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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 novembre 2014.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES,


sur le projet de loi relatif à la
réforme de l'asile (n° 2182),

PAR

Mme Maud OLIVIER,

Députée

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Catherine Coutelle, présidente ; Mme Conchita Lacuey, Mme Monique Orphé, M. Christophe Sirugue, Mme Marie-Jo Zimmermann, vice-présidents ; Mme Édith Gueugneau ; Mme Cécile Untermaier, secrétaires ; Mme Laurence Arribagé ; Mme Marie-Noëlle Battistel ; Mme Huguette Bello ; Mme Brigitte Bourguignon ; Mme Marie-George Buffet ; Mme Pascale Crozon ; M. Sébastien Denaja ; Mme Sophie Dessus ; Mme Marianne Dubois ; Mme Virginie Duby-Muller ; Mme Martine Faure ; M. Guy Geoffroy ; Mme Claude Greff ; Mme Françoise Guégot ; Mme Sonia Lagarde ; Mme Geneviève Levy ; Mme Sandrine Mazetier ; M. Jacques Moignard ; Mme Dominique Nachury ; Mme Maud Olivier ; Mme Bérengère Poletti ; Mme Barbara Pompili ; Mme Josette Pons ; Mme Catherine Quéré ; Mme Barbara Romagnan ; M. Gwendal Rouillard ; Mme Maina Sage ; Mme Sylvie Tolmont ; M. Philippe Vitel.

SOMMAIR E

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Pages

INTRODUCTION 7

I. - UNE PRISE EN COMPTE INSUFFISANTE DU GENRE DANS LE SYSTÈME D'ASILE FRANÇAIS 11

A. UNE RECONNAISSANCE PROGRESSIVE DE LA SPÉCIFICITÉ DES DEMANDES D'ASILE LIÉES AU GENRE AU NIVEAU INTERNATIONAL 11

1. Les orientations du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) concernant les femmes et l'interprétation de la Convention de Genève 12

2. Les préconisations du Conseil de l'Europe et les dispositions prévues par la Convention d'Istanbul sur les demandes d'asile liées au genre 15

3. Les avancées au niveau de l'Union européenne avec la prise en compte de cette problématique dans trois directives sur l'asile 18

B. EN FRANCE, UNE FÉMINISATION DE LA DEMANDE ET DES INTERPRÉTATIONS PARFOIS RESTRICTIVES AU REGARD DES VIOLENCES DE GENRE 22

1. Plus d'un tiers de demandeuses d'asile en France 23

2. Des écarts femmes-hommes dans les formes de protection accordées (statut de réfugié ou protection subsidiaire) 27

3. Évolutions de la jurisprudence concernant trois types de violences de genre : mutilations sexuelles féminines, mariages forcés et prostitution 32

C. DES OBSTACLES DANS LA PROCÉDURE D'ASILE ET DES CONDITIONS D'ACCUEIL PARFOIS INADAPTÉES 40

1. Des difficultés particulières pour les femmes lors de la procédure d'examen des demandes d'asile 41

2. Des progrès concernant la prise en compte des problématiques de genre à l'OFPRA 45

3. Des conditions d'accueil inadaptées 47

II. - UNE RÉFORME DONT L'ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES DOIT CONSTITUER UN AXE CENTRAL 52

A. CONDITIONS D'OCTROI DE L'ASILE 53

1. Une meilleure prise en compte du genre dans les actes et motifs de persécution susceptibles de justifier l'octroi du statut de réfugié-e 53

a. Les dispositions prévues par le projet de loi (article 2) 53

b. Les propositions de la Délégation concernant l'interprétation des motifs d'asile au regard du genre 54

2. Des mesures complémentaires nécessaires 58

a. Améliorer le recueil des données sexuées 58

b. Développer la formation des acteurs 59

B. PROCÉDURE D'EXAMEN DES DEMANDES D'ASILE 60

1. Mieux encadrer la liste des « pays d'origine sûrs » et la procédure accélérée pour davantage tenir compte de la condition des femmes (articles 6 et 7) 60

2. Une meilleure prise compte des vulnérabilités et de nouvelles garanties procédurales (article 7) à compléter 64

3. Améliorer l'information des demandeuses d'asile 67

C. CONDITIONS D'ACCUEIL DES DEMANDEUR-SE-S D'ASILE 69

1. Adapter les conditions d'accueil et d'hébergement 69

a. L'examen de la vulnérabilité pour la mise en œuvre des droits des bénéficiaires de la protection internationale (articles 15 et 19) 69

b. Les recommandations de la Délégation pour tenir compte de la situation particulière des femmes 70

2. Améliorer les droits des demandeur-se-s d'asile et de leurs enfants 72

a. Garantir le droit à l'éducation des enfants des demandeur-se-s d'asile et des mineur-e-s isolé-e-s 72

b. Permettre l'accès au marché du travail des demandeur-se-s d'asile dans des délais raisonnables 73

3. Préciser le contenu de la protection 74

a. Les conditions de délivrance d'un titre de séjour au conjoint (article 18) et la prise en compte des risques de violences conjugales 74

b. La reconnaissance dans la loi du certificat médical demandé en cas de protection accordée à une mineure exposée à un risque d'excision (article 19) 75

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 79

I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION 79

II. EXAMEN DU RAPPORT EN DÉLÉGATION 131

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES 139

ANNEXES 143

ANNEXE N° 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA DÉLÉGATION ET PAR LA RAPPORTEURE 143

ANNEXE N° 2 : SYNTHÈSE DU RAPPORT PUBLIÉ EN 2012 SUR LES DEMANDES D'ASILE LIÉES AU GENRE EN EUROPE 145

ANNEXE N° 3 : RECOMMANDATIONS DU HAUT CONSEIL À L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES EN MATIÈRE D'ASILE 149

INTRODUCTION

Adopté en Conseil des ministres le 23 juillet 2014, le projet de loi relatif à la réforme de l'asile (n° 2182) a été précédé d'une large concertation, organisée l'année dernière auprès de l'ensemble des acteurs de l'asile - associations, élus, Haut-commissariat aux réfugiés (HCR), Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), Cour nationale du droit d'asile (CNDA), Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et administrations.

Le rapport remis au ministre de l'intérieur, à l'issue de cette concertation nationale, par M. Jean-Louis Touraine, député, et Mme Valérie Létard, sénatrice, en novembre 2013, a souligné clairement les dysfonctionnements du système français de l'asile, de même que le rapport récent (1) du Comité d'évaluation et contrôles des politiques publiques de l'Assemblée nationale (CEC).

S'appuyant sur ces travaux et sur la nécessité de transposer de nouvelles directives européennes adoptées en juin 2013 (« paquet asile »), le présent projet de loi vise à réformer en profondeur le droit de l'asile afin, d'une part, de renforcer les garanties des personnes ayant besoin d'une protection internationale et, d'autre part, de statuer plus rapidement sur les demandes d'asile, avec pour objectif de parvenir à un examen des demandes dans un délai moyen de neuf mois.

Le Gouvernement engage ainsi une réforme attendue, qui figurait parmi les engagements de campagne du Président de la République (2), et auxquels s'attachent des enjeux majeurs, qui s'inscrivent au cœur de notre pacte républicain. En effet, selon les termes du ministre de l'intérieur, M. Bernard Cazeneuve, « L'asile n'est ni une générosité, ni l'expression de la mauvaise conscience d'un pays riche à l'égard des misères du monde », mais « un droit qui nous oblige car il est l'incarnation de ce que nous sommes : une République fière de ses valeurs universelles qu'elle défend dans toutes les enceintes internationales et dans toutes les occasions (3) ».

Au nombre de ces valeurs figure naturellement l'égalité femmes-hommes, qui doit être au cœur du processus de réforme du droit d'asile, comme il ressort des directives européennes et des travaux du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), qui s'est prononcé à deux reprises sur cette réforme, en novembre 2013 (contribution à la concertation nationale) et 2014 (avis sur le présent projet de loi).

Dans le sillage de ces travaux, et avec la volonté constante de promouvoir une approche intégrée de l'égalité dans l'ensemble des politiques publiques, la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a souhaité être saisie de ce projet de loi (4).

La réforme proposée offre en effet l'occasion de réinterroger les pratiques et les procédures actuelles sous ce prisme, concernant tout d'abord les conditions d'octroi de l'asile, compte tenu de la nécessité de protéger les femmes menacées de persécutions et violences de genre - mutilations génitales féminines, mariages ou avortements forcés, lapidations, violences domestiques sans possibilité de recours, viol, esclavage, traite, craintes liées à l'orientation sexuelle, comportement transgressif par rapport à des normes sociales, au militantisme pour les droits des femmes, etc., ainsi que les persécutions liées à l'orientation sexuelle ou à des politiques coercitives de planification familiale dont peuvent être victimes, femmes ou hommes.

Il en va de même pour l'accueil des demandeuses, en termes d'hébergement par exemple, et la procédure d'examen. La situation des mères et de leurs enfants, mais aussi des femmes isolées, vulnérables face au risque d'exploitation par des réseaux de prostitution ou du fait des violences qu'elles ont subies, doit faire l'objet d'une attention particulière, ce qui implique d'améliorer le système actuel sur plusieurs points.

La Délégation a dès lors concentré ses travaux sur les articles du projet de loi les plus directement en lien avec les problématiques de genre. Ceux-ci concernent les actes et motifs de persécution (article 2), les pays d'origine sûrs (article 6), les modalités d'examen de la demande d'asile (article 7), les conditions d'accueil des demandeur-se-s d'asile (article 15) ainsi que la protection des mineur-e-s et personnes vulnérables (article 19).

Dans ce cadre, la Délégation a auditionné, en octobre 2014, des représentant-e-s du HCEfh, de l'OFPRA, de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) et de différentes associations : France terre d'asile, Groupe d'information et de soutien aux immigré-e-s (GISTI) et Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et de leurs enfants (GAMS).

Votre rapporteure a par ailleurs entendu plusieurs acteurs de terrain, notamment une représentante de la Cimade, chargée de mission sur les violences faites aux femmes, ainsi que le chef du service de l'intervention juridique au centre de rétention administrative de Marseille pour le Forum COSI et membre de l'Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI). Avec la présidente de la Délégation, votre rapporteure a également effectué un déplacement à l'OFPRA, à Fontenay-sous-Bois, et à la CNDA, à Montreuil, le 13 novembre 2014.

Le présent rapport comporte un état des lieux sur les femmes dans le système d'asile français (I) et examine certaines mesures du projet de loi plus particulièrement susceptibles de les concerner, soulignant des avancées sur plusieurs points, qui méritent toutefois d'être approfondies et complétées afin de mieux prendre en compte la dimension du genre (II) : tel est l'objet des 16 recommandations adoptées par la Délégation, le 19 novembre 2014.

I. - UNE PRISE EN COMPTE INSUFFISANTE DU GENRE DANS LE SYSTÈME D'ASILE FRANÇAIS

L'asile est la protection qu'accorde un État à un étranger, qui est ou qui risque d'être persécuté dans son pays, que ce soit par les autorités de ce pays ou par des agents non-étatiques, lorsque les autorités refusent ou ne sont pas en mesure d'apporter une protection. Deux formes de protection sont possibles : le statut de réfugié ou la protection subsidiaire, qui n'ouvrent pas les mêmes droits.

Dans ce domaine, les problématiques liées au genre ont été progressivement prises en compte aux niveaux international et européen (A). En France, où les femmes représentent aujourd'hui une proportion significative des demandeur-se-s d'asile, on observe cependant une certaine frilosité des pratiques et du cadre juridique sur ce point, ce qu'illustre par exemple la répartition sexuée des types de protection accordée (B). Par ailleurs, les femmes rencontrent des difficultés particulières au cours de la procédure d'examen des demandes d'asile, et leurs conditions d'accueil et d'hébergement sont parfois inadaptées (C).

UNE RECONNAISSANCE PROGRESSIVE DE LA SPÉCIFICITÉ DES DEMANDES D'ASILE LIÉES AU GENRE AU NIVEAU INTERNATIONAL

Le droit d'asile repose aujourd'hui sur un triple fondement :

- la Convention de Genève du 28 juillet 1951, qui permet d'accorder le statut de réfugié-e à des personnes craignant d'être persécutées du fait de leur race, religion, nationalité, opinions politiques ou encore de leur appartenance à un certain groupe social ;

- le quatrième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lequel « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République » ;

- la protection subsidiaire, instituée par la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003, qui peut être accordée à des personnes qui ne remplissent pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié et qui sont exposées dans leur pays à certaines « menaces graves », notamment des « peines ou traitements inhumains ou dégradants » (cf. infra).

Sur le plan international, le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a défini des orientations concernant la prise en compte du genre dans les politiques d'asile (1), avec des avancées également au niveau du Conseil de l'Europe (2) et de l'Union européenne (3).

Les orientations du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) concernant les femmes et l'interprétation de la Convention de Genève

Au préalable, il convient d'opérer une distinction entre « sexe » et « genre » pour bien situer les enjeux en matière de droit d'asile.

Ce sont les chercheurs anglo-saxons qui, dès la fin des années soixante, ont établi cette distinction. Selon eux, poser une équivalence stricte entre le sexe biologique et le genre masculin ou féminin conduit à sous-estimer la dimension culturelle et sociale des relations entre les sexes. Cette notion révèle le fait que les relations entre les femmes et les hommes reposant sur des identités, des statuts, des rôles et des enjeux de pouvoir, ne sont pas innées mais acquises, construites socialement et culturellement et donc susceptibles d'évoluer dans le temps.

En 1998, la Commission européenne proposait une définition commune du genre comme « concept qui se réfère aux différences sociales entre les femmes et les hommes qui sont acquises, susceptibles de changer avec le temps et largement variables tant à l'intérieur que parmi les différentes cultures (5) ». Dans le cadre d'un rapport sur les persécutions liées au genre (2002), le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a également précisé que « le genre fait référence aux relations entre les femmes et les hommes basées sur des identités, des statuts, des rôles et des responsabilités qui sont définis ou construits socialement ou culturellement, et qui sont attribués aux hommes et aux femmes », contrairement au sexe qui est « déterminé biologiquement (6) ».

Votre rapporteure fait observer que ces deux définitions constatent les rôles différenciés attribués aux femmes et aux hommes, mais ne font pas référence aux rapports de pouvoir et aux inégalités qui y sont liés. C'est pourtant un aspect central du concept de genre, utile pour comprendre la spécificité des persécutions liées au genre.

● Les dispositions prévues par la Convention de Genève en 1951

La Convention de Genève du 28 juillet 1951, qui régit le droit international des réfugiés, ne fait aucune allusion au genre en tant que motif de persécution susceptible de conduire à la reconnaissance du statut de réfugié-e.

L'article 1.A.2 définit en effet le réfugié comme toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

Il convient à cet égard de rappeler le contexte politique et historique de l'adoption de cette convention, où le réfugié-type était un opposant politique ou religieux de sexe masculin. Lors des travaux préparatoires de la rédaction de la Convention, la Yougoslavie avait proposé d'inclure le sexe parmi les motifs conventionnels, mais cette proposition fut rejetée. Le Haut-Commissaire pour les réfugiés de l'époque, M. Van Heuven Goedhart, avait alors affirmé qu'il doutait « qu'il existe des cas de persécutions commises en raison du sexe des victimes (7) »… De fait, comme l'a souligné une chercheuse britannique (8), les femmes, le genre et les problèmes d'inégalité sexuelle étaient complètement ignorés lors de la rédaction de la Convention de 1951 et du Protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés.

● Les orientations du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) concernant la prise en compte du genre.

Aux termes du préambule de la Convention de Genève, le HCR a pour mandat de « veiller à l'application des conventions internationales qui assurent la protection des réfugiés », les États parties reconnaissant que « la coordination effective des mesures prises pour résoudre ce problème dépendra de la coopération des États avec le Haut-Commissaire ». L'article 35 précise également que « Les États parties s'engagent à coopérer avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (….) dans l'exercice de ses fonctions et en particulier à faciliter sa tache de surveillance de l'application des dispositions de cette convention ». Autrement dit, le HCR a pour mission de veiller à l'application de la Convention de Genève.

Dès 1985, le comité exécutif du HCR publiait ses premières recommandations en s'intéressant plus particulièrement à la situation des femmes demandeuses d'asile. En octobre 1995, il invitait le Haut-Commissaire à « appuyer et promouvoir les efforts déployés par les États pour élaborer les critères et principes directeurs sur les réponses à la persécution visant spécifiquement les femmes », et à prendre en compte « la persécution du fait de violences sexuelles ou toute autre persécution liée à l'appartenance sexuelle (9) ».

« Persécution liée au genre » : définition

Expression sans signification juridique en soi utilisée pour englober la variété de demandes dans lesquelles le genre est une considération pertinente pour la détermination du statut de réfugié. Les demandes d'asile liées au genre peuvent être présentées aussi bien par des femmes que par des hommes, bien que, en raison de formes spécifiques de persécutions, ces demandes soient plus communément présentées par des femmes.

Il est typique que la persécution liée au genre comprenne, même si elle ne s'y limite certainement pas, les actes de violence sexuelle, les violences conjugales/familiales, la planification familiale imposée, les mutilations génitales féminines et d'autres pratiques traditionnelles néfastes, les sanctions pour transgression de normes sociales et la discrimination envers les homosexuel-le-s.

Source : HCR (« Principes directeurs sur la protection internationale : la persécution liée au genre dans le cadre de l'article 1.A.2 de la Convention de Genève et/ou de son Protocole de 1967, relatifs au statut des réfugiés », 2002)

Dans le même sens, le HCR a publié à partir des années 2000 une série de principes directeurs relatifs à la protection des demandeur-se-s d'asile invoquant des persécutions liées au genre, et notamment :

- principes directeurs sur la protection internationale : la persécution liée au genre dans le cadre de l'article 1.A.2 de la Convention de 1951 et/ou de son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (2002, réédition 2008) ;

- note sur les demandes de reconnaissance du statut de réfugié fondées sur des lois ou des politiques coercitives de planification familiale (2005) ;

- principes directeurs sur la protection internationale : application de l'article 1.A.2 de la Convention de 1951 et/ou du Protocole de 1967 aux victimes de la traite et aux personnes risquant d'être victimes de la traite (2006) ;

- principes directeurs sur la protection internationale : l'appartenance à un certain groupe social dans le cadre de l'article 1.A.2 de la Convention de 1951 et/ou du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (2008) ;

- manuel du HCR pour la protection des femmes et des filles (2008) ;

- notes d'orientation du HCR sur les demandes de reconnaissance du statut des réfugiés relatives à l'orientation sexuelle et à l'identité de genre (2008) et sur celles relatives aux mutilations génitales féminines (2009).

Le HCR a notamment encouragé une interprétation sensible au genre de la Convention de Genève, en précisant dans quelle mesure chacun des cinq motifs conventionnels (appartenance à un groupe social, mais aussi race, nationalité, religion et opinions politiques) peuvent être interprétés en prenant en compte le genre (voir sur ce point, l'encadré dans la seconde partie du présent rapport). Les difficultés particulières rencontrées par les femmes demandeuses d'asile ont également été soulignées par le HCR, comme l'illustre l'extrait ci-après du Manuel pour la protection des femmes et des filles en 2008.

Extrait du Manuel du HCR pour la protection des femmes et des filles (2008)

Des systèmes d'asile plus restrictifs

« Les mesures restrictives affectent toutes les personnes en quête d'asile mais les femmes et les filles sont confrontées à des défis supplémentaires pour obtenir l'asile. C'est le cas, par exemple, si elles sont victimes/rescapées de violence sexuelle et sexiste ou si elles sont seules, en tant que femmes seules ou en tant que filles non-accompagnées ou séparées. Dans les centres de réception collectifs, les femmes et les filles seules peuvent aussi être exposées à davantage d'abus ou de violence, si elles ne sont pas hébergées séparément des hommes ou s'il n'y a pas suffisamment d'espace personnel. Trop souvent, les filles non accompagnées ou séparées sont victimes de la traite et disparaissent au cours de la procédure d'asile. »

Les demandes d'asile des femmes et des filles

« Quand des femmes et des filles demandent l'asile, la conscience de la manière dont le traitement persécuteur peut varier ou peut être vécu différemment selon l'âge ou le genre peut très bien être insuffisante. Il se peut aussi que les femmes et les filles rechignent à parler de ce qu'elles ont vécu devant des hommes, chargés de l'entretien ou interprètes, et que les procédures ne tiennent pas correctement compte des perspectives et des expériences des enfants. Il y a néanmoins eu des progrès. Par exemple, un nombre croissant d'États reconnaît que le statut de réfugié-e peut être reconnu dans des cas impliquant la persécution liée au genre, notamment celle qui implique la violence domestique et les pratiques traditionnelles néfastes. »

Source : HCR, Manuel pour la protection des femmes et des filles, 2008

Néanmoins, en vertu du mandat du HCR, ces documents d'orientation n'ont aucune valeur contraignante et leur impact est donc très inégal.

Quant à la question d'une modification éventuelle de la Convention de Genève, il est à noter qu'en 2001, le HCR a organisé des « Consultations mondiales », dans l'objectif d'élaborer un programme de protection des réfugiés tout au long du 21ème siècle sur la base des fondements de la convention, mais en tenant compte des changements survenus depuis. Dans ce cadre, une réunion de 33 experts originaires de 23 pays différents a eu lieu en septembre 2001 sur le thème des persécutions liées au genre. Selon les conclusions de cette réunion, la définition inscrite dans la Convention de Genève de 1951 permet, dès lors qu'interprétée de manière adéquate, de prendre en compte les demandes d'asile liées au genre. Aussi la modification de la Convention (ajout d'un nouveau motif de persécution) n'est-elle pas apparue nécessaire (10).

Les préconisations du Conseil de l'Europe et les dispositions prévues par la Convention d'Istanbul sur les demandes d'asile liées au genre

En juillet 2010, la commission des migrations, des réfugiés et de la population de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté un rapport présentant les pratiques des États membres concernant les demandes d'asile liées au genre et proposant des mesures susceptibles de renforcer cette prise en compte dans les différents régimes d'asile. Ce rapport a conduit à l'adoption d'une résolution et d'une recommandation (11) par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Le Conseil de l'Europe a par ailleurs adopté, en avril 2011, la Convention sur la prévention et la lutte contre les violences à l'égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d'Istanbul. Il s'agit du premier texte international contraignant et établissant un cadre juridique complet afin de protéger les femmes contre toutes les formes de violences (12), notamment les mariages forcés, les mutilations génitales féminines, les avortements et stérilisations forcés, les crimes « d'honneur » ainsi que les violences psychologiques et sexuelles.

Ce texte définit la notion de genre comme « les rôles, les comportements, les activités et les attributions socialement construits, qu'une société donnée considère comme appropriés pour les femmes et les hommes » (article 3).

Votre rapporteure se félicite de l'adoption de ce texte majeur, et particulièrement de son article 60 relatif aux demandes d'asile fondées sur le genre, dont le texte est reproduit dans l'encadré ci-après.

Article 60 relatif aux « Demandes d'asile fondées sur le genre » de la Convention d'Istanbul, ratifiée en juillet 2014 par la France

1. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que la violence à l'égard des femmes fondée sur le genre puisse être reconnue comme une forme de persécution au sens de l'article 1, A (2), de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et comme une forme de préjudice grave donnant lieu à une protection complémentaire/subsidiaire.

2. Les Parties veillent à ce qu'une interprétation sensible au genre soit appliquée à chacun des motifs de la Convention et à ce que les demandeurs d'asile se voient octroyer le statut de réfugié dans les cas où il a été établi que la crainte de persécution est fondée sur l'un ou plusieurs de ces motifs, conformément aux instruments pertinents applicables.

3. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour développer des procédures d'accueil sensibles au genre et des services de soutien pour les demandeurs d'asile, ainsi que des lignes directrices fondées sur le genre et des procédures d'asile sensibles au genre, y compris pour l'octroi du statut de réfugié et pour la demande de protection internationale.

Source : Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite « Convention d'Istanbul », adoptée en 2011 et entrée en vigueur en août 2014

Cet article prescrit ainsi l'interprétation sensible au genre de chacun des motifs de la Convention de Genève, ainsi que l'adoption de mesures législatives et de lignes directrices favorisant un accueil et des procédures d'asile sensibles au genre. Il prévoit par ailleurs que les États prennent les mesures nécessaires pour que la violence à l'égard des femmes fondée sur le genre puisse être reconnue comme une forme de persécution au sens de la Convention de Genève. Cet article s'inspire des travaux de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe mentionnés plus haut. Le rapport explicatif de la Convention renvoie clairement aux principes directeurs du HCR et donne une liste d'exemples et de bonnes pratiques déjà développés dans plusieurs États.

Trois ans après avoir été ouverte à la signature à Istanbul, la Convention du Conseil de l'Europe est entrée en vigueur le 1er août 2014. À ce jour, quatorze États membres du Conseil de l'Europe ont ratifié ce nouvel instrument, dont la France en juillet 2014, et vingt-deux autres l'ont signé. À l'occasion de l'entrée en vigueur de la Convention, le Secrétaire général du Conseil de l'Europe, M. Thorbjorn Jagland, a déclaré « qu'il faut que tous œuvrent maintenant pour améliorer la vie des femmes et des filles nombreuses qui sont victimes de la violence uniquement en raison de leur sexe ». Le HCR s'est aussi félicité de l'adoption de ce texte (cf. encadré ci-après).

Le HCR se réjouit de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Istanbul)

« Jeudi [31 juillet 2014], l'agence des Nations Unies pour les réfugiés s'est réjouie de l'entrée en vigueur d'une convention du Conseil de l'Europe visant la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. La Convention d'Istanbul, qui est entrée en vigueur jeudi, requiert des États parties qu'ils fassent en sorte que la violence contre les femmes fondée sur leur genre soit reconnue comme une forme de persécution et qu'une interprétation sensible au genre soit appliquée aux motifs au soutien d'une demande d'asile énoncés dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. C'est la première fois que la persécution fondée sur le genre est explicitement mentionnée dans une convention internationale. « La Convention d'Istanbul est conçue pour devenir un outil de protection mondial puisque les États non Européens peuvent également adhérer à la Convention », a affirmé Gert Westerveen, représentant du HCR au Conseil de l'Europe. « Tous les États devraient adhérer à celle-ci et la mettre en œuvre », a-t-il ajouté.

La Convention exige que les États parties adoptent des mesures législatives et pratiques afin de prévenir la violence contre les femmes et de lutter contre celle-ci et qu'ils coordonnent ces mesures au moyen de politiques globales. Elle prévoit une obligation d'adopter des procédures, des lignes directrices et des services de soutien sensibles au genre dans le contexte du processus de demande d'asile. Certains États, lorsqu'ils appliquaient la Convention de 1951 relative aux réfugiés, omettaient cette dimension de sensibilité au genre, ce qui peut entraîner des décisions relatives à l'asile incohérentes et priver les femmes et les filles de la protection internationale. La Convention d'Istanbul réitère également l'obligation de respecter le principe de non-refoulement, lequel exige des pays qu'ils adoptent des mesures afin d'assurer que les femmes ayant survécu à la violence ne soient pas renvoyées dans des pays où leur vie pourrait être mise en péril ou dans ceux où ces femmes pourraient être soumises à la torture ou à des peines ou à des traitements inhumains ou dégradants.

La violence sexuelle et basée sur le genre touche principalement les femmes et les filles, celles ayant été déplacées par la force étant particulièrement à risque. Nombre de leurs demandes d'asile allèguent une persécution fondée sur le genre, y compris la traite à des fins d'exploitation sexuelle et de travail forcé, le mariage forcé, la stérilisation forcée, la mutilation génitale des femmes, la menace des crimes « d'honneur », la violence sexuelle et le viol. En juin, l'Émissaire du HCR, Angelina Jolie, a coprésidé un sommet mondial à Londres, Royaume-Uni, visant à enrayer la violence sexuelle dans les conflits, aidant ainsi à attirer l'attention sur ce problème et à galvaniser le soutien du public. L'année dernière, quelque 12 000 incidents de violence sexuelle et basée sur le genre ont été signalés au HCR dans 43 pays. On peut présumer que les chiffres sont beaucoup plus élevés étant donné les nombreux obstacles rencontrés par les survivantes qui tentent de dénoncer les supplices qu'elles subissent. »

Source : site internet de l'UNHCR, 1er août 2014 (par Jutta Seidel et Gert Westerveen à Strasbourg, France)

Les avancées au niveau de l'Union européenne avec la prise en compte de cette problématique dans trois directives sur l'asile

● Plusieurs résolutions adoptées par le Parlement européen

Dès 1984, le Parlement européen a adopté une résolution demandant aux États membres d'interpréter la Convention de Genève en considérant que les victimes de persécution de genre relevaient de la notion de groupe social (13), mais cette résolution n'a eu aucune suite.

Au début des années 2000, la première phase d'harmonisation des politiques d'asile des États membres a permis l'adoption d'instruments législatifs imposant des normes minimales pour la reconnaissance du statut de réfugié, les procédures d'asile et les conditions d'accueil.

Dans ce contexte, le Parlement européen a adopté une résolution sur l'immigration des femmes en 2006 (14), en soulignant que « la dimension du genre ne semble pas être systématiquement prise en considération, ni sur le plan des politiques mises en œuvre, ni sur celui de la collecte de données ». Dans cette résolution, le Parlement invitait aussi « le Conseil et la Commission à inclure dans le cadre d'une politique européenne commune d'immigration et d'asile, le risque de mutilations génitales féminines parmi les raisons justifiant une demande de droit d'asile, conformément aux lignes directrices internationales définies par le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés, selon lesquelles la définition internationale de réfugié couvre les revendications fondées sur le sexe ».

● Un paquet de directives sur l'asile incluant la dimension du genre

Depuis 1999, l'Union européenne s'est donnée pour ambition de développer une politique d'asile commune, par la mise en place d'un régime d'asile européen commun (RAEC), initié en 2004 par le programme de la Haye.

La première phase a consisté en une harmonisation progressive des cadres juridiques des États membres en matière de statut des réfugiés, de procédures et d'accueil. La deuxième phase est intervenue suite au Traité de Lisbonne (15), signé en décembre 2007, et à l'adoption par le Conseil européen du Pacte européen sur l'immigration et l'asile, en octobre 2008. Un système européen d'asile devait être instauré avec pour objectif une procédure comportant des garanties communes.

Pour concrétiser cet objectif, la Commission européenne a présenté en 2008 un premier « paquet législatif » composé des propositions de refonte des règlements « Eurodac (16)  »  et « Dublin II » et de la directive « accueil » de 2003, qui a été suivi en 2009 d'un second paquet constitué des propositions de refonte des directives « procédures » et « qualification ».

Le présent projet de loi relatif à la réforme de l'asile (n° 2182) intègre les dispositions rendues nécessaires par les nouvelles normes européennes. À cet égard, votre rapporteure salue plusieurs avancées significatives dans ces trois directives adoptées en 2011 et 2013, dont les principales dispositions en lien avec les problématiques de genre sont présentées ci-après (voir également sur ce point, la seconde partie du présent rapport, qui comporte une analyse détaillée du projet de loi et de la transposition des textes européens).

- La directive « qualification » de décembre 2011 (17) reconnaît tout d'abord que les actes de persécution peuvent prendre la forme de « violences physiques ou mentales y compris les violences sexuelles » (article 9, paragraphe 2.a) ou « d'actes dirigés contre des personnes en raison de leur genre » (article 9, paragraphe 2.f).

Cette directive précise, par ailleurs, qu'il convient de prendre en considération les aspects liés au genre, y compris l'identité de genre, aux fins de la reconnaissance à un certain groupe social ou l'identification d'une caractéristique d'un tel groupe (article 10, point d). Son considérant 30 vient renforcer cette idée : « Aux fins de la définition d'un certain groupe social, il convient de prendre dûment en considération les questions liées au genre du demandeur - notamment l'identité de genre et l'orientation sexuelle, qui peuvent être liées à certaines traditions juridiques et coutumes, résultant par exemple dans des mutilations génitales, des stérilisations forcées ou des avortements forcés - dans la mesure où elles se rapportent à la crainte fondée du demandeur d'être persécuté ».

- La directive « procédures » du 26 juin 2013 (18) vise à garantir l'accessibilité des procédures d'asile, à en améliorer l'équité, la qualité et l'efficacité, et à garantir une application uniforme des mécanismes procéduraux communs. Les principales évolutions concernent l'organisation et le déroulement de l'entretien personnel : le demandeur d'asile doit bénéficier d'un entretien et de la présence possible d'un conseil. L'entretien sera enregistré ou, à défaut, le demandeur aura la possibilité de procéder à des rectifications ou des annotations sur le compte rendu de son entretien. Il pourra accéder à son dossier avant la prise de décision.

L'un des principaux apports de cette directive concerne la prise en compte des vulnérabilités pour les personnes ayant besoin de garanties procédurales spécifiques. Aux termes de son article 15 (point 3b), les États membres font en sorte, dans la mesure du possible que l'entretien avec le demandeur soit mené par une personne du même sexe si le demandeur en fait la demande, à moins que l'autorité responsable de la détermination (19) ait une raison de penser que cette demande est fondée sur des motifs qui ne sont pas liés à des difficultés de la part du demandeur d'exposer l'ensemble des motifs de sa demande.

- Enfin, la directive « accueil » du 26 juin 2013 (20) prévoit des normes minimales en matière d'accueil des demandeur-se-s d'asile.

Son chapitre IV est entièrement consacré aux personnes vulnérables ayant des besoins particuliers telles « les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains (..), les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation génitale féminine » (article 21). Il est précisé à l'article 22 « qu'aux fins de la mise en œuvre effective de l'article 21, les États membres évaluent si le demandeur est un demandeur qui a des besoins particuliers en matière d'accueil ».

En outre, l'article 18 de cette directive, relatif aux conditions matérielles d'accueil des demandeur-se-s d'asile, dispose que « lorsque les demandeurs sont hébergés dans les locaux et centres d'hébergement visés au paragraphe 1, points a) et b), les États membres tiennent compte des aspects liés au genre et à l'âge, ainsi que de la situation des personnes vulnérables » (point 3). Il précise également (point 4) que les États membres doivent prendre les mesures appropriées pour prévenir la violence et les actes d'agression fondés sur le genre, y compris les violences et le harcèlement sexuels, à l'intérieur des locaux et centres d'hébergement visés au paragraphe 1 (a et b) du même article (21).

● Des pratiques plus progressistes dans certains pays voisins

Un rapport publié par le Parlement européen en 2012 sur les demandes d'asile liées au genre en Europe a souligné l'existence de disparités importantes et inquiétantes dans la façon dont les États membres traitent ce type de demandes, en regrettant notamment que les demandeuses d'asile soient « trop souvent confrontées à des législations et des politiques qui ne respectent pas des normes acceptables, y compris lorsque des politiques sensibles au genre existent mais ne sont pas mises en pratique ».

Ce rapport, dont une synthèse est présentée en annexe au présent rapport, soulignait toutefois également l'existence de bonnes pratiques dans certains pays voisins, parmi les neuf faisant l'objet de l'étude, par exemple en matière :

- d'élaboration de lignes directrices nationales sur le genre (Malte, Suède, Roumanie et Royaume-Uni) ;

- de demande systématique à chaque demandeur-se de sa préférence concernant le sexe des agents chargés des entretiens (Suède, Royaume-Uni et Belgique), une garde d'enfants étant proposée dans ces deux derniers pays ;

- d'actions de formation : il ressortait ainsi de cette étude que la Belgique était alors le seul pays à proposer une formation tenant compte de la dimension de genre à son personnel dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile, malgré de nombreux cas signalés de violences liées au genre et de harcèlement sexuels dans les centres d'hébergement de tous les pays faisant l'objet de l'étude.

Dans le même sens, l'étude sur Le droit d'asile au féminin, qui avait été réalisée en 2011 par France terre d'asile et l'Observatoire de l'asile et des réfugiés (22), dans le cadre du projet européen « Gensen » visant à améliorer la prise en compte du genre dans l'asile en Europe (cf. encadré ci-après), évoquait des législations nationales progressistes dans plusieurs pays européens (23).

Le projet européen « Gensen » visant à améliorer la prise en compte du genre dans l'asile en Europe

L'étude précitée (Le droit d'asile au féminin. Cadre législatif et pratiques, 2011) avait pour objectif de fournir un état des lieux et des pratiques concernant les demandes d'asile faites par des femmes en France, à la lumière d'instruments internationaux et européens pertinents. Ce travail d'enquête a été réalisé dans le cadre du projet européen « Gensen » visant à améliorer la prise en compte du genre dans l'asile en Europe, co-financé par le Fonds européen pour les réfugiés (FER) de la Commission européenne.

Le projet, lancé en octobre 2010, a été coordonné par la Commission espagnole d'aide aux réfugiés (CEAR) et mené en partenariat avec France terre d'asile, Asylum aid, le Conseil italien pour les réfugiés (CIR) et le Hungarian Helsinki Committee (HHC). L'objectif principal du projet Gensen est de contribuer à l'harmonisation des législations et des pratiques en matière d'asile dans une perspective de genre à l'échelle européenne, à travers l'échange de bonnes pratiques et la sensibilisation des acteurs nationaux et européens.

A contrario, ce rapport regrettait la frilosité du cadre législatif et des pratiques en France, en estimant que, par rapport aux législations nationales précitées, elle faisait « office de mauvaise élève » et qu'« Aucune ligne directrice n'a été adoptée et aucune disposition législative sensible au genre ne semble être envisagée. La France semble à ce jour peu encline à considérer le genre comme un élément à prendre en compte dans le cadre de sa politique d'asile. »

EN FRANCE, UNE FÉMINISATION DE LA DEMANDE ET DES INTERPRÉTATIONS PARFOIS RESTRICTIVES AU REGARD DES VIOLENCES DE GENRE

En France, on observe tout d'abord une proportion significative de femmes parmi les demandeurs d'asile (1) mais aussi des différences concernant le type de protection accordée : statut de réfugié-e ou protection subsidiaire (2), ce qui s'explique notamment par des interprétations parfois restrictives par la jurisprudence concernant les persécutions et violences de genre (3).

Plus d'un tiers de demandeuses d'asile en France

● Une féminisation progressive de la demande d'asile

Depuis plusieurs années, l'OFPRA relève une féminisation des demandes d'asile : pour les premières demandes d'asile, la proportion de femmes est ainsi passée de 29,6 % en 2001 à 37 % en 2012, comme l'illustre le graphique présenté ci-après.

PROPORTION DE FEMMES PARMI LES PREMIÈRES DEMANDES D'ASILE DE 2001 À 2013

(en pourcentage)

Source : graphique réalisé d'après les données des rapports annuels d'activité de l'OFPRA

En 2013, 16 501 premières demandes de protection internationale ont été déposées par des femmes auprès de l'OFPRA, soit 35,9 % des premières demandes d'asile, en léger recul par rapport à 2012 (37 %). Il convient à cet égard de préciser que le terme de « demande de protection internationale » regroupe à la fois la demande d'asile (constitutionnelle, conventionnelle, protection subsidiaire) et la demande du statut d'apatride.

PREMIÈRES DEMANDES DE PROTECTION INTERNATIONALE DÉPOSÉS EN 2013 PAR SEXE (HORS MINEURS ACCOMPAGNANTS)

 

Nombre

Pourcentage

Âge moyen

Femmes

16 501

35,9 %

33,6 ans

Hommes

29 424

64,1 %

32,0 ans

Total 2013

45 925

100 %

35,6 ans

Source : OFPRA

Ces demandeuses venaient majoritairement d'Afrique, d'Europe et d'Asie, selon la ventilation présentée ci-dessous. Les femmes représentent notamment 45 % des demandeurs d'asile européens, mais 25 % seulement des demandeurs asiatiques (24).

PREMIÈRES DEMANDES DE PROTECTION INTERNATIONALE* EN 2013 : PROPORTION DE FEMMES ET ÂGE MOYEN SELON LE CONTINENT D'ORIGINE

Continent

Total premières demandes

Premières demandes de femmes

Pourcentage de femmes

Âge moyen des femmes

Âge moyen des hommes

Afrique

17 133

5 835

34 %

30,8 ans

31,3 ans

Amériques

1 784

758

42 %

32,1 ans

33 ans

Asie

10 953

2695

25 %

37,5 ans

31,5 ans

Europe

15 828

7 125

45 %

34,6 ans

33,4 ans

Apatrides

227

88

39 %

33,9 ans

36,1 ans

TOTAL

45 925

16 501

35,9 %

33,6 ans

32 ans

* Hors mineurs accompagnants

Source : tableau réalisé à partir des différentes données présentées dans le rapport d'activité 2013 de l'OFPRA (mai 2014)

Au total, en incluant non seulement les premières demandes présentées par des femmes, mais aussi les réexamens et les mineurs accompagnants, on comptait près de 25 000 demandes en 2013 (cf. le tableau ci-après). Selon le HCEfh, dans son avis sur le présent projet de loi adopté en novembre 2014 (25), les femmes représenteraient environ 37,7 % des demandeurs d'asile, en évoquant des données d'Eurostat de 2013.

DONNÉES CHIFFRÉES CONCERNANT LES DEMANDES DE PROTECTION INTERNATIONALE, RÉEXAMENS ET MINEURS ACCOMPAGNANTS POUR LES FEMMES EN 2013

 

Premières demandes

Réexamens

Total demandes hors mineurs accompagnements

Demandes mineurs accompagnants

Total général

Afrique

5 835

391

6 226

2 336

8 562

Amériques

750

35

6 225

70

863

Asie

2 695

275

793

669

3 819

Europe

7 125

731

2 970

3 776

11 631

Apatrides

88

 

88

 

88

TOTAL

16 501

1 432

17 933

7 030

24 963

Source : OFPRA (rapport d'activité, mai 2014)

● Les caractéristiques socio-démographiques des demandeur-se-s d'asile

Sur ce point, on observe tout d'abord une corrélation étroite entre une féminisation progressive de la demande et un vieillissement relatif de cette population. Ainsi, alors que les hommes représentaient plus de 90 % des demandes pakistanaise et bangladaise en 2013 (âge moyen inférieur à 32 ans), les femmes étaient largement majoritaires parmi les populations en provenance du Caucase (Arméniennes, Azerbaïdjanaises, Tchétchènes), dont l'âge moyen était de 38 ans.

PYRAMIDE DES ÂGES COMPARÉES DES DEMANDEURS ET DES DEMANDEUSES DE PROTECTION INTERNATIONALE EN 2013 ET EN 2003

(En % de la population totale)

Source : OFPRA

Concernant leur situation familiale, les hommes sont majoritairement célibataires (55 %), tandis que les femmes sont plus souvent mariées (43 %) ou en situation de rupture familiale (veuvage, divorce, séparation).

PREMIÈRES DEMANDES D'ASILE : RÉPARTITION PAR SEXE ET PAR SITUATION FAMILIALE (DÉCLARATIVE)

 

Femmes

% des femmes

Hommes

% des hommes

Célibataire

5 833

35,3 %

16 221

55,1 %

Concubin

1 463

8,9 %

2 061

7,0 %

Divorcé

655

4,0 %

371

1,3 %

Marié

7 144

43,3 %

10 109

34,4 %

Pacsé

8

0,05 %

12

0,04 %

Séparé

382

2,3 %

202

0,7 %

Veuf

923

5,6 %

171

0,6 %

Non déclaré

93

0,6 %

277

0,3 %

Total 2013

16 501

100 %

29 424

100 %

Source : OFPRA

● Demandeuses d'asile : situation comparée de la France et de pays voisins

Dans sa contribution à la concertation sur la réforme du droit d'asile (novembre 2013), le HCEfh a relevé qu'en 2010, « avec 14 016 demandeuses d'asile », la France recevait plus de demandes de femmes que « la Suède (12 013), la Belgique (6 479) ou le Royaume-Uni (5329) ». En tout état de cause, la proportion de demandeuses d'asile est plus élevée en France que dans d'autres pays européens, comme l'illustrent les deux graphiques ci-après.

DISTRIBUTION PAR SEXE DES DEMANDEUR-SE-S D'ASILE DANS LES ÉTATS MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE EN 2013 *


* Agrégats et données nationales à partir des données disponibles pour l'année considérée. En jaune : la proportion de demandeuses d'asile.

Source : Eurostat (avril 2014)

Dans ce domaine, les données chiffrées méritent toutefois d'être interprétées avec prudence, dans la mesure où la progression du nombre de demandeur-se-s d'asile en France (en valeur absolue) peut être relativisée sur une longue période, mais aussi au regard de sa population, comparativement par exemple à la Suède (cf. graphique infra).

DEMANDES D'ASILE VENTILÉES PAR SEXE (EUROSTAT 2013)

Source : « Quand la demande d'asile se conjugue au féminin », La lettre de l'asile et de l'intégration n° 63, France terre d'asile, mai 2014 (Eurostat 2013)

Dans ce sens, la vice-présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), Mme Teitgen-Colly, a d'ailleurs indiqué lors de son audition (26) que « Le nombre de demandes d'asile dans l'Union européenne, région la plus riche du monde, reste malgré tout dérisoire : 330 000 demandeurs d'asile pour toute l'Union européenne. Quant au nombre des bénéficiaires de la protection internationale, il a très peu évolué depuis 1953 : 165 000 en 1953, 220 000 en 1993 et 160 000 aujourd'hui. La menace n'est donc pas si réaliste qu'on le prétend. On dit que la France accueille très largement des demandeurs d'asile. C'est vrai en chiffres absolus, puisque nous sommes à la deuxième place dans l'Union. Mais si l'on rapporte ces chiffres à notre population, nous ne sommes qu'à la dixième, à la onzième ou à la douzième place selon les années ».

Des écarts femmes-hommes dans les formes de protection accordées (statut de réfugié ou protection subsidiaire)

Il existe deux formes de protection au titre d'asile : le statut de réfugié et la protection subsidiaire, qui n'ouvrent pas les mêmes droits et dont les principales caractéristiques sont présentées dans l'encadré ci-après.

Le choix de la forme appropriée de protection relève de la seule compétence de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), qui se prononce en fonction de la situation invoquée, sous le contrôle de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), juridiction administrative spécialisée (recours en appel), voire du Conseil d'État (pourvoi en cassation).

Protection subsidiaire : principales caractéristiques par rapport au statut de réfugié

Les conditions d'octroi de la protection subsidiaire

Elle a été instituée par la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile. Le terme « subsidiaire » signifie que la demande d'asile est d'abord nécessairement examinée au regard des critères d'admission au statut de réfugié (Convention de Genève, « asile constitutionnel »). Ce n'est qu'à défaut d'éligibilité à ce statut que la demande fera l'objet d'un examen visant à déterminer si les éléments avancés à l'appui de celle-ci permettent de bénéficier de la protection subsidiaire.

Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (articles L. 712-1 à L. 712-3 du CESEDA) prévoit ainsi la possibilité d'accorder une protection subsidiaire à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître le statut de réfugié et qui est exposée dans son pays à l'une des « menaces graves » suivantes :

a) « la peine de mort » (prononcée ou encourue, condamnation émanant d'une autorité, judiciaire ou non) ;

b) « la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants » (actes d'une intensité particulièrement aiguë, visant à obtenir des aveux, des informations, ou à infliger une punition ; actes d'une intensité moindre mais également délibérés, se traduisant à tout le moins par l'humiliation de la victime) ;

c) « s'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé ou international (27) ».

Les droits conférés (séjour, droits sociaux, accès au logement)

Il convient tout d'abord de rappeler que les réfugié-e-s statutaires bénéficient d'un récépissé de 3 mois renouvelable portant la mention « reconnu réfugié », puis d'une carte de résident d'une validité de 10 ans, renouvelable de plein droit, qui leur confère un statut très protecteur. Ils bénéficient par ailleurs de droits sociaux équivalents à ceux des nationaux.

- L'admission au bénéfice de la protection subsidiaire est en revanche prononcée pour une durée d'un an renouvelable. Elle donne lieu en principe à la délivrance d'une carte de séjour temporaire, mention « vie privée et familiale », attribuée également au conjoint du demandeur et à ses enfants mineurs ou dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire. Ce titre de séjour donne droit à l'exercice d'une activité professionnelle.

L'OFPRA peut, à chaque échéance, refuser de renouveler le bénéfice de la protection subsidiaire si les circonstances qui ont justifié son octroi ont cessé d'exister ou ont connu un changement suffisamment profond pour qu'elle ne soit plus requise.

- Par ailleurs, contrairement aux réfugiés, le statut de bénéficiaire de la protection subsidiaire n'est pas recognitif, c'est à dire qu'il ne renvoie pas à un droit déjà existant. Cependant, les bénéficiaires de la protection subsidiaire peuvent désormais prétendre, comme les réfugiés, dès l'obtention de leur statut, au RSA (les bénéficiaires d'une protection subsidiaire ayant accès immédiatement au RSA sans que leur soit opposable le délai de résidence ininterrompue de cinq ans, article L. 262-4 du code de l'action sociale et des familles) ainsi qu'aux prestations familiales, en fonction de la composition du foyer.

- Ils ont aussi les mêmes droits d'accès au logement que les étrangers de droit commun et peuvent donc accéder au parc public et privé. Les titres de séjour figurent parmi les titres autorisés pour l'accès au logement social (arrêté du 1er février 2013, articles 2 à 5). Les problèmes administratifs persistent cependant lors des renouvellements des titres de séjour ou encore sont liés à la méconnaissance des titres de séjour par les bailleurs (28).

Ainsi, s'il permet l'exercice d'une activité professionnelle, avec aussi un rapprochement en termes de droits sociaux, le régime de la protection subsidiaire est de fait moins protecteur que le statut de réfugié et source d'une plus grande précarité, dans la mesure où il n'ouvre droit qu'à un titre de séjour d'un an renouvelable (et non une carte de résident de dix ans) et rend plus difficile l'accès au logement. Or l'analyse des décisions de l'OFPRA et de la CNDA, en matière d'admissions à la protection internationale, fait apparaître une surreprésentation des femmes parmi les bénéficiaires de la protection subsidiaire, même si cette situation a sensiblement évolué suite à de récentes évolutions de la jurisprudence.

● Une surreprésentation des femmes parmi les bénéficiaires de la protection subsidiaire, mais qui tend à diminuer : données sur longue période

Dans un rapport publié en janvier 2012 (29), le collectif ADFEM (Action et droits des femmes exigées et migrantes) a regretté un « glissement de plus en plus systématique » qui « semb[lait] se faire vers la protection subsidiaire s'agissant des persécutions visant spécifiquement les femmes ». Il relevait en particulier que les femmes étaient majoritaires parmi les personnes admises à la protection subsidiaire chaque année (entre 55 % et 60% des admis, 61 % au cours de l'année 2010), et qu'au total fin 2010, on comptait 152 480 réfugiés statutaires et 8 040 protégés subsidiaires, dont 58 % de femmes.

ADMISSIONS ET TYPES DE PROTECTION POUR LES FEMMES DE 2005 À 2010

Années

Nombre total d'admissions à la protection

Nombre de femmes admises à protection

Dont pour les femmes

Statut de réfugié

Protection subsidiaire

Statut d'apatride

2005

13 770

5 602

5 272

309

21

2006

7 354

3 066

2 731

306

29

2007

8 781

3 775

3 360

394

21

2008

11 441

5 076

3 983

1 070

23

2009

10 373

4 487

3 073

1 414

16

2010

10 340

4 221

2 980

1 241

23

Source : ADFEM (Action et droits des femmes exilées et migrantes), janvier 2012

De façon convergente, le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) a souligné le caractère de protection « à défaut » pour les femmes de la protection subsidiaire. Dans sa contribution à la concertation nationale sur la réforme du droit d'asile, adoptée en 2013 (30), il indiquait ainsi qu'en France, jusqu'à de récentes évolutions de la jurisprudence, les femmes bénéficiant d'une protection internationale avaient cinq fois plus de chances que les hommes de se voir accorder une protection subsidiaire, sur la base d'une interprétation non sensible au genre des motifs de la Convention de Genève (31).

Or « cette forme de protection temporaire (…) conduit à une plus grande précarité des femmes demandeuses d'asile [qui] vient accentuer la précarité des femmes relevant de situations particulières de vulnérabilité ». Par ailleurs, elle induit par définition une non-reconnaissance des motifs de persécutions liés au genre, du fait notamment de difficultés pour les femmes d'apporter des éléments de preuve suffisants, mais aussi d'interprétations parfois restrictives par les autorités des dispositions de la Convention de Genève, pour ce qui concerne les violences de genre (cf. infra).

● Une évolution récente concernant le type de protection accordée aux femmes liée à un revirement jurisprudentiel : données sur l'année 2013

En 2013, 3 708 femmes ont été reconnues réfugiées, représentant ainsi 40 % des personnes reconnues en 2013 (36 % en 2012), tandis que 1 014 femmes ont obtenu la protection subsidiaire, soit 44,4 % des personnes ayant obtenu ce statut (58 % en 2012), comme l'indiquent les graphiques et le tableau ci-après (32).

La majorité des femmes ayant obtenu une protection internationale en 2013 provenaient de Russie (609 décisions positives), de République démocratique du Congo (483), de Guinée (363), de Syrie (354) et du Sri Lanka (33).

DONNÉES SEXUÉES CONCERNANT LE TYPE DE PROTECTION ACCORDÉE

Pourcentage de femmes et d'hommes ayant obtenu le statut de réfugié en 2013

Pourcentage de femmes et d'hommes ayant obtenu la protection subsidiaire en 2013 *

* En 2012, le pourcentage de femmes parmi les personnes ayant obtenu la protection subsidiaire s'élevait à 58 %.

Sources : OFPRA (données 2013) et HCEfh (avis sur le présent projet de loi, novembre 2014)

La part des femmes n'est plus ainsi majoritaire dans les décisions relevant de la protection subsidiaire, du fait notamment d'une nouvelle jurisprudence du Conseil d'État en 2013 octroyant le statut de réfugié aux fillettes menacées d'excision au titre de l'appartenance à un groupe social sous certaines conditions (cf. infra), alors que celles-ci bénéficiaient auparavant de la protection subsidiaire.

PROTECTION INTERNATIONALE : ADMISSIONS SELON LE SEXE ET LE MOTIF EN 2013

(HORS MINEURS ACCOMPAGNANTS)

 

FEMMES

% FEMMES

HOMMES

TOTAL ADMISSIONS

% TOTAL ADMISSIONS

TOTAL ADMISSIONS OFPRA (1)

2 831

47 %

3 147

5 978

52,6 %

dont Convention de Genève

2 321

48 %

2 506

4 827

42,45 %

dont article 1A2

1 935

46 %

2 267

4 202

37,0 %

mandat HCR

42

47 %

47

89

0,8 %

dont réinstallations

32

52 %

29

61

0,  %

asile constitutionnel

-

 

-

-

 
 

unité de famille

307

68 %

144

451

4,0 %

dont enfant

93

60 %

62

155

1,4 %

conjoint

207

78 %

58

265

2.3 %

tutelle

7

23 %

24

31

0,3 %

 

transferts vers la France

21

40 %

32

53

0,5 %

motif non renseigné

16

50 %

16

32

0,3 %

Protection subsidiaire

492

44 %

614

1 106

9,7 %

dont réinstallations

-

-

1

1

0,01 %

Admissions apatrides

18

40 %

27

45

0,40 %

           

TOTAL ADMISSIONS CNDA (2)

1 891

35 %

3 502

5 393

47,4 %

dont Convention de Genève

1 369

32 %

2 848

4 217

37,1 %

Protection subsidiaire

522

44 %

654

1 176

10,3 %

           

TOTAL ADMISSIONS (1+2)

4 722

42 %

6 649

11 371

100 %

           

Dont admissions conventionnelles

3 708

41 %

5 381

9 089

79,9 %

Dont OFPRA

2 339

48 %

2 533

4 872

42,85 %

CNDA

1 369

32 %

2 848

4 217

37,1 %

Admissions protection subsidiaire

1 014

44 %

1 268

2 282

20,1 %

Dont OFPRA

492

44 %

614

1 106

9,7 %

CNDA

522

44 %

654

1 176

10,3 %

Source : rapport d'activité 2013 de l'OFPRA (avril 2014)

S'agissant enfin du nombre total de personnes placées sous la protection de l'OFPRA, qui était estimé (34) à 186 234 au 31 décembre 2013 (42 % de femmes) - dont 169 990 réfugiés, 14 997 bénéficiaires de la protection subsidiaire et 1 247 apatrides -, les femmes demeurent minoritaires parmi les réfugiés (41 %) et majoritaires parmi les personnes bénéficiant d'une protection subsidiaire (56 %), selon la ventilation présentée ci-dessous.

ESTIMATIONS DU NOMBRE DE PERSONNES PLACÉES SOUS LA PROTECTION DE L'OFPRA AU 31 DÉCEMBRE 2013 PAR SEXE (HORS MINEURS ACCOMPAGNANTS

 

Réfugiés statutaires

Sous protection subsidiaire

Total personnes protégées *

Femmes

Hommes

Total

Femmes

Hommes

Total

Femmes

Hommes

Total

69 380

(41%)

100 610

169 990

8 407

(56%)

6 590

14 997

78 203

(42%)

108 031

Âge moyen (ans)

45,9

43,7

44,6

29,0

35,7

31,9

44,1

43,2

* Y compris apatrides

Source : OFPRA

À cet égard, il convient de saluer les progrès réalisés par l'OFPRA, dont les rapports annuels comportent des données plus détaillées concernant les demandeuses et demandeurs d'asile. Cependant, votre rapporteure regrette, plus largement, l'absence de données sexuées au niveau national, concernant en particulier les motifs de demande et d'obtention des demandes d'asile, et qui permettrait d'approfondir l'analyse concernant les demandes fondées sur le genre et leur traitement par les autorités. Ce point a d'ailleurs également été souligné par des associations, telles que France terre d'asile et l'ADFEM, ainsi que par le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, dans ses deux avis précités de novembre 2013 et novembre 2014.

Il est essentiel d'y remédier rapidement afin d'améliorer le pilotage de l'action publique, et votre rapporteure formule une recommandation en ce sens (cf. infra, dans la seconde partie du présent rapport).

Évolutions de la jurisprudence concernant trois types de violences de genre : mutilations sexuelles féminines, mariages forcés et prostitution

Dans le cadre de l'examen des demandes d'asile, il s'agit tout d'abord de déterminer si les actes de violence évoqués par le ou la requérant-e constituent ou non une persécution au sens de l'article 1er de la Convention de Genève, et le cas échéant, d'examiner la raison de cette crainte (interprétation des motifs conventionnels). Si la réponse est négative, il s'agira alors de vérifier si les craintes invoquées par la personne constituent une « menace grave », telle que définie par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (cf. supra) pour l'octroi éventuel de la protection subsidiaire.

En France, l'appartenance à un certain groupe social constitue le motif principal auquel se réfèrent les autorités françaises pour discuter le statut de réfugiée des femmes persécutées pour des raisons ou sous des formes liées au genre. Se pose ainsi la question centrale de la définition du « groupe social », qui fait l'objet de différentes interprétations.

Selon l'OFPRA (cf. l'encadré ci-dessous), cette notion n'est pas extensible à l'infini et seul un ensemble circonscrit et suffisamment identifiable de personnes peut être considéré comme un groupe social. Au fil du temps ont été ainsi été reconnus certains groupes sociaux délimités (par exemple, le groupe social des femmes originaires de l'État d'Edo au Nigéria, qui sont victimes du trafic d'êtres humains et souhaitent se soustraire à la prostitution, cf. infra).

La notion d' « appartenance à un groupe social » selon l'OFPRA

« Ce terme désigne un ensemble de personnes de mêmes origine, mode de vie ou statut social. Visant initialement les classes sociales dans les régimes communistes, cette notion de groupe social s'est depuis ouverte à d'autres catégories, qui revendiquent une façon d'être différente de celle prévalant dans leur société et qui encourent de ce fait des persécutions. Dans ce contexte, le recours à ce motif ne vaut que dans un pays donné et à un moment donné (exemple des homosexuels dans certains pays). À cet égard, les persécutions subies ou à craindre peuvent émaner de tiers, d'autorités traditionnelles ou religieuses (exemple de l'excision au Mali), dès lors qu'elles sont volontairement tolérées par les pouvoirs publics du pays considéré.  Il convient toutefois de souligner que la notion n'est pas extensible à l'infini, et que seul un ensemble circonscrit et suffisamment identifiable de personnes pourra être considéré comme un groupe social au sens de la Convention de Genève. »

Source : site Internet de l'OFPRA

Plusieurs associations, notamment France terre d'asile et l'ADFEM (Action et droits des femmes exilées et migrantes), estiment toutefois que cette notion fait l'objet d'une interprétation restrictive en France (35) et qu'en particulier, le caractère circonscrit du groupe social est dénué de fondement, puisque la Convention de Genève ne fait pas référence à la dimension limitée du groupe, en évoquant également en ce sens les travaux du HCR sur les persécutions liées au genre (36). Selon le rapport précité sur Le droit d'asile au féminin (2011), il semblerait que les autorités requièrent généralement, concernant la notion de groupe social, que les demandeurs aient manifesté publiquement leur opposition à certaines pratiques (mutilations génitales féminines, mariage forcé, violences conjugales, etc.). Or, « dans la plupart des cas, ce critère pouvant être difficilement rempli, les autorités concluent à la non application de la Convention de Genève et se replient sur la protection subsidiaire. De fait, une interprétation plus large de la définition de l'appartenance au groupe social pourrait faire évoluer cette pratique. »

Il a également été souligné, au cours des travaux de la Délégation, que le HCR retenait une définition plus large de cette notion, fondée sur l'existence de caractéristiques communes ou sur la perception par la société environnante, tandis que pour le Conseil d'État, en s'appuyant sur la directive « qualification », ces deux conditions doivent être cumulatives (cf. infra, concernant la prostitution).

Si les demandes motivées par des persécutions liées au genre peuvent être très diverses, l'analyse de la jurisprudence sur trois types de violences sexuées -mutilations sexuelles féminines, mariage forcé et prostitution - permet de mieux cerner les contours de cette notion de groupe social et, au-delà, de mesurer les avancées mais aussi plusieurs limites en matière de prise en compte du genre dans le système d'asile français, à travers la notion de groupe social. S'agissant de l'interprétation de la portée des décisions jurisprudentielles évoquées ci-après, il convient par ailleurs de rappeler que l'examen des demandes d'asile par l'OFPRA, puis le cas échéant par la CNDA en appel, se font toujours au cas par cas.

● Les mutilations sexuelles féminines

Les mutilations sexuelles féminines, notamment l'excision (37), constituent l'une des violations les plus barbares des droits fondamentaux des femmes, qui traduisent une domination physique et psychologique exercée sur les jeunes filles et sur les femmes. Ces mutilations portent atteinte à la dignité de la personne et constituent de graves atteintes à son intégrité physique, que nul droit à la différence, nul respect d'une identité culturelle ne saurait légitimer, comme l'a encore rappelé récemment la CNCDH (38), dont la Délégation a auditionné la vice-présidente.

En France, les demandes d'asile évoquant des craintes en rapport avec ces pratiques sont majoritairement déposées par des femmes ou parents d'origine africaine (Mali et Guinée notamment). La jurisprudence sur ce type de violences a sensiblement évolué au cours des dernières années.

En 2001, la Commission de recours des réfugiés (CRR, à laquelle a succédé la CNDA), a accordé pour la première fois le statut de réfugié à un couple de maliens qui entendait protéger leurs filles de la pratique de l'excision (« jurisprudence Sissoko (39) »), en reconnaissant que les requérants, « exposés (…) tant à des violences contre leurs personnes qu'au risque que leurs enfants soient excisés contre leur volonté », craignaient effectivement des persécutions au sens de la Convention de Genève. L'appartenance à un certain groupe social tenait à plusieurs éléments : la transgression de la norme coutumière de l'excision et l'attitude de la société à l'égard de cette pratique ainsi que la capacité effective des autorités nationales à offrir une protection.

Cependant en 2008, dans le contexte d'une forte croissance des demandes, et de la crainte invoquée d'un « détournement de procédure », l'OFPRA a refusé la protection aux parents d'enfants nés en France, ne reconnaissant à l'enfant, au mieux, que la protection subsidiaire. La CNDA, par plusieurs décisions du 12 mars 2009 (40), a validé cette interprétation en invoquant deux arguments : l'âge de l'enfant, qui ne pourrait manifester son refus d'être excisé, et le fait que les parents ne transgressaient pas la coutume de l'excision puisqu'elle est pénalement réprimée en France, en reconnaissant toutefois que les parents devaient bénéficier de la protection subsidiaire dès lors que cette protection était octroyée à l'enfant (41).

Le rapport précité sur les demandes d'asile liées au genre en Europe, publié en 2012, considérait comme une « mauvaise pratique » le fait que les autorités françaises adoptent une position ambiguë en la matière (cf. extrait ci-après).

Mutilations sexuelles féminines et droit d'asile : pratiques en Europe

« Bonne pratique : au Royaume-Uni, les lignes directrices sur le genre du Border Agency (UKBA) observent que « les mutilations génitales féminines sont, par exemple, largement pratiquées dans certaines sociétés, mais qu'il s'agit d'une forme de violence fondée sur le genre infligeant de graves souffrances, mentales et physiques, et équivalant à une persécution.

Mauvaise pratique : les autorités françaises adoptent une position ambiguë en la matière. Bien que plusieurs décisions reconnaissent que la mutilation génitale féminine équivaut à une persécution, la juridiction d'appel a déclaré en 2009 que les filles nées en France ne seraient prises en considération que pour une protection subsidiaire et que leurs parents ne bénéficieraient d'aucune protection dans la mesure où le risque de voir leur fille soumise à une mutilation génitale féminine contre leur volonté n'est pas dirigé contre eux. Dans la pratique, la majorité des demandes liées à une mutilation génitale féminine sont désormais interprétées tant en première qu'en deuxième instance dans le cadre de la protection subsidiaire. Cela est essentiellement dû au manque de sensibilité à la dimension de genre dans l'interprétation des motifs conventionnels. »

Source : « Les demandes d'asile liées au genre en Europe », étude financée par la Commission européenne dans le cadre du projet Gensen, Parlement européen, 2012

Une inflexion importante est toutefois intervenue récemment. Le 21 décembre 2012 (42), l'assemblée du contentieux du Conseil d'État a en effet rendu trois décisions de principe relatives à la protection au titre de l'asile (statut de réfugié ou protection subsidiaire) des jeunes filles susceptibles de subir des mutilations sexuelles (excision). Le Conseil d'État a considéré qu'une petite fille ou une adolescente pouvait, sous certaines conditions, se voir reconnaître la qualité de réfugiée à raison du risque d'être exposée à la pratique de l'excision dans le pays dont elle a la nationalité. Le Conseil d'État a considéré que « dans une population dans laquelle les mutilations sexuelles féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale, les enfants et les adolescentes non mutilées constituent de ce fait un groupe social » au sens de la convention de Genève. Du fait de l'appartenance à un tel groupe et à raison des risques qu'elle encourt personnellement dans le pays dont elle a la nationalité, l'enfant peut se voir reconnaître la qualité de réfugiée, et le fait d'être née hors de son pays d'origine ne fait pas obstacle à l'octroi de cette protection.

La protection des fillettes et jeunes filles exposées à cette pratique est ainsi clarifiée dans le sens de la meilleure protection applicable, dans la mesure où, si elles sont issues d'une population où l'excision est la norme sociale (par exemple, la Guinée ou le Mali), elles peuvent se voir admettre au statut de réfugié en tant que membre d'un groupe social lorsqu'elles sont exposées à des craintes personnelles de mutilation génitale. Dans les cas où le groupe social n'est pas caractérisé au regard de l'information disponible sur le pays d'origine, l'OFPRA examine l'éligibilité à la protection subsidiaire. Plus de 3 000 petites filles et jeunes femmes sont aujourd'hui protégées par l'OFPRA contre le risque d'excision, selon le rapport d'activité 2013 de l'office.

S'agissant des parents d'enfants exposées à un risque d'excision, le Conseil d'État a estimé qu'ils pouvaient eux-mêmes prétendre au statut de réfugié ou à la protection subsidiaire seulement s'il était établi qu'ils encourent personnellement un risque de persécutions ou de mauvais traitements dans leur pays d'origine du fait de leur opposition aux mutilations sexuelles. Hors de ce cas, les parents d'une enfant réfugiée ne peuvent prétendre pour eux-mêmes à aucune protection. Ces décisions reviennent ainsi sur la jurisprudence antérieure de la CNDA (12 mars 2009), en application de laquelle la protection subsidiaire était accordée à l'enfant ou à l'adolescente mais aussi, par ricochet, au parent en situation irrégulière sur le plan du séjour au nom de l'unité familiale. Dans certains cas ne répondant pas aux critères de la nouvelle jurisprudence, l'OFPRA pourra continuer à accorder aux enfants la protection subsidiaire. Afin que la protection accordée à leur enfant mineure puisse être effective et que l'unité familiale soit maintenue sur le territoire français, la circulaire du 5 avril 2013(43) prévoit que les autorités préfectorales délivrent une carte temporaire de séjour portant la mention « vie privée et familiale » (VPF).

Concernant l'évolution de la jurisprudence en matière d'excision, le HCEfh, dans sa contribution précitée de novembre 2013, a salué une « avancée majeure du droit », en estimant cependant qu'elle comportait des limites et que les décisions du Conseil d'État étaient susceptibles d'entraver la protection jusqu'à présent octroyée aux parents de ces jeunes filles au titre de la protection subsidiaire (cf. encadré ci-après). Lors de son audition par la Délégation, Mme Isabelle Gillette-Faye, sociologue et directrice de la Fédération nationale des GAMS (groupes pour l'abolition des mutilations sexuelles et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants) a aussi souligné à cet égard que « si l'asile conventionnel est accordé à l'enfant, la mère (…) n'est plus protégée, car le titre de séjour est moins protecteur que l'asile conventionnel ».

Les décisions du Conseil d'Etat de décembre 2012 en matière d'excision : une avancée majeure qui comporte cependant plusieurs limites selon le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh)

« Ces décisions ouvrent l'accès de ces personnes au statut de réfugié en considérant les femmes et les jeunes filles exposées à un risque de mutilations sexuelles comme un groupe social au sens de la Convention de Genève. Cette avancée majeure du droit comporte cependant des limites et les décisions du Conseil d'État sont susceptibles d'entraver la protection jusqu'à présent octroyée aux parents de ces jeunes filles au titre de la protection subsidiaire. Le Haut Conseil rejoint ainsi la lecture que fait la CIMADE de ces décisions importantes, en pointant les risques que comportent les aspects suivants :

- la nécessité pour les personnes concernées de fournir l'ensemble des éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques, sociologiques relatifs aux risques qu'elle encourt personnellement de manière à permettre à l'OFPRA et, le cas échéant au juge de l'asile d'apprécier le bien-fondé de se demande ;

- l'ouverture par le Conseil d'État de la possibilité de refuser la protection s'il existe la possibilité “d'une protection sur une partie du territoire (du) pays d'origine si cette personne n'a aucune raison de craindre d'y être persécutée ou d'y être exposée à une atteinte grave et s'il est raisonnable d'estimer qu'elle peut rester dans cette partie du pays ” ;

- le rejet du pourvoi de la mère et donc de l'octroi du statut de réfugié au titre de l'appartenance subsidiaire à un groupe social, plaçant les parents soustrayant leurs filles à un risque d'excision dans une situation de précarité accrue (les parents deviennent titulaires d'un titre de séjour « VPF » mais sont soumis au délai de 5 ans de résidence ininterrompue sur le territoire pour pouvoir bénéficier du RSA et doivent en outre quitter le CADA, s'ils en ont bénéficié, dans un délai d'un mois seulement après la décision définitive de l'OFPRA ou de la CNDA). Un vide renforcé par la troisième décision rendue par le Conseil d'État, qui annule l'octroi de la protection subsidiaire à la mère d'une fillette risquant de subir une mutilation sexuelle. »

Source : HCEfh, contribution à la concertation sur la réforme du droit d'asile (novembre 2013)

● Mariages forcés

Par une décision du 29 juillet 2005 (44), la CRR avait reconnu l'existence du groupe social des femmes qui entendent se soustraire à un mariage forcé à certaines conditions : leur attitude de refus du mariage forcé perçue par tout ou partie de la population comme transgressive des coutumes et lois en vigueur, et le refus ou l'incapacité des autorités du pays à les protéger face aux persécutions subies ou à venir.

Différentes décisions de la CNDA sont venus confirmer cette jurisprudence, par exemple, en novembre 2009, concernant une jeune femme guinéenne qui s'était opposée à la décision de la marier à un homme âgé polygame et avait subi de nombreuses violences et séquestration de la part de son père, puis de son conjoint (45). La Cour lui a accordé le statut de réfugié, estimant qu'elle avait « transgressé les codes et coutumes de la communauté à laquelle elle appartient » et qu' « elle s'est trouvée exposée à des persécutions de la part de membres de sa famille, que les autorités guinéennes qu'elle a sollicitées n'ont pas été en mesure de lui apporter une protection contre les pratiques dont elle a été victime ».

La jurisprudence sur ce type de violences a toutefois été infléchie suite à la décision du Conseil d'État, fin 2011 (46), concernant une jeune femme de nationalité turque victime d'un mariage forcé. Alors que la CNDA s'était « fondée sur le fait que l'intéressée, de nationalité turque et d'origine kurde, a subi de nombreux mauvais traitements de la part de ses demi-frères issus du premier mariage de son père, après le décès de ce dernier et sur le fait que ses demi-frères lui ont imposé un mariage forcé », le Conseil d'État a en effet considéré que la CNDA avait commis une erreur de droit « en se fondant sur ces motifs, qui caractérisent un conflit familial à caractère individuel et non des craintes fondées sur l'appartenance à un groupe social victime de persécutions au sens de l'article 1er de la Convention de Genève ».

Or la frontière entre la reconnaissance d'un groupe social et le conflit à caractère individuel peut être ténue, avec là aussi le risque de glissement progressif du statut de réfugié vers la protection subsidiaire pour certaines persécutions liées au genre. Par ailleurs, la CNDA peut s'appuyer sur l'existence de lois interdisant les mariages forcés dans un pays d'origine pour refuser le statut de réfugié (47), mais l'application effective de celles-ci doit également être prise en compte.

● Prostitution et traite des êtres humains

Lors de son audition par la Délégation le 22 octobre dernier, la vice-présidente de la CNCDH, Mme Catherine Teitgen-Colly, a souligné que la CNDA avait rendu « des décisions extrêmement intéressantes reconnaissant le statut de réfugié à des femmes contraintes à la prostitution par des réseaux, principalement des femmes africaines ».

En effet, alors que les victimes de la traite bénéficiaient jusqu'alors, au mieux, de la protection subsidiaire, la CNDA a accordé le statut de réfugiée à une femme nigériane, originaire de l'État d'Edo, en avril 2011 (48), en reconnaissant son appartenance à un certain groupe social. Par deux décisions du 15 mars 2012 et du 12 juillet 2012, la CNDA a également accordé le statut de réfugié à deux femmes de nationalités kosovare et ukrainienne, victimes d'un réseau de prostitution. Le HCR s'est ainsi félicité de cette évolution de la jurisprudence française en juin 2012 (49).

Cependant, la décision précitée du 29 avril 2011 a été cassée par le Conseil d'État, le 25 juillet 2013, et renvoyée à la CNDA, au motif qu' « en jugeant les femmes victimes de réseaux de trafics d'êtres humains et ayant activement échappé à leur emprise constituaient bien un groupe social sans rechercher si, au-delà des réseaux de proxénétisme les menaçant, la société environnante ou les institutions les percevaient comme ayant une identité propre, constitutive d'un groupe social au sens de la convention », la Cour avait commis une erreur de droit.

Autrement dit, comme l'a précisé Mme Teitgen-Colly, la CNDA n'aurait pas dû se contenter de constater l'emprise de réseaux de traite, mais rechercher également comment sont perçues les victimes des réseaux forcés dans la société locale environnante. En invoquant des dispositions issues de la directive « qualification », le Conseil d'État a ainsi retenu une définition du groupe social, selon laquelle il faudrait cumuler deux conditions (caractéristiques communes et perception par la société) pour établir l'existence d'un groupe social, alors que ce n'est pas la position du HCR, pour lequel il peut s'agir de l'une ou de l'autre (50), comme la vice-présidente de la CNCDH l'a fait observer lors de son audition. Il conviendra donc de suivre attentivement quelle sera la position de la CNDA sur ce type de violences au cours des prochains mois.

Au-delà de l'excision, des mariages forcés et de la traite, il existe différentes persécutions et violences sexuées, qui peuvent également faire l'objet d'interprétations restrictives, en France ou en Europe, et auxquelles votre rapporteure estime nécessaire de porter une attention particulière, telles que :

- l'avortement, la stérilisation forcés et les politiques coercitives en matière de planification familiale  (51) ;

- les menaces liées à des engagements militants en faveur des droits des femmes, et ce y compris concernant des hommes ;

- les menaces de crimes « d'honneur », les viols et violences sexuelles dans certains contextes, d'autant qu'ils peuvent être utilisés comme des formes de torture, ou encore des violences liées à l'ethnie ou aux engagements de femmes ;

- l'identité de genre ou transsexualisme - un ressortissant algérien s'est ainsi vu accorder à ce titre le statut de réfugié en 1997 (52) - et l'orientation sexuelle.

Sur ce dernier point, selon l'ARDHIS (Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transsexuelles à l'immigration et au séjour) et une étude de Claudie Lesselier sur les lesbiennes et le droit d'asile présentée en 2009 (53), il ressortirait des témoignages et des décisions de la CRR/CNDA que la question de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre est abordée principalement sous l'ange de l'homosexualité, majoritairement masculine, les termes mêmes de lesbienne et lesbianisme ne sont jamais utilisés.

Selon le HCEfh, qui a souligné une « prise en compte très imparfaite des motifs de demande liés à l'orientation sexuelles » (contribution précitée de 2013), cette absence fait la démonstration de deux difficultés majeures : la revendication ou non du lesbianisme par la demandeuse d'asile et sa prise en compte ou non comme motif de persécution. Selon la Coordination lesbienne de France, les lesbiennes auraient par exemple du mal à être reconnues comme telles, lors des procédures, notamment parce qu'elles ont pu être mariées (y compris de force) et ont pu avoir des enfants (y compris à la suite d'un viol).

Votre rapporteure tient enfin à rappeler que les femmes peuvent être victimes de plusieurs formes et motifs de persécutions qui se cumulent, et surtout, qu'au-delà des débats de principe sur la notion de groupe social, il conviendrait d'adopter une « approche holistique » en matière de persécutions liées au genre, dans le prolongement des préconisations du HCR, qui a insisté sur le fait que l'interprétation de chaque motif de persécution prévu par la Convention doit prendre en compte les questions de genre (54), et pas seulement « l'appartenance à un certain groupe social ».

DES OBSTACLES DANS LA PROCÉDURE D'ASILE ET DES CONDITIONS D'ACCUEIL PARFOIS INADAPTÉES

En 2009 (55), Jane Freedman, consultante pour le HCR, estimait qu'en France certains représentants administratifs et gouvernementaux restent farouchement opposés à l'inclusion de dispositions spécifiques sensibles au genre au nom du principe républicain de l'égalité devant la loi. En tout état de cause, les femmes rencontrent, de fait, des difficultés particulières lors de la procédure d'examen des demandes (1). Il convient néanmoins de saluer les progrès significatifs réalisés par l'OFPRA en matière de prise en compte des problématiques de genre (2). Par ailleurs, les conditions d'accueil des demandeuses d'asile s'avèrent parfois inadaptées (3).

Des difficultés particulières pour les femmes lors de la procédure d'examen des demandes d'asile

Ces difficultés tiennent principalement à la difficulté d'exprimer certaines violences et aux modalités de déroulement des entretiens à l'OFPRA, à l'information des demandeuses d'asile mais aussi au recours à la procédure prioritaire (instruction pendant un délai réduit).

● Procédure prioritaire et pays d'origine sûrs

Actuellement, ce sont les préfectures qui sont chargées d'enregistrer les demandes d'asile, de prendre les empreintes digitales, de délivrer le formulaire qui devra être adressé à l'OFPRA et de délivrer les autorisations provisoires de séjour (APS) au titre de l'asile. Si la préfecture décide d'admettre au séjour une personne, l'OFPRA examinera sa demande en procédure normale ; si ce n'est pas le cas, sa demande sera instruite en procédure prioritaire, c'est-à-dire dans un délai réduit :

- en procédure normale, les demandeurs d'asile doivent adresser leur demande à l'Ofpra sous vingt-et-un jours et mettre par écrit leur récit. Il n'existe pas de délai fixe dans lequel l'OPFRA doit traiter la demande et en pratique les délais de décision sont supérieurs à quatre mois ; ce délai permet au demandeur de se préparer à l'entretien et d'appréhender la complexité de la procédure ;

- en procédure prioritaire, qui s'applique notamment aux ressortissants des « pays d'origine sûrs » (cf. infra), l'OFPRA statue dans les 15 jours de la transmission de la demande par la préfecture (délai ramené à 96 heures si le demandeur est placé en rétention administrative). En cas de rejet, le demandeur pourra introduire un recours auprès de la CNDA, mais celui-ci n'est pas suspensif.

Or le classement de demandes d'asile liées au genre en procédure prioritaire peut avoir de lourdes conséquences lors de l'instruction du dossier, car il s'agit souvent des dossiers complexes et qui touchent à l'intime, avec notamment des difficultés à relater certains faits ou apporter des éléments de preuve, et plus les délais sont courts, moins l'examen de la demande pourra se faire dans des conditions adéquates.

L'examen en procédure prioritaire

L'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) prévoit actuellement quatre cas dans lesquels le préfet peut refuser l'admission au séjour provisoire d'un demandeur d'asile :

- si l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application du Règlement « Dublin II » ;

- si le demandeur d'asile est originaire d'un pays figurant sur la liste des pays d'origine sûrs ou s'il a la nationalité d'un pays pour lequel on considère que les circonstances qui conduisaient à reconnaître la qualité de réfugié ont cessé d'existé (article 1.C.5 de la Convention de Genève) ;

- si la présence en France de cette personne constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'État ;

- si le préfet considère que la demande d'asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile ou n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente.

Pour les trois derniers cas, le refus d'admission au séjour (prérogative du préfet) entraîne la saisine de l'OFPRA en procédure prioritaire. L'OFPRA doit statuer dans un délai de 15 jours (ou 96 heures si le demandeur est placé en rétention administrative). Le demandeur bénéficie, comme en procédure normale, d'un examen individuel de sa demande et d'un entretien. La personne dont la demande d'asile est examinée en procédure prioritaire ne peut accéder à un centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) et son éventuel recours contre une décision de rejet de l'OFPRA n'est pas suspensif. Il offre donc la possibilité de procéder à un éloignement sans attendre la décision de la CNDA. Le service de l'asile ne dispose pas de suivi de la répartition des procédures prioritaires selon les différents motifs de placement. Il semblerait néanmoins que le recours au motifs de la menace de trouble à l'ordre public soit infinitésimal et que l'essentiel des procédures prioritaires relève du motif d'inscription sur la liste des pays d'origine sûrs.

Ce recours à la procédure prioritaire est d'autant plus contestable, pour les demandeuses invoquant des persécutions ou menaces graves liées au genre, qu'il repose pour partie sur une liste des « pays d'origine sûrs », qui est définie dans des conditions que votre rapporteure juge très peu prendre en compte la situation des femmes dans certains pays.

Il convient en effet de rappeler que ce concept de pays d'origine sûr a été introduit en 2003 dans la législation française, à l'article L. 741-4 du CESEDA qui dispose qu' « un pays est considéré comme tel s'il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'État de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». Le conseil d'administration de l'OFPRA établit une liste de pays pour lesquels les ressortissants ne sont pas admis au séjour et dont la demande d'asile est donc examinée en procédure prioritaire. Une première liste de pays d'origine sûrs a été établie en 2005 et a depuis été révisée plusieurs fois. Au 31 décembre 2013, la liste comportait 18 pays (56).

Les décisions du conseil d'administration de l'OFPRA ne semblent pas suffisamment tenir compte de la condition des femmes dans certains pays. Ainsi, le Conseil d'État a annulé en juillet 2010 une décision du conseil d'administration de novembre 2009 ajoutant plusieurs pays à la liste des pays sûrs, dont le Mali. Cette liste a dû être révisée car si le Mali pouvait rester un pays sûr pour les requérants de sexe masculin, la forte prévalence des mutilations sexuelles féminines devait conduire à ne plus le considérer comme tel pour les femmes. D'autres pays introduits récemment dans cette liste tels le Kosovo et l'Albanie peuvent également susciter des interrogations, compte tenu notamment des réseaux de prostitution dans ces pays. Au Kosovo par exemple, le « code de l'honneur » peut avoir des conséquences dramatiques sur la situation des femmes. Le Conseil d'État vient de retirer ce pays de la liste des pays d'origine sûrs, le 13 octobre 2014. Il a validé en revanche l'inscription de l'Albanie et de la Géorgie.

● Information des demandeuses d'asile

La question de l'accès à l'information est importante du fait de la complexité de la procédure d'asile, et particulièrement en cas de persécutions liées au genre qui ne rentrent pas dans la catégorie des persécutions « traditionnelles ».

En France, les informations de base sur la procédure d'asile doivent être fournies par les plates-formes d'accueil et d'orientation et les préfectures. Mais dans les faits, cette information semble être lacunaire. Le ministère de l'Intérieur publie un livret d'information mais il n'est pas systématiquement remis en préfecture. De plus, une étude de 2009 du HCR (57) relevait que ce livret ne mentionnait pas que les requérants ont la possibilité d'exprimer un choix quant au sexe de l'officier de protection et de l'interprète lors de l'entretien personnel à l'OFPRA, ou encore la possibilité de demander un huis-clos au niveau de la CNDA. Par ailleurs, il semble que les demandeuses d'asile accompagnées ne soient pas spécialement informées du fait qu'elles ont la possibilité d'introduire une demande séparée de leur conjoint. Enfin, le Guide d'accueil du demandeur d'asile ne comporte quasiment aucun développement concernant spécifiquement les femmes (excepté un passage sur les PMI et les centres de planification), alors qu'en Belgique par exemple, une brochure a été publiée à l'intention des demandeuses d'asile (cf. infra, au II du présent rapport).

● Déroulement des entretiens à l'OFPRA

Les femmes peuvent rencontrer plusieurs types de difficultés au cours des entretiens à l'OFPA, dans le cadre de l'instruction de la demande d'asile.

Tout d'abord, alors que le HCR insiste sur la nécessité d'un entretien personnel, en pratique, certaines femmes se présentent aux entretiens avec leur(s) enfant(s), faute de solution de garde. La confidentialité de l'entretien se trouve ainsi remise en cause. Ainsi, une jeune femme sri-lankaise demandant l'asile en France s'est vue contrainte à passer l'entretien de sa demande d'asile en présence de son fils de sept ans, en expliquant : « Il a tout entendu. À un moment, il m'a demandé s'il pouvait sortir parce que c'était trop dur à entendre pour lui (58) ». Selon le rapport précité sur Les demandes d'asile liées au genre en Europe, dont une synthèse est présentée en annexe n° 2 au présent rapport, parmi les différents pays faisant l'objet de l'étude, une garde d'enfants est proposée en Belgique et au Royaume-Uni.

En outre, compte tenu de la nature même des persécutions et violences de genre, qui relèvent de l'intime, avec des traumatismes souvent importants et le sentiment de honte qui peut y être associé, les demandeuses peuvent avoir des difficultés à relater les faits, dont il n'est d'ailleurs pas rare qu'ils soient révélés tardivement au cours de la procédure, ou encore tenir des propos incohérents. Aussi est-il particulièrement important d'accompagner ces femmes pour les aider à verbaliser les violences dont elles ont été victimes. Par ailleurs, pour certaines persécutions liées au genre, le peu de preuves généralement disponibles et l'important travail que nécessite le recueil de documents relatifs au contexte de la demande d'asile dans le pays d'origine, peuvent induire des difficultés supplémentaires pour l'établissement de la crédibilité de la demande. À cet égard, il est à noter que des cas de bonnes pratiques ont été relevés en Italie et à Malte où la charge de la preuve est réduite en cas de viol ou des violences liées au genre (cf. annexe n° 2 du présent rapport).

Par ailleurs, l'OFPRA offre en principe la possibilité de choisir le sexe de l'officier et de l'interprète : si la « légitimité » est avérée, l'office répondra ou non à cette requête, selon les disponibilités du personnel, mais aucune statistique n'existe à ce sujet. L'office ne fournit pas non plus de statistiques sur la répartition des interprètes ; il est à noter à cet égard que l'étude précitée de l'Observatoire de l'asile et des réfugiés (59) faisait état d'un mécontentement des personnes interrogées quant à leur interprète, qu'il soit de sexe masculin ou féminin.

Plus généralement, plusieurs rapports et associations ont relevé l'absence de lignes directrices sur la problématique du genre. L'étude précitée sur le droit d'asile au féminin estimait, en 2011, que la conduite des entretiens au sein de l'OPFRA était inappropriée à ces problématiques et témoignait d'un manque de moyens humains et financiers et d'un déficit de formation. Il convient toutefois de souligner que l'OFPRA a rédigé en 2000 un « Guide de l'entretien », qui donne des indications sur la façon de mener les entretiens et décrit des principes généraux sur la conduite à tenir lorsqu'un demandeur fait état de tortures ou est victime de traumatismes, et que plusieurs progrès significatifs ont été réalisés depuis lors. Selon l'étude européenne précitée, Malte, la Roumanie, la Suède et le Royaume-Uni avaient adopté en 2011 leurs propres lignes directrices nationales sur le genre en vue d'orienter les personnes chargées de statuer sur les demandes d'asile (cf. annexe n° 2 du présent rapport).

Des progrès concernant la prise en compte des problématiques de genre à l'OFPRA

Au cours de son audition par la Délégation, le président de la commission International du HCEfh a convenu que si le phénomène des violences de genre n'est pas encore appréhendé en tant que tel par l'ensemble de la chaîne du droit d'asile, néanmoins « l'OFPRA s'est saisi de ces questions, en particulier au regard de la formation de ses officiers ». Comme ont pu le constater votre rapporteure et la présidente de votre Délégation, plusieurs progrès ont été réalisés récemment, qui apparaissent de nature à favoriser une meilleure prise en compte de ces problématiques, en particulier sur les quatre points suivants.

● L'organisation d'actions de formation, en particulier sur l'accueil des récits de souffrance

Les réformes mises en œuvre à l'OFPRA, dans le cadre du plan d'action pour 2013-2016, s'accompagnent d'une politique de formation rénovée axée sur la professionnalisation et les attentes des agents et des services. Un comité de formation a été créé qui s'est réuni pour la première fois en novembre 2013 : son rôle est d'identifier les besoins de formation, de valider les programmes et de faire un bilan des formations suivies, avec un effort particulier sur la formation initiale des nouveaux agents et la volonté de renforcer l'aspect concret de l'apprentissage (ateliers d'appui aux méthodes de travail notamment). En particulier, un programme spécifique de formation à l'accueil des récits de souffrance, assuré par des associations spécialisées, a pu débuter dès le quatrième trimestre 2013 auprès d'un groupe d'agents instructeurs. Il concernera l'ensemble des officier-e-s de protection instructeurs et des chef-fe-s de section d'ici fin 2015.

La formation des agents de l'OFPRA sur l'accueil des récits de souffrance

Afin d'enrichir la formation des officiers de protection et de leur fournir des outils pour mieux appréhender les entretiens avec les demandeurs d'asile qui ont subi des traumatismes, une formation sur l'accueil des récits de souffrance est désormais dispensée aux agents instructeurs dans le cadre de la réforme en cours à l'office. Animée par Forum Réfugiés-Cosi et l'association belge Ulysse, spécialisée dans l'accompagnement des personnes exilées, cette session de formation d'une durée de deux jours a deux objectifs principaux : prendre en compte les difficultés ressenties par les demandeurs d'asile à délivrer un récit après un vécu traumatique et proposer aux officiers de protection instructeurs des outils de réflexion pour les aider dans ces situations.

Cette formation se décline autour de quatre thématiques principales : approches et définition du traumatisme ; accompagnement du demandeur dans son récit ; analyse et gestion de ses réactions pendant et après une situation stressante ; savoir se protéger psychologiquement. Le premier cycle de formation s'est déroulé en octobre 2013. Les groupes ont été constitués afin de favoriser le processus d'identification et la construction d'une identité de groupe le temps de la formation tout en permettant un échange d'expériences. Du côté des formateurs, cela a permis d'adapter les méthodes pour être au plus près des besoins de chaque groupe. Sept nouvelles sessions sont prévues afin que l'ensemble des 170 officiers de protection instructeurs puisse bénéficier de cette formation sur la période 2013-2015.

● La prise en compte des problématiques de genre dans le cadre des missions extérieures de l'OFPRA

En 2013 par exemple, l'OFPRA a organisé deux missions de recueil d'informations dans des pays d'origine, en partenariat avec la CNDA et avec l'appui financier du Fonds européen pour les réfugiés (FER) :

- la première mission s'est déroulée en Albanie du 3 au 13 juillet 2013. afin de recueillir des informations sur les problématiques sociétales qui sont régulièrement invoquées par les demandeur-se-s d'asile albanais, et notamment sur les violences faites aux femmes et la situation des personnes persécutées en raison de leur orientation sexuelle ;

- une seconde mission s'est rendue, entre le 30 juin et le 13 juillet 2013, en République démocratique du Congo, en République du Congo et en Angola, afin notamment de recueillir des informations complémentaires sur les problématiques de genre (violences faites aux femmes, situation des enfants, orientation sexuelle).

● La mise en place de groupes thématiques, en particulier sur les violences faites aux femmes et la traite, ainsi que d'outils d'appui à l'instruction

Dans le cadre de la mise en œuvre du plan d'action pour la réforme de l'OFPRA, cinq groupes thématiques ont été créés afin de renforcer la capacité de protection de l'office liée aux tortures, à la traite des êtres humains, aux violences faites aux femmes, à l'orientation sexuelle et aux mineurs isolés. Ces groupes ont également été institués dans la perspective de la transposition de la directive « qualification » intégrant les modalités d'instruction spécifiques pour les personnes vulnérables et la prise en compte du genre dans la notion d'appartenance à un groupe social (cf. supra).

Ces groupes, sous l'autorité d'un-e chef-fe de file, sont constitués d'agents particulièrement intéressés par ces besoins de protection ou ayant des connaissances spécifiques représentant l'ensemble des services. Ils ont vocation à élaborer les moyens de sensibilisation, de formation et des modalités particulières d'appui pour l'instruction de ces demandes, notamment au regard de la conduite des entretiens. À cet effet, les groupes thématiques tissent des relations avec les associations traitant de ces mêmes besoins.

Le groupe sur la traite des êtres humains a ainsi organisé une rencontre avec le coordinateur national « Traite » et la secrétaire générale de la MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains). Le groupe « orientation sexuelle » est en charge de l'élaboration de lignes directrices sur la conduite de l'entretien avec les personnes invoquant des craintes de persécutions en raison de leur orientation sexuelle et a engagé un travail avec les associations concernées et le HCR.

● La mise en place d'un comité d'harmonisation afin notamment de mieux prendre en compte la jurisprudence de la CNDA

Le comité d'harmonisation, constitué des principaux représentants des métiers de l'OFPRA (instruction, protection, appui juridique et documentaire), a pour mission d'unifier la doctrine et les différentes procédures internes et de veiller à leur mise en œuvre. Il est chargé de la programmation de la réflexion doctrinale, notamment en lien avec la jurisprudence de la CNDA, du suivi de l'application des décisions et orientations fixées, et pilote par ailleurs les différents groupes thématiques, concernant notamment la traite et les violences faites aux femmes (cf. infra). La saisine du comité d'harmonisation est ouverte à tous les agents et peut porter sur toute question d'intérêt général (60).

Ce comité vise ainsi à harmoniser la mise en œuvre du droit d'asile au sein de l'OFPRA et à mieux prendre en compte la jurisprudence de la CNDA, ce qui est particulièrement important pour les besoins de protection concernant les femmes, comme l'a souligné lors de son audition le directeur général de l'office, M. Pascal Brice.

Des conditions d'accueil inadaptées

En France, l'accueil des demandeur-se-s d'asile est régulé par le dispositif de premier accueil des demandeurs d'asile (PADA) et le dispositif national d'accueil (DNA), financés et pilotés par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), sous la tutelle du ministère de l'intérieur.

La gestion des plate-formes d'accueil et d'orientation et des centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) relevant de ces dispositifs est généralement déléguée à des organismes contractant avec le ministère de l'Intérieur. On observe de fortes divergences en termes de conditions d'hébergement et d'accompagnement des demandeurs d'asile entre les plates-formes et les CADA. Alors que les centres d'accueil offrent des solutions d'hébergement pérennes ainsi qu'un service d'assistance juridique et sociale individualisé, les plates-formes, qui reçoivent un nombre très important de personnes n'ont souvent d'autres solutions que d'orienter vers un nombre limité de places d'hébergement d'urgence et de fournir un service juridique et social minimum.

Au 31 décembre 2013, le réseau des CADA se composait de 264 centres ouverts d'une capacité d'accueil de 23 369 places, contre 21 410 en 2012, soit une hausse de 9,1 %. Cet élargissement de la capacité d'accueil du dispositif a été permis par l'ouverture des 2 000 places supplémentaires prévues par le plan de création de 4 000 nouvelles places annoncé par le Gouvernement, lors de la conférence nationale contre la pauvreté et pour l'inclusion des 10 et 11 décembre 2012. La capacité d'accueil des CADA devait ainsi être augmentée de 1 000 places en avril 2014 et de 1 000 autres places en décembre 2014. La durée moyenne de séjour en CADA est de 562 jours en 2013, avec un taux d'occupation de 98 %.

Lors de son audition par la Délégation, la directrice générale adjointe de l'OFII, Mme Arlette Vialle, a précisé qu'en CADA, il y avait au 30 septembre 2014, 23 941 personnes hébergées, dont 12 206 femmes, principalement des Russes (2 461), des Congolaises (1 744), des Albanaises (1 438) et des Kosovares (1 248). Votre rapporteure regrette cependant l'absence de toute donnée sexuée dans le rapport d'activité de l'OFII, pour ce qui concerne ses missions relatives aux demandeurs d'asile, s'agissant des CADA, mais aussi des plate-formes d'accueil, ce qui permettrait de suivre l'évolution dans le temps des femmes accueillies. Il serait également nécessaire de disposer de données plus fines sur le profil des personnes accueillies.

S'agissant de l'admission en CADA, Mme Arlette Vialle a précisé lors de son audition que des critères de priorité ont été définis par une circulaire de mai 2007 (61). Celle-ci identifie notamment les familles avec enfants et les femmes seules parmi les catégories de demandeurs bénéficiant en principe d'une priorité d'admission en CADA. Le cahier des charges du dispositif de premier accueil des demandeurs d'asile (PADA) 2010 précisait également qu'« une attention particulière doit être portée aux publics vulnérables (femmes seules avec enfants, demandeurs victimes de traumatismes etc.) ».

Interrogé à ce sujet au début de l'année 2011 (62), l'OFII estimait que des entretiens individuels effectués en début de procédure devraient permettre d'évaluer la situation et en fonction de la vulnérabilité de la personne de lui accorder la priorité pour une admission en CADA. Cependant, il n'est pas certain que les plates-formes disposent de fait des moyens et de la formation nécessaires à l'identification et l'orientation des personnes vulnérables, parmi lesquelles les victimes de persécutions liées au genre. De plus, les places d'hébergement en CADA risquent d'être en nombre insuffisant au regard des besoins. À cet égard, selon un rapport d'inspection récent (63), 38 779 demandeurs d'asile restaient en attente d'un hébergement en CADA au 20 décembre 2012, dont plus de 41 % recensés comme prioritaires au sens de l'OFII. Il s'agit majoritairement de demandeur-se-s d'asile isolé-e-s (environ les deux tiers des demandeurs en attente).

COMPOSITION DE LA POPULATION DES DEMANDEURS D'ASILE ÉLIGIBLES EN ATTENTE D'HÉBERGEMENT AU 20 DÉCEMBRE 2012

Adultes

86 %

Mineurs accompagnants

14 %

 

Isolés

67 %

Familles

33 %

 

Hommes adultes

65 %

Femmes adultes

21 %

Filles

6 %

Garçons

8 %

Source : rapport de l'IGAS-IGA-IGF sur l'hébergement et la prise en charge financière des demandeurs d'asile (2013)

Il a été indiqué à votre rapporteure que les femmes seules rencontrent davantage de difficultés à accéder au CADA - situation qui les expose à des risques au regard des réseaux de traite. Avant l'arrivée en CADA, certaines femmes, notamment les femmes isolées, se retrouvent dans des situations de vulnérabilité extrême du fait d'un hébergement précaire et d'un niveau insuffisant d'aide matérielle. Certaines sont hébergées chez des membres de leur famille, amis, membres de la communauté, voire chez des personnes rencontrées au hasard dans la rue. Ces femmes sont particulièrement concernées par les risques d'abus sexuel ou d'exploitation par les personnes qui les hébergent. Par manque de places proposées, les demandeur-se-s d'asile se tournent aussi vers le 115 pour accéder au dispositif de droit commun destiné à l'hébergement des personnes sans-abri (Samu social, etc.), avec là aussi une exposition aux risques d'agressions, sexuelles notamment. Parfois, lorsque les places d'urgence manquent aussi, ces femmes dorment dans la rue.

La situation est différente en CADA. D'après l'étude précitée de décembre 2011, d'une manière générale, les demandeuses d'asile sembleraient globalement satisfaites de leur hébergement en CADA. Cependant, une étude publiée en 2008 (64) faisait état d'une forte fréquence des cas de violences domestiques chez les familles hébergées en centres d'accueil. Selon l'OFII, en cas de violence en CADA, le personnel dirigeant peut prendre des mesures disciplinaires telles que la rupture du contrat de résidence, et pourra éventuellement demander le transfert de la victime vers un autre centre. S'il n'y a pas de centres d'accueil spécialisés pour les demandeuses d'asile victimes de violences, qui sont orientées vers les dispositifs de droit commun correspondant à leur situation, il existe des centres d'accueil sécurisés (adresses confidentielles) destinés aux victimes des réseaux de prostitution, gérés par le dispositif national d'accueil et de protection des victimes de la traite des êtres humains (Ac.Sé).

En rétention, univers masculin - les femmes représentent en 2012 7,8 % des placements en rétention, et le personnel des centres est aux trois quarts masculin -  les femmes peuvent se retrouver en situation de vulnérabilité du seul fait de leur sexe, exposées aux harcèlements, agressions sexuelles, situations de prostitution, violences conjugales, etc. Certes, dans les centres de rétention administrative (CRA), afin d'éviter de tels actes, les femmes et les hommes isolés sont généralement séparés par des ailes réservées. Toutefois, en journée, femmes et hommes partagent les mêmes pièces pour les repas et le temps libre. L'étude mentionnée relève que les « cas de comportements limites à l'égard des femmes isolées », actes de violence psychologique qui touchent les femmes particulièrement, sont courants en centre de rétention administrative (CRA). Aucun mécanisme de protection ou de plainte n'est spécifiquement prévu pour les victimes de harcèlement ou de violences en rétention, même si en théorie, les victimes ont la possibilité de porter plainte auprès de la police.

À l'ensemble de difficultés spécifiques aux femmes, s'ajoutent également celles communes à l'ensemble des demandeurs d'asile, qui tiennent notamment à la complexité du système actuel (cf. schéma ci-après) et à la longueur des délais pour l'examen des demandes, et qui appellent une réforme d'ensemble du système d'asile, aujourd'hui à bout de souffle, comme le propose le présent projet de loi.

SCHÉMA DÉCRIVANT LE PARCOURS DES DEMANDEUR-SE-S D'ASILE EN L'ÉTAT ACTUEL DU DISPOSITIF D'ACUEIL

II. - UNE RÉFORME DONT L'ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES DOIT CONSTITUER UN AXE CENTRAL

Le projet de loi prévoit de réformer en profondeur le droit de l'asile, selon deux axes indissociables : renforcer les garanties des personnes ayant besoin d'une protection internationale et statuer rapidement sur les demandes d'asile.

Tout d'abord, les garanties des demandeurs d'asile sont renforcées à tous les stades de la procédure : enregistrement plus rapide de leur demande ; présence d'un conseil lors de l'entretien avec un officier de protection ; meilleure prise en compte des vulnérabilités ; généralisation de l'effet suspensif des recours contre les décisions refusant l'asile. D'autre part, le projet de loi institue de nouvelles procédures d'examen rapide des demandes, entourées de garanties. Une nouvelle procédure accélérée, qui remplace l'actuelle procédure prioritaire, sera mise en œuvre par ou sous le contrôle de l'OFPRA. L'office, dont les moyens seront en outre accrus, doit ainsi être en mesure d'assurer un traitement plus rapide des demandes d'asile. Les procédures contentieuses sont également revues, notamment par la création d'une procédure de recours suspensif, procédure accélérée devant un juge unique de la CNDA en cinq semaines. Le délai de jugement en procédure normale imparti à la CNDA, qui voit réaffirmé son rôle de juge de l'asile, est fixé à cinq mois - l'objectif étant de parvenir à un examen des demandes d'asile dans un délai moyen de 9 mois.

Ce texte a également pour objet de rendre les conditions d'accueil des demandeurs d'asile plus justes et plus équitables, mais aussi plus directives. Ceci implique de mettre en place, comme l'ont fait bon nombre de pays de l'Union européenne, un dispositif d'hébergement contraignant permettant d'affecter le demandeur d'asile dans une autre région que celle où il se présente. En cas de refus de l'hébergement proposé, le demandeur perdra son droit aux allocations. Par ailleurs, le dispositif d'hébergement fera l'objet d'une montée en charge progressive, pour généraliser le modèle du CADA et les allocations perçues seront unifiées et tiendront compte de la composition familiale. Le projet de loi tend enfin à mieux définir et à renforcer les droits du bénéficiaire de la protection en matière d'accès aux droits, de réunification familiale et de documents de voyage, éléments essentiels de l'intégration à la société française.

Ce projet, qui n'est qu'un élément d'une réforme ambitieuse de l'asile, s'efforce ainsi de concilier le renforcement des garanties ouvertes aux demandeurs d'asile et la création d'instruments adaptés permettant d'accélérer les délais de traitement des demandes, afin de sauvegarder la tradition française de l'asile. Il comporte plusieurs avancées au regard des problématiques de genre, qui nécessitent toutefois d'être précisées et complétées pour ce qui concerne les conditions d'octroi de l'asile (A), la procédure d'examen (B) et les conditions d'accueil des demandeur-se-s d'asile (C).

CONDITIONS D'OCTROI DE L'ASILE

Le projet de loi comporte sept chapitres, dont le chapitre Ier relatif aux conditions d'octroi de l'asile, qui vise à transposer certaines dispositions de la directive « qualification » du 13 décembre 2011.

Une meilleure prise en compte du genre dans les actes et motifs de persécution susceptibles de justifier l'octroi du statut de réfugié-e

L'article 2 du projet de loi prévoit d'insérer quatre nouveaux articles concernant le statut de réfugié dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (articles L. 711-2 à L. 711-5 du Ceseda).

Les dispositions prévues par le projet de loi (article 2)

Lors de l'instruction de la demande d'asile, les autorités vont chercher à vérifier si les actes de violence évoqués constituent une persécution, au sens de l'article 1er (section A) précité de la Convention de Genève, et examiner ensuite les raisons de ces craintes au regard des motifs conventionnels (au nombre de cinq, cf. supra), pour accorder le cas échéant le statut de réfugié-e.

L'article 2 du projet de loi porte sur les notions d'actes et de motifs de persécution et renvoie directement aux articles 9 et 10 de la directive « qualification » pour apprécier ces actes et motifs (65).

L'article 9 de la directive précise en effet les formes que peuvent prendre les actes de persécution, en mentionnant notamment : « a) les violences physiques ou mentales, y compris les violences sexuelles » ;  « b) les mesures légales, administratives, de police et/ou judiciaires qui sont discriminatoires en soi ou mises en œuvre d'une manière discriminatoire » ; « f) les actes dirigés contre des personnes en raison de leur genre ou contre des enfants ». Ces dispositions s'inscrivent ainsi en cohérence avec la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite « Convention d'Istanbul », ratifiée par la France en juillet 2014 (cf. supra), qui prévoit notamment que les États prennent les mesures nécessaires pour que la violence à l'égard des femmes fondée sur le genre puisse être reconnue comme une forme de persécution (cf. supra).

Par ailleurs, après avoir énuméré, à l'article 9, les actes de violence concernant directement ou indirectement les femmes, la directive vient préciser les motifs de persécution, dans son article 10, dont le premier paragraphe est reproduit ci-après et auquel fait référence l'article 2 du présent projet de loi.

Les dispositions prévues par l'article 10.1 de la directive « qualification » de 2011

« 1. Lorsqu'ils évaluent les motifs de persécution, les États membres tiennent compte des éléments suivants :

a) la notion de race recouvre, en particulier, des considérations de couleur, d'ascendance ou d'appartenance à un certain groupe ethnique ;

b) la notion de religion recouvre, en particulier, le fait d'avoir des convictions théistes, non théistes ou athées, la participation à des cérémonies de culte privées ou publiques, seul ou en communauté, ou le fait de ne pas y participer, les autres actes religieux ou expressions d'opinions religieuses, et les formes de comportement personnel ou communautaire fondées sur des croyances religieuses ou imposées par ces croyances ;

c) la notion de nationalité ne se limite pas à la citoyenneté ou à l'inexistence de celle-ci mais recouvre, en particulier l'appartenance à un groupe soudé par son identité culturelle, ethnique ou linguistique, ses origines géographiques ou politiques communes, ou sa relation avec la population d'un autre État ;

d) un groupe est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier :

- ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l'identité ou la conscience qu'il ne devrait pas être exigé d'une personne qu'elle y renonce, et

- ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu'il est perçu comme étant différent par la société environnante.

En fonction des conditions qui prévalent dans le pays d'origine, un groupe social spécifique peut être un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle. Il convient de prendre dûment en considération les aspects liés au genre, y compris l'identité de genre, aux fins de la reconnaissance de l'appartenance à un certain groupe social ou de l'identification d'un tel groupe ;

e) la notion d'opinions politiques recouvre, en particulier, les opinions, les idées ou les croyances dans un domaine lié aux acteurs de la persécution visés à l'article 6, ainsi qu'à leurs politiques et leurs méthodes, que ces opinions, idées ou croyances se soient ou non traduites par des actes de la part du demandeur. »

Cette référence dans la loi aux deux articles précités de la directive « qualification » devrait ainsi ouvrir la voie à une reconnaissance de la qualité de réfugiée plus aisée pour les femmes et à une évolution possible de la jurisprudence, en reconnaissant pleinement comme des formes de persécution les violences sexuelles et les actes dirigés contre des personnes en raison de leur genre, en clarifiant la notion d'appartenance à un certain groupe social et en explicitant l'ensemble des motifs de persécution Votre rapporteure se félicite de cette avancée permise par le projet de loi et propose de la compléter ou de la préciser sur quelques points.

Les propositions de la Délégation concernant l'interprétation des motifs d'asile au regard du genre

Il convient tout d'abord de rappeler que plusieurs pays européens se sont dotés de lignes directrices régissant les pratiques en matière de genre, selon les modalités présentées ci-dessous.

Les lignes directrices nationales sur le genre dans certains pays

Le premier pays ayant adopté des lignes directrices régissant la pratique du droit d'asile en matière de genre fut le Canada (1993), suivi par les États-Unis et l'Australie. En Europe, seuls le Royaume-Uni, la Suède, les Pays-Bas et la Norvège ont adopté ce type de lignes directrices à proprement parler. D'autres pays, comme la Belgique par exemple, ont également identifié des équipes spécifiquement chargées du suivi des problématiques de genre au sein de l'autorité administrative responsable du traitement des demandes d'asile. Cette démarche permet de centraliser l'expertise sur les problématiques de genre et de soutenir le travail des agents chargés de l'examen des demandes. Dans l'ensemble de ces pays, les lignes directrices du HCR représentent un outil clé pour tous les acteurs de l'asile (cf. le rapport comparatif du projet Gensen précité pour un aperçu détaillé des législations et des pratiques européennes).

Source : « Le droit d'asile au féminin », étude de l'Observatoire de l'asile et des réfugiés (FTA), décembre 2011

En novembre 2013, le HCEfh a recommandé d'adopter et de mettre des lignes directrices sur le genre, dans l'ensemble des dispositifs législatifs, procédures administratives ainsi qu'au niveau des pratiques, fondées sur les trois textes de référence du HCR sur les persécutions liées au genre (2008), les demandes liées à la l'orientation sexuelle (2008) et les mutilations sexuelles féminines (2009). Il suggérait également d'assurer la mise en œuvre cohérente et uniforme de ces lignes directrices sur l'ensemble du territoire, notamment dans le scénario d'un pilotage déconcentré des politiques de l'asile.

Les travaux récents de l'OFPRA dans le cadre des groupes thématiques (par exemple, le groupe sur l'orientation sexuelle qui est chargé de l'élaboration de lignes directrices sur la conduite de l'entretien avec les personnes invoquant des craintes de persécutions en raison de leur orientation) et des outils d'aide à l'instruction sont très intéressants de ce point de vue. En tout état de cause, il convient de veiller à la qualité et à l'harmonisation des pratiques.

Recommandation n° 1 : Élaborer des principes directeurs concernant la prise en compte du genre en matière d'asile, après concertation, pour préciser les pratiques.

De façon générale, les représentant-e-s du HCEfh entendu-e-s par la Délégation ont estimé que, dans le présent projet de loi, les références aux trois directives européennes de 2011 et 2013 restaient limitées et peu explicites. Concernant la rédaction de l'article 2 du projet de loi, la vice-présidente de la CNCDH, Mme Catherine Teitgen-Colly a fait observer que la rédaction du projet de loi était de nature à rendre le texte peu lisible, avec notamment des renvois aux directives européennes, et s'agissant particulièrement du renvoi à l'article 10 de la directive « qualification ».

En tout état de cause, le HCEfh (66) ainsi que plusieurs associations, telles que France Terre d'asile, ont proposé d'expliciter la notion de groupe social dans la loi et de s'appuyer sur les principes directeurs du HCR. A minima, à la fois pour plus de clarté de la loi et pour marquer l'importance de cette question, il conviendrait de transcrire directement, à l'article 2 du projet de loi, la nécessaire prise en compte du genre dans la définition du groupe social.

Recommandation n° 2 : Poser explicitement dans la loi le principe selon lequel  les aspects liés au genre doivent être dûment pris en considération aux fins de l'appartenance à un certain groupe social ou de l'identification d'une caractéristique d'un tel groupe, conformément à l'article 10 de la directive « qualification ».

Par ailleurs, l'appartenance à un groupe social ne doit pas devenir l'option « par défaut » pour toutes les demandes d'asile liées au genre. Au demeurant, les principes directeurs du HCR sur les persécutions liées au genre invitent les États à interpréter les cinq motifs de la Convention de Genève de manière sensible au genre, y compris par exemple la « race » (67) ou la religion (68). L'association France terre d'asile a notamment préconisé l'application d'une perspective de genre dans l'examen des demandes basées sur tous les motifs conventionnels afin d'introduire en droit un régime d'asile juste et protecteur pour toutes et tous, en adéquation avec les textes ratifiés par la France.

Dans ce sens, votre rapporteure formule la recommandation suivante, qui permettrait également de rappeler le principe posé par la Convention d'Istanbul.

Recommandation n° 3 : Veiller à ce que les autorités appliquent une interprétation sensible au genre des motifs de persécution définis par la Convention de Genève, conformément aux instruments pertinents applicables tels que la Convention d'Istanbul et les principes directeurs du HCR.

Par ailleurs, le combat des femmes pour leur liberté et leurs droits doit être considéré au même titre que les hommes. L'étude précitée sur les demandes d'asile liées au genre en Europe dressait le constat, en 2011, qu'en France, la pratique semblait se détériorer dans ce type de demandes. Par exemple, même si certaines femmes algériennes, afghanes ou iraniennes menacées pour avoir adopteì un style de vie « occidental » ou pour avoir défendu les droits des femmes se sont vu accorder le statut de réfugiéì sur le fondement des opinions politiques aÌ la fin des anneìes 1990 et début des années 2000, « ce type d'interprétation semble plus rare de nos jours » - au mieux, les femmes qui fuient une telle situation bénéficieraient plutôt d'une protection subsidiaire.

Il convient à cet égard de rappeler qu'aux termes de l'article L. 711-1 du Ceseda, « la qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté » (asile constitutionnel, cf. les dispositions du Préambule de la Constitution de 1946 évoquées supra). Sur ce fondement, la qualité de réfugié a par exemple été accordée à un homme originaire du Bangladesh qui militait activement en faveur de la défense des droits des femmes, en juin 2012.

Asile constitutionnel et militantisme actif en faveur de la défense des droits des femmes : exemple de la décision de la CNDA du 29 juin 2012

« Considérant que les déclarations précises et circonstanciées de M. M. A. S. concernant ses activités au sein d'une ONG œuvrant en faveur de la défense des droits des femmes au Bangladesh et les motivations à l'origine de son engagement, ont permis de tenir pour établi son militantisme actif en la matière et son souci de combattre des pratiques patriarcales et fondamentalistes confinant la femme dans un statut social inférieur ; (…) qu'en outre ses propos, étayés par de nombreux exemples conférant au récit le caractère d'une expérience vécue, permettent de considérer pour avéré que M. M. A. S. était régulièrement victime de menaces et d'agressions lorsqu'il menait des actions de terrain en faveur des femmes victimes de violences liées à l'extrémisme musulman ; qu'il apparaît crédible dans ce contexte qu'il ait été déclaré ennemi de l'Islam par le chef religieux de son quartier ; que, par suite, M. M. A. S., qui a exposé à l'audience son engagement et ses convictions, doit être regardé, compte tenu de la teneur même des sujets qu'il abordait dans le cadre de ses activités sociales en faveur d'une éducation des femmes et visant à lutter contre une vision trop traditionnelle de la religion musulmane, et en étant conscient des risques qu'il prenait dans ce cadre, comme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ; qu'il peut dès lors prétendre à la qualité de réfugié sur le fondement des dispositions précitées relatives à l'asile constitutionnel. »

En 2009, la CNDA a également accordé le statut de réfugié à une ressortissante bangladaise travaillant pour une ONG qui avait été persécutée par des membres d'un mouvement islamiste pour avoir porté secours à une femme victime de violences conjugales, épouse d'un dirigeant de ce mouvement (69). Compte tenu de son engagement associatif, la CNDA a considéré que cette requérante devait être regardée comme persécutée en raison de son action en faveur de la liberté (asile constitutionnel). Dans ces deux cas d'espèce, la jurisprudence a donc interprété de manière assez souple les dispositions de l'article L. 711-1 précité relatives à l'asile constitutionnel au regard du militantisme en faveur des droits des femmes. La Cimade, dont votre rapporteure a entendu l'une des représentantes, a proposé de modifier la rédaction de cet article pour permettre une meilleure prise en compte du militantisme pour les droits des femmes et l'égalité dans l'asile constitutionnel.

Recommandation n° 4 : Prévoir que la qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté « ou de l'égalité entre les femmes et les hommes », à l'article L. 711-1 du CESEDA.

Des mesures complémentaires nécessaires

En complément des dispositions prévues par l'article 2 du projet de loi et pour favoriser une meilleure prise en compte des persécutions ou violences de genre en matière d'asile par les autorités nationales, il conviendrait de développer le recueil des données sexuées ainsi que la formation des acteurs.

Améliorer le recueil des données sexuées

Au cours des auditions de la Délégation ainsi que du déplacement à la CNDA, votre rapporteure a pu constater l'absence de certaines données sexuées en matière d'asile (statut de réfugié ou protection subsidiaire).

En particulier, aucune donnée ventilée par sexe sur les motifs d'obtention ou de refus de demandes d'asile, ni sur le nombre de recours introduits n'existe, comme l'a souligné le HCEfh (70), en observant que seules des données éparses, non systématiquement collectées et rendues publiques sont disponibles (par exemple, environ 20 % des protections subsidiaires accordées à des femmes en 2009 et 2010 le seraient au motif d'un risque de mutilations génitales féminines dans le pays d'origine). Le Haut Conseil a également relevé que l'étude d'impact du projet de loi, bien que comprenant quelques paragraphes sur l'impact possible de cette réforme sur les femmes, est « quelque peu laconique, parce qu'il n'existe pas de données statistiques sexuées et a fortiori d'analyses genrées sur ces sujets (71) ».

Votre rapporteure rejoint pleinement cette analyse et préconise par conséquent de produire et publier régulièrement des statistiques sexuées, notamment par les préfectures, l'OFII, l'OFPRA et la CNDA, ainsi que des éléments d'analyse genrés concernant le traitement des demandes de protection, à tous les stades de la procédure, mais aussi l'accueil des demandeur-se-s d'asile (par exemple, le nombre de femmes accueillies dans les CADA, les hébergements d'urgence et les plateformes d'accueil des demandeurs d'asile, cf. infra).

Recommandation n° 5 : Produire et publier régulièrement des statistiques et analyses sexuées concernant le traitement des demandes d'asile et l'accueil des personnes concernées, en particulier par l'OFII, les préfectures, la CNDA et l'OFPRA.

Développer la formation des acteurs

Les directives européennes accordent une attention particulière à la formation des acteurs de l'asile. La directive « accueil » du 26 juin 2013 prévoit par exemple que « le personnel chargé des victimes de torture, de viol et d'autres violences graves a eu et continue à recevoir une formation appropriée concernant leurs besoins » (article 25) et que « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités et les autres organisations qui mettent en œuvre la présente directive bénéficient de la formation de base utile eu égard aux besoins des demandeurs des deux sexes » (article 29). Par ailleurs, la directive « procédures », dans son article 4 sur les autorités responsables en matière d'asile, dispose que « Les États membres veillent à ce que cette autorité dispose des moyens appropriés », mais aussi «  à ce que le personnel de l'autorité responsable de la détermination (…) soit dûment formé » et que « le personnel de cette autorité dispose des connaissances appropriées ou reçoive la formation nécessaire pour remplir ses obligations ». Il s'agit donc d'une exigence forte.

Dans ce domaine, l'OFPRA a fait des progrès tout à fait significatifs, comme cela a été souligné dans la première partie du présent rapport, et son plan d'action adopté en 2013 met l'accent sur la formation de son personnel (72). L'office se dote aussi d'une base de données opérationnelle qui regroupera l'ensemble des documents d'aide à l'instruction utiles aux officiers de protection.

Cependant, ces efforts de formation doivent concerner également d'autres acteurs dans le domaine de l'asile, tels que la CNDA ou l'OFII par exemple, et être réalisés régulièrement. Le rapport précité sur les demandes d'asile liées au genre en Europe (2012) avait d'ailleurs souligné que, parmi les neuf pays étudiés (dont la France), la Belgique était alors le seul pays qui proposait une formation tenant compte de la dimension de genre à son personnel dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile, malgré de nombreux cas signalés de violences liées au genre et de harcèlements sexuels dans les centres d'hébergement des neuf pays faisant l'objet de l'étude. Votre rapporteure juge essentiel de sensibiliser l'ensemble des acteurs et des actrices de la procédure d'asile, afin de mieux prendre en compte certains types et formes de persécution concernant plus fréquemment les femmes, mais aussi pour faire évoluer des représentations erronées, concernant par exemple l'orientation sexuelle.

À cet égard, il est à noter qu'il existe une formation européenne sur les entretiens avec les personnes vulnérables et la politique de l'asile. En effet, la directive « procédures », dans son article 4 précité, précise que « Les États membres prennent également en considération une formation pertinente établie et développée par le Bureau européen d'appui en matière d'asile ». Celui-ci a reçu mandat de formation à destination des membres de l'ensemble des administrations et juridictions nationales, ainsi qu'auprès des services nationaux compétents en matière d'asile dans les Etats membres.

Le programme de formation se compose d'une série de modules interactifs, qui couvrent tous les aspects de la protection internationale. Il est notamment prévu de développer en 2014 un module intitulé « Genre, identité sexuelle et orientation sexuelle ». Ces modules de formation sont complétés depuis 2013 par des manuels visant à prolonger les acquis des sessions de formation. Mme Cécile Malassigné, référente sur les violences faites aux femmes à l'OFPRA, a par ailleurs indiqué, lors de son audition, que des formations spécifiques sur les questions de genre sont prévues, et selon le dernier rapport, le programme de formation européen EAC (European asylum curriculum) devra être généralisé progressivement et étendu aux différents services, hors instruction.

Recommandation n° 6 : Développer les actions de formation sur l'égalité femmes-hommes et les problématiques de genre pour l'ensemble des acteurs concernés (outre l'OFPRA, la CNDA, l'OFII, préfectures, CADA, plateformes d'accueil, etc.).

PROCÉDURE D'EXAMEN DES DEMANDES D'ASILE

Au regard de certaines difficultés rencontrées par des demandeuses d'asile, il convient tout d'abord de mieux encadrer le recours à la procédure accélérée et d'adapter les modalités d'élaboration de la liste des pays d'origine sûrs (1). Par ailleurs, si le projet de loi permet de conforter la prise en compte des vulnérabilités au cours de la procédure, des mesures complémentaires pourraient également être prévues dans cet objectif (2). Il conviendrait enfin d'améliorer l'information des demandeuses d'asile (3).

Mieux encadrer la liste des « pays d'origine sûrs » et la procédure accélérée pour davantage tenir compte de la condition des femmes (articles 6 et 7)

● La liste des pays d'origine sûrs (article 6)

L'établissement d'une liste de « pays d'origine sûrs » (POS) fait débat depuis plusieurs années pour différentes raisons. Il n'y a aucune liste européenne commune des POS, cette notion résultant d'une interprétation subjective des États entre lesquels d'importantes disparités existent : ainsi, si la Grande-Bretagne dénombre 26 POS, l'Irlande n'en compte qu'un, et la France possède la deuxième liste la plus longue.

Au-delà du caractère aléatoire de cette liste, le traitement différencié des demandeurs d'asile à raison de leur appartenance à l'un de ces États est de nature à amoindrir l'examen de la dimension individuelle du risque, les mérites intrinsèques d'une demande d'asile, au-delà de la seule situation générale du pays, comme l'a souligné récemment le Défenseur des droits (73). De même, le rapport d'inspection précité (2013) soulignait-il que l'inscription sur la liste des pays d'origine sûrs est utilisée, de fait, comme un outil de régulation de la demande mais conduit à orienter une part excessive du flux en procédure prioritaire, ce qui ne se justifie pas au regard des chances d'admission de ces demandes.

L'existence de cette liste pose particulièrement problème au regard du caractère non étatique d'une partie significative des violences et persécutions liées au genre exercées par des groupes privés, confessionnels ou armés, ainsi que dans le cadre de l'environnement social et familial, et plus largement, elle pose des difficultés accrues pour les femmes victimes de violence, pour les raisons développées plus haut.

L'article 6 du projet de loi a pour objet d'améliorer les modalités de désignation par le conseil d'administration de l'OFPRA des pays considérés comme des « pays d'origine sûrs » (POS), d'une part, en adoptant une définition conforme à la directive « procédures » et, d'autre part, en renforçant l'exigence de pertinence et d'actualité de la liste (74). Ainsi, l'office sera chargé d'organiser une veille renforcée de l'actualité et du contrôle de la pertinence des inscriptions des États sur la liste des pays d'origine sûrs : le conseil d'administration de l'OFPRA devrait pouvoir à ce titre radier de la liste les pays ne remplissant plus les critères pour être considérés comme sûrs et pouvoir en suspendre l'inscription en cas d'évolution rapide et incertaine de la situation dans un pays. L'article 7 du projet de loi prévoit le placement en procédure accélérée des ressortissants de POS.

Afin de mieux prendre en compte la condition des femmes dans certains pays pour l'établissement de la liste des POS, votre rapporteure propose tout d'abord d'adapter la composition du conseil d'administration de l'OFPRA. En effet, aux termes de l'article L. 722-1 du Ceseda, celui-ci comprend deux parlementaires, un représentant de la France au Parlement européen désigné par décret, des représentants de l'État et un représentant du personnel de l'office. L'article R. 722-1 du même code précise la liste des représentants de l'Etat (directeur du budget, chef du service de l'asile, secrétaire général du ministère des affaires étrangères, etc.). Il conviendrait de prévoir également la représentation des ministères chargés des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Par ailleurs, conformément à l'article L. 722-1 précité, le délégué du HCR ainsi que trois personnalités qualifiées nommées par décret assistent aux séances du conseil d'administration et peuvent y présenter leurs observations et leurs propositions. Au moins l'une des trois personnalités qualifiées représente les organismes participant à l'accueil et à la prise en charge des demandeurs d'asile et des réfugiés (il s'agit actuellement du directeur général de l'association Forum réfugiés - Cosi) Il pourrait être envisagé de donner voix délibérative aux personnalités qualifiées concernant les décisions relatives à la liste des POS, ainsi qu'à la personne représentant le HCR. Une autre option serait de prévoir la consultation d'associations et d'ONG (organisations non gouvernementales), préalablement à l'inscription ou le retrait d'un pays sur cette liste, selon des modalités à définir, ainsi qu'un dispositif de saisine du conseil d'administration par les associations et ONG pour demander l'examen de la radiation ou de l'ajout d'un pays de la liste.

Enfin, comme l'avaient suggéré lors de leur audition le président de la commission International du HCEfh, M. Maxime Forest, et la rapporteure, Mme Cécile Sportis, il conviendrait d'assortir le recours à la notion de « pays sûr » d'indicateurs ou de critères relatifs à la situation des droits des femmes et des minorités sexuelles. Il s'agirait de préciser à l'article 6 du projet de loi que l'actualisation des inscriptions prend notamment en compte la situation au regard des droits des femmes et des minorités sexuelles et les persécutions de genre, y compris celles perpétrées par d'autres groupes ou individus que ceux représentant les autorités du pays concerné. Il conviendrait en tout état de cause de clarifier, voire rendre publics, les critères d'inscription ou de retrait des pays.

Recommandation n° 7 : Améliorer les modalités d'élaboration de la liste des pays d'origine sûrs pour prendre en compte la condition des femmes dans certains pays :

- en modifiant la composition du conseil d'administration de l'OFPRA pour prévoir la représentation des ministères chargés des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, et en veillant à la composition paritaire du conseil d'administration ;

- en prévoyant le droit de vote pour les personnalités qualifiées au conseil d'administration, la consultation d'associations préalablement à l'inscription ou le retrait sur la liste des pays d'origine sûrs, et la possibilité pour ces associations et ONG de saisir le conseil d'administration de l'office ;

- en assortissant la notion de pays « sûr » d'indicateurs ou de critères relatifs aux questions des droits des femmes, de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre.

● Les conditions de recours à la procédure accélérée (article 7)

L'article 7 du projet de loi modifie profondément le chapitre du Ceseda relatif à l'examen des demandes d'asile par l'OFPRA. En particulier, il maintient, tout en le rénovant profondément le dispositif d'examen prioritaire de certaines demandes, désormais dénommée « procédure accélérée ». Il convient à cet égard de rappeler que les procédures prioritaires ont représenté près du tiers (32 %) des demandes d'asile en 2012 (23 % des premières demandes, 87 % des réexamens).

Dans un objectif de gestion adaptée de la demande d'asile, le nouvel article L. 732-2 prévoit la possibilité de procédures accélérées « dans les cas où la demande peut apparaître manifestement étrangère à un besoin de protection », selon l'exposé des motifs du projet de loi. Cette procédure pourra être mise en œuvre soit de plein droit en vertu de la loi (en cas de provenance d'un POS ou d'une demande de réexamen recevable), soit par décision de l'OFPRA, au vu notamment de critères inhérents au contenu de la demande, soit à l'initiative de l'autorité préfectorale. Le projet de loi renforce par ailleurs le pouvoir d'appréciation de l'OFPRA, qui a désormais la possibilité de reclasser en procédure normale des demandes examinées initialement en procédure accélérée.

Or certaines dispositions de cet article posent problème dans le cas particulier des victimes de la traite des êtres humains aux fins de prostitution.

La traite des êtres humains aux fins de prostitution forcée ou d'exploitation sexuelle considérée comme une forme de persécution : la position du HCR

« Certaines femmes ou certain(e)s mineur(e)s victimes de la traite des êtres humains peuvent présenter des demandes justifiées au sens de la Convention de 1951. Le recrutement forcé ou suite à une tromperie de femmes ou de mineur(e)s aux fins de prostitution forcée ou d'exploitation sexuelle sont des formes de violence ou de sévices liés au genre qui peuvent même conduire à la mort. Ces pratiques peuvent être considérées comme une forme de torture et de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Elles peuvent aussi entraîner de graves restrictions au droit des femmes de circuler librement en raison de l'enlèvement, de l'incarcération, et/ou de la confiscation de passeports ou d'autres documents d'identité. De plus, les femmes et les mineur(e)s victimes de la traite des êtres humains peuvent être exposé(e)s à de graves conséquences après s'être enfui(e)s et/ou être rentré(e)s dans leur pays, telles que des représailles de la part de trafiquants ou de réseaux, de risques réels d'être à nouveau victimes de la traite des êtres humains, un ostracisme familial ou communautaire grave ou de graves discriminations. Dans certains cas, le fait d'être victime de la traite des êtres humains aux fins de prostitution forcée ou d'exploitation sexuelle peut donc justifier une demande de statut de réfugié lorsque l'Etat n'est pas en mesure d'assurer la protection contre de tels préjudices ou menaces de préjudice, ou qu'il ne veut pas le faire. »

En effet, il est prévu que la procédure accélérée soit notamment mise en œuvre lorsque :

- le demandeur a présenté une demande de réexamen non irrecevable ;

- le demandeur a présenté de faux documents d'identité ou de voyage, fourni de fausses indications ou dissimulé des informations ou des documents concernant son identité, sa nationalité ou les modalités de son entrée en France afin d'induire en erreur les autorités ou a présenté plusieurs demandes d'asile sous des identités différentes (dès lors que cela a été constaté par l'autorité préfectorale, ou à l'initiative de l'OFPRA) ;

- le demandeur a fait des déclarations manifestement incohérentes et contradictoires, manifestement fausses ou peu plausibles qui contredisent des informations vérifiées relatives au pays d'origine (à l'initiative de l'OFPRA).

Or les femmes victimes de la traite peuvent être amenées à déposer une première demande, le cas échéant avec des informations erronées, sous l'emprise de réseaux mafieux, et être amenées ensuite, parce qu'elles souhaitent se soustraire à la prostitution, à déposer une nouvelle demande, et ne devraient pas être pénalisées par ces circonstances. De la même manière, au regard notamment des traumatismes importants vécus par ces femmes et du temps nécessaire pour verbaliser les persécutions et violences de genre, il ne devrait pas être tenu compte outre mesure dans la procédure du caractère éventuellement incohérent de leurs déclarations.

Recommandation n° 8 : Préciser dans la loi que la procédure accélérée ne peut être mise en œuvre pour les demandes de réexamens présentées par des victimes de la traite.

Une meilleure prise compte des vulnérabilités et de nouvelles garanties procédurales (article 7) à compléter

Conformément à la directive « accueil », la réforme de l'asile prévoit de prendre en compte la vulnérabilité des personnes (75), et en premier lieu au niveau de la procédure mise en œuvre. Ainsi, l'article 7 du projet de loi dispose que, pendant toute la durée de la procédure d'examen de la demande, l'OFPRA peut définir les modalités particulières d'examen qu'il estime nécessaires pour l'exercice des droits du demandeur en raison de sa situation particulière, de sa minorité ou de sa vulnérabilité (article L. 723-3 du CESEDA).

Selon l'étude d'impact du projet de loi, ces dispositions, concernant la possibilité d'aménager les modalités d'examen des demandes d'asile, pourront bénéficier à des femmes se trouvant dans des situations de violences (victimes de la traite, victimes de viol et violences, etc.) et peuvent conduire en particulier à l'adaptation des entretiens (entretien par un officier de protection du même sexe spécialement formé à cette problématique). L'étude d'impact souligne par ailleurs que, d'ores et déjà, ces dispositions sont appliquées à l'OFPRA où il existe des référents thématiques dédiés aux problématiques comme la traite, les violences faites aux femmes et l'orientation sexuelle, ainsi qu'une formation à l'accueil des récits de souffrance émanant en particulier de victimes de viols.

Dans un objectif de renforcement de la protection, ce même article L. 723-3 institue la possibilité pour l'OPFRA de statuer prioritairement sur les demandes faites notamment par des personnes vulnérables, identifiées comme ayant des besoins particuliers en termes d'accueil ou comme nécessitant un examen particulier. Mais à l'inverse, si la procédure prioritaire, renommée procédure accélérée, ne semble pas indiquée, l'OPFRA a la possibilité de choisir d'instruire la demande en procédure normale. Ainsi, « lorsque l'office considère que le demandeur d'asile, en raison notamment des violences graves dont il a été victime ou de sa minorité, nécessite des garanties procédurales particulières qui ne sont pas compatibles avec l'examen de sa demande en procédure accélérée (…), il peut décider de ne pas statuer ainsi ».

Le nouvel article L. 723-3 reprend la notion de vulnérabilité de la directive accueil mais sans viser spécifiquement les femmes et, au-delà, comme cela a été relevé à plusieurs reprises au cours des travaux de la Délégation, sans reprendre la liste, non exhaustive, prévue par l'article 21 de la directive « accueil », soit : « les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation génitale féminine ».

Certes, comme le souligne l'étude d'impact, on peut penser que la détection de la vulnérabilité prévue à l'article 15 du projet de loi (cf. infra) prendra nécessairement en compte la situation particulière des femmes en situation de vulnérabilité, en conformité avec les dispositions prévues par les articles 21 et 22 de la directive « accueil », dont les violences faites aux femmes font intégralement partie. Néanmoins pour plus de clarté, et dans le prolongement des propositions de France terre d'asile et du HCEfh notamment, votre rapporteure propose de reprendre dans la loi cette énumération. Par ailleurs, les représentant-e-s de la CNCDH entendus par la Délégation ont suggéré d'organiser une réflexion d'ensemble et collégiale sur la vulnérabilité, associant par exemple des médecins, des associations de personnes en contact avec des personnes vulnérables, acteurs de la protection judiciaire de la jeunesse, voire des universitaires, en vue de préciser les critères de vulnérabilité.

Recommandation n° 9 : Expliciter la notion de personnes vulnérables, a minima en précisant dans la loi qu'elles comprennent notamment les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains et les personnes qui ont subi des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation sexuelle féminine.

Une autre innovation de l'article 7 du projet de loi concerne la possibilité pour le demandeur de se présenter à l'entretien accompagné d'un avocat ou d'un représentant d'une association de défense des demandeurs d'asile (76). Ce « conseil » peut prendre des notes et formuler des observations à la fin de l'entretien. Aux termes de l'article 19 du projet de loi, les modalités d'habilitation des associations et d'agrément de leurs représentants par l'OFPRA seront fixées par décret en Conseil d'Etat.

Cette présence d'un tiers à l'entretien devant l'OFPRA peut permettre une meilleure prise en compte des situations de vulnérabilité et des aspects liés au genre. Comme cela a été souligné au cours des travaux de la Délégation, il s'agit ainsi d'une avancée majeure pour les demandeur-se-s, et sans doute davantage encore pour les personnes invoquant des persécutions liées au genre, qui pourront ainsi être accompagnées de façon à favoriser un récit délivré dans de meilleures conditions. Cela pourrait avoir pour effet d'allonger la durée moyenne des entretiens (actuellement d'1 h 20 en moyenne), mais votre rapporteure se félicite des créations de postes prévues pour accompagner la réforme, et en vue de réduire les délais d'examen des demandes. Le projet de loi finances pour 2015 prévoit en effet un renfort d'effectifs de 55 ETPT (équivalent temps plein travaillé). Cela devrait permettre à l'OFPRA d'atteindre l'objectif de réduction à trois mois du délai de traitement de la demande d'asile, et d'autre part d'accompagner la mise en œuvre des garanties nouvelles apportées à l'entretien, en particulier l'accueil d'un tiers lors de l'audition des demandeurs d'asile et l'enregistrement des entretiens. Dans cette optique, la subvention de l'État prévue au projet de loi de finances pour 2015 s'établit à 46 millions d'euros (soit une hausse de 6,7 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2014).

Dans son avis sur le présent projet de loi, le HCEfh a jugé nécessaire de prévoir également la possibilité, pour les personnes qui le souhaitent, d'être accompagnées de représentant-e-s d'associations œuvrant spécifiquement à la défense des droits des migrantes, des victimes de persécutions liées au genre ou à raison de l'orientation sexuelle, dès lors que celles-ci présente les garanties nécessaires de professionnalisme et d'expérience en matière de droit d'asile.

Dans le même temps, votre rapporteure souligne les risques qu'il y aurait à trop élargir les catégories de tiers susceptibles d'être présents, s'agissant en particulier de l'entourage de la requérante, pour éviter par exemple la présence de quelqu'un présenté comme l' « ami de la famille » et qui serait en fait un proxénète. Il conviendrait par ailleurs d'étudier les modalités selon lesquelles les frais de transport des demandeur-se-s d'asile ainsi que de leur conseil (avocat ou association) pourraient être pris en charge, sur pièces justificatives.

Par ailleurs, selon l'étude précitée sur les demandes d'asile liées au genre en Europe, si tous les pays fournissent des agents chargés des entretiens de sexe féminin sur demande, seuls la Belgique, la Suède et le Royaume-Uni demandent systématiquement à chaque demandeur sa préférence. Une garde d'enfants est uniquement proposée en Belgique et au Royaume-Uni. Ailleurs, les femmes sont parfois contraintes de choisir entre taire certaines informations importantes et dévoiler des détails traumatisants devant leurs enfants.

Il convient enfin de rappeler qu'aux termes du considérant 32 de la directive « Procédure » de juin 2013, « Afin d'assurer une égalité réelle entre les demandeurs femmes et hommes, il convient que les procédures d'examen tiennent compte des spécificités de genre ». Indépendamment des mesures très positives mises en place récemment à l'OFPRA, qui a par ailleurs réalisé en 2014 un contrôle qualité du traitement des demandes d'asile, ce principe mériterait d'être transcrit dans la loi pour marquer l'importance de cette prise en compte du genre dans la procédure d'asile. Le même considérant souligne par ailleurs qu'« il importe notamment que les entretiens personnels soient organisés de telle sorte que les demandeurs femmes et hommes qui ont subi des persécutions fondées sur le genre puissent faire part de leurs expériences. La complexité des demandes liées au genre devrait être correctement prise en compte dans le cadre de procédures fondées sur le concept de pays tiers sûr, sur celui de pays d'origine sûr et sur la notion de demandes ultérieures. »

Recommandation n° 10 : Prendre en compte les besoins spécifiques des demandeuses d'asile lors des entretiens à l'OFPRA et des audiences à la CNDA :

- veiller à la possibilité pour les demandeuses qui le souhaitent d'être assisté-e par le ou la représentant-e d'une association œuvrant spécifiquement à la défense des droits des migrantes, des victimes de persécutions de genre ou à raison de l'orientation sexuelle ;

- étudier les conditions de mise en place de services de garde d'enfants à l'OFPRA et à la CNDA, et de prise en charge des frais de transports des demandeurs, voire de leur conseil ;

- inscrire dans le CESEDA le principe selon lequel les procédures d'examen tiennent compte des spécificités de genre, afin d'assurer une égalité réelle entre les demandeuses et les demandeurs d'asile (principe figurant dans le considérant 32 de la directive « procédures »).

Concernant les victimes de la traite des êtres humains, il convient également de veiller à ce que les audiences aient lieu à huis clos, notamment pour éviter la présence des proxénètes, comme cela a déjà pu être le cas, selon les informations recueillies lors du déplacement à la CNDA.

Recommandation n° 11 : Pour les victimes de proxénétisme et de la traite des êtres humains, prévoir que le huis clos est prononcé de droit si la personne requérante le demande.

Améliorer l'information des demandeuses d'asile

En application de l'article R. 741-2 du CESEDA, les services de la préfecture remettent, en principe, au demandeur un document d'information sur ses droits et sur les obligations qu'il doit respecter eu égard aux conditions d'accueil des demandeurs d'asile, ainsi que sur les organisations qui assurent une assistance juridique spécifique et celles susceptibles de l'aider ou de l'informer sur les conditions d'accueil dont il peut bénéficier, y compris les soins médicaux.

Le ministère de l'intérieur publie un livret d'information (Le guide du demandeur d'asile), disponible en 23 langues. Cependant, il ne comporte actuellement quasiment pas de développement spécifique aux femmes. En revanche, il est intéressant de noter qu'en Belgique, une brochure spécifique à l'attention des demandeuses d'asile a été publiée.

Une brochure spécifique à l'attention des demandeuses d'asile en Belgique

En 2008, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA), équivalent de l'OFPRA en Belgique, a publié une brochure spécifique pour les femmes qui demandent l'asile en Belgique : « L'asile au féminin. Informations à l'intention des demandeuses d'asile », disponible en sept langues. Cette brochure fournit des informations telles que les « facilités » prévues spécifiquement pour les demandeuses d'asile : choix du sexe de l'officier et de l'interprète, entretien en l'absence de tout membre de la famille (mari, partenaire, frère, sœur, enfant), avoir « tout le temps nécessaire » pour expliquer les craintes lors de l'entretien, pause obligatoire pendant l'entretien et possibilité de demander une pause supplémentaire, garde d'enfants (de 1 à 12 ans) assurée par un membre du personnel du CGRA (Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides) pendant l'entretien (local contenant des jeux), flexibilité pour fixer la date de l'entretien pour les femmes enceintes ou venant d'accoucher. La brochure procure également des informations sur la grossesse, la contraception, la santé des femmes, la violence conjugale, les abus et l'exploitation, etc. Elle répertorie un grand nombre de numéros utiles et adresses tels que ceux des bureaux d'aide juridique, des centres de planning familial et des ONG spécialisées sur les problématiques de genre. En 2010, le CGRA a conduit une étude auprès des demandeuses d'asile et réfugiées visant à évaluer l'impact de cette brochure. Une nouvelle version, plus adaptée aux besoins des femmes, a été publiée en septembre 2011. Elle est désormais disponible en neuf langues.

Source : « Le droit d'asile au féminin », étude de l'Observatoire de l'asile et des réfugiés (décembre 2011)

Par ailleurs, selon l'étude précitée publiée en décembre 2011, alors que ce guide devrait être remis à tous les demandeurs d'asile en préfecture, le rapport de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, publié en 2010 (77), signalait que peu de demandeurs d'asile mentionnaient avoir reçu des éléments d'informations écrits sur la procédure d'asile.

Dans la mesure de leurs capacités, la distribution de ce guide est également assurée par les ONG en charge de l'accompagnement des demandeurs d'asile. Les informations de base sur la procédure d'asile peuvent aussi être fournies par les plateformes d'accueil et d'orientation des demandeurs (cf. infra). Il convient en tout état de cause d'améliorer l'information des demandeur-se-s et ce d'autant plus que, comme l'a souligné la CNCDH qui en est très préoccupée (78), on constate une complexification croissante de la législation relative au droit d'asile, avec un droit extrêmement touffu et peu lisible, auquel, à l'exception de spécialistes, peu de personnes et surtout les principaux intéressés ont la possibilité d'accéder.

Votre rapporteure préconise en conséquence d'améliorer l'information des demandeurs d'asile, et particulièrement des femmes, ce qui implique, a minima, d'actualiser et de compléter le guide du demandeur d'asile, et le diffuser plus largement, voire d'élaborer une brochure spécifique à destination des femmes, comme cela a été fait en Belgique.

Recommandation n° 12 : Améliorer l'information des demandeuses d'asile, au moins en complétant le guide du demandeur d'asile et le diffusant plus largement, voire en publiant une brochure spécifique à l'attention des femmes, avec notamment des informations sur leurs droits ainsi que sur la protection et la prévention des violences.

CONDITIONS D'ACCUEIL DES DEMANDEUR-SE-S D'ASILE

Adapter les conditions d'accueil et d'hébergement

L'article 15 du projet de loi crée un nouveau chapitre consacré aux conditions d'accueil des demandeurs d'asile (articles L. 744-1 à L. 744-9).

L'examen de la vulnérabilité pour la mise en œuvre des droits des bénéficiaires de la protection internationale (articles 15 et 19)

L'article 22 de la directive européenne « accueil » dispose qu'« aux fins de la mise en œuvre effective de l'article 21, les États membres évaluent si le demandeur est un demandeur qui a des besoins particuliers en matière d'accueil. Ils précisent en outre la nature de ces besoins ».

Dans ce sens, l'article 15 du projet de loi complète le CESEDA par un chapitre relatif aux conditions d'accueil des demandeurs d'asile, le nouvel article L. 744-1 se référant directement à la directive « accueil ». L'article L. 744-6 reprend cette proposition européenne d'une évaluation des besoins. Il dispose que, suite à la présentation d'une demande d'asile, l'OFII est chargé de procéder dans un délai raisonnable à un examen de vulnérabilité du demandeur d'asile afin de déterminer le cas échéant ses besoins particuliers en matière d'accueil. Ces besoins particuliers sont également pris en compte s'ils deviennent manifestes à une étape ultérieure de la procédure d'asile. Les modalités de l'évaluation des besoins particuliers ainsi que les modalités de transmission à l'OFPRA seront précisées par un décret en Conseil d'État.

L'OFII est donc chargé de « détecter » la vulnérabilité du demandeur pour évaluer ses besoins particuliers, ce qui est notamment le cas de personnes marquées par des traumatismes - mesure qui est donc susceptible de bénéficier aux femmes victimes de graves violences. Pour la représentante de la Cimade, entendue en audition par votre rapporteure, il est dommage que la détection de la vulnérabilité soit le fait de l'OFII qui n'est pas soumise à une obligation de confidentialité, à la différence de l'OFPRA ; l'existence de fichiers croisés entre l'OFII et la préfecture pourrait poser problème, selon les personnes entendues.

Par ailleurs, l'article 15 du projet de loi prévoit l'accès à l'hébergement et à une allocation pour les demandeurs d'asile, en précisant les conditions dans lesquelles s'effectue la prise en charge des demandeurs d'asile. Il instaure un dispositif reposant sur un double mécanisme : un schéma national des places d'hébergement incluant l'ensemble des dispositifs actuels, décliné par région ; une orientation nationale et directive des demandeurs vers ces lieux d'hébergement, avec un retrait des conditions d'accueil en cas de refus par les demandeurs - l'OFII étant chargé de mettre en œuvre ce dispositif. Avant l'orientation vers un hébergement, l'OFII procède à un examen des causes de vulnérabilité du demandeur d'asile pouvant avoir une incidence sur la localisation et l'environnement du futur hébergement. L'allocation pour demandeur d'asile, géré par l'OFII, prend en compte les ressources du demandeur d'asile, sa situation familiale, son mode d'hébergement et les prestations qui y sont offertes, son barème étant défini par décret.

Par ailleurs, l'article 19 du projet de loi qui porte sur le contenu de la protection accordée, précise dans le nouvel article L. 751-2 du CESEDA que, dans la mise en œuvre des droits accordés aux bénéficiaires d'une protection internationale, il est tenu compte de la situation spécifique des mineurs et des personnes vulnérables ayant des besoins particuliers.

Sur le plan budgétaire, il est prévu que 220,8 millions d'euros soient alloués en 2015 au financement des places en CADA. Le parc de places dans ces centres, encore insuffisant malgré les efforts consentis (79), est complété par un dispositif d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA), destiné à accueillir, à titre transitoire, des demandeurs d'asile préalablement à leur admission éventuelle en CADA ou de prendre en charge les demandeurs d'asile qui ne peuvent en bénéficier. La dotation prévue dans le projet de loi finances pour 2015 augmente de 14,8 % (+17,1 millions d'euros) par rapport à la loi de finances initiale pour 2014.

Les recommandations de la Délégation pour tenir compte de la situation particulière des femmes

Compte tenu des difficultés et risques particuliers auxquels sont exposés des demandeuses d'asile (cf. supra), votre rapporteure propose :

- de développer le recueil de données et d'analyses genrées concernant la proportion de femmes, mais aussi leur profil ainsi que les violences constatées, le cas échéant, dans les CADA, les plateformes d'accueil, l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) ainsi que l'hébergement d'urgence pour les personnes sans domicile (Samu Social, CHRS) ; à cet égard, le rapport d'inspection précité sur L'hébergement et la prise en charge des demandeurs d'asile (2013), soulignait d'ailleurs la nécessité de mettre en place un système plus poussé, ce qui nécessitait notamment de recourir à un système d'information adapté, mais aussi, de façon générale, que la population des demandeurs d'asile apparaît faire l'objet d'un suivi très insuffisant ;

- d'organiser une large consultation auprès des acteurs, experts et associations notamment, préalablement à la définition par voie réglementaire de l'évaluation des besoins particuliers pour les personnes vulnérables (cf. supra) ;

- d'introduire dans le CESEDA le principe posé par l'article 11 de la directive « accueil », aux termes duquel, lorsque des demandeurs de sexe féminin sont placés en rétention, les États membres veillent à ce qu'ils soient hébergés séparément des demandeurs de sexe masculin, à moins que ces derniers ne soient des membres de leur famille et que toutes les personnes concernées y consentent ;

- de compléter le projet de loi, dans le prolongement des observations récentes du HCEfh, qui observait que « Les situations de vulnérabilité, notamment celles des filles et des femmes victimes de violences de genre ou exposées au risque de traitements inhumains ou dégradants, ainsi que celle des personnes exposées à des risques particuliers compte tenu de leur orientation sexuelle, ne sont pas prises en compte du point de vue des conditions d'hébergement (80) ».

Dans ce sens, il s'agirait par exemple de préciser dans la loi que lorsque les demandeurs sont accueillis dans des centres d'hébergement, les autorités tiennent compte des aspects liés au genre, à l'âge et à la situation des personnes vulnérables, comme cela est prévu à l'article 18 de la directive « accueil ». En outre, il conviendrait de prévoir que les mesures appropriées sont prises pour prévenir la violence et les actes d'agression fondées sur le genre, y compris les violences et le harcèlement sexuels à l'intérieur des centres d'hébergement, comme cela figure également à l'article 18 précité.

Il pourrait aussi être précisé dans la loi que lorsque de nouvelles places de CADA sont construites, une aile spécifique aux demandeuses d'asile soit prévue afin de leur permettre d'être hébergés séparément des demandeurs de sexe masculin, à moins qu'elles ne soient des membres de leur famille et que toutes les personnes concernées y consentent.

Enfin, votre rapporteure souligne l'importance de permettre aux femmes isolées d'accéder plus facilement aux CADA, afin notamment de les protéger des réseaux de prostitution.

Recommandation n° 13 : Mieux prendre en compte les besoins particuliers des femmes et des personnes vulnérables en matière d'hébergement :

- en développant le recueil de données et d'analyses genrées sur le nombre et le profil des femmes ainsi que sur les violences, dans les CADA, plateformes et hébergement d'urgence ;

- en veillant à la consultation des acteurs et des experts sur les modalités d'évaluation des besoins particuliers pour les personnes vulnérables ;

- en précisant dans la loi que lorsque les demandeurs sont accueillis dans des centres d'hébergement, les autorités tiennent compte des aspects liés au genre, à l'âge et à la situation des personnes vulnérables, et que les mesures appropriées sont prises pour prévenir la violence et les actes d'agression fondées sur le genre, y compris les violences et le harcèlement sexuels à l'intérieur des centres ;

- en précisant dans la loi que lorsque des demandeurs de sexe féminin sont placés en rétention ou hébergés en CADA, les autorités veillent à ce qu'ils soient hébergés séparément des demandeurs de sexe masculin, à moins que ces derniers ne soient des membres de leur famille et que toutes les personnes concernées y consentent.

Améliorer les droits des demandeur-se-s d'asile et de leurs enfants

Garantir le droit à l'éducation des enfants des demandeur-se-s d'asile et des mineur-e-s isolé-e-s

L'article 14 de la directive « accueil » rappelle que les enfants des demandeur-se-s d'asile et les mineur-e-s isolé-e-s ont droit à l'accès au système éducatif dans des conditions analogues à celles qui sont prévues pour les ressortissants français aussi longtemps qu'une mesure d'éloignement n'est pas exécutée contre eux ou contre leurs parents. Cet accès ne peut être reporté de plus de 3 mois à compter de la date de la demande d'asile.

L'article 15 du projet de loi renvoie au droit commun sur ce point (81). Le code de l'éducation, tout comme plusieurs circulaires ministérielles, prévoient que tout enfant a droit à l'éducation et qu'en conséquence, la situation administrative de ses parents ne peut être prise en compte pour refuser une inscription scolaire.

Toutefois, à travers les réclamations qu'il reçoit, le Défenseur des droits a pu constater que de nombreux enfants de demandeurs d'asile rencontrent des difficultés de scolarisation (82). Des refus peuvent leur être opposés en raison de leur situation administrative au regard du droit au séjour, de leur nationalité, de leur origine ou de leur mode de vie ou d'habitation. Dans son avis publié très récemment, le Défenseur des droits souhaite ainsi que soit rappelée dans la loi, l'obligation qui incombe aux maires et aux préfets de scolariser les enfants de demandeurs d'asile et les demandeurs d'asile mineurs, au même titre que tout autre enfant et sans aucune considération liée à la situation administrative des parents ou leur lieu d'habitat.

S'agissant des demandeurs mineurs isolés en France, il convient d'ailleurs de rappeler que les filles représentent une proportion non négligeable d'entre eux, comme l'illustre le graphique ci-dessous.

RÉPARTITION PAR SEXE DES DEMANDES D'ASILE ÉMANANT DE MINEUR-E-S ISOLÉ-E-S DEPUIS 2003

Source : OFPRA

Votre rapporteure partage pleinement la préoccupation du Défenseur des droits sur ce point, mais aussi pour l'accueil des enfants dans les classes enfantines, conformément au code de l'éducation (83) - cf. recommandation n° 14.

Permettre l'accès au marché du travail des demandeur-se-s d'asile dans des délais raisonnables

En France, le droit de travailler légalement pour les demandeur-se-s d'asile a été supprimé en 1991. En l'état actuel du droit, ces personnes ont le droit de travailler si un an après l'enregistrement de leur demande, l'OFPRA n'a pas statué sur celle-ci, en application de l'article R. 472-2 du CESEDA (84).

Aux termes de l'article 15 de la directive « accueil », les États membres veillent à ce que les demandeurs aient accès au marché du travail dans un délai maximal de neuf mois, à compter de la date d'introduction de la demande de protection internationale lorsqu'aucune décision en première instance n'a été rendue par l'autorité compétente et que le retard ne peut être imputé au demandeur. Selon le tableau relatif à la transposition de cette directive, présenté en annexe de l'étude d'impact du présent projet de loi, une modification du Ceseda est prévue afin de faire passer le délai de 12 mois à 9 mois par voie réglementaire.

Plusieurs associations ont souhaité que l'accès au marché du travail soit facilité pour les demandeurs d'asile, pour qu'ils puissent subvenir eux-mêmes à leurs besoins, et en rappelant notamment que les demandeurs peuvent de toute façon travailler sans être déclarés et de fait, y sont bien souvent contraints compte tenu du niveau de l'allocation, lorsqu'ils la perçoivent. S'ajoute le risque pour les demandeuses d'asile, isolées ou avec des enfants à charge, de tomber dans la prostitution pour subvenir à leurs besoins. Il conviendrait dès lors d'envisager un assouplissement du dispositif actuel, a minima en inscrivant dans la loi un délai de 9 mois au-delà duquel les demandeurs pourraient travailler légalement, voire ultérieurement, dans un délai de six ou sept mois, comme c'est le cas dans certains pays voisins (avec parfois aussi des restrictions).

Recommandation n° 14 : Améliorer les droits des demandeur-se-s d'asile et de leurs enfants :

- en rappelant dans la loi les obligations en matière de scolarisation des enfants des demandeurs d'asile et des demandeurs mineurs, ainsi que les dispositions prévues par le code de l'éducation concernant l'accueil en maternelle ;

en assouplissant les dispositions actuelles du Ceseda qui empêchent les demandeur-se-s d'asile d'accéder au marché du travail et a minima en inscrivant dans la loi la possibilité de travailler légalement au-delà d'un délai de neuf mois.

Préciser le contenu de la protection

Les conditions de délivrance d'un titre de séjour au conjoint (article 18) et la prise en compte des risques de violences conjugales

L'article 18 du projet de loi prévoit (article L. 313-13 du Ceseda) que, sauf si leur présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire (mentionnée à l'article L. 313-11) est délivrée de plein droit notamment à l'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire, « à son conjoint lorsque le mariage est antérieur à la date d'obtention de la protection subsidiaire ou, à défaut, lorsqu'il a été célébré depuis au moins un an, sous réserve d'une communauté de vie effective entre époux » et « à ses ascendants directs au premier degré si l'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié ». Des dispositions analogues sont prévues concernant la carte de résident pour le conjoint d'une personne ayant obtenu le statut de réfugié.

Cette condition de vie commune effective est susceptible de poser problème dans le cas où la femme conjointe subirait des violences conjugales. En effet, la crainte de ne pas pouvoir obtenir le titre de séjour en cas de rupture de la vie commune pourrait conduire la femme victime à ne pas porter plainte et à rester, malgré le danger encouru.

La loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes dans son article 47 a pris en compte ce danger lors du renouvellement de la carte de séjour. Elle a donc modifié l'article L. 313-12 en prévoyant que « Toutefois, lorsque l'étranger a subi des violences conjugales de la part de son conjoint et que la communauté de vie a été rompue, l'autorité administrative ne peut procéder au retrait du titre de séjour de l'étranger et peut en accorder le renouvellement. »

Aussi pourrait-il être envisagé de prendre en compte également ces violences au moment de l'octroi de la carte de séjour temporaire, voire de la carte de résident pour éviter une forme de « chantage aux papiers ». Il convient également d'étudier dans quelle mesure des mesures spécifiques seraient nécessaires pour tenir compte de la situation particulière des enfants nés d'un mariage forcé concernant un mineur.

Recommandation n° 15 : Préciser que les dispositions relatives à la délivrance du titre de séjour (carte de séjour temporaire ou carte de résident), prévues par l'article 18 du projet de loi, s'appliquent au conjoint lorsque le mariage est antérieur à la date d'obtention de la protection ou, à défaut, lorsqu'il a été célébré depuis au moins un, sous réserve d'une communauté de vie effective entre époux, « sauf en cas de dépôt de plainte pour violences conjugales ».

La reconnaissance dans la loi du certificat médical demandé en cas de protection accordée à une mineure exposée à un risque d'excision (article 19)

L'article 19 du projet de loi instaure la possibilité pour l'OFPRA de demander un certificat médical lorsqu'une protection a été accordée à une mineure exposée à un risque d'excision (article L. 752-3 du CESEDA). Il s'agit ainsi de s'assurer que les jeunes filles placées sous protection en raison d'un risque d'excision ne subissent pas de mutilations sexuelles après l'octroi de la protection.

Comme le souligne l'étude d'impact du projet de loi, l'OFPRA demande déjà des certificats médicaux pour cette raison ; cependant il n'existe pas aujourd'hui de base juridique claire ou précise le prévoyant. Selon le rapport précité sur le droit d'asile au féminin (décembre 2011), ce contrôle annuel a concerné 1 179 petites filles en 2010, contre 266 en 2009. Si le certificat est envoyé, le statut est maintenu. Dans les cas exceptionnels où le certificat n'est pas produit, l'OFPRA cesse la protection et procède à un premier signalement auprès de la préfecture du lieu de résidence des personnes concernées. Si ce signalement ne donne aucun résultat, le procureur de la République est averti de la situation. Le rapport d'activité 2010 de l'office indiquait par ailleurs que la division de la protection n'avait pas eu à connaître de cas d'excision postérieurs à la reconnaissance d'un statut de protection. Il apparaît toutefois la situation a évolué depuis lors, puisque l'OFPRA a eu connaissance dans ce cadre de deux cas d'excision intervenus postérieurement à l'octroi de la protection, selon les informations recueillies par votre rapporteure.

L'article L. 752-3 du Ceseda prévoit ainsi que lorsque l'asile a été octroyé à une mineure invoquant un risque de mutilation génitale, l'OFPRA peut, « tant que ce risque existe » - ou plutôt jusqu'à ses 18 ans serait-il possible de préciser -demander un certificat médical et « transmettre au procureur de la République tout refus de se soumettre à cet examen ou toute mutilation ». Au-delà des peines encourues par les parents en cas de mutilation, il serait sans doute souhaitable de clarifier la rédaction de ces dispositions concernant leurs effets en termes de maintien de la protection pour la mineure concernée en particulier.

Ces dispositions ont été débattues à plusieurs reprises au cours des travaux de la Délégation et votre rapporteure a par ailleurs pris acte des réserves et inquiétudes exprimées par le Défenseur des droits sur ce point, dans son avis du 6 novembre 2014. Tout en mesurant le caractère non anodin de cet examen gynécologique pour des petites filles ainsi que la suspicion que cela peut sembler faire peser sur leurs parents, votre rapporteure estime qu'il s'agit là d'un moindre mal, au sens où la priorité doit être de se donner tous les moyens de prévenir ces mutilations barbares.

Votre rapporteure propose parallèlement de développer les actions de formation et d'information sur les mutilations sexuelles féminines (MSF), dans le sens notamment des préconisations du GAMS et la CNCDH qui avait suggéré en particulier dans son avis sur les mutilations sexuelles féminines de novembre 2013 de :

- former les professionnels des secteurs médicaux, judiciaires, sociaux, de l'éducation nationale, dans le cadre de la formation initiale et continue ;

- mieux informer en milieu scolaire (dans les séances d'éducation à la sexualité et dans les actions de prévention des violences sexuelles, sensibilisation aux MSF).

- lancer une nouvelle campagne nationale d'information et de prévention des mutilations sexuelles (travail conjoint avec les acteurs de terrain) ;

- améliorer le recueil de données statistiques relatives aux MSF ;

- agir au plan international afin de favoriser l'élimination des MSF dans les pays d'origine des femmes immigrées, sur le plan diplomatique pour encourager l'adoption de législation interdisant les MSF, mais aussi financièrement, à travers le soutien aux associations locales.

Concernant les modalités concrètes de l'examen médical, il pourrait être envisagé d'espacer un peu plus les certificats, qui devraient être produits tous les deux ans par exemple (d'autant que désormais le statut de réfugié peut être accordé plus aisément dans ce type de cas, alors que le titre de séjour doit être renouvelé tous les ans dans le cas de la protection subsidiaire), mais pas au-delà afin de veiller à la protection effective des jeunes filles.

Il pourrait également être envisagé de confier cet examen à des professionnels habilités, par exemple dans le cadre des unités médico-judiciaires (UMJ), telle que le service du Dr Rey-Salmon à l'Hôtel Dieu, en prévoyant également, le cas échéant, la gratuité de la prise en charge pour les mineures concernées.

Recommandation n° 16 : Assurer la protection des mineures menacées de mutilations sexuelles féminines :

en maintenant les dispositions du projet de loi prévoyant la présentation d'un certificat médical, qui devrait être présenté tous les deux ans, pour s'assurer de l'effectivité de la protection ;

- en étudiant la possibilité de confier cet examen à des professionnels habilités, par exemple dans le cadre des unités médico-judiciaires (UMJ), avec une prise en charge financière ;

-  en développant les actions de formation, de sensibilisation et d'information concernant les mutilations sexuelles féminines, notamment en milieu scolaire et auprès des parents des mineures protégées.

Enfin, il est positif que l'article 19 du projet de loi (article L. 752-1 du Ceseda) consacre le droit à la réunification familiale des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire. Ainsi, le bénéficiaire d'une telle protection peut faire venir les membres de sa famille se trouvant dans le pays d'origine, sans que lui soient opposées les conditions de durée de séjour préalable, de logement et de ressources, normalement exigibles pour les autres étrangers sollicitant le regroupement familial. Ce principe se justifie par le souci, pour des raisons humanitaires et de protection, de permettre la reconstitution de la cellule familiale du réfugié le plus rapidement possible. Cet article simplifie également les vérifications d'actes d'état civil concernant des membres de famille de réfugiés ou de bénéficiaires de la protection subsidiaire rentrant dans ce cadre.

L'article 18 du projet de loi prévoit également (article L. 313-1 du Ceseda) d'élargir le bénéfice de la carte de séjour temporaire, qui est délivrée au bénéficiaire de la protection subsidiaire, aux parents de mineurs ayant obtenu la protection subsidiaire. Il modifie également l'article L. 314-11 du même code, en prévoyant la délivrance d'une carte de résident aux ascendants de mineurs ayant obtenu le statut de réfugié.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION

Audition de M. Maxime Forest, président de la commission Droits des femmes et enjeux internationaux et européens du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), docteur en sciences politiques, de Mme Cécile Sportis, rapporteure sur l'asile, et de Mme Caroline Ressot, juriste, du HCEfh, le mardi 7 octobre 2014. 80

Audition, sous forme de table ronde, de Mme Fatiha Mlati, directrice de l'intégration à France terre d'asile, de Mme Haoua Lamine, avocate, représentante du GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s), et de Mme Isabelle Gillette-Faye, sociologue et directrice de la Fédération nationale GAMS (Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et enfants), le mardi 14 octobre 2014.. 86

Audition de M. Pascal Brice, directeur général de l'Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), et de Mme Cécile Malassigné, référente sur les violences faites aux femmes à l'OFPRA, le mercredi 15 octobre 2014 95

Audition de Mme Catherine Teitgen-Colly, vice-présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), professeure de droit public, et M. Hervé Henrion, conseiller juridique, magistrat, le mercredi 22 octobre 2014. 108

Audition de Mme Arlette Vialle, directrice générale adjointe de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, le mercredi 29 octobre 2014 122

Audition de M. Maxime Forest, président de la commission Droits des femmes et enjeux internationaux et européens du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), docteur en sciences politiques, de Mme Cécile Sportis, rapporteure sur l'asile, et de Mme Caroline Ressot, juriste, du HCEfh

Compte rendu de l'audition du mardi 7 octobre2014

Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans la perspective de l'examen du projet de loi relatif à la réforme de l'asile, nous recevons aujourd'hui M. Maxime Forest, président de la commission Droits des femmes et enjeux internationaux et européens du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), docteur en sciences politiques, Mme Cécile Sportis, rapporteure sur l'asile pour cette même commission, et Mme Caroline Ressot, juriste.

Après avoir participé activement à la concertation sur le droit d'asile, le HCEfh a formulé plusieurs recommandations. En la matière, la France a du retard par rapport à d'autres pays européens sur la prise en compte du genre, soit par méconnaissance de cette problématique spécifique, soit parce que le droit d'asile est considéré comme neutre en termes de genre. La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a refusé le droit d'asile à des prostituées victimes de réseaux, albanais notamment, ainsi qu'à des mères de jeunes filles menacées d'excision. J'ai moi-même rencontré dans ma permanence des femmes qui ne sont ni régularisables ni expulsables, alors que leur fille a été placée en protection subsidiaire.

Mme Maud Olivier a été désignée rapporteure de ce texte au nom de notre Délégation, et Mme Sandrine Mazetier rapporteure au nom de la Commission des lois.

Mme Maud Olivier. Mme Sandrine Mazetier vous a auditionnés hier. La dimension du genre est fondamentale en matière de droit d'asile, car le traitement ne peut être le même selon que les personnes sont victimes de violences ou pas.

M. Maxime Forest, président de la commission Droits des femmes et enjeux internationaux et européens du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh). Merci de cette invitation. Dès l'annonce d'une réforme sur le droit d'asile, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes a décidé de s'autosaisir de cette question. En effet, certains de ses membres nous ont alertés sur le fait que la concertation organisée par le ministère de l'intérieur n'ait pas associé les représentants des associations œuvrant spécifiquement en faveur du droit d'asile des femmes. Au surplus, la commission que je préside a fait le constat que l'asile est aujourd'hui un phénomène mixte, puisque, dès 2013, la proportion de femmes parmi les demandeurs d'asile était de près de 40 % et une proportion équivalente obtenait le statut de réfugiée. En la matière, les types de violences sont tout à fait spécifiques. Il s'agit des violences de genre, des persécutions liées à l'orientation sexuelle, des persécutions liées à l'expression de convictions féministes ou à un combat en faveur du droit des femmes, mais aussi de la traite des êtres humains et des violences familiales ou exercées par des réseaux.

Ce phénomène sexué n'est pas encore appréhendé en tant que tel par l'ensemble de la chaîne du droit d'asile. Néanmoins, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) s'est saisi de ces questions, en particulier au regard de la formation de ses officiers.

Nous considérons que le projet de loi en l'état ne permettra pas de mettre fin à l'hétérogénéité des pratiques en termes d'accueil, d'accompagnement et d'examen des demandes. Cette hétérogénéité est manifeste au regard du genre puisque, à défaut de formations communes et de référentiels communs, les différentes étapes de la chaîne du droit de l'asile traitent des questions identiques de manière différente - je pense notamment aux mutilations sexuelles.

Au HCEfh, nous constatons en outre que le projet de loi ne fait allusion aux textes communautaires qu'il s'agit de transposer que de manière incidente. Or ces directives traitent précisément de la thématique du genre et de l'égalité femmes-hommes.

Aussi avons-nous rédigé sept observations et sept recommandations, déclinées en propositions d'amendement, qui figurent dans le document que nous vous avons distribué.

La première observation porte sur les références aux dispositions communautaires. Le Haut Conseil observe que, bien que le projet de loi ait notamment pour objet d'adapter le droit français aux dispositions communautaires en matière de droit d'asile, les références aux directives « accueil », « procédure » et « qualification » sont à la fois limitées et peu explicites dans le texte. En particulier, ni la référence explicite des textes communautaires à la possibilité pour le genre de constituer un motif d'appartenance à un groupe social au sens de la Convention de Genève, ni les références exhaustives aux situations de vulnérabilité relevant du genre ou de l'orientation sexuelle, ne sont reprises dans le projet de loi.

Notre deuxième observation concerne l'enregistrement des demandes. Le HCEfh considère que le maintien de l'enregistrement des demandes d'asile en préfecture aboutira à maintenir l'hétérogénéité des pratiques, si bien que ne seront pas garanties, lors du premier accueil, les conditions égales d'information. Or cette hétérogénéité est particulièrement préjudiciable au premier accueil des personnes vulnérables, tout particulièrement les femmes, et, plus largement, à l'égal traitement des demandeurs et des demandeuses d'asile.

La troisième observation a trait à l'accueil des demandeurs et demandeuses et à l'établissement des situations de vulnérabilité. La mission d'accueil confiée par le projet de loi à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) inclut la détermination des besoins des demandeurs et demandeuses d'asile au regard des situations de vulnérabilité, mais sans que soient précisées les conditions dans lesquelles ces dernières sont établies, notamment au regard du genre.

Mme Cécile Sportis, rapporteure sur l'asile. Au sens de la Convention de 1951 sur les réfugiés, les actes de torture - perpétrés par un État ou un pouvoir organisé - sont considérés comme une cause intrinsèque du droit à l'asile. Or les violences subies par les femmes peuvent être d'ordre familial et relever d'une organisation sociétale, d'une forme de patriarcat. Lors de la création des groupes pour l'abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants (GAMS) en 1977-1978, à laquelle j'ai contribué, l'OFPRA a refusé l'accueil de jeunes femmes au prétexte que les violences qu'elles subissaient étaient d'ordre privé. Je rappelle qu'en 1934, lorsque René Cassin alerta la Société des Nations sur la situation des Juifs en Allemagne, on lui répondit la même chose : que c'était l'affaire de l'État allemand.

La Convention de 1951 visait initialement à protéger les réfugiés politiques, donc des hommes blancs, éduqués et en mesure d'exprimer des opinions politiques. Aujourd'hui, la situation s'est diversifiée et nous devons prendre en compte les vulnérabilités liées au genre.

En outre, le projet de loi peut générer des effets pervers au regard de la situation des femmes et des personnes aux pratiques sexuelles différentes.

Au surplus, ce texte revêt une dimension très bureaucratique, alors que les femmes très vulnérables sont souvent illettrées et que toutes ne seront pas assistées d'un conseil.

Aussi notre quatrième observation porte-t-elle sur l'hébergement des demandeurs et demandeuses d'asile. L'hébergement dirigé risque de ne pas être favorable à la situation des femmes, d'abord, parce qu'il n'est pas certain que des associations spécifiques se trouveront sur place pour accompagner ces femmes, ensuite, parce que les délais risquent d'être rallongés.

Notre cinquième observation concerne les conditions de l'entretien et du recueil des récits de souffrance. Certes, les victimes devront être accompagnées par des conseils, mais il est également très important que les personnes qui procéderont au premier accueil soient formées pour savoir poser les bonnes questions, faute de quoi certaines choses resteront tues. Les femmes violées en Croatie n'ont pas pu parler de leur calvaire pendant des années, car c'était une honte pour la famille, une honte pour leur pays, mais à partir du moment où elles ont été accueillies dans une pièce avec des femmes d'autres nationalités ayant subi les mêmes traitements, elles ont commencé à se confier.

Notre sixième observation a trait à la présence d'un tiers lors de l'entretien. Actuellement, seules les grandes associations, telles France terre d'asile et la Cimade, sont mentionnées. Nous souhaitons qu'une disposition prévoie la possibilité pour un demandeur ou une demandeuse d'asile présentant une demande liée au genre ou à l'orientation sexuelle de solliciter la présence d'un représentant d'une association spécialisée, comme les GAMS.

Notre septième et dernière observation porte sur l'étude d'impact. Le HCEfh constate que l'étude d'impact annexée au projet de loi, bien que comprenant quelques paragraphes sur l'impact possible de cette réforme sur les femmes, est quelque peu laconique, faute de données statistiques sexuées et d'analyses genrées sur ces sujets. À cet égard, nous regrettons que notre rapport issu des auditions organisées par le Conseil d'État et France terre d'asile ne soit pas annexé à celui de Mme Valérie Létard et de M. Jean-Louis Touraine.

M. Maxime Forest. Notre première recommandation concerne les personnes vulnérables et l'appartenance à un groupe social. Nous proposons d'expliciter les références aux personnes vulnérables et l'appartenance à un certain groupe social issues des directives « accueil » et « qualification » pour l'intégration d'une perspective de genre. Le législateur pourra s'appuyer sur les principes directeurs énoncés en la matière par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

La deuxième recommandation porte sur le recours à la notion de pays dits « sûrs », notion qui figure dans le projet de loi. Il est nécessaire à nos yeux d'assortir le recours à la notion de pays « sûrs » d'indicateurs ou de critères relatifs à la situation des droits des femmes et des minorités sexuelles. Ces indicateurs liés au genre devront prendre en compte les persécutions exercées par les autorités, les groupes sociaux, les groupes terroristes, mais aussi celles exercées dans le cadre de la sphère privée ou familiale.

Notre troisième recommandation concerne les conditions d'accueil et d'hébergement. Nous préconisons de prendre en compte le respect du principe d'égalité femmes-hommes et la dimension du genre à trois niveaux. D'abord, lors de l'enregistrement des demandes, avec une vigilance quant au niveau d'information fournie respectivement aux demandeurs et demandeuses d'asile, notamment au regard de l'accès à la langue et à l'écrit. Ensuite, lors de l'établissement des situations de vulnérabilité par l'OFII. Enfin, dans le cadre des conditions d'hébergement, afin que celles-ci garantissent la sécurité des femmes et des personnes vulnérables.

Mme Cécile Sportis. Notre quatrième recommandation a trait au recueil des récits appuyant les demandes. Il convient d'accorder une vigilance particulière aux aspects de genre dans le recueil des récits écrits, afin de faciliter l'énonciation dès le début de la procédure des situations susceptibles de relever de violences ou de persécutions liées au genre ou à l'orientation sexuelle. En effet, en cas d'hébergement dirigé en province, il faudra trouver des traducteurs de confiance, qui ne soient du côté ni des opprimants ni des opprimés, et qui sauront comprendre à demi-mot l'exposé des victimes. Or il sera très difficile de trouver des interprètes pour tous les départements, mais aussi de les former car cela coûtera très cher.

Notre cinquième recommandation concerne les conditions de l'entretien à l'OFPRA. Il convient de prévoir pour les demandeurs et demandeuses qui le souhaitent la possibilité d'être assistés par un représentant d'une association œuvrant spécifiquement à la défense des droits des migrants, des victimes de persécutions de genre ou liées à l'orientation sexuelle, voire des associations de lutte contre le sida. En effet, dans certains pays, les personnes atteintes du VIH sont discriminées à un point tel que leur vie est en danger.

Notre sixième recommandation porte sur les données statistiques et sexuées. Afin d'informer, dès leur enregistrement, le suivi et l'examen des demandes d'asile, nous préconisons de produire et de publier des données statistiques sexuées, notamment par les préfectures, l'OFII, l'OFPRA ou encore les services consulaires, ainsi que des éléments d'analyse genrée concernant le traitement des demandes de protection internationale à tous les stades de la procédure.

M. Maxime Forest. Notre dernière recommandation est relative à la formation. Il s'agit de rendre effective et obligatoire la formation à l'égalité femmes-hommes et à l'approche de genre pour les acteurs et actrices intervenant au cours de la procédure de demande d'asile - préfectures, OFII, OFPRA, centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), CNDA, etc. Le HCEfh a proposé à l'OFPRA de l'accompagner dans la recherche d'une définition d'un cahier des charges en matière de formation et d'un référentiel commun pour les problématiques de la traite des êtres humains, des violences faites aux femmes, des persécutions liées au genre, de la torture, des mineurs isolés, etc., afin de garantir une approche intégrée de l'égalité.

Mme Cécile Sportis. Sur la formation, il nous semble important d'envisager un calendrier, mais aussi la possibilité pour les personnels assurant le premier accueil de demander, dans l'attente de leur formation, à être aidées par des associations spécialisées.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le projet de loi semble faire peu référence aux deux directives « accueil » et « qualification » relatives au régime d'asile européen commun (RAEC) instauré en juin 2013 et qui doivent être transposées avant juillet 2015. Constitue-t-il, malgré tout, une transposition de ces directives ?

Mme Cécile Sportis. Oui, mais ce sera à l'Europe d'apprécier.

M. Maxime Forest. Cela sera considéré comme une transposition - certes, de médiocre qualité.

Mme la présidente Catherine Coutelle. À nous d'en améliorer la qualité.

En France, on achoppe sur la notion de « groupe social ».

Dans ma circonscription, l'association Toits du monde a réalisé un excellent travail sur le récit, mais ses subventions lui ont été supprimées par la préfecture.

Je souscris totalement à votre propos sur les statistiques sexuées.

Enfin, pour les études d'impact, les ministères envoient leurs projets de loi au service des droits des femmes qui dispose de deux heures pour en apprécier l'impact en termes d'égalité, si bien qu'il est impossible de s'appuyer sur des documents aussi incomplets !

Mme Maud Olivier. Comment peut-on traduire dans un texte de loi l'arrivée massive de personnes victimes de la traite en vue de la prostitution comme des violences exercées contre les femmes ?

Mme Cécile Sportis. Des textes internationaux sur la traite ont été ratifiés par la France.

Mme Maud Olivier. L'octroi du droit d'asile aux victimes de la traite risque d'être considéré par les proxénètes comme un moyen de faire venir davantage de personnes et, ainsi, de légaliser leur présence sur le territoire.

Mme Cécile Sportis. Cela ne changera rien car on conseille déjà aux victimes des réseaux de prostitution présentes sur le territoire depuis trois mois de demander l'asile. Elles peuvent l'obtenir en déclarant être victimes de violences dans la sphère familiale, menacées de mariage forcé, etc. L'utilisation de la loi à des fins autres a toujours existé et existera toujours. La seule garantie à mon sens est la qualité du récit, d'où la nécessité de permettre un recueil du récit dans les meilleures conditions possibles. La loi comportant des dispositions contre la traite des êtres humains constituera un filtre.

Le problème central du projet de loi est d'avoir été rédigé à l'aune des risques et non des garanties à apporter aux personnes en difficulté. Pour m'occuper de personnes en difficulté depuis quarante ans, je parle du potentiel bénéficiaire et non du risque pour la société. La question est de savoir si notre pays court un grand risque ou un risque nécessaire au regard de l'amélioration des conditions de vie des victimes.

M. Maxime Forest. Dans le cadre de la procédure, le récit écrit sera recueilli par l'OFII et remontera à l'OFPRA, qui pourra éventuellement remettre en cause un classement en procédure prioritaire. Le rôle de ce premier récit est diminué aux termes du projet de loi, ce qui n'est pas une mauvaise chose au regard de l'hétérogénéité des pratiques et des inégalités en termes d'accès à la langue et d'assistance. Ce récit ne suffit donc pas à la décision, mais il est tout de même important. Le deuxième récit sera délivré - ou pas - lors de l'entretien à l'OFPRA, les persécutions de genre n'étant pas forcément avancées comme motif de la demande. C'est le récit clé, et les conditions de son recueil sont primordiales.

Il existe un troisième type de récit, la parole, qui peut se libérer à la faveur des conditions d'hébergement et de l'intervention des associations, comme Toits du Monde. Ce récit, qui n'entre pas dans le cadre de la procédure, est de nature à préparer l'entretien, mais peut aussi donner lieu à des manipulations.

Les directives européennes censées être transposées par ce projet de loi introduisent des garanties en termes de délai d'instruction et d'uniformité des pratiques d'accueil, d'écoute et de recueil des récits de souffrance. Tous ces éléments ne sont pas repris intégralement par le texte.

Mme Cécile Sportis. Le texte n'est pas clair sur la possibilité pour les personnes adultes d'être auditionnées individuellement. Or bien souvent, c'est le soi-disant chef de famille qui délivre le premier récit, ce qui peut empêcher de déceler des cas de traite, par exemple. Les directives européennes permettent d'éviter ce genre d'écueil.

Mme Caroline Ressot, juriste. La transposition intégrale d'un certain nombre d'articles des directives permettrait de définir clairement le périmètre des violences liées au genre, à savoir les persécutions, la traite, la prostitution, etc. Avec la loi du 5 août 2013, qui a permis de protéger plus efficacement les victimes de la traite, cette avancée apporterait une meilleure protection internationale aux femmes victimes de violences.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Que pensez-vous de la procédure de Dublin ?

Mme Cécile Sportis. Il s'agit d'une disposition européenne très généraliste.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je connais le cas dramatique d'une famille qui a fait deux demandes d'asile, en Pologne et à Poitiers, et qui a été renvoyée en Pologne.

M. Maxime Forest. Les garanties des droits diffèrent selon qu'il s'agit d'un pays d'afflux, comme la Grèce, ou d'un pays de transit, comme la République tchèque, où les demandes traitées sont plus rares et donc les conditions de traitement plus satisfaisantes. Ainsi, la disposition est discriminante non pas au regard du genre, mais parce que les garanties offertes ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre.

Mme Caroline Ressot. Mais tous les pays européens sont censés transposer les directives.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cette inégalité existe sur le territoire français, où les préfectures n'ont pas à traiter les mêmes flux, avec parfois des files d'attente qui commencent à trois heures du matin.

Mme Cécile Sportis. Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes a suggéré que le premier enregistrement puisse être réalisé par Internet à partir des associations. Le directeur de l'OFPRA y est favorable. Alors que tout est manuscrit actuellement, cette nouvelle procédure permettrait de réduire le délai de traitement de trois à cinq mois. Un premier pas a été fait puisque les demandes ne sont plus soumises à l'obligation de domiciliation.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci infiniment de votre contribution, mesdames, monsieur.

Audition, sous forme de table ronde, de Mme Fatiha Mlati, directrice de l'intégration à France terre d'asile, de Mme Haoua Lamine, avocate, représentante du GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s), et de Mme Isabelle Gillette-Faye, sociologue et directrice de la Fédération nationale GAMS (Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et enfants

Compte rendu de l'audition du mardi 14 octobre2014

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi portant réforme de l'asile en recevant aujourd'hui des représentantes d'associations d'aide aux personnes étrangères.

Nous souhaiterions savoir, mesdames, si la France rattrape son retard dans la prise en compte du genre à travers ce texte.

Mme Isabelle Gillette-Faye, sociologue et directrice de la Fédération nationale GAMS (Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants). L'association GAMS a été créée en 1982 par des femmes originaires de l'Afrique subsaharienne et des femmes occidentales dans l'objectif de travailler à la prévention des mutilations sexuelles féminines et autres violences faites aux femmes.

Nous avons été interpellés sur la question du droit d'asile à partir de 1991, quand maître Linda Weil-Curiel, présidente de la Commission pour l'abolition des mutilations sexuelles (CAMS), fut saisie par une femme sénégalaise risquant une excision avant le mariage dans son pays d'origine. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission de recours des réfugiés (CRR) avaient opposé un refus à la demande, puis le Conseil d'État avait donné son accord, mais sans reconnaître le droit de cette femme à l'asile conventionnel plein et entier.

De 1991 à 2001, dans un contexte de pénurie d'experts francophones sur les violences de genre à caractère coutumier, les pays où la jurisprudence sur l'asile se mettait en place - Suisse, États-Unis, Canada, Australie - nous ont sollicités sur des dossiers. Nous avons alors étudié dans quelle mesure notre connaissance de terrain confirmait ou infirmait le récit des personnes victimes, que nous n'avons pas rencontrées.

En 2001, en l'absence de jurisprudence française, la Commission de recours des réfugiés s'est intéressée aux expertises que nous avions rédigées pour un certain nombre de pays, d'avocats ou d'organismes. Elle nous a alors présenté trois dossiers : celui de la famille Sissoko, qui a fait jurisprudence ; le dossier d'une femme somalienne qui avait perdu sa fille aînée à la suite d'une infibulation et qui souhaitait protéger sa fille cadette ; et un dossier ivoiro-guinéen difficile à défendre. Ces dossiers, pour lesquels nous n'avons pas non plus rencontré les personnes, ont pu être défendus.

De 2001 à 2006, nous avons accompagné des demandeurs d'asile en première instance, mais depuis 2006, vu l'augmentation du nombre de dossiers et le niveau de nos ressources humaines, nous limitons notre travail et nos expertises au stade du recours.

Nous pensions retrouver dans le projet de loi relatif à la réforme de l'asile une grande partie des recommandations sur le genre formulées par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh). Aussi plusieurs questions peuvent-elles se poser selon nous.

D'abord, si les parents peuvent obtenir auprès de la préfecture un droit au séjour en se fondant sur l'asile conventionnel accordé à leur enfant menacé de mutilation sexuelle féminine, ils doivent néanmoins présenter chaque année, pour obtenir le renouvellement de leur titre de séjour, un certificat médical attestant que l'enfant n'a pas été excisé durant l'année passée. Il est vrai que le risque zéro n'existe pas - certains enfants sont même emmenés à Londres ou Bruxelles pour être excisés.

Ensuite, si l'asile conventionnel est accordé à l'enfant, la mère - même si elle a milité contre les violences faites aux femmes, ou a été victime de mutilation sexuelle, d'un mariage forcé précoce ou de tout autre type de violences - n'est plus protégée, car le titre de séjour est moins protecteur que l'asile conventionnel.

Enfin, les textes français séparent toujours les mineurs et les majeurs. Or nous pensons indispensable que le projet de loi soit protecteur à la fois pour les femmes et les petites filles.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Êtes-vous favorable au certificat médical de non-excision pour le renouvellement du titre de séjour ?

Mme Isabelle Gillette-Faye. Le certificat nous semble essentiel pour l'établissement du dossier, mais nous n'avons pas un avis tranché sur l'examen de contrôle annuel, une fois la protection accordée. Mme Caroline Rey-Salmon, responsable des urgences médico-judiciaires pour enfants et adultes de la ville de Paris, considère que cet examen n'est pas traumatisant. Par contre, des collègues du Comité médical pour les exilés (COMEDE) s'interrogent sur les risques pour des enfants d'être soumis chaque année à un examen gynécologique, sans compter que celui-ci induit un traitement inégal des demandeurs d'asile.

Mme la rapporteure. Avez-vous constaté des cas d'excision dans l'année qui a suivi l'octroi de la protection ?

Mme Isabelle Gillette-Faye. Non. Dans le cadre de notre travail avec les services de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et de l'OFPRA, nous n'avons jamais demandé cet examen médical.

Par contre, des fillettes prises en charge par la protection maternelle et infantile (PMI), de zéro à six ans, et des jeunes filles ont été retirées du système scolaire par leur famille, notamment au moment du passage entre école primaire et collège ou entre collège et lycée, pour être envoyées au pays d'origine, mutilées, mariées de force, avant de revenir en France vers l'âge de dix-huit ou vingt ans.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En cas de constat d'excision, l'asile est-il supprimé ?

Mme Isabelle Gillette-Faye. Tout à fait, de la même manière que l'asile est supprimé en cas de retour avec l'enfant dans un pays que la personne a fui pour avoir déclaré y être en danger.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Connaissez-vous des cas de personnes engagées dans la lutte contre les mutilations sexuelles dans leur pays et qui ont obtenu l'asile ? Il semble que l'OFPRA prenne davantage en compte l'appartenance à un groupe social, plutôt que le combat politique, pour accorder la protection.

Mme Isabelle Gillette-Faye. L'OFPRA examine les dossiers au cas par cas. Si la personne arrive à faire la preuve de son engagement et des menaces auxquelles elle est exposée, elle a des chances d'être entendue. Sinon, elle le sera probablement devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

Mme Barbara Romagnan. Qu'entendez-vous par la nécessité d'une disposition commune aux femmes et aux petites filles ?

Mme Isabelle Gillette-Faye. La notion de vulnérabilité doit prendre en compte les femmes adultes qui ne peuvent pas retourner dans leur pays car leur fille est menacée d'excision, mais aussi les mineures isolées qui ont quitté leur pays en étant menacées d'excision ou qui ont été excisées et sont menacées de mariage forcé. L'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) doit reconnaître que les petites filles et les adolescentes constituent un public vulnérable.

Je précise que le certificat médical pourra être produit chaque année sans trop de difficultés tant que la jeune fille sera mineure. Par contre, une jeune femme ayant obtenu l'asile devra théoriquement présenter le certificat même après sa majorité, car aucune limite dans le temps n'est fixée par le texte.

Mme Barbara Romagnan. Vous voulez dire que leurs droits en tant qu'enfant devraient être reconnus dans le texte.

Mme Isabelle Gillette-Faye. Tout à fait. Selon le projet de loi, la situation de vulnérabilité, qu'elle soit liée à la minorité ou à une situation particulière, doit être prise en compte dans la mise en œuvre des droits des bénéficiaires d'une protection.  Or, comme acteurs de terrain, nous constatons que cette vulnérabilité est difficile à établir pour les filles, soit parce qu'elles sont considérées comme majeures, soit parce qu'elles sont reconnues comme mineures et que le risque d'excision ou de mariage forcé est alors difficilement entendu.

Mme Barbara Romagnan. Actuellement, soit elles sont reconnues comme mineures, et leur cas n'est pas traité au regard des mutilations ou des mariages forcés ; soit elles sont considérées comme majeures et victimes des violences spécifiques faites aux femmes, mais leur statut d'enfant n'est pas pris en compte ?

Mme Isabelle Gillette-Faye. Exactement.

Mme Haoua Lamine, avocate, représentante du Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI). Le GISTI a élargi ses combats et changé de nom - le terme « travailleurs » a disparu de son appellation. Il est une association spécialiste du droit des étrangers.

Le projet de loi institue une attestation de demande d'asile commune à toutes les personnes qui sollicitent la protection. Or le droit au séjour actuel donne accès à de nombreux droits - couverture maladie universelle, ouverture d'un compte, perception de l'allocation de subsistance, scolarisation. La question est donc de savoir si cette attestation ouvrira les mêmes droits.

Ensuite, le projet de loi substitue à la procédure prioritaire actuelle la procédure accélérée. Or des situations justifient un examen spécifique de la demande sur la base soit de la présomption légale, soit d'une appréciation laissée à la discrétion de l'administration. Les personnes qui, sans raison valable, n'auront pas présenté une demande d'asile dans le délai de quatre-vingt-dix jours à compter de leur entrée en France, pourront donc faire l'objet de cette procédure accélérée, alors que celle-ci présente moins de garanties - ce qui posera problème, par exemple, si la femme met au monde une fille risquant l'excision.

Le projet de loi prévoit également la présence d'un tiers lors de l'entretien devant l'OFPRA. Selon nous, cette disposition devrait être encadrée de plusieurs manières. D'abord, le demandeur d'asile devrait être libre d'être assisté ou non lors de l'entretien, et le tiers avoir la possibilité d'intervenir lors de cet entretien. Nous recommandons également la transcription par écrit de l'entretien et la possibilité pour le demandeur ou le tiers accompagnant d'apporter immédiatement des commentaires, afin de rectifier certains points. Cela n'exclut pas la possibilité de procéder en parallèle à un enregistrement pour permettre à la personne de revenir sur certains points durant l'entretien. En outre, au nom du respect de l'égalité de traitement, le texte devrait préciser clairement que l'aide sera apportée soit par un membre d'une association, soit par un avocat, mais également prévoir la prise en charge de ce tiers, en particulier l'aide juridictionnelle en cas de recours à un avocat. Enfin, cette réforme devrait renforcer les exigences en matière de formation et d'encadrement des interprètes à l'OFPRA, notamment sur les questions liées au genre.

Par ailleurs, le projet instaure la possibilité pour l'OFPRA de demander un certificat médical lorsqu'une protection a été accordée à une mineure exposée à un risque d'excision. Certes, le risque zéro n'existe pas. Néanmoins, si l'article 18 de la directive 2013/32/UE prévoit un examen médical, il précise que cet examen a lieu sous réserve du consentement du demandeur, qu'il doit être réalisé par un professionnel de santé qualifié, et que le refus de se soumettre à un tel examen n'empêche pas l'autorité responsable de prendre une décision sur la demande de protection internationale. Je ne suis donc pas certaine que le certificat médical soit la bonne solution : des séances d'information et de sensibilisation me semblent préférables au contrôle. À mon sens, l'exigence d'un certificat médical pourrait aboutir à une systématisation, dénoncée par plusieurs associations, sans compter qu'elle engendrerait une confusion entre médecine de soins et médecine de contrôle. Au final, plusieurs questions se poseront. Comment éviter le traumatisme d'un examen systématique et la stigmatisation d'une catégorie de personnes ? Comment garantir une procédure sans la coopération du demandeur ?

Enfin, la notion de vulnérabilité est corrélée dans le projet de loi avec l'adaptation des conditions d'hébergement, à la prise en charge matérielle et aux garanties procédurales spécifiques. C'est ainsi que la qualification de personne vulnérable pourrait avoir pour un demandeur d'asile des conséquences importantes en termes d'accès aux droits. Or la reconnaissance de la vulnérabilité ne doit ni induire une discrimination entre les demandeurs d'asile, ni avoir pour conséquence de renfermer certains d'entre eux dans une catégorie et donc de les stigmatiser.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Par rapport à d'autres pays européens, on reproche à la France de ne pas suffisamment prendre en considération le genre, et notre Délégation cherche à améliorer ce texte pour les femmes.

Mme Haoua Lamine. Je suis d'accord, mais je tenais à souligner ce risque d'enfermement - dans le même esprit que ce que vous suggériez tout à l'heure sur le fait que les femmes prises individuellement devraient être reconnues dans leur combat politique contre les violences, et non pas seulement à l'aune de leur appartenance à un groupe social.

La notion de vulnérabilité soulève plusieurs autres interrogations. Quelle sera la forme de l'examen de la vulnérabilité mis en place par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) - questions, questionnaire, etc. ? Quelle qualification sera requise pour les professionnels en charge de cet examen ? Et de quelle manière sera évaluée cette vulnérabilité - par une administration ou des professionnels de la santé ?

Mme Fatiha Mlati, directrice de l'intégration à France terre d'asile. Fondée en 1970, France Terre d'Asile est gestionnaire de 3 500 places en centres d'accueil de demandeurs d'asile (CADA) et gère des plateformes d'accueil, notamment la plus importante à Paris.

La réforme du droit de l'asile - très attendue des acteurs - pose quatre principes : une simplification administrative, avec la fin de la domiciliation notamment ; une réduction du délai de procédure, ramené à neuf mois ; une amélioration de la qualité de la décision, notamment en première instance, avec la présence d'un tiers et l'examen de la vulnérabilité ; et l'hébergement pour tous les demandeurs d'asile, avec la fusion des CADA et du dispositif d'urgence.

Si France terre d'asile adhère pleinement à ces principes, que nous défendons depuis de nombreuses années, j'émettrai cependant deux réserves.

La première porte sur le budget consacré à l'asile pour 2015, certes en hausse de 1,3 % parce qu'il prévoit la création de 55 postes à l'OFPRA, mais il ne comporte aucun centime d'euro pour la fusion à terme des CADA avec l'hébergement d'urgence. Or le prix de journée en CADA ne cesse de baisser depuis 2008 et nous craignons que la qualité de l'hébergement et de l'accompagnement de ce dispositif - qui a permis jusqu'à aujourd'hui aux personnes de faire valoir leurs droits - ne puisse plus être assurée.

Notre seconde réserve concerne la notion de vulnérabilité. À notre sens, la France rattrape ainsi son retard, mais pas suffisamment car cette avancée est en deçà de la Convention d'Istanbul, ratifiée par la France, qui demande aux États de s'engager à reconnaître la persécution liée au genre.

Mme la rapporteure. Que manque-t-il précisément dans le projet de loi ?

Mme Fatiha Mlati. La loi espagnole, par exemple, a introduit depuis plusieurs années la persécution liée au genre comme motif justifiant l'octroi du droit d'asile. En France, l'OFPRA prend en considération l'appartenance à un groupe social.

Mme la présidence Catherine Coutelle. L'exposé des motifs fait référence aux directives européennes, mais pas à la Convention d'Istanbul.

Mme Fatiha Mlati. Le ministère de l'intérieur nous a informés du lancement de groupes de travail sur les modalités de mise en œuvre de la réforme, en particulier sur l'identification de la vulnérabilité. Depuis quinze ans, le dispositif national d'accueil est configuré essentiellement pour les familles, puisque le nombre de places dans les centres d'accueil est restreint. Aujourd'hui, il faut affiner le repérage des personnes les plus fragiles qui ont subi des persécutions soit dans leur pays, soit en venant en Europe, soit sur notre sol du fait des conditions d'accueil, comme les hôtels en dehors des villes, où sévissent des réseaux de prostitution.

Or le texte ne dit rien sur l'identification de ces vulnérabilités, sans compter qu'il ne définit pas cette notion. Pourtant, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) en a donné une définition très claire, qui satisfaisait entièrement le milieu associatif en étant parfaitement en phase avec la réalité sur le terrain. Nous pensons donc que le projet de loi doit définir clairement la vulnérabilité, car la loi est un garde-fou contre les dérives en termes de pratiques sociales.

Le texte indique que l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) procédera à un examen individuel de chaque demande, mais nous sommes sceptiques sur la capacité de celui-ci à remplir ce rôle d'identification des vulnérabilités. Le dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile n'a jamais prévu de protocole d'alerte et de mise à l'abri des femmes victimes de violences, d'où la nécessité d'une concertation entre le ministère de l'intérieur et les autres ministères en charge de ces questions afin d'assurer une protection efficace.

Jusqu'à aujourd'hui, les réfugiés ont bénéficié d'un régime dérogatoire favorable, mais la procédure de rapprochement familial est très longue, ce qui peut générer des violences conjugales car l'époux qui vient rejoindre sa femme trois à cinq ans après l'arrivée de celle-ci en France ne la reconnaît plus - elle parle français, elle travaille, etc. Or le projet de loi codifie pour la première fois le rapprochement familial des demandeurs d'asile, en prévoyant que le ressortissant étranger peut demander à être rejoint par son conjoint si le mariage est antérieur à la date d'obtention de la protection. Par conséquent, les personnes qui se marieront après l'obtention de leur statut devront faire venir leur famille dans les mêmes conditions de ressources et de logement que le regroupement familial de droit commun. Mais dans la mesure où il faut en moyenne trois à cinq ans à un réfugié pour se stabiliser sur le plan social et économique, cela reviendra à reculer encore plus la possibilité de réunification familiale et donc à maintenir les violences intrafamiliales. Il est donc dommage de toucher à la procédure du rapprochement familial des bénéficiaires du statut de réfugié en vigueur.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Pouvez-vous nous parler de la problématique du récit ? Dans ma circonscription, une association a fait un excellent travail en la matière, mais ses crédits ont été supprimés par la préfecture.

Mme Fatiha Mlati. En pratique, les personnes s'adressent soit aux plateformes d'accueil pour demandeurs d'asile - celle de Paris a une file active de 7 000 personnes -, soit à des associations communautaires ; d'autres demandent de l'aide à des compatriotes, etc. Le nombre de places en CADA est de 24 000 en France, et il est rare qu'un demandeur d'asile ait la chance d'être admis immédiatement dans un tel centre, où il bénéficiera d'un appui juridique. La plupart des personnes sont accueillies dans les dispositifs d'urgence, donc à l'hôtel, sans accompagnement.

À un horizon de deux à trois ans, l'OFII accueillera tous les demandeurs d'asile, ce qui signifiera la fin des plateformes gérées par les associations, et les personnes seront orientées vers le dispositif d'hébergement avec un pilotage commun entre CADA et hébergement d'urgence.

Selon nous, séparer l'accompagnement et l'hébergement est un contresens. En effet, héberger les personnes permet de les connaître, de créer du lien social, et donc de favoriser le récit dans de bonnes conditions. En outre, le prix de journée CADA baisse inexorablement depuis plusieurs années, et les crédits affectés à l'interprétariat chutent dans le budget 2015. Aussi la question est-elle de savoir comment garantir une procédure accélérée qui soit juste et équitable.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Sans compter que l'interprète peut ne pas traduire fidèlement.

Mme Isabelle Gillette-Faye. Au stade du recours, il nous arrive de nous apercevoir que ce qui a été transcrit ne correspond pas à ce qu'a dit la personne. En effet, certains interprètes ne partagent pas le point de vue des femmes victimes de violences ou n'ont pas envie d'entendre parler de leur pays de telle ou telle manière. D'où l'importance d'encadrer la disposition sur l'intervention d'un tiers.

Mme Fatiha Mlati. Malheureusement, les modalités d'agrément des associations ne sont pas prévues dans le projet de loi, mais sont renvoyées à un décret d'application.

Mme la rapporteure. S'agissant de l'hébergement, le SAMU social prend-il en charge les demandeurs d'asile ?

Mme Fatiha Mlati. Il existe un dispositif d'urgence de droit commun et un dispositif asile. Logiquement, le SAMU social ne prend pas en charge les demandeurs d'asile.

Mme la rapporteure. Dans ma commune, il semble qu'un accord ait été passé entre le SAMU social et un hôtel pour dix-sept familles qui demandent l'asile. Mais je vérifierai ce point.

Vous n'avez pas parlé des femmes victimes de la traite des êtres humains en vue de la prostitution.

Mme Isabelle Gillette-Faye. En lien avec les associations l'Amicale du nid et Les amis du bus des femmes, nous rencontrons de plus en plus de femmes nigérianes victimes à la fois de la traite et de la prostitution et de mutilations sexuelles.

Mme la rapporteure. Qui les encourage à demander l'asile ?

Mme Isabelle Gillette-Faye. Les femmes que nous rencontrons sont dans un processus de sortie de la prostitution, et elles demandent l'asile pour protéger leurs enfants ; c'est ainsi qu'elles nous sont présentées par les associations partenaires. Nous n'accompagnons pas celles qui sont encore dans les réseaux.

La question se pose de savoir si les réseaux de traite et de prostitution n'utilisent pas l'asile comme un moyen de régulariser la situation de ces femmes, soit momentanément avec un titre de séjour provisoire, soit définitivement grâce à l'asile conventionnel plein et entier, afin de les maintenir dans la prostitution.

Mme Fatiha Mlati. Au niveau de la plateforme parisienne, nous voyons énormément de situations de ce type, et nous avons mis au point avec une association un protocole d'identification et d'accompagnement pour aider ces femmes.

Sur la question du genre et des violences, le projet de loi ne donne aucune ligne directrice aux acteurs, qu'ils soient institutionnels ou associatifs. Or il est temps que la loi prévoit que leur action s'inscrit dans le cadre d'une politique publique de prévention, de suivi et d'évaluation.

Pour les victimes de la prostitution, nous avons un dispositif d'hébergement parisien, type CHRS (centre d'hébergement et de réinsertion sociale), qui accueille 20 % de femmes sorties des réseaux de la traite, orientées essentiellement via le service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) insertion et le Bus des femmes. La décision de sortir de la prostitution se fait le plus souvent à suite de la naissance d'un enfant.

Mme Haoua Lamine. Le projet de loi prévoit que  le demandeur est entendu dans la langue de son choix, sauf s'il existe une autre langue qu'il comprend et dans laquelle il est à même de communiquer clairement. Il est délicat de maintenir cette disposition car l'officier pourrait alors décider discrétionnairement l'utilisation d'une autre langue. Il faudrait prévoir l'intervention systématique d'un interprète professionnel.

Mme la rapporteure. Le projet de loi prévoit que les demandeurs d'asile seront répartis sur le territoire. Qu'en pensez-vous ?

Mme Fatiha Mlati. Les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) et les dispositifs d'urgence existent dans tous les départements, sauf la Corse. Les statistiques montrent que, depuis cinquante ans, les demandes d'asile concernent dans leur grande majorité l'Ile-de-France - Paris, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Essonne. Aujourd'hui, les pouvoirs publics souhaitent orienter les demandeurs d'asile pour leur offrir un hébergement, mais cela ne changera rien à la mobilité de ces derniers.

En effet, se posera, d'abord, l'épineuse question des déboutés.

Ensuite, la procédure de neuf mois encouragera les gens à revenir en Île-de-France. En effet, des délais de procédure longs amènent naturellement les gens accueillis dans les CADA à créer des liens sociaux, notamment en s'impliquant dans des associations caritatives, si bien que, une fois le statut obtenu, ils s'installent à l'endroit où ils sont intégrés. Une procédure accélérée ne permettra pas cette insertion locale, c'est un effet pervers du projet de loi.

Enfin, se posera la question des gens qui ne pourront pas aller dans la région désignée pour des raisons médicales, des certificats médicaux attestant qu'ils doivent être soignés dans un hôpital d'Île-de-France.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je connais le cas d'une famille qui a demandé l'asile en Pologne et en France, et qui a été renvoyée en Pologne en application de la procédure de Dublin. Les obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont toujours un drame.

Pouvez-vous nous parler des mineurs isolés étrangers ?

Mme Fatiha Mlati. En raison de l'ampleur du phénomène en Seine-Saint-Denis et à Paris, la circulaire Taubira de mai 2013 a prévu la répartition sur le territoire national des mineurs isolés demandeurs d'asile. Cela doit se faire en association avec les collectivités territoriales.

Mme la rapporteure. Pour être conseillère générale, je peux vous dire que les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ne sont absolument pas préparés à la prise en charge des mineurs isolés - et encore moins à repérer les situations de prostitution chez ces mineurs isolés !

Mme Fatiha Mlati. Je ne dis pas qu'il ne faut pas répartir les demandeurs d'asile, je dis qu'il faut aller jusqu'au bout de la réforme pour qu'elle soit cohérente.

Mme Isabelle Gillette-Faye. Effectivement, aucune directive claire n'a été donnée dans les départements sur la problématique des mineurs isolés. Nous constatons le problème dans le Limousin et en Mayenne.

Mme Fatiha Mlati. L'admission au séjour des demandeurs d'asile est régionalisée depuis 2009. Le projet de loi confie le premier accueil à l'OFII, mais nous ne savons pas comment il pourra assurer concrètement cette mission.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci beaucoup, mesdames, pour votre contribution.

Audition de M. Pascal Brice, directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), et de Mme Cécile Malassigné, référente sur les violences faites aux femmes à l'OFPRA

Compte rendu de l'audition du mercredi 15 octobre 2014

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous accueillons aujourd'hui le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), ainsi que la cheffe de file du groupe thématique de l'office sur les violences faites aux femmes, que je remercie pour leur présence aujourd'hui.

L'OFPRA constitue un élément important du dispositif de l'asile que la France s'apprête à réformer. Il s'agit d'une réforme attendue depuis plusieurs années. Comme le souligne l'exposé des motifs du projet de loi, les maux qui frappent le système actuel sont connus et ont été analysés par deux rapports parlementaires récents.

Ce projet de loi vise notamment à transposer les directives européennes dites « procédures » et « accueil » de 2013, dans le cadre des dispositions prévues par la Convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugié. Nous avons d'ailleurs des interrogations à ce sujet, dans la mesure où il semblerait que le projet de loi ne fasse pas suffisamment référence au texte des directives ; vous pourrez nous dire ce que vous pensez de cette transposition.

En tout état de cause, cette transposition devrait permettre d'harmoniser les politiques en Europe et de mieux accueillir les demandeurs et demandeuses d'asile, en poursuivant deux objectifs :

- d'une part, écarter plus rapidement ceux qui font des demandes infondées, ce qui concourt à l'engorgement du système d'asile ;

- d'autre part, améliorer la protection des personnes qui en ont réellement besoin. Les travaux de la Délégation se concentrent sur cet objectif, avec des interrogations sur la prise en compte du genre dans cette réforme, alors que la France a été pointée du doigt dans un rapport publié en 2011, du fait de son retard par rapport à d'autres pays européens.

L'OFPRA sort renforcé de ce texte, qui consacre son indépendance dans la prise des décisions relatives à l'asile : vous nous direz si c'est également votre analyse. En outre, le projet de loi comporte des dispositions procédurales en vue d'écarter plus facilement les demandes les moins fondées, à travers notamment les procédures d'irrecevabilité. Par ailleurs, les dossiers classés en procédure accélérée, qui remplace la procédure prioritaire actuelle, pourront être remis en procédure normale par l'OFPRA, et cette prérogative est importante compte tenu des différences de pratiques entre les préfectures pour le traitement des dossiers.

La liste des pays d'origine sûrs est aujourd'hui définie par l'OFPRA et cette notion sera mise en œuvre selon des critères plus objectifs et plus précis. À ce sujet, considérez-vous comme des pays d'origine sûrs ceux dans lesquels l'excision est encore pratiquée fréquemment, mais qui indiquent avoir une politique de lutte contre l'excision ?

Par ailleurs, ce projet de loi vient-il conforter la réorganisation de l'office qui a été engagée récemment ? À la faveur de cette réforme interne, comment l'OFPRA envisage-t-il de mieux prendre en compte la dimension du genre ? En particulier, de quelle façon les groupes thématiques mis en place à l'OFPRA prennent-ils en compte la question des violences faites aux femmes ?

J'ajoute que nous avons pris connaissance avec beaucoup d'intérêt des travaux et recommandations sur l'asile du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), dont certaines ont été prises en compte.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Dans le cadre de la réorganisation récente de l'OFPRA, est-il prévu la production systématique de statistiques sexuées sur les demandeurs et demandeuses d'asile ? C'est quelque chose qui nous paraît fondamental, comme pour l'ensemble des politiques publiques. Nous souhaitons qu'il y ait davantage de statistiques sexuées, mais aussi des études d'impact plus approfondies en termes d'égalité entre les femmes et les hommes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il y a maintenant plus de 30 % de demandeuses d'asile : cela exige-t-il, selon vous, des procédures particulières ?

M. Pascal Brice, directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Madame la présidente, madame la rapporteure, merci beaucoup de nous donner cette opportunité d'échanger et de répondre à vos questions sur ce projet de loi et sur la place de l'OFPRA dans le nouveau dispositif de l'asile. Je vais répondre aux différents points que vous avez abordés, en me concentrant sur la question des droits des demandeuses d'asile, mais un mot d'abord sur le contexte et la réforme en cours à l'office.

On observe une augmentation très importante de la demande d'asile en France depuis 2007, avec un ralentissement depuis le début de l'année, de l'ordre de 4 %. Cependant, compte tenu du contexte européen et de la sortie du Kosovo de la liste des pays d'origine sûrs, suite à une décision récente du Conseil d'État, cette tendance à la hausse constatée depuis 2007 pourrait reprendre, ce qui justifie pleinement la réforme actuellement engagée.

En outre, les directives européennes dites « qualification » et « procédures », qui seront mises en œuvre à partir de l'été prochain, comportent des droits et des garanties nouvelles, qui concernent notamment les femmes, et qui justifient à la fois la réforme récente de l'OFPRA et les mesures prévues par ce projet de loi.

Il convient en effet de répondre à l'augmentation importante des demandes d'asile et des objectifs de réduction des délais d'instruction ont été fixés par le Gouvernement. En tant que directeur général de l'OFPRA, j'adhère pleinement à cet objectif, qui ne me semble pas exogène à ses missions, dans la mesure où la réduction des délais est indispensable au regard de la situation des hommes, des femmes et des enfants concernés, mais aussi pour la crédibilité de cette politique publique.

Cet objectif, que l'OFPRA fait totalement sien, est inscrit dans son contrat d'objectifs et de performance. Ainsi, à l'horizon 2016, nous devrons avoir réduit de moitié le délai moyen d'instruction, pour le faire passer de six à trois mois, de manière à ce que, pour l'ensemble de la procédure, les délais d'examen des demandes d'asiles passent de vingt à neuf mois.

Pour atteindre cet objectif, c'est une sorte de fusée à trois étages qui a été mise en place, dont la réorganisation de l'OFPRA constitue le premier niveau. J'ai souhaité l'engager très tôt, à la demande du ministre de l'intérieur de l'époque, M. Manuel Valls, compte tenu du caractère très ambitieux des objectifs qui nous étaient fixés et de la nécessité d'adapter le fonctionnement interne de l'office. C'est la raison pour laquelle, depuis maintenant un an, est engagée une réforme très profonde de l'OFPRA s'appuyant sur un plan d'action, que j'ai élaboré avec les agents et qui a été approuvé à l'unanimité par les organisations syndicales.

Il s'agissait notamment de placer l'OFPRA en situation de mettre en œuvre plus aisément la loi portant réforme de l'asile et les dispositions issues des directives européennes. Les acteurs de l'asile en France, et en premier lieu les agents de l'office, doivent pouvoir se recentrer sur les besoins de protection réels des demandeurs. À cet égard, je suis heureux d'être accompagné aujourd'hui par Cécile Malassigné, qui est cheffe de section à l'OFPRA et pilote nos travaux sur les questions relatives aux violences faites aux femmes. Notre leitmotiv est de ne pas passer à côté d'un besoin de protection, et singulièrement s'agissant des femmes.

Dans un souci de plus grande efficacité et pour réduire les délais, il convient de consacrer moins de temps au traitement de demandes qui ne relèvent pas de besoins réels de protection, dans le respect des garanties fondamentales, qui sont renforcées par les directives. Tout demandeur, toute demandeuse d'asile a le droit à l'examen de sa demande et à un entretien à l'OFPRA. Cependant, nous devons organiser - et c'est l'objet de notre réforme interne et du traitement accéléré prévu dans la loi - les moyens d'une différenciation du traitement de la demande d'asile, reposant sur un socle fondamental de garanties, renforcées par les directives et la loi, mais aussi permettant de faire un partage par rapport à la réalité des besoins de protection, de manière à lutter contre ce que le Haut-commissaire aux réfugiés appelle la « dilution de l'asile ».

Cette réforme interne vise également à mieux harmoniser la mise en œuvre du droit d'asile au sein de l'OFPRA. Nous avons notamment mis en place un comité d'harmonisation, dont la vocation est de mieux prendre en compte la jurisprudence de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). C'est particulièrement important pour les besoins de protection concernant les femmes.

Nous avons par ailleurs mis en place des groupes de référents thématiques, tels que celui qu'anime Cécile Malassigné sur les violences faites aux femmes. Ces cinq groupes thématiques, constitués d'agents de différents services de l'office, portent sur des besoins de protection, qui correspondent assez largement à la notion de vulnérabilité au sens des directives européennes. À mon sens, ce projet de loi, outre la réforme de l'OFPRA, met pleinement en œuvre les directives européennes. Nous avons anticipé cette réforme avec la constitution de groupes de référents sur les violences faites aux femmes, la torture, la traite des êtres humains, qui concerne très largement les femmes, mais aussi les victimes de persécution en raison de leur orientation sexuelle, et les lesbiennes notamment, ainsi que les mineurs isolés, parmi lesquels naturellement des jeunes filles.

Les groupes de référents travaillent très activement depuis un an sur ces besoins de protection, en lien avec le monde associatif et des partenaires institutionnels tels que les ministères de la justice et de la santé. Il s'agit d'aider les officiers de protection lorsqu'ils instruisent des cas très particuliers sur lesquels ils peuvent être démunis, en les y sensibilisant et en mettant à leur disposition des outils d'appui à l'instruction. C'est un aspect très important de la réforme que nous avons engagée depuis maintenant plus d'un an.

Cette réforme comporte d'autres aspects, tels que la mise en œuvre d'un traitement adapté de la demande d'asile, qui repose sur un principe de différenciation et sur des outils d'appui à l'instruction, pour aller plus vite lorsque des demandes relèvent a priori d'un besoin de protection inexistant, avec un socle de garanties fondamentales pour tous. Ainsi, lorsque nous constatons que les demandeurs albanais ou kosovars relèvent de taux de protection à l'OFPRA de l'ordre 2 ou 3 %, je considère qu'il y a une forme de présomption qui fait que, dans le respect fondamental de garanties dues à tous les demandeurs, les officiers de protection doivent pouvoir aller plus vite. Ils ont des outils pour cela, avec aussi l'obligation de sortir immédiatement de ce cadre de traitement adapté s'il s'avère que la personne relève bien d'un besoin de protection réel.

Dans le même temps, lorsque les officiers de protection ont à traiter de cas de personnes syriennes, pour lesquels le taux d'accord est de 96 %, ou encore dans d'autres types de situation, concernant notamment l'excision, ils peuvent s'appuyer sur d'autres outils d'appui à l'instruction afin, là encore, de pouvoir se prononcer plus rapidement. Il est essentiel d'organiser, de structurer et d'harmoniser le traitement des demandes de sorte que, dans tous les cas, les garanties fondamentales soient présentes, mais il n'y a pas d'autre possibilité, à mon sens, que de renforcer les garanties fondamentales et dans le même temps d'utiliser des outils formalisés permettant cette approche différenciée. C'est le rôle des officiers de protection, c'est le rôle de leur hiérarchie à travers les chefs de section, et c'est mon rôle en tant que directeur général, que de veiller à ce que les droits et garanties ainsi que ces éléments de différenciation soient mis en œuvre.

La mise en œuvre du plan d'action pour la réforme de l'OFPRA, qui n'a pas encore produit tous ses effets, va se poursuivre, et cela va notamment permettre de gérer la réforme en cours de l'asile. Si je ne puis présenter dans le détail l'ensemble de ce plan, qui est très large, il convient de souligner que nous avons déjà atteint nos deux principaux objectifs en un an.

En effet, le premier objectif que j'avais fixé, même s'il ne dépend que partiellement de nous, a été atteint : il s'agissait de faire en sorte d'inverser une tendance, qui m'est apparue comme une bizarrerie, selon laquelle, historiquement, le juge d'appel en matière d'asile reconnaissait un plus grand nombre de protections que l'administration en première instance. Cette inversion s'est produite pour la première fois depuis un an : l'OFPRA reconnaît ainsi un plus grand nombre de protections que la CNDA. Cela résulte à la fois d'une évolution de la demande d'asile, et notamment de l'augmentation de la demande syrienne, mais aussi de la volonté de l'OFPRA, à travers les travaux du comité d'harmonisation en particulier, de mieux prendre en compte la jurisprudence de la CNDA. À la mi-2014, les taux d'accord à l'office sont ainsi supérieurs à ceux de la CNDA.

D'autre part, tout l'enjeu pour nous est de ne pas passer à côté d'un besoin de protection et d'être plus efficace, et donc plus rapide globalement. L'activité de l'OFPRA a crû de 17 % sur les neuf premiers mois de 2014, par rapport à la même période en 2013, grâce à des recrutements mais aussi des gains d'efficacité. Cela a permis, pour la première fois depuis 2007, de stabiliser et de commencer à réduire le nombre de dossiers en attente, qui est passé en dessous de 30 000.

Les recrutements à l'OFPRA ont constitué le deuxième étage de la fusée. Depuis 2012, les moyens humains de l'office ont été augmentés de dix officiers de protection chaque année. En outre, dans le projet de loi de finances pour 2015, il est prévu d'augmenter de façon importante le nombre des officiers de protection à l'office, et cela correspond très précisément au nombre d'agents supplémentaires nécessaire pour atteindre l'objectif de trois mois de délai d'examen fixé pour 2016, en complément des gains d'efficacité résultant de la réforme de l'office.

Mme Barbara Romagnan. À combien d'agents correspond cette augmentation des moyens humains de l'OFPRA ?

M. Pascal Brice. Aujourd'hui, il y a au total 475 agents à l'office, dont 180 officiers de protection, et il est prévu une augmentation de 55 agents, afin notamment de compenser l'impact de la présence des avocats et des associations au cours des entretiens à l'OFPRA, car c'est une des grandes révolutions des directives et de la loi, au bénéfice notamment des demandeuses d'asile. Il s'agit là d'une formidable garantie qu'il nous revient de faire vivre, et qui aura probablement pour effet d'allonger la durée des entretiens.

Le projet de loi relatif à la réforme de l'asile constitue le troisième étage de la fusée. Ce texte conforte pleinement l'OFPRA dans un système d'asile rénové, et la réforme proposée est totalement cohérente avec la réorganisation récente de l'office. Nous avons été associés très étroitement à l'élaboration de ce projet de loi et si je peux avoir quelques réserves sur des points de détail, l'équilibre de ce projet de loi et les dispositions qu'il comporte représentent une avancée pour l'OFPRA et pour le système de l'asile.

Il consacre tout d'abord l'indépendance fonctionnelle de l'OFPRA, qui est sous la tutelle du ministre de l'intérieur, et dont le directeur général, au nom duquel les décisions sont prises, ne reçoit aucune instruction.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Pendant longtemps, l'OFPRA était sous la tutelle du ministère des affaires étrangères et ce n'est qu'en 2007 que l'office a été placé sous celle du ministère de l'intérieur et de l'immigration, ce qui avait d'ailleurs suscité le mécontentement de plusieurs associations. A-t-il été envisagé de remettre l'office sous la tutelle du ministère des affaires étrangères ?

M. Pascal Brice. Je suis diplomate et c'est un ministre de l'intérieur qui m'a proposé pour ce poste, et c'est un autre ministre de l'intérieur qui m'a fait l'honneur de m'accorder sa confiance. À partir du moment où la feuille de route de l'asile est dissociée de celle de la politique migratoire, comme c'est le cas depuis 2012, et dès lors que l'indépendance fonctionnelle de l'OFPRA est reconnue, la tutelle ne pose aucune difficulté… mais peut-être ai-je été victime du syndrome de Stockholm !

Et si, à titre personnel, j'avais pu avoir par le passé des réserves sur ce changement de tutelle, cette tutelle administrative peut être utile à certains égards et de nature à faciliter les choses. Cela a par exemple été le cas lorsque je me suis rendu récemment à Calais, pour vérifier la protection des demandeurs d'asile, en accord avec le ministre et la préfecture. De la même manière, lorsque des familles syriennes étaient présentes sur le parc de la ville de Saint-Ouen au printemps dernier, un guichet a pu être mis en place et cela a permis de régler la situation en quinze jours. Or cela n'aurait pas probablement pas été fait dans le même esprit, ni dans les mêmes délais, dans une autre configuration.

Le projet de loi comporte une autre disposition très importante, avec la possibilité qui sera désormais accordée à l'OFPRA de sortir certains demandeurs de la procédure accélérée. Il s'agit là d'une avancée majeure, qui permet de faire prévaloir des impératifs liés au fond de la demande par rapport aux décisions des préfets. C'est fondamental notamment pour les droits des demandeuses d'asile. En effet, et c'est un point commun aux cinq besoins de protection particuliers que j'évoquais précédemment, et c'est particulièrement vrai pour les femmes, ces besoins relèvent peu de l'évidence, et notamment parce qu'ils touchent à l'intime, qu'il s'agisse de l'orientation sexuelle, de violence conjugale, d'excision ou de violence sexuelle. Une attention toute particulière est donc nécessaire pour que les officiers de protection puissent identifier le besoin de protection, organiser l'entretien et accueillir le récit, et c'est pourquoi nous avons voulu travailler sur ces questions dans le cadre de la réforme de l'OFPRA. Par ailleurs, et cela concerne aussi les droits des femmes, tous les officiers de protection reçoivent une formation à l'accueil des récits de souffrance, qui est assurée par une association lyonnaise - Forum Refugiés - afin qu'ils soient sensibilisés à ces questions.

Ces besoins de protection relèvent d'une définition très jurisprudentielle, sur le fondement notamment de la Convention de Genève relative au statut de réfugié et des dispositions relatives à la protection subsidiaire. Il nous revient de mieux intégrer les évolutions jurisprudentielles de la CNDA et du Conseil d'Etat en cassation pour ne pas passer à côté de ces besoins de protection. En tout état de cause, la possibilité de sortir un dossier de la procédure accélérée à l'initiative de l'OFPRA constitue à mes yeux une avancée majeure.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit l'arrivée des conseils dans les entretiens, et c'est une révolution pour nous. En effet, les demandeurs pourront être accompagnés par des avocats ou représentants d'une association. Il s'agit d'une garantie fondamentale, en particulier pour les plus fragiles, et cette évolution majeure peut contribuer à ne pas passer à côté d'un besoin réel de protection.

Néanmoins, un encadrement est nécessaire pour que cette garantie fonctionne pleinement au bénéfice du demandeur et de façon compatible avec la réduction des délais qui est attendue de l'OFPRA. C'est pourquoi le projet de loi prévoit la définition du conseil, l'habilitation par le directeur général de l'office, selon des modalités définies en Conseil d'État, et en précisant également que l'intervention éventuelle de la personne accompagnant le demandeur n'ait lieu qu'à la fin de l'entretien. Si cela ne figure pas dans la loi, je vous indique par ailleurs que l'entretien sera enregistré. Et je suis convaincu que c'est une évolution fondamentale, notamment pour les demandeuses d'asile.

Mme la rapporteure. Précisément, qui seront les tiers présents lors de l'entretien ? Selon quels critères les associations seront-elles habilitées ? Et y aura-t-il une possibilité d'aide juridictionnelle ?

M. Pascal Brice. Sur ce dernier point, rien n'est prévu. À mon sens, cela ne peut être le cas dans la mesure où le passage devant l'OFPRA ne constitue pas une étape juridictionnelle.

Concernant le déroulement de l'entretien avec le demandeur, le projet de loi précise bien les choses : il y a une définition du conseil - et à titre personnel, je ne serais d'ailleurs pas opposé à ce qu'elle puisse être élargie aux travailleurs en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) - et des modalités d'habilitation par le directeur général de l'OFPRA qui seront définies par décret en Conseil d'Etat. Cela me semble essentiel pour permettre au directeur général, sur la base de principes législatifs et réglementaires, en situation d'exercer une forme de police de l'entretien pour que les choses se passent bien. Par ailleurs, j'ai engagé depuis plusieurs mois un dialogue avec des avocats et des associations et nous allons mettre en place une phase expérimentale.

S'agissant des dispositions qui facilitent la réunification familiale des réfugiés, il y a aujourd'hui une difficulté qui tient à ce que certains consulats revérifient sur place les documents fournis. Avec le projet de loi, il y aura désormais une présomption de validité des documents de l'OFPRA afin de pouvoir aller plus vite.

Une réforme profonde du système de l'asile est nécessaire mais tous les acteurs doivent se réformer en même temps. C'est ce qu'a fait l'OFPRA depuis un an, avec un effort important des agents dans ce sens, et cela suppose également qu'un effort soit fait en premier guichet, au niveau de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et des préfectures, et je n'ai pas de doute sur ce point, mais aussi de la CNDA. Le projet de loi permet d'ailleurs l'accélération du traitement des dossiers par la CNDA et c'est un point important.

Je précise par ailleurs que la liste des pays d'origine sûrs est fixée par le conseil d'administration de l'OPFRA, au sein duquel l'État est majoritaire. Mais le placement en pays d'origine sûr ne change rien à l'OPFRA. En effet, le contrôle de qualité que nous avons effectué avec le HCR, qui va être rendu public, montre que le déroulement et la qualité de l'instruction à l'office en procédure prioritaire est identique à celle de la procédure normale. La différence a trait au droit au séjour, et cela va être modifié par le projet de loi, au caractère suspensif ou non du recours et au délai d'instruction, ce qui a un impact dans la mesure où les gens ont moins de temps pour se préparer. En procédure prioritaire, le dossier est mis sur le haut de la pile, mais la qualité de l'instruction est la même et le fait de relever d'un pays d'origine sûr n'est pas un élément fondamental de l'instruction.

Concernant l'excision, 4 000 fillettes et jeunes femmes sont aujourd'hui protégées en France, avec désormais un statut de réfugié accordé suite à une décision du Conseil d'État. Leurs parents peuvent se voir accorder un titre de séjour.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Comment se détermine le choix entre la reconnaissance de la qualité de réfugié et l'octroi de la protection subsidiaire ? Il y a aussi la difficile question des « ni-ni », qui ne sont ni expulsables, ni intégrables, n'ayant pas de papiers pour travailler ou se loger.

M. Pascal Brice. Aujourd'hui dès lors que les fillettes ont le statut de réfugié, les parents - sauf s'ils ont été engagés dans des actions de militantisme par exemple, qui leur permettent d'être protégés au titre la Convention de Genève - relèvent d'un droit au séjour, ce qui est précisé dans une circulaire. L'état du droit me semble clair.

Plus généralement, s'agissant de la détermination du statut de réfugié ou de l'octroi de la protection subsidiaire, il y a eu des évolutions doctrinales, qui relèvent du Conseil d'État, de la CNDA et de l'OFPRA, portant le plus souvent sur l'existence ou non d'un groupe social. C'est le rôle de nos référents thématiques que de saisir le comité d'harmonisation lorsqu'il y a un doute, de manière à stabiliser notre doctrine.

Il faut quand même mesurer ce que signifie la notion de « groupe social » en droit. Elle renvoie aux notions de persécution, de crainte et d'hostilité de la société. Il revient donc à l'office et, en appel, au juge de l'apprécier. Je suis ouvert au développement des statuts de réfugiés, mais lorsque le droit l'autorise et la situation le permet, notamment s'agissant des femmes. Il se trouve qu'il y a des situations dans lesquelles les violences faites aux femmes constituent des persécutions et justifient une crainte en cas de retour au pays d'origine, mais sans qu'elles appartiennent pour autant à un groupe social. Dans ce cas, la situation relève clairement de la protection subsidiaire. Je sais que ce propos est souvent mal compris, mais c'est une réalité, d'autant plus que nous sommes très mobilisés sur le respect des droits. Ce qui m'importe, c'est que les gens soient protégés lorsqu'ils doivent l'être. Au demeurant, si vous obtenez une protection subsidiaire, vous bénéficiez d'un droit au séjour d'un an renouvelable et de tous les droits sociaux qui y sont liés. Je ne sous-estime pas l'ampleur du débat doctrinal, mais je veux simplement rappeler qu'il s'agit d'éléments de droit, d'appréciation de la réalité des situations dans les pays en question et du récit des demandeurs, afin de pouvoir accorder les bonnes protections. Mme Malassigné pourrait vous donner plus de précisions à ce sujet.

Mme Cécile Malassigne, référente à l'OFPRA sur les violences faites aux femmes. Je suis responsable du groupe thématique sur les violences faites aux femmes depuis le début de l'année 2014, qui est constitué d'une quinzaine de référents. Nous nous sommes tout d'abord attachés à recenser les principales problématiques rencontrées concernant les demandes d'asiles déposées par des femmes et les difficultés rencontrées quotidiennement par les officiers de protection dans l'instruction de ces demandes. Ce qui est majoritairement remonté de nos contacts réguliers avec nos collègues, ce sont les difficultés rencontrées pour aborder les questions relatives aux mariages forcés, la problématique des violences domestiques étant également assez courante. Les mariages forcés peuvent concerner un nombre assez restreint de pays, mais les violences domestiques concernent l'intégralité des pays que nous rencontrons à l'office.

Ces thématiques posent des problèmes notamment au moment du déroulement de l'entretien. Quelles sont les questions à poser à ces femmes afin de leur permettre de parler librement mais en même temps d'avoir suffisamment d'éléments pour prendre une décision éclairée ? De quelle manière procéder à l'instruction des dossiers à la suite des déclarations recueillies en entretien? Le but du groupe thématique dont je m'occupe est de mettre en place des outils permettant aux officiers de protection d'améliorer l'instruction. Nous élaborons des guides et trames d'entretien, qui donnent des indications sur la façon d'aborder l'entretien, sur le type de question à poser pour que les personnes soient mieux à même de s'exprimer. Les violences domestiques, et plus largement les violences sexuelles, sont assez difficiles à aborder en entretien puisque, comme cela a été dit, toutes ces questions touchent à l'intime, et il est difficile pour ces personnes d'en parler. Nous souhaitons mettre en place un guide de bonnes pratiques pour orienter les officiers de protection et leur permettre de parler de ces questions sensibles avec les demandeuses en entretien, et ensuite, lors de la prise de décision, en tirer les meilleures conclusions.

Mme la rapporteure. Y-a-t-il une formation spécifique pour les officiers ?

Mme Cécile Malassigne. Il y a une formation initiale dès l'arrivée des officiers de protection à l'office, par le biais de conférences et d'un système de tutorat.

Mme la rapporteure. Sur les problématiques de genre ?

Mme Cécile Malassigne. Cela se fait de manière très concrète, à travers des échanges avec des officiers de protection plus aguerris. Au sein du groupe, nous sommes actuellement en train d'identifier des formations spécifiques sur le genre, qui pourraient par la suite être dispensées aux officiers de protection. Au-delà de la formation mentionnée par le directeur général, il existe également un système européen de formations en ligne concernant les entretiens avec les personnes vulnérables, et qui touche notamment aux questions de genre.

Mme la rapporteure. Certains estiment que la notion de vulnérabilité est insuffisamment définie dans le projet de loi : devrions-nous établir des critères plus précis ?

M. Pascal Brice. Il y a plusieurs niveaux : celui de la directive, qui est transposée dans la loi et qui en donne une définition, et celui de la mise en œuvre. Cela reste une notion et je pense qu'il faut l'aborder avec une certaine prudence. Certaines associations craignent avec raison que l'on crée différentes catégories de demandeurs, ce à quoi je me refuse. C'est pourquoi j'utilise plutôt le vocable de « besoin de protection spécifique », qui revient à peu près au même. Vous avez raison de souhaiter des précisions, notamment concernant la répartition des tâches pour l'identification de ces vulnérabilités au cours du parcours des demandeuses. Le premier guichet - les préfectures et l'OFII - ne pourra identifier que les vulnérabilités objectives, telles que les personnes en situation de handicap ou les femmes enceintes. En revanche, pour ce qui concerne les vulnérabilités liées au fond de la demande, cela relève exclusivement de l'OFPRA, qui pourra l'identifier au moment de l'arrivée du dossier et de l'instruction de la demande.

Mme la rapporteure. Les CADA accueillent en priorité des femmes avec enfants ou des familles. En revanche, les femmes isolées bénéficient moins souvent de places d'hébergement dans les CADA. Or, vous le savez,  nous sommes très préoccupées par la traite des êtres humains, avec ces femmes qui arrivent en France pour être livrées à la prostitution. Il n'y a aujourd'hui que 25 000 places en CADA pour 65 000 demandes. Nous imaginons qu'elles vont encore rester en dehors du circuit... J'aimerais par conséquent savoir s'il y a actuellement des solutions prévues pour leur hébergement ?

M. Pascal Brice. Je ne peux vous parler de l'hébergement car cela ne relève pas de la responsabilité de l'OFPRA ; il faudrait plutôt poser cette question au ministre de l'intérieur et au directeur général de l'OFII.

Je peux en revanche vous indiquer que nous faisons sur les femmes victimes de la traite un travail comparable à celui que mène Cécile avec nos collègues sur les autres violences faites aux femmes, dans le cadre d'un autre groupe thématique. J'ai pu très tôt mesurer, notamment en travaillant avec les travailleurs sociaux et des associations, telles que Le bus des femmes, le risque important d'instrumentalisation de l'OFPRA. On m'a en effet expliqué que certains réseaux fixaient la dette à rembourser par ces femmes exploitées en fonction du délai moyen d'instruction à l'office. L'enjeu pour nous est de pouvoir identifier le besoin de protection, là encore avec un travail avec les associations et les autres partenaires institutionnels. La question de la plainte préalable se pose et, en tout cas, d'une forme de dissociation par rapport au réseau. Ce n'est pas simple d'identifier ces femmes car comme vous le savez, elles l'évoquent rarement immédiatement. Souvent, il faut des techniques d'entretien particulières. Nous savons qu'il y a certains pays d'origine, notamment le Nigéria et la Chine, qui sont concernés. Donc je vous confirme qu'il y a tout un travail qui est conduit concernant l'accueil à l'OFPRA de ces femmes victimes de la traite.

Mme la rapporteure. À cet égard, avez-vous la possibilité d'établir des statistiques sur l'origine des demandes d'asile en fonction des violences, et envisagez-vous de le faire ? D'autre part, quand ces personnes arrivent, elles ne souhaitent pas forcément se manifester en tant que victime de traite, elles n'en prennent conscience qu'avec le temps. Elles ne bénéficient donc pas du même accueil selon qu'elles sont primo-arrivantes ou qu'elles viennent trois ou quatre ans plus tard par le biais d'associations. Comment cette situation a-t-elle évolué ?

M. Pascal Brice. Concernant les cinq besoins de protection que j'évoquais, ce n'est pas une thématique nouvelle à l'office mais, depuis maintenant deux ans, il y a une volonté très claire de notre part d'aller plus loin. Nous souhaitons renforcer notre capacité à protéger ces personnes, notamment pour les victimes de la traite, mais cela vaut également pour d'autres besoins de protection dont l'expression est difficile. Cela peut passer par une nouvelle convocation en première instruction, par la capacité d'examiner comme il convient des demandes déposées tardivement par rapport à la date d'entrée sur le territoire français, mais surtout dans le cadre des réexamens, pour lesquels nous avons une approche particulière sur cette question.

En ce qui concerne les statistiques, nous n'en avons pas car il me semble que nous ne serions pas fondés à avoir ce type de dispositifs d'identification des besoins de protection, qui pourraient poser des problèmes par rapport à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Mme la rapporteure. Mais ce serait anonyme !

M. Pascal Brice. Nos dossiers ne sont pas anonymisés, il y a le nom du demandeur, et procéder à un traitement statistique de cet ordre mérite un examen. Nous disposons de données concernant notamment la proportion globale de demandeuses d'asile, mais sur des besoins de protection plus spécifiques, je crains qu'il n'y ait une difficulté d'ordre statistique. Je suis en revanche très ouvert sur le principe pour progresser.

Mme la rapporteure. Il arrive parfois que les femmes dont je parlais, qui se présentent dans un deuxième temps pour demander l'asile, soient entrées pour la première fois avec de faux papiers. Cela constitue-t-il une sorte de fin de non-recevoir pour leur deuxième demande ou leur vulnérabilité est-elle prise en compte?

M. Pascal Brice. Tout d'abord, s'agissant des conditions d'accès au territoire, le fait d'être entré sur la base de faux documents n'a aucune incidence sur la demande d'asile, puisque la demande d'asile est de droit, quel que soit le moyen par lequel vous êtes parvenu sur le territoire français. La seule exception concerne les personnes relevant de la procédure Dublin qui relèvent d'une autre logique. Nous n'allons jamais regarder en tant que tel les conditions d'accès. Cependant, font effectivement partie de l'instruction de la demande, les interrogations suivantes : D'où venez-vous ? Comment êtes-vous venus ? Avez-vous des documents ? Nous pouvons donc parfois détecter des faux. Nous allons d'ailleurs renforcer l'office à cet égard, afin de pouvoir mieux les détecter.

Ces faux documents n'ont toutefois de conséquences que s'ils mettent en cause le cœur même de la crainte. Si le demandeur est venu en France avec un faux document, pour reprendre l'exemple que vous citiez, ce ne sera pas notre problème. En revanche, si ce faux document fait tomber le besoin de protection lors de l'instruction, alors cela aura une conséquence. Autrement dit, si c'est périphérique à l'examen de la demande, que cela ne met pas en cause le motif de la protection, alors il n'y aura pas d'incidence pour nous.

Mme la présidente Catherine Coutelle. C'est peut-être vrai à l'OFPRA mais ce ne l'est pas en préfecture ! Ils ne vont même pas jusqu'à l'OFPRA, vous ne les voyez pas !

M. Pascal Brice. Mais si !

Mme la présidente Catherine Coutelle. Si un demandeur d'asile est détecté avec des faux papiers au guichet d'orientation d'une préfecture, son parcours s'arrête là !

M. Pascal Brice. Non, madame la présidente, ce n'est pas le cas, sauf si la personne relève de la procédure Dublin.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vais aller voir alors !

M. Pascal Brice. Je vous propose de m'appeler immédiatement si tel est le cas, car mon rôle est veiller scrupuleusement au principe fondamental selon lequel tout demandeur d'asile, sous réserve de la procédure Dublin, doit voir sa demande examinée à l'OFPRA. Le demandeur peut être placé en procédure prioritaire si le préfet estime qu'il y a une fraude, mais il verra sa demande examinée, et avec les mêmes garanties que la procédure normale.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans le cadre de la préparation de notre proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, dont nous espérons l'inscription prochaine à l'ordre du jour, nous avions échangé avec le ministère concernant notamment l'obtention de papiers pour ces femmes. Le ministère était alors soucieux de ne pas alimenter les réseaux, et nous aussi du reste, c'est-à-dire de ne pas donner l'impression que ce texte pourrait leur servir pour faire venir des prostituées en France. Nous avons demandé un accompagnement pour la sortie de la prostitution.

Si une femme a été poussée par son proxénète à venir demander l'asile, afin qu'elle ait des papiers et qu'elle soit protégée pendant le temps de la procédure, mais qu'elle se ravise et qu'elle passe par une association, pouvons-nous imaginer que sa requête soit réexaminée, même longtemps après ?

M. Pascal Brice. C'est l'objet de notre travail avec les associations, dans le cadre de nos travaux sur la traite. La conclusion à laquelle ce groupe de travail est parvenu est qu'il faut privilégier une forme de dissociation à l'égard du réseau. Nous pourrions demander le dépôt d'une plainte. Je ne souhaite cependant pas le faire, sur la recommandation des référentes de l'office. Les travailleuses sociales elles même le confirment, ainsi que les services de police et de justice, car ce serait mettre la personne dans un tel danger, et vous connaissez tout cela très bien, que l'on mettrait vraiment en péril notre capacité à recevoir ces demandes. Ce que nous recherchons dans le cadre de l'instruction de ces demandes, c'est donc une forme de dissociation, mais pas une plainte, et nous allons continuer nos travaux sur ce point dans les mois qui viennent.

Mme la rapporteure. Des associations souhaiteraient revenir sur les certificats médicaux exigés pour les petites filles protégées en raison d'un risque de mutilation sexuelle. Pour certaines, cette vérification annuelle ne devrait pas exister ; pour d'autres, elle devrait être plus espacée dans le temps. Je pense qu'il faut maintenir ce contrôle, non pas pour des raisons d'encadrement du droit à l'asile, mais tout simplement pour des raisons de protection des filles. Cela étant, serait-il envisageable d'espacer davantage ces contrôles, étant donné qu'une vérification annuelle peut apparaître comme une contrainte un peu lourde ?

M. Pascal Brice. Je partage totalement votre point de vue. Nous avons eu une longue phase de concertation avec les associations, qui sont d'ailleurs partagées sur ce point, et j'ai fait le même constat que vous. C'est l'intérêt de l'enfant qui doit prévaloir, même si je reconnais que ce système est très particulier et fait peser une forme de suspicion à l'égard des parents. Dans le même temps, je suis d'accord avec vous sur le fait que ce système n'est pas adapté en termes de délais.

J'envisage de demander désormais ce certificat tous les trois ou cinq ans. Le contrôle annuel se justifiait car ces filles bénéficiaient de la protection subsidiaire, et nous demandions donc le certificat à l'occasion du renouvellement de celle-ci. À présent qu'elles peuvent avoir le statut de réfugié, je pense alors que tous les trois à cinq ans, ce serait très bien.

Par ailleurs, nous sommes en discussion avec le ministère de la santé et les hôpitaux de Paris pour tenter de stabiliser le recours aux unités médico-judiciaires (UMJ). La médecine libérale ne me semble pas adaptée à des examens très intrusifs et qui nécessitent de la part des praticiens une connaissance de ces problématiques et une parole adaptée à l'égard des parents et des enfants. Les UMJ font un travail formidable sur ces questions-là, en particulier à l'Hôtel Dieu, où exerce le docteur Rey, qui serait très désireuse d'établir ces certificats.

Nous sommes en discussion avec les hôpitaux de Paris et la ministre Marisol Touraine à ce sujet. Le projet de loi donne une base juridique à ces certificats et les modalités d'application seront définies par un arrêté des ministères de la santé et de l'intérieur. J'aimerais que le recours aux unités médico-judiciaires puisse être stabilisé mais cela suppose un petit effort financier de la part du ministère des affaires sociales et de la santé.

Mme la rapporteure. Je comprends votre préoccupation, mais la dénomination même d'unité médico-judiciaire n'est-elle pas de nature à faire un peu peur aux parents ? Il existe aussi les services de protection maternelle et infantile (PMI), qui sont gérés par les conseils généraux.

M. Pascal Brice. J'ai eu exactement la même réaction que vous dans un premier temps, leur travail est remarquable et ils font aussi de la prévention. Cependant, ce dispositif semble un peu complexe à gérer et par ailleurs ces services organisent des consultations jusqu'à l'âge de six ans, or la question se pose également au-delà de cet âge.

Mme la rapporteure. Il faudrait de toute façon renforcer la prévention et l'information des familles concernant l'excision, et développer la pédagogie sur ces questions.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En effet. Nous avons vu l'une de ces unités, et la manière avec laquelle ils auditionnent des enfants victimes de violence ou d'inceste est vraiment remarquable, même si je reconnais que le nom peut faire peur. En effet, des professionnels auditionnent des enfants, sans les faire répéter, avec des enregistrements et des glaces sans tain, tout étant dans un cadre judiciaire.

Mme Edith Gueugneau. Concernant la santé, comment travaillez-vous avec les services de l'État lorsqu'il s'agit d'orienter les femmes blessées ou mutilées ?

Avez-vous des éléments statistiques concernant les femmes réfugiées ou demandeuses d'asile en raison de leur orientation sexuelle ? Des pays se distinguent-ils par une persécution très violente vis-à-vis des femmes du fait de leur orientation sexuelle ?

M. Pascal Brice. Je vous remercie de poser cette question, qui mériterait de longs développements. Les questions d'orientation sexuelle, pour les hommes et pour les femmes, font partie des cinq besoins de protection que j'évoquais précédemment. Nous avons mis en place un groupe de référents sur ces questions, comparable à celui qu'anime Mme Malassigné. Ce groupe de travail vise à apporter un appui aux officiers de protection sur les différentes demandes qui nous sont faites en lien notamment avec des associations telles que l'ARDHIS (association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transsexuelles à l'immigration et au séjour) et le Collectif des lesbiennes de France. Il s'agit notamment d'élaborer des outils de sensibilisation et d'appui à l'instruction. Nous avons par ailleurs organisé une conférence sur cette question avec une spécialiste du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) et l'ensemble des officiers de protection, qui a eu un impact important. Nous avons maintenant des outils d'appuis à l'instruction permettant de sensibiliser et de donner des orientations aux officiers de protection.

Cela fait vraiment partie des besoins de protection sur lesquels nous sommes très mobilisés et sur lesquels nous progressons, avec toutefois des questions très particulières dès lorsqu'il s'agit de demander aux officiers de protection d'identifier l'orientation sexuelle des personnes. Je ne vous cache pas que je trouve cela étrange mais c'est indispensable, car c'est grâce à cela que nous allons pouvoir assurer nos missions de protection. C'est tout un travail que nous avons engagé à travers la formation sur l'accueil des récits de de souffrance. Nous allons débuter des groupes d'analyse des pratiques animés par une psychologue, car je pense que cela fait partie des choses qui doivent faire l'objet d'une prise en charge.

S'agissant des femmes battues ou victimes de violence, avez-vous avancé sur la question du signalement ?

Mme Cécile Malassigné. Non, pour l'instant nous n'avons pas de système qui nous permette de signaler ou d'envoyer une personne vers un médecin particulier. Cependant, dans la mesure où ces femmes sont régulièrement suivies par des travailleurs sociaux, nous avons la possibilité d'entrer en contact avec celui-ci et, le cas échéant, d'avoir un échange et de solliciter une consultation chez un médecin, mais pour l'instant c'est la seule chose que nous puissions faire.

M. Pascal Brice. Par ailleurs, nous sommes évidemment soumis à l'article 40 du code de procédure pénale et j'ai donc, encore récemment, donné l'instruction aux officiers de l'OFPRA de signaler ces cas à notre division des affaires juridiques, qui est d'ailleurs depuis peu dirigée par une femme magistrate. Après, il nous revient d'apprécier ces faits dans le cadre de l'examen de la demande d'asile puisque évidemment il s'agit de protéger les demandeuses, mais les dispositions prévues par l'article 40 s'appliquent, l'OFPRA devant signaler de tels faits au procureur lorsqu'ils sont commis sur le territoire national.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie pour vos réponses très claires et intéressantes. À titre personnel, je vois à présent l'OFPRA d'une autre manière et, pour être honnête, je n'en avais pas une image totalement positive du fait des cas très compliqués que j'ai pu suivre et des échanges avec les associations qui ne vont peut-être pas voir tout de suite l'évolution que vous avez effectuée.

Une dernière question : est-ce que, pour l'entretien à l'OFPRA, les femmes peuvent avoir une officière ?

M. Pascal Brice. Elles le peuvent lorsqu'elles le demandent et que cela est lié à la nature de leur demande. Par exemple, pour des femmes victimes de viols, très clairement ce doit être le cas. Nous sommes très attentifs à cela. Le principe est que le choix du sexe de l'officier doit être lié non pas au sexe de la personne, mais à la nature de sa demande. À cet égard, nous serions ravis de vous accueillir à l'OPFRA pour vous montrer tout cela.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Monsieur le directeur général, Mme Malassigné, nous vous remercions à nouveau.

Audition de Mme Catherine Teitgen-Colly, vice-présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), et de M. Hervé Henrion, conseiller juridique

Compte rendu de l'audition du mercredi 22 octobre 2014

Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame, monsieur, soyez les bienvenus. Comme vous le savez, la réforme de l'asile sera discutée en séance publique au début du mois de décembre. La Délégation a souhaité se saisir du texte, dans la mesure où les questions du genre et de l'égalité femmes-hommes se posent également dans le cadre du droit d'asile.

Mme Catherine Teitgen-Colly, vice-présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). Sur cette réforme, nous avons également été auditionnés par la Commission des lois.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Au titre de la Délégation aux droits des femmes, nous présenterons un rapport dans lequel nous ferons quelques recommandations et nous déposerons éventuellement des amendements.

France terre d'asile a publié récemment un document qui résume bien la problématique sur les femmes et le droit asile  et dans lequel est notamment évoquée la position du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). La France, bien qu'elle ait ratifié la Convention d'Istanbul, a un retard certain en ce domaine. Nous souhaitons que ce texte soit l'occasion de combler ce retard.

Mme Catherine Teitgen-Colly. La question des femmes est au cœur des préoccupations de la CNCDH, comme en témoignent les nombreux avis que nous avons rendus. Je peux vous citer, parmi les plus récents, celui du 26 juin 2014 sur la situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national, et celui du 22 mai 2014 sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Par ailleurs, nous avons publié à la Documentation française un très gros rapport sur la traite et l'exploitation des êtres humains en France, lequel avait donné lieu à un avis du 18 décembre 2009.

Nous avons également rendu, le 26 juin 2014, un avis sur la lutte contre les violences et discriminations commises en raison de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre et, le 28 novembre 2013, un avis sur les mutilations sexuelles féminines. Notre avis sur les mariages forcés, qui date du 23 juin 2005, prenait le relais d'un avis antérieur, du 17 décembre 2002.

Nous avons ainsi abordé, sous des angles différents, de nombreuses questions touchant à la situation et aux droits des femmes, généralement à l'occasion de projets de lois, mais aussi à notre initiative propre. Ce fut le cas pour le rapport sur la traite, qui fut rédigé par Mme Johanne Vernier et donna lieu à deux journées d'étude au Sénat, organisées par la CNCDH en collaboration avec le Bureau international du travail (BIT).

Je ne résumerai pas chacun de ces avis, mais je reviendrai sur certains points de la réforme du droit d'asile.

Je commencerai par un point que nous venons de signaler à un conseiller au cabinet du ministre de l'intérieur. Il concerne les motifs de persécution et, d'une façon plus générale, la rédaction du projet de loi.

Nous avons regretté que cette rédaction rende le texte peu lisible. Il y a de nombreux renvois, soit au texte de loi, soit aux directives européennes. Je pense plus particulièrement au renvoi à l'article 10 de la directive « qualification » relatif aux motifs de persécution. On peut se demander pourquoi le projet de loi ne l'avait pas cité intégralement, et si les raisons en étaient politiques et tenant à la référence qu'il comporte à la notion, controversée dans le contexte actuel, de genre. Il ne semble pas que ce soit le cas, du moins est-ce la réponse qui nous a été donnée, à savoir qu'un renvoi permettrait d'éviter une mauvaise retranscription du texte en question.

On peut admettre cette explication. Malgré tout, l'absence de l'article 10 dans le projet de loi pose problème dans la mesure où la définition du groupe social, qui est si importante dans le cadre du mariage forcé, des mutilations sexuelles féminines et des réseaux de prostitution, n'apparaît pas. Or la définition du groupe social qui est donnée par la directive prête à confusion dans la jurisprudence.

La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) avait rendu des décisions extrêmement intéressantes reconnaissant le statut de réfugié à des femmes contraintes à la prostitution par des réseaux, principalement des femmes africaines. Cassant l'une d'entre elles par une décision du 25 juillet 2013, le Conseil d'État s'est alors référé à une définition du groupe social qui est présentée comme étant précisément l'exégèse de la directive, ou plus précisément de son article 10. Mais ce n'est pas le cas : la définition du groupe social par le Conseil d'État ne correspond pas à celle de la directive. Dans le résumé qu'il en donne, il substitue en effet au cumul des deux conditions qu'elle pose, à savoir des caractéristiques communes aux membres du groupe « et » une perception de l'identité propre du groupe par la société environnante deux conditions alternatives, le « et » de l'article 10-1 de la directive se muant en un « ou ». Toutefois, cette référence initiale erronée est ensuite oubliée puisque la décision de la Cour est cassée au motif qu'en jugeant les femmes victimes de réseaux de trafics d'êtres humains et ayant activement échappé à leur emprise constituaient bien un groupe social sans rechercher si, au-delà des réseaux de proxénétisme les menaçant, la société environnante ou les institutions les percevaient comme ayant une identité propre, constitutive d'un groupe social au sens de la convention, la Cour nationale du droit d'asile avait commis une erreur de droit.

Selon le Conseil d'État, la CNDA n'aurait donc pas dû se contenter de constater l'emprise de réseaux de traite. Elle aurait dû également rechercher comment sont perçues les victimes des réseaux forcés dans la société locale environnante. En l'occurrence, comment une femme nigériane, qui est contrainte à se prostituer, est-elle perçue dans son pays d'origine ? Par cette analyse, il revient donc au texte de l'article 10 de la directive « qualification », selon laquelle il faudrait cumuler deux conditions pour établir l'existence d'un groupe social. Ce n'est pas la position du HCR, qui considère qu'il faut prendre en compte le fait que soit ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique essentielle, soit ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu'il est perçu comme différent par la société environnante. Cette définition plus souple, puisque reposant sur deux conditions alternatives et non cumulatives, permet d'élargir le champ de la protection que les femmes peuvent recevoir au titre des persécutions qu'elles subissent, ou des risques de persécution qu'elles rencontrent en tant qu'appartenant à un certain groupe social. Je trouve donc qu'il serait intéressant que dans la réforme, on précise bien la définition du groupe social, et dans le sens préconisé par le HCR.

La répétition dans d'autres décisions de l'erreur ici relevée dans la transcription de la directive de même que la référence parfois faite par la CNDA aux Principes directeurs énoncés en la matière par le HCR en 2002 témoignent d'une certaine confusion dans l'appréhension du motif d'appartenance à un certain groupe social et la nécessité d'en préciser la définition dans la loi. Mais cette occasion doit aussi être saisie de privilégier la définition du HCR comme l'y autorise la directive qui permet aux États de « prévoir ou maintenir des conditions plus favorables » que celles qu'elle énonce. La CNCDH y invitera dans son avis en rappelant à cette occasion l'une des difficultés exposée à diverses reprises dans nos avis, à savoir que le droit de l'Union européenne est élaboré sans qu'elle puisse exercer sa mission en faisant part de son expertise en amont, ses avis n'intervenant qu'au stade de la transposition de ce droit.

Il serait donc à ses yeux nécessaire au vu du décalage entre ce que dit le droit européen et ce que dit le HCR, qui est l'interprète de la Convention de Genève, d'adopter la définition plus large qu'il préconise et qui devrait notamment permettre d'éviter que ne soient exclues du bénéfice de la protection internationale des femmes qui sont prises dans des réseaux de prostitution par exemple.

Mme la présidente Catherine Coutelle. C'est un point extrêmement important, dans la mesure où cette définition conditionne le statut de réfugié qui pourrait être accordé à certaines femmes. Jusqu'à présent, la France le leur refusait, considérant qu'elles n'étaient pas des victimes. Elle s'en tenait à la vision des années cinquante, celle du demandeur d'asile qui, au nom de la liberté, s'oppose dans son pays à son gouvernement ou à un groupe.

Aujourd'hui, la demande évolue. Reste que les femmes ne sont pas considérées comme un groupe social en tant que telles. Par ailleurs, les transcriptions des directives européennes posent des difficultés. J'ai beaucoup travaillé sur celle de la directive « traite ». Il semblerait que l'Europe écrive son droit plutôt en référence au droit anglo-saxon.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Absolument.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En raison de ces difficultés, et pour éviter des jurisprudences infondées, on ne transcrit pas, on renvoie au texte européen. Cela risque d'entraîner des divergences d'interprétations.

Pourriez-vous nous aider à retranscrire très précisément en droit français la directive européenne pour que les femmes victimes de la traite, de mutilations sexuelles, etc. soient considérées comme des groupes sociaux sans être pour autant issues toutes du même endroit ou de la même communauté ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. En fait, la notion de groupe social a été introduite dans la Convention de Genève assez tardivement, par un amendement suédois, sans que l'on n'ait débattu du contenu de cette notion, d'où son caractère un peu fourre-tout.

Elle a été utilisée dans des circonstances relativement limitées, par exemple pour protéger après la guerre froide des personnes qui, dans le sud-est asiatique, avaient travaillé pour le régime déchu. Elle a ensuite été invoquée par des demandeurs ayant des craintes de persécution fondées sur leur genre (mutilations sexuelles féminines, mariages forcés), à leur orientation sexuelle ou à leur identité transsexuelle. Par une décision du 23 juin 1997, qui concernait un ressortissant algérien faisant état de craintes de persécutions liées au transsexualisme, le Conseil d'État a donné une définition du groupe social fondée sur le double critère des caractéristiques communes aux membres du groupe le rendant visible aux yeux des autorités du pays et de la société, et de l'exposition de ses membres à la persécution.

La jurisprudence s'est ensuite assouplie. Le critère de persécutions dans la définition du groupe social a été abandonné, de même que la condition, un temps exigée, de l'origine publique des persécutions, et plus récemment celle de la pénalisation par le pays d'origine du comportement contesté ou encore de revendication de l'appartenance au groupe social dans le pays d'origine. Des femmes ainsi que les parents de filles mineures exposées dans leurs pays d'origine à des risques de mutilation sexuelle ou de mariage forcé, ainsi que des personnes menacées ou victimes de persécution en raison de leur identité transsexuelle ou de leur orientation sexuelle peuvent ainsi se prévaloir avec succès de leur appartenance à un groupe social et voir leurs craintes de persécution prises en compte.

La prise en compte de ces craintes reste cependant limitée par l'exigence du caractère circonscrit du groupe social. Des femmes qui invoquent des craintes du fait de leur refus de se soumettre à un sort dicté par les coutumes et traditions locales ne sont ainsi pas considérées comme constituant un groupe social en tant que femmes. C'est sur le fondement d'autres motifs de la Convention de Genève - motifs politiques, religieux, ethniques, etc. -que leurs craintes peuvent être entendues, notamment lorsque leur refus est devenu revendication d'un autre statut.

Le souci de ne pas voir s'étendre de manière illimitée le groupe social qui conduit à une approche quantitative du groupe social, fermement récusée par le HCR qui s'oppose à ce que le nombre devienne un critère, explique les refus très largement opposés aux femmes qui invoquent des craintes liées à des pratiques généralisées dans leur pays d'origine de mutilation sexuelle, de traite, ou de mariage forcé, et la dérive que l'on observe qui consiste à leur reconnaître alors une protection subsidiaire au lieu de la qualité de réfugié - une protection d'un an qui n'a rien à voir avec le statut de réfugié, qui ouvre droit à la carte de résident de dix ans. Bien sûr, la personne qui a obtenu de l'OFPRA la protection subsidiaire peut très bien former un recours pour obtenir la protection de la Convention de Genève devant la CNDA. Il n'empêche que la Cour elle-même a parfois adhéré à cette simple protection subsidiaire. Ainsi, c'est une protection de seconde zone qui leur a été accordée, même si ce n'est pas systématique. Dans certains cas, ces femmes ont obtenu le statut de réfugiées.

La jurisprudence récente relative aux demandes d'asile formées par des parents invoquant les risques de mutilations sexuelles auxquelles leurs filles mineures nées en France seraient exposées en cas de renvoi dans leur pays d'origine rend compte de cette crainte d'un afflux des demandes comme des hésitations des juges quant à la protection à accorder. Finalement, le Conseil d'État a tranché et reconnu la qualité de réfugié aux femmes mineures au vu de leurs craintes fondées sur leur appartenance au groupe social rassemblant les femmes non mutilées dans un pays où la mutilation est la norme sociale. En revanche, il juge que les parents (la mère) ne relèvent pas d'un groupe social et refuse la qualité de réfugié mais aussi la protection subsidiaire (Conseil d'État, 21 décembre 2012, Mme F.).

Mme la présidente Catherine Coutelle. La mère n'a pas de protection, mais les enfants en ont une.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Les enfants ont une protection, mais les parents n'en ont pas. Il s'agit souvent de femmes isolées. On ne fait pas valoir l'unité de famille à l'égard des ascendants. Mais ces femmes peuvent, si elles demandent un titre de séjour, bénéficier d'une carte de séjour.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Elles « peuvent » !

Mme Catherine Teitgen-Colly. La question posée est évidemment celle de la protection des mères. L'idée est très présente d'un risque de demande d'asile excessive. Mais c'est un mythe. Le nombre de demandes d'asile dans l'Union européenne, région la plus riche du monde, reste malgré tout dérisoire : 330 000 demandeurs d'asile pour toute l'Union européenne. Quant au nombre des bénéficiaires de la protection internationale, il a très peu évolué depuis 1953 : 165 000 en 1953, 220 000 en 1993 et 160 000 aujourd'hui. La menace n'est donc pas si réaliste qu'on le prétend. On dit que la France accueille très largement des demandeurs d'asile. C'est vrai en chiffres absolus, puisque nous sommes à la deuxième place dans l'Union. Mais si l'on rapporte ces chiffres à notre population, nous ne sommes qu'à la dixième, à la onzième ou à la douzième place selon les années.

Maintenant, il est exact que la question du statut des mères se pose. Celui-ci n'est pas assuré. Que faire pour elles ? Le projet de loi apporte sur ce point une réponse positive puisque, transposant en cela une disposition de la directive « qualification », il prévoit plus généralement la délivrance d'une carte de résident ou de séjour temporaire aux ascendants des mineurs, selon que ces derniers ont été reconnus réfugiés ou se sont vu accorder la protection subsidiaire.

Une autre question se pose, même si la CNCDH, dans son avis sur les mutilations sexuelles féminines (MSF) du 28 novembre 2013, a pris position sur ce point. Je veux parler du contrôle médical qui serait opéré sur les jeunes filles pour s'assurer qu'effectivement elles n'ont pas subi ces mutilations.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La demande est annuelle.

Mme Catherine Teitgen-Colly. En effet.

La Commission n'a pas demandé que ce contrôle soit imposé, mais elle a incité à ce type de vérification. Pour ma part, et à titre personnel, ce type de demande me semble tout à fait intrusif. Je trouve qu'il y a une confusion entre les politiques, quand bien même ces mutilations sont effroyablement graves et qu'on ne peut pas faire comme si, sur le sol français, elles n'existaient pas.

Pour autant, le ton de l'avis est plutôt à la prise de conscience, à la sensibilisation de l'opinion publique, des médecins et de tous ceux qui agissent auprès de l'enfance - dans les classes, par exemple, auprès d'enfants qui n'ont parfois aucune idée de ce que cela peut être.

Je précise que cet avis faisait état d'un rapport établi par l'Institut national des études démographiques (INED) et des chercheurs de l'université Paris I sur le nombre des femmes et fillettes mutilées ou menacées de l'être. Dans la mesure où l'on prend en compte les menaces de mutilation, le chiffre est un peu incertain. Quoi qu'il en soit, en 2007, celui-ci était estimé entre 42 000 et 61 000, soit une hypothèse moyenne de 53 000 femmes en France.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le ministère a lancé une campagne de sensibilisation dans les lycées. Lorsque ces mutilations ont lieu pendant l'année scolaire, les jeunes filles, lorsqu'elles sont informées, peuvent alerter le proviseur ou les autorités. Malheureusement, la plupart du temps, ces mutilations ont lieu pendant les vacances, en juillet-août, et personne n'en sait rien.

Mais je lis à la page 7 de votre avis : « Il n'existe pas en droit français de qualification juridique spécifique pour des faits de mutilations sexuelles. Une telle qualification n'est pas souhaitable, dans la mesure où les mutilations féminines sont une atteinte à l'intégrité physique, ce que le code pénal sanctionne ». Est-ce que cela signifie que les mutilations ne sont pas à mettre en avant lorsque l'on sollicite le bénéfice du droit d'asile ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Le terme de « mutilation » n'apparaît pas dans la définition des persécutions par la directive « qualification », mais il va de soi que la mutilation sexuelle, parce qu'elle constitue une atteinte à l'intégrité physique, fait partie des persécutions. Le juge de l'asile - la Commission de recours des réfugiés (CRR) - l'a expressément dit dans une décision de 1991. Et je précise que la Convention de Genève n'exige pas, pour fonder une protection, que la persécution soit effective. Les craintes suffisent.

Pour autant, la Convention de Genève ne définit pas la persécution, non plus que la crainte de persécution. Mais le Guide du HCR, établi par son comité exécutif, constitué de ses États membres, développe chacune des dispositions de la Convention de Genève, notamment celle de l'article 1er qui prévoit les conditions d'éligibilité au statut.

La directive constitue un progrès dans la mesure où elle définit la persécution en référence aux droits de l'homme, et en particulier aux droits intangibles comme celui à l'intégrité physique et psychique protégé par l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et dont la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a montré toutes les potentialités.

Mme Édith Gueugneau. Je pense moi aussi qu'une véritable politique de l'asile ne peut tolérer une approche purement quantitative, mettant en exergue la hausse du nombre de demandeurs et l'accroissement des coûts.

Par ailleurs, l'article 11 de la directive « accueil » permet le placement en rétention de personnes vulnérables. Quelles sont les préconisations que vous pouvez faire, afin que nous puissions protéger les femmes, qui arrivent bien souvent accompagnées de leurs enfants ?

Ensuite, le dispositif national d'accueil crée des inégalités de traitement en raison d'une sous-dotation structurelle en matière d'hébergement. Estimez-vous, notamment au regard de certains critères comme l'état de santé, que les femmes devraient être prioritaires ?

Enfin, les garanties pour les femmes de pouvoir exposer dans des conditions décentes leur récit de souffrance sont-elles assurées en France, conformément à ce qu'exige de nous l'Union européenne ? Sur ce point, le projet de loi que nous allons examiner présente-il des lacunes ? Si oui, lesquelles ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Votre première question renvoie à la notion de vulnérabilité, portée par l'Union européenne. Or je pense que les influences anglo-saxonnes transparaissent dans cette notion.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il n'est pas possible de la définir en droit français ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. La difficulté tient au concept lui-même. Qui sont les personnes vulnérables ? Peut-on établir une hiérarchie ? Et comment ? Il faut bien voir que, de texte en texte, la liste s'allonge.

La catégorie des vulnérables comprend : les enfants, les femmes, les personnes en situation de handicap, etc. À mon sens, le concept de vulnérabilité est propice aux dérives. À protéger les plus vulnérables, on risque d'affaiblir la protection des droits de ceux qui n'entrent pas encore dans cette catégorie. Ce concept est donc à prendre avec grande précaution.

S'agissant du projet de loi, nous nous sommes déjà penchés sur le sujet dans notre avis sur le régime d'asile européen commun du 28 novembre 2013. Notre crainte serait que la vulnérabilité soit décidée sans qu'il y ait eu auparavant de réflexion d'ensemble sur les critères de vulnérabilité. Nous voudrions que ces critères ne soient pas établis n'importe comment. Reste à les établir.

Sans vouloir nous substituer aux autorités compétentes, il nous paraît nécessaire en l'état de nos travaux - nous n'avons pas encore rendu notre avis sur le projet de loi - que ces critères ne soient pas définis simplement par le ministère de l'intérieur. Il ressort des auditions que nous avons organisées, qu'il faudrait mener sur cette question une réflexion collégiale, partagée, associant des médecins, des associations en contact avec des personnes vulnérables, voire des universitaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), que nous avons auditionné la semaine dernière, nous a signalé qu'il mettait en place en son sein des commissions de réflexion, concernant notamment l'égalité et le genre. Pensez que cela relève de ses compétences ? L'office n'est-il pas trop impliqué pour pouvoir définir ces critères de vulnérabilité ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Selon nous, la réflexion sur la définition des critères doit être la plus ouverte possible, en associant, par exemple, des médecins, des personnes de l'assistance sociale, de la protection judiciaire de la jeunesse, etc.

M. Hervé Henrion. Nous avons pris position il y a quelques mois sur le projet de réforme pénale entré en vigueur en août, qui prévoit, entre autres, la possibilité d'évaluer le risque de récidive des personnes condamnées à une contrainte pénale. Initialement, on avait pensé confier une telle évaluation à l'administration pénitentiaire. Finalement, on a lancé des groupes de travail assez ouverts, incluant notamment un universitaire canadien. De notre côté, nous avons préconisé de mettre en place une instance scientifique totalement indépendante, de manière à pouvoir définir en toute neutralité une méthode d'évaluation du risque de récidive.

On peut se demander si on ne va pas utiliser, pour déterminer la vulnérabilité, des méthodes actuarielles. Ces méthodes étaient utilisées il y a une trentaine d'années dans le domaine du droit des assurances, sur la base de statistiques et sont utilisées aujourd'hui, par exemple en Angleterre, pour déterminer la dangerosité des individus ou leur risque de récidive.

Il est vrai que l'on a en France une tradition de criminologie clinique, mais la porte est ouverte à l'actuariel. Est-ce que, pour définir les vulnérabilités, on va utiliser également ces méthodes ? C'est possible, car adaptable.

Mme Catherine Teitgen-Colly. La question de la priorité donnée aux femmes dans le dispositif national d'asile n'a pas retenu notre attention. Pourquoi les femmes et pourquoi pas d'autres personnes, qui seraient jugées aussi vulnérables, au vu de critères de vulnérabilité qui restent à définir ?

La dernière question de Mme Gueugneau portait sur l'audition des femmes et les conditions d'entretien. La pratique conduit d'ores et déjà à faire procéder à ces auditions par des personnes de sexe féminin quand ce sont des femmes qui sont demandeuses d'asile. Mais nous insistons pour que cette précision, qui est dans la directive, soit effectivement reprise dans le projet de loi.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela relèverait du projet de loi ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Cela relève de la transposition de la directive mais le projet de loi confie au directeur de l'OFPRA le soin de définir les modalités d'organisation de l'entretien, ce qui n'est pas satisfaisant.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En Belgique et dans d'autres pays, l'information est mise à disposition dans différentes langues. Chez nous, les femmes, qui se trouvent dans des situations catastrophiques au moment où elles arrivent, ignorent ce droit si on ne les en informe pas. On pourrait le mentionner dans la loi. Mais, de son côté, le ministère devrait donner des consignes précises en ce sens.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Dans le même ordre d'idées, le projet de loi ne prévoit pas la présence de n'importe quel tiers. Pour notre part, nous allons sans doute demander qu'au-delà d'un avocat ou d'un conseil juridique, ou d'une association, la personne puisse venir éventuellement avec un membre de sa famille. Mais la question reste discutée.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mais de quoi a-t-on peur ? Pourquoi tout réglementer ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. On a peur du proxénétisme. L'« ami de la famille » peut être un proxénète.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J'observe que lorsqu'il n'y a pas de places dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asiles (CADA), on envoie les personnes en cours de procédure dans les structures pour les personnes sans domicile fixe (SDF) ou autres lieux. Ainsi, des jeunes filles mineures, seules, peuvent être victimes de violences, y compris pendant le temps où elles demandent une protection.

Je remarque par ailleurs que, dans l'une de vos recommandations, vous proposez de supprimer le préalable du passage en préfecture. Pouvez-nous éclairer ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Vous faites sans doute allusion à notre avis de l'année dernière sur la transposition des directives concernant l'asile. C'est une idée que nous allons reprendre.

Les délais d'enregistrement de la demande d'asile sont extrêmement courts, mais les préfectures ne suivent absolument pas le rythme. Il faut parfois attendre six mois. En outre, les préfectures ont des politiques disparates. Les guichets n'ont pas tous le même état d'esprit, certaines privilégient une approche très sécuritaire. En bref, le passage en préfecture ralentit les démarches, n'apporte rien, sauf à traiter de la question de la menace pour l'ordre public, qui relève effectivement des missions de police des préfectures. Mais au-delà, à quoi sert-il ?

Le projet de loi accorde de l'importance aux préfectures dans la mesure où elles peuvent par leur constat orienter les demandeurs en procédure normale ou en procédure accélérée, l'OFPRA gardant cependant la possibilité de « déclasser » les demandes placées en procédure accélérée par la préfecture. Mais quand on voit les motifs pour lesquels le placement en procédure accélérée peut être suggéré par la préfecture, on comprend que certains des motifs invoqués reviennent à une prédétermination de la protection internationale.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans ces conditions, que préconisez-vous ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Que les demandeurs d'asile aillent directement chercher leur formulaire de demande d'asile à l'OFPRA, comme c'était le cas avant 1993, avant la loi Pasqua.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela suppose qu'ils se déplacent physiquement à l'OFPRA.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Oui, mais on peut imaginer qu'il y ait des antennes OFPRA, pour retirer le document.

Qu'est-ce qui a justifié, en 1993, ce passage en préfecture ? À l'époque, les préfectures ne plaçaient pas en procédure prioritaire, mais, pour quatre motifs, elles pouvaient décider de refuser un droit au séjour provisoire et ne permettre qu'un maintien sur le territoire. Ce dernier avait pour inconvénient que le demandeur d'asile n'était maintenu sur le territoire que jusqu'à la décision de l'office, mais pas jusqu'à ce qu'il soit statué sur son éventuel recours devant la CNDA. Cela a valu à la France des difficultés contentieuses devant les juridictions européennes.

Le projet de loi actuel supprime la distinction entre maintien au séjour et séjour provisoire, en retenant la notion la moins protectrice qui est celle de « droit au maintien sur le territoire pour tous ». Cette expression devrait être rectifiée. En effet, le droit au maintien sur le territoire risque de faire perdre l'accès à certaines prestations sociales, sauf à reprendre l'ensemble des textes qui subordonnent actuellement cet accès à un droit au séjour provisoire, Par ailleurs, dès lors que tous les demandeurs se trouvent placés dans la même situation, c'est-à-dire qu'ils peuvent se maintenir sur le territoire jusqu'à ce que la CNDA statue sur leur recours, on ne peut à nouveau que s'interroger sur la pertinence du passage en préfecture.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Si je me souviens bien, il y a quelque temps, il a été demandé que l'on passe, non plus en préfecture départementale, mais en préfecture régionale. Des associations de ma région m'avaient d'ailleurs fait remarquer que les personnes arrivant, par exemple, à La Rochelle, devraient se rendre à Poitiers, ce qui n'a rien de commode. De la même façon, je n'imagine pas que tout le monde doive s'adresser au siège de l'OFPRA, à Paris.

Par ailleurs, j'ai entendu que toutes les préfectures ne procédaient pas de la même façon. Il y a donc une certaine inégalité territoriale.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Pour homogénéiser les pratiques des préfectures et les sensibiliser à ces questions, il faudrait assurer une formation à la problématique de l'asile au sein des préfectures. En toute hypothèse, une formation coûte cher. Peut-être est-il aussi simple d'avoir un spécialiste de l'asile au sein de la préfecture ? Quoi qu'il en soit, notre proposition de supprimer le passage en préfecture permettrait d'accélérer les délais de traitement et rendrait le dispositif moins coûteux en évitant un double examen des demandes. Ce pourrait donc être une bonne solution.

Reste le problème de la domiciliation, qui ne paraît pas être un problème pour le ministère, alors qu'en pratique c'en est véritablement un.

M. Hervé Henrion. Lors des auditions, il y a un an, avant que ne soit rendu l'avis de novembre 2013, il avait été envisagé de déconcentrer l'OFPRA, c'est-à-dire de prévoir des antennes en région.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela aurait l'avantage d'homogénéiser les pratiques sur le territoire. Aujourd'hui, c'est à la discrétion des secrétaires généraux de préfecture et des services, qui ont plus ou moins leurs habitudes.

Je voudrais maintenant aborder un autre sujet : celui des « pays d'origine sûrs ». J'en ai parlé à l'OFPRA qui m'a répondu que la liste relevait du conseil d'administration de l'office, dans lequel siègent des représentants de l'État.

L'Albanie fait partie de ces pays. Certes, il n'y a pas la guerre en Albanie, mais la traite y est assez importante. J'ai en mémoire un autre pays, la Guinée, où l'on ne reconnaissait pas les questions d'excision en matière d'asile parce que l'État avait annoncé qu'il allait engager une campagne de lutte contre l'excision au niveau national. Je ne conteste pas la volonté du gouvernement guinéen, mais de là à ce que cette campagne se traduise dans les faits …

Mme Catherine Teitgen-Colly. Certaines notions, comme celle du pays d'origine sûr, du pays tiers sûr ou de la demande manifestement infondée ont été introduites dans les résolutions de Londres des 30 novembre et 1er décembre 1992, à l'époque où l'asile faisait l'objet d'une coopération intergouvernementale. Il était alors traité par les ministères de l'intérieur en même temps que les questions d'immigration. Ces notions restrictives du droit d'asile ont été pérennisées ensuite à l'issue de la communautarisation des politiques d'asile.

La notion de pays d'origine sûr a été très critiquée parce qu'à l'époque, elle était imparfaitement définie. Les directives « procédures » de l'Union européenne l'ont depuis définie, mais cette définition, qui figure en annexe, ne constitue pas une réelle garantie. En effet, il ne suffit pas d'avoir ratifié les instruments internationaux de protection des droits de l'homme pour que ceux-ci soient effectivement protégés, les critères de sûreté sont tels qu'aucun pays ne peut objectivement y satisfaire. Une telle qualification relève dès lors de la fiction.

Cette notion de pays d'origine sûr aurait toutefois pu présenter un minimum de pertinence si l'Union européenne était parvenue à établir une liste européenne des pays d'origine sûrs. Mais l'idée en a été abandonnée. De ce fait, chaque pays établit sa propre liste au regard de son histoire politique et des liens qu'il a avec certains pays. En outre, comme nous l'avions fait remarquer à l'ancien ministre de l'immigration, de l'intégration et de l'identité nationale, M. Éric Besson, il est assez troublant de constater que l'on qualifie souvent de pays d'origine sûr le pays qui est classé premier par l'importance de ses demandeurs d'asile arrivant sur le sol français. Cette notion de pays d'origine sûr a donc pu être utilisée pour réguler les flux migratoires. Enfin, la présence ou non de certains pays sur la liste des pays d'origine sûrs peut s'expliquer par des raisons diplomatiques.

Dans notre pays, il y a eu déjà neuf listes successives, qui donnent régulièrement lieu à contentieux devant le Conseil d'État. Ce fut récemment le cas pour le Kosovo, dont l'inscription sur la liste s'est trouvée annulée. Il y a donc une grande volatilité de la notion de sûreté et de pays d'origine sûr. Pourtant, l'inscription du pays d'origine est déterminante pour la suite de la procédure. Aujourd'hui, les personnes venant d'un pays d'origine sûr n'ont pas droit au séjour provisoire mais peuvent seulement se maintenir sur le territoire jusqu'à ce que l'OFPRA ait statué. Demain, elles seront placées en procédure accélérée avec un « droit au maintien » jusqu'à décision de la CNDA.

Je tiens à réagir à ce que vous venez de dire sur la distorsion qui peut exister entre le droit et la pratique. Ainsi, le Mali figurait sur la première liste des pays d'origine sûrs établie en 2005 sans que soit dissocié le cas des femmes de celui des hommes. On considérait alors que la situation politique au Mali était suffisamment stabilisée, que son régime était démocratique, et l'on prenait en compte le fait qu'il avait adopté un ensemble d'instruments en faveur des droits de l'homme. Contesté une première fois sans succès, il a fallu attendre 2010 pour voir cette inscription en partie annulée par le Conseil d'État qui a alors jugé que ce pays ne pouvait être considéré comme un pays d'origine sûr pour les femmes, en raison des pratiques de mutilations sexuelles, qui n'avaient rien de résiduel.

En conclusion, cette notion n'est pas pertinente et constitue seulement un instrument de régulation de la demande d'asile.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Selon vous, la situation est-elle en train d'évoluer ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Pas vraiment.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J'ai le souvenir que l'OFPRA, qui relevait du ministère des affaires étrangères, était passé sous la tutelle du ministère de l'intérieur.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Absolument.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le retour de l'OFPRA dans le giron du ministère des affaires étrangères n'est pas non plus à l'ordre du jour ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Ce n'est absolument plus à l'ordre du jour du ministère, nous a indiqué le cabinet du ministre de l'intérieur.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela traduit le fait que l'asile est considéré comme une politique d'immigration. C'était le cas précédemment, et nous avions jugé cela anormal. L'asile est différent de l'immigration économique. Je suis donc étonnée qu'on ne se repose pas la question du retour de l'OFPRA dans le giron du ministère des affaires étrangères.

Mme Catherine Teitgen-Colly. De notre côté, dans nos avis précédents, nous avons dit à diverses reprises que l'OFPRA devait à nouveau être rattaché au ministère des affaires étrangères. Nous pensions qu'avec le changement politique, ce rattachement se ferait. Mais il ne s'est pas fait et ce n'est pas dans l'intention du ministère de l'intérieur, à qui nous avons posé la question. Son cabinet nous a répondu que le ministère de l'intérieur pouvait tout à fait traiter de l'asile, qu'il n'était pas seulement chargé de la politique migratoire, et que l'asile entrait dans ses attributions.

Nous avions aussi proposé que l'OFPRA devienne une autorité administrative indépendante, pour éviter la tutelle. Nous ne serons peut-être pas suivis sur ce point, mais nous voulons, conformément à la directive « procédures », qu'il n'y ait qu'une seule « autorité de détermination ». Sur ce point, la directive est claire : il y a une seule autorité, sauf pour les personnes relevant de la procédure « Dublin » et qui relèvent, pour le traitement de leur demande, d'un autre État membre, et pour les demandeurs à la frontière.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Considérez-vous que l'OFPRA soit suffisamment indépendant ? Avez-vous le sentiment que son indépendance ait été renforcée dans le projet de loi ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Je ne peux pas porter de jugement sur l'OFPRA, mais l'on peut s'étonner que le projet de loi ait cru devoir préciser qu'il ne reçoit pas d'instruction, alors qu'un établissement public n'est par définition pas soumis au principe hiérarchique. Mon opinion personnelle est que l'indépendance d'une institution dépend plutôt, très largement, des personnes qui sont à sa tête. Il y a toujours un risque. Mais la position de la Commission est plutôt en faveur d'une autorité administrative indépendante le limite.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Sans aucune nomination de la part de l'État ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Si, l'État nomme toujours quelques membres de ces autorités mais leur collégialité est un gage d'indépendance. En même temps, les parlementaires ne sont pas très favorables aux autorités administratives indépendantes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je croyais que le texte améliorait son indépendance. C'est du moins ce qui a été annoncé.

Mme Catherine Teitgen-Colly. En effet, parce que l'on a dit qu'il ne recevait pas d'instructions.

M. Hervé Henrion. Dans la première version du projet relatif à la réforme de l'asile, il était précisé que l'OFPRA exerçait ses missions en toute indépendance. Dans la dernière version, il est précisé que dans l'exercice des missions mentionnées, l'OFPRA ne reçoit aucune instruction. Le texte a donc été nettement édulcoré.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La formulation positive est devenue négative.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Ce n'est pas sans signification par rapport à ce qui nous a été dit tout à l'heure. Lorsque nous avons parlé d'autorité administrative indépendante, on nous a répondu en substance : « autorité administrative oui, indépendante non ».

Mme la présidente Catherine Coutelle. J'aimerais aborder un dernier point. Vous vous êtes saisis de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Vous êtes une autorité indépendante, et vous mentionnez, à propos des mineurs isolés victimes de la traite, que la proposition de loi est silencieuse en la matière.

Mme Catherine Teitgen-Colly. L'inquiétude s'est exprimée lors de nos auditions d'un risque de correctionnalisation des infractions commises par les auteurs de traite et d'exploitation en cas de prostitution contrainte. Il ressort en effet des quelques affaires assez saisissantes qui nous ont été transmises qu'on n'appelle pas un chat un chat, et qu'on préfère d'autres incriminations moins « percutantes » que celles de crime.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La loi comporte quatre chapitres, dont l'un est intitulé « Protection des victimes de la prostitution et création d'un parcours de sortie de la prostitution ». Pour nous, les mineurs sont concernés. Donc, si je comprends bien, nous devrions ajouter des mesures spécifiques aux mineurs victimes de la traite au sortir de la prostitution ?

M. Hervé Henrion. Pour les mineurs sortis, ou pas, de la prostitution. Les personnes auditionnées ont regretté qu'il n'y ait pas de mesures spécifiques aux mineurs isolés étrangers (MIE). On nous a rapporté de nombreux cas de MIE qui finissaient par sortir, notamment de zones d'attente, et qui étaient directement pris dans des réseaux. Il faudrait voir quelles dispositions pourraient être introduites dans la loi afin de modifier les pratiques.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans notre département, les cas de mineurs isolés ont été multipliés par cinq. Les services départementaux sont complètement débordés et refusent maintenant de recevoir quiconque. Des mineurs se retrouvent dans la nature.

Si j'ai bien compris, le ministère a essayé de désengorger des zones comme Marseille, Lyon, ou d'autres, où les mineurs isolés étrangers sont nombreux. Il les a dispersés dans des zones de la « campagne ». Sauf que la protection de l'enfance ne peut pas, ou ne veut pas, les accueillir. Or, même dans nos départements, il y a des réseaux de traite.

M. Hervé Henrion. Nous avons constaté des situations très curieuses. Des jeunes gens déclarés mineurs en Île-de-France sont envoyés, en vertu du schéma de répartition issu d'une circulaire de juin 2013, dans un autre département qui réévalue leur âge à partir d'un test osseux et les déclare majeurs. Donc, ils sont mineurs en Île-de-France et deviennent majeurs un mois plus tard dans un autre département.

Il y a également, dans l'ouest de la France, des départements qui ne respectent pas les décisions judiciaires de placement d'enfants, ce qui fait que les mineurs restent dans la nature. Parfois aussi, l'aide sociale à l'enfance (ASE) délègue à des associations la phase de l'évaluation de l'âge. De très nombreux mineurs se trouvent hors de tout encadrement juridique pendant des mois, parfois plus d'une année, sans que l'ASE ne prenne une quelconque décision de placement en urgence et sans que l'autorité judiciaire ne soit prévenue. C'est le cas à Paris. Le Défenseur des droits a très récemment pris une décision à ce sujet. L'ASE a ainsi organisé des sas de non droit, en amont de la procédure prévue dans le code de l'action sociale et des familles.

Je terminerais par cet autre cas, qui date de juin dernier : dans la région lyonnaise, deux lycéens, pris en charge par l'ASE, ont été déclarés majeurs après coup par un test osseux, et poursuivis pour escroquerie aux prestations sociales. Ils ont été condamnés à de l'emprisonnement ferme et on leur a réclamé le remboursement de l'hébergement dont ils avaient bénéficié - 27 000 euros pour l'un et 32 000 euros pour l'autre.

Au point 16 de notre avis sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, nous rappelons que la minorité des victimes n'est pas toujours prise en considération dans la qualification des infractions de proxénétisme. Et nous citons quelques affaires de requalification qui sont particulièrement impressionnantes. De son côté, dans son rapport sur ce sujet, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) s'inquiète beaucoup de l'insuffisante d'attention des pouvoirs publics à la situation des mineurs et des mineurs isolés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous allons essayer d'introduire dans la réforme de l'asile les notions de genre et d'égalité. Si vous avez des amendements ou, au moins, des avis à nous faire passer, nous sommes intéressés. Nous verrons ensuite comment les traduire dans le texte. N'oublions pas que les femmes représentent un tiers des demandeurs d'asile.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Et qu'elles sont de plus en plus nombreuses.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Bien sûr, on a toujours peur que telle ou telle mesure ne provoque un appel d'air. On avait beaucoup discuté des papiers à donner aux prostituées voulant sortir de la prostitution. C'est pour cela que l'on avait encadré l'amendement du ministère de l'intérieur, en disant qu'il fallait qu'une commission s'assure de la volonté des intéressées. L'objectif était d'éviter que les proxénètes ne les amènent sur le territoire français, ne leur demandent de déclarer qu'ils voulaient sortir de la prostitution et, une fois les papiers obtenus, ne continuent à les exploiter, et ainsi de suite…

Mme Catherine Teitgen-Colly. Nous n'étions pas d'accord avec l'idée de la sortie de prostitution comme condition de l'octroi d'un titre de séjour.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je sais bien. Il faut dire que les proxénètes et les réseaux de traite sont très forts. Ils s'adaptent très rapidement aux législations.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Nous allons publier le 20 novembre 2014, sur le site de la Commission, notre avis relatif à la réforme de l'asile et nous vous l'adresserons.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie.

Audition de Mme Arlette Vialle, directrice générale adjointe de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)

Compte rendu de l'audition du mercredi 29 octobre 2014

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci, madame Vialle, d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes directrice générale adjointe de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui porte ce nom depuis 2009.

Une des attributions de l'OFII est l'accueil des demandeurs d'asile. Dans ce cadre, il est chargé de la coordination du dispositif d'accueil en centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) - souvent problématique - et du pilotage du premier accueil des demandeurs.

J'aimerais savoir si l'OFII produit des statistiques sexuées sur ces demandeuses et demandeurs d'asile, et si vous partagez les conclusions du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), selon lesquelles le droit français en matière d'asile n'est pas assez favorable aux femmes. Il semblerait en effet que nous ayons pris du retard dans la prise en compte de la question du genre dans notre système juridique. Nous aimerions saisir l'occasion de la réforme pour apporter à celui-ci quelques améliorations

Mme Arlette Vialle, directrice générale adjointe de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). L'OFII est issu de l'ordonnance du 2 novembre 1945, sous le nom d'Office national de l'immigration dont la mission était de participer à la reconstruction de la France et de faire venir de l'étranger des travailleurs volontaires. En 1988, il a pris le nom d'Office des migrations internationales (OMI), afin de bien marquer les modifications de ses missions. En 2005, il est devenu l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM). En 2009, il a pris le nom que vous connaissez aujourd'hui.

Nos missions sont codifiées dans le code du travail, à l'article L. 5223-1. La raison en est historique : en 1945, l'Office national de l'immigration avait été créé pour faire venir des travailleurs. Il a été placé sous la tutelle du ministère du travail, puis sous celle du ministère chargé de l'immigration - plus particulièrement de la direction de la population et de l'immigration qui gérait les travailleurs migrants - et maintenant sous la tutelle du ministère de l'intérieur, compétent en matière d'immigration et d'asile.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Quel est le circuit du demandeur d'asile à partir du moment où il met le pied sur le territoire français, entre la préfecture, l'OFII et l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) ?

Mme Arlette Vialle. Le premier contact du demandeur d'asile sera généralement l'OFII ou les plates-formes d'accueil qu'il gère. L'office est en effet chargé du premier accueil des demandeurs d'asile qu'il met directement en œuvre dans certains départements ou par le biais des plates-formes d'accueil qu'il finance dans d'autres départements.

Ensuite, le demandeur d'asile ira à la préfecture pour se faire enregistrer, puis déposer sa demande devant l'OFPRA. La préfecture admet le demandeur d'asile au séjour.

Mme la rapporteure. Le projet de loi modifie-t-il les conditions d'accueil des femmes qui demandent l'asile ?

Mme Arlette Vialle. Comme vous l'avez noté, nous avons deux missions en matière d'accueil.

La première, qui date d'une dizaine d'années, est la coordination du dispositif national d'accueil (DNA), c'est-à-dire la gestion des places en CADA. Il s'agit d'une gestion informatisée, pour que le dispositif soit le plus pertinent possible.

La seconde, qui date de 2010, est le pilotage du premier accueil des demandeurs d'asile sur l'ensemble du territoire, directement par le biais de conventions avec des organismes que l'on choisit suite à un appel à projets.

Mme la présidente Catherine Coutelle Le demandeur se présente-t-il physiquement à votre guichet ? Vous téléphone-t-il ?

Mme Arlette Vialle. Il se présente physiquement.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous lui donnez une adresse ? Vous lui proposez un hébergement ?

Mme Arlette Vialle. Tous les demandeurs d'asile qui se présentent, avant de déposer leur demande à la préfecture, doivent être domiciliés. C'est une obligation. Mais l'office ne gère pas lui-même cette domiciliation, il s'adresse à un prestataire. Dans tous les départements, même quand l'OFII est plate-forme de premier accueil, la domiciliation est toujours sous-traitée à un organisme - financé par l'office à cette fin.

Mme la rapporteure. Peut-il s'agir de centres communaux d'action sociale (CCAS) ?

Mme Arlette Vialle. Non, ce sont des associations.

Pour déposer une demande d'asile et être admis au séjour en France, il faut avoir une adresse, ne serait-ce que pour y recevoir du courrier. Dans chaque lieu où l'on peut déposer une demande d'asile, nous finançons une structure associative pour qu'elle s'occupe de cette domiciliation. C'est une des onze prestations que nous assurons au titre du premier accueil.

Une fois domicilié, le demandeur d'asile a une adresse postale. Ainsi, il peut déposer sa demande, se faire connaître à la préfecture, être enregistré et obtenir une autorisation provisoire de séjour.

Mme la rapporteure. La suppression de la domiciliation ne risque-t-elle pas de rendre les demandeurs d'asile injoignables ?

Mme Arlette Vialle. L'objectif est que le demandeur d'asile puisse être hébergé immédiatement, en tout cas le plus rapidement possible, et donc que cette domiciliation ne retarde pas le dépôt de sa demande d'asile, et donc son enregistrement.

Mme la rapporteure. Il n'y a pas de risque de perte de documents, d'informations, de convocations, etc. ?

Mme Arlette Vialle. Dans l'idéal, si la personne est orientée directement sur un hébergement, elle aura immédiatement une adresse. Sinon, elle sera orientée vers une structure qui la domiciliera. Encore une fois, le ministère a souhaité éviter qu'il y ait un blocage avant l'enregistrement en préfecture. Cette suppression avait été demandée lors de la concertation organisée à l'automne 2013 sur la réforme de l'asile.

Mme la rapporteure. On sait que le nombre de places en CADA est insuffisant. Quels sont vos critères pour considérer qu'un public est prioritaire pour y être admis ?

Mme Arlette Vialle. Dans l'idéal, tout le monde a vocation à être admis dans un CADA. Mais nous n'avons que 24 411 places, et ce n'est pas suffisant pour l'ensemble des demandeurs d'asile.

Une circulaire de 2007 fixe les critères de priorité. Bien entendu, les personnes vulnérables, comme les femmes enceintes, les femmes avec enfants ou les personnes en situation de handicap, sont prioritaires.

Mme la rapporteure. Le projet de loi prévoit-il de modifier les types de publics prioritaires ?

Mme Arlette Vialle. Les futures missions de l'OFII sont précisées à l'article 15 du projet de loi. Celui-ci serait chargé de présenter l'ensemble des conditions matérielles d'accueil à tous les demandeurs d'asile. Et parmi ces conditions d'accueil, il y a l'hébergement.

S'agissant de l'hébergement, une première évaluation du demandeur sera faite. Les critères de priorité et, bien entendu, les critères de vulnérabilité, tels qu'ils sont indiqués à l'article 21 de la directive, seront pris en compte, notamment les critères de vulnérabilité objective.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Si j'ai bien compris, l'objet du projet de loi dont nous allons débattre est double. Le premier est d'éviter l'engorgement actuel et donc d'écarter le plus rapidement possible les demandes infondées, mais à quel moment, à l'OFII, à la préfecture ou à l'OFPRA ?

Le second objectif est de mieux prendre en compte la vulnérabilité, sachant que pour l'instant, la notion de vulnérabilité est définie dans une directive européenne, à laquelle il est fait référence mais dont les dispositions sur ce point ne sont pas directement reprises dans le projet de loi.

Mme Arlette Vialle. C'est l'OFPRA qui examine au fond la demande d'asile.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Toute demande d'asile passe par l'OFPRA ?

Mme Arlette Vialle. Oui, sauf celles des personnes relevant de la procédure Dublin. De son côté, l'OFII n'est pas chargé de l'examen des demandes d'asile, mais des conditions matérielles d'accueil.

Mme la rapporteure. En effet, mais le fait de prendre en considération, au moment de l'accueil, la vulnérabilité de certains publics est à même d'influencer la suite de la procédure. L'OFII jugera de la priorité à donner à certaines populations par rapport à d'autres.

Mme Arlette Vialle. L'article 15 nous charge d'un entretien destiné à évaluer la vulnérabilité du demandeur d'asile - même si cette vulnérabilité peut se révéler après, alors qu'il est déjà en hébergement.

Le fait de procéder à une première évaluation de cette vulnérabilité permet de signaler à l'OFPRA les personnes particulièrement vulnérables. Pour autant, nous n'avons pas à connaître le motif de demande d'asile de la personne. Ce n'est pas le rôle de l'OFII.

Mme Pascale Crozon. L'OFII procède à un examen social et médical du demandeur d'asile.

Mme Arlette Vialle. Oui, un examen social …

Mme Pascale Crozon. …et médical, si le demandeur est malade. Mais lorsque vous transmettez le dossier à l'OFPRA, un lien se crée entre l'OFII et l'OFPRA.

Mme Arlette Vialle. En cas de problème, il est prévu que l'on puisse transmettre certaines données à l'OFPRA, avec l'accord du demandeur d'asile.

Mme Edith Gueugneau. Il est prévu que la gestion de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) revienne à l'OFII. Comment celui-ci va-t-il procéder ? Le recours à un prestataire extérieur est-il envisagé ? Comme le souligne l'étude d'impact, les choix qui seront faits de ce point de vue détermineront l'ampleur des économies réalisées.

Ensuite, quels délais vous fixez-vous pour rendre les décisions concernant les attributions d'hébergement ?

Mme Arlette Vialle. Il est certain que nous devrons prendre en charge cette allocation, qui sera plus large que l'actuelle allocation temporaire d'attente.

Par ailleurs, nous serons sans doute chargés de verser l'ensemble des allocations aux demandeurs d'asile, y compris l'allocation mensuelle de subsistance (AMS), qui est actuellement versée par les CADA.

Enfin, pour verser l'ADA, il nous faudra passer par un comptable public, dans la mesure où il s'agit d'une allocation d'État.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Prenons le cas d'une femme seule avec des enfants, débarquant d'un pays fort lointain, par exemple à Poitiers. La préfecture est en centre-ville, l'OFII est à l'autre bout de la ville, le CADA est à 30 kilomètres. Pour percevoir l'ADA, elle devra revenir en ville quelque part chez un comptable public. N'oublions pas qu'elle ne parle pas le français, qu'elle ne sait pas s'orienter et qu'elle n'a pas de moyens de locomotion. Je sais qu'on commence à envisager de rapprocher l'OFII de la préfecture. Cela risque tout de même d'être difficile.

Mme Arlette Vialle. En raison du nombre d'interlocuteurs, le parcours du demandeur d'asile est une vraie galère. On a donc imaginé de confier la gestion de l'ADA à l'OFII pour alléger ce parcours. Ainsi, c'est au moment de la présentation des conditions matérielles que se fera l'ouverture des droits à l'ADA.

Envisage-t-on de recourir à un prestataire extérieur ? Oui. Notre souhait serait de remettre directement au demandeur d'asile une forme moderne de paiement, de type carte de crédit, mais l'OFII n'a pas de carte de crédit. De toute façon, le demandeur d'asile s'adressera uniquement à l'OFII, au moment de l'ouverture des droits à l'ADA. La modalité du versement de l'ADA relève de notre cuisine interne.

Mme la rapporteure. Disposez-vous de données sexuées, s'agissant des publics accueillis dans les CADA ?

Ensuite, la notion de vulnérabilité est-elle suffisamment large pour vous permettre de décider que des personnes qui auraient été victimes de violences, de persécutions, de traumatismes graves, sexuels ou autres, sont prioritaires en matière d'hébergement ? Sinon, pouvez-vous agir par un autre biais ? Devez-vous vous adresser à d'autres organismes ?

Mme Arlette Vialle. Nous évaluons déjà la vulnérabilité des demandeurs d'asile. Mais les traumatismes dont vous parlez ne sont pas forcément détectables, car les femmes n'en parlent pas très facilement. Nous réfléchissons d'ailleurs à un outil qui permettrait de détecter d'une manière plus fine les vulnérabilités. Les risques peuvent constituer en partie un motif de la demande d'asile. Mais nous n'avons pas en connaître, ou très peu. Ce sera à l'OFPRA de statuer.

Cela dit, nos directions territoriales sont confrontées aux problèmes que vous évoquez. Je pense tout particulièrement à des jeunes femmes victimes de la traite qu'il faut exfiltrer, héberger d'urgence à l'extérieur du département, et parfois faire protéger par la police.

Mme la rapporteure. Si ces jeunes femmes viennent vous voir, c'est qu'elles sont en danger immédiat par rapport à leur proxénète ou par rapport au réseau. Dans ces conditions, pouvez-vous réagir tout de suite ?

Mme Arlette Vialle. Toujours, lorsque l'on nous fait part de tels risques.

Mme la rapporteure. Avez-vous une idée du nombre de personnes concernées ?

Mme Arlette Vialle. Non, mais je peux le demander.

Mme la rapporteure. Ce serait intéressant pour notre rapport.

Mme Arlette Vialle. Comme je vous l'ai fait remarquer, on ne nous dit pas tout. Cela figure peut-être dans les dossiers de l'OFPRA.

Mme la rapporteure. Jusqu'à présent, la traite n'était pas considérée comme un motif de vulnérabilité. Si cela en devient un, peut-être que cela incitera certaines personnes à en parler.

J'aimerais par ailleurs savoir si un livret d'accueil est remis aux demandeurs d'asile. Sinon, serait-il possible d'en imprimer un ?

Mme Arlette Vialle. Il existe le guide du demandeur d'asile.

Mme la rapporteure. Je sais que l'on peut le consulter sur internet, mais tout le monde n'y a pas accès. Serait-il possible d'envisager la création d'un tel livret, qui serait naturellement rédigé dans plusieurs langues ?

Mme Arlette Vialle. Un livret les informant des conditions de leur accueil et de leurs droits en France leur est remis. Il pourrait évidemment être complété.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Selon l'article 21 de la directive, les personnes vulnérables sont : les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux, les personnes qui ont subi des tortures, des viols, des violences psychologiques, physiques, sexuelles et par exemple, les victimes de mutilations génitales féminines.

Mais les femmes victimes de mutilations génitales, de mariages forcés, de violences psychologiques notamment qui viennent vous voir ne sont pas forcément considérées comme faisant parties d'un « groupe social ». Les recevez-vous en tant que demandeuses d'asile ? Relèvent-elle d'un autre type de traitement ?

Ensuite, les associations me disent que l'OFII a des médecins : deux ou trois médecins, ainsi que des psychologues, qui mènent des entretiens. Ces médecins sont-ils formés à des entretiens sur la vulnérabilité ? On le sait en effet, ces femmes ne vont pas spontanément parler. Il faut savoir les interroger, tout en veillant à la confidentialité. Cette confidentialité est-elle assurée ? Très sincèrement, nous voudrions améliorer le parcours des femmes victimes de certains sévices et leur faire obtenir le statut de réfugiée.

La France a été montrée du doigt. Nous voudrions améliorer le texte pour qu'elle agisse conformément aux directives et devienne vraiment exemplaire.

Mme Arlette Vialle. Nous avons effectivement des médecins. Mais nos médecins n'interviennent pas dans la procédure de demande d'asile. Ils sont chargés de la visite médicale préalable à la délivrance d'un titre de séjour, qui concerne tous les étrangers qui arrivent en France et sont ressortissants des pays tiers.

Toutefois, quelques médecins interviennent dans le cadre de l'orientation en CADA, lorsque les personnes mettent en avant certains problèmes médicaux. C'est souvent le cas de celles qui ne veulent pas être hébergées hors du département ou de la région où elles se trouvent. Malgré tout, en tant qu'établissement administratif, nous ne sommes pas habilités au niveau médical. Voilà pourquoi nous envoyons le motif médical à un médecin qui est chargé de voir si, dans la région où est situé le CADA, la personne pourra, ou non, suivre le traitement dont elle a besoin. Nous nous conformons à sa réponse car ce n'est pas nous qui, dans ce cas-là, prenons la décision de maintenir, ou non, la place en CADA.

Mme la rapporteure. Est-il prévu de mettre en place une formation sur la question du genre à destination des personnels de l'OFII ?

Mme Arlette Vialle. On est en train de définir les formations qui seront nécessaires à nos agents qui vont recevoir tous les demandeurs d'asile. On peut donc le prévoir.

Le genre est une problématique qui est fortement prise en compte dans le cadre d'une autre de nos activités, qui est le « contrat d'accueil et d'intégration ». Dans ce cadre, nous sommes en lien avec les centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) qui assurent parfois des formations à certains de nos agents.

Mme la rapporteure. Est-ce qu'il serait possible d'assurer aux femmes des conditions d'hébergement différenciées, afin de leur éviter de subir d'autres violences du fait de la promiscuité, comme cela a été signalé dans certains CADA ?

Mme Arlette Vialle. Vous pensez à des CADA destinés uniquement aux femmes ?

Mme la rapporteure. Ou à des ailes réservées aux femmes. C'est le cas de certains foyers Adoma. Mais cela dépend du bon vouloir de la direction locale. Pourrait-il y avoir des préconisations en ce sens ?

Mme Arlette Vialle. On ne peut qu'être favorable à l'amélioration des conditions d'hébergement des femmes.

Mme la rapporteure. Il s'agit d'aller au-delà, et de les protéger davantage.

Mme Arlette Vialle. Il est certain qu'il faut absolument protéger les femmes isolées, dans la mesure de nos capacités. Bien sûr, cela doit être demandé aux centres d'hébergement. Je précise tout de même qu'il n'y a jamais de dortoirs.

Mme la rapporteure. D'après ce que l'on m'a dit, les demandeurs d'asile restent très longtemps dans les CADA. Il y aurait aussi des difficultés à en sortir sans l'autorisation du préfet.

Mme Arlette Vialle. Il faut signaler quand on est absent du CADA. Si l'on veut rendre visite à un cousin pendant quelques jours, je pense que cela ne pose aucun problème.

Mme la rapporteure. On nous a dit qu'il fallait prévenir le préfet, ce que j'ai trouvé assez surprenant.

Mme Arlette Vialle. Je ne pense pas que ce soit une mesure coercitive. Si le projet de loi prévoit l'obligation de prévenir lorsque l'on s'absente du CADA, c'est pour éviter tout risque d'abus - notamment que quelqu'un, qui a accepté d'aller en CADA, décide de ne pas y rester.

Mme la présidente Catherine Coutelle. À la préfecture, les demandeurs d'asile ont un entretien, ils remplissent un certain nombre de dossiers et on leur demande s'ils souhaitent ou non aller en CADA. Parfois, ces demandeurs d'asile étant déjà hébergés dans des familles, refusent. De ce fait, ils n'ont pas droit à l'allocation temporaire d'attente (ATA). Quand ils réalisent leur erreur, ils s'adressent à une association, acceptent l'hébergement en CADA - puisque c'est cela qui déclenche l'aide - quitte à ne pas y aller.

Ensuite, on lit dans l'exposé des motifs, à propos de l'article 15 : « Avant l'orientation vers un hébergement, l'OFII procède à un examen des causes de vulnérabilité du demandeur d'asile. » Est-ce cela que vous appelez l'entretien ? Est-ce la visite avec un médecin ?

On lit aussi : « L'allocation du demandeur d'asile prend en compte les ressources du demandeur, sa situation familiale, son mode d'hébergement, les prestations qui lui sont offertes, et son barème étant défini par décret, elle est gérée par l'OFII. » Aurez-vous donc la capacité d'évaluer ce que le demandeur d'asile doit recevoir ?

Mme Arlette Vialle. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, l'ADA résulterait de la fusion de l'ATA et de l'AMS (allocation mensuelle de subsistance). Si la personne n'a pas d'hébergement, elle sera supérieure à l'allocation que le demandeur percevra s'il est hébergé dans un CADA. Il y a donc une modulation, selon les prestations qui sont offertes par le CADA - comme la nourriture - et les ressources déclarées de la personne. Si la personne a des ressources, il n'y a pas de raison qu'une aide lui soit versée.

Mme la rapporteure. En CADA, on touche d'ores et déjà quelque chose.

Mme Arlette Vialle. L'allocation mensuelle de subsistance (AMS).

Mme la rapporteure. Connaissez-vous le nombre de créations de places en CADA qui sont prévues dans les années qui viennent ? Celles qui avaient été annoncées se sont-elles concrétisées ?

Mme Arlette Vialle. Ce n'est pas nous qui décidons - c'est le ministère - mais depuis 2012, 3 000 places de CADA ont été ouvertes. Et nous en attendons 1 000 nouvelles dans l'année.

Mme la rapporteure. Selon vous, les personnes ayant demandé l'asile qui sont en attente d'une réponse doivent-elles être autorisées à travailler ?

Mme Arlette Vialle. Cette autorisation avait été supprimée dans les années quatre-vingt-dix. À l'époque, je travaillais depuis peu à l'OMI, et on m'avait expliqué que les ressortissants étrangers qui voulaient venir travailler en France utilisaient la demande d'asile pour y parvenir. L'interdiction de travailler peut donc se comprendre. Maintenant, quand une procédure dure très longtemps, c'est plus difficile à comprendre.

Mme la rapporteure. À partir du moment où la vulnérabilité d'une personne est établie, pour quelque raison que ce soit, et qu'elle est accepté à ce titre comme demandeur ou demandeuse d'asile, il n'y a plus de logique à lui interdire de travailler.

Mme Arlette Vialle. Nous évaluons la vulnérabilité et il faut le signaler à l'OFPRA pour qu'il traite la demande de façon appropriée, et flécher un hébergement qui conviendra à cet état de vulnérabilité. Maintenant, comme je vous l'ai dit, nous n'avons absolument aucun rôle en matière décisionnelle sur le fond de la demande d'asile.

Mme la rapporteure. Étant donné la longueur des délais de réponse à une demande d'asile, ne pourrait-on pas faire en sorte que dès le stade de l'OFII, et donc dès que les parents ont une domiciliation, les enfants puissent être scolarisés dès la maternelle ? Jusqu'à présent, ce n'est pas obligatoire, et c'est à la discrétion des maires des communes.

Mme Arlette Vialle. Je dirais que c'est souhaitable. Maintenant, je ne peux pas aller au-delà.

Mme la présidente Catherine Coutelle. D'après les chiffres qui nous sont donnés, en 2013, il y aurait eu 45 925 premières demandes de protection internationale, dont 16 000 environ- soit plus de 30 % - sont présentées par des femmes. Avez-vous le sentiment d'une forte augmentation, d'une augmentation ou bien d'une stagnation de la demande, sachant que l'Allemagne fait face à 100 000 demandes par an ?

Mme Arlette Vialle. Les chiffres de la demande d'asile sont donnés par l'OFPRA. Nous ne sommes pas chargés de comptabiliser les demandeurs d'asile. Mais nous connaissons le nombre des personnes qui souhaitent rentrer dans notre dispositif national d'accueil et qui sont en CADA.

Concernant l'accueil en CADA, il existe des données sexuées : selon mon service, il y avait ainsi, au 30 septembre dernier, 23 941 personnes hébergées, dont 12 206 femmes : principalement des Russes (2 461), des Congolaises (1 744), des Albanaises (1 438) et des Kosovares (1 248).

Mme la rapporteure. Pourtant, l'Albanie est considérée comme un pays sûr.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Comme le Kosovo.

Mme Arlette Vialle. Cela s'explique par la longueur de la procédure. Ces femmes étaient là avant que leur pays ne soit considéré comme un pays sûr.

Mme la présidente Catherine Coutelle. De toute façon, même en cas refus de la CNDA, on ne renvoie pas des CADA des femmes seules avec enfants. Même déboutées, celles-ci restent sur le territoire, tout en tentant d'autres procédures.

Mme la rapporteure. Vous parlez de 23 941 personnes hébergées, et de 24 411 places.

Mme Arlette Vialle. Cela s'explique par le taux de rotation. Pour qu'une place soit réoccupée, il faut nettoyer complètement les petits appartements, les remettre à neuf, ce qui prend deux ou trois semaines.

Mme la rapporteure. Les données sexuées que vous venez de nous donner concernaient les personnes hébergées. Mais sur l'accueil, avez-vous des données ?

Mme Arlette Vialle. Non, mais je sais que 14 542 personnes sont en attente de prise en charge par un CADA, parmi lesquelles se trouvent 4 841 femmes.

Mme la rapporteure. On m'a dit que les femmes seules étaient loin d'être prioritaires et même qu'elles avaient peu de chances d'avoir une place en CADA.

Mme Arlette Vialle. Elles ont plus de chances d'être hébergées que les hommes. Dès lors qu'elles ont un enfant, elles sont hébergées très rapidement.

Les femmes isolées, quant à elles, si elles sont vulnérables au sens dont nous parlions, sont hébergées tout de suite - à moins qu'elles ne nous disent être logées par leur famille.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Est-ce que votre conseil d'administration est paritaire ?

Mme Arlette Vialle. Il y a à l'OFII un directeur général, un secrétaire général, et deux directrices générales adjointes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il suffit que vous deveniez directrice générale pour que notre pays gagne encore des places en termes de parité. Car la France vient de passer du 49e au 16e rang dans le classement du Forum économique mondial sur l'égalité femmes-hommes !

Madame Vialle, je vous remercie.

II. EXAMEN DU RAPPORT EN DÉLÉGATION

La Délégation a examiné le présent rapport d'information et les recommandations présentés par la rapporteure, au cours de la séance du mercredi 19 novembre 2014.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mes chers collègues, le projet de loi relatif à la réforme de l'asile sera examiné en séance publique à partir du mardi 9 décembre 2014. Notre Délégation a souhaité être saisie de ce texte important, car le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) nous a interpellés sur le retard de la France dans la prise en compte de la notion de genre en matière d'asile. Mme Maud Olivier, désignée rapporteure, va vous présenter les recommandations issues de nos travaux.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Pour élaborer ce rapport d'information, outre le HCEfh, notre Délégation a auditionné l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), ainsi que différentes associations : France terre d'asile, Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI), Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants (GAMS).

Ont également été entendus des représentants du collectif Action et droits des femmes exilées et migrantes (ADFEM) et de l'Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI). Avec la présidente de la Délégation, j'ai par ailleurs effectué un déplacement à l'OFPRA, où nous avons assisté à des entretiens individuels, et à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

En premier lieu, le rapport souligne la prise en compte insuffisante du genre dans le système d'asile français. Au niveau international, on a pu observer une reconnaissance progressive de la spécificité des demandes d'asile liées au genre. Quant à la France, malgré une féminisation de la demande, elle se caractérise par des interprétations parfois restrictives au regard des violences de genre. On observe aussi des obstacles dans la procédure d'asile et des conditions d'accueil parfois inadaptées.

En second lieu, le rapport souligne que l'égalité femmes-hommes doit constituer un axe central de la réforme du droit d'asile. Nous avons concentré nos travaux sur trois chapitres du projet de loi relatifs aux conditions d'octroi de l'asile, à la procédure d'examen des demandes d'asile et aux conditions d'accueil des demandeuses et demandeurs d'asile. Je vous propose d'examiner à présent les recommandations que nous pourrions formuler.

La première vise à élaborer des principes directeurs concernant la prise en compte du genre en matière d'asile, après concertation, pour préciser les pratiques. Je précise à cet égard que le terme de genre figure dans les directives européennes. Par ailleurs, il me semble souhaitable que les principes directeurs soient les mêmes pour tous.

Concernant le chapitre relatif aux conditions d'octroi de l'asile, il pourrait être envisagé de poser explicitement dans la loi le principe selon lequel les aspects liés au genre doivent être dûment pris en considération aux fins de la reconnaissance de l'appartenance à un certain groupe social ou de l'identification d'une caractéristique d'un tel groupe, conformément à l'article 10 de la directive « qualification ». En outre, il convient de veiller à ce que les autorités appliquent une interprétation sensible au genre des motifs de persécution définis par la Convention de Genève, conformément aux instruments pertinents applicables tels que la Convention d'Istanbul et les principes directeurs du Haut-Commissariat des Nations unis pour les réfugiés (HCR). Tel est l'objet des deuxième et troisième recommandations.

Par ailleurs, la rédaction de l'article L. 711-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pourrait être modifiée afin de prévoir que la qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté « ou de l'égalité entre les femmes et les hommes » (recommandation n° 4).

La cinquième recommandation porte sur la production et la publication régulière de statistiques et analyses sexuées concernant le traitement des demandes d'asile et l'accueil des personnes concernées, en particulier par les préfectures, l'OFII, l'OFPRA et la CNDA. Actuellement, seul l'OFPRA commence à établir ce type de statistiques.

Il conviendrait également de développer les actions de formation sur l'égalité entre les femmes et les hommes et les problématiques de genre pour l'ensemble des acteurs concernés (recommandation n° 6). Outre l'OFPRA, qui a fait des efforts significatifs dans ce domaine, les efforts de formation doivent concerner également la CNDA et l'OFII, mais aussi les préfectures, les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) et les plateformes d'accueil.

Concernant la procédure d'examen des demandes d'asile, la septième recommandation vise à améliorer les modalités d'élaboration de la liste des « pays d'origine sûrs » pour prendre en compte la condition des femmes dans certains pays :

- en modifiant la composition du conseil d'administration de l'OFPRA pour prévoir la représentation des ministères chargés des affaires sociales, de la santé, et des droits des femmes, tout en veillant à la composition paritaire du conseil d'administration ;

- en prévoyant le droit de vote pour les personnalités qualifiées au conseil d'administration, la consultation d'associations préalablement à l'inscription ou le retrait d'un pays concernant la liste des pays d'origine sûrs, et la possibilité pour ces associations et organisations non gouvernementales (ONG) de saisir le conseil d'administration de l'office ;

- en assortissant la notion de pays « sûr » d'indicateurs ou de critères relatifs aux questions des droits des femmes, de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre.

En effet, actuellement, les demandes d'asile sont généralement déclarées non recevables pour les demandeurs de pays dits « sûrs », dont la liste est établie par le conseil d'administration de l'OFPRA, composé notamment de représentants du ministère de l'intérieur et de quelques personnalités qualifiées. Un pays est considéré comme sûr, aux termes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, s'il veille au respect de la démocratie. Il conviendrait de ne plus considérer comme sûrs des pays qui s'avèrent restrictifs en matière de droits des femmes, c'est-à-dire où celles-ci sont victimes de violences et de persécutions, et j'envisage le dépôt d'un amendement en ce sens.

La huitième recommandation a pour objet de préciser dans la loi que la procédure accélérée ne peut être mise en œuvre pour les demandes de réexamen présentées par des victimes de la traite.

Quant à la neuvième, il s'agit d'expliciter la notion de personnes vulnérables, a minima en précisant dans la loi qu'elles comprennent notamment les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains et les personnes qui ont subi des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation sexuelle féminine.

En tout état de cause, il convient de mieux prendre en compte les besoins spécifiques des demandeuses d'asile lors des entretiens à l'OFPRA et des audiences à la CNDA. Aussi la dixième recommandation prévoit-elle :

- de veiller à la possibilité pour les demandeuses qui le souhaitent d'être assistées par une personne représentant une association œuvrant spécifiquement à la défense des droits des migrantes, des victimes de persécutions de genre ou à raison de l'orientation sexuelle ;

- d'étudier les conditions de mise en place de services de garde d'enfants à l'OFPRA et à la CNDA, et de prise en charge des frais de transports des demandeurs, voire de leur conseil ;

- en inscrivant dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le principe selon lequel les procédures d'examen tiennent compte des spécificités de genre, afin d'assurer une égalité réelle entre les demandeuses et les demandeurs d'asile.

S'agissant des victimes de proxénétisme et de la traite des êtres humains, le huis clos devrait pouvoir être prononcé de droit si la personne requérante le demande (recommandation n° 11).

Il apparaît par ailleurs nécessaire d'améliorer l'information des demandeuses d'asile, au moins en complétant le guide du demandeur d'asile et en le diffusant plus largement, voire en publiant une brochure spécifique à l'attention des femmes, avec notamment des informations sur leurs droits, ainsi que sur la protection et la prévention des violences (recommandation n° 12).

Concernant enfin les conditions d'accueil des demandeuses et demandeurs d'asile, la treizième recommandation a pour objectif d'améliorer la prise en compte des besoins particuliers des femmes et des personnes vulnérables en matière d'hébergement :

- en développant le recueil de données et d'analyses genrées sur le nombre et le profil des femmes, ainsi que sur les violences, dans les CADA, plateformes et hébergements d'urgence ;

- en veillant à la consultation des acteurs et des experts sur les modalités d'évaluation des besoins particuliers pour les personnes vulnérables ;

- en précisant dans la loi que lorsque les demandeurs sont accueillis dans des centres d'hébergement, les autorités tiennent compte des aspects liés au genre, à l'âge et à la situation des personnes vulnérables, et que les mesures appropriées sont prises pour prévenir la violence et les actes d'agression fondés sur le genre, y compris les violences et le harcèlement sexuel à l'intérieur des centres ;

- en précisant dans la loi que lorsque des demandeurs de sexe féminin sont placés en rétention ou hébergés en CADA, les autorités veillent à ce qu'ils soient hébergés séparément des demandeurs de sexe masculin, à moins que ces derniers ne soient des membres de leur famille et que toutes les personnes concernées y consentent.

En vue d'améliorer les droits des demandeur-se-s d'asile et de leurs enfants, la quatorzième recommandation a pour objet de :

- rappeler dans la loi les obligations en matière de scolarisation des enfants des demandeurs d'asile et des demandeurs mineurs, ainsi que les dispositions prévues par le code de l'éducation concernant l'accueil en maternelle ;

- et d'assouplir les dispositions actuelles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui empêchent les demandeuses et demandeurs d'asile d'accéder au marché du travail, et au moins d'inscrire dans la loi la possibilité de travailler légalement au-delà d'un délai de neuf mois.

Il conviendrait, d'autre part, de préciser, à l'article 18 du projet de loi, que les dispositions relatives à la délivrance du titre de séjour (carte de séjour temporaire ou carte de résident) s'appliquent au conjoint lorsque le mariage est antérieur à la date d'obtention de la protection ou, à défaut, lorsqu'il a été célébré depuis au moins un an, sous réserve d'une communauté de vie effective entre époux, « sauf en cas de dépôt de plainte pour violences conjugales » (recommandation n° 15).

Enfin, la dernière recommandation vise à assurer la protection des mineures menacées de mutilations sexuelles féminines :

- en maintenant les dispositions du projet de loi prévoyant la présentation d'un certificat médical, qui devrait être présenté tous les deux ans, pour s'assurer de l'effectivité de la protection ;

- en étudiant la possibilité de confier cet examen à des professionnels habilités, par exemple dans le cadre des unités médico-judiciaires (UMJ), avec une prise en charge financière ;

- et en développant parallèlement les actions de formation, de sensibilisation et d'information concernant les mutilations sexuelles féminines, notamment en milieu scolaire et auprès des parents des mineures protégées.

Telles sont les recommandations que je vous propose d'adopter.

Mme la présidente Catherine Coutelle. L'étude d'impact du projet de loi est insuffisante en termes d'égalité entre les femmes et les hommes. À cet égard, il faut savoir que les ministères ne réalisent pas eux-mêmes leurs études d'impact en termes de genre : en effet, ils envoient leurs projets de loi au service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) qui dispose alors, au mieux de deux jours et au pire de deux heures, pour rajouter des dispositions liées au genre.

La contribution du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) a été très éclairante pour nos travaux, et la France doit impérativement améliorer l'accueil des femmes qui représentent environ 35 % des demandeurs d'asile. Les magistrats que nous avons rencontrés à la CNDA ont fait référence à la Convention de Genève, et il convient de prendre également en compte les directives « procédures », « accueil » et « qualification ». Il faut souligner que cette convention a été signée après la guerre afin de protéger les opposants politiques de sexe masculin et ne mentionne pas le genre comme motif de violences faites aux femmes.

Voilà pourquoi nous tenons à améliorer le projet de loi relatif à la réforme de l'asile au travers d'amendements visant à traduire en droit ces recommandations.

Mme Édith Gueugueau. Je tiens à saluer cet important travail.

L'égalité entre les hommes et les femmes est un combat de tous les jours, y compris en France et particulièrement pour les demandeurs d'asile.

Un grand nombre de pays ont progressé sur la notion de genre. Existe-t-il une définition universelle et pourrions-nous la reprendre dans le projet de loi ?

Mme la rapporteure. Le début du rapport évoque les avancées au niveau de l'Union européenne avec la prise en compte de cette problématique dans les trois directives sur l'asile, ainsi que les pratiques progressistes dans certains pays voisins. Au début de la première partie, il comporte quelques paragraphes concernant la notion de genre avec aussi, à la page 14, un encadré sur la définition de la notion de « persécution liées au genre ».

M. Jacques Moignard. La dernière recommandation sur la protection des mineures menacées de mutilations sexuelles mentionne la présentation d'un certificat médical tous les deux ans. Il me semble que ce certificat devrait être présenté au moins tous les ans.

Mme la rapporteure. Actuellement, le délai est d'un an : il est lié à la protection subsidiaire, elle-même accordée pour une durée d'un an. Les enfants susceptibles d'être victimes de mutilations peuvent désormais obtenir le statut de réfugié. Pour autant, je plaide pour le maintien d'un contrôle, car il permet de vérifier l'effectivité de la protection.

Nous aurons ce débat dans l'hémicycle, car certains, et notamment le Défenseur des droits, préconisent la suppression de ce contrôle, le jugeant stigmatisant et discriminant pour les familles. Des associations proposent un délai de cinq ans, d'autres un délai de trois ans. À mes yeux, un délai de deux ans permettra de protéger les enfants jusqu'à leur majorité, sachant que deux cas de mutilation ont été signalés après l'octroi de la protection.

Certaines personnes auditionnées pensent que cet examen gynécologique peut se révéler très contraignant pour les jeunes filles. Mais l'examen par des professionnels qualifiés me semble un moindre mal par rapport au risque d'excision. Cette recommandation ne traduit aucune suspicion envers les parents, mais nous connaissons le poids des coutumes dans certains pays et nous voulons absolument protéger ces jeunes filles.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les décisions du Conseil d'État de décembre 2012 en matière d'excision constituent une avancée majeure, en permettant aux personnes d'accéder au statut de réfugié. Cependant, l'une d'elle annule l'octroi de la protection subsidiaire à la mère d'une fillette risquant de subir une mutilation sexuelle.

Mme la rapporteure. Il est à noter que le projet de loi prévoit la délivrance d'un titre de séjour aux parents de mineurs ayant obtenu le bénéfice d'une protection internationale.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La rapporteure a également envisagé que des places soient réservées aux demandeuses d'asile dans les centres d'hébergement. En effet, le nombre de places dans les centres d'accueil est notoirement insuffisant et les femmes y sont fréquemment victimes de violences en raison d'une trop grande promiscuité.

Mme la rapporteure. Je proposerai un autre amendement visant à garantir le confort de l'accueil. En effet, pour avoir visité des hébergements d'urgence dans les hôtels, je peux vous dire que leur qualité est souvent très médiocre - saleté, présence de cafards, fils électriques pendants… Il faut aussi garantir une sécurité à ces jeunes femmes en détresse économique qui risquent d'être amenées à se prostituer.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous jugeons nécessaire d'améliorer la rédaction du projet de loi concernant deux notions : le groupe social, d'une part, et la vulnérabilité, d'autre part, à propos de laquelle la rapporteure envisage le dépôt d'un amendement pour reprendre la définition de la directive.

Je serais pour ma part favorable à la suppression de la notion de « pays sûr », mais cela n'est pas dans l'air du temps. Des pays ont annoncé lutter contre l'excision, mais cela n'est pas général et toutes les jeunes filles ne sont pas protégées.

Mme la rapporteure. Des réseaux de traite dans des pays dits « sûrs », comme l'Albanie, envoient dans les pays européens des personnes pour se prostituer.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Une Albanaise peut être déboutée très rapidement si son pays est considéré « sûr ». En effet, en cas de « pays sûr », l'OFPRA applique la procédure accélérée. Cependant, ses officiers nous ont indiqué ne pas forcément tenir compte de cette notion en cas de violences, mais aussi que les femmes ont du mal à dire pourquoi elles sont là quand elles sont victimes de la traite. Il arrive même que ce soit les proxénètes qui fassent la demande d'asile à leur place. Si le magistrat s'en rend compte, il peut demander le huis clos.

Mme la rapporteure. Le magistrat peut demander le huis clos, mais il faut que la femme elle-même puisse le demander et que le huis clos soit prononcé de droit pour les victimes de traite.

Le projet de loi prévoit que, lors de l'entretien à l'OFPRA, le demandeur peut être assisté par un représentant d'une association ou un avocat. Il s'agit d'une disposition très importante.

Par ailleurs, si le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que les préfectures remettent au demandeur un guide du demandeur d'asile, ce document n'est pas délivré systématiquement et il est très incomplet. Je souhaite qu'il soit réécrit, afin d'informer les femmes de leurs droits, en particulier de la possibilité de porter plainte pour violences, du danger des réseaux de prostitution et de l'existence d'associations qui peuvent les aider et les accompagner.

Nous recommandons la mise en place de gardes d'enfants car, selon les témoignages que nous avons recueillis à l'OFPRA et à la CNDA, il est difficile pour des enfants d'entendre le récit dramatique de leur mère. Nous avons eu connaissance du cas d'un enfant âgé de sept ans, qui a demandé à quitter la salle car il ne supportait pas d'entendre sa mère raconter les violences qu'elle avait subies.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Actuellement, c'est du bricolage : ce sont les officiers disponibles qui gardent les enfants.

Mme la rapporteure. À l'OFPRA, dans la salle d'attente pour adultes, il y a un petit espace avec des jeux posés par terre pour les enfants.

Mme la présidente Catherine Coutelle. On nous a dit que si un lieu de garde était installé, certaines familles n'y laisseraient pas leurs enfants. Mais il faut tout de même prévoir quelque chose.

Mme la rapporteure. Nous jugeons également important que la procédure accélérée ne soit pas mise en œuvre pour les demandes de réexamen des victimes de la traite. En effet, si une première déclaration a été faite sur la base de faux papiers ou de fausses informations, la personne relève d'une procédure prioritaire et risque d'être déboutée d'office. Or une personne victime de la traite doit pouvoir demander un réexamen de sa demande sur la base de nouvelles informations.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La majorité des personnes victimes de la traite se présentent sous un faux nom avec de faux papiers.

Mme la rapporteure. Il faut également rappeler que 85 % des personnes prostituées en France sont d'origine étrangère et, dans leur très grande majorité, victimes des réseaux de traite.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci, madame la rapporteure, pour cet excellent travail.

La Délégation adopte le rapport et les recommandations ci-après.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

Recommandation n° 1 : Élaborer des principes directeurs concernant la prise en compte du genre en matière d'asile, après concertation, pour préciser les pratiques.

 Conditions d'octroi de l'asile

Recommandation n° 2 : Poser explicitement dans la loi le principe selon lequel  les aspects liés au genre doivent être dûment pris en considération aux fins de l'appartenance à un certain groupe social ou de l'identification d'une caractéristique d'un tel groupe, conformément à l'article 10 de la directive « qualification ».

Recommandation n° 3 : Veiller à ce que les autorités appliquent une interprétation sensible au genre des motifs de persécution définis par la Convention de Genève, conformément aux instruments pertinents applicables tels que la Convention d'Istanbul et les principes directeurs du HCR.

Recommandation n° 4 : Prévoir que la qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté « ou de l'égalité entre les femmes et les hommes », à l'article L. 711-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Recommandation n° 5 : Produire et publier régulièrement des statistiques et analyses sexuées concernant le traitement des demandes d'asile et l'accueil des personnes concernées, en particulier par l'OFII, les préfectures, la CNDA et l'OFPRA.

Recommandation n° 6 : Développer les actions de formation sur l'égalité femmes-hommes et les problématiques de genre pour l'ensemble des acteurs concernés (outre l'OFPRA, la CNDA, l'OFII, préfectures, CADA, plateformes d'accueil, etc.).

 Procédure d'examen

Recommandation n° 7 : Améliorer les modalités d'élaboration de la liste des pays d'origine sûrs pour prendre en compte la condition des femmes dans certains pays :

- en modifiant la composition du conseil d'administration de l'OFPRA pour prévoir la représentation des ministères chargés des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, et en veillant à la composition paritaire du conseil d'administration ;

- en prévoyant le droit de vote pour les personnalités qualifiées au conseil d'administration, la consultation d'associations préalablement à l'inscription ou le retrait sur la liste des pays d'origine sûrs, et la possibilité pour ces associations et ONG de saisir le conseil d'administration de l'office ;

- en assortissant la notion de pays « sûr » d'indicateurs ou de critères relatifs aux questions des droits des femmes, de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre.

Recommandation n° 8 : Préciser dans la loi que la procédure accélérée ne peut être mise en œuvre pour les demandes de réexamens présentées par des victimes de la traite.

Recommandation n° 9 : Expliciter la notion de personnes vulnérables, a minima en précisant dans la loi qu'elles comprennent notamment les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains et les personnes qui ont subi des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation sexuelle féminine.

Recommandation n° 10 : Prendre en compte les besoins spécifiques des demandeuses d'asile lors des entretiens à l'OFPRA et des audiences à la CNDA :

- veiller à la possibilité pour les demandeuses qui le souhaitent d'être assisté-e par le ou la représentant-e d'une association œuvrant spécifiquement à la défense des droits des migrantes, des victimes de persécutions de genre ou à raison de l'orientation sexuelle ;

- étudier les conditions de mise en place de services de garde d'enfants à l'OFPRA et à la CNDA, et de prise en charge des frais de transports des demandeurs, voire de leur conseil ;

- inscrire dans le Ceseda le principe selon lequel les procédures d'examen tiennent compte des spécificités de genre, afin d'assurer une égalité réelle entre les demandeuses et les demandeurs d'asile (principe figurant dans le considérant 32 de la directive « procédures »).

Recommandation n° 11 : Pour les victimes de proxénétisme et de la traite des êtres humains, prévoir que le huis clos est prononcé de droit si la personne requérante le demande.

Recommandation n° 12 : Améliorer l'information des demandeuses d'asile, au moins en complétant le guide du demandeur d'asile et le diffusant plus largement, voire en publiant une brochure spécifique à l'attention des femmes, avec notamment des informations sur leurs droits ainsi que sur la protection et la prévention des violences.

 Conditions d'accueil des demandeur-se-s d'asile

Recommandation n° 13 : Mieux prendre en compte les besoins particuliers des femmes et des personnes vulnérables en matière d'hébergement :

- en développant le recueil de données et d'analyses genrées sur le nombre et le profil des femmes ainsi que sur les violences, dans les CADA, plateformes et hébergements d'urgence ;

- en veillant à la consultation des acteurs et des experts sur les modalités d'évaluation des besoins particuliers pour les personnes vulnérables ;

- en précisant dans la loi que lorsque les demandeurs sont accueillis dans des centres d'hébergement, les autorités tiennent compte des aspects liés au genre, à l'âge et à la situation des personnes vulnérables, et que les mesures appropriées sont prises pour prévenir la violence et les actes d'agression fondées sur le genre, y compris les violences et le harcèlement sexuels à l'intérieur des centres ;

- en précisant dans la loi que lorsque des demandeurs de sexe féminin sont placés en rétention ou hébergés en CADA, les autorités veillent à ce qu'ils soient hébergés séparément des demandeurs de sexe masculin, à moins que ces derniers ne soient des membres de leur famille et que toutes les personnes concernées y consentent.

Recommandation n° 14 : Améliorer les droits des demandeur-se-s d'asile et de leurs enfants :

- en rappelant dans la loi les obligations en matière de scolarisation des enfants des demandeurs d'asile et des demandeurs mineurs, ainsi que les dispositions prévues par le code de l'éducation concernant l'accueil en maternelle ;

en assouplissant les dispositions actuelles du Ceseda qui empêchent les demandeur-se-s d'asile d'accéder au marché du travail et a minima en inscrivant dans la loi la possibilité de travailler légalement au-delà d'un délai de neuf mois.

Recommandation n° 15 : Préciser que les dispositions relatives à la délivrance du titre de séjour (carte de séjour temporaire ou carte de résident), prévues par l'article 18 du projet de loi, s'appliquent au conjoint lorsque le mariage est antérieur à la date d'obtention de la protection ou, à défaut, lorsqu'il a été célébré depuis au moins un an, sous réserve d'une communauté de vie effective entre époux, « sauf en cas de dépôt de plainte pour violences conjugales ».

Recommandation n° 16 : Assurer la protection des mineures menacées de mutilations sexuelles féminines :

en maintenant les dispositions du projet de loi prévoyant la présentation d'un certificat médical, qui devrait être présenté tous les deux ans, pour s'assurer de l'effectivité de la protection ;

- en étudiant la possibilité de confier cet examen à des professionnels habilités, par exemple dans le cadre des unités médico-judiciaires (UMJ), avec une prise en charge financière ;

-  en développant les actions de formation, de sensibilisation et d'information concernant les mutilations sexuelles féminines, notamment en milieu scolaire et auprès des parents des mineures protégées.

ANNEXES

ANNEXE N° 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA DÉLÉGATION ET PAR LA RAPPORTEURE

1 - PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA DÉLÉGATION

● Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh)

M. Maxime Forest, président de la commission Droits des femmes, enjeux européens et internationaux du HCEfh, docteur en sciences politiques

- Mme Cécile Sportis, rapporteure sur l'asile

● Associations

Mme Isabelle Gillette-Faye, sociologue, directrice de la Fédération nationale du GAMS (Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants)

- Mme Haoua Lamine, avocate, représentante du Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI)

- Mme Fatiha Mlati, directrice de l'intégration à France terre d'asile

● Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA)

- M. Pascal Brice, directeur général

- Mme Cécile Malassigné, cheffe de file du groupe thématique sur les violences faites aux femmes

● Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH)

- Mme Catherine Teitgen-Colly, vice-présidente, professeure de droit public à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

- M. Hervé Henrion, conseiller juridique, magistrat

● Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)

- Mme Arlette Vialle, directrice générale adjointe

2 - PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE

● Action et droits des femmes exilées et migrantes (ADFEM)

- Mme Violaine Husson, représentante de la CIMADE, chargée des questions relatives aux femmes et aux violences

- Mme Lola Chevallier, coordinatrice de la commission Femmes de la Fédération des associations de soutien aux travailleurs immigrés (FASTI)

● Association de travailleurs immigrés (ASTI)

M. Soulé Ngaidé, chef de service de l'intervention juridique au centre de rétention administrative de Marseille pour le Forum COSI, membre de l'association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI)

3 - PERSONNES ENTENDUES LORS DU DÉPLACEMENT À L'OFPRA ET À LA CNDA, LE 13 NOVEMBRE 2014, PAR LA RAPPORTEURE ET LA PRÉSIDENTE DE LA DÉLÉGATION

● Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), à Fontenay-sous-Bois

- M. Pascal Brice, directeur général

- Mme Isabelle Ayrault, cheffe de la division Protection

- Mme Coralie Capdebosq, cheffe de section au sein de la division Afrique, cheffe de file du groupe de travail sur la traite des êtres humains

- Mme Valérie Vivien, cheffe de section au sein de la division Europe, cheffe de file du groupe de travail sur l'orientation sexuelle

- Mme Marie Despretz, cheffe de section au sein de la division Europe, cheffe de file du groupe de travail sur les violences faites aux femmes

- Mme Marie Ripert, officière de protection au sein de la division Afrique, membre du groupe de travail sur les violences faites aux femmes

● Cour nationale du droit d'asile (CNDA), à Montreuil

- Mme Martine Denis-Linton, présidente

- M. Frédéric Beaufaÿs, vice-président

- Mme Florence Malvasio, présidente de chambre, responsable du Centre de recherche et de documentation de la CNDA

ANNEXE N° 2 :
SYNTHÈSE DU RAPPORT PUBLIÉ EN 2012 SUR LES DEMANDES D'ASILE LIÉES AU GENRE EN EUROPE

Sont présentées ci-dessous la synthèse et les recommandations du rapport, qui a été publié en 2012 par le Parlement européen, sur « Les demandes d'asile liées au genre en Europe. Une étude comparative des législations, politiques et pratiques axées sur les femmes dans neuf États membres de l'Union Européenne » (France, Belgique, Hongrie, Italie, Malte, Roumanie, Espagne, Suède et Royaume-Uni).

*

« À travers l'Union européenne, un demandeur d'asile sur trois en moyenne est une femme. Ces femmes ont fui pour échapper aux viols, aux violences sexuelles, à la torture et autres violations des droits fondamentaux dans leurs pays. Les femmes et les personnes qui fuient les persécutions liées au genre ont droit à une procédure d'asile juste et digne, quel que soit le pays où elles introduisent leur demande.

Cette recherche a été conduite en vue de répondre à des inquiétudes déjà anciennes concernant l'éventuelle défaillance des systèmes nationaux d'asile partout en Europe en la matière. Elle s'est effectuée dans le cadre du projet Gensen, qui s'est déroulé entre octobre 2010 et mai 2012 et qui visait à améliorer l'égalité de genre dans la procédure d'asile européenne. Les demandes d'asile liées au genre en Europe permettant une analyse complète des législations, politiques et pratiques relatives à l'asile et aux problématiques du genre dans neuf Etats membres de l'Union européenne : la Belgique, l'Italie, l'Espagne, la France, Malte, la Suède, la Hongrie la Roumanie et le Royaume-Uni.

Cette recherche de base sur 60 entretiens réalisés avec des femmes ayant introduit une demande d'asile dans l'UE depuis 2008 après avoir fui un total de 27 pays différents. Elle s'appuie également sur les réponses à 132 questionnaires remplis par des juristes, des avocats, des ONG, des centres d'accueil, des membres du personnel du HCR, des autorités nationales et de juges travaillant sur la question de l'asile dans les neuf pays.

Conclusions principales

Il existe des disparités importantes et inquiétantes dans la façon dont les États membres de l'Union européenne traitent les demandes d'asile liées au genre.

En conséquence les femmes n'ont pas la moindre garantie de recevoir un traitement cohérent et sensible au genre lorsqu'elles recherchent une protection en Europe. Les demandeuses d'asile sont trop souvent confrontées à des législations et des politiques qui ne respectent pas des normes acceptables, y compris lorsque des politiques sensibles au genre existent mais ne sont pas mises en pratique.

Une jeune femme sri-lankaise demandant l'asile en France s'est vue contrainte à passer l'entretien de sa demande d'asile en présence de son fils de sept ans. Elle a expliqué : « Il a tout entendu. À un moment, il m'a demandé s'il pouvait sortir parce que c'était trop dur à entendre pour lui. »

À titre d'exemple :

Des lignes directrices sur le genre peuvent contribuer à rendre le système des demandes d'asile plus sensible à la problématique du genre. Or seuls Malte, la Roumanie, la Suède et le Royaume-Uni ont adopté leurs propres lignes directrices nationales sur le genre en vue d'orienter les personnes chargées de statuer sur les demandes d'asile. Il n'existe pas de lignes directrices européennes, en dépit du fait que celles-ci pourraient s'avérer importantes pour la mise en place de systèmes harmonisés sensibles au genre partout en Europe.

Les États membres de l'UE ont l'obligation juridique et contraignante de collecter et de publier des statistiques d'asile ventilées par sexe. Cependant, alors que la Belgique fournit des données extrêmement utiles qui vont au-delà de ces exigences minimales - en publiant de statistiques sur le type de persécutions subies dans les domaines liées au genre - seuls la Suède et le Royaume-Uni ventilent officiellement leurs statistiques nationales concernant les procédures en appel. La Roumanie ne publie aucune statistique ventilée par genre.

Si quelques États reconnaissant que certaines persécutions liées au genre peuvent être interprétées au sens de la Convention relative au statut des réfugiés, de nombreuses femmes risquent de se voir refuser la protection à laquelle elles ont droit en raison de « mauvaises » décisions.

Certaines formes d'atteintes ne sont pas prises en considération dans les pratiques nationales en matière d'asile. Les autorités françaises, maltaises et roumaines par exemple ne reconnaissent pas toujours les mutilations génitales féminines (MGF) comme des persécutions. En France et en Belgique, les demandes d'asile fondées sur la crainte d'une MGF - et le renouvellement de la protection - reposent sur un examen médical annuel invasif. En France, l'octroi du statut de réfugié ne s'étend pas aux filles nées sur le territoire français et menacées d'une MGF, et les fillettes dans cette situation reçoivent, au mieux, un titre de séjour d'un an renouvelable (protection subsidiaire). Autre exemple : l'Espagne ne reconnaît pas le trafic des êtres humains comme forme de protection.

Il apparaît que les principes directeurs du HCR sur le genre invitant les États à interpréter les cinq motifs de la Convention de Genève d'une manière sensible au genre ne sont pas pris en considération dans les pays faisant l'objet de l'étude. Peu d'exemples de persécutions liées au genre interprétées au regard des motifs conventionnels des opinions politiques et de la religion, et presque aucun au regard des motifs de la race et de la nationalité, ont été relevés.

Dans tous les pays faisant l'objet de la recherche, les persécutions liées au genre sont essentiellement envisagées dans le cadre du motif de l'appartenance à un certain groupe social (CGS) de la Convention relative au statut des réfugiés. Même si les exemples de bonnes pratiques dans ce domaine sont encourageants, il est important que le CGS ne devienne une option « par défaut » pour toutes les demandes d'asile liées au genre.

On sait que les traumatismes dont souffrent les victimes de violences sexuelles affectent la cohérence de leurs récits. Des cas de bonnes pratiques ont été relevés en Italie et à Malte où la charge de la preuve est réduite en cas de viol ou des violences liées au genre.

Si tous les pays fournissent des agents chargés des entretiens de sexe féminin sur demande, seuls la Belgique, la Suède et le Royaume-Uni demandent systématiquement à chaque demandeur sa préférence. Une garde d'enfants est uniquement proposée en Belgique et au Royaume-Uni - ailleurs, les femmes doivent choisir entre taire certaines informations importantes et dévoiler des détails traumatisants devant leurs enfants.

Bien que les politiques nationales en Hongrie, en Suède et au Royaume-Uni relèvent l'importance de la prise en considération des questions de genre lors des décisions relatives à la possibilité d'asile interne, ce n'est pas toujours le cas en pratique.

La Belgique est le seul pays qui propose une formation tenant compte de la dimension de genre à son personnel dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile, malgré de nombreux cas signalés de violences liées au genre et de harcèlements sexuels dans les centres d'hébergement de tous les pays faisant l'objet de l'étude.

Une femme kosovare, demandant asile en Hongrie, a expliqué : « Lorsque nous sommes arrivés en Hongrie, les policiers ont été grossiers avec nous. Ils nous ont contrôlés et nous avons dû nous déshabiller. Pour moi, qui suis une vieille femme, c'était très gênant. »

Principales recommandations

Les demandeuses d'asile contraintes de fuir pour des motifs de persécutions liées au genre et de rechercher une protection en Europe doivent avoir accès à un régime d'asile juste et digne, quel que soit le pays où la demande est introduite.

Le régime d'asile européen commun (RAEC) a été mis en place dans le but d'harmoniser les législations européennes en matière de droit d'asile. Néanmoins, cette étude montre qu'une telle harmonisation est encore éloignée de la réalité en ce qui concerne le traitement des demandes d'asile liées au genre.

Voici les recommandations formulées.

Les États membres de l'UE devraient :

adopter et mettre en place, pour les personnes chargées des décisions initiales et les juges, des lignes directrices sur le genre fondées sur les principes directeurs du HCR ;

veiller à ce que leurs procédures tiennent compte de la dimension du genre ;

créer des points de contact « genre » au sein de leurs autorités nationales chargées de l'asile ;

tenir compte de la dimension de genre dans leurs données en fournissant des statistiques officiellement ventilées par sexe à tous les niveaux de la procédure d'asile ;

signer et ratifier la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique du Conseil de l'Europe.

La Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l'Europe devraient faire le nécessaire pour que les problématiques de genre soient prises en considération dans toute future législative relative au RAEC et dans son application.

Le Bureau européen d'appui en matière d'asile devrait :

encourager la mise en œuvre des principes directeurs du HCR et des normes existantes dans les systèmes d'aile sensibles au genre ;

adopter des lignes directrices européennes sur la base de pratiques sensibles au genre dans les systèmes d'asile nationaux afin de remédier aux lacunes en matière de protection ;

intégrer une perspective de genre dans tous les aspects de son programme de travail ;

mettre en place les recommandations décrites dans le document « En-gendering the European asylum support office ».

Les ONG européennes traitant du droit d'asile devraient :

créer des points de contact « genre » et développer des réseaux d'échange d'expériences et de bonnes pratiques ;

envisager des actions en justice à visée stratégique dans le cadre de la législation européenne et nationale sur l'égalité des genres afin d'améliorer le traitement réservé aux femmes et personnes LGBTI demandant l'asile.

Une femme congolaise, demandant asile au Royaume-Uni, a expliqué que son aide financière ne suffisait pas pour subvenir aux besoins de sa petite fille. Elle a expliqué qu'elle était souvent contrainte de se passer de couches, de vêtements, de lait et de nourriture pour son bébé.

ANNEXE N° 3 :
RECOMMANDATIONS DU HAUT CONSEIL À L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES EN MATIÈRE D'ASILE

Est présentée ci-après une synthèse des principales observations et recommandations du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), dans son avis sur le projet de loi relatif à la réforme de l'asile (n° 2182), adopté le 7 novembre 2014, sur proposition de M. Maxime Forest, président de la commission « Droits des femmes et enjeux internationaux et européens » (Mme Cécile Sportis, rapporteure), et publié le 19 novembre 2014.

Cet avis fait suite à la contribution du Haut Conseil sur la réforme de l'asile, publiée en novembre 2013 et également accessible en ligne sur le site du HCEfh.

*

SYNTHÈSE DES OBSERVATIONS DU HCEFH

De manière générale, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) souligne l'importance de conforter et consolider le projet de loi relatif à la réforme de l'asile en y intégrant et restituant leur dimension législative à nombre de dispositions qui, dans le projet de loi actuel, sont renvoyées à un traitement ultérieur par voie de décret.

1. Références aux dispositions communautaires

Le HCEfh observe que bien que le présent projet de loi ait notamment pour objet d'adapter le droit français aux dispositions communautaires en matière d'asile, les références aux directives « accueil », « procédure » et « qualification » demeurent à la fois limitées et peu explicites. En particulier, ni la référence à la possibilité pour le genre de constituer un motif d'appartenance à un groupe social au sens de la Convention de Genève explicitée par les textes communautaires, ni les références exhaustives aux situations de vulnérabilité relevant du genre ou de l'orientation sexuelle, ne sont reprises dans le projet de loi.

2. Enregistrement des demandes

Le HCEfh s'inquiète du fait qu'en maintenant l'enregistrement des demandes d'asile en préfecture, soit maintenue l'hétérogénéité des pratiques au regard des conditions du premier accueil, de l'information des demandeur-euse-s d'asile et de l'examen préliminaire de leur demande. Or cette hétérogénéité est particulièrement préjudiciable au premier accueil des personnes en situation de vulnérabilité et plus largement, à l'égal traitement des demandeurs et des demandeuses.

3. Accueil des demandeurs et demandeuses et établissement des situations de vulnérabilité

La mission d'accueil confiée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) inclut la détermination des besoins des demandeurs et demandeuses d'asile au regard des situations de vulnérabilité, sans que ne soient précisées les conditions dans lesquelles ces dernières sont établies, en particulier au regard du genre, notamment de la sexualité et de l'identité de genre.

4. Hébergement des demandeurs et demandeuses d'asile

Les situations de vulnérabilité, notamment celles des filles et des femmes victimes de violences liées au genre ou exposées au risque de traitements inhumains ou dégradants, ainsi que celles des personnes exposées à des risques particuliers compte tenu de leur sexualité, ne sont pas prises en compte du point de vue des conditions d'hébergement.

5. Conditions d'entretien et de recueil des récits de souffrance

Le HCEfh note qu'aucune des dispositions prévues par le projet de loi concernant les conditions d'entretien des officier-e-s de protection avec les demandeurs et demandeuses d'asile ne prévoit la possibilité du choix du sexe de l'officier-e en fonction de celui du demandeur/de la demandeuses, sous réserve que le motif de la demande d'asile ou des éléments du dossier portés à la connaissance de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le justifient. De même, le HCEfh observe qu'aucune mention spécifique n'est faite des conditions particulières de recueil des récits de souffrance ou de la prise en compte des situations spécifiques de vulnérabilité.

6. Présence d'un tiers lors de l'entretien

Le HCEfh regrette que les associations de défense des droits des étrangers et des demandeurs/demandeuses d'asile soient mentionnées de manière générique, et qu'aucune disposition ne prévoit la possibilité pour un demandeur ou une demandeuse présentant une demande liée au genre, notamment à l'orientation sexuelle et à l'identité de genre, de solliciter la présence du/ de la représentant-e d'une association spécialisée.

7. Étude d'impact

Le HCEfh constate que l'étude d'impact annexée au projet de loi, bien que comprenant quelques paragraphes sur l'impact possible de cette réforme sur les femmes, est quelque peu laconique, parce qu'il n'existe pas de données statistiques sexuées et a fortiori d'analyses genrées sur ces sujets.

RECOMMANDATIONS 

Recommandation n° 1 : Personnes en situation de vulnérabilité et appartenance à un groupe social

Expliciter les références aux personnes en situation de vulnérabilité et à l'appartenance à un certain groupe social issues des directives « accueil » et « qualification » pour l'intégration d'une perspective de genre. Le législateur pourra également s'appuyer sur les principes directeurs énoncés en la matière par le Haut-Commisssariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

Recommandation n° 2 : Recours à la notion de pays d'origine dits « sûrs »

Assortir la notion de pays d'origine dit « sûr » d'indicateurs ou de critères relatifs à la situation des droits des femmes et des minorités sexuelles.

Recommandation n° 3 : Conditions d'accueil et d'hébergement

Prendre en compte le respect du principe d'égalité femmes-hommes et la dimension du genre :

lors de l'enregistrement des demandes, avec une vigilance quant au niveau d'information fourni respectivement aux demandeurs et demandeuses d'asile ;

lors de l'établissement des situations de vulnérabilité par l'OFII ;

dans le cadre des conditions d'hébergement, afin que celles-ci garantissent la sécurité des femmes et des personnes en situation de vulnérabilité ;

dans le cadre des conditions d'hébergement pour les personnes réfugiées au motif de leur sexualité afin que celles-ci garantissent la proximité géographique des centres communautaires.

Recommandation n° 4 : Recueil des récits appuyant les demandes

Accorder une vigilance particulière aux aspects de genre dans le recueil des récits écrits, afin de faciliter l'énonciation dès le début de la procédure des situations susceptibles de relever de violences ou persécutions liées au genre, notamment à la sexualité et à l'identité de genre.

Recommandation n° 5 : Conditions d'entretien à l'OFPRA

Prévoir la possibilité pour les demandeurs et demandeuses qui le souhaitent d'être assisté-e-s par le/la représentant-e d'une association œuvrant spécifiquement à la défense des droits des migrant-e-s, des victimes de persécutions de genre ou à raison de l'orientation sexuelle, dès lors que celles-ci présentent les garanties nécessaires de professionnalisme et d'expérience en matière de droit d'asile.

Recommandation n° 6 : Données statistiques sexuées

Afin d'informer, dès leur enregistrement, le suivi et l'examen des demandes d'asile, produire, faire produire et publier des données statistiques sexuées, notamment par les préfectures, l'OFII, l'OFPRA ou encore les services consulaires ainsi que des éléments d'analyse genrée concernant le traitement des demandes de protection internationale à tous les stades de la procédure.

Recommandation n° 7 : Formation

Rendre effective et obligatoire la formation à l'égalité femmes-hommes et à l'approche de genre pour tous les acteurs et actrices intervenant au cours de la procédure de demande d'asile (préfectures/OFII, OFPRA, CADA, CNDA, etc.) et allouer les moyens financiers suffisants pour assurer cette formation initiale et continue.


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