 2005 par une convention de partenariat avec France Énergie Éolienne, dont vous avez auditionné le président la semaine dernière. Cette convention n’a pas été renouvelée et nous avons créé en notre sein une commission éolienne, dont le bureau est constitué de représentants de seize entreprises, PME et grands groupes, industriels et développeurs.

Dans notre Livre blanc, que j’ai adressé à chacun d’entre vous, nous constatons que le contexte international est marqué par l’augmentation inéluctable du prix des hydrocarbures. On ne peut pas encore parler de raréfaction, mais c’est la fin du pétrole facile. Au contraire, les énergies renouvelables constituent une ressource abondante : pendant cinq milliards d’années encore, le soleil nous enverra en permanence 8 000 fois les besoins de l’humanité. On pourrait mentionner aussi la géothermie.

Des obstacles s’opposent encore au déploiement à grande échelle des énergies renouvelables : en premier lieu, son insuffisante compétitivité, mais la situation s’améliore très rapidement et, depuis deux ans, de façon spectaculaire pour le photovoltaïque. Le second obstacle est le caractère variable, fatal – mais prévisible – de la production des énergies de flux : solaire, éolien, hydraulique au fil de l’eau ou énergies marines. Les réponses existent. J’espère que nous aurons l’occasion d’y revenir.

La France ne rencontrera pas de problème à court terme, en tout cas pas avant 2020. En 2010, les énergies renouvelables représentaient 16,8 % de la consommation mondiale d’énergie finale. Pour moitié, il s’agit de la biomasse traditionnelle et, pour l’autre moitié, des énergies renouvelables modernes. Ce sont celles-ci qui se développent rapidement. Selon les scénarii de l’Agence internationale de l’énergie, les énergies renouvelables contribueront, dès 2035, pour 24 % à la réduction des émissions des gaz à effet de serre. Mais cela suppose que chacun se mobilise contre le changement climatique.

Ces énergies connaissent un développement rapide. Entre 2004 et 2011, les investissements annuels mondiaux, hors grande hydroélectricité, sont passés de 39 milliards de dollars à 257 milliards. Les entreprises françaises sont présentes dans toutes les filières et sur la totalité de la chaîne de valeur. Les énergies renouvelables représentent pour elles un très gros enjeu de politique industrielle et de présence à l’export.

À partir de ces constats, notre Livre blanc formule plusieurs recommandations. Il s’agit essentiellement de confirmer les objectifs du Grenelle de l’environnement, voire d’aller au-delà en ce qui concerne le photovoltaïque, car les coûts ont fortement évolué depuis 2007. Nous devons aussi impulser, en parallèle de la politique de développement de la demande, une politique de l’offre industrielle et de soutien à la R & D et à l’innovation, car nous sommes en présence de technologies très évolutives qui imposent, pour rester compétitifs, une innovation permanente. Nous plaisons enfin pour un allégement du cadre réglementaire – ce qui n’est pas synonyme de laxisme. Nous avons besoin d’un dispositif incitatif pérenne, dégressif pour aller vers la compétitivité, et de visibilité à moyen terme.

Je le répète : l’énergie, ce n’est pas uniquement l’électricité. La production de chaleur représente 50 % de l’objectif des 20 millions de tonnes équivalent pétrole supplémentaires à l’horizon 2020, à attendre principalement de la biomasse. Le principal outil en la matière est le Fonds chaleur, mis à disposition de l’ADEME, qu’il convient de pérenniser et même de renforcer. La principale contrainte réside dans l’amont de la filière, c’est-à-dire dans la mobilisation du bois : en effet, 75 % de nos forêts sont privées, dispersées entre trois millions et demi de propriétaires. Mais je pense que vous en avez abondamment discuté avec la branche biomasse du syndicat, France Biomasse Énergie, la semaine dernière.

L’outre-mer et la Corse, déjà confrontés à des taux élevés de pénétration de l’éolien et du photovoltaïque – énergies dites « intermittentes » – peuvent devenir des territoires pilotes pour le développement des technologies de stockage et des réseaux intelligents.

La rénovation énergétique des bâtiments, qui est un des grands défis du quinquennat actuel, aura une composante « énergies renouvelables ». Nous comptons participer activement à la définition de ce programme.

Ces politiques, qui ont un coût, ont également des avantages que nous avons chiffrés à l’horizon 2020 : 20 millions de tonnes de CO2 évitées ; 125 000 embauches qui porteraient à 225 000 le nombre des emplois liés aux énergies renouvelables ; une contribution de 3,4 milliards d’euros par an à notre balance commerciale.

Nous sommes mal partis pour atteindre, en 2020, l’objectif de 23 % d’énergies renouvelables, défini par la directive européenne. Il semble probable que nous n’en serons qu’à 18 %. Malgré tout, à notre sens, cet objectif reste réalisable à condition de se doter d’un vrai pilotage de ces politiques, en tirant la leçon des problèmes survenus il y a deux ans dans la filière photovoltaïque.

Au-delà de 2020, il faudra maîtriser les effets du caractère intermittent de certaines énergies renouvelables. À cet égard, je voudrais souligner le rôle central de l’hydroélectricité. Une partie de la solution viendra des réseaux intelligents, mais également des super-réseaux qui permettront de bénéficier du foisonnement des ressources en vent et en soleil, et du stockage de l’énergie, grâce aux stations de transfert d’énergie par pompage.

M. Jean-Yves Caullet. Les propos de nos invités nous ont fait prendre conscience de l’importance de la transition énergétique. Mais celle-ci sera nécessairement longue et difficile. Maintenant que les diagnostics ont été posés, il est temps d’en venir à la décision et à l’action.

Vous l’avez rappelé : en France, le modèle historique de la production d’énergie a déterminé un type de gouvernance et une structuration du territoire, des réseaux et des lieux de production. Tout cela est-il adapté à la conduite de la transition énergétique ? L’aménagement du territoire induit par nos pratiques actuelles en matière de transports, de chauffage, de consommation et de localisation des activités, est-il lui-même compatible avec cette transition ? Bref, notre modèle n’est-il pas appelé à évoluer ? Et, dans ce cas, quels sont les outils qui nous permettront de mener à bien cette transition ?

S’agissant du démantèlement, ne pensez-vous pas indispensable d’atteindre, comme pour le reste, à l’excellence ? Dans les décennies qui viennent, sa maîtrise sera un enjeu industriel quasiment aussi important que la construction de centrales.

Comment travaillez-vous sur le stockage de l’énergie ? Que pensez-vous de l’autoconsommation, qui va à l’encontre du modèle historique que j’évoquais à l’instant ?

Enfin, puisque l’électricité reste l’énergie de l’avenir et que nous devons travailler à la stocker, avez-vous réfléchi au circuit de vie des accumulateurs et de leurs composants ?

M. Daniel Fasquelle. Je me réjouis de la tenue de cette table ronde et de la concertation organisée sur ce sujet majeur, comme je regrette le dépôt d’une proposition de loi sur la tarification progressive de l’énergie sans concertation ni étude préalable. Il eût mieux valu débattre d’abord des sujets dont nous discutons ce matin avant de légiférer. Le texte en question s’est d’ailleurs alourdi, à la dernière minute et au milieu de la nuit, de dispositions nouvelles sur l’éolien qui auraient, elles aussi, mérité un débat.

On comprend qu’il faille réduire l’usage des énergies fossiles. Mais si on décide en plus d’abandonner le nucléaire, comment pourra-t-on mener la transition énergétique ? Les énergies renouvelables suffiront-elles à combler le vide ? Je ne le crois pas et, sans un pilotage très fin, nous allons conduire notre pays dans le mur.

Nous devons agir de façon responsable. L’avancée des énergies renouvelables et des économies d’énergie prendront énormément de temps. Prenons garde à ne pas abandonner, de façon précipitée ou brutale, l’énergie nucléaire ; prenons conscience que nous aurons besoin, pendant un certain temps encore, des énergies fossiles.

Quel sera le coût des énergies renouvelables, en investissements, en rachat ? Et au final, combien devra payer le consommateur ? On ne peut pas, d’un côté, se plaindre que l’énergie coûte de plus en plus cher et que certains Français vivent dans la précarité énergétique tandis que, de l’autre, on prend des décisions qui vont renchérir le coût de l’énergie pour les particuliers comme pour les entreprises.

Se pose également la question des emplois, sur laquelle je souhaiterais revenir. On nous parle des créations d’emplois, mais pas des destructions d’emplois liées au fait que l’énergie coûte de plus en plus cher à nos entreprises. On ne peut pas, d’un côté, dire que l’économie française doit être compétitive et, de l’autre, renchérir ses coûts de production.

Il ne faut pas négliger les problèmes d’acceptabilité de certaines énergies renouvelables, ni les destructions d’emplois que provoquera leur développement. À Boulogne-sur-Mer et à Étaples-sur-Mer, les marins pêcheurs sont très inquiets de l’influence des éoliennes sur la pêche. Et je ne parle pas de leur impact sur l’économie touristique. Après avoir bétonné la côte, va-t-on défigurer la mer ? N’oublions pas que le tourisme est un secteur majeur de notre économie.

Enfin, nous devons consacrer le plus de moyens possibles à la recherche. Précisément, où en est la recherche, notamment dans le domaine nucléaire ?

M. Stéphane Demilly. Une énergie facilement disponible et bon marché a permis d’améliorer notre qualité de vie au cours des deux derniers siècles. Aujourd’hui cependant, alors que l’ONU a placé l’année 2012 sous le signe de l’énergie durable pour tous, on aperçoit une humanité de plus en plus dépendante de ressources qui s’épuisent, et une énergie source d’inégalités, de conflits et d’accaparement honteux des terres des pays pauvres par les pays riches. Enfin, le réchauffement lié aux gaz à effet de serre constitue une menace pour notre planète. Quelques chiffres illustreront la gravité de la situation.

Notre planète accueille chaque jour 225 000 habitants supplémentaires – l’équivalent de la population de Montpellier – qui consomment quotidiennement 22,5 gigawattheures – soit la production quotidienne d’un réacteur nucléaire de taille moyenne.

En 2011, en raison de la hausse des prix du pétrole, la facture énergétique de la France a dépassé 60 milliards d’euros, alors qu’elle ne se montait qu’à 22 milliards en 2002. La transition écologique et énergétique est donc devenue indispensable. Tout à l’heure, M. Jean-Louis Bal a dit que nous n’aurions pas de problème à court terme, en précisant : pas avant 2020. Mais 2020, c’est le court terme !

La France s’est engagée dans cette transition, notamment sous l’impulsion du Grenelle de l’environnement animé par Jean-Louis Borloo. De son côté, l’Allemagne a entamé, en 2011, une transition énergétique encore plus radicale, puisque l’objectif est d’abandonner le nucléaire avant 2022, puis de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95 % avant 2050. Mais cette décision, pour souveraine qu’elle soit, a eu rapidement des conséquences sur les pays voisins – dont la France – en suscitant des tensions sur le marché de l’énergie, liées à la modification de l’équilibre entre l’offre et la demande en Europe.

Cela montre que les pays européens doivent coordonner leurs transitions énergétiques, comme ils ont dû coordonner leurs règles budgétaires. Ils ne peuvent pas mener chacun sa propre politique de façon isolée. N’est-il pas urgent, en Europe, de structurer un marché intérieur de l’énergie qui intégrerait, bien évidemment, les énergies renouvelables ?

M. André Chassaigne. Jusqu’à maintenant, l’énergie a été relativement bon marché. Mais aujourd’hui, tout le monde nous annonce une hausse importante des prix, qu’il serait impossible de limiter.

Je vois deux raisons à cette hausse : d’abord, la montée en puissance des énergies renouvelables, financée par le consommateur à travers la CSPE prélevée sur sa facture ; ensuite, les très lourds travaux à effectuer sur le parc nucléaire afin de porter à soixante ans la durée d’exploitation des centrales – le coût en est estimé à 40 milliards d’euros sur dix ans, mais il est question de 10 milliards supplémentaires pour renforcer les dispositifs de sûreté des réacteurs, conformément aux préconisations de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Le prix de l’électricité devrait ainsi augmenter de 30 % d’ici à 2016.

Si la part du nucléaire est réduite de 75 % à 50 % en 2025, l’électricité, à niveau de consommation constant, coûtera deux fois plus cher à produire – et trois fois plus en cas d’abandon total du nucléaire.

Cette augmentation aura bien évidemment des conséquences sur notre développement économique et sur les ménages. En 2011 déjà, l’ensemble des foyers français a consacré 85 milliards d’euros à l’achat d’essence, d’électricité, de gaz et de gasoil. C’est 12,2 % de plus que l’année précédente. La dépense pour chaque famille dépasse 3 000 euros, ce qui correspond en moyenne à 7,7 % de son budget. Mais ce n’est qu’une moyenne. Le seuil de précarité énergétique étant atteint quand la part du budget consacré à ce poste dépasse 10 %, cela signifie que des milliers, voire des millions de foyers sont déjà dans cette situation.

Ce constat nous amène à nous interroger sur la transition énergétique que nous souhaitons. Mais au-delà de l’urgence sociale, il faut prendre en compte l’urgence écologique. Aujourd’hui, l’Allemagne installe centrale thermique sur centrale thermique – mi-août, une centrale à charbon de 2 200 mégawatts a été mise en service près de Cologne et vingt-trois autres sont en construction. Nos voisins y sont contraints par la cherté de l’énergie, par le manque de fiabilité du solaire et de l’éolien et, bien entendu, par leur sortie du nucléaire.

Cet exemple m’amène à aborder une autre question importante, celle des gaz à effet de serre. Certes, en Allemagne, les émissions de CO2 vont stagner, mais souvenons-nous qu’en 2008, ce pays en produisait dix fois plus que la France : 57 grammes par kilowattheure. Les pays du Nord devraient se préoccuper, bien plus qu’ils ne le font, du réchauffement climatique, et prendre conscience de leurs responsabilités à l’égard des pays du Sud qui en sont les premières victimes.

Quant aux propos sur la diversification du bouquet énergétique, ils seront vains si on ne pose pas tous les problèmes. Celui de l’intermittence se pose notamment pour l’éolien et le solaire. Chacun sait que la puissance installée ne correspond pas à une production réelle. Concrètement, comment procéder ?

Autre problème à régler : celui du raccordement au réseau. Chacun connaît le coût de l’acheminement de l’électricité, sait ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas. La semaine dernière, sans doute à la suite de l’intervention du Syndicat des énergies renouvelables, ont été déposés en pleine nuit des amendements qui n’avaient pas été discutés en commission mais qui, sans doute, reprenaient des amendements déposés quelques jours auparavant.

Pour finir, j’aborderai un sujet jamais évoqué malgré son importance : quelle utilisation fait-on de la bourse carbone ? Quel est le crédit carbone apporté par l’effacement d’un pic de consommation ou par les énergies renouvelables ? Quelles sont les conséquences du programme RED – Rural Économic Development – sur les mécanismes de réduction des émissions issues des déforestations et de la dégradation des terres ? Nous voudrions en savoir davantage sur la spéculation qui se développe. Je sais que certains, parmi vous, détiennent des crédits carbone. Qu’en faire ? Veulent-ils les utiliser pour la transition énergétique ?

Mme Michèle Bonneton. Comme l’annonçait Jean-Marc Ayrault lors de la conférence environnementale, il faut rompre avec le tout nucléaire pour la production d’électricité, mais également avec le tout pétrole pour les transports. L’un comme l’autre sont antinomiques avec cette société sobre que nous voulons promouvoir. La feuille de route de la transition énergétique traduit cette orientation. L’implication de toutes les composantes de la société – législateur, collectivités, citoyens, consommateurs et entreprises – est nécessaire au changement de paradigme qu’appellent les urgences climatique et environnementale.

Parmi les thèmes chers au groupe écologiste, certains concernent nos invités. Il s’agit d’abord de la sûreté des installations nucléaires et de la prise en charge des coûts de leur démantèlement. On nous a vanté la sûreté du parc nucléaire français et européen, mais le récent rapport de la Commission européenne en montre la vulnérabilité. Les centrales françaises sont particulièrement concernées, celles de Chooz et de Cattenom étant identifiées comme les plus défaillantes. Ce constat est d’autant plus préoccupant que le rapport se fonde sur les évaluations de sûreté très incomplètes du précédent Gouvernement, qui avait refusé de prendre en compte les risques de crash d’avion, de piraterie informatique et d’agression terroriste, non plus que le vieillissement des installations et leur exposition aux catastrophes naturelles.

Alors que la fermeture de la centrale de Fessenheim en 2016 sera le premier pas vers la réduction de 75 % à 50 % de la part du nucléaire dans la production française, le coût réel du démantèlement demeure source d’interrogations. Certes, ces opérations créeront des emplois et, si l’on s’en donne les moyens, une expertise française. Mais ce n’est pas au contribuable de payer les surcoûts cachés – mise aux normes, lutte contre le vieillissement, démantèlement des centrales –, sans parler des réparations en cas de catastrophe, celle de Tchernobyl ayant par exemple coûté 1 000 milliards d’euros. Nous souhaiterions vous entendre quant à l’évaluation complète des investissements nécessaires, tenant compte de ces impératifs de sécurité, et quant à la répartition des coûts associés.

La recherche et l’innovation dans l’énergie sont un autre thème important. L’objectif fixé par l’article 22 de la loi Grenelle I – « les dépenses de recherche sur les technologies propres et sur la prévention des atteintes à l’environnement seront progressivement augmentées pour atteindre, d’ici à la fin 2012, le niveau des dépenses de recherche sur le nucléaire civil » – n’est malheureusement pas atteint. Selon les derniers chiffres, sur les quelque 900 millions d’euros consacrés en 2010 à la recherche publique sur l’énergie, 444 millions étaient destinés au nucléaire et seulement 143 aux renouvelables. Ce dernier montant étant à l’évidence insuffisant au regard de nos ambitions, c’est la combinaison des recherches privée et publique qui peut faire naître les technologies de demain. Quels sont vos projets et perspectives en cette matière ? Quelles technologies souhaiteriez-vous particulièrement développer, et à travers quels investissements ? En matière de stockage d’énergie notamment, que pensez-vous de la filière hydrogène ?

En réponse à Jean-Marc Ayrault qui avait fixé aux chercheurs et aux industriels l’objectif de « disposer dans dix ans de véhicules consommant deux litres d’essence aux cent kilomètres », l’IFPEN a déclaré, lors de l’ouverture du Mondial de l’auto, qu’il s’agissait d’un objectif « ambitieux mais réaliste » ; pouvez-vous nous en dire plus, monsieur Appert ?

Les innovations technologiques, le pic pétrolier et les enjeux de la sécurité d’approvisionnement obligent à repenser le modèle énergétique centralisé, tant en matière de sources que de filières de production. La décentralisation, accompagnée d’une modernisation des réseaux et d’une meilleure gouvernance, contribuerait à accroître la résilience énergétique de nos territoires. Comment passer du modèle centralisé et vertical à une logique de systèmes intégrés et interdépendants, mieux organisés au niveau des régions ?

M. Olivier Falorni. La transition énergétique s’inscrit dans la perspective tracée par la Conférence environnementale pour la transition écologique, celle d’un nouveau modèle de développement durable. Les termes du problème sont connus : entre 1990 et 2008, la consommation d’énergie dans le monde a augmenté de plus de 40 %, et celle d’énergie finale en France approche les 170 millions de tonnes équivalent pétrole. Cette consommation est affectée, sur le long terme, par quatre tendances lourdes : la croissance démographique qui élève mécaniquement la demande ; la mondialisation du mode de vie des pays occidentaux qui augmente la consommation par personne ; la raréfaction des ressources primaires qui provoque des mouvements de prix et des chocs de croissance ; les progrès dans la production et l’utilisation de l’énergie. À cela s’ajoute un cinquième élément : la volonté politique d’agir contre le réchauffement climatique par un contrôle des émissions de gaz à effet de serre.

Deux constats décevants s’imposent pour l’énergie éolienne : d’une part, le parc français – troisième d’Europe en termes de puissance – se situe loin derrière ceux de l’Allemagne et de l’Espagne ; d’autre part, d’après les données du Réseau de transport d’électricité (RTE), il ne contribue que pour 2,2 % à la production nationale d’électricité. Il faut rattraper notre retard et accélérer le développement des fermes éoliennes en mer. Je salue l’action du Gouvernement qui lancera avant la fin décembre un nouvel appel d’offres pour la construction de deux parcs au large de la Seine-Maritime et de la Vendée. Mais il faut être plus ambitieux dans ce domaine : les technologies d’éolien en haute mer, à plus de trente kilomètres des côtes, ouvrent des perspectives encore plus intéressantes. Le vent est en effet plus régulier et plus soutenu au large, et le partage de l’espace maritime y est moins problématique que près des côtes.

Il faut également être plus ambitieux à propos des objectifs du paquet énergie-climat qui fixent à 20 % la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique européen d’ici à 2020. Développer massivement les énergies renouvelables – photovoltaïque, éolien ou biomasse – pour assurer 40 % de la production d’électricité en 2020 paraît réalisable.

Les biocarburants de troisième génération fournissent une autre piste prometteuse. Les micro-algues riches en lipides, dont ils sont tirés, peuvent accumuler entre 60 et 80 % de leur poids en acides gras, ce qui laisse présager une production annuelle d’une trentaine de tonnes d’huile par hectare, rendement trente fois supérieur à celui du colza.

Monsieur Proglio, dans quelle mesure EDF Énergies Nouvelles, filiale à 100 % d’EDF, souhaite-t-elle élargir ses activités dans tous ces domaines ?

M. Franck Reynier. Les décisions prises par le Gouvernement et le Parlement dans la lignée du paquet énergie-climat auront, indéniablement, un impact sur le coût de l’énergie et sur le pouvoir d’achat des ménages. Dans un contexte d’économie mondialisée et de crise, nous devons veiller à la compétitivité de nos industries et à notre indépendance énergétique. L’histoire montre que les chocs pétroliers ont eu des effets importants sur l’économie. L’heure est donc au pragmatisme ; la priorité donnée au développement économique et au soutien de l’emploi doit nous conduire, au-delà de toute idéologie, à conforter et à consolider nos atouts. L’avantage compétitif que la filière énergétique française doit à sa tradition de recherche doit, non seulement être exploité dans notre pays, mais également donner lieu à des exportations. Le nucléaire français, tout comme les énergies nouvelles – photovoltaïque, éolien, biomasse, énergie marine, hydraulique et solaire – représentent des atouts, mais nous devons également prendre des mesures en matière d’efficacité énergétique. Ainsi le Gouvernement commettrait-il une erreur s’il ne s’attaquait pas au chantier de l’amélioration des bâtiments. La responsabilité commande, enfin, d’adopter un cadre réglementaire et législatif stable, afin de respecter la logique et le rythme industriels.

M. Martial Saddier. Dans ce débat, dont les députés du groupe UMP de la commission du développement durable se félicitent, nous ne partons pas de rien puisque les deux lois Grenelle I et II, portées par Jean-Louis Borloo et Nathalie Kosciusko-Morizet sous l’autorité du Président de la République Nicolas Sarkozy, ont impulsé l’augmentation de la part des énergies renouvelables : nous sommes passés de 6 % à 13 % en très peu de temps. L’objectif étant 23 % en 2020, il est encourageant de constater que nous sommes sur une ligne qui peut amener le pays à 18 ou 20 %. Cela nous situe, avec la Suède et l’Allemagne, parmi les pays européens qui ont le plus avancé et, même si beaucoup reste à faire, ces lois ont provoqué un essor de l’éolien, du photovoltaïque, de la biomasse et de l’éolien en mer.

Toutefois, la feuille de route édictée par le Président de la République lors de la Conférence environnementale nous inquiète. Quel sera l’impact du passage de 75 % à 50 % de la part de l’énergie nucléaire d’ici à 2025, en termes financiers et humains, mais également d’émissions de gaz à effet de serre ? À plus court terme, quel sera l’effet de la fermeture annoncée de la centrale de Fessenheim sur ces mêmes variables, ainsi que sur l’alimentation électrique de l’Alsace ? Quelles répercussions ces mesures auront-elles sur la compétitivité de nos entreprises et sur la facture des ménages – on parle d’une augmentation potentielle de 30 % ? Quelle sera l’incidence sur le réseau français de distribution, dimensionné pour répondre à des pointes de consommation dont l’ampleur ne cesse de croître ? Sans lancer une polémique, messieurs les présidents, nous voudrions également pouvoir apprécier les conséquences des amendements nocturnes sur l’éolien.

Enfin, je m’adresse à nos invités : que pourrait apporter l’acte III de la décentralisation à la production locale d’énergie ? Où en est-on sur le stockage d’énergie ? Dans le contexte d’une politique du logement peu lisible et de signaux inquiétants sur le Fonds chaleur, comment voyez-vous l’articulation entre les mesures qui concernent l’outil de production et celles qui visent à réduire la consommation ? Enfin, puisque vous représentez les entreprises internationales qui font la fierté de notre pays dans le monde, quelles mesures seraient nécessaires pour vous permettre de garder, voire de renforcer, votre position ?

Mme Frédérique Massat. Conscients du défi énergétique et climatique sans précédent auquel notre pays fait face, le Président de la République et le Gouvernement ont manifesté leur volonté de s’engager dans une transition énergétique. Cette dernière ne doit pourtant pas conduire à opposer les sources d’énergie : au contraire, s’appuyer sur le progrès et sur le savoir-faire devrait permettre de traiter ensemble efficacité et sobriété énergétiques, tout en ayant le souci de les arrimer à une politique industrielle.

À côté de l’efficacité et de la sobriété, la priorité donnée aux énergies renouvelables représente le deuxième principe de la transition. L’objectif est de réduire la part du nucléaire dans la production de l’électricité de 75 % à 50 % en 2025. Dans ce cadre, la centrale de Fessenheim sera fermée fin 2016, dans des conditions qui garantiront la sécurité d’approvisionnement de sa région, la reconversion du site et la préservation des emplois. Outre l’enjeu essentiel du financement, quatre problématiques vont structurer le débat à venir, que je vous soumets, messieurs, comme autant de questions. Comment aller vers l’efficacité énergétique et la sobriété ? L’évolution des modes de production, de consommation et de transport, doit constituer un point de départ. Quelle trajectoire adopter pour atteindre le bouquet énergétique souhaité en 2025 ? Quels choix en matière d’énergies renouvelables et de nouvelles technologies s’agit-il d’opérer ? Quelle stratégie de développement industriel et territorial mettre en place ?

Afin de calmer les inquiétudes, je rappelle que la proposition de loi Brottes sur la transition vers un système énergétique plus sobre, examinée la semaine dernière, a posé le cadre d’une nouvelle approche de l’énergie, notamment en termes de consommation. Elle promeut les travaux sur les bâtiments – aujourd’hui de véritables passoires énergétiques – mais également l’élargissement du tarif social à quatre millions de ménages au lieu des 600 000 actuels. Quant aux amendements sur l’éolien, ils prennent acte de l’arrêt de son développement dans notre pays ; 5 000 emplois étaient menacés, il était urgent de légiférer. Enfin, nous souhaitons tous la stabilité des règles.

M. Luc Oursel. S’agissant du modèle de distribution d’électricité, ce serait une erreur de considérer que le développement des énergies renouvelables nous ferait basculer d’un système complètement centralisé à un autre totalement décentralisé. Les zones de production et de consommation ne coïncident pas obligatoirement : en Allemagne, la production d’électricité éolienne se fait au nord du pays, et la consommation au sud. La gestion de l’intermittence oblige également, lorsque la production renouvelable fait défaut, à faire appel à d’autres moyens. Je dirai donc que le développement de ces énergies doit, au contraire, s’accompagner d’une intégration toujours plus forte des systèmes. Cela ne signifie pas que les initiatives locales ne doivent pas se développer davantage, mais il faudrait éviter un débat manichéen entre ces deux options.

En matière de stockage, il y a plusieurs types de solutions en fonction de la durée et de la puissance souhaitées. Nous travaillons à des solutions à base d’hydrogène ; une opération intéressante a également été développée à Ajaccio, consistant à coupler du photovoltaïque avec une installation d’hydrogène pour quelques centaines de kilowatts. Pour cette piste prometteuse, nous en sommes à la phase des démonstrateurs industriels, mais il y a beaucoup d’autres technologies à développer, dont certaines nécessiteront des coopérations à l’échelle européenne car elles supposent des fonds très importants.

La transition énergétique sera source de nombreux emplois d’autant qu’une partie de nos effectifs va atteindre l’âge de la retraite, et il existe un immense besoin de formation, tant pour le maintien du parc nucléaire et des capacités d’ingénierie, en France et à l’export, que pour le développement des énergies renouvelables. Il s’agit d’un terrain de coopération très important entre nos entreprises et les collectivités locales.

M. Olivier Appert. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de la transition énergétique, mais de quel bouquet énergétique parle-t-on, et à quelle échéance ? Ce qui me frappe dans les discussions sur l’énergie, c’est qu’on parle beaucoup d’électricité – qui ne représente que 20 % de la consommation d’énergie finale – et beaucoup moins des transports et de la chaleur dans les secteurs résidentiel et tertiaire.

Je n’ai pas de réponse sur la répartition de l’effort de recherche global entre le nucléaire et le non-nucléaire mais, en ce qui nous concerne, les nouvelles technologies de l’énergie représentent aujourd’hui non seulement 50 % de notre effort de recherche, mais aussi 50 % de nos brevets.

Il faut tenir compte de l’inertie du secteur énergétique. Si aujourd’hui, tous les véhicules mis sur le marché ne consommaient que deux litres aux cent kilomètres, l’impact ne se ferait sentir que dans quinze ou vingt années, soit la durée de vie du parc automobile. L’objectif de se doter de ce véhicule économe est effectivement « ambitieux mais réaliste » à condition de coupler l’hybridation systématique entre motorisations électrique et thermique avec un allégement du véhicule de l’ordre de deux ou trois quintaux. Depuis vingt ou trente ans, le poids moyen des voitures sur le marché augmente de quinze kilogrammes par an, mais il est possible, au prix d’un surcoût, de revenir en arrière.

Pour ce qui est du stockage d’énergie – de l’électricité, mais aussi de la chaleur –, je suis d’accord avec Luc Oursel : de très nombreuses technologies sont possibles, c’est un nouveau champ d’investigation dans lequel il faut absolument investir.

Les territoires ont un rôle de gouvernance majeur à jouer dans le domaine de l’efficacité énergétique, de la consommation et des énergies renouvelables. Mais la production électrique est, malgré tout, très centralisée, et 99 % des énergies fossiles que nous consommons sont importées. Les territoires ne pouvant régler seuls l’ensemble de ces questions, il faut trouver un équilibre entre les niveaux local et national – voire international, car l’enjeu d’une politique énergétique est également de créer des emplois et de se doter de champions efficaces dans la concurrence mondiale, à l’instar d’AREVA et de notre ancienne filiale Technip.

M. Henri Proglio. La politique énergétique européenne n’existe pas : aucune concertation n’ayant jamais eu lieu dans ce domaine, chaque pays a sa propre politique – souvenez-vous de la remise en cause brutale des énergies renouvelables dans les pays d’Europe du Sud – et les évolutions se font de façon très différenciée.

Luc Oursel a bien cerné le problème de la gouvernance : la civilisation de demain sera, comme celle d’aujourd’hui, essentiellement urbaine, et il est donc peu vraisemblable que la production se fasse sur les lieux de consommation. Il faut évidemment favoriser les développements régionaux et locaux, mais – on le voit sur l’exemple allemand – sans système intégré associant de façon cohérente gouvernance globale et satisfaction des besoins locaux, on s’acheminera vers un échec.

Comment peut-on parler de mix énergétique sans évoquer la quantité d’énergie dont nous devons disposer ? On avance des pourcentages comme si les besoins étaient figés ; or la France de 2025 ne sera pas celle de 2012. D’abord, en 2025, il y aura en France six millions d’habitants – soit 9 % de la population actuelle – de plus qu’aujourd’hui. S’ils ne tiennent pas compte de cet aspect démographique, les calculs n’ont aucun sens. La consommation des énergies évoluera également : celle d’électricité augmentera du fait de l’évolution du mix énergétique de chaque particulier vers une consommation différenciée où l’électricité aura une part plus importante, gommant ainsi les économies d’énergie qu’on aura réalisées. Si ces dernières atteignent 20 % en 2025, la consommation unitaire d’électricité par habitant restera la même.

Si l’on ajoute l’hypothèse – envisageable – d’une croissance économique non nulle, les répercussions sur la consommation industrielle rendront les besoins en électricité de l’année 2025 significativement différents de ceux de 2012. À titre d’exemple, avec une croissance annuelle de 2 % et compte tenu des évolutions de la démographie et des habitudes de consommation déjà évoquées, le parc français actuel de production, toutes électricités confondues, ne suffirait à satisfaire que 60 % de la demande en 2025. Dès lors, ne vaut-il pas mieux se demander d’où viendrait l’électricité manquante, que de réfléchir à supprimer des moyens de production existants ?

Il est naturel que la contribution de nos groupes à la recherche soit importante, et EDF dispose du plus grand centre de recherche mondial en matière d’électricité, notamment sur les technologies de stockage, mais également de production et de smart grid.

Le coût de l’énergie est un élément déterminant de la compétitivité économique, de la croissance et de l’emploi. Le récent rebond du taux d’emploi aux États-Unis est ainsi quasi exclusivement imputable à l’abaissement de ce coût grâce à l’utilisation des ressources gazières non conventionnelles. L’origine de l’électricité n’est pas sans effets – l’éolien offshore, tout comme le photovoltaïque, coûtent ainsi environ cinq fois plus que la production du parc nucléaire existant – et il faudrait en tenir compte avant de discourir sur telle ou telle décision à prendre. Pour bâtir le parc de production électrique français, nos prédécesseurs avaient consenti des investissements gigantesques, de quelque 450 milliards d’euros, dont 100 milliards pour l’hydraulique, 250 milliards pour le nucléaire et 50 milliards pour les réseaux. Peut-on passer par pertes et profits 450 milliards et l’atout économique et industriel que représentent ces investissements en termes de compétitivité, d’expertise et de création d’emplois ?

L’énergie exige des investissements massifs et à durée de vie très longue. La responsabilité est donc grande pour ceux qui décident de leur destination, et aucune politique énergétique ne peut être conçue sans définition d’une trajectoire lisible et cohérente. La réflexion sur la transition énergétique m’intéresse d’autant plus qu’EDF est à ce jour le plus gros investisseur européen dans le domaine : nous investissons 12 milliards d’euros cette année, 13 milliards l’année prochaine. Ces montants considérables impliquent un sens de la responsabilité, mais également une capacité à se projeter dans l’avenir.

M. Jean-Louis Bal. Je commencerai par une mise au point sur la question des amendements portant sur l’éolien. Monsieur Chassaigne, nous avons une longue pratique des relations avec les parlementaires, nous respectons l’avis des institutions et, France énergie éolienne ne faisant plus partie du Syndicat des énergies renouvelables, nous ne sommes pour rien dans ce qui s’est passé la semaine dernière.

S’agissant de l’intermittence sur le réseau électrique, j’ai indiqué que nous n’aurions pas de difficultés à court terme – RTE a ainsi constaté que, pour les 7 000 premiers mégawatts d’éolien installés, la capacité d’ajustement supplémentaire nécessaire n’a été que de 200 mégawatts –, mais il se posera des problèmes à moyen terme et des solutions doivent être préparées dès maintenant. J’ajoute que l’intermittence de la consommation est aujourd’hui au moins équivalente à celle qu’apporte l’éolien, même si celle-ci ne doit pas être minimisée. L’une des solutions réside dans le stockage d’électricité, et je rappelle à cet égard les importants programmes de recherche et développement qui ont été lancés par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) dans le cadre des investissements d’avenir. Une série d’appels à manifestations d’intérêt ont été lancés et primés, dans le domaine du stockage d’électricité et de chaleur.

La transition énergétique aura certes un coût. Sans pouvoir me prononcer sur le chiffre de 30 % d’augmentation du prix de l’électricité à l’horizon 2016 qui a été avancé, je signale qu’un tiers de cette augmentation est dû aux énergies renouvelables. L’important en la matière, c’est plus le montant de la facture que le prix du kilowattheure et c’est pourquoi les politiques de rénovation thermique des bâtiments sont essentielles puisqu’elles feront plus que compenser la hausse du coût de l’énergie.

La transition énergétique aura également un impact très important sur la balance commerciale de la France, notamment sur celle de l’énergie. Les 60 milliards d’euros de déficit de la balance commerciale énergétique – sur un total de 71 milliards – viennent essentiellement de la production de chaleur, et notamment de la consommation dans les bâtiments, ainsi que du transport. Je souligne donc à nouveau l’importance de la politique de développement des énergies renouvelables pour la production de chaleur, notamment dans le domaine du bâtiment.

En ce qui concerne l’autoconsommation du photovoltaïque, elle est déjà utilisée pour alimenter des bâtiments dont la consommation est diurne.

En matière de gouvernance, le développement à la fois des économies d’énergie et des énergies renouvelables se fera en grande partie sur l’impulsion des collectivités locales car elles seront les premières à en bénéficier. Leur implication dans la transition énergétique est donc essentielle, mais on ne se passera pas de la solidarité entre les territoires – les réseaux, super-réseaux et réseaux intelligents pouvant seuls régler les problèmes liés à l’intermittence et au foisonnement de la consommation et des ressources. La décentralisation est donc souhaitable, mais sous réserve de garder un cadre national. L’idée d’une politique européenne de l’énergie doit également progresser. Le Président de la République a recommandé une forte coopération énergétique avec l’Allemagne, et l’expérience que ce pays aura tiré de son Energiewende nous sera extrêmement utile pour ne pas répéter les erreurs qu’il va certainement commettre, tout en tirant profit de ses réussites.

M. le président François Brottes. Merci d’avoir rappelé que le droit d’amendement n’appartient qu’aux parlementaires et au Gouvernement. Les débats tardifs sont chose courante dans l’hémicycle, sous toutes les majorités ; et quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit où l’on discute d’un amendement, s’il arrive en séance, c’est que le règlement de notre Assemblée l’a permis.

M. Jean-Jacques Cottel. Le choix de relancer l’énergie éolienne est excellent pour le développement durable, mais également – je le constate dans ma circonscription – pour l’emploi. Néanmoins, le manque de postes sources sur la plupart des territoires en retarde le développement. EDF et RTE sont-ils prêts à répondre à cette demande, et avec quelles priorités ? Comment harmoniser le développement des infrastructures sur les territoires, aujourd’hui inégalement préparés ?

M. Florent Boudié. Pour se conformer à la libéralisation du marché de l’énergie décidée à l’échelle européenne, la France a souhaité ouvrir jusqu’à 20 % de son parc hydraulique à la concurrence, à l’horizon 2015 ; quarante-neuf barrages seront concernés, dont la majeure partie est aujourd’hui pilotée par EDF. Le calendrier de mise en concurrence arrêté en avril 2010 n’a pourtant pas été respecté. Monsieur Proglio, comment expliquez-vous ce retard ? Quel est selon vous le potentiel de développement de l’énergie hydroélectrique dans le futur mix énergétique ? Sans dévoiler à vos concurrents la stratégie de votre groupe, que comptez-vous faire dans le cadre des futures concessions pour un meilleur respect des usages de l’eau, en particulier dans le domaine du soutien d’étiage qui pose de réels problèmes en aval des barrages ?

M. Jacques Kossowski. En matière de maîtrise de la consommation d’énergie, le secteur des transports – à l’origine dans notre pays d’environ 32 % de la consommation finale – constitue une priorité. Le développement des biocarburants doit permettre de diversifier les sources d’énergie utilisables dans ce secteur et faire fortement baisser la part du pétrole. Actuellement, nous disposons d’une première génération de biocarburants, dont le bioéthanol qui a l’avantage de présenter un bilan d’émissions de CO2 proche de zéro. Des recherches sont en cours afin de produire des biocarburants de deuxième génération à partir de composants non destinés à l’alimentation, comme la paille, le bois et les déchets forestiers. Utiliser des déchets végétaux évite le recours à une agriculture intensive qui épuise les nappes phréatiques et pollue les eaux avec des engrais et des pesticides. Quand cette nouvelle génération de biocarburants sera-t-elle prête et opérationnelle ? A-t-on une idée du potentiel d’économies de consommation de pétrole dans le secteur des transports qu’ils entraîneront ? Une production de masse est-elle envisageable, et à quel horizon ?

M. Philippe Bies. Monsieur Proglio, vos déclarations sur les conséquences des engagements du Président de la République en faveur de la transition énergétique ne nous rassurent pas sur la volonté et la capacité d’EDF de parcourir le chemin complexe vers le mix énergétique pour lequel les Français ont voté.

Le 14 septembre dernier, le Président de la République a confirmé la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, la plus vieille et la moins sûre de France. Or, plus de cent quarante réacteurs sont aujourd’hui à l’arrêt dans le monde, sans que l’on sache comment les gérer tant la chaîne du démantèlement est encore peu maîtrisée. Quelle est la stratégie d’EDF pour préparer la fermeture de Fessenheim ? Développer un savoir-faire français en la matière permettrait de faire de cette fermeture une véritable opportunité pour l’industrie nucléaire française, mais également pour les économies du territoire concerné.

M. Michel Piron. La question de la sécurité des approvisionnements – dont les ruptures de livraison que Gazprom a fait subir à certains pays fournissent une illustration – n’a été que peu évoquée. Pourriez-vous nous en dire plus sur la géopolitique des investissements ?

Vous avez eu raison, monsieur Proglio, de souligner l’absence d’une politique énergétique cohérente au niveau européen. Mais qu’en est-il à l’échelle mondiale ? Par ailleurs, si les divergences sont fortes à l’intérieur de l’Europe, le couple franco-italien ne constitue-t-il pas une exception ?

Vous avez également évoqué le problème de la très longue durée d’amortissement des investissements dans le domaine de l’énergie. Comment arbitrez-vous entre cette contrainte et la possibilité de voir ces investissements devenir en partie obsolètes du fait de ruptures technologiques, telles que l’essor des gaz de schiste ?

M. Frédéric Barbier. Monsieur Proglio, on parle peu des pertes en ligne sur les réseaux de distribution de l’électricité, alors que le manque à gagner qu’elles entraînent équivaut au prix du carburant nécessaire à la livraison au domicile de chaque client du kilowattheure consommé. Sur les 12,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel de votre filiale ERDF qui assure la distribution, 1,3 milliard d’euros – soit plus de 10 % – sont chaque année consacrés à l’achat de ces pertes en ligne. Député de la quatrième circonscription du Doubs où est installé le premier parc éolien de Franche-Comté, je voudrais savoir si les productions décentralisées comme l’éolien ou le photovoltaïque, qui permettent de produire au plus près du consommateur, associées au smart grid que vous envisagez de développer, sont de nature à faire baisser ces pertes en ligne, et dans quelles proportions. Pouvez-vous nous éclairer sur l’état de la réflexion de votre entreprise sur ces circuits courts de l’électricité ?

M. Philippe Plisson. Monsieur Oursel, c’est en vain que j’ai invité AREVA à une rencontre avec des élus du Nord Niger, et cette expérience malheureuse me conduit à penser que votre entreprise ne souhaite pas évoquer le statut de ses employés locaux. Pouvez-vous décrire les conditions de travail des autochtones dans les mines d’uranium que vous exploitez, les précautions prises, les examens médicaux effectués sur le long terme, et plus globalement le statut accordé à ces mineurs ? Je suis président du groupe d’amitié France-Niger ; pouvons-nous espérer une collaboration avec AREVA dans nos échanges avec ce pays ?

Monsieur Proglio, lors de la campagne présidentielle, vous avez pris publiquement une position d’opposition au programme du candidat François Hollande en matière d’énergie nucléaire. Celui-ci ayant été élu, la logique de vos engagements ne devrait-elle pas vous conduire à présenter votre démission ?

M. Luc Oursel. La filière de démantèlement existe d’ores et déjà dans notre entreprise, et réunit quelque 1 500 spécialistes. AREVA travaille tant au démantèlement de ses propres activités que pour le compte de clients – en France pour le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et pour EDF, mais également en Allemagne et aux États-Unis. Cette expérience nous procure une connaissance pratique – et non théorique – des coûts des opérations. Pour un électricien ou un exploitant d’une installation nucléaire, le démantèlement ne crée pas de valeur ; le coût qu’il représente doit être couvert par les provisions faites pendant la durée de vie de la centrale ou de l’installation, et les calendriers sont ajustés en conséquence. Notre expérience nous permet également de constater le potentiel de développement lié à ces opérations. Cependant, si elles ont une composante technologique où nous pouvons jouer un rôle – en particulier lorsqu’il s’agit de démanteler les zones les plus contaminées –, elles comportent beaucoup d’activités plus classiques qui relèvent du niveau local. Il ne faut donc pas s’attendre à des exportations susceptibles d’améliorer substantiellement notre solde commercial.

Je suis surpris par ce que je viens d’entendre au sujet du Niger car nos standards de sécurité et de conditions de travail y sont exactement les mêmes que pour l’ensemble des équipes d’AREVA. Indépendamment des réglementations nationales, nous y appliquons les normes les plus exigeantes du groupe, en particulier pour la radioprotection et pour les examens médicaux. Pour assurer la transparence, nous avons mis en place, avec le gouvernement nigérien, un système de suivi à la fois de nos équipes et des populations voisines du site, et il ne met en évidence aucun problème particulier. Je suis prêt à reprendre l’ensemble de ces sujets avec le groupe d’amitié France-Niger, l’exploitation d’uranium étant essentielle pour l’économie et donc pour la stabilité de ce pays.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. M. le président François Brottes et moi-même assumons la responsabilité d’avoir organisé cette table ronde. Mais je tiens à dire que je ne cautionne pas certains propos. Nous ne sommes pas ici pour faire des déclarations violentes, mais pour dialoguer et pour réfléchir collectivement à la question de la transition énergétique et écologique, et ce n’est pas en faisant un peu de provocation que l’on fera avancer le débat.

M. Olivier Appert. Pour bien mesurer l’enjeu des biocarburants, il faut rappeler qu’aujourd’hui, dans le monde, en Europe, mais aussi en France, l’approvisionnement énergétique du secteur des transports – y compris le transport ferroviaire – dépend à 95 % des produits pétroliers, auxquels il n’existe pas de substitut massif à court terme. Dans les 5 % restants, les biocarburants pèsent pour 2 % et l’électricité – essentiellement utilisée pour le transport ferroviaire – pour 1 ou 1,5 %.

Les biocarburants sont donc le premier substitut disponible. À la mode il y a huit ans, lorsqu’ils étaient parés de toutes les vertus, ils sont aujourd’hui voués aux gémonies. Il faut pourtant rester mesuré. Les biocarburants de première génération ont un rôle à jouer, mais ne peuvent couvrir qu’une petite partie de l’approvisionnement car, outre les problèmes de coût, on se heurte rapidement à la concurrence entre usage alimentaire et non alimentaire des matières premières. La deuxième génération fait actuellement l’objet de programmes de démonstration ; un projet-pilote de production d’éthanol de deuxième génération est par exemple en cours de construction à côté de Reims, en liaison avec la profession agricole, l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et les industriels. Le temps de la recherche est long : le projet a été lancé en 2007, les travaux se déroulent conformément au calendrier, et s’ils sont couronnés de succès au plan technique et économique, on peut envisager un déploiement de la technologie à la fin de cette décennie. Les choses sont moins matures concernant la troisième génération : le potentiel est évident, mais le déploiement ne peut être envisagé que d’ici à la fin des années 2020.

De même, la réduction de la consommation d’énergie dans le secteur des transports passe par le développement de technologies. La consommation unitaire des véhicules peut être réduite d’environ 50 %, mais la mise au point des modèles prendra du temps – entre dix et vingt ans – et aura un coût.

Si la sécurité de notre approvisionnement est très bonne pour l’électricité, il ne faut pas oublier que celle-ci ne représente que 20 % de notre consommation d’énergie finale. Nous sommes donc dépendants pour 80 % des énergies fossiles. Or les réserves sont inégalement réparties à cet égard : pour le pétrole, elles se trouvent aux deux tiers dans les pays de l’OPEP, l’Iran et l’Irak en détenant une part importante, et, pour le gaz, dans la même proportion entre le cinquantième et le soixante-dixième méridien – en Russie, au Qatar et, une fois encore, en Iran. Il y a donc là un problème majeur, auquel nous pouvons obvier grâce aux investissements de nos opérateurs à l’étranger et à l’action de notre diplomatie en faveur d’un dialogue entre producteurs et consommateurs. Mais cette sécurité passe aussi par l’amélioration de la production nationale, de manière à réduire une dépendance qui est quasi absolue puisque nous importons aujourd’hui 99 % de notre pétrole et de notre gaz. La France dispose d’un potentiel à cette fin, avec le pétrole de Guyane et des ressources d’hydrocarbures non conventionnels. Pourquoi ne pas prendre exemple sur les États-Unis qui, déjà exportateurs de produits pétroliers, deviendront en 2020 exportateurs nets de gaz naturel ? Dès aujourd’hui, ils y ont gagné un regain de croissance qui leur permet de réorienter du tout au tout leur politique.

M. Jean-Louis Bal. Je confirme les échéances annoncées par Olivier Appert s’agissant des biocarburants de seconde génération. La ressource française, mais aussi mondiale, en biomasse est limitée, bien qu’importante. On ne pourra pas tout faire et des arbitrages devront intervenir entre les usages énergétiques. Lorsque les technologies de biocarburants de seconde génération auront été développées, il faudra évaluer leur rendement pour déterminer le meilleur usage, de la production de chaleur ou d’électricité, qui pourra en être fait.

M. Cottel a souligné le manque de postes sources des réseaux électriques, mais il y a également des lacunes en termes de capacités d’accueil au niveau du réseau de transport. Une réponse à ces problèmes peut être apportée par les schémas régionaux de raccordement des énergies renouvelables, qui font suite aux schémas régionaux « climat air énergie » issus des lois Grenelle et comportant un volet éolien. Grâce au recensement des projets en cours de développement effectué par le SER, RTE va pouvoir établir ces schémas de raccordement et renforcer les réseaux tant de distribution que de transport, là où c’est nécessaire.

M. Henri Proglio. S’agissant des concessions hydrauliques, au fond la décision appartient au Gouvernement. Après que la Commission européenne a demandé l’ouverture à la concurrence et après avoir quelque peu contesté la démarche, la France a décidé de répondre positivement à cette sollicitation, et de le faire à bref délai, alors que les autres pays européens ont préféré conforter la position de leurs opérateurs nationaux en étendant pour trente ans les concessions correspondantes, retardant d’autant la mise en concurrence. Notre pays se comporte donc là plutôt comme un bon élève de l’Europe. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Chacun aura son opinion.

Pour ma part, je n’ai pas à commenter le calendrier mais à le respecter et à faire en sorte qu’EDF remporte les appels d’offre – rien n’oblige à les perdre ! Notre société a naturellement vocation à gagner les appels d’offre des concessions dont elle est sortante, et si possible les autres. Avons-nous des plans d’action ? Oui. Avons-nous des idées précises et innovantes pour une optimisation des usages de l’eau ? Oui. Mais je n’en dirai pas davantage : il n’est pas question que je livre à la concurrence nos réponses aux appels d’offre avant même que les plis ne soient remis.

J’ai entendu dire – mais sans doute ai-je mal entendu – que Fessenheim était la centrale la moins sûre. C’est totalement faux ! L’Autorité de sûreté nucléaire, organisme indépendant dont la compétence et le sérieux sont reconnus dans le monde, a d’ores et déjà accordé l’extension de la durée de vie du premier réacteur et fera de même, je pense, très rapidement – d’ici au début de l’année prochaine – pour le deuxième. Fessenheim est donc considérée par les autorités compétentes comme sûre, et il est hors de question que je laisse dire autre chose. Que l’État décide ou pas de sa fermeture relève de sa liberté, mais cela ne signifie en rien qu’elle n’est pas sûre.

Je souscris entièrement à ce qu’a dit Luc Oursel : le démantèlement est une activité industrielle marginale pour l’industrie française. Elle concerne essentiellement AREVA pour la partie très nucléaire et EDF en matière d’ingénierie. Nous démantelons déjà des centrales en France, telle celle de Brennilis. Ce n’est donc pas une nouveauté pour nous et nous n’avons pas besoin d’outils pilotes : nous en avons déjà plusieurs. Cette activité n’a pas de dimension internationale importante et elle ne connaîtra pas de fort développement, à l’exception de segments très précis, porteurs pour AREVA.

La géopolitique des investissements est un vaste sujet qui demanderait beaucoup de temps pour être développé comme il convient. C’est une vraie nécessité pour nous que d’y réfléchir et d’agir en conformité avec la stratégie du groupe. Vous avez parlé de l’Italie : je peux vous répondre avec la stratégie gazière du groupe, le gaz étant pour nous une matière première pour fabriquer de l’électricité, et non un produit fini. Nous devons, il est vrai, réfléchir beaucoup en adoptant une perspective longue, de manière à garantir la sécurité matérielle de nos investissements et à rassurer nos actionnaires sur la pertinence de nos choix ; il nous faut également effectuer des arbitrages en anticipant les évolutions technologiques et géopolitiques. Mais tout cela est pris en compte dans nos projections.

Je crains d’avoir à contredire le diagnostic selon lequel la production décentralisée réduirait les pertes en ligne. Ce serait même le contraire, puisqu’une dispersion de la production se traduit par des pertes en ligne plus importantes que celles que nous subissons aujourd’hui. Nous faisons des efforts pour réduire celles-ci mais nous ne voyons pas dans la production décentralisée un moyen d’y parvenir. D’autre part, je ne crois pas que soit confirmée la possibilité de rapprocher de façon très significative, en tout cas en volume, la production de l’utilisation : comme Luc Oursel l’a dit, les centres de production sont systématiquement éloignés des centres de consommation.

Sans répondre aux provocations, je dirai que le nucléaire est une énergie d’avenir. Que le Gouvernement l’ait reconnu clôt, je pense, le débat, voire le rend inutile. Les perspectives actuelles, en France comme au niveau mondial, obligent à faire appel à l’ensemble des énergies. Les évolutions en ce sens sont en cours, il faut les conforter en renforçant les complémentarités entre nos diverses ressources. Cette transition énergétique est un des sujets auxquels EDF sera particulièrement attentive et, encore une fois, nous serons une force de proposition.

Mme Catherine Quéré. Monsieur Proglio, la Commission européenne vient de rendre un rapport sur les évaluations de sûreté conduites sur toutes les centrales nucléaires européennes, dans lequel la France apparaît comme le mauvais élève de la classe. Ce rapport promet des coûts exorbitants pour la mise aux normes de sûreté de nos centrales, l’évaluation mettant en évidence des failles dans chacune d’entre elles. N’y a-t-il pas un décalage entre les messages rassurants envoyés par EDF au moment des stress tests français, en 2011, et les conclusions de ce rapport ?

M. Patrice Prat. Je souhaite insister sur la place centrale de la filière nucléaire dans le futur mix énergétique. Dans un contexte de crise profonde, vous avez eu raison, monsieur le président d’AREVA, d’insister sur le poids de la filière dans la balance commerciale et sur les emplois, pour les deux tiers situés en France et non délocalisables, mais aussi sur le volet recherche et innovation. Tous ces éléments contribuent à faire de cette filière une filière d’avenir. Si nous devons poser sur elle un regard exigeant, il n’en doit pas moins être bienveillant, car elle a besoin de visibilité dans le temps pour agir en toute sécurité et en préservant les intérêts de la nation.

À cet égard, le protocole d’accord entre EDF et la Chine prévoit des transferts de technologie, ce qui soulève quelques inquiétudes. Pouvez-vous, monsieur Proglio, nous faire connaître votre position, nous apporter votre éclairage et peut-être nous rassurer quant aux éventuelles menaces que ce protocole pourrait faire peser sur la filière ?

M. Éric Straumann. EDF engagerait actuellement 200 millions d’euros de travaux pour la remise à niveau de la centrale de Fessenheim, conformément aux préconisations de l’ASN. Pourrait-on avoir confirmation de ce montant ?

La fermeture des centrales nucléaires au Japon a entraîné, pour la première fois dans l’histoire de ce pays, un déficit de la balance commerciale. On évoque le chiffre de 500 millions d’euros d’équivalent gaz qu’il faudrait importer en cas de fermeture de Fessenheim. Ce chiffre est-il exact ?

Cette fermeture pourrait donner lieu à une demande d’indemnisation de l’opérateur à l’État. Je rappelle que, dans cette opération, les Allemands sont présents à hauteur de 17,5 % et les Suisses de 15 %, et que l’indemnité pourrait s’élever à 2 milliards d’euros. Là encore, pouvez-vous confirmer ce montant et donner la position des partenaires allemands sur le sujet ?

M. François-Michel Lambert. J’observe que ce débat n’apporte qu’un seul point de vue sur le sujet.

J’entends bien les messages alarmants sur le prix de l’électricité, mais je n’entends pas, en réponse, de propositions proactives et volontaristes. J’aurais tant souhaité qu’on se demande si l’on est dans le bon schéma ! On nous laisse entendre que oui, mais beaucoup de signaux montrent le contraire. On nous tanne sur le nucléaire mais comment le producteur d’énergie centralisé qu’est EDF peut-il accompagner le développement des énergies renouvelables et apporter des réponses locales aussi multiples que différenciées en fonction des spécificités de chaque territoire ? Comment peut-il sortir du schéma du tout électrique et se tourner vers d’autres énergies ou s’adapter à de nouveaux modes d’urbanisation nécessitant une moindre utilisation de la voiture ?

M. Laurent Furst. Je remercie M. Proglio pour son analyse dynamique de la consommation électrique : on voit qu’on consommera plus d’électricité demain, en fonction de la croissance économique mais surtout démographique.

L’électricité est 40 % moins chère en France que dans le reste de l’Europe. Le nécessaire développement des énergies non renouvelables est-il compatible avec cet avantage compétitif ? Dans la négative, ce sont des pertes d’emplois, et non des créations que nous connaîtrions.

La France consomme aussi du charbon pour produire son électricité. L’utilisation de cette source d’énergie se développe en Europe du Nord, aux États-Unis et en Chine. Notre pays conduit-il des recherches sur la combustion propre du charbon ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Ma question s’adresse également à M. Proglio.

Dans les Alpes, l’hydroélectricité est la plus importante source d’énergie renouvelable. Elle y génère, à elle seule, plus de 90 % de la production d’électricité. La recherche d’une production peu émettrice de gaz à effet de serre et les fluctuations du prix des énergies fossiles et de leur approvisionnement sont de puissantes incitations au développement de cette hydroélectricité. Les régions alpines y ont un intérêt hautement stratégique, notamment au regard de la directive européenne fixant comme objectif indicatif une part de 20 % d’électricité issue de sources d’énergie renouvelables dans la consommation totale d’électricité de la Communauté en 2010, ou encore au regard de la directive-cadre sur l’eau. Sans aller jusqu’à nous dévoiler, en cette période cruciale de remise en concurrence, vos propositions en la matière, que pouvez-vous nous dire des pistes explorées aujourd’hui ?

M. Charles-Ange Ginesy. Tout en remerciant les intervenants pour la qualité de leurs propos, je souhaite interroger M. Proglio sur l’impact de la récente décision du Gouvernement de diminuer les tarifs d’achat du photovoltaïque privé de rachat pour le photovoltaïque privé. A-t-il une idée de ce que cela va coûter à EDF ?

N’aurions-nous pas intérêt à multiplier les aides pour d’autres formes d’énergies renouvelables, notamment pour le gaz, qui offre des perspectives assez intéressantes sur le continent nord-américain ? Pour des raisons environnementales, nous ne souhaitons pas exploiter le gaz de schiste par la fracturation hydraulique. D’autres techniques existent-elles ?

Mme Clotilde Valter. M’associant à l’intervention de mon collègue Philippe Bies, député du Bas-Rhin, je souhaite vraiment être convaincue de la volonté du président d’EDF de conduire la transition énergétique. J’ai entendu sa réponse mais souhaiterais un peu plus de précisions.

M. Thierry Benoit. « Considérer que les énergies renouvelables peuvent, à court terme, se substituer aux énergies fossiles est une hypothèse risquée ». La formule, mesurée, est de M. Appert. Elle implique qu’aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous passer de l’énergie nucléaire. Peut-on améliorer la sûreté dans ce secteur ? Avons-nous, en France, un programme de recherche sur le stockage et la valorisation des déchets radioactifs ?

Monsieur Bal, vous avez fait référence à une absence de pilotage dans le photovoltaïque. Que préconiseriez-vous précisément pour structurer les filières des énergies renouvelables en France, afin d’atteindre à l’efficience sur notre territoire et de permettre l’exportation de nos savoir-faire industriels ?

Mme Sophie Errante. Je souhaite revenir sur la difficile question du coût de l’énergie. Selon la source de production, les éléments de calcul de ce coût varient, d’où la nécessité d’intégrer dans cette évaluation de nombreux coûts annexes pour en assurer une meilleure lecture. Ainsi, pour le nucléaire, considéré aujourd’hui comme une des sources d’électricité les moins chères, de nombreux coûts annexes ne sont pas pris en considération, tels ceux de la construction ou du démantèlement d’une centrale. On pourrait également prendre en compte les coûts et les impacts d’un éventuel accident ou du traitement des déchets…

Monsieur Appert, quelles solutions pourriez-vous proposer afin de faciliter la comparaison des coûts des différentes sources d’énergie en y intégrant ces coûts annexes, afin de prendre les meilleures décisions pour l’énergie de demain et d’éclairer nos concitoyens en sorte qu’ils considèrent les projets avec le maximum d’objectivité ?

Mme Laure de La Raudière. Notre objectif aujourd’hui est de réfléchir ensemble aux choix permettant d’offrir une énergie peu polluante et économique à la fois aux Français et à notre industrie. L’objectif du Grenelle de l’environnement est de faire passer la part de l’énergie éolienne de 2,2 % à 6 % en 2020, et nous sommes sur cette trajectoire. Dans les faits, il s’agit de quadrupler le nombre des éoliennes : 15 000 sur terre et 1 200 le long des côtes. N’oublions pas, quand même, que cela représente une facture d’environ 50 milliards d’euros, financée directement par les ménages et, si j’ai bien compris, par EDF pour 5 milliards d’euros.

Avec la volonté du Gouvernement d’arrêter près du tiers des centrales nucléaires à l’horizon 2020, il faudra nécessairement réviser le nombre d’éoliennes. On parle aujourd’hui – et pouvez-vous le confirmer ? – d’environ 40 000 éoliennes.

M. Daniel Fasquelle. Au secours !

Mme Laure de La Raudière. Cela représenterait 150 milliards à la charge des Français, sans parler de la destruction du paysage. Ce choix est donc discutable d’un point de vue économique bien sûr, mais aussi écologique. Nos amis allemands ont réduit la part du nucléaire, augmenté celle de l’éolien en dépassant la France et construit vingt-trois centrales au charbon. Pourquoi ne pas en avoir parlé ? D’autant que l’électricité ne représente que 22 % de l’énergie totale consommée.

Permettez-moi, aujourd’hui, d’avoir des doutes sur le choix du mix énergétique qui nous est proposé. Est-il objectivement raisonnable, eu égard à la situation économique de notre pays, de conserver pour objectif la fermeture de trente-trois centrales à l’échéance de 2020 ?

Mme Béatrice Santais. L’entreprise Rio Tinto Alcan menace aujourd’hui de fermer ses portes à Saint-Jean-de-Maurienne, entraînant la suppression de 600 emplois directs et de près de 2 000 emplois induits. Le coût de l’électricité représente plus du tiers du coût final du fil d’aluminium qui y est produit. Pendant les trente dernières années, Pechiney, Alcan puis Rio Tinto Alcan ont bénéficié d’un tarif d’électricité particulièrement avantageux. À compter de 2013, la donne va changer. De longues négociations ont déjà eu lieu et, même si rien n’est signé aujourd’hui, on nous annonce, côté EDF, le meilleur tarif accordé et surtout eurocompatible, alors que, de son côté, Rio Tinto martèle que le nouveau tarif négocié ne lui permet pas de poursuivre son activité dans des conditions acceptables.

Quel est votre point de vue, monsieur Proglio, sur ce dossier qui pose, au-delà de l’urgence sociale, la question de l’avenir de la filière aluminium dans notre pays ? Plus généralement, que pensez-vous des contrats énergétiques des industries électro-intensives, en particulier de leur durée et de la rémunération de l’interruptibilité ?

Mme Sophie Rohfritsch. On sent bien qu’une divergence d’appréciation se fait jour entre le syndicat des énergies renouvelables, l’IFPEN et EDF. Pour les uns, il est possible de territorialiser et de planifier en région ; pour EDF, cela semble difficile. Pourtant, ce groupe investit déjà au moyen de conventions d’objectifs, notamment en Alsace, sur de grosses infrastructures, certes. Mais pourquoi ne pas considérer que les schémas « climat air énergie » peuvent vraiment être des instruments de planification territoriale, qu’on pourrait convenir ensemble de cette planification et y mettre les moyens ? Pourquoi cette divergence d’appréciation sur la territorialisation et sur la possibilité de rendre les schémas prescriptifs ?

M. Alain Marc. Certaines concessions hydroélectriques arrivent à terme – c’est le cas, dans le nord de l’Aveyron, pour les barrages sur la Truyère qu’exploite actuellement EDF. Puisque des pays d’Europe du Sud ont prolongé, de façon unilatérale, les concessions existantes au profit des opérateurs en place, il n’y a pas obligation absolue pour l’État français de placer ces renouvellements de concession dans le champ concurrentiel. Nous savons l’utilité capitale de ces barrages pour la gestion globale de la demande électrique et pour celle des pics de consommation. L’intérêt stratégique de la nation me paraît résider dans une gestion globale par un seul opérateur. Aussi, monsieur Proglio, ne pensez-vous pas que le Gouvernement pourrait reconsidérer juridiquement les renouvellements de concession, en y intégrant des exigences de la part de l’État et les redevances revenant aux collectivités locales ?

M. le président François Brottes. Quand l’UMP plaide pour le retour du monopole, j’avoue que cela m’émeut !

M. Michel Sordi. Je suis le député de Fessenheim et, à ce titre, je vis mal le projet de fermeture de cette centrale. Je veux rappeler qu’elle produit aujourd’hui l’équivalent de 75 % de l’énergie électrique consommée dans la région Alsace et que, à ma connaissance, il n’existe pas de projet de substitution. Le seul projet photovoltaïque important dans le Haut-Rhin n’a pas été retenu par le Gouvernement. À quelques kilomètres de Fessenheim, dans un canton suisse, est située une centrale dont la durée de vie est de cinquante ans et cela ne pose pas de question.

Nul doute que nos commerciaux d’AREVA éprouveront quelque difficulté à promouvoir notre savoir-faire dans les pays du Moyen-Orient sans s’entendre rétorquer : mais pourquoi la France arrête-t-elle ses réacteurs ? Avons-nous tant de secteurs industriels florissants que nous puissions mettre fin à cette filière d’excellence, à commencer par la centrale de Fessenheim ? Celle-ci a pourtant un excellent niveau de maintenance et de sûreté – pour m’y rendre régulièrement, je peux en témoigner – et elle procure aujourd’hui 900 emplois. Une tonne d’uranium équivaut à deux millions de tonnes de pétrole : c’est dire l’incidence qu’aura cette fermeture sur notre balance commerciale et sur les émissions de CO2.

M. Olivier Marleix. Le biogaz est une énergie facile à produire et à injecter dans le réseau, donc décentralisable. Elle est vertueuse pour l’environnement et intéressante pour les agriculteurs parce qu’ils peuvent épandre le « digestat », produit écologique et contenant un azote directement assimilable. Pourquoi, monsieur Bal, cette filière ne décolle-t-elle pas en France ? Nous produisons seize fois moins de biogaz qu’en Allemagne alors que le tarif de rachat semble plutôt satisfaisant. Est-ce un problème de pilotage ou un défaut d’intérêt des grands groupes industriels pour cette énergie ? Que manque-t-il pour qu’émerge une véritable filière ?

Mme Audrey Linkenheld. La discussion de la proposition de loi Brottes met en évidence l’intérêt d’améliorer la performance énergétique des logements, mais on mesure l’acuité des difficultés à surmonter quand on sait que, dans la métropole lilloise, plus de 40 000 logements, occupés par des ménages modestes, sont potentiellement indignes.

Cependant, de plus en plus de propriétaires sont convaincus de la nécessité de rénover leur logement en en améliorant l’isolation, bien sûr, mais aussi en recourant aux pompes à chaleur, au solaire, à l’éolien ou à la géothermie. Le temps est maintenant venu d’encourager les Français à passer aux actes ! Quels instruments financiers et fiscaux et quels outils de sensibilisation et de communication paraissent pertinents pour promouvoir ce développement des énergies renouvelables dans l’habitat ?

M. Alexis Bachelay. On a tendance, dans ce débat, à se focaliser sur l’énergie éolienne et sur le solaire. Notre pays dispose pourtant avec le bois d’une source d’énergie abondante et locale. Quelles sont les potentialités de cette filière, monsieur Bal ?

La production de biogaz est une forme de valorisation des déchets. En Suède, 20 % des déchets organiques sont recyclés à cette fin et la capitale, Stockholm, utilise ainsi pratiquement tous ses déchets pour produire de la chaleur pour les logements et pour faire rouler ses bus et ses taxis. Notre pays est en retard !

M. Lionel Tardy. Selon vous, monsieur Proglio, faut-il aller en Europe vers une spécialisation des pays pour ce qui est de la production d’énergie ? On voit en effet que les pays scandinaves privilégient l’hydroélectricité, la France le nucléaire, l’Allemagne le charbon, le Danemark l’éolien, le sud de l’Europe le solaire… Cependant, parmi les pays prétendument très avancés, le Danemark installe maintenant ses éoliennes en mer en raison des problèmes rencontrés à terre, compte une centrale à charbon tous les quinze kilomètres et dépend fortement de l’hydroélectricité norvégienne.

En bref, faut-il que les pays se spécialisent, quitte à multiplier les interconnexions pour gérer les pointes de consommation, ou doit-on laisser chacun produire au plus près du consommateur en gérant les choses au fil de l’eau ? Quelle serait, pour vous, l’architecture idéale des interconnexions au niveau européen ?

M. Henri Proglio. Je tiens d’abord à corriger une contrevérité s’agissant du rapport de la Commission européenne sur les stress tests et me contenterai, pour cela, de renvoyer aux déclarations de Mme Batho, ministre de l’énergie, et du président de l’ASN qui ont, l’un et l’autre, dit que ce rapport n’apprenait rien, qu’il n’était que la compilation des rapports des autorités de sûreté nationales. Si la France y figure en bonne place, c’est simplement parce que notre parc nucléaire est, de loin, le premier d’Europe.

Aujourd’hui, tout le monde est convaincu que le nucléaire est durablement appelé à occuper une place importante dans le mix énergétique mondial – et même à voir sa part y croître : la progression pourrait être de 2 % par an, a rappelé Luc Oursel. Cela tient à ce que beaucoup de pays ont fait le choix de cette énergie, à commencer par la Grande-Bretagne, dont on oublie trop souvent qu’elle en a fait le socle de sa stratégie pour assurer son indépendance énergétique et son efficacité économique. Mais, sans être exhaustif, je citerai, en Europe centrale, la Pologne, la République tchèque, les pays baltes, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovaquie ; puis, plus loin de nous, la Turquie, le Brésil, la Chine, la Russie, l’Arabie saoudite, l’Afrique du Sud… On ne peut donc pas balayer d’un revers de main une expertise qui est pour la France une carte à jouer sur le plan international. Il y a peut-être là un espoir pour le développement de notre industrie et de nos exportations. Ne voyez aucun parti pris dans mon propos, qui n’est inspiré que par un respect lucide pour les compétences acquises par ce pays et par les gens qui se sont consacrés à cette filière.

Le protocole avec la Chine appellerait une réponse très longue de ma part. Où le nucléaire connaîtra-t-il demain son plus fort développement ? On peut dire avec certitude que, dans les trente ans qui viennent, 80 % des nouvelles centrales seront construites en Chine. Ce pays va, à partir du début de l’année prochaine, construire un réacteur nucléaire tous les mois, tout comme il construit aujourd’hui deux centrales à charbon chaque semaine. Si nous voulons être présents sur les marchés de demain, il ne faut pas méconnaître ce fait. Faut-il un partenariat avec les Chinois, à qui sert ce partenariat ? EDF s’est-elle faite l’instrument de détournements d’expertise ou de technologie au profit de tel ou tel pays étranger ? L’hypothèse est vraiment risible ! Je parle sous le contrôle de mon ami Luc Oursel, avec qui nous avons noué de longue date des partenariats que nous avons renforcés récemment.

La France a apporté sa technologie à la Chine il y a maintenant trente ans et a été à l’origine du développement du parc nucléaire chinois. Elle dispose, de ce fait, d’un atout. Faut-il y renoncer ? Faut-il ou non bâtir une coopération industrielle avec ce pays en vue de développer l’industrie française ? Cette question intéresse beaucoup plus encore Luc Oursel que moi-même : dans cette affaire, EDF est au fond le soutien indéfectible de l’industrie française et d’AREVA.

M. le président François Brottes. Recevant la semaine dernière le président de la commission des affaires économiques et financières de l’Assemblée populaire de Chine, je l’ai interrogé sur la part qu’il souhaitait réserver au nucléaire. Alors que j’avais le souvenir d’un objectif de 4 %, il m’a clairement dit que cet objectif n’était plus d’actualité et que le développement serait plus large – sans toutefois donner les précisions que vous venez d’apporter, monsieur Proglio.

M. Henri Proglio. Les Chinois ont certes développé l’hydraulique et le barrage des Trois-Gorges est le plus grand du monde, mais, par rapport à d’autres, ils sont peut-être plus soucieux de compétitivité que préoccupés par les émissions de gaz à effet de serre. Quand la question énergétique se pose dans ces termes, la réponse ne peut être que : le nucléaire. Faut-il alors renoncer à une aventure de trente ans, à cette action que nous avons lancée, puis conduite en coopération et au mieux des intérêts de l’industrie française ? Je réponds à cette question de façon précise, technique et très décontractée, en évitant toute polémique.

Je vous remercie de votre témoignage, monsieur Sordi. Il est important pour nous de le relayer, les gens de Fessenheim méritent respect et reconnaissance : ils ont fait un excellent travail. Faut-il dans cette centrale des travaux de modernisation pour se conformer aux exigences de l’Autorité de sûreté ? Bien sûr que oui, et ils sont déjà faits ! Ce n’est donc pas un problème. L’autorisation d’étendre la durée de vie du réacteur n° 1 a bien été donnée parce que les travaux étaient faits, pas parce qu’ils étaient à faire.

S’agissant de la capacité de production nécessaire pour remplacer Fessenheim et des 500 millions d’euros qu’il faudrait dépenser pour l’achat de gaz, la réalité serait vraisemblablement supérieure aux chiffres avancés. Toutefois, je ne m’étendrai pas sur ces sujets, pas plus que sur la demande d’indemnisation éventuelle d’EDF. Je ne commente aucun chiffre, car une telle discussion doit être menée avec l’État, ce que nous ferons de façon parfaitement transparente.

Les nouvelles sources d’énergie auront-elles un impact sur le coût de revient de l’électricité ? La réponse est oui, bien entendu. EDF est avant tout un opérateur de service public responsable. Nous sommes conscients d’avoir à rendre compte à nos concitoyens, qui sont nos clients, et à nos actionnaires, dont l’État, de l’efficacité de l’outil EDF. Nous sommes responsables en grande partie du prix de l’électricité en France. Nous prenons position sur telle ou telle technologie ou telle ou telle attitude en toute conscience, pour nous conformer à notre responsabilité de conserver sa compétitivité à la France, de lui permettre de continuer à créer de l’emploi et à préserver le pouvoir d’achat. C’est le socle même de notre raison d’être en tant qu’opérateur de service public, et rien ne me détournera de cette mission.

On parle pour la France de centralisme énergétique mais, encore une fois, il n’y a pas d’opposition entre des schémas régionaux intelligents et des schémas interconnectés. Au fond, l’optimisation, qui est le socle d’un service public de l’électricité efficace, repose sur une bonne intégration régionale, sur une part de décentralisation intelligente et cohérente, sur une proximité vis-à-vis des territoires et, en même temps, sur un maillage national permettant le transfert de l’énergie. Le système français a prouvé son efficacité et sans doute une forme de centralisation des moyens de production était-elle nécessaire. Les barrages ne se déplacent pas facilement sur roues… L’efficacité de l’hydraulique est prouvée, et toute la nation doit pouvoir en profiter de même que des centrales nucléaires ou thermiques.

Cela n’est absolument pas exclusif du développement d’énergies décentralisées, à condition qu’une programmation régionale y soit associée. C’est ce que nous faisons, notamment en Alsace, en faisant en sorte que les deux schémas soient totalement complémentaires et cohérents.

On ne peut nier l’impact qu’aura le développement des énergies nouvelles sur le prix de l’électricité, du fait de leur coût de revient. Autrement dit, le coût moyen sera d’autant plus élevé que la part d’électricité chère dans le mix énergétique sera plus importante. Et, quels que soient les efforts pour améliorer l’efficacité économique des nouvelles sources d’énergie, il y aura donc un surcoût dont la charge sera à répartir entre nos concitoyens. Il faut donc observer une certaine rationalité, dans l’intérêt collectif.

Le charbon est une énergie extrêmement répandue dans le monde et entre encore pour environ 60 % dans la production mondiale d’électricité. Aujourd’hui, il se construit une centrale à charbon tous les jours dans le monde, deux par semaine en Chine. EDF dispose de la technologie nécessaire et j’ai d’ailleurs relancé l’ingénierie thermique afin que nous soyons, plus encore qu’hier, à même de satisfaire les besoins mondiaux. Nous allons réaliser en Pologne, à Rybnik, la première très grande centrale à charbon supercritique, c’est-à-dire à charbon propre.

L’hydroélectricité est un sujet crucial pour les Alpes, mais aussi pour la planète car c’est vraisemblablement la source d’énergie la plus efficace et la seule électricité qui se stocke aujourd’hui. J’ai donc également relancé l’ingénierie hydraulique d’EDF, car j’entends conserver à notre groupe son label d’expertise, et nous sommes actuellement en négociation pour deux très grands projets internationaux, sachant qu’il n’y en a pas de quelque ampleur en France.

Comme toujours, c’est à l’international qu’il faut aller chercher les moyens de garder notre expertise et de la promouvoir. Il en est ainsi dans le nucléaire, dans le thermique comme dans l’hydraulique. Les métiers de l’énergie ne peuvent avoir pour seule perspective le territoire national parce qu’il ne suffit pas à la taille critique nécessaire à la création des compétences et à leur maintien, et au financement de la recherche.

En matière de nucléaire et de stockage des déchets, on peut toujours faire mieux, bien évidemment. Nos centres de recherche sont là pour préparer des améliorations et nos centrales sont vivantes, et non pas figées. En 2012, nombre de modifications technologiques sont intervenues de manière à s’adapter et à anticiper les évolutions. Toujours faire mieux, c’est ce à quoi nous nous employons.

La mort de Rio Tinto est déjà annoncée : l’entreprise a décidé de cesser son activité. Nous sommes là devant rien autre chose qu’une prise d’otages – pardon d’être aussi brutal – et le prix de l’électricité n’est pas en cause dans cette affaire. Rio Tinto a bénéficié de prix exceptionnellement bas, mais cette exception ne peut être reconduite sans que l’Europe nous condamne pour aide d’État. La réglementation de l’Union nous interdit en effet de continuer à fournir l’électricité à un prix aussi bas et aussi inférieur au coût de revient, et de faire des cas particuliers. Dès lors, nous sommes contraints de réajuster les prix consentis, pour laisser jouer la libre concurrence. Point.

Bien évidemment, les industries électro-intensives ont encore leur place en France, grâce à cet atout compétitif décisif qu’est le prix de notre électricité. Encore une fois, la responsabilité d’EDF est de faire en sorte que cet atout soit conservé et renforcé, pas de se laisser aller à oublier les intérêts nationaux au profit d’un microcosme, ni à négliger la compétitivité du territoire, l’efficacité économique et donc l’emploi, par je ne sais quel effet de mode. Oui, le territoire français est compétitif. Oui, une part importante de l’industrie électro-intensive qui y est installée est liée aux caractéristiques de notre production électrique. C’est la raison pour laquelle toute baisse de la compétitivité du territoire se traduira par des délocalisations massives dans ce secteur. Essayons de l’éviter.

J’ai dit ce que je pensais du renouvellement des concessions hydrauliques. Je ne maîtrise pas le calendrier, je le respecte. Nous gagnerons le renouvellement de nos contrats, faites confiance à EDF !

Dans le cadre de l’Europe de l’énergie, la spécialisation des pays ne me semble pas une réponse adaptée. L’idée serait à peu près aussi sérieuse que l’histoire imaginée par Jean Yanne dans Les Chinois à Paris : entendant dire que les Français sont des fumistes, les Chinois leur concèdent pour spécialité la fabrication de tuyaux de poêle !... Chaque pays a son originalité, son histoire, sa logique. Certains sont plus propices que d’autres à l’utilisation de certaines formes d’énergie : par exemple, faire de l’hydroélectricité en Belgique semblerait incongru alors que c’est chose facile en Autriche – et les Autrichiens peuvent ainsi donner des leçons mais s’ils disposent de montagnes, ils n’y sont pas pour grand-chose ! D’autres pays sont spécialisés dans la fabrication d’énergie verte à partir de l’électronucléaire : ainsi un pays qui occupe une position centrale en Europe, sans faire partie de l’Union européenne achète de l’énergie nucléaire à la France et vend de l’énergie verte à l’Italie. C’est du blanchiment efficace, en quelque sorte une tradition respectable puisque respectée…

Mais, s’il ne faut pas spécialiser les pays, il faut coordonner les politiques et développer les interconnexions, à condition qu’il existe une politique européenne garantissant à cet égard une grande vigilance, car l’interconnexion vulnérabilise les plaques nationales. Si un pays comme l’Allemagne connaissait des ruptures, ce qui n’est pas exclu en raison de sa mauvaise organisation, l’effet domino sur le réseau français serait terrible. Sans politique européenne, les interconnexions resteront nécessairement limitées pour éviter ce risque – que nous connaissons d’ailleurs déjà puisque la situation du Bade-Wurtemberg rend la région Alsace assez vulnérable.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La centrale thermique au charbon ultra-propre dont vous avez évoqué la construction en Pologne aura-t-elle la capacité de capter et de stocker le CO2 qui y sera produit ?

M. Henri Proglio. Elle en produira beaucoup moins et il sera capté.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La technologie est donc au point aujourd’hui ?

M. Henri Proglio. Elle est maîtrisée.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Peut-on établir une relation entre le prix de l’électricité et la compétitivité ? Alors que le prix de l’électricité y est beaucoup plus élevé que chez nous, l’Allemagne dégage pourtant un excédent commercial de 160 ou 170 milliards…

M. Henri Proglio. Les industriels allemands sont très inquiets, aujourd’hui. Le virage énergétique pris par ce pays rend ses industries terriblement vulnérables ; elles n’ont jamais couru un tel risque.

M. Luc Oursel. Pour financer le développement des énergies renouvelables, les Allemands ont instauré une taxe qui couvre la différence entre le prix de vente et le coût de revient, mais le gouvernement en a exonéré les gros consommateurs. Outre que cette mesure pourrait être légitimement contestée au nom de la libre concurrence, la répartition de cette taxe fait maintenant l’objet de débats de plus en plus vifs.

M. Henri Proglio. En Allemagne en effet, monsieur le président, particuliers et industriels ne paient pas l’électricité au même prix : les ménages la paient de 60 à 100 % plus cher. Autrement dit, les particuliers subventionnent les industriels. En France, la situation est l’inverse. Là encore, cela relève de décisions politiques, qu’il ne m’appartient pas de discuter, mais il s’agit de réalités à ne pas oublier.

M. Luc Oursel. Le travail remarquable effectué par la Cour des comptes au début de l’année a parfaitement montré le sérieux qui entoure l’évaluation des coûts du nucléaire : elle intègre notamment les coûts de démantèlement et les provisions pour retraitement. Pour ma part, j’espère – et nous essayerons d’y contribuer – que le débat qui va s’ouvrir permettra à chacun de connaître les coûts de chaque filière et, à partir de là, de bien comprendre les conséquences en termes de prix des différents choix énergétiques qui seront proposés.

S’agissant de la Commission européenne et de son rapport sur la sûreté nucléaire, je dirai qu’outre que la Commission n’est pas compétente sur le plan administratif et réglementaire en la matière, les approximations, imprécisions et raccourcis relevés dans ce document montrent que, peut-être, elle n’a pas su s’entourer de toutes les compétences techniques qu’aurait exigées ce travail de synthèse.

La sûreté nucléaire n’est pas un concept statique : nous pouvons et devons toujours mieux faire. Chaque entreprise s’y emploie, et y contribuent aussi le contrôle exercé par l’Autorité de sûreté, indépendante, ainsi que les retours d’expérience : celui de Fukushima a conduit à revoir certains concepts de sûreté et à réfléchir à l’organisation dont nous devons disposer pour gérer des incidents de cette nature.

En ce qui concerne les déchets radioactifs, la France considère qu’après son passage en centrale nucléaire, le combustible a encore un potentiel énergétique qui peut être utilisé par la filière de retraitement, la filière MOX. D’autres pays européens, ainsi que par le Japon, pratiquent cette valorisation et l’on commence ailleurs dans le monde à s’intéresser à cette technique qui permet de réduire la consommation de combustible et d’améliorer de ce fait la sécurité d’approvisionnement.

Je souscris tout à fait à ce qu’a dit Henri Proglio : la Chine est probablement, pour nous, le plus gros marché du nucléaire dans les années qui viennent. Jusqu’à présent, nous y avons une position forte grâce au travail effectué depuis trente ans. À l’époque de Daya Bay, une coopération exemplaire entre EDF et Framatome a permis d’imposer une technologie pour les trois décennies qui ont suivi et, grâce à cela, de générer une activité industrielle au profit, non seulement du groupe Areva, mais de dizaines de PME associées à la construction de ces réacteurs, et ainsi conduites pour certaines à s’implanter définitivement en Chine par le biais de joint-ventures.

Aujourd’hui est un nouveau Daya Bay : la Chine va relancer un programme nucléaire de très grande ampleur. Il s’agit de savoir comment nous pouvons en être parties. Nous avons la chance d’avoir été avec EDF à l’origine d’un projet de deux réacteurs EPR à Taishan, projet qui se déroule correctement. D’autres pays, évidemment, ont la même ambition mais l’équipe France est très resserrée pour choisir la meilleure stratégie et continuer à entraîner dans son sillage des dizaines, des centaines de PME et, bien entendu, elle a le souci de protéger les compétences technologiques patiemment accumulées dans notre pays.

À cause de son histoire, et grâce aux choix qu’elle a effectués et à son organisation, la France est un modèle pour ce qui est de l’énergie en général et du nucléaire en particulier. Beaucoup de pays regardent ce que nous faisons avant de prendre leurs propres décisions et il est évident qu’ils vont observer à la loupe le débat de politique énergétique qui s’engage. J’espère donc que, dans le cours de celui-ci, on prendra en considération comme il convient l’intérêt qui s’attache à la consolidation de ce secteur, ainsi que sa contribution à notre balance commerciale – 6 milliards d’euros !

J’en reviens pour finir aux énergies renouvelables. AREVA a développé des technologies pour l’exploitation de la biomasse et le problème se situe donc ailleurs : dans l’organisation de la filière et dans la collecte de la ressource. C’est probablement sur ce point que le plus gros travail reste à faire avec les collectivités locales, en recourant peut-être à de nouveaux mécanismes d’incitation. Et, pour assurer un développement pérenne de cette filière, sans doute faudra-t-il aussi parvenir à organiser la coexistence de grands projets industriels avec le développement de chaudières domestiques.

M. Jean-Louis Bal. Je souscris à ce que vient de dire M. Luc Oursel quant à la difficulté de mobiliser la biomasse.

Je ne crois pas qu’il y ait une divergence de principe entre EDF et le SER sur la question de la gouvernance, qui serait nécessairement centralisée pour l’une et à décentraliser pour l’autre. Il me semble seulement que le curseur est appelé à se déplacer vers les collectivités lorsqu’il s’agit de valoriser des ressources locales, mais nous aurons toujours besoin d’une solidarité nationale, voire européenne.

Le développement des énergies renouvelables a un coût qui ne peut être sans effet sur celui de l’électricité, mais cet impact sera selon moi provisoire : les acteurs de ces secteurs apprennent à une vitesse impressionnante et ces énergies deviendront à relativement court terme un élément de stabilisation du prix de l’électricité. Mais, en attendant, c’est un fait, nous sommes à une étape où l’impact est négatif.

Aujourd’hui, nous ne pouvons dire dans quelle mesure la hausse du tarif du photovoltaïque influera sur le prix de l’électricité et, d’abord, sur la CSPE : nous ignorons en effet quel volume sera concerné. Toutefois, l’effet devrait être relativement marginal, puisque cette hausse ne sera que de 5 %, au seul bénéfice des installations d’au plus 100 kilowatts.

Dans cette affaire du photovoltaïque, l’État a mis longtemps avant de constater l’existence d’un emballement et de s’aviser que se constituait une « bulle », nourrie par l’importation de matériel pour 50 % chinois, mais également allemand. Il a ensuite réagi de façon beaucoup trop brutale, cassant la dynamique de ce secteur. Il faut éviter ces erreurs de pilotage à l’avenir : nous devons nous doter d’une politique de la demande et d’une politique de l’offre qui soient coordonnées. Aujourd’hui, le développement des énergies renouvelables dépend en effet d’un trop grand nombre d’administrations et d’établissements publics et, à défaut du secrétariat d’État à la transition énergétique dont il a été question un moment, il me paraît indispensable d’avoir, au niveau de l’État, une instance qui, tout en travaillant avec les professionnels, ait la main à la fois sur la politique industrielle et sur la politique de développement de la demande – sans oublier la politique de soutien à l’exportation.

N’ayant jamais entendu avancer le chiffre de 40 000 éoliennes, je m’abstiendrai de commenter un tel projet.

Le potentiel est considérable du côté de la production de biogaz. Ce secteur a bénéficié depuis deux ans de nouvelles incitations : revalorisation du tarif de production d’électricité, définition d’un tarif d’injection dans le réseau de gaz naturel… Cependant, le montage des projets est très long car il faut, là aussi, organiser l’approvisionnement sur le long terme, et nous ne pouvons donc pas encore évaluer l’efficacité de ces incitations. À cela s’ajoute la complication d’un régime de financement dual, notre pays distinguant en la matière entre l’étape du traitement des déchets et celle de la production d’énergie. Néanmoins, nous devrions constater dans les prochaines années un développement notable des biogaz, développement dont les grands groupes ne se désintéressent nullement – à preuve les positions prises par Dalkia et Cofely.

Le développement du photovoltaïque et de l’éolien ne doit en effet pas nous faire négliger le bois, première des sources d’énergie renouvelables…

M. le président François Brottes. Après l’hydraulique, bien sûr !

M. Jean-Louis Bal. Je les placerai sur le même pied ! On peut toutefois faire beaucoup mieux dans ce domaine, l’obstacle principal tenant comme pour les déchets agricoles à la difficulté de mobiliser la ressource.

Pour réaliser le grand programme de rénovation des bâtiments qui est au programme de ces prochains mois, nous disposons maintenant d’une large gamme d’outils financiers et fiscaux – crédit d’impôt, éco-prêt à taux zéro, aides de diverses institutions. Il conviendra seulement d’éviter les redondances entre ceux-ci et, si possible, de mettre en place un guichet unique pour y accéder. Le SER s’attelle en tout cas à ce chantier, en mettant notamment l’accent sur l’utilisation du bois, du solaire et des pompes à chaleur.

M. Olivier Appert. Au rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électro-nucléaire mentionné par M. Oursel, il convient d’ajouter celui que cette haute juridiction est en train de rédiger sur le coût des énergies renouvelables. Avec ces deux documents, nous disposerons d’informations fiables et de qualité.

Le charbon propre, ce sont des technologies de production d’électricité efficaces – les technologies « supercritiques » auxquelles M. Proglio a fait allusion –, mais aussi le captage et le stockage de CO2 évitant les émissions dans l’atmosphère. Ce captage s’appuie sur des technologies classiques, utilisées par le secteur pétrolier en mer du Nord depuis 1996 ; un million de tonnes de CO2 sont déjà stockées dans des couches géologiques. L’Agence internationale de l’énergie et l’Union européenne considèrent que ce CCS (Carbon Capture and Storage) est un « point de bouclage » majeur. Il reste toutefois à régler le problème de son acceptabilité et, surtout, celui, très dissuasif, de son coût. D’autre part, si, de même que les déchets nucléaires, le CO2 doit être valorisé, sous forme de produits chimiques, ce n’est envisageable qu’à l’échelle de centaines de milliers ou de millions de tonnes alors que les émissions se mesurent en milliards de tonnes.

La technique de la fracturation, utilisée pour la recherche d’hydrocarbures non conventionnels, est connue et mise en œuvre depuis 1948 ; le chiffre d’affaires dans ce domaine atteint 50 milliards de dollars et 500 fracturations sont pratiquées chaque semaine, notamment en Amérique du nord. Le sujet fait certes débat, en France et ailleurs – y compris aux États-Unis –, mais je vous renvoie à une étude réalisée par l’ambassade de France à Washington, sur les travaux en vue d’améliorer cette technique et de définir des techniques alternatives, ainsi qu’au programme de recherche élaboré, sur ma sollicitation, par divers organismes publics, dont le CNRS et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), et par l’université de Grenoble I : vous y trouverez des pistes intéressantes.

S’agissant enfin de la gouvernance, il est un point qui me paraît relever au plus haut point des territoires : c’est la politique urbaine. Les décisions en matière d’urbanisme – selon qu’elles conduisent à une densification des centres villes ou à un mitage par les banlieues – ou en matière de transports ont en effet un impact majeur sur la consommation d’énergie à moyen et long termes.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Merci à tous quatre de vos réponses. Cette table ronde constituera une contribution au grand débat qui va être lancé prochainement sur le thème de la transition énergétique. J’en retiendrai pour ma part au moins un enseignement : nous ne réussirons cette transition qu’en partant des besoins, et non de l’offre.

M. le président François Brottes. Je vous remercie à mon tour, messieurs. Par la voix de quarante parlementaires de sensibilités diverses, s’exprimant sans langue de bois, c’est à la France entière que vous avez répondu. Cette table ronde, qui fera l’objet d’une publication, a ainsi démontré son utilité pour un chantier qui, encore à ses débuts, réclame un effort de pédagogie et d’abord, à défaut d’accord sur les perspectives, un diagnostic partagé.

Je remercie le président Chanteguet pour avoir accepté de poursuivre ce travail en commun de nos deux commissions et j’informe mes collègues que nous sommes tous deux parvenus à un accord pour l’organisation d’une table ronde supplémentaire, sur le fret et la logistique.

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III.— TABLE RONDE : LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
OUTRE-MER

Le mercredi 17 octobre 2012, la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde, commune avec la délégation aux outre-mer, sur le développement durable outre-mer, avec la participation de MM. Victorin Lurel, ministre des outre-mer, Vincent Bouvier, délégué général à l’outre-mer, Paul Giacobbi, président et Olivier Laroussinie, directeur général de l’Agence des aires marines protégées, Philippe Lemercier, délégué général outre-mer de l’Ifremer et Lionel Lemoine, directeur du Département Ressources physiques et Écosystèmes fond de mer de l’Institut Carnot Edrome, Pierre-Marie Abadie, directeur de l’énergie, et Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques.

M. Jean-Paul Chanteguet, président. Suite à la Conférence environnementale des 14 et 15 septembre, et après les annonces du Gouvernement contenues dans la feuille de route pour la transition écologique, la commission du développement durable organise une série de tables rondes sur ces questions.

La première table ronde a réuni les représentants de différentes filières des énergies renouvelables et la deuxième, commune avec la Commission des affaires économiques, avait pour thème « quelle énergie pour demain ? ».

Nous abordons aujourd’hui la question du développement durable dans les territoires ultramarins, ce qui nous donne l’occasion d’évoquer la biodiversité, la prévention des risques, la valorisation des ressources et l’approvisionnement en énergie. Je remercie Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation aux outre-mer créée il y a quelques semaines, d’avoir accepté de coprésider cette table ronde à mes côtés.

Je souhaite la bienvenue à M. Vincent Bouvier, délégué général à l’outre-mer ; à MM. Paul Giacobbi, président et Olivier Laroussinie, directeur général de l’Agence des aires marines protégées ; à MM. Lionel Lemoine, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fonds de mer de l’Institut Carnot Edrome et Philippe Lemercier, délégué général à l’outre-mer, qui représentent M. Jean Yves Perrot, président-directeur général de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) ; à M. Pierre-Marie Abadie, directeur de l’énergie, qui représente M. Pierre-Franck Chevet, directeur général de l’énergie et du climat (DGEC), et M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques. M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer, nous rejoindra après le Conseil des ministres pour conclure cette réunion.

M. Jean-Claude Fruteau, président. Je remercie Jean-Paul Chanteguet d’associer la jeune Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale à cette table ronde sur le développement durable dans les outre-mer. C’est un vaste sujet car les politiques recoupent des thématiques nombreuses, mais aussi parce que les configurations et les besoins sont différents d’un territoire à l’autre.

Je voudrais vous faire part d’un retour d’expérience. La Réunion est confrontée à un double problème : l’isolement énergétique résultant de son insularité se complique par l’augmentation constante de sa population, qui compte 830 000 habitants et qui pourrait atteindre le million en 2020.

En matière de production énergétique durable, les marges de développement des outre-mer sont immenses. Le projet GERRI, lancé en 2009, avait pour objectif de faire de la Réunion le premier territoire au monde, d’ici 2030, d’intégration dans une société de toutes les innovations environnementales intéressant la mobilité, l’énergie et ses usages, l’urbanisme, la construction et le tourisme. Comme beaucoup d’autres, j’avais adhéré à ces ambitions. C’est à GERRI que nous devons l’essor fulgurant du photovoltaïque. La filière s’est rapidement organisée et nous avons vu fleurir dans toutes les communes de l’île, avec certes des sentiments mitigés, des champs entiers de panneaux photovoltaïques. Puis brutalement, au détour d’une loi de finances et d’un nouveau décret, cet engouement a cessé, démolissant la filière et les emplois créés. Cette disparition a enterré le projet GERRI et ses ambitions.

Cette expérience est l’exemple parfait de ce qu’il ne faut pas faire. Toute action publique doit être précédée d’une réflexion d’ensemble. En cela, la démarche du président Chanteguet, qui nous réunit ce matin pour décider de la politique de développement durable outre-mer, est exemplaire.

M. Paul Giacobbi, président de l’Agence des aires marines protégées. Récemment nommé, je tiens avant tout à rendre hommage à mon prédécesseur Jérôme Bignon pour le travail remarquable qu’il a accompli.

Au titre des aires marines protégées, l’outre-mer représente un enjeu extraordinaire, à la fois quantitatif et qualitatif. Quantitatif car la zone économique exclusive (ZEE) française, la deuxième au monde, avoisine les 10 millions de km2, dont 97 % sont des aires marines adjacentes à des départements ou territoires d’outre-mer. Cette superficie sera probablement doublée grâce au projet d’extension du plateau continental du programme Extraplac.

L’enjeu de l’outre-mer est également qualitatif car la biodiversité de ces aires marines est extraordinaire, comme en témoignent un certain nombre de travaux dont l’inventaire statistique des oiseaux et mammifères marins établi en collaboration avec l’université de La Rochelle – je précise que cet inventaire est incomplet dans la mesure où deux territoires, Wallis et Futuna et la Nouvelle-Calédonie, n’ont pas été pris en compte pour des raisons budgétaires.

Face à ce double enjeu, l’Agence consacre à l’outre-mer 17 % de son budget global de 21 millions d’euros. Mais les programmes liés à l’outre-mer sont considérablement ralentis et il subsiste un très grand déficit de connaissances qu’il est impératif de combler.

M. Olivier Laroussinie, directeur général de l’Agence des aires marines protégées. Pour illustrer le caractère extraordinaire de la biodiversité marine outre-mer, je citerai quelques chiffres : ces territoires regroupent 6 % des monts sous-marins de la planète, 20 % des atolls, 10 % des récifs coralliens. Ils accueillent des espèces spectaculaires de mammifères et d’oiseaux, des lieux de ponte des tortues et des zones de reproduction pour les oiseaux uniques au monde. Mais la biodiversité marine est également remarquable eu égard aux services écosystémiques qu’elle rend en termes de ressources halieutiques mais aussi d’aménité, sans oublier qu’une part de l’économie des outre-mer est tournée vers le tourisme, qui dépend en partie de la qualité des milieux marins.

La connaissance est l’un des maillons faibles de ce système. Nous avançons à petits pas et nous prenons parfois des décisions qui reposent sur des données approximatives. C’est la raison pour laquelle l’Agence a investi dès sa création dans la collecte de données en réalisant un inventaire statistique des oiseaux et mammifères marins par survol aérien – seul moyen d’aborder l’espace sous-marin sur l’ensemble de sa superficie. Grâce à cet inventaire, nous avons fait d’importantes découvertes comme la présence de très nombreux mammifères marins en Guyane ou les différences qui existent entre l’est et l’ouest de l’île de Madagascar.

L’Agence a entrepris une campagne d’inventaires exploratoires dont l’un aux îles Marquises, en collaboration avec le CNRS, le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), l’Institut de recherche pour le développement et l’Ifremer. Ses éléments serviront à constituer le dossier d’inscription des Marquises au Patrimoine mondial de l’humanité.

Mais la gestion de ces nombreuses aires marines accapare une telle part de nos moyens qu’il nous est impossible de poursuivre ces inventaires exploratoires, voire de terminer l’inventaire statistique sur les oiseaux et mammifères marins.

Les aires marines protégées sont pourtant, dans l’immédiat, l’outil le plus simple en termes de développement durable. Deux démarches existent pour protéger une aire marine : en faire une réserve en vue de protéger telle ou telle espèce, ou bien un parc naturel reposant sur un double objectif de protection et de développement.

Les premières existent déjà outre-mer. Je ne citerai que la réserve naturelle de l’Amana, en Guyane, créée pour protéger les plages où viennent pondre les tortues, la réserve Merlet en Nouvelle-Calédonie, les atolls de Scilly et Bellinghausen en Polynésie, la réserve naturelle du lagon de La Réunion.

Quant au parc naturel, il est tourné vers l’exploitation et la valorisation des espèces protégées. Pensons au parc naturel marin de Mayotte ou au lagon de Nouvelle-Calédonie, dont une partie est inscrite au Patrimoine mondial.

Certaines aires marines sont à la fois une réserve et un parc, comme le Parc national de la Guadeloupe : une totale protection du milieu s’applique dans le cœur de l’espace et l’aire maritime adjacente fonctionne comme un parc naturel marin.

Le Livre bleu Stratégie nationale pour la mer et les océans, approuvé par le Conseil interministériel de la mer en décembre 2009, avait pour objectif de protéger 20 % des aires marines, ce qui témoigne de l’ambition de notre pays. De nombreux projets sont à l’étude ou en cours de réalisation, dont un parc naturel marin en Martinique, une unité d’exploitation de petite pêche côtière en gestion concertée avec les pêcheurs en Guyane, un parc destiné à protéger la barrière de corail en Nouvelle-Calédonie, et d’autres en Polynésie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

Notre démarche consiste à procéder à l’analyse stratégique de chaque aire marine en termes de patrimoine naturel et d’écosystème, mais également d’usages et de ressources. Elle revêt une dimension internationale puisque la France prend part à six conventions de mers régionales. L’un des premiers succès de l’Agence fut d’obtenir un financement de la Commission européenne pour réaliser une étude stratégique à l’échelle du Pacifique Sud. Nous participons enfin au Programme régional océanien de l’environnement, en tentant de concilier protection des mers et exploitation des ressources. Tous les membres de nos équipes, sur le terrain, sont au service du développement durable.

M. Vincent Bouvier, délégué général à l’outre-mer. Le développement durable a une dimension particulièrement importante outre-mer où il répond à une triple nécessité de développement économique, de préservation du patrimoine naturel et de cohésion sociale. C’est d’autant plus important que ces territoires concentrent de multiples problématiques : pression démographique, urbanisation galopante, compétition entre différents usages du sol, défis de l’autonomie énergétique, risques naturels et climatiques, nécessité de préserver les espaces naturels et la biodiversité…

La politique de développement durable outre-mer se décline différemment selon le statut de la collectivité puisqu’un certain nombre d’entre elles – Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Saint-Barthélemy, Wallis-et-Futuna – disposent de la compétence environnement ; la responsabilité de l’État s’y limite désormais à une incitation.

Le développement durable outre-mer recouvre cinq enjeux majeurs.

L’autonomie énergétique et le développement des énergies renouvelables sont le premier enjeu. Les outre-mer ne sont pas interconnectés à des réseaux électriques continentaux et dépendent largement des énergies fossiles. L’objectif fixé par le Grenelle de l’environnement est particulièrement ambitieux puisqu’il impose aux départements d’outre-mer 50 % d’énergies renouvelables en 2020 et 100 % en 2030. Cette transition énergétique totale n’est pas inaccessible compte tenu du potentiel énergétique présent – photovoltaïque, éolien, géothermie, énergie marine, biomasse, hydraulique. Dans cinq de ces territoires, la part des énergies renouvelables est déjà bien supérieure aux 13 % de métropole. La feuille de route issue de la Conférence environnementale prévoit l’organisation, à l’automne, d’un débat sur la transition énergétique ; elle rappelle aussi l’intérêt d’utiliser les outre-mer pour développer une expertise française. En matière d’énergies marines renouvelables, les innovations sont prometteuses – je pense à l’énergie thermique des mers à la Martinique, au projet de climatisation en eau profonde à La Réunion ou encore à la station de transfert d’énergie par pompage de Guadeloupe. La feuille de route fixe un cadre de développement stable aux énergies renouvelables pour éviter la réitération des à-coups dont a souffert la filière photovoltaïque et les perturbations dues aux modifications fiscales. Il est important d’adresser un signal fort aux porteurs de projet : à cet égard, un certain nombre de mesures sont prévues à court terme.

Le deuxième enjeu correspond à la grande vulnérabilité des territoires d’outre-mer face au catalogue impressionnant de risques naturels auxquels ils sont soumis : séismes, irruptions volcaniques, raz-de-marée, cyclones, érosion littorale, glissements de terrain, inondations… Ces dangers ont amené les préfets à élaborer une stratégie pluriannuelle de prévention des risques naturels. Dans les Antilles, particulièrement exposées au risque sismique, nous avons mis en place un plan séisme qui permettra, le cas échéant, de reconstruire les bâtiments publics prioritaires. En 2011, dans le cadre de ce plan, nous avons entrepris une contractualisation avec les collectivités concernées et mis en place des cellules susceptibles de seconder, sur un plan technique, la maîtrise d’ouvrage.

Le troisième enjeu de ces territoires est la préservation et la valorisation de la biodiversité. Or les sites les plus riches sont également souvent les plus menacés. L’outre-mer a une responsabilité particulière sur les coraux puisqu’il compte 10 % de la superficie mondiale des récifs et 20 % des atolls de la planète – la plus longue barrière linéaire de corail se situe en Nouvelle-Calédonie. La France est cofondatrice de l’initiative internationale pour les récifs coralliens, dont la déclinaison française – l’IFRECO – a été mise en place en mars 1999. Une initiative française pour la biodiversité outre-mer est prévue afin de coordonner les actions engagées aux niveaux national et local.

Le quatrième enjeu consiste à protéger et à valoriser les milieux naturels, en particulier les milieux marins. L’objectif de protection a présidé à la création des parcs nationaux de Guyane et de La Réunion et, au niveau international, au classement au patrimoine mondial des récifs coralliens de Nouvelle-Calédonie et des cirques, pitons et remparts de la Réunion. En octobre 2010, la création du sanctuaire des mammifères marins dans les eaux sous juridiction nationale des Antilles répond à la même préoccupation. Mais la protection de l’environnement doit être accompagnée d’un développement économique. Faut-il rappeler que l’outre-mer représente 97 % de la ZEE française ? La mer sera demain un élément majeur de la croissance. C’est dans cet esprit qu’a été créé le Parc naturel marin de Mayotte, en 2010, dont l’objectif de préservation de la biodiversité du lagon mahorais se double d’une ambition de développer le tourisme, l’aquaculture et la pêche. Je pense également au Parc naturel des Glorieuses, créé au début de cette année. L’outre-mer doit acquérir une meilleure connaissance des richesses du milieu marin. Nous connaissons mieux désormais les potentialités de l’aquaculture, de la culture des micro-algues à visée énergétique et des minéraux et fossiles en eau profonde.

Le cinquième et dernier enjeu, mais non le moindre, est celui du développement des transports collectifs. Pour des raisons liées au manque d’espace pour les réseaux routiers et au choix de la voiture individuelle, les outre-mer souffrent d’encombrements routiers préoccupants. Un certain nombre de projets sont en cours comme la mise en service de transports collectifs en site propre à la Martinique, en Nouvelle-Calédonie et à Saint-Martin, sans oublier La Réunion.

En dépit des pressions et des contraintes qui pèsent sur eux, nos territoires d’outre-mer bénéficient d’atouts exceptionnels dans les énergies renouvelables mais également dans le domaine pharmaceutique du fait des propriétés des molécules issues de la biodiversité. Plus qu’ailleurs, la transition écologique peut constituer un levier de développement.

M. Pierre-Marie Abadie, directeur de l’énergie. Je vous prie d’excuser Pierre-Franck Chevet, retenu par un conseil d’administration exceptionnel. Je m’associe à l’orateur précédent sur la nécessité pour le développement durable de répondre aux trois exigences économique, environnementale et sociale.

Une politique de l’énergie doit maîtriser la demande, améliorer l’efficacité énergétique, maîtriser les coûts et la dépendance aux énergies fossiles. Pour cela, il faut faire preuve d’innovation. Elle doit également mobiliser l’ensemble du potentiel renouvelable des territoires, insuffisamment exploité. Il existe une véritable opportunité outre-mer, où ces sources d’énergie sont souvent moins coûteuses que les productions classiques. La politique de l’énergie doit surtout veiller à maintenir l’équilibre entre offre et demande. Cette opération est plus délicate dans les zones non interconnectées (ZNI), en termes de réseaux et de production. Face à ces défis, il est impératif, avant de déployer des moyens, de procéder à de nombreuses expérimentations.

La maîtrise de la demande est un défi particulier outre-mer compte tenu de l’augmentation rapide de la consommation électrique due à la croissance démographique et à un heureux rattrapage du niveau de vie des populations. En Guyane par exemple, la consommation d’électricité a progressé de 15 % en cinq ans. Il convient de maîtriser cette hausse eu égard à la sécurité du système de distribution, au coût du dispositif et à la dépendance aux importations. L’approvisionnement électrique des ZNI, hors Corse, a coûté 1,35 milliard d’euros en 2011, dont 971 millions couverts par la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Loin de moi l’idée de contester l’exigence de solidarité envers l’outre-mer, mais il appartient à la collectivité de forger des outils innovants pour maîtriser la demande, développer les énergies renouvelables et engager des politiques publiques efficaces.

Nous réfléchissons à la façon dont la CSPE pourrait soutenir la production d’énergies renouvelables, dès lors que leur coût serait inférieur à celui des productions habituelles, pour couvrir les hausses de la demande. Les énergies renouvelables sont déjà moins coûteuses que le fuel ou charbon, encore faut-il choisir les plus efficaces, les mieux acceptées et les plus faciles à intégrer dans le système électrique.

On peut citer à cet égard la biomasse, qui du fait de son coût peu élevé, constitue un potentiel intéressant pour la Guyane ou encore Marie-Galante, qui exploite déjà la bagasse-charbon. La bagasse présente plusieurs avantages : sa production est stable et non intermittente, et elle utilise les déchets.

La géothermie est une autre forme d’énergie stable non intermittente. Elle est compétitive, pour la chaleur comme pour l’électricité, mais elle comporte un risque dû à la faible probabilité de réussite des forages. Pour y remédier, il suffirait de mutualiser ce risque, ce que prévoit la feuille de route issue de la Conférence environnementale.

Les énergies fatales ont toute leur place, mais un système non interconnecté ne peut absorber que 30 % de sources intermittente. Des dispositifs innovants permettront sans doute de faire évoluer ce chiffre.

L’énergie éolienne est compétitive. La filière avait commencé à se développer avant d’être évincée par le photovoltaïque. Elle a besoin, pour se relancer, d’un soutien financier. Il y a quelques années, nous avons lancé un appel d’offres pour des installations éoliennes équipées de dispositifs de stockage, ce qui nous a permis de mieux connaître les coûts de production d’énergie éolienne. Nous travaillons actuellement à rendre ces coûts plus fluides, plus ouverts, et mieux adaptés au développement d’une technologie mature. Nous devons parallèlement alléger les procédures administratives. Si la législation n’évolue pas, la rigueur de la loi littoral empêchera l’éolien de se développer outre-mer.

J’en viens à l’énergie photovoltaïque. Ce dossier douloureux résulte d’une politique de niche qui s’est emballée et qui, à de nombreux égards, n’était pas soutenable sur le plan économique. Cette source d’énergie très coûteuse, même en outre-mer, a évincé des énergies intéressantes comme l’éolien. Le photovoltaïque a eu également un impact environnemental car des centaines d’hectares ont été couverts de panneaux solaires. En outre, il présente un risque pour le système électrique du fait du faible taux d’absorption de l’énergie intermittente. Enfin, son impact social apparaît négatif car le développement de sources d’énergie très subventionnées n’est pas sain. Cet épisode démontre l’importance, outre-mer plus qu’en métropole, des schémas régionaux climat air énergie.

L’exigence collective de sécurité suppose d’investir dans les outils de production. Une campagne de renouvellement des centrales thermiques est engagée ; quant à l’équilibre entre offre et demande, plus fragile dans les ZNI, il exige d’expérimenter toutes les formes de stockage. Tel est l’objet des investissements d’avenir et de différents essais lancés par les opérateurs énergétiques. Demain, l’énergie sera-t-elle stockée de manière centralisée ou localisée, voire très localisée chez les particuliers ? Je suis incapable de dire quelle est la meilleure solution, sur le plan économique et environnemental comme en termes de sécurité.

J’insisterai, pour conclure, sur la nécessité de mener des expérimentations avant de déployer massivement une technologie au détriment des autres, et sur l’intérêt d’équilibrer les politiques de soutien de la demande et de renforcement de l’offre.

M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques. La prévention des risques ayant une forte composante normative, il faut distinguer les départements d’outre-mer qui appliquent le droit européen moyennant quelques dérogations – Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion ainsi que Mayotte prochainement –, et les autres territoires, qu’ils soient régis par un code local ou par le code national, mais qui ne sont pas intégrés à l’Europe.

L’insularité et l’éloignement de certains territoires ont un impact sur le traitement des déchets et l’organisation de secours en cas de crise grave, surtout en cas de forte pression démographique et foncière. Il est difficile de déterminer quelle politique mener en matière de prévention des risques. Certes les investissements sont nécessaires, notamment dans le traitement des déchets, mais ils peuvent paraître excessifs à des collectivités dont les charges financières sont déjà importantes.

Les départements, collectivités et territoires d’outre-mer sont exposés aux risques naturels, mais ils connaissent aussi des risques industriels auxquels s’appliquent les règles de droit commun, comme le plan de prévention des risques technologiques (PPRT) sur les sites Seveso ou le plan d’adaptation aux risques sismiques des installations des Antilles.

Ces risques industriels naissent des activités minières, dont nous encadrons l’exploitation. Les mines d’or de Guyane et l’éventuelle exploitation d’hydrocarbures en mer, en Guyane et peut-être dans l’Océan indien, pourraient remettre en cause la sécurité du milieu marin et sa biodiversité. L’extraction du pétrole à cette échelle étant une activité nouvelle en France, l’encadrement des forages nous amènera à nous inspirer de la réglementation internationale. Ces opérations seront l’occasion d’une montée en puissance de l’action de l’État, en liaison avec les acteurs locaux et les industriels.

Le traitement des déchets est un enjeu sanitaire et environnemental dans des territoires à forte croissance démographique et dont les ratios de production de déchets se rapprochent de la moyenne nationale. C’est un outil intéressant pour l’attractivité et le développement économique, voire énergétique. Des progrès importants ont été réalisés depuis une vingtaine d’années avec la fermeture de nombreuses installations non autorisées. Mais dans de nombreux territoires, les décharges seront saturées d’ici quatre ou cinq ans. Aucun territoire, hormis la Martinique, n’est doté d’une installation d’incinération ou de méthanisation des déchets, technologie pourtant parfaitement adaptée à l’outre-mer.

La collecte sélective et le recyclage des déchets montent en puissance, mais ceux-ci ne sont pas transformés sur place : ils sont exportés vers la métropole ou l’étranger, ce qui pose le problème du transfert transfrontalier de déchets. Nous avons demandé à Éco-emballages et Écofolio de se déployer sur les collectivités d’outre-mer, ce qu’ils ont fait. Quant aux déchets domestiques, il faut améliorer la prévention : je salue à cet égard le compostage domestique groupé lancé à La Réunion.

L’ADEME a renforcé sa politique de soutien à l’outre-mer puisque, pour les trois dernières années, elle lui a consacré 40 millions sur un budget national de 300 millions d’euros.

J’en viens à la prévention des risques naturels. Les feux de forêt dont a souffert La Réunion ont entraîné l’adaptation des systèmes de vigilance, de prévision et d’intervention. Ils nous ont amenés à améliorer la gestion forestière. Suite au Grenelle de l’environnement, nous avions demandé aux préfets d’élaborer des stratégies pluriannuelles de prévention des risques naturels. Pour prévenir les événements climatiques, nous pouvons compter sur les systèmes de Météo-France. Mais certains territoires nécessitent un renforcement de ces prévisions. C’est pourquoi Météo-France et l’État ont cofinancé à La Réunion l’installation d’un deuxième radar hydrométéorologique capable de prévoir les événements météo et leur influence sur les rivières de l’île.

D’autres cellules sont à l’étude pour affiner la prévision des inondations. Il ne s’agit pas d’anticiper la gestion de la crise mais de réduire la vulnérabilité des territoires et d’étendre les plans de prévention des risques, qui sont déjà bien implantés outre-mer. Il convient également de développer les appels à projet PAPI (programme d’action de prévention des inondations). Ces contrats, passés entre des maîtres d’ouvrage, des collectivités et l’État, portent sur des aménagements en zones d’expansion des crues – barrages écrêteurs, digues – des actions de prévision et d’alerte, la prévention des risques et la réduction de la vulnérabilité du bâti dans les zones à risques. Plusieurs PAPI sont en cours de signature et d’autres en projet en Guadeloupe.

L’étape suivante sera la mise en œuvre de la directive inondation qui, sous l’égide des préfets de région dans les territoires concernés, a identifié les territoires à risque important d’inondation.

Le plan Séisme Antilles de janvier 2007 portait sur les bâtiments de gestion de crise de l’État. Après le confortement des établissements scolaires, il a été étendu en 2010 aux SDIS puis aux logements sociaux avec les aides du fonds de prévention des risques naturels majeurs. Des contractualisations pluriannuelles ont été signées avec les conseils généraux de Guadeloupe et de Martinique. Restent le bâti privé, industriel – les sites classés Seveso devront être mis à niveau entre 2016 et 2021 – et touristique.

M. Philippe Lemercier, délégué général à l’outre-mer de l’Ifremer. C’est un honneur pour nous de participer à cette table ronde. L’Ifremer est un établissement public industriel et commercial qui emploie 1 500 personnes. Depuis sa création en 1980, il entretient des relations privilégiées avec l’outre-mer. Avec ses 120 permanents, il est présent dans la quasi-totalité des outre-mer français : en Guyane, en Martinique, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à La Réunion, en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie et bientôt à Mayotte.

Notre objectif prioritaire outre-mer est d’engager des actions de recherche en appui au développement socio-économique. Nous le faisons en soutenant les politiques publiques de surveillance, d’aménagement et de gestion des ressources, ainsi qu’en contribuant au développement de filières locales de production. Nous agissons en permanence avec le souci de concilier exploitation et préservation des écosystèmes, en partenariat avec des acteurs nationaux et locaux.

L’Institut est ainsi membre d’ANCRE, l’alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie, et d’ALLENVI, l’alliance nationale de recherche pour l’environnement. Récemment, ALLENVI a confié sa vice-présidence outre-mer à l’Ifremer.

En ce qui concerne les ressources vivantes et les perspectives de développement, j’évoquerai successivement la pêche, l’aquaculture et la valorisation de la biodiversité.

Le secteur halieutique représente outre-mer une production annuelle d’environ 50 000 tonnes. La consommation locale, bien que relativement faible, souffre d’un déficit permanent comblé par l’importation. Il y a donc un intérêt évident à développer l’activité. J’insiste sur l’exigence d’une meilleure connaissance des stocks. L’Ifremer a contribué à l’installation outre-mer du système d’information halieutique (SIH) qui existait en métropole, depuis de longues années, en tant qu’outil de la politique commune de la pêche (PCP). Malgré ce déploiement, force est de constater que la connaissance de la ressource reste insuffisante. À ce jour, la perspective la plus raisonnable pour la pêche outre-mer est de maintenir le secteur a minima. Des marges de progrès existent, notamment en améliorant la rentabilité des exploitations, mais au niveau quantitatif les perspectives apparaissent limitées. Elles concernent essentiellement les grands pélagiques issus de la pêche au large ou côtière. En tout état de cause, aucun développement n’est possible en dehors d’une meilleure connaissance de la ressource, de l’adaptation des flottilles et d’un certain nombre d’améliorations techniques. C’est l’un des enjeux de la future politique commune de la pêche outre-mer et du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) qui devrait être doté de 6 milliards d’euros.

J’en viens à l’aquaculture. L’outre-mer compte plusieurs filières aquacoles : la perliculture en Polynésie, la crevetticulture en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, la pisciculture marine dans plusieurs territoires, sans oublier les filières émergentes comme la pectiniculture – l’élevage des pétoncles – à Saint-Pierre-et-Miquelon et la production de micro-algues en Nouvelle-Calédonie. L’aquaculture évolue dans un contexte très différent de celui de la pêche. C’est un secteur relativement modeste, à l’exception de la perliculture et de la crevetticulture, mais qui offre d’importantes perspectives en termes d’emplois et de productions.

En bref, l’Ifremer intervient sur l’acquisition de connaissances, la gestion durable, la conservation de la biodiversité, l’évaluation des stocks halieutiques, la bancarisation et l’accessibilité des données.

M. Lionel Lemoine, directeur du département Ressources physiques de l’Institut Carnot Edrome. Tout le monde est conscient de ce que représentent les ressources minérales des grands fonds. Les métaux stratégiques et les terres rares sont l’objet d’une forte compétition internationale. La Chine, la Russie, l’Inde, la Corée du Sud ont obtenu des permis pour exploiter les nodules et les amas sulfurés dans les eaux internationales.

Les minéralisations les plus intéressantes à nos yeux sont les nodules polymétalliques des eaux internationales. La France, par le biais d’Ifremer, a obtenu un permis qui lui permet d’effectuer depuis dix ans des recherches dans la zone de Clarion-Clipperton. Ces minéraux sont présents sur les encroûtements cobaltifères qui se développent sur les fonds océaniques, sur les substrats durs et dans les zones de faible sédimentation riches en cobalt et en platine. Une chance pour la France : les zones les plus riches se trouvent en Polynésie.

Les matériaux qui suscitent l’intérêt le plus vif sont les sulfures hydrothermaux, qui peuvent présenter des concentrations diverses en métaux – nickel, cobalt, cuivre, terres rares – ainsi que les métaux nobles comme l’or et le platine présents dans des zones volcaniques ou des zones inactives dont la taille va de quelques milliers à quelques millions de tonnes. Eu égard aux ressources minérales, l’outre-mer français présente donc un intérêt évident.

Le Conseil interministériel de la mer nous a permis d’engager un partenariat dans la zone de Wallis-et-Futuna avec l’Agence des aires marines protégées, le BRGM et Areva. Du fait d’un certain nombre de difficultés, c’est avec Technip et Eramet que nous poursuivons l’exploration préalable de la zone. Nous avons trouvé des indices intéressants et nous allons entrer dans la phase d’analyse des écosystèmes profonds.

L’Ifremer a apporté son concours scientifique à l’initiative prise par le Comité pour les métaux stratégiques (COMES) d’établir une stratégie nationale d’exploration à la suite du programme Extraplac. Nous espérons que cette ambition se concrétisera.

L’Institut participe également à une expertise collective, à l’initiative du ministère de l’environnement et avec la coopération du CNRS, visant à parfaire notre connaissance de la biodiversité, du fonctionnement des écosystèmes et de leur impact potentiel. Mais l’exploration exige beaucoup de moyens, en particulier navals. Il faudra sans doute engager des campagnes si nous voulons recueillir des moyens significatifs.

Les énergies marines renouvelables pourraient devenir un élément important du bouquet énergétique outre-mer. Leur part n’est pas encore significative et un effort est en cours pour développer la filière. L’éolien, mais également l’énergie éolienne flottante et l’énergie hydrolienne pourraient intéresser. Des projets sont en cours à la Martinique, en Polynésie et à La Réunion pour utiliser l’énergie thermique des mers. La filière de la climatisation en eau froide doit parvenir à abaisser ses coûts de production, qui vont de 200 à 400 euros le MWh. L’Europe, la Grande-Bretagne et la France se sont engagées pour lever les verrous technologiques. La priorité pour l’outre-mer est d’appréhender le gisement d’énergie pour adapter les structures en mer à des conditions cycloniques. Les acteurs privés sont impliqués et proposent d’ores et déjà des prototypes, dont certains actuellement testés à La Réunion.

Au sein de l’ANCRE, j’anime le groupe chargé des énergies marines renouvelables. Plusieurs consortiums industriels se sont engagés à développer les filières éolienne et hydrolienne pour les amener à maturité à l’horizon 2015.

L’outre-mer doit s’attacher à bien identifier ses ressources pour aider les développeurs à s’implanter, en tenant compte des particularités insulaires, des usages et du stockage de l’énergie. L’institut d’excellence en énergies décarbonées France Énergies Marines aidera la filière à progresser dans des conditions respectueuses de l’environnement.

M. Jean-Yves Caullet. La compétence, la connaissance et l’expertise sont des thématiques majeures en matière de biodiversité et de développement durable. Sommes-nous conscients des enjeux stratégiques, nationaux et internationaux qu’elles représentent ? Le statut de chaque outre-mer influence-t-il votre façon de les prendre en compte ?

Quelle est votre position sur la brevetabilité du vivant dont nous ne connaissons pas les potentialités ?

Quant à l’aquaculture et aux nodules polymétalliques, nous en parlions déjà il y a trente ans comme d’éléments à fort potentiel. Comment expliquez-vous que ce potentiel ne soit pas devenu une réalité ?

M. Martial Saddier. Les parlementaires du groupe UMP tiennent à rappeler que les populations et territoires d’outre-mer représentent une richesse pour notre pays, tant pour leur culture que pour leur biodiversité. Grâce à eux, la France est présente sur deux hémisphères et sur trois océans, elle a la chance de compter cinq de ses territoires parmi les vingt-cinq zones les plus riches en biodiversité et elle est la première destination touristique au monde.

L’organisation territoriale actuelle est-elle satisfaisante en matière de compétence environnementale ? L’acte III de la décentralisation pourra-t-il faire évoluer la situation ?

Lors de la Conférence environnementale, la ministre a annoncé la mise en place d’une stratégie globale et la tenue d’assises de la biodiversité. Pourrez-vous lui demander, monsieur le président, de nous en préciser le calendrier ?

S’agissant du soutien aux énergies renouvelables, que proposez-vous pour éviter les effets d’aubaine et la distorsion de concurrence à laquelle a été confrontée la filière photovoltaïque ?

Comment régler les problèmes relatifs à l’interconnexion, à l’insertion dans le réseau ? Quel est selon vous le bon équilibre entre l’éolien, la géothermie et la biomasse ?

Les forages en Guyane seront-ils finalement autorisés ?

Face aux problématiques des requins et des espèces invasives et exotiques, la réglementation actuelle est-elle suffisante ?

Vous n’avez pas évoqué la prévention du risque de raz-de-marée. Quelles sont les mesures prises en la matière ?

Enfin, où en sommes-nous de la mise en place du Centre national d’alerte ? Quelle est la part de l’outre-mer dans les PAPI ?

M. Stéphane Demilly. Les espaces naturels des outre-mer, par leur extraordinaire biodiversité, sont des milieux fragiles, menacés, qu’il convient de protéger.

Chacun a en tête le scandale du chlordécone, utilisé massivement dans la culture de la banane aux Antilles afin de lutter contre le charançon du bananier. Les Antillais n’en finissent pas de découvrir l’ampleur des dégâts occasionnés par ce dangereux pesticide, près de vingt ans après son interdiction. Quelles sont les mesures prises pour dépolluer les zones contaminées ?

La biodiversité constitue une importante ressource pour les habitants. Ainsi aux Antilles et à La Réunion, la population utilise les plantes pour l’alimentation, la cosmétique et la médecine traditionnelle. La valorisation de ces plantes à des fins pharmaceutiques permettrait de créer des emplois locaux. Des actions seront-elles engagées en ce sens ?

La bagasse, issue de la culture de la canne à sucre, constitue une autre ressource énergétique. Pouvez-vous, monsieur le délégué général à l’outre-mer, dresser un état des lieux des projets en vue de l’utilisation de cette ressource endogène et bon marché ?

M. Gabriel Serville. La Guyane oscille entre espoir et inquiétude. Son extraordinaire biodiversité est fortement menacée par l’orpaillage clandestin et elle est confrontée à des difficultés d’accès à la biodiversité. Les deux tiers de l’électricité sont produits par le barrage hydroélectrique de Petit-Saut et 56 % de son bouquet énergétique est basé sur les énergies renouvelables, ce qui la place dans le peloton de tête des départements.

La filière biomasse pourrait créer 350 emplois liés à l’exploitation et la maintenance et 150 emplois dans les centrales. En outre, nous avons intérêt à développer l’énergie photovoltaïque dans un département ensoleillé neuf mois sur douze. Mais pour répondre à la demande, la consommation électrique ayant doublé au cours des dix dernières années, nous devons recourir à l’électricité thermique. Peut-on passer à 100 % d’énergies renouvelables en 2030 tout en profitant des forages pétroliers au large de la Guyane ? Ce paradoxe nous rend schizophrènes.

Le barrage de Petit-Saut a subi les outrages du temps et présente quelques fissures dans sa structure. Des examens seront prochainement effectués. Nous espérons que les résultats ne seront pas inquiétants car, s’il venait à rompre, c’est toute la Guyane qui serait inondée.

Les forages pétroliers inquiètent les associations environnementales et les pêcheurs, qui craignent un manque de transparence et réclament un échantillonnage permettant de connaître l’évolution de la faune marine avant, pendant et après les explorations. Nous sommes en contact permanent avec la société Shell. Nous avons le sentiment que les choses évoluent, mais des précisions complémentaires nous permettraient de rassurer. La pêche est le troisième secteur économique du département et les pêcheurs s’orientent vers une éco-certification européenne des produits marins en vue d’obtenir l’écolabel MSC. Je rejoins un intervenant précédent sur la nécessité d’un cadre stable et pérenne pour l’outre-mer.

La Guyane, contrairement aux autres outre-mer, ne présente aucun risque sismique ou volcanique ; elle ne se trouve pas sur le passage des cyclones. Cette stabilité climatique est un véritable potentiel qui devrait aboutir à des réalisations concrètes.

Mme Laurence Abeille. Nous avons examiné la semaine dernière le projet de loi de régulation économique des outre-mer, sur lequel mon collègue François-Michel Lambert a défendu nombre d’amendements tendant à faire cesser la dépendance commerciale aux importations de la métropole. Les marchandises parcourent de longues distances, ce qui dégrade l’empreinte carbone des biens. Les députés écologistes souhaitent le développement des filières courtes et des échanges commerciaux régionaux, avec les Caraïbes notamment. Ils souhaitent que les financements outre-mer soient conditionnés au caractère social et environnemental des opérations, en ciblant les structures de transport collectif, les moyens de production d’énergies renouvelables, les centres de stockage des déchets et les réseaux d’assainissement. L’outre-mer ne saurait être considéré uniquement sous l’angle de la biodiversité, aussi précieuse soit-elle.

La surcharge pondérale des ultramarins est inquiétante ; la teneur en sucre des produits qui y sont vendus est supérieure de 40 % à celle des produits vendus en métropole. Que proposez-vous pour y remédier ?

Les bananeraies de Guadeloupe sont traitées par voie aérienne cinq fois par an, et jusqu’à douze fois pour certaines maladies. Certes, la situation est pire en Colombie et, en 2011, un rapport du sénateur Daniel Marsin soulignait que l’utilisation des produits phytosanitaires dans la culture de la banane aux Antilles avait diminué de 70 % en dix ans. Nous nous en félicitons, mais ne peut-on aller jusqu’à interdire totalement les épandages aériens, notamment dans les bananeraies ?

L’outre-mer doit en finir avec le modèle agro-exportateur « banane sucre » et revenir à une agriculture locale et durable qui permettrait d’augmenter le taux de couverture alimentaire et de réduire les prix à la consommation. Comment développer un tel modèle ?

Pouvez-vous dresser le bilan à mi-parcours du plan d’action 2011-2013 contre la pollution, mis en place après la catastrophe environnementale et sanitaire du chlordécone ?

L’orpaillage en Guyane nous inquiète énormément, au même titre que les forages. Les concessions d’exploitation seront-elles accordées ? Qu’en pensent les représentants de l’Agence des aires marines protégées ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je poserai deux questions sur le domaine particulier de l’énergie. La première concerne l’appel d’offres lancé en matière d’éolien en mer : les projets retenus vont-ils être mis en œuvre ? Quant à la seconde, elle est relative à la biomasse : j’aimerais comprendre les procédures d’appel d’offres dans ce domaine spécifique.

La conférence de Nagoya a abouti à l’adoption d’un protocole sur l’accès aux ressources et le partage des avantages tirés de la biodiversité et l’établissement d’objectifs pour 2020. Pourriez-vous nous donner quelques informations sur l’état des ratifications en Europe et dans le monde ?

Le débat sur la transition énergétique va être lancé sous peu. Avez-vous des informations sur les modalités de son organisation dans les territoires ultra-marins ? Bénéficieront-ils d’un traitement différencié ?

Mme Sophie Errante. Depuis quelques années, les chercheurs s’intéressent aux algues comme biocarburants de troisième génération. Ces algocarburants présentent l’intérêt de ne pas entrer en concurrence avec l’agriculture et, donc, avec l’alimentation humaine. Les micro-algues, cultivables dans l’eau salée, préservent les réserves d’eau douce. De plus, la production d’huile à l’hectare est très performante : c’est un atout de poids dans la compétition pour l’usage des sols. Enfin, les algocarburants sont moins polluants que les hydrocarbures : le rejet de dioxyde de carbone qui leur est imputable serait plus faible de 10 % à 15 %. Plusieurs programmes de recherche existent à travers le monde. Des entreprises se sont lancées dans la recherche outre-mer, à La Réunion, par exemple. Le principal obstacle reste celui du coût, de l’ordre de dix euros par litre.

Voilà une opportunité qui pourrait être remarquable, tant sur le plan économique qu’environnemental. Pourriez-vous nous dresser un tableau de l’état actuel de la recherche autour des algocarburants et nous faire part des perspectives d’avenir du secteur ?

M. Jean-Marie Sermier. La Guyane est un département atypique au plan national du fait de sa surface : 83 000 km², soit presque 8 millions d’hectares de bois – dont 5,5 millions gérés par l’ONF. N’est-ce pas dans ce département qu’il convient de lancer une expérimentation d’envergure en matière de valorisation de la biomasse, pour qu’il devienne un modèle dont l’expérience puisse être utile à l’ensemble du territoire français ? Je suis élu dans le Jura, qui compte beaucoup de forêts mais où la valorisation du bois apparaît difficile. Nous sommes en quête d’une locomotive. Les 65 000 m3 récoltés chaque année génèrent nécessairement des déchets, dont l’utilisation permettrait l’émergence d’une filière capable de produire une grande quantité d’énergie. Il me semble que ce gisement mérite une attention particulière, notamment au plan financier.

M. Philippe Plisson. J’ai entendu que les contraintes réglementaires de la loi Grenelle 2 avaient porté un coup mortel à l’installation d’éoliennes outre-mer comme en métropole. Ceci ne peut que conforter les amendements défendus lors de l’examen de la proposition de loi sur la tarification progressive de l’énergie.

Plus généralement et ainsi que l’ont souligné tous les intervenants, il y a des enjeux spécifiques de développement durable dans les territoires d’outre-mer, comme la biodiversité ou les énergies renouvelables. Pour le premier, les aires marines protégées constituent une réponse. Pour le second et compte tenu du potentiel, ne faudrait-il pas – au-delà des appels d’offre traditionnels – une procédure spécifique, forte et adaptée ? À quand une sorte de « Plan Marshall » à la française pour les énergies renouvelables outre-mer ?

M. Charles-Ange Ginesy. Nous avons beaucoup entendu parler de biodiversité et d’énergies renouvelables. Dans le cadre d’un développement durable de l’outre-mer, il me semble que l’agriculture a également toute sa place. Où en sont aujourd’hui les dispositifs destinés à son développement ?

Pour ce qui concerne les énergies renouvelables, l’éolien peut venir en soutien ou en substitution des équipements photovoltaïques. S’agit-il alors d’un éolien terrestre ou marin ? Existe-t-il des schémas régionaux de développement analogues à ceux de métropole ?

Je m’associe enfin à la préoccupation exprimée par Martial Saddier à propos d’une population de prédateurs mal maîtrisée qui prospère à l’abri des parcs nationaux. L’expérience acquise sur le continent, avec le loup et avec l’ours, conduit à n’envisager l’extension des périmètres des réserves qu’avec une prudence extrême.

Mme Chantal Berthelot. Je relis l’intitulé de notre réunion, « Le développement durable outre-mer », et je m’interroge sur sa pertinence : ne faudrait-il pas la rebaptiser « Les enjeux environnementaux outre-mer » ? Le développement durable repose sur trois piliers : économique, social, environnemental. Je n’aperçois d’ailleurs autour de cette table que des experts techniques.

Ce n’est que lorsqu’un intervenant a parlé de santé que nous sommes entrés dans le vif du sujet. À mon sens, la vraie question est la suivante : quel modèle de développement souhaitons-nous pour l’outre-mer, et notamment pour la Guyane ? Nos territoires relèvent des défis considérables – démographie, géographie, retards structurels. Comment les politiques publiques peuvent-elles accompagner un développement qui soit véritablement au service des populations ?

M. Jean-Pierre Vigier. L’outre-mer abrite aujourd’hui deux millions et demi de personnes. Tous les territoires ne sont pas indépendants sur le plan énergétique : je pense à la Guyane qui dispose d’un barrage hydroélectrique pour les deux tiers de sa consommation énergétique, mais qui recourt aux importations de fioul pour le tiers restant. Peut-on raisonnablement espérer une autosuffisance – et, si oui, à quelle échéance – grâce au développement des énergies renouvelables, dans le respect de la qualité des sites ?

M. Yves Albarello. J’ai entendu que les importations d’énergie de l’outre-mer se montaient à 1,9 milliard d’euros, compensés par la CSPE à hauteur de 900 millions d’euros. Est-ce exact ? Jugez-vous réalistes les échéances établies par le Grenelle de l’environnement en matière énergétique outre-mer ?

L’exploitation pétrolière en mer a été évoquée, mais trop rapidement. Il me semble qu’il existe un fantastique potentiel énergétique outre-mer, notamment en termes d’énergies fossiles. Comment faire pour identifier ces potentialités ? Pourrons-nous les exploiter – ce qui permettrait de mettre fin à ces importations qui grèvent substantiellement les budgets ?

M. Alain Marleix. La marine nationale a notamment pour mission de faire respecter les règles de pêche dans la zone économique exclusive. Dispose-t-on d’un bilan chiffré des arraisonnements réalisés ou des infractions constatées ? Je pense notamment aux navires de certaines puissances asiatiques, aux besoins alimentaires importants et aux pratiques peu scrupuleuses.

M. François-Michel Lambert. Comment protéger les territoires ultramarins de la convoitise des grandes puissances européenne, américaine, brésilienne ou chinoise ? Si le développement d’une agriculture outre-mer est en effet très difficile, c’est parce que ses productions sont concurrencées par les produits importés de métropole.

La protection absolue de la biodiversité me semble fondamentale. Les conséquences de la mise en place d’un parc naturel sur les populations de prédateurs, évoquées par certains collègues, sont imaginaires : ces prédateurs sont loin d’être assez nombreux en unités comme en diversité.

Comment sortir d’un modèle de développement piloté depuis la métropole, pour se diriger vers un modèle bien plus durable, qui associerait les partenaires de chaque bassin de population et les pays limitrophes ?

M. Pierre-Marie Abadie. Je réponds à M. Jean-Yves Caullet pour lui indiquer que les outre-mer sont effectivement engagés, du point de vue énergétique, dans des coopérations interrégionales avec les États voisins. C’est le cas en Martinique, où nous avons l’opportunité de développer la géothermie en collaboration avec la Dominique au moyen d’une interconnexion, mais également pour des îlots inhabités dont les ressources pourront être exploitées en commun. L’appartenance à l’Union européenne peut cependant s’avérer une contrainte du point de vue des normes, notamment en ce qui concerne les véhicules automobiles : dans certains cas, des produits pétroliers sont disponibles des tarifs inférieurs, mais ils ne satisferaient pas aux exigences de ces normes.

En matière de décentralisation, des avancées institutionnelles pourraient s’avérer bénéfiques. Elles permettraient de s’affranchir d’une logique productiviste à long terme, et de remplacer des politiques déconcentrées par des politiques territorialisées d’aménagement du territoire, d’urbanisation, de rénovation et d’efficacité énergétique du bâtiment, de transports collectifs et de mobilité. Il existe cependant un défi, tant en métropole que dans les territoires ultramarins, qui est celui de la péréquation : il peut faire naître des situations où des territoires, qui ne paient pas, décident pour d’autres qui assument l’intégralité du financement.

Pourrons-nous atteindre les objectifs du Grenelle de l’environnement en matière énergétique ? Oui. Avant de songer à l’autonomie, il reste préférable de viser l’indépendance énergétique en assurant la sécurité de nos approvisionnements. Cela doit se faire de façon compétitive, sécurisée, et respectueuse de l’environnement comme du climat. Toutefois, gardons à l’esprit que la France n’accédera probablement jamais à l’autonomie énergétique, tout simplement parce qu’elle manque de ressources naturelles. Nous aurons, de toute façon, durablement besoin de pétrole pour nos déplacements. Mais le recours aux énergies renouvelables pour couvrir la moitié de la consommation d’énergie dans les outre-mer à l’horizon 2020 ne me paraît pas hors de portée – les projections en attestent. Les objectifs assignés en matière de transports risquent, eux, de ne pas être respectés.

L’éolien outre-mer concerne essentiellement des installations à terre : en lisière des côtes, les fonds marins sont très profonds, et les pales installées en mer ne peuvent être fixées qu’à un maximum de 30 à 40 mètres de fonds. Les potentialités de l’éolien en mer posé resteront dont limitées. L’éolien flottant permettra de s’affranchir de l’obstacle, mais cette technologie demeure au stade du démonstrateur. Pour développer l’éolien terrestre, un appel d’offres a été lancé mais les projets butent sur l’évolution de la jurisprudence issue des lois montagne et littoral : cette dernière impose, par exemple, l’installation des parcs en continuité de l’urbanisation, ce qui s’avère impossible pour des raisons de sécurité. Des amendements devraient assouplir cette contrainte pour les outre-mer.

La bagasse figure à raison en bonne place dans le bouquet énergétique outre-mer. Cette technologie, qui s’appuie sur de bons projets, a bénéficié d’une relance il y a deux ans grâce à une hausse sensible de ses tarifs de rachat ; elle paraît adaptée au contexte ultramarin, comme l’a rappelé le président Jean-Paul Chanteguet. Nous avons trouvé un bon équilibre, qui vise à encourager les équipements énergétiques sans transformer les dispositifs électriques en subvention pour l’agriculture.

Pourquoi des appels d’offres ne sont-ils pas lancés dans la cogénération électrique ? Ces projets sont lourds, ils impactent fortement les filières d’approvisionnement dont nous voulons préserver la sécurité, et ils sont susceptibles de créer des conflits d’usage. Il faut donc, avant de lancer des consultations, agir de manière prudente et raisonnée – d’ailleurs en métropole comme outre-mer. Une polémique existe sur les quatre derniers appels d’offres qui ont été lancés sur le territoire national, car tous les projets ont été retenus. Or la maîtrise des approvisionnements revêt une importance capitale : j’ai eu l’occasion d’évoquer ce sujet avec M. François-Michel Lambert. Je rappelle qu’il subsiste un tarif d’achat en-deçà de 12 MW, réservé donc aux petites installations, et que seuls les projets d’une puissance supérieure nécessitent un appel d’offres. Mais l’existence d’un tarif ne conditionne pas l’activité, dès lors que le coût de production est inférieur au coût standard, c’est-à-dire au prix du fuel. Dans ce cas, des structures comme EDF-Système électrique insulaire (SEI) contractent avec les porteurs de projets, sur la base du coût complet, et les rendent éligibles à la compensation de la Commission de régulation de l’électricité (CRE). Pour les projets de biomasse – je pense en particulier à un dossier de Guyane, dans un environnement isolé – c’est bien dans ce cadre que l’on s’inscrit. Le dialogue entre les investisseurs et le régulateur vérifie que les coûts envisagés sont inférieurs au coût évité. Il n’est besoin ni de tarifs ni d’appel d’offres spécifiques.

Les forages en mer nécessitent un encadrement technique fort. La question des retombées, qui est un sujet fiscal et d’accompagnement économique, mérite réflexion : une mission a été confiée à Anne Duthilleul, qui avait travaillé il y a quelques années sur l’exploitation du nickel en Nouvelle-Calédonie. En outre, la réforme du code minier, actuellement en préparation, permettra de moderniser les aspects spécifiques aux outre-mer.

M. Vincent Bouvier. M. Victorin Lurel aura l’occasion de préciser certains points, mais je vais déjà pouvoir apporter quelques réponses. En ce qui concerne la dimension stratégie de la protection des ressources, la situation de l’outre-mer est remarquable tant par son étendue – la deuxième zone économique exclusive au monde est grandement ultramarine – que par sa biodiversité foisonnante. Hélas, les menaces sont d’une envergure tout aussi considérable. Certains territoires font l’objet de contestations par les États voisins. La compétition économique s’avère féroce, notamment pour l’accès aux amas sulfurés où la Chine se montre particulièrement offensive en multipliant les dépôts de permis d’exploration.

Le rapprochement de ces enjeux et de ces contraintes nous conduit à mêler l’impératif de protection écologique et l’ambition d’exploitation économique. Pour apporter de meilleures réponses, nous réfléchissons dans un cadre de coopération régional, ce qui a déjà été illustré par la question de l’énergie. Nous évoluons aussi dans un cadre européen, dont le meilleur exemple se trouve dans les actions conjointes de lutte contre la piraterie. Enfin, et ceci fait écho aux débats qui entourent le Livre blanc sur la défense, ces enjeux nous demandent de disposer de forces suffisantes pour affirmer notre souveraineté : c’est un enjeu central et régalien. Dans la lutte contre la pêche illégale par exemple, et ceci répondra à l’interrogation de Monsieur Marleix, la multiplication des moyens navals a permis d’obtenir des résultats tout à fait significatifs. La question des moyens de souveraineté est donc nodale s’il s’agit de combattre la piraterie, de préserver les ressources halieutiques et de limiter l’immigration clandestine.

Le plan chlordécone 2, validé à la fin de l’année 2010, prend en compte des aspects de prévention, d’information et de recherche sur les moyens de circonscrire cette pollution. Nous disposons de crédits ministériels et interministériels qui associent l’Agriculture, la Santé et la Recherche.

Je ne crois pas trahir la pensée du ministre sur la question de l’épandage aérien au-dessus des bananeraies en soulignant l’importance économique de la production bananière : il faut agir avec prudence. Nous travaillons à des moyens d’épandage terrestre basés sur une chenillette articulée. Je n’entrerai pas dans les détails techniques, mais soyez convaincus du sérieux avec lequel ce défi est relevé.

Je crois savoir que le ministre s’exprimera sur les sujets agricole et énergétique ; je ne les aborderai donc pas.

M. Olivier Laroussinie. Je confirme que les enjeux ultramarins se situent à différentes échelles – locale, nationale, régionale, mondiale. En ce qui concerne les scientifiques, qui conçoivent toujours leurs actions dans le cadre de réseaux internationaux, c’est naturellement une vision large qui s’impose. Toutefois, les moyens à notre disposition limitent fortement nos travaux : quand on fait l’inventaire des mammifères marins dans les eaux sous juridictions françaises, observer seulement les eaux sous juridiction française n’a aucun sens. Aux Antilles, il aurait fallu embrasser toutes les Caraïbes pour produire une synthèse cohérente. Ce fut possible jadis dans l’océan Indien – Seychelles, Maurice, Comores, etc. – mais nous étions alors dans les premiers temps de l’Agence et le budget était à la hauteur des ambitions.

Au-delà des inventaires, il faut savoir valoriser l’information collectée. La démarche de l’Agence marie protection du patrimoine naturel et usage des ressources. Pour cela, les discussions avec les parties prenantes enrichissent les synthèses qui formulent des choix. Là aussi, il convient de se placer à l’échelle des mers régionales. Notre succès dans l’appel à projets BEST de la Commission européenne nous permettra, à l’échelle du Pacifique sud et en lien avec le Forum des îles du Pacifique, de pratiquer cette analyse stratégique. Nous aimerions pouvoir faire de même dans tous les espaces régionaux qui abritent un territoire français.

Les modèles économiques d’exploitation constituent un autre enjeu. Je prends l’exemple de Mayotte, où le parc naturel marin a reçu l’objectif de développer la petite pêche : c’est clairement un outil pour les pêcheurs mahorais contre les thoniers venus de métropole et d’Espagne.

L’organisation territoriale attribue déjà aux régions d’outre-mer des compétences marines qu’elles n’utilisent pas, car le matériel et les compétences scientifiques de pointe leur font défaut. L’Agence des aires marines protégées a joué un rôle important en dressant les premières cartes de la zone économique exclusive mentionnant les enjeux socio-économiques. Les informations dont nous disposons nous ont permis de le faire en Guyane ; c’est impossible en Martinique où nos connaissances se limitent aux secteurs côtiers. Les régions pourraient mieux employer leurs compétences dans un cadre qui englobe les trois aspects du développement durable : à Mayotte, le parc naturel s’est doublé d’un conseil de gestion de la zone économique exclusive qui se saisit aussi bien des récifs coralliens que de la pêche, du tourisme et de l’aquaculture. Le système de suivi des ressources halieutiques de l’Ifremer à Mayotte s’appuie ainsi grandement sur le parc naturel marin.

J’en termine avec les questions de ressources génétiques. Les difficultés rencontrées en mer sont identiques à celles qui se manifestent sur terre, mais elles se compliquent du silence de la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer à propos de la biodiversité. Sans attendre la révision hypothétique de cette convention de Montego Bay, la loi française devrait permettre d’en interpréter les stipulations sur toutes les questions nouvelles.

Quant aux forages pétroliers en Guyane, il existe un enjeu national et des retombées locales importantes. L’étude d’impact et le suivi environnemental sont à la charge de la société opératrice ; l’Agence n’est pas en mesure de lui fournir un inventaire biologique sur le plateau continental, faute de moyens.

M. Laurent Michel. Le permis de recherches de Guyane maritime a été accordé à un consortium conduit par Shell. La demande de travaux porte sur quatre forages et une campagne sismique. Je ne doute pas que cette compagnie prenne les mesures de protection de l’environnement qui s’imposent. Néanmoins, le préfet de Guyane a exigé une tierce expertise sur les dangers potentiels pour l’environnement. Il a donc non seulement pris un arrêté sur le forage, mais il en a également signé d’autres sur les risques sismiques et sur le suivi de la faune – mammifères et tortues. La direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Guyane mène parallèlement des actions en amont, par exemple lorsqu’elle examine les plateformes de forage à leur réception.

J’indique à M. Martial Saddier que nous travaillons sur les raz-de-marée dans le cadre de la Conférence océanique internationale, avec des systèmes d’alerte dans l’océan Pacifique et dans l’océan Indien – où Météo-France est le point récepteur. Pour les Caraïbes, le système d’alerte a été confié à Porto Rico. En France, nous travaillons sur des plans particuliers d’intervention. Je rappelle que le Commissariat à l’énergie atomique est en charge du dispositif d’alerte pour l’Atlantique nord-est ainsi que pour la Méditerranée.

Vous avez posé la question des crédits budgétaires sur les programmes d’action et de prévention des inondations (PAPI). Il n’y a pas d’enveloppes régionales mais une dotation nationale, le Fonds de prévention sur les risques naturels majeurs – dit Fonds Barnier – à hauteur de 80 à 90 millions d’euros. Les seuls plans signés outre-mer l’ont été à La Réunion et représentent 1 à 2 millions d’euros par an. En revanche, il y a une forte mobilisation budgétaire sur les risques de séisme aux Antilles, avec une contribution de 15 à 25 millions d’euros grâce au Fonds Barnier, plus une contribution du ministère chargé de l’outre-mer sur le logement et les écoles.

Monsieur Serville, s’agissant du barrage de Petit-Saut, nous n’avons pas d’information alarmante qui soit remontée au niveau national. Je peux demander au préfet de vous délivrer des informations complémentaires en fonction des fissures détectées.

Je vais maintenant apporter quelques compléments d’information sur les actions de dépollution, sujet évoqué par M. Stéphane Demilly avec le plan chlordécone. Nous avons signé deux conventions avec le BRGM pour des tests et un développement technique. Une autre convention pour des essais sur le terrain, avec identification des produits de dégradation, remonte à fin 2011 pour un montant d’un million d’euros. Pour son suivi, un comité de pilotage a été installé autour du préfet, ainsi qu’un groupe d’experts afin d’évaluer l’effet des produits de dégradation. Le plan chlordécone comprendra aussi une étude sur l’état sanitaire de la population exposée aux produits toxiques : pêcheurs, enfants, personne ayant consommé leurs propres légumes… Les prélèvements devraient se dérouler entre avril et juillet 2013.

Nous n’avons pas reçu de demande particulière sur l’organisation territoriale de la prévention des risques. Nous souhaitons avant tout maintenir les compétences de l’État dans des régions où nous disposons d’effectifs de faible importance. Nous assurons nos missions grâce à des actions interrégionales, comme l’appui de La Réunion à Mayotte. De même, nous appuyons tous les projets d’intercommunalité comme celui du traitement des déchets à Mayotte, qui devrait prochainement s’étendre à la collecte.

M. Philippe Lemercier. Les travaux de L’Ifremer ont des enjeux régionaux, nationaux et internationaux. C’est un exercice difficile compte tenu de nos moyens humains et financiers, mais nous y parvenons car toute action s’intègre dans un projet scientifique global. Lorsqu’une équipe est d’effectif limité, elle n’est pas seule. Elle dispose d’un appui en métropole, comme c’est le cas pour le poste de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Sur la biodiversité et la brevetabilité, nous effectuons des inventaires d’espèces sur la valorisation desquels nous travaillons par les biotechnologies. Il y a évidemment des possibilités de brevetabilité ; en revanche, le sujet est plus complexe pour la propriété des organismes et des souches.

Quelques parlementaires ont évoqué l’aquaculture. Il y a effectivement un vaste potentiel, même si cet espoir n’est pas nouveau. L’Ifremer a un rôle à jouer pour la mise au point de procédés et l’optimisation des coûts de production, mais le principal problème reste économique : l’engagement n’est pas suffisamment suivi d’investissements. Si l’on prend l’exemple de la Martinique, 80 % des produits marins consommés sont importés et leur prix est le plus souvent inférieur aux prises locales.

Je précise que l’Ifremer ne dispose pas de spécialiste des requins à La Réunion. Nous nous bornons à intervenir sur des données statistiques.

Sur le chlordécone évoqué précédemment, L’Ifremer a été impliqué dans le premier programme national. Nous avons identifié les zones de contamination de façon à prendre des mesures de gestion adaptées. Nous allons également participer au second programme mais, quelle que soit la manière dont on souhaite traiter ce problème, il nous semble que la partie relative à la mer n’est pas suffisamment prise en compte alors que toute substance se retrouve finalement dans le milieu marin. Nous organisons un colloque au mois de décembre pour que cette problématique soit mieux prise en compte.

L’état de l’environnement marin en Guyane est enfin un sujet de préoccupation pour l’Ifremer. Nous organisons une rencontre à Cayenne, en novembre, sur la surveillance du milieu au regard des projets pétroliers et des ressources halieutiques.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Qu’en est-il des ressources minérales dans les grands fonds marins et quelle réglementation y appliquer ?

M. Lionel Lemoine. Quand les gisements se situent en zone internationale, c’est l’Autorité internationale des fonds marins qui délivre des autorisations d’exploration et, le cas échéant, des permis d’exploitation. En revanche, lorsqu’il s’agit de la zone économique exclusive, chaque collectivité d’outre-mer applique le code minier – national ou local.

Des nodules polymétalliques ont été repérés par 4 000 mètres de fond, profondeur où il est difficile de travailler. Aussi les projets se concentrent-ils sur l’exploitation de sulfures à 1 500 mètres.

M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. Je remercie les présidents Jean-Paul Chanteguet et Jean-Claude Fruteau d’avoir organisé cette table ronde, qui me donne l’occasion de préciser notre feuille de route. Le Président de la République a inclus, dans ses trente engagements pour l’outre-mer, l’objectif d’en faire des territoires d’excellence environnementale et d’y défendre la ruralité. Ceci implique des actions en matière de biodiversité, de transition énergétique, de soutien aux communautés, de ressources phyto-génétiques – ce point est susceptible de soulever des questions constitutionnelles quand aura lieu la ratification du protocole de Nagoya. Ces engagements pour l’outre-mer s’inscrivent dans le cadre général des soixante engagements pour la Nation.

Sur la méthode, le Gouvernement persiste et signe. Elle passe d’abord par la concertation, malgré les critiques. Elle se fait en amont et implique tous les acteurs, toutes les collectivités, tous les chercheurs. La conférence environnementale a donné quelques orientations, en matière d’énergie et de biodiversité, à décliner par des stratégies territoriales, dans un calendrier contraint puisque cela devra être fait cet automne. Il en sortira deux projets de loi qui seront adoptés, je l’espère, d’ici juin ou au plus tard septembre 2013.

Des problèmes d’organisation apparaissent quand il faut plusieurs conférences sur un même territoire : une conférence sociale, une conférence environnementale, une conférence sur la transition énergétique… Il a donc été demandé aux préfets d’organiser une conférence environnementale doublée d’une conférence économique et sociale.

Quels sont aujourd’hui les besoins dans les outre-mer ? Ils portent sur des éléments basiques : l’énergie, l’eau potable, le traitement des eaux usées et des déchets, les transports collectifs, les risques naturels, la lutte contre les pollutions. C’est une nouvelle ambition à affirmer. La plupart des réseaux d’équipement ne sont plus aux normes. Quelques évaluations avaient été faites en vue d’une rénovation pour des stations d’épuration et des canaux d’évacuation : la facture s’élevait à 300 millions d’euros pour la seule Guadeloupe.

Le traitement des déchets est un problème outre-mer, même si quelques actions ont été engagées. La France se trouve régulièrement condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne.

Certains élus n’ont pas compris pourquoi l’État allait prendre en charge à 100 % la construction de certains équipements, par exemple de Centres de stockage de déchets ultimes (CSDU). Je considère qu’il a objectivement intérêt à assurer intégralement le financement de ces installations. Agir dans le sens du développement durable doit permettre de préserver l’héritage des générations futures. C’est une ambition à réaffirmer et à accompagner de financements durables. Il y a là une urgence mobilisatrice.

Sur les transports collectifs, le débat public est engagé, à La Réunion, en Martinique… Il est évident qu’il faut sortir du « tout automobile » en fléchant les actions sur les vingt ou trente années à venir.

Il est indispensable de réarmer l’État pour opérer un retour en termes d’intervention quand les besoins de base ne sont pas satisfaits. Il faut s’en donner les moyens, et donc abonder le fonds d’investissement pour passer des contrats avec les territoires. Ne nous concentrons sur des thématiques restrictives – c’était le défaut de la stratégie de Lisbonne.

S’agissant des risques naturels, il y aurait beaucoup à dire. Pour le plan séisme, certaines collectivités ont refusé la contractualisation. Il faut rapidement réévaluer le dispositif.

Sur l’épandage aérien au-dessus les bananeraies, l’État a décidé de faire appel des deux jugements rendus, le 3 octobre, par les tribunaux administratifs de Basse-Terre et de Fort-de-France. Nous réaffirmons le principe ferme d’interdiction d’épandage aérien de produits phytosanitaires. Mais les dommages économiques peuvent être rapides ; on l’a vu à Sainte-Lucie où toute la bananeraie d’exportation a disparu en neuf mois. Ce problème concerne aussi 100 000 hectares de cultures dans l’Hexagone, ainsi que le riz de Guyane. Actuellement, des dérogations sont données presque tous les six mois pour répandre des fongicides mêlés d’un adjuvant, le banole. En l’état des connaissances scientifiques, rien n’indique une toxicité de ces produits. Les tribunaux ont censuré l’arrêté préfectoral dérogatoire, au nom du principe de précaution, au motif que le banole n’a pas fait l’objet d’analyse spécifique. L’ANSES doit remettre une étude sur le sujet d’ici la fin du mois. En attendant, un nouvel arrêté pris hier autorise la reprise de l’épandage aérien de fongicides sans banole. Évidemment, si l’ANSES donne l’alerte, le Gouvernement prendra les mesures nécessaires. Toutefois, je le répète, l’enjeu est de trouver un équilibre entre le développement d’une agriculture familiale et vivrière et le maintien d’une agriculture d’exportation. Comme ancien directeur de chambre d’agriculture, je vous assure qu’il s’agit d’un sujet des plus complexes. Le Gouvernement n’est, bien sûr, pas favorable à une systématisation de l’épandage aérien. M. Stéphane Le Foll et moi-même avons d’ailleurs évoqué la révision de l’arrêté encadrant les dérogations ce matin : il conviendra à terme d’identifier une alternative mais, d’ici là, l’encadrement strict est une solution que nous assumons.

S’agissant de l’accès aux ressources génétiques et de la mise en place d’un partage équitable des avantages au profit des populations locales, je le répète, la ratification du protocole de Nagoya risque de nous placer face à de sérieuses difficultés vis-à-vis des peuples dits « premiers » de Guyane.

Le Président de la République s’est engagé à développer la chimie verte et à encourager l’utilisation durable des ressources phyto-génétiques. Or l’enjeu principal demeure la lutte contre la brevetabilité. Nous disposons en France d’un puits de carbone grâce à la partie guyanaise de l’Amazonie. Cette forêt regorge de molécules qui pourraient être exploitées si elles n’étaient pas d’ores et déjà brevetées. Le combat est engagé, je tiens à vous en assurer. Bien évidemment, s’agissant de la préservation de la biodiversité, la principale difficulté tient à l’identification d’un équilibre juste entre préservation de la nature et activités humaines.

C’est pourquoi la rédaction d’un projet de loi sur la biodiversité nécessite une profonde réflexion et une large concertation. À titre d’exemple, en Guadeloupe, la création d’aires marines protégées a entraîné des conflits d’usage, notamment avec les pêcheurs. Il en va de même des parcs naturels marins et terrestres, de la protection des mammifères et du plan chlordécone : il faut proposer des solutions équitables. Nous sommes le pays le plus protégé au monde ! Dans l’Hexagone, ces débats existent également, mais l’insularité leur confère un caractère plus passionné.

En conclusion, je souhaite dire un mot du programme du Gouvernement s’agissant de l’agriculture outre-mer. Nous étions face à une alternative : déposer un projet de loi spécifique ou consacrer aux outre-mer un volet du texte que déposera prochainement M. Stéphane Le Foll. Nous avons choisi cette dernière option, par souci de rapidité. Le titre du projet de loi relatif à l’outre-mer comportera deux parties : d’abord une codification à droit constant de dispositions éparpillées dans divers textes, ensuite une modernisation de l’agriculture outre-mer. Il convient en effet de repenser le modèle familial basé sur deux UTH – unité travailleur humain – afin de prendre en compte les spécificités ultramarines. Le projet de loi traitera évidemment des facteurs de développement mais également des acteurs : les agriculteurs eux-mêmes, leurs conjoints, leurs associés, leurs salariés, leurs revenus d’activité et leurs retraites – trop souvent parmi les plus faibles de la République.

Ces pays sans hiver méritent une attention particulière du législateur pour des adaptations indispensables. Je vous remercie vivement de votre écoute, et de l’organisation de cette table ronde sur des sujets trop rarement abordés, ce qui permet au Gouvernement de préciser son action.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présence et de votre intervention. En guise de conclusion, je me permets de rappeler le rôle spécifique des collectivités territoriales dans la régulation des activités agricoles. J’ai cru comprendre qu’elles devraient disposer d’un pouvoir réglementaire en ce domaine à l’avenir, et je m’en réjouis. Merci à tous les intervenants et à M. Jean-Claude Fruteau, président de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, d’avoir accepté de coprésider cette table ronde. La présence de nombreux parlementaires, ce matin, témoigne de notre profond attachement aux outre-mer.

——fpfp——

IV.— TABLE RONDE : QUELLE VISION POUR L’ÉNERGIE DE L’AVENIR ?

Le mardi 11 décembre 2012, la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur la transition écologique, avec M. Philippe Boisseau, directeur des branches « énergies nouvelles » et « marketing et services » de Total, M. Jean-François Cirelli, vice-président de GDF-Suez, M. Luc Poyer, président du directoire d’E.ON France et M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. À la suite de la Conférence environnementale des 14 et 15 septembre, et de la publication par le Premier ministre d’une « feuille de route », notre commission a pris la décision d’organiser une série de tables rondes sur la transition écologique. La première réunissait plusieurs filières des énergies renouvelables ; elle nous a permis de comprendre comment les associer à la diversification de notre approvisionnement énergétique. Lors de la deuxième réunion, commune avec la commission des affaires économiques, nous avons abordé l’avenir du bouquet énergétique national. La troisième table ronde, conjointe avec la délégation aux outre-mer, a porté sur le développement durable des territoires ultramarins.

Nous accueillons aujourd’hui M. Philippe Boisseau, directeur des branches « énergies nouvelles » et « marketing et services » de Total – qui représente M. Christophe de Margerie, son président-directeur général –, M. Jean-François Cirelli, vice-président de GDF-Suez, M. Luc Poyer, président du directoire d’E.ON France, et M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité. Je les remercie tous quatre d’avoir accepté notre invitation.

M. Philippe Boisseau, directeur des branches « énergies nouvelles » et « marketing et services » de Total. Je vais m’efforcer de vous décrire la vision énergétique qui est celle de Total, avant de vous exposer comment nous exerçons notre responsabilité : celle-ci consiste non seulement à fournir de l’énergie à nos clients, mais aussi à nous comporter en acteur responsable vis-à-vis des grandes communautés dans lesquelles nous travaillons, en particulier en France.

Nous avons une approche mondiale de l’énergie, puisque nous sommes présents dans de très nombreux pays. À ce titre, nous constatons que la demande d’énergie croît faiblement en Europe, et cette tendance est appelée à perdurer du fait des économies d’énergie. En revanche, elle est extrêmement forte dans le reste du monde : dans les vingt prochaines années, 80 % de la demande viendra de pays extérieurs à l’OCDE.

Comment répondre à cette demande, en particulier à la demande pétrolière ? Pour lutter contre le déclin naturel des champs pétroliers, il faut toujours accroître la production ; or c’est de plus en plus difficile. Nous allons arriver à un plateau énergétique que nous estimons à 95 millions de barils par jour à l’échelle mondiale, sachant que nous en produisons et consommons aujourd’hui 90 millions. Nous allons donc être confrontés à une raréfaction de l’énergie dans la décennie qui vient. Nous devrons nous adapter à ce contexte.

Nous déduisons de cette analyse que l’énergie est un bien rare et que la seule façon de répondre à l’ensemble des besoins de la planète consiste à combiner toutes les formes d’énergie possibles, car elles seront toutes nécessaires – au même titre que l’efficacité énergétique ou les économies d’énergie. Notre première responsabilité est donc de continuer à investir. Nous allons consacrer, cette année, près de 20 milliards d’euros au développement de ressources énergétiques faisant partie de notre cœur de métier, à savoir le pétrole et le gaz, mais aussi aux nouvelles sources d’énergie. Nous avons retenu deux options fondamentales : les biocarburants et l’énergie solaire, dans lesquels nous avons investi de manière importante.

Dans ce cadre, l’énergie sera forcément chère, et ceci entraîne des conséquences. Nous devons apporter à nos clients des solutions qui leur permettent de consommer moins et mieux. Cela peut apparaître comme un paradoxe, mais c’est une nécessité : dans la mesure où les clients trouvent le produit cher, notre responsabilité de producteur, de fournisseur et de distributeur est de les aider à réduire leur consommation. Nous avons pris plusieurs initiatives pour répondre à ces préoccupations, à commencer par la recherche et développement. Nous y investissons environ 800 millions d’euros par an, dont environ une centaine de millions sur la seule qualité des carburants et plus d’une centaine de millions sur les énergies nouvelles.

Pour ce qui est de la France, nous avons répondu au souhait de nos clients d’avoir accès aux carburants les moins chers possible en lançant l’an dernier le programme Total Access. Il s’agit d’investir dans l’augmentation de la capacité d’un certain nombre de stations, en faisant le pari – à l’instar de nos principaux concurrents, les grandes surfaces – que la multiplication par trois des volumes écoulés dans ces stations compenserait une baisse tarifaire. Cette stratégie fonctionne : elle concerne aujourd’hui plus de 250 stations en France ; nous en visons 600 l’année prochaine, voire davantage en 2014.

Telle était la première réponse que nous devions à nos clients : des carburants de qualité, qui assurent aux moteurs une durée de vie supérieure, en touchant le plus grand nombre. Ainsi, nous partons à la reconquête des clients particuliers, dont nous ne détenons aujourd’hui que 18 % du marché. 85 % de nos clients sont en effet des professionnels.

Notre responsabilité ne s’arrête pas là. Il faut mettre au point des produits qui permettent de consommer moins. L’Excellium, par exemple, est spécialement conçu pour réduire la consommation des moteurs.

S’agissant des économies d’énergie, notre action est double. En tant qu’industriels, nous cherchons d’abord à réduire notre propre consommation. Nous avons pris l’engagement de la diminuer chaque année de 1 %, ce qui exige des investissements très significatifs. Nous devons ensuite apporter à nos clients des solutions qui leur permettent de consommer moins ; je vous ai parlé des mesures que nous avons prises en ce sens.

J’en viens aux biocarburants. Nous sommes le premier distributeur de biocarburants en France. Il s’agit, pour l’instant, de mélanges de bioester et de diesel ou d’éthanol et d’essence. Mais nous conduisons aussi des recherches beaucoup plus en amont, qui consistent à produire des biocarburants à partir de la biomasse, en explorant deux voies technologiques. D’une part, il y a la filière thermochimique, avec le projet BioTfuel conduit dans le nord de la France. D’autre part, les filières biotechnologiques, avec des partenariats dans de nombreuses petites entreprises de biotechnologies, permettent de produire, par la fermentation de sucre – et demain de la partie non alimentaire des plantes – des produits tels que des lubrifiants, des carburants pour l’aviation, des parfums, ou encore des médicaments. Les biotechnologies constituent depuis une dizaine d’années une véritable révolution.

Je terminerai par l’énergie solaire. Parce que nous sommes convaincus de l’importance de toutes les sources de production, nous avons choisi d’investir massivement dans le photovoltaïque. Après avoir passé en revue deux cents entreprises de par le monde, nous avons pris le contrôle d’une société américaine. Ses activités ont fusionné avec les nôtres, afin de former la première compagnie mondiale d’énergie solaire non asiatique – les trois premiers opérateurs de ce secteur sont chinois, le quatrième coréen, et vient désormais Total SunPower, avec une capacité de production annuelle de 1 W. Nous réorganisons cette activité pour la concentrer en Europe, en particulier en France : nous faisons de notre centre de Lyon, Tenesol, le centre d’ingénierie mondial de développement de cette activité hors des États-Unis, et nous allons moderniser nos usines de Carling et de Toulouse. Nous poursuivons également des recherches en la matière, et nous sommes partenaires de l’Institut photovoltaïque d’Île-de-France, qui sera l’un des cinq plus grands centres mondiaux de recherche solaire. C’est pour nous un engagement considérable, qui atteint un milliard d’euros. Nous souffrons bien sûr, comme tous les acteurs du secteur dont la plupart déposent le bilan, mais nous avons la capacité de résister et nous sommes convaincus que le solaire – qui progresse certes lentement, car extrêmement capitalistique – a un véritable avenir. Les sociétés qui gagneront cette bataille seront celles qui disposent d’une couverture industrielle, de la taille mondiale et de l’assise financière leur permettant de faire face à la concurrence.

Non seulement nous exerçons notre métier d’industriel en investissant et en préparant les productions de demain, mais nous entendons le faire de façon responsable, en limitant autant que faire se peut l’impact écologique de nos activités et en préparant les énergies de demain par un effort d’investissement.

M. Jean-François Cirelli, vice-président de GDF-Suez. Permettez-moi d’abord de vous remercier de votre invitation : il est toujours intéressant d’avoir l’occasion de s’exprimer devant la représentation nationale. Je vous dirai certes un mot de GDF-Suez, mais je voudrais surtout vous présenter ce que nous attendons de la représentation nationale et de l’action publique dans ce grand débat de la transition énergétique.

GDF-Suez est très engagé dans ce processus. Pour la seule Europe, une branche de 77 000 personnes est dédiée à l’efficacité énergétique, avec des entreprises comme Cofely ou Ineo. Nous sommes le premier exploitant de parcs éoliens terrestres en France, avec plus de 1 200 Mégawatts installés et 15 % du marché. Nous sommes aussi le premier gestionnaire de chaufferies biomasse, avec plus de 200 installations, et, par conséquent, le premier acheteur de bois en France – nous commençons d’ailleurs à éprouver quelques inquiétudes concernant l’approvisionnement de nos chaufferies.

Nous entendons développer davantage le biogaz et le biométhane, et devenir les chefs-de-file dans ce domaine en France et en Europe.

La transition énergétique est irrémédiablement engagée, mais elle se heurte à deux conditions qui ne sont pas encore réunies. D’abord, il faut faire payer les émissions de CO2. Ensuite, cette transition a besoin de capitaux. Nous devons donc être capables d’attirer des investissements, mais, pour cela, il faut une stabilité des politiques publiques.

En ce qui concerne la taxation des émissions de gaz à effet de serre, nous sommes loin du compte : la tonne de CO2 vaut actuellement entre 7 et 8 euros. Autant dire qu’il n’existe pas d’incitation à économiser le carbone. Nous avons donc besoin d’une action claire sur le prix des émissions. La Commission européenne a pris des initiatives. Nous les soutenons, même si nous les jugeons insuffisantes.

J’en viens au besoin de confiance des investisseurs. Je ne vous cacherai pas nos inquiétudes, qu’alimentent régulièrement les notes des analystes qui suivent le secteur énergétique. Il y a une quinzaine de jours, le Crédit suisse First Boston estimait que l’Europe ne pourrait pas se permettre de financer les subventions aux énergies renouvelables. Vous conviendrez que cela n’encourage guère à débloquer des fonds.

Il faut aussi une stabilité des engagements et des politiques publiques. Nous souhaitons notamment à une politique énergétique européenne, dont l’émergence se fait attendre. Nous sommes conscients que les politiques publiques exigent un certain consensus dans le pays. Vous-mêmes, représentants de la Nation, devez accepter la nécessité d’un arbitrage entre cette transition – et les coûts qu’elle entraîne – et le prix des énergies. Je ne suis pas de ceux qui disent que les prix doivent continuer à augmenter, mais il est certain que la transition ne pourra pas s’opérer sans augmentation. Encore faut-il l’assumer. Mais jusqu’où sommes-nous collectivement prêts à le faire ? Ce n’est pas un choix facile, comme en atteste le débat qui a lieu depuis deux ans au Royaume-Uni sur la réforme du marché de l’énergie. La question du coût est bien au cœur de la réflexion.

Compte tenu des capitaux engagés et de la lenteur de ce processus, le choix du bouquet énergétique prendra plus de temps que le souhaiteraient les opinions publiques et leurs représentants. Les attentes sont fortes par rapport à ce que l’industrie et le marché peuvent apporter dans l’immédiat. Nous devons, bien sûr, composer notre bouquet à partir des énergies dont la France dispose déjà. Pour notre part, nous sommes partisans d’une diversification. Quels que puissent être les changements et les évolutions politiques, mieux vaut, comme on dit, « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ». En Europe comme ailleurs, nous avons besoin de plusieurs sources d’approvisionnement. Le principe de base doit être de favoriser les énergies renouvelables les moins chères pour la collectivité – choix qu’il faut également assumer. Nous devons trouver un mécanisme qui assure la garantie du système lorsqu’il change. Nous sommes ainsi très attachés au mécanisme de capacité : pendant que nous développons les énergies renouvelables, il faut pallier l’intermittence. Qui dit intermittence dit centrales moins productives ; et si elles produisent moins, il faut les aider à produire. La problématique des marchés de capacité va devenir essentielle pour les énergéticiens dans l’Europe de demain.

Nous sommes engagés dans la voie de cette transition, mais, encore une fois, nous avons besoin de clarté dans l’action publique. L’évolution voulue par le Gouvernement doit se traduire par une loi qui fixera un cadre. Ce sera un élément important pour attirer les investissements et nous confirmer que nous allons dans la bonne direction.

M. Luc Poyer, président du directoire d’E.ON France. Je suis heureux de pouvoir apporter la contribution d’E.ON à ce débat fondamental de la transition énergétique.

E.ON est un grand groupe énergéticien européen à capitaux privés, d’une taille comparable à EDF ou GDF-Suez. D’origine allemande, le groupe s’est très tôt aventuré hors de son marché national. Avec une trentaine de millions de clients, il est désormais présent non seulement en Allemagne, mais aussi en Grande-Bretagne, en Scandinavie, en Europe centrale, en France, en Espagne et en Italie.

Je commencerai par évoquer la transition énergétique telle qu’E.ON la conçoit et la met déjà en œuvre. En France, E.ON a hérité de la capacité installée de Charbonnages de France en matière d’électricité, soit environ 3 W : quatre centrales thermiques situées sur les anciens bassins miniers, qui regroupent sept tranches au charbon et deux cycles combinés gaz (CCG), des parcs éoliens et deux fermes solaires. Nous sommes un petit acteur en taille, mais nous jouons un rôle déterminant dans l’équilibre entre l’offre et la demande, notamment pour faire face aux pics de consommation – ce qu’on appelle un acteur de semi-base et de pointe.

Nous avons pris la transition énergétique à bras-le-corps, en engageant un effort d’adaptation de notre outil industriel, qui a commencé par la reprise des centrales de Charbonnages de France, dont un tiers doit fermer à l’horizon 2015 pour des raisons réglementaires. Nous avons, d’autre part, investi plus de 700 millions d’euros depuis 2008, et nous sommes prêts à engager la conversion d’une de nos tranches charbon à la biomasse. Ce projet, conduit en Provence et qui requiert un investissement de l’ordre de 200 millions d’euros, devrait porter la capacité installée de ce site à 150 MW, dans une région en déficit de génération d’électricité. Il contribuerait à hauteur de plus de 600 000 tonnes à la réduction des émissions françaises de CO2, tout en permettant une valorisation de la forêt méditerranéenne.

Nous sommes également engagés dans une démarche de valorisation de l’hydroélectricité française. Nous rachetons la production de petits opérateurs sortis du tarif de rachat qui doivent trouver un débouché ; nous leur apportons des solutions à moyen terme. Nous sommes par ailleurs candidats au renouvellement des concessions hydroélectriques en association avec les acteurs locaux.

Nous sommes aussi présents à l’aval, c’est-à-dire dans la commercialisation. Nous élargissons notre portefeuille de clientèle, aujourd’hui centré sur les grands industriels, aux PME-PMI, en leur proposant des offres compétitives sur le marché du gaz.

Notre vision de la transition énergétique concerne donc aussi bien l’amont que l’aval. Les groupes énergétiques sont des acteurs essentiels. La France a et aura besoin d’acteurs solides et performants, ce qui conduit à poser la question des possibilités de développement d’un opérateur européen en France. Nous sommes en concurrence avec les deux grands groupes français, mais cela ne signifie ni que le secteur électrique doive reposer sur les seuls acteurs privés, ni qu’il faille atomiser l’offre. La concurrence repose, à notre sens, sur deux piliers. En premier lieu, il faut que plusieurs acteurs soient en mesure d’investir dans la production, pour des raisons de partage des risques et de poids des financements, mais aussi d’incitation à l’innovation. Ainsi, la centrale biomasse dont j’ai parlé constitue une forme d’innovation en France, car nous n’avons développé d’installations de ce type qu’en Suède ou en Grande-Bretagne. En second lieu, les tarifs de l’électricité doivent refléter les prix de marché, et, pour cela, il faut un bon signal-prix sur la durée. Or c’est de plus en plus difficile d’y parvenir, en raison des renouvelables et du fait du trop faible prix des quotas de CO2. Une grande attention doit donc être portée à la qualité et à la stabilité du cadre réglementaire, afin de permettre aux opérateurs d’investir sur le long terme.

Trois paradoxes me semblent caractériser la transition énergétique.

Premier paradoxe : alors que nous souhaitons tous une baisse de la consommation, c’est-à-dire du nombre de mégawattheures consommés et donc produits, il nous faudra accepter un accroissement de la capacité installée. Ainsi, en Allemagne, plus de 50 W renouvelables ont été construits en quelques années.

Deuxième paradoxe : l’effort d’investissement a un coût, qui implique lui-même une hausse des prix pour le consommateur, au moins par kilowattheure consommé.

Troisième paradoxe : alors que les émissions de gaz à effet de serre et le changement climatique sont au cœur des préoccupations, le marché du carbone ne fonctionne pas bien. Il faut remettre sur les rails le marché des quotas de CO2, innovation européenne indispensable pour que les opérateurs aient le bon signal-prix sur la transition énergétique. Je ne parlerai pas ici des déboires d’une technologie très importante pour modifier la donne en matière de génération d’électricité : le captage, le transport et le stockage du CO2.

Quels enseignements tirer de l’exemple allemand en matière de transition énergétique ? Le tournant pris en Allemagne consiste à sortir très rapidement du nucléaire mais aussi – ce qui est moins connu – à accélérer le développement des énergies renouvelables, qui devraient représenter plus de 80 % de la génération d’électricité en 2050. Il s’agit également de modérer les consommations – de 25 % d’ici à 2050 pour l’électricité – et de réduire les émissions de CO2 de 80 % à 95 % d’ici à 2050.

Les enjeux allemands sont au nombre de trois. Le premier est le financement des infrastructures de transport : environ 30 milliards d’euros sont nécessaires pour construire 4 000 kilomètres de lignes, alors que 200 kilomètres ont été construits durant les cinq dernières années. Le deuxième enjeu est le coût des énergies renouvelables : 20 milliards d’euros de subventions devront être versés en 2013 pour financer les tarifs de rachat, soit une facture annuelle de l’ordre de 900 euros par foyer en Allemagne, contre 660 euros en France. Le troisième enjeu est sans doute le plus complexe : c’est celui du maintien d’une capacité suffisante pour couvrir la pointe. Le marché de capacité sera nécessaire ainsi que des ruptures technologiques – d’où l’importance de l’innovation dans le stockage d’énergie.

E.ON contribue au changement en s’engageant massivement, depuis 2008, dans le développement des énergies renouvelables avec la volonté de tripler sa capacité installée à l’horizon 2020, et en mettant en œuvre une politique de réduction du coût des énergies renouvelables pour sortir des tarifs de rachat. Nous rejoignons la préoccupation des pouvoirs publics et de l’opinion publique : les énergies renouvelables doivent impérativement devenir compétitives. Elles ne pourront pas être subventionnées ad vitam aeternam.

Notre deuxième contribution à la transition énergétique consiste à investir dans l’innovation. Je pense aux centrales hydrauliques de stockage, ou stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), que nous développons dans plusieurs pays, et à diverses avancées en matière de stockage. Nous avons développé à Falkenhagen, en Allemagne, une chaîne à partir de l’électricité produite par les éoliennes : nous la transformons en hydrogène par électrolyse, avant de stocker cet hydrogène dans des tuyaux haute pression de gaz naturel.

La transition énergétique doit être l’occasion d’une réflexion large, cohérente et ambitieuse, dans un cadre européen et à partir d’exemples réussis, en particulier dans la coopération franco-allemande. Il est nécessaire d’inventer un nouveau modèle propre à chaque pays, avec un bouquet énergétique plus développé, mais aussi d’organiser des interdépendances. Sans l’interconnexion franco-allemande, la France aurait connu un black out à l’hiver dernier.

Il faut enfin développer des partenariats, à l’exemple du projet de Provence 4, qui nous permettra, espérons-le, de revenir à la source de ce qui a fait le succès de la construction européenne, commencée par une coopération énergétique. Il s’agit, comme l’ont voulu Jean Monnet et Robert Schuman, de « réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait. »

M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité. Je vous remercie d’offrir à l’Union française de l’électricité (UFE) l’occasion de s’exprimer devant vous en ce moment crucial du débat national sur la transition énergétique.

L’UFE regroupe la plupart des industriels français du secteur électrique, parmi lesquels E.ON et GDF-Suez, et de nombreux représentants des filières des énergies renouvelables dont certains ont une dimension internationale. Nous menons depuis plusieurs années des travaux sur les questions touchant à l’évolution du système électrique. Nous les avons récemment approfondis au vu des orientations politiques qui se dessinent aujourd’hui.

Permettez-moi de rappeler, à mon tour, les deux grands enjeux de cette transition énergétique. Le premier est lié à la « performance CO2 » du bouquet énergétique français, qu’il convient de préserver voire d’amplifier. Le second est celui de la balance commerciale : lors du colloque de l’UFE, Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, a insisté sur la nécessité que la transition ne conduise pas à aggraver le déficit commercial, mais puisse au contraire contribuer à le réduire.

Nous avons travaillé sur la base des éléments du scénario dit « nouveau mix », qui est l’un de ceux étudiés par Réseau de transport d’électricité (RTE) dans son bilan prévisionnel. Ce scénario, qui pousse le plus loin le développement des énergies renouvelables, paraît proche des orientations fixées par le pouvoir politique. Il suppose de quadrupler la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique, afin de la porter à 40 % avec, par exemple, 30 W photovoltaïques, 40 Gigawatts éoliens – terrestre ou offshore – et 28 W hydrauliques à l’horizon 2030. Ces chiffres sont importants : la puissance installée dans les énergies renouvelables devrait rapidement dépasser celle du parc nucléaire. C’est dire que nous allons assister à un bouleversement du système électrique. Se pose dès lors la question des conditions de réussite du développement et de l’intégration. Cinq facteurs clés de réussite me semblent devoir être cités, mais cette énumération n’est pas exhaustive.

Le premier facteur est celui du financement. Nous évaluons les investissements dans le système électrique exigés par ce scénario, hors investissements dans l’efficacité énergétique, à 420 milliards d’euros à l’horizon 2030, dont 180 milliards dédiés aux équipements de production d’énergies renouvelables. Ces montants sont élevés ; or le financement de ces investissements est important. Comme Jean-François Cirelli, nous insistons sur le besoin de sécurisation et de visibilité des opérateurs. Il faut un cadre réglementaire stable, des règles de marché adaptées et des tarifs qui reflètent a minima les coûts.

Le deuxième facteur est le renforcement de l’industrie française. La situation varie selon les filières, mais elle n’est pas toujours positive en termes de balance commerciale. Si nous ne nous attaquons pas à ce sujet, nous risquons d’aggraver la situation avec le développement des énergies renouvelables. Il est donc capital de renforcer notre tissu industriel. En réduisant de 50 % les taux d’importation de ces équipements, nous réduirions le déficit commercial cumulé sur la période de 40 milliards d’euros.

Le troisième facteur est le suivant : un effort considérable en matière d’énergies renouvelables doit conduire à affecter prioritairement leur production à la réduction de la consommation d’hydrocarbures. Le fioul et le pétrole représentent environ la moitié de la consommation d’énergie en France : le premier est le second mode de chauffage des Français, avec 120 térawattheures par an, devant le chauffage électrique et après le gaz. Le déficit commercial s’élève à 70 milliards d’euros, dont plus de 85 % sont liés aux importations pétrolières. Il y a donc un intérêt à affecter des transferts d’usage – développement des pompes à chaleur ou des transports électriques, par exemple – pour optimiser notre bilan CO2 et réduire notre dépendance énergétique.

Un quatrième facteur tient aux infrastructures. Aucun développement des énergies renouvelables n’est possible sans un développement important des réseaux de transport et de distribution. Il faut tirer parti de la complémentarité des territoires – je pense en particulier aux régimes de vents, qui sont différents suivant les régions, mais il en va de même pour la production solaire. À cette fin, il faut permettre à la fois un développement local et une sécurité nationale, ce qui implique un renforcement des réseaux et une large interconnexion. Compte tenu des difficultés de construction des lignes, c’est une donnée à maîtriser.

Le dernier facteur que je mentionnerai est la cohérence des choix. Il convient d’éviter les conflits de règles. Prenons l’exemple de l’hydroélectricité française. Il existe un potentiel non exploité de près de 11 térawattheures, ce qui constitue une chance car c’est une énergie renouvelable, bien répartie, souple, prévisible et compétitive. Or la révision des classements de cours d’eau risque d’empêcher l’exploitation de cette ressource – au vu des projets dont nous avons connaissance, les trois quarts de celle-ci pourraient être supprimés. Assurer la cohérence de nos politiques constitue un véritable enjeu et, en la matière, la représentation nationale a un rôle important à jouer. Dans la perspective de la loi de programmation qui devrait clore le débat sur la transition énergétique, il est essentiel que vous preniez la mesure des conséquences de vos choix pour assurer la réussite de cette évolution.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pour la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, les priorités de la transition écologique sont l’efficacité et la sobriété énergétiques ainsi que le développement des énergies renouvelables. L’ADEME considère que la demande d’énergie finale devrait diminuer avec le temps, à la différence d’autres acteurs qui estiment qu’elle continuera à croître sous l’effet de la démographie et de la croissance économique – même faible. Sommes-nous en mesure de programmer une diminution de la demande d’énergie finale ?

Selon le président Cirelli, le marché européen des quotas de carbone a complètement perdu son efficacité puisque le prix de la tonne de carbone se situe entre 6 et 7 euros après avoir atteint 17 à 18 euros à une certaine période. Mme Connie Hedegaard a fait des propositions pour redonner vie et dynamisme à ce marché mais celles-ci n’ont pas recueilli l’assentiment des États-membres. C’est particulièrement inquiétant ! Considérez-vous qu’il faut instaurer une contribution climat-énergie ou une taxe carbone ?

M. Philippe Plisson. À l’issue de la conférence de Doha, la plupart de ceux qui ont pris conscience de l’urgence écologique ont la « gueule de bois » : c’est encore un coup d’épée dans l’eau, un sommet pour pas grand-chose, dans l’indifférence quasi-générale ! Il faudrait contenir le réchauffement de la planète à 2° C d’ici à 2100 pour éviter la catastrophe annoncée. Il sera vraisemblablement de 4° C en 2060 ! La ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie l’a rappelé : nous devons être exemplaires. Ici, nous sommes conscients de l’importance du sujet, très impliqués et prêts à prendre nos responsabilités. Malheureusement, ceux qui ne sont pas là restent à convaincre de l’urgence et de la nécessité.

Lors de son discours d’ouverture de la Conférence environnementale, le Président de la République a clairement établi un lien entre écologie et économie ; il a affiché son ambition pour un nouveau projet de société en proposant rien moins qu’un nouveau modèle de développement qui implique d’admettre « que le progrès de l’humanité à l’heure de la mondialisation ne peut se concevoir selon des schémas nés à l’heure industrielle ». En outre, les objectifs annoncés lors de cette conférence sont ambitieux : ramener d’ici à 2025 de 75 à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité dans notre pays, sécuriser notre approvisionnement, maintenir l’interdiction de la fracturation hydraulique et développer l’ensemble des énergies renouvelables.

À la suite de sa première réunion du 29 novembre, le comité de pilotage a présenté les différents organes qui assureront le bon déroulement du débat, auquel vous prendrez part grâce à la création du groupe de contact des entreprises de l’énergie. Deux priorités se dégagent de cette réunion : d’une part la compétitivité, d’autre part la croissance verte avec la création de 100 000 emplois en trois ans dans les domaines des éco-industries, de l’efficacité énergétique, du génie écologique et de l’économie circulaire. Pour que ce groupe de travail réussisse, ses membres ne doivent pas être une addition de groupes de pression défendant chacun sa chapelle. Or vos interventions successives se sont juxtaposées mais pas toujours répondu. Comment envisagez-vous, messieurs, le travail en commun au sein de ce groupe, et comment en assurer la synergie ?

Devant l’urgence d’une plus grande sobriété énergétique et d’un nouveau modèle de réseau, que pensez-vous de la mise en place d’un réseau décentralisé de production et de consommation électriques ? Quelles pistes proposez-vous pour y parvenir ? Comment conciliez-vous l’offre et la demande ? L’objectif de sobriété suppose une diminution de la consommation et une meilleure efficacité : quelle politique mener sur ce dernier point ? Que pensez-vous des compteurs intelligents pour EDF et pour les ménages ?

Le développement des énergies renouvelables suppose une politique volontariste afin d’atteindre une plus grande indépendance énergétique, de lutter contre le changement climatique et de créer de nouvelles filières professionnelles. Quelles sont les stratégies de recherche et développement en la matière, en particulier pour renforcer la complémentarité ?

La France pourrait être le pays organisateur de la Conférence mondiale sur le climat en 2015, ce qui nous confère un devoir d’exemplarité. Le dynamisme induit par le débat sur la transition énergétique permettra-t-il aux protagonistes français d’assurer le succès de cette conférence ?

M. Martial Saddier. La France est un pays qui dispose de peu de ressources fossiles. Depuis 40 ans, cette situation l’a conduite à mener une politique très claire : notre taux d’indépendance énergétique est passé de 23,9 % en 1973 à environ 50 % en 2006, notamment grâce à notre programme électronucléaire. Les prix de l’électricité française se situent parmi les plus bas d’Europe et le solde exportateur de l’électricité est largement positif. Enfin, les principales sources de production d’électricité que sont le nucléaire, qui représente 78 % de notre production, et l’hydraulique, 10 %, n’émettent pas de gaz à effet de serre. On compare souvent la part des énergies renouvelables en France et en Allemagne : cette part serait-elle si importante si l’on produisait aussi, outre-Rhin, 78 % de nucléaire ?

Quel est le taux de satisfaction de nos compatriotes à l’égard de notre système énergétique actuel ? Quelles sont les réserves en énergie fossile ?

Lors de la Conférence environnementale, le Président de la République a confirmé son choix de diminuer la part du nucléaire : à combien estimez-vous le coût de ce choix dans le budget de nos concitoyens ? Quelles seront ses incidences sur nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre — de 40 % d’ici à 2030 et de 60 % d’ici à 2040 ? Cette option est-elle réalisable et compatible avec ces objectifs ?

Obtenir dans dix ans un moteur automobile consommant deux litres d’essence pour 100 kilomètres est-il possible à grande échelle ?

Où la recherche-développement en est-elle en matière de captage et de stockage de CO2 ? Quel serait pour vous, messieurs, le prix adéquat d’une tonne de carbone ?

Quel est l’état d’avancement de la recherche en matière d’exploitation des gaz de schiste par une technique autre que celle de la fracturation hydraulique ?

La France s’apprête à être condamnée par la Cour de Justice de l’Union européenne pour ses émissions polluantes de particules PM 10 et PM 2,5. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, du point de vue de la transition énergétique, l’acte III de la décentralisation constitue-t-il une chance ou une source d’inquiétude ?

M. Bertrand Pancher. Ma question s’adresse à M. Philippe Boisseau. J’ai participé à la Conférence internationale sur le réchauffement climatique. À l’instar de mes collègues, je n’ai cessé d’être horrifié par la lenteur des décisions de la communauté internationale. Dans quelques années, nous serons confrontés sur les émissions de gaz à effet de serre aux polémiques que nous avons connues dans les affaires du sang contaminé et de l’amiante. Tous diront : « Vous saviez et vous n’avez rien fait ! ». Cette responsabilité est complètement collective : elle est partagée par les élus, l’opinion publique et les dirigeants d’entreprise.

Dans vingt ans, notre unique choix ne consistera-t-il pas à choisir entre la peste et le choléra, c’est-à-dire entre le schiste bitumineux, pour produire du pétrole dans n’importe quelles conditions, et la gazéification du charbon, source d’émissions de gaz à effet de serre ? Vers quel modèle vertueux souhaiteriez-vous nous entraîner ? D’ici vingt à trente ans, est-il possible de créer une économie entièrement décarbonée ?

Je remercie Jean-François Cirelli pour la hauteur de vue de ses propos sur la taxation du CO2, que nous jugeons indispensable pour disposer des capitaux nécessaires à la transition écologique. Mais comment protéger nos activités aux frontières de l’Europe ? Nous nous trouvons confrontés à deux types d’entreprises, celles qui ont opté pour le libéralisme et ne souhaitent aucune contrainte aux frontières, et d’autres qui souhaitent être protégées car elles vont devoir payer leurs quotas de CO2 en janvier.

La stabilité tarifaire des énergies renouvelables est essentielle. Or, ainsi que cela a été souligné, les fluctuations sont incessantes dans tous les pays européens. Existe-t-il des modèles en la matière ?

Le captage-stockage de CO2 est une technologie très lourde : peut-on parier sur sa généralisation ? Quel tarif de rachat faudra-t-il fixer pour parvenir à multiplier par quatre la production d’énergies renouvelables et réaliser les investissements correspondants ?

Quel sera demain le tarif de l’électricité ? Nous savons qu’il va augmenter : pourquoi avons-nous peur d’annoncer ces augmentations ? De quel ordre seront-elles ?

M. Patrice Carvalho. J’ose le dire : j’entends des propos gênants. L’entreprise Total se prétend responsable, mais c’est difficile à écouter : certes, sur nos routes, elle transporte l’essence dans de beaux camions riches en couleurs et visibles de loin mais, sur la mer, elle la transporte dans de vieux rafiots tout en prenant bien soin de se protéger sur le plan juridique. De même, lorsqu’elle a fermé des stations-service, elle n’a fait qu’enlever le logo en laissant l’équipement complètement à l’abandon. Et si elle produit 7 % d’énergie renouvelable, il faut comprendre 93 % d’hydrocarbures. Une entreprise n’est pas complètement philanthropique ! Elle est d’ailleurs celle qui pratique les prix les plus chers sur autoroute et en station-service.

S’agissant du carbone, ce qui importe, ce n’est pas le prix de la tonne, mais le prix que doivent payer les entreprises souhaitant acheter des quotas. Nombre d’industries lourdes ferment leurs portes et nombre de fours — dans le secteur de la métallurgie ou du verre — sont mis en veilleuse, le marché du carbone n’étant pas intéressant pour eux !

Par ailleurs, le gaz à effet de serre peut être capté de multiples manières, notamment en utilisant des fermenticides. GDF semble ouvert à l’installation d’unités de méthanisation : c’est une technique d’avenir dont j’aurais aimé entendre parler !

En ce qui concerne E.ON, que va devenir Hornaing ? Il y a eu des engagements pour transformer le site d’ici à 2015 ; il y a la possibilité d’installer un système de récupération de CO2 ou une centrale à gaz. Or je n’ai pas l’impression d’une vision claire à ce sujet.

Nous sommes en train de fermer peu à peu nos petites centrales hydrauliques. Ce n’est plus EDF qui en rachète l’électricité mais d’autres sociétés, et surtout les Allemands, qui l’achètent 20 % moins cher que l’ancien prix EDF, mais qui nous le revendent mille fois plus cher lorsqu’il y a des pointes de consommation. On a du mal à comprendre ce que fait notre compagnie française d’électricité si nous ne sommes pas capables d’acheter l’électricité produite en France par de petites centrales. Au reste, celles-ci risquent d’être fermées bientôt à cause d’une loi sur l’eau surdimensionnée et aux effets néfastes sur la production électrique !

M. Denis Baupin. Je me félicite de la tenue de cette table ronde et j’en profite pour proposer à la présidence que nous recevions également les grands acteurs industriels œuvrant dans le domaine de l’efficacité énergétique. Je me réjouis d’avoir entendu que les acteurs industriels souhaitent des orientations publiques sur la question énergétique et qu’ils invoquent la responsabilité des politiques. Je me réjouis également de l’importance qu’ils accordent aux énergies renouvelables, ce qui ringardise une bonne partie des discours entendus dans notre assemblée. L’UFE a fait la démonstration que la transition énergétique, et les objectifs que la majorité s’est fixés, sont techniquement possibles et bénéfiques, tant pour la croissance que pour l’emploi. Cela nous conforte, même si je ne partage pas toutes les hypothèses. Nous, les écologistes, pensons que la transition énergétique est nécessaire mais qu’elle est surtout une opportunité pour l’emploi et pour notre balance commerciale.

M. Cirelli souligne la nécessité de donner un prix au carbone. Soit, mais il faut aussi en donner un à la déplétion pétrolière ainsi qu’à l’accident nucléaire. Si l’on internalise l’ensemble de ces coûts externes, on s’apercevra que les énergies renouvelables sont bien plus compétitives que beaucoup d’autres.

L’investissement de 400 milliards d’euros dont parle l’UFE n’est pas exclusivement public. Ce montant peut paraître astronomique mais, sur trente ans, il correspond à peu près à six années de notre déficit commercial dû au pétrole. Nous pouvons choisir d’investir chez nous pour faire des économies d’énergie et développer les énergies locales, ou continuer à importer des énergies de l’étranger.

La transition énergétique est non seulement juste sur le plan économique, mais elle est également pertinente sur le plan social. Il faut faire en sorte, non que les tarifs ne progressent pas, mais bien que la facture n’augmente pas. La politique en matière de consommation d’énergie est essentielle à la maîtrise des coûts pour le consommateur. Qui plus est, quelles seront les parts respectives de la transition énergétique payées par le consommateur et par le contribuable ? Actuellement, une fraction importante de notre politique nucléaire n’a pas été payée par le consommateur, mais par le contribuable. C’est d’ailleurs pourquoi on nous raconte que le kilowattheure nucléaire est le moins cher : de fait, il est artificiellement bas. Si la transition énergétique est payée par le consommateur, nous disposerons d’un signal-prix intéressant. Pour autant, nous devons trouver le juste équilibre afin de ne pas mettre en difficulté les ménages.

Pourriez-vous nous confirmer que, selon vous, la transition énergétique, passage des vieilles énergies — dont fait partie le gaz de schiste — aux énergies d’avenir que sont le négawatt et les énergies renouvelables, constitue une opportunité économique et industrielle ?

M. Olivier Falorni. La question centrale de notre débat est celle des énergies renouvelables. N’oublions jamais nos cinq objectifs principaux, qui supposent action et résultat : la sécurité des approvisionnements et la réduction de notre dépendance à l’égard des énergies fossiles ; la compétitivité des prix pour les particuliers et les entreprises ; la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique ; l'accès de tous à l’énergie ; enfin, l’objectif industriel de développement de filières porteuses de croissance.

Les industriels de l’électricité et la ministre de l’énergie, Delphine Batho, s’accordent pour dire qu’un investissement considérable sera nécessaire pour aider au financement de la transition. Parmi les points essentiels, pour le groupe RRDP, figure la transparence des prix à la production et des prix de transport. Ce n’est pas simple : comment parvenir à une transparence totale sur les coûts réels des différents moyens de production et sur le coût final supporté par le consommateur ?

Avec quels outils lutter concrètement contre la précarité énergétique, sachant que la fourniture de chaleur devra représenter 10 millions de tonnes équivalent pétrole en 2020 ?

Quant à l’exploitation du gaz de schiste, sujet incontournable du débat sur la transition écologique, le Président de la République a récemment réitéré son opposition à la facturation hydraulique, estimant qu'elle n'est pas « exempte de risques lourds pour la santé et l’environnement » du fait de son caractère polluant. M. de Margerie est un ardent défenseur du gaz de schiste, que Total exploite aux États-Unis, et le considère comme un incroyable moteur de croissance. Plus de 3 000 forages ont été effectués en Pennsylvanie au cours des six dernières années, et 15 000 dans le nord du Texas. Son mode d’extraction fait débat car il contaminerait les nappes phréatiques. Au-delà des querelles idéologiques, c’est l’indépendance énergétique qui est en cause. Comment peut-on affirmer que l’exploitation que ce type de gaz est sans risque pour notre santé et notre environnement, et qu’il s’agit de l’énergie du futur ?

Le groupe E.ON envisage la suppression de plusieurs tranches dans ses quatre centrales à charbon situées sur notre territoire, ce qui entraînera la perte de plusieurs centaines d’emplois, le plus souvent sous forme de départs volontaires. C’est un coup dur pour notre tissu industriel. Vous venez d’investir 113 milliards d’euros en Turquie – certes, sous réserve de l’autorisation des autorités de régulation. Or vous excluez d’ouvrir de nouveaux chantiers en France d’ici à 2020. D’où ma question : quelles sont vos perspectives dans notre pays ?

Mme Sophie Errante. Je souhaiterais connaître l’opinion de Jean-François Cirelli quant à l’opportunité d’exploiter du gaz de schiste en France. La présence de ce gaz sur le territoire est considérée par certains comme une opportunité, puisque son exploitation pourrait être facteur de croissance économique, de création d’emplois et d’indépendance énergétique. Pour autant, on peut être sceptique quant à l’intérêt pour la France de se lancer dans des recherches coûteuses dont les résultats sont difficilement quantifiables. Les entreprises se concentrent majoritairement sur l’amélioration de la technique de la fracturation hydraulique, mais existe-t-il d’autres techniques viables à moyen terme ?

M. Jean-Marie Sermier. La transition énergétique est un état de fait, et l’idéologie n’y a pas sa place ! Malgré tout, cette transition prendra beaucoup de temps : celui de l’expérimentation technologique, de la politique et de l’acceptation sociétale.

Le développement de chaque énergie renouvelable s’est heurté à des obstacles, qu’il s’agisse de l’éolien, du photovoltaïque ou de la biomasse. La transition énergétique consiste en un panachage, qui durera plusieurs décennies, entre énergies fossiles et renouvelables. Pour la réussir, nous devons rassurer les populations et donner de la visibilité aux entreprises. Notre devoir est de poser sereinement le problème. La transition énergétique ne dépend-elle pas des stocks d’énergie fossile dont nous disposons et du temps qu’il nous faudra pour la mettre en place ?

Total a récemment affirmé que sa production de pétrole et de gaz devait augmenter de 3 % par an entre 2012 et 2015. L’entreprise a investi fortement dans des champs pétrolifères, notamment au Kazakhstan. Quelles sont les réserves de pétrole et de gaz du groupe Total au niveau mondial ?

Mme Martine Lignières-Cassou. Monsieur Poyer a indiqué que l’échec du stockage de carbone relevait d’un problème technique. N’a-t-on pas plutôt des difficultés à créer un marché stabilisé autour du CO2 ?

Au-delà la polémique sur la fracturation hydraulique utilisée pour extraire le gaz de schiste, le gaz gardera-t-il une place importante dans la transition énergétique, sachant qu’il s’agit d’une énergie fossile ?

Mme Sophie Rohfritsch. S’agissant du stockage de l’hydrogène et de la pile à combustible, la société française McPhy a lancé, à proximité d’un aéroport du Brandebourg, la création d’un grand consortium dans le but de stocker l’énergie procurée par un immense champ éolien en la transformant en hydrogène. En France, cette technologie apparaît encore comme très peu mature. Néanmoins, Total et d’autres sont membres de ce consortium et investissent de manière très importante dans cette technologie : peut-on dès lors penser qu’il s’agit d’une énergie disponible dans un futur très proche ?

Mme Catherine Quéré. Les 14 et 15 septembre 2012, le Gouvernement a défini sa feuille de route en matière de transition écologique : elle prévoit un plan de rénovation thermique, une simplification des procédures administratives pour le développement des énergies renouvelables et un soutien aux filières éolienne et solaire. Considérez-vous cette ambition nationale comme une menace ou une chance pour vos entreprises ?

La baisse de la participation de GDF-Suez dans Suez-environnement, annoncée le 6 décembre, marque-t-elle un repli de GDF par rapport aux enjeux de développement durable et des énergies renouvelables ?

M. Gérard Mestrallet, président directeur général de GDF-Suez, a évoqué récemment les surcapacités de l’Europe en matière d’énergie. Nous venons d’entendre l’inverse : qu’il n’y a pas assez d’énergie disponible. Comment expliquez-vous ces appréciations différentes ?

M. Christophe Priou. Nous fêterons demain l’anniversaire du naufrage de l’Erika, survenu le 12 décembre 1999. Les législateurs européen et français avaient alors beaucoup agi, sous le coup de l’émotion légitime et de la colère, pour renforcer la sécurité du transport maritime. Au lendemain d’une bataille juridique gagnée par les collectivités territoriales et les associations, comment ne pas repenser à cette caricature qui représentait un cormoran mazouté interpellant M. Christophe de Margerie : « En France, on n’a pas de pétrole mais on a une justice ! ». Toutefois, la question de la sécurité du transport reste posée, quelle que soit la source d’énergie concernée.

Comment la société Total – gros employeur et gros investisseur – pourrait-elle diversifier son activité ? J’ai beaucoup entendu parler de l’énergie solaire, mais elle est en difficulté. Cela dit, dans la mesure où Total exploite beaucoup en milieu marin et que les recherches se font majoritairement dans les sous-sols marins, comptez-vous intervenir dans le biomarin, l’éolien en mer et l’énergie des vagues ? Voilà qui permettrait de redorer l’image durablement altérée de votre société depuis le naufrage de l’Erika, qui aurait pu et dû être évité.

M. Jean-Jacques Cottel. Les projets d’installations à cycle combiné gaz, qualifiés de centrales thermiques à gaz et remplaçant les centrales au charbon, semblent se développer. En raison d’un manque de transparence et parce qu’ils sont fort peu créateurs d’emplois, ils ne sont pas toujours bien compris par nos populations, voire parfois controversés, d’autant plus que l’on doit souvent acheminer le gaz en milieu rural. Ils constituent certes une manne pour les territoires, mais certains coûtent cher. Je voudrais donc savoir si l’on mesure vraiment les besoins énergétiques d’une région ou d’un territoire avant l’installation de ces centrales et si celles-ci permettent réellement de limiter la pénurie d’électricité lors des pics de consommation hivernale. De surcroît, ce gaz n’a-t-il pas un impact négatif sur la santé ?

M. Jacques-Alain Benisti. Le précédent Gouvernement a considérablement investi dans la recherche, en multipliant par cinq les budgets d’accompagnement de grands projets de recherche en faveur de la biodiversité énergétique. Un groupement « Ville et mobilité durable » a même été créé à 15 kilomètres à l’est de Paris, avec les universités françaises les plus importantes et la construction du plus grand centre de recherche en matière de bioénergie et de développement des énergies nouvelles. Quatre cents hectares ont été réservés pour permettre aux entreprises françaises de se regrouper et favoriser leur synergie en matière de transition énergétique ; malheureusement, seules trois entreprises ont manifesté leur intérêt pour le projet…et elles étaient allemandes !

Vous demandez à la représentation nationale de soutenir votre effort d’investissement. Or, si la majorité précédente l’a fait, rares ont été les réponses il y a un an ! Avez-vous l’intention de répondre enfin ?

M. Alain Gest. Que pensez-vous du coût supporté par les entreprises allemandes à la suite de la décision prise par Mme Angela Merkel en matière énergétique ?

On parle actuellement beaucoup du prix du gaz, et je partage les propos tenus tout à l’heure par Jean-François Cirelli à cet égard. Cependant, le prix du gaz est indexé sur celui du pétrole. Comment sortir de ce système ?

M. Philippe Boisseau. Quelles sont les réserves d’énergies fossiles ? Même si la consommation énergétique des pays de l’OCDE croît relativement peu, la demande mondiale va considérablement augmenter dans les trente années à venir et concernera essentiellement l’électricité. Dans le monde, celle-ci est principalement produite à partir de charbon et de gaz. Par ailleurs, la part du nucléaire n’augmente pas dans le bouquet énergétique mondial. Enfin, peu de pays produisent de l’électricité à partir du pétrole car cette utilisation n’est pas compétitive. Par conséquent, si la demande mondiale d’électricité augmente fortement, la part du gaz s’élèvera forcément. À l’horizon 2030, on comptera 70 % d’énergies fossiles — gaz, pétrole et charbon — contre 75 % actuellement. Certes, le pourcentage diminue mais comme la demande progresse, la quantité absolue d’énergies fossiles augmentera également.

Bien sûr, il est absolument essentiel de promouvoir les économies d’énergie et les énergies nouvelles. Nous nous attachons à le faire. Nous ne sommes pas les seuls.

Nous sommes conscients des enjeux liés au prix du CO2. Nous avons mené des actions, en tant qu’industriel et vis-à-vis de nos clients, en faveur de l’efficacité énergétique. Nous avons même spontanément, sur fonds privés, financé à Lacq un projet industriel de tests de captage et de stockage de CO2. Nous nous sommes donc préparés. Néanmoins, en tant qu’industriel, nous ne pouvons aborder seul ce sujet, car nous sommes en concurrence avec de nombreuses industries extra-européennes. Il faut être conscient que des normes unilatérales engendreront des distorsions de concurrence au détriment de l’industrie européenne, favoriseront ses concurrents étrangers et ne contribueront pas à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Autrement dit, la réduction de ces émissions constitue une priorité mais elle ne peut se faire seule. Si le prix du CO2 est bas en Europe, malgré les critères et les quotas exigeants qui ont été définis, cela traduit malheureusement le fait que l’Europe est en crise, que l’industrie européenne produit moins et qu’elle émet par conséquent moins de CO2 que ce prévoyait la trajectoire de réduction des émissions. C’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle : bonne en ce qui concerne le CO2, moins bonne pour notre économie. La réglementation des émissions doit se faire collectivement ensemble et non de façon isolée, sinon les effets obtenus ne sont pas ceux attendus.

En ce qui concerne les réserves de pétrole et de gaz, notre compagnie dispose d’une vingtaine d’années de réserve et de quarante ans de ressources. Cette quarantaine d’années correspond à la visibilité dont on dispose au niveau mondial. Cela étant, la durée de vie des réserves progresse au fur et à mesure qu’on produit parce que l’on continue d’en découvrir de nouvelles. Néanmoins, la quantité produite va plafonner ; c’est ce qui nécessitera de trouver des énergies complémentaires.

Nous pensons que les premiers véhicules consommant deux litres d’essence pour 100 kilomètres sont faisables à l’horizon 2020, en s’appuyant sur des moteurs hybrides. Dans le cadre de nos recherches en partenariat avec les constructeurs automobiles, deux types de moteur émergent : les hybrides diesel pour les très grosses cylindrées, et les hybrides à essence pour les petites cylindrées. Néanmoins, il faudra attendre dix à vingt ans supplémentaires pour que ces deux technologies occupent une part significative dans le parc.

Différentes techniques ont été testées pour le captage et le stockage de CO2 (CCS, carbon capture and storage). Malheureusement, la technique de stockage dans des aquifères profonds est beaucoup plus complexe qu’on ne le pense, et les tailles de stockage imaginées initialement sont considérablement réduites – le grand projet dans le bassin parisien pour lequel nous étions partenaires a ainsi vu sa capacité initiale divisée par cent. Le captage et le stockage du CO2 peuvent être réalisés dans d’autres circonstances, comme nous le faisons à Lacq dans un gisement de gaz déplété. Toutefois, ce procédé n’est pas encore rentable et reste du domaine de la recherche. À cet égard, nous sommes partenaires d’autres initiatives.

Nos bateaux ne sont pas des poubelles. La justice a tranché pour l’affaire de l’Erika. Le groupe Total a mis en place, il y a plus de dix ans, des règles internes qui fixent un âge limite à tous ses navires à double coque, partout dans le monde, et qui l’obligent à n’affréter aucun navire ne répondant pas à ces critères, même s’il n’en a pas la responsabilité juridique – ce qui nous pose parfois des difficultés de transport, mais nous souhaitons développer cette démarche d’amélioration continue.

Total exploite des gisements de gaz de schiste à l’étranger. En France, le dossier gaz de schiste est clos pour nous.

L’hydrogène constitue une forme de stockage de l’énergie qui n’en est qu’au stade de l’expérimentation. Pour limiter son empreinte carbone, il doit être produit par l’électrolyse de l’eau couplée à une source d’électricité propre. Actuellement, ce procédé n’est ni rentable ni maîtrisé, et constitue donc une solution lointaine. À cela s’ajoute, comme pour toutes les nouvelles sources d’énergie, le prix des infrastructures. Le développement d’un type de carburant nécessite, en effet, des infrastructures très lourdes. Or s’il faut avoir des stations pour lancer des voitures, il faut aussi des voitures pour lancer des stations. Compte tenu de l’importance des investissements, la mise en place de ces procédés est très lente. En revanche, nous avons décidé d’être pionniers en matière d’expérimentation. C’est ainsi que nous exploitons en Allemagne une dizaine de stations hydrogène dans le cadre de notre R&D.

Enfin, le dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE) existe et nous pensons que la Commission européenne pourrait prendre des initiatives en la matière. Certes, au vu de sa complexité sur le plan administratif, nous ne souhaitons pas son application dans le domaine des transports. Néanmoins, pour le chauffage, il a donné lieu à un certain nombre de projets. Nous sommes devenus un des principaux promoteurs français en matière d’économies d’énergie, notamment dans l’habitat, grâce ou à cause de ce dispositif. Il constitue un des éléments de réponse à la précarité énergétique, car faire baisser la consommation des clients est une façon de diminuer leur facture.

M. Jean-François Cirelli. Il est possible de maîtriser la demande – elle est d’ailleurs en passe de l’être. Si des économies d’énergie supplémentaires ne sont pas réalisées aujourd’hui, c’est parce qu’elles représentent un coût. Des financements idoines devront apparaître, car les travaux de rénovation d’une « passoire thermique » peuvent s’élever à 10 000 ou 15 000 euros, ce que ne peut assumer l’ensemble de nos concitoyens.

Dans le cadre du débat sur la transition énergétique, il faudra dépasser les intérêts catégoriels. Pour ma part, je m’en tiendrai à une position générale puisque GDF-Suez est un acteur dans tous les domaines en France, sauf dans le charbon.

Certes, les réseaux décentralisés vont se développer à l’avenir. Néanmoins, ils ne représentent pour l’heure qu’un tiers de la consommation d’énergie. Nous avons donc encore besoin de grosses structures pour assurer l’approvisionnement de l’industrie.

Il est surprenant que l’Europe, qui milite en faveur des énergies renouvelables dans le cadre de la transition, n’ait pas lancé un grand projet de recherche sur le sujet. GDF-Suez mène des travaux dans le domaine des énergies marines et a lancé un projet d’hydroliennes. Il est indéniable que la recherche publique est insuffisante dans notre pays.

Il y a dix ans, les industriels parlaient d’un « après hydrocarbures » – British Petroleum (BP) s’était même renommée Beyond petroleum, c’est-à-dire « au-delà du pétrole ». Aujourd’hui, même si cela ne va pas plaire à tout le monde, leur sentiment est qu’il y a beaucoup plus d’hydrocarbures qu’on ne le pensait. De la même manière, les réserves de gaz non conventionnel ont été réévaluées, pour passer de soixante à deux cent cinquante ans. Si c’est vrai, notre approche de l’énergie de demain est à revoir.

Nous plaidons pour une politique européenne de l’énergie. Évitons une renationalisation des politiques énergétiques ! S’agissant du carbone, une taxation peut être imaginée, mais essayons d’avoir des politiques coordonnées au sein de l’Union européenne. Avec E.ON, nous menons le dernier grand projet de captage et de stockage de CO2 aux Pays-Bas dans une centrale au charbon. Mais nous nous heurtons à deux difficultés majeures. La première est que nous ne pouvons en assumer le coût avec un CO2 à 8 euros la tonne, malgré les 300 millions d’euros de subventions reçues. La seconde difficulté a trait à l’acceptabilité sociale, car si, dans le cadre de notre projet aux Pays-Bas, le CO2 sera acheminé dans un champ déplété en Mer du Nord, la phase terrestre est difficile à faire accepter aux électeurs.

GDF-Suez est très favorable à la méthanisation. Après quelques blocages techniques, les choses ont bien avancé. Nous avons d’ailleurs passé un important accord avec le monde agricole.

La transition énergétique est possible : c’est une question de moyens, mais aussi de volonté politique. La Nation doit faire des choix.

Un trop grand nombre de ménages français vit dans une situation de précarité énergétique. Comme l’a annoncé Mme Batho, les tarifs sociaux du gaz et de l’électricité seront étendus à 830 000 personnes supplémentaires, ce dont nous nous réjouissons. GDF-Suez plaide en ce sens depuis six mois.

Il est devenu très compliqué pour un industriel de parler des gaz de schiste en France. En fait, les industriels s’adaptent. Ainsi, si GDF-Suez n’a pas d’activité dans le charbon en France, elle en a aux Pays-Bas. De la même manière, nous sommes recalés en France pour l’installation d’éoliennes en mer, mais félicités par l’Allemagne quand nous leur en livrons. Le dossier des gaz de schiste est clos en France ; nous n’allons pas le rouvrir, d’autres le feront. Pour l’heure, le seul procédé connu pour les extraire est la fracturation hydraulique ; il sera sûrement amélioré. Néanmoins, les gaz de schiste constituent une vraie révolution. Les Américains sont indépendants pour le gaz et le seront peut-être, selon le scénario élaboré par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans son rapport annuel, pour le pétrole. De surcroît, ils sont passés du charbon au gaz de schiste, et exportent dorénavant le premier en Europe. Comme cette dernière utilise le charbon américain, ses centrales au charbon fonctionnent à plein régime et émettent beaucoup de CO2, alors que ses centrales au gaz marchent un jour sur quatre. Une augmentation des émissions de CO2 dans le secteur énergétique européen est donc inéluctable. Or selon l’AIE, le gaz est le seul combustible pour lequel la demande mondiale augmente quel que soit le scénario envisagé. Je suis déçu que le gaz chasse le charbon aux États-Unis, et que le charbon chasse le gaz en Europe – mais pas trop en France qui n’est pas vraiment un pays gazier. D’ailleurs, il est impossible de construire une centrale CCG aujourd’hui par manque de rentabilité : les miennes fonctionnent un tiers du temps alors qu’elles sont neuves !

Nous n’avons pas baissé notre participation dans Suez Environnement – à hauteur 35 % – et n’avons pas l’intention de le faire, comme l’a rappelé ce matin Gérard Mestrallet. Nous en restons le principal actionnaire ; un contrat entre nos deux entreprises prévoit d’ailleurs de développer nos activités. En revanche, nous avons décidé de mettre fin à notre contrôle sur cette filiale.

Aujourd’hui, la surcapacité électrique de l’Europe est une réalité. Les centrales au gaz ont été fabriquées pour tourner 6 500 heures, mais fonctionnent 2 000 heures. Le système est plus fragile à la pointe de consommation. Il a fallu attendre 2012 pour parler du risque d’une Europe plongée dans le noir ! La décennie 2020-2030 sera difficile car nous serons vraisemblablement en sous-capacité. Mais aujourd’hui, aucun énergéticien n’est capable d’investir dans la filière thermique en Europe.

Nous ne sommes pas défavorables aux énergies renouvelables, à condition d’avoir confiance dans la capacité des pays où l’on investit à respecter leurs engagements. Seriez-vous prêt à investir dans l’éolien en Italie à 150 euros le mégawatt ?

J’ai compris l’appel sur la bioénergie. Je vais étudier la question.

Je termine par le prix du gaz indexé sur le prix du pétrole. D’abord, les contrats sont ce qu’ils sont. Ensuite, l’indexation pétrole existe à peu partout, sauf dans le monde anglo-saxon. Enfin, grâce aux renégociations de GDF-Suez avec ses fournisseurs, la nouvelle formule de calcul des tarifs du gaz en France intégrera une part de prix de marché à hauteur de 36 % au 1er janvier contre 26 % actuellement. J’espère que la représentation nationale ne me reprochera pas à l’avenir d’avoir introduit une part de marché dans le prix du gaz.

M. Luc Poyer. Monsieur Denis Baupin, la transition énergétique constitue une opportunité, et c’est bien pour cela qu’elle fait l’objet d’une mobilisation au sein de la société allemande. Mais elle comporte une autre face : elle ne peut avoir lieu sans effort, sans tension, sans défi à relever. E.ON France – qui, je le rappelle, a repris l’héritage électrique de Charbonnages de France – doit aussi compter avec cette réalité-là, notamment avec les conséquences qu’entraîne la transition énergétique pour le corps social. À cet égard, je suis sensible aux remarques formulées au sujet de la centrale d’Hornaing, que je connais bien.

Les tranches charbon sont en effet contraintes de s’adapter. Certaines sont modernes, ou modernisables, et ont donc bénéficié d’investissements pour devenir moins polluantes : elles pourront fonctionner au-delà de 2020. D’autres, plus anciennes, ne sont plus conformes à la réglementation. Nous avons décidé d’échelonner leur fermeture : une seule tranche fermera en 2013, contre cinq initialement prévues.

S’adapter à la transition énergétique signifie également investir. Malheureusement, en France, nous avons dû abandonner les investissements en faveur de la technologie CCGT. Certes, nous avons achevé, pour un coût de 500 millions d’euros, la construction de la centrale « Émile Huchet », l’une des installations à cycle combiné gaz les plus importantes du pays. Mais – et tous les énergéticiens européens s’accordent sur ce point – les conditions économiques ne permettent pas de poursuivre dans cette voie. Nous avons donc fait le choix de convertir une tranche charbon en tranche biomasse. C’est une première en France.

Sur le plan social, notre secteur électrique et gazier est soumis à un statut particulier. Cela entraîne une gestion particulière des ressources humaines – un programme de départs volontaires fait actuellement l’objet de consultations – ainsi qu’une modernisation du dialogue social, de façon à pouvoir trouver des solutions pour chacun de nos salariés.

En l’absence d’un modèle économique clair, il est nécessaire que les grands acteurs du secteur nouent des partenariats, comme l’ont fait E.ON et GDF-Suez. Dans le monde pétrolier, de tels accords sont une tradition. Un grand industriel européen de l’électricité peut-il, aujourd’hui, porter seul des projets coûtant plusieurs centaines de millions d’euros, voire plusieurs milliards ?

En ce qui concerne le stockage du dioxyde de carbone, E.ON est impliqué dans les recherches en cours. Pardonnez-moi si j’ai pu laisser penser que la technologie n’était pas au point. Elle l’est, mais le modèle économique manque, sachant que l’investissement, par rapport à une centrale au charbon, est de 50 % plus élevé. En principe, les subventions permettent de compenser le surcoût, mais elles sont financées par la vente de quotas d’émissions, si bien que leur volume diminue à mesure que baisse le cours des quotas. Il existe donc un lien entre le fonctionnement du marché du carbone et le démarrage des technologies destinées à le stocker. Les innovations technologiques ayant entraîné une révolution industrielle ont toujours bénéficié du soutien des pouvoirs publics mais, dans le cas du CCS, la situation est d’autant plus bloquée que l’opinion a du mal à accepter cette technique peu connue. Les industriels n’ont peut-être pas suffisamment fait preuve de pédagogie, mais les politiques ont sûrement aussi un rôle à jouer. Pour l’instant, le captage, le transport et le stockage du CO2 sont sans doute moins attractifs aux yeux du public que le moteur à hydrogène, par exemple.

Sur l’hydrogène justement, E.ON est engagé dans le projet de stockage « power-to-gas » : l’hydrogène produit par électrolyse est mélangé avec du gaz naturel. D’autres utilisations sont possibles, comme le montre l’exemple que vous avez cité, celui de la start-up française McPhy. Les pouvoirs publics devraient se tourner vers ce secteur et entamer sur l’hydrogène une réflexion se nourrissant de l’expérience acquise en matière photovoltaïque ou éolienne. En tout état de cause, et sans être spécialiste, je constate que les choses bougent de l’autre côté du Rhin. On encourage la production d’énergie renouvelable, d’électricité verte, mais pas de l’hydrogène vert. Il existe deux façons de produire cet élément : soit par reformage d’hydrocarbures – qui émet alors du CO2 –, soit en convertissant l’énergie éolienne ou hydroélectrique. Dans ce dernier cas, on peut alors parler d’hydrogène vert. Reste le modèle économique à inventer.

On m’a interrogé sur l’évolution de la politique énergétique en Allemagne et sur le coût qu’elle fait supporter aux entreprises. Les conséquences de cette évolution sont de deux ordres. Tout d’abord, les entreprises telles que la mienne doivent assumer le coût de la fermeture accélérée des centrales nucléaires : 1,5 milliard d’euros en 2011, puis 1 milliard chaque année jusqu’en 2022. Ensuite, l’ensemble de l’économie allemande subit une perte de compétitivité en raison de l’augmentation des tarifs de rachat. L’équivalent allemand de l’UFE, le BDEW – Bundesverband der Energie und Wasserwirtschaft –, a publié en octobre 2012 une étude montrant que, sur les 20 milliards d’euros d’aides accordées aux énergies renouvelables, 6 milliards sont à la charge de l’industrie allemande. Les industriels jugent donc la transition très coûteuse. Cependant, d’autres interlocuteurs souligneront l’existence, pour les électro-intensifs, de dispositifs élaborés qui les exonèrent d’une partie du coût de rachat des énergies renouvelables ainsi que de certains coûts liés aux réseaux.

Pour conclure, j’ai relevé au cours du débat de nombreux sujets – comme l’hydrogène vert – pouvant faire l’objet d’une coopération franco-allemande. Pourquoi des pays situés au cœur de l’économie européenne ne pourraient-ils pas mettre en commun une partie de leurs dépenses publiques en faveur de la recherche et développement, notamment dans le domaine des énergies renouvelables ? Les efforts ne devraient pas être dupliqués de part et d’autre du Rhin.

M. Robert Durdilly. Les études auxquelles j’ai fait allusion tout à l’heure, fondée sur l’hypothèse d’un renforcement significatif des énergies renouvelables dans le bouquet français à l’horizon 2030, permettent d’évaluer ce que pourrait représenter le coût de la transition énergétique dans notre pays. On peut distinguer deux étapes : la première associe le maintien du parc électronucléaire au développement des énergies renouvelables à hauteur des objectifs inscrits dans le Grenelle de l’environnement. Dans cette hypothèse, le prix du MWh qui, pour un particulier, est aujourd’hui d’environ 130 euros, augmenterait de 30 à 40 euros en 2030. La deuxième marche consiste en un nouveau renforcement des énergies renouvelables se conjuguant avec une diminution de la part du nucléaire. L’augmentation serait équivalente.

Ces hausses soulèvent un certain nombre de questions. Quel serait le sort des entreprises ? Quel serait l’impact sur leur compétitivité, en particulier s’agissant des électro-intensifs, auxquels l’Allemagne applique un traitement spécifique afin de les protéger contre une partie des effets du renchérissement de l’électricité ? Comment prendre en compte la situation des ménages en difficulté ? En tout état de cause, les ordres de grandeur que je viens d’indiquer sont utiles pour apprécier les conséquences de la transition énergétique.

La maîtrise de la demande est un des piliers de la politique énergétique du futur. Les objectifs fixés sont extrêmement ambitieux. L’UFE vient de publier une étude, toutes énergies confondues, sur le pilotage de la politique d’efficacité énergétique. Il est nécessaire de réajuster les efforts sur des gisements d’économie aujourd’hui peu sollicités. Il convient également de mieux évaluer la rentabilité des différents types d’action destinés à améliorer l’efficacité énergétique et d’optimiser le rapport entre investissement consenti et économies obtenues : cela implique d’établir une hiérarchie des actions d’efficacité énergétique.

Par ailleurs, la constitution d’une filière française de l’efficacité énergétique est un enjeu considérable : l’énorme masse d’argent investie dans le secteur doit bénéficier avant tout au tissu national. Aujourd’hui, un certain nombre d’actions sont sources d’importations.

Enfin, savoir qui doit payer pour l’efficacité énergétique, et dans quelles proportions, est une question extrêmement importante.

Denis Baupin a demandé tout à l’heure si la transition énergétique était ou non bénéfique ; pour notre part, nous avons tenté d’en objectiver les conséquences, de montrer ses effets positifs, mais aussi les risques qu’elle fait courir et que nous devons maîtriser pour que son bilan, en termes d’émissions de CO2, de balance commerciale et d’emplois, ne soit pas négatif. Par ailleurs, nous devons veiller à ce que l’inévitable renchérissement qu’elle entraînera ne se traduise pas par une décélération de l’économie. Certes, à court terme, et à condition de trouver les sources de financement nécessaires, les investissements réalisés auront un impact macroéconomique positif et entraîneront une relance. Mais s’ils ne bénéficient pas principalement à des filières françaises, ils pourraient générer des effets déflationnistes à plus long terme.

Je finirai par l’énergie thermique. Plus nous voulons développer la part des énergies renouvelables dans le système de production d’électricité, plus il nous faut augmenter le volume d’énergie produite de manière souple et réactive. C’est encore plus vrai si nous voulons également réduire la part du nucléaire dans la production d’énergie. À cet égard, le cycle combiné gaz représente la meilleure solution technique. Malheureusement, elle n’est pas rentable dans les conditions actuelles. Pour assurer la sécurité de notre système électrique, nous devrons donc assurer cette rentabilité. Les projets relatifs aux marchés et aux obligations de capacité constituent un élément de réponse, mais peut-être pas suffisants. Cette question fait partie de celles que doit résoudre le débat sur la transition énergétique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous allons nous y employer. De même, nous devrons relever un autre défi, celui de la construction d’une Europe de l’énergie – une orientation fixée par le Président de la République lors de la Conférence environnementale.

Au nom de tous les parlementaires qui ont assisté à cette audition, je remercie nos invités et leurs collaborateurs. Je me réjouis de la qualité de nos échanges.

——fpfp——

V.— AUDITION : CHANGEMENT CLIMATIQUE ET TRANSITION ÉCOLOGIQUE

Le mercredi 6 février 2013, la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Jean-Marc Jancovici sur le changement climatique et la transition écologique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. J’ai le plaisir d’accueillir M. Jean-Marc Jancovici pour sa première audition devant la commission du développement durable. Nous le recevons dans le cadre du débat sur la transition énergétique. Professeur à Mines ParisTech, expert reconnu sur les questions climatiques et énergétiques, auteur – et développeur principal – du bilan carbone pour le compte de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), vous avez créé en 2007, avec Alain Grandjean, le cabinet de conseil Carbone 4. Par ailleurs, vous siégez au Conseil économique, social et environnemental (CESE) et au comité de la veille écologique de la Fondation Nicolas-Hulot.

M. Jean-Marc Jancovici. Je vous remercie de prendre le temps de cet échange. Je n’ai certes jamais été auditionné par cette commission, mais j’ai participé à la mission de l’Assemblée nationale sur l’effet de serre que présidait, sous la législature précédente, M. Jean-Yves Le Déaut et dont Mme Nathalie Kosciusko-Morizet était rapporteure.

Sans énergie, le monde moderne n’existerait pas. La hausse du pouvoir d’achat, l’urbanisation, la tertiarisation, la mondialisation, le temps libre, les retraites, les études longues, les 35 heures et tous les acquis sociaux ont pu se développer grâce à l’énergie. Or, cette dernière se trouve dorénavant en quantité insuffisante pour que le travailleur français puisse maintenir son niveau de consommation. Que faire pour que cette situation ne dégénère pas en instabilité sociale forte ?

La production mondiale ne dépend que de l’énergie disponible. Toute contrainte sur le volume de l’énergie – et non sur son prix – se répercute sur le PIB. MM. Nicolas Sarkozy et François Hollande se sont trompés : en annonçant la progression du pouvoir d’achat en 2007 pour le premier, en prédisant la reprise de la croissance en 2012 pour le second, ils pensaient que leur volonté pouvait prévaloir sur la physique. Dorénavant, l’Europe ne connaîtra plus de croissance : son cycle économique est appelé à reposer sur l’alternance d’une année de récession suivie d’un faible rebond. La croissance continue ne reviendra plus, car l’approvisionnement énergétique de l’Europe est déjà restreint : le gaz et le pétrole fournissent les deux tiers de la consommation énergétique européenne. Ainsi, tout plan prévoyant de nouvelles dépenses financées par un surplus de croissance échouera. L’avenir doit être pensé dans un environnement sans croissance.

Dans un tel cadre, il convient de veiller au puissant effet d’éviction des dépenses inutiles : engager des dizaines milliards d’euros pour des panneaux photovoltaïques revient à se priver de financement pour des actions véritablement utiles. Les énergies fossiles sont trop abondantes pour sauver le climat, mais trop rares pour relancer l’économie européenne. Il va être difficile de convaincre les pays détenteurs de charbon de ne pas l’utiliser dans un contexte de stagnation économique. L’Allemagne a emprunté cette voie. La hiérarchie des mérites et des nuisances varie selon la finitude ou l’infinitude de la disponibilité des ressources, puisque le poids des contraintes diffère en fonction de la source d’énergie.

Les modèles macroéconomiques d’aujourd’hui bouclent leurs équations par les prix et reposent sur des élasticités constantes entre prix et volumes. Ils sont devenus inopérants et n’ont pas permis d’anticiper la crise de 2007. Portons notre attention sur les volumes et non sur les prix ! Pour le pétrole, par exemple, l’élasticité entre prix et volume n’existe plus ; il n’est plus possible de déduire la quantité de pétrole produite à partir de son prix. Et c’est bien la quantité qui importe pour l’économie, non le prix.

En revanche, le pétrole nécessaire à la création d’un euro de PIB décroît en volume. De même, la part de l’énergie dans le budget des ménages diminue depuis quarante ans ; elle se situe à un niveau inférieur à celui qu’elle atteignait avant le premier choc pétrolier. De plus en plus de pétrole, de gaz et de charbon sont extractibles. Mais en conclure que le progrès technique et des politiques courageuses permettraient d’atteindre n’importe quel but néglige le principe de réalité. L’énergie correspond à une grandeur physique qui caractérise le changement d’état d’un système. Ce processus obéit à des lois qui ne souffrent aucune exception. Ainsi, quand le monde change, l’énergie intervient. Là où l’économiste mesure la transformation de l’activité par une valeur ajoutée libellée en monnaie, le physicien évalue la quantité de kilowattheure nécessaire à cette mutation. De fait, il ne peut y avoir d’énergie propre, puisque l’énergie exige la transformation, alors que la propreté induit l’immuabilité. Il s’agit d’en user en permettant aux avantages de surpasser les inconvénients.

Une personne bien entraînée, capable de gravir le Mont-Blanc un jour sur deux, produit avec ses muscles environ 100 kilowattheures d’énergie mécanique par an. Si un individu était payé au SMIC pour accomplir cette formation d’énergie, le kilowattheure coûterait entre plusieurs centaines et quelques milliers d’euros. Les énergies fossiles ont permis de réduire ce prix. Un litre d’essence correspond environ à 10 kilowattheures, ce qui permet une énergie mécanique mille à dix mille fois moins chère que le coût du travail en Occident. En 1860, une personne disposait chaque année de 1 500 kilowattheures d’énergie – surtout thermique, charbon et bois – ; elle les utilisait pour le chauffage, la métallurgie, le bateau à vapeur et le train. Cette quantité n’a cessé d’augmenter pour atteindre 20 000 kilowattheures.

Dans cette énergie extraite de l’environnement, le charbon n’a jamais décru et toutes les nouvelles sources d’énergie – pétrole et gaz dans un premier temps – sont venues s’ajouter à l’existant sans le remplacer. Quant à l’éolien, au biogaz, au photovoltaïque et à la géothermie, leur poids est infinitésimal. Ainsi, même une baisse limitée du pétrole, du gaz ou du charbon sera très difficilement compensée par ces énergies nouvelles. Le charbon constitue le premier mode de production de l’électricité et les deux tiers de sa consommation se font en ce sens. Voilà pourquoi cette dernière n’a jamais diminué. Le pétrole, lui, sert avant tout pour les transports.

Pendant plus d’un siècle, la consommation énergétique de chacun a crû de 2,5 % par an afin de réaliser les infrastructures de transport, l’urbanisation, la mutation de l’agriculture, l’essor industriel et les systèmes sociaux. Depuis 1980, cette hausse s’est tarie ; elle ne résulte plus que du charbon et de la Chine. Les chocs pétroliers ont constitué une rupture radicale dans l’approvisionnement énergétique qui a, à son tour, engendré le chômage et l’endettement, problèmes qui n’existaient pas en 1974. Là encore, le problème ne réside pas dans le prix mais dans le volume.

Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, chacun dispose d’une énergie équivalente à celle de 200 esclaves. Sans les énergies fossiles, nous aurions besoin de deux cents planètes sur lesquelles 7 milliards de personnes produiraient de l’énergie pour maintenir notre niveau de vie actuel. Nous pouvons nous consacrer aux affaires publiques uniquement parce que l’énergie a remplacé la force de nos muscles.

Ce progrès s’est accompagné d’une croissance démographique exponentielle. Au moment où l’humanité s’est sédentarisée, la population mondiale ne dépassait pas quelques millions d’habitants ; elle atteignait 500 millions de personnes au début de la révolution industrielle et dépasse maintenant les 7 milliards, progression fabuleuse en seulement huit générations.

La consommation globale d’énergie a explosé : entre 1945 et le premier choc pétrolier, la consommation d’énergie mondiale a crû, en moyenne, de 5 %. Ensuite, elle a décéléré et diminuera bientôt. Elle provient, pour une part s’élevant à 80 %, de combustibles fossiles, restes de vie ancienne – fougères du carbonifère pour le charbon, algues et planctons pour le gaz et le pétrole. Même l’électricité est massivement fossile : la production française actuelle se monte à 550 térawattheures, soit à peine moins que la consommation mondiale en 1945. La généralisation de l’électricité date donc véritablement de la seconde moitié du XXe siècle. En 1973, les combustibles fossiles représentaient les trois quarts de la production électrique ; cette part s’est réduite aux deux tiers en 2007. Au cours de cette période, c’est de très loin le charbon qui a connu la progression la plus soutenue. Actuellement, la Chine installe une centrale à charbon par semaine et des capacités de production de 150 à 200 gigawatts sont en construction – à rapporter avec la capacité totale de la France qui ne dépasse pas 100 gigawatts. Après le charbon, l’énergie ayant connu la plus forte hausse est le gaz. Viennent seulement ensuite l’hydroélectricité et le nucléaire.

Le bois fournit 10 % de l’énergie mondiale. Il n’est, dès à présent, plus totalement renouvelable, puisqu’une partie de cette énergie correspond à de la recherche de bois de feu autour des villes africaines qui engendre de la déforestation. L’hydroélectricité représente l’essentiel des capacités d’énergies renouvelables en construction dans le monde, loin devant l’éolien. Ce dernier, même compté en équivalent primaire, ne produit pas 1 % de l’énergie mondiale. Les agrocarburants ne dépassent pas 0,4 % : quand le monde absorbe 4 milliards de tonnes de pétrole, il ne consomme que 60 millions de tonnes d’agrocarburants. Pour élaborer leurs agrocarburants, les États-Unis utilisent 40 % de leur maïs – soit la même part que celle qu’ils destinent à l’alimentation animale. En Allemagne, certains producteurs insèrent leur maïs directement dans les méthaniseurs pour favoriser la fabrication de biogaz. Enfin, le photovoltaïque contribue pour 0,1 % à la production énergétique mondiale.

Une fois observé ce panorama, je tiens à préciser que le terme de « production » d’énergie est impropre. L’action de l’homme consiste en effet à extraire l’énergie dite primaire de l’environnement, avant de la transformer en énergie finale qu’il pourra consommer.

La France, comme ses voisins, consomme une énergie provenant de combustibles fossiles. Son électricité provient, en très grande partie, du nucléaire. Mais il est faux d’affirmer que toute l’énergie française est nucléaire. Cela ne peut se dire que de l’électricité. L’essentiel de l’usage de l’électricité n’est pas thermique, mais spécifique, à savoir qu’il sert à alimenter des appareils – réfrigérateurs, pompes, lave-linge, lave-vaisselle, ascenseurs – non producteurs de chaleur. Or limiter cette utilisation s’avère plus difficile que de restreindre le besoin de chaleur.

L’emploi d’énergies renouvelables en France répond à la même hiérarchie que celle constatée dans le monde : d’abord le bois, puis l’hydroélectricité, puis l’éolien et, enfin, le photovoltaïque. Ces deux dernières sources d’énergie satisfont respectivement 0,35 % et 0,07 % de la demande d’énergie.

L’énergie a modifié la structure des métiers. Il y a deux siècles, les deux tiers des Français étaient paysans et chacun nourrissait 0,5 personne en plus de lui-même. Avec l’énergie, l’agriculture a pu se mécaniser – un tracteur de 100 chevaux équivaut à environ 1 000 individus – et un agriculteur actuel assure l’alimentation de 50 personnes. Ces dernières ont pu effectuer d’autres tâches grâce à l’énergie, qui permet de transformer de nombreuses ressources présentes dans l’environnement comme des minerais, du bois ou des sols. Ainsi s’est développée l’industrie, activité de transformation des réserves naturelles. Dans tous les pays occidentaux, le choc pétrolier a tari la croissance énergétique globale, qui est devenue inférieure à la productivité du facteur travail, ce qui a entraîné le déclin de l’emploi industriel. La contribution des services à la productivité plus faible a, en revanche, poursuivi son essor. Parallèlement, le chômage s’est massifié. Il y a un siècle, les lois sur le travail avaient pour objet de réduire le travail des femmes et des enfants, comme le temps que devaient y consacrer les hommes. Avant 1974, le facteur limitant l’activité était le travail disponible ; c’est désormais l’énergie. Plus la consommation d’énergie par personne est grande, moins la part de l’emploi dans l’agriculture est élevée. L’énergie abondante a permis l’urbanisation. Que la ville puisse, en accueillant 80 % de la population, organiser un système socio-économique stable dans un environnement énergétique contraint apparaît douteux.

L’opinion courante veut que le développement des services entraîne une dématérialisation, moins consommatrice d’énergie. Or c’est l’inverse : l’augmentation de la part des services dans l’économie n’est possible qu’une fois les fonctions productives remplies par des machines énergivores. Je pressens d’ailleurs que la contrainte énergétique va entraîner une hausse du travail manuel et une baisse des activités de service.

Les échanges plus massifs et mieux organisés ont permis l’étalement de l’habitat. Lorsque les villes ont été construites avant la période de profusion énergétique, les centres sont denses. Mais lorsqu’elles sont récentes, il n’y a pas de centre-ville. Atlanta constitue un bon exemple de cette dernière catégorie.

L’approvisionnement en énergie des pays de l’OCDE a déjà commencé de décroître. À l’inverse, il progresse dans les pays émergents, notamment en Chine. Épisode inédit, le PIB des pays de l’OCDE a également cessé d’augmenter depuis 2007. Cette situation risque de perdurer, car elle découle d’un tarissement énergétique. La France connaît la même situation, alors que l’économie des pays émergents poursuit sa croissance.

À l’école, nous apprenons que le travail et le capital sont les deux facteurs de production. Si cette dernière ne s’avère pas assez élevée pour financer la protection sociale, on diminue le coût du travail et du capital pour les stimuler. Or cette politique ne répond plus : alors que l’Allemagne emprunte à coût négatif et que les chômeurs sont très nombreux, le PIB n’augmente plus. C’est bien la preuve que cette description de l’économie est erronée. En fait, l’économie est une machine à transformer des ressources naturelles gratuites, la formation de capital n’étant qu’une boucle interne au système. Le brevet qu’un industriel dépose aujourd’hui ne résulte que de la transformation – par le travail – de ressources déjà existantes. Le goulet d’étranglement pour l’approvisionnement en ressources énergétiques – quel qu’en soit leur prix – induit mécaniquement un gel de la production. Le prix reste un élément significatif de l’équation économique tant qu’il n’y a pas de problème de quantité. Dans la pêche, le bateau représente le capital, le marin incarne le facteur travail, l’énergie provient du carburant mis dans le bateau et le PIB correspond à la valeur des poissons pêchés : si le diesel ou les ressources halieutiques disparaissent, la pêche et la production deviennent impossibles. Aujourd’hui, le niveau de notre activité économique est significatif du stock de ressources naturelles à transformer : il convient de surveiller attentivement ce dernier.

Depuis 1965, la consommation d’énergie et le PIB varient dans le monde de manière strictement parallèle. « Dis-moi combien d’énergie tu consommes et je te dirai quel est ton PIB » : telle pourrait être, simplement énoncée, la règle qui régit nos économies. En revanche, la variation du prix du baril et le PIB ne connaissent pas la même identité d’évolution. Lorsque le prix du baril augmente, un transfert de rente s’opère et la France s’endette au bénéfice de l’Arabie saoudite, mais rien ne change au niveau global. Vouloir régler le problème énergétique en attendant que les prix croissent fortement, revient à souhaiter une progression des revenus des pays producteurs d’hydrocarbures. Ainsi, la facture pétrolière et gazière de l’Europe a décuplé au cours de la dernière décennie. Cela a engendré un déficit commercial structurel qui s’est traduit par une augmentation de l’endettement. Cette situation se constate aussi bien dans les pays latins que dans les pays nordiques – y compris l’Allemagne. Il ne s’agit pas ici d’une question de couleur politique, mais d’un sujet de physique structurelle qui évolue à l’échelle du demi-siècle.

Le PIB par habitant est strictement égal au produit de l’énergie disponible par habitant et de l’efficacité énergétique, que l’on définit par l’augmentation du PIB induite par la création d’un kilowattheure d’énergie. La croissance du PIB par habitant résulte du produit de la variation de ces deux facteurs. La croissance de l’énergie mondiale s’établissait à 2,5 % par personne et par an avant 1980 et à 0,4 % depuis lors ; l’efficacité énergétique de l’économie a connu une croissance mondiale annuelle moyenne légèrement inférieure à 1 % depuis 1970. Pour que la règle que je viens d’énoncer soit juste, le PIB par habitant aurait dû croître de 3 % avant 1980 et de 1 % maintenant. Les chiffres de la Banque mondiale le confirment. Je suis donc en accord avec M. Vittori, éditorialiste aux Échos, lorsqu’il écrit que les lois de finances doivent dorénavant reposer sur une croissance économique nulle. Ce n’est pas agréable, mais mieux vaut prendre la réalité en compte plutôt que d’élaborer des plans voués à échouer.

Dans la relation étroite entre la production mondiale de pétrole et l’évolution du PIB, c’est la baisse du volume du pétrole qui entraîne celle du PIB et non l’inverse. On ne consomme pas moins de pétrole parce que c’est la crise, mais c’est la crise parce qu’on a moins de pétrole. La production mondiale atteindra son pic dans environ cinq ans. Ensuite, la décélération est inéluctable. Chacun s’interroge pourtant sur le prix du pétrole, alors que la question ne réside pas dans son évolution. La consommation de pétrole par l’Europe s’est réduite de 10 % depuis 2006 – repli amorcé avant le Grenelle de l’environnement – et cette tendance se poursuivra.

S’agissant du gaz, une projection réalisée par Total montre une production mondiale qui plafonne à partir de 2025, nonobstant le développement des gaz non conventionnels dont l’extraction sur le territoire français serait, de toute façon, difficile. L’approvisionnement gazier de l’Europe a cessé de croître lorsque les gisements de la mer du Nord – qui représentent 60 % de la consommation – ont atteint leur pic. Il est douteux que le nucléaire puisse être – même partiellement – remplacé par du gaz dans l’Union européenne.

Si l’on attribue la totalité des émissions de gaz à effet de serre aux citoyens et qu’on les inclut dans la fabrication des produits et services, les Français consomment, en moyenne annuelle, quelques centaines de kilos de CO2 pour la construction de leurs logements, deux tonnes de CO2 pour le chauffage de ces maisons, deux tonnes et demie pour l’alimentation – dont la moitié est due aux viandes et aux laitages –, deux tonnes et demie pour l’achat des biens manufacturés, deux tonnes pour le déplacement de personnes dans leur sphère privée et deux tonnes pour les services publics et privés – l’école, l’hôpital et l’armée d’une part, les banques, les coiffeurs, les opérateurs de téléphonie, entre autres, d’autre part. La fabrication de l’électronique destinée aux particuliers représente un tiers de l’empreinte carbone des achats de produits manufacturés ; deux tiers de la progression de 10 % de cette empreinte constatée entre 1990 et 2010 sont dus à l’électronique grand public : les technologies de l’information n’induisent aucune dématérialisation, ils ont créé des usages sans en supprimer d’autres. Dans les transports, l’avion a connu la plus forte croissance entre 1990 et 2010 ; or son utilisation est concentrée sur les deux premiers déciles de la population : créer un nouvel aéroport revient à construire une infrastructure pour riches.

Les émissions de gaz à effet de serre et l’usage de l’énergie fossile sont présents dans toutes nos activités. Le changement climatique ne peut donc être évité en contraignant une petite fraction de la population pour le bénéfice du plus grand nombre ; il ne peut l’être que par un effort de tous. Afin d’accompagner un tel effort collectif, il convient de développer une vision – un projet « sexy ». Sans vision, c’est le chaos qui réglera la situation. Voilà où vous entrez en scène, mesdames et messieurs les députés, et où je cesse de parler.

M. Arnaud Leroy. Monsieur Jancovici, je dois vous avouer que je comptais consacrer mon intervention au changement climatique, car vous aviez été présenté comme climatologue. Hélas, vous n’en avez pas dit un mot. En outre, comme vous êtes ingénieur, vous devriez nous proposer des solutions que j’ai cherchées en vain dans votre présentation.

Je suis d’accord avec vous pour affirmer la nécessité d’un effort commun. Encore faut-il préciser qu’il ne concerne pas que les Français, mais l’ensemble des habitants de la planète ! Je vous rejoins également sur l’exigence qui s’impose aux responsables politiques de tracer une vision et un plan pédagogique qui soit à son service.

Les précaires énergétiques existent bel et bien ! Après avoir discuté avec bon nombre de députés britanniques, allemands, estoniens et danois, je peux vous assurer que la situation des fuel poors crée un véritable problème social qui se situe, notamment, au cœur de l’actuelle campagne électorale en Allemagne. Le poste de la facture énergétique dans les dépenses n’a peut-être jamais été aussi faible statistiquement, mais les ménages ressentent fort différemment la situation et nier ce sentiment revient à faire peu de cas de la démocratie.

Mme Christiana Figueres, secrétaire générale de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, souhaiterait que les autorités locales et les parlements nationaux s’impliquent davantage dans la mise en place du plan post 2015. La France a fait le choix de se rendre disponible pour accueillir la prochaine conférence des parties – dite COP 21 – en 2015. Cette candidature s’inscrit dans le cadre de la très forte ambition de notre gouvernement en la matière ; ainsi, M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, considère la diplomatie climatique comme un axe prioritaire de notre action extérieure. Comment enrichir et accompagner notre réflexion sur le sujet dans les deux ans qui viennent ? Quelles sont les pistes que vous pourriez proposer pour répondre au défi – que vous avez exposé de manière percutante – de la diminution de la disponibilité de l’énergie ?

Je vous trouve trop critique sur les énergies renouvelables, assez silencieux sur votre rapport au nucléaire et très peu prolixe sur l’efficacité énergétique. Mes collègues du groupe SRC, ravis de vous accueillir, vous interrogeront sûrement là-dessus.

M. Martial Saddier. Vous exposez vos travaux avec brio, et il faut au moins vous reconnaître le mérite de la logique. Les députés UMP sont d’accord avec vous sur l’urgence de l’enjeu pour la société ; le Grenelle 1 et le Grenelle 2, qui permettaient d’associer tout le monde, devaient d’ailleurs servir à établir du consensus, donc à éviter la démagogie et le populisme. Le président Nicolas Sarkozy n’en a pas été remercié, il est vrai, mais vous n’êtes pas plus tendre avec le président François Hollande…

Aux États-Unis, la question énergétique a été débattue durant la récente campagne électorale : comment analysez-vous ce débat ?

Que pensez-vous des potentielles réserves nouvelles d’énergies fossiles ? Que pensez-vous de la décision prise par l’actuel Président de la République de diminuer la part du nucléaire dans notre production énergétique, et de la décision de fermer la centrale de Fessenheim ?

M. Yannick Favennec. Merci pour cette présentation décoiffante. Lors de la conférence de Doha, les grandes puissances ont rivalisé d’inertie. La France, elle, n’a pas à rougir de son bilan en matière de gaz à effet de serre, notamment grâce au Grenelle de l’environnement ; une étude allemande récente nous place parmi les meilleurs élèves de la classe, ce qui doit nous amener à prendre le leadership. Mais où est aujourd’hui le volontarisme français ? La voix de la France semble s’être éteinte, au point que nous avons cédé sur des avancées que nous avions pourtant portées – je pense au fonds vert de la conférence de Copenhague qui devait mobiliser 100 milliards d’euros à l’horizon 2020, aux aides destinées aux pays qui seront les premières victimes du réchauffement climatique, à la taxe carbone aux frontières de l’Europe…

Quel est votre sentiment sur Doha et sur la position française ? Quel peut être le rôle de la France en ce domaine, en Europe comme lors des prochains sommets internationaux ?

Que pensez-vous de la réduction de la part du nucléaire dans le bouquet énergétique français ? Les énergies renouvelables permettront-elles de compenser cette baisse ? Cette réduction est-elle compatible avec nos objectifs en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre ?

M. Denis Baupin. Merci pour cet exposé provocateur ! Sur l’essentiel, nous sommes d’accord : nous traversons une crise structurelle, et l’énergie est au cœur de cette crise ; il est urgent de donner un prix au carbone, à l’épuisement des ressources pétrolières. Mais nous avons un désaccord majeur sur le nucléaire. Vous n’avez parlé ni de Tchernobyl, ni de Fukushima : si l’on veut prendre en compte le risque d’un accident nucléaire, il faut refaire tous les calculs, et donner aussi un prix au risque d’accident nucléaire.

Il faut donc commencer par réécrire les équations économiques et énergétiques. Mais que faire de ces constats ? Nous ne pouvons pas continuer à consommer de l’énergie comme avant, surtout avec une population croissante ! Pour l’Agence internationale de l’énergie (AIE), fondée à l’OCDE, la priorité doit être aujourd’hui d’aller à 77 % vers une plus grande sobriété et à 19 % vers les énergies renouvelables.

Je note d’ailleurs au passage que les États-Unis ont installé en 2012 plus de puissance éolienne que de puissance en gaz, et qu’il existe 1 662 éoliennes offshore en Europe, dont aucune en France. Notre retard est donc conséquent.

Il faut aussi, vous avez raison, réfléchir sur notre alimentation, en particulier carnée, sur la mobilité, sur les bâtiments et leur consommation énergétique… Le ménage allemand, qui n’est pas moins doté en appareils électroménagers que le ménage français, consomme 20 % d’électricité spécifique de moins que le ménage français – sans même compter le chauffage électrique. Nous disposons donc de marges de progression très importantes.

Nous devons investir dans les secteurs les plus intensifs en emploi : rénovation thermique des bâtiments, transports collectifs, énergies renouvelables…

Ce débat est particulièrement utile. Nous avons, c’est vrai, besoin d’une vraie vision : le groupe écologiste pense que l’on peut sur ces sujets porter un discours positif sur la transition énergétique comme réponse à la crise.

M. Olivier Falorni. Voilà un exposé qui bouscule les certitudes, ce qui est toujours utile !

J’ai lu dans vos articles que vous privilégiez la « décarbonisation » des bâtiments, puis de l’industrie lourde et enfin des véhicules. Je vous rejoins sur ce point. Mais que devient alors l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production énergétique française – cap fixé pour 2025 par la Conférence environnementale ? Comment peut-on promouvoir le véhicule électrique et la pompe à chaleur tout en réduisant la part du nucléaire, sans favoriser l’exploitation de nouveaux gisements de gaz ou la production de biocarburants ?

Pourriez-vous nous éclairer sur la sortie du tout-pétrole ? Dans les grandes villes, le taux de motorisation diminue, mais c’est l’inverse à la campagne comme dans les villes petites ou moyennes, où l’automobile demeure indispensable.

Les biocarburants de troisième génération, produits à partir d’algues microscopiques riches en lipides qui peuvent accumuler entre 60 % et 90 % de leur poids en acides gras, ce qui pourrait laisser espérer une production annuelle d’une trentaine de tonnes d’huile par hectare, peuvent-ils constituer une réponse adaptée ? Le rendement du colza est, à titre de comparaison, trente fois inférieur.

La production de pétrole décroîtra dès 2020, et la production européenne diminue déjà. Le gaz de schiste ne pourrait-il pas diminuer notre dépendance vis-à-vis du pétrole ? Le retour d’expérience américain est, on le sait, mauvais pour l’environnement, mais d’autres formes d’exploitation pourraient remplacer la fracturation hydraulique. Que pensez-vous des recherches menées pour substituer à l’eau du GPL voire du gaz carbonique ? N’existe-t-il pas une exploitation écologique des hydrocarbures ? L’extraction du gaz de houille, contrairement au gaz de schiste, peut s’opérer sans recourir à la fracturation hydraulique.

Enfin, le Centre d’analyse stratégique a rendu en 2012 un rapport intitulé Énergies 2050, qui propose quatre scénarios d’évolution de la politique énergétique française, notamment en ce qui concerne le nucléaire, auquel je crois comprendre que vous êtes attaché. Quelle trajectoire devrions-nous suivre pour répondre aux exigences de la décarbonisation ? Devons-nous prendre en considération le développement des pompes à chaleur et des véhicules électriques, qui impliquent par ailleurs une évolution du réseau de distribution d’électricité intelligent ?

Le Danemark fait figure de bon élève en la matière, avec des objectifs très ambitieux. Est-ce la voie à suivre ?

M. Patrice Carvalho. Eh bien voilà qui décoiffe ! Ceux qui me connaissent savent que je ne pratique pas non plus la langue de bois, donc je le dis : c’était parfois un peu hard ! Je connaissais Marx, et son explication de la société capitaliste qui nous mène à la ruine, maintenant je connais aussi Jancovici (Sourires).

Vous parlez de risques d’explosion sociale, mais aujourd’hui, beaucoup de gens n’arrivent pas à se loger, se chauffer, se soigner… Pour satisfaire ces besoins, nous avons besoin de croissance économique. Sinon, ne risquons-nous pas le retour à la bougie et à l’âge où nos grands-mères faisaient la lessive au lavoir ?

Sur le rôle des médias, je suis entièrement d’accord avec vous : même à LCP, c’est vraiment la pensée unique ! (Sourires)

Vous ne parlez pas de la recherche : nous sommes peut-être à l’âge de pierre en matière d’énergie, ne perdons pas espoir dans le progrès scientifique.

Votre message est fort, mais quelles sont les perspectives d’avenir ? Je vous l’avoue, j’ai craint un moment que vous ne lanciez un appel au suicide collectif !

M. Philippe Plisson. On ne peut que partager votre diagnostic, mais quelles solutions proposez-vous ? Ne devons-nous pas saisir l’opportunité de changer radicalement de modèle de développement, en remettant les énergies renouvelables que vous méprisez au cœur du dispositif ?

Que pensez-vous de l’exploitation des gaz de schiste ? Que pensez-vous des clathrates de méthane : épée de Damoclès climatique ou ressource énergétique potentielle ?

M. Jean-Marie Sermier. Votre constat est partagé par le plus grand nombre. Mais comment pouvons-nous aujourd’hui prendre des mesures à l’échelle nationale quand la Chine ouvre une centrale à charbon par semaine ? Quelle gouvernance mondiale pourrait permettre des avancées significatives ?

Chacun doit pouvoir se retrouver dans le grand projet d’avenir que vous appelez de vos vœux. Avons-nous le temps d’intéresser la population à cette réflexion ?

L’exploitation de l’hydrogène fatal vous paraît-elle présenter un intérêt ?

Mme Geneviève Gaillard. Je partage les grandes lignes de l’exposé, mais vous ne présentez pas de solutions. L’énergie la plus propre, c’est celle que l’on ne consomme pas : la France est-elle armée pour entrer dans la transition énergétique ? Avez-vous des propositions en matière de fiscalité énergétique, et en matière d’aménagement du territoire ?

M. Édouard Philippe. Merci pour cette présentation perturbatrice mais stimulante.

Il est temps, vous le dites, de prendre en considération des indicateurs de prélèvements sur les stocks : des économistes, des spécialistes de comptabilité nationale, mènent-ils des recherches en ce sens ?

Vous avez peu parlé des conséquences de ce système sur le climat ; vous avez montré une diminution de la ressource énergétique, mais vous n’avez pas évalué l’échelle de temps nécessaire pour mesurer les conséquences pour les émissions de gaz à effet de serre de la diminution de cette ressource énergétique.

Votre message me paraît un message d’espoir pour les politiques que nous sommes : c’est à nous d’inventer des réponses nouvelles à la réalité que vous décrivez. J’entends donc un message de prise de pouvoir des élus, et non de condamnation des élus.

M. Jacques Krabal. Vous semblez opposé aux hydrocarbures non conventionnels et peu confiant dans l’avenir des énergies renouvelables : pourquoi ?

Vous êtes si peu effrayé par le nucléaire que vous prétendez, dans l’un de vos livres, que l’accident de Tchernobyl n’aurait provoqué que quelques dizaines de morts, mais aucun surcroît de mortalité par cancer. Certaines études évaluent pourtant les morts de 5 000 à 80 000. Vos assertions paraissent aujourd’hui choquantes : les maintenez-vous ?

Mme Sylviane Alaux. Vous écrivez que le gaz de schiste est une « fausse bonne idée » : sur quelles études vous fondez-vous ? Certes, la méthode d’extraction aujourd’hui utilisée pose problème, mais ne devrions-nous pas surtout en chercher d’autres – ce que font certains pays ?

M. Jacques Kossowski. Vous êtes, à l’inverse du Gouvernement actuel, un ferme partisan du nucléaire civil. Pouvez-vous expliciter votre position ?

Mme Brigitte Allain. Vous avez souligné l’importance de l’alimentation dans nos émissions de gaz à effet de serre. L’étude prospective Afterres 2050 propose un scénario d’évolution possible : nourrir tous les habitants de notre planète impose des changements profonds, et donc l’adoption, de façon quasi-générale, de nouvelles pratiques agricoles et alimentaires. Qu’en pensez-vous ?

M. Serge Bardy. Quels sont les blocages, notamment institutionnels, qui rendent si difficile la lutte contre le changement climatique à l’échelle du monde ? Vous aviez proposé la nomination dans chaque cabinet de ministère et dans chaque direction générale européenne d’un conseiller technique au développement durable, et même la création d’une Cour du développement durable, qui serait une extension de la Cour des comptes. Pouvez-vous préciser cette proposition ?

Comment, en période de crise, augmenter fortement les tarifs de l’énergie sans diminuer brutalement le niveau de vie des Français, dont une grande partie est d’ores et déjà fragilisée ?

Comment concilier l’engagement n° 41 du Président de la République – baisser la part du nucléaire dans notre production énergétique – avec une diminution de nos émissions de CO?

M. Jean-Pierre Vigier. Voilà un exposé qui décoiffe ! Si nous diminuons notre production d’énergie nucléaire, nous devrons utiliser d’autres moyens de production. Vous l’avez dit, l’éolien et le solaire seront bien loin d’y suffire. Avec le gaz, le charbon et le pétrole, nous dépendrons de l’étranger et nous polluerons beaucoup plus. Que faire alors ?

M. Charles-Ange Ginesy. Vous nous dites qu’il faut diminuer notre consommation d’énergies fossiles, mais que les énergies renouvelables ne représentent à peu près rien : en diminuant notre consommation, pourrons-nous éviter la décroissance ? Vous préconisez le vote d’un budget sans croissance ; mais, d’un point de vue économique, cela empêcherait notre société de rebondir.

Vous semblez enfin compter pour rien le progrès scientifique : je crois, moi, que la recherche représente une nouvelle espérance pour demain.

M. Christophe Priou. Quel avenir pour ce marin-pêcheur breton que vous évoquez ? Ce jeune pêcheur, en particulier, doit se loger, une fois revenu à terre, et souvent la pression démographique sur le littoral oblige à construire sur les terres agricoles… Quel urbanisme peut-on imaginer pour demain ?

M. Jean-Louis Bricout. Vous préconisez un nouvel urbanisme et un nouvel aménagement du territoire. Vous plaidez également pour que les collectivités territoriales s’acquittent d’une taxe carbone. Mais vous n’ignorez pas la situation financière difficile de ces collectivités : comment envisagez-vous la mise en place de cette taxe ? Plus généralement, quel rôle assignez-vous à l’État pour accompagner les collectivités territoriales ?

M. Michel Heinrich. Merci pour cet exposé dont je suis encore abasourdi. L’alternative pour vous, c’est la vision ou le chaos. Pensez-vous que nous aurons cette vision ? La taxe carbone dans un seul pays vous paraît-elle pouvoir constituer un gadget temporairement utile ?

Mme Sophie Rohfritsch. Votre exposé était passionnant : plutôt que de transition énergétique, ne faudrait-il pas parler de transition tout court ? Le coût du capital n’ayant jamais été si bas, ne peut-on d’ailleurs pas voir là l’opportunité d’investir massivement – dans les énergies renouvelables, ou peut-être dans le nucléaire ?

Il paraît impossible d’agir à l’échelle mondiale. Quelle serait alors la bonne échelle de réflexion pour un élu – le petit territoire, la France, l’Europe ?

Vous avez proposé la création d’une mission parlementaire sur les travaux de l’AIE et sur la meilleure façon de prévoir les quantités d’énergie, notamment fossile, dont nous disposerons. Monsieur le président, ne pourrait-on pas envisager la création d’une telle mission ?

M. Yves Albarello. Ma question sera provocatrice : en persistant à vouloir améliorer notre propre bilan carbone, quand la Chine ouvre une centrale à charbon par semaine, ne sommes-nous pas dans l’erreur ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je rappelle que la Chine est aussi le pays qui investit le plus dans les énergies renouvelables.

M. David Douillet. Comment envisagez-vous la transition énergétique globale ? La France est-elle en retard ?

M. Alain Gest. Vous écouter est toujours un vrai bonheur, monsieur Jancovici. Vous estimez qu’il faudrait multiplier par deux, voire par trois, le prix des carburants, et vous vous opposez aux tarifs subventionnés sur le gaz et l’électricité. Quelle est votre position sur la vérité des prix de l’énergie ?

M. Jacques Alain Bénisti. Un séisme de magnitude 8 a frappé ce matin même les îles Fidji. Y a-t-il un lien de cause à effet entre le changement climatique et les mouvements géologiques de plus en plus fréquents que nous constatons ?

M. Jean-Marc Jancovici. Je ne pourrai bien sûr pas répondre à toutes les questions qui ont été posées ; je vous renvoie à mon site internet. Je prends la précaution de dire ici, comme je le fais souvent, que les malentendus vont se nicher dans ce qui n’a pas été dit : or le temps qui m’est imparti est limité.

Certains d’entre vous ont remarqué qu’il faut parler de transition tout court, d’un projet de société à long terme : il s’agit d’aller conquérir la Lune ! Pour cela, il faudra aller chercher les gens où ils sont : ils ne viendront pas d’eux-mêmes.

Plusieurs questions portaient sur les ressources et le gaz de schiste. Pour vous donner les ordres de grandeur, l’Europe consomme aujourd’hui 500 milliards de mètres cubes de gaz par an, dont 300 milliards viennent de la mer du Nord. On pourrait obtenir des gaz non conventionnels quelques dizaines de milliards de mètres cubes par an en Europe. La France consomme 50 milliards de mètres cubes par an, dont 30 pour le chauffage et 15 pour l’industrie. Si le seul souci, c’est de satisfaire les demandes des chimistes français, il suffit de conserver une consommation de 15 milliards de mètres cube par an et nous nous en sortirons : il faut seulement supprimer les 30 milliards du chauffage qui coûtent 6 milliards d’euros en importations par an ; cela se fait avec l’isolation et les pompes à chaleur.

Sortir le gaz et le fioul des usages thermiques dans le bâtiment est l’une des toutes premières priorités à fixer pour cette nouvelle conquête de la Lune. Il faudra demander des efforts à tout le monde, et l’effort partagé par tous n’est possible que si l’on propose un projet : dites à un astronaute qu’il va aller sur la Lune, il sera d’accord pour risquer sa vie. Cela, c’est votre rôle. Si vous ne proposez pas une vision exaltante à notre pays, n’essayez pas de demander des efforts : ça ne marchera pas !

Quant à l’argent nécessaire, on peut toujours trouver des « clopinettes pour bricoler », poser des rustines et boucher des trous ; ce n’est pas très exaltant. Mais si l’objectif est de conquérir la Lune, alors l’argent n’est plus le sujet. On le trouvera ! On a bien trouvé mille milliards pour les banques...

Le vrai sujet, c’est l’arbitrage : nous n’aurons pas d’argent pour tout – pour donner un travail à tout le monde, pour donner de l’espoir à tout le monde, et pour donner plus de consommation à tout le monde. Mais préserver la stabilité socio-économique de notre pays avec de l’espoir et un travail pour tous, on peut le faire.

D’autres questions portaient sur les négociations internationales et le rôle de la France. Je l’ai dit, l’énergie fossile, c’est le pouvoir d’achat et le niveau de vie ; dès lors, jamais des hauts fonctionnaires, si méritants soient-ils, ne pourront se réunir et décider ensemble d’un niveau rationnel de consommation des individus sur la planète. Cela ne peut tout simplement pas fonctionner. Ce qui pourrait fonctionner, c’est qu’une région du monde se lance dans ce projet avec résolution, massivement et de façon structurée. Or l’Europe, je vous l’ai montré, est dos au mur : notre choix doit donc être de nous lancer, de façon déterminée, dans la construction d’une économie de moins en moins liée aux combustibles fossiles. Cela sera notre conquête de la Lune, et cela nous occupera quarante ans car il faudra tout refaire : les villes, les réseaux de transport, les paysages agricoles…

Ce n’est pas une transition à 100 milliards d’euros, c’est une transition à 5 000 ou à 10 000 milliards. Et c’est une très bonne nouvelle : cela nous donne une colonne vertébrale, un projet qui exige un très large consensus politique – aussi large que sur la nécessité d’avoir des caisses de retraite. Il faudra que vos divergences s’expriment à la marge – un peu plus de marché ici ou un peu plus d’État là-bas… C’est une union nationale qu’il nous faut.

Beaucoup de questions portaient sur le nucléaire. Pour résumer ma position, je pense que c’est une bien meilleure idée qu’une mauvaise. Le nucléaire crée des inconvénients – je vous l’ai dit, l’énergie propre n’existe pas. Mais il évite globalement plus de problèmes qu’il n’en crée. On trouve aujourd’hui, même chez les Verts, des gens qui, en tête-à-tête, seraient prêts à classer le dossier nucléaire parmi les points de désaccords constatés que l’on peut mettre de côté...

M. Denis Baupin. Il faut les virer ! (Sourires)

M. Jean-Marc Jancovici. …non, il faut les écouter ! Le nucléaire est une question d’arbitrage. Sur la partie technique, sur le nombre de morts provoqués par Tchernobyl, sur les déchets, je vous renvoie à mon site où vous trouverez une avalanche de chiffres, les sources et les méthodes.

La question fondamentale des besoins a été posée. Il y a les faits et leur ressenti. Le second intéresse l’électeur et l’élu, mais le physicien se concentre sur les premiers. Tocqueville l’avait prévu : la démocratie nous rend « rouspéteurs » et perpétuellement insatisfaits. En France, on consomme 60 mégawattheures par personne chaque année, c’est-à-dire l’équivalent du travail de 600 esclaves ! L’espérance de vie a triplé en deux siècles. Alors qui est pauvre ? Votre question est centrale, si l’on s’intéresse au ressenti et à l’équité. Mais en termes de réalité physique, je répète que les citoyens modestes devront prendre leur part de l’effort. La seule façon de les convaincre, c’est de leur donner du boulot, de la fierté et des perspectives.

Sur la taxe carbone, les choses sont simples : elle taxe l’énergie tout en détaxant le travail. Ce n’est pas un impôt punitif, mais un guide. Elle donne de la visibilité.

Mon ambition consiste à soutirer de l’argent à des gens qui ne sont pas a priori volontaires pour réfléchir à leur avenir : les industriels. Que fait un industriel, ou un gestionnaire d’entreprise, quand il réfléchit à l’avenir ? Il cherche les certitudes. S’il n’est pas convaincu que l’énergie coûtera de plus en plus cher, il n’investira pas pour diminuer sa consommation. Or l’énergie fait marcher des systèmes extrêmement rigides : ce problème se résout par l’investissement. L’efficacité énergétique, c’est monstrueusement capitalistique : il faut changer les procédés industriels, les bâtiments, les infrastructures de transports et les bateaux. Pour investir, il faut de la visibilité, donc un prix à l’externalité. Sinon, les industriels resteront assis sur leur chaise.

C’est d’ailleurs la même chose pour les particuliers : regardez combien la différence de prix entre essence et gazole a déformé le parc automobile. Ces signaux jouent un rôle majeur à long terme. Évidemment, c’est la difficulté de votre mandat où vous êtes jugés sur des résultats à court terme, d’où la nécessité d’un consensus. Si l’on veut que la population et les milieux économiques adoptent cette vision à long terme, on doit être cohérent. Il faut hiérarchiser les problèmes. Si l’on considère qu’il faut d’abord se débarrasser des énergies fossiles et lutter contre le changement climatique, alors il faut privilégier tout ce qui agit en ce sens, nucléaire compris. Dire qu’on va diminuer notre production nucléaire de 50 % en 2025 revient à une illusion – ce chiffre est sorti d’ailleurs d’un chapeau, mais cela arrivait aussi avec Nicolas Sarkozy. Si nous décidons vraiment de mettre en place une société qui fonctionne avec beaucoup moins d’énergie fossile, alors le nucléaire devient secondaire. Rappelons que l’acceptation du nucléaire au Royaume-Uni a augmenté après l’accident de Fukushima.

M. Denis Baupin. Et en Iran ?

M. Jean-Marc Jancovici. Je ne suis vraiment pas partisan du nucléaire en Iran ! (Sourires)

La France a encore du poids en Europe. Si nous parvenons à entraîner le continent dans l’invention d’une économie qui permette de conserver des aspirations sociales et un espoir pour l’avenir avec moins de combustible fossile, alors nous arriverons peut-être à entraîner aussi le reste du monde. Voilà vingt ans que nous nous regardons tous en chiens de faïence parce que personne ne sait comment faire. Mais les premiers qui se lanceront emporteront le morceau ! L’Europe a une excellente raison d’agir, en dehors même du changement climatique : si nous continuons à suivre la ligne de pente, nous subirons, complètement désemparés, l’enchaînement des périodes de récession, et nous irons vers le chaos.

Je ne dis pas cela pour critiquer l’actuel Président de la République : je veux vous montrer les enjeux et les marges de manœuvre. Édouard Philippe l’a dit, cela doit vous stimuler et pas vous abattre. Mais le temps presse : il est urgent de se demander sérieusement comment construire un projet politique dans ce genre d’univers. Je veux bien vous y aider.

J’ai été taquin sur les énergies renouvelables, mais cela correspond aux faits. Si, à la suite du Grenelle de l’environnement, on avait décidé de généraliser les poêles à bois, j’aurais applaudi ; investir en revanche dans le photovoltaïque, c’était de la dernière stupidité. Je ne suis pas contre les énergies renouvelables, mais je suis contre la gestion d’un sujet sérieux par des méthodes sentimentales.

Prenons l’exemple suédois, pays remarquable en matière d’énergies renouvelables. La Suède jouit d’une réputation parfaitement écologique, alors qu’elle consomme autant d’énergie nucléaire par personne que la France, et deux fois plus d’électricité par personne – moitié hydraulique, moitié nucléaire. L’industrie lourde n’utilise quasiment pas de combustible fossile, essentiellement de l’électricité décarbonée et du bois. La consommation de gaz et de charbon y est quasi-nulle, et la totalité du chauffage est assurée par des réseaux de chaleur au bois. Mais il est vrai que le pays fait 350 000 kilomètres carrés, pour 9 millions d’habitants, et qu’il est couvert à 70 % de forêts.

La clé du succès pour les énergies renouvelables, c’est toujours beaucoup de montagnes ou beaucoup d’espaces arables. Les Européens devraient se pencher sur ce qui se passe dans le désert : beaucoup de soleil et peu de monde. Au lieu de dépenser 100 à 150 milliards d’euros de contribution au service public d’électricité (CSPE) pour déployer du photovoltaïque en France, on aurait bien mieux fait de monter un grand projet avec les Marocains et les Tunisiens – les Algériens, qui ont du gaz, n’auraient sans doute pas été intéressés. On aurait lancé une belle entreprise, et donné du boulot aux ouvriers français pour développer des technologies qui seront peut-être très utiles dans toute la bande tropicale à l’avenir.

Les Espagnols, qui boivent aujourd’hui une potion économique peu sympathique, auraient bien tort de ne pas chercher à exploiter les conditions climatiques de leur pays. Aller faire du solaire à concentration dans le sud de l’Espagne, c’est à mon avis beaucoup plus sérieux que de faire du photovoltaïque en France. Bref, je suis un grand partisan des énergies renouvelables, quand elles sont gérées avec des méthodes sérieuses.

Quant à l’éolien, il n’a pas en France beaucoup d’intérêt : il en a dans les pays qui souhaitent consommer moins de charbon. La diffusion massive de l’éolien impose en effet de disposer de moyens de stockage très important, ce qui porte le coût du mégawattheure entre 200 et 400 euros… Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, d’ailleurs : une hausse du prix de l’énergie, ce n’est pas grave si c’est de la rente redistribuée nationalement.

Enfin, vous verrez sur mon site que, lorsque vous déplacez une énergie produite nationalement – le nucléaire, par exemple – vers une autre énergie produite nationalement – l’éolien, par exemple –, vous ne créez globalement pas d’emploi si vous payez les gens de la même façon. Je sais que c’est perturbant, mais une simple règle de trois permet de le montrer.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Merci pour ce débat nourri qui sera, je l’espère, fructueux pour nos réflexions.

——fpfp——

VI.— AUDITION : L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE AU CœUR DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

Le mercredi 13 février 2013, la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu Mme Anne de Béthencourt et M. Jacky Chorin, rapporteurs du Conseil économique, social et environnemental sur l’efficacité énergétique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il y a quelques mois, j’ai rencontré M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Nous avons convenu que les rapports du Conseil sur les thématiques intéressant la commission du développement durable donneraient lieu à l’audition des rapporteurs aussi souvent que nécessaire.

C’est dans ce contexte que je souhaite la bienvenue à Mme Anne de Béthencourt, chargée des relations extérieures de la Fondation Nicolas Hulot, ainsi qu’à M. Jacky Chorin, secrétaire général Force ouvrière « Énergies-mines ». Leur rapport sur l’efficacité énergétique a été présenté le 9 janvier dernier au nom de la section des activités économiques. J’ajoute, toujours dans le cadre de nos relations avec le CESE, que nous entendrons prochainement M. Jean Jouzel et Mme Catherine Tissot-Colle, auteurs d’un avis sur la transition énergétique.

Je rappelle par ailleurs que le rapporteur pour avis de notre commission sur le projet de loi portant création de la Banque publique d’investissement (BPI), M. Arnaud Leroy, lui a donné une orientation forte en la désignant comme banque de la transition énergétique.

Enfin, deux autres rendez-vous sont prévus à l’agenda de l’Assemblée nationale. À la demande du groupe SRC, un débat sur l’efficacité énergétique dans le secteur du bâtiment sera organisé le mardi 26 février. Une table ronde de la commission se tiendra le lendemain sur le même sujet en salle Lamartine.

M. Jacky Chorin, rapporteur du Conseil économique, social et environnemental sur l’efficacité énergétique. Je remercie la commission du développement durable de son invitation. Nous sommes honorés d’inaugurer ces relations entre l’Assemblée nationale et le Conseil afin que les deux institutions puissent partager leurs réflexions.

L’efficacité énergétique peut être définie comme une consommation moindre pour un même service rendu. Notre rapport n’envisage pas la question de la sobriété énergétique, sujet beaucoup plus complexe, même si conseil national du débat sur la transition énergétique comprend un groupe de travail « efficacité et sobriété ». Il n’aborde pas non plus le domaine du transport, privilégiant les secteurs du bâtiment et de l’industrie : cette question nécessiterait des développements spécifiques, concernant notamment l’urbanisme.

Le paquet énergie-climat assigne l’ambition de 20 % d’économie d’énergie d’ici 2020 par rapport à 1990, mais c’est le seul objectif non contraignant du droit communautaire. En outre, le Grenelle de l’environnement a permis une avancée importante concernant le bâtiment. Le Parlement devra transposer la directive européenne sur l’efficacité énergétique dans un délai assez bref, selon le vœu du Président de la République. Enfin, un débat national sur l’énergie est en cours, un projet de loi de programmation étant annoncé pour l’automne.

L’efficacité énergétique constitue un objectif important : si nous parvenons à économiser 20 % d’énergie et si les perspectives du Grenelle sont atteintes, elle sera, de fait, notre première source d’énergie. Les gains réalisés permettront d’équilibrer l’offre et la demande futures. Le CESE considère, en effet, que le débat sur l’énergie doit se fonder sur la demande car son nécessaire équilibre avec l’offre oriente nos choix en matière de production.

Nous avons essayé d’identifier les conditions permettant d’atteindre les objectifs très ambitieux que la France s’est assignés. Il convient, tout d’abord, de considérer que l’efficacité énergétique constitue une filière d’avenir riche de nombreux nouveaux métiers. En outre, nous devons nous inscrire dans une vision à long terme, à l’horizon de 2050, en tenant compte de la progressivité des efforts. Nous ne partons pas de rien – le Grenelle de l’environnement constitue un acquis – même s’il nous reste à transposer la directive sur l’efficacité énergétique, dont l’enjeu est considérable. Enfin, il faut donner des signaux politiques forts et stopper les « contre-signaux » : l’augmentation de la TVA, par exemple, a fortement interpellé.

Je me propose de vous présenter rapidement les éléments de notre avis sur le bâtiment, la précarité énergétique et l’industrie. Nous avons également traité les questions liées à l’agriculture et à l’outre-mer.

Le bâtiment tertiaire représente 44 % de la consommation énergétique, 850 millions de mètres carrés, et 33 millions de logements dont 4 millions considérés comme très énergivores. J’attire votre attention sur le fait que les trois quarts du parc de 2050 sont déjà construits, ce qui témoigne de la centralité de la rénovation.

Le Grenelle de l’environnement demande des efforts portés à hauteur de 12 % par le secteur des transports et de 88 % par celui du bâtiment. L’industrie n’a pas été concernée. 400 000 logements doivent être rénovés chaque année, chiffre que l’actuel Gouvernement a porté à 500 000, mais 160 000 rénovations seulement ont eu lieu en 2011. Nous essayons d’examiner les conditions dans lesquelles cet écart pourrait être comblé.

S’agissant de l’emploi, nous avons interrogé plusieurs acteurs. Alain Grandjean, de Carbone 4, a fait état de 100 000 à 150 000 créations ; Cécile Duflot a, quant à elle, évoqué le chiffre de 75 000 nouveaux emplois. Nous demandons une étude macro-économique permettant d’envisager précisément les gains escomptés. Il y en aura forcément, mais il faut reconnaître que les données sont jusqu’ici assez variables.

Nous avons également formulé des propositions concrètes. L’efficacité énergétique est une priorité nationale : nous recommandons d’abaisser le taux de TVA à 5 % car c’est un bien de première nécessité. Nous connaissons évidemment l’état des finances publiques mais nous souhaitons susciter la discussion. Le précédent Gouvernement a fait passer le taux applicable de 5,5 % à 7 % et il est désormais question de le porter à 10 %. Les professionnels du bâtiment ne comprennent pas cette nouvelle hausse qui provoquerait des destructions d’emplois et qui, de surcroît, contredit le propos du Président de la République lors de la Conférence environnementale selon lequel la rénovation thermique aurait rang de priorité. Telle est la position, en l’occurrence très consensuelle, de la société civile qui ne comprend pas l’objectif politique présidant à cette hausse de la fiscalité.

Nous considérons qu’il faut favoriser la coopération entre les professionnels de la filière, depuis la conception des matériaux jusqu’à la gestion énergétique des bâtiments. Cela suppose que l’ancien et le neuf travaillent mieux ensemble et que nous réfléchissions à la maîtrise des coûts par rapport à nos voisins.

Il importe aussi de définir rapidement les normes applicables dans le tertiaire. La loi Grenelle a prévu une obligation de rénovation mais les décrets définissant sa nature et son contenu sont toujours en souffrance. Il en résulte un blocage et un manque de confiance entre les différents acteurs. Je rappelle que la directive sur l’efficacité énergétique imposera un certain nombre de remises à niveaux sur les bâtiments publics. Nous avons insisté sur ce point parce que l’ampleur du secteur tertiaire doit servir d’amorce au mouvement de rénovation. Si l’État ne se l’impose pas à lui-même, il sera bien difficile de convaincre les particuliers. Des concertations ont eu lieu dans le cadre du plan Bâtiment du Grenelle sur le caractère plus ou moins ambitieux des normes. Mais il importe d’enfin lancer l’effort de rénovation.

En outre, nous proposons de développer l’efficacité active, c’est-à-dire la gestion intelligente des bâtiments. Jusqu’à présent, nous nous sommes focalisés sur la rénovation – certes essentielle – du bâti. Mais en quatre ou cinq ans, grâce au progrès technique, la situation a considérablement évolué. Lors du débat sur la transition énergétique, les professionnels ont fait état d’économies évaluées entre 19 % et 28 % avec des investissements moins lourds et des temps de retour plus rapides. Il serait dommage de ne pas travailler sur l’efficacité active alors qu’elle génère des gains conséquents.

Il convient également de tendre vers une garantie de performance des travaux. Nous avons le sentiment que rien ne se fera efficacement sans que les particuliers soient certains de profiter justement des investissements réalisés. Des débats ont eu lieu, là encore, dans le cadre du plan Bâtiment du Grenelle ; des propositions de garanties de performances intrinsèques ont été formulées. Mais la situation n’évoluera positivement, je le répète, que si les particuliers sont assurés que les investissements qu’ils ont consentis seront assortis de gains mesurables. Si tel n’est pas le cas, la machine demeurera grippée. Des contrôles doivent être menés ; leurs modalités restent à définir.

La formation des professionnels constitue un enjeu majeur. À l’instar de l’ensemble des formateurs, nous promouvons une approche globale multi-métiers. Là encore, je vous renvoie aux travaux du plan Bâtiment du Grenelle. Le programme Formation aux économies d’énergies des entreprises et artisans du bâtiment (FEE Bât) fonctionne bien même si toutes les personnes qui devaient le suivre n’ont pas participé. Parce que la rénovation des bâtiments doit évidemment se faire avec les artisans, nous insistons pour le maintien de ce programme, financé à 50 % par la profession et 50 % par EDF dans le cadre des certificats d’économies d’énergie (CEE).

Nous souhaitons réaffirmer l’éco-conditionnalité des aides publiques, le précédent gouvernement ayant annoncé que l’éco-PTZ ne devait être accordé que pour des travaux réalisés par des entreprises reconnues Grenelle de l’environnement (RGE). Cela incite les professionnels à se former. Faute d’un tel mécanisme vertueux – il avait été question du 1er janvier 2014 mais nous verrons ce qu’il en est du nombre d’artisans concernés –, les difficultés demeureront.

Il importe d’impliquer et d’informer les citoyens, notamment sur les avancées en cours : compteurs électriques communicants Linky à généraliser même si un problème de financement persiste ; projet similaire Gazpar, sur lequel travaille l’ADEME, concernant 11 millions d’abonnés à la distribution de gaz ; répartition des charges de chauffage dans les copropriétés, dont une directive européenne impose la généralisation d’ici 2017, alors que 10 % seulement des copropriétés en bénéficient aujourd’hui.

La qualité du diagnostic de performances énergétiques (DPE) a fait l’objet de critiques très vives lors du débat de la proposition de loi (PPL) sur la tarification progressive de l’énergie. Il nous semblerait plus judicieux de mettre en place un « DPE + » exprimé en euro par mètre carré pour clarifier les consommations effectives.

Enfin, si l’appréciation des membres du CESE diverge quant à la tarification progressive de l’électricité et du gaz, ils ont unanimement considéré que le mécanisme prévu dans le texte actuellement en navette, même rectifié, ne permettrait pas d’atteindre les objectifs souhaités et qu’il remettrait même en cause les exigences de justice sociale.

Mme Anne de Béthencourt, rapporteur du Conseil économique, social et environnemental sur l’efficacité énergétique. Je me propose d’aborder la question du financement de l’efficacité énergétique, qui fait l’objet d’un chapitre de notre avis intitulé Innover dans l’accompagnement financier. Chaque rénovation coûtant en moyenne de 20 000 à 30 000 euros, nous avons besoin de 10 à 15 milliards d’euros chaque année pour rénover 500 000 logements. À ce jour, l’État engage environ deux milliards d’euros. Un effort important sera donc nécessaire.

Nous avons également formulé un certain nombre de recommandations. La BPI a été conçue comme la banque de la transition énergétique et écologique. Nous sommes donc attentifs à ce qu’une partie des fonds puisse être fléchée vers la rénovation thermique. La France dispose d’un potentiel important puisque l’efficacité énergétique est l’un des secteurs qui se porte le mieux, avec des emplois et un chiffre d’affaires en progression.

Il nous semble également essentiel de réfléchir au tiers investissement, mécanisme permettant au propriétaire d’un bâtiment de faire financer sa rénovation par un tiers, lequel se rembourse par un loyer correspondant aux économies réalisées. Ce système est peu présent en France mais nombre de pays européens tendent à le développer ; nous aurions intérêt à en examiner les modalités. Il peut être un levier important dans le tertiaire public et privé, même s’il n’est pas pertinent pour des particuliers faute de projets suffisamment importants.

Les CEE ont permis de déterminer les économies d’énergie possibles ainsi que leur calcul théorique afin de constituer une base de réflexion. Néanmoins, ils sont aujourd’hui critiqués : le mécanisme devient de plus en plus complexe, surtout pour les consommateurs ; le caractère théorique des économies générées ne permet pas d’en définir l’efficacité réelle. Il nous a semblé qu’il convenait absolument de maintenir le financement de programmes très importants par les CEE tout en réorientant une partie des fonds sur un programme de soutien à l’efficacité énergétique. Nous recommandons que la Caisse des dépôts et consignations (CDC) lance une étude sur ce sujet. L’Allemagne dispose depuis très longtemps d’une banque dédiée avec la KfW ; la Grande-Bretagne vient de lancer le programme Green Deal avec une banque de la transition et de l’efficacité énergétiques. La CDC-Climat a proposé la création d’un fonds auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI), lequel proposerait des prêts bonifiés aux particuliers via des banques locales. Il nous semble particulièrement important d’aller au bout d’une telle idée.

Nous avons tenu à aborder la précarité énergétique. Il ne s’agit plus de consommer moins pour un confort égal, mais de maintenir ledit niveau de confort. Sont considérés comme précaires les 3,8 millions de ménages qui consacrent plus de 10 % de leurs revenus à leurs dépenses d’énergie. Plus de 50 % d’entre eux sont des personnes âgées, propriétaires, vivant en maison individuelle et dans des zones rurales ou périurbaines. J’ajoute que 600 000 ménages déclarent souffrir du froid dans notre pays. Or, selon une étude européenne, un euro investi pour lutter contre la précarité énergétique revient à économiser 42 centimes en frais de santé.

Nous proposons de lancer un programme d’isolation des bâtiments les plus énergivores. Le programme Habiter mieux connaît quelques difficultés, mais nous préconisons de le poursuivre et de le doter des moyens nécessaires. Il convient également de généraliser les aides pour le chauffage à toutes les énergies et de ne plus les limiter au gaz et à l’électricité.

Nous plaidons pour intégrer la performance énergétique aux critères de décence du logement. Cela ne signifie pas que des habitations doivent être retirées du marché, mais que les propriétaires doivent être accompagnés afin qu’il ne soit plus possible, à terme, de louer des passoires énergétiques.

Les industriels ont déjà beaucoup agi en termes d’efficacité énergétique mais le potentiel reste énorme. Nous pourrions constituer une filière industrielle, notamment à travers les compteurs communicants et les répartiteurs de chauffage.

La directive écoconception libérant également un énorme potentiel d’économies, il importe d’accélérer sa mise en œuvre et d’approfondir ses exigences. À cette fin, et c’est suffisamment rare pour être signalé, des industriels et des représentants d’associations environnementales se sont unis au sein de Cool Products pour demander des normes européennes d’efficacité énergétique plus importantes afin de préserver l’industrie continentale et d’accélérer la mise en place des différents dispositifs. Le potentiel de réduction des émissions de CO2 s’élèverait à 400 millions de tonnes chaque année.

Nombre de personnes s’interrogent sur l’économie circulaire et les nouveaux principes industriels qui permettraient d’accroître l’efficacité énergétique. La France devrait prendre la tête du mouvement. Si la volonté des acteurs, des pouvoirs publics et de l’ensemble de la société est telle, nous sommes persuadés que l’efficacité énergétique sera un marché clef de l’avenir et une filière d’innovation créatrice d’emplois en France.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Sans préempter le débat, je souhaite formuler quelques réflexions personnelles, en particulier s’agissant de la question du financement.

L’objectif de rénovation de 500 000 logements chaque année – pour 150 000 en ce moment – est ambitieux. Vous évaluez le coût entre 20 000 et 30 000 euros par logement, ce qui représente entre 10 et 15 milliards par an. Les moyens financiers à mobiliser sont donc énormes. Il conviendra de mettre en place un certain nombre de dispositions réglementaires, de créer différents outils et de consentir des efforts significatifs.

Je suis sceptique quant à l’efficacité du dispositif du tiers investisseur. Il n’est pas question d’en parler pour les particuliers, puisqu’il ne fonctionnerait pas, mais je ne suis pas non plus certain qu’il en irait différemment pour le secteur public et le tertiaire. Les collectivités territoriales avaient la possibilité de signer des contrats avec des entreprises privées afin de réaliser des travaux favorisant les économies d’énergie, le coût étant financé par les économies réalisées : c’est un échec patent. Là encore, l’écart est sensible entre les gains obtenus et le prix de ces travaux. Je connais une commune de taille importante qui a consacré 12 millions d’euros à l’isolation thermique de ses écoles ; le maire a constaté que les économies réalisées ne sont pas équivalentes. Dès lors, il importe de trouver des financements complémentaires. Si ce n’est pas le cas, la collectivité ne doit pas s’engager si lourdement.

Tout le monde doute de l’efficacité des CEE. L’opacité la plus grande règne, nul n’est capable de décrire simplement leur fonctionnement, comme le faisait remarquer Mme de Béthencourt. Ils ont été l’occasion d’effets d’aubaine importants. Une remise en cause s’impose, même s’il convient sans doute d’en conserver une partie pour les actions de formation. Plus globalement, les CEE doivent servir à la mise en place d’un fonds permettant un effet de levier. Le ministère chargé du développement durable s’apprête à en demander une évaluation par la Cour des Comptes. Si ce fonds permettait de mobiliser des financements européens et, en particulier, ceux issus de la BEI, ne conviendrait-il pas de mettre en place une fiscalité écologique afin de le financer ?

M. Jean-Yves Caullet. Au nom du groupe SRC, je remercie Mme de Béthencourt et M. Chorin pour leur rapport lequel, comme tous les travaux du CESE, a le mérite d’être suffisamment panoramique et de ne pas cloisonner le questionnement. S’agissant des objectifs et de leur ambition, tout le monde est d’accord, mais convient également que le rythme actuel est insuffisant pour les atteindre.

Dans le domaine du bâtiment, vous semble-t-il possible d’isoler les travaux qui contribuent à l’efficacité énergétique afin de cibler la TVA applicable ? Comment, par ailleurs, opérer les différents contrôles ? La fiscalité ne peut être appréciée de façon isolée et les contre-signaux sont nombreux. Les difficultés du dispositif du tiers investisseur et, plus globalement, des financements, ne résultent-elles pas du fait que l’énergie, finalement, est moins onéreuse qu’elle n’est précieuse ?

Vous avez fait part du nécessaire renforcement des normes. Sur le terrain, je suis confronté à des projets qui ne voient jamais le jour car trop éloignés du niveau exigé par ces dernières : au final, rien ne se fait. N’y a-t-il pas un problème entre l’ambition posée par une norme, que je comprends fort bien, et la possibilité même d’agir ? En la matière, le mieux n’est-il pas l’ennemi du « un peu mieux » ?

Vous avez souligné la distance entre la durée de financement des travaux, leur réalisation et le retour sur investissement compte tenu du coût de l’énergie, certes important, mais pas autant qu’on ne le croit. Ne conviendrait-il pas de se pencher sur l’aspect patrimonial de la question ? Ainsi, en plus du fonds que vous avez évoqué, les prêts viagers ne pourraient-ils constituer une source complémentaire de financements de manière à ce qu’un propriétaire comprenne que les travaux augmentent la valeur de son bien et que cela peut constituer un moyen de financement ? Le tiers investisseur ne se paierait pas simplement à partir du remboursement, mais en devenant pour partie propriétaire. 

Enfin, s’agissant de la précarité énergétique, l’efficacité énergétique exige des investissements qu’une catégorie de la population ne possède pas. La voie patrimoniale, là encore, ne serait-elle pas intéressante ?

M. Martial Saddier. Au nom du groupe UMP, je vous remercie de votre exposé et je salue la qualité de vos travaux ainsi que de vos interventions. À travers vous, je salue également le président Jean-Paul Delevoye.

Si nous sommes là ce matin, c’est parce que nous avons modifié notre Constitution afin d’y inclure la Charte de l’environnement ; c’est parce que le Grenelle de l’environnement a modifié le titre, la composition, l’esprit et l’orientation des travaux du Conseil économique et social devenu ainsi environnemental. Serions-nous là pour discuter de ce rapport si tel n’avait pas été le cas ? Il me semble utile de faire ce petit rappel.

Le président Jean-Paul Chanteguet a été dans son rôle en rappelant que le rapporteur de la majorité a fait en sorte que la BPI ait une vocation et une sensibilité environnementales. Je suis dans le mien en rappelant que les députés UMP avaient déposé des amendements identiques et qu’ils ont également œuvré afin que le texte adopté le 19 décembre confère à notre commission une position centrale s’agissant des travaux et des orientations de la BPI.

Le rapport du CESE souligne la qualité de l’apport du Grenelle de l’environnement et nous vous en remercions. Il rappelle également que ses grandes orientations étaient bonnes et que nous avons besoin d’une continuité dans l’action, ce que nous ne cessons quant à nous de répéter depuis un an. Je rappelle que 80 % du chemin reste à faire dans le domaine du logement mais que la moitié de la transition a été accomplie dans l’industrie depuis une dizaine d’années – alors que cette dernière traverse les difficultés que l’on connaît – à travers, notamment, la lutte contre la pollution de l’air.

Qu’en est-il des enquêtes d’opinion ? Quelle est la sensibilité de nos concitoyens sur la transition énergétique ? Quid de la recherche et du développement ? Je rappelle que c’est nous qui avons mis en place le crédit impôt recherche, en particulier via les pôles de compétitivité, dont certains sont spécialisés dans le domaine de la transition énergétique.

Dans deux mois, cela fera un an que le Président François Hollande a remporté les élections. Le moins que l’on puisse dire est que vous n’avez eu de cesse d’interrompre la dynamique du Grenelle de l’environnement en faisant le contraire de ce qu’il aurait fallu faire comme en témoigne l’augmentation de la TVA. Pire : c’est un comble que cette majorité ait accru l’injustice sociale avec la tarification de l’électricité ; ce rapport en atteste comme nous n’avons nous-même cessé de le marteler. (Murmures sur les bancs du groupe SRC)

Que dire de l’absence de politique du logement puisque nous ne disposons d’aucune visibilité alors que des efforts devraient être accomplis dans la réhabilitation de l’ancien ? Nous avons compris que la spécialité de la majorité est de détourner l’attention de l’opinion : nous l’avons vu à l’occasion du dépôt d’amendements concernant l’éolien à deux heures du matin quand il faudrait plutôt se concentrer sur les questions de logement. Si nous n’avons pas été écoutés ni entendus par la majorité, nous espérons tout de même que la société civile saura à quoi s’en tenir à travers ce rapport.

M. Bertrand Pancher. Au nom du groupe UDI, je suis également très heureux de votre présence et je vous remercie de venir témoigner de la réflexion du CESE.

Êtes-vous satisfaits de la façon dont vous travaillez avec le Parlement et pensez-vous que nos relations puissent encore s’améliorer ? Lors de la réforme constitutionnelle, j’avais souhaité qu’une audition du CESE soit systématique avant la discussion de tous les textes mais on m’a expliqué, à gauche comme à droite, qu’il était bien de vous inviter lorsque nous en avions envie. Je souhaiterais vraiment qu’il soit possible de travailler ensemble d’une manière plus régulière compte tenu de la qualité de vos expertises.

J’ai lu votre rapport avec beaucoup d’intérêt. Nous sommes toujours frustrés de constater combien nous sommes déconnectés des orientations européennes alors que c’est l’Europe qui, au quotidien, nous guide en permanence. J’invite mes collègues à examiner les travaux de la Commission sur la question énergétique, lesquels souffrent d’un manque de dimension… européenne. Comment donc mieux coordonner les réseaux et les objectifs ?

Vous insistez beaucoup sur votre souhait de faire travailler ensemble les acteurs privés. Il convient en effet d’avancer dans ce sens. Toutefois, vous évoquez peu la question des acteurs publics. Or, si nous atteignons difficilement nos objectifs, c’est parce que nous sommes dans la quasi-incapacité de faire travailler ensemble ces derniers. Les décisions des uns et des autres changent en permanence, le consommateur n’y comprend plus rien et le propriétaire pas davantage. Les règles nationales sont modifiées presque à chaque loi de finances – crédits d’impôt, aides de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), etc… Celles des collectivités territoriales, régions et départements, s’ajoutent des dispositifs comme les CEE. Par ailleurs, des contre-signaux sont effet envoyés dont, par exemple, le doublement de la TVA sur le logement. Après, d’aucuns se demandent pourquoi nous n’atteignons pas nos objectifs… Cherchez l’erreur !

Enfin, si nous ne dégageons pas des moyens financiers lourds, nous n’atteindrons jamais nos objectifs. Ce n’est pas la peine de se raconter des histoires : il ne sera pas possible de rénover annuellement 500 000 logements. Quels moyens innovants mettre en place sur le plan bancaire ? Quelles sont les évolutions possibles ?

M. Denis Baupin. Au nom du groupe écologiste, je remercie également Mme Anne de Béthencourt et M. Jacky Chorin pour leur avis adopté à la quasi-unanimité du CESE, ce qui est selon moi presque aussi important que son contenu. Cela montre que nous sommes capables de définir une politique de transition énergétique visant à répondre à des objectifs environnementaux et, également, économiques, de créations d’emplois, de justice sociale, de pouvoir d’achat et de lutte contre la précarité. Ce n’est pas contradictoire. Nous aurions évidemment tort de croire qu’il faut attendre d’avoir résolu la crise pour appliquer de telles solutions quand, au contraire, ce sont ces préconisations qui peuvent nous aider à dépasser la crise que nous traversons.

Il est important que vous ayez mis en évidence combien l’efficacité énergétique constitue le premier gisement énergétique dont nous disposons et non telle ou telle ressource sur laquelle on attire prioritairement l’attention. Vous avez de surcroît rappelé combien les filières concernées créent des emplois. Le contenu du rapport, de plus, converge avec les analyses de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) selon laquelle 77 % des actions à mener afin de lutter contre le dérèglement climatique résulteront de l’efficacité énergétique et 19 % des énergies renouvelables.

La convergence est également patente avec les propos tenus par le ministre allemand de l’environnement auditionné la semaine dernière dans le cadre du débat sur la transition énergétique. Il n’est pas fréquent que je cite un membre de la CDU (Sourires) mais j’invite nos collègues à se reporter à son discours : aujourd’hui, un ménage allemand consomme 40 % d’électricité de moins qu’un ménage français. Cela s’explique pour une moitié par l’utilisation du chauffage électrique et pour une autre moitié par une efficacité énergétique réelle due à des appareils électroménagers moins gourmands.

Je regrette que vous n’ayez pas évoqué la question des transports alors qu’il s’agit d’un sujet d’autant plus essentiel que l’industrie automobile se trouve en plein marasme. Nous devons promouvoir des véhicules sobres si nous ne voulons pas que nos concitoyens – qui n’ont plus les moyens de se déplacer en voiture – et les salariés – aujourd’hui menacés – soient victimes d’une absence de transition sur ce plan.

Tout le monde convient que le mécanisme des CEE est complexe. Néanmoins, il ne faut pas « jeter le bébé avec l’eau du bain » puisqu’ils ont permis de mettre en place des cercles vertueux en matière d’efficacité énergétique. Si de nouveaux dispositifs devaient être proposés, ils devraient avoir au minimum les mêmes résultats.

Personne ne prétend que le tiers investissement est un moyen de tout financer. Mais si l’on se fonde sur la durée de vie d’un bâtiment et sur l’apport patrimonial à sa valeur, un certain nombre d’éléments favorisent un autofinancement ou la réduction de la part de financement parapublic. Des centaines d’écoles parisiennes bénéficient de ce dispositif dont, il est vrai, le temps de rentabilité est long. La BPI peut accompagner le mouvement, de même que des mécanismes de fonds de garantie, mais cela ne sera efficace qu’à condition de considérer l’énergie comme un bien dont la quantité est limitée.

Enfin, je suis en accord avec ce qui a été dit concernant la TVA à 5 %.

M. Olivier Falorni. Au nom du groupe RRDP, je remercie les auditionnés pour la qualité de leur intervention. Le Gouvernement s’est engagé dans un vaste plan de rénovation de logements dont le coût varie en fonction des interlocuteurs puisque les chiffres annoncés vont de 8 à 15 milliards d’euros. Le financement de la transition énergétique est bien évidemment au cœur des débats. Le programme « Habiter mieux », financé en grande partie par l’ANAH, s’élève à 1,4 milliard d’euros. Tous les modes avancés reposent en priorité sur le financement public ; dans le contexte économique contraint que nous connaissons, nous savons qu’ils ne sont pas viables.

Vous avez formulé plusieurs propositions, dont celle qui consiste à faire de la BPI un outil de la transition énergétique. Elle l’est dans les textes, mais dans quels délais sera-t-elle opérationnelle et constituera-t-elle un véritable pivot d’une telle évolution ? Le principe d’une « banque verte » à l’instar de ce qui existe déjà en Allemagne et en Grande-Bretagne faisant son chemin au sein de l’opinion publique française, la BPI pourrait-elle s’inspirer de ces modèles ?

La TVA à taux réduit pour les travaux de rénovation énergétique constitue un élément du dynamisme de ce marché. Vous regrettez que le Parlement ait décidé de majorer le taux en le faisant passer de 7 % à 10 % au mois de novembre 2012 et je suis d’autant plus en accord avec vous que le secteur du bâtiment poursuit les efforts qu’il a engagés avec le programme FEE Bât, reconduit pour 2013.

Les professionnels attendaient impatiemment la fin du bras de fer entre EDF et le ministère de l’écologie quant à la rémunération des CEE. L’accord intervenu, grâce auquel 53 000 artisans ont été formés l’année dernière – pour un objectif de 100 000 – permettra à EDF de financer ce programme à hauteur de 50 %. La transition écologique passera aussi par la plus grande compétence de ces professionnels. Nous devons soutenir cet engagement.

Enfin, qu’en est-il des diagnostics immobiliers, dès lors que débourser 200 euros peut être un frein pour une partie de la population ? Vous proposez que cette facture soit prise en charge par l’État mais envisagez-vous dans ce cas-là un plafond de revenus ?

M. Jacques Krabal. Comme les rapporteurs l’ont dit, la première source potentielle d’énergie domestique à l’horizon de 2020 est constituée par celle qui ne sera pas consommée. Tel est l’élément clé – il faut le marteler – de notre débat sur la transition énergétique qui permettra de rallier l’ensemble de la population. Nous devons faire preuve d’exigence dans le respect des règles tout en étant soucieux de lisibilité. Par exemple, les périmètres diffèrent en matière de réglementation thermique et de diagnostics de performance énergétique : on a bien du mal à s’y retrouver.

Vous soutenez la proposition de CDC Climat sur le tiers financement et la mise en place de circuits de financement spécifiques, ce qui est positif. Connaissez-vous des exemples de tiers financement qui fonctionnent et bénéficiez-vous d’un retour d’expérience ?

Pourquoi soutenez-vous le dispositif des CEE ? Existe-t-il un bilan précis et chiffré du nombre de rénovations qu’ils ont permis ?

Nous connaissons le rapport affectif qui unit les consommateurs et l’énergie. Il est d’autant plus utile d’en revenir à La Fontaine : le poète n’écrivait-il pas dans La Fiancée du roi de Garbe qu’ « il n’est d’affection dont on ne vienne à bout » ? Je suis convaincu qu’il en sera finalement de même en matière d’énergie !

M. Philippe Plisson. Le secteur agricole ne représente que 3 % du total des consommations finales d’énergie. Cette faible proportion justifie-t-elle la quasi-absence de l’agriculture dans le rapport ?

Les objectifs du plan de performance énergétique des exploitations agricoles, dont ceux du Grenelle de l’environnement, visent à aboutir à l’horizon de 2013 à ce que 30 % des exploitations soient à faible dépendance énergétique et à réaliser 100 000 DPE. Pour atteindre ce résultat, ne convient-il pas de proposer un plan spécifique avec, par exemple, la généralisation du photovoltaïque sur les toits des hangars, la méthanisation systématique dans l’élevage et le développement du petit éolien en consommation autarcique financé en emprunt grâce aux économies réalisées ?

M. Jacques Kossowski. J’ai lu dans un rapport de septembre dernier que, selon Réseau de transport d’électricité (RTE), la sécurité de l’alimentation électrique est assurée jusqu’en 2015. À partir de 2016, donc demain, la situation pourrait se tendre avec une demande supérieure à l’offre. Parmi les facteurs préoccupants : une consommation électrique qui ne cesse d’atteindre des pics record, la pointe de consommation saisonnière ayant augmenté de 40 % en dix ans et représentant 102 GWh en 2012, niveau beaucoup plus élevé qu’en Allemagne où il est de 86 GWh.

Une telle hausse s’explique par l’usage du chauffage électrique auquel s’ajoute l’augmentation des usages spécifiques de l’électricité. Cela risque de se combiner avec une baisse de l’offre liée au déclassement d’installations thermiques et avec la fermeture de la centrale de Fessenheim en 2017. Le développement des énergies renouvelables ne suffira pas à compenser. Dans le cadre d’un programme d’efficacité énergétique, que proposez-vous pour diminuer une telle tension ?

M. Yannick Favennec. Les agriculteurs ont un rôle important à jouer dans la maîtrise énergétique puisqu’ils produisent des énergies renouvelables, qu’ils peuvent améliorer l’efficacité énergétique de leurs exploitations et qu’ils contribuent à la transition énergétique. Le monde agricole a fourni de nombreux efforts mais il a besoin de sécurité et de lisibilité : dans le cadre réglementaire autant que pour les investissements en économie d’énergie et la production en énergies renouvelables.

Un important projet de méthanisation, dans ma circonscription de Mayenne, rassemble une centaine d’agriculteurs, qui doivent faire face à des démarches administratives complexes et à une inflation normative étouffante. Par exemple, six mois sont nécessaires, en Allemagne, pour monter un tel projet quand il en faut trois plus dans notre pays.

Quelles orientations prendre afin de simplifier ces démarches ? Ne pensez-vous pas que la France devrait se doter d’une tarification plus incitative en matière de méthanisation et mieux soutenir la professionnalisation de cette filière ?

M. Philippe Martin. La précarité énergétique constitue un fléau social. Président du Conseil général du Gers, j’ai été alerté sur l’accélération de ce phénomène dès 2004 par les travailleurs sociaux de ma collectivité en relation avec les familles les plus modestes. Plutôt que de remédier ponctuellement aux accidents de paiement, nous avons créé un service local d’intervention pour la maîtrise de l’énergie – que vous mentionnez d’ailleurs dans votre rapport – permettant d’identifier les ménages concernés et de les accompagner dans une démarche de rénovation.

Avant d’être un problème de réglementation, d’équipement ou d’aides financières, la précarité énergétique est d’abord un problème d’isolement, notamment en milieu rural. Votre rapport fait peu état de cette dimension de renforcement du lien social, laquelle doit pourtant figurer au cœur du dispositif de lutte contre cette forme de précarité. Pourquoi ne pas favoriser la mise en réseau de ces personnes afin qu’elles apprivoisent ensemble l’utilisation de leurs nouveaux équipements ? Cela permettrait de surcroît de répondre aux résistances, aux angoisses et aux difficultés de signalement.

M. Guillaume Chevrollier. Votre rapport fait de la rénovation énergétique des bâtiments une priorité dans la transition écologique de notre société, une telle rénovation devant conduire à l’amélioration du pouvoir d’achat ainsi qu’au développement de l’économie et de l’emploi, ce qui est positif. Le Président de la République a fait part d’engagements chiffrés que vous qualifiez d’extrêmement ambitieux puisqu’il s’agit de mettre aux meilleures normes énergétiques un million de logements neufs et anciens en se concentrant sur les quatre millions de logements énergivores de notre pays. Vaste programme !

Mais le problème est toujours le même : les engagements sont là, pas les financements, d’où le décalage entre les objectifs et les réalisations. Votre rapport énumère des mesures qu’il serait certes intéressant de prendre mais la plupart étant à la charge de l’État, quid de la nécessaire réduction des dépenses publiques annoncée par le Gouvernement ? L’efficacité énergétique doit passer préalablement par l’efficacité budgétaire de l’État ainsi que par la stabilité juridique et fiscale des normes.

Mme Geneviève Gaillard. Je ne m’attarde pas sur les questions touchant au monde agricole puisqu’elles ont déjà été posées par mes collègues. J’ai bien entendu le constat porté sur les problématiques liées à l’énergie ainsi que les propositions formulées. Pensez-vous possible d’avancer avec les difficultés que nous connaissons ? Êtes-vous plutôt optimistes ou considérez-vous que nous n’avons pas fini d’évoquer ces problèmes ?

Je n’ai pas entendu dans vos propos d’éventuelles préconisations en matière d’urbanisme, sujet pourtant important pour le traitement de l’efficacité énergétique. Pourrait-on avoir quelques informations ?

M. Jean-Jacques Cottel. Les collectivités territoriales sont volontaires pour rénover leur éclairage public ou isoler leurs bâtiments, mais les dossiers n’en sont pas moins compliqués à constituer. Les aides de l’ADEME, des fédérations départementales de l’énergie au titre des CEE ou dans le cadre des fonds européens, sont évidemment intéressantes mais nous n’y voyons pas toujours clair. On réclame sans cesse des pièces afin de parachever des dossiers et, finalement, les demandes de subventions finissent par être hasardeuses.

Vous avez souligné l’importance de l’isolation des bâtiments, notamment pour les personnes qui se chauffent au fioul, particulièrement cher. J’avais déjà signalé cette difficulté dans le cadre de la discussion de la PPL Brottes.

J’ai été sensible à vos propos concernant les nombreuses personnes qui souffrent du froid. Comment peut-on favoriser le développement des audits énergétiques ? Comment les collectivités locales peuvent-elles compléter les mesures dont vous avez parlé ?

M. Julien Aubert. À l’évidence, un problème de visibilité et de lisibilité de la politique d’efficacité énergétique se pose. Un précédent auditionné nous a affirmé que la tertiairisation de l’économie provoquerait une explosion de la consommation énergétique, que le prix de l’énergie augmenterait fortement, ce qui impacterait évidemment le calcul et l’intérêt d’avoir recours à l’efficacité énergétique.

Les notions de transition et d’efficacité énergétiques sont parfois mêlées dans les discussions. Peut-on avoir une politique d’efficacité énergétique non corrélée à la transition énergétique, c’est-à-dire à bouquet énergétique constant ? L’État ne doit-il pas arbitrer pour répartir le plus équitablement possible ses ressources entre transition et efficacité ?

Mme Martine Lignières-Cassou. Lorsque je discute avec des artisans de la confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), je n’ai pas le sentiment qu’ils soient aussi engagés qu’il le faudrait dans les politiques de formation. Des marchés risquent de leur échapper. Je vous ai donc trouvés très optimistes sur cet aspect.

Comme vous, je considère qu’il faut tendre à la création d’un fonds faisant office de tiers investisseur à même de penser une stratégie et de lever des fonds sur trente ans puisque telle est la durée du retour sur investissement. Il faut œuvrer afin que la CDC Climat s’investisse en ce sens ou bien il faut imaginer, de façon plus décentralisée, la constitution de sociétés d’économie mixte (SEM) ou d’autres outils opérationnels permettant d’innover et d’agir, notamment dans les copropriétés dégradées.

M. Philippe Noguès. Comme vous l’avez souligné, nous ne pourrons engager la transition énergétique sans moyens de financement innovants. Les fonds dont nous disposons sont trop faiblement dotés alors que, paradoxalement, l’épargne française est abondante. N’étant hélas pas dirigée vers des investissements productifs dédiés au développement durable, comment mieux la réorienter ? Tel était notamment l’objet du Livret de développement durable créé au mois de janvier 2007. Or nous ne disposons d’aucune analyse ni d’aucune statistique rendant compte des projets financés grâce à lui. Certains qualifient ce dispositif de désastreux et je ne cache pas, quant à moi, mon scepticisme. Comment faire pour ne pas retomber dans les mêmes écueils ?

Vous avez également souligné que l’éco-prêt à taux zéro n’a rencontré que peu de succès. Est-ce parce que les banques sont seules juges quant à son attribution et qu’elles ne sont pas des expertes dans de tels domaines ? Lorsque vous préconisez de confier la gestion de ce prêt à un autre organisme agréé, à quel type de gouvernance vous référez-vous pour en optimiser la gestion et l’attribution ?

M. Jean-Pierre Vigier. Le financement est le nerf de la guerre. Votre rapport fait de la rénovation énergétique des bâtiments une priorité dans la transition écologique de notre société. C’est une bonne chose et, comme vous l’avez dit, la première énergie économisée est celle qui n’est pas consommée. Le Gouvernement souhaite procéder annuellement à la mise aux normes énergétiques de 500 000 logements dans le cadre d’un programme de 10 à 15 milliards quand les rénovations s’élèvent à ce jour à 150 000 chaque année. Or, de tels travaux représentent une lourde charge pour l’État et les collectivités locales. Chacun connaissant l’état des finances publiques. Comment cet ambitieux programme sera-t-il financé ? Je crois qu’en l’état nous ne le pouvons absolument pas.

M. Jean-Louis Bricout. Dans nos campagnes et nos petites villes, nos aînés souffrent de précarité énergétique. Ils vivent souvent dans des logements trop grands, d’où une surconsommation d’énergie. De surcroît, il leur est souvent difficile d’engager des travaux : sur un plan financier, certes, mais aussi psychologique tant il est perturbant de bouleverser leurs habitudes. Quelle solution proposez-vous ? Quel rôle leurs ayants droit pourraient-ils jouer ? Nos collègues ont évoqué le tiers investisseur ou la voie patrimoniale. Quel relais les bailleurs publics pourraient-ils également constituer ?

Pour lutter contre les marchands de sommeil, que pensez-vous de l’élargissement des pouvoirs de police du maire dans le cadre de l’article L. 212-1 du code général des collectivités territoriales ? Le maire devant veiller à la salubrité, à la sécurité et à l’ordre publics, pourrait-on imaginer d’introduire la notion d’insécurité économique afin qu’il puisse ordonner des travaux d’isolation ?

Mme Sophie Rohfritsch. La Commission de régulation de l’énergie (CRÉ) fixe les prix sans se soucier du long terme. Elle garantit une stabilité des prix à l’horizon de cinq ans alors qu’il faudrait que ce soit sur quinze ou vingt ans, notamment afin de favoriser les investissements sur les compteurs intelligents – lesquels constituent l’un des éléments de la future performance énergétique des particuliers – et de faire en sorte que les opérateurs puissent les installer correctement. Comment résoudre ce problème ? Ce n’est pas le seul thème sur lequel il conviendrait de réviser le mode de fonctionnement de la CRE.

Mme Florence Delaunay. Des progrès ont été réalisés dans les constructions en bois. Nous savons combien l’efficacité environnementale est patente dans la construction neuve mais, également, avec les matériaux de rénovation. Peut-on espérer l’émergence d’une nouvelle filière industrielle dans ces nouveaux matériaux pour le bâtiment ? Je songe aux briques isolantes et aux chanvre et chaux utilisés dans la fabrication des colombages.

Le programme « Habiter mieux » connaît quelques difficultés mais il est plus facile de le mettre en œuvre lorsqu’il intègre une opération programmée d’amélioration de l’habitat. De ce point de vue, le rôle des collectivités territoriales et des EPCI est important.

Enfin, pensez-vous qu’il soit souhaitable ou possible de confier aux artisans le diagnostic énergétique ?

M. Michel Lesage. Si nous sommes tous d’accord s’agissant de l’efficacité et de la sobriété énergétiques ou du rôle des entreprises du bâtiment, je regrette qu’il ne soit pas question de celui des territoires. Les agences locales de l’énergie n’ont pas été évoquées, non plus que des opérations comme Vir’Volt qui, en Bretagne, vise à sensibiliser le citoyen afin qu’il évite de consommer de l’énergie à certains moments. On pourrait aussi parler du recrutement de thermiciens par les EPCI pour réaliser des audits énergétiques dans les bâtiments publics et promouvoir ensuite des programmes d’action.

Vous n’avez pas évoqué non plus la possibilité de mobiliser des financements croisés entre l’État, les départements et les régions. Le rôle des territoires me semble donc fondamental pour que nous puissions réussir la transition énergétique.

M. Jacky Chorin, rapporteur du Conseil économique, social et environnemental sur l’efficacité énergétique. Pour une première audition, nous ne pouvons que nous féliciter de l’intérêt que vous portez à nos travaux. Nous répondrons à partir du travail que nous avons réalisé et nous serons sans doute amenés à exprimer des points de vue plus spécifiques mais, dans ce cas-là, avec la prudence requise puisque nous portons avant tout un travail voté par le CESE.

Précisément, ce travail n’est pas un rapport mais un avis d’une cinquantaine de pages, aussi pédagogique que possible, à propos d’un thème sur lequel on a parfois tendance à asséner quelques vérités. Nous avons veillé à ce que l’immense majorité du CESE s’y reconnaisse tout en livrant à la puissance publique des éléments de réflexion pour éclairer ses choix. Nous avons donc été contraints de limiter tel ou tel développement, ce qui n’aurait pas été le cas dans le cadre d’un rapport.

J’ajoute que lorsque nous avons lancé ce travail, en janvier 2012, tout le monde a regardé avec de grands yeux, y compris au sein de la section des activités économiques du CESE, en se demandant ce que pouvait bien être l’efficacité énergétique. Je constate avec plaisir que ce sujet a désormais mûri.

Les questions de l’efficacité et de la transition énergétiques peuvent être traitées séparément mais, quoi qu’il en soit, il existe des engagements européens politiques – et non juridiques – en matière d’efficacité énergétique. La transition et les bouquets dépendent des États et des citoyens. L’efficacité énergétique devra donc être réalisée indépendamment des choix effectués par ailleurs.

Ma collègue se chargera de répondre aux questions concernant les financements mais je précise d’ores et déjà que nous avons tenu à faire état des ordres de grandeur afin de signifier, en termes diplomatiques, que rien ne sera simple.

Je répète que la question des transports est centrale et qu’elle est évidemment liée aux problèmes d’urbanisme et, plus particulièrement, d’étalements urbains. J’ajoute que la réforme constitutionnelle permet à l’Assemblée nationale de saisir le CESE et que vous pouvez le faire si vous jugez qu’il peut être utile à votre réflexion.

Il est vrai que la dimension européenne est insuffisamment mise en avant. Néanmoins, nous avons commencé notre propos en mentionnant l’objectif de 20 % d’économie d’énergie contenu dans la directive ainsi que le Grenelle de l’environnement, sur lequel nous avons un point de vue équilibré : il convient de s’appuyer sur l’atout qu’il représente mais nous avons rendu un avis pointant un certain nombre d’insuffisances, parfois importantes, quant à ses applications. Tel est le fruit de nos réflexions collectives, en plus de l’excellent rapport de notre collègue Pierrette Crosemarie, à l’occasion duquel M. Pancher a été auditionné, et qui reflète le consensus des acteurs de la société civile.

Cet aspect européen est d’autant plus important que le Président de la République a demandé une transposition rapide de la directive, laquelle formule des d’objectif extrêmement structurants, en particulier s’agissant des bâtiments publics. Son impact est important même si certains auraient souhaité qu’elle aille plus loin encore. Il vous appartiendra de définir les modalités législatives de cette transposition mais, quoi qu’il en soit, un engagement a été pris lors de la Conférence environnementale pour des délais raccourcis.

S’agissant de la gouvernance et du travail de l’ensemble des acteurs publics, nous n’avons pas souligné toutes les difficultés. Je constate simplement que des élus locaux ont soulevé la question du financement des engagements pris dans le cadre du Grenelle en termes de travaux dans le tertiaire public et privé. Les maires de l’Association villes et banlieues de France ont fait état de 50 milliards d’euros, soit six milliards par an. Cette question est évidemment déterminante.

Certains, parmi nous, considèrent que les normes doivent être d’emblée ambitieuses afin de les rendre aussi intangibles que possible ; d’autres jugent qu’il est préférable de pouvoir les modifier sans quoi le mécanisme peut se bloquer. Nous avons finalement privilégié leur caractère raisonnable pour être accessible, quitte à les revoir régulièrement. Parmi nos propositions figure en effet la réévaluation régulière de ces politiques, comme vous le faites à l’Assemblée nationale, afin de vérifier si les normes doivent être augmentées ou abaissées. En revanche, il est certain que rien ne se passera si la situation ne change pas pour le tertiaire public et privé. Je le répète : je ne vois pas comment il sera possible de demander à des particuliers de se lancer dans des rénovations si l’État lui-même ne se montre pas proactif. Or la circulaire sur l’ « État exemplaire » en matière de bâtiment reste peu appliquée voire ignorée. Au dogmatisme qui consiste à se demander si l’on doit aller trop loin ou non, nous opposons le pragmatisme qui mesure les difficultés rencontrées afin de pouvoir avancer.

Lors de nos premiers contacts avec la CAPEB, nous étions loin d’être optimistes. Nous avons dit aux artisans que, s’ils ne se mettaient pas en ordre de bataille pour assurer un niveau de qualité et, à terme, s’engager sur des garanties de performance, ce marché leur échapperait. Nous tenons beaucoup à la formation FEE Bât. S’ils ne se mobilisent pas, les artisans deviendront les sous-traitants de grosses structures alors qu’à ce jour, 98 % des entreprises du bâtiment sont composées de moins de dix salariés. Nous ne sommes pas complètement optimistes, mais tout de même plus aujourd’hui qu’au début de nos travaux.

En ce qui concerne le monde agricole, nous ne nous sommes pas livrés à une règle de trois pour consacrer tant de pages aux 3 % qu’il représente. Toutefois, nous avons formulé un certain nombre de propositions. Nous n’avons pas traité la transition énergétique et la méthanisation car elles relèvent de l’audition de M. Jean Jouzel et Mme Catherine Tissot-Colle, mais nous avons pointé plusieurs difficultés dont celle concernant les 100 000 DPE qui devaient suivre le Grenelle de l’environnement et qui sont loin d’avoir été effectués, probablement pour des raisons de financement. J’ajoute que nous avons travaillé avec le groupe agricole du CESE et que les agriculteurs ont voté notre avis.

En ce qui concerne RTE, il conviendra également que vous interrogiez M. Jean Jouzel et Mme Catherine Tissot-Colle sur cette question.

La proposition d’augmentation de la TVA est survenue pendant le déroulement de nos travaux. Nous avions prévu de dire que ce n’était déjà pas une bonne idée de l’avoir déjà augmentée auparavant. Les acteurs concernés nous expliquent que cette nouvelle hausse détruira des emplois alors que, dans le bâtiment, le seul secteur qui en gagne est celui de l’efficacité énergétique. À l’exception d’une organisation qui n’a pas voté notre avis, précisément en raison de cette question de la TVA, nous avons tous considéré qu’un problème de lisibilité se pose quant aux actions envisagées. Ensuite, ce n’est évidemment pas à nous de présider aux arbitrages. J’ai toutefois compris qu’un certain nombre d’évolutions se feront jour, notamment en ce qui concerne les logements sociaux. À titre personnel, je considère qu’un ciblage des opérations les plus efficaces pourrait sans doute constituer une piste. Nous avons également estimé que l’éco-PTZ et le crédit d’impôt développement durable (CIDD) devraient être recentrés pour plus d’efficacité.

Soucieux de nos finances publiques, nous n’avons pas formulé de recommandations dispendieuses. Nous avons évalué les moyens nécessaires au regard des objectifs que nous estimions judicieux et qui sont partagés par la quasi-totalité du CESE. Sans doute ces ciblages mériteraient-il donc d’être étudiés.

Nous craignons que tout le monde se regarde « en chiens de faïence » en attendant le début d’un processus qui ne s’enclencherait finalement pas. Voilà trois ans que cela dure. Notre message est simple : si vous voulez qu’il démarre, il faut réunir un certain nombre de conditions, et pour le moment tel n’est pas le cas en dépit des discours. Et ce n’est pas en portant le nombre de logements à rénover de 400 000 à 500 000 que la situation s’améliorera puisque, je le répète, nous devions atteindre en 2013 le chiffre de 400 000 logements – dont la rénovation n’était pas financée – et que nous en étions à 160 000 en 2011.

Mme Anne de Béthencourt, rapporteur du Conseil économique, social et environnemental sur l’efficacité énergétique. Je savais que vous vous montreriez particulièrement intéressés par la question du financement. Nous n’avons certes pas pu répondre à tous les problèmes, non plus qu’à toutes vos interrogations.

En préambule, il existe un vrai potentiel et je ne suis pas absolument certaine que nous en ayons pris l’exacte mesure. C’est pourquoi l’une de nos premières propositions vise à réaliser une étude macro-économique sur les questions énergétiques. Je vous rappelle qu’un euro investi dans la lutte contre la précarité énergétique fait économiser quarante-deux centimes de frais de santé. Je le répète : la deuxième source de financement, après l’efficacité énergétique, c’est la lutte contre le gaspillage, dont nous sommes loin d’avoir pris en compte l’ampleur. Il s’agit là d’un enjeu considérable, dans le secteur public comme dans le privé.

La fixation des normes dans l’industrie revêt une grande importance. À ce propos, je vous invite à lire la page de notre avis consacrée aux moteurs montrant que 70 % d’entre eux sont surdimensionnés.

Jusqu’à présent, le tiers investissement n’a pas été un succès absolu et je comprends vos doutes. Néanmoins, nous n’avons pas été au bout de ses potentialités. Les parties prenantes doivent réfléchir et innover. Des expérimentations sont en cours – vous avez parlé des SEM – mais elles sont rapidement impuissantes faute d’effet de levier. Si, demain, nous disposons d’un véritable programme d’investissement en faveur de l’efficacité énergétique, nous pourrons bénéficier de taux bonifiés et la situation sera incomparable à celle d’aujourd’hui. Il en est de même s’agissant des contrats de performance énergétique. Il n’y a aucune raison pour que de véritables contrats – où les mêmes ne vendent pas forcément à la fois la performance énergétique et l’énergie – connaissent l’échec dans notre pays alors qu’ils ont fait leurs preuves ailleurs.

Nous n’avons pas pu traiter l’ensemble de la fiscalité écologique, précieux outil auquel je souscris à titre personnel. Quoi qu’il en soit, nous avons besoin de l’éco-conditionnalité des aides publiques. Il n’est plus possible de distribuer l’argent public sans assurance de l’efficacité des résultats obtenus.

J’approuve les propos tenus sur l’opacité des CEE mais, comme M. Denis Baupin, nous ne souhaitons pas pour autant qu’ils soient purement et simplement abolis. Il faut les réviser car, s’ils restent à ce point abscons, ils ne fonctionneront pas. Les consommateurs sont perdus et constatent des effets d’aubaine incompatibles avec une réelle efficacité énergétique. Des contrôles s’imposent. Il n’est pas question d’usines à gaz mais, si éco-conditionnalité il y a, des vérifications doivent s’effectuer comme dans d’autres pays.

Aujourd’hui, les banques contrôlent la délivrance de l’éco-PTZ ; il n’est pas possible qu’elles maîtrisent les éléments techniques de ces dossiers. Chacun son métier ! C’est une faille de ce dispositif, certes, mais là encore il ne faut pas pour autant s’en débarrasser. En Allemagne, une partie du prêt est dédiée à l’intervention d’artisans formés ou d’organismes certificateurs pour évaluer l’efficacité énergétique d’un projet.

Il est difficile de prévoir l’augmentation future du coût de l’énergie, sur laquelle s’accordent tous les acteurs reçus. Néanmoins, cette perspective nous encourage à promouvoir une efficacité énergétique qui, à ce jour, n’a jamais été vraiment mise en œuvre.

Je serais incapable de vous dire ce qu’il en est précisément de la filière bois mais il est certain que son potentiel industriel est important. Les professionnels et les consommateurs sont demandeurs de normes. Il faut que le neuf et l’ancien travaillent ensemble, celui-ci ne bénéficiant pas suffisamment des avancées technologiques de celui-là.

En matière de financement, nous devons faire preuve d’imagination. Le Grenelle de l’environnement n’a pas plus financé l’efficacité énergétique que les politiques postérieures, même si un certain nombre de choses ont été accomplies. Nous avons besoin d’innover, dans le dialogue et l’écoute, car si l’efficacité énergétique constitue bien la première source d’énergie domestique de 2020, nous devrons investir non seulement sur les économies réalisées mais sur la valeur verte ainsi créée. Je le répète : il ne s’agit pas tant de savoir combien économiser en usant de tel ou tel outil que de concevoir une vision macro-économique et sociale.

S’agissant de la précarité énergétique, précisément, renforcer le lien social est une priorité particulièrement soulignée dans notre avis. Les personnes en difficulté doivent être accompagnées mais, si les lignes budgétaires existent, nous ne disposons pas forcément du nombre idoine de salariés pour aller en ce sens. Ce n’est pas une campagne de publicité sur la lutte contre la précarité énergétique qui fera se déplacer les personnes concernées. Le guichet unique constituera sans doute une avancée mais, de même, ce ne sont pas forcément ceux qui en auront besoin qui s’y rendront. Pour parler clairement, il faut accroître les ressources humaines. Je cite notre recommandation : « Le CESE considère que cette action de repérage et d’accompagnement des populations concernées impose des ressources humaines à la hauteur des ambitions et donc les budgets correspondant ainsi qu’une meilleure coordination des acteurs. » Cela nous semble primordial pour créer ce lien social. Le programme « Habiter mieux » concerne aujourd’hui 300 000 logements, et il est très loin de répondre aux besoins. Faute de ressources humaines, l’augmentation des budgets – si elle est possible… – ne permettra pas d’accélérer la mise en œuvre des projets.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie pour cette audition.

M. Jacky Chorin l’a dit : nous attendons mais nous ne voyons rien venir des objectifs ambitieux qui ont été assignés. Le prix de l’énergie, en France, est inférieur à celui en vigueur en Allemagne comme à la moyenne constatée dans l’Union européenne. Or nous sommes un certain nombre à penser que c’est le « signal prix » qui favorisera le changement de comportement des consommateurs et des producteurs. Il convient également de fixer un prix au carbone et de mettre en place une contribution climat-énergie, laquelle peut également induire un changement de comportement et constituer un élément de la mise en route du vaste programme annoncé par le Président de la République.

J’ai bien noté que l’Assemblée nationale pouvait saisir le CESE sur un certain nombre de sujets. L’occasion prochaine ne manquera pas de se présenter. D’ores et déjà, je me félicite de cette prise de contact et de la qualité de nos échanges.

——fpfp——

VII.— TABLE RONDE : L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE DANS LE SECTEUR DU BÂTIMENT

Le mercredi 27 février 2013, la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur l’efficacité énergétique, avec Me Philippe Pelletier, avocat, chargé du pilotage et de la mise en œuvre du nouveau plan de performance thermique des bâtiments, M. François Bourriot, directeur scientifique et M. Jean-Yves Katz, directeur du développement du Centre d'études et de recherches économiques sur l'énergie (CEREN), M. Jean-Yves Robin, vice-président de la Fédération française du Bâtiment et président du conseil des professions, M. Jean-Marie Carton, premier vice-président de la CAPEB en charge du développement durable, M. Pierre Ducret, membre du comité de direction du groupe Caisse des Dépôts, et M. Franck Lacroix, président directeur général de la société DALKIA.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Cette table ronde traite d’un sujet particulièrement important : l’efficacité énergétique et à la maîtrise de la demande d’énergie dans le bâtiment ont fait l’objet d’engagements internationaux de la France, d’une directive européenne et de promesses du Président de la République en matière de construction et de rénovation. Un débat sur ce même thème s’est tenu hier dans l’hémicycle, en présence de Mmes Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement, et Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Il ne nous a toutefois pas permis d’obtenir toutes les réponses à nos questions. C’est pourquoi la table ronde de ce matin vient à point nommé pour préciser les moyens d’atteindre nos ambitieux objectifs.

Nous entendrons successivement Me Philippe Pelletier, chargé du pilotage et de la mise en œuvre du nouveau plan de performance thermique des bâtiments ; MM. François Bourriot, directeur scientifique, et Jean-Yves Katz, directeur du développement du Centre d’études et de recherches économiques sur l’énergie (CEREN) ; Jean-Yves Robin, vice-président de la Fédération française du bâtiment (FFB) et président du conseil des professions ; Jean-Marie Carton, premier vice-président de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) en charge du développement durable ; Pierre Ducret, membre du comité de direction du groupe Caisse des dépôts, et Franck Lacroix, président-directeur général de la société DALKIA.

Me Philippe Pelletier, chargé du pilotage et de la mise en œuvre du nouveau plan de performance thermique des bâtiments. La mise en œuvre du Plan bâtiment durable rassemble à la fois la filière de l’offre de services en construction, rénovation, financement, assurance et gestion des bâtiments sobres en énergie et présentant une faible empreinte environnementale, ainsi que toutes les personnes concernées, à titre de propriétaires ou d’occupants. C’est un mode de mobilisation original mais pertinent.

Les acteurs impliqués attendent, avec une certaine impatience, l’application des annonces du Président de la République du 14 septembre dernier : la rénovation énergétique de 500 000 logements par an, présentée comme un axe fort du quinquennat, est une ambition à laquelle nous adhérons pleinement. Lancé en réalité en 2009, ce plan monte lentement en puissance et présente une grande fragilité. Tout retard, atermoiement, hésitation ou soubresaut dans sa mise en œuvre sème des doutes, dans les entreprises sur les perspectives du marché, et auprès des maîtres d’ouvrage que nous essayons d’entraîner dans la recherche de l’efficacité énergétique. La réalisation de l’objectif me paraît possible à l’horizon 2016 si 2013 n’est pas une année perdue.

Nous avons proposé un plan cohérent, portant sur tous les biens immobiliers, aussi bien dans les secteurs tertiaire que résidentiel et, pour celui-ci, s’adressant aux ménages en situation de précarité énergétique comme aux propriétaires de maisons individuelles, aux copropriétaires d’immeubles collectifs, aux bailleurs sociaux et à leurs locataires. Sa réussite dépend d’un effort d’ensemble, qui exige une bonne cohésion entre l’État et les territoires. La dimension régionale nous semble idoine pour en assurer l’animation et les agglomérations sont adéquates pour accompagner les ménages.

Nous devons enfin porter une attention particulière au déploiement de la filière de l’offre de services, qui doit s’appuyer sur des entreprises performantes et reconnues dans leur qualification.

M. François Bourriot, directeur scientifique du Centre d’études et de recherches économiques sur l’énergie (CEREN). Le CEREN est un groupement d’intérêt économique qui regroupe l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), les transporteurs et distributeurs d’énergie, comme le réseau de transport de l’électricité (RTE), celui du gaz (GRT Gaz), Électricité réseau distribution France (ERDF), Transport infrastructure Gaz de France (TIGF), ainsi que EDF et GDF-Suez. Le Commissariat général au développement durable (CGDD) et l’INSEE siègent dans son conseil d’administration à titre d’observateurs.

Observatoire de la demande d’énergie, le CEREN produit des données dans les secteurs résidentiel, tertiaire et industriel, enrichissant la statistique énergétique française par des analyses approfondies visant à répondre à des questions telles que : combien consomme-t-on d’énergie, pour quels usages, et au travers de quels matériels ?

Le secteur industriel, dont on parle peu, ne doit pas être tenu à l’écart du débat public sur la transition énergétique. S’agissant du bâtiment, la construction est aujourd’hui bien encadrée par la réglementation thermique (RT) de 2012, mais l’étude des précédentes normes révèle que les objectifs affichés ne sont jamais atteints au-delà de 70 à 80 % dans le secteur résidentiel.

S’agissant du secteur résidentiel, 70 % des combustibles de chauffage sont consommés dans des logements construits avant 1975, contre 37 % pour l’électricité. Si nous distinguons les maisons des appartements et si nous tenons compte des périodes de construction – avant 1975, entre 1975 et 1981, entre 1982 et 1989, entre 1990 et 1998, enfin depuis 1999 – fixées selon le calendrier des réglementations thermiques successives à l’exception de la plus récente en 2005, nous observons que tous les ménages ont davantage économisé l’énergie de 2005 à 2010, de 1 % en moyenne annuelle, que de 1995 à 2005.

Les ménages chauffés par un combustible, en maison ou en appartement et quel que soit l’âge du bâtiment ou son niveau d’isolation, ont économisé 2 % par an en moyenne durant la période 2005-2010. Le facteur prix est donc prépondérant dans l’évolution des consommations unitaires. Une enquête auprès de 1 000 ménages ayant réalisé des travaux donnant droit à un certificat d’économies d’énergie (CEE), collecté par EDF ou par GDF-Suez, montre qu’une grande partie des travaux, notamment le changement de chaudière, a été réalisée indépendamment de l’existence du certificat. En outre, les réseaux d’artisans jouent un rôle important pour conseiller les consommateurs dans le choix de leur équipement.

Le secteur tertiaire est plus difficile à appréhender du fait de sa grande hétérogénéité, allant de l’aéroport de Roissy à l’épicier de quartier, et mêlant des acteurs aussi divers que l’État, les collectivités territoriales et le secteur privé. Mais, depuis plus de vingt-cinq ans, nos enquêtes annuelles et leurs 15 000 réponses procurent une vision de sa consommation d’énergie. De 1990 à 2010, les surfaces chauffées sont passées de 660 millions à environ un milliard de mètres carrés, soit une hausse de 2 % par an. Dans le même temps, la consommation d’énergie croissait de 1 % par an ; celle imputable au chauffage de 0,5 %. Malgré sa relative décroissance, ce dernier représente 50 % de la consommation d’énergie du secteur.

D’autres usages se développent : l’électricité spécifique, qui progresse de plus de 2 % par an, et la ventilation-climatisation qui augmente de 6 %. Toutefois, contrairement à bien des prévisions, la consommation au mètre carré d’électricité spécifique s’est stabilisée au cours des dernières années.

Les gisements d’économie d’énergie pourraient, dans les cinq ou sept prochaines années, atteindre 30 % dans le secteur tertiaire au titre du chauffage, grâce notamment aux techniques de combustion, d’isolation et de régulation. Je rappelle que l’objectif du Gouvernement est de parvenir, sur la base de 2005, à une économie de 38 %. Pour cela, les consommations unitaires de chauffage devraient diminuer de 5 à 6 % par an. Or, elles n’ont baissé que de 1,6 % au cours des années récentes. Ceci montre l’effort considérable qui reste à accomplir sur les bâtiments du secteur tertiaire.

Les travaux statistiques du CEREN permettent la mise en perspective des objectifs fixés compte tenu de l’observation des années récentes. Les ambitions françaises en matière d’économies d’énergie par la rénovation du parc existant seront atteintes seulement si l’on met en place des instruments de financement et d’incitation fiscale, la standardisation des travaux, des obligations réglementaires, etc.

M. Jean-Yves Robin, vice-président de la Fédération française du Bâtiment et président du conseil des professions. Les 57 000 entreprises de la FFB, qui vont du petit artisan aux grands groupes comme Vinci, représentent environ 800 000 salariés. Depuis le Grenelle de l’environnement, nous nous efforçons de mobiliser nos professionnels en vue d’apporter des solutions techniques aux ambitions politiques de la nation.

Des outils incitatifs pour la rénovation énergétique de 500 000 logements par an ont été mis en place, comme le crédit d’impôt développement durable, les éco-prêts à taux zéro (éco-PTZ) et les CEE. Des programmes ambitieux ont été financés, comme la formation aux économies d’énergie des entreprises et artisans du bâtiment (FEE Bât). Des normes ont été instituées, comme les règles de l’art du Grenelle de l’environnement (RAGE 2012).

Mais, alors que l’énergie reste chère, le niveau des activités demeure atone. En 2012, on n’a effectué que 130 000 rénovations thermiques de logements pour un objectif initial de 400 000. Aucun segment du marché ne décolle véritablement, ni pour les bâtiments de l’État, ni pour ceux des collectivités territoriales, ni dans le secteur tertiaire, ni dans le logement social, ni dans les copropriétés, ni dans les maisons individuelles.

La filière a pourtant engagé un important effort de formation de ses agents, touchant 50 000 stagiaires au cours de dernières années, pour un objectif initial de 120 000 revu à la baisse du fait de la crise économique.

Les éco-PTZ sont quasiment ignorés par les banques. Le taux de TVA sur les travaux de rénovation, après être passé de 5,5 à 7 %, s’élèvera à 10 % à compter du 1er janvier 2014. Cependant, le débat national sur la transition énergétique nous redonne un peu d’espoir. Que manque-t-il pour relancer les actions en faveur de la maîtrise de la consommation d’énergie ?

D’abord, il manque une parole publique forte. Il faut passer des discours généraux aux actes, et accélérer le processus devant conduire aux 40 % d’économies d’énergie dont le pays a besoin. Ensuite, nous appelons de nos vœux des instruments juridiques et financiers mieux réglés : une TVA qui redescendrait à 5 %, la pérennisation du CIDD durant cinq ans, un éco-PTZ libéré de l’emprise des banquiers au profit d’un tiers certifié ou d’une entreprise reconnue au titre du Grenelle de l’environnement, la réaffirmation dès 2014 du principe de l’éco-conditionnalité qui subordonne l’aide publique au respect de normes environnementales.

Le problème du financement du FEE Bât a enfin été résolu. Les énergéticiens ont apporté une importante contribution. Perfectible, le CEE a, au moins, le mérite d’exister. Mais il faudrait le toiletter pour le rendre un peu plus lisible.

Nous attendons la publication des textes sur les travaux énergétiques dans le cadre de copropriétés et dans le secteur tertiaire.

M. Jean-Marie Carton, premier vice-président de la CAPEB en charge du développement durable. La CAPEB représente 380 000 entreprises artisanales et un million de salariés. Elle compte 100 000 adhérents.

Dès les années 2000, nous nous sommes préoccupés du développement durable. Puis nous nous sommes beaucoup investis dans le Grenelle de l’environnement, essayant de proposer des formules permettant à l’ensemble des entreprises de s’adapter à l’ambitieux défi de l’époque. Nous avons ainsi créé la marque ECO Artisan, attribuée à 2 600 entreprises et engageant 9 000 personnes. Mais les marchés ne sont toujours pas au rendez-vous. En 2007, nous avions prévu d’organiser pour ces entreprises une période d’apprentissage d’environ huit ans afin qu’au moins un tiers d’entre elles procèdent à leur mue en faveur du développement durable. Des outils ont été mis en place, comme le FEE Bât, et le monde industriel s’est mobilisé pour accompagner nos entreprises.

En 2011, nous avons signé avec l’État un engagement sur la qualification d’entreprises reconnues « Grenelle de l’environnement ». Depuis lors, nous sommes dans l’incertitude : nous attendons toujours une décision des pouvoirs publics afin que le dispositif soit, comme prévu, applicable à partir du 1er janvier 2014.

Le chiffre d’affaires du secteur du bâtiment est passé, en 2012, de 79 à 78 milliards d’euros. Nous avons perdu 12 000 emplois. Nous continuons d’en perdre, à raison de 181 par jour et de 81 fermetures d’entreprises quotidiennes.

Nous conservons cependant de grandes ambitions pour améliorer l’efficacité énergétique dans la lignée de l’engagement du Président de la République sur les 500 000 rénovations annuelles. Mais il faudra beaucoup de temps pour parvenir à ce niveau, au mieux en 2016 comme le prévoit aussi le Plan bâtiment durable. Il faut des actions fortes. Nous demandons un taux de TVA ramené à 5 % pour l’ensemble des travaux de rénovation des bâtiments ainsi qu’un produit financier intermédiaire adossé au livret développement durable pour 10 000 euros, sachant que la plupart des travaux s’inscrivant dans le programme Habiter mieux se montent à 7 000 ou 8 000 euros, correspondant à une chaudière et à une isolation, pour un taux de performance de 39 %. Nous souhaitons que les CEE associent les artisans, aujourd’hui écartés du dispositif alors qu’ils sont les principaux conseillers des ménages. Nous sollicitons enfin la relance et le recalibrage de l’éco-PTZ, aujourd’hui délaissé par les banques, grâce peut-être à un PTZ + qui faciliterait à la fois les travaux de mutation dans les maisons individuelles et les travaux de bouquet dans les résidences collectives.

Il faudrait se montrer plus audacieux en faisant varier le curseur de la TVA, c’est-à-dire en portant le taux normal au-delà de 20 % afin de pouvoir descendre celui applicable aux travaux de rénovation.

M. Pierre Ducret, membre du comité de direction du groupe Caisse des Dépôts. La Caisse des dépôts est impliquée dans la rénovation thermique principalement comme financeur du logement social à travers ses prêts bonifiés aux organismes HLM, pour 120 000 opérations depuis 2009. Ce dispositif éprouvé peut encore monter en puissance.

Le plus grand bailleur social français, la Société nationale d’investissement (SNI) dont la Caisse des dépôts est actionnaire, s’est engagé dans une rénovation complète de son patrimoine immobilier avec l’objectif d’atteindre le facteur 4.

Partenaire traditionnel des collectivités, la Caisse des dépôts intervient en faveur de celles qui prennent des positions pionnières, comme la région Île-de-France qui vient de créer la société d’économie mixte Énergies Posit’If, afin de lancer les premières opérations de tiers investissement.

Depuis six mois, notre filiale CDC Climat s’est intéressée, avec un regard d’ingénieur financier, au secteur résidentiel, notamment l’optimisation des ressources publiques pour la rénovation thermique du logement privé. Nous avons contribué au rapport du Conseil économique, social et environnemental, et travaillé au Plan bâtiment durable.

Sans les copier, nous pouvons nous inspirer de quelques exemples étrangers, outre-Rhin et outre-Manche. L’Allemagne a engagé, depuis près dix ans, un programme massif de rénovation thermique fondé sur l’action de la KfW, banque de financement à long terme apportant sa garantie au refinancement de l’ensemble du dispositif. Quant au Royaume-Uni, il met en place un système original, green economy initiative, reposant sur le principe du tiers investisseur, c’est-à-dire du remboursement des emprunts par les économies dégagées. Dans les deux cas, le circuit de financement est assuré par le marché obligataire, donc par l’émission d’obligations vertes achetées par des investisseurs institutionnels.

L’indispensable participation des énergéticiens, à hauteur de 1,5 % de leur chiffre d’affaires – montant considérable – est prévue et organisée par la directive européenne relative à l’efficacité énergétique qui doit être prochainement transposée en droit français.

Le Gouvernement souhaite, à juste titre, disposer d’une évaluation du dispositif des CEE par la Cour des comptes, ce qui nous manque aujourd’hui.

Lancer un dispositif de ce genre nécessite des ressources d’amorçage qui pourraient provenir de la Banque européenne d’investissement (BEI), au moment où celle-ci va augmenter son capital et accroître ses capacités de financement de l’économie française à hauteur de 60 milliards d’euros. Il me paraît souhaitable qu’une part de ce volant soit affectée au refinancement de la rénovation thermique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La transposition en droit français de la directive européenne relative à l’efficacité énergétique devrait être inscrite dans le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (DDADUE) que l’Assemblée nationale examinera en avril prochain. Le rapporteur en sera M. Philippe Plisson, membre de notre commission ici présent.

M. Franck Lacroix, président directeur général de la société DALKIA. L’efficacité énergétique est au cœur de la vocation de DALKIA. À l’origine entreprise de maintenance de chauffages, celle-ci est aujourd’hui en pointe sur les services énergétiques. Implantée dans trente-cinq pays, elle possède un savoir-faire constitué en France à travers les 50 000 installations qu’elle gère, consolidé par son expérience dans 60 000 installations à l’étranger. J’ai l’ambition d’en faire la référence mondiale en matière d’économies d’énergie dans les territoires, c’est-à-dire là où l’équation énergétique trouvera l’essentiel de sa solution.

70 % de l’énergie que nous consommons sert à nous chauffer et la France dispose, en la matière, d’un magnifique potentiel de développement compte tenu de son retard par rapport à d’autres pays européens.

DALKIA déploie trois activités complémentaires. Elle gère d’abord 850 réseaux de chaleur dans le monde – l’Europe en compte 4 500 utilisés par 100 millions de personnes – qui sont aussi des vecteurs d’efficacité énergétique car ils permettent de récupérer de l’énergie perdue, notamment sur des sites industriels à proximité des villes, d’exploiter des énergies renouvelables et de développer des technologies efficaces comme la cogénération. Elle intervient, ensuite, en matière d’efficacité énergétique dans l’industrie. Enfin, elle propose des services énergétiques dans le secteur du bâtiment, qui représentent la moitié de son chiffre d’affaires en France, pour 150 millions de mètres carrés, dont 15 dans le tertiaire et 135 dans l’habitat collectif.

Ayant pour objectif d’aider nos clients à réduire leur consommation d’énergie, nous examinons les pistes d’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments. À nos yeux, il est possible de trouver des solutions efficaces tout en investissant de façon mesurée. Ainsi, plutôt que d’investir dans la rénovation lourde du bâti, qui nécessite d’importants capitaux et qui souffre des durées très longues des retours sur investissement – jusqu’à vingt ou trente ans et même au-delà –, nous préconisons de retenir des cibles d’économies d’énergie ambitieuses, de l’ordre de 20 à 30 %, en identifiant tous les postes d’économie possible, y compris la sobriété des usagers, le rendement des chaudières, la qualité du pilotage des installations ainsi que les interventions ponctuelles sur le bâti lui-même. Cette démarche fait travailler tous les corps de métier, comme nous le montrons déjà sur des bâtiments publics, notamment des collèges, et sur des logements sociaux.

Nous appelons ce nouveau modèle le contrat de performance énergétique. Son développement exige une impulsion des pouvoirs publics, aussi bien pour les bâtiments publics que dans le secteur tertiaire, public ou privé, ainsi que sur les copropriétés et en gardant toujours à l’esprit le principe suivant : ambition pour les économies à réaliser, mais liberté pour le maître d’ouvrage de choisir les moyens d’y parvenir. Il faut pour cela adopter des modalités différenciées selon que l’on s’adresse à des maîtres d’ouvrage professionnels ou non. Il nous paraît possible de leur assigner des obligations de rénovation énergétique, mais aussi de leur offrir la possibilité de découper les travaux en plusieurs phases afin que les interventions techniques se fassent au moment opportun, par exemple à l’occasion de la réfection d’une toiture ou d’un ravalement.

Les copropriétés soulèvent des problèmes plus difficiles en raison de la lourdeur de leurs processus de décision, du caractère disparate des capacités d’investissement des copropriétaires et des relations entre bailleurs et locataires. Il existe toutefois des marges de progression : seulement 20 % des copropriétés de plus de cinquante logements fixent des objectifs de résultats à leurs prestataires de services énergétiques. Les 80 % restants se limitent à des prestations de maintenance des équipements.

La loi Grenelle II impose que le thème des économies d’énergie soit discuté en assemblée générale d’ici à 2017, mais sans rendre obligatoire des décisions. On pourrait aller plus loin.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Ne faudrait-il pas, comme le préconisent certains agents immobiliers, modifier les règles de majorité dans les assemblées générales de copropriétaires ?

Selon certaines sources, dans un logement de 80 m2, il suffirait d’un investissement de 2 000 euros pour réduire de 25 % la consommation d’énergie. Est-ce réaliste ?

M. Jean-Yves Caullet. Nous débattons d’un thème parfaitement consensuel, au moins depuis le Grenelle de l’environnement, quant aux objectifs de l’action publique, comme pour constater que le simple jeu du marché ne permet pas aux décideurs, publics ou privés, de déclencher les investissements nécessaires aux économies d’énergie en vue d’obtenir un plus grand confort pour un moindre coût.

Cet enjeu se double d’un enjeu économique global, justifiant lui aussi l’intervention publique.

Quelle articulation territoriale préconisez-vous pour mener cette politique, à la fois européenne, nationale, régionale et locale ? Quels sont les échelons pertinents ? Étant un élu rural, je me demande si l’on ne devrait descendre jusqu’au niveau le plus fin, et le plus proche des réalités : celui du citoyen.

Les initiatives allemande et anglaise dont il a été fait état présentent cette vertu de poser simplement l’équation énergétique, en intégrant le financement nécessaire, le gain espéré et, entre les deux, le bon terme et les bonnes ressources. Nous ne saurions nous en affranchir, ne serait-ce que pour mesurer la quotité de l’effort public à déployer et pour déterminer son affectation optimale.

Quel est l’ordre de grandeur du financement de la transition énergétique dans nos bâtiments ? Sachant que l’on doit réduire le décalage, qui aujourd’hui bloque les décisions, entre le gain espéré et la durée de retour sur investissements, et que seule la puissance publique peut assumer le financement au-delà d’un certain seuil.

Nous avons, au fil des années, mis en place plusieurs outils afin de faciliter le déclenchement des décisions d’investissement, mais ils obéissent chacun à leurs propres règles, générant une certaine complexité. Ainsi l’EPTZ ne fonctionne pas. Que pensez-vous de l’idée d’un guichet unique, évoqué depuis déjà quelque temps, facilitant par sa proximité les acteurs de terrain ?

On pourrait aussi fixer des objectifs de performance un peu moins ambitieux que ceux exprimés par certaines normes en vigueur, difficiles à respecter techniquement. Peut-on imaginer un cheminement par étapes, facilitant les décisions initiales de chaque propriétaire puisque celui-ci obtiendrait, à moindre coût, un résultat déjà appréciable ? Les économies ainsi réalisées favoriseraient le financement de l’étape suivante.

Vous semble-t-il possible d’isoler, pour l’application de la TVA, ce qui relève de la performance énergétique dans les travaux de rénovation ?

Comment mesurer, année après année, le bénéfice global de notre politique publique. En d’autres termes, que gagne chaque année la France grâce aux investissements réalisés par l’ensemble des acteurs économiques ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. L’idée du guichet unique est excellente, mais l’expérience des opérations programmées d’amélioration de l’habitat a montré que leur succès dépendait largement de l’animation mise en place. Il faudra donc trouver les moyens d’organiser celle-ci pour les investissements dans l’efficacité énergétique.

M. Martial Saddier. Le débat d’hier soir, que nous attendions avec impatience, nous a beaucoup déçus. Les ministres présentes avaient beau paraître convaincues de la nécessité d’une politique d’économies d’énergie clairement déterminée, le Gouvernement ne semble pas capable de répondre précisément à nos questions et ne manifeste aucune volonté de rendre les politiques publiques plus lisibles. Le Grenelle de l’environnement est certes perfectible, mais il a provoqué une prise de conscience et créé une dynamique qui, neuf mois après la formation du nouveau gouvernement, semblent menacées par cette absence de lisibilité due à des annonces lancées dans tous les sens et à des comités de pilotage créés tous azimuts. Ainsi, nous attendons toujours la table ronde sur la rénovation énergétique annoncée le 26 novembre dernier. Professionnels et décideurs sont confrontés à des incertitudes qui les empêchent de s’engager durablement.

Je rappelle donc solennellement, au nom des députés du groupe UMP, l’absolue nécessité de fixer rapidement un cap clair aux politiques énergétiques.

Aucun d’entre vous n’a évoqué ce matin la proposition de loi de M. François Brottes instaurant une tarification progressive de l’électricité. Pourquoi ? Vous fait-elle peur ? Son coût de mise en œuvre est-il maîtrisable ? On n’a pas davantage parlé du compteur intelligent…

La potentielle diminution de la TVA a-t-elle fait l’objet d’une simulation ? Je crains que son augmentation ne se révèle catastrophique.

Connaissez-vous les montants financiers nécessaires à la rénovation énergétique des logements sociaux, compte tenu notamment du relèvement de 20 à 25 % de leur taux de construction obligatoire dans les communes ?

La qualité intérieure de l’air est-elle prise en compte à l’occasion des opérations de réduction des pertes énergétiques dans les bâtiments ?

M. Stéphane Demilly. Le nombre de demandeurs d’emplois vient de remonter au niveau de juillet 1997 et pourrait dépasser bientôt le record historique de janvier de cette même année. Or, selon l’état des lieux publié par l’ADEME en novembre dernier, l’amélioration énergétique des logements existants constitue l’une des rares activités dans lesquelles l’emploi progresse, avec une augmentation de 7,4 % de 2010 à 2012. Même si les chiffres fournis à l’instant par le représentant de la CAPEB relativisent cette tendance, il n’en demeure pas moins que le nombre d’emplois directs en équivalents temps plein liés à l’amélioration de l’efficacité énergétique dans le secteur résidentiel ancien s’élèverait à 135 000 en 2012, contre 125 000 en 2010 – 80 % de ces emplois concernent les interventions sur le bâti, 12 % le chauffage et 6 % le gros électroménager performant.

L’objectif de 500 000 logements représenterait entre 100 000 et 150 000 créations d’emplois, à condition que, comme il a déjà été dit, les financements appropriés soient dégagés.

D’une façon générale, nous savons que le développement d’une filière française de l’efficacité énergétique, tant chez les équipementiers que chez les artisans ou les entreprises de travaux, voire dans les sociétés de conseil en énergie, aura des conséquences positives pour l’emploi.

Au-delà des enjeux énergétiques et environnementaux stricto sensu, le thème de l’efficacité énergétique est aussi celui de l’efficacité économique.

Toutefois, les objectifs ambitieux de la France ne pourront être atteints que si les professionnels capables de répondre à la demande sont suffisamment nombreux. Or plusieurs obstacles se dressent en travers de cette perspective.

Le premier concerne la formation. Il n’existe aujourd’hui aucun avantage réglementaire en faveur des entreprises accomplissant un effort de formation, comme le signale souvent la CAPEB. En outre, les artisans choisissent, en temps de crise, de répondre immédiatement à leurs clients, ce qui les empêche de consacrer des journées entières à la formation. Enfin, celle-ci n’est pas toujours adaptée aux besoins du marché. Je serais heureux d’entendre les positions de la CAPEB et de la FFB sur ces différents points.

Le deuxième obstacle réside dans l’instabilité du cadre fiscal et réglementaire. Le récent changement des règles d’attribution de certaines aides, la diminution du CIDD et les dernières augmentations de la TVA ont nui à la perception du caractère prioritaire de la rénovation thermique. De ce fait, professionnels du bâtiment comme industriels et consommateurs hésitent à s’engager. La nouvelle directive européenne, la consolidation des acquis du Grenelle de l’environnement et le débat en cours sur l’énergie représentent autant d’occasions d’arrêter une stratégie de long terme et de mettre fin au stop-and-go.

Enfin, la rénovation des bâtiments publics obéit à une réglementation spécifique issue du Grenelle II, comprenant une obligation de travaux d’amélioration de la performance énergétique des bâtiments à usage tertiaire ou de service public d’ici à 2020. Selon les dispositions de la loi, l’État s’est engagé à faire réaliser des audits énergétiques de ses bâtiments afin de réduire de 40 % leur consommation d’énergie dans un délai de huit ans. Se pose néanmoins la question du financement à la charge des collectivités locales. L’association des maires des grandes villes de France a évalué le montant total des besoins correspondants à 50 milliards d’euros, soit 6 milliards par an. Or on nous annonce encore des diminutions draconiennes de dotations aux collectivités locales. Les mêmes causes ont provoqué le même attentisme de l’État pour ses propres bâtiments. Le rythme des rénovations est donc étroitement dépendant des ressources financières disponibles. Qu’en pense le représentant de la Caisse des dépôts ?

M. Denis Baupin. La politique de rénovation thermique des bâtiments constitue un élément essentiel de la transition énergétique, car elle est pertinente du point de vue environnemental, indispensable du point de vue social – avec huit millions de nos concitoyens en situation de précarité énergétique – et nécessaire du point de vue économique, eu égard à notre balance des paiements énergétiques et au volant d’emplois non délocalisables qu’elle peut induire.

Nous sommes moins confrontés à un problème technologique qu’à une question d’ingénierie financière. Dans la plupart des cas, le coût de rénovation d’un bâtiment se rembourse sur sa durée de vie grâce aux économies d’énergie générées et à la valorisation du patrimoine afférent. Il faut donc mettre en place des instruments performants, ce à quoi travaille déjà la Caisse des dépôts à travers le tiers financement, objet d’expérimentations en Île-de-France. Il faut aussi perfectionner les mécanismes fiscaux incitatifs, instaurer des fonds de garantie pour assurer à la fois la solvabilité des clients et la qualité des travaux, et maîtriser l’évolution des prix de l’énergie car elle conditionne la rentabilité à long terme des investissements.

Les travaux BBC (bâtiment basse consommation) compatibles manquent souvent d’un financement rapidement disponible. Mais il faut éviter de réaliser des travaux intermédiaires qui rendraient plus difficiles des travaux ultérieurs. Nous avons donc besoin d’un éclairage réglementaire dans ce domaine, notamment en termes d’efficacité active dans le tertiaire.

La TVA sur la rénovation thermique des bâtiments devrait être ramenée au taux de 5,5 %. Nous en discuterons ici et avec le Gouvernement.

Quels sont les leviers principaux dont les professionnels ont aujourd’hui besoin pour que la formation professionnelle et la certification des entreprises se mettent en place ?

Quelle serait la pertinence de l’institution, définie maintenant mais applicable seulement dans quelques années, d’une obligation de rénovation des bâtiments, comme cela existe déjà en matière de sécurité incendie ou d’accessibilité pour les handicapés ? On pourrait envisager d’assortir l’obligation d’une dégressivité des aides en fonction de l’année de réalisation des travaux jusqu’à une date butoir, sachant que certains locataires vivent dans de véritables passoires énergétiques et subissent les conséquences de l’inaction de leurs bailleurs.

M. Jacques Krabal. Il existe un consensus autour de l’espoir en la transition énergétique. Mais nous constatons des blocages, alors que des pays voisins ont entrepris la même démarche depuis plusieurs années. Il nous faut agir rapidement contre la précarité énergétique, comme en faveur de l’emploi.

La question de la TVA, dans un contexte économique difficile, a été posée au cours du débat qui a eu lieu hier soir, s’agissant au moins des travaux de rénovation énergétique et de construction de BBC. Au-delà du message politique, nous devons adresser à nos concitoyens des signaux forts pour la réalisation d’économies d’énergie et le Gouvernement partage cette préoccupation.

Le grand débat national sur la transition énergétique dans nos territoires doit inciter à l’action collective et apporter des précisions sur les normes. Quels sont les blocages auxquels se heurte le Plan bâtiment durable et sur lesquels nous pourrions agir ?

Comment se traduirait concrètement l’idée d’un fonds de financement récoltant des ressources sur les marchés ? Comment s’organiseraient, dans ce cas, les liaisons entre partenaires publics et privés ?

Comme l’a écrit Jean de La Fontaine dans sa fable Les frelons et les mouches à miel : « à l’œuvre on connaît l’artisan ». Tous les responsables politiques et économiques concernés par l’efficacité énergétique devraient s’inspirer de cette formule éternelle !

M. Philippe Plisson. M. Martial Saddier a la mémoire sélective : quand il parle du Grenelle de l’environnement, il relit l’histoire avec des lunettes « bleues ». Si l’on peut accorder un satisfecit au Grenelle I, que nous avions voté, il faut se souvenir des conséquences sur le Grenelle II des propos du Président Sarkozy : « L’environnement, ça commence à bien faire ! ». Les réflexes productivistes de l’UMP ont alors démoli les principales dispositions du Grenelle I, en particulier la politique en faveur des énergies renouvelables avec les filières éolienne et photovoltaïque. (Murmures sur les bancs UMP)

Je mesure la mobilisation des acteurs en matière de formation et de mise aux normes des bâtiments car la communauté de communes que je préside en Haute-Gironde a signé une convention de partenariat avec les chambres des métiers et la CAPEB. Cela dit, les réunions de sensibilisation ne réunissent que très peu d’artisans. Quelles mesures préconisez-vous pour favoriser la mobilisation des petites entreprises et permettre aux filières de formation de fournir en temps et en heure le personnel nécessaire ?

M. Jacques Kossowski. Pour réussir sa transition énergétique, notre pays met en place une gestion plus économe de ses ressources. Il se doit aussi de développer des solutions technologiques et organisationnelles nouvelles. Des programmes d’investissements d’avenir ont été initiés en ce sens ; certains concernent-ils spécifiquement le bâtiment ?

Je remercie la CAPEB et la FFB pour avoir formé en matière énergétique 48 000 professionnels depuis le Grenelle de l’environnement.

Mme Geneviève Gaillard. La question citoyenne des modes de vie et des comportements se pose. Faut-il vraiment pouvoir rester chez soi vêtu d’un simple tee-shirt en plein hiver ? Faut-il vraiment climatiser tous les lieux de vie en été ? Nos invités considèrent-ils que l’éducation et l’information sur la biologie humaine ont bien leur place dans une politique d’efficacité énergétique ? Comment faire évoluer les comportements ? Quelle place donner en la matière aux élus que nous sommes, aux collectivités locales et à l’école ?

M. Christophe Priou. Le mieux peut être l’ennemi du bien. Sans remettre en cause les nouvelles contraintes de la RT 2012 ou, dans certaines régions, celles de la réglementation antisismique, je constate que ces normes ont entraîné une augmentation des coûts de construction de 15 %. Aujourd’hui, de nombreux Français, notamment les jeunes actifs, ne sont plus en mesure d’acheter, d’autant que le coût du foncier a considérablement progressé.

La question du financement se pose aussi pour la rénovation. Comment trouver les 5, 10 ou 15 000 euros nécessaires ? Le retour sur investissement a été évoqué, mais il n’est guère motivant quand il se fait sur dix ou quinze ans.

Mme Martine Lignières-Cassou. Les progrès en matière d’efficacité énergétique nécessitent manifestement une expertise non seulement technique et financière – 20 000 à 30 000 euros par logement, c’est énorme ! –, mais aussi comportementale – Mme Gaillard évoquait l’éducation des usagers.

Dans ce cadre, les outils que nous développons actuellement, comme le tiers investisseur, peuvent-ils être efficaces au niveau régional ou faut-il miser sur une proximité plus grande – M. Jean-Yves Caullet citait les communautés de communes ? Dans ce cas, monsieur Pierre Ducret, pensez-vous possible de conserver un équilibre financier ?

M. Michel Heinrich. Monsieur Franck Lacroix, l’approvisionnement en biomasse des réseaux de chaleur fonctionnant en cogénération pose-t-il des problèmes liés à la dispersion géographique ?

Les représentants de la CAPEB et de la FFB estiment-ils que les incessantes modifications des normes et certifications relatives aux matériaux biosourcés, souvent fabriqués par des PME, constituent un obstacle à leur utilisation pour les travaux d’isolation ?

M. Jean-Louis Bricout. Monsieur Jean-Marie Carton, afin de créer un prêt énergie pour la rénovation des logements, il faudrait désigner des personnes habilitées au diagnostic. Pensez-vous qu’il pourrait s’agir des artisans en général ou qu’il faudrait réserver ce rôle à certains métiers ? Quelles actions de sensibilisation de vos adhérents menez-vous ?

Pour compléter votre intéressante proposition, nous pourrions instaurer un « permis de louer » qui rendrait obligatoire la mention, dans les contrats de location, de garanties claires en termes de sécurité et de lutte contre la précarité énergétique.

M. Laurent Furst. Les maladies pulmonaires sont, si je puis dire, les pathologies de l’avenir. Réfléchit-on aujourd’hui assez à l’isolation des logements, au traitement de l’humidité, et au renouvellement de l’air intérieur ?

À population constante, l’augmentation de la durée de vie et la décohabitation des couples suffiraient à rendre nécessaire une offre supplémentaire de logements. Si l’on ajoute à ces facteurs la moindre maîtrise de la politique migratoire et l’augmentation de la population, il est clair que la demande de logements est très forte. Pourtant le droit de l’urbanisme, incompréhensible, bloque le développement potentiel de l’offre, les coûts de production sont élevés et les évolutions fiscales peu favorables. Je suis partisan d’une évolution de la réglementation en matière énergétique mais, en renforçant ces normes, ne va-t-on pas renchérir les logements et se retrouver, au final, avec moins de logements vertueux et plus de Français en difficulté pour se loger ?

M. Arnaud Leroy. Que peuvent nous dire nos invités de leurs relations stratégiques avec la Banque publique d’investissement ? Nous avons tous été surpris par le communiqué de presse qui, à l’issue du conseil d’administration de la semaine dernière, ne faisait pas mention de la transition énergétique et écologique. Les parlementaires sont prêts à se battre pour que cette ambition, citée dans l’article 1er de la loi créant la BPI, ne soit pas oubliée.

M. Alain Gest. En tant que vice-président de cette commission, je rappelle que la parole est libre dans cette enceinte. Le porte-parole de notre groupe a parfaitement le droit de s’exprimer comme il le souhaite.

L’augmentation du taux de TVA a constitué une erreur considérable : elle étouffe l’activité et supprime des recettes fiscales. Monsieur Carton, vous estimez qu’une réduction du taux est indispensable ; pouvez-vous démontrer l’efficacité qu’aurait cette mesure – on pourrait même imaginer la création d’un taux super-réduit ?

Monsieur Jean-Yves Robin, le chiffre illusoire de 500 000 logements à construire circule ; quel nombre de logements peut-on raisonnablement envisager de construire selon vous ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je confirme que la parole est libre dans notre commission. C’est vrai quelle que soit l’appartenance politique de l’orateur. J’y veille.

Nos invités peuvent-ils nous dire ce qu’il en est de la fiabilité et de l’opposabilité des diagnostics de performance énergétique (DPE) ? La ministre a demandé à la Cour des comptes une évaluation des CEE. M. Pierre Ducret, êtes-vous en mesure d’évaluer leur coût ?

Me Philippe Pelletier. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, je n’ai pas le sentiment que la mise aux normes épuise la capacité contributive des acteurs. Le Plan bâtiment durable, principalement incitatif, vise pour l’essentiel des bâtiments existants. Son aspect normatif ne concerne que la construction. En la matière, la RT 2012 a conduit les constructeurs à un effort significatif puisque l’objectif d’économies d’énergie a été multiplié par trois – passant de 150 à 50 kWh par mètre carré et par an. Or cet objectif peut être atteint à enveloppe financière constante grâce à des économies vertueuses sur d’autres coûts. Nous cherchons donc plutôt à susciter l’adhésion à un projet de société qu’à préparer l’édiction d’obligations.

La réponse à vos questions peut s’ordonner autour de trois points relatifs à l’offre par la filière, au soutien de la demande, et à son accompagnement.

Pour mobiliser les entreprises, tout d’abord, il est nécessaire d’agir dans la durée et de façon cohérente en faveur de la formation. Fin 2012, l’incertitude sur la reconduction du financement de la FEE Bât a donné un coup d’arrêt aux demandes de formation. En la matière, il faut, au contraire, assurer une prévisibilité au-delà de l’année 2013.

Les entreprises qualifiées doivent être reconnues et tirer bénéfice des formations suivies. Nous avons proposé la création d’un éco-avantage : les travaux ayant fait l’objet d’un devis présenté par ces entreprises seraient éligibles aux aides d’État sans vérification. Nous estimons que, pour rendre la formation plus attractive, les commandes publiques et privées devraient privilégier le recours à ces entreprises. En accord avec les deux fédérations du secteur, nous prévoyons de mettre en place, dans un terme assez proche, l’éco-conditionnalité des aides : seules les entreprises qualifiées pourront en bénéficier. Ce mouvement devrait entraîner la filière du bâtiment et la maîtrise d’œuvre vers un niveau de compétence supérieur.

Ensuite, le soutien de la demande passe par une articulation des financements existants avec le développement de solutions innovantes, dont celle du tiers financement. Il faudra nécessairement réajuster les mécanismes existants : le crédit d’impôt développement durable devra permettre de davantage soutenir des actions de rénovation lourdes, les banques devront ne plus avoir à contrôler des travaux effectués dans le cadre de l’éco-prêt à taux zéro, et un éco-prêt collectif devra offrir une solution pour les copropriétés.

La lutte contre la précarité énergétique reste une priorité. Elle mobilise les investissements d’avenir à hauteur de 500 millions d’euros. Il nous reste à établir les conditions d’accès pour les ménages concernés.

Si l’année 2013 n’est pas une année perdue, et si les arbitrages espérés sont rendus, l’objectif des 500 000 logements est à notre portée. Je rappelle que la précédente majorité avait fixé à 400 000 le nombre de logements à rénover à partir de 2013. Le Président de la République y a ajouté 100 000 logements : il s’agit d’un objectif ambitieux mais raisonnable. Ces perspectives reposent sur diverses modes de financement. Pour ma part, j’accorde une grande importance à la création de valeur par l’accroissement de la densité, la surélévation du bâti, ou le « build in my backyard » consistant à donner des droits à construire supplémentaires en zone pavillonnaire. Ces solutions sont à la fois efficaces en termes de financement et peu coûteuses pour les contribuables.

Aujourd’hui, la société n’est pas mûre pour imposer une obligation de travaux. Les maîtres d’ouvrage sont en phase d’adhésion et l’offre de service n’est pas suffisante sur l’ensemble du territoire. Nous devons néanmoins mettre immédiatement en chantier une réflexion collective. À la demande du Débat national sur la transition énergétique, un groupe de travail du Plan bâtiment durable sera lancé demain sur ce thème.

Annoncer une obligation future permettra de faire comprendre que les mécanismes incitatifs iront en s’épuisant. Cette prévisibilité incitera les acteurs à faire des choix plus tôt. J’ajoute qu’il y a probablement un moyen terme incitation et obligation. Il me paraît impératif de faire sortir les épaves thermiques du parc locatif privé en modifiant la définition de la décence du logement telle qu’elle résulte d’un décret de 2002. Les résultats d’une telle modification réglementaire seraient sans doute similaires à ceux d’une obligation de travaux, mais la mesure est plus subtile. La fiscalité locale pourrait également être modulée.

Enfin, la demande doit être accompagnée. J’ai évoqué le plan régional pour que l’on parle moins du plan national. Le moment est venu de passer à un échelon plus proche des acteurs, ménages et entreprises. Les grandes rénovations du parc tertiaire public ont été effectuées dans les lycées par les régions qui mènent les actions de formation professionnelle. Ce niveau d’intervention paraît pertinent, mais pas suffisant. Au plus proche du terrain, il faut aussi tenir compte de ce qui a déjà été mis en place par des agglomérations pour aider les ménages à prendre leur décision.

L’accompagnement des ménages devra être divers. Il sera parfois public, parfois mixte, comme avec les sociétés d’économie mixte. Il pourra relever des professionnels. Je souhaite que les architectes s’intéressent davantage à la rénovation et jouent le rôle d’assistants à maître d’ouvrage, à défaut de maîtres d’œuvre. L’ensemble de ces solutions constitue un guichet unique, service public de l’efficacité énergétique mettant en œuvre une grande diversité de moyens. Un numéro de téléphone unique devrait permettre aux ménages de joindre l’ADEME, l’ADIL et l’ANAH, qui délivreraient un message commun.

Le DPE a été créé pour servir d’outil de sensibilisation des ménages lors de la vente ou de la location. En tant que tel, il n’est pas opposable par le locataire ou l’acquéreur. Par ailleurs, grâce à ce choix, tous les bailleurs et propriétaires peuvent disposer d’un diagnostic à un prix abordable sur l’ensemble du territoire national. Si nous voulions mettre en place un diagnostic de qualité supérieure, il faudrait avoir recours à des bureaux d’études thermiques, moins nombreux et moins accessibles, aux prestations plus onéreuses. Des efforts visent néanmoins à rendre le DPE fiable en élevant le niveau d’exigence du diagnostic – soixante rubriques sont désormais renseignées au lieu de trente –, ainsi que les compétences demandées aux diagnostiqueurs. Lorsqu’il est fait état du DPE dans les petites annonces, celui-ci constitue un levier puissant pour la prise de décision et la fixation des prix. Toutefois, la mise en place d’un audit énergétique, semblable à celui créé pour la copropriété, sera nécessaire pour accompagner le passage à l’acte.

La RT 2012 a été un peu légère sur la question de la qualité de l’air intérieur. Nous sommes unanimes à estimer qu’il faut progresser. Nous préconiserons que la réglementation 2020 aille dans ce sens.

M. François Bourriot. En tant que citoyen, je m’interroge sur le coût des rénovations. Je reste sceptique sur la possibilité de réduire de 25 % la consommation énergétique d’un logement en investissant seulement 2 000 euros. Quant à la somme de 20 000 euros par logement pour une mise en conformité avec la RT 2005, elle me semble d’autant plus dissuasive que, même en considérant que les travaux entraîneraient une économie de 50 % sur une facture énergétique moyenne annuelle de 1 000 euros, l’amortissement serait extrêmement long.

Il me paraît nécessaire de travailler sur le phasage des travaux pour qu’ils soient à la fois efficaces et d’un coût abordable. Au lieu d’hésiter devant des travaux trop coûteux, un processus de décision trop complexe, ou l’espoir d’une solution technologique future, il est sans doute préférable d’agir au juste niveau.

M. Jean-Yves Katz, directeur du développement du Centre d’études et de recherches économiques sur l’énergie (CEREN). Les propriétaires de maisons individuelles s’adressent en général aux entreprises locales. La collectivité locale est donc à même de défendre l’emploi local pour répondre à la demande locale. L’Alliance ville emploi (AVE) participe à la formation des artisans en complément de la formation FEE Bât qui, à mon sens, devrait comporter une formation à l’ingénierie financière.

M. Jean-Yves Caullet s’interrogeait sur l’évaluation a posteriori de l’impact des mesures. Le Plan bâtiment durable met au point un tableau de bord qui collecte des informations publiques et recense les travaux bénéficiant d’aides. Le CEREN est en mesure d’opérer une évaluation, mais le temps statistique n’est pas le temps politique : nous ne pourrons constater les premiers bénéfices de la RT 2012, mise en œuvre depuis le mois de janvier, qu’en 2015.

M. Jean-Yves Robin. FFB et CAPEB, nous avons tous souffert des dérives du photovoltaïque et de l’attitude des éco-délinquants. Le client final était évidemment la première victime mais, au-delà, ni l’argent public ni l’image de la filière n’ont été épargnés.

Pour notre part, nous sommes favorables à la promotion de la qualité par une formation qui ne peut se faire que sur la longue durée, ce qui demande un engagement financier lourd pour un chef d’entreprise. Ce dernier ne suivra donc cette voie que s’il a le sentiment d’avoir affaire à une politique stable et prévisible.

M. Philippe Pelletier a répondu à M. Alain Gest : pour peu qu’il soit clair, nous sommes prêts à nous adapter à l’objectif fixé en termes de nombre de logements à construire ou à rénover. Que ce soit 400 000 ou 500 000, la FFB et la CAPEB se mobiliseront pour mettre les troupes en ordre de marche.

Il faudra sans doute faire une promotion particulière des matériaux biosourcés sous réserve qu’ils obtiennent la même classification thermique que les matières traditionnelles.

M. Jean-Marie Carton. Nous ne sommes pas favorables à une TVA spécifique aux travaux de performance énergétique. Cette solution rendrait les choses complexes et induirait incertitude et insécurité pour les consommateurs et les entreprises. La rénovation de combles nous obligerait, par exemple, à appliquer un taux réduit de TVA pour la pose de la laine de verre isolante, et un taux différent pour celle du plâtre qui la recouvre ! Restons simples : le taux de TVA unique est particulièrement lisible !

Les effets de l’annonce d’une modification des taux de TVA ont été clairs : notre secteur compte 18 000 emplois en moins ! Peut-être ce changement n’est-il pas la seule cause de cette évolution, mais avec trois points de TVA supplémentaires, on aurait 40 000 emplois en moins.

Notre dispositif de financement pour la performance énergétique et la rénovation de logements se fondait sur l’ancien Pass Travaux. Cet outil nous manque car nous sommes en mesure de faire de la performance énergétique pour 7 000 à 8 000 euros, tout en tenant compte de la qualité de l’air, et cela concerne un grand nombre de maisons individuelles.

En tant que chef d’entreprise, je me sers tous les jours des certificats d’économie d’énergie. Quand on apporte à un client 10 % de la valeur des travaux d’isolation en CEE, ce n’est pas rien.

Le tiers financeur peut constituer un grand danger s’il restreint l’accès au marché des entreprises comme en Angleterre. Nous y sommes néanmoins favorables s’il n’y a aucune confusion avec la maîtrise d’ouvrage. Le système français a l’avantage de permettre le contact direct entre les entreprises et les clients : respectons les atouts de la filière !

Les matériaux biosourcés peuvent poser un problème au regard de l’assurance décennale obligatoire. Cela dit, les professionnels savent aujourd’hui utiliser des matériaux qui bénéficient d’un agrément.

M. Pierre Ducret. L’objectif de rénovation de 500 000 logements par an devrait concerner 120 000 logements sociaux et 380 000 logements privés. Je considère que la rénovation du logement social est financée. En tablant sur un coût légèrement inférieur à 20 000 euros par logement, le besoin de financement annuel pour la rénovation du logement privé est de l’ordre de 7,2 milliards d’euros.

Nous disposons d’un milliard d’euros dans le budget de l’État, auquel il faut ajouter des financements provenant des collectivités locales, du FEDER, et des ressources ponctuellement issues de l’ANAH, fléchées sur la précarité énergétique – grâce aux investissements d’avenir et aux ventes de quotas de CO2. Pour les cinq prochaines années, les ressources publiques doivent donc s’élever à environ 1,5 milliard par an. Par ailleurs, en prenant en compte l’hypothèse de croissance des tarifs de l’énergie retenue par la Commission de régulation de l’énergie, les économies d’énergies peuvent dégager un financement de 4 milliards d’euros sur une durée de douze ans – montant sur lequel peuvent intervenir des tiers investisseurs.

Le besoin d’autofinancement s’élève donc à un peu moins de 2 milliards d’euros, ce qui n’est pas excessif au regard des dépenses autofinancées par les ménages pour des travaux de rénovation. Sur la base de ces ordres de grandeur, l’opération semble finançable.

Il est malheureusement difficile de répondre aux questions relatives aux certificats d’économies d’énergie car les données les concernant ne sont pas connues. On sait seulement que plusieurs centaines de millions d’euros par an permettent aux bénéficiaires de collecter une prime finale d’un montant représentant 5 à 10 % des travaux. Les CEE, qui ont des effets très positifs, ne sont pas à proprement parler un système de financement mais plutôt une prime : une récompense pour les bénéficiaires et une incitation pour les énergéticiens. L’évaluation de la Cour des comptes permettra de mesurer la part qu’il faut réserver à ce dispositif, et celle qu’il faudrait donner, au moment de la transposition de la directive, à un autre mode de financement de la rénovation thermique – ni l’Allemagne, qui a dix ans d’avance sur nous, ni le Royaume-Uni ne disposent de CEE. Cette analyse permettra de savoir dans quelle mesure les énergéticiens peuvent participer à ce financement, comme ils le font en Allemagne.

En effet, pour financer sur douze ans des opérations qui se rémunèrent sur des économies d’énergie, il faut pouvoir immobiliser des fonds propres et servir un taux d’intérêt très faible. Il serait évidemment préférable que cette dette soit privée – les fonds des énergéticiens ont cet avantage –, et que l’opération soit neutre pour les finances publiques. L’enjeu est stratégique pour le plan de financement global de la rénovation thermique.

L’organisation de l’intervention des acteurs publics et privés dans l’expertise, le diagnostic, et l’information constituent un sujet majeur qui porte le nom de « guichet unique ». Les différents échelons de collectivités locales sont concernés, mais les opérations de financement nécessaires ne sont envisageables qu’au niveau régional.

Les contraintes des pouvoirs publics, les conditions de transposition de la directive, le niveau de mobilisation des réseaux bancaires conditionnent la forme que prendra le fonds auquel nous réfléchissons. Nous sommes ouverts sur le sujet. En tout état de cause, il faut injecter des fonds à long terme dès le départ – cela relève de la BEI –, immobiliser des fonds propres et organiser la liquidité du système afin de déboucher sur le marché obligataire.

M. Arnaud Leroy, la BPI est entièrement tournée vers le financement des entreprises en crédits et en fonds propres. Elle contribuera à la rénovation thermique du bâtiment en finançant les entreprises concernées. Son intervention pourrait permettre d’éviter les errements que nous avons connus avec les énergies renouvelables car, si la filière est brillante, elle est aussi en cours de construction. Si les fonds propres et le crédit manquent pour soutenir son développement, la demande risque de s’adresser à d’autres – je pense à un grand pays voisin très performant dans ce secteur.

M. Franck Lacroix. Il faut réfléchir de façon économique à la combinaison de l’efficacité du bâtiment avec le système énergétique territorial. Il sera souvent moins onéreux d’installer des cogénérations que d’isoler des bâtiments alimentés par des systèmes autonomes. Nous devons raisonner de manière globale.

S’il est nécessaire, le raisonnement à l’échelle du bâtiment n’est peut-être pas le plus pertinent. Le niveau intercommunal peut être efficace, comme le démontre l’expérience de Montluçon où l’intercommunalité a enregistré une diminution de plus de 20 % de sa consommation énergétique.

Il faut aussi raisonner en tenant compte des infrastructures de réseaux de chaleurs, et changer d’échelle en passant de réseaux de quartier à des réseaux plus vastes, au niveau des villes, voire des métropoles, pour partager les investissements et valoriser les énergies perdues sur le territoire. Les régions ont également montré leur grande efficacité, notamment au travers des schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie. La planification du développement des infrastructures collectives en Île-de-France est un bon exemple.

L’objectif de réduction de 40 % des consommations énergétiques est sans doute très ambitieux, mais aussi très coûteux. Compte tenu des finances publiques et des moyens des Français, il est préférable de raisonner par étapes et de considérer que nous sommes en mesure d’atteindre un premier objectif raisonnable de 20 %.

Je rappelle qu’aujourd’hui 80 % des immeubles de plus de cinquante logements ne sont pas « conduits » en matière d’efficacité énergétique. Or les bâtiments ne se gèrent pas seuls : des professionnels savent régler, comparer et optimiser l’efficacité énergétique.

Les politiques de sobriété énergétique doivent aussi intégrer les usagers. Un degré de chauffage supplémentaire, c’est une augmentation de la consommation d’énergie de 7 %. Imaginez le coût du chauffage pour un bâtiment vide ! À l’international, nous avons dû faire de gros efforts pour éduquer les consommateurs et développer des méthodes pour induire des comportements plus vertueux. Nous créons en France une filière chargée de conseiller les utilisateurs. Contractuellement, nous nous engageons à une baisse de la facture énergétique.

En France, nous gérons 300 installations qui fonctionnent grâce à la biomasse, dont des cogénérations. Notre expérience montre que l’approvisionnement est possible si le projet reste raisonnable. Est-il logique d’aller chercher dans le nord de la France du bois transporté par camion pour alimenter un énorme projet dans le sud du pays ? Small is beautiful. Plutôt que les grands projets, il serait préférable de soutenir les petites cogénérations qui alimentent les réseaux de chaleur améliorant la performance énergétique des bâtiments. Je suggère que l’on donne rapidement un coup de pouce au tarif d’obligation d’achat.

Il me semble légitime qu’à l’échelle de la région, l’on puisse contrôler les filières d’approvisionnement et vérifier que le territoire est bien capable de fournir ce qui lui est demandé sans conflit d’usage. Le préfet de région remplit parfaitement ce rôle. Il faut seulement veiller à ne pas pécher par excès de prudence.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je retiens de vos interventions qu’il est possible de rénover 500 000 logements par an, dès 2016, à condition que l’année 2013 ne soit pas « blanche ». Il est également clair qu’une parole publique et politique forte est nécessaire.

Vous avez par ailleurs insisté sur l’importance de la dimension régionale de cette politique. L’acte III de la décentralisation permettra sans doute de la mettre en œuvre, mais des initiatives ont déjà été prises, par exemple par la région Île-de-France.

L’évaluation des CEE vous a paru nécessaire. La ministre Delphine Batho a chargé la Cour des comptes de ce travail. Pour ma part, j’ai le sentiment qu’ils ont constitué un effet d’aubaine. Les récentes études cofinancées par l’ADEME qui parviennent à des conclusions particulièrement élogieuses m’inquiètent énormément. Lors de son audition, hier après-midi, j’aurais d’ailleurs dû suggérer à M. Bruno Léchevin, qui devrait devenir président de l’ADEME, de se pencher sur le sujet.

Les chiffres présentés par M. Pierre Ducret montrent qu’il faudra trouver un apport en fonds propres d’origine privée pour réaliser les objectifs que nous nous sommes fixés.

Je remercie nos invités pour la qualité de leurs interventions. Grâce à eux, les parlementaires présents ont pu mesurer les enjeux et la nécessité de mettre en œuvre rapidement une politique d’efficacité énergétique prenant en compte la réglementation, les outils financiers et le rôle des régions.

——fpfp——

VIII.— AUDITION : ASPECTS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET ENVIRONNEMENTAUX DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

Le mercredi 13 mars 2013, la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu de M. Jean Jouzel, climatologue, et de Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux, co-rapporteurs d’un avis du Conseil économique, social et environnemental sur la transition énergétique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. En votre nom à tous, je souhaite la bienvenue à Mme Anne-Marie Ducroux, présidente de la section Environnement du Conseil économique, social et environnemental (CESE), à Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM), et à M. Jean Jouzel, climatologue, membre du CESE. Je profite de l’occasion pour féliciter ce dernier qui, déjà prix Nobel de la paix dans le cadre du GIEC en 2007, est, à ce jour, le premier lauréat français du prestigieux prix Vetlesen. Je tiens à lui dire notre fierté.

(Applaudissements sur tous les bancs)

Comme j’en avais pris l’engagement auprès du président Delevoye, la Commission du développement durable a décidé, dans le cadre de ses auditions, de recevoir les rapporteurs du CESE conduisant des réflexions liées à des thématiques fortes. C’est ainsi qu’il y a quelques semaines, Mme Anne de Béthencourt et M. Jacky Chorin sont venus nous parler d’efficacité énergétique. Aujourd’hui, avec Mme Tissot-Colle et M. Jouzel, nous aborderons la transition énergétique, sur la base de leur rapport remis le 9 janvier 2013 et intitulé La transition énergétique : 2020-2050, un avenir à bâtir, une voie à tracer.

Mme Anne-Marie Ducroux, présidente de la section Environnement du Conseil économique, social et environnemental. Mesdames, messieurs les députés, permettez-moi de vous remercier de votre invitation et d’inaugurer, en quelque sorte, les relations entre votre Commission du développement durable et la section Environnement du CESE. C’est, en effet, la première fois que nous sommes auditionnés ici et j’espère qu’il y aura d’autres occasions. J’en profite pour vous indiquer que la section Environnement, qui incarne une partie de la réforme issue des lois Grenelle de l’environnement par laquelle l’ancien Conseil économique et social est devenu le CESE, a pour mandat de travailler sur les thèmes de la transition énergétique, de la biodiversité, des mers et des océans, des risques environnementaux, de la protection de l’environnement et de la qualité de l’habitat. Différents travaux sont en cours dans notre institution, d’autres sont à venir qui nous donneront peut-être d’autres occasions de revenir devant vous.

Avant de vous quitter, puisque je préside cette section le mercredi matin, je renouvelle mon invitation pour le 11 avril, date à laquelle le CESE organise une conférence internationale sur la gouvernance de la haute mer. Ce sujet gagne en importance et mérite une très grande attention de la part des parlementaires, en raison des questions de droit qu’il pose notamment. Nous sommes en train d’instruire une saisine sur la gestion durable et la gouvernance des océans, dont les questions de la haute mer font partie.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je ne peux que me féliciter des relations qui sont en train de s’établir entre le Conseil économique, social et environnemental et la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale. Merci de votre présence et de tout le travail que vous faites au sein du CESE. Nous y sommes très sensibles.

M. Jean Jouzel, co-rapporteur de l’avis du CESE sur la transition écologique. Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de cette invitation à présenter notre avis sur la transition énergétique, qui résulte du travail collectif de la section.

Le prix Vetlesen est l’équivalent, pour les disciplines des sciences de la terre, de l’environnement et de l’univers en général, du prix Nobel, plutôt attribué aux grandes disciplines que sont la physique, la chimie, la médecine, l’économie,…– prix que j’ai eu le plaisir de partager avec le GIEC. Ce prix, établi dans les années cinquante, est décerné tous les quatre ans. Je le partage avec Susan Solomon, qui a plus travaillé sur la chimie atmosphérique et son lien avec le climat, et je suis effectivement le premier Français à l’obtenir, ce qui me rend très fier au nom de toute notre communauté scientifique. C’est la reconnaissance d’une très bonne place de la recherche française dans ces domaines sur le plan international. Le prix Crafoord, autre récompense pour nos disciplines, a été établi quant à lui dans les années quatre-vingt et l’un des premiers récipiendaires, et seul Français à ce jour, en a été Claude Allègre.

Mme Catherine Quéré et M. Philippe Plisson. Personne n’est parfait ! (sourires)

M. Jean Jouzel, co-rapporteur de l’avis du CESE sur la transition écologique. Dans le domaine de la datation de la terre et de l’univers, ses travaux ont tout de même été très significatifs, et il le méritait.

J’ai accepté de m’investir dans ce travail sur la transition énergétique en qualité de climatologue, bien sûr, mais aussi parce que le lien entre l’énergie et le climat m’a toujours intéressé. Je me suis d’ailleurs beaucoup impliqué dans le Grenelle de l’environnement, et je le suis également dans le comité de pilotage du débat national sur la transition écologique. Bien que nous ayons proposé cet avis sur la transition énergétique bien avant la conférence environnementale des 14 et 15 septembre 2012, il s’inscrit totalement dans la dynamique de la transition écologique. Puisque vous avez auditionné Mme Anne de Béthencourt et M. Jacky Chorin, vous savez que nous avons mené cet avis en parallèle et de façon complémentaire avec le rapport sur l’efficacité énergétique.

En tant que climatologue, je place les aspects environnementaux à un niveau assez élevé dans cette réflexion sur la transition énergétique, mais, en dehors même de ces sujets, beaucoup d’autres aspects de l’énergie devraient nous inciter à y réfléchir, qu’ils soient économiques, géopolitiques ou sociaux, avec les problèmes d’emploi et de précarité énergétique. On ne peut pas nier non plus, dans le contexte spécifique de changement climatique, que se profilent devant nous un réchauffement qui risque d’être important, une augmentation prévisible des prix de l’énergie et une raréfaction des ressources. Même si l’on parle maintenant plutôt de plateau que de pic pour le pétrole ou le gaz, le problème est toujours là dans la mesure où ce sont des quantités finies, en tout cas pour celles qui sont facilement exploitables. Il est important de ne pas limiter le débat au seul problème de l’électricité, qui n’est qu’une part de l’énergie. La transition énergétique concerne aussi la chaleur et la mobilité. L’industrie nucléaire est partie prenante de cette transition pour la partie électricité, et elle est mise en question au regard de sa sûreté, qui doit satisfaire des exigences de plus en plus importantes.

Ce qui peut intéresser un climatologue s’agissant des problèmes énergétiques, c’est le lien fort entre climat et énergie, en particulier les énergies fossiles, puisque les trois quarts de l’augmentation de l’effet de serre dans les années récentes sont liés à notre utilisation du pétrole, du charbon et du gaz naturel au niveau international. On peut aussi incriminer le méthane et les autres gaz à effet de serre, mais il faut avoir en tête que cette augmentation est liée pour 80 % au gaz carbonique et pour 10 % à la déforestation. Ce sont les chiffres au niveau international, ils sont un peu différents pour la France. Les rapports récents de la Banque mondiale ou de l’Agence internationale de l’énergie sont encore plus anxiogènes que ce que dit le GIEC : si nous laissons aller les choses comme nous le faisons actuellement, on ne pourra pas empêcher un réchauffement de l’ordre de quatre degrés dans la seconde partie du XXIsiècle, ce qui aura des conséquences très importantes. Aller vers une société sobre en carbone et émettre moins de gaz à effet de serre n’est pas une option mais vraiment un impératif.

Nous avons collectivement adhéré à cet objectif d’un maintien du réchauffement climatique en dessous de deux degrés. Cela exige que les émissions de gaz carbonique commencent à décroître d’ici à 2020 – ce qui est un véritable défi, sachant qu’elles augmentent actuellement à un rythme de 3 % par an –, et qu’elles soient divisées par trois au niveau mondial entre 2020 et 2050. Malheureusement, on sait déjà que l’objectif pour 2020 risque fort de ne pas être atteint, avec un fossé de l’ordre de 15 à 20 %.

Sur le plan national, la France a pris des engagements qui s’inscrivent largement dans un cadre européen et en conformité avec la directive sur l’efficacité énergétique. L’objectif du « facteur 4 », voire 5, de diminution des émissions de gaz à effet de serre est inscrit dans la loi sur l’énergie de 2005, votée pratiquement à l’unanimité. Le Grenelle de l’environnement a permis des avancées, avec beaucoup de réflexions qui n’ont pas toutes abouti mais qui se poursuivent. Enfin, un débat national sur la transition énergétique a été lancé, dont j’espère qu’il va vraiment aider à mûrir une loi qui devrait arriver devant vous à la fin de l’année.

Mme Catherine Tissot-Colle, co-rapporteure de l’avis du CESE sur la transition écologique. En introduction au travail que nous avons fait au sein de la section et qui a été voté par le CESE, nous nous sommes autorisés à rédiger une feuille de route pour le Gouvernement et les parlementaires dans la perspective du débat et des textes législatifs qui suivront. Ce n’est pas un travail d’expertise sur les thèmes que nous avons abordés que nous communiquons, mais plutôt le reflet de ce que les composantes du CESE attendent du monde politique. C’est ainsi qu’il faut interpréter nos recommandations. Dans cette logique et pour la première fois au CESE, nous avons essayé de dater certaines propositions, en fonction de l’urgence des décisions à prendre. Ce sont des orientations destinées à lisser le travail et à donner le temps des évaluations intermédiaires.

Nous avons structuré notre travail autour de quatre axes : la transition énergétique au service de la performance économique et sociale ; l’évolution du mix énergétique ; l’évolution des jeux d’acteurs et les aspects financiers – que nous n’avons fait qu’aborder, puisque la section de l’environnement n’a pas vocation à travailler sur ces sujets extrêmement techniques et sensibles ; la R&D et le lien entre recherche et développement économique.

En qualité de représentante du monde des entreprises au CESE, je suis heureuse de pouvoir vous dire qu’il n’y a pas eu débat quant à la priorité que représente la transition énergétique au service de la performance économique et sociale. Personne n’imagine, surtout dans le contexte actuel, que la transition énergétique ne soit pas positive pour notre économie. C’est un défi, car vouloir une économie décarbonée à la fois compétitive et écologique, c’est vouloir tout. En même temps, le contexte expliqué par Jean Jouzel du changement climatique, de la raréfaction des ressources bon marché et accessibles et de l’augmentation de la population mondiale ne nous laisse pas le choix.

Nous vous recommandons de réfléchir, dès le débat, c’est-à-dire maintenant, à des sujets qui nous paraissent essentiels. En premier lieu, il faudrait retravailler les notions d’efficacité et de sobriété énergétiques, en s’interrogeant sur l’évolution que nous souhaitons imprimer à nos modes de consommation – au besoin en passant par des contraintes. Nous avons pu constater que tout le monde n’a pas la même définition de ces notions. Nous attendons de vous que vous définissiez et précisiez clairement ces deux concepts et leur réalité.

Nous avons rencontré beaucoup d’experts qui nous ont présenté de multiples scénarios d’une grande qualité et d’une grande richesse. Il importe de procéder à des évaluations socio-économiques et environnementales de même niveau pour chaque scénario retenu, afin d’en dégager les implications dans ces domaines. En particulier, nous attirons votre attention sur un volet qui n’a pas été traité dans la plupart des scénarios, qu’ils soient de statu quo ou de rupture : l’emploi. Entre le mythe que le changement d’énergie apportera des tas de choses formidables qui ne sont pas quantifiées et la crainte d’un danger extrême, il y a un énorme travail pour déterminer quels emplois vont disparaître, quels sont ceux qui vont émerger, aussi bien en quantité qu’en qualité. Notre attente à nous, société civile s’exprimant au sein du CESE, c’est qu’on ne dégrade pas, sinon le nombre, du moins la qualité des emplois. Nous voulons une France de haut niveau technologique, pas des emplois de bas niveau.

Dès maintenant, il faut examiner, pour l’horizon 2020, les problèmes de coût et d’accès des acteurs à l’énergie. Nous demandons que l’électricité reste à un coût compétitif et que l’accès à l’énergie pour les ménages précaires ou certaines entreprises, selon les contextes, soit facilité. Pour nous, il s’agit de deux sujets différents qui font l’objet de deux recommandations distinctes. Nous n’avons pas pris une position à l’allemande pour savoir si ce sont les ménages ou les entreprises qui doivent porter les surcoûts attachés à des évolutions du mix énergétique. Nous ne l’avons pas dit de manière claire, mais nous sommes attachés à des coûts de production réduits.

S’agissant des énergies renouvelables, dites ENR, dont nous recommandons le développement, les propositions foisonnent au point parfois d’être brouillonnes. Nous souhaitons que soient privilégiées les énergies à fort potentiel de développement au niveau de la recherche et du savoir-faire technologique, et susceptibles de générer des emplois qualifiés non délocalisables. Cela rejoint complètement la première recommandation : quand on analyse les scénarios et qu’on tend à privilégier une orientation, il faut vraiment regarder dans le détail ce qu’elle va donner et favoriser les ENR qui sont le plus proches de l’autonomie économique. Nous sommes bien conscients qu’il va falloir accompagner une partie de cette transition, mais plus vite les nouvelles formes d’énergie pourront vivre de manière autonome dans un monde économique normal, sans être assistées, mieux cela vaudra.

M. Jean Jouzel, co-rapporteur de l’avis du CESE sur la transition écologique. De façon schématique, si l’on place les impératifs climatiques à un niveau élevé, la première priorité dans le mix énergétique, c’est clairement une diminution des combustibles fossiles. Or je crains que le secteur n’y soit pas vraiment préparé. Si l’on peut jouer sur le développement, grâce à la recherche, du piégeage et du stockage du gaz carbonique et sur le rééquilibrage interne en faveur du gaz naturel qui est moins émetteur de gaz à effet de serre, globalement, c’est une consommation nettement moindre qui sera déterminante. Un autre équilibrage est possible entre les énergies non émettrices de gaz à effet de serre, c’est-à-dire le nucléaire et les énergies renouvelables. Pas plus que nous ne pensons utile de se focaliser sur le nucléaire, nous ne souhaitons éviter le débat, lequel doit commencer par un questionnement des besoins. Le mix énergétique doit offrir une bonne adéquation entre les moyens de production et les besoins. En termes d’efficacité énergétique, on sent plus facilement les améliorations dans le secteur du logement que dans celui des transports. C’est là un point sur lequel le débat devrait se focaliser.

Les scénarios énergétiques doivent être évalués d’ici à 2020, mais aussi jusqu’à l’horizon 2050. Les ENR en phase de développement commercial sont citées dans le rapport, à la page 29 – éolien terrestre, solaire photovoltaïque, biomasse, géothermie –, de même que celles qui présentent un réel potentiel de développement – photovoltaïque, éolien offshore, biocarburants avancés, énergies marines. Les réseaux de transport de l’énergie, principalement d’électricité ou de gaz, sont très importants. Dans les transports, il faut réfléchir au développement des moteurs électriques, hybrides, au gaz naturel et aux énergies renouvelables, favoriser de nouvelles mobilités. Derrière tout cela, cependant, il n’y a pas de véritable proposition. Un vrai travail sur le transport s’impose. Nous considérons que la programmation pluriannuelle n’est pas suffisamment forte actuellement. Il faut l’envisager pas seulement sur une mandature, mais sur une dizaine d’années, voire plus. J’espère que la future loi aura cette ambition. Certains de ces aspects devront être mis en place dès le débat national sur la transition énergétique, puis, d’ici à 2030, l’électrification des transports individuels et collectifs devra connaître une accélération et les énergies renouvelables être organisées en filières créatrices d’emplois.

Mme Catherine Tissot-Colle, co-rapporteure de l’avis du CESE sur la transition écologique. Le troisième axe de notre travail concerne la mobilisation des acteurs et des moyens à la hauteur du défi climatique et de la transition énergétique. Cette partie est vraiment l’âme du CESE, puisque nous représentons le monde des acteurs. Nous avons beaucoup discuté et travaillé au sein de la section sur cette question. Reprenant notre logique d’échelle de temps, nous pensons important que, au cours du débat et dans les textes qui en seront issus, une clarification des rôles respectifs des acteurs publics intervienne. Partout sur le territoire, au niveau des communes et des intercommunalités, les initiatives foisonnent et il est important que la production et la distribution d’énergie demain soient mieux implantées dans les territoires. Pour autant, il nous semble aussi que l’optimum global n’est pas forcément la somme des optimums locaux. Il va y avoir des choix à faire, d’où la nécessité de clarifier les rôles. La recommandation votée par le CESE est de privilégier deux niveaux : l’État, qui doit être responsable de la cohérence nationale, qu’il s’agisse des politiques énergie-climat, de la fiscalité et de tous les aspects financiers associés ; la région, qui nous paraît le bon niveau de responsabilité de la cohérence de la transition énergétique sur l’ensemble du territoire. C’est, nous semble-t-il, votre mission que d’y veiller, mais cela n’empêche pas d’autres acteurs de jouer un rôle. Il faut aussi renforcer les programmes opérationnels territoriaux visant la maîtrise de la demande en énergie. C’est là un message très fort qui vous est adressé.

Nous autorisant à penser par-delà l’hexagone, nous avons considéré qu’il faut soutenir plus fortement qu’actuellement l’orientation de la politique étrangère de la France vers un accord international équitable. On connaît les difficultés du sujet, en particulier Jean Jouzel et Anne-Marie Ducroux qui est spécialiste des débats internationaux. Nous pensons aussi qu’il faut développer le niveau européen en matière de politique de l’énergie. S’il y a une politique climatique, il n’y a pas de véritable politique commune de l’énergie ambitieuse et solidaire cohérente avec la politique climatique. C’est aussi une recommandation forte que nous faisons au monde politique.

Nous avons également réfléchi au défi du financement. S’il faut maintenir un système de type « quotas ETS », le marché a montré des faiblesses et des ambiguïtés qui nécessitent de le remettre à plat, d’en tirer un bilan objectif. Il faut aussi le doter de véritables règles du jeu de marché, ce qui signifie une forme de contrôle tout en lui laissant sa nature de marché. Nous souhaitons aussi que les politiques s’emparent de cette question.

Autre recommandation importante, le réexamen absolument nécessaire de l’ensemble des mécanismes fiscaux français attachés à l’énergie, à l’aune à la fois de leur efficacité économique, de la justice sociale et de leur cohérence avec la lutte contre le changement climatique. C’est encore un sujet qui mériterait un travail approfondi, parce qu’il y a énormément de choses à dire.

La transition énergétique est un changement important qui va durer longtemps. Il faudra vraiment y associer l’ensemble des acteurs, notamment les citoyens, à travers la formation et la communication. Nous recommandons de s’appuyer, tout au long de la vie, sur une formation aux questions de transition énergétique, d’efficacité et de sobriété. Ce ne sont pas des sujets simples, mais ils concernent chacun dans sa vie quotidienne et au travail et ils méritent d’être expliqués. Il faut s’appuyer sur des réseaux de formation à l’éducation au développement durable et impliquer très largement les ministères concernés. Il nous semble que le ministère de l’éducation nationale est un peu trop absent de ces débats.

M. Bertrand Pancher. Excellent !

Mme Catherine Tissot-Colle, co-rapporteure de l’avis du CESE sur la transition écologique. Le ministère de l’enseignement supérieur doit également y être associé. Il est important de favoriser une approche interdisciplinaire puisqu’il s’agit de sujets complexes qui impliquent de nombreuses disciplines. Il faut également former les personnels enseignants.

Quand notre pays se sera doté de textes de loi, bien que nous sachions la rareté des deniers publics, nous recommandons des campagnes de communication fortes pour expliquer, irriguer les territoires avec ce qui aura été décidé et le partager avec les citoyens.

M. Jean Jouzel, co-rapporteur de l’avis du CESE sur la transition écologique. Le dernier axe de notre travail a trait à la recherche et à l’innovation. Dans la mesure où la transition énergétique est inévitable, ceux qui s’y investiront le plus tôt seront gagnants du point de vue économique, à condition de savoir innover dans ces domaines. Un fort potentiel de recherche et d’innovation doit être mis en œuvre si l’on veut faire de la transition énergétique un levier de compétitivité. Ne pas le faire serait courir à l’échec économique. L’Agence internationale de l’énergie rappelle que toute somme non investie d’ici à 2020 dans les technologies nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique devra être multipliée par quatre après 2020 pour obtenir le même résultat. La transition énergétique n’est donc pas qu’un jeu écologique, c’est aussi un jeu économique. Nous en sortirons plus compétitifs, pour peu que nous sachions innover dans ce domaine, en particulier dans les énergies renouvelables qui prendront une place de plus en plus importante au niveau mondial.

Les recommandations de notre rapport sont assez classiques mais néanmoins importantes : associer recherche fondamentale, recherche appliquée, innovation et développement, autrement dit mobiliser toute la chaîne de valeur dans ces domaines ; favoriser les partenariats pour arriver à de véritables innovations et permettre le passage jusqu’au développement de nouvelles filières. La recherche sur l’énergie, actuellement, n’est pas forcément conforme à cette recommandation. L’ANCRE, l’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie, a bien été mise en place, mais elle n’est pas vraiment organisée pour faire face aux défis des dix ou vingt prochaines années. Dans ce domaine de la recherche en énergie, nous préconisons d’effectuer un état des lieux.

Nous insistons – et nous ne sommes pas les seuls – sur l’importance, dans tous ces travaux, des sciences humaines et sociales, pas seulement des sciences de l’ingénieur. La façon dont on saura intégrer les découvertes et les innovations dans le tissu social a son importance. Or ce n’est pas simple. Il faut réfléchir dès maintenant à la façon de développer des réseaux pluridisciplinaires, de même qu’au mode de financement de ces aspects de recherche et d’innovation. À cet égard, nous avons émis quelques recommandations à observer d’ici à 2020 : réalisation d’un état des lieux et affectation des crédits de recherche en fonction des résultats, pas simplement de façon abstraite par rapport à des objectifs. Bien sûr, il faut trouver des sources de financement. Le marché ETS est censé constituer une voie de soutien à la recherche sur l’énergie en général. Je répète que les recherches en sciences humaines doivent être développées et plus encore intégrées. Cette recherche doit être européenne et nous nous devons d’être présents au niveau européen dans ce domaine de la recherche et de l’innovation.

Nous réitérons notre intérêt à continuer d’explorer et de déployer toutes les pistes de valorisation et de transformation du CO2, y compris le captage et le stockage. On ne voit pas bien comment le fossile réussira à diminuer ses émissions d’un facteur quatre si cette technique ne devient pas mature rapidement. C’est vrai au niveau français comme au niveau international.

Mme Catherine Tissot-Colle, co-rapporteure de l’avis du CESE sur la transition écologique. Le CESE a essayé d’avoir une vision assez large et d’identifier les paramètres essentiels d’une transition énergétique réussie. Sortir de la crise systémique actuelle nécessite de repenser les fondamentaux, c’est un point de vue partagé dans notre assemblée. On doit associer volontarisme et progressivité ; donner un prix au carbone ; permettre l’adaptation de tous les acteurs en n’allant pas trop vite et en accompagnant, mesurant et vérifiant ce qui se passe au niveau de tous les acteurs ; améliorer la gouvernance dans le sens des recommandations que nous avons faites ; faire évoluer en profondeur la fiscalité ; bâtir une véritable Europe de l’énergie ; investir dans la R&D ; développer des filières économiques pérennes.

Nous avons confiance, car notre travail a montré que la société est prête à entendre la nécessité de changer. Des gens qui n’étaient pas proches au début sont prêts à travailler ensemble. En s’appuyant sur un large accord politique et une anticipation sociale, nous vous remercions de prendre en compte nos recommandations.

M. Jean-Yves Caullet. Monsieur Jouzel, je garde le souvenir de notre rencontre à Doha, au cours de laquelle vous m’avez aidé à comprendre que la différence entre + 2 degrés et + 4 degrés pour notre planète équivaut à celle d’une casserole d’eau à 98 ou à 100 degrés : à 98 degrés, la surface est tranquille ; à 100 degrés, elle ne l’est pas du tout. Cela m’a conduit à penser que, compte tenu de l’enjeu du climat, désormais, en matière de transition énergétique, la vertu individuelle et collective est un devoir et sûrement pas un moyen de rachat.

En matière de fiscalité, faut-il s’attacher à l’énergie en général ou au carbone en particulier pour privilégier l’aspect transfert de ressources, ou bien à la sobriété d’abord ?

Vous recommandez de préserver, dans le futur service de l’électricité, la compétitivité de certains secteurs. Est-ce à dire que, dans la transition, il faut réserver prioritairement l’énergie nucléaire aux secteurs électrodépendants pour que son bas coût n’incite pas à une consommation immodérée par l’ensemble de l’économie et de la société, mais soit ciblé vers ceux dont la transition est la plus compliquée ? Ce type de « part du feu » vous paraît-il pertinent ?

En matière de transports, le secteur rural est l’otage historique de la voiture individuelle, il s’est même constitué autour de ce modèle dans les cinquante dernières années. Les efforts que vous recommandez en matière de transports ne rendent-ils pas souhaitable de faire obligation aux collectivités locales, au niveau intercommunal, départemental ou régional, d’organiser des transports de substitution aux véhicules individuels pour éviter qu’une partie de notre territoire et de notre population ne soit prise en otage ?

L’articulation entre l’État et la région est évidemment une nécessité, mais je souhaiterais être certain de la capacité régionale à ne pas dupliquer un centralisme national et à faire en sorte que la capitale régionale ne soit pas l’échelon le plus rapproché du peuple que nous puissions concevoir dans la République.

En matière de gouvernance, vous semble-t-il souhaitable d’officialiser la responsabilité sociale et environnementale au niveau des organismes publics, notamment des organismes d’État et des collectivités locales ?

Je souhaite souligner l’importance de votre proposition en matière de formation. Pour ne citer qu’un exemple relevé dans le cadre d’une de mes missions, dans la filière bois comme matériau de substitution en matière de construction, nous n’avons une formation en structures et calcul de structures que très embryonnaire. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Que pensez-vous de la recherche sur l’hydrogène, pas seulement comme combustible mais comme outil de réduction des émissions de gaz carbonique ?

M. Alain Gest. Lors d’une réunion précédente, notre porte-parole habituel, Martial Saddier, a souligné que notre groupe était tout à fait ouvert à ce que les contacts avec le Conseil économique, social et environnemental puissent se développer. Je me réjouis que ce soit le cas aujourd’hui avec vous, monsieur Jouzel. J’entends avec plaisir votre discours, puisque vous concevez la transition énergétique en la mettant au service de la performance économique. À l’UMP, nous sommes persuadés que les efforts à fournir dans la lutte contre le réchauffement climatique doivent se traduire autant que faire se peut par des mesures n’apparaissant pas comme des punitions permanentes pour la population. Qu’ils doivent se faire en conciliation avec le développement économique et social nous convient donc tout à fait. En vous écoutant, nous ne pouvions donc qu’être en accord avec le constat que vous faites et avec vos recommandations. C’est pourquoi je souhaiterais que vous répondiez à mes questions par un avis personnel plutôt que par les positions du CESE.

Vous avez beaucoup insisté sur la nécessité de garder un coût compétitif de l’électricité tout en privilégiant les énergies renouvelables, ce qui aboutirait à une quasi-autonomie économique. Avez-vous déjà retenu des préférences parmi toutes les énergies possibles que vous avez citées ?

Vous envisagez davantage de transparence sur la contribution au service public de l’électricité ainsi que l’élargissement de son assiette. Pour quelles raisons souhaitez-vous cette transparence ? Avez-vous déjà réfléchi à une méthode d’élargissement de l’assiette ?

S’agissant des transports, quel est votre point de vue sur l’évolution du multimodal dans notre pays ? Aujourd’hui, la SNCF éprouve de grandes difficultés à faire fonctionner le fret ferroviaire, même si le président actuel considère qu’il y a quelques améliorations. Par ailleurs, les décisions concernant le fluvial sont bloquées, s’agissant d’un investissement important comme le canal Seine-Nord.

La diminution de l’utilisation des combustibles fossiles suppose-t-elle de prendre des mesures drastiques de réduction ? Si oui, dans quels domaines ? En passant, monsieur Jouzel, quelle est votre position sur les gaz de schiste ?

Selon l’expérience des débats internationaux que vous avez acquise au sein du GIEC, que peut-on faire de plus pour contrer le laisser-faire au niveau international et faire évoluer les positions diverses ? Avez-vous des raisons d’être optimiste sur les chances qu’ont la France et d’autres pays de n’être plus les seuls à faire des efforts ? Je vous remercie d’avoir cité notre loi de 2005 sur l’énergie et les débats du Grenelle.

M. Bertrand Pancher. N’ayons pas peur des mots : un monde s’effondre. Néanmoins, la construction d’un monde nouveau est vraiment à notre portée, en termes de créations massives d’emplois et d’amélioration de la qualité de vie, à condition de communiquer sur les enjeux, comme vous l’avez indiqué. Si nous réussissons à le faire, nous trouverons les moyens d’assurer la transition énergétique dans de bonnes conditions.

Je suis très frappé de constater que ces moyens sont à notre portée. En matière de transports, nous avons besoin d’à-peu-près 3 milliards d’euros par an pour engager les infrastructures de demain. Demander aux trente millions d’automobilistes cent euros en moyenne – trente pour les petites voitures et trois cents pour les 4 x 4 –, c’est à notre portée. Les usagers contribuent à hauteur de 95 milliards d’euros aux services de transport ; c’est 30 % de moins que la moyenne européenne. En l’augmentant un tout petit peu, on aurait les moyens d’engager les grandes infrastructures de demain fortement créatrices d’emplois. Le constat est le même dans le domaine des énergies renouvelables. Nous payons l’électricité la moins chère du monde. Si Mme Tissot-Colle a raison de dire qu’il ne faut pas l’augmenter, avec une légère augmentation des tarifs pour augmenter très fortement les tarifs de rachat, notre pays serait inondé d’énergies renouvelables. Il n’y a pas de problème de financement à cet égard. Même chose dans le secteur du logement : la construction est tombée à 150 000 unités chaque année, alors qu’il en faudrait 500 à 600 000. Avec un effort sur la TVA, notamment dans l’ancien, on y arrivera. La condition à cela, bien évidemment, est de communiquer sur les enjeux.

Partagez-vous ce constat sur la possible mobilisation des moyens ? Si les domaines par lesquels il faudrait commencer sont bien les transports et le logement, ne faudrait-il pas se préoccuper aussi de la politique énergétique ?

La politique européenne nous déçoit fortement. C’est un monde de fous que celui où le carbone ne vaut plus rien, à peine cinq euros la tonne ! C’est d’autant plus surprenant que, partout dans le monde, on s’engage sur ces marchés du carbone. La politique monétaire de l’Europe est une folie. Si on ne la desserre pas, on ne s’en sortira pas. Or c’est la voie qui permettrait de trouver tous les moyens pour un futur New Deal à l’échelle européenne.

Si nous ne disposions que de très peu de moyens, nous aurions intérêt à les consacrer uniquement à la communication et à la politique de formation. Je partage sans réserve vos préconisations en cette dernière matière. On veut faire de nos enfants des robots de connaissance, pour quoi faire ? Le long terme n’est-il pas la perspective de l’éducation nationale ? N’est-il pas urgent d’engager des campagnes de concertation pour déterminer les priorités ? Si les Français partagent les priorités et les enjeux, on trouvera sans problème les moyens pour cette transition dans le monde de demain que nous souhaitons tous.

M. François-Michel Lambert. Le groupe écologiste est très attentif à vos travaux. Pour nous, la crise, que l’on dit tantôt économique tantôt financière, est bien systémique et trouve son origine dans cet enjeu de l’énergie. La vie, c’est l’énergie, et nombre d’obstacles se dressent entre nous et la transition énergétique. C’est ce qui donne son côté enthousiasmant à cette affaire.

Vous avez parlé d’une gouvernance aux deux niveaux de l’État et de la région. Pour notre part, nous sommes très attachés à la territorialisation : à chaque espace son approche particulière. Le nucléaire est l’exacte antithèse de cette notion de territorialisation, puisqu’à peine vingt sites en France couvrent 80 % de la consommation électrique, ce qui est unique au monde et nous place dans une position de fragilité extraordinaire. Comment s’intégrerait la région dans les nouvelles dynamiques de décentralisation en cours ?

Dans le domaine des transports, on ne s’en sortira pas sans une réelle volonté d’aménagement du territoire. Quelle est votre vision en la matière ?

Avec ma collègue Sophie Rohfritsch, je suis co-rapporteur de la mission d’information sur la biomasse créée au sein de cette commission. Vous le savez, la biomasse – biogaz, bois-énergie et un peu de biocarburants – représentera 60 % des énergies renouvelables de l’objectif 2020, soit plus que le photovoltaïque, l’hydraulique et l’éolien cumulés. Pourtant, elle ne fait l’objet d’aucune communication, alors qu’elle est accessible immédiatement dans tous les territoires. Je n’ose pas parler du ratio de communication entre la biomasse et les gaz de schiste : alors que ces derniers représentent la persistance à s’engager dans l’impasse qui conduit droit dans le mur, ils ont droit à une communication intense à tous les niveaux, la biomasse devant se contenter au mieux d’une sous-communication. Pourquoi n’avons-nous pas encore adopté une communication imprimant une dynamique vers les vraies solutions solides et robustes de l’avenir ?

Selon mes informations, le captage de CO2 est dans une impasse et les industriels sont en train de s’en retirer. Le nucléaire n’est-il pas plutôt un frein à la transition énergétique ? À nos yeux, il représente non pas l’énergie made in France mais l’absence de perspective : son très fort pouvoir de captation de ressources financières agit au détriment des énergies renouvelables ou de la sobriété énergétique ; la perspective de vingt à cinquante ans d’énergie qu’il offre contribue au blocage d’autres initiatives et de la création d’emplois.

La transition énergétique ne nécessite-t-elle pas de revoir en profondeur notre mode de développement économique, par exemple en passant de l’économie linéaire à l’économie circulaire, c’est-à-dire à l’écoconception, l’écofonctionnalité dans laquelle les déchets de calorie et frigorie sont des matières secondaires procurant d’énormes gains énergétiques ?

M. Philippe Martin. Monsieur Jouzel, je pense – hélas ! – qu’il vous faudra gagner encore bien des médailles et des trophées avant que les politiques n’entendent le discours que vous tenez depuis des années. Les travaux du GIEC constituent indéniablement un appui précieux à la décision politique. Malheureusement, celle-ci concerne un horizon plus immédiat que la fin du siècle puisqu’elle ne vise, en général, que la fin des mandats. Si les scénarios du GIEC, qui sont établis pour 2100, sont nécessaires pour tracer une évolution statistique, des prévisions à l’échelle régionale pour les décennies à venir seraient sans doute plus parlantes pour les citoyens et plus utiles pour les responsables politiques que nous sommes. Je conduis actuellement, à la demande du Premier ministre, une mission sur la gestion quantitative de l’eau d’irrigation. Au fil des auditions auxquelles je procède, tant avec les organisations agricoles qu’avec des organismes de recherche comme l’INRA ou le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), je constate combien il serait déterminant de pouvoir appréhender la fréquence des précipitations que vont connaître nos arrière-petits-enfants ou quelles sont les plantes que l’on pourra et devra faire pousser dans le Sud-Ouest dans trente, soixante ou quatre-vingt-dix ans. Pensez-vous possible de disposer, à terme, de prévisions à la fois proches et fiables qui permettront de donner un caractère concret à la situation due au réchauffement climatique ?

M. Jacques Kossowski. Pour réussir sa transition énergétique, notre pays se doit de développer des solutions technologiques et organisationnelles nouvelles. Dans votre rapport, vous insistez avec pertinence sur l’importance de la recherche et du développement made in France. Répondant à cet objectif, notre pays a mis en place plusieurs programmes d’investissement d’avenir concernant notamment l’énergie et le climat. Par exemple, ont été financés à hauteur de 1 milliard d’euros neuf instituts d’excellence sur les énergies décarbonées, qui ont été labellisés en 2011 et 2012. Ces instituts ont pour but d’ancrer durablement ces thématiques au cœur de notre compétitivité économique et de donner à la France un savoir-faire de pointe dans la création d’une économie sans carbone. Quel est votre sentiment sur ce programme ? Son état d’avancement est-il satisfaisant ?

M. Yannick Favennec. Quelle sera la place de la filière bois dans la future politique énergétique de notre pays ? Cette filière contribue directement à la lutte contre le réchauffement climatique et ses atouts sont en phase avec les objectifs et les priorités de la France en matière d’énergie et de lutte contre la précarité énergétique. Aujourd’hui, le bois-énergie domestique permet de répondre à différents enjeux, notamment la réduction d’émission de gaz à effet de serre et la réduction des charges d’énergie qui, bien souvent, représentent une dépense considérable pour les ménages les plus modestes. J’ajoute que cette filière est créatrice d’emplois non délocalisables dans les territoires, près de soixante mille personnes vivant des activités liées à ce secteur. Pourtant, elle ne semble pas suffisamment mobilisée sur ce défi : seuls 40 % de la forêt sont exploités en France, alors que 20 % de plus suffiraient à assurer la matière première nécessaire à la chaleur renouvelable. Quel est l’avis du CESE sur l’avenir de la filière bois en France et sur les mesures qu’il conviendrait de prendre pour mieux la mobiliser ?

M. Philippe Plisson. Votre rapport est très intéressant, riche et exhaustif, mais sans appel quant à la situation et aux perspectives d’avenir. Il évoque logiquement toutes les solutions, par exemple le captage et le stockage du CO2 ou encore le marché du carbone qui procède typiquement de l’adaptation au système productiviste et libéral. Or le marché carbone est un véritable fiasco réglementaire, puisque la Commission européenne se propose de geler 900 millions de tonnes de quotas de CO2, dans l’optique d’une hypothétique relance des prix à la hausse. Cela pose une question fondamentale, que vous ne tranchez pas sur le fond puisque ce n’est pas le but de votre rapport, entre adaptation et évolution. À propos du « monde nouveau » dont parlait notre collègue Bertrand Pancher tout à l’heure, je ne suis pas sûr que nous y mettions le même contenu. Pensez-vous que le nouveau modèle dont vous tracez les contours dans votre rapport soit compatible avec le système libéral qui nous régit ?

M. Charles-Ange Ginesy. Il est indéniable que le réchauffement climatique tend à progresser, puisque les rapports du GIEC prévoient une hausse de quatre degrés en 2050. Croyez-vous véritablement que l’homme, avec sa production et sa consommation énergétiques, est essentiellement responsable de ce réchauffement climatique et de cette tendance ? Sans nier notre part de responsabilité, je ne la pense pas pour autant totale. L’histoire du monde est faite de périodes de réchauffement et de périodes de refroidissement.

Nous avons ici reçu M. Jancovici, selon lequel il n’est point de croissance sans consommation énergétique. Quel est votre avis sur cette théorie dont les conséquences sur la vie de l’homme et la poursuite de son activité sont très importantes ?

M. Jean-Marie Sermier. Monsieur Jouzel, parmi vos nombreuses qualités, celle qui m’étonne le plus est votre sérénité. Vous nous expliquez si tranquillement que notre maison brûle qu’on pourrait en douter. Si une hausse de quatre degrés dans les soixante prochaines années est effectivement un scénario catastrophe pour l’humanité, nous n’avons pas du tout le niveau de réaction adéquat. Au vu de l’état des lieux, que s’est-il passé ces dernières années ? On ne peut pas dire que les énergies renouvelables n’ont pas bénéficié de moyens de recherche aux États-Unis, au Japon ou en France. Il y a des problèmes avec l’éolien, dès qu’il s’agit d’implanter une éolienne ; avec le photovoltaïque, ce sont les métaux lourds ; avec l’hydraulique, c’est la continuité des cours d’eau. Face à ces difficultés, n’y a-t-il pas urgence à travailler sur notre grande compétence qu’est le nucléaire ? Allons-nous nous mettre un boulet aux pieds en refusant de continuer dans cette filière d’excellence, plutôt que de chercher à réduire un par un les risques qui y sont inhérents et à apporter la pierre de la France à l’édifice ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il y a quelque temps, un parlementaire dont je tairais le nom nous indiquait qu’il faudrait très rapidement construire vingt-quatre EPR. S’il y a des candidats dans la salle, je leur donnerai ses coordonnées.

M. Jean-Louis Bricout. Voilà un rapport très intéressant qui nous montre, s’il en était encore besoin, qu’en matière de transition énergétique, demain se prépare dès aujourd’hui. Chacun partage votre analyse selon laquelle les régions correspondent à l’échelon le plus à même de coordonner l’ensemble des efforts. Pourtant, les stratégies doivent se décliner à tous les échelons. Une vision territorialisée me paraît indispensable. Comment imaginer une production au plus près des territoires sans faire intervenir les départements, certainement plus à même de détecter et d’accompagner les publics les plus fragiles ou en situation de précarité énergétique ? Les compétences doivent être redéfinies, vous le dites dans votre rapport, mais pourriez-vous nous détailler la façon dont vous imaginez ce partage des compétences ?

M. Christophe Priou. Notre collègue Philippe Martin s’inquiétait de l’avenir de l’Armagnac dans cent ans : nous serions d’ores et déjà preneurs d’un armagnac de cent ans ! (Sourires). Votre rapport souligne le rôle de l’État en la matière. Je me réjouis de ne pas avoir voté en son temps la fusion GDF-Suez, considérant que l’énergie est une mission régalienne de l’État. On voit même aujourd’hui que c’est un enjeu européen.

Vous choisissez, dans les partenariats avec les collectivités territoriales, la région comme chef de file, mais l’entendez-vous au sens de nos vingt-deux régions administratives ? Souvent, les régions les plus dépendantes en termes d’énergie, par exemple le Grand Ouest qui regroupe au moins la Bretagne et les Pays-de-la-Loire, sont sans doute celles qui ont d’autres filières à exploiter. En l’espèce, dans le domaine maritime, outre l’éolien en mer, d’autres expériences sont menées, comme la courantologie ou la houlométrie. Comment les mettriez-vous en perspective avec votre rapport très général ? On a toujours du mal à dépasser le constat et les pistes pour aller aux solutions du producteur au consommateur, surtout dans le contexte de millefeuille administratif que constituent l’État, la région, le département, les communes et l’intercommunalité. Il y a souvent des pertes de charge entre les préconisations et les réalisations.

Mme Sophie Rohfritsch. À mon tour, je voudrais saluer les préconisations contenues dans ce rapport et insister aussi sur la région en tant qu’échelon territorial le plus pertinent pour établir un calendrier le plus court possible. Je pense faire plaisir à François-Michel Lambert en indiquant qu’un grand élément national perturbe cette organisation régionale : la Commission de régulation de l’énergie, à travers ses interventions et labellisations d’appels d’offre, stérilise et neutralise certains projets régionaux, alors que, concrètement, CRE 1, CRE 2, CRE 3 ou CRE 4 ne sont pas visibles pour nos concitoyens. Elle empêche notamment certains projets de biomasse de voir le jour quand ils ont une échelle plus réduite. Il faudrait organiser cela aussi, sinon on ne pourra pas faire grand-chose sur les territoires.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Le financement de la transition énergétique s’élèverait à un montant annuel compris entre vingt et quarante milliards d’euros, que l’on pourrait dégager en mettant en place une véritable fiscalité écologique, en donnant un prix au carbone. D’aucuns pensent que la fiscalité du diesel doit rattraper le niveau de celle de l’essence sur plusieurs années. Est-ce aussi votre état d’esprit ?

Mme Catherine Tissot-Colle, co-rapporteure de l’avis du CESE sur la transition écologique. Nous vous remercions de la richesse de vos questions. Malheureusement, pour des raisons de temps autant que de légitimité, nous ne saurions répondre à toutes. Ce sont les limites du travail collectif dont nous sommes ici les représentants ; nous ne sommes pas venus à titre d’experts.

S’agissant de la fiscalité, par exemple, nous ne pouvons aller plus loin que les quelques ébauches dessinées dans le rapport. Un avis est en cours au CESE sur la fiscalité écologique et je ne peux que vous inviter à solliciter les rapporteurs, une fois leur travail terminé. Vous nous avez demandé des réponses personnelles. S’agissant du monde des entreprises, je peux vous indiquer que notre réponse générale sur la fiscalité est que cette dernière doit être au maximum équivalente à ce qu’elle est aujourd’hui, c’est-à-dire déjà très élevée. Qu’on opère par transferts, par modification de type de fiscalité, par moindre taxation du travail ou par d’autres modes, nous sommes tout à fait prêts à en discuter. En tout état de cause, il ne peut pas y avoir de supplément.

Beaucoup de questions concernent les aspects territoriaux. Nous avons fait une recommandation sur la région après qu’un débat sur la territorialisation maximale a montré que small is beautiful n’est pas forcément vrai. Il ne s’agit certainement pas de tuer toutes les initiatives qui pourraient être prises en dessous de l’échelon régional. Bien entendu, il y a place pour des ajustements, mais n’ayant pas travaillé dessus, nous ne pouvons rien vous en dire. C’est à la définition de niveaux structurants que nous nous sommes attachés. Recoiffant ma casquette du monde des entreprises, je peux dire que celles-ci attendent d’avoir de la lisibilité au regard des investissements, surtout pour ceux qui ne concerneront pas seulement un petit producteur en rapport direct avec le consommateur dans un rayon de cinq kilomètres. C’est pourquoi il faut absolument définir les bons échelons et ce travail d’approfondissement vous revient à vous, législateurs. Si, sur certains aspects de ce sujet, l’avis du CESE vous intéresse, n’hésitez pas à le saisir.

Que les vingt-deux régions ne ressemblent pas à vingt-deux États, c’est un souci que l’on peut partager. Les présidents des CESER, qui sont des CESE régionaux, devant lesquels nous avons présenté le résultat de nos travaux, ont montré un grand intérêt et un esprit extrêmement pragmatique. L’orientation économique et sociale, notamment, leur a immédiatement parlé.

Officialiser la responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans les organismes publics ? L’idée est, à mon avis, excellente. Les entreprises le font, il serait normal que les autres acteurs le fassent aussi.

La formation semble vous importer autant qu’à nous. Nous ne pouvons pas répondre à toutes vos questions relatives aux différentes technologies. Nos débats internes au CESE ont montré que certains avaient des idées très arrêtées, tandis que d’autres voulaient protéger l’existant. Plutôt que rédiger un catalogue de recommandations, nous avons préféré préconiser de privilégier les technologies matures – ce qui n’interdit pas la R&D –, afin de réduire au maximum le coût économique de la transition pour les finances publiques et les citoyens. Pour cela, il faut pouvoir créer des entreprises, des entités économiques qui gagnent suffisamment d’argent pour produire sans être dépendantes de l’État ou des collectivités. Quant à savoir si ces entreprises doivent évoluer dans un système libéral ou autre, là n’est pas le débat, même si je pense que ce doit être le cas.

M. Jean Jouzel, co-rapporteur de l’avis du CESE sur la transition écologique. J’ai participé à la commission Rocard et je regrette vraiment que la contribution énergie-climat n’ait pas été réellement actée à l’époque. Nous n’en serions pas là aujourd’hui et j’y suis vraiment attaché. Si on ne donne pas un prix au carbone, le piégeage et le stockage du gaz carbonique ne seront jamais compétitifs, puisqu’ils coûtent de l’argent sans rien rapporter. Ce qui me rend optimiste, c’est le rapport du GIEC qui montre que la transition est techniquement possible, que nous ne sommes pas obligés de rester accrochés aux combustibles fossiles. Techniquement, nous pouvons développer, au plan mondial, une économie sur les renouvelables. Le rapport dit clairement qu’en 2050, 50 % de l’énergie mondiale, électricité et chaleur, pourraient provenir de sources renouvelables. Mon avis personnel est qu’il faut, en plus, aller vers la sobriété et l’efficacité, car si l’on ne couvre pas l’ensemble des champs énergétiques, on n’y arrivera jamais. C’est parce que nous n’avons pas su faire cela que nous avons, en France, des consommations de pointe équivalentes à la consommation de la moitié de l’Europe, ce qui est ahurissant. Ce qui l’est plus encore, c’est que nous sommes en train de construire notre système énergétique sur cette base que nous avons nous-mêmes créée.

La recherche sur l’hydrogène, avec la méthanation, offre beaucoup d’ouvertures. Je suis aussi très sensible à la biomasse, sans doute en raison de mes origines bretonnes, ainsi qu’à toutes les énergies marines. Cela dit, les énergies matures dont nous parlons sont, pour le moment, l’éolien terrestre et le photovoltaïque. L’éolien en mer reste cher, mais on sait qu’on n’atteindra pas nos objectifs d’énergies renouvelables en 2020 sans développer l’éolien, terrestre comme marin.

Nous avons parlé du gaz de schiste plutôt en creux, disant que nous étions favorables à un effort de recherche dans tous les domaines, sans limitation. La discussion sur le sujet a été assez rude, car le gaz de schiste n’est pas un gaz naturel et il pose beaucoup de problèmes environnementaux. Je pense que le débat national actuel en traitera. En tout cas, il faut savoir qu’en cas de fuite, le gain par rapport au gaz naturel, au pétrole et au charbon serait totalement perdu.

Vous voulez connaître ma position personnelle sur le nucléaire. D’abord, travaillant au CEA depuis quarante-cinq ans, je ne suis pas un antinucléaire convaincu. Mais je suis aussi de ceux qui pensent qu’on doit accentuer le développement des énergies renouvelables et ne pas commettre l’erreur de mettre toutes les disponibilités en R&D sur le nucléaire. En 2050, quand 50 % de l’énergie mondiale seront issus de sources renouvelables, le nucléaire n’en représentera que 6 % au maximum. Si nous ne savons pas acquérir, comme est en train de le faire l’Allemagne, des compétences – y compris à l’exportation – dans le domaine des énergies renouvelables, nous aurons encore raté une marche de compétitivité. Il faut donc réserver une part de notre effort de recherche aux hydroliennes, aux énergies marines et autres. Ensuite, toutes les questions que suscite le nucléaire sont légitimes, tant celles touchant au coût que celles liées aux risques. Gardons en tête que, dans les vingt ou trente ans, tout accident nucléaire, par exemple dans une vieille centrale d’un pays de l’Est, signera la fin du nucléaire. C’est pourquoi je suis d’accord avec l’invitation que nous lançons à un débat ouvert et serein sur cette énergie. Si j’ai toute confiance et que la sécurité ne me pose pas de problème, je m’intéresse également de près au développement des énergies renouvelables. Je ne tiens pas à opposer les deux. Il y a beaucoup à faire, par exemple en matière de recherche sur les biocarburants de deuxième génération.

Le GIEC se soucie de la demande des décideurs politiques de projections à échéance relativement brève, de quelques décennies, et très régionalisées. Dans le cinquième rapport du GIEC, qui sortira en septembre, le chapitre « Projections » est scindé en une partie « Projections à court terme », plus régionalisées et avec beaucoup de cartes, et une partie « Projections à long terme », d’ici aux trois prochaines décennies et au-delà. Le groupe II s’est aussi scindé en deux gros ouvrages, dont l’un est réellement consacré aux aspects régionaux des impacts et de l’adaptation. L’inconvénient est que cette réduction d’échelle de temps et d’espace rend les projections scientifiques moins précises. Elle a donc ses limites. Si l’on a besoin de projections pour comprendre à quoi on doit s’adapter, encore faut-il s’y préparer. Je me suis engagé avec Dominique Meyer dans un rapport sur l’adaptation au réchauffement climatique, pas du tout pour remettre en cause le plan national d’adaptation dans lequel je me suis moi-même beaucoup investi, mais plutôt pour voir s’il se met en place correctement. L’adaptation doit être menée de front avec la lutte contre le réchauffement climatique. C’est ainsi que, dans le pourtour méditerranéen, il faudra se préparer non seulement au réchauffement, mais aussi à un problème de ressource en eau. Cela dit, il ne faut pas attendre trop de nous. On arrive à décliner quelques caractéristiques régionales qui rendent les problèmes du sud de la France distincts de ceux du Nord ou des régions montagneuses ou côtières, mais on n’ira jamais au-delà de ce que l’on sait.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il me reste à vous remercier sincèrement et chaleureusement pour la qualité de votre présentation et des échanges auxquels elle a donné lieu. La réunion de ce matin a montré combien méritait d’être tenu et poursuivi l’engagement que j’ai pris de collaboration avec le Conseil économique, social et environnemental. C’est grâce à de tels échanges que notre réflexion progressera et que nous deviendrons, nous, responsables politiques, plus efficaces demain.

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IX.— TABLE RONDE : LES INFRASTRUCTURES DE RÉSEAUX DANS LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

Le mardi 23 avril 2013, la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur les infrastructures de réseaux dans la transition énergétique, avec la participation de M. Philippe Boucly, directeur général de GRTgaz, M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de Transport d’Électricité (RTE), Mme Monique Delamare, directrice générale de Transport et Infrastructures Gaz France (TIGF), Mme Michèle Bellon, présidente du directoire de Électricité Réseau Distribution de France (ERDF), Mme Sandra Lagumina, directeur général de Gaz réseau Distribution de France (GrDF), M. Martial Saddier, président et M. Guillaume Tabourdeau, délégué général de l’Association nationale des régies de services publics et des organismes constitués par les collectivités locales (ANROC), et M. Guillaume Garros, directeur des ventes et marketing, Itron.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La commission du développement durable a décidé d’organiser différentes tables rondes sur la question de la transition énergétique, afin de préparer son travail sur un projet de loi qui nous sera bientôt soumis. Aujourd’hui, nous recevons les acteurs spécialistes des réseaux de transport et de mécanismes de distribution. Je cède sans tarder la parole à nos invités, que je remercie de leur présence.

M. Philippe Boucly, directeur général de GRTgaz. GRTgaz est une entreprise jeune, créée en 2005. Elle assure le transport du gaz naturel sur les trois quarts du territoire métropolitain, le quart restant étant couvert par TIGF. Le réseau exploité s’étend sur 32 000 kilomètres : c’est le plus long d’Europe. Nous employons 3 100 salariés pour un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros. Nous avons aujourd’hui une centaine de clients expéditeurs, c’est-à-dire d’utilisateurs du réseau de transport. Nous livrons le gaz à seize clients distributeurs : GrDF est évidemment le plus important, les autres sont des entreprises locales de distribution. Près de 900 clients industriels sont également reliés directement au réseau de transport.

Le système mis en place depuis 2005 a permis la création d’un marché de gros efficace du gaz naturel. D’après la Commission de régulation de l’énergie (CRE), 83 % des sites industriels raccordés au réseau, ce qui représente 99 % de la consommation, ont choisi de faire appel à des offres de marché pour leur approvisionnement en gaz.

Les réseaux de transport haute pression sont les vecteurs majeurs de la transition énergétique. Le « système gaz », c’est-à-dire l’association du gaz naturel et du réseau de transport, est déjà le complément indispensable des énergies renouvelables, amenées à se développer mais par nature intermittentes.

Dès à présent, nous alimentons treize cycles combinés à gaz pour une puissance de 5,4 gigawatts, c’est-à-dire l’équivalence de trois réacteurs EPR. Nous déplorons l’arrêt de certains projets et la mise sous cocon de plusieurs unités : cela est bien sûr dû à la baisse des prix de la tonne de charbon, ainsi qu’à l’effondrement de la tonne de CO2.

Nous préparons dès aujourd’hui l’injection de biométhane, c’est-à-dire de gaz renouvelable, directement dans notre réseau : à ce jour, nous avons signé dix conventions d’étude et nous encourageons le développement du biométhane notamment par la mise en ligne, sur notre site, de Réso’Vert, carte interactive qui permet à chacun de se localiser par rapport au réseau. L’injection de biogaz dans le réseau devrait être possible dès 2014.

Demain, l’électricité excédentaire sera stockée grâce à l’hydrogène et injectée directement dans notre réseau de transport. Nous avons réalisé une étude qui montre que le réseau de transport offre une solution de stockage massif de l’électricité excédentaire, d’origine éolienne ou photovoltaïque, après sa conversion en hydrogène par électrolyse.

Après-demain, nous envisageons le transport de gaz de synthèse, obtenu par recombinaison chimique de l’hydrogène et du gaz carbonique capté, ou encore le transport de biométhane par gazéification de la biomasse. Nous venons d’achever une étude qui montre que le potentiel de production de biométhane et de gaz de synthèse peut être évalué à 220 térawattheures, à comparer à une consommation actuelle de gaz naturel en France de 520 térawattheures, hors procédés utilisant les micro-algues et production à partir de cultures dédiées. Cette étude montre que, avec une subvention de l’ordre de 5 milliards d’euros, c’est-à-dire de l’ordre de grandeur de celle accordée aux énergies renouvelables d’origine électrique d’ici 2017, on pourrait développer 150 térawattheures de biogaz à l’horizon 2050.

La transition énergétique devra nécessairement s’appuyer sur des réseaux fiables, puissants, intelligents. Notre société investit beaucoup, pour assurer la sécurité de l’approvisionnement en France, pour permettre une mutualisation des moyens, pour faciliter l’accès à des sources diversifiées et fluidifier le transit sur le réseau, pour assurer l’équilibrage. Bref, il s’agit de faire vivre la solidarité énergétique entre les territoires et la continuité de l’alimentation, et donc de permettre la péréquation tarifaire entre les régions. Pour ce faire, nous avons absolument besoin d’une visibilité à long terme – cinquante ans plutôt que dix.

Pour la période 2009-2012, nos investissements s’élevaient environ à 2,5 milliards d’euros, et, pour la période 2013-2016, nous prévoyons d’investir 3,2 milliards d’euros.

L’évolution du transport de gaz ne saurait se concevoir qu’à l’échelle européenne. GRTgaz possède déjà deux filiales, l’une en Allemagne et l’autre en Autriche ; nous travaillons au renforcement des interconnexions avec les pays voisins. L’objectif de la Commission européenne est que l’Europe dispose d’un grand marché du gaz naturel, intégré et solidaire : nous nous inscrivons pleinement dans cette perspective. Nous sommes impliqués dans la création d’une Europe de l’énergie : nous avons contribué activement à la mise en place d’une plateforme (PRISMA) de réservation de capacités entre un grand nombre de transporteurs européens : elle est opérationnelle depuis le 1er avril. Enfin, je me rends demain à Bruxelles : GRTgaz et un opérateur suédois vont rejoindre trois autres opérateurs européens pour manifester notre intention d’accueillir sur nos réseaux 100 % de gaz décarboné à l’horizon 2050.

M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE). L’ouverture à la concurrence du transport d’électricité, facilité essentielle, n’a pas paru pertinente – je souhaiterais d’ailleurs bien du plaisir à un concurrent qui voudrait développer un nouveau réseau d’électricité. RTE est donc chargé du transport de l’électricité, c’est-à-dire de son acheminement entre grands producteurs et grands consommateurs ; nous alimentons également, bien sûr, les postes de distribution. Au total, nous gérons 100 000 kilomètres de réseau, dont un quart est constitué de lignes à 400 000 volts, visibles, qui ne sont pas toujours du goût de tout le monde.

Juridiquement, nous sommes une filiale à 100 % d’EDF, mais avec des conditions tout à fait particulières et dérogatoires au code des sociétés : notre actionnaire ne fixe ni nos tarifs ni nos investissements – c’est le régulateur qui le fait. Nous suivons des codes de bonne conduite, et nous avons à demeure un contrôleur général de la conformité, qui veille au respect de nos obligations d’indépendance et de neutralité à l’égard de notre actionnaire.

Nous sommes chargés de construire, d’entretenir et de développer le réseau, missions pour lesquelles nous avons les compétences et les moyens – nous n’avons pas connu les affres du secteur ferroviaire. Le régime est celui d’une concession d’État : nous sommes propriétaires du réseau.

Nos ressources viennent de péages, acquittés par les « soutireurs » : c’est une sorte de système de timbre-poste inversé, où ce n’est pas l’émetteur qui paie mais le destinataire. Ces tarifs sont établis par le régulateur ; un nouveau tarif devrait être fixé prochainement pour les trois ans à venir. Notre chiffre d’affaires est de 4 milliards d’euros. La part du coût du transport dans la facture du consommateur domestique est de l’ordre de 8 %, chiffre qui devrait rester stable.

Nous sommes également responsables de l’équilibre fin entre l’offre et la demande, puisque l’électricité se stocke aujourd’hui difficilement. Les producteurs sont censés fournir au réseau autant d’énergie électrique que les clients sont supposés en consommer. Mais même s’ils sont de bonne foi et excellents prévisionnistes, les changements de température ou les aléas de l’activité peuvent faire naître des écarts. Nous sommes donc chargés du réajustement instantané, en mobilisant ou, au contraire, en suspendant des moyens de production. Nous sommes enfin chargés de gérer les interconnexions avec les pays voisins.

À l’avenir, alors que la consommation d’électricité est stable, nous devrons investir davantage : en effet, un réseau relie des moyens de production et des consommateurs ; or, si la consommation évolue peu, la production – sous l’effet de la transition énergétique – va changer, et les nouveaux lieux de productions d’électricité n’ont aucune raison de coïncider avec les lieux historiques. On construira des éoliennes où il y a du vent, non où existe une centrale thermique !

Malheureusement, on observe une discordance entre les délais de développement des nouvelles sources de production – notamment pour les énergies renouvelables – et les délais de développement du réseau. Ainsi, en Allemagne, en 2009 et en 2010, 7 gigawatts de panneaux solaires photovoltaïques ont été, chaque année, connectés au réseau de distribution, et ont aussi alimenté les réseaux de transport. En Italie, en une seule année, 9 gigawatts ont été connectés au réseau ! Or il nous aura fallu dix ans pour installer, en Normandie, un réseau de 2 gigawatts, quand certains pays qui, comme le Danemark, n’ont pas la réputation de ne pas prendre en considération l’opinion de leurs concitoyens ou les questions environnementales, arrivent à construire de grands ouvrages en trois à quatre ans.

Si nous négligeons cette question, le réseau électrique risque de ne pas être au rendez-vous de la transition énergétique. C’est d’ailleurs la situation que connaissent nos voisins allemands ou espagnols. Cela aboutit à des dysfonctionnements du marché : des excédents de production locale ont pour conséquence des prix négatifs de l’électricité. Cela peut paraître intéressant pour le consommateur, mais je ne suis pas sûr que ce soit arrivé jusqu’à lui ; c’est surtout un signal désastreux pour les investisseurs et les opérateurs.

Mme Monique Delamare, directrice générale de Transport et Infrastructures Gaz France (TIGF). TIGF est le deuxième transporteur français de gaz après GRTgaz. Nous sommes une entreprise de 500 personnes, connue dans le sud-ouest depuis plus de soixante ans. Nous gérons un réseau de transport de 5 000 kilomètres, mais aussi un stockage de gaz souterrain, qui représente près du quart des capacités de stockage en France. Notre assise régionale est forte puisque nous disposons de 500 points de livraison pour la distribution du gaz aux consommateurs locaux et aux industriels.

TIGF veut être un acteur de la transition énergétique, et nous croyons que toutes les énergies ont leur place dans cette transition : la croissance des sources renouvelables, par définition intermittentes, oblige à créer de fortes synergies avec les énergies traditionnelles. Le gaz est une énergie primaire, qui ne nécessite aucune transformation avant d’être livrée au consommateur final. Il est disponible et contribue à la sécurité de notre approvisionnement énergétique – les réserves mondiales représentent, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), plus de 250 ans de consommation, et la France dispose d’un approvisionnement sûr et diversifié, ainsi que d’infrastructures de réseau et de stockage souterrain sûres et propres à répondre aux besoins dans les circonstances climatiques les plus rudes. Enfin, le gaz est propre : sa combustion émet moins de CO2 que celle des autres combustibles fossiles, ne rejette aucune particule dans l’air et ne produit aucun déchet. Les infrastructures gazières, enterrées, s’insèrent discrètement dans le paysage.

L’avenir est aux initiatives locales, et nous participons pleinement à ce mouvement. Notre réseau régional irrigue le tissu résidentiel et industriel et accompagne la montée en puissance du biogaz : le biométhane, énergie renouvelable, est miscible à 100 % dans le gaz naturel. TIGF accompagne directement des dossiers de production de biogaz pour une injection directe dans nos réseaux : nous instruisons aujourd’hui vingt-cinq projets, dont deux devraient aboutir dès 2014.

À plus long terme, la gazéification de la biomasse sèche – bois ou paille –, la méthanisation de la biomasse issue de la production industrielle de micro-algues et la production d’hydrogène issue de l’électricité excédentaire d’origine renouvelable permettront d’obtenir des quantités additionnelles de gaz vert, stockables et utilisables sur les réseaux existants.

L’avenir est aussi au développement du gaz en Europe : TIGF développe des ouvrages d’interconnexion avec d’autres pays, ce à quoi invitaient fortement les dernières directives européennes. Cela permet d’accroître encore la disponibilité de l’énergie, exigée par le consommateur final.

De meilleurs standards de sécurité, une disponibilité constante du gaz même en période critique de grand froid, de fortes synergies entre les infrastructures de stockage et les infrastructures de transport, d’importants travaux de développement de réseaux entre la France et l’Espagne et une très bonne intégration environnementale par l’adaptation de nos tracés : tels sont nos projets.

Les transporteurs de gaz comme TIGF, expérimentés et reconnus, seront indispensables à la transition énergétique, et entendent y participer pleinement. Le gaz naturel est une énergie fiable, économique, maîtrisée et implantée au plus près du consommateur résidentiel ou industriel : il pourra accompagner sereinement la montée en puissance des énergies renouvelables. L’émergence imminente de la production de biogaz permettra aussi à TIGF de soutenir le succès de la transition énergétique : le biogaz pourrait ainsi prendre une part significative dans le bouquet énergétique de demain, particulièrement dans des zones de forte activité agroalimentaire comme le sud-ouest. TIGF est enfin volontaire pour soutenir des projets de recherches sur l’injection d’hydrogène dans les réseaux de gaz naturel.

Mme Michèle Bellon, présidente du directoire d’Électricité Réseau Distribution France (ERDF). ERDF est au service de l’ensemble des territoires et de leurs habitants. Nous assurons des missions de service public : la gestion et le développement d’un réseau de distribution long de 1,3 million de kilomètres, en moyenne et basse tension, c’est-à-dire en aval du réseau de transport dont il a été question tout à l’heure.

Nous avons 35 millions de clients ; notre chiffre d’affaires s’élève à 13 milliards d’euros, dont 4 milliards sont reversés à RTE, puisque c’est nous qui collectons le tarif d’acheminement. Si nous desservons 95 % du territoire, nous travaillons au quotidien avec les entreprises locales de distribution (ELD) prévues par la loi depuis 1946 : si les réseaux appartiennent aux collectivités locales, ERDF en est à la fois le gestionnaire et le concessionnaire.

Pour nous, la transition énergétique est un défi quotidien. Nos 35 000 salariés, répartis sur plus de 1 000 implantations, interviennent de façon permanente, conformément à nos missions de service public. De la reconstruction du pays après la guerre au changement du plan de tension et à la mise en place du « compteur bleu », qui a permis le développement de l’électroménager, du développement de l’électronique – qui accroît l’exigence de qualité d’électricité – à l’urbanisation de notre territoire, notre entreprise a accompagné toutes les évolutions de la société française. EDF, puis ERDF à partir de sa création en 2008 comme filiale à 100 % d’EDF, ont permis à la France de bénéficier d’un prix de l’électricité parmi les plus bas d’Europe, avec une bonne qualité moyenne : selon la Cour des comptes, nous bénéficions du meilleur rapport qualité-prix sur le continent. La péréquation tarifaire est totale, ce qui n’allait pas de soi au vu des difficultés techniques pour approvisionner certains territoires – elle n’a d’ailleurs été mise en place qu’en 1959.

Aujourd’hui, la transition énergétique fait partie intégrante de notre projet d’entreprise. Pour réussir, il nous faudra resserrer nos liens avec tous les échelons de collectivités territoriales : j’ai d’ailleurs, dans ce dessein, réorganisé ERDF en créant vingt-cinq directions régionales.

EDF remplit son rôle de service public de l’électricité en accompagnant clairement et volontairement le développement des énergies renouvelables : cela n’a pas été facile, car, en quelques mois, nous avons accueilli 10 gigawatts, soit l’équivalent de dix tranches nucléaires, sur un réseau de distribution qui n’a pas été conçu pour cela. Plus de 270 000 installations de production – photovoltaïque et éolienne – sont aujourd’hui connectées, et 95 % d’entre elles sont raccordées au réseau de distribution moyenne et basse tension. Notre réseau est arborescent : il partait des grandes centrales de production pour aller, par des ramifications de plus en plus fines, jusqu’au consommateur final ; aujourd’hui, le développement des énergies renouvelables se fait sur les territoires, là où le réseau est en plus basse tension. À l’horizon 2020, nous devrions investir entre 40 et 45 milliards d’euros.

On pourrait imaginer que le développement des énergies renouvelables signifierait un moindre appel aux réseaux. Il n’en est rien : les énergies renouvelables sont intermittentes, et leur géographie est rarement celle des lieux de consommation. Elles sont, certes, réparties, mais surtout localisées là où existe une énergie primaire suffisante – soleil au sud, vent au nord et à l’ouest –, mais aussi un foncier accessible. Le développement du photovoltaïque en est la parfaite illustration : il se fait où le coût du terrain permet d’optimiser la rentabilité du projet, ce qui oblige à développer des réseaux au milieu de nulle part. Les projets qui seraient les plus utiles au système électrique, et donc à la collectivité nationale, sont situés au plus près des lieux de consommation, mais ce n’est pas toujours là que l’on trouve le foncier disponible : le développement de ces projets est plus long.

Sans doute pourrait-on prévoir, dans la loi sur la transition énergétique, un caractère d’intérêt général compatible avec les règles européennes pour des projets d’énergies renouvelables en milieu urbain, souvent d’ailleurs portés par les collectivités locales : ce serait une véritable avancée.

Si nous voulons être collectivement plus efficaces, nous devons trouver des lieux de concertation, d’échange et d’arbitrage sur les investissements, afin que l’évolution du bouquet énergétique national se fasse de façon pragmatique et supportable économiquement. ERDF souhaite renforcer ses liens avec les associations professionnelles, les filières industrielles et les collectivités locales. Les exemples de l’Allemagne et de l’Espagne doivent nous inciter à revenir à une forme de planification, de programmation pluriannuelle des investissements, transparente et contrôlable.

Plus d’énergies renouvelables, c’est plus de réseaux et plus intelligents : il faut en permanence gérer l’intermittence de ces énergies et assurer la sécurité du système électrique. Si nous n’y prenons pas garde, les réseaux risquent d’être demain un obstacle à une transition énergétique réussie.

Nous voulons aussi renforcer la solidarité entre les territoires et lutter contre la précarité énergétique. ERDF est, je l’ai dit, très attachée au maintien de la péréquation tarifaire, et celle-ci est liée au maintien du monopole historique national, ce qu’explique la Cour des comptes dans son dernier rapport public : la péréquation est un facteur essentiel de solidarité entre les territoires. Certes, nous gérons la distribution dans le cadre de contrats de concession avec les autorités organisatrices de la distribution, mais ce sont des contrats particuliers : ils ne portent pas sur le prix, fixé nationalement par le régulateur ; les limites administratives de ces concessions sont, de plus, variables. Il y a trois ans, plus de 1 200 contrats de concession étaient conclus ; aujourd’hui, il n’y en a que 600, sans que le service rendu aux clients en ait été modifié.

Nous voyons monter la précarité énergétique : il faut imaginer de nouvelles solidarités ; un dispositif de dernier recours permettrait aux plus fragiles de ne pas être privés d’électricité. Je veux toutefois préciser qu’il n’y a pas de lien direct entre précarité énergétique et chauffage électrique de base. Les formes de précarité sont multiples : les populations les plus fragiles sont les personnes âgées qui occupent de grands logements dont elles sont propriétaires, d’une part, et les familles monoparentales logées dans le parc locatif privé, d’autre part. Il faut, comme par le passé, adapter nos réponses à l’évolution de la société : nous sommes prêts à accompagner vos réflexions.

Notre mission est enfin d’innover en permanence et de soutenir les filières industrielles françaises. Nous avons, depuis une dizaine d’années, développé les automates et les réseaux intelligents : trente et une agences de conduite pilotent l’ensemble du réseau en moyenne tension ; demain, nous devrons conduire le réseau en basse tension, et c’est à cela que serviront les compteurs communicants, qui accroîtront la stabilité et l’efficacité du réseau et permettront d’intégrer les énergies renouvelables, tout en donnant un rôle actif au consommateur. Nous nous préparons également à la croissance des véhicules électriques. Notre programme d’investissement, supérieur à 3 milliards d’euros annuels, crée de nombreux emplois ; nous accompagnons les investissements des collectivités locales, à hauteur de 750 millions.

S’il fallait résumer notre mission en deux mots, je dirais : servir et innover.

Mme Sandra Lagumina, directrice générale de Gaz réseau Distribution France (GrDF). GrDF a la conviction que le réseau de distribution de gaz est l’un des vecteurs essentiels de la mise en œuvre de la transition énergétique.

Notre réseau de gaz naturel est le plus étendu d’Europe : près de 200 000 kilomètres courant sur tout le territoire, 80 % de la population française raccordée, 11 millions de clients et 9 600 communes. Nous sommes très attachés à ce lien avec les communes.

Ce réseau a une importante capacité d’absorption. Il permet notamment, dès aujourd’hui, de mettre en place des interactions entre réseaux et énergies : soutien au réseau de distribution électrique par la production décentralisée de gaz, ou encore la récupération de la chaleur résiduelle sur les réseaux d’eaux usées. La complémentarité entre les réseaux électrique et gazier est réelle et permet d’intégrer les variations de production d’énergies renouvelables. Ainsi, nous sommes associés au pacte électrique breton, que vous connaissez certainement.

Le réseau de gaz naturel permet aussi une complémentarité dans les usages avec d’autres énergies. Notre ambition est de répondre aux attentes de nos clients, qui veulent des technologies performantes et éco-efficaces. La diversité des solutions proposées, bien plus innovantes que ce que l’on imaginait, permet au gaz naturel de se combiner avec certaines énergies renouvelables. Il y a une filière industrielle qui innove en fabriquant des chaudières hybrides, par exemple. Plus généralement, nous apportons notre savoir-faire à des projets locaux : c’est le cas des éco-quartiers de La Courrouze à Rennes. Toutes ces complémentarités existent d’ores et déjà ; la transition énergétique est l’occasion d’aller plus loin.

Nous avons, nous aussi, à relever le défi d’arriver à introduire le gaz vert dans nos réseaux : le biométhane se développe considérablement ; c’est pour nous une deuxième transition énergétique gazière. Là encore, cela se vérifie sur le terrain, à Sedequin, dans le Nord, ou avec l’usine de méthanisation de Morsbach. Nous soutenons 350 projets autour du biométhane. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) croit à l’avenir des gaz verts, puisqu’elle estime qu’ils représenteront 14 % de la consommation de gaz en 2030, et 56 % en 2050. La transition énergétique permet également l’usage du biométhane comme carburant. Notre filière se met en route et peut agir sur la qualité de l’air des villes : nous en avons des exemples dans le domaine du transport collectif.

Nous développons enfin les réseaux intelligents. Nos salariés ont choisi le nom de Gazpar pour notre compteur communicant : il permettra aux consommateurs d’être mieux informés afin d’optimiser leur consommation de gaz, mais aussi aux collectivités et aux gestionnaires de parc d’avoir accès à des données agrégées afin de mieux définir, par exemple, les politiques de rénovation. Comme vous le savez, nous sommes actuellement en phase de concertation ; nous espérons rapidement déployer ce compteur auprès de nos 11 millions de clients. Le cadre réglementaire devrait être en place avant l’été.

Le réseau de distribution de gaz naturel est donc déjà un acteur engagé de la transition énergétique : appui aux solutions décentralisées, optimisation des réseaux et complémentarité entre réseaux, innovation verte. Cela fait partie de nos missions de service public ; c’est aussi une occasion de développement de notre entreprise. Dans notre tradition de dialogue pragmatique et d’ancrage territorial, nous écoutons nos interlocuteurs pour concilier l’optimisation des schémas nationaux et la souplesse des modèles locaux, le tout à un coût maîtrisé et dans des conditions techniques sûres.

M. Martial Saddier, président de l’Association nationale des régies des services publics et des organismes constitués par les collectivités locales (ANROC). Je tiens tout particulièrement à remercier de son invitation le président de la commission. L’ANROC est une association loi de 1901, que je préside depuis trois ans : la ville dont je suis maire, Bonneville, est sous régime de distribution locale d’électricité depuis 1911. Il n’est pas inutile, par les temps qui courent, de préciser que cette présidence est totalement bénévole ; je n’en retire aucun avantage.

Si cette association est présidée par un élu, c’est que, dès son origine, le système énergétique français a placé les élus et les communes au cœur du débat. La loi du 15 juin 2006 a confié les gestions des réseaux aux collectivités locales. Les entreprises locales de distribution (ELD), anciennement appelées distributeurs non nationalisés, sont nées au XIXe siècle pour le gaz, au XXe siècle pour l’électricité ; elles sont surtout présentes à l’est de la France car les initiatives locales étaient souvent liées à l’hydroélectricité. Leur existence a été sacralisée par la loi fondatrice instituant un grand service public national de distribution d’électricité, en 1946 : les ELD ont été reconnues et figées en leur périmètre existant, le législateur s’assurant qu’elles soient dirigées par des élus.

Nous bénéficions du monopole de distribution dans notre zone de desserte, mais certains de nos clients – notamment ceux opérant dans plusieurs sites – sont éligibles à la fourniture d’électricité en dehors de notre périmètre. Seule évolution constatée depuis 1946, les ELD, qui ne distribuaient que de l’électricité, ont progressivement fourni du gaz, et certaines d’entre elles s’orientent dorénavant vers les nouvelles technologies – fibre optique, distribution d’énergie pour véhicules propres –, mais toujours à l’intérieur de leur zone de desserte. Dans tous ces domaines, nous offrons aux citoyens un guichet unique d’information et la qualité d’un service assuré par un opérateur unique. La loi de 1946 ne fut modifiée qu’à une reprise, pour permettre aux communes fusionnées d’harmoniser la distribution dans leur nouveau territoire.

Les ELD – 150 entreprises ayant de 100 à plus de 400 000 clients – couvrent environ 5 % de la consommation nationale avec 1,8 million d’utilisateurs et 3,8 millions d’habitants répartis dans 2 800 communes. Elles emploient un peu plus de 5 000 salariés.

Nous nous inscrivons dans le modèle national des réseaux disposant du monopole de distribution. Ceux-ci structurent le système électrique français, garantissent l’alimentation et assurent une appréhension cohérente des enjeux européens. Nous nous fondons sur les deux grands principes d’engagement local – qui a émergé à l’époque de l’électrification – et de monopole – issu de la loi de 1946. Le principe de la péréquation tarifaire s’avère fondamental pour les ELD, souvent situées dans des territoires à faible densité. Sans péréquation, le prix du timbre varierait d’une région à l’autre, et les zones rurales, montagnardes et littorales – qui, pour les plus touristiques d’entre elles, connaissent une forte variation saisonnière de leur population – ne bénéficieraient plus du même tarif d’électricité.

Nous voulons prendre toute notre part dans la transition énergétique, même si les projections dont nous disposons, rares et toutes à court terme, permettent mal d’envisager l’intégration des nouvelles sources d’énergie dans le réseau et le rôle qu’elles joueront dans le système garantissant l’alimentation de nos concitoyens. Nous disposons d’atouts, forgés par notre histoire centenaire, mais nous pâtissons également de handicaps. Les zones de production ne sont pas nécessairement les zones de consommation, et il convient d’adapter le maillage territorial à cette donnée. Nous sommes prêts à contribuer à cette tâche.

M. Guillaume Garros, directeur des ventes et marketing de la société Itron. La société Itron France est le leader mondial des solutions de comptage intelligent. Elle conçoit et produit des éléments de communication et des suites logicielles permettant une maîtrise des ressources d’eau, d’électricité et de gaz. Présente en France depuis 130 ans, Itron emploie environ 1 000 collaborateurs directs – dont 250 travaillent dans la recherche et le développement (R&D) –, possède six sites de production dans notre pays – à Chasseneuil-du-Poitou, Reims, Mâcon, Haguenau, Argenteuil et Massy – et sept de R&D ; son activité la situe au cœur de cette filière d’avenir qu’est la transition énergétique.

Pour réussir cette transition, il faut moderniser les infrastructures et rendre les réseaux intelligents, donc en premier lieu déployer des compteurs communicants pouvant fournir des données fiables sur la consommation. La gestion des réseaux doit gagner en efficacité pour répartir les points de tension et orienter les flux énergétiques en temps réel. Il convient, en outre, de moduler la production d’électricité pour faire face aux pics de consommation. La nécessaire décentralisation sera l’occasion d’intégrer les énergies renouvelables – solaire, éolien, biogaz. Le consommateur final devra accompagner ces évolutions et mieux piloter sa consommation d’énergie grâce à un accès élargi à des informations précises, pas seulement estimées.

Formidables vecteurs de développement, l’installation de compteurs communicants s’avère un préalable indispensable à la transition énergétique. Les deux projets développés en France – Linky d’ERDF et Gazpar de GrDF – feront l’objet d’appels d’offres dans les semaines à venir. Par leur envergure – 35 millions de compteurs d’électricité et 11 millions de compteurs de gaz –, ils offriront de grandes opportunités à notre filière gazière et électrique, en France comme à l’étranger, ne serait-ce qu’en termes d’emplois directs et indirects. Nous disposons de champions nationaux dans le secteur énergétique, et tous les pays du monde suivent la situation française.

Notre site de Chasseneuil-du-Poitou s’apprête à produire des compteurs Linky, et trois de nos implantations fabriquent déjà des compteurs Gazpar. Depuis 2008, Itron a consacré près de 10 millions d’euros d’investissement à la production de compteurs industriels en France – à Chasseneuil-du-Poitou et à Reims – et engagera une nouvelle tranche de 2 millions d’euros cette année. La transition énergétique vise bien sûr à réaliser des économies d’énergie, mais elle constitue également une occasion de créer des emplois à haute valeur ajoutée, d’innover et d’envisager le développement de nos exportations.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Le Président de la République, comme d’autres responsables politiques avant lui, a évoqué l’Europe de l’énergie. Quel contenu pourrait-elle revêtir ?

Plusieurs membres de cette commission participent au débat national sur la transition énergétique, duquel il ressort que les associations d’élus locaux portent avec insistance le thème de la décentralisation énergétique. Comment en envisagez-vous la mise en œuvre ?

M. Denis Baupin. Les réseaux de gaz et d’électricité jouent un rôle important dans la transition énergétique et représentent des atouts pour la diversification des productions d’énergie. La Côte d’Azur bénéficie certes d’un ensoleillement plus généreux que le nord de la France, mais en produisant de l’énergie photovoltaïque dans le nord du pays, on sollicite moins le réseau pour la transporter ; les questions de la multiplication des sites, du rapprochement des lieux de production et de consommation, du stockage et des réseaux intelligents se trouvent au cœur du débat sur la transition énergétique.

Les réseaux et les compteurs intelligents doivent être au service du consommateur, non de la technocratie, afin que celui-ci maîtrise mieux sa consommation d’énergie. J’espère que les prochaines propositions sur le compteur Linky iront dans ce sens.

Ayant été, pendant dix ans, responsable du contrôle de la concession du gaz et de l’électricité pour la ville de Paris, j’ai constaté que certains concessionnaires agissent davantage comme des racketteurs que comme des partenaires. La Chambre régionale des comptes d’Île-de-France a signalé le détournement de centaines de millions d’euros de provisions au profit des comptes de la maison mère du concessionnaire, et la Cour des comptes pourrait utilement étudier les relations financières entre collectivités locales et concessionnaires. Séparer les producteurs d’électricité des transporteurs et des distributeurs est une exigence de la démocratie.

Les coûts de raccordement des énergies renouvelables s’avèrent excessifs et il convient de les diminuer.

Est-il normal que des réseaux appartenant aux collectivités locales apparaissent dans le bilan d’une société de distribution d’électricité ?

L’ancien président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) estime que le financement du démantèlement des centrales nucléaires et de la gestion des déchets doit reposer sur des circuits fluides, alors que ces montants sont gagés sur des actifs immobiles. Trouvez-vous cela optimal ?

M. Philippe Plisson. Notre génération fait face à des défis climatiques et énergétiques inédits qui exigent une réflexion approfondie. Mais, plutôt que de considérer la conjoncture comme un danger pour notre civilisation, nous appelons à la regarder comme un levier pour bâtir un nouveau modèle de société durable et solidaire. La transition énergétique qui s’engage en France doit, comme le soulignait le Président de la République, faire émerger une société sobre en énergie et en carbone, grâce aux économies d’énergie et à l’augmentation de l’efficacité énergétique.

Cette volonté bouleverse notre conception de la politique énergétique. Elle incite à abandonner une politique énergétique centralisée et orientée vers la demande pour adopter une approche décentralisée et déterminée par l’offre, de manière à éviter la surproduction et les consommations superflues. Cette transition interpelle les réseaux de distribution au sens large et nécessitera des infrastructures modernes, souples et innovantes, pouvant accueillir le mix énergétique qui composera notre approvisionnement futur. Sans trop m’avancer, je crois que l’on peut parler de véritable « big-bang » énergétique tant les changements seront profonds.

D’un point de vue technique, le réseau sera bidirectionnel et moins descendant. Il devra assurer la connexion des lieux de consommation et de production locaux et nationaux. En outre, les enjeux de pilotage et d’anticipation seront centraux pour les énergies renouvelables qui, pour 95 % d’entre elles, s’insèrent déjà dans le système électrique global. Grâce au stockage, la nature intermittente de ces énergies tend à décliner. Quelle est votre opinion sur ce sujet ? Préconisez-vous plutôt le stockage centralisé ou décentralisé ? Quels seront les impacts et les bénéfices pour le réseau électrique, notamment, pour celui de la distribution ?

Afin de relever ces défis, il conviendra d’agir avec les territoires et de prendre en compte tous les projets de production. Comment envisagez-vous la programmation de ce travail avec les collectivités territoriales ?

Le projet de communauté européenne de l’énergie germe dans les esprits ; le Président de la République a confirmé son attachement à cette idée fin 2012. Elle mobiliserait solidarité, responsabilité et cohérence pour répondre à l’urgence énergétique européenne. La France possède d’ores et déjà des interconnexions avec l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, la Suisse et bientôt l’Espagne. Quelle est votre position sur cette communauté de l’énergie et quels moyens mettez-vous en œuvre pour la construire ?

La transition énergétique impliquera de nombreux changements et, pour conserver notre compétitivité, il faudra investir massivement : à combien ces investissements devront-ils s’élever et quel sera leur contenu ?

La France gagnerait à développer les économies d’énergie et les énergies renouvelables, dont nous aspirons à augmenter la part dans notre bouquet. Les délais de mise en place des projets de production énergétique d’origine renouvelable seront réduits. Les outils mis à votre disposition pour planifier le raccordement futur – schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE), plan climat énergie territorial (PCET), et, surtout, schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR) – risquent de devenir obsolètes. Quelles sont vos préconisations pour résoudre les éventuels problèmes de raccordement ?

S’agissant du secteur éolien, pourquoi les constructions d’ouvrages autorisées dans les zones de développement de l’éolien (ZDE) avant la date de référence arrêtée par RTE ne sont-elles pas intégrées dans la définition de l’état initial ? Selon vous, quelle est la différence entre la création et le renforcement d’ouvrages ? Pourquoi considérez-vous que l’ajout d’un nouveau transformateur ou d’une nouvelle cellule dans un poste s’apparente à une création d’ouvrage ? Pourquoi, dans le cadre de l’élaboration du S3REnR, les sollicitations des professionnels de l’éolien sont-elles si rares et si tardives ? Avez-vous vérifié que l’ensemble des projets en développement y était inclus et comment avez-vous répertorié les professionnels consultés ?

Concernant le petit éolien, les délais théoriques de la remise de la proposition technique de raccordement s’élèvent à six semaines, mais ils s’avèrent plus longs dans la pratique. La cause réside dans l’absence de communication avec les services techniques : comment y remédier ? Si la production doit être décentralisée, quelles sont les pistes réglementaires que vous nous proposeriez pour favoriser les plus petites unités ?

Quelle est votre stratégie pour que le réseau soit intelligent, y compris localement ? Où en est-on en ce qui concerne le compteur à gaz intelligent ? Enfin, nous aimerions connaître votre position sur la solidarité énergétique entre les bâtiments du parc ancien et ceux du neuf, qui semble une solution pertinente pour accroître le nombre de chantiers de rénovation thermique, comme le souhaite le Gouvernement ?

M. Jean-Marie Sermier. Nous sommes tous favorables à la transition énergétique – déjà amorcée et présentée comme « fille aînée du Grenelle de l’environnement » –, qui permettra à tous d’avoir accès à une énergie produite selon des moyens variés et modernes. On nous assure que le temps des structures de grande taille produisant de l’énergie consommée par des entités de petite taille est fini et que s’ouvre l’ère de la production diversifiée, mieux répartie sur le territoire, mais nécessitant une adaptation des réseaux. En 2007, ont été menées les premières réflexions sur la mise en place de réseaux électriques intelligents ; l’expérimentation des compteurs Linky a été lancée en 2009. Ce mouvement doit maintenant s’accélérer. Pensez-vous que l’investissement de 3 milliards d’euros que vous évoquez, madame Bellon, sera suffisant ?

Le prix de l’électricité pourra-t-il rester stable dans un contexte d’évolution de la production d’énergie, notamment dans le cas où l’énergie nucléaire verrait sa part diminuer ou disparaître, comme le souhaite le Président de la République ?

L’hydrogène permettant de stocker l’énergie, avez-vous conduit des expériences instructives sur la possibilité d’injecter du gaz hydrogène dans les réseaux de gaz naturel, sachant que l’industrie sait déjà élaborer l’hydrogène fatal ?

Le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) génère 90 % des recettes d’ERDF : comment assurer le financement d’ERDF si le TURPE n’était pas modulable ?

M. Bertrand Pancher. En ce qui concerne le gaz, il s’agit de faire correspondre l’offre et la demande, mais il semble qu’il n’y ait pas, en la matière, de grande révolution à attendre. Comment la production doit-elle évoluer dans les trente prochaines années ? Pendant combien de temps les réserves mondiales de gaz nous permettront-elles de nous approvisionner dans les conditions actuelles ? Quelle part pourrait prendre à l’avenir le biogaz ou l’hydrogène liquide ?

Dans le domaine de l’électricité, le Président de la République a fixé des objectifs forts : le tarif de rachat des énergies renouvelables entraînera une augmentation du prix de l’électricité et la substitution d’une partie de l’énergie nucléaire par des énergies renouvelables – la première devant passer de 75 % à 50 % de la production totale – sera ardue. Cette évolution est-elle réaliste ? Quel est le montant des investissements nécessaires et quel est le coût pour l’usager ? Nous ne voudrions pas être confrontés au même problème que l’Allemagne qui tente de tenir des promesses trop ambitieuses.

Mme Chantal Berthelot. Ma question s’adresse à Mme Michèle Bellon et à M. Dominique Maillard. La Guyane, qui connaît une démographie dynamique, a d’importants besoins énergétiques. Or le réseau s’avère dépassé puisqu’il est constitué d’une seule ligne à haute tension de 250 kilomètres reliant Cayenne à Saint-Laurent-du-Maroni, et qu’il n’existe aujourd’hui aucune alternative. Les opérateurs d’énergies renouvelables introduisent dans leurs plans de développement le coût élevé du raccordement au réseau, ce qui grève leur compétitivité par rapport aux énergies traditionnelles. Consacrerez-vous une partie des 40 milliards d’euros que vous comptez investir d’ici à 2020 au développement d’un réseau qui permette à la Guyane de tirer parti de ses ressources naturelles – hydraulique, biomasse, solaire et éolien – et de rapprocher les lieux de production et de consommation ?

M. Jacques Krabal. Vous avez passé avec succès l’épreuve technique des installations de production, mais vous avez commencé par les zones favorables qui ne requéraient pas la création de réseaux complexes. Les suivantes exigeront davantage d’efforts. Avez-vous élaboré une cartographie et un calendrier de ces chantiers ?

La direction générale de l’énergie de la Commission européenne estime à 140 milliards d’euros le montant des investissements nécessaires entre 2010 et 2020 pour adapter le réseau à la transition énergétique. Qui assurera ce financement et quelles seront les incidences pour les usagers ? L’estimation du coût de « So grid » et de Linky se situe dans une fourchette comprise entre 5 et 7 milliards d’euros, qui apparaît faible à certains. Ne risque-t-on pas de délaisser les zones rurales pour ne pas dépasser ce montant ?

La gestion du réseau électrique européen, constitué de réseaux nationaux interconnectés, devra répondre à une vision commune du fait du développement de la production, de la consommation et des moyens de stockage, ce qui imposera de renforcer la coopération en matière de planification, d’investissement et d’exploitation du réseau. Quelle est votre position sur cette question ?

Je crains que les élus locaux trouvent difficile de travailler avec vos services. Madame Michèle Bellon, vous vous félicitez de la mise en place d’un maillage régional mais, pour l’heure, celui-ci ne me paraît pas efficace.

Mme Sophie Rohfritsch. Nous devons préserver deux aspects de notre système énergétique : une électricité moins chère et la péréquation tarifaire qui garantit la cohésion sociale et territoriale. Quelle est la méthode la plus efficace pour assurer son maintien ?

Comme Mme Michèle Bellon l’a rappelé, de nombreux investissements sont nécessaires à la transition énergétique – notamment dans les compteurs intelligents, les Linky ; or la CRE ne se prononce sur le niveau des prix que pour cinq ans, ce qui ne vous permet pas d’intégrer leur évolution dans vos plans de développement. Ne faudrait-il pas que la CRE prévoie l’évolution des prix sur une plus longue période, afin que les entreprises bénéficient d’une vision de long terme pour leurs investissements ?

M. Jean-Jacques Cottel. Madame Michèle Bellon, je viens de visiter le terminal méthanier de Dunkerque, bel outil qui distribuera 20 % de la consommation nationale. Dans le département du Pas-de-Calais, ERDF réalise de nombreux investissements qui assurent la consolidation des lignes d’alimentation électrique.

Le prix et les conditions d’acheminement de l’électricité doivent être identiques sur tout le territoire, nous sommes nombreux à être attachés à ce principe. Il est regrettable que le gaz soit mal distribué dans les communes rurales : seul un tiers des localités du Pas-de-Calais sont alimentées.

Le SRCAE du Nord-Pas-de-Calais a prévu l’implantation d’éoliennes, mais il manque des postes sources et des mécanismes permettant de récupérer et de transporter l’énergie produite. Des opérations sont prévues pour pallier ces lacunes, les investisseurs et les collectivités locales sont prêts à les réaliser, mais je m’interroge sur les délais.

M. Yannick Favennec. Madame Sandra Lagumina, les réseaux intelligents permettront aux producteurs d’énergie de connaître l’état de la demande en temps réel pour mieux adapter la production. Quant au comportement des consommateurs, il tendra vers davantage d’efficacité énergétique ; pour ce faire, les habitants pourront mesurer facilement leurs économies d’énergie en matière de chauffage ou d’éclairage. Le système Linky favorisera une diminution de la consommation d’énergie, mais son déploiement a pris du retard, notamment en raison des critiques formulées par des associations qui estiment insuffisamment pris en compte les besoins des consommateurs.

M. Jean-Pierre Vigier. Nous venons de connaître un hiver rude qui a stimulé la demande énergétique, malgré la consigne, issue du Grenelle de l’environnement, de consommer moins et mieux. La France se trouve contrainte d’importer de l’énergie, car elle souhaite limiter sa production nucléaire – pourtant moins chère – en faisant face à l’augmentation de sa consommation ; en outre, la transition vers l’utilisation des énergies renouvelables rencontre des difficultés techniques. Dans ce contexte, la modification des infrastructures de réseau inquiète les consommateurs et les collectivités locales. Comment les producteurs perçoivent-ils cette situation ? Comment seront partagées les infrastructures entre les producteurs français et étrangers ? Quelles seront les conséquences financières pour le consommateur final ?

M. Alain Gest. Monsieur Dominique Maillard, vous avez évoqué la nécessaire simplification des procédures pour faciliter l’implantation des énergies renouvelables. Que peut-on faire pour réduire les délais ?

Les énergies marines pourraient devenir une nouvelle source de production : êtes-vous d’accord avec cette hypothèse et quels moyens on va déployer pour les développer ?

M. Guillaume Chevrollier. Alors que la majorité parlementaire vient d’adopter des dispositions qui risquent de miter nos paysages par la dispersion des éoliennes, la question du transport de l’électricité des sites de production jusqu’aux distributeurs et aux principaux consommateurs se pose avec acuité. La construction de nouvelles lignes paraît inéluctable ; l’Allemagne a fait l’expérience d’un gaspillage physique et économique, la production disséminée sur le territoire pâtissant d’un réseau de stockage et de transport insuffisant. La France doit éviter ces écueils. Que pensez-vous de l’établissement de petits champs d’éoliennes éparpillés dans les territoires ruraux ? Pour rendre les réseaux intelligents, les sites de production d’énergie renouvelable ne doivent-ils pas posséder une taille minimale ?

M. Alain Leboeuf. Dans le département de la Vendée, nous conduisons un projet de réseau intelligent en collaboration avec le syndicat départemental d’énergie et d’équipement, ERDF, RTE et un consortium d’industriels français. Nous mettrons en place pendant cinq ans un laboratoire de pilotage interactif du réseau électrique afin d’accroître progressivement le poids des énergies renouvelables, conformément aux décisions du débat sur la transition énergétique. Ce projet comprend un volet consacré à la formation ; de futurs ingénieurs spécialisés seront accueillis à la rentrée 2013. Préparer les jeunes aux nouveaux métiers de l’énergie constitue, en effet, une urgente nécessité.

Les réseaux joueront un rôle déterminant dans l’équilibre entre production et consommation d’énergie, l’objectif étant de permettre le développement des nouveaux usages de l’électricité, notamment la mobilité. Madame Michèle Bellon, comment et quand pensez-vous généraliser les réseaux intelligents, leviers de relance économique stratégique pour l’industrie française ?

M. François-Michel Lambert. Alors que Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, vient d’annoncer la présentation d’un projet de loi-cadre sur l’économie circulaire, en quoi les réseaux peuvent-ils aider à utiliser la gestion des déchets pour produire de l’énergie ? Quelles sont les contraintes à surmonter ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Quel est, madame Michèle Bellon, le programme de déploiement des compteurs Linky ? Le problème du financement est-il réglé ?

Plus généralement, que pense chacun de vous des différents scénarios élaborés dans le cadre du débat sur la transition énergétique, par l’ADEME, Négawatt, Négatep ou la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) ?

M. Philippe Boucly. Je commencerai par exposer notre vision de l’Europe de l’énergie qui se traduit avant tout par un travail d’harmonisation des normes entamé depuis plusieurs années. GRTgaz est membre de l’ENTSOG, l’association européenne des transporteurs de gaz, au sein de laquelle nous élaborons les codes de réseau qui devront, demain, régenter l’ensemble de l’activité, qu’il s’agisse de l’équilibrage des réseaux, de l’interopérabilité ou de tous les moyens d’assurer un transit plus souple et plus simple au niveau européen. Dans l’immédiat, des initiatives sont prises en matière de coopération. C’est ainsi que dix-sept transporteurs, provenant de sept pays différents, se sont associés pour élaborer la première plateforme de réservation de capacités. Et demain, nous allons rejoindre des transporteurs belge, néerlandais, danois et suédois afin de nous engager fermement en faveur de la transition énergétique par l’accueil de gaz d’origine renouvelable dans nos réseaux à l’horizon 2050. Enfin, nous étudions la possibilité de mettre certains moyens en commun au niveau européen.

Nous assistons actuellement à un grand mouvement de vente de réseaux de transport. Non seulement la cession de TIGF est en cours, mais on peut s’attendre à des recompositions capitalistiques et à la constitution de grands opérateurs au niveau des grandes mailles régionales. L’ambition de GRTgaz est d’en faire partie et de contribuer à ce qui serait, dans le transport du gaz, l’équivalent d’EADS dans l’aéronautique.

Il est un point sur lequel nous devons faire preuve de vigilance : en cas de crise ou de tensions sur le réseau, on assiste parfois à des réflexes nationalistes. Les Allemands et les Italiens ont pu être tentés de conserver l’énergie disponible pour leurs propres besoins et de bloquer l’exportation, au risque de mettre la France en difficulté.

M. Jean-Marie Sermier s’est interrogé sur la possibilité de stocker l’hydrogène dans le réseau. À l’heure actuelle, on peut injecter, en volume, 6 à 7 % d’hydrogène, mais nous allons évidemment essayer de passer ce seuil. Nous avons lancé récemment une étude de faisabilité afin de déterminer les conditions dans lesquelles une expérience pourrait être réalisée. Nous songeons à un partenariat avec de grands groupes français – Areva ou Air Liquide. De son côté, EON réalise en Allemagne une expérience similaire.

S’agissant de l’état des réserves mondiales de gaz, évoqué par M. Bertrand Pancher, il est difficile de faire des prévisions. Mais l’AIE a pu parler d’un âge d’or du gaz : si l’on additionne aux réserves déjà connues les réserves de gaz non conventionnel, on parvient à des quantités permettant d’assurer 200 ans de consommation mondiale. Sans même parler du gaz de schiste, de nouveaux bassins de production seront exploités dans les années à venir, notamment dans l’est de l’Afrique, au large du Mozambique et de la Tanzanie.

En Europe, la question est de savoir dans quelle mesure la production de gaz non conventionnel pourra être acceptée. Mais cela ne nous empêche pas de travailler sur les gaz renouvelables, c’est-à-dire la production de biogaz. Avec une subvention équivalente à celle versée aux énergies renouvelables d’origine électrique à l’horizon 2017, soit environ 5 milliards d’euros, on pourrait développer un potentiel de 150 térawattheures, à comparer à la consommation française actuelle d’environ 500 TWh.

Le coût du transport du gaz représente 6 % du prix payé par le client final. Les investissements à réaliser, qui se chiffrent en milliards d’euros, peuvent donner le tournis, monsieur Jacques Krabal. Mais si vous multipliez la quantité de gaz consommé en France hors résidentiel, soit 300 TWh, par le différentiel entre les prix à long terme et les prix de marché, soit environ 4 euros, vous parvenez à un résultat de l’ordre de 1,2 milliard d’euros par an. Cela signifie que nous avons intérêt à développer les investissements et le marché pour récupérer cette somme.

M. Dominique Maillard. En matière d’électricité, nous développons aussi l’Europe de l’énergie – c’est un domaine où l’Europe n’a pas à rougir de son bilan. Il existe, aux États-Unis, cinq niveaux différents de très haute tension et trois zones très faiblement interconnectées entre elles. Même un pays de petite taille comme le Japon utilise deux fréquences différentes. L’Europe, de son côté, a réussi depuis soixante ans à harmoniser ses réseaux : nous échangeons depuis très longtemps l’électricité à 400 000 volts ou à 225 000 volts. Certes, il y a encore des progrès à faire, mais la situation est tout de même meilleure que dans d’autres régions du monde.

Sur le plan de la politique énergétique, on entend dire que nous sommes loin d’une intégration européenne parce que les Allemands, par exemple, ne font pas les mêmes choix que les Français. Mais quitte à être provocateur, je vanterai cette diversité des bouquets énergétiques qui permet la complémentarité. Elle nous conduit à effectuer des échanges, mais n’est-ce pas le but de l’Union européenne ? Au contraire, je serai inquiet le jour où tous les pays européens auront adopté le même bouquet énergétique. Je persiste à penser qu’il est plus intelligent de compter sur des panneaux solaires en Sicile et sur la biomasse en Finlande – d’autant qu’il ne reste plus tellement de forêt en Sicile. Les pays d’Europe sont diversifiés et chacun dispose de ses propres atouts, y compris sur le plan industriel. La France a développé l’énergie nucléaire et elle a acquis dans ce domaine un véritable savoir-faire, mais il n’y a aucune raison que tous les pays fassent le même choix. Ce n’est pas, à mes yeux, le critère d’une politique européenne. Les réseaux sont justement ce qui permet de valoriser la diversité, pour le gaz comme l’électricité.

J’en viens à la décentralisation énergétique. Il n’y a pas si longtemps, on utilisait à propos de l’Europe le beau mot de subsidiarité. Plutôt que de prôner la décentralisation – ou au contraire la centralisation –, je préfère considérer que certains sujets, y compris dans le domaine de l’énergie, sont traités plus efficacement à un certain niveau plutôt qu’à un autre. Si la construction d’un bâtiment à énergie zéro doit être envisagée au niveau le plus local, le zonage des énergies nouvelles relève évidemment du département ou de la région. Et d’autres sujets, comme les interconnexions, doivent être traités au niveau national, voire continental. Inversement, d’autres questions seraient plus naturellement du ressort des communes, qui témoignent depuis longtemps de leur implication. Peut-être est-il nécessaire de modifier la répartition des compétences.

M. Denis Baupin a posé une question que j’entends souvent, celle de l’impact de l’affectation de 50 % du capital de RTE au fonds de démantèlement des installations nucléaires. Sur l’activité courante de RTE, l’effet est nul. Cette opération ne signifie qu’une chose : en cas de dépense de démantèlement, EDF devrait se demander s’il conserve ces titres ou s’il les rend liquides. Selon la loi, ne peuvent être actionnaires de RTE que l’État, EDF ou un organisme public. En cas de nécessité, EDF pourra donc soit vendre les titres à ces derniers, soit remplacer sa participation dans RTE par une autre participation plus liquide.

Entre des stockages centralisés et décentralisés, ma préférence va vers un stockage réparti qui seul permettrait de faire une véritable économie de réseau. Un stockage centralisé – par exemple hydraulique gravitaire – nécessite de transporter l’électricité vers des barrages avant de la récupérer. Cela peut être une bonne solution, qui ferait surtout le bonheur de nos amis suisses. La France dispose d’environ 3 000 mégawatts de capacité dans des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), mais le potentiel de développement de cette technologie est faible dans la mesure où elle va rapidement se heurter à des exigences environnementales : il est difficile de noyer une vallée située dans une zone protégée. Il est également envisageable d’effectuer un stockage hydraulique avec un dénivelé moindre, à condition de bloquer pour cet usage des zones maritimes, ce qui semble difficile sur le littoral français.

La véritable alternative au développement des réseaux de transport, c’est, à terme, le stockage également réparti. À la limite, cela se traduirait par un stockage au pied de chaque éolienne. Ce serait une bonne solution, mais elle implique de développer certaines technologies à des coûts raisonnables.

Les schémas cités par M. Philippe Plisson – S3REnR, SRCAE – partent d’une bonne intention : répondre à la nécessité de planifier. Les investisseurs ont besoin de savoir où installer leurs équipements, et les opérateurs tels que RTE ou ERDF, de savoir où leurs réseaux doivent être renforcés. C’est pourquoi des procédures sont prévues pour consulter l’ensemble des acteurs. Dans ce domaine, nous essuyons les plâtres, ce qui peut expliquer certaines frictions. Les gestionnaires de réseaux font preuve de bonne volonté et sont attentifs aux besoins exprimés, mais un meilleur dialogue serait sans doute nécessaire.

Cela m’amène à la question de M. Jean-Jacques Cottel sur les délais de réalisation des ouvrages : ils ne tiennent pas tant aux problèmes de financement qu’au respect des procédures – qu’il faut absolument simplifier. Il n’est pas question de négliger l’avis des riverains, qui ont évidemment leur mot à dire. Mais il importe de comprendre pourquoi il faut huit ans, en France, pour parvenir à un résultat qu’au Danemark on atteint en trois ans et demi. Je le répète, ce pays n’a la réputation de négliger ni ses citoyens ni les questions environnementales. En fait, nous avons plus besoin de rationalisation des procédures que de simplification. Est-il utile de consulter trois fois la même commune à trois étapes différentes ? Pour peu que des élections aient eu lieu, portant une nouvelle équipe aux responsabilités, le même travail devra être répété. Nous devons donc organiser des enquêtes « valant pour », c’est-à-dire susceptibles de servir à différents usages ; cela nous permettra de gagner du temps.

Nous nous efforçons de respecter les délais de transmission d’une proposition technique et financière. En cas de dépassement, nous adressons à l’opérateur une notification en précisant les raisons. J’observe d’ailleurs que les dépassements excèdent rarement une quinzaine de jours. Il serait possible de les réduire en industrialisant le processus, mais il n’en demeure pas moins que nous devons respecter certaines dispositions.

M. Bertrand Pancher se demande si les objectifs visés par les différents scénarios de transition énergétique sont réalistes. Un ingénieur vous dirait que tous peuvent être atteints, mais ils ne le seront pas au même coût. Sans attendre l’issue du débat national, nous avons estimé que le coût du renforcement du réseau de transport à l’horizon 2025 serait compris entre 35 et 50 milliards d’euros. Cet écart de 15 milliards correspond à la plus ou moins grande intensité de la transition énergétique : plus grand sera le nombre de centrales déclassées, plus nombreux seront les moyens de production nouveaux, par nature localisés, et plus il faudra renforcer les réseaux.

En ce qui concerne l’approvisionnement de la Guyane en électricité, Mme Chantal Berthelot a bien conscience que ni moi, ni Mme Michèle Bellon ne sommes compétents pour lui répondre : celui-ci est assuré par un EDF-SEI, et je ne doute pas que ce dernier soit amené à analyser de façon détaillée les conditions de renforcement du réseau et l’adéquation entre offre et demande.

S’agissant du réseau électrique européen, il importe que la coordination entre les pays soit renforcée. Nous disposons déjà d’un certain nombre d’outils communs, comme Coreso, un centre de coordination régionale fondé par plusieurs pays d’Europe de l’Ouest. Il nous a permis d’anticiper et d’éviter certaines situations potentiellement dangereuses, dont vous n’avez heureusement pas entendu parler. Je rappelle que le dernier grand black-out a eu lieu il y a six ans. J’espère que nous n’en connaîtrons pas de nouveau avant un délai au moins aussi long, mais la tâche est difficile.

Les règles de partage d’infrastructures sont claires, monsieur Jean-Pierre Vigier. Nous devons laisser l’accès à tous les opérateurs ; en cas de congestion, une procédure d’enchères, prévue par la réglementation européenne, permet de réguler le système.

M. Alain Gest a également évoqué la simplification des procédures. J’ai parlé de rationalisation, mais on peut aussi envisager un système à cliquets dans la mesure où, en France, le dernier recours peut avoir pour effet d’annuler dix ou vingt ans de discussions. C’est ainsi que le Conseil d’État n’a pas autorisé la construction d’une ligne dans la région de Nice dont le projet avait demandé quinze ans de travail. Il en avait pourtant reconnu le caractère d’utilité publique, mais le tracé passait trop près des Gorges du Verdon : nous avons donc dû reprendre le projet à zéro. Bien sûr, il ne nous faudra pas autant de temps pour le relancer – la construction devrait commencer dans trois ans –, mais la réalisation coûtera plus cher et sera moins efficace. Dans d’autres pays, un recours juridique peut vous ramener quelques cases en arrière, mais jamais à la case départ. Ce serait une bonne idée de s’en inspirer.

Les énergies marines représentent un enjeu important. La France peut s’enorgueillir d’avoir fait partie des pays pionniers avec l’usine marémotrice de la Rance. Nous disposons également d’un important potentiel d’énergie hydrolienne, c’est-à-dire produite à partir des courants marins, qui a le mérite d’être très régulière et donc d’offrir, contrairement aux autres énergies renouvelables, une grande prédictibilité à très long terme : grâce au bureau des longitudes, il est possible de calculer la quantité qui sera produite le 22 avril 2047 à dix-neuf heures… Le potentiel disponible au large du Cotentin – environ 3 000 mégawatts, ce qui est considérable – pourra être exploité dans quelques années, mais cela nous oblige à renforcer le réseau. La ligne destinée à raccorder le réacteur de Flamanville n’y contribuera qu’en partie.

La question de M. Guillaume Chevrollier sur l’implantation des éoliennes est pertinente. Le choix de l’emplacement résulte d’un ajustement entre offre et demande. Nous mettons à la disposition des investisseurs des informations sur le potentiel de raccordement, mais ils restent libres de choisir d’autres sites d’implantation : soit en raison de la qualité du vent, soit parce qu’ils ont trouvé des terrains disponibles dont les riverains sont prêts à accepter de telles installations. Dans ce cas, nous leur indiquons les conditions de renforcement du réseau et les délais dans lesquels les travaux seraient effectués. C’est une des vertus des procédures de schéma de permettre le dialogue.

Enfin, monsieur le président, vous avez demandé notre avis sur les différents scénarios de transition énergétique, et je vous répondrai en tant que citoyen. Dans ce domaine, nous devons prendre en compte la dimension temporelle. Nous exprimons tous une certaine impatience à propos de la transition énergétique, que nous voudrions voir se réaliser immédiatement. Mais qu’il s’agisse de la production, du transport, de la distribution ou du stockage, rien ne peut être réalisé sans délai. Dès lors, il faut être conscient que les scénarios les plus ambitieux ne pourront être suivis qu’à un horizon plus éloigné. De nombreuses choses se passeront à l’horizon 2100 – il suffit de songer à tout ce que l’on ne pouvait pas imaginer il y a un siècle, lors du vote de la loi de 1906 sur les distributions d’énergie – mais, pour ce qui concerne les échéances plus rapprochées, nous devons nous montrer patients. Les scénarios les plus crédibles sont ceux qui ménagent une certaine concordance des temps.

Mme Monique Delamare. Je me contenterai de précisions, car M. Philippe Boucly a dit l’essentiel.

Il est vrai, tout d’abord, que tout est fait pour harmoniser les codes de réseaux et poser les conditions d’une émergence de l’Europe gazière. Nous devons toutefois rester vigilants, car une telle évolution est fragile. Nous l’avons vu en 2009, quand la crise russo-ukrainienne et les difficultés d’approvisionnement qui en ont résulté ont conduit de nombreux pays à fermer leurs frontières. Nous devons assurer la sécurité de notre approvisionnement en prévision de crises politiques similaires et pour faire face aux périodes de grand froid. À cet égard, le stockage représente un enjeu très important.

Au départ, le réseau français a été développé comme un réseau de distribution. Nous travaillons – en y consacrant d’énormes investissements – à le rendre plus fluide et à le transformer en un véritable réseau de transit. Mais il nous reste beaucoup à faire pour éliminer les points de congestion et faire en sorte que le gaz puisse nous parvenir depuis le nord de l’Europe et la Russie.

En ce qui concerne la collecte de l’énergie issue des déchets, monsieur François-Michel Lambert, il nous reste à résoudre le problème du raccordement des installations à notre réseau, ce qui passe par un travail avec notre régulateur, et à améliorer la qualité du gaz obtenu, ce qui pose un problème sanitaire. Si l’on met de côté ces deux aspects, les solutions techniques sont à notre portée.

Mme Michèle Bellon. M. Denis Baupin semble penser qu’installer des panneaux photovoltaïques dans le nord de la France permet de réduire la longueur des réseaux. Je ne peux pas laisser dire cela. Le photovoltaïque, c’est bien là où il y a du soleil, et dans la journée. Mais dans le Nord, l’hiver, à dix-neuf heures, cela ne marche pas. Il faut donc bien un réseau d’acheminement, ne serait-ce qu’en complément. Dès lors, davantage d’énergie renouvelable, cela signifie aussi davantage de réseaux.

M. Jean-Jacques Cottel l’a dit : grâce aux éoliennes, le département du Pas-de-Calais a un potentiel de production d’énergie trois fois supérieur au volume de sa consommation. Il faut donc créer de nouveaux postes sources, ce qui exige un délai de deux à cinq ans. Un poste source, c’est un transformateur en interface entre les réseaux de transport et de distribution : il en existe 2 200 en France. Nous avons prévu de lancer, pour la seule année 2013, la construction de dix postes supplémentaires dédiés exclusivement aux énergies renouvelables. Mais il s’agit d’infrastructures de grande taille, qui réclament des investissements importants – de 3 à 5 millions d’euros par poste – et de longues procédures. Nous devons donc être capables de faire preuve d’anticipation.

J’en viens à l’Europe de l’énergie. Du point de vue des producteurs d’électricité, il s’agit d’une construction récente et diverse. Dans certains pays, les distributeurs sont propriétaires des réseaux ; la péréquation n’existe pas partout ; dans deux pays, les compteurs sont en dehors du réseau de distribution ; quant aux bornes de charge des véhicules électriques, elles sont partout, sauf en France, incluses dans les réseaux de distribution. Les disparités sont donc importantes. En 2010, nous avons créé l’Association des distributeurs européens d’électricité – dont je suis présidente – pour mettre en commun notre expérience et grandir tous ensemble. Nous avons développé en commun des projets de réseaux intelligents qui font l’objet de subventions de la Commission européenne. L’Europe de l’énergie, pour nous, n’est donc pas seulement la normalisation et la standardisation, mais aussi un processus de comparaison de nos forces et de nos faiblesses qui doit nous emmener plus loin.

On nous a posé de nombreuses questions sur les investissements et les tarifs. J’ai dit que d’ici à 2020, nous avions besoin d’investir entre 40 et 45 milliards d’euros. Nous avons investi 3 milliards d’euros en 2012, mais les collectivités locales, de leur côté, ont apporté 750 millions. Au total, les investissements consacrés chaque année au réseau par le concessionnaire et les autorités concédantes sont de l’ordre de 4 à 4,5 milliards d’euros, l’essentiel étant assumé par ERDF. L’important, pour nous, est d’éviter les à-coups, les aléas, les fluctuations dans les investissements, qui doivent être réguliers, durables et représenter des volumes significatifs. Cela n’a pas toujours été le cas par le passé, puisque nous avons connu des périodes de sous-investissement.

Les deux tiers de ces investissements sont dits imposés. Notre réseau se développe, notamment pour raccorder les sites de production d’énergie renouvelable. Beaucoup pensent sa longueur stable et que nous avons seulement besoin de l’entretenir mais, en réalité, nous raccordons environ 450 000 nouveaux clients chaque année. Nos obligations de service public nous contraignent à raccorder chaque producteur qui en fait la demande dans les meilleurs délais.

Le tiers restant concerne les investissements de qualité, c’est-à-dire le renouvellement et la modernisation : mise en place de capteurs, d’équipements électroniques, de fonctions avancées de conduite, de logiciels permettant de mieux piloter le réseau et d’être plus réactifs en cas de défaillance. Ces derniers investissements connaissent une augmentation modérée et peuvent se traduire par un tarif raisonnable, acceptable par le consommateur.

Le problème, il est vrai, est que le tarif est défini par le régulateur sur une période de cinq ans au maximum – et même quatre ans actuellement. La dernière décision de la CRE en ce domaine a même été annulée par le Conseil d’État. Or nous souhaiterions programmer les investissements sur une période de dix ans, comme le fait RTE. Cela supposerait une visibilité sur les recettes et le nombre d’installations ou de clients à raccorder. Le tarif, aujourd’hui, ne donne pas une telle visibilité. La possibilité d’élaborer des programmes pluriannuels d’investissement et de sécuriser le développement du réseau est pour nous un enjeu important.

Nous souhaiterions également améliorer le dialogue avec les collectivités locales qui, bien plus qu’il y a dix ans, se préoccupent des questions énergétiques. Elles ont toute légitimité à le faire compte tenu du développement de la production décentralisée d’énergie, de l’émergence des véhicules électriques, de l’aménagement de nouveaux quartiers ou de lignes de tramway et de la construction de bâtiments à énergie positive. On m’a interrogée sur les conséquences de la décentralisation énergétique : elle est synonyme d’une concertation plus importante, d’un plus grand nombre de lieux d’échanges, de dialogue, d’arbitrage, destinés à confronter notre expérience technologique avec la très grande connaissance que les élus ont de leurs territoires. Je suis donc convaincu qu’il s’agit d’une démarche gagnant-gagnant, à condition de trouver plus de lieux pour travailler ensemble.

Beaucoup de questions portaient sur le compteur communiquant. Linky a été expérimenté sur 300 000 compteurs, entre mars 2010 et mars 2011. En septembre 2011, Éric Besson, le ministre chargé de l’énergie à l’époque, en a décidé la généralisation aux 35 millions de foyers de consommation. Dix-huit mois plus tard, l’opération est en suspens. Cette période a toutefois été mise à profit pour améliorer les performances de l’appareil, étudier les évolutions possibles avec les fabricants, et surtout dialoguer avec les consommateurs et les associations qui les représentent, car il y a eu, dans un premier temps, un déficit de communication.

Le compteur que nous sommes prêts à déployer permettra à l’utilisateur de connaître sa consommation en temps réel, et donc d’adapter ses comportements. Non seulement il pourra maîtriser sa consommation, mais il pourra participer aux opérations d’effacement lors des phénomènes de pointe que notre pays connaît souvent, notamment en hiver aux alentours de dix-neuf heures. Nous avons également beaucoup travaillé sur l’aspect domotique, si bien que le compteur dispose de toutes les fonctionnalités nécessaires pour permettre aux consommateurs non seulement d’être acteurs de leur consommation, mais aussi de piloter les équipements de la maison. Bien entendu, cet appareil convient aussi bien au monde rural qu’au monde urbain. Son expérimentation a été réalisée pour une part – 200 000 compteurs – dans la zone urbaine située au nord-ouest de Lyon, et pour une autre dans un très rurale de l’Indre-et-Loire.

Le budget, validé par l’expérimentation, est de l’ordre de 5 milliards d’euros. Son montant final dépendra toutefois de plusieurs paramètres, tels que l’éventuelle intégration d’un émetteur ou le rythme d’installation, sur une durée de cinq ou six ans ou sur une période plus longue. Il pourrait être plus élevé, mais l’expérimentation a permis d’en donner une estimation relativement précise. La pose – qui n’est que de la main-d’œuvre – représente 51 % du total. Elle est plus chère en milieu rural, où un installateur ne pourra guère dépasser quatre ou cinq compteurs par jour, alors qu’en milieu urbain il est possible d’en installer vingt-cinq à quarante-cinq dans la même journée si l’on équipe un immeuble d’habitation. Le budget a été élaboré en tenant compte de ces paramètres.

La décision finale n’est toutefois pas encore prise, et il reste des interrogations relatives au financement, lui-même étroitement lié à la question de la sécurisation du monopole. L’objectif est que le remplacement des compteurs n’ait aucun impact sur la facture du consommateur, ce qui est tout à fait envisageable, dans la mesure où les économies dégagées viendraient compenser l’investissement. Par exemple, la possibilité d’intervenir à distance permet d’éviter 35 millions de kilomètres de trajets routiers, et le fonctionnement du nouveau compteur rend possible une importante réduction des pertes générées par le réseau. Mais pour que les économies permises par le nouveau matériel puissent amortir l’investissement réalisé pour l’installer, il est nécessaire de sécuriser le monopole.

Bien entendu, le recours aux compteurs intelligents va entraîner l’apparition de nouveaux métiers, souvent à forte valeur ajoutée : ingénieurs, gestionnaires de données, etc. Le simple déploiement de Linky permettra de créer environ 10 000 emplois par an pendant six ans. Ensuite, le développement des usages, la domotique, la maîtrise de la demande en généreront de nouveaux dans les filières d’électricité, d’électrotechnique et d’informatique. Cependant, la décision de généraliser l’installation de ces compteurs ne m’appartient pas. Elle serait, selon Mme Delphine Batho, prise avant l’été, de même que pour les compteurs de gaz. Il reste à résoudre la question du financement.

S’agissant des schémas régionaux de raccordement aux réseaux des énergies renouvelables, leur élaboration demande beaucoup de temps, d’autant qu’elle vient en aval de celle des schémas régionaux climat air énergie, également très longue. En outre, les S3REnR ne sont pas prescriptifs. Pour peu que des projets aient été déposés et des appels d’offres lancés durant leur élaboration, il peut arriver – cela a été au moins le cas dans une région – qu’ils deviennent obsolètes dès leur validation.

Les installations de biomasse ou de biogaz, les usines d’incinération de déchets sont depuis toujours raccordées au réseau. Ces technologies offrent généralement une bonne prévisibilité, puisque le temps nécessaire à la construction des installations suffit pour prévoir le raccordement. De plus, elles sont de petite puissance. Enfin, leur volume de production est relativement prédictible.

Pour finir, je rappellerai que nous sommes soumis aux lois de la physique. Les réseaux ont été construits à une époque déterminée, avec des marges de dimensionnement et à partir de prévisions en matière de développement du territoire qui ne permettent pas, aujourd’hui, d’accueillir toutes les énergies renouvelables. Bien entendu, nous allons nous adapter, mais nous avons besoin de temps. Le facteur temps compte autant que la capacité d’anticipation : plus tôt nous serons informés, et plus il y aura de chances que nous soyons au rendez-vous.

Mme Sandra Lagumina. Pour sa part, GRDF accompagne la filière de biogaz depuis sa création en 2008 et, dans ce dessein, collabore étroitement avec l’ADEME. Il faut procéder à des expérimentations, élaborer des projets concrets, mais aussi travailler sur ce que l’on appelle la « soft law », c’est-à-dire sur tous les éléments techniques permettant la réalisation du projet – la qualité du gaz, par exemple.

Pour ce qui concerne l’hydrogène, nous avons lancé à Dunkerque une expérimentation à laquelle nous croyons beaucoup.

S’agissant de la transition énergétique, il convient de la considérer avec une certaine modestie, tant l’ampleur du temps et des investissements nécessaires donne le vertige. Le scénario développé par GDRDF repose sur deux idées-forces : d’une part, la complémentarité – la transition exige de faire appel à tous les réseaux, électriques ou gaziers – et, de l’autre, la nécessité de gérer des pas de temps différenciés. Ce scénario est finalement proche de celui de l’ADEME. Il privilégie la piste du gaz naturel pour véhicule, qui offre un meilleur rendement, et insiste particulièrement sur la notion d’efficacité énergétique. Quant aux investissements, ils sont relativement maîtrisés, grâce aux marges de manœuvre qu’offre notre réseau de transport de gaz.

J’en viens à Gazpar, soit l’équivalent de Linky pour le distributeur d’électricité. Il s’agit d’un outil très « orienté clients » – comme d’ailleurs tous les compteurs communicants – et dont le fonctionnement est centré sur la maîtrise de la demande. J’ajoute que la filière industrielle de production de cet équipement est pour l’essentiel française, et que cette solution est ouverte aux entreprises locales de distribution. Quatre expérimentations ont déjà eu lieu. Le déploiement, s’il est décidé en juin comme je l’espère, se fera d’abord sur quatre sites pilotes, en 2015 et 2016.

Le projet a bénéficié d’un fort consensus au sein des parties prenantes, notamment chez les concédants et les associations de consommateurs. Bien sûr, il réclame un important effort d’investissement, mais celui-ci n’aura pas d’impact sur nos deux grands pôles d’investissement traditionnels que sont la sécurité et le développement.

M. Martial Saddier. Aucune question n’a été posée sur les entreprises locales de distribution. Nous ne le prenons pas comme un signe de désintérêt, mais plutôt comme la preuve d’une absence d’hostilité (sourires).

La construction de l’Europe de l’énergie, aujourd’hui presque inexistante, est indispensable. Nous en avons besoin pour harmoniser les normes, pour sécuriser les approvisionnements, pour améliorer le stockage. Alors que nous sommes interdépendants et interconnectés, il est regrettable que chacun continue à décider seul de son devenir énergétique.

Nous sommes bien évidemment favorables à l’acte III de la décentralisation. Par définition, cette réforme devra constituer un signal fort en faveur de la subsidiarité, de façon à donner un coup d’accélérateur aux initiatives locales. Mais, avant de les accélérer, il convient avant tout de ne pas entraver ces initiatives : mon ELD, qui avait dix ans d’avance dans le domaine de la fibre optique, est aujourd’hui bloquée à cause des schémas départementaux.

Par ailleurs, la nouvelle organisation territoriale devra permettre de maintenir une cohérence globale sur le réseau : c’est la ligne directrice de l’ANROC.

J’insiste une nouvelle fois sur l’importance de la péréquation. Il reviendra au Parlement de la pérenniser.

Pour que l’acte III de la décentralisation soit en mesure de favoriser les initiatives locales, il convient de se poser la question de la répartition des richesses qui en seront le fruit. Le fait que la construction de barrages hydroélectriques ait été une source de revenus pour les collectivités qui les abritaient a été un important facteur de leur développement. Si les territoires concernés n’avaient pas bénéficié d’un peu de la richesse produite, cette forme d’énergie propre n’aurait pas connu un tel succès en France.

On ne change pas du jour au lendemain une filière industrielle. À cet égard, le Gouvernement a choisi le bon terme en parlant de transition énergétique. Une transition, ce n’est ni un « big bang » ni une révolution. Elle doit permettre le maintien de la péréquation et l’extension des réseaux. Elle est synonyme d’évolution de l’outil industriel, de progressivité, d’adaptation. Une révolution ne permet pas tout cela.

Enfin, Jean-Marie Sermier a posé la question du coût de l’électricité. Nous bénéficions du coût le plus faible de tous les pays européens. Nous le devons à la qualité de nos réseaux, laquelle est indéniablement liée à l’existence d’un monopole, et au poids de l’industrie nucléaire dans notre pays. Si nous ne voulons pas voir exploser l’équilibre actuel, nous devons progresser doucement sur ces deux points.

Je vous confirme en tout cas que les entreprises locales de distribution seront des acteurs de la transition écologique. Et je note avec intérêt le fait que nos partenaires quotidiens sont demandeurs d’une plus grande concertation avec les collectivités locales.

M. Patrice Caillaud, directeur commercial électricité de la société Itron. Le monde industriel, en tant que promoteur des réseaux intelligents, est déjà un acteur de la transition énergétique. Mais il a besoin de décisions rapides pour pouvoir investir.

En Guyane, nous avons contribué à une expérience intéressante, consistant à relever tous les sites de production isolés du département de façon à améliorer la gestion du réseau électrique, à avoir une meilleure connaissance des incidents et à réaliser des économies. En Corse et en outre-mer, la production d’électricité est du ressort de la filiale d’EDF vouée aux systèmes électriques insulaires (SEI).

Dans les îles, la part des énergies renouvelables a augmenté au point, dans certains cas, de dépasser le seuil légal de 30 % au-delà duquel on a le droit de déconnecter le dernier entrant sur le réseau. Là encore, nous avons contribué à une expérience intéressante de réseau intelligent : tous les sites de production sont équipés de compteurs qui transmettent des informations à intervalles réguliers. Ainsi, toutes les cinq minutes, on est capable, en un point central de l’île, de savoir si le seuil est ou non dépassé, auquel cas le réseau peut devenir instable. Il est dès lors plus facile d’intervenir pour éviter un black-out. Nous avons aussi découvert, à cette occasion, que le simple passage d’un nuage pouvait entraîner une variation de production de 20 % en cinq minutes. Les îles sont un champ d’expérimentation intéressant, dont il est possible de tirer des enseignements valables pour la métropole. Car, demain, avec le développement des énergies renouvelables, les mêmes problématiques devront être traitées à l’échelle de toutes les mailles territoriales. Les enjeux sont donc très importants.

Une question portait sur le besoin des consommateurs. Je pense qu’il est pris en compte, comme l’a noté Mme Michèle Bellon. Les groupes mis en place après l’expérimentation ont permis à la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services et à la DGEC de vérifier la qualité de la liaison informatique vers le client final. Celle-ci rend possible la connexion de modules additionnels, dont les données télétransmises permettront de gérer les tarifs et la consommation à l’intérieur de la maison.

Rappelons que la consommation des 35 millions de ménages augmente plus vite que les autres formes de consommation. Si la consommation française augmente, ce n’est pas à cause des électro-intensifs ou du reste du monde industriel. De même, ce sont les ménages qui contribuent le plus aux pointes. À cause du secteur résidentiel, la pointe augmente de 5 % par an, et la consommation générale, de 2 % par an. Il faut donc donner aux ménages les moyens de gérer leur consommation et de réaliser des économies, d’autant que le mode de veille, gourmand en énergie, a été généralisé à tous les appareils des nouvelles technologies de l’information.

Mais sans un outil spécifique, sans un compteur intelligent équipé d’un afficheur déporté dans la maison, le particulier aura du mal à économiser l’électricité parce que, comme aujourd’hui, il ne découvrira sa consommation qu’a posteriori, en lisant sa facture.

Nous avons investi considérablement dans la filière des réseaux intelligents, mais les projets que nous développons n’ont pas encore l’envergure de Linky et ne nous permettent pas de donner un véritable coup d’envoi à cette révolution. L’expérience réalisée dans 300 000 foyers – à laquelle nous avons contribué pour un tiers – est achevée depuis 2010. La CRE a rendu ses conclusions en 2011, et les décrets et arrêtés sont prêts. La filière industrielle a absolument besoin que le projet se concrétise, sans quoi elle risque de connaître le sort des promoteurs du minitel, cette belle invention qui n’a pas su se transformer en internet. Le décollage des réseaux intelligents entraînera le développement de la filière des appareils de comptage, mais aussi de celle des appareils électriques domestiques, qui concerne des entreprises majoritairement françaises. Nous avons donc besoin, je le répète, de décisions rapides.

Il faut respecter non seulement les lois de la physique, mais aussi celles du monde industriel. La filière industrielle qui est sur le point de se mettre en place et d’exporter vers l’étranger pourrait rapidement se retrouver dépassée par ses concurrents. Rappelons que l’Italie est passée aux réseaux intelligents il y a plusieurs années ; l’Espagne, le Portugal et les pays du Nord y viennent également. La perspective de poser 35 millions de compteurs est une occasion à saisir.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Les questions comme les réponses ont montré à quel point il était utile d’organiser cette table ronde. Bien entendu, nous aurons d’autres occasions de nous retrouver pour évoquer ces sujets si importants pour l’avenir. M. Martial Saddier a eu raison de noter à quel point le terme de « transition », retenu par le Président de la République, était pertinent. Et je me fais l’écho de l’appel que vous avez lancé aux pouvoirs publics afin qu’ils prennent sans tarder les décisions qui s’imposent.


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