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OGOGRIS-22mm

N° 2581

——

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 février 2015.

RAPPORT D’INFORMATION

fait

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER (1)

sur le projet de loi relatif à la santé (n° 2302)

PAR Mme Monique ORPHÉ,

Députée.

——

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page

La Délégation aux Outre-mer est composée de : M. Jean-Claude Fruteau, président ; Mme Huguette Bello, Mme Chantal Berthelot, Mme Sonia Lagarde, M. Serge Letchimy, M. Didier Quentin vice-présidents ; Mme Brigitte Allain, M. Dominique Bussereau, M. Bernard Lesterlin, secrétaires ; M. Ibrahim Aboubacar, M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Jean-Jacques Bridey, M. Ary Chalus, M. Alain Chrétien, M. Stéphane Claireaux, M. Édouard Courtial, M. René Dosière, Mme Sophie Errante, M. Georges Fenech, M. Hervé Gaymard, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Gomes, M. Philippe Gosselin, Mme Geneviève Gosselin, M. Mathieu Hanotin, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, Mme Monique Iborra, M. Éric Jalton, M. Serge Janquin, M. François-Michel Lambert, M. Guillaume Larrivé, M. Patrick Lebreton, M. Gilbert Le Bris, M. Patrick Lemasle, M. Bruno Le Roux, M. Michel Lesage, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Victorin Lurel, M. Thierry Mariani, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Hervé Mariton, M. Olivier Marleix, M. Jean-Philippe Nilor, M. Patrick Ollier, Mme Monique Orphé, M. Napole Polutélé, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, Mme Maina Sage, M. Boinali Said, M. Paul Salen, M. François Scellier, M. Gabriel Serville, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Paul Tuaiva, M. Jean Jacques Vlody

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

I. LE SYSTÈME DE SANTÉ DES COLLECTIVITÉS ULTRAMARINES COMBLE PROGRESSIVEMENT SON RETARD PAR RAPPORT À L’HEXAGONE MAIS RESTE MARQUÉ PAR DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES 9

A. LE SYSTÈME DE SANTÉ ULTRAMARIN RÉDUIT PROGRESSIVEMENT SON RETARD PAR RAPPORT À L’HEXAGONE 10

1. Des dépenses de santé différenciées par collectivités territoriales 10

2. Un rattrapage global par rapport à l’hexagone qui se traduit par une hausse de l’espérance de vie des ultramarins 12

3. Une situation relativement favorable par rapport aux pays avoisinants dans une même zone géographique 13

B. NÉANMOINS UN CERTAIN NOMBRE DE DIFFICULTÉS PERSISTENT 15

1. Les Outre-mer sont moins bien pourvus que l’hexagone en matière d’offre de soins ambulatoires 15

a. Des écarts de densité médicale et paramédicale significatifs par rapport à l’hexagone 15

b. Des inégalités de répartition géographique 19

2. Les régimes de protection sociale laissent souvent subsister, pour les soins ambulatoires effectués en ville, des sommes à charge supérieures à celles qui peuvent être exigibles dans l’hexagone lorsque les assurés ne disposent pas de mutuelles 20

a. Les différents régimes de protection sociale en vigueur dans les DOM et dans les COM 21

b. Les remboursements des soins médicaux ou paramédicaux effectués en ville lorsque les assurés ne disposent pas de protection complémentaire 22

3. L’offre de soins hospitaliers est moins développée que celle de l’hexagone 25

a. Le maillage des territoires ultramarins en hôpitaux publics reste inférieur à celui de la métropole 25

b. Au sein d’un même établissement, les capacités d’accueil sont inégalement réparties entre les services 26

c. Les services d’urgence sont fréquemment en surcharge 27

d. Les évacuations sanitaires sont en nombre élevé et elles répondent à une problématique spécifique 28

e. Les centres hospitaliers connaissent des difficultés de trésorerie 29

f. Les centres hospitaliers rencontrent également des difficultés dans la gestion de leurs personnels 31

4. Outre-mer, les incapacités apparaissent de manière plus précoce qu’au sein de l’hexagone 32

5. La persistance des maladies infectieuses 32

6. La persistance des maladies chroniques 34

7. Certaines catégories d’ultramarins souffrent d’addictions spécifiques 35

II. LE PROJET DE LOI RELATIF À LA SANTÉ MOBILISE UN GRAND NOMBRE DE LEVIERS POUR AMÉLIORER LA PRÉVENTION OU LE SYSTÈME DE SOINS AUSSI BIEN DANS L’HEXAGONE QUE DANS LES COLLECTIVITÉS ULTRAMARINES 37

A. LE RECOURS AUX ORDONNANCES POUR COMPLÉTER LA RÈGLEMENTATION ULTRAMARINE (ARTICLE 56) 38

B. LES AUTRES DISPOSITIONS QUI, SANS VISER PARTICULIÈREMENT LES OUTRE-MER, PRÉSENTENT POUR CES TERRITOIRES UN INTÉRÊT PARTICULIER 39

1. Les principes et les objectifs fixés par le projet de loi en matière de santé (article 1er) 39

2. La levée des restrictions concernant l’obtention d’une contraception d’urgence auprès de l’infirmerie scolaire pour les élèves du second degré (article 3) 41

3. Le renforcement des moyens permettant de diminuer la consommation d’alcool chez les jeunes (article 4) 42

4. L’amélioration de l’information nutritionnelle des consommateurs (article 5) 44

5. La diffusion accrue des tests d’orientation diagnostique et des autotests pour déceler les maladies infectieuses (article 7) 45

6. L’institution d’un service territorial de santé au public (article 12) 46

7. La généralisation du tiers-payant pour les consultations médicales en ville (article 18) 50

8. La refondation d’un service public hospitalier ancré dans les territoires (article 26) 50

9. Le développement de la recherche et de l’innovation dans le domaine des médicaments au sein des établissements de santé (article 37) 52

10. La rénovation des PRS dans le cadre de l’animation territoriale conduite par les ARS (article 38) 53

III. COMPTE TENU DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES OUTRE-MER, LE PROJET DE LOI PEUT FAIRE ENCORE L’OBJET D’AMÉLIORATIONS 55

A. LA MISE EN PLACE D’UN SYSTÈME DE PROGRAMMATION SPÉCIFIQUE POUR L’OUTRE-MER 55

1. La définition de programmes de santé spécialement dédiés aux collectivités ultramarines (article 1er) 55

2. La mise en place d’un programme de rattrapage (article 56) 56

B. LES MESURES SUPPLÉMENTAIRES EN MATIÈRE DE PRÉVENTION 56

1. La diminution du format des panneaux publicitaires lorsque ceux-ci concernent des boissons alcoolisées (article additionnel après l’article 4) 57

2. La sensibilisation des jeunes enfants, dans les classes de CE 1 ou de CE 2, aux questions nutritionnelles (article 5) 58

3. La possibilité de procéder à des expérimentations spécifiques en matière de dépistage ou de recherche clinique pour des pathologies données (article additionnel après l’article 7) 59

4. La mise en œuvre obligatoire par les ARS ultramarines de programmes particuliers de prévention ou de promotion de la santé (article additionnel après l’article 38) 59

C. LES MESURES COMPLÉMENTAIRES POUR AMÉLIORER L’OFFRE DE SOINS 60

1. Le renforcement de la coopération entre professionnels de santé (article additionnel après l’article 12) 60

2. L’amélioration du système envisagé par le Gouvernement s’agissant de la généralisation du tiers payant pour les consultations médicales en ville (articles additionnels après l’article 18) 61

3. L’amélioration de certains aspects du fonctionnement des hôpitaux publics (articles additionnels après l’article 26) 61

4. Favoriser la création de pôles d’excellence en matière de recherche et de médecine tropicale dans les territoires ultramarins (article additionnel après l’article 37) 62

5. Encourager la coopération régionale internationale dans le domaine de la santé (article additionnel après l’article 37) 62

6. Créer, pour les étudiants en médecine, un contrat optionnel leur permettant d’effectuer leur stage de troisième cycle dans un DOM (article additionnel après l’article 56) 63

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 65

PROPOSITIONS ADOPTÉES 81

AUDITIONS DE LA RAPPORTEURE 83

RÉUNIONS DE LA DÉLÉGATION 85

COMPTES RENDUS DES RÉUNIONS DE LA DÉLÉGATION 87

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi relatif à la santé (n° 2302) poursuit une belle et noble cause. Il souhaite fédérer l’ensemble des acteurs du monde médical, d’une part, autour d’un diagnostic partagé et, d’autre part, autour de moyens d’action communs.

Le diagnostic peut se résumer autour de cinq grandes idées :

– les pouvoirs publics doivent poursuivre leur combat pour l’égalité de tous devant l’accès aux soins ;

– ils doivent remettre le malade au cœur du système de santé ;

– ils doivent faire face au vieillissement de la population ;

– ils doivent répondre au défi que constituent les maladies chroniques et l’afflux des besoins nouveaux qu’elles suscitent ;

– enfin, ils doivent améliorer le fonctionnement de l’hôpital public.

Par ailleurs, face à ces priorités, le Gouvernement a défini un certain nombre d’orientations :

– la mise en place d’une stratégie globale de santé qui est une planification pluriannuelle devant servir de cadre à la politique publique en matière d’offre de soins ;

– la création d’un service territorial de santé au public ;

– la refondation du service public hospitalier ;

– la mise en place du tiers-payant généralisé pour les consultations médicales en ville ;

– et enfin, la montée en puissance de la politique de prévention qui, jusqu’alors, était le parent pauvre de la politique de santé.

Toutefois, indépendamment de ce diagnostic et de ces orientations, on peut regretter qu’il ne figure pas, au sein du projet de loi, un « volet ultramarin » spécialement dédié.

En effet, actuellement, seul l’article 56 du texte concerne les collectivités ultramarines, cet article prévoyant un recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution pour adapter certaines dispositions à la situation particulière des DOM et des COM.

Néanmoins, le système de santé dans les Outre-mer présente de nombreuses difficultés qui sont récurrentes et ces difficultés auraient pu donner lieu, dans le cadre du projet de loi, à une réglementation spécifique.

Parmi les problèmes persistants, on relèvera, en particulier, que les populations sont moins bien desservies en termes de professionnels de santé que dans l’hexagone ; que le nombre de lits dans le secteur hospitalier par 100 000 habitants est moins élevé outre-mer qu’en métropole ; qu’il existe, outre-mer, une propension à certains types de dépendances, à un âge souvent moins élevé que dans l’hexagone ; qu’il y a, dans certains territoires, des maladies infectieuses mal éradiquées (comme la tuberculose ou la typhoïde) et d’autres qui sont apparues de manière plus récente (comme la dengue ou le chikungunya), mais qui sont tout aussi difficiles à combattre ; qu’il existe également des maladies chroniques (comme le diabète) ; enfin, que l’on peut observer de nombreuses addictions qui handicapent lourdement certaines parties de la population (par exemple l’addiction à l’alcool).

Telle est la raison pour laquelle la Délégation aux outre-mer a souhaité se saisir du texte, le 4 novembre 2014.

Dans les pages qui suivent, votre rapporteure, dans un premier temps, présentera les grandes problématiques de santé ultramarines. Dans un second temps, elle montrera quelles sont les principales réponses apportées par le projet de loi à ces problématiques (réponses nécessairement globales puisque, sauf exceptions, il n’y a pas de dispositions particulières pour les DOM ou pour les COM). Enfin, dans un troisième temps, elle indiquera quelles sont les modifications qui pourraient être apportées au texte déposé par le Gouvernement.

*

* *

I. LE SYSTÈME DE SANTÉ DES COLLECTIVITÉS ULTRAMARINES COMBLE PROGRESSIVEMENT SON RETARD PAR RAPPORT À L’HEXAGONE MAIS RESTE MARQUÉ PAR DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES

Globalement, il est possible de caractériser le système de santé des Outre-mer de la manière suivante : un système de prévention (par le biais, par exemple, de l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé), des soins ambulatoires (médecins libéraux, sages-femmes, infirmières…), des établissements hospitaliers (l’hôpital public étant souvent le pivot de l’offre de soins dans les collectivités ultramarines) et enfin, des établissements de suivi pour les personnes dépendantes (par exemple des hôpitaux gériatriques).

Il n’existe pas d’études statistiques exhaustives retraçant les dépenses de santé outre-mer. Cependant, la Cour des comptes, dans un rapport thématique publié en juin 2014 et intitulé « La santé dans les Outre-mer : une responsabilité de la République », a pu chiffrer à 6,6 milliards d’euros les prestations totales versées en 2012 par les différents systèmes de protection sociale ultramarins. Par suite, c’est ce chiffre qui paraît le plus apte, à l’heure actuelle, à représenter l’effort consenti par la collectivité nationale en faveur de la santé dans les Outre-mer.

Si l’on compare ce chiffre à celui qui retrace l’ensemble des prestations servies dans l’hexagone à la même date, soit 236 milliards d’euros, on peut s’apercevoir que la dépense de santé par habitant est nettement inférieure outre-mer par rapport à la métropole. Elle s’élève en effet à 2 500 euros par habitant outre-mer (sur la base d’une population égale à 2, 6 millions d’habitants en 2012) et à 3 700 euros par habitant dans l’hexagone (sur la base d’une population, hors ultramarins, égale à 63,7 millions d’habitants à la même date).

Bien entendu, ce constat peut être nuancé.

D’une part, en effet, un rattrapage a eu lieu ces vingt dernières années et le niveau de la protection sanitaire et sociale ne fait que progresser dans les collectivités d’outre-mer ; et, d’autre part, les dépenses de santé par habitant, dans les DOM et dans les COM, sont assez différenciées, de sorte que – si certaines collectivités doivent encore bénéficier d’un effort particulier (comme Mayotte, la Guyane ou Wallis-et-Futuna) – d’autres sont, d’ores et déjà, à un niveau relativement proche de celui de la métropole (comme la Martinique ou la Guadeloupe).

C’est ainsi que l’on peut dire que la santé des ultramarins s’améliore globalement dans les collectivités d’outre-mer, ce qui peut être constaté si l’on prend en considération le critère de l’espérance de vie dont l’indicateur, calculé par le PNUD (le Programme des Nations-Unies pour le développement), ne fait que progresser.

De même, les Outre-mer bénéficient d’une situation sanitaire largement supérieure à celle de leurs voisins géographiques. Tel est le cas, par exemple, pour la Martinique et la Guadeloupe par rapport aux autres pays de la Caraïbe. Seul Saint-Pierre-et-Miquelon enregistre un écart, en termes de santé, par rapport à l’État le plus proche, c’est-à-dire le Canada.

Il n’empêche qu’en dépit de la présence d’un système de santé relativement fiable, les Outre-mer sont confrontés à des difficultés persistantes. Ces dernières peuvent se résumer de la manière suivante : les professionnels de santé sont moins présents que dans l’hexagone ; la part du coût des soins dispensés en ville et restant à la charge de l’assuré, après remboursement de la sécurité sociale et en l’absence d’une protection complémentaire, est souvent plus élevée ; l’offre de soins hospitaliers est moins développée que celle de la métropole ; l’apparition des incapacités paraît plus précoce ; il existe – du fait du climat tropical ou de risques spécifiques – de nombreuses maladies chroniques ou infectieuses ; enfin, certaines parties de la population sont sujettes à des conduites addictives particulières.

Tous ces éléments vont être analysés par votre rapporteure en se fondant sur les études statistiques contenues dans le rapport thématique de la Cour des comptes, rapport qui a été mentionné plus haut.

A. LE SYSTÈME DE SANTÉ ULTRAMARIN RÉDUIT PROGRESSIVEMENT SON RETARD PAR RAPPORT À L’HEXAGONE

Aujourd’hui, les différences entre le système de santé ultramarin et celui de l’hexagone sont moins marquées. Même si les dépenses de santé sont encore différenciées par collectivités, on note un rattrapage global par rapport à la métropole qui se traduit par une espérance de vie accrue pour les ultramarins et par une situation relativement favorable pour les DOM et les COM vis-à-vis des pays avoisinants.

1. Des dépenses de santé différenciées par collectivités territoriales

Comme on l’a indiqué précédemment, il n’existe pas d’étude exhaustive retraçant les dépenses de santé outre-mer.

Néanmoins, la Cour des comptes, dans son rapport thématique de juin 2014, évalue à 6,6 milliards d’euros les dépenses prises en charge en 2012 dans les Outre-mer par les différents systèmes de protection sociale.

Dans le cadre de cette dépense globale, si l’on rapporte les prestations de sécurité sociale servies, territoire par territoire, à l’effectif de leur population, il est possible d’aboutir au tableau suivant.

Ce tableau constitue ainsi une estimation des dépenses de santé par habitant, dans les DOM et dans les COM, en 2012.

ESTIMATION DES DÉPENSES DE SANTÉ PAR HABITANT EN 2012

 

Par habitant (Euros)

 

1. Maladie

2. Accident

du travail

3. Total

Sécurité sociale

4. États financiers

St-Pierre-et-Miquelon

4 970

172

nd

5 861

Guadeloupe

2 849

62

3 027

3 297

Nouvelle-Calédonie

nd

nd

2 704

2 891

Martinique

2 793

53

2 846

3 277

La Réunion

2 233

44

2 277

nd

Polynésie française

nd

nd

2 258

nd

Wallis-et-Futuna

-

-

-

1 940

Guyane

1 566

28

1 686

2 262

Mayotte

825

4

829

nd

Source : Cour des comptes. La santé dans les Outre-mer : une responsabilité de la République, rapport thématique, juin 2014, page 24.

Population INSEE. ONDAM CNAMTS (DOM). Hors DOM, administrations territoriales. Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et ATS (pour Saint-Pierre et Miquelon). IEDOM (Wallis-et-Futuna), ARS des DOM.

Ce tableau appelle les trois remarques suivantes :

– les dépenses de santé par habitant varient assez sensiblement en fonction des collectivités territoriales ; elles évoluent du simple au quadruple pour les Outre-mer de plus de 200 000 habitants ; si l’on fait abstraction de Mayotte, elles varient encore du simple au double pour ces mêmes territoires. Les écarts sont assez difficiles à expliquer ; néanmoins, ils semblent provenir avant tout de l’inégalité qui existe, entre collectivités, pour l’accès aux soins ;

– on constate que trois collectivités se situent nettement en tête en termes de dépenses de santé par habitant ; il s’agit de Saint-Pierre-et-Miquelon (5861 €), de la Guadeloupe (3297 €) et de la Martinique (3277 €) ;

– la Guyane et Mayotte sont dans une situation beaucoup moins favorable ; cela est d’autant plus frappant qu’il s’agit de territoires qui accueillent une forte immigration – immigration issue des Comores à Mayotte et issue du Brésil ou du Surinam en Guyane ; or, cette population immigrée, souvent en situation irrégulière, est une population vulnérable et qui peut être en demande de soins médicaux ; néanmoins, en Guyane et à Mayotte, le système local de santé reste moins développé que dans les autres DOM.

Les Outre-mer font ainsi preuve d’une incontestable diversité, qu’elle soit géographique ou bien économique et sociale.

Corollaire de cette diversité, le mouvement global de rattrapage par rapport à la métropole apparaît, lui-aussi, comme étant différencié, d’un territoire à l’autre. Néanmoins, une tendance de fond se manifeste clairement en ce domaine, et elle se traduit par une hausse constante de l’espérance de vie des habitants des départements ou des collectivités d’outre-mer.

2. Un rattrapage global par rapport à l’hexagone qui se traduit par une hausse de l’espérance de vie des ultramarins

Au niveau international, le développement des différents États – et parfois le développement de certaines collectivités qui font partie de ces États (comme les Outre-mer pour la France) – peut être mesuré par un indice spécifique : l’indice de développement humain qui est un indice élaboré par le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD).

Cet indice de développement humain (IDH) prend en compte quatre critères : l’espérance de vie à la naissance, le niveau de revenu national brut par habitant, le niveau d’études de la population âgée de plus de 25 ans et le taux de scolarisation des jeunes.

En particulier, l’espérance de vie à la naissance s’analyse comme étant le nombre d’années qu’un nouveau-né peut espérer vivre si les taux de mortalité par âge prévalant au moment de sa naissance demeurent inchangés tout au long de sa vie. En 2010, un indice 0 équivaut à une espérance de vie de 20 ans et un indice 1 à une espérance de vie de 83,2 ans.

Ces quatre critères – et spécialement le critère de l’espérance de vie – sont assez représentatifs non seulement du développement d’une collectivité à un instant donné, mais aussi de l’état de santé global de sa population.

S’agissant des Outre-mer, l’observation de l’indice IDH appelle les trois remarques suivantes :

– en termes de rattrapage, de 1990 à 2010, la progression de l’indice a été supérieure à celle de l’hexagone (0,71 % de croissance annuelle moyenne contre 0,64 % pour la métropole) ; ce phénomène confirme l’ampleur des efforts financiers consentis par l’État pour faire accéder les Outre-mer à un niveau de développement comparable à celui de la France continentale ;

– des écarts de croissance significatifs se sont manifestés au cours de la période ; la Guadeloupe figure en tête de la progression (0,93 % par an), suivie de la Martinique (0,77 % par an), de la Nouvelle-Calédonie (0,70 % par an) et de la Guyane (0,69 % par an) ; en revanche, La Réunion (0,62 % par an) et surtout la Polynésie française (0,52 % par an) ont progressé moins vite ;

– en 2010, la situation des Outre-mer reste relativement différenciée ; ces différences entre collectivités apparaissent dans le tableau ci-après qui est présenté par ordre croissant d’espérance de vie.

INDICE DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN, PAR CRITÈRE, ÉDITION 2010

 

Espérance

de vie

Éducation

Social

Revenu

IDH

Wallis et Futuna (b)

0,856

0,730

0,791

0,758

0,763

La Réunion (a)

0,858

0,672

0,759

0,731

0,750

Nouvelle-Calédonie (a)

0,886

0,702

0,788

0,789

0,789

Polynésie française (a)

0,890

0,635

0,752

0,709

0,737

Mayotte (b)

0,916

0,532

0,698

0,592

0,653

Guyane (a)

0,930

0,618

0,758

0,702

0,739

Saint-Pierre-et-Miquelon (a)

0,942

0,680

0,829

0,708

0,762

Guadeloupe (a)

0,949

0,769

0,854

0,762

0,822

Saint-Martin (c)

0,949

0,537

0,714

0,712

0,702

Saint-Barthélemy (c ; d)

0,949

0,488

0,670

0,753

0,688

Métropole (a)

0,968

0,870

0,918

0,817

0,883

Martinique (a)

0,970

0,731

0,842

0,758

0,813

Source : Cour des comptes. La santé dans les Outre-mer : une responsabilité de la République, rapport thématique, juin 2014, page 18.

PNUD. Dernière année connue, soit (a) :2010 ; (b) : 2005 ; (c) : 2000 ; (d) :1999. Les classements antérieurs à 2010 portent sur des données trop anciennes pour illustrer les rattrapages récents.

Au total, en 2010, à la lecture de ce tableau, on retrouve à peu près le même classement que celui qui avait été retenu pour les dépenses de santé. En tête, on recense les trois collectivités territoriales de la Martinique, de la Guadeloupe et de Saint-Pierre-et-Miquelon. Plus en retrait, on distingue, respectivement, la Guyane, Mayotte, La Réunion et Wallis-et-Futuna.

3. Une situation relativement favorable par rapport aux pays avoisinants dans une même zone géographique

Dans les différentes zones régionales – mis à part le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon vis-à-vis de son voisin le plus proche, le Canada – la situation des Outre-mer français, en termes de développement humain, et donc en termes de santé, compte aujourd’hui parmi les situations les plus favorables.

En témoignent les trois histogrammes suivants qui présentent les indices de développement humain par zone géographique (océan Indien, océan Pacifique et Caraïbes).

Ces histogrammes sont tirés de l’étude de M. Olivier Sudrie : Quel niveau de développement des départements et collectivités d’outre-mer ? Une approche par l’indice de développement humain. (Document de travail 129, Département de la recherche, Agence française de développement, Paris, novembre 2012).

Dans ces graphiques, on remarque que La Réunion, dans la zone de l’océan Indien, et la Polynésie française, dans la zone de l’océan Pacifique, figurent parmi les moyennes « élevées » de l’indice de développement humain. Par ailleurs, la Nouvelle-Calédonie, toujours dans la zone de l’océan Pacifique, ainsi que la Martinique et la Guadeloupe, dans la zone des Caraïbes, figurent parmi les moyennes « très élevées » de ce même indice.

C’est ainsi que l’on peut dire que la plupart des collectivités territoriales, au sein de leur continent ou de leur sous-continent, disposent d’une situation relativement privilégiée.

INDICE DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN, PAR ZONE GÉOGRAPHIQUE, ÉDITION 2012

Source : Cour des comptes. La santé dans les Outre-mer : une responsabilité de la République, rapport thématique, juin 2014, page 19.

OCDE. Les indications « min. faible, moyen, très élevé » correspondent aux moyennes par tranches.

B. NÉANMOINS UN CERTAIN NOMBRE DE DIFFICULTÉS PERSISTENT

Les difficultés propres au système de santé des Outre-mer sont au nombre de sept : les populations sont moins bien dotées que l’hexagone en matière d’offre de soins ambulatoires ; les remboursements des régimes de protection sociale, pour les actes médicaux ou paramédicaux effectués en ville, laissent subsister, à la charge des patients, des sommes qui sont souvent supérieures à celles de la métropole, lorsque les assurés ne disposent pas de mutuelles ; l’offre de soins hospitaliers est moins développée que celle de l’hexagone ; on note, outre-mer, l’apparition d’incapacités qui se manifestent d’une manière beaucoup plus précoce qu’en métropole ; on relève la persistance de certaines maladies infectieuses, ainsi que de certaines maladies chroniques ; enfin, différentes catégories d’ultramarins souffrent de conduites addictives spécifiques.

1. Les Outre-mer sont moins bien pourvus que l’hexagone en matière d’offre de soins ambulatoires

La médecine ambulatoire est caractérisée, dans les Outre-mer, par une densité médicale et paramédicale très inférieure, dans la majeure partie des cas, à ce qu’elle est en métropole ; par ailleurs, on constate, dans toutes les collectivités ultramarines, des inégalités très fortes dans la répartition géographique des professionnels de santé. Ce phénomène existe aussi dans l’hexagone où l’on dénonce souvent, dans certaines régions, les « déserts médicaux ». Néanmoins, outre-mer, l’isolement et l’insularité constituent des facteurs aggravants.

a. Des écarts de densité médicale et paramédicale significatifs par rapport à l’hexagone

Pour apprécier l’offre de soins ambulatoires dans les différentes collectivités ultramarines, il convient d’étudier séparément le niveau de présence des médecins dans ces territoires – qu’ils soient généralistes ou spécialistes – et celui des autres professionnels de santé – tels que les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes, les infirmiers ou les masseurs-kinésithérapeutes.

S’agissant des médecins, la Cour des comptes, dans son rapport thématique de juin 2014, communique le tableau ci-dessous qui concerne les DOM :

EFFECTIFS ET DENSITÉ DES MEDECINS LIBÉRAUX PAR 100 000 HABITANTS EN 2012

Source : Cour des comptes. La santé dans les Outre-mer : une responsabilité de la République.

Rapport thématique, juin 2014, page 60. CNAMTS, actifs à part entière, hors médecins salariés.

Si l’on examine ce tableau, on peut s’apercevoir que la présence des médecins sur le terrain – qui est mesurée par la densité médicale, c’est-à-dire le nombre de médecins libéraux (ou bien pratiquant une activité mixte en ville et à l’hôpital) mis à la disposition de la population par fraction de 100 000 habitants – est très inférieure dans les DOM par rapport à ce qu’elle est au sein de l’hexagone.

En effet, on constate que – s’il y a 201 médecins par 100 000 habitants en métropole – ils ne sont que180 à La Réunion, 147 à la Guadeloupe, 141 à la Martinique, 71 en Guyane et 18 à Mayotte.

À cet égard, la situation de la Guyane (avec 71 praticiens par 100 000 habitants) et celle de Mayotte (avec 18 praticiens par 100 000 habitants) est particulièrement préoccupante. On notera, en effet, qu’indépendamment de la moyenne calculée dans l’hexagone (201 médecins par 100 000 habitants), aucun département métropolitain n’a une densité de médecins libéraux et d’exercice mixte inférieure à 114 par 100 000 habitants.

En ce qui concerne les COM, des statistiques exhaustives sur les densités médicales font défaut. Mais la tendance constatée dans les DOM semble être également la règle pour ces territoires. La Nouvelle-Calédonie, par exemple, avec 54 généralistes et 51 spécialistes par 100 000 habitants, dispose d’une densité médicale nettement inférieure à celle des Antilles mais assez proche de celle de la Guyane. De même, Saint-Pierre-et-Miquelon – qui vient pourtant en tête pour les dépenses de santé par habitant en 2012 – ne dispose que de deux médecins généralistes pour 6 000 habitants. Il est vrai que Saint-Pierre-et-Miquelon dispose également d’une dizaine de médecins spécialistes. Toutefois, ces derniers n’exercent pas de manière libérale. Ils sont tous rattachés à l’unique hôpital de l’archipel, l’hôpital Dunan, et ils ne sont pas résidents. Ils se rendent à Saint-Pierre pour des missions temporaires de quelques semaines ou de quelques mois, en fonction de leur spécialité.

Au total, l’offre de soins issue des médecins libéraux est donc inférieure dans les Outre-mer par rapport à l’hexagone.

S’agissant des professionnels de santé autres que les médecins, on manque de statistiques complètes sur leur présence, au sein des DOM ou des COM, par 100 000 habitants.

Deux faits semblent cependant établis :

– il ne semble pas y avoir de problème global de densité, au niveau des DOM, en ce qui concerne les infirmiers libéraux ; ainsi, la Cour des comptes relève que, sur 32 cantons correspondant à quatre départements d’outre-mer (la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion) et occupant une place intermédiaire en termes de population (414 000 habitants) – soit 14 cantons recensés en Martinique (40 % de la population totale), 12 cantons en Guadeloupe (35 %), 3 en Guyane (33 %) et 3 à La Réunion (5 %) –, on constate une densité d’infirmiers qui dépasse le plus souvent la moyenne nationale ;

 en revanche, pour les chirurgiens-dentistes et les masseurs-kinésithérapeutes, la densité au sein des DOM est très inférieure à ce qu’elle est dans l’hexagone ; par exemple, en Martinique, les densités paramédicales sont inférieures de moitié aux moyennes nationales (sauf pour les sages-femmes et les infirmiers libéraux) ; en Guyane, on recense 19 chirurgiens-dentistes et 55 masseurs-kinésithérapeutes par 100 000 habitants (contre respectivement 62 et 80 par 100 000 habitants en métropole) ; à La Réunion enfin, on dénombre 53 chirurgiens-dentistes par 100 000 habitants (toujours contre 62 dans l’hexagone).

Au total, il est donc possible d’affirmer que les collectivités territoriales ultramarines sont moins bien desservies que la France continentale en termes d’offre de soins relevant des personnels paramédicaux – sauf s’il s’agit de l’offre de soins issue des infirmiers libéraux.

Pour expliquer cette sous-médicalisation, plusieurs causes peuvent être retenues.

– Tout d’abord, il y a la question du numerus clausus pour les études de médecine ; les étudiants en médecine ne peuvent pas accéder librement à la seconde année de leur cursus de formation ; au contraire, les places en seconde année sont contingentées ; partant d’un niveau dépassant les 8 000 places dans les années soixante-dix, le numerus clausus a fortement baissé entre 1982 et 2002, atteignant environ 4 000 places annuelles ; puis, le contingent a remonté, à partir de 2003, pour atteindre aujourd’hui un peu plus de 7 000 places ; or, le nombre de médecins entrant en activité étant à peu près égal au numerus clausus – avec un décalage d’une dizaine d’années lié à la durée des études médicales – cette situation n’a pas facilité l’installation des médecins, au cours des années 1990 et 2000. Certes, ces « classes creuses » de la démographie médicale ont aussi bien concerné l’hexagone que les Outre-mer. Mais, du fait de leur éloignement de la métropole, les Outre-mer en ont plus particulièrement pâti.

– Ensuite, il faut évoquer les filières locales de formation médicale ; en effet, il n’existe pas, dans les DOM ou dans les COM, de cursus complets de formation pour les médecins, les chirurgiens-dentistes ou les masseurs-kinésithérapeutes ; par suite, pour l’apprentissage de ces professions, les étudiants sont contraints de poursuivre une partie de leurs études dans l’hexagone ; une fois diplômés, beaucoup d’entre eux ne reviennent pas exercer dans leurs territoires d’origine ou bien ils n’y reviennent qu’en fin de carrière.

– Enfin, pour les professions paramédicales, il semble que les praticiens cherchent, dans leur majorité, à s’installer à proximité de plateaux médicaux et de services hospitaliers de soins aigus. Ils espèrent se constituer une clientèle en proposant des soins en aval de l’hôpital. Mais, comme les hôpitaux publics sont peu nombreux outre-mer, les installations marquent le pas.

Pour contrebalancer ces différents phénomènes et inciter les professionnels de santé à s’installer outre-mer, les pouvoirs publics, depuis quelques années, ont édicté un certain nombre de mesures. On peut citer la majoration du tarif des actes médicaux, la création d’aides à l’installation, la mise en place d’indemnités de logement et l’attribution de bourses d’études pour les étudiants en médecine, sous réserve d’un engagement à exercer sur les territoires ultramarins. De plus, le « Pacte territoire santé », institué par le Gouvernement en 2013, a défini un statut de praticien territorial de médecine générale. Dans le cadre de ce statut, vingt postes ont été prévus pour les Outre-mer, parmi les deux cents premiers postes créés.

Ces mesures ne semblent cependant pas suffisantes pour améliorer sensiblement le recrutement médical dans les départements et les collectivités d’outre-mer.

Aussi, votre rapporteure rappellera-t-elle également les propositions formulées par le Conseil économique, social et environnemental, en 2009, dans son rapport intitulé « L’offre de santé dans les collectivités ultramarines » et présenté par Mme Jacqueline André-Cormier. La mise en œuvre de ces recommandations paraît essentielle si l’on veut que les DOM et les COM puissent attirer les professionnels de santé sur leur territoire.

Ces propositions sont les suivantes :

– favoriser, dans les hôpitaux publics, la mise en place de plateaux techniques performants ;

– améliorer les enseignements par le développement de la formation universitaire dispensée dans les CHU, l’élargissement des stages pour les étudiants en médecine et l’émergence de pôles de compétences spécialisés ;

– promouvoir l’utilisation des nouvelles technologies comme la télémédecine ;

– regrouper, de manière interrégionale, les formations nécessaires à la couverture de l’offre de soins ;

– sécuriser les parcours professionnels des médecins en prévoyant des dispositifs de formation continue et d’évaluation des connaissances qui garantissent un maintien des compétences comparable à celui qui est assuré sur le territoire métropolitain ;

– recruter des médecins étrangers, comme cela s’effectue déjà en Guyane, sous réserve de la maîtrise de la langue française et éventuellement des dialectes locaux ;

– organiser une formation préparatoire à l’exercice médical outre-mer portant sur la connaissance du territoire, sur ses spécificités culturelles, sur le contexte économique, social et environnemental, ainsi que sur les pratiques à encourager d’un point de vue professionnel.

Certaines de ces propositions seront reprises et complétées par votre rapporteure dans la troisième partie du présent rapport.

b. Des inégalités de répartition géographique

Indépendamment de la question de l’effectif des professionnels de santé présents outre-mer – effectif qui, bien souvent, peut paraître insuffisant –, il se pose la question de la répartition géographique de ces personnels au sein des territoires – cette répartition n’étant pas toujours optimale.

Pour limiter l’analyse aux quatre départements d’outre-mer les plus anciens que sont la Martinique, La Réunion, la Guadeloupe et la Guyane, on peut constater les phénomènes suivants :

– l’offre de soins en Martinique et à La Réunion est très concentrée sur certaines zones : le centre de la Martinique et les zones côtières de La Réunion ; au sein de ces zones côtières, l’offre de soins est également déséquilibrée en faveur du sud et de l’ouest de l’île de La Réunion et au détriment du nord et du nord-est de ce territoire ;

– en Guadeloupe, l’offre de soins est concentrée à Pointe-à-Pitre et dans le nord-est de l’île de Grande-Terre ; les disparités, dans la densité médicale et paramédicale, sont particulièrement sensibles dans la mesure où le département regroupe huit îles distinctes et où les inégalités géographiques tendent à créer des situations de « double insularité » ; ce phénomène complique, notamment, le transport des malades ;

– en Guyane, enfin, l’offre de soins se concentre dans les villes ; pour les 20 % de la population guyanaise qui habitent des zones isolées, il existe 9 centres de santé rattachés à l’hôpital de Cayenne et 12 postes de santé satellites où exercent un infirmier ou un agent de santé sous la responsabilité du centre de santé référent ; les activités de ces centres ou de ces postes de santé sont uniquement curatives ; les établissements sont accessibles exclusivement par voie fluviale ou aérienne.

Au total, il apparaît qu’il existe de grandes disparités dans la répartition géographique des professionnels de santé.

Bien entendu, il serait tout à fait souhaitable que des mesures soient prises afin de lutter contre ces déséquilibres.

Pour cela, la Cour des comptes propose deux pistes :

– d’une part, accroître le nombre des groupements de professionnels libéraux dans le cadre de maisons de santé pluridisciplinaires ; à ce jour, il n’existe que quelques maisons, peu nombreuses, qui fonctionnent outre-mer : deux en Martinique et deux en Guyane ; toutefois, une dizaine de maisons sont en projet à La Réunion ; leur développement, qui se heurte souvent au manque de locaux appropriés, devrait être une priorité ;

– d’autre part, ne plus accorder de conventionnement aux professionnels de santé lorsqu’ils souhaitent s’établir dans des zones déjà sur-dotées – s’agissant de leur activité – par rapport à la moyenne nationale ; le conventionnement ne serait accordé que si ces personnels acceptent de s’installer dans des zones sous dotées ; cette proposition vise, en tout premier lieu, les infirmiers libéraux, dont la densité – dans la majeure partie des cantons des DOM, sauf à Mayotte – est, en règle générale, supérieure à la moyenne nationale ; mais elle peut aussi viser les médecins dans les zones spécialement favorisées.

À ces deux préconisations, votre rapporteure souhaite ajouter une troisième proposition.

Il conviendrait également de favoriser – autant que faire se peut – la polyvalence entre professionnels de santé, de façon à ce que ceux qui sont présents sur le terrain puissent se substituer, dans une certaine mesure, à ceux qui font défaut.

De ce point de vue, l’article 30 du projet de loi relatif à la santé qui ouvre la possibilité, pour les auxiliaires médicaux opérant au sein d’une équipe médicale, de procéder à des prescriptions médicales, à la condition qu’ils aient obtenu un diplôme de formation en pratique avancée, constitue une excellente mesure ; il en va de même pour l’article 31 du projet qui augmente le nombre des actes médicaux pouvant être accomplis par les sages-femmes.

De plus, votre rapporteure estime que, pour certaines professions de santé, notamment les sages-femmes, le législateur pourrait aller plus loin, et qu’il pourrait accroître, dans le cas spécifique d’une activité exercée outre-mer, leurs capacités à énoncer certains diagnostics et à pratiquer certains actes médicaux.

2. Les régimes de protection sociale laissent souvent subsister, pour les soins ambulatoires effectués en ville, des sommes à charge supérieures à celles qui peuvent être exigibles dans l’hexagone lorsque les assurés ne disposent pas de mutuelles

Votre rapporteure analysera, en premier lieu, les différents régimes de protection sociale en vigueur dans les DOM et dans les COM.

Elle abordera ensuite la question des remboursements des soins médicaux ou paramédicaux effectués en ville, lorsque les assurés ne disposent pas de protection complémentaire.

S’agissant des DOM, il apparaît que – comme les tarifs de responsabilité pour les soins ambulatoires sont plus élevés qu’en métropole, alors que les taux de remboursement de la sécurité sociale restent les mêmes – les sommes demeurant à la charge des assurés, en l’absence de régimes complémentaires, sont aussi plus importantes que dans l’hexagone.

Cette question concerne, en tout premier lieu, les travailleurs pauvres ou les titulaires de petites pensions de retraite ; c’est-à-dire les personnes qui, d’un côté, ne disposent pas de mutuelles mais qui, de l’autre, n’ont pas droit à un système de substitution ou à une aide – la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-c) ou l’aide pour une complémentaire santé (ACS) – parce que ces avantages sont soumis à un barème de ressources qu’elles dépassent légèrement.

a. Les différents régimes de protection sociale en vigueur dans les DOM et dans les COM

La loi du 19 mars 1946 transforme la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion en quatre départements. Par suite, ces derniers ont vocation à bénéficier des avantages de la sécurité sociale instituée en métropole en 1945.

Le décret du 17 octobre 1947 crée quatre Caisses générales de sécurité sociale (CGSS), organismes chargés, dans chaque DOM, de gérer les prestations familiales, maladie et vieillesse, ainsi que le recouvrement des cotisations.

À l’heure actuelle, pour l’assurance maladie, les quatre DOM (hors Mayotte) bénéficient des mêmes prestations que celles qui sont servies dans l’hexagone, c’est-à-dire les prestations du régime général.

Mayotte, pour sa part, dispose, depuis 1996, d’une Caisse de sécurité sociale (CSS) qui regroupe les prestations familiales, maladie et vieillesse, ainsi que le recouvrement des cotisations (article 22 de l’ordonnance n° 96-1122 du 20 décembre 1996 modifiée relative à l’amélioration de la santé publique à Mayotte).

L’ordonnance n° 2011-1923 du 22 décembre 2011 relative à l’évolution de la sécurité sociale à Mayotte dans le cadre de la départementalisation a harmonisé les prestations de l’assurance maladie servies au sein de ce territoire avec celles du régime général. Il reste cependant quelques écarts qui devraient être comblés prochainement en recourant à une ordonnance prise sur la base de l’article 56-II-2° du projet de loi relatif à la santé.

Enfin, l’organisation et les régimes de sécurité sociale des collectivités d’outre-mer varient d’un territoire à l’autre :

– Les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, malgré la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, restent rattachées au département de la Guadeloupe pour la gestion de leur sécurité sociale ; ainsi, les prestations, identiques à celles qui sont servies en Guadeloupe, transitent-elles par « l’Agence de santé de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy » ;

– le régime de protection sociale de Saint-Pierre-et-Miquelon est géré par une Caisse de prévoyance sociale (CPS) instituée en 1977 ; ce régime, dont la réglementation est fixée par la métropole, est très proche du régime général pour l’assurance maladie ; il présente cependant encore quelques divergences soit avec des dispositions du droit national, soit avec des dispositions en vigueur au sein des collectivités qui relèvent de l’article 73 de la Constitution ; aussi, l’article 56-II-2°du projet de loi relatif à la santé prévoit-t-il de supprimer ces différences en recourant à une ordonnance ;

– en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie-française, la sécurité sociale relève des attributions pleines et entières des collectivités territoriales auxquelles l’État a transféré ses compétences en matière de santé ; il existe deux caisses placées sous la tutelle des territoires : la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs (CAFAT) pour la Nouvelle-Calédonie et la Caisse de prévoyance sociale (CPS) pour la Polynésie française ; ce sont ces caisses qui, en liaison avec les collectivités, fixent les règles applicables en matière d’assurances sociales ;

– enfin, à Wallis-et-Futuna, le système de santé local repose sur une Agence (l’Agence de santé de Wallis-et-Futuna) chargée de l’élaboration du programme de santé du territoire, de sa mise en œuvre – que ce soit dans le domaine de la médecine préventive ou curative – et de la délivrance des médicaments ; il n’y a pas de sécurité sociale, mais les soins sont entièrement gratuits sur le territoire, y compris les évacuations sanitaires vers la Nouvelle-Calédonie ou vers d’autres pays pour les pathologies qui ne peuvent être prises en charge localement ; le financement repose intégralement sur le versement d’une dotation qui est liquidée, actuellement, par le ministère des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes ; comme il existe, depuis une période assez ancienne, des reports de déficits d’un exercice budgétaire à l’autre – les évacuations sanitaires ayant engendré une dette s’élevant à quasiment 20 millions d’euros –, le Gouvernement a décidé, à partir de 2015, de réajuster la dotation pour permettre à l’Agence de santé d’améliorer sa situation financière et de tendre vers l’équilibre ; le rétablissement d’une confiance pleine et entière dans le système de protection sociale de Wallis-et-Futuna suppose, bien entendu, que cette politique soit poursuivie dans l’avenir.

b. Les remboursements des soins médicaux ou paramédicaux effectués en ville lorsque les assurés ne disposent pas de protection complémentaire

Les tarifs de responsabilité pour les actes ambulatoires, en particulier dans les DOM, sont plus élevés qu’en métropole, afin de favoriser l’établissement des professionnels de santé outre-mer.

L’inconvénient de ce système est que les personnes qui ne disposent pas de mutuelles outre-mer conservent aussi à leur charge des sommes plus importantes que dans l’hexagone, le supplément du tarif conventionnel s’ajoutant partiellement au montant du ticket modérateur.

Ainsi, en métropole, pour une consultation de médecin généraliste de secteur 1 – soit un tarif de base de 23,00 € et un taux de remboursement de 70 % (donc un ticket modérateur de 30 %) – la somme restant à charge, pour un assuré ne disposant pas de mutuelle, est de 7,90 €.

Outre-mer, le tarif de responsabilité, pour cette même consultation, est fixé à 25,30 €, pour la Guadeloupe et la Martinique, et à 27,60 €, pour la Guyane et La Réunion. Par conséquent – pour un même taux de remboursement (70 %) et un même ticket modérateur (30 %) – la somme restant à charge, pour un assuré sans mutuelle, s’élève à 8,59 €, en Guadeloupe et en Martinique, et à 9,28 €, en Guyane et à La Réunion.

Les sommes à charge, pour les assurés ne disposant pas d’une protection complémentaire, sont donc plus élevées outre-mer que dans l’hexagone.

Le tableau ci-dessous présente les principales différences dans les tarifs de responsabilité, qu’ils soient médicaux ou paramédicaux.

TARIFS CONVENTIONNELS APPLICABLES

Professions

Actes pratiqués

Métropole

Départements d’outre-mer
(hors Mayotte)

Guadeloupe et Martinique

Guyane et
La Réunion

Médecin traitant

Consultation généraliste secteur 1

23 €

25,30 €

27,60 €

Consultation spécialiste secteur 1

25 €

27,30 €

29,60 €

Infirmier libéral

Acte médico-infirmier (AMI)

3,15 €

3,30 €

Acte infirmier de soin (AIS)

2,65 €

2,70 €

Démarche de soins infirmiers (DI)

10 €

10 €

Masseur-kinési-thérapeute

Actes pratiqués par le masseur-kinésithérapeute au cabinet ou au domicile du malade (AMK)

2,15 €

2,36 €

Actes pratiqués par le masseur-kinésithérapeute dans une structure de soins ou un établissement (AMC)

2,15 €

2,36 €

Actes de rééducation des affections orthopédiques et rhumatologiques effectué par le masseur-kinésithérapeute (AMS)

2,15 €

2,36 €

Sage-femme

Consultation

23 €

25,30 €

Échographie

2,65 €

2,65 €

Accouchement simple

349,44 €

349,44 €

Source : UNCAM (Union nationale des caisses d’assurance maladie).

Il convient de noter que, dans les DOM, les assurés bénéficiaires de la CMU-c, ainsi que les assurés sans mutuelle, sont relativement nombreux.

En 2012, le nombre des bénéficiaires de la CMU-c dans les départements d’outre-mer s’élève à 567 000 personnes, dont 300 000 personnes résidant à La Réunion. Les DOM regroupent ainsi 12,5 % des bénéficiaires totaux de la CMU-c, alors que ces collectivités ne représentent que 2,8 % de la population totale.

Pour leur part, les assurés sans mutuelle – qui s’identifient notamment à la catégorie des travailleurs salariés rémunérés au SMIC ou à 1,1 SMIC, ainsi qu’à celle des travailleurs indépendants ou des retraités disposant de ce revenu – représentent environ 120 000 personnes.

En revanche, les bénéficiaires de l’ACS sont peu nombreux dans les départements d’outre-mer. Ils s’élèvent, en 2012, à environ 14 000 personnes. En particulier, on note, à cette date, un effet d’écrasement de l’ACS par la CMU-c. En effet, le rapport ACS/CMU-c passe à 2,4 % dans les DOM, contre 8,1 % en métropole. Ce phénomène constitue un marqueur indéniable de la pauvreté de certaines parties de la population au sein des Outre-mer.

Au total, il est donc possible d’affirmer que les assurés sans mutuelle cumulent les handicaps dans les départements d’outre-mer : ils ont accès à des professionnels de santé moins nombreux qu’en métropole et les soins qui leur sont prodigués laissent subsister des sommes à charge plus importantes.

De fait, bien souvent, ils finissent par différer les consultations ou les soins, à cause du montant des débours non pris en compte.

L’article 18 du projet de loi relatif à la santé prévoit la généralisation du tiers payant pour les consultations médicales en ville ; mais ce dispositif ne résoudra pas le problème pour la part « mutuelle ». En effet, le tiers payant ne jouera pas pour le ticket modérateur si l’assuré ne dispose pas d’un régime complémentaire.

Votre rapporteure estime cependant que l’on pourrait apporter quelques améliorations à cette situation.

Trois mesures lui paraissent importantes :

– prévoir l’institution de la CMU-c à Mayotte (le département, en effet, ne dispose pas, pour l’instant, de cette forme de protection complémentaire) ;

– en vue de simplifier les formalités à l’intention des usagers, orienter automatiquement les bénéficiaires de la CMU-c vers des mutuelles spécialisées qui serviront de centres de rattachement ;

– enfin, à l’avenir, éviter de tabler principalement sur les différences tarifaires pour favoriser l’installation des professionnels de santé outre-mer.

À cet égard, on pourrait plutôt prévoir la création de contrats tripartites (étudiants/collectivités locales/cabinet médical ou hôpital) – contrats offrant la possibilité aux étudiants qui le souhaitent d’effectuer leur stage obligatoire de troisième cycle dans un département d’outre-mer. Grâce à ce stage, les étudiants pourraient ainsi être incités, une fois médecins, à revenir exercer sur place.

3. L’offre de soins hospitaliers est moins développée que celle de l’hexagone

Compte tenu de la faible densité des professionnels libéraux, l’établissement hospitalier, et tout particulièrement l’hôpital public, constitue le pivot du système de soins outre-mer.

Néanmoins, dans les collectivités ultramarines, les hôpitaux publics sont confrontés à six problèmes majeurs : tout d’abord, le maillage des territoires en hôpitaux publics – mesuré par le rapport entre le nombre d’établissements et l’effectif de la population – reste inférieur, outre-mer, à ce qu’il est en métropole ; ensuite, tous les services hospitaliers, au sein des établissements, ne sont pas également pourvus en places équipées : ainsi, en règle générale, on constate un déficit de lits dans les services de rééducation et de moyen-séjour ; par ailleurs, les services d’urgence sont souvent en surcharge et l’insularité, ainsi que l’absence de certaines spécialités, suscitent un nombre élevé d’évacuations sanitaires – évacuations qui posent des problèmes spécifiques ; enfin, les établissements hospitaliers connaissent, au niveau de leur fonctionnement courant, un certain nombre de difficultés, tant du point de vue de leur trésorerie que du point de vue de la gestion de leurs personnels.

a. Le maillage des territoires ultramarins en hôpitaux publics reste inférieur à celui de la métropole

Si l’on fait abstraction – comme l’a fait la Cour des comptes dans son rapport thématique de juin 2014 – des quatre collectivités territoriales que sont Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna – collectivités qui sont dans une situation un peu particulière puisque, compte tenu de leur isolement relatif, elles disposent de cinq hôpitaux publics pour 64 000 habitants – il est possible de dénombrer 33 hôpitaux publics, en 2013, pour l’ensemble des DOM, ainsi que pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Ce chiffre comprend les centres hospitaliers (CH), les centres hospitaliers universitaires (CHU) et les centres hospitaliers spécialisés (CHS) dont font partie, notamment, les centres de long séjour. La population de ces territoires, pour sa part, s’élève à 2,6 millions d’habitants à la même date. Le ratio est ainsi de 13 établissements pour 1 million d’habitants.

Dans l’hexagone, le nombre d’hôpitaux publics s’élève à 904 établissements en 2013. Le nombre d’habitants (hors DOM et COM) s’élève à 63,7 millions d’habitants. Le ratio est ainsi de 14 établissements pour 1 million d’habitants.

Plus généralement, pour 4 % de la population, les Outre-mer ne disposent que de 3,6 % des établissements publics.

Par ailleurs, si l’on tient compte aussi des établissements privés, les ratios ne changent guère.

Pour 4 % de la population, les Outre-mer ne disposent que de 3 % des établissements et n’ont accès qu’à 2,6 % des lits, ainsi que l’on peut le constater dans le tableau ci-dessous :

ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ OUTRE-MER, 2013

Source : Cour des comptes. La santé dans les Outre-mer : une responsabilité de la République, rapport thématique, juin 2014, page 63.

ARS 2013 ; non compris Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna. CLCC : centre de lutte contre le cancer.

Enfin, s’agissant toujours du nombre de lits, on observera que cet effectif, calculé par 100 000 habitants, reste inférieur, outre-mer, par rapport au niveau atteint dans l’hexagone. Dans le cas le plus favorable, c’est-à-dire en Martinique, il s’élève à 639 lits par 100 000 habitants. En revanche, il est de 654 lits par 100 000 habitants en métropole.

b. Au sein d’un même établissement, les capacités d’accueil sont inégalement réparties entre les services

La taille moyenne des établissements outre-mer, qu’ils soient publics ou privés, est de 127 lits, contre 154 lits en métropole.

Compte tenu de cette capacité plus réduite dans les DOM ou dans les COM, les services des centres hospitaliers publics les mieux dotés en lits s’avèrent être les services d’aigus.

En revanche, il existe peu de places dans les services de rééducation et de moyen séjour. D’ailleurs, la Cour des comptes rappelle, dans son rapport précité, que, pour ces deux secteurs, la Haute autorité de santé (HAS) en est venue à considérer les Outre-mer comme « terriblement sous-équipés ».

Enfin, les hôpitaux spécialisés sont peu nombreux, notamment pour la psychiatrie et la gériatrie. Et il en va de même pour les établissements spécialisés dans la prise en charge des populations précarisées (toxicomanes, sans domiciles fixes, etc.).

c. Les services d’urgence sont fréquemment en surcharge

Compte tenu des lacunes qui existent dans l’offre de soins relevant des professionnels de santé libéraux, on constate que les patients ont tendance à se tourner vers les services d’urgence des hôpitaux publics.

En 2012, 590 000 passages aux urgences ont été enregistrés dans les DOM, au sein des centres hospitaliers.

Si l’on compare le rapport du nombre de forfaits d’accueil vis-à-vis de la somme totale des facturations hospitalières et le rapport de la population de chaque DOM vis-à-vis de la population totale, on remarque que les taux de recours aux urgences sont dans la moyenne nationale en Guyane (0,39 % des forfaits d’accueil pour 0,37 % de la population) et en Martinique (0,62 % pour 0,60 %) ; et qu’ils sont inférieurs en Guadeloupe (0,49 % pour 0,62 %) et à La Réunion (0,85 % pour 1,28 %).

Pour autant, comme le maillage des hôpitaux publics est inférieur, dans les DOM, par rapport à la moyenne nationale, ces forfaits – qu’ils correspondent eux-mêmes à la moyenne nationale ou qu’ils soient un peu en dessous – montrent une présence élevée des patients, au jour le jour, dans les services d’urgence.

Par ailleurs, l’organisation de ces services pose deux problèmes :

– dans les DOM, la collaboration des médecins libéraux avec les services hospitaliers d’urgence est souvent insuffisante ; ainsi, les médecins libéraux ne participent pas toujours à la régulation du centre 15 ou au dispositif de « correspondant SAMU » ;

– il existe de vraies difficultés d’accès aux urgences à cause de l’isolement d’une partie des territoires ; c’est ainsi que, lors du diagnostic national relatif à l’accès aux soins urgents effectué en 2012, les DOM figuraient parmi les régions où la durée moyenne d’accès était supérieure à 30 minutes (sachant que cette durée peut être parfois beaucoup plus longue, notamment en Guyane).

Les améliorations à apporter aux services hospitaliers d’urgence ne peuvent être décidées que collectivité par collectivité.

Dans cette perspective, il pourrait être intéressant de mettre en place des observatoires régionaux des urgences – ces derniers ayant la faculté d’émettre des préconisations, en fonction des risques spécifiques de chaque territoire.

d. Les évacuations sanitaires sont en nombre élevé et elles répondent à une problématique spécifique

L’éloignement des patients par rapport aux centres hospitaliers dans lesquels ils pourraient être hospitalisés – par exemple en Guyane – ou l’absence de certaines spécialités à l’intérieur même des hôpitaux ultramarins – par exemple certaines spécialités de cardiologie à la Martinique ou à la Guadeloupe – suscitent, outre-mer, un nombre élevé d’évacuations sanitaires, généralement par la voie aérienne.

Il existe une problématique spécifique liée à ces évacuations :

– les évacuations sont organisées par les SAMU ou par les centres hospitaliers ; par exemple, le SAMU de la Martinique effectue un très grand nombre d’évacuations inter-îles dans la zone des Caraïbes ; il gère également les évacuations en provenance de la Guyane ; le centre hospitalier de Nouméa évacue, en direction de la métropole, des patients en attente de greffes, notamment pour le foie ;

– s’agissant des évacuations vers la métropole, ce sont les lignes aériennes régulières qui sont utilisées ;

– il n’y a pas d’obligations de service public pour les compagnies aériennes et il existe toujours des délais incompressibles pour obtenir une place sur un vol ;

– l’organisation peut être délicate (surtout si le transfert aérien n’est pas direct) ;

– les risques sont plus grands que pour les transferts inter-hospitaliers de l’hexagone ;

– les coûts sont élevés, ne serait-ce que du fait que les évacuations doivent être effectuées avec des accompagnateurs devant aussi disposer de billets de retour ;

– il peut y avoir des désaccords financiers entre les centres hospitaliers et les caisses générales de sécurité sociale, ce qui peut se solder par des retards de paiement à l’égard des hôpitaux ;

– enfin, en Guyane et à Mayotte, les évacuations peuvent concerner des ressortissants étrangers, parfois en situation irrégulière, et ne disposant pas toujours d’assurances sociales ; en ce cas, les mécanismes de prise en charge financière supposent des formalités particulières, souvent complexes.

Pour conclure, un renforcement de la coopération internationale serait souhaitable dans les différentes zones géographiques où se situent les Outre-mer (océan Indien, océan Pacifique, Caraïbes…). Ce renforcement constituerait une aide précieuse pour les cas où surviendraient des urgences ou des crises sanitaires majeures.

e. Les centres hospitaliers connaissent des difficultés de trésorerie

En 2004, la réforme de l’assurance maladie a modifié le mode de financement de l’hôpital public qui était, jusqu’alors, assuré par une dotation globale forfaitaire versée à chaque établissement.

Désormais, le nouveau mode de financement est « la tarification à l’activité » car, pour les activités de médecine, de chirurgie et d’obstétrique (MCO), les ressources hospitalières sont conditionnées par le nombre et la nature des actes réalisés, ainsi que par la durée des séjours accomplis dans l’hôpital.

Seules certaines activités – comme les missions d’intérêt général, les activités d’urgence ou les prélèvements d’organes – continuent de bénéficier de dotations forfaitaires.

Toutefois, si l’on analyse les recettes des établissements hospitaliers des DOM, on doit observer que ces dernières – indépendamment des ressources tirées de la facturation des activités MCO ou des dotations forfaitaires – sont assez largement complétées par des aides à la contractualisation (AC).

Ces aides sont destinées à permettre aux centres hospitaliers de faire face à certaines opérations importantes en compensant leur manque de trésorerie.

La part des aides à la contractualisation, pour l’année 2012, dans les budgets hospitaliers, apparaît dans le tableau ci-dessous :

DÉPENSES ET RECETTES HOSPITALIÈRES, 2012

2012

Guadeloupe

Martinique

Guyane

La Réunion

4 DOM

Métropole

Dépenses, M€

418

580

198

685

1 880

59 594

Soit par habitant

1 035 €

1 486 €

827 €

818 €

1 004 €

935 €

Recettes

 

Hospitalisation

41 %

40 %

46 %

57 %

47,4 %

49,9 %

Externes

3 %

4 %

6 %

4 %

4,0 %

5,5 %

Molécules onéreuses

2 %

2 %

1 %

2 %

1,8 %

3,4 %

Forfaits hospitaliers

2 %

2 %

3 %

2 %

2,0 %

1,8 %

DAF SSR

8 %

9 %

1 %

5 %

6,4 %

9,9 %

DAF psychiatrie

16 %

13 %

13 %

13 %

13,5 %

14,3 %

MIG

8 %

6 %

20 %

9 %

8,7 %

8,8 %

AC

17 %

24 %

10 %

8 %

15,0 %

3,9 %

Source : Cour des comptes. La santé dans les Outre-mer : une responsabilité de la République, rapport thématique, juin 2014, page 71.

D'après ATIH/FHF. Hospitalisation à domicile (8 M€, Guadeloupe) et dispositifs implantables (9 M€) compris dans le total. DAF : dotation annuelle de fonctionnement. MIG : missions d’intérêt général. AC : aides à la contractualisation.

À la lecture de ce tableau, on peut relever que les aides à la contractualisation occupent une place beaucoup plus importante dans les budgets des centres hospitaliers des DOM que dans ceux des hôpitaux publics de métropole. En effet, pour 2012, les AC représentent un pourcentage qui oscille entre 8 et 24 % des budgets hospitaliers en fonction des départements, alors qu’elles ne représentent, en moyenne, que 3,9 % des budgets des établissements dans l’hexagone.

Partant, on peut dire que les centres hospitaliers ultramarins disposent d’une trésorerie inférieure à celle de leurs homologues nationaux.

En fait, les centres hospitaliers des DOM – selon les informations qui ont pu être recueillies par votre rapporteure – ne disposent, en règle générale, que de 2 à 3 jours de fonds de roulement, alors que l’application d’une règle prudentielle classique voudrait qu’ils puissent disposer d’une avance d’environ un mois de recettes (ne serait-ce que pour faire face au paiement d’un mois de rémunération des personnels, en cas d’imprévus majeurs ou de circonstances exceptionnelles).

De ce fait, sur plusieurs années, une fois les AC reçues et les opérations réalisées, il n’est pas rare que les bilans des centres hospitaliers ultramarins présentent un déficit, comme en témoigne le tableau ci-dessous, pour la période 2010-2012 :

RÉSULTATS DES PRINCIPAUX ÉTABLISSEMENTS HOSPITALIERS, 2010-2012

Millions d’euros

Charges 2012

Cumul 2010-2012

Aides reçues

Résultats après aides

CHU Martinique

527

158,3

- 181

CHU Guadeloupe

306

72,4

- 43,7

EPSM Colson (Guadeloupe)

84

17,5

- 11

CH Basse-Terre (Guadeloupe)

77

17,4

- 8,7

CH Marigot (Saint-Martin)

38

13,3

- 3,8

CH Ouest Guyanais

65

6,1

- 0,9

CH Cayenne

200

5,4

- 1,1

CH Nord Caraïbe (Martinique)

28

1,3

0,6

EPSM La Réunion

67

0,7

- 0,1

CH Mayotte

147

0

- 2,8

Sous-total 10 établissements

1 539

292,4

- 252,5

CHU La Réunion

590

7,8

10,7

CH Gabriel Martin (La Réunion)

89

0,3

0,9

EPSM Montéran (Guadeloupe)

43

0

3,5

Centre gérontologique Raizet (Guadeloupe)

30

0

1,7

CH François Dunan (Saint-Pierre-et-Miquelon)

27

0

0

Total de ces 15 établissements

2 318

300,5

-235,1

Source : Cour des comptes. La santé dans les Outre-mer : une responsabilité de la République, rapport thématique, juin 2014, page 72.

DGFiP, février 2014 (données « charges » provisoires), DGOS. EPSM : établissement public de santé mentale.

Cette situation très tendue s’explique par le fait que l’essentiel des ressources dans les centres hospitaliers ultramarins – c’est-à-dire plus de 70 % des recettes – est affecté à la rémunération des personnels. Les reliquats de financement sont donc limités et ils sont employés à 100 %. D’autre part, sur la période 1983-2003, les dotations de fonctionnement ont souvent été versées de manière trop mesurée. Les pouvoirs publics ont ainsi créé des situations de déficits structurels – situations qui ont été mises en lumière, de manière plus récente, avec l’instauration du système de la tarification à l’activité.

f. Les centres hospitaliers rencontrent également des difficultés dans la gestion de leurs personnels

Les hôpitaux publics, outre-mer, disposent d’un personnel relativement nombreux. En effet, les centres hospitaliers comptent parmi les principaux employeurs potentiels des collectivités territoriales et les recrutements auxquels ils peuvent procéder constituent, pour les décideurs des DOM ou des COM, une aide précieuse dans le cadre d’une politique visant à favoriser l’emploi. Les hôpitaux sont donc incités à embaucher et, très fréquemment, ces derniers répondent favorablement à ces sollicitations.

Dans ce contexte, les centres hospitaliers doivent néanmoins faire face à trois types de difficultés :

– il y a, tout d’abord, les difficultés qui relèvent de la gestion des personnels non médicaux (ouvriers professionnels, chauffeurs, etc.) ; ces personnels sont souvent contractuels ; leurs grilles indiciaires sont variables, ainsi que leurs conditions de travail ou leurs horaires ; il existe donc des problèmes spécifiques liés à la complexité des statuts ; par ailleurs, la Cour des comptes tend à estimer que ces personnels sont désormais en sureffectifs dans bon nombre d’établissements – le surnombre finissant par impliquer des dépenses indues ;

– il y a, ensuite, la question des personnels hospitaliers ; l’une des principales difficultés est la recherche d’une bonne adéquation des profils de ces personnels avec les postes qu’ils doivent occuper, dans la mesure où la plupart participent directement aux soins médicaux ; de cette bonne adéquation au poste découle directement la qualité des soins apportés aux malades ;

– il y a, enfin, la question des équipes médicales ; elles sont inégalement dimensionnées et souvent instables, les médecins ne restant pas longtemps sur place et repartant dans l’hexagone ; de plus, dans certains territoires, les praticiens éprouvent parfois des difficultés d’organisation – par exemple, pour la bonne gestion des permanences qui correspondent aux consultations externes effectuées au sein de l’hôpital, lorsqu’il existe une demande forte des patients, du fait du nombre trop restreint des médecins libéraux.

Pour remédier à ces difficultés, certaines solutions – qui sont d’ailleurs connues – peuvent être préconisées :

– pour la première catégorie d’employés, il convient de favoriser la réduction des effectifs là où elle s’impose, à la faveur des fins de contrats et des départs en retraite ; certains personnels peuvent être aussi transférés dans le secteur médico-social ;

– pour la seconde catégorie de personnels, il est nécessaire de développer la formation professionnelle de manière prioritaire et intensive ;

– enfin, s’agissant des médecins, il paraît indispensable de diminuer les rotations au sein des services hospitaliers ; pour cela, il faut favoriser le retour dans les collectivités territoriales des étudiants qui en sont originaires – s’ils le souhaitent – lorsqu’ils ont achevé leurs études de médecine dans l’hexagone ; à l’heure actuelle, en effet, un dixième seulement des médecins nés en France et exerçant dans les Outre-mer est originaire de ces territoires ; ce chiffre est tout à fait insuffisant et, si l’on parvenait à l’accroître, on pourrait certainement contribuer à stabiliser les équipes soignantes à l’intérieur des hôpitaux.

4. Outre-mer, les incapacités apparaissent de manière plus précoce qu’au sein de l’hexagone

Le Conseil économique, social et environnemental, dans son rapport de juin 2011, intitulé « La dépendance des personnes âgées » et présenté par Mme Monique Weber et M. Yves Vérollet, souligne que l’on constate, outre-mer, l’apparition d’incapacités qui surviennent à un âge plus précoce qu’en métropole.

Pour étayer ce constat, le CESE s’appuie sur deux enquêtes réalisées par l’INED (l’Institut national des études démographiques) – enquêtes dont les résultats lui ont été communiqués également en 2011, à l’occasion de l’élaboration de son rapport. La première étude – intitulée « Handicaps-incapacités-dépendance » – indique qu’à La Réunion, dès 50-59 ans, les niveaux de dépendance s’avèrent équivalents à ceux observés à 70-79 ans, en métropole. La seconde étude – intitulée « Migration, famille et vieillissement » – confirme ces résultats pour La Réunion et procède à des observations similaires pour la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane.

Selon le CESE, c’est la précarité des conditions de vie et de travail (y compris informel) de certaines populations des territoires ultramarins qui semble créer une logique de précarisation de la santé de ces mêmes populations et ce, à un âge beaucoup moins avancé que dans l’hexagone.

Par conséquent, le CESE en conclut que la prise en charge des personnes âgées les plus dépendantes (prise en charge à domicile ou en établissement de long séjour) devrait être envisagée, dans ces territoires, à un âge plus précoce qu’en métropole.

De même, le CESE estime qu’une politique forte de prévention de l’apparition de ces incapacités devrait également être mise en œuvre. Cette politique devrait être ciblée par domaines (par exemple, l’alimentation, l’hygiène de vie ou les dépistages) et également par publics (les populations fragiles, les populations vulnérables, etc.).

5. La persistance des maladies infectieuses

Malgré de très nombreuses actions de prévention, on doit noter, outre-mer, la persistance d’un certain nombre de maladies infectieuses. Ces maladies existent à l’état endémique et elles peuvent se propager subitement, sous forme d’épidémies, lorsque certaines conditions sont réunies.

Les affections peuvent être liées au climat tropical. Tel est le cas, par exemple, pour la fièvre jaune, la dengue ou le chikungunya. Mais il peut s’agir aussi de maladies que l’on rencontre dans l’hexagone (tuberculose, typhoïde) – même si elles ne concernent qu’un tout petit nombre de patients.

Parmi ces maladies, deux affections, transmises par certains types de moustiques – la dengue et le chikungunya –, ont tout particulièrement frappé les Outre-mer, au cours de ces dix dernières années.

La dengue s’est répandue au cours de trois épidémies. Ces épidémies ont eu lieu en 2005-2006, en 2010 et en 2013-2014. Lors de ces trois épidémies, le virus a contaminé près de 450 000 personnes dans tous les Outre-mer, pour environ 1,2 million de malades recensés dans le monde. Ce chiffre de 450 000 patients représente plus du tiers des personnes atteintes.

Le chikungunya, pour sa part, s’est propagé au cours de deux épidémies. La première a eu lieu en 2005-2006, principalement dans l’océan Indien. À cette occasion, le virus a contaminé 38 % de la population de La Réunion et de Mayotte. Puis, une seconde épidémie a eu lieu en 2013-2014, dans les Caraïbes. Après une acmé qui s’est produite au cours du second et du troisième trimestre de l’année 2014, cette seconde épidémie semble actuellement jugulée. En octobre 2014, les chiffres – pour la seule année 2014 – étaient de 80 370 cas en Guadeloupe, de 68 430 cas en Martinique et de 5 910 cas en Guyane.

Ces deux maladies – compte tenu du nombre de personnes qui sont contaminées au cours de chaque épidémie – s’apparentent à de véritables fléaux sanitaires. Il convient donc d’y mettre fin et, pour cela, le moyen le plus opérant est sans doute la vaccination.

Pour l’instant, il n’existe malheureusement pas de vaccin contre le chikungunya, même si la recherche progresse. En revanche, il en existe un contre la dengue qui vient d’être mis au point par le groupe Sanofi-Pasteur. Cependant, ce vaccin n’est pas encore disponible en pharmacie, dans la mesure où toutes les autorisations de mise sur le marché n’ont pas encore été obtenues. Il serait donc utile de se hâter en ce domaine.

Plus généralement, il serait également souhaitable – en cas d’urgence sanitaire concernant tout particulièrement les Outre-mer – qu’une procédure de mise sur le marché accélérée des vaccins puisse être instituée, lorsque ces derniers sont prêts à être commercialisés.

6. La persistance des maladies chroniques

De la même manière que pour les maladies infectieuses, il existe, outre-mer, des maladies chroniques qui, malgré la prévention, tendent à se déclarer plus fréquemment que dans l’hexagone.

Parmi ces maladies, on compte le diabète, l’insuffisance rénale chronique, certaines maladies cardio-vasculaires et la drépanocytose (maladie qui affecte l’hémoglobine en augmentant la vulnérabilité aux infections bactériennes et aux autres pathologies).

On doit noter que la plupart de ces maladies sont favorisées par le surpoids ou par l’obésité qui sont des phénomènes récurrents au sein des DOM ou des COM, et notamment en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna. Par suite, si l’on veut lutter contre ces affections, il est nécessaire d’éviter les prises de poids excessives.

Cependant, il convient d’observer qu’outre-mer, les habitudes alimentaires sont davantage tournées vers le sucre que dans l’hexagone. Par ailleurs, les produits offerts à la consommation comportent, en eux-mêmes, une plus forte teneur en sucre que les produits proposés à la vente en métropole. L’ensemble de ces phénomènes n’incite donc pas à la perte de poids.

Telle est la raison pour laquelle la Délégation aux outre-mer a soutenu, au cours de l’année 2013, la proposition de loi déposée par l’un de ses membres, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, et visant à interdire la distribution, dans les territoires ultramarins, des denrées d’une teneur en sucre supérieure à celles de la même famille les plus distribuées en métropole. Cette proposition de loi est devenue la loi n° 2013-453 du 3 juin 2013 visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer.

Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire pour sensibiliser la population, et spécialement les jeunes, contre les méfaits d’une alimentation trop riche en sucre.

Pour faciliter cette prise de conscience, le projet de loi relatif à la santé insiste sur l’information nutritionnelle des consommateurs. Ainsi, l’article 5 du projet prévoit la possibilité de mettre en place des indications précises – par exemple sous forme de logos placés en « face-avant » des emballages – sur la composition des produits alimentaires et sur les effets attendus de ces nutriments sur la santé.

Il s’agit là d’une excellente mesure qui, outre-mer, complètera la loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire.

Votre rapporteure se propose, elle-même, d’améliorer le dispositif en déposant un amendement à l’article 5 du projet de loi – amendement rendant obligatoire, outre-mer, une sensibilisation des plus jeunes aux questions nutritionnelles, et spécialement aux questions relatives au surpoids, à l’obésité et au diabète. Cette sensibilisation s’effectuera dans les établissements scolaires, au sein des classes de CE 1 et de CE 2. Elle pourra être réalisée, dans le cadre d’une pédagogie active, en se livrant à des analyses sur les indications et sur les logos figurant sur les produits.

7. Certaines catégories d’ultramarins souffrent d’addictions spécifiques

Le Plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017, élaboré, en septembre 2013, par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, relève que le problème principal, outre-mer, est l’addiction de certaines catégories de la population à l’alcool.

La précocité de la consommation, chez les jeunes, est un facteur de basculement vers d’autres types de psychotropes, notamment le cannabis à La Réunion et le crack aux Antilles.

Par ailleurs, l’importance de la consommation, chez un certain nombre d’adultes, génère des problèmes de santé graves : atteintes hépatiques, maladies cardio-vasculaires, syndromes de Parkinson…

En revanche, le plan de lutte contre la drogue 2013-2017 relève que la consommation d’opiacés est plus faible outre-mer que dans l’hexagone.

Pour lutter contre ces différents types de dépendances, l’assurance maladie subventionne, dans les DOM, 18 centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogue et 6 centres de soins en addictologie, pour un montant de 22 millions d’euros en 2013.

*

* *

II. LE PROJET DE LOI RELATIF À LA SANTÉ MOBILISE UN GRAND NOMBRE DE LEVIERS POUR AMÉLIORER LA PRÉVENTION OU LE SYSTÈME DE SOINS AUSSI BIEN DANS L’HEXAGONE QUE DANS LES COLLECTIVITÉS ULTRAMARINES

Le projet de loi relatif à la santé est un texte d’une assez grande amplitude. Il comporte, en effet, une partie liminaire, quatre titres principaux et un titre final – le titre V – prévoyant des mesures de simplification. Il comprend 57 articles.

Les intitulés des quatre titres principaux sont les suivants : renforcer la prévention et la promotion de la santé ; faciliter au quotidien les parcours de santé ; innover pour garantir la pérennité de notre système de santé ; et enfin, renforcer l’efficacité des politiques publiques et la démocratie sanitaire.

Parmi les 57 articles, un seul concerne les Outre-mer : l’article 56 qui prévoit le renvoi à des ordonnances, dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, pour mettre en œuvre, d’une part, les dispositions du projet de loi lui-même, dans les DOM et dans les COM (en respectant leurs spécificités et leurs contraintes particulières), et, d’autre part, pour aligner le droit de la sécurité sociale applicable à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon sur le droit applicable soit en métropole soit dans les collectivités qui relèvent de l’article 73 de la Constitution.

Au sein du projet de loi, on ne peut donc pas dire qu’il existe un « volet ultramarin », c’est-à-dire un ensemble de mesures concernant spécifiquement les Outre-mer.

En revanche, la Délégation aux outre-mer a distingué 10 articles qui, sans être spécialement dédiés aux collectivités ultramarines, peuvent présenter un intérêt particulier pour les DOM ou pour les COM.

Il s’agit des articles : 1, 3, 4, 5, 7, 12, 18, 26, 37 et 38. L’article 1er définit les principes et les objectifs retenus par le projet de loi en matière de santé ; l’article 3 élargit les possibilités d’accès à la contraception d’urgence pour les élèves du second degré au sein de l’infirmerie scolaire ; l’article 4 renforce les dispositifs permettant de lutter contre l’alcoolisation des jeunes ; l’article 5 améliore l’information nutritionnelle des consommateurs ; l’article 7 conforte la pratique des tests rapides d’orientation diagnostique, ainsi que des autotests, pour le dépistage des maladies infectieuses transmissibles ; l’article 12 institue un service territorial de santé au public ; l’article 18 prévoit la généralisation du tiers-payant pour les consultations médicales en ville ; l’article 26 redéfinit la notion de service public hospitalier, ainsi que les obligations des établissements qui y sont associés ; l’article 37 a pour objet de développer la recherche et l’innovation en matière de médicaments dans le cadre des établissements de santé ; enfin, l’article 38 favorise la territorialisation des Agences régionales de santé, en simplifiant la réglementation concernant les projets régionaux de santé.

C’est ainsi que votre rapporteure articulera son propos en deux temps. Dans un premier moment, elle examinera le contenu de l’article 56 du projet de loi. Puis, dans un second temps, elle étudiera les autres articles, en centrant ses analyses sur les éléments qui, au sein de ces articles, peuvent avoir une incidence sur l’organisation du système de santé ultramarin.

A. LE RECOURS AUX ORDONNANCES POUR COMPLÉTER LA RÈGLEMENTATION ULTRAMARINE (ARTICLE 56)

L’article 56 du projet de loi relatif à la santé comporte trois types de dispositions.

Tout d’abord, conformément à l’article 38 de la Constitution, il habilite le Gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de 18 mois à compter de la promulgation du texte, deux types de mesures :

– les mesures nécessaires à l’adaptation des dispositifs prévus par la loi aux caractéristiques et contraintes particulières inhérentes aux départements et aux collectivités d’outre-mer ;

– et celles nécessaires pour modifier certains points du code de la santé publique afin que ce dernier soit parfaitement applicable aux spécificités de Mayotte et, le cas échéant, à celles de La Réunion.

En second lieu, l’article 56 habilite le Gouvernement, dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnances, dans un délai de 12 mois à compter de la promulgation de la loi, trois autres types de mesures :

– les mesures nécessaires pour harmoniser l’organisation de la sécurité sociale à Mayotte et pour la rapprocher du droit commun ;

– les mesures permettant d’aligner le fonctionnement de la Caisse de sécurité sociale de Mayotte sur celui des Caisses générales de sécurité sociale ;

– et celles nécessaires pour rapprocher le droit de la sécurité sociale applicable à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon de celui applicable en métropole ou dans les DOM.

Enfin, l’article 56 prévoit qu’un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de six mois à compter de la publication de chacune des ordonnances ayant été prises au titre de l’habilitation.

Au total, le Gouvernement, à travers cet article l’autorisant à légiférer par ordonnances, poursuit un triple but. Il s’efforce d’adapter le droit de la métropole aux spécificités ultramarines ; de rapprocher – pour Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon – le droit local du droit national ; et enfin d’améliorer – pour ces mêmes collectivités – l’organisation locale de la sécurité sociale.

Ces trois objectifs expliquent les délais d’habilitation retenus : 18 mois pour l’adaptation de la loi aux spécificités des DOM ou des COM – parce qu’il convient de consulter les populations locales et de les associer étroitement à la rédaction des ordonnances – et 12 mois pour les autres questions de coordination des règles et d’organisation de la sécurité sociale – parce qu’il s’agit là de questions plus simples.

À noter, enfin, qu’il serait souhaitable de compléter les dispositions de l’article 56-I-1° en vue d’instituer par ordonnance un plan de santé destiné aux Outre-mer, se déclinant par territoire et tenant compte des particularismes de chaque collectivité. Votre rapporteure reviendra sur ce point au moment où elle abordera la question des amodiations à apporter au texte.

B. LES AUTRES DISPOSITIONS QUI, SANS VISER PARTICULIÈREMENT LES OUTRE-MER, PRÉSENTENT POUR CES TERRITOIRES UN INTÉRÊT PARTICULIER

Les différents articles du projet de loi qui sont susceptibles d’intéresser les territoires ultramarins de manière spécifique, même si ces articles ne les visent pas expressément, vont être analysés tour à tour.

1. Les principes et les objectifs fixés par le projet de loi en matière de santé (article 1er)

L’article 1er du projet de loi indique que les pouvoirs publics garantissent à chacun le droit de voir sa santé être protégée.

La mise en œuvre de ce droit à la protection de la santé suppose – ainsi que cela est précisé dans la nouvelle rédaction de l’article L. 1411-1 du code de la santé publique, nouvelle rédaction prévue par l’article 1er du projet de loi – que l’État doit s’efforcer, de manière permanente, d’améliorer l’état de santé de la population ; par ailleurs, de manière tout aussi constante, il doit promouvoir des conditions de vie favorables à la santé, réduire les inégalités – qu’elles soient sociales ou territoriales – et réaliser une sécurité sanitaire optimale ; enfin, il doit assurer l’accès effectif de la population à la prévention et aux soins.

Pour atteindre ces résultats, les pouvoirs publics définissent une stratégie nationale de santé qui détermine – sous la forme d’une programmation pluriannuelle – des domaines d’action prioritaires et des objectifs d’amélioration.

Aux termes de l’article L. 1411-1 du code de la santé publique, il sera possible à la stratégie nationale de santé – et, plus généralement, à la politique de santé conduite par le Gouvernement – de définir des orientations sur les sujets suivants :

– la surveillance et l’observation de l’état de santé de la population et l’identification de ses principaux déterminants, notamment ceux liés aux conditions de vie et de travail ;

– la promotion de la santé dans tous les milieux de vie et la réduction des risques pour la santé liés à des facteurs d’environnement et de conditions de vie susceptibles de l’altérer ;

– la prévention collective et individuelle des maladies, des traumatismes, des pertes d’autonomie, notamment par l’éducation pour la santé ;

– l’organisation de parcours de santé coordonnés assurant l’accessibilité, la qualité et la sécurité des soins, des services et des produits de santé, ainsi que l’efficience de leur utilisation, en médecine ambulatoire et en établissement, sur l’ensemble du territoire ;

– la prise en charge collective des conséquences financières et sociales de la maladie et de l’accident par le système de protection sociale ;

– la préparation et la réponse aux alertes et crises sanitaires ;

– la production, l’utilisation et la diffusion des connaissances utiles à l’élaboration et à la mise en œuvre des programmes de santé ;

– la promotion des activités de formation, de recherche et d’innovation dans le domaine de la santé ;

– et enfin, l’information de la population et sa participation, directe ou par l’intermédiaire des associations, aux débats publics sur les questions de santé et de risques sanitaires, ainsi qu’aux processus d’élaboration et de mise en œuvre des décisions gouvernementales prises en ce domaine.

Il convient de noter, en outre, que l’article 1er du projet de loi, en modifiant l’article L. 1411-2 du code de la santé publique, prévoit que les organismes gestionnaires des régimes d’assurance maladie sont désormais étroitement associés à l’élaboration de la politique de santé et, partant, des plans et des programmes de santé qui en résultent. Il s’agit là d’une novation. En effet, jusqu’à présent, on constatait un certain cloisonnement, dans le pilotage des politiques de santé, entre, d’une part, la sphère de l’État, principalement centrée sur la prévention, la sécurité sanitaire et les soins hospitaliers et, d’autre part, celle de l’assurance maladie, plus particulièrement préoccupée par les soins de ville, le remboursement et l’indemnisation. Le projet de loi s’efforce de mettre un terme à cette dichotomie et d’obtenir une plus grande cohésion dans l’action publique.

L’ensemble du dispositif ainsi décrit intéresse bien évidemment les Outre-mer – notamment en tant qu’il vise à réduire les inégalités territoriales en matière de santé. Or, comme on l’a vu dans la première partie du rapport, celles-ci restent encore nombreuses dans les collectivités ultramarines.

Néanmoins, si l’on veut que l’article 1er réponde encore davantage aux préoccupations des Outre-mer, il semble indispensable de le compléter par trois types de mesures – mesures qui correspondent d’ailleurs à des recommandations de la Cour des comptes :

– tout d’abord, il conviendrait de prévoir que la stratégie nationale de santé – lorsqu’elle a été arrêtée par le Gouvernement – doit se décliner automatiquement dans un programme destiné aux Outre-mer ; ce programme sera construit autour d’un certain nombre de priorités et doté de crédits précis ; en outre, dans le respect de leurs compétences, on pourra demander aux exécutifs des collectivités de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie de s’y associer ;

– ce programme, destiné à décliner outre-mer la stratégie nationale de santé, n’aura pas le même objet que le plan de santé des Outre-mer qui pourrait être demandé au Gouvernement – comme on l’a vu plus haut – dans le cadre de l’habilitation de l’article 56 du projet de loi autorisant le pouvoir exécutif à légiférer par ordonnances ; en effet, le programme lié à la stratégie nationale de santé sera un schéma de développement du système de soins ultramarin – schéma élaboré selon une périodicité régulière ; en revanche, le plan de santé arrêté par ordonnance sera un plan de rattrapage qui n’interviendra qu’une fois ;

– on pourrait aussi décliner le programme lié à la stratégie nationale de santé dans un volet outre-mer intégré aux contrats d’objectifs et de performances des agences sanitaires nationales qui opèrent dans les collectivités ultramarines ; il s’agit par exemple de l’ANSES (l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) ou de l’InVS (l’Institut de veille sanitaire) ;

– enfin, on pourrait créer des référents outre-mer dans chaque direction d’administration centrale et dans chaque agence sanitaire nationale, lorsqu’elles sont concernées par la mise en œuvre de la politique de santé au sein des territoires ultramarins.

2. La levée des restrictions concernant l’obtention d’une contraception d’urgence auprès de l’infirmerie scolaire pour les élèves du second degré (article 3)

L’article 3 du projet de loi modifie l’article L. 5134-1 du code de la santé publique en prévoyant que la contraception d’urgence peut être désormais délivrée sans restriction aux élèves du second degré par l’infirmerie scolaire.

Cette contraception d’urgence est ce que l’on appelle plus communément la « pilule retard ». Elle concerne les jeunes filles qui craignent une grossesse précoce après avoir eu des rapports sexuels non protégés – ces rapports sexuels pouvant parfois être la conséquence de situations sociales extrêmement préoccupantes.

Actuellement, le troisième alinéa de l’article L. 5134-1 du code de la santé publique prévoit que «  dans les établissements d’enseignement du second degré, si un médecin, une sage-femme ou un centre de planification ou d’éducation familiale n’est pas immédiatement accessible, les infirmiers peuvent, à titre exceptionnel et en application d’un protocole national déterminé par décret, dans les cas d’urgence et de détresse caractérisés, administrer aux élèves mineurs et majeurs une contraception d’urgence ».

Aux termes de cet article, l’accès à la « pilule retard » dans les infirmeries scolaires est donc limité aux cas d’urgence et de détresse caractérisés. La prescription reste en principe de la compétence exclusive d’un médecin, d’une sage-femme ou d’un centre de planning familial. C’est seulement si ces derniers ne sont pas accessibles que les infirmiers scolaires peuvent, à titre exceptionnel, se substituer à eux.

En pratique, ces conditions apparaissent, aujourd’hui, comme étant trop restrictives. Elles créent des situations fortement inéquitables au sein même des territoires – notamment au sein des collectivités d’outre-mer où la densité médicale et paramédicale est assez variable – alors même que l’efficacité de la contraception est liée à la rapidité dans la prise du médicament.

L’article 3 du projet de loi lève donc l’essentiel des restrictions. Il supprime la condition de non accessibilité des professionnels de santé ; il supprime également la situation de détresse caractérisée ; et enfin, il ne parle plus de l’aspect nécessairement exceptionnel de la démarche de l’infirmier.

On ne peut que se réjouir, outre-mer, de cette mesure d’assouplissement qui devrait faire diminuer significativement le taux global des interruptions volontaires de grossesse, et plus particulièrement celui des jeunes filles de 15 à 19 ans.

Dans les DOM, en effet, le taux d’IVG est très nettement supérieur à celui de la métropole. En 2012, le taux d’IVG dans l’hexagone est de 14,5 pour 1000 femmes (entre 15 et 49 ans), mais il passe à 25,3 pour 1000 femmes dans les Outre-mer. Par ailleurs, le taux d’IVG des jeunes filles de 15 à 19 ans dans les DOM représente plus du double de celui qui prévaut pour les jeunes filles dans l’hexagone. Ainsi, toujours en 2012, en métropole, le taux d’IVG pour les jeunes filles de 15-19 ans est de 14 pour 1000, mais, dans les Outre-mer, ce taux passe à 33 pour 1000.

3. Le renforcement des moyens permettant de diminuer la consommation d’alcool chez les jeunes (article 4)

L’article 4 du projet de loi vise à renforcer les moyens de lutte contre la consommation d’alcool chez les jeunes, et spécialement chez les jeunes mineurs.

En effet, alors que l’on constate une baisse régulière de la quantité moyenne d’alcool consommée chez les adultes – baisse due à une meilleure hygiène de vie et aux efforts du Gouvernement en matière de prévention, notamment dans le cadre de la politique visant à accroître la sécurité routière – la consommation d’alcool progresse chez les jeunes, y compris chez les mineurs. C’est d’ailleurs ce phénomène qui explique le succès, à l’heure actuelle, de la pratique du «binge drinking » – une pratique qui est une forme d’alcoolisation en groupe importée de Grande-Bretagne et dont la traduction française correspond à l’expression : «beuverie express ».

On doit noter, par ailleurs, que les jeunes ultramarins ont les mêmes comportements à l’égard de la boisson que leurs homologues de l’hexagone. C’est ainsi que le plan de lutte contre la drogue 2013-2017 fait état, dans les DOM, de « la précocité de la consommation d’alcool chez les jeunes ». Le plan indique également qu’il s’agit là d’un facteur non négligeable de basculement possible vers d’autres types d’addictions (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, Plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017, septembre 2013, page 32).

Face à cette alcoolisation des jeunes, l’article 4 du projet de loi prévoit un triple dispositif :

– tout d’abord, le fait d’inciter à l’ivresse de jeunes majeurs ou des mineurs, dans le cadre de séances de bizutage, au sein des milieux scolaires et socio-éducatifs, est désormais un acte délictueux ; par suite, l’article 225-16-1 du code pénal qui réprime les actes humiliants ou dégradants infligés lors des bizutages est modifié pour intégrer le nouveau délit d’incitation à la consommation d’alcool de manière excessive ; cette incitation, comme le fait de faire subir à autrui des actes dégradants, est punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende ;

– ensuite, de manière plus générale, le fait d’inciter un mineur à la consommation excessive d’alcool est désormais réprimé de manière spécifique ; jusqu’alors, l’article 227-19 du code pénal ne réprimait cette incitation que si elle était habituelle et excessive ; elle était sanctionnée par une peine de 2 ans de prison et de 45 000 € d’amende ; désormais, avec l’article 4 du projet de loi, le délit d’incitation de l’article 227-19 est scindé en deux ; on distingue, d’une part, l’incitation d’un mineur à la consommation excessive d’alcool, qui est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende, et, d’autre part, l’incitation d’un mineur à la consommation habituelle d’alcool, qui ressortit de la peine prévue par l’article 227-19 du code pénal lors de sa rédaction initiale et qui est donc punie de deux ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende ; c’est par le biais du premier délit (la provocation à une consommation excessive) que les pouvoirs publics envisagent de réprimer les « binge drinking » ;

– par coordination, l’article 4 du projet de loi modifie l’article L. 3353-4 du code de la santé publique ; ce dernier prévoit désormais que les deux délits précités sont réprimés par l’article 227-19 du code pénal ;

– enfin, l’article 4 du projet prévoit l’interdiction de vendre des objets à un mineur vantant la consommation excessive d’alcool (t-shirts, posters, etc.) ; à cette fin, l’article L. 3342-1 du code de la santé publique – article qui interdit la vente de boissons alcooliques à un mineur dans les débits de boisson – est modifié ; à l’interdiction initiale s’ajoute désormais celle de la vente, quel que soit le lieu, de tout objet incitant directement à l’ivresse ; s’agissant des sanctions, il convient de relever que la vente d’alcool à un mineur, dans un débit de boisson, est réprimée par l’article L. 3353-3 du code de la santé publique (7 500 € d’amende et 15 000 € d’amende en cas de récidive) ; désormais, ce même article s’applique également à la vente des objets présentant l’ivresse sous un jour favorable.

4. L’amélioration de l’information nutritionnelle des consommateurs (article 5)

Comme votre rapporteure l’a indiqué plus haut, les pouvoirs publics sont aujourd’hui tout à fait conscients qu’il y a lieu d’accorder une large place, dans le cadre des actions de prévention, à la lutte contre le surpoids et contre l’obésité, deux phénomènes qui peuvent générer un certain nombre de maladies chroniques, et notamment le diabète.

Dans ce contexte, l’une des orientations importantes du Gouvernement est de sensibiliser la population sur la composition des produits alimentaires vendus sous emballage et de l’informer sur la valeur nutritionnelle de ces composants, ainsi que sur les effets que ces nutriments peuvent avoir sur la santé.

C’est ainsi que le Gouvernement a accueilli favorablement l’adoption du règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires. Ce règlement prévoit en effet une déclaration nutritionnelle obligatoire, placée sur les conditionnements des produits alimentaires commercialisés au sein de l’Union européenne.

Toutefois, ces indications portées sur les emballages peuvent paraître encore insuffisantes ou trop peu explicites, notamment vis-à-vis des populations les plus démunies, et donc les plus enclines à consommer des produits de qualité moindre – c’est-à-dire des produits dont la composition peut, à terme, s’avérer nocive pour la santé.

Aussi, l’article 5 du projet de loi – en créant un article L. 3232-8 au sein du code de la santé publique – manifeste-t-il la volonté du Gouvernement d’aller encore plus loin en matière d’information.

Le dispositif de cet article prévoit que la déclaration nutritionnelle édictée par la réglementation européenne peut être accompagnée, au niveau national, d’explications complémentaires sous forme synthétique, et notamment sous forme de logos.

L’article 5 pose donc le principe qu’en « face-avant » des emballages, l’acheteur doit désormais pouvoir disposer d’une information très simple sur la nature des produits alimentaires ; combinée à un logo, cette information peut fonctionner comme une signalétique qui attire l’œil – par exemple dans les supermarchés – sur les produits présentant la meilleure qualité nutritionnelle.

Il s’agit là d’une avancée importante pour les consommateurs en général, et plus particulièrement pour ceux dont le niveau d’éducation ne permet pas une analyse complète des étiquetages. Cette mesure est aussi excellente pour les habitants des départements et des collectivités d’outre-mer qui, à l’heure actuelle, comptent dans leur rang de nombreuses personnes qui souffrent ou qui sont susceptibles de souffrir un jour du diabète.

La mise à disposition de cette information s’effectue sur la base du volontariat de la part des producteurs et des distributeurs.

Par ailleurs, le contenu de l’information doit se fonder sur des analyses médicales précises. Aussi, l’autorité administrative chargée de l’élaboration des différentes mentions devra-t-elle émettre ses recommandations en accord avec la communauté scientifique. La procédure selon laquelle les recommandations de cette autorité seront établies, et le cas échéant évaluées, sera fixée par décret en Conseil d’État, après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES).

Enfin, comme cela a été indiqué plus haut, votre rapporteure estime que l’on peut compléter l’article 5 du projet de loi en précisant qu’outre-mer, les informations ainsi délivrées – de même que les logos – pourront servir de matériel pédagogique pour les élèves des établissements scolaires, dans les classes de CE 1 ou de CE 2, dans le cadre de cours obligatoires de sensibilisation sur les questions nutritionnelles.

5. La diffusion accrue des tests d’orientation diagnostique et des autotests pour déceler les maladies infectieuses (article 7)

L’article 7 du projet de loi prévoit d’accroître la diffusion des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) et des autotests, deux formes de dépistage qui ne sont disponibles, jusqu’à présent, qu’à titre expérimental et qui doivent permettre, à terme, de déceler toutes les maladies infectieuses, même si, pour l’instant, elles visent surtout la mise en évidence du VIH (c’est-à-dire du virus de l’immunodéficience humaine).

C’est ainsi que l’article 7 du projet modifie l’article L. 6211-3 du code de la santé publique (pour étendre l’usage des TROD) et ajoute un article L. 3121-2-2 à ce même code (pour permettre la diffusion des autotests).

En ce qui concerne les TROD, ces tests – comme on vient de le dire – sont principalement centrés, à l’heure actuelle, sur le dépistage du VIH. Cependant, on pense qu’ils pourront bientôt s’appliquer aussi aux autres maladies infectieuses – et, en particulier, au dépistage des hépatites B et C, ainsi qu’à celui des IST (infections sexuellement transmissibles). L’article 7 du projet de loi prévoit donc la possibilité d’un recours aux TROD pour l’ensemble des maladies infectieuses transmissibles.

S’agissant du VIH, alors qu’un test sérologique en laboratoire prend plusieurs jours, un test rapide d’orientation diagnostique donne un résultat quasiment aussi fiable en moins d’une demi-heure. Aussi, alors que les TROD n’étaient disponibles, jusqu’alors, que dans certains établissements de santé, l’article prévoit de les confier, à l’avenir, à tous ceux qui sont au plus proche des populations exposées au risque du SIDA. L’article 7 permet donc à tous les professionnels de santé, ainsi qu’aux personnels relevant de structures de prévention ou d’associations ayant reçu une formation adaptée, d’effectuer ces tests.

En ce qui concerne les autotests, ces derniers ne visent, pour l’instant, que la recherche du VIH, mais il n’est pas exclu qu’ils puissent concerner, un jour, d’autres maladies. Toutefois, les perspectives de développement sont moins proches que pour les TROD. L’article 7 du projet de loi a pour but de rendre ces tests largement accessibles au public, alors qu’ils n’étaient diffusés, jusqu’alors, que dans le cadre de campagnes de sensibilisation. Ils seront donc proposés par les hôpitaux, par les centres de soins, par les pharmacies, par les organismes de prévention, par les centres d’accueil pour les usagers de drogue, par les centres d’addictologie, etc. Les autotests sont moins perfectionnés que les TROD et, en cas de résultats positifs, les diagnostics doivent être confirmés par d’autres examens.

Outre-mer, le fait de pouvoir disposer de l’ensemble de ces tests constituera une grande opportunité. On note, en effet, dans les DOM, une forte présence de personnes porteuses du VIH. Ainsi, dans la zone Antilles-Guyane, le taux d’incidence du VIH est de 59 pour 100 000 habitants sur la période 2009-2010 (contre 39 pour 100 000 en Île-de-France et 11 pour 100 000 dans le reste de l’hexagone).

6. L’institution d’un service territorial de santé au public (article 12)

L’article 12 du projet de loi crée une section 4 qui complète le chapitre IV du titre III du livre IV de la première partie du code de la santé publique. Cette section 4 prévoit l’institution d’un service territorial de santé au public.

On peut définir ce service territorial de santé au public comme étant une démarche volontaire d’établissements et de professionnels, coordonnée par l’Agence régionale de santé (ARS), dans le cadre du projet régional de santé, pour améliorer, en liaison avec le service public hospitalier, les points insuffisants, à l’échelon local, du système de santé.

Le service territorial de santé au public est donc indissociable du projet régional de santé.

Ainsi, dans les trois premières sections du chapitre IV du titre III du livre IV de la première partie du code de la santé publique – sections modifiées par l’article 38 du projet de loi –, le texte indique que chaque Agence régionale de santé (ARS) établit désormais un nouveau type de projet régional de santé (PRS). L’architecture de ce projet est plus simple que celle qui avait été retenue lors de sa création – en 2009 – et son champ d’application est plutôt départemental (il concerne environ 600 000 personnes).

Puis, dans la quatrième section du chapitre IV – section créée par l’article 12 –, le projet de loi précise que les actions conduites par le service territorial de santé au public – à un niveau défini par l’ARS mais qui est soit départemental, soit infra-départemental – concourent à la réalisation des objectifs du PRS et notamment à une coordination maximale de ses acteurs.

La notion de service territorial de santé au public trouve son origine dans un rapport de Mme Bernadette Devictor, présidente de la Conférence nationale de santé, qui a été rendu à Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, le 22 avril 2014. Ce rapport est intitulé : « Le service public territorial de santé (SPTS) – Le service public hospitalier (SPH) – Développer l’approche territoriale et populationnelle de l’offre en santé ».

Le rapport préconise :

– de réorganiser tout le système de santé autour du patient en instaurant une médecine de parcours ;

– de restructurer l’hôpital en ce sens et de définir l’établissement hospitalier comme l’un des acteurs du « service public territorial de santé » ;

– de renoncer à « un modèle unique » et de faire en sorte que chaque territoire soit organisé de façon cohérente, avec de grands établissements – permettant de mener de front recherche et formation – et de plus petits – dédiés aux soins de proximité.

Par suite, selon le rapport, le service public territorial de santé doit répondre à cinq grandes caractéristiques :

– il doit s’adapter au mieux aux besoins d’un territoire ; il s’agit donc de concevoir un service de santé engagé, selon les spécificités régionales, soit sur un grand nombre de thématiques (la prévention, les services d’urgence, les soins à apporter aux personnes âgées…), soit sur un nombre de priorités plus réduit ;

– il doit s’identifier à un véritable service public et respecter tous ses critères juridiques (égalité d’accès, continuité, neutralité, non-discrimination, adaptabilité) – même si les acteurs qui y participent sont fréquemment des acteurs privés ;

– il doit reposer sur des exigences de qualité et de pertinence ;

– il doit se développer selon une approche « populationnelle », c’est-à-dire être centré, avant tout, sur les réponses à apporter aux besoins de santé des habitants du territoire ;

– enfin, il doit reposer sur un « contrat territorial de santé », c’est-à-dire sur un schéma directeur cosigné par les financeurs et par tous les acteurs concernés.

La notion de service territorial de santé au public est donc issue, pour une très large part, des travaux de Mme Bernadette Devictor – et le projet de loi le reconnaît lui-même puisque cette influence est indiquée dans l’exposé des motifs (présentation de l’article 12, page 17 du document n° 2302).

Toutefois, la notion de service territorial de santé, telle qu’elle figure dans le projet de loi, ne va pas aussi loin que le service public territorial de santé préconisé par Mme Devictor dans son rapport. En effet, dans le texte présenté par le Gouvernement, le service territorial de santé n’est pas un service public stricto sensu. Cela veut dire que la part d’initiative des acteurs privés – en dehors des hôpitaux publics ou des hôpitaux privés associés au service public hospitalier, ces deux types d’établissement figurant nécessairement dans le service territorial de santé – reste absolument entière.

C’est ainsi que les objectifs posés par l’article 12 pour le service territorial de santé au public ressemblent assez sensiblement aux objectifs énoncés par le rapport de Mme Devictor. Il s’agit :

– de prendre davantage en compte les besoins des usagers ;

– de favoriser une prise en charge coordonnée et pluri-professionnelle des malades, ainsi que des personnes en situation de handicap ou de perte d’autonomie ;

– et enfin, de créer de véritables parcours de santé pour certains malades, pour le cas notamment où ces derniers devraient alterner traitements en ville et traitements à l’hôpital.

En revanche, la méthode définie par l’article 12 pour atteindre ces objectifs – sauf pour le service public hospitalier qui doit impérativement faire partie du projet – repose sur une planification non contraignante.

À cet égard, il est possible de distinguer six étapes :

– tout d’abord, le service territorial de santé au public (STPS) est mis en place par chaque ARS ; il comprend, en principe, les médecins généralistes et spécialistes de ville, les professionnels libéraux paramédicaux, les établissements de santé, les établissements médico-sociaux et les organismes sociaux intéressés par les problématiques de santé ;

– ensuite, le territoire couvert par le STPS est défini librement par l’ARS ; en principe, au niveau de l’hexagone, le STPS est départemental ou infra- départemental ; toutefois, outre-mer, le périmètre du STPS peut être beaucoup plus vaste ;

– puis, l’ARS procède à un diagnostic territorial partagé avec les acteurs de santé ;

– elle arrête les actions prioritaires qui sont synthétisées dans un projet territorial ;

– le projet territorial est coordonné avec le projet régional de santé ;

– enfin, le projet territorial est mis en œuvre en recourant à des contrats territoriaux conclus entre l’ARS et les différents acteurs de santé du territoire ; ces contrats territoriaux donnent lieu à un financement de la part de l’ARS.

Avec cet article, c’est donc bien à un vaste effort d’organisation en faveur du malade auquel il nous est donné d’assister. Et cet effort est tout à fait le bienvenu outre-mer. En effet, une meilleure organisation devrait constituer un contrepoids – au moins partiel – à la moindre densité médicale et paramédicale que l’on constate actuellement.

Toutefois, on doit conclure aussi cette analyse de l’article 12 du projet de loi en rappelant que le syndicat MG France – principal syndicat des médecins généralistes – ainsi que la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) se sont montrés hostiles au dispositif que l’on vient de détailler.

Ces syndicats estiment que les dispositions de l’article 12 sont trop centrées autour du rôle de l’hôpital public et qu’elles tendent à trop encadrer les activités des médecins libéraux. Ces critiques ont d’ailleurs été reprises par la CSMF devant la Délégation aux outre-mer, au cours de l’audition du 17 décembre 2014.

Compte tenu de ces critiques, le ministère des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes s’est montré prêt à apporter des modifications dans la rédaction de l’article. En pratique, ces modifications devraient intervenir sous la forme d’amendements déposés par le Gouvernement en séance publique.

7. La généralisation du tiers-payant pour les consultations médicales en ville (article 18)

L’article 18 du projet de loi modifie l’article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale en généralisant le tiers-payant – c’est-à-dire la dispense de l’avance des frais – pour les consultations médicales en ville.

Cette mesure concerne tous les assurés sociaux, pourvu que ces derniers disposent de droits ouverts dans un régime de sécurité sociale, qu’ils disposent également d’une mutuelle et que, bien entendu, les médecins consultés ne pratiquent pas de dépassements d’honoraires, au-delà des tarifs conventionnels.

Par ailleurs, si la disposition ne concerne pas, à proprement parler, les titulaires de la CMU et de la CMU-c qui ont déjà accès au tiers-payant, elle concerne les titulaires d’un régime de base assorti d’un régime complémentaire relevant de l’ACS, les bénéficiaires de l’ACS étant éligibles au tiers-payant à partir de 2015.

Le dispositif a été vivement critiqué par les syndicats de médecins. En effet, ces derniers accusent l’article 18 de générer des frais supplémentaires d’équipement informatique pour les cabinets médicaux. Par ailleurs, les syndicats font valoir que les médecins vont être privés de liquidités et qu’ils vont devoir attendre – parfois pendant un laps de temps assez long – les remboursements issus des différents régimes de sécurité sociale et des mutuelles.

Toutefois, outre-mer, il convient d’observer que la disposition est tout à fait importante, dans la mesure où il est possible de recenser un grand nombre de personnes défavorisées qui hésitent à consulter un médecin à cause du problème de l’avance des frais.

D’ailleurs, le système du tiers-payant généralisé existe déjà à La Réunion et il ne pose pas de problèmes particuliers.

Néanmoins, il convient d’évoquer ici, à nouveau, le cas de Mayotte. Si la CMU et la CMU-c donnent déjà lieu au tiers-payant dans les DOM, on doit relever qu’à l’inverse, Mayotte ne dispose pas du système de la CMU-c. Il conviendrait donc de l’instituer sans retard, car il s’agit là d’un pendant indispensable à la généralisation du tiers-payant dans ce département.

8. La refondation d’un service public hospitalier ancré dans les territoires (article 26)

L’article 26 du projet de loi modifie le chapitre II du titre Ier du livre Ier de la sixième partie du code de la santé publique pour refonder un service public hospitalier qui soit susceptible de répondre aux attentes de la population en matière de prévention et d’accès aux soins.

Il convient de noter en effet que la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (dite loi HPST) a fait disparaître la notion de service public hospitalier et l’a remplacée par la notion plus générale de « personnes remplissant des missions de service public », que ces personnes soient physiques ou morales.

Le but recherché par cette réforme était, en cas de carence de l’offre de soins, de pouvoir confier des missions de service public à d’autres intervenants que les hôpitaux publics ou les hôpitaux privés participant au service public. C’est ainsi que – sous réserve de la passation de contrats – ces missions de service public pouvaient être accomplies par tout établissement de santé (quel que soit leur statut), ainsi que par un certain nombre de personnes physiques ou morales énumérées par la loi.

Le système n’a pas cependant donné satisfaction. En particulier, les établissements privés lucratifs ont signé très peu de contrats et sur un nombre limité de missions.

L’article 26 du projet de loi revient donc sur l’article 1er de la loi HPST en réintroduisant la notion de service public hospitalier dans le droit positif.

Par ailleurs, cet article définit les principes inhérents au service public hospitalier : tel est l’objet de la nouvelle rédaction de l’article L. 6112-1 du code de la santé publique. Il indique également quels sont les établissements de santé qui peuvent y participer (article L. 6112-3 du code) et quelles sont les obligations qu’ils doivent respecter (article L. 6112-2).

Ainsi, en ce qui concerne les principes qui caractérisent le service public hospitalier, l’article L. 6112-1 du code de la santé publique distingue quatre impératifs : l’égalité d’accès et de prise en charge, l’obligation de continuité, l’obligation d’adaptation et la neutralité.

En outre, s’agissant des personnes morales admises à participer au service public hospitalier, l’article L. 6112-3 du code de la santé publique indique que ces organismes peuvent être :

– les établissements publics de santé,

– les hôpitaux des armées,

– et les établissements de santé privés, habilités, sur leur demande, par les directeurs des ARS.

Par ailleurs, aux termes de l’article L. 6112-2 du code de la santé publique, les obligations de ces établissements de santé sont les suivantes :

– un accueil adapté – notamment lorsque le malade est en situation de handicap ou de précarité sociale – et un délai de prise en charge en rapport avec son état de santé ;

– la permanence de l’accueil et de la prise en charge ou, à défaut, la prise en charge par un autre établissement de santé ou une autre structure en mesure de dispenser les soins nécessaires ;

– l’égal accès à des activités de prévention et à des soins de qualité ;

– l’absence de facturation de dépassements dans les tarifs ou dans les honoraires médicaux, tels qu’ils sont arrêtés par les pouvoirs publics et par les caisses de sécurité sociale.

Enfin, les établissements de santé doivent également accomplir un certain nombre d’actions :

– ils garantissent la participation des représentants des usagers du système de santé à leur gouvernance ;

– ils transmettent annuellement à l’ARS compétente les données de leur compte d’exploitation ;

– ils participent à la mise en œuvre du service territorial de santé ;

– ils peuvent être désignés par le directeur de l’ARS, en cas de carence de l’offre de services de santé, ou dans le cadre du projet régional de santé, pour développer des actions permettant de répondre aux besoins de la population ;

– ils développent, à la demande de l’ARS, des actions de coopération entre établissements de santé, établissements médico-sociaux et établissements sociaux, ainsi qu’avec les professionnels de santé libéraux ;

– ils informent l’ARS de tout projet de cessation ou de modification de leurs activités de soins susceptible de restreindre l’offre de soins et ils recherchent avec l’agence les évolutions et les coopérations possibles avec d’autres acteurs de santé pour répondre aux besoins de santé couverts par ces activités.

Ce sont tout particulièrement ces six dernières obligations qui font que les hôpitaux peuvent être considérés, désormais, comme des pivots pour l’offre de soins dans un territoire donné. De ce fait, comme l’indique le chapitre VI du projet de loi, les hôpitaux deviennent bien des organismes qui s’inscrivent au plus profond des régions ou des départements – des organismes « ancrés dans les territoires ».

9. Le développement de la recherche et de l’innovation dans le domaine des médicaments au sein des établissements de santé (article 37)

L’article 37 du projet de loi a pour objet de soutenir la recherche et l’innovation dans le domaine des médicaments – aussi bien les médicaments classiques que les médicaments de thérapie innovante basés sur la biologie cellulaire – lorsque les études sont réalisées au sein des établissements hospitaliers, quel que soit le statut de ces derniers.

L’article 37 comporte ainsi deux volets : un volet consacré à la recherche clinique à partir de produits fournis par des promoteurs (il s’agit des essais de médicaments à partir de produits principalement fournis par l’industrie pharmaceutique) ; et un volet consacré à la recherche clinique sur les médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement – les MTI PP – qui sont des médicaments utilisés dans le cadre des thérapies cellulaires.

S’agissant du premier volet, l’article 37 – afin de faciliter les relations entre les hôpitaux et les laboratoires industriels – institue le contrat unique de recherche.

Ce contrat unique est défini par un arrêté du ministre chargé de la santé. Il comprend notamment des dispositions concernant la fourniture des médicaments expérimentaux par le promoteur ; des dispositions concernant les dispositifs médicaux requis pour les administrer ; et également des clauses-types pour la prise en charge des frais éventuels supportés par l’établissement dans le cadre de l’expérimentation.

Le dispositif prévu par la première partie de l’article 37 simplifie donc l’organisation des phases de tests cliniques avant la mise sur le marché des médicaments. Il accélère également les délais nécessaires pour mettre en place des expérimentations.

Le second volet de l’article 37 concerne les médicaments de thérapie innovante. L’article prévoit de faciliter l’obtention de l’autorisation de fabriquer des MTI PP lorsqu’il s’agit d’établissements hospitaliers ou d’organismes qui disposent déjà d’une autorisation pour la conservation, la distribution ou la cession de ces médicaments – autorisation accordée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Ces établissements sont principalement les unités de thérapie cellulaire des hôpitaux et les banques de tissus. Indépendamment de la production des MTI PP, les établissements concernés pourront aussi importer et exporter ces médicaments, dans le cadre d’une recherche médicale.

Ces dispositions doivent permettre d’accroître la recherche, ainsi que la coopération internationale, dans le domaine de la biologie.

10. La rénovation des PRS dans le cadre de l’animation territoriale conduite par les ARS (article 38)

L’article 38 du projet de loi, en modifiant les trois premières sections du chapitre IV du titre III du livre IV de la première partie du code de la santé publique, prévoit une rénovation du régime du projet régional de santé (PRS), projet mis en place par chaque agence régionale de santé (ARS) dans le cadre de la stratégie nationale de santé prévue par l’article 1er du texte.

Les projets régionaux de santé ont été créés en 2009 par la loi HPST. Ils s’analysent comme étant des programmations de 5 ans, établies par les ARS dans le domaine de la santé et s’appliquant au niveau régional.

Toutefois, le problème posé actuellement par les PRS est qu’il s’agit de documents très sophistiqués – comportant parfois plus de 5000 pages – et souvent trop complexes pour être réellement applicables sur 5 ans. Le projet de loi simplifie donc leur régime juridique.

Désormais, le territoire pris en compte par le PRS est moins ample que la région. Il est délimité ad libitum par l’ARS, mais il n’excède pas l’échelle du département.

Par ailleurs, le PRS est scindé en deux documents : un cadre d’orientation stratégique, d’une durée de 10 ans, qui doit être un document bref, retraçant principalement les objectifs poursuivis et les résultats attendus ; et un schéma régional de santé, d’une durée de 5 ans, qui peut être plus détaillé et qui constitue la déclinaison opérationnelle du premier document.

À noter que le schéma régional de santé fusionne trois types de planification : le schéma régional d’organisation des soins (SROS), le schéma régional d’organisation médico-sociale (SROMS) et le schéma régional de prévention. L’idée poursuivie par cette fusion est de permettre aux décideurs de se situer désormais dans une logique plus transversale. Cette logique doit faciliter les synergies et éviter les doublons.

Enfin, on doit relever qu’il peut exister, dans certains cas, des programmations ayant des incidences sur le PRS mais fonctionnant à un niveau plus élevé que le département. Ainsi, l’article L. 1434-6 du code de la santé publique (visé dans la section 1 de l’article 38) prévoit un schéma interrégional de santé pour certains actes spécialisés (comme les transplantations d’organes). Et l’article L. 1434-8 du code de la santé publique (visé dans la section 3 du même article 38) prévoit une échelle particulière pour les équipements lourds. Cette échelle, dans la plupart des cas, sera une échelle régionale.

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III. COMPTE TENU DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES OUTRE-MER, LE PROJET DE LOI PEUT FAIRE ENCORE L’OBJET D’AMÉLIORATIONS

Comme on vient de le voir, le projet de loi comporte un grand nombre de mesures destinées à rendre le système de santé plus performant.

Néanmoins, comme votre rapporteure l’a exposé plus haut, en dépit des progrès enregistrés ces vingt dernières années, tout particulièrement en termes d’espérance de vie, la situation des DOM et des COM, du point de vue sanitaire, demeure, à de nombreux égards, moins favorable que celle de la métropole.

Cette situation dégradée va de pair avec un contexte économique préoccupant, avec un taux de chômage moyen qui s’élève à plus du double de celui qui est constaté dans l’hexagone, et avec un taux de chômage des jeunes compris entre 20 et 30 %.

Aussi, pour réduire cet écart, votre rapporteure souhaite-t-elle émettre un certain nombre de préconisations dont le but est d’améliorer la portée du texte en faveur des territoires ultramarins.

Ces préconisations portent sur trois domaines : la mise en place d’un système de programmation spécifique pour l’outre-mer ; la création de mesures supplémentaires en matière de prévention ; et enfin, l’institution de dispositifs complémentaires en vue de favoriser l’offre de soins.

A. LA MISE EN PLACE D’UN SYSTÈME DE PROGRAMMATION SPÉCIFIQUE POUR L’OUTRE-MER

L’institution d’une programmation de santé spécifique pour l’outre-mer passe par la définition de programmes de santé qui soient propres aux collectivités ultramarines – dans le cadre de la stratégie nationale de santé définie à l’article 1er du projet de loi – et par la mise en œuvre d’un plan de rattrapage, par exemple par le biais de l’une des ordonnances qui sont prévues à l’article 56 du texte.

1. La définition de programmes de santé spécialement dédiés aux collectivités ultramarines (article 1er)

Comme votre rapporteure l’a indiqué plus haut, et en accord avec les prescriptions de la Cour des comptes dans son rapport thématique de juin 2014, il paraîtrait tout à fait opportun :

– de décliner dans des programmes de santé qui soient propres aux Outre-mer la stratégie nationale de santé prévue par l’article 1er du projet de loi ;

– de proposer ces différents programmes, dans le respect de leurs compétences, aux pouvoirs exécutifs de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, afin qu’ils puissent s’y associer s’ils le souhaitent ;

– de coordonner ces programmes avec des volets « outre-mer » intégrés dans les contrats d’objectifs et de performances des agences sanitaires nationales ;

– et enfin, de créer un réseau de chargés de mission « outre-mer » dans les administrations centrales et dans les agences sanitaires, lorsque ces services ou ces organismes sont concernés par les questions de santé ultramarines.

Proposition 1. Décliner la stratégie nationale de santé prévue à l’article 1er du projet de loi en une programmation spécifique pour les Outre-mer ; coordonner cette programmation avec les contrats d’objectifs et de performances des agences sanitaires nationales ; prévoir, pour la mise en œuvre de cette planification, un réseau de chargés de mission référents dans les différentes administrations centrales et les différentes agences sanitaires concernées.

2. La mise en place d’un programme de rattrapage (article 56)

Indépendamment de cette programmation à venir, il serait également utile de prévoir un plan de rattrapage à l’intention des collectivités ultramarines, afin de combler immédiatement les déficits les plus graves en matière de santé. Ce plan pourrait être établi en recourant à une ordonnance prise sur le fondement de l’article 56 du projet de loi.

Proposition 2. Prévoir immédiatement un plan de rattrapage en faveur des Outre-mer, en recourant à une ordonnance arrêtée au titre de l’article 56 du projet de loi.

B. LES MESURES SUPPLÉMENTAIRES EN MATIÈRE DE PRÉVENTION

Quatre mesures supplémentaires pourraient être inscrites dans le projet de loi pour compléter les dispositifs prévus en matière de prévention : la diminution du format des panneaux publicitaires lorsque ceux-ci concernent des boissons alcoolisées ; la sensibilisation des jeunes enfants, dans les classes de CE 1 ou de CE 2, aux questions nutritionnelles ; la possibilité de procéder à des expérimentations spécifiques en matière de dépistage ou de recherche clinique pour des pathologies données ; et enfin, la mise en œuvre obligatoire par les ARS ultramarines de programmes particuliers de prévention ou de promotion de la santé, ces programmes faisant l’objet d’évaluations régulières, y compris en ce qui concerne leur volet financier.

Au sein du projet de loi, la première mesure pourrait faire l’objet d’un article additionnel après l’article 4 ; la seconde mesure pourrait prendre la forme d’un complément à l’article 5 ; la troisième disposition pourrait correspondre à un article additionnel après l’article 7 et la quatrième à un article additionnel après l’article 38.

1. La diminution du format des panneaux publicitaires lorsque ceux-ci concernent des boissons alcoolisées (article additionnel après l’article 4)

Actuellement, on constate dans les agglomérations la présence de très nombreux panneaux publicitaires qui vantent les mérites de l’alcool.

Les articles R. 581-26, R. 581-32 et R. 581-34 du code de l’environnement imposent des formats pour les panneaux publicitaires en fonction du nombre d'habitants des agglomérations et des caractéristiques des dispositifs. C’est ainsi que les surfaces et les hauteurs sont limitées à :

– 12 m² maximum et 7,5 m au-dessus du sol dans les agglomérations de plus de 10 000 habitants – ou de moins de 10 000 habitants faisant partie d'une unité urbaine de plus de 100 000 habitants – et à l'intérieur des aéroports et des gares, pour la publicité non lumineuse sur un mur ou sur une clôture ;

– 12 m² maximum et 6 m au-dessus du sol dans les agglomérations de plus de 10 000 habitants – ou de moins de 10 000 habitants faisant partie d'une unité urbaine de plus de 100 000 habitants – et à l’intérieur des aéroports et des gares hors agglomération, pour la publicité non lumineuse au sol ;

– 4 m² maximum et 6 m au-dessus du sol dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants (hors unité urbaine de plus de 100 000 habitants), pour la publicité non lumineuse sur un mur ou sur une clôture ;

– 8 m² maximum et 6 m au-dessus du sol dans les agglomérations de plus de 10 000 habitants – ou de moins de 10 000 habitants faisant partie d'une unité urbaine de plus de 100 000 habitants – et à l’intérieur des aéroports et des gares hors agglomération, pour les dispositifs lumineux apposés sur un mur, scellés au sol ou installés directement sur le sol.

Les panneaux publicitaires concernant l’alcool relèvent de la même réglementation que les autres panneaux (sous réserve de certaines mentions légales s’appliquant au contenu des affiches et qui sont imposées, notamment, par la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, dite « loi Évin »).

Toutefois, pour mieux lutter contre la consommation excessive de boissons alcoolisées, il est proposé de réduire de moitié toutes les surfaces autorisées en matière d’affichage, lorsque la publicité a trait à ces produits.

Par ailleurs, on pourrait prévoir également – par analogie avec la règlementation des débits de boissons – l’interdiction de tout affichage publicitaire en faveur de boissons alcoolisées à moins de quarante mètres d’un établissement scolaire.

Proposition 3. Diminuer de moitié la surface de l’affichage publicitaire lorsque cet affichage concerne des boissons alcoolisées et interdire tout affichage publicitaire concernant ces boissons à moins de quarante mètres d’un établissement scolaire.

2. La sensibilisation des jeunes enfants, dans les classes de CE 1 ou de CE 2, aux questions nutritionnelles (article 5)

L’article 5 du projet de loi prévoit la mise en place d’une information nutritionnelle synthétique sur les emballages des produits alimentaires.

Il pourrait être intéressant, de même, de créer des pictogrammes sur les bouteilles d’alcool et sur celles des boissons sucrées pour informer les acheteurs des risques encourus avec la consommation excessive de telles boissons.

Proposition 4. Les emballages et les bouteilles des boissons alcoolisées et des boissons sucrées pourront, de même que les emballages des produits alimentaires, être pourvus d’un visuel destiné à informer les acheteurs des risques encourus en cas de consommation excessive de telles boissons.

Par ailleurs, l’exposé des motifs du projet de loi concernant l’article 5 (page 11 du document n° 2302) indique que l’information nutritionnelle ainsi instituée « pourra être utilisée pour le développement d’une pédagogie efficace afin de former, dans le cadre scolaire ou périscolaire, les enfants consommateurs ».

Néanmoins, il n’existe pas de dispositions spécifiques dans le corps de cet article.

De même, l’article 2 du projet de loi qui recense les différents types d’actions permettant d’assurer la promotion de la santé en milieu scolaire ne comporte pas de mesures explicites portant sur ce sujet.

La question d’une alimentation saine pour répondre aux enjeux préventifs et thérapeutiques des maladies chroniques se posant aujourd’hui d’une manière particulièrement aiguë, non seulement dans l’hexagone, mais aussi dans les Outre-mer, il est donc proposé de compléter l’article 5 dans le sens indiqué par l’exposé des motifs.

Proposition 5. Une sensibilisation sur les questions nutritionnelles – et notamment sur les liens entretenus entre une alimentation trop riche en sucre et la survenance éventuelle du diabète – sera prévue pour les élèves de l’enseignement primaire, dans les classes de CE 1 et de CE 2.

3. La possibilité de procéder à des expérimentations spécifiques en matière de dépistage ou de recherche clinique pour des pathologies données (article additionnel après l’article 7)

L’article 7 du projet de loi prévoit d’instituer des tests d’orientation diagnostique pour déceler les maladies infectieuses.

On pourrait accroître la portée de cet article en instaurant, dans les DOM et dans les COM, au moyen d’un article additionnel, la possibilité de procéder à des expérimentations spécifiques en matière de dépistage – par exemple pour déceler des arboviroses telles que la dengue et le chikungunya – et en matière de recherche clinique – par exemple pour favoriser, dans les zones touchées par une épidémie, une mise sur le marché plus rapide des vaccins.

Dans ce dernier cas, cette accélération dans la mise sur le marché, même à titre expérimental, permettrait d’éviter les lenteurs que l’on rencontre aujourd’hui dans la commercialisation de certains vaccins, par exemple le vaccin contre la dengue du groupe Sanofi-Pasteur.

Proposition 6. Ouvrir la possibilité de conduire des expérimentations spécifiques en matière de dépistage et de recherche pour certaines maladies infectieuses ou tropicales.

4. La mise en œuvre obligatoire par les ARS ultramarines de programmes particuliers de prévention ou de promotion de la santé (article additionnel après l’article 38)

L’article 38 du projet de loi concerne les Agences régionales de santé (ARS).

Conformément à une recommandation de la Cour des comptes, dans son rapport thématique de juin 2014, il serait intéressant que la pratique financière des ARS, au sein des DOM, soit rééquilibrée, afin que cette dernière soit orientée vers plus de prévention.

Toutefois, l’article L. 1434-7 du code de la santé publique, modifié par l’article 38 du projet de loi, prévoit, dans son premier alinéa, que les moyens des ARS affectés à la promotion de la santé, à l’éducation à la santé ou à la prévention des maladies ne sont pas fongibles avec ceux de l’offre de soins sanitaire ou médicosociale. Il est donc difficile, désormais, d’agir juridiquement sur la répartition des crédits des ARS.

Néanmoins, il pourrait être proposé une mesure prévoyant que, dans les DOM, les ARS établissent obligatoirement des programmes spécifiques de prévention ou de promotion de la santé et que l’évaluation de ces programmes comporte nécessairement une appréciation de leurs volets financiers.

Proposition 7. Prévoir la mise en œuvre obligatoire par les ARS ultramarines de programmes particuliers de prévention ou de promotion de la santé. Ces programmes – et notamment leur volet financier – seront évalués selon une périodicité régulière.

C. LES MESURES COMPLÉMENTAIRES POUR AMÉLIORER L’OFFRE DE SOINS

Six grandes mesures peuvent être préconisées pour améliorer l’offre de soins : le renforcement de la coopération entre professionnels de santé ; l’amélioration du système envisagé par le Gouvernement s’agissant de la généralisation du tiers payant pour les consultations médicales en ville ; l’amélioration de certains aspects du fonctionnement des hôpitaux publics ; la mise en œuvre, dans les territoires ultramarins, de pôles d’excellence dans le domaine de la recherche et de la médecine tropicale ; le développement, au niveau régional, de la coopération internationale dans le domaine de la santé ; et enfin, la création, pour les étudiants en médecine, d’un contrat optionnel, financé par les collectivités locales et leur permettant, s’ils le souhaitent, d’effectuer leur stage de troisième cycle dans un département d’outre-mer.

Ces mesures peuvent donner lieu, respectivement, à la rédaction d’articles additionnels après les articles 12, 18, 26, 37 et 56 du projet de loi.

1. Le renforcement de la coopération entre professionnels de santé (article additionnel après l’article 12)

L’article 12 du projet de loi organise un service territorial de santé au public qui place le malade au centre de toutes les préoccupations et qui assure à ce dernier – notamment en cas de maladie grave supposant un certain nombre d’allers et retours entre les hôpitaux et les cabinets des praticiens libéraux – une prise en charge coordonnée par des équipes pluridisciplinaires.

Pour faciliter ce parcours de soins, il serait souhaitable, outre-mer, que les professionnels de santé libéraux concluent des protocoles de coopération. Or, actuellement, on recense très peu de protocoles actifs dans les collectivités ultramarines.

Proposition 8. Développer outre-mer, dans des délais rapides, des protocoles de coopération entre professionnels de santé, que ces protocoles soient complètement nouveaux ou qu’il s’agisse de l’extension de protocoles déjà existants dans l’hexagone, comme ceux qui concernent les infirmiers, les sages-femmes ou les orthoptistes.

2. L’amélioration du système envisagé par le Gouvernement s’agissant de la généralisation du tiers payant pour les consultations médicales en ville (articles additionnels après l’article 18)

L’article 18 du projet de loi prévoit la généralisation du tiers payant pour les consultations médicales en ville.

En principe, pour les remboursements, les médecins, dans les territoires ultramarins, n’ont affaire qu’à une seule caisse de sécurité sociale – ainsi, la CGSS dans les quatre DOM les plus anciens. Par contre, ils peuvent avoir affaire à de nombreuses mutuelles.

De la sorte, pour éviter que les médecins attendent trop longtemps le remboursement de la part mutuelle, il serait intéressant qu’ils ne dépendent, outre-mer, que d’un seul organisme qui coordonne tous les paiements.

Proposition 9. Prévoir un organisme unique, outre-mer, qui coordonne tous les paiements des mutuelles pour le remboursement aux médecins de leurs honoraires de consultation.

Par ailleurs, dans le cadre de la départementalisation de Mayotte, il serait indispensable de compléter l’institution du tiers payant pour les consultations médicales par la mise en place de la CMU-c.

Proposition 10. Instaurer la CMU-c à Mayotte.

3. L’amélioration de certains aspects du fonctionnement des hôpitaux publics (articles additionnels après l’article 26)

L’un des reproches les plus fréquemment adressés aux hôpitaux publics dans les départements d’outre-mer – et tout particulièrement aux CHU – est que ces derniers ne disposent pas d’équipes médicales suffisamment importantes pour assurer toutes les activités de formation – et même de consultation (pour les patients qui viennent consulter en ambulatoire) – auxquelles ils devraient faire face normalement.

Pour améliorer les possibilités de formation, ainsi que de consultation ou d’offre de soins, il est donc proposé de créer des postes supplémentaires de chefs de clinique dans les CHU d’outre-mer – le cas échéant obtenus par redéploiement à partir d’autres CHU. Les postes seraient pourvus par détachement soit d’internes, soit de chefs de clinique exerçant en métropole. Les internes – une fois écoulée une période de trois ans par exemple – pourraient conserver le titre de chef de clinique, même s’ils retournent dans l’hexagone.

Proposition 11. Prévoir la création de postes supplémentaires de chefs de clinique dans les CHU des départements d’outre-mer, ces postes étant pourvus par détachement.

Une autre critique souvent formulée à l’égard des hôpitaux publics outre-mer est que ces derniers ne contrôlent pas toujours assez bien la quantité de leurs effectifs, et spécialement le nombre des personnels qui ne participent pas directement aux activités de soins.

Il est vrai aussi que les contraintes pesant sur les emplois dans les budgets des centres hospitaliers sont relativement faibles, car ces organismes – contrairement aux autres établissements publics – n’ont l’obligation de réaliser des tableaux d’emplois que s’ils sont déficitaires (et seulement à compter du 1er janvier 2015). Il serait donc souhaitable que les hôpitaux établissent désormais de tels documents de manière systématique.

Cette préconisation a d’ailleurs été évoquée par M. Antoine Durrleman, président de la sixième Chambre de la Cour des comptes, au cours de son audition devant la Délégation aux outre-mer, le 27 novembre 2014.

Proposition 12. Instaurer l’obligation, pour les centres hospitaliers, de fournir des tableaux d’emplois en annexe de leurs budgets annuels.

4. Favoriser la création de pôles d’excellence en matière de recherche et de médecine tropicale dans les territoires ultramarins (article additionnel après l’article 37)

Il pourrait être intéressant que le Gouvernement favorise l’émergence de pôles d’excellence en matière de recherche et de médecine tropicale dans une ou deux zones géographiques concernant tout particulièrement les Outre-mer, par exemple l’océan Indien ou les Caraïbes.

En effet, une fois mis en place, ces pôles pourraient contribuer puissamment – par le biais de la découverte de thérapies innovantes – au développement de l’offre des soins.

Proposition 13. Le Gouvernement fournira au Parlement, dans les dix-huit mois qui suivent l’adoption du projet de loi relatif à la santé, un rapport indiquant comment, en prenant appui sur les structures existantes, il serait possible, outre-mer, de développer un ou plusieurs pôles d’excellence dans le domaine de la recherche et de la médecine tropicale.

5. Encourager la coopération régionale internationale dans le domaine de la santé (article additionnel après l’article 37)

Pour accroître l’offre de soins, il serait bon également d’encourager la coopération régionale internationale dans le domaine de la santé.

Dans les DROM, actuellement, de tels accords de coopération peuvent être conclus aussi bien par le Gouvernement que par les présidents des conseils régionaux ou des conseils généraux. Après les élections de décembre 2015, le pouvoir de négocier et de conclure ces accords appartiendra conjointement au Gouvernement, aux présidents de région, aux présidents de conseils généraux et – pour la Martinique et la Guyane qui ont opté pour le statut de collectivité unique – aux présidents des nouvelles assemblées délibérantes qui devront remplacer aussi bien les conseils généraux que les conseils régionaux.

Dans l’avenir, il serait souhaitable que le nombre de ces accords augmente sensiblement. De plus, il serait utile que le Gouvernement fasse le point régulièrement – avec les instances de concertation prévues par ces accords ou avec les collectivités territoriales concernées – sur l’application de ces conventions, ainsi que sur leur accompagnement financier.

Proposition 14. Faire en sorte que le nombre des accords internationaux de coopération régionale de santé soit augmenté de manière significative. Le Gouvernement fera le point sur leur application, à intervalle régulier, en concertation avec les instances de pilotage prévues par ces accords ou avec les représentants des collectivités territoriales concernées.

6. Créer, pour les étudiants en médecine, un contrat optionnel leur permettant d’effectuer leur stage de troisième cycle dans un DOM (article additionnel après l’article 56)

Enfin, pour inciter les étudiants en médecine à effectuer un séjour outre-mer – afin qu’ils soient portés à y revenir ultérieurement, une fois médecins – il pourrait être intéressant de créer un contrat optionnel tripartite (étudiant/collectivités locales/cabinet médical ou hôpital), financé par les collectivités locales et prenant en charge tout ou partie des frais de l’étudiant, si ce dernier est disposé à effectuer son stage de troisième cycle dans un DOM.

Cette proposition répond à un souhait de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), souhait exprimé au cours de son audition du 17 décembre 2014 devant la Délégation aux outre-mer.

Proposition 15. Créer un contrat optionnel pour les étudiants en médecine permettant de favoriser, avec l’aide des collectivités locales, l’organisation des stages de troisième cycle dans les départements d’outre-mer.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux outre-mer a examiné le présent rapport d’information au cours de sa réunion du mercredi 11 février 2015.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour entendre Mme Monique Orphé, notre rapporteure d’information sur le projet de loi relatif à la santé.

Je rappelle que ce projet de loi a été déposé par Mme Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, à l’Assemblée nationale, le 15 octobre 2014. Notre collègue, Mme Monique Orphé, a été désignée rapporteure sur ce texte par la Délégation, le 4 novembre 2014. Mme Orphé a procédé à un cycle d’auditions en novembre et en décembre. Puis, la Délégation a entendu hier les deux ministres les plus concernés par les questions de santé outre-mer, c’est-à-dire la ministre des Affaires sociales elle-même, Mme Touraine, et Mme Pau Langevin. Enfin, nous examinons aujourd’hui le rapport d’information préparé par Mme Orphé.

Le projet de loi devrait être discuté en commission des Affaires sociales le 3 mars prochain et en première lecture, en séance publique, au cours du mois d’avril 2015.

Comme nous l’avons indiqué hier à la ministre, Mme Touraine, il nous a paru dommage que le projet de loi ne comporte pas de volet outre-mer.

Nous avons bien compris que bon nombre de mesures contenues dans le projet de loi « santé » avaient vocation à s’appliquer directement dans les Outre-mer, du moins dans les DOM, sans qu’il soit nécessaire de prévoir des aménagements distincts.

Néanmoins, nous pensons que tous les problèmes sanitaires qui sont présents au sein des Outre-mer ne sont pas totalement traités dans le projet de loi et, à défaut de « volet outre-mer », nous voudrions réinsérer dans le texte des mesures de nature à apporter quelques remèdes aux dysfonctionnements les plus sensibles.

Je passe maintenant la parole à Mme Orphé pour qu’elle puisse nous faire part de ses analyses et de ses propositions d’amendement.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Monsieur le président, mes chers collègues, vous avez pu prendre connaissance de mon rapport la semaine dernière, ce dernier vous ayant été adressé par courrier électronique.

Le rapport comporte trois parties. La première est une analyse des différents problèmes posés par la santé publique dans les Outre-mer. La seconde est une analyse des dispositions du projet de loi qui concernent le plus les territoires ultramarins. Comme le président vous l’a indiqué, le texte – sauf l’article 56 qui renvoie à des ordonnances pour la mise en œuvre de certaines mesures dans les DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon – ne comporte pas de volet outre-mer ; cependant un certain nombre de dispositifs, sans viser directement les collectivités ultramarines, trouvent à s’y appliquer. Enfin, la troisième partie concerne les modifications qui pourraient être apportées au projet de loi.

J’aborde la première partie du rapport.

En fait, cette première partie a pour ambition de montrer qu’il existe bon nombre de secteurs, dans le domaine de la santé, où les Outre-mer sont en retard et où, par conséquent, la différence entre la situation sanitaire des collectivités ultramarines et celle de la métropole est très significative, au détriment des DOM et des COM.

Je distinguerai sept points.

Il y a tout d’abord la question de la mortalité maternelle, néonatale, périnatale et infantile. Les taux sont deux fois plus élevés dans les DOM qu’en métropole, alors que les moyens médicaux déployés sont sensiblement les mêmes.

En particulier, les taux de mortalité infantile sont préoccupants. En 2012, pour quelques 50 000 naissances annuelles dans les DOM et en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, alors que le nombre d’enfants nés vivants et décédés dans l’année en métropole est de 3, il est de 4 en Nouvelle-Calédonie, de 5 à Wallis-et-Futuna, de 7 en Polynésie française, de 8 en Martinique et à La Réunion, et de 9 en Guadeloupe et en Guyane.

Il y a ensuite la question de la surexposition des jeunes filles ultramarines aux risques de grossesse précoce.

Selon une enquête conduite en 2011-2012 par l’INPES (l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé) en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane et qui vient de paraître à la Documentation française, sur un échantillon représentatif d’environ 700 femmes de 18 à 54 ans dans chacun de ces DOM, ce sont 21 femmes de 18 à 24 ans en Guadeloupe et 29 femmes de la même tranche d’âge en Martinique et en Guyane qui ont eu à affronter une grossesse imprévue sur les cinq dernières années.

Le risque de grossesse précoce est donc important outre-mer.

Par ailleurs, toujours selon la même enquête, lorsque l’on demande aux femmes quelle a été l’issue de cette grossesse non prévue, 42 % des femmes (de 18 à 24 ans) répondent qu’elle s’est terminée par une interruption volontaire de grossesse.

C’est ainsi que, dans les DOM, le taux d’IVG est très nettement supérieur à celui de la métropole.

En 2012, le taux d’IVG dans l’hexagone est de 14,5 pour 1000 femmes (entre 15 et 49 ans), mais il passe à 25,3 pour 1000 femmes dans les Outre-mer.

Par ailleurs, le taux d’IVG des jeunes filles de 15 à 19 ans dans les DOM représente plus du double de celui qui prévaut pour les jeunes filles dans l’hexagone. Ainsi, toujours en 2012, en métropole, le taux d’IVG pour les jeunes filles de 15-19 ans est de 14 pour 1000, mais, dans les Outre-mer, ce taux passe à 33 pour 1000.

Cette situation est évidemment préoccupante.

Le troisième point que l’on peut mettre en exergue est le manque de trésorerie dont souffrent les centres hospitaliers des DOM.

D’après les informations que j’ai pu recueillir, la majeure partie des centres hospitaliers des DOM (soit 19 sur 29) ne disposent, en fait, que de quelques jours de fonds de roulement. Si leur situation comptable paraît parfois plus favorable, c’est à cause des aides exceptionnelles de trésorerie allouées par l’assurance maladie.

Par ailleurs, à des degrés divers, les capitaux propres cumulés des 10 plus grands centres hospitaliers des DOM sont négatifs en 2012. C’est le cas du CHU de Martinique (- 181 millions d’euros), du CHU de Guadeloupe (- 44 millions d’euros), du Centre hospitalier de Mayotte (- 3 millions d’euros) ou du centre hospitalier de Cayenne (- 1 million  d’euros).

Cette situation provient, en particulier, du poids souvent trop important des personnels – spécialement des personnels non soignants – et également, dans une moindre mesure, des facturations impayées. Elle est, bien évidemment, défavorable aux investissements et à la rénovation des plateaux techniques hospitaliers.

Le quatrième point – qui est lié au précédent – consiste à affirmer que la politique d’investissement dans les centres hospitaliers n’est pas à la hauteur des enjeux. Ainsi, le nombre de lits dans les centres hospitaliers ultramarins reste toujours inférieur, par 100 000 habitants, au niveau atteint en métropole. Il est ainsi de 654 lits par 100 000 habitants dans l’hexagone en 2010, mais de 175 lits à Mayotte, de 355 lits à La Réunion, de 380 lits en Guyane, de 606 lits en Guadeloupe et de 639 lits en Martinique. Un plan de rattrapage s’impose, notamment à Mayotte et en Guyane, deux territoires qui reçoivent beaucoup de ressortissants étrangers.

Le cinquième point à signaler est la plus faible densité médicale constatée dans les DOM par rapport à la métropole.

Cela est valable pour les praticiens hospitaliers (puisqu’il y a moins d’hôpitaux dans les Outre-mer que dans l’hexagone), mais aussi pour les médecins exerçant de manière libérale.

Ainsi, en 2012, alors que les médecins libéraux généralistes s’élèvent, en moyenne, à 106 praticiens pour 100 000 habitants en métropole, ces derniers s’élèvent à 80 médecins pour 100 000 habitants en Guadeloupe, à 81 médecins pour 100 000 habitants en Martinique, à 47 médecins pour 100 000 habitants en Guyane et à 13 médecins pour 100 000 habitants à Mayotte.

Seule La Réunion enregistre un chiffre plus élevé qu’en métropole : 117 médecins généralistes pour 100 000 habitants ; mais ce chiffre est à mettre en balance avec un plus faible taux de médecins spécialistes que dans l’hexagone (94 spécialistes pour 100 000 habitants en métropole et seulement 63 spécialistes pour 100 000 habitants à La Réunion).

La question de l’accès des patients aux soins prodigués par la médecine de ville est ainsi une question qui s’avère tout à fait préoccupante en Guyane et à Mayotte.

Le sixième point est la faiblesse du nombre des centres de long séjour, alors que le vieillissement de la population réunionnaise, martiniquaise et guadeloupéenne est bien plus accéléré qu’en métropole. Ainsi, d’ici 2030, la part des personnes de plus de 60 ans est appelée à doubler en Martinique et en Guadeloupe, et le nombre des Réunionnais de plus de 75 ans devrait tripler. Or, la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion manquent de capacités d’accueil pour les personnes âgées, notamment en aval des services hospitaliers de soins aigus, ce qui crée des perturbations dans le fonctionnement de ces services.

Enfin, le dernier domaine où l’on note des différences notables entre l’hexagone et les Outre-mer est celui des pathologies.

Certaines pathologies sont inconnues en métropole ; d’autres présentent des prévalences différentes.

Parmi les pathologies inconnues en métropole, on peut citer la dengue qui touche les Antilles et la Guyane et le chikungunya qui frappe la Martinique, la Guadeloupe, La Réunion et Mayotte. Par ailleurs, le paludisme reste présent à l’état endémique en Guyane.

Parmi les pathologies présentant une prévalence particulière, on peut recenser l’infection au VIH qui est plus développée qu’en métropole, ainsi que le diabète et l’hypertension artérielle qui sont souvent des conséquences du surpoids ou de l’obésité.

En outre, de nombreux phénomènes addictologiques (drogue, alcool, tabac…) sont plus importants dans les DOM et doivent être considérés comme des priorités de santé publique.

Face à l’ensemble de ces fléaux, le projet de loi relatif à la santé comporte un certain nombre de réponses.

J’aborde ainsi la seconde partie du rapport – partie qui présente les principales mesures contenues dans le projet de loi et susceptibles d’intéresser les Outre-mer, même si, comme je l’ai dit plus haut, la plupart de ces mesures (sauf l’article 56) ne sont pas spécifiquement dédiées aux collectivités ultramarines.

Parmi les mesures les plus importantes pour les Outre-mer, indépendamment de l’article 56, je citerai les articles 3, 4, 5, 7, 12, 18, 26, 37 et 38.

L’article 3 lève les restrictions qui pouvaient encore exister s’agissant de l’accès à la contraception d’urgence (ou « pilule du lendemain ») délivrée au sein de l’infirmerie scolaire pour les élèves du second degré.

L’article 4 renforce les dispositifs permettant de lutter contre l’alcoolisation des jeunes.

L’article 5 améliore l’information nutritionnelle des consommateurs en prévoyant la possibilité de placer des logos « en face-avant » des emballages des produits alimentaires.

L’article 7 conforte la pratique des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD), ainsi que des autotests, pour le dépistage des maladies infectieuses transmissibles ; les TROD seront disponibles chez les médecins libéraux et les autotests en pharmacie – et non plus seulement dans certains lieux, tels que les structures de prévention.

L’article 12 institue un service territorial de santé au public ; il place le patient au centre du dispositif et prévoit l’organisation de « parcours de santé coordonnés », parcours qui joueront un rôle essentiel en cas de maladies supposant à la fois des traitements en hôpital et des soins ambulatoires.

L’article 18 prévoit la généralisation de la procédure du tiers-payant pour les consultations médicales en ville. Ce système fonctionnait déjà à La Réunion.

L’article 26 redéfinit la notion de service public hospitalier, ainsi que les obligations des établissements qui y sont associés.

L’article 37 a pour objet de développer la recherche et l’innovation en matière de médicaments dans le cadre des établissements de santé ; il s’appuie pour cela sur le « contrat unique de recherche » qui est un document unique devant régler l’ensemble des rapports entre le commanditaire et le centre hospitalier.

L’article 38 favorise la territorialisation des Agences régionales de santé, en simplifiant la règlementation concernant les projets régionaux de santé.

Enfin, l’article 56 prévoit le recours à des ordonnances pour la mise en œuvre de certaines modalités d’application de la loi dans les Outre-mer ; pour harmoniser le fonctionnement de la caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSS) et celui de la caisse de prévoyance sociale de Saint-Pierre-et-Miquelon (CPS) avec le fonctionnement des CGSS des DOM ; et aussi pour harmoniser certains points de la réglementation concernant les prestations de sécurité sociale ou les prestations familiales avec la réglementation en usage au sein de la métropole ou au sein des DOM.

J’en viens enfin à la troisième partie du rapport et aux propositions qui pourraient être faites pour apporter des remèdes aux problèmes rencontrés dans les territoires et pour résorber les inégalités.

Le rapport propose 15 mesures que je vais vous présenter succinctement.

La proposition 1 vise à faire en sorte que la stratégie nationale de santé, prévue à l’article 1er du projet de loi, puisse se décliner en une programmation spécifique pour les Outre-mer et à instituer, dans les différentes administrations centrales et dans les agences sanitaires nationales, des chargés de mission « outre-mer » pour exercer le suivi de cette programmation.

Cette programmation doit permettre, dans l’avenir, que la prévention et l’offre de soins outre-mer progressent au même rythme que dans l’hexagone.

La proposition 2 prévoit la mise en place immédiate d’un plan de rattrapage décliné par territoires pour mettre fin aux dysfonctionnements les plus criants.

Ce plan – qui constitue, en quelque sorte, le préambule de la programmation pluriannuelle dont on vient de parler – pourrait être établi en recourant à une ordonnance prise sur le fondement de l’article 56 du projet de loi. Il servirait de cadre permettant d’arrêter les mesures les plus urgentes (par exemple, l’augmentation du nombre de lits dans les hôpitaux des DOM ou la réalisation d’un programme d’investissements en équipements de santé pour Mayotte et pour la Guyane).

La proposition 3 a pour objet de diminuer de moitié la surface de l’affichage publicitaire lorsque cet affichage concerne les boissons alcoolisées.

Dans les DOM, on est bien obligé de constater que les affiches publicitaires consacrées aux boissons alcoolisées – au format standard de 12 m2 de surface, compte tenu de la réglementation – se multiplient en tous lieux. Ce phénomène ne peut que pousser à la consommation.

Il n’est pas question ici de remettre en cause la pérennité de la filière sucre, mais, de même qu’il y a des dispositions obligatoires à respecter pour l’affichage quand la publicité concerne des boissons alcoolisées (« l’abus est dangereux »), de même, il devrait être possible, dans un but de prévention, de diminuer le format des panneaux publicitaires qui, par ailleurs, dénaturent nos sites.

Par ailleurs, la mesure préconisée pourrait s’accompagner d’une interdiction de faire de la publicité en faveur des boissons alcoolisées par voie d’affichage à moins de quarante mètres des établissements scolaires.

La proposition 4 vise à créer des logos pour les boissons alcoolisées et sucrées.

De même que le projet de loi propose de créer des pictogrammes sur les emballages des produits alimentaires pour informer les consommateurs de la qualité nutritionnelle de ces produits, de même on pourrait créer des pictogrammes sur les bouteilles d’alcool et sur celles des boissons sucrées pour informer les acheteurs des risques encourus avec la consommation excessive de telles boissons.

La proposition 5 tend à sensibiliser sur les questions nutritionnelles – et notamment sur les liens entretenus entre une alimentation trop riche en sucre et la survenance éventuelle du diabète – les élèves de l’enseignement primaire dans les classes de CE 1 et de CE 2.

Cette possibilité est évoquée dans l’exposé des motifs du projet de loi, à propos de l’article 5 du texte. Néanmoins, dans l’article 5, il n’existe pas de disposition spécifique sur ce sujet. La question d’une alimentation saine pour répondre aux enjeux préventifs et thérapeutiques des maladies chroniques se posant aujourd’hui d’une manière particulièrement aiguë, non seulement dans l’hexagone, mais aussi au sein des Outre-mer, il est donc proposé de compléter l’article 5 du projet dans le sens indiqué par l’exposé des motifs.

La proposition 6 ouvre la possibilité de procéder à des expérimentations spécifiques en matière de dépistage et de recherche clinique pour certaines maladies infectieuses ou tropicales.

Cette proposition a pour objet de permettre au ministère chargé de la santé et aux ARS – notamment en cas de crise sanitaire grave – de mettre en œuvre des expérimentations spécifiques en matière de programmes de dépistage (maladies infectieuses transmissibles, maladies tropicales…), en matière d’organisation de soins (délégations de compétence, protocoles de coopération professionnelle…) et en matière de recherche (recherche clinique pouvant contribuer à une mise sur le marché plus rapide de certains types de vaccins dans les zones touchées par une épidémie, mise au point de médicaments innovants…).

La proposition 7 prévoit la mise en œuvre obligatoire par les ARS ultramarines de programmes particuliers de prévention ou de promotion de la santé.

Conformément à une recommandation de la Cour des comptes, dans son rapport thématique de juin 2014, il serait intéressant que la pratique financière des ARS, au sein des DOM, soit rééquilibrée, afin que cette dernière soit orientée vers plus de prévention.

Ainsi, il pourrait être instauré une mesure prévoyant que, dans les DOM, les ARS établissent obligatoirement des programmes spécifiques de prévention ou de promotion de la santé et que l’évaluation de ces programmes comporte nécessairement une appréciation de leurs volets financiers.

La proposition 8 vise à développer, outre-mer, des protocoles de coopération entre professionnels de santé.

Comme je l’ai indiqué précédemment, l’article 12 du projet de loi organise un service territorial de santé au public qui place le malade au centre de toutes les préoccupations et qui assure à ce dernier – notamment en cas de maladie grave supposant un certain nombre d’allers et retours entre les hôpitaux et les cabinets des praticiens libéraux – une prise en charge coordonnée par des équipes pluridisciplinaires.

Pour faciliter ce parcours de soins, il serait souhaitable, outre-mer, que les professionnels de santé libéraux concluent des protocoles de coopération.

Néanmoins, actuellement, on recense très peu de protocoles actifs dans les collectivités ultramarines.

La proposition a donc pour objet d’inciter l’État à encourager la conclusion de tels protocoles, soit que ces accords soient tout à fait nouveaux, soit qu’ils résultent de l’extension de protocoles déjà existants dans l’hexagone, comme ceux qui concernent les infirmiers, les sages-femmes ou les orthoptistes.

La proposition 9 prévoit l’institution d’un organisme unique, outre-mer, qui coordonne tous les paiements des mutuelles pour le remboursement aux médecins de leurs honoraires de consultation.

Comme cela a été dit dans la présentation de la seconde partie du rapport, l’article 18 du projet de loi prévoit la généralisation du tiers payant pour les consultations médicales en ville.

Dans les DOM, pour les remboursements, les médecins n’ont affaire qu’à une seule caisse de sécurité sociale : la CGSS pour la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion et la CSS pour Mayotte. En revanche, ils peuvent avoir affaire à de nombreuses mutuelles.

Aussi, pour éviter que les médecins n’attendent trop longtemps les remboursements de la part des mutuelles, la proposition a pour objet de faire en sorte qu’ils ne dépendent plus, dans les DOM, que d’un seul organisme cordonnant tous les paiements.

La proposition 10 a pour objet d’instaurer la CMU-c à Mayotte.

Mayotte ne dispose pas de la CMU-c. En effet, l’île n’était pas un département au moment où cette couverture complémentaire a été instituée, c’est-à-dire en 1999. Néanmoins, les besoins actuels de Mayotte, en ce domaine, sont tout aussi importants que ceux des autres départements d’outre-mer.

Il est donc proposé que le Gouvernement réalise une étude pour déterminer les modalités selon lesquelles Mayotte pourrait bénéficier de la CMU-c.

La proposition 11 prévoit la création de postes supplémentaires de chefs de clinique dans les CHU des départements d’outre-mer.

L’un des reproches les plus fréquemment adressés aux hôpitaux publics dans les départements d’outre-mer – et tout particulièrement aux CHU – est que ces derniers ne disposent pas d’équipes médicales suffisamment importantes pour assurer toutes les activités de formation – et même de consultation (pour les patients qui viennent consulter en ambulatoire) – auxquelles ils devraient faire face normalement.

Pour améliorer les possibilités de formation, ainsi que de consultation ou d’offre de soins, il est donc proposé de créer des postes supplémentaires de chefs de clinique dans les CHU d’outre-mer – le cas échéant obtenus par redéploiement à partir d’autres CHU. Les postes seraient pourvus par détachement soit d’internes, soit de chefs de clinique exerçant en métropole. Les internes – une fois écoulée une période de trois ans par exemple – pourraient conserver le titre de chef de clinique, même s’ils retournent dans l’hexagone.

Il convient de relever que cette proposition se situe dans la droite ligne des préoccupations actuelles du Gouvernement visant à accroître le nombre des praticiens-hospitaliers dans les Outre-mer.

À ce titre d’ailleurs, la Délégation aux outre-mer a pris note avec intérêt de la déclaration interministérielle du 27 janvier dernier indiquant que 7 nouveaux postes de praticiens hospitaliers seraient créés prochainement dans les CHU des Antilles, de La Réunion et de la Guyane. Il s’agit de 5 postes de professeur des universités (3 postes aux Antilles et 2 à La Réunion) et de 2 postes de maître de conférences (un en Guyane et un à La Réunion).

Bien entendu, la création de ces 7 postes de praticiens-hospitaliers dans les CHU des DOM – si elle revêt une grande importance dans le cadre du renforcement de la qualité des soins, de la formation médicale et de la recherche outre-mer – ne saurait suffire pour répondre à tous les besoins. D’où la proposition de la Délégation qui est complémentaire.

La proposition 12 instaure l’obligation, pour les centres hospitaliers, de fournir des tableaux d’emplois en annexe de leurs budgets annuels.

Une autre critique souvent formulée à l’égard des hôpitaux publics outre-mer est que ces derniers ne contrôlent pas toujours assez bien la quantité de leurs effectifs, et spécialement le nombre des personnels qui ne participent pas directement aux activités de soins.

Il est vrai aussi que les contraintes pesant sur les emplois dans les budgets des centres hospitaliers sont relativement faibles, car ces organismes – contrairement aux autres établissements publics – ne disposent pas de tableaux d’emplois. Il serait donc souhaitable que les hôpitaux établissent désormais de tels documents.

La proposition 13 tend à favoriser la création de pôles d’excellence en matière de recherche et de médecine tropicale dans les territoires ultramarins.

Il pourrait être intéressant que le Gouvernement favorise l’émergence de pôles d’excellence en matière de recherche et de médecine tropicale dans une ou deux zones géographiques concernant tout particulièrement les Outre-mer, par exemple l’océan Indien ou les Caraïbes.

En effet, une fois mis en place, ces pôles pourraient contribuer puissamment – par le biais de la découverte de thérapies innovantes – au développement de l’offre des soins.

La proposition 14 encourage la coopération régionale internationale dans le domaine de la santé.

Pour favoriser la solidarité internationale et pour accroître l’offre de soins dans les DOM (les infrastructures destinées à la coopération internationale servant aussi aux ultramarins), il serait bon d’encourager la coopération régionale internationale dans le domaine de la santé.

Dans les DROM, actuellement, de tels accords de coopération peuvent être conclus aussi bien par le Gouvernement que par les présidents des conseils généraux ou régionaux. Après les élections de décembre 2015, le pouvoir de négocier et de conclure ces accords appartiendra conjointement au Gouvernement, aux présidents de département ou de région et – pour la Martinique et la Guyane qui ont opté pour le statut de collectivité unique – aux présidents des nouvelles assemblées délibérantes qui devront remplacer les conseils généraux et les conseils régionaux.

Dans l’avenir, il serait souhaitable que le nombre de ces accords augmente sensiblement. De plus, le Gouvernement devrait faire le point, de manière régulière, avec les collectivités territoriales concernées sur l’application de ces conventions ainsi que sur leur accompagnement financier.

Enfin, la proposition 15 incite les étudiants en médecine à effectuer leur stage de troisième cycle dans les DOM.

Il s’agirait de créer des contrats tripartites entre les étudiants, les collectivités locales et les hôpitaux ou les cabinets médicaux.

La mesure permettrait d’augmenter la densité médicale dans les DOM car les étudiants seraient sans doute portés à revenir dans ces territoires, une fois leurs diplômes obtenus, pour avoir connu ces collectivités au moment de leurs stages.

Monsieur le président, mes chers collègues, je vous remercie pour votre attention et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, Madame la rapporteure, pour ce travail très sérieux.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Merci, Madame la rapporteure, pour cet excellent rapport.

L’alcool est un fléau à la Guadeloupe, où des jeunes arrivent ivres au lycée dès le matin ! La drogue est également un fléau pour notre jeunesse, qui s’approvisionne auprès de vendeurs de drogue aux abords des collèges et des lycées ! La drogue chez nous, c’est le cannabis, le crack, la cocaïne – après le « macaque », c’est-à-dire quelques gouttes d’essence ajoutées à du vin blanc ! Cette situation dramatique entraîne des violences dans les collèges et les lycées.

Votre quatrième proposition sur les logos pour les boissons alcoolisées et sucrées est intéressante. Mais un volet prévention, en lien avec les ARS, pour la consommation d’alcool et de drogue outre-mer, me semble indispensable.

Mme Ericka Bareigts. Merci, Madame la rapporteure, pour votre travail. Le sujet est compliqué car les réalités sont différentes suivant les territoires.

Concernant l’alcool, il s’agit de faire en sorte que les personnes qui s’y adonnent n’aient pas une consommation violente. À La Réunion, il y a beaucoup d’abstinents, mais aussi un grand nombre de personnes qui consomment des boissons très fortement alcoolisées. Le problème est donc de savoir comment agir face à cette consommation hors norme qui a pour effet non seulement de mettre en danger sa santé, mais aussi de faire du mal, car des violences intrafamiliales peuvent en découler.

À La Réunion, les panneaux d’affichage font la promotion du whisky, du champagne, du vin, du rhum, surtout pendant les périodes de fêtes. Je pense donc indispensable de prendre une mesure interdisant de telles offres promotionnelles sous forme publicitaire. L’enjeu est de faire prendre conscience que l’alcool n’est pas un bien de consommation courant.

Par ailleurs, la communication autour de l’alcool est souvent une communication identitaire. Le slogan « La Réunion, une île, un rhum » incite à s’identifier à un produit qui fait du mal. Je pense donc nécessaire de poser des limites réglementaires en matière de publicité.

S’agissant du tabac, je voudrais vous faire part d’une expérience. En Irlande, les paquets de cigarettes ne sont absolument pas visibles dans les lieux de vente du tabac, c’est-à-dire les supérettes et les supermarchés. À La Réunion, en revanche, en entrant dans une supérette ou une station-service, on trouve un étal de paquets de cigarettes. Une mesure qui empêcherait cette visibilité permettrait de limiter la tentation, en particulier des jeunes, vis-à-vis de ces produits nocifs.

Enfin, s’agissant des grossesses précoces, les associations manquent de moyens. À La Réunion, en particulier, le taux d’IVG est élevé et le taux de grossesse précoce n’a pas évolué au cours des dernières années. La prévention, avec de vrais moyens, est donc cruciale.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. À la Guadeloupe, j’assiste à un phénomène inquiétant : les grossesses précoces utilisées par des jeunes en décrochage scolaire en vue d’obtenir un revenu ! En effet, des jeunes hommes, déscolarisés et sans emploi, mettent enceintes des jeunes filles, elles-mêmes en décrochage scolaire ; puis, sans reconnaître l’enfant, ils voient en celui-ci une source de revenu, car les mères de moins de vingt-cinq ans touchent le RMI !

M. Boinali Said. Je remercie Madame la rapporteure pour ce travail très important.

L’addiction à l’alcool et à la drogue a été abordée. Mais il existe aussi des boissons non alcoolisées tout aussi dangereuses que les boissons alcoolisées.

La coopération régionale me semble très importante du fait de la problématique de la démographie médicale, en particulier à Mayotte. Il serait donc utile de faire venir chez nous des médecins stagiaires pour renforcer les équipes.

En outre, la création de maisons de santé serait une bonne chose dans la mesure où certains dispensaires ont été supprimés dans nos régions rurales.

Enfin, les jeunes diplômés en médecine originaires de Mayotte qui ont suivi des études en dehors du territoire national ne peuvent exercer leur métier, faute de pouvoir être inscrits à l’Ordre des médecins. Il faudrait résoudre ce problème.

M. Gabriel Serville. Je félicite Mme Orphé pour la qualité de son travail.

Je partage l’inquiétude de Mme Louis-Carabin sur l’accès trop facile à certaines drogues, ainsi que celle de Mme Bareigts pour ce qui est des cigarettes vendues dans les commerces de proximité.

Les propositions du rapport vont dans le bon sens, mais celle concernant l’interdiction de l’installation de panneaux publicitaires à moins de 40 mètres des établissements scolaires me semble difficile à mettre en œuvre. En effet, il y a fort à parier que ces panneaux seront installés à 41 mètres, à 40,5 mètres ou à 40,3 mètres desdits établissements, ce qui engendra une foire d’empoigne ! Sans compter que les élèves qui se rendent à l’école à pied – le transport scolaire n’existe pas toujours en dessous de trois kilomètres entre le domicile et l’école – auront de multiples occasions, pendant 2,9 km, de voir ces panneaux vantant les boissons alcoolisées. Si la proposition relève d’une très bonne intention, sa mise en œuvre opérationnelle doit être examinée.

Dans la continuité de cette proposition, il me semble essentiel d’interdire la représentation de mineurs sur les affiches publicitaires qui vantent les mérites de l’alcool. Je me suis battu pour cette cause en Guyane, après qu’un hypermarché ait mis en scène une jeune fille déguisée en superwoman vantant les mérites d’une bière ! On le sait : l’alcool est un fléau chez nos jeunes, pour qui la consommation est devenue un comportement quotidien, un nouveau mode d’existence. D’où l’intérêt de poser cette interdiction.

Mme Chantal Berthelot. Je salue le travail de Mme Orphé.

Pour ce projet de loi de santé, un titre relatif aux Outre-mer aurait été beaucoup plus pertinent car, il faut le redire, les territoires ultramarins présentent des spécificités, notamment géographiques.

La prise en charge des personnes en situation irrégulière est une vraie problématique en Guyane et à Mayotte. Le PLFSS 2015 a modifié la prise en charge des soins urgents applicables à ces personnes ; il faudra en étudier l’impact sur le budget de nos hôpitaux.

Le projet de loi comprend un chapitre sur la « territorialisation ». Or, s’il est bon, en général, de parler de mutualisation des établissements hospitaliers, c’est-à-dire de regroupements, cela n’a aucun sens en Guyane où 250 kilomètres séparent l’hôpital de Cayenne de celui de Saint-Laurent. Malheureusement, l’ARS, trop souvent, tend à formuler les questions d’une manière globale et uniformisée.

Le projet de loi vise aussi à garantir l’accessibilité des soins. Or, la télémédecine n’est pas une réalité en Guyane, notamment à Maripasoula, car la couverture numérique n’est pas parfaite. L’accessibilité des soins dans un territoire de 90 000 mètres carrés demande ainsi une vraie réflexion.

Par ailleurs, il faut souligner que la drogue circule facilement et ne coûte pas cher en Guyane et donc aussi aux Antilles. C’est là un problème très grave.

Enfin, la santé publique en Guyane passe également par l’amélioration des réseaux d’assainissement des eaux usées et l’accès de la population à l’eau potable.

M. Jean-Philippe Nilor. Dans nos territoires, le diabète fait des ravages en entraînant de nombreuses amputations. Cette maladie coûte très cher d’un point de vue budgétaire bien sûr, mais surtout elle entraîne des souffrances morales très importantes. Peu de familles à la Martinique, à la Guadeloupe et en Guyane sont épargnées par cette maladie.

Or, à Cuba, les laboratoires ont mis au point un médicament, le Heberprot-P, qui a fait ses preuves après avoir été expérimenté dans de nombreux pays, y compris en Europe, en l’occurrence en Espagne. Le bon sens voudrait donc que ce produit soit expérimenté dans nos territoires dans la mesure où c’est le seul médicament au monde qui permet des miracles en évitant des amputations. Certes, les procédures de mise sur le marché des médicaments, très longues en France, sont une bonne chose, mais il faut savoir accélérer les procédures lorsque cela s’avère nécessaire.

Sur cette question majeure de santé publique, nous avons l’opportunité, au sein de cette Délégation, de démontrer, au-delà de nos familles politiques, que nous sommes capables de nous unir dans l’intérêt de la population – ce qui permettrait, par la même occasion, de revaloriser l’image des politiques, largement écornée chez nous comme en métropole. Ce beau combat, nous pouvons le mener ensemble, en commençant par poser cette problématique dans le cadre du projet de loi de santé. Plus largement, il est impératif, pour la représentation nationale, de s’emparer de cette question, dont l’issue favorable aura des conséquences heureuses en termes de santé publique, mais aussi d’un point de vue économique et en termes de coopération avec un pays qui n’est plus aussi banni que par le passé.

M. le président Jean-Claude Fruteau. La Délégation ne peut évidemment pas se prononcer sur l’efficacité du médicament qui suppose une expertise scientifique. Néanmoins, votre proposition peut trouver sa place dans le cadre de la sixième proposition de Mme la rapporteure, à propos de la conduite d’expérimentations spécifiques en matière de dépistage et de recherche, pour certaines pathologies ou certaines maladies infectieuses ou tropicales.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Hier, Madame la ministre nous a indiqué que cette loi, qui ne comporte pas de volet « outre-mer », serait déclinée par territoire. Aussi avons-nous demandé que le principe de cette programmation par collectivité figure à l’article 1er.

Madame Louis-Carabin, Madame Bareigts, l’alcool est effectivement un fléau qui touche nos jeunes à la Martinique et à La Réunion, laquelle arrive en deuxième position après la région Nord-Pas-de-Calais en termes de mortalité due à l’alcool. La drogue est également un fléau, et nous allons intégrer cette problématique dans nos propositions relatives au volet prévention. Il conviendrait, en outre, de relancer le plan de prévention des drogues et des toxicomanies, mis en place par la MILDECA et qui a pris fin en 2011.

En matière de publicité, il faut mettre un terme aux dérapages. Il faut aussi revenir sur toutes les dérogations qui peuvent exister outre-mer sur l’affichage publicitaire concernant les boissons alcoolisées. Je m’étais moi-même battue, de même que la ville de Saint-Denis, pour protéger l’image de la femme à La Réunion. D’où l’importance, à côté de la réglementation nationale, d’une action conjointe avec les maires pour accentuer la prévention, y compris à destination des non-lecteurs.

Monsieur Said, les boissons sucrées comptent évidemment parmi les fléaux qui touchent nos territoires. Il faut naturellement accentuer la prévention en la matière.

S’agissant de l’offre de soins, Mme de Singly, directrice générale de l’ARS océan Indien, m’a fait part de propositions concernant Mayotte où l’essentiel des dispositifs médicaux sont actuellement organisés autour de l’hôpital, alors qu’il existe très peu de médecins libéraux, la couverture maladie universelle n’étant pas applicable.

Il serait en outre utile de favoriser la coopération entre La Réunion et Mayotte, notamment pour l’installation des jeunes médecins.

S’agissant de l’installation de médecins étrangers, les syndicats émettent des réticences ; il conviendrait, en la matière, de fixer un cadre précis pour ne pas priver les autres territoires, comme Madagascar, de leur matière grise.

Pour Mayotte, il faut donc réfléchir aux solutions pour les décliner dans la programmation par territoire.

Madame Berthelot, nous devrons faire des propositions concernant la Guyane, notamment sur les soins d’urgence. La télémédecine a été déployée en Guyane, c’est pourquoi nous l’avons demandée pour Wallis-et-Futuna. Tout n’est pas parfait cependant, il faut donc sensibiliser Mme la ministre sur les problèmes de réseaux et les moyens à mettre en place pour les résoudre.

S’agissant de la territorialisation, l’article en question sera revu par le ministère car il pose problème, même dans son intitulé. Néanmoins, cet aspect de la loi aura une faible incidence outre-mer.

Monsieur Nilor, le diabète est une problématique sur laquelle La Réunion est très en pointe. Je crois en une coopération entre les ARS pour favoriser la recherche et échanger des expériences entre territoires sur les pathologies qui nous touchent plus particulièrement. En effet, si l’épidémie de chikungunya a été éradiquée plus facilement à la Martinique et en Guadeloupe, c’est parce que La Réunion avait une expérience en la matière.

Mes chers collègues, vous pouvez, bien sûr, déposer des amendements, que nous essaierons de porter au niveau du ministère.

M. Jean-Philippe Nilor. Ne devrions-nous pas demander la création d’une commission d’enquête sur le trafic de drogues dans nos territoires ? Sans cela, toutes les propositions que nous ferons resteront vaines.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Ce sont les groupes qui doivent se mettre d’accord sur la création d’une commission d’enquête. La Délégation aux outre-mer n’a pas le pouvoir d’en décider.

M. Jean-Philippe Nilor. Mais elle peut être porte-parole en ce sens.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je suis d’accord. Agissons chacun de notre côté au niveau de nos groupes politiques.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Le trafic de drogue est un problème crucial. Comme maire depuis vingt-cinq ans, j’ai vu la drogue entrer dans mon département, j’ai vu et je vois encore les jeunes basculer, je constate que la violence se développe, y compris dans les écoles et dans les cars scolaires ! Je m’en plains aux forces de police et de gendarmerie, mais rien ne se passe !

Qu’allons-nous devenir ? Que va devenir notre jeunesse ? Nous sommes impuissants, car la prévention ne suffit pas ! Le ministère de l’Intérieur doit nous aider ! C’est un cri du désespoir que je lance !

M. le président Jean-Claude Fruteau. Vous avez raison, chère collègue. Agissons chacun au niveau de notre groupe pour plaider cette cause.

M. Gabriel Serville. Je souscris totalement au propos de Mme Louis-Carabin, mais le temps ne joue pas en notre faveur. Je préconise plutôt, Monsieur le président, que vous invitiez les présidents de groupe à porter cette inquiétude au niveau du Bureau de l’Assemblée. Cela nous permettra de gagner quelques mois.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je le ferai volontiers, mais cela ne nous exonérera pas de passer par la procédure habituelle pour la création d’une commission d’enquête.

M. Philippe Houillon. Ne faut-il pas commencer par rédiger une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête et, ensuite seulement, entamer la démarche qui vient d’être évoquée pour convaincre les groupes politiques de la nécessité d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je n’y vois pas d’obstacles.

M. Boinali Said. Mme la rapporteure n’a pas répondu sur la question des jeunes français ayant suivi des études dans des territoires étrangers et qui se retrouvent sans solution une fois revenus sur le territoire national, ce qui est le cas à Mayotte.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Les syndicats de médecins, que nous avons auditionnés, sont réticents sur la validation des diplômes obtenus à l’étranger. Il existe une procédure particulière pour rattraper des modules et obtenir la validation au niveau de la France. J’ai bien peur qu’il n’y ait donc pas de solution, cher collègue, pour valider les diplômes obtenus à l’étranger, mais ce sujet peut faire l’objet d’un amendement d’appel, qui sera expertisé par les services du ministère des Affaires sociales.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous sommes maintenant arrivés à la fin de nos débats. Je vous propose de passer aux votes. Pour faire suite aux remarques de M. Serville, je propose de compléter la proposition 3 concernant la limitation des possibilités d’affichage, lorsque les affiches ont trait à des boissons alcoolisées, par une phrase indiquant que la présence d’enfants sur ces affiches est interdite. De même, pour répondre aux remarques de Mme Louis-Carabin, je propose d’adjoindre une phrase à la proposition 7 qui prévoit la mise en œuvre obligatoire par les ARS de programmes particuliers de prévention ou de promotion de la santé. Cette phrase a pour objet de préciser que les ARS, dans le cadre de leurs différentes campagnes de sensibilisation, devront conduire, de manière systématique, des actions de prévention contre la drogue.

Ces propositions sont adoptées à l’unanimité.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous propose également d’adopter deux recommandations – devenant les propositions 16 et 17 dans l’économie du rapport – recommandations qui nous sont suggérées par M. Polutélé. Notre collègue, en effet, n’a pu assister à notre réunion d’aujourd’hui, mais il nous a fait part de ses préconisations, il y a quelques jours.

La proposition 16 s’énonce de la manière suivante : « Mieux informer, à Wallis-et-Futuna, les personnes susceptibles de faire l’objet d’une évacuation sanitaire en soumettant à leur signature un document ayant trait aux modalités et aux conséquences, notamment financières, de leur transfert. Le document devra traiter aussi de la situation des accompagnateurs ».

La proposition 17, pour sa part, est la suivante : « Réaliser, dès que possible, une expérimentation de télémédecine à Wallis-et-Futuna ».

Ces propositions sont adoptées à l’unanimité.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Enfin, mes chers collègues, je vous propose d’adopter le rapport ainsi modifié.

Le rapport est adopté à l’unanimité.

PROPOSITIONS ADOPTÉES

Proposition 1. Décliner la stratégie nationale de santé prévue à l’article 1er du projet de loi en une programmation spécifique pour les Outre-mer ; coordonner cette programmation avec les contrats d’objectifs et de performances des agences sanitaires nationales ; prévoir, pour la mise en œuvre de cette planification, un réseau de chargés de mission référents dans les différentes administrations centrales et les différentes agences sanitaires concernées.

Proposition 2. Prévoir immédiatement un plan de rattrapage en faveur des Outre-mer, en recourant à une ordonnance arrêtée au titre de l’article 56 du projet de loi.

Proposition 3. Diminuer de moitié la surface de l’affichage publicitaire lorsque cet affichage concerne des boissons alcoolisées et interdire tout affichage publicitaire concernant ces boissons à moins de quarante mètres d’un établissement scolaire. Interdire également la présence d’enfants sur les affiches publicitaires lorsque celles-ci ont trait à des boissons alcoolisées.

Proposition 4. Les emballages et les bouteilles des boissons alcoolisées et des boissons sucrées pourront, de même que les emballages des produits alimentaires, être pourvus d’un visuel destiné à informer les acheteurs des risques encourus en cas de consommation excessive de telles boissons.

Proposition 5. Une sensibilisation sur les questions nutritionnelles – et notamment sur les liens entretenus entre une alimentation trop riche en sucre et la survenance éventuelle du diabète – sera prévue pour les élèves de l’enseignement primaire, dans les classes de CE 1 et de CE 2.

Proposition 6. Ouvrir la possibilité de conduire des expérimentations spécifiques en matière de dépistage et de recherche pour certaines maladies infectieuses ou tropicales.

Proposition 7. Prévoir la mise en œuvre obligatoire par les ARS ultramarines de programmes particuliers de prévention ou de promotion de la santé. Certains de ces programmes devront concerner impérativement la prévention contre les drogues. L’ensemble des programmes – et notamment leur volet financier – sera évalué selon une périodicité régulière.

Proposition 8. Développer outre-mer, dans des délais rapides, des protocoles de coopération entre professionnels de santé, que ces protocoles soient complètement nouveaux ou qu’il s’agisse de l’extension de protocoles déjà existants dans l’hexagone, comme ceux qui concernent les infirmiers, les sages-femmes ou les orthoptistes.

Proposition 9. Prévoir un organisme unique, outre-mer, qui coordonne tous les paiements des mutuelles pour le remboursement aux médecins de leurs honoraires de consultation.

Proposition 10. Instaurer la CMU-c à Mayotte.

Proposition 11. Prévoir la création de postes supplémentaires de chefs de clinique dans les CHU des départements d’outre-mer, ces postes étant pourvus par détachement.

Proposition 12. Instaurer l’obligation, pour les centres hospitaliers, de fournir des tableaux d’emplois en annexe de leurs budgets annuels.

Proposition 13. Le Gouvernement fournira au Parlement, dans les dix-huit mois qui suivent l’adoption du projet de loi relatif à la santé, un rapport indiquant comment, en prenant appui sur les structures existantes, il serait possible, outre-mer, de développer un ou plusieurs pôles d’excellence dans le domaine de la recherche et de la médecine tropicale.

Proposition 14. Faire en sorte que le nombre des accords internationaux de coopération régionale de santé soit augmenté de manière significative. Le Gouvernement fera le point sur leur application, à intervalle régulier, en concertation avec les instances de pilotage prévues par ces accords ou avec les représentants des collectivités territoriales concernées.

Proposition 15. Créer un contrat optionnel pour les étudiants en médecine permettant de favoriser, avec l’aide des collectivités locales, l’organisation des stages de troisième cycle dans les départements d’outre-mer.

Proposition 16. Mieux informer, à Wallis-et-Futuna, les personnes susceptibles de faire l’objet d’une évacuation sanitaire en soumettant à leur signature un document ayant trait aux modalités et aux conséquences, notamment financières, de leur transfert. Le document devra traiter aussi de la situation des accompagnateurs.

Proposition 17. Réaliser, dès que possible, une expérimentation de télémédecine à Wallis-et-Futuna.

AUDITIONS DE LA RAPPORTEURE

Mardi 13 janvier 2015

– Mme Chantal de Singly, directrice générale de l’Agence régionale de santé de l’océan Indien

Jeudi 29 janvier 2015

– M. David Gruson, directeur général du CHU de La Réunion, président de la Fédération hospitalière de France océan Indien

– M. le docteur Tawfiq Henni, président de la commission médicale du CHU

– M. Arsène Nerbard, vice-président de la Fédération hospitalière de France océan Indien

– Mme Émilie Lenclume, chargée de mission de la Fédération hospitalière de France océan Indien

Mardi 3 février 2015

Association nationale des industries alimentaires (ANIA)

– Mme Cécile Rauzy, directrice du pôle Alimentation Santé

– M. Alexis Degouy, directeur des affaires publiques

Mme Nathalie Lydié, responsable du département Maladies infectieuses et santé sexuelle (MISS), Direction des affaires scientifiques, Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), et Mme Sandrine Halfen, chargée d’études, Observatoire régional de la santé d’Île-de-France (ORS)

Mercredi 4 février 2015

Association française de lutte contre le sida (AIDES)

– M. Théau Brigand, responsable du secteur Plaidoyer

– M. Fabrice Renaud, responsable Caraïbes

RÉUNIONS DE LA DÉLÉGATION

Désignation d’un rapporteur d’information et premiers échanges de vues sur le projet de loi relatif à la santé 87

Audition de M. Jean Debeaupuis, directeur général de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et de M. Éric Trottmann, adjoint au sous-directeur de la sous-direction « stratégie ressources » de la DGOS (ministère des
Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes) 90

Audition de M. Antoine Durrleman, président de la sixième Chambre à la Cour des comptes, et de Mme Esméralda Luciolli, rapporteure du rapport thématique « La Santé dans les outre-mer : une responsabilité de la République » paru en juin 2014 97

Audition de M. le docteur Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français 107

Audition de MM. Christian Meurin, directeur général de l’agence régionale de santé de Guyane, Christian Ursulet, directeur général de l’agence régionale de santé de Martinique, et Patrice Richard, directeur général de l’agence régionale de santé de Guadeloupe 121

Audition de Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et de Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer 135

COMPTES RENDUS DES RÉUNIONS DE LA DÉLÉGATION

Désignation d’un rapporteur d’information
et premiers échanges de vues sur le projet de loi relatif à la santé

Compte rendu de la réunion du mardi 4 novembre 2014

M. Jean-Claude Fruteau, président. Nous sommes aujourd’hui réunis pour désigner un rapporteur d’information sur le projet de loi déposé par Mme Marisol Touraine à l’Assemblée, le 15 octobre dernier, et relatif à la santé.

Le système de santé dans les Outre-mer présente en effet de nombreuses difficultés qui sont récurrentes :

– Les populations sont moins bien desservies en termes de professionnels de santé que dans l’hexagone ;

– Les remboursements de sécurité sociale, effectués par les CGSS, laissent aux assurés des sommes « à charge » plus élevées que dans la métropole s’ils n’ont pas de mutuelles ; ce n’est pas que le ticket modérateur soit plus élevé ; c’est que le tarif de la consultation médicale autorisé est supérieur par rapport à l’hexagone (par exemple pour les consultations des médecins en ville, y compris les médecins conventionnés du secteur 1) ;

– L’offre de soins hospitaliers est moins importante qu’en métropole (l’hôpital public étant le pivot du système de santé outre-mer), ce qui fait d’ailleurs que la question des urgences se pose avec encore plus d’acuité qu’en métropole ;

– On note une propension à la dépendance à un âge souvent moins élevé que dans l’hexagone (en fait à partir de 50 ans), ce qui fait que les personnes dépendantes sont proportionnellement plus nombreuses outre-mer qu’en métropole ;

– Il y a, outre-mer, des maladies infectieuses mal éradiquées (comme la tuberculose) et d’autres, relativement nouvelles, qui sont tout aussi difficiles à combattre (comme la dengue ou le chikungunya) ;

– Il y a également des maladies chroniques (comme le diabète) ;

– Enfin, il y a des conduites addictives qui touchent certaines fractions de la population (par exemple l’addiction à l’alcool).

Face à cela, la Délégation pense, comme l’on dit, qu’il serait peut-être possible de « faire bouger les lignes » en se servant du projet de loi relatif à la santé comme vecteur pour des amendements qui seraient bien adaptés à la résolution des problèmes de santé propres aux ultramarins.

Le projet de loi relatif à la santé est un texte assez conséquent (57 articles) et il aborde de très nombreux sujets (la prévention, les dépistages, le service public hospitalier…).

Pour notre part, nous souhaitons nous saisir des articles 1, 4, 5, 7, 12, 18, 26, 37, 38 et 56 du projet.

Je vais faire quelques observations sur ces articles.

L’article 56, avant-dernier article du projet de loi, est le seul qui vise expressément les Outre-mer. Il prévoit le renvoi à des ordonnances, dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, pour mettre en œuvre, d’une part, les dispositions du projet de loi lui-même dans les DOM et dans les COM (en respectant leurs spécificités et leurs contraintes particulières) et, d’autre part, pour aligner le droit de la sécurité sociale applicable à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon sur le droit applicable soit en métropole soit dans les collectivités qui relèvent de l’article 73 de la Constitution.

Les autres articles, sans concerner exclusivement les Outre-mer, peuvent avoir des incidences sur ces collectivités.

L’article 1er a trait aux objectifs qui prévaudront dans la loi. Il ne vise pas spécifiquement les DOM ou les COM, mais il serait sans doute possible de prévoir à leur intention, dans cet article, par amendement, la mise en place d’un programme de santé publique orienté autour d’un certain nombre de grandes priorités.

L’article 4 prévoit de renforcer la lutte contre l’alcoolisation des jeunes. Il devrait être possible de raccorder à cet article, par amendement, des dispositions permettant de lutter plus efficacement contre les addictions des jeunes ultramarins.

L’article 5 prévoit d’améliorer l’information nutritionnelle des jeunes. De même, il devrait être possible de raccorder à cet article, par amendement, une information mettant en garde les jeunes ultramarins contre les aliments trop sucrés générant de l’obésité – une présence exagérée de sucre dans l’alimentation étant une question récurrente dans les DOM ou dans les COM.

L’article 7 prévoit d’instituer des tests d’orientation diagnostique pour déceler les maladies infectieuses. À ce dispositif, on pourrait raccorder, par amendement, la nécessité de prévoir des tests pour dépister la dengue et le chikungunya.

L’article 12 prévoit l’institution d’un service territorial de santé au public (STSP). Il devrait être possible d’y adjoindre, par amendements, des dispositions concernant l’amélioration de l’offre de soins ambulatoires outre-mer.

L’article 18 prévoit la généralisation du tiers-payant pour les consultations médicales en ville. Il faudra s’assurer que cette mesure trouve bien à s’appliquer aussi outre-mer, compte tenu des différences tarifaires que l’on peut rencontrer par rapport à l’hexagone.

L’article 26 réaffirme l’existence d’un service public hospitalier ancré dans les territoires. Dans cet article, on pourrait poser le principe qu’il faut donner des moyens accrus aux hôpitaux ultramarins – hôpitaux qui ne possèdent, à l’heure actuelle, selon les informations dont je dispose, que de tout petits fonds de roulement (environ 3 jours de dépenses) pour faire face à tous leurs imprévus. Pour ce faire, il faudra, bien entendu, trouver une formulation qui ne tombe pas sous le coup de l’article 40 de la Constitution.

L’article 37 concerne la recherche. De même, dans cet article, on pourrait suggérer qu’il faut améliorer la lutte contre les maladies tropicales.

Enfin, l’article 38 concerne les Agences régionales de santé. Conformément à une recommandation de la Cour des comptes, dans un rapport thématique de juin 2014 consacré à la santé dans les Outre-mer, on pourrait suggérer, par amendement, qu’il convient de rééquilibrer leur pratique financière au sein des DOM, afin de l’orienter vers davantage de prévention.

Comme on peut le voir, les idées d’amendements ne manquent pas, dans le cadre du projet de loi relatif à la santé, pour améliorer la situation sanitaire des Outre-mer ; et telle est la raison pour laquelle il m’a paru souhaitable que la Délégation se saisisse de ce texte.

M. Boinali Said. Monsieur le Président, cette proposition de saisine vient à point nommé. Effectivement, tout ce que vous avez dit s’applique bien aux Outre-mer ; et cela s’applique tout particulièrement à Mayotte. Dans ce département en effet, comme vous l’avez indiqué, on a du mal à accompagner les personnes âgées dépendantes ; les structures hospitalières sont assez faibles ; on manque de professionnels de santé et, de plus, ceux qui sont présents sur le territoire sont assez mal répartis géographiquement ; enfin, nous subissons différentes maladies infectieuses ou chroniques, en particulier le diabète ; ainsi, 14 à 15 % de la population souffrent de cette affection. Il y a donc beaucoup de raisons pour se saisir du projet de loi sur la santé et je pense qu’il s’agit là d’une excellente idée.

Je voudrais aussi profiter de cette occasion pour vous dire que le Gouvernement vient de nous communiquer une « feuille de route » qui consiste à élaborer une projection de développement pour Mayotte à horizon de l’année 2025. Dans le cadre de cette feuille de route, il serait intéressant, à mon sens, que la Délégation puisse réaliser un rapport thématique sur tel ou tel aspect du développement futur de Mayotte.

M. Jean-Claude Fruteau, président. Je vous indique, mon cher collègue, que la Délégation est prête à participer à cette feuille de route. Nous verrons ensemble, le moment venu, comment formuler exactement l’intitulé du rapport d’information.

Je pense que nous pouvons maintenant passer aux votes pour la désignation de notre rapporteur d’information.

Je suis saisi de la candidature de Madame Monique Orphé.

Il n’y a pas d’opposition ?

Il en est ainsi décidé.

Audition de M. Jean Debeaupuis, directeur général de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et de M. Éric Trottmann, adjoint au sous-directeur de la sous-direction « stratégie ressources » de la DGOS
(ministère des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes)

Compte rendu de l’audition du mercredi 26 novembre 2014

Mme la secrétaire Brigitte Allain, présidente. Mes chers collègues, monsieur le directeur, monsieur le sous-directeur, nous sommes aujourd'hui réunis pour procéder à notre première audition sur le projet de loi relatif à la santé. Ce texte a été déposé à l'Assemblée par Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, le 15 octobre dernier. Un rapporteur d'information a été désigné par la Délégation aux outre-mer le 4 novembre : il s'agit de Mme Monique Orphé, qui se trouve à mes côtés.

Le système de santé dans les outre-mer présente de nombreuses difficultés qui sont récurrentes. En particulier, les populations sont moins bien desservies en termes de professionnels de santé que dans l'Hexagone. On note une propension à certains types de dépendances, à un âge moins élevé que dans l'Hexagone, souvent à partir de cinquante ans, ce qui fait que les personnes dépendantes sont proportionnellement plus nombreuses outre-mer qu'en métropole. Certaines maladies infectieuses, comme la tuberculose ou la typhoïde, sont mal éradiquées, tandis que d'autres, relativement nouvelles, telles la dengue et le chikungunya, sont tout aussi difficiles à combattre. Il y a également des maladies chroniques, comme le diabète. Enfin, l’outre-mer est concerné par les conduites addictives, qui touchent certaines fractions de la population, je pense en particulier à l'addiction à l'alcool.

Face à ces difficultés, l'hôpital, et spécialement l'hôpital public, constitue le système pivot de l'offre de soins outre-mer. C’est pourquoi nous avons souhaité commencer nos auditions par un représentant du service public hospitalier.

Messieurs, je vous propose de nous présenter, dans un court exposé, les forces et les faiblesses des hôpitaux publics dans les collectivités ultramarines. Mais Mme la rapporteure Monique Orphé va d’abord vous poser quelques questions.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Merci, messieurs, de votre présence. Je regrette profondément que ce projet de loi ne comporte pas un volet consacré à l’outre-mer – seul l’article 56 indique que le Gouvernement prendra par ordonnances les mesures relatives à l’outre-mer. La situation sanitaire outre-mer est alarmante, les régions ultramarines présentent des spécificités, et nous souhaitons amender le texte grâce aux éléments qui nous seront apportés au travers de nos auditions.

Pourriez-vous nous faire une présentation rapide de la DGOS ?

S'agissant du fonctionnement de l'hôpital public, quelle mesure auriez-vous aimé voir figurer dans le projet de loi ? Existe-t-il une solution simple pour améliorer la trésorerie des hôpitaux ?

Que faut-il penser de l'article 12 du projet qui prévoit l'institution d'un service territorial de santé au public (STSP) ? Cet article peut-il permettre d'améliorer l'offre de soins ambulatoires outre-mer et, par conséquent, de soulager l'hôpital d'un certain nombre de consultations externes ?

L'article 26 réaffirme l'existence d'un service public hospitalier ancré dans les territoires. Quel changement apporte-t-il ? Des amendements pourraient-ils améliorer la rédaction de cet article ?

L'article 37 porte sur la recherche dans les établissements de santé. Vous paraît-il de nature à améliorer le fonds de roulement des hôpitaux ? Peut-il améliorer la mise sur le marché de médicaments innovants ?

Enfin, l'article 38 concerne les agences régionales de santé (ARS). Quelles relations les hôpitaux publics outre-mer ont-ils avec les ARS ?

Notre saisine porte sur les articles 1er, 3, 4, 5, 7, 12, 18, 26, 37, 38 et 56.

M. Jean Debeaupuis, directeur général de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Le ministère de la santé comprend un Secrétaire général, qui coordonne l’ensemble des directions « métiers », parmi lesquelles la Direction générale de l’offre de soins, la Direction générale de la santé, la Direction générale de la sécurité sociale.

La Direction générale de l’offre de soins (DGOS), que j’ai l’honneur de diriger depuis deux ans, est chargée de l’organisation des professionnels de santé dans une approche globale de l’offre de soins, intégrant aussi bien la ville que l’hôpital, la formation initiale et continue, etc. Son organisation est ainsi axée sur la transversalité, et elle travaille en complémentarité avec les autres directions d’administration centrale compétentes en matière de politique de santé.

La Direction générale de la santé (DGS) est chargée des questions de santé publique et de prévention. Son champ de compétence, particulièrement vaste, comprend notamment la prévention des risques infectieux et des maladies chroniques, ainsi que la veille et la sécurité sanitaires qui requièrent une vigilance et une surveillance constantes.

La Direction de la sécurité sociale est chargée de toutes les questions relatives à la protection sociale : assurance maladie et relations conventionnelles avec les professionnels de santé.

Ces trois directions travaillent étroitement, sous l’autorité de la ministre, sur le projet de loi santé qui comporte trois axes majeurs : la prévention, le parcours de santé et le renforcement de la démocratie sanitaire.

Un certain nombre d’articles ont été élaborés par notre direction. Les articles 4, 5 et 7, relatifs à la lutte contre l’alcoolisation massive, l’information nutritionnelle et la mise à disposition de tests rapides d’orientation diagnostique, sont en revanche portés par la Direction générale de la santé. La généralisation du tiers payant pour les consultations de ville, à l’article 18, est pilotée par la Direction de la sécurité sociale. L’article 38 sur les projets régionaux de santé et les agences régionales de santé est porté par le Secrétariat général du ministère.

Cette réforme ambitieuse du système de santé portée par Mme la ministre concerne l’ensemble du territoire national, à l’exception du Pacifique Sud pour lequel, à l’exception de Wallis-et-Futuna, ni le Parlement ni le Gouvernement ne sont compétents en matière de santé. Le texte s’appliquera de la même façon sur tout le territoire national, y compris les quatre régions d’outre-mer (Guyane, Guadeloupe, Martinique, Réunion), qui comportent une ARS, ainsi que Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Mme la ministre m’a demandé de vous indiquer qu’elle a demandé à ses services de préparer un plan santé outre-mer qui réponde aux problématiques soulevées par la Cour des comptes. La Cour des comptes n’est pas exclusivement critique, elle reconnaît que des progrès considérables ont été réalisés dans le domaine de l’offre de soins, mais elle souligne également des manques et des inégalités, sur lesquels les directions du ministère se sont penchées sous la responsabilité du Secrétariat général. Nous intégrons ainsi la problématique de l’outre-mer dans toutes les questions relatives à la santé et à l’organisation des soins, mais cela ne se traduit pas forcément par des articles de loi spécifiques aux Outre-mer, l’ensemble des dispositions nouvelles proposées par la ministre s’appliquant de la même façon aux Outre-mer, aux seules réserves rappelées plus haut.

L’article 26 vise à refonder le service public hospitalier (SPH), pour revenir à une conception selon laquelle les établissements publics de santé et les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) en sont les acteurs principaux, auxquels s’ajouteraient le cas échéant des établissements à but lucratif, ce qui peut être le cas dans les outre-mer. Pour prétendre entrer dans le service public hospitalier, ces établissements lucratifs devront apporter la preuve que la totalité de leur activité est assurée en tarif opposable (sans dépassement d’honoraires). Un certain nombre de cliniques sur le territoire national exerçant la totalité de leur activité de soins en tarif opposable pourraient ainsi demander à entrer dans le service public hospitalier, ce qui les amènerait à devoir respecter d’autres obligations – de continuité, de permanence, d’accès, de formation, de transparence des comptes – auxquelles elles ne sont pas tenues pour l’instant. Cette question fait débat avec les représentants des établissements privés à but lucratif et elle peut évoluer dans le cadre du débat parlementaire.

L’article 12 institue un service territorial de santé au public (STSP). Il repose sur l’idée de faire appel le cas échéant à d’autres acteurs – médicosocial, spécialistes de ville, établissements lucratifs – pour remédier à des inégalités territoriales, davantage prendre en compte les besoins des usagers, améliorer la prise en charge des personnes en situation de handicap, de perte d’autonomie, ou atteintes d’une maladie chronique. Ce dispositif nouveau est proposé sous la forme d’une contractualisation entre des professionnels de santé volontaires, qui ne sont donc pas uniquement des établissements, et l’agence régionale de santé, qui accordera les financements. Les professionnels seront ainsi amenés à travailler en coopération pour apporter une réponse coordonnée sur le territoire concerné. Le constat de la ministre est, en effet, que chacun fait bien son métier, mais que la coordination entre ces différents acteurs peut être améliorée.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Dans quel cadre s’organiserait ce service territorial ?

M. Jean Debeaupuis. Il partira des initiatives des acteurs. Pour l’instant, il y a encore quelques interrogations, mais tous les acteurs de ville, quel que soit leur statut, pourront apporter des éléments favorisant une meilleure coordination et un meilleur service à la population sur tel ou tel thème, par exemple la prise en charge des femmes enceintes ou les soins aux personnes handicapées. Cette action s’inscrira à un niveau infrarégional, plutôt territoire de santé, où les gens se connaissent et sont capables de définir la façon dont ils souhaitent travailler ensemble. Sans être au centre du dispositif, les établissements de santé interviendront en soutien des professionnels de premier recours, grâce à leur plateau technique et à leurs spécialistes. Pour la plupart des situations, les professionnels de premier recours et les professionnels de ville sont capables de prendre en charge les patients. Par contre, pour les maladies chroniques ou spécifiques, comme les maladies rares et les cancers, les plateformes territoriales de coordination et d’appui pourront alléger la tâche des professionnels de première ligne en leur apportant un soutien.

L’article 38, porté par le Secrétariat général, vise à redéfinir les projets régionaux de santé et la façon dont les agences régionales de santé les conçoivent et les coordonnent. Actuellement, ces projets régionaux de santé, élaborés tous les cinq ans, sont jugés trop volumineux et complexes. Avec cet article, les ARS auront plus de souplesse pour établir la définition des territoires correspondants. La maille départementale a l’avantage en métropole d’être un repère simple permettant une bonne coordination avec les conseils généraux, en matière de personnes âgées et personnes handicapées, mais elle n’est pas toujours le modèle retenu par les agences régionales de santé ; pour autant, le territoire de santé correspond à la population moyenne des départements, soit environ 600 000 personnes. Aussi les deux idées principales de cet article quelque peu complexe sont-elles les suivantes : d’une part, l’agence pourra définir des territoires d’action, d’autorisation, de service territorial, cette maille plus fine étant de nature à permettre une meilleure prise en compte des soins de premier recours ; d’autre part, les projets régionaux de santé auront une forme plus synthétique, grâce à des documents stratégiques moins volumineux que les précédents.

J’en viens à la situation des établissements outre-mer.

Depuis 2012, le ministère soutient massivement les établissements qui en ont besoin, en particulier les hôpitaux des Antilles. Ceux de La Réunion sont proches de l’équilibre. Ceux de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte ont enregistré des progrès gigantesques – à Mayotte, tout repose sur l’hôpital, l’offre de ville faisant défaut. À La Réunion et en métropole, la complémentarité entre les acteurs est importante, le rôle de l’hôpital public est central, notamment pour les permanences des soins et les urgences.

À La Réunion et aux Antilles, les CHU dans leur composante « universitaire » sont récents et doivent développer leur cursus de formation médicale. En effet, actuellement, les étudiants suivent le premier cycle dans les régions, le deuxième cycle en métropole, en coordination avec le CHU de Bordeaux notamment, et le troisième cycle à nouveau en région. Cette rupture de parcours est problématique.

S’agissant des formations paramédicales, la situation est plus homogène car celles-ci sont plus courtes et assurées en totalité dans les régions concernées. Les opportunités professionnelles offertes aux personnes originaires de ces régions sont meilleures et la continuité après formation est également plus grande.

Ainsi, le soutien est très fort, en particulier aux établissements des Antilles qui en ont le plus besoin. Il s’agit aussi de développer l’offre médicosociale aux personnes âgées et personnes handicapées, ainsi que de meilleures conditions d’accessibilité à l’offre sanitaire, grâce au tiers payant.

Ces établissements sont soutenus par le ministère, mais ils sont également accompagnés pour aider à leur reconstruction. Un investissement très important a été engagé au CHU de la Martinique, la reconstruction complète du CHU de Pointe-à-Pitre est programmée à l’horizon 2020, le pôle sanitaire de l’Ouest réunionnais sera finalisé à l’horizon 2018. Ces actions de modernisation et cet accompagnement permettront aux établissements concernés d’assurer un mode de fonctionnement normal des soins, tout en améliorant leur situation financière.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Le cursus de médecine est donc incomplet. Que faut-il faire ?

M. Éric Trottmann, adjoint au sous-directeur du département « stratégie ressources » de la DGOS. Il manque le deuxième cycle, c’est-à-dire les quatrième, cinquième et sixième années. Le troisième cycle est sur place.

M. Jean Debeaupuis. Il faudrait augmenter le nombre de professeurs et de maîtres de conférence, actuellement très insuffisant.

Mme Monique Orphé, rapporteure. À la Martinique, il y a beaucoup plus de professeurs qu’à La Réunion. Cette dernière aurait dû se voir affecter quatre ou cinq postes.

M. Éric Trottmann. Les choses ont démarré plus tôt aux Antilles. Il faudrait aussi que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche soit dans le mouvement.

Mme Monique Orphé, rapporteure. C’est aussi une question de moyens.

M. Jean Debeaupuis. C’est une question d’ouverture de postes, mais aussi de stratégie hospitalo-universitaire, car ces actions s’inscrivent nécessairement dans le temps. La ministre et nous-mêmes plaidons, auprès du ministère de l’enseignement supérieur, l’établissement d’une feuille de route prévoyant environ quatre postes par an pour le CHU de La Réunion, mais aussi quelques postes en Martinique et à la Guadeloupe où les effectifs sont également insuffisants.

Mme Monique Orphé, rapporteure. La situation à Mayotte n’est pas comparable à celle de La Réunion, de la Guyane ou encore de la Martinique. Concernant l’offre de soins, tout reste à faire à Mayotte. Que propose ce texte pour améliorer l’offre de soins, développer la médecine de ville et l’installation des professionnels de santé ? Le plan santé outre-mer sera-t-il décliné territoire par territoire ?

M. Éric Trottmann. Le tiers payant sera généralisé, ce qui intéresse particulièrement les régions d’outremer. La CMUC le sera progressivement également à Mayotte, même si cela ne figure pas dans la loi, car cela relève des lois de financement de la sécurité sociale.

Mme Monique Orphé, rapporteure. À La Réunion, le tiers payant est appliqué à 90 % et les choses fonctionnent relativement bien. Pour Mayotte, je ne sais pas.

M. Éric Trottmann. Le tiers payant à Mayotte, c’est l’hôpital, et c’est tout.

M. Jean Debeaupuis. Il s’agit d’une loi de santé. Les dispositions relatives à la protection sociale sur lesquelles s’est engagé le Président de la République – mise en place de la CMUC et de l’aide médicale de l’État à Mayotte – relèvent d’une loi de financement de la sécurité sociale. Nous y travaillons avec la Direction de la sécurité sociale. Ces chantiers s’intégreront au plan santé outre-mer.

Ainsi, les régions d’outre-mer, quelles qu’elles soient, bénéficieront de l’ensemble des dispositifs et des innovations portés par la loi de santé ; par contre, cette loi ne comporte pas de dispositions relatives à la protection sociale, même si elles sont absolument indispensables à Mayotte, en particulier sur l’accès aux soins et le développement d’une offre de ville.

Les solutions simples pour améliorer la trésorerie des hôpitaux n’existent pas si ce n’est de faire entrer les recettes et de maîtriser les dépenses dans des conditions de fonctionnement normal. C’est ce qui est en train de se mettre en place progressivement grâce à l’accompagnement des établissements, dont j’ai parlé. Les établissements de La Réunion se portent assez bien, étant plutôt bien gérés. Nous accompagnons les autres à la mise en place progressive de modes de fonctionnement normaux.

L’article 37 est tout à fait spécifique. Il vise à étendre aux établissements privés le contrat unique de recherche, qui permet de simplifier la recherche clinique à promotion industrielle au sein des établissements de santé. Les établissements d’outre-mer en bénéficieront au même titre que ceux de la métropole.

Cet article comporte une autre disposition, plus complexe et portée par nos collègues de la Direction générale de la santé, qui autorise les établissements hospitaliers à fabriquer ou importer des médicaments à thérapie innovante.

Ces deux dispositions visent à harmoniser le dispositif de recherche clinique. Pour autant, le contrat unique de recherche ne représentera pas une manne spécifique pour les établissements en outre-mer.

M. Éric Trottmann. D’autant que ce n’est pas dans les outre-mer que la recherche est la plus en pointe. Les chercheurs y sont en nombre insuffisant, même si les choses s’améliorent progressivement.

M. Jean Debeaupuis. Nous avons des contacts très réguliers et étroits avec les quatre directeurs généraux d’ARS outre-mer, pour les aider dans leur action et promouvoir les dispositifs généraux portés par le ministère, qu’il s’agisse du statut de praticien territorial de médecine générale – qui n’est pas encore considéré comme une opportunité par les jeunes médecins en formation outre-mer – ou des protocoles de coopération qui permettent de dégager du temps médecin, en autorisant les infirmières à réaliser certains actes. Cela se développe en métropole, pas aussi rapidement que nous le souhaiterions, malgré la mise en place du protocole ASALEE, pour les maladies chroniques, et du protocole autour des métiers de l’ophtalmologie.

Ces protocoles seront appliqués sans difficulté outre-mer, pour peu que des professionnels soient volontaires. Les directeurs généraux d’ARS y travaillent, outre l’utilisation de tous les soutiens offerts par le ministère.

M. Éric Trottmann. Il faut également noter la mise en place du contrat d’engagement de service public.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Qu’entendez-vous par « professionnels volontaires » ? Concernant le service SOPHIA pour le diabète, par exemple, certains médecins de ville à La Réunion considèrent que l’octroi de pouvoirs supplémentaires à l’ARS aboutira à les déposséder du suivi des malades.

M. Jean Debeaupuis. Telle n’est pas l’intention de la ministre : elle veut aider au premier chef les professionnels de première ligne, en qui elle a réaffirmé son entière confiance. La question que vous posez est celle de l’attractivité des territoires. À La Réunion, la densité des professionnels de santé est plutôt bonne.

Les professionnels volontaires sur le territoire, quels que soient leur origine ou leur parcours, pourront proposer des projets à l’ARS via la contractualisation – ce n’est pas l’ARS qui décidera à leur place. En acceptant, labellisant et, le cas échéant, en finançant ces projets, l’ARS leur donnera une meilleure visibilité. Actuellement, beaucoup de choses se font sous l’égide des ARS, mais souvent par le biais de subventions annuelles. Le contrat de territorial de santé apportera, lui, une vision pluriannuelle en reconnaissant davantage l’action des professionnels, le soutien de l’ARS et les contreparties attendues desdits professionnels.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Cela suppose que l’ARS apportera son soutien en fonction des pathologies qu’elle estimera prioritaires. La décision sera-t-elle prise avec les professionnels de santé ou est-ce le ministère qui tranchera ?

M. Jean Debeaupuis. Si la ministre propose de renforcer la démocratie sanitaire, si les associations de patients proposent le renforcement de la présence des usagers grâce aux conseils territoriaux des usagers, c’est bien pour promouvoir les initiatives des professionnels et prioriser la rencontre entre professionnels, usagers et ARS. Celle-ci sera le pilote et l’animateur, en contractualisant et en apportant le financement.

S’agissant des priorités, la notion de « diagnostic partagé » inscrite dans l’exposé des motifs du projet de loi, a un sens très précis. Si le diabète et les addictions sont des priorités sur tel ou tel territoire, les professionnels feront des propositions, les usagers donneront leur avis sur la pertinence des projets, et in fine l’ARS les labellisera et les soutiendra par la contractualisation.

M. Éric Trottmann. Ce financement se fera par le FIR, notamment.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Ne pensez-vous pas utile, compte tenu de l’insuffisance de médecins en Guyane ou à Mayotte, que les sages-femmes – qui sont très qualifiées – puissent réaliser des actes de la nomenclature autres que simplement les vaccinations ou les soins périnataux ? Pourrions-nous introduire cela par amendement ?

M. Jean Debeaupuis. Cette question est complexe, car nous ne voulons pas placer ces professionnels en situation d’exercice illégal. Tout n’est pas possible, sauf à dégrader la qualité et la sécurité des soins, voire à prendre des risques y compris médico-légaux. Il faut trouver un juste équilibre.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Il ne s’agirait pas de tous les actes, mais de certains actes. Une sage-femme peut très bien délivrer des antibiotiques s’il n’y a pas de médecin.

M. Jean Debeaupuis. La proposition consistant à autoriser les sages-femmes et les pharmaciens à pratiquer des vaccinations a suscité la réaction des médecins traitants qui ont invoqué l’argument du parcours de soins coordonnés.

Le projet de loi prévoit que les sages-femmes voient leurs compétences étendues en matière de vaccinations. Prévoir des mesures spécifiques sur certains territoires posera des problèmes ; même si nous y réfléchissons, il faut être prudent. L’utilisation des protocoles de coopération irait dans le sens que vous évoquez, sans risque d’exercice illégal.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Merci beaucoup, messieurs, pour votre contribution. Nous vous enverrons d’autres questions par écrit si besoin.

Audition de M. Antoine Durrleman, président de la sixième Chambre à la Cour des comptes, et de Mme Esméralda Luciolli, rapporteure du rapport thématique « La Santé dans les outre-mer : une responsabilité de la République » paru en juin 2014

Compte rendu de l’audition du jeudi 27 novembre 2014

Mme Monique Orphé, rapporteure. Monsieur le président Durrleman, madame Luciolli, je suis Mme Orphé, députée de La Réunion, et j’ai été désignée le 4 novembre dernier rapporteure, pour la Délégation aux outre-mer, du projet de loi « santé » qui a été déposé le 15 octobre dernier par Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, et qui devrait être examiné en séance publique au mois de janvier.

Nous avons souhaité vous auditionner à la suite du rapport sur la santé dans les Outre-mer que vous avez vous-même établi pour la Cour des comptes. Je vous remercie de nous avoir accordé cet échange qui, je l’espère, nous permettra d’enrichir notre rapport et de proposer sur le projet de loi de Mme Touraine des amendements tendant à résoudre certains des problèmes que nous rencontrons en outre-mer dans le domaine de la santé.

Comme vous l’avez indiqué dans votre rapport, le système de santé des DOM fonctionne à peu près correctement, ou du moins aussi bien que possible. Malgré tout, il présente des difficultés récurrentes qui nécessitent, selon moi, des solutions particulières, différentes de celles appliquées dans l’hexagone.

Les populations ultramarines sont moins bien dotées en professionnels de santé, et il y a même des disparités entre les différents territoires – en particulier, tout est à faire à Mayotte, alors qu’à La Réunion on est plutôt bien loti ; le nombre de lits dans les établissements de santé par tranche de 10 000 habitants est moins important dans les DOM ; la propension à certains types de dépendances apparaît à un âge souvent moins élevé qu’en métropole, soit à partir de cinquante ans, ce qui fait que les personnes dépendantes sont proportionnellement plus nombreuses outre-mer qu’en métropole ; certaines maladies infectieuses, comme la tuberculose ou la typhoïde, sont mal éradiquées et d’autres, relativement nouvelles, comme la dengue ou le chikungunja, sont tout aussi difficiles à combattre ; des maladies chroniques comme le diabète sont particulièrement développées ; enfin, certaines conduites addictives, notamment l’alcoolisme, touchent certaines fractions de la population.

À cet égard, je trouve dommage que le projet de loi ne comporte pas de volet outre-mer. Mais un article les concerne, et c’est pour cela que nous avons demandé la saisine de la Délégation. Nous voudrions insérer dans le texte des mesures de nature à apporter quelques remèdes aux dysfonctionnements les plus criants que vous avez analysés dans votre rapport.

Telle est la raison pour laquelle nous vous rencontrons aujourd’hui. Nous souhaiterions faire le point sur ce qui semble le plus urgent.

Je vais maintenant vous donner la parole pour un court exposé sur les forces et les faiblesses du système dans les différentes collectivités ultramarines. J’aimerais que vous répondiez ensuite aux questions suivantes :

Comment améliorer la densité médicale outre-mer ?

L’article 26 réaffirme l’existence d’un service public hospitalier ancré dans les territoires. Quel changement apporte-t-il ? Y aurait-il des amendements à déposer pour améliorer la rédaction de cet article ?

S’agissant du fonctionnement de l’hôpital public, quelle mesure auriez-vous aimé voir figurer dans le projet de loi et qui ne s’y trouve pas ?

Y aurait-il une solution plus simple pour améliorer la trésorerie des hôpitaux ? On a parlé d’un meilleur recouvrement des facturations. Faut-il donner plus d’autonomie aux directeurs d’hôpitaux pour leurs recrutements et leur gestion ? Est-il bon que les directeurs d’hôpitaux de moins de 300 lits soient notés par les maires ? Les hôpitaux ont-ils la capacité de développer des capitaux propres (par exemple, pour les CHU, en valorisant la recherche) ?

Que faut-il penser de l’article 12 du projet qui prévoit l’institution d’un service territorial de santé au public (STSP) ? Cet article peut-il permettre d’améliorer l’offre de soins ambulatoires outre-mer ? Les agences régionales de santé (ARS) ne vont-t-elles pas exercer une forte hégémonie sur ce système ? Les professionnels de santé voudront-ils y adhérer ?

Dans le cadre de ce STSP outre-mer, pourrait-on donner des pouvoirs de prescription à certains personnels paramédicaux pour pallier le manque de médecins ?

L’article 37 concerne la recherche dans les établissements de santé. À cette occasion, on dit que le contrat unique de recherche doit s’étendre aux établissements de santé privé. De quoi s’agit-il ?

Enfin, l’article 38 concerne les ARS. Que penser de la redéfinition des projets régionaux de santé (PRS) ? Les ARS ne devraient-elles pas consacrer davantage de ressources à la prévention ?

M. Antoine Durrleman. Madame la rapporteure, je souhaiterais à mon tour me présenter. Je suis le président de la sixième Chambre de la Cour, celle qui est compétente sur les questions de sécurité sociale et de santé. Je suis accompagné du docteur Esméralda Luciolli, administrateur civil et rapporteure à la Cour des comptes, qui a été la cheville ouvrière de l’enquête que nous avons menée pendant pratiquement dix-huit mois, avec les chambres régionales des comptes des Antilles et de La Réunion et avec les chambres territoriales des comptes du Pacifique, sur les problématiques de santé des différents Outre-mer.

Le rapport public thématique que nous avons publié au début du mois de mai dernier cherchait à la fois à rendre compte de cette enquête et à proposer un certain nombre de recommandations aux pouvoirs publics dans la perspective, notamment, du projet de loi de santé publique qui avait été annoncé par Mme la ministre. Nous vous savons donc tout particulièrement gré de cette audition.

Nous avons constaté une situation en voie d’amélioration mais d’amélioration inégale, avec de forts contrastes entre les différents départements d’outre-mer, comme à l’intérieur même de chacun de ces départements. Ces contrastes, que l’on peut rencontrer en Seine-Saint-Denis ou en Lozère, sont encore plus marqués outre-mer.

Selon nous, malgré des progrès réels et la réduction de certains écarts, la situation reste préoccupante. Nous avons notamment pointé les difficultés qui se posent autour de la problématique de la naissance, et la présence d’un certain nombre de pathologies particulièrement préoccupantes – par exemple celles qui sont transmises par les moustiques.

Ce constat nous amène à considérer que, dans le cadre d’un système manifestement en grande difficulté, il conviendrait de prendre, en matière d’organisation et de soins, un certain nombre d’initiatives, les départements d’outre-mer devenant, en quelque sorte, des prototypes. Ce serait l’occasion d’être imaginatif, d’aller plus loin, et l’adaptation de certains dispositifs aux populations ultramarines pourrait progressivement bénéficier à l’ensemble de la population française.

Il n’est pas question de procéder par dérogations, qui constitueraient un affaiblissement de la réponse sanitaire, mais d’avancer malgré des réticences. Celles-ci s’expriment partout mais, dans les départements d’outre-mer, elles ont des répercussions plus lourdes qu’ailleurs.

Commençons par la prévention, qui est traditionnellement, dans notre pays, le parent pauvre des politiques sanitaires. À la demande de la MECSS, il y a à peine deux ans, nous avons rédigé une communication sur la prévention sanitaire, où nous montrions la limite des actions menées en ce sens, et où nous faisions un certain nombre de recommandations. À cette occasion, il nous était apparu que, dans les départements d’outre-mer, la prévention – tout en étant peut-être encore plus nécessaire qu’ailleurs – était encore plus délaissée que dans les autres départements. Les dépenses de prévention de l’assurance maladie sont très insuffisantes et très inégalement réparties. Ainsi, le niveau de ces dépenses par habitant est très substantiellement inférieur à La Réunion et en Guyane, par rapport aux Antilles, où il n’est déjà pas très élevé : 8 euros par personne aux Antilles, contre 3 en Guyane et à La Réunion.

De ce point de vue, un des aspects du projet de loi proposé par Mme la ministre, nous a paru particulièrement aller dans le sens de nos préconisations. La première partie de ce projet vise en effet à rassembler les différents acteurs de santé autour d’une stratégie partagée. Par exemple, l’article 1er prévoit expressément que l’assurance maladie doit concourir à la mise en œuvre de la politique de santé et des plans et programmes de santé en étroite coordination avec les ARS. Cela correspond à notre préconisation qui est de faire en sorte que l’assurance maladie n’ait pas une politique qui se contente d’accompagner les politiques des autres acteurs, mais devienne un acteur de premier plan sur ces actions de prévention et de promotion de la santé. C’est vrai pour l’ensemble des territoires, c’est particulièrement nécessaire pour les départements d’outre-mer.

Nous avons observé par ailleurs que la densité médicale y était globalement insuffisante, même si, là encore, la situation peut être très contrastée entre les départements et à l’intérieur des départements ultramarins. Pour y remédier, plusieurs outils mériteraient d’être développés.

Nous avons noté avec intérêt la création du Centre hospitalier universitaire de La Réunion. En effet, l’augmentation de la densité médicale dans les départements d’outre-mer suppose des possibilités de formation accrues dans les CHU d’outre-mer. Il faut attirer dans les CHU des DOM des enseignants chercheurs et des médecins hospitalo-universitaires afin de structurer progressivement des voies de formation complètes.

Nous avions donc proposé que les CHU métropolitains détachent pour un certain temps des médecins hospitalo-universitaires, à différents niveaux, dans les CHU ultramarins, de façon à renforcer leur potentiel de formation. En effet, la question n’est pas celle du flux de demandes de formation, mais celle du potentiel de réponse des établissements hospitaliers, en particulier hospitalo-universitaires.

On pourrait envisager une sorte de détachement des médecins hospitalo-universitaires des CHU de métropole vers les CHU des départements d’outre-mer pour que, pendant quelques années, ils exercent, enseignent et recherchent dans les DOM. À l’issue de leur détachement, soit ils seraient intégrés dans les cadres des CHU ultramarins, soit ils reviendraient dans les CHU de métropole dont ils sont originaires. Ce serait de nature à accélérer la formation dans les DOM. On sait bien en effet que les professions de santé s’installent dans le ressort du CHU des hôpitaux dans lesquels elles ont été formées, où elles ont suivi des stages et où elles ont intégré un réseau de proximité ; ainsi, qu’elles s’installent à l’hôpital ou en libéral, elles sont connectées à l’ensemble des autres professionnels. Cela nous paraît être la solution la plus structurante et la plus pérenne.

Bien sûr, on pourrait renforcer les incitations faites aux médecins de venir s’installer dans les départements d’outre-mer. Mais on a déjà constaté que ceux qui le font repartent – souvent d’ailleurs vers un autre département ultramarin. D’où un effet de noria, qui n’est pas favorable à la structuration d’une présence médicale, avec ce que cela suppose en termes d’accompagnement des patients et de développement de la prise en charge.

L’autre solution qui nous paraît extrêmement intéressante est celle des coopérations entre les professionnels. Dans la France entière, dans les DOM comme en métropole, la population médicale vieillit et la démographie médicale va décliner. Certes, à l’horizon 2030-2035, il y aura davantage de médecins. Mais les demandes des médecins d’aujourd’hui, en terme d’installation et d’exercice professionnels, ne sont pas celles des médecins d’hier, qu’il s’agisse de temps de travail ou d’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle. Le temps des médecins « moines soldats » travaillant 70 heures par semaines est révolu. Je ne dis pas que les jeunes générations cherchent à ne travailler que 35 heures, mais qu’elles trouvent que 48 heures – ce qui correspond à la norme européenne – c’est déjà beaucoup.

Dans ces conditions, pourquoi ne pas favoriser la coopération et une nouvelle répartition des compétences entre les professionnels ? Dans les départements d’outre-mer en particulier, on gagnerait à systématiser une répartition différente des tâches entre le corps médical d’un côté, et les autres professionnels de santé. En effet, si la démographie des médecins généralistes ou spécialistes, libéraux ou hospitaliers, n’y est pas bonne, celle des professions paramédicales est satisfaisante. La mise en place de protocoles de coopération entre les professionnels nous semblerait donc une bonne solution. Cela dit, nous avons noté que les protocoles de coopération actuellement actifs entre les professionnels libéraux de santé étaient encore rares en outre-mer.

Ainsi, deux outils nous paraissent particulièrement structurants : dans le long terme et d’une manière continue, le renforcement du potentiel de formation par ces détachements de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH), de maîtres de conférence, d’assistants cliniques et de médecins hospitalo-universitaires ; et immédiatement, des délégations de compétences, équilibrées, qui garantissent une prise en charge de qualité entre professionnels libéraux de santé.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Ces détachements supposent-ils des créations de postes ?

M. Antoine Durrleman. Oui. Mais on peut se demander si le potentiel hospitalo-universitaire de notre pays ne peut pas être davantage redéployé au bénéfice des Outre-mer. Cela fait partie des équilibres globaux. Il y a d’un côté la question des postes, et de l’autre celle des personnes. L’important, selon nous, serait que les personnes viennent en outre-mer sans que l’on ait à attendre qu’elles aient été formées. Aujourd’hui, le nouveau CHU de La Réunion a reçu quelques emplois d’enseignants et commence à former progressivement des étudiants, en première année, en deuxième année, etc. Mais on voit bien qu’au vu des besoins, ce n’est pas suffisant.

Dans notre rapport, nous avons calculé certains coûts. La création, par exemple à Mayotte, d’un poste de chef de clinique assistant permettrait sans doute, à terme, d’éviter des dépenses très lourdes, en particulier pour faire venir de métropole, pour quinze jours, des médecins qui repartent ensuite et que l’on fait revenir, etc. In fine, cela se traduirait par une économie globale.

Sur ces questions financières, la Cour dit qu’il y a des priorités à reconnaître au bénéfice des Outre-mer. Tout en étant la première à reconnaître qu’il faut faire des économies, elle considère qu’une partie de celles-ci doit être « reciblée » vers des priorités de santé publique. Et de son point de vue, la santé outre-mer en est une. C’est d’ailleurs bien pour cela que nous avons intitulé notre rapport : « La santé dans les outre-mer, une responsabilité de la République ».

Mme Monique Orphé, rapporteure. Que pensez-vous du fait qu’il n’y ait pas un volet outre-mer dans la loi, et que l’on justifie ce choix par la continuité nationale ?

M. Antoine Durrleman. La Cour a souvent dit qu’il y avait trop de plans de santé publique, que ces plans étaient mal articulés, que l’un chassait l’autre et qu’en réalité, plus personne ne s’en sentait véritablement responsable. De ce point de vue, la stratégie nationale de santé va dans le sens de la Cour. Nous avons toutefois considéré qu’il fallait faire une exception pour les Outre-mer. À partir de la situation que nous y avons constatée, il nous est apparu indispensable de mettre en place dans les DOM un programme pluriannuel avec des objectifs clairs et des financements associés.

Il est en effet ressorti de l’enquête que le docteur Luciolli a conduite sur le terrain, pendant dix-huit mois, avec d’autres rapporteurs de la Cour, que les acteurs faisaient tout pour que la situation s’améliore, souvent avec « des bouts de ficelle », mais qu’ils avaient le sentiment d’être débordés par l’accumulation des difficultés.

La mise en place d’un programme national de santé à destination des Outre-mer amènerait les acteurs centraux et les acteurs institutionnels du système de soins à travailler ensemble. Ce serait aussi un signe extrêmement fort adressé aux professionnels de santé eux-mêmes, dans les hôpitaux comme ailleurs, dans les centres de santé ou dans les cabinets libéraux, qui éprouvent un véritable sentiment d’épuisement.

Cela nous semble être le seul moyen d’avancer efficacement. Voilà nous avons fait une entorse à notre doctrine.

Enfin, l’hôpital public est l’armature même d’un système de soins. Nous l’avons constaté dans tous les départements d’outre-mer. Mais il y a à la fois un bon et un mauvais usage de l’hôpital. Les équipes médicales doivent y être engagées, présentes, même dans des situations très difficiles et délicates. Mais, dans les Outre-mer, le système hospitalier manque souvent d’efficience parce qu’on s’y préoccupe davantage d’investissement que de conditions de fonctionnement.

De nombreux établissements hospitaliers – en Guyane, à Mayotte, etc. – ont grandement besoin de modernisation. Mais, et cela nous semble être partout le cas, le monde hospitalier consacre beaucoup de moyens à l’investissement et pas assez au fonctionnement médical. C’est à ce niveau que les hôpitaux ont besoin d’être renforcés. Les besoins en investissements existent, mais ils doivent être soumis à une rigueur de choix comme partout ailleurs, et les moyens de fonctionnement doivent être ciblés davantage sur le fonctionnement médical et moins sur les fonctions supports.

Nous avons constaté qu’il pouvait y avoir des effectifs considérables, avec parfois des situations d’absentéisme importantes, et de l’autre des appareils totalement obsolètes, dont certains étaient dangereux. Parfois, on préférait fermer les yeux pour ne pas fermer un service qui fonctionnait dans des conditions mettant en cause la sécurité des soins. Là aussi, les priorités étaient mal assignées.

Nous avons décrit, en annexe à notre rapport, certaines situations insatisfaisantes. Par exemple, des hôpitaux qui sont déficitaires ne réussissent pas à renouveler leur matériel et leurs équipements, tout en ayant des dépenses de personnel hors normes – et pas des dépenses de personnel médical, mais des dépenses de personnel non médical.

L’hôpital est la clé de voûte du système, mais il doit se concentrer sur sa vocation médicale, et assurer des conditions de sécurité à tous. Nous avons vu quelques exemples de services sinistrés qui, normalement, ne devraient pas l’être. Derrière ces situations, il y a des responsabilités à assumer.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Comment améliorer la situation ?

M. Antoine Durrleman. Le monde de l’hôpital est difficile. Mais si les gestionnaires hospitaliers usent de pédagogie et de fermeté pour faire partager l’idée qu’il faut revenir sur certaines pratiques pour assurer aux patients sécurité et qualité des soins, l’hôpital bougera. Et ce n’est pas simple, car 140 métiers s’y côtoient.

Cela veut dire qu’il y faudra faire preuve de beaucoup de discernement dans le choix des directeurs d’établissement. C’est un métier compliqué que celui de directeur d’établissement et en outre-mer, les hôpitaux connaissent des situations souvent encore plus délicates qu’en métropole. Il faut donc y affecter de très grands professionnels, à la fois sur le plan de l’expertise technique, de la capacité du dialogue social et de la pédagogie de l’action. Il se trouve, madame la présidente, que le CHU de La Réunion, a précisément la chance d’avoir à sa tête un grand directeur.

Je crois que dans les DOM, l’hôpital public a moins besoin de mesures législatives que de ce sentiment partagé que c’est là qu’il faut mettre de très bons professionnels. Je pense, peut-être avec immodestie, que notre rapport aura contribué à mieux faire prendre conscience aux administrations de l’État de cette dimension tout à fait essentielle.

Tels sont nos éléments de constat qui nous amènent à dire qu’au fond, l’hôpital doit être le lieu des pathologies les plus lourdes. Si l’on renforce le fonctionnement médical de l’hôpital, si on s’assure que les équipements sont les bons, qu’ils sont en état de fonctionner sans danger, c’est bien pour prendre en charge les pathologies les plus lourdes, parce que c’est là que se trouve la valeur ajoutée de l’hôpital. Les professionnels libéraux de santé sont là pour prendre en charge – comme partout – les pathologies plus légères.

Mais vous m’avez également interrogé sur la trésorerie des hôpitaux, question qui se pose en effet tout particulièrement dans les Outre-mer. Et vous avez raison, un meilleur recouvrement des facturations serait nécessaire – ce qui est vrai aussi pour les hôpitaux métropolitains.

J’observe tout de même que l’autonomie de gestion des directeurs est déjà très complète, surtout par rapport aux directeurs de tout autre établissement public : ils sont vraiment les patrons de leur établissement, car les conseils d’administration ont des pouvoirs relativement limités ; ils ont toute faculté pour embaucher, les hôpitaux étant les seuls établissements publics de l’État à ne pas avoir de tableau d’emplois.

Les hôpitaux ont une masse salariale qui ne fait pas l’objet de contrôles particuliers. C’est leur équilibre financier global qui fait l’objet d’un contrôle par les ARS. Ils ont donc beaucoup plus de souplesse que la plupart des établissements publics. Ils n’ont en réalité pas de contraintes de recrutement, sinon la contrainte de leur équilibre financier global.

Cette situation explique que, parfois, ils soient enclins à embaucher sans se préoccuper de ce que sera, à terme, la conséquence de leurs embauches. À l’instant t, ils peuvent recruter quelqu’un parce que, pour différentes raisons, ils ont une forme d’aisance financière qui le leur permet. En revanche, si l’on se projette à dix ans, du fait des progressions de carrière des agents, et parce que le support de financement qu’ils ont retenu aura disparu, un tel recrutement risque de faire obstacle à certaines modernisations.

Voilà pourquoi les ARS devront avoir un dialogue de gestion sans doute plus exigeant avec les établissements hospitaliers. C’est vrai outre-mer, c’est vrai aussi dans l’ensemble des régions où nous avons très souvent fait le même constat. La méconnaissance des conséquences, à moyen et à long terme, de certaines décisions explique que la situation d’un établissement puisse se dégrader – comme, par exemple, celle de l’hôpital de Montluçon.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Ne faudrait-il pas imposer un tableau d’emplois pour rééquilibrer la situation ?

M. Antoine Durrleman. Dans le cadre de notre rapport annuel sur la sécurité sociale que nous avons remis au Parlement en septembre dernier, nous avons été amenés à examiner l’évolution des effectifs et des dépenses de personnels des hôpitaux. Et de fait, nous préconisons que, sinon le tableau d’emplois, du moins la masse salariale soit beaucoup mieux analysée et contrôlée par les ARS qu’elles ne le font actuellement, et que cette masse salariale soit intégrée dans les contrats pluriannuel passés entre les hôpitaux et l’ARS. Aujourd’hui, les ARS n’interviennent que lorsque l’hôpital est en difficulté financière. Cela risque d’entraîner des suppressions d’emplois qui peuvent être très difficiles, alors qu’un meilleur suivi dans le temps, avec un véritable dialogue de gestion, aurait pu éviter des mesures brutales.

Tout le monde est bien conscient que l’hôpital est entre les mains de ses agents qui, du grand médecin à l’agent de service ou à l’aide-soignante, prennent en charge les patients. Mais s’il y avait un suivi plus rigoureux des ressources humaines, l’hôpital limiterait les à-coups. C’est vrai pour la métropole comme pour les Outre-mer, où nous avons parfois constaté des situations difficiles – blocage des recrutements, vieillissement des agents, etc.

Vous m’avez également interrogé sur le service territorial de santé au public. Celui-ci permettra la prise en charge coordonnée de certains patients par des équipes pluridisciplinaires. La plupart du temps, comme l’a remarqué la Cour, les exemples de prise en charge coordonnée ne dépassent pas le stade de l’expérimentation. Or, ce type de prise en charge est devenue une nécessité, ne serait-ce que parce que les pathologies évoluent et que les pathologies chroniques se traduisent fréquemment par des séries d’allers et retours entre l’hôpital et la médecine de ville.

Une de vos questions portait sur les contrats de recherche. Dans notre pays, il est souvent compliqué de lancer une recherche médicale clinique dans un hôpital. En raison du nombre d’acteurs, cela prend du temps. L’objectif du projet de loi déposé par Mme la ministre est d’instaurer un dispositif permettant d’aller plus vite.

Ce contrat unique de recherche (article 37) s’adresse à la fois aux établissements publics et privés dans la mesure où de nombreux établissements privés à but non lucratif participent à des activités de recherche. Je pense aux centres de lutte anticancéreux, comme l’Institut Curie ou Gustave Roussy en région parisienne ou à quelques grands établissements comme Saint-Joseph. Ce sont de très grandes institutions de recherche, équivalentes aux centres hospitaliers universitaires, qui sont intégrées dans des protocoles de recherche. La question se pose davantage pour les instituts de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) que pour les établissements de santé à but lucratif qui, en général, n’ont pas d’activité de recherche dans notre pays.

Votre dernière interrogation concerne les ARS et les projets régionaux de santé (PRS). Il se trouve que, cette année, un chapitre de notre rapport sur la sécurité sociale portait précisément sur l’élaboration et les résultats des PRS par les ARS. Or, le système nous est apparu à la fois chronophage dans son mode d’élaboration, et très peu opérationnel dans ses résultats : certains PRS de santé font mille pages, s’appuient sur une kyrielle d’indicateurs et sont établis sur une durée de cinq ans, alors qu’en cinq ans il est tout juste possible de réparer des situations de crise. Il faut se situer au moins dans une perspective à dix ans pour asseoir de façon pérenne des modifications dans le domaine de la santé publique.

Les propositions du projet de loi sont vraiment la conséquence des travaux que nous avons remis au Parlement au mois de septembre dernier. Je crois d’ailleurs que l’exposé des motifs y fait allusion. Par exemple, nous avions souligné que la prévention était le parent pauvre du système de santé. Or, le projet de loi vise à mettre la prévention à hauteur du curatif en l’intégrant dans les PRS.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Hier, une question a été posée sur le service territorial de santé au public, et je n’ai pas été satisfaite de la réponse qui lui a été apportée. J’ai l’impression que l’on compte sur le volontariat des médecins libéraux pour assurer une coordination. Qu’en pensez-vous ? Croyez-vous à cette volonté de porter des projets ? Et surtout que ces projets seront retenus par les ARS qui, je le suppose, vont définir des priorités ? J’ai cru comprendre, en entendant les médecins libéraux, que ceux-ci se méfiaient du pouvoir que l’on va donner aux ARS. J’ai peur qu’il ne soit compliqué de leur demander de travailler à leurs projets en coordination avec les ARS.

M. Antoine Durrleman. Je pense en effet que ce n’est pas facile. Néanmoins, et malgré certaines logiques institutionnelles, le fait de remettre le patient au cœur du dispositif devrait progressivement amener à faire converger les acteurs. En effet, au-delà des moyens financiers et des outils juridiques, le levier principal reste l’attente de la population, qui cherche à y voir plus clair. Or, les actions qui ont été conduites jusqu’à maintenant ne le lui permettent pas.

Prenez l’exemple du « parcours de soins » institué par la loi de 2004 sur l’assurance maladie. L’idée était séduisante, mais elle a abouti à un « maquis tarifaire ». En effet, la question n’est pas d’aider le patient à s’orienter dans le système de soins, mais de lui faire comprendre que, selon la manière dont il abordera le système de soins, il sera plus ou moins remboursé. On ne connaît pas le contenu du rôle du médecin traitant, même si 98 % des Français en ont un.

Quand ces derniers ont un souci de santé, ils vont voir leur médecin traitant qui, comme tout médecin de premier recours, les oriente éventuellement vers un médecin spécialiste – auquel cas ils seront mieux remboursés que s’ils allaient voir directement un médecin spécialiste. Mais il n’y a pas de contact établi avec l’hôpital, et si les patients doivent y aller, toute l’information que détient le médecin traitant est perdue. L’hôpital refera les analyses de biologie, les scanners, etc.

Lier la trajectoire du patient dans le système de soins à la volonté des acteurs de travailler ensemble, mettre en place le dossier médical partagé – et non pas le dossier médical personnel, qui a été un échec très coûteux – pour faire en sorte que l’information circule entre les acteurs, est un défi difficile à relever – ce n’est pas notre culture. Reste que tout le monde sait bien qu’il faudra progressivement aller dans ce sens. En procédant sur la base du volontariat, au niveau d’un bassin de santé et donc d’un bassin territorial, avec des acteurs qui se connaissent, plutôt qu’en imposant un système uniforme qui viendrait du haut, on se donne toutes les chances de réussir.

Mme Monique Orphé, rapporteure. De telles initiatives existent à La Réunion, mais elles ne sont pas suffisamment prises en compte. Les médecins traitants essaient de se mettre en contact avec l’hôpital pour échanger des informations, mais cela reste très difficile.

Je suis bien d’accord avec vous, cette coopération ne se décrète pas et il faut un coordonnateur. Pensez-vous que ce soit le rôle de l’ARS ? Si l’on base le nouveau système sur le volontariat, je crains que cela n’aboutisse pas.

Je terminerai par un exemple. J’ai rencontré la semaine dernière à La Réunion un médecin spécialisé dans le traitement de l’alcoolisme. Celui-ci m’a dit que cela faisait un an qu’il n’avait pas rencontré l’ARS à ce propos, alors même que l’alcoolisme est chez nous un véritable fléau. Ce médecin a un projet, il a envie d’avancer et souhaite que l’on engage, sur le territoire, un certain nombre d’actions. Seulement, la lutte contre l’alcoolisme n’est pas dans les priorités de l’ARS qui se préoccupe surtout du diabète, des maladies cardiovasculaires et de la prévention. Ce médecin a donc l’impression que le problème n’intéresse personne. Dans ce nouveau système, pourra-t-il se faire entendre par l’ARS, si celle-ci ne se sent pas concernée ?

M. Antoine Durrleman. Nous avons commencé à examiner le fonctionnement des ARS. Nous l’avons examiné par le biais des PRS, où l’on a créé une mécanique administrative qui s’est avérée très lourde pour les équipes des agences. Pendant que celles-ci se livraient à toute une série d’exercices obligés, elles ne pouvaient évidemment pas se consacrer à autre chose.

Mais surtout, nous avons été frappés de constater que si les ARS ont l’idée d’articuler le système de soins entre la prévention, le sanitaire, le médicosocial, la médecine de ville, l’hôpital et le retour à domicile, les administrations centrales ne partagent pas totalement cette vision moderne du système de soins. Ces dernières continuent, pour leur part, à fonctionner en « tuyaux d’orgue », avec la Direction générale de la santé, celle de l’offre de soins, celle de la sécurité sociale, etc.

Nous avions remarqué qu’au moment de leur mise en place, les ARS recevaient au moins une circulaire par jour du ministère de la santé. Elles passaient donc leur temps à gérer des remontées vers le haut, au lieu de gérer des liens entre les acteurs d’un territoire, alors qu’elles avaient été créées, fondamentalement, pour favoriser ces liens. La culture jacobine de l’administration était très prégnante, et il leur fallait répondre.

La mue n’est donc pas encore achevée. Mais nous ne désespérons pas. Il nous semble que malgré toutes ces difficultés, cet instrument a de l’avenir.

Les ARS ont par ailleurs la capacité de travailler avec les conseils généraux. C’est ainsi qu’à La Réunion, le conseil général mène une action particulière en matière de prévention.

Mme Esméralda Luciolli. En effet, l’ARS de La Réunion a fait un effort considérable, notamment pour lutter contre le diabète. Même si tous les problèmes n’ont pas été abordés, il y a là-bas une certaine capacité à faire travailler les gens ensemble. Et il me semble que le CHU partage la même vision.

Enfin, j’ai moi aussi observé que les jeunes médecins sont très enclins à adopter des modes de travail collectif – type « maison de santé » – qui favorisent une prise en charge globale du patient. Il y a donc tout de même des signes encourageants.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Je vous remercie.

Audition de M. le docteur Jean-Paul Ortiz,
président de la Confédération des syndicats médicaux français

Compte rendu de l’audition du mercredi 17 décembre 2014

Mme Monique Orphé, rapporteure. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir accepté de venir parmi nous. Votre organisation est la seule à avoir répondu à notre invitation – MG France n’a pas souhaité nous rencontrer. Pourtant, la santé outre-mer est un vrai sujet.

En tant que rapporteure de la Délégation aux outre-mer, j’ai souhaité vous entendre à l’occasion du projet de loi relatif à santé, présenté par Mme Marisol Touraine, le 15 octobre dernier. Le volet concernant les Outre-mer figurants initialement dans le projet de loi a disparu ; il n’en reste que l’article 56, qui renvoie à une loi d’habilitation.

La Délégation a tout de même tenu à être saisie sur quelques articles, que nous vous avons transmis. Même si l’organisation du système de santé fonctionne à peu près correctement outre-mer, des problèmes parfois inquiétants persistent, notamment à Mayotte. Nous souhaitons, par le biais de cette loi, apporter des solutions.

La Cour des comptes a consacré à cette question un rapport paru en juin 2014, qui dresse un tableau de l’organisation du système de santé dans différents départements d’outre-mer. Il montre que nos populations sont moins bien servies en professionnels de santé que dans l’Hexagone. Il relève également une propension à certains types de dépendance à un âge souvent moins élevé qu’en métropole. Enfin, à côté de maladies infectieuses mal éradiquées, d’autres sont apparues, dont certaines relativement nouvelles, comme la dengue, le chikungunya et tout récemment Ebola, qui présentent un réel danger pour nos territoires.

Votre confédération défend les praticiens qui exercent dans le cadre libéral. Elle a observé que le projet de loi, tel qu’il était rédigé, posait un certain nombre de difficultés : l’article 12, par exemple, et l’article 18 sur le tiers payant, déjà généralisé dans les Outre-mer. Le remboursement de la partie mutuelle poserait problème aux médecins.

Quelles sont les difficultés rencontrées par les médecins libéraux pour s’installer outre-mer, notamment à Mayotte et en Guyane ?

Quelles sont les particularités de la pratique médicale des médecins établis outre-mer ?

Quelles solutions préconisez-vous pour faire face à l’insuffisante densité médicale constatée outre-mer, que ce soit dans certains départements, comme la Guyane, ou dans certaines zones des DOM, comme en Guadeloupe ?

Que pensez-vous des solutions proposées sur ce point par la Cour des comptes ? Je pense notamment aux contrats d’engagement de service public ou aux postes de praticien territorial de santé.

Que pensez-vous de l’article 12 du texte, qui, à mon sens, doit être remanié par la ministre ?

Comment concevez-vous les relations de la médecine libérale avec le service public hospitalier, mais aussi avec les agences régionales de santé (ARS) ?

Que pensez-vous de l’article 18 du texte ?

Seriez-vous favorable à un guichet unique pour les remboursements des mutuelles aux praticiens ?

Que pensez-vous de l’extension de la CMU-c à Mayotte ?

Est-il vrai que les remboursements aux médecins au titre de la CMU-c sont souvent en retard ?

M. le docteur Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français. Notre organisation est très bien implantée, très majoritaire dans tous les DOM. J’ai travaillé avec les représentants de l’ensemble des DOM, Antilles, Guyane et Réunion, sur la liste des articles que vous nous aviez transmise.

Les difficultés rencontrées par les médecins libéraux pour s’installer outre-mer sont les mêmes qu’en métropole, à ceci près qu’elles sont amplifiées.

Aujourd’hui, lorsque les jeunes médecins sortent de la faculté, ils s’installent malheureusement peu en médecine libérale, pour la bonne et simple raison qu’ils n’en connaissent pas l’exercice. Les jeunes médecins généralistes font quelques stages dans des cabinets de médecine générale, les spécialistes aucun, ou très marginalement dans quelques établissements de soins privés – on compte quelques dizaines de stages en cliniques privées sur l’ensemble de la France pour plusieurs milliers d’internes.

Aujourd’hui, il est difficile d’être médecin libéral, en raison de la charge de travail – 56 heures en moyenne par semaine – et de la lourdeur de l’exercice. Les charges administratives polluent notre exercice : notre cœur de métier, c'est le soin, pas la paperasserie. Ce à quoi s’ajoute un niveau de rémunération de l’acte médical très bas : vingt-trois euros en métropole pour une consultation chez le généraliste, cela reste très en deçà de la valeur des actes dans d’autres pays européens, alors même que, en sens inverse, la demande en soins de la patientèle s’alourdit : on ne va plus chez le médecin pour une bricole et c’est tout à fait normal. Les patients sont mieux informés et l’automédication s’est développée. Ils demandent conseil à leur pharmacien ou vont sur le net pour se procurer tel ou tel médicament alors qu’auparavant, on allait chez le médecin pour tout, y compris pour pas grand-chose.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Avez-vous constaté la même évolution en outre-mer ?

M. Jean-Paul Ortiz. Je vais y venir.

La demande en consultation est plus lourde. La médecine ayant contribué au vieillissement de la population, nous avons des patients beaucoup plus âgés, souvent polypathologiques, ce qui entraîne des consultations souvent très longues. Auparavant, les consultations étaient plus courtes, ce qui atténuait à la fois la charge et la valeur qui se répartissaient, le système de cotation étant presque un forfait de prise en charge dans le cadre d’une consultation. Cette évolution est très nette en métropole.

En outre-mer, les problèmes sont exactement les mêmes, avec probablement des pathologies intriquées plus importantes et notamment un problème d’éducation à la santé, qui exige un effort majeur, encore plus qu’en métropole. De ce fait, les consultations sont aujourd’hui très lourdes et c’est l’une des raisons de la désaffection des médecins pour l’outre-mer.

Ce à quoi vient s’ajouter un autre problème, de nature tarifaire. Les médecins généralistes bénéficient outre-mer d’une grille avec un tarif un peu plus élevé par rapport à la consultation en métropole, mais cet avantage tarifaire ne vaut que pour les consultations, qui représentent l’essentiel du chiffre d’affaires d’un généraliste, non pour les actes techniques effectués par les médecins spécialistes : la tarification est exactement la même qu’en métropole, qu’il s’agisse, pour un cardiologue, d’un électrocardiogramme, pour un gastro-entérologue, d’une fibroscopie gastrique ou d’une coloscopie, ou encore, pour un chirurgien, d’une prothèse de hanche ou d’une appendicite. Qui plus est, les frais d’hébergement du patient, dans le cadre d’une hospitalisation en clinique, par exemple, ne sont pas les mêmes qu’en métropole. Il y a en l’occurrence une anomalie tarifaire désincitative, en particulier pour les médecins spécialistes outre-mer. De ce fait, on a, comme partout, du mal à trouver des généralistes, mais encore plus à trouver des spécialistes.

Le cas de Mayotte est encore plus compliqué. Mayotte avait un certain nombre de médecins libéraux et un hôpital très peu médicalisé. De façon tout à fait logique, l’hôpital a « embauché » des médecins, dans le cadre de la départementalisation, pour renforcer l’équipe médicale. Le nombre de médecins à l’hôpital, multiplié par quatre ou cinq, est aujourd’hui extrêmement important, sachant que les offres salariales sont très alléchantes. Cela semble également logique, car il n’est pas simple de recruter quelqu’un pour aller exercer à Mayotte. Malheureusement, le fait d’offrir un salaire de type « métro » majoré de 70 % a créé un énorme appel d’air dans le milieu libéral, et tous les médecins libéraux ou presque qui exerçaient à Mayotte ont basculé vers l’hôpital. Aujourd’hui, il ne reste plus que dix ou douze médecins généralistes installés en ville à Mayotte. Il y a là un vrai problème en termes de tarification et une période transitoire difficile à gérer. C’est une situation très particulière, qui a quelque peu déstructuré le tissu libéral. Je ne parle pas des médecins spécialistes : il n’y en a pratiquement pas à Mayotte.

Il y a bien des particularités dans la pratique médicale des médecins établis outre-mer ; elles portent notamment sur les pathologies. Des formations complémentaires et une sensibilisation à la médecine tropicale sont indispensables. Autrement dit, encore plus qu’en métropole, il est nécessaire de prévoir des sessions de formation pour ces médecins, peut-être par le biais du développement professionnel continu ou de la formation médicale continue. Il faudrait également prévoir un dispositif spécifique pour les médecins libéraux, par exemple via un accompagnement des collectivités locales – pourquoi pas ? Cela ne représenterait pas une dépense bien importante. On pourrait fort bien envisager un droit à la formation médicale continue spécifique aux médecins des DOM et dont le financement serait pris en charge par les collectivités territoriales ; ce serait très difficile à obtenir dans le cadre conventionnel, alors que le coût financier, à mon avis, resterait extrêmement modéré.

J’en viens à votre question sur l’insuffisante densité médicale en outre-mer, que j’aborderai en m’appuyant sur ce que nous avons fait en métropole dans des endroits tout aussi défavorisés : dans ma région du Languedoc-Roussillon, le département de la Lozère a beaucoup souffert sur le plan de la densité médicale.

La preuve est faite aujourd’hui que les mesures coercitives ne marchent pas. Il y a d’ailleurs un parallélisme étonnant entre la vacance de postes hospitaliers et le manque de médecins libéraux : ce sont les mêmes cartes ! Là où l’on manque de médecins hospitaliers, on manque de médecins libéraux, et inversement : quand on n’a pas de problème d’un côté, on n’en a pas de l’autre. À l’évidence, la solution ne consiste pas à proposer des postes salariés aux jeunes médecins : ils ne s’installeront pas davantage. Les mesures coercitives tentées dans d’autres pays européens ou au Canada, par exemple, ont été un échec. Il faut sortir de ce schéma. Certains députés pensent qu’il suffit d’obliger les jeunes médecins à s’installer pendant plusieurs années là où l’on manque de médecins. Ils n’y iront pas. Ils continueront à faire des remplacements, du journalisme, de l’industrie, etc. C’est ce que l’on constate sur le terrain. Il faut définitivement tordre le cou aux mesures coercitives.

M. Patrick Ollier. Ne vaudrait-il pas mieux être incitatif ?

M. Jean-Paul Ortiz. Oui, car cela marche. Il faut informer les jeunes sur les mesures incitatives, mais pour ce faire, il faut vraiment mouiller la chemise. Dans ma région, de jeunes internes viennent faire des gardes pendant le week-end pour découvrir l’exercice en Lozère. Des contrats sont passés avec des étudiants, avec des internes en troisième cycle d’études médicales. Le conseil général de la Lozère est allé jusqu’à organiser des week-ends de découverte du département, ouverts aux étudiants en médecine de deuxième et troisième cycles : une trentaine d’étudiants de la faculté de médecine de Montpellier sont ainsi venus, on leur a fait découvrir le département du point de vue touristique, on leur a fait faire du rafting ; bref, on a tout fait pour leur vendre l’exercice en Lozère. Parallèlement, les collectivités locales ont participé au financement de maisons de santé pluri-professionnelles. Bref, toute une action d’accompagnement a ainsi été engagée, proprement extraordinaire. Résultat des courses : le nombre d’étudiants qui envisage de s’installer d’ici deux à trois ans dans le département représente l’équivalent de 10 % de sa population de médecins généralistes. Aucun département de France n’atteint un tel taux : la moyenne se situe généralement en dessous de 5 %, sachant que la durée moyenne de vie professionnelle d'un médecin est de l'ordre de vingt-cinq ans. Il faut donc multiplier et accompagner les mesures incitatives, et en informer les jeunes.

Les mesures d’accompagnement, ce sont aussi les maisons de santé pluri-professionnelles, qui favorisent le travail en équipe. C’est ce que veulent les jeunes générations. Ce sont aussi les contrats territoriaux de médecine ambulatoire, les praticiens territoriaux de médecine générale (PTMG) devenant, avec la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, les praticiens territoriaux de médecine ambulatoire. Ces mécanismes incitatifs vont dans le bon sens et nous y sommes favorables. Mais si l’on ne veut pas en faire des mécanismes désincitatifs, il ne faut pas créer de nouvelles obligations pour le praticien territorial de médecine ambulatoire. Comprenons-nous bien : je ne veux pas favoriser l’installation de praticiens de secteur 2 ; je ne veux pas non plus que les praticiens qui s’installent dans le cadre de ces contrats ne fassent pas de prévention ou ne participent pas à la permanence des soins. Mais si vous voulez attirer les jeunes, encore faut-il que la mariée soit belle ! On n’attire pas les mouches avec du vinaigre… Il faut tenir compte de tous ces éléments, plus encore dans les DOM.

D’autant que, pour l’outre-mer, la distance représente une difficulté supplémentaire, qu’il s’agisse du prix du voyage-découverte ou des impacts familiaux. N’oublions pas que le médecin de demain sera majoritairement une femme, ce qui veut dire que l’approche du métier est un peu différente. Au demeurant, cela vaut aussi pour les hommes : les jeunes générations entendent désormais concilier vie personnelle et vie professionnelle. C’est un fait, une donnée sociétale. Que cela plaise ou non, il faut faire avec. Cela veut dire que, dès demain, les temps et les organisations de travail ne seront pas les mêmes et qu’il faudra s’y adapter. Et de ce point de vue, envisager de s’installer dans les DOM n’est pas si simple ; se pose le problème du conjoint, qui est difficile à gérer quand on sait les problèmes d’emploi outre-mer.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Quelles mesures incitatives pourraient être mises en place pour leur permettre de s’installer outre-mer, notamment à Mayotte ?

À une certaine époque, beaucoup d’internes venaient à La Réunion dans le cadre du service militaire. Ils étaient très bien rémunérés et certains ont trouvé chaussure à leur pied et sont ensuite restés sur l’île. Cela a permis de combler notre manque de médecins.

Nous avons des jeunes de plus en plus diplômés qui s’orientent vers la médecine. Ne faudrait-il pas favoriser la formation des locaux, voire favoriser les échanges avec des pays de la zone outre-mer ?

M. Jean-Paul Ortiz. En ce qui concerne les jeunes étudiants locaux, aujourd’hui, les internes connaissent très mal la médecine libérale et son exercice, ce qui est un obstacle à l’installation en milieu libéral. Il faut obtenir des doyens de faculté et de l’ARS le développement des stages de formation, pour les étudiants en médecine de deuxième cycle si possible, et forcément pour les étudiants de troisième cycle.

Cela étant, il faudra peut-être les accompagner. Je discute beaucoup avec les jeunes internes de médecine générale ou de médecine spécialisée. Il n’est pas possible de les emmener en week-end comme dans l’exemple de la Lozère, mais si l’on pouvait leur proposer un stage de formation de six mois dans le cadre de leur troisième cycle, soit dans des structures hospitalières publiques ou privées, soit dans des cabinets médicaux, avec un accompagnement financier des collectivités locales, par exemple, on aurait finalement l’équivalent de ce que vous décriviez avec le service militaire. Il est vrai que certains d’entre eux restaient ensuite sur place, parce qu’ils y avaient pris goût. Parfois même ils trouvaient l’âme sœur, terminaient leur formation et revenaient s’installer définitivement.

M. Patrick Ollier. En fait, vous préconisez un contrat tripartite entre les partenaires, hôpitaux ou cabinets, les collectivités et le postulant. C’est une forme de contrat qui reste à inventer.

M. Jean-Paul Ortiz. Ce type de contrat existe déjà en partie dans certaines collectivités locales. Je pense au conseil général de Lozère, ainsi qu’à d’autres conseils généraux en métropole. Cela existe aussi par le biais des praticiens territoriaux de médecine ambulatoire. Cela étant, la problématique des DOM est un peu particulière : il faut compter avec le coût du premier voyage : on ne peut pas le laisser à la charge de l’éventuel postulant. Il y a aussi le prix du logement, qui n’est pas négligeable dans les DOM. D’où la nécessité d’encourager les mécanismes facilitateurs, quitte à faire preuve d’imagination. C’est sur ces questions qu’il faut travailler pour attirer les jeunes et favoriser leur installation. Mais de toute évidence, la ressource est là.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Peut-on « imposer » cette formation de six mois dans les DOM, notamment pour connaître un peu mieux la médecine tropicale ?

M. Jean-Paul Ortiz. Aujourd’hui, la formation dans un cabinet de médecine générale, avec un maître de stage, ce qu’on appelle « le stage auprès du praticien », est obligatoire pendant six mois au cours des trois années de troisième cycle d’un futur médecin généraliste. Je ne connais pas très bien l’état du développement des maîtres de stage dans les DOM ; il faudrait examiner cette question avec les Facultés pour savoir s’il y a suffisamment de terrains de stage, puis se pencher sur les aspects plus triviaux du voyage et de l’hébergement, que je viens d’évoquer. La formule peut avoir un certain succès. Encore faut-il mettre en place des mécanismes incitatifs et informer les jeunes, autrement dit aller dans les Facultés leur expliquer qu’ils ont l’opportunité de passer six mois dans les DOM et de découvrir des choses très différentes. Les jeunes sont très ouverts à ce genre d’expériences, on le voit dans leur comportement vis-à-vis de la médecine humanitaire.

M. Patrick Ollier. C’est une proposition très intéressante. Comme je suis rapporteur spécial pour le budget de l’outre-mer, nous pourrions, madame la rapporteure, combiner une action pour créer ce type de contrat spécifique et y introduire, au titre de la continuité territoriale, une possibilité de dérogation afin de rapprocher les postulants du territoire où ils veulent faire un stage. Cela résoudrait le problème du voyage.

M. Jean-Paul Ortiz. Qui n’est pas neutre.

Mme Monique Orphée, rapporteure. En effet, il y a une réflexion à mener.

M. Patrick Ollier. Nous allons y travailler ensemble avec la Délégation et je ferai part de ces propositions dans le cadre du budget.

M. Jean-Paul Ortiz. J’en arrive à votre question sur les conventionnements limités aux zones sous-représentées en termes de densité médicale.

Le conventionnement sélectif fait partie des mesures coercitives. On sait que cela ne marche pas, car si vous faites du conventionnement sélectif dans les zones dites « sous-denses », les médecins ne s’installeront pas. Dans la dernière période – j’espère que nous allons arriver à faire évoluer ces chiffres –, l’âge moyen de l’installation approchait les quarante ans. Les médecins sortant en général de la faculté vers l’âge de trente ans, cela signifie qu’ils mettent dix ans à s’installer. Ils font des remplacements, hésitent, font un peu de médecine salariée à l’hôpital ; cela ne leur plaît pas trop, ils vont ailleurs. Que voulez-vous, nous vivons dans la civilisation du zapping… Si, en plus, vous mettez en place des mesures coercitives pour les contraindre à s’installer dans un endroit donné, ils ne s’installeront pas du tout.

Quant à l’article 12, qui concerne le service territorial de santé au public, c’est une belle invention bureaucratique et technocratique. Tuez-moi ce machin ! Quel est le concept tel qu’il est écrit, même si la ministre s’en défend ? L’ARS met en œuvre le service territorial de santé au public en y intégrant un certain nombre d’éléments, tels que l’organisation de la permanence des soins, les thèmes prioritaires du projet régional de santé etc. C’est l’organisation bureaucratique par l’ARS de la médecine de proximité, c’est-à-dire de la médecine générale et de la médecine spécialisée de proximité, en la centrant sur l’hôpital public, qui participe obligatoirement au service territorial de santé au public. Autrement dit, c’est un mécanisme descendant, de l’ARS vers la proximité, bureaucratique et hospitalo-centré. Je l’ai dit maintes fois à la ministre : il faut faire exactement l’inverse, c’est-à-dire travailler sur un mécanisme ascendant, facultatif, non hospitalo-centré et accompagné par les ARS. C’est ce que j’ai appelé les contrats territoriaux d’initiative libérale.

L’objectif, c’est d’améliorer la prise en charge de la population par les organisations de proximité. Mais les professionnels de santé en général, et particulièrement les médecins, n’ont pas attendu qu’un texte de loi ou une ARS vienne leur expliquer comment travailler et comment se coordonner pour prendre en charge tel ou tel problème de santé publique. Ils le font déjà dans beaucoup d’endroits, sous des formes diverses et variées. Ils se rencontrent, discutent entre eux d’une thématique – prise en charge des plaies chroniques avec les infirmières dans le secteur concerné, suivi des diabétiques de type 2 à domicile, etc.

Sur le terrain, de nombreux professionnels se sont déjà organisés et prennent en charge la population. Nous n’avons pas attendu que l’ARS organise la permanence des soins, qui fonctionne bien dans notre pays. Les médecins, à l’échelle d’un, deux ou trois cantons, dans ce que l’on appelle un secteur de garde, se réunissent deux, trois ou quatre fois par an, suivant un rythme qu’ils déterminent entre eux, organisent eux-mêmes la permanence des soins et transmettent le tableau de gardes au Conseil de l’ordre. Nous n’avons pas eu besoin d’organiser un service territorial de santé au public pour le faire. Pourquoi diable complexifier quelque chose qui marche ? Il faut faire l’inverse, c’est-à-dire discuter avec les professionnels des thèmes sur lesquels ils ont commencé à travailler entre eux, la façon de s’organiser, la partie du territoire à couvrir – un ou plusieurs cantons, un demi-département. Il faut se demander comment on peut les accompagner pour favoriser les échanges entre professionnels de santé, médecins, infirmières, pharmaciens, kinés, etc., afin de maintenir les populations à domicile. Il faut partir de cette richesse, en la faisant remonter, pas l’inverse.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Pensez-vous que tel n’est pas l’objectif de cet article ?

M. Jean-Paul Ortiz. Ce n’est pas ainsi qu’il est écrit. Il est écrit exactement l’inverse : l’hôpital public participe obligatoirement au service territorial de santé au public, ce qui veut dire que l’hôpital est au centre du système. Moi, je dis que l’hôpital public ne doit pas pouvoir se soustraire à une sollicitation des professionnels qui souhaiteraient l’impliquer sur des thématiques, dans le cadre d’un service territorial de santé ou d’un contrat territorial. Voilà ce que je souhaiterais voir inscrit dans le texte : l’hôpital ne peut pas se soustraire si on le sollicite, mais l’hôpital n’est pas obligatoirement dans le service territorial de santé. Les médecins libéraux sont assez grands pour s’organiser seuls ; ils n’ont pas besoin de l’hôpital pour cela.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Je pense que ce point, qui fait l’objet d’une crispation, va, à votre demande, être réécrit par la ministre. L’objectif est bien de coordonner toutes les initiatives de terrain pour pouvoir ensuite les généraliser. À La Réunion, il y a beaucoup d’initiatives sur la permanence des soins, à Saint-Denis en particulier, mais pas partout. Quoi qu’il en soit, pour moi, l’article 12 n’indique pas que l’hôpital est au centre.

M. Jean-Paul Ortiz. C’est pourtant ce qui est écrit.

Mme Monique Orphée, rapporteure. J’ai peut-être une mauvaise lecture ! Comment réécrire le texte de façon que le dispositif soit appliqué, et surtout élargi ?

M. Jean-Paul Ortiz. Nous ne sommes pas loin dans l’approche de la problématique, à ceci près que c’est écrit à l’envers. Pour commencer, l’expression même de « service territorial de santé au public » est très mauvaise. Un de vos collègues socialistes m’a confié, entre quatre yeux, que cela faisait penser au STO et au service militaire et qu’il fallait faire disparaître le mot « service »… Ce n’est peut-être que de la phraséologie, mais ce n’est pas faux ! Je préfère l’idée d’un contrat territorial. Des choses se font sur le terrain : nourrissons-nous de cette richesse. Des médecins s’engagent bénévolement, en prenant sur leur temps personnel ; il faut les aider. L’ARS ne doit pas piloter, mais les accompagner, les aider à monter des dossiers, à mieux structurer les projets. Il y a un vrai problème de gouvernance autour de ces contrats territoriaux. La gouvernance doit être exclusivement aux mains des professionnels de terrain, surtout pas aux mains de l’ARS : elle va en faire un « machin » bureaucratique avec lequel nous allons passer notre temps à faire de la paperasserie. Au contraire, l’ARS doit être un facilitateur et un accompagnateur.

Vous dites, madame la rapporteure, que ce genre d’initiative ne se retrouve pas partout. Mais justement, si l’on n’aide pas les professionnels de santé qui ont commencé à tout mettre en œuvre pour maintenir telle ou telle initiative ou pour développer telle ou telle thématique, ils vont s’essouffler et arrêter. Voilà le danger ! Il faut, au contraire, les accompagner et les aider, y compris sur le plan financier. Commençons par faire l’inventaire de ce qui marche aujourd’hui sur le terrain, préservons-le et accompagnons-le pour mieux le structurer. Demain, nous le dupliquerons ailleurs.

C’est ce que j’ai fait dans ma région. Des professionnels de santé libéraux, se rendant compte qu’il s’agissait d’une thématique compliquée et mal structurée, ont organisé, à Montpellier, la prise en charge du cancer du sein chez la femme. Ils se sont réunis et ont abordé les problématiques avec une psychologue et une assistante sociale pour faciliter le parcours de soins des patientes. Ils ont créé une association loi de 1901. L’Union régionale des professionnels de santé (URPS), que j’ai présidée pendant plusieurs années, les a accompagnés dans ce projet. Comme ils s’occupent aujourd’hui d’environ 1 000 patientes, l’ARS va leur accorder un petit financement. On peut penser que l’ARS a un peu tardé, encore que, pour ma part, je l’ai trouvée assez ouverte et réactive. Mais dans de nombreux endroits, ce n’est pas le cas : certaines ARS ne s’intéressent pas à ce genre d’initiative.

Ce qui a été fait à Montpellier est actuellement dupliqué dans les autres villes de la région. Quand ils ont constaté que cela marchait, les médecins d’autres villes en ont discuté avec leurs collègues de Montpellier et avec ceux de la région, qui leur ont expliqué ce qu’ils avaient fait. Finalement, ils ont décidé de faire pareil. C’est ce qu’il faut faire : procéder à l’inventaire de ce qui se fait, le consolider…

Mme Monique Orphée, rapporteure. Qui fait l’inventaire ? L’ARS ?

M. Jean-Paul Ortiz. C’est l’ARS, avec l’URPS, qui est un bon interlocuteur en la matière. L’ARS doit faire l’inventaire de ce qui se fait, le consolider sur le terrain, l’accompagner, parfois aider à une structuration, mais en aucun cas piloter le projet.

Vous m’avez interrogé sur les relations de la médecine libérale avec le service public hospitalier ; je n’ai pas parlé de l’exclusion des cliniques privées du service public hospitalier. C’est aujourd’hui un problème, car les patients vont aussi bien à l’hôpital public que dans le privé. L’hospitalisation privée a aujourd’hui une activité de type mission de service public, qu’il faut prendre en compte dans la loi au lieu d’exclure les établissements.

Je n’ai pas vu la cartographie des services d’urgence dans l’hospitalisation privée des DOM. Il y en a beaucoup en métropole – 120 ou 130. Je ne sais pas s’il y en a dans les DOM. À ma connaissance, il n’y en a pas à La Réunion. Il n’y a aucune raison d’exclure les établissements de soins privés d’un certain nombre de missions de service public hospitalier, en particulier la prise en charge des urgences, ainsi que l’accueil des internes dans le cadre de leur formation. Cet article sur le service public hospitalier hérisse fortement les médecins spécialistes libéraux.

Vous me demandez ce que je pense de l’article 18 concernant le tiers payant pour les consultations médicales en ville : je n’en pense que du mal ! Les médecins n’en veulent pas.

La CSMF a toujours été favorable à un tiers payant social. Celui-ci existe réglementairement, et c’est nous qui l’avons fait inscrire dans la convention pour la CMU, la CMU-c et l’aide médicale d’État (AME). En 2015, il va s’étendre à l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS). Je l’ai dit à la ministre : il n’y aura aucune opposition de la part des médecins. Pas un médecin n’a élevé une moindre protestation concernant l’extension du tiers payant généralisé à l’ACS. Nous y sommes favorables pour des raisons sociales. Il n’y a aucune ambiguïté sur ce point, qui relève de l’éthique médicale. C’est ce que nous faisons déjà tous les jours dans nos cabinets pour les patients qui ne sont pas bien couverts et qui nous demandent d’encaisser leur chèque quinze jours ou un mois plus tard. Par ailleurs, les actes coûteux, au-delà de 120 euros, comme un scanner ou une IRM, sont déjà pris en charge en tiers payant, de même qu’une hospitalisation dans un établissement de soins privé ou à l’hôpital.

Ne sont donc concernées que les consultations d’une valeur relativement faible, de 23 à 120 euros. On me fera valoir qu’il peut s’agit de populations intermédiaires en situation momentanément un peu difficile ; les médecins connaissent ce genre de situations, car ce sont eux les derniers remparts sociaux dans notre pays. Ils prennent, au sens propre et au sens figuré, la température de la crise que vivent les Français. Quand un patient se retrouve au chômage, ou confronté à des difficultés professionnelles énormes, il dort mal, il souffre d’épigastralgie ou d’une colopathie, et il va voir son médecin. Voilà ce qui se passe dans nos cabinets. Si l’exercice médical est de plus en plus difficile aujourd’hui, c’est également à cause de cette crise sociale qui alimente nos consultations médicales.

Pourquoi ne voulons-nous pas du tiers payant généralisé ? Premièrement, parce que cela sera extrêmement difficile à mettre en œuvre sur le plan technique. C’est déjà ce qui se passe avec la CMU et la CMU-c, où l’on relève des erreurs et des retards de paiement très importants. Une équipe de Lille, qui vient de mettre en place un observatoire des retards de tiers payant, estime à 10 % environ la proportion d’erreurs ou de non-paiement des actes en tiers payant pour la CMU et la CMU-c. Cela fait beaucoup…

Deuxièmement, le système va être coûteux et techniquement difficile à mettre en œuvre. Les centres de santé ont évalué la gestion de la feuille de soins à 3,50 euros. Les pharmaciens font déjà du tiers payant pour tout, ce qui est normal car ils ont de grosses factures. L’une de vos collègues, pharmacienne, m’a confié que la gestion du tiers payant dans sa pharmacie lui coûtait quelque 800 euros par mois. Qui va payer une telle somme ? Croyez-vous que ce soit le moment de dépenser autant ? Pour les médecins, avec une consultation à 23 euros, il est hors de question de s’occuper de la gestion. Qui va le faire ? L’assurance maladie ? Les assureurs complémentaires ? Un économiste m’a fait part d’une estimation oscillant entre 800 millions et 1 milliard d’euros. Croyez-vous que ce soit le moment de consacrer autant d’argent à une mesure qui n’a aucun intérêt social réel ?

Une troisième raison, plus professionnelle, est avancée par les médecins, qui voient dans cette mesure une atteinte à leur indépendance. Celui qui paie commande, et la demande est faite par celui qui paie. Si ce sont les caisses qui paient directement les médecins, cela induit une dépendance accrue et insupportable vis-à-vis du payeur, en l’occurrence de l’assurance maladie. Que surviennent des retards de paiement ou des modifications tarifaires unilatérales, les médecins ne pourront rien faire : ils seront pieds et poings liés face au payeur. Aujourd’hui, le payeur, c’est le patient : c’est le patient qui demande, c’est le patient qui exige, c’est le patient qui choisit. Ce n'est pas pareil, la relation n’est pas la même. Si, demain, c’est la caisse d’assurance maladie ou un équivalent qui devient le payeur, cela modifiera considérablement la façon dont le métier est vécu.

Pour toutes ces raisons, la très grande majorité des médecins ne veut pas du tiers payant généralisé. Encore une fois, je l’ai dit à la ministre, je le redis et je le réaffirme, ce n’est pas un problème social.

J’en viens au guichet unique pour les remboursements des mutuelles aux praticiens. La ministre l’a dit elle-même : à supposer que l’on mène une étude de faisabilité du tiers payant généralisé, cela passe obligatoirement par l’instauration d’un circuit unique pour le médecin. Je ne vais pas, pour récupérer 6,90 euros sur ma consultation, envoyer une facture à 550 assureurs complémentaires différents ! Il faut passer par un guichet unique, mais ce sera très difficile à mettre en place, ne serait-ce que parce que les assureurs complémentaires ne sont pas d’accord avec l’assureur obligatoire. Du reste, les assureurs complémentaires ne sont pas intéressés du tout par cette idée de tiers payant généralisé, et pour une raison que je peux comprendre : comme ils travaillent dans le cadre d’un marché concurrentiel, ils tiennent à garder un lien direct avec les assurés qui les ont choisis. Les mutuelles sont plus favorables à ce dispositif, mais surtout pour des raisons idéologiques. Les autres assureurs, eux, veulent garder le contact avec leurs clients. Ils veulent apparaître sur les prises en charge et refusent l’anonymat d’un flux collectif.

Pour nous, médecins, il faudrait un flux unique, mais en face, ils n’en veulent pas. Cherchez l’erreur !

D’après les cadres syndicaux avec lesquels j’ai travaillé sur le projet de loi, le tiers payant dans les DOM se traduit, d’ores et déjà, par une perte de 10 % au niveau du ticket modérateur, et plusieurs heures par semaine passées à vérifier.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Que préconisent-ils puisque le tiers payant est déjà largement utilisé ?

M. Jean-Paul Ortiz. Ils sont opposés à la généralisation du tiers payant. Ils appellent à une amélioration du dispositif qui se traduit déjà par beaucoup de pertes et de temps perdu.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Je suppose qu’ils sont pour l’instauration d’un guichet unique.

M. Jean-Paul Ortiz. Bien sûr.

Mais ils refusent la généralisation, parce qu’ils veulent garder la possibilité de ne pas faire de tiers payant, en particulier pour les touristes. Il est vrai que c’est une part assez marginale dans l’activité d’un praticien des DOM, et que, généralement, ils refusent le tiers payant aux touristes. Allez récupérer 6,90 euros à la caisse de la MGEN du 78 ou de la Loire-Atlantique pour un acte fait à La Réunion ou aux Antilles… Je vous souhaite bien du bonheur ! Vous ne serez jamais payé.

Quant à l’institution de la CMU-c à Mayotte, vous pourriez peut-être m’éclairer, madame la présidente. Pourquoi n’y a-t-il pas de CMU-c à Mayotte ? Est-ce une exception territoriale ?

Mme Monique Orphée, rapporteure. Avant de devenir un département, Mayotte était une collectivité et n’avait pas droit aux mêmes services. Aujourd’hui, une extension de la CMU-c à Mayotte en tant que département semble logique et légitime.

M. Jean-Paul Ortiz. Si la CMU-c n’a pas été mise en place d’emblée, j’imagine qu’il devait y avoir des raisons très précises, peut-être d’ordre financier. Mais en tant que médecin, je ne vois pas pourquoi il y aurait une inégalité dans la couverture des populations défavorisées, au prétexte qu’elles habitent à Mayotte plutôt qu’à La Réunion, distante seulement de quelques centaines de kilomètres.

Concernant la prévention et l’article 4, qui traite des problèmes d’alcoolisme, les cadres syndicaux des DOM avec qui j’ai travaillé m’ont fait remarquer qu’il y avait un gros problème d’alcoolisme dans les DOM et que les règles y étaient souvent mal appliquées, en particulier pour ce qui touche à l’accès des mineurs à l’alcool. Il faudrait se pencher sur cette question et prévoir un accompagnement, qui relève peut-être du domaine réglementaire.

Mme Monique Orphée, rapporteure. J’ai rencontré le docteur Dietrich, qui travaille à l’hôpital sur ce sujet et prend en charge les patients. Il a écrit, il y a un mois, un excellent article sur l’alcoolisme à La Réunion. Il m’a alertée sur un certain nombre de problèmes posés dans la société réunionnaise, mais également sur le fait que l’ARS ne se préoccupe plus de cette question. J’ai l’intention de faire des propositions sur ce sujet, voire de mettre en place des sanctions concernant la vente d’alcool et de boissons sucrées.

M. Jean-Paul Ortiz. L’article 5 a pour objectif d’apposer des pictogrammes en fonction de la composition des produits, notamment en sucre. J’ai appris que les produits élaborés localement étaient beaucoup plus sucrés que ceux élaborés en métropole.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Absolument. Une loi a été adoptée sur ce sujet.

M. Jean-Paul Ortiz. Mais c’est également le cas pour les boissons gazeuses. C’est une situation que j’ignorais, et qui doit tenir à des raisons culturelles. Ne faudrait-il pas, en termes de santé publique, se pencher sur cette question pour ramener progressivement le taux de sucre à des niveaux habituels et alerter les populations ? Vous ne pouvez pas employer les mêmes pictogrammes, alors que la composition est différente.

Je me suis beaucoup intéressé à la composition en sel. Une expérience a été menée en Belgique, à l’échelle d’un canton où l’on a mesuré l’impact du sel sur l’apparition de l’hypertension artérielle dans la population. On a très progressivement diminué, sans le dire à la population, la teneur en sel du pain. On a ainsi observé au fil des ans, une différence significative quant à l’apparition de l’hypertension artérielle par rapport au reste du pays.

Je peux comprendre que le taux élevé de sucre observé à La Réunion, aux Antilles ou en Guyane procède d’habitudes alimentaires. Mais il faudrait que l’industrie agroalimentaire locale modifie la composition des produits pour diminuer progressivement la teneur en sucre. Si on agit brutalement, il y aura un choc dans la population, qui n’adhérera pas à ce changement. En revanche, si c’est fait progressivement, je ne vois pas pourquoi on n’y arriverait pas. Ce seraient, dans le cadre de la prévention, des dispositions intéressantes à faire remonter. À mon avis, ces idées pourraient être portées par la ministre, car elles semblent assez faciles à concrétiser, tout en étant peu coûteuses, et auront incontestablement un impact positif.

L’article 26 concerne le service public hospitalier. Aujourd’hui, dans les établissements de soins privés, il y a forcément des dépassements puisque les tarifs, pour les médecins spécialistes exerçant en clinique, n’ont pas fait l’objet de la revalorisation dont ont bénéficié tous les autres tarifs, qu’il s’agisse des tarifs publics hospitaliers ou des consultations. Il faut résoudre ce problème. Faute de quoi, petit à petit, il n’y aura plus de médecins spécialistes libéraux dans les DOM.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Les médecins spécialistes ne sont-ils pas en secteur 2 ?

M. Jean-Paul Ortiz. C’est précisément pour cela qu’ils sont en secteur 2.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Vous croyez qu’une revalorisation va les inciter à revenir en secteur 1 ?

M. Jean-Paul Ortiz. C’est mécanique. Pourquoi ne pas imaginer un mécanisme de revalorisation de la valeur des actes techniques qui serait réservé, soit aux médecins exerçant en secteur 1, soit aux médecins ayant adhéré au contrat d’accès aux soins, autrement dit aux médecins qui se sont engagés à plafonner leurs dépassements ? Je suis sûr que cela fonctionnerait très bien outre-mer. À l’échelon de la caisse nationale d’assurance maladie, l’impact financier est minime.

L’article 56 autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnance, ce qui signifie qu’il n’y aura ni discussion ni concertation – c’est toujours un peu angoissant…

J’en reviens aux différentiels tarifaires. La consultation, pour les médecins, est facturée 10 % plus cher en Martinique et en Guadeloupe, 20 % à La Réunion et en Guyane. Pour les salaires, on est à + 20 % pour la Martinique et la Guadeloupe, + 30 % pour La Réunion et + 70 % pour Mayotte. Je ne comprends pas pourquoi il n’en va pas de même pour les actes techniques médicaux.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Devrait-on diminuer cette sur-rémunération à Mayotte afin d’inciter à développer la médecine de ville ?

M. Jean-Paul Ortiz. Pourquoi déshabiller Pierre pour habiller Paul ?

Mme Monique Orphée, rapporteure. Il faut tout de même trouver un moyen d’inciter les jeunes médecins à s’installer à Mayotte.

M. Jean-Paul Ortiz. Le mécanisme de Mayotte a visiblement permis à l’hôpital de Mayotte de recruter des médecins.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Et de développer l’hôpital. Du coup, les médecins ont quitté le secteur libéral pour travailler à l’hôpital. Et ne trouvant plus de médecins, les gens vont à l’hôpital…

M. Jean-Paul Ortiz. Qui, de ce fait, se trouve engorgé. C’est le mécanisme habituel. Ce qui prouve au passage que les mesures incitatives, cela marche ! Des médecins venant de métropole vont travailler quelques années à Mayotte parce que les conditions sont extrêmement avantageuses. Cela veut dire qu’il faut soutenir la médecine de ville.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Faut-il passer des conventions avec Madagascar, par exemple, pour permettre aux médecins de cette île de venir chez nous ?

M. Jean-Paul Ortiz. Vous posez le problème des médecins à diplôme étranger, qui n’est pas spécifique aux DOM. C’est un problème qui nous interpelle dans notre République.

Aujourd’hui, la première année de médecine est commune avec la première année de pharmacie, de sage-femme et de kiné, avec un concours très sélectif à la fin de l’année, des taux de réussite très faibles pour les étudiants en médecine – 12, 15 ou 18 % pour certaines facultés suivant la localisation géographique – et d’excellents résultats pour le dernier reçu. Cette année, le dernier reçu à Montpellier avait 14,86 de moyenne. Il y a donc un nombre important de jeunes métropolitains ou originaires des DOM qui ne réussissent pas le concours de la première année de médecine, tout en ayant de bons résultats : échouer à 14,85, ce n’est pas être un mauvais étudiant…

Aujourd’hui, dans notre République, on est confronté à une inégalité insupportable. Je suis moi-même issu d’un milieu défavorisé. J’ai pu prendre l’ascenseur social et j’en suis fier. Mais aujourd’hui, c’est devenu impossible. Quand vous avez 14,85 de moyenne à Montpellier et que vous êtes collé au concours de médecine, il y a deux solutions : si vous êtes issu d’un milieu défavorisé, vous faites autre chose ; si vous êtes issu d’un milieu favorisé, vos parents se renseignent, ils vous envoient à Cluj, en Roumanie, paient 6 000 euros d’inscription à l’année, le voyage et l’hébergement. Vous faites vos études de médecine à Cluj et vous revenez avec votre diplôme, qui sera validé. Vous n’avez plus qu’à vous installer en France en tant que médecin. Voilà la réalité !

On va me dire que c’est l’Europe et que les diplômes sont équivalents. C’est vrai, mais il y a tout de même un vrai problème, qu’on n’aborde jamais. Entendons-nous bien : mes propos ne visent pas les médecins étrangers, mais les médecins à diplôme étranger, parmi lesquels vous avez effectivement des étrangers, mais aussi des Français issus des classes sociales les plus favorisées. Vous trouvez cela normal ? Personne ne dit rien, alors qu’ils représentent 25 à 30 % des nouveaux inscrits au Conseil national de l’Ordre des médecins. Cela n’a rien de marginal ! La moyenne des quatre dernières années tourne autour de 25 % de nouveaux inscrits au Conseil national de l’Ordre avec un diplôme délivré par une faculté non française – la moitié venant de facultés européennes, l’autre moitié de facultés extra-européennes.

J’entends les difficultés de la démographie médicale ; mais les déserts médicaux, ce sont des déserts tout court. Quand l’État a fermé la poste, la gare, le collège, que le médecin s’en va et qu’il ne trouve personne pour le remplacer, on crie au désert médical. N’allez pas demander à la médecine libérale de faire de l’aménagement du territoire ! Que l’État prenne ses responsabilités, qu’il accompagne les mouvements ! Cela étant, nous ne sommes plus à l’âge des chars à bœufs et des déplacements à cheval. Les gens peuvent faire dix, quinze ou vingt kilomètres et quand on fait des enquêtes sur le terrain, ils disent qu’ils y sont prêts. Une demi-heure de trajet, cela ne mène pas bien loin en région parisienne, mais dans un territoire rural, y compris à La Réunion, même si les routes ne sont pas toujours très bonnes, cela fait des kilomètres. On n’est pas obligé d’avoir un médecin dans chaque petit village. Il faut que les élus se rendent compte de cette réalité. On va regrouper les médecins, qui vont couvrir de gros bourgs, des populations de plusieurs milliers d’habitants. Et les gens se déplaceront.

Vous me parlez des médecins de proximité. Je n’ai rien contre les médecins de Madagascar. Mais je suis sûr que vous avez, à La Réunion, des jeunes de valeur qui ont fait une première année de médecine et qui ont été collés avec 14 de moyenne. S’ils voient qu’on ouvre largement la porte à des médecins de Madagascar qui sont allés se former dans d’autres pays européens où les mécanismes sont moins sélectifs, ils seront mécontents, à juste titre, et ils vous le reprocheront.

Au lieu de poser les vrais problèmes, on contourne les difficultés, sous des prétextes divers et variés – de crainte, par exemple, d’être taxé de raciste. Pour ma part, je suis très clair : je ne parle pas des médecins étrangers, mais des médecins à diplôme étranger.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Monsieur le président, je vous remercie.

Si vous avez une contribution à apporter…

M. Jean-Paul Ortiz. Vous l’aurez au moment de l’examen de la loi. J’étais avec Mme la ministre hier ; j’ai tout lieu de penser que certains éléments vont être modifiés.

Mme Monique Orphée, rapporteure. Je crois qu’elle est ouverte à des propositions sur certains articles du projet de loi.

M. Jean-Paul Ortiz. Il le faut, car les médecins sont très mécontents.

Mme Monique Orphée, rapporteure. La grève est-elle maintenue ?

M. Jean-Paul Ortiz. Oui, et elle sera très suivie. Cela montre qu’il y a un vrai malaise.

Mme Monique Orphée, rapporteure. C’est pourquoi il était nécessaire de vous recevoir.

Monsieur le président, je vous remercie beaucoup pour votre contribution.

Audition de MM. Christian Meurin, directeur général de l’agence régionale de santé de Guyane, Christian Ursulet, directeur général de l’agence régionale de santé de Martinique, et Patrice Richard, directeur général de l’agence régionale de santé de Guadeloupe

Compte rendu de l’audition du mercredi 17 décembre 2014

Mme Monique Orphé, rapporteure. Nous avons le plaisir de recevoir MM. Christian Meurin, directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) de Guyane, Christian Ursulet, directeur général de l’ARS de Martinique, et Patrice Richard, directeur général de l’ARS de Guadeloupe. Mme Chantal de Singly, directrice générale de l’ARS de l’océan Indien n’a pu se joindre à nous, mais nous pourrons l’auditionner prochainement.

Le projet de loi relatif à la santé ne comprend pas de volet ultramarin, si bien que j’ai demandé au président de la Délégation aux outre-mer, M. Jean-Claude Fruteau, de solliciter la Commission des affaires sociales afin que nous puissions nous saisir des articles 1, 3, 4, 5, 7, 12, 18, 26, 37, 38 et 56 du texte dans le but d’ouvrir un débat sur la santé dans les Outre-mer ; plusieurs de nos collègues s’en sont également ouverts à Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Nous avons déjà conduit plusieurs auditions et nous souhaitions entendre les directeurs généraux des ARS, qui occupent une place importante dans l’économie de ce projet de loi. En effet, les agences participeront à la mise en place de la politique de santé dans le cadre de la stratégie globale de santé prévue à l’article 1er du texte ; elles organiseront le service territorial de santé au public énoncé par l’article 12 ; elles superviseront le service public hospitalier aux termes de l’article 26 ; elles mettront en place les projets régionaux de santé (PRS) prévus à l’article 38.

Quel est le rôle des ARS dans les Outre-mer depuis leur création ? Comment analysez-vous les apports des articles 12, 26 et 38 du projet de loi relatif à la santé ? Que pensez-vous de la redéfinition des PRS ? Les ARS ne devraient-elles pas consacrer davantage de ressources à la prévention ? Quelles mesures supplémentaires souhaiteriez-vous insérer dans le projet de loi ?

M. Christian Ursulet, directeur général de l’ARS de Martinique. La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires – dite « loi HPST » – a créé les ARS, établissements publics auxquels ont été transmises les prérogatives des préfets en matière de santé – à l’exception de quelques missions régaliennes – ainsi que celles de dix-sept structures. Les agences agissent pour le compte de l’État sans être des services déconcentrés de celui-ci.

Certains facteurs propres aux Outre-mer compliquent la tâche des ARS. La Guadeloupe et la Martinique ont dû gérer trente crises à dimension sanitaire depuis trois ans. Le contexte international entourant ces territoires leur impose de conduire une coopération régionale afin de maîtriser l’impact financier et institutionnel de ce voisinage sur le système de santé. Un quart de la population des départements d’outre-mer (DOM) bénéficie de la couverture maladie universelle (CMU), ce qui influence le recours aux soins et grève les capacités d’investissement des collectivités locales, notamment dans les hôpitaux et les établissements accueillant des personnes âgées ou handicapées. Le nombre d’entreprises fournissant les structures de santé étant limité, les prestations souffrent souvent d’un surcoût qui pèse sur le budget sanitaire public. La crise des sociétés martiniquaise et guadeloupéenne nourrit une conflictualité sociale élevée qui touche le champ sanitaire et social, de sorte qu’il s’avère nécessaire de moderniser le dialogue social. Le chômage alimente une pression permanente que les établissements publics ont historiquement tenté d’amortir, mais la politique de redressement financier les empêche de jouer autant ce rôle que dans le passé.

Les maladies chroniques comme le diabète ou l’insuffisance rénale, les accidents vasculaires cérébraux (AVC), les cancers – principalement celui de la prostate chez les hommes et celui de l’utérus chez la femme – sont bien plus répandus outre-mer qu’en métropole, du fait notamment de la plus grande prévalence de l’obésité. En outre, les taux de mortalité maternelle, néonatale, périnatale et infantile sont deux fois plus élevés dans les DOM qu’en métropole, alors que les moyens sont comparables. Certaines maladies sont présentes dans les océans Indien et Pacifique, et finiront par atteindre les territoires d’outre-mer.

Les DOM pâtissent d’une insuffisance du nombre de professionnels de santé, celui-ci, rapporté à la population, n’étant que légèrement supérieur à la moitié de celui enregistré en métropole, et ce dans toutes les activités, à l’exception des sages-femmes et des infirmiers libéraux. Le secteur médico-social accuse un très grand retard, alors que le vieillissement de la population réunionnaise, martiniquaise et guadeloupéenne est bien plus accéléré qu’en métropole : il s’agit là du principal défi à relever dans les années à venir, celui-ci étant inverse en Guyane et à Mayotte où la population est jeune. Il y a lieu de maintenir les neuf établissements fortement déficitaires de ces régions, car ils sont indispensables à la population même si le coût de leur fonctionnement ne peut être amorti pour une zone habitée par moins de 1,5 million de personnes. La formation des personnels s’avère insuffisante.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Une fusion entre l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) et l’Institut de veille sanitaire (InVS) est envisagée, et la nouvelle structure disposerait de plateformes outre-mer. Qu’en pensez-vous ?

M. Christian Ursulet. Des cellules interrégionales d’épidémiologie existent aujourd’hui dans les ARS ; elles assurent la veille sanitaire et sont constituées de personnels des ARS et de l’InVS. Une plateforme de veille sanitaire reçoit, pour les Antilles, les signaux auxquels les ARS doivent répondre une fois validés.

La fusion comportera une déclinaison régionale, mais rien n'est encore décidé officiellement.

M. Christian Meurin, directeur général de l’ARS de Guyane. Une réforme de la gestion des vigilances dans les régions est envisagée : les ARS deviendraient un guichet unique de réception des signaux sanitaires, y compris pour les dispositifs spécialisés comme ceux sur le médicament et sur l'hémovigilance. Une mission de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) étudie actuellement ce projet d’évolution.

Mme Monique Orphé, rapporteure. La Cour des comptes a remis en juin dernier un rapport dans lequel elle pointait des dérapages dans les établissements d’outre-mer. Il n’existe pas de tableaux d’emplois dans ces établissements : pensez-vous que, si on les obligeait à en élaborer, ils réussiraient davantage à maîtriser leur budget ?

M. Christian Ursulet. Le centre hospitalier universitaire (CHU) de la Martinique a intégré les trois plus gros établissements de l’île, dans la plus importante fusion réalisée en France. Ces structures se trouvaient en faillite depuis décembre 2010. Le CHU de la Martinique emploie, à la suite de ce mouvement, 1 347 agents de plus que ceux de Poitiers et d’Angers, alors que la qualité du service n’y est pas meilleure que dans ces deux établissements métropolitains. Un changement s’est opéré, puisque le CHU a rendu plus de 350 postes en moins de trois ans, afin de rétablir les finances de l’établissement ; cette politique exige des outils et une coopération étroite entre la direction de l’hôpital et l’ARS.

M. Patrice Richard, directeur général de l’ARS de Guadeloupe. On demande aux établissements de santé de fournir leur tableau d’effectifs et d’emplois pour s’assurer qu’aucun dérapage n’a lieu. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2015 fournira un levier de plus pour accompagner le retour à l’équilibre des établissements déficitaires, à travers l’élaboration de plans qui comprendront de tels tableaux.

M. Christian Meurin. Le contrat d’objectifs et de moyens mis en œuvre depuis trois ans avec le conseil national de pilotage des agences visait la réduction mesurée du déficit hospitalier cumulé.

M. Jean-Jacques Vlody. Les territoires d’outre-mer font face à une offre sanitaire de moindre qualité par rapport à la métropole, si bien que la coopération régionale s’avère nécessaire, celle-ci posant des problèmes de visas et d’assurance pour les personnels et les patients. Quel rôle peut jouer la France en matière de politique de santé dans ces espaces ? Quels échanges dans le domaine de la recherche universitaire pourrait-on développer au profit des CHU ?

Vous avez évoqué un ensemble de pathologies plus répandues en outre-mer qu’en métropole : comment adaptez-vous la politique de santé à cette situation ? Vos services parviennent-ils à prendre en compte ces spécificités ? Disposez-vous des moyens nécessaires pour être à la hauteur de l’ambition qu’un pays comme la France nourrit en termes de santé ?

M. Christian Ursulet. Le système actuel n’a jamais été pensé, et il s’avère coûteux pour notre pays. Ainsi, le CHU de la Martinique a une dette de 10 millions d’euros ; nous avons donc intérêt à développer la coopération avec les autres îles des Caraïbes – la Guadeloupe avec celles du nord et la Martinique avec celles du sud. Il conviendrait aussi de développer certains aspects hospitaliers, même s’ils existent déjà ; ainsi, le CHU de la Martinique engage des moyens pour faire venir et soigner des malades souffrant de graves pathologies cardiaques ; jusqu’à cinq malades sont ainsi pris en charge chaque semaine, le coût pour chacun d’entre eux s’échelonnant de 15 000 à 40 000 euros sans que la Martinique puisse récupérer plus de la moitié de ces sommes. La situation s’avère pire en Guadeloupe qu’en Martinique car la population étrangère y est dix fois plus importante.

Il faudrait élaborer une convention internationale que l’on soumettrait aux États ; ses annexes dresseraient la liste des matières pouvant faire l’objet de coopérations. Nous souhaiterions également signer des accords avec les assureurs privés concernés, au nombre de huit, qui permettent actuellement à des personnes de se faire soigner à un prix exorbitant aux États-Unis ou en Colombie, afin de cesser de perdre de l’argent et afin même d’en gagner.

M. Jean-Jacques Vlody. Vous ne rencontrez pas de problème de visas ?

M. Christian Ursulet. Cela dépend des pays.

M. Christian Meurin. À Mayotte et en Guyane, le recours aux soins de personnes étrangères, très important, s’explique par la différence des niveaux de développement ; ainsi le Suriname, le nord-est du Brésil et les Comores se trouvent dans des situations sociales délicates. La France a consenti un investissement exceptionnel dans le contexte actuel en reconstruisant l’hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni : l’établissement a doublé sa capacité et accueille un service de chirurgie obstétrique. Nous discutons avec le ministère de la santé du Suriname pour que le recours aux soins y soit plus précoce, car le traitement des patients nécessite ensuite des protocoles plus complexes, notamment des dialyses pour les personnes souffrant d’insuffisance rénale. Or nous devons prendre en charge ces malades même en absence de tout domicile en Guyane.

Nous cherchons ainsi à développer des protocoles de prise en charge identiques avec le Suriname, par exemple pour le traitement du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) – la Guyane étant la région française où sa prévalence est la plus élevée après l’Île-de-France – car les malades se rendent là où les soins sont le plus précocement accessibles.

La coordination avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) nous aide à lutter contre le paludisme, cette maladie continuant de circuler en Guyane. L’OMS craint l’apparition de phénomènes de résistance aux médicaments, dus à la mobilité de personnes ne respectant pas les traitements – notamment les orpailleurs clandestins d’origine brésilienne qui circulent entre leur pays, le Suriname et la Guyane. Le nombre de cas diminue fortement au Suriname et en Guyane, mais cette tendance n’a pas encore touché le Brésil. L’ARS de Guyane est la seule de France à déployer de telles coopérations internationales.

M. Patrice Richard. Le titre premier du projet de loi relatif à la santé concerne le renforcement de la prévention. La fongibilité des crédits au sein des fonds d’intervention régionaux (FIR) permet de consacrer une part plus grande des dépenses à la prévention. Le rapport de la Cour des comptes sur la santé outre-mer pointait le déséquilibre entre les dépenses de prévention et celles de soins, déséquilibre qui est au détriment des premières. L’équilibre du FIR peut même se trouver en danger lorsqu’il doit abonder la trésorerie d’établissements de santé en fin d’année. Il s’avère donc nécessaire de maîtriser la dépense hospitalière pour dégager des marges de manœuvre et accroître les actions de prévention.

Plusieurs articles du projet de loi sont applicables aux Outre-mer ; ainsi, le parcours éducatif en santé concerne nos territoires où il est crucial d’agir préventivement dès la petite enfance et jusqu’à l’âge adulte. Dans cette optique, nous avons développé en Guadeloupe le programme « École carambole », qui cible le surpoids et l’obésité depuis la maternelle jusqu’au collège et vise, en liaison avec les enseignants, à développer des comportements favorables à la santé en termes d’activité physique et d’alimentation.

Le projet de loi contient un article sur l’amélioration de l’information nutritionnelle, et le député et ancien ministre, M. Victorin Lurel, me parle régulièrement de la loi qu’il a portée et qui vise à garantir la qualité de l'offre alimentaire outre-mer, en s’attaquant au problème de la teneur en sucre des aliments ; néanmoins, alors qu’elle date du 4 juin 2013, on attend toujours la publication du décret d’application principal. En effet, les produits alimentaires sont plus sucrés outre-mer qu’en métropole, et il est urgent de vendre à la population des produits moins riches en sucre afin de pouvoir lutter contre l’obésité.

Le projet de loi relatif à la santé ouvre l’accès à d’autres tests en matière de maladies sexuellement transmissibles (MST), notamment aux tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) pour le VIH et les hépatites B et C.

Les quatre ARS d’outre-mer se sont réunies pour se pencher sur la question de la mortalité infantile. La Cour des comptes a abordé le sujet dans son rapport et nous proposons à la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes d’élaborer un plan de lutte contre la mortalité infantile outre-mer ; les quatre ARS réfléchissent aux mesures que pourrait contenir ce programme. La mortalité infantile renvoie au suivi des grossesses et à la collaboration avec les services de protection maternelle et infantile (PMI) des conseils généraux.

Le projet de loi contient des dispositions visant à éviter le renoncement aux soins motivé par des raisons financières. Nous devons lutter contre toutes les ruptures de prise en charge pour faire en sorte que le parcours de soins soit le plus fluide possible.

Au total, nous pourrons mobiliser les dispositions qui existent déjà – et qui nous permettent déjà d’agir – et celles contenues dans le projet de loi relatif à la santé pour mettre en œuvre les politiques inscrites dans les PRS en application de la politique nationale de santé.

M. Christian Meurin. Les ARS d’outre-mer ont été installées, comme en métropole, au mois d’avril 2010, et ont bénéficié du même accompagnement et de la même aide. En revanche, du fait de l’existence de caisses générales de sécurité sociale et de l’absence d’unions régionales des caisses d’assurance maladie (URCAM), les moyens issus de l’assurance maladie ont été très inférieurs à ceux des ARS de métropole. Nous n’avons pas bénéficié du nombre de praticiens-conseils et du nombre d’agents mis à disposition par les caisses de sécurité sociale et par les URCAM – puisque celles-ci n’existent pas. La gestion du risque était beaucoup moins développée outre-mer. Les postes supplémentaires répartis entre les ARS d’outre-mer lors de leur création n’ont pas permis de retrouver la même équité vis-à-vis des régions.

Les missions des ARS d’outre-mer sont les mêmes que celles de métropole, avec toutefois quelques particularités. Le plus souvent, elles exercent les fonctions de proximité et de pilotage régional. La délégation territoriale de Mayotte a de facto une autonomie beaucoup plus importante que les délégations territoriales des départements de métropole. Quant aux autres territoires d’outre-mer, ce sont souvent des régions monodépartementales avec un cumul de rôles qui conduit à des organisations adaptées, différentes des ARS de métropole.

Certaines missions sont surreprésentées, comme les missions régaliennes effectuées pour le compte de l’État et des préfets, du fait de situations particulières : l’habitat insalubre, l’eau – en Guyane, 15 % de la population n’est pas reliée à un réseau d’eau potable –, l’assainissement. Les effectifs des services de santé-environnement sont de même niveau que ceux de métropole alors que le retard structurel d’infrastructures d’hygiène primaire nécessite, outre un rôle de police sanitaire, un rôle d’aide à la prévention. En Guyane et à Mayotte, par exemple, on favorise l’installation de bornes-fontaines pour éviter les risques de maladies transmissibles, puisqu’il y a régulièrement des bouffées épidémiques d’hépatite A à cause du manque d’adduction d’eau potable.

L’adaptation de certaines politiques est nécessaire. La lutte antivectorielle a été un sujet polémique en Guyane avec le recours dérogatoire au Malathion, un produit qui n’est pas autorisé en Europe parce que l’industriel n’a pas déposé de dossier d’autorisation, mais qui est recommandé par l’OMS. Cet exemple montre que les politiques nationales ne nous permettent pas de disposer des outils adaptés aux contextes sanitaires locaux. C’est le cas aussi de la lutte antivectorielle dans le cadre épidémique du chikungunya qui, pour la première fois, frappe les Caraïbes et l’Amérique.

À partir de l’exercice 2016, les FIR deviendront des budgets annexes des ARS. Pour le moment, ce sont des fonds théoriques, car ils regroupent des crédits d’État gérés par les ARS, mais aussi des crédits de prévention qui ont été maintenus dans les caisses d’assurance maladie, c’est-à-dire que nous ordonnons des dépenses et que c’est l’agent comptable d’une caisse pivot qui les engage. Il n’y a pas d’unité de budget, pas d’examen de ces projets de financement par des instances spécialisées comme la Conférence régionale de santé et de l’autonomie (CRSA) ou les organes qui réunissent les représentants des usagers. Il y a simplement une information. À terme, le FIR devrait regrouper l’ensemble des crédits. Cet outil est très important outre-mer, c’est l’outil principal en matière de prévention. N’oublions pas que, dans un contexte d’infrastructures déficitaires, ce sont les politiques de prévention qui ont la plus grande efficacité. C’est le cas pour la politique de nutrition par rapport aux maladies chroniques comme le diabète, mais aussi face aux risques épidémiques – chikungunya, paludisme, dengue. C’est souvent le conseil général qui gère la lutte antivectorielle mais ce n’est pas le cas partout. À La Réunion et à Mayotte, elle est gérée par l’agence régionale de santé. Les pressions sur le FIR sont très fortes pour utiliser ses crédits dans des opérations hospitalières, alors qu’ils devraient être réservés en priorité à la prévention. Cela nous différencie beaucoup de nos collègues de métropole alors que, pour le moment, nous sommes soumis à la même régulation que les autres régions de métropole en matière de règles budgétaires du FIR. Dans le secteur hospitalier, les aides à l’investissement se sont beaucoup développées et ont été regroupées avec le Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (COPERMO). Les imputer pour partie sur le FIR diminue d’autant les montants disponibles pour les politiques de prévention alors que ce domaine devrait être prioritaire.

M. Jean Jacques Vlody. Si je vous comprends bien, vous estimez que la politique d’investissements n’est pas à la hauteur des enjeux, ce qui nécessite de recourir aux crédits du FIR, alors qu’ils devraient servir à la politique de prévention.

M. Christian Meurin. On peut le dire de cette manière, effectivement !

M. Jean Jacques Vlody. Il faut donc encourager la politique d’investissements.

M. Christian Meurin. C’est le cas pour le secteur médico-social. Aux Antilles, l’enjeu nouveau ce sont les personnes âgées en raison de l’évolution de la population. À Mayotte, à La Réunion et en Guyane, l’enjeu démographique, c’est le handicap. Au début des années 2000, des plans de rattrapage ont été lancés, mais ils ont été arrêtés. Le nombre de places en institut médico-éducatif (IME) ou dans les services de soins ambulatoires pour les autistes ou d’autres catégories de personnes handicapées baisse car la population progresse de 3 à 4 % par an, taux que l’on ne rencontre nulle part ailleurs.

En métropole, on a diminué les capacités d’hospitalisation complète en psychiatrie parce que les soins s’effectuent mieux en milieu ambulatoire et qu’on avait hospitalisé en psychiatrie des personnes âgées qui n’avaient rien à y faire. De ce fait, des lits ont pu être transformés en lits médico-sociaux, en particulier pour adultes et enfants handicapés. En revanche, outre-mer, on n’a absolument pas la possibilité de procéder à de tels redéploiements. Comme l’offre de soins en psychiatrie est naissante, on ne bénéficie pas des capacités qui existaient traditionnellement dans tous les départements de métropole.

M. Christian Ursulet. Je veux apporter quelques précisions sur la prévention, l’offre de soins primaires et les personnes âgées.

Nous ne pouvons pas aller plus vite dans ces domaines en raison du cadre réglementaire actuel. Nous avons besoin d’un peu plus de souplesse et de moyens. Il faudrait accroître les possibilités de fongibilité entre l’enveloppe sanitaire, l’enveloppe médico-sociale et l’enveloppe destinée à la prévention. Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple concret et chiffré. Le CHU « nouvelle formule » de la Martinique est en faillite ; pour l’accompagner jusqu’à ce qu’il soit redressé, l’État doit lui verser 225 000 euros par jour. En vingt-six jours, l’aide exceptionnelle nécessaire au redressement du CHU de la Martinique correspond exactement au budget annuel de la prévention dédié à la Martinique par l’ARS.

Nous avons besoin de construire des parcours de santé qui correspondent à nos priorités. Les cinq parcours de santé que nous voulons sont les suivants : les maladies chroniques comme le diabète, les insuffisances rénales ou les AVC, le cancer, la périnatalité, la santé mentale et les personnes âgées. Mais pour cela, il nous faut des moyens, que la fongibilité soit réglementairement possible et que nous ne soyons pas asphyxiés par un investissement qui se ferait via le FIR.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Vous avez parlé de pressions pour utiliser le FIR pour faire des investissements.

M. Christian Ursulet. Je n’ai pas parlé de pressions à ce niveau-là. J’ai dit que les besoins sont nombreux pour rééquilibrer la situation déficitaire des établissements sanitaires et que le FIR a des obligations de financement dont nous ne pouvons pas nous extraire. Cela limite donc nos possibilités de fongibilité et nous empêche de développer comme nous le souhaiterions la prévention et l’éducation à la santé. Il faut de la souplesse dans l’utilisation des moyens.

M. Christian Meurin. On finance sur le FIR la compensation du surcoût de certaines activités isolées, faute d’atteindre un seuil qui leur permettrait d’être suffisamment rentables. Du coup, ces sommes ne peuvent pas servir aux politiques de prévention. Si on fait une comparaison interrégionale des FIR, on s’aperçoit que cette dépense n’existe pas ailleurs, sauf peut-être dans les zones de montagne isolées.

M. Christian Ursulet. Je prendrai un autre exemple, celui de la démographie et des soins primaires, qui montre que la souplesse dans l’utilisation des fonds est nécessaire. La Martinique est un morceau de rocher à l’échelle de la France, puisqu’elle fait 100 kilomètres de long sur 30 kilomètres de large. Le nord de la Martinique compte cinq communes mais aucun médecin. Il nous faut absolument trouver des solutions à ce problème. Nous aimerions avoir des moyens d’expérimentation. Il y avait trois dispensaires, dont deux ne servaient plus à grand-chose puisqu’ils étaient dédiés à la lèpre et à la tuberculose. Nous allons les transformer pour créer dans le nord de la Martinique deux centres de santé. On ne peut pas copier ce qui est fait ailleurs, dans la région parisienne par exemple, car la réalité n’est pas la même. Ce qu’il faut faire, c’est proposer l’accès à des soins de santé primaires la journée dans ces zones, pour éviter que la population soit obligée de parcourir beaucoup de kilomètres, de prendre des taxis collectifs, bref de perdre plusieurs heures pour aller consulter un médecin. Il faut aussi créer un cabinet dentaire, car il n’y a pas non plus de dentistes, et faire de l’éducation thérapeutique pour permettre aux patients de mieux gérer les maladies chroniques, comme le diabète, etc. Enfin, pour le soir, il faut mettre en place une maison médicale de garde de 19 à 24 heures pour que la population puisse se rendre dans des centres d’urgence. Tout cela n’a pas de réalité institutionnelle.

M. Bernard Lesterlin. Vous ne pouvez pas le faire ?

M. Christian Ursulet. Je le fais, en accord avec l’assurance maladie, les mutuelles, etc., mais ce n’est pas financé en tant que tel. Il faut répondre aux besoins de la population.

M. Christian Meurin. C’est une démarche volontariste qui dépend de la mobilisation locale.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Vous savez qu’il y a une levée de boucliers de la part des médecins qui craignent que les ARS aient la mainmise sur l’organisation de la santé.

M. Patrice Richard. Je souhaiterais évoquer ici différents articles de la future loi de santé, et d’abord l’article 12 qui institue un service territorial de santé au public. Ce n’est pas un nouvel échelon, mais une offre de services de santé, coordonnée entre les professionnels d’un territoire sur la base du volontariat. Ce dispositif ne résoudra pas le problème des territoires extrêmement déficitaires, à moins que des professionnels d’établissements de santé acceptent de faire des vacations dans un centre de santé sur un territoire déficitaire. En Guadeloupe, nous avons décidé de calquer les territoires de santé sur les agglomérations et communautés de communes. La communauté d’agglomération Cap Excellence regroupe Pointe-à-Pitre, les Abymes et Baie-Mahault, et compte 130 000 habitants. Il faudra une coordination entre les différents professionnels et les différentes catégories de professionnels, ce qui est difficile car ils ne se connaissent pas forcément. Dans les territoires où le nombre de professionnels est insuffisant, à Marie-Galante par exemple, il faut faire venir des spécialistes. Ce ne sera possible que si des professionnels du secteur excédentaire acceptent. Pour Marie-Galante, nous avons identifié les spécialités pour lesquelles nous souhaiterions avoir des consultations avancées de médecins spécialistes. Le CHU rencontre des problèmes pour recruter des cardiologues. Nous allons nous tourner vers le secteur libéral pour voir si des professionnels libéraux cardiologues accepteraient de venir. Inscrire ce dispositif dans la loi rend légitime le développement de la coordination entre les professionnels de santé. En fait, nous avons déjà entamé cette démarche puisque j’ai signé, avec Cap Excellence, un contrat local de santé. Après avoir posé un diagnostic partagé de santé sur les problèmes rencontrés en matière de prévention, de soins, et au plan médico-social, nous avons fixé des objectifs avec les élus des territoires, les différents acteurs de santé, sur les progrès à réaliser dans le champ de la santé.

Le service territorial de santé au public correspond à un pas supplémentaire dans ce travail de coordination parce que l’on sait que les parcours de soin connaissent des ruptures, qu’il y a des déficits de coordination entre la ville et l’hôpital, entre certains professionnels de santé, le soin et le médico-social. Il faut vraiment inscrire dans la loi ces parcours de santé coordonnés.

L’article 26, qui propose de refonder le service public hospitalier, provoque quelques remous dans l’hospitalisation privée. Les cliniques privées se demandent en effet si ce dispositif leur fera perdre les missions de service public, les urgences. Je pense que ce ne sera pas le cas.

M. Christian Meurin. Ce n’est pas un enjeu pour les Outre-mer, car il existe des territoires où aucun professionnel de santé libéral n’est installé. Notre souhait, c’est de créer une offre. Je pense notamment aux zones isolées en Guyane. Là-bas, le littoral regroupe 90 % de la population, le reste est émietté. Pour ces patients, il n’existe que les centres de santé qui sont plus ou moins bien coordonnés avec les centres qui relèvent de la PMI (la Protection maternelle et infantile).

M. Bernard Lesterlin. Vous n’avez pas de problème de clinique privée à Maripasoula ?

M. Christian Meurin. Non. Il y a une pharmacie et un infirmier. Nous aimerions qu’un médecin libéral puisse s’y installer. Nous travaillons plutôt en bonne intelligence. Nous n’avons pas de difficulté à dialoguer avec l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) pour essayer d’utiliser au mieux les aides qui ont été mises en place, comme le statut de praticien territorial de médecine générale qui permet un exercice mixte en médecine hospitalière à Maripasoula et en médecine de ville pour aboutir à la création d’une maison de santé pluridisciplinaire. Voilà quelle pourrait être la nouvelle organisation.

M. Patrice Richard. Le mécontentement des médecins libéraux porte surtout sur l’une des dispositions du projet de loi qui prévoit que les conventions nationales passées entre l’assurance maladie et les professions puissent avoir des déclinaisons régionales. Il me paraît très important qu’il puisse y avoir des déclinaisons régionales outre-mer, en raison des spécificités qui existent. Peut-être faudrait-il prévoir une rémunération spécifique pour des professionnels de santé qui accepteraient de sortir de Cayenne pour aller travailler à Maripasoula. Cela pourrait être négocié avec la profession dans le cadre d’une déclinaison régionale de la convention nationale.

J’ai accueilli en Guadeloupe le congrès de la Fédération nationale des infirmiers libéraux, infirmiers qui sont opposés à des déclinaisons régionales car ils ont peur que les projets partent dans tous les sens. Je leur ai dit que pour les Outre-mer il est important de pouvoir, avec la profession, l’URPS, les médecins libéraux, les infirmiers, les kinésithérapeutes, négocier des spécificités. Mais je crois que les médecins libéraux n’entendent pas cet argument et qu’ils considèrent que la convention doit être nationale.

M. Bernard Lesterlin. Les députés qui s’intéressent aux Outre-mer ou qui les connaissent bien savent qu’il est important de prendre en compte le fait que ces territoires rencontrent une grande diversité de situations par rapport à l’offre de soins. Certains endroits sont des déserts médicaux. Du reste, cela ressemble beaucoup aux déserts médicaux que l’on peut trouver dans ma circonscription, le Bourbonnais. Par ailleurs, la situation de l’île de Marie-Galante et le manque de spécialistes constituent un autre problème. Enfin, répondre à la problématique de l’offre de soins à l’intérieur de la Guyane, c’est encore autre chose !

Avant d’entamer la discussion sur le projet de loi de santé, il est important pour nous de savoir ce qui vous empêche actuellement de répondre à la diversité des situations ; de savoir si le texte a pris en compte cette question ; et de connaître ce dont vous avez besoin. Il est évident que vous avez besoin de souplesse dans l’application de la loi pour répondre à la variété des situations globales. Et je ne parlerai pas devant mes deux collègues de La Réunion de la situation de leur département, qui est encore différente. À mon avis, le déficit en professionnels y est un peu moins important qu’ailleurs.

Il est important que vous nous disiez concrètement ce que vous ne pouvez pas faire réglementairement – par exemple, que vous ne pouvez pas mobiliser les financements, notamment en matière de prévention, domaine qui est toujours oublié par rapport à l’offre de soins curatifs. Voilà ce que vous devez nous dire pour que nous puissions progresser dans l’examen de ce texte et éventuellement l’amender utilement. Si certaines des dispositions du projet de loi vous posent des problèmes que nous ne connaissons pas en métropole, dites-le nous. Comme vous êtes des départements de droit commun, les dispositions de la future loi s’y appliqueront, comme elles s’appliqueront aux départements métropolitains. Avez-vous besoin de dispositions spécifiques qui répondraient à votre demande de souplesse ?

Au regard de la diversité des situations de l’outre-mer, il faut faire preuve d’un grand pragmatisme. Les lois que nous votons doivent améliorer la situation et non augmenter les blocages sous prétexte d’uniformité de la République.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Outre cette loi, un plan de santé sera élaboré dans chaque territoire. Pour notre part, nous allons demander, par le biais d’un amendement déposé à l’article1er, la déclinaison d’un plan de santé par territoire, en raison de la diversité des situations.

M. Jean Jacques Vlody. Vous avez parlé, à plusieurs reprises, d’adaptations. Pour ma part, je plaide en faveur de l’adaptation outre-mer de certains règlements nationaux – je l’ai encore fait, il y a une semaine à peine, lors d’un entretien avec le préfet de La Réunion. Nous sommes donc d’accord pour dire qu’il est nécessaire d’adapter nos lois, nos règlements, à la réalité de nos territoires.

Sur quoi souhaitez-vous une adaptation plus particulière, plus poussée, en dehors de la fongibilité que vous avez évoquée ? Par exemple, s’agissant de l’accompagnement des personnes âgées, nous avons souvent du mal à faire comprendre à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) qu’une péréquation est nécessaire parce que l’entrée dans la dépendance intervient dix ans plus tôt à La Réunion. C’est un combat perpétuel. Il serait souhaitable que la loi prévoie des règles qui s’appliqueraient de manière récurrente et qui ne nécessiteraient pas que l’on monte au créneau à chaque fois pour expliquer que la situation n’est pas la même qu’ailleurs. On gagnerait beaucoup de temps.

M. Patrice Richard. L’article 38 met fin au dispositif des PRS tel qu’il existe aujourd’hui, c’est-à-dire la mise en œuvre de projets déclinés en quatre schémas avec des programmes très détaillés, ce qui est source de complexité. Le nouveau texte devrait simplifier les choses, avec une vision plus stratégique à dix ans, comportant des orientations susceptibles d’être négociées par la suite.

Quels sont les leviers qui nous manquent pour la mise en œuvre de ce projet ? Le premier est financier puisque, pour développer la prévention, il faut dégager des ressources importantes. Cela suppose des arbitrages au niveau national, qui ne relèvent pas du domaine de la loi. Il s’agit de privilégier l’outre-mer afin de dégager des montants suffisants.

La démographie médicale demeure une préoccupation majeure. Il faut estimer les effectifs à former, chose compliquée puisque le conseil général intervient et que c’est le ministère qui détermine le numerus clausus. Il faudrait améliorer les procédures de consultation relatives aux effectifs. Des mesures ont été adoptées pour Mayotte et la Guyane au sujet de l’emploi des médecins étrangers. Nos voisins de la République Dominicaine ont des médecins qui terminent leur formation à Montpellier. La République Dominicaine bénéficie d’une excellente démographie médicale et les médecins concernés sont francophones. N’étant pas français, ils ne relèvent pas de l’Union européenne, et leur recrutement chez nous se fait au compte-goutte. Depuis l’expérience de la Guyane, l’Ordre des médecins est hostile à cette pratique, mais cela peut, peut-être, se négocier pour des spécialités très déficitaires. J’ai rencontré le directeur du plus important centre « mère-enfant » de la République Dominicaine qui m’a fait part de son souhait de voir des médecins dominicains venir effectuer des spécialisations sur des équipements de type IRM qui n’existent pas en très grand nombre chez eux.

M. Christian Ursulet. Cuba a fait un effort important de formation des professionnels et dispose de la plus grande maternité du monde où sont réalisés cent vingt accouchements par jour ; c’est très impressionnant !

La loi pourrait, à moindre coût, améliorer certaines situations. Tout d’abord, le budget des ARS : nous sommes dans le droit commun, mais nous ne faisons pas le même travail, et nous manquons donc de moyens pour aider la France à occuper sa place dans nos régions. Il ne faut pas sous-estimer l’impact des urgences, de la veille et de la sécurité sanitaires sur nos budgets. C’est de ma propre initiative que j’ai créé un service de coopération, avec des projets interétatiques, en finançant les déplacements.

Si, pour les dotations du FIR et la péréquation, nous sommes logés à la même enseigne que tout le monde, la situation est déséquilibrée : comment assurer la permanence des soins et améliorer la prévention alors que nous sommes très en retard en termes de démographie médicale ? Vous avez raison de dire que la situation de Saint-Pierre ou de Sainte-Marie est comparable à celle de la Haute-Loire, où j’ai d’ailleurs ouvert la première maison de santé à Craponne-sur-Arzon. La différence est que, dans une région métropolitaine, vous pouvez aller dans une autre ville, alors que, sur une île, vous êtes enfermé, et que, là où il y a des moyens, ceux-ci sont déjà déficitaires. Les patients viennent attendre dès quatre heures du matin, nous les dissuadons de se déplacer. Je ne parle pas de Sainte-Marie qui est privilégiée en comparaison de Macouba, Grand’rivière ou Ajoupa-Bouillon. Il faudrait quelques moyens supplémentaires, des enveloppes particulières pour aller plus vite dans la constitution du FIR, un droit de tirage pour les DOM. Nous ne voulons pas refaire des maisons de retraite de soixante ou quatre-vingts places qui mettent sept ans à sortir de terre ; nous voulons aller plus vite.

Les indicateurs qui servent à fixer les dotations pour les permanences de soins sont, eux aussi, les mêmes pour tout le monde. Sauf que d’aucuns disposent déjà de structures existantes, comme certains de mes collègues du Limousin. Je n’ai pas une grande connaissance de la situation en Guyane ou en Guadeloupe, mais je ne vois pas, en Guadeloupe, de maisons médicales de garde, de centres de santé ou de maisons de santé pluridisciplinaires. En Martinique, où règne un retard sanitaire extraordinaire, le nombre de ces institutions était de zéro en 2010 ! Dans ces conditions, si l’on m’affecte simplement des moyens « standard », je ne rattraperai jamais le retard. Pour atteindre l’égalité, il nous faut un traitement inégalitaire. Nous avons besoin d’aller plus vite parce que nous venons de plus loin, et de bâtir des indicateurs permettant de rattraper le retard.

En ce qui concerne le recours à des médecins étrangers, il existe pour le moins quelques nuances avec la Guadeloupe et surtout avec la Guyane, où la situation est encore pire. En Martinique, pour la gastroentérologie, il n’y a pas de spécialistes ou presque ; pour la pneumatologie, les spécialistes sont très rares ; pour la pédiatrie, c’est le même constat. Il aurait fallu trois services d’urgences ; il manque dix-sept praticiens hospitaliers à temps plein pour les faire fonctionner selon les normes ; nous avons donc rassemblé les moyens sur deux centres : Fort-de-France et Trinité. Pour les anesthésistes, la situation est la même. Il suffirait d’assouplir très légèrement la réglementation sur cette question des médecins étrangers afin de ne pas choquer les ordres qui veillent sur leur pré carré. Au demeurant, aucun médecin ne veut faire de gardes chez nous et j’ai dû en réquisitionner trente-cinq après un an de débat ! J’ai d’ailleurs enregistré vingt-trois inscriptions depuis.

Certes, la réglementation se veut protectrice afin d’empêcher que n’importe qui vienne exercer, mais ce verrouillage est excessif et artificiel. Il fallait deux ans d’exercice en métropole plus deux mois après le 1er septembre 2009 !

M. Bernard Lesterlin. Cela relève-t-il du domaine législatif ? Car, si tel n’est pas le cas, votre interlocuteur doit être la direction générale de l’offre de soins (DGOS).

M. Christian Ursulet. Il me semble en effet que ces durées relèvent du règlement.

J’avais un hôpital neuf avec seulement deux médecins à temps plein ; pendant deux ans, son taux d’occupation a été de 50 %. J’ai pu recruter un médecin cubain qui remplissait toutes les conditions et, en l’espace de trois ou quatre mois, le taux d’occupation est passé à 85 %. Cela prouve qu’il y a de la compétence disponible sur la zone.

Mme Monique Orphé, rapporteure. À La Réunion, nous avons pu mettre en place ces structures : permanence de soins, régulation… Et cela fonctionne.

M. Christian Ursulet. Avec l’ARS nous avons fait beaucoup de progrès ; j’ai mis en place trois maisons médicales de garde et trois maisons de santé pluridisciplinaires ; nous sommes en train d’installer les maisons de santé, mais il a fallu pour cela prélever d’autres moyens que j’aurais pu orienter vers la prévention.

M. Christian Meurin. Pour compléter le propos relatif aux situations particulières, je voudrais évoquer deux actions conduites au niveau national et pour lesquelles nous avons été entendus. Premièrement, le plan cancer 3 qui, s’il ne comprend pas de volet spécifique aux Outre-mer, a défini des orientations spécifiques tenant compte des comportements et des situations locales. Deuxièmement, sur le plan alimentaire, le programme national nutrition santé (PNNS) pour lequel on attend la publication du décret d’application de la loi « sucre ».

La périnatalité est un sujet sur lequel nous souhaiterions la mise en place d’une action de santé publique faisant l’objet d’un pilotage national. La Cour des comptes a dénoncé ce défaut d’action à l’échelon national, car les Outre-mer connaissent dans ce domaine les indicateurs les plus défavorables. Nous bénéficions parfois de commissions de coordination, dont l’existence est cependant tributaire de la démographie médicale. Ici et là, nous rencontrons de graves difficultés avec la protection maternelle infantile (PMI) qui, faute d’être à même de pourvoir ses postes, ne parvient pas à assurer pleinement les missions qui lui sont confiées par la loi. Comme à Mayotte, nous souhaitons développer en Guyane des délégations de service public afin de mutualiser les centres hospitaliers de prévention avec les centres de PMI. Cela représentera une économie de bureaux et de secrétariats. Cependant, cette démarche se heurte à des problèmes institutionnels et financiers, précisément parce qu’elle se déroule sans pilotage intégré au sein d’une politique qui répondrait aux besoins particuliers rencontrés outre-mer.

M. Bernard Lesterlin. Que manque-t-il le plus aux Outre-mer dans le domaine de la santé ? Est-ce une politique nationale ciblée ? Ou bien une marge de manœuvre plus ample pour les représentants de l’État que vous êtes ?

M. Christian Meurin. Je pense qu’il faudrait un ensemble de politiques spécifiques à partir d’une problématique nationale, car nous sommes confrontés à des réalités particulières – grossesses précoces, problèmes d’accès au droit – qui ne se posent pas dans les mêmes termes en métropole.

M. Bernard Lesterlin. Il s’agit donc de marges de manœuvre. Cela relève de la déconcentration.

M. Christian Meurin. Un autre domaine typiquement local d’intervention est celui de la santé environnementale. Il s’agit de l’accès à l’eau potable, des questions d’habitat insalubre, d’exposition aux risques particuliers et de lutte antivectorielle. J’observe, à cet égard, que cette dernière est une compétence théoriquement dévolue aux collectivités territoriales, mais qu’elle est diversement exercée par celles-ci en fonction du territoire concerné. Là aussi, un pilotage national paraît souhaitable, et une des déclinaisons du plan national santé environnement (PNSE) nouvelle génération pourrait concerner l’outre-mer, puisque les réalités environnementales ne sont pas les mêmes qu’en métropole.

Mme Monique Orphé, rapporteure. J’ai bien entendu, Messieurs, vos attentes, et je vous suggère de me communiquer vos contributions afin que nous puissions proposer des amendements au projet de loi, l’examen du texte ayant lieu au mois d’avril prochain. Le sujet de la coopération internationale me paraît particulièrement important.

Audition de Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et de Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer

Compte rendu de l’audition du mardi 10 février 2015

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour entendre Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, et Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, sur le projet de loi relatif à la santé. Je vous remercie, Mesdames les ministres, de votre présence parmi nous.

Je rappelle que ce projet de loi a été déposé le 15 octobre 2014 à l’Assemblée nationale par Mme Marisol Touraine. Notre collègue, Mme Monique Orphé, a été désignée rapporteure sur ce texte par la Délégation le 4 novembre suivant. Le projet de loi devrait être discuté en première lecture au cours du mois d’avril 2015, mais la rapporteure devra bien évidemment rendre son rapport avant cette date, afin que les amendements qu’elle préconisera puissent être examinés par la commission saisie au fond, c’est-à-dire la commission des Affaires sociales. En l’occurrence, la Délégation se réunira demain à 16 heures 30 pour examiner le projet de rapport de Mme Orphé.

Notre sentiment à la Délégation est que la santé dans les Outre-mer est une question relativement spécifique.

Le système de santé dans les Outre-mer, comme l’a indiqué le rapport de la Cour des comptes consacré à cette question et paru en juin 2014, est une organisation qui, en dépit d’un certain nombre d’aléas et de particularités, fonctionne à peu près correctement ou du moins aussi bien que possible.

Mais, à côté de cela, cette organisation présente des difficultés récurrentes qui nécessitent des solutions particulières.

On notera, notamment, que les populations des Outre-mer sont moins bien desservies en termes de professionnels de santé que dans l’hexagone ; que le nombre de lits pour 100 000 habitants dans les établissements de santé y est également moins important que dans l’hexagone.

On notera également une propension à certains types de dépendances à un âge souvent moins élevé que dans l’hexagone – en fait à partir de cinquante ans – ce qui fait que les personnes dépendantes sont proportionnellement plus nombreuses outre-mer qu’en métropole.

On distingue, outre-mer, des maladies infectieuses mal éradiquées, comme la tuberculose ou la typhoïde, et d’autres, relativement nouvelles, qui sont tout aussi difficiles à combattre, comme la dengue ou le chikungunya ; il existe également des maladies chroniques, comme le diabète ; enfin, on constate la présence de conduites addictives qui frappent certaines catégories de la population – par exemple l’addiction à l’alcool.

Compte tenu de l’ensemble de ces phénomènes, il nous a paru dommage que le projet de loi ne comporte pas de volet outre-mer.

Nous avons bien compris que bon nombre des mesures contenues dans le projet de loi « santé » avaient vocation à s’appliquer directement dans les Outre-mer, du moins dans les DOM, sans qu’il soit nécessaire de prévoir des aménagements distincts.

Néanmoins, nous pensons que tous les problèmes sanitaires qui se posent au sein des Outre-mer ne sont pas totalement traités dans le projet de loi et, à défaut de « volet outre-mer », nous voudrions réinsérer dans le texte des mesures de nature à apporter quelques remèdes aux dysfonctionnements les plus sensibles. Mme Orphé vous en parlera tout à l’heure dans son intervention.

À présent, Mesdames les ministres, je vous propose de procéder de la manière suivante : Mme Touraine pourrait nous faire une présentation du texte, et plus particulièrement des articles dont la Délégation s’est saisie, c’est-à-dire les articles 1, 3, 4, 5, 7, 12, 18, 26, 37, 38 et 56 ; la présentation se ferait en insistant, naturellement, sur l’incidence des dispositifs prévus par ces articles dans les Outre-mer ; ensuite, Mme Pau-Langevin pourrait nous apporter l’éclairage du ministère des Outre-mer sur ce texte ; puis, je donnerai la parole à Mme Orphé qui posera la première série de questions ; enfin, je passerai la parole aux autres membres de la Délégation qui pourront également vous interroger.

Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la ministre, Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les députés, c’est effectivement un texte important que cette loi de santé qui doit permettre de s’attaquer à la racine des inégalités de santé en favorisant la prévention, l’accès aux soins et l’innovation. Le projet de loi fait du renforcement de la place de la médecine de proximité un nouveau cadre de prise en charge, et c’est dans ce cadre que nous devons définir notre stratégie dans les Outre-mer.

J’ai parfaitement conscience des difficultés que rencontrent les territoires ultramarins en matière de santé, même si ces difficultés sont différentes suivant les territoires, comme j’ai pu m’en rendre compte en me rendant sur place à différentes reprises.

Il existe un décalage manifeste avec la métropole, avec des contrastes selon que l’on parle des territoires du Pacifique, de l’océan Indien ou des Antilles. Or ceux-ci sont des territoires à part entière de la République et à ce titre, l’égalité d’accès aux soins doit y être assurée autant qu’en métropole. Cette égalité d’accès aux soins est pour moi l’un des fils conducteurs de mon action, et nous devons être attentifs aux facteurs de décalage existant entre les territoires ultramarins et les territoires hexagonaux.

Nous connaissons ces facteurs. D’abord, la faiblesse des indicateurs socio-économiques se traduit de façon directe sur la santé des habitants, s’agissant en particulier des maladies transmissibles et vectorielles, des maladies chroniques comme le diabète et l’obésité, et des risques environnementaux. Ensuite, le système de soins y est moins structuré qu’en métropole et, en tout cas, de façon plus récente ; la prévention reste insuffisante, les soins ambulatoires sont inégalement accessibles, parfois inexistants et les hôpitaux connaissent des difficultés réelles. Enfin, l’éloignement et l’isolement géographique, en particulier dans certains territoires insulaires, compliquent encore la donne.

Depuis bientôt trois ans, un certain nombre d’actions résolues ont été prises en faveur de la santé dans les territoires d’outre-mer. Je tiens à rappeler les choix que j’ai faits.

J’ai voulu en premier lieu accompagner les hôpitaux, qui connaissent de réelles difficultés, en leur allouant des aides exceptionnelles et en les confortant dans leurs investissements. J’ai eu l’occasion d’inaugurer un nouvel hôpital à La Réunion. En Guyane, nous accompagnons la reconstruction du centre hospitalier de l’Ouest guyanais, à Saint-Laurent du Maroni ; un autre projet est actuellement en cours d’expertise pour l’hôpital de Cayenne. En Martinique, nous finançons le projet de mise aux normes parasismiques du CHU. Enfin, en Guadeloupe, nous finalisons l’étude du projet de reconstruction du CHU. Celui-ci doit passer en COPERMO, le Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins, qui permet de lancer les investissements, un premier signal ayant déjà été adressé il y a quelques semaines.

Au total, c’est un investissement de l’ordre d’un milliard d’euros que nous consacrons aux Outre-mer. C’est donc un engagement fort et décisif.

Je me suis également mobilisée dans la lutte contre les maladies vectorielles, ces maladies transmissibles liées aux moustiques, comme la dengue ou le chikungunya. Je me suis rendue sur place pour soutenir les services de l’État et les services locaux, notamment régionaux, et mesurer les difficultés éprouvées par les populations qui luttent, notamment, contre le chikungunya – même si cette maladie est à l’origine de rumeurs et d’idées fausses, qu’il convient de combattre. À la suite de ces déplacements, j’ai autorisé le remboursement des tests diagnostiques, facilité l’accès aux traitements symptomatiques, renforcé la couverture des arrêts maladie par l’assurance maladie et mis en place un suivi spécialisé des syndromes post-chikungunya.

Les attentes en matière de santé sont fortes en outre-mer et requièrent la définition d’une stratégie spécifique permettant la mise en place de solutions particulières.

Monsieur le président, vous avez regretté que le texte ne comporte pas des mesures plus identifiées en direction des Outre-mer. Je vous répondrai que les dispositions prévues sont destinées à s’appliquer dans les Outre-mer comme partout sur le territoire, que dans la mesure où la loi cible tout particulièrement les situations de difficultés d’accès aux soins ou vise à amener les populations, notamment les plus fragiles, à adopter des comportements leur permettant de bénéficier d’un meilleur état de santé, elle s’applique tout particulièrement aux territoires ultramarins. Au-delà, je vous rappelle qu’un article d’habilitation permettra d’adopter, par voie d’ordonnance, des mesures spécifiques aux DOM et aux COM. C’est pour cela que, dès à présent, avec Mme George Pau-Langevin, nous mettons en place une stratégie de santé pour les Outre-mer. Et pour en marquer l’importance, j’en confierai le pilotage au secrétaire général de mon ministère qui travaillera ainsi étroitement avec la Direction générale des Outre-mer.

Il ne s’agit pas de concevoir un nouveau plan santé outre-mer, mais de définir une nouvelle approche de l’action de l’État dans ces territoires en matière de santé. Elle s’appuiera notamment sur les constats établis par la Cour des comptes dans son rapport sur la santé dans les Outre-mer. En particulier, il faudra éviter les écueils du plan de santé outre-mer de 2009 qui a pâti d’une faible impulsion stratégique, d’un manque de financements associés, d’un défaut d’objectifs chiffrés, ou encore de l’absence de dispositifs d’évaluation. Et selon moi, sans impulsion stratégique ni dispositifs d’évaluation, on est absolument certain, sinon d’aller à la catastrophe, du moins d’être réduit à l’inaction et à l’immobilisme.

Nous avons une exigence : celle de veiller au rattrapage des Outre-mer en matière de santé, de lutter résolument contre les inégalités, de renforcer la prévention et de mieux organiser les prises en charge : autant d’objectifs que je porte dans la loi de santé et qui doivent pouvoir trouver une déclinaison particulière.

Cette loi sera le moteur de la stratégie de santé des Outre-mer. Comme je vous le disais à l’instant, elle s’adresse tout particulièrement aux Outre-mer, indépendamment même de l’article d’habilitation.

Les priorités que nous avons identifiées pour les Outre-mer, et qui ont été rappelées par la Cour, sont les priorités de la loi de santé.

Je citerai d’abord le combat contre l’obésité et le diabète, qui sont des enjeux très identifiés outre-mer. L’amélioration de l’information sur la qualité nutritionnelle permettra à chacun, et notamment aux plus défavorisés, d’avoir accès sous une forme simple à l’information utile pour bien se nourrir. Cela vient compléter le travail déjà effectué avec la loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, votée en juin 2013. Son arrêté d'application est en cours de validation interministérielle et nécessitera une notification à la Commission européenne. Il devrait pouvoir être publié avant la fin de l’année 2015.

Je citerai ensuite la priorité donnée aux enfants et aux jeunes. Pour agir dès le plus jeune âge, le projet de loi crée un statut de médecin traitant de l’enfant. Il permettra de mieux mobiliser les pédiatres et les généralistes investis au quotidien auprès des enfants pour généraliser les comportements de prévention dès la petite enfance.

Nous avons par ailleurs la volonté de combattre les grossesses précoces, enjeu majeur qui préoccupe beaucoup d’entre vous. Une mesure facilite l’accès à la contraception d’urgence pour les mineures auprès des infirmières scolaires, en levant les conditions restrictives existantes, en particulier la condition de détresse caractérisée. Cette mesure est cohérente avec la gratuité de la contraception pour les mineures, que j’ai introduite en mars 2013. Une autre mesure du projet de loi permettra aux sages-femmes de pratiquer des IVG médicamenteuses. Là encore, il s’agit d’un pas supplémentaire en faveur de l’accès à l’IVG, désormais remboursée à 100 % et dont l’acte a été revalorisé afin de soutenir les établissements de santé. Ceux-ci n’auront donc aucune raison de ne pas s’engager dans cette activité.

Une autre priorité, le combat contre les infections sexuellement transmissibles – et notamment le VIH, qui sévit toujours de façon massive en outre-mer – est explicitement identifiée dans la loi. En matière de dépistage, trop souvent tardif, en particulier en outre-mer, il faut désormais aller de façon volontariste vers les populations les plus éloignées du soin. La généralisation de l’accès aux tests rapides d’orientation diagnostique et la mise à disposition des autotests seront des atouts pour ces territoires.

Le combat contre le renoncement aux soins pour des raisons financières est lui aussi un enjeu outre-mer. Une mesure du projet de loi instaure un tarif social en matière optique, dentaire et audio-prothétique pour les bénéficiaires de l’Aide à la complémentaire santé. Enfin, le tiers payant doit simplifier l’accès des assurés aux consultations de ville.

Sur chacun de ces sujets, nous veillerons, avec l’article 56, à adapter les dispositions proposées aux spécificités ultramarines. Je veillerai à ce que l’ensemble des textes d’application des mesures que j’ai pu évoquer aujourd’hui – ce qui vaut bien sûr pour toutes les autres mesures – prennent systématiquement en compte les particularités de vos territoires.

Cette politique suppose que nous favorisions l’installation des professionnels. C’est tout l’enjeu du Pacte Territoire Santé en outre-mer – et l’objet de mon déplacement, en particulier à La Réunion.

L’offre de soins ambulatoires est encore trop hétérogène outre-mer, inégalement accessible et déséquilibrée par rapport à l’offre hospitalière. À ce constat s’ajoute un double effet démographique : une population, et donc une demande de soins, qui augmente d’une part, et une pénurie de médecins induite par le mouvement des départs à la retraite d’autre part.

La lutte contre les déserts médicaux est l’une des priorités de mon action depuis mon arrivée à la tête de ce ministère. Pour améliorer l’accessibilité géographique de l’offre de soins, j’ai donc lancé le Pacte Territoire Santé dès décembre 2012.

Dans le cadre de ce pacte, j’ai voulu développer le nombre de stages en médecine générale pour donner envie aux jeunes de s’installer en ville. Ainsi, en Guadeloupe, 50 maîtres de stages sont désormais formés. De même, grâce à des bourses versées à des étudiants qui s’engagent à s’installer dans des territoires qui manquent de professionnels, je garantis le maintien de la présence médicale. Un effectif de 3 étudiants en a bénéficié à La Réunion et de 32 en Guadeloupe.

Nous avons mis en place un cursus complet d’études médicales aux Antilles-Guyane et dans l’océan Indien. Ce renforcement de la formation pourra, à terme, favoriser l’installation de jeunes médecins formés aux pathologies rencontrées outre-mer. En outre, les CHU ultramarins ont récemment bénéficié de 7 nouveaux postes d’enseignants hospitalo-universitaires – 5 aux Antilles-Guyane et 2 à La Réunion. J’ai pu constater, lors de mes déplacements, l’intérêt pour ces créations de postes. De fait, celles-ci constituent à la fois une garantie de formation dans la durée et un signal, pour les jeunes étudiants, qu’ils peuvent envisager une carrière sur place.

J’ai également encouragé la création de maisons de santé pluridisciplinaires, qui apportent une solution aux problèmes de démographie médicale en attirant, notamment, les jeunes professionnels et en développant une prise en charge coordonnée autour du patient. À La Réunion, depuis 2012, 10 nouvelles maisons et pôles de santé se sont structurés et regroupent aujourd’hui plus de 64 professionnels dont 20 médecins.

Par ailleurs, le développement de la télémédecine, initié depuis plus de dix ans en Guyane, permet à tous les patients ultramarins de bénéficier de soins répondant à leur état de santé sans subir d’évacuation sanitaire. De nouveaux projets sont en cours de déploiement, comme par exemple un projet de télé-AVC, qui permet un diagnostic rapide à distance pour pallier l’éloignement de certains territoires.

Le projet de loi de santé devrait permettre d’adopter prochainement des mesures innovantes pour améliorer la densité médicale libérale outre-mer.

La stratégie de santé pour les Outre-mer devra également prendre en compte les spécificités ultramarines et permettre d’agir sur les déterminants de santé.

La prise en compte de la diversité des territoires et de leurs problématiques est une nécessité. Il s’agit, d’une part, de s’appuyer sur l’ensemble des plans de santé publique ou des programmes d’action existants, en nous assurant, à chaque fois, que les particularités des Outre-mer ont été identifiées et prises en compte ; d’autre part, de s’appuyer au niveau local sur les projets régionaux de santé et sur les études conduites dans les territoires.

Permettez-moi d’illustrer mon propos par quelques exemples.

À Mayotte et en Guyane – mais cela vaut également, bien sûr, pour d’autres territoires – l’hôpital est un acteur clé de la santé de proximité de ces territoires, compte tenu de la difficulté qui existe à structurer une médecine libérale de proximité. Le renforcement de l’attractivité des affectations à Mayotte et en Guyane pour les professionnels de santé est donc une exigence qui requiert des mesures spécifiques.

À Wallis-et-Futuna, l’état de santé de la population est particulièrement dégradé. La dépense de santé par habitant est l’une des plus faibles de France. L’exigence d’un soutien plus important s’impose à nous. C’est pourquoi des propositions ont été faites pour apurer les dettes accumulées par l’Agence de santé de Wallis-et-Futuna depuis de nombreuses années et augmenter son budget.

Sur l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon où le nombre des évacuations sanitaires reste élevé, les coopérations hospitalières doivent être renforcées.

À La Réunion, la prévalence du diabète impose de mobiliser de nombreux leviers.

La stratégie de santé pour les Outre-mer doit donc nous conduire à intégrer dans l’ensemble de nos plans de santé publique – qui existent par ailleurs – et dans l’ensemble de nos actions une déclinaison ou une adaptation aux réalités ultramarines pour répondre aux défis qui leur sont propres.

Elle doit également reposer sur une intervention coordonnée des pouvoirs publics pour agir sur les déterminants de santé.

Plusieurs ministères élaborent ou ont élaboré des réformes qui ont un impact sur la santé ou sur les déterminants de santé des territoires ultramarins : le Plan logement outre-mer ; la convention avec les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA) pour renforcer l’éducation dans les territoires ultramarins ; la loi sur la transition énergétique qui doit s’adapter aux spécificités de chaque territoire ; la déclinaison spécifique du Programme national nutrition santé 2011-2015 pour les départements ultramarins – surtout pour l’obésité et le diabète.

Dans le cadre de ces différentes programmations, la question de la santé dans les Outre-mer doit être posée autour d’objectifs parfaitement identifiés : réduction des inégalités de santé, accès aux soins, structuration de l'offre de soins, mise en place de politiques de prévention. Autant d’enjeux, Mesdames et Messieurs les députés, que je souhaite porter pour l’ensemble de nos concitoyens, de métropole comme d’outre-mer.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, Madame la ministre, pour ce tour d’horizon très complet, qui illustre bien la nécessité de porter un regard particulier sur l’outre-mer. Sachez en tout cas que notre Délégation veillera à ce que jamais l’outre-mer ne soit ni oubliée, ni ignorée, ni sous-estimée.

Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer. Madame la ministre Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les députés, je tiens tout d’abord à remercier la Délégation pour cette invitation à venir m’exprimer, conjointement avec ma collègue, sur le projet de loi relatif à la santé, tant le sujet est important en outre-mer.

Dans un premier temps, je souhaite vous dire toute mon inquiétude quant aux différentes épidémies de dengue et de chikungunya, phénomènes nouveaux sur nos territoires, qui deviennent un enjeu de santé publique majeur sur le plan de la prévention tant en matière de lutte anti-vectorielle – et vous le rappeliez, chère collègue, lorsque vous évoquiez votre mobilisation et celle de vos services – qu’en matière de vaccination. Je crois que la France est pionnière en ce domaine et qu’un vaccin contre la dengue a été développé et sera bientôt produit par Sanofi-Pasteur ; il serait bien sûr très important pour les Outre-mer de pouvoir en disposer.

Mais vous le rappeliez, Madame la ministre, votre projet de loi a pour principal objectif de s’attaquer à la racine des inégalités de santé, véritable injustice dont les premières victimes sont les plus modestes. Je m’y associe pleinement, tant les départements et les collectivités d'outre-mer sont touchés par ces inégalités, et je partage votre constat concernant les décalages qui existent avec la métropole en matière de santé. Malgré d’importants rattrapages au cours de ces dernières années, il y a encore beaucoup à faire.

À ce titre, je tenais à vous remercier des efforts budgétaires que vous avez consentis, soit près d’un milliard d’euros, en cette période contrainte, pour accompagner les hôpitaux : à La Réunion, où vous avez inauguré le nouveau CHU ; en Guyane, avec les centres hospitaliers de l’Ouest guyanais et de Saint-Laurent du Maroni – dont j’ai eu l’occasion de poser la première pierre ; à Cayenne, où l’hôpital a été rénové ; en Martinique, où le CHU sera bientôt mis aux normes parasismiques ; en Guadeloupe, où le projet de reconstruction du CHU devrait voir le jour prochainement ; à Mayotte, où j’ai visité une nouvelle maternité tout à fait performante et où la mise à niveau des équipements du bloc opératoire du centre hospitalier a été annoncée par le Président de la République lors de sa dernière visite sur le territoire. Il faut reconnaître qu’en raison de la situation de la médecine libérale à Mayotte, les services hospitaliers jouent un rôle essentiel. Autant d’investissements qui permettront un rattrapage immobilier nécessaire pour un accueil et un accès aux soins de qualité.

Je voulais également vous remercier pour le rattrapage effectué dernièrement en matière de ressources hospitalo-universitaires avec la création de 5 postes de PU-PH (professeurs des universités-praticiens hospitaliers), 3 aux Antilles et 2 à La Réunion, afin de renforcer les capacités d’encadrement et de recherche dans les CHU ultramarins.

Vous avez souligné notre décision commune de mettre en place une stratégie de santé pour les Outre-mer, pilotée par nos deux administrations. C’est bien une nouvelle approche de l’action de l’État dans ces territoires en matière de santé qu’il faut redéfinir.

En tant que ministre des Outre-mer, j’ai la charge de veiller à la coordination de l’ensemble des politiques publiques dans les départements et les collectivités ultramarines et, à ce titre, je suivrai la bonne mise en application de nos actions et de nos décisions communes pour atteindre l’objectif fixé par ce projet de loi.

Certains souhaitaient que ce projet comporte un titre spécifique à l’outre-mer. Cela n’a pas été possible. Peut-être pourra-t-on introduire un certain nombre de mesures par amendement. Quoi qu’il en soit, l’article 56 permettra de prendre par ordonnance toutes mesures d’extension et d’adaptation aux Outre-mer.

Madame la ministre, les priorités que vous avez énoncées sont celles du ministère des Outre-mer.

C’est le cas du combat contre l’obésité et le diabète. En effet, tous les territoires ultramarins sont touchés par ce fléau et mon prédécesseur, M. Victorin Lurel, avait fait voter une loi qui, bien qu’en grande partie applicable, nécessitait la publication d’un arrêté qualifiant les taux de sucre dans les denrées, laitages et sodas de fabrication locale. Je sais que les ministères de la Santé et de l’Agriculture travaillent conjointement à la levée d’une contrainte technique par le ministère de l’Économie pour que cet arrêté soit publié dans les meilleurs délais. Ce texte permettra, avec les actions spécifiques d’éducation et de promotion de la santé mises en place dans les écoles, et l’information sur la qualité nutritionnelle des produits, de lutter efficacement contre l’obésité et le diabète. J’ajoute que la liste des produits prévue par la loi relative à la régulation économique dans les Outre-mer devrait être de nature à faciliter l’accès à une alimentation de qualité.

Nous saluons bien évidemment la priorité donnée par ce projet de loi aux enfants et aux jeunes puisque, dans les Outre-mer, les populations sont souvent extrêmement jeunes. La création d’un statut de médecin traitant de l’enfant permettra de mieux mobiliser les pédiatres et les généralistes investis au quotidien auprès des enfants, et de généraliser les comportements de prévention dès le plus jeune âge.

Par ailleurs, le combat contre les grossesses précoces est un enjeu de santé que nous suivons nous-mêmes très attentivement, et une cause de décrochage scolaire contre laquelle nous luttons.

Le ministère des Outre-mer apporte chaque année un soutien financier aux associations menant des actions visant à la santé sexuelle et affective dans les collectivités ultramarines, en concertation avec les déléguées régionales aux droits des femmes. Depuis plusieurs années, par exemple, il vient en appui au Planning familial qui mène, dans les cinq départements d’outre-mer, des actions en lien avec les associations locales. Il est également intervenu dans le financement des enquêtes KABP conduites aux Antilles-Guyane et à La Réunion.

Le combat contre les infections sexuellement transmissibles, et notamment le VIH-SIDA, encore présent de manière importante en outre-mer et plus particulièrement aux Antilles-Guyane, est également une de mes priorités.

Outre-mer, la lutte contre ce phénomène passe par une libération de la parole. En effet, dans ces sociétés assez prudes, les personnes atteintes par le VIH ne se font pas dépister et souvent n’en parlent pas. Craignant de faire l’objet de discriminations dans le travail, dans la famille, elles se retrouvent souvent seules dans leur combat au jour le jour avec cette maladie. Voilà pourquoi nous essayons de mobiliser les associations, nationales et locales, de lutte contre le SIDA et les acteurs de la recherche. Le simple fait que le ministère s’implique permet de libérer la parole.

Nous travaillons ainsi à une exposition itinérante sur le VIH/SIDA en direction du grand public, et aussi à une politique plus ambitieuse d’éducation à la vie affective et sexuelle au sein du monde scolaire, politique qui permettrait de faire progresser le niveau d’information sur le VIH/SIDA et de lutter contre les discriminations et l’homophobie, dont le niveau est très élevé dans certains territoires.

Nous souhaiterions la mise en place, dans chaque DOM, d’une structure fixe de prévention et d’information pour les 13-25 ans. Cette structure serait chargée d’organiser l’accueil des jeunes par des animateurs pour évoquer ces thématiques, en prenant comme modèle ce qui est fait par le Cybercrips, porté par la région Île-de-France.

L’émergence d’un collectif « Femmes et VIH » serait à favoriser, d’une part pour libérer la parole des femmes séropositives qui y verraient un lieu d’accueil confidentiel, et d’autre part pour faire émerger une vraie prévention au féminin. En effet, les femmes des Outre-mer paient un lourd tribut à cette maladie.

Il conviendrait également d’organiser, via des unités mobiles, des opérations ciblées de dépistage rapide, en direction des populations particulièrement exposées.

Je tiens à signaler qu’en Guyane, les populations de l’Ouest, qui sont éloignées des centres de santé, rencontrent davantage que les autres des problèmes pour se faire prendre en charge d’une manière raisonnable. Sans compter la difficulté, pour des populations qui n’ont pas de papiers, de se déplacer et d’arriver à Cayenne pour s’y faire soigner. Nous devons travailler sur ces questions, notamment avec le ministère de l’Intérieur, pour que les considérations de santé publique pèsent autant que la nécessité de lutter contre l’immigration clandestine.

Enfin, la généralisation du tiers payant qui est prévue par le texte nous semble tout à fait importante. En ce domaine, les DOM ont joué un rôle précurseur. En effet, le tiers payant est généralisé à La Réunion depuis déjà un certain temps. En tout cas, nous souhaitons, compte tenu de la situation précaire de nombreuses personnes très modestes outre-mer, que cette mesure y soit mise en œuvre le plus rapidement possible.

Dans le cadre d’une stratégie de santé pour les Outre-mer, nous aurons à examiner des situations un peu particulières. Par exemple, Mayotte, la Guyane, Wallis-et-Futuna sont les reflets les plus criants de la désertification médicale contre laquelle ce projet de loi essaie de lutter. Nous regarderons donc très attentivement tout ce qui, dans ce projet de loi, concerne la recherche et l’innovation, l’hôpital et les groupements hospitaliers territoriaux - qui ont un rôle à jouer en matière de formation, de recherche et d’innovation – et le développement des pôles d’excellence – qui sont susceptibles d’attirer les jeunes médecins et de valoriser les territoires ultramarins. On a annoncé l’installation de jeunes praticiens à Mayotte. Mais il faudra s’assurer que les conditions faites aux jeunes dans les territoires un peu éloignés des Outre-mer sont suffisamment attractives.

Je crois que si cette stratégie de santé pour les Outre-mer doit répondre à des enjeux et à des besoins sanitaires spécifiques pour lutter contre les inégalités sociales de santé, elle doit également tenir compte de ses richesses géographiques, sociales, culturelles, économiques et environnementales qui offrent des opportunités multiples et uniques de recherche dans le domaine de la santé publique.

Enfin, Madame la ministre a insisté sur l’intervention coordonnée des pouvoirs publics concernant leur action sur les déterminants de santé. Je m’inscris totalement dans cette démarche et vous rappelle que nous sommes à l’origine de plusieurs initiatives, dont la convention avec les CEMEA, qui pourront intervenir auprès des jeunes et former un certain nombre d’intervenants.

Mesdames et Messieurs les députés, le ministère des Outre-mer a la charge de coordonner les interventions de l’État en matière de politiques publiques. En matière de santé aussi, il fera preuve de la plus grande attention. Nous sommes persuadés que ce projet de loi sera une véritable avancée pour les Outre-mer. Nous y travaillerons avec vous durant les prochains mois. Nos territoires ont bien besoin, comme la Cour des comptes l’a rappelé, d’enregistrer des progrès sensibles en matière d’accès aux soins.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Monsieur le président, Madame la ministre des Affaires sociales, Madame la ministre des Outre-mer, mes chers collègues, la santé est un facteur d’épanouissement humain et concerne tout un chacun. Elle est d’ailleurs prise en compte pour mesurer l’indice de développement humain – IDH – d’un pays. En 2010, les IDH des territoires ultramarins montraient un retard variant entre douze et trente ans avec la France hexagonale. Ce retard prouve que, malgré des avancées considérables dans le domaine économique, social et environnemental, de graves inégalités persistent.

Vous l’avez dit, Madame la ministre, il y a un décalage entre les territoires ultramarins et la métropole. C’est ce que rappelle la Cour des comptes dans son rapport publié en juin 2014 sur la santé en outre-mer.

Je citerai six secteurs où la différence entre la situation sanitaire des collectivités ultramarines et celle de la métropole est patente.

D’abord, en matière de mortalité maternelle, néonatale, périnatale et infantile, les taux sont deux fois plus élevés dans les DOM qu’en métropole, alors que les moyens médicaux déployés sont sensiblement les mêmes. En particulier, les taux de mortalité infantile sont préoccupants. En 2012, pour quelque 50 000 naissances annuelles dans les DOM et en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, alors que le nombre d’enfants nés vivants et décédés dans l’année en métropole est de 3, il est de 4 en Nouvelle-Calédonie, de 5 à Wallis-et-Futuna, de 7 en Polynésie française, de 8 en Martinique et à La Réunion, et de 9 en Guadeloupe et en Guyane.

Ensuite, les jeunes filles ultramarines sont surexposées aux risques de grossesse précoce.

Selon une enquête conduite en 2011-2012 par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane et qui vient de paraître à la Documentation française, sur un échantillon représentatif d’environ 700 femmes de 18 à 54 ans dans chacun de ces DOM, 21 femmes de 18 à 24 ans en Guadeloupe et 29 femmes de la même tranche d’âge en Martinique et en Guyane ont eu à affronter une grossesse imprévue sur les cinq dernières années.

Par ailleurs, toujours selon la même enquête, lorsque l’on demande aux femmes quelle a été l’issue de cette grossesse non prévue, 42 % des femmes de 18 à 24 ans répondent qu’elle a abouti à une interruption volontaire de grossesse. La situation est préoccupante quand on sait qu’en 2012, le taux d’IVG était de 14,5 pour 1 000 femmes entre 15 et 49 ans dans l’hexagone, contre 25,3 pour 1 000 femmes dans les Outre-mer, et de 14 pour 1 000 pour les jeunes filles entre 14 et 19 ans dans l’hexagone, contre 33 pour 1 000 dans les Outre-mer.

Le troisième secteur où l’on note des différences notables entre l’hexagone et les Outre-mer est celui des pathologies : certaines sont inconnues en métropole, d’autres présentent des prévalences différentes.

Parmi les pathologies inconnues en métropole, on peut citer la dengue qui touche les Antilles et la Guyane, et le chikungunya qui avait très violemment frappé La Réunion en 2004 et qui s’est propagé aujourd’hui en Martinique, en Guadeloupe et en Polynésie. Par ailleurs, le paludisme reste présent de manière endémique en Guyane.

Parmi les pathologies présentant une prévalence particulière, on peut citer l’infection au VIH qui est plus développée qu’en métropole, ainsi que le diabète et l’hypertension artérielle qui sont souvent des conséquences du surpoids et de l’obésité.

En outre, de nombreux phénomènes addictologiques (drogue, alcool, tabac) sont plus importants dans les DOM et doivent être considérés comme des priorités de santé publique. Je prendrai comme exemple l’alcool, qui est la deuxième cause de mortalité à La Réunion.

On observe également une plus faible densité médicale par rapport à la métropole. C’est valable pour les praticiens hospitaliers, mais aussi pour les médecins exerçant en médecine libérale. Ainsi, en 2012, alors que le nombre des médecins généralistes est en moyenne de 106 pour 100 000 habitants en métropole, il est de 80 en Guadeloupe, 81 en Martinique, 47 à la Guyane et 13 à Mayotte.

Seule La Réunion enregistre un chiffre plus élevé qu’en métropole : 117 médecins généralistes pour 100 000 habitants. Mais ce chiffre est à mettre en balance avec un plus faible taux de médecins spécialistes que dans l’hexagone : 94 pour 100 000 habitants en métropole, et seulement 63 à La Réunion.

La question de l’accès des patients aux soins prodigués par la médecine de ville est ainsi une question qui s’avère tout à fait préoccupante en Guyane et à Mayotte.

On peut ensuite mettre en exergue le manque de trésorerie dont souffrent les centres hospitaliers outre-mer qui, dans certains territoires comme Mayotte, sont les seuls lieux d’accès aux soins.

D’après les informations que j’ai pu recueillir, la majeure partie des centres hospitaliers des DOM – soit 19 sur 29 – ne disposent en fait que de quelques jours de fonds de roulement. Si leur situation comptable paraît parfois plus favorable, c’est à cause des aides exceptionnelles de trésorerie allouées par l’assurance maladie.

Par ailleurs, à des degrés divers, les capitaux propres cumulés des dix plus grands centres hospitaliers des DOM sont négatifs en 2012. C’est le cas du CHU de Martinique (- 181 millions d’euros), du CHU de Guadeloupe (- 44 millions d’euros), du Centre hospitalier de Mayotte (- 3 millions d’euros) ou du Centre hospitalier de Cayenne (-1 million d’euros).

En outre, ces centres hospitaliers manquent de financements pour parachever la modernisation de leurs structures. La Fédération hospitalière de France-océan Indien, dans le cadre du pacte d’engagements 2014-2020, évaluait le coût de cette modernisation à 600 millions d’euros, soit 60 millions sur dix ans.

Enfin, le dernier secteur qui mérite un rattrapage est le secteur médicosocial. En effet, les infrastructures sanitaires, sociales et médicosociales accusent des retards considérables. Par exemple, selon l’UNIOPSS (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux), au 1er janvier 2011, le taux d’équipement global pour enfants handicapés hors SESSAD (services d’éducation spéciale et de soins à domicile) était de 4,7 pour 1 000 jeunes de moins de 20 ans aux Antilles-Guyane, contre 6,6 dans l’hexagone ; pour les structures d’hébergement pour adultes handicapés, le taux est de 1,3 pour 1 000 adultes contre 3,9 dans l’hexagone.

Face à l’ensemble de ces fléaux, le projet de loi relatif à la santé comporte un certain nombre de réponses.

Je citerai notamment l’article 3 qui lève les restrictions existant en matière d’accès à la contraception d’urgence pour les élèves du second degré au sein de l’infirmerie scolaire ; l’article 4 qui renforce les dispositifs permettant de lutter contre l’alcoolisation des jeunes ; l’article 5 qui améliore l’information nutritionnelle des consommateurs ; l’article 7 qui conforte la pratique des tests rapides d’orientation diagnostique, ainsi que les autotests, pour le dépistage des maladies infectieuses transmissibles ; l’article 12 qui institue un service territorial de santé au public ; l’article 26 qui redéfinit la notion de service public hospitalier, ainsi que les obligations des établissements qui y sont associés ; l’article 37 qui a pour objet de développer la recherche et l’innovation en matière de médicaments dans le cadre des établissements de santé ; et enfin, l’article 38 qui favorise la territorialisation des Agences régionales de santé, en simplifiant la réglementation concernant les projets régionaux de santé.

Néanmoins, ces mesures peuvent paraître générales et insuffisamment ciblées sur les questions spécifiques posées par la santé dans les collectivités ultramarines. Voilà pourquoi, Mesdames les ministres, j’aimerais évoquer devant vous quelques propositions de mesures complémentaires.

Une première mesure serait la mise en place d’un plan de rattrapage décliné par territoire pour mettre fin aux dysfonctionnements les plus criants. J’ai cru comprendre, dans vos propos, que ce serait le cas. Ce plan pourrait être établi en recourant à une ordonnance prise sur le fondement de l’article 56 du projet de loi.

Une autre mesure serait la mise en œuvre obligatoire, par les ARS ultramarines, de programmes particuliers de prévention ou de promotion de la santé.

Conformément à une recommandation de la Cour des comptes, dans son rapport thématique de juin 2014, il serait intéressant que la pratique financière des ARS, au sein des DOM, soit rééquilibrée, afin que cette dernière soit orientée vers davantage de prévention. Ainsi, on pourrait prévoir que, dans les DOM, les ARS établissent obligatoirement des programmes spécifiques de prévention ou de promotion de la santé, et que l’évaluation de ces programmes comporte nécessairement une appréciation de leur volet financier.

Ensuite, pour accentuer la lutte contre l’alcoolisme, il faudrait limiter la taille des publicités pour l’alcool. Actuellement, dans les agglomérations, on constate la présence de très nombreux panneaux publicitaires qui vantent les mérites de l’alcool. Les articles du code de l’environnement imposent des formats pour les panneaux publicitaires en fonction du nombre d’habitants des agglomérations et des caractéristiques des dispositifs. Les panneaux publicitaires concernant l’alcool relèvent de la même réglementation que les autres panneaux, sous réserve de certaines mentions légales s’appliquant au contenu des affiches. Toutefois, pour mieux lutter contre la consommation excessive de boissons alcoolisées, il serait possible de réduire de moitié toutes les surfaces autorisées en matière d’affichage lorsque la publicité a trait à ces produits. De même, on pourrait interdire l’affichage en faveur des boissons alcoolisées à moins de 40 mètres des établissements scolaires.

Par ailleurs, en attendant la publication des derniers arrêtés de la loi Lurel sur le taux de sucre, je propose la création de logos pour les boissons alcoolisées et sucrées. De même que le projet de loi propose de créer des pictogrammes sur les emballages de produits alimentaires pour informer les consommateurs de la qualité nutritionnelle de ces produits, on pourrait créer des pictogrammes sur les bouteilles d’alcool et sur celles des boissons sucrées pour informer les acheteurs des risques encourus par la consommation excessive de telles boissons.

Il pourrait être intéressant que le Gouvernement favorise l’émergence de pôles d’excellence en matière de recherche et de médecine tropicale dans une ou deux zones géographiques concernant tout particulièrement les Outre-mer, par exemple l’océan Indien ou les Caraïbes. En effet, une fois mis en place, ces pôles pourraient contribuer puissamment, par le biais de la découverte de thérapies innovantes, au développement de l’offre de soins.

Pour favoriser la solidarité internationale et pour accroître l’offre de soins dans les DOM, les infrastructures destinées à la coopération internationale servant aussi aux ultramarins, il serait bon d’encourager la coopération régionale internationale dans le domaine de la santé.

Dans les DROM (départements et régions d’outre-mer), actuellement, de tels accords de coopération peuvent être conclus aussi bien par le Gouvernement que par les présidents des conseils généraux ou régionaux. Après les élections de décembre 2015, le pouvoir de négocier et de conclure des accords appartiendra conjointement au Gouvernement, aux présidents de département ou de région et, pour la Martinique et la Guyane qui ont opté pour le statut de collectivité unique, aux présidents des nouvelles assemblées délibérantes qui devront remplacer les conseils généraux et les conseils régionaux. Il serait souhaitable que le nombre de ces accords augmente sensiblement dans l’avenir.

Dans le domaine hospitalier, je propose la création de postes supplémentaires de chefs de clinique dans les CHU des départements d’outre-mer, pour améliorer les possibilités de formation, ainsi que de consultation ou d’offre de soins. La Délégation aux outre-mer a pris note avec intérêt de la déclaration interministérielle du 27 janvier dernier, selon laquelle 7 nouveaux postes de praticiens hospitaliers seraient créés prochainement dans les CHU des Antilles, de La Réunion et de la Guyane. Bien entendu, la création de ces 7 postes, si elle revêt une grande importance dans le cadre du renforcement de la qualité des soins, de la formation médicale et de la recherche outre-mer, ne saurait suffire pour répondre à tous les besoins. D’où la proposition de la Délégation, qui est complémentaire.

Il conviendrait aussi de favoriser la télémédecine à Wallis-et-Futuna. Compte tenu de l’éloignement du territoire et de sa faible densité médicale, il s’agirait là d’un moyen très opérant pour améliorer tant la prévention que l’offre de soins.

Je demande également un rapport pour généraliser à Mayotte la CMU-c.

En dernier lieu, je préconise que l’on incite les étudiants en médecine à venir faire leur stage de troisième cycle dans les DOM. Cela pourrait être réalisé par le biais de contrats tripartites entre les étudiants, les collectivités locales et les hôpitaux ou les cabinets médicaux. La mesure permettrait d’augmenter la densité médicale dans les DOM car les étudiants, pour avoir connu ces collectivités au moment de leur stage, seraient sans doute portés à revenir dans ces territoires une fois leur diplôme obtenu.

Mesdames les ministres, vous aurez bien compris que ces quelques propositions qui figurent dans mon rapport se résument à une question unique : seriez-vous disposées à nous aider, à l’occasion de l’examen du texte, à faire passer ces préconisations dans le droit positif ?

M. Serge Letchimy. Les orientations de ce texte sont extrêmement importantes sur le plan de l’accès aux soins et de la lutte contre les inégalités. Son application, dans l’hexagone et outre-mer, permettra de grandes améliorations en matière santé.

Reste que le rapport et les propos de Mme Orphé montrent bien qu’il y a un décalage important, voire très important, entre l’outre-mer et l’hexagone, comme la Cour des comptes l’a signalé. Le problème qui se pose aujourd’hui est de savoir comment on réussira à opérer un rattrapage tant sur la démographie médicale que sur les politiques de santé publique et d’accès aux soins.

La méthode que vous proposez, à savoir le recours aux ordonnances, me semble acceptable. L’article 56 vous permettra d’adapter les différents articles à la situation de l’outre-mer, sur le plan réglementaire et sur le plan législatif. Ces adaptations seront bienvenues. Mais je vous ferai observer, Mesdames les ministres, que cela ne suffira pas à régler la question du rattrapage. Comment aborder tous les points soulevés par Mme la rapporteure sans qu’un plan de rattrapage ait été auparavant clairement débattu et mis au point, afin de répondre à la pluralité des difficultés que nous rencontrons outre-mer, et qui varient selon les territoires ? Vous le savez, la question polynésienne n’est pas la question martiniquaise, la question guyanaise n’est pas celle de la Guadeloupe, etc.

Je propose que nous nous mettions à votre disposition et que, si le président l’accepte, nous travaillions ensemble sur un plan de rattrapage, qui « collerait » aux adaptations législatives et réglementaires rendues possibles par l’ordonnance.

Je terminerai sur deux points.

Premièrement, je n’ai pas vu dans ce texte de propositions très fortes sur la dynamique de coopération en santé qui permettrait de mutualiser les moyens – comme ce fut le cas avec le cyclotron. Personnellement, je défends l’idée qu’on ne peut pas faire des investissements extrêmement importants en Martinique, en Guadeloupe ou ailleurs sans tenir compte du bassin géographique de proximité, et je suppose que c'est la même chose pour les autres régions. C’est le moyen de créer une dynamique d’économies liée à la politique de santé.

Deuxièmement, comment peut-on régler, notamment pour nos différentes régions, la question du déficit abyssal des hôpitaux ? En Martinique, il avoisine les 200 millions et vient s’ajouter aux problèmes de trésorerie. Cela fait partie des enjeux liés au rattrapage.

Mme Chantal Berthelot. Monsieur le président, je partage bien évidemment les propos de notre rapporteure et ce qui a été dit auparavant.

Je dirai d’abord à Madame la ministre Marisol Touraine que j’aimerais qu’elle vienne à l’inauguration de l’hôpital de Saint-Laurent du Maroni, où Madame la ministre George Pau-Langevin est venue pour poser la première pierre. Madame la ministre, je précise qu’il ne s’agit pas d’une « reconstruction », mais de la construction d’un hôpital attendu depuis dix ans pour accompagner la démographie de Saint-Laurent du Maroni. J’apprécie d’ailleurs que notre Gouvernement ait débloqué les 7 millions nécessaires pour compléter le plan de financement.

Je dirai ensuite qu’il me semble important de bien prendre en compte la dimension territoriale, s’agissant en tout cas de la Guyane – immensité de son territoire, et coopération, notamment, entre Ouest guyanais et Suriname. Sinon, on ne pourra pas correctement répondre aux besoins en soins de proximité dont vous avez parlé.

J’ajoute que je ne suis pas d’accord avec vos services sur la répartition territoriale des centres de santé. Il faut avoir une vision pragmatique des choses, et ne pas imaginer que seul l’hôpital de Cayenne doit gérer les centres de santé. Historiquement et culturellement, la population va plus souvent vers l’ouest, vers Saint-Laurent du Maroni, que vers Cayenne.

Revenons au projet de loi. J’ai salué le fait que nous y ayons été associés en amont. Reste que je continue à défendre l’idée d’un titre « outre-mer », qui nous aurait facilité la tâche. Certes, toute la loi est applicable aux Outre-mer. Mais l’introduction d’un titre « outre-mer » aurait amené les parlementaires à « co-travailler » avec Madame la ministre, ce qui nous aurait permis de faire des propositions beaucoup plus simples et claires sur tous les aspects de la loi qui sont effectivement intéressants.

Je terminerai sur la prévention qui est en effet insuffisante outre-mer, en tout cas en Guyane. Je considère notamment que l’on ne parle pas suffisamment de l’addiction aux drogues. Celles-ci sont malheureusement bien trop accessibles, en particulier pour les jeunes.

Mme Ericka Bareigts. Merci, Mesdames les ministres, pour vos interventions et surtout pour votre action volontariste. Merci, Madame la rapporteure, pour votre excellent travail et vos propositions.

Je voudrais insister tout particulièrement sur la prévention. Si l’on veut construire une nouvelle société, il faut changer les pratiques et les comportements.

Si je prends l’exemple des grossesses précoces à La Réunion, depuis plusieurs années, les chiffres n’évoluent malheureusement pas dans le bon sens. Je pense donc qu’il faut aller au-delà des importantes mesures que vous avez prises en matière d’IVG et de contraception. Peut-être faudrait-il renforcer les actions menées avec les associations. Pour avoir discuté avec certaines, j’ai cru comprendre que les moyens manquaient pour envoyer des intervenants dans les collèges et dans les lycées.

Par ailleurs, selon l’ARS de La Réunion, 28 % des décès prématurés seraient dus à de mauvais comportements : tabagisme, alcoolisme et mauvaise alimentation. La consommation d’alcool, notamment, est bien particulière à ce département. Mesdames les ministres, la situation mériterait que l’on prenne, à titre expérimental, des mesures particulières. L’alcool ne doit plus être considéré comme un bien de consommation courante, et les approches marketing qui donnent aux jeunes une image flatteuse de la consommation d’alcool doivent cesser. Il faut faire preuve de davantage de volontarisme et faire en sorte que l’alcool ne soit plus valorisé comme il l’est aujourd’hui.

M. Ibrahim Aboubacar. Mesdames les ministres, le territoire de Mayotte rencontre de grandes difficultés en matière de santé : 80 médecins pour 100 000 habitants, 1,6 lit pour 1 000 habitants, une dépense de santé annuelle de 1 000 euros par habitant. La situation est telle que la notion même de parcours médical du patient n’a pas de sens, ou pas de réalité. D’où mes trois questions.

Premièrement, les problèmes liés au recrutement de personnel au centre hospitalier de Mayotte sont graves et récurrents. Des mesures ont été prises, mais elles sont insuffisantes. Il faut aller plus loin. Comment ? Le personnel de santé est anormalement sollicité, au point que certains actes médicaux sont réalisés par des personnes qui ne sont pas qualifiées, ce qui peut entraîner des accidents.

Deuxièmement, la médecine libérale est déficitaire – d’environ 20 médecins et 20 officines de pharmacie – sur le territoire de Mayotte. Les professionnels réclament depuis un certain temps des mesures pour remédier à cette situation. J’en citerai trois, qui sont connues de tous : la CMU-c ou, à défaut, le décret prévu par l’article 20-11 de l’ordonnance de 1996 ; les mesures conventionnelles de l’UNCAM avec les médecins libéraux ; enfin, les dispositions fiscales. Sur ce dernier point, j’avais déjà alerté le ministre des Finances l’année dernière, mais il m’avait été répondu que nous en parlerions à l’occasion de l’actuel débat. Mesdames les ministres, il faut s’orienter vers de telles mesures si l’on veut favoriser l’installation de médecins libéraux à Mayotte.

Troisièmement, nous sommes régulièrement accusés, sur le territoire de Mayotte, de ne pas correctement soigner ou prendre en charge les personnes étrangères. À l’appui de cette accusation, qui n’est pas confirmée, il y a le fait que l’Aide médicale d’État n’est pas appliquée à Mayotte. A-t-on réfléchi à son extension ?

Pour conclure, je voudrais dire ici devant la Délégation et devant les ministres que la situation sanitaire de Mayotte est telle que des gens y meurent parce qu’ils ont été mal diagnostiqués, parce qu’ils n’ont pas été pris en charge comme il le fallait, ou parce qu’ils n’ont pas pu recevoir les soins appropriés – notamment lorsqu’il s’agit d’obtenir une évacuation sanitaire à La Réunion, ce qui n’est pas toujours facile. Il n’y a pas un seul Mahorais dont un membre de la famille ou de l’entourage ne se soit trouvé dans cette situation.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Madame la ministre, il est exact que l’État a engagé un milliard d'euros pour les Outre-mer. Il est exact aussi que les territoires sont différents les uns des autres, chacun ayant ses spécificités. Et je reconnais que vous avez pris en compte la nécessité de reconstruire l’hôpital de Pointe-à-Pitre, ce dont je vous félicite ; nous serons avec vous pour gagner ce combat.

Vous avez dressé le tableau des actions de prévention qu’il conviendrait de décliner outre-mer. J’observe qu’en Guadeloupe, nous nous alimentons mal. Nous consommons trop de sucre, d’où des problèmes de diabète. Nous consommons aussi trop de sel, qui donne de l’hypertension artérielle. Nous consommons trop d’alcool, comme cela ressort du rapport de Mme Orphé. Mais surtout, nous sommes confrontés au fléau de la drogue, que l’on peut se procurer aux alentours des collèges et des lycées. La drogue fait des ravages. Elle est source de violence, au sein des familles et dans les écoles.

Madame la ministre, il faut poursuivre votre politique de prévention. Peut-être, pour lutter contre la drogue, devriez-vous mener, avec le ministre de l’Intérieur, des actions d’envergure autour des établissements scolaires ? Je ne sais pas ce qu’il faut faire, mais la drogue est un véritable fléau.

M. Napole Polutélé. En étudiant ce projet de loi, je me suis dit, Madame la ministre, que Wallis-et-Futuna avaient dû inspirer votre texte. En effet, tous les problèmes que vous y avez abordés se concentrent sur notre territoire !

Je partage bien évidemment tout ce qui a été dit par Madame la rapporteure et par vous-même s’agissant de Wallis-et-Futuna. Je tiens toutefois à préciser que c’est l’un des territoires de la République où l’on dépense le moins pour la santé : environ 1 600 euros par habitant et par an, et que, parmi les pathologies les plus fréquentes, figure le diabète, mais aussi et surtout la leptospirose, maladie favorisée par la prolifération des rats, dont il n’est fait mention dans aucun rapport. Je vous rappelle tout de même que, d’après les statistiques produites dans la région Pacifique, l’île de Futuna a le triste privilège d’être le premier territoire du monde touché par cette maladie.

Mais je voudrais aborder un deuxième point qui concerne aussi Madame la ministre des Outre-mer : l’engagement très ferme du Président de la République, et de vous-même, Madame la ministre, lors de votre déplacement en Nouvelle-Calédonie au mois d’octobre de l’année dernière, concernant le remboursement de la dette de l’Agence de santé. Je pense que c’est un préalable si l’on veut faire avancer les choses.

Aujourd’hui, les élus constatent une certaine réticence de la part de la Nouvelle-Calédonie à prendre en charge nos malades. De plus en plus souvent, celle-ci préfère les orienter vers la métropole ou vers l’Australie. Cela ne fait que déplacer le problème lorsqu’ils arrivent sur le territoire métropolitain, car il n’existe aucune convention, ni aucune procédure de prise en charge.

Auparavant, c’était la CAFAT, la caisse de protection sociale de la Nouvelle-Calédonie, qui prenait en charge nos malades et les envoyait en métropole, puis adressait la facture à l’Agence de santé. Aujourd’hui, à cause du non remboursement de cette dette, nous nous retrouvons dans une situation de délaissement de la part de l’État. Nos malades se trouvent dans une situation de précarité extrême, au point de devoir faire appel, soit aux élus, soit à la Délégation.

C’est une situation sur laquelle je vous interpelle, Madame la ministre. Les élus finissent par se demander si les habitants de Wallis-et-Futuna bénéficient de cette d’égalité d’accès aux soins que vous avez évoquée dans vos propos. J’en veux pour preuve que, sur le site du ministère de la Santé et plus précisément sur le site de la sécurité sociale, une circulaire associe Wallis-et-Futuna à un pays étranger ! Cela m’a choqué. Madame la ministre, je vous demande de vous expliquer sur cette circulaire et de nous dire ce qu’il en est de Wallis-et-Futuna.

Quoi qu’il en soit, Madame la ministre, je vous remercie de ce projet de loi. Celui-ci nous donne l’occasion de déposer un certain nombre d’amendements visant à faire évoluer favorablement la prise en charge de nos malades à Wallis-et-Futuna – programmes d’investissements, et surtout, développement de la télémédecine.

M. Boinali Said. Mesdames les ministres, on a dit tout à l’heure qu’il eût été utile de nous associer en amont à la rédaction de l’ordonnance, ou du moins à celle des mesures d’adaptation. Dans cette perspective, ne pourrait-on pas réfléchir à une coopération régionale en matière de santé et d’accès aux soins ? En particulier, comment stabiliser les populations des îles voisines pour désengorger nos hôpitaux ? En effet, la question de l’immigration est le pendant immédiat de la question de la santé et de l’accès aux soins.

D’un autre côté, ne pourrait-on pas intégrer dans nos hôpitaux des médecins venant des îles voisines ? Certains jeunes de Mayotte ne pourraient-il pas aller suivre des études à l’extérieur du territoire national, à l’étranger ? Nous devons prendre en compte le fait que l’on ne dispose pas, en quantité suffisante, de personnel médical et de personnel de soins.

M. Stéphane Claireaux. Monsieur le président, Mesdames les ministres, l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon subit des contraintes particulières en matière de santé, avec une organisation qui repose à la fois sur des missions ponctuelles de spécialistes dans divers domaines, et sur de nombreuses évacuations sanitaires vers le Canada voisin ou la métropole. S’y ajoutent des contraintes administratives, qui mériteraient d’être assouplies pour s’adapter aux spécificités de notre archipel :

Tout d’abord, le régime d’inscription à l’Ordre des médecins : les professionnels de santé sont soumis à des contraintes administratives de radiation et de réinscription à chaque fois qu’ils effectuent une mission, même courte, à Saint-Pierre-et-Miquelon. Serait-il envisageable de prévoir un assouplissement pour ces professionnels, afin qu’ils puissent être inscrits temporairement auprès de l’Ordre à Saint-Pierre-et-Miquelon sans devoir se soumettre aux mêmes contraintes que s’ils changeaient durablement d’affectation en métropole ?

Ensuite, le régime d’autorisation d’exercice des médecins étrangers : des professionnels de santé canadiens, dont le niveau de formation et de compétence est au moins équivalent au niveau français, seraient susceptibles d’intervenir dans l’archipel de façon ponctuelle dans certaines spécialités. Ils pourraient assurer un suivi dans des conditions intéressantes, du fait de leur proximité géographique. Or, à l’heure actuelle, le régime d’autorisation d’exercice des médecins étrangers s’y oppose. Comment pourrait-on l’adapter ?

Enfin, au-delà des questions administratives, il est prévu, à l’article 56 de ce projet de loi, d’habiliter le Gouvernement à procéder par ordonnance à l’alignement du régime de sécurité sociale dans l’archipel sur celui de la métropole. Le sujet est important et je souhaiterais que la population et les acteurs sociaux de l’archipel soient plus amplement informés des projets du Gouvernement, et qu’une réelle concertation puisse s’installer pour définir ensemble les équilibres à trouver.

M. Gabriel Serville. Monsieur le président, Mesdames les ministres, pour parler d’un sujet aussi grave que celui de la santé des hommes, peut-être aurait-il fallu s’accorder davantage de temps. Or, nous sommes obligés de traiter de questions importantes dans un temps limité, et je ne suis pas persuadé que cela facilitera la compréhension des choses.

Je voudrais dire à Mesdames les ministres que j’ai été attentif à leurs déclarations, qui renvoient parfois à des situations extrêmement compliquées mais reflètent tout à fait la réalité de nos territoires respectifs. J’aurais tendance à dire que le député de la Nation que je suis considère que c’est un bon projet. En revanche, si je me réfère à ce qui se passe en Guyane, ce texte me laisse un goût amer, et en tout cas un sentiment d’inachevé.

Nous avons évoqué un certain nombre d’indicateurs, comme l’indicateur de développement humain, le taux de grossesses précoces, la jeunesse de notre population, les taux d’addiction à la drogue et à l’alcool, ou les maladies vectorielles comme la dengue ou le chikungunya, voire le virus Ebola qui pourrait pénétrer en Guyane par le truchement des migrations africaines via le Brésil – les frontières sont très poreuses et difficiles à contrôler.

Nous avons parlé aussi de la faible attractivité du territoire, de la présence de personnes sans papiers qui doivent avoir accès à la santé comme tout habitant du territoire, du taux de suicide chez les jeunes des populations amérindiennes – que Madame la ministre des Outre-mer a récemment visitées – ainsi que de la mortalité infantile et de l’existence de déserts médicaux.

Autant de sujets passionnants, mais également très inquiétants. Une telle situation justifierait que l’on introduise dans la loi un titre spécifique à l’outre-mer ou, tout au moins, que l’on engage une vraie démarche interministérielle impliquant, notamment, tous les organismes de recherche installés sur le territoire de la Guyane. Nous avons en effet le sentiment que ces organismes ne contribuent pas à faire avancer les analyses sur les problématiques de santé que nous ne cessons de dénoncer depuis quelques années.

Dans le plan de santé de 2009, certaines dispositions particulières aux Outre-mer n’ont pas été suivies d’effets, sans doute par manque d’impulsion stratégique. Pour ma part, je pense qu’il eût été préférable de considérer que les spécificités des Outre-mer méritaient un regard particulier, en mettant effectivement en place cette impulsion stratégique qui nous aurait permis aujourd’hui de dresser un véritable bilan et de tirer les leçons de nos échecs pour pouvoir rebondir et repartir dans une autre direction.

Quoi qu’il en soit, dans les jours à venir, j’espère que vous nous prêterez une écoute attentive pour nous permettre d’introduire dans le texte un certain nombre d’éléments qui pourraient substantiellement favoriser l’accès à la santé de nos compatriotes des Outre-mer. Je vous en remercie d’avance.

Mme Maïna Sage. Je partage le diagnostic qui a été fait sur les spécificités de nos problématiques ultramarines, et je suis favorable à l’introduction d’un volet « outre-mer », notamment en matière de prévention. En effet, tous les territoires rencontrent à peu près les mêmes problèmes, qu’ils soient liés à la drogue, à l’alcool, aux grossesses précoces, etc.

La Polynésie est un territoire autonome, qui s’assume sur le plan de la santé. Aujourd’hui le coût de notre protection sociale généralisée atteint environ un milliard d’euros, que nous finançons en grande partie nous-mêmes – par des cotisations patronales et salariales, et par des taxes. Mais nous bénéficions également du soutien de l’État, et je tiens à vous remercier pour l’avancée obtenue sur votre participation à notre régime de solidarité. Néanmoins, nous avons aussi des problématiques communes. Ne serait-ce qu’à ce titre, je souhaiterais que la Polynésie puisse être informée, et même associée, face aux politiques ou aux stratégies nationales qui peuvent être déployées en matière de prévention.

S’agissant du diagnostic outre-mer, je voudrais rappeler que nos territoires sont différents par leur climat et que certains, comme la Polynésie, peuvent être très isolés, voire fragmentés. Nous sommes d’ailleurs conscients que certains rattrapages ne pourront jamais avoir lieu, dans la mesure où nous devons faire face à des handicaps structurels liés à la fragmentation de notre territoire. J’aimerais que, dans ces analyses, vous preniez ces éléments en compte.

S’agissant de la coopération régionale, je suis moi aussi très intéressée. Vous savez que nous avons demandé à l’État de disposer de médecins militaires. En effet, notre isolement et l’éparpillement du territoire n’encouragent pas les médecins libéraux traditionnels à se déplacer. Nous avons beaucoup de mal à les attirer et, dans certains atolls, les conditions de vie s’apparentent à celles de commandos. Nous avons donc fait appel à la Défense et je voudrais savoir si vous auriez des éléments à nous apporter à ce sujet.

Mon dernier point concerne ce projet de loi et la question de la répression. J’ai constaté qu’il y avait quelques éléments concernant l’alcoolisme. En Polynésie, nous en venons à nous demander s’il ne faudrait pas mettre en place des bonus et des malus pour dissuader certaines pratiques et certains modes de consommation chez des malades de longue durée.

Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le président, mes réponses seront sans doute trop rapides pour pouvoir entrer dans le détail de chacune des questions qui m’ont été posées. Je propose donc que, sur un certain nombre de points très précis ou techniques, comme la question portant sur les médecins militaires, nous vous apportions des éléments de réponse par écrit.

J’ai bien entendu votre préoccupation autour de l’intégration, dans la loi, de dispositions mieux identifiées en direction des Outre-mer. C’est bien pour cela que nous mettons en place, avec Mme George Pau-Langevin, cette stratégie de santé pour les Outre-mer, qui a précisément pour ambition d’apporter des réponses spécifiques, en tenant compte des moyens mis à notre disposition, pour développer des politiques particulières à destination des territoires ultramarins.

S’agissant de rattrapage, je répondrai à M. Letchimy que la moitié des aides nationales destinées aux hôpitaux sont allouées aux Outre-mer, et précisément aux Antilles. On ne peut donc pas considérer qu’il n’y a pas, en faveur des hôpitaux des Outre-mer, de mesures fortes s’apparentant à un rattrapage. Cela représente même la moitié des sommes considérables affectées à l’ensemble des hôpitaux français.

Je veux insister sur l’importance de la stratégie qui va être mise en place. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne pourra pas discuter d’amendements. Nous avons engagé un travail avec votre rapporteure à cette fin, et entamé des discussions sur le contenu de l’ordonnance prévue à l’article 56. Je sais que chacune et chacun d’entre vous souhaite mobiliser les acteurs locaux pour que nous puissions travailler ensemble sur la manière de porter certaines mesures dans l’ordonnance rendue possible par l’article 56. Pour ma part, je n’y vois que des avantages.

Par ailleurs, beaucoup des choses qui ont été dites à propos de la prévention renvoient à la stratégie qui a été prévue par la loi, et qui se mettra en place de manière plus spécifique. Mais les enjeux liés à l’alcool, comme ceux qui sont liés à la drogue, sont des enjeux nationaux, et ne se limitent pas aux Outre-mer.

Je précise que la taille, outre-mer, des panneaux d’affichage et des panneaux de publicité pour l’alcool est une dérogation – qui a été prévue – à la législation nationale. Nous pouvons travailler à la manière d’encadrer ces panneaux. Pour ma part, ma préoccupation principale, en ce domaine, est de faire en sorte qu’ils fassent bien mention des messages de santé publique, ce qui n’est pas toujours le cas.

Je rappelle, Madame la députée, qu’il y a déjà sur les bouteilles d’alcool un pictogramme à destination des femmes enceintes, et que le logo nutritionnel qui est prévu par la loi a précisément pour objectif de pouvoir donner des indications sur la composition globale des produits qui seront vendus, y compris outre-mer. C’est donc dans cette perspective globale que nous devons nous inscrire.

Je répondrai à M. Polutélé que, sur le site du ministère, il n’est pas indiqué que Wallis-et-Futuna est un pays étranger, mais que la législation applicable n’est pas la même que celle qui s’applique ailleurs en matière de sécurité sociale. L’article 56, qui donnera lieu à l’habilitation, nous permettra de définir les règles de coordination entre la législation de sécurité sociale qui existe dans l’hexagone et les règles spécifiques en vigueur à Wallis-et-Futuna. D’ailleurs, les règles de sécurité sociale peuvent varier selon les territoires, comme cela vient d’être rappelé, par exemple, s’agissant de la Polynésie française.

Je suis d’accord avec M. Boinali Said pour dire que les enjeux de migration, même s’ils ne relèvent pas de mon ministère, sont essentiels et ont un impact sur les questions de santé.

Ensuite, à Mayotte, le 22 août dernier, le Président de République, s’est engagé à propos de la mise en place de la CMU-c. Son engagement sera évidemment tenu, et nous sommes en train de travailler sur la mise en place de ce dispositif, qui prendra un certain temps. Nous sommes également en train de travailler, sur le plan technique, sur la façon d’apporter à la Polynésie française l’aide qui lui a été annoncée.

J’ai entendu la demande de M. Claireaux concernant Saint-Pierre-et-Miquelon. S’agissant de la question relative à l’Ordre des médecins, il faudra se rapprocher de ce dernier. S’agissant des médecins canadiens, je vais également demander si des règles spécifiques pourraient être appliquées dans l’archipel, en dérogation de celles qui s’appliquent sur le territoire national en matière d’exercice des médecins étrangers. Je vous tiendrai informé, car je n’ai pas, immédiatement, les réponses techniques aux questions que vous m’avez posées.

Madame Berthelot a parlé de la nécessité de prendre en compte la dimension territoriale des Outre-mer. C’est d’ailleurs l’un des enjeux de la loi que de considérer que l’on doit réfléchir « territorialement » – notamment avec des outils permettant d’apporter une vision territoriale de l’action hospitalière. Mais je souhaite qu’à travers des contrats territoriaux nous allions plus loin que ce qui est fait aujourd’hui, dans l’analyse des enjeux de santé, territoire par territoire, et dans la mise en place de réponses coordonnées. Ce sont des réponses qu’il appartiendra, en particulier aux ARS, mais aussi aux professionnels de santé eux-mêmes, de porter, pour pouvoir répondre aux besoins de la population.

Bien entendu, je suis tout à fait ouverte à ce que des travaux spécifiques soient menés. Je pense, notamment, aux amendements auxquels travaille votre rapporteure et sur lesquels nous avons commencé à discuter. Je souhaite que vous soyez étroitement associés à l’élaboration de cette stratégie avec le ministère des Outre-mer, et que vos préoccupations puissent être intégrées dans l’ordonnance. L’article 56 donne une habilitation, mais cette ordonnance doit nous permettre d’ouvrir le champ à certaines préoccupations plus particulières.

En tout cas, vous pouvez être assurés de mon attention très forte à la situation dans les Outre-mer, que ce soit celle des établissements hospitaliers ou de la médecine libérale. Nous devons aller aussi loin que possible dans la déclinaison des mesures d’attractivité à l’intention des professionnels de santé libéraux. Nous devons également prêter une attention très forte aux enjeux de prévention, compte tenu des situations particulières que nous rencontrons, territoire par territoire. Cela nous renvoie à l’enjeu territorial : dans chaque territoire, les situations ne sont pas exactement les mêmes, ce qui suppose une adaptation des moyens très précise et minutieuse.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie pour vos suggestions et pour votre engagement, auquel je suis évidemment très sensible.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mesdames les ministres, chacun a pu s’exprimer et la diversité des situations est bien apparue. Il me semble que le travail que nous pouvons mener maintenant avec vos services et avec vous-mêmes permettra de prendre en compte cette diversité. Mesdames les ministres, je vous remercie.


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