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N° 1235

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 juillet 2013.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE relatif au traitement par l'administration fiscale des informations contenues dans la liste reçue d'un ancien salarié d'une banque étrangère

ET PRÉSENTÉ

PAR M. CHRISTIAN ECKERT,

Rapporteur général

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SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE 5

INTRODUCTION 9

I. L’OBTENTION D’UNE LISTE DE DÉTENTEURS DE COMPTES EN SUISSE NON DÉCLARÉS, À PARTIR D’INFORMATIONS TRANSMISES PAR UN ANCIEN INFORMATICIEN DE LA FILIALE SUISSE DE LA BANQUE HSBC 11

A. DEUX CANAUX PARALLÈLES DE TRANSMISSION DES INFORMATIONS 11

1. La remise de données à l’administration fiscale 11

2. La saisie de données par l’autorité judiciaire lors d’une perquisition réalisée à la demande de la justice suisse 12

B. LE DÉCRYPTAGE DE FICHIERS INFORMATIQUES PAR L’ADMINISTRATION FISCALE 14

1. L’extraction de données complexes, dont le morcellement assurait l’opacité 14

2. Les résultats de ce travail d’analyse 16

a. Près de 3 000 comptes détenus par des personnes physiques et morales susceptibles d’être résidentes françaises 17

b. Des sommes de l’ordre de 5 milliards de dollars au total 20

II. L’EXPLOITATION DE CES DONNÉES 22

A. UN TRAITEMENT FISCAL DES INFORMATIONS ENCADRÉ PAR DES CONTRAINTES JURIDIQUES FORTES 22

1. Les difficultés juridiques posées par l’origine des preuves 23

a. L’éventuel risque juridique pour les agents de l’administration fiscale 23

b. La difficulté d’opposer les données aux contribuables au regard de la jurisprudence applicable 24

c. Une utilisation indirecte des informations disponibles avec des risques de dénégation des contribuables 25

2. Les modalités de contrôle retenues 27

a. Le choix de la centralisation des opérations au sein de la DNVSF, impliquant d’étaler les contrôles dans le temps 27

b. Un traitement en plusieurs vagues, en cours d’achèvement 29

3. La taxation des sommes dissimulées 31

a. Différents impôts concernés, avec des règles de prescription longues 31

b. Les modalités d’application des pénalités 32

c. Un bilan provisoire de 186 millions d’euros de droits et pénalités recouvrés 34

d. Les perspectives d’amélioration de ces résultats par l’utilisation des nouveaux outils législatifs à l’encontre des contribuables en dénégation 36

e. Le cas des personnes morales 37

B. LES DOSSIERS FAISANT L’OBJET D’UNE ENQUÊTE JUDICIAIRE FISCALE 38

1. Des moyens d’investigation spécifiques 38

2. Le traitement en cours de cinquante dossiers par la BNRDF 40

C. LE TRAITEMENT DES COMPTES AUX EN-COURS NULS OU NÉGATIFS, AVEC LA CRÉATION DU FICHIER EVAFISC 41

1. La mise en place d’un fichier recensant les informations sur la détention de comptes à l’étranger 41

2. Le déversement des données de la « liste HSBC » dans ce fichier et les modalités de son utilisation 42

D. LA TRANSMISSION DES DONNÉES À D’AUTRES PAYS, DANS LE CADRE DE LA COOPÉRATION ADMINISTRATIVE INTERNATIONALE 44

III. LES PREMIERS ENSEIGNEMENTS DE L’AFFAIRE DE LA « LISTE HSBC » 45

A. UN MODE DE FONCTIONNEMENT BANCAIRE FONDÉ SUR LE CLOISONNEMENT ET LE CONTOURNEMENT DES RÈGLES 45

B. QUELQUES PREMIÈRES CONCLUSIONS 47

EXAMEN EN COMMISSION 51

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 65

SYNTHÈSE

Le présent rapport est le fruit d’un travail d’investigation mené sur une initiative personnelle du Rapporteur général, en vertu de ses pouvoirs (voire de ses devoirs) de contrôle.

Des poursuites judiciaires étant en cours, et compte tenu du respect de l’indépendance de l’autorité judiciaire, les investigations ont porté essentiellement sur le fonctionnement des services fiscaux.

Si le Rapporteur général ne peut se voir opposer le secret fiscal (bien que s’y trouvant lui-même astreint), il se trouve face au secret de l’instruction des procédures judiciaires.

Il a néanmoins eu deux longs entretiens avec le Procureur Éric de Montgolfier et avec Hervé Falciani, et donc pu recueillir des éléments généraux sur l’aspect judiciaire du dossier.

Le Rapporteur général constate donc à la suite de ses auditions et de la consultation des nombreuses pièces en sa possession et décrites de façon précise dans le rapport, que :

– bien que Monsieur Falciani ait dès l’origine contacté les services de la police judiciaire française (la DNIF), il a été mis en relation avec les services de l’administration fiscale (la DNEF). Outre que cet élément a fortement troublé Monsieur Falciani, il a été de nature, pour le moins, à retarder les poursuites judiciaires.

– Les informations transmises par Monsieur Falciani à la DNEF se sont révélées difficiles à mettre en forme en raison de leur volume, de leur cryptage, de leur opacité volontaire. La DNEF a pour autant mis en œuvre des moyens informatiques et humains très importants. Elle a bénéficié de la coopération de Monsieur Falciani pour rendre lisibles les données.

– Les obstacles juridiques pour utiliser des données obtenues de façon illicite n’ont pas empêché la DNEF de commencer à les exploiter dès janvier 2009 et ont été en grande partie levés par leur transmission par les autorités judiciaires françaises en juillet 2009 en vertu de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales.

– Sur le plan judiciaire, le Rapporteur général s’étonne du dépaysement du dossier HSBC de Nice vers Paris à la fin de l’année 2010, à la demande semble-t-il des autorités nationales. Il s’interroge sur le délai  constaté avant que le parquet de Paris n’ouvre fin avril 2013 une information judiciaire.

– La méthode d’exploitation des données par l’administration fiscale a été  décrite au Rapporteur général et figure précisément dans le rapport. Elle a sa cohérence compte tenu de la seule mission de recouvrement et de sanctions administratives conduite par cette administration. Les résultats encore partiels des procédures mises en œuvre sont documentés dans le rapport et sont le fruit d’une mobilisation importante des agents.

– L’élaboration des listes de contribuables établies par l’administration fiscale a donné lieu à de nombreux commentaires dans les médias. Le Rapporteur général ne peut qu'infirmer l'affirmation que des contribuables auraient « disparu » entre les différentes étapes autrement qu’en vertu de la méthode retenue par cette administration et aujourd’hui révélée en détail dans le rapport. Il peut même affirmer sans rompre le secret fiscal, qu’il a pu relever beaucoup d’erreurs dans les affirmations de certains médias sur le fait que tel ou tel contribuable figurerait ou ne figurerait pas dans les listes initiales ou finales.

– Le Rapporteur général n’a pu, pour les raisons précitées, faire les mêmes vérifications sur les travaux des services de la police judiciaire (IRCGN). Tous les acteurs, y compris Monsieur Falciani, ont confirmé que les données fournies directement à la DNEF et celles saisies ensuite par la justice étaient les mêmes. Les listes transmises par l’IRCGN au procureur de Nice et ensuite dépaysées à Paris ne peuvent pas faire l’objet d’analyses du Rapporteur général.

Le Rapporteur général remarque enfin une nouvelle fois, si besoin était, que les fonctionnements bancaires sont au cœur des systèmes d’évasion fiscale. Il recommande que les superviseurs bancaires et en particulier en France les autorités compétentes comme la Banque de France ou l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution)  aient enfin mission et obligation de déceler, de réprimer et d’interdire les pratiques illicites des banques exerçant sur notre territoire.

*

* *

Enfin, le Rapporteur général est en mesure de dresser un premier bilan quantitatif des travaux de l’administration fiscale. À l’issue de l’exploitation des fichiers informatiques, réalisée au cours de l’année 2009, l’administration fiscale est parvenue à dresser une liste de 127 311 personnes, dont 107 181 personnes physiques et 20 130 personnes morales. Parmi celles-ci, 6 313 étaient, selon toute probabilité, domiciliées fiscalement en France. Pour près de la moitié, les en-cours des comptes étaient nuls ou négatifs, tandis que d’autres n’ont pu être localisées, et in fine, ce sont 2 932 personnes, dont 2 846 personnes physiques et 86 personnes morales, qui étaient effectivement susceptibles d’être imposées au titre d’avoirs non déclarés. Il est à noter que sur les 2 846 personnes physiques, seules six avaient effectivement déclaré leur compte à l’administration fiscale...

Les avoirs totaux dissimulés sur les comptes de la « liste HSBC » représentent environ 5 milliards de dollars. Ils s’avèrent assez concentrés sur un petit nombre de comptes, 60 d’entre eux dépassant un montant de 15 millions de dollars. Des opérations de contrôle fiscal, placées sous la responsabilité de la Direction nationale des vérifications de situations fiscales, ont été engagées dès le début de l’année 2010, et se sont concentrées dans un premier temps sur les avoirs les plus importants, dans un souci de rendement. Elles se sont ensuite poursuivies par vagues successives, avec, outre les examens de situation fiscale personnelle, des contrôles sur pièces. Elles sont en cours d’achèvement pour les comptes dont les avoirs sont supérieurs à 50 000 dollars. En tout état de cause, les règles de prescription sont suffisamment longues pour que l’administration fiscale dispose du temps nécessaire pour taxer les sommes dissimulées, sans se trouver dans l’urgence.

Du fait des conditions d’obtention de la « liste HSBC », l’administration n’a pu directement opposer les informations dont elle disposait aux contribuables, et elle s’est trouvée confrontée à des contribuables niant la possession des avoirs non déclarés, dans environ 30 % des cas. Une partie de ces contribuables, qui détenaient les montants les plus élevés ou dont les dossiers apparaissaient particulièrement frauduleux, fait l’objet d’enquêtes judiciaires fiscales ; au nombre de 50, elles sont conduites par la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF). L’administration étudie par ailleurs la possibilité de revenir vers les personnes en dénégation, qui ne font pas l’objet d’enquêtes, afin de leur opposer les nouvelles dispositions issues de la dernière loi de finances rectificative pour 2012, combinées à celle qui devrait figurer dans la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale, en cours d’examen, en matière de recevabilité de la preuve.

Au 15 juin 2013, les opérations de contrôle fiscal avaient conduit à la régularisation de 950 millions d’euros d’avoirs dissimulés et au paiement de 186 millions d’euros de droits et de pénalités, mais ces montants seront revus à la hausse une fois les dossiers conduits par la BNRDF achevés et les nouvelles dispositions juridiques mises en œuvre.

Par ailleurs, les noms des personnes dont les comptes avaient un en-cours nul ou négatif n’ont pas été laissés de côté, mais ils ont été déversés dans un fichier ad hoc, intitulé Evafisc. Créé pour l’occasion en novembre 2009, il recense les informations laissant présumer de la détention de comptes bancaires hors de France par des personnes physiques et morales, et est notamment utilisé pour la programmation d’opérations de contrôle fiscal.

INTRODUCTION

Voilà quelques jours, M. Hervé Falciani, l’homme à l’origine de l’affaire dite de la « liste HSBC », est revenu en France après près d’un an passé en Espagne, tandis qu’une information judiciaire a été ouverte le 23 avril dernier pour, notamment, « blanchiment en bande organisée de fraude fiscale » et « démarchages bancaires ou financiers illicites » dans le cadre de ce même dossier. Tels sont les derniers rebondissements de cette affaire, qui se développe depuis plus de quatre ans, et dont les retombées vont bien au-delà de la France, puisque l’utilisation des données que M. Falciani a dérobées à la filiale suisse de l’établissement HSBC a suscité des remous de Grèce en Italie, en passant par l’Espagne et bien sûr la France et la Suisse. Ont été portés à la connaissance des autorités fiscales de différents pays les noms de milliers de contribuables, connus ou anonymes, dissimulant des avoirs, parfois très substantiels, dans des comptes non déclarés en Suisse.

Il n’a échappé à personne que le sujet de l’évasion fiscale est devenu d’une brûlante actualité, davantage encore d’ailleurs que lors des prémisses de l’ « affaire HSBC », en 2009. Les articles de presse et les émissions télévisées sur le sujet se multiplient, et la « liste HSBC » a suscité et suscite toujours un intérêt tout particulier, notamment du fait de son ampleur, avec un volume de données considérables mis à jour, et de ses aspects sensationnels, avec les pérégrinations de l’informateur M. Falciani en Suisse, en France, puis en Espagne. Beaucoup de choses ont été dites sur le sujet, d’autres ont été suggérées, notamment que certaines personnes figurant sur cette liste auraient été protégées, que des noms auraient été retirés, ou bien que les poursuites judiciaires et fiscales à l’encontre des contribuables fraudeurs n’auraient pas été engagées comme elles auraient dû l’être.

Dans ce contexte, il a semblé utile, sinon indispensable, que ce sujet fasse l’objet d’investigations précises au titre des activités de contrôle de la commission des Finances, afin d’apporter toutes les clarifications possibles. En application de l’article 57 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (LOLF), le Rapporteur général de la Commission, de même que son Président, dispose de pouvoirs spécifiques de contrôle et peut procéder à toutes investigations sur pièces et sur place, et toutes auditions qu’il juge utiles – sans toutefois pouvoir formellement faire prêter serment, à la différence des commissions d’enquête. Le secret fiscal ne peut lui être opposé, même s’il y est lui-même astreint. Le Rapporteur général a donc conduit des travaux sur le volet administratif et fiscal de l’affaire – le volet judiciaire étant en cours, il ne pouvait bien évidemment être inclus dans le champ du présent rapport. Il a entendu de nombreuses personnes au sein de l’administration fiscale ayant travaillé sur le sujet, au ministère de l’Économie, hors la présence de ministres ou de membres de leurs cabinets ; il a obtenu des services tous les éléments de réponses qu’il leur avait demandés, dont la « liste HSBC », énumérant les noms des personnes résidentes fiscales françaises extraits des bases de données transmises par M. Falciani, mais aussi des notes aux ministres successifs ainsi que des éléments statistiques précis. Il a par ailleurs auditionné M. Hervé Falciani, accompagné de son avocat, dès son retour de France, d’abord seul puis aux côtés de ses collègues rapporteurs du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale, Mme Sandrine Mazetier, pour la commission des Finances, et M. Yann Galut, pour la commission des Lois. Il a également reçu M. Éric de Montgolfier, qui a joué un rôle important aux débuts de l’affaire lorsqu’il était procureur de la République à Nice.

Le présent rapport consigne les résultats de ces travaux. Il présente le déroulement de l’obtention et de l’extraction des données informatiques par l’administration et la justice françaises, ainsi que leur exploitation par l’administration fiscale, dans tous leurs aspects. Il précise les caractéristiques principales de cette liste, telles que le nombre de personnes y figurant, qui a donné lieu à de nombreuses controverses, et le montant des avoirs. Il détaille les difficultés juridiques auxquelles l’administration s’est trouvée confrontée compte tenu de l’origine des données et des dénégations de certains contribuables, et les conditions de régularisation et de taxation des avoirs dissimulés. Il expose l’utilisation qui est faite de certaines données, par exemple dans un fichier spécifiquement créé à cette occasion, et présente les premiers constats résultant de cette affaire et les pistes de réflexions qu’elle peut ouvrir.

I. L’OBTENTION D’UNE LISTE DE DÉTENTEURS DE COMPTES EN SUISSE NON DÉCLARÉS, À PARTIR D’INFORMATIONS TRANSMISES PAR UN ANCIEN INFORMATICIEN DE LA FILIALE SUISSE DE LA BANQUE HSBC

A. DEUX CANAUX PARALLÈLES DE TRANSMISSION DES INFORMATIONS

Si la genèse de l’« affaire HSBC » est désormais bien connue, de nombreux articles de presse s’étant fait l’écho de ses rebondissements, il semble toutefois utile d’y revenir rapidement et de rappeler la chronologie des faits, avant de détailler l’utilisation des données transmises à l’administration fiscale
– d’autant que leur utilisation a été conditionnée par ces conditions d’obtention très particulières. Cette chronologie est établie sur la base d’informations croisées, obtenues des différents intervenants auditionnés par le Rapporteur général, de l’administration fiscale à M. Falciani, en passant par M. Éric de Montgolfier, alors procureur de la République de Nice.

1. La remise de données à l’administration fiscale

Ainsi que chacun le sait après les multiples « unes » dont il a fait l’objet, c’est l’ancien informaticien M. Hervé Falciani, qui travaillait dans la filiale suisse de l’établissement britannique HSBC Private Bank, qui est à l’origine de l’affaire. Lorsqu’il était en poste à Genève, M. Falciani a récupéré un volume important de données issues de la « base clients » de l’établissement. Au printemps 2008, il a pris contact avec la Division nationale d’investigations financières (DNIF), division de la direction centrale de la police judiciaire comprenant notamment la brigade nationale de répression de la délinquance financière (1). La DNIF a transféré le dossier à la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF), qui est l’une des directions nationales spécialisées dans le domaine du contrôle fiscal au sein de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) : la DNEF est chargée de la recherche, du renseignement et des enquêtes, tant au niveau national qu’international.

C’est donc la DNEF qui est entrée en contact avec M. Hervé Falciani, lequel, dans un premier temps, n’a pas souhaité dévoiler son identité, et a fait part de sa surprise de se trouver face à des interlocuteurs des services fiscaux, et non à des agents de la police judiciaire. La DNEF a procédé à un intense travail préalable, destiné à convaincre l’informateur de lever l’anonymat, mais aussi à rechercher et à comprendre ses motivations, à évaluer sa crédibilité et à analyser des échantillons d’informations qu’il lui transmettait. Cette démarche classique vise, ainsi que cela a été expliqué au Rapporteur général, à éviter toute manipulation ou instrumentalisation de l’administration fiscale, par exemple par des personnes « infiltrées ». Par ailleurs, a été évoqué le risque de commercialisation d’informations de ce type par des « mafias », qui achèteraient leurs données auprès d’informateurs et les diviseraient en autant de lots que de pays concernés. Autant d’écueils à éviter, par un travail de renseignement soigneux et méthodique, qui prend nécessairement du temps.

Finalement, une fois l’anonymat levé, et après plusieurs échanges, M. Hervé Falciani a remis à son contact au sein de la DNEF les informations dont il disait disposer, sous la forme de cinq DVD-Rom, à la fin du mois de décembre 2008.

M. Hervé Falciani n’a reçu aucune rémunération pour cette transmission, comme il l’indique lui-même d’ailleurs. En tout état de cause, l’administration fiscale française, à la différence des douanes par exemple, ne dispose d’aucun cadre juridique ni d’aucun moyen financier pour payer des informateurs, ou « aviseurs », pour reprendre le vocable douanier.

2. La saisie de données par l’autorité judiciaire lors d’une perquisition réalisée à la demande de la justice suisse

Lors de la remise des données à l’administration fiscale française, M. Falciani se trouvait en France, après avoir quitté la Suisse précipitamment. En effet, les autorités judiciaires helvètes avaient été alertées suite à son voyage à Beyrouth, où il s’était déplacé sous l’identité de Ruben Al-Chidiak. L’informaticien avait été interrogé une première fois en Suisse le 22 décembre 2008, sans être mis en garde à vue. Convoqué pour une nouvelle audition le lendemain, il a traversé la frontière pour se rendre en France, dont il est ressortissant (avec une double nationalité italienne) et où vit une partie de sa famille. Il n’a pas honoré ses obligations judiciaires, alors qu’il était soupçonné de violation du secret commercial et du secret bancaire.

La justice suisse a donc lancé une commission rogatoire internationale, et le 13 janvier, le parquet de Nice a été saisi d’une demande d’entraide judiciaire, en application de la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 et des accords de Schengen du 14 juin 1985.

Dans ce cadre, le Procureur de la République de Nice d’alors, M. Éric de Montgolfier, a fait procéder, le 20 janvier 2009, à une perquisition au domicile de M. Falciani, en présence d’un magistrat et de deux enquêteurs de la police judiciaire de Berne. Il semble d’ailleurs que les autorités judiciaires suisses aient entretenu une certaine ambiguïté sur leurs objectifs dans leur demande d’entraide, évoquant le volet libanais, mais sans aborder clairement la question des informations volées par M. Falciani. Un ordinateur, un smartphone et un carnet ont été saisis lors de la perquisition, et il est apparu que le disque dur de l’ordinateur contenait des données sur les clients de la filiale suisse de la banque HSBC.

De ce fait, les données qu’avait recueillies M. Falciani au sein d’HSBC sont parvenues aux autorités françaises par deux voies. La première était celle de l’administration fiscale ; elle posait de réelles difficultés juridiques en l’état du droit, l’administration fiscale n’étant pas en mesure d’exploiter les informations et de les opposer aux contribuables concernés puisqu’il s’agissait d’informations volées remises par l’auteur du vol (2). La seconde était celle de la justice, et ne suscitait pas la même contestation juridique, du fait de ses modalités d’obtention. C’est à ce titre que l’on a pu dire, par une formule un peu simpliste, que le Procureur de la République de Nice avait « blanchi » les données recueillies par M. Falciani.

Pour lever les difficultés de l’administration fiscale dans l’utilisation des informations dont elle disposait, le Procureur de la République lui a en effet communiqué les informations récupérées lors de la perquisition, par courrier du 9 juillet 2009, sur le fondement de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales. Cet article prévoit que l'autorité judiciaire doit « communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt », ce qui était manifestement le cas en l’espèce. Toutefois, le fond du problème demeurait, à savoir que les informations avaient été, dès le début, dérobées à l’établissement HSBC.

Tant l’administration fiscale que M. Falciani ont indiqué au Rapporteur général que les données figurant sur les DVD-Rom transmis à la DNEF fin décembre 2008 et celles extraites du disque dur de l’ordinateur à l’issue de la perquisition étaient strictement identiques. L’administration fiscale a été en mesure de réaliser des comparaisons lorsqu’en septembre 2009 et en janvier 2010, les données recueillies par la justice lui ont été transmises par l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), service d’enquête chargé par le Procureur de Nice de leur exploitation.

La question de la restitution à la Suisse des données obtenues lors de la perquisition a suscité nombre de polémiques, et de réelles tensions diplomatiques. La Suisse réclamait la remise immédiate des pièces saisies lors de la perquisition. Si la France obtempérait, et ne conservait que des copies, elle ne pouvait plus utiliser les pièces à l’appui de procédures judiciaires ; il aurait été pour le moins étonnant, pour ne pas dire davantage, que la France restitue tels quels ces documents sans chercher à les exploiter, alors qu’ils concernaient des faits de fraude fiscale et de blanchiment d’argent, en partie d’origine française, et manifestement de grande ampleur.

Finalement, à l’issue de débats au sein du Gouvernement, il a été décidé de ne pas remettre les documents originaux à la Suisse, sur le fondement de l’article 2 de la convention européenne d’entraide judiciaire. Celui-ci prévoit en effet que l’entraide peut être refusée « si la demande se rapporte à des infractions considérées par la partie requise soit comme des infractions politiques, (…) soit comme des infractions fiscales » ; ou bien « si la partie requise estime que l'exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels de son pays ».

Cette position a suscité un fort mécontentement en Suisse et des mesures de rétorsion. En décembre 2009, la Suisse a ainsi annoncé son intention de suspendre le processus de ratification par les deux chambres fédérales de l’avenant à la convention relative aux doubles impositions avec la France conclu à l’été 2009 – lequel avenant introduisait, parmi d’autres dispositions, la possibilité de mettre en œuvre des échanges de renseignements fiscaux, sur le modèle dit OCDE de convention fiscale. Toutefois, le processus de ratification de l’avenant par la Suisse a ensuite repris son cours et a finalement abouti, tandis que des copies des pièces saisies ont été communiquées à la justice suisse en mars 2010.

B. LE DÉCRYPTAGE DE FICHIERS INFORMATIQUES PAR L’ADMINISTRATION FISCALE

Il convient tout d’abord d’insister sur le fait que la dénommée « liste HSBC » n’en était à l’origine pas une. Les documents transmis à la DNEF, d’une part, ceux saisis au domicile de M. Falciani, d’autre part, étaient constitués de centaines de fichiers de diverses provenances, avec des formats techniques différents. Pour parvenir à établir une liste de comptes détenus par des personnes physiques et morales, un lourd travail de consolidation et de reconstitution informatique a dû être réalisé à partir de ce matériel « brut », qui représentait plus de 65 giga-octets de données.

L’opération de décryptage, puis d’exploitation, de ces informations a été intitulée par l’administration fiscale « Opération chocolat » – nom dont il n’est pas besoin d’expliciter l’origine.

1. L’extraction de données complexes, dont le morcellement assurait l’opacité

L’exploitation des documents informatiques a pris du temps, car il fallait décrypter les données, les relier entre elles, pour parvenir à rattacher à des personnes physiques et morales des comptes, des montants et des dates, disséminés dans de très nombreux fichiers. Une telle entreprise ne va pas sans tâtonnement, avec un nécessaire temps d’apprentissage. La DNEF a été aidée dans cette tâche par M. Hervé Falciani, qui lui a apporté son expertise par voie téléphonique.

La base de données HSBC était constituée de tables contenant les données d’identification des personnes physiques et morales. Ces tables identifiaient de manière unique chaque personne dans un établissement de la banque HSBC grâce à un numéro de « Business Unit Partner » (BUP). Parallèlement, la classification de la clientèle était fondée sur les « profils clients » : ces constructions opaques, qui peuvent être numérotées ou prendre le nom d’une entité offshore, regroupaient généralement plusieurs comptes bancaires, comportant des actifs de diverse nature (titres, obligations, liquidités...), et correspondaient le plus souvent à plusieurs personnes physiques. Celles-ci appartenaient parfois à la même famille, mais ce n’était pas toujours le cas, et il n’était pas aisé de retrouver les relations qui unissaient les différentes personnes associées à un même profil. Une même personne détenait généralement des intérêts dans plusieurs profils clients, en entretenant des liens de différente nature : titulaire du compte (account holder), ayant droit économique (beneficial owner), mandataire (attorney), utilisateur internet (internet user), mandat d’administration (power of administration), lettre d’autorisation (letter of authorization), droit de regard (right of inspection)... Les profils clients pouvaient être nominatifs – le nom du profil correspondant au nom du client –, codés – avec une confidentialité maximale mais une validation systématique par le titulaire des opérations réalisées par le gestionnaire –, ou bien encore numériques – le titulaire ne validant pas systématiquement les opérations.

En tout état de cause, du fait de cette organisation morcelée et éclatée en de nombreux profils et comptes, sans doute destinée à brouiller les pistes, il était très complexe de relier les personnes physiques et morales à leurs avoirs bancaires. Parfois, il est apparu que des salariés de la banque se trouvaient derrière des profils clients ; il s’agissait aussi parfois de trusts, de fondations, de sociétés domiciliées ou de fonds de placement externes. Détail significatif, la correspondance avec le client pouvait être « bloquée en banque », ce qui signifiait que celui-ci avait demandé que toute la correspondance bancaire soit retenue dans les locaux de la banque pour plus de discrétion. Autant d’éléments mettant en évidence, s’il était besoin, l’objectif de dissimulation qui sous-tendait l’organisation de l’établissement.

Pour démêler cet écheveau, les services de la DNEF ont pu s’appuyer sur un outil extrêmement utile, à savoir les « scripts » : il s’agit de la correspondance entre le chargé d’affaires et son client, extraite d’un logiciel de gestion de la relation client. Ces scripts rendaient compte de leurs contacts, que ce soit par téléphone ou physiquement, et permettaient de réunir des informations sur les opérations prévues sur tel ou tel compte, pour tel ou tel bénéficiaire.

À l’issue du premier semestre 2009, les équipes ont réussi à produire une vision d’ensemble du dispositif, puis à identifier le montant maximal associé à chaque personne physique ou morale, et enfin à dater ces chiffres, ce qui était indispensable pour l’administration fiscale. En effet, un montant maximal n’est en lui-même pas utilisable, il est nécessaire de disposer d’une période de référence pour fiscaliser les sommes, notamment pour appliquer l’impôt sur la fortune (ISF) le cas échéant. Les services de la DNEF ont ensuite élaboré pour chaque personne physique et morale une sorte de « fiche client » regroupant toutes les informations disponibles s’y rattachant, notamment leur nationalité, leur adresse, les profils clients auxquels ils étaient liés, les autres personnes liées à ces profils, le patrimoine estimé de la personne pour chaque profil à différentes dates, les scripts des échanges…

À partir de septembre 2009, la DNEF a collaboré avec les services de l’IRCGN, qui travaillaient dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte par le Procureur de la République de Nice : cette coopération a consisté en des échanges sur les exploitations et traitements des fichiers menés par les deux services afin de retenir des modalités d’investigation comparables. Les services ont pu vérifier que leurs calculs étaient identiques, ce qui leur a permis de conforter leurs travaux. Toutefois, le Rapporteur général n’a pas été en mesure de consulter la liste issue des travaux de l’IRCGN et remise aux magistrats, puisqu’elle constitue une des pièces d’un dossier judiciaire encore en cours, à laquelle s’applique donc le secret de l’instruction. De ce fait, seul le juge d’instruction chargé de l’enquête pourrait comparer cette liste avec celle remise par l’administration fiscale au Rapporteur général.

Enfin, à l’issue de ces travaux d’identification, au dernier trimestre 2009, la DNEF a été en mesure de produire une liste de personnes physiques et morales, avec les avoirs disponibles à différentes dates, ainsi que leurs adresses. Ont été identifiées 107 181 personnes physiques et 20 130 personnes morales, soit 127 311 personnes en tout, de toutes nationalités.

Ce lourd et long travail a requis l’investissement et la mobilisation d’agents très qualifiés pendant près d’un an. Après le travail préalable de la cellule d’ingénierie d’informatique de la DNEF, deux brigades nationales d’investigation (BNI), composées chacune d’une dizaine d’inspecteurs et de contrôleurs, ont été mobilisées pendant une année complète pour analyser les dossiers et préparer leur transmission aux services chargés du contrôle fiscal. Trois autres BNI ont été mises à contribution pendant quelques mois.

Ces travaux d’exploitation des documents informatiques pourraient prendre un nouvel essor avec la volonté de collaboration annoncée par M. Hervé Falciani à son retour de France ainsi qu’avec l’ouverture de l’information judiciaire au titre de laquelle celui-ci a le statut de témoin assisté.

2. Les résultats de ce travail d’analyse

Le Rapporteur général s’est appuyé sur les données fournies par les services du contrôle fiscal de la DGFiP. Dans des délais très brefs, il a obtenu l’intégralité des documents et réponses qu’il a demandés, dont ce qu’il est convenu d’appeler la « liste HSBC » – c'est-à-dire le document récapitulant les noms et montants des avoirs des personnes physiques et morales résidant fiscalement en France, tel qu’issu des travaux de la DNEF.

En sa qualité de Rapporteur général de la commission des Finances de l’Assemblée, le secret fiscal ne lui est pas opposable. Lui-même est toutefois tenu de s’y astreindre, bien évidemment. Les développements suivants sont donc aussi détaillés que possible pour l’information de la Commission et du public, mais dans la limite du respect du secret fiscal.

a. Près de 3 000 comptes détenus par des personnes physiques et morales susceptibles d’être résidentes françaises

À partir des près de 130 000 noms extraits des DVD-Rom, la DNEF a retenu les personnes disposant ou ayant disposé, selon les fichiers de la banque, d’une adresse en France ainsi que celles dotées d’un numéro de téléphone français, afin d’obtenir une liste de personnes susceptibles d’être résidentes fiscales françaises. Cette sélection a conduit à faire ressortir 8 993 « lignes » relatives à des personnes physiques ou morales.

● L’élimination des doublons et des comptes à en-cours nul ou négatif

Au sein de ces quelque 9 000 lignes, figuraient de nombreux doublons, puisqu’à une même personne, pouvaient être rattachées plusieurs lignes, correspondant aux différentes adresses passées et présentes des clients de la banque. Leur élimination a conduit à identifier 6 313 personnes physiques ou morales. La liste des 8 993 lignes contient donc les mêmes noms que celle des 6 313 personnes mais détaille l’ensemble de leurs adresses.

Parmi ces personnes physiques ou morales, ont été mises à part :

● 3 240 personnes physiques ou morales dont l’en-cours bancaire était négatif ou nul (3) et qui disposaient d’une adresse en France. Ne pouvant faire l’objet d’aucune fiscalisation dans l’immédiat, ces personnes ont été mises sous surveillance, notamment dans le cadre d’un fichier constitué à cet effet en novembre 2009 (voir infra) ;

● 62 personnes physiques ou morales dont l’en-cours bancaire était positif, mais qui ne disposaient pas d’une adresse en France, et qui n’ont pas été localisées  à ce jour ;

● 79 personnes physiques ou morales dont l’en-cours bancaire était négatif ou nul, qui ne disposaient pas d’une adresse en France et qui n’ont pas été à ce jour localisées.

Une fois ces retranchements effectués, subsistaient 2 932 personnes, dont 2 846 personnes physiques et 86 personnes morales, dont les en-cours étaient positifs, et qui disposaient d’une adresse en France. Les cas des 86 personnes morales ont été pour partie transmis à la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), laquelle est chargée du contrôle fiscal des grandes entreprises et de leurs filiales.

Tel est le détail du passage de près de 9 000 « lignes » à un peu moins de 3 000 titulaires de comptes non déclarés. Il est faux de soutenir, comme l’ont fait plusieurs journaux, que l’administration fiscale aurait effacé plus de 6 000 noms de cette liste, en passant de 8 993 lignes à 2 932 personnes. En consultant la liste, le Rapporteur général a pu constater que pour une même personne, pouvaient effectivement figurer cinq ou six adresses différentes, constituant autant de doublons.

À cet égard, une dizaine de noms ont été évoqués dans la presse, au motif qu’ils auraient été ôtés de la « liste HSBC ». Ces assertions ont alimenté les soupçons, laissant à penser que les documents auraient été manipulés et « nettoyés » de noms gênants. Le Rapporteur général, à qui l’administration fiscale a remis une liste comportant les comptes actifs comme les comptes à en-cours nul ou négatif, est en mesure d’indiquer que ce n’est nullement le cas pour les différents noms qui ont pu être cités.

C’est bien à ce document comportant près de 3 000 noms que faisait référence le ministre du Budget, M. Éric Woerth, à la fin du mois d’août 2009 : il avait alors déclaré disposer d’une liste de 3 000 détenteurs de comptes dans des banques suisses (4) , dont la grande majorité sans doute non déclarés, et avait indiqué qu’il appartenait aux contribuables fraudeurs de venir régulariser leur situation dans la « cellule de dégrisement », mise en place en avril 2009 et qui devait être fermée à la fin de l’année. Le ministre n’avait alors pas précisé de quel(s) établissement(s) bancaire(s) étaient issues ces données, entretenant l’ambiguïté pour inciter l’ensemble des contribuables concernés à déclarer leurs avoirs. Cette annonce a sans doute contribué au fort afflux de dossiers auprès de la cellule jusqu’à la fin de l’année, et au total, près de 4 800 contribuables sont venus déclarer pour 7,3 milliards d’euros d’avoirs. L’identité de la banque HSBC d’où venait l’essentiel des « 3 000 noms » n’a été révélée publiquement qu’au début du mois de décembre 2009.

● L’exclusion d’un certain nombre de dossiers

Sur les 2 846 dossiers relatifs à des personnes physiques, un certain nombre ont toutefois été classés sans suite, pour divers motifs ; leur nombre n’est pas figé depuis les débuts de l’exploitation des données, car le travail d’enquête se poursuit sur un certain nombre de dossiers. Certains contrôles ont été clôturés parce que des personnes initialement identifiées comme résidentes ne s’avèrent plus être domiciliées en France aujourd’hui. À l’inverse, des dossiers peuvent être ajoutés, par de nouvelles recherches ou des informations extérieures. Ainsi, suite aux questions posées par le Rapporteur général dans le cadre de la préparation de ce rapport, des retraitements opérés par la DNEF ont permis d’identifier que 30 personnes physiques dont les comptes présentaient une valeur positive sur la période concernée ne figuraient pas dans la liste des 2 846 noms, alors même que des contrôles avaient déjà été engagés pour 20 d’entre elles ; sur les 10 restantes, deux sont inconnues des bases de la DGFiP et huit n’ont pas encore été traitées.

Au 15 juin 2013, les dossiers sans suite ou non immédiatement exploitables étaient au nombre de 527, ce qui ramène le nombre total de dossiers en traitement à 2 319.

Ces 527 dossiers sans suite se répartissent comme suit :

● 6 personnes avaient bien déclaré leur compte auprès de l’administration fiscale lors de leurs déclarations d’impôt.

La faiblesse du nombre de comptes déclarés (0,2 % des personnes physiques) ne laisse pas d’étonner, et montre, s’il était besoin, que le recours par des résidents fiscaux français à des comptes ouverts auprès d’établissements suisses répond quasi exclusivement à un objectif de fraude fiscale.

● 66 dossiers ont été régularisés dans le cadre de la cellule dite « de dégrisement » instaurée par le ministre du Budget entre avril et décembre 2009, ou par les services locaux de la DGFiP. Il est d’ailleurs intéressant de constater que sur les 4 725 personnes qui sont venues déclarer leurs actifs, dans le contexte de l’annonce par le ministre du Budget de l’existence d’une « liste des 3 000 », seulement 2 % détenaient des comptes dans la banque effectivement concernée à titre principal (5).

● 117 dossiers concernent des personnes décédées, pour lesquels des investigations se poursuivent pour rechercher les héritiers.

● 193 dossiers correspondent à des personnes non résidentes fiscalement en France in fine.

● 85 dossiers se sont avérés inconnus des bases de la DGFiP, et il n’a pas été possible de remonter jusqu’aux intéressés.

● 28 présentaient après enquête des actifs négatifs ou nuls, et ont donc été mis à l’écart.

Enfin, 32 dossiers ont été suspendus en raison de l’âge du détenteur, lorsque celui-ci était supérieur à 85 ans. Certaines personnes sont décédées depuis et la procédure s’est poursuivie à l’encontre des héritiers, lorsqu’ils ont pu être identifiés ; dans d’autres cas, d’autres membres du groupe familial, généralement les enfants, co-titulaires ou mandataires des comptes, ont acquitté les droits et pénalités correspondants. Dans d’autres dossiers encore, le contrôle se poursuit dans le cadre du périmètre familial, dès lors que d’autres membres de cette famille figurent sur la liste.

b. Des sommes de l’ordre de 5 milliards de dollars au total

Selon les informations communiquées par la DGFiP, les données financières figurant dans les fichiers informatiques portaient sur la période allant de novembre 2005 à février 2007. Elles détaillaient mois par mois les avoirs des différents profils clients, ventilés par type d’actifs (actions, obligations, liquidités). Les fiches de synthèse individuelles élaborées par la DNEF présentent trois valeurs, exprimées en dollars : la valeur estimée au 31 décembre 2005, celle estimée au 31 décembre 2006 et la valeur estimée maximale sur la période dans son ensemble, de novembre 2005 à février 2007.

Selon les données fournies au Rapporteur général, le montant total des avoirs figurant sur les comptes de personnes physiques et morales résidentes françaises s’élevait à près de 5  milliards de dollars, le montant variant sensiblement selon la date considérée. Sur cette somme, environ 3,5 milliards de dollars relevaient de comptes de personnes physiques, quand 1,4 milliard de dollars était rattaché à des comptes de personnes morales ; pour ces dernières, les avoirs étaient très concentrés sur un petit nombre de comptes, dont certains étaient détenus par des banques.

Au total, 60 personnes physiques ou morales disposaient d’avoirs de plus de quinze millions de dollars, avec des montants très disparates, allant jusqu’à plus de 500 millions d’euros pour deux personnes physiques, qui étaient selon toute probabilité des prête-noms portant des avoirs ne leur appartenant pas.

L’histogramme et le tableau présentés ci-dessous illustrent la forte concentration des avoirs :

RÉPARTITION DES AVOIRS FIGURANT SUR LA « LISTE HSBC »


VALEURS MÉDIANE ET MOYENNE DES AVOIRS FIGURANT SUR LA « LISTE HSBC »

(en dollars)

 

Valeur des avoirs au 31/12/2005

Valeur des avoirs au 31/12/2006

Valeur moyenne des avoirs

Valeur la plus élevée des avoirs

Moyenne

1 846 971

2 425 574

2 192 427

2 739 121

Médiane

369 836

385 664

376 172

427 267

Montant total des 1 % des avoirs les plus élevés

1 219 974 028

1 755 456 092

1 468 862 824

2 619 940 278

Montant total des 5 % des avoirs les plus élevés

2 206 349 547

2 735 312 360

2 392 965 711

3 898 928 981

Plus de la moitié des avoirs se trouvait en deçà d’une valeur médiane de 376 000 dollars, tandis que la valeur moyenne des avoirs atteignait 2,19 millions de dollars. Les 10 % de comptes les plus faibles représentaient des montants quasi négligeables, tandis que pour les 10 % les plus importants, le montant moyen par BUP atteignait 3,5 millions de dollars.

Par ailleurs, et ce sont les chiffres les plus significatifs sans doute, 1 % des avoirs les plus élevés représentait à lui seul un montant total de 1,75 milliard de dollars en décembre 2006, tandis que les 5 % des avoirs les plus élevés correspondaient à un total de 2,73 milliards de dollars à cette même date, soit plus de la moitié des sommes totales figurant alors sur la « liste HSBC ».

Les avoirs détenus sur ces comptes sont majoritairement issus d’héritages, les comptes « actifs », alimentés par des revenus d’activité, étant moins nombreux. Dans le cadre des opérations de contrôle menées, les contribuables ont été invités à produire des éléments justificatifs de l’origine des fonds, de manière à distinguer les comptes « patrimoniaux » des comptes actifs. Environ les deux tiers des personnes ayant régularisé leur situation dans le cadre d’un examen de situation fiscale personnelle (voir infra) avaient reçu les avoirs non déclarés par héritages successifs à des périodes anciennes ; cette proportion a atteint 90 % pour les dossiers traités dans le cadre de contrôles sur pièces par la direction nationale de vérification des situations fiscales (DNVSF). Il s’agit donc pour une large part d’une fraude fiscale plus « passive », résultant d’événements antérieurs, qu’« active ».

Somme toute, les informations obtenues se sont avérées, à l’exploitation, exceptionnelles, tant du point de leur volume, inégalé jusqu’à maintenant, que de leur fiabilité et de leur « fraîcheur », puisqu’elles étaient relativement récentes. L’exemple le plus récent en la matière, soit la liste dite du Liechtenstein (6), avait apporté des éléments très intéressants, mais sans commune mesure avec les documents issus d’HSBC.

II. L’EXPLOITATION DE CES DONNÉES

A. UN TRAITEMENT FISCAL DES INFORMATIONS ENCADRÉ PAR DES CONTRAINTES JURIDIQUES FORTES

Certains articles de presse ont fait état du fait que seulement 86 contribuables figurant sur la liste faisaient l’objet de poursuites, sous-entendant par là même que les autres personnes se trouvaient à l’abri et n’avaient nullement été inquiétées. Cette présentation est trompeuse et traduit une méconnaissance certaine de l’articulation des sanctions fiscales et pénales de la fraude.

Certes, l’administration fiscale a déposé plainte devant la justice à l’encontre de 86 personnes figurant sur cette liste : il s’agissait des dossiers les plus frauduleux, pour lesquels les comptes étaient actifs et ne constituaient pas seulement un héritage familial, ou qui représentaient des avoirs importants dont les détenteurs étaient en dénégation, ce qui justifiait la saisine de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale et l’engagement de poursuites pénales. Mais l’administration ne s’est bien évidemment pas désintéressée des autres cas : elle leur a appliqué des sanctions fiscales – auxquelles la jurisprudence reconnaît un caractère répressif –, à savoir des droits rappelés et des pénalités.

Il a par ailleurs été souligné que l’administration fiscale n’avait pas redressé l’intégralité des personnes disposant d’avoirs dissimulés, en laissant entendre qu’elle avait fait preuve d’une certaine inertie, voire qu’elle avait accordé des traitements de faveur. De fait, la DGFiP n’a pas encore été en mesure de fiscaliser l’intégralité des actifs figurant sur des comptes non déclarés. Ceci s’explique tout d’abord par le fait que le nombre de comptes était très élevé, et que les contrôles requéraient des travaux longs et approfondis. Or bon nombre de comptes comportaient des montants relativement faibles, qui n’étaient pas susceptibles d’être imposables au-delà de sommes symboliques. Les services, dont les capacités de traitement sont contingentées, se sont donc concentrés dans un premier temps sur les actifs les plus importants en montant, avec des objectifs légitimes de rendement et de sanction des fraudes les plus élevées. Les autres comptes, comportant des avoirs peu élevés, n’ont pas été laissés de côté, mais ont été transmis à des services de contrôle déconcentrés, et leur traitement est en cours d’achèvement. Ensuite, la mise en œuvre des opérations de contrôle s’est heurtée à une contrainte de taille, à savoir l’inopposabilité juridique des documents dont disposait l’administration fiscale à l’encontre des détenteurs d’avoirs non déclarés auprès d’HSBC. Cet obstacle juridique a fortement limité les capacités d’action de la DGFiP.

Il est possible que le traitement technique des données issues des fichiers informatiques transmis n’ait pas été suffisamment approfondi, comme l’a affirmé M. Hervé Falciani lors de son audition par le Rapporteur général. Toutefois, il serait excessif d’accuser l’administration fiscale de laxisme dans la mise en œuvre du contrôle fiscal des personnes identifiées comme détenant des avoirs non déclarés, alors qu’elle a été amenée à agir dans un contexte difficile et juridiquement très incertain et qu’elle a mobilisé d’importants moyens à ce titre.

1. Les difficultés juridiques posées par l’origine des preuves

Tant les informations transmises directement par M. Falciani que celles communiquées par l’autorité judiciaire étaient issues de documents informatiques dérobés. L’administration se trouvait dans une situation similaire à celle de l’affaire dite du Liechtenstein, pour laquelle la liste transmise par la voie de l’assistance administrative internationale était elle aussi issue d’un vol. Se posaient la question de l’opposabilité des documents aux contribuables, mais aussi celle du risque pesant sur les agents de la DGFiP qui les exploitaient.

a. L’éventuel risque juridique pour les agents de l’administration fiscale

Compte tenu du contexte diplomatique difficile, avec les pressions exercées par la Suisse, et du risque de contentieux de la part des contribuables visés, l’administration fiscale s’est interrogée sur les conséquences potentielles de l’origine des documents sur la procédure, ainsi que sur la protection de ses propres agents et sur les risques d’accusation de recel à leur encontre.

La direction des affaires juridiques du ministère des Finances a légitimement souhaité faire preuve de prudence. Elle a souligné que l’utilisation des informations contenues dans cette liste dans le cadre de procédures fiscales pouvait exposer les agents à des poursuites judiciaires si le vol commis à l’étranger était susceptible de qualification pénale dans le pays où les faits avaient été commis. Des consignes strictes ont donc été transmises aux agents, notamment de ne pas faire état des informations figurant dans la liste dans les courriers envoyés aux contribuables, afin d’écarter tout risque.

Ce n’est qu’en septembre 2012 que la direction des affaires juridiques a conclu que l’incrimination de recel n’était pas constituée lorsque la personne qui détenait les éléments volés bénéficiait d’une autorisation légale. Tel était le cas des agents de la DGFiP lorsqu’ils recevaient des informations du juge, en application de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales, comme pour l’affaire HSBC, ou d’administrations étrangères, comme dans le cas de la liste du Liechtenstein. Si cette analyse juridique semble venir assez tard dans la procédure, après une première approche qui pouvait apparaître comme précautionneuse, elle doit être remise en perspective avec le déroulement de toute l’affaire, qui a donné lieu à des campagnes de presse virulentes en Suisse, et à de nombreux contentieux.

b. La difficulté d’opposer les données aux contribuables au regard de la jurisprudence applicable

L’origine illicite des documents risquait également de poser des difficultés à l’égard de la jurisprudence existante.

S’agissant du juge administratif, compétent pour le contentieux des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, la jurisprudence s’avère assez souple. En effet, si le juge administratif a jugé que l’administration ne pouvait établir des redressements fiscaux en s’appuyant sur des moyens de preuve illicites (7), il a a contrario accepté une procédure d’imposition basée sur des documents transmis par l’autorité judiciaire dans le cadre de l’exercice d’un droit de communication, quand bien même ces documents auraient été auparavant dérobés ; l’annulation ultérieure de ces pièces par le juge pénal étant sans incidence sur la régularité du droit de communication et de la procédure d’imposition, en application du principe d’indépendance des procédures (8). Il était donc possible que le juge administratif admette l’utilisation par l’administration fiscale des documents recueillis par M. Falciani, compte tenu de leur transmission par l’autorité judiciaire dans le cadre de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales.

En revanche, la position de la Cour de cassation était très incertaine. Elle n’avait pas pris de décision explicite sur le sujet, mais à l’occasion d’affaires portant sur d’autres problématiques de procédure, elle avait adopté une position stricte quant à la loyauté de la preuve entre les parties (9). Or, puisque le juge judiciaire est chargé du contentieux des droits d’enregistrement (donc des droits de succession) et des taxes assimilées (dont l’impôt de solidarité sur la fortune), et que c’est à l’ISF et aux droits de succession qu’étaient susceptibles d’être assujettis, à titre principal, les avoirs dissimulés auprès d’HSBC, il était probable que ce soit le juge judiciaire qui soit amené à se prononcer en cas de contentieux.

De fait, les craintes de l’administration fiscale étaient fondées, ainsi que l’ont montré deux arrêts de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 31 janvier 2012 (10). Par ces arrêts, la Chambre commerciale a en effet estimé que, s’agissant du droit de visite et de saisie prévus à l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, l’ordonnance du juge des libertés et de la détention qui doit préalablement autoriser sa mise en œuvre par l’administration fiscale ne pouvait se fonder sur la foi de documents provenant d’un vol, « peu important que ces derniers aient été communiqués à l’administration par un procureur de la République en application de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales ». De ce fait, les perquisitions qui avaient obtenu l’autorisation d’un juge, en dépit des doutes évoqués plus haut, furent annulées. Cette décision fut d’autant plus remarquée qu’elle fut prise le même jour qu’une autre issue de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, portant sur l’affaire dite « Bettencourt » et tranchant en sens inverse ; cette chambre avait ainsi admis que des enregistrements d’une conversation privée effectuée à l’insu des intéressés, dont les avocats de Mme Liliane Bettencourt, constituaient de simples moyens de preuve soumis à la discussion contradictoire. Cette jurisprudence illustre la souplesse du juge pénal en la matière, compte tenu du principe de la liberté des preuves résultant de l’article 427 du code de procédure pénale (11), par opposition à la sévérité applicable pour la recevabilité des preuves en matière civile.

c. Une utilisation indirecte des informations disponibles avec des risques de dénégation des contribuables

De ces éléments, il résulte que les documents dont disposait la DGFiP n’étaient pas opposables en tant que tels pour fonder un redressement et n’ont donc pas été opposés. Si la transmission par l’autorité judiciaire permettait de lever le risque d’accusation de recel pour les agents, elle ne suffisait pas pour autant pour constituer une preuve fiscale sur laquelle pouvait être juridiquement établie une rectification, comme le seraient des informations transmises par une banque, par exemple, dans le cadre de l’exercice d’un droit de communication.

La tâche en était donc singulièrement compliquée pour les agents de la DGFiP, d’autant qu’il n’était pas envisageable, dans le contexte d’alors, de faire jouer l’assistance administrative internationale, sur le fondement de la convention franco-suisse modifiée à l’été 2009 pour introduire les échanges de renseignements fiscaux. La Suisse faisait de l’« affaire HSBC » un casus belli, ce qui manifestait d’ailleurs une sorte de confusion entre les intérêts de l’établissement bancaire et les intérêts nationaux. Ainsi qu’il a été indiqué au Rapporteur général, elle n’aurait sans aucun doute pas répondu à des demandes de la France portant sur des contribuables figurant sur la liste, même à partir du 1er janvier 2010, date d’entrée en vigueur des dispositions de la convention pour les demandes d’information. Il n’était donc pas possible de corroborer les éléments issus des documents volés par l’assistance administrative de la Suisse.

L’administration fiscale se trouvait dès lors dans une position fragile. Elle a en conséquence engagé des contrôles fiscaux classiques, relevant de l’examen de situation fiscale personnelle (ESFP), mais ses agents ne pouvaient pas remettre le BUP aux contribuables visés, et encore moins en faire mention dans les procédures écrites. Ils devaient se contenter de montrer le document ou de l’évoquer oralement. L’administration fiscale était donc tributaire de la volonté de la personne concernée de régulariser sa situation, tout en disposant d’un moyen de pression, à savoir le recours à l’enquête judiciaire fiscale nouvellement introduite à la fin de 2009, qui pouvait constituer une menace pénale sérieuse pour les contribuables récalcitrants.

En tout état de cause, pour les seuls dossiers traités à ce jour, environ 30 % des personnes concernées ont nié détenir des avoirs non déclarés, tandis que les 70 % restants sont entrés dans une procédure de régularisation
– certains ajoutant même dans leur déclaration des comptes dont la DGFiP n’avait pas connaissance. Sur les 30 % refusant de reconnaître la détention d’un compte, les dossiers les plus importants, soit du fait de leur montant, soit du fait de leur nature plus ou moins frauduleuse, ont été transmis à la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), dans le cadre d’une plainte devant la justice. L’administration comme la justice disposeront à l’issue de l’enquête d’éléments de preuve permettant d’appliquer des sanctions fiscales et pénales. Mais il n’était pas possible de transmettre l’intégralité des dossiers dans lesquels les contribuables niaient la détention d’un compte à la BNRDF, sauf à noyer cette brigade qui ne compte qu’environ 25 personnes sous un flot d’affaires, parfois d’un montant limité, et à la paralyser totalement – en l’empêchant ainsi de traiter par ailleurs de dossiers de fraude fiscale complexe de grande ampleur. Subsistent donc de nombreux dossiers où, en l’absence de reconnaissance du contribuable, l’administration n’a pas été encore en mesure d’appliquer les droits et pénalités prévus dans de tels cas.

Un tel constat n’est pas satisfaisant, mais il résulte de contraintes juridiques dont l’administration fiscale ne pouvait s’abstraire. C’est d’ailleurs pour cette raison que, tirant les enseignements de cette affaire comme de celle de la liste du Liechtenstein, le Gouvernement a proposé de modifier les dispositions applicables dans le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, actuellement en cours d’examen au Parlement. Son article 10 vise en effet à permettre à l’administration fiscale d’exploiter les informations qu’elle reçoit, quelle qu’en soit l’origine, lorsqu’elles sont régulièrement portées à sa connaissance, soit par l’autorité judiciaire, soit par l’assistance administrative internationale. Des amendements adoptés à l’initiative de la commission des Finances de l’Assemblée nationale ont d’ailleurs étendu le champ de l’article aux visites domiciliaires, qui en avaient été exclues, ainsi qu’aux documents transmis dans le cadre d’un droit à communication auprès de l’administration fiscale, quel qu’il soit. L’administration fiscale étudie les modalités selon lesquelles ces nouvelles dispositions pourront s’appliquer aux personnes figurant sur la liste et aujourd’hui en dénégation (voir infra).

2. Les modalités de contrôle retenues

La grande majorité des comptes figurant sur la « liste HSBC » était détenue par des personnes physiques, et a été traitée par la direction spécialisée dans le contrôle des patrimoines importants, à savoir la direction nationale de vérification des situations fiscales (DNVSF). En revanche, les opérations de contrôle sur les personnes morales – certes peu nombreuses, mais qui détenaient des sommes considérables – ont été confiées à la Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), compétente pour le contrôle fiscal des plus grandes entreprises. Les développements suivants sont concentrés sur le traitement des personnes physiques, numériquement les plus nombreuses.

a. Le choix de la centralisation des opérations au sein de la DNVSF, impliquant d’étaler les contrôles dans le temps

En amont, ce sont près de 55 agents de la DNEF qui ont procédé aux opérations d’analyse et de tri des informations, afin d’identifier la nature des fraudes à l’origine des avoirs et leurs implications en termes fiscaux, et de définir la meilleure stratégie pour appréhender les dossiers. À la fin de 2009, la DNEF avait élaboré près de 1 750 fiches de programmation concernant les titulaires de comptes dont les avoirs étaient supérieurs à 80 000 dollars.

Le choix a été fait de confier l’ensemble de ces dossiers à la DNVSF. C’était en effet la direction la plus compétente et la mieux outillée pour traiter ces dossiers, mais le fait de ne saisir qu’elle correspondait également à la volonté de ne pas disperser les informations entre un trop grand nombre de services, compte tenu de la sensibilité des dossiers, et des risques de nature pénale qui pesaient sur les agents qui en étaient chargés. Les dossiers issus de la « liste HSBC » représentaient un volume considérable, soit plus de trois fois l’activité annuelle de la DNVSF – celle-ci réalise de l’ordre de 500 examens de situation fiscale personnelle (ESFP) chaque année. Or la DNVSF ne pouvait pas abandonner purement et simplement ses autres activités de contrôle. Il était donc nécessaire d’étaler dans le temps les opérations de contrôle, afin de ne pas engorger durablement la direction par un afflux massif de dossiers.

Dans ce contexte, la stratégie retenue a consisté, dans le cadre d’une nécessaire optimisation de l’utilisation des moyens disponibles au regard des sommes susceptibles d’être recouvrées, à se concentrer en premier lieu sur les dossiers aux enjeux financiers les plus lourds, dans un objectif de rendement, puis à traiter les cas où les montants étaient moins élevés, par vagues successives. Il a également été décidé de recourir à l’examen de situation fiscale personnelle (ESFP), tel que prévu à l’article L. 12 du livre des procédures fiscales, pour les premières vagues de dossiers. L’ESFP a pour but de vérifier la sincérité et l’exactitude de la déclaration d’ensemble des revenus ; il consiste à contrôler la cohérence entre, d’une part, les revenus déclarés, et, d’autre part, la situation patrimoniale, la situation de trésorerie et les éléments du train de vie du contribuable. Dans ce cadre, les comptes bancaires sont examinés ; si le contribuable ne reconnaît pas l’existence de comptes non déclarés, les services peuvent procéder à des opérations complémentaires de recoupement, notamment bancaires, pour mettre en évidence une distorsion entre la situation déclarative du contribuable et sa situation réelle, mais celles-ci peuvent bien évidemment ne pas aboutir à des résultats probants. En tout état de cause, la procédure d’ESFP est enserrée dans des délais incompressibles, compte tenu des garanties dont bénéficient les contribuables ; même dans l’hypothèse favorable d’une reconnaissance de la détention d’avoirs non déclarés et de l’acceptation d’une proposition de rectification, il est difficile d’achever une procédure en moins d’une année. Les contraintes procédurales emportent nécessairement des conséquences sur le déroulement dans le temps d’un tel volume d’opérations de contrôle.

Au total, la DNVSF a engagé près de 900 ESFP depuis février 2010, puis, à partir du début de 2012, elle a procédé à des contrôles sur pièces, pour des dossiers aux montants moins élevés. Dans le cadre de ces contrôles sur pièces, l’administration fiscale a envoyé une lettre à chacun des contribuables concernés leur demandant de se mettre en relation avec le service de contrôle, pour convenir d’un rendez-vous au cours duquel il était précisé que l'administration avait connaissance d'un compte non déclaré détenu auprès d’HSBC : le contribuable pouvait alors régulariser sa situation, ou bien nier la détention de ces avoirs.

Enfin, à partir de juillet 2012, la DNVSF a été déchargée des dossiers aux enjeux moins importants, qui ont été transmis aux directions de contrôle fiscal déconcentrées. Il s’agissait d’alléger la charge de la DNVSF dans le traitement de la « liste HSBC », qui la mobilisait très fortement depuis deux ans, et de lui permettre de se concentrer sur ses activités de contrôle de gros patrimoines, qui risquaient d’être négligées, alors que les dossiers restants issus de la liste représentaient des montants relativement limités. Cette déconcentration correspondait également à la nouvelle analyse juridique de la Chancellerie, puis de la direction des affaires juridiques du ministère des Finances, écartant le risque de mise en cause personnelle des agents sur le plan pénal compte tenu de la transmission légale des informations à l’administration fiscale, par la voie judiciaire.

b. Un traitement en plusieurs vagues, en cours d’achèvement

Les opérations de contrôle ont débuté en février 2010, et sont en cours d’achèvement pour les dossiers dont les avoirs étaient supérieurs à 50 000 dollars. Elles se sont articulées en quatre phases successives.

● La première phase s’est déroulée entre février et décembre 2010 ; durant cette période, la DNVSF a engagé l’ESFP de 528 contribuables détenteurs d’avoirs supérieurs à 1 million de dollars. Il s’agissait pour leur majorité de dossiers de type patrimonial, ainsi que cela a été évoqué supra ; certains comportaient des montants importants, de plusieurs dizaines de millions d’euros.

● Entre janvier et novembre 2011, l’opération a été étendue aux personnes détentrices d’avoirs compris entre 500 000 et 1 million de dollars. Cette extension a représenté 202 affaires supplémentaires attribuées aux brigades, soit un total de 730 affaires.

● À partir de janvier 2012, et parallèlement à la conduite des ESFP, il a été décidé de recourir à la procédure moins lourde des contrôles sur pièces pour les dossiers correspondant à des avoirs entre 300 000 et 500 000 dollars. Initialement, cela concernait 377 dossiers, mais après fiabilisation des données (identification des résidents étrangers, contribuables décédés ou dossiers déjà attribués en brigade et en cours de contrôle par voie d’ESFP ou de contrôles sur pièces), la liste a été ramenée à 304 dossiers, puis à 272 dossiers après suspension du traitement des dossiers des 32 contribuables âgés de plus de 85 ans évoqués plus haut. C’est là encore la DNVSF qui en a été chargée.

Au cours de la même période, des attributions complémentaires d’ESFP se sont poursuivies et 869 dossiers se trouvaient sous la responsabilité des brigades de contrôle fiscal.

● Enfin, en juillet 2012, il a été décidé de déconcentrer la procédure dans les directions interrégionales du contrôle fiscal (DIRCOFI), afin d’accélérer le traitement des dossiers représentant les enjeux les moins importants : 613 dossiers, dont les avoirs étaient compris entre 50 000 et 300 000 dollars, ont été confiés aux DIRCOFI pour la réalisation de contrôles sur pièces.

Au total, 869 dossiers, dont les avoirs dépassaient 500 000 dollars, ont fait l’objet d’ESFP, tandis que 885 dossiers se situant en deçà de ce seuil mais au-delà de 50 000 dollars sont traités dans le cadre de contrôles sur pièces. En revanche, les dossiers dont le solde est inférieur à 50 000 dollars, et qui sont au nombre d’environ 550, restent à traiter ; ils seront transmis aux DIRCOFI en septembre prochain. S’il n’est pas envisageable de les laisser de côté, ne serait-ce que par principe, leurs enjeux fiscaux sont limités, puisque l’expérience montre que le rendement moyen de ce type d’affaires est de l’ordre de 3 000 euros lorsque le contribuable est assujetti à l’ISF et de 1 500 euros dans les autres cas.

Sur les 869 ESFP, plus de 85 % sont d’ores et déjà achevés, ainsi que le retrace le tableau ci-dessous :

RÉSULTATS DU TRAITEMENT DES ESFP ACHEVÉS AU 15 JUIN 2013

Nombre de dossiers terminés par une régularisation (y compris les groupes familiaux et les régularisations en CSP)

455

Nombre de dossiers clôturés sans régularisation (contribuables non-résidents ou non concernés par le compte HSBC)

82

Nombre de dossiers en dénégation

214

Nombre de dossiers retour BNRDF taxés

2

Total des dossiers dont le traitement est achevé

753

Part des dossiers achevés sur le nombre total d’ESFP

86,7 %

Source : DGFiP.

ÉTAT DU TRAITEMENT DES ESFP ENCORE EN COURS AU 15 JUIN 2013

Nombre de dossiers dont l’engagement du contrôle est suspendu (contribuable de plus de 85 ans placé sous tutelle)

1

Nombre de dossiers retournés de la BNRDF en cours de contrôle

36

Nombre de dossiers en cours de régularisation

17

Nombre de dossiers dont la régularisation est possible (accord de principe du contribuable)

10

Nombre de dossiers en cours pour lesquels la position du contribuable n’est pas déterminée

13

Nombre de dossiers dont la déprogrammation est envisagée

39

Total des dossiers encore en cours de traitement

116

Source : DGFiP.

Ces ESFP ont mobilisé 43 vérificateurs en 2010, 72 en 2011, 65 en 2012 et 20 en 2013, ce qui, rapporté aux effectifs de la DNVSF, est considérable.

Le montant des capitaux régularisés dans ce cadre s’élève à 921 millions d’euros, mais dans près de 30 % des ESFP achevés, les contribuables ont nié détenir des avoirs dissimulés.

S’agissant des 885 contrôles sur pièces qui ont été lancés, sur les 272 confiés à la DNVSF, près des deux tiers d’entre eux correspondent à des dénégations des contribuables ou n’ont pas eu de suite pour l’instant. Les 613 contrôles dont les DIRCOFI ont la charge sont en cours, et leurs résultats, qui peuvent paraître limités, sont encore très provisoires.

ÉTAT DU TRAITEMENT DES CONTRÔLES SUR PIÈCES AU 15 JUIN 2013

Nombre de dossiers attribués à la DNVSF

272

Dont nombre de dossiers achevés par une régularisation

66

Dont nombre de dossiers en cours de régularisation

27

Dont nombre de dossiers en dénégation ou sans suite de la part des contribuables

179

Nombre de dossiers attribués aux DIRCOFI

613

Dont nombre de dossiers achevés par une régularisation

57

Dont nombre de dossiers en cours de régularisation

96

Dont nombre de dossiers en dénégation ou sans suite de la part des contribuables

131

Dont nombre de dossiers en cours de contrôle

329

Source : DGFiP.

3. La taxation des sommes dissimulées

a. Différents impôts concernés, avec des règles de prescription longues

Des avoirs figurant sur des comptes non déclarés à l’étranger sont susceptibles d’être taxés à plusieurs titres.

Les droits de mutation à titre gratuit (DMTG) sont, lorsqu’ils trouvent à s’appliquer, les plus importants, avec des taux pouvant aller jusqu’à 60 % entre non-parents. Les droits de mutation ont été appliqués lorsque les avoirs provenaient d’une succession ou d’une donation non prescrite, et, pour les successions et donations réalisées hors de France (lorsque le défunt ou le donateur était domicilié hors de France), dès lors que l’imposition revenait à la France en application du droit conventionnel.

Les avoirs figurant sur le compte bancaire au 1er janvier peuvent également être soumis à l’impôt de solidarité sur la fortune dès lors que le patrimoine du contribuable, après intégration de ces avoirs, est supérieur au seuil d’assujettissement à l’ISF.

Enfin, l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux sur le capital (CSG, CRDS, prélèvement social et contributions additionnelles à ce prélèvement) peuvent être appliqués aux revenus réalisés sur les comptes, c’est-à-dire aux intérêts, aux dividendes et aux plus-values. Par ailleurs, lorsque le compte est détenu par l’intermédiaire d’une structure interposée (trust, fondation, société…) bénéficiant d’un régime fiscal privilégié, le régime fiscal applicable à ces structures interposées est celui prévu à l’article 123 bis du code général des impôts, ce qui se traduit notamment par l’imposition d’un revenu forfaitaire majoré de 25 %.

Pour les avoirs non déclarés sur des comptes à l’étranger, les règles de prescription s’avèrent relativement longues, notamment du fait du durcissement des dispositions intervenu au cours des dernières années. De ce fait, l’administration fiscale n’était pas dans l’urgence pour taxer les avoirs en question, et ne risquait pas de se trouver dépourvue de moyens d’agir au bout du délai de droit commun de trois ans.

En effet, l’article 52 de la dernière loi de finances rectificative pour 2008 (12) a introduit une prescription spécifique de dix ans en matière d’impôt sur le revenu (et corrélativement de prélèvements sociaux) pour les avoirs non déclarés détenus dans des États n’ayant pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’accès aux renseignements bancaires. Tel était le cas de la Suisse à l’époque, puisqu’elle n’avait pas encore conclu l’avenant à la convention fiscale franco-suisse prévoyant les échanges de renseignements fiscaux. Toutefois, compte tenu du caractère non rétroactif du texte instituant cette prescription allongée, prévu par l’article L. 169 du livre des procédures fiscales, les rectifications ne peuvent pas porter sur les revenus se rapportant à des années antérieures à 2006. De ce fait, les rectifications opérées dans le traitement des dossiers de la « liste HSBC » ne portent, comme année non prescrite la plus ancienne, que sur les années 2006 et 2007, et peuvent être réalisées respectivement jusqu’au 31 décembre 2016 et 31 décembre 2017.

Toutefois, le droit de reprise de dix ans en matière d’impôt sur le revenu, élargi par l’article 58 de la dernière loi de finances rectificative pour 2011 (13) à l’ensemble des comptes bancaires non déclarés détenus à l’étranger, ne s’applique pas aux contribuables qui justifient que le total des soldes créditeurs de leurs comptes à l’étranger est inférieur à 50 000 euros au 31 décembre de l’année au titre de laquelle la déclaration du compte devait être faite. De ce fait, le droit de reprise normale de l’administration s’applique, pour les contribuables détenant un compte bancaire en 2006, 2007 ou 2008 en Suisse et dont les avoirs à l’étranger sont inférieurs à 50 000 euros, jusqu’à la fin de la troisième année qui suit l’entrée en vigueur de la loi de finances rectificative pour 2011, soit le 31 décembre 2014.

La prescription prévue pour l’ISF et les droits de mutation à titre gratuit est de six ans à compter du fait générateur ; ce délai est celui de droit commun, applicable en cas d’omission déclarative, prévu par l’article L. 186 du livre des procédures fiscales. Les rectifications réalisées à ce titre pouvaient donc l’être jusqu’au 31 décembre 2012 pour les avoirs figurant sur les comptes au 1er janvier 2006, et peuvent l’être jusqu’au 31 décembre 2013 pour les avoirs figurant sur les comptes au 1er janvier 2007. Or, l’article 8 de la dernière loi de finances rectificative pour 2012 (14) a allongé le droit de reprise de six à dix ans en matière de droits d’enregistrement et d’ISF pour les avoirs non déclarés détenus à l’étranger. Ce nouveau délai ne sera applicable qu’en 2014, avec une entrée en vigueur progressive ; conformément aux principes de non-rétroactivité de la loi, la mesure s'applique aux délais de reprise venant à expiration postérieurement au 31 décembre 2012, ce qui ne permet pas de réaliser de rectification à l'ISF et à d’autres droits d'enregistrement sur les années antérieures à 2007, mais allonge la période de prescription des informations disponibles au 1er janvier 2007 jusqu’au 31 décembre 2017. L’articulation des différentes dispositions permet donc de couvrir les périodes considérées, sans « trou » dans leur application.

b. Les modalités d’application des pénalités

En application du droit en vigueur, les impositions dues dans le cadre du traitement des dossiers HSBC avaient vocation à être assorties des pénalités suivantes :

– les intérêts de retard au taux légal (article 1727 du code général des impôts) ;

– la majoration pour manquement délibéré de 40 % prévue à l’article 1729 du code général des impôts ou, en cas de défaut déclaratif dans les délais légaux, la majoration de 10 % prévue à l’article 1728 du même code ;

– l’amende pour non-déclaration de comptes détenus à l’étranger, prévue au IV de l’article 1736 du code général des impôts. Selon les années, elle oscille, pour un compte détenu en Suisse, entre 750 et 10 000 euros, compte tenu du durcissement des dispositions opéré au cours des dernières années.

Toutefois, pour ces pénalités, l’administration fiscale s’est efforcée d’appliquer un régime moins favorable que celui prévu dans le cadre de la « cellule de dégrisement » précitée, du fait de l’absence de volonté de régularisation spontanée par le contribuable, tout en étant conduite à prévoir des règles plus favorables que le droit commun. En effet, compte tenu de l’inopposabilité juridique des informations sur les avoirs dissimulés, il était loisible aux contribuables de refuser de reconnaître qu’ils détenaient un compte ; même s’ils le reconnaissaient, le risque contentieux était réel, l’administration fiscale n’étant pas certaine de l’emporter devant le juge de l’impôt. Pour sécuriser l’imposition et éviter une vague de contentieux, l’administration fiscale a donc recouru à la transaction, prévoyant une modulation des pénalités en contrepartie de l’engagement des contribuables à renoncer à tout recours juridictionnel. Ce choix permettait par ailleurs de tenir compte de la volonté du contribuable de mettre sa situation fiscale en conformité en communiquant à l’administration fiscale l’ensemble des documents nécessaires à l’imposition de son compte.

Dans le cadre des transactions conclues entre l’administration et le contribuable, le taux de la majoration pour manquement délibéré a été ramené, pour les dossiers conclus à ce jour :

– de 40 % à 10 % pour les fraudeurs dits « passifs ». Sont visés les contribuables n’ayant pas eux-mêmes ouvert le compte (ceux qui ont reçu les avoirs à la suite d’une succession ou d’une donation), ainsi que les expatriés-impatriés, c’est-à-dire les personnes qui ont effectivement vécu et travaillé à l’étranger mais qui n’ont pas déclaré leurs avoirs à l’étranger à leur retour en France ;

– de 40 % à 30 % dans les autres situations, c’est-à-dire les fraudeurs dits « actifs ».

L’amende pour non-déclaration du compte a, pour les dossiers conclus à ce jour, été plafonnée au plus faible des deux montants suivants, quel que soit le profil du contribuable (15) :

– le montant de l’amende fixe le plus élevé appliqué au titre des années de non-respect de l’obligation déclarative (généralement 10 000 euros) ;

– 5 % du total des avoirs détenus sur le compte à l’étranger au titre de l’année la plus récente (calculés à partir de l’état de fortune au 31 décembre de l’année).

Enfin, il convient de préciser que les transactions ne portaient que sur les pénalités, et non sur les droits, intégralement dus.

À titre de rappel, pour la cellule de dégrisement, le total des pénalités et intérêts réclamés avait été limité à 15 % des droits régularisés pour les fraudeurs « passifs » (intérêts de retard plafonnés à 10 % et majorations pour manquement délibéré ramenées à 5 %) et à 40 % pour les fraudeurs « actifs » (intérêts de retard et majorations plafonnés chacun à 20 %).

c. Un bilan provisoire de 186 millions d’euros de droits et pénalités recouvrés

Au total, le premier bilan de la taxation des avoirs dissimulés auprès de la banque HSBC s’établit à 186,4 millions d’euros de droits et pénalités, dont 182 millions d’euros obtenus dans le cadre des 755 ESFP achevés, 3,3 millions d’euros recouvrés pour les premiers contrôles sur pièces réalisés par la DNVSF et 1,1 million d’euros issus des contrôles sur pièces menés par les DIRCOFI.

Suite à ces opérations, 950 millions d’euros de capitaux ont été régularisés, dont 921 millions d’euros au titre des ESFP, et 29 millions d’euros au titre des contrôles sur pièces.

BILAN PROVISOIRE DES RÉSULTATS DES OPÉRATIONS DE CONTRÔLE
AU 15 JUIN 2013

(en millions d’euros)

 

ESFP réalisés par la DNVSF

Contrôles sur pièces attribués à la DNVSF

Contrôles sur pièces attribués aux DIRCOFI

Total

Montant des capitaux régularisés (1)

920,9

23,5

5,5

950

Montant cumulé des droits

(IR-PS/ISF/DMTG) (2)

148,3

2,3

0,6

151,2

Montant cumulé des pénalités après transactions (3)

33,7

1

0,5

35,2

Total cumulé des droits et pénalités (4)=(2)+(3)

182

3,3

1,1

186,4

Taux global de taxation des avoirs (5)=(4)/(1)

19,8 %

14 %

20 %

19,6 %

Source : DGFiP.

D’aucuns ont mis en avant que le taux de taxation global s’avérait relativement limité, à hauteur de seulement 20 %, et n’était finalement pas beaucoup plus élevé que celui constaté dans le cadre de la « cellule de dégrisement ». Encore une fois, l’administration fiscale s’est trouvée dans une situation de fragilité à l’égard des contribuables, et a été contrainte de transiger afin d’assurer le recouvrement. On peut déplorer cet état de fait, mais il résulte des contraintes juridiques existantes, qui ont vocation à être levées par le projet de loi précité relatif à la lutte contre la fraude fiscale, en cours de navette parlementaire. Par ailleurs, compte tenu des informations dont elle disposait, l’administration fiscale ne pouvait pour l’essentiel taxer les avoirs dissimulés qu’au titre de l’ISF, dont le taux est faible. La taxation à l’impôt sur le revenu ne pouvait porter que sur des sommes réduites, du fait de la difficulté à identifier l’origine des flux sur les comptes et à apporter la preuve qu’ils constituaient des revenus imposables. En tout état de cause, la DGFiP a appliqué un taux de pénalité et des amendes plus élevés que ceux pratiqués par la « cellule de dégrisement » à ceux des contribuables qui ont reconnu disposer d’un compte et le traitement des contribuables en dénégation se fera sur des bases plus rigoureuses (cf. infra).

Ainsi que le montrent l’histogramme et le tableau ci-après, les droits et pénalités encaissés sont fortement concentrés sur les dossiers les plus élevés, ce qui reflète le fait que les avoirs eux-mêmes étaient très concentrés. 1 % des dossiers les plus importants représente à lui seul plus du quart des droits et pénalités appliqués, tandis que les 5 % des dossiers les plus élevés constituent plus de la moitié (55 %) de ces droits et pénalités. La moitié des redressements effectués, soit les droits et les pénalités cumulés, sont inférieurs à un montant de 90 900 euros, pour une moyenne de plus de 360 000 euros.

RÉPARTITION DES DROITS ET PÉNALITÉS SUR LES DOSSIERS RÉGULARISÉS HSBC

DESCRIPTION STATISTIQUE DES DROITS ET PÉNALITÉS

(en euros)

 

Droits

Pénalités

Droits et pénalités

Valeur moyenne

293 609

72 398

362 853

Valeur médiane

67 617

20 946

90 899

Montant correspondant à 5 % des dossiers les plus élevés

85 090 019

17 203 588

102 293 607

Montant correspondant à 1 % des dossiers les plus élevés

39 875 448

8 557 790

48 433 238

Source : DGFiP.

d. Les perspectives d’amélioration de ces résultats par l’utilisation des nouveaux outils législatifs à l’encontre des contribuables en dénégation

Les chiffres présentés constituent un état provisoire des résultats fiscaux des contrôles. Certains des dossiers les plus complexes, avec des comportements frauduleux actifs et la dissimulation de revenus d’activité, sont encore en cours ; les investigations de la BNRDF ne sont pas achevées. Pour ces dossiers, les droits, avec une part sans doute plus importante d’impôt sur le revenu, et les pénalités seront beaucoup plus élevés ; ces dernières ne feront pas l’objet de transaction, puisque les éléments de preuves auront été recueillis dans un cadre juridique incontestable. Par ailleurs, le juge pénal sera également amené à se prononcer, et le cas échéant à appliquer des sanctions pénales en sus.

Enfin, subsistent plusieurs centaines de dossiers pour lesquels les contribuables nient la détention d’avoirs dissimulés ou n’ont pas donné de suite, et qui n’ont pas été transmis à la BNRDF. L’administration fiscale a indiqué au Rapporteur général son intention de ne pas laisser les choses en l’état, mais d’utiliser les nouveaux outils mis à sa disposition par le législateur, à savoir l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales, introduit par la dernière loi de finances rectificative pour 2012 (16), combiné au nouvel article L. 10-0 AA du même livre, qui devrait être institué par le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale.

Aux termes de l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales, est prévue une procédure de taxation d’office, à hauteur de 60 %, lorsqu’un contribuable ne déclare pas ses comptes (ou ses contrats d’assurance-vie) à l’étranger et qu’il n’est pas en mesure de justifier l’origine des fonds figurant sur ces comptes. En effet, en l’absence de justifications, les avoirs détenus sur ces comptes sont réputés constituer un patrimoine acquis à titre gratuit, qui est donc taxé au taux le plus élevé existant pour les droits de mutation, soit 60 %. Ces dispositions étant applicables, aux termes mêmes de la loi, aux demandes adressées par l'administration à compter du 1er janvier 2013, elles pourront être mises en œuvre pour les personnes de la « liste HSBC » en dénégation. Parallèlement, les informations issues de la liste seront opposables à ces contribuables en application de l’article L. 10-0 AA précité sur le régime de la preuve, sous réserve de son adoption par le Parlement. L’article L. 23 C a d’ailleurs déjà été utilisé pour des dossiers traités par la BNRDF, l’administration pouvant s’appuyer sur les éléments de preuve obtenus à l’issue de ses investigations.

e. Le cas des personnes morales

Les données recueillies par le Rapporteur général pour les personnes morales, au nombre de 86, s’avèrent assez succinctes. Leurs avoirs sont pourtant conséquents, puisqu’ils représentaient près d’1,2 milliard de dollars en décembre 2005 et 1,4 milliard en décembre 2006. Il s’avère toutefois que les résultats des contrôles portant sur ces personnes morales n’ont pas été concluants, à quelques exceptions près. Ces exceptions correspondent aux informations concernant des personnes morales qui ont pu en fait être rattachées à des personnes physiques détentrices en raison de la forme de la société (sociétés civiles immobilières, sociétés visées à l’article 8 du code général des impôts).

TRAITEMENT DES 86 PERSONNES MORALES FIGURANT SUR LA LISTE

sans suite

45

dont personnes morales et physiques liées au profil non domiciliées en France

25

dont sociétés françaises liées cessées, restructurées ou profils clients clos

11

dont contrôle sur pièces ou ESFP des dirigeants ou associé et entreprises déjà vérifiées

9

renseignement transmis à la DVNI

23

propositions BNRDF

1

enquêtes DNEF en cours

4

propositions de contrôle effectuées (en nombre d’affaires)

13

Source : DGFiP.

Selon l’administration fiscale, cette absence de résultats peut s’expliquer tout d’abord par les difficultés juridiques résultant de l’origine des informations, ainsi que présenté plus haut, mais aussi par une prescription de droit commun plus courte pour les personnes morales, puisque limité à 3 ans ; ce délai rendait impossible l’exploitation d’informations concernant l’année 2006 mais transmises en 2010.

L’administration fiscale a également indiqué que les comptes concernés figuraient « généralement » en comptabilité. De fait, la détention de comptes bancaires à l'étranger est une pratique courante et souvent nécessaire pour les entreprises de dimension internationale et pour les établissements financiers. Les sociétés, à l'inverse des particuliers, ne sont pas tenues à des obligations déclaratives spécifiques de leurs comptes à l’étranger, mais elles doivent retracer l'ensemble de leur patrimoine en comptabilité, ce qui revient au même. Pour une entreprise, la principale voie de dissimulation de revenus ou d’avoirs est sans doute davantage la manipulation des prix de transfert et la détention indirecte de filiales dans des paradis fiscaux que la dissimulation de comptes à l’étranger. Toutefois, il serait intéressant de savoir dans combien de cas les comptes ne figuraient pas en comptabilité.

Par ailleurs, le Rapporteur général a pu constater que plusieurs établissements financiers figuraient sur la liste transmise, et détenaient des avoirs très élevés. Il lui a été indiqué que, pour ces établissements financiers, qui ont tous fait l’objet de contrôle, les avoirs concernent « essentiellement des fonds gérés par les banques concernées », et que ces comptes et sommes n’appartiennent pas aux établissements financiers directement, mais à des fonds de placement qu’ils gèrent ; il n’est donc pas possible d’en connaître l’origine. Cette réponse apparaît toutefois peu satisfaisante, et met en évidence l’opacité résultant de l’intermédiation dans la gestion des fonds.

B. LES DOSSIERS FAISANT L’OBJET D’UNE ENQUÊTE JUDICIAIRE FISCALE

Face à des situations de dénégation de contribuables détenant des avoirs élevés, ou lorsque les cas s’avéraient manifestement très frauduleux au regard des mouvements figurant sur les comptes, l’administration fiscale a recouru à un nouvel outil destiné à établir et à sanctionner la fraude : l’enquête judiciaire fiscale, instituée en 2009.

1. Des moyens d’investigation spécifiques

C’est la dernière loi de finances rectificative pour 2009 (17) qui a introduit la procédure d’enquête judiciaire fiscale. Cette procédure permet à l’administration fiscale de déposer plainte, avant le début des opérations de contrôle fiscal, en vue de faire rechercher, avec des prérogatives de police judiciaire, des éléments de nature à caractériser et à sanctionner les fraudes les plus complexes et difficiles à appréhender.

Aux termes de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, l’administration fiscale peut déposer plainte dans le cadre de cette procédure sur le seul fondement de présomptions caractérisées, lorsqu’il existe un risque de dépérissement des preuves et pour les cas de fraudes complexes réalisées au moyen de faux ou de comptes détenus directement ou indirectement dans des États n’ayant pas signé, au moment des faits, de convention prévoyant l’échange de renseignements fiscaux – autant de conditions remplies par les dossiers de la « liste HSBC ». Dans ce cas, la Commission des infractions fiscales, dont l’avis conforme conditionne le dépôt par l’administration fiscale d’une plainte devant le juge pénal, se prononce selon une procédure spécifique, sans que le contribuable n’en soit informé, ce qui garantit la confidentialité du processus. Ensuite, une fois la plainte déposée, l’enquête peut être confiée à la « police fiscale », sur réquisition du Procureur de la République ou sur commission rogatoire d’un juge d’instruction. Cette « police fiscale » est la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), effectivement mise en place à la fin de 2010 (18), dont la composition est mixte : elle compte des officiers de police judiciaire, issus majoritairement de services spécialisés de police judiciaire, et des officiers fiscaux judiciaires, c’est-à-dire des agents de la DGFiP spécifiquement habilités à rechercher ou constater des cas de fraude complexe, sur le fondement de l’article 28-2 du code de procédure pénale introduit lui aussi en dernière loi de finances rectificative pour 2009.

La BNRDF est rattachée au ministère de l’Intérieur, et placée au sein de Division nationale d’investigations financières et fiscales (DNIFF), laquelle relève de la direction centrale de la police judiciaire. Il s’agit pour l’instant d’une structure relativement légère, comptant 25 personnes au total (dont neuf officiers de police judiciaire et treize agents issus des services fiscaux ayant acquis la qualité d’officiers fiscaux judiciaires), mais ses effectifs devraient être étoffés au cours des prochains mois. Au plan juridique, elle dispose de pouvoirs d’enquête étendus, prévus par le code de procédure pénale : elle peut recourir à des perquisitions, à des interpellations, à des auditions de témoins ou de mis en cause, à des gardes à vue, mais aussi à des surveillances et des filatures, ainsi qu’à des interceptions de télécommunications et des saisies pénales. Ces pouvoirs vont bien au-delà des moyens dont dispose l’administration fiscale pour rechercher, constater et sanctionner la fraude, et sont particulièrement précieux pour des dossiers tels que ceux figurant sur la « liste HSBC », afin de réunir des éléments de preuve et de déceler et mettre à jour des montages frauduleux. Si la BNRDF travaille sous l’autorité du magistrat qui l’a saisie, la DGFiP a accès aux résultats des enquêtes, par l’exercice du droit de communication dont elle bénéficie en application de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales.

La BNRDF est encore un service récent, mais elle a été opérationnelle très rapidement. Depuis sa création, elle a été saisie de 138 plaintes, correspondant à 86 affaires. Dans un premier temps, elle s’est surtout vu confier des dossiers issus de la « liste HSBC », et ces derniers constituent aujourd’hui encore la majorité de son « stock » : l’administration fiscale a en effet déposé 86 plaintes à l’encontre de personnes figurant sur la liste, lesquelles plaintes ont été réunies en 50 affaires, en raison des liens existants entre elles – notamment pour les individus concernés par un même circuit frauduleux. Toutefois, l’activité de la BNRDF ne se résume pas à ces seuls cas, et au fur et à mesure du traitement des « dossiers HSBC », la brigade diversifie ses activités et a été saisie d’affaires très différentes.

2. Le traitement en cours de cinquante dossiers par la BNRDF

La BNRDF a en quelque sorte joué un rôle dissuasif à l’encontre des contribuables récalcitrants, qui niaient la détention de comptes chez HSBC, constituant un moyen de pression en faveur de la régularisation. Toutefois, il n’était pas possible, compte tenu des moyens de la brigade, de lui transférer l’intégralité des dossiers de contribuables qui refusaient de reconnaître la dissimulation de leurs avoirs, et une sélection a dû être effectuée.

À partir de la fin de l’année 2010, quarante-quatre plaintes, correspondant à vingt-six affaires, ont été déposées dans le cadre d’une enquête judiciaire fiscale à l’encontre de personnes faisant l’objet d’un contrôle fiscal et en situation de dénégation. Ces dossiers ont été retenus en fonction du montant des avoirs, lorsqu’ils dépassaient un million de dollars, et de l’exercice d’une activité professionnelle susceptible d’avoir été à l’origine de la fraude présumée et d’avoir alimenté les comptes en question. Ils ont été confiés à la brigade, qui dispose de moyens juridiques importants pour caractériser la fraude en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnels, et compléter les informations déjà en sa possession par d’autres recherches.

Parallèlement, quarante-deux plaintes, correspondant à 24 affaires, ont été déposées ab initio, c’est-à-dire avant même qu’un contrôle fiscal ne soit engagé à l’encontre des contribuables concernés, lorsque les dossiers paraissaient particulièrement frauduleux. À cet égard, plusieurs de ces personnes ont aussi adopté une attitude de dénégation dans le cadre de la procédure pénale, puis de la procédure fiscale.

Au total, ces 50 affaires visent des avoirs dissimulés de l’ordre de 310 millions d’euros.

À ce jour, treize enquêtes ont été achevées et rendues aux magistrats. La DGFiP a commencé à « fiscaliser » les informations ainsi recueillies sur ces dossiers. À la connaissance de la BNRDF, il n’y a eu ni classement sans suite, ni non-lieu. Aucune affaire n’a encore été examinée par un tribunal correctionnel, mais les premières audiences devraient avoir lieu au dernier trimestre 2013.

Sur les 37 enquêtes encore en cours, 29 sont diligentées sous forme d’enquêtes préliminaires, sous la direction de procureurs de la République et les 8 autres sur commissions rogatoires, sous la direction d’un juge d’instruction.

Un premier bilan quantitatif de l’activité déployée par la brigade dans le cadre des dossiers issus de la « liste HSBC » permet de faire état de 124 perquisitions et de 100 gardes à vue. Cent six personnes ont été directement mises en cause – dont 24 pour complicité – et 27 d’entre elles ont été mises en examen. À ce jour, plus de 21 millions d'euros ont fait l’objet de saisies pénales dans le cadre de 15 affaires.

Il est intéressant de noter que les motifs de contestation de la licéité de l’origine des preuves opposés aux visites domiciliaires finalement annulées par les arrêts précités de la Chambre civile de la Cour de cassation ont été mis en avant pour contester certaines enquêtes de la BNRDF. Toutefois, en matière pénale, le régime de la preuve est libre, et la Chambre criminelle de la Cour de Cassation considère que l’origine frauduleuse d’un élément de preuve reste sans incidence sur son caractère probant dès lors qu’il a été appréhendé de manière licite. Plusieurs cours d’appel ont ainsi rejeté des demandes d’annulation de procédure de contribuables poursuivis pénalement dans le cadre de l’affaire HSBC. Les pourvois en cassation concernant ces affaires doivent être examinés dans le courant de l’année 2013, mais le risque d’une remise en cause des procédures apparaît faible.

C. LE TRAITEMENT DES COMPTES AUX EN-COURS NULS OU NÉGATIFS, AVEC LA CRÉATION DU FICHIER EVAFISC

L’administration fiscale s’est trouvée en possession d’un grand nombre de données, dont certaines, concernant des comptes aux en-cours nuls ou négatifs, n’apparaissaient pas exploitables fiscalement dans l’immédiat mais présentaient néanmoins un réel intérêt. Il est apparu nécessaire de mettre en place un cadre adapté permettant de conserver et d’utiliser ces informations. Tel était l’objet de l’arrêté du 25 novembre 2009 (19), qui a créé un fichier intitulé Evafisc recensant des comptes bancaires détenus hors de France par des personnes physiques ou morales.

1. La mise en place d’un fichier recensant les informations sur la détention de comptes à l’étranger

L’arrêté portant création d’Evafisc a préalablement fait l'objet d'un avis favorable de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (20) (CNIL). La CNIL a notamment estimé que les finalités poursuivies en créant ce fichier étaient légitimes et découlaient des missions de l'administration fiscale. Elle n'a par ailleurs pas formulé d'observation quant à la nature des données mémorisées et leurs modalités de collecte. Elle a considéré que leur durée de conservation, fixée à dix ans et pouvant être éventuellement prolongée en cas de contentieux, était justifiée.

Le fichier EVAFISC a pour objectif de recenser des informations laissant présumer de la détention de comptes bancaires hors de France par des personnes physiques ou morales. Géré par la DNEF, il a vocation à permettre :

– d'analyser et de vérifier la situation des personnes concernées en vue d'opérer, le cas échéant, des régularisations de situations fiscales ;

– d'inciter les usagers à déclarer spontanément la détention de comptes bancaires hors de France ;

– de programmer et mener des opérations de recherche, de constatation ou de poursuite de manquements fiscaux ;

– de mener des actions de prévention, de recherche, de constatation ou de poursuite d’infractions pénales lorsque les manquements constatés sont le fait d'actes intentionnels.

Peuvent être collectés dans EVAFISC les données d’identification et de résidence des particuliers et entreprises concernés, les numéros et dates d’ouverture des comptes ainsi que le montant des soldes et virements, quand l’administration dispose de ces éléments.

Les données mémorisées sont issues de toutes les informations portées à la connaissance de l'administration fiscale, notamment celles obtenues dans le cadre des enquêtes et des opérations de contrôle qu’elle mène, ou transmises par des tiers tels que l’autorité judiciaire ou d’autres pays dans le cadre de l’assistance administrative internationale.

2. Le déversement des données de la « liste HSBC » dans ce fichier et les modalités de son utilisation

Mis en service en décembre 2010, le fichier Evafisc a été initialement alimenté uniquement par les données provenant de la « liste HSBC ». Ce sont ainsi 6 172 personnes morales ou physiques qui y ont été intégrées, soit les 6 313 personnes physiques ou morales précédemment évoquées, moins les 141 personnes dont l’adresse en France n’a pas pu être validée.

En octobre 2011, Evafisc a fait l’objet d’un premier enrichissement à partir des éléments recueillis dans le cadre d’une opération de contrôle au titre de l’article L. 96 A du livre des procédures fiscales, lequel prévoit un droit de communication auprès des établissements bancaires pour connaître les transferts de fonds réalisés vers des comptes étrangers. Ont donc été intégrées des informations relatives aux personnes ayant procédé à des « versements à soi-même » (identité entre l’émetteur et le bénéficiaire des transferts).

Au 19 juin 2013, le fichier Evafisc contenait des informations concernant 9 005 personnes physiques et 472 personnes morales, soit un total de 9 477 personnes distinctes.

Par ailleurs, il va être complété par l’intégration de données issues de deux autres sources :

– une nouvelle opération effectuée en 2012 au titre de l’article L. 96 A du livre des procédures fiscales, soit 21 428 lignes au total (environ 2 300 comptes, pour 1 400 personnes physiques et 400 personnes morales) ;

– l’application de la directive 2003/48/CE du Conseil du 3 juin 2003 en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiement d'intérêts (dite directive « épargne »). Cette directive organise un mécanisme de transmission automatique d’informations entre États membres de l’Union européenne concernant les paiements d’intérêts effectués par les agents payeurs établis dans un État membre de l’Union européenne à des personnes physiques établies dans un autre État membre.

L’arrêté du 25 novembre 2009 prévoit que l’ensemble des informations contenues dans EVAFISC est accessible aux agents des différentes structures chargées du contrôle fiscal. Il est utilisé comme une base de données permettant d’effectuer des analyses-risques, et donne à l’administration fiscale une importante capacité de programmation des contrôles fiscaux et de poursuite, le cas échéant, des manquements fiscaux et des infractions pénales.

Il arrive ainsi qu’à la suite du recueil d’informations portant sur des transferts de fonds vers des comptes bancaires étrangers, dans le cadre de l’article L. 96 A du livre des procédures fiscales par exemple, les services constatent que les noms des personnes physiques concernées figurent déjà dans le fichier, au titre de la « liste HSBC » avec des en-cours négatifs ou nuls. Comme la DNEF l’a indiqué au Rapporteur général, les personnes disposant d’avoirs très importants les placent généralement sur plusieurs comptes distincts à l’étranger, par sûreté. C’est ce qui a été constaté lors de perquisitions conduites dans le cadre d’enquêtes judiciaires fiscales, où des relevés de trois banques différentes à l’étranger ont pu être retrouvés.

Hormis les consultations des services de la DNEF, la majorité des réquisitions provient des services de police ou de gendarmerie et dans une moindre mesure de la douane. 50 réquisitions ont été mises en œuvre en 2012, et déjà 44 depuis le début de l’année 2013 (dont 21 par les groupes d’intervention régionaux, 19 par la police et la gendarmerie, 3 par la BNRDF et une par la douane).

Enfin, ainsi que le précise l’article 5 de l’arrêté précité, les données qu’il contient peuvent être transmises ponctuellement aux administrations étrangères dans le cadre de l’assistance administrative internationale.

Par ailleurs, lorsque le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale aura été adopté, et notamment son actuel article 10 sur les conditions de recevabilité des preuves, l’administration fiscale pourrait également décider de combiner cette dernière disposition avec l’article L. 10-0A du livre des procédures fiscales, introduit par l’article 8 de la dernière loi de finances rectificative pour 2012. Cet article permet en effet à l’administration fiscale de demander à des tiers (les établissements bancaires français et les administrations fiscales étrangères) les relevés de compte du contribuable qui n’aurait pas déclaré ses comptes ou ses contrats d’assurance-vie étrangers. Cette demande peut porter sur toutes les années au cours desquelles les obligations déclaratives n’ont pas été respectées, et ce sans que l’exercice de ce droit à communication ne constitue l’engagement d’un ESFP. L’application de cette disposition pourrait permettre de rechercher les mouvements intervenus sur les comptes qui, entre novembre 2005 et février 2007, ne disposaient pas d’en-cours positifs. Un compte non déclaré à l’étranger est rarement ouvert par hasard, ou pour rester vide, alors qu’il est associé à des frais bancaires récurrents ; il serait donc intéressant de pouvoir poursuivre les investigations plus avant, une fois les instruments juridiques disponibles.

D. LA TRANSMISSION DES DONNÉES À D’AUTRES PAYS, DANS LE CADRE DE LA COOPÉRATION ADMINISTRATIVE INTERNATIONALE

L’administration fiscale s’est retrouvée en possession de données portant sur près de 130 000 personnes physiques et morales, dont seule une petite partie était résidentes fiscales françaises. Dès l’origine, le choix a été fait de transmettre les informations aux pays qui adressaient à la France une demande formelle pour obtenir les données concernant leurs propres ressortissants. La seule condition posée était que les pays concernés apportent des garanties suffisantes quant à l’utilisation des éléments transmis, en termes de protection des données et de leur correcte utilisation. C’est à ce titre que la France n’a pas donné suite aux demandes de deux pays, mais pour les autres, les informations ont été fournies au cours du premier semestre 2010.

La France a ainsi manifesté sa volonté de coopérer avec ses pays partenaires – au risque de provoquer un mécontentement certain de la Suisse –, mais de façon discrète toutefois. Pour chaque pays demandeur, la DGFiP a remis les données en mains propres à la personne désignée comme autorité compétente par l’administration fiscale concernée, en lui indiquant que ces données devaient être utilisées conformément aux conventions fiscales bilatérales, c’est-à-dire qu’elles devaient rester confidentielles et ne devaient être utilisées qu’à des fins strictement fiscales. En dépit de ces recommandations de discrétion, certains pays ont communiqué sur le sujet dans la presse. La Grèce, au contraire, a gardé les informations si confidentielles que l’on a pu penser qu’elle les avait « égarées » … Leur réapparition a suscité une véritable crise politique, puisque suite à la publication de noms d’hommes politiques dans la presse, en septembre 2012, deux personnalités se sont suicidées, tandis que la publication de l’intégralité de la liste dans un magazine s’est traduite par l’arrestation de son directeur – ensuite relâché. En tout état de cause, l’administration fiscale française a retransmis les informations au nouveau gouvernement grec à l’automne 2012.

La France a ainsi pu à son tour être à l’origine d’échanges internationaux, alors même qu’en général, elle en était jusqu’alors plutôt la destinataire. C’est par exemple le Royaume-Uni qui lui avait donné à la fin de 2007 la liste dite du Liechtenstein – laquelle avait d’ailleurs initialement été acquise par l’Allemagne (21). C’est encore le Royaume-Uni, aux côtés des États-Unis et de l’Australie, qui vient de transmettre à plusieurs pays des données qui semblent proches de celles diffusées dans le cadre de l’Offshore Leaks, au cours des dernières semaines.

Lors de la remise des données issues de la « liste HSBC » à d’autres pays, il n’a pas été formellement prévu de retour sur la manière dont celles-ci ont été utilisées. La DGFiP n’est donc pas en mesure de fournir d’éléments précis sur l’exploitation de cette liste par les différents pays. Il semble que, au vu des informations diffusées par la presse dans nombre d’entre eux, par exemple en Espagne ou en Italie, plusieurs milliers de contribuables étaient à chaque fois concernés.

Enfin, il est intéressant d’observer que la société HSBC Private Bank Suisse s’est efforcée de faire obstacle à la transmission de données à des États tiers, en déposant le 11 mars 2010 un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État à l’encontre de l’arrêté du 25 novembre 2009 créant le fichier Evafisc. Elle demandait notamment, dans ce cadre, de prononcer la suspension de cet arrêté en tant qu'il autorisait le transfert de données à des États tiers (22), dans le cadre de l’assistance administrative internationale. Toutefois, l’établissement n’a pas obtenu gain de cause, puisque dans son arrêt du 19 avril 2010, le Conseil d’État a rejeté sa requête, jugeant que le transfert de données contenues dans le fichier obéissait aux stipulations des conventions d’assistance administrative, et que les personnes concernées bénéficieraient des garanties attachées à ces échanges d’informations – notamment l’application des règles de secret.

III. LES PREMIERS ENSEIGNEMENTS DE L’AFFAIRE DE LA « LISTE HSBC »

A. UN MODE DE FONCTIONNEMENT BANCAIRE FONDÉ SUR LE CLOISONNEMENT ET LE CONTOURNEMENT DES RÈGLES

L’extraction et l’exploitation des données issues d’HSBC Private Bank ont permis de mettre en évidence le mode de fonctionnement de cet établissement bancaire, largement fondé sur le cloisonnement et la dissimulation.

La complexité délibérément entretenue dans la classification des profils clients, comme le morcellement des informations, qui ont été décrits à grands traits dans la première partie du présent rapport, vont bien au-delà de simples questions de sécurité dont pourraient se prévaloir les banques. Ils reflètent la recherche d’une opacité maximale, destinée à protéger tant les clients que l’établissement bancaire et à dissimuler des comportements répréhensibles.

Plusieurs éléments recueillis au cours de ses travaux par le Rapporteur général viennent renforcer cette impression d’ensemble.

● Il lui a été fait état d’« éléments de langage » transmis par les chargés de clientèle de l’établissement à leurs clients, pour leur conseiller de nier qu’ils détenaient un compte ; ces chargés de clientèle soulignaient – à raison d’ailleurs – la fragilité de la position juridique de l’administration fiscale française, compte tenu des conditions d’obtention des informations. De tels conseils, qui vont bien au-delà des fonctions normales d’un gestionnaire de compte, s’apparentent à de la complicité de fraude fiscale.

● Plus troublant encore, pour ne pas dire davantage, les données de la base HSBC relatives aux personnes physiques mentionnant opportunément la profession de chaque client, il y a lieu de constater la présence de nombreux noms d’employés de l’établissement figurant dans les listes. Au total, 1 293 noms ont une profession telle que « employé HSBC », « HSBC employee », « employee HSBC », et 169 d’entre eux sont rattachés à une adresse en France. Il est certes possible que les employés d’HSBC disposent d’un compte dans l’établissement dans lequel ils travaillent, bien que HSBC Private Bank soit un établissement particulier, spécialisé dans la gestion des patrimoines élevés. Toutefois, au vu du montant des avoirs rattachés à certains noms, il est plus que probable que ces employés aient porté des comptes au profit de clients, et jouent le rôle de prête-noms ou de « rabatteurs ». Tel est notamment le cas de quelques employés d’HSBC, dont les avoirs dépassaient 100 millions de dollars sur la période considérée, et dont il est difficile d’imaginer qu’ils détenaient ces sommes en propre.

● Un autre constat laisse deviner le rôle actif joué par les chargés d’affaires de la banque afin d’aider leurs clients à frauder l’administration fiscale.

En juin 2003, a été adoptée la directive sur la fiscalité de l’épargne (23), permettant aux administrations fiscales d’échanger des informations sur les intérêts provenant de l’épargne des particuliers, afin d’assurer une imposition effective de ces revenus. Trois pays de l’Union ont bénéficié d’une solution transitoire prévoyant une retenue à la source sur les revenus versés aux ressortissants non résidents, avec un taux croissant au fil du temps, de 15 %, puis 20 % puis 35 % ; ce dispositif de retenue à la source étant également applicable à la Suisse, à Andorre, au Liechtenstein, à Saint-Marin et Monaco.

L’expérience acquise par la DGFiP lors de l’examen des dossiers traités par la cellule de régularisation lui a permis de constater qu’entre 2003, date à laquelle la directive a été connue, et le 1er janvier 2005, date de son entrée en vigueur, de nombreux comptes parmi les plus importants, jusqu’alors détenus en direct, ont été transférés dans des structures interposées situées dans des paradis fiscaux (par exemple au Panama). Ces montages, qui comportent des frais de structure importants, n’ont pas d’autre intérêt économique que d’éviter la retenue à la source prévue par la directive sur la fiscalité de l’épargne. En effet, les dispositions de la directive ne s’appliquant qu’aux résidents de l’Union européenne, il est possible d’y échapper en créant des structures interposées, situées à l’extérieur de l’Union. On retrouve ce même type de structures dans les comptes de la « liste HSBC » – ce qui laisse d’ailleurs supposer une stratégie commune de l’ensemble des banques suisses pour contourner la directive européenne. Cet exemple illustre la capacité des établissements bancaires à s’adapter aux changements des réglementations, afin de les contourner à leur profit.

Les scandales récents qui ont éclaté dans plusieurs pays, et notamment aux États-Unis, ont déjà mis en évidence ce type de pratiques, et la « liste HSBC » ne vient en apporter qu’une nouvelle illustration. La banque UBS a été condamnée à une amende de 780 millions de dollars en 2009 pour avoir aidé des contribuables américains à cacher des comptes bancaires à leur administration fiscale, tandis que HSBC a écopé d’une amende encore plus élevée, de 1,92 milliard de dollars, pour mettre fin aux poursuites aux États-Unis où elle était accusée de complicité de blanchiment au profit de trafiquants de drogue, de terroristes et de l'Iran. En France, outre l’information judiciaire ouverte en avril dernier sur l’affaire HSBC, une autre est en cours concernant l’établissement UBS Suisse, mis en examen en juin dernier pour démarchage bancaire illicite ; la commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution vient également de prononcer un blâme ainsi qu’une sanction pécuniaire de 10 millions d’euros à l’encontre d’UBS France pour le laxisme de ses procédures de contrôle, dans l’affaire dite des « carnets du lait » et autres « fichiers vache ».

B. QUELQUES PREMIÈRES CONCLUSIONS

● Première constatation : si le traitement des données de la « liste HSBC » par l’administration fiscale est diversement analysé et n’est pas terminé à ce jour, il faut observer que pendant la durée de ses travaux, rien, ou presque, ne s’est passé sur le front judiciaire.

Peut-être la DGFiP n’a-t-elle pas suffisamment approfondi l’exploitation technique des fichiers transmis, ainsi que l’a affirmé M. Hervé Falciani lors de son audition par le Rapporteur général. M. Falciani a d’ailleurs annoncé son intention de collaborer avec l’administration fiscale ; on ne peut que souhaiter que cette collaboration soit fructueuse et permette de mettre à jour de nouvelles informations exploitables.

Toutefois, il faut reconnaître que l’administration fiscale n’a pas ménagé ses efforts pour exploiter les informations qu’elle a extraites, tout en étant limitée dans son action par les difficultés juridiques. En revanche, après la perquisition de janvier 2009, puis le dépaysement du dossier judiciaire de Nice vers Paris fin 2010, ce n’est que fin avril 2013 qu’une information judiciaire a été ouverte par le parquet de Paris. Une telle inertie peut légitimement susciter des interrogations, d’autant que la justice dispose de moyens d’investigation autrement plus puissants que ceux de l’administration fiscale, et n’est pas limitée en matière pénale par l’origine litigieuse des données transmises.

● Deuxième point : l’affaire de la « liste HSBC » est venue mettre en lumière les failles de notre arsenal juridique dans la lutte contre la fraude fiscale systématisée.

Ces failles ont été quelque peu comblées au cours des dernières années, sans doute pour partie d’ailleurs en réaction à ce dossier. On peut notamment citer la création de l’enquête judiciaire fiscale en 2009, qui donne des moyens d’investigation plus poussés pour rechercher et sanctionner la fraude ; l’allongement de la durée de prescription pour les avoirs non déclarés détenus à l’étranger, par les lois de finances rectificatives pour 2008 et 2011, ainsi que par la dernière loi de finances rectificative pour 2012 s’agissant de l’ISF et des droits de succession ; la taxation d’office de sommes non déclarés détenues à l’étranger à hauteur de 60 % lorsque son propriétaire n’est pas en mesure de justifier de l’origine des fonds, là aussi en dernière loi de finances rectificative pour 2012 ; et tout dernièrement, la recevabilité des preuves, quelle qu’en soit l’origine, sous réserve de leur transmission par une voie légale, qui devrait être introduite par le projet de loi sur la fraude fiscale en cours d’examen.

Bien évidemment, on ne peut que se féliciter de ces différentes avancées. Mais subsiste l’impression que les autorités nationales ont toujours un temps de retard par rapport aux fraudeurs, ce qui permet d’ailleurs à ces derniers de s’adapter aux nouvelles règles pour les contourner, avec l’aide active de professionnels juridiques et financiers.

● Ensuite, au-delà du traitement de listes de noms, de la fiscalisation des sommes dissimulées et des poursuites judiciaires contre les fraudeurs, le réel enjeu est bien la mise à jour de systèmes opaques, fondés sur le secret et sur le recours à des paradis fiscaux, à de multiples intermédiaires et à des entités juridiques masquant les véritables bénéficiaires d’opérations financières.

En la matière, le niveau international et communautaire est sans doute le plus pertinent et le plus efficace, et de multiples avancées se concrétisent actuellement, avec les travaux sur les échanges automatiques d’informations menés sous l’égide de l’OCDE, dans le sillage de l’adoption par les États-Unis de la législation FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), ainsi que les propositions avancées au sein de l’Union européenne. La France joue d’ailleurs un rôle moteur dans ces différents processus.

L’objectif est bien de ne plus avoir à s’appuyer sur des données fournies par des employés soucieux de dénoncer les modes de fonctionnement amoraux des établissements pour lesquels ils travaillent, mais de parvenir à davantage de transparence et à ce que la norme devienne bien l’échange automatique d’informations, dans toutes les juridictions. Même si à l’heure actuelle, on peut constater une certaine accélération de l’histoire sur ces sujets, il est probable que ce processus n’aboutisse pas dans l’immédiat, et que de nouvelles « affaires HSBC » ou « affaires UBS » éclatent à l’avenir – à cet égard, il sera intéressant de suivre la progression des investigations sur les données issues de l’Offshore Leaks.

● C’est la raison pour laquelle il nous appartient de réfléchir à l’amélioration de notre organisation administrative en matière de lutte contre la fraude, qu’il s’agisse de celle des particuliers comme de celle des entreprises.

Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale, actuellement en cours d’examen, constitue une première étape, en apportant de nouveaux outils et moyens. Ses avancées doivent être poursuivies et approfondies, en travaillant notamment sur l’articulation des moyens d’action de l’administration fiscale et de la justice, mais aussi des autorités administratives indépendantes, notamment l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Alors que les événements récents ont permis de mettre à jour des pratiques manifestement très répandues parmi les établissements bancaires, visant à aider en toute connaissance de cause des clients à frauder l’administration fiscale, le Rapporteur général estime que les autorités de régulation du secteur bancaire ne peuvent rester inertes, et se cantonner à un seul rôle prudentiel. Un amendement, adopté à son initiative, au projet de loi susmentionné a d’ores et déjà introduit un devoir de communication de l’ACPR au bénéfice de l’administration fiscale, lorsque l’autorité décèle des faits laissant présumer d’infractions de fraude fiscale. Il ne peut s’agit que d’une première étape, dans le cadre d’une réflexion sur la définition du rôle de l’ACPR.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 10 juillet 2013, la Commission a examiné le rapport d’information sur le traitement par l’administration fiscale des informations contenues dans la liste reçue d’un ancien salarié d’une banque étrangère (M. Christian Eckert, rapporteur général).

M. le président Gilles Carrez. J’invite tout d’abord M. le rapporteur général à présenter son passionnant rapport sur le traitement par l’administration fiscale des informations contenues dans la liste reçue d’un ancien salarié d’une banque étrangère.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Ce rapport a été réalisé en application de l’article 146 de notre Règlement. Compte tenu des articles de presse, des reportages et des nombreuses déclarations relatives à l’affaire de la « liste HSBC », il m’a en effet semblé nécessaire d’utiliser notre pouvoir, que dis-je, notre devoir de contrôle et d’investigation afin d’essayer de connaître les tenants et les aboutissants de cette dernière et, surtout, d’apprécier la méthodologie utilisée par l’administration fiscale.

Cette affaire a donc commencé voilà quatre ans et a été largement relayée par les médias en raison notamment de l'ampleur des informations transmises par M. Hervé Falciani, ancien informaticien de la banque HSBC Genève, ainsi que de leurs retombées dans plusieurs pays européens.

Beaucoup de choses ont été dites, beaucoup ont été suggérées : ainsi certaines personnes figurant sur cette liste auraient-elles été protégées, des noms auraient-ils été retirés et des poursuites fiscales et judiciaires n'auraient-elles pas été conduites comme elles auraient dû l’être…

En tant que rapporteur général, il m'a semblé indispensable de réaliser des investigations précises afin d'apporter toutes les clarifications possibles à notre commission mais aussi, ce faisant, à la presse et à l’opinion publique. Je me suis concentré sur les volets administratifs et fiscaux de l'affaire : le volet judiciaire étant en cours, il se trouvait naturellement hors du champ de mes travaux. J'ai réalisé plusieurs auditions, je me suis rendu à deux reprises à Bercy pour un contrôle sur place, j'ai obtenu tous les documents et les éléments que j'ai demandés, dont, notamment, la – pour ne pas dire les – « listes HSBC ».

J’ajoute que le secret fiscal ne m'est pas opposable mais que, y étant astreint, je me suis efforcé d'être toutefois le plus exhaustif possible dans cette limite.

Je précise également que j'ai rencontré M. Hervé Falciani pendant plus de quatre heures trente, dont deux heures en tête-à-tête, mais, aussi, M. Éric de Montgolfier qui était procureur de la République à Nice lorsque l'affaire a commencé, au mois de janvier 2009.

Après plusieurs mois de contacts avec la Direction nationale des enquêtes fiscales
– DNEF –, M. Hervé Falciani lui a remis à la fin de 2008 cinq DVD-Rom contenant des bases de données clients de la banque HSBC Private Bank Genève dans laquelle il travaillait en tant qu’informaticien.

J'observe que, dans un premier temps, M. Falciani a saisi la Division nationale d'investigations financières – DNIF –, qui relève de la police judiciaire, mais qu’il a été mis en relation avec la DNEF – qui, elle, relève de l’administration fiscale – sans en avoir été semble-t-il clairement averti, ce qui l'a fortement troublé. Sommairement résumé : il a pris contact avec des services de police judiciaire et il a été mis en relation avec des services fiscaux.

Parallèlement, il avait été repéré par les autorités judiciaires helvètes, notamment à la suite d'un voyage au Liban en février 2008, et il avait été interrogé le 22 décembre suivant. Dès le lendemain, il quittait la Suisse pour se rendre en France, où il a de la famille.

Dans le cadre d'une commission rogatoire internationale de la justice suisse, M. de Montgolfier a fait réaliser le 20 janvier 2009 une perquisition au domicile de M. Falciani en présence de juges et de policiers suisses. L’ordinateur de ce dernier, qui contient les mêmes données que celles qu'il a transmises à la DNEF, a été saisi. Le procureur a été alerté par M. Falciani afin de prendre la mesure des données ainsi recueillies.

Il y eut donc deux sources de données différentes : les unes ont été remises à l’administration fiscale par M. Falciani lui-même ; les autres ont été saisies par le procureur Montgolfier un peu plus tard. Tant M. Falciani que l’administration fiscale m’ont déclaré qu’elles étaient strictement identiques. La Suisse s’est quant à elle empressée de faire savoir qu’elles provenaient de fichiers volés, pour en ralentir sinon en empêcher l’exploitation, et la question de leur restitution a été posée. M. de Montgolfier les a remises au mois de juillet 2009 à l’administration fiscale sur le fondement de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales. C’est ainsi que l’on a pu dire qu’il les avait en quelque sorte « blanchies ».

Les données saisies par M. de Montgolfier ont alors été confiées à l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale – IRCGN – afin de les exploiter. Bien évidemment, je n’ai pas été en mesure de consulter la liste issue de ces travaux puisqu’elle constitue l’une des pièces du dossier en cours d’instruction. Seul le juge d’instruction chargé de l’enquête pourrait la comparer avec celle qui m’a été remise par l’administration fiscale.

Les données dérobées par M. Falciani ne constituaient pas une liste en tant que telle mais étaient composées de fichiers informatiques avec des formats techniques très différents qu'il a fallu déchiffrer et relier entre eux, certains étant cryptés. L’impression d’écran anonymisée que je suis en mesure de vous montrer révèle des fichiers éclatés entre noms, adresses, montants, numéros de compte, nationalités. Un long travail informatique a été nécessaire pour qu’ils soient plus exploitables. Il est clairement apparu que l'organisation de la banque en « profils clients », lesquels correspondaient chacun à plusieurs clients – parfois de la même famille, mais pas toujours –, et à plusieurs comptes, répondait à un objectif de morcellement et de cloisonnement des informations. L’établissement assurait ainsi une opacité maximale rendant difficile la mise en relation des personnes physiques ou morales avec leurs avoirs.

Après plusieurs mois de travail, les services de la DNEF, avec l’aide de M. Falciani, ont réussi à établir une liste de 127 311 personnes physiques et morales avec leurs avoirs disponibles à diverses dates ainsi que leurs adresses. Au sein de ce document figuraient 8 993 lignes, lesquelles, une fois éliminés les doublons correspondant aux différentes adresses de mêmes personnes, conduisait à une liste de 6 313 personnes physiques et morales disposant d'une adresse en France.

La DNEF a établi pour chaque personne concernée une fiche retraçant les différents comptes, montants et sociétés dont elles étaient les ayants droit économiques. Pour plus de la moitié d'entre elles, les encours des comptes étaient nuls ou négatifs. L’administration fiscale a donc décidé de ne retenir dans un premier temps que les personnes dont les encours étaient positifs. Je rappelle que l’administration fiscale a pour mission d’organiser le recouvrement de l’impôt, imposer, redresser, notifier, appliquer des pénalités à des sommes nulles étant évidemment stérile.

La DNEF est ainsi parvenue à un document énumérant 2 932 personnes, dont 2 846 personnes physiques et 86 personnes morales. Sur ces 2 846 personnes, un certain nombre de dossiers ont été à nouveau exclus, dont les… six personnes ayant déclaré les comptes, un nombre proportionnellement aussi faible laissant d’ailleurs un peu songeur. Soixante-six comptes avaient par ailleurs été régularisés dans le cadre de la « cellule de dégrisement » mise en place entre les mois d’avril et de décembre 2009 auxquels s'ajoutent des décès et des personnes finalement non résidentes en France.

Je précise que notre administration fiscale a communiqué à tous les pays qui l’ont demandé – dont l’Espagne, en 2010 –, des listes complètes, lesquelles ont d’ailleurs été diversement exploitées.

À la demande de M. de Montgolfier, une demi-douzaine de cas ont été écartés des poursuites fiscales dans un premier temps puisque les opérations relevaient du grand banditisme et de blanchiment d’argent et qu’il ne fallait pas alerter leurs auteurs. Ils ont ensuite été réintroduits, au bout d’un certain délai, dans la liste.

D’aucuns ont prétendu que certains noms avaient été retirés, or, tel n’a pas été le cas, sauf si les avoirs de ces personnes étaient nuls ou négatifs. Les noms qui ont pu être évoqués dans la presse figurent bien sur la liste définitive. Ils ont fait ou font donc l’objet d’investigations fiscales ou judiciaires.

Au total, les avoirs figurant sur la « liste HSBC » s'élevaient à près de cinq milliards de dollars, dont 1,4 milliard de dollars pour les personnes morales. La répartition des avoirs était assez concentrée avec, notamment, soixante comptes de plus de 15 millions de dollars. Je vous renvoie au rapport, dans lequel figurent les données précises.

S’agissant de leur exploitation, l'administration fiscale s'est heurtée de front à deux difficultés juridiques : tout d'abord, la crainte que ses agents ne soient accusés de recel compte tenu de l'origine des données – crainte qui a été levée par la transmission des informations par M. de Montgolfier ; ensuite, l'inopposabilité juridique des informations dont elle disposait face aux contribuables. Les documents pouvaient ainsi être montrés à ces derniers, évoqués oralement, mais ne pouvaient en aucun cas être joints à l'appui d'un dossier en rectification, ce qui compliquait singulièrement la tâche des services fiscaux. Dans une certaine mesure, ces derniers se trouvaient tributaires de la bonne volonté des contribuables, ce qui n'est guère le propre des fraudeurs, il faut bien le reconnaître.

C'est pour tirer les leçons de cette situation que le Gouvernement a introduit dans le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière actuellement en cours d'examen la possibilité pour l'administration fiscale d'exploiter tout renseignement, quelle qu'en soit l'origine, s'il lui a été transmis de façon régulière.

Les services fiscaux ont engagé des vagues successives de contrôles, d'abord dans le cadre d’examens de situation fiscale personnelle – ESFP –, puis, des contrôles sur pièces pour les dossiers moins importants. C'est la Direction nationale des vérifications de situations fiscales – DNVSF –, direction spécialisée dans les patrimoines importants, qui a été chargée de traiter les dossiers « HSBC ». Dans un souci de rendement, la priorité a été donnée aux plus gros avoirs, puis, les contrôles se sont étalés dans le temps afin de ne pas engorger massivement la DNVSF, dont les capacités de traitement sont limitées. Je crois pouvoir dire que l'organisation retenue par l'administration fiscale a été rationnelle et cohérente compte tenu des contraintes qui pesaient sur son action, les accusations de « laxisme » qui ont été portées dans la presse me paraissant infondées. Je signale également que les règles de prescription sont relativement longues en matière d'avoirs non déclarés à l'étranger et que l'administration disposait et dispose encore de temps pour fiscaliser les sommes dissimulées.

Dans 30 % de ces opérations, l'administration fiscale s'est trouvée confrontée à des contribuables refusant de reconnaître qu'ils détenaient des avoirs non déclarés. Dès lors, elle était dans une situation juridiquement difficile. Elle pouvait jouer d’un moyen de pression – le recours à l'enquête judiciaire fiscale, avec la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale – BNRDF –, laquelle dispose de moyens d'investigation poussés. Toutefois, il n'était pas possible de renvoyer tous les dossiers de dénégation à la BNRDF, sauf à noyer sous un flot d'affaires une brigade qui ne compte pour l'instant que 25 personnes. Les services fiscaux ont donc sélectionné les « dossiers HSBC » renvoyés à la BNRDF, qui sont au nombre de cinquante, en retenant ceux pour lesquels les avoirs étaient très importants et où les détenteurs niaient, et ceux recouvrant manifestement des manœuvres très frauduleuses.

Au total, le bilan provisoire des résultats des contrôles fiscaux s’élevait au 15 juin dernier à 186 millions de droits et pénalités encaissés pour 950 millions d’euros régularisés. Des opérations de contrôle sont encore en cours, notamment, pour les montants les moins élevés et pour les dossiers de la BNRDF, lesquels ne sont pas tous achevés ni fiscalisés. Aucune audience n’a encore eu lieu sur les dossiers dont le traitement a été achevé par la BNRDF et qui ont été transmis aux autorités judiciaires. D’après mes informations, les premières audiences sont programmées pour le troisième ou le quatrième trimestre de cette année. Il y a donc lieu de penser que ce montant sera revu à la hausse.

En outre, l'administration fiscale pourra se saisir des nouveaux instruments juridiques votés par le législateur pour revenir vers les contribuables en dénégation. Elle pourra ainsi s'appuyer sur la recevabilité des preuves telle que prévue par le projet de loi que je viens d'évoquer ainsi que sur la taxation à 60 % des avoirs non déclarés à l'étranger dont le détenteur n'est pas en mesure de justifier l'origine, disposition introduite en dernière loi de finances rectificative pour 2012.

Je note, enfin, que les données sur les comptes aux encours nuls ou négatifs n'ont pas été « passées à la trappe » mais déversées dans un fichier ad hoc intitulé Evafisc. Créé pour l'occasion en novembre 2009 et validé par la CNIL, il recense les informations laissant présumer de la détention de comptes bancaires hors de France par des personnes physiques et morales et il est aujourd’hui alimenté par diverses sources. Y figurent aujourd’hui près de 9 000 noms de contribuables, personnes physiques ou morales, soupçonnés détenir de tels comptes.

La méthode utilisée par l’administration fiscale a parfois été diversement commentée, or, elle est cohérente et transparente. Il est possible que le traitement technique des données par la DGFIP ait été perfectible, M. Falciani m'ayant notamment indiqué qu'il aurait pu être plus approfondi. Je ne peux que souhaiter que la collaboration entre lui et la DGFIP soit fructueuse et mette à jour de nouvelles informations. Les contacts nécessaires, en tout cas, ont été pris et tout est organisé pour agir rapidement.

Je souhaite souligner que, pendant le temps des travaux de la DGFIP, rien ou presque ne s'est passé sur le front judiciaire. Une enquête préliminaire a été ouverte en juin 2009 puis le dossier a été dépaysé à Paris à la fin de 2010 dans des conditions sur lesquelles M. de Montgolfier s’est parfois exprimé publiquement, ainsi que devant moi. Ce dossier n’a fait l’objet d’une ouverture d’information judiciaire qu’à la fin du mois d’avril 2013, délai qui me laisse perplexe…

L'affaire HSBC a révélé un certain nombre de failles dans notre dispositif de lutte contre la fraude mais elles ont été réduites par la mise en place de l'enquête judiciaire fiscale en LFR 2009, par l’allongement des délais de prescription en LFR 2008, 2011 et 2012, par la taxation d'office à 60 % en LFR 2012 et, enfin, par la recevabilité de la preuve en 2013 à condition, bien entendu, que le texte en cours de navette soit adopté.

Demeure néanmoins l'impression que les autorités nationales ont toujours un temps de retard par rapport aux fraudeurs, ce qui permet d'ailleurs à ces derniers de s'adapter aux nouvelles règles pour les contourner, avec l'aide active de professionnels des domaines juridiques et financiers. Il nous appartient donc de réfléchir à de nouvelles formes d'organisation administrative de lutte contre la fraude dans le prolongement des travaux que nous avons accomplis avec le projet de loi examiné il y a quelques semaines par l’Assemblée nationale en première lecture et dans le cadre de la mission d’information que je rapporte, présidée par le président Gilles Carrez.

L'« affaire HSBC » constitue un nouvel exemple des pratiques de certaines banques qui aident délibérément les contribuables à frauder le fisc. J'évoquerai brièvement les 1 293 noms d'employés d'HSBC figurant sur la liste, dont certains disposent d’avoirs très conséquents – jusqu’à 500 millions d’euros – et qui sont pour nombre d'entre eux, vraisemblablement, des prête-noms ou des rabatteurs au service de clients soucieux de discrétion. De même, la multiplication des sociétés écrans panaméennes entre 2003 et 2005, juste avant l'entrée en vigueur de la directive épargne, laisse deviner le rôle actif de l'établissement bancaire pour permettre à ses clients de contourner la taxation à la source prévue par la directive pour les avoirs détenus en Suisse par des ressortissants communautaires.

J’ouvre une parenthèse.

L’Autorité de contrôle prudentiel – ACP – a récemment sanctionné la banque UBS France par une amende administrative de dix millions. J’ai contacté l’ACP voilà quelques mois pour m’étonner de l’absence de sanctions administratives à l’encontre de la banque, établissement qui fait par ailleurs l’objet de poursuites judiciaires. L’ACP, à laquelle j’avais demandé les rapports des audits réalisés, m’a suggéré de ne pas demander à consulter les rapports, afin d’éviter que les avocats d’UBS ne se saisissent de ce qui aurait pu constituer un élément susceptible d’interférer avec les procédures en cours.

Je ne me suis exprimé qu’après le jugement de la commission des sanctions, dont je n’ai eu connaissance que lorsqu’il a été publié à la fin du mois de juin, mais j’ai reçu cette semaine une curieuse lettre de la part d’UBS, quasiment insultante, me demandant pourquoi je m’intéresse à cette affaire, quand j’ai rencontré l’ACP, quels sont mes contacts, etc. Je la tiens à votre disposition et je me réserve le droit de la publier.

Au-delà, ce rapport doit surtout nous permettre de tirer les leçons de ces affaires en adoptant les dispositions législatives qui s’imposent et en faisant en sorte que le Gouvernement puisse donner les instructions nécessaires à nos administrations.

Il conviendrait que la Banque de France et l’ACP ne s’en tiennent pas à leur stricte mission de prévention des risques systémiques et de surveillance des ratios prudentiels, des liquidités, etc. Face à des pratiques dont chacun connaît la complexité et face à des armées de juristes, de fiscalistes et d’informaticiens qui, peu ou prou, travaillent pour les banques, la capacité d’expertise et d’investigation des professionnels de l’ACP en particulier devrait être mise à profit. Or, ce n’est absolument pas le cas car celle-ci se retranche derrière les bonnes relations qu’elle doit entretenir avec les banques afin de les contrôler plus facilement. J’assume ce point de vue personnel longuement mûri.

Je souhaite naturellement, monsieur le président, que ce rapport soit publié à l’issue de nos travaux.

M. le président Gilles Carrez. Je vous remercie.

Je tiens à souligner combien ce rapport est de qualité. Votre travail est en effet fort intéressant tant vis-à-vis des médias, des banques ou d’autres interlocuteurs et acteurs que pour le déroulement de nos travaux. Notre commission doit en effet se montrer déterminée à renforcer les moyens de lutte contre la fraude fiscale.

Le rapport montre combien l’administration fiscale a éprouvé des difficultés pour travailler efficacement en raison de la jurisprudence de la Cour de cassation mais, aussi, des risques pénaux encourus du fait de l’origine douteuse et illicite du fichier.

À la page 47 de son rapport, M. Eckert note que si le traitement des données de la « liste HSBC » par l’administration fiscale est diversement analysé et n’est pas terminé, il faut observer que, pendant la durée de ses travaux, rien ou presque ne s’est passé sur le front judiciaire.

L’administration fiscale s’est également heurtée à de grandes difficultés avec la Suisse, pays qui a tout fait pour s’opposer à notre action, la signature de l’avenant à la convention franco-suisse ayant même été suspendue. Le travail sur les conventions d’assistance administrative et fiscales mais, aussi, les échanges d’informations, sont pourtant essentiels. J’ai demandé à ce que les projets de conventions fiscales soient désormais soumis à notre commission car, jusqu’à présent et contrairement au Sénat, ils ne relèvent que de la commission des affaires étrangères.

L’administration fiscale a mis en place des moyens considérables puisque, de 2009 à 2011, soixante agents de la DNVSF ont été affectés à ces opérations. Les autorités politiques d’alors, dont les ministres concernés, ont constamment soutenu ce travail.

Malgré les efforts réalisés, 66 contribuables seulement sur les 2 846 que comporte la « liste HSBC » se sont fait connaître. Je vous renvoie, à ce propos, à la note de la page 19 du rapport. Si l’on procède à une extrapolation à partir des 4 700 personnes qui ont transité par la cellule de régularisation, ce sont 200 000 comptes qui pourraient être ouverts en Suisse, chiffre qui me semble tout à fait plausible.

Le travail du rapporteur général est également très important en ce qu’il montre combien le projet de loi actuel rapporté par Mme Sandrine Mazetier pour notre commission est essentiel en contribuant à améliorer un certain nombre de dispositifs relatifs au traitement d’informations dont l’origine peut être considérée comme juridiquement douteuse.

En outre, le rapport confirme que l’administration fiscale doit conserver le monopole de la saisine de la justice. Les rares fuites qui ont été constatées dans la presse, alors que ce travail est en cours depuis trois ans, ne concernent que les noms de contribuables qui ont basculé dans la procédure judiciaire. C’est dire à quel point notre administration fiscale est professionnelle et sait respecter le secret fiscal.

Sur de tels sujets, notre commission se doit de faire bloc. Politiquement, vous observerez d’ailleurs que l’opposition a voté l’ensemble des articles du projet de loi relatif à l’amélioration des moyens de lutte contre la fraude fiscale hors celui portant création d’un parquet judiciaire centralisé. À la fin de 2009, l’ancienne majorité avait créé une procédure de saisine accélérée de la commission des infractions fiscales et avait donné des pouvoirs judiciaires à des agents du fisc. Nous avions alors été soutenus par le ministre, le président de la commission des finances M. Didier Migaud et… M. Henri Emmanuelli, lequel m’avait assuré qu’en donnant des pouvoirs judiciaires au fisc nous parviendrions peut-être à réaliser ce que lui-même avait essayé de mettre en place au début des années 80, lorsqu’il était chargé du budget au sein du Gouvernement.

Notre commission a beaucoup de travail à faire, sa force reposant sur son unanimité et sur une action méthodique. Je ne vois que des avantages à la publication de ce rapport.

M. Éric Woerth. Je remercie M. le rapporteur général pour ce travail exhaustif, approfondi, honnête qui confirme ce que j’ai toujours dit depuis trois ans.

J’ai été soumis à nombre de questionnements et de suspicions, j’ai fait l’objet de pléthore d’articles de journaux, d’émissions de télévision – ce que je comprends d’ailleurs tant ces questions suscitent des fantasmes. Or, le politique n’est jamais cru, non plus que la plus sérieuse des administrations qu’est l’administration fiscale.

Nous avons récupéré 120 000 ou 130 000 noms dont au bout du compte seuls 3 000 sont susceptibles de « rapporter de l’argent » à notre pays. Nulle évaporation, pourtant, puisque ces dossiers ont été transmis, y compris à certaines administrations étrangères lorsque cela était nécessaire, et qu’Evafisc, fichier déclaré à la CNIL, a été mis en place pour permettre à l’administration fiscale de mieux travailler. C’était donc faire un procès stupide que de prétendre que nous avions retiré des noms. Comment peut-on croire qu’un ministre se munirait de sa gomme et examinerait s’il efface ou non tel ou tel patronyme ? Il faudrait cesser de considérer que nous avons une administration bananière ! Cette liste n’a jamais été modifiée. J’ajoute que la justice en disposant également, le système était très sûr et sain.

Je suis probablement le seul à ne pas avoir rencontré M. Falciani, le ministre que j’étais alors s’étant en effet bien gardé de rencontrer un informateur. Imagine-t-on M. Valls rencontrer des « indics » ? Un ministre n’est pas un « barbouze » ! En l’occurrence, M. Falciani était de surcroît suivi par la justice et M. de Montgolfier.

La « liste HSBC » des 120 000, des 6 000 ou des 3 000 a été l’occasion d’accélérer la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales mais, auparavant, il y avait eu la « liste Lichtenstein » qui comprenait certes beaucoup moins de noms mais sur laquelle la DNVSF avait travaillé dans le même contexte politique. Lorsque la liste Falciani a été connue, nous aurions pu décider de ne pas aller plus loin puisque les fichiers avaient été volés, or, nous l’avons exploitée parce que tel était l’intérêt général.

Dans notre pays, les domaines judiciaire et fiscal sont séparés mais, en l’occurrence tous les deux disposaient du même dossier. Pourquoi le volet judiciaire n’a-t-il pas suivi ? Probablement pour des raisons internes à cette administration – problèmes entre un procureur et sa hiérarchie ? – mais aussi parce que le domaine fiscal intéresse peu la justice.

Quoi qu’il en soit, nous avons créé à cette occasion une « police fiscale » car, face à des fraudes importantes, il importait de doter l’administration fiscale de pouvoirs judiciaires. D’autres dispositions ont également été prises, la dernière en date concernant l’utilisation de listes volées mais communiquées régulièrement. Le Gouvernement a fort bien fait, la jurisprudence de la Cour de Cassation ayant empêché jusqu’ici de réaliser un certain nombre de contrôles.

Nous avons également créé Evafisc mais, surtout, nous avons déclenché à partir de cette liste une opération globale de régularisation en direction de nos concitoyens susceptibles de détenir un compte en Suisse, d’où la création de la cellule dite de « dégrisement », service central de régularisation visant à travailler en toute transparence. Il n’est pas possible de manier le seul bâton, mais il faut aussi utiliser la carotte, et c’est tant mieux si celle-ci fonctionne d’une manière encore plus satisfaisante.

Enfin, je souhaite vous mettre en garde car tout ce qui a trait à l’évasion fiscale suscite des fantasmes et est propice à toutes les manipulations. Beaucoup de gens ont intérêt à ce que rien ne sorte. Nos relations diplomatiques avec la Suisse ont été atomisées et toutes les menaces que vous pouvez imaginer ont été proférées. Ces questions sont très dangereuses, et pour ceux qui les manient, et pour l’ensemble de la classe politique.

Ce n’est pas avec des discours que nous parviendrons à lutter contre la fraude fiscale mais en faisant en sorte que chacun prenne les risques inhérents aux responsabilités qui sont les siennes : manipulations, règlements de comptes, malveillance, etc. Pour couronner le tout, la presse s’empare de telles situations et l’on est traîné dans la boue parce que l’on s’est heurté à des gens dont l’argent est le seul moteur et qui feront tout pour se défendre.

De surcroît, les personnes ne sont pas seules en cause : il faut également compter avec le système bancaire, extraordinairement puissant pour défendre ses propres intérêts. Il fait parfois figure de pot de fer face au pot de terre qu’est le ministre du budget.

Ce combat n’est ni de droite ni de gauche. Nous souhaitons tous que les impôts rentrent, et même si nous ne sommes pas toujours d’accord sur le niveau de l’imposition, nous ne voulons pas que quiconque échappe à l’impôt républicain. Nous avons mené la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, vous continuez à votre tour à la mener. Nous devons travailler ensemble et faire preuve de la même prudence.

M. le rapporteur général. M. le président Carrez l’a dit : tous les noms qui ont circulé dans la presse comptaient parmi les plus de quatre-vingts qui ont été transmis aux autorités judiciaires. Chacun appréciera.

Je me suis entretenu avec M. de Montgolfier de cette affaire. L’autorité judiciaire savait que des contacts avaient été noués entre M. Falciani et la DNIF mais je ne suis pas sûr qu’elle savait, du moins dès le début, que M. Falciani avait donné les fichiers à l’administration fiscale. Les deux administrations ont donc d’abord travaillé séparément avant que le dossier ne soit transmis par M. de Montgolfier à cette dernière. Ce n’est qu’ensuite que l’IRCGN et l’administration fiscale ont travaillé ensemble. Certains propos évoqués par M. de Montgolfier m’incitent à penser que les fichiers définitifs de l’administration fiscale n’ont jamais été transmis à l’autorité judiciaire, celle-ci travaillant actuellement avec les fichiers qui ont été établis par l’IRCGN. Je continue de m’interroger pour savoir si l’autorité judiciaire ne devrait pas comparer les deux.

M. Éric Woerth. À ma connaissance, le patron du contrôle fiscal de l’époque s’est rendu à Nice à plusieurs reprises pour rencontrer M. de Montgolfier et comparer les fichiers. Un dialogue a donc bien eu lieu et c’était extrêmement confortable pour l’administration fiscale parce que les parties judiciaire et fiscale relevaient bien de leur administration respective. La transmission s’est effectuée depuis l’administration judiciaire vers l’administration fiscale, ce qui avait un caractère protecteur contre le risque de recel que vous avez ciblé.

Mme Sandrine Mazetier. M. le président a rappelé les soutiens qui ont été apportés à l’action de la majorité d’alors mais il serait tout aussi significatif de faire part de ceux qui ont manqué.

Le rapport porte sur la « liste HSBC » mais il a également été question d’UBS. Comme l’ont montré les auditions que nous avons menées pour examiner le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et dans le cadre de la mission d’information de notre Commission sur la fraude fiscale, il convient de s’interroger sur la composition des organes internes de l’ACP ou de l’Autorité des marchés financiers – AMF. Alors même qu’UBS faisait l’objet d’une procédure de contrôle de la part de l’ACP, il semblerait que des membres de la direction de la première siégeaient dans des instances de la seconde. Si tel est le cas, des déports ne seraient-ils pas de bonne politique ?

Il était logique que l’administration fiscale s’intéresse aux comptes HSBC créditeurs et pas aux autres mais cela n’explique pas pourquoi la justice, elle, ne s’est pas intéressée aux comptes négatifs, lesquels supposent que de l’argent y a transité. Cela serait me semble-t-il instructif pour Evafisc.

Sans polémique aucune, la situation décrite par M. le rapporteur général témoigne combien nous avons besoin d’une justice absolument indépendante. De même que nous ne pouvons laisser soupçonner que notre fonction publique serait bananière, de même tout ce qui favorise l’indépendance de la justice et, notamment, du Conseil supérieur de la magistrature – CSM – doit être encouragé.

M. le président Carrez a raison : la commission des Finances doit se saisir des conventions fiscales et de leur révision éventuelle mais, aussi, des conventions d’assistance administrative et de la qualité des informations qui peuvent être échangées d’une administration à l’autre. Ce n’est pas toujours la règle d’avoir affaire à des administrations aussi structurées et professionnelles que les nôtres, y compris dans le cas de la Suisse. C’est là une question qui me semble centrale dans la lutte à venir contre les phénomènes que nous décrivons.

M. Henri Emmanuelli. Je suis étonné par le cloisonnement des actions entre ACP, administration fiscale, domaine judiciaire, etc. C’est un maquis propice à permettre aux contrevenants de ne pas être inquiétés. Alors que je n’étais guère enthousiaste à l’idée de créer un pôle judiciaire affecté, je considère aujourd’hui qu’il aurait le mérite de rassembler les acteurs en présence. Lorsque l’on voit le temps qui a été nécessaire pour que le pouvoir judiciaire se mette en mouvement, il est certain que quelque chose ne va pas.

Est-ce embarras ou frilosité ? Je suis étonné que les gouvernements, quels qu’ils soient, n’utilisent pas les moyens énormes dont ils disposent vis-à-vis des banques. Je rappelle que le crédit, en France, est une forme de délégation de l’État accordée sous la forme d’un agrément. La menace de retrait pour UBS pourrait être dévastatrice ! Regardez, d’ailleurs, comment agissent les Américains !

Il en va de même s’agissant des relations diplomatiques avec la Suisse : pour prendre une image, l’armée de la Confédération helvétique, ce n’est tout de même pas l’armée américaine ! Il est surprenant de se laisser imposer un certain nombre de choses.

Tout cela, au fond, ne s’explique-t-il pas par la dualité au cœur de notre appareil d’État entre les directions du Trésor et du Budget, la première étant toujours très attentive au « bonheur » des banques ? N’est-ce pas ainsi que l’on en arrive à cette plaisanterie qu’est l’amende de dix millions à UBS ? Peut-être pourriez-vous faire savoir à l’ACP, monsieur le président, et monsieur le rapporteur général, que la commission des Finances s’étonne de l’extraordinaire mansuétude de l’administration ?

Il n’est pas normal que l’ACP se désintéresse de l’aspect frauduleux de certaines opérations alors qu’elle compte parmi les rares administrations à disposer de la compétence nécessaire pour les mettre à jour puisque des personnels de haut niveau et bien rémunérés y travaillent.

En 1983, nous avons acheté des listes à une ou deux reprises via la douane, l’administration fiscale n’étant pas autorisée à rémunérer des aviseurs. Cela, d’ailleurs, a beaucoup rapporté. J’ajoute que ce sont les services du boulevard Mortier qui, alors, avait cassé les codes de confidentialité des banques suisses.

Sur le fond, l’affaire est très grave : la fraude fiscale a toujours été importante dans notre pays, elle est parfois même considérée comme un sport national… Comme ancien banquier, je peux vous assurer qu’aux États-Unis, les sanctions sont beaucoup plus sévères !

Il faut donc fournir des efforts importants, en commençant par la capitale, mais on sait que la ville de Paris, qui manque d’inspecteurs des impôts, est le territoire le moins contrôlé de la République !

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, serait-il possible de demander à la garde des sceaux pourquoi il a fallu tant de temps pour que la machine judiciaire se mette en branle ? Serait-il possible de s’étonner auprès de l’ACP de la modicité de la pénalité infligée à l’UBS ?

M. le rapporteur général. La sanction maximale qui aurait pu être infligée à UBS était de 50 millions d’euros ; depuis, c’est passé à 100 millions – mais il y a d’autres sanctions possibles, comme le retrait d’agrément. Je signale d’ailleurs qu’UBS a fait appel.

Le traitement du cas des personnes morales m’a paru assez léger : j’ai eu peu de détails, alors qu’il y a de très gros comptes.

Notre règlement confie à la commission des Affaires étrangères le soin d’examiner les projets de loi autorisant les ratifications des conventions fiscales : une réflexion étant semble-t-il en cours pour réviser notre règlement, il serait peut-être opportun d’en proposer une modification sur ce point. Au Sénat, c’est la commission des Finances qui est saisie.

M. Marc Goua. Merci de ce rapport, monsieur le rapporteur général. Vous mentionnez dans le projet de rapport que « les avoirs détenus sur ces comptes sont majoritairement issus d’héritages » : parlez-vous des montants concernés ou du nombre de comptes ?

La Suisse utilise souvent les sociétés de fiducie, c’est très certainement pour cela que l’on trouve un nombre de comptes important au nom d’employés de la banque, avec des montants très élevés. C’est une piste de travail à ne pas négliger.

M. Olivier Carré. Merci, monsieur le rapporteur général, de ce travail d’investigation. Je veux cependant souligner que, pour l’ACP, les flux dont nous parlons sont infinitésimaux par rapport à tous ceux qu’elle contrôle.

M. Henri Emmanuelli. Les pouvoirs de l’ACP sont très étendus !

M. Olivier Carré. Je le sais bien, comme ceux de l’AMF d’ailleurs, et c’est une très bonne chose.

D’autres organismes existent, notamment Tracfin, dont les préoccupations sont exactement celles qui nous intéressent ici : fraude, blanchiment, origine des fonds… Mais Tracfin a-t-il les moyens humains et juridiques d’enquêter correctement ? Ne faudrait-il pas réfléchir à un renforcement des liens entre l’ACP et Tracfin, qui a ses limites, notamment en termes de blanchiment ? Il ne faut pas en tout cas dévoyer les missions de l’ACP.

Mme Sandrine Mazetier. Le projet de loi dont je suis rapporteure est maintenant soumis au Sénat, où se déroule une offensive des défenseurs des libertés publiques, qui trouvent que le texte que nous avons adopté donne à l’administration des pouvoirs exorbitants. C’est un sujet auquel la Haute Assemblée est très sensible : le projet de loi pourrait donc évoluer sur ce sujet. Ne soyons donc pas trop optimistes, même si j’entends ici une sorte d’engagement de l’opposition de ne pas saisir le Conseil constitutionnel sur ce texte.

L’utilisation de Tracfin pourrait effectivement nous permettre de progresser beaucoup ; mais nous serions peut-être « pendus haut et court » par certains de nos contradicteurs, au nom des libertés publiques !

Mme Monique Rabin. Je veux saluer ce climat d’unanimité : nous pourrons ainsi, j’en suis sûre, avancer à pas de géant. Les deux points essentiels ont été soulignés : le rendement fiscal, mais aussi la morale républicaine. Il paraît effectivement nécessaire d’agir, ici à l’Assemblée nationale, pour que la commission des Finances puisse – sans déposséder celle des Affaires étrangères – examiner les conventions fiscales.

Quel rendement attendons-nous de ces opérations ? Comment améliorer la coopération entre l’administration fiscale et la justice ? Je m’interroge également sur les personnes morales, ainsi que sur les comptes à en-cours négatif : comment approfondir ces questions ?

M. Alain Fauré. Je nous trouve tout de même bien gentils : nous ne donnons jamais de noms. Si nous voulons que la fraude cesse d’être un sport national, ne devrions-nous pas nommer certaines des personnes concernées ? Il ne s’agit pas pour autant de jeter des gens en pâture à l’opinion.

N’y a-t-il pas d’ailleurs dans cette liste certains noms gênants qui expliqueraient pourquoi le travail de la justice est si lent ? Nos concitoyens sont en droit de se poser la question.

Vous nous dites aussi que 1 293 salariés d’une banque figuraient sur ces listes : ils ont été payés pour contribuer à une fraude organisée ; des contrats doivent les lier à cette banque. Pourquoi ne peut-on pas entamer des recours contre une banque qui, sciemment, organise un tel système illégal ?

Prenons exemple sur les députés britanniques et tapons du point sur la table ! Soyons plus exigeants, dans l’intérêt de nos concitoyens !

M. le président Gilles Carrez. M. Woerth et moi-même nous étions rendus à Dublin pour comprendre le fonctionnement du système irlandais, où des contribuables récalcitrants ont été dénoncés dans les journaux. Cela n’avait pas été sans problèmes.

M. Marc Francina. Depuis l’intégration de la Suisse à l’espace Schengen, et la quasi-disparition des contrôles aux frontières, les passages de valises de billets, ou de titres se sont accélérés ! On m’a parlé l’autre jour d’une personne arrêtée à la frontière avec un bon du Trésor de 1,8 milliard d’euros… Les douaniers ne sont pas assez nombreux pour contrôler ces mouvements.

Et les Suisses préparent la contre-offensive : certaines banques transfèrent de plus en plus de comptes de Genève vers Zurich ; et les banquiers traînent les pieds pour délivrer les informations qui leur sont demandées. Quant aux mouvements populistes, ils veulent inscrire le secret bancaire dans la Constitution !

M. le rapporteur général. Monsieur Goua, les comptes dont les avoirs proviennent d’héritages sont les plus nombreux, mais souvent ce ne sont pas ceux dont les en-cours sont les plus importants.

Les employés de la banque HSBC étaient 169 sur la liste française, et près de 1 300 sur la liste des 120 000.

Monsieur Carré, il est bien sûr plus facile de travailler sur notre sujet avec Tracfin qu’avec l’ACP, qui n’a pas de culture de la lutte contre la fraude ; mais M. Emmanuelli a raison : ils disposent néanmoins de tous les pouvoirs nécessaires. Il faudrait donc envisager de les utiliser…

Madame Rabin, le rendement exact n’est pas encore connu, car les enquêtes ne sont pas terminées. On ne peut guère imposer les sommes découvertes qu’au titre de l’ISF, car le plus souvent nous ne connaissons pas les flux. Le taux global est de 20 %, avec les pénalités.

S’agissant des personnes morales, je crois que la mission d’information présidée par M. Eric Woerth et dont le rapporteur est M. Pierre-Alain Muet nous fera des propositions cet après-midi.

Monsieur Fauré, le secret fiscal existe et doit être préservé : il en va quand même des libertés individuelles ! Ces dispositions n’empêchent ni les contrôles ni les poursuites. Je sais bien d’ailleurs qu’on risque de m’accuser de vouloir, avec ce rapport, dédouaner l’administration fiscale : j’assume. Le Parlement ne contrôle pas l’autorité judiciaire, mais il peut contrôler l’administration fiscale…

Monsieur Francina, vous avez raison : il faut revoir ces conventions, dont on mesure tous les jours les dysfonctionnements. La DGFiP n’a d’ailleurs, sur une centaine de demandes faites à la Suisse dans le cadre du dossier UBS, reçu que quelque cinq réponses…

M. le ministre de l’économie doit signer ces jours-ci avec son homologue suisse, Mme Eveline Widmer-Schlumpf, une nouvelle convention sur la taxation des successions ; à cette occasion, de nouvelles précisions seront données sur les échanges d’information et la possibilité pour la France de poser des questions sans nécessairement donner le nom de la banque concernée.

Mme Christine Pires Beaune. Comment est-il même possible que le Trésor émette un bon d’un tel montant ?

M. le rapporteur général. Mais s’agissait-il d’un bon du Trésor français ?

M. Marc Francina. Ah, je n’en sais rien !

Mme Widmer-Schlumpf que vous évoquiez rencontre actuellement bien des difficultés à faire ratifier par le Parlement suisse la proposition de convention avec la France.

M. le rapporteur général. J’ai pour ma part reçu une délégation de banquiers suisses, et il semblait possible de faire des progrès – pour l’avenir. C’est le règlement des situations passées qui demeure pour eux un vrai problème.

M. le président Gilles Carrez. J’ai reçu des banquiers du Liechtenstein, et j’ai eu la même information.

Mme Marie-Christine Dalloz. Mme Marie-Christine Lepetit, chef du service de l'inspection générale des finances, a confirmé hier devant la commission d’enquête sur l’affaire Cahuzac que, depuis 2009, les réticences suisses s’étaient atténuées, du moins en ce qui concerne les flux. Il demeure un problème pour le passé.

En application de l’article 146 du Règlement, la Commission autorise la publication du rapport d’information du rapporteur général sur le traitement par l'administration fiscale des informations contenues dans la liste reçue d'un ancien salarié d'une banque étrangère.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

– M. Bruno BEZARD, directeur général des finances publiques, M. Alexandre GARDETTE, chef du service du contrôle fiscal, M. Bastien LLORCA, sous-directeur du contrôle fiscal, M. Marc EMPTAZ, chef de la mission Pilotage du service du contrôle fiscal, Mme Maïté GABET, directrice de la direction nationale des vérifications de situations fiscales, M. Bernard SALVAT, directeur de la direction nationale des enquêtes fiscales, M. Frédéric IANNUCCI, alors chef du service des collectivités locales de la direction générale des finances publiques et successeur de M. SALVAT, Mme Marie-Aimée MUSY, adjointe du directeur de la direction nationale des enquêtes fiscales et des enquêteurs de la direction nationale des enquêtes fiscales ;

*

– M. Hervé FALCIANI, ancien informaticien au sein de l’établissement HSBC, accompagné de son avocat Maître William BOURDON ;

– M. Éric de MONTGOLFIER, magistrat à la retraite.

1 () La DNIF deviendra ensuite la DNIFF, soit la division nationale d’investigations financières et fiscales, à la suite de la création en son sein de la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, en novembre 2010, dans le prolongement de la dernière loi de finances rectificative pour 2009 instituant l’enquête judiciaire fiscale (voir infra).

2 () De telles modalités de transmission ne posent toutefois pas de difficultés juridiques dans d’autres pays, comme l’Allemagne.

3 () Il convient de bien distinguer la notion de comptes à en-cours négatif ou nul et celle de comptes « dormants ». Un compte dormant est une notion bancaire, puisqu’il s’agit d’un compte pour lequel aucun mouvement n’est constaté pendant une période donnée. Cette période est fixée contractuellement à trois ans pour la plupart des établissements de crédit en France. Mais faute d’avoir connaissance des conditions contractuelles liant HSBC Private Bank à ses clients, cette durée n’est pas connue pour les dossiers de la liste ; de ce fait, il n’est pas possible de savoir ce que ce qualificatif recouvre lorsqu’il est mentionné dans certains des profils clients. En tout état de cause, il n’est pas synonyme de comptes à en-cours nul, puisque des sommes peuvent figurer sur un compte dit « dormant ».

4 () Laquelle liste incluait aussi, outre les documents issus d’HSBC, d’autres informations obtenues dans le cadre de procédures de contrôles distinctes, notamment l’opération « cartes offshore », visant à identifier les détenteurs en France de cartes bancaires détenues à l’étranger, en particulier dans des paradis fiscaux ; la détection se faisant par le biais des dépenses réalisées par les cartes bancaires émises par des établissements sis dans des paradis fiscaux.

5 () Si l’on extrapole le taux de régularisation des clients de HSBC sur la liste, détenant donc un compte en Suisse non déclaré (soit 66 sur 2 846, correspondant à 2,3 % seulement), au total des régularisations effectives incluant l’ensemble des banques (soit 4 725), on pourrait estimer qu’il existait à l’époque de cette opération de régularisation 4 725 / 2,3 % comptes non déclarés, soit plus de 200 000.

6 () Il s’agissait d’une liste de 200 noms, regroupés en 64 groupes familiaux, transmise par le Royaume-Uni à la fin de 2007. Ces groupes familiaux avaient constitué des fondations au sein de la banque Liechtenstein Global Trust (LGT).

7 () Arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon, 5 juillet 1994 : « Si l'administration fiscale peut établir des redressements sur la base d'éléments de preuve légalement admissibles de toute nature, elle ne peut, en revanche, valablement s'appuyer sur des pièces qu'elle a obtenues ou qu'elle détient de manière manifestement illicite. »

8 () Arrêt rendu par le Conseil d’État du 6 décembre 1995, n° 90914 : «  Dès lors que l'administration fiscale a obtenu régulièrement communication de pièces détenues par l'autorité judiciaire, la circonstance que ces pièces auraient été ultérieurement annulées par le juge pénal n'a pas pour effet de priver l'administration du droit de s'en prévaloir pour établir les impositions ».

9 () Dans un arrêt du 18 juin 1996, n° 94-17.312 , la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait notamment rappelé que « l’administration était tenue, dans ses investigations, au devoir de loyauté. »

10 () Cass. Com., 31 janvier 2012, 11-13.097 et 11-13.098.

11 () Premier alinéa de l’article 427 du code de procédure pénale : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction. »

12 () Loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008.

13 () Loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011.

14 () Loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

15 () Des consignes concernant le taux de réduction des amendes n’ont été données qu’à partir de juillet 2012. Auparavant, le règlement de ces amendes a fait l’objet d’un traitement au cas par cas en fonction des enjeux.

16 () Article 8 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

17 () Loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.

18 () Décret n° 2010-1318 du 4 novembre 2010.

19 () Arrêté du 25 novembre 2009 portant création par la direction générale des finances publiques d'un fichier de comptes bancaires détenus hors de France par des personnes physiques ou morales dénommé « EVAFISC ».

20 () Avis n° 1391302 suite à la délibération n° 2009-588 du 12 novembre 2009.

21 () L’administration allemande est autorisée à exploiter des preuves d’origine illicite, telles des données volées, tout en pouvant rémunérer les personnes qui les lui fournissent. Par un arrêt en date du 9 novembre 2010, le Tribunal constitutionnel fédéral allemand s’est prononcé sur ce dispositif, et a validé l’exploitation d’une preuve d’origine illicite pour fonder une autorisation de perquisition, et son acquisition par le Gouvernement auprès d’une personne privée. Le Tribunal constitutionnel fonde son raisonnement juridique sur la proportionnalité de l’atteinte aux droits du justiciable.

22 () Article 5 de l’arrêté : « Les agents habilités de la direction nationale des enquêtes fiscales et des directions compétentes en matière de contrôle sont destinataires des informations visées à l'article 3.

23 () Directive 2003/48/CE du Conseil du 3 juin 2003 en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts.


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