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N° 1510

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 novembre 2013.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER (1) sur les agricultures des Outre-mer

PAR Mme Chantal BERTHELOT et M. Hervé GAYMARD

Députés.

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation aux Outre-mer est composée de : M. Jean-Claude Fruteau, président ; Mme Catherine Beaubatie, Mme Huguette Bello, Mme Chantal Berthelot, Mme Sonia Lagarde, M. Serge Letchimy, M. Didier Quentin vice-présidents ; Mme Brigitte Allain, M. Dominique Bussereau, Mme Annick Girardin, M. Bernard Lesterlin, secrétaires ; M. Ibrahim Aboubacar, M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Jean-Jacques Bridey, M. Ary Chalus, M. Alain Chrétien, M. Édouard Courtial, Mme Florence Delaunay, M. René Dosière, Mme Sophie Errante, M. Georges Fenech, M. Édouard Fritch, M. Hervé Gaymard, M. Daniel Gibbes , M. Philippe Gomes, M. Philippe Gosselin, Mme Geneviève Gosselin, M. Mathieu Hanotin, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, Mme Monique Iborra, M. Éric Jalton, M. Serge Janquin, M. François-Michel Lambert, M. Guillaume Larrivé, M. Patrick Lebreton, M. Gilbert Le Bris, M. Patrick Lemasle, M. Bruno Le Roux, M. Michel Lesage, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Thierry Mariani, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Hervé Mariton, M. Olivier Marleix, M. Jean-Philippe Nilor, M. Patrick Ollier, Mme Monique Orphé, M. Napole Polutélé, M. Pascal Popelin, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, M. Boinali Said, M. Paul Salen, M. François Scellier, M. Gabriel Serville, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Gérard Terrier, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. Jean Jacques Vlody

SOMMAIRE

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PAGES

INTRODUCTION 7

I. LES STRUCTURES DES EXPLOITATIONS AGRICOLES : LA DIMINUTION DE L’ESPACE FONCIER N’EST PAS INÉLUCTABLE 13

A. L’ÉTAT DES LIEUX DU FONCIER AGRICOLE DANS LES DÉPARTEMENTS D’OUTRE-MER 14

1. Le département de Mayotte 14

2. Le statut juridique des exploitations dans les départements d’outre-mer 15

3. Les cultures et les jachères 20

4. La population active agricole 23

5. Les successions 26

B. L’ÉTAT DES LIEUX DU FONCIER AGRICOLE DANS LES COLLECTIVITÉS D’OUTRE-MER ET À SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON 28

1. Saint-Barthélemy et Saint-Martin 28

2. La Nouvelle-Calédonie 29

3. La Polynésie française 30

4. Wallis-et-Futuna 30

5. Saint-Pierre-et-Miquelon 31

C. DIX PROPOSITIONS DEVANT PERMETTRE D’AMÉLIORER L’ACCÈS DES RESSORTISSANTS ULTRAMARINS AU FONCIER AGRICOLE 32

1. Renforcer l’outil statistique 32

2. Accroître l’efficacité des outils de surveillance foncière 33

a. Renforcer les moyens financiers des SAFER 33

b. Étudier la mise en place d’une SAFER en Guyane et à Mayotte ou compléter les pouvoirs des organismes qui remplissent actuellement les fonctions exercées par les SAFER dans ces deux départements 34

c. Élargir le droit de préemption des SAFER 35

d. Simplifier la procédure de définition des zones agricoles protégées (ZAP) 36

e. Modifier le contenu des études d’impact pour mieux mesurer les incidences des projets d’aménagement ou d’équipement sur les espaces agricoles 37

f. Allonger la durée de validité des projets d’intérêt général (PIG) 39

3. Trouver des solutions pour mieux organiser la transmission des entreprises et pour mettre fin aux blocages liés aux indivisions successorales 40

a. Favoriser l’utilisation de la fiducie et créer, dans le cadre de ce régime juridique, une possibilité de transmission du patrimoine, en cas de décès du constituant, dans le cas spécifique des exploitations agricoles ultramarines 40

b. Favoriser l’utilisation du mandat à effet posthume 42

c. Modifier les règles de prise de décision, en cas d’indivision successorale, pour la location ou la vente des biens immobiliers à usage agricole 43

II. L’INSTALLATION DES JEUNES AGRICULTEURS : IL FAUT PASSER À LA VITESSE SUPÉRIEURE 44

A. LA NATURE ET LE MONTANT DES AIDES 45

1. La nature des aides 45

2. Les montants 47

B. LES CARACTÉRISTIQUES DES INSTALLATIONS AIDÉES 47

1. Nombre d’installations aidées 48

2. Répartition des installations en fonction du sexe des personnes concernées 48

3. Répartition par âge au moment de l’installation 50

4. Répartition par type d’installation 51

5. Répartition selon la qualité du bénéficiaire 52

6. Installations réalisées dans le cadre familial et en dehors de ce cadre 53

7. Les crédits engagés 54

C. LES PROBLÈMES RENCONTRÉS PAR LES JEUNES AGRICULTEURS 56

D. L’AMÉLIORATION DU DISPOSITIF EXISTANT D’AIDE À L’INSTALLATION 58

1. Réaliser une meilleure organisation du système d’aide à l’installation 58

a. La mise en place d’un comité départemental ou régional à l’installation 59

b. La réduction significative des délais administratifs de traitement des dossiers 59

2. Créer des aides complémentaires pour l’agriculteur cédant 61

a. L’adaptation du contrat de génération à l’agriculture 61

b. La création d’un fonds de garantie pour les cédants qui transmettent leur propriété foncière à un jeune agriculteur 62

c. L’instauration, en cas de cessation volontaire d’activité au profit d’un jeune, d’une indemnité de départ volontaire ou d’un dispositif de préretraite 63

3. Créer un dispositif d’aide en faveur des jeunes agriculteurs lorsqu’ils souhaitent acheter une parcelle de terrain à une SAFER 64

4. Instituer un cautionnement en faveur des jeunes agriculteurs lorsqu’ils sollicitent l’obtention de prêts bonifiés 64

5. Créer un dispositif pour les personnes qui cherchent à s’installer alors qu’elles atteignent 40 ans 64

6. Promouvoir des aides spécifiques pour tenir compte de certaines situations particulières 65

III. LA NÉCESSAIRE AMÉLIORATION DU STATUT DES AGRICULTEURS : AVANT TOUTES CHOSES, IL FAUT AGIR SUR LES DROITS SOCIAUX DES EXPLOITANTS ET DES SALARIÉS AGRICOLES 67

A. L’AMÉLIORATION DE L’ENSEIGNEMENT AGRICOLE OUTRE-MER 67

1. Les grandes caractéristiques de l’enseignement agricole outre-mer 68

2. Les propositions d’amélioration 75

a. Améliorer encore davantage la « culture du terrain » dans les programmes d’enseignement des collèges et des lycées agricoles 75

b. Mieux coordonner les enseignements des collèges et des lycées agricoles avec les particularités de l’agriculture de chaque DOM et de chaque COM 76

c. Ouvrir des plages horaires, dans le cadre des programmes des collèges et des lycées agricoles, aux interventions des chercheurs et des acteurs des RITA 77

d. Ouvrir de plus grandes facultés de choix dans les STS 77

e. Prévoir des modules de cours sur les questions liées à l’installation dans les CFA et les organismes de formation professionnelle continue 78

B. L’AMÉLIORATION DES RÈGLES D’AFFILIATION À L’AMEXA 78

1. Les règles actuelles d’assujettissement des exploitants agricoles dans les départements d’outre-mer 79

2. La mise en place d’un critère horaire pour élargir les critères d’assujettissement au régime social agricole 81

C. L’AMÉLIORATION DES RETRAITES AGRICOLES 81

1. L’augmentation du montant des retraites agricoles 82

2. La mise en place d’un régime de retraite complémentaire obligatoire pour les salariés agricoles dans les départements d’outre-mer 82

IV. LE DÉVELOPPEMENT INDISPENSABLE DES FILIÈRES AGRICOLES : S’APPUYER SUR LE POSEI POUR AMÉLIORER LA STRUCTURATION DES FILIÈRES ET POUR FAVORISER DES DÉMARCHES COMMERCIALES DYNAMIQUES FONDÉES SUR LA QUALITÉ 84

A. LES PRINCIPAUX ASPECTS DES FILIÈRES AGRICOLES DANS L’ECONOMIE ULTRAMARINE 85

1. Un rôle des filières qui n’est pas seulement économique mais aussi environnemental et agro-écologique 85

2. Des financements européens 88

3. Des filières aux spécificités bien marquées 90

a. La filière « banane » 90

b. La filière « canne-sucre-rhum-bagasse » 91

c. Les filières de diversification 94

B. LES INCERTITUDES ACTUELLES DES FILIÈRES AU REGARD DES ÉVOLUTIONS EUROPÉENNES 95

1. Les incertitudes de toutes les filières prises dans leur ensemble 95

a. Le niveau d’intervention du POSEI à partir de 2014 95

b. La régionalisation des crédits du FEADER 96

2. Les incertitudes de la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » 98

C. LES PROPOSITIONS POUR RENFORCER LA STRUCTURATION ET AMÉLIORER L’EFFICACITÉ DES FILIÈRES 99

1. Renforcer la structuration des filières 99

a. Prévoir pour les filières la possibilité de disposer de crédits d’État à côté des aides du POSEI 100

b. Améliorer les fonds propres des organisations professionnelles des petites filières 100

c. Développer des contrats d’objectifs en matière de recherche entre les RITA et les organisations professionnelles des petites filières 101

d. Développer une filière de production locale à Wallis-et-Futuna 101

2. Améliorer l’efficacité des filières 102

a. Mettre fin aux carences actuellement constatées dans la mise à disposition des produits phytosanitaires utilisables outre-mer 103

b. Accroître les démarches de qualité et améliorer la promotion de la production pour faire face à la forte concurrence sur les marchés 103

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 106

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES 125

PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS 129

PERSONNES ENTENDUES PAR LA DÉLÉGATION 131

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION 135

Mesdames, Messieurs,

La Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale a décidé, au cours de sa réunion du 26 février 2013, de se saisir du thème de l’agriculture ultramarine.

Dans le cadre de cette saisine, la Délégation a eu la volonté de réaliser un état des lieux des principales questions concernant l’agriculture outre-mer, d’identifier les problèmes liés à cette problématique et de faire des propositions pour répondre aux principales difficultés rencontrées. Ces propositions pourront déboucher ensuite dans le droit positif à l’occasion de l’examen par le Parlement de la loi d’avenir pour l’agriculture, et plus spécialement de son volet outre-mer.

Les auditions nécessaires à la réalisation de ce travail ont débuté, en mars 2013, avec l’audition par la Délégation, le 26 mars, de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. Elles se sont poursuivies, au cours du mois d’avril 2013, avec l’audition, par les rapporteurs, de la directrice de l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer) et du président de l’UGPBAN (Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique) et, au cours du mois de mai 2013, avec l’audition, par la Délégation, le 14 mai, de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

À partir du mois de juin, la Délégation a procédé par tables rondes (table ronde sur le fonctionnement des filières, sur la filière « canne-sucre-rhum-bagasse », sur la filière « banane », table ronde avec les syndicats, avec les chambres d’agriculture, avec les SAFER – Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural –, etc.). Les tables rondes se sont poursuivies au cours des mois de juillet et de septembre. Elles se sont achevées le 15 octobre 2013.

Parallèlement, les rapporteurs ont continué leurs entretiens avec les responsables en charge des dossiers concernant l’agriculture outre-mer, rencontres organisées en dehors des auditions plénières de la Délégation (entretien avec le directeur général des politiques agricoles, agroalimentaires et des territoires, avec le conseiller outre-mer auprès de la Représentation permanente de la France à Bruxelles, avec le directeur général adjoint de FranceAgriMer…).

Au total, les rapporteurs ont consacré environ 15 heures à l’audition de hauts fonctionnaires et d’experts et près de 25 heures à celle des principaux acteurs de la politique agricole ultramarine.

Au sein du rapport, les analyses issues de ces travaux ont été présentées sous la forme de quatre chapitres :

– les structures agricoles,

– l’installation des jeunes agriculteurs,

– le statut social des agriculteurs,

– et enfin, le fonctionnement des filières agricoles.

Au terme de ce vaste examen de toutes les composantes de l’agriculture ultramarine, les rapporteurs feront part, à la fois, de quelques remarques d’ensemble et de quelques convictions.

Tout d’abord, la France d’outre-mer, composée de cinq départements et de sept collectivités, s’étend aux océans Atlantique, Indien et Pacifique, et également au nord-est de l’Amérique du Sud et aux banquises du continent antarctique. La France est donc présente dans les quatre coins du monde. Tout en étant séparés géographiquement du continent européen, les départements d’outre-mer (DOM) sont considérés par l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne comme des « régions ultrapériphériques » faisant partie intégrante de la France et donc de l’Union européenne.

Il convient de noter que l’Outre-mer français ne constitue pas un groupe homogène. Il existe des disparités des niveaux de développement économique et social des départements et collectivités d’outre-mer.

Malgré ces différences, les agricultures demeurent la pierre angulaire de l’économie des départements et des collectivités d’outre-mer et présentent un certain nombre de caractéristiques communes :

– elles constituent une activité très importante dans l’économie et l’emploi des territoires d’outre-mer : elles représentent, en effet, de 1,7 à 4,4 % du PIB pour les seuls DOM, contre 2,2 % en métropole ; et de 2 à 7 % de l’emploi, contre 3,3 % dans l’hexagone ;

– Au vu de leur localisation géographique, les agricultures ultramarines ont besoin de produits phytosanitaires adaptés à leur environnement ;

– elles ont appris à se tourner néanmoins, et de manière tout à fait résolue, vers l’agro-écologie ; un exemple remarquable, en ce sens, est la culture de la banane qui n’utilise presque plus de pesticides ; mais on peut citer aussi la canne à sucre qui – avec son dérivé : la bagasse – alimente la biomasse ;

– au niveau des structures agricoles, il convient de noter la prééminence des petites exploitations gérées en faire-valoir direct (de 2 à 5 hectares en fonction des territoires) ;

– ces petites exploitations coexistent avec des exploitations dédiées aux cultures traditionnelles que sont la canne à sucre et la banane ; ce sont des filières particulièrement importantes pour la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion ; elles représentent un poids économique, social et culturel vital dans ces territoires et méritent donc une attention particulière ;

– les exploitations de cultures traditionnelles, via des organisations professionnelles, exportent leurs productions vers le marché européen et même, au-delà, vers des marchés mondiaux sectorisés ; les petites exploitations, pour leur part, commercialisent leurs produits sur le marché local (c’est une pratique courante à partir d’un hectare et demi) ou les livrent aux coopératives ; elles peuvent aussi être intégrées dans une grande filière exportatrice ; par exemple, la filière de la canne à sucre fédère plus de 8 000 exploitations sur les trois DOM que sont la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion ;

– l’ensemble des produits agricoles ultramarins subit une forte concurrence, tant sur les marchés locaux que sur les marchés mondiaux ; cette concurrence émane notamment des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et également, dans une large mesure, des pays de l’Amérique latine exportateurs de produits détenus et contrôlés par des multinationales américaines ; au vu du rôle capital du secteur agricole dans l’économie modeste des outre-mer, une telle concurrence a un impact majeur sur l’avenir des produits agricoles domiens ;

– enfin, on assiste actuellement à l’essor de filières agricoles de diversification, animale et végétale, en vue d’améliorer l’autosuffisance dans les approvisionnements des marchés locaux ;

– cette diversification n’assure pas, cependant, l’autonomie alimentaire complète des territoires et tous, globalement, sont encore importateurs nets de produits agricoles, malgré quelques belles réussites, notamment à La Réunion.

Après avoir esquissé ce panorama, les rapporteurs doivent ajouter qu’à l’heure actuelle, l’agriculture ultramarine connaît bon nombre d’interrogations.

Ces interrogations peuvent être résumées de la manière suivante :

– à cause de la pression foncière et de la hausse des prix des terrains constructibles, les superficies agricoles diminuent chaque année et on note la présence, dans les DOM, de multiples jachères dont les propriétaires espèrent qu’après déclassement, elles pourront devenir des terrains destinés à l’habitat ;

– les agriculteurs vendent aussi leurs terrains par lots pour s’assurer des liquidités en fin de carrière ; ces lots font l’objet de constructions multiples à usage d’habitation, de telle sorte que les parcelles cadastrales connaissent le phénomène du mitage, c'est-à-dire du zonage mixte agricole-urbain ; or, sur de telles parcelles mixtes, les SAFER ne peuvent pas exercer leur droit de préemption ;

– les SAFER n’ont d’ailleurs pas assez de ressources ;

– les jeunes agriculteurs, faute d’un patrimoine suffisant, et du fait également du manque d’exploitations disponibles – à cause de la multiplication des indivisions au décès des agriculteurs âgés qui paralysent la transmission des exploitations – n’arrivent pas à s’installer ; ils deviennent exploitants assez tard (en moyenne à 35 ans) et ils doivent souvent pratiquer des activités secondaires pour compléter le revenu tiré de leur activité agricole ;

– les prêts bancaires à taux bonifiés accordés aux jeunes exploitants (sauf à La Réunion) sont pour ainsi dire inexistants ; cela veut dire que, si le candidat à l’installation n’a pas la garantie de ses proches, le projet qu’il développe, même avec l’aide de la DJA (dotation aux jeunes agriculteurs), risque fort de connaître un échec dans les cinq ans qui suivent l’installation ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, depuis le décret n° 2009-1771 du 30 décembre 2009, le PDE (plan de développement de l’exploitation), qui est l’un des documents obligatoires à fournir pour l’obtention de la DJA, est passé de 3 à 5 ans dans les DOM ; en effet, sur 3 ans, il est extrêmement difficile de présenter un projet fiable ;

– les retraites des exploitants sont insuffisantes ;

– les salariés agricoles ne disposent pas d’un régime obligatoire de retraite complémentaire ;

– en dépit de leurs efforts pour promouvoir une agriculture fondée sur des pratiques écologiques, les filières manquent de produits phytosanitaires homologués ;

– les organisations professionnelles des filières de diversification et les coopératives manquent de trésorerie ;

– enfin, les filières traditionnelles – compte tenu de la concurrence internationale et des surcoûts de production liés à la situation spécifique des régions ultrapériphériques – restent très dépendantes des crédits du POSEI (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité), c'est-à-dire, en fait, des crédits qui relèvent du « premier pilier » de la politique agricole commune (PAC).

Il convient donc de profiter de l’annonce du projet de loi d’avenir sur l’agriculture pour rassurer les agriculteurs, en se servant de ce support juridique pour promouvoir des solutions susceptibles de résoudre les différents problèmes qu’ils rencontrent.

Dans ce rapport, les rapporteurs ont élaboré un certain nombre de propositions en ce sens.

En ce qui concerne la sauvegarde du foncier agricole, il est apparu, au cours des auditions, que les CDCEA (Commissions départementales de consommation des espaces agricoles) étaient des organismes très bien adaptés, quoique d’instauration récente.

Les rapporteurs sont donc d’avis qu’il convient d’améliorer le fonctionnement de ces commissions en leur fournissant, bien avant leur saisine officielle, des études d’impact sur les incidences éventuelles, dans le domaine agricole, des projets élaborés au niveau départemental. Ce dispositif sera de nature à faciliter l’examen des dossiers par les CDCEA et il leur permettra même de participer, en amont, à l’élaboration des projets à incidence agricole.

Il faut aussi améliorer l’environnement de ces commissions, c'est-à-dire le fonctionnement des instruments qui – en dehors de l’intervention des CDCEA sur des projets précis pour donner un avis conforme – empêchent le déclassement des terres agricoles au jour le jour et font que les espaces agricoles restent dédiés à leur fonction. Le rapport détaille plusieurs pistes en ce domaine. En particulier, il faut simplifier la procédure de définition des ZAP (Zones agricoles protégées).

Il faut aussi donner des moyens financiers complémentaires aux SAFER.

S’agissant de l’installation des jeunes agriculteurs, il est nécessaire, à la fois, d’accroître l’usage des modes de cession juridique existants qui, en permettant la transmission progressive des exploitations, sont susceptibles d’éviter les indivisions ( par exemple, le mandat à effet posthume) ; de réfléchir sur des moyens juridiques innovants permettant d’aboutir à des buts similaires (par exemple, la fiducie) ; et enfin, de faciliter le « passage de témoin » entre un agriculteur âgé et un plus jeune, en adaptant à l’agriculture, et spécialement à l’agriculture ultramarine, les contrats de génération.

Il convient également de favoriser les prêts bancaires et donc d’instaurer des fonds de garantie. Notamment, dans le cadre du PIDIL (Programme pour l’installation des jeunes en agriculture et de développement des initiatives locales), un fonds de garantie spécifique pourrait jouer en faveur du cédant lorsque ce dernier vend à un jeune agriculteur.

En ce qui concerne l’amélioration du statut des agriculteurs, il paraît nécessaire d’agir prioritairement sur les droits sociaux des exploitants et des salariés agricoles. Il faut aussi retrouver une grande ambition pour les lycées professionnels agricoles.

S’agissant du fonctionnement des filières, il est tout à fait évident que l’aide du POSEI est incontournable. Il faut bien veiller à éviter le « découplage » des crédits du POSEI avec ceux de la PAC. Il faut augmenter les autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires adaptés à l’agriculture ultramarine. Il faut aussi faire des efforts – efforts éligibles au POSEI – en démarche qualité et en promotion des produits locaux.

Enfin, plus globalement, il convient d’améliorer la coordination en matière régionale.

On a vu précédemment que la CDCEA était un organisme qui apportait toute satisfaction. Il serait possible d’y adjoindre un comité départemental ou régional pour coordonner la politique locale en matière d’installation ; et également un comité régional qui exerce le suivi des crédits du FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) – ces crédits devant être prochainement régionalisés – ainsi qu’un comité régional qui fédère les actions de communication et de promotion agricole.

Il ne s’agit pas de multiplier les comités à l’envie ; mais il paraît nécessaire d’assurer de la cohérence, à l’échelle des territoires, pour éviter les doublons et attribuer les aides de manière raisonnée, à un moment où les ressources financières sont rares et où leur allocation doit être effectuée de manière très fine.

En dernier lieu, les rapporteurs soulignent que, lors de l’institution de ces organismes régionaux, une attention très grande devra être apportée à la gouvernance. Il conviendra, en ce domaine, de favoriser les acteurs du monde agricole. Ils savent, en effet, ce qui est bon pour l’agriculture.

Les rapporteurs réaffirment également l’importance du poids de l’agriculture dans les économies locales. Ce poids doit être augmenté en maintenant les cultures traditionnelles et en renforçant le développement des filières de diversification et endogène. Cette ambition doit être partagée et portée par une volonté politique locale, nationale et communautaire.

I. LES STRUCTURES DES EXPLOITATIONS AGRICOLES : LA DIMINUTION DE L’ESPACE FONCIER N’EST PAS INÉLUCTABLE

La question des structures agricoles est une question très importante dans les départements ou les collectivités d’outre-mer.

Du fait de la géographie, les surfaces cultivables ne sont pas toujours très importantes outre-mer. Par exemple, à La Réunion, le relief montagneux et accidenté de l’île explique que la surface agricole utilisée (SAU) – surface s’élevant à un peu plus de 42 000 hectares en 2010 – ne représente qu’environ un cinquième de la superficie totale du département.

L’histoire influence aussi les caractéristiques de la propriété foncière agricole. Ainsi, en Martinique et en Guadeloupe, la propriété d’une grande partie des terres a relevé, pendant très longtemps, de grands propriétaires fonciers – notamment, en Guadeloupe, les grands groupes sucriers – avant de passer, à la suite de réformes foncières mises en place, à la fin des années 60, par le biais des SAFER (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural), entre les mains de propriétaires plus petits. En fonction du caractère plus ou moins achevé de ces réformes, la propriété foncière agricole peut rester encore relativement concentrée. Tel est le cas en Martinique.

Il y a également des cas où l’État ou une collectivité demeure le propriétaire principal des terres susceptibles d’être mises en exploitation (cette situation s’observe en Guyane et à Mayotte).

Compte tenu de ces particularités – et de nombreuses autres (comme l’importance du phénomène du déclassement des terres lié au développement de l’urbanisation ou le poids des problèmes de succession dans le cas des propriétés agricoles, celles-ci passant fréquemment, à la mort des chefs d’exploitation, sous le régime de l’indivision, si bien qu’il est temporairement impossible de les céder ou de conclure des baux) – la plupart des intervenants ont souligné, auprès des rapporteurs, les difficultés que connaissent les jeunes agriculteurs désireux de s’établir.

Il convient donc d’analyser avec attention la question des structures agricoles outre-mer afin de pouvoir faire des propositions en vue d’améliorer l’accès aux formules les plus usitées ou les plus intéressantes.

L’essentiel des chiffres disponibles viennent d’Agreste (c’est-à-dire du département « statistique, évaluation et prospective agricole » du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt). Ils sont tirés d’un recensement agricole ayant eu lieu fin 2010 et début 2011 sur l’ensemble du territoire de l’hexagone et dans les départements d’outre-mer.

C’est ainsi qu’Agreste nous renseigne très bien, avec des tableaux chiffrés cohérents, sur les quatre départements d’outre-mer les plus anciens (Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion). Il nous donne également accès à quelques données chiffrées concernant Mayotte.

En revanche, il ne nous fournit malheureusement pas de données statistiques équivalentes pour les collectivités d’outre-mer, ce qui est incontestablement une lacune dans la connaissance des structures foncières ultramarines.

À part les informations issues d’Agreste, on peut aussi recourir à quelques statistiques éparses concernant les COM, provenant notamment de l’IEDOM (Institut d’émission des départements d’outre-mer) qui relève du ministère des Outre-mer.

Les rapporteurs examineront donc d’abord les caractéristiques du foncier agricole dans les départements d’outre-mer. Ensuite, ils examineront les statistiques disponibles concernant les structures agricoles propres aux collectivités d’outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Enfin, ils feront des propositions pour améliorer l’accès à l’espace foncier.

A. L’ÉTAT DES LIEUX DU FONCIER AGRICOLE DANS LES DÉPARTEMENTS D’OUTRE-MER

Les quatre tableaux qu’on trouvera un peu plus loin présentent un état des lieux du foncier agricole dans les départements d’outre-mer.

Ces tableaux concernent les quatre départements de Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion.

Pour les statistiques de l’année 2000 (mais non pour celles de l’année 2010), les chiffres concernant la Guadeloupe intègrent les statistiques liées à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.

Enfin, les tableaux ne concernent pas le département de Mayotte pour lequel il existe peu de statistiques disponibles.

1. Le département de Mayotte

Le département de Mayotte constitue un cas particulier. La surface totale exploitable pour l’agriculture, dans ce département, est évaluée par Agreste à 20 700 hectares, soit 55 % du territoire. Sur cette superficie, Agreste dénombre un effectif de 15 700 exploitations, la taille moyenne par exploitation cultivée étant de 0,45 hectare. Le système agricole mahorais est donc constitué d’un ensemble de très petites exploitations centrées sur des cultures vivrières. Par ailleurs, 90 % des surfaces foncières appartiennent au conseil général. Le régime juridique des exploitations relève donc soit d’une situation coutumière ou d’un bail avec la collectivité départementale, soit, plus rarement, de la propriété privée ou d’un contrat avec un bailleur privé. En outre, l’absence de cadastre ne permet pas toujours de bien délimiter les terres correspondant à chaque exploitation.

Les systèmes de culture sont en général très complexes, associant sur la même parcelle une dizaine de plantes différentes qui relèvent à la fois de cultures à cycle long, comme la banane ou le manioc, et de cultures à cycle court, tel que le maïs ou le riz. Les exploitations spécialisées dans certains domaines, notamment les fruits et les légumes, se développent mais elles demeurent peu nombreuses. Enfin, Mayotte dispose d’une culture extrêmement réputée : l’ylang-ylang, arbre dont on tire une essence utilisée dans l’industrie de la parfumerie.

2. Le statut juridique des exploitations dans les départements d’outre-mer

Les deux tableaux statistiques présentés un peu plus loin rassemblent les éléments disponibles les plus récents sur le statut juridique des exploitations dans les départements d’outre-mer (hors Mayotte).

La notion d’exploitation se définit de la manière suivante : il s’agit d’une unité économique chargée de réaliser une production agricole et fonctionnant sur la base d’une gestion courante indépendante. Cette unité économique doit disposer d’une certaine surface (un hectare de superficie agricole utilisée ou 20 ares de cultures spécialisées) ou représenter un certain potentiel (une vache ou 6 brebis mères ou une production supérieure à 5 veaux de batterie…).

En 2010, on dénombre ainsi un effectif de 7 804 exploitations en Guadeloupe, de 7 623 exploitations à La Réunion, de 5 983 exploitations en Guyane et de 3 307 exploitations en Martinique.

On note que le nombre d’exploitations, en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, diminue très sensiblement par rapport à l’année 2000, soit – 35,5 % en Guadeloupe, – 58,9 % en Martinique et – 17,8 % à La Réunion. Seule la Guyane échappe à ce phénomène (+ 12,5 %).

Les causes de cette situation, et notamment la diminution du nombre d’exploitations dans les trois départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion, sont très certainement à rechercher dans la pression foncière sur les espaces agricoles et dans le développement de l’urbanisation. Pour la Guyane, en revanche, on constate une nette tendance à l’accroissement des surfaces cultivables, et donc des exploitations, non pas sur la zone littorale, où il existe une forte pression de l’urbanisme, mais le long des fleuves et à l’intérieur du pays (notamment dans la région de l’ouest guyanais) en gagnant sur la forêt.

S’agissant du statut juridique des exploitations, Agreste distingue quatre formules distinctes dans les quatre départements étudiés :

L’exploitation individuelle,

Le groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC),

L’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL),

Les autres formules (il s’agit d’exploitations mises en valeur sous d’autres formes sociétaires que les GAEC ou les EARL et spécialement sous la forme de sociétés anonymes).

À la lecture des tableaux d’Agreste, il est tout à fait clair que la forme d’exploitation la plus usitée dans les quatre DOM est l’exploitation individuelle (soit que l’exploitant dispose de la propriété de son fonds, soit qu’il soit locataire).

On recense, en effet, 7 537 exploitations individuelles en Guadeloupe en 2010 (pour une surface utilisée de 25 269 hectares), 2 991 exploitations individuelles en Martinique (pour une surface utilisée de 12 542 hectares), 5 936 exploitations individuelles en Guyane (pour une surface utilisée de 20 942 hectares) et 7 291 exploitations individuelles à La Réunion (pour une surface utilisée de 35 883 hectares).

La superficie moyenne des exploitations individuelles est ainsi d’environ 5 hectares à La Réunion, d’environ 4 hectares en Martinique et d’environ 3,5 hectares en Guadeloupe et en Guyane.

En moyenne, on a donc affaire principalement à de petites exploitations, souvent tournées vers une activité vivrière. Néanmoins, les moyennes statistiques ne doivent pas nous empêcher de remarquer que de grosses exploitations peuvent aussi figurer parmi les entreprises individuelles. Ainsi, en Martinique, il existe des entreprises individuelles qui n’empruntent pas la forme de sociétés et qui disposent de superficies de 20 hectares ou plus.

Indépendamment des entreprises individuelles, Agreste distingue aussi les entreprises qui ont pris la forme d’une société. Il distingue les groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC), les exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL) et les autres types de sociétés parmi lesquelles on trouve principalement les sociétés anonymes.

Les GAEC et les EARL sont des structures juridiques spécialisées dans le domaine agricole. Elles sont bien adaptées pour les propriétés de taille moyenne.

Le groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) est une société civile agricole de personnes permettant à des agriculteurs associés la réalisation d’un travail en commun dans des conditions comparables à celles qui existent dans les exploitations de caractère familial. Créé par la loi n° 62-933 du 8 août 1962 complémentaire à la loi d’orientation agricole, le GAEC est régi par les articles L. 323-1 à L. 323-16 et R. 323-1 à R. 323-51 du code rural et de la pêche maritime (CRPM), ainsi que par les articles 1845 et suivants du code civil.

L’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) constitue, pour sa part, une forme de société civile à objet agricole. Créée par la loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 relative à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l’exploitation agricole à responsabilité limitée, elle est régie par les articles L. 324-1 à L. 324-11 et D. 324-2 à D. 324-4 du CRPM, ainsi que par les articles 1845 et suivants du code civil. Dans le cadre de ces dispositions, on peut distinguer l’EARL avec un seul chef d’exploitation et l’EARL avec plusieurs co-exploitants.

Si l’on se reporte aux tableaux chiffrés, on doit néanmoins reconnaître que le régime de l’exploitation agricole réalisée sous la forme des GAEC ou des EARL ne s’est pas développé de la même manière dans les quatre départements étudiés.

Si le nombre des GAEC et des EARL est à peu près homogène en Martinique, où l’on recense, en 2010, 151 sociétés, à La Réunion, où l’on en dénombre 121, et en Guadeloupe, où l’on en compte 117, il reste, en revanche, très limité en Guyane où l’on note la présence de seulement 16 sociétés de ce type.

Par ailleurs, les superficies totales concernées par l’exploitation sous la forme des GAEC ou des EARL s’étagent sur trois niveaux : elles représentent, en 2010, plus de 2 000 hectares en Martinique (très exactement 2 205 hectares), environ 1 500 hectares à La Réunion et en Guadeloupe (très précisément 1 864 hectares à La Réunion et 1 236 hectares en Guadeloupe) et enfin 67 hectares seulement en Guyane.

Il est ainsi probable que la situation des GAEC et des EARL dans les quatre départements renvoie à celle des exploitations moyennes (entre 10 et 20 hectares) dans les quatre DOM – situation qui est elle-même contrastée.

En Martinique, la propriété foncière, comme on le disait plus haut, reste très concentrée et l’on constate ce phénomène même au niveau de l’exploitation moyenne (environ 250 propriétés regroupent plus de 3 000 hectares). Les GAEC et les EARL n’échappent pas à cette règle : 150 sociétés regroupent plus de 2 000 hectares de terres cultivées.

À La Réunion et en Guadeloupe, les exploitations moyennes sont plus nombreuses (environ 600 pour les deux départements). Leur superficie totale est plus élevée (environ 11 000 hectares) et la dimension moyenne de chaque exploitation est d’environ 18 hectares. Les GAEC et les EARL correspondent à des exploitations dont la surface s’élève en moyenne à 13 hectares. On peut donc dire que ces formules juridiques sont utilisées par les plus petites des entreprises qui figurent dans la catégorie des exploitations moyennes.

En Guyane, enfin, il n’y a pas beaucoup d’exploitations moyennes (moins d’une centaine pour une superficie totale d’environ 1 000 hectares). En effet, la plus grande part de l’économie agricole est basée sur l’agriculture vivrière. Telle est la raison pour laquelle les GAEC ou les EARL sont si peu nombreuses et que leur superficie est si peu élevée.

Les formes sociétaires que l’on vient d’examiner, c'est-à-dire les GAEC et les EARL, ne doivent cependant pas faire oublier le poids des autres types de sociétés (les sociétés anonymes par exemple) dans les structures agricoles des quatre DOM.

Pour apprécier l’importance de ces sociétés, on se reportera, dans les deux tableaux ci-après, aux colonnes intitulées « autres » (autres formes d’exploitations).

On s’apercevra ainsi que ces sociétés sont, en 2010, au nombre de 556 pour une superficie totale de 24 337 hectares. Et, au sein de ces 24 337 hectares, on pourra observer, à nouveau, la forte concentration de la propriété foncière en Martinique où 165 sociétés possèdent 10 235 hectares.

Toutes ces superficies correspondent aux grandes exploitations liées aux filières agricoles traditionnelles d’exportation comme la banane ou la canne à sucre.

En termes de superficie agricole utilisée (SAU), les sociétés qui détiennent ces espaces fonciers arrivent ainsi au second rang derrière les exploitations individuelles.

Tableau 1 : Statut juridique des exploitations

           

Champ des exploitations : Ensemble des exploitations (hors pacages collectifs)

               
                         
 

Exploitations

Statut juridique de l'exploitation

Tous statuts

Exploitations individuelles

GAEC

EARL avec chef d'exploitation seul

EARL avec plusieurs coexploitants

Autres

 

2000

2010

2000

2010

2000

2010

2000

2010

2000

2010

2000

2010

Guadeloupe

12 099

7 804

11 928

7 537

14

8

15

77

5

32

137

150

Martinique

8 039

3 307

7 776

2 991

12

8

59

105

10

38

182

165

Guyane

5 318

5 983

5 292

5 936

4

s

s

11

s

5

19

30

La Réunion

9 272

7 623

9 066

7 291

35

21

20

48

s

52

150

211

                         
 

Superficie agricole utilisée (ha)

Statut juridique de l'exploitation

Tous statuts

Exploitations individuelles

GAEC

EARL avec chef d'exploitation seul

EARL avec plusieurs coexploitants

Autres

 

2000

2010

2000

2010

2000

2010

2000

2010

2000

2010

2000

2010

Guadeloupe

41 662

31 401

36 155

25 269

137

67

299

738

46

431

5 025

4 896

Martinique

32 041

24 982

23 662

12 542

220

54

926

1 727

189

424

7 044

10 235

Guyane

23 176

25 345

18 654

20 942

164

s

s

67

s

s

4 301

4 140

La Réunion

43 692

42 814

38 590

35 883

685

603

73

522

s

739

4 332

5 066

                         

Source : Ministère de l'Agriculture (Agreste)

Ces statistiques ne concernent pas le département de Mayotte

3. Les cultures et les jachères

Le tableau ci-après présente les surfaces cultivées globales dans les quatre départements d’outre-mer étudiés et, en vis-à-vis, les surfaces en jachères, ces dernières faisant partie statistiquement des surfaces cultivées.

Pour établir ce tableau, les enquêteurs chargés des recensements pointent les superficies à la disposition des exploitations au titre des récoltes 2000 ou 2010, même si certaines récoltes se font en fin d’année. Ils pointent les cultures figurant sur ces surfaces, les herbages ou les jachères. L’ensemble représente la superficie agricole utilisée (SAU) – la SAU étant équivalente à la surface cultivée globale par département.

Au vu de ce tableau, il est possible de formuler les remarques suivantes :

– De 2000 à 2010, tous les DOM enregistrent une perte dans leur superficie agricole utilisée, sauf la Guyane.

En Guadeloupe, on passe ainsi de 11 903 exploitations disposant d’une SAU à 7 770 (- 34,7 %) ; en Martinique, on passe de 7 815 exploitations disposant d’une SAU à 3 253 (- 58,4 %) ; et, à La Réunion, on passe de 8 762 exploitations disposant d’une SAU à 7 378 (- 15, 8 %). C’est seulement dans le département de la Guyane que l’on constate une hausse de la SAU, les exploitations progressant de 5 310 à 5 966 (+ 12,3 %).

– Ce phénomène est à mettre en relation avec la diminution globale du nombre des exploitations constatée sur la même période (sauf en Guyane) et présentée dans la précédente section.

– En Martinique, en particulier, la baisse de la SAU, de 2000 à 2010, est tout à fait considérable : plus de la moitié des exploitations en disposant. De ce point de vue, si l’on ne peut conclure qu’à ce rythme l’agriculture martiniquaise aura disparu dans 10 ans, il est tout de même capital de signaler que le maintien d’un foncier agricole suffisant en Martinique sera l’un des enjeux majeurs que l’agriculture de ce département aura à relever dans les années à venir.

– Parallèlement à la baisse de la SAU, on note aussi une augmentation des surfaces en jachère, sauf à La Réunion.

En Guadeloupe, en effet, les jachères passent de 1 142 hectares à 1 234 hectares (+ 8,05 %). En Martinique, elles passent de 1 394 hectares à 2 065 hectares (+ 48,13 %). Et en Guyane, enfin, elles passent de 219 à 410 hectares (+ 87,21 %). C’est seulement à La Réunion que les jachères diminuent, évoluant de 920 hectares à 725 hectares, soit - 21,2 %.

– Il convient d’observer qu’il n’y a pas de « vases communicants », dans le tableau statistique, entre la baisse des SAU et la hausse des jachères. D’un côté, les SAU diminuent (sauf en Guyane) et, de l’autre, pour un ensemble de SAU donné, les jachères augmentent (sauf à La Réunion), mais sans que les surfaces qui cessent d’être cultivées ne deviennent des jachères. Cela veut dire que les superficies perdues ne demeurent pas des terres agricoles : les surfaces sont déclassées et elles alimentent principalement l’urbanisation. Elles participent aussi, parfois, à la constitution de réserves foncières, telles que les forêts départementales.

– En fait, l’augmentation de la superficie des jachères témoigne d’une difficulté propre à l’agriculture outre-mer : certes, il est des cas où la terre se repose, conformément à des pratiques traditionnelles d’assolement. Mais, en règle générale, la présence de jachères indique plutôt que les exploitations connaissent de très réelles difficultés pour valoriser leurs espaces cultivables. Et, parmi ces difficultés, on rencontre fréquemment la question juridique des indivisions. Au moment de la succession d’un chef d’exploitation, les héritiers multiples ne peuvent s’entendre pour vendre ou reprendre l’exploitation. Celle-ci reste alors en jachère, le temps que la situation soit clarifiée.

À cet égard, les statistiques mettent en exergue la situation particulière de la Martinique qui, outre la baisse très significative des surfaces cultivables de 2000 à 2010 (- 58 %), enregistre, sur la même période, une hausse importante des jachères (+ 48 %).

Il est incontestable qu’il faudra trouver, dans un proche avenir, des solutions pour faciliter la transmission des entreprises et donc éviter, autant possible, les difficultés liées à la question des indivisions, indivisions qui génèrent, au moment des successions, des intermittences plus ou moins longues dans la gestion des exploitations.

Tableau 2 : Cultures

         

Champ des exploitations : Ensemble des exploitations (hors pacages collectifs)

         
                 
                 

 

Cultures

Superficie agricole utilisée

Jachères

Exploitations en ayant

Superficie correspondante (hectares)

Exploitations en ayant

Superficie correspondante (hectares)

 

2000

2010

2000

2010

2000

2010

2000

2010

Guadeloupe

11 903

7 770

41 662

31 401

661

600

1 142

1 234

Martinique

7 815

3 253

32 041

24 982

525

633

1 394

2 065

Guyane

5 310

5 966

23 176

25 345

81

193

219

410

La Réunion

8 762

7 378

43 692

42 814

641

508

920

725

                 

Source : Ministère de l'Agriculture (Agreste)

Ces statistiques ne concernent pas le département de Mayotte

       

4. La population active agricole

Les deux tableaux suivants présentent, d’une part, en effectifs, le nombre de personnes employées régulièrement sur les exploitations agricoles dans les quatre départements et, d’autre part, exprimé en unités de travail annuel (UTA), le volume de travail qui a été nécessité pour gérer les exploitations au titre d’une année donnée (2000 ou 2010).

Toutes les personnes employées sur les exploitations agricoles ne travaillent pas en effet à temps complet. La conversion des temps pleins et des temps partiels en UTA permet d’avoir une idée exacte du nombre de personnes nécessaires à temps plein pour faire fonctionner l’ensemble des exploitations recensées. On raisonne alors sur la base : 1UTA = 1 temps complet.

Ces tableaux appellent un certain nombre de commentaires :

– S’agissant des actifs agricoles permanents, les statistiques recensent le nombre de personnes ayant une activité régulière sur l’exploitation en dehors de l’emploi saisonnier ou du recours aux entreprises de travaux agricoles.

– L’agriculture fait ainsi vivre, en 2010, environ 42 500 personnes, soit, très exactement, 12 987 personnes en Guadeloupe (7 889 chefs d’exploitation, 1 789 conjoints non co-exploitants, 1 441 membres de la famille et 1 868 salariés) ; 4 846 personnes en Martinique (3 400 chefs d’exploitation, 731 conjoints non co-exploitants, 602 membres de la famille et 4 113 salariés) ; 8 648 personnes en Guyane (5 994 chefs d’exploitation, 1 026 conjoints non co-exploitants, 1 443 membres de la famille et 185 salariés) et 15 973 personnes à La Réunion (7 872 chefs d’exploitation, 3 529 conjoints non co-exploitants, 2 772 membres de la famille et 1 800 salariés).

– Le partage de l’effectif des personnes actives entre les membres de la famille (chefs d’exploitation, conjoints non co-exploitants et autres actifs familiaux) et les salariés est, globalement, de 80 % pour les membres de la famille et de 20 % pour les employés. Ce phénomène corrobore bien ce que l’on savait déjà, c'est-à-dire que l’essentiel des exploitations sont des exploitations familiales.

– En Guyane, l’aspect familial des exploitations est même tout particulièrement marqué dans la mesure où l’on constate que les salariés permanents, en dehors des membres de la famille, sont très peu nombreux (185 personnes).

– En revanche, les salariés sont spécialement nombreux en Martinique (plus de 4 000 personnes), ce qui va de pair avec la concentration du foncier.

– Les salariés sont également bien représentés en Guadeloupe et à La Réunion (1 800 personnes pour chaque département). Ces deux DOM, comme la Martinique, disposent en effet de grandes exploitations dédiées à des cultures traditionnelles (cannes à sucre et bananes) qui nécessitent une main d’œuvre importante. On sait, par exemple, que, pour la culture de la banane, il est nécessaire d’employer une personne par hectare.

– En ce qui concerne le calcul des UTA, le temps de travail sur l’exploitation des actifs permanents est recueilli par tranche de quarts de temps, avec pour minimum moins d’un quart de temps et pour maximum un temps complet par actif. La correspondance suivante a été adoptée :

. Le temps partiel correspondant à moins d’un quart de temps est compté pour 0,125 UTA,

. Le temps partiel compris entre un quart et moins de 50 % du temps est compté pour 0,375 UTA,

. Le temps partiel compris entre 50 % du temps et moins de trois quarts de temps est compté pour 0,625 UTA,

. Le temps partiel compris entre trois quarts et moins d’un temps plein est compté pour 0,875 UTA,

. Enfin, le temps complet équivaut à 1 UTA.

– Dans le second tableau proposé, si l’on rapporte le nombre d’UTA à l’effectif d’actifs correspondant, on peut s’apercevoir que les salariés sont généralement employés à plein temps.

– Il n’en va pas de même pour les autres catégories d’actifs qui travaillent très fréquemment à temps partiel. Ainsi, les chefs d’exploitation et les co-exploitants, par exemple, fournissent 0,53 unité de travail annuel en Guadeloupe, 0,74 en Martinique, 0,76 en Guyane et 0,81 à La Réunion par actif.

– Au total, pour les quatre DOM, toutes catégories confondues, les actifs permanents fournissent 0,67 unité de travail annuel par actif.

– Par ailleurs, si l’on rapporte le nombre d’UTA au nombre d’exploitations, on voit qu’une exploitation demande, en moyenne, la présence constante d’une personne à temps plein en Guadeloupe et en Guyane et de deux personnes à temps plein en Martinique et à La Réunion.

– En conclusion, et même si les choses évoluent, le modèle actuel de l’exploitation agricole dans les DOM semble donc rester le modèle traditionnel de l’exploitation familiale avec 1 ou 2 unités de travail humain à plein temps.

Tableau 3 : Actifs agricoles permanents

         

Champ des exploitations : Ensemble des exploitations (hors pacages collectifs)

         
                 

Nombre de personnes

 

Lien avec l'exploitation

Chefs d'exploitation et coexploitants

Conjoints non coexploitants actifs sur l'exploitation

Autres actifs familiaux

Salariés permanents hors famille

 

2000

2010

2000

2010

2000

2010

2000

2010

Guadeloupe

12 159

7 889

3 389

1 789

2 880

1 441

5 127

1 868

Martinique

8 188

3 400

1 886

731

1 751

602

8 637

4 113

Guyane

5 332

5 994

1 985

1 026

2 045

1 443

442

185

La Réunion

9 387

7 872

2 967

3 529

2 500

2 772

2 580

1 800

                 
 

Unités de travail annuel (UTA)

 

Lien avec l'exploitation

 

Chefs d'exploitation et coexploitants

Conjoints non coexploitants actifs sur l'exploitation

Autres actifs familiaux

Salariés permanents hors famille

 

2000

2010

2000

2010

2000

2010

2000

2010

Guadeloupe

6 251

4 232

1 086

600

790

476

3 669

1 736

Martinique

4 547

2 523

719

313

576

214

6 795

3 996

Guyane

3 397

4 604

924

696

855

757

296

147

La Réunion

7 179

6 397

1 182

1 501

1 115

1 225

1 870

1 576

Source : Ministère de l'Agriculture (Agreste)

Ces statistiques ne concernent pas le département de Mayotte

       

5. Les successions

Le dernier tableau ci-après présente la situation des exploitations au regard des successions. Il y a plusieurs colonnes significatives : les exploitations non concernées par la question des successions (c'est-à-dire celles pour lesquelles le chef d’exploitation est âgé de moins de 50 ans), les exploitations avec successeurs (le chef d’exploitation est âgé de 50 ans et plus, mais la transmission de l’exploitation a été réalisée) et les exploitations sans successeurs (le chef d’exploitation est âgé de 50 ans et plus, mais la transmission de l’exploitation n’est pas effectuée). La colonne la plus importante est évidemment la dernière, celle où l’on a affaire aux exploitations dont les chefs d’entreprise sont âgés de plus de 50 ans et qui n’ont pas de successeurs.

Les résultats sont très significatifs : En Guadeloupe, on dénombre 7 804 entreprises dont 2 427 sont sans successeurs (soit 31 % des exploitations) ; en Martinique, on dénombre 3 307 entreprises dont 1 037 sont sans successeurs (soit également 31 % des exploitations) ; en Guyane, on dénombre 5 983 entreprises dont 1 659 sont sans successeurs (soit 27 % des exploitations) et enfin, à La Réunion, on recense 7 623 entreprises dont 1 730 sont sans successeurs (soit 22,6 % des exploitations). Au total, c’est donc environ un tiers des exploitations qui se retrouve sans successeur déclaré, alors que les chefs d’exploitation ont 50 ans et plus.

Cet effectif d’exploitations sans successeurs est considérable. Il prouve la grande incertitude qui est attachée, dans tous les DOM, à la transmission de l’entreprise agricole.

Au-delà, on retrouve des problèmes déjà rencontrés dans le cadre des analyses fournies sur les autres séries statistiques :

– Dans un premier temps, faute d’avoir réglé les successions, au décès des chefs d’exploitation, on se retrouve face à un ensemble de successeurs possibles : c’est la question des indivisions.

– Ensuite, faute de pouvoir s’entendre entre indivisaires, la terre reste en friche ;

– Enfin, dans un dernier temps, les exploitations tombent en déshérence ; elles ne sont plus recensées dans les tableaux statistiques en tant qu’exploitations réelles et elles sont finalement vendues pour alimenter l’urbanisation.

Pour faire face à ces phénomènes, il est indispensable de mieux gérer les transmissions d’entreprises et de définir des règles juridiques appropriées permettant, dans le cadre d’une succession, d’arrêter une ligne de conduite, indépendamment du nombre des indivisaires. Il est aussi souhaitable de donner à l’État des moyens accrus permettant à ce dernier de conserver aux espaces fonciers agricoles leur fonction première de terres cultivables. Les rapporteurs feront des propositions à ce sujet dans la troisième partie du présent chapitre.

Tableau 4 : Succession

           

Champ des exploitations : Ensemble des exploitations (hors pacages collectifs)

         
                 
                 
 

Exploitations

Qui succèdera au chef d'exploitation (âgé de 50 ans ou plus)

Ensemble des exploitations

Exploitations non concernées
par la question succession

Exploitations avec successeur

Exploitations sans successeur ou inconnu

 

2000

2010

2000

2010

2000

2010

2000

2010

Guadeloupe

12 099

7 804

5 561

3 709

2 943

1 668

3 595

2 427

Martinique

8 039

3 307

3 099

1 369

1 386

901

3 554

1 037

Guyane

5 318

5 983

3 722

3 895

554

429

1 042

1 659

La Réunion

9 272

7 623

6 258

4 348

1 626

1 545

1 388

1 730

                 

Source : Ministère de l'Agriculture (Agreste)

Ces statistiques ne concernent pas le département de Mayotte

       

B. L’ÉTAT DES LIEUX DU FONCIER AGRICOLE DANS LES COLLECTIVITÉS D’OUTRE-MER ET À SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON

Les statistiques disponibles proviennent de l’IEDOM (Institut d’émission d’outre-mer). Elles sont beaucoup moins développées que celles qui proviennent d’Agreste pour les DOM.

Les rapporteurs distingueront successivement les collectivités territoriales qui sont présentes dans la zone des Caraïbes (Saint-Barthélemy et Saint-Martin), celles qui se trouvent dans le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna) et celle qui figure dans l’Océan atlantique (Saint-Pierre-et-Miquelon).

1. Saint-Barthélemy et Saint-Martin

En 2000, les statistiques concernant les structures agricoles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin – statistiques établies par Agreste – sont intégrées dans celles du département de la Guadeloupe. En effet, ces deux territoires sont rattachés administrativement à ce DOM.

Globalement, la structure foncière de ces deux îles est donc analogue à celle qui prévaut pour la Guadeloupe : on note une forte prédominance des exploitations individuelles dont la superficie moyenne s’élève à environ 3 hectares par établissement.

Cependant, il ne s’agit là que d’une moyenne.

Les exploitations sont pour ainsi dire inexistantes à Saint-Barthélemy à cause d’un relief et d’un climat peu propices au développement de l’activité agricole (aridité des sols et faible pluviométrie). En revanche, la taille des exploitations est souvent plus grande à Saint-Martin qui pratique principalement l’élevage.

À compter de 2007, les deux territoires de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin sont devenus des COM au titre de l’article 74 de la Constitution.

Les deux fascicules de l’IEDOM consacrés à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin pour 2012 n’indiquent pas de changements notables, semble-t-il, dans le mode d’exploitation des structures foncières de ces deux îles, entre les années 2000 et 2010.

Néanmoins, on a pu constater, sur la période, une certaine régression des terres agricoles à Saint-Martin, terres qui sont soumises à une forte pression urbaine.

D’où l’intérêt, pour Saint-Martin, des dispositifs issus à la fois de l’ordonnance n° 2011-864 du 22 juillet 2011 relative à la protection et à la mise en valeur des terres agricoles dans les départements d’outre-mer, dans le département de Mayotte et à Saint-Martin, et du décret n° 2012-824 du 26 juin 2012 relatif à la mise en œuvre de la préservation des terres agricoles, à la mise en valeur des terres incultes ou manifestement sous-exploitées et au contrôle du morcellement des terres agricoles dans les départements d’outre-mer et de Mayotte, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.

Ces deux textes visent en effet, d’une part, à renforcer le rôle de la commission départementale de la consommation des espaces agricoles – commission créée par la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche – qui doit donner désormais un avis conforme sur tous les projets d’urbanisme conduisant à un déclassement ou à une réduction des surfaces agricoles et, d’autre part, à permettre l’institution de cette commission dans les DOM, à Mayotte et à Saint-Martin.

2. La Nouvelle-Calédonie

Le secteur primaire n’est pas très développé en Nouvelle-Calédonie. Selon les informations contenues dans le fascicule 2012 de l’IEOM consacré à cette collectivité d’outre-mer, l’agriculture représente 1 % de la création de richesses (en 2007), 2 % des effectifs salariés (en 2011) et 5 % des créations d’entreprises (toujours en 2011) – plus de 90 % des entreprises agricoles étant purement familiales et ne regroupant aucun salarié.

Les plus grosses entreprises pratiquent l’élevage bovin en disposant de titres de propriété en bonne et due forme. En revanche, la majeure partie des petites entreprises est établie sur le domaine public de manière coutumière, les exploitants s’installant là où il y a de la place et à proximité de leur famille, sans que l’on se préoccupe de savoir si l’on est sur le domaine public de l’État, si l’on est sur son domaine privé ou sur le domaine privé relevant de l’exécutif local.

Pour favoriser la réforme foncière, mieux organiser l’occupation des sols et encourager le développement rural, l’État a mis en place l’Agence de développement rural et d’aménagement foncier (ADRAF) qui, conformément à l’article 23 de la loi organique n° 99-209 du 9 mars 1999 modifiée relative à la Nouvelle-Calédonie, devrait être transférée, à terme, à cette collectivité territoriale, par décret pris en Conseil d’État sur proposition du Congrès. Cet établissement public achète des terres (près de 37 hectares en 2011) et les attribue, en prenant en compte le critère du lien kanak à la terre, aux groupements de droit particulier local (GPDL) et aux collectivités locales. Il aide aussi les familles, même si elles ne sont pas concernées par les attributions de terre, à formaliser les règles de gestion de leurs parcelles (aide à la rédaction de baux, à la délimitation de terrains, actions de médiation visant à trouver des solutions aux différents conflits fonciers…). Enfin, aussi bien pour les terres attribuées que, plus généralement, pour toutes les terres coutumières, l’ADRAF met son savoir-faire au service des projets de développement, dans le cadre des politiques locales d’aménagement du territoire.

En 2011, onze décisions d’attribution ont été prises par l’ADRAF pour une superficie totale d’un peu moins de 2 000 hectares. Les bénéficiaires en sont huit groupements (GPDL) et une collectivité locale.

Après ces opérations, le stock foncier de l’Agence s’élève à environ 15 000 hectares à la fin de l’année 2011, 76 % du stock étant situé en Province Nord et 24 % en Province Sud. Compte tenu du volume de décisions d’attribution en cours d’exécution, les attributions actées en 2012 devraient couvrir une surface importante, présageant une diminution significative du stock foncier de l’Agence.

3. La Polynésie française

La Polynésie française est composée de cinq archipels représentant 121 îles et atolls – dont seuls 80 sont habités – répartis sur une superficie maritime égale à la surface de l’Europe.

Malgré cette étendue géographique immense, l’agriculture polynésienne reste peu développée. En 2011, elle employait seulement 1 % des effectifs salariés du secteur marchand et ne comptait que pour 0,5 % du chiffre d’affaires total déclaré pour le paiement de la TVA.

La faiblesse de l’agriculture est due principalement au manque de terres cultivables (reliefs difficiles des îles hautes faisant partie des archipels de la Société, des Gambier, des Marquises et des Australes, pauvreté des sols sur les atolls, érosion des vents…) auquel s’ajoute la difficulté de conclure des baux ou de transmettre les exploitations (à cause du problème des indivisions).

Les structures agricoles reposent principalement sur de petites exploitations familiales où prédomine la polyculture. C’est le cas notamment pour l’archipel de la Société qui est la première région agricole de la Polynésie (au sein de cet archipel, les îles du Vent, dont fait partie l’île de Tahiti, représentaient, en 2010, 65 % en valeur de la production agricole commercialisée).

Il existe aussi des exploitations plus grandes, notamment dans les archipels de Tuamotu et des Marquises, où la cocoteraie occupe les deux tiers de la surface agricole utilisée. La cocoteraie permet de récolter le coprah et de le transformer en huile, que ce soit l’huile brute – qui sert notamment de biocarburant – ou le monoï (huile parfumée à la fleur de tiare). Cette activité est soutenue par le gouvernement local et est largement tournée vers l’exportation.

De même, au sein de l’archipel de la Société, il existe quelques grandes exploitations dans les îles Sous-le-Vent où environ 800 producteurs pratiquent la culture intensive de la vanille.

4. Wallis-et-Futuna

Le secteur primaire, comme en Nouvelle-Calédonie et comme en Polynésie française, n’est pas très développé dans les îles de Wallis-et-Futuna.

Le secteur de l’agriculture et de la pêche n’emploie en effet, en 2011, que 0,3 % des salariés déclarés. Il ne mobilise, par ailleurs, que 0,3 % des crédits (5,3 millions d’euros) octroyés par les établissements financiers.

Les structures agricoles sont principalement composées d’un ensemble de toutes petites exploitations qui pratiquent à la fois des cultures vivrières, de l’élevage et de la pêche, en procédant de façon informelle et dans le cadre d’une gestion coutumière. Elles ont pour vocation première la satisfaction des besoins de la famille et des proches.

Il existe aussi une centaine d’entreprises agricoles – très exactement 97 – enregistrées au rôle des patentes et qui peuvent disposer de superficies ou de locaux plus grands que ceux qui relèvent de l’exploitation familiale. Ces 97 entreprises représentent, en 2011, 18,9 % de l’effectif total des entreprises de Wallis-et-Futuna. Elles se ventilent de la manière suivante : 51,5 % d’entreprises de pêche, 21,6 % d’entreprises d’élevage, 9,3 % d’entreprises de maraîchage et 17,5 % d’entreprises exerçant des activités annexes à la production (services forestiers, vente de plantes ornementales, etc.). La production de ces entreprises, notamment dans le secteur maraîcher, demeure souvent trop faible pour satisfaire la totalité de la demande locale.

5. Saint-Pierre-et-Miquelon

L’agriculture et l’élevage ne sont guère favorisés à Saint-Pierre-et-Miquelon du fait des conditions climatiques qui sont rigoureuses – la saison des cultures extérieures est limitée à quelques semaines par an – et du fait des sols - tourbeux et argileux – qui sont peu fertiles.

Aussi, le poids du secteur primaire est-il limité. Il représente 1 % dans la création des richesses de l’archipel (en 2008), 4 % des effectifs salariés (en 2006) et 6 % du nombre total des entreprises (en 2011).

Les structures agricoles sont basées sur de petites exploitations individuelles orientées vers l’autoconsommation. Par ailleurs, on dénombre, en 2011, dix exploitations professionnelles.

Trois modes de production coexistent : la production en plein champ qui, en 2011, représente 94 % de la surface totale avec 5,7 hectares ; la production sous serres chaudes (1 336 m² à la même date) et la production sous serres froides (592 m²).

Les productions phares de l’archipel sont la production animale, la production maraîchère et la production horticole.

Cependant, les productions locales sont trop faibles pour permettre l’autosuffisance de Saint-Pierre-et-Miquelon qui doit importer une part très importante de produits issus de l’agriculture et de l’élevage.

C. DIX PROPOSITIONS DEVANT PERMETTRE D’AMÉLIORER L’ACCÈS DES RESSORTISSANTS ULTRAMARINS AU FONCIER AGRICOLE

Comme on l’a vu plus haut, l’accès des ressortissants ultramarins au foncier ou encore l’accès de ces derniers aux structures agricoles, à part le cas des sociétés civiles agricoles ou celui des grandes exploitations dédiés aux cultures traditionnelles, telles que la canne ou la banane, s’identifie essentiellement à l’accès à la petite exploitation individuelle gérée en faire valoir direct. C’est cette formule qui paraît la plus commode ou qui est, du moins, la plus usitée outre-mer, et c’est vers elle que tendent spontanément la plupart de ceux qui veulent s’installer.

Toutefois, cette démarche n’a de sens que s’il est déjà possible, auparavant, de préserver les superficies cultivables. Car, comme on l’a vu également ci-dessus, ces dernières sont fréquemment en baisse à la suite de la pression foncière.

De ce point de vue, la première des actions à accomplir pour faciliter l’accès des agriculteurs aux structures agricoles, c’est donc de maintenir les SAU, les superficies agricoles utilisées.

Dans ce contexte, les rapporteurs proposent trois orientations pour améliorer l’accès des agriculteurs au foncier :

– Renforcer la connaissance statistique du foncier, notamment dans les COM,

– Accroître l’efficacité des outils de surveillance foncière,

– Et enfin, trouver des solutions pour mieux organiser la transmission des entreprises et pour mettre fin aux blocages liés aux indivisions successorales.

Ces trois orientations se déclineront en dix propositions.

1. Renforcer l’outil statistique

Ainsi que cela a déjà été indiqué, les seules statistiques dont on dispose sur les structures agricoles outre-mer sont celles d’Agreste, qui relève du ministère chargé de l’agriculture, auxquelles s’ajoutent quelques statistiques – qui ne sont d’ailleurs pas construites de la même manière que celles d’Agreste – fournies par l’IEDOM, un établissement public placé sous la tutelle du ministère des Outre-mer.

Toutefois, pour tout ce qui a trait au foncier, il n’existe pas de système homogène ou bien de vision complètement synthétique – c'est-à-dire reposant sur les mêmes tableaux de chiffres – englobant l’ensemble des DOM et des COM.

Cela ne facilite naturellement pas la connaissance des responsables ou des élus sur le sujet.

En 2008, la Délégation générale à l’outre-mer a été créée (DEGEOM) et les pouvoirs publics lui ont adjoint l’Observatoire de l’outre-mer.

Cet observatoire doit précisément répondre à la demande des décideurs publics et de la société civile de disposer rapidement de données statistiques harmonisées et concernant l’ensemble des territoires d’outre-mer. Il doit aussi éclairer la Commission nationale d’évaluation des politiques outre-mer (CNEPEOM) qui a été créée par la loi pour le développement économique des outre-mer (dite loi LODEOM) du 27 mai 2009 et qui a été mise en place en 2011.

Il serait donc souhaitable que cet observatoire puisse bénéficier de moyens renforcés afin de réaliser des études approfondies dans le domaine agricole, et notamment sur la question particulière des statistiques correspondant aux structures foncières dans les DOM et surtout dans les COM.

Proposition n° 1. Accroître les moyens de l’Observatoire de l’outre-mer, portail statistique et documentaire dédié à l’outre-mer qui dépend de la DEGEOM, afin, en particulier, que l’Observatoire puisse fournir des statistiques harmonisées pour tous les DOM et les COM sur les structures agricoles et qu’il puisse mieux éclairer les décideurs, ainsi que la CNEPEOM.

2. Accroître l’efficacité des outils de surveillance foncière

En ce domaine, les rapporteurs souhaitent présenter six propositions : renforcer les moyens financiers des SAFER ; étudier la mise en place d’une SAFER en Guyane et à Mayotte ou compléter les pouvoirs des organismes qui remplissent actuellement les fonctions exercées par les SAFER dans ces deux départements ; élargir le droit de préemption des SAFER ; simplifier la procédure de définition des zones agricoles protégées (ZAP) ; modifier le contenu des études d’impact, prévues dans le code de l’environnement ou dans le code de l’urbanisme, pour mieux mesurer les incidences des projets d’aménagement ou d’équipement sur les espaces agricoles ; et enfin, allonger la durée de validité des projets d’intérêt général (PIG), projets dont la définition figure également dans le code de l’urbanisme.

a. Renforcer les moyens financiers des SAFER

Les SAFER (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) sont des organismes dont les missions sont actuellement définies par l’article L. 141-1 du code rural.

Elles jouent un rôle important dans la politique de préservation du foncier agricole en procédant à l’achat de terres, le cas échéant en faisant appel à la procédure de préemption, et en les rétrocédant ensuite, ou en les donnant à bail, à des agriculteurs.

Il existe trois SAFER outre-mer : en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion.

Les départements de Guyane et de Mayotte font l’objet de dispositifs spécifiques. En Guyane, c’est l’EPAG (Établissement public d’aménagement en Guyane), créé en 1996 et dont les statuts ont été modifiés en 2011, qui fait office d’opérateur foncier. À Mayotte, c’est la délégation locale de l’ASP (l’Agence de services et de paiement, un établissement public national créé en 2009) qui, de la même manière, procède aux interventions foncières, et surtout qui accompagne le conseil général dans la délivrance aux particuliers des titres fonciers établis, à partir des délimitations de parcelles, sur les terrains occupés jusque-là de manière coutumière.

Les SAFER ne disposent pas de financement public spécifique, hormis une subvention de l’État, qui tend à décroître, et hormis la rémunération des prestations qu’elles peuvent être amenées à délivrer aux collectivités publiques, rémunération qui ne couvre pas toujours l’ensemble des frais engagés.

Il est certain, cependant, que le rôle des SAFER dans la préservation du foncier pourrait s’accroître si l’on parvenait à augmenter les crédits que ces dernières reçoivent de la part de l’État.

Pour ce faire, il est proposé, en complétant l’article 1607 ter du code général des impôts, de donner la possibilité aux départements ou aux régions de prévoir, par une délibération du conseil général ou du conseil régional, d’affecter spécialement aux SAFER une petite partie des recettes issues de la taxe spéciale d’équipement (TSE) prélevée en faveur des établissements publics fonciers urbains. Ce prélèvement serait plafonné à 2 euros par habitant. Pour ne pas alourdir la fiscalité, les 2 euros entreraient dans le plafond des 20 euros par habitant fixé pour la TSE par le même article 1607 ter du code général des impôts.

Proposition n° 2. Prévoir une recette fiscale dédiée pour les SAFER. Cette recette pourrait consister – sous réserve d’un vote favorable des collectivités locales concernées – en un prélèvement sur la taxe spéciale d’équipement (TSE) prévue pour les établissements publics fonciers urbains par l’article 1607 ter du code général des impôts. Le montant affecté aux SAFER pourrait être de 2 euros par habitant. Ce montant de 2 euros serait intégré au plafond de 20 euros fixé pour la TSE par l’article 1607 ter du code général des impôts.

b. Étudier la mise en place d’une SAFER en Guyane et à Mayotte ou compléter les pouvoirs des organismes qui remplissent actuellement les fonctions exercées par les SAFER dans ces deux départements

Comme on l’a indiqué plus haut, les départements de Guyane et de Mayotte ne disposent pas de SAFER.

L’absence de sociétés comme les SAFER pose différents problèmes :

– En Guyane, l’EPAG est détenteur du droit de préemption mais il n’a jamais pu l’exercer parce que le comité technique départemental qui devait être chargé du suivi des actions de préemption n’a jamais été mis en place. Par ailleurs, l’ASP, du fait de son statut d’établissement administratif, ne peut être autorisée à emprunter, contrairement aux SAFER, pour financer des interventions foncières.

– À Mayotte, c’est l’ASP, pour l’instant, qui joue le rôle d’une SAFER. Cependant, l’ASP ne dispose pas de l’ensemble du panel d’interventions propre aux SAFER. De plus, la représentation des syndicats agricoles locaux n’est pas assurée.

Pour remédier à cette situation, il pourrait être intéressant de créer une SAFER en Guyane et à Mayotte.

À défaut, si cette initiative, dans la conjoncture économique actuelle, paraissait trop lourde à mettre en œuvre, compte tenu notamment de l’obligation de prévoir des subventions annuelles pour les nouvelles SAFER ainsi créées, il conviendrait tout du moins :

– d’accroître largement les compétences de l’EPAG en Guyane,

– et de créer un dispositif d’attente à Mayotte en élargissant, de manière à la fois dérogatoire et temporaire, les pouvoirs de la délégation locale de l’ASP.

Proposition n° 3. Étudier la mise en place d’une SAFER en Guyane et à Mayotte. À défaut de la création d’une SAFER, étendre largement les compétences de l’EPAG en Guyane et ouvrir – à titre exceptionnel et limité dans le temps – de nouveaux champs d’intervention pour la délégation locale de l’ASP à Mayotte.

c. Élargir le droit de préemption des SAFER

Les SAFER disposent du droit de préemption en application de l’article L. 143-2 du code rural.

Cependant, ce droit de préemption ne peut porter que sur des biens à usage agricole : il s’agit de biens figurant dans les zones classées A (« agricoles »), N (« naturelles ») et AU (« à urbaniser »), zones qui sont délimitées dans le plan local d’urbanisme (PLU) établi par chaque commune.

L’exercice du droit de préemption doit porter sur la totalité de la surface cadastrale mise en vente et la SAFER ne peut rétrocéder ensuite ce bien qu’à la condition que l’acquéreur ne l’utilise, à son tour, qu’à des fins exclusivement agricoles.

En revanche, le droit de préemption ne peut porter sur des biens figurant dans une zone classée U (« urbaine ») au sein d’un PLU.

Or, cette réglementation ne permet pas à une SAFER de préempter des surfaces mixtes – surfaces à la fois agricoles et à usage d’habitation – et de les rétrocéder, le cas échéant en scindant la surface cadastrale.

Les possibilités d’intervention des SAFER se trouvent donc limitées. En effet, en pratique, dans la plupart des DOM, compte tenu de phénomènes historiques et compte tenu également de l’étroitesse de l’espace disponible, tant pour l’habitation que pour l’agriculture, un très grand nombre de surfaces notifiées en tant que zones A ou N dans les PLU correspondent en fait à du foncier mixte (A/U, A/AU, N/U ou N/AU).

Par exemple, à La Réunion, en 2012, 35 % des surfaces notifiées en zone A ou en zone N dans les PLU correspondaient à du foncier mixte. Par suite, ce sont 21 % des surfaces agricoles notifiées qui n’ont pu être préemptées par la SAFER à la même date.

Il faudrait donc, en modifiant l’article L. 143-2 du code rural, élargir le droit de préemption des SAFER aux parcelles cadastrales situées en zonage mixte et donner aux SAFER la possibilité de rétrocéder séparément les biens à zonage mixte acquis par préemption.

Cette mesure permettrait de lutter contre le mitage des espaces agricoles (en permettant les restructurations), d’améliorer les structures foncières des exploitations (en leur donnant les moyens de s’accroître) et de faciliter l’installation des jeunes agriculteurs (en mettant à disposition du terrain).

Proposition n° 4. Élargir le champ d’application du droit de préemption des SAFER aux parcelles cadastrales en zonage mixte.

d. Simplifier la procédure de définition des zones agricoles protégées (ZAP)

Les zones agricoles protégées (ou ZAP) sont prévues dans l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme et dans les articles L. 112-2 et L. 125 du code rural.

Aux termes de l’article L. 112-2 du code rural, une ZAP doit concerner une zone agricole dont la préservation est d’intérêt général soit en raison de la qualité de sa production, soit en raison de sa situation géographique.

La ZAP est délimitée par arrêté préfectoral pris sur proposition ou après accord du conseil municipal des communes concernées ou, le cas échéant, sur proposition de l’organe délibérant de l’établissement public compétent en matière de plan local d’urbanisme (PLU) ou sur proposition de l’établissement public compétent en matière de schéma de cohérence territoriale (SCOT) après accord du conseil municipal des communes intéressées – après avis de la chambre d’agriculture, de l’Institut national de l’origine et de la qualité dans les zones d’appellation d’origine contrôlée et de la commission départementale d’orientation de l’agriculture et après enquête publique réalisée conformément aux prescriptions du code de l’environnement.

Après que la zone a été classée en ZAP, tout changement d’affectation ou de mode d’occupation du sol dans la zone doit être soumis à l’avis de la chambre d’agriculture et de la commission départementale d’orientation de l’agriculture. En cas d’avis défavorable de l’une d’entre elles, le changement ne peut être autorisé que sur décision motivée du préfet.

À elle seule, la ZAP ne garantit donc pas la pérennité des cultures, mais c’est un outil qui protège durablement les espaces agricoles à forte valeur agronomique et qui endigue l’étalement urbain.

Cependant, la procédure est d’une mise en œuvre relativement complexe et elle fait intervenir de nombreux acteurs aussi bien au moment de la décision de classement que pour l’élaboration des actes administratifs liés à la ZAP (définition du périmètre, arrêté de zonage et règlement de cette dernière).

Aussi, les ZAP ont-elles parfois du mal à être instituées. Par exemple, à La Réunion, malgré les recommandations faites dans les chartes agricoles depuis 2004 et malgré l’adoption du Schéma d’aménagement régional (SAR) de 2011, aucune ZAP n’a vu le jour dans ce département.

Il conviendrait donc de simplifier la procédure de définition des ZAP en confiant aux préfets, après la prise de décision initiale, l’intégralité de la mise en œuvre de ces zones.

Proposition n° 5. Confier au préfet l’intégralité de la mise en œuvre d’une ZAP: définition du périmètre, arrêté de zonage et règlement.

e. Modifier le contenu des études d’impact pour mieux mesurer les incidences des projets d’aménagement ou d’équipement sur les espaces agricoles

Le code de l’environnement, aux articles L. 110-1, L. 110-2 et L. 122-6, prévoit, en cas de projets ayant une incidence sur l’environnement, une étude d’impact qui permet l’analyse détaillée des effets de ces projets, aussi bien positifs que négatifs, et qui définit les mesures nécessaires pour compenser les effets préjudiciables lorsque de tels effets ont été identifiés.

De même, le code de l’urbanisme, dans ses articles L. 121-11 et L. 121-12, prévoit une évaluation environnementale dans le cas de l’élaboration d’un certain nombre de documents d’urbanisme (directives territoriales d’aménagement, schémas de cohérence territoriale, schémas de secteur, plans locaux d’urbanisme…).

Pour sa part, la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche a permis de mettre en place dans chaque département, et donc dans les DOM, des commissions départementales de consommation des espaces agricoles (CDCEA).

Aux termes de l’article 2 de l’ordonnance n° 2011-864 du 22 juillet 2011 relative à la protection et à la mise en valeur des terres agricoles dans les départements d’outre-mer (qui a créé l’article L. 181-3 du code rural), ces commissions doivent donner un avis conforme sur tous les projets d’urbanisme qui conduisent à un déclassement ou à une réduction des surfaces agricoles.

Cependant, les CDCEA ne disposent pas, en amont, avant qu’elles ne rendent leurs décisions, d’études d’impact sur les effets des projets au regard des espaces agricoles. En effet, ces études ne sont obligatoires que pour les atteintes environnementales, mais non pour celles qui portent sur le potentiel agricole.

Cela ne permet donc pas aux CDCEA de bénéficier d’une source d’information parfaitement claire et précise sur les projets – celle qui serait précisément constituée par les rapports d’évaluation si ces derniers étaient obligatoires.

Par suite, il pourrait être intéressant que les CDCEA puissent être destinataires d’études d’impact concernant les projets sur lesquels elles sont amenées à se prononcer.

En outre, il pourrait être aussi intéressant qu’elles puissent prescrire des mesures permettant de compenser les effets négatifs de ces projets, tant sur les exploitations que sur les filières agricoles.

Cette faculté pourrait alors compléter utilement leur rôle, en les associant, de fait, à l’élaboration des projets dès leur définition.

Pour obtenir ces deux résultats, il conviendrait de modifier les articles L. 110-1, L. 110-2 et L. 122-6 du code de l’environnement pour prévoir que les études d’impact prévues par ces articles concernent aussi le volet agricole et pour poser le principe de la compensation du potentiel agronomique impacté.

Il serait également utile de modifier l’article L. 181-3 du code rural en indiquant que ces études d’impact sont obligatoirement fournies aux CDCEA et qu’elles servent de base à ces commissions pour prescrire des mesures d’évitement, de réduction ou de compensation, compte tenu des préjudices constatés sur l’agriculture.

Proposition n° 6. Étendre les études d’impact prévues par les articles L. 110-1, L. 110-2 et L.122 -6 du code de l’environnement à l’agriculture. Prévoir, en modifiant l’article L. 181-3 du code rural, que les CDCEA seront automatiquement destinataires de ces études d’impact et que, sur cette base, elles pourront faire des prescriptions pour compenser les mesures négatives concernant le potentiel agricole.

f. Allonger la durée de validité des projets d’intérêt général (PIG)

L’article L. 121-9 du code de l’urbanisme prévoit que peuvent être qualifiés de projet d’intérêt général (PIG) :

– Les mesures nécessaires à la mise en œuvre des directives territoriales d’aménagement et de développement durables dans les conditions fixées à l’article L. 113-4 du code et qui concernent « les objectifs et orientations de l’État en matière d’urbanisme, de logement, de transports et de déplacements, […] de développement économique, […] de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, […] » ;

– Tout projet d’ouvrage, de travaux ou de protection présentant un caractère d’utilité publique.

Dans les DOM, les PIG s’appliquent fréquemment à des espaces utilisés à la transformation industrielle des denrées agricoles, par exemple, à La Réunion : les espaces qui abritent les balances de réception des cannes à sucre.

Ils permettent d’écarter le danger de la pression urbaine en s’imposant aux documents d’urbanisme.

Toutefois, même si un PIG peut être renouvelé plusieurs fois, la durée limitée à trois ans de l’arrêté préfectoral mettant en place un PIG provoque une situation d’insécurité juridique à intervalles réguliers (l’article R. 121-4 du code de l’urbanisme dispose, en effet, que la durée de l’arrêté préfectoral établissant un PIG est fixée à trois ans renouvelables).

Il pourrait donc être utile d’allonger la durée de l’arrêté préfectoral établissant un PIG – en portant cette durée à dix ans renouvelables – afin d’accroître la sécurité juridique dans la protection des espaces et des outils nécessaires à l’activité agricole – et notamment des espaces et des outils nécessaires à la filière « canne-sucre-rhum-bagasse ».

Par suite, il conviendrait de modifier en ce sens les articles L. 121-9 et R. 121-4 du code de l’urbanisme.

Proposition n° 7. Modifier l’article L. 121-9 et l’article R. 121-4 du code de l’urbanisme pour faire passer la durée de l’arrêté préfectoral établissant un PIG à dix ans renouvelables.

3. Trouver des solutions pour mieux organiser la transmission des entreprises et pour mettre fin aux blocages liés aux indivisions successorales

Enfin, les dernières orientations des rapporteurs, pour préserver les structures agricoles et pour éviter la cessation d’activité au moment du décès des exploitants, seront d’essayer de dégager des solutions pour mieux organiser la transmission des entreprises et pour mettre fin aux blocages liés aux indivisions successorales.

À cet égard, il est possible de distinguer trois propositions :

- Tout d’abord, favoriser l’utilisation du système juridique de la fiducie pour mieux gérer les changements d’exploitants au sein des exploitations agricoles ultramarines, et même, aménager le régime juridique applicable à la fiducie, dans le cas spécifique des exploitations agricoles situées outre-mer, pour en faire un véritable instrument de transmission du patrimoine ;

– Ensuite, favoriser l’utilisation du mandat à effet posthume – qui est un instrument commode de transition garantissant le maintien de l’activité, lors du décès de l’exploitant, mais qui semble peu usité outre-mer ;

– Et enfin, en cas de décès de l’exploitant suivi d’une indivision successorale, modifier les règles de prise de décision dans l’indivision pour la location ou la vente des biens immobiliers à usage agricole.

a. Favoriser l’utilisation de la fiducie et créer, dans le cadre de ce régime juridique, une possibilité de transmission du patrimoine, en cas de décès du constituant, dans le cas spécifique des exploitations agricoles ultramarines

Comme on l’a vu plus haut, environ un tiers des entreprises agricoles dans les DOM, en 2010, sont dirigées par des exploitants de plus de 50 ans, sans perspectives particulières de transmission.

Ce phénomène est dû au fait que les retraites agricoles sont relativement peu élevées outre-mer et que, par conséquent, l’exploitant n’est pas porté à arrêter son activité. D’autre part, comme la plus grosse part des exploitations est constituée par des exploitations individuelles orientées vers une agriculture vivrière, de même, l’agriculteur tend à conserver son bien fonds quasiment jusqu’à son décès.

Le résultat de cette situation est qu’au moment du décès de l’exploitant, rien n’est préparé et que la gestion du bien se trouve bloquée, les membres de l’indivision successorale n’étant pas d’accord entre eux.

Il n’est pas rare alors que les terrains deviennent des terres en friche, puis qu’il y ait cessation d’activité.

Pour éviter ce risque de disparition des structures foncières agricoles, il est donc nécessaire de favoriser les mécanismes de transmission des exploitations, alors que le chef d’exploitation est encore vivant.

Dans ce contexte, une première modalité de transmission très intéressante est la fiducie.

La fiducie est un contrat de droit privé, institué par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 et visé aux articles 2011 à 2031 du code civil.

Ce contrat, du vivant du titulaire des biens objets de la fiducie, emporte transfert de propriété. En effet, les biens relevant de la fiducie sortent du patrimoine du constituant pour entrer dans celui du fiduciaire. Le fiduciaire a alors en charge le patrimoine affecté, au profit d’un bénéficiaire. Ce bénéficiaire peut être le constituant lui-même, ou le fiduciaire, ou les deux personnes à la fois. Il peut être aussi un tiers au contrat de fiducie.

En revanche, aux termes de l’article 2029 du code civil, « le contrat de fiducie prend fin par le décès du constituant personne physique ».

La fiducie présente de l’intérêt en ce que, du vivant de l’agriculteur, le contrat permet à ce dernier de transférer son bien fonds à une personne de son choix (qui, dans le cas le plus simple, est désignée comme étant le fiduciaire), tout en lui laissant la possibilité de rester bénéficiaire d’une partie de la gestion (d’un commun accord avec le fiduciaire ainsi désigné).

Ce n’est pas une transmission définitive car les biens retournent à la succession du constituant en cas de décès, mais, durant le temps que dure la fiducie, l’exploitant s’habitue à l’idée de transmettre sa propriété et, par accord mutuel avec le fiduciaire, il peut accepter finalement de quitter la fiducie en recourant à une autre formule, tel que le contrat de bail ou le contrat de vente.

La fiducie constitue ainsi une solution temporaire pendant laquelle il est possible de dégager d’autres solutions pour garantir la poursuite de l’exploitation. Elle permet d’éviter l’écueil de l’indivision successorale, écueil qui apparaît lorsqu’aucune mesure n’a jamais été prise du vivant de l’agriculteur.

En tant que telle, elle gagnerait à être valorisée dans les « Points info installation » (PII), points destinés aux agriculteurs désireux de s’installer et gérés, dans les départements d’outre-mer, sauf décision préfectorale contraire, par les délégations locales de l’Agence de services et de paiement (ASP).

En outre, il serait possible d’envisager une variante dans le régime juridique de la fiducie, pour le cas spécifique de l’exploitation agricole ultramarine.

Il serait en effet possible de prévoir, en modifiant l’article 2028 du code civil, une option dans le régime juridique de la fiducie, pour le cas des exploitations ultramarines, cette option emportant, par accord exprès entre le constituant et le fiduciaire (ou le bénéficiaire), au moment de la constitution de la fiducie, un transfert définitif de la propriété de l’exploitation au fiduciaire (ou au bénéficiaire), lors du décès du constituant.

Dans le cas spécifique de l’agriculture outre-mer, cette option fonctionnerait ainsi, par analogie avec les trustees anglo-saxons, comme un instrument complet de transmission des entreprises.

Proposition n° 8. Valoriser le contrat de fiducie dans les « Points info installation » (PII) gérés, en règle générale, par l’ASP. Modifier l’article 2028 du code civil pour prévoir, dans le cas spécifique des exploitations agricoles ultramarines, une option permettant, lors de la constitution d’une fiducie, de prévoir le transfert complet de la propriété de l’exploitation au fiduciaire (ou au bénéficiaire de la fiducie), lors du décès du constituant.

b. Favoriser l’utilisation du mandat à effet posthume

Une autre formule de transition intéressante – pour éviter la cessation brusque de l’entreprise au décès du chef d’exploitation et, par suite, les risques de disparition dans les surfaces foncières agricoles – est le mandat à effet posthume.

Créé par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités et visé aux articles 812 à 812-7 du code civil, ce mandat est un acte juridique par lequel une personne peut confier, de son vivant, et pour après son décès, la gestion de tout ou partie de sa succession à une personne physique – un de ses héritiers ou un tiers – ou morale, de sorte que les héritiers se trouvent dessaisis des prérogatives ainsi confiées au mandataire sur lequel ils n’ont aucun pouvoir de révocation directe.

Ce mandat est de deux à cinq ans. Il peut être prolongé une ou plusieurs fois par le juge. Il prend fin s’il y a conclusion d’un mandat de droit commun entre le mandataire posthume et les héritiers, si les héritiers décident d’aliéner le bien ou en cas de révocation judiciaire du mandataire.

Comme la conclusion d’un contrat de fiducie, la décision de recourir à un mandat à effet posthume est, pour le chef d’exploitation, un acte de prévoyance et d’anticipation susceptible d’atténuer les conséquences des conflits entre héritiers. Sans régler absolument les problèmes liés à la succession, le mandat à effet posthume permet de maintenir l’exploitation en fonctionnement et de disposer de temps pour aboutir à une solution définitive.

En tant que tel, son utilisation, dans le cadre des exploitations agricoles ultramarines, devrait être encouragée, notamment dans les « Points info installation » (PII) gérés, sauf exception, par l’ASP.

Proposition n° 9.Valoriser l’utilisation du mandat à effet posthume dans les « Points info installation » (PII) gérés, en règle générale, par l’ASP.

c. Modifier les règles de prise de décision, en cas d’indivision successorale, pour la location ou la vente des biens immobiliers à usage agricole

La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités a prévu un assouplissement des règles de gestion des biens en indivision, règles contenues dans l’article 815-3 du code civil.

C’est ainsi qu’un accord regroupant les deux tiers des droits des indivisaires permet désormais de vendre des biens meubles pour payer les dettes et charges de l’indivision et permet aussi de conclure ou de renouveler des baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

Cependant, l’unanimité des indivisaires reste requise pour conclure un bail rural ou pour vendre des biens immobiliers à usage agricole.

Il pourrait donc être intéressant de modifier l’article 815-3 du code civil sur ce point, et de prévoir qu’il sera désormais possible de louer ou de vendre des biens immobiliers à usage agricole, placés en indivision, à la majorité des deux tiers des indivisaires.

Proposition n° 10. Modifier l’article 815-3 du code civil pour permettre la location et la vente des biens immobiliers à usage agricole, placés en indivision, à la majorité des deux tiers des indivisaires.

II. L’INSTALLATION DES JEUNES AGRICULTEURS : IL FAUT PASSER À LA VITESSE SUPÉRIEURE

L’installation des jeunes agriculteurs, dans la mesure où ce facteur constitue un élément fondamental pour assurer le bon renouvellement des générations, s’avère être un enjeu vital pour l’agriculture des départements et des collectivités d’outre-mer.

Cette installation s’inscrit néanmoins dans un contexte difficile.

Le premier obstacle réside dans le périmètre foncier sur lequel les jeunes exploitants souhaitent s’installer. Celui-ci est plus étroit que dans l’hexagone et il connaît une forte pression foncière, si bien que l’on constate un rétrécissement des surfaces agricoles utilisées, notamment dans les DOM (sauf en Guyane). Ce phénomène a déjà été relevé dans le chapitre précédent.

Un autre obstacle est l’accès aux financements sous les deux aspects suivants :

– les difficultés d’accès aux prêts bonifiés pour financer la part d’autofinancement des investissements,

– les difficultés liées aux avances à faire préalablement au versement des subventions européennes.

Enfin, un dernier obstacle tient à la nature des installations. Souvent, et contrairement à ce qui se passe en France métropolitaine, les nouveaux installés ne peuvent prétendre aux aides existantes. En effet, ils ne réunissent pas l’ensemble des conditions nécessaires pour leur attribution (niveau de formation minimal, surface d’installation suffisante, capital d’exploitation constitué et fonctionnel). C’est ainsi que les dossiers déposés dans les « Points info installation » n’aboutissent pas.

Par suite, le nombre annuel des installations aidées dans les DOM n’est pas très important. Il concerne un peu moins de cent agriculteurs en 2011.

Par ailleurs, si l’on rapporte le nombre annuel des installations aidées au nombre annuel des inscriptions à l’AMEXA (ces dernières indiquant, à quelques réserves près, le nombre des nouveaux agriculteurs), on obtient un ratio qui avoisine les 10 %.

Ce ratio paraît souvent insuffisant, notamment pour certaines organisations syndicales comme Jeunes Agriculteurs Outre-mer – les syndicats les plus représentatifs au sein des territoires ultramarins ayant été entendus par la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, le 9 juillet 2013.

Dans la quatrième partie du présent chapitre, les rapporteurs proposeront donc des orientations en vue d’améliorer le dispositif existant d’aide à l’installation, afin que ce dernier puisse concerner d’avantage de projets.

Auparavant, ils examineront successivement la nature et le montant des aides, les caractéristiques des installations aidées et les problèmes rencontrés par les jeunes agriculteurs au regard de la réglementation.

A. LA NATURE ET LE MONTANT DES AIDES

Les aides à l’installation dans les DOM sont régies par les articles D. 371-7 et suivants du code rural, articles qui résultent d’une adaptation du code pour tenir compte de la départementalisation de Mayotte. Ainsi, l’article D. 371-9 qui prévoit l’institution de la dotation aux jeunes agriculteurs dans les DOM correspond à l’ancien article D. 348-3 du même code, article qui avait le même objet mais qui ne concernait pas Mayotte.

S’agissant de la nature des aides, la réglementation prévoit un système qui repose principalement sur la dotation aux jeunes agriculteurs (DJA) et sur les prêts bonifiés. Pour les montants, le code rural s’est ajusté sur la DJA la plus élevée en métropole, c'est-à-dire sur la DJA de type « montagne ».

Pour l’île de Mayotte, le décret n° 2013-754 du 14 août 2013 portant extension et adaptation à Mayotte de certaines dispositions du code rural et de la pêche maritime complète le dispositif général applicable aux DOM par certaines dispositions qui tiennent compte des particularités du nouveau département.

Au sein des COM, Saint-Martin, malgré son changement de statut, dans la mesure où il constitue une région ultrapériphérique (RUP), bénéficie toujours de la réglementation liée au statut de DOM (l’autorité de gestion restant, pour l’instant, le préfet de Guadeloupe). Pour Saint-Pierre-et-Miquelon et la Nouvelle- Calédonie, les aides à l’installation sont constituées par des dotations d’installation en agriculture (DIA). Ces dotations sont financées par le ministère de l’Agriculture sur la base de conventions pluriannuelles.

Ces différents éléments vont être repris de manière plus précise.

1. La nature des aides

Comme on vient de le dire, les aides à l’installation dans les DOM se composent principalement d’une dotation aux jeunes agriculteurs (DJA) et de prêts bonifiés (en particulier, les prêts à moyen terme spéciaux dédiés aux jeunes agriculteurs ou MTS-JA).

À cet ensemble s’ajoutent éventuellement les aides du PIDIL (Programme pour l’installation des jeunes en agriculture et de développement des initiatives locales). Il s’agit d’aides accordées exclusivement aux installations hors cadre familial ou aux enfants d’agriculteurs désireux de reprendre une exploitation familiale ne permettant pas de s’installer dans des conditions économiques satisfaisantes.

Par ailleurs, le PIDIL prévoit aussi des aides aux personnes qui veulent céder leur exploitation (inscription au RDI – répertoire départemental à l’installation – qui recense les cédants, prise en charge partielle des frais d’audit de l’exploitation à céder, aide pour les conventions de mise à disposition – CMD – avec les SAFER, etc.).

Le programme et la ligne budgétaire correspondant aux dépenses liées à la DJA (y compris métropole) s’identifient, dans le budget de l’État, au programme 154-13-06. La ligne budgétaire a été abondée, dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2013, à hauteur de 51 millions d’euros en crédits de paiement. Le programme et la ligne budgétaire correspondant au PIDIL (y compris métropole) s’identifient au programme 154-13-07. La ligne budgétaire a été abondée, dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2013, à hauteur de 7,5 millions d’euros en crédits de paiement.

Les crédits destinés à financer la DJA sont complétés par un cofinancement communautaire. Dans les DOM, le taux de cofinancement applicable est supérieur à celui qui s’applique généralement dans l’hexagone (50 %). Le taux varie selon le DOM concerné : 60 % à La Réunion, 70 % à la Guadeloupe, 75 % en Guyane et en Martinique. Le cofinancement est pris en charge par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

Dans l’île de Mayotte, le système d’aides a reposé jusqu’à une période toute récente sur une dotation d’installation en agriculture prévue par le décret n° 94-92 du 26 janvier 1994 relatif à l’aide à l’installation des jeunes agriculteurs à Mayotte.

Avec le décret n° 2013-754 du 14 août 2013 portant extension et adaptation à Mayotte de certaines dispositions du code rural et de la pêche maritime, le dispositif antérieur a été supprimé et il a été remplacé par le dispositif de droit commun des DOM auxquels s’ajoutent quelques éléments plus favorables.

Ce dispositif est le suivant : création d’une DJA, possibilité d’obtenir une DJA comme agriculteur à titre secondaire, mise en place de prêts bonifiés, diminution du seuil de revenu exigé pour l’obtention du versement de la seconde fraction de la DJA (que les autorités et les professionnels locaux ont souhaité maintenir, alors que la pratique, depuis 2004, est désormais le versement de la totalité de la DJA en une seule fois), raccourcissement à 5 ans, au lieu de 9, de la durée d’engagement, sauf exceptions liées à des opérations de défrichement avant mises en culture ou à la mise en place de cultures pérennes.

Les aides apportées à Mayotte ont vocation à être cofinancées par l’Union européenne, ce qui sera possible lors de la mise en place du nouveau règlement de développement rural, règlement qui détermine l’action du FEADER.

S’agissant enfin des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution, Saint-Pierre-et-Miquelon et la Nouvelle-Calédonie bénéficient de dotations d’installation en agriculture (DIA) financées par le ministère de l’Agriculture sur la base de conventions pluriannuelles. Ces conventions sont conclues entre l’État (représenté par le préfet ou le Haut-commissaire de la République) et l’ASP. Les DIA sont versées en plusieurs fractions selon l’état d’avancement du projet.

2. Les montants

Il existe un montant minimum et un montant maximum pour la DJA ou la DIA. Il existe également un montant maximum de subvention équivalente de prêts bonifiés.

À noter que la réglementation communautaire impose, dans le cadre du calcul du plafond des aides, que celles qui sont allouées sous d’autres formes que des subventions (prêts, avances remboursables, garanties) fassent l’objet d’une conversion en « équivalent subvention brute » (ESB). L’ESB est aussi appelé « subvention équivalente ».

Tel est le cas pour les prêts bonifiés qui complètent la DJA. L’équivalent subvention d’un prêt bonifié correspond à la somme actualisée des bonifications d’intérêt sur toute la durée du prêt.

Les montants minimum et maximum de DJA ou de DIA et le montant maximum de subvention équivalente de prêts bonifiés sont ceux des zones de montagne, à savoir :

– pour les DJA ou les DIA : entre 16 300 et 35 900 €, auxquels peut s’ajouter une aide des collectivités territoriales dans la limite du sous-plafond communautaire de 40 000 €,

– pour la subvention équivalente des prêts bonifiés : plafond de 22 000 €, auxquels peut s’ajouter une aide des collectivités territoriales dans la limite du sous-plafond de 40 000 €.

L’ensemble des deux types d’aides est plafonné à 70 000 €.

B. LES CARACTÉRISTIQUES DES INSTALLATIONS AIDÉES

Les rapporteurs étudieront successivement : le nombre d’installations aidées ; la répartition de ces installations en fonction du sexe des personnes concernées ; la répartition par âge au moment de l’installation ; la répartition en fonction du type d’installation ; la répartition selon la qualité du bénéficiaire (exercice de l’activité agricole à titre principal ou secondaire) ; les installations réalisées dans le cadre familial et en dehors de ce cadre ; et enfin, les crédits engagés.

1. Nombre d’installations aidées

Les installations sont classées par année d’installation en fonction de la date d’installation figurant au certificat de conformité, document administratif attestant de la réalité du démarrage du projet et permettant le versement de l’aide.

Les chiffres de 2012 ne sont pas encore disponibles. Les chiffres de 2010 et 2011 sont les suivants :

NOMBRE D’INSTALLATIONS AIDÉES

 

2010

2011

 

Nombre

%

Nombre

%

GUADELOUPE

18

25 %

13

15 %

GUYANE

7

10 %

12

14 %

MARTINIQUE

17

24 %

24

28 %

LA RÉUNIION

30

42 %

38

44 %

MAYOTTE

-

0 %

-

0 %

TOTAL

72

100 %

87

100 %

Source : ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

Au total, les installations aidées concernent un peu moins d’une centaine de personnes en 2011. Elles devraient concerner environ 102 agriculteurs en 2012. On notera qu’à Mayotte, les chiffres des installations aidées sont particulièrement faibles. Dans ce département, les installations aidées concernent environ une à deux personnes tous les deux ans.

2. Répartition des installations en fonction du sexe des personnes concernées

Bien que très variable selon les DOM et les années, le taux de féminisation des installations est relativement conséquent. Ainsi, en 2011, sauf en Guyane, le taux d’installation des femmes est toujours supérieur à la moyenne nationale.

Par ailleurs, le département de la Martinique, aussi bien en 2010 qu’en 2011, installe davantage de femmes que d’hommes. On note 65 % de femmes bénéficiant de l’aide à l’installation en 2010, contre 35 % d’hommes et 58 % de femmes bénéficiant de l’aide en 2011, contre 42 % d’hommes.

RÉPARTITION PAR SEXE

   

2010

2011

   

Nombre

%

Nombre

%

GUADELOUPE

H

14

78 %

7

54 %

F

4

22 %

6

46 %

 

Sous-total Guadeloupe

18

100 %

13

100 %

GUYANE

H

6

86 %

10

83 %

F

1

14 %

2

17 %

 

Sous-total Guyane

7

100 %

12

100 %

MARTINIQUE

H

6

35 %

10

42 %

F

11

65 %

14

58 %

 

Sous-total Martinique

17

100 %

24

100 %

LA RÉUNION

H

25

83 %

28

74 %

F

5

17 %

10

26 %

 

Sous-total La Réunion

30

100 %

38

100 %

TOTAL DOM

H

51

71 %

55

63 %

F

21

29 %

32

37 %

 

Total

72

100 %

87

100 %

NATIONAL

H

 

78 %

 

78 %

F

 

22 %

 

22 %

 

Total

 

100 %

 

100 %

Source : ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

3. Répartition par âge au moment de l’installation

Cette répartition apparaît dans le tableau ci-dessous :

RÉPARTITION PAR ÂGE À L’INSTALLATION

   

2010

2011

GUADELOUPE

Nombre

Âge moyen (ans)

18

37,3

13

37,0

GUYANE

Nombre

Âge moyen (ans)

7

37,4

12

33,7

MARTINIQUE

Nombre

Âge moyen (ans)

17

37,8

24

37,7

LA RÉUNION

Nombre

Âge moyen (ans)

30

30,9

38

31,1

TOTAL DOM

Nombre

Âge moyen (ans)

72

34,8

87

34,2

NATIONAL

Âge moyen (ans)

28,6

28,9

Source : ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

À la lecture de ce tableau, on peut s’apercevoir que, dans les départements d’outre-mer, l’âge moyen pour une installation aidée (34,2 ans) est plus élevé de 6 années par rapport à la moyenne nationale.

Ce phénomène constaté est d’une grande importance. En effet, l’accroissement de l’âge moyen d’installation par rapport à l’hexagone reflète tout particulièrement les difficultés d’installation des jeunes agriculteurs outre-mer.

Compte tenu du fait que les exploitants en place ne partent que très tardivement (à cause de la faiblesse des retraites) et compte tenu également du fait que le foncier est difficilement accessible pour les jeunes agriculteurs (à cause de la pression foncière et du poids des indivisions), ces derniers, en pratique, sont obligés d’attendre beaucoup plus longtemps qu’en métropole avant de pouvoir s’installer.

En outre, il convient d’observer que l’âge de 34,2 ans est une moyenne. En fait, bien souvent, l’âge où l’agriculteur est en passe de reprendre une exploitation avoisine les 39 ans. En ce cas, il n’est pas rare qu’il ne puisse plus recevoir d’aide à l’installation, l’âge butoir des 40 ans intervenant avant la décision d’attribution de la DJA.

Cette dernière remarque – outre qu’elle tend à aggraver le phénomène que l’on vient d’analyser – contribue aussi à expliquer le fait que le nombre d’installations aidées soit aussi faible.

4. Répartition par type d’installation

Les statistiques montrent que l’installation sous forme individuelle prédomine largement par rapport à l’installation sous forme de société.

En 2011, on constate ainsi que 83 % des installations dans les DOM sont réalisées sous forme individuelle contre 17 % seulement sous forme de société. En métropole, à la même date, la proportion est inversée. On relève que 65 % des installations sont effectuées sous forme de société contre 35 % sous forme individuelle.

La situation de chaque département est présentée dans le tableau ci-dessous :

RÉPARTITION PAR TYPE D’INSTALLATION

   

2010

2011

   

Nombre

%

Nombre

%

GUADELOUPE

Sociétaire

0

0 %

0

0 %

Individuel

18

100 %

13

100 %

 

Sous-total Guadeloupe

18

100 %

13

100 %

GUYANE

Sociétaire

0

0 %

0

0 %

Individuel

7

100 %

12

100 %

 

Sous-total Guyane

7

100 %

12

100 %

MARTINIQUE

Sociétaire

5

29 %

5

21 %

Individuel

12

71 %

19

79 %

 

Sous-total Martinique

17

100 %

24

100 %

LA RÉUNION

Sociétaire

10

33 %

10

26 %

Individuel

20

67 %

28

74 %

 

Sous-total La Réunion

30

100 %

38

100 %

TOTAL DOM

Sociétaire

15

21 %

15

17 %

Individuel

57

79 %

72

83 %

 

Total

72

100 %

87

100 %

NATIONAL

Sociétaire

 

66 %

 

65 %

Individuel

 

34 %

 

35 %

 

Total

 

100 %

 

100 %

Source : ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

Ce phénomène que l’on constate de la prédominance de l’installation sous forme individuelle par rapport à la forme sociétale est lié à la faiblesse globale du nombre de sociétés dans l’effectif total des exploitations ultramarines – faiblesse qui a été mise en relief dans le chapitre précédent consacré aux structures agricoles et qui est elle-même liée au fait que bon nombre d’exploitations outre-mer sont de très petites exploitations gérées en faire valoir direct.

À ce phénomène s’ajoutent les caractéristiques des sociétés dans les DOM. Dans les sociétés ultramarines à objet agricole en effet, le capital social n’est pas toujours détenu à 50 % par des associés exploitants. Ce facteur les rend inéligibles aux aides agricoles (article L. 341-2 du code rural).

5. Répartition selon la qualité du bénéficiaire

Les statistiques concernant la qualité du bénéficiaire ont pour objet de déterminer si l’installation se fait dans le cadre d’une activité agricole exercée à titre principal ou à titre secondaire.

Exercer une activité agricole à titre principal suppose de dégager au moins 50 % de son revenu professionnel à partir de ses activités agricoles. En ce cas, l’exploitant a droit à la DJA, qu’il s’installe sous forme individuelle ou sous forme de société.

A contrario, l’exploitant à titre secondaire ne peut bénéficier que de 50 % de la DJA. Il doit dégager entre 30 et 49,9 % de son revenu professionnel à partir de ses activités agricoles et il ne peut s’installer que sous forme individuelle (il n’est pas possible d’obtenir une demi-DJA pour une installation secondaire en société).

Les installations à titre secondaire sont donc peu nombreuses, aussi bien en métropole que dans les DOM, ainsi que le montre le tableau suivant :

RÉPARTITION PAR QUALITÉ DU BÉNÉFICIAIRE
(EXERCICE DE L’ACTIVITÉ AGRICOLE À TITRE PRINCIPAL OU SECONDAIRE)

   

2010

2011

   

Nombre

%

Nombre

%

GUADELOUPE

Agriculteur à titre principal

18

100 %

10

77 %

Agriculteur à titre secondaire

0

0 %

3

23 %

 

Sous-total Guadeloupe

18

100 %

13

100 %

GUYANE

Agriculteur à titre principal

7

100 %

11

92 %

Agriculteur à titre secondaire

0

0 %

1

8 %

 

Sous-total Guyane

7

100 %

12

100 %

MARTINIQUE

Agriculteur à titre principal

17

100 %

22

92 %

Agriculteur à titre secondaire

0

0 %

2

8 %

 

Sous-total Martinique

17

100 %

24

100 %

LA RÉUNION

Agriculteur à titre principal

30

100 %

37

97 %

Agriculteur à titre secondaire

0

0 %

1

3 %

 

Sous-total La Réunion

30

100 %

38

100 %

TOTAL DOM

Agriculteur à titre principal

72

100 %

80

92 %

Agriculteur à titre secondaire

0

0 %

7

8 %

 

Total

72

100 %

87

100 %

NATIONAL

Agriculteur à titre principal

 

97 %

 

97 %

Agriculteur à titre secondaire

 

3 %

 

3 %

 

Total

 

100 %

 

100 %

Source : ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

En 2011, une évolution semble cependant se dessiner : on constate que, plus que par le passé, les jeunes agriculteurs tendent à s’installer en exerçant leur métier seulement à titre secondaire.

Cette tendance (8 % des installations en 2011, tous DOM confondus) montre qu’actuellement il est de plus en plus difficile pour un certain nombre d’agriculteurs de ne vivre que des seuls revenus que procure leur exploitation, au moins au moment où ils débutent leur activité.

6. Installations réalisées dans le cadre familial et en dehors de ce cadre

Alors qu’au niveau national les installations hors cadre familial représentent 28 % des effectifs en 2010 et 30 % en 2011, on observe que la proportion est très différente dans les DOM où les nouveaux installés hors cadre familial représentent 40 % des installations en 2010 et 60 % en 2011.

Cette tendance est visible dans le tableau suivant :

INSTALLATION EN OU HORS CADRE FAMILIAL

   

2010

2011

   

Nombre

%

Nombre

%

GUADELOUPE

Cadre familial

7

39 %

4

31 %

Hors cadre familial

11

61 %

9

69 %

 

Sous-total Guadeloupe

18

100 %

13

100 %

GUYANE

Cadre familial

1

14 %

0

0 %

Hors cadre familial

6

86 %

12

100 %

 

Sous-total Guyane

7

100 %

12

100 %

MARTINIQUE

Cadre familial

11

65 %

11

46 %

Hors cadre familial

6

35 %

13

54 %

 

Sous-total Martinique

17

100 %

24

100 %

LA RÉUNION

Cadre familial

24

80 %

20

53 %

Hors cadre familial

6

20 %

18

47 %

 

Sous-total La Réunion

30

100 %

38

100 %

TOTAL DOM

Cadre familial

43

60 %

35

40 %

Hors cadre familial

29

40 %

52

60 %

 

Total

72

100 %

87

100 %

NATIONAL

Cadre familial

 

72 %

 

70 %

Hors cadre familial

 

28 %

 

30 %

 

Total

 

100 %

 

100 %

Source : ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

La cause de ce phénomène est sans doute à rechercher, au moins pour partie, dans l’importance du nombre des indivisions que l’on constate actuellement dans le cadre des dévolutions successorales des exploitations ultramarines.

Au décès de l’exploitant, très souvent, aucune mesure de transmission n’a été prévue et les héritiers, réunis en indivision, ne parviennent pas à s’entendre.

Le bien fond finit alors par être vendu à un tiers et le nombre des exploitants s’installant hors du cercle familial tend mécaniquement à s’accroitre.

7. Les crédits engagés

Les crédits engagés au titre de la DJA pour les années 2010, 2011 et 2012 apparaissent dans le tableau ci-après.

Les montants indiqués correspondent aux engagements juridiques (décision d’octroi des aides à l’installation). Le jeune agriculteur dispose ensuite de douze mois pour s’installer et le paiement effectif de la DJA intervient après la constatation de l’effectivité de l’installation.

CRÉDITS ENGAGÉS

 

2010

2011

2012

 

Nb de dossiers primo-engagés

MAAF

FEADER

Nb de dossiers primo-engagés

MAAF

FEADER

Nb de dossiers primo-engagés

MAAF

FEADER

GUADELOUPE

22

190 215 €

443 835 €

7

61 245 €

142 905 €

24

245 465 €

488 985 €

GUYANE

10

78 330 €

234 990 €

15

115 686 

346 958 €

14

150 374 €

319 690 €

MARTINIQUE

20

227 440 €

422 388 €

22

227 409 €

422 331 €

19

86 476 €

490 031 €

LA RÉUNION

28

300 910 €

412 590 €

39

396 920 €

595 380 €

41

432 430 €

616 965 €

MAYOTTE

           

4

131 633 €

0 €

TOTAL

80

796 895 €

1 513 803 €

83

801 260 €

1 507 574 €

102

1 046 378 €

1 915 671 €

Source : ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

En 2011, le montant moyen de DJA attribuée par dossier est de 27 817 €. En 2012, il est de 29 040 €.

Au total, on doit donc observer que l’État et le FEADER consacrent des sommes importantes à l’aide à l’installation dans les DOM, même si, individuellement, les aides allouées par dossier restent raisonnables.

Par ailleurs, en ce qui concerne les COM, il est possible d’apporter les précisions suivantes :

– En Nouvelle-Calédonie, la convention cadre qui couvre la période comprise entre septembre 2008 et novembre 2012 a permis d’attribuer 44 DIA, dont 10 dossiers engagés en 2011 et 12 dossiers en 2012. Ces 44 DIA représentent un montant total de 1,216 M€, soit un montant moyen par dossier de 27 636 €.

– À Saint-Pierre-et-Miquelon, le nombre de dossiers engagés est très faible, au maximum un par an. Il est donc difficile d’établir des statistiques probantes par dossier.

Il ne semble pas en tout cas qu’il y ait de disparité – du moins en ce qui concerne les collectivités territoriales dont la situation a été analysée – entre les montants engagés par dossier dans les COM et ceux engagés dans les DOM.

C. LES PROBLÈMES RENCONTRÉS PAR LES JEUNES AGRICULTEURS

À l’issue de l’examen des statistiques concernant l’installation des jeunes agriculteurs, il est possible de dresser la liste des principales difficultés auxquelles ils se trouvent confrontés.

– On note, tout d’abord, que les nouveaux exploitants, compte tenu des difficultés qu’ils rencontrent pour mobiliser un financement initial et compte tenu aussi des rigidités qui caractérisent l’accès au foncier, se portent candidats à l’installation sur un domaine agricole à un âge souvent tardif.

Comme on l’a vu plus haut, l’âge moyen d’installation est actuellement d’un peu plus de 34 ans. Cependant, cet âge de 34 ans ne constitue qu’une moyenne et il arrive aussi, bien souvent, que les agriculteurs atteignent un âge moyen à l’installation assez proche des 39 ans. Cela implique qu’une partie d’entre eux cessent de pouvoir prétendre aux aides à l’installation car leurs dossiers ne sont pas finalisés avant leur quarantième année et ils deviennent caducs.

Il y a là un vrai problème, et il faudrait très certainement prévoir un dispositif tenant compte de la situation de ces personnes proches de 40 ans – ou de 40 ans et plus – qui souhaitent accéder à l’installation.

– On observe également qu’il y a désormais de plus en plus d’exploitants qui, tout en venant d’accéder à l’installation, exercent une pluriactivité.

Cette pluriactivité n’est pas un choix mais une conséquence. Il existe une accumulation de conditions défavorables (absence de prêts bonifiés, insuffisance du foncier, installation tardive…) qui font que les jeunes ne peuvent pas s’installer à plein temps.

Or, il est très difficile de gérer une activité rémunératrice, exercée à titre secondaire par rapport à l’activité agricole, et qui permette, d’une part, d’assumer les charges financières du quotidien et, d’autre part, d’investir sur l’exploitation. Aussi, cette situation aboutit-elle, bien souvent, à un gâchis d’énergie et de moyens, gâchis qui peut se solder, au final, par l’abandon de l’activité agricole, alors même que le projet était pertinent.

Il serait bien plus rentable, tant pour les agriculteurs que pour la collectivité, que l’accent financier maximal soit placé lorsque la carrière d’exploitant débute, afin que les jeunes puissent être installés à titre principal, à temps plein, et qu’ils soient ainsi en capacité d’atteindre les objectifs du PDE - c'est-à-dire du plan de développement de l’exploitation, plan sur 5 ans qui sert de base à la prise de décision d’attribution des aides à l’installation par la Commission départementale d’orientation agricole (CDOA).

– En troisième lieu, on doit relever que, sauf dans le département de La Réunion où les jeunes agriculteurs bénéficient des prêts MTS-JA, les banques, dans les DOM, ne consentent pour ainsi dire pas de prêts bonifiés aux porteurs de projets.

Cela provient d’une forte réticence des banques à la prise de risque dans le domaine agricole. Seuls les porteurs de projet ayant une caution familiale importante bénéficient des prêts.

Par ailleurs, à Mayotte, si les prêts bonifiés viennent tout juste d’être instaurés, il est également à craindre que, dans l’avenir, des difficultés analogues ne se fassent jour.

Il paraîtrait donc souhaitable que les pouvoirs publics puissent instituer un système de cautionnement pour ces prêts.

– Enfin, il convient de remarquer que, parallèlement aux difficultés d’installation qui sont le lot commun de beaucoup de jeunes agriculteurs, il demeure encore beaucoup d’exploitants, âgés de 50 ans et plus, qui continuent d’exercer leur activité sur leur bien fonds, sans qu’aucun successeur n’ait été désigné, à court ou moyen terme.

Ainsi, selon les statistiques présentées dans le chapitre précédent consacré aux structures agricoles, ce sont près de 28 % des exploitations tenues par un agriculteur âgé de 50 ans et plus qui sont dans cette situation, c’est-à-dire qui s’avèrent ne disposer d’aucun successeur connu.

Il serait donc certainement intéressant de prévoir des mesures incitatives visant à aider ces agriculteurs âgés de plus de 50 ans à transmettre leur domaine à un jeune agriculteur, ou visant à favoriser leur départ volontaire, de manière progressive, en lien avec l’installation, elle aussi progressive, d’un jeune exploitant.

Au total, compte tenu des difficultés qui viennent d’être recensées, les rapporteurs définiront donc six axes d’intervention pour améliorer le mécanisme d’aide à l’installation des jeunes agriculteurs.

Ces six axes sont les suivants :

– Réaliser une meilleure organisation du système,

– Créer des aides complémentaires pour l’agriculteur cédant,

– Créer un dispositif d’aide en faveur des jeunes agriculteurs lorsqu’ils souhaitent acheter une parcelle de terrain à une SAFER,

– Instituer un cautionnement en faveur des jeunes agriculteurs lorsqu’ils sollicitent l’obtention de prêts bonifiés,

– Créer un dispositif pour les personnes qui cherchent à s’installer alors qu’elles atteignent 40 ans,

– Et enfin, promouvoir des aides spécifiques pour tenir compte de certaines situations particulières.

D. L’AMÉLIORATION DU DISPOSITIF EXISTANT D’AIDE À L’INSTALLATION

Les différents axes d’intervention que les rapporteurs viennent de distinguer vont être examinés tour à tour.

1. Réaliser une meilleure organisation du système d’aide à l’installation

Cette meilleure organisation du système souhaitée par les rapporteurs passe, selon eux, par deux propositions : la mise en place d’un comité départemental ou régional à l’installation et la réduction significative des délais administratifs de traitement des dossiers.

a. La mise en place d’un comité départemental ou régional à l’installation

À l’heure actuelle, on remarque qu’il y a peu de coordination, au niveau départemental ou régional, entre les différentes aides à l’installation, aides qui peuvent être issues de l’État ou des collectivités locales. La politique suivie au niveau de chaque territoire, notamment au sein de chaque DOM, n’est pas non plus toujours totalement cohérente.

Il pourrait donc être utile de créer un comité départemental ou régional à l’installation qui aurait pour rôle de coordonner, de manière concertée, la politique de l’installation au niveau du territoire. Ce comité devrait réunir l’ensemble des acteurs de l’installation et fixer des orientations annuelles en fonction des caractéristiques du département ou de la région.

L’article L. 330-1 du code rural modifié par l’article 49 de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche suppose bien la réalisation d’une certaine coordination dans le domaine de l’installation.

Cependant, celle-ci se trouve confiée, de fait, aussi bien dans l’hexagone que dans les DOM, aux CDOA. Or, les CDOA, dont la composition est restreinte et dont les missions sont très techniques (étant chargées notamment de l’attribution des aides au regard des projets présentés par les jeunes agriculteurs), ne peuvent pas se charger réellement de cette fonction.

La création de comités à l’installation serait donc souhaitable afin de définir une politique concertée et cohérente sur les territoires.

Proposition n° 11. Favoriser la mise en place d’un comité départemental ou régional à l’installation.

b. La réduction significative des délais administratifs de traitement des dossiers

Aujourd’hui, le délai d’instruction des dossiers d’aide à l’installation dans les DOM est très long.

Depuis l’accueil du candidat au « Point info installation » (PII) jusqu’à la notification par la Direction régionale de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt (DRAAF) de la décision d’attribution des aides, il peut s’écouler un laps de temps qui varie de 8 à 24 mois. Parfois, les délais d’attente peuvent être même encore plus longs.

On rappellera que la procédure d’instruction d’un dossier d’aide à l’installation est la suivante :

– Tout d’abord, le candidat à l’installation se rend au « Point info installation » (PII). Les PII, dans les départements d’outre-mer, sont gérés, jusqu’au 1er janvier 2016, par les délégations régionales de l’Agence de services et de paiement (ASP) ou par les services de l’État (pour Mayotte). Le PII accueille le candidat et le dirige vers le Centre d’élaboration du plan de professionnalisation personnalisé (CEPPP).

– Le CEPPP relève généralement de la Chambre d’agriculture. Lorsque le PPP est réalisé, la Chambre d’agriculture transmet le PPP à la DRAAF pour agrément.

– La DRAAF valide le PPP après réalisation de toutes les préconisations par le candidat.

– Le candidat prépare alors le plan de développement de l’exploitation (PDE). Il le transmet à la DRAAF accompagné de sa demande d’aide et du PPP validé.

– La DRAAF instruit le dossier et le transmet à la Commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA).

– La CDOA donne un avis favorable ou défavorable. Elle peut proposer un ajournement de la demande avec possibilité pour le candidat de compléter son dossier et de le soumettre à nouveau à l’avis de la commission.

– Enfin, en cas d’avis favorable, la DRAAF notifie la décision d’octroi des aides. L’agriculteur communique alors les pièces justifiant son installation. Puis, au vu de ces pièces, la DRAAF détermine la date d’installation, établit le certificat de conformité et le transmet à la délégation régionale de l’ASP pour le paiement de la DJA.

Comme on le voit, le parcours peut être assez long.

Il n’est sans doute pas souhaitable de modifier le détail de la procédure, dans la mesure où celle-ci est désormais bien rôdée et où elle apporte toutes les garanties nécessaires dans le cadre de l’attribution d’une aide dont les crédits sont prélevés sur fonds publics. Néanmoins, il faudrait réduire fortement les délais administratifs de traitement des dossiers, notamment au cours de l’étape d’élaboration et d’agrément du PPP.

Proposition n° 12. Réduire significativement les délais administratifs nécessaires pour le traitement des dossiers d’aide à l’installation.

2. Créer des aides complémentaires pour l’agriculteur cédant

Comme on l’a indiqué plus haut, pour permettre le renouvellement des générations sur les espaces fonciers, il pourrait être intéressant de prévoir un dispositif progressif permettant au propriétaire âgé de s’abstraire petit à petit de son exploitation au profit d’un jeune qui pourrait s’initier ainsi à l’agriculture avant de se porter candidat à l’installation. Pour réaliser cet objectif, une solution optimale serait d’étendre le contrat de génération à l’agriculture.

Par ailleurs, on pourrait aussi envisager un accompagnement de l’agriculteur âgé s’il décide de céder son bien ou de transmettre son exploitation. Un tel accompagnement pourrait être réalisé en mettant en place un fonds de garantie pour les cédants qui transmettent leur parcelle à un jeune et par l’instauration, en cas de cessation volontaire d’activité d’un exploitant au profit d’un jeune, d’une indemnité de départ volontaire ou d’un dispositif de préretraite.

On notera qu’il existe déjà des aides pour les agriculteurs cédants dans le cadre du PIDIL. La plupart des mesures complémentaires proposées par les rapporteurs – c’est-à-dire la création d’un fonds de garantie en cas de cession à un jeune exploitant et l’indemnité de départ volontaire ou la préretraite en cas de transmission de l’exploitation par un senior à un plus jeune – pourraient également s’inscrire dans l’enveloppe PIDIL, à condition, naturellement, d’augmenter la dotation qui lui correspond. Seul le financement du contrat de génération pour l’agriculture semble devoir être effectué en dehors de cette enveloppe.

a. L’adaptation du contrat de génération à l’agriculture

La première mesure proposée est l’adaptation du contrat de génération à l’agriculture, et spécialement à l’agriculture outre-mer, afin de favoriser la transmission des exploitations en lien avec une installation progressive des jeunes agriculteurs.

Le contrat de génération a été créé par la loi n° 2013-185 du 1er mars 2013.

Il a pour objectif de faciliter l’insertion durable des jeunes dans l’emploi par leur accès à un contrat à durée indéterminée, de favoriser l’embauche et le maintien dans l’emploi des salariés âgés et d’assurer la transmission des savoirs et des compétences.

Ce nouveau contrat est applicable aux employeurs de droit privé du secteur industriel et commercial, ainsi qu’à certains établissements publics. Il n’est pas applicable à l’agriculture.

Aux termes de l’article L. 5121-17 du code du travail, article nouvellement créé par la loi, les entreprises de moins de 300 salariés bénéficient d’une aide pour chaque binôme de salariés remplissant les conditions cumulatives suivantes : une embauche en CDI à temps plein et maintenant dans l’emploi pendant la durée de l’aide un jeune âgé de moins de 26 ans, ou un jeune de moins de 30 ans bénéficiant de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, parallèlement au maintien dans l’emploi en CDI, pendant la durée de l’aide ou jusqu’à son départ en retraite, d’un salarié âgé d’au moins 57 ans ; ou d’au moins 55 ans au moment de son embauche ; ou d’au moins 57ans bénéficiant de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.

L’aide de l’État s’élève à 4 000 € par an, pendant 3 ans maximum, pour les entreprises de moins de 300 salariés. Les entreprises de plus de 300 salariés, qui n’ont pas accès à l’aide, sont soumises à une pénalité financière si elles ne mettent pas en place un plan d’action visant à obtenir des objectifs analogues à ceux poursuivis par la loi.

Enfin, l’article L. 5121-18 du code du travail – article également créé par la loi du 1er mars 2013 – prévoit que l’aide peut être accordée de manière similaire lorsqu’un chef d’entreprise, âgé d’au moins 57 ans, embauche un jeune, dans les mêmes conditions que dans l’article L. 5121-17, et dans la perspective de lui transmettre l’entreprise.

La proposition des rapporteurs consiste à étendre ces dispositions à l’agriculture, et tout particulièrement à l’agriculture outre-mer, dans le but de faire du contrat de génération un instrument qui, en ces deux domaines, contribue à aider l’installation.

Pour cela, il faut tenir compte des particularités du secteur agricole, et plus particulièrement du secteur de l’agriculture ultramarine, où l’âge d’installation dépasse 26 ans.

C’est ainsi qu’il faudrait transposer les dispositions des articles L. 5121-17 et L. 5121-18 du code du travail dans le code rural en ouvrant le bénéfice du dispositif aux jeunes âgés de moins de 30 ans dans l’hexagone et de moins de 35 ans outre-mer.

Proposition n° 13. Adapter le contrat de génération à l’agriculture pour favoriser la transmission des exploitations et l’installation progressive des jeunes sur les terres agricoles.

b. La création d’un fonds de garantie pour les cédants qui transmettent leur propriété foncière à un jeune agriculteur

Une autre mesure proposée par les rapporteurs pour aider l’agriculteur cédant consiste à ajouter aux aides du PIDIL qui existent actuellement en vue de faciliter la cession ou la conclusion d’un bail une aide nouvelle qui serait l’institution d’un fonds de garantie en cas de vente par un senior à un jeune agriculteur.

Les aides du PIDIL pour l’agriculteur cédant et le propriétaire bailleur sont en effet au nombre de six : inscription au RDI (répertoire départemental à l’installation) ; prise en charge partielle des frais d’audit de l’exploitation à céder ; aide pour la location de l’habitation et éventuellement des bâtiments de l’exploitation ; aide à la transmission progressive du capital social ; aide au bail ; aide pour une convention de mise à disposition (CMD) avec une SAFER.

Néanmoins, on constate que, quand un agriculteur âgé veut vendre à un jeune agriculteur, il n’existe aucun système de cautionnement permettant de garantir la vente, alors que le jeune n’a généralement pas toutes les ressources nécessaires et qu’il est dans la plus grande difficulté pour obtenir du crédit (prêts bonifiés ou autres emprunts).

Dans le cas de ces ventes spécifiques senior/jeune agriculteur, on pourrait donc ajouter aux aides du PIDIL une garantie de second rang donnée par l’État pour une certaine partie seulement des fonds mobilisés dans la cession, garantie qui permettrait au jeune d’emprunter auprès des banques et qui permettrait donc au cédant d’être assuré de mener à bonne fin sa cession.

Proposition n° 14. Mettre en place, dans le cadre du PIDIL, un fonds de garantie pour les cédants qui transmettent leur propriété foncière à un jeune agriculteur.

c. L’instauration, en cas de cessation volontaire d’activité au profit d’un jeune, d’une indemnité de départ volontaire ou d’un dispositif de préretraite

Indépendamment de la vente de la parcelle sur laquelle il travaille, l’agriculteur, propriétaire ou non, peut, à un certain âge, vouloir transmettre son exploitation à un jeune de sa famille ou bien à un jeune qui ne fait pas partie du cercle familial, pour le cas où sa succession ne serait pas assurée. Toutefois, l’agriculteur cédant éprouve généralement des difficultés à le faire à cause de la faiblesse des retraites agricoles.

Il pourrait donc être intéressant de créer un dispositif incitatif pour aider à la transmission de l’exploitation à un jeune, en dehors de la vente des terrains.

Ce dispositif pourrait consister soit dans le versement au cédant d’une indemnité de départ volontaire, soit dans la mise en place d’un système de préretraite comme cela a existé jusqu’en 2012, dans le cadre du PIDIL, par application de l’article R. 343-34 du code rural.

Proposition n° 15. Accompagner la cessation d’activité du cédant par une indemnité de départ volontaire ou par la réactivation d’un dispositif de préretraite.

3. Créer un dispositif d’aide en faveur des jeunes agriculteurs lorsqu’ils souhaitent acheter une parcelle de terrain à une SAFER

Une troisième orientation pour aider les jeunes agriculteurs à s’installer consisterait à alléger le poids financier résultant pour eux de l’achat du foncier lors de l’installation.

En ce domaine, il est difficile d’agir sur les propriétaires privés. En revanche, il serait possible d’intervenir sur les ventes réalisées par les SAFER en créant un système optionnel de location-vente progressive lorsque la vente intéresse un jeune agriculteur.

Proposition n° 16. Mise en place d’un système de location-vente progressive par les SAFER afin d’alléger le poids financier que représente l’achat d’une propriété foncière pour les jeunes agriculteurs.

4. Instituer un cautionnement en faveur des jeunes agriculteurs lorsqu’ils sollicitent l’obtention de prêts bonifiés

On a vu plus haut que l’existence d’une caution était fort utile en cas de vente d’une exploitation par un senior au profit d’un jeune agriculteur.

Plus généralement, il apparaît comme étant non moins utile de disposer d’une caution pour obtenir les prêts bonifiés, et notamment les prêts MTS-JA, qui complètent, en principe, les aides à l’installation. En effet, en pratique, ces prêts, dans les DOM, ne sont pas attribués, sauf à La Réunion, les banques faisant valoir, de manière assez systématique, qu’elles ne disposent pas de garanties suffisantes de la part des jeunes agriculteurs.

Il est donc souhaitable de prévoir un système de cautionnement pour les prêts bonifiés susceptibles d’être attribués aux jeunes exploitants.

Pour ne pas alourdir la charge des crédits du ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, ce cautionnement pourrait être effectué par la toute nouvelle Banque publique d’investissement (BPI).

Proposition n° 17. Mise en place d’un fonds de cautionnement géré par l’État permettant aux jeunes agriculteurs de négocier dans de bonnes conditions des prêts bonifiés, et notamment des prêts MTS-JA, auprès des banques.

5. Créer un dispositif pour les personnes qui cherchent à s’installer alors qu’elles atteignent 40 ans

Comme cela a été indiqué précédemment, compte tenu de l’âge tardif des candidats qui souhaitent s’installer, il arrive fréquemment que des dossiers d’aide ne puissent aboutir, le candidat atteignant l’âge de 40 ans alors que la CDOA n’a pas encore statué.

Pour éviter cet inconvénient, il est proposé de faire de l’âge de 40 ans l’âge limite de dépôt du dossier et non l’âge limite pour l’attribution des aides à l’installation.

Proposition n° 18. Pour les dossiers d’installation, faire de la limite d’âge de 40 ans celle du dépôt du dossier auprès de l’administration, le passage en CDOA pouvant s’effectuer dans un délai ultérieur.

D’autre part, il convient de ne pas ignorer le cas des installations des personnes âgées d’un peu plus de 40 ans. Ces personnes, actuellement, ne perçoivent aucune aide, que ce soit de la part de l’État ou des collectivités locales.

Il serait donc souhaitable de prévoir un accompagnement financier à leur intention – accompagnement qui viserait, par exemple, le cas des installations effectuées de 40 à 45 ans – à la charge des collectivités.

Pour éviter les disparités de traitement avec les moins de 40 ans, il serait nécessaire que les candidats s’acquittent des mêmes formalités que celles qui sont requises dans le cas d’une aide à l’installation relevant de l’État, c'est-à-dire qu’ils se présentent au « Point info installation » et qu’ils réalisent un PPP puis un PDE.

Proposition n° 19. Prévoir un accompagnement financier des agriculteurs de plus de 40 ans par les collectivités, sous réserve que les mêmes formalités que celles qui sont requises par l’État soient accomplies par le candidat à l’aide financière : passage par le « Point info installation » et réalisation d’un PPP puis d’un PDE.

6. Promouvoir des aides spécifiques pour tenir compte de certaines situations particulières

Enfin, le dernier axe de réflexion des rapporteurs a été de tenter de porter remède à deux situations préoccupantes, encore que relevant de problématiques distinctes.

Il s’agit, d’une part, de l’augmentation des terres en friche, augmentation qui constitue, en quelque sorte, une antichambre précédant la disparition des surfaces foncières ; et, d’autre part, de l’augmentation, outre-mer, des chômeurs en fin de droit de plus de 40 ans, chômeurs qui pourraient légitimement être intéressés par une reconversion dans l’agriculture.

Pour lutter contre la première situation (l’augmentation des terres en friche), il serait possible d’instituer une bourse mensuelle, s’ajoutant aux aides de l’État à l’installation, et concernant le jeune qui s’installe sur de telles surfaces.

On rappellera que les jachères – qui intègrent les terres en friche – dans les statistiques d’Agreste pour 2010 représentent environ 4 500 hectares pour les quatre DOM (Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion) pour une SAU (superficie agricole utilisée) d’environ 125 000 hectares. Ce chiffre est relativement important. Et encore, il demeure certainement inférieur à la réalité, dans la mesure où cette statistique d’Agreste reste partielle et où elle n’inclue pas, par exemple, les terres en friches devenues des forêts.

Proposition n° 20. Instaurer une bourse mensuelle pour le jeune installé, servie sur trois ans et s’ajoutant aux autres aides de l’État, en cas de création d’exploitation sur une terre en friche.

Pour la seconde situation (l’augmentation du nombre des chômeurs en fin de droit de plus de 40 ans), on pourrait prévoir une dotation à l’installation qui serait spécifiquement dédiée à ces catégories de demandeurs d’emploi.

Proposition n° 21. Ouvrir le bénéfice d’une dotation à l’installation pour les chômeurs en fin de droit au-delà de 40 ans.

III. LA NÉCESSAIRE AMÉLIORATION DU STATUT DES AGRICULTEURS : AVANT TOUTES CHOSES, IL FAUT AGIR SUR LES DROITS SOCIAUX DES EXPLOITANTS ET DES SALARIÉS AGRICOLES

L’attention apportée au statut des agriculteurs est sans doute l’un des aspects les plus importants de la politique agricole. En effet, par ce biais, les décideurs élaborent des mesures qui touchent au plus près à la condition des personnes, au facteur humain, et c’est là certainement le cœur de toute action politique.

Or, le statut des agriculteurs outre-mer mérite incontestablement des améliorations.

Le montant moyen des retraites des agriculteurs et des conjoints d’agriculteurs – qui, certes, compte tenu de leurs parcours individuels, n’ont pas toujours une retraite à taux plein – est très souvent inférieur au seuil de pauvreté (954 € mensuels). Les règles d’affiliation actuelles à l’AMEXA (Assurance maladie des exploitants agricoles), basées sur la mise en valeur d’une exploitation d’une superficie d’au moins 2 hectares pondérés, ne permettent pas à tous les exploitants outre-mer de bénéficier des assurances sociales, en dehors de la couverture maladie universelle (CMU). Les salariés agricoles – sauf en Guyane – sont sans doute les seuls salariés en France à ne pas disposer d’un régime complémentaire obligatoire de retraite. Enfin, le système de formation correspondant à l’enseignement agricole connaît certaines lacunes. Notamment, les filières de formation de l’enseignement supérieur « court », qui conduisent les étudiants au BTS agricole ou BTSA, n’offrent pas toujours des choix très diversifiés dans les DOM ou dans les COM.

Des mesures correctrices s’imposent donc. Dans les pages qui suivent, les rapporteurs étudieront les améliorations qui pourraient être apportées à l’enseignement agricole, aux règles d’affiliation aux assurances sociales – des critères d’affiliation plus larges permettant d’étendre les droits sociaux de l’AMEXA à de nouveaux ressortissants – et aux retraites agricoles.

A. L’AMÉLIORATION DE L’ENSEIGNEMENT AGRICOLE OUTRE-MER

Un bon système d’enseignement agricole est absolument indispensable outre-mer pour au moins trois motifs essentiels : tout d’abord, pour assurer correctement la formation initiale des jeunes agriculteurs et pour leur apporter un savoir dont les principaux éléments leur seront utiles toute leur vie ; d’autre part, pour faciliter le moment crucial de leur installation sur une structure agricole (d’ailleurs, les aides à l’installation sont soumises à des critères de connaissances minimales en matière d’agriculture) ; enfin, pour fournir à l’agriculture outre-mer des exploitants et des cadres réceptifs à la nouveauté et qui puissent moderniser les domaines agricoles en les adaptant en permanence aux évolutions et aux techniques nouvelles.

Dans un premier temps, les rapporteurs présenteront les grandes caractéristiques de l’enseignement agricole outre-mer. Puis, ils feront des préconisations tendant à son amélioration.

1. Les grandes caractéristiques de l’enseignement agricole outre-mer

L’enseignement agricole se divise, de manière tout à fait classique, en filières de formation relevant de l’enseignement secondaire et en filières de formation relevant de l’enseignement supérieur.

L’enseignement secondaire comporte trois filières :

– Le cycle court dont l’aboutissement est le CAP agricole (CAPA) et qui s’accomplit en deux ans après la troisième ;

– Le bac professionnel agricole (bac pro), baccalauréat qui est obtenu en trois ans après la troisième, c’est-à-dire après avoir accompli une seconde professionnelle, une première professionnelle et une terminale professionnelle ;

– Le bac technologique (bac techno), baccalauréat qui est obtenu, lui aussi, en trois ans après avoir suivi les enseignements d’une seconde générale ; à noter que la seconde générale peut aussi conduire au bac S avec une spécialisation « agricole ».

À ces trois filières s’ajoutent, dans le domaine de l’enseignement secondaire, les centres de formation des apprentis (CFA) qui pratiquent systématiquement la formation en alternance, l’apprenti étant rémunéré par l’entreprise qui l’accueille.

On peut distinguer ensuite l’enseignement supérieur agricole « court » qui aboutit au BTS agricole (BTSA).

Enfin, on distingue l’enseignement supérieur « long » qui débouche sur la licence professionnelle, le master, le diplôme d’ingénieur et le doctorat.

Sur la totalité du territoire de la République, on dénombre, en 2012, 175 000 élèves de l’enseignement technique (secondaire et supérieur « court »), 35 000 apprentis et 16 000 étudiants dans l’enseignement supérieur « long ».

Outre-mer, les effectifs d’étudiants sont beaucoup plus réduits : on dénombre, à la rentrée 2012, 5 065 élèves dans l’enseignement secondaire et supérieur « court » et environ un millier d’apprentis, dont 743 pour les DOM. Il n’existe pas, sur le territoire des DOM ou des COM, d’établissements spécialisés dans l’enseignement supérieur « long » agricole.

Par ailleurs, on constate une particularité au niveau de la filière d’enseignement qui conduit de la seconde générale au baccalauréat « agricole ».

En fait, sauf aux Antilles, les établissements d’enseignement ne conduisent pas au baccalauréat S avec spécialisation « agriculture ». Par suite, outre-mer, dans le cadre de l’enseignement agricole, les étudiants se dirigent généralement soit vers le bac pro (agricole), soit vers le bac techno (également agricole).

Il convient de noter également que l’enseignement en alternance n’est pas, dans l’enseignement agricole, et spécialement dans l’enseignement agricole ultramarin, l’apanage des seuls CFA.

L’enseignement en alternance se retrouve aussi beaucoup dans les Maisons familiales et rurales (MFR) qui sont des établissements d’enseignement privés tournés, notamment, vers des jeunes qui connaissent des difficultés scolaires.

D’autre part, même dans le secteur de l’enseignement public, il existe des modules de formation permettant aux élèves de procéder à des « approches de terrain » en liaison avec des exploitations agricoles.

Les tableaux ci-dessous présentent, pour les DOM et les COM, les effectifs de l’enseignement secondaire agricole, hors CFA, et de l’enseignement supérieur « court » (BTSA).

Ces tableaux se comprennent de la manière suivante :

– Le cycle d’orientation correspond aux effectifs d’élèves en quatrième et en troisième ;

– L’intitulé « CAPA » correspond aux effectifs d’élèves de seconde et de première qui s’orientent vers ce diplôme ;

– Le cycle de détermination correspond à la seconde générale ; le cursus scolaire qui concerne ces élèves de seconde générale les conduit ensuite à la première et à la terminale pour passer le bac techno ou le bac S (Guadeloupe et Martinique seulement) ; ces élèves de première et de terminale sont comptabilisés sous l’intitulé « bac techno » ou « bac S » ;

– La « seconde pro » correspond à la seconde professionnelle ; le cursus lié à cette seconde professionnelle conduit ensuite les élèves à la première et à la terminale professionnelles ; les élèves de première et de terminale professionnelles sont comptabilisés sous l’intitulé « bac pro » ;

– L’intitulé « BTS » correspond aux effectifs d’étudiants des classes de STS (sections de technicien supérieur), classes qui, au sein des lycées, conduisent à ce diplôme en deux années après le baccalauréat ;

– Enfin, le total des effectifs concernés par ces tableaux représente 5 065 élèves.

FILIÈRES DE FORMATION DANS LES DOM ET LES COM
EFFECTIFS À LA RENTRÉE 2012

Guadeloupe

 

Enseignement agricole public

Enseignement privé en alternance (MFR) *

Somme

Bac Pro

93

252

345

Bac S

39

 

39

Bac Techno

53

 

53

BTSA

51

 

51

CAPA

 

126

126

Cycle de détermination (seconde générale)

27

 

27

Cycle orientation
(élèves de 4e et 3e)

 

155

155

Seconde Pro

48

121

169

Somme

311

654

965

* MFR : Maisons familiales et rurales

Source : Ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt – Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER)

Guyane

 

Enseignement agricole public

Enseignement privé en alternance (MFR) *

Autres établissements privés

Somme

Bac Pro

60

18

 

78

Bac Techno

23

   

23

BTSA

45

   

45

CAPA

 

173

19

192

Cycle de détermination (seconde générale)

10

   

10

Cycle orientation
(élèves de 4e et 3e)

 

50

8

58

Seconde Pro

37

23

 

60

Somme

175

264

27

466

* MFR : Maisons familiales et rurales

Source : Ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt – Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER)

La Réunion

 

Enseignement agricole public

Enseignement privé en alternance (MFR) *

Autres établissements privés

Somme

Bac Pro

115

231

103

449

Bac Techno

64

   

64

BTSA

109

   

109

CAPA

42

204

45

291

Cycle de détermination (seconde générale)

39

   

39

Cycle orientation
(élèves de 4e et 3e)

 

183

33

216

Seconde Pro

68

115

60

243

Somme

437

733

241

1 411

* MFR : Maisons familiales et rurales

Source : Ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt – Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER)

Martinique

 

Enseignement agricole public

Enseignement privé en alternance (MFR) *

Somme

Bac Pro

229

57

286

Bac S

15

 

15

Bac Techno

38

 

38

BTSA

41

 

41

CAPA

 

30

30

Cycle de détermination (seconde générale)

29

 

29

Cycle orientation
(élèves de 4e et 3e)

 

62

62

Seconde Pro

131

21

152

Somme

483

170

653

* MFR : Maisons familiales et rurales

Source : Ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt – Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER)

Mayotte

 

Enseignement agricole public

Enseignement privé en alternance (MFR) *

Somme

Bac Pro

79

 

79

CAPA

39

 

39

Cycle orientation
(élèves de 4e et 3e)

 

144

144

Seconde Pro

40

 

40

Somme

158

144

302

* MFR : Maisons familiales et rurales

Source : Ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt – Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER)

Nouvelle-Calédonie

 

Enseignement agricole public

Enseignement privé en alternance (MFR) *

Autres établissements privés

Somme

Bac Pro

109

 

41

150

Bac Techno

42

   

42

BTSA

22

   

22

CAPA

 

22

14

36

Cycle de détermination (seconde générale)

27

   

27

Cycle orientation

(élèves de 4e et 3e)

 

73

20

93

Seconde Pro

51

 

14

65

Somme

251

95

89

435

* MFR : Maisons familiales et rurales

Source : Ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt – Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER)

Polynésie française

 

Enseignement agricole public

Enseignement privé en alternance (MFR) *

Autres établissements privés

Somme

Bac Pro

78

 

56

134

Bac Techno

13

   

13

BTSA

36

   

36

CAPA

 

224

 

224

Cycle orientation
(élèves de 4e et 3e)

11

236

 

247

Seconde Pro

83

 

44

127

Somme

221

460

100

781

* MFR : Maisons familiales et rurales

Source : Ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt – Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER)

Wallis-et-Futuna

 

Enseignement agricole public (MFR) *

Somme

Bac Pro

41

41

CAPA

4

4

Seconde Pro

7

7

Somme

52

52

* MFR : Maisons familiales et rurales

Source : Ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt – Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER)

Au vu de ces tableaux, on peut formuler trois remarques :

– Globalement, les effectifs d’élèves qui suivent les formations dispensées au titre de l’enseignement secondaire agricole ne sont pas très nombreux. Ce phénomène est très certainement à mettre en relation avec le manque de terres disponibles en cas d’installation : les élèves redoutent de s’engager dans l’enseignement agricole si, à l’issue de leurs études, titulaires d’un CAPA ou d’un bac pro, ils ne trouvent pas de foncier pour pouvoir s’établir.

– D’autre part, on note que la grande majorité des élèves s’acheminent ou bien vers le CAPA (en 2012, 942 élèves de seconde et de première visent ce diplôme), ou bien encore vers le bac professionnel agricole (à la même date, 1 562 élèves de première et de terminale se destinent à passer ce type de baccalauréat).

– En revanche, on constate qu’il y a peu d’élèves qui semblent intéressés par un BTSA. C’est ainsi qu’en 2012, seulement 304 élèves sont intégrés dans une filière qui vise ce diplôme.

Ce dernier point s’explique, d’une part, par le fait qu’outre-mer, après le baccalauréat, il n’existe pas partout de sections de technicien supérieur (STS) permettant de préparer le BTS agricole et qui soient accessibles sur place. C’est le cas pour les îles de Mayotte et de Wallis-et-Futuna qui ne disposent pas de filières de BTSA.

D’autre part, le choix d’une filière de BTSA n’est pas toujours très étendu dans les DOM ou dans les COM : si, à La Réunion, le choix est offert de trois BTS agricole : le BTSA « Développement de l’agriculture des régions chaudes » (DARC), le BTSA « Gestion et protection de l’environnement » (GPN) et le BTSA « Gestion et maîtrise de l’eau » (GEMEAU), le choix est réduit à un seul en Guadeloupe (le BTSA/DARC), en Guyane (le BTSA/GPN), en Martinique (le BTSA « Agronomie-productions végétales »), en Polynésie française (le BTSA/DARC) et en Nouvelle-Calédonie (le BTSA/DARC).

2. Les propositions d’amélioration

L’idée dominante des rapporteurs, dans le domaine de l’enseignement agricole, et spécialement dans le domaine de l’enseignement secondaire, consiste à affirmer qu’il est indispensable que les collèges ou les lycées spécialisés dans ce type de formation puissent retrouver – très vite et très réellement – leur originalité propre.

Il faut, en effet, que les collèges ou les lycées agricoles ne soient pas des lieux d’enseignement « comme les autres » – ce qu’ils tendent à devenir, malheureusement, par la force des choses, même s’ils sont spécialisés – mais qu’ils retrouvent leur fonction première, fonction qui est celle d’être un lieu d’animation, de vie, d’échange d’expériences, d’élaboration de projets, et surtout un lieu structurant pour la ruralité.

Sur cette base, les rapporteurs souhaitent faire trois propositions qui concernent les collèges et les lycées :

– Améliorer encore davantage la « culture du terrain » dans les programmes d’enseignement,

– Mieux coordonner les enseignements avec les particularités de l’agriculture locale de chaque DOM et de chaque COM,

– Et enfin, ouvrir des plages horaires aux interventions des chercheurs issus des grands organismes de recherche, lorsque de tels établissements sont présents outre-mer, ainsi qu’aux interventions des acteurs des Réseaux d’innovation et de transfert agricole (RITA).

À ces trois propositions s’ajouteront deux souhaits :

– le premier sera celui de voir aboutir une quatrième mesure concernant plus spécifiquement l’enseignement supérieur « court ». Cette mesure consiste à créer, dans les STS, lorsqu’il n’existe qu’un seul BTSA offert aux étudiants, un éventail de choix plus large et donc plus attractif.

– le second, correspondant à une cinquième recommandation, sera le vœu de voir institués, dans les CFA et dans les organismes de formation professionnelle continue, des modules d’enseignements centrés sur les différentes questions qui touchent l’installation.

Ces cinq orientations vont être examinées tour à tour.

a. Améliorer encore davantage la « culture du terrain » dans les programmes d’enseignement des collèges et des lycées agricoles

Pour améliorer la formation dispensée aux élèves dans les collèges et les lycées agricoles, il convient de multiplier, au sein des modules scolaires, les visites aux exploitations et les travaux pratiques conduits en commun avec les exploitants, en présence naturellement des enseignants.

Les établissements d’enseignement s’assureront de la nature des travaux auxquels seront associés les élèves, de façon à ce que leur caractère pédagogique ne soit jamais perdu de vue.

Proposition n° 22. Accroître encore davantage la part consacrée aux « approches de terrain » dans les programmes d’enseignement des collèges et des lycées agricoles.

b. Mieux coordonner les enseignements des collèges et des lycées agricoles avec les particularités de l’agriculture de chaque DOM et de chaque COM

Dans le cadre des enseignements dispensés aux jeunes dans les collèges et les lycées agricoles, il ne faut pas perdre de vue que la plupart des élèves ont vocation à s’installer.

Il convient donc – sans méconnaître, bien évidemment, le caractère général d’un certain nombre de matières qui sont enseignées dans le secondaire, y compris dans l’enseignement agricole, et sans méconnaître non plus la notion d’unité des diplômes – de prévoir aussi, dans les programmes, des formations très finalisées et qui soient directement centrées sur l’installation des jeunes dans le territoire dont ils sont ressortissants.

Dans le cadre de ces enseignements, il faut faire en sorte que tout ce que le jeune apprendra lui soit immédiatement utile sur son futur domaine et face aux contraintes qu’il y rencontrera, l’élève, une fois devenu exploitant, étant destiné à se confronter à une agriculture qui présente des particularités fortes par rapport à l’hexagone, puisqu’il s’agit d’une agriculture tropicale.

Dans ce contexte, il faudrait notamment prévoir des modules d’enseignement consacrés au phytosanitaire. En effet, la maîtrise du phytosanitaire est un enjeu d’avenir pour l’agriculture ultramarine. Il faut que le jeune acquière un savoir de base sur les molécules et qu’il soit bien conscient des possibilités et des impossibilités qui existent en ce domaine, dans la perspective d’une agriculture à la fois efficace et raisonnée du point de vue agro-écologique.

Proposition n° 23. Mieux coordonner les enseignements des collèges et des lycées agricoles avec les particularités de l’agriculture locale des DOM et des COM.

c. Ouvrir des plages horaires, dans le cadre des programmes des collèges et des lycées agricoles, aux interventions des chercheurs et des acteurs des RITA

Pour que les exploitations puissent se moderniser de manière constante, ce qui est nécessaire à l’agriculture, et spécialement à l’agriculture ultramarine, il faut que les agriculteurs soient bien conscients de l’apport que les innovations ou les transferts de technologie peuvent signifier pour eux. Il faut qu’ils soient en état de comprendre et d’accueillir le changement.

Pour cela, il faut être sensibilisé, dès l’enseignement secondaire, à l’intérêt et aux acquis de la recherche, et il faut être au fait des grandes problématiques des organismes chargés de faciliter la diffusion de l’innovation.

On pourrait donc prévoir, dans le cadre des programmes des collèges et des lycées agricoles, des interventions émanant des chargés de recherche des grands EPST (Établissements publics scientifiques et techniques), lorsque de tels établissements sont présents dans les territoires ultramarins, ou encore émanant des principaux acteurs des RITA – réseaux centrés sur les transferts de technologie et qui ont vocation à jouer, dans l’avenir, un rôle important dans la modernisation de l’agriculture – afin de former les jeunes esprits aux enjeux de la recherche et du développement.

Proposition n° 24. Ouvrir des plages horaires, dans le cadre des programmes des collèges et des lycées agricoles, aux interventions des chargés de recherche des grands établissements publics scientifiques et techniques, lorsque ces établissements figurent dans les territoires ultramarins, ou aux principaux acteurs des RITA, afin de sensibiliser les élèves à la diffusion de l’innovation.

d. Ouvrir de plus grandes facultés de choix dans les STS

Comme on l’a indiqué plus haut, les choix de BTSA proposés dans les STS des lycées d’outre-mer ne sont pas toujours quantitativement très importants.

C’est peut-être là l’une des raisons pour lesquelles ces STS ne sont pas aussi fréquentés qu’ils pourraient l’être.

Il pourrait donc être intéressant, dans les lycées agricoles d’outre-mer, là où il n’existe qu’une seule filière de BTSA, d’en ouvrir une seconde et de ménager ainsi un second choix aux étudiants.

L’idéal serait de prévoir, dans les établissements disposant de STS, la possibilité de pouvoir toujours accomplir soit un BTSA /DARC, soit un BTSA Agronomie-productions végétales. Cependant, toutes les combinaisons demeurent naturellement possibles.

Pour le cas où l’on craindrait que le vivier des candidats ne soit insuffisant dans certains territoires, on pourrait aussi limiter le nombre des filières de BTSA en les mutualisant, c’est-à-dire en étendant le bénéfice d’une même filière à plusieurs collectivités (par exemple la Guadeloupe et la Martinique, ou encore Wallis-et Futuna et la Nouvelle-Calédonie).

Proposition n° 25. Ouvrir de plus grandes facultés de choix, dans les DOM et les COM, pour la préparation du BTS agricole.

e. Prévoir des modules de cours sur les questions liées à l’installation dans les CFA et les organismes de formation professionnelle continue

Enfin, on pourrait mieux adapter l’apprentissage agricole et la formation professionnelle continue (FPC) aux problèmes d’installation des jeunes agriculteurs.

Les élèves en apprentissage dans les CFA ont vocation à s’établir à l’issue de leur scolarité. Ils peuvent donc vouloir accéder au statut d’exploitant soit après l’obtention de leur diplôme d’apprenti, soit ultérieurement.

De même, beaucoup d’adultes suivant les cours des centres de formation professionnelle (CFP) peuvent vouloir se tourner, après d’autres cursus, vers l’installation sur une propriété agricole. Cela est d’autant plus vrai que, comme on l’a vu, l’établissement se fait aujourd’hui de plus en plus tard, c’est-à-dire après avoir exercé éventuellement d’autres métiers.

Afin que ces démarches soient couronnées de succès, il est indispensable que les CFA et les CFP se chargent d’enseigner les prérequis indispensables à l’installation. Ces prérequis sont, d’une part, toutes les connaissances de base qui peuvent être utiles pour la tenue d’une exploitation (connaissances administratives, financières, fiscales…) et, d’autre part, bien entendu, tous les éléments qui concernent l’agriculture en milieu tropical.

Dans ce contexte, on pourrait donc instituer des modules de formation sur l’installation dans les CFA et les organismes de formation professionnelle.

Proposition n° 26. Prévoir des enseignements concernant l’installation dans les CFA et les organismes de formation professionnelle continue.

B. L’AMÉLIORATION DES RÈGLES D’AFFILIATION À L’AMEXA

Le régime social agricole tel qu’il s’applique dans les départements d’outre-mer relève d’une histoire proche – mais néanmoins distincte – du régime social appliqué dans l’hexagone.

La loi du 19 mars 1946 ayant transformé la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion en départements, ces derniers ont bénéficié des avantages de la sécurité sociale.

Le décret du 17 octobre 1947 crée la Caisse générale de sécurité sociale (CGSS), organisme unique chargé de gérer les prestations familiales, maladie et vieillesse, ainsi que les cotisations dans les départements d’outre-mer.

Dès la création de la CGSS, les salariés agricoles ont été affiliés à cet organisme (et, en pratique, aux différentes caisses qui en relèvent), dans le cadre du régime général, les salariés agricoles, ainsi que les exploitants agricoles ultramarins, étant le plus souvent pluriactifs.

Par la suite, un régime spécifique destiné aux exploitants agricoles a été créé en 1961. Il s’agit du régime d’assurance maladie, maternité et invalidité des exploitants agricoles (AMEXA). Il est confié, en 1963, aux caisses relevant de la CGSS. En 1969, celles-ci prennent aussi en charge le régime d’assurance vieillesse des exploitants agricoles.

Enfin, s’agissant de l’île de Mayotte, l’ordonnance n° 2002-411 du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale de Mayotte ouvre les droits de l’assurance maladie, maternité et invalidité du régime agricole aux exploitants agricoles mahorais. Par ailleurs, l’ordonnance n° 2011-1923 du 22 décembre 2011, relative à l’évolution de la sécurité sociale à Mayotte dans le cadre de la départementalisation, ouvre également les droits de l’assurance vieillesse de ce même régime aux non-salariés agricoles. Ces droits entreront en vigueur à partir de 2015.

Les rapporteurs étudieront d’abord les règles d’assujettissement des exploitants au régime social agricole dans les DOM et les problèmes que ces règles posent aujourd’hui. Ils indiqueront ensuite quelle pourrait être la solution à apporter à ces problèmes.

1. Les règles actuelles d’assujettissement des exploitants agricoles dans les départements d’outre-mer

Les règles d’affiliation à l’AMEXA dans les départements d’outre-mer sont actuellement régies par l’article L. 762-7 du code rural.

Cet article prévoit que les conditions d’affiliation dans ces départements reposent sur la prise en compte de la superficie réelle pondérée de l’exploitation.

Ainsi, les exploitants dans les DOM doivent mettre en valeur une exploitation d’au moins deux hectares pondérés (articles D. 762-1 et D. 762-2 du code).

Pour Mayotte, il convient de noter que cette réglementation a été créée par l’article 23-2-III de l’ordonnance du 27 mars 2002. Cet article prévoit qu’il y a lieu de reconnaître comme exploitant, et donc d’affilier au régime agricole, celui qui met en valeur une exploitation évaluée en superficie pondérée et dont l’importance est au moins égale à un minimum fixé par décret. Le décret n° 2012-1168 du 17 octobre 2012 fixe ce minimum à 2 hectares.

Par ailleurs, l’ordonnance n° 2012-789 du 31 mai 2012 portant extension et adaptation de certaines dispositions du code rural et de la pêche maritime et d’autres dispositions législatives à Mayotte modifie l’article L. 762-7 du code rural pour étendre son champ d’application à cette île.

Les coefficients de pondération applicables aux productions animales et végétales des quatre DOM hors Mayotte sont fixés par quatre arrêtés du 3 juin 1985. Aucune production autre que celles citées dans ces quatre arrêtés n’ouvre droit à l’assujettissement à l’AMEXA.

Pour Mayotte, l’arrêté fixant les coefficients de pondération n’a pas encore été adopté. Par ailleurs, l’article L. 762-7 du code rural prévoit que, si les agriculteurs mahorais ne disposent pas d’une exploitation dotée d’une superficie de 2 hectares, ces derniers peuvent être néanmoins affiliés sur la base d’une durée annuelle d’activité accomplie sur l’exploitation et fixée par décret. Le décret n° 2013-483 du 7 juin 2013 fixe cette durée à 1 200 heures.

Indépendamment du cas de Mayotte qui a été bien pris en compte par la réglementation, on doit observer qu’aujourd’hui, ces règles d’affiliation posent problème.

– D’une part, l’exigence d’une moyenne pondérée de deux hectares empêche un certain nombre d’exploitants d’être affiliés à l’AMEXA. En effet, comme on l’a vu dans le premier chapitre consacré aux structures agricoles, il existe beaucoup d’exploitations outre-mer dont la superficie, même pondérée, est inférieure à cette prescription.

– D’autre part, le calcul de la surface pondérée ne s’effectue qu’en ne tenant compte que d’un certain nombre de productions animales ou végétales : celles qui sont prévues dans les arrêtés. À défaut, c'est-à-dire si les agriculteurs se consacrent à des productions qui ne sont pas référencées, ils ne peuvent être affiliés.

Ainsi, la production caprine n’est pas reconnue comme activité agricole en Martinique. Il en va de même pour l’élevage de chevaux à La Réunion ou l’élevage de gibiers en Guyane.

Cela implique que les jeunes agriculteurs désireux de s’installer et dont les projets d’établissement comportent ces productions comme activités principales se voient obligés de créer d’autres ateliers concernant d’autres productions reconnues afin d’obtenir l’affiliation. Il y a là une perte de temps, d’énergie et de moyens financiers tout à fait préjudiciable.

Il conviendrait donc de résoudre ces deux difficultés.

Une solution intéressante pourrait consister dans l’élargissement des critères retenus pour déterminer l’assujettissement des exploitants au régime social agricole, élargissement qui pourrait lui-même se traduire par la mise en place d’un critère horaire alternatif.

2. La mise en place d’un critère horaire pour élargir les critères d’assujettissement au régime social agricole

Compte tenu de ce que les rapporteurs viennent d’exposer, il est donc proposé de mettre en place, dans les départements d’outre-mer, une mesure générale qui autorise l’assujettissement des activités agricoles ne répondant pas aux critères actuels (mise en valeur d’une exploitation d’une superficie d’au moins 2 hectares pondérés ) en prenant en compte le critère du temps de travail.

La référence horaire, telle qu’elle est aujourd’hui déterminée par décret à Mayotte, est de 1 200 heures annuelles.

Cette référence pourrait être étendue outre-mer en procédant à une modification de l’article L. 762-7 du code rural précédemment cité.

Ainsi, toutes les personnes qui exercent une activité agricole dans les départements d’outre-mer pourraient relever du régime des non-salariés agricoles dès lors que les conditions de seuil seraient atteintes : la mise en valeur d’une exploitation d’une superficie d’au moins 2 hectares pondérés ou le respect du critère du temps de travail.

Cette mesure aurait aussi pour effet de prendre en compte certaines activités agricoles qui ne sont pas citées dans les arrêtés actuellement applicables pour le calcul des surfaces pondérées dans les DOM (élevage de chevaux, d’autruches, etc.).

Proposition n° 27. Prévoir l’instauration d’un critère horaire alternatif permettant l’assujettissement des exploitants au régime des non-salariés agricoles lorsque le critère basé sur la superficie de l’exploitation ne peut s’appliquer.

C. L’AMÉLIORATION DES RETRAITES AGRICOLES

Selon les rapporteurs, l’objectif de l’amélioration des retraites agricoles passe par deux orientations principales : d’une part, l’augmentation du montant des retraites servies – hausse dont le principe a été posé par le Gouvernement dans le cadre de la réforme des retraites qu’il conduit actuellement – et, d’autre part, la mise en place d’un régime de retraite complémentaire obligatoire pour les salariés agricoles des départements d’outre-mer.

1. L’augmentation du montant des retraites agricoles

Aujourd’hui, les retraites agricoles, qu’elles soient servies dans l’hexagone, dans les DOM et éventuellement dans les collectivités territoriales d’outre-mer, sont notoirement insuffisantes.

En moyenne, dans des DOM comme la Martinique, la Guadeloupe ou la Guyane, elles s’élèvent à environ 600 € par mois, ce qui place leurs bénéficiaires dans une situation située très en dessous du seuil de pauvreté (954 € mensuels).

Le Gouvernement, dans le cadre de la réforme des retraites qu’il conduit actuellement, et plus particulièrement dans le cadre du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraite, s’est fixé comme objectif, d’une part, d’augmenter la retraite des exploitants et des membres de leur famille (en attribuant 66 points par an dans la limite de 17 ans) et, d’autre part, de faire en sorte qu’il n’y ait plus de retraites d’exploitant agricole dont le montant soit inférieur à 75 % du SMIC. Cette seconde disposition s’entend en cumulant retraite de base et retraite complémentaire et à condition que le chef d’exploitation ait eu une carrière à taux plein.

Il s’agit là d’une avancée très importante, qui s’appliquera dans l’hexagone et dans les DOM (sauf Mayotte), et qu’il convient de saluer.

On observera cependant que l’objectif de 75 % du SMIC équivaut à la liquidation d’une retraite dont le montant est légèrement plus élevé que la somme de 800 € par mois (il s’agit, très exactement, d’un montant de 833 € mensuels). Or, cette somme est loin d’assurer à ceux qui la perçoivent un niveau de vie très élevé.

Une autre avancée significative pourrait donc être, à terme, lorsque l’état des finances publiques le permettra, qu’il n’y ait plus de retraites agricoles d’exploitant qui soient servies, dans la France hexagonale et dans les DOM, à un montant inférieur au SMIC.

Proposition n° 28. Prévoir, à terme, lorsque l’état des finances publiques le permettra, une revalorisation des retraites agricoles d’exploitant calculée de telle manière qu’aucune retraite mensuelle ne puisse être inférieure au montant du SMIC.

2. La mise en place d’un régime de retraite complémentaire obligatoire pour les salariés agricoles dans les départements d’outre-mer

L’article L. 752-4 du code de la sécurité sociale prévoit que tous les salariés des départements d’outre-mer, quel que soit leur secteur d’activité, y compris le secteur agricole, sont affiliés aux Caisses générales de sécurité sociale.

En ce qui concerne les régimes de retraite complémentaire des salariés, l’article L. 921-4 du code de la sécurité sociale prévoit que ceux-ci sont institués par voie conventionnelle, au moyen d’accords nationaux interprofessionnels qui sont ensuite étendus par le Gouvernement aux différents secteurs d’activité.

Cependant, il convient de relever que l’arrêté du 6 avril 1976 du ministre chargé de la sécurité sociale a étendu à l’ensemble des DOM le champ d’application de la convention collective nationale du 14 mars 1947 et de l’accord national de retraite du 8 décembre 1961 – convention collective et accord qui concernent les institutions de retraite complémentaire membres de l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) – à l’exception des professions agricoles et forestières visées à l’article L. 111-2 du code de la sécurité sociale.

À cette époque, les salariés agricoles des DOM restaient donc en dehors du champ des accords collectifs instituant les régimes de retraite complémentaire.

Par la suite, une convention collective, signée le 23 avril 1999 et étendue par arrêté du 13 novembre 2002, a généralisé la retraite complémentaire AGIRC (Association générale des institutions de retraite des cadres) et ARRCO dans les entreprises agricoles de Guyane.

En outre, avec la loi du 29 décembre 1972 sur la généralisation de la retraite complémentaire, les employeurs agricoles des DOM ont eu la possibilité d’adhérer, à titre volontaire, pour leurs salariés, aux régimes de retraite complémentaire AGIRC et ARRCO.

Beaucoup de grandes exploitations et d’entreprises, ainsi que les coopératives et le secteur du tertiaire (établissements spécialisés dans le crédit agricole, assurances, organismes professionnels), ont utilisé la possibilité d’adhésion ouverte par cette dernière loi.

Néanmoins, à l’heure actuelle, un régime généralisé de retraite complémentaire reste encore à établir pour l’ensemble des DOM.

Il serait donc souhaitable de mettre en place ce régime. Une telle réalisation pourrait être accomplie en complétant l’article L. 752-4 du code de la sécurité sociale par une disposition prévoyant l’instauration, à titre obligatoire, d’un régime de retraite complémentaire à l’intention des salariés agricoles.

Proposition n° 29. Créer, en modifiant l’article L. 752-4 du code de la sécurité sociale, une obligation, pour les exploitations ou les entreprises implantées dans les DOM, lorsqu’elles emploient des salariés exerçant une activité agricole, d’adhérer, à l’intention de ces salariés, à une ou plusieurs institutions de retraite complémentaire.

IV. LE DÉVELOPPEMENT INDISPENSABLE DES FILIÈRES AGRICOLES : S’APPUYER SUR LE POSEI POUR AMÉLIORER LA STRUCTURATION DES FILIÈRES ET POUR FAVORISER DES DÉMARCHES COMMERCIALES DYNAMIQUES FONDÉES SUR LA QUALITÉ

Les filières agricoles sont très importantes dans l’économie ultramarine. On peut les définir comme étant des organisations, par type de cultures ou d’activités agricoles, qui rassemblent un ensemble de producteurs, d’intermédiaires et de distributeurs (grossistes et éventuellement exportateurs). Leur but est de favoriser le développement des productions locales, leur transformation et leur commercialisation.

Juridiquement, on parle d’organisations professionnelles, les structures de tête étant souvent constituées par des SICA (sociétés d’intérêt collectif agricole).

La présence d’une filière constitue un élément de professionnalisation du secteur de l’agriculture concerné. La filière garantit un prix d’achat au producteur, elle trouve des débouchés et elle contrôle et améliore la qualité de ce qui est produit.

Bien entendu, la filière reçoit des aides de l’État et de l’Union européenne (au titre du « premier pilier » de la PAC). Les aides ne sont pas versées à l’organisation professionnelle mais aux différents acteurs de la filière en fonction de critères d’éligibilité précis.

Il existe, outre-mer, de grandes et de petites filières.

Parmi les grandes, on peut citer, naturellement, la banane et la canne à sucre qui sont à la fois des cultures traditionnelles et des cultures fortement tournées vers l’exportation. La banane est l’une des principales ressources économiques de la Martinique et de la Guadeloupe. Les activités liées à la banane, directes ou indirectes, concernent près de 20 000 personnes dans les deux îles. La canne à sucre, pour sa part, et plus particulièrement la filière canne-sucre-rhum-bagasse, constitue également une filière essentielle en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion. De même, cette filière (hors gestion de la bagasse) représente environ 22 000 emplois, directs ou indirects, dans ces trois îles.

Parmi les filières plus petites, on peut citer, par exemple, la filière fruits et légumes ou la filière riz de la Guyane.

En fait, s’il est vrai que l’activité agricole occupe une place très importante dans l’économie et dans l’emploi des territoires ultramarins – de 1,7 à 4,4 % du PIB pour les seuls DOM, contre 2,2 % en métropole, et de 2 à 7,2 % de l’emploi, contre 3,3 % en métropole – cela est très certainement dû au rôle des filières.

Pourtant, à l’heure actuelle, les filières connaissent incontestablement des difficultés sérieuses : diminution périodique de la production agricole locale due à des conditions climatiques défavorables, intensification des parasites, diminution des ressources phytosanitaires, difficultés dans la commercialisation, exigences sans cesse nouvelles des consommateurs, difficultés de trésorerie et faible capitalisation des coopératives et des groupements de producteurs…

Les filières doivent donc être aidées.

Dans un premier temps, les rapporteurs étudieront les principaux aspects des filières dans l’économie agricole ultramarine. Dans un second temps, ils analyseront les incertitudes actuelles des filières au regard des évolutions européennes. Enfin, dans la dernière partie du chapitre, ils feront des propositions pour renforcer la structuration et améliorer l’efficacité des filières agricoles.

A. LES PRINCIPAUX ASPECTS DES FILIÈRES AGRICOLES DANS L’ECONOMIE ULTRAMARINE

Pour bien comprendre l’importance des filières agricoles dans l’économie ultramarine, les rapporteurs analyseront d’abord le rôle de ces filières – un rôle qui est d’ailleurs non seulement économique mais aussi environnemental et agro-écologique. Ils analyseront ensuite les financements européens qu’elles mettent en jeu et, enfin, ils donneront des précisions sur l’organisation et le fonctionnement de certaines filières, filières choisies parmi celles qui sont les mieux structurées.

1. Un rôle des filières qui n’est pas seulement économique mais aussi environnemental et agro-écologique

Comme on l’a dit précédemment, les filières agricoles ont pour objet de regrouper les producteurs, d’organiser les marchés, de faciliter la commercialisation des produits et de garantir un revenu convenable à tous les acteurs de la chaîne.

Leur rôle économique est donc évident :

– les filières contribuent au développement des marchés,

– elles contribuent au maintien de l’emploi,

– elles ont un rôle « leader » dans les territoires, en obligeant d’autres secteurs que les leurs à se développer, à cause de la complémentarité entre productions,

– enfin, elles créent des retombées sur l’économie générale (par exemple, la canne à sucre joue un rôle non négligeable dans l’approvisionnement en énergie, les bananeraies des DOM ont un attrait touristique, etc.).

Mais leur rôle ne s’arrête pas à l’économie pure.

Elles ont aussi une grande incidence dans le domaine de l’aménagement du territoire. Elles contribuent, en effet, au maillage du territoire par la présence d’unités industrielles en dehors des centres urbains.

Par ailleurs, les cultures peuvent jouer un rôle non négligeable dans la préservation de l’environnement

Des cultures industrielles, comme la canne à sucre, protègent les sols de l’érosion et participent à leur régénération. Leur présence diminue l’effet de serre. Elle contribue aussi à la qualité du paysage.

Il est vrai que la pollution des sols que l’on constate actuellement en Guadeloupe et en Martinique est liée au chlordécone – un pesticide utilisé, de 1972 à 1993, contre le charançon, prédateur de la banane.

On observera néanmoins que, depuis 1993, les normes environnementales, qu’elles soient françaises ou européennes, ont beaucoup évolué et que, depuis 1996, et surtout depuis 2008, la production de bananes, tant à la suite de la réglementation qu’en se fondant sur des initiatives prises par les organisations professionnelles elles-mêmes, s’est engagée résolument dans la voie d’une diminution constante des pesticides utilisés.

C’est ainsi que, depuis 1996, on constate que l’utilisation des pesticides a été réduite de 75 %. Désormais, la production de bananes antillaises utilise entre 5 et 10 fois moins de pesticides à l’hectare (4 kg de matières actives/ha) que les autres pays producteurs au niveau mondial. Elle constitue ainsi, à l’heure actuelle, la seule filière de production de bananes au monde, en milieu tropical humide, à respecter les normes françaises et européennes en matière environnementale.

Les cultures s’adaptent donc aux normes environnementales. Plus généralement, elles peuvent occuper aussi une place importante dans le domaine de l’agro-écologie.

À l’heure actuelle, toutes les filières travaillent en relation étroite avec des instituts de recherche ou avec des laboratoires spécialisés (par exemple l’Institut technique tropical – IT2 – pour la filière « banane » ou le laboratoire de recherche eRcane pour la filière « canne à sucre »). Elles entretiennent également des partenariats suivis avec les grands établissements de recherche, notamment le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et l’INRA (Institut national de la recherche agronomique).

Il ressort de cette coopération l’apparition de techniques de production nouvelles, allant dans le sens d’une agriculture durable, et l’émergence de pratiques écologiques jusqu’alors peu développées.

S’agissant des techniques de production durable adoptées par les filières, on citera notamment :

– la place prépondérante accordée aujourd’hui aux sélections variétales, sélections basées sur la promotion d’espèces hybrides, plus résistantes aux maladies ;

– l’utilisation de la jachère, de la rotation des parcelles et de la reproduction des plantes sous la forme de vitroplants, en vue de favoriser la disparition des nématodes (vers vivant dans le sol) et donc des nématicides ;

– l’utilisation de plantes de services soit pendant la période de jachère, soit au moment de la plantation, afin de réduire considérablement l’utilisation d’herbicides.

En ce qui concerne les pratiques écologiques nouvelles, on évoquera tout particulièrement la façon actuelle de gérer les déchets.

En règle générale, les filières, pourvu qu’elles aient une certaine dimension, cherchent aujourd’hui à valoriser au maximum les déchets, afin de diminuer les apports d’intrants (éléments externes nécessaires à la production) et afin de développer la chimie verte.

Au niveau de la filière « banane », les gaines bleues protectrices des régimes, les ficelles, les bouillies fongiques de traitement post-récolte et les écarts de tris sont désormais recyclés ou détruits de manière scientifique, que ce soit localement ou en métropole.

Au niveau de la filière « canne à sucre », la paille est recyclée en direction des élevages ; les écumes sont utilisées comme engrais ; la bagasse est utilisée pour produire de l’énergie et la mélasse sert soit à la fabrication du rhum, soit, dans une moindre mesure, à l’alimentation des animaux.

À noter que, dans le cadre de cette dernière filière, l’agro-écologie n’est pas sans présenter un intérêt certain pour le producteur. En effet, sur un montant de 81 euros, qui correspond au prix d’achat de la tonne de canne à sucre, l’exploitation de la bagasse, qui a reçu le statut de biomasse en 2009, est valorisée à hauteur de 11 euros la tonne. La bagasse est ensuite revendue à EDF qui la transforme en électricité, en se finançant grâce à la CSPE, la contribution pour le service public d’électricité.

Au total, les filières peuvent donc bien apparaître comme étant des pôles agro-écologiques.

2. Des financements européens

L’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne reconnaît les spécificités des départements d’outre-mer, en leur accordant le statut de région ultrapériphérique.

À ce titre, les DOM bénéficient de « mesures spécifiques » qui adaptent le droit communautaire en tenant compte des caractéristiques propres et des contraintes particulières de ces régions, notamment l’insularité et l’éloignement.

Ces mesures spécifiques sont rassemblées dans un programme, le POSEI (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité), qui a été adopté conformément au règlement CE n° 247/2006 du Conseil du 30 janvier 2006 portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union.

Le POSEI dédié à la France a été doté, en 2010, de fonds européens pour un montant de 282,7 millions d’euros. Ces crédits sont complétés par deux enveloppes de crédits nationaux : l’une plafonnée à 40 millions d’euros et destinée aux filières de diversification et l’autre plafonnée à 90 millions d’euros et orientée en direction de l’aide à la filière sucrière.

Les crédits européens transitent par l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer) qui est le principal organisme payeur du POSEI en France. La délégation de l’ASP de Guyane (Agence de services et de paiement) a en charge la liquidation des primes animales aux éleveurs de ruminants et celle des aides en faveur des céréales et des oléo-protéagineux dans ce département.

ÉVOLUTION DES PAIEMENTS DU PROGRAMME POSEI FRANCE

Montants versés par année de réalisation (en milliers d’euros)

 

2007

2008

2009

2010

RSA (*)

19 634

19 937

19 639

20 378

Mesures primes animales aux éleveurs de ruminants

12 885

12 569

12 193

13 861

Mesure importation d’animaux vivants

876

839

720

1 376

Mesure structuration de l’élevage

18 413

19 779

19 564

25 775

Mesure productions végétales de diversification

13 405

12 492

12 600

12 595

Mesure canne-sucre-rhum

64 230

71 165

74 800

74 798

Mesure en faveur de la filière banane

129 053

129 100

129 097

129 100

Céréales et oléagineux en Guyane

3 546

Réseaux de références

933

978

858

936

Programme d’assistance technique

129

345

252

406

Total programme POSEI France

259 558

267 206

269 723

282 770

Source : ODEADOM – rapport d’activité 2011

(*)RSA : Régime spécifique d’approvisionnement

Si l’on se reporte au tableau ci-dessus, qui est un tableau consolidé avec la Guyane, on voit que les crédits du POSEI concernent 10 actions. Toutes ces actions financent les filières agricoles d’outre-mer.

En fait, ces dix actions se déclinent principalement autour de cinq secteurs :

– les filières « animales » (primes animales, importation d’animaux vivants et structuration de l’élevage) ;

– les filières de « diversification végétale » ;

– la filière « céréales (riz) et oléo-protéagineux » en Guyane ;

– la filière « canne-sucre-rhum » ;

– la filière « banane ».

Ces mesures sont complétées par trois lignes de crédits :

– la mesure « réseaux de référence » pour les filières de diversification ; il s’agit d’un dispositif d’élaboration et de collecte de références techniques concernant les productions animales, auquel s’ajoute un système d’évaluation pour ce type d’agriculture ;

– la mesure « assistance technique » ; il s’agit d’un ensemble d’actions d’accompagnement qui concerne toutes les filières ;

– et enfin, la mesure « régime spécifique d’approvisionnement » (RSA) ; il s’agit d’un volet du POSEI qui est destiné à permettre d’alléger le coût de certains approvisionnements nécessaires aux productions agricoles et agro-industrielles.

On notera que les deux filières les plus aidées sont respectivement la filière de la banane et celle de la canne à sucre. En 2010, la filière « banane » reçoit un crédit de 129 millions d’euros au titre du POSEI. La filière « canne à sucre » reçoit, pour sa part, une aide de 74 millions d’euros, également issue du POSEI.

Après ces deux filières, la filière la plus favorisée par le POSEI est la filière des productions animales puisque l’enveloppe qui lui correspond (et qui regroupe trois aides distinctes : les primes animales, l’importation d’animaux vivants et la structuration de l’élevage) s’élève, toujours en 2010, à 41 millions d’euros.

Enfin, viennent les aides à la diversification végétale qui correspondent, en 2010, à un montant de 12,5 millions d’euros.

Au total, on pourra conclure cette analyse des crédits du POSEI concernant les filières agricoles par encore deux remarques :

– D’une part, les aides à la filière de la canne à sucre doivent se penser en ajoutant aux crédits du POSEI la dotation correspondant à l’aide de l’État à la filière sucrière qui a été mentionnée plus haut. Avec cette aide, qui est plafonnée à 90 millions d’euros, le total des crédits annuels alloués à la filière se monte ainsi à 164 millions d’euros en 2010.

– D’autre part, indépendamment des crédits du POSEI, l’ODEADOM peut également transférer des crédits nationaux en contrepartie d’actions de développement rural financées par le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) au titre du « second pilier » de la PAC. Ces crédits transférés au regard des crédits du FEADER peuvent contribuer, comme ceux du POSEI, à aider les filières agricoles. Cela est le cas, à l’heure actuelle, dans le cadre du Programme de développement rural (PDR) de la Guadeloupe et de la Martinique pour la période 2007-2013, et les crédits alloués servent à financer certains investissements liés à la filière « banane ». Les montants liquidés à ce titre, en 2010, par l’ODEADOM, s’élèvent à 876 000 euros.

3. Des filières aux spécificités bien marquées

On étudiera tout d’abord les filières exportatrices, c’est-à-dire la filière « banane » et la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » ; puis on donnera quelques précisions sur les filières de diversification (animale et végétale).

a. La filière « banane »

La banane est produite dans les cinq départements d’outre-mer mais elle constitue l’une des principales ressources économiques de la Martinique et de la Guadeloupe. Elle représente 50 % du volume de la production agricole de la Martinique et 15 % de celle de la Guadeloupe.

Un groupement de producteurs en Martinique et un en Guadeloupe commercialisent leurs productions vers la métropole via une structure commune : l’Union des groupements de producteurs de banane (UGPBAN). Celle-ci maîtrise donc la totalité de la commercialisation directe de la banane récoltée aux Antilles.

L’UGPBAN a mis en place un programme très structuré et très complet comprenant :

– la rationalisation de la production autour d’un cahier des charges et d’impératifs de qualité communs ;

– le développement de pratiques culturales respectueuses du terroir dont la banane de Martinique et de Guadeloupe tire son origine ;

– le rassemblement des producteurs autour de conditions de travail en conformité avec la réglementation française et européenne ;

– la globalisation des volumes permettant d’améliorer les coûts à tous les stades ;

– la commercialisation au moyen d’un regroupement de l’offre des deux îles ;

– la maîtrise des réseaux en aval avec le rachat, en 2008, de l’ensemble des mûrisseries Fruidor ;

– la représentation des producteurs auprès des pouvoirs publics français et européens, ainsi que de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ;

– la communication et la promotion de la production.

Le chiffre d’affaires consolidé de l’UGPBAN et de Fruidor se monte, en 2011, à 300 millions d’euros.

À la même date, l’activité de la filière repose sur une superficie cultivée dans les deux départements d’environ 10 000 hectares, superficie qui fournit entre 250 000 et 270 000 tonnes de bananes commercialisées par an.

Du point de vue de l’emploi, la filière rémunère 650 planteurs et implique près de 20 000 personnes, directement ou indirectement, en Martinique et en Guadeloupe.

Au niveau portuaire, la filière nécessite une activité de manutention permanente, tant au port de Pointe-à-Pitre qu’au port de Dunkerque, ce dernier port étant la principale destination d’arrivée de la production de bananes dans l’hexagone.

Enfin, l’exportation de bananes permet de remplir 50 % des containers transportés par la ligne CMA-CGM (Compagnie maritime d’affrètement-Compagnie générale maritime) dans le sens Antilles/Europe, ce qui permet de diminuer les coûts de fonctionnement de cette ligne qui assure, dans le sens Europe/Antilles, l’approvisionnement en produits frais de la Martinique et de la Guadeloupe.

Au total, la filière « banane » est incontestablement l’une des filières agricoles d’outre-mer, et même l’une des filières agricoles européennes, qui compte parmi les mieux organisées et les plus structurées.

b. La filière « canne-sucre-rhum-bagasse »

La filière « canne à sucre » concerne les quatre départements de la Martinique, de la Guadeloupe, de La Réunion et de la Guyane.

En 2010, la SAU (surface agricole utile) plantée en cannes à sucre est de 42 750 hectares pour une SAU totale de 124 542 hectares pour les quatre DOM, soit 34 %.

La plantation cannière représente respectivement 57 % de la SAU à La Réunion, 45 % à la Guadeloupe, 16 % à la Martinique et 7 % en Guyane.

La filière repose sur 8 081 exploitations cannières dans les quatre départements et elle génère (avec les activités liées à la production et à la commercialisation du rhum, mais hors gestion de la bagasse) environ 22 000 emplois, directs et indirects.

Les cannes à sucre sont livrées principalement aux sucreries pour que ces dernières les transforment en sucre blanc ou brun. Elles peuvent être livrées aussi directement à des distilleries agricoles pour produire du rhum agricole. Par ailleurs, après extraction du sucre, la mélasse des sucreries est envoyée aux distilleries de sucrerie pour produire également du rhum. Ce rhum est appelé lui-même « rhum de sucrerie ».

On dénombre ainsi 5 sucreries (deux à La Réunion et trois aux Antilles), 17 distilleries agricoles (neuf à la Guadeloupe, sept en Martinique et une en Guyane) et 7 distilleries de sucrerie (trois à La Réunion, trois en Guadeloupe et une en Martinique).

La production de cannes à sucre représente 2 753 827 tonnes de cannes en 2011. Celle de sucre représente 260 000 tonnes à la même date (en équivalent sucre blanc). Les distilleries produisent environ 276 000 hectolitres d’alcool pur (HAP) dont 106 000 HAP de rhum agricole (soit 38 % de la production de rhum).

Les sucreries sont le pivot de la filière. La société Tereos est actionnaire majoritaire des deux sucreries de La Réunion et a une participation importante dans la sucrerie Gardel en Guadeloupe, de même que la société Saint Louis Sucre. La société COFEPP (Compagnie financière européenne de prises de participation) est un actionnaire très important dans les trois sucreries des Antilles.

En ce qui concerne le rhum de sucrerie, le capital social des distilleries appartient principalement aux deux sociétés COFEPP et Damoiseau.

Les rapporteurs ont évoqué plus haut le rôle de la bagasse dans les énergies renouvelables. Ils diront encore quelques mots sur le rhum.

Comme cela vient d’être précisé, on distingue donc entre le rhum agricole et le rhum de sucrerie.

La production totale de rhum dans les quatre DOM (qu’il soit agricole ou de sucrerie) s’élève, en 2011, à 276 000 HAP.

Sur ces 276 000 HAP, 106 000 HAP correspondent à du rhum agricole. Cependant, les différents DOM ne produisent pas tous du rhum agricole dans les mêmes proportions :

– 84 % du rhum produit en Martinique est constitué par du rhum agricole (cela veut dire que la majorité des cannes est livrée aux distilleries) ;

– ce chiffre est ramené à 45 % pour la Guadeloupe ;

– par ailleurs, il n’est que de 1 % pour La Réunion ;

– en revanche, en Guyane, il n’existe qu’une seule distillerie de rhum agricole à laquelle la quasi-totalité des cannes à sucre est livrée. La production de sucre en Guyane est donc tout à fait résiduelle.

La plupart des rhums agricoles sont considérés comme des « rhums traditionnels des DOM ». La notion de « rhum traditionnel » est une appellation contrôlée, reconnue par l’Union européenne. Le rhum traditionnel a des caractéristiques particulières (conditionnement dans des bouteilles d’un litre et titrage en alcool d’au moins 40 °). Il faut aussi que son lieu de production soit totalement ultramarin (tant pour ce qui a trait aux matières premières qu’à la localisation des moyens de production).

Le rhum traditionnel bénéficie d’un avantage fiscal pour lui permettre de mieux pénétrer le marché national compte tenu des coûts de fabrication : les droits d’accise qui le concernent sont inférieurs de 42 % à ceux qui sont applicables aux autres types de rhums. Cette réduction des droits d’accise est contingentée à une quantité de 120 000 HAP. On chiffre le montant de cette aide indirecte au rhum traditionnel à un montant de 111 millions d’euros en 2012.

S’agissant des rhums de sucrerie (170 000 HAP en 2011), ceux-ci, après distillation, sont susceptibles de correspondre à deux usages :

– soit ils deviennent des rhums traditionnels de sucrerie (sans pour autant correspondre toujours à la réglementation européenne en matière de fiscalité réduite),

– soit ils alimentent les livraisons effectuées en faveur des grandes sociétés importatrices qui distribuent leurs produits sur le territoire de l’Union européenne, par exemple la société Havana Club.

Au total, compte tenu de la consommation des habitants sur place, l’exportation totale de rhum hors des DOM et en direction de l’Union européenne s’élève, en 2011, à une quantité de 205 500 HAP. Sur cette base, les rhums traditionnels « contingentés » (c'est-à-dire bénéficiant de la fiscalité réduite) représentent 108 000 HAP et les rhums traditionnels « hors contingent » s’élèvent à 41 000 HAP.

Par ailleurs, sur les 205 500 HAP expédiés des DOM sur le marché européen, 70 % sont consommés par le marché hexagonal (soit environ 140 000 HAP).

Enfin, il convient d’observer que les rhums des DOM sont fortement concurrencés sur le marché de l’Union européenne par les rhums issus des pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique), ainsi que par les rhums fabriqués au sud des États-Unis. Cette forte concurrence pose évidemment un problème grave à la filière.

c. Les filières de diversification

Pour répondre aux préoccupations de l’Union européenne, s’agissant des DOM, et aussi pour prendre en compte une incontestable demande locale, qu’il s’agisse des DOM ou des COM, les pouvoirs publics s’efforcent aujourd’hui de développer des filières de diversification, aussi bien animales que végétales, afin de tendre à une meilleure suffisance alimentaire.

Ces filières de diversification représentent, à l’heure actuelle, 2 000 emplois dans les DOM. Les plus importantes sont, d’un côté, les productions animales spécialisées (viande bovine, porcs, productions avicoles…) et, de l’autre, le maraîchage et les légumes frais de plein champs.

Si l’on observe plus en détail la situation des DOM (hors Mayotte), on observe une différence significative dans le poids relatif des différentes filières relevant de ces deux secteurs.

Dans les trois départements qui pratiquent la culture intensive de la canne à sucre, on enregistre un certain déséquilibre entre les filières. Les filières de production animale sont relativement petites et n’arrivent pas à atteindre le seuil critique pour bénéficier des apports de la recherche ou pour améliorer leurs rendements grâce à des transferts de technologie. En revanche, les filières de maraîchage et de légumes frais sont bien développées. Ainsi, en Guadeloupe, la SICA des Alizés ainsi que la SICA caribéenne des fruits et légumes (SICACFEL) regroupent environ 80 producteurs.

En Guyane, en revanche, on note un meilleur équilibre dans la taille des différentes filières les mieux organisées, c’est-à-dire la filière de l’élevage bovin, celle de la culture des tubercules et celle du maraîchage et des fruits frais. Dans cette dernière filière (maraîchage et fruits), on signalera, en particulier, la présence d’une association de producteurs très dynamique : l’association PFFLG (producteurs de fleurs, de fruits et de légumes de Guyane) qui regroupe 47 exploitants dans la commune de Mana et qui envisage de structurer toute la profession.

B. LES INCERTITUDES ACTUELLES DES FILIÈRES AU REGARD DES ÉVOLUTIONS EUROPÉENNES

La réglementation européenne applicable aux filières – et notamment la réglementation du POSEI et celle du FEADER – est actuellement en plein renouvellement.

D’autre part, avec l’évolution des normes juridiques, tant internes qu’européennes, il peut finir par exister des problèmes propres à telle ou telle filière et concernant l’applicabilité du droit. Tel est le cas, à l’heure actuelle, pour la réglementation spécifique des taux d’accise concernant les rhums traditionnels.

Tous ces facteurs suscitent naturellement des incertitudes dans l’esprit des acteurs des différentes filières.

Dans les pages qui suivent, les rapporteurs étudieront deux types d’incertitudes au regard de la réglementation européenne : tout d’abord, celles qui concernent l’ensemble des filières prises dans leur globalité ; et, d’autre part, celles qui ont trait tout particulièrement à la filière « canne-sucre-rhum-bagasse ». Dans ce dernier cas, les interrogations sont liées à l’application de la réglementation sur les droits d’accise concernant les rhums traditionnels des DOM.

1. Les incertitudes de toutes les filières prises dans leur ensemble

Ces incertitudes sont au nombre de deux : celles qui ont trait au niveau d’intervention du POSEI à partir de l’année 2014 et celles qui ont trait à la régionalisation des crédits du FEADER.

a. Le niveau d’intervention du POSEI à partir de 2014

L’article 35 du règlement n° 228/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2013 portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union – règlement qui définit le dispositif actuellement applicable au titre du POSEI – prévoit que « la Commission procède au réexamen de ces dispositions avant la fin de l’année 2013, sur la base de leur efficacité globale et du nouveau cadre de la Politique Agricole Commune, et présente, si nécessaire, des propositions appropriées de modification du régime POSEI. »

Par application de cet article 35, le dispositif du POSEI fait actuellement l’objet d’une réflexion approfondie de la part des services de la Direction générale « Agriculture » de la Commission européenne, réflexion conduite à l’initiative du Commissaire européen pour l’Agriculture, M. Dacian Ciolos.

À l’heure actuelle, on ne sait pas encore quelle sera la forme définitive de ces réflexions.

Ce qui paraît établi, en tout cas, c’est que le Commissaire européen pour l’Agriculture, M. Dacian Ciolos, semble assez porté à considérer que les régions ultrapériphériques, aujourd’hui, doivent tendre davantage vers l’autosuffisance alimentaire que vers la réalisation d’une agriculture d’exportation.

Il semble également acquis que les crédits du POSEI seront consolidés en 2014 – ce qui ne veut pas dire qu’ils enregistreront une progression significative.

Si l’on ajoute à ces deux données l’éligibilité du département de Mayotte aux crédits du POSEI en 2014 – département qui sera reconnu RUP à la même date et qui pourra donc bénéficier de cette aide – il est bien certain que ces premières orientations de la Commission peuvent avoir pour effet de diminuer le montant des enveloppes attribuées à certaines filières, et notamment les filières qui ne seront plus jugées comme étant prioritaires parce que centrées sur l’exportation.

L’idée qu’il faut en tout cas rejeter à ce stade, c’est l’idée – qui a pu être évoquée ici ou là – d’un « découplage » des crédits du POSEI par rapport à ceux de la PAC, c’est-à-dire l’idée qui consisterait à attribuer des aides sans lien avec une production agricole.

Cette idée du « découplage » doit être écartée. En effet, si elle était mise à exécution, elle constituerait, par ses conséquences néfastes à moyen et à long terme, une entrave tout à fait préjudiciable à un développement équilibré des DOM et à l’orientation des productions.

Proposition n° 30. Fixer comme impératif, dans le cadre des négociations européennes, l’impossibilité absolue d’accepter le « découplage » du POSEI par rapport à la PAC.

b. La régionalisation des crédits du FEADER

En règle générale, les crédits du FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) ne financent pas directement les filières (sauf certains aspects de la filière « banane »). Néanmoins, ils ne sont pas sans lien avec le développement de ces dernières. Par exemple, ils peuvent contribuer au réaménagement des structures foncières – et, tout particulièrement, à la modernisation des exploitations (drainage, irrigation…), – dans le cadre des programmes de développement ruraux (PDR).

Jusqu’à présent, la gestion des crédits du FEADER était une gestion purement déconcentrée, les paiements étant effectués par l’ASP (l’Agence de services et de paiement).

Aujourd’hui, cependant, à l’occasion du renouvellement du règlement du FEADER par le Conseil de l’Union européenne – le règlement actuel, qui avait été établi pour la période 2007-2013, s’achevant à la fin de l’année – la décision semble avoir été prise de procéder à la décentralisation des crédits alloués par ce fonds et, plus particulièrement, à leur régionalisation.

Cette réforme est intéressante. En effet, outre-mer, de nombreux observateurs avaient eu l’occasion de faire valoir l’absence fréquente de cohérence, dans le cadre d’un même territoire, entre les buts poursuivis par le POSEI et ceux du FEADER. La réforme pourra donc permettre, grâce à un réglage fin au niveau de la région, d’assurer cette cohérence.

Cependant, cette régionalisation des crédits suscite aussi les interrogations des socio-professionnels.

La réforme va évidemment avoir pour effet que l’ordre des priorités dans les financements sera déplacé, que certains financements seront reconsidérés et, en définitive, qu’un certain nombre de situations acquises seront modifiées. Par suite, la réforme va avoir une incidence très réelle sur certaines filières, ou du moins sur leur environnement.

D’autre part, cette réforme – qui peut donc aboutir à la diminution des financements du FEADER dans certains domaines – va intervenir alors que le POSEI lui-même, comme on l’a vu plus haut, peut être amené à connaître une certaine stabilisation de ses crédits à partir de 2014, stabilisation qui sera sans doute de nature à entraîner, elle aussi, une nouvelle répartition des ressources en fonction des secteurs d’intervention. Les incidences négatives sur certaines filières pourraient donc être cumulatives : moins de crédits du POSEI et moins d’aides du FEADER.

La réforme doit donc s’accompagner, dans l’intérêt des filières, de la mise en place d’une structure forte de coordination au niveau régional, une structure qui soit bien au fait des problèmes et qui soit bien au clair sur ses choix et sur les implications qu’ils supposent.

Selon les rapporteurs, cette structure forte devrait être une commission régionale.

Une fois cette commission instaurée, le système pourrait fonctionner de la manière suivante :

– au niveau national, les crédits du FEADER continueraient d’être transférés à l’État ; puis, ce dernier attribuerait à chaque région une enveloppe globale et la région procèderait aux sous-répartitions souhaitées en fonction des programmes de développement ruraux ;

– la commission régionale serait chargée de la ventilation des crédits entre les différentes actions et du suivi de l’exécution de ces crédits.

Proposition n° 31. Créer une commission régionale chargée de la sous-répartition et du suivi des crédits globalisés du FEADER.

Par ailleurs, dans le cadre de la création de cette commission, les questions liées à la gouvernance devront être examinées avec attention et certains points devront être tranchés :

– tout d’abord, il conviendra de préciser qui sera conduit à présider cette commission.

Sans doute, cette commission pourrait-elle être coprésidée par le Préfet de région et par le président d’un exécutif local (président de Conseil régional ou président de Conseil général).

Ultérieurement, elle pourrait être coprésidée aussi par les présidents des instances spécifiques – délibératives ou exécutives – chargées de l’administration territoriale des DOM ayant souhaité être organisés sous la forme d’une collectivité territoriale unique (par exemple, le président du Conseil exécutif de Martinique ou le président de l’Assemblée de Guyane). La date de transition pour ce changement de présidence pourrait être le mois de mars 2015, mois qui correspond à la date des élections devant permettre la mise en place des collectivités territoriales uniques.

– Une seconde question devra ensuite être réglée : les coprésidents seront-ils responsables en cas de non-homologation des comptes, en fin d’exercice, de la part de l’Union européenne ?

En principe, il semble que ce type de responsabilité soit plutôt du ressort de l’État car les crédits du FEADER, quoique globalisés, restent néanmoins délégués par lui.

– Enfin, il restera une dernière question à résoudre : faudra-t-il que la commission soit purement administrative ou qu’elle soit une structure mixte, rassemblant des élus, des membres de l’administration et des représentants des organisations professionnelles ?

Le sentiment des rapporteurs, sur cette dernière question, consiste à affirmer qu’un poids prépondérant doit être accordé, au sein de la commission, aux représentants des organisations professionnelles. Ces représentants savent, en effet, précisément ce qui est bon, ou non, pour l’agriculture locale.

2. Les incertitudes de la filière « canne-sucre-rhum-bagasse »

Aujourd’hui, l’une des difficultés majeures de cette filière, à cause de la forte concurrence que l’on constate sur le marché du rhum, réside dans les incertitudes qui existent au niveau européen sur la fiscalité dérogatoire dont bénéficient les producteurs de rhum traditionnel des DOM.

Par application de la décision du Conseil de la Communauté européenne n° 2007/659/CE du 9 octobre 2007, modifiée par la décision du Conseil de l’Union européenne n° 2011/896/UE du 19 décembre 2011, les rhums traditionnels des DOM bénéficient d’un différentiel maximum de 50 % de droits d’accise par rapport aux autres rhums vendus sur le territoire français, pour un volume annuel de 120 000 HAP et jusqu’au 31 décembre 2013.

En pratique, le différentiel autorisé est de 42 %. Ce différentiel a été notifié à la Commission européenne (à la direction générale « Concurrence ») et cette dernière l’a validé au titre des « aides d’État».

Par la suite, ce régime a été modifié, en France, après l’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 et celle de la première loi de finances rectificative pour la même année.

Ces deux textes ont créé une VSS (vignette sécurité sociale), exigible au 1er janvier 2013, et qui, s’appliquant aux alcools, aboutit à accroître la base sur laquelle portent les droits d’accise et donc à augmenter, à due concurrence, l’avantage dont bénéficient les producteurs de rhum traditionnel des DOM par rapport aux autres producteurs.

La mesure n’a été notifiée à Bruxelles qu’en août 2013.

Depuis, une négociation est en cours pour savoir si, d’une part, l’Union européenne acceptera cette modification de réglementation, du moins en ce qui concerne ses conséquences sur le système d’aide apportée au rhum traditionnel, et si, d’autre part, même si Bruxelles accepte ce changement, la France ne sera pas dans l’obligation de rembourser les avantages trop perçus sur la période non couverte par la notification, c’est-à-dire du mois de janvier au mois d’août 2013.

Cette négociation devrait bientôt aboutir.

Parallèlement, une demande de renouvellement du dispositif, pour la période 2014-2020, sera prochainement transmise par la France au Conseil de l’Union européenne.

C. LES PROPOSITIONS POUR RENFORCER LA STRUCTURATION ET AMÉLIORER L’EFFICACITÉ DES FILIÈRES

Compte tenu de tous les développements qui précèdent, les rapporteurs feront part à présent de leurs propositions pour améliorer le fonctionnement des filières. Ces propositions poursuivent deux objectifs : d’une part, renforcer la structuration des filières et, d’autre part, améliorer leur efficacité.

1. Renforcer la structuration des filières

Les mesures préconisées sont au nombre de quatre : prévoir, dans le règlement du POSEI, la possibilité, pour les différentes filières, de disposer d’un système d’accompagnement en faveur des producteurs, financé sur des crédits d’État et qui ne serait mobilisable qu’au cas où les aides du POSEI viendraient à décroître significativement ; améliorer les fonds propres des organisations professionnelles des petites filières ; développer des contrats d’objectifs en matière de recherche, contrats conclus entre les RITA et les organisations de producteurs des petites filières ; et, enfin, favoriser la création d’une filière de production à Wallis-et-Futuna.

a. Prévoir pour les filières la possibilité de disposer de crédits d’État à côté des aides du POSEI

Comme on l’a vu précédemment, il est probable que les aides du POSEI disponibles pour certaines filières connaîtront une diminution très réelle au titre de l’année 2014.

Il pourrait donc être utile de profiter du réexamen actuel du POSEI pour introduire, dans le nouveau règlement du fonds, la possibilité de disposer d’un système d’accompagnement des producteurs. Cette démarche pourrait se fonder sur l’article 16 du règlement du Conseil n° 247/2006/CE du 30 janvier 2006 portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union – ce règlement ayant institué le POSEI lui-même et l’article 16 ouvrant cette possibilité pour certains cas.

Proposition n° 32. Prévoir, dans le règlement du POSEI, la possibilité d’engager des crédits nationaux en faveur des filières, parallèlement aux crédits de ce programme.

b. Améliorer les fonds propres des organisations professionnelles des petites filières

Les organisations professionnelles qui structurent les petites filières, par exemple les filières de diversification animale dans les DOM, ne semblent pas disposer toujours de fonds propres en quantité suffisante pour accomplir leur mission d’organisation des marchés.

Il faudrait donc qu’elles puissent avoir accès, en fonction de critères portant sur leur intérêt ou leur efficacité au niveau du département ou de la région, aux crédits du POSEI (prélevés sur l’action « programme d’assistance technique »).

On pourrait imaginer un système où les aides des collectivités locales et du POSEI se combineraient. Par exemple, la contribution à la capitalisation des organisations professionnelles pourrait se faire à parité.

Proposition n° 33. Renforcer la capacité de trésorerie des organisations professionnelles des petites filières.

c. Développer des contrats d’objectifs en matière de recherche entre les RITA et les organisations professionnelles des petites filières

Dans les petites filières, et notamment dans les filières de diversification animale ou végétale, les producteurs ne bénéficient pas toujours de transferts de technologie ou d’apports liés à la recherche et au développement – toutes choses qui leur seraient pourtant indispensables – parce que la taille de la filière n’est pas assez importante et même – bien au-delà – parce que la taille de l’exploitation ne correspond pas toujours à un « optimum dimensionnel ».

D’un autre point de vue, les instituts de recherche ou les grands établissements publics scientifiques et techniques remarquent que, dans le cas des petites filières, ils n’ont pas toujours en face d’eux des interlocuteurs clairement désignés et organisés qui puissent passer commande sur des thèmes de recherche et qui puissent faciliter ensuite la diffusion de l’innovation dans ces filières.

Depuis 2011, les réseaux RITA (Réseaux d’innovation et de transfert agricole) ont précisément été mis en place pour faciliter l’intermédiation entre le secteur de la recherche et le monde agricole. Ces réseaux sont à l’écoute pour trouver la meilleure solution technique en fonction des besoins, quelle que soit la taille de l’exploitation et de la filière, et pour formuler, le cas échéant, des demandes précises aux laboratoires.

Cette intermédiation pourrait être encore améliorée en favorisant la contractualisation. Celle-ci pourrait prendre la forme de contrats d’objectifs très souples qui seraient conclus entre les réseaux RITA et les organisations professionnelles des petites filières et dont le but serait d’établir des programmes de recherche.

Pour financer ces contrats, comme pour la trésorerie des organisations professionnelles des petites filières, il serait possible de prévoir leur éligibilité au programme d’assistance technique du POSEI.

Proposition n° 34. Favoriser la mise en place de contrats d’objectifs conclus entre les RITA et les organisations professionnelles des petites filières.

d. Développer une filière de production locale à Wallis-et-Futuna

L’agriculture, dans les îles de Wallis-et-Futuna, n’est pas inexistante, mais elle n’est pas du tout professionnalisée. Elle reste fondée sur la satisfaction des besoins familiaux, à partir de cultures vivrières souvent variées mais réalisées de manière informelle.

Dans ces conditions, il pourrait être intéressant de créer une filière de production agricole dans cette collectivité territoriale, afin de développer les activités du secteur primaire, d’améliorer l’approvisionnement des habitants et de favoriser l’emploi.

Une première piste susceptible d’être explorée en ce domaine, compte tenu de l’importance de la viande de porc dans les habitudes alimentaires de Wallis-et-Futuna, serait la mise en place d’une filière d’élevage porcin.

L’élevage pourrait avoir lieu soit dans des fermes individuelles, soit dans une ou deux exploitations dédiées. Les porcs seraient ensuite abattus dans un abattoir mobile et la viande pourrait être vendue sur le marché local. Elle pourrait aussi être exportée vers la Nouvelle-Calédonie.

Il existe cependant deux inconvénients à prendre en compte pour la réalisation de cette filière : d’une part, les agriculteurs ne disposent pas sur place de réseaux d’assainissement ; et, d’autre part, le porc d’élevage est souvent sujet à une maladie, la brucellose, dont la propagation peut décimer subitement les cheptels.

Néanmoins, il serait sans doute possible d’envisager une expérience pilote d’élevage porcin, en l’articulant autour d’un petit groupe d’éleveurs et en s’assurant de la participation du lycée professionnel agricole de Wallis-et-Futuna, ce lycée ayant pour mission, si l’expérience est concluante, de former les futurs acteurs de la filière.

Une seconde piste à explorer, si l’on veut créer une filière, est celle de la pêche hauturière. C’est en effet en haute mer, et non sur les côtes, que réside principalement la ressource halieutique.

Cela supposerait la constitution d’un groupement professionnel de pêcheurs disposant d’un ou de plusieurs bateaux équipés. Il faudrait créer aussi une structure locale, de type « marché à la criée », pour la vente des prises.

La création de l’une ou l’autre des deux filières suppose, en tout cas, l’aide de l’État.

Proposition n° 35. Favoriser le développement endogène de Wallis-et-Futuna en favorisant l’émergence d’une filière locale.

2. Améliorer l’efficacité des filières

En ce domaine, les rapporteurs souhaitent mettre en exergue deux types d’orientations :

– d’une part, il convient de développer les produits phytosanitaires utilisables outre-mer, car on constate actuellement de vraies carences en ce domaine ;

– et, d’autre part, il est nécessaire que les filières se mobilisent fortement, aussi bien en amont qu’en aval de la production, pour accroître les démarches de qualité et pour améliorer la promotion des produits locaux sur les différents marchés.

a. Mettre fin aux carences actuellement constatées dans la mise à disposition des produits phytosanitaires utilisables outre-mer

On enregistre, à l’heure actuelle, une insuffisance criante dans le nombre des produits phytosanitaires bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché - autorisation délivrée par le ministère de l’Agriculture après une évaluation scientifique opérée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) – et permettant de lutter efficacement contre les maladies propres aux cultures ultramarines.

Malgré les efforts de la recherche soulignés précédemment (au moment où a été abordé le caractère agro-écologique des filières), l’agriculture ultramarine - parce qu’elle est une agriculture tropicale – est en effet très dépendante des molécules pour lutter contre les différentes maladies qui peuvent frapper les productions agricoles.

Or, depuis la mise en lumière, en Guadeloupe, d’une pollution durable liée à l’emploi du chlordécone, la portée du principe de précaution est telle que rares sont aujourd’hui les molécules qui passent le cap de l’homologation, alors qu’elles seraient pourtant très attendues dans les territoires ultramarins C’est ainsi qu’à l’heure actuelle, on s’accorde à reconnaître que seulement 20 % des maladies sont traitées.

Il faudrait donc augmenter le nombre des autorisations de mise sur le marché pour les produits phytosanitaires susceptibles d’être utilisés outre-mer, au terme de procédures de validation qui ne soient pas trop longues et qui soient bien adaptées aux exigences spécifiques de l’agriculture tropicale.

Cela est d’autant plus nécessaire qu’au même moment le marché européen s’ouvre à des produits extra-communautaires – on pense ici aux produits issus des pays ACP – qui n’ont pas les mêmes contraintes de production et qui font l’objet de contrôles effectués sur la base d’une liste limitative (principalement contrôle des résidus de pesticide).

Proposition n° 36. Homologuer de nouveaux produits phytosanitaires à l’usage de l’agriculture ultramarine, avec des processus de validation qui prennent en compte, de manière très fine, les contraintes spécifiques du climat tropical.

b. Accroître les démarches de qualité et améliorer la promotion de la production pour faire face à la forte concurrence sur les marchés

À l’heure actuelle, les filières agricoles ultramarines, que ce soit au niveau local ou au niveau international, se trouvent exposées à une très forte concurrence. Celle-ci émane de producteurs qui bénéficient de coûts de production, en particulier salariaux, beaucoup plus faibles, alors que, dans le même temps, ils ne sont pas soumis aux mêmes exigences de qualité et de respect des normes.

Pour faire face à cette concurrence, les filières doivent agir désormais sur deux axes :

– d’une part, la montée en puissance des démarches de qualité avec la caractérisation, la labellisation et la traçabilité des produits ;

– et, d’autre part, l’amélioration de la promotion de la production locale sur les marchés, ce qui passe par une hausse des dépenses consacrées à la valorisation de cette production.

En premier lieu, les filières doivent donc accroître leurs efforts en matière de qualité.

Les achats alimentaires, en effet, ne sont pas seulement motivés par les prix mais ils sont motivés aussi par l’idée que les consommateurs se font des produits. Il y a là une carte à jouer pour l’agriculture ultramarine qui – notamment en milieu insulaire – ne peut que très difficilement jouer sur les prix, mais qui peut toujours montrer au consommateur que les produits qu’elle génère sont de très haute qualité.

Cela passe par la montée en puissance des démarches de qualité, c'est-à-dire par la systématisation de la caractérisation, de la labellisation et de la traçabilité des produits.

Il faut que les organisations professionnelles s’attachent à bien définir les caractéristiques propres de leurs productions (par exemple le cultivar du café spécifiquement produit en Guadeloupe) ; qu’elles s’attachent à obtenir la labellisation de leurs produits et qu’elles introduisent des codes produits et des certifications d’origine, au moment de la vente sur les différents marchés.

Pour la réalisation de ces opérations, les organisations professionnelles devraient pouvoir bénéficier des ressources issues du POSEI (prélevées sur l’action « programme d’assistance technique »).

Proposition n° 37. Sensibiliser les organisations professionnelles sur le fait qu’elles doivent accroître leurs efforts dans le domaine des démarches de qualité, c'est-à-dire dans le domaine de la caractérisation, de la labellisation et de la traçabilité des produits. Dans le cadre de ces opérations, les organisations professionnelles devraient être aidées par l’attribution de crédits du POSEI (issus de l’action « programme d’assistance technique »).

En second lieu, il faut que les filières accroissent leurs efforts pour la promotion des productions locales.

Cela passe par une hausse des crédits consacrés à la valorisation des produits locaux par les organisations professionnelles.

Par ailleurs, en ce domaine aussi, ces organisations devraient pouvoir accéder à des ressources dédiées issues du POSEI (programme d’assistance technique).

Proposition n° 38. Ouvrir les aides publiques du POSEI aux organisations professionnelles pour la promotion des produits locaux.

Enfin, il serait nécessaire de créer une instance de coordination au niveau régional. Cette instance serait dotée des moyens de promotion agricole des dispositifs publics (POSEI, État et collectivités locales).

Proposition n° 39. Instituer un comité de promotion agricole régional pour assurer, à l’échelle de chaque territoire, la coordination des actions de communication ou de promotion qui se rapportent à la production locale.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux outre-mer a examiné le présent rapport d’information au cours de sa réunion du 5 novembre 2013.

Monsieur le président Jean-Claude Fruteau. Notre ordre du jour appelle aujourd’hui l’examen du rapport sur l’agriculture ultramarine, rapport intitulé « les agricultures des Outre-mer : des réformes ambitieuses pour un secteur d’avenir », rapport pour lequel la Délégation a nommé comme rapporteurs Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard.

Ce rapport s’inscrit dans le cadre de nos travaux pour la préparation de l’examen du projet de loi d’avenir sur l’agriculture, l’agroalimentaire et la forêt, projet de loi qui sera présenté en Conseil des ministres le 13 novembre prochain.

Il représente un gros travail de la part des rapporteurs qui ont procédé à de très nombreuses auditions pour asseoir leur réflexion et je les en remercie vivement.

Je vous propose de procéder de la manière suivante : tout d’abord, je donnerai la parole à chacun des deux rapporteurs pour la présentation du rapport que vous avez tous reçu jeudi dernier par voie électronique ; je ferai ensuite un tour de table pour recueillir le sentiment des membres de la Délégation et éventuellement leurs questions ; les rapporteurs répondront s’il y a lieu ; enfin, nous procéderons aux votes, d’abord des propositions du rapport, puis du rapport lui-même.

Je donne donc immédiatement la parole à M. Hervé Gaymard.

Monsieur Hervé Gaymard, corapporteur. La Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale a eu la volonté de se saisir de la question de l’agriculture ultramarine le 26 février 2013.

La réflexion s’est orientée autour de quatre grands thèmes : les structures agricoles, l’installation des jeunes agriculteurs, le statut social des agriculteurs et enfin, le fonctionnement des filières agricoles.

Au terme de ce vaste examen de toutes les composantes de l’agriculture ultramarine, le rapport a conclu avec trente-neuf propositions qui doivent, selon les rapporteurs, constituer comme autant d’éléments pour une réforme ambitieuse dans ce secteur d’avenir.

Je vais d’abord présenter à grands traits les caractéristiques principales de l’agriculture outre-mer ; ensuite, je m’attacherai à décrire les problèmes liés aux structures foncières, ainsi que les solutions que préconise le rapport pour faire face à ces problèmes.

Mme Chantal Berthelot fera de même pour les trois thématiques concernant l’installation des jeunes, le statut des agriculteurs et le fonctionnement des filières agricoles.

Quelques mots donc sur les caractéristiques principales de l’agriculture outre-mer. En effet, les agricultures des départements et des collectivités d’outre-mer sont diverses mais on peut distinguer un certain nombre de points communs :

– dans les DOM, l’agriculture représente, en terme de poids économique et d’emplois, le double de ce que représente ce secteur en métropole ;

– les agricultures ultramarines sont des agricultures de type tropical ; elles nécessitent donc l’utilisation de produits phytosanitaires ;

– elles ont appris à se tourner néanmoins, et de manière tout-à-fait résolue, vers l’agro-écologie ; un exemple remarquable, en ce sens, est la culture de la banane qui n’utilise presque plus de pesticides ; mais on peut citer aussi la canne à sucre qui – avec son dérivé : la bagasse – alimente la biomasse ;

– au niveau des structures agricoles, il convient de noter la prééminence des petites exploitations gérées en faire-valoir direct (de 2 à 5 hectares en fonction des territoires) ;

– ces petites exploitations coexistent avec de grands domaines dédiés aux cultures traditionnelles : la canne à sucre et la banane ;

– les grands domaines, via des organisations professionnelles, exportent leurs productions vers le marché européen et même, au-delà, vers des marchés mondiaux sectorisés ;

– l’ensemble des produits agricoles ultramarins subit une forte concurrence, tant sur les marchés locaux que sur les marchés mondiaux ; cette concurrence émane notamment des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et également, dans une large mesure, des États-Unis ;

– enfin, on assiste actuellement à l’essor de filières agricoles de diversification, animale et végétale, en vue d’améliorer l’autosuffisance dans les approvisionnements des consommateurs locaux ;

– cette diversification n’assure pas, cependant, l’autonomie alimentaire complète des territoires et tous, globalement, sont encore importateurs nets de produits agricoles, malgré quelques belles réussites, notamment à La Réunion ;

– À noter, bien entendu, que, sur ce problème de l’autonomie alimentaire, il n’est pas question seulement d’équilibre entre les filières ; les structures de consommation entrent aussi en ligne de compte, si bien que l’on ne peut pas tout imputer à l’économique.

À partir de ce panorama, le rapport s’est attaché à analyser tout particulièrement la question des structures foncières outre-mer.

En fait, les structures foncières outre-mer sont en butte à quatre grands problèmes, problèmes qui déterminent beaucoup d’autres difficultés auxquelles l’agriculture ultramarine se trouve confrontée.

Ces quatre problèmes sont les suivants :

– tout d’abord, à cause de la pression foncière et de la hausse des prix des terrains constructibles, les superficies agricoles diminuent chaque année (sauf en Guyane) et on note la présence, dans les DOM, de multiples jachères dont les propriétaires espèrent qu’après déclassement, elles pourront devenir des terrains destinés à l’habitat ; il est d’ailleurs difficile de prendre l’exacte mesure des jachères dans les DOM, car les statistiques du ministère de l’Agriculture présentent la superficie en jachère des exploitations existantes ; mais si la jachère concerne une exploitation qui a cessé de fonctionner depuis plusieurs années, elle n’est plus comptabilisée ; de même, si les jachères se sont boisées, leur recensement devient problématique ;

– les agriculteurs vendent aussi leurs terrains par lots pour s’assurer des liquidités en fin de carrière ; ces lots font l’objet de constructions multiples à usage d’habitation, de telle sorte que les parcelles cadastrales connaissent le phénomène du mitage, c'est-à-dire du zonage mixte agricole-urbain ; or, sur de telles parcelles mixtes, les SAFER ne peuvent pas exercer leur droit de préemption ;

– les SAFER n’ont d’ailleurs pas assez de ressources ; leurs ressources proviennent principalement de la différence entre le prix des préemptions et le prix des reventes de parcelles ; mais le propriétaire d’une parcelle préemptée peut toujours retirer le bien immobilier de la vente ; d’autre part, la différence entre les deux prix ne dégage pas des plus-values très conséquentes ;

– enfin, les jeunes agriculteurs, faute d’un patrimoine suffisant, et du fait également du manque d’exploitations disponibles – à cause de la multiplication des indivisions au décès des agriculteurs âgés qui paralysent la transmission des entreprises – n’arrivent pas à s’installer ; ils deviennent exploitants assez tard (en moyenne à 35 ans) et ils doivent souvent pratiquer des activités secondaires pour compléter le revenu tiré de leur activité agricole ;

Ce phénomène de la pluriactivité est d’ailleurs un phénomène ancien. Autrefois, j’ai été conduit à consacrer un rapport à cette question. Très exactement, le rapport portait sur les droits des pluriactifs.

Face à ces quatre problèmes, le rapport a suivi, lui-même, quatre pistes :

– En ce qui concerne la sauvegarde du foncier agricole, il est apparu, au cours des auditions, que les CDCEA (Commissions départementales de consommation des espaces agricoles) étaient des organismes très bien adaptés, quoique d’instauration récente.

Le rapport propose donc d’améliorer le fonctionnement de ces commissions en leur fournissant, bien avant leur saisine officielle, des études d’impact sur les incidences éventuelles, dans le domaine agricole, des projets élaborés au niveau départemental. Ce dispositif sera de nature à faciliter l’examen des dossiers par les CDCEA et il leur permettra même de participer, en amont, à l’élaboration des projets à incidence agricole.

– Il faut aussi améliorer l’environnement de ces commissions, c'est-à-dire le fonctionnement des instruments qui – en dehors de l’intervention des CDCEA sur des projets précis pour donner un avis conforme – empêchent le déclassement des terres agricoles au jour le jour et font que les espaces agricoles restent dédiés à leur fonction. Le rapport détaille plusieurs pistes en ce domaine. En particulier, il faut simplifier la procédure de définition des ZAP (Zones agricoles protégées).

– Il faut également donner des moyens financiers et techniques complémentaires aux SAFER. C’est ainsi que le rapport propose de donner la possibilité d’affecter aux SAFER une petite partie des recettes issues de la taxe spéciale d’équipement prélevée en faveur des établissements publics fonciers urbains et de leur donner également la possibilité de préempter sur les zones mixtes.

– Enfin, pour faciliter l’installation des jeunes agriculteurs, il est nécessaire de remettre le foncier en mouvement, c'est-à-dire, d’une part, d’accroître l’usage des modes de cession juridique existants qui, en permettant la transmission progressive des exploitations, sont susceptibles d’éviter les indivisions ( par exemple, le mandat à effet posthume) et, d’autre part, de réfléchir sur des moyens juridiques innovants, notamment des moyens sociétaux, permettant d’aboutir à des buts similaires (par exemple, la fiducie).

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je donne à présent la parole à Mme Chantal Berthelot.

Mme Chantal Berthelot, corapporteure. Je vais intervenir, à mon tour, sur les problèmes que connaissent les jeunes agriculteurs pour leur installation, sur les questions qui ont trait à l’enseignement agricole, sur la question des droits sociaux des agriculteurs et sur le fonctionnement des filières.

En ce qui concerne l’installation des jeunes agriculteurs, comme M. Hervé Gaymard l’a indiqué, ces derniers n’arrivent pas à accéder au foncier. Cette difficulté dans l’accession est liée à plusieurs causes :

– il n’y a pas assez de terres disponibles sur le marché ; à cause de la faiblesse des retraites, les exploitants ne vendent pas ;

– les jeunes manquent de ressources propres ; à part la DJA, c’est-à-dire la Dotation aux jeunes agriculteurs, ils ne disposent souvent d’aucun apport personnel ;

– les prêts bancaires à taux bonifiés accordés aux jeunes exploitants (sauf à La Réunion) sont pour ainsi dire inexistants ; cela veut dire que, si le candidat à l’installation n’a pas la garantie de ses proches, le projet qu’il développe, même avec l’aide de la DJA, risque fort de connaître un échec dans les cinq ans qui suivent l’installation ;

– enfin, il y a des problèmes d’indivision qui bloquent les successions.

Pour faire face à ces problèmes (indépendamment de la réponse aux indivisions sous la forme de société, proposition qui vient d’être mentionnée par M. Hervé Gaymard), le rapport a exploré trois grandes pistes :

– tout d’abord, il est possible d’améliorer l’accès au foncier en améliorant l’accès au crédit ; il faudrait que l’État fournisse des garanties réelles pour les prêts des candidats à l’installation ;

– dans le cadre du PIDIL (programme pour l’installation des jeunes en agriculture et de développement des initiatives locales), on peut aussi prévoir une garantie à l’agriculteur cédant s’il cède son bien immobilier à un jeune ;

– enfin, on peut faciliter le « passage de témoin » entre un agriculteur âgé et un plus jeune, en adaptant à l’agriculture, et spécialement à l’agriculture ultramarine, les contrats de génération : il conviendrait d’étendre l’âge d’accès à ces contrats à 35 ans dans l’agriculture ultramarine, ce qui est l’âge moyen d’installation outre-mer.

En second lieu, j’aborderai la question de l’enseignement technique agricole car M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, nous a incités à le faire, au cours de son audition devant la Délégation, le 14 mai 2013.

Le rapport préconise de retrouver une grande ambition pour les lycées professionnels agricoles (LPA). Ils doivent être des centres de référence et de structuration pour la ruralité.

Le rapport préconise aussi d’améliorer la « culture du terrain » dans les LPA, notamment avec l’accroissement des enseignements effectués au sein des fermes agricoles qui sont souvent associées à ces derniers.

Par ailleurs, il convient d’accroitre les liens des lycées et des collèges avec le monde de la recherche et les réseaux RITA (Réseaux d’innovation et de transfert agricole).

Enfin, il est également nécessaire de créer des modules de formation sur les questions liées à l’installation dans les CFA et dans les centres de formation continue pour adultes (car ceux qui veulent accéder à l’installation ont souvent accomplis d’autres cursus auparavant, de telle sorte qu’ils fréquentent les CFP).

En troisième lieu, le rapport s’est préoccupé de l’amélioration des droits sociaux des agriculteurs.

En ce domaine, il paraît nécessaire d’agir prioritairement sur les droits sociaux des salariés agricoles en prévoyant à leur intention un système obligatoire de retraite complémentaire.

À plus long terme, quand les finances publiques seront restaurées, on peut aussi envisager un alignement des retraites des exploitants agricoles – « retraites » s’entendant comme la somme des retraites de base et des retraites complémentaires, à carrière complète – sur le SMIC.

Enfin, en dernier lieu, le rapport a étudié les difficultés des filières agricoles. Globalement, celles-ci sont au nombre de trois :

– en dépit de leurs efforts pour promouvoir une agriculture fondée sur des pratiques écologiques, les filières manquent de produits phytosanitaires homologués ;

– les organisations professionnelles des filières de diversification et les coopératives manquent de trésorerie ;

– enfin, les filières exportatrices traditionnelles – compte tenu de la concurrence internationale et des surcoûts de production liés à la situation spécifique des régions ultrapériphériques – restent très dépendantes des crédits du POSEI (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité), c'est-à-dire, en fait, des crédits qui relèvent du « premier pilier » de la politique agricole commune (PAC).

Les réponses apportées par le rapport à ces trois types de difficultés sont les suivantes :

– s’agissant du fonctionnement des filières, il est tout-à-fait évident que l’aide du POSEI est incontournable ; il faut consolider ces crédits ; il faut bien veiller à éviter le « découplage » des crédits du POSEI avec ceux de la PAC ; et enfin, il faut compenser par des crédits nationaux les diminutions éventuelles concernant certaines filières ;

– il faut augmenter les autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires utiles à l’agriculture ultramarine ;

– il faut aussi faire des efforts – efforts qui pourraient être éligibles au POSEI – en démarche qualité et en promotion des produits locaux.

Enfin, plus globalement, il convient d’améliorer la coordination en matière régionale.

On a vu précédemment que la CDCEA était un organisme qui apportait toute satisfaction. Il serait possible d’y adjoindre un comité départemental ou régional pour coordonner la politique locale en matière d’installation ; un comité régional qui exerce le suivi des crédits du FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) – ces crédits devant être prochainement régionalisés – et un comité régional qui fédère les actions de communication et de promotion agricole.

Il ne s’agit pas de multiplier les comités à l’envie ; mais il paraît nécessaire d’assurer de la cohérence, à l’échelle des territoires, pour éviter les doublons et attribuer les aides de manière raisonnée, à un moment où les ressources financières sont rares et où leur allocation doit être effectuée de manière très fine.

En dernier lieu, M. Hervé Gaymard et moi-même tenons à souligner que, lors de l’institution de ces organismes régionaux, une attention très grande devra être apportée à la gouvernance. Il conviendra, en ce domaine, de favoriser les acteurs du monde agricole. Ils savent, en effet, ce qui est bon pour l’agriculture.

Nous tenons à réaffirmer également l’importance du poids de l’agriculture dans les économies locales. Ce poids doit être augmenté en maintenant les cultures traditionnelles et en renforçant le développement des filières de diversification et endogène. Cette ambition doit être partagée et portée par une volonté politique locale, nationale et communautaire.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je remercie les rapporteurs qui ont su résumer succinctement un rapport fort dense.

M. Serge Letchimy. Je félicite les rapporteurs pour la qualité de leur travail et également le président de la Délégation pour avoir été à l’initiative de ce rapport qui permet de bien préparer en amont les discussions sur la future loi d’avenir pour l’agriculture. On ne peut que se féliciter de ce rôle, extrêmement sérieux, que joue la Délégation pour anticiper les discussions au Parlement et pour préparer les débats.

D’emblée, j’ai un problème avec le futur projet de loi. Le Président de la République s’était engagé à ce qu’il y ait un projet de loi spécifique concernant l’agriculture outre-mer. Je comprends que l’on a préféré introduire les dispositions de ce projet de loi spécifique dans un texte d’orientation portant sur l’agriculture en général ; mais ce que je comprends moins c’est la raison pour laquelle on n’a introduit dans le texte que deux ou trois articles très condensés, et même pas un véritable chapitre. Il faut agir auprès des différents ministres intéressés pour que, dans le projet de loi, il figure un véritable chapitre sur l’agriculture outre-mer.

D’autant que les dispositions qui pourraient être contenues dans ce futur chapitre apparaissent comme étant vitales pour la vie économique de nos territoires et notamment pour l’évolution de la production destinée à la consommation locale. Il existe en effet bon nombre de secteurs où l’on importe à peu près la totalité de ce que l’on consomme réellement. Dans les hôtels de Martinique, par exemple, j’ai pu relever que 82 % de ce qui était consommé était produit à l’extérieur. Il faut donc faire un effort sur le développement endogène de nos pays.

Le second problème que je distingue, cette fois à propos du rapport, est que ce dernier parle des filières, mais qu’il ne prend pas parti sur les produits. Le raisonnement sur les filières n’est intéressant que si l’on cible les produits. J’aurais ainsi aimé avoir des pistes pour le développement de certains produits comme le cacao, le café, etc.

En troisième lieu, je souhaite évoquer l’application de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Je m’en réfère au rapport que j’ai rendu sur cette question à M. le Premier ministre et où j’ai montré qu’il y avait un refus de la Commission d’appliquer cet article avec allant, ce qui pénalise l’agriculture. C’est ainsi que, lorsqu’il est question de prévoir des aides pour des filières complètes de produits, il n’est pas rare que Bruxelles ne réponde que par quelques crédits dispersés. L’irritation des acteurs de la filière « banane » à l’égard du commissaire européen à l’agriculture, M. Dacian Ciolos, lorsque celui-ci s’est proposé de prélever sur les crédits de cette filière pour financer la diversification, prouve bien d’ailleurs qu’il y a un problème en ce domaine et que l’on ne peut pas se contenter de « saupoudrer » les crédits du POSEI.

Enfin, je rappelle qu’il figure, dans le cadre du traité européen, une clause de sauvegarde en cas de forte concurrence exercée sur tel ou tel produit. Pendant une durée de cinq ou six ans, cette clause permet une protection minimale des produits en danger. On devrait faire jouer cette clause plus souvent et même pratiquer des quotas renversés pour protéger les productions locales – c'est-à-dire que, de même qu’il existe, par exemple, un quota de banane à l’exportation pour préserver les marchés mondiaux, de même, on pratiquerait des quotas renversés à l’importation, le temps que les produits locaux se développent et prospèrent.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je laisserai les rapporteurs répondre sur les autres sujets. Néanmoins, s’agissant de la possibilité de créer un chapitre spécifique dédié à l’agriculture ultramarine au sein du projet de loi, je n’imagine pas que le ministre de l’Agriculture puisse être totalement insensible à notre demande. C’est une bataille que nous aurons à mener, le moment venu, dans le cadre de la procédure législative.

M. Jean Jacques Vlody. Avec l’agriculture ultramarine, nous nous inscrivons incontestablement au cœur d’un sujet tout à fait fondamental pour nos territoires. Les rapporteurs ont souligné, en effet, et à bon droit, le poids de l’agriculture dans l’économie des départements et des collectivités d’outre-mer.

Par ailleurs, l’agriculture constitue aussi, bien souvent, un pan de notre histoire. Car les territoires ultramarins se sont construits, au fil du temps, en se fondant sur le développement de l’agriculture et c’est bien cette dernière qui, dans la plupart des cas, nous a fait devenir ce que nous sommes aujourd’hui.

Je voudrais poser deux questions. La première concerne l’adaptation aux territoires ultramarins des processus d’homologation des produits phytosanitaires et la seconde a trait à l’épandage des lisiers.

S’agissant de l’homologation des produits phytosanitaires, je suis tout à fait d’accord avec la proposition contenue dans le rapport et qui cherche à mieux faire coïncider les processus d’agrément avec les besoins des climats tropicaux. En effet, les produits phytosanitaires actuellement homologués sont généralement des produits prévus pour des climats tempérés. Par ailleurs, les firmes qui les produisent ne sont pas, le plus souvent, des sociétés spécialisées dans la mise sur le marché de molécules efficaces dans le cadre d’un usage tropical. Si bien que, parmi les produits qui franchissent les barrières de l’homologation, peu concernent véritablement les territoires ultramarins.

Quels sont les moyens que vous avez pu identifier pour booster la recherche en ce domaine et faire en sorte que ces processus d’homologation destinés aux produits phytosanitaires à usage tropical puissent être élaborés – la définition de ces règles devant avoir lieu sans que ces dernières puissent faire l’objet d’une contestation particulière ?

Dans la même idée d’une meilleure adaptation de la réglementation aux nécessités des climats tropicaux, je voudrais évoquer aussi la question des lisiers. Pour l’élevage, la capacité de production est établie par l’administration en relation avec la capacité de l’agriculteur à résoudre les questions de l’absorption de l’azote et de l’épandage du lisier. Or, ces capacités sont calculées sur la base d’un cycle végétatif non tropical. Il est indispensable d’adapter le cycle d’épandage des lisiers à la nécessité tropicale.

Enfin, je salue les demandes de simplifications administratives contenues dans le rapport. En effet, trop souvent, par exemple en matière d’installation, on subordonne des aides – parfois minimes – à la fourniture de documents multiples et complexes. Cet excès de contrôle a un effet paralysant.

M. Bernard Lesterlin. Je suis heureux de constater la grande complémentarité des rapporteurs dans leur approche de cette question essentielle qu’est l’agriculture outre-mer.

Je ne suis pas objectivement un spécialiste de cette question et c’est la raison pour laquelle je pense que l’intérêt de notre Délégation n’est pas nécessairement de s’attacher toujours à produire de la norme législative et de se poser toujours la question de savoir si les recommandations adoptées doivent entrer dans une ou dans plusieurs lois et y occuper un ou plusieurs paragraphes, voire un chapitre. Cela est certes important et détermine la conduite à tenir avec le Gouvernement, mais cela n’est pas toujours primordial si l’on songe que la Délégation constitue aussi un lieu de débat où, sans accomplir obligatoirement une activité normative, il est possible, pour chaque question, de retenir des éléments pour une stratégie à plus long terme.

M. Gaymard, vous avez dit tout à l’heure que l’agriculture dans les DOM était associée à une population active deux fois plus élevée que dans la métropole. Pouvez-vous mieux préciser ce point ?

M. Hervé Gaymard, corapporteur. L’agriculture dans les DOM, hors Mayotte, représente actuellement de 1,4 à 4,4 % du PIB en fonction des départements, contre 2,2 % en métropole ; elle représente de 2 à 7 % de l’emploi contre 3,3 % dans l’hexagone.

M. Bernard Lesterlin. Cette statistique ne tient pas compte de Mayotte malheureusement ; je dis malheureusement car je sais que peu de chiffres sont disponibles pour ce département et que nous devons désormais revendiquer les outils permettant d’agréger les chiffres de Mayotte à ceux des quatre autres DOM.

Par ailleurs, ce poids important de l’agriculture dans les DOM n’empêche pas de constater aussi des déséquilibres structurels. Si l’hexagone peut s’enorgueillir de rééquilibrer sa balance commerciale par l’agriculture, dans les départements d’outre-mer, compte tenu du poids des importations, la situation est toute autre.

Maintenant, quel axe stratégique tirer de ces observations ?

Pour être éclairé sur ce point, je souhaiterais poser trois questions : l’agriculture peut-elle contribuer, à l’heure actuelle, à la diminution du chômage des jeunes ? En termes de marchés, les filières doivent-elles se tourner résolument vers l’exportation ou bien doivent-elles favoriser plutôt l’autosuffisance alimentaire ? Enfin, s’agissant du développement des agricultures endogènes, la recherche, et notamment celle qui relève des grands établissements de recherche publique situés dans l’hexagone, peut-elle être un point d’appui ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. La question montre que tout est lié. L’excellence française en matière de recherche existe aussi dans les DOM. Par exemple, à La Réunion, il existe un centre de recherche sur la canne à sucre qui fait autorité dans le monde entier. À partir de ce socle de recherche, la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » se développe favorablement et elle enregistre un solde positif à l’exportation. Néanmoins, cette filière ne saurait évidemment pas répondre à tous les besoins et, comme l’a indiqué M. Serge Letchimy, se pose alors la question de la diversification. Mais tous les axes de la problématique sont liés et ils forment un tout.

M. Bruno Nestor Azerot. À mon tour de saluer le travail en profondeur effectué par les deux rapporteurs. J’ai lu le rapport avec beaucoup d’intérêt et j’y souscris pleinement, ainsi qu’à ses trente-neuf propositions qui me paraissent constituer des pistes de réflexion tout à fait fondamentales.

Dans ces propositions, il y a incontestablement des urgences.

Je suis d’accord avec notre collègue, M. Jean Jacques Vlody, pour placer au premier rang de ces urgences l’augmentation du nombre des produits phytosanitaires utilisables dans l’agriculture ultramarine. Les acteurs des filières « canne à sucre » et « banane » sont confrontés à ce problème de la raréfaction des produits homologués pour lutter contre les maladies des cultures et il faut le régler sans attendre.

La question de l’amélioration des retraites agricoles me paraît aussi être une priorité. Il faut que la retraite des exploitants, des conjoints et des salariés agricoles atteigne un minimum acceptable. Cela est d’autant plus important que, indépendamment du titulaire des droits, ces retraites font vivre des familles entières.

M. Daniel Gibbes. Mon intervention sera courte. Il est vrai que l’agriculture à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy ne revêt pas de caractère stratégique ; néanmoins, je tiens à exprimer ici toute ma solidarité avec ceux des élus pour lesquels ce secteur constitue un pan entier de l’activité économique de leur région – secteur qui peut être confronté parfois à des problèmes très préoccupants. Les propositions du rapport me paraissent tout à fait fondées et je voulais féliciter les rapporteurs pour la qualité de leur rapport qui, comme toujours au sein de la Délégation, est un travail sérieux et sans a priori lié à une appartenance politique.

Je voudrais ajouter quelques éléments pour compléter les informations contenues dans le rapport concernant les deux îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.

Ces deux îles sont passées sous le régime de l’article 74 de la Constitution en 2007. Ce transfert n’est pas arrivé comme une coquille vide mais les deux îles ont reçu la compétence fiscale. L’arme fiscale est très intéressante car elle peut faciliter la stabilisation des espaces agricoles face à la pression foncière. Les deux territoires ont aussi reçu la compétence en matière d’urbanisme, ce qui permet à chaque île de conduire des actions en matière d’aménagement du territoire. Enfin, Saint-Barthélemy a la compétence dans le domaine de l’environnement. Saint- Martin ne l’a pas encore mais l’extension de cette compétence, qui suppose la modification de la loi organique régissant la collectivité territoriale, est à l’étude.

En matière d’agriculture, Saint-Martin rencontre un problème avec l’immatriculation des bovins qui n’est pas effectuée actuellement. Il est envisagé que ce soit la Chambre d’agriculture de Guadeloupe qui s’en charge dans un proche avenir.

M. Jean-Philippe Nilor. Ce rapport était attendu compte tenu de l’importance stratégique de l’agriculture dans les territoires et compte tenu aussi
– M. Jean Jacques Vlody l’a rappelé – du poids culturel de l’agriculture dans l’histoire des départements et des collectivités d’outre-mer.

Il s’agit d’un travail appréciable et je suis d’accord avec la plupart des recommandations dont beaucoup relèvent du bon sens. Par exemple, je suis tout à fait d’accord avec l’adaptation des programmes d’enseignement, l’optimisation des formations ou l’ouverture des BTS.

C’est également une excellente idée que de chercher à réduire les délais des procédures dans l’instruction des dossiers d’installation des jeunes agriculteurs. Toutefois, j’ai des doutes sur l’efficacité concrète d’une telle proposition. En effet, il faudrait changer aussi les mentalités de toutes les personnes qui travaillent dans les différents organismes qui sont partie prenante à l’instruction des dossiers. En effet, ces personnes pratiquent souvent l’excès de zèle en matière de documents, de telle sorte que les agriculteurs finissent par être découragés.

Je m’interroge sur le fait de confier au préfet une partie de la mise en œuvre des Zones agricoles protégées (ZAP).

Je suis d’accord avec tous les propos qui ont été tenus par notre collègue, M. Serge Letchimy.

Je pense que tous les moyens préconisés pour la mobilisation des terres en faveur des jeunes agriculteurs seront dépourvus d’effets si l’on ne s’attaque pas au problème fondamental qui est celui du niveau des retraites. Tant que les retraites seront trop basses, les exploitants resteront sur leurs terres, même à un âge très avancé.

Je trouve d’ailleurs que le système du calcul des retraites des exploitants outre-mer est fondé sur une réglementation inéquitable. Dans les DOM, la retraite n’est pas calculée en fonction du revenu déclaré, comme dans l’hexagone, mais en fonction de la surface réelle pondérée de l’exploitation. Est-ce que l’on estime que les agriculteurs ultramarins ne sont pas fiables dans leur déclaration ? Ce système de surface pondérée est très pénalisant et malgré tout, en dépit de nombreux efforts, il est impossible de le changer.

Je n’ai pas trouvé dans le rapport d’orientation claire vers une agriculture nourricière.

Je regrette également qu’il n’y ait pas d’orientation claire permettant de faire évoluer l’agriculture vers des pratiques durables. Ce serait pourtant une position politique audacieuse que de choisir d’aider prioritairement ceux qui s’engagent en faveur d’une agriculture respectueuse de l’environnement.

Mme Brigitte Allain. Je remercie les rapporteurs pour leur travail très approfondi qui, au-delà d’un constat, fait aussi de nombreuses préconisations, ce qui est très appréciable.

Néanmoins, il ne me semble pas, au fond, que ces préconisations soient tellement différentes de celles qui seront proposées par la loi d’avenir.

J’apprécie le gros travail qui a été fait, dans le rapport, sur l’accès au foncier, sur les successions et sur les installations. En outre, je me retrouve certainement dans l’idée qui est développée dans le troisième chapitre du rapport et qui consiste à dire que les propriétés de moins de deux hectares – propriétés très nombreuses outre-mer – méritent d’être reconnues.

Par contre, je note que le rapport ne dit rien sur les installations non aidées. Pourtant, l’étude de ces installations non aidées aurait été intéressante. Ces installations jouent certainement un rôle contre le chômage et elles connaissent très probablement des problèmes particuliers : difficulté pour atteindre un minimum d’autonomie, nourriture trop sucrée consommée par le chef d’exploitation et les membres de sa famille, etc.

C’est ainsi que j’en viens à ma critique qui concerne la logique du rapport : plutôt que des recommandations assez générales, j’aurais préféré des préconisations très ciblées et visant des objectifs répondant à des enjeux sur lesquels les populations auraient pu se mobiliser. Ces préconisations pourraient correspondre, au niveau local, à des projets territoriaux. Ainsi, pour les transmissions d’exploitations, on peut supposer que les exploitants accepteraient plus facilement de céder leurs biens fonds s’ils étaient motivés dans le cadre d’un projet territorial, par exemple s’ils comprenaient qu’il est vital de sauvegarder les terres agricoles pour l’alimentation.

M. Boinali Said. Je regrette que, dans le rapport, il n’y ait pas de tableaux statistiques concernant Mayotte. Néanmoins, les différentes problématiques foncières qui ont été analysées par les rapporteurs s’appliquent aussi à notre département et je me fais l’écho de tous les problèmes soulevés qui sont incontestablement des problèmes communs.

L’agriculture à Mayotte relève encore de l’ordre de l’informel dans le cadre d’un système familial, parfois encore clanique, et frappé par les indivisions. De ce dernier point de vue – c’est-à-dire les indivisions – il y a certainement des ressemblances avec d’autres situations que j’entends décrire, ici ou là, dans d’autres territoires d’outre-mer.

Nous connaissons aussi le problème de l’installation des jeunes. Très peu de jeunes accèdent au foncier et ils ont le plus grand mal à obtenir du crédit.

De même, l’enseignement n’est pas toujours parfaitement adapté aux besoins du monde agricole. À Mayotte aussi, il faut créer cette interface, suggérée par le rapport, avec les lycées et les centres de recherche, afin de mettre l’agriculture en mouvement.

Nous manquons de transferts de technologie et nous espérons que le maintien du dispositif de la défiscalisation de certains investissements productifs outre-mer permettra de constituer un levier pour la modernisation et la professionnalisation de l’agriculture.

La question de l’avenir de l’exploitant non rémunéré – mais qui vit en pratiquant une agriculture de subsistance – est également préoccupante. De quelle retraite pourra-t-il disposer ?

Au total, face à toutes les difficultés que nous connaissons, il paraît urgent d’organiser le marché intérieur pour diriger et donner un sens à la production locale.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci mon cher collègue. Nous comprenons vos préoccupations et nous sommes sensibles au fait que vous veniez ici très régulièrement afin d’exposer les problèmes auxquels votre département se trouve confronté. Car tel est bien aussi le rôle de la Délégation que de relayer les difficultés rencontrées par chaque DOM et par chaque COM auprès des pouvoirs publics.

M. Hervé Gaymard, corapporteur. La faiblesse de l’outil statistique concernant les COM et concernant Mayotte a été signalée dans le rapport. Nous nous efforcerons, au moment de la publication de ce dernier, de mettre mieux en relief les chiffres les plus intéressants que nous avons pu rassembler sur la situation foncière à Mayotte.

Du point de vue des activités agricoles, la situation de Mayotte est incontestablement une situation spécifique.

Il n’existe pas de cadastre sur l’île. Les structures agricoles sont constituées par des micro-exploitations de moins d’un hectare qui pratiquent une agriculture essentiellement vivrière. Il n’y a aucune filière – même la récolte de l’ylang-ylang tend à décroître – et tout est donc à créer et à organiser en ce domaine. Le Gouvernement doit donc apporter des réponses spécifiques aux besoins du nouveau département.

S’agissant des remarques qui ont été formulées par certains collègues sur les deux questions de l’autosuffisance alimentaire et de la diversification des cultures, je voudrais apporter, à titre personnel, quelques éléments de réflexion pour alimenter un débat qui est maintenant très ancien.

Bien entendu, la diversification des cultures est utile et même nécessaire, et dans certains territoires beaucoup de progrès ont été réalisés en ce domaine.

Mais il existe aussi des obstacles structurels incontournables qui font que la diversification des cultures outre-mer trouvera toujours ses limites.

Il y a d’abord l’obstacle du climat. Il existe des spécificités climatiques outre-mer et il est quasi impossible d’aller à leur encontre. La plupart des experts le confirmeront.

Il y a aussi le facteur démographique. Pour reprendre l’exemple de Mayotte, ce territoire comptait, il y a une quinzaine d’années, environ 70 000 habitants. Il en compte aujourd’hui 260 000. Il est clair que l’on ne peut pas nourrir 70 000 personnes de la même manière que 260 000, surtout avec des cultures endogènes. La démographie constitue une limite évidente à l’autosuffisance.

Par ailleurs, les habitudes alimentaires doivent être également prises en considération. Elles varient dans tous les pays. Par exemple, en Europe, on ne connaitrait pas le blé dur sans l’apport des Chinois. Au Sénégal, on ne connaitrait pas le riz sans l’influence de l’Europe. Les habitudes alimentaires sont soumises à évolution et les territoires ne peuvent pas tout produire.

Il y a aussi la question de la transformation. Pour créer des filières de diversification, il ne faut pas seulement produire, il faut aussi que la production enregistre une valeur ajoutée et que celle-ci demeure sur le territoire. Or, les capacités industrielles des pays d’outre-mer sont souvent beaucoup trop faibles pour que la création d’une telle valeur ajoutée puisse être durablement inscrite dans le temps.

Par conséquent, la diversification n’est pas une panacée. Les collectivités d’outre-mer ne doivent pas se laisser enfermer dans un choix binaire : exportation ou diversification. Il est nécessaire d’encourager à la fois l’agriculture endogène et l’agriculture traditionnelle exportatrice, les deux activités étant susceptibles de dégager des excédents commerciaux pour couvrir les importations.

Pour répondre maintenant plus précisément à la question de M. Serge Letchimy sur l’utilisation de la clause de sauvegarde, je suis évidemment tout à fait d’accord avec l’idée qu’un État puisse utiliser, de temps à autre, ce dispositif juridique. La Commission européenne est toujours spécialement timorée sur ce sujet. Pourtant, beaucoup de pays extra-européens ne se privent pas d’utiliser une telle clause.

Pour répondre à M. Jean Jacques Vlody sur la recherche et sur les liens qu’elle peut entretenir avec les produits phytosanitaires et avec leurs spécificités tropicales, il paraît bien clair que, pour développer des programmes de recherche, il est nécessaire de disposer de marchés suffisamment vastes. Pour obtenir ces marchés, une solution intéressante pourrait consister en l’élaboration de programmes communs entre les grands organismes de recherche publique, tels que l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) ou le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), et leurs homologues étrangers. Les résultats de ces programmes pourraient être diffusés au même moment dans différentes parties du monde, ce qui pourrait sembler beaucoup plus attractif pour les financeurs.

Par ailleurs, bien évidemment, je partage le sentiment de M. Jean Jacques Vlody sur le fait que le cycle d’épandage n’est pas adapté. Le cycle tropical dure douze mois, tandis que le cycle tempéré dure trois mois. On ne peut pas calquer l’un sur l’autre.

M. Serge Letchimy. Je ne suis pas d’accord avec le début du raisonnement de M. Hervé Gaymard sur la diversification.

M. Jean-Philippe Nilor. Moi non plus. Du coup, je suis d’accord avec M. Serge Letchimy, ce qui n’est pas si fréquent.

M. Serge Letchimy. Si l’on prend la production de la pulpe de goyave dans les Antilles, par exemple, on a là le cas type d’une satisfaction des besoins locaux à 98 %.

M. Hervé Gaymard, corapporteur. Je ne dis pas que la diversification est impossible, je pense qu’elle doit aller de pair avec la consolidation des filières exportatrices.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous voyons bien ici qu’il peut y avoir différentes nuances dans les raisonnements, alors même que chacun partage le même souci de favoriser le développement des territoires ultramarins. Nos réflexions auront à se confronter en séance publique dans une enceinte plus vaste.

Mme Chantal Berthelot, corapporteure. Le rapport a souhaité procéder à une large écoute du monde de l’agriculture. Il a souhaité aussi être un constat et non un document empreint de subjectivité.

Toutes les formes possibles de diversification n’ont pas été étudiées. Mais on pourra en retrouver de nombreux exemples dans le rapport annuel de l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole des départements d’outre-mer).

D’autre part, on doit bien observer que, malgré nos demandes, les filières de diversification ne nous ont pas suggéré beaucoup de propositions de réformes. Je pense qu’aujourd’hui encore, toutes n’ont pas su trouver leur dimension optimale et qu’il faut avant tout les aider à se structurer. Pour cela, en tout premier lieu, il faut faciliter leur trésorerie.

Ce besoin de trésorerie est aussi patent pour les SAFER et pour les Chambres d’agriculture.

S’agissant de la pression foncière, il existe des moyens juridiques permettant de réduire les effets désastreux de la spéculation sur les surfaces cultivables. Il faut néanmoins qu’on les fasse vivre et, le cas échéant, qu’on leur apporte des modifications pour les rendre plus opérationnels.

Ainsi, M. Jean-Philippe Nilor, le système des ZAP, même après la prise de décision initiale par les collectivités locales, demeure beaucoup trop complexe. Si bien qu’au total, les maires n’arrivent pas toujours à en créer, par exemple à La Réunion. Il faut donc simplifier le dispositif au niveau de sa mise en œuvre concrète, ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que l’on revient sur des compétences territoriales.

Pour les installations non aidées, là encore nous butons sur des questions de statistiques. Cependant, le rôle des installations non aidées dans le maintien de l’emploi n’est pas douteux.

S’agissant des installations aidées, il paraît absolument indispensable d’accompagner les jeunes du point de vue bancaire. Il faut les aider à obtenir des garanties pour qu’ils puissent mobiliser des prêts bancaires auprès des établissements financiers.

La question de l’homologation de produits phytosanitaires adaptés aux particularités du climat tropical et celle de l’épandage doivent faire l’objet d’un réexamen approfondi par le Gouvernement.

Enfin, il faut voir comment les régions se saisiront demain de toutes ces questions.

Ce n’est pas à la loi de dire quelles cultures il faut développer et dans quels territoires. Il faut que les orientations de l’agriculture de demain soient définies, dans le cadre des régions, par les régions elles-mêmes. C’est sans doute là le sens fondamental de la future loi d’avenir.

M. Daniel Gibbes. Je me demande si, pour préserver le foncier, on ne pourrait pas créer un numerus clausus dans les parcelles, un peu comme pour les licences des chauffeurs de taxis. Ainsi, l’agriculteur serait porté à vendre son exploitation en fin de carrière, sachant qu’il dispose d’un capital garanti.

M. Jean-Philippe Nilor. Sur la question très pertinente de la garantie à apporter aux prêts des jeunes agriculteurs, ne pourrait-on imaginer une caution de la Banque publique d’investissement (BPI) ?

Mme Chantal Berthelot, corapporteure. Le rapport le propose.

M. Bernard Lesterlin. Le rapport aborde-t-il la question de la pêche ?

M. Hervé Gaymard, corapporteur. Non, il s’agit là d’un sujet en soi.

M. le président Jean-Claude Fruteau. La question de la pêche ne faisait pas partie des questions qui devaient être traitées par le rapport. En outre, nous sommes convenus avec le Sénat que les sujets sur la mer et sur la ressource halieutique relevaient plutôt de la Délégation sénatoriale à l’outre-mer.

M. Jean Jacques Vlody. Je suis très intéressé par le rapport de M. Hervé Gaymard sur les droits des pluriactifs. La pluriactivité pose en effet de multiples problèmes à La Réunion. En effet, dans le secteur du maraichage par exemple, les exploitants cotisent de manière forfaitaire une fois par an et les cotisations, qui ne sont pas proratisées, sont souvent très élevées par rapport au revenu d’activité.

M. le président Jean-Claude Fruteau. À l’issue de ce débat très riche, je pense qu’il est temps de passer aux votes.

Je mets aux voix les trente-neuf propositions contenues dans le rapport.

Les propositions sont adoptées à l’unanimité.

Je mets aux voix le rapport lui-même.

Le rapport sur les agricultures des Outre-mer est adopté à l’unanimité.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

1. Accroître les moyens de l’Observatoire de l’outre-mer, portail statistique et documentaire dédié à l’outre-mer qui dépend de la DEGEOM, afin, en particulier, que l’Observatoire puisse fournir des statistiques harmonisées pour tous les DOM et les COM sur les structures agricoles et qu’il puisse mieux éclairer les décideurs, ainsi que la CNEPEOM.

2. Prévoir une recette fiscale dédiée pour les SAFER. Cette recette pourrait consister – sous réserve d’un vote favorable des collectivités locales concernées – en un prélèvement sur la taxe spéciale d’équipement (TSE) prévue pour les établissements publics fonciers urbains par l’article 1607 ter du code général des impôts. Le montant affecté aux SAFER pourrait être de 2 euros par habitant. Ce montant de 2 euros serait intégré au plafond de 20 euros fixé pour la TSE par l’article 1607 ter du code général des impôts.

3. Étudier la mise en place d’une SAFER en Guyane et à Mayotte. À défaut de la création d’une SAFER, étendre largement les compétences de l’EPAG en Guyane et ouvrir – à titre exceptionnel et limité dans le temps – de nouveaux champs d’intervention pour la délégation locale de l’ASP à Mayotte.

4. Élargir le champ d’application du droit de préemption des SAFER aux parcelles cadastrales en zonage mixte.

5. Confier au préfet l’intégralité de la mise en œuvre d’une ZAP : définition du périmètre, arrêté de zonage et règlement.

6. Étendre les études d’impact prévues par les articles L. 110-1, L. 110-2 et L.122 -6 du code de l’environnement à l’agriculture. Prévoir, en modifiant l’article L. 181-3 du code rural, que les CDCEA seront automatiquement destinataires de ces études d’impact et que, sur cette base, elles pourront faire des prescriptions pour compenser les mesures négatives concernant le potentiel agricole.

7. Modifier l’article L. 121-9 et l’article R. 121-4 du code de l’urbanisme pour faire passer la durée de l’arrêté préfectoral établissant un PIG à dix ans renouvelables.

8. Valoriser le contrat de fiducie dans les « Points info installation » (PII) gérés, en règle générale, par l’ASP. Modifier l’article 2028 du code civil pour prévoir, dans le cas spécifique des exploitations agricoles ultramarines, une option permettant, lors de la constitution d’une fiducie, de prévoir le transfert complet de la propriété de l’exploitation au fiduciaire (ou au bénéficiaire de la fiducie), lors du décès du constituant.

9. Valoriser l’utilisation du mandat à effet posthume dans les « Points info installation » (PII) gérés, en règle générale, par l’ASP.

10. Modifier l’article 815-3 du code civil pour permettre la location et la vente des biens immobiliers à usage agricole, placés en indivision, à la majorité des deux tiers des indivisaires.

11. Favoriser la mise en place d’un comité départemental ou régional à l’installation.

12. Réduire significativement les délais administratifs nécessaires pour le traitement des dossiers d’aide à l’installation.

13. Adapter le contrat de génération à l’agriculture pour favoriser la transmission des exploitations et l’installation progressive des jeunes sur les terres agricoles.

14. Mettre en place, dans le cadre du PIDIL, un fonds de garantie pour les cédants qui transmettent leur propriété foncière à un jeune agriculteur.

15. Accompagner la cessation d’activité du cédant par une indemnité de départ volontaire ou par la réactivation d’un dispositif de préretraite.

16. Mise en place d’un système de location-vente progressive par les SAFER afin d’alléger le poids financier que représente l’achat d’une propriété foncière pour les jeunes agriculteurs.

17. Mise en place d’un fonds de cautionnement géré par l’État permettant aux jeunes agriculteurs de négocier dans de bonnes conditions des prêts bonifiés, et notamment des prêts MTS-JA, auprès des banques.

18. Pour les dossiers d’installation, faire de la limite d’âge de 40 ans celle du dépôt du dossier auprès de l’administration, le passage en CDOA pouvant s’effectuer dans un délai ultérieur.

19. Prévoir un accompagnement financier des agriculteurs de plus de 40 ans par les collectivités, sous réserve que les mêmes formalités que celles qui sont requises par l’État soient accomplies par le candidat à l’aide financière : passage par le « Point info installation » et réalisation d’un PPP puis d’un PDE.

20. Instaurer une bourse mensuelle pour le jeune installé, servie sur trois ans et s’ajoutant aux autres aides de l’État, en cas de création d’exploitation sur une terre en friche.

21. Ouvrir le bénéfice d’une dotation à l’installation pour les chômeurs en fin de droit au-delà de 40 ans.

22. Accroître encore davantage la part consacrée aux « approches de terrain » dans les programmes d’enseignement des collèges et des lycées agricoles.

23. Mieux coordonner les enseignements des collèges et des lycées agricoles avec les particularités de l’agriculture locale des DOM et des COM.

24. Ouvrir des plages horaires, dans le cadre des programmes des collèges et des lycées agricoles, aux interventions des chargés de recherche des grands établissements publics scientifiques et techniques, lorsque ces établissements figurent dans les territoires ultramarins, ou aux principaux acteurs des RITA, afin de sensibiliser les élèves à la diffusion de l’innovation.

25. Ouvrir de plus grandes facultés de choix, dans les DOM et les COM, pour la préparation du BTS agricole.

26. Prévoir des enseignements concernant l’installation dans les CFA et les organismes de formation professionnelle continue.

27. Prévoir l’instauration d’un critère horaire alternatif permettant l’assujettissement des exploitants au régime des non-salariés agricoles lorsque le critère basé sur la superficie de l’exploitation ne peut s’appliquer.

28. Prévoir, à terme, lorsque l’état des finances publiques le permettra, une revalorisation des retraites agricoles d’exploitant calculée de telle manière qu’aucune retraite mensuelle ne puisse être inférieure au montant du SMIC.

29. Créer, en modifiant l’article L. 752-4 du code de la sécurité sociale, une obligation, pour les exploitations ou les entreprises implantées dans les DOM, lorsqu’elles emploient des salariés exerçant une activité agricole, d’adhérer, à l’intention de ces salariés, à une ou plusieurs institutions de retraite complémentaire.

30. Fixer comme impératif, dans le cadre des négociations européennes, l’impossibilité absolue d’accepter le « découplage » du POSEI par rapport à la PAC.

31. Créer une commission régionale chargée de la sous-répartition et du suivi des crédits globalisés du FEADER.

32. Prévoir, dans le règlement du POSEI, la possibilité d’engager des crédits nationaux en faveur des filières, parallèlement aux crédits de ce programme.

33. Renforcer la capacité de trésorerie des organisations professionnelles des petites filières.

34. Favoriser la mise en place de contrats d’objectifs conclus entre les RITA et les organisations professionnelles des petites filières.

35. Favoriser le développement endogène de Wallis-et-Futuna en favorisant l’émergence d’une filière locale.

36. Homologuer de nouveaux produits phytosanitaires à l’usage de l’agriculture ultramarine, avec des processus de validation qui prennent en compte, de manière très fine, les contraintes spécifiques du climat tropical.

37. Sensibiliser les organisations professionnelles sur le fait qu’elles doivent accroître leurs efforts dans le domaine des démarches de qualité, c'est-à-dire dans le domaine de la caractérisation, de la labellisation et de la traçabilité des produits. Dans le cadre de ces opérations, les organisations professionnelles devraient être aidées par l’attribution de crédits du POSEI (issus de l’action « programme d’assistance technique »).

38. Ouvrir les aides publiques du POSEI aux organisations professionnelles pour la promotion des produits locaux.

39. Instituer un comité de promotion agricole régional pour assurer, à l’échelle de chaque territoire, la coordination des actions de communication ou de promotion qui se rapportent à la production locale.

PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS

Mardi 16 avril 2013

• Mme Isabelle Chmitelin, directrice de l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer, placé sous la double tutelle du ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt et du ministère des Outre-mer)

Mercredi 17 avril 2013

• M. Éric de Lucy, président de l’UGPBAN (Union des producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique), accompagné de M. Emmanuel Detter et de Mme Laetitia de La Maisonneuve (Eurodom - association de promotion des territoires ultra-marins)

• M. Francis Lignieres, président de LPG (Les producteurs de Guadeloupe)

• M. Philippe Aliane, directeur général de LPG

• M. Nicolas Marraud des Grottes, président de BanaMart

• M. Pierre Monteux, directeur général de BanaMart

• M. Tino Dambas, président de l’Institut technique tropical (IT2)

• MM. Guy Adolphe et Jean-Michel Hayot, producteurs

Lundi 3 juin 2013

• M. Sébastien Bellemene, président du syndicat « Jeunes agriculteurs » outre-mer, accompagné de M. Olivier Fontaine, président du syndicat « Jeunes agriculteurs » de La Réunion

• M. Sébastien Cadasse, secrétaire général du syndicat « Jeunes agriculteurs » de Martinique

• Mme France-Lise Couchy, représentante du syndicat « Jeunes agriculteurs » de Guadeloupe

• M. François Hubert, représentant du syndicat « Jeunes agriculteurs » de Guyane

• M. Moussa Hamidouni, représentant du syndicat « Jeunes agriculteurs » de Mayotte

Mardi 18 juin 2013

• M. Jean-Pierre Bastié, inspecteur général de l’agriculture, délégué ministériel pour les outre-mer (ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt)

• M. Jean-Noël Menard, inspecteur général de l’agriculture (ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt)

Mardi 2 juillet 2013

• M. Eric Allain, directeur général des politiques agricoles, agroalimentaires et des territoires (DGPAAT - ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt), accompagné de M. Frédéric Lambert, sous-directeur chargé de la sous-direction de la gouvernance

Mardi 16 juillet 2013

• M. Jean-Noël Ladois, chef du pôle outre-mer à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne à Bruxelles

Jeudi 19 septembre 2013

• M. Bernard Lannes, président national du syndicat « Coordination rurale », accompagné de M. Juvénal Rémir, secrétaire général du syndicat « Coordination rurale » pour la Martinique, et de Mme Adeline Gachein, coordinatrice au développement syndical

Mardi 1er octobre 2013

• M. Éric Tison, sous-directeur du travail et de la protection sociale (ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt – secrétariat général – service des affaires financières, sociales et logistiques)

• M. Jean-Pierre Bastié, délégué ministériel pour les outre-mer, accompagné de M. Philippe Cuccuru, sous-directeur des établissements, des dotations et des compétences (ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt – direction générale de l’enseignement et de la recherche – service de l’enseignement technique)

Jeudi 10 octobre 2013

• M. Frédéric Gueudar Delahaye, directeur général adjoint de FranceAgriMer (Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer, placé sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt)

PERSONNES ENTENDUES PAR LA DÉLÉGATION

Mardi 26 mars 2013

• M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer

Mardi 14 mai 2013

• M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

Mardi 11 juin 2013

• M. Gérard Bally, délégué général d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint, de M. Emmanuel Detter, consultant, et de Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement

• M. Philippe Ruelle, représentant de l’UGPBAN (Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique)

• M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion

• M. Cyrille Mathieu, responsable d’Iguacanne (Groupement inter-professionnel guadeloupéen pour la canne à sucre)

• M. Thibaut Laget, représentant de l’APOCAG (Association des producteurs d’ovins et de caprins de Guyane)

• M. David Giraud-Audine, responsable de l’APIFEG (Association de préfiguration interprofessionnelle des filières d’élevage de Guyane)

• M. Élie Shitalou, secrétaire général d’Iguavie (Groupement interprofessionnel guadeloupéen de la viande et de l’élevage), accompagné de M. Georges Magdeleine

• M. Fabrice Monge et M. Bruno Wachter, représentants d’Iguaflhor (groupement interprofessionnel guadeloupéen des fruits, des légumes et de l’horticulture)

• M. Bernard Sinitambirivoutin, gérant de la société d’intérêt collectif agricole « Les Alyzées » (société de commerce interentreprises guadeloupéenne de fruits et de légumes)

• M. Fred Alexandre Petrus, responsable de la société d’intérêt collectif agricole SICAPAG (société guadeloupéenne de productions agricoles, spécialisée dans les fruits, les légumes, les plantes aromatiques et les fleurs)

Mercredi 26 juin 2013

• M. Florent Thibault, co-président du Comité paritaire interprofessionnel de la canne et du sucre (CPCS) et président du Centre technique interprofessionnel de la canne et du sucre (CTICS), accompagné de M. Jean-Bernard Gonthier, président de la Chambre d’agriculture de La Réunion et membre du CPCS

• M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion, accompagné de Mme Sylvie Le Maire, déléguée générale

• M. Jean-Claude Cantorné, vice-président du Conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des DOM (CIRT-DOM)

• M. André Erick Eugénie, trésorier de Canne-Union (Association des planteurs de canne à sucre de la Martinique) et rapporteur-animateur de la commission de relance de la filière canne/sucre/rhum de la Martinique

• M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de M. Emmanuel Detter, consultant, et de Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement

Mardi 9 juillet 2013

• M. Pascal Ferey, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), accompagné de Mme Sophie Galard, en charge des relations avec l’outre-mer, et de Mme Nadine Normand, chargée des relations avec le Parlement

• M. Claude Cellier, secrétaire national de la Confédération paysanne, accompagné de M. Alex Bandou, membre du comité national pour la Guadeloupe et secrétaire général de l’Union des producteurs agricoles de Guadeloupe (UPG), et de M. Pascal Fricker, membre du comité national pour la Guyane

• M. Sébastien Bellemene, président de « Jeunes agriculteurs » outre-mer, accompagné de M. Antoine Fesneau, délégué régional, et de M. Cédric Coutellier, administrateur de « Jeunes agriculteurs » outre-mer et de « Jeunes agriculteurs » Guadeloupe

• M. François Lucas, vice-président de la Coordination rurale, accompagné de M. Juvénal Rémir, secrétaire général pour la Martinique, et de Mme Adeline Gachein, coordinatrice au développement syndical

Mardi 10 septembre 2013

• M. Jo Giroud, secrétaire général de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), chargé du suivi des questions concernant l’outre-mer pour le Bureau de l'APCA, accompagné de M. Guillaume Baugin, attaché parlementaire, et de M. Frédéric Ernou, chargé de mission Instances et Réseau

• M. Patrick Sellin, président de la Chambre d’agriculture de Guadeloupe, accompagné de M. Franck Souprayen, secrétaire général, et de M. Joël Pédurand, directeur

• M. Louis-Daniel Bertome, président de la Chambre d’agriculture de Martinique

• M. Albert Siong, président de la Chambre d’agriculture de Guyane

• M. Mohamedi Antoine, premier vice-président de la Chambre d’agriculture de Mayotte

Mardi 17 septembre 2013

• M. Rodrigue Trèfle, président de la Société d’aménagement foncier et rural (SAFER) de Guadeloupe

• M. Joseph Lugo, président de la SAFER de Martinique, accompagné de M. Robert Catherine, directeur général

• M. Jack Arthaud, directeur général de l’Établissement public d'aménagement en Guyane (EPAG)

Mardi 1er octobre 2013

• M. Jean-Louis Peyraud, chargé de mission-direction scientifique « agriculture », accompagné de M. Antoine Momot, chef du cabinet du président, à l’Institut national de recherche agronomique (INRA)

• M. François Cote, directeur du département des systèmes de production et de transformation tropicaux (PERSYST), accompagné de M. Gérard Matheron, chargé de mission, au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)

• M. Frédéric Lapeyrie, directeur général du consortium Agreenium

• M. Jean Champagne, directeur adjoint, chargé de l’outre-mer, de l’ACTA, réseau des instituts des filières animales et végétales

Mardi 8 octobre 2013

• M. Louis-Daniel Bertome, président de la Chambre d’agriculture de la Martinique

• M. Laurent Laviolette, secrétaire général de l’Union des Groupements de Producteurs de Bananes de Guadeloupe et de Martinique (UGPBAN)

• M. Pierre Monteux, directeur général de la société Banamart

• M. Philippe Ruelle, directeur général de la société Fruidor

• M. Denis Loeillet, responsable de l’Observatoire des marchés du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)

• M. Tino Dambas, président de l’Institut Technique Tropical (IT2)

• M. Franck Gonsse, secrétaire général de la Coordination nationale des travailleurs portuaires et assimilés (port de Dunkerque) et de la Chambre syndicale des ouvriers du port mensualisés et intermittents (CNTPA/CSOPMI)

• M. Xavier Eiglier, directeur de la ligne Antilles de la Compagnie maritime d’affrètement-Compagnie générale maritime (CMA-CGM)

• M. Jean-François Tallec, chargé des relations institutionnelles de CMA-CGM

• M. Xavier Freyermuth, directeur de la cartonnerie International Paper de Basse-Terre en Guadeloupe

• M. Franck Lliso, président de la société Fructifrui (réseau de mûrisseurs indépendants de Rungis)

• M. Jean Simonnet, responsable de la société Antilles Vitro Plants (entreprise de reproduction de plantes)

• M. Juvénal Rémir, secrétaire général du syndicat « Coordination rurale » pour la Martinique

• Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement de l’association Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins)

Mardi 15 octobre 2013

• M. Edward Jossa, président directeur général de l’Agence de services et de paiement (ASP)

• M. Bernard Bezeaud, directeur général délégué de l’ASP

• M. Omer Roche, délégué régional de l’ASP Guyane

• M. Thomas Rüger, chargé de mission, correspondant outre-mer

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION

Audition de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer 137

Audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la Forêt 157

Audition de représentants d’Eurodom et des filières agricoles ultramarines 165

Table ronde sur la filière « canne – sucre – rhum – bagasse » 183

Table ronde avec les syndicats agricoles 197

Table ronde avec les chambres d’agriculture 217

Table ronde avec les présidents des SAFER et le directeur général de l’EPAG 233

Table ronde avec les organismes de recherche agricole 249

Table ronde sur la filière « banane » 267

Table ronde avec les représentants de l’Agence de services et de paiement (ASP) 285

Audition de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, sur la taxe de l’octroi de mer, la défiscalisation et l’agriculture outre-mer

Compte rendu de l’audition du mardi 26 mars 2013

M. le président Jean-Claude Fruteau. L’ordre du jour appelle, tout d'abord, la désignation de deux rapporteurs sur la défiscalisation des investissements outre-mer.

Comme vous le savez, l'article 79 de la loi de finances initiale pour 2013 prévoit – mais pour un an seulement – le maintien de la défiscalisation des investissements outre-mer, défiscalisation qui concerne notamment les investissements industriels et le logement social.

D’autre part, le Parlement avait étendu le plafonnement de la défiscalisation à 18 000 euros plus 4 % du revenu imposable – mais le Conseil constitutionnel a supprimé la disposition des 4 % à la fin de l'année 2012.

À la suite de cela, deux rapports ont été demandés, le premier, pour le mois de mai, à Bercy, qui doit traiter de l'évaluation de la défiscalisation, et le second à l'Inspection générale des finances (IGF), qui doit étudier les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel.

Cette situation fait naître une certaine inquiétude dans nos départements d’outre-mer notamment : nous avons donc souhaité rédiger un rapport sur ce sujet.

Je précise que M. Larcher, président de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, procède de la même manière, puisqu'il a créé un groupe de travail commun à la Délégation et à la commission des Affaires économiques du Sénat.

Pour réaliser ce rapport, je vous propose, comme nous en avons pris l'habitude, de désigner deux parlementaires, l'un issu de l'outre-mer et l’autre de l'hexagone. Je vous suggère la candidature de M. Patrick Ollier, ancien président de l'Assemblée nationale et rapporteur spécial du budget de l’outre-mer, ainsi que de moi-même.

Mme Annick Girardin. Monsieur le président, vous êtes tout à fait légitime dans ce rôle, d’autant que vous êtes membre de la commission des Finances, tout comme M. Ollier, ce qui a son importance sur un tel sujet.

Cela m’aurait également intéressée, mais le Gouvernement m’a demandé de faire partie du groupe de réflexion qu’il a mis en place dans ce domaine.

M. le président Jean-Claude Fruteau. S’il n’y a pas d’opposition, il en est ainsi décidé.

***

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous allons maintenant entendre M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, que je remercie de sa présence. Son audition portera en premier lieu sur l’octroi de mer, à la suite du rapport réalisé par la Délégation sur ce sujet. Nous souhaiterions, monsieur le ministre, que vous fassiez le point de la réflexion du Gouvernement et que vous nous indiquiez vos conclusions ainsi que les demandes formulées dans les négociations avec Bruxelles.

Nous aborderons ensuite la défiscalisation des investissements outre-mer et l’agriculture – un volet spécifique sur l’outre-mer étant prévu dans le projet de loi que le Gouvernement a l’intention de présenter dans ce domaine. Nous avons d’ailleurs désigné deux rapporteurs sur ce dernier sujet : Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard.

M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. C’est moi qui vous remercie de votre accueil.

En ce qui concerne l’octroi de mer, nous faisons nôtres toutes les conclusions de votre rapport : elles correspondent globalement aux demandes que nous avons transmises à Bruxelles début février dans le cadre du mémoire que nous lui avons communiqué en vue de reconduire le dispositif existant – ce qui n’est pas évident, compte tenu de la position de la Commission européenne.

Je rappelle que l’octroi de mer constitue une ressource essentielle pour les départements d’outre-mer : un peu plus d'un milliard d'euros par an – 1 milliard et 32 millions d’euros précisément en 2011.

De plus, il s'agit d'un dispositif de soutien important pour les entreprises de production. Il a en effet contribué depuis une dizaine d'années au maintien et au développement de certaines activités de production, permettant ainsi de créer un nombre significatif d'emplois pérennes dans les départements et régions d’outre-mer (DROM).

L'évaluation conduite par le cabinet Langrand, un organisme indépendant – j’insiste sur ce terme, les institutions européennes vérifiant la qualité des audits réalisés – conclut à l'absence de surcompensation, de surprotection, ou d'effet de rente. L'octroi de mer ne crée donc pas de distorsion de concurrence mesurable.

Or la permanence de plusieurs handicaps structurels conduit à solliciter le renouvellement de ce dispositif.

Les propositions que nous avons transmises à Bruxelles sont de cinq ordres.

D’abord, nous proposons de modifier le champ d'application de l'octroi de mer en l’étendant à Mayotte dès le 1er janvier 2014, date à laquelle le texte permettant à ce territoire d’accéder au statut de RUP – région ultra-périphérique – entre en vigueur. Cette particularité va nécessiter l’adoption d'un texte spécifique pour cette collectivité afin de couvrir la période du 1er janvier au 1er juillet 2014 – lorsque le dispositif actuel arrive à échéance. Les commissaires européens sont d’accord pour prendre d’ici la fin de l’année les deux décisions nécessaires à cette fin, l’une du Conseil, l’autre de la Commission.

Notre deuxième demande porte sur les conditions d’assujettissement et les redevables : elle tend à exclure du champ d'application de la taxe les entreprises réalisant un chiffre d'affaires inférieur à un seuil de 300 000 euros. Je rappelle qu’aujourd’hui, seules les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 550 000 euros par an sont assujetties. Nous aurons à voir avec les élus locaux, notamment les présidents de région, comment le surplus de recettes devra être affecté.

Troisièmement, s’agissant des taux, il est proposé la création d'un différentiel temporaire de taxation pour les nouvelles productions non listées de 15 % maximum. Pour mémoire, le dispositif actuel comporte trois listes de produits, avec un différentiel de taxation allant jusqu’à 10 %, 20 % et 30 % respectivement pour les listes A, B et C. Reste néanmoins à vérifier si un tel différentiel est suffisant pour permettre de faire émerger une production nouvelle, sachant que Bruxelles est réticente à aller au-delà de 5 ou 7 %. Nous devons en effet affronter la concurrence de produits n’ayant pas nos problèmes de coûts salariaux et pouvant bénéficier de dévaluations monétaires.

En quatrième lieu, nous souhaitons une meilleure flexibilité de l'encadrement juridique du dispositif, en assouplissant les modalités de révision de l'annexe relative aux listes de produits pouvant être exonérés ou taxés à un taux réduit.

Enfin, deux autres mesures sont proposées : l’extension des possibilités d'exonération en faveur de certaines activités – les infrastructures de développement économique, la recherche ou le tourisme – et la modernisation des systèmes informatiques de collecte et de traitement de données par l'administration fiscale française afin de rendre davantage fiable le suivi des données statistiques.

Je me suis rendu à la Commission européenne : les commissaires ont été francs tout en manifestant leur bienveillance ; ils sont conscients qu’on ne peut remettre en cause fondamentalement le dispositif.

Cela étant, le commissaire chargé de la fiscalité, M. Semeta, m’a fait part d’une certaine méfiance de la Commission vis-à-vis de la philosophie de l'octroi de mer, vue en quelque sorte comme une entrave à la libre circulation. Il a souligné le caractère dérogatoire de ce régime – fondé sur l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – et estimé fondamental de justifier la nécessité de son maintien.

Il a également indiqué son souci de veiller à l'absence de toute finalité « protectionniste » de ce régime et invité la France à bien démontrer le caractère proportionné de l'aide.

Cela supposait donc que, pour chaque produit bénéficiant d'un taux réduit d'octroi de mer, notre pays justifie l'existence d'une production locale, d'importations significatives et de surcoûts de production. La Commission a besoin de ces éléments aussi rapidement que possible pour pouvoir instruire la demande française dans les meilleurs délais. Je me suis d’ailleurs engagé à les lui communiquer avant la fin du mois d’avril.

En effet, les délais sont contraints : l'octroi de mer est régi par un double encadrement communautaire – une décision du Conseil et une décision de la Commission.

Le calendrier est le suivant : l’examen par la direction générale TAXUD, chargée de la fiscalité, jusqu'à la fin du premier semestre 2013 de notre demande de renouvellement et des listes A, B et C actualisées de produits bénéficiant du différentiel – des instructions ont été données aux préfets et des demandes formulées aux présidents de région à cet égard afin d’arrêter la position française – ; puis la proposition législative de la Commission au Conseil ; la saisine pour avis du Parlement européen ; et l’adoption par le Conseil de la décision par un vote à la majorité qualifiée.

Parallèlement, à partir de septembre 2013, est prévue la notification du dispositif d'exonération d'octroi de mer auprès de la direction générale de la concurrence (COMP).

Enfin, le Parlement français devra, dans le cadre d’un projet de loi, transposer la décision de l'Union européenne dans le droit national afin de permettre une entrée en vigueur du nouveau dispositif pour le 1er juillet 2014.

La consultation des régions concernées – y compris Mayotte – est déjà engagée – au travers des préfets, des collectivités locales et des socioprofessionnels – sur la base d'un tableau commun qui permettra pour chaque produit de justifier les raisons pour lesquelles un différentiel de taxation est demandé. Je devrais être destinataire de leurs propositions d’ici la mi-avril. L'harmonisation de la base de données permettra également de faire des comparaisons, de manière plus aisée, d'un territoire à l'autre et d'éviter dans les bassins régionaux des concurrences entre territoires du fait de différentiels de taxation inexpliqués. Je rappelle qu’on a tenté, il y a quelques années, de régler ce type de problème entre la Guadeloupe et la Martinique pour éviter des différentiels de taxation susceptibles de créer des détournements de trafic indus.

Il faut donc que le différentiel de taxation fasse l’objet d’une analyse rigoureuse et argumentée.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Quelles sont précisément les modifications réclamées en termes d’assujettissement ?

M. le ministre. Nous avons demandé d’abaisser le seuil d’assujettissement de 550 000 à 300 000 euros. Nous avions proposé que jusqu’à 80 000 euros, les entreprises ne soient pas assujetties et que de 80 000 à 300 000, elles le soient mais bénéficient d’une exonération : cependant, les services fiscaux et les douanes avaient expliqué que c’était compliqué. Il est donc préférable de faire une césure à 300 000 euros.

Cela n’empêche pas un débat avec les élus locaux. Les représentants socio-professionnels ne manqueront pas de dire que cette mesure est inflationniste, mais c’est une question d’équité : certaines entreprises peuvent aujourd’hui bénéficier de certaines exonérations, avoir directement ou indirectement des aides tirées de l’octroi de mer, sans participer à l’effort commun. Il faut voir comment elles pourraient participer.

Mais au-delà de ce point, Bruxelles devrait faire porter son analyse sur la hiérarchisation des listes et le différentiel de taux, en fonction des éléments qui lui seront communiqués. La discussion portera également sur le différentiel applicable aux produits nouveaux – sachant que les révisions des listes sont assez lourdes et justifient un dispositif simplifié. Elle devrait s’appuyer sur des études de statistique économique objectives.

Une chose n’a pas été réclamée – même si j’ai demandé à l’IGF et au service de législation fiscale de poursuivre la réflexion – : l’extension aux services. Aujourd’hui, l’octroi de mer est recouvré par les douanes, et non les services fiscaux. Une telle mesure supposerait un changement d’organisation et des redéploiements entre ces deux administrations dont on nous a fait comprendre qu’ils seraient trop compliqués à mettre en œuvre pour le moment.

L’autre point non demandé, mais évoqué par beaucoup, consisterait à transformer l’octroi de mer en TVA – ou son équivalent – gérée par les régions. Si le mécanisme de déduction de la TVA est intéressant, il y a tellement d’incertitudes sur le produit fiscal attendu qu’on ne peut changer de système sans avoir fait des simulations sérieuses ou une expérimentation préalable. Mais les institutions européennes sont-elles disposées à accepter une expérimentation ? Par ailleurs, où celle-ci serait-elle menée ?

Un autre débat pourrait être engagé avec les présidents de région et d’association des maires sur la question de l’affectation du surcroît des recettes attendues : les plus-values seraient-elles affectées en faveur du fonctionnement, comme aujourd’hui, ou, partiellement, des investissements ?

Peut-on par ailleurs demander aux régions de baisser les taux sur les produits de consommation courante ou de première nécessité ? Cette question nécessitera un accord préalable avec les élus régionaux et les maires, car il s’agit de leur dotation globale garantie.

M. Serge Letchimy. Les frais de recouvrement représentent 2,5 % des recettes : ils constituent des sommes très élevées, qui pourraient être mieux partagées. À plusieurs reprises, nous avons demandé d’ouvrir un débat sur ce point afin de faire le lien entre le coût de recouvrement et les recettes correspondantes : cela pourra-t-il être le cas ?

Deuxièmement, une étude d’impact sur l’abaissement du seuil d’imposition à 300 000 euros ne serait-elle pas utile pour voir quelles seraient les entreprises concernées et les conséquences de cette mesure sur elles ?

Je suis heureux que vous ayez pu obtenir la réaffirmation de l’application de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, car, lors de ma dernière visite à Bruxelles, il a fallu beaucoup batailler pour que ce soit le cas.

La question de la transformation de l’octroi de mer en TVA est pertinente : elle mérite d’être expertisée, notamment au regard des conséquences en termes de stratégie économique, d’accompagnement de la production, de relance de la consommation, ainsi que sur le plan fiscal. Certains considèrent en effet que cette mesure pourrait être un moyen de relancer la consommation par des mécanismes de déduction.

M. le ministre. Les frais de recouvrement permettent de rémunérer les services de l’État mais aussi de servir des indemnités aux douaniers. Il s’agit, il est vrai, de sommes importantes, qui donnent lieu à un débat récurrent. Certains ont d’ailleurs estimé qu’une proportion d’1 ou 1,5 % pourrait largement suffire sans remettre en cause le régime indemnitaire des douaniers. Cela permettrait en outre d’engendrer un surcroît de recettes non inflationniste pour les collectivités locales. Mais nous avons du mal à convaincre le ministère chargé des finances sur ce point.

Sur l’abaissement du seuil, j’ai demandé la réalisation d’une étude d’impact avant l’entrée en vigueur du nouveau dispositif : nous l’attendons. Cet abaissement peut gêner les entreprises si elles n’en répercutent pas le coût, mais si elles le font, cela peut être inflationniste. Il est utile à cet égard de connaître l’impact selon les produits et leur volume de consommation.

Le texte de juillet 2004 prévoit un mécanisme de déduction proche de celui de la TVA, mais qui ne semble pas bien marcher. Deux ou trois grandes entreprises l’utilisent, notamment EDF, qui a un régime d’imputation et de crédit d’impôt proche de la TVA, lequel fonctionne d’ailleurs différemment en Martinique et en Guadeloupe. À ce sujet, nous avons eu il y a quelques années des différends – non tranchés – sur le mécanisme comptable utilisé par EDF pour rendre éligible certains produits, comme les véhicules importés.

L’octroi de mer s’applique à l’électricité et tous les clients le paient. Or il se trouve qu’EDF ne l’acquitte pas en Guadeloupe – en Martinique cela est légèrement différent – et un crédit d’impôt est reversé. Il faut élucider cette question et voir comment le mécanisme actuel pourrait fonctionner efficacement avant d’en changer. J’ai demandé à approfondir ce point. En tout cas, si on devait retenir un mécanisme proche de la TVA, il faudrait qu’il soit maîtrisé par les régions – aucun élu n’accepterait que ce ne soit pas le cas.

Pour pallier le caractère inflationniste de l’octroi de mer, on peut aussi recourir, au-delà du mécanisme de déduction de la TVA, au régime des droits d’accise, notamment sur les alcools – un régime qui, pour l’entreprise, constitue un coût fixe, en principe non répercuté sur les prix. J’ai demandé que l’on voie dans quelle mesure il serait transposable.

Toutes ces réflexions se situent dans le prolongement de la loi relative à la régulation économique outre-mer. Il s’agit que la fiscalité se combine avec la lutte contre la vie chère. On peut avoir sur ce point un partenariat intelligent avec les régions et les communes. Si l’on arrive à leur donner un surcroît de ressources, se pose la question de savoir comment en répercuter une partie en faveur des produits de première nécessité ou de consommation courante.

Nous nous sommes donnés, avec la loi de régulation économique, un arsenal de moyens pour baisser le coût de la vie. La loi comporte une disposition – issue d’un amendement de M. Serge Letchimy – sur la répétition de l’indu qui pourrait être utilisée le cas échéant : si une collectivité demande à baisser ou accepte de réduire des taux sur des produits de consommation courante, il ne faut pas que la différence soit gardée au profit des importateurs, des distributeurs ou des intermédiaires, mais qu’elle soit répercutée sur le consommateur final.

Mme Chantal Berthelot. Si entre 2004 et 2013, un nouveau produit a fait son apparition et qu’une région souhaite l’introduire dans les listes, faut-il passer par la procédure de justification économique ?

Par ailleurs, qu’en est-il du marché unique Antilles-Guyane ?

Mme Monique Orphé. Il existe un vrai malaise au sein de la population au sujet de l’octroi de mer et de son utilisation. Se posent en effet les problèmes de la vie chère, du chômage et des revenus, qui sont très faibles. Certains militent pour la suppression de cette taxe, qui est vue comme la cause du coût de la vie. Il y a deux jours, le président de la chambre de commerce de la Réunion a d’ailleurs dit qu’elle était injuste et qu’il fallait y mettre un terme.

Je voudrais donc qu’il y ait aussi un débat sur ce sujet avec la population, qui nourrit de grandes réticences vis-à-vis de cette taxe, qu’elle trouve injuste, alors même que sa recette est utile aux collectivités locales et permet la création d’emplois – 30 000 à la Réunion. Nous risquons, à défaut, si nous ne faisons pas preuve de plus de transparence, d’être très vite totalement incompris, notamment par les élus locaux.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cette question a été longuement débattue au sein de la Délégation et le rapport du cabinet Langrand y apporte une réponse. Quand on discute de l’éventuelle suppression de l’octroi de mer – mesure catastrophique à mes yeux –, on oublie qu’elle entraînerait l’application d’un taux normal de TVA, qui est sans doute plus inflationniste.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Il faut aussi rappeler l’importance de l’octroi de mer pour les régions et les communes. Cela justifie que nous nous battions pour la reconduction du régime en vigueur.

M. le ministre. L’octroi de mer représente en effet 40 % des ressources des collectivités locales. Le fonds régional pour le développement de l'emploi (FRDE) qu’il alimente est d’ailleurs une précieuse ressource pour financer des équipements.

Que l’octroi de mer n’existe pas à Saint-Martin pose à cet égard la question de savoir si l’on peut mettre au point une taxe équivalente dans ce territoire pour rattraper son retard structurel en équipements. J’aimerais que le service de législation fiscale et l’IGF m’aident à y répondre.

On n’a pas non plus résolu le problème du département de la Guyane, qui est le seul bénéficiaire de l’octroi de mer. J’ai reçu d’ailleurs une demande de parlementaires, à la faveur de la création de la collectivité unique, en vue de régler cette affaire en donnant aux communes les 27 millions d’euros octroyés au département.

Madame Berthelot, la procédure pour les nouveaux produits est extrêmement lourde : c’est la raison pour laquelle on veut l’assouplir au travers d’un dispositif plus simple et rapide.

Quant au marché unique antillo-guyanais, on l’a fait avec la Martinique – sachant qu’on n’a pas fini d’harmoniser les taux –, mais pas suffisamment avec la Guyane. En Martinique, il y a eu des problèmes lors de la discussion de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) : Mme Berthelot et un autre député de la Guyane avaient refusé la pression concurrentielle de la Martinique et de la Guadeloupe. La question s’était encore posée lorsque ces deux régions ont accepté la péréquation en matière de transport des hydrocarbures pour aider à baisser les prix de ceux-ci en Guyane. On avait alors été étonné d’entendre qu’on acceptait la pression concurrentielle de la métropole et de l’Europe mais pas de ces régions !

Il faudra que les présidents de région reprennent la discussion dans le cadre de l’Union régionale Antilles-Guyane (URAG), où toutes ces questions d’intérêt commun sont débattues. Il serait utile d’harmoniser les conditions de la concurrence dans la zone : nous serons forts si nous sommes tous ensemble et un marché d’un million d’habitants est plus solide qu’un marché de 400 000 habitants en Martinique ou en Guadeloupe, ou encore de 300 000 habitants en Guyane.

Il doit en être de même entre Mayotte et la Réunion demain : il faudra engager une discussion sur ce point, même s’il peut paraître nécessaire d’envisager une période de transition pour Mayotte.

Madame Orphé, le malaise au sein de la population que vous évoquez est entretenu par les socio-professionnels, qui disent que l’octroi de mer est inflationniste. D’ailleurs, le rapport de la Délégation montre bien que cela n’est pas si vrai : au total, il représente entre 2,3 et 5,2 % de la hausse des prix sur une longue période et les rapporteurs relèvent qu’il ne joue pas un rôle majeur à cet égard.

Cela étant, il serait bon de répondre aux demandes qui sont exprimées, au moins sur les produits de première nécessité. Cela ne sera pas simple car si, dans ce que l’on appelle le « bouclier qualité/ prix », on a toutes sortes de produits, ils ne correspondent pas forcément aux nomenclatures douanières. Il faudra faire une cote mal taillée pour prendre en compte les produits les plus consommés dans les régions concernées : cela demandera de la bonne volonté de toutes parts. Puis, après une longue concertation, le Gouvernement prendra ses responsabilités.

M. le président Jean-Claude Fruteau. L’essentiel est de conserver cet outil que constitue l’octroi de mer, à la fois comme ressource des collectivités locales et comme moyen de protection de la production locale. Il a été démontré que, s’il y avait eu une augmentation de la production locale d’un certain nombre de secteurs protégés, il y avait eu aussi un accroissement des importations dans les mêmes secteurs, ce qui veut dire que, s’il n’y avait pas eu l’octroi de mer pour protéger cette production, les importations l’auraient sans doute tuée.

Je vous propose de passer maintenant au sujet de la défiscalisation des investissements. Lors de la discussion de la loi de finances initiale, nous avons réussi à conserver le dispositif en vigueur d’une défiscalisation plafonnée à 18 000 euros plus 4 % du revenu net global imposable, le Gouvernement devant présenter au Parlement un rapport d’évaluation de l’efficacité de ce dispositif dans le courant du premier semestre de cette année. Puis le Conseil constitutionnel a supprimé les 4 %, éveillant, dans nos départements, des craintes au regard du financement des investissements et du logement social. Le Président de la République a alors apporté des apaisements en garantissant que le financement de ce dernier pourrait passer par des subventions directes. Toutefois, ce ne sera pas chose facile compte tenu de l’importance des sommes que la défiscalisation procurait au logement social comme aux investissements productifs. Que pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, sur cette question essentielle, à la fois pour les entreprises, les acteurs économiques et les acteurs du logement social dans nos départements ?

M. le ministre. Les engagements du Président de la République ont été respectés mais ils ont été pour partie censurés, notamment la part variable de 4 %. Il est vrai que le dispositif avait été adopté sous réserve de conduire une réflexion visant à le rationaliser. J’ai été désigné comme pilote de l’évaluation de la défiscalisation et je dois en présenter, le 2 avril, en comité interministériel de modernisation de l’action publique, dit CIMAP, les grandes orientations. C’est la raison pour laquelle je suis très attentif à toutes les propositions.

Le dispositif en question remonte à 1986 et il est efficace quoi qu’on en dise. En dépit de ses défauts, c’est l’un des rares instruments sur lesquels l’outre-mer peut s’appuyer pour soutenir son développement. L’État est donc conscient à la fois qu’il ne peut pas se désengager, de manière subite, de la défiscalisation, mais qu’il est nécessaire d’entendre les critiques.

Une part de la dépense fiscale actuelle rémunère le contribuable et les intermédiaires, ce qui est parfois perçu comme une évaporation. Moi-même, quand j’étais député, j’avais du mal à croire qu’on pouvait atteindre de tels taux. On entend également dire que le dispositif bénéficie mécaniquement et trop souvent aux seuls revenus élevés, ce qui n’est pas toujours juste ; que son efficacité sur la croissance et l’emploi n’est pas démontrable ; que sa lisibilité est faible en raison de la dispersion des aides et de la complexité et de l’instabilité des textes qui ont été modifiés cinq fois au cours des cinq dernières années ; enfin, que l’ensemble des règles de droit applicables en ce domaine est mal maîtrisé par les différents intervenants.

Entre 2004 et 2012, la dépense fiscale a représenté en moyenne 1 milliard d’euros. Dans le projet de loi de finances pour 2013, elle est fixée à 1,1 milliard, dont 885 millions pour les trois dispositifs relatifs à l’impôt sur le revenu et 180 millions pour la défiscalisation de l’impôt sur les sociétés. Ce milliard est un levier pour déclencher et solvabiliser 2 à 3 milliards d’investissements chaque année dans nos territoires. La défiscalisation a permis un bond décisif dans la construction de logements sociaux, qui est passée de 4 800 unités neuves à 7 500 par an. Il convient donc de maintenir ce dispositif, quitte à le contrôler et à le moraliser davantage.

Les modifications que je vais présenter le 2 avril s’appuient sur quelques principes clairs et forts. Le premier est le maintien de l’effort. Le Président de la République et le Premier ministre l’ont dit, la ressource bénéficiant aux projets d’investissement dans les outre-mer ne doit pas être inférieure à celle allouée au titre des mécanismes actuels. Compte tenu de la conjoncture, je peux vous dire que ce n’est pas simple. Les discussions avec Bercy ont commencé pour l’élaboration du budget 2014, et chacun doit faire des efforts et des économies sans augmenter les prélèvements obligatoires. Deuxième principe, l’efficience, qui commande de privilégier les options présentant le plus faible coût et permettant un gain équivalent ou supérieur. Ce n’est pas la quadrature du cercle, c’est possible. Le troisième principe est la continuité, au titre de laquelle la réforme ne doit pas entraîner d’année blanche dans les investissements outre-mer. Lisibilité et sécurité sont les piliers du quatrième principe, tant il est vrai que les investisseurs doivent pouvoir se reposer sur des dispositifs simples, stables et efficaces. Enfin, le cinquième principe est la concertation. Un débat, que je souhaite ouvert, doit être engagé pour permettre à toutes les approches et à toutes les sensibilités de s’exprimer. C’est la raison pour laquelle il m’intéresse vraiment de vous entendre.

En termes de méthode, un travail interministériel est engagé, le Gouvernement devant présenter un rapport au Parlement dans le courant du mois de mai. Tout ce travail est supervisé par un comité de pilotage composé des parlementaires des deux assemblées. Ces travaux nourriront l’évaluation menée dans le cadre du CIMAP qui aura lieu le 2 avril prochain, en présence du Premier ministre. Une instance de concertation large et ouverte se réunira régulièrement pour faire avancer la réflexion.

Le calendrier est le suivant : le 2 avril, le CIMAP fera un point sur l’avancement des évaluations sans retenir encore de solution – jusqu’à cette date, je suis très demandeur d’éléments susceptibles d’enrichir ma réflexion ; le 9 avril, première réunion de l’instance de concertation au ministère des Outre-mer ; entre le début du mois de mai et la mi-mai, remise du rapport gouvernemental au Parlement ; courant juin, troisième réunion de l’instance de concertation avec arbitrages budgétaires ; enfin, courant juillet, avant le débat d’orientation budgétaire, communication en CIMAP des termes de la réforme, avec peut-être, en conclusion des travaux, l’adoption de cette dernière. D’ici-là, il sera donc encore possible d’enrichir les propositions qui auront été formulées.

Je peux déjà vous faire part des grandes orientations, même si j’attends d’autres éléments de votre part. D’abord, nous réfléchissons au maintien des mécanismes de défiscalisation à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur les sociétés, en en faisant des dispositifs mieux encadrés et mieux contrôlés. On peut aller assez loin dans le contrôle et la moralisation. Sont susceptibles de participer à la moralisation des mesures telles que l’abaissement du seuil pour les projets éligibles à la défiscalisation de plein droit, l’imposition d’un agrément dès le premier euro pour les projets supposant un agrément, le renforcement de la réglementation de la profession d’intermédiaire financier, pour lequel un décret était prêt mais n’est jamais sorti, ou la restriction de l’accès à cette profession. On peut aussi augmenter les taux de rétrocession, mieux définir les plafonds pour les contribuables, recentrer l’aide sur les secteurs prioritaires, réduire ou plafonner la déduction à l’impôt sur les sociétés.

Ensuite, nous pourrions envisager de budgétiser l’aide fiscale en faveur du logement social, c’est-à-dire de l’inscrire sur la ligne budgétaire unique (LBU) gérée par le ministère des Outre-mer, et de substituer un crédit d’impôt à la défiscalisation des investissements productifs. Cela présente des avantages et des inconvénients dont on peut discuter. Ainsi, il faudra mettre en place des mécanismes de remboursement si le crédit d’impôt excède la contribution due, des mécanismes de préfinancement et des paramètres de taux et d’assiette suffisamment attractifs. Ces dispositions ne s’appliqueraient pas aux collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution, contrairement à la pratique actuelle qui leur permet de bénéficier d’une défiscalisation locale et d’une défiscalisation nationale.

Une autre grande orientation pourrait consister dans le couplage d’une défiscalisation mieux encadrée sur le logement social et d’un mécanisme alternatif pour l’investissement productif. Le logement social est le secteur où le taux de rétrocession est le plus élevé, celui dans lequel les résultats de la défiscalisation sont les plus spectaculaires puisqu’elle contribue également à soutenir l’emploi non délocalisable. Ces mécanismes peuvent être mieux maîtrisés et encadrés, et c’est une piste que l’on peut explorer. Concernant les investissements productifs, il ne faut pas s’interdire de réfléchir à un dispositif de remplacement tel que le crédit d’impôt, s’il est efficace et applicable aux collectivités régies par l’article 74. En la matière, je sollicite la créativité des parlementaires, qui pourrait venir enrichir les nombreuses propositions que nous recevons déjà des socioprofessionnels.

M. le président Jean-Claude Fruteau. La budgétisation de l’aide fiscale au logement social n’est pas compatible avec notre proposition de garder la défiscalisation dans le secteur du logement, piste que ma nature prudente inclinerait à suivre. Dans mon département de La Réunion, l’aide directe apportée par l’État à la construction de logements sociaux passe pour un tiers par la LBU et pour deux tiers par l’effort de défiscalisation. Dans le contexte budgétaire actuel, est-il possible d’imaginer la multiplication de la LBU par trois d’un coup ? La substitution d’un mécanisme à un autre n’est envisageable qu’à condition de maintenir le niveau de construction, donc d’investissement, dans le logement social, tant il est vrai que nous sommes encore bien loin de satisfaire à toutes les demandes.

Cela est d’autant plus important que c’est dans ce secteur, disiez-vous, que la défiscalisation est la plus morale puisque le taux de rétrocession y est le plus important, de l’ordre de 80 à 90 %. Ce mécanisme fonctionne, il est attractif et exempt des reproches habituellement attachés à la défiscalisation. La prudence commande de le conserver en l’état, de peur de perdre une ressource très importante qu’on aura du mal à retrouver sur le plan strictement budgétaire.

M. Serge Letchimy. Nous avons entendu de bonnes nouvelles et le calendrier est respecté, mais permettez-moi de vous taquiner un peu, monsieur le ministre. Vous entendez conserver la défiscalisation au niveau du budget de 2013, or elle est en diminution depuis plusieurs années. Nous avons été nombreux à nous battre dans l’hémicycle contre le rabotage, même si nous sommes bien conscients que chacun doit faire des efforts.

J’ai quelques inquiétudes sur le fonctionnement d’un mariage LBU-défiscalisation sur le plan local. En matière de logement social, le financement peut être assuré à travers soit la LBU, soit la défiscalisation, soit une combinaison LBU-défiscalisation. Là, les choses se compliquent puisque, en fonction des interprétations respectives de la direction générale des finances publiques (DGFiP), de la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) et de la préfecture, les investissements peuvent être considérablement freinés. J’ai pu constater que la simple résolution de ces tracasseries techniques a permis de construire 900 logements de plus en 2013. Je vous suggère de travailler sur ce point pour débloquer certaines situations.

Si je soutiens le couplage LBU et défiscalisation pour financer le logement social, je souhaiterais aussi qu’une analyse fine soit effectuée pour le logement intermédiaire. Aujourd’hui, c’est grâce au BTP, notamment dans le logement, que nous tenons le coup. En Martinique, on est passé de 274 logements sociaux à 800 l’an dernier et on atteindra 1 750 cette année, ce qui est le signe que le dispositif commence à fonctionner. Seulement, le logement intermédiaire est en panne. Certes, le Duflot DOM va arriver mais il diffère tout de même quelque peu du  Girardin intermédiaire. Puisque vous attendez des propositions, je vous suggère de revisiter les dispositifs en faveur du logement intermédiaire, car, entre le logement social et le logement de luxe, il n’y a rien. Cela pourrait relancer la machine.

Je pense également qu’il faut revoir les investissements productifs dont la palette n’est pas suffisante et qui ne s’inscrivent pas dans une logique de filière ou d’activité économique. La défiscalisation pourrait participer au financement de la viabilisation de zones d’activité économique, de même qu’elle pourrait être intégrée de manière globale, pas seulement par entreprises, dans une filière que l’on souhaite dynamiser. Le tourisme, l’agro-pharmacie, l’agro-transformation, toutes ces filières pourraient être aidées de A à Z, depuis l’étude jusqu’à la concrétisation d’une entreprise et à l’exportation.

Mme Annick Girardin. Le logement intermédiaire est aussi un besoin à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les intermédiaires en défiscalisation ont tendance à porter des gros projets et à exclure les petits parce que c’est compliqué. Or, sur mon territoire, nous n’avons que de petits projets et, de ce fait, nous avons bien du mal à trouver des intermédiaires. Il faudrait veiller à ce que tous les types de projet puissent bénéficier de la défiscalisation, peut-être en mettant des quotas.

Pour les petits territoires, la réflexion sur la filière pourrait avoir une pertinence. Ainsi, la pêche est une problématique à Saint-Pierre-et-Miquelon mais aussi dans presque tous les départements et territoires d’outre-mer. Raisonner en termes de filière pourrait véritablement relancer un développement économique du secteur.

Mme Chantal Berthelot. Il est vrai que le calendrier que vous avez indiqué est de nature à rassurer.

Je suis d’accord avec le président sur la nécessité de garder le couplage LBU-défiscalisation pour pouvoir faire de nouvelles opérations de logement social et maintenir le rythme des constructions. La situation de la LBU, vous l’avez dénoncée en votre temps et malheureusement vous en héritez aujourd’hui. Elle se caractérise par l’insuffisance des crédits pour faire face aux dossiers. Vous avez adressé un courrier aux opérateurs immobiliers de Guyane pour les rassurer. Effectivement, la filière du BTP, non seulement soutient nos économies, mais répond au besoin de logement de nos concitoyens. C’est pourquoi il faut l’accompagner. Ne dit-on pas que quand le BTP va tout va ?

Je partage tout à fait l’idée de filière. Si nous ambitionnons de faire de l’agriculture la locomotive du développement d’une production locale sur nos territoires, il faudra bien fournir un effort important d’accompagnement financier. La dépense fiscale doit également accompagner la filière de la pêche. Pour combattre la vie chère, réduire les émissions de CO2 en même temps que les coûts de transports et être en cohérence avec la démarche voulue par le ministre de l’agriculture de productions de proximité et de circuits courts, il faudra bien s’inscrire dans une logique de filière, notamment agricole.

M. Daniel Gibbes. J’interviens pour affirmer ma solidarité avec mes collègues puisque l’article 74 confère à Saint-Martin la compétence fiscale. Je n’oublie pas que, lors de la discussion du texte contre la vie chère, nous avions défendu ensemble la partie défiscalisation qui peut être un levier pour le logement social et intermédiaire, plus approprié à nos localités, ainsi que pour les équipements structurants.

M. Jean-Philippe Nilor. Chacun ici ne peut qu’adhérer aux options présentées. Maintenir le niveau tout en moralisant, en encadrant et en contrôlant mieux, n’est-ce pas ce que souhaitent, depuis des années, beaucoup de parlementaires, et pas seulement des parlementaires non ultramarins ? Nous aussi, nous souhaitons la moralisation ; elle ne nous est pas imposée, nous en avons pris l’initiative et voulons l’accompagner. Il me paraît important de communiquer sur ce point.

Le logement social et le logement intermédiaires sont cruciaux pour répondre aux besoins objectifs de nos populations. Il faut les soutenir par la défiscalisation, le cas échéant en rendant celle-ci encore plus efficace. Ce n’est toutefois pas grâce à ces deux segments que nous sortirons d’une logique d’importation au profit d’une logique de production locale. Le bon sens commande donc de consacrer la défiscalisation en priorité à l’investissement productif dans les filières et la recherche, par exemple dans le développement d’une agriculture propre à travers des alternatives à l’épandage aérien. En permettant de sortir d’un mode de production peu écologique, qui ne présente pas toutes les garanties en termes de santé publique, ce dispositif prendrait tout son sens.

Y aura-t-il un lien entre la défiscalisation des investissements dans les secteurs productifs et la future Banque publique d’investissement (BPI), qui peut, elle aussi, apporter un accompagnement à travers des financements, ou les choses se feront-elles de manière déconnectée ?

M. le ministre. Parmi vos nombreuses suggestions, je retiens celle relative au logement intermédiaire. Celui-ci bénéficiait du dispositif Girardin, qui a été supprimé il y a deux ou trois ans et dont ne subsistent que quelques crédits résiduels, de l’ordre de 265 millions en 2013. Le taux est meilleur que dans l’hexagone – 29 % sur une assiette de 300 000 euros – avec une obligation de location de neuf ans, comme ici. Ce type de dispositif avait bien marché en son temps. Il faudra donc surveiller très attentivement le nouveau dispositif, quitte à l’améliorer par le travail parlementaire.

Je peux entendre la demande du président Fruteau de maintenir la défiscalisation du logement social. Elle est frappée au coin du réalisme puisque, de toute évidence, le dispositif fonctionne. Je ne vous cache pas que, malgré les engagements pris au plus haut niveau, la censure du Conseil constitutionnel et la nécessité de faire des économies nous causent quelques embarras, auquel s’ajoute, pour moi, un souci d’efficacité. Aujourd’hui, il faudrait construire 10 000 logements pour répondre aux besoins sociaux. La combinaison « un tiers LBU – deux tiers défiscalisation », soit à peu près 500 millions contre 250 millions pour la défiscalisation, serait le dispositif le plus efficace et le plus rapide. Reste à analyser comment le maintenir tout en respectant nos contraintes budgétaires et de redressement des finances publiques.

Serge Letchimy veut connaître le montant des défiscalisations. J’ai pris la précaution de citer une moyenne, mais je peux préciser les chiffres : en 2011, le montant total de la défiscalisation était de 1,298 milliard ; en 2012, de 1,225 milliard ; en 2013, il est prévu 1,065 milliard. Sont compris les trois dispositifs liés à l’impôt sur le revenu (IR), à savoir ce qui reste du Girardin locatif pour 265 millions, le Girardin industriel pour 410 millions, le Girardin logement social pour 210 millions, ainsi que la défiscalisation liée à l’impôt sur les sociétés (IS), qui comprend aussi une part de logement social et de l’investissement productif pour un total de 180 millions. En résumé, 885 millions pour les trois dispositifs à l’IR et 180 millions pour la défiscalisation à l’IS, dont 500 millions à peu près sont dédiés au logement social.

Dans les arbitrages ministériels, c’est le seuil de départ qui déterminera les éventuelles économies, et c’est ce qui fait débat entre la commission des Finances, Bercy et moi-même. En accord avec Bercy, nous partons sur une épure de 1,1 milliard.

Sachant que chacun doit contribuer à l’effort de redressement, dans le contexte actuel de gel et de « surgel » des dotations budgétaires, mon souci de ministre des outre-mer, c’est de conserver aussi l’avance de 5 % que nous avons obtenue pour 2013 et de 13 % sur le triennal 2014-2016. Faire mieux avec moins, c’est ce que nous devons nous attacher à rechercher. Même si j’ai obtenu des assurances qu’il n’y aurait pas d’économies sur les outre-mer, il faut être honnête, il y a des incertitudes sur les montants.

La coordination entre les différentes autorités – préfecture, services fiscaux, DEAL – est un vrai sujet. J’ai proposé ce matin que les directions régionales des finances publiques (DRFiP) des outre-mer, qui sont gérées dans quatre villes différentes – Lyon, Marseille, Orléans et Paris –, soient rassemblées de manière à offrir à Bercy et au ministère des Outre-mer une vision plus globale des finances de ces territoires. Sur le plan local, il faut véritablement améliorer la coordination entre les projets qui sont éligibles de plein droit et ceux qui relèvent des agréments et définir qui délivre quoi. Il faudra trouver aussi un haut responsable pour le fonds d’initiative locale pour l’agriculture (FILA), une personne bien assurée, qui sache réduire les temps d’instruction des dossiers, car des durées trop longues sont préjudiciables aux investissements. Ce sera un élément de la nouvelle organisation.

Organiser des filières peut être pertinent, à condition de flécher. La LODEOM avait prévu une organisation, soit en filières, soit en zones géographiques, avec notamment les zones franches d’activité (ZFA). La Martinique, la Guadeloupe et La Réunion ont choisi les zones. J’ai demandé une évaluation de cette loi pour éventuellement réactiver des dispositifs encore bons. Or, la réforme de la taxe professionnelle a fait perdre tout intérêt à la ZFA. Du reste, celle-ci ne concernait pas la défiscalisation mais les exonérations de charges patronales de sécurité sociale pour les entreprises de plus de onze salariés. Il y a là un reprofilage à faire au bénéfice des entreprises. Je crains que cibler la défiscalisation sur l’agroalimentaire, le BTP ou l’agriculture n’empêche, en cette période d’économies, de financer aussi le tout-venant ; ou encore que l’on ne puisse pas financer à la fois la globalité, le polyvalent et la filière. Il y aura nécessairement concentration et je me méfie des concentrations thématiques, comme on en trouve en Europe et dont on veut sortir aujourd’hui, parce que, dans le cadre de ces concentrations, il n’y a pas de crédits pour tout le monde.

Pour le moment, la défiscalisation s’adresse à tout promoteur qui propose quelque chose. Les élus souhaitent un ciblage sur une activité locomotive pour le développement de la production locale. C’est là un point intéressant que, dans l’attente d’une évaluation, je n’ai pas encore tranché. Je suis preneur de toute information supplémentaire.

Annick Girardin a plaidé pour les petits projets de logements intermédiaires à la taille de son territoire. C’est vrai qu’il ne faut pas les négliger. Nous allons prendre des ordonnances qui devraient améliorer les choses et permettre à la défiscalisation de s’appliquer à des petits projets à taille humaine.

Saint-Martin, comme les collectivités du Pacifique, ont la compétence fiscale. Le problème avec notre réforme, c’est que les solutions qui pourraient être efficaces très rapidement ne peuvent pas s’appliquer dans les collectivités de l’article 74. Il faut trouver un dispositif général qui réponde aux spécificités de chaque territoire, y compris de ces collectivités et notamment de Saint-Martin.

La moralisation a commencé depuis longtemps, monsieur Nilor, à l’initiative d’Alain Richard, après que M. Séguéla a baptisé son yacht « Merci Béré ! » Même si cela remonte à plus de vingt ans, c’est l’image qui est malheureusement restée gravée dans les esprits, et c’est cette anecdote que rappellent les médias. Pourtant, aujourd’hui, il n’est plus possible pour la nomenklatura ou pour les privilégiés d’acheter en défiscalisation des biens à des fins de loisirs personnels sous les cocotiers. La seule chose qui n’ait pas été faite par nos prédécesseurs, alors pourtant qu’un décret était prêt, est la moralisation des sociétés de défiscalisation, dites « monteurs », pour éviter que certains n’accaparent une part essentielle des ressources collectées. Ce sera l’une des dernières étapes pour finaliser la moralisation, mais il faudra toutefois veiller à ne pas rendre inefficace le dispositif. Pour autant, même si cela contribue à une meilleure acceptation par l’opinion publique, ce n’est pas là que réside la solution.

La défiscalisation doit effectivement servir au développement des productions locales, d’où l’utilité des schémas de développement économique. Si l’on n’arrivait pas à placer le curseur pour le développement de filières, il y aurait moyen, à travers un partenariat avec les régions et les départements, d’associer à la défiscalisation des incitations pour diriger l’investissement productif, même porté par des promoteurs privés, vers une filière ou une autre. Demain soir, vous allez voter sur un dispositif nouveau concernant l’accès au marché de la restauration collective, dispositif qui n’avait pas été intégré dans la loi contre la vie chère par erreur. Nul besoin de loi, cependant, pour que, en amont, l’État s’entende avec les collectivités sur des plans d’action pour développer l’agriculture et l’agroalimentaire. En même temps qu’un gain en produits frais ou une plus-value consistant en de moindres émissions de CO2, on devrait ainsi, tout en respectant les législations européenne et nationale, pouvoir prioriser la production locale, en particulier l’agriculture et l’agro-transformation. C’est considérable ! Si l’on arrive à flécher une défiscalisation accompagnée d’aides incitatives des régions, on pourra donner une vraie impulsion aux filières choisies par les élus. C’est une voie qui pourrait passer par le fameux contrat territorial de développement dont je discute actuellement avec les uns et les autres.

Enfin, il pourrait y avoir un lien entre défiscalisation et BPI à travers le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), ce crédit d’impôt étant un bon moyen pour favoriser les investissements et la BPI intervenant en préfinancement. Le crédit d’impôt est refusé par les entreprises au motif que toutes ne paient pas d’impôt. Mais ce n’est pas pour autant qu’elles n’y sont pas assujetties. Elles pourraient donc bénéficier du crédit d’impôt sous la même forme que les personnes physiques reçoivent la prime pour l’emploi : un chèque du Trésor. La difficulté du crédit d’impôt, c’est qu’il est perçu ex post, ce qui pose un problème de financement ex ante. La réflexion est en cours pour trouver les dispositifs appropriés pour financer la trésorerie. De même, l’organisation de la présence de la BPI dans les régions est en discussion. En particulier, n’est pas encore tranchée la question de savoir qui, de l’Agence française de développement, d’OSÉO, de la Caisse des dépôts ou de la BPI elle-même, fera office de correspondant. Nous avons déjà quelque idée sur cette question et nous rencontrerons prochainement les parlementaires et les présidents de région pour choisir la formule définitive

M. le président Jean-Claude Fruteau. Sachant que le sujet vous est cher, nous avons réservé le meilleur pour la fin : l’agriculture.

M. le ministre. En la matière, le ministère des Outre-mer devait porter un texte spécifique. Or, le calendrier parlementaire ne permettait pas de trouver une fenêtre pour le discuter. Je me suis donc entendu avec M. Stéphane Le Foll pour qu’un volet outre-mer soit attaché à sa loi d’avenir pour l’agriculture. Je vise deux objectifs opérationnels : adapter la gouvernance du développement économique de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt dans nos territoires ; définir des pratiques agro-écologiques adaptées à chaque territoire.

Le calendrier est difficile. Un travail interne à l’administration est engagé depuis quelque temps déjà pour identifier les grandes orientations et les sujets de nature législative qui pourraient être traités dans le titre « Outre-mer ». Je travaille avec M. Stéphane Le Foll à en définir le cadre général. J’ai également engagé une concertation locale avec les socioprofessionnels et les élus. Je suis très attentif à ce que vous faites de votre côté, et j’attends les propositions que la Délégation ne manquera pas de faire dans son rapport. La date de présentation du texte en Conseil des ministres a été repoussée à septembre et le Parlement devrait pouvoir l’examiner à la fin du second semestre ou au début du premier semestre 2014. Je n’ai pas de date plus précise.

Les réflexions en cours concernent la territorialisation de la gouvernance du développement agricole. Aujourd’hui, les régions n’ont pas beaucoup de responsabilités dans ce domaine, c’est une compétence plutôt communautaire et encore un peu nationale. On ne sollicite les régions que pour des subventions, pas pour peser sur des orientations. Il faut leur donner plus de responsabilités réelles sans pour autant faire disparaître l’État. Il y a là un équilibre à trouver, peut-être en partie dans l’acte III de la décentralisation.

Le dossier considérable de la décentralisation des fonds communautaires fait l’objet d’une réflexion. Le Président de la République, en recevant l’Association des régions de France et l’Association des départements de France, a très clairement indiqué que, dès le 1er janvier, si les régions le demandaient, elles pourraient gérer les fonds communautaires. Aucune ne l’a demandé et la seule expérimentation qui s’est déroulée en Alsace n’a pas été généralisée. À partir de l’adoption de l’acte III, deux ou trois solutions seront envisageables : le transfert, la délégation ou une sorte de cogestion avec l’État, que La Réunion expérimente un peu par le biais de l’AGIL, l’Agence de gestion des initiatives locales. Il est envisagé de décentraliser et réformer l’action des programmes opérationnels et du futur FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) pour l’agriculture. Certains posent la question pour le POSEI, Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, le premier pilier de la PAC, pour mieux coller aux problématiques locales.

En tout état de cause, il faudra conserver un rôle à l’État, ne serait-ce que de soutien, par exemple au cas où, à la suite d’erreurs, la commission interministérielle de coordination des contrôles demanderait un remboursement qui pourrait ruiner une région. Si une région demande le transfert plein et entier, elle assumera ses responsabilités. Si elle opte pour une délégation, la région aura prééminence mais l’État sera présent à travers les préfets et pourra faire entendre ses orientations sur le FEADER. Je ne parle pas de l’affectation du CASDAR, compte d’affectation spéciale pour le développement agricole et rural, qui présente un problème d’adaptation et pourrait faire l’objet d’un programme spécifique.

Pour le développement de leur agriculture, les outre-mer disposent d’outils comme l’Office de développement de l’économie agricole des départements d’outre-mer (ODEADOM) et les chambres d’agriculture. L’ODEADOM gère les fonds européens. Si ces derniers étaient décentralisés, ce qui resterait à l’office reviendrait à FranceAgriMer. Quant aux chambres d’agriculture, elles sont partout en difficulté. Sans les régions, elles ne tiendraient pas, d’où la proposition, parmi d’autres, d’en faire des établissements publics régionaux. Je comprends l’émoi des socioprofessionnels s’agissant d’instances élues au suffrage universel. Ce serait un coup dur pour la démocratie de proximité. Sur cette question du statut des chambres, on pourrait peut-être s’inspirer de la pratique dans les collectivités de l’article 74. Les régions doivent aussi mettre en œuvre un plan d’action par territoire, fondé sur le POSEI et le FEADER, et qui définisse des programmes coordonnés.

Une réflexion va être lancée sur les nouvelles pratiques culturales, tant en ce qui concerne les modalités de leur mise en œuvre que l’identification de celles qui sont les plus adaptées à la reconquête des marchés intérieurs, ainsi que sur les moyens de mieux peser sur la demande ou de proposer une offre répondant mieux aux attentes des consommateurs. La facilitation des signes de qualité ou les groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE), dont la fonction reste à préciser, peuvent constituer des outils utiles. Un travail réel sur la qualité est le meilleur moyen pour diversifier l’offre de produits transformés, obtenir des signes de qualité reconnus et conquérir des marchés.

Le soutien et le développement de l’agriculture familiale sont une autre piste de réflexion. Elle aurait dû être la première, d’ailleurs, en raison de l’inadaptation à nos territoires du modèle transposé de développement agricole spécifique aux zones tempérées. Il faut repenser la philosophie du développement dans une perspective de territoires d’excellence biologique et agro-écologique.

Autre sujet, la réorientation du financement. Aujourd’hui, deux secteurs  préemptent 81 % du financement : la banane pour 53 % et la filière « canne-sucre-rhum » pour 28 %. Autant dire qu’il ne reste pas grand-chose pour la diversification animale et végétale. La question suscite des crispations mais il est indispensable de la soulever. Ce sera aux élus de prendre leurs responsabilités pour réorienter les ressources vers un développement plus localisé, plus axé sur la conquête du marché local. C’est la raison pour laquelle le marché de la restauration collective est éminemment important pour le développement agricole.

La commercialisation directe locale est un enjeu, et elle est au cœur du texte que porte Mme Hélène Vainqueur, intitulé « Garantir la qualité de l’offre alimentaire ». Dépassant la simple problématique du sucre ou des produits surdosés en sucre, cette proposition de loi introduit deux nouveautés : à travers la date limite de consommation, elle égalise les conditions de concurrence ; en définissant un environnement juridique plus précis, elle favorise la conquête du marché local et ouvre des possibilités de développement à nos agricultures et à notre transformation agroalimentaire.

Seront également abordées l’installation des jeunes et les retraites, ces dernières constituant une question très prégnante. Les temps sont difficiles mais on ne peut pas faire l’impasse sur ce dossier et sur les efforts que chacun doit être prêt à consentir.

En matière de foncier, la remise à niveau des terres agricoles insuffisamment exploitées est un serpent de mer qu’il faut reprendre. Citons aussi les différents problèmes connexes : la définition d’un périmètre agricole sur les terres de l’État, les conditions de l’aménagement foncier sur les terres inexploitées aux fins d’exploitation et le code du domaine public en Guyane ; la révision de certains articles du code général de la propriété publique ; l’agriculture sur abattis ; les procédures de défrichement ; la révision du statut départemental ou domanial aux Antilles comme à La Réunion ; les problèmes de nue-propriété et de droit d’usage sur les anciens domaines de la colonie passés sous statut en 1948.

Je terminerai ce panorama avec l’industrie agroalimentaire, pour laquelle nous prévoyons d’organiser des assises. Sur ce dossier, vous pourriez m’aider à enrichir le texte.

Mme Chantal Berthelot. Comme vous, monsieur le ministre, je regrette que les agricultures des outre-mer ne puissent pas être traitées dans une loi spécifique. Après vos explications, nous en comprenons les raisons.

Dans le cadre de la Délégation, nous avons défini cinq thèmes sur lesquels travailler : les structures agricoles et le foncier ; le renforcement des productions locales ; la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » ; l’installation des jeunes agriculteurs ; le statut social des agriculteurs et la situation des retraités agricoles outre-mer. Puisque notre rapport aura vocation à vous fournir des éléments dans l’élaboration de votre projet de loi, nous souhaiterions, d’abord, avoir quelques précisions sur le calendrier auquel nous-mêmes devrons nous tenir. Ensuite, outre les sujets que je viens d’indiquer, peut-être en est-il d’autres que nous pourrions aborder, qui vous sembleraient plus directement en rapport avec le texte.

Parmi les thématiques que nous avons en commun, il y a les structures agricoles. À ce sujet, vous avez parlé d’agriculture familiale ; je précise que l’on parle plutôt d’agriculture traditionnelle.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Il nous revient de déterminer notre calendrier en fonction de la date butoir que nous a indiquée M. le ministre. Notre rapport n’aura d’intérêt que s’il est livré bien avant la présentation du texte en conseil des ministres.

M. Jean-Philippe Nilor. Je ne vois pas d’inconvénients à ne pas avoir de loi spécifique pourvu que la loi générale soit construite autour de bonnes orientations et pourvu qu’elle prenne nos intérêts en considération. Plutôt que de flatter notre égo, mieux vaut privilégier le fond, et les orientations que vous avez présentées, monsieur le ministre, m’ont paru excellentes. Espérons que, d’ici à 2014, elles ne s’infléchiront pas sous diverses pressions. Par esprit de provocation, je dirais que nous avons retrouvé, à la tête du département ministériel, le fougueux jeune député utopiste qui voulait changer les choses en profondeur, et je m’en réjouis. Je dirais même plus : ces orientations, Hugo Chávez ne les aurait pas reniées ! Derrière ces idées de développer les pratiques culturales et de soutenir l’agriculture familiale, je sens les vraies valeurs du socialisme, d’un socialisme qui n’est pas du tout superficiel.

Je n’ai rien entendu sur le chlordécone. Vouloir développer les productions locales, c’est très bien, mais si ce que l’on sert à nos enfants ne présente pas toutes les garanties sanitaires, à quoi bon ? J’espère que nous ne manquerons pas l’occasion de légiférer une fois pour toutes sur la question de l’épandage aérien des pesticides. Sachez que si le texte n’aborde pas ce sujet de santé publique, nous présenterons des amendements pour le régler définitivement. Pour le reste, les orientations présentées me paraissent relever d’une excellente politique.

M. Boinali Said.  Je suis, moi aussi, satisfait de la richesse des thématiques abordées et j’espère que les projections se réaliseront.

Je souhaite attirer l’attention sur deux aspects propres à Mayotte : l’insertion et le foncier, notamment agricole, dont la gestion est problématique.

M. Serge Letchimy. Notre Délégation a ceci d’intéressant qu’elle nous permet de nous impliquer dans les textes très en amont grâce à la production de rapports. La politique agricole est un sujet central et je regrette, même si je me range à vos arguments, monsieur le ministre, qu’un texte spécifique ne traite pas celle de l’ensemble des régions ultramarines. Malgré votre bonne volonté et votre détermination, il faut s’attendre à ce que le volet outre-mer du texte de M. Le Foll subisse un effet de rétrécissement lié à la discussion législative.

Vous avez posé une série de problèmes que je ne conteste pas, excepté pour ce qui relève des fonds européens : la Martinique a demandé la gestion directe de ces fonds, de même, me semble-t-il, que la Guyane. Dans notre lettre au préfet, nous avons demandé l’ensemble des fonds transférables. Au regard de la gouvernance et du pilotage des politiques agricoles locales, c’est un élément central pour éviter que, dans le patchwork des responsabilités, la politique agricole du département de la Martinique perde toute cohérence, diluée entre la direction départementale de l’agriculture (DDA) pour les aspects scientifiques et techniques, la chambre d’agriculture pour certaines orientations, la région pour les financements, parfois le département pour le foncier, et j’en passe. D’autant que, avec l’acte III de la décentralisation et l’évolution vers la compétence de la collectivité unique en matière de politique agricole, un pas extrêmement important va être franchi. C’est pourquoi le risque de voir cette question noyée dans le débat national, subissant, en quelque sorte, un traitement « d’assimilation législative », me paraît difficilement acceptable.

Je suis très satisfait de l’amendement concernant l’accès à la restauration collective. La loi d’avenir pour l’agriculture nous permettra d’aller beaucoup plus loin par un ajout au code des marchés qui me semble très utile. De même que pour l’accès à la restauration collective, les aides publiques, à l’hôtellerie par exemple, sont soumises, et doivent continuer à être soumises, à conditions. Nous signons également, avec les centres commerciaux, des conventions qui garantissent l’accès des productions locales.

Nous avons un vrai problème de structuration des interprofessions en filières à l’image de celle de la banane, qui est organisée du pied de bananier jusqu’à Rungis. Sans être pro-banane, je salue cette réussite, même si elle est entachée du problème des pesticides et du chlordécone. Pour ne pas être dépendants d’un seul produit, il me semble utile de réfléchir à des filières d’excellence labellisables, qu’elles soient nouvelles ou à relancer. Le café martiniquais, par exemple, pourrait fort bien concurrencer le café d’excellence de La Réunion, très cher et fort prisé des Japonais. Mais on peut également penser au cacao, au manioc, à la vanille.

Toujours dans une logique de filière, l’agro-transformation doit être soutenue, à travers notamment la possibilité d’importer des intrants de pays tiers non européens, et l’exportation doit être accompagnée. Il faut trouver le moyen de protéger a minima la production locale, notamment de diversification agricole, car la banane accapare toutes les compensations européennes. Je serais d’avis de copier le modèle de la banane, qui sort d’un espace européen pour rentrer dans un autre espace européen sous un régime de quota. La clause de sauvegarde de la Communauté européenne, appliquée de manière exceptionnelle, permettrait, pendant une durée comprise entre trois et six ans, d’assurer l’éclosion d’une production de base. C’est peut-être une forme de protectionnisme mais comment faire autrement ? Puisque nous avons retrouvé notre Hugo Chávez à nous, osons naître pour être concurrentiels ! Créez des incubateurs économiques en Guadeloupe et en Martinique, monsieur le ministre, et vous verrez comme l’agriculture va décoller !

M. le ministre. J’ai appris à être pragmatique et réaliste : jamais une loi spécifique à l’agriculture des outre-mer n’aurait pu passer dans un délai raisonnable. En revanche, pour éviter sa dilution dans un texte répondant plutôt aux besoins d’une agriculture de zone continentale et tempérée, je serai sur le banc du Gouvernement avec mon collègue, M. Stéphane Le Foll, pendant la discussion au Parlement. Plutôt qu’une loi d’orientation et de modernisation, ce sera une loi d’une nouvelle catégorie juridique, une loi d’avenir qui sera porteuse de dispositifs opérationnels.

Au-delà d’une loi spécifique, ce qui nous manque, c’est un texte de codification à législation constante qui permettrait de réunir les textes aujourd’hui dispersés dans plusieurs codes : le code civil, le code de l’environnement, le code rural et le code de l’urbanisme. Avec un tel code, nous pourrions faire valoir nos particularités.

Je serai très attentif aux réflexions de votre Délégation que Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard reprendront dans leur rapport.

Je ne rêve plus à l’autosuffisance alimentaire, tout au plus à une certaine autonomie. Cela nécessite de mettre au point, en amont, un système et des itinéraires techniques, toutes précisions qui ne figureront pas dans la loi. Celle-ci pourra affirmer la volonté de faire de nos îles et de la Guyane des territoires d’excellence écologique, mais jamais elle ne précisera que les seuls systèmes désormais tolérés dans les outre-mer seront la fertilisation croisée ou les pratiques biologiques et écologiques.

Comment passer de l’exploitation familiale à plusieurs unités de travail humain (UTH), intensive et productiviste, à l’agriculture raisonnée, biologique et écologique, dans des régions tropicales qui ne bénéficient pas des vertus de l’hiver ? Sous nos latitudes, il suffit d’intensifier quelque peu la production pour favoriser les maladies. En l’absence de solutions permettant de gagner en efficacité tout en respectant certains principes fondamentaux, l’épandage aérien s’est imposé comme une réponse. Il est temps de se tourner vers des systèmes agro-écologiques. C’est le moment ou jamais de parler de l’épandage aérien, des pesticides, des plans d’action à engager sur le chlordécone, notamment pour répondre aux réglementations de minimis que l’Union européenne veut imposer aux pêcheurs martiniquais et guadeloupéens à cause de la pollution des eaux dont ils ne sont pas responsables.

Le département de Mayotte est en effet confronté à un problème lié aux structures foncières, que ce soit les structures foncières en général ou les structures agricoles, et à des difficultés concernant aussi bien le cadastre que le plan local d’urbanisme (PLU), les règlements d’urbanisme ou encore les normes fixant la destination des sols et des zones agricoles protégées. C’est vrai chez nous aussi. Les SAR, schémas d’aménagement régionaux, devront en tenir compte en définissant des objectifs réalistes, des plans d’action dans la durée.

La conditionnalité peut commencer à travers les donneurs d’ordre que sont les maires en matière de cantine scolaire, les directeurs d’hôpitaux, les directeurs de maisons de retraite, les grandes entreprises qui proposent une restauration collective. L’agriculture doit s’organiser pour y répondre.

La structuration des filières soulève le problème des interprofessions. En Martinique et à La Réunion, l’interprofession, qui paie une redevance sur les importations de viande, tente d’organiser la filière de l’élevage en regroupant les éleveurs, les bouchers, les importateurs, les frigoristes. L’ARIBEV à La Réunion, l’AMIBEV à la Martinique, ça marche ! Il faut encourager ces groupements de producteurs, ces coopératives, ces mutuelles, qui ont, dans nos régions, un cycle de vie d’une quinzaine d’années, ce qui nécessite de les renouveler sans cesse. Entêtons-nous, poursuivons inlassablement ce travail de structuration ! La filière de la banane fonctionne parce qu’il s’agit d’un produit d’exportation. La banane produite en Martinique ne pourrait jamais être consommée localement, sauf si elle y était transformée, par exemple en petits pots pour bébé ou en jus.

Il faut maintenant chercher à développer des marchés intérieurs, en particulier celui de la restauration collective qui est considérable par sa permanence et sa régularité. C’est à cette seule condition que le maraîchage et la transformation auront suffisamment de débouchés. Quand les donneurs d’ordre, les maires, ajoutent à leurs critères d’attribution de marchés une clause de performance visant la fraîcheur et les émissions de CO2, ils contribuent à mettre en place l’agro-écologie et l’excellence, à travailler à la sauvegarde de la planète.

La loi qui pose les grands principes doit être accompagnée de plans d’action. Ainsi, parallèlement à la loi de lutte contre la vie chère, des régions, des départements, des villes, des chambres consulaires, notamment à Pointe-à-Pitre et à Saint-Pierre-de-La-Réunion, ont créé des plates-formes logistiques, des centrales d’achat. Et cela fonctionne ! Je suis convaincu que si les petits commerçants de proximité se regroupaient aussi, ils arriveraient à faire baisser les prix dans les campagnes, tout en préservant leurs marges. Ce n’est pas de la loi qu’il faut attendre cela, il faut le décider, le vouloir. La structuration réclamée par M. Serge Letchimy, c’est l’affaire des professionnels. D’où l’importance d’avoir des chambres consulaires offrant un encadrement de qualité, des instituts de recherche compétents, ainsi que le courage politique de redéfinir et de réorienter les financements sur d’autres filières que la seule banane, sans que cela nuise à ce type de production. Le temps est venu de récolter les dividendes de l’argent public qui a été mis dans les mûrisseries, de regarder en toute transparence si les investissements sont payés de retour. C’est un dossier qui demandera un énorme travail.

Monsieur Letchimy, je vais vérifier où en est la demande de gestion directe des fonds européens par la Martinique.

Nous avons entamé la transposition, dans la loi de modernisation agricole (LMA), du texte relatif à la restauration collective qui sera examiné demain. Les critères de performance, qui n’étaient qu’optionnels, deviendront obligatoires dans les appels d’offres. Évidemment, en l’absence de production locale, ce critère ne sera pas pris en considération dans le marché.

Introduire la conditionnalité est séduisant, mais il faut s’assurer qu’elle ne sera pas censurée, en tant que mesure protectionniste, par les lois nationales et le droit communautaire. Les critères d’émission de CO2, les obligations de fournir des produits frais et relevant d’une agriculture de proximité, ont déjà passé l’épreuve de la censure de différents organismes, y compris le Conseil constitutionnel. Quant à soumettre l’obtention d’un marché à des conditions telles que l’embauche de jeunes de la commune, le respect de l’environnement ou d’un cahier des charges – un itinéraire technique en agriculture –, cela existe déjà. Pour cela non plus, il n’y a pas besoin de loi.

Les nouvelles filières en Martinique et en Guadeloupe en sont au démarrage. Dans le café, elles s’appuient sur des cultivars très connus, comme le jamaïcain, meilleur que le Blue Mountain. Il y a très longtemps, on nous avait demandé de renforcer la protection du café en fixant l’octroi de mer à 25 %, alors que le café consommé en Guadeloupe vient de Colombie. Pourtant, nous avons une petite production locale, de grande qualité, qui travaille un cultivar rare, et que nous pourrions relancer à travers une démarche de développement impliquant une très haute qualité environnementale et une labellisation. L’avenir de notre agriculture, comme de notre tourisme, est dans la très haute qualité.

S’agissant de l’accompagnement à l’exportation vers les pays voisins et de la protection a minima de la production agricole, dans une logique d’économies d’échelle et d’étendue de marché, il est incontestable que les pays voisins peuvent constituer de vrais débouchés dans la réciprocité. Mais je fais remarquer à M. le président Fruteau que certains responsables de La Réunion m’avaient reproché d’exposer à la ruine la production locale avec l’ouverture aux pays voisins dans la loi sur la régulation économique outre-mer. C’est pourquoi une condition de réciprocité avait été posée. Or, certains accords de partenariat économique ne comportent pas une telle condition, ce qui pose problème. Pendant une période d’asymétrie, les produits de l’Afrique, des Caraïbes et du pacifique (ACP) peuvent entrer chez nous, mais l’inverse n’est pas vrai. Je vais tâcher de rééquilibrer les termes de l’échange.

Comment, tout en restant dans le territoire douanier européen, sous le statut de région ultrapériphérique (RUP), s’ouvrir aux pays voisins ? Comment déroger aux normes européennes et importer, par exemple, du pétrole du Venezuela, du Brésil ou de Curaçao – du brut uniquement pour ne pas risquer la disparition de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA) ? J’ai déjà demandé à Shell si le pétrole guyanais qui sera exploité dans dix ans pourra être en partie raffiné à la Martinique. A priori, il irait à Trinidad, mais tout dépendra de l’importance du gisement. Il faudra être très vigilant.

Sur la protection a minima, le seul instrument dont nous disposions aujourd’hui est constitué par l’octroi de mer dont il faudrait pouvoir moduler les taux selon les cycles de production. En pleine saison de l’igname en Guadeloupe et en Martinique, par exemple, il n’est pas normal de faire entrer dans ces départements les ignames du Costa Rica, à des prix cassés et sans garantie de traitement sans chlordécone. Or, l’Europe ne nous permet pas d’aller au-delà de 30 %. C’est, là encore, un sujet que nous aurons à creuser lorsque le projet de loi arrivera.

À ce sujet, je vous indique, et je finirai là-dessus, que le texte sera soumis au Conseil d’État au mois de juin. Il vous reste donc deux mois pour formuler vos propositions, car c’est en amont qu’il faut apporter des enrichissements. Toute modification ultérieure devra passer par voie d’amendement, ce qui, vous le savez, est plus compliqué.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, monsieur le ministre, de nous avoir consacré autant de temps. Nous y avons été très sensibles. Soyez persuadé que nous vous solliciterons encore.

M. le ministre. Je suis à la disposition de la Délégation.

Audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire
et de la forêt

Compte rendu de l’audition du mardi 14 mai 2013

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cette audition s'inscrit dans le cadre des travaux de la Délégation sur l'agriculture. Nous avons désigné, le 26 février dernier, deux rapporteurs sur cet important sujet : Mme Chantal Berthelot, députée de Guyane, et M. Hervé Gaymard, député de Savoie. Conformément, en effet, à une tradition de notre Délégation, les rapports sont présentés par deux parlementaires, l’un élu d’outre-mer et l’autre de métropole.

L’agriculture occupe une place essentielle parmi les activités économiques outre- mer. Nous attendons donc beaucoup de la prochaine loi de programmation agricole, particulièrement de son volet ultramarin, puisque telle a été la formule finalement retenue, plutôt que celle d’une loi spécifique.

Nous pourrons évoquer aujourd’hui les nombreuses questions touchant à l’évolution des structures agricoles, au renforcement des productions locales, à la situation de la filière « canne-sucre-rhum-bagasse », à l’installation des jeunes, au statut social des agriculteurs, ainsi qu’à l’avenir du POSEI, qui suscite quelques inquiétudes dans nos régions.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Les objectifs de notre politique ultramarine s’établissent au regard de deux enjeux majeurs : d’une part les contraintes budgétaires, à l’échelle européenne comme nationale, d’autre part les données et les perspectives économiques et géostratégiques de nos régions d’outre mer, essentielles au rayonnement de notre pays dans le monde.

Les questions agricoles, y compris forestières, propres aux outre-mer feront bien l’objet d’un volet spécifique du projet de loi que vous avez évoqué.

Nous devons d’abord prendre en compte leur diversité, selon quelques objectifs majeurs. Le premier porte sur la consolidation, voire l’accroissement, de la part des agricultures ultramarines sur les marchés locaux. Si la situation semble stabilisée et prometteuse à La Réunion, dans d’autres départements, notamment à la Martinique et à la Guadeloupe, les taux de couverture se dégradent. Il nous faut les redresser, au maximum des potentialités de la production locale, qu’il faut développer par une meilleure organisation, davantage de transformation des produits sur place et une commercialisation plus efficace.

Le deuxième objectif consiste à renforcer les productions qui sont à la fois pourvoyeuses d’emplois et sources d’exportations : la banane, la canne à sucre et le rhum.

Le troisième vise la double performance, économique et écologique, à travers « l’agroécologie ». Ce souci est d’autant plus important que les stigmates d’un passé récent font encore sentir leurs effets, comme dans l’affaire du chlordécone. Il nous faut maintenant veiller à la durabilité de la production agricole, d’autant plus nécessaire qu’elle se situe sur des territoires fragiles, exigus et isolés. On ne peut se permettre ni d’en gaspiller les ressources ni d’en détériorer les sols.

Ces trois orientations stratégiques doivent être suivies ensemble.

J’appelle de mes vœux un plan pour le développement des énergies renouvelables en vue d’une bien plus grande autonomie en la matière, et qui permette notamment de réduire les coûts d’importation, aujourd’hui beaucoup trop élevés. Le développement de la biomasse représente à cet égard un élément fondamental. Des investissements sont déjà prévus en Martinique pour la méthanisation. Il faut aller plus loin et adopter une stratégie résolument offensive, lancée en métropole au titre du plan « énergie-méthanisation-autonomie-azote » (EMAA) pour la production porcine. La France a beaucoup de retard dans ce domaine, particulièrement sur l’Allemagne : notre pays compte 90 méthaniseurs quand on en dénombre près de 7 000 outre-Rhin, qui apportent parfois jusqu’au tiers du revenu d’une exploitation.

Quelles sommes pouvons-nous mobiliser en faveur de l’agriculture des outre-mer, à la fois dans le cadre du programme portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques et d’outre-mer (POSEIDOM) et dans le cadre du budget national ? Après avoir consolidé les moyens propres à conforter les filières bananière, sucrière et du rhum, qui consomment aujourd’hui environ 75% des fonds de soutien, nous devons dégager des marges financières afin de favoriser la diversification agricole nécessaire à la reconquête des marchés locaux par la production locale, ce qui exige notamment de favoriser les projets de nouvelles exploitations. Il nous faudra donc procéder à certains arbitrages.

La gouvernance et le pilotage de la politique agricole ultramarine doivent également répondre à l’engagement pris par le Président de la République de confier aux régions, qui deviendront ainsi autorités de gestion, le deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC). Il faudra pour cela renforcer les partenariats entre l’État et les collectivités territoriales aussi bien dans le cadre du POSEI que du fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), en installant des comités régionaux d’orientation stratégique et de développement (CROSD) que pourraient coprésider les exécutifs des collectivités concernées et les représentants de l’État chargés du premier pilier de la PAC. Nous proposerons, le cas échéant, les adaptations législatives nécessaires. Il nous faudra aussi définir les contrats d’objectifs et de performances (COP), en partenariat élargi aux chambres d’agriculture. Nous devrons, enfin, revoir la composition du conseil d’administration de l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer (ODEADOM) afin qu’il joue pleinement son rôle de concertation en intégrant la représentation des collectivités locales.

Les groupements d’intérêts économiques et environnementaux (GIEE) seront au cœur du débat sur la double performance en faveur de l’agroécologie.

La question du foncier agricole devra être examinée avec un soin particulier, en raison de la problématique de l’urbanisation et des choix à opérer entre installation et agrandissement des exploitations.

Nous devrons donner à l’enseignement agricole de nouvelles perspectives et travailler à sa réorganisation, étant donné les difficultés matérielles rencontrées par certains établissements. Vos réflexions et vos propositions en la matière seront bienvenues.

La forêt ne sera pas oubliée, qu’il s’agisse de la grande forêt guyanaise ou des autres spécificités sylvestres des outre mer.

Tous les axes d’intervention que je viens d’évoquer intègrent naturellement une préoccupation sociale, spécialement en faveur de l’emploi des jeunes, qui souffrent aujourd’hui d’un chômage important.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Monsieur le ministre, je vous remercie. La parole est, pour commencer, aux rapporteurs.

Mme Chantal Berthelot, rapporteure. Le rapport que M. Hervé Gaymard et moi-même préparons recouvre en partie les perspectives que vous avez brossées, monsieur le ministre. Nous devrons donc veiller à coordonner les orientations du projet de loi et les thèmes des travaux choisis au sein de notre Délégation : les structures agricoles et foncières, le renforcement des productions locales, l’avenir de la filière canne, sucre et rhum, l’utilisation de la bagasse, l’installation des jeunes agriculteurs et les retraites des salariés et des exploitants agricoles. Notre rapport pourrait alimenter le contenu de la future loi, à condition que nos calendriers soient compatibles.

La rumeur qu’une réforme de la gouvernance du POSEI et du FEADER serait envisagée par les autorités européennes a suscité un certain émoi outre-mer. Pourriez-vous nous en dire plus ? Des inquiétudes se sont également manifestées à propos du budget lui-même : sera-t-il réduit ? Le POSEI devant mieux répondre au besoin de diversification des productions agricoles ultramarines, faudra-t-il se battre pour l’augmenter ?

Jusqu’à maintenant, les aides du FEADER aux programmes structurels s’élevaient à 85 % des dépenses. On entend aujourd’hui parler d’un abaissement de ce taux à 75 % pour les nouveaux programmes. On risque ainsi de rendre plus difficile la mobilisation des fonds complémentaires et de solliciter un effort supplémentaire des collectivités locales, des entrepreneurs privés et de l’État. Le retour au taux de 85 % est-il envisageable ?

Enfin, il existe aujourd’hui dans chaque territoire d’outre-mer un groupe local « ODEADOM », auquel les régions participent déjà. Votre proposition consiste-t-elle à ce que les collectivités territoriales soient désormais représentées au niveau national des instances de l’office ?

M. Hervé Gaymard, corapporteur. De quels outils supplémentaires pourrait disposer la politique des structures agricoles, notamment en matière foncière et d’indivision, qui soulèvent de délicates questions, spécialement à Mayotte ?

Le commissaire européen à l’agriculture se proposerait d’organiser une consultation publique sur l’avenir de certaines filières de production, dont celle de la banane. Quelle est à ce sujet la position du gouvernement français ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mme Chantal Berthelot a posé une question de méthode qui m’appelle à fournir quelques précisions. Notre Délégation est souveraine quant à l’objet comme à la conduite de ses travaux. Elle a, bien sûr, le souci de les rendre utiles à l’élaboration d’une prochaine loi. C’est pourquoi nous devons articuler nos démarches avec celles du Gouvernement, mais nous ne dépendons pas de lui pour cela. Nous avons constaté que nos préoccupations se recoupent mais la Délégation reste libre de verser au débat toutes les questions qu’elle juge utiles : la « commande » qu’elle a adressée à ses deux rapporteurs reste indépendante du Gouvernement. Sur le fond, je constate que presque tous les sujets importants sont déjà mis à l’étude en commun.

M. le ministre. Le rapport de votre Délégation servira à éclairer les choix du Gouvernement et donc la rédaction du projet de loi. Les axes de travail que viennent d’indiquer les rapporteurs rejoignent pour l’essentiel les préoccupations du Gouvernement.

Si je n’ai pas évoqué les retraites agricoles outre-mer, c’est parce que nous avons considéré que le sujet devait faire l’objet d’un débat spécifique dans le cadre global de la question des retraites. Les salariés agricoles ultramarins relèvent d’ailleurs du régime général de la sécurité sociale.

À l’inverse, vous n’avez pas sélectionné l’enseignement agricole comme l’un des thèmes de votre rapport ; je serais heureux que vous vous en saisissiez.

Le projet de loi devrait vous être transmis en vue d’une discussion à la fin de cette année, après les débats sur les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. Il me semble donc que nous pourrons facilement articuler nos calendriers respectifs afin de trouver les meilleurs compromis possibles pour le développement des outre-mer.

L’articulation des interventions et des soutiens du premier et du deuxième pilier de la PAC nécessite que nous trouvions des lieux de concertation garantissant la place, très importante à mes yeux, des collectivités territoriales. Celles-ci seront désormais représentées au conseil d’administration de l’ODEADOM par les élus chargés du développement économique et agricole qu’auront désignés les instances locales. Il revient à l’État d’arrêter les grandes orientations, en concertation avec les régions, après quoi ces dernières exerceront leur responsabilité de gestionnaire. Nous avons également mentionné le rôle des chambres d’agriculture.

Avec le Commissaire européen à l’agriculture, que j’ai encore vu hier, nous avons parlé des outre-mer et du débat public qu’il veut effectivement conduire sur l’avenir du POSEIDOM. Nous avons pris acte de son intention, mais je lui ai rappelé que nous avions besoin d’une stratégie pour les outre mer qui définisse l’équilibre optimal entre les grandes productions agricoles traditionnelles, premières bénéficiaires des aides publiques et qu’il nous faut préserver, et les besoins de diversification. Doit-on conserver la clé de répartition des aides publiques entre l’Union européenne et les autres parties prenantes en respectant un partage 75 % – 25 % ? Il faudra en débattre, y compris avec les acteurs économiques, mais je me suis permis d’anticiper ainsi la discussion.

Toutefois, compte tenu de la difficulté de remettre en cause un équilibre récemment défini pour le cofinancement du deuxième pilier de la PAC, nous nous sommes rapprochés de l’Espagne et du Portugal, nos partenaires les plus intéressés, avec nous, par cette question, pour définir ensemble une position commune sur le POSEIDOM que nous défendrons lors du Conseil informel qui doit se tenir en Irlande à la fin de ce mois. Nous devrions y parvenir.

Je rappelle que le déblocage de 40 millions d’euros destinés à soutenir la banane s’est fait à l’initiative de la France, avec l’appui de l’Espagne et du Portugal, qui partageaient nos objectifs. Il nous faut maintenant travailler avec ces deux pays à un plan en faveur de l’économie durable de la filière bananière, car si le POSEIDOM établissait à l’origine un lien étroit entre le volume de la production et le montant des aides publiques, ce n’est plus exactement le cas aujourd’hui.

Je ne sais pas précisément quelle forme M. Dacian Cioloş, commissaire européen à l’agriculture, entend donner à la consultation publique qu’il compte lancer mais je sais qu’il a prévu de se rendre à La Réunion et aux Açores après le Conseil informel. Nous suivrons ces travaux avec attention, tout en continuant de nous concentrer sur les objectifs que j’ai rappelés.

Pour ce qui est de la question foncière, notamment à Mayotte, j’ai besoin d’un peu de temps pour déterminer comment articuler au mieux les besoins en terres agricoles et les nécessités de l’urbanisation - un exercice particulièrement délicat dans les outre-mer. Et si diversification des productions agricoles il y a, nous devrons aussi définir l’affectation des terres, comment se fera la distribution et la régulation du foncier. La situation différant selon les départements, des mesures spécifiques devront être prises, qui supposent dialogue et écoute préalablement aux arbitrages.

En résumé, une évolution sera nécessaire et pour ce qui touche à l’équilibre de l’affectation des fonds européens et pour ce qui concerne la gouvernance globale. Le commissaire Cioloş va lancer une consultation publique sur l’avenir de certaines filières ; nous suivrons ces travaux avec vigilance.

M. Patrick Lebreton. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’être venu répondre à certaines de nos préoccupations. Selon l’avant-projet qu’il présente comme un brouillon, le commissaire Dacian Cioloş envisage de réformer le POSEI, notamment en découplant les aides. Cela a suscité la préoccupation du monde agricole des outre-mer, et ce dimanche encore M. Jean-Yves Minatchy, ancien président de la chambre d’agriculture de La Réunion, s’est dit inquiet que l’on puisse accepter de lâcher la proie pour l’ombre. Diversifier les productions ne peut se concevoir si l’on ne dispose pas, pour commencer, d’une production pivot ; à La Réunion, c’est la canne, une filière qui fait vivre, directement ou indirectement, plus de 10 000 personnes.

La question des retraites agricoles est un autre sujet de préoccupation, constant, dans les outre-mer, singulièrement à La Réunion. Je l’ai évoqué dans la proposition de loi tendant à réformer l'allocation de solidarité aux personnes âgées dans les départements et les collectivités d'outre-mer que j’ai déposée lors de la précédente législature. Je faisais valoir que les sommes versées à ce titre sont récupérables par l’État au décès de l’allocataire si l’actif net de la succession dépasse 39 000 euros. Or, les exploitants ultramarins qui n’ont pas suffisamment cotisé pour bénéficier d’une pension de retraite correcte étant très nombreux, ils sont contraints de demander en grand nombre le bénéfice de cette allocation. Les statistiques à ce sujet sont éclairantes : en métropole, 3 % de la population est concernée, et 33 % à La Réunion. Si les retraites agricoles demeurent aussi insuffisantes qu’elles le sont actuellement, les retraités faiblement pensionnés n’auront que deux issues possibles : demander l’allocation de solidarité en sachant qu’ils contraignent de ce fait leurs héritiers à vendre ensuite le patrimoine familial, ou s’y refuser pour ménager leurs enfants, et s’appauvrir. Comment continuer de les obliger à ce choix impossible ?

M. le ministre. Je vous le dit tout net : autant je suis disposé à me pencher sur la répartition des aides, autant je suis défavorable au « brouillon » de la Commission européenne tendant au découplage des aides versées outre-mer. Je préfère travailler à la structuration des filières plutôt que sur l’hypothèse d’un découplage dont on voit aujourd’hui les conséquences néfastes en métropole pour d’autres productions et pour l’élevage. Mieux vaut un système d’aide à l’organisation de la production.

Les deux grandes productions ultramarines, la canne et la banane, sont des productions structurantes et je suis parfaitement conscient de la nécessité de les soutenir. Dans un contexte de budget inextensible, il s’agit, sans les fragiliser, de ventiler différemment une partie de l’enveloppe globale des aides pour diversifier les productions. Je souligne que la question de la redistribution se posera également en métropole quand je proposerai de majorer la prime versée aux 50 premiers hectares et de modifier le mécanisme historique des droits à paiement unique pour en venir à la convergence des aides. La redéfinition du POSEIDOM ne doit pas consister à remettre en question l’équilibre économique de filières qui fonctionnent mais satisfaire le double objectif du maintien de ces filières et du développement de la diversification. Les filières structurantes existantes doivent demeurer le pivot autour duquel s’organiser, au terme d’un débat qui permettra de fixer des perspectives aux agriculteurs qui veulent s’installer. L’enjeu majeur est la structuration des filières, ce pourquoi il faut conserver le POSEIDOM sans en venir au découplage des aides.

Le Président de la République a pris un engagement relatif à l’amélioration des retraites agricoles en général. Parce que les pensions servies outre-mer sont plus basses encore qu’en métropole, des personnes qui pourraient prétendre à la retraite maintiennent leur activité, ce qui a pour effet d’empêcher l’installation de jeunes agriculteurs. Par ailleurs, vous comprendrez que je ne puisse prendre d’engagement à propos du financement global des pensions de retraite ; les décisions dépendront des conclusions de la conférence sociale.

M. Ibrahim Aboubacar. Je suis parfaitement conscient que la problématique de l’agriculture à Mayotte n’est pas la même qu’en Guadeloupe, à la Martinique ou à La Réunion. Une instance d’élaboration du programme de développement rural de Mayotte est à l’œuvre, qui travaille d’arrache-pied ; je participe à ses travaux autant que faire se peut. Il s’agit de définir des priorités et de redéfinir une stratégie agricole pour Mayotte.

Au-delà des retraites, c’est l’intégralité de la protection sociale dans le secteur agricole qui est à bâtir à Mayotte. Plus largement encore, la question de l’emploi agricole demande à être clarifiée, certains dispositifs appliqués dans d’autres départements d’outre-mer ne s’appliquant pas actuellement à Mayotte.

À partir du 1er janvier 2014, la fiscalité de droit commun s’appliquera aussi dans l’île au foncier agricole. Étant donné la situation du foncier à Mayotte, le ministère de l’agriculture devra veiller attentivement aux nouvelles impositions que le ministère du budget est en train de déterminer.

Nous avons hérité de l’époque coloniale une tradition d’exportation d’ylang-ylang et d’autres plantes à parfum. Il convient de définir dans le programme de développement rural en cours d’élaboration l’évolution stratégique de ces cultures – également pratiquées à Madagascar et aux Comores –, traitées dans le passé dans le cadre du système de stabilisation des recettes d'exportation (Stabex) avec un résultat pour le moins mitigé.

La production agricole de l’île n’est pas suffisamment quantifiée, ce qui constitue l’une de nos préoccupations : Mayotte compte 15 000 ménages censés avoir des revenus agricoles, mais seuls 2 000 agriculteurs sont répertoriés à la chambre d’agriculture. Quoiqu’il en soit, la production agricole locale tient un rôle de tout premier plan dans l’alimentation de la population, rôle qui n’est pas valorisé faute de statistiques. C’est dire l’importance de la structuration des filières ; je viendrai donc approfondir ces sujets au ministère avec beaucoup d’intérêt.

M. le ministre. Un débat spécifique aura lieu, visant à faire le point sur les axes stratégiques à définir et à mettre en œuvre pour l’agriculture mahoraise. La DAAF se chargera de l'établissement et de la diffusion des statistiques. Je mesure toute la place de l’agriculture dans l’économie du département et dans la consommation locale. Tout cela sera discuté et le projet de loi d’avenir comportera un chapitre spécifiquement consacré à la construction du modèle agricole mahorais.

M. Jean Jacques Vlody. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir réaffirmé avec détermination votre avis défavorable au découplage des aides. Le POSEI est en effet indispensable au maintien de nos filières.

Les retraites agricoles posent un grave problème. Leur niveau, à La Réunion, est excessivement bas au regard de ce qu’il est ailleurs sur le territoire national. Cela tient d’abord à la géographie : l’exiguïté de notre île fait que la superficie moyenne des exploitations – de 7 à 8 hectares – n’a rien à voir avec ce qu’elle est en métropole. Or les cotisations de retraite étant calculées en fonction de la superficie des exploitations pondérée par l’activité, elles ne peuvent jamais être à La Réunion du même niveau que les cotisations versées en métropole. D’autre part, un grand nombre d’actifs, n’ayant pas été déclarés, n’ont pas cotisé au régime de prévoyance. Enfin, les conditions climatiques régionales font que l’île subit des périodes cycloniques ou de fortes intempéries qui entraînent la perte d’une partie de la production agricole et, parfois, des années blanches en termes de revenus et donc de cotisations, ce qui oblige les agriculteurs à faire appel à la solidarité nationale par le biais des indemnisations pour catastrophe naturelle. Je suggère donc au Gouvernement, d’une part, de modifier le calcul des pensions de retraite outremer pour tenir compte de la géographie, d’autre part, de considérer, en termes de cotisations, les années réellement produites, selon des règles à négocier ; étant donné le risque cyclonique avéré, certains syndicats agricoles réclament que l’on prenne en considération, pour le calcul des pensions de retraite, les 20 ou 25 meilleures années de production.

Le débat sur la ventilation des aides publiques entre filières existantes et filières de diversification doit effectivement être ouvert sans tabou, de manière raisonnable et déterminée, car il en va du soutien de filières porteuses. On notera que cette option a déjà été évoquée dans quelques situations et qu’elle n’est pas complètement interdite en l’état. La seule interrogation réelle porte donc sur le financement du « hors filière » qui s’installe sur des territoires exigus. La réussite de l’agriculture réunionnaise tient à son organisation, très ancienne, en filières cohérentes, dans un esprit coopératif. Tout le problème est de veiller à ce qu’une nouvelle ventilation des aides ne déséquilibre pas des filières qui ont fait la preuve de leur succès. À cet égard, la filière porcine donne un exemple fâcheux. À La Réunion, c’est une filière organisée regroupant des exploitations de vingt à quarante truies. Mais un producteur hors filière, qui possède à lui seul de 250 à 300 truies, est en surproduction tous les trois à quatre ans et déséquilibre alors les prix et toute la structuration du marché. En résumé, il faut certes s’engager dans une nouvelle répartition des aides publiques, mais non sans préserver les filières existantes. Je rappelle que nous avons, en 2009, structuré la filière hortofruticole de La Réunion. La restauration collective lui donne un potentiel prometteur qu’elle n’avait pas précédemment faute, précisément, d’être organisée.

M. le ministre. Vous avez souligné que les bases de calcul des cotisations pour les pensions de retraite agricoles et les aléas climatiques amènent à poser la question de la mutualisation et de la solidarité. Cela suppose de définir comment améliorer le rendement du processus pour parvenir à des cotisations d’un niveau suffisant pour assurer de meilleures prestations et comment prendre en compte les aléas climatiques majeurs. Le débat est ouvert, et la question sera tranchée, en fonction des conclusions de la conférence sociale, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

L’enjeu actuel est de définir la ventilation entre les filières et les productions hors filière. Découpler les aides, comme l’envisage la Commission européenne, c’est distribuer le même montant à chacun, et rendre l’organisation en filières très difficile. Nous ne souhaitons pas déstabiliser des filières-pivots mais nous donner les moyens de développer des filières naissantes et débattre dans cette optique de l’équilibre de la répartition des aides, et de leur redistribution. C’est ce qui a été fait à La Réunion, et cela a eu pour résultat un taux de couverture de 70 % des besoins locaux en fruits et légumes frais – et le tourisme offre de nouveaux débouchés aux productions locales. Nous devons agir courageusement, et c’est pourquoi j’ai tenu à venir évoquer avec vous les objectifs que nous visons.

M. Gabriel Serville. J’approuve, monsieur le ministre, la déclinaison en trois axes de votre projet de modernisation de l’agriculture : elle est de bon sens. Cependant, s’agissant de la Guyane, certaines spécificités ne peuvent être méconnues. L’agriculture guyanaise emploie 16 % de la population active et représente 5 % de notre PIB, mais elle connaît des problèmes de tous ordres. En premier lieu, les particularités du climat et du sol amazoniens font que la production est faible. De plus, elle fait face à la concurrence aiguë des productions importées, notamment des pays frontaliers. Ensuite, malgré les efforts engagés pour augmenter la surface agricole utile, celle-ci n’est que de 23 200 hectares pour une superficie totale de 85 000 km², ce qui est très peu. Cela résulte en grande partie de la complexité et de la lenteur de la procédure d’obtention des terres, qui décourage les meilleures volontés et dissuade les agriculteurs qui voudraient s’installer de le faire. Une très grande partie des terres de la Guyane appartient au domaine public. Puisque la Garde des sceaux évoque l’hypothèse d’une nouvelle politique foncière outre-mer, ne faudrait-il pas considérer la simplification de la procédure d’acquisition des terres comme la base minimale de cette évolution ? Si tel n’est pas le cas, nous nous retrouverons dans la même situation qu’en 1975, quand le « plan vert » de mise en valeur agricole de la Guyane a suscité de graves difficultés. Parce que je ne souhaite pas voir les mêmes erreurs se répéter à 37 ans d’intervalle, j’aimerais savoir quelles mesures vous prendrez, monsieur le ministre, pour permettre que les terres guyanaises soient plus facilement mises à la disposition de ceux qui en font la demande – c’est un préalable indispensable à la modernisation de notre agriculture.

M. le ministre. Le lien que vous avez fait avec les propos de la Garde des sceaux me paraît ténu mais votre question a tout son intérêt. La surface agricole utile en Guyane est effectivement très faible, et le POSEI l’est aussi. Nous devons recenser les freins au développement de l’agriculture pour les lever, ce qui implique aussi de définir l’avenir de la forêt. Mais tout cela ne peut se concevoir que si, dans le même temps, on fixe à l’agriculture guyanaise encore embryonnaire des objectifs stratégiques précis : il n’y aurait rien de pire que de donner des terres en laissant penser que tout serait ainsi réglé, si les débouchés des productions agricoles ne sont pas assurés. S’agit-il de répondre aux besoins du seul marché local, ou également d’exporter vers le reste du continent, en dépit des obstacles naturels, que la prochaine construction d’une route et d’un pont devrait atténuer ? Je le redis, toutes les propositions seront les bienvenues, et nous aurons l’occasion d’en rediscuter, car nous nous donnerons les moyens de faire quelque chose en Guyane.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’être venu évoquer avec nous les questions qui se posent à nous, et dont la diversité ne facilitera pas la tâche de nos courageux rapporteurs.

Audition de M. Gérard Bally, délégué général d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint, de M. Emmanuel Detter, consultant, et de Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement, ainsi que de plusieurs représentants des filières agricoles ultramarines : M. Philippe Ruelle, représentant de l’UGPBAN (Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique) ; M. Philippe Labro, président du Syndicat du sucre de La Réunion ; M. Cyrille Mathieu, responsable d’Iguacanne (Groupement interprofessionnel guadeloupéen pour la canne à sucre) ; M. Thibaut Laget, représentant de l’APOCAG (Association des producteurs d’ovins et de caprins de Guyane) ; M. David Giraud-Audine, responsable de l’APIFEG (Association de préfiguration interprofessionnelle des filières d’élevage de Guyane) ; M. Élie Shitalou, secrétaire général d’Iguavie (Groupement interprofessionnel guadeloupéen de la viande et de l’élevage), accompagné de M. Georges Magdeleine ; MM. Fabrice Monge et Bruno Wachter, représentants d’Iguaflhor (groupement interprofessionnel guadeloupéen des fruits, des légumes et de l’horticulture) ; M. Bernard Sinitambirivoutin, gérant de la société d’intérêt collectif agricole « Les Alyzées » (société de commerce interentreprises guadeloupéenne de fruits et de légumes) et M. Fred Alexandre Petrus, responsable de la société d’intérêt collectif agricole SICAPAG (société guadeloupéenne de productions agricoles, spécialisée dans les fruits, les légumes, les plantes aromatiques et les fleurs)

Compte rendu de l’audition du mardi 11 juin 2013

Mme Huguette Bello, vice-présidente de la Délégation. Nous vous remercions, madame, messieurs, d’avoir accepté de participer à cette audition qui s’inscrit dans le cadre des travaux de la Délégation sur l’agriculture. Le 26 février 2013, nous avons désigné deux rapporteurs – Mme Chantal Berthelot, députée de Guyane, qui malheureusement ne pourra pas participer à cette audition, et M. Hervé Gaymard, député de Savoie – qui nous remettront dans quelques mois un rapport d’information sur le sujet.

Dans le cadre de nos auditions, nous avons déjà entendu, le 26 mars, M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, et, le 14 mai, M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

Nous recevons aujourd’hui M. Gérard Bally, délégué général d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint, de M. Emmanuel Detter, consultant, de Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement, ainsi que de plusieurs représentants des filières agricoles ultramarines. Il s’agit de M. Philippe Ruelle, représentant de l’UGPBAN (Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique) ; de M. Philippe Labro, président du Syndicat du sucre de La Réunion ; de M. Cyrille Mathieu, responsable d’Iguacanne (Groupement interprofessionnel guadeloupéen pour la canne à sucre) ; de M. Thibaut Laget, représentant de l’APOCAG (Association des producteurs d’ovins et de caprins de Guyane) ; de M. David Giraud-Audine, responsable de l’APIFEG (Association de préfiguration interprofessionnelle des filières d’élevage de Guyane) ; de M. Élie Shitalou, secrétaire général d’Iguavie (Groupement interprofessionnel guadeloupéen de la viande et de l’élevage), accompagné de M. Georges Magdeleine ; de MM. Fabrice Monge et Bruno Wachter, représentants d’Iguaflhor (groupement interprofessionnel guadeloupéen des fruits, des légumes et de l’horticulture) ; de M. Bernard Sinitambirivoutin, gérant de la société d’intérêt collectif agricole « Les Alyzées » (société de commerce interentreprises guadeloupéenne de fruits et de légumes) et enfin, de M. Fred Alexandre Petrus, responsable de la société d’intérêt collectif agricole SICAPAG (société guadeloupéenne de productions agricoles, spécialisée dans les fruits, les légumes, les plantes aromatiques et les fleurs).

M. Gérard Bally, délégué général d’EURODOM (association de promotion des territoires ultramarins). J’ai souhaité me présenter devant vous accompagné d’un certain nombre de représentants des filières d’exportation et de diversification afin de vous offrir un éclairage le plus complet possible de la situation de l’agriculture outre-mer et de vous faire part de nos réflexions en matière de développement agricole.

En 1993, lorsque l’Acte unique a ouvert les frontières de l’Europe, nombre de nos productions, en particulier les filières animales de La Réunion, la banane et le rhum, existaient en dehors de tout assistanat. L’organisation nationale du marché de la banane rapportait beaucoup d’argent à l’État français. La banane de Guadeloupe et de Martinique partageait le marché français avec la banane d’Afrique. Les importations de « bananes dollar » étaient organisées chaque année par un organisme unique et les bonis du Groupement d’intérêt économique de la banane (GIEB) étaient versés au Trésor. Le marché était protégé, mais nous n’étions pas subventionnés.

Lorsque survenait un cyclone, il y avait plus d’argent en réserve qu’il n’en fallait pour financer la réparation des dégâts causés par cette calamité. En 1969, les filières animales de La Réunion ont créé une interprofession qui fonctionnait de manière remarquable. Mais dès le 1er janvier 1993, le dispositif, n’étant pas compatible avec la libre circulation des biens imposée par l’Union européenne, a été abandonné. Nous sommes alors devenus des assistés. La Commission européenne nous a contraints à accepter des subventions substantielles, voire très substantielles en ce qui concerne la banane, pour combler la différence entre nos coûts de production et ceux de nos concurrents directs sur le marché européen.

Les générations se sont succédées à la Commission européenne et dans les administrations nationales et aujourd’hui, on nous reproche d’être des assistés qui profitent des deniers publics et on nous demande de nous restructurer et de redéfinir notre mode de développement.

S’il y a une chose dont chaque personne présente autour de cette table est dépourvue, c’est bien du complexe de la subvention. Il était utile de le rappeler. Il est assez désagréable d’expliquer à des commissaires européens que nous avons toujours besoin de ce différentiel puisque les coûts de production dépendent toujours en grande partie de la main-d’œuvre et que celle-ci, dans les pays concurrents de la banane communautaire, est rémunérée 20 ou 30 fois moins bien que dans nos régions.

L’assistanat n’a donc jamais été pour nous une condition première pour produire, commercialiser et créer des emplois, mais nous avons été projetés dans un système qui nous soumet à des paradigmes différents.

Nos deux grandes cultures d’exportation sont le rhum et le sucre, issus de la canne à sucre, et la banane dont nous exportons chaque année plusieurs centaines de milliers de tonnes. Grâce aux subventions qu’elles reçoivent, ces cultures destinées à l’exportation résistent bien. Elles créent beaucoup d’emplois et nous ont permis de mettre en place des cultures de diversification animales et végétales.

Influencés par la Commission européenne, en particulier le commissaire Ciolos, le ministre de l’agriculture et un certain nombre de hauts fonctionnaires qui s’interrogent sur l’avenir agricole de nos régions, nous en sommes arrivés à considérer la diversification comme une perspective considérable de développement que nous n’avons pas suffisamment exploitée au cours des dernières décennies.

Depuis que je travaille à Bruxelles, c’est-à-dire depuis 25 ans, nous avons produit dans nos régions des cultures que nous avons ensuite abandonnées : c’est le cas des aubergines, avocats, limes, melons, tomates, agrumes, carottes, oignons, fleurs et ananas. Ces dix productions ont été exportées, pour certaines dans des volumes considérables – entre 50 000 et 80 000 tonnes pour l’ananas et l’aubergine, mais cette dernière a été victime d’une maladie et nous ne disposions pas des produits phytosanitaires qui auraient permis de préserver sa culture ; pour ce qui est de l’avocat, nous avons été pris en tenaille entre les productions d’Afrique du Sud et d’Israël.

La production de la lime a été victime de la concurrence de l’île de la Dominique et des pays latino-américains, celle du melon de la concurrence de très nombreux pays et la tomate a été atteinte d’une maladie. Elle est toujours cultivée en Guadeloupe et sous serre à la Martinique. À La Réunion, les carottes et les oignons cultivés sur place couvraient 90 % des besoins en produits frais, mais ils ne sont plus produits localement.

Les fleurs coupées ont totalement disparu du paysage industriel de Martinique et de Guadeloupe depuis les fameux règlements « cocaïne » pris en 1989 pour aider les pays latino-américains à lutter contre les cultures liées à la drogue. Ensuite l’ouverture des frontières a entraîné la disparition d’un certain nombre de produits.

En dépit de ces quelques échecs, la diversification se porte très bien, tant dans les filières de production animale que végétale, et assure l’approvisionnement en produits frais de nos régions avec des taux de couverture tout à fait acceptables, contrairement à ce que l’on entend dire ici ou là.

M. Georges Magdeleine, membre du groupement interprofessionnel guadeloupéen de la viande et de l’élevage. La Réunion est un bon un exemple de la réussite de notre agriculture et cet exemple doit être reproduit dans tous les départements et territoires d’outre-mer.

Un certain nombre d’éléments expliquent cette réussite : la structuration des filières, l’engagement des hommes, leur langage commun, leurs ambitions partagées, la présence d’un encadrement technique de qualité, l’existence d’outils de transformation, la maîtrise des producteurs à tous les échelons des filières, le professionnalisme des producteurs. À ces atouts il faut ajouter les volumes produits, les taux de couverture, la qualité des produits proposés au consommateur et enfin la garantie des revenus agricoles, qui favorise l’installation des jeunes et la pérennisation des exploitations.

Les Réunionnais ont réussi à gagner des parts de marché supplémentaires, notamment grâce au projet Défi. Ils ont su maîtriser les coûts des intrants via les caisses de péréquation et ils participent, par le biais des contributions directes, au développement de leur territoire.

Voilà les mesures que les Réunionnais ont su prendre et qui les placent sur la voie de la réussite.

Mme la présidente Huguette Bello. La situation n’est pas aussi idéale que vous semblez le dire… Certes, 70 à 80 % des fruits et légumes que nous produisons sont consommés sur place, mais la culture de la canne à sucre reste dominante et ne pourra être pérennisée sur l’ensemble des terres malgré le basculement de l’eau de l’est vers l’ouest, car l’île est essentiellement couverte de terres volcaniques impropres à la culture de la canne à sucre. La vie est difficile pour les agriculteurs de La Réunion. Nous avons de très beaux produits – litchis, mangues, ananas – mais la filière exportation n’est pas organisée. Le Conseil général, dans les années 1980, a subventionné les agriculteurs, mais on voit encore des litchis sur les arbres faute d’avoir pu être exportés. Et il nous reste aussi beaucoup de progrès à faire dans le domaine de la transformation des produits.

M. Georges Magdeleine. Si tout était aussi brillant que nous serions amenés à le souhaiter, La Réunion serait différente de ce qu’elle est… Certes, il reste des progrès à faire en matière de diversification, mais dans le secteur de l’élevage, les Réunionnais réussissent mieux que les Guadeloupéens.

M. Philippe Labro, président du Syndicat du sucre de La Réunion. J’évoquerai la filière canne-sucre de La Réunion et les problématiques qu’elle rencontre avant d’aborder les complémentarités qui existent entre les différentes filières dans le modèle agricole réunionnais.

La France est le seul pays producteur de sucre de canne en Europe. Cette particularité française, nous la devons aux départements d’outre-mer qui produisent chaque année environ 280 000 tonnes de sucre, dont 75 % à La Réunion. Dans le même temps, la production européenne de sucre de betterave s’élève à 18 millions de tonnes. Notre production est donc soumise à une très forte concurrence.

À La Réunion comme en Guadeloupe, la filière canne à sucre est organisée en interprofession depuis 2007. Elle est donc totalement structurée. Les industriels qui transforment la canne pour produire du sucre ont le devoir d’acheter la totalité des cultures de canne à sucre que leur présentent les planteurs – dès lors que leur qualité est saine, loyale et marchande, comme le réclament les textes nationaux et européens.

Cette filière est le pivot de l’agriculture de La Réunion. L’île est un territoire contraint : sa superficie ne dépasse pas 250 000 hectares, dont les deux tiers sont occupés par le volcan et les cirques, ce qui est peu propice aux activités humaines. Pour vivre, travailler, se développer et se transporter, les Réunionnais sont confinés sur les côtes. L’île compte près de 45 000 hectares de terres cultivées, dont 24 000 hectares, soit un peu moins de 60 %, sont consacrés à la canne à sucre.

En valeur, la production agricole de La Réunion représente près de 400 millions d’euros, répartis équitablement entre la canne à sucre, les filières de diversification végétale et les filières animales. Si l’on intègre les activités de transformation, le sucre pèse naturellement d’un poids plus conséquent.

La Réunion connaît un taux de chômage supérieur à 35 %, qui atteint 60 % chez les jeunes. La filière canne-sucre représente 12 000 emplois, soit 5 % de l’emploi total sur l’île et 10 % des emplois marchands, mais il est vrai que les collectivités locales et la fonction publique emploient un grand nombre de personnes.

Le taux de couverture de nos échanges extérieurs est de 6,5 % – il était de 90 % en 1946. Les importations se sont considérablement développées depuis cette époque, tandis que nous exportons peu de produits. Le sucre représente 50 % en valeur et 80 % en volume des exportations totales de la production endogène, mis à part les déchets et les véhicules qui transitent sur l’île avant d’être réexportés à Mayotte.

Si nous parvenons à ces résultats – pour avoir voyagé au Brésil, au Mozambique, en Tanzanie, je peux en témoigner – c’est que La Réunion est extrêmement performante. Nous bénéficions de la présence d’eRcane qui est un centre de recherche parmi les cinq meilleurs au monde en matière de sélection variétale. Le niveau de performances industrielles est également excellent. Aucune des sucreries du groupe Tereos n’est capable de l’atteindre, tant en ce qui concerne les rendements industriels que la qualité de la production.

Le marché local de La Réunion ne représentant que 800 000 consommateurs, nous exportons 93 % de notre production de sucre, et ce uniquement en Europe. La moitié de la production de sucre est destinée à être consommée en l’état. Il s’agit de sucre « haut de gamme », à forte valeur ajoutée, appelé parfois sucre de spécialité. Cette production, constituée de 200 à 250 000 tonnes correspondant à l’appellation « sucre de canne roux », couvre la moitié du marché européen, le reste étant constitué de sucre de betterave. Nos principaux concurrents sont les Mauriciens et nous avons peu d’espoir de développement car aucun client n’accepte de ne dépendre que d’un seul fournisseur. Cela dit, nous sommes bien positionnés et nous avons une dizaine d’années d’avance sur la concurrence, ce que nous maintenons en investissant énormément, tant dans la recherche et développement que dans les installations physiques. Nos investissements sont presque trois fois plus élevés que ceux des grands groupes sucriers européens.

La deuxième moitié de notre production est destinée à être exportée en vrac dans des bateaux pour être transformée en sucre blanc dans les raffineries portuaires européennes. Lorsqu’elle est transformée en sucre blanc, nous n’avons plus aucun moyen de différencier notre production des 18 millions de tonnes de sucre de betterave produits en Europe.

Face à cette concurrence, jusqu’à présent, le système des quotas interdisait aux producteurs européens de dépasser un certain volume, ce qui laissait la place au sucre des départements d’outre-mer. Mais la prochaine réforme de l’organisation commune de marché (OMC) va démanteler le système des quotas. Le démantèlement interviendra en 2015, en 2017, ou en 2020, et dès lors nous nous retrouverons en pleine concurrence, sur la moitié de notre production, avec la production européenne.

En 2005, lorsque les règles de l’OCM actuellement en vigueur ont été mises en place, les deux sucreries de La Réunion produisaient en moyenne 100 000 tonnes chacune, soit 200 000 pour le département. À l’époque, les sucreries de l’Union européenne produisaient en moyenne 110 000 tonnes de sucre.

La réforme mise en place en Europe consistait à baisser fortement les prix du sucre afin d’obliger les sucreries les moins compétitives du continent à fermer. Cela a bien fonctionné puisque 42 % des sucreries européennes ont fermé, entraînant le licenciement de 51 % du personnel, et les sucreries restant en vie ont fortement augmenté leur production.

À La Réunion, sur les 150 sucreries qui existaient il y a 50 ans, deux seules subsistent. Nous sommes passés depuis 2005 de 100 000 à 105 000 tonnes de sucre par unité de production, soit 210 000 tonnes au total. Dans le même temps, la production européenne passait de 110 000 à 170 000 tonnes, et celle de la France à 192 000 tonnes. Aujourd’hui, nos sucreries sont deux fois plus petites que celles de nos concurrents.

Le système d’aides mis en place en 2005 est entièrement orienté vers les planteurs réunionnais. Sur l’ensemble des aides attribuées à la filière, celles qui relèvent du POSEI (programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité) et des aides nationales s’élèvent à 112 millions d’euros par an. Une petite partie de cette somme – près de 18 millions d’euros – sert à compenser les surcoûts liés à l’éloignement puisque notre marché obligatoire se trouve en Europe dont nous sommes éloignés de près de 10 500 km.

En revanche, le handicap dû au fait que nous répartissons la plupart de nos coûts sur une production de 100 000 tonnes (le sucre de spécialité) – pendant que l’Europe produit 200 000 tonnes – ne fait l’objet d’aucune compensation. Les aides qui transitent par les industriels sont reversées sous forme de soutien au prix de la canne à sucre et d’aides au développement à destination des planteurs.

Ces aides sont-elles justifiées ? Certains se posent la question. La surface agricole moyenne à La Réunion, pour les 3 500 exploitations agricoles de cannes à sucre, est de 7,5 hectares, soit la moitié de la surface moyenne de la production de betteraves, qui se situe entre 15 et 20 hectares. Sauf que la betterave ne représente que 20 à 25 % de l’activité des producteurs, qui dans la plupart des cas cultivent également des céréales.

Si nous divisons les 112 millions d’euros d’aides par les 12 000 emplois de la filière, nous parvenons à un chiffre de 9 000 euros par emploi, pour des personnes qui cultivent 7,5 hectares. Le chiffre équivalent pour les céréales avoisine les 30 000 euros pour des personnes qui cultivent une centaine d’hectares.

Quels sont les revenus des agriculteurs réunionnais ? Sachant qu’ils cultivent 7,5 hectares, avec un rendement de 75 tonnes à l’hectare, si nous exprimons le bénéfice de leur exploitation en le rapportant au SMIC, nous parvenons à un salaire situé entre 1,2 fois et 1,4 fois le SMIC. Il est extrêmement difficile, dans ces conditions, d’expliquer aux planteurs que l’on va diminuer leur revenu. C’est pourtant ce à quoi conduirait la diminution des aides. C’est un vrai problème.

En 2005, les pouvoirs publics français et européens nous avaient demandé de dépasser la barre des 2 millions de tonnes de canne à sucre. Nous avons tout fait pour y parvenir, mais nous nous sommes heurtés au maintien du foncier agricole. Si nous avions conservé les 26 000 hectares disponibles à l’époque, compte tenu des rendements des nouvelles variétés de canne, nous aurions déjà dépassé cet objectif de 2 millions de tonnes.

La marge de croissance existe, mais compte tenu de l’importance des aides publiques dans le revenu des planteurs – 45 euros sur 80 pour une tonne de canne – il ne leur resterait plus, au-delà d’un certain seuil, que la partie payée par l’industriel, soit 17 euros, et la fameuse prime énergie-bagasse, de l’ordre de 13 euros. Leur revenu tomberait alors à 30 euros, ce qui serait inférieur au coût marginal de production.

Pour ce qui est de la complémentarité entre les filières, 20 % des agriculteurs canniers pratiquent également la diversification végétale et animale, à laquelle ils consacrent 10 % des surfaces exploitées.

Cela dit, les filières animales, pour pouvoir se développer, doivent épandre les effluents d’élevage. Ceux-ci sont répandus à 100 % dans les champs de canne. Mais les effluents des élevages de volailles ne peuvent être épandus en surface et le sont donc uniquement au moment de la replantation. La diminution des surfaces et des replantations limite donc le développement des filières animales.

Concernant les filières végétales, le président de l’interprofession diversification végétale nous expliquait récemment qu’il ne pourrait se contenter de produire des fruits et des légumes parce que les banques n’acceptent de lui prêter de l’argent que s’il cultive de la canne à sucre et que celle-ci lui fournit 80 % de son revenu. Cette réticence des banquiers s’explique par plusieurs motifs : si un cyclone survient, dans le pire des cas il endommage 20 % de la production de canne, ce qui signifie que l’agriculteur conserve 80 % de son revenu ; si le cyclone passe au-dessus de productions de tomates, de carottes ou de mangues, l’agriculteur perd 100 % de son revenu et son exploitation n’existe plus l’année suivante ; en outre, la culture de la canne garantit à l’agriculteur qu’il écoulera 100 % de sa production, taux qu’aucune production végétale ou animale ne peut atteindre. Les cultures de carotte et d’oignon, qui ont été très affaiblies par une maladie, ont beaucoup de mal à retrouver leur place sur le marché. Enfin, le prix de la canne est garanti pour l’ensemble de la période par la part versée par l’industriel et les compléments d’aide d’État, ce qui n’est pas le cas pour les autres productions.

Nous consommons à La Réunion 124 000 tonnes de fruits et légumes, dont 87 000 sont produites localement, ce qui représente 70 % de notre consommation. Nous incitons les filières animales à récupérer une partie de la production. Nous ne mangeons pas uniquement des bananes et des ananas, mais également des pommes et des poires qui, elles, ne sont pas produites dans l’île. Si les filières animales récupéraient un tiers des importations, nous pourrions passer à 100 000 tonnes produites localement, soit un progrès de 10 à 15 %. La Réunion compte actuellement 7 000 hectares de terres en friche, qui pourraient s’ajouter aux 2 000 hectares que nous avons remis en culture au cours des cinq dernières années. Si nous pouvions consacrer 1 000 hectares pour moitié à la canne et pour moitié aux filières de diversification, nous atteindrions aisément les 100 % de la consommation locale, ce qui permettrait de créer une centaine d’emplois.

J’ai moi-même dirigé plusieurs entreprises de transformation industrielle, dont la chocolaterie Mascarin. J’ai produit des glaces et des sorbets, mais j’ai dû stopper mon activité à cause de la taille insuffisante du marché local. Ce handicap, en termes d’économies d’échelle, est impossible à surmonter. Il n’y a de la place à La Réunion que pour l’entreprise Royal Bourbon. Si nous avions poursuivi notre activité, celle-ci aurait coulé.

Ce problème est de plus en plus important, car plus l’évolution de la technologie s’accélère, plus il faut pouvoir investir rapidement. Or, nous sommes handicapés par les coûts d’investissement. J’ai voulu fabriquer des sucres en dosettes. La plus petite machine, que j’ai trouvée en Italie, correspondait à un marché douze fois supérieur au marché réunionnais. Et nous rencontrons ce problème dans toutes les activités de transformation industrielle. Face à cela, nous devons faire attention de ne pas lâcher la proie pour l’ombre.

M. Thierry Robert. Je suppose qu’en 2013 il existe des usines capables d’adapter leurs produits aux besoins réels d’un territoire. Selon vous, il n’existerait pas à travers le monde une entreprise susceptible de fournir le matériel adapté à la fabrication du sucre en dosettes à La Réunion ?

M. Philippe Labro. Non, car peu de territoires se trouvent dans le même cas que La Réunion, où nous n’avons pas de continuité territoriale. N’importe quel producteur européen de sucre produit pour l’ensemble du marché européen – la production européenne de sucre s’élève à 18 millions de tonnes. Nous nous sommes rapprochés d’un pays comme l’Afrique du Sud, mais son marché intérieur ne représente jamais que 15 fois celui de La Réunion. Le plus intéressant pour nous est de travailler avec les Mauriciens pour conquérir des activités sucrières en Afrique de l’Est, au lieu de nous faire la guerre sur le marché européen. Cette collaboration fonctionne bien. Elle permet de valoriser les savoir-faire réunionnais et de maintenir le niveau de qualification de nos ingénieurs. Notre production de 2 millions de tonnes de cannes à sucre ne suffit pas pour amortir la recherche réalisée par eRcane à La Réunion. C’est pourquoi nous avons dû nous rapprocher de deux ou trois sucriers africains.

Tous les secteurs sont confrontés au problème de la transformation industrielle. Je prendrai l’exemple des coupeuses de canne. Nous souhaitons naturellement développer la mécanisation, mais il n’existe pas de coupeuse adaptée à notre territoire car 70 % de nos sols ont un PH faible à très faible – cette forte acidité est d’ailleurs très favorable à la canne à sucre. Nous avons donc importé des coupeuses d’Afrique du Sud que nous avons adaptées aux besoins locaux, ce qui a nécessité trois à quatre ans de travail et induit d’importants coûts de développement. Les fabricants de matériels agricoles sont allemands, italiens, espagnols ou brésiliens. Le groupe Tereos possède sept sucreries au Brésil, où leur taille moyenne est deux fois et demie supérieure à celles de La Réunion. Il n’existe pas dans le monde de matériels adaptés à d’aussi petites séries.

Le problème s’est accru avec le développement de la grande distribution, car celle-ci impose leur marge aux producteurs. Pour les confitures et les chocolats de ma fabrication, chacune des cinq chaînes de la grande distribution nous ont demandé des produits spécifiques, nous obligeant à mettre en place cinq process différents. En Europe, cela pose peu de problèmes aux producteurs qui, en échange de la marque du distributeur, demandent aux grandes chaînes de présenter leurs produits dans toute la France. C’est impossible à La Réunion puisque pour survivre, nous devons être présents dans l’ensemble de la grande distribution.

M. Philippe Ruelle, représentant de l’UGPBAN (Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique). La filière banane en Guadeloupe et en Martinique a une longue histoire. En 1965, le Général de Gaulle a réparti le marché français entre les productions d’Afrique et des Antilles, ce qui a protégé la filière jusqu’en 1992. Dès l’ouverture des frontières et la mise en œuvre des nouvelles règles de commerce, la filière a été confrontée à la compétition internationale, en particulier à la concurrence des bananes d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud que l’on appelle « bananes dollar ».

Cette nouvelle donne a provoqué un séisme important dans la filière. Un grand nombre de planteurs ont disparu, les plantations ont été restructurées et notre modèle de production de bananes totalement remis en cause. En 2003 a été mise en place une organisation unique pour la commercialisation et la promotion de la banane de Guadeloupe et de Martinique sur le marché européen. Cette nouvelle organisation a donné lieu, en amont de la production, à la création de deux groupements de producteurs, l’un en Guadeloupe, l’autre en Martinique, qui encadrent près de 700 planteurs, et, en aval, à la mise en place d’une organisation de commercialisation et de promotion, l’Union des groupements. Elle a permis de développer l’Institut technique de la banane, devenu depuis l’Institut technique tropical, qui joue un rôle de passerelle entre la recherche fondamentale effectuée par le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et les planteurs.

La banane de Guadeloupe et de Martinique est engagée, depuis 2008, dans ce que l’on appelle l’agro-écologie au ministère de l’agriculture et que nous appelons aussi le Plan banane durable. Ce plan était nécessaire car les pratiques culturales des Antilles ont permis pendant longtemps l’utilisation du chlordécone, ce célèbre insecticide qui, bien qu’autorisé jusqu’en 1993, a pollué durablement les sols martiniquais. Les planteurs ont réagi en démarrant une production d’excellence qui fait de la banane de Guadeloupe et de Martinique la production la plus vertueuse au monde, tant sur le plan du respect de l’environnement que sur celui du régime social des employés.

Aujourd’hui la filière est totalement structurée. J’en veux pour preuve l’acquisition, en 2009, d’un réseau de mûrisserie en France métropolitaine qui nous donne un accès direct au marché. Nous sommes à présent en mesure de développer un certain nombre de savoir-faire. Notre production est reconnue par une marque d’origine et elle est la seule production du monde à pousser en zone tropicale humide et dans le respect des réglementations française et européenne. C’est un atout considérable pour l’Europe, car partout ailleurs les productions bananières nécessitent l’apport d’un grand nombre de produits phytosanitaires ou utilisent des techniques totalement prohibées par notre réglementation. Nous pratiquons l’épandage aérien car nos cultures souffrent d’une maladie des feuilles, mais cette technique fait actuellement l’objet d’un débat et nous sommes la seule filière qui étudie la possibilité de recourir à des traitements alternatifs.

La mise en route du Plan banane durable a été difficile, d’autant qu’un événement climatique grave, le cyclone Dean, nous a obligés à replanter toute la bananeraie en Martinique, ce qui nous a donné l’occasion de développer de nouvelles techniques. Depuis deux ans, le volume de production de la filière a retrouvé sa croissance, notamment en Guadeloupe, où il est passé de 42 000 à 70 000 tonnes. Celui de la Martinique est revenu au niveau qu’il connaissait avant le cyclone. C’est une filière dynamique et l’absence de saisonnalité permet d’employer tout au long de l’année 6 000 salariés, dont 90 % en CDI. Dans leur grande majorité, les exploitations sont de petite taille – en moyenne 13 hectares – et pratiquent une agriculture familiale, mais il ne faut pas oublier qu’une exploitation de 10 hectares de bananes emploie dix salariés. Nous avons mis en place un accompagnement pour former ces salariés à l’évolution de la filière.

Le plan Banane durable, grâce aux aides pérennes du POSEI, offre aux producteurs la garantie d’une trésorerie régulière. Il a permis à nos territoires de se structurer et a amené de nouveaux planteurs à s’intéresser à la production de bananes et à la diversification, avec le soutien de l’Institut technique tropical. Et aujourd’hui de nombreux producteurs de bananes souhaitent accompagner la production de bananes, qui garantit un revenu régulier, d’activités de diversification dont les revenus sont plus saisonniers et aléatoires.

Après le passage du cyclone Dean, les producteurs ont mis en place un système vertueux consistant à laisser 20 % des sols en jachère pendant plus d’un an. Ce procédé a permis de réduire le recours aux insecticides et aux nématicides de 70 % depuis 1996 et de 50 % depuis la mise en place du plan Banane durable en 2008.

Nos concurrents colombiens, équatoriens, ivoiriens ou de République dominicaine n’exportent que les bananes de premier choix, réservant les bananes de second choix au marché local, qui représente plusieurs millions d’habitants. En Guadeloupe et en Martinique, les bananes de second choix, qui constituent 40 % de notre production, ne restent pas sur place : elles sont valorisées sur des marchés secondaires et des marchés de niche.

Nous avons exporté 250 000 tonnes de bananes l’année dernière et nous en exporterons 270 000 tonnes cette année. Les bananes sont transportées dans des containers frigorifiques qui, dans l’autre sens, approvisionnent la Guadeloupe et la Martinique en produits frais. La moitié d’entre eux repartent chargés de bananes, ce qui optimise le coût du fret.

Je le répète, nous sommes les seuls au monde à produire des bananes tropicales conformes aux réglementations européenne et française. Mais notre besoin en produits phytosanitaires, qu’ils soient destinés à de l’agriculture biologique ou conventionnelle, n’est couvert qu’à 35 %, ce qui signifie que, dans 65 % des cas, nous ne savons pas répondre à la maladie – et pour les autres cultures, ce taux de couverture est de 21 %. Pour les productions de diversification, dans 79 % des cas, nous n’avons pas de réponse phytosanitaire, ni biologique ni chimique. Ce phénomène est une véritable discrimination pour l’outre-mer et il est accentué en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane qui sont des zones tropicales humides. Ce n’est pas le cas pour La Réunion qui bénéficie en partie d’un climat tempéré.

Dans ces conditions, l’agriculteur qui rencontre un problème n’a que trois solutions : soit il laisse mourir sa production, ce qui se produit la plupart du temps, soit il détourne les usages des produits – ce qui présente certains risques – soit il utilise des produits interdits, ce qui arrive fréquemment en Guyane et aux Antilles.

Les producteurs qui choisissent la diversification et l’agriculture végétale, en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, doivent d’abord se demander si cela est possible. Il faudrait par ailleurs faire évoluer les modes de consommation et demander aux habitants de Guadeloupe et de Martinique de cesser de manger des pommes de terre, des pommes, du raisin, des pêches, des nectarines, tout ce qui constitue les 62 % de la consommation de fruits et de légumes qui ne peuvent être produits localement.

Enfin, il s’agit d’un marché de taille très réduite que l’accroissement du nombre de producteurs déstabilise. Certaines productions sont tellement importantes que nous ne savons plus quoi en faire. Mais si nous importons des chrisophines et des aubergines, c’est que nous ne sommes pas en mesure de les produire tout au long de l’année.

La diversification n’est donc pas aussi simple à mettre en œuvre, et elle ne convient que pour de faibles tonnages.

Comment préfinancer les aides POSEI aux producteurs, les achats d’engrais et de produits phytosanitaires, faire en sorte que les produits n’arrivent pas tous au même moment sur le marché et soutenir la production de variétés adaptées à nos territoires ?

Nous travaillons avec les autres filières de production, dans le cadre d’échanges soutenus, en vue d’étendre les itinéraires culturaux que nous avons mis en place pour la banane. Nous avons organisé en novembre dernier une réunion regroupant les quatre départements d’outre-mer en vue de faire le point sur les produits phytosanitaires. Nous sommes désormais en mesure d’aider les filières de diversification à se développer.

M. Hervé Gaymard, corapporteur. Je m’intéresse à ces questions depuis près de 30 ans, à divers niveaux de responsabilité, et je peux témoigner des progrès qui ont été réalisés par les filières agricoles des outre-mer au cours des 25 dernières années, tant en ce qui concerne les cultures exportées que celles destinées à la consommation locale. Je tenais à le dire car nous entendons souvent un propos différent.

Les concertations organisées par le commissaire Ciolos ont fait resurgir certaines questions. Le programme POSEI, qui constitue l’un des volets de la PAC, doit-il devenir autonome ? Il est clair que nous sommes à la veille de certains bouleversements.

Mme Chantal Berthelot et moi-même avons été chargés par la Délégation de rédiger un rapport sur l’agriculture dans les outre-mer, rapport que nous remettrons à la fin du mois de septembre. Dans cette perspective, j’aimerais vous transmettre une série de questions qui seront évoquées dans le projet de loi sur l’agriculture et qui portent notamment sur les structures agricoles, le foncier, l’installation des jeunes, l’enseignement et la formation agricole outre-mer, le statut social des agriculteurs.

S’agissant du volet européen, je souhaite connaître vos « objectifs de guerre » à moyen terme afin de faire du lobbying efficace auprès du Parlement européen et de la Commission.

Je me souviens que lorsque j’étais ministre de l’agriculture, il nous a fallu déployer une énergie incroyable lors des négociations de l’OCM (Organisation commune des marchés) de la banane et du sucre.

M. Fabrice Monge, représentant d’Iguaflhor (groupement interprofessionnel guadeloupéen des fruits, des légumes et de l’horticulture). Je centrerai mon propos sur les filières de diversification végétale en Guadeloupe.

La structuration de ces filières est relativement récente, contrairement à celle de la canne à sucre, qui est une culture ancestrale, et de la banane qui est cultivée depuis une centaine d’années. Cette structuration, initiée il y a à peine dix ans, a été réellement mise en place il y a 5 ou 6 ans. Les organisations de producteurs de Guadeloupe sont très récentes et presque toutes sont désormais agréées.

Malgré cela et contrairement à ce qui apparaît souvent dans les documents officiels et non officiels qui circulent en France et en Europe, cette structuration a vraiment eu lieu et a eu des effets très importants sur le marché local.

Depuis une dizaine d’années, et plus particulièrement depuis les événements de 2009, nous nous orientons vers l’autosuffisance alimentaire, ou, tout du moins, vers la couverture des besoins alimentaires de nos populations. Et si nous ne nous sommes pas encore orientés vers l’exportation, nous envisageons de le faire. Notre travail a porté ses fruits. Il demeure encore quelques progrès à accomplir : par exemple, en Guadeloupe et en Martinique, les populations consomment beaucoup de riz et de haricots rouges, mais nous ne savons pas les cultiver sur place. La culture du riz a été tentée à La Réunion, mais elle n’a pas été concluante.

Pour ce qui est des fruits et des légumes que nous sommes capables de produire sur place compte tenu de nos conditions climatiques et pédologiques, notre taux d’auto-approvisionnement avoisine les 100 %. Les statistiques présentées dans de nombreux documents intègrent aussi la pomme de terre, la pomme, la poire, le raisin, l’ail, l’oignon, le poireau... Tout cela est parfaitement légitime. Je ne vois pas pourquoi les Guadeloupéens et les Martiniquais n’auraient pas le droit de consommer ces fruits et légumes, sauf à interdire aux Bretons et aux Corréziens de consommer les fruits qui ne sont pas produits dans leur région ! Nous vivons dans un pays qui respecte la diversité : tout en cherchant à importer le moins possible, nous voulons consommer ce que nous avons envie de consommer.

Notre profession a fait un effort considérable et doit le poursuivre. Pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, nous avons besoin d’une surface comprise entre 400 et 600 hectares. Il convient de mettre ce chiffre en relation avec les 10 000 hectares de terres en friche dont nous disposons en Guadeloupe depuis une dizaine d’années, au mépris de la réglementation en vigueur.

Il nous reste des efforts à accomplir en matière d’agro-transformation des surplus. La transformation des aubergines ou des tomates nous permettrait de mieux maîtriser les prix et les quantités. Nous devons également envisager d’améliorer la qualité de nos produits.

Voilà quels sont nos objectifs.

La structuration de nos professions a pour but essentiel de garantir à notre population l’accès à des aliments de qualité, dont la traçabilité est assurée et qui ne comportent aucun risque sanitaire. Elle doit être poursuivie et intensifiée.

La concurrence entre les cultures dites traditionnelles d’exportation est souvent mise en évidence dans les documents européens. Or, cette concurrence n’existe pas. Aujourd’hui, les exploitations agricoles, petites et moyennes, pratiquent une polyculture mêlant intimement culture traditionnelle de la canne et diversification. Nous n’acceptons pas d’être mis en concurrence car nous sommes complémentaires, jusque dans les recherches. J’en veux pour preuve que l’Institut technique, qui à l’origine était dédié à la banane, travaille aujourd’hui autant sur la diversification que sur ce fruit. Certaines SICA cannières réalisent 60 % de leur chiffre d’affaires grâce à la diversification. Les deux activités sont intimement liées et nous cherchons aujourd’hui à nous rapprocher, non pas à nous mettre en concurrence.

M. Jean Jacques Vlody. Je vous confirme que les filières animales à La Réunion sont bien structurées, même si tous les problèmes ne sont pas réglés.

Il n’est naturellement pas question de demander aux ultramarins de cesser de consommer une partie de leur production, ni de produire tous les produits qui existent dans le monde. Si c’est la stratégie de notre agriculture, elle est vouée à l’échec. Pour autant, nous ne devons pas nous focaliser sur notre propre marché mais cibler les marchés que nous serions capables de conquérir. C’est l’orientation choisie par nos professionnels. Encore faut-il le dire clairement, mettre en place une stratégie de développement et accompagner financièrement certaines productions que nous aurons jugées stratégiques, au risque de mécontenter ceux qui veulent produire autre chose et qui considéreront que leur liberté d’entreprise est remise en cause.

Vouloir adapter les systèmes qui fonctionnent à d’autres territoires est une bonne chose, mais il est difficile d’adapter le système mis en place à La Réunion à d’autres territoires car l’île dispose d’espaces qui bénéficient de climats tempérés, ce qui n’est pas le cas de tous les départements d’outre-mer. Il en va de même des problématiques foncières ultramarines qui, en règle générale, ne sont pas transposables en Guyane.

Il faudra à un moment donné que nous nous demandions si notre réglementation est adaptée à nos territoires tropicaux. Savez-vous que les conditions d’épandage des produits phytosanitaires correspondent à un climat tempéré et à un type de végétation qui n’existe pas en milieu tropical ? Même si la recherche sur le milieu tropical n’est pas prioritaire pour la France, nous devrons un jour nous interroger sur la pertinence de l’utilisation de certains produits et sur leur adaptation à ce milieu.

J’ai été alerté par certains des propos qui ont été tenus. L’un des intervenants a indiqué que l’ouverture du marché des fleurs coupées aux pays de la zone avait tué la production locale. Nos territoires ne sont pas à l’abri de cette réalité. Si nous n’y prenons pas garde, La Réunion subira la concurrence des ananas de l’île Maurice et de la Côte d’Ivoire qui viendra étouffer la production locale, alors que cette dernière souffre déjà de difficultés d’acheminement dues au coût exorbitant du fret. Nous avons jusqu’à présent réussi à maintenir une production agricole de qualité, qui a obtenu des labels – nous essayons d’obtenir un label pour la vanille Bourbon –, mais si nous ne protégeons pas, d’une manière ou d’une autre, notre marché intérieur, nous allons rencontrer des problèmes.

Les représentants des Antilles souhaitent ouvrir leur marché intérieur à des produits de la zone provenant du Brésil pour faire baisser les prix. C’est leur droit. Je leur rappelle que nous produisons des bananes conformes aux contraintes européennes – alors si nous ouvrons le marché à des bananes qui ne sont pas produites avec les mêmes contraintes, nous ne vendrons plus les nôtres.

À La Réunion, nous ne consommons pas de bananes de Guadeloupe et de Martinique puisque, pour des raisons sanitaires, l’importation de la banane y est interdite, ce qui nous a obligés à produire des bananes sur place. De la même manière, nous n’importons pas d’œufs, la production locale répondant à tous nos besoins, ce qui inclut la transformation et la boulangerie-pâtisserie. C’est également le cas de la salade et de divers autres produits dont les importations ne sauraient entrer en compétition avec les produits locaux.

En bref, j’aimerais connaître votre sentiment sur la stratégie, l’adaptabilité et la protection de nos marchés et de nos productions.

M. Boinali Said. En tant qu’élu de Mayotte, je voudrais savoir si, en termes de réglementation, il faut parler de coopération décentralisée ou d’intégration régionale de l’agriculture. En ce qui concerne la culture du riz dans l’Océan indien, Madagascar ou la Guyane pourraient-ils être un espace de négociation ?

M. Jean-Philippe Nilor. Je remercie tous les intervenants pour la clarté et la précision de leur exposé. Je ne partage pas tous leurs arguments, mais je suis suffisamment honnête pour reconnaître qu’un travail a été fait et que nous devons continuer de le mener de front si nous voulons préserver l’avenir de nos productions.

Pour apporter de la valeur ajoutée à nos produits, nous devons nous orienter vers la production de produits de qualité, via la labellisation, et vers la transformation de ces produits. Cette démarche est, à mon avis, le seul moyen de nous différencier des pays qui disposent d’une main-d’œuvre à bas coût. Nous assistons actuellement dans l’économie mondiale à un renversement des valeurs : nous nous orientons de plus en plus vers des productions de terroir et de qualité. Saisissons la balle au bond pour entrer dans cette démarche sans arrière-pensée et sans nous poser de questions existentielles.

La recherche nécessite des moyens. Paris est-il prêt à engager ces moyens ?

S’agissant de la réglementation, je considère pour ma part que les obstacles ne sont pas seulement réglementaires mais sont également statutaires.

Cela dit, nous avons toujours beaucoup d’espoir. La valorisation des circuits courts pour la restauration scolaire, par exemple, a donné une chance à la diversification et garantit à nos producteurs un marché stable. À nous de doper ce marché et de promouvoir nos productions dans le cadre de l’école.

Nous sommes très à l’écoute, messieurs, de vos analyses et de vos propositions.

M. Élie Shitalou, secrétaire général d’Iguavie (Groupement interprofessionnel guadeloupéen de la viande et de l’élevage). Il nous est très souvent demandé d’améliorer la qualité de nos produits, mais c’est déjà ce que nous faisons. Les groupements d’éleveurs ont mis en place des cahiers des charges et ils les respectent. En Guadeloupe, les bovins sont élevés exclusivement à l’herbe, en plein air, et ils reçoivent très peu d’intrants, mis à part les protéines. Mais nos animaux, qui pourraient prétendre à la certification « bio », sont mis en concurrence sur le marché local avec des produits de qualité très différente puisqu’il s’agit de viandes issues de vaches laitières de réforme. C’est également le cas en Martinique et dans l’ensemble de la France. Les Français mangent essentiellement de la vache de réforme.

Par ailleurs, nos populations ont un faible pouvoir d’achat. Lorsque les consommateurs se rendent au supermarché, ils choisissent le produit le moins cher. Il faut donc leur proposer d’autres produits que des produits de qualité.

En Guadeloupe, le marché des produits frais est saturé. C’est le cas également des œufs à La Réunion et du poulet en Martinique. Les Guadeloupéens consomment 4 500 tonnes de porc, dont 1 350 tonnes sous forme de produits frais. Actuellement, nous avons 800 porcs charcutiers dont nous ne savons que faire : nous ne pouvons pas les écouler sur le marché local parce que les supermarchés importent de la viande de moindre qualité.

Il faut donc produire de la qualité, mais pas uniquement. Les 1 350 tonnes de porc commercialisées par les entreprises de Guadeloupe sont issues de 40 producteurs. Promouvoir le développement agricole, est-ce créer un club ? Naturellement non. Si nous voulons créer de l’emploi, maintenir de l’activité en milieu rural et développer de la richesse, il faut installer des personnes sur place et gagner des parts de marché. Il est clair que nous n’en gagnerons plus sur les produits frais. Nous devons donc en gagner sur les produits surgelés, bas de gamme, en provenance de France et de toute l’Europe.

Cette situation a amené les Réunionnais à mettre en place le programme Défi. Il y a des éléments intéressants à prendre en compte dans ce modèle qui permet de proposer des prix bas aux consommateurs, d’installer des producteurs et de gagner des parts de marché.

M. Philippe Ruelle, représentant de l’UGPBAN (Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique). Pour illustrer les problématiques liées à la qualité des produits et à la réglementation, je prendrai l’exemple de la production de bananes certifiées « bio », dont la principale production au monde est celle de la République dominicaine.

Les producteurs de bananes « bio » utilisent des produits agréés et homologués « bio » par l’Union européenne. Aucun de ces produits n’est autorisé en France ! Il nous est par exemple interdit d’utiliser la levure de bière. Dans notre pays, pour utiliser un produit phytosanitaire, il faut déposer un dossier d’homologation à la Direction générale de l’alimentation (DGAL) qui le transmet à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) qui procède à des tests. Le marché de Guadeloupe et de Martinique est tellement petit qu’aucune entreprise phytosanitaire ne dépose de dossier, d’autant que la plupart des sociétés a l’habitude des marchés du Brésil, de la République dominicaine et du Pérou où les produits sont homologués en deux jours ! Certains produits, comme les extraits de thé, les levures ou les bactéries, sont déjà homologués au niveau européen, mais, malgré cela, nous n’arrivons pas à les faire homologuer en France. C’est la raison pour laquelle nos producteurs ne cultivent pas de bananes « bio ».

M. Jean Jacques Vlody. Pourquoi ne demandez-vous pas des dérogations ?

M. Philippe Ruelle. Ce n’est pas tellement aisé.

M. Cyrille Mathieu, responsable d’Iguacanne (Groupement interprofessionnel guadeloupéen pour la canne à sucre). Aucune dérogation concernant les produits phytosanitaires n’est accordée en France depuis l’affaire de la chlordécone. Les filières canne-sucre des Antilles et de La Réunion sont actuellement confrontées à la disparition d’un désherbant, l’Asulam. Cette molécule, nécessaire à la culture de produits maraîchers à consommation directe, figure sur la liste positive européenne et ne présente aucun risque environnemental. Pourtant, la France refuse d’accorder une dérogation pour son utilisation, contrairement à six pays dont l’Angleterre, le Danemark, la Suède et la Belgique. Lorsque nous les interrogeons, la DGAL et le ministère de l’agriculture refusent catégoriquement de discuter de la mise en place d’une dérogation, au nom du principe de précaution. Ils devraient être en mesure d’apprécier le risque encouru et de savoir que nous ne prenons pas grand risque en utilisant des extraits de thé.

Nous parlons d’usages « orphelins » lorsque nous n’avons aucune solution de protection face à certaines maladies. Pour obtenir le droit d’utiliser telle ou telle molécule, il nous faudrait mettre en œuvre des procédures d’homologation, ce qui représente un coût et un investissement considérables. Aucune firme internationale n’entreprendra cette démarche pour un marché de la taille de celui des Antilles ou de La Réunion. Cela dit, nous pouvons essayer – mais c’est le combat d’une décennie – de faire homologuer des produits utilisés au Brésil ou ailleurs. Peut-on parler de diversification si nous ne savons pas traiter un ravageur ou une maladie ?

Cette difficulté renforce l’intérêt des producteurs des DOM pour la canne à sucre qui, hormis le ver blanc à La Réunion, n’est atteinte d’aucune maladie et ne reçoit aucun traitement, mis à part les herbicides. Si nos pratiques n’évoluent pas, la diversification ne pourra se développer dans nos régions.

M. Thibaut Laget, représentant de l’APOCAG (Association des producteurs d’ovins et de caprins en Guyane). Les vétérinaires guyanais rencontrent le même problème phytosanitaire et de façon plus cruciale encore. Nos voisins, dont le Brésil et le Surinam, utilisent certains produits. Pourtant, nous acceptons de consommer de la viande en provenance de ces pays. Un laboratoire brésilien a mis au point une molécule d’Ivermectine. Celle-ci, autorisée sur le marché, transite par la métropole où elle est empaquetée et étiquetée en français avant d’être renvoyée en Guyane. Il est naturellement plus intéressant pour nous de l’acheter de l’autre côté de la frontière, à un prix cinq fois moins élevé ! Les éleveurs savent qu’ils n’en ont pas le droit, mais il faut leur donner les moyens de ne pas tricher.

Et je pourrais citer d’autres aberrations. Beaucoup de produits détournés circulent, ce qui nous fait craindre des catastrophes écologiques à long terme.

S’agissant de la recherche, en association avec la Martinique et la Guadeloupe, nous avons créé un institut spécifique (Icare) qui regroupe des ingénieurs et des personnes qualifiées et qui est susceptible de répondre à nos préoccupations en tenant compte des spécificités de nos territoires. Les solutions existent. La recherche représente des coûts colossaux, mais sa mutualisation nous permet d’apporter des réponses plus cohérentes à nos besoins.

Le Brésil possède un institut de recherche agricole, l’Embrapa, situé dans une zone proche de la Guyane et qui travaille sur de nombreux sujets suscitant aussi notre intérêt. Nous pourrions utiliser leurs réponses techniques, mais nous serions confrontés aux mêmes difficultés phytosanitaires et vétérinaires. Nous connaissons les solutions, mais il ne nous est pas possible de les utiliser.

M. David Giraud-Audine, responsable de l’APIFEG (Association de préfiguration interprofessionnelle des filières d’élevage de Guyane). La structuration des filières agricoles est effectivement indispensable dans nos territoires. Le POSEI nous permet de poursuivre notre effort en ce sens.

Parmi les publics qui restent en dehors des structures, certains ne peuvent les rejoindre parce que cela les obligerait à procéder à une remise à niveau de leur exploitation. Il est absolument nécessaire de les accompagner. Certes, la Guyane est un cas particulier puisque nous ne recevons les crédits du POSEI que depuis deux ans et que le taux de techniciens, dans ce département, n’est pas très élevé. Néanmoins, nous souffrons d’un retard important et l’exportation ne fait pas partie de nos traditions. L’interprofession vient d’être mise en place. Il faut engager les moyens nécessaires pour inciter les personnes à rejoindre les différentes filières.

D’autres sont engagés dans la vente directe au sein d’une exploitation familiale. Ces producteurs, qui représentent une part importante de la production, ont, eux aussi, besoin d’être accompagnés. Cet accompagnement pourrait passer par le FEADER (fonds européen agricole pour le développement rural) auquel ils ont déjà en partie accès, par le biais des aides à la modernisation, ou par celui des aides perçues au titre des mesures agro-environnementales (MAE), mesures actuellement en discussion. Nous souffrons en Guyane d’un retard particulier, nous avons donc beaucoup à gagner avec le développement de la structuration.

M. Bernard Sinitambirivoutin, gérant de la société d’intérêt collectif agricole : « Les Alyzées » (Société de commerce interentreprises guadeloupéenne de fruits et de légumes). La structuration des filières est un élément fondamental qu’il convient de poursuivre et de renforcer. Il ne s’agit pas d’envisager deux modèles d’agriculture, mais de conserver le modèle existant, de l’organiser et de le renforcer. Ce doit être notre priorité pour les prochaines années.

M. Bruno Wachter, représentant d’Iguaflhor (groupement interprofessionnel guadeloupéen des fruits, des légumes et de l’horticulture). Je rejoins MM. Monge et Sinitambirivoutin sur la problématique des produits phytosanitaires. En Guadeloupe, s’agissant des fruits et légumes, notre taux de couverture n’est pas très loin de l’équilibre. De ce fait, tout essor supplémentaire, s’il ne correspond pas à une nouvelle niche ou à une nouvelle culture, risque de déséquilibrer le revenu direct des producteurs. Toute nouvelle production, de tomate ou de salade, risque de faire chuter les cours et d’impacter le revenu des producteurs.

Nous devons travailler au développement de nouvelles niches et former les enfants en bas âge à consommer nos produits. Les jeunes ont trop souvent tendance à consommer des produits d’importation, à manger des poissons rectangulaires au lieu de manger du poisson frais. Apprenons-leur à consommer de la patate douce et de l’igname plutôt que de la pomme de terre. C’est de cette façon que notre agriculture pourra gagner des parts de marché.

Mme la présidente Huguette Bello. Il faut remettre au goût du jour l’autosuffisance alimentaire chère au général de Gaulle…

Mais nos productions se heurtent à des problèmes liés au foncier, à l’enseignement et à la formation des jeunes dans les lycées agricoles et au statut social des agriculteurs, qui perçoivent un revenu correspondant à 1,4 fois le SMIC.

S’agissant des produits phytosanitaires, prenons garde à ne pas reproduire l’erreur qui a été commise à La Réunion où pour éliminer une plante, la vigne marronne, nous avons réintroduit la mouche bleue, mais celle-ci a tué les abeilles et la production de miel s’en est ressentie. Ne jouons pas aux apprentis sorciers.

Je me félicite, Messieurs, d’avoir recueilli cet après-midi autant d’informations, d’autant qu’un projet de loi sur l’agriculture nous sera présenté prochainement.

M. Jean Jacques Vlody. En ce qui concerne le financement, qu’il s’agisse de la production en filières ou hors filières, n’entrons pas dans un schéma qui serait destructeur pour tout le monde. Il est certes indispensable de structurer nos filières agricoles sur des territoires exigus, mais nous ne pouvons interdire à quelqu’un de se lancer dans une production agricole en dehors de la filière, pour laquelle il percevra d’ailleurs des aides européennes.

En matière de structuration, j’évoquerai deux exemples extrêmes qui caractérisent La Réunion. Le premier est celui de la production laitière qui a été organisée, il y a une cinquantaine d’années, de la production à la commercialisation, en passant par la transformation. Aujourd’hui, la Sicalait a du mal à s’adapter aux nouvelles réalités du marché et du foncier.

À l’opposé, je citerai la filière fruits et légumes qui, longtemps, n’a été que la somme d’un certain nombre de productions individuelles. Celles-ci, exposées à une concurrence sauvage, se sont livrées à une compétition très dure avant de comprendre l’intérêt de se regrouper et de s’organiser en filière.

Nous n’empêcherons pas un agriculteur de vendre sa production au bord du chemin au prix qu’il a lui-même fixé, mais il ne lui sera pas possible de répondre à la demande publique en matière de restauration collective.

La filière doit garantir le revenu de l’agriculteur, mais il faut que chacun fasse son métier : l’agriculteur ne saurait être ni transformateur, ni transporteur, ni commercial. Lorsque chacun trouvera sa place dans ce schéma, nous aurons gagné la partie. Il a fallu attendre 2009 pour voir apparaître la première organisation de producteurs de fruits et légumes à La Réunion, alors que la première coopérative agricole est née il y a près de 50 ans. Il faut convaincre les producteurs de s’engager dans une démarche collective.

M. Georges Magdeleine. Je reviens sur la formation des agriculteurs. En Guadeloupe, ceux qui se sont installés en 1980 grâce à la réforme foncière ne sont pas encore partis en retraite. Chaque année, 400 jeunes sortent du lycée agricole et ont des difficultés pour s’installer. Il leur reste l’encadrement, mais les structures qui pourraient les accueillir ne sont pas nombreuses, ce qui les pousse à se diriger vers des filières autres que l’agriculture. C’est un vrai problème.

Mme la présidente Huguette Bello. La population ne cesse d’augmenter dans nos territoires, ce qui donne lieu à de nouveaux plans locaux d’urbanisme, les fameux PLU, mais ceux-ci se heurtent à la présence de terres agricoles. Tout le monde est conscient de la nécessité de densifier le tissu urbain pour protéger les terres agricoles, mais, dans la réalité, chacun veut posséder son lopin de terre ou veut que son terrain soit déclassé pour y bâtir un lotissement, voire pour spéculer. C’est une difficulté à laquelle tous les élus sont confrontés.

M. Thibaut Laget. En Guyane, le foncier n’est pas encore une limite, bien que la spéculation fasse son apparition, et les personnes qui s’installent, souvent hors du cadre familial, ont une expérience très limitée. Quelques lycées agricoles et maisons familiales rurales (MFR) dispensent une formation théorique à ces jeunes, mais leur formation pratique est un peu oubliée par les fonds publics. C’est dommage, car il est important pour ces jeunes de participer à des stages. Nous avons, par ailleurs, des agriculteurs expérimentés qui savent comment réagir aux aléas propres à notre territoire et qu’il serait intéressant de rapprocher des lycéens, mais, par manque de financements, nous ne sommes pas capables d’organiser cette transmission. Nous aimerions en avoir les moyens, par le biais, par exemple, des contrats de génération.

M. Gérard Bally. Nous avons, je crois, réussi à faire passer notre message. Je vous remercie, madame la présidente, d’avoir pris le temps de nous écouter. Nous sommes à la disposition des parlementaires qui souhaiteraient recevoir une information complémentaire.

Mme la présidente Huguette Bello. Je vous remercie.

Table ronde sur la filière « canne – sucre – rhum – bagasse » avec la participation de M. Florent Thibault, co-président du Comité paritaire interprofessionnel de la canne et du sucre (CPCS) et président du Centre technique interprofessionnel de la canne et du sucre (CTICS) ; M. Jean-Bernard Gonthier, président de la Chambre d’agriculture de La Réunion et membre du CPCS ; M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion, accompagné de Mme Sylvie Le Maire, déléguée générale ; M. Jean-Claude Cantorné, vice-président du Conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des DOM (CIRT-DOM) ; M. André Erick Eugénie, trésorier de Canne-Union (Association des planteurs de canne à sucre de la Martinique) et rapporteur-animateur de la commission de relance de la filière canne/sucre/rhum de la Martinique ; M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de M. Emmanuel Detter, consultant, et de Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement.

Compte rendu de l’audition du mercredi 26 juin 2013

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente de la Délégation et corapporteure. Je vous remercie, Madame, Messieurs, d’avoir accepté de participer à cette table ronde qui s’inscrit dans le cadre des travaux que nous menons actuellement sur l’agriculture outre-mer, sujet sur lequel la Délégation a nommé deux rapporteurs, M. Hervé Gaymard et moi-même.

Le président de la Délégation, M. Jean-Claude Fruteau, ne participera pas à cette réunion car il accompagne le Premier ministre aux Antilles. Il m’a prié de le remplacer et de vous faire part de ses regrets.

Nous accueillons autour de cette table :

M. Florent Thibault, co-président du Comité paritaire interprofessionnel de la canne et du sucre (CPCS) et président du Centre technique interprofessionnel de la canne et du sucre (CTICS), accompagné de Jean-Bernard Gonthier, président de la Chambre d’agriculture de La Réunion et membre du CPCS,

- M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion, accompagné de Mme Sylvie Le Maire, déléguée générale, et de M. Luc Domergue, président du cabinet LDC conseil,

- M. Jean-Claude Cantorné, vice-président du Conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des DOM (CIRT-DOM),

- M. André Érick Eugénie, trésorier de Canne-Union (Association des planteurs de canne à sucre de la Martinique) et rapporteur-animateur de la commission de relance de la filière canne-sucre-rhum de la Martinique,

- M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de M. Emmanuel Detter, consultant, et de Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement.

M. Hervé Gaymard, corapporteur de la Délégation. Nous nous félicitons, Chantal Berthelot et moi-même, de conduire cette importante mission sur l’agriculture dans les départements d’outre-mer. Cette initiative de la Délégation, créée par la Conférence des Présidents au début de l’actuelle législature, s’accorde parfaitement avec le volet outre-mer du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’agroalimentaire et la forêt que le Gouvernement nous présentera dans le courant de l’automne.

Je me suis toujours beaucoup impliqué dans les questions propres à l’outre-mer et en particulier l’agriculture, qu’il s’agisse des productions liées aux organisations communes de marché ou des productions de diversification.

Je vais malheureusement devoir vous quitter dans quelques instants pour assister, en tant que membre de la commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie, à l’audition de responsables d’un site industriel situé dans mon département savoyard.

M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins). Au nom de l’ensemble des professionnels de la filière, je remercie la Délégation aux outre-mer pour l’écoute dont elle fait preuve depuis le début de la nouvelle législature et la concertation qu’elle a entreprise auprès des acteurs économiques d’outre-mer.

La canne à sucre est cultivée dans la quasi-totalité des départements d’outre-mer, auxquels elle fournit deux de leurs trois grands produits d’exportation que sont le sucre et le rhum ainsi qu’un grand nombre d’emplois privés. La canne a en outre une dimension culturelle, presque identitaire, car les ultramarins sont très fiers de leur production et de ses produits dérivés que sont le rhum et le sucre. Ces deux productions arrivent en effet à être très compétitives sur des marchés internationaux fortement concurrentiels.

Ces filières bénéficient du soutien de l’État et des institutions communautaires – les aides du POSEI, communautaires et nationales, s’élèvent à plus de 400 millions d’euros par an pour l’agriculture des DOM, dont 164 millions sont destinés à la canne. Ce soutien est une condition essentielle pour que le sucre et le rhum restent attractifs sur des marchés internationaux qui se caractérisent par une compétition extrêmement vive.

Nul doute que la future loi d’avenir pour l’agriculture abordera la question de la diversification – il s’agit des productions autres que la canne et la banane – mais celle-ci doit être également posée sous l’angle budgétaire. Nous avons toujours, à Eurodom, soutenu la diversification des pratiques agricoles locales, nous accompagnerons donc bien évidemment, si vous le souhaitez, les réflexions en cours. Il faut toutefois garder à l’esprit que la canne et la banane connaîtront probablement, en 2013, une production significativement supérieure à celle des années précédentes si les tendances actuelles se confirment ; en outre, grâce aux politiques successives engagées en faveur de la diversification, nous assistons globalement à l’augmentation des surfaces consacrées aux productions diversifiées. Dans ce contexte, l’enveloppe du POSEI pourrait déjà s’avérer trop contrainte. Par suite, la mise en place de nouveaux outils destinés à renforcer la diversification ne peut pas, selon nous, faire l’économie d’un débat budgétaire sur l’augmentation des moyens qui y sont consacrés. Réfléchir à cette question avec une enveloppe fermée, c’est se contraindre à ventiler différemment les crédits disponibles. Or, c’est une chose que nous ne savons pas faire dans le contexte décrit plus haut. Il reviendrait donc aux pouvoirs publics soit de diminuer administrativement les surfaces consacrées à la banane ou à la canne, soit de faire baisser le niveau d’intensité de l’aide à la production. Cela signifierait, pour la banane, de contraindre à la fermeture les exploitations les plus fragiles et, pour la canne, de diminuer le revenu du planteur puisque presque 100 % du soutien public à la filière canne est reversé aux planteurs.

Enfin, je profite de cette table-ronde pour dire quelques mots du dossier du rhum. Comme vous le savez, la Commission européenne a adopté une position particulièrement dure s’agissant du renouvellement du différentiel fiscal dont bénéficie le rhum des DOM depuis le 1er janvier 2012. Je tiens à ce titre à remercier la Délégation aux outre-mer et notamment son président car, depuis que la Délégation s’est saisie de ce dossier, celui-ci est désormais abordé au niveau politique et nous avons constaté chez nos interlocuteurs un réel changement d’attitude. Je tiens à lui exprimer notre gratitude.

M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion. Le sucre de canne est une chance, non seulement pour la France mais aussi pour l’Europe.

La France est le seul pays producteur de sucre de canne en Europe et cette particularité, nous la devons aux départements d’outre-mer. 80 % du sucre produit dans le monde provient de la canne. La production de nos départements représente 275 000 tonnes – chiffre qu’il convient de comparer avec les 17 millions de tonnes que représente la consommation européenne de sucre – et elle est la seule qui correspond aux normes européennes, tant environnementales, économiques et sociales qu’alimentaires.

Le sucre produit outre-mer est destiné au marché européen dans le cadre d’une organisation commune de marché. La Réunion, qui produit près de 80 % de la production totale de l’outre-mer, exporte 95 % de sa production en Europe, pour moitié en France et pour l’autre moitié dans un certain nombre de pays européens.

Le marché du sucre étant très concurrentiel, l’Europe a mis en place en 1969 des quotas de production, mais la nouvelle organisation commune de marché du sucre, qui entrera en vigueur en 2015 pour une période de cinq ans, va abolir ces quotas. Un dialogue entre les différentes institutions européennes est en cours sur ce sujet. Cependant, avec la fin programmée des quotas, vraisemblablement en 2017 ou 2018, le marché sera encore plus ouvert et plus concurrentiel, ce qui inquiète les producteurs de sucre des DOM.

La moitié des 210 000 tonnes de sucre fabriquées à La Réunion est vendue en Europe sous forme de « sucre roux de canne », dont l’Europe ne consomme que 250 000 tonnes. Sur ce marché, notre production n’est donc pas en compétition directe avec le sucre européen, qui provient uniquement de la betterave, et elle se positionne devant l’Île Maurice et, a fortiori, devant le Swaziland et le Malawi, dont les productions sont inférieures.

Sur ces marchés, la compétitivité s’appuie plus sur la qualité du produit que sur son prix, et, sur ce point, nous avons une dizaine d’années d’avance sur nos concurrents. Notre sucre de canne est consommé tel quel sous les marques Béghin Say, La Perruche, Blonvilliers ou l’Antillaise, ou encore il est utilisé par des industriels désireux de mentionner sa présence dans leurs productions – je pense aux confitures.

Il s’agit pour nous de conserver les dix ans d’avance dont nous bénéficions actuellement. Pour cela, il nous faut continuer à investir massivement dans les domaines du process, de la recherche et développement, et du marketing. Pour conserver son avance qualitative, la filière sucre de La Réunion investit par tonne de sucre deux fois plus que les producteurs de sucre de betterave en Europe, d’où l’importance des aides publiques.

Mais nos perspectives de développement sont relativement limitées puisque nous représentons déjà une importante partie du marché et que nos clients n’acceptent pas de ne dépendre que d’un seul fournisseur.

La deuxième moitié de notre production est exportée en Europe pour y être raffinée et devenir du sucre blanc, ce qui la place en concurrence directe avec les 18 millions de tonnes produites en Europe. Or, sur ce marché, la compétitivité d’un produit dépend étroitement de son prix.

Les aides publiques, qu’elles soient nationales ou communautaires, ont une importance prépondérante pour l’industrie sucrière des DOM car celle-ci se heurte à deux handicaps d’ordre économique.

Le premier, structurel, est lié à l’étroitesse de nos territoires, à leur exposition à des catastrophes naturelles, en particulier les cyclones, et à des contraintes naturelles importantes liées au fait que La Réunion est une île volcanique, ce qui lui vaut des sols pierreux et une terre très acide.

Le second handicap, dû au coût des transformations industrielles, a été accru par la réforme sucrière engagée en 2006 par les autorités européennes. Il est lié à la taille de nos sucreries, qui constitue un frein à la réalisation d’économies d’échelles. En 2005, les sucreries européennes produisaient en moyenne 110 000 tonnes de sucre. Dans le même temps, chacune des deux sucreries de La Réunion – l’île en possédait 150 avant la restructuration de la filière – produisait près de 100 000 tonnes de sucre. Compte tenu de la géographie de l’île et de la répartition des bassins d’approvisionnement en canne, il n’était pas économiquement envisageable de ne disposer que d’une seule sucrerie. En Europe, la réforme de 2006, en réduisant leur nombre de 42 %, a entraîné la fermeture de 80 sucreries tandis que la production de sucre par employé passait de 400 à 650 tonnes et que l’allongement de la durée de la campagne sucrière permettait d’augmenter la taille des sucreries. Aujourd’hui, les sucreries européennes produisent un peu moins de 200 000 tonnes, tandis que la production de chacune des sucreries de La Réunion est passée de 100 à 105 000 tonnes. Les coûts étant essentiellement fixes, le fait qu’ils soient répartis sur un volume plus faible constitue un handicap pour notre compétitivité.

Les restructurations imposées en Europe n’étant pas envisageables dans les départements d’outre-mer, l’Europe et les pouvoirs publics nationaux avaient mis en place une aide forfaitaire au titre de laquelle La Réunion recevait 51 millions d’euros. En contrepartie, les industriels s’engageaient à payer la canne au même prix qu’avant la réforme et dans le même temps, les producteurs de sucre de betterave bénéficiaient d’une forte baisse du prix d’achat de la betterave.

La quasi-totalité des aides qui transitent par les industriels sont reversées aux planteurs pour soutenir le prix d’achat de la canne et mettre en place des actions de développement. Mais si la partie liée au coût d’achat élevé de la canne est compensée, l’écart de compétitivité lié à l’absence d’économies d’échelle, lui, ne l’est pas, or il ne cesse de s’accroître. Les orientations budgétaires, européennes ou nationales, ont donc un impact direct sur le revenu des agriculteurs. Nous devons faire en sorte de leur maintenir des revenus décents.

La canne est bien le pivot du modèle agricole réunionnais. La filière emploie 12 000 personnes, soit 10 % de l’ensemble des emplois marchands dans l’île.

En plus du sucre et de ses produits dérivés, la canne produit la bagasse qui fournit entre 10 et 12 % de l’électricité dont a besoin La Réunion.

M. Jean-Bernard Gonthier, président de la Chambre d’agriculture de La Réunion et membre du CPCS. La culture de la canne à sucre à La Réunion occupe 24 000 hectares de terres et les surfaces consacrées à l’élevage sont passées depuis 2005 de 10 500 à 12 000 hectares. De plus, 5 000 hectares sont destinés à la diversification végétale, sachant que nos objectifs étaient d’atteindre respectivement 14 000 et 5 800 hectares en 2020 et qu’il reste entre 6 000 et 8 000 hectares de terres en friche à La Réunion. Pour atteindre les objectifs d’autosuffisance alimentaire définis dans les Cahiers de l’agriculture, il faudrait consacrer 300 hectares à la diversification végétale et 2 000 hectares à l’élevage.

Mais la diminution des surfaces cannières en faveur de la diversification mettrait à mal toute l’agriculture réunionnaise. Nous sommes parvenus, en produits frais, à près de 75 % d’autosuffisance alimentaire. Il sera difficile de faire mieux. Pour ce qui est de l’élevage, notre autosuffisance alimentaire est satisfaite à 72 %. Il y a là une marge de progression, mais consacrer 1 000 ou 2 000 hectares à la diversification végétale ou laisser 5 000 hectares en prairie auraient des conséquences pour l’ensemble des filières. Nous pensons qu’il est préférable de récupérer les terres en friche que de toucher aux filières existantes.

M. Florent Thibault, co-président du Comité paritaire interprofessionnel de la canne et du sucre (CPCS) et président du Centre technique interprofessionnel de la canne et du sucre (CTICS). La filière canne de La Réunion est structurée en interprofession et se caractérise par la présence de deux usines, de 3 500 planteurs et de 12 000 emplois, directs et induits. Elle est régie par une convention canne signée par les planteurs et les industriels pour une durée de neuf ans. L’actuelle convention a été signée en 2006 et arrivera à échéance en 2015.

La canne occupe 24 500 hectares, soit 56 % de la surface agricole utile de La Réunion, sur des exploitations dont la surface moyenne est de 7,5 hectares – à comparer aux 15 hectares des exploitations sucrières en France qui s’insèrent dans des entités plus larges de cultures de céréales et d’oléo-protéagineux, l’exploitation totale atteignant une surface allant de 100 à 120 ha. Les conditions dans lesquelles la canne est récoltée sont également très différentes de celles de la betterave en métropole. En effet, l’île est située sur le passage des cyclones et elle est couverte de montagnes. D’autre part, les terrains sont souvent en pente, ce qui rend leur accès délicat, surtout après les fortes pluies. Telle est la raison pour laquelle 75 % des cannes sont récoltées à la main.

À ce handicap s’ajoute le faible tonnage de nos productions ultramarines qui nous prive de l’accès à certains produits phytosanitaires dont la canne peut avoir besoin. Car aucun grand groupe n’accepte de déposer un brevet ou de faire une demande d’homologation pour un marché de cette taille. Les autres pays qui cultivent de la canne disposent, eux, des produits nécessaires. Je précise que la canne est très peu gourmande en intrants et que ses besoins en herbicides et en engrais sont faibles.

Une autre différence vient du fait que, dans les DOM, la canne occupe 90 % de la superficie de l’exploitation, les 10 % restants étant consacrés à la diversification. À l’inverse, en métropole, avec 15 hectares, la betterave ne représente que 20 à 30 % de l’exploitation.

Sachant que le rendement de la canne à sucre est actuellement de 77 tonnes à l’hectare et que chaque tonne de canne rapporte environ 81 euros, on peut évaluer le chiffre d’affaires annuel du planteur à 6 300 euros par hectare. Sur ces 81 euros, 39 sont liés au prix fixé par l’industriel en fonction de la qualité de la canne, dont 22 euros sont issus des fonds POSEI, auxquels s’ajoutent différentes primes offertes par les industriels, ce qui représente entre 4 et 6 euros ; enfin, l’exploitation de la bagasse, qui a reçu le statut de biomasse en 2009, est valorisée à hauteur de 11 euros la tonne. Il faut ajouter les aides à la production et les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) pour un montant de 25 euros.

Sur les 81 euros versés aux planteurs, 47 euros proviennent donc de soutiens publics. On peut donc dire que la quasi-totalité des soutiens apportés à l’industrie sucrière sont affectés à la production, cela afin de soutenir le revenu des planteurs qui reste relativement modeste puisqu’il est de l’ordre de 1,5 fois le SMIC.

Une aide de 4 700 euros par hectare peut paraître importante si l’on se concentre sur la notion d’hectare cultivé, d’autant qu’en métropole, pour des productions similaires, elle se limite à 309 euros. En revanche, par producteur, les chiffres sont assez voisins puisque les producteurs de La Réunion perçoivent près de 36 000 euros et ceux de la métropole 35 500 euros.

Un emploi créé ou existant dans la filière sucre à La Réunion représente 9 476 euros de subventions publiques, contre 29 664 euros pour un emploi agricole en métropole. Ce qui montre que maintenir un emploi agricole coûte trois fois moins cher à La Réunion que sur le continent.

M. André Érick Eugénie, trésorier de Canne-Union (Association des planteurs de canne à sucre de la Martinique) et rapporteur-animateur de la commission de relance de la filière canne-sucre-rhum de la Martinique. La Martinique n’exporte plus de sucre. Sur les 182 usines qui existaient au début du siècle, une seule subsiste. Datant du début du XIXe siècle, elle a été modernisée grâce à des fonds publics et produit aujourd’hui 3 000 tonnes de sucre, alors que les besoins de la population – toutes consommations confondues – sont d’environ 6 000 tonnes.

La culture de la canne, la deuxième à la Martinique après la banane, occupe 3 900 hectares, dont 40 % de la production sont livrés à l’usine du Galion – qui achète la totalité des cannes dont elle a besoin aux planteurs – et 60 % sont destinés à la distillerie pour la fabrication du rhum AOC.

La canne représente 3 900 emplois directs et indirects à la Martinique et la filière joue un rôle important dans l’économie de l’île. Une étude réalisée par les professionnels montre qu’en 2012, la canne a reçu 9 millions de subventions mais qu’elle a rapporté à l’économie martiniquaise et nationale autour de 120 millions d’euros.

Cependant la production martiniquaise connaît de graves difficultés dues aux catastrophes climatiques que nous subissons sans relâche depuis neuf ans, depuis le cyclone Dean en 2007, les inondations de 2009, qui ont valu à la Martinique une déclaration de catastrophe naturelle, le cyclone Tomas en 2010, jusqu’aux pluies qui ont arrosé l’île du 1er janvier au 31 décembre 2011. L’année 2012 semblait bien partie mais le deuxième semestre a été caractérisé par une terrible sécheresse et la récolte 2013 est la plus mauvaise récolte que nous ayons jamais connue. C’est la raison pour laquelle l’usine du Galion, qui aurait besoin de 90 000 tonnes de canne, n’en a reçu que 41 000 tonnes et qu’elle est portée à bout de bras par les assemblées et les collectivités locales.

Les distilleries, quant à elles, produisent du rhum AOC destiné à l’exportation. Le rhum est un produit à grande valeur ajoutée, mais, cette année, les distilleries ne recevront que 140 000 tonnes de canne au lieu des 160 000 tonnes attendues. Globalement, l’île a besoin de 240 000 tonnes de canne, or elle n’en produira cette année que 181 000 tonnes.

En plus des catastrophes climatiques, la production de la Martinique est également confrontée au manque de matières actives pour lutter contre les herbes, bien que la canne soit une culture très propre. Dans les années 1960, nous avons engagé une lutte biologique contre un insecte, le borer, qui causait d’énormes dégâts dans les plantations. Nous avons réussi à l’éradiquer et aujourd’hui nous n’utilisons ni nématicide ni fongicide. En 2009, en application du principe de précaution et dans le respect du plan Ecophyto 2018, toutes les molécules que nous utilisions ont été supprimées. Depuis, nous subissons l’infestation des mauvaises herbes, notamment les graminées, qui ravagent les champs de canne. Or, sur les neuf molécules dont l’autorisation a été donnée pour la canne, aucune ne permet de lutter contre les graminées. La seule possibilité serait de procéder à leur extirpation – en embauchant des personnes pour le faire. Vous imaginez les charges qui seraient liées à une telle opération et l’impact psychologique de cette dernière. D’autant qu’il faudrait procéder à un arrachage massif, ce qui nous amènerait à demander aux pouvoirs publics d’abaisser les coûts de la main d’œuvre.

Tous ces handicaps découragent les acteurs de la filière. Le Premier ministre est attendu en Martinique : j’espère qu’il recevra la délégation qui se présentera devant lui pour évoquer ces difficultés.

Nous attendons beaucoup de la recherche, notamment de la recherche variétale. Nous entretenons depuis trois ans des liens très étroits avec eRcane, le laboratoire de recherche de La Réunion, dont le directeur, M. Bernard Siegmund, nous a conseillé des variétés qui s’étaient très bien adaptées à La Réunion. À la Martinique, en dépit des difficultés liées au relief, 80 % des cannes sont coupées à la machine. Si nous pouvions avoir des cannes plus résistantes, nous pourrions obtenir aisément de gros rendements au moment de la récolte. Nous espérons aussi obtenir des variétés qui nous permettront, grâce à des méthodes alternatives, de disposer d’autorisations de mise sur le marché provisoires de désherbants comme l’Asulox. Mais, depuis le scandale du Chlordécone, ces autorisations sont très difficiles à faire valider. Nous n’avons pas oublié que le Chlordécone a été catastrophique pour les sols martiniquais mais nous n’acceptons pas d’être sacrifiés au nom du principe de précaution. Nous mettons beaucoup d’espoir dans la recherche et nous espérons infléchir la courbe de notre productivité, qui est passée de 62 tonnes à 50 tonnes par hectare.

En dépit de ces difficultés, la production de canne est incontournable car la diversification n’a pas toujours donné de bons résultats.

En ce qui concerne le rhum, nous sommes en conflit avec la Commission européenne qui exige le remboursement de sommes qui représentent deux fois le chiffre d’affaires de la production de rhum des DOM. Nous espérons que les discussions en cours trouveront une issue favorable.

Mme Éricka Bareigts. Je vous remercie pour ces informations très précieuses. Nous devons, sur nos territoires, trouver un équilibre entre le maintien d’une agriculture toujours plus performante et l’évolution démographique.

Grâce à la recherche, la canne a atteint un seuil intéressant de rentabilité, et si nous voulons conjuguer l’espace et l’intérêt économique, il est impératif de poursuivre la recherche. Existe-t-il encore des marges d’évolution dans ce domaine ?

M. Philippe Labro. Je suis le président d’eRcane. Ce centre de recherche est considéré comme l’un des cinq meilleurs au monde en matière de sélection variétale, mais il ne pourra poursuivre son action que s’il perçoit des aides publiques.

Les nouvelles variétés de canne qu’eRcane a sélectionnées et créées à La Réunion au cours des dernières années ont été mises gratuitement à la disposition des planteurs, tandis qu’en Europe les betteraviers achètent les semences aux entreprises. Ces nouvelles variétés présentent des rendements supérieurs de 20 % en moyenne à ceux des variétés traditionnelles.

Oui, Madame la députée, nous avons des perspectives de développement. J’en veux pour preuve qu’en dépit de trois années de sécheresse, notre production non seulement n’a pas baissé mais elle a augmenté de près de 5 %, et cela grâce à l’implantation de nouvelles variétés.

Ce qui pose problème, c’est leur rythme de replantation. Celle-ci devrait avoir lieu tous les sept à dix ans, et non tous les douze ans comme c’est le cas actuellement. Nous comptons sur le soutien des pouvoirs publics pour encourager le renouvellement plus rapide des cannes.

M. Jean-Bernard Gonthier. Les nouvelles variétés de canne peuvent produire jusqu’à 150 tonnes à l’hectare et s’adaptent aux différents microclimats de La Réunion ainsi qu’à l’altitude. La marge de progression est là, sans compter les terres en friche que nous pourrions récupérer. Nous sommes prêts à atteindre les objectifs du Cahier de l’agriculture, pour peu que nous en ayons les moyens.

M. Patrick Lebreton. Nous sommes dans une période charnière pour l’agriculture outre-mer, notamment eu égard à la future loi d’avenir pour l’agriculture. C’est le moment de tenir un discours commun pour préserver une richesse unique.

Je fais partie de ceux qui ont dénoncé les propos malheureux que le commissaire Ciolos a tenu il y a quelques semaines à propos d’une réforme du POSEI qui, à l’horizon 2013, alignerait ce dispositif sur la PAC, notamment en découplant les aides à la production. Le ministre de l’agriculture, que nous avons interrogé, a bien compris la menace que représenterait une telle réforme pour la filière canne-sucre-rhum-bagasse. Le 15 mai dernier, il a déclaré qu’il la jugeait inacceptable, ce dont nous nous sommes félicités.

En tant qu’élu réunionnais, je réaffirme que la canne doit rester le pivot de l’agriculture dans les DOM compte tenu de son intérêt pour l’emploi et l’aménagement du territoire.

L’agriculture réunionnaise doit évoluer et se diversifier, mais il ne faudrait pas lâcher la proie pour l’ombre. Nous devons certes engager une mutation des modèles agricoles ultramarins, faisons en sorte qu’elle se déroule en douceur.

La culture de la canne est un modèle qui a fait ses preuves. Comment le faire évoluer sans mettre à mal la filière ? Quelles pistes comptez-vous explorer en matière de recherche et développement ?

M. Jean Jacques Vlody. Je vous remercie pour vos interventions. Je me réjouis que nous parlions de modèle pour qualifier la filière canne-sucre-rhum-bagasse de La Réunion. Il convient de le réaffirmer sans cesse, car cette réussite est le fruit de l’investissement des professionnels et de certaines décisions prises par les pouvoirs publics.

En ce qui concerne la préservation de la sole cannière face à la pression du foncier urbain, je rappelle que nos terrains ne sont devenus plats et faciles d’accès qu’à la suite d’investissements publics colossaux et d’importants travaux réalisés par la filière.

Ce modèle peut-il être généralisé et transposé aux autres territoires ultramarins, en particulier à la Martinique où la production cannière a quasiment disparu, laissant place à la friche ?

La filière canne repose sur la garantie de l’écoulement de la production au niveau européen et sur les quotas imposés sur le sucre. Si ces quotas sont supprimés, parviendrons-nous à maintenir la filière ? Aurons-nous les moyens de faire face à cette déréglementation ? La redoutez-vous ? Avez-vous les moyens de l’anticiper ? Envisagez-vous de vous battre ou de vous adapter ?

La mécanisation est encore peu développée à La Réunion, malgré les efforts soutenus des collectivités publiques et les aides de l’Europe. Ce retard est-il dû à la géographie de l’île ou au manque de dynamisme du dispositif d’aide financière aux améliorations foncières ?

Comment s’explique la régression de la production de la Martinique ? Quelles sont les perspectives d’avenir ?

Enfin, qu’attendez-vous, Messieurs, des pouvoirs publics ? Quelles sont les pistes sur lesquelles vous souhaitez attirer notre attention ?

Mme Sylvie Le Maire, déléguée générale du syndicat du sucre de La Réunion. En dépit des difficultés conjoncturelles que rencontre la Martinique, la filière constitue toujours un enjeu du développement des DOM.

Les perspectives de croissance existent, mais nous devons rester vigilants, en premier lieu à cause de l’évolution du foncier. À La Réunion, nous avons réussi à stabiliser la sole cannière depuis quatre ou cinq ans autour de 24 500 hectares en surveillant la régularité des déclassements de terres. Mais si la sole cannière avait été maintenue à son niveau antérieur, nous aurions pu produire, compte tenu de l’augmentation des rendements obtenue grâce à la recherche, 2 millions de tonnes de canne, ce qui correspond à l’objectif des planteurs. L’innovation n’a servi qu’à compenser la perte des surfaces cultivées.

D’autres perspectives de croissance existent grâce à l’irrigation, qui a déjà permis d’améliorer les rendements et de mettre en valeur de nouvelles terres. Des projets sont en cours.

Il convient d’ajouter à ces perspectives les 7 000 hectares de friche recensés en 2012. Ceux-ci devraient nous permettre de consacrer 2 000 à 3 000 hectares à la culture de la canne, sans pour autant remettre en cause les perspectives de croissance de la diversification, végétale et animale, et d’offrir ainsi aux jeunes la chance de s’installer, ce qui représente un enjeu important eu égard à la situation de l’emploi à La Réunion.

La loi d’avenir pour l’agriculture s’appuie sur les propositions de l’ensemble des acteurs et sur les préconisations de la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF) en vue d’améliorer les outils destinés à la surveillance foncière. Je citerai la simplification des procédures nécessaires pour la définition des zones agricoles protégées, la possibilité de mieux gérer les indivisions, la réalisation d’études d’impact pour anticiper les conséquences pour l’agriculture de toute nouvelle infrastructure. De nombreux efforts ont été accomplis sous couvert de la Commission départementale de consommation des espaces agricoles (CDCEA), mais nous attendons beaucoup de la loi d’avenir pour l’agriculture.

Nous attendons également de la loi qu’elle prenne en compte les besoins de nos régions en matière de produits phytosanitaires. En effet, les laboratoires étudient des molécules destinées au continent, au détriment des besoins des régions tropicales, ce qui fait que nous ne disposons pas toujours des produits qui conviendraient à nos territoires.

Une autre perspective de croissance existe avec l’augmentation des rendements que nous devons à la recherche. Celle-ci doit se poursuivre, voire s’accélérer, car le programme en cours prévoit la replantation de 6 % des cultures par an, ce qui équivaut à un résultat tous les 15 ans pour renouveler l’ensemble de la surface cannière. Cela est insuffisant, l’optimum étant de replanter tous les 7 à 10 ans.

L’optimisation et la valorisation de toutes les ressources de la canne offrent également de nombreuses perspectives, même si le fait qu’il s’agisse d’une filière intégrée nous oblige à ne pas descendre sous un certain seuil de rentabilité. Ces ressources sont les suivantes : la paille, destinée aux élevages, les écumes, que l’on utilise comme engrais, la bagasse, qui produit de l’énergie, et la mélasse, qui sert essentiellement à la fabrication du rhum et, dans une moindre mesure, fournit des aliments pour les animaux. Les perspectives consistent à mieux utiliser la paille, à améliorer notre connaissance de la composition des écumes pour nous affranchir davantage de l’apport d’intrants, et à développer la chimie verte.

Nous attendons donc beaucoup de la loi d’avenir pour l’agriculture ainsi que des prochains programmes, nationaux et européens, en particulier le POSEI (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité) qui permet aux planteurs de compenser la petite taille de leur exploitation, et le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural), qui regroupe les mesures d’accompagnement. Tous ces outils doivent être adaptés aux besoins des agriculteurs en matière d’innovation, d’encadrement technique, d’amélioration foncière et de plantation.

M. Patrick Lebreton. Quelles sont, à l’aube de la période de coupe, les perspectives de récolte de canne à La Réunion ?

M. Jean-Bernard Gonthier. Dans le sud de l’île, la récolte sera meilleure que les années précédentes grâce à l’implantation de nouvelles variétés et malgré trois années de sécheresse.

Monsieur Vlody, qui aurait pensé, il y a dix ans, que nous pourrions un jour utiliser une coupeuse tronçonneuse à Saint-Joseph et Saint-Philippe ? Or c’est possible aujourd’hui. Je pense que la mécanisation va se développer dans les cinq prochaines années. Nous avons déjà acquis quatre coupeuses supplémentaires dans le sud de l’île et un certain nombre de petites coupeuses pour la canne longue.

M. Florent Thibault. Dans le nord de l’île, nous attendons une production quasiment similaire à celle de l’an dernier. Le taux de mécanisation est passé de 20 à 25 % en très peu de temps du fait de l’emploi de petites coupeuses et de coupeuses intégrales, adaptées aux très petites surfaces et aux zones difficiles d’accès.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Je donne maintenant la parole à M. Jean-Claude Cantorné pour qu’il nous parle de la production de rhum.

M. Jean-Claude Cantorné. La sole cannière de la Guadeloupe représente 43 % de la surface agricole utile de l’île et elle a progressé depuis 2007 de 3 %. La production annuelle de sucre oscille entre 60 000 et 75 000 tonnes, que se partagent deux sucreries.

La première, Gardel, transforme entre 55 000 et 70 000 tonnes de canne. L’entreprise a fait l’objet d’investissements considérables au cours des cinq dernières années, avec l’aide des pouvoirs publics nationaux et communautaires, et elle possède une centrale thermique charbon/bagasse qui fournit près du tiers de l’électricité de la Guadeloupe.

L’autre sucrerie, située à Marie Galante, transforme chaque année entre 10 000 et 12 000 tonnes de canne. Elle est soutenue à bout de bras par ses actionnaires, ne disposant d’aucun concours bancaire, et elle se bat depuis trois ans pour essayer d’obtenir un accord des pouvoirs publics locaux pour la construction d’une centrale thermique utilisant la bagasse. Nous espérons obtenir un résultat positif, qui pourrait d’ailleurs être annoncé par le Premier ministre lui-même dans les prochains jours. L’essentiel de la production de canne va en direction de ces deux usines, les distilleries n’en absorbant que 10 %.

S’agissant du rhum, nous sommes effectivement engagés dans un combat très difficile qui a fait l’objet, au Sénat, d’une proposition de résolution européenne sur le renouvellement du régime fiscal applicable au rhum traditionnel des départements d’outre-mer déposée le 27 mars 2013. Je salue la qualité de ce document remarquable qui contient une analyse très complète de la filière. Par ailleurs, je citerai également le rapport du cabinet Algoé consultants sur l’interprofession du sucre aux Antilles.

On distingue le rhum agricole, issu de la distillation directe du jus de canne, et le rhum de sucrerie, résultat de la distillation des mélasses issues de la fabrication du sucre. La part relative de chacune de ces productions varie d’un territoire à l’autre. Ainsi La Réunion produit presque exclusivement du rhum de sucrerie, tandis que la Martinique produit 83 % de rhum agricole et la Guadeloupe 45 %.

Le secteur du rhum représente 24 sociétés dans l’ensemble des départements d’outre-mer, dont 12 en Guadeloupe, 8 en Martinique, 3 à La Réunion et une en Guyane. C’est un secteur dynamique – la production d’hectolitres d’alcool pur a progressé de 17,8 % entre 2006 et 2011 – dont la caractéristique principale est l’intégration.

Contrairement à ce qui se passe dans les autres parties du monde, chaque département d’outre-mer ne peut produire du rhum qu’avec ses propres matières premières. Cette caractéristique, qui nous vaut une appellation d’origine et une indication géographique européenne protégée, justifie le soutien fiscal dont nous bénéficions depuis longtemps pour compenser les coûts qu’elle implique. Ce soutien, bien qu’entièrement supporté par le Trésor public français, fait malheureusement l’objet d’une autorisation communautaire et de la vigilance sans faille de la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne. Or celle-ci semble davantage préoccupée par l’établissement de liens commerciaux très libéraux entre nos départements et le reste du monde que par la protection de notre rhum.

Il est à craindre que la multiplication des accords commerciaux avec des pays d’Amérique latine comme le Pérou et la Colombie et, un jour, avec les pays du Mercosur, ne contribue encore à augmenter nos difficultés. Nous sommes surpris par la politique menée par la Commission européenne, qui consiste à réduire la protection fiscale dont bénéficie le rhum des DOM en favorisant le développement d’une politique de libre-échange.

Il convient de rappeler ici que les États-Unis sont les premiers exportateurs de rhum en Europe. Cette situation est due au fait que les deux grandes marques multinationales de rhum, Bacardi et Diageo, dont la production est située aux Îles Vierges et à Porto Rico, reçoivent des subventions massives du gouvernement – 263 millions de dollars par an – qui leur permettent de mener une politique d’exportation très dynamique.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Comment les parlementaires peuvent-ils vous aider, concrètement, à consolider la filière rhum ?

Selon vous, l’accord transatlantique en cours de négociation représente-t-il un danger pour vos territoires ?

M. Jean-Claude Cantorné. Oui, d’ailleurs le Gouvernement nous a demandé s’il était préférable de retirer le rhum de la négociation, ce à quoi nous avons répondu positivement.

Ce que peuvent faire nos élus, c’est appuyer notre démarche pour obtenir le renouvellement du régime fiscal actuel, qui, je le rappelle, est en vigueur depuis 1922.

Cela dit, je crois beaucoup à l’avenir du rhum. Nos entreprises se développent, d’ailleurs nous conservons 22 distilleries, et la production du rhum est intégrée à la filière. À La Réunion, nous essayons d’écouler dans les distilleries locales la quasi-totalité de la mélasse produite et nous ne sommes pas loin d’avoir atteint notre objectif, et il en va de même en Guadeloupe. En Martinique, la voie à suivre serait d’utiliser la totalité de la canne pour produire du rhum.

Mais un phénomène plus inquiétant pèse sur nos territoires : il s’agit de la pression foncière et de l’urbanisation.

Dans le nord de la Martinique se trouvent deux des plus importantes distilleries de l’île, Depaz et Neisson. Il s’agit d’entreprises bien gérées, qui développent leurs exportations. Mais elles sont menacées par des forages réalisés sur le domaine de Pécoul, qui appartient à la distillerie Depaz. Ces forages, destinés à augmenter la production d’eau potable dans cette partie de l’île, sont certainement utiles pour la population, mais ils exigent une zone périphérique de protection de 80 hectares, ce qui menace l’avenir de ces deux sociétés.

M. André Érick Eugénie. La distillerie Neisson, qui est la plus concernée, risque de devoir geler 32 hectares, sur une superficie de 42 hectares de terres classées AOC. Les responsables de l’entreprise ont entrepris les démarches administratives nécessaires pour sensibiliser les pouvoirs publics sur l’utilité économique de la distillerie dans une région relativement sinistrée. Ils ont même proposé de forer dans une zone plus éloignée, mais cela n’a pas été permis au motif que la zone avait été choisie pour sa facilité d’accès. Nous avons du mal à comprendre de tels arguments.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Ce forage est-il réalisé par l’État ?

M. André Érick Eugénie. Je ne connais pas suffisamment le dossier mais je demanderai à Mme Neisson qui possède les terrains. Les services de l’État, notamment les représentants de la sous-préfecture de Saint-Pierre, se réunissent en permanence pour trouver des solutions, pourtant la situation ne semble pas se débloquer.

M. Jean-Claude Cantorné. Je suggère que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture insiste sur la nécessité absolue, dans les quatre départements d’outre-mer, de protéger la production agricole de l’emprise foncière.

Le maître d’ouvrage du forage est le Syndicat des communes de la côte caraïbe nord-ouest (SCCCNO). Il a commencé par un forage illégal sur des terres qui appartiennent à notre groupe, mais nous l’avons laissé faire considérant que le forage relevait de l’intérêt public. En outre, le forage devait être régularisé dans les trois ans. Non seulement il ne l’a pas été, mais aujourd’hui le SCCCNO demande que le dossier fasse l’objet d’une déclaration d’utilité publique. Il est clair que nous devons nous y opposer.

M. André Érick Eugénie. Ce forage, qui était au départ expérimental, a approvisionné en eau toute une zone sans que personne ne le sache.

M. Jean-Claude Cantorné. Le SCCCNO a fait une demande d’extension qui bloquerait au total 82 hectares de cultures de canne.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Je salue le combat mené par le monde agricole et tous ses partenaires afin de trouver le bon équilibre entre les besoins de l’urbanisation et la préservation des terres agricoles. Je m’étonne, compte tenu des chiffres du chômage en Martinique, qu’une intercommunalité, présidée par des élus, puisse prendre une telle décision. J’espère, Messieurs, que vous avez alerté tous les élus du territoire.

M. Jean-Claude Cantorné. C’est un combat très difficile car le forage a pour but d’améliorer les ressources en eau potable et par là il est utile à la population.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. La loi fixe un cadre, mais je compte sur l’intelligence humaine pour en saisir l’esprit et faire en sorte qu’elle ne génère pas de contentieux. Quoi qu’il en soit, la loi d’avenir essaiera de répondre à toutes les problématiques que vous avez évoquées.

M. Bernard Lesterlin. La surface des périmètres de protection vous paraît-elle abusive ? La localisation des forages a-t-elle été déterminée par des soucis d’économie ou pour des raisons moins avouables ?

M. Jean-Claude Cantorné. Nous avons proposé au Syndicat de forer sur d’autres terres nous appartenant, mais, pour des raisons de commodité, il a préféré poursuivre le forage déjà engagé.

M. Benoît Lombrière. J’attire votre attention sur les délais de renouvellement du contingent annuel accordé par l’Union européenne. Le régime actuel arrive à expiration à la fin de cette année et les élections européennes auront lieu vraisemblablement dans le courant du deuxième trimestre 2014, ce qui fait qu’à partir du mois d’octobre le Parlement n’examinera plus aucune proposition de la Commission.

La France a demandé le renouvellement du contingent pour les années 2014 à 2020. La procédure veut que la Direction générale de la fiscalité et de l’union douanière (TAXUD) se saisisse de la demande française, l’instruise et la transmette au Conseil et au Parlement, sachant que le Conseil ne peut statuer qu’après que le Parlement lui a donné son avis, même si celui-ci n’est que consultatif.

À la demande de la profession, la France va produire un complément à la demande examinée par la TAXUD. Or le temps nous est compté. Il faut que pendant le mois de juillet, la France adresse sa demande de rectification à la TAXUD, que celle-ci l’instruise et rédige le document qui servira de base à la délibération du Conseil, et que ce dernier le transmette au Parlement qui le lui renverra après en avoir débattu. Les délais sont donc très étroits et la prochaine opportunité ne se présentera que dans six mois, après l’élection du nouveau Parlement. Voilà un message concret, Messieurs les députés, que nous vous demandons de transmettre aux ministères concernés.

M. Bernard Lesterlin. Tous les problèmes que vous soulevez sont évoqués par M. Serge Letchimy dans le rapport qu’il a remis au Premier ministre. Le Parlement et le Gouvernement partagent vos préoccupations.

Les aides publiques européennes du POSEI et du FEADER, si on leur adjoint les mesures fiscales de l’État français, peuvent-elles être assimilées aux aides du gouvernement américain ? Leurs masses sont-elles comparables ? La politique de l’Europe est-elle naïve face à l’interventionnisme américain ?

M. Jean-Claude Cantorné. L’aide apportée aux Îles Vierges et à Porto Rico est deux fois et demie plus importante que celle dont bénéficie le rhum des DOM.

M. Benoît Lombrière. Le soutien à la filière rhum pèse entre 80 et 100 millions d’euros sous forme d’allégements fiscaux, et les aides du POSEI à la canne s’élèvent à 164 millions d’euros.

Je tiens à rappeler une chose : certes, l’Union européenne a parfois des côtés urticants, mais, dans le contexte actuel, elle protège nos productions.

M. Emmanuel Detter, consultant auprès d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins). Vous nous demandez, Madame la présidente, comment le projet de loi d’avenir pour l’agriculture peut répondre à nos problématiques. Je vais évoquer la question de la protection phytosanitaire des cultures.

Les études montrent que les agriculteurs de la métropole sont capables de répondre à 90 % aux attaques qui affectent leur production, mais, dans nos îles, ce taux de couverture tombe à 15 %. C’est une véritable discrimination à l’égard de notre agriculture, qui s’explique par le fait que la notion d’agriculture tropicale n’a pas encore été introduite dans le code rural.

Pour adapter les molécules à nos territoires, il faudrait modifier les procédures d’autorisation de mise sur le marché de ces dernières. Aujourd’hui, ce sont les groupes qui vendent les molécules qui réalisent les études, or celles-ci coûtent plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de milliers d’euros. Certes, nous bénéficions d’autorisations transitoires mais leur durée est réduite à 120 jours, ce qui nous oblige à les reconduire. D’autre part, les molécules dont nous disposons habituellement, parce qu’elles sont surexploitées, apparaissent comme étant de moins en moins efficaces : les parasites contre lesquels nous luttons développent des résistances.

Le système qui consiste à faire payer par le bénéficiaire les autorisations de mise sur le marché des molécules ne fonctionnera jamais dans nos îles compte tenu de la taille de nos marchés. Il faut donc prévoir une procédure permettant d’autoriser dans nos régions les molécules déjà autorisées en métropole.

Par ailleurs, la Commission européenne a proposé au Conseil, qui l’a accepté, un règlement autorisant une liste positive de molécules réservées pour les produits « bio ». Nombre de pays peuvent donc doter du label « bio » leur production d’avocats, de pamplemousses, d’ananas, de bananes, mais, outre-mer, nous ne pouvons pas le faire, faute d’avoir obtenu l’autorisation de mise sur le marché des molécules. Nous aimerions obtenir l’autorisation d’utiliser pour nos productions tropicales les mêmes molécules que nos concurrents directs. Pouvez-vous appuyer notre demande ?

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Je vous remercie pour cet échange très fructueux. Mes collègues ont rappelé la nécessité de maintenir la filière canne en tant que pivot de l’agriculture réunionnaise, de donner à la Martinique la chance de reprendre sa place dans son environnement et de consolider la filière canne de la Guadeloupe. Je m’associe à leurs demandes.

Le Premier ministre a demandé à notre collègue, M. Serge Letchimy, d’indiquer comment, en application de l’article 349 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne, il serait possible de donner aux outre-mer une existence réelle et de les prendre en compte, de façon globale et définitive, pour qu’ils ne soient plus obligés de demander des autorisations et des dérogations qui ralentissent leur développement.

L’établissement d’une liste positive présente un intérêt évident. En Guyane, nous pourrions utiliser des produits en provenance du Brésil, mais malheureusement ils ne correspondent pas aux normes européennes et nous n’avons pas le droit de les utiliser. Une molécule fait particulièrement défaut aux éleveurs de bovins. Le Premier ministre a demandé au ministre des Outre-mer et au ministre chargé des affaires européennes de défendre cette revendication auprès de l’Union européenne. Nous, parlementaires, allons nous attacher à redéfinir la relation entre les outre-mer et l’Union européenne pour que l’article 349 du traité de Lisbonne soit enfin appliqué dans sa globalité.

Si nous avons souhaité réaliser un rapport sur l’agriculture outre-mer, c’est que nous sommes conscients qu’il s’agit d’un secteur d’activité important pour nos territoires. Nous poursuivrons nos auditions au cours du mois de juillet et du mois de septembre et ensuite nos travaux nourriront le projet de loi d’avenir pour l’agriculture. Vous pouvez compter sur nous pour relayer vos propositions afin de rendre à l’agriculture sa vraie place dans l’économie de nos territoires.

Je vous remercie.

Table ronde sur l’agriculture outre-mer, avec la participation de M. Pascal Ferey, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), accompagné de Mme Sophie Galard, en charge des relations avec l’outre-mer, et de Mme Nadine Normand, chargée des relations avec le Parlement ; de M. Alex Bandou, membre du comité national de la Confédération paysanne pour la Guadeloupe et secrétaire général de l’Union des producteurs agricoles de Guadeloupe (UPG), accompagné de M. Claude Cellier, secrétaire national de la Confédération paysanne, et de M. Pascal Fricker, membre du comité national pour la Guyane ; de M. Sébastien Bellemene, président de Jeunes agriculteurs outre-mer, accompagné de M. Antoine Fesneau, délégué régional, et de M. Cédric Coutellier, administrateur de Jeunes agriculteurs outre-mer et de Jeunes agriculteurs Guadeloupe ; et enfin, de M. François Lucas, vice-président de la Coordination rurale, accompagné de M. Juvénal Rémir, secrétaire général pour la Martinique, et de Mme Adeline Gachein, coordinatrice au développement syndical

Compte rendu de l’audition du mardi 9 juillet 2013

Mme Chantal Berthelot, présidente. Chers collègues, Mesdames, Messieurs, permettez-moi, tout d’abord, d’excuser notre président, M. Jean-Claude Fruteau, retenu à La Réunion où il accompagne, dans le cadre de ses fonctions, le Président des Seychelles en visite officielle, ainsi que Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique. Il m’a demandé de présider à sa place la table ronde de cet après-midi, car, outre le fait d’être vice-présidente, je suis, avec M. Hervé Gaymard, corapporteure des travaux que notre Délégation conduit actuellement sur les agricultures des outre-mer. Ces travaux nous permettront d’alimenter la future loi d’avenir pour l’agriculture.

Après une rapide présentation des uns et des autres, M. Hervé Gaymard introduira les différentes thématiques sur lesquelles nous souhaitons entendre nos invités. Puis chacun pourra exprimer ses préoccupations et préconisations concrètes qui nourriront notre réflexion et que nous nous attacherons à relayer auprès des instances compétentes si nous les approuvons.

Nous accueillons donc le vice-président de la FNSEA en charge des outre-mer, M. Pascal Ferey ; sont également présentes à ses côtés Mme Sophie Galard, chargée des relations avec l’outre-mer, et Mme Nadine Normand, chargée des relations avec le Parlement ; pour la Confédération paysanne, nous avons le plaisir de recevoir M. Alex Bandou, secrétaire général de l’Union des producteurs agricoles de Guadeloupe, M. Pascal Fricker, du Groupement régional des agriculteurs de Guyane, et M. Claude Cellier, secrétaire national ; pour les Jeunes agriculteurs, nous recevons M. Sébastien Bellemene, président de Jeunes agriculteurs outre-mer, M. Antoine Fesneau, délégué régional, et M. Cédric Coutellier, administrateur de Jeunes agriculteurs outre-mer et de Jeunes agriculteurs Guadeloupe ; enfin, pour la Coordination rurale, sont présents M. François Lucas, vice-président, M. Juvénal Rémir, secrétaire général pour la Martinique, et Mme Adeline Gachein, coordinatrice au développement syndical.

M. Hervé Gaymard, corapporteur. Je suis heureux de retrouver certains d’entre vous, croisés dans une autre vie. Mme Chantal Berthelot et moi-même avons grand plaisir à travailler sur ce dossier des agricultures des outre-mer en raison de la diversité des sujets qu’il recouvre, qu’il s’agisse des structures agricoles, du foncier, des productions locales ou des productions destinées à l’export, dont la politique a une forte dimension européenne. Le moment est important puisque la politique agricole commune est en cours de réforme et qu’une loi d’avenir pour l’agriculture est en préparation. Notre rapport, qui sera publié à l’automne, a pour objet de paver le chemin de notre réflexion.

M. Pascal Ferey, vice-président de la FNSEA. Mesdames, Messieurs les députés, merci de votre invitation. C’est une heureuse initiative que de profiter de la préparation de la loi d’avenir pour l’agriculture pour jeter un regard particulier sur les agricultures des départements d’outre-mer. Je suis moi-même agriculteur sur la presqu’île du Cotentin où l’eau est un peu moins chaude et l’agriculture plus continentale, mais je m’intéresse, depuis 1992, à l’évolution des agricultures des départements d’outre-mer.

Qu’elles soient pratiquées dans l’océan Indien ou sur la côte atlantique, ces agricultures se caractérisent par des points d’ancrage importants. Outre-mer, on distinguera, d’une part, le pôle sucre, qui est très important à La Réunion et en Guadeloupe, et où la restructuration, dans les années 1990, de la sucrerie Gardel, à laquelle nous avons participé avec l’ODEADOM, a été l’occasion de mettre en place, à travers une organisation forte des producteurs, une politique très structurée et structurante sur les deux îles. Par ailleurs, en Martinique, le sucre est surtout transformé en rhum dont la qualité est renommée. Et on distinguera, d’autre part, le pôle banane, qui est très encadré, très structuré et bien accompagné par l’Union européenne aux Antilles. Aujourd’hui, ces deux productions essentielles représentent plusieurs milliers d’emplois non délocalisables qui gravitent autour de l’agriculture.

Ces deux points forts de l’agriculture s’accompagnent d’éléments de faiblesse. Les expérimentations conduites avec nos collègues agriculteurs d’outre-mer ont montré que, en matière d’élevage et de maraîchage notamment, il fallait repenser le modèle de développement. Bien sûr, cela passe par la formation des hommes, en particulier des jeunes, mais aussi des salariés. Le Fonds national d’assurance formation des salariés des exploitations et entreprises agricoles (FAFSEA) s’investit beaucoup dans ce dossier. C’est ainsi qu’après les différents cyclones, le fonds a fait en sorte d’éviter le chômage aux salariés d’exploitations agricoles en les prenant en charge. Nous avons alors collectivement décidé que, quel que soit le budget, toutes les demandes seraient satisfaites.

Le volet économique suscite beaucoup d’amertume, sauf, peut-être, à La Réunion qui apparaît comme un modèle en matière d’encadrement et d’organisation de la production, de formation des agriculteurs et de performance des outils agroalimentaires. Cette île est devenue, pour certaines productions animales ou végétales, exportatrice nette, ce qui n’est pas toujours simple, alors qu’on sent quelques crispations dans les échanges avec nos amis mahorais. Les Antilles, en revanche, donnent moins de satisfaction en ce qui concerne les secteurs animal, végétal et de maraîchage. Sur 160 000 tonnes consommées, seules 15 000 à 20 000 tonnes sont produites localement, le reste étant importé. Toutes les expériences lancées dans le cadre de l’ODEADOM ont échoué. L’échec le plus criant, en Martinique, a concerné la production d’ananas au Morne-Rouge ou au Gros-Morne : malgré une production existante et un outil industriel moderne, l’offre n’était pas structurée.

Si la loi d’avenir revient sur les fondamentaux, le volet accompagnement des agriculteurs doit comporter des mesures d’aide à la structuration de l’offre. On ne peut pas continuer à investir dans des outils inadaptés, comme cet abattoir en Martinique financé il y a trois ans, qui était censé traiter 65 000 poulets par jour mais qui atteint péniblement les 35 000. Il faudra faire preuve d’audace. Cette agriculture, en bien des endroits, ressemble à celle de métropole. Pourquoi, en matière de productions animales, telles que le porc et la volaille, ne pas favoriser les plans de modernisation des bâtiments d’élevage pour le secteur hors-sol ? Structurer les bâtiments, c’est aussi pérenniser les outils de production après les dégâts occasionnés par les cyclones et les ouragans. Trop de bâtiments agricoles tombent en désuétude après ces catastrophes naturelles, malgré l’intervention très forte des collectivités et de l’État. Un premier point serait donc de permettre aux agriculteurs d’accéder aux aides à la modernisation. En contrepartie, les filières devront être organisées. On ne peut pas continuer d’injecter des centaines de milliers d’euros au titre du particularisme insulaire sans les assortir d’obligations. En métropole, les aides sont conditionnées à la structuration de la production. Sur ce point, il nous faut nous organiser collectivement.

Troisième sujet, l’avenir. Alors que la France vient de signer son engagement sur le budget de l’Europe et sur la PAC, on peut se demander si les deux éléments structurants financiers que sont les organisations communes de marché (OCM) de la banane et du sucre pourront perdurer. Plaide en leur faveur la volonté politique forte de maintenir de l’emploi dans l’agriculture et l’agroalimentaire, qui sont les premières richesses après le tourisme. Toutefois, nous sommes de plus en plus isolés sur l’échiquier européen : l’Espagne et le Portugal, ayant réglé leurs problèmes, considèrent que l’éloignement et l’insularité ne sont plus des questions européennes mais purement françaises et ne sont plus disposés à nous accompagner sur la banane. La renationalisation des politiques serait extrêmement dangereuse, non seulement pour les deniers de l’État, mais aussi pour l’insertion de l’agriculture domienne dans l’Union européenne.

Il faudrait avoir un jeu d’avance. Je ne pense pas qu’on maintiendra très longtemps le principe du couplage des aides financières et de la production. On le voit sur l’OCM sucre, qui est aujourd’hui préservé parce que la France ne remplit pas son quota de sucre blanc. Le sucre roux étant contingenté dans le même volume, on a pu sauver cette particularité française. Il nous faut anticiper selon la périodicité budgétaire de l’Union européenne et regarder à l’horizon 2020-2026 pour déterminer quels seront les grands enjeux. Selon que le couplage restera la règle ou non, les réponses seront différentes. La FNSEA propose d’avoir une politique volontariste pour produire et manger local. Il n’est pas supportable d’avoir aujourd’hui des dizaines de milliers d’hectares de terres inutilisés alors qu’en organisant la production maraîchère et les marchés locaux, on pourrait créer de l’emploi et se donner pour ambition de produire au moins 50 % des légumes ou des végétaux nécessaires à l’équilibre alimentaire de nos départements d’outre-mer. Il faut néanmoins bien distinguer entre légumes, tubercules et autres, en raison des particularités très fortes de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion.

J’insiste encore sur la nécessité absolue de formation des jeunes agriculteurs, mais aussi d’un accompagnement et d’un encadrement de qualité, qui ne s’évalue pas en nombre de techniciens et d’ingénieurs, mais en niveau d’expérience de l’insularité. J’appelle l’INRA et le CIRAD à continuer à chercher activement des techniques alternatives aux produits chimiques, des méthodes permettant à l’agriculture de ces départements d’entrer dans le XXIe siècle.

M. Alex Bandou, secrétaire général de l’Union des producteurs agricoles de la Guadeloupe. Je précise que mon organisation est affiliée à la Confédération paysanne. Je suis agriculteur en Guadeloupe où le secteur agricole est en train de s’organiser sur d’autres productions que les deux piliers que sont la canne et la banane. Historiquement, l’agriculture a été structurée selon des modèles qui ne correspondaient pas à la réalité du territoire. La charrue a très souvent été mise avant les bœufs. En Guadeloupe aussi, nous avons des abattoirs surdimensionnés qui n’ont jamais atteint les volumes de porcs et de volailles abattus pour lesquels ils avaient été conçus. La réflexion lancée aujourd’hui est une opportunité de remettre le système à plat et d’envisager une agriculture véritablement adaptée aux outre-mer.

Autonomie et souveraineté alimentaires sont des notions que nous avons très souvent mises en avant, que la désorganisation de notre agriculture ne permettait pas d’atteindre. Aujourd’hui, les filières s’organisent, tant au niveau de la viande que du végétal : des interprofessions se sont mises en place, l’IGUAVIE pour la viande, l’IGUAFLORE, pour les fruits et légumes. Si des réglages restent à faire, ces organismes fonctionnent bon an mal an. Reste que nous avons aujourd’hui l’opportunité de jeter de nouvelles bases pour une agriculture adaptée à la réalité du pays.

Les échos qui nous sont parvenus des réflexions du commissaire européen Ciolos sur le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI) ont fait naître des réactions aux niveaux national et local. En Guadeloupe, l’inquiétude grandit pour nos deux piliers que sont la banane et la canne. Au fond, c’est grâce à la canne qu’il y a de la diversification sur le territoire guadeloupéen. Le dernier recensement a montré qu’en dix ans, la Guadeloupe a perdu près de mille hectares de terres agricoles par an au profit de l’urbanisation. Pour autant, la production de canne s’est maintenue à 14 000 hectares. C’est dire si elle a le pouvoir de préserver le foncier.

Quelle que soit la production qui remplacera la canne, il faut bien penser qu’on sera très rapidement en surproduction, ce qui conduira à une dérégulation du marché. Selon les derniers rapports, nous avons atteint dans le secteur maraîcher – tomate, laitue, concombre et autres – pratiquement 100 % d’autonomie. On prétend qu’en production porcine nous sommes aussi en autosuffisance. Alors que nous n’en sommes qu’aux prémices de l’organisation, nous arrivons à atteindre aujourd’hui des tonnages assez intéressants. Le souci, pour la Guadeloupe, c’est que si l’on touche trop à la structure du POSEI, on va déstabiliser la production agricole de manière générale. Pour caricaturer, on dit dans le pays que si la canne venait à être affaiblie, c’est l’agriculture qui disparaîtrait. Nous apprécions d’être consultés de manière à alimenter la réflexion dont seront issues les décisions qui se prendront à Bruxelles ou à Paris.

Autres éléments d’importance, les accords signés par l’Europe avec les pays ACP, l’Uruguay et bientôt, peut-être, les États-Unis. Si l’on peut comprendre la stratégie de l’Europe, force est de constater que ces accords ont gravement handicapé nos agricultures outre-mer. Nous produisons, en effet, les mêmes produits que ces pays voisins mais dans des conditions différentes. Notamment, le plan Écophyto, issu du Grenelle de l’environnement, prévoit la disparition, d’ici à 2018, de plus de 50 % des molécules que nous utilisons. S’il est très positif d’aller vers une agriculture propre, les accords contiennent une negative list par laquelle l’Europe s’engage à ne pas livrer dans ces pays des produits qu’eux-mêmes cultivent. Autrement dit, elle s’engage à ne livrer ni igname ni tubercule d’aucune sorte. Par contre, ces pays sont libres de déverser leur production sur le territoire européen, dont la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane constituent des postes avancés. Nous subissons les conséquences de cet accord de manière frontale, sachant que les coûts de production et les conditions de travail ne sont pas les mêmes et que les molécules qui nous sont désormais interdites sont utilisées par nos concurrents. Cette concurrence déloyale dont nous sommes les victimes, de même que La Réunion, il faudrait pouvoir y remédier par des aménagements spécifiques.

Pour finir, et pêle-mêle, nous espérons une politique de formation adéquate, tant il est vrai que les jeunes sont formés à une agriculture métropolitaine, de zone tempérée.

Il faut également travailler sur le foncier. Aujourd’hui, et de façon fort dommageable, on raisonne en termes de foncier agricole mis à disposition dans le cadre de la réforme foncière. La société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) propose, au titre de la réforme foncière, 11 000 hectares quand l’agriculture de la Guadeloupe occupe entre 35 000 et 40 000 hectares. Il faudrait raisonner sur l’agriculture de manière globale, sur tout le territoire.

Selon une étude, une autre source de difficulté d’accès au foncier réside dans la faiblesse des retraites, qui incite les agriculteurs à rester en activité, empêchant les jeunes de s’installer. Or, la Guadeloupe a un potentiel foncier de 10 000 hectares non cultivés mais qui sont bloqués dans des indivisions familiales. Dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, peut-être pourrait-on trouver le moyen de récupérer ce foncier.

M. Pascal Fricker, membre du Groupement régional des agriculteurs de Guyane. Les conditions complexes d’installation font de moi un agriculteur pluriactif, c’est-à-dire que, parallèlement à un emploi salarié, je m’installe progressivement, depuis une demi-douzaine d’années, dans l’élevage bovin et le maraîchage.

Je vais compléter les observations des intervenants précédents en mettant l’accent sur les réalités guyanaises, à commencer par l’installation, qui ne se caractérise pas par la reprise mais par la conquête de terres sur la forêt domaniale de l’État. Cela demande des investissements considérables pour la déforestation et l’aménagement des réseaux, à la charge des agriculteurs et des collectivités. La Guyane est riche en ressources foncières qui ne sont malheureusement pas facilement accessibles. On espère que la loi d’avenir permettra d’allier les besoins en conquêtes foncières et la production d’électricité par la biomasse issue de la déforestation. Les procédés font l’objet, depuis plusieurs années déjà, de réflexions qui mériteraient d’être approfondies et de trouver un aboutissement.

Nous n’avons pas, comme nos collègues, de cultures traditionnellement dédiées à l’exportation. Tous nos efforts sont consacrés à nourrir notre population. En raison de taux de couverture assez faibles – moins de 1 % pour la volaille, par exemple –, l’essentiel des efforts porte sur l’organisation des producteurs en vue de répondre aux besoins du marché local. Notre population croît de 4 % par an et l’économie agricole a de quoi fournir du travail.

Dans cette tâche, l’agriculteur guyanais n’a malheureusement pas accès au crédit bancaire. Même s’il bénéficie d’aides – qui peuvent être significatives – de l’Union européenne ou de l’État, le préfinancement qu’il doit apporter lui-même est souvent un facteur bloquant. Des dispositifs devraient faciliter l’accès au crédit bancaire et au financement des projets agricoles et de développement de nos structures.

Compte tenu de la jeunesse de notre tissu agricole, l’encadrement technique et administratif des agriculteurs, qui ont déjà beaucoup à faire sur le terrain, est fondamental. La formation initiale existe : nous avons un lycée et des maisons familiales rurales (MFR) qui permettent de répondre aux besoins sur un territoire très étendu. En revanche, les besoins importants de formation continue sont difficiles à satisfaire en raison de l’éloignement des exploitations, parfois accessibles seulement par pirogue ou par avion. L’agriculteur pouvant très difficilement venir à la formation, c’est la formation qui devrait aller à lui. Ce volet, s’il était développé dans la loi d’avenir, contribuerait à améliorer les niveaux de production et le taux de couverture du marché, ce qui est l’objectif premier.

Partie intégrante du continent sud-américain, nous avons une carte à jouer avec la coopération. Notamment, les solutions techniques qui existent chez nos voisins mériteraient d’être étudiées et adaptées chez nous. En matière d’élevage, la piste des produits vétérinaires nous intéresse tout particulièrement, dans la mesure où ils sont produits dans ces pays avec les mêmes molécules, à des coûts nettement moindres, et sans la contrainte de dispositions légales qui ne nous permettent pas de les obtenir. En matière de grandes cultures, des projets en recherche-action, lancés depuis 2005, ont servi de cadre à des expériences d’introduction en Guyane de cultures nouvelles, en particulier la culture du maïs et du soja. Nous entretenons également une collaboration étroite avec des instituts techniques régionaux, qu’ils se situent sur le continent ou bien au sein de la Caraïbe. C’est ainsi que nous avons créé récemment, avec les collègues des interprofessions martiniquaises et guadeloupéennes, un institut technique dédié à l’élevage, institut qui doit nous aider à dégager des solutions convenant à nos climats. En fait, tout est dans la recherche de solutions permettant l’adaptation de dispositifs globaux à chacune des facettes de nos agricultures.

Je termine par la réforme annoncée du POSEIDOM. Alors que nous avons commencé à mobiliser les crédits de ce dispositif depuis trois ans à peine, nous avons des inquiétudes sur les moyens qui lui resteront alloués. Contrairement à d’autres agricultures, nous avons encore besoin du couplage à la production parce qu’elle doit croître. Nous avons besoin d’une telle impulsion pour créer des filières dynamiques et les accompagner jusqu’à ce qu’elles puissent se prendre en charge par elles-mêmes, à horizon de dix ou vingt ans.

M. Claude Cellier, secrétaire national de la Confédération paysanne. Les thèmes sur lesquels vous avez demandé notre contribution – l’installation, le foncier, l’enseignement – sont, pour la Confédération paysanne, des sujets qui engagent l’avenir : la façon dont nous les traiterons sera significative de l’agriculture que nous voulons pour demain.

L’orientation vers plus d’autonomie de l’économie des DOM rejoint la notion que nous défendons, au niveau global, de la souveraineté alimentaire, qui se décline aussi bien au niveau de la France, que de l’Europe ou de la planète. Il faut donc favoriser les marchés locaux.

La production de canne et de banane sont bien des locomotives de développement pour les Antilles et La Réunion, mais, contrairement à ce que disait M. Ferey, elles sont tout à fait délocalisables sur une partie du continent américain ou en Afrique. Ces deux productions ne doivent pas être gérées de la même façon. Si toutes deux sont porteuses d’emplois, de développement et de richesses, et spécialement pour les DOM, l’une le doit à l’encadrement du marché par l’OCM sucre, qui bénéficie directement aux fermes, alors que l’autre le doit principalement à des fonds publics européens, fonds destinés à apporter une aide à tous les acteurs de la filière. Par ailleurs, pour être le représentant, en tant que betteravier, de la Confédération paysanne à FranceAgriMer, je connais un peu la problématique du sucre. La politique d’accompagnement de l’OCM sucre devra veiller à ce que le travail à façon effectué, depuis quelques années, en métropole, avec de la betterave, pour remplir les quotas non produits dans les DOM, ne devienne trop systématique. Je pense en effet que ces pratiques pourraient avoir des effets pervers.

M. Ferey a présenté La Réunion comme un modèle économique. Je me permets ce petit coup de griffe que la chambre d’agriculture y est gérée par un syndicat affilié à la Confédération paysanne, qui n’est pas beaucoup aidé par l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), mais qui a, malgré tout, une bonne connaissance de tous les secteurs économiques.

Nous serons très attentifs à l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. Il serait incompréhensible qu’un simple accord puisse anéantir les efforts consentis en matière d’environnement, de qualité des produits ou de structuration des filières, par le Gouvernement ou par l’Europe à travers la PAC.

M. Sébastien Bellemene, président de Jeunes agriculteurs outre-mer. Pour notre part, pour être de plain-pied dans l’installation, nous avons des revendications plus techniques, car nous voyons les problèmes au cas par cas.

M. Claude Cellier. Voulez-vous dire que ce n’est pas notre cas ?

Mme Chantal Berthelot, présidente. Monsieur Bellemene fait sans doute référence aux assises régionales de l’installation qui ont apporté de la matière à une réflexion dans laquelle il se sent particulièrement impliqué en tant que jeune agriculteur.

M. Sébastien Bellemene. Excepté sur l’île de La Réunion dont je suis originaire, nous constatons que les jeunes ne bénéficient pas suffisamment des prêts à moyen terme spéciaux jeune agriculteur (MTS-JA). En Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, ils n’ont pas non plus accès, à l’heure actuelle, aux autres prêts bonifiés, en l’absence de cautions et de garanties financières – ce que nous avons à La Réunion. Les établissements bancaires ne s’intéressent pas aux projets d’installation en agriculture. En son temps, M. Michel Barnier avait essayé de convaincre les banques de faciliter les prêts MTS-JA, mais cela ne fonctionne pas bien aujourd’hui. Nous proposons que le socle financier de la dotation jeunes agriculteurs (DJA) et des prêts bonifiés MTS-JA soit assez important pour accompagner tous les porteurs de projet éligibles dans leur installation. Compte tenu de l’inflation, le montant de la DJA, inchangé depuis sa création, devrait également être revalorisé.

Nous demandons en outre la création d’un fonds de cautionnement géré par l’État, qui permettrait aux jeunes d’emprunter un peu plus aux banques. Selon Jeunes agriculteurs outre-mer, l’État a sa part de responsabilité dans la non-application de la politique agricole puisque les porteurs de projet ultramarins font l’objet d’un traitement non équitable par rapport à ceux de l’hexagone. Les banques ne prêtent quasiment pas dans les trois départements mentionnés plus haut, ou alors à des taux exorbitants ne permettant pas aux jeunes de s’installer.

Nous voudrions également introduire la possibilité d’acheter du matériel d’occasion, qui n’existe pas actuellement. Un tel matériel se trouve en quantité en métropole, ce qui n’est pas le cas outre-mer.

Par ailleurs, nous souhaitons que les collectivités fournissent un accompagnement financier aux plus de quarante ans, à la condition toutefois que le point info installation (PII) ait donné un avis favorable, et que le plan de professionnalisation personnalisé (PPP) et le plan de développement de l’exploitation (PDE) aient été réalisés. Nous estimons que les plus de quarante ans également ont besoin d’un suivi – un suivi aussi important et rigoureux que celui des jeunes agriculteurs – mais sous tutelle des collectivités.

La mise en place d’un répertoire des aides permettrait au PII d’être un peu plus performant et aux jeunes d’y trouver des renseignements sur toutes les aides dont ils peuvent bénéficier. Actuellement, en l’absence de telles informations au point dédié, les jeunes sont contraints d’aller se renseigner à droite et à gauche.

M. Pascal Ferey. Il appartiendrait à la chambre d’agriculture de La Réunion de le tenir.

M. Sébastien Bellemene. Nous préférerions qu’il reste sous la tutelle de l’Agence de services et de paiement (ASP) ou, à tout le moins, que la gestion en revienne à un établissement neutre qui prendrait des décisions impartiales.

M. Claude Cellier. Nous tenons le même discours sur 99 % des départements !

M. François Lucas. C’est un point de débat très intéressant dont il faut parler.

M. Pascal Ferey. À titre de président de chambre d’agriculture, je me sens autorisé à intervenir. En métropole, l’État a délégué aux chambres d’agriculture toutes les missions d’installation. Celles-ci se font donc au nom de l’établissement public, mais sans le budget correspondant. Aujourd’hui, ce sont les chambres d’agriculture et l’impôt foncier des compatriotes qui servent à accompagner tous les souhaits d’installation, l’information étant rassemblée au sein d’un guichet unique qui est le PII. Je conseillerais aux départements d’outre-mer d’essayer de garder ce particularisme, s’ils le peuvent, qui consiste à laisser à l’ASP l’ensemble des moyens humains nécessaires à l’information et à l’encadrement pour l’installation des jeunes agriculteurs. Dans mon département, rien que sur le point info, je consacre un budget de 200 000 euros par an. Encore l’ai-je bloqué, parce qu’il devenait exponentiel avec les normes de suivi prévues par la circulaire du mois de décembre 2012.

Sur un sujet aussi fondamental que l’agriculture des départements d’outre-mer, je ne répondrai pas au coup de griffe de tout à l’heure : que la chambre d’agriculture de La Réunion soit gérée par une autre majorité ne me perturbe pas. Les agriculteurs ont fait un choix, qu’on le regrette ou pas n’est pas le sujet. Ce qui me navre, c’est que le développement agricole et l’installation des jeunes agriculteurs soient plus particulièrement portés par la Fédération régionale des coopératives agricoles.

J’ai eu la naïveté de penser qu’il n’y aurait qu’un seul intervenant par structure. Je m’aperçois qu’il y en a trois, sauf pour la FNSEA. Je m’autoriserai un peu plus de temps de parole selon les réponses que j’aurai à donner.

M. François Lucas, vice-président de la Coordination rurale. Il est difficile de revendiquer l’installation de tel ou tel effectif d’agriculteurs. L’assistance des agriculteurs n’est pas seulement le fait de la science ou des structures. Outre-mer, l’ASP est sans doute la structure la plus apte à gérer la question de l’installation, plus que les chambres d’agriculture qui sont souvent démunies de moyens.

M. Alex Bandou. Je suis d’accord pour qu’une structure telle que l’ASP puisse porter le travail d’aide à l’installation des jeunes agriculteurs. Pour autant, nous souhaiterions ne pas limiter ce travail aux seuls jeunes agriculteurs, compte tenu du nombre de personnes ayant plus de quarante ans qui cherchent à s’installer aujourd’hui. Afin de ne pas créer d’inégalités, ces exploitants de plus de quarante ans doivent aussi bénéficier du dispositif.

S’agissant de l’acquisition de matériel d’occasion, on assiste aujourd’hui à une dérive de la défiscalisation en Guadeloupe. Nous avons établi que le seuil de rentabilité d’une récolteuse de canne est de 16 000 tonnes. Or, nous avons sur le territoire cinquante-cinq récolteuses pour 600 000 tonnes de cannes. Nous sommes donc suréquipés, mais cela ne signifie pas que ce soit la même chose ailleurs.

M. Cédric Coutellier, administrateur de Jeunes agriculteurs outre-mer et de Jeunes agriculteurs Guadeloupe. Quelle que soit l’organisation gestionnaire pour l’installation des agriculteurs, nous nous sommes inquiétés du transfert de mission à la chambre d’agriculture, non pas tant à cause des questions de neutralité, mais surtout à cause du manque de moyens, sachant que, de toute façon, pour ce qui a trait à la neutralité, l’ASP serait la mieux à même de respecter ce devoir.

Nous sommes d’accord pour aider les personnes à s’installer au-delà de quarante ans, mais il ne faut pas que cela devienne une habitude. Si les agriculteurs s’installent tard, c’est parce qu’il y a des problèmes préalables. Mieux vaut travailler sur ces problèmes plutôt que de favoriser les installations tardives qui ont pour conséquence des durées de vie d’exploitation relativement courtes – moyennant quoi il faut arriver à prouver qu’on peut rembourser des emprunts contractés à partir de quarante ans. Nous regrettons sincèrement que la moyenne d’âge pour l’installation outre-mer soit de trente-neuf ans et demi. En exagérant à peine, à la commission départementale d’orientation agricole (CDOA), on joue parfois contre la montre, car c’est tout juste si l’anniversaire de la personne n’est pas le lendemain du jour de l’examen de son dossier. À quelques heures près, les droits n’auraient pas été les mêmes.

M. Sébastien Bellemene. Une autre de nos demandes porte sur la mise en place d’un comité régional d’installation (CRI) qui se chargerait des politiques régionales, ainsi que sur celle d’une instance de concertation et d’échanges entre les régions, les partenaires sociaux, l’État et, éventuellement, les jeunes agriculteurs, cette instance étant valable uniquement pour les territoires outre-mer.

Nous souhaitons également la mise en place d’un dispositif de gestion des risques et d’indemnisation des aléas climatiques. L’année dernière, La Réunion a subi une forte sécheresse, suivie, au début de l’année, par deux cyclones. Or, il faut un an pour que le conseiller de la direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF) vienne expertiser les pertes sur les exploitations, et le cumul des pertes en cas d’aléas climatiques successifs n’est pas pris en compte. Ce cumul des aléas climatiques est un vrai souci et il faudrait pouvoir y remédier.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Quels seraient l’objet et la composition du CRI ?

M. Sébastien Bellemene. Il déterminerait les orientations politiques au niveau régional. Aujourd’hui, la CDOA concentre un peu tous les types d’actions. Nous voudrions qu’elle conserve ses fonctions les plus techniques, mais qu’elle laisse les orientations politiques au CRI. L’autre instance serait plutôt un lieu d’échanges entre les territoires d’outre-mer, où les uns et les autres pourraient mutualiser leurs expériences.

Il faudrait également abonder l’enveloppe PIDIL (programme pour l’installation des jeunes en agriculture et le développement des initiatives locales) – ce qui permettrait notamment de réaliser une meilleure communication auprès des agriculteurs. À l’heure actuelle, cette enveloppe est exclusivement consommée par l’ASP. Les projets des jeunes agriculteurs sont examinés simplement au regard de l’enveloppe et non de la pertinence des actions proposées.

Dans le cadre du renforcement du point info installation – qui sera appelé désormais point accueil installation – les 500 euros consacrés au suivi pré-installation et post-installation devront être conservés. Cette somme peut aider à l’organisation de réunions d’échanges.

Très importante aussi serait l’harmonisation, entre nos départements, des productions référencées à l’AMEXA (assurance maladie des exploitants agricoles) afin de disposer d’une base commune. Par exemple, à la Martinique, la filière caprine n’existe pas. Pour pouvoir élever des cabris, il faut faire de la canne-banane. À La Réunion, c’est la production équine qui n’est pas reconnue, de même que l’escargot et beaucoup d’autres petites filières qui demandent à être homologuées comme productions à part entière. Ce qui existe dans l’hexagone doit pouvoir être adapté outre-mer.

Mme Ericka Bareigts. Pourquoi cela ? On a estimé que ces filières ne pouvaient pas se développer sur ces territoires ?

M. Sébastien Bellemene. C’est la question que nous posons à l’État.

M. Pascal Ferey. C’est un vieux débat qui perdure, tout simplement parce qu’on n’a pas refait les modèles. Le ministère avait la hantise que quelques têtes de bétail, quelles qu’elles soient, puissent donner le statut d’agriculteur, mais sans permettre d’en vivre. Dans le cadre de la loi d’avenir, sur ce sujet particulier des petites productions, il faudra déterminer les conditions minimales pour avoir le statut d’agriculteur, sans qu’elles soient exclusives. C’est là un vrai sujet de fond qu’il faudra régler une fois pour toutes ; sinon, tel que c’est parti, dans dix ans, il n’y aura plus de production de cabris dans les départements d’outre-mer ! Il faut vraiment se servir de cette loi pour corriger cette inégalité vis-à-vis de la métropole.

M. Sébastien Bellemene. L’essentiel est que le maraîchage, l’élevage, l’arboriculture soient considérés comme des productions à part entière. Il ne faut plus devoir faire impérativement de la banane-canne pour pouvoir faire le reste.

M. Cédric Coutellier. Nous ne nous attendons pas à obtenir des solutions législatives immédiates aux sujets que nous abordons. Nous vous les soumettons pour que vous puissiez y réfléchir.

Comme je me retrouve assez dans tout ce qui a été dit, je m’appuierai sur mon cas personnel pour aborder la pluriactivité subie. Subie, oui, car elle ne relève pas de ma volonté : la difficulté d’accès au foncier m’a obligé à avoir une activité par ailleurs, et ma durée d’installation s’en est trouvée rallongée. Nous sommes plusieurs dans ce cas, à nous interroger sur le bon moment pour demander la DJA. Pour ma part, je préfère attendre de voir le nouveau dispositif, mais cela retarde encore l’installation. Quoi qu’il en soit, je ne veux pas entendre, comme a pu le suggérer un rapport rendu par l’ASP, que les pluriactifs s’en sortent mieux que les autres. Nous ne sommes pas d’accord pour promouvoir l’agriculture à mi-temps qui permettrait de mieux s’en sortir, et pour inciter tous les agriculteurs à être pluriactifs : la pluriactivité, on la subit.

L’installation pâtit également des carences de la SAFER qui, n’ayant plus de sources de financement, ne fait pas son travail de préemption. Aujourd’hui, dans les opérations d’installation, il faut un apport considérable et immédiat pour acquérir des terres de la SAFER, d’où une discrimination financière forte.

L’installation est plus affaire de création que de transmission, parce que les anciens ne veulent pas partir à la retraite : la pension est si ridicule qu’ils préfèrent garder le foncier pour continuer à produire. Cette faiblesse des transmissions est une autre cause de retard à l’installation.

N’ayant pas pu acquérir de foncier de la SAFER, j’ai dû me rabattre sur la location de concessions de l’Office national des forêts (ONF) pour faire de l’agroforesterie. De ce fait, je me retrouve en phase avec une des orientations importantes de la loi d’avenir consacrée à la forêt et à l’agro-écologie, et cela ne se passe pas si mal que cela. En tout cas, pour nombre de jeunes, il a été beaucoup plus simple de s’installer dans ces conditions. Sans l’avoir cherché, nous nous sommes retrouvés dans la mouvance actuelle. Tant mieux ! Notre but est de nous installer : agroforesterie, agro-écologie ou autre, tous les moyens sont bons pour promouvoir le métier d’agriculteur. De surcroît, nous nous inscrivons tout à fait dans le plan Écophyto-DOM puisque le cahier des charges de l’ONF est encore plus restrictif que le cahier des charges « bio ». Faire labelliser des parcelles peut apporter de la valeur ajoutée à la production, ce qui est intéressant quand, comme moi, on exploite de petites surfaces.

M. François Lucas. Merci de nous permettre, en amont de la réflexion sur la loi d’avenir pour l’agriculture, d’évoquer de façon approfondie la question des DOM. En général, elle est plutôt traitée en accessoire.

Si cette loi d’avenir recèle beaucoup de bonnes intentions, on ne pourra pas se contenter de quelques réglages pour adapter les dispositifs aux outre-mer. Si tel était le cas, la loi d’avenir pour l’agriculture des DOM resterait à faire. La première des choses est de changer de logique, d’avoir la volonté de développer l’agriculture des départements d’outre-mer pour créer des emplois, de la richesse et pour aller vers l’autosuffisance. Jusqu’à présent, on partait du postulat qu’en fournissant au consommateur, y compris des DOM, l’alimentation la moins chère possible, payée au moindre coût au producteur, on libérerait du pouvoir d’achat pour d’autres biens – importés bien sûr ! Pour peu qu’on change de paradigme, on pourra trouver dans la loi d’avenir les moyens de protéger les marchés locaux des importations qui découragent les productions locales, tout autant que ceux qui permettront de baisser les prix demandés aux agriculteurs pour acquérir du matériel agricole. Il faut en finir avec les rigidités qui empêchent les exploitants de développer leurs productions.

M. Juvénal Rémir. La situation de l’agriculture martiniquaise est très contrastée. D’abord, le foncier agricole est sous-utilisé. Pour des raisons aussi diverses que des héritages ou des indivisions non réglés, 13 000 hectares de friche ont été récupérés par l’État et l’ONF qui, en les classant en zones boisées, les ont soustraits du potentiel agricole. Aucune des démarches entreprises, tant par les syndicats agricoles que par la chambre d’agriculture, pour obtenir une analyse sérieuse de cette situation et un plan d’action de retour à l’agriculture de ces surfaces n’a abouti positivement.

Alors que de plus en plus de terres sont classées inconstructibles, se poursuit le développement d’un habitat diffus, construit anarchiquement en dehors de tout plan d’urbanisme et très souvent sans permis de construire. C’est ainsi qu’est advenu le mitage complet des terres agricoles avec la complicité de nombreux élus – de manière incidente, je regrette d’ailleurs qu’aucun député de la Martinique ne soit présent aujourd’hui. Hormis la SAFER, à laquelle l’État et les collectivités ne donnent pas les moyens financiers de jouer son rôle de garde-fou, il n’y a pas de structure dédiée à la gestion du patrimoine agricole.

Depuis deux ou trois ans, à défaut d’herbicide efficace, la canne, le rhum et le sucre souffrent de fortes chutes de rendement agricole. La production de canne est passée de 175 000 tonnes en 2012 à 165 000 tonnes en 2013, le rendement tombant à moins de 60 tonnes à l’hectare. Si de nouveaux herbicides sont en cours d’homologation, leur efficacité est toutefois connue pour être médiocre. Cette situation extrêmement préoccupante est révélatrice de l’insuffisante prise en compte par le Gouvernement et l’exécutif de nos régions de la spécificité d’un climat tropical humide qui interdit toute vision angélique d’une agriculture sans pesticide. La référence permanente à la production bio n’est pas une option réaliste en climat tropical, ni pour la culture de la canne ni pour toute autre culture.

L’insuffisante évolution du prix de la tonne de canne a eu des conséquences directes sur le revenu des planteurs qui ne n’en sortent plus. Elle est à l’origine de la disparition de nombre de petits exploitants et d’un désintérêt de plus en plus marqué pour la culture de la canne, conduisant à une raréfaction préoccupante du produit. Plusieurs distilleries manquent déjà cruellement de canne, tandis que l’usine à sucre du Galion a traité moins de 50 000 tonnes pour la saison 2013. Quant au rhum, Bruxelles l’expose actuellement à de graves difficultés en remettant en cause son système de protection fiscale, pourtant essentiel face à la concurrence. Le sucre se résume à la production de l’usine du Galion, que la forte diminution de la production de canne a transformée en gouffre financier. Une politique plus attentive à l’avenir de la filière canne devrait déterminer si cette unité de production doit être maintenue ou encore s’il faut privilégier une meilleure alimentation des distilleries.

S’agissant du maraîchage et de la culture vivrière, les chiffres pour la Martinique sont assez fantaisistes. Selon un récent document d’évaluation du POSEI, la consommation est de 80 000 tonnes tous fruits et légumes confondus, et l’importation de 59 000 tonnes. De leur côté, les douanes estiment l’importation en Martinique à 24 000 tonnes. Retenons néanmoins les chiffres d’évaluation du POSEI qui concordent avec ceux de la consommation globale de la Guadeloupe, elle aussi de 80 000 tonnes, et qui permettent de penser que la production locale en Martinique serait de 21 000 à 30 000 tonnes, certains produits comme le ti-nain ayant du mal à être quantifiés, et de 50 000 tonnes en Guadeloupe.

Il existe bien en Martinique une marge de développement, même si la consommation reste conditionnée par les habitudes des habitants, plus tournés vers les produits européens. Quoi qu’il en soit, la stagnation de ces produits est directement liée à l’absence d’une politique claire de la part des pouvoirs publics.

Au cours des cinq dernières années, plus de 250 millions d’euros ont été mis à la disposition de la diversification des cultures outre-mer. Pourtant personne, et surtout pas les chambres d’agriculture, n’a jamais pris la peine de mettre en évidence ce montant faramineux. L’enveloppe du Conseil interministériel de l’outre-mer (CIOM), mise en place en 2010 pour les années 2010 à 2013, s’élevait à elle seule à 155 millions d’euros, mais pour quels résultats, en termes d’emplois et de volumes produits ?

Pourtant ces importants soutiens financiers ont donné des résultats très positifs dans l’agriculture réunionnaise, ce qui nous amène à nous interroger sur la situation dans les Antilles, et particulièrement en Martinique. La réponse est que ni l’État, ni les collectivités publiques n’ont clairement défini de règles obligeant les producteurs qui souhaitent bénéficier de fonds publics à adhérer à des organisations compétentes et structurées et à respecter un cahier des charges, celui-ci comportant des obligations en matière d’utilisation des produits phytosanitaires, de traçabilité alimentaire, de commercialisation et de mise sur le marché de la production.

En Martinique, nous avons un certain nombre d’organisations de producteurs dont la coopérative SOCOPMA, mais celle-ci, jusqu’à une date récente, pratiquait une gestion peu scrupuleuse, au profit de quelques-uns, sous l’œil impuissant sinon complice des autorités régionales et nationales. La situation des producteurs a conduit les chambres d’agriculture à proposer un assouplissement des conditions d’accès au POSEI à ceux qui ne sont membres d’aucune organisation.

L’importation de produits vivriers et maraîchers provenant des pays de la zone Caraïbe ne fait l’objet d’aucun contrôle phytosanitaire et d’aucune exigence de traçabilité alimentaire, alors même que le laxisme de ces pays est notoirement connu. La pollution par le chlordécone a diminué de 15 à 20 % la surface des terres exploitables, pourtant aucune réflexion n’a été engagée sur la possibilité d’y développer d’autres activités qui n’auraient pas à craindre la contamination.

La filière animale a connu, au cours des dernières années, une évolution très positive liée à la création de MADIVIAL. Cette union des coopératives d’élevage, qui regroupe l’ensemble des organisations de producteurs de viandes de Martinique, organise et contrôle l’abattage et la transformation des produits sur l’île et elle est un interlocuteur crédible de la grande distribution. En 2012, nous avons produit 2 000 tonnes de volailles, 500 tonnes de porc et 400 tonnes de bovin, ce qui représente une augmentation de 15 % par rapport à 2011. Cette réussite a été obtenue en mettant un peu de discipline et d’organisation dans le fonctionnement de la filière, de la production à la mise sur le marché.

Mais beaucoup reste à faire. Les produits congelés représentent une grande part des 22 000 tonnes de produits consommés à la Martinique, et la production locale ne peut rien contre la concurrence de ces produits importés.

Le point faible de la filière réside incontestablement dans les difficultés liées à l’alimentation animale, mais ce problème est difficile à résoudre car l’étroitesse du marché ne laisse pas de place à un deuxième provendier. Il est clair que l’unique provendier de l’île, Martinique nutrition animale (MNA), ne prend pas ses responsabilités en matière de développement des filières d’élevage. La qualité des produits et leur prix entraînent de vives confrontations entre MNA et les éleveurs. La solution serait de conditionner les aides versées à MNA et aux éleveurs au respect de modes de fonctionnement prenant en compte les besoins des élevages et les contraintes du provendier. Il y a trois ans, un protocole d’accord a été signé mais il n’a jamais été mis en œuvre, l’administration n’ayant pas usé de sa légitime autorité pour le faire appliquer.

Le préfinancement des aides directes POSEI constitue l’une des difficultés majeures pour les filières de diversification car les aides qu’elles pourraient percevoir sont liées au volume de la production et non à l’adhésion des producteurs à une organisation professionnelle. Il est donc impossible pour ces filières de connaître au préalable le montant des aides qui leur seront attribuées, tandis que les producteurs de la filière banane perçoivent des aides basées sur des références historiques, ce qui leur permet d’établir un dossier de préfinancement en cours d’année. Cette impossibilité de préfinancer les aides POSEI conduit les producteurs à limiter leurs investissements et leurs achats d’intrants, ce qui est préjudiciable à la régularité et à la qualité de leur production.

J’en viens à l’activité recherche et développement. Depuis longtemps les relations entre les agriculteurs et les organismes de recherche – le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’Institut de recherche pour l’ingénierie de l’agriculture et de l’environnement (CEMAGREF) – n’étaient pas satisfaisantes du fait d’un manque de coordination entre la recherche et les besoins du monde agricole. La création, en 2010, de l’Institut technique tropical (IT2), dirigé par les producteurs des filières végétales de la Guadeloupe et de la Martinique, a permis à la recherche de satisfaire les besoins réels, à court et moyen terme, du monde agricole.

Je regrette que l’Office de développement de l’économie agricole (Odeadom) n’ait pas de représentant efficace à la Martinique et que le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) manque d’une vision globale lorsqu’il procède à l’attribution de ses aides. En effet, toutes les filières et les organisations professionnelles déposent leurs propres demandes de subvention sans tenir compte des priorités et de l’intérêt général. De ce fait, certaines enveloppes sont indisponibles pour des projets prioritaires et des sommes importantes sont dépensées de façon inefficace alors que, bien utilisées, elles auraient pu servir efficacement la filière. Ce devrait être à l’administration, qui seule a une vision globale du développement agricole, d’arbitrer toutes ces demandes, pourtant elle reste en retrait.

La filière banane est un bon exemple d’organisation et d’efficacité, tant en termes de production que de mise sur le marché, et ce résultat est reconnu dans le monde entier. Le plan « banane durable » a permis à la production de Guadeloupe et de Martinique d’atteindre la première place mondiale eu égard à la maîtrise de l’environnement et à l’utilisation raisonnée de pesticides.

Pourtant une menace pèse sur cette production, actuellement contaminée par la cercosporiose, maladie qui exige un traitement par voie aérienne. Fortement combattu par différentes associations écologistes – qui bénéficient de la clémence des instances judiciaires – le traitement aérien est sérieusement remis en cause, mais son arrêt menacerait directement la production bananière, mettant en péril 10 000 à 15 000 emplois directs et indirects, soit 75 % des emplois salariés permanents dans l’agriculture antillaise. Les efforts de recherche et développement en agriculture tropicale étant essentiellement soutenus par la filière banane, c’est à une menace globale de démembrement de notre agriculture que nous pourrions être confrontés à court terme.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Il ressort de vos propos, Messieurs, que les problèmes sont essentiellement liés à la structuration des filières et à la mise à disposition du foncier pour l’agriculture. Que nous proposez-vous, concrètement, pour y remédier ? Comment, selon vous, la France peut-elle s’approprier l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ? Que pensez-vous de la proposition de notre collègue, M. Serge Letchimy, qui, dans un rapport récent rendu au Premier ministre, propose la prise en compte de la notion de territoire ultrapériphérique dans l’établissement des normes ?

M. Pascal Ferey. Le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové de Mme la ministre de l’Égalité des territoires et du logement devra comporter un codicille dédié aux départements d’outre-mer. Il existe un outil qui fonctionne très bien en métropole et pourrait fort bien être utilisé dans les départements d’outre-mer, à l’exception naturellement de Mayotte. Il s’agit de la commission départementale de consommation des espaces agricoles (CDCEA) qui donne au préfet son avis sur tous les documents d’urbanisme que lui soumettent les collectivités territoriales. En métropole, un certain nombre de schémas de cohérence territoriale (SCOT) et de plans locaux d’urbanisme (PLU) ont été rejetés par le préfet après avis négatif de la CDCEA. Nous avons appris avec plaisir que Mme Duflot entend redonner toute sa place à cette commission.

M. Alex Bandou. Je précise que si elle n’a qu’un rôle consultatif en métropole, dans les départements d’outre-mer elle intervient dans la délibération. Je regrette simplement qu’elle ne compte pas parmi ses membres de représentants de syndicats agricoles.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Le ministère est très conscient de ce problème et fera des propositions pour améliorer le dispositif.

M. Pascal Ferey. La gestion de l’eau d’irrigation est une question fondamentale pour l’agriculture vivrière dans tous les départements d’outre-mer et elle nécessite une réponse financière. Je suggère que nous présentions un dossier structurant en vue d’obtenir des aides du POSEI, étant entendu que nous ne pouvons pas continuer à injecter dans l’économie des départements d’outre-mer des sommes conséquentes sans nous assurer de leur efficacité.

Je regarde avec beaucoup d’envie l’organisation mise en place à La Réunion. Mais les Réunionnais n’ont jamais mis la charrue avant les bœufs : avant de créer un abattoir ou d’ouvrir un atelier de conditionnement pour les fruits et légumes, ils s’assurent que ces installations correspondent à la production locale. Pour cela, ils ont structuré les filières et obligé tous les producteurs à adhérer à une organisation professionnelle. Dans les autres départements d’outre-mer, malheureusement, nous créons des structures qui mettent les producteurs en concurrence face au supermarché du chef-lieu de canton. Nous devons mettre fin à ce système.

Les producteurs des filières animales et horticoles ne peuvent continuer à construire des bâtiments qui s’effondrent à chaque tempête. Leurs investissements doivent comporter un volet stratégique dédié à la construction.

L’obligation pour les producteurs d’adhérer à une organisation professionnelle doit être accompagnée d’importants efforts financiers. Je rappelle que si les agriculteurs ont des droits, ils ont aussi des devoirs vis-à-vis de la collectivité qui met à leur disposition des sommes conséquentes.

L’économie domienne doit affronter le danger rampant que représente le mitage urbain du milieu rural – par des constructions qui n’ont pas toutes reçu l’autorisation administrative. Promouvoir le développement du photovoltaïque est une bonne chose, mais prenons garde à ne pas le mettre en concurrence avec la production alimentaire. C’est un point important que je rappellerai lors de la Conférence environnementale qui se tiendra les 20 et 21 septembre en présence du nouveau ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie.

Le salariat est un élément fondamental de notre économie. C’est pourquoi nous devons poursuivre nos efforts en faveur de la formation des hommes aux métiers de l’agriculture, en particulier le maraîchage et la diversification qui créent de nombreux emplois. Nous devons également améliorer l’enseignement initial – lycées agricoles, maisons familiales rurales – et développer les formations dispensées dans les centres de formation professionnelle et de promotion agricole pour adultes (CFPPA) ou financées par le fonds d’assurance formation des chefs d’entreprises artisanales (FAFCEA).

M. Alex Bandou. Le dernier recensement réalisé en Guadeloupe et en Martinique montre que 70 % des exploitations ne dépassent pas 5 hectares. Il est difficile, dans un tel schéma, de raisonner ou de rationnaliser l’agriculture comme on peut le faire sur un territoire grand comme la France hexagonale.

La notion de filière, dans le cadre de la monoculture, pose de sérieux problèmes en Guadeloupe et en Martinique. Ceux qui cultivent de la canne ont de la chance car elle constitue un fonds intéressant pour la rotation des cultures et elle permet d’obtenir des crédits de la part des banques, qui sont très frileuses lorsqu’il s’agit de financer des projets agricoles basés sur la diversification. Souvent, les personnes qui s’installent se retrouvent avec un lopin de terre dépourvu de système d’irrigation et de voierie, ce qui les pousse, malheureusement, à s’orienter vers la facilité, à savoir la monoculture locale.

Le système de production s’oriente actuellement vers la polyculture et l’élevage, ce qui permet à l’agriculteur de cumuler différents revenus. Le cadre qui nous est proposé se situe dans une logique de filière, mais plutôt que de procéder à des adaptations, il faudrait raisonner ou organiser véritablement l’agriculture en accord avec la réalité des territoires.

En Guadeloupe, des structures se mettent en place en polyculture et élevage, et l’INRA s’intéresse enfin à ce concept. C’est également ce que fait l’éducation nationale puisque le lycée agricole propose maintenant des enseignements de la part d’intervenants qui ont étudié les systèmes de production. Mais nous devons prendre garde à ne pas créer une politique d’exclusion. En Guadeloupe, un agriculteur doit posséder une quarantaine de truies-mères pour être considéré comme un éleveur de porc. Auparavant, beaucoup d’agriculteurs possédaient 5 ou 6 porcs, mais ils ont disparu car nous les avons exclus de tous les dispositifs. Une agriculture raisonnée doit correspondre à la réalité du territoire, d’ailleurs une petite exploitation, dès lors qu’elle est performante, peut parfaitement créer de la richesse et de la valeur ajoutée.

M. Pascal Fricker. La structuration des filières a permis à l’économie agricole réunionnaise de prendre pied et de devenir tout à fait performante. En Guyane, nos besoins d’organisation sont immenses. Nous n’avons, par exemple, qu’un seul technicien-conseil pour le suivi de la production de viande de toute la région.

Le maître mot, pour nous, est de produire pour nourrir nos populations, mais pour augmenter notre production il faut que nous soyons accompagnés et formés. Accompagnés et formés, parce que, face à toutes nos contraintes, notamment le coût des intrants, nous ne gagnerons en compétitivité et en efficacité qu’en améliorant nos techniques. Concrètement, nous souhaitons que l’encadrement des producteurs dans les filières végétales et animales soit totalement financé, et de façon pérenne, sur une période de 10 à 20 ans. L’agriculture en Guyane piétine depuis 25 ans parce que l’accompagnement du développement agricole manque de visibilité et de continuité et que notre production ne génère pas suffisamment de richesse pour nous permettre de nous autofinancer.

M. Cédric Coutellier. Lors du congrès des Jeunes Agriculteurs, qui s’est tenu en juin, nous avons insisté sur l’intérêt pour les jeunes d’intégrer les coopératives, mais il leur arrive parfois d’être considérés comme des stagiaires à qui l’on demande de faire leurs preuves, ce qui ne les incite pas à entrer dans ces structures. En outre, une petite exploitation dégage souvent plus de valeur ajoutée en choisissant la vente directe. Personnellement, je produis de la vanille. Ce produit bénéficiant très peu des aides du POSEI, je gagne plus en transformant la vanille sur mon exploitation, hors cadre coopératif.

M. Juvénal Rémir. Nous créons trop de structures agricoles qui ne profitent pas assez aux agriculteurs. En Martinique, où il n’existe pas de véritable politique de développement agricole, nous avons deux coopératives de porcs et trois coopératives maraîchères. Je m’interroge sur l’opportunité des plans de développement de l’agriculture.

En ce qui concerne l’eau d’irrigation, beaucoup d’associations syndicales autorisées (ASA) ont été créées en Martinique, mais les grands réservoirs se trouvent sur les exploitations privées et les petites exploitations n’en profitent pas. L’eau fait l’objet d’un gaspillage incessant, qui pourrait être réduit grâce à la création de retenues collinaires. De nombreux terrains sont très pentus. Pour réduire la pénibilité du travail, il suffit de créer des terrasses, comme je l’ai fait sur mon exploitation.

S’agissant du foncier, l’arrivée de la société Chiquita en Martinique a entraîné le déboisement de nombreuses exploitations. Après son départ, les arbres ont repoussé et les terres boisées ont été récupérées par l’ONF. Ne pourrait-on mettre ces exploitations à la disposition des jeunes agriculteurs et leur permettre de les défricher ?

Enfin, s’agissant du photovoltaïque, il faut mettre fin aux installations anarchiques de panneaux photovoltaïques sur des terres rentables, comme cela s’est produit à Sainte-Marie et à Grand-Rivière, et les installer dans des bâtiments.

On demande aux jeunes agriculteurs qui s’installent des factures acquittées, mais ils n’en ont pas, faute de moyens. Par ailleurs, il ne suffit pas d’accorder des aides aux agriculteurs. Il faut les accompagner et vérifier ce qu’ils font de ces aides. Je connais des jeunes qui ont reçu une dotation pour financer l’achat d’un véhicule utilitaire bâché, mais à la place ils ont acheté une Toyota 5 places ! La Direction de l’agriculture doit regarder de plus près comment sont utilisées les aides, en particulier celles versées aux maraîchers.

Mme Monique Orphe. L’accès au foncier est un vrai souci dans nos territoires, notamment à La Réunion puisque seuls 20 % des terres de l’île sont exploitables. Pour vous, les Jeunes Agriculteurs, la création du Parc national est-elle un frein à l’installation des jeunes ? Que pensez-vous de la politique menée par l’État en matière d’énergie photovoltaïque ? L’installation de panneaux sur les terres agricoles vous satisfait-elle, sachant que les agriculteurs font ce choix pour des raisons de rentabilité ? Ne faudrait-il pas prendre des mesures susceptibles de les inciter à exploiter leurs terres ?

Les problématiques du foncier sont-elles liées au manque de vision globale d’aménagement du territoire des responsables politiques et de la DAAF ?

Qui, depuis la loi de décentralisation, est le chef de file en matière d’agriculture, le département ou la région ? Il semble que ce soit le département. Pourtant, c’est bien la région qui élabore le schéma d’aménagement régional (SAR) et ce schéma contient un certain nombre de mesures ayant un impact sur l’agriculture, comme le reclassement de terrains agricoles en espaces boisés, reclassement qui n’aurait peut-être pas lieu de la même manière si la compétence en matière agricole était attribuée en totalité à la région. Ne pensez-vous pas que la région bénéficie d’une meilleure vision de l’aménagement du territoire et est plus à même d’accompagner les jeunes agriculteurs, d’autant qu’elle est déjà compétente en matière d’économie et de formation ?

Comment encourager les agriculteurs à la retraite à transmettre leurs terrains aux jeunes agriculteurs ? Les contrats de génération sont-ils suffisants pour les y inciter ?

Enfin, l’objectif assigné à La Réunion de parvenir à l’autonomie alimentaire est-il réaliste ? Les Réunionnais ont envie de « manger pays », mais les produits locaux coûtent plus cher que les produits importés, or le revenu moyen des ménages est bas – 52 % de la population vit avec moins de 800 euros par mois. Peut-on atteindre cet objectif ? Comment rendre les produits locaux compétitifs ?

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Notre collègue vient de soulever trois questions importantes : la gouvernance – département, région, État – le foncier et sa transmission, et le coût des productions locales.

M. Alex Bandou. Autonomie alimentaire ne veut pas dire autarcie. Le prix des produits locaux est lié, en principe, à leur coût de production. Malheureusement, nous établissons très souvent nos prix, non par rapport aux coûts de production, mais par rapport aux prix des produits importés. C’est ainsi que la population se plaint des prix des produits locaux en les comparant au prix des produits importés. En même temps, beaucoup de grosses voitures circulent aussi dans les départements d’outre-mer et leurs propriétaires en ont accepté le prix parce qu’ils savent que nous n’en produisons pas sur place.

Le foncier relève sans doute d’un problème de gouvernance, mais pour moi il fait l’objet d’un contrat passé entre l’agriculture et la société. Raisonner « pays » nous permettrait de nous projeter et de comprendre que la Guadeloupe a besoin d’un certain nombre d’hectares pour développer le réseau routier et construire des écoles. Mais nous naviguons beaucoup à vue et nous réagissons au cas par cas, ce qui a conduit au mitage du foncier agricole au profit de l’urbanisation et de la voierie.

M. Sébastien Bellemene. Lors de la création du Parc national, l’association des Jeunes Agriculteurs avait souhaité faire partie du comité de pilotage mais cela lui a été refusé. Le comité ne compte donc aucun agriculteur et tous ceux qui vivent sur le périmètre du Parc n’ont aucun droit sur leur terrain. Récemment, les acteurs économiques présents dans la zone de Saint-Benoît ont créé un collectif pour devenir des acteurs à part entière du Parc.

Concernant la transmission des exploitations, il existait auparavant un dispositif pré-retraite qui fonctionnait très bien puisqu’il est à l’origine des deux tiers des installations des jeunes agriculteurs. Mais il a été supprimé et, depuis, il n’y a plus aucune installation. Il serait intéressant de remettre en place un contrat de génération ou de pré-retraite qui intègre cette notion de reprise de l’exploitation par un jeune agriculteur.

Quant à la gouvernance, elle doit être assurée par l’État, en complémentarité avec la région, et ne pas incomber uniquement aux collectivités.

M. Cédric Coutellier. En Guadeloupe, le Parc national a eu un effet totalement inverse : les Jeunes Agriculteurs ont été consultés, lors de l’élaboration de la Charte de territoire, afin de définir une agriculture plus propre ou alternative. D’ailleurs, je considère, en tant qu’agriculteur, que le fait de produire dans une zone labellisée est un atout.

Nous avons créé en Guadeloupe le Relais pour l’emploi agricole (REA) avec des services de remplacement sur les exploitations qui manquent en Martinique et en Guyane. Je peux vous citer le cas d’un jeune qui, dans la perspective de remplacer un agriculteur âgé en congé maladie, a travaillé avec lui pendant un certain temps. Ce rapprochement a permis de créer de la valeur ajoutée et a amené la personne âgée à accepter la transmission. Nous faisons la promotion de cette démarche.

M. Juvénal Rémir. Pourquoi ne pas accorder aux agriculteurs une enveloppe suffisamment conséquente pour les inciter à louer leurs terres ?

De nombreuses normes, c’est vrai, ne sont pas adaptées à nos régions.

Enfin, il faut multiplier les contrôles sur les produits d’importation, comme les ignames, dont nous savons qu’ils ont été cultivés dans des pays, dont le Costa Rica, qui utilisent des produits très toxiques.

M. François Lucas. Le prix élevé de la production locale n’a pas une explication unique. Permettre l’utilisation de produits phytosanitaires pour les usages orphelins, c'est-à-dire pour des besoins qui concernent des marchés trop petits pour que les firmes s’intéressent à la recherche, soutenir l’investissement pour rendre les productions plus compétitives et imposer les mêmes contraintes aux produits importés et aux produits locaux : voilà ce qui permettrait à la production locale d’être compétitive. Mais nous pourrions aussi nous demander pourquoi les produits importés arrivent moins chers sur le marché que les produits autochtones. Par ailleurs, en ce qui concerne la protection phytosanitaire des cultures, il n’est plus question de s’interroger : nous sommes forcés de reconnaître que les normes de l’Union européenne ne sont généralement pas adaptées aux contraintes des départements d’outre-mer.

Mme Adeline Gachein, coordinatrice au développement syndical au sein de la Coordination rurale. Dans les DOM, nous n’avons de solutions sanitaires que pour seulement 21 % des maladies. Pour le café, par exemple, nous n’avons pas de produit à notre disposition, et c’est également le cas pour plusieurs centaines de productions.

M. Claude Cellier. Avez-vous procédé à un recensement exhaustif de tous les parasites ?

Mme Adeline Gachein. Je m’appuie sur différents rapports nationaux.

M. Pascal Ferey. Certes, nos départements font partie de l’Europe et sont soumis aux mêmes règles que tous les pays européens, mais les maladies tropicales supportent très mal les règlements communautaires.

Permettez-moi de citer quelques maladies qui poseront nécessairement des problèmes dans les départements d’outre-mer car nous n’avons pas les moyens de lutter contre leur développement : la maladie du greening, qui touche les agrumes, la bactérie de Ralstonia sur les pastèques, celle transmise par la mouche mineuse du melon, et le très redoutable tomato yellow leaf curl virus qui pourrait réduire à néant la production de tomates dans les départements d’outre-mer.

Si l’État ne change pas de paradigme, s’il n’accepte pas de nous accorder des dérogations et s’il ne nous permet pas de trouver des traitements locaux dans la zone Caraïbe ou en Amérique du Sud, nous allons tout droit vers la catastrophe.

L’État doit également faire cesser les importations non homologuées de plans. Car la mouche mineuse du melon et le virus de la tomate proviennent exclusivement de l’importation de plants contaminés qui n’auraient jamais dû arriver sur notre sol.

Nous avions proposé, dans le cadre des débats sur le Grenelle de l’environnement, que la spécificité domienne soit reconnue en tant que telle. J’insiste sur ce que je considère comme une hérésie : les associations environnementales de Guadeloupe ont attaqué l’arrêté préfectoral dérogeant à l’interdiction des épandages aériens pour le traitement des bananeraies. L’arrêté a donc été annulé. Nous travaillons, avec les ministères de l’agriculture et de l’écologie, pour rétablir la règle selon laquelle seul le Gouvernement français peut faire appel d’une décision de la cour administrative. S’il ne se passe rien, il n’y aura plus de traitement aérien et donc plus de production de bananes. J’ajoute que j’aurais souhaité, sur ce dossier, que les organisations syndicales tiennent des propos mesurés.

L’autonomie alimentaire n’est qu’un slogan, mais je ne peux tout de même pas me résigner en constatant le fait que nous ne consommons, dans les départements d’outre-mer, que 12 % de produits locaux par rapport à l’ensemble de notre consommation. Si le prix de certains produits locaux fait fuir les consommateurs, qui se pressent au supermarché pour acheter des produits importés, je maintiens qu’une organisation structurée devrait nous permettre d’offrir aux consommateurs des produits locaux à un prix acceptable.

Nous sommes tous d’accord sur les différentiels de production s’agissant des productions végétales, mais il n’en va pas de même pour les productions animales, mis à part la production d’œufs, qui est excédentaire à La Réunion, tout comme celle de la viande blanche et du porc. Si nous ne prenons pas les décisions qui s’imposent pour libérer le foncier en faveur des agriculteurs et organiser la production, nous ferons le même constat dans dix ans. Il faut agir sur ce point et ne pas laisser le temps s’écouler inutilement.

Quant à l’octroi de mer, il a été créé pour rendre service mais il pose de vrais problèmes. Ainsi, dans le domaine de l’alimentation animale, il serait plus judicieux d’acheter la matière première dans la zone géographique, au lieu de la faire venir de Bretagne ou de Normandie.

Les représentants de la FNSEA se tiennent à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous pouvez vous poser dans le cadre de la préparation du projet de loi d’avenir pour l’agriculture.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Nous ne pouvons pas aborder tous les sujets dans le cadre de cette table ronde. Nous sommes, M. Gaymard et moi-même, intéressés par tous les documents qui pourraient alimenter notre réflexion en vue d’établir notre rapport.

M. Juvénal Rémir. Il n’est pas envisageable de voir disparaître la culture de la banane en Guadeloupe et en Martinique. Je produis moi-même des bananes sur une exploitation de 125 hectares. Sachez que, quand un bananier n’a que trois feuilles, et non les 14 feuilles prévues dans le règlement, le régime n’est pas commercialisable. Les rendements diminuent, et, à l’heure actuelle, j’envisage de licencier. En l’absence de traitement aérien, je n’aurai pas d’autre alternative. C’est dramatique car la banane est très pourvoyeuse d’emplois – 50 hectares de canne nécessitent deux ouvriers tandis que 50 hectares de bananes emploient 45 ouvriers.

M. Gabriel Serville. Je conclurai sur une inquiétude. N’étant pas un spécialiste de l’agriculture, si j’assiste à cette table ronde, c’est pour écouter les acteurs de terrain dans le but de faire des propositions lors de l’examen du projet de loi d’avenir.

J’étais perplexe mais je le suis encore davantage devant les problématiques auxquelles vous êtes confrontés. Comment faire en sorte que le Gouvernement prenne en compte nos territoires dans le projet de loi d’avenir ? Ce texte comprendra-t-il un volet dédié aux outre-mer ? Il semble que ce n’est pas si sûr, ce qui risque de rendre les choses plus difficiles pour nous ; mais nous défendrons les intérêts de nos populations.

Compte tenu de l’éloignement des outre-mer, les normes définies en métropole sont très souvent en décalage avec la réalité vécue sur le terrain. Il nous faut amener le Gouvernement à comprendre nos particularités.

Nous devons nous attacher à définir des dénominateurs communs – éloignement, gouvernance, eau, normes phytosanitaires, retraites – et nous rassembler autour de ces problématiques communes, en évitant surtout de nous disperser sur des sujets qui ne nous sont pas communs. Je suis élu de Guyane. La terre y est abondante, mais pas toujours fertile, et les agriculteurs se plaignent des difficultés qu’ils rencontrent pour accéder au foncier, tandis que de leur côté, les services de l’État invoquent des dossiers mal montés. Cette situation montre que nous devons renforcer l’accompagnement des agriculteurs.

Je vous invite, Messieurs, à garder le contact avec nous pour nous aider, lors de l’examen du projet de loi d’avenir, à défendre les intérêts de vos territoires.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture comprendra un volet outre-mer, mais tous les problèmes que rencontrent nos territoires ne relèvent pas du législatif et ce n’est pas une loi qui les règlera. Cela dit, tous les textes exigent que nous soyons attentifs, c’est pourquoi je vous demande de nous alerter lorsque le Gouvernement nous soumet un texte susceptible de répondre à vos interrogations – je pense au projet de loi ALUR qui nous sera présenté en septembre par Mme la ministre chargée du logement. Nous comptons sur votre vigilance. Je vous remercie.

Table ronde sur les chambres d’agriculture avec la participation de M. Jo Giroud, secrétaire général de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), chargé du suivi des questions concernant l’outre-mer pour le Bureau de l'APCA, accompagné de M. Guillaume Baugin, attaché parlementaire, et de M. Frédéric Ernou, chargé de mission Instances et Réseau ; M. Patrick Sellin, président de la Chambre d’agriculture de Guadeloupe, accompagné de M. Franck Souprayen, secrétaire général, et de M. Joël Pédurand, directeur ; M. Louis-Daniel Bertome, président de la Chambre d’agriculture de Martinique et membre du conseil d’administration de l'APCA ; M. Albert Siong, président de la Chambre d’agriculture de Guyane ; M. Mohamedi Antoine, premier vice-président de la Chambre d’agriculture de Mayotte.

Compte rendu de l’audition du mardi 10 septembre 2013

M. le président Jean-Claude Fruteau. Notre ordre du jour appelle aujourd’hui un débat avec les représentants de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) et avec les présidents des chambres d’agriculture des départements d’outre-mer – à l’exception de La Réunion, dont nous avions déjà auditionné le président – dans le cadre des travaux que nous conduisons actuellement sur l’agriculture ultramarine, sujet pour lequel notre Délégation a nommé comme rapporteurs Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard.

Messieurs, nous avons souhaité entendre les chambres d’agriculture sur un certain nombre de thématiques : les structures agricoles et la préservation du foncier ; l’installation des nouveaux agriculteurs sur les exploitations ; le statut social de l’agriculteur en outre-mer (formation, revenu, retraite) ; l’amélioration des filières ; l’enseignement agricole. Sans compter, bien entendu, tout sujet qu’il vous semblera intéressant de porter à notre connaissance.

Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation et de nous apporter tous les éclairages que vous jugerez utiles sur l’agriculture ultramarine. Comme vous le savez, le Gouvernement prépare actuellement la loi d’avenir sur l’agriculture, laquelle comportera un volet spécifique à l’outre-mer.

Je vous propose de procéder de la manière suivante : tout d’abord, je présenterai les différents intervenants à cette table ronde ; ensuite, je donnerai la parole à Mme Chantal Berthelot, qui vous posera des questions plus précises dans le cadre des différentes pistes de réflexion déjà retenues ; chacun des intervenants exprimera ses préoccupations, en essayant de nous faire part, très concrètement, des propositions qui lui tiennent à cœur sur les différents sujets ; enfin, la parole sera donnée aux parlementaires, et les intervenants leur répondront.

Nous avons donc le plaisir d’accueillir :

Pour l’APCA : M. Jo Giroud, secrétaire général, qui suit les questions des outre-mer pour le bureau de l’APCA ; M. Guillaume Baugin, attaché parlementaire ; M. Frédéric Ernou, chargé de mission, Instances et Réseau.

Pour la chambre d’agriculture de Guadeloupe : M. Patrick Sellin, président ; M. Franck Souprayen, secrétaire général ; M. Joël Pédurand, directeur.

Pour la chambre d’agriculture de Martinique : M. Louis-Daniel Bertome, président de la chambre et membre du conseil d’administration de l’APCA.

Pour la chambre d’agriculture de Guyane : M. Albert Siong, président.

Enfin, pour la chambre d’agriculture de Mayotte : M. Mohamedi Antoine, premier vice-président.

Mme Chantal Berthelot, corapporteure. Messieurs les présidents, accompagnateurs et membres de l’APCA, merci de votre présence.

Avec mon collègue, M. Hervé Gaymard, corapporteur, nous avons déjà auditionné les représentants de tous les syndicats. Nous avons organisé des tables rondes sur la canne à sucre – c’est d’ailleurs à cette occasion que nous avons pu échanger avec le président de la chambre d’agriculture de La Réunion. Nous avons entendu les représentants des fonds européens, d’EURODOM, et le représentant permanent de la France à Bruxelles. Nous poursuivrons avec les SAFER, l’EPAG (Établissement public d’aménagement en Guyane) et la délégation régionale de l’ASP de Mayotte, qui gère le foncier dans ce département. Puis nous auditionnerons la recherche, avec le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et l’INRA (Institut national de recherche agronomique). Et nous terminerons avec les responsables des cinq délégations régionales de l’ASP et son président.

Comme le président Fruteau l’a souligné, la loi d’avenir sur l’agriculture se profile à l’horizon : le projet de loi sera présenté en conseil des ministres le 30 octobre ; l’Assemblée commencera à y travailler en commission à la mi-décembre ; le texte sera examiné en séance publique le 7 janvier. Lorsque M. Gaymard et moi-même avons été désignés comme corapporteurs des travaux que nous menons sur l’agriculture ultramarine, nous avons pensé que les auditions des différents partenaires du monde agricole que nous serions amenés à conduire permettraient à chacun de participer d’une manière tout-à-fait active aux débats organisés autour du projet de loi du Gouvernement.

Vous-mêmes, Messieurs, venez d’être élus, sur la base d’un programme, à la tête des chambres d’agriculture. Il nous a donc semblé intéressant de connaître la vision que vous pouvez avoir de vos agricultures, sur vos territoires, dans les années à venir, et d’aborder avec vous un certain nombre de thématiques.

Sur les structures agricoles liées au foncier, quelles sont vos propositions ? La perte de terres agricoles – en Martinique surtout, mais également à La Réunion et en Guadeloupe – est inquiétante.

Sur l’installation des jeunes agriculteurs, des Assises ont été organisées. En tant que présidents de chambre, quelle est votre position ?

En matière de gouvernance, des discussions ont eu lieu et des décisions se préparent. Les régions auront compétence sur le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural). Qu’en pensez-vous ?

Quel est votre avis sur l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole des départements d’outre-mer) et sur le programme POSEI (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité des départements français d’outre-mer) ?

M. Jo Giroud, secrétaire général de l’APCA. Merci de nous recevoir dans le cadre de cette audition sur l’avenir de l’agriculture des départements d’outre-mer, dont j’ai la responsabilité. C’est ma deuxième mandature sur ces problématiques au sein du Bureau de l’APCA. Auparavant, je m’occupais des programmes de développement, notamment en relation avec l’ADAR (Agence de développement agricole et rural), puis avec le CASDAR (Compte d’affectation spéciale pour développement agricole et rural). Voilà pourquoi je connais un peu les problématiques de l’agriculture ultramarine, lesquelles diffèrent sensiblement de celles de l’agriculture métropolitaine. En effet, l’environnement n’est pas le même, ce qui a des conséquences pour les agriculteurs comme pour les chambres d’agriculture qui sont chargées d’accompagner le développement de l’agriculture ultramarine.

Je me félicite donc que l’on ait prévu un volet spécifique à l’outre-mer au sein de la loi d’avenir agricole. L’agriculture française est très diverse, et il est clair qu’on ne peut pas appliquer les mêmes recettes au Nord et au Sud, à l’Ouest et à l’Est, et encore moins dans nos départements d’outre-mer.

Dans le cadre des États généraux de l’outre-mer, nous avons fait un certain nombre de propositions. Certaines restent d’actualité. Nous pourrons certainement en faire d’autres. Mais je tiens à laisser aux présidents des différentes chambres d’agriculture le soin d’apporter leur contribution dans ce débat.

M. Patrick Sellin, président de la chambre d’agriculture de Guadeloupe. Merci, monsieur le président Fruteau, pour votre invitation, à laquelle nous avons répondu avec enthousiasme. Et merci à tous, en vos grades et qualités.

L’équipe que j’ai l’honneur de présider est animée par la volonté de lutter contre le chômage, qui affecte 70 000 personnes sur le territoire de la Guadeloupe. Nous avions d’ailleurs intitulé notre liste « L’agriculture pour tous ». En effet, nous estimons qu’aujourd’hui l’agriculture est un des rares secteurs qui peut favoriser l’insertion sociale, créer de la richesse, et, par là même, s’attaquer au fléau du chômage. Pour autant, la mission de la chambre d’agriculture – et nous y sommes très attachés – consiste à défendre l’intérêt du monde agricole et à l’accompagner dans sa diversité.

En premier lieu, la diversité des modes de commercialisation et de stratégie de création de valeur ajoutée : elle passe par l’organisation des professionnels et par les circuits courts – moyen, qui sont bien à même, selon nous, de valoriser nos produits locaux.

En second lieu, la diversité des systèmes de production et des orientations technico-économiques : les productions traditionnelles de canne/sucre et de banane sont « le poteau-mitan », c’est-à-dire le pivot de nos exploitations. Il convient de les maintenir et leur maintien passe, notamment, par cette loi d’avenir.

En troisième lieu, la diversité des acteurs de territoires : celle-ci est due à l’existence de petites régions naturelles et donc à la faiblesse de la taille des exploitations. Il faut en tenir compte. La notion de « petite exploitation agricole » qu’on a en tête dans l’hexagone ne s’applique pas chez nous, où les surfaces sont encore plus petites.

En dernier lieu, la pluriactivité des exploitations.

La chambre d’agriculture souhaite que la diversité, la richesse et les caractéristiques des DOM soient reconnues, notamment, par la loi d’avenir agricole, et que cette reconnaissance se traduise dans les choix de développement, les mesures d’accompagnement, et dans le respect d’un certain nombre de règles communes.

Les entreprises agricoles de Guadeloupe n’ont rien à voir avec celles de l’hexagone. Les surfaces sont faibles, ce qui rend leur exploitation complexe. Pour certains, ce n’est pas une situation porteuse d’avenir, mais nous y croyons fortement. Nous avons un combat à mener dans le domaine social, particulièrement contre le chômage.

Madame la rapporteure, vous nous avez interrogés sur les structures agricoles. Sachez que nous voulons faire des GIEE (groupements d’intérêt économique et écologique) un élément moteur de l’accompagnement des petites exploitations qui se trouvent en dehors des organisations professionnelles, en raison de leur taille modeste et de leur faible production. Celles-ci en ont besoin pour vivre et pour résister, dans un contexte social fort difficile.

Nous devons par ailleurs nous préoccuper de la protection de la production locale. Nos régions ont passé des accords de partenariat économique mais, dans certains domaines, nous ne sommes pas compétitifs. Nous ne pouvons pas utiliser les mêmes produits que nos partenaires. D’un côté, nous n’avons pas accès à certaines molécules. De l’autre, nous nous sommes engagés dans une dynamique de produits propres. Nous attendons donc un signal fort du législateur, quel que soit d’ailleurs ce signal. Ce pourrait être, par exemple, la mise en place d’une mention « produit pays », lequel se différencierait des produits de la zone.

Il faut clairement renforcer le rôle des chambres d’agriculture, en liaison avec les caractéristiques de nos régions. Si les fonds CIOM (Comité interministériel de l’outre-mer) ont favorisé le développement rapide des structures chargées de procéder à des transferts d’innovation, l’absence de moyens des organismes chargés d’assurer un encadrement technique à proximité ou de faire de la vulgarisation n’a pas permis de stopper la diminution de la production agricole – pour la production bovine, le taux de couverture du marché est passé de 56 à 45 % ; et pour la production de volaille, de 33 % à 1 %.

Il faut également sécuriser le financement des chambres d’agriculture. Nous aurions aimé que la taxe TATFNB (taxe additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés non bâties), qui représente environ 20 % de notre budget, soit revue en faveur des DOM.

Nous nous préoccupons aussi de l’installation des jeunes. Celle-ci est conditionnée par le départ des anciens. Or, chez nous, les anciens ne partent pas car, une fois à la retraite, ils ne touchent que 500 à 600 euros – et au mieux 650/700 euros par mois. Il faut donc mettre en place un dispositif favorisant le départ des anciens, et, par la même, l’installation des jeunes. C’est une condition sine qua non. Cela suppose, à notre avis, de prendre des mesures spécifiques.

Nous vous proposons de vous inspirer de la réforme foncière qui a été menée précédemment en Guadeloupe, et qui s’est appuyée sur la mise en colonat des petites parcelles et sur l’institution d’une indemnité de retraite volontaire, l’IRV, visant à libérer le foncier.

Tous les jeunes n’ont pas la vocation de devenir chefs d’exploitation agricole. Reste que nous devons encourager l’installation des jeunes agriculteurs et aider les anciens à partir, par exemple en leur versant une aide qui viendrait s’ajouter à la retraite actuelle – que l’État n’est pas en mesure d’augmenter dans la situation que connaissent aujourd’hui les caisses. Après tout, au moment de la réforme foncière, le système s’est avéré efficace. Évidemment, la Guadeloupe n’est pas extensible, et il ne faut pas compter trouver indéfiniment des surfaces de 1 000 ou 2 000 mètres carrés. Par ailleurs, il conviendra de respecter les PLU des communes et prévoir un encadrement juridique

Mesdames et Messieurs, telle est la dynamique dans laquelle s’inscrit la chambre d’agriculture de Guadeloupe.

M. Louis-Daniel Bertome, président de la chambre d’agriculture de la Martinique. Mesdames, Messieurs les députés, monsieur le président, je suis particulièrement heureux d’être ici avec vous et d’être entendu par une amie avec laquelle j’ai travaillé longtemps dans des organisations agricoles : je veux parler de Chantal Berthelot. Cette audition sur les problématiques de notre agriculture me semble être une très bonne chose dans la perspective de cette loi d’avenir.

La loi d’avenir pour l’agriculture que propose le Gouvernement doit comporter un volet outre-mer. Ce volet offre l’opportunité de construire un cadre de développement plus adapté aux agricultures ultramarines, en mettant en place des règles valorisant toutes les formes d’agriculture que l’on retrouve dans les DOM. Ainsi, la chambre d’agriculture de la Martinique attend de la loi en préparation une orientation nouvelle et des leviers d’action favorisant l’implication d’un maximum de producteurs et de systèmes de production et de commercialisation, dans la perspective du maintien de nos positions à l’exportation, bien sûr, mais également et surtout, de la satisfaction de la demande alimentaire interne.

La chambre d’agriculture de la Martinique fait donc le choix de l’inclusion et de la diversité comme leviers de valorisation du potentiel agricole et agroalimentaire qui reste à exploiter. Cela suppose des outils et des mesures adaptées à la diversité des situations. Cette ambition de la chambre d’agriculture l’amène à proposer, en particulier, d’utiliser les statuts des GIEE comme des outils de la professionnalisation et de l’organisation des exploitations qui, par leur taille et leurs pratiques, sont encore en marge des politiques publiques, alors même qu’elles contribuent à l’équilibre économique et social des zones rurales.

L’intérêt d’un volet outre-mer dans la loi d’avenir serait de compléter la nécessaire politique des « filières » en cours par une politique visant la consolidation de l’ensemble des unités de production, en particulier celles qui sont aujourd’hui peu impactées par le soutien public du fait de leurs caractéristiques, et qui, pourtant, font la preuve de leur pertinence environnementale, de leur fonction de stabilisateur social, de leurs effets sur les paysages ruraux et de leur contribution à la sauvegarde de la biodiversité.

Il s’agit, en fait, de faire correspondre des politiques agricoles publiques à l’identité agricole portée aujourd’hui par la société. Cette identité agricole passe, selon moi, par une agriculture diversifiée, assurant la sécurité alimentaire de la population, des innovations agroalimentaires, une transformation artisanale, une production agricole de qualité, des produits de terroir, des pratiques agricoles non agressives pour l’environnement, et une agriculture socialement équilibrée.

Les Martiniquais ont manifesté leur intérêt pour leur agriculture, mais dans le même temps, leur scepticisme vis-à-vis du modèle unique d’agriculture intensive et exclusive qu’induisent les politiques publiques. Réconcilier le Martiniquais avec son agriculteur et son agriculture est, à notre sens, le défi que doit relever le volet outre-mer de la loi d’avenir agricole. Il ne s’agit pas de remettre en cause ce qui a été fait. Le programme de soutien public en vigueur a permis certaines réussites. Il s’agit, positivement, de favoriser l’émergence et le soutien de toutes les initiatives agricoles locales.

Du fait de l’application des règles générales qui régissent l’agriculture française et européenne, un pan important de notre agriculture est menacé de marginalisation ou de disparition. Donnons à toutes les formes d’agriculture les moyens de contribuer à la croissance agricole outre-mer, en complément des filières qu’il convient de consolider. Tel est le sens des propositions que nous avons formulées, et qui font l’objet de huit fiches thématiques :

Premièrement, pour accompagner la professionnalisation et l’organisation des exploitations de type traditionnel, doter celles-ci d’un statut juridique spécifique sur la base du concept GIEE, et favoriser le développement des marchés de producteurs.

Deuxièmement, pour sauvegarder et renforcer le foncier agricole disponible, rendre obligatoires les zones agricoles protégées, les ZAP, et taxer les réserves spéculatives. En effet, de nombreuses communes déclassent des terres agricoles sans procéder à aucune urbanisation.

Troisièmement, pour la sécurité alimentaire de la population, élargir le contrôle sanitaire des produits alimentaires importés, et instituer une certification sanitaire des exploitations.

Quatrièmement, pour favoriser l’installation, instaurer une bourse mensuelle de démarrage en cas de création d’exploitation, et créer un statut de tuteur pour le cédant volontaire à la transmission.

Cinquièmement, pour accroître l’attractivité de l’agriculture : élargir la possibilité d’affiliation à l’ensemble des productions – certains agriculteurs ou cultivateurs ne peuvent pas être affiliés à la MSA et ne peuvent donc pas avoir le statut d’agriculteurs ; mettre en place un dispositif de retraite complémentaire pour les salariés agricoles des DOM, qui sont les seuls travailleurs de France à ne pas pouvoir en bénéficier.

Sixièmement, pour favoriser l’innovation, en cohérence avec les objectifs de la politique agricole, codifier les RITA (réseaux d’innovation technique agricole), confier aux RITA décentralisés le pouvoir d’agrément et de financement des programmes d’expérimentation et de transfert.

Septièmement, pour favoriser le financement de toutes les initiatives agricoles, renforcer la capacité financière des coopératives, ouvrir les aides publiques à la commercialisation – dont le POSEI – aux organisations de marchés de producteurs.

Enfin, pour consolider les chambres d’agricultures, définir un taux spécifique de la TATFNB pour les DOM, et faire du contrat d’objectifs un outil de copilotage du développement agricole entre l’État, les collectivités territoriales et la chambre d’agriculture.

M. Albert Siong, président de la chambre d’agriculture de Guyane. Je voudrais tout d’abord saluer et remercier l’ensemble des députés et monsieur le président. Mes deux collègues ont déjà souligné quelques points communs aux départements d’outre-mer. J’en soulèverai donc deux ou trois, qui sont spécifiques à la Guyane.

Premièrement, 90 % des jeunes qui souhaitent s’installer chez nous n’ont pas des parents agriculteurs. Ils ne peuvent le faire que sur des parcelles prises à la forêt vierge, ce qui nécessite beaucoup d’investissements et de moyens financiers. En outre, la plupart des jeunes effectuent un travail en parallèle, ce qui réduit énormément le temps qu’ils passent sur l’exploitation. Je rejoins donc mon collègue : il faudrait qu’ils puissent bénéficier d’une petite bourse, pendant un, deux ou trois ans selon les cas.

Deuxièmement, la Guyane est un département très vaste, plus vaste que la France et peu peuplé. L’éloignement pose des problèmes. Même avec les aides actuelles (POSEI, FEADER), toutes nos structures agricoles se trouvent en difficulté. Nous souhaitons donc la mise en place d’aides plus spécifiques à la Guyane.

Troisièmement, la situation financière de la chambre d’agriculture est très dégradée. Or le Gouvernement n’a pas beaucoup de moyens pour la soutenir.

D’après une étude menée par l’APCA, la TATFNB est très faible en Guyane. Nos revenus ne sont que de 500 000 euros par an et notre budget va de 1,2 à 1,6 million d’euros. Il y a un déficit structurel de l’ordre de quelque 200 000 euros par an. Le personnel est déjà réduit au maximum – 14,5 équivalents temps plein. Donc, sans l’augmentation de cette taxe, la chambre d’agriculture ne pourra pas survivre.

Le 4 septembre dernier, avec le soutien de l’État et l’accord des professionnels, nous avons adopté à l’unanimité une motion visant à augmenter la TATFNB pour assurer la continuité de la chambre.

Mesdames et messieurs les députés, je compte énormément sur vous pour soutenir cette demande de la Guyane.

M. Mohamedi Antoine, premier vice-président de la chambre d’agriculture de Mayotte. Merci, monsieur le président, Mesdames et Messieurs les parlementaires. Comme vous le savez tous, Mayotte est un jeune département. Elle n’a accédé au statut de département français que depuis un an. Et, au 1er janvier 2014, Mayotte sera RUP (région ultrapériphérique).

L’agriculture mahoraise est à construire. La chambre d’agriculture a recensé 3 242 exploitations détentrices du SIRET, que l’on a classées en trois catégories : la première catégorie, qui représente 80 % de l’ensemble, comprend des personnes vivant de la très petite agriculture ; la deuxième comprend quelques centaines d’agriculteurs pluriactifs ; la troisième comprend quelques dizaines d’agriculteurs, professionnels, qui vivent de leur métier.

Le statut d’exploitant agricole à Mayotte est quasi inexistant. Voilà pourquoi les personnes de la première catégorie, malgré le fait qu’elles sont âgées, ne peuvent pas partir. Si elles partaient, elles n’auraient aucun moyen de survivre. Elles seraient sous le seuil de pauvreté. Des études ont été menées par la MSA pour mettre en place un système de cotisations sociales à Mayotte, avec un calendrier défini. Aujourd’hui, les ordonnances sont sorties, mais on ne sait toujours pas s’il y aura, ou non, à Mayotte une véritable protection pour les agriculteurs.

La majeure partie des personnes qui sont actuellement en agriculture ne peut pas partir, faute de pouvoir installer des jeunes. Aujourd’hui, à Mayotte, il ne s’installe qu’un jeune ou deux tous les deux ans. Le renouvellement des générations n’est donc pas assuré.

Le problème foncier se pose de façon très particulière à Mayotte, dans la mesure où le volet foncier est de la responsabilité du conseil général et de l’État. En outre, le foncier n’est pas sécurisé pour ceux qui sont en activité. Il faudrait s’en préoccuper et – pourquoi pas ? – mettre en place une SAFER. Nos parlementaires parlent de créer un établissement public foncier à Mayotte, qui serait peut-être l’ASP, mais qui n’aurait qu’un rôle consultatif. Nous demandons que cet établissement public ait les mêmes prérogatives que la SAFER de Bretagne ou d’autres régions.

En conclusion, l’agriculture mahoraise est une agriculture très jeune, qui se cherche. Voilà ce que je peux dire, et je suis à votre disposition pour répondre à d’autres questions.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, monsieur le vice-président, pour ces informations. La jeunesse du département de Mayotte explique que les problèmes qui s’y posent soient si particuliers.

Je remarque cependant que le problème de l’installation des jeunes, s’il se pose avec davantage d’acuité à Mayotte qu’ailleurs, a été évoqué par tous les intervenants. Or, tous, ou presque, ont lié ce problème au « non-départ » à la retraite des agriculteurs âgés. Je m’interroge sur cette analyse. Le problème n’est-il pas dû également à une absence de mesures plus proprement destinées à favoriser l’installation des jeunes ?

Je tiens enfin à préciser que le problème des retraites agricoles ne sera pas traité dans la loi sur l’avenir de l’agriculture, mais dans le cadre de la loi sur les retraites, qui sera bientôt en discussion. Mais cela ne nous empêche pas d’en parler, de telle sorte que vous puissiez donner votre avis sur cette question.

M. Jo Giroud. Il y a en effet des différences assez importantes entre les départements d’outre-mer. À Mayotte, où j’ai eu l’occasion de me déplacer, il est vrai que tout reste à construire. C’est une agriculture de fait, avec très peu de professionnels. Je pense que l’installation passe aussi par la formation des jeunes et par la formation permanente. Il convient d’accompagner également la génération qui est en place. Si les chambres d’agriculture obtenaient des moyens en matière de développement et de formation, elles pourraient participer à un processus de professionnalisation. En Guyane, les terres qui sont propriétés de l’État ne contribuent pas à la TATFNB ; ce qui constitue un réel problème.

Plus généralement, les filières ont été accompagnées, à la fois par le POSEI et l’ODEADOM. Aujourd’hui les grandes filières fonctionnent et il n’est pas question de les remettre en cause.

En métropole, depuis quelques années, on est revenu d’une politique de spécialisation et d’orientation sur des filières, à des politiques de proximité destinées à développer l’autonomie alimentaire et l’alimentation de proximité. Je pense donc, comme l’a précisé M. Bertome, qu’il est essentiel de renforcer l’accompagnement des producteurs par la professionnalisation, par l’organisation, mais aussi de leur assurer un accompagnement de type économique. Au mois de janvier, on a demandé à l’APCA de se prononcer sur cet accompagnement – qui ne doit pas se faire au détriment des filières – afin de corriger la tendance actuelle, qui est que l’autonomie alimentaire de ces territoires diminue. Cette tendance est regrettable : l’autonomie alimentaire permet de créer de l’emploi, de l’activité, et au-delà, d’assurer un équilibre social plus satisfaisant.

Mme Berthelot a posé le problème de la distribution des crédits FEADER par les régions. Nous en avons pris acte. En métropole, on y travaille. Je pense que le processus est amorcé dans les départements d’outre-mer. La profession travaille avec les régions pour discuter des programmes qui seront en place et des modes de vulgarisation, de développement de ces programmes et de gestion.

De mon côté, je voudrais souligner qu’il est parfois difficile d’appliquer dans les départements d’outre-mer la même politique qu’en métropole sur des structures de toute petite dimension avec, qui plus est, des hommes qui manquent parfois de formation. On applique les mêmes procédures administratives et nos chambres croulent sous le poids de la gestion des dossiers.

La réponse passe donc par la formation et par la professionnalisation. Seulement, nous avons peu de temps. Il faudrait que l’on procède à une adaptation nationale, s’agissant des procédures, et cela demande à être discuté au-delà, dans le cadre européen. Sinon, on continuera à marginaliser une partie des agriculteurs qui souhaitent avoir accès à ces crédits FEADER. Le poids de la gestion ne doit pas être trop important par rapport à l’effet escompté sur le terrain. Et je pense justement, madame Berthelot, que si ce sont les régions qui gèrent la distribution des crédits FEADER, il sera plus facile de s’adapter à l’environnement des outre-mer, qui est différent de celui de la métropole.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci de ces précisions importantes.

M. Patrick Lebreton. Monsieur le président, messieurs les représentants d’organismes consulaires et présidents de chambres d’agriculture de nos DOM, je suis député de La Réunion. Nous avons eu récemment plusieurs réunions, à des titres divers – je suis également président d’un syndicat mixte d’étude et de programmation du SCOT Grand Sud. Bien évidemment, sur nos territoires qui sont relativement exigus, sauf en Guyane où l’espace ne manque pas, la question du foncier est particulièrement importante.

La Réunion compte aujourd’hui 830 000 habitants. La transition démographique n’est annoncée que pour 2025-2030, et on nous annonce 1 million d’habitants. Nous devons développer notre économie, faire vivre notre population et lui apporter tous les éléments du cadre de vie. Or seul un tiers de notre territoire est exploitable. Il faut donc trouver des espaces… sur le même espace.

Une réunion s’est récemment tenue avec la DAAF (Direction départementale de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt), la chambre d’agriculture, et bien sûr tous les organismes relevant de diverses administrations, pour maintenir une dynamique dans le domaine agricole par la reconquête des espaces en friche. Je me souviens d’ailleurs que j’ai fait valoir, au cours de cette réunion, que la création du Parc National des Hauts, dont l’intérêt écologique est important, posait aussi quelques problèmes de frontières et d’entente avec les agriculteurs. Je ne sais pas si vous avez vécu une telle expérience, par exemple en Guadeloupe ou en Martinique, mais ce serait important de nous en faire part.

Ma question sera directe. Nous pensons pouvoir récupérer à La Réunion 6 000 à 7 000 hectares de terres incultes en friche. Ce chiffre est-il comparable chez vous ? Avez-vous mis cette donnée en avant, dans la perspective de la prochaine loi d’avenir de l’agriculture ?

M. Louis-Daniel Bertome. En Martinique, l’administration estime que nous aurions à peu près 15 000 hectares de terres en friche, voire un peu plus, pour 25 000 hectares de terres exploitées. Selon nous, une grande partie de ces 15 000 hectares en friche se trouve dans des zones difficiles et ne peut pas être reconquise. Mais il devrait être possible de remettre en culture entre 4 000 et 5 000 hectares.

Cela suppose que l’on puisse engager les procédures concernant les terres en friche, procédures qui ne sont pas forcément adaptées à nos orientations. Par exemple, chez nous, dès qu’un terrain est resté deux ou trois ans sans être cultivé, l’ONF (Office national des forêts) le considère comme forêt et on ne peut plus y toucher. En revanche, en métropole, si l’on peut prouver qu’un terrain a été travaillé il y a vingt ans, on peut le remettre en culture sans autorisation.

Parfois, on ne connaît pas les propriétaires des terres en friche. Parfois, ils sont en indivision. Il faut absolument faire quelque chose. Nous avons donc formulé quelques propositions. On pourrait, notamment, étendre le dispositif de bail d’office applicable aux terres en friche et aux terres indivises exploitées sous réserve d’antériorité de cinq ans. La SAFER, ou tout autre institution, pourrait ainsi, au vu de la situation, décider de louer le terrain à un agriculteur, en mettant de côté les fonds en attendant que les propriétaires se mettent d’accord.

Enfin, nous estimons nécessaire d’augmenter la TATFNB sur les terres en friche, pour inciter les propriétaires à les remettre en culture. Avec les procédures actuelles, les gens se contentent de faire passer parfois le tracteur pour laisser le terrain propre et quand on vient les voir, ils répondent qu’ils ont commencé à les mettre en valeur. Mais, en réalité, ils ne font rien dessus. C’est un vrai problème.

M. Jo Giroud. Le même problème se pose en métropole. Il est très difficile de contraindre les personnes qui conservent des terres en vue de spéculation sans empiéter sur le droit de propriété qui est inscrit dans notre Constitution. La procédure, qui était auparavant de la responsabilité de l’État, est désormais déléguée aux départements, par le biais des directions départementales de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt (DAAF). Or, ceux-ci ne sont pas tous équipés sur le plan administratif pour mettre en œuvre une procédure aussi complexe. Nous attendons donc de la loi d’avenir pour l’agriculture qu’elle instaure des procédures plus pertinentes et plus efficaces.

Mme Chantal Berthelot, corapporteure. Face à la problématique des terres en friche et du manque de terrains agricoles, de quels outils disposent les chambres d’agriculture ? Les SAFER n’ont-elles pas un rôle à jouer ?

M. Patrick Selllin. Tout d’abord, une grande part des terres en friche est due à des situations d’indivision.

Par ailleurs, les friches, qui représentent environ 11 000 hectares en Guadeloupe, n’ont pas forcément une valeur agronomique. La SAFER aurait fort bien pu jouer un rôle, mais la réforme foncière a réduit le personnel de la société d’aménagement foncier de Guadeloupe à six ou sept personnes. Oui, la SAFER pourrait être mobilisée, encore faut-il lui en donner les moyens.

Cela dit, l’établissement public foncier (EPF) mis en place dans notre département sera doté de financements plus importants – d’ailleurs il englobera l’Agence des 50 pas géométriques. Mais en l’état actuel des choses, la SAFER n’est pas en mesure de répondre à ce problème.

M. Mohamedi Antoine. À Mayotte, l’ancien CNASEA (Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles) pouvait acheter des terrains pour y installer des jeunes, mais aujourd’hui il est question de mettre en place un établissement public foncier, l’ASP, qui, je le regrette, n’aura qu’un rôle consultatif.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cette restriction a-t-elle été apportée par la loi de départementalisation ?

M. Mohamedi Antoine. En effet. Les élus ont souhaité créer un établissement public foncier, soit, mais ils doivent redonner à l’ASP les missions qui étaient dévolues au CNASEA.

M. Jo Giroud. Dans le cadre de la préparation de la loi d’avenir, des discussions sont en cours pour tenter d’équilibrer les rôles des établissements publics fonciers, censés agir dans les régions urbaines, et des SAFER, dédiées aux régions agricoles. Mais les EPF prélèvent une taxe et disposent de moyens, tandis que les SAFER répercutent le coût des restructurations sur les aménagements qu’elles réalisent, ce qui renchérit le coût des opérations pour les exploitants, surtout s’il s’agit de parcelles de petite taille.

En outre, la SAFER n’intervient que si le bien est mis sur le marché. Or nous sommes confrontés, notamment dans les zones périurbaines, à la rétention de terrains, soit dans un but de spéculation, soit parce qu’ils font l’objet d’une indivision. Les propriétaires ne veulent pas que soit entravée leur liberté de spéculation. C’est d’autant plus regrettable que mettre un terrain en fermage n’interdit pas, si le PLU en change la destination, de le vendre et d’en récupérer la plus-value.

Sur le territoire national, les schémas de cohérence territoriale (SCOT) ont été remis en place et les PLU sont beaucoup plus contraignants. La création de ZAP dans certains départements devrait renforcer la destination agricole des terrains et faire taire les appétits de spéculation, sachant qu’une ZAP est définie pour une période de 30 ans et qu’il faut un arrêté ministériel pour sortir de son périmètre.

M. Jean-Philippe Nilor. Je vous remercie, Messieurs, d’avoir accepté de participer à notre débat et je salue la richesse de vos interventions. Mais au-delà du constat, j’aimerais que vous analysiez les causes profondes des difficultés que rencontrent nos agricultures ultramarines.

Ma question va peut-être choquer certains d’entre vous, mais quel est l’intérêt, du point de vue parisien, de développer l’agriculture dans nos régions ultramarines ? On peut légitimement se poser cette question car le développement de l’agriculture ne peut être une exigence que d’un point de vue local.

Certes, les difficultés d’installation auxquelles sont confrontées les jeunes agriculteurs peuvent être attribuées au fait que les vieux ne veulent pas quitter leurs terres, mais ils ne peuvent faire autrement compte tenu du faible montant de leur retraite. La retraite des exploitants non salariés n’est pas calculée de la même manière qu’en métropole : elle ne se base pas sur le revenu déclaré mais sur la surface réelle pondérée. Ce système nous est préjudiciable. De nombreux parlementaires sont intervenus pour le dénoncer, mais à ce jour rien n’a changé.

Je suis intervenu personnellement sur la question des retraites des salariés agricoles en Martinique, en Guadeloupe et à la Réunion – le système est moins défavorable en Guyane. Aux termes de l’article 73 de la Constitution, il ne relève pas du droit commun mais de la dérogation. Quoi qu’il en soit, je constate que lorsqu’une disposition nous est défavorable, elle nous est imposée. Monsieur le président, ces questions doivent être posées avec force au Gouvernement.

Les difficultés liées à l’installation des jeunes agriculteurs viennent également de la structure de la propriété du foncier. En Martinique, une grande partie des terres agricoles est détenue par un petit groupe de personnes et ne sont donc pas facilement accessibles sur le marché, et le manque de terres n’est pas dû uniquement aux indivisions et aux friches mais à la floraison de panneaux photovoltaïques sur des terres agricoles. Le développement des énergies alternatives est un choix politique qui ne doit pas se faire au détriment de l’agriculture. Pourquoi celle-ci est-elle toujours le parent pauvre des politiques publiques ?

La prééminence de monocultures d’exportation ne favorise pas non plus l’accès des jeunes agriculteurs. La canne et la banane sont des cultures qui doivent être préservées, faute de mieux, mais une agriculture basée sur les matières premières, sans transformation, donc sans valeur ajoutée, et exportée vers la métropole, est une agriculture fragile. De surcroît, elle rend plus difficile l’accès à la terre pour les jeunes exploitants qui choisissent une filière de diversification.

Vous proposez de développer les circuits courts. Mais existe-t-il réellement une alternative au développement des importations ? Dans les grandes surfaces, les produits agricoles sont majoritairement des produits importés, soit de la Caraïbe ou du Costa Rica, soit de France, voire d’Europe. Certaines filières peuvent-elles être structurées de manière pérenne ? Existe-t-il des perspectives en matière de transformation de nos productions agricoles ?

Je pense, pour ma part, que mis à part les produits uniques, qui font l’objet d’une promotion exceptionnelle ou qui n’existent pas sur les autres continents, nous serons forcément en concurrence avec des pays qui produisent à des coûts très inférieurs aux nôtres et ne respectent pas les mêmes règles. Face à cette réalité, la transformation des produits pour leur apporter de la valeur ajoutée me paraît inévitable.

En bref, au-delà des discours, des postures et des intérêts particuliers, l’agriculture a-t-elle un avenir en outre-mer ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie pour ces réflexions pertinentes, cher collègue, mais vous avez répondu à vos propres questions… J’ai même, pour ma part, trouvé dans vos propos des réponses aux questions qui avaient été posées précédemment.

M. Jean-Philippe Nilor. Pour rester consensuel, monsieur le président, je n’ai abordé ni la question du chlordécone, qui prive la Martinique et la Guadeloupe d’une grande partie de leurs terres agricoles, ni celle de l’épandage aérien.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Le Premier ministre a beaucoup entendu parler de ces problématiques lorsqu’il s’est rendu aux Antilles au mois de juin, et toutes les personnes présentes ici les connaissent bien.

M. Louis-Daniel Bertome. Faute de temps, je ne répondrai pas à toutes les questions posées par M. Nilor, mais je suis à sa disposition pour aborder tous les sujets qu’il a évoqués dans le cadre de la préparation de la loi d’avenir pour l’agriculture.

Nous avons tous des projets pour notre agriculture. Lorsque j’ai démarré mon activité agricole, un ancien m’a rappelé que les gens se nourrissaient trois fois par jour et qu’il était préférable que nous leur fournissions nous-mêmes les produits de leur alimentation… L’agriculture dont nous avons hérité est basée sur un certain nombre d’équilibres qu’il est nécessaire de conserver parce qu’ils permettent la fourniture de produits agricoles à nos populations et contribuent à l’équilibre de la balance des paiements. Contrairement à beaucoup de nos voisins de la Caraïbe, qui sont indépendants et responsables de leur situation, nous sommes en mesure de financer ce que nous importons par ce que nous exportons – nous réalisons même un excédent – même si nous ne produisons pas de riz, de lentilles ou de haricots rouges qui sont pourtant une base de notre alimentation.

Un certain nombre de nos handicaps est lié au fait que nous nous trouvons dans le concert français et européen qui nous impose des normes très différentes de celles qui régissent la production de nos voisins. À Sainte-Lucie, par exemple, les bananes sont produites avec des procédés qui nous sont interdits. À Saint-Domingue, il existe une production de bananes bio, or elles sont beaucoup moins saines et moins propres que les bananes de Martinique car elles sont produites avec des techniques et des produits interdits chez nous. Mais je préfère cultiver dans les conditions qui sont les nôtres car notre production est sécurisée.

Je m’occupe du foncier en Martinique depuis trente ans. Je connais des agriculteurs qui ont acheté des terres et maintenant qu’ils sont à l’âge de la retraite, ils ne veulent pas les libérer, préférant demander au maire de les déclasser. S’ils agissent ainsi, c’est parce que le montant de leur retraite est insuffisant. Un homme qui possédait une grande exploitation me disait récemment qu’il ne pouvait pas partir à la retraite car il ne percevrait que 700 euros par mois. Il a vendu quelques parcelles et conservé dix hectares qu’il continue à exploiter.

Nous pouvons sans doute développer des activités sur les terrains dont nous disposons, à condition de faire en sorte que tous les agriculteurs soient les bénéficiaires des politiques publiques. À la chambre d’agriculture, nous nous battons depuis longtemps pour cela et je suis heureux de voir que mes collègues des autres DOM mènent la même bataille, y compris ceux de La Réunion – où seulement 20 % des agriculteurs sont concernés par les politiques publiques, 80 % d’entre eux ne recevant aucune aide. Il faut que tous les agriculteurs puissent vivre, et pour cela il convient de les aider, tout au moins ceux qui s’organisent pour vendre sur les marchés locaux, par exemple, ou pour constituer une association. Or, actuellement, ceux qui sont groupés en association ne perçoivent aucune aide. Ce sont pourtant ceux-là qui ont besoin d’aide. Nous ne pouvons continuer à perdre des agriculteurs simplement parce que nous n’avons pas voulu les aider.

Nous avons fait un certain nombre de propositions en ce sens. Actuellement, l’aide à l’installation s’adresse aux agriculteurs âgés de moins de 40 ans. C’est dommage, car beaucoup souhaitent s’installer après avoir suivi un parcours professionnel ou après avoir cherché une terre pendant dix ans. Lorsqu’ils s’installent, on refuse de les aider parce qu’ils ont plus de 40 ans ! Je souhaite que la loi instaure un système qui permettra d’aider les agriculteurs à s’installer, même s’il n’est pas financé par les fonds européens. Un certain nombre d’agriculteurs doivent défricher leur terrain, ce qui fait que pendant une période qui peut aller jusqu’à cinq ans, ils ne perçoivent aucun revenu. Si nous ne les aidons pas, ils ne peuvent pas rester dans l’agriculture.

Nous avons de nombreuses propositions à vous faire, mais il faut que nous sortions de la stricte réglementation destinée aux grandes cultures de pays tempérés, qui est peu adaptée à nos petits territoires et à nos difficultés spécifiques.

M. Jean-Philippe Nilor. Mon collègue, M. Daniel Gibbes, m’a demandé de vous poser la question suivante. L’évolution du statut de Saint-Martin pose un problème eu égard à l’identification du cheptel bovin. Le système utilisé par l’EDE (établissement départemental de l’élevage) a pris fin et aujourd’hui les bovins de Saint-Martin sont privés d’identité. Que répondez-vous aux éleveurs concernés ?

M. Joël Pédurand, directeur de la Chambre d’agriculture de Guadeloupe. La situation de Saint-Martin est particulière. Avant le passage au statut de collectivité, nous assurions l’identification des bovins de l’île. Depuis, les responsables ont constitué une chambre inter-consulaire mais aucun texte ne leur permet de prendre en charge l’identification des bovins, le législateur estimant que le territoire de Saint-Martin n’est pas suffisamment étendu pour qu’y soit implanté un centre d’identification. Cependant, nous sommes disposés en Guadeloupe à établir une convention avec la collectivité de Saint-Martin pour répondre à leur demande.

M. Jo Giroud. Le développement de l’agriculture outre-mer ne répond à aucune exigence parisienne. Nous sommes tous, à l’APCA, motivés par notre métier et nous voulons accompagner nos collègues pour permettre à l’agriculture d’évoluer et de jouer son rôle économique, social et d’aménagement du territoire.

S’agissant des panneaux photovoltaïques, nous avons souhaité à l’APCA leur consacrer une délibération car nous nous opposons à leur développement sur les terres agricoles, considérant que leur place se trouve essentiellement sur les toitures, mais cette délibération n’a pas force de loi…

M. Patrick Sellin. Nous ne soutenons pas l’agriculture par fatalité mais par conviction et nous sommes convaincus que nous devons maintenir l’agriculture dans nos territoires, en commençant par les cultures pivot que sont la canne et la banane. Si l’une de ces grandes productions disparaissait, l’agriculture serait totalement déséquilibrée. Nos parents ont maintenu ces cultures en place parce qu’ils avaient compris l’importance de cet équilibre. Pour être en bonne santé, l’homme doit vivre en harmonie avec son environnement et en consommer les produits. Nous nous battrons pour notre agriculture car nous avons foi en ce que nous faisons et nous sommes persuadés qu’elle peut encore générer de la richesse, créer des emplois, préserver l’équilibre économique de nos territoires et la santé de nos populations.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie pour cet acte de foi que nous partageons aussi à La Réunion. Les cultures pivot, que vous appelez le « poteau-mitan », sont le fruit de l’histoire – certains diraient de la période coloniale – et ne doivent pas être détruites.

Quant à la recherche d’une agriculture par nous-mêmes et pour nous-mêmes, j’adhère à cette proposition et c’est pour cette raison que la Délégation aux outre-mer a profité de la préparation du projet de loi d’avenir pour l’agriculture pour inventorier l’agriculture des outre-mer et détecter les points qui pourraient être améliorés.

Le ministre de l’Agriculture, M. Stéphane Le Foll, lorsque nous l’avons auditionné, a affirmé qu’il accorderait beaucoup d’attention au volet outre-mer du texte et qu’il était à l’écoute de nos propositions, dans la mesure de leur faisabilité et des moyens qui sont ceux de la France actuellement.

Nos auditions ont pour but de nous permettre de rencontrer les professionnels de l’agriculture à qui nous demandons de nous faire des propositions. N’hésitez pas à nous faire parvenir les vôtres : nous essayerons de les faire adopter si nous jugeons qu’elles doivent être intégrées au projet de loi d’avenir pour l’agriculture.

M. Jo Giroud. Nous vous soumettrons la compilation de toutes les propositions des présidents de chambres d’agriculture.

Mme Chantal Berthelot, corapporteure. Ce que je retiens de vos propos, c’est que vous avez une vision commune sur plusieurs points.

Il semble tout d’abord que vous approuviez la proposition du Gouvernement de créer les GIEE, qui permettront aux petites exploitations de prendre en compte l’environnement.

S’agissant des normes, notre collègue, M. Serge Letchimy, a remis au Premier ministre un rapport sur l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Ce rapport s’inscrit dans le combat de notre pays face à la Commission européenne pour la prise en compte de la réalité des régions ultrapériphériques dans le cadre de l’établissement des normes européennes. La Délégation s’est saisie de ce dossier et souhaite aller plus loin.

Vous souhaitez tous que nous accordions des bourses aux jeunes agriculteurs qui s’installent et que nous leur étendions la possibilité de souscrire un contrat « emploi d’avenir ». Cette proposition me convient, ainsi qu’à M. Hervé Gaymard, car elle éviterait que les jeunes partent travailler ailleurs que dans l’agriculture. Mais elle devrait s’accompagner d’un dispositif d’aide aux départs en retraite. Nous savons que la réforme foncière mise en place en Guadeloupe a eu des effets positifs qui ont incité à demander l’indemnité de retraite volontaire (IRV). Faut-il aussi adapter à l’agriculture le contrat de génération pour donner aux seniors la possibilité d’aider un jeune qui désire s’installer ?

En ce qui concerne le financement des chambres d’agriculture, Messieurs, je vous ai trouvés quelque peu timorés. Vous vous contentez d’évoquer la taxe sur le foncier non bâti, dont nous pourrions peut-être élargir la base. Nous avons besoin dans nos territoires d’une agriculture forte, ce qui suppose des chambres d’agricultures fortes. Elles doivent être dotées d’une force de frappe, faute de quoi nous n’obtiendrons pas les résultats souhaités. Il est important que vous fassiez des propositions concrètes afin d’assurer un financement pérenne aux chambres d’agriculture.

Nous sommes tous d’accord sur la nécessité pour notre agriculture de développer la diversification pour mieux répondre au marché local, de faire en sorte que les cultures d’exportation contribuent à la diversification et alimentent le marché local, et de valoriser nos produits.

Le projet de loi portant réforme des retraites sera présenté prochainement au Parlement : je vous invite à faire parvenir vos propositions à la Délégation dans les plus brefs délais.

M. Jo Giroud. Notre position est claire : nous demandons le renforcement de l’autonomie financière des chambres d’agriculture d’outre-mer, dont le taux d’autonomie se situe entre 10 et 38 % alors qu’il est de 49 % en métropole. Cette situation doit évoluer et c’est ce que nous avons proposé au ministère de l’agriculture. Compte tenu de la situation budgétaire de la France, nous ne pourrons obtenir une augmentation générale des crédits alloués aux chambres d’agriculture, d’autant que d’autres chambres consulaires ont vu leurs crédits réduits et que l’agriculture, qui a été bien défendue par M. Stéphane Le Foll, a conservé des perspectives d’autonomie financière.

Lorsque nous avions participé aux États généraux de l’outre-mer, le ministre de l’Agriculture de l’époque avait exprimé la volonté de placer les chambres d’agriculture sous la tutelle des régions. Nous nous étions élevés contre cette décision qui aurait instauré une différence de traitement pour des institutions de même nature, et avions fait des propositions constructives. Nous nous étions notamment prononcés en faveur de la signature de contrats d’objectifs entre les collectivités territoriales, l’État et les chambres d’agriculture. Ces contrats ont depuis été mis en place dans plusieurs départements où ils sécurisent le développement agricole.

Nous souhaitons donc clairement que soit renforcée l’autonomie financière des chambres d’agricultures, plus spécifiquement en Guyane où un plan de redressement est actuellement en discussion. Nul doute qu’il prévoira des abandons de créances et l’élargissement de la taxe aux terres que l’État met à la disposition des agriculteurs.

M. Ary Chalus. Je le dis devant vous avec force, monsieur le président : il faut adapter les horaires de réunion de la Délégation pour que nous puissions y assister plus nombreux. Il n’est pas normal que plusieurs commissions se réunissent en même temps.

Quand il faut régler certains problèmes en outre-mer, surtout quand il s’agit de payer, on invoque le droit commun, mais lorsqu’il s’agit de reconnaître que nous sommes des agriculteurs et des pêcheurs comme ceux de la métropole, cela crée des difficultés.

Je suis maire de la ville de Baie-Mahault. Nous sommes les seuls en Guadeloupe à avoir créé une association d’agriculteurs, que nous soutenons financièrement, et nous organisons l’une des plus grandes manifestations agricoles de l’île car nous entendons reconnaître les agriculteurs comme des chefs d’entreprise.

Je le dis haut et fort et j’espère être entendu : c’est l’outre-mer qui a permis au Sénat de basculer à gauche et à ce gouvernement d’exister. Or il ne nous prend pas suffisamment en compte. J’espère qu’il entendra mon propos car il n’est pas normal que nous souffrions tant et que nous devions, seuls, faire face aux difficultés spécifiques que sont les cyclones, le vent, les inondations. Mon propos va certainement déranger…

M. le président Jean-Claude Fruteau. C’est la particularité de votre groupe !

M. Ary Chalus. Non, car je suis libre au sein de mon groupe… Cessons de mener une politique qui nous pénalise, celle du petit ami à qui on ne dit pas la vérité pour le préserver. Mais nous avons désormais un ministre des Outre-mer, nous devrions être plus à l’aise.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Monsieur Chalus, si nous sommes là, c’est pour prendre à bras le corps les problèmes qui nous concernent et nous avons l’ambition d’y parvenir.

M. Ary Chalus. Ne nous contentons pas des sempiternels « Y’a qu’à, faut qu’on » mais faisons en sorte d’obtenir des résultats !

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous devons apporter notre pierre à l’édifice et nos auditions nous permettront d’influer sur le vote de ce projet de loi. Dans quelle proportion, je ne sais pas, mais je ne suis pas de ceux qui proclament d’emblée que nous n’y arriverons pas. Imposons-nous, mon cher collègue !

M. Ary Chalus. Oh ! Pour s’imposer, il faut être à Matignon ou à Bercy !

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mon cher collègue, la représentation nationale a un sens, à condition que nous sachions organiser le débat qui, sur des sujets sensibles, peut être vif.

M. Ary Chalus. Un jour, on viendra en outre-mer solliciter l’appui des électeurs, mais ce jour-là il sera trop tard. La Délégation a fait son travail, mais rien n’a changé. On méconnaît nos préoccupations.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mon cher collègue, vous avez le droit d’exprimer ce sentiment, mais le mien est différent et je vous en donne la preuve : en matière de défiscalisation des investissements outre-mer, nous avons défendu auprès du Premier ministre la position adoptée par l’ensemble de la Délégation et nous avons obtenu gain de cause. S’agissant de la loi d’avenir, le combat n’est pas gagné définitivement mais si nous le perdons ce sera dans l’hémicycle et non à Matignon. Pour la défiscalisation, le Gouvernement présentera des propositions quasiment identiques aux préconisations contenues dans le rapport que j’ai rédigé avec M. Patrick Ollier sur ce sujet. Si nous avons eu gain de cause alors que le ministère des Finances était vent debout contre nos propositions, c’est bien que le Gouvernement et le Premier ministre ont pris en compte l’importance de l’outre-mer dans la victoire de François Hollande, ainsi que sa place au sein de la République.

M. Ary Chalus. Cela s’est produit seulement pour la défiscalisation !

M. le président Jean-Claude Fruteau. Non, car je pourrais vous citer d’autres exemples.

Après avoir montré notre détermination, fort du soutien de mes collègues qui avaient voté le rapport à l’unanimité, je suis monté au créneau en votre nom à tous et notre voix a été entendue. Il est vrai que nous étions soutenus par le ministre, M.Victorin Lurel.

M. Jean-Philippe Nilor. Pour une fois, en effet, nous étions soudés et nous avons affiché notre solidarité, au-delà des courants politiques. Pourrons-nous afficher la même solidarité lorsqu’il s’agira de rendre plus juste le système des retraites, tant pour les salariés que pour les exploitants agricoles ? Si nous y parvenons, nous démontrerons que nous sommes capables d’obtenir des résultats.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Il est trop tôt pour répondre à cette question. Si, sur tel ou tel point, nous parvenons à l’unanimité, nous monterons au créneau, toutes opinions confondues, notamment en déposant des amendements au nom de la Délégation.

M. Ary Chalus. Nous savons au moins que nous avons un bon président... Le seul point sur lequel nous pourrions obtenir un consensus total, c’est que l’on ne cesse jamais de penser à l’outre-mer.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je suis d’accord sur le principe.

Je vous remercie, Messieurs, pour la qualité de vos interventions.

Table ronde réunissant les Sociétés d’aménagement foncier et rural (SAFER) de Guadeloupe et de Martinique, et l’Établissement public d'aménagement en Guyane (EPAG), avec la participation de M. Rodrigue Trèfle, président de la SAFER de Guadeloupe ; M. Joseph Lugo, président de la SAFER de Martinique ; M. Robert Catherine, directeur général de la SAFER de Martinique ; M. Jack Arthaud, directeur général de l’EPAG de Guyane.

Compte rendu de l’audition du mardi 17 septembre 2013

M. le président Jean-Claude Fruteau. Notre ordre du jour appelle aujourd’hui une table ronde en présence des représentants des sociétés d’aménagement foncier et rural (SAFER) et du directeur général de l’Établissement public d’aménagement en Guyane (EPAG), dans le cadre des travaux que nous conduisons actuellement sur l’agriculture ultramarine – sujet pour lequel notre Délégation a nommé comme rapporteurs Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard. Comme vous le savez, le Gouvernement mène actuellement une réflexion dans le cadre de la préparation de la loi d’avenir sur l’agriculture, qui comportera un volet spécifique sur les outre-mer.

La Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, qui a été créée au début de cette législature par décision de la Conférence des présidents, est composée de députés représentant les départements, les régions et les collectivités d’outre-mer, mais également de députés désignés par les différents groupes et représentant l’hexagone. Cette structure unique en son genre mène une réflexion commune sur un certain nombre de problèmes particuliers aux outre-mer, afin de mieux faire connaître nos réalités et nos spécificités. C’est dans ce cadre que nous vous avons demandé de bien vouloir nous rejoindre cet après-midi. Je vous souhaite donc la bienvenue et vous remercie de votre présence.

Nous avons souhaité vous entendre sur un certain nombre de thématiques : les structures agricoles et la préservation du foncier ; l’installation des nouveaux agriculteurs sur des exploitations ; le statut social de l’agriculteur ultramarin : formation, revenu, retraites – même si cette dernière question ne sera pas directement traitée dans le cadre de la loi sur l’avenir de l’agriculture, mais dans le cadre de la loi sur les retraites ; l’amélioration des filières ; l’enseignement agricole. Bien évidemment, cette liste n’est pas exhaustive et nous sommes ouverts à toutes vos propositions.

Je vous propose de procéder de la manière suivante : tout d’abord, je présenterai les différents intervenants à cette table ronde ; ensuite, je donnerai la parole à Mme Chantal Berthelot, qui vous posera des questions plus précises dans le cadre des différentes pistes de réflexion retenues ; chacun d’entre vous exprimera ses préoccupations et nous fera part de ses propositions ; enfin, la parole sera donnée aux parlementaires de la Délégation et nous pourrons librement échanger. Je précise enfin que, comme la semaine dernière, nous accueillons une journaliste du journal Outre-mer, le Mag, qui a souhaité suivre nos travaux.

Nous avons donc le plaisir d’accueillir M. Rodrigue Trèfle, président de la SAFER de Guadeloupe ; M. Joseph Lugo, président de la SAFER de Martinique, et M. Robert Catherine, son directeur général ; M. Jack Arthaud, directeur général de l’EPAG de Guyane.

Mme Chantal Berthelot, corapporteure. Messieurs, je tiens à vous remercier pour votre présence. C’est avec plaisir et émotion que je vous retrouve aujourd’hui.

M. Jocelyn Ho-Tin-Hoé, le président de l’EPAG, qui n’a pu se déplacer cette semaine, m’a chargé de présenter ses excuses. D’autre part, la Délégation n’a pas eu de retour de la SAFER de La Réunion. Enfin, je précise que nous aborderons les problématiques foncières de Mayotte le 15 octobre, lorsque nous recevrons les cinq ASP (Agences de services et de paiement) d’outre-mer. De fait, à Mayotte, il n’y a pas de SAFER et la gestion du foncier revient à l’ASP.

Sur les trois territoires de la Martinique, de la Guadeloupe et de Guyane, les problématiques foncières, sur lesquelles nous avons déjà entendu les présidents des chambres d’agriculture et les syndicats, sont les mêmes – bien qu’elles se présentent différemment : accès au foncier ; perte de foncier agricole ; nécessité de renforcer les outils mis à disposition ; sécurisation du foncier agricole.

Le rôle de la Délégation est de faire remonter de manière collective, sur des thématiques précises, la situation des outre-mer, au-delà même de nos appartenances politiques. Mais nous attendons de vous, qui êtes des experts, un bilan et des propositions d’amélioration charpentées et concrètes.

M. Joseph Lugo, président de la SAFER de Martinique. J’ai milité à la FNSEA avant d’être à la tête de la SAFER, et je m’intéresse à tout ce qui touche à l’agriculture.

À la Martinique, le constat n’est pas très réjouissant : diminution continue de la surface agricole ; volume croissant de terres en friche ; logique spéculative des propriétaires fonciers, qui laissent pourrir la situation jusqu’à ce que la terre soit déclassée ; faiblesse des moyens d’intervention de la SAFER ; faiblesse des mouvements fonciers (vente et location) ; dégradation de la qualité des sols.

Les enjeux sont les suivants : stabilisation et protection du foncier agricole dans un objectif de valorisation optimale ; valorisation des terres en friche (à peu près 20 000 hectares) ; limitation du démantèlement des unités de production ; restauration de la fertilité des sols et diminution de l’impact des pesticides.

Nos propositions sont nombreuses :

– Relever les taxes sur les plus-values de vente de terrains agricoles devenus constructibles. Ceux-ci peuvent atteindre 400 euros le mètre carré ! Il faut faire quelque chose.

– Supprimer l’exonération de l’impôt sur les plus-values.

– Relever le niveau de la taxation de cinq points par tranche.

– Définir, pour chaque DOM, des critères de qualification juridique de la notion de « terre en friche ». Nous avons en effet constaté qu’à partir d’un certain nombre d’années, ces terres deviennent indéfrichables. L’ONF affirme qu’on peut faire de la sylviculture en laissant pousser les arbres, mais en fait, dans ces conditions, les arbres ne sont plus utilisables.

– Relever la taxe additionnelle au foncier non bâti (TAFNB) et supprimer les cas d’exonération de la taxe sur le foncier non bâti en cas de terres en friche, au bénéfice du financement du développement agricole.

– Défiscaliser les revenus tirés des baux ruraux durant la durée du premier bail.

– Accorder un bonus « octroi de mer » de compensation. Cela suppose de modifier la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 en faveur des communes qui instaurent des ZAP (zones agricoles protégés) sur leur territoire et qui favorisent ainsi l’espace agricole plutôt que l’espace constructible.

– Rallonger la durée du maintien de l’indivision, de cinq à neuf ans, pour le bénéficiaire qui met en valeur une exploitation agricole (article 815-16 du code civil).

M. Robert Catherine, directeur général de la SAFER de Martinique. Dans le cadre d’une reprise familiale !

M. Joseph Lugo. Étendre le dispositif de sortie de l’indivision applicable aux terres constructibles (article 815-1 et suivants du code civil) aux terres agricoles en cas de vente d’un seul tenant.

– Soumettre à la Commission départementale de consommation des espaces (CDCEA) toute division des terres agricoles, quels que soient le bénéficiaire et la surface.

– Appliquer au bénéfice de la SAFER un droit d’appropriation de l’usufruit sur les terres en friche à l’usage de bail agricole.

– Étendre la durée de la convention de mise à disposition de douze à dix-huit ans, pour donner à l’agriculteur installé une visibilité à plus long terme.

– Défiscaliser les apports financiers privés pour l’acquisition du foncier mis à disposition des agriculteurs par la SAFER.

– Inciter à la création d’associations foncières de remembrement (article L. 933-1 du code rural) pour redynamiser les opérations d’aménagement foncier.

– Mettre en place un plan « sols » opposable aux agriculteurs et visant à la sauvegarde et à la reconstitution du potentiel des sols (inversion de dégradation, pollution, érosion).

– Limiter la disposition du PLU qui permet d’inscrire en zone boisée classée des terres qui seraient restées trop longtemps en friche – afin d’assurer une cohérence minimale entre protection des forêts et reconquête des terres agricoles (article L. 130-1 du code de l’urbanisme).

Je précise que ces propositions sont le fruit d’un travail mené en commun avec la Chambre d’agriculture – dont je suis également membre.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci beaucoup, monsieur le président, pour ces propositions nombreuses et ambitieuses.

M. Rodrigue Trèfle, président de la SAFER de Guadeloupe. Les problématiques des agricultures insulaires sont les mêmes. Pour autant, je vais vous faire un état des lieux de la situation en Guadeloupe.

D’abord, l’âge moyen de nos agriculteurs est aujourd’hui de 55 ans. Il y a très peu d’installations, pour des raisons liées aux retraites. En effet, quand ils atteignent l’âge de la retraite, les agriculteurs n’arrêtent pas leur exploitation, parce qu’ils n’auraient pas suffisamment de revenus pour vivre décemment. Il faut donc se donner les moyens d’accompagner le départ de nos aînés, afin de libérer ce foncier pour les générations nouvelles.

Ensuite, la Guadeloupe perd son foncier agricole, pour des raisons qui ne sont pas directement liées à la construction, mais qui sont liées à la spéculation. On estime aujourd’hui que 10 000 hectares de terre sont maintenus en friche ou insuffisamment cultivés, en attendant de les transformer en terrains à bâtir. Des lois existent, comme, par exemple, la loi sur les terres incultes. Il s’agirait de l’adapter à la réalité de l’outre-mer car, dans l’hexagone, l’histoire agricole est tout autre.

Enfin, la taille de nos exploitations agricoles est en moyenne de cinq hectares. Quand ils partent à la retraite, nos aînés ont tendance à morceler leur foncier pour le transmettre par petits bouts à leurs enfants. Il faut absolument mener une réflexion en profondeur, pour que ce foncier reste intact. Nous devons trouver des moyens, fiscaux ou juridiques, d’éviter ces morcellements. L’instance la plus adaptée pourrait être la CDCEA. Tout projet de division d’une surface, non plus constructible mais agricole, devrait transiter par cette commission.

La jeunesse de notre agriculture fait que l’on n’a pas encore compris que, même s’il est nécessaire de loger la population, le foncier est surtout, dans une économie comme la nôtre, un outil de travail. Or, les quelques 300 jeunes qui sortent chaque année du lycée agricole de Guadeloupe n’ont pas la possibilité de mener leur carrière dans le monde de la production agricole. Le paysage est mité (il suffit de se rendre en Guadeloupe par avion pour s’en rendre compte), les conflits d’usage se multiplient et les exploitations ne peuvent pas se développer pour répondre au développement endogène. Les surfaces étant limitées, les éleveurs ont des problèmes de voisinage avec leurs voisins qui, souvent, ne sont pas des agriculteurs.

Je vais maintenant retracer brièvement l’histoire agricole des trente dernières années de la Guadeloupe, qui nous a permis de dégager des pistes et une forme de mise à disposition du foncier agricole : je veux parler de la réforme foncière et de l’exploitation sous forme de GFA (groupement foncier agricole).

La SAFER de Guadeloupe avait déjà mis en œuvre différentes réformes, dont l’objectif était de mettre le foncier à la disposition des agriculteurs. Ceux-ci étaient installés, devenaient propriétaires et exploitaient leurs terres. Mais on a constaté que pratiquement 60 % des surfaces concernées ne sont plus agricoles, sont mitées ou ont été morcelées.

La réforme foncière des années quatre-vingt était d’une certaine ampleur. Il s’agissait, pour la SAFER de Guadeloupe, d’acquérir plus de 11 000 hectares de terres agricoles, ou aux mains des usiniers, et de les transmettre, sous la forme considérée alors comme étant la plus adaptée – parce que la plus apte à garantir la pérennisation de l’activité agricole – qui était celle de la rétrocession dans le cadre d’un GFA à statut spécifique. Dans ce type de GFA, en effet, le capital était détenu à 40 % par les exploitants et à 60 % par une SCPI (société civile de placement immobilier). Plus de trente-deux ans après, nous pouvons constater qu’aucun mètre carré des terres placées dans ces GFA n’a été déclassé. Ces terres contribuent ainsi au développement agricole du département de la Guadeloupe. On relève que 34 % de la production cannière de Guadeloupe provient d’ailleurs de ces GFA.

À mon avis, ce schéma est le bon, dans la mesure où il garantit une transmission du foncier. L’agriculteur n’est pas propriétaire de la parcelle, il est simplement actionnaire d’une entité juridique qui a pour vocation d’assurer la pérennité de l’outil de production qu’est le foncier. Je n’ai pas de proposition spécifique à vous faire, mais je pense qu’il conviendrait de conforter l’expérience guadeloupéenne dans les autres départements d’outre-mer qui sont confrontés au même problème : le foncier s’y réduit comme une peau de chagrin. Certes, il faudra loger les habitants de nos îles. Il faut donc utiliser cet outil en bonne intelligence, dans l’intérêt de chacun.

Je souhaiterais également appeler votre attention sur un autre phénomène. La SAFER de Guadeloupe reçoit, comme la loi l’y oblige, les notifications des notaires, et nous constatons que nous manquons aujourd’hui de moyens pour remplir notre mission première qui est de réguler le marché, afin d’éviter la flambée des prix.

Aujourd’hui, les très bonnes terres agricoles que la SAFER rétrocède sont aux alentours de 10 000 euros l’hectare, et les notifications qui nous parviennent des notaires avoisinent les 5 000 euros l’hectare. Nous intervenons souvent dans le cadre de notre droit de préemption. Mais le vendeur retire le bien de la vente, qui échappe encore une fois au monde agricole. Là encore, il faut mener une réflexion en profondeur. Comme le disait le président Lugo, celui qui détient l’outil qu’est le foncier agricole doit être taxé, dans la mesure où il défend ses propres intérêts et non pas l’intérêt général. Aujourd’hui, plus de 300 jeunes frappent à la porte de la SAFER pour demander du foncier. Nous sommes incapables de leur proposer quoi que ce soit, tout en sachant que l’on voit tous les mois, à travers les notifications, du foncier qui transite par la SAFER via les notaires.

Par ailleurs, il est fréquent que des propriétaires âgés qui détiennent 10 hectares les vendent par petits morceaux, par demi-hectares, ce qui contribue au mitage. Nous devons faire en sorte d’obliger, ou de pénaliser fiscalement, tout propriétaire qui détiendrait des terrains agricoles non mis à la production. Certes, nous sommes en France, et il n’est pas possible de déposséder les propriétaires de leurs biens, mais il faudrait les obliger à mettre ces terrains à la production, dans l’intérêt général du monde agricole.

Il faut également donner des moyens aux SAFER. Celles des outre-mer, contrairement à celles de l’hexagone, ont un volet d’intervention limité. Nous sommes un tout petit territoire. Une SAFER de l’hexagone, de par l’étendue de l’espace où elle exerce son activité, obtient des moyens par le flux des affaires qui peuvent y être faites. Ce n’est pas notre cas, et nous n’avons pas les moyens financiers pour intervenir.

Il faudrait pouvoir verser une dotation minimale aux SAFER – à partir de certaines taxations – en leur fixant comme objectif précis l’installation et l’accompagnement des jeunes. Là aussi, une réflexion s’impose. Sur nos territoires d’outre-mer, seule l’agriculture est à même d’offrir des perspectives aux jeunes et aux moins jeunes. Et il lui revient de relever le défi du développement endogène. Pratiquement toutes nos productions sont des productions d’exportation. Celles-ci méritent d’être confortées, mais nous devons également trouver le moyen de développer une agriculture qui permette de nourrir nos populations. Il est exact que, par le passé, nous n’avions pas suffisamment d’agriculteurs formés. Mais maintenant, nous avons des lycées performants, et des jeunes à l’attente desquels il faut répondre.

Je terminerai par une autre problématique, tout aussi importante, à laquelle la SAFER de Guadeloupe est confrontée depuis plus de trente ans : les phénomènes d’occupation illégale. Aujourd’hui, en outre-mer, et plus particulièrement en Guadeloupe, nous connaissons des personnes qui occupent de façon illégale le foncier et qui, malheureusement, bénéficient d’aides publiques, et parfois d’aides européennes.

Il faut que l’on puisse inscrire dans une loi que toute aide publique ne peut être versée que si l’exploitant justifie de titres en bonne et due forme.

Mme la corapporteure. C’est normalement le cas !

M. Rodrigue Trèfle. La conséquence de ces occupations est qu’à l’heure actuelle, environ 1 300 hectares de terres agricoles relevant de la SAFER de Guadeloupe ne peuvent être rétrocédés à des jeunes. Nous avons eu l’occasion de soulever le problème avec le préfet Fabre, qui s’était rendu sur le terrain et qui avait pris des engagements vis-à-vis de moi. Si les occupants illégaux n’obtiennent pas d’aides, ils quitteront les lieux.

Je pense qu’aujourd’hui, en outre-mer, et singulièrement en Guadeloupe, nous sommes à un tournant. De nouvelles générations d’acteurs du monde agricole veulent relever le défi. Mais il faut leur donner des moyens, et pas uniquement des moyens financiers, pour y parvenir. Les accompagner et faire en sorte de mettre fin à un certain nombre de dérives serait déjà très bien.

M. Jacques Arthaud, directeur général de l’EPAG de Guyane. Monsieur le président, Madame la députée, Mesdames et Messieurs, l’EPAG est un établissement public à caractère industriel et commercial de l’État, qui a été créé en 1996. Il a plusieurs domaines d’activité : l’aménagement en faveur du logement ; l’aménagement en faveur du développement économique ; l’aménagement en faveur du développement de l’économie agricole. En tant qu’établissement public, l’EPAG présente un certain nombre de caractéristiques – personnalité morale, personnalité publique, autonomie administrative et financière, spécialité de l’objet.

Je vous ai décrit ses trois missions principales. En faveur de l’économie agricole, je distinguerai deux volets principaux : d’abord, l’aménagement agricole, et donc l’ouverture de nouveaux espaces agricoles au monde agricole ; ensuite, les interventions foncières qui pourraient être menées sur les espaces agricoles déjà ouverts.

En premier lieu, l’EPAG intervient en tant que propriétaire, aménageur et ensuite vendeur ou bailleur de surfaces agricoles.

Je vous donne un exemple concret : la dernière opération en date, l’opération de Wayabo, a été menée sur la commune de Kourou. L’EPAG s’est rendu propriétaire de 42 km2, soit de 4 200 hectares de foncier. Il ne s’agissait pas d’une acquisition à titre onéreux, mais d’une acquisition à titre gracieux ; l’État a en effet librement rétrocédé ce foncier à son établissement public. L’EPAG a aménagé ce terrain : procédure administrative sous forme de lotissements, travaux (création de 25 km de route), division foncière, et mise à disposition de foncier auprès d’agriculteurs. Dans un premier temps, cette mise à disposition s’est faite par des baux précaires. À leur issue, au terme de cinq années, on a pu vérifier la réalité de la mise en valeur agricole des parcelles. Pour les agriculteurs qui ont réussi à mettre en valeur leurs terrains, cela se traduit aujourd’hui par des cessions à un prix très en deçà de la valeur vénale estimée par l’administration des Domaines. Pour ceux qui ne les ont pas mis en valeur, deux situations ont été prises en compte : si les terres n’ont quasiment pas été mises en valeur, l’EPAG les reprend pour les réattribuer à de nouveaux agriculteurs ; si la mise en valeur est en cours, on passe à des titres qui permettent de sécuriser juridiquement l’installation – avec des baux emphytéotiques.

Comme vous pouvez le constater, l’EPAG joue un rôle d’aménageur foncier, mais aussi de gestionnaire, et fait en sorte que les terres qui sont affectées aux agriculteurs soient véritablement mises en valeur. Je précise que les cessions qui sont en cours comportent des clauses anti-spéculatives draconiennes, garantissant que, pendant au moins une quinzaine d’années, les terres resteront bien affectées au profit de l’économie agricole. Au-delà, bien évidemment, il nous faudra disposer d’autres outils.

Je pense utile de vous livrer quelques chiffres pour caractériser le poids de notre activité agricole par rapport à nos autres activités en faveur du logement et de l’économie. Au 31 décembre 2012, l’EPAG disposait de 14 523 000 euros de fonds propres. Dans cette masse budgétaire, la dotation en capital qu’avait apportée le ministère de l’Agriculture, non pas à la création de l’EPAG, mais plus tard, en 2007, était de 400 000 euros. Cela vous donne une idée des moyens qui ont été mis à la disposition du ministère de l’Agriculture pour ce type de mission.

Le second rôle de l’EPAG serait de sécuriser l’ensemble du foncier agricole de la Guyane. Pour cela, la loi d’orientation agricole de 1999 a créé le droit de préemption pour les SAFER en métropole et en outre-mer. Comme il n’y a pas de SAFER en Guyane (le seul département de France et d’outre-mer avec Mayotte), le législateur a corrigé ce manque par la loi de 2006 qui a attribué ce droit de préemption à l’EPAG.

En 2006, la situation budgétaire de l’établissement était délicate. Ses fonds propres étaient négatifs. Il lui était donc difficile de remplir les nouvelles missions que lui donnait le législateur, d’autant plus qu’il était confronté à d’autres enjeux très importants. Voilà pourquoi, jusqu’en 2010, l’EPAG s’est essentiellement consacré à ses missions d’aménagement en faveur de l’habitat et de l’agriculture.

À partir de 2010, l’EPAG a retrouvé une situation financière saine et la capacité de mettre en œuvre ces nouveaux dispositifs. Un vote de son conseil d’administration a approuvé la mise en œuvre de son droit de préemption et a demandé au préfet de préparer la concertation nécessaire, en amont de la procédure d’établissement du décret par le ministre de l’Agriculture, procédure indispensable pour la mise en œuvre de ce dispositif. Force est de constater que, depuis deux ans, la concertation n’a pas été engagée. Donc, l’EPAG est doté de cette compétence mais ne la met pas en œuvre.

Aujourd’hui, le ministère de l’Agriculture indique que l’EPAG n’est pas forcément le meilleur outil pour mettre en œuvre ce droit de préemption. Sauf qu’il n’y a pas d’autre organisme compétent pour le faire. Voilà pourquoi, malheureusement, le mitage des espaces périurbains se poursuit.

Il arrive que de grands propriétaires, possédant par exemple une centaine d’hectares, fassent venir un géomètre qui découpe des lots d’un, 2 ou 3 hectares. Ils les vendent à des personnes qui ne sont pas agriculteurs, qui construisent, le plus souvent en toute illégalité, une maison – en général une résidence d’habitation principale. Comme ces personnes sont propriétaires et que les constats de constructions illégales en Guyane sont relativement nombreux, au bout de quelques années, des pans entiers d’espaces périurbains basculent du monde agricole en zone semi-denses. Ces zones feront ensuite l’objet de grandes opérations d’aménagement, avec toutes les difficultés que cela suppose lorsque les terrains sont déjà occupés.

Je vous ai ainsi décrit les deux champs d’action de l’EPAG : le premier, en faveur de l’aménagement et de l’augmentation de la surface agricole utile ; le second, en faveur de la préservation des terres, qui n’est pas mis encore en œuvre mais qui pourrait l’être – il manque un décret d’application, sur simple décision gouvernementale.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Comment voyez-vous l’évolution de l’EPAG ?

M. Jacques Arthaud. Une des critiques qui a été faite à l’EPAG était liée à sa gouvernance et portait sur le manque de représentation du monde agricole. Je rappelle que l’EPAG, de par son décret constitutif, est composé à parité de représentants de l’État et de membres élus de la région, du conseil général et des communes. Au sein du conseil d’administration de l’EPAG, on ne trouve donc pas de représentants du monde agricole.

Fort de ce constat, le conseil d’administration, il y a déjà plus de dix ans de cela, avait demandé que les modes d’attribution (cessions ou baux emphytéotiques) du foncier agricole ne soient pas de la compétence du directeur, mais d’une commission ad hoc que le conseil d’administration avait créée et qui, elle, regroupait notamment la profession agricole et la chambre d’agriculture. Aujourd’hui, toutes les décisions d’attribution de parcelles agricoles se font de manière collégiale avec les membres représentatifs de la profession agricole.

Récemment, certains syndicats agricoles ont fait remarquer que la chambre d’agriculture ne représentait pas forcément tous les syndicats. Voilà pourquoi, dans les dernières attributions qui ont été faites depuis un an, l’ensemble des syndicats participe à des commissions préalables et s’exprime. L’ensemble des remarques est présenté ensuite devant la commission créée par notre conseil d’administration et qui est destinée à recueillir, de la manière la plus large possible, l’avis des représentants du monde agricole.

Quel sera l’avenir de l’EPAG ?

L’EPAG va évoluer dans ses statuts, puisque l’ordonnance de septembre 2011 contraint l’ensemble des établissements publics d’aménagement qui ont une double casquette comme l’EPAG (établissement public d’aménagement et établissement public foncier) à se scinder. D’ici à la fin de 2015 (délai fixé par le législateur) l’établissement sera donc coupé en deux.

Le ministère considère qu’il vaudrait même mieux couper l’EPAG en trois, afin de créer un établissement spécifique pour remplir ses missions dans le monde agricole. Les contrôleurs généraux du ministère de l’Agriculture ont confirmé, dans leur rapport, que la meilleure solution était effectivement de créer une structure ad hoc. En revanche, ils ont fait remarquer que le financement de cette structure ne serait pas assuré.

Personnellement, je pense que nous disposons aujourd’hui d’un outil qui fonctionne et qui donne satisfaction. Il faudrait lui donner les moyens de remplir complètement ses missions, s’agissant notamment de la préservation des espaces périurbains. Il conviendrait que les administrateurs soient choisis parmi les personnes les plus expérimentées et les plus attentives possible pour poursuivre la modernisation des instances de prise de décision au sein de l’établissement. C’est déjà le cas, mais on pourrait sans doute aller un peu plus loin ou, du moins, le formaliser de manière un peu plus spécifique pour que l’ensemble de la profession agricole puisse s’exprimer. En effet, l’un des enjeux est bien que tous les agriculteurs et tous les syndicats agricoles puissent avoir un droit de parole dans le fonctionnement d’une telle structure.

Mme la corapporteure. Sur les trois territoires, on propose des réponses différentes à des problématiques presque communes. Et l’on peut faire un parallèle entre la Guadeloupe et la Martinique, qui disposent toutes les deux de SAFER et donc des mêmes outils. Je voudrais donc savoir si le président Trèfle adhère aux propositions du président Lugo, notamment lorsqu’il propose d’augmenter la taxe sur les plus-values des terres agricoles qui deviennent constructibles. Ces terres peuvent en effet atteindre 400 euros le mètre carré. La question se pose-t-elle de la même façon en Guadeloupe ?

M. Rodrigue Trèfle. Je crois que nous nous retrouvons sur ce type de proposition. J’ajoute tout de même que cette taxation devrait servir au financement de la mission des SAFER. En effet, une telle taxation a un rôle dissuasif. Mais elle doit aussi permettre, en retour, aux opérateurs que sont les SAFER d’exercer leur activité.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Leur droit de préemption, donc ?

M. Rodrigue Trèfle. Oui, d’une certaine façon, financer les acquisitions et les préemptions qui aboutiraient.

Mme la corapporteure. Les propos du président Lugo comme ceux du président Trèfle m’ont troublée. Car il existe tout de même des PLU, des outils législatifs, bref des moyens de protéger le foncier agricole. Or, à les entendre, on peut passer facilement d’une terre agricole à une terre constructible. Comme si, en fait, il n’y avait rien…

Mme Gabrielle Louis-Carabin. En Guadeloupe, il y a beaucoup de domaines familiaux. Au départ, les terres ont été données aux colons qui les cultivaient. Or, tous avaient de nombreux enfants et les terres ont été partagées. Cette pratique perdure. Il est impossible de conserver le foncier agricole dès lors que les particuliers construisent sans permis – et en toute impunité – sur les zones agricoles.

En empêchant que les terres soient transmises de parent à enfant, la SAFER et les groupements fonciers agricoles (GFA) protègent le foncier agricole. C’est donc un outil qu’il faut utiliser. Il convient en outre de demander aux notaires d’appliquer la loi qui interdit la division des terres entre les membres de la famille car cela favorise la construction de maisons isolées. Et souvent, lorsqu’il établit le plan local d’urbanisme (PLU), le maire est obligé de déclasser la zone.

En Guadeloupe, la situation est particulière car, en 1989, le Président de la République de l’époque, devant les besoins de logements, a permis au préfet de construire en urgence des logements dans les zones agricoles, et, par la suite, cette pratique s’est poursuivie. Ainsi, dans ma commune, cohabitent des agriculteurs et des enfants d’agriculteurs qui ont construit illégalement sur les terres dont ils ont hérité. Nous devons mettre fin à ces pratiques, aux Antilles mais également en Guyane, où l’EPAG doit exercer son droit de préemption, faute de quoi elle verra se développer la spéculation.

M. Joseph Lugo. Le meilleur moyen de protéger les terres agricoles, c’est de les sanctuariser par le biais des ZAP et des GFA afin de décourager tous ceux qui veulent casser l’outil de production.

Mme la corapporteure. Combien avez-vous de ZAP à la Martinique ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cette procédure est-elle courante ?

M. Robert Catherine. Il n’existe qu’une ZAP à la Martinique, qui a été mise en place en 2004, mais un certain nombre de mairies ont demandé l’implantation d’une ZAP sur leur territoire dans le but de protéger le foncier agricole.

La ZAP a un point faible : elle ne dure que tant que le maire a la volonté de la maintenir. Lorsque le maire est remplacé, si son successeur ne souhaite pas maintenir la ZAP, elle est supprimée. Ce n’est donc pas une protection très sûre.

M. Joseph Lugo. C’est pourquoi il est indispensable de créer un GFA dès la mise en place de la ZAP.

M. Robert Catherine. Mais nous touchons là à la propriété privée et il ne nous est pas possible de contraindre un propriétaire à préserver le foncier agricole. Nous sommes confrontés à plusieurs textes de loi qui ne répondent pas aux mêmes finalités.

Le schéma départemental des structures (SDS) accorde la priorité, en cas de rétrocession de terres, à un jeune agriculteur. Celui-ci est naturellement très intéressé car, étant également spéculateur, il se dit qu’un jour il ira voir le maire pour lui demander de déclasser les terres. Il convient de noter, cependant, que ce que nous vivions jusqu’à présent change un peu, car il y a un an ont été mises en place les commissions départementales de consommation des espaces agricoles (CDCEA), qui portent mal leur nom puisqu’elles ont pour mission de protéger les terres agricoles et non de les ouvrir à la consommation.

Nous avons eu cinq ou six CDCEA en Martinique. Deux communes ont vu leur PLU être rejeté, ce qui, bien que satisfaisant l’intérêt général, n’a pas fait plaisir aux maires, habitués à exercer seuls le pouvoir en matière d’agriculture.

Lorsqu’elle sera parfaitement mise en place, la CDCEA protégera les terrains agricoles. Une loi en vigueur empêche les propriétaires de morceler leur terrain en plus de trois parcelles, mais elle n’est pas appliquée, pas plus que la loi sur les terres en friche. Le dispositif est mis en place à La Réunion depuis très longtemps et il fonctionne parfaitement puisque près de 300 hectares y sont remis en culture chaque année. Les textes existent mais, faute de volonté politique, ils ne sont pas appliqués.

Il faut mettre à mal la démarche qui consiste à acheter des terres agricoles parce qu’elles ne coûtent pas cher – à la Martinique, le foncier agricole coûte entre 40 et 60 centimes d’euro le m2, contre 40 euros et jusqu’à 400 euros pour les terrains constructibles – et faire cesser la spéculation pour conserver au foncier agricole sa vocation première.

Mme la corapporteure. La ZAP est-elle le meilleur outil pour conserver les terres agricoles ?

M. Joseph Lugo. Le maire de Rivière Salée, l’ancien député André Lesueur, a mis en place une ZAP en 2004. Depuis, lorsqu’un de ses électeurs lui demande un déclassement, il répond qu’il s’agit d’une ZAP et il le renvoie devant la SAFER. Le but est donc momentanément atteint, mais si une nouvelle équipe prenait la place du maire et ne partageait pas ses objectifs, la ZAP pourrait être remise en cause.

Dans le document que nous avons établi en collaboration avec la Chambre d’agriculture, nous préconisons d’inciter les communes à mettre en place des ZAP aménagées en leur accordant un bonus, notamment sous forme d’octroi de mer. Nous proposons également d’inciter les agriculteurs à demander à leur commune d’accueillir une ZAP en leur accordant des privilèges, par exemple sous forme de subventions. Ces moyens, qui peuvent paraître dérisoires, ont sur le terrain des conséquences positives. Par ailleurs, lorsque nous accordons des financements pour des travaux d’irrigation collective, nous privilégions les communes qui ont mis en place une ZAP.

M. Rodrigue Trèfle. La création d’une ZAP ne dépendant que de la volonté du maire, elle peut effectivement disparaître avec l’alternance politique. En revanche, depuis leur création en novembre 2012, même si elles ont besoin de moyens supplémentaires, les CDCEA sont bien l’outil le plus dissuasif face au déclassement car elles émettent un avis conforme. Certes, on trouve parmi ses membres des propriétaires qui, historiquement, sont des agriculteurs, mais dont, malheureusement, trop souvent, les fils ou les filles demandent le déclassement. Néanmoins, le système fonctionne. Et, pour supprimer la pression qui s’exerce sur les maires, il faut que l’État intervienne à travers la CDCEA. Je tiens d’ailleurs à féliciter la Direction de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt (DAAF) pour le nombre de dossiers transmis à la commission.

Mme la rapporteure a l’impression, à nous entendre, qu’aucun texte n’existe. C’est faux, les lois existent, mais, malheureusement, elles ne sont pas appliquées pour diverses raisons que j’ai renoncé à comprendre, peut-être simplement par manque de courage. À nous de trouver les moyens de les appliquer.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Le premier de ces moyens n’est-il pas de favoriser la nécessaire prise de conscience des agriculteurs eux-mêmes ? À La Réunion, nous avons réussi à revaloriser une grande partie des terres incultes, mais cela a nécessité une prise de conscience collective. Les organismes agricoles, les syndicats, les chambres d’agriculture, les SAFER, tous les acteurs de l’agriculture ont exercé une pression sur les maires, et nous avons mis en place l’outil fatal, à savoir la CDCEA. J’en parle d’autant mieux que je suis moi-même confronté au problème à La Réunion. Nous sommes sur le point de réaliser un investissement routier absolument indispensable pour faire sortir du coma des embouteillages une route nationale qui traverse la commune dont je suis maire. Or, la CDCEA s’apprête à ne pas rendre un avis conforme, ce qui oblige la région à reporter sine die le projet de déviation. L’intervention de la commission fait naître une confrontation, mais elle permet aussi d’alléger la pression qui pèse sur les maires, pression qui se reporte alors sur d’autres acteurs, dont l’État.

M. Rodrigue Trèfle. Le monde agricole prend conscience de l’enjeu que constitue le développement agricole. Les Réunionnais, du fait de leur éloignement par rapport à l’hexagone, ont compris plus rapidement que nous qu’ils devaient anticiper l’évolution de l’agriculture. Nous nous trouvons aujourd’hui face à un tournant. Beaucoup de jeunes, pourtant bien formés, ne trouvent pas d’emploi dans le secteur agricole, et, en Guadeloupe comme en Martinique, une partie des produits consommés sur place pourraient être produits localement.

Quant à la Guyane, elle possède de vastes territoires et je me plais parfois à dire que le développement agricole des Antilles passe par la Guyane, mais les Guyanais doivent agir en amont, avant de voir arriver les dérives dont nous souffrons en Martinique et en Guadeloupe, et ne pas reproduire les mêmes erreurs.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Vous avez exposé, monsieur le président, un véritable arsenal de dispositions… Pouvons-nous en choisir quelques-unes ou bien constituent-elles un ensemble inséparable ? Car si certaines me semblent pouvoir être adoptées sans poser de difficultés sur le plan politique, d’autres ne sont pas sans conséquences, même si elles sont les plus efficaces – je pense à la mise en place de nouveaux impôts et taxes…

Mme Gabrielle Louis-Carabin. L’intervention de la CDCEA complique l’élaboration par les communes du plan local d’urbanisme. Le plan d’occupation des sols que j’avais établi en 1997 ressemblait à de la dentelle. Aujourd’hui, ce n’est plus possible car on ne prend en compte que les terrains de 10 à 20 hectares. L’État doit jouer pleinement son rôle et démolir les maisons qui ont été construites de façon illégale.

Mme la corapporteure. Il est difficile partout de démolir une maison, même si elle a été construite illégalement.

M. Rodrigue Trèfle. Je vais vous donner un exemple : en Guadeloupe, deux maisons ont été construites sur un espace agricole de 30 hectares, mais nous n’avons pas les moyens de les démolir. Nous, nous voulons redonner à la terre sa vocation agricole. L’État doit prendre ses responsabilités et nous aider à le faire.

M. Jack Arthaud. L’EPAG démolit des maisons en Guyane.

En matière de protection, deux leviers existent : le PLU et la servitude d’utilité publique (SUP) que constitue la ZAP, mais ils ne fonctionnent que si le code de l’urbanisme est appliqué. Force est de constater que le droit est souvent bafoué car des constructions s’élèvent en toute illégalité sans que nous puissions nous y opposer. Les outils existent, mais faute de volonté politique ou de moyens, ils ne sont pas utilisés. Les dernières statistiques de l’Agence de l’urbanisme de Guyane dénombraient, pour la période 2000-2010, 85 % de constructions sans permis sur une commune située en périphérie de Cayenne. On peut disposer des meilleurs outils du monde, ils ne servent à rien si nous ne savons pas faire appliquer les règles d’urbanisme.

L’un des moyens pour y parvenir serait d’agir sur la propriété du sol. Car, autant un propriétaire peut construire en toute illégalité sur un terrain qui lui appartient, autant cela devient beaucoup plus difficile s’il s’agit du bien d’autrui. Je ne parle pas des squats qui concernent des personnes qui n’ont pas de revenus suffisants pour se loger correctement et qui se regroupent pour s’installer sur un terrain qui ne leur appartient pas, car leur situation relève plus de l’offre de logements, donc du ministère du Logement, que de celui de l’Agriculture. Mais les constructions qui s’élèvent au détriment des terres agricoles constituent souvent l’habitation principale de personnes solvables et dont les revenus sont suffisamment élevés pour leur permettre d’acheter deux ou trois hectares en zone agricole – à un prix qui n’est pas du tout agricole – et de faire construire. C’est contre ce phénomène que nous devons lutter.

En Guyane, nous avons un autre objectif, celui d’accroître considérablement la surface agricole utile (SAU), et cela de deux manières.

Il convient tout d’abord d’ouvrir de nouvelles zones à l’agriculture. C’est ce que fait le conseil régional de Guyane dans le schéma d’aménagement régional (SAR), actuellement en cours d’élaboration. Nous devons mener une politique volontariste, en adéquation avec une population qui croît de 4,5 % par an – elle aura doublé dans vingt ans et quadruplé dans quarante ans. Nous aurons besoin de beaucoup de terres pour satisfaire les besoins de cette population. Si, en outre, la Guyane doit devenir le grenier des Antilles, nous devrons nous montrer encore plus ambitieux…

Il serait, par ailleurs, intéressant d’établir un plan de développement de la surface agricole utile pour mettre celle-ci en adéquation avec les enjeux de demain, ce qui nécessite des moyens financiers. Car l’aménagement coûte cher, sachant qu’il existe deux manières d’ouvrir de nouvelles zones à l’urbanisation : en faisant intervenir l’EPAG, pour les grands lotissements, et en mettant en place une procédure permettant à l’État d’attribuer des terrains au travers de périmètres d’attribution simplifiés qui ouvrent des zones à l’agriculture sans toutefois en assurer l’aménagement. Mais cette manière de procéder présente un danger car demain l’aménagement devra être réalisé à la charge de la commune, alors que travailler en amont permet à l’agriculteur de participer en partie à cet aménagement.

Mme la corapporteure. Vos territoires disposent-ils d’un observatoire du foncier agricole ?

M. Jack Arthaud. Un observatoire des terres agricoles a été créé en Guyane, mais la surface agricole utile est contrôlée par la DAAF. Nous avons également un observatoire foncier, en partenariat avec l’EPAG et l’Agence d’urbanisme, qui établit la cartographie précise des zones agricoles ouvertes en zone A.

M. Robert Catherine. En Martinique, il appartient à l’État de comptabiliser les superficies qui apparaissent dans les déclarations de surface, mais ce document ne répertorie que les terres consacrées à l’agriculture professionnelle, sans tenir compte de l’agriculture non professionnelle, très présente sur notre territoire, et qui alimente les marchés. Quand on dit qu’il n’y a que 25 000 hectares de SAU dans le département, cela ne correspond pas tout à fait à la réalité.

M. Rodrigue Trèfle. Les services de l’État établissent des statistiques qui nous sont utiles. En Guadeloupe, comme en Martinique, il est évident qu’il faut mettre en œuvre un observatoire, mais qui va assurer son financement ?

La différence entre la Guyane et les Antilles, c’est que L’EPAG, contrairement aux SAFER, est assez largement financé par les taxes.

M. Jack Arthaud. Le volet agricole de l’EPAG ne bénéficie pas de financements spécifiques : il est financé par les opérations d’aménagement. Les dépenses correspondent aux travaux – bornage, gestion des baux – et les recettes proviennent en grande partie des aides, notamment les aides du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), en complément des produits de la vente des parcelles.

M. Rodrigue Trèfle. C’est un avantage non négligeable !

M. Jack Arthaud. En revanche, le volet agricole de l’EPAG bénéficie indirectement des moyens alloués à la structure, notamment l’accès à des prêts à taux réduits. Si demain, pour réaliser une opération, je désire emprunter 3 millions d’euros, la banque me les prête sans problème. Je ne suis pas sûr que la SAFER bénéficie du même avantage…

Mme la corapporteure. Les SAFER, nous le savons, sont confrontées à des problèmes financiers. La Délégation va faire des propositions pour assurer leur financement, mais concrètement, quelle mesure devons-nous mettre en place pour empêcher la Martinique et la Guadeloupe de perdre chaque jour un hectare de terre agricole ? Comment endiguer une telle saignée ? M. le président a évoqué la nécessaire prise de conscience du monde agricole, mais elle concerne également le monde politique. J’aimerais que nous trouvions ensemble une ou deux pistes concrètes pour sauvegarder l’agriculture outre-mer.

M. Joseph Lugo. Il existe une manière détournée de liquider les terres agricoles, et elle est offerte par la loi qui dispose que les SAFER n’interviennent pas pour les surfaces inférieures à 1 500 m2. Les maires et les notaires connaissent cette brèche et déclassent les terres en zone NB. Si chaque notification contient une vingtaine de terrains de 1 500 m2, il est évident qu’un jour il ne restera plus aucune terre agricole.

M. Robert Catherine. Le président fait allusion aux cas d’exemption au droit de préemption de la SAFER. Celle-ci ne peut intervenir si le foncier est repris par un membre de la famille jusqu’au quatrième degré. Le foncier naturel a tendance à disparaître dans les PLU, mais nous faisions jusqu’à présent jouer notre régulation en utilisant la préemption en révision de prix. Car la SAFER dispose de deux types de préemption : la préemption sur le prix – le vendeur est contraint de vendre à la SAFER au prix qu’il a consenti à son acheteur – et la préemption en révision de prix. Celle-ci comprend trois options : dans la première, le vendeur accepte le prix mais il est obligé de vendre à la SAFER ; la deuxième consiste, si le prix proposé est trop faible, à retirer le bien de la vente ; la troisième à demander au tribunal de déterminer le prix – dans 99 % des cas, le tribunal suit l’offre de la SAFER.

Mais ce moyen tend à disparaître car beaucoup de gens détournent le droit de préemption de la SAFER, soit en réalisant des ventes en démembrement de propriété, soit en vendant la nue-propriété pour, six ou sept mois plus tard, vendre l’usufruit. Dans tous ces cas, la SAFER ne peut intervenir. C’est pourquoi la Fédération nationale des SAFER (FNSAFER) propose que les SAFER soient au moins informées de ces notifications et puissent vérifier si les opérations ne servent pas à contourner leur droit de préemption. Mais cette procédure est coûteuse et, si les SAFER connaissent des difficultés financières, elles ne seront pas forcément tentées d’engager une telle démarche. Enfin, de nombreuses ventes sont réalisées sous forme de parts sociales et ne sont donc pas notifiées à la SAFER.

Il ne faudrait pas considérer la SAFER comme une personne morale qui préempte à tout-va : la SAFER de Martinique, par exemple, ne préempte pas plus de 10 % des notifications qu’elle reçoit. C’est peu, d’autant que le nombre de notifications a beaucoup baissé au cours des dernières années. Alors qu’en 2005, nous recevions près de 700 notifications par an, nous en recevons à peine 450 aujourd’hui. Nous ne pouvons donc pas nous rémunérer sur le fruit des ventes effectuées sur préemption. Et, pas davantage sur les ventes effectuées sur offre amiable. C’est un procédé que nous avons tenté de développer, mais notre perception du foncier, plus patrimoniale qu’économique, dissuade les personnes de nous vendre leur foncier de cette façon. En métropole, un agriculteur vend son exploitation au terme de sa vie, alors que dans nos territoires, un agriculteur qui a quatre enfants préfère diviser son outil de production en quatre.

La SAFER a naturellement un rôle à jouer. Si elle disparaissait, tous les terrains qui n’ont pas été mis en vente depuis quarante ans seraient mis immédiatement sur le marché, naturellement à des prix qui ne seraient pas agricoles. La SAFER joue un rôle de gendarme qui permet de geler le marché foncier en dissuadant les propriétaires, par peur de la préemption, de procéder à une notification.

Mme la corapporteure. Faut-il renforcer le champ d’action des SAFER ?

M. Joseph Lugo. Nous ne pouvons laisser les jeunes agriculteurs qui veulent s’installer seuls face à des promoteurs qui leur proposent un prix trois fois plus élevé que celui de la SAFER et moyennant un dessous-de-table.

M. Robert Catherine. Toute rétrocession à la SAFER doit être conforme à un cahier des charges qui prévoit que la SAFER peut acheter ou donner l’autorisation de vendre pendant une période de 30 ans.

M. Joseph Lugo. Souvent l’acquéreur a déjà payé le dessous-de-table parce qu’il a besoin d’acquérir le foncier pour construire. Heureusement, pendant une période de 30 ans, il doit passer par la SAFER. Il serait idéal que la SAFER ait le droit d’empêcher la spéculation foncière.

Mme la corapporteure. Faut-il, monsieur le directeur, créer une SAFER en Guyane ?

M. Jack Arthaud. Je ne le pense pas. Encore une fois, en Guyane, la mission de protection des terres devrait être bientôt mise en œuvre, et la mission d’aménagement ne relève pas des compétences de la SAFER. Peu importe la forme juridique de l’outil mis en place, il suffit qu’il dispose de moyens suffisants. Si le législateur des années 1990 a souhaité créer un établissement public d’aménagement en Guyane, c’est bien que cela répondait à un besoin. La question que nous devons nous poser est celle des moyens pérennes qui seront affectés à cette structure et qui lui permettront de remplir ses missions. Mais les représentants de SAFER qui sont présents ont juste les moyens de survivre, alors ne reproduisons pas le même modèle en Guyane, sauf si nous parvenons à dégager des marges de manœuvre supplémentaires.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. La SAFER de Guadeloupe connaît des difficultés, c’est vrai.

M. Rodrigue Trèfle. Elle fonctionne, mais nous n’avons pas les mêmes moyens qu’autrefois.

Il faudrait, selon moi, trouver une articulation entre les SAFER et les établissements publics fonciers (EPF) qui, eux, disposent d’importants moyens. Pourquoi ne pas leur confier le volet agricole ? L’EPAG, par exemple, pourrait être associé à une SAFER. Certes, ce rapprochement a un inconvénient car la gouvernance n’appartiendrait plus au monde agricole. Or, lui seul peut défendre l’intérêt du monde agricole.

En Guadeloupe, un EPF local doit être créé prochainement. Nous n’y sommes pas hostiles, à condition que nous soyons tous d’accord pour mettre en commun nos efforts en faveur du développement du territoire, qu’il s’agisse de l’aménagement ou du développement agricole. Les deux instances sont complémentaires.

En bref, malgré le peu de moyens dont nous disposons, nous arrivons à fonctionner, mais le temps nous est compté car chaque année, les prix augmentent. Nous avons besoin de moyens supplémentaires.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. La SAFER est-elle intégrée dans le futur établissement public foncier ? Avez-vous été contacté ? Aimeriez-vous que la SAFER et l’EPF fusionnent ?

M. Rodrigue Trèfle. Non, je souhaite simplement qu’ils coopèrent. Nous avons effectivement été auditionnés. L’établissement a été mis en place cette année mais nous n’avons pas été associés. C’est dommage, mais ce n’est pas très grave. Ce qui est important, c’est, comme par le passé, de créer des outils qui tiennent compte de la contribution de chacun. L’avantage, en Guadeloupe, c’est que la SAFER existe depuis 40 ans. Nous devons collaborer avec l’EPF car la préservation du monde rural et celle des villes sont liées. Nous mettrons en place une stratégie commune pour conforter et pérenniser l’agriculture, et également pour développer l’urbanisation là où elle doit l’être.

M. Jack Arthaud. Fusionner la SAFER et l’EPF reviendrait à créer un établissement identique à ce qu’est l’EPAG en Guyane.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Ils ne seront pas fusionnés car la SAFER est une entité régionale et l’EPF une entité communale.

M. Robert Catherine. Depuis un an, à la Martinique, les EPF et les SAFER travaillent ensemble. Nous sommes complémentaires et nous ne devons pas nous opposer les uns aux autres. La SAFER est un opérateur foncier rural, tandis que l’EPF se consacre plus au foncier urbain, sauf dans certains secteurs dont ils se partagent la gestion. Telle est la conclusion du rapport établi à la fois par la FNSAFER et par M. Marc Kaszynski, président de l’EPF Nord-Pas-de-Calais.

Les SAFER fonctionnent de façon satisfaisante depuis 50 ans, mais elles ont été créées à une époque où l’État avait les moyens d’en assurer le financement. Hélas, au fil du temps, ce financement a progressivement diminué et un grand nombre de SAFER connaissent d’importantes difficultés financières, et cela est vrai sur l’ensemble du territoire français. Les EPF, dès leur création, ont reçu une dotation. Il ne s’agit pas de retirer aux EPF une part de leurs financements. Ce qui distingue les SAFER, c’est qu’elles assurent la cogestion du foncier rural entre l’État, les élus et le monde agricole. Si dans nos départements ces différents mondes sont parvenus à un consensus, c’est qu’ils sont amenés, au sein des SAFER, à se côtoyer et à se connaître. Pour parvenir à ce consensus, l’EPAG a été contraint de créer une commission spécifique pour l’agriculture.

L’EPF qui a été créé en Martinique dispose de moyens financiers supérieurs à ceux de la SAFER. C’est un partenaire vers qui nous dirigeons les opérations foncières qui nous paraissent présenter une utilité. Car la SAFER ne s’intéresse pas uniquement au foncier agricole. Elle s’intéresse à l’aménagement du territoire, au désenclavement des exploitations, au développement local, à l’espace rural. En Martinique, un propriétaire foncier souhaitait vendre le Musée de la banane pour réaliser une grosse spéculation foncière. La SAFER a préempté l’opération en révision de prix. Il a accepté notre contre-offre et nous avons acheté le bien pour le revendre à la commune de Sainte-Marie qui l’a mis à la disposition d’une association. Voilà à quoi servent les SAFER. En métropole, elles achètent des terrains pour le compte des collectivités, en prévision de travaux d’aménagement de routes ou de lignes SNCF, ou pour le compte du Conservatoire du Littoral. Comme vous le voyez, notre champ d’intervention est très diversifié.

M. Jack Arthaud. Vous avez dit, monsieur Trèfle, qu’entre les années 1960 et 1980, 60 % du foncier privé de Guadeloupe avait été déclassé mais que la création du GFA avait permis de maintenir le foncier agricole. Quelle est la part des terres détenues par le GFA sur la surface agricole utile des Antilles ?

M. Rodrigue Trèfle. En Guadeloupe, ce sont près de 700 hectares.

M. Jack Arthaud. C’est effectivement confidentiel.

M. Rodrigue Trèfle. C’est pourquoi il est important de sanctuariser les terres.

M. Jack Arthaud. Avez-vous étudié la possibilité de regrouper le GFA et la SAFER au sein d’une structure dotée des deux compétences de gestion du foncier et de régulateur du marché ?

M. Rodrigue Trèfle. Les statuts de la SAFER ne lui permettent pas de fusionner avec les 38 GFA présents en Guadeloupe.

M. Robert Catherine. En Martinique, nous avons proposé de porter à 18 ans la durée de détention du foncier.

Mme la corapporteure. Quelles sont les surfaces de terre agricole que les SAFER gèrent en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane ?

M. Rodrigue Trèfle. La SAFER de Guadeloupe gère 2 000 hectares.

M. Robert Catherine. En Martinique, la SAFER détient un portefeuille de 5 hectares mais elle gère près de 500 hectares, dont 450 pour le compte du conseil général et 5 pour l’une de nos communes. Le but de la SAFER n’est pas de détenir du foncier mais de faire de la gestion et de l’intermédiation. Nous envisageons en outre de gérer les 2 000 hectares que détient le conseil général.

Quant à l’allongement de la durée de la convention de mise à disposition (CMD), celle-ci est déjà plus longue dans les DOM que dans l’hexagone puisque sa durée est de un à six ans, renouvelable une fois. Un propriétaire qui donne des terres à bail à la SAFER pendant six ans peut le renouveler une fois. Au terme de 12 ans, le bail prend fin.

L’avantage de la CMD est qu’elle constitue un moyen légal de contourner le statut du fermage, qui est l’un des freins au développement du bail à ferme. Car celui-ci consiste à louer pour 9 ans et il est automatiquement renouvelable, et cela jusqu’à l’arrêt de l’activité de l’exploitant. En Martinique, cette clause dissuade beaucoup de propriétaires de louer leur foncier.

M. Rodrigue Trèfle. J’ajoute qu’il est très difficile de sortir du bail à ferme. Le propriétaire foncier lui-même ou un membre de sa famille doit reprendre l’exploitation, ce qui est rarement le cas.

M. Jack Arthaud. L’EPAG est propriétaire de 10 000 hectares en Guyane, dont 97 %, soit 9 700 hectares, sont des terres agricoles.

M. le président Jean-Claude Fruteau. La Délégation, par le biais du rapport de Mme Chantal Berthelot et de M. Hervé Gaymard, ne réglera pas d’un coup de baguette magique tous les problèmes que vous avez évoqués, mais vos interventions ont permis à la Délégation de mieux comprendre les problématiques des structures foncières outre-mer. Je vous en remercie.

Table ronde sur la recherche et l’agriculture outre-mer en présence de : M. Jean-Louis Peyraud, chargé de mission-direction scientifique « agriculture », et M. Antoine Momot, chef du cabinet du président, à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) ; M. François Cote, directeur du département des systèmes de production et de transformation tropicaux (PERSYST), et M. Gérard Matheron, chargé de mission, au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ; M. Frédéric Lapeyrie, directeur général du consortium Agreenium ; M. Jean Champagne, directeur adjoint, chargé de l’outre-mer, du réseau des instituts des filières animales et végétales (ACTA)

Compte rendu de la table ronde du 1er octobre 2013

M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation. Je vous remercie, Messieurs, d’avoir accepté de participer à cette table ronde qui s’inscrit dans le cadre des travaux que nous menons actuellement sur l’agriculture outre-mer, sujet pour lequel la Délégation a nommé deux rapporteurs, Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard.

Nous avons souhaité organiser une table ronde réunissant les représentants des deux grands établissements de recherche qui jouent un rôle essentiel dans l’agriculture ultramarine – l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) et le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) – un représentant d’Agreenium, organisme spécialisé dans le domaine de la recherche agro-écologique, qui vient de rendre un rapport sur cette question au ministre de l’Agriculture, et un représentant de l’ACTA, réseau des instituts des filières animales et végétales qui constitue la « structure de tête » des RITA (réseaux d’innovation et de transfert agricole).

Nous accueillons donc autour de cette table :

- pour l’INRA : M. Jean-Louis Peyraud, chargé de mission-direction scientifique « agriculture », et M. Antoine Momot, chef du cabinet du président ;

- pour le CIRAD : M. François Cote, directeur du département des systèmes de production et de transformation tropicaux (PERSYST), et M. Gérard Matheron, chargé de mission ;

- pour Agreenium : M. Frédéric Lapeyrie, directeur général ;

- pour ACTA : M. Jean Champagne, directeur adjoint chargé de l’outre-mer.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente de la Délégation et corapporteure. Je vous remercie, Messieurs, d’avoir répondu à notre invitation.

Avant de vous donner la parole, Messieurs, je voudrais exprimer un regret : le rapport de Mme Marion Guillou sur l’agro-écologie ne prend pas en compte l’outre-mer ; pourtant, certaines de ses recommandations sont susceptibles de s’appliquer dans nos territoires.

Je vous invite à présent à nous présenter vos structures et la façon dont elles se positionnent dans l’agriculture ultramarine.

M. Jean-Louis Peyraud, chargé de mission-direction scientifique « agriculture » de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique). Je rappellerai pour commencer la façon dont l’INRA aborde les thèmes de recherche dans ces régions avant d’aborder les relations entre la recherche et l’innovation, puis entre la recherche et le transfert et la formation.

L’INRA est présent en Guadeloupe depuis plus de 60 ans. L’Institut, de taille moyenne, emploie 200 agents permanents et une centaine d’agents temporaires. Il comprend cinq unités de recherche, dont plusieurs sont mixtes, en partenariat avec l’Université, et deux unités expérimentales.

À travers ses travaux sur l’agriculture de nos territoires – Guadeloupe, Guyane, Martinique – l’INRA témoigne de la présence de la Recherche française dans des biotopes et des écosystèmes particulièrement intéressants.

Nos travaux de recherche sont axés sur le développement d’une production locale. Suite au rapport de Mme Marion Guillou et aux chantiers mis en place pour développer la multi-performance, nous avons défini trois objectifs essentiels.

Le premier est de réduire le recours, en métropole comme dans les DOM, aux ressources peu ou non renouvelables et à la chimie – pesticides, vermifuges, antibiotiques. Sur ces approches intégrées, nos sites d’expérimentation sont plus en avance que ceux de métropole, notamment dans le domaine de la santé des animaux.

Le deuxième consiste à valoriser les ressources locales en développant l’utilisation des variétés et des races locales et, pour la production animale, la valorisation des coproduits.

Le troisième objectif vise à créer de la valeur ajoutée par la transformation et la compréhension des déterminants de la qualité des produits – légumes, fruits, tubercules, animaux – et en développant la transformation.

Nous portons un intérêt particulier à la prise en compte des spécificités locales en nous intéressant à l’ensemble des exploitations agricoles, depuis les grandes exploitations spécialisées jusqu’aux très petites exploitations familiales, souvent situées dans des milieux différents.

Nos principaux thèmes de recherche sont les suivants : la caractérisation des ressources génétiques et de la biodiversité, la protection intégrée contre les ennemis des cultures et les parasites des animaux, point sur lequel nous sommes très en avance, la mise au point de systèmes multi-espèces de cultures et de polycultures élevage, la caractérisation et la transformation des produits végétaux et des produits animaux et, en collaboration avec le CIRAD, la problématique du chlordécone.

La relation entre recherche, innovation, transmission et acceptabilité des innovations nous préoccupe particulièrement, d’autant qu’elle soulève des questions particulières dans les DOM du fait de la diversité du milieu, de sa complexité et de la très petite taille de certaines exploitations. Le dernier CIAG (Carrefour de l’innovation et de l’agriculture), qui s’est tenu à la fin 2011, a bien illustré ce point dans un exposé : depuis 10-15 ans, la recherche a proposé des solutions pour lutter de façon intégrée contre des nématodes dans les bananeraies, mais seules 10 % des petites exploitations de Martinique les ont adoptées.

Notre approche peut être définie en six points.

Nous entendons tout d’abord privilégier les échanges directs. C’est pourquoi, nous profitons des CIAG pour rencontrer les acteurs afin de leur présenter les productions de la recherche et entendre leurs réactions et leurs demandes.

Nous veillons, par ailleurs, à nouer des relations entre l’INRA et les RITA et nous participons aux travaux de Recherche et Développement en y amenant notre expertise. Nous y développons, de fait, le même type de partenariat que ceux adoptés en métropole. Après avoir développé nos relations avec les instituts techniques, nous poursuivons la même philosophie avec les RITA.

Nous cherchons à collaborer aussi au sein d’unités mixtes technologiques (UMT) qui ont fait leurs preuves en métropole dans plusieurs des différents champs disciplinaires de l’INRA. Avec nos partenaires, nous installons une UMT en Guadeloupe avec IKARE, chargée de travailler sur les aspects de valorisation des fourrages et des aliments non conventionnels pour les porcs et les ruminants, comme le CIRAD le fait avec ARMEFLHOR (Association réunionnaise pour la modernisation de l’économie fruitière, légumière et horticole) pour la protection intégrée des cultures.

Nous nous efforçons par ailleurs de mettre en place de nouvelles démarches. L’innovation top-down ne fonctionne pas toujours, ce qui nous amène à construire des projets de recherche en impliquant les partenaires en amont. Il s’agit d’élaborer des systèmes innovants répondant aux attentes, avant de procéder à une évaluation multicritères de l’innovation, par le biais d’expérimentations ou de modélisations ou encore d’enquêtes, afin d’apprécier, en vitesse de croisière, l’ensemble des performances du nouveau système – environnement, productivité, travail – et aussi d’évaluer la période de transition, car nous savons que la mise en place d’un système agro-écologique comporte le risque, dans sa première phase, d’une perte de production.

Nous développons également une plateforme d’ingénierie pour l’innovation, en relation avec le RITA, le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement)  et les autres partenaires, en direction des petites exploitations. Ciblée sur la polyculture élevage, cette plateforme s’intéresse à des thèmes très variés comme la mise au point de granulés issus de sous-produits de la banane ou de « bio-alicaments » créés à partir de ressources végétales.

Nous conduisons enfin des actions très particulières comme la création de Feedipedia, qui est une base de données pour l’alimentation des animaux d’élevage, en association avec AgroParisTech, l’AFZ (Association française de zootechnie), le CIRAD et la FAO (Food and agriculture organization).

Qu’il s’agisse des enseignements, du transfert, du conseil au producteur, du développement de l’agro-écologie ou de celui de nouveaux systèmes, la notion de multi-performance va profondément modifier les contenus et les méthodes. L’INRA, même si ce n’est pas son premier métier, pourrait apporter son expertise en matière d’approches intégrées et de démarches systémiques, aider à équiper les acteurs de la formation et du développement de concepts, de références et d’outils d’aide à la décision, et, en lien avec la formation, participer au développement de simulateurs permettant d’approcher la notion de multi-performances (sous la forme, par exemple, de jeux vidéo « serious games »).

L’INRA propose en outre de nombreuses journées de formation et dispense une information – accessible sur son site Internet (trans FAIRE) – sur les produits de la recherche : si vous voulez obtenir des informations sur l’utilisation de la canne dans l’élevage de ruminants, vous y trouverez le livre de référence sur la question par exemple.

Sur les cinq unités de recherche de l’INRA, trois sont des UMR, en relation avec l’Université de Guadeloupe, qui permettent à des étudiants de préparer des masters. Les chercheurs sont impliqués dans la conception des modules de formation et les thématiques de la forêt de Guyane ou de l’agro-écologie dans ses rapports avec les systèmes tropicaux sont au cœur des formations.

Un projet me tient à cœur. Il serait intéressant, en France métropolitaine comme dans les DOM, d’utiliser les fermes expérimentales des lycées agricoles pour développer les contacts entre la recherche et le monde de la formation initiale, en organisant des séances de démonstration ou en développant un partenariat en recherche et développement lorsque cela est possible.

M. François Cote, directeur du département des systèmes de production et de transformation tropicaux (PERSYST) du CIRAD. Après avoir évoqué les défis de l’agriculture ultramarine et la place de la recherche dans ce contexte, je vous délivrerai quelques informations sur le dispositif de recherche du CIRAD dans les DOM, et j’aborderai les enseignements que nous tirons de l’expérience acquise au cours des dernières années.

Les défis de l’agriculture dans les DOM sont comparables à ceux de la métropole. Il s’agit de produire de façon plus durable, d’assurer une production en quantité suffisante et de qualité, et de préserver les ressources naturelles en tenant compte des spécificités des territoires.

Quelles sont ces spécificités ? Une agriculture marquée par la coexistence, sur un même espace, de différents types d’agriculture – une agriculture d’exportation, des filières destinées au marché local et la polyculture élevage –, l’éloignement par rapport à la métropole et les coûts qu’il engendre, une balance produits frais importés-productions locales qui doit être rééquilibrée, l’insuffisante agro-transformation des produits, la taille relativement réduite des marchés locaux, l’anthropisation rapide des milieux, due à l’évolution démographique et au développement de l’habitat périurbain qui influencent les modes de production, la fragilité du milieu insulaire, la présence de hot spots de biodiversité, sans oublier des aléas climatiques parfois violents.

Quelle est la place de la recherche dans ce contexte ? Le CIRAD insère ses recherches dans les problématiques locales et produit des connaissances de portée internationale. Ce croisement, loin de provoquer une tension, nous semble fécond.

Notre production de connaissances diffère selon le territoire, mais elle concerne cinq thématiques principales.

Tout d’abord, la biodiversité et la création variétale dont sont chargés les centres de ressources biologiques (CRB). Ceux-ci, très actifs, gèrent des collections d’intérêt international. Je rappelle que les DOM contiennent les collections les plus importantes d’espèces tropicales.

En outre, nous nous intéressons vivement aux Observatoires de l’environnement, dont nous souhaitons voir évoluer les missions. Selon nous, ils ont vocation à s’intéresser au dossier du chlordécone, aux flux de pesticides, et également à la gestion du territoire ou aux dynamiques forestières en Guyane.

La troisième thématique de recherche du CIRAD est l’agro-écologie. Le virage a été pris il y a dix ou quinze ans. La recherche en ce domaine, à la Réunion et en Guadeloupe, a atteint un niveau international.

Notre quatrième thématique est la gestion des risques de maladies animales et végétales. Nous nous appuyons sur la notion de One Health – une seule santé – du fait de la répercussion de ce thème sur la santé humaine.

Enfin, nous nous intéressons à la qualité des produits et à leur transformation.

Voilà comment sont structurées nos recherches. Elles sont déclinées dans les différents DOM et nous essayons de mettre en place des connexions inter-DOM. Nous travaillons en collaboration avec l’INRA, en particulier sur la thématique agro-écologie, avec l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et avec le CNRS.

Le CIRAD s’intéresse également au développement de l’agriculture locale, tout en considérant que les enjeux locaux de développement ne doivent pas être fixés par la recherche mais par les acteurs eux-mêmes : régions, chambres d’agriculture, organisations professionnelles.

Le développement de l’agriculture locale passe par le partenariat. C’est pourquoi nous travaillons avec nos partenaires institutionnels – conseil régional, conseil général, services déconcentrés de l’État, DAAF (Direction de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt) – et avec un large spectre de professionnels. S’y ajoutent les chambres d’agriculture, nos partenaires régionaux de la recherche et enfin l’Université, qui joue un rôle important à la Réunion et aux Antilles. Ce partenariat s’inscrit dans le cadre d’initiatives nationales comme le plan Ecophyto ou la stratégie nationale pour la biodiversité.

J’en viens au retour d’expérience après ce qui s’est passé au cours des dernières années en termes de partenariat sur le plan de l’innovation locale. Plusieurs exemples illustrent les progrès qui peuvent être réalisés par les filières d’exportation : le plan « Banane durable », les filières de diversification, les RITA et un réseau de surveillance, Carivet, dont le rayonnement international n’est plus à démontrer puisqu’il a été rapproché de celui de réseaux du même type en Asie et en Afrique. Ce partenariat mériterait que nous nous y attardions, mais je concentrerai mon propos sur les RITA et sur le plan « Banane durable ».

Le plan « Banane durable » est un GIEE (groupement d’intérêt économique et environnemental) avant la lettre. Il est né de la rencontre entre la recherche – qui offrait les moyens de réduire l’utilisation des pesticides et de développer de nouveaux systèmes de production plus durables, susceptibles éventuellement de supprimer la monoculture, consommatrice d’intrants chimiques – et les professionnels qui, à l’occasion de la crise du chlordécone, ont pris conscience que leur façon de produire devait évoluer. Cet alignement de planètes leur a permis de développer un projet commun.

Nous nous sommes vite aperçus que les bonnes intentions devaient être accompagnées des outils correspondants. Ce fut d’abord la programmation commune, qui implique de croiser les attentes et les offres potentielles. C’est parfaitement possible dès lors que nous sommes capables de parler à la fois la langue du scientifique et celle du développement. Ensuite furent créés les instituts techniques agricoles, qui jusqu’alors n’existaient pas dans les DOM. C’est ainsi qu’a été promu l’Institut technique de la banane, devenu par la suite l’IT2 (Institut technique tropical), qui est désormais un maillon indispensable de la chaîne. L’innovation n’est pas un processus linéaire. Si la recherche n’a pas d’interlocuteur, le chercheur perd ses capacités d’innovation.

Pour matérialiser cet institut, nous avons créé deux plateformes techniques dans le cadre du plan « Banane durable ».

La première permet de tester les nouveaux prototypes de culture en dehors du stade purement expérimental. Il s’agit, en nous mettant d’accord sur les systèmes de culture et les itinéraires techniques d’intérêt, de réaliser, chez des producteurs pionniers, des essais permettant de valider le projet, à la fois sur le plan technique et sur le plan socio-économique.

Dans le cadre de cette plateforme, nous développons des systèmes de culture dans lesquels ont été introduites des plantes de services. Celles-ci, en affaiblissant les mauvaises herbes, réduisent l’utilisation d’herbicides, le travail du sol et l’utilisation de ressources hydriques et minérales. Ce système se développe aux Antilles et, d’ores et déjà, certains pépiniéristes commercialisent les plantes de services.

La seconde plateforme est dédiée à la sélection de nouvelles variétés. Cette sélection est très difficile car nous avons affaire principalement à des espèces orphelines, ce qui limite les marges de manœuvre. Néanmoins, des procédés d’hybridation existent.

Ces plateformes offrent à des chercheurs du CIRAD et à des ingénieurs recrutés par la profession la possibilité de travailler ensemble au sein de l’institut technique.

J’en viens aux RITA. Ces réseaux, nés d’une décision prise dans le cadre du Conseil interministériel de l’outre-mer (CIOM), sont le fruit d’un montage entre l’ACTA et le CIRAD. Ils ont été mis en place dans la précipitation, ce qui a pu générer certaines frustrations, mais ils sont désormais opérationnels. Les RITA permettent aux acteurs de la recherche et du développement de se réunir pour mettre en commun leurs moyens, et de fonctionner en bonne adéquation avec les attentes et les besoins du monde agricole. Le dispositif, après un peu plus de deux ans d’existence, fonctionne très bien et, dans le cadre de l’Inter-DOM, il procède à des mutualisations sur la base de problématiques comparables. Les acteurs doivent s’appuyer sur ces réseaux pour aborder l’étape suivante qui sera RITA 2.

Je veux dire à présent quelques mots sur le dispositif de recherche du CIRAD dans les DOM.

Ce dispositif est lourd puisqu’il concerne 450 personnes réparties en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, dont 40 % de cadres et 60 % d’agents de maîtrise.

La richesse de ce dispositif n’est pas suffisamment soulignée. Le réseau de recherche du CIRAD sur le milieu tropical est unique au monde du fait de ses plateaux techniques et de leur ancienneté. Le CIRAD dispose de très nombreuses collections, de domaines expérimentaux multiples – canne à sucre, banane, manguier, papayer, avocatier, igname, ananas, caféier, cacaoyer, vanillier – et d’importantes collections de pathogènes. C’est un atout qu’il convient d’exploiter.

La richesse du CIRAD vient aussi de son personnel scientifique et technique. Celui-ci est extrêmement qualifié dans les DOM et, après les évolutions spectaculaires qui ont eu lieu, ces dernières années, en matière de promotions et de formations internes, il est totalement performant pour assurer la viabilité des plateaux de recherche.

Le CIRAD, enfin, dispose de laboratoires de niveau international aux Antilles et à La Réunion. Je citerai notamment le pôle de protection des plantes (pôle 3P) qui est un laboratoire associé avec l’Université.

J’en arrive maintenant aux messages que nous aimerions vous transmettre.

Il convient, tout d’abord, de renforcer le positionnement fécond des DOM entre production internationale et développement local. Il nous semble déterminant, face aux défis que doit relever l’agriculture, de nous doter d’une capacité d’innovation et d’une réactivité importante. Les filières qui n’ont pas su le faire connaissent des difficultés. C’est le cas de la filière « canne à sucre » des Antilles qui n’a pas anticipé suffisamment les évolutions réglementaires, en particulier l’interdiction de certains pesticides.

Le processus d’innovation est à la fois technique et partenarial.

Le processus technique correspond aux nouvelles façons de produire, à la production intégrée, à l’agro-écologie. Sur toutes ces questions, les besoins en recherche sont connus et ils nécessiteront, à l’avenir, des investissements pour améliorer l’évaluation multicritères de la production et des services, pour développer la modélisation et l’ingénierie du sol, et pour renforcer les moyens des Observatoires de l’environnement.

Quant au processus partenarial, il fonctionne à travers des structures telles que les RITA et le plan « Banane durable », structures qui doivent être pérennisées.

Les GIEE sont des outils très intéressants pour développer l’agro-écologie mais, dans les DOM, il faut impérativement inclure la dimension que constitue l’innovation. On oublie parfois que la métropole bénéficie d’instituts techniques qui existent depuis une cinquantaine d’années, ce qui n’est pas le cas pour les DOM.

Nous ne travaillons pas de la même façon avec les cultures de diversification et avec les cultures d’exportation, car celles-ci sont très structurées sur le plan professionnel et elles connaissent des évolutions qui sont liées à des plans définis tant au niveau régional qu’au niveau international. La lutte contre la cercosporiose, par exemple, doit sortir du cadre du plan « Banane durable », car cette maladie se diffuse sur de vastes régions et elle exige une réponse plus globale, qui pourrait être, par exemple, un programme de type Interreg.

La dimension internationale ne doit pas être perdue de vue. Les producteurs de bananes d’Afrique s’adressent au CIRAD pour lui demander de mettre en place un plan « Banane durable » dans leurs pays, car ils sont confrontés aux mêmes problématiques, avec un décalage de quelques années dû au retard des pressions réglementaires. Il est important de persuader les producteurs antillais qu’ils ont intérêt à adhérer à la dimension internationale. Ils l’ont d’ailleurs parfaitement compris, au moins en ce qui concerne les cultures d’exportation.

Quant aux cultures de diversification, nous sommes persuadés qu’il faut renforcer les RITA pour passer à la phase RITA 2 et accentuer la collaboration entre le monde de la recherche et du développement et celui de la production. Nous ne devons pas oublier les petites exploitations agricoles familiales, mais nous avons besoin, pour cela, d’un diagnostic et, sur ce point, l’INRA a obtenu des résultats intéressants. Car, pour innover, nous avons besoin d’interlocuteurs. Or, par définition, le secteur qui correspond à la petite exploitation familiale est un secteur peu organisé. Le CIRAD, fort de son expérience dans d’autres zones de production qui doivent faire face aux mêmes défis, travaille donc en collaboration avec l’INRA sur cette question. L’année 2014 sera l’année internationale de l’agriculture familiale ; cela nous donnera l’occasion de rencontrer les acteurs de ce secteur.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie pour cet exposé intéressant, détaillé et très riche, peut-être trop, pour le profane que je suis.

M. Frédéric Lapeyrie, directeur général d’Agreenium. Le consortium Agreenium, consortium français pour la recherche et l’enseignement en agro-sciences, réunit, à la manière d’une Université, dans un même établissement public (EPCS), les principaux acteurs nationaux qui opèrent dans le domaine de la recherche agronomique, c’est-à-dire, d’une part, les grands établissements de recherche (INRA, CIRAD) et, d’autre part, les établissements d’enseignement supérieur agronomique (AgroCampus Ouest, AgroParis Tech, Montpellier SupAgro, INP Toulouse, AgroSUP Dijon, Bordeaux Sciences Agro). Les actions conduites par Agreenium ont vocation à répondre collectivement aux défis mondiaux liés à la sécurité alimentaire et à l’agriculture durable, à augmenter la capacité d’innovation et de transfert des connaissances, et à manifester l’ambition du dispositif français vis-à-vis de la communauté internationale.

À la suite de la petite pique adressée à Mme Marion Guillou en propos liminaires, je tiens à préciser tout de suite qu’Agreenium n’a pas aujourd’hui d’activité spécifique outre-mer – ce qui ne veut pas dire que ce ne sera pas le cas demain. En revanche, les territoires ultramarins font partie, comme l’ensemble du territoire national, du champ d’application des projets développés par Agreenium. C’est ainsi que je vais décrire ici quatre actions emblématiques d’Agreenium qui ont un lien direct avec les collectivités territoriales d’outre-mer.

Tout d’abord, Agreenium a l’ambition d’accompagner la mobilité internationale de jeunes scientifiques, en vue de promouvoir des formations d’excellence, avec le programme AgreenSkills.

AgreenSkills est un programme de mobilité internationale de jeunes chercheurs – que la mobilité s’exerce depuis la France ou en direction de celle-ci – et reposant sur des bourses, d’une durée de 6 à 24 mois pour les bourses sortantes, et de 12 à 24 mois pour les bourses entrantes. Le programme soutient des projets de recherche et des parcours personnalisés de développement de carrière. Il s’adresse aux jeunes chercheurs les plus brillants de toutes les disciplines, titulaires d’un doctorat, avec moins de dix ans d’expérience depuis l’obtention de leur Master, sans distinction de nationalité et d’origine, dans les domaines de l’agriculture, de l’alimentation, de la nutrition, de la santé animale, de la santé publique vétérinaire et de l’environnement.

Un ensemble de 142 offres, avec des conditions attractives d’accueil et de recrutement, est proposé sur quatre ans (2012-2016). Coordonné par l’INRA et Agreeenium, le programme AgreenSkills est cofinancé par la Commission européenne. Les bourses sont décernées par un jury international et attribuées à des projets qui associent l’excellence du candidat, celle du projet de recherche et celle de l’équipe d’accueil.

Dans ce cadre, un jeune chercheur espagnol du CSIC (Consejo superior de investigaciones cientificas) a été sélectionné pour rejoindre, pendant deux ans, le laboratoire INRA-CIRAD « Peuplements végétaux et bio-agresseurs en milieu tropical » de Saint-Pierre de La Réunion.

En second lieu, le consortium souhaite assurer des formations doctorales de très haute qualité avec l’EIR-Agreeenium.

L’École internationale de recherche d’Agreenium (EIR-A) propose un parcours doctoral d’excellence validé par le label Agreenium. Ce parcours vient en complément de la formation doctorale dispensée par l’établissement d’inscription du doctorant. L’EIR-A a pour ambition d’accroître l’employabilité des doctorants par une ouverture à l’international – en étant à l’écoute des grandes questions de société et de celles qui se posent à l’ensemble du monde socioéconomique – et par une sensibilisation aux grands enjeux globaux du champ des agro-sciences.

L’EIR-A cherche à développer les capacités d’innovation des doctorants et des jeunes chercheurs au contact des fronts de sciences. Sur la base de partenariat avec les écoles doctorales, l’EIR-A propose un parcours professionnalisant qui s’appuie sur des référentiels européens en considérant le doctorant comme un jeune professionnel.

Le parcours EIR-A, élaboré en concertation avec les écoles doctorales (ED) partenaires des membres d’Agreenium, repose sur quatre piliers : un séminaire annuel, animé par une quinzaine d’experts internationaux venant du monde de la recherche ou de la sphère socioéconomique ; une mobilité à l’étranger de trois mois minimum ; un accompagnement personnalisé axé sur l’approfondissement des compétences du doctorant dans une optique d’employabilité ; et enfin, une offre de formation. Cette dernière peut être dispensée à la fois par des établissements de recherche spécifiques (modules « fronts de science »), par l’EIR-A (modules transversaux) et par les écoles doctorales partenaires.

L’EIR-A a recruté sa seconde promotion et intègre, à la rentrée 2013, deux étudiants de l’Université de La Réunion, issus de l’école doctorale « Sciences, technologies et santé ».

En troisième lieu, Agreenium cherche à valoriser des dispositifs de recherche exceptionnels. Je citerai l’exemple de l’ECOFOG en Guyane.

L’UMR (Unité mixte de recherche) « Écologie des forêts de Guyane » (ECOFOG) regroupe des moyens issus d’AgroParis Tech, de l’INRA, du CIRAD (trois membres d’Agreenium), du CNRS et de l’Université des Antilles et de la Guyane.

L’Unité fait partie du Centre d’études de la biodiversité amazonienne (CEBA), labellisé « Laboratoire d’excellence » (Labex) en 2011, dans le cadre des appels à projets lancés par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au sein du programme « Investissements d’avenir ».

Le Labex CEBA fédère un réseau de onze équipes de recherche françaises étudiant la biodiversité en Amazonie sous différents aspects : bio-découverte, écologie, génétique, modélisation, santé, sciences humaines. Il favorise une recherche de pointe sur la biodiversité en Guyane et permet aux équipes partenaires de mener des projets conjoints grâce à un financement sur le long terme.

Les équipes du CEBA, situées en Guyane, en métropole et aux Antilles, mobilisent une centaine de personnels permanents. Les onze laboratoires partenaires sont rattachés à neuf établissements de recherche. Six d’entre eux se trouvent dans des départements d’outre-mer : AMAP (BotAnique et bioinforMatique de l’Architecture des Plantes) à Cayenne et à Montpellier ; CNRS-Guyane à Cayenne ; CRPLC (Centre de recherche sur les pouvoirs locaux dans la Caraïbe) en Martinique, Guadeloupe et Guyane ; ECOFOG (Écologie des forêts de Guyane) à Kourou et à Cayenne ; EPAT (Épidémiologie des parasitoses tropicales) à Cayenne ; et enfin IPG (Institut Pasteur de la Guyane) à Cayenne. Ainsi, les collectivités d’outre-mer sont-elles très présentes dans un projet ambitieux et qui a été reconnu à l’échelle nationale.

Enfin, Agreenium s’efforce de mobiliser des acteurs pertinents autour d’un projet international d’aide au développement concernant la République d’Haïti.

Il convient de rappeler qu’Agreenium a pour charge de valoriser l’expérience et l’expertise de ses membres en répondant à trois types de demandes : les demandes d’appui à des partenaires qui souhaitent renforcer, évaluer ou réformer leur système de recherche ou de formation en agro-sciences ; les demandes de mobilisation d’expertise de plusieurs membres en vue de coordonner de grands projets ou de participer à de grands programmes internationaux ; et les demandes adressées aux membres d’expertises spécifiques.

C’est au titre de ces trois missions qu’Agreenium conduit une action de solidarité pour la reconstruction du système haïtien de recherche et de formation agricoles au lendemain du séisme du 12 janvier 2010.

Les quatre volets de ce plan d’action à Haïti consistent à appuyer les projets régionaux en cours ; à apporter un soutien au dispositif de formation supérieure agronomique ; à améliorer le dispositif de recherche et d’innovation et à contribuer à la refondation du dispositif de recherche et de formation agronomiques, en participant aux réflexions sur l’organisation d’assises nationales de la recherche dans le secteur agricole.

Agreenium a été invité à faire une offre en « entente directe » avec le MARNDR de la République d’Haïti (ministère de l’agriculture, des ressources naturelles et du développement rural), afin d’apporter un « appui méthodologique à la recherche agricole appliquée ». La proposition d’Agreenium, qui sera financée par la BID (Banque interaméricaine de développement), a été acceptée et le projet devrait démarrer en 2013.

Dans tous ses projets le consortium Agreenium mobilise l’expertise de ses membres, y compris outre-mer. Dans le cas du dernier projet retenu par la BID, au moins six experts issus des territoires ultramarins sont impliqués en tant que leaders :

- Productions végétales et grandes cultures : trois experts leaders d’équipe projet en provenance de trois sites : CIRAD, La Réunion ; INRA, Petit-Bourg, Guadeloupe ; INRA, Baie-Mahaut, Guadeloupe.

- Productions horticoles : un expert leader d’équipe projet, INRA, Petit-Bourg, Guadeloupe.

- Productions animales : deux experts leaders d’équipe projet, INRA, Morne-à-l’eau, Guadeloupe.

Avec ces quatre exemples, j’ai donc tenté de montrer comment des synergies entre des acteurs français – y compris des acteurs issus des collectivités d’outre-mer – pouvaient favoriser l’émergence de projets de recherche et de formation répondant, tant dans l’hexagone qu’au niveau international, à une double exigence : l’excellence et la pertinence. C’est probablement sous cet angle qu’un certain nombre de stratégies futures pourraient être envisagées.

M. Jean Champagne, directeur adjoint chargé de l’outre-mer à l’ACTA. Je représente donc l’ACTA, qui est la tête de réseau des instituts techniques des filières animales et végétale. Or, si l’on connaît relativement bien les organismes de recherche, comme l’INRA ou le CIRAD, les établissements d’enseignement supérieur et les chambres agricultures, on connaît moins bien les instituts techniques.

L’ACTA réunit environ 1 200 collaborateurs, répartis dans une quinzaine d’organismes, certains plus particulièrement compétents dans le suivi des productions animales, végétales, de grands champs ou spécialisées. Le métier des instituts techniques est tout à fait complémentaire des autres : apporter un appui aux filières en faisant remonter vers la recherche un certain nombre de leurs besoins et contribuer à l’expérimentation, afin de rendre directement utilisables les progrès de la recherche par les professionnels.

Historiquement, dans les territoires ultramarins, certains instituts apportent leur appui à l’organisation des filières, notamment dans le cadre des programmes sectoriels soutenus par l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer). Plusieurs instituts sont ainsi intervenus dans le secteur animal et végétal. Ils sont plus récemment intervenus dans la mise en place de réseaux de référence dans les productions végétales pour avoir des indicateurs technico-économiques – que ce soit pour les organismes bancaires ou pour les investisseurs. Plus récemment encore, l’ACTA a été conduite à observer de plus près l’agriculture ultramarine. De fait, il faut bien reconnaître que nous étions relativement peu présents physiquement dans les DOM – par rapport à nos partenaires qui se sont déjà exprimés.

Cette évolution résulte du CIOM (Conseil interministériel de l’outre-mer) – qui s’est tenu à la fin de l’année 2009– et des États généraux de l’outre-mer qui suggéraient, notamment, la mise en place d’un institut agricole par DOM. Après une première mission réalisée par des ingénieurs généraux en 2010, qui a surtout consisté à faire un état des lieux, le ministère de l’Agriculture a confié au CIRAD et à l’ACTA, plus précisément à M. François Cote et à moi-même, la mission de rendre opérationnel ce projet. Après avoir rencontré de nombreux opérateurs sur place, il nous a semblé – plutôt que de créer un organisme de plus – qu’il était préférable de faire en sorte que les organismes présents sur place travaillent ensemble. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé au comité de pilotage, présidé par M. Jean-Pierre Bastié, la création de réseaux d’innovation et de transfert agricole : les RITA. Chacun de ces quatre termes a son importance.

Ces « réseaux » regroupent les organismes de recherche comme le CIRAD et l’INRA, les chambres d’agriculture, les organismes à vocation technique comme les groupements de défense sanitaire ou les FREDON (Fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles) ; ils regroupent également des organismes de formation initiale ou de formation pour adultes, des organismes d’enseignement supérieur et, bien sûr, les instituts techniques.

Ce sont des réseaux « d’innovation » parce que nous sommes persuadés que le développement de l’agriculture passera, plus particulièrement dans les DOM, par l’innovation.

Ce sont des réseaux d’innovation et de « transfert ». C’est sans doute ce mot de « transfert » qui est le plus important. En effet, le passage entre les travaux effectués par nos partenaires de la recherche, ici présents, et les agriculteurs constitue un point faible, d’autant plus que l’organisation professionnelle est souvent défaillante dans l’ensemble des DOM.

Ce sont enfin des réseaux d’innovation et de transfert « agricole » parce que nous sommes dans le monde agricole. Mais ce pourrait aussi bien être des réseaux « d’innovation et de transfert agroalimentaire », dans la mesure où nous serons amenés à nous engager de plus en plus dans ce secteur.

Pour l’instant, l’activité des RITA est focalisée sur les productions de diversification, en complément des productions traditionnelles d’exportation dont on a parlé tout à l’heure, comme la banane et la canne. Elle a peut-être vocation à s’étendre à d’autres secteurs : d’une part, les grandes filières exportatrices et, d’autre part, les petites et très petites exploitations agricoles familiales dont parlait M. François Cote tout à l’heure, exploitations qui sont particulièrement importantes et qui se trouvent en dehors de tout système.

Ces réseaux doivent favoriser l’expression des besoins – y compris sociaux – dans le cadre d’une agriculture durable. Comme on l’a dit tout à l’heure, ce n’est pas à la recherche de définir les orientations et les priorités, mais aux professionnels de l’agriculture, aux collectivités territoriales, aux chambres d’agriculture, aux organisations de producteurs ou aux organismes interprofessionnels.

La réponse qui doit être apportée à ces besoins n’a évidemment rien à voir avec celle qui pourrait être apportée en métropole. Le contexte de chaque DOM, voire de chaque région au sein du même DOM, est différent. Les approches doivent donc être très variées. Mais, à l’expression locale et à l’approche locale, doivent répondre l’ensemble des compétences, non seulement départementales ou régionales, mais aussi nationales.

Nous pensons également qu’il est important d’associer aux réseaux RITA le savoir-faire et les compétences, notamment méthodologiques, du réseau ACTA, et notamment toute la capacité d’expertise de certains instituts techniques dont la création remonte, pour certains, à une vingtaine d’années. Je citerai Armeflhor à La Réunion, pour les productions horticoles ; IKARE, qui intervient dans le secteur animal aux Antilles et en Guyane, et dont M. Jean-Louis Peyraud préside le conseil scientifique ; ou IT2, qui intervient dans le secteur de la diversification végétale aux Antilles, et dont M. François Cote préside également le conseil scientifique.

En conclusion, les RITA constituent, selon nous, un cadre très important. Ils permettent d’éviter les doublons, de combler les vides, et donc de mieux gérer les crédits.

Toujours à propos de l’ACTA, il nous semblerait utile de doter les territoires ultramarins d’un appel à projets spécifique. Certes, il existe aujourd’hui des appels à projets gérés par le CASDAR – Compte d’affectation spéciale pour le développement agricole et rural – sur des thématiques particulières. Les DOM pourraient s’y insérer. Mais il faut bien reconnaître que, d’une manière générale, le CASDAR intervient pour des programmes de recherche qui concernent un cadre tempéré, et non un cadre tropical. Voilà pourquoi nous pensons que les spécificités de l’outre-mer pourraient être abordées et traitées dans le cadre d’un appel à projets spécialement conçu pour les DOM ou les COM.

Je souhaiterais par ailleurs insister sur le volet « transfert » et sur la plus-value apportée par l’Inter-Dom. Ce qui est fait dans un DOM peut servir – mais pas forcément systématiquement – dans un autre, et réciproquement. Voilà pourquoi, en collaboration notamment avec le CIRAD, se tient tous les ans un séminaire d’échanges, où tous les partenaires (techniques, financiers, professionnels, issus du monde de la recherche, etc.) peuvent se retrouver – soit en métropole, soit dans les DOM – et débattre librement de tout ce qui pourrait être mutualisé, ainsi que de toutes les perspectives d’avenir. Le prochain Inter-Dom aura lieu prochainement, sans doute à la même époque que le salon de l’agriculture.

Enfin, il me semblerait important que la prochaine loi d’avenir pour l’agriculture fasse référence aux RITA, et peut-être même que l’on y précise que tout financement public dans les DOM devra obtenir un label RITA. Ce serait en effet, pour nous, une façon d’assurer la cohérence de l’ensemble.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci pour ces exposés extrêmement fournis. À vous écouter, j’ai eu le sentiment – mais je suis une sorte de Candide dans ces matières – que vous étiez heureux et satisfaits : contents de ce que vous faites et conscients de l’intérêt de ce que vous réalisez. Vous avez mis en avant des personnels extrêmement qualifiés, des chercheurs d’excellence. Dans le même temps, vous avez fait allusion à l’état de nos agricultures, opposant parfois la culture traditionnelle d’exportation aux petites structures familiales, davantage tournées vers la satisfaction des besoins locaux. Comment s’articule donc ce niveau de recherche et d’innovation, qui est très performant, avec la réalité du terrain ?

En définitive, la recherche, si elle est nécessaire, ne peut pas rester au niveau des nuages et ne pas s’appliquer. L’une des finalités de la recherche et de l’innovation est son application sur le terrain, pour faire progresser nos agricultures. Avez-vous réussi, ou non, à appliquer les résultats de la recherche aux structures des agricultures ultramarines et à améliorer le niveau de formation des agriculteurs ? J’aimerais connaître votre évaluation.

Enfin, vous avez cité à plusieurs reprises, parmi vos partenaires, les collectivités et les décideurs politiques. Comment est-ce que cela se passe ? Comment les décideurs locaux reçoivent-ils ce qui est apporté par la recherche et l’innovation ?

M. Gérard Mathéron. Je vais vous répondre, au moins pour le CIRAD que je connais.

Vous nous faites remarquer que, d’une part, les organismes de recherche semblent bien faire leur travail mais que, de l’autre, les agricultures ou les agriculteurs semblent être en retrait. Et vous nous demandez notre point de vue sur la question.

Comme vous le savez, au CIRAD, chaque activité est construite autour d’un projet. La plupart du temps, ce projet est conduit en partenariat, notamment avec les collectivités. Il s’agit d’un pari conjoint entre les collectivités, les professionnels, les organisations de producteurs et nous-mêmes, qui décidons d’engager nous aussi des moyens, des forces, des connaissances, des compétences et des réseaux sur des questions qui suscitent des interrogations à un moment donné. Je peux vous donner quelques exemples de ces types de collaboration : la lutte contre le ver blanc à La Réunion, qui s’est traduite par un succès évident ; dans le cadre du plan « banane durable », aux Antilles, la réduction de l’utilisation des pesticides qui a été de 70 %. Mais on ne peut pas dire que, si réussite il y a, elle est due aux organismes de recherche. Il s’agit de projets collectifs, et donc d’évaluations collectives.

J’observe que, lorsqu’il y a plusieurs partenaires dans un projet, chacun d’entre eux doit préciser ce qu’il en attend. C’est ce qui lui fera dire que, selon lui, ce projet a réussi ou n’a pas réussi. Or, les critères de réussite ne sont pas forcément les mêmes pour les producteurs, les chercheurs ou les collectivités. Il est donc important que chacun exprime bien ses attentes dès le départ. Chacun saura à quoi s’en tenir et saura ce qu’il doit faire.

Cela dit, les succès ne sont pas forcément garantis. Par exemple, dans le domaine de l’utilisation des produits phytosanitaires, nous nous sommes rendu compte que dans les départements d’outre-mer ou les territoires d’outre-mer de l’Europe, à peine moins de 20 % des produits satisfaisaient aux besoins des producteurs. En comparaison, au niveau européen, pour l’agriculture européenne continentale, le pourcentage est de 80 %. Il y a donc, en matière d’innovation, des secteurs orphelins.

Ces secteurs orphelins n’intéressent pas forcément les collectivités, ni les organisations de producteurs. Mais il est possible que les établissements de recherche anticipent et s’engagent sur des thématiques délaissées par ailleurs. À côté des projets conjoints, nous avons la possibilité d’en programmer d’autres, afin d’anticiper des questions qui vont se présenter. Cette programmation, que nous prenons en charge sur nos dotations de fonctionnement, souvent en dehors de tout financement extérieur, pourra d’ailleurs avoir un impact, non seulement dans les DOM, mais également au plan international.

En conclusion, ma réponse à la question sera triple :

Premièrement, nombre de progrès ne résultent pas uniquement de la recherche, mais résultent, globalement, de problématiques collectives et d’un continuum entre la recherche et le tissu social. Les agricultures, quelles qu’elles soient, ont toutes plus ou moins bénéficié de ces engagements collectifs, notamment ceux dans lesquels les collectivités territoriales ont souhaité tout particulièrement s’impliquer. Sans le soutien des collectivités territoriales et du pouvoir politique, les grands projets de recherche ne se mettent pas en œuvre. Et ces projets collectifs ont donné lieu à des résultats tangibles pour tous les agriculteurs domiens.

Deuxièmement, un travail par projet permet une évaluation. Si tout le monde annonce au départ ce qu’il attend d’un travail collectif, chacun pourra en tirer profit.

Troisièmement, les chercheurs conservent malgré tout un espace de liberté qui est utile au système, dans la mesure où il permet d’anticiper certaines questions qui ne répondent pas forcément aux demandes, aux besoins évoqués par M. Jean Champagne tout à l’heure, mais qui pourraient venir sur le devant de la scène. Cette capacité d’anticipation concerne les organismes de recherche, les instituts techniques, mais aussi vous-mêmes, en tant qu’élus, quand on vous demande de réfléchir très en amont sur certains projets – dans le cadre de contrats de plan, par exemple. Cependant, cette capacité d’anticipation n’est pas toujours facile à exercer, en raison des crises qui interviennent au fil de l’eau.

M. François Cote. J’apporterai un complément de réponse sur deux points.

Premièrement est-on satisfait de nos recherches ? En tant que chercheurs, nous sommes lancés dans une course, une adaptation permanente à des changements d’enjeux, de contexte, qui font que rien n’est acquis et qu’il faut inlassablement investir dans la recherche.

Compte tenu des attentes, on passe de systèmes qui étaient artificialisés – par exemple qui tenaient sur les pesticides et les intrants – à des systèmes dans lesquels on veut moins d’intrants, et qui sont, de ce fait, beaucoup plus complexes. Cela demande un très fort réinvestissement dans la recherche. Tout cela pour dire que c’est une course sans fin. Nous ne pouvons pas être contents de nous parce que nous sommes toujours rattrapés par un nouveau défi.

Deuxièmement, quel est notre rôle par rapport à la production ? Ce rôle est souvent plus facile à apprécier rétrospectivement. Je reprends le cas que j’ai déjà cité relatif aux productions de bananes en Afrique : parce que l’on avait abandonné la recherche pendant quelques années, on s’est subitement trouvé démuni lorsque la grande distribution a fait savoir qu’elle ne voulait plus simplement acheter des bananes, mais avoir une certification sur la façon dont celles-ci avaient été produites. Il ne s’agissait plus seulement d’optimiser les rendements et on s’est alors retourné précipitamment vers les chercheurs. Le phénomène est observable dans d’autres filières. Cependant, après cinq ou dix ans, celles-ci ont du mal à intégrer les nouveaux concepts et elles perdent leur capacité de réaction. J’ai bien l’impression que c’est ce qui est en train de se passer pour la filière de la canne à sucre. Mais tout cela est plus facile à mesurer sur une longue période.

M. Jean Champagne. Le transfert entre les acquis de la recherche et l’amélioration du niveau des agriculteurs se fait d’autant plus facilement qu’il y a en face une organisation professionnelle forte. Or, les territoires ultramarins, davantage peut-être que la métropole, souffrent de la faiblesse de leurs organisations professionnelles. Cette faiblesse explique d’ailleurs que, pour certaines productions, les taux de couverture soient très bas.

Cela m’amène à soulever un point que l’on n’a pas encore évoqué : si les agricultures ultramarines sont soumises à des contraintes spécifiques, notamment climatiques, elles doivent également faire face à la concurrence des importations de la métropole et, de plus en plus, à celle des pays de la zone.

Selon moi, l’organisation professionnelle va de pair avec le transfert. C’est aussi le moyen d’évaluer le taux de pénétration et l’efficacité, et d’améliorer la vitesse de ce transfert.

M. le président Jean-Claude Fruteau. C’est parce que vous avez insisté tout à l’heure sur le mot « transfert » que j’ai posé cette question. Par ailleurs, je tiens à préciser que je n’ai pas voulu être offensant en utilisant le mot « satisfaits ». Je ne voulais pas dire « satisfaits de vous ».

M. Jean-Louis Peyraud. Je partage beaucoup de ce qui s’est dit, mais j’observe que la situation a évolué avec le temps. La recherche s’est professionnalisée et « fondamentalisée ». Nous sommes contents d’avoir des équipes sur site, qui publient bien et font de la bonne recherche, et une recherche très générique. Et pour nous, à l’INRA, il est important que les thématiques soient déclinées en métropole et sous les tropiques, pour mieux cerner la généricité des processus.

Mais aujourd’hui, quid de l’innovation pour les acteurs locaux ? Je pense que nous sommes aujourd’hui à une période charnière. Si les premiers progrès ont été rapides, nous devons maintenant changer complètement de braquet. Il faut réorganiser tout le dispositif de recherche/formation/développement, en particulier sous les tropiques en raison de l’émiettement des représentations professionnelles. Il y a là un enjeu très fort, qui concerne aussi bien la recherche, que la formation et le transfert. Et je pense que les RITA sont précisément à même d’opérer cette liaison.

Mme la rapporteure. Depuis trente ans, la présence des instituts de recherche dans les territoires d’outre-mer a évolué. On a assisté à un recentrage sur certaines zones et, depuis cinq ou six ans, ces instituts se regroupent dans certaines structures – comme Agreenium, ACTA et les réseaux RITA – qui les rapprochent des professionnels du monde agricole.

Si je me réfère aux propos de tous les intervenants, l’agriculture outre-mer avancera en s’appuyant sur l’innovation et le transfert. Mais alors, comment, par exemple, accompagner la demande des professionnels, qui déplorent qu’à peine de 20 % des produits phytosanitaires leur apportent satisfaction ? Que peuvent proposer, en ce domaine, les instituts de recherche ? Nous pourrions reprendre, dans le rapport, vos préconisations, évoquer certaines pistes de recherche et d’innovation, qui pouraient, par la suite, faire l’objet de transferts.

J’aimerais également que le représentant de l’INRA qui a évoqué les fermes expérimentales dans les lycées agricoles, développe son propos. Quel rôle peuvent jouer les lycées agricoles et leurs fermes d’exploitation ? Les professionnels souhaitent que l’on fasse vivre ces espaces, qui participent à la vie rurale et contribuent à la formation des agriculteurs, qu’il s’agisse de formation initiale ou continue. De votre côté, êtes-vous prêts à vous impliquer ? Comment ?

Ensuite, vous avez tous dit que les agricultures outre-mer avaient des défis à relever. Mais M. Jean Champagne ou M. Jean-Louis Peyraud ont observé que le transfert des connaissances exigeait la structuration des professionnels, laquelle, dans certaines zones de l’outre-mer, est un peu hésitante. De la même façon, vous avez dit que vous manquiez d’interlocuteurs, s’agissant de l’agriculture familiale. Mais je suppose que, compte tenu de votre expérience à l’étranger, vous avez été confrontés, dans d’autres pays, au même problème. Comment faites-vous, dans de telles situations, pour assurer ce transfert ?

Enfin, je souhaiterais que vous nous parliez du lien entre l’international et le local, qui est aussi à rechercher.

M. Gérard Mathéron. Je répondrai d’abord à propos des produits phytosanitaires. Ceux-ci ont fait l’objet à la fois des plans Écophyto DOM et du plan Écophyto national. Or, on a constaté que, par rapport aux engagements qui avaient été pris par les différentes filières, la seule qui ait satisfait et même dépassé ses engagements est la filière banane, toutes filières françaises confondues. Non seulement les filières continentales n’ont pas réduit l’usage des pesticides, mais certaines l’ont même accru.

Ensuite, que faut-il faire concrètement ? Comme l’ont souligné mes collègues, il est possible de s’appuyer sur l’expérimentation « plate-forme » ou sur d’autres systèmes qui permettent de tester des innovations en dehors des laboratoires : expérimentations menées sur des fourrages chez des éleveurs pionniers, systèmes de cultures remplaçant les produits phytosanitaires, etc. Il y a des innovations sur lesquelles on peut s’adosser pour progresser. Mais les espaces RITA sont indispensables. C’est un peu comme dans une entreprise, lorsque l’on veut passer du prototype mis au point par le laboratoire à la présérie.

Les DOM possèdent, par ailleurs, des collections qui ont été évoquées par M. François Cot. Les organismes de recherche (INRA, CIRAD, etc.) entretiennent sur place toute la variabilité génétique disponible au plan international. Ces collections ont été ramenées dans les DOM, certes pour des raisons domiennes, mais aussi parce que, dans de nombreux pays, l’accès à la biodiversité est parfois contraint par des problèmes de sécurité.

Cette diversité génétique présente sur les territoires est pour nous un espace d’exploration. Les collections nous permettent, notamment, de développer des plates-formes pour travailler sur tout ce qui concerne l’hybridation ou la création variétale – et dans ce contexte, par exemple, d’étudier les résistances à telle ou telle pathologie chez les animaux ou les végétaux. Il est possible de tester dix variétés de banane par an ou dix variétés de canne à sucre par an. Et si l’on multiplie par dix la capacité de testage, on peut aller dix fois plus vite dans les retombées pratiques. C’est le moyen de changer d’échelle.

Il est utile pour nous, d’une part, de disposer d’espaces qui nous permettent de tester plus rapidement les innovations qui sont dans les cartons – en effet, beaucoup de choses existent au plan international ; d’autre part, de faire en sorte que cette capacité d’innovation soit sanctuarisée dans la loi.

Prenons l’exemple des groupements d’intérêt économique et environnemental, ou GIEE. Sans innovation, les producteurs auront beau se regrouper pendant cinquante ans, il n’y aura pas de changement de pratiques. D’où l’importance de suggérer à ces GIEE de contractualiser avec des espaces où l’innovation se crée, se teste ou peut être présente. Ce serait un facteur de richesse pour tout le monde. Les chercheurs, les instituts techniques seront incités à étudier, par exemple, pourquoi telle variété d’oignon qui réussit très bien à La Réunion ne réussit pas en Guadeloupe, et cela en allant faire des essais chez les producteurs. Mais l’expérimentation ne peut pas se faire ex nihilo, hors du contexte.

Ainsi, les connaissances mondiales et la diversité sont disponibles dans les DOM. Les coopérations « Inter-Dom » et les collaborations régionales qui sont mises en place par les DOM dans les zones d’influence où ils sont présents nous permettent d’avoir accès à de nombreuses informations et connaissances. Il faut maintenant tirer des applications pratiques de ces connaissances – sachant, bien entendu, que toute découverte n’est pas applicable partout.

En conclusion, il faut investir sur le changement d’échelle et faire en sorte qu’aucune initiative collective de production, aucune forme d’organisation de producteurs, quelle qu’elle soit, ne soit déconnectée de cette capacité d’innovation qui, selon moi, est présente partout et ne demande qu’à prospérer.

M. François Cote. Vous nous avez interrogés sur la possibilité de remplacer les pesticides à usage tropical par d’autres produits plus respectueux de l’environnement, la recherche butant, en ce domaine, sur la difficulté de mettre au point des prophylaxies dont l’utilisation reste très limitée géographiquement – on parle d’usage orphelin. Je pense qu’il est possible, pour ce type de recherche, de créer des circuits courts – en effet, en matière d’innovation, il faut essayer d’aller le plus vite possible – et il me semble que l’on pourrait développer, dans cette perspective, un réseau mixte de technologie (RMT). Ainsi, le CIRAD est en train de mettre en place, actuellement, un RMT « santé végétale », afin de trouver des alternatives aux molécules chimiques par le biais de produits biologiques. Cette initiative est certainement transposable à d’autres secteurs dont les besoins seraient relativement semblables.

Il est par ailleurs essentiel de se doter d’outils d’évaluation multicritères. Produire sera de plus en plus une question de compromis. L’étude menée par le consortium Agreenium sur l’agro-écologie montre que l’on dispose de solutions techniques pour produire différemment, mais que cela aura des répercussions en termes de temps de travail, d’effets sur la diversité ou d’utilisation des ressources. En fait, la recherche doit, avec ses partenaires, fournir des outils permettant d’évaluer les conséquences des choix.

Les DOM ont donc à se doter d’outils d’évaluation multicritères, ce qui doit se discuter collectivement. Parmi les techniques, il existe celle des analyses des cycles de vie, ou ACV. On pourrait aller plus loin avec, par exemple, des ACV « sociales » que l’on pourrait préconiser pour l’évaluation des petites agricultures.

M. Jean-Louis Peyraud. Vous nous avez interrogés sur les fermes des lycées agricoles.

Dans un objectif de formation, je considère qu’il y a sûrement lieu d’utiliser plus et mieux les fermes des lycées agricoles dans les cursus d’enseignement : ce sont des lieux privilégiés de travaux dirigés pour les étudiants ou les élèves ; et aussi des lieux de recueil et d’analyse de données.

Dans un objectif pédagogique, je considère que ce qui se fait dans une ferme de lycée agricole permet l’imprégnation progressive des apprenants sur de nouvelles façons de faire. Aujourd’hui, les changements vers l’agro-écologie sont freinés par les anciennes façons de penser. Par le passé, on a fait des progrès autrement, et, aujourd’hui, il faut reprendre la question à la base. D’où l’intérêt de passer par ces fermes des lycées agricoles, qui ont, par ailleurs, le mérite d’être assez nombreuses par rapport aux dispositifs expérimentaux – ceux de l’INRA, par exemple.

Enfin, les fermes des lycées agricoles sont un lieu de démonstration pour les visiteurs, par exemple les parents d’élèves.

Je considère donc qu’elles contribueront grandement à l’émergence de systèmes plus agro-écologiques.

Par ailleurs, on voit bien aujourd’hui qu’il faut s’engager vers des approches systémiques. Je ne reviens pas sur l’évaluation multicritères, ni sur les trade-off entre performances. Reste que si on concilie productivité et environnement, cela peut avoir un impact négatif sur le travail ou les investissements. Comment le faire toucher du doigt à toutes les personnes concernées, et comment raisonner sur ces questions ?

En outre, il faut potentialiser notre dispositif dans tous les territoires, en particulier dans les DOM. Les essais systèmes sont très lourds. Je suis convaincu, pour en avoir fait, que la modélisation apporte des réponses. Mais on ne peut pas se contenter de systèmes modélisés sur ordinateur. Un jour, il faut procéder à des tests en vraie grandeur. Mais ces tests sont également très lourds et on ne peut pas les multiplier sur les sites. Voilà pourquoi il faudrait réussir à mettre ces sites en réseau. Bien sûr, cela dépend de la capacité d’investissement de chacun ; tous les lycées n’ont pas la même. Malgré tout, il serait bon d’y réfléchir. Au-delà de la démonstration, il faut de l’expérimentation. On apprend en faisant. On ne fera pas tout par de l’analyse multicritères et de la modélisation sur ordinateur. Il faut bien, à un moment donné, tremper dans la réalité concrète de ces systèmes.

Encore une fois, nous sommes à une période où il faudra faire des arbitrages entre les différentes performances pour choisir ce que l’on veut faire. Et ce que l’on veut faire sera probablement différent selon les territoires. Les équilibres à trouver seront également différents, et il nous faudra multiplier les sites d’observation – avec quelques contrôles minimaux.

M. Jean Champagne. C’est la raison pour laquelle, dans les RITA, nous considérons qu’il est très important d’associer les lycées agricoles et leurs fermes exploitations. Leur rôle de démonstration, de pépinière, est fondamental, à la fois pour les jeunes en formation et pour les agriculteurs. C’est sans doute un des défis que nous devrons relever dans les années à venir : développer tout ce réseau au sein du réseau des RITA.

M. Gérard Mathéron. Je voudrais insister une dernière fois sur l’importance des organisations de producteurs. Par exemple, en Martinique, il suffirait que quelqu’un installe trois hectares de serres destinées à la production de salade pour saturer le besoin local ; de même, il suffirait que quelqu’un décide de planter 10 hectares de tomates pour ruiner, du jour au lendemain, les petites exploitations familiales et pour placer tous les autres producteurs en dehors du système.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci pour cette rencontre extrêmement riche.

Table ronde, ouverte à la presse, avec les acteurs de la filière agricole de la banane : M. Louis-Daniel Bertome, président de la Chambre d’agriculture de la Martinique ; M. Laurent Laviolette, secrétaire général de l’Union des Groupements de Producteurs de Bananes de Guadeloupe et de Martinique (UGPBAN) ; M. Pierre Monteux, directeur général de la société Banamart ; M. Philippe Ruelle, directeur général de la société Fruidor ; M. Denis Loeillet, responsable de l’Observatoire des marchés du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ; M. Tino Dambas, président de l’Institut Technique Tropical (IT2) ; M. Franck Gonsse, secrétaire général de la Coordination nationale des travailleurs portuaires et assimilés (port de Dunkerque) et de la Chambre syndicale des ouvriers du port mensualisés et intermittents (CNTPA/CSOPMI) ; M. Xavier Eiglier, directeur de la ligne Antilles de la Compagnie maritime d’affrètement-Compagnie générale maritime (CMA-CGM) ; M. Jean-François Tallec, chargé des relations institutionnelles de CMA-CGM ; M. Xavier Freyermuth, directeur de la cartonnerie International Paper de Basse-Terre en Guadeloupe ; M. Franck Lliso, président de la société Fructifrui (réseau de mûrisseurs indépendants de Rungis) ; M. Jean Simonnet, responsable de la société Antilles Vitro Plants (entreprise de reproduction de plantes) ; M. Juvénal Rémir, secrétaire général du syndicat « Coordination rurale » pour la Martinique ; Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement de l’association Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins).

Compte rendu de la table ronde du 8 octobre 2013

Mme Chantal Berthelot, présidente. Je vous remercie, Madame, Messieurs, d’avoir accepté notre invitation.

Le président de la Délégation, M. Jean-Claude Fruteau, retenu dans sa circonscription, vous prie de bien vouloir l’excuser et m’a demandé d’assurer la présidence de cette table ronde. Celle-ci s’inscrit dans le cadre des travaux que nous menons actuellement sur l’agriculture ultramarine, sujet sur lequel la Délégation a nommé deux rapporteurs, M. Hervé Gaymard et moi-même. Nous sommes sur le point de terminer notre rapport, que nous présenterons à la Délégation dans les premiers jours de novembre.

Depuis le mois de juin, nous auditionnons un certain nombre d’acteurs de l’agriculture ultramarine, dont les représentants de la filière « canne », les présidents des chambres d’agriculture et les responsables de différents syndicats, et nous recevrons la semaine prochaine les responsables de l’Agence de services et de paiement (ASP).

Nous avons souhaité organiser une table ronde réunissant les acteurs de la filière agricole de la banane, et c’est à ce titre que nous accueillons aujourd’hui :

M. Louis-Daniel Bertome, président de la chambre d’agriculture de la Martinique ;

M. Laurent Laviolette, secrétaire général de l’Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique (UGPBAN) ;

M. Pierre Monteux, directeur général de la société Banamart, groupement des producteurs de la Martinique ;

M. Philippe Ruelle, directeur général de l’UGPBAN et de sa filiale, la mûrisserie Fruidor ;

M. Denis Loeillet, responsable de l’Observatoire des marchés du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ;

M. Tino Dambas, président de l’Institut technique tropical (IT2), deuxième vice-président du groupement Les producteurs de Guadeloupe (LPG) ;

M. Franck Gonsse, secrétaire général de la Coordination nationale des travailleurs portuaires et assimilés (port de Dunkerque) et de la Chambre syndicale des ouvriers du port mensualisés et intermittents (CNTPA/CSOPMI) ;

M. Xavier Eiglier, directeur central de la ligne Antilles-Guyane de la Compagnie maritime d’affrètement - Compagnie générale maritime (CMA-CGM) ;

M. Jean-François Tallec, chargé des relations institutionnelles de CMA-CGM ;

M. Xavier Freyermuth, directeur général de la cartonnerie International Paper de Basse-Terre en Guadeloupe ;

M. Franck Lliso, président du groupement d’intérêt économique Fructifrui (réseau de mûrisseurs indépendants de Rungis) ;

M. Jean Simonnet, responsable de la société Antilles Vitro Plants (entreprise de reproduction de plantes) ;

M. Juvénal Rémir, secrétaire général du syndicat « Coordination rurale » pour la Martinique ;

Mme Laetitia de la Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement de l’association Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins).

Je me réjouis de voir que vous êtes venus nombreux et vous invite à nous faire des propositions concrètes propres à consolider une filière si importante pour l’agriculture ultramarine.

Vous nous avez proposé d’aborder au cours de cette réunion les points suivants relatifs à la filière « banane » : son fort impact économique local, son rôle social, sa structuration autour de partenariats forts, son rôle de colonne vertébrale du développement agricole, son caractère innovant, et enfin ses perspectives.

Mais avant de vous donner la parole, Messieurs, je vais laisser ceux de mes collègues qui le souhaitent s’exprimer.

M. Bruno Nestor Azerot. Je vous remercie, Messieurs, d’être venus devant nous pour présenter vos professions et les problèmes auxquels elles sont confrontées.

Cette table ronde est un moment fort pour nous, parlementaires, car elle va nous permettre de mieux connaître votre secteur et son importance économique. Vous nous indiquerez quels sont les éléments qui, selon vous, devraient apparaître dans les conclusions du rapport de la Délégation, puis dans la loi d’avenir pour l’agriculture.

Je me réjouis d’autant plus de l’organisation de cette table ronde que je l’avais souhaitée, et je remercie le président de la Délégation d’avoir donné suite à ma demande. Cette réunion me tenait en effet à cœur : issu moi-même d’une famille d’agriculteurs, je suis maire d’une commune très bananière et élu d’une circonscription de Martinique essentiellement bananière. Pour moi, les questions liées à la filière sont donc vitales car, derrière les chiffres, je vois des emplois et donc des femmes et des hommes.

La filière « banane » représente 6 000 emplois aux Antilles, soit l’équivalent pour la métropole de 450 000 emplois. Élément essentiel de notre économie, elle structure notre société et notre environnement. On ne saurait par conséquent traiter de l’agriculture antillaise sans faire à votre secteur la part qui lui revient et le rapport de la Délégation ne pouvait pas l’ignorer.

Sans anticiper sur les conclusions de cette réunion, je voudrais insister sur deux ou trois points importants qui devront nécessairement figurer dans le projet de loi d’avenir pour l’agriculture.

L’État doit impérativement prendre conscience du rôle capital que joue la filière « banane », en termes d’emplois et de création de richesses, et de son importance pour notre avenir.

La filière a mis dix ans pour se restructurer et se reconstruire, mais elle demeure fragile. Il est donc indispensable de sanctuariser le dispositif des aides mises en place et de penser toujours celles-ci en fonction de la filière, comme le permet l’ODEADOM. Et puisque nous tenons à développer la diversification, faisons-le par le haut, c’est-à-dire en nous inspirant des actions entreprises pour la filière « banane », et non par le bas, c’est-à-dire par un saupoudrage d’aides individuelles. Le nivellement ne favorise pas le développement et l’organisation structurée d’une activité agricole qui a impérativement besoin d’être modernisée. Et cette modernisation est tout l’enjeu de notre travail et de celui du Gouvernement dans les prochains mois. Si nous ne la réussissons pas, nous nous exposons à de cuisants échecs, qui auraient toute chance d’être irréparables.

Je ne serai pas le député à l’origine de l’effondrement de la culture bananière, car les communes qui en vivent n’ont rien d’autre à proposer à la jeunesse, sinon condamnée au vide, au désœuvrement et parfois à la délinquance.

Il faut donc travailler à la diversification. J’attends toujours la table ronde promise par le ministre de l’Agriculture sur ce thème. Je suis inquiet, car l’agriculture martiniquaise fait fausse route. Oui, la diversification est une nécessité, encore faut-il l’organiser de façon réfléchie. Elle ne doit pas être une fin en soi et le prétexte à quelques prébendes qui ne constituent pas une politique agricole moderne et risquent de conduire à l’anarchie. Le clientélisme et la surproduction, qui multiplient les organisations de producteurs (OP), les présidences et les financements stériles, ne pourraient que nuire au développement de l’agriculture raisonnée et équilibrée que nous souhaitons, ruiner de nombreux producteurs et menacer les emplois au profit de la spéculation.

Nous devons inciter fermement les producteurs à se regrouper en filières structurées, quitte à conditionner les aides aux besoins dûment identifiés. Tous les acteurs agricoles doivent se rencontrer sans délai en vue de créer une organisation unique d’ici à la fin de 2013, car le temps court et demain il sera trop tard – il est d’ailleurs déjà trop tard. Il appartient aux acteurs de l’économie agricole que vous êtes, Messieurs, de relever ce défi.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Je remercie à mon tour les professionnels ici présents. Je suis députée de la Guadeloupe, où la banane est le socle de l’économie. Je me réjouis de vous rencontrer car cela nous permettra de préparer un certain nombre d’amendements que nous déposerons sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture.

Mme Brigitte Allain. Députée de Dordogne, j’ai à l’occasion de plusieurs questions au Gouvernement dénoncé les épandages aériens, dangereux pour la santé humaine. Pour l’agriculture, la voie de la modernisation est celle de l’agro-écologie et il semble que le ministre de l’Agriculture souhaite orienter en ce sens le projet de loi d’avenir pour l’agriculture.

Sans connaître très bien les départements d’outre-mer, je sais que les produits alimentaires importés de la métropole ou d’ailleurs y sont vendus à un prix très élevé alors qu’existent sur place d’énormes potentiels, dont l’exploitation créerait des emplois.

Pour que tous ces problèmes soient débattus, il est important que les départements d’outre-mer s’impliquent dans la préparation du projet de loi d’avenir agricole et tel est le sens du travail de la Délégation.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Messieurs, vous avez souhaité nous décrire pour commencer la place importante qu’occupe la filière dans l’économie locale.

M. Pierre Monteux, directeur général de la société Banamart, groupement des producteurs de bananes de la Martinique. La filière française de la banane est totalement intégrée et unifiée. Avec une production comprise entre 250 000 et 270 000 tonnes de bananes par an – 60 000 à 70 000 tonnes en Guadeloupe et 190 000 à 200 000 tonnes à la Martinique – et étalée du 1er janvier au 31 décembre, elle est en quelque sorte la colonne vertébrale de l’agriculture de nos îles. Chaque semaine, cette production est embarquée pour alimenter l’hexagone, qui est notre marché domestique, et cette régularité, singulière en agriculture, assure aux producteurs un revenu lui-même régulier.

La production bananière est assurée par 650 exploitations familiales et artisanales – 250 en Guadeloupe et 400 en Martinique – et génère 6 000 emplois directs, essentiellement des emplois à temps complet et des CDI, soit 80 % de l’emploi agricole en Martinique.

Elle occupe 10 000 hectares sur les deux îles – 7 500 en Martinique et 2 500 en Guadeloupe. On parle souvent, à son propos, de monoculture : le terme est inadapté car, en Martinique, ces 7 500 hectares ne représentent qu’un peu plus de 25 % de la surface agricole utile.

La filière « banane » est un acteur important du développement économique local, avec 20 000 emplois induits sur nos deux îles. Elle est en outre à l’origine d’un apport financier important pour nos territoires. En effet, hors aides communautaires, elle génère un chiffre d’affaires de plus de 200 millions d’euros – 150 millions d’euros pour la Martinique, 50 millions pour la Guadeloupe – qui servent au développement de nos départements et irriguent l’activité économique.

Dans le domaine de la transformation, beaucoup de projets industriels ont vu le jour ou sont en cours. Je citerai le recyclage de l’écorce des bananiers pour produire un plaquage destiné à l’industrie du bâtiment, la fabrication d’une gamme de produits cosmétiques sous la marque Kadalys, ou encore la production en Guadeloupe, en collaboration avec l’INRA, de farines destinées à l’alimentation du bétail, sans parler de la production de jus et de pétillant de banane.

Notre filière joue enfin un rôle très important en matière d’aménagement du territoire, en contribuant au maintien d’activités économiques, et donc au maintien de la population, dans un grand nombre de communes – sur les 34 de Martinique, 21 produisent de la banane.

La filière « banane » contribue enfin au dynamisme du tourisme rural en structurant nos paysages.

M. Laurent Laviolette, secrétaire général de l’Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique (UGPBAN). La filière « banane » est organisée en deux groupements : le groupement Les Producteurs de Guadeloupe (LPG) et le groupement Banamart, eux-mêmes regroupés, depuis bientôt dix ans, au sein de l’UGPBAN, qui coordonne leur action et s’assure que les producteurs perçoivent un revenu.

L’efficacité de cette organisation a permis de nouer un partenariat avec le premier réseau de mûrisseurs de France, Fruidor, qui emploie 300 personnes et traite chaque année 160 000 tonnes de bananes.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Nous en venons au rôle social de la filière.

M. Juvénal Rémir, secrétaire général du syndicat « Coordination rurale » pour la Martinique. Je me réjouis de la présence de deux députés de Martinique, car nous nous sentions orphelins depuis le décès du député Camille Darsières. Les hommes politiques parlent si rarement de notre filière que, parfois, je me demande s’ils ne veulent pas la voir disparaître...

Aujourd’hui, je suis très inquiet car, en tant que chef d’exploitation, je reçois des jeunes bacheliers qui viennent solliciter du travail ; or je n’ai rien à leur proposer. Récemment, j’ai même dû rebrousser chemin à l’approche d’un village pourtant d’habitude plutôt tranquille, sachant que j’allais y être assailli de demandes auxquelles je ne pouvais répondre ! Beaucoup de jeunes ne travaillent pas et leurs parents, afin de leur donner un peu d’argent, sont obligés de demander de l’aide à la mairie… Et ce chômage qui frappe aujourd’hui une génération en frappera bientôt deux !

La filière banane emploie 6 000 personnes, elle fait vivre aussi les dockers, les chauffeurs de taxi, les transporteurs, les salariés des grandes et moyennes surfaces (GMS). Je n’ose imaginer ce qui se passerait si, demain, il n’y avait plus un seul pied de banane à la Martinique. Comme dit le proverbe, « ventre affamé n’a point d’oreilles ». Si les bateaux chargés de bananes cessent de partir vers la métropole pour revenir chargés de marchandises, combien paierons-nous une bouteille d’huile ? L’heure est grave. Je suis très inquiet, mais j’espère que nos problèmes seront pris en compte.

Je suis parfois découragé quand je constate l’état dans lequel se trouvent les bananiers atteints de cercosporiose. Madame la députée, vous parlez de protection de l’environnement, vous avez raison, mais il n’existe pas de culture qui ne soit traitée. La cercosporiose noire est un fléau qui a déjà entraîné la ruine de beaucoup de petits producteurs. Il faut mettre fin à cette situation.

M. Tino Dambas, président de l’Institut technique tropical (IT2). En plus de mon rôle au sein d’IT2, je suis producteur de bananes et vice-président du groupement Les producteurs de Guadeloupe (LPG).

En tant que Guadeloupéen, j’ai très peur. Naguère, dans la commune de Capesterre, un enseignant pouvait se permettre de réprimander un élève pour une absence sans autorisation ou pour un comportement dissipé. Aujourd’hui, ce n’est plus possible car les enseignants ont peur, tout comme la population.

En 2004, la production bananière a chuté en Guadeloupe, tombant de 120 000 ou 135 000 à 40 000 tonnes. De nombreuses exploitations ont fermé, entraînant, avec l’aggravation du chômage, l’installation de la délinquance. Personne ne naît délinquant, mais un jeune dont la mère et le père ont perdu leur emploi et ne peuvent plus répondre à ses besoins n’a qu’une idée en tête : trouver les moyens d’acheter ce qu’ont ses camarades et que ses parents ne peuvent lui offrir. C’est alors que commence la délinquance.

On parle souvent de Marseille mais, j’ai honte de vous le dire, la situation est bien pire en Guadeloupe. Les jeunes n’y sont pas plus méchants qu’ailleurs, mais ils n’ont pas d’occupation.

Quelques hommes politiques et des intellectuels affirment qu’il faut arrêter de cultiver la banane et la canne. Par quoi proposent-ils de les remplacer ? La banane emploie 80 % du personnel agricole : que feront-ils de tous ces gens ?

Auparavant, ceux qui ne trouvaient pas d’emploi étaient des travailleurs étrangers ou des jeunes qui n’avaient pas réussi à l’école, mais ce n’est plus le cas : ce sont aujourd’hui des bacheliers et même des titulaires de BTS, voire des ingénieurs. Et lorsqu’ils sont embauchés, ce n’est pas pour faire partie de l’encadrement ; ils le sont comme simples ouvriers, voire en tant que stagiaires.

De grâce, Mesdames et Messieurs les parlementaires, faites en sorte de renforcer la production bananière en Guadeloupe et en Martinique, au lieu de la détruire.

M. Pierre Monteux. Il y a quelques mois ont été mis en place les « emplois d’avenir ». Nous sommes résolument favorables à ce dispositif et nous avons signé en mai dernier une convention avec la préfecture de Martinique pour faire bénéficier 50 jeunes de ces contrats avant la fin de 2014. En dépit de la tempête tropicale Chantal que nous avons subie en juillet, les exploitants ont déjà signé une vingtaine de contrats et, si notre activité retrouve son régime de croisière, l’objectif de 50 contrats sera atteint dès le premier semestre de 2014 ; nous escomptons donc signer une convention complémentaire avec les services de la préfecture. Cela permettra à la fois d’aider des jeunes en déshérence et de remédier aux problèmes de recrutement rencontrés par un certain nombre d’exploitations, petites et moyennes.

Les salariés agricoles de nos départements ne bénéficiaient pas de la retraite complémentaire. Pour corriger cela, nous avons, il y a plusieurs années, engagé des négociations qui ont abouti, ces jours derniers, à la signature d’un accord paritaire. Une fenêtre de tir nous a été consentie par l’ARRCO, ce qui permettra d’entrer progressivement dans le dispositif pour atteindre, par paliers, en six ans, le taux en vigueur de 9,5 %. Nous avons demandé au Gouvernement de couvrir le manque à gagner. La ministre, Mme Marisol Touraine, nous a invités à signer un accord de branche en attendant que ce point soit tranché.

M. Tino Dambas. Les salariés agricoles travaillent en général dans des conditions très dures, mais c’est encore plus vrai aux Antilles, en raison du relief. Je souhaite que la loi tienne compte de cette pénibilité pour le calcul de leur retraite.

M. Laurent Laviolette. Deux organismes réalisent un travail remarquable en faveur de l’insertion des jeunes, notamment dans la filière « banane » : il s’agit du Régiment du service militaire adapté (RSMA) et du Groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification, le GEIQ 971, qui aide les jeunes Guadeloupéens à s’insérer sur le marché du travail.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Vous vous êtes proposé, en troisième lieu, d’insister sur la structuration de la filière autour de partenariats forts.

M. Franck Gonsse, secrétaire général de la Coordination nationale des travailleurs portuaires et assimilés (port de Dunkerque) et de la Chambre syndicale des ouvriers du port mensualisés et intermittents (CNTPA/CSOPMI). Après la réforme de 1992, nous avons pu créer au port de Dunkerque un terminal pour conteneurs. Nous le devons pour une bonne part à la filière « banane », qui génère des emplois dans la filière logistique, comme elle le fait également dans les mûrisseries, les marchés, les supermarchés et hypermarchés – sans oublier les marins embarqués sur les navires. En retour, la création de ce terminal permet de mieux prendre en compte ses besoins. En tant que représentants syndicaux, nous ne pouvons d’ailleurs que nous sentir concernés par son développement.

Le modèle social défini à Dunkerque a également été appliqué pour développer le port de Montoir, avant d’être exporté quelques mois après aux Antilles, en vue d’assurer la fiabilité du transport des bananes et de garantir jusqu’au bout la traçabilité de ce produit sensible.

Après avoir consulté, pendant deux ans, producteurs, logisticiens, armateurs, autorités portuaires, nous avons signé une charte de partenariat qui est venue confirmer un travail de vingt ans, au service de la fiabilité, des 450 dockers qui travaillent dans les deux ports de métropole et dans les deux ports des Antilles.

Les bananes antillaises sont stockées dans des entrepôts frigorifiques à température positive. Nous avons doublé la capacité de ceux-ci, pour porter leur surface à 120 000 m2, multipliant ainsi par deux le nombre d’emplois.

Notre coordination sera très attentive à ce que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture tienne compte des emplois portuaires et de tous les maillons de la filière « banane ».

M. Xavier Eiglier, directeur des lignes Antilles, Guyane, Océan Indien et Océanie de la Compagnie maritime d’affrètement - Compagnie générale maritime (CMA-CGM). La CMA-CGM est le troisième armateur mondial pour les porte-conteneurs et le premier en France. Nous couvrons tous les océans et toutes les mers du monde, mettant au service des producteurs, industriels et importateurs de la planète un grand nombre de lignes maritimes, parmi lesquelles le service PCRF (porte-conteneurs rapides frigorifiques) qui relie quatre ports métropolitains, Dunkerque, Le Havre, Rouen et Montoir, aux deux ports des Antilles, Pointe-à-Pitre et Fort-de-France.

Chaque semaine, 250 conteneurs chargés de bananes des Antilles rejoignent la métropole. Ce service exige une grande fiabilité, du 1er janvier au 31 décembre. Cette fiabilité est aussi importante pour les exportateurs que pour les mûrisseurs, mais les consommateurs antillais en bénéficient également puisque les navires déchargent à leur retour des produits importés.

Les volumes de biens de consommation importés par les Antilles et les volumes de bananes sont stables, mais ce service historique a aussi un avenir, qui passe par le développement du transbordement. Cette activité consiste à transférer le chargement d’un navire en provenance du Havre, par exemple, sur un navire à destination d’un pays de la zone Caraïbe ou d’Amérique du Sud, zones qui connaissent un important développement économique. Elle représente un potentiel pour les ports antillais, mais son développement exige des lignes maritimes et des services directs, ce qui suppose un marché local et un certain volume d’exportations. La stabilité des volumes de bananes nous permet de fiabiliser ces services et de développer cette activité de transbordement et, ce faisant, d’inscrire les Antilles dans un cadre de développement régional, plus particulièrement dans la région est de la Caraïbe.

M. Franck Gonsse. Les ouvriers dockers souhaitent bien sûr voir se développer les infrastructures portuaires.

Les ports des Antilles et de métropole ont récemment fait l’objet d’une nouvelle réforme qui comporte l’établissement d’une nouvelle autorité portuaire, les Grands ports maritimes (GPM), mais aussi l’obligation, pour chaque port, de définir un projet stratégique. Le développement de l’activité de transbordement s’inscrira dans le cadre de ce projet stratégique. Nous aimerions, en ce qui nous concerne, disposer de nouveaux linéaires de quais, par exemple pour le port de la Guadeloupe qui a l’avantage d’être en eau profonde. En tant que syndicalistes, nous ne sommes pas opposés aux réformes, mais nous souhaitons qu’elles incluent le développement des infrastructures portuaires, ce à quoi l’emploi ne peut que gagner.

M. Jean-François Tallec, chargé des relations institutionnelles de CMA-CGM. Les projets de développement des deux ports antillais résultent de la volonté politique des élus des deux départements et du ministre des Outre-mer, qui nous a priés de tout mettre en œuvre pour développer l’activité de transbordement, la seule qui puisse assurer l’avenir de ces ports en l’absence de croissance du trafic domestique.

Si le transbordement tardait à être mis en place et si le trafic de bananes était ralenti, les investissements très importants programmés par les ports de Fort-de-France et de Pointe-à-Pitre risqueraient de devenir inutiles.

M. Xavier Freyermuth, directeur général de la cartonnerie IP (International Paper) de Basse-Terre en Guadeloupe. Je remercie l’UGPBAN de me donner l’occasion de vous présenter un partenariat industriel réussi avec la filière « banane » en Guadeloupe.

La SGCO (Société guadeloupéenne de carton ondulé), plus communément appelée la Cartonnerie de Guadeloupe, a été créée à Basse-Terre en 1963. Depuis, elle accompagne la filière dans ses aléas comme dans ses succès. Aujourd’hui, elle emploie 40 personnes. Répondant à la volonté de plus en plus pressante des producteurs d’améliorer le quotidien des employés, nous avons transformé l’usine et le process et nous fournissons aujourd’hui aux producteurs de Guadeloupe et de Martinique les emballages carton qu’ils achetaient auparavant en métropole à des coûts prohibitifs.

Cette collaboration a inscrit la filière dans une logique de développement durable au profit de l’économie de la Guadeloupe. En liaison avec Banamart, nous nous apprêtons maintenant à implanter en Martinique une unité de transformation qui, à partir des plaques de carton fournies par l’usine « sœur » de Guadeloupe, approvisionnera en emballages les producteurs, mais aussi les industriels de l’île, réduisant ainsi leurs coûts. Ce projet permettra aussi de créer des emplois : dans l’immédiat, 10 à la Guadeloupe et 15 à la Martinique et, à terme, de 30 à 45 emplois à la Martinique.

La filière « banane » étant à l’origine de 72 % de nos ventes, il est inconcevable pour la société que je représente qu’elle puisse à l’avenir être moins dynamique : cela reviendrait à priver de cartonnages tous les autres acteurs de l’économie antillaise.

M. Franck Lliso, président de la société Fructifrui. Fructifrui est un groupement de mûrisseurs indépendants qui est, en quelque sorte, le pendant de l’UGPBAN à l’aval de la filière. Nous traitons 50 000 tonnes de bananes par an, à près de 90 % des bananes antillaises. Cette production nous est chère. En effet, notre réseau de sociétés indépendantes, très performantes, a fait le choix de la commercialiser pour sa qualité, constante au fil des années et supérieure à celle des bananes proposées par la concurrence. Cette concurrence est féroce : au cours des dernières années, la banane dollar a largement pénétré le marché hexagonal, mais, en dépit des Cassandre qui nous annonçaient la fin de la banane des Antilles, la part de marché de celle-ci s’est accrue.

Nous croyons, nous, en l’avenir de la filière, et c’est donc un message positif que je veux vous transmettre. Le carton orange vaut label de qualité et l’histoire de la filière est celle d’une réussite, le fruit d’un partenariat noué sur plusieurs générations entre des entreprises familiales qui croient en ce produit. J’espère, Mesdames et Messieurs les députés, que vous tiendrez compte de ce message d’espoir dans vos prochains débats.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Nous en venons à votre quatrième thème : le rôle de la filière comme colonne vertébrale du développement agricole.

M. Louis-Daniel Bertome, président de la chambre d’agriculture de la Martinique. Je suis également producteur de bananes. Il y a un mois, alors que j’étais auditionné pour parler de l’agriculture ultramarine en général, j’ai indiqué que son développement passait par le maintien des filières d’exportation.

La banane représente 50 % de la production agricole à la Martinique. Son poids est donc considérable. Elle a également contribué à préserver un certain équilibre économique dans notre île lorsque, dans les années 1960, la production sucrière s’y est effondrée : les bananeraies se sont alors substituées aux plantations de canne.

Nous avons tenté différentes cultures de diversification – avocat, lime, aubergine – mais seule la banane, dans la mesure où elle exige une main-d’œuvre importante, a permis de maintenir la population sur le territoire, ce qui en fait effectivement la colonne vertébrale de notre agriculture.

Aujourd’hui, beaucoup de petits producteurs qui vivent de cultures de diversification – élevage, productions maraîchères et vivrières, arboriculture – craignent de voir les terres plantées en bananes converties en cultures maraîchères ou vivrières, ce qui déstabiliserait l’agriculture de la Martinique. Ils ne pourraient en effet résister, sur un marché de seulement 400 000 habitants, à la concurrence d’anciens planteurs de bananes qui disposeraient de moyens plus importants.

Or, en raison du retrait du marché de certains produits phytosanitaires, les producteurs de bananes n’ont plus les moyens de lutter contre les maladies et, malgré l’introduction de vitroplants et la mise au point de nouvelles variétés, la maladie gagne du terrain. La situation est d’ailleurs identique en ce qui concerne la canne ou encore l’ananas, dont la production est tombée en une quinzaine d’années de 15 000 tonnes à moins de 500 tonnes.

Sans colonne vertébrale, on est infirme. De la même manière, sans la banane, l’agriculture antillaise rencontrerait d’importantes difficultés.

Madame Allain, vous nous reprochez de recourir à l’épandage aérien, mais le traitement aérien de la banane que nous utilisons est le plus performant du monde. En Martinique, les terres sont mitées par de nombreuses constructions et les terrains sont petits et parfois traversés par des cours d’eau et des chemins. Ces particularités nous ont contraints à améliorer le dispositif et à utiliser des produits respectueux de l’environnement et de la santé. Ce n’est pas le cas à Saint-Domingue, ni dans les autres régions de la zone.

Si nous ne parvenons pas à lutter contre les maladies, nous verrons disparaître l’ensemble des productions agricoles martiniquaises. Autrefois, l’igname nourrissait la population mais, aujourd’hui, nous ne sommes plus en mesure d’en produire un seul kilo car toutes les molécules permettant de combattre les maladies qui affectent cette production nous ont été retirées, alors même que les producteurs des pays avoisinants en disposent encore.

Je souhaite que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture soit l’occasion d’ouvrir le débat sur le type d’agriculture que nous souhaitons et sur les moyens qui nous sont donnés pour maintenir une agriculture en milieu tropical. Les réponses ne peuvent pas être les mêmes qu’en zone continentale tempérée !

Il nous faut veiller à la préservation des unités de production car il importe de conserver en activité le plus grand nombre d’agriculteurs, afin de sauvegarder les équilibres que nous avons su maintenir pendant plusieurs décennies.

M. Tino Dambas. L’exploitant agricole doit certes produire, mais il doit également dégager un revenu. Si demain la production bananière est fragilisée, les producteurs, qui disposent de matériel et de grandes surfaces, se lanceront dans des activités de diversification. Mais pour quels consommateurs ? Pour les 450 000 habitants de la Martinique et les 450 000 habitants de Guadeloupe ? Savez-vous qu’en 2001, un agriculteur qui produisait huit tonnes de tomates par jour a réussi à saturer le marché des deux îles ?

Ce n’est pas en fragilisant la production bananière que nous sauverons la diversification, bien au contraire ; d’ailleurs, trois producteurs de salades suffisent à surcharger le marché.

Madame la députée Brigitte Allain, vous souhaitez développer la consommation locale et encourager la diversification. Soit, mais les Antillais mangeront toujours des pommes de terre, des pommes, des fraises, du raisin, du riz, des pâtes. Nous ne changerons pas leurs habitudes alimentaires. Or, la grande majorité de ces produits, qui proviennent de la métropole, ne peuvent être remplacés par des productions locales.

Je prendrai l’exemple de la carotte. J’ai rencontré dans les Landes un producteur de carottes capable de livrer les commandes du jour au lendemain, le décalage horaire aidant. Croyez-vous sincèrement, Madame, que le petit paysan guadeloupéen, même s’il possède une cinquantaine d’hectares de terres, pourra le concurrencer un jour ? Non, car ses carottes voyageront par bateau, et celui-ci peut avoir du retard. Nous vivons à l’ère de la mondialisation et nous devons en prendre acte. Ce qui assure nos emplois en Guadeloupe, ce sont la canne et la banane.

Nous ne réduirons pas la délinquance en plaçant un policier au coin de chaque rue, mais en créant de l’activité, ce qui passe par le développement de l’agriculture et de ses deux piliers que sont la banane et la canne, et en incitant les jeunes à faire du sport. Chaque euro investi en ce sens sera un euro bien employé.

Il fut un temps où les jeunes envoyaient leur CV aux plantations pour décrocher un petit job d’été qui couvrait leurs besoins. Aujourd’hui, ils n’ont plus ce recours et ils jouent à cache-cache avec les policiers – voire les tabassent – ou assiègent les commissariats pour faire libérer ceux des leurs qui ont été arrêtés. De grâce, Mesdames et Messieurs les députés, faites en sorte que la Martinique et surtout la Guadeloupe retrouvent le niveau de production qu’elles ont connu autrefois ! Avec la chute des cours et l’ouverture du marché, nous sommes tombés de 150 000 tonnes à 40 000 ou 45 000 tonnes et, sur la base d’une moyenne pondérée, on nous a accordé un quota de 77 000 tonnes.

Il est temps de réfléchir à un système qui inciterait les jeunes à rejoindre la profession dans des conditions qui leur permettraient de dégager un revenu. Aujourd’hui, on produit des oranges partout. Même avec les aides de l’OCM (Organisation commune des marchés) et du POSEI (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité), le prix auquel sera vendu un kilo d’oranges en Guadeloupe ou en Martinique ne permettra pas de concurrencer celles qui viendront de l’extérieur. À quoi bon aussi planter des agrumes si nous ne disposons pas de la molécule permettant de lutter contre la maladie qui vient d’apparaître et si le prochain cyclone détruit toute notre production ?

Je le répète, les deux seules productions qui assurent un revenu aux exploitants et qui garantissent l’emploi sont la canne et la banane.

Mme Brigitte Allain. Je vous rassure, Messieurs, je ne souhaite ni réduire ni supprimer la production de bananes. Je suis moi-même agricultrice, plus précisément viticultrice, et je suis membre du groupe écologiste. Pourtant, je ne travaille pas en bio. Mais je recherche des solutions pour utiliser le moins possible de produits phytosanitaires et je suis attentive à ce que peuvent nous proposer en ce sens les agro-écologistes et des chercheurs en agrologie : c’est vrai que sans colonne vertébrale, on est infirme mais, si la colonne vertébrale est sous perfusion de produits phytosanitaires qui la détruisent petit à petit, on ne parviendra à rien de bon. Pendant vingt ans, j’ai traité chaque hiver les bois de vigne à l’arsenic pour lutter contre une maladie. C’était à l’époque obligatoire, c’est aujourd’hui interdit, mais, quand la décision a été prise, elle a fait du bruit dans la profession et nous n’avons toujours pas trouvé de remède contre cette maladie. Mais, en définitive, l’arsenic était pour la vigne ce que sont pour l’homme les traitements contre le cancer, dont nous savons qu’ils sauvent peu de gens.

Il serait salutaire de repenser l’agriculture dans vos îles comme en métropole. Si la banane n’occupe que 25 % de la surface agricole utile en Martinique, cela laisse de l’espace pour une diversification des productions : en plantant partout de la banane ou, dans nos régions, en multipliant les champs de maïs, on va dans le mur ! Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture doit nous donner les moyens de sortir d’un système qui nous enterre tous !

M. Philippe Ruelle, directeur général de la société Fruidor et directeur de l’Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et Martinique. Nous avons vécu la même expérience avec un insecticide pourtant homologué, le chlordécone, qui a pollué durablement une partie des terres de Guadeloupe et de Martinique et dont les producteurs de bananes ont été les premières victimes.

M. Jean-Philippe Nilor. Mais pas les seules !

M. Philippe Ruelle. Depuis 1996, nous avons réduit de 75 % la quantité de produits phytosanitaires utilisés dans les bananeraies, ce qui fait de cette filière la première filière agro-écologique française.

Ce secteur essentiel est donc viable, d’autant que le plan Banane durable mis en œuvre de 2005 à 2013 a encore permis de réduire de 50 % le recours à ces produits. Nous n’utilisons plus d’insecticides et presque plus de nématicides. Nous utilisons encore quelques herbicides en attendant que les plantes de couverture soient mises au point. Nous avons donc développé des méthodes alternatives. Reste que pour combattre efficacement la cercosporiose noire, maladie qui touche les feuilles du bananier, lesquelles se trouvent à cinq ou six mètres au-dessus du sol, on voit mal comment on pourrait se passer du traitement aérien, surtout dans des zones escarpées.

Nous avons beaucoup amélioré nos pratiques en ce domaine. Nous procédons à dix traitements par an, dont la moitié se limitent à répandre un fongicide, dilué dans de l’huile minérale utilisée en agriculture biologique. Comme vous le savez, l’épandage aérien est soumis à l’octroi de dérogations qui ont été suspendues par référé. Depuis, nous avons cessé tout traitement aérien aux Antilles et nous ne savons pas comment nous allons lutter contre la cercosporiose. Avec l’aide de l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA, ex-CEMAGREF), nous développons depuis 2008 des méthodes alternatives, de traitement au sol, mais elles se heurtent à de nombreux problèmes.

Quoi qu’il en soit, notre filière est exemplaire en ce qui concerne l’utilisation des produits phytosanitaires. Et, non, Madame Allain, nous ne plantons pas uniquement de la banane car nous avons l’obligation de laisser des terres en jachère. Après le passage du cyclone Dean, qui a ravagé 100 % de la bananeraie martiniquaise en 2007, nous n’avons pas tout replanté d’un coup : pour éviter que les fruits n’arrivent à maturité en même temps, nous avons replanté 50 % des terres la première année, un tiers l’année suivante, etc. Nous en avons donc laissé une partie en jachère pendant douze à dix-huit mois et c’est sur des sols sains que nous installons les vitroplants.

M. Jean Simonnet, responsable de la société Antilles Vitro Plants (entreprise de reproduction de plantes). Je suis à la fois producteur de bananes, passionné de diversification végétale et pépiniériste. Il y a vingt ans, j’ai introduit à la Martinique les premiers vitroplants de bananiers, qui ont largement contribué au succès du plan Banane durable.

Madame Allain, tous les cinq ans, nous détruisons le matériel végétal et nous semons de l’herbe, généralement de la brachiaria, que nous laissons pendant douze à dix-huit mois afin de provoquer un « vide sanitaire » avant de planter des vitroplants. On ne peut donc pas parler de monoculture.

Quant aux solutions alternatives, nous les connaissons, mais nous nous heurtons à deux problèmes.

Tout d’abord, bien que nos cultures se trouvent en zone tropicale, nous sommes soumis à des règles phytosanitaires définies pour un milieu continental. Il convient d’ouvrir un débat très sérieux sur l’utilisation des produits phytosanitaires et sur l’avenir de l’agriculture aux Antilles, sans s’en tenir à la banane, car les producteurs de canne, faute d’avoir accès aux désherbants, voient eux aussi leur production diminuer, de sorte que l’usine sucrière de Martinique n’est plus suffisamment approvisionnée.

D’autre part, nous avions recours au traitement aérien pour lutter contre une maladie qui menace de faire disparaître la filière « banane », en Martinique comme en Guadeloupe, mais la dérogation qui nous était accordée a été attaquée en justice et les hélicoptères sont cloués au sol. Nous luttons par voie terrestre, mais nous ignorons comment va évoluer la maladie. Nous travaillons activement avec le CIRAD à la recherche de nouvelles variétés résistantes, nous observons ce qui se pratique ailleurs, à Cuba ou à Saint-Domingue par exemple, et nous espérons trouver des solutions dans les deux ans qui viennent. Nous savons que les politiques sont très généralement hostiles aux OGM, mais il faudra bien se poser un jour la question de ce qui est possible ou non dans nos zones tropicales. Vous-même, Madame la députée, qui êtes écologiste, ne produisez pas totalement en bio. Nous aimerions le faire, mais nous ne le pouvons pas. Nous pratiquons donc une agriculture raisonnée. Les vitroplants nous ont déjà permis de pratiquement supprimer les nématicides, mais ils ne sont pas la panacée et il faut maintenant ouvrir le débat, en nous montrant les uns et les autres raisonnables. Il en va de l’avenir de notre agriculture, au-delà même des questions de crédits. Cela étant, je vous remercie, Monsieur Azerot, d’avoir demandé la sanctuarisation du POSEI ; cette enveloppe peut sembler importante, mais n’a rien d’excessif si l’on considère le nombre des emplois, directs et induits, qui sont en jeu.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Je constate que le cinquième thème – une filière innovante, exportatrice de son savoir-faire – a été largement entamé…

M. Denis Loeillet, responsable de l’Observatoire des marchés du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Un producteur de bananes aux Antilles utilise 4 à 4,5 kg de matière active par hectare et par an, quand un producteur du Costa Rica, l’un des trois principaux pays exportateurs de bananes, en utilise 80 kg. Cela fait de la filière « banane » de Guadeloupe et de Martinique la filière la plus vertueuse au monde du point de vue environnemental, et cela, nous le devons à un partenariat public-privé réussi entre les autorités locales, les planteurs et notre centre de recherche.

Le CIRAD investit dans l’agro-écologie depuis plus de dix ans. Ce travail a été mis au service de la filière et des autorités locales pour développer un partenariat, lancé en 2008, que nous avons appelé le plan Banane durable et dont nous achevons la première tranche. Le résultat le plus marquant de ce plan a été la réduction de l’usage des pesticides, de 50 % venant après une première réduction de 70 %. Mais nous ne pourrons guère aller plus loin en milieu tropical humide.

Les équipes françaises ont été les premières à décrire le génome du bananier, mais en quoi cela intéresse-t-il les planteurs ? Le plan Banane durable a permis de développer l’innovation et de concevoir à partir des acquis de la recherche fondamentale des systèmes de culture innovants, intégrant toutes les composantes de l’agro-écologie : jachère, installation de la plante dans des conditions l’aidant à développer ses propres défenses, traitements raisonnés, fumure, utilisation de plantes de couverture ou de services et de vitroplants, suppression des labours…

Le plan Banane durable s’organise à partir de deux plateformes : la première s’intéresse à la définition et à l’expérimentation de ces systèmes de culture innovants à faible taux d’intrants – notre partenaire en ce domaine est l’Institut technique tropical –, la seconde à la création et à la sélection de variétés résistantes, notamment à la cercosporiose noire du bananier. Nous voyons poindre le succès puisque, depuis quelques années, nous testons une variété résistante.

Ce partenariat public-privé ne répond pas seulement aux besoins des planteurs : il crée une économie de la connaissance, porteuse d’une forte valeur ajoutée ; il fait de la Martinique et de la Guadeloupe un laboratoire qui permet à la France de rayonner à la fois dans la zone Caraïbe, grâce à des échanges de bonnes pratiques agricoles et à la distribution de matériel végétal innovant dans le cadre du programme Interreg, et dans le monde entier, par le biais de la FAO (Food and agriculture organization). Il illustre enfin la réussite du passage d’une économie industrielle à une économie raisonnée.

M. Tino Dambas. L’Institut technique tropical assure depuis dix ans la transmission de l’information entre la recherche et les producteurs. Récemment, de nombreuses variétés ont vu le jour, dont l’une résiste à la cercosporiose jaune et noire, mais elle ne correspond pas encore à la demande des consommateurs européens. Ces variétés sont toutefois mises à la disposition des planteurs dans la Caraïbe, pour la consommation locale, et nous envisageons d’en introduire dans les zones où la maladie résiste aux traitements et surtout dans les zones où le traitement aérien est interdit depuis longtemps, en vue de produire des farines pour le bétail.

Comme on l’a dit, nous ne plantons pas uniquement des bananes. Nous l’avons fait par le passé, mais les méthodes et les techniques ont évolué et depuis plus de vingt ans – soit bien avant la tenue du Grenelle de l’environnement –, nous pratiquons la rotation culturale et la jachère et nous nous attachons à réduire la consommation de produits phytosanitaires. Aujourd’hui, nous produisons une banane très propre– oserai-je dire la plus propre du monde ?

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. La filière « banane » en Guadeloupe et en Martinique est la première filière qui a su rassembler l’ensemble de ses acteurs pour moderniser la production.

Je suis maire d’une commune située en zone bananière, mais où il ne reste plus une seule exploitation. Que ferons-nous des terrains, sachant que les cultures de diversification n’ont pas toujours leur place dans une agriculture de montagne ?

Connaissant l’importance pour nos sociétés de la filière « banane », en particulier en raison de sa contribution à l’emploi des jeunes, je n’ose imaginer ce qui se passerait si elle disparaissait.

Vous avez reçu l’interdiction de l’épandage aérien comme un coup de massue, mais on ne peut éviter que certains défenseurs de l’environnement fassent un amalgame entre vos traitements et la pollution au chlordécone, même si les deux choses n’ont aucun rapport. Nous souhaitons donc que la recherche apporte des solutions dans les plus brefs délais. Quoi qu’il en soit, aucun responsable politique, à ma connaissance, ne souhaite la disparition de la filière « banane ».

Lorsque nous connaîtrons le contenu du projet de loi de modernisation agricole, j’espère que nous pourrons vous rencontrer à nouveau pour travailler ensemble à rendre ce texte le plus efficace possible.

M. Jean-Philippe Nilor. Je vous félicite, Messieurs, pour la qualité et pour la complémentarité de vos interventions.

Nous sommes là pour vous écouter, pour nous enrichir des informations et analyses que vous portez à notre connaissance, mais aussi pour adopter une position qui soit la plus objective possible.

Je fais miens un grand nombre de vos propos et surtout votre message essentiel, à savoir votre volonté de préserver une agriculture dans nos territoires.

Je préfère ne pas aborder les points sur lesquels je pourrais être en désaccord avec les uns ou les autres, mais il est heureux que le désaccord existe parce qu’il permet de fixer des objectifs plus élevés que ne le permettrait le discours consistant à nous comparer à ceux qui font pire !

J’ai entendu des professionnels conscients des difficultés, qui cherchent à améliorer la qualité de leur production et son image. Cette démarche est saine. Prenons acte des efforts qui ont déjà été faits et de ceux qui restent à faire, pour lesquels vous avez tous mes encouragements. À chaque fois qu’il faudra monter au créneau pour défendre la production agricole de la Martinique et des autres départements d’outre-mer, je serai là. Mais je serai là aussi pour mettre la pression sur les agriculteurs afin qu’ils produisent de façon plus propre, plus respectueuse de l’environnement, et se comportent véritablement en paysans nourriciers de leurs concitoyens.

Je ne comprends pas les rivalités qui s’expriment entre écologistes et paysans, car je considère qu’un paysan ne peut être qu’écologiste. Celui qui travaille la terre doit l’aimer. S’il ne l’aime pas, c’est qu’il a perdu son âme. Je suis de tout cœur avec vous dans cette démarche et je rappelle que, si la filière est exemplaire, en termes d’organisation, d’unification et d’efficience, elle a été bien accompagnée dans ce travail par quelques hommes politiques, comme Alfred Marie-Jeanne.

M. Bruno Nestor Azerot. J’apporte mon soutien à votre démarche parce que j’ai été élu par une population qui vit de l’agriculture. Étant un élu conscient et responsable, je n’entends pas déroger à la feuille de route qui m’a été remise par mes concitoyens.

La filière « banane » a fait de nombreux efforts, mais beaucoup reste à faire. Chaque fois qu’il le faudra, je combattrai à vos côtés, car votre combat est le mien et celui de ceux qui m’ont élu.

M. Tino Dambas. Le rôle du politicien n’est pas seulement de suivre la population, mais aussi de l’éduquer. Il est temps de dépasser l’épisode du chlordécone, d’autant que ce produit a été utilisé partout dans le monde, en particulier en métropole dans les cultures de pommes de terre. Mais cela n’est jamais dit et seuls les Guadeloupéens font la une des médias avec le chlordécone.

Nous avons été victimes de ce produit comme d’autres ont été victimes de produits pharmaceutiques. Mais après le scandale du Mediator, on n’a pas, que je sache, fermé les pharmacies ni arrêté de fabriquer des médicaments. Nous devons tourner la page et oublier les effets du chlordécone. Il est temps que les politiciens éduquent la population sur ce point.

Pour ce qui est de l’épandage aérien, la directive européenne donne aux États membres le droit d’accorder des dérogations tant qu’ils ne disposent pas d’une méthode alternative « mieux-disante ». Or, le traitement aérien est le seul moyen dont nous disposons aujourd’hui. Ne pas l’utiliser constitue un recul écologique.

M. Jean-Philippe Nilor. Il n’est pas sage, Monsieur Dambas, de vouloir ainsi enterrer le débat sur le chlordécone. Certes, nous devons passer à autre chose et nous tourner délibérément vers l’avenir, mais savez-vous que les marins pêcheurs se voient encore interdire des zones de pêche du fait de la présence de chlordécone dans la mer ? Les bassins versants et les rivières de nos régions sont pollués. Je n’ai pas voulu entrer dans une confrontation aujourd’hui, préférant m’appuyer sur ce que j’ai entendu de positif et de porteur d’espoir. Tout en gardant à l’esprit les erreurs commises pour ne pas les renouveler, construisons ensemble l’agriculture de demain : voilà la mission qui est la nôtre à cette heure, mais ne nous demandez pas d’oublier le passé !

Mme Chantal Berthelot, présidente. Nous en arrivons au sixième et dernier thème, les enjeux d’avenir pour la filière, qui vous donnera, Messieurs, l’occasion de nous soumettre vos propositions.

M. Philippe Ruelle. Nous produisons une banane conforme aux réglementations française et européenne en matière environnementale, sociale et sanitaire comme du point de vue de la sécurité alimentaire, et cela en zone tropicale humide : voilà le défi que nous devons continuer de relever avec succès.

Cette banane, la plus vertueuse du monde, nous la vendons sur un marché européen à deux vitesses dans la mesure où il laisse entrer, et de façon de plus en plus aisée puisque la baisse des tarifs douaniers doit se poursuivre jusqu’en 2020, les bananes de la zone dollar, celle des pays d’Amérique du sud et d’Amérique centrale – les bananes africaines étant exemptes de tarifs douaniers – sans que personne se soucie de savoir comment elles sont produites ni de l’âge des personnes qui les ont produites.

Nous attendons de la loi d’avenir pour l’agriculture qu’elle accorde un statut particulier aux fruits produits dans les départements d’outre-mer. Notre production va bénéficier de l’indication géographique protégée (IGP) et de quelques autres signes de différenciation, mais il faut faire en sorte que la banane de Guadeloupe et de Martinique apparaisse aux yeux des consommateurs comme une banane vraiment différente.

Le deuxième plan Banane durable, qui couvrira la période 2014-2020, portera notamment sur la lutte contre la cercosporiose noire. Lorsqu’il est venu aux Antilles, le Premier ministre a souhaité que l’épandage aérien soit interdit dans deux ans et que ce délai soit mis à profit pour trouver des solutions de remplacement. Nous utilisons actuellement des méthodes alternatives, mais nous connaissons mal leur efficacité biologique. Le problème est que nous sommes les seuls au monde, en zone tropicale humide, à lutter contre la cercosporiose sans aéronef !

La sélection variétale est un défi. La plateforme de Guadeloupe, qui est la première au monde, a mis au point une banane hybride – ce qui n’est pas facile s’agissant d’un fruit sans graines. Nous avons produit l’année dernière 1 500 hybrides, dont dix bananes pouvaient répondre à notre attente, tant pour leur forme et leur goût que pour la taille du bananier et son rendement. Sur ces dix variétés, nous en avons retenu une, mais, plus sensible au froid, elle ne peut être transportée à une température de 13 ° comme les autres bananes ; en outre, sa peau devient uniformément brune sans passer par l’aspect tigré que nous connaissons et mûrit plus rapidement que la pulpe, ce qui peut dérouter le consommateur. Nous poursuivons nos recherches génétiques depuis cinq ans et il nous faudra encore au minimum cinq ans pour parvenir à une variété parfaite.

Nous devons améliorer les matériels de traitement terrestre et mesurer leur efficacité, mais également surveiller le niveau d’exposition des opérateurs qui effectuent ces traitements.

Dans le cadre du deuxième volet du deuxième plan Banane durable, nous allons poursuivre la recherche de méthodes de culture innovantes.

Le troisième volet, plus social, aura pour objectif de maintenir le maximum d’exploitations, de toutes tailles et dans toutes les zones, en développant de nouvelles méthodes de travail, et d’adapter notre dispositif d’aides à ces différents modes de production.

Nous poursuivrons naturellement nos échanges avec les organismes de recherche des pays de la Caraïbe, tels que l’EMBRAPA (Empresa brasileira de pesquisa agropecuaria) au Brésil, l’INISAV (Instituto de investigaciones de sanitad vegetal) à Cuba, et avec la République dominicaine.

Nous accompagnerons les producteurs qui, n’ayant pu faire face à la maladie du bananier, seront tentés par les productions de diversification, animale ou végétale. Nous ne pouvons pas produire de pommes de terre, ni d’ailleurs de carottes, de poireaux, de pommes, de raisin, de fraises, de pêches ou de nectarines – autant de fruits et de légumes qui constituent pourtant près de la moitié de la consommation des Antillais. Nous ne pouvons pas non plus produire de tomates de plein champ, car nous n’avons pas accès aux produits phytosanitaires, fussent-ils biologiques. Nous devrons donc aider les différentes filières existantes à accueillir ces producteurs, car rien ne serait pire que de voir des planteurs reconvertis saturer et déstabiliser les marchés des productions maraîchères ou animales.

Nous poursuivons nos efforts pour obtenir l’homologation de produits phytosanitaires, en particulier de produits biophytosanitaires. Il en existe qui, autorisés, sont utilisés pour un traitement après récolte ou pour stimuler les autodéfenses de la plante contre la cercosporiose noire. Mais, alors que l’Europe a mis au point une liste positive des produits agréés pour l’agriculture biologique, produits qui sont utilisés dans tous les pays de la planète, il nous faut, pour en disposer, établir un dossier d’écotoxicité et de phytotoxicité, ce qui prend deux ans, alors qu’en République dominicaine, il suffit de deux jours pour en homologuer un ! Nous souhaitons que la loi d’avenir pour l’agriculture nous permette de disposer plus facilement de ces produits. Il est important que la réglementation soit adaptée aux spécificités de nos régions car l’Europe et la France ne traitent que de l’agriculture en zone tempérée et continentale, ignorant l’agriculture des zones tropicales humides.

Vous mettez en avant le maintien de l’enveloppe du POSEI, mais vous faites de Mayotte une région ultrapériphérique, ce qui lui assurera certaines aides ; nous nous en réjouissons mais, pour trouver les crédits nécessaires, vous envisagez d’en enlever aux filières traditionnelles que sont la canne et la banane. Or, affaiblir ces filières comporte un risque très important, compte tenu des nouveaux défis que nous avons à relever. Il faut sanctuariser les enveloppes destinées à la banane, mais aussi celles du deuxième pilier, celles du FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural). Le passage aux traitements terrestres va nous obliger à réorganiser les parcelles en aménageant des ensembles plus rapprochés, à abandonner les parcelles situées dans les zones pentues pour replanter ailleurs et à acheter de nouveaux matériels. Ce n’est donc pas le moment de demander des sacrifices à la filière « banane ». Donnons-lui les moyens de surmonter tous les obstacles qui s’accumulent devant elle !

Le problème principal réside dans l’expansion de la cercosporiose noire, contre laquelle il est très difficile de lutter, car, aux Antilles, la surface moyenne des exploitations est de 13 hectares. Le traitement aérien avait une seule vertu : il était généralisé et déclenché en fonction de l’état de chaque zone biologique, constaté par des techniciens – l’exploitant n’avait donc pas le choix du moment. Lorsque le traitement sera de la responsabilité de l’exploitant, chacun interviendra au moment où il le souhaitera et dans les conditions qu’il aura choisies. Cela présente un danger car la cercosporiose est une maladie très contagieuse dont il ne doit pas subsister le moindre foyer.

Ce défi, tous les producteurs sont prêts à le relever. Avec la chambre d’agriculture et la région, nous allons accompagner ceux qui voudront rejoindre les filières de diversification, mais en gardant à l’esprit qu’il suffit de 15 hectares de serres de légumes pour saturer les marchés de nos deux départements.

Ce défi exige la sanctuarisation des aides, qu’il s’agisse des aides directes aux producteurs ou des aides du FEADER. La banane doit être reconnue comme une production exemplaire au niveau européen et devenir une priorité dans les plans de développement de la Guadeloupe et de la Martinique, ce qui n’est pas le cas actuellement.

M. Tino Dambas. Je le répète, la pénibilité du travail des salariés agricoles des Antilles doit être prise en compte dans le calcul de leur retraite.

Si nous parvenons à maîtriser la cercosporiose noire, je souhaite que la profession puisse accueillir des jeunes, mais nous ne pouvons le faire à enveloppe constante. En particulier, il vaudrait la peine de réfléchir à un dispositif d’aide à l’installation.

M. Juvénal Rémir. Notre filière a évolué et les ouvriers sont maintenant formés à l’utilisation des produits phytosanitaires.

Je soumets quelques chiffres à votre méditation : cent hectares de bananeraies assurent un emploi à près de 80 ouvriers ; la même surface de céréales à deux seulement. D’autre part, au Costa Rica, le salaire mensuel est de 200 euros, contre 1 800 euros pour le salaire européen, que nous pratiquons.

Mme Brigitte Allain. Je vous remercie, Messieurs, pour les informations que vous nous avez données. Je suis paysanne et si j’ai voulu devenir membre de la Délégation aux outre-mer, ce n’est pas pour détruire des emplois paysans, bien au contraire. J’ai le souci de les préserver face à tous les nouveaux défis qui nous sont adressés. La pénibilité du travail des salariés agricoles a ainsi fait l’objet de l’un des amendements que j’ai déposés dans le cadre du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites. J’espère, comme vous, qu’elle sera reconnue dans la loi.

Quant à la loi d’avenir pour l’agriculture, elle doit nous donner les moyens humains, outre-mer comme en métropole, d’accompagner les reconversions devenues inévitables. Il nous faut évoluer ensemble vers une autre forme d’agriculture.

M. Louis-Daniel Bertome. La Martinique et la Guadeloupe sont les départements où l’on a effectué le plus d’analyses de sol, ce qui nous donne l’avantage de connaître les substances qu’ils contiennent, contrairement à la métropole ou à beaucoup d’autres pays. Et les agriculteurs martiniquais, ainsi que les structures qui, comme la mienne, les soutiennent, font beaucoup d’efforts pour que le scandale du chlordécone ne se reproduise pas.

Je souhaite que la loi d’avenir pour l’agriculture pérennise le dispositif que nous avons mis en place et que les aides aux producteurs perdurent.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Messieurs, je salue à mon tour la qualité des informations dont vous nous avez fait part, ainsi que celle des efforts consentis par la filière.

La Délégation présentera son rapport en prenant en compte vos propositions, mais il appartient au Gouvernement d’élaborer un projet et de nous le soumettre : le Parlement retrouvera alors l’initiative et, dès que nous serons en possession de ce texte, nous organiserons des réunions pour étudier les amendements que nos collègues auront bien voulu déposer.

Dans mon département de Guyane, nous ne cultivons pas de bananes, mais notre combat est le même. L’agriculture doit créer de l’activité, de l’emploi et de la valeur ajoutée, et rester un secteur important pour nos territoires. Aux Antilles, il convient de préserver la canne et la banane, tout en encourageant l’élevage et la diversification, afin d’éviter la monoculture. La filière « banane » apparaît bien structurée, mais sans doute les pouvoirs publics devraient-ils appuyer encore plus ses efforts, en veillant à la cohérence territoriale ; peut-être aussi doit-elle partager plus encore son expérience et son savoir-faire, au niveau international mais surtout au sein même de nos territoires.

Les élus sont très sensibles aux questions agricoles, à quelque niveau qu’ils se situent : ne désespérez pas d’eux, ils sont à vos côtés. Ils peuvent ne pas être d’accord avec vous sur tous les points, mais chacun au fond de son cœur souhaite aider le secteur agricole. Pour ma part, je soutiendrai tous vos combats, pourvu qu’ils soient dans l’intérêt des territoires en même temps que dans l’intérêt général.

Je vous remercie tous, au nom de la Délégation.

Table ronde avec les représentants de l’Agence de services et de paiement (ASP) : M. Edward Jossa, président directeur général, M. Bernard Bezeaud, directeur général délégué, M. Omer Roche, délégué régional de l’ASP Guyane et M. Thomas Rüger, chargé de mission, correspondant outre-mer

Compte rendu de la table ronde du 15 octobre 2013

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente de la Délégation, corapporteure. Le président de la Délégation, M. Jean-Claude Fruteau, intervient actuellement en séance publique dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances. Il vous prie de l’excuser de ne pas être parmi vous et m’a demandé de le remplacer.

Je vous remercie, Messieurs, d’avoir accepté de participer à cette table ronde qui s’inscrit dans le cadre des travaux que nous menons actuellement sur l’agriculture outre-mer, sujet sur lequel la Délégation a nommé deux rapporteurs, M. Hervé Gaymard et moi-même. 

Nos travaux se déroulent parallèlement à la préparation du projet de loi d’avenir pour l’agriculture que le Gouvernement nous présentera dans les prochaines semaines. Ce texte est actuellement examiné par le Conseil d’État. La commission des Affaires économiques de notre assemblée a d’ores et déjà désigné un rapporteur, M. Germinal Peiro, et m’a confié la responsabilité du groupe outre-mer.

Nous accueillons autour de cette table les représentants de l’Agence de services et de paiement (ASP), établissement public placé sous la double tutelle du ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, et du ministère du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Il s’agit de M. Edward Jossa, président directeur général, de M. Bernard Bezeaud, directeur général délégué, de M. Omer Roche, délégué régional de l’ASP Guyane, et de M. Thomas Rüger, chargé de mission, correspondant outre-mer.

Les délégations outre-mer de l’ASP jouent un rôle différent dans chacun des cinq départements d’outre-mer. Pouvez-vous nous présenter ce rôle ?

M. Edward Jossa, président directeur général de l’ASP. Je commencerai par vous présenter le rôle des services de l’ASP dans les départements d’outre-mer, puis j’aborderai quelques sujets d’actualité directement liés à l’aménagement foncier et à l’installation des agriculteurs.

L’ASP est un établissement public administratif qui emploie 2 200 agents. Elle verse des crédits d’intervention, dont 50 % dans le domaine de l’agriculture et 50 % pour le compte d’autres ministères, pour un montant total de l’ordre de 18 milliards d’euros. Environ la moitié est donc destinée à payer aux agriculteurs les aides de la PAC.

L’Agence a trois missions outre-mer : elle effectue les paiements issus des fonds européens, elle joue un rôle d’opérateur dans le domaine de l’installation des jeunes agriculteurs et elle effectue des missions spécifiques dans le domaine foncier dans deux départements.

Notre premier métier, effectuer les paiements, mobilise le plus grand nombre de nos agents outre-mer. Il faut distinguer les aides du FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural), second pilier de la PAC, pour lesquelles l’outre-mer n’a pas de réelle spécificité par rapport au territoire national, les aides plus spécifiques que nous versons dans le cadre du POSEI (programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité) et les aides issues des autres fonds.

Avec le prochain transfert aux régions de l’autorité de gestion au titre du FEADER, nous jouerons un rôle plus direct auprès des conseils régionaux, sauf, sous réserve de confirmation de la décision, à La Réunion, où l’autorité de gestion sera le département, qui verse déjà l’essentiel des contreparties nationales, et à Mayotte où ce rôle est confié au préfet.

Autre particularité, l’ASP paie les contreparties nationales pour le compte de l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole des DOM) non pas en crédits dissociés mais en paiements associés.

S’agissant de certaines aides du POSEI, l’Agence est à la fois organisme payeur et prestataire pour le compte de l’ODEADOM. En tant qu’organisme payeur, nous versons directement les aides animales, principalement l’ADMCA (aide au développement et au maintien du cheptel allaitant) qui remplace la PMTVA (prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes) en place sur le territoire métropolitain. En tant que prestataire, l’ASP assure les contrôles sur place dans les domaines de la canne et de la banane, l’ODEADOM n’ayant pas de délégation régionale.

Parmi les autres aides, qui représentent près de 50 millions d’euros, on trouve des aides spécifiques destinées à accompagner la filière canne-sucre à La Réunion.

À Mayotte, nous versons également des aides dans le cadre des OGAF (opérations groupées d’aménagement foncier), ainsi que les ICAM (indemnités compensatoires annuelles à Mayotte) en remplacement des ICHN (indemnités compensatoires aux handicaps naturels), et la DIA (dotation à l’installation des agriculteurs), qui est l’équivalent de la DJA (dotation Jeune agriculteur). Toutes ces aides nationales ont vocation, avec la départementalisation, à entrer dans le droit commun du FEADER.

Enfin, en Guyane, l’ASP est l’autorité de certification du programme opérationnel PO Amazonie qui est financé par le FEDER.

L’ASP est également, dans les DOM comme ailleurs, l’autorité de paiement et de certification du FEP (Fonds européen pour la pêche), destiné à devenir le FEAMP (Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche), qui représente des enjeux importants outre-mer.

Le deuxième volet de notre mission est notre rôle dans les aides à l’installation qui nous a été confié à l’époque où le CNASEA (Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles), aujourd’hui intégré à l’ASP, jouait un rôle de tête de pont des ADASEA (associations départementales pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles). Il s’agit d’un rôle d’animation et d’information, individuelle ou collective, et de conseil pour la constitution des dossiers de demande d’aide. Dans certains départements, nous avons aussi la responsabilité du Point Info Installation (PII).

Mais il est prévu que cette mission relative à l’installation soit progressivement transférée aux chambres d’agriculture.

Enfin, l’ASP intervient de manière transversale sur le foncier agricole puisque nous sommes membres du conseil d’administration des SAFER de Guadeloupe, de Martinique et de La Réunion et opérateur foncier en Guyane et à Mayotte.

En Guyane, le programme de développement rural (PDR) 2007-2013 nous a confié deux missions principales : la gestion de l’observatoire du foncier agricole disponible et la mise en œuvre de la gestion des périmètres d’attribution simplifiée (PAS).

À Mayotte, le contexte juridique est différent puisque l’ordonnance du 31 mai 2012 a confié officiellement à l’ASP la mission de SAFER. Mais compte tenu des difficultés que nous rencontrons, liés à la disponibilité du foncier et à de nombreux cas d’occupation irrégulière, il a été convenu avec le ministère en charge de l’agriculture et les autorités concernées de ne jouer que deux rôles : gérer l’observatoire du foncier agricole et établir le diagnostic foncier sur les périmètres à forte potentialité agricole, avec pour objectif de préserver et de renforcer le rôle de l’agriculture dans la perspective du passage aux aides du premier et du second pilier de la PAC.

Nous exercions à Mayotte pour le conseil général deux missions très proches de celles des SAFER, dont la première était la gestion de la régularisation foncière, comme nous l’avons fait en Nouvelle-Calédonie. Nous avons ainsi géré la procédure relative à la délivrance des titres de propriété pour 18 000 parcelles, mais malheureusement, sans doute par manque de moyens, le conseil général n’a validé que 2 200 dossiers.

La seconde était d’acquérir à l’amiable ou par voie de préemption pour le compte et à la demande du conseil général un certain nombre de parcelles destinées à constituer des réserves foncières ou à installer des agriculteurs. Nous avons ainsi été à Mayotte délégataires du droit de préemption pour le compte du conseil général. Nous avons aujourd’hui rétrocédé la quasi-totalité des parcelles au conseil général..

Comme vous le voyez, les missions de l’ASP dans les outre-mer reflètent la diversité des problématiques de ces territoires.

J’en viens aux questions d’actualité. J’ai lu les comptes rendus des auditions précédentes. Notre diagnostic, s’agissant du foncier, rejoint en grande partie les conclusions des divers intervenants. Nous partageons l’analyse qui a été faite à propos de la faiblesse de la taille des exploitations dans les DOM, en particulier à Mayotte où la SAU (surface agricole utile) n’est que de 0,45 hectare. Nous notons la diminution globale de la SAU, sous la pression foncière et l’urbanisation, à l’exception de la Guyane où elle a augmenté au cours des dernières années de 8 %.

Nous constatons également un phénomène de concentration des exploitations. Celle-ci peut être souhaitable sauf lorsqu’elle conduit, cumulée à la réduction de la SAU, à une forte diminution du nombre d’exploitants. Le cas le plus frappant est celui de la Martinique où, en dix ans, 80 % des exploitations de moins d’un hectare et 60 % des exploitations de un à deux hectares ont disparu, ce qui n’est pas sans conséquence sur la sociologie agricole de ces départements.

J’en viens aux aides à l’installation, dossier sur lequel mon diagnostic rejoint celui établi par les intervenants des précédentes auditions.

Dans les DOM, 90 à 100 dossiers d’installation bénéficient de la dotation Jeune agriculteur, à rapporter aux 6 000 dossiers enregistrés sur l’ensemble du territoire, ce qui place les DOM largement en dessous de la moyenne nationale. Dans ces départements, 40 % des installations effectives d’agriculteurs de moins de 40 ans bénéficient de la Dotation jeune agriculteur, contre 56 % en métropole. Qui plus est, l’âge moyen d’accès à la DJA est de 34 ans dans les DOM contre 29 ans en métropole. Cette particularité s’explique, selon nous, plus par les difficultés d’accès au foncier que par les critères de formation exigés pour l’obtention de la DJA.

L’analyse des situations locales nous a appris qu’il existe en matière de DJA une dynamique plus forte à La Réunion que dans les autres DOM. En effet, 41 % des dossiers DJA proviennent de La Réunion, mais les agriculteurs y bénéficient plus qu’ailleurs de prêts bonifiés.

Le dispositif OGAF avait par le passé permis d’inciter à la mobilité du foncier, notamment en direction des jeunes agriculteurs.

J’en viens aux perspectives offertes à l’ASP.

Comme vous le savez, la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (LMAP) dispose que nos missions dans le domaine des installations dans les DOM soient transférées aux chambres d’agriculture avant janvier 2016.

Les discussions n’ont pas beaucoup progressé, essentiellement parce que la situation financière d’un certain nombre de chambres d’agriculture ne leur permettrait pas d’assumer cette mission. Face à ce constat, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture reporte à 2020 la date limite de transfert. J’espère que la situation sera clarifiée dans les prochaines années. Je crois savoir que la situation est très différente d’un département à l’autre.

Nous intervenons de plus en plus dans un cadre conventionnel auprès du ministère, et demain nous effectuerons des missions ponctuelles en liaison avec les autorités de gestion. L’ASP a de nombreux atouts : notre expérience en matière de foncier, notre maîtrise à la fois de sujets très techniques et des règles qui encadrent les fonds européens, notre position d’opérateur et enfin notre neutralité vis-à-vis des politiques engagées en amont.

En revanche, comme tous les opérateurs publics, nous sommes soumis à un plafond d’emplois, ce qui limite notre capacité à engager de nouvelles missions.

Nous réalisons un certain nombre d’actions dans le cadre des conventions, mais nous nous heurtons quelquefois aux difficultés pour les collectivités territoriales de nous payer ce qu’elles nous doivent, ce qui illustre la situation financière très tendue d’un certain nombre de collectivités d’outre-mer. Nous rencontrons plus souvent cette difficulté à Mayotte.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Vous dites avoir régularisé à Mayotte 18 000 dossiers fonciers, dont seulement 2200ont abouti. L’Agence n’a-t-elle pas toute latitude pour aller jusqu’au bout de la régularisation ?

M. Thomas Rüger, chargé de mission, correspondant outre-mer de l’ASP. Notre charge consistait à identifier les ayants-droit sur un parcellaire cadastré. Ces terres étant réputées appartenir au conseil général, il nous revenait alors uniquement de constituer les dossiers pour la commission du patrimoine foncier du conseil général, à qui il appartenait in fine d’attribuer les terres. C’est là que le système s’est engorgé.

M. Edward Jossa. Notre mission nous a été confiée par le conseil général dans un cadre conventionnel.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Les représentants des chambres d’agriculture de l’hexagone que nous avons auditionnés nous ont indiqué que ce transfert représentait une charge non négligeable, de l’ordre de 250 000 euros par an. Pouvez-vous en estimer le montant dans les départements d’outre-mer ?

Ce transfert a-t-il été enclenché dans la perspective de 2016 ? Est-ce l’aspect financier ou tout autre aspect du dossier qui pourrait entraîner l’incapacité des chambres d’agriculture ?

M. Bernard Bezeaud, directeur général délégué de l’ASP. La mise en œuvre de la politique d’installation des agriculteurs dans les DOM mobilise entre 10 et 12 agents de l’Agence, à raison d’un ou de deux ETP par département – un peu plus à La Réunion où notre activité est légèrement supérieure.

Bien que cela ne représente pas une lourde charge, les chambres d’agriculture, en dépit de leur volonté de s’impliquer dans la politique d’installation, semblent avoir du mal à pouvoir mener à bien cette mission.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Je me permets d’insister. Dans la mesure où les quatre chambres d’agriculture des DOM souhaitent le transfert, pourquoi ne signent-elles pas une convention globale avec l’ASP pour que celle-ci les accompagne ?

M. Edward Jossa. Je serais plutôt favorable à ce que chaque chambre signe une convention individuelle parce que leurs possibilités et les problématiques liées à l’installation sont différentes dans chaque département.

Je suis tout à fait ouvert à toute convention, sous réserve que le financement soit assuré, d’autant qu’il ne représente pas des montants considérables. La question doit être évoquée avec les différentes collectivités territoriales. Nous pourrions également envisager l’intervention du FEADER au titre de l’assistance technique.

M. Thomas Rüger. Lorsque la réforme foncière a été mise en œuvre en Guadeloupe, la mise en place des groupements fonciers agricoles (GFA) prévoyait la signature d’une convention d’assistance technique entre le CNASEA et la chambre d’agriculture, financée par des crédits provenant de l’État et des collectivités.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. En Guyane et à Mayotte, où la gestion du foncier ne relève pas de la SAFER, comment aider les jeunes agriculteurs à accéder au foncier ?

M. Edward Jossa. N’étant que des opérateurs, nous serons très prudents sur cette question…

M. Omer Roche, délégué régional de l’ASP Guyane. Nous intervenons sur le foncier en Guyane dans le cadre du PDR (programme de développement rural). Nous avons présenté un dossier, qui a été validé en comité de programmation, pour mettre en œuvre deux actions distinctes : l’observatoire du foncier agricole disponible et les périmètres d’attribution simplifiée.

En ce qui concerne l’observatoire du foncier agricole disponible, nous avons identifié, dans les dix communes dont le PLU a été validé, 68 000 hectares de foncier agricole disponible, mais celui-ci présente certaines caractéristiques, en particulier une grande difficulté d’accès.

En Guyane, l’observatoire du foncier agricole (OFAG) est ouvert à l’ensemble du monde agricole et chacun peut le consulter. Nous consulterons prochainement le conseil régional et la direction de l’agriculture pour déterminer qui prendra le relais de l’ASP et poursuivra la mise à jour de l’observatoire.

En ce qui concerne les périmètres d’attribution simplifiée, la mission de l’ASP succède à l’ordonnance de 1998 en matière de régularisation foncière.

Le PAS est un mode opératoire selon lequel une commune sollicite la direction de l’agriculture. Celle-ci nous demande, dans un périmètre déterminé, de proposer aux agriculteurs des lots qui correspondent au mieux à leur projet économique. Nous avons ainsi traité avec cinq ou six communes, sur 8 400 hectares de foncier, et avons attribué 2 050 hectares à près de 150 agriculteurs.

Notre rôle prend fin dès lors que nous avons établi le parcellaire et identifié les candidats. En Guyane, le foncier que nous attribuons aux agriculteurs est constitué de forêt primaire. En termes de résultats, notre mission n’est pas satisfaisante, d’autant que les jeunes Guyanais ont peu accès aux prêts bonifiés qui leur permettraient de mettre en valeur leur exploitation.

Que faire devant un tel constat, sachant que notre mission s’achève le 31 décembre 2013 ? Devant le grand nombre de demandes – le Point info installation a recensé près de 500 projets agricoles, que nous pourrions satisfaire en dégageant du foncier – ne pourrait-on mettre en place en aval une structure chargée d’aménager le foncier ?

M. Thomas Rüger. Nous sommes confrontés à Mayotte à un certain nombre de difficultés. En premier lieu, il existe du foncier disponible mais il est difficilement accessible, ce qui renchérit le coût de l’installation ; ensuite, de grandes incertitudes pèsent sur les droits d’usage puisque le processus de régularisation n’a pas été finalisé ; enfin, nous enregistrons beaucoup de créations d’exploitation mais peu de transmissions. Il nous apparait urgent de faire aboutir le processus de régularisation pour permettre aux porteurs de projet ou bien de mettre en route leur exploitation, ou bien de vendre ou de louer les parcelles titrées.

M. Edward Jossa. Je suis moins expert que mes collègues sur ces questions mais il me semble qu’en Guyane, comme à Mayotte, nous ne pouvons jouer notre rôle qu’appuyés par un acteur fort et disposant de certains leviers d’action.

À Mayotte, cet acteur ne peut être que le conseil général puisque c’est lui qui dispose du foncier. La première étape consiste donc à faire aboutir le processus de régularisation. Cette perspective me convient. À court terme, nous avons signé une convention tripartite avec l’État et le conseil général, l’État prenant en charge le financement. Mais il faudrait peut-être envisager une action « coup de poing » pour accélérer les dossiers en instance, faute de quoi le travail qui a déjà été accompli sera perdu car la situation est mouvante et Mayotte est confrontée à de nombreux cas d’occupation illégale du foncier agricole. La délivrance de titres de propriété doit être réalisée, à marche forcée s’il le faut, car il y a urgence.

En Guyane, ce partenaire pourrait être le conseil régional ou l’EPAG (Établissement public d’aménagement en Guyane), mais je connais mal la situation institutionnelle de ce territoire. Quoi qu’il en soit, la gestion du foncier agricole exige un pilote, un acteur opérationnel capable de déterminer le rythme de mise en œuvre des opérations et suffisamment bien positionné pour coordonner les actions de l’ONF, de l’EPAG, de l’ASP et d’autres – je pense à la récupération du bois pour les besoins énergétiques… Il convient de rationaliser les processus et de les accélérer car les délais sont encore longs, notamment pour la mise en œuvre du système d’attribution des PAS.

M. Serge Letchimy. S’agissant du transfert des fonds européens aux départements, je vous rappelle que d’ici deux ans la Martinique et la Guyane seront des collectivités uniques. Personnellement, je considère qu’il n’est pas idéal, en matière de gestion du foncier, de prévoir deux entités sur un même espace. Le développement économique nécessite une vision globale, c’est pourquoi le transfert des fonds européens doit être effectué au sein d’une structure unique.

Je suis surpris du peu de résultats que vous avez obtenus en matière d’installations, mais je suis satisfait du rôle que joue l’ASP en Martinique, où elle constitue une structure souple et bien adaptée pour la gestion des paiements.

En matière d’installation et d’accès aux terres agricoles, nous assistons à une vraie cacophonie : votre agence est membre du conseil d’administration de la SAFER dans certains départements, tandis que dans d’autres elle est un acteur opérationnel. Vous avez évoqué les problèmes de viabilisation et les difficultés d’accès au foncier. Le drame n’est pas le manque de terres, surtout en Guyane, mais leur accessibilité, or, sur ce plan là, vous n’intervenez pas. Pourquoi ne pas renforcer votre compétence en la matière, ou définir clairement à qui il appartient de financer l’accessibilité et de réaliser les travaux ?

Nous avons mis en place en Martinique un plan de désenclavement. C’est un projet complexe et très coûteux, or, ni les financements, ni l’opérateur ne sont clairement identifiés. Cette limite constitue un frein aux projets d’aménagement.

Par ailleurs, vous indiquez que la gestion du foncier exige un chef de file opérationnel. Mais où est la cohérence si ce chef de file distribue des terrains sur lesquels on plantera de la banane ou de la canne, alors que nous avons besoin de promouvoir des filières de diversification ?

J’en profite pour dire que je regrette profondément que l’engagement du Président de la République, M. François Hollande, portant sur l’adoption d’une loi spécifique à l’agriculture ultramarine, n’ait pas été respecté : c’est une erreur économique grave et une erreur politique majeure, comme je ne manquerai pas de le faire remarquer en séance. De fait, l’agriculture, le tourisme et la biodiversité – en lien avec la mutation énergétique et écologique – sont les trois grands vecteurs qui, dans nos pays, pourraient nous porter et nous réconcilier avec nous-mêmes. Au lieu d’un texte spécifique, nous devrons nous contenter d’une sorte d’annexe et de deux articles et, qui plus est, d’un renvoi à des ordonnances. Et je sais, Madame la présidente, que vous partagez mon point de vue – même si votre fonction ne vous permet pas de vous exprimer aussi librement que moi.

Quoi qu’il en soit, la stratégie foncière est un véritable problème dans nos pays. En effet, sans accès au foncier, on ne peut pas produire. En Martinique, la monoculture est liée à une structuration agraire qui ne bouge pas facilement. Dans ces conditions, il est difficile d’accompagner la mutation économique en valorisant certains produits locaux, puisque cela suppose de développer certaines filières et d’installer ceux qui souhaitent se lancer dans telle ou telle production. Nous avons parfaitement réussi à produire de la pulpe de Goyave, au point que nous sommes maintenant complètement autonomes et que nous assurons 100 % des besoins des agro-transformateurs. Mais aujourd’hui, nous souhaitons relancer le café de Martinique. Or, ce café d’excellence ne pousse que dans deux ou trois communes de Martinique, et nous devons disposer de 150 hectares. Il en est de même de la production de cacao, qui ne pousse que dans cinq communes.

Il y a donc un lien entre la politique économique agricole, la politique foncière à mettre en œuvre et les produits à valoriser – destinés aux agro-transformateurs et aux marchés locaux. Mais dans une telle chaîne, les intervenants sont nombreux – ASP ; SAFER ; chambre d’agriculture – et le financement éclaté – région, FEADER (premier et deuxième pilier), département. En Guadeloupe, par exemple, la situation est très alambiquée : d’un côté la région définira la stratégie, et de l’autre le FEADER restera aux mains du département. C’est complètement incohérent ! Il en va de même de la formation professionnelle, dont une partie est transférée au département, une autre à la région et une autre à l’État. Pourquoi diviser la société en trois ? Mieux vaudrait prendre en charge globalement l’individu qui entre dans un cycle de formation.

Je n’ai pas d’observation négative à faire, Madame la présidente, mais cela me préoccupe beaucoup. La loi pourrait être l’occasion de poser le problème et de proposer des amendements. Nous avons besoin tout à la fois : d’un pilote dans l’avion, d’une organisation structurée, d’une politique déclinable en grandes actions par filières, d’une personne parfaitement identifiée qui maîtrise des fonds financiers pour pouvoir faire de la viabilisation, d’opérateurs, d’une relance des structures coopératives, et donc de la petite agriculture – mais c’est un vœu pieux de parler d’une petite agriculture, endogène, capable de satisfaire le marché local, en ne comptant que sur la bande de terre régionale. En résumé, il y a une véritable stratégie à mettre sur pied. Sans oublier une fiscalité propre.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Globalement, c’est ce qui ressort de toutes les interventions et de toutes les auditions.

Mon cher collègue, je partage votre regret. Nous avions demandé une loi agricole spécifique aux outre-mer, parce l’agriculture ultramarine demande une approche différente, parce que le poids de l’agriculture dans nos territoires est très différent de celui qui subsiste dans l’hexagone et parce que nous souhaitons avoir une vision globale de la question. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de le dire au ministre de l’Agriculture.

Lorsque la procédure législative a été enclenchée, des missions ont été mises en place – par exemple, il y en a une sur la forêt, une sur l’enseignement agricole, une sur l’installation des jeunes agriculteurs – mais elles ne portent pas spécifiquement sur les outre-mer.

Qu’est-ce qui pourrait, sur nos territoires, booster l’installation de nos jeunes ? Car la demande est là – en Guyane, il y a 500 demandes en attente. Toutes les SAFER nous l’ont dit : des jeunes souhaitent travailler dans le secteur agricole. Malheureusement, on ne peut pas répondre à cette demande : pas de foncier, pas de financements bancaires. Ne pourrait-on pas accompagner plus fortement nos chambres d’agriculture, au-delà des contrats d’objectifs et de moyens que peuvent conclure les collectivités territoriales ?

Nous disposons des outils indispensables pour accompagner l’ambition que nous nourrissons pour nos agricultures. Malheureusement, on ne les a pas suffisamment prises en compte et, dans tous les cas, on ne nous a pas répondu de manière très claire et affirmée.

M. Edward Jossa. Il me semble que, dans chaque DOM, compte tenu de la spécificité de chacun d’entre eux, il faudrait peut-être, plus clairement que par le passé, distinguer pilotage et mise en œuvre opérationnelle. Ceux qui font la mise en œuvre opérationnelle ne doivent pas s’occuper de pilotage – et inversement.

La solution au problème foncier nécessite de nombreux leviers différents : fiscaux peut-être, comme je l’ai vu dans un certain nombre de propositions ; subventions ; montages financiers ; mobilisation des fonds européens ; et dans certains cas, outils peut-être plus spécifiques.

La détermination et la combinaison de ces différents leviers, dans un sens unique et cohérent, au service des politiques, nécessitent des arbitrages entre ce que l’on veut faire, les règlements et les financements. À mon avis, c’est le rôle du pilotage. Quant au rôle du pilote, il est de s’assurer que les opérateurs atteignent leurs objectifs dans le cadre des missions qui leur sont données. Cette claire distinction entre la mise en œuvre et le pilotage me semble être la première exigence.

Mais faut-il raisonner en isolant le foncier agricole de l’ensemble de la problématique foncière ou pas ? La question a été posée ici et là. Certains pensent qu’il faut séparer l’opérateur agricole de l’opérateur foncier. D’autres pensent qu’il faut tout regrouper pour avoir une vision globale. C’est un sujet qui est compliqué, qui nécessite un arbitrage peut-être différent dans chaque DOM. Mais une fois que l’arbitrage est pris, il faut qu’il soit maintenu et stabilisé dans la durée. Une collectivité, avec l’ensemble des opérateurs, peut choisir de distinguer la gestion de l’urbanisme et la gestion du foncier agricole. Mais il faut s’y tenir pendant un certain temps. L’inverse est vrai aussi. Chacune de deux voies a des avantages et des inconvénients. Je ne crois pas que l’on puisse apporter une réponse unique sur l’ensemble des territoires.

Passons aux opérateurs : nous-mêmes, les SAFER, les chambres d’agriculture, l’EPAG et peut-être d’autres structures. Là encore, il faut que les arbitrages soient clairs, que l’on fixe le rôle des uns et des autres, que l’on stabilise leurs perspectives dans la durée, notamment leurs perspectives financières. Bien sûr, ce n’est qu’un vœu d’opérateur. Plus généralement, nous plaiderions pour une clarification. Par ailleurs, une stabilisation des règles dans la durée serait de nature à éviter que l’on mélange débat institutionnel et débat opérationnel.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Aujourd’hui, ce sont bien les services de l’ASP qui, dans les DOM, interviennent sur les installations – ce que faisaient les ADASEA (associations départementales pour l’aménagement des structures et des exploitations agricoles) dans l’hexagone.

On a constaté qu’en ce domaine, la situation différait de celle de la métropole : les jeunes agriculteurs sont plus âgés et doivent s’attendre à un véritable parcours du combattant. Concrètement, en tant qu’opérateur, quel serait l’idéal à atteindre et quels seraient les principaux problèmes à résoudre ? Comment pourrait-on faciliter l’installation de nos jeunes ? On a déjà parlé du foncier. Pouvez-vous nous parler plus particulièrement des questions liées au financement de l’installation et au rôle des filières ?

M. Bernard Bezeaud. Je ne prétends pas avoir réponse à toutes ces questions, qui sont à la fois multiples et très complexes. Nous allons supposer que l’accès au foncier est un sujet réglé, ce qui est un préalable à beaucoup de choses. On l’a vu, l’installation bute souvent sur l’incapacité à trouver et à libérer du foncier.

Le rapide examen des chiffres cités tout à l’heure montre que le problème n’est pas lié à la formation, qui serait plus faible dans les DOM. Nous sommes face à des jeunes qui sont formés, qui en veulent et qui ont des idées. C’est tout à fait comparable à ce qui se passe sur l’ensemble du territoire national.

En revanche, l’environnement général de l’économie agricole n’est pas le même, et le besoin de structuration de filières y est beaucoup plus criant. Savoir quels marchés porteurs développer pour sortir des canaux classiques de certaines cultures dominantes, c’est déjà avoir un projet agricole, et c’est l’idée du plan régional d’agriculture durable. Il me semble extrêmement important de connaître la politique que l’on veut mettre en œuvre, sur quel territoire, comment on veut la mettre en œuvre et avec quels acteurs. On ne peut pas lancer des jeunes dans une production nouvelle si on n’a pas structuré l’aval et si on n’a pas une idée précise de l’écoulement des produits. Ce travail des acteurs en amont – et mon propos sort largement des compétences de l’ASP – est déterminant pour connaître les champs de développement possibles.

Je pense ensuite qu’on a un besoin d’accompagnement fort des projets, surtout en cas d’installation progressive. Cela suppose qu’un conseiller passe du temps auprès du jeune, pour l’aider à monter et à mettre en place son projet, y compris financièrement, puis pour le suivre pendant les premières années. On passe forcément, à un moment donné, par des investissements. Ceux-ci ne sont pas toujours très lourds. Reste qu’on a besoin de partenaires financiers. Or, comme on le disait tout à l’heure, ceux-ci sont tout de même un peu réticents et en retrait.

M. Edward Jossa. Je souhaiterai apporter quelques compléments.

Premièrement, je ne l’ai pas évoqué dans le diagnostic, mais nous avons noté que, outre-mer, il y avait moins d’installations bénéficiant de la DJA sous forme de société qu’en métropole. Je ne vois pas pourquoi l’individualisme y serait plus fort qu’ailleurs. Mais c’est peut-être culturel. On pourrait néanmoins se demander si, dans un univers où le parcellaire est plus restreint, il n’y aurait pas lieu d’encourager cette forme d’installation.

Deuxièmement, pourquoi l’accès au crédit est-il plus facile dans certains départements et régions d’outre-mer et plus difficile dans d’autres ? Peut-être ce point pourrait-il faire l’objet d’analyses complémentaires. Je ne vois pas pourquoi ce qui a été réglé dans un territoire ne pourrait au moins être amélioré dans les autres.

Troisièmement, dans les DOM, près de la moitié des installations se font hors DJA. Peut-être faudrait-il inventer des outils moins contraignants ? La DJA est une aide massive mais qui suppose des engagements très forts : notamment, le fait de se consacrer à titre principal à l’agriculture pendant une longue durée. Cela peut être considéré comme difficile à assumer dans un certain nombre de cas, par exemple si l’exploitation s’avère non rentable ou si l’exploitant souhaite avoir une double activité – ne serait-ce que parce que son parcellaire est trop petit. Et lorsque l’on sort de l’éligibilité, on peut perdre la DJA et devoir rembourser des montants non négligeables à l’État. Voilà pourquoi d’autres instruments, d’un moindre montant peut-être, mais plus souples d’utilisation, seraient peut-être mieux adaptés à la situation de certains candidats exploitants.

M. Thomas Rüger. On gagnerait à avoir une vision plus globale – ou transversale – des dispositifs qui permettent, à travers l’accompagnement de l’insertion, d’intégrer un processus de professionnalisation. Souvent, l’accès aux aides ne se fait pas, alors qu’on a une opportunité foncière, parce que celle-ci n’est pas suffisante pour monter un projet de développement économique avec des perspectives compatibles avec la Dotation jeune agriculteur. Pour autant, si l’installation se faisait malgré tout et si on pouvait accompagner l’intéressé vers une professionnalisation plus progressive, peut-être accroîtrait-on globalement le nombre des installés. Cela suppose, sans doute, que ceux qui sont en charge de conseiller et d’accueillir puissent avoir une certaine visibilité, et donc qu’ils puissent plus facilement orienter et, ensuite, accompagner.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. À La Réunion, les filières sont globalement structurées. On donne même ce département en exemple. Pourtant, les chiffres de l’installation sont à peine plus élevés que dans les autres DOM : 41 % pour les installations aidées. Et encore, comme vous l’avez dit, le phénomène s’explique en partie par une meilleure structuration des financements bancaires. Dans ces conditions, faut-il se focaliser sur les filières ? Je me demande, pour ma part, si l’on est suffisamment clair avec le jeune, au moment où il met au point son projet d’installation sous la forme du PDE (plan de développement de l’exploitation).

Ensuite, je pense que l’on viendra, au fil du temps, à la forme sociétaire. Mais vous aviez raison de le dire : c’est sociologique. Les formes sociétaires ne sont pas innées. Ce n’est pas le choix que fera spontanément celui qui s’installe. Le monde paysan est un monde à part. Il est marqué d’individualisme, même si l’on ne peut pas parler d’individualisme forcené.

Enfin, j’aimerais revenir sur les conseillers d’accompagnement. Avez-vous quelque chose de précis à proposer ? Quel serait, selon vous, l’opérateur le mieux à même d’offrir ce temps de conseil et d’accompagnement ? Vous-mêmes, ou un autre opérateur ?

M. Omer Roche. En amont de l’installation, un stage de 21 heures a été intégré dans le parcours de professionnalisation personnalisé (PPP). Généralement, à l’issue de ce stage, le jeune peut présenter son projet, dans le cadre du PDE, et obtenir – ou non – une validation. Pour avoir participé à certains de ces stages, je reconnais que les jeunes présentent souvent des faiblesses. Faut-il les pénaliser malgré tout ? Pour eux, le PDE est une pièce dans leur dossier, qui leur permet de bénéficier de l’aide.

Mais allons au fond des choses. Les difficultés surviennent dans les premières années d’installation En effet, la totalité de la DJA, soit 30 000 euros, constitue pour le jeune un apport personnel, puisqu’il n’a pas d’autres sources de financement, hormis ses premières rentrées de trésorerie. En Guyane, nous avons cherché à combiner l’installation avec la modernisation. Cela permet au jeune de bénéficier d’un financement plus important dans le cadre de la mesure « modernisation » – qu’il faudra préfinancer pour en obtenir le remboursement au titre du FEADER.

Comment favoriser l’installation ? En Guyane, nous sommes passés de deux installations, en 2008, à une quinzaine d’installations. Mais pour avoir assuré un suivi administratif de ces installations, nous avons relevé un certain nombre de faiblesses qui sortent du champ d’intervention de l’ASP. Qui devrait pouvoir assurer ce suivi technique pour permettre au jeune d’avancer dans son projet ? Pour l’instant, il y a carence sur le terrain. Pour autant, nous devons continuer à installer.

Les choses semblent désormais évoluer en Guyane et nous pensons que la chambre d’agriculture, notamment, va pouvoir mettre en place les moyens nécessaires pour assurer ce suivi.

Enfin, vous avez parlé de la structuration des filières, concernant le choix des productions dans le cadre des PDE. Mais faut-il obliger le jeune à rentrer dans le cadre d’un plan ? La liberté de production existe. Y a-t-il un plan général des filières ? Non.

M. Edward Jossa. Si j’ai bien compris ce que vous dites, les chambres d’agriculture sont difficilement contournables. Elles ont la capacité d’assurer un suivi technique, et le programme de transfert progressif fait que nos responsabilités administratives, dans le domaine de l’installation, devraient également aller aux chambres d’agricultures. Donc, c’est bien là que, institutionnellement, se trouve ou doit être recherchée la solution.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. La réalité de l’agriculture des outre-mer est très mal perçue et très peu connue, y compris dans l’ensemble des territoires, en dehors des filières « canne » et « banane ». Dans toutes les autres filières, nous rencontrons des difficultés pour pérenniser les outils mis à notre disposition dans une vraie vision de développement. Par exemple, l’ODEADOM peut se contenter d’assurer trois ans d’accompagnement technique, sans se préoccuper de l’état du marché ni d’un éventuel manque de coordination ou de pilotage. Dans ces conditions, les structures économiques n’arrivent pas à jouer leur rôle d’organisation des filières. Sur les quatre départements d’outre-mer, le constat est amer. Sauf à La Réunion, nous ne pouvons pas être assurés que nos agricultures bénéficieront d’un accompagnement durable.

J’ai deux questions :

Premièrement, que pourriez-vous nous dire des installations hors DJA ? Quelles sont les raisons qui font qu’elles sont de plus en plus nombreuses ?

Deuxièmement, que penseriez-vous de la BPI, en tant que partenaire financier ? Il n’est pas prévu qu’elle intervienne dans le secteur agricole. Cela dit, il y a, à la BPI, une structure particulière pour les DOM. Ne pourrait-elle pas assurer un accompagnement, notamment auprès des jeunes agriculteurs ? Ceux-ci manquent en effet de partenaires financiers, dans la mesure où leurs structures financières ne répondent pas aux critères des banques traditionnelles. Un établissement comme la BPI ne pourrait-il pas remplir ce rôle ? Je sais que vous n’avez qu’un avis d’opérateur, et que vous n’êtes pas spécialistes, mais j’aimerais avoir votre avis.

M. Edward Jossa. Franchement, sur la question de la BPI, je suis en difficulté. J’avoue ne pas connaître suffisamment l’organisation ni les missions de la BPI pour donner un avis qualifié. Mais j’aurais tendance à vous mettre en garde contre les risques de dilution de l’activité de la BPI, qui intervient sur un certain nombre de projets lourds.

Je pense qu’il faut plutôt travailler sur la viabilité des projets qui conduisent les banques à accorder des prêts bonifiés. Ce n’est pas en mettant de l’argent supplémentaire qu’il convient d’agir, c’est en viabilisant les projets – ce qui n’est pas le plus facile, je le reconnais. Si les projets sont viables, il n’y a pas de raison que les banques n’y aillent pas.

On peut également s’interroger sur l’intérêt d’avoir des exploitations un peu plus importantes et de mettre quelques forces en commun pour augmenter les superficies, ce qui permettrait d’accroître la mécanisation sur les exploitations. En effet, la principale cause de non viabilité des exploitations est leur petite taille.

Si l’on veut régler le problème, la subvention à fonds perdus me paraîtrait plus logique qu’un système de financement : que ce soit la BPI ou d’autres, il faut rembourser ; pour rembourser, il faut que le projet soit viable. Le sujet, ce n’est pas le vecteur, c’est bien le projet.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Selon vous, les surfaces sont trop petites pour que les exploitations soient viables. Cela dit, vous ne pouvez pas obliger les personnes à se mettre en société. Mais quel est le seuil de rentabilité ? Si je prends l’exemple de la Guyane, que je connais bien, il faut 80 hectares au moins pour pouvoir faire des vaches allaitantes.

Ensuite, vous avez dit qu’il n’y avait pas de transmissions, mais beaucoup d’installations. J’observe que, pour pouvoir installer un jeune sur 80 hectares, il faut déforester, ce qui mettra cinq ou six ans. Où trouver l’investissement ? Une mise en valeur complète revient à 8 000 ou à 9 000 euros l’hectare.

Concrètement, que pouvez-vous nous en dire ?

M. Edward Jossa. S’agissant du seuil de viabilité, on ne peut répondre que secteur par secteur et collectivité par collectivité. Je ne vois pas tellement d’autre solution que de réunir les professionnels et les pilotes qu’on évoquait tout à l’heure autour de la table afin qu’ils indiquent, globalement, pour telle activité, dans tel secteur, et en fonction de telle terre, à quelles conditions une exploitation peut être viable. Vous le savez mieux que moi, il suffit d’un détail pour qu’un projet n’aboutisse pas – des terres moins bonnes, plus sablonneuses… À mon avis, on peut faire ce travail de typologie et mettre au point des grilles sur la base des expériences qui ont réussi et qui n’ont pas réussi.

M. Omer Roche. En Guyane, comme dans tous les départements, il existe la SMI, ou surface minimale d’exploitation, définie par arrêté préfectoral. . Mais on l’ utilise aujourd’hui davantage dans le cadre des schémas de structures que dans le cadre des PDE, où l’on travaille surtout sur la rentabilité du projet. Reste que l’on ne peut produire des bovins que sur un certain nombre d’hectares. Nous avons donc la liste de toutes les productions en Guyane, qui est d’ailleurs distincte de ce que la sécurité sociale demande pour l’affiliation.

Pourquoi certains exploitants s’installent-ils hors DJA ? Parce qu’ils ne souhaitent pas s’engager dans des processus de contrôle. Ils tiennent à conserver leur liberté ancestrale et s’installent hors de tout schéma de production, de formation, d’âge, etc. Dans le département de la Guyane, nous savons comment cela se passe, par exemple dans les abattis. Mais nous n’avons pas identifié très clairement l’importance de ces installations non aidées. La région a voulu le faire à une certaine époque, mais l’exercice est compliqué.

M. Thomas Rüger. Par définition, nous gérons les dispositifs aidés. Il est donc logique que nous connaissions mal les personnes qui n’en bénéficient pas. Il y a bien sûr quelques transferts entre conjoints ; le cas de personnes affiliées à l’AMEXA, mais n’ayant pas de projet professionnel susceptible de les amener dans un processus d’inclusion économique et de professionnalisation ; enfin, comme le disait M. Roche, celui des producteurs ou des personnes qui ont une opportunité foncière et qui vont s’installer en restant dans l’informel, des exploitants pour lesquels le fait de rentrer dans un dispositif administré et encadré poserait des difficultés.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Vous n’intervenez pas du tout dans les autres collectivités d’outre-mer ?

M. Edward Jossa. Non. Nous intervenions beaucoup en Nouvelle-Calédonie, mais aujourd’hui, c’est l’Agence de développement rural et d’aménagement foncier (ADRAF) de Nouvelle Calédonie qui a repris les sujets d’opérateur foncier, même si une grande partie de notre expertise a été acquise dans cette collectivité où nous avons mené des opérations très réussies.

Autre élément notable : les opérations groupées d’aménagement, ou OGAF, que nous avons menées dans le passé ont donné de bons résultats. Ce type d’opération combinait une approche globale avec des aides à la cession et à l’installation. Nous pourrions revisiter cette formule en nous demandant si un certain nombre d’éléments, qui avaient contribué au succès de ces politiques, pourraient être repris et remis au goût du jour.

M. Thomas Rüger. L’intérêt des OGAF était qu’il s’agissait d’une approche territorialisée, donc infra-départementale, menée à l’échelle d’un canton et basée sur un diagnostic partagé, ce qui permettait de mettre autour de la table différents porteurs de projets et différents acteurs. D’où une synergie qui permettait d’avancer ensemble vers des dispositions susceptibles de faciliter le transfert de foncier, de favoriser telle ou telle installation ou d’améliorer les structures d’exploitation avec des microprogrammes.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Il n’y a pas eu beaucoup d’OGAF. Mais il me semble qu’au moment de la réforme foncière en Guadeloupe, on a eu recours aux groupements fonciers agricoles, les GFA, qui ont connu leur heure de gloire.

M. Thomas Rüger. Au moment de la réforme foncière en Guadeloupe, on a utilisé l’outil GFA pour se rendre propriétaire des terres issues des domaines sucriers. Dans ces GFA, on trouvait comme actionnaires, d’une part, une société d’investissement, créée pour les besoins de la cause, et, d’autre part, les futurs attributaires qui étaient porteurs de parts. Le GFA louait par bail à long terme à l’agriculteur qui s’installait sur sa parcelle. L’avantage d’une telle formule est qu’elle a complètement préservé le foncier agricole, qui était devenu incessible et non constructible.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Je ne sais pas s’il y a eu des OGAF réussies sur les Antilles. Je sais qu’en Guyane, il y en a eu deux : une à Cacao et une autre à La Carapa. Mais j’observe que l’OGAF de Cacao – je prends cet exemple que je connais bien – a été mise en place pour répondre à un besoin de financement. Les agriculteurs étaient déjà installés, il fallait aménager. La création de l’OGAF a permis de financer cet aménagement.

Vous avez parlé de pilote. Mais en Guyane, le développement économique dépend de l’État. Il en est de même du foncier, qui ne dépend ni de l’EPAG, ni de la région. Voilà pourquoi j’affirme que lorsque l’État aura une vraie politique foncière en Guyane, nous aurons fait un grand pas. De la même façon, quand l’État sera clair sur sa politique de développement agricole des territoires d’outre-mer, nous aurons fait un grand pas.

Nous regrettons d’autant plus qu’il n’y ait pas de loi agricole spécifique à l’outre-mer. De fait, on a l’habitude d’utiliser les outils qui existent pour essayer de répondre aux problèmes qui se posent, au lieu de partir des besoins des territoires – besoins qui varient d’ailleurs en fonction des particularités de chacun de ces territoires.

Quel que soit le sujet à traiter, qu’il s’agisse de l’installation ou des filières, il reste à imaginer le cadre dans lequel on doit intervenir, à identifier le pilote ou les pilotes, les opérateurs, et à clarifier le rôle de chacun. Nos paysans attendent qu’on leur offre un cadre stable et durable pour s’installer et faire leur métier.

Je connais le rôle qu’a joué l’ASP dans le passé. Nous verrons ce qu’il en sera dans l’avenir. Mais il faut bien reconnaître que vous intervenez de moins en moins dans le domaine agricole en général, et dans l’agriculture des outre-mer en particulier, et de plus en plus souvent comme établissement de paiement. Je trouve que c’est dommage.

En tout cas, merci d’avoir pris du temps sur la semaine que vous passez à Limoges. Je demanderai que vous soyez à nouveau auditionnés, dans le cadre de la loi d’avenir, sur quelques sujets – par exemple, la pertinence des propositions sur l’installation des jeunes agriculteurs.


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