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N° 3875

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 juin 2016.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1),

sur l’égalité entre les femmes et les hommes à Mayotte, à la suite d’une mission effectuée du 10 au 14 novembre 2015

PAR

Mmes Catherine COUTELLE, Virginie DUBY-MULLER
et Monique ORPHÉ,

Députées

La composition de la délégation figure au verso de la présente page.


La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Catherine Coutelle, présidente ; Mme Conchita Lacuey, Mme Monique Orphé, M. Christophe Sirugue, Mme Marie-Jo Zimmermann, vice-président.e.s ; Mme Édith Gueugneau ; Mme Cécile Untermaier, secrétaires ; Mme Laurence Arribagé ; Mme Marie-Noëlle Battistel ; Mme Huguette Bello ; Mme Brigitte Bourguignon ; Mme Marie-George Buffet ; Mme Pascale Crozon ; M. Sébastien Denaja ; Mme Marianne Dubois ; Mme Virginie Duby-Muller ; Mme Martine Faure ; M. Guy Geoffroy ; Mme Claude Greff ; Mme Françoise Guégot ; Mme Chaynesse Khirouni ; Mme Sonia Lagarde ; Mme Geneviève Levy ; Mme Véronique Massonneau ; Mme Sandrine Mazetier ; Mme Dominique Nachury ; Mme Maud Olivier ; Mme Bérengère Poletti ; Mme Josette Pons ; M. Christophe Premat ; Mme Catherine Quéré ; Mme Barbara Romagnan ; M. Gwendal Rouillard ; Mme Maina Sage ; Mme Sylvie Tolmont ; M. Philippe Vitel.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

PREMIÈRE PARTIE : ENJEUX ET DÉFIS DE LA POLITIQUE D’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES À MAYOTTE 7

I. UN DÉPARTEMENT PRÉSENTANT PLUSIEURS SPÉCIFICITÉS ET CONFRONTÉ À DES DÉFIS MAJEURS 7

A. ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES ET SPÉCIFICITÉS LOCALES : LES ENJEUX POUR LES DROITS DES FEMMES 8

1. De fortes spécificités locales : langues, place de l’Islam et des traditions, droit local et ambivalences d’une société matrilocale 8

2. Un alignement progressif vers le droit commun dans le cadre de la départementalisation, qui s’est traduit par des avancées importantes pour les Mahoraises 12

3. La « RUPéisation » de Mayotte et l’accès aux fonds structurels européens : des enjeux aussi pour l’égalité femmes-hommes 17

B. UNE FORTE PRESSION DÉMOGRAPHIQUE 20

1. Une population jeune et qui a fortement progressé depuis plusieurs années, avec un taux de natalité encore élevé 20

2. D’importants flux migratoires : la question persistante de l’immigration irrégulière 22

C. D’IMPORTANTS DÉFIS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX 25

1. Un taux de chômage élevé, en particulier pour les femmes, et un niveau de vie en progression mais qui reste faible par rapport à la métropole 25

2. Un effort budgétaire important de l’État depuis plusieurs années 28

II. UNE POLITIQUE AMBITIEUSE ET TRANSVERSALE POUR FAIRE PROGRESSER L’ÉGALITÉ RÉELLE ET LES DROITS DES MAHORAISES 29

A. LE RÔLE D’IMPULSION DE L’ÉTAT 30

1. Des plans d’action transversaux pour l’égalité femmes-hommes à Mayotte prévus par la circulaire du 12 septembre 2011 et par le document stratégique « Mayotte 2025 » de juin 2015 30

2. Le rôle essentiel de la Délégation aux droits des femmes de Mayotte 34

3. Les recommandations de la mission en matière de pilotage de la politique publique de l’égalité femmes-hommes 37

B. LES FEMMES ACTRICES DU CHANGEMENT 38

1. L’engagement des Mahoraises dans la vie politique et associative 38

2. La place croissante des femmes dans l’économie, en particulier la création d’entreprises : Mayotte, 2e département de France pour l’entreprenariat féminin 40

SECONDE PARTIE : DES ACTIONS PRIORITAIRES À MENER 42

I. SOUTENIR L’AUTONOMIE DES FEMMES 42

A. RENFORCER LE SYSTÈME ÉDUCATIF 42

1. En dépit d’un développement massif de la scolarisation, des écarts importants qui demeurent par rapport à la métropole 42

2. Les initiatives locales et recommandations de la mission 46

B. LEVER LES FREINS À L’EMPLOI 49

1. En dépit de plusieurs améliorations, des difficultés particulières en matière d’insertion professionnelle des femmes 49

2. Recommandations des rapporteures 52

II. AMÉLIORER LA SANTÉ DES MAHORAISES ET RENFORCER LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES 53

A. LA SANTÉ DES FEMMES 53

1. Les principaux enjeux identifiés en matière de santé des femmes 53

2. Initiatives locales et recommandations de la mission 56

B. LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET LA PROSTITUTION 59

1. La prévalence des violences à Mayotte et leur prise en charge : les principaux éléments recueillis au cours de la mission 59

2. Les initiatives locales et recommandations des rapporteures 63

LISTE DES RECOMMANDATIONS 67

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION : EXAMEN DU RAPPORT 71

ANNEXES 77

ANNEXE 1 : PROGRAMME DE LA MISSION ET LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURES 77

ANNEXE 2 : LA DÉPARTEMENTALISATION DE MAYOTTE 81

INTRODUCTION

Situé dans l’océan indien, entre l’Afrique et Madagascar, Mayotte est officiellement devenu le 101e département français et le cinquième département d’outre-mer (DOM), avec La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, le 31 mars 2011 (1).

Cette évolution institutionnelle, qui a été soutenue par plus de 95 % des suffrages exprimés lors de la consultation locale organisée en mars 2009 (2), s’est accompagnée de profondes mutations et a suscité des attentes fortes. Mayotte est par ailleurs confronté aujourd’hui à d’importants défis démographiques, économiques et sociaux.

Le 13 juin 2015, un document stratégique – « Mayotte 2025 » – a été signé par le Premier ministre et plusieurs élus mahorais, avec « l’ambition d’achever la départementalisation, de définir les axes de développement stratégiques du territoire et d’en déterminer les priorités ». Cette feuille de route prévoyait en particulier l’élaboration d’un plan d’action transversal pour l’égalité femmes-hommes, en soulignant que cette question « est cruciale : l’avenir de Mayotte ne pourra se réaliser sans les femmes ».

Dans ce contexte, le député M. Ibrahim Aboubacar a appelé l’attention de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale sur la question de l’égalité des sexes à Mayotte.

Trois membres de la délégation – la présidente Catherine Coutelle, Mme Virginie Duby-Muller et Mme Monique Orphé, vice-présidente – se sont ensuite rendues sur place, du mardi 10 novembre au samedi 14 novembre 2015.

Cette mission est toutefois intervenue dans un contexte particulier, lié à la présence de la ministre des Outre-mer, Mme George Pau-Langevin, et aux importants mouvements sociaux intervenus cette même semaine, avec notamment une interruption des liaisons maritimes entre les deux îles principales, ce qui a conduit à adapter le programme de la mission, présenté en annexe n° 1 du présent rapport.

Vos rapporteures ont néanmoins pu effectuer plusieurs visites de terrain, par exemple au Centre hospitalier de Mamoudzou (CHM), dans une coopérative de production artisanale de sel (« mamas shingos »), dans une couveuse d’entreprise, au centre de rétention administrative de Petite-Terre, au domicile de « Femmes leader » à Mamoudzou, etc.  – et rencontrer de très nombreuses personnes au cours de leur déplacement, notamment des responsables administratifs, des cheffes d’entreprises ainsi que des membres d’associations et de la société civile.

À la suite de cette mission, le présent rapport d’information s’attache tout d’abord à présenter le cadre particulier dans lequel s’inscrit la politique d’égalité entre les femmes et les hommes, compte tenu des différentes spécificités socio-culturelles et statutaires, mais aussi des défis importants auxquels le territoire est confronté, avec en particulier une forte pression démographique, un chômage élevé et un niveau de vie qui s’est amélioré mais reste très en-deçà de la métropole.

La seconde partie du rapport est consacrée aux priorités identifiées par la mission et aux différentes mesures sectorielles susceptibles d’être mises en œuvre en vue de faire progresser les droits des Mahoraises et l’égalité entre les femmes et les hommes. Ces priorités sont les suivantes : l’éducation, l’accès à l’emploi, la santé et la lutte contre les violences faites aux femmes.

Que l’ensemble des personnes rencontrées à Mayotte, et en particulier la déléguée aux droits des femmes, Mme Noera Mohamed, soient ici remerciées chaleureusement pour la qualité de l’accueil réservé aux rapporteures et pour leur contribution précieuse aux travaux de la mission.

PREMIÈRE PARTIE : ENJEUX ET DÉFIS DE LA POLITIQUE D’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES À MAYOTTE

La politique publique d’égalité entre les femmes et les hommes à Mayotte (II) s’inscrit dans le contexte particulier d’un territoire marqué par des spécificités fortes, confronté à des évolutions importantes et à des défis majeurs (I).

I. UN DÉPARTEMENT PRÉSENTANT PLUSIEURS SPÉCIFICITÉS ET CONFRONTÉ À DES DÉFIS MAJEURS

Situé dans le canal du Mozambique, à plus de 8 000 kilomètres de la métropole et à 70 kilomètres de l’île comorienne d’Anjouan, l’archipel de Mayotte est constitué de deux îles principales, Grande-Terre et Petite-Terre, où vos rapporteures se sont rendues du mardi 10 au samedi 14 novembre 2015.

Source : ministère des outre-mer

Présentant d’importantes spécificités socio-culturelles et juridiques, Mayotte a connu plusieurs évolutions institutionnelles et statutaires, avec en particulier la départementalisation intervenue en 2011 et corrélativement, le processus, toujours en cours, d’alignement progressif vers le droit commun (A). Ce département d’outre-mer est par ailleurs confronté à forte une pression démographique (B) et à des défis majeurs sur le plan économique et social (C).

A. ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES ET SPÉCIFICITÉS LOCALES : LES ENJEUX POUR LES DROITS DES FEMMES

1. De fortes spécificités locales : langues, place de l’Islam et des traditions, droit local et ambivalences d’une société matrilocale

En raison de sa situation géographique, l’archipel de Mayotte est, depuis des siècles, un carrefour d’échanges maritimes entre l’Europe, l’Afrique et l’océan indien, ce qui est en fait le berceau d’un brassage culturel diversifié.

● Des spécificités sur le plan linguistique

Bien que le français soit la langue officielle, enseignée à l’école, les Mahoraises et les Mahorais conservent l’usage du shimaoré et du kibushi, qui constituent les deux principales langues vernaculaires, auxquelles s’ajoutent certaines variantes (par exemple, le shingazidja, parlé en Grande Comore).

« Le français, langue seconde » : extrait du Plan de lutte contre l’illetrisme à Mayotte pour 2011-2015

« Mayotte se caractérise par une situation de diglossie importante qui se structure autour d’un groupe vernaculaire (shimaoré, kibushi) et d’une langue scolaire et administrative (le français).

Le shimaoré est parlé par près de 70 % de la population. Le kibushi par un peu plus de 30 %. Le shimaoré est une langue dérivée du swahili. Elle appartient au groupe bantou comme la plupart des langues parlées dans la moitié sud de l'Afrique. Les nombreux Comoriens installés à Mayotte parlent différentes variétés linguistiques très proches du shimaoré. Le kibushi est une langue d’origine sakalave. Mayotte est ainsi le seul endroit hors de Madagascar où l’on trouve un parler malgache. Les malgachophones sont dispersés sur l'ensemble de l’île dans une vingtaine de villages et dans les deux agglomérations principales. Ces deux langues constituent les langues maternelles des mahorais, langues essentiellement orales dont la transcription écrite et la grammaire n’ont pas encore été arrêtées.

Le français (langue de la République) est langue seconde, voire langue de scolarité. C’est la langue que les élèves rencontrent en fréquentant les établissements scolaires des premier et second degrés. Seuls 60 % de la population le maîtrisent ».

Source : extrait du plan départemental de lutte contre l’illettrisme, signé par la ministre des outre-mer en avril 2011 (préfecture de Mayotte)

Le français ne serait ainsi la langue maternelle que d’une personne sur dix à Mayotte et en 2012, près de 60 % des personnes en âge de travailler ne maîtrisaient pas les compétences de base à l’écrit en langue française, selon l’INSEE (3), et les femmes sont davantage en difficulté que les hommes (63 % contre 53 % des hommes), en raison d’un accès à l’enseignement plus tardif.

Cette particularité doit être prise en compte dans la mise en œuvre des politiques publiques, notamment d’égalité femmes-hommes, à travers par exemple des actions de communication adaptées ou la traduction de certains dépliants en langues locales, tels que le projet de série télévisée en format « télénovelas » et le guide sur les violences faites aux femmes réalisé par le centre départemental d’accès aux droits, évoqués dans la seconde partie du rapport.

● La place de l’islam et des traditions : une société traditionnelle dite matrilocale ou matrilinéaire mais ambivalente quant au statut des femmes.

Implantée à Mayotte depuis le XVe siècle, la religion musulmane occupe une place majeure dans la société mahoraise. Environ 95 % de la population de Mayotte serait ainsi de confession musulmane, selon la préfecture. Au cours de la mission, il a été souligné que les Mahorais et les Mahoraises ont une pratique modérée de l’islam, même si les enfants fréquentent l’école coranique, généralement tôt le matin, avant l’école laïque. Certaines personnes entendues par vos rapporteures ont cependant fait état de l’arrivée récente d’imams en provenance d’Arabie saoudite, et dont certains ont été mal reçus par les parents.

À cet égard, il est à noter que le document « Mayotte 2025 », signé en juin 2015 par le Premier ministre et plusieurs élus mahorais, prévoit de proposer une formation à l’apprentissage de la laïcité et des valeurs de la République, en mettant en place un diplôme universitaire « Islam et République » au centre universitaire de Mayotte, et de structurer le dialogue local avec les cultes présents à Mayotte.

En tout état de cause, deux types de statuts coexistent aujourd’hui pour les personnes résidant à Mayotte : le statut de droit commun et le « statut personnel » ou droit civil local dérogatoire, comme le permet l’article 75 de la Constitution (4). Il s’agit d’un droit coutumier inspiré du droit musulman et des coutumes africaines et malgaches, qui se réfère au Minhadj Al Talibin (Livre des croyants zélés), recueil d’aphorismes et de préceptes ayant pour base la charia, écrit au XIIIème siècle par An-Nawawi (1233-1277), juriste damascène (5).

Une délibération de la Chambre des députés des Comores de 1964 a érigé les traditions orales de Mayotte en source à part entière du statut personnel de droit local qui fondent, par exemple, l’application des règles de transmission matrilinéaire en matière immobilière (cf. infra). Cette délibération prévoyait notamment que les matières concernant essentiellement les droits de la personne et de la famille ainsi que les droits matrimoniaux relèvent du statut personnel : état civil, mariage, garde d’enfants, entretien de la famille, filiation, répudiation, successions. Toutefois, le Minhadj n’était heureusement pas appliqué dans ses dispositions pénales, par exemple la lapidation de la femme adultère.

Outre cette dualité des règles en matière d’état des personnes et des biens, il existait une justice particulière aux citoyens de statut personnel, rendue par les cadis, dont le rôle a depuis été recentré sur des fonctions de médiation sociale. L’une des personnes rencontrées par vos rapporteures au centre hospitalier de Mamoudzou a souligné à cet égard que la suppression de justice cadiale avait constitué une avancée pour les femmes et les enfants.

Par ailleurs, les réformes successivement conduites à partir de 2001 ont considérablement limité la portée du statut personnel et organisé les conditions de son extinction progressive (6). Ainsi, le statut civil de droit local ne peut désormais être transmis que par deux parents ayant eux-mêmes conservé le statut personnel, et la renonciation au statut personnel est irréversible. Par ailleurs, l’une des évolutions les plus emblématiques du statut personnel a consisté en l’abrogation de la polygamie et de la répudiation unilatérale (cf. infra).

Cependant, au-delà des différentes mesures prises en droit en vue d’un alignement progressif vers le droit commun de la République, il faut avoir conscience que, dans les faits, l’évolution de certaines pratiques traditionnelles et représentations sociales prendra sans doute un certain temps. Il a ainsi été évoqué au cours de la mission des situations de polygamie de fait.

Comme vos rapporteures ont pu le constater, la culture mahoraise repose sur une tradition orale riche et des coutumes encore très vivaces, où les femmes occupent une place particulière. En effet, comme le souligne le plan régional pour l’égalité femmes-hommes de Mayotte pour 2012-2014, établi par la préfecture, la société traditionnelle est matrilocale ou matrilinéaire (7). Ainsi, dans la société traditionnelle, l'époux vient habiter dans la famille de sa femme, et ce sont elles qui héritent de la maison de leur mère ou, le cas échéant, pour elles qu’une nouvelle maison est construite. S’agissant des jeunes garçons, la coutume exigeait de les isoler de la famille à partir de l’adolescence : ils construisent ainsi des « bangas », petites cases où ils vivent ensuite jusqu’à leur mariage.

En outre, le mariage et la maternité restent des normes sociales importantes, de même que la virginité avant le mariage, comme cela ressort également d’une enquête réalisée par une sociologue toulousaine à la demande des pouvoirs publics en 2013, qui a été communiquée aux rapporteures par l’agence régionale de santé (ARS), suite à leur visite du centre hospitalier de Mamoudzou.

Normes sociales et représentations dans la société mahoraise traditionnelle

– Le mariage et la maternité à tout prix, ne pas rester célibataire

« Une femme est tenue d’être une épouse et une mère, et ce le plus tôt possible, c’est-à-dire avant 20 ou 22 ans. C’est seulement le mariage associé à la maternité qui lui permet d’avoir un statut d’adulte dans la société mahoraise. Certaines attendent le "grand mariage" avant de s’engager dans une relation, mais ce grand mariage, qui doit être conforme à des règles d’alliances familiales, coûte cher aux deux familles et implique que la jeune femme ait déjà sa maison. Si une femme est pauvre ou si elle fait partie d’une fratrie qui comporte beaucoup de filles ou encore si elle a eu un enfant sans être mariée, elle consentira à un "petit mariage" (aruzi), qui est une " union légale " devant le cadi. Dans ce cas, elle aura sauvé son honneur puisqu’elle sera mariée, mais elle n’aura pas eu de dot et pas nécessairement une maison (elle peut n’avoir obtenu qu’un terrain constructible). (…) Noera Mohamed, déléguée aux droits des femmes et à l’égalité à Mayotte souligne que, en 2005, l’ordonnance interdisant la polygamie a rencontré la résistance de certaines femmes. Selon ces femmes, il valait mieux encadrer davantage la polygamie afin de protéger les femmes, avec par exemple l’obligation des pensions alimentaires pour l’ensemble des épouses, que de l’interdire et faciliter de fait la "polygamie clandestine" dans laquelle les hommes n’ont pas d’obligation ».

– La viriginité, la maison, la dot

« C’est la virginité de la jeune épouse qui lui ouvre droit au grand mariage, à la dot et à la maison. Une femme vierge au mariage garantit la réputation de toute la famille et surtout l’honneur de sa mère. Des travailleuses sociales mahoraises nous le confirment : " La grossesse hors mariage est une trahison vis-à-vis de la famille, la fille n’a pas respecté sa famille. Au moment du mariage, on saura qu’elle n’était pas vierge" (entretien, décembre 2012). Une femme qui n’a pas respecté ce précepte pour commencer sa vie d’adulte n’a aucune existence sociale aux yeux de la communauté. Or tous nos interlocuteurs nous l’ont confirmé, la mise à l’index constitue une mort sociale certaine. " (…) Rester célibataire ou être divorcé est qualifié de m’tsouba : c’est une tare sociale." (Achiraf, 2006). Une femme, qui a eu un enfant hors mariage, quel que soit son âge, est nommée koko, c’est une " demi-maman ".

L’époux paie une dot qui est remise à son épouse le jour du mariage. Selon nos informateurs, la dot s’élève au minimum à 1 500 / 2 000 €, mais il n’est pas rare d’avoir des dots à 5 000 €, et en fonction du milieu social des familles, le montant peut être plus élevé (information recueillie en 2012).

La construction des maisons des filles commence dès leur plus jeune âge, parfois elles savent que ce sera telle ou telle fille qui reprendra la maison de sa mère ou de sa grand-mère après son mariage. Parfois, certaines qui ont un emploi construisent elles-mêmes leur maison avant leur mariage sur un terrain qui leur a été attribué, avec l’aide (matérielle et/ou financière) des frères et du père ou des cousins paternels. Mais l’attribution de la maison est soumise à l’avis des parents sur le mariage. »

Source : étude de la prostitution, des échanges économico-sexuels en France et prévention du VIH à Mayotte rapport de Mme Françoise Guillemaut, docteure en sociologie, université de Toulouse, pour le ministère des Affaires sociales et de la Santé l’IREPS Mayotte et la Délégation régionale aux droits des femmes et à l’égalité de Mayotte (DRDFE, préfecture), 2013

Si la place particulière des femmes a été soulignée à plusieurs reprises au cours de la mission, la société traditionnelle mahoraise n’est pas exempte d’ambivalences. Ainsi, la transmission ou la construction de maisons pour les femmes peut aussi être vu comme une forme de contrôle social, sinon d’assignation au foyer, tandis que les hommes et jeunes garçons vivant dans leur banga peuvent aller et venir plus librement. À cet égard, les besoins en termes de logement social à Mayotte ont été soulignés au cours de la mission, et de de ce point de vue, le développement d’un parc locatif à loyer modéré pourrait contribuer à soutenir l’autonomie des femmes.

Ce « matriarcat », ou plus exactement cette matrilocalité est également ambivalente en ce qu’elle s’accompagnait de dispositions civiles dérogatoires (droit local) qui plaçaient les femmes dans une situation d’infériorité. En outre, en raison des lourdes charges domestiques et familiales leur incombant, un certain nombre de jeunes filles ont vu leur scolarité interrompue, avec ensuite des difficultés accrues d’accès à l’emploi, bridant ainsi l’autonomie des femmes. De nombreux progrès sont toutefois intervenus avec la départementalisation.

2. Un alignement progressif vers le droit commun dans le cadre de la départementalisation, qui s’est traduit par des avancées importantes pour les Mahoraises

Le cadre institutionnel et statutaire de Mayotte a connu d’importantes évolutions sous la Ve République. À l’inverse des autres îles de l’archipel des Comores, qui ont réclamé leur indépendance dès les années 1950, Mayotte a revendiqué à plusieurs reprises son attachement à la France. À cet égard, comme cela a été souligné lors d’échanges avec des membres de l’Association des femmes leader, les femmes se sont mobilisées pour le maintien de Mayotte dans la République française, à travers notamment le mouvement des « chatouilleuses », avec des « commandos » de femmes apparus dans les années 1960 (cf. l’encadré ci-après). Il a également été indiqué au cours de la mission que les Mahoraises se sont mobilisées lors de la consultation de la population sur la départementalisation en 2009, qui a finalement été soutenue par 95 % des suffrages.

La place des femmes dans l’histoire de Mayotte : le combat des « Chatouilleuses » pour le maintien du territoire dans la République française

« Si la société mahoraise traditionnelle fonctionne sur les principes de matrilinéarité et de la matrilocalité, de nombreux aspects du statut civil de droit local placent les femmes dans une situation d’infériorité par rapport aux hommes (polygamie, part successorale, capacité testimoniale...). Les Mahoraises assument en outre de lourdes responsabilités familiales, souvent à un très jeune âge, ce qui entraîne parfois l'interruption de leur scolarisation et davantage de difficultés que les hommes à s'assurer un avenir professionnel.

Aussi convient-il de saluer le rôle important qu’ont joué les femmes dans le combat pour le maintien de Mayotte dans la République française. Ainsi, Zaïna M’Dére, décédée en 1999, et Mme Zaïna Méresse se sont engagées dès les années 1960 pour " Mayotte française ". Avec elles, d’autres femmes, telles que Coco Djoumoi et Boueni M’Titi, décident de mener des actions de commando contre les autorités venant de la Grande Comore, en recourant à un moyen d’action original pour les repousser : les chatouilles. Mme Zaïna Méresse raconte que "le premier chatouillé a été le ministre Mohamed Dahalani, un Grand Comorien aujourd'hui décédé. Mais le scénario était toujours le même. Dès que notre indicatrice apercevait un envoyé de Moroni sur la route, elle sonnait le rassemblement. Les premières arrivaient, l’entouraient et commençaient à se plaindre, d’abord en douceur : "Pourquoi ne vous occupez-vous pas de Mayotte ? Pas de goudron... pas d'école... pas de travail ! Pourquoi Mayotte ne compte-t-elle pas pour vous ?" Puis les doigts frétillants se mettaient à toucher l'homme médusé : "beaux cheveux !", "belle cravate !". Puis les mains s’enhardissaient, allaient vers les côtes. Très vite, l’homme se tordait en essayant de se servir de ses mains en guise de rempart. Il s’énervait... le prenait de haut... puis il riait ou menaçait en prenant les passants à témoin. En un clin d'œil, sa veste lui était retirée. Quand il suffoquait on s'arrêtait pour ne pas le faire mourir et on le laissait là dans la poussière. "

Ces actions, d’apparence amusante, s’inscrivent néanmoins dans un climat de tension et illustrent le courage dont ont fait preuve les femmes de Mayotte. Ainsi, le 13 octobre 1969, l’une des Chatouilleuses, Zakia Madi, meurt lors d’affrontements entre partisans et adversaires de l’indépendance. Selon l’historien M. Ibrahime, "ces femmes mahoraises ont eu un rôle incontestable dans la bascule du maintien de Mayotte dans l’ensemble français. On peut même dire que ce sont les chatouilleuses qui ont remporté cette bataille grâce à leur mobilisation de tous les instants. Néanmoins, au lendemain de l’indépendance des Comores, en 1975, ces femmes, qui ont pourtant joué un rôle considérable, ont été complètement éloignées des postes à responsabilité et rejetées de la scène politique. On peut s'interroger si dans la société mahoraise d'aujourd'hui leur situation a réellement évolué ou pas ? Les hommes se sont partagé les postes de pouvoir". Cependant, Mme Zaïna Méresse a ensuite siégé au conseil général de Mayotte. »

Source : rapport d’information précité de la commission des lois du Sénat (juillet 2012)

La départementalisation, dont les principales étapes sont rappelées dans l’annexe n° 2 du présent rapport, a été revendiquée comme le moyen de s’ancrer dans les institutions républicaines et de construire un avenir meilleur. En 2008, le conseil général de Mayotte a ainsi adopté à l’unanimité une résolution relative à l’accession du territoire (doté du statut de « collectivité départementale » depuis 2001) au statut de département et région d’outre-mer. Le Président de la République a ensuite présenté en 2008 un « Pacte (8) pour la départementalisation », définissant les étapes vers la création du département de Mayotte. Outre le changement institutionnel stricto sensu, cette feuille de route précisait les principaux chantiers à conduire pour l’accompagner :

– développement de la politique sociale, à travers l’alignement très progressif (sur 20 à 25 ans) des principales prestations sociales et des minima sociaux sur ceux de la métropole ;

– instauration d’une fiscalité de droit commun, accompagnement du développement économique, essentiellement par des transferts publics en provenance de la métropole et passage au statut européen de région ultrapériphérique (RUP) de l’Union européenne (cf. infra) ;

– garantie des principes républicains à Mayotte, à travers le développement d’un état civil fiable, la pleine application de la justice républicaine, la maîtrise du français mais aussi l’égalité femmes- hommes.

« Respecter l’égalité femmes-hommes » : les dispositions prévues par le Pacte pour la départementalisation présenté par les pouvoirs publics en décembre 2008

« Les Mahoraises et les Mahorais qui ont choisi le statut personnel de droit local ont la garantie que leur choix est protégé par l’article 75 de la Constitution. (…) Le statut civil de droit local a évolué, des ordonnances ou la loi ayant permis de mieux respecter les principes de la République et de mieux prendre en compte le droit et la situation des femmes mahoraises. Avec la départementalisation, nous approfondirons les réformes déjà entreprises et respecterons ainsi nos engagements européens et internationaux.

Pour affirmer l’égalité des époux dans le mariage qui est un principe de droit intangible, plusieurs réformes seront nécessaires. L’âge légal minimum des femmes pour se marier sera relevé de 15 à 18 ans. C’est l’âge légal dans le droit national qui s’applique en métropole et dans les DOM. Le libre consentement à célébrer le mariage est un principe général en métropole et dans les DOM. À Mayotte, cela signifie que désormais, toute référence au tuteur matrimonial devra disparaître. Le mariage religieux n’est évidemment pas interdit mais, comme cela est la règle en métropole et dans les DOM, le mariage civil doit avoir été célébré au préalable en mairie par un officier d’état-civil. La loi du 21 juillet 2003 a commencé à prendre en compte la question de la polygamie. Mais le dispositif retenu qui fait référence à l’âge des époux n’est en définitive pas suffisant. Il n’est pas question de remettre en cause les situations acquises. Les Mahoraises et les Mahorais mariés continueront de vivre sous le régime matrimonial qu’ils ont choisi. Mais pour le futur, les mariages polygames seront interdits. La loi actuelle qui fait référence à l’âge des futurs époux (tous les hommes nés avant le 1er janvier 1987 et toutes les femmes nées avant le 1er janvier 1990 pouvaient encore contracter un mariage polygame) sera donc modifiée. »

Depuis le début des années 2000, plusieurs mesures législatives ont ainsi été prises en faveur des femmes à Mayotte, entraînant une profonde mutation du statut civil de droit local :

– la loi du 21 juillet 2003 de programme pour l’outre-mer a permis d’abolir certains aspects du statut des femmes qui n’étaient pas compatibles avec les principes de l’ordre public, de la Constitution et des engagements internationaux de la France : a ainsi été limité le champ d’application du statut personnel de droit local à l’état et à la capacité des personnes, aux régimes matrimoniaux, aux successions et aux libéralités, à l’exclusion de tout autre secteur de la vie sociale ; en particulier, la polygamie a été interdite pour les personnes ayant atteint l’âge requis pour se marier – alors de 18 ans pour les hommes et 15 ans pour les femmes – au 1er janvier 2005 ; pour ces mêmes personnes, le mariage ne peut être dissout que par le divorce ou par la séparation judiciairement prononcée (interdiction des répudiations unilatérales) ;

– la loi du 26 mai 2004 a complété cette réforme sur deux points : la procédure de droit commun a été rendue applicable aux cas de divorce entre personnes relevant du statut civil de droit local, et l’accès au juge de droit commun a été autorisé pour la partie la plus diligente dans le cadre des conflits entre personnes relevant du statut civil de droit local ;

– en matière de droit du travail, l’ordonnance du 20 janvier 2005 (9) comportait des dispositions relatives à la discrimination fondée sur le sexe ;

– l’ordonnance du 3 juin 2010 (10) a marqué une nouvelle étape dans la modernisation du statut civil de droit local et son rapprochement avec le droit commun. Elle précise ainsi que le statut de droit local « régit l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités » mais ne saurait « contrarier ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français ». Ce texte décrit la procédure de renonciation au statut de droit local, (irrévocable) et prévoit l’application des règles du code civil en matière de mariage et de dissolution du mariage aux Mahoraises et Mahorais de droit local : sont ainsi proscrits la répudiation et les unions polygames pour l’avenir sans condition d’âge, et l’âge légal minimum des femmes pour se marier a été relevé à 18 ans. Dans son article 10, l’ordonnance pose aussi le principe selon lequel « toute femme mariée ou majeure de dix-huit ans peut librement exercer une profession, percevoir les gains et salaires en résultant et disposer de ceux-ci » et « peut administrer, obliger et aliéner seule ses biens personnels ».

Cette ordonnance a par ailleurs supprimé l’intervention de la justice cadiale en lui substituant de plein droit la juridiction de droit commun pour connaître des conflits entre personnes relevant du statut personnel de droit local, les cadis, désormais agents du conseil général de Mayotte, ayant vocation à être recentrés sur des fonctions de médiation sociale. La loi ordinaire du 7 décembre 2010 parachève l’évolution du rôle des cadis en supprimant leurs fonctions de tuteurs légaux ou le rôle qu’ils pouvaient assumer sur le plan notarial.

En, outre, l’accession de Mayotte au statut de département lui a permis bénéficier de dispositifs qui n’étaient pas applicables sur le territoire, tels que les contrats pour la mixité et l’égalité professionnelle (COMEEP, dispositif d’aides aux entreprises pour le financement d’actions en faveur de l’égalité).

Cependant, ce processus d’alignement progressif vers le droit commun reste aujourd’hui inachevé : plusieurs personnes rencontrées par vos rapporteures ont ainsi souligné, par exemple, la non application de dispositions en matière de protection sociale, concernant par exemple la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), les assistantes maternelles agrées. De même, il existe toujours un code du travail spécifique à Mayotte (l’application du code du travail devrait toutefois intervenir d’ici janvier 2018). En particulier, le dispositif visant à assurer le respect par les entreprises de leurs obligations en matière d’égalité professionnelle (avec des pénalités financières en métropole) n’est pas applicable à Mayotte.

Plus généralement, cinq ans après la transformation du statut de Mayotte, le passage à l’identité législative, pourtant consubstantiel à la départementalisation – soit l’alignement sur le droit commun métropolitain, sous réserve des éventuelles adaptations prévues pour les DOM – n’est pas encore achevé.

Que recouvre précisément la notion de « départementalisation » de Mayotte ?

Institutionnellement, elle désigne son passage d’un statut de collectivité d’outre-mer (COM), régie par l’article 74 de la Constitution, à celui de collectivité unique régie par le dernier aliéna de l’article 73 de la Constitution, aux termes duquel : « Dans les départements et régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. » Mayotte exerce à la fois les compétences d’une région et d’un département outre-mer (DOM).

Le terme de « départementalisation » ne couvre donc qu’imparfaitement le statut réel de Mayotte, qui exerce désormais l’ensemble des compétences départementales et régionales de droit commun, à l’exception de la gestion des routes nationales, des constructions scolaires du second degré (collèges et lycées) et de la gestion des personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) de l’Éducation nationale (11).

L’accession au statut de département de Mayotte devait s’accompagner du passage de la « spécialité législative » (les lois et règlements adoptés en métropole n’y étaient pas applicables, sauf mention expresse d’application) à celui d’ « identité législative » (application de plein droit des lois et règlements à Mayotte, avec un alignement progressif sur le droit commun métropolitain, sous réserve des éventuelles adaptations pour les DOM prévues par l’article 73 précité), suite notamment à la loi du 7 décembre 2010. Cependant, l’identité législative ne concerne que les lois et règlements nouvellement adoptés : en effet, le principe de sécurité juridique a conduit le Conseil d’État à rappeler que les textes dérogatoires au droit commun, spécifiquement en vigueur à Mayotte, y demeurent applicables jusqu’à leur abrogation expresse (avis du 20 mai 2010). De ce fait, le Gouvernement a été autorisé à recourir aux ordonnances pour étendre ou moderniser, avec les adaptations nécessaires, plusieurs codes et législations, dans le but de rapprocher le droit applicable à Mayotte du droit commun. Un important travail ministériel a été mené pour élaborer ces ordonnances, et ce processus d’adaptation se poursuit encore à ce jour. Dans un rapport publié en janvier 2016, la Cour des comptes souligne à cet égard que « ce chantier d’envergure a été mal préparé par l’État ».

Enfin, au delà des évolutions juridiques et statutaires stricto sensu, la départementalisation de Mayotte peut aussi renvoyer, dans le débat public, aux revendications liées au développement économique et social et à l’effort de rattrapage par rapport à la métropole, autrement dit les revendications « pour l’égalité réelle à Mayotte », selon le mot d’ordre de la grève générale intervenue au printemps 2016.

Vos rapporteures ont pu constater, à plusieurs reprises, les difficultés qui en résultent pour ne serait-ce que savoir quel est précisément l’état du droit dans certains domaines – une complexité que résume bien le schéma présenté en annexe 2 du présent rapport. La mission a par exemple été sollicitée par une association pour déterminer si un dispositif d’aide à la création d’entreprises était ou non applicable et, les mesures le cas échéant nécessaire à sa mise en œuvre, ce que même les services ne semblaient en mesure de déterminer clairement.

Vos rapporteures ont aussi pu mesurer à quel point le processus de départementalisation a suscité des attentes fortes en termes de développement économique et social. Des personnes ont ainsi souligné le décalage demeurant par rapport à la métropole en matière d’aides sociales (niveau du RSA notamment), en relevant aussi le passage à la fiscalité de droit commun depuis 2014.

Le RSA à Mayotte

Le revenu de solidarité active (RSA) a été mis en place à Mayotte le 1er janvier 2012, dans le cadre de la départementalisation de ce territoire et a fait l’objet d’une revalorisation exceptionnelle de 52,3 % en janvier 2013 puis d‘une seconde revalorisation exceptionnelle de 35,07% au 1er janvier 2014, afin de porter son montant à 50 % du montant métropolitain. Le coût du RSA activité à Mayotte est estimé a 1 M € pour 2015. Il tient compte de la revalorisation exceptionnelle de 2 % dont bénéficiera également le département mahorais.

Source : document de politique transversale (DPT) « Outre-mer », annexé au projet de loi de finances pour 2016

En définitive, sans nier l’existence des spécificités locales, culturelles mais aussi socio-économiques, démographiques et migratoires (cf. infra), qui peuvent être prises en compte, dans une certaine mesure, pour l’action publique, vos rapporteures soulignent l’importance de rester ferme quant au respect des principes et valeurs fondamentales de la République, au premier rang desquelles l’égalité, et à l’alignement vers le droit commun métropolitain dans des délais raisonnables, avec les adaptations le cas échéant nécessaires.

3. La « RUPéisation » de Mayotte et l’accès aux fonds structurels européens : des enjeux aussi pour l’égalité femmes-hommes

En juillet 2012, le Conseil européen, suite à la requête présentée par les autorités françaises dans le cadre de la départementalisation de Mayotte, intervenue en 2011, s’est exprimé en faveur de son accession au statut de région ultrapériphérique (12) de l’Europe (RUP), devenue effective le 1er janvier 2014, comme c’était déjà le cas de la Martinique ou de la Réunion par exemple.

La « RUPéisation » de Mayotte lui permet désormais de bénéficier de soutiens financiers – fonds structurels – au titre de la politique régionale de l’Union européenne (UE) et de son objectif de convergence, qui vise à soutenir le développement structurel des régions les moins développées de l’UE. Outre les fonds structurels, l’UE alloue également une dotation de compensation des handicaps et des contraintes spécifiques aux RUP. Comme cela a été souligné au cours de la mission, les enjeux sont considérables au regard de la nécessité de soutenir le développement économique et social de Mayotte : les aides prévues à ce titre s’élèvent ainsi à 320 millions d'euros pour la période 2014 - 2020.

Il convient toutefois de préciser que ces fonds interviennent en remboursement des dépenses réalisées et justifiées, d’où l’importance de mobiliser et d’accompagner les porteurs de projets pour prévenir une sous-consommation des fonds. Lors du déplacement à l’association « Entreprendre au féminin », une Mahoraise a ainsi souligné la nécessité d’avoir de la trésorerie pour les solliciter. D’autre part, les projets éligibles aux fonds européens doivent répondre aux exigences européennes et au « programme opérationnel » (PO) défini pour Mayotte

Les fonds structurels européens à Mayotte

Le Fonds européen de développement économique et régional (FEDER), dédié à l’amélioration des infrastructures et à la modernisation de l’économie, finance des aides directes aux investissements réalisés dans les entreprises afin de créer des emplois durables (148,5 M € au titre du FEDER). Le volet « Santé » de ce fonds prévoit notamment la création d’un hôpital à Dzaoudzi en Petite-Terre pour 2018. Par ailleurs, le FEDER Coopération territoriale européenne (CTE) permet la mise en œuvre d’actions conjointes entre Mayotte et les pays de la zone Océan Indien, par exemple pour la formation, la culture, l’enseignement ou les échanges commerciaux).

Le Fonds social européen (FSE), dédié à l’inclusion sociale et à l’emploi, bénéficie aux groupes les plus exposés au chômage et à l’exclusion (65,5 M €), comme les demandeurs d’emploi, les jeunes à la recherche d’un premier emploi, les salariés peu qualifiés ou les femmes par des mesures actives en faveur de l’égalité professionnelle (cf. infra).

L’Initiative pour l’emploi des jeunes (IEJ) vise les actions en faveur des jeunes de 16 à 25 ans sans emploi, ne suivant ni formation ni enseignement. À Mayotte, des actions de repérage de ces jeunes devaient être mises en place afin de réaliser des missions d’accompagnement, des suivis personnalisés et des dispositifs innovants facilitant l’insertion professionnelle (9,2 M € en 2014/2015). Enfin, le Fonds européen agricole pour le développement économique et rural (FEADER), est un fonds dédié au développement de l’agriculture et du milieu rural (60 M €).

Si les projets doivent répondre à certaines conditions pour être éligibles, de nombreux acteurs peuvent bénéficier des fonds européens (entreprises privées, collectivités publiques, associations, chambres consulaires, structures délégataires d’une mission de service public, organismes de recherche et de formation, etc.)

La « RUPéisation » de Mayotte revêt aussi une importance particulière pour la politique d’égalité femmes-hommes. En métropole, le FSE a par exemple permis de soutenir les expérimentations régionales menées dans le cadre des « territoires d’excellence pour l’égalité professionnelle ». Précisément, le « Programme opérationnel FEDER-FSE de Mayotte », qui a été élaboré par la préfecture et validé par la Commission européenne en décembre 2014, rappelle que l’égalité femmes-hommes est une priorité pour l’UE. Il identifie plusieurs enjeux en matière d’égalité femmes-hommes à Mayotte : le développement de l’égalité professionnelle et des moyens d’articulation vie privée-vie professionnelle (amélioration des conditions d’accès à l’emploi, modes de gardes, lutte contre les stéréotypes sexués) ;  le développement et la valorisation de la création d’activité chez les femmes ; le développement d’actions de prévention et d’information auprès du jeune public, afin de répondre à la parentalité précoce et aux stéréotypes associés à l’image de la femme.

Ce programme comporte un objectif spécifique (OS 7.6) concernant les femmes : « augmenter la création d’entreprises pérennes par les personnes les plus éloignées du marché du travail et notamment par des femmes ». Il prévoit également d’ « accroître les capacités et la qualité d’accueil de la population dans les centres médico-sociaux et des femmes et des enfants dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI) » (OS 2.2). L’égalité femmes-hommes constitue également l’un des trois principes horizontaux retenus pour le programme opérationnel FSE - FEDER de Mayotte pour 2014-2020.

Égalité entre les femmes et les hommes à Mayotte : une priorité transversale du Programme opérationnel FEDER/FSE (décembre 2014)

« Mayotte est dotée depuis 2011 d’un plan régional stratégique 2012-2015 en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes (PRS), qui rappelle que malgré d’importants progrès réalisés ces dernières années, d’importants écarts persistent en matière d’emploi et de salaires :  le taux de chômage des femmes (48 %) est supérieur de 20 points à celui des hommes (alors que l’écart n’est que de 0,2 points dans l’UE 27) ; le taux d’emploi des hommes est de 38,6 % quand celui des femmes n’atteint que 20,6 % ; les salaires des femmes sont inférieurs d’environ 19 % à ceux des hommes ; le halo du chômage concerne majoritairement des femmes (60 %) et, en particulier, des étrangères (60  % des femmes) ; les femmes sont les principales bénéficiaires des mesures d’aides à l’emploi des chantiers de développement local, traduisant la précarité de l’emploi féminin.

La société mahoraise traditionnelle est matrilocale ou matrilinéaire. Les femmes jouent un rôle déterminant dans la vie associative et économique, plus précisément dans l’artisanat traditionnel et d’art. Si le monde de l’entreprise est caractérisé à Mayotte par une très faible part de femmes aux fonctions de responsabilité et d’encadrement, les femmes constituent 70 % des bénéficiaires des prêts de l’ADIE. Au niveau politique, le territoire compte deux femmes maires, une conseillère générale et une femme à la tête de la CCI. Le PRS 2012-2015 mentionne que les femmes mahoraises aspirent à accéder à un emploi rémunéré, à être autonomes et indépendantes économique. Toutefois, des obstacles freinent la réalisation de ces ambitions (…).

Les enjeux en matière d’égalité femmes-hommes à Mayotte sont les suivants : (…). Au vu de ces constats, et en cohérence avec le PRS 2012-2015, le PO FEDER-FSE contribuera à promouvoir l’égalité femmes-hommes à Mayotte en visant spécifiquement un objectif (…) : "Augmenter la création d’entreprises pérennes par les personnes les plus éloignées du marché du travail et notamment par des femmes". L’appui du FSE visera ici à développer la capacité de création d’activités et d’emplois de proximité, notamment par les femmes, pour répondre à leurs aspirations d’indépendance et aux problèmes d’insertion professionnelle qu’elles rencontrent. Il s’agira plus précisément de conforter l’entrepreneuriat en renforçant l’information en amont sur la création d’entreprise, particulièrement pour les femmes, en valorisant l’esprit d’entreprendre, en vue d’augmenter le taux de création d’entreprises, et appuyer leur pérennité.

De manière transversale, les actions soutenues par le FSE dans le cadre des axes 5 à 8 cibleront prioritairement les femmes. Afin de garantir à la prise la prise en compte de cette priorité transversale dans le cadre de la programmation, les représentants et organismes suivants seront associés à titre consultatif au comité de pré-programmation FEDER et au comité régional unique de programmation : la sous-préfète à la cohésion sociale, le CESE, et la Déléguée aux droits des femmes de Mayotte ».

Source : programme opérationnel (PO) FEDER-FSE de Mayotte pour 2014-2020

Vos rapporteures saluent la prise en compte des enjeux relatifs à l’égalité femmes-hommes dans ce document stratégique définissant les modalités d’utilisation des fonds, et préconisent, afin d’en saisir toutes les opportunités, de développer la formation des agentes et des agents chargés de la gestion des fonds, ainsi que les actions d’information sur les fonds structurels, en direction notamment des élues et élus, du secteur associatif et des entreprises. Il conviendrait aussi de procéder à un suivi régulier des fonds engagés en particulier pour les projets susceptibles de bénéficier aux Mahoraises.

B. UNE FORTE PRESSION DÉMOGRAPHIQUE

L’enjeu démographique est central à Mayotte en raison à la fois d’une croissance naturelle très dynamique et des flux migratoires de masse.

1. Une population jeune et qui a fortement progressé depuis plusieurs années, avec un taux de natalité encore élevé

En 2012, 212 600 personnes ont été recensées par l’INSEE à Mayotte, dont 52 % de femmes, soit un triplement de la population depuis 1985.

ÉVOLUTION DE LA POPULATION À MAYOTTE DEPUIS 1958

Source : INSEE Première n° 1488 (février 2014)

Cette croissance est portée par un fort excédent des naissances sur les décès, qui restent peu nombreux, en lien avec la jeunesse de la population (moins de 1 000 décès en moyenne par an sur 2007-2012). Au rythme actuel, la population pourrait même atteindre 500 000 habitants en 2050, selon des estimations de l’ONU (13), et ces projections s’appuient sur un point de départ potentiellement sous-estimé (14) compte tenu de l’immigration clandestine (cf. infra).

Si elle reste encore soutenue, la croissance démographique tend toutefois à s’atténuer progressivement : elle est ainsi passée de près de 6 % par an en moyenne entre 1991 et 1997, à 4 % en 1997-2002, puis 2,7 % sur 2007-2012. À cet égard, plusieurs Mahoraises rencontrées par vos rapporteures ont évoqué l’impact de la campagne de communication « 1,2,3 Bass » (« 1,2,3, ça suffit »), organisée en matière de maîtrise des naissances il y a quelques années.

Le taux de natalité reste cependant élevé à Mayotte : en 2012, l’indice conjoncturel de fécondité (15) s’élevait ainsi à 4,1 enfants par femme (contre 2 en France métropolitaine), avec des disparités significatives selon la nationalité de la mère (16). Au cours de la visite du centre hospitalier de Mamoudzou (CHM), première maternité de France, le nombre élevé d’accouchements a été souligné, avec de l’ordre de 9 000 naissances en 2015, dont une part importante de mères étrangères (comoriennes essentiellement). L’enquête Périnatalité de 2010 estimait à cet égard que « parmi les femmes qui ont accouché, près de 7 sur 10 sont d’origine étrangère (17) ».

La prise en charge des grossesseses par le Centre hospitalier de Mamoudzou (CHM), visité par vos rapporteures le 12 novembre 2015

L’activité de gynécologie-obstétrique représente plus de 50 % de l’activité d’hospitalisation du CHM, seule structure de soins périnataux à Mayotte (6 640 accouchements en 2013). Le service de gynécologie-obstétrique est composé de 5 structures : la maternité centrale de Mamoudzou (62 % des accouchements y sont réalisés en 2014), qui concentre tous les effectifs d’obstétriciens, de pédiatres et d’anesthésistes, avec le seul plateau technique de l’île, et les 4 maternités périphériques réparties entre le nord, le sud et le centre (20 lits chacune en 2014) et Dzaoudzi (8 lits). Des travaux ont été engagés dans la maternité centrale de Mamoudzou pour doubler sa capacité (de 45 à 72 lits) et augmenter le nombre de salles de naisance (de 4 à 7).

Cette natalité dynamique se traduit par une population très jeune : en 2012, la moitié de la population mahoraise avait moins de 17 ans et demi, contre 39 ans en France métropolitaine, et trois Mahorais.e.s sur dix ont moins de dix ans. Corrélativement, les 60 ans ou plus ne représentent que 4 % de la population, soit six fois moins qu’en France métropolitaine (18).

PYRAMIDES DES ÂGES À MAYOTTE ET EN FRANCE MÉTROPOLITAINE

France (2012)

Mayotte (recensements 2007 et 2012)

Source : INSEE

Mayotte est ainsi le département le plus jeune de France, ce qui représente par certains aspects un atout, mais cette croissance démographique, dans un petit territoire, parmi les plus densément peuplés (570 habitants/km2 contre 98 en métropole), a nécessairement un impact important sur les politiques publiques : scolarisation, accueil des jeunes enfants, besoins en équipements et en logements...

2. D’importants flux migratoires : la question persistante de l’immigration irrégulière

En 2012, 84 600 personnes étrangères résidant à Mayotte étaient recensées par l’INSEE, dont 95 % sont de nationalité comorienne : il s’agit ainsi du département où la part de la population étrangère (40 %) est la plus importante. Parmi elles, près de 40 % sont des personnes mineures (19), nées à Mayotte, qui pourront prétendre accéder à la nationalité française à leur majorité. Au cours des auditions menées par vos rapporteures, il a été souligné à cet égard l’absence de données sexuées concernant les mineurs isolés étrangers.

Aux étrangers recensés par l’INSEE (84 000), « s’ajoutent également de nombreux clandestins qui ne seraient pas comptabilisés ; ils pourraient être plusieurs dizaines de milliers », selon la Cour des comptes (20), en évoquant des « flux migratoires de masse qui demeurent très mal maîtrisés ». En effet, l’attractivité exercée par Mayotte sur son environnement régional, en particulier les Comores, dont le PIB par habitant est près de onze fois plus faible, conduit chaque année des femmes, des hommes et des enfants à tenter de rejoindre par la mer ce territoire français, sur des embarcations de fortune – les « kwassas-kwassas » utilisés par les passeurs – au risque d’y perdre la vie.

La population réelle pourrait ainsi s’élever à plus de 300 000 habitants, selon certaines personnes entendues par vos rapporteures, qui ont pu mesurer à cet égard les tensions liées à cette question, qui ont conduit récemment conduit à des expulsions sauvages d’étrangers par la population, violences condamnées par le Défenseur des droits, le 23 mai 2016.

Si la question de l’immigration à Mayotte ne constitue pas l’objet du présent rapport, il convient néanmoins d’analyser ses enjeux et répercussions en termes de droits des femmes, ce qui implique tout d’abord de veiller au recueil de données sexuées (mineurs isolés, personnes en rétention administrative, reconduites à la frontière, etc.).

Femmes étrangères et rapports sociaux de sexe à Mayotte

« Politique migratoire et ses conséquences sociales – (…) Rapports sociaux de sexe.

Les configurations des rapports de genre vont être eux aussi amplifiés. Les femmes étrangères ont peu de moyens de s’insérer dans l’économie informelle du fait de la division sexuelle du travail. Elles n’ont accès qu’au secteur des services domestiques et dans une moindre mesure à certains travaux agricoles(…). Les femmes étrangères occupent la quasi-totalité des emplois de vendeuses de rue (brochettis, fruits et légumes…) et ceux du travail domestique (garde d’enfant ou de malades, ménage, cuisine…). Ce sont,les emplois dont les amplitudes horaires sont les plus longues pour les revenus les plus bas.

Elles ont cependant une alternative qui est celle d’épouser un Mahorais français, comme seconde épouse (donc hors du cadre légal), ce qui leur permettrait, pensent-elles, d’avoir des ressources plus régulières et de se trouver dans une situation sociale légitime. En effet, (…) une femme ne doit pas rester célibataire et un mariage polygame vaut mieux que le célibat. Ce besoin de sécurité financière et sociale en rencontre un autre, celui des hommes qui recherchent une compagne non officielle pour des questions de normes sociales (…). Ainsi, en dehors des unions mixtes légales, rencontre-t-on de nombreuses unions officieuses (souvent des mariages devant le cadi) entre des hommes mahorais et des femmes anjouanaises. Par ailleurs, ces femmes savent ou espèrent que si elles ont un enfant français elles ne sont pas expulsables. L’enfant devient alors le sésame qui permettra de rester sur le territoire mahorais en attendant des circonstances meilleures (espoir d’être régularisées).

Ainsi, les échanges économico-sexuels en situation de migration deviennent une pression normative pour les femmes. Cette situation a déjà été décrite par David Guyot (2004) qui souligne l’existence, selon ses termes, d’un marché plutôt “sexuel” que matrimonial, qui s’installe dans " un contexte de polygamie ou de “maîtresse” : "Les femmes comoriennes, arrivées plus tardivement que les hommes, semblent moins insérées sur le marché (formel ou informel) du travail. Elles sont réputées incarner une posture féminine traditionnelle de femme au foyer ". L’on peut supposer que les femmes ont alors mis en place des stratégies d’adaptation aux difficultés de résidence sur le sol mahorais. Les unions mixtes existaient sans aucun doute avant cette période, mais elles ont vraisemblablement pris une forme structurelle depuis. (…) Pour la plupart des travailleurs sociaux rencontrés, les anjouanais viennent pour le système de santé et pour la scolarisation de leurs enfants. »

Source : étude précitée réalisée par François Guillemaut, sociologue, pour les pouvoirs publics, notamment le ministère des Affaires sociales et de la Santé et la Délégation régionale aux droits des femmes de Mayotte (2013)

Par ailleurs, la situation des femmes étrangères, a fortiori lorsqu’elles sont en situation irrégulière, les expose au risque de la prostitution et d’échanges économico-sexuels, voire de violences, outre la précarité liée à l’emploi informel. L’étude précitée de la sociologue Françoise Guillemaut, réalisée pour les pouvoirs publics et notamment la Délégation régionale aux droits des femmes de Mayotte, qui a été transmise à vos rapporteures, évoque notamment la question des mariages mixtes et polygamies officieuses (voir l’extrait dans l’encadré ci-dessus).

Plusieurs mesures ont été prises dans ce domaine – entre 2012 et 2014, les interceptions de kwassas ont par exemple progressé de 416 à 597 – et très récemment, un « Plan de lutte contre la délinquance et l’immigration clandestine » a été présenté par les ministres de l’Intérieur et des Outre-mer, le 2 juin 2016. Comme l’a précisé M. Bernard Cazeneuve devant la représentation nationale (21), ce plan comprend 25 mesures et repose sur trois grands axes :

– renforcer les effectifs et les moyens des forces de sécurité, en affectant des policiers et des gendarmes supplémentaires dès cette année (la direction générale de la police nationale affectera ainsi 102 policiers supplémentaires à Mayotte d’ici septembre 2016, et 42 gendarmes), en créant une nouvelle antenne du GIGN pour mener des interventions rapides et adaptées aux situations les plus sensibles), en modernisant les radars permettant de détecter les embarcations utilisées pour l’immigration clandestine et, de manière cohérente avec les objectifs d’implantation géographique des forces de sécurité, en renforçant les moyens maritimes et aériens pour lutter efficacement contre l’immigration irrégulière ;

– réformer la gouvernance des forces de sécurité et élargir les actions de lutte contre l’insécurité : le ministre a ainsi demandé aux préfets et au procureur de la République de Mayotte, en lien avec le Garde des sceaux, de réunir un état-major de sécurité rassemblant l’ensemble des services de l’État afin de mieux coordonner l’action de ces derniers, dont les moyens seront renforcés ;

– enfin, de nouveaux partenariats doivent être noués avec la société civile, pour renforcer les actions de prévention, en direction notamment de la jeunesse.

Par ailleurs, le nouveau centre de rétention administrative (CRA) en Petite-Terre, visité par vos rapporteures le 10 novembre 2015, en présence de la ministre des Outre-mer, comprend notamment une unité femmes-familles de 40 places. Le projet de construction a prévu une modularité des espaces d’accueil dédiés au CRA et à la zone d’attente (ZA), qui devrait offrir une certaine souplesse dans la gestion des types de populations en situation irrégulière et garantir la non mixité des lieux (22).

C. D’IMPORTANTS DÉFIS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX

1. Un taux de chômage élevé, en particulier pour les femmes, et un niveau de vie en progression mais qui reste faible par rapport à la métropole

● Un niveau de vie qui s’est amélioré mais reste faible

En 2011, la moitié de la population mahoraise déclarait disposer de moins de 384 euros par mois et par unité de consommation (23). Si ce niveau de vie reste faible comparativement à la France métropolitaine (1 599 euros), il a cependant progressé rapidement depuis plusieurs années : en effet, le niveau de vie de médian a augmenté de 62 % à Mayotte entre 2005 et 2011 (en euros constants, hors inflation), soit 8 % par an en moyenne (24). En outre, la part de la population vivant avec moins de 959 euros par mois et par UC, seuil métropolitain de bas revenus (25) reste très élevée : 84 % de la population vit sous ce seuil à Mayotte, contre 16 % en France métropolitaine. La pauvreté, au sens des standards métropolitains, concerne ainsi 170 000 personnes.

RÉPARTITION DU NOMBRE DE FOYERS FISCAUX PAR TRANCHE DE REVENU FISCAL

Source : rapport annuel de l’Institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM) sur Mayotte (2015)

Corrélativement, les conditions de logement s’améliorent mais restent éloignées des standards métropolitains : en 2012, deux résidences principales sur trois étaient encore dépourvues de confort de base (26), soit 2 000 de moins qu’en 2007, contre 1,5 % des résidences en métropole. Quant aux logements en tôle, moins d’un sur trois bénéficie d'un point d’eau à l’intérieur du logement. Par ailleurs, plusieurs spécificités du système de protection sociale mahorais ont été soulignées au cours de la mission, par exemple, le montant du RSA par rapport à la métropole, certaines difficultés d’affiliation à la sécurité sociale, l’absence de couverture maladie universelle complémentaires (CMUc) et de certaines aides au titre de la politique familiale telles que le complément mode de garde (CMG).

● Un accès à l’emploi qui reste difficile, en particulier pour les femmes

Selon les dernières données de l’INSEE, le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) s’élevait à 23,6 % au 2e trimestre 2015 – avec une part importante d’inactivité (27), de près de 52 % – et seuls 36 % des personnes âgées de 15 à 64 ans étaient en emploi, soit le plus faible taux des départements français. Par ailleurs, sept personnes sur dix n’ont pas de diplôme qualifiant.

Si l’insertion des femmes sur le marché du travail fait l’objet de développements approfondis dans la seconde partie du présent rapport, il convient de souligner les écarts importants entre les femmes et les hommes dans ce domaine : ainsi, environ six femmes sur dix sont inactives à Mayotte (ni emploi, ni au chômage à la recherche active d’un emploi) et leur taux d’emploi est plus de 18 points inférieur à celui des hommes.

TAUX D’ACTIVITÉ, D’EMPLOI ET DE CHÔMAGE PAR SEXE À MAYOTTE EN 2015

 

Taux d’activité

Taux de chômage

Taux d’emploi

Hommes

56,9 %

18 %

46,5%

Femmes

40,5%

30,6 %

28 %

Taux se référant à la population âgée de 15 à 64 ans, et, pour le taux de chômage, concernant les 15 ans ou plus.

Source : INSEE Flash n° 23« Enquête emploi Mayotte : une forte hausse du chômage en 2015 » (décembre 2015)

● Les spécificités du tissu économique mahorais

Entre 2005 et 2011, le PIB de Mayotte progressé de 65 % entre 2005 et 2011, soit un taux de croissance annuel moyen de 8,7 %, et le PIB par habitant a également progressé sur cette période (5,8 %), mais reste inférieur aux autres territoires français (cf. graphique ci-après). Il n’en demeure pas moins parmi les plus élevés de la région de l’océan indien, en excluant la Réunion : le PIB par habitant est presque onze fois plus élevé que celui des Comores, dix-huit fois celui de la Tanzanie et du Mozambique et plus de vingt fois celui de Madagascar.

L’économie mahoraise est essentiellement tertiaire (administration publique, éducation, santé, commerce, transports, hôtels et restaurants et autres activités teritaires) : ce secteur d’activité concentrait en effet 83 % des emplois occupés en 2012, et une proportion plus importante s’agissant des emplois féminins (cf. infra). Plus d’une personne occupant un emploi sur deux travaille ainsi dans un établissement administratif, d’enseignement, de santé ou d’action sociale, ce secteur recouvrant pour l’essentiel de l’emploi public.

PIB PAR HABITANT DANS CERTAINS DOMS ET PAYS DE L’OCÉAN INDIEN EN 2011

Source : graphique réalisé d’après les données présentées dans le rapport de l’Institution d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM), « Mayotte 2014 » (2015)

L’importance de l'emploi public dans l’emploi total s’explique principalement par le très faible niveau de l'emploi privé (28). En tout état de cause, le secteur public, notamment les administrations publiques locales, tient ainsi un rôle majeur dans l’économie mahoraise. En effet, la consommation finale des administrations contribue à 62 % du PIB en 2011 et l’investissement est principalement le fait de la commande publique, qui constitue un des moteurs de la croissance à Mayotte (29).

Au cours de la mission, notamment lors de l’entretien de vos rapporteures avec des créatrices d’entreprises, le 13 novembre 2015, il a été souligné la nécessité de développer les infrastructures de transports (routes, transports en commun).

Il conviendrait par ailleurs de valoriser le fort potentiel touristique de Mayotte, doté d’un lagon unique et situé près des Seychelles. L’ouverture d’une ligne directe Paris-Mamoudzou en 2016 devrait y contribuer mais le développement du parc hôtelier (moins d’une dizaine d’hôtels en 2014), les formations au tourisme (peu parlent l’anglais par exemple), et, selon des personnes entendues par la mission, les efforts accrus en matière de collecte des déchets ménagers sont nécessaires. Enfin, le développement d’infrastructures numériques, comme le prévoit le plan « Mayotte 20025 » (30) pourrait contribuer au désenclavement, et surtout au développement économique et social durable du territoire.

2. Un effort budgétaire important de l’État depuis plusieurs années

Dans le cadre du processus de départementalisation, les pouvoirs publics ont engagé des moyens importants, depuis plusieurs années, au regard des défis importants auxquels est confronté Mayotte sur le plan économique et social. Ainsi, toutes politiques confondues, l’effort budgétaire global de l’État en faveur de Mayotte est passé de près de 680 M€ en 2010 (année précédant l’officialisation de la départementalisation), à plus de 889 M€ en 2014 (en exécution), selon la Cour des comptes, soit une augmentation de près de 31 % (210 M €) sur cette période.

RÉCAPITULATIF DES CRÉDITS DÉDIÉS À MAYOTTE DEPUIS 2010 SELON LE DOCUMENT DE POLITIQUE TRANSVERSALE (DPT) « OUTRE-MER » ANNEXÉ AU PLF POUR 2016

À noter que le montant des crédits exécutés en 2014 dans cette annexe budgétaire (806 M€) diffère de celle, mentionnée plus haut, figurant dans le rapport de la Cour des comptes, ce qui pourrait tenir à des différences entre les périmètres retenus.

Source : DPT « Outre–mer » précité, annexé au projet de loi de finances pour 2016 (octobre 2015)

En particulier, les crédits de la Délégation aux droits des femmes de Mayotte ont augmenté sensiblement sur cette période, selon les informations recueillies par vos rapporteures (cf. infra).

Même rapporté à la population, en forte croissance sur cette période, l’effort est significatif, comme l’illustre le graphique ci-après : la dépense par habitant a ainsi progressé de 65,1 % depuis 2007, pour atteindre 3 964 euros en 2014.

De plus, outre les fonds européens (environ 350 millions d’euros prévus), le nouveau contrat de plan État-Région (CPER) couvrant la période 2015-2020 doit permettre de mobiliser 378 millions d’euros, selon les données de la préfecture de Mayotte, soit une intensité d’aide par an par habitant de la part État du contrat six fois supérieure à la moyenne constatée dans le reste du pays.

ÉVOLUTION DE L’EFFORT BUDGÉTAIRE PAR HABITANT À MAYOTTE (EN € /HABITANT)

Source : graphique réalisé d’après les données chiffrées présentées dans le rapport précité de la Cour des comptes (2016)

En dépit de cette progression importante, l’effort budgétaire de l’État en faveur de Mayotte reste inférieur à celui d’autres DOM.

EFFORT BUDGÉTAIRE DE L’ÉTAT PAR HABITANT DANS LES DOM

DOM

Effort budgétaire en exécution 2014

Population 2014

Effort budgétaire par habitant

Guyane

1607,

250 377

6 420 €

Martinique

2 179,68

381 326

5 716 €

Guadeloupe

2 296,34

403 750

5 688 €

La Réunion

4 504,78

844 994

5 331 €

Mayotte

889,04

224 283

3 964 €

Source : Cour des comptes (rapport précité, janvier 2016)

Par ailleurs, comme cela a été souligné au cours de la mission, les collectivités locales, et notamment le conseil départemental, sont confrontés pour différentes raisons à des difficultés financières, qui constituent aujourd’hui un obstacle au plein exercice de leurs missions, pour le développement de la protection maternelle et infantile (PMI), ou encore, s’agissant des communes, des structures d’accueil des jeunes enfants (crèches, etc.).

II. UNE POLITIQUE AMBITIEUSE ET TRANSVERSALE POUR FAIRE PROGRESSER L’ÉGALITÉ RÉELLE ET LES DROITS DES MAHORAISES

Pour faire progresser l’égalité femmes-hommes, une politique ambitieuse et transversale est nécessaire, sous l’impulsion des services de l’État (A), mais aussi en s’appuyant sur la société civile, et plus particulièrement sur les femmes, actrices du changement (B).

A. LE RÔLE D’IMPULSION DE L’ÉTAT

1. Des plans d’action transversaux pour l’égalité femmes-hommes à Mayotte prévus par la circulaire du 12 septembre 2011 et par le document stratégique « Mayotte 2025 » de juin 2015

● Le plan régional stratégique 2012-2014 pour l’égalité femmes-hommes

Depuis 2010, la France s’est dotée d’un mécanisme institutionnel à dimension interministérielle, caractérisée au niveau administratif par la création de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), dont le ou la responsable est aussi depuis lors délégué.e interministériel.le aux droits des femmes et à l’égalité.

Parallèlement, la circulaire du 12 septembre 2011 (31) du ministère des solidarités et de la cohésion sociale a prévu l’élaboration de plans régionaux stratégiques en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes (PRS), en vue d’organiser un « un dispositif pérenne et homogène sur l’ensemble du territoire, mobilisant tous les acteurs publics sur l’importance et les enjeux de l’intégration du genre dans les politiques publiques ». Cette circulaire prévoyait également que les PRS, élaborés par les déléguées régionales aux droits des femmes, soient structurés autour de deux volets d’intervention : l’égalité dans la vie professionnelle, économique, politique et sociale et, d’autre part, la lutte contre les violences et la promotion des droits des femmes.

Conformément à ces orientations, un PRS a été élaboré pour Mayotte, sous l’autorité du préfet, à l’issue d’une large concertation, et dont le pilotage a été confié à la chargée de mission aux droits des femmes. Ce document identifiait de la façon suivante les attentes des Mahoraises : « accéder à un emploi rémunéré, être indépendante et autonome, pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle, s’épanouir dans sa vie professionnelle et sociale, conserver son identité mahoraise (qui fait d’elle une femme musulmane, bantoue, malgache, comorienne et occidentale) » Le PRS soulignait l’existence d’obstacles à la réalisation de ces ambitions : « manque de culture générale, manque de formation initiale, un illettrisme massif qui ne leur permet pas de jouer leur rôle citoyen, non prise en compte de leur identité personnelle (…) et collective (…), existence de discriminations liées à leur état ».

Le PRS identifie trois priorités transversales communes aux services de l’État, ces objectifs visant à garantir la mise en œuvre d’une politique volontariste au plan régional : la production de statistiques et de données sexuées, la formation continue des personnels aux enjeux liés à l’égalité femmes-hommes ainsi que la mise en place d’un groupe de travail sur la prise en compte de l’articulation vie privée - vie professionnelle. Ce plan prévoyait par ailleurs 19 actions, correspondant aux priorités de la Délégation régionale aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE) sur la période, autour de trois volets d’intervention.

Les 19 actions prévues dans le cadre du plan régional stratégique (PRS) en faveur de l’égalité femmes-hommes de Mayotte pour 2012-2014

« Actions en faveur de l’égalité hommes-femmes dans la vie politique et sociale et dans la vie professionnelle et économique : signature d’une convention régionale pour la mixité entre les filles et les garçons dans le système éducatif ; organisation du prix de la vocation scientifique et technique des filles ; diversification des choix d’orientation des jeunes filles  ; accompagner et soutenir l’ambition des jeunes filles ; création d’un réseau de femmes cheffes d’entreprise ; création d’un réseau de femmes cadres ; sensibilisation à l’égalité professionnelle ; promotion et commuication de l’emploi féminin ; promotion et soutien des femmes agricultrices.

Actions en faveur de l’égalité hommes-femmes dans la vie politique et sociale : promotion et accompagnement de l’engagement politique des femmes ; favoriser l’accès des femmes aux postes à repsonsabiltié - programme « 101 femmes leader » ; promotion de la pratique sportive féminine ; groupe de réflexion sur la conciliation des temps de vie ; soutien et acoompagnement de groupements de femmes mahoraises.

Actions en faveur de la promotion des droits, prévention et lutte contre les violences sexistes : lutte contre les violences familiales ; prévention des grossesses précoces ; lutte contre la prostitution ; création d’un centre d’information des droits des femmes et des familles ; accompagnement et soutien des filles-mères. »

Source : plan régional stratégique pour l’égalité femmes-hommes (PRS) pour 2012-2014 (préfecture de Mayotte)

En saluant l’intérêt du PRS 2012-2014 pour l’égalité femmes-hommes à Mayotte et des différentes actions engagées dans ce cadre, vos rapporteures observent toutefois que son bilan n’a pas pu être réalisé à ce jour, ce qui serait lié notamment au turn over des référents égalité, alors même qu’un nouveau plan d’action pour l’égalité a été annoncé en juin 2015. Selon les informations recueillies par vos rapporteures auprès des services de la préfecture, la majorité des actions contenues prévues dans le PRS auraient toutefois été réalisées.

● Un plan d’action transversal pour l’égalité femmes-hommes prévu par le document stratégique « Mayotte 2025 » présenté en juin 2015

Signé par le Premier ministre à l’occasion de son déplacement à Mayotte, le 13 juin 2015, le document « Mayotte 2025 » s’articule autour de six objectifs élaborés par l’État et les élus de Mayotte, et différentes actions dont la mise en œuvre doit faire l’objet d'un suivi régulier. Encouragé par les parlementaires, le président du conseil départemental et le président de l’Association des maires de Mayotte, et souhaité par le Président de la République, ce processus a été lancé début 2014 avec « l’ambition d’achever la départementalisation, de définir les axes de développement stratégiques du territoire et d’en déterminer les priorités ».

Ce document prévoit en particulier l’élaboration d’un plan d’action transversal sur l’égalité femmes – hommes (mesure n° 17), en soulignant que « La question de l’égalité femmes - hommes est cruciale : l’avenir de Mayotte ne pourra se réaliser sans les femmes. Un plan d’action transversal sur la réalisation effective de l’égalité femmes - hommes sur le territoire s’impose sur le plan de l’éducation des filles, sur le parcours professionnel des femmes, sur l’accès aux emplois et aux fonctions électives et sur la création d’entreprises. »

Les objectifs du plan « Mayotte 2025 » signé en juin 2015 par le Premier ministre

UN CADRE INSTITUTIONNEL PERFORMANT : 1) Achever la départementalisation de manière adaptée et progressive 2) Rendre les collectivités plus efficaces et mieux les accompagner 3) Achever la décentralisation et réorganiser l’administration territoriale de l’État 4) Poursuivre l’ancrage de Mayotte en tant que territoire européen 5) Organiser et favoriser le dialogue avec les cultes.

UNE ÉDUCATION DE QUALITÉ, DES FORMATIONS ET UNE POLITIQUE D’INSERTION AU SERVICE DE LA JEUNESSE : 6) Faire bénéficier les élèves mahorais de meilleures conditions d’apprentissage et de vie dans le primaire et le secondaire 7) Diminuer le taux d’illettrisme et d’analphabétisme et faire progresser la maîtrise de la langue française 8) Cibler davantage la formation sur les besoins du territoire et les métiers en tension pour favoriser l’emploi de tous 9) Faciliter l’insertion des jeunes et des demandeurs d’emploi.

UN TISSU ÉCONOMIQUE DÉVELOPPÉ : 10) Doter Mayotte des infrastructures nécessaires à un développement équilibré du territoire et à son insertion régionale en confortant la mobilité des Mahorais 11) Structurer les filières économiques les plus importantes pour produire de l’emploi 12) Rendre les entreprises plus compétitives grâce à un accompagnement de qualité et des conditions de travail plus attractives.

UN SECTEUR SANITAIRE ET UNE COHÉSION SOCIALE EXEMPLAIRES : 13) Améliorer la santé des Mahoraises et des Mahorais grâce à une prise en charge plus efficace 14) Mieux protéger la jeunesse en danger 15) Établir un agenda social ambitieux 16) Assurer la déclinaison locale du plan en faveur de la jeunesse du Ministère des outre-mer en assurant la concertation locale nécessaire 17) Élaborer un plan d’action transversal sur l’égalité femmes-hommes.

UNE POLITIQUE DE L’HABITAT ET DE LA VILLE ADAPTÉE AUX ENJEUX DU TERRITOIRE ET AUX RISQUES NATURELS : 18) Résorber la problématique foncière 19) Développer et améliorer l’offre de logement en s’appuyant sur la dynamique du plan logement Mayotte 20) Améliorer la qualité de l’habitat 21) Mettre en place toutes les complémentarités urbaines et humaines utiles à la cohésion sociale 22) Prendre en compte, en amont, les risques naturels dans les orientations d’aménagement et de développement de l’habitat.

UNE GESTION DURABLE DES RICHESSES NATURELLES DU DÉPARTEMENT : 23) Mieux protéger la ressource en eau 24) Élever la part des énergies renouvelables 25) Gérer et valoriser ses déchets de manière satisfaisante 26) Préserver et mieux valoriser la biodiversité et les forêts.

Source : « Mayotte 2025, une ambition pour la République » (13 juin 2015)

Dans le cadre de ce plan d’action pour l’égalité femmes-hommes, il s’agit en particulier de : développer l’aide à la parentalité et favoriser le développement de structures pour la petite enfance ; développer les actions en faveur des droits sexuels et reproductifs (campagne de communication sur la contraception et prévention des grossesses adolescentes, développement de l’éducation à la sexualité, développement des services de planification familiale, etc.) ; favoriser l’entreprenariat féminin ; développer les actions de prévention contre les violences faites aux femmes ; encourager l’accès à l’emploi et à la formation de femmes ainsi que la prise de postes à responsabilités dans les domaines économique, social, politique, social, culturel et sportif.

Par ailleurs, dans le cadre du quatrième volet intitulé « Un secteur sanitaire et une cohésion sociale exemplaires », le document Mayotte 2025 prévoit de :

– renforcer la protection maternelle et infantile (PMI), dont le rôle est crucial à Mayotte compte tenu de la très forte jeunesse de la population, en aidant le conseil départemental à assumer l’ensemble des compétences dans ce domaine ;

– faire émerger des structures nouvelles en créant des établissements d’hébergement, des crèches et des structures éducatives, en développant les services à la personne pour la prise en charge des personnes âgées, handicapées et de la petite enfance, jusqu’à l’entrée dans les écoles primaires, en transposant les dispositions du code du travail qui permettant à des structures associatives, des entreprises individuelles ou des personnes morales d’agir dans ces secteurs ;

– favoriser le développement d’assistantes maternelles agréées en étudiant les possibilités de mise en place concomitante du CESU, en accompagnant ce développement par la mise en place du complément du mode de garde (CMG) ; il est précisé à cet égard que « l’ambition est de rendre possible le déploiement progressif des prestations en faveur des modes de garde des jeunes enfants, sur le fondement d’une évaluation régulière de la structuration du réseau de prise en charge des jeunes enfants et du besoin en mode garde individuel des familles » ;

– mettre en œuvre la prime d’activité dès 2016 et en assurer progressivement la convergence, en lien avec l’alignement du SMIG mahorais brut vers le SMIC et avec l’accroissement des rémunérations.

Enfin, le troisième volet du plan (« Un tissu économique développé ») prévoit, dans l’objectif rendre les entreprises plus compétitives grâce à un accompagnement de qualité et des conditions de travail plus attractives, de mieux les accompagner, notamment « en mobilisant tous les leviers pour atteindre, à terme, la parité entre les femmes et les hommes tant chez les dirigeants d’entreprises que dans les organises délibérants ».

Concernant par ailleurs le nouveau contrat de plan État région pour 2015-2020, qui doit permettre de mobiliser 378 millions d’euros sur la période (cf. supra), son volet relatif à la cohésion sociale et l’employabilité sera doté de près de 20 millions d’euros afin de soutenir diverses actions, parmi lesquelles le renforcement de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes (32).

2. Le rôle essentiel de la Délégation aux droits des femmes de Mayotte

Le réseau déconcentré des droits des femmes et à l’égalité a pour mission de coordonner et de mettre en œuvre les politiques publiques au niveau local, selon les axes d’intervention définis au niveau national. Les actions de la DRDFE de Mayotte s’organisent ainsi autour de deux objectifs, selon le PRS 2012-2014 :

– assurer la mise en œuvre de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’ensemble des politiques publiques par la conduite d’une démarche intégrée auprès des services de l’État, des collectivités, des associations et des entreprises ;

– accompagner la réalisation d’actions spécifiques en faveur des femmes dans les domaines de la formation, l’emploi, la santé, la lutte contre les violences et les discriminations sexistes.

Vos rapporteures soulignent le rôle essentiel de la Délégation aux droits des femmes de Mayotte, qui a engagé de nombreuses initiatives intéressantes sous l’impulsion de la déléguée Mme Noera Mohammed, en vue de faire progresser l’égalité réelle et les droits des Mahoraises, comme l’illustrent, par exemple, les actions menées en 2015 présentées ci-dessous.

Égalité femmes-hommes à Mayotte : les principales actions menées en 2015 dans le cadre du programme budgétaire 137 « Égalité entre les femmes et les hommes »

« Bien qu’étant une société matriarcale, Mayotte ne parvient pas encore à l’égalité entre les femmes et les hommes. Une des priorités du territoire est l’égalité professionnelle. (…) Le premier contrat pour la mixité et l’égalité professionnelle (COMEEP) a été signé en décembre 2014 et deux nouveaux le seront en 2015. L’accent est également porté sur les campagnes de diversification des choix d’orientation des jeunes filles, avec l’intervention de femmes actives occupant des métiers dits " masculins "dans des classes de lycées, ou encore la présentation d’expositions sur la mixité des métiers dans les lieux publics. La Convention pour l’égalité entre les filles et les garcons dans le système éducatif a permis la mise en place de " marraines en action ", qui a consisté en un programme de marrainage entre des jeunes filles scolarisées, en formation ou en recherche d’emploi, et des femmes actives afin de soutenir leurs ambitions et les accompagner dans leurs projets professionnels.

Face à un chômage important des femmes, l’entrepreneuriat apparait comme une solution pour ces femmes souvent peu instruites et peu formées. L’ADIE (Association pour le droit à l’initiative économique) participe à cet effort en accompagnant majoritairement des femmes. La signature du Plan d’action pour l’entrepreneuriat des femmes a permis de valoriser certaines actions du reseau " Entreprendre au féminin " à Mayotte, telles que la remise de trois prix " Femmes entrepreneures ", à l’occasion du concours Talents organisé par la boutique de gestion, dans la catégorie" Services, dynamiques rurales et artisanat ". L’association réalise également des tournées dans toute l’île afin de motiver et soutenir des futures créatrices d’entreprises.

Les actions pour favoriser la pratique sportive des femmes ont été particulièrement nombreuses en 2015. Par tradition, les familles ne souhaitent pas que leurs filles fassent du sport, notamment parce qu’ils ne veulent pas qu’elles se mettent en short.

La lutte contre les violences faites aux femmes est une action permanente de la délégation. Un colloque de sensibilisation des professionnels a été organisé en 2015, il a permis de relancer le travail de partenariat déja réalisé sur le territoire. Les actions portent essentiellement sur la sensibilisation notamment auprès du public jeune et sur l’information aupres du grand public. Plusieurs outils locaux, telles qu’une exposition et des saynètes réalisées notamment en langue locale, permettent de toucher un plus large public. Le protocole départemental de lutte contre les violences faites aux femmes sera également remis à jour en novembre 2015. Le Planning familial met en place depuis trois ans l’operation " Belles de nuit " à destination des personnes prostituées en leur distribuant des moyens de protection. »

Source : extrait du DPT « Outre-mer », annexé au projet de loi de finances (PLF) pour 2016, sur le programme 137

La chargée de mission aux droits des femmes gère au niveau local le budget opérationnel de programme –  BOP 137 (33). Comme le soulignait le PRS 2012-2014, si les crédits restent modestes, ils constituent en fait un effet levier, puisqu’ils appellent d’autres financements locaux, départementaux ou nationaux dans le cadre des dispositifs et politiques mis en œuvre par différents acteurs. Autrement dit, la DRDFE de Mayotte n’a pas vocation à organiser des actions sur les seuls crédits du BOP 137, mais agit dans le cadre d’une approche transversale, interministérielle et partenariale. Ainsi, en 2011, la dotation était à 44 987 euros, mais les cofinancements réunis s’élevaient au total à 75 500 euros.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE LA DÉLÉGATION RÉGIONALE AUX DROITS DES FEMMES (DRDFE) DE MAYOTTE DE 2010 À 2015 (EN EUROS)

Source : graphique réalisé d’après les données recueillies par vos rapporteures (préfecture de Mayotte)

Selon les informations recueillies par vos rapporteures, les crédits de la DRDFE de Mayotte, qui s’élèvent aujourd’hui à 101 538 euros, ont progressé significativement depuis 2010 (année précédant la départementalisation) : le budget de la DRDFE a ainsi doublé tous les ans entre 2010 et 2014 pour se stabiliser ensuite, ces crédits étant consommés intégralement. En outre, la délégation a pu solliciter chaque année des cofinancements au moins égaux aux financements auprès de divers partenaires publics et privés, sur l’ensemble des actions menées.

Enfin, interrogée sur ce point par vos rapporteures, la déléguée aux droits des femmes a précisé les évolutions de son positionnement administratif.

Les évolutions du positionnement administratif de la déléguée aux droits des femmes

En février 2010, lors de son recrutement, la déléguée aux droits des femmes a été placée auprès du secrétariat général aux affaires régionales (SGAR). Lorsque les postes de sous-préfet à la cohésion sociale ont été créés outre-mer, le préfet avait alors considéré que le poste de déléguée relevait de la cohésion sociale : la déléguée a ainsi été placée auprès du sous-préfet chargé de la cohésion sociale et de la jeunesse.

En 2012, lorsqu’a été mise en place la direction régionale de la jeunesse, de la cohésion sociale et des sports (DRJSCS) à Mayotte, et compte tenu du manque de place à la préfecture, la déléguée a occupé un bureau au sein de cette direction, ce qui présentait certains avantages, tels qu’un secrétariat, un téléphone de service ou encore l’accès au véhicule de la direction pour les déplacements professionnels.

En septembre 2014, la déléguée a rejoint la préfecture, mais en contrepartie a perdu ses avantages, et n’a pu en particulier être rejointe par son assistante, qui a réussi un concours conformément aux dispositions issues de la loi Sauvadet et a été intégrée à la DRJSCS. La déléguée est depuis lors seule à la préfecture. Son poste a été mis en candidature début 2016, et, s’il semble que son contrat n’ait pas encore été signé, sa candiature a été retenue.

LA DRDFE DANS L’ORGANIGRAMME DE LA PRÉFECTURE DE MAYOTTE


Source : préfecture de Mayotte (site internet, novembre 2015)

Dans le prolongement du rapport sur le réseau déconcentré des droits des femmes, présenté par la présidente Catherine Coutelle en février 2013 (34), vos rapporteures soulignent l’importance de veiller au positionnement administratif, aux moyens (secrétariat, etc.) et à la visibilité, y compris dans les organigrammes, de la délégation aux droits des femmes, dont les missions sont par nature transversales, et dont l’action a été saluée par de nombreuses rencontrées à Mayotte.

3. Les recommandations de la mission en matière de pilotage de la politique publique de l’égalité femmes-hommes

Outre le développement d’actions de formation et d’information sur les fonds structurels européens (cf. supra), vos rapporteures préconisent de :

– développer le recueil de données sexuées, en particulier en matière de violences faites aux femmes, en prévoyant l’extension à Mayotte du champ de l’enquête nationale VIRAGE (Violence et rapports de genre), mais aussi de santé des femmes, etc. ;

– renforcer la visibilité et le positionnement de la délégation aux droits de femmes de Mayotte ;

– développer l’information des Mahoraises sur leurs droits, avec par exemple des fiches de synthèse (le cas échéant traduites en langues locales) sur les grands thèmes (emploi, violences, santé…), avec les principaux éléments du droit applicable, les aides existantes et la liste des organismes concernés ;

– procéder d’ici la fin de l’année à l’évaluation du plan régional stratégique pour l’égalité femmes-hommes 2012-2014 pour en tirer tous les enseignements utiles, y compris en termes de pilotage, pour le plan égalité prévu par « Mayotte 2025 », et diffuser les bonnes pratiques repérées ;

– communiquer sur ce nouveau plan d’action pour l’égalité (en veillant à sa publicité ; a contrario, il semble que le PRS 2012-2014 n’ait pas été mis en ligne sur le site de la préfecture), et veiller à l’association des parties prenantes, et en particulier des associations de femmes, à l’élaboration et à l’évaluation régulière du plan. Par exemple, il pourrait être envisagé d’élaborer un tableau de bord avec une sélection d’indicateurs pour suivre l’avancement de celui-ci par rapport aux objectifs prioritaires assignés, et d’organiser chaque année (à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes par exemple) une manifestation publique, ouverte à la société civile, pour présenter les principales avancées et, le cas échéant, les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du plan d’action, afin de mieux faire connaître l’action des pouvoirs publics en faveur de Mayotte, et encourager la mobilisation de toutes et tous pour faire progresser l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

B. LES FEMMES ACTRICES DU CHANGEMENT

1. L’engagement des Mahoraises dans la vie politique et associative

Le 11 novembre 2015, vos rapporteures ont pu échanger avec une vingtaine d’élues mahoraises (conseillères municipales, maire, conseillères départementales) : ces rencontres ont permis d’évoquer en particulier la question de la place des femmes dans la vie politique locale.

Des progrès récents ont tout d’abord été soulignés concernant la composition du conseil départemental, où seule une femme était représentée avant 2015, en lien avec la modification des modes de scrutins et l’instauration de binômes, lesquels ont toutefois été critiqués par une conseillère départementale, regrettant d’être parfois traitée comme une suppléante. Si le département reste présidé par un homme, trois des sept vice-président.e.s sont des femmes et par ailleurs, en termes de « parité qualitative », celles-ci n’ont pas été cantonnées aux affaires sociales ou à la culture (fonctions exercées par deux hommes), mais chargées des transports ou de l’aménagement durable notamment.

ÉVOLUTION DE LA PROPORTION DE FEMMES PARMI LES CONSEILLERS GÉNÉRAUX AVANT ET APRÈS LES ELECTIONS DÉPARTEMENTALES DE 2015

Avant les élections départementales de 2015

Après les élections départementales de 2015

En revanche, seules deux femmes ont été élues maires (sur 17 communes) lors des dernières élections municipales de 2014, dont la maire de Sada, que vos rapporteures ont rencontrée, et aucune femme n’est députée ou sénatrice de Mayotte. Ainsi, les mahoraises sont encore peu présentes sur la scène politique locale ; les chambres consulaires ne font guère mieux et très peu d’associations ou syndicats sont dirigés par des femmes (35). Pourtant, les femmes jouent un rôle important dans la vie sociale mahoraise et, comme cela a été souligné, notamment lors du dîner organisé au domicile de membres de l’Association des femmes leader, elles se sont aussi beaucoup impliquées dans les campagnes électorales et leur message est écouté.

Des progrès restent donc à faire en matière de parité en politique. Les élues mahoraises rencontrées par vos rapporteures ont fait état de plusieurs difficultés : le manque d’établissements et de services pour la garde des jeunes enfants, et notamment l’absence de crèches, mais aussi pour les personnes âgées dépendantes, or à Mayotte, comme en métropole, les aidants sont très majoritairement des femmes.

Certaines ont évoqué aussi les représentations sociales (par exemple, des personnes estimant que « la place des femmes est à la maison »…), voire « une certaine interprétation de la religion », selon l’une d’entre elles. Plusieurs élues ont aussi fait part d’un sentiment de culpabilité, par exemple lorsqu’il faut s’absenter le samedi ou le soir, et en proposant par exemple de créer un réseau d’élues mères pour échanger sur les difficultés rencontrées et les moyens d’y remédier. Par ailleurs, selon le PRS 2012-2014, « les enquêtes réalisées montrent que les femmes manquent souvent d'assurance ou de confiance en elles ».

Pour encourager les femmes à s’engager dans des mandats électifs. plusieurs actions étaient prévues par le PRS, notamment le lancement de prix pour valoriser l’engagement des femmes, l’accompagnement et le soutien des élues par des sessions de formation et coaching ou encore la réalisation d’une enquête sur les Mahoraises en politique. En particulier, vos rapporteures ont eu connaissance du bilan de l’initiative « Agir au féminin » a permis de former des femmes au leadership, à l’estime de soi et les encourager à briguer des postes à responsabilités.

« Agir au féminin » : les formations organisée à l’initiative de la DRDFE pour favoriser l’accès des femmes aux postes à responsabilité

L’initiative « Agir au féminin » a été réalisée grâce au soutien financier de la Direction générale aux outre-mer (DGOM) et de la Délégation régionale aux droits des femmes de Mayotte (DRDFE). Plusieurs sessions de formation (2 jours, avec une partie théorique et un temps de mise en pratique) ont été co-organisées par le Centre de ressources et d’obversation de la cohésion sociale (CDR) de Mayotte et la déléguée aux droits des femmes, avec la participation de la société RS Management. Cette action poursuivait plusieurs objectifs, en particulier : comprendre la place de la femme dans la société, les freins à son émancipation et les leviers, identifier ses forces et faiblesses en tant que femme leader, leur redonner confiance en elles, outiller et conseiller les femmes sur les comportements qui permettent de se faire respecter, écouter, et de réussir, identifier les parcours de réussite au féminin, et partager leurs expériences avec d’autres femmes.

Vingt-cinq femmes d’horizons professionnels divers ont participé à la session organisée les 24 et 25 janvier 2014 (avec deux groupes de formation). Une réunion de retour d’expériences a été organisée, le 5 avril 2014, avec les participantes des deux premières sessions, afin de faire un point sur l’impact de la formation au quotidien et d’échanger sur les prochaines sessions. Au cours de la rencontre, les participantes ont rappelé les bienfaits de la formation après plus de deux moi, mais aussi les résultats dans la vie professionnelle et politique (élection de certaines femmes aux élections municipales), en souhaitant que le CDR de Mayotte et la DRDFE proposent des formations complémentaires pour les femmes ayant suivi les premières sessions, des sessions supplémentaires pour d’autres femmes qu’elles ont pu identifier, mais aussi des temps d’échanges réguliers.

Ainsi, deux sessions complémentaires ont été organisées, les 18 et 19 avril 2014, et les 14 et 15 novembre 2014, en s’inscrivant dans la continuité du travail déjà engagé avec les participantes, afin d’approfondir les capacités développées notamment sur la confiance en soi, la confiance individuelle et collective, les techniques de prise de parole en public et de résolution de conflits. 23 femmes ont assisté à ces sessions.

Source : Bilan « Agir au féminin », CDR de Mayotte (décembre 2014)

Vos rapporteures ont également pu échanger avec plusieurs associations de femmes, dont l’existence même est encourageante en vue de faire progresser l’égalité à Mayotte, par exemple « Entreprendre au féminin » et le Planning familial (voir l’encadré dans la seconde partie du rapport), « Femmes leader », etc.

2. La place croissante des femmes dans l’économie, en particulier la création d’entreprises : Mayotte, 2e département de France pour l’entreprenariat féminin

Les femmes jouent un rôle croissant dans l’économie, avec par une augmentation significative du taux d’activité des femmes au cours des dernières années (cf. infra), qu’elles travaillent ou recherchent activement un emploi

En outre, au cours des différents déplacements effectués par vos rapporteures dans une couveuse d’entreprise à Mamoudzou, au siège de l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE), dont près de 70% des prêts sont accordés à des femmes, ou encore à l’association « Entreprendre au féminin » (EFM), la place des femmes dans la vie économique mahoraise a été soulignée concernant en particulier la création d’entreprise a été soulignée.

Ainsi, près de la moitié des entreprises nouvellement créées sont dirigées par des femmes à Mayotte, et dans des domaines variés, comme cela ressort du graphique ci-après portant sur les adhérentes de l’association « Entreprendre au féminin » (auto-écoles, commerce, artisanat, ingénierie en bâtiment et travaux publics, etc.). Plusieurs d’entre elles ont toutefois fait part des difficultés rencontrées, pour obtenir un prêt, et concernant plus globalement la place des femmes à Mayotte.

LES DONNÉES COMMUNIQUÉES PAR L’ASSOCIATION « ENTREPRENDRE AU FÉMININ » 

Enfin, au-delà de l’engagement dans la vie politique et associative et de leur place croissante dans l’économie, les Mahoraises ont aussi actrices du changement au sens où leurs aspirations évoluent, par exemple sur le nombre d’enfants souhaités, l’exercice d’une activité professionnelle, voire certaines représentations traditionnelles. Par ailleurs, plusieurs d’entre elles ont clairement manifesté une volonté de changement, et de se mobiliser pour le développement économique et social de Mayotte, en exprimant leur attachement au territoire et leurs craintes de devoir envisager un jour d’en partir, ou leurs enfants, si des réponses adaptées n’étaient pas apportées par les pouvoirs publics aux difficultés rencontrées aujourd’hui, par exemple concernant le système éducatif.

Pour répondre à l’ensemble de ces enjeux, la politique publique de l’égalité entre les femmes et les hommes à Mayotte doit s’articuler autour de quelques priorités clairement définies. Dans la seconde partie du présent rapport, vos rapporteures formulent ainsi plusieurs recommandations quant aux mesures susceptibles d’être prises en matière d’éducation, d’emploi, de santé et de violences faites aux femmes.

SECONDE PARTIE : DES ACTIONS PRIORITAIRES À MENER

La mission a identifié plusieurs priorités, afin de promouvoir l’autonomie et les droits des Mahoraises : l’éducation et l’accès à l’emploi, d’une part (I) et, d’autre part, la santé et les violences faites aux femmes, d’autre part (II).

Par ailleurs, sur la méthode, vos rapporteures préconisent de développer des expérimentations, pour trouver des solutions originales et adaptées aux spécificités de Mayotte, de mieux évaluer les différentes initiatives locales et de diffuser les bonnes pratiques identifiées.

I. SOUTENIR L’AUTONOMIE DES FEMMES

Afin de promouvoir l’autonomie des femmes, il convient d’améliorer le système éducatif (A) et de lever les freins à l’emploi (B), en proposant en particulier des services adaptés pour les mères actives.

A. RENFORCER LE SYSTÈME ÉDUCATIF

1. En dépit d’un développement massif de la scolarisation, des écarts importants qui demeurent par rapport à la métropole

Le système éducatif à Mayotte est confronté à un double défi lié à une scolarisation de masse et à des résultats encore faibles, dans un environnement social, culturel et démographique très spécifique.

● Des efforts importants pour développer l’accès à l’éducation

Le développement du système d’éducation et de formation est relativement récent à Mayotte : le premier lycée a ouvert ses portes en 1980, la première école maternelle date de 1993, le premier brevet de technicien supérieur (BTS) a été créé en 1999 et le centre universitaire a vu le jour en 2011. Cependant, le développement du système scolaire a été spectaculaire depuis lors, au moins sur le plan quantitatif. En effet, en quarante ans, les effectifs scolarisés aux premier et second degrés ont été multipliés par un facteur de 30 (87 437 élèves en 2014, contre 2 884 en 1973), tandis que sur la même période la population de l’île a été « seulement » multipliée par cinq (environ 220 000 personnes en 2014, contre 40 482 en 1973). La population scolarisée est ainsi passée de 18,4 % en 1973 à 39 % de la population totale en 2014 (36).

Cette massification de l’éducation a été permise par l’extension rapide des infrastructures scolaires, essentiellement dans le secteur public, qui a nécessité des efforts financiers importants. Le budget de l’État consacré à l’Éducation nationale à Mayotte est ainsi passé de 107,3 à 377 millions d’euros en dix ans, soit une évolution de 251 % entre 2004 et 2014, ce qui témoigne, dans un contexte de contrainte budgétaire, de l’importance accordée à ce secteur, essentiel pour le développement du territoire.

Le système éducatif accueille ainsi, en moyenne, 1 500 élèves supplémentaires chaque année dans le premier degré et 1 600 dans le second degré, selon la Cour des comptes (37). Un système de rotation des élèves a d’ailleurs été mis en place dans la moitié des écoles pour permettre l’accueil des élèves malgré le manque de structures. La Cour souligne à cet égard que « ce sujet est très sensible, car plusieurs maires considèrent que c’est essentiellement l’immigration clandestine qui entraîne le besoin de nouvelles écoles ».

ÉVOLUTION DU NOMBRE D’ÉLÈVES SCOLARISÉ.E.S À MAYOTTE

Source : vice-rectorat de Mayotte

La généralisation de la scolarisation a toutefois été plus tardive pour les femmes, et ce retard perdure pour les jeunes générations : ainsi, 28 % des femmes de 20 à 29 ans et 43 % des 30-39 ans n’ont pas suivi de scolarité, contre respectivement 7 % et 16 % des hommes, et ce n’est qu’à partir de la dernière génération des 16-20 ans que le taux de scolarisation des filles rejoint celui des garçons (38). Au total, les personnes n’ayant jamais été scolarisées représentent près du tiers de la population mahoraise, et plus des deux tiers sont de femmes (68 %). Ceci concourt à expliquer qu’à Mayotte, 63 % des femmes âgées de 15 à 64 ans ne maîtrisent pas les compétences de base à l’écrit en français, soit dix points de plus que les hommes (53 %), ce qui constitue une première difficulté pour leur insertion professionnelle (cf. infra).

PART DE LA POPULATION JAMAIS SCOLARISÉE ET PART EN GRANDE DIFFICULTÉ À L’ÉCRIT SELON LE SEXE ET LA TRANCHE D’ÂGE

Une généralisation de la scolarisation plus tardive pour les femmes

Source : INSEE (« Quatre jeunes sur dix en grande difficulté à l’écrit à Mayotte », Mayotte Infos n° 70, février 2014)

● Des retards significatifs demeurant cependant, en termes notamment de résultats scolaires et de capacités d’accueil.

Le système éducatif mahorais, qui évoqué à de multiples reprises au cours du déplacement, est confronté à plusieurs défis, en particulier :

– concernant la maternelle, bien qu’ayant presque doublé en dix ans, le taux de scolarisation des enfants de trois ans (63,3 % à la rentrée 2014) demeure nettement inférieur à la métropole (100 %) ;

– en termes de résultats, si les taux de réussite au diplôme national du brevet et au baccalauréat ont sensiblement progressé entre 2003 et 2014 (en passant respectivement de 63 à 68,9 % et de 50,7 à 67,4 %), ils restent encore éloignés des taux nationaux (respectivement 85,2 et 88,5 %) ; en outre, un jeune bachelier sur cinq a des difficultés à l’écrit, selon l’étude précitée de l’INSEE ;

– concernant l’insuffisante maîtrise du français par les enfants scolarisé.e.s : ainsi, 67,2 % des élèves de CE1 et 75,5 % des élèves de CM2 possèdent des « acquis insuffisants ou fragiles », contre seulement près de 21 % et 26 % en métropole ; or cette situation constitue une difficulté majeure en ce qu’elle ne rend naturellement plus complexe la poursuite de la scolarité, dans de bonnes conditions ; la question de la formation et du recrutement d’enseignants qualifiés, s’agissant en particulier des établissements du premier degré (39), a également été soulevée au cours de la mission ;

– concernant l’enseignement de second degré : la question du niveau des collèges publics a été évoquée à plusieurs reprises, en lien notamment avec la difficulté de devoir enseigner à des classes de niveau très hétérogène (avec des élèves inscrits au collège ne sachant ni lire, ni écrire), le fait que Mayotte ne compte que quatre lycées professionnels et cinq sections d’enseignement professionnel en lycée polyvalent, où 273 élèves fréquentent les neuf spécialités des classes de BTS ; en nombre, les filles sont toutefois plus nombreuses dans les lycées, selon les informations communiquées par le vice-rectorat de Mayotte (cf. infra) ;

– enfin, il est à noter qu’une université a été créée en 2011, et le centre universitaire de Mayotte propose aujourd’hui des formations supérieures, sous forme d’enseignement initial ou continu.

Au-delà de cette présentation succincte du système éducatif mahorais, il convient de resserrer l’analyse pour examiner plus précisément les principaux enjeux concernant les jeunes filles, en vue de favoriser leur insertion professionnelle et leur autonomie et de faire progresser l’égalité réelle.

2. Les initiatives locales et recommandations de la mission

● Les principaux enjeux en termes d’égalité filles-garçons

Si les rapporteures n’ont pu visiter d’établissement scolaire, compte tenu notamment du contexte particulier de la mission, plusieurs temps d’échanges ont néanmoins été prévus à ce sujet, notamment le 13 novembre 2015, avec différents responsables, notamment du vice-rectorat (40), outre la DRDFE. Des travaux de la mission, il ressort principalement les éléments suivants :

– un point positif tout d’abord, les jeunes filles sont plus nombreuses dans les lycées, et les résultats de 2012, tels que présentés dans le plan régional stratégique pour l’égalité femmes-hommes précité, faisaient aussi apparaître un meilleur taux de réussite au bac ; il semblerait néanmoins que la situation ait sensiblement évolué depuis lors, avec un meilleur taux de réussite des garçons ;

RÉSULTATS DU BACCALAURÉAT PAR SEXE EN 2012

 

Filles

Garçons

Présentes

% de reçues

Présents

% de reçus

Série économique et sociale (ES)

312

63,1 %

161

60,9 %

Série scientifique (S)

188

68,1 %

232

52,6 %%

Série littéraire (L)

239

64,4 %

63

50,8 %

Total bac général

739

64,8 %

456

50,8 %

Série Sciences et technologies de l’industrie (STI)

0

-

30

83,3 %

Série STG

676

45,1 %

442

51,8 %

Série ST2S

115

51,3%

17

58,8 %

Total Bac technologique

791

46 %

489

54 %

Source : préfecture de Mayotte (PRS 2012-2014)

– les filles rencontrent néanmoins des difficultés particulières au cours de leur scolarité : tout d’abord, dans la sphère familiale, elles peuvent être très sollicitées pour des tâches ménagères ; les interruptions de scolarité liées à des grossesses précoces ont aussi été évoquées (cf. infra) ; elles se heurtent aussi à certaines représentations sociales : par exemple, dans le cadre du prix de la vocation scientifique et technique, à la question posée sur les freins rencontrés concernant leur projet d’études, certaines jeunes filles ont répondu que leurs parents ne les encourageaient pas dans des études longues, car cela pourrait freiner leurs projets conjugaux…

– un problème d’orientation se pose également, dans la mesure où les filles suivent des formations dans des secteurs souvent moins porteurs (tertiaire, services, social, etc.).

● Les actions menées à Mayotte pour promouvoir l’égalité

En 2012, la Délégation régionale aux droits des femmes de Mayotte a lancé une action « 101 femmes, 101 métiers », avec notamment la diffusion d’une brochure soutenue par de nombreux partenaires (déclinaison locale de la manifestation analogue organisée en Bretagne). Une étude sur les femmes et l’emploi a par ailleurs été présentée dans ce cadre : elle a permis de disposer d’éléments objectifs pour engager à des actions efficaces afin de lutter contre le chômage des femmes sur le territoire. Les collèges ont été invités à travailler sur cette question de l’orientation, sur le thème « les métiers n’ont pas de genre », et pour inviter aussi les jeunes filles à avoir de l’ambition. Par ailleurs, douze prix de la vocation de la vocation technique et scientifique ont été remis en 2012 par la Délégation aux droits des femmes (DRDFE), le conseil général mais aussi des partenaires privés. L’entreprise Électricité de Mayotte a par exemple attribué une dotation financière à la jeune fille récompensée, en lui proposant aussi de bénéficier d’un stage et d’être recrutée dès l’obtention de son diplôme.

En outre, en novembre 2014, une convention pour l’égalité entre les filles et les garçons dans le système éducatif a été signée par la sous-préfète, secrétaire adjointe de la préfecture, et la vice-rectrice de Mayotte. Elle a notamment permis de mettre en place le programme « marraines en action », s’adressant à des jeunes filles scolarisées, en formation ou en recherche d’emploi, avec la participation de femmes actives, afin de soutenir leurs ambitions et de les accompagner dans leur projet professionnel. Ce programme a été lancé en 2012 avec le soutien du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ) et la participation de l’association « Entreprendre au féminin ».

Un groupe de travail académique a également été constitué sur l’égalité filles-garçons, et il a notamment procédé à une analyse approfondie des résultats et parcours scolaires des jeunes filles. Différentes actions ont été engagées dans ce cadre, notamment en matière de formation des enseignant.e.s, selon les précisions apportées lors de la table ronde organisée à la préfecture le 13 novembre 2015. Par exemple, durant l’année scolaire 2013-2014, neuf classes ont expérimenté un projet pédagogique pour inviter les élèves à réfléchir sur la thématique de l’égalité entre les sexes. Impulsé par le vice-rectorat et porté dans les classes par des enseignants volontaires, le projet reposait sur une approche pluridisciplinaire : littérature jeunesse, cinéma, théâtre et débats ont été les supports de la réflexion, un film documentaire ayant par ailleurs été réalisé en partenariat avec la Délégation aux droits des femmes de la préfecture de Mayotte.

● Les recommandations de la mission

Vos rapporteures formulent les recommandations suivantes :

– développer la scolarisation en maternelle, en concentrant dans un premier temps les efforts sur les enfants âgés de 3 à 6 ans, mais aussi ultérieurement, et comme c’est le cas en métropole, en permettant un accueil des enfants de moins de trois ans ; alors que le français ne serait la langue maternelle que d’un.e Mahorais.e sur dix (cf. supra), il est en effet important que les enfants soient plongés dans un « bain linguistique » dès le plus jeune âge ;

– plus largement, maintenir le niveau d’investissement dans les infrastructures scolaires (constructions et rénovations d’établissements) afin d’améliorer les conditions d’accueil des élèves, en vue de faire cesser les rotations scolaires dans le premier degré et d’accueillir tous les enfants en âge d’être scolarisés, comme le prévoit le plan Mayotte 2025 ; à cette fin, et dans le prolongement des recommandations récentes de la Cour des comptes, maintenir l’engagement de l’État en matière de gestion des collèges et lycées et, compte tenu de l’urgence de réaliser les constructions scolaires, prévoir la mise en place par l’État, dans le cadre d’une maîtrise d’ouvrage déléguée, d’une agence technique susceptible de pallier l’absence de capacité technique des communes.

Résoudre la question des constructions scolaires du premier degré : les recommandations de la Cour des comptes (janvier 2016)

« Les communes, compétentes à compter de 1983 en matière de constructions scolaires du premier degré, ont délégué cette compétence au syndicat mixte d’investissement et d’aménagement de Mayotte (SMIAM), créé en 1979 et regroupant la collectivité territoriale et l’ensemble des 17 communes de l’île. Le syndicat fonctionnait grâce aux cotisations des collectivités et aux subventions de l’État. (…) Le fonctionnement et les résultats du SMIAM ont fait apparaître de de nombreuses insuffisances. Compte tenu de ses moyens budgétaires, le SMIAM avait la capacité de construire environ 65 classes par an (le coût de construction d’une classe étant estimé à environ 235 000 €). Or seulement 29 classes ont été construites en 2011 et 2012. Le SMIAM était, par ailleurs, confronté à la difficulté d’identifier les propriétaires des terrains sur lesquels les écoles étaient construites (…)

La dissolution du SMIAM a été actée le 28 octobre 2014. Afin de prendre le relais du SMIAM, les maires ont préféré constituer un syndicat intercommunal dont la compétence se limite aux constructions scolaires. Les communes définissent elles-mêmes les projets, qui se limitent aujourd’hui à la rénovation de salles de classe. Ces projets ne suffisent pas à combler les besoins, mais la situation financière des communes ne leur permet pas d’engager d’importants travaux. De plus, leur déficit d’ingénierie rendra difficile l’émergence de projets de construction. Dès lors, et compte tenu de l’urgence de réaliser ces constructions scolaires, la Cour recommande que l’État, dans le cadre d’une maîtrise d’ouvrage déléguée, mette en place une agence technique susceptible de pallier l’absence de capacité technique des communes. »

– développer la production de statistiques sexuées, comme cela a été souligné lors des échanges avec les services académiques ; il a également été suggéré de mener des études de cohorte, pour suivre le parcours des élèves, y compris lorsqu’ils partent de Mayotte pour étudier en métropole ;

– développer l’apprentissage à Mayotte, comme cela a été souligné par plusieurs Mahoraises au cours de la mission, et veiller à la prise en compte des besoins de l’économie locale dans l’offre de formation ;

– poursuivre et amplifier les actions engagées afin de mieux faire connaître les différents métiers, avec l’organisation régulière de campagnes visant à diversifier les choix d’orientation des jeunes filles (par exemple, inviter des cheffes d’entreprises à venir présenter leur métier, au regard de l’importance des « rôles modèles » en matière d’égalité), et veiller en particulier à la mise en œuvre du parcours individuel, d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel (« parcours Avenir »), inscrit dans la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École ;

– veiller à l’éducation civique et l’apprentissage des valeurs de la République (laïcité, égalité, etc.), et développer en particulier les actions visant à apprendre le respect de l’autre et l’égalité des sexes, ainsi que la formation des enseignant.e.s dans ce domaine, en veillant aussi à la mise à disposition de matériels pédagogiques adaptés (livres et manuels scolaires).

Enfin, parallèlement aux efforts importants requis pour améliorer l’accès et la qualité du système éducatif, il importe de poursuivre les actions engagées en vue d’intensifier la lutte contre l’immigration clandestine, en développant également les actions de coopération avec les Comores.

B. LEVER LES FREINS À L’EMPLOI

1. En dépit de plusieurs améliorations, des difficultés particulières en matière d’insertion professionnelle des femmes

● Des écarts sexués cependant toujours très marqués, avec en particulier un chômage des femmes bien plus élevé et une concentration sur quelques métiers

Bien qu’il ait progressé, le niveau d’emploi des Mahoraises reste faible comparativement à celui des hommes (28 % contre 46,5 % en 2014). À Mayotte, une femme a ainsi 2,3 fois plus de risques d’être au chômage qu’un homme, alors qu’en métropole, le taux de chômage des femmes est légèrement plus faible (41). L’emploi a pourtant augmenté, mais insuffisamment pour absorber l’arrivée de nombreuses femmes sur le marché du travail. Les femmes restent aussi plus longtemps au chômage (en moyenne 43 mois, contre 33 mois pour les hommes).

Au total, 38 600 Mahorais.e.s souhaitent travailler mais n’ont pas d’emploi, soit un tiers de la population en âge de travailler, dont deux tiers de femmes (42).

Femmes et chômage : données communiquées par l’antenne Pôle emploi de Mayotte (entretien du 13 novembre 2015)

Selon les données communiquées par Pôle Emploi, lors de l’entretien à la préfecture de Mamoudzou, le 13 novembre 2015, on dénombrait alors : 15 231 inscrit.e.s au chômage, dont 10 100 femmes, soit 66 % de la DEFM (demande d’emploi en fin de mois) ; 6 178 demandeuses d’emploi de longue durée (au moins 12 mois dans les 18 derniers mois), soit 61 % des femmes ; 1 820 en QPV (quartiers prioritaires de la ville) ; 942 titulaires du permis B, soit 9 %.

En outre, seules 40 % des femmes sont actives (présence sur le marché du travail, en emploi ou non), contre deux sur trois en France métropolitaine.

Les personnes entendues par la mission ont évoqué à cet égard plusieurs freins à l’insertion professionnelle des femmes, notamment les problèmes de mobilité, en lien avec le manque de transports en commun ou l’absence de permis de conduire ou d’un véhicule ; des problèmes de garde des jeunes enfants, avec aussi la question des aidants auprès des personnes âgées, qui sont, comme en métropole, très majoritairement des femmes. Ont aussi été évoquées le manque de qualification, le suivi de formations inadaptées aux besoins de l’économie locale (formations littéraires, etc.), ainsi que l’illetrisme (l’association Entreprendre au féminin aide par exemple des illettrées à effectuer leurs démarches).

En outre, le secteur tertiaire concentre 95 % de l’emploi féminin à Mayotte, dont une part importante qui travaillent dans l’administration publique, l’éducation, la santé et l’action sociale, d’où l’importance de faire évoluer les représentations et améliorer l’orientation, pour une plus grande mixité des métiers. Par ailleurs, les femmes seraient aujourd’hui les principales bénéficiaire des contrats aidés (43) illustrant ainsi la précarité de l’emploi féminin.

RÉPARTITION DES ACTIF.VE.S OCCUPÉ.E.S PAR SECTEUR D’ACTIVITÉ À MAYOTTE (EN %)

 

Hommes

Femmes

Ensemble

Agriculture

1,9

0,5

1,4

Industrie

6,4

2,6

5,0

Construction

15,4

1,7

10,3

Tertiaire, dont :

76,3

95,2

83,3

– Administration publique, éducation, santé, action sociale

46,2

66,0

53,7

– Commerce

10,6

10,7

10,6

– Transports

7,8

2,6

5,9

– Hôtels et restaurants

1,9

2,9

2,3

– Autres activités tertiaires

9,8

13,0

11,0

Source : INSEE (recensement de la population 2012)

● Des tendances positives cependant, avec une progression du taux d’emploi des femmes, qui se portent aussi plus souvent sur le marché du travail.

Selon les dernières données de l’INSEE (44), le taux d’emploi des femmes a augmenté en 2015 (+ 2,8 points), tandis que celui des hommes est en léger repli (- 0,6 point). La hausse de l’emploi féminin, qui s’élève à 28 % en 2015 (45), est essentiellement concentrée sur la classe d’âge intermédiaire (hausse de 5,4 points pour les femmes âgées de 30 à 49 ans).

TAUX D’EMPLOI PAR SEXE ET TRANCHE D’ÂGE À MAYOTTE : UNE PROGRESSION SIGNIFICATIVE DU TAUX D’EMPLOI DES FEMMES EN 2015

Source : INSEE, enquêtes Emploi Mayotte (situation au deuxième trimestre 2015)

Cette tendance positive est en fait engagée depuis plusieurs années, comme l’indiquent les données ci-après. Outre la progression sensible de leur taux d’emploi depuis 2009, les femmes se portent aussi davantage sur le marché du travail : leur taux d’activité, qui incluent les chômeuses et les personnes en emploi(46), est ainsi passé de 30,8% à 40,5% entre 2005 et 2009.

RÉPARTITION DE LA POPULATION ACTIVE PAR SEXE À MAYOTTE

 

2009

2013

2014

Variation 2014/2013

Variation 2009/2014

Population active

43 200

49 600

53 800

8,5 %

4,5 %

Homme

25 800

29 200

30 500

4,5%

3,4 %

Femme

17 400

20 400

23 300

14,2%

6,0 %

Population active occupée

35 500

40 200

43 300

7,7%

4,1 %

Homme

23 000

25 100

26 700

6,4%

3,0 %

Femme

12 500

15 100

16 600

9,9%

5,8 %

Taux d’activité (en %)

39,4 %

40,2 %

42,6%

+ 2,4 pts

+ 0,6 pt

Homme

48,6%

50,5%

51,8 %

+ 1,3 pt

+ 0,6 pt

Femme

30,8%

31,1%

34,5%

+ 3,4 pts

+ 0,7pt

Source : IEDOM 2015 (données INSEE)

Les femmes sont aussi très présentes dans la création d’entreprises (cf. supra), comme vos rapporteures ont pu le constater lors de leur déplacement à l’ADIE et à l’association « Entreprendre au féminin », réseau d’échanges et d’accompagnement à la création d’entreprises qui a été créé avec le soutien de la délégation aux droits des femmes de Mayotte.

Il convient par conséquent de consolider cette tendance et d’engager les actions nécessaires pour lever les freins à l’emploi des femmes.

2. Recommandations des rapporteures

Au vu des différents obstacles à l’insertion professionnelle des femmes sur lesquels l’attention de la mission a été appelée, vos rapporteures proposent, concernant notamment les « freins périphériques à l’emploi », de :

– développer l’offre de transports en commun et faciliter l’accès au permis de conduire, en diligentant à cette fin une enquête pour identifier les freins (en termes de coût, de formation, de nombre d’inspecteurs, etc.) et les moyens d’y remédier ;

– organiser l’accueil des jeunes enfants, de façon souple et diversifiée, en prenant en compte les besoins des familles (emploi à domicile, garde partagée, crèches municipales, crèches familiales, classes passerelles, etc.), et en particulier : mettre en place rapidement les dispositions applicables en métropole en matière d’assistantes maternelles agrées ainsi que les aides telles que le complément mode de garde (CMG) dans le cadre de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) ; concernant les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE : crèches), pour éviter des blocages liés aux difficultés financières des communes, majorer la proportion habituelle de cofinancement par la caisse d’allocations familiales (caisse de sécurité sociale de Mayotte – CSSM) ou prévoir une prime d’aide à l’investissement ; développer la scolarisation des moins de trois ans ;

– ouvrir des établissements et services sociaux et médico-sociaux pour prendre en charge les personnes âgées et les personnes en situation de handicap (EHPAD, accueil de jour, aide à domicile, etc.), et flécher à cette fin une partie des crédits de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) avec des objectifs chiffrés et une programmation pluriannuelle, pour un déploiement progressif et soutenable des places d’accueil sur le territoire ;

– développer des ateliers de lutte contre l’illettrisme en direction des adultes ainsi que des « écoles de parents » ;

– remédier aux difficultés d’application à Mayotte, portées à l’attention de vos rapporteures, du contrat d’appui à un projet d’entreprise (CAPE), qui est aujourd’hui appliqué dans tous les départements français, mais qui, bien qu’inscrit dans le code du travail de Mayotte depuis juillet 2014 (article L. 325-8) n’est pas appliqué dans le département (un décret d’application serait nécessaire selon les services de la DIECCTE, ce point faisant toutefois l’objet d’interprétations divergentes) : le CAPE permettrait en effet de faciliter l’accompagnement des entrepreneur.se.s, dans le cadre de couveuse d’entreprises, pour une durée pouvant aller jusqu’à trois ans, au lieu de douze mois actuellement à Mayotte ;

– développer l’accès à la qualification et la reconnaissance des acquis de l’expérience, procéder à un suivi sexué régulier en matière de formation professionnelle continue (nombre de bénéficiaires et financements accordés) et veiller à la mise en œuvre du compte personnel d’activité (CPA).

II. AMÉLIORER LA SANTÉ DES MAHORAISES ET RENFORCER LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

A. LA SANTÉ DES FEMMES

1. Les principaux enjeux identifiés en matière de santé des femmes

● Les enjeux en termes de santé des femmes

Comme le soulignait le plan régional stratégique pour l’égalité femmes-hommes 2012-2014, « à l’heure actuelle, il n’y a aucune étude sur la santé et les femmes à Mayotte. Il n’existe que des études éparses ici et là. Il est donc là aussi important de lancer des études dans ce domaine. ». Vos rapporteures observent à cet égard que le « Baromètre Santé », enquête de référence publiée tous les cinq par l’Institut national pour la prévention et l’éducation en santé (INPES) ne couvre actuellement que la France métropolitaine.

En matière de santé des femmes, l’attention de vos rapporteures a été appelée sur les points suivants :

– malgré une constante augmentation, l’espérance de vie reste inférieure à celle de la métropole (74 ans, contre 81 ans en métropole en 2012) et les indices comparatifs montrent une surmortalité globale par rapport à la métropole, qui concerne surtout les femmes à Mayotte (47), avec en particulier une surmortalité liée aux complications de la grossesse et des accouchements : la mortalité maternelle était ainsi estimée à 50 décès pour 100 000 naissances en 2012, soit deux fois qu’à La Réunion et six fois plus qu’en métropole (7,6) ;

– l’enquête Périnatalité de 2010 a fait apparaître, dans un contexte marqué par des conditions socio-économiques plus défavorables, une fécondité plus importante et qui survient plus tôt, un retard important en matière de surveillance prénatale, des conditions d’accouchement plus difficile mais aussi des progrès à faire en matière de suivi et de prise en charge ;

– on observe par ailleurs des difficultés d’accès à la contraception, liées notamment au système de santé mahorais (cf. infra), avec aussi des ruptures de stocks ; la question des grossesses précoces a également été soulignée – une professionnelle de santé rencontrée par vos rapporteures a par exemple cité le cas récent d’une fille enceinte âgée de 9-10 ans ; il a aussi été indiqué que les mineures représenteraient 6 % des accouchements, soit douze fois plus qu’en métropole ;

– le taux de recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), qui s’est stabilisé depuis quelques années, s’élevait à 29,7 ‰ pour les femmes âgées de 15 à 49 ans en 2012, soit une proportion plus élevée qu’à La Réunion (48) (19,4 ‰ en 2010), des difficultés d’accès à l’IVG ayant toutefois été soulignées ;

ÉVOLUTION DU NOMBRE D’IVG À MAYOTTE DE 1992 À 2012

Source : Centre hospitalier de Mamoudzou (centre d’orthogénie), exploitation Observatoire régional de la santé (ORS)

– l’émergence des maladies chroniques, notamment le diabète, et la plus forte prévalence du surpoids et de l’obésité chez les femmes : ainsi, 46 % des hommes et seulement 19 % des femmes ont une corpulence normale, tandis que 79 % des femmes sont en surpoids, contre 52 % des hommes (ARS, 2012).

● L’offre de soins à Mayotte

L’organisation du système de santé mahorais s’appuie sur :

– le Centre hospitalier de Mayotte (CHM), établissement public situé à Mamoudzou qui regroupe l’essentiel du plateau technique ; seul acteur de l’hospitalisation à Mayotte, le CHM, dans lequel vos rapporteures se sont rendus, a la responsabilité de l’activité de soins dans presque tout le secteur public ;

– des centres de référence : l’antenne du CHM en Petite-Terre (Dzaoudzi), les hôpitaux du sud, du centre et du nord depuis 2010 (cf. carte ci-après) ;

– un réseau de treize dispensaires assurant les soins primaires de proximité ainsi que les actions de prévention ;

OFFRE SANITAIRE PUBLIQUE À MAYOTTE

arte sanitaire publique

Source : réseau de périnatalité de Mayotte REPEMA (2015)

– un secteur privé libéral encore très limité et concentré à Mamoudzou et en Petite-Terre. L’analyse de la densité médicale montre un écart important entre Mayotte et l’hexagone : la densité médicale est ainsi d’environ 41 médecins généralistes pour 100 000 habitants au 1er janvier 2014 (en baisse de 7 points par rapport à 2013), alors qu’en France hors DOM, ce ratio s’établit à 156. En 2014, 221 médecins étaient comptabilisés sur le territoire (dont 87 médecins généralistes d’après l’ARS), 616 infirmières (-5,8 %) et 127 sages-femmes (-14,2 %), et près de 74,3 % des professionnels de la santé travaillent dans le secteur public (49). Les orthophonistes, psychologues et opticiens sont peu représentés à Mayotte, et il n’y aurait que treize sages-femmes libérales (surtout à Mamoudzou) et deux gynécologues libéraux, selon un réseau de santé mahorais.

Par ailleurs, il existe 22 centres de PMI, qui assurent des consultations pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 6 ans, outre des actions de prévention, ainsi qu’un centre d’orthogénie où peuvent se pratiquer les IVG médicamenteuses ou chirurgicales, situé au centre hospitalier. Les IVG médicamenteuses sont également prises en charge en médecine de ville.

Au cours des travaux de la mission, ont été évoqués la difficulté à communiquer en matière de santé sexuelle et reproductive, dans un territoire musulman et où la virginité avant le mariage reste une norme sociale importante, mais aussi le fait que des jeunes femmes ne connaissent pas toujours très bien leur anatomie, ainsi que le manque de centres de planification.

Ont aussi été soulignés, plus généralement, les problèmes parfois rencontrés par les professionnel.le.s de santé pour communiquer avec leur patientèle et la nécessité d’interprétariat de qualité en langues locales, mais aussi un recours souvent tardif au système de santé, les difficultés administratives et les délais pour l’affiliation à la sécurité sociale, ainsi que l’absence de CMUc – l’aide médicale d’État (AME) n’y étant pas non plus applicable.

1. Initiatives locales et recommandations de la mission

● Plusieurs initiatives intéressantes pour promouvoir la santé des femmes

Vos rapporteures ont rencontré à Mamoudzou plusieurs membres du réseau de périnatalité REPEMA, qui a engagé plusieurs initiatives intéressantes dans ce domaine, à travers notamment des consultations mobiles d’information et d’orientation. Il a notamment été souligné que les consultations post-natales ne sont souvent pas réalisées.

Les missions de REPEMA, réseau périnatal de Mayotte

Créé en 2009, REPEMA a pour objectif de participer à la diminution de la morbidité et mortalité maternelle et infantile, de veiller au bien être de la femme et de l’enfant sur Mayotte et de mettre en oeuvre un réseau d’informations et de prévention. Il doit organiser la coordination et le relais entre les différents professionnels liés à la périnatalité. Les objectifs du réseau REPEMA sont de favoriser l’accès aux soins en permettant une meilleure orientation, d’informer et d’orienter les femmes en âge de procréer, d’optimiser la continuité des soins entre les structures, de diminuer la morbi-mortalité sur Mayotte, et de contribuer au recueil de données épidémiologiques sur des problématiques locales.

Les actions du réseau sont les suivantes : participation à la diffusion des protocoles et dossiers médicaux communs CHM-PMI-professionnels de santé libéraux et soutien au dossier médical commun ; réalisation d’un annuaire guide des professionnels de la périnatalité à Mayotte ; création d’un registre des malformations ; minibus d’information, de prévention et de consultations d’orientation (la « Répémobile ») ; réalisation d’outils de prévention (vidéos, plaquettes, site internet, soutien événementiel…), etc.

Le REPEMA, financé par l’agence régionale de santé (ARS) Océan indien, s’inscrit dans un partenariat large, en lien avec l’ensemble des professionnels et des organismes de santé agissant autour de la naissance et de la petite enfance : CHM, PMI, réseaux et associations locales , infirmier.e.s, infirmier.e.s scolaires, puéricultrices, psychologues, sages-femmes, diététiciennes, ostéopathes, libéraux, etc.

Le réseau REDECA (réseau de dépistage des cancers) mène par ailleurs des actions de dépistage du cancer du col de l’utérus, avec un camion itinérant de dépistage à travers le territoire, avec des résultats très positifs, et des actions d’information et de sensibilisation en porte-à-porte.

LE RÉSEAU DE SANTÉ POUR LE DÉPISTAGE ORGANISÉ DES CANCERS (REDECA)

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Vos rapporteures ont également eu connaissance des actions menées par le Planning familial, situé dans la commune de Sada, dont les moyens sont toutefois limités (deux salariés et cinq membres actifs bénévoles), avec aussi des difficultés pour pouvoir intervenir sur l’ensemble du territoire (y compris pour des questions matérielles de véhicule). La nécessité de développer les actions d’informations et de planification familiale a également été soulignée lors de la visite du centre hospitalier de Mamoudzou (CHM), et à cette occasion vos rapporteures ont pris connaissance avec intérêt d’un projet de série télévisée, en format « télénovelas », visant à promouvoir les droits des femmes, lutter contre les violences et développer l’éducation à la santé.

Le projet de série télévisée « Limbala » pour promouvoir les droits des femmes, lutter contre les violences et développer la prévention et l’éducation à la santé

Dans le contexte particulier de l’île de Mayotte – où les flux migratoires importants en provenance des Comores, associés à la départementalisation récente de l’île, transforment rapidement le profil démographique, ainsi que le tissu social, économique urbain et culturel de l’île –  une première enquête de dépistage des violences faites aux femmes a été réalisée en octobre 2014 [cf. infra]. Les résultats ont notamment mis en évidence la nécessité de développer des stratégies de prévention des violences et d’éducation pour la santé dans un format audio-visuel, en langues locales, familier et divertissant, afin de contourner les barrières notamment linguistiques qui constituent un frein à l’information des populations vulnérables et non francophones de l’île. En effet, compte tenu de la proportion encore significative d’illettrisme, les stratégies de prévention et d’éducation à la santé, de même qu’en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, ne sauraient se fonder uniquement sur des supports de prévention traditionnels, tels que les affiches ou les brochures d’information.

Limbala est un projet de série télévisée mahoraise en format sitcom/télénovelas, divertissement populaire largement suivi à Mayotte, qui est conçu et sera diffusé en langues régionales (shimaoré et shibushi, sous-titré en français). Ce projet est actuellement dans sa phase de développement et a déjà bénéficié d’un financement de l’Agence régionale de santé (ARS de Océan indien, de la Délégation Régionale aux roits des Femmes (DRDFE), et du Centre Hospitalier de Mayotte. Un accord de diffusion a été obtenu avec Mayotte 1ère. Ce projet de série est élaboré collectivement avec l’ensemble des acteurs institutionnels et associatifs impliqués sur les questions de la santé et des droits des femmes, et de façon participative à toutes les étapes d’élaboration du projet, en vue de promouvoir les droits et la santé des femmes et la lutte contre les violences faites aux femmes à Mayotte et dans les Comores. Ce projet constitue une expérimentation pilote avec une ambition de qualité de réalisation et de production, qui pourrait lui permettre d’être diffusé dans d’autres DOM TOM, mais également reproduit en direction de certains territoires et populations cibles en France métropolitaine. Limbala ! (Debout !) va suivre la vie d’une adolescente et de sa bande d’amis de Cavani, quartier animé de Mamoudzou. Les thématiques abordées sont : la différence le vivre ensemble et valorisation de la vie scolaire ; pédocriminalité ; prostitution, échanges économico-sexuels ; grossesse chez les mineurs ; violences sexuelles ; violences conjugales ; VIH, Infections sexuellement transmissibles ; contraception, avortement et polygamie.

Source : note de présentation du projet « Limbala, debout ! » transmise par Mme Valérie Thomas, médecin urgentiste au CHM (mai 2016)

● Recommandations de la mission

Plusieurs mesures pourraient être envisagées dans ce domaine :

– réaliser une enquête sur la santé des femmes, et publier tous les cinq ans un « Baromètre Santé Mayotte » comportant des données sexuées ;

– développer l’attractivité du territoire pour les professionnels de santé, en particulier libéraux (maisons de santé, aides à l’installation, etc.), et développer la télémédecine, pour concourir au désenclavement du territoire ;

– remédier aux difficultés administratives d’affiliation à la sécurité sociale, et examiner les conditions de mise en œuvre de la CMUc, dans le cadre de la départementalisation de Mayotte ;

– soutenir et amplifier l’action du Planning familial, notamment en vue de la création d’autres antennes territoire, encourager la création de centres de planification et d’éducation familiale (CPEF) et renforcer les PMI, avec le soutien du conseil départemental ;

– améliorer l’accès et l’information des femmes concernant leurs droits sexuels et reproductifs ;

– développer les actions d’information et d’éducation à la santé adaptées aux spécificités locales (affiches, langues, etc.) et apporter en particulier le soutien nécessaire à la conduite du projet « Limbala ».

B. LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET LA PROSTITUTION

1. La prévalence des violences à Mayotte et leur prise en charge : les principaux éléments recueillis au cours de la mission

La question des violences faites aux femmes a été évoquée à plusieurs reprises, notamment lors des échanges avec le président du tribunal de grande instance (TGI) de Mamoudzou, M. Laurent Sabatier, le procureur de la République, M. Joël Garrigue, la présidente de l’Association pour la condition féminine et l’aide aux victimes (ACFAV), Mme Faouzia Cordji, et des professionnelles de santé au centre hospitalier de Mamoudzou, outre la déléguée aux droits des femmes, Mme Noera Mohamed. Il en ressort principalement les éléments suivants.

● Un phénomène mal connu : des données parcellaires qui suggèrent de situations de violence plus fréquentes qu’en métropole

Au début des années 2000, des enquêtes réalisées dans certains territoires ultramarins ont fait apparaître une plus forte prévalence des violences faites aux femmes par rapport à la métropole. Cependant, ni l’enquête nationale sur les violences faites aux femmes de 2000 (ENVEFF), ni la nouvelle enquête VIRAGE (Violence et rapports de genre) n’ont inclus Mayotte dans leur champ.

Les violences faites aux femmes restent ainsi difficiles à quantifier à Mayotte. Le plan régional stratégique pour l’égalité-femmes 2012-2014 soulignait à cet égard que seule l’association ACFAV est en mesure de fournir des données transversales. Or celles-ci sont biaisées puisqu’elles ne concernent par définition que les personnes qui ont sollicité l’association.

En tout état de cause, il apparaît que les victimes de violences sont relativement jeunes et souvent sans emploi ou ayant de faibles ressources, en particulier des étrangères en situation irrégulière. Les violences conjugales surviendraient notamment suite à des demandes de participation aux charges familiales, à des problèmes de garde d’enfant ou de pensions alimentaires. Au cours d’échanges avec des professionnelles de santé, il a également été signalé des viols de mineurs par des groupes de jeunes.

Violences faites aux femmes : les données de l’Association pour la condition féminine et l’aide aux victimes (ACFAV)

En 2010, l’Association pour la condition féminine et CFAV a ouvert 153 dossiers liés à des violences sexuelles et/ou familiales, en hausse par rapport à 2008 (90 cas). Les victimes sont relativement jeunes : 61,4 % des victimes ont entre 26 et 39 ans , les 19-25 ans représentent quant à eux 28,19 % et les 15-18 ans 13,9 %. Les victimes des violences sont essentiellement des femmes sans ressoures ou à faible revenu : ainsi 45 % des femmes sont sans emploi. La majorité des faits dénoncés concernent :

– les violences volontaires (70 cas) : les victimes sont en grande majorité des mères de familles et les violences se produisent très souvent dans le cadre conjugal (49 cas sur les 70 cas enregistrés) ; elles surgissent souvent suite à une demande de contribution ou de participation aux charges familiales, les problèmes de garde d’enfants ou de pension alimentaire pouvant également être sources de conflit ; souvent, ce sont des femmes en situation irrégulière mariées à des Français (Mahorais ou autres), l’agresseur exerçant des pressions en s’appuyant sur le statut administratif de la victime ;

– les agressions sexuelles : 12 cas de viols en 2010 et 14 autres infractions sexuelles portées à la connaissance de l’ACFAV, dont 25 % sur des jeunes filles entre 15 et 18 ans. Dans tous les cas, les parents ont porté plainte avant de solliciter l’ACFAV. Dans certains, les familles sont tentées d’obtenir des arrangements avec l’agresseur de leur enfant afin de « sauver l’honneur de la fille » et, cas d’échec, ils dénoncent les faits. Lors de l’entretien du 12 novembre 2015, la présidente de l’ACFAV a souligné la progression des viols sur mineurs depuis quelques années.

Source : ACFAV et PRS 2012-2014

La gendarmerie et la police disposent par ailleurs de chiffres sur les agressions physiques, mais, d’une part, et comme en métropole, ils ne traduisent qu’une partie des violences (cf. infra), et d’autre part, il semblerait que les plaintes soient souvent retirées, par peur de représailles du conjoint notamment (50).

Enfin, au cours de la visite de l’hôpital de Mamoudzou (CHM), l’attention de vos rapporteures a été appelée par Mme Valérie Thomas, médecin urgentiste et par ailleurs membre de l’association de Woman Act now, sur la première enquête de dépistage des violences faites aux femmes (51), réalisée en octobre 2014, qui a permis d’estimer pour la première la fréquence des situations de violences à Mayotte, et dont les résultats apparaissent préoccupants. Selon ces données, la fréquence des violences serait ainsi plus élevée qu’en métropole.

Les résultats de l’enquête de dépistage des violences faites aux femmes à Mayotte (DEVIFF) réalisée en 2014, évoquée lors du déplacement au CHM

« Une première enquête de dépistage des violences faites aux femmes a été réalisée en octobre 2014. Les femmes qui consultaient dans l’ensemble des lieux de soins non programmés de l’île (dispensaires, PMI, hôpitaux de référence, services d’urgences générales et gynécologiques, réseau cancer et périnatalité et consultation d’orthogénie), pour quelque motifs que ce soit sur une période courte (enquête flash). Elles ont été interrogées par les professionnels de santé sur leur exposition à des violences. 1 133 questionnaires ont été exploités dans le cadre de cette étude.

Cette enquête a mis en évidence des situations de violence plus fréquentes qu’en métropole : 41,7 % des femmes ont déclaré au moins un type de violence ; 35,8 % des violences verbales ; 19,2 % des violences physiques, et 12,4 % des violences sexuelles.

Ces violences surviennent précocement dans la vie (24,5 % de violences physiques et 11,5% de violences sexuelles déclarées par les 16 à 18 ans). La polygamie, toujours présente à Mayotte, est également associée au risque de déclarer plus de violences.

La population de femmes interrogées était en grande difficulté sociale avec 73,7 % d’entre elles qui déclarent être sans activité professionnelle, 50,7 % sans sécurité sociale, 68,4 % de nationalité étrangère (65 % comorienne). 49,8 % ont besoin d’un ou une interprète au moment du questionnaire car ne parlent pas français. Les résultats ont également mis en évidence la nécessité de développer une stratégie de prévention des violences et d’éducation pour la santé dans un format audio-visuel, en langues locales, familier et divertissant, afin de contourner les barrières notamment linguistiques qui constituent un frein à l’information

Ces derniers résultats permettent de souligner les obstacles à une prévention efficace. La barrière de la langue et un rapport à l’écrit complexe – puisque les femmes non francophones ne lisent pas le français et parlent une ou plusieurs langues qui ne s’écrivent pas – rendent peu opératoires la plupart des outils écrits de prévention et d’éducation pour la santé (flyers, dépliants, campagnes d’affichage). S’ajoute à ces obstacles une distance socio-culturelle patients-soignants particulièrement visible, avec une majorité de soignants jeunes, métropolitains, et présents de façon transitoire sur l’île. Peu d’espaces de mixité sociale ont été identifiés. Renouveler les stratégies de communication afin d’atteindre le plus grand nombre paraît être à ce stade une priorité.

Source : entretien des rapporteures au Centre hospitalier de Mamoudzou (CHM), le 12 novembre 2015, et note transmise en janvier 2016 par Valérie Thomas sur le projet de série télévisée « Limbala, Debout » (cf. supra)

● Prise en charge des violences et « arrangements » avec les agresseurs

En matière de violences, 122 plaintes ont été déposées en 2015 (52), mais comme en métropole, ce chiffre ne donne qu’une vision parcellaire de la réalité car de nombreuses victimes n’osent pas porter plainte, par honte ou par crainte de représailles. À Mayotte toutefois, ces difficultés sont accrues par certaines représentations sociales et culturelles, liées au primat du groupe sur l’individu et l’importance de la famille au sens large, mais aussi la persistance de pratiques visant, pour les familles, à rechercher un « arrangement » avec l’agresseur, autrement dit un dédommagement, ou même parfois un mariage avec la victime de violence sexuelle. Dans ce domaine, il arrive ainsi que les familles ne s’adressent à la police que lorsqu’aucun arrangement n’a été trouvé.

Violences sexuelles à Mayotte : « faire payer le violeur, la négociation »

« Le viol et les violences sexuelles sont des phénomènes difficiles à quantifier à Mayotte dans la mesure où, hormis quelques affaires retentissantes, ils semblent sous-déclarés. Selon la norme mahoraise, tout ascendant a du pouvoir sur les plus jeunes et en particulier les grands-parents (ou ceux qui en ont le statut) ont le droit de s’appropier le corps des petits-enfants (ou de ceux qui en ont le statut). Dans ce contexte, les attouchements ou les plaisanteries des hommes comme des femmes d’âge mûr vis-à-vis des enfants sont fréquents. Cette tradition renforce l’idée qu’un adulte qui commet des attouchements, que la loi française désigne comme un abuseur, aurait "initié" l’enfant et qu’il est donc dans son droit. Et si la famille s’en plaint, il peut "réparer" par le paiement d’un dédommagement afin que l’affaire ne soit ni ébruitée, ni portée en justice.

Ce qui nous intéressera ici est le mode de résolution traditionnel des violences sexuelles et des viols. Selon nos informateurs, la plupart du temps une compensation financière est versée par l’auteur du viol à la famille de la victime, pour réparer l’honneur bafoué de la femme ou de la jeune fille. Il semblerait que c’est seulement lorsque cette compensation ne parvient pas à être négociée qu’une plainte est déposée, comme le soulignent les auteurs du Plan régional stratégique 2012-2014 en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes. " Dans certains cas, les familles sont tentées d’obtenir des arrangements avec l’agresseur de leur enfant afin de "sauver l’honneur de la fille", en cas d’échec ils dénoncent les faits. (…) Les familles ne viennent à la gendarmerie ou la police que lorsqu’aucun arrangement n’a été trouvé avec l’agresseur..." (préfecture de Mayotte).

Source : étude précitée sur la prostitution, les échanges économico-sexuels et la prévention du VIH à Mayotte (2013)

● Prostitution et échanges économico-sexuels

En matière de prostitution, la situation est mal connue à Mayotte et recouvre des aspects très divers : prostitution dans certains quartiers de Mamoudzou notamment, prostitution cachée, dans les maisons ou bangas, prostitution occasionnelle de femmes ou filles poussées par la nécessité, et plus largement, échanges économico-sexuels (toutes les formes de sexualité qui font l’objet d’un échange monétaire ou matériel).

Il s’agit notamment de femmes étrangères sans-papiers, qui n’ont pas accès à l’emploi, mais aussi de jeunes filles en rupture scolaire ou familiale qui acquièrent une autonomie financière et donc une indépendance vis-à-vis de leurs parents. Il a également été signalé au cours de la mission des sollicitations de jeunes filles par des hommes devant des établissements scolaires.

Le Planning familial est le principal partenaire de l’opération « Belle de nuit » (maraude et distribution de moyens de protection), organisée avec le soutien de la Délégation aux droits des femmes. En présentant l’ensemble des actions menées par le Planning, situé dans la commune de Sada, sa présidente a souligné la nécessité d’accompagner à la sortie de la prostitution, ainsi que les difficultés liées à au manque de ressources (moyens humains, transports, achat des préservatifs, etc.). Par ailleurs, la prostitution n’est pas encore véritablement prise en charge par les associations, tels que le Mouvement du Nid ou d’autres en métropole.

2. Les initiatives locales et recommandations des rapporteures

Plusieurs actions ont été mises en œuvre à Mayotte pour lutter contre les violences faites aux femmes, en particulier :

– le lancement, en novembre 2010, d’une ligne téléphonique d’information sur le modèle du « 39 19 » en métropole : le « 55 55 » a été mis en place par l’ACFAV, avec toutefois des moyens limités (une seule personne gérait ce numéro fonctionnant 24 heures sur 24, en même temps qu’elle exerçait ses fonctions d’assistant juridique) ; cette initiative mérite d’être saluée dans la mesure où une majorité de la population ne parle pas français ;

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– un protocole départemental de lutte contre les violences faites aux femmes a été signé le 20 novembre 2012 entre les partenaires institutionnels et associatifs, et définit un partenariat entre les instances médicales, judiciaires et sociales ;

– une procédure et un « kit de prise en charge » des violences ont été mis en place au Centre hospitalier de Mamoudzou (CHM), avec notamment des actions de formation en direction des professionnels de santé et un travail mené avec les forces de l’ordre ; vos rapporteures ont également pu visiter la salle Mélanie à l’hôpital de Mamoudzou, pour l’accueil des femmes victimes de violences et des enfants ;

– enfin, vos rapporteures saluent l’élaboration d’un guide sur les violences par le centre départemental d’accès aux droits (CDAD), dont vos rapporteures ont eu connaissance dans le prolongement de l’entretien avec M. Laurent Sabatier, président du tribunal de grande instance (TGI) de Mamoudouzou et président du CDAD.

Réactualisant l’édition précédente, datant de 2003, ce guide synthétique, édité à 3 000 exemplaires et distribué dans les dispensaires, hôpital, associations, etc. a été traduit dans la langue locale principale (shimaoré). Il s’agit d’une initiative de la déléguée droits des femmes, ce guide ayant été élaboré par le CDAD et financé conjointement (53). Le lancement du guide le 9 décembre 2015 a été très bien couvert par la presse écrite et audio-visuelle, avec un leitmotiv : « La peur doit changer de camp, et donc notre action doit être comprise, générer la confiance de la victime et la crainte des auteurs d’infractions ».

BONNE PRATIQUE : LE GUIDE SUR LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES RÉALISÉ PAR LE CENTRE DÉPARTEMENTAL D’ACCÈS AU DROIT DE MAYOTTE (CDAD)
EN SHIMAORÉ ET EN FRANÇAIS (DÉCEMBRE 2015)

● Recommandations de la mission

Vos rapporteures préconisent de :

– prévoir une déclinaison de l’enquête VIRAGE (Violences et rapports de genre) à Mayotte pour disposer de données plus précises sur les violences faites aux femmes, comme sur le reste du territoire des données ;

– veiller à la mise en place d’une unité médico-légale (UMJ), comme cela a été évoqué par plusieurs professionnelles de santé ;

– prévoir des crédits fléchés pour financer des campagnes de communication déclinées localement (spots TV, affiches), dans la mesure où les représentations sociales ne sont pas les mêmes, et souvent, les affiches utilisées en métropole ne peuvent l’être à Mayotte ;

– apporter l’appui nécessaire au fonctionnement de la ligne téléphonique 55 55 et développer l’hébergement d’urgence ;

– mettre en œuvre les dispositions prévues par la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, intensifier la lutte contre les réseaux de prostitution, et encourager la mobilisation d’associations sur cette thématique.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

PILOTAGE, ORGANISATION ET MOYENS DE LA POLITIQUE D’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES À MAYOTTE

1. Développer la formation des agentes et agents chargés de la gestion des fonds structurels européens ainsi que les actions d’information en direction des élues et élus, du secteur associatif et des entreprises, en particulier sur le Fonds social européen (FSE), qui peut soutenir des projets concourant à faire progresser l’égalité femmes-hommes.

2. Développer les statistiques sur Mayotte ainsi que le recueil de données sexuées, en particulier en matière de violences faites aux femmes, en prévoyant l’extension à Mayotte du champ de l’enquête nationale VIRAGE, mais aussi concernant la santé des femmes, les mineures isolées, etc.

3. Renforcer la visibilité et le positionnement de la délégation aux droits de femmes de Mayotte (préfecture).

4. Développer l’information des Mahoraises sur leurs droits, avec par exemple des fiches de synthèse (le cas échéant traduites en langues locales) sur les grands thèmes (emploi, violences, santé…), avec les principaux éléments du droit applicable, les aides existantes et la liste des organismes concernés.

5. Procéder d’ici la fin de l’année à l’évaluation du plan régional stratégique pour l’égalité femmes-hommes (PRS) 2012-2014 pour en tirer tous les enseignements utiles, y compris en termes de pilotage, pour le plan égalité prévu par « Mayotte 2025 », et diffuser les bonnes pratiques repérées.

6. Communiquer sur ce nouveau plan d’action pour l’égalité et veiller à l’association des parties prenantes, et en particulier des associations de femmes, à l’élaboration et à l’évaluation régulière du plan.

Dans ce sens, il pourrait être envisagé d’élaborer un tableau de bord avec une sélection d’indicateurs pour suivre l’avancement de celui-ci par rapport aux objectifs prioritaires assignés, et d’organiser chaque année (à l’occasion de la journée des droits des femmes par exemple) une manifestation publique, ouverte à la société civile, pour présenter les principales avancées et, le cas échéant, les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du plan d’action, afin de mieux faire connaître l’action des pouvoirs publics en faveur de Mayotte, et encourager la mobilisation de toutes et tous pour faire progresser l’égalité.

PRIORITÉS SECTORIELLES POUR PROMOUVOIR L’AUTONOMIE ET LES DROITS DES MAHORAISES

ü Améliorer le système éducatif et lever les freins à l’emploi

7. Développer la scolarisation en maternelle, en concentrant dans un premier temps les efforts sur les enfants âgés de 3 à 6 ans, mais aussi ultérieurement, et comme c’est le cas en métropole, en permettant un accueil des enfants de moins de trois ans, notamment pour que les enfants soient plongés dans un « bain linguistique » français dès le plus jeune âge.

8. Plus largement, maintenir le niveau d’investissement dans les infrastructures scolaires (constructions et rénovations d’établissements) afin d’améliorer les conditions d’accueil des élèves, en vue de faire cesser les rotations scolaires dans le premier degré et d’accueillir tous les enfants en âge d’être scolarisés, comme le prévoit le plan Mayotte 2025.

À cette fin, et dans le prolongement des recommandations récentes de la Cour des comptes, maintenir l’engagement de l’État en matière de gestion des collèges et lycées et, compte tenu de l’urgence de réaliser les constructions scolaires, prévoir la mise en place par l’État, dans le cadre d’une maîtrise d’ouvrage déléguée, d’une agence technique susceptible de pallier l’absence de capacité technique des communes.

9. Développer la production de statistiques sexuées et mener des études de cohorte, pour suivre le parcours des élèves, y compris lorsqu’ils partent de Mayotte pour étudier en métropole.

10. Développer l’apprentissage à Mayotte et veiller à la prise en compte des besoins actuels et futurs de l’économie locale dans l’offre de formation.

11. Poursuivre et amplifier les actions engagées afin de mieux faire connaître les différents métiers, avec l’organisation régulière de campagnes visant à diversifier les choix d’orientation des jeunes filles (par exemple, inviter des cheffes d’entreprises à venir présenter leur métier, au regard de l’importance des « rôles modèles » en matière d’égalité), et veiller en particulier à la mise en œuvre du parcours individuel, d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel (« parcours Avenir »), inscrit dans la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École.

12. Veiller à l’éducation civique et l’apprentissage des valeurs de la République (laïcité, égalité, etc.), et développer en particulier les actions visant à apprendre le respect de l’autre et l’égalité des sexes, ainsi que la formation des enseignant.e.s dans ce domaine, en veillant aussi à la mise à disposition de matériels pédagogiques adaptés (livres et manuels scolaires).

13. Développer l’offre de transports en commun et faciliter l’accès au permis de conduire, en diligentant à cette fin une enquête pour identifier les freins (en termes de coût, de formation, de nombre d’inspecteurs, etc.) et les moyens d’y remédier.

14. Organiser l’accueil des jeunes enfants, de façon souple et diversifiée, en prenant en compte les besoins des familles (emploi à domicile, garde partagée, crèches municipales, crèches familiales, classes passerelles, etc.), et en particulier : mettre en place rapidement les dispositions applicables en métropole en matière d’assistantes maternelles agrées ainsi que les aides telles que le complément mode de garde (CMG) dans le cadre de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) ; concernant les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE : crèches), pour éviter des blocages liés aux difficultés financières des communes, majorer la proportion habituelle de cofinancement par la caisse d’allocations familiales (caisse de sécurité sociale de Mayotte – CSSM) ou prévoir une prime d’aide à l’investissement ; développer la scolarisation des moins de 3 ans.

15. Ouvrir des établissements et services sociaux et médico-sociaux pour prendre en charge les personnes âgées et les personnes en situation de handicap (EHPAD, accueil de jour, aide à domicile, etc.), et flécher à cette fin une partie des crédits de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) avec des objectifs chiffrés et une programmation pluriannuelle, pour un déploiement progressif et soutenable des places d’accueil sur le territoire.

16. Développer des ateliers de lutte contre l’illettrisme en direction des adultes ainsi que des « écoles de parents ».

17. Pour soutenir la création d’entreprises, remédier aux difficultés d’application à Mayotte du contrat d’appui à un projet d’entreprise (CAPE), pourtant inscrit dans le code du travail de Mayotte depuis juillet 2014 et applicable en métropole.

18. Développer l’accès à la qualification et la reconnaissance des acquis de l’expérience, procéder à un suivi sexué régulier en matière de formation professionnelle continue (nombre de bénéficiaires et financements accordés) et veiller à la mise en œuvre du compte personnel d’activité (CPA).

ü Améliorer la santé des Mahoraises et renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes

20. Réaliser une enquête sur la santé des femmes, et publier tous les cinq ans un « Baromètre Santé Mayotte » comportant des données sexuées.

21. Développer l’attractivité du territoire pour les professionnels de santé, en particulier libéraux (maisons de santé, aides à l’installation, etc.), et développer la télémédecine, pour concourir au désenclavement du territoire.

22. Remédier aux difficultés administratives d’affiliation à la sécurité sociale, et examiner les conditions de mise en œuvre de la CMUc, dans le cadre de la départementalisation de Mayotte.

23. Soutenir et amplifier l’action du Planning familial, notamment en vue de la création d’autres antennes territoire, encourager la création de centres de planification et d’éducation familiale (CPEF) et renforcer les PMI, avec le soutien du conseil départemental.

24. Améliorer l’accès et l’information des femmes concernant leurs droits sexuels et reproductifs.

25. Développer les actions d’information et d’éducation à la santé adaptées aux spécificités locales (affiches, langues, etc.) et apporter en particulier le soutien nécessaire à la conduite du projet « Limbala ».

De même, en matière de violences notamment, prévoir des crédits fléchés pour financer des campagnes de communication déclinées localement (spots TV, affiches), dans la mesure où les représentations sociales ne sont pas les mêmes, et souvent, les affiches utilisées en métropole ne peuvent l’être à Mayotte.

26. Outre la déclinaison de l’enquête VIRAGE (Violences et rapports de genre) à Mayotte, évoquée plus haut, pour disposer de données plus précises sur les violences faites aux femmes comme sur le reste du territoire, veiller à la mise en place d’une unité médico-légale (UMJ), apporter l’appui nécessaire au fonctionnement de la ligne téléphonique 55 55 et développer l’hébergement d’urgence.

27. Mettre en œuvre les dispositions prévues par la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, intensifier la lutte contre les réseaux de prostitution, et encourager la mobilisation d’associations sur cette thématique.

*

Orientations concernant d’autres politiques publiques et plus généralement la situation sociale et économique à Mayotte

28. Valoriser le fort potentiel touristique de Mayotte (formations, développement du parc hôtelier, etc.), et soutenir le développement d’infrastructures de transports (routes, outre les transports en commun évoqués plus haut) et numériques.

29. Développer l’offre de logement social.

30. Intensifier la lutte contre l’immigration clandestine et développer les actions de coopération avec les Comores.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes a examiné le présent rapport d’information au cours de sa réunion du mardi 28 juin 2016, sous la présidence de Mme Catherine Coutelle.

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. Nous examinons aujourd’hui le rapport d’information sur l’égalité entre les femmes et les hommes à Mayotte, suite à la mission que nous avons effectuée, avec Virginie Duby-Muller et Monique Orphé, corapporteures, du mardi 10 au samedi 14 novembre 2015, à la demande de M. Ibrahim Aboubacar, député de Mayotte, qui, ayant participé à l’élaboration du document stratégique « Mayotte 2025 », a souhaité approfondir plus précisément ce document, qui a « l’ambition d’achever la départementalisation, de définir les axes de développement stratégiques du territoire et d’en déterminer les priorités » et prévoit en particulier l’élaboration d’un plan d’action transversal pour l’égalité femmes-hommes, en soulignant qu’il s’agit d’une question cruciale pour l’avenir de Mayotte, « qui ne pourra se réaliser sans les femmes ».

Notre déplacement a eu lieu, par un hasard de circonstances, en même temps que la visite de la ministre des outre-mer, Mme George Pau-Langevin, visite qui a suscité une certaine effervescence, ce qui a entravé nos déplacements et nous a notamment empêchées de nous rendre, ainsi que nous le souhaitions, dans certains établissements scolaires. Nous sommes donc restées pour l’essentiel dans les environs de Mamoudzou et n’avons pu honorer la totalité de notre programme initial.

Nous avons été très bien reçues par la préfecture de Mayotte, ainsi que par les autorités judiciaires, et nous avons pu discuter très librement avec les membres de l’administration sur place, accompagnées par la déléguée régionale au droit des femmes, Noera Mohamed.

Mayotte est aujourd’hui sur la voie de la départementalisation, c’est-à-dire qu’elle est engagée dans un mouvement d’harmonisation de ses politiques qui doit composer avec les spécificités de l’île, dont la première est qu’il s’agit d’une société non pas matriarcale mais matrilocale, non dénuée néanmoins d’ambivalences quant à la place réservée aux femmes.

Dans une société matrilocale, ce sont les femmes qui héritent. Ainsi, à Mayotte, les filles sont dès leur naissance dotées d’un terrain pris sur les terres familiales où on leur construit une maison afin qu’elles s’y installent une fois mariées, sachant qu’il est impossible à une Mahoraise qui n’est pas mariée, même si elle est trentenaire, de vivre seule, hors de la maison parentale. Une fois mariée, elle s’installera avec son époux dans la maison dont elle a hérité, certes, mais qui, d’une certaine manière, la maintient dans le giron familial, ce qui n’est pas toujours gage d’indépendance.

La seconde spécificité de Mayotte est le fort poids qu’y ont l’Islam et ses traditions, ainsi que la persistance d’un droit local, malgré les réformes en cours. Ainsi, même si la polygamie n’y est plus autorisée depuis 2005, ceux qui vivaient sous un tel statut avant le changement de régime, peuvent le conserver. La justice cadiale – rendue par les cadis –a en revanche été supprimée au profit de la justice ordinaire, les cadis n’ayant plus désormais qu’un rôle de médiateurs.

Au plan linguistique, le français n’est pas la première langue parlée à Mayotte, où l’on parle prioritairement le shimaoré et le kibushi ; seule une personne sur dix a le français comme langue maternelle. C’est une donnée importante car les campagnes d’information, lancées par les ministères – par exemple les campagnes en faveur de la contraception – reposent souvent sur des messages écrits, alors qu’une partie de la population est illettrée ; elles sont d’autre part le plus souvent en français, langue que beaucoup de Mahorais ne maîtrisent pas. Il est donc important que ces campagnes d’information se fassent en shimaoré, afin qu’elles puissent toucher leurs destinataires.

Il faut enfin insister sur l’importante pression démographique. Mayotte, où la densité de population atteint 570 habitants au kilomètre carré, est le département le plus jeune de France : 50 % de la population y a moins de dix-sept ans, et elle est passée de 20 000 à 212 000 personnes entre 1960 et 2012, progression qui s’explique par un fort taux de fécondité malgré les campagnes antinatalistes comme la campagne « 1, 2, 3 bass » – 1, 2, 3, ça suffit –, incitant à limiter le nombre d’enfants à trois par femme, sachant que la natalité est surtout alimentée par l’immigration en provenance des Comores de femmes qui ont en moyenne beaucoup plus que trois enfants.

Cette immigration clandestine est pour beaucoup dans les tensions que j’ai évoquées au début de mon propos, tensions qui semblent s’être aggravées depuis. Les Mahorais ont en effet une position ambiguë par rapport à l’immigration comorienne, à laquelle les lient des liens de parenté séculaires et dans laquelle il puisse de la main d’œuvre, tout en dénonçant l’afflux de clandestins qui pèse sur l’économie du département.

Les crédits de la délégation aux droits des femmes de Mayotte ont sensiblement progressé depuis 2010, grâce notamment à une augmentation significative en 2012, et il est important que ses moyens soient renforcés, car la délégation est un vecteur très important de l’amélioration de la condition des femmes.

Mme Virginie Duby-Muller, corapporteure. La seconde partie du rapport est consacrée aux priorités identifiées par la mission et aux différentes mesures sectorielles susceptibles d’être mises en œuvre en vue de faire progresser les droits des Mahoraises et l’égalité entre les femmes et les hommes. Ces priorités sont les suivantes : l’éducation et l’accès à l’emploi, d’une part, pour soutenir l’autonomie des femmes ; la santé et la lutte contre les violences faites aux femmes, d’autre part, pour garantir le respect de leurs droits les plus élémentaires.

S’agissant de la nécessité d’améliorer le système éducatif à Mayotte, nous avons pu constater, lors de notre déplacement sur l’île, qu’elle se heurtait à de nombreuses difficultés, même s’il faut souligner les importants progrès intervenus depuis plusieurs années dans ce domaine. Ainsi, entre 1973 et 2014, les effectifs scolarisés dans le premier et le second degrés ont été multipliés par trente, passant de 2 884 en 1973 à environ 87 500 élèves en 2014, alors que, dans le même temps, la population de l’île était « simplement » multipliée par cinq.

Des moyens importants ont été consacrés au développement rapide des infrastructures scolaires : sur dix ans, le budget de l’État consacré à l’éducation nationale est passé de 107 à 377 millions d’euros, soit une hausse de 251 %. Néanmoins, de gros retards demeurent par rapport à la métropole, notamment dans le domaine de l’accueil des enfants : ainsi, bien qu’ayant doublé en dix ans, le taux de scolarisation en maternelle s’élève à 63 %, contre 100 % en métropole, un système de rotation des classes ayant par ailleurs dû être mis en place. Les résultats aux examens nationaux, baccalauréat et brevet, restent également, malgré une progression sensible, très inférieurs à ceux de la métropole, du fait notamment d’une insuffisante maîtrise du français.

S’agissant plus particulièrement des jeunes filles, elles se heurtent à des difficultés liées à leur orientation et au poids des représentations sociales. En conséquence, les femmes, scolarisées plus tardivement, sont surreprésentées parmi les personnes ne maîtrisant pas les compétences de base à l’écrit en français, ce qui représente à l’évidence un handicap en termes d’insertion professionnelle.

Compte tenu de cette situation et à la lumière des différentes initiatives locales intéressantes menées depuis quelques années – je pense en particulier à « Marraines en action », ce collectif qui travaille sur l’égalité filles-garçons –, nous préconisons, outre le renforcement de la lutte contre l’immigration clandestine, plusieurs mesures, au premier rang desquelles, le développement de la scolarisation en maternelle, afin que les enfants s’immergent le plus tôt possible dans un bain linguistique français ; il importe pour cela de maintenir les efforts engagés notamment en matière d’infrastructures afin de faire cesser les rotations.

Il faut également poursuivre et amplifier les actions engagées afin de mieux faire connaître les différents métiers, organiser pour cela des campagnes d’information régulières – parcours Avenir ou invitation de cheffes d’entreprises en milieu scolaire, entre autres – pour aider les jeunes filles à diversifier leurs choix d’orientation.

Le développement de l’éducation civique et l’apprentissage des valeurs de la République, parmi lesquelles le respect de l’autre et l’égalité des sexes, sont enfin essentiels.

En matière d’emploi ensuite, l’un des points positifs est que les Mahoraises sont davantage présentes sur le marché du travail et également très actives dans la création d’entreprises – Mayotte est ainsi le deuxième département français pour l’entreprenariat féminin. Mais elles sont plus souvent confrontées au chômage que les hommes, et leur taux d’emploi n’est que de 28 %, contre 46,5 % pour les hommes.

Poux lever les freins à l’emploi, il est d’abord nécessaire de développer les services, en matière notamment d’accueil du jeune enfant, de façon souple et diversifiée – assistantes maternelles, crèches municipales ou parentales, etc. –, afin de s’adapter aux besoins des familles. Nous formulons plusieurs pistes concrètes en ce sens, ainsi qu’en matière d’accueil des personnes en situation de handicap et des personnes âgées dépendantes.

Parallèlement, les actions de lutte contre l’illettrisme doivent être développées, ainsi que l’accès à la qualification et à la formation professionnelle continue. La question de la mobilité est aussi essentielle : il faut faciliter l’accès au permis de conduire et développer les transports en commun.

D’autres mesures pourraient également être envisagées en matière de logement social, ou encore pour soutenir le développement économique durable du territoire – nous pensons notamment à la valorisation du potentiel touristique ou au développement des infrastructures numériques.

Un mot enfin sur nos principales conclusions en matière de santé et de violences faites aux femmes, domaines dans lesquels nous avons pu constater un certain nombre d’initiatives locales particulièrement intéressantes.

Une enquête sur la santé des femmes est nécessaire, mais aussi la publication tous les cinq d’un Baromètre santé Mayotte, comme celui que l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) réalise chaque année pour la métropole.

Des mesures s’imposent également pour développer l’attractivité du territoire aux yeux des professionnels de santé libéraux, trop peu nombreux sur l’île, soutenir l’action du planning familial, encourager la création de centres de planification et renforcer les PMI, sachant que le fléchage des fonds en la matière n’est pas toujours optimal.

Il convient par ailleurs d’améliorer l’information des femmes en matière de santé sexuelle et reproductive, et en particulier leur accès à la contraception. Des associations comme REDECA – réseau de dépistage des cancers – sont très dynamiques sur le terrain, mais il faut poursuivre les efforts pour développer des actions d’information et d’éducation à la santé bien adaptées aux spécificités locales. Un projet de telenovela locale, Limbala, autour de la question des violences faites aux femmes, est ainsi porté par l’hôpital de Mamoudzou et son personnel soignant.

En matière de violences faites aux femmes, nous devons également prévoir la déclinaison à Mayotte de l’enquête nationale VIRAGE, veiller à la mise en place d’une unité médico-judiciaire (UMJ) ainsi qu’au fonctionnement de la ligne téléphonique locale – 55-55 – et ouvrir pour les victimes des places d’hébergement d’urgence.

Il faut enfin que soient mises en œuvre les dispositions de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, et accompagner parallèlement les personnes prostituées, intensifier la lutte contre les réseaux, encourager la mobilisation des associations autour de cette problématique, très liée à la question de l’immigration clandestine depuis les Comores.

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. Notre délégation a reçu la porteuse du projet de telenovela, que nous soutenons auprès du ministère, et je confirme que les professionnels de santé de l’hôpital de Mamoudzou sont très engagés auprès des femmes, sachant qu’avec sept mille naissances par an, sa maternité est la plus importante de France. Ces professionnels ont en particulier attiré notre attention sur l’ampleur du phénomène des grossesses précoces : on m’a ainsi cité le cas d’une fillette d’une dizaine d’années qui commençait une grossesse. Il est d’autant plus essentiel de renforcer la protection des petites filles que, dans la plupart des cas, si la grossesse résulte d’un rapport sexuel intrafamilial, la famille préfère ne pas porter plainte et procéder plutôt à un arrangement.

Je tenais à dire pour conclure à quelle point cette mission a été intéressante et combien elle est importante pour rappeler que les territoires d’outre-mer ne doivent pas être les laissés-pour-compte de la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes et contre les violences sexistes. Les politiques et les lois qui s’appliquent en métropole doivent également s’appliquer outre-mer.

Nous avons rencontré des jeunes femmes mahoraises revenues vivre à Mayotte, après avoir fait leurs études en France, pour que leurs enfants grandissent sur l’île. C’est une des raisons pour lesquelles nous insistons sur le fait qu’il faut doter l’île en infrastructures scolaires, de la maternelle au collège, voire au-delà. C’est indispensable au développement de Mayotte, sachant que plus l’île se développera, plus le déséquilibre sera important avec les régions voisines, les Comores et Madagascar, et plus les phénomènes d’immigration seront importants.

Je crois au bout du compte que nous pouvons être fières de notre travail. Ibrahim Aboubacar nous a beaucoup aidées, ainsi que toutes les personnes qui nous ont très chaleureusement reçues. Nous avons rendu visite à des femmes travaillant dans les salines, dans l’artisanat, et nous sommes même fait maquiller à la mode mahoraise !

Mme Virginie Duby-Muller, corapporteure. Air Austral vient d’ouvrir un vol direct pour Mayotte, ce qui devrait contribuer, entre autres, au développement des échanges et du tourisme.

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. Les infrastructures restent malheureusement très en-deçà pour le moment des standards du tourisme contemporain. Ce qui est dommage car le développement du tourisme s’accompagnerait nécessairement de créations d’emploi. À cet égard, si la formation doit être calibrée pour répondre aux besoins de l’île, on peut également recommander qu’elle s’ouvre aux métiers du tourisme de manière à favoriser une offre, qui pourra ensuite susciter la demande.

La délégation a adopté le rapport d’information.

ANNEXES

ANNEXE  1 : PROGRAMME DE LA MISSION ET LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURES

MARDI 10 NOVEMBRE 2015 

12h35

Arrivée à l’aéroport de Pamandzi-Dzaoudzi, Mayotte (Petite Terre).

Accueil par Mme Laurence Raux, cabinet du préfet de Mayotte.

Association Mouzdalifa « Mbiwis».

16h30

Visite du nouveau centre de rétention administrative (CRA) de Pamandzi, avec la ministre des Outre-mer, Mme George Pau-Langevin.

20h

Dîner avec M. Seymour Morsy, préfet de Mayotte.


MERCREDI 11 NOVEMBRE 2015

8h00

Accueil par Mme Noéra Mohamed, déléguée régionale aux droits des femmes, Petite Terre.

8h30

Cérémonie de commémoration du 11 novembre, commune de Labattoir.

9h30

Table ronde avec des élues locales de Mayotte (conseillères municipales, maire, conseillères départementales)

12h

Déjeuner à la résidence du préfet avec  Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, M. Seymour Morsy, préfet de Mayotte, M. Ibrahim Aboubacar et M. Boinali Said, députés, M. Laurent Sabatier, président du tribunal de grande instance (TGI) de Mamoudzou, M. Joël Garrigue, procureur de la République à Mayotte, et Mme Sarah Mouhoussoune, conseillère muncipale de Bouéni, membre du Conseil économique, social et environnemental.

15h

Visite de l’écomusée du sel de Bandrélé (Grande Terre) et entretiens avec des femmes mahoraises travaillant la production artisanale de sel.

16h15

Rencontre avec Mme Tambati Moussa, présidente de l’association Ouzouri Wa Mtroumché, sur la culture mahoraise, à Bouéni.

19h00

Dîner avec M. Ibrahim Aboubacar, député, et quatre personnalités mahoraises : Mme Aminat Hariti, journaliste et entrepreneure, Mme Isabelle Chevreuil, présidente du conseil d’administration du centre universitaire et de recherche de Mayotte (CUFR) de Mayotte, expert-comptable, commissaire aux comptes, première Vice-présidente du Conseil économique et social (CESER), une responsable de l’antenne du Conservatoire du littoral à Mayotte, ayant par ailleurs travaillé auprès de l’Association pour la condition féminine et l’aide aux victimes de Mayotte, et Mme Safi Ait, responsable du service exploitation de l’organisation de transport et de logistique de Mayotte (OTL), à Mamoudzou.

JEUDI 12 NOVEMBRE 2015

8h – 11h

Déplacement au Centre hospitalier de Mayotte (CHM) :

– entretiens avec M. Etienne Morel, directeur de l’établissement du CHM, et Mme Juliette Corré, directrice de la délégation à Mayotte de l’Agence régionale de santé (ARS) de l’Océan indien ;

– visite de la maternité et de la pédiatrie, avec Mme Moendandze Zabibo, coordinatrice en maïeutique, au pôle gynécologie-obstétrique du CHM ;

– entretiens avec des personnels soignants, concernant notamment les violences faites aux femmes, en présence de Mme Valérie Thomas, médecin urgentiste ;

– visite de la salle Mélanie et présentation de la procédure "violences faites aux femmes" notamment aux mineurs.

11h - 12h

Déplacement au centre REDECA, association créée en 2009 dans l’objectif d’assurer la promotion, l’organisation et la gestion des programmes de dépistage des cancers (réseau de santé), concernant en particulier le dépistage du cancer du col de l’utérus. Échanges et visite.

12h30 -14h

Échanges avec des représentant.e.s du réseau de périnatalité de Mayotte –REPEMA (réseau de santé).

16h

Entretiens avec la présidente de l’Association pour la condition féminine et d’aide aux victimes (ACFAV), association de médiation et lutte contre les violences faites aux femmes

19h

Dîner avec des membres de l’Association des femmes leader de la vie publique à Mayotte.

   

VENDREDI 13 NOVEMBRE 2015

8h

Déplacement à l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE).

Échanges avec différents acteurs, et notamment le manager de l’agence de Mamoudzou, responsable ADIE Conseil, M. Dayranie Madi Oili, et son équipe.

Échanges avec la présidente d’Oudjérébou, couveuse d'entreprise, Mme Farah Hafidou.

10h30

Déplacement à l’association « Entreprendre au féminin ».

Échanges avec des membres de l’association à Mamoudzou.

14h

Table ronde sur le thème de l’éducation à la préfecture de Mamoudzou, avec plusieurs représentants de la jeune chambre économique, de la plateforme sur l’illetrisme, du cabinet MRS Conseil, Ligue de l’enseignement, du vice-rectorat (groupe de travail académique sur l’égalité filles-garçons).

16h30

Réunion à la préfecture de Mamoudzou sur l’accès à l’emploi des femmes, avec :

– Mme Nathalie Copin, directrice de Pôle Emploi

– M. Davide Bertelle, de l’Association pour l’insertion pour la promotion de l’insertion et de la formation professionnelle à Mayotte (APIFPAM)

18h

Entretien avec la présidente du Planning familial

SAMEDI 14 NOVEMBRE 2015

9 h

Visite du salon de l’agriculture à Mamoudzou, et entretiens avec des femmes agricultrices.

10h

Participation à la remise de l’ordre national du mérite à Mme Sophia Hafidou, présidente du Club Soroptimist à Mayotte, association féminine.

11h30

Entretien avec M. Bruno André, secrétaire général de la préfecture de Mayotte, sous-préfet.

13h40

Départ.

ANNEXE 2 : LA DÉPARTEMENTALISATION DE MAYOTTE

Sont reproduits ci-après des extraits du document de politique transversale (DPT) « Outre-mer », annexé au projet de loi de finances pour 2016 (octobre 2015), concernant la départementalisation de Mayotte.

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L’histoire de Mayotte et son évolution au cours des dernières décennies expliquent le choix des Mahorais de se doter d’un statut de département.

Française depuis 1841, Mayotte, lors du référendum de 1958 sur la Constitution, se déclare favorable au statut de département d’outre-mer.

Lors de l’indépendance des Comores, les Mahorais se prononcent à deux reprises en 1974 et en 1976 en faveur du maintien dans la République. Mayotte devient alors une collectivité d’outre-mer.

L’accord sur l’avenir de Mayotte de janvier 2000 entre l’État et les autorités politiques mahoraises, prévoit la création d’une collectivité départementale (loi du 11 juillet 2001) et engage un vaste mouvement de réformes législatives et d’extension du droit commun.

La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 inscrit Mayotte dans la Constitution. Elle devient une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution.

La loi du 21 février 2007 dispose que l’ensemble des lois et règlements s’appliqueront désormais à Mayotte, sauf dans six domaines (fiscalité, urbanisme, social, travail et emploi, entrée et séjour des étrangers, finances communales). Elle prévoit les conditions du passage de statut de collectivité de l’article 74 de la Constitution à celui de département prévu par l’article 73, et avance de 2011 à 2008 la possibilité de cette évolution.

Le gouvernement accélère le processus au début de 2008 et ouvre la voie à une résolution unanime du conseil général demandant l’organisation d’une consultation sur le statut de Mayotte.

La consultation des électeurs de Mayotte le 29 mars 2009 se traduit par un résultat de 95,2 % pour la création d’une collectivité unique de l’article 73, exerçant les compétences d’un département et d’une région.

La loi organique du 4 août 2009 tire les conséquences de ce vote en prévoyant la transformation de la collectivité départementale de Mayotte en Département de Mayotte, qui exercera les compétences d’un département et d’une région d’outre-mer, à compter du prochain renouvellement du conseil général, c’est-à-dire en mars 2011.

Le 31 mars 2011, le Département de Mayotte, 101ème français et 5ème d’Outre-mer est créé.

Auparavant, la publication de la loi simple et la loi organique du 7 décembre 2010 ont permis de mettre en œuvre le cadre de l’organisation et du fonctionnement du Département. Elles ont fixé les conditions et le calendrier du passage à l’identité législative pour l’ensemble du droit de façon progressive et adaptée, tout en prévoyant des adaptations et des dérogations dûment justifiées (par exemple le droit des étrangers reste dérogatoire et le droit social est mis en œuvre progressivement). Un travail interministériel intense de préparation des ordonnances étendant le droit commun à Mayotte a été engagé depuis janvier 2011.

Entre le 1er novembre 2011 et le 8 juin 2012, 23 ordonnances et de nombreux décrets d’application ont ainsi été publiés dans différents domaines, afin d’étendre et d’adapter à Mayotte le droit national. Dans le domaine social, l’ordonnance relative au développement de la sécurité sociale a notamment créé l’assurance invalidité, étendu la protection sociale aux non-salariés agricoles et amélioré progressivement les taux des prestations familiales.

L’assurance chômage est également développée et généralisée, le contrat unique d’insertion est créé. Le code de l’action sociale est désormais applicable à Mayotte, assorti d’adaptations. L’allocation de logement sociale a été créée et l’allocation de logement familiale a été améliorée, à partir du 1er janvier 2013, permettant de promouvoir la politique de logement social indispensable à Mayotte. Le code de la construction et de l’habitat, le code de commerce, le code rural, le code forestier, et le code de l’urbanisme ont été également étendus à Mayotte par ordonnances.

S’agissant du fonctionnement interne des institutions locales, la départementalisation a entraîné la mise en place d’un conseil général le 31 mars 2011 qui exerce progressivement la totalité des compétences des autres départements d’outre-mer et de métropole.

Quant aux 17 communes de Mayotte, la départementalisation s’est traduite par une évolution majeure puisque depuis le 1er janvier 2014, elles assument les mêmes compétences que les 36 000 communes de l’hexagone et des outre-mer, et bénéficient des mêmes ressources, assises sur la fiscalité locale et l’octroi de mer, comme prévu par l’ordonnance n° 2013-837 du 19 septembre 2013 relative à l’adaptation du code des douanes, du code général des impôts, du livre des procédures fiscales et d’autres dispositions législatives fiscales et douanières applicables à Mayotte.

La départementalisation s’accompagne donc de l’approfondissement de la décentralisation à Mayotte, qui se traduit par une évolution des relations, notamment budgétaires et financières, entre le Département et les communes.

Si, pour les anciens, la départementalisation est synonyme, au premier chef, de renforcement des liens historiques avec la France, les aspirations des jeunes portent également sur l’accès à de nouveaux droits économiques et sociaux et l’évolution de leur mode de vie, en phase avec celui de l’hexagone ou des DOM.

Les attentes concernent avant tout le domaine social et sociétal. La départementalisation est donc progressive et adaptée, afin de ne pas bouleverser les équilibres économiques et sociaux.

Outre l’augmentation des allocations versées aux personnes âgées et handicapées entre 2010 et 2012, la départementalisation va se traduire, pour les familles, par la majoration des allocations de rentrée scolaire qui rejoindront dès la rentrée scolaire 2015 les taux servis dans les autres départements. La départementalisation conduit aussi à l’alignement des montants unitaires de la prestation d’aide à la restauration scolaire depuis 2013 et à l’extension à toutes les écoles des collations servies aux enfants, ainsi que l’objectif de mise en place progressive de repas à la place des collations par le développement des cantines afin d’accompagner la mise en place des rythmes scolaires. Enfin le salaire minimum garanti net (SMIG) a été aligné au 1er janvier 2015 sur le SMIC net.

Les grands défis à venir dans le domaine social concernent notamment le développement des retraites complémentaires et la poursuite de la mise en place des minima sociaux. L’ordonnance créant le RSA est ainsi parue en novembre 2011 pour une mise en œuvre au 1er janvier 2012, au quart de la valeur du RSA servi dans les autres départements. Ce minima social a été significativement revalorisé. Dès le 1er janvier 2013, il a été porté à 37,5 % de sa valeur servie dans les autres départements et fin 2013 il a été de nouveau revalorisé à 50 % de la valeur servie dans les autres départements. En 2013, l’allocation de solidarité spécifique a été créée à Mayotte puis progressivement revalorisée au même rythme que le RSA, pour les chômeurs parvenus en fin de droit aux allocations de chômage, elles-mêmes étendues à Mayotte par un accord avec l’UNEDIC, du 12 octobre 2012.

Le développement économique et social doit être associé étroitement à la prise en compte des droits et devoirs des citoyens. C’est l’essentiel de l’enjeu de la départementalisation qui sera poursuivie dans les prochaines années afin de parvenir à l’extension complète du droit national dans tous les domaines.

À ce rapprochement du droit commun s’est ajoutée, depuis le 1er janvier 2014, l’application à Mayotte du droit de l’Union européenne.

En effet, l’accession de Mayotte au statut de région ultra-périphérique (RUP) de l’Union européenne a été décidée le 13 juillet 2012 avec effet au 1er janvier 2014, et constitue une nouvelle étape importante pour la collectivité : l’applicabilité à Mayotte, à compter de cette date, de l’ensemble du droit dérivé européen, implique l’adoption de nombreuses dispositions permettant une transposition, adaptée aux contraintes et caractéristiques particulières de la collectivité, des règles communautaires.

La loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer a de nouveau habilité le Gouvernement à prendre des ordonnances en vertu de l’article 38 de la Constitution, dans un délai de 18 mois, en vue de rapprocher la législation applicable au Département de Mayotte de celle applicable dans l’hexagone ou dans les autres collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution, ou de mettre celle-ci en conformité avec le droit de l’Union européenne, dans les domaine suivants :

– droit de l’entrée et du séjour des étrangers, dans des conditions adaptées au défi migratoire spécifique à ce territoire ;

– code de l’action sociale et des familles en ce qui concerne l’adoption, l’allocation personnalisée d’autonomie et la prestation de compensation du handicap ;

– législation relative à la couverture des risques vieillesse, maladie, maternité, invalidité et accidents du travail, aux prestations familiales et notamment aux allocations logement, ainsi qu'aux organismes compétents ;

– législation du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ;

– code de la santé publique ;

– législations relatives à l’énergie, au climat, à la qualité de l’air, à la sécurité et aux émissions des véhicules ;

– législation des transports ;

– législation relative à la protection de l’environnement.

Le processus de modernisation du droit applicable à Mayotte a continué en 2014 à connaître une activité soutenue :

– ordonnance n° 2014-463 du 7 mai 2014 portant extension et adaptation à Mayotte des dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à l'adoption, à l'allocation personnalisée d'autonomie et à la prestation de compensation du handicap ;

– ordonnance n° 2014-464 du 7 mai 2014 portant extension et adaptation à Mayotte du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (partie législative) et décret du 23 mai 2014 étendant et adaptant la partie réglementaire du même code ;

– ordonnance n° 2014-577 du 4 juin 2014 modifiant les livres Ier, III et VII du code du travail applicable à Mayotte ;

– ordonnance n° 2014-692 du 26 juin 2014 relative à l'application à Mayotte de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République ;

– ordonnance n° 2014-1380 du 21 novembre 2014 rapprochant la législation des transports applicable à Mayotte de la législation applicable en métropole et portant adaptation au droit européen de la législation des transports applicable à Mayotte.

Lors du voyage officiel du Président de la République à Mayotte en août 2014, celui-ci a annoncé sa volonté de proposer aux mahorais un plan d’évolution pour le Département sur dix ans. Le document stratégique « Mayotte 2025 » a fait l’objet d’une large concertation locale qui a permis d’aboutir à la signature de ce document stratégique le 13 juin 2015 entre le Président du Conseil départemental et le Premier ministre, lors du voyage officiel de ce dernier à Mayotte.

Exercice de responsabilité partagée, ce nouveau contrat de société définit le rythme approprié de convergence vers le droit commun, dans le respect des équilibres du territoire, de la sécurité pour chacun et de l’intégration du territoire dans son bassin régional. Le document « Mayotte 2025 » a été structuré en six thèmes :

– un cadre institutionnel performant ;

– une éducation de qualité, des formations et une politique d’insertion adaptée aux besoins du territoire ;

– un tissu économique développé ;

– un secteur sanitaire et une cohésion sociale exemplaires ;

– une politique de l’habitat et de la ville adaptée ;

– une gestion durable des richesses naturelles du Département.

Afin de garantir la mise en œuvre des orientations contenues dans « Mayotte 2025 », une gouvernance de projet spécifique est mise en œuvre, tant sur le plan local que sur le plan national, par la réunion de groupes de suivi des mesures à mettre en œuvre.

Ce document stratégique confirme donc l’engagement de l’État à accélérer le rapprochement de Mayotte avec les dispositions en vigueur dans les autres départements, en dotant ce Département des équipements et des moyens lui permettant de se développer économiquement et socialement d’ici 2025.

Simultanément, le travail juridique en faveur de Mayotte se poursuit en 2015, et deux ordonnances ont été publiées :

– ordonnance n° 2015-25 du 14 janvier 2015 relative à l'application à Mayotte de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche et de l'article 23 de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale ;

– ordonnance n° 2015-897 du 23 juillet 2015 relative au régime d'assurance vieillesse applicable à Mayotte.

D’autres dispositifs nouveaux, comme le titre emploi service entreprise, le titre restaurant, les contrats adultes-relais ou la prime d’activité seront également étendus à Mayotte. De nombreux décrets contribuent aussi au développement de Mayotte.

Enfin le projet de loi d’actualisation du droit outre-mer et le projet de loi santé, tous deux en cours d’examen devant le Parlement, devraient habiliter le Gouvernement à prendre de nouvelles ordonnances, dans les domaines de la santé, du droit de la propriété et du droit du travail, ce dernier devant être aligné sur le code du travail en 2018, conformément à l’engagement du document stratégique « Mayotte 2025 ».

RÉCAPITULATIF DES CRÉDITS DÉDIÉS À MAYOTTE DEPUIS 2010 (ANNÉE PRÉCÉDANT L’OFFICIALISATION DE LA DÉPARTEMENTALISATION)

Note : la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) prévoit que les dépenses de personnel s’imputent sur le titre 2 des dépenses de l’État et comprennent les rémunérations d’activité, les cotisations et contributions sociales ainsi que les prestations sociales et allocations diverses.

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Est reproduit ci-dessous le diagramme extrait de l’étude d’impact du projet de loi organique relatif au département de Mayotte (juillet 2010).

SCHÉMA RELATIF À L’APPLICATION DES LOIS ET RÉGLEMENTS APPLICABLES À MAYOTTE APRÈS MARS 2011

1 () Lors du renouvellement par moitié du conseil général intervenu le 31 mars 2011, suite aux lois organiques du 3 août 2009 et du 7 décembre 2010 et à la loi du 7 décembre 2010 : voir sur ce point l’annexe n° 2 du présent rapport relatif à la départementalisation de Mayotte.

2 () La consultation des électeurs et électrices de Mayotte, le 29 mars 2009, sur le changement de statut de Mayotte en une collectivité unique, appelée département, régie par l'article 73 de la Constitution, s’est traduite par un résultat de 95,2 % des suffrages exprimés en faveur de celui-ci. Aux termes de l’article 73 précité, « Dans les départements et les régions d'outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».

3 () Quatre jeunes sur dix en grande difficulté à l’écrit à Mayotte, INSEE Mayotte infos n° 70 (février 2014).

4 () Aux termes de l’article 75 de la Constitution, « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l’article 34, conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé ».

5 () Mayotte : un nouveau département confronté à de lourds défis, rapport d’information n° 675 de MM. Jean-Pierre Sueur, C. Cointat et F. Desplan, fait au nom de la Commission des lois du Sénat (18 juillet 2012).

6 () La départementalisation de Mayotte. Une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire, rapport public thématique, Cour des comptes (janvier 2016).

7 () La matrilinéarité renvoie au mode de filiation et de transmission où l’ascendance maternelle prime, tandis que la matrilocalité renvoie au lieu de résidence (installation du couple dans la maison de la femme).

8 () Contrairement à ce que son intitulé pouvait laisser penser, ce document n’était pas un accord bipartite, comme l’était celui du 27 janvier 2000, mais une « feuille de route » de l’État, destinée à informer les Mahoraises et Mahorais sur l’avenir de leur collectivité à l’approche du référendum.

9 () Ordonnance n° 2005-44 du 20 janvier 2005 relative au droit du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle à Mayotte.

10 () Ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 portant dispositions relatives au statut civil de droit local applicable à Mayotte et aux juridictions compétentes pour en connaître.

11 () La départementalisation de Mayotte. Une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire, Cour des comptes, rapport public thématique (janvier 2016).

12 () Le régime des RUP prévoit l’applicabilité de principe de l’ensemble du droit communautaire, mais avec certaines dérogations en lien avec les contraintes particulières de ces régions (insularité, éloignement etc.). Ainsi, l’UE tolère un régime fiscal particulier comme l’octroi de mer, le maintien de zones franches et d’entrepôts francs en matière de pêche, des aides d’État, avec notamment les aides aux investissements.

13 () World economic prospects, ONU, département des affaires économiques et sociales (2015).

14 () La départementalisation de Mayotte, Cour des comptes, janvier 2016.

15 () L’indice conjoncturel de fécondité mesure le nombre d'enfants qu’aurait une femme tout au long de sa vie, si les taux de fécondité observés l'année considérée à chaque âge demeuraient inchangés.

16 () Dans le précédent recensement portant sur l’année 2007, l’indice synthétique de fécondité des mères nées à l’étranger était de 6,4 enfants par femme, contre 3,4 enfants pour les mères nées en République française.

17 () L’enquête périnatale à Mayotte en 2010, Infos et études n° 22, ARS Océan indien (juillet 2011).

18 () Mayotte, département le plus jeune de France, INSEE Première n° 1488 (février 2014).

19 () Environ 3 000 mineurs isolés seraient présents à Mayotte, dont 500 à 600 sans référent adulte.

20 () La départementalisation de Mayotte : une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire, rapport publique thématique, Cour des comptes (janvier 2016).

21 () Compte rendu de la séance publique du mardi 7 juin 2016 (questions au Gouvernement).

22 () Voir aussi sur ce point le rapport précité de la Cour des comptes (janvier 2016).

23 () Le nombre d’unités de consommation (UC) d’un ménage est calculé en affectant à chaque individu un coefficient couramment utilisé par l’INSE et l’OCDE : le premier adulte compte pour 1, les autres personnes de plus de 14 ans pour 0,5 et les moins de 14 ans pour 0,3.

24 () Enquête budget de famille : entre faiblesse de revenus et hausse de la consommation, INSEE Analyses Mayotte n° 3 (décembre 2014).

25 () La population active regroupe les personnes occupant un emploi et les chômeurs en recherche d’emploi.

26 () Un logement est considéré sans confort de base s’il ne dispose pas à l’intérieur d'au moins un équipement suivant : eau courante, électricité, WC, douche ou bain.

27 () La population active regroupe les personnes occupant un emploi et les chômeurs en recherche d’emploi.

28 () De fait, la proportion de fonctionnaires est inférieure à celle de la métropole : moins de six emplois publics pour cent habitants à Mayotte contre 7,2 en France métropolitaine, selon l’INSEE (février 2014)

29 () Les administrations publiques représentant ainsi 53,7 % de la valeur ajoutée, selon les données présentées dans le rapport précité de l’IEDOM sur « Mayotte 2014 ».

30 () Celui-ci évoque notamment le développement de la couverture de l’île par un réseau d’émetteurs wifi, la prolongation de la boucle de fibre optique dans le sud de l’île et le développement des métiers de services liés à internet.

31 () Circulaire DGCS/B1 n° 2011-358 du 12 septembre 2011 relative à la mise en place du plan régional stratégique en faveur de l’égalité femmes- hommes, ministère des solidarités et la cohésion sociale.

32 () Le protocole d’accord du CPER évoque ainsi « le renforcement de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes » et prévoit que l’adaptation des outils de la politique de l’emploi au service des territoires, des branches et des personnes sera poursuivie, (…) et que « l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes sera systémiquement intégrée aux actions ».

33 () Budget opérationnel de programme (BOP) pour ce qui concerne le programme budgétaire 137 « Égalité entre les femmes et les hommes »– unité opérationnelle (UO) régionale.

34 () Rapport d’information n° 765 de Mme Catherine Coutelle, au nom de la Délégation aux droits des femmes sur l’organisation, les moyens et l’action du Service des droits des femmes et de l’égalité (février 2013).

35 () Selon le plan régional stratégique pour l’égalité femmes-hommes (PRS) de Mayotte 2012-2014.

36 () Selon les données présentées dans le rapport précité de l’IEDOM, « Mayotte 2014 » (2015).

37 () La départementalisation de Mayotte. Une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire, Cour des comptes, rapport public thématique (janvier 2016).

38 () Quatre jeunes sur dix en grande difficulté à Mayotte, INSEE, Mayotte Infos n° 70 (février 2014).

39 () L’enseignement du premier degré ne s’est réellement mis en place à Mayotte qu’au début des années 1980 avec des maîtres recrutés à un niveau d’études correspondant aux classes de 4ème et de 3ème. Le recrutement au niveau du baccalauréat n’est devenu la règle qu’à partir de 2000. Jusqu’en 2003, il existait, pour le premier degré, trois statuts d’enseignants : les instituteurs territoriaux, les instituteurs d’État et les professeurs des écoles.

40 () Voir le programme de la mission et la liste des personnes entendues en annexe n° 1 du présent rapport.

41 () En France métropolitaine, le chômage des femmes était de 9,4 % en 2014, contre 9,9 % pour les hommes.

42 () « Emploi et chômage à Mayotte », Éclairages et synthèses, Statistiques septembre 2015

43 () Contrat unique d’insertion (CUI) et contrat d’accompagnement dans l’emploi (CAE), selon les documents transmis par la délégation régionale aux droits des femmes.

44 () « Enquête emploi Mayotte, Une forte hausse du chômage en 2015 », INSEE Flash n° 23 (décembre 2015).

45 () Le taux d’emploi désigne le rapport de la population ayant un emploi (population active occupée) à la population totale correspondante.

46 () La population active regroupe les chômeur.se.s et la population active occupée ayant un emploi.

47 () Selon le plan régional stratégique de santé 2012-2016, agence régionale de santé (ARS) de l’Océan indien.

48 () Indicateurs autour de la grossesse à Mayotte, Observatoire régional de santé (ORS) de La Réunion (2014).

49 () Rapport précité de l’IEDOM.

50 () Selon la Délégation régionale aux droits des femmes.

51 () Dépister la violence faite aux femmes lors des consultations non programmées à Mayotte, Thomas V, Dupray O., Claudel ML., Picard H., Chauvin P., rapport d’étude, Dr Valérie Thomas, Centre Hospitalier de Mayotte; UMRS 1136, INSERM & Sorbonne Universités UPMC, Association Women Act Now (WAN).

52 () Selon le sous-préfet à la cohésion sociale (propos cités dans l’article de presse, communiqué aux rapporteures, paru dans le journal « Les nouvelles de Mayotte », 10 décembre 2015).

53 () Soit 6 500 euros pour le CDAD et 3 500 pour la Délégation droit des femmes de Mayotte)


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