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N° 4454

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 février 2017.

RAPPORT D’ACTIVITÉ

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER (1),

sur l’activité de la délégation sous la XIVe législature,

PAR

M. Jean-Claude FRUTEAU

Député

——

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation aux Outre-mer est composée de : M. Jean-Claude Fruteau, président ; Mme Catherine Beaubatie, Mme Huguette Bello, Mme Chantal Berthelot, Mme Marie-Anne Chapdelaine, Mme Sonia Lagarde, M. Serge Letchimy, M. Didier Quentin vice-présidents ; Mme Brigitte Allain, M. Dominique Bussereau, M. Bernard Lesterlin, secrétaires ; M. Ibrahim Aboubacar, M. Bruno Nestor Azerot, M. Jean-Jacques Bridey, M. Ary Chalus, M. Alain Chrétien, M. Stéphane Claireaux, M. Édouard Courtial, Mme Florence Delaunay, M. René Dosière, Mme Sophie Errante, M. Georges Fenech, M. Jean-Marc Fournel, M. Hervé Gaymard, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Gomes, M. Philippe Gosselin, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Mathieu Hanotin, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, Mme Monique Iborra, M. Éric Jalton, M. Serge Janquin, M. François-Michel Lambert, M. Guillaume Larrivé, M. Patrick Lebreton, M. Gilbert Le Bris, M. Patrick Lemasle, M. Bruno Le Roux, M. Michel Lesage, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Victorin Lurel, M. Thierry Mariani, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Hervé Mariton, M. Olivier Marleix, M. Philippe Naillet, M. Jean-Philippe Nilor, M. Patrick Ollier, Mme Monique Orphé, M. Napole Polutélé, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, Mme Maina Sage, M. Boinali Said, M. Paul Salen, M. François Scellier, M. Gabriel Serville, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Paul Tuaiva, M. Jean Jacques Vlody.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER, UNE INSTITUTION RECONNUE DANS LES PROCÉDURES PARLEMENTAIRES 7

A. LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE : UNE INSERTION DISCRÈTE MAIS ASSURÉE 7

B. LES AUTRES ACTIVITÉS DE LA DÉLÉGATION : UNE TOTALE AUTONOMIE 8

1. L’établissement de rapports d’information 8

3. L’usage de la procédure de la résolution 10

4. Le droit général d’intervention de la Délégation 10

C. LA CONSÉCRATION PAR LA LOI DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER 11

II. LA DÉLÉGATION, INSTRUMENT D’ACTION AU SERVICE DES OUTRE-MER 12

A. LA DÉLÉGATION, LIEU SPÉCIFIQUE DE DÉLIBÉRATION SUR LES PROBLÉMATIQUES ULTRAMARINES 12

1. L’intervention de la Délégation dans l’élaboration de la loi 12

2. Les synthèses informatives des rapports de la Délégation 14

B. LA DÉLÉGATION, PORTAIL INSTITUTIONNEL DES OUTRE-MER À L’ASSEMBLÉE NATIONALE 15

1. Les relations avec le ministère des Outre-mer 15

2. La Délégation, interlocuteur institutionnel des parlementaires en mission sur les questions intéressant les Outre-mer 15

III. LES ACTIVITÉS DU SECOND SEMESTRE 2016 : UNE FONCTION DE VEILLE CONFIRMÉE 18

CONCLUSION 21

EXAMEN EN DÉLEGATION 23

TRAVAUX ET AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION 33

I. ÉCHANGE DE VUES SUR LE PROJET DE LOI RELATIF À L’ÉGALITÉ RÉELLE 33

II. AUDITION DE MME CHRISTINE PIRÈS BEAUNE SUR LES CONCOURS FINANCIERS DE L’ÉTAT AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DES OUTRE-MER 53

III. AUDITION DE MM. PHILIPPE FOLLIOT, DÉPUTÉ DU TARN, ET PATRICK VINCENT, DIRECTEUR GÉNÉRAL DÉLÉGUÉ DE L’IFREMER, SUR LE DOMAINE MARITIME DES OUTRE-MER ET LE STATUT DE L’ÎLE DE CLIPPERTON 66

IV. AUDITION DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DES OUTRE-MER SUR LES DOSSIERS ULTRAMARINS EN COURS DE NÉGOCIATION DANS LES INSTANCES EUROPÉENNES 78

V. AUDITION DES RESPONSABLES DES ÉTATS GÉNÉRAUX DE LA PRODUCTION AUDIOVISUELLE ET CINÉMATOGRAPHIQUE DES OUTRE-MER 90

Mesdames, messieurs,

Au terme de la législature, un constat s'impose : la création de la Délégation aux Outre-mer répondait à une nécessité politique, que ses travaux n'ont cessé de confirmer au fil des mois.

La réalité des Outre-mer, ce sont bien sûr les potentialités, les richesses culturelles, les aspirations des populations de ces territoires.

Mais ce sont aussi de graves difficultés : l'enclavement économique des sociétés ultramarines, la persistance du chômage, des problèmes spécifiques d'éducation et de formation. Elles appelaient une réponse énergique.

Pendant cinq ans, l'action gouvernementale a pris en compte ces difficultés et a cherché à y porter remède, avec un grand souci de continuité. Des politiques ont été engagées, des résultats obtenus. Une plus grande sensibilité aux enjeux de l'environnement régional des territoires s'est manifestée. Mais nul ne contestera que de nouveaux progrès doivent être accomplis.

Face à une telle situation, la création de la Délégation aux Outre-mer répondait à une nécessité politique. Il était important que fût créée, dans un cadre institutionnel reconnu, une instance qui puisse informer, discuter, diffuser et rendre compte à propos de tous les aspects de la réalité ultramarine, de ses ombres comme de ses lumières.

La Délégation aux Outre-mer a accompli sa mission en mettant en œuvre, dans son domaine particulier d'intervention, la double caractéristique de toute démocratie authentique, la publicité et le contradictoire. La publicité : l’insertion d’une instance spécialement dédiée aux Outre-mer renforce la reconnaissance, au Parlement, de leur réalité particulière dans l’ensemble de la nation. Le contradictoire : le débat parlementaire, sous toutes ses formes, existe par les contributions qui lui sont apportées ; la Délégation aux Outre-mer donne à l’expression des problèmes et des propositions des Outre-mer une force d’intervention plus systématique.

La création de la Délégation aux Outre-mer peut aussi accroître les chances d’une meilleure connaissance réciproque. Même formulée au pluriel pour faire droit à la réelle diversité des situations des territoires, la dénomination « Outre-mer » pose une distinction première et globale entre un ensemble ultramarin et l’autre réalité que constitue l’Hexagone. Les travaux de la Délégation conduisent, au contraire, à renforcer la connaissance réciproque, non seulement des députés hexagonaux et des députés ultramarins, mais aussi des députés des Outre-mer entre eux et à créer ainsi les conditions d’une solidarité positive des Outre-mer.

Bien entendu, l’efficacité du nouvel outil institutionnel qu’est la Délégation dépend, pour une très large part, de la volonté de ses membres de faire usage des possibilités nouvelles que son existence leur ouvre en droit comme en fait.

Bilan d’activité, le présent rapport se veut aussi l’illustration de l’avenir de la Délégation au service des Outre-mer et de la Nation tout entière.

I. LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER, UNE INSTITUTION RECONNUE DANS LES PROCÉDURES PARLEMENTAIRES

Les règles de procédure qui encadrent le fonctionnement de la Délégation aux Outre-mer ne se trouvent formulées dans aucun texte général. Elles ont été dégagées par la pratique, à mesure que la Délégation développait ses activités. Un principe de base a éclairé cette pratique : l’application à la Délégation, dans toute la mesure permise par la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel, des règles encadrant le fonctionnement des commissions permanentes dans le Règlement de l’Assemblée nationale.

L’une de ces règles est la répartition des sièges à l’intérieur des commissions à la proportionnelle, en fonction des effectifs des différents groupes parlementaires. Elle doit être combinée avec la décision de principe qui fait des députés élus par les territoires d’Outre-mer des membres de droit de la Délégation. La question s’est également posée des modalités de remplacement d’un vice-président de la Délégation : il s’est effectué conformément à l’article 39 § 4 du Règlement, c’est-à-dire par proclamation officielle en réunion de la Délégation mais sans scrutin, faute de pluralité de candidatures.

A. LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE : UNE INSERTION DISCRÈTE MAIS ASSURÉE

La Délégation aux Outre-mer est appelée à intervenir dans l’examen des projets et propositions de loi. À cette fin, elle nomme un rapporteur qui lui présente ses conclusions d’une manière analogue à la pratique des commissions. Cependant, n’étant pas une commission permanente, elle ne peut accomplir elle-même des actes de procédure formels tels que l’adoption d’amendements. En pratique, elle traduit ses souhaits de modification ou de complément du texte qu’elle examine par l’adoption de propositions qui en énoncent le contenu, à charge ensuite pour son rapporteur, ses membres, et éventuellement les autres députés, qui le veulent de traduire ces propositions, lorsque leur contenu s’y prête, en amendements au projet ou à la proposition de loi.

En dépit des limites inhérentes à une telle forme d’intervention indirecte, les possibilités d’influence que la procédure donne à la Délégation ne sont pas négligeables.

À l’occasion de l’examen des textes intéressant les Outre-mer, aucune entrave n’a été mise, en pratique, à la possibilité pour la Délégation de s’en saisir, dès lors qu’elle le jugeait opportun. Les critères qui ont conduit au choix de la saisine ont tenu, comme l’enseigne l’expérience, à la fois à l’importance pour les Outre-mer du texte et à la volonté de tel membre de la Délégation de s’investir dans un domaine donné.

Dans la mesure où la formule de la proposition interdit le dépôt par le rapporteur d’amendements présentés au nom de la Délégation, que ce soit en commission ou en séance publique, un certain sentiment de frustration a pu être ressenti. Cependant, il faut reconnaître que cette procédure, n’étant astreinte à aucune des limites qui enserrent le droit d’amendement, a l’avantage de laisser la plus grande liberté à l’expression des membres de la Délégation. Rien n’interdirait au demeurant à celle-ci, si elle le jugeait opportun, d’adopter une proposition dont la forme serait aussi proche que possible de la rédaction d’un amendement.

La conférence des présidents a établi et suivi une règle permettant au rapporteur de la Délégation de s’exprimer en cette qualité au début de la discussion d’un projet ou d’une proposition de loi, après le ou les rapporteurs des commissions, de sorte que le Gouvernement a pu, dans la mesure où il l’a jugé opportun, lui apporter réponse comme à ces derniers.

Si, dans le cours de la discussion des articles, les amendements déposés par le rapporteur de la Délégation sur la base des propositions adoptées par celle-ci sont appelés sous le seul nom de leur auteur, sans mention de sa qualité, rien n’a jamais empêché, dans la défense d’un amendement, d’indiquer que sa substance avait recueilli l’accord de la Délégation.

D’une manière générale, rien n’empêcherait la Délégation d’émettre un vote global sur le projet ou la proposition de loi dont elle se serait saisie intégralement, même si ce vote n’aurait aucun effet de droit sur la procédure d’examen du texte et ne pourrait être considéré que comme la forme ultime de l’expression d’un avis non contraignant.

Au total, les conditions d’insertion des propositions de la Délégation dans le cours de l’examen d’un projet de texte législatif paraissent globalement satisfaisantes, compte tenu des dispositions constitutionnelles en vigueur.

B. LES AUTRES ACTIVITÉS DE LA DÉLÉGATION : UNE TOTALE AUTONOMIE

Au cours de la législature, la Délégation aux Outre-mer a fait un large usage des facultés que donne la procédure parlementaire dans tout ce qui ne se rapporte pas à l’élaboration de la loi.

1. L’établissement de rapports d’information

Aux termes du communiqué publié à l’issue de la conférence des présidents réunie le 27 juillet 2012, la Délégation est « chargée d’informer la représentation nationale sur toute question relative aux Outre-mer ». Elle a donc toute latitude pour s’intéresser à l’ensemble des sujets qui caractérisent la vie économique, sociale et culturelle des Outre-mer.

Les modalités de choix de ces sujets sont laissées à la libre détermination de la Délégation. En pratique, après une phase inaugurale, où a prévalu le souci d’assurer le bon démarrage des travaux de la Délégation grâce à la définition d’un programme prévisionnel initial, le choix des thèmes d’intérêt a résulté des suggestions du président de la Délégation et de membres particulièrement impliqués dans ses travaux. Les commissions permanentes n’ont pas interféré dans ce choix.

Au moment de proposer à la Délégation la désignation de rapporteurs d’information, son président s’est attaché à favoriser, dans toute la mesure du possible, le respect d’une double association : entre un député de la majorité et un député de l’opposition d’une part ; entre un député ultramarin et un député de l’Hexagone d’autre part. La formule a été mise en œuvre, par exemple, pour la préparation du rapport sur la défiscalisation des investissements Outre-mer, cosigné par le président de la Délégation et par M. Patrick Ollier, député Les Républicains des Hauts-de-Seine, ou du rapport d’information sur les agricultures des Outre-mer, cosigné par Mme Chantal Berthelot, députée apparentée socialiste de la Guyane et par M. Hervé Gaymard, député Les Républicains de la Savoie.

Le rapport d’information sur les conséquences du changement climatique pour les Outre-mer a permis de mettre en œuvre un troisième critère, géographique, chacun des trois co-rapporteurs représentant un bassin océanique. De surcroît, ainsi que l’ont publiquement affirmé ses deux co-rapporteurs, MM. Aboubacar et Letchimy, tous deux membres du groupe socialiste, Mme Maina Sage, députée UDI, a exercé, avec leur assentiment, le rôle de « chef de file » dans la conduite des auditions et l’élaboration du projet de rapport d’information.

Faisant usage, avec les adaptations liées à son statut, d’une pratique souvent utilisée par les commissions permanentes, la Délégation a eu en outre recours à la technique du rapport préparatoire, préalable au rapport déposé dans le cadre d’une procédure législative : au rapport d’information précité sur les agricultures de Mme Berthelot et de M. Gaymard, a succédé le rapport présenté par Mme Hélène Vainqueur-Christophe dans le cadre d’une saisine sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

2. Un large recours aux auditions

La Délégation a fait un très large usage de la faculté d’auditionner des personnalités qui, à un titre ou un autre, lui paraissaient de nature à contribuer à son information sur tel ou tel aspect de la vie des Outre-mer. Sa pratique ne se distingue en rien, en cela, de celle des commissions permanentes, et a les mêmes objectifs d’information et d’investigation volontaire et régulière.

Comme les commissions, la Délégation ne s’est pas limitée aux auditions individuelles mais a procédé à plusieurs reprises à des auditions conjointes de plusieurs responsables d’une administration, d’un établissement public ou d’une entreprise, comme par exemple les responsables de la direction des Outre-mer de l’Agence française de développement ou le directeur général et le directeur de l’IEDOM (Institut d’émission des départements d’Outre-mer).

Enfin, la Délégation a organisé des rencontres en forme de mini-colloques, telles que la rencontre-débat « Ultramarins de l’hexagone : du stéréotype à la réalité », tenue le 15 octobre 2014 en présence de Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer1.

Les réactions enregistrées à la suite de ces auditions montrent que la qualité de leur publicité est une condition nécessaire de leur intérêt et, de ce fait même, de la garantie du rôle d’information confié à la Délégation. L’établissement, dans les conditions des commissions permanentes, de comptes rendus écrits, rassemblés dans les rapports d’activité et diffusés sur le site de la Délégation, constitue en l’état actuel des choses la meilleure forme disponible pour cette indispensable publicité.

3. L’usage de la procédure de la résolution

Ayant personnellement souhaité que la Délégation engage un travail approfondi, en vue de la COP 21, sur les conséquences du changement climatique pour les Outre-mer, je me réjouis particulièrement de ce que ce débat capital ait été l’occasion de poser un précédent important avec l’adoption, sur la proposition conjointe de ses trois co-rapporteurs et avec mon appui, d’une résolution tirant les conséquences de ses travaux. Ce vote était accompagné du vœu de voir transformer cette résolution en proposition de résolution soumise à l’Assemblée nationale en vertu de l’article 34-1 de la Constitution.

La Délégation n’ayant pas plus qualité pour déposer de telles propositions que des amendements, ce texte a pris la forme d’une proposition de résolution dont les premiers signataires étaient son président et les trois co-rapporteurs, suivis des autres membres de la Délégation qui ont souhaité s’associer à la démarche.

La proposition de résolution a été discutée en séance publique conjointement avec une proposition de résolution, visant l’ensemble des négociations et des enjeux de la COP 21, dont le premier signataire était M. Bruno Le Roux, alors président du groupe socialiste. Les deux résolutions ont été successivement mises aux voix et adoptées le 25 novembre 2015.

4. Le droit général d’intervention de la Délégation

La Délégation s’est vu en pratique reconnaître la faculté de participer à tout débat dont elle considère qu’il peut avoir des répercussions sur les Outre-mer.

En particulier, même si elle n’a pas jugé nécessaire de se saisir d’un projet ou d’une proposition de loi susceptible d’implications ultramarines, elle conserve la possibilité de demander à la conférence des présidents l’attribution d’un temps de parole après les représentants des commissions permanentes. En principe, ce temps de parole est attribué au président de la Délégation, sauf si celui-ci fait connaître à la Présidence le nom du député chargé de le suppléer.

Cette possibilité a été utilisée à plusieurs reprises, et notamment lors de l’examen du projet de loi relatif à l’égalité réelle Outre-mer. Nourrie par les thèmes du débat d’orientation tenu sur le texte par la Délégation le 27 septembre 2016, mon intervention correspondait, comme je l’ai alors dit à l’Assemblée nationale, à la « vocation d’expression institutionnelle des Outre-mer » de la Délégation, et m’a permis de rappeler que bon nombre des sujets abordés au cours de la discussion du projet de loi avaient fait partie des préoccupations de la Délégation depuis sa création en 2012.

C. LA CONSÉCRATION PAR LA LOI DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER

L’insertion, globalement réussie, de la Délégation aux Outre-mer dans les procédures parlementaires faisait encore plus ressortir, au terme de quatre ans d’expérience, l’intérêt d’une consolidation législative de l’excellente idée que fut sa création. Certes, la nécessité de prendre sans délai une initiative de grande portée symbolique imposait le recours, pour la constitution de la Délégation, à une procédure rapide et simple telle que le passage en conférence des présidents. Cependant, à long terme, la discordance de statut avec des instances à visée analogue, telles que l’office d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et plus encore la délégation aux droits des femmes, était difficilement justifiable.

Fort opportunément, le dépôt du projet de loi relatif à l’égalité réelle Outre-mer a donné l’occasion de tirer au moment convenable les leçons institutionnelles de l’expérience quadriennale de la Délégation. C’est pourquoi, avec l’appui de plusieurs de ses membres, j’ai proposé, par amendement, d’insérer dans l’ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires un article additionnel définissant le statut de la Délégation aux Outre-mer. Adoptée par la commission des lois saisie au fond, et incorporée, par conséquent, au texte soumis à l’examen de l’Assemblée nationale, cette disposition, devenue l’article 31 du projet de loi, a été adoptée sans débat ni opposition par celle-ci le 5 octobre 2016.

La commission des lois du Sénat a repris à son compte mon initiative, tout en introduisant dans le dispositif quelques modifications rédactionnelles. Comme à l’Assemblée, l’article 31 ainsi amendé a été adopté sans débat ni opposition par le Sénat au début de sa séance du 19 janvier 2017. La commission mixte paritaire s’est entendue sur la rédaction du Sénat.

Ce texte est, en la forme, une manière de codification des règles antérieurement établies, pour l’Assemblée nationale, par la conférence des présidents et, pour le Sénat, par l’instruction générale du Bureau, dont il respecte la substance. S’adressant aux députés des Outre-mer à l’occasion du dîner qui les réunissait, à son invitation, le jour de la discussion budgétaire sur les crédits des Outre-mer, le président Claude Bartolone s’est félicité, en ma présence, du vote de l’Assemblée, en qui il a vu, à juste titre, une reconnaissance de l’initiative prise en juillet 2012, et dont la conséquence matérielle normale, a-t-il indiqué, devrait être un développement des moyens alloués dans l’avenir à la Délégation aux Outre-mer.

II. LA DÉLÉGATION, INSTRUMENT D’ACTION AU SERVICE DES OUTRE-MER

Au fil des mois, la Délégation, suivant les règles de procédure qui ont été précédemment décrites, a rempli un triple rôle de délibération, d’information et de représentation des Outre-mer au sein de l’Assemblée nationale. Les trois rapports d’activité successivement déposés les 4 février 2014 (n°1760), 7 avril 2015 (n°2701) et 29 juin 2016 (n°3899), auxquels s’ajoutent, pour ce qui est de la période la plus récente, les informations données dans la suite du présent rapport, contiennent toutes les données de base disponibles sur la manière dont la Délégation s’est acquittée de sa tâche. Renvoyant à ces documents pour le détail des activités recensées, on voudrait, dans les pages qui suivent, en tenter une évaluation générale.

A. LA DÉLÉGATION, LIEU SPÉCIFIQUE DE DÉLIBÉRATION SUR LES PROBLÉMATIQUES ULTRAMARINES

Depuis 2012, la Délégation aux Outre-mer a donné une visibilité institutionnelle permanente et autonome aux préoccupations des citoyens ultramarins, aussi bien à l’occasion de débats sur des projets de loi que dans l’examen de problématiques plus larges et diversifiées.

1. L’intervention de la Délégation dans l’élaboration de la loi

Au cours de la législature, la Délégation s’est saisie à cinq reprises de projets de loi :

– le projet de loi relatif à la régulation économique Outre-mer (loi n°2012-1270 du 20 novembre 2012) ;

– le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (loi n°2014-1170 du 13 octobre 2014) ;

– le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (loi n°2015-992 du 17 août 2015) ;

– le projet de loi de modernisation de notre système de santé (loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016) ;

– le projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (loi n° 2016-1088 du 8 août 2016).

Il s’agit bien, à chaque fois, d’une intervention au sens juridique du terme, la Délégation tirant des prérogatives qui lui ont été attribuées par la conférence des présidents les bases d’une participation à une procédure dont les premiers protagonistes à titre principal sont le Gouvernement, d’une part, la ou les commissions saisies au fond ou pour avis. Il s’agit aussi d’une intervention au sens politique : l’expérience montre que les initiateurs d’un projet de loi soumis à la délibération du Parlement n’ont pas toujours, sauf si la question traitée y invite expressément, l’idée d’inclure dans leur réflexion initiale ou leurs arbitrages des questions en lien direct avec le champ d’application de ce projet mais qui impliquent de manière spécifique les Outre-mer : la récente réforme du droit du travail en a fourni un exemple.

Dès lors, il revient à la Délégation aux Outre-mer de se montrer vigilante pour assurer avec toute l’ampleur opportune la prise en compte des Outre-mer dans les débats législatifs. Afin d’éclairer, comme cela lui est demandé, l’Assemblée nationale sur les aspects spécifiquement ultramarins de la politique dont le projet de loi est l’expression, elle peut suggérer, soit des orientations d’action sans traduction législative immédiate, soit des modifications de normes législatives. Concrètement, les propositions qu’elle adopte à l’issue de ses délibérations relèvent le plus souvent, pour un même projet de loi, de l’une et l’autre de ces catégories.

Comme le montrent les rapports d’activité de la Délégation, il est difficile d’évaluer avec précision l’impact des propositions ainsi adoptées, surtout lorsqu’elles ne se déclinent pas en modification de texte. Le nombre des amendements issus des travaux de la Délégation qui sont, soit intégrés dans le projet discuté dès l’étape de la discussion en commission, soit adoptés en séance publique, n’est pas un critère d’appréciation universel et suffisant. La prise en compte des Outre-mer dans l’élaboration de la loi est une œuvre de persévérance, et la persévérance peut porter des fruits : c’est ainsi que le débat sur la question de la représentativité des organisations syndicales des Outre-mer, fortement engagé par la Délégation à l’occasion de l’examen du récent projet de loi sur la réforme du Code du travail, a été évoqué en commission des lois – certes avec un aboutissement différent – au cours de la discussion du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle Outre-mer.

Paradoxalement, le rôle de la Délégation peut se révéler, à l’expérience, plus délicat à définir à l’égard d’un projet de loi dont l’objet est circonscrit aux territoires d’Outre-mer ou à certains d’entre eux et qui fait, par conséquent, l’objet d’un ample débat dans une ou plusieurs commissions permanentes. C’est ainsi que la Délégation a limité son intervention dans le débat sur la réforme du statut de la Nouvelle-Calédonie à l’audition – d’ailleurs fort intéressante – du rapporteur de la commission des lois, M. René Dosière. La difficulté est de nouveau apparue avec le projet Égalité réelle Outre-mer, pour laquelle trois commissions étaient saisies, une au fond et deux pour avis, et avaient toutes trois désigné aux fonctions de rapporteur des députés ultramarins, membres, par conséquent, de la Délégation (M. Lurel, Mme Orphé, M. Letchimy). Cependant, l’intérêt suscité auprès des membres de la Délégation par le débat que celle-ci a consacré au projet de loi prouve que l’expression institutionnelle propre des Outre-mer dans de telles procédures correspond bien à une attente et à un besoin.

2. Les synthèses informatives des rapports de la Délégation

Depuis sa création, la Délégation a adopté six rapports sans lien immédiatement établi avec une procédure législative, conformément à la mission d’information générale qui lui a été originellement attribuée.

L’énumération des thèmes de ces rapports permet de constater la prééminence absolue des thématiques économiques :

– l’octroi de mer ;

– la défiscalisation des investissements Outre-mer ;

– les agricultures des Outre-mer ;

– la réforme du marché européen du sucre ;

– le pacte de responsabilité et les Outre-mer ;

– les effets du changement climatique dans les Outre-mer

Ces thématiques intéressant par nature de nombreux interlocuteurs, patronat, syndicats, associations, administrations, l’élaboration des rapports d’information correspondants donne lieu à la pratique en nombre d’auditions et de tables rondes ; il en fut ainsi, notamment, lors de la préparation du rapport d’information sur les agricultures d’Outre-mer où sept tables rondes se tinrent dans le cadre de la Délégation.

Chacun de ces rapports comporte un certain nombre de préconisations adressées aux pouvoirs publics. Elles sont le fruit du travail des rapporteurs et en particulier des auditions souvent nombreuses auxquelles ils ont procédé, et concrétisent leurs prises de position politique. Les différents rapporteurs de la Délégation ont toujours tenu à ce que ces propositions soient défendues et ont pu utiliser la Délégation pour faire avancer les sujets et proposer des solutions à des problèmes donnés.

C’est ainsi que le rapport consacré au marché européen du sucre a permis d’établir, à mon initiative, la nécessité d’une réévaluation, à hauteur de 38 millions d’euros, du montant annuel du soutien de l’état à la filière sucrière ; la proposition adoptée en ce sens par la Délégation a été effectivement mise en œuvre par le Gouvernement et va permettre un soutien effectif à cette filière.

B. LA DÉLÉGATION, PORTAIL INSTITUTIONNEL DES OUTRE-MER À L’ASSEMBLÉE NATIONALE

La Délégation aux Outre-mer est de plus en plus reconnue comme l’interlocuteur institutionnel pour les Outre-mer à l’Assemblée nationale.

1. Les relations avec le ministère des Outre-mer

Le premier interlocuteur institutionnel de la Délégation est tout naturellement le ministre chargé de nos territoires au sein du Gouvernement. D’une manière générale, la Délégation a entretenu avec les trois titulaires successifs de cette fonction, M. Victorin Lurel (mai 2012-mars 2014), Mme George Pau-Langevin (avril 2014-août 2016) et Mme Éricka Bareigts d’excellentes relations. La Délégation a reçu à trois reprises, les 13 novembre 2012, 26 mars 2013 et 19 février 2014, M. Lurel, et à trois reprises, les 10 février et 29 septembre 2015 et le 29 mars 2016, Mme Pau-Langevin2.

En outre, la Délégation a tenu à remettre solennellement à la ministre des Outre-mer son rapport sur les conséquences du changement climatique dans les Outre-mer. La cérémonie de remise a eu lieu au ministère, le 4 novembre 2015. Mme Maina Sage, rapporteur, représentait la Délégation.

Depuis le début de ses travaux, la Délégation a toujours trouvé dans les services de la Direction générale des Outre-mer une écoute et une disponibilité qui ont été d’une aide précieuse dans l’accomplissement de ses missions. Il est au demeurant de l’intérêt réciproque du ministère et de la Délégation d’entretenir des relations de travail fructueuses, ne serait-ce que pour renforcer la prise en compte de la préoccupation ultramarine dans les processus de décision. L’actualité « européenne » des Outre-mer donne une bonne illustration de la nécessité d’une information réciproque, à laquelle a concouru fort opportunément, par exemple, l’audition thématique sur les procédures européennes de M. Claude Girault, directeur général adjoint, le 6 décembre dernier.

2. La Délégation, interlocuteur institutionnel des parlementaires en mission sur les questions intéressant les Outre-mer

Tout au long de la législature, la Délégation a voulu être à l’écoute des parlementaires conduits, à un titre ou à un autre, à accomplir une mission officielle en relation avec les Outre-mer.

L’occasion d’un rôle consultatif : la mission sur les minima sociaux

À une occasion, la Délégation a été officiellement consultée, à l’initiative d’un de nos collègues chargé d’une mission temporaire, M. Christophe Sirugue, alors député de Saône-et-Loire, à qui le Premier ministre avait demandé de préparer un rapport sur la réforme des minima sociaux. Notre collègue a souhaité venir devant la Délégation, avant de rendre ses conclusions, pour s’informer sur les éventuelles conséquences spécifiques de cette réforme pour les Outre-mer.

Lors de la réunion de la Délégation, le 8 mars 2016, M. Sirugue a exposé les conclusions provisoires auxquelles il était parvenu, avant de demander l’avis des membres présents sur le contenu de ces orientations, compte tenu, a-t-il indiqué, de la lourdeur de leurs conséquences potentielles.

Un souci permanent d’information sur l’activité des parlementaires en mission

Sans donner à cette démarche un caractère systématique, la Délégation aux Outre-mer a souhaité recevoir le plus souvent possible les députés chargés par le Gouvernement d’une mission intéressant les Outre-mer, pour être informée du résultat de leurs travaux et engager un débat sur leurs conclusions. De manière assez logique, ces députés étaient tous membres de la Délégation ; mais ce critère ne saurait être considéré comme une condition préalable à l’audition d’un parlementaire qui se trouve chargé d’une telle mission.

Ont été reçus dans ce cadre :

– M. Serge Letchimy, au titre de sa mission sur la prise en compte des régions ultrapériphériques dans le cadre de l’Union européenne (2013), puis de sa mission sur le recyclage et la valorisation des déchets Outre-mer (2015) ;

– M. Patrick Lebreton, au titre de sa mission sur les conditions d’accès des ultramarins aux emplois publics et privés créés dans leurs territoires (2013) ;

– Mme Marie-Anne Chapdelaine, au titre de sa mission (accomplie conjointement avec Mme Archimbaud, sénatrice) sur le suicide des jeunes Amérindiens de Guyane (2016) ;

– M. Jean-Jacques Vlody, au titre de sa mission sur l’insertion des départements d’Outre-mer dans leur environnement régional (2016).

La mission confiée à M. Letchimy à propos des régions ultrapériphériques et la mission confiée à M. Lebreton ont fait chacune l’objet, en plus de l’audition de la Délégation, d’une réunion commune des Délégations aux Outre-mer des deux chambres du Parlement.

La possibilité d’une information ponctuelle sur des sujets primordiaux

Dans une troisième configuration plus informelle, la Délégation a entendu deux de ses membres qui souhaitaient lui présenter une communication relative à des questions de premier intérêt pour les territoires dont ils étaient les élus :

– Mme Annick Girardin, alors députée de Saint-Pierre et Miquelon, sur la question de la délimitation du plateau continental au large de l’archipel (19 novembre 2013) ;

– M. Ibrahim Aboubacar, député de Mayotte, sur le document stratégique Mayotte 2025 (16 juillet 2015).

La Délégation a enfin reçu, à l’initiative de son Président, le rapporteur du projet de loi organique modifiant la loi organique de 1999 sur la Nouvelle-Calédonie, M. René Dosière.

3. La Délégation, lieu d’écoute et d’information sur la réalité multiforme des Outre-mer

En dehors des cadres politiques évoqués dans les développements qui précèdent, la Délégation a souhaité accomplir sa mission d’information en s’intéressant aux réflexions et aux initiatives qui pouvaient développer la connaissance des Outre-mer à l’Assemblée nationale et, plus largement, dans l’Hexagone.

Nombreux sont, par exemple, les rapports administratifs qui proposent, pour tel ou tel secteur de la vie économique et sociale des Outre-mer, des solutions dont il peut être intéressant de débattre dans le cadre parlementaire. Une bonne illustration de tels documents est donnée par le rapport de M. Pierre-Alain Roche sur la gestion de la ressource en eau (distribution et assainissement), préoccupation fondamentale pour les territoires insulaires que sont les Outre-mer et problème critique pour certains d’entre eux.

En outre, certains domaines qui peuvent se révéler très importants pour le devenir des Outre-mer ne font pas – ou pas encore – l’objet d’initiatives législatives, mais il peut être important pour la Délégation de savoir et de faire savoir comment les Outre-mer sont envisagés par les politiques correspondantes. La remarque vaut particulièrement pour la culture et l’audiovisuel. L’audition de M. Patrice Gélinet, chargé de suivre, notamment, les questions ultramarines au Conseil supérieur de l’audiovisuel a été, à cet égard, particulièrement instructive. Il est également remarquable que les organisateurs des États généraux de la production audiovisuelle aient vu dans la Délégation l’instance « naturelle » de la restitution de leurs travaux et de la présentation de leurs perspectives d’action.

Enfin, la Délégation a poussé sa mission d’information jusqu’aux limites de l’histoire en s’intéressant à une digne célébration du 70ème anniversaire de la départementalisation, et en conviant un historien et un sociologue de projeter sur cet événement le regard de leurs disciplines respectives.

*

* *

Comme le montrent les pages qui précèdent, l’activité de la Délégation a couvert depuis le début de la législature, et sous des formes variées, de très nombreux aspects de la vie des Outre-mer. Il était dès lors légitime qu’à plusieurs reprises, des membres de la Délégation souhaitent le prolongement de certaines auditions ou de certains rapports par un suivi approprié, ou à tout le moins par l’organisation de rendez-vous réguliers sur des thèmes convenus à l’avance. Mais, même en faisant exactement correspondre la satisfaction de tels vœux au minimum d’organisation nécessaire pour qu’ils acquièrent une consistance politique concrète, force est de reconnaître que la Délégation ne dispose pas aujourd’hui des moyens matériels, budgétaires et en personnel correspondant à la réalisation de ce simple objectif. En effet, l’ensemble des tâches administratives, habituellement associées à la vie d’une commission permanente et qui peuvent être sans embarras transposées au fonctionnement de la Délégation, est aujourd’hui assuré par une seule personne.

III. LES ACTIVITÉS DU SECOND SEMESTRE 2016 : UNE FONCTION DE VEILLE CONFIRMÉE

Depuis le 1er juillet 2016, la Délégation aux Outre-mer se sera réunie à six reprises, pour une durée totale de débats de 7 heures 45 mn.

Le débat d’orientation sur le projet de loi relatif à l’égalité réelle Outre-mer

Quinze députés se sont exprimés – 13 ultramarins, deux de l’Hexagone – au cours de ce débat, qui a pris le plus souvent la forme d’une évaluation de l’apport du projet de loi, dépendant largement, comme il se doit, des positions politiques générales de chaque membre présent de la Délégation. Mme Orphé, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, a nourri la discussion en rendant compte des décisions de la commission sur les dispositions du projet de loi dont celle-ci avait souhaité se saisir.

L’échange avec Mme Christine Pires Beaune sur les dispositions du projet de loi de finances pour 2017 relatives aux concours financiers de l’État aux collectivités locales

Grâce à un exposé détaillé et précis de Mme Pires Beaune, rapporteur spécial de la commission des finances pour les finances locales, la Délégation a été informée de l’état de la réforme des concours financiers aux collectivités locales et des modalités particulières de ces concours pour les collectivités locales d’Outre-mer. L’échange qui a suivi cet exposé a montré l’intérêt des membres de la Délégation pour une explication qui s’est révélée fort utile, y compris pour des personnes rompues de longue date aux complexités des finances locales.

L’audition de M. Philippe Folliot, député, et de M. Patrick Vincent, directeur général délégué de l’IFREMER, sur le statut de l’île de la Passion (Clipperton) et la problématique ultramarine de la délimitation du plateau continental

À l’occasion de l’examen en séance publique de la proposition de loi de M. Philippe Folliot, député du Tarn, sur le statut de l’île de la Passion (Clipperton), la Délégation a fait le point, grâce à un exposé enthousiaste de M. Folliot, sur les enjeux politiques, économiques et scientifiques de la souveraineté française sur l’île de la Passion, avant d’élargir sa perspective, grâce aux informations données par M. Patrick Vincent, sur les possibilités d’exploitation des ressources sous-marines dans les zones économiques exclusives sur lesquelles le droit international reconnaît des droits particuliers à la France.

L’audition de M. Claude Girault, directeur général adjoint à la direction générale des Outre-mer, sur les dossiers européens

Répondant à un souhait du président de la Délégation, M. Claude Girault est venu présenter un exposé sur l’état d’avancement des négociations sur les questions ultramarines dans les instances communautaires. Il est ressorti, une fois de plus, de ses propos que, si la réalité d’une spécificité des Outre-mer dans l’ensemble européen n’est pas contestée dans son principe, les dérogations que, selon les normes européennes elles-mêmes, cette spécificité justifie ne peuvent être acquises qu’au prix d’un travail de justification approfondi et permanent.

L’audition des participants aux États généraux de la production audiovisuelle dans les Outre-mer

Conduits par Mme Christine Tisseau-Giraudel, coordonnatrice de leurs travaux, des participants aux États généraux de la production audiovisuelle dans les Outre-mer, tenus en décembre 2016 en Polynésie, sont venus présenter les conclusions de leur évaluation et leur programme d’action pour les années à venir. Ils ont expliqué de manière détaillée comment l’audiovisuel s’était développé dans leurs différents territoires depuis une quinzaine d’années et souhaité que les différents mécanismes de soutien dont bénéficie le secteur dans l’Hexagone soient appliqués sans privilège ni discrimination à l’audiovisuel ultramarin qui est désormais une réalité professionnelle et artistique incontestable.

CONCLUSION

Il reviendra aux membres de la Délégation aux Outre-mer qui sera constituée au début de la quinzième législature de tracer son programme d’activités pour les années à venir. Qu’il nous soit permis, cependant, à titre d’aide désintéressée à la décision, de proposer, en conclusion, quelques observations d’avenir.

Les sujets d’études ne manquent pas pour prolonger et asseoir la vocation de veille et de proposition de la Délégation. Aux questions économiques, aux relations sociales, qui ont beaucoup sollicité notre attention, la situation actuelle des Outre-mer pourrait inciter à ajouter des thèmes comme l’éducation, la formation, la politique de la jeunesse. En outre, la politique énergétique, la lutte contre la pollution, dont la Délégation a pu avoir à connaître subsidiairement dans le cadre d’autres travaux, sont autant de questions qui se posent effectivement dans nos territoires et sur lesquelles la Délégation, dès lors qu’elle en aurait les moyens, pourrait exercer la vigilance qui est sa raison d’être institutionnelle. La Délégation unanime souhaite un accroissement significatif de ses moyens, qui doit lui permettre d’intervenir efficacement à la fois dans la phase de préparation des réformes législatives et dans le suivi des politiques intéressant les Outre-mer.

La répartition géographique de nos territoires dans toutes les parties du monde pose à la Délégation, comme aux circonscriptions qu'elle représente, des défis logistiques. En particulier, ce facteur, objectif et concret, ne facilite pas la continuité de ses activités et sa capacité à assurer la plus grande résonance possible aux réflexions qu’elle a engagées. Rassembler les parlementaires de tous les océans n'est pas toujours aisé. L’étroite implication de leurs collaborateurs à la marche quotidienne des activités de la Délégation, et, en cas de nécessité particulière, l’association de députés spécialement intéressés à l’un de ses débats par le moyen de la visioconférence pourraient contribuer à accroître la présence institutionnelle de la Délégation.

Je souhaite enfin qu’au moment de choisir leurs représentants au sein de la Délégation, les groupes parlementaires de la nouvelle législature s’attachent à faire des choix qui renforcent l’inclusion de nos territoires avec l’Hexagone. Ce faisant, ils permettraient le développement de l’une des vocations de la Délégation, qui est de créer des dynamiques nouvelles entre territoires ultramarins et métropolitains.

Oui, l’Assemblée nationale a tout à gagner à encourager les activités de la Délégation aux Outre-mer. Personne ne peut plus, après cinq ans d’expérience, contester l’utilité d’une représentation institutionnelle des Outre-mer à l’Assemblée. Je forme le vœu que la Délégation continue de permettre, en respectant les engagements de chacun, un libre partage de convictions et d’opinions entre ses membres, au service des Outre-mer, dans le cadre de la République.

EXAMEN EN DÉLEGATION

Au cours de sa réunion du mardi 7 février 2017, la Délégation procède à l’examen du rapport d’activité de la Délégation aux outre-mer sous la XIVe législature.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cette réunion, qui devrait être, selon toute vraisemblance, la dernière de notre Délégation aux outre-mer, a pour but d’examiner et d’adopter le rapport d’activité de la Délégation pour cette XIVème législature. Des circonstances politiques importantes ont retenu ailleurs, à l’extérieur de cette salle mais au sein de cette assemblée, certains de nos collègues ; ils nous rejoindront par la suite.

Mes chers collègues, je ne vais pas vous infliger, après cette longue attente, un long discours. Je dirai seulement que, comme pour toute réunion finale, il est d’usage de se demander ce que l’on a fait de la structure mise en place. En l’occurrence, est-ce que ceux qui, en 2012, ont jugé bon d’installer la Délégation aux outre-mer, au premier chef notre président Claude Bartolone, ont eu raison ou pas ?

Au fil des mois et des années, des rapports et des interventions, sous leurs multiples formes, la Délégation aux outre-mer a vu sa place reconnue, à l’intérieur comme à l’extérieur.

Ainsi, le Premier président de la Cour des Comptes est venu de son propre chef dans notre Délégation pour y présenter, en primeur, le délicat rapport de la juridiction sur Mayotte. Ce fut un motif de satisfaction. De la même façon, notre collègue Christophe Sirugue est venu nous consulter avant de rendre définitivement ses conclusions sur la réforme éventuelle des minimas sociaux.

Les évènements de cet ordre sont nombreux et divers. Mais ils prouvent une seule et même chose, c’est que la Délégation est perçue comme l’interlocuteur institutionnel lorsqu’il s’agit des outre-mer – à l’Assemblée nationale bien entendu. Je ne peux que m’en réjouir et féliciter le président Claude Bartolone – j’aurai l’occasion de le lui dire demain dans une assemblée un peu moins formelle – d’avoir eu l’idée de créer cette Délégation : ce fut une excellente initiative, et les résultats sont au rendez-vous.

Bien évidemment, il était de ma responsabilité de président de la Délégation de penser aux moyens d’asseoir davantage encore cette initiative dans la vie de l’Assemblée nationale. C’est ce qui m’a poussé à proposer l’inscription de la Délégation aux outre-mer dans l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Aligner le régime juridique de notre Délégation sur celui de la Délégation aux droits des femmes, en saisissant l’occasion offerte par le projet de loi pour l’égalité réelle en outre-mer, c’était le moyen de prolonger notre travail réalisé dans le cadre de cette Délégation pendant ces cinq dernières années.

L’amendement que j’ai déposé en ce sens en Commission des lois a rencontré un accord unanime. Le Sénat a fait sienne mon initiative, sous réserve d’adaptations rédactionnelles qui ne posent pas de difficultés particulières. La Commission mixte paritaire a suivi. On peut donc penser que, dans quelques jours, sauf développements imprévus, la promulgation de la loi donnera à notre Délégation le statut stable dont elle avait besoin…

Il faut maintenant aller plus loin. Il faut ajouter à cette consécration législative, la consécration par les moyens : les moyens du développement futur des activités de notre Délégation. En effet, je me dois de souligner – nous n’avons pas à en avoir honte – que les moyens dont nous disposons sont loin d’être équivalents à ceux dont dispose, depuis sa création, la Délégation aux outre-mer du Sénat.

Selon moi, on ne peut plus continuer à travailler dans les mêmes conditions dans la prochaine législature. Malgré le bon vouloir, la bonne volonté, l’engagement personnel, l’engagement objectif des deux fonctionnaires qui nous ont été successivement affectés au cours de cette législature, les moyens d’action de cette Délégation sont insuffisants. Voilà pourquoi je compte bien – dans la mesure où je resterai député jusqu’au 20 juin à 23 heures 59 – engager des démarches et faire des propositions pour que notre Délégation aux outre-mer, dispose, dans la prochaine législature, de quelques moyens lui permettant d’accroître l’étendue de son action.

Une Délégation telle que celle-ci, qui traite d’un large éventail de questions, ne peut se satisfaire de la contribution d’une seule personne, si créative soit-elle. Cette situation prive les parlementaires qui le souhaiteraient de s'investir, par exemple, dans les rapports. Nous avons beaucoup travaillé, mais nous aurions pu en faire bien davantage avec d’autres moyens administratifs et financiers. Je ferai donc des propositions en ce sens avant de partir.

Quoi qu’il en soit, je voudrais remercier tous ceux qui sont ici, dont beaucoup sont très assidus à nos travaux, et qui sont intervenus tout au long de ces cinq années pour donner corps à cette Délégation. Bien sûr, mes remerciements vont d’abord aux rapporteurs qui ont donné toute la visibilité désirable aux fruits de nos délibérations, et ont pu porter sereinement mais fermement la parole des outre-mer, sur des sujets parfois – pour ne pas dire toujours – délicats.

Puissent les membres de la future Délégation aux outre-mer poursuivre et amplifier l’œuvre que nous avons bâtie ensemble.

M. Patrick Lebreton. Monsieur le président, mes chers collègues, je tiens à souligner l’intense travail qui a été accompli ces cinq dernières années par notre Délégation, qui a été instituée sur le modèle de sa cousine du Sénat, bien qu’avec un peu moins de moyens, et qui a su trouver sa place dans notre Assemblée. Je tiens également à saluer l’initiative du président Bartolone.

Me revient en mémoire notre engagement commun, en juin 2012, avec le soutien du ministre des outre-mer d’alors, Victorin Lurel, et bien sûr avec le soutien du président Bartolone qui, avant même l’installation de la législature, avait su faire aboutir ce projet de Délégation.

Monsieur le président, votre modestie dût-elle en souffrir, c’est grâce à votre diplomatie et à votre travail que notre Délégation est devenue une instance désormais incontournable de l’institution législative. Soyez-en très chaleureusement remercié.

Des collègues de tous bords fréquentent assidûment la Délégation aux outre-mer. Si le bilan de la mandature est discutable, je crois que, concernant les outre-mer, nous pouvons être fiers du chemin parcouru – surtout pendant la première partie du quinquennat. Et bien plus qu’un groupe de pression supplémentaire, nous sommes devenus un organe incontournable de la vie parlementaire : le sauvetage de la défiscalisation, le soutien à la filière canne, la réelle prise en compte des réalités ultramarines par nos collègues et le Gouvernement, c’est la Délégation !

Nous avons su éviter le piège de l’auto-centrisme ou de la chambre des complaintes. Nous avons su, avec sérieux, démontrer qu’il fallait compter avec les deux millions d’ultramarins. Nous devons bien sûr ce résultat à l’engagement des députés ultramarins, mais aussi à celui de nos collègues députés de l’hexagone, qui nous ont permis d’acquérir cette dimension.

Grâce à vous, dont l’expertise est reconnue, nous avons bâti une belle structure. Et je forme moi aussi le vœu que nos successeurs, non seulement s’inscrivent dans le chemin tracé, mais surtout amplifient ce qui a été accompli.

Voilà ce que je voulais vous dire aux termes de cette mandature et de ce riche travail, qui a pu être mené par notre Délégation tant désirée. Merci, monsieur le président.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, mon cher collègue, mais je ne suis pas là pour recevoir des compliments. Je considère qu’il faut constater un fait, puis en tirer les conclusions.

M. Philippe Gosselin. Je dirai quelques mots – que le président, par modestie, se contentera de lire dans le compte rendu – dans le même esprit que l’orateur précédent, qui s’est exprimé avec une autre appartenance politique que la mienne.

Je crois sincèrement que cette Délégation a été une belle idée. Je souhaite, quelles que soient les perspectives de court terme des uns et des autres, que le relais soit passé, pour qu’elle puisse se reconstituer dans la prochaine mandature.

La Délégation aux outre-mer est l’occasion de permettre une meilleure connaissance réciproque. Elle évite que les questions ultramarines ne soient abordées que par les ultramarins, et que les hexagonaux n’aient qu’une vision hexagonale de l’outre-mer. Nous avons besoin d’acquérir cette connaissance commune, dans nos diversités politiques, mais aussi professionnelles, personnelles ou électives. C’est cela qui a fait la richesse de cette mandature et de cette Délégation, et j’en rends très sincèrement un hommage au président et au service qui l’accompagnait.

On a besoin d’approfondir les questions liées aux outre-mer, qui sont toujours un peu négligés, ce que je trouve regrettable. De fait, toutes les questions qui concernent le pays concernent la France dans sa globalité, qu’elles aient des résonances dans nos régions ou dans les outre-mer. D’où la nécessité de ce brassage, et d’une vision transversale, laquelle est perceptible au ministère chargé des outre-mer ; on a d’ailleurs tendance à considérer celui-ci comme un « petit Matignon », précisément parce qu’il est à la croisée de toutes les questions, économiques, éducatives, et de formation, qui se posent aux outre-mer. Il en est de même dans cette Délégation, dont la vision « interministérielle » me semble très intéressante.

Notre bilan n’a rien à envier à d’autres bilans. Je ne le vois pas comme un testament politique, mais plutôt comme un passage de relais, pour mieux appréhender les questions qui concernent l’outre-mer, dans l’intérêt supérieur de la France, envisagée dans son ensemble et dans sa diversité.

M. Serge Letchimy. Monsieur le président, mon cher Jean-Claude, j’ai vécu deux mandatures – celle qui va se terminer et la précédente – et au-delà des questions purement politiques, j’ai ressenti profondément ce que tu viens de dire. Oui, l’outre-mer est considéré comme une sorte d’annexe : on rajoute, à la fin des textes de loi, une petite ligne, un petit cocotier, qui fleurit…

M. Philippe Gosselin. « Les dispositions de la présente loi sont applicables, etc ».

M. Serge Letchimy. Cela vaut aussi pour les grands textes, comme par exemple celui du Grenelle de l’environnement. Il m’a fallu en effet batailler pendant près de deux mois, et m’attacher la « complicité » de Christian Jacob et du président Ollier, qui ne sont pas du même bord que moi, pour qu’en Commission des lois, l’outre-mer soit placé en deuxième priorité dans le texte.

L’existence de la Délégation a radicalement changé la situation. La préoccupation pour l’outre-mer est aujourd’hui très présente, à la fois en amont du texte, pendant la discussion du texte et après. Voilà pourquoi je salue cette initiative, même si l’on n’a pas pu vraiment, dans la loi sur l’égalité réelle, formaliser cela de manière très structurée, avec des moyens financiers intégrés – mais nous reviendrons à la charge. Reste que cette Délégation est maintenant au cœur des problématiques transversales de nos territoires.

Et enfin, très sincèrement, même si tu n’aimes pas ça, au nom de la Martinique dont je suis l’un des élus, je tiens à te dire merci. N’oublions pas que la qualité d’un travail est liée aux hommes qui manient l’outil qui leur a été confié. Or, grâce au respect que tu inspires, grâce à ton implication, les réunions de la Délégation ont été d’une grande rigueur intellectuelle. Tu as su t’entourer des bonnes personnes pour réaliser un travail d’une grande précision et d’une haute tenue – et j’ai toujours prêté une grande attention aux documents qui nous ont été préparés.

Voilà pourquoi je souhaite sincèrement, pour la prochaine mandature, que cela continue. Et si l’on est en adéquation avec notre parole, on devrait faire voter dans un autre véhicule législatif ce qui n’est pas passé dans la loi sur l’égalité réelle.

Donc, merci Jean-Claude.

Mme Maina Sage. Je tiens à vous remercier, monsieur le président, ainsi que les collaborateurs de la Délégation, pour avoir su, en l’animant, faire de la Délégation aux outre-mer un lieu de débat. Nos travaux nous ont permis de partager les problématiques propres aux Ultramarins, mais aussi de les faire connaître aux députés de l’hexagone. Nos observations et recommandations formulées dans plusieurs rapports ont ainsi pu être prises en compte.

Nos échanges portant sur nos handicaps structurels ont fait prendre conscience à tous de nos spécificités ainsi que de notre richesse et notre diversité, mais aussi des atouts de nos territoires dans le respect de nos différences géographiques, culturelles et juridiques. Ce travail a été très constructif, voire avant-gardiste pour la politique en général. Nos intérêts peuvent tour à tour diverger et converger, mais dans tous les cas ils sont complémentaires, et pouvoir les partager nous rend plus forts.

Comme nous l’avons évoqué lors de la discussion du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer, notre Délégation a conquis sa maturité et peut désormais « prendre son envol ». Je souhaite qu’elle soit aussi reconnue que la Délégation aux droits des femmes. C’est de bon sens, et je défendrai cette idée à l’avenir.

Je veux encore saluer l’ouverture d’esprit dont notre président a su faire preuve, et qui a été pour moi l’occasion de participer à l’élaboration du rapport sur les conséquences du changement climatique dans les outre-mer, et de travailler avec tous les membres de la Délégation. Je veillerai à ce que cet équilibre soit préservé, car il faut laisser la démocratie respirer au sein de cette Délégation, et nous avons prouvé que nous savions le faire tous ensemble.

J’ai été heureuse de partager cet état d’esprit avec nos collègues de la majorité, et j’ai conscience que cela ne peut qu’être bénéfique à nos populations. Cette connaissance mutuelle des particularités de chacun de nos territoires que ce brassage des points de vue a rendue possible m’a permis de me plonger dans les difficultés exprimées par tous.

Je veux donc encore remercier notre président pour le travail conduit au cours de cette législature ainsi que l’équipe qui l’assiste et qui a fourni un travail de très grande qualité.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Il est certain que le rapport dont vous avez été la coordonnatrice, et auquel ont été associés Ibrahim Aboubacar et Serge Letchimy, témoigne de ce qui caractérise notre Délégation ainsi que la façon dont nous avons souhaité qu’elle s’exprime. Il ne faut effectivement pas oublier ce moment important de la vie de notre Délégation, et souhaiter qu’à l’avenir il y en ait beaucoup d’autres. Car, lorsque l’on se connaît mieux, que l’on prend l’habitude de travailler ensemble, et que l’on laisse à la porte de la salle les oripeaux de l’offensive politique, on fait de la vraie politique dans le sens de la chose publique. Bien mieux, on parvient à faire partager le sentiment qui nous anime. Je tiens donc à remercier tous ceux qui ont contribué à ce succès.

M. Ibrahim Aboubacar. J’arrive au terme de mon premier mandat, et j’entends la parole de mes aînés en politique : incontestablement, la Délégation nous a permis de nous exprimer.

Pour l’avenir, la question du renforcement de nos moyens est incontournable ; sur le plan législatif particulièrement, la supériorité des dotations dont bénéficie la Délégation sénatoriale à l’outre-mer limite notre capacité à intervenir alors, qu’aux termes de la Constitution, nous avons le dernier mot. Cette situation qui ne saurait perdurer, limite l’implication de l’Assemblée nationale dans la production de la loi du fait de ce déséquilibre entre les deux délégations.

Cela ne nous dispense toutefois pas d’apprécier les avancées réalisées, et pour prouver qu’il ne s’agit pas, dans ma bouche, de vains propos, je rappelle, que je n’ai jamais pu obtenir que la commission des lois se penche sur la problématique de la départementalisation de Mayotte, ni sous la présidence de M. Urvoas, ni sous celle du président actuel, malgré sa bonne volonté. Je n’oublie pas que c’est la Délégation à l’outre-mer qui nous a entendus au sujet du rapport Mayotte 2025, et lorsque la Cour des comptes a publié son rapport sur la départementalisation de Mayotte, c’est à l’initiative de notre Délégation que le président Didier Migaud nous l’a présenté.

La délégation a ainsi su être un espace au sein duquel nous avons pu nous exprimer, prendre en compte un certain nombre de préoccupations, et nous livrer à des expertises qui ont fait preuve de leur utilité par la suite. Je tiens à en remercier notre président, quand bien même nous avons pu avoir des regrets, car il n’a pas pu satisfaire toutes les demandes, notre ami administrateur ne pouvant pas se dédoubler…

M. le président Jean-Claude Fruteau. Se dédoubler, il le fait déjà…

M. Ibrahim Aboubacar. … Se démultiplier !

Je le comprends d’autant plus qu’en tant que président de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État Outre-mer (CNEPEOM) j’ai rencontré la même difficulté. L’ancienne présidente, Chantal Berthelot, et l’actuel vice-président de la Commission, Philippe Gosselin, présents parmi nous, confirmeront que, lorsque j’ai constitué le plan de charge de cet organisme, qui a pour mission l’évaluation des politiques publiques d’outre-mer, le canevas de travail a été limité faute de moyens. Cela malgré l’appui de principe de l’ensemble de l’administration des outre-mer, dont les ressources sont infiniment plus amples.

Je rends donc hommage au travail que vous avez accompli, monsieur le président, alors que vous avez disposé de si peu de moyens. Soyez assuré que tous les membres de la Délégation ne demandent qu’à travailler, et qu’ils sont unanimes à demander que ses dotations soient substantiellement augmentées afin que nous puissions tenir notre rang dans l’élaboration de la loi.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je ferai mon possible pour aller dans ce sens avant mon départ.

Mme Chantal Berthelot. Beaucoup de choses ont été dites, et le risque est de les répéter, mais, lorsque ce sont de bonnes choses, la redite est bienvenue. (Sourires).

En premier lieu, monsieur le président, si nous établissons un bilan, c’est que nous avons existé ; c’est sous l’impulsion de quelques-uns que la présente législature a vu la création de la Délégation aux outre-mer, et que vous avez été élu à sa tête. C’est le président qui donne les impulsions, détermine les orientations, et fait fonctionner un outil. À ce titre, je tiens à vous remercier, car vous avez été ce président, mais vous avez surtout su faire confiance à votre vice-présidente, et préserver les équilibres et les partages au sein de la Délégation.

Le bilan a incontestablement été positif. Toutefois, il faudra faire figurer dans la conclusion de votre rapport que, de façon unanime, la Délégation aux outre-mer demande à disposer des moyens financiers et humains nécessaires afin de pouvoir travailler de la même façon que les commissions de l’Assemblée nationale.

En écoutant les collègues présents, mon sentiment est que les outre-mer prennent leur place au sein de la Nation française, car au cours de cette mandature, à l’occasion de chaque texte important, les outre-mer ont marqué le tempo. Nous aurions pu et dû faire plus, mais malheureusement, les moyens ont manqué à la Délégation. Les grandes lois, qu’elles aient concerné la transition énergétique, la biodiversité, la COP21 ou l’agriculture, emportent des enjeux fondamentaux pour nos territoires, et, en dépit de la faiblesse de nos moyens qui a limité notre action, nous avons su peser sur les débats.

Au cours de la prochaine législature, nous continuerons à tenir ce rôle, et, quel que soit le choix des citoyens, il faudra amplifier la présence des outre-mer dans l’espace français, car je suis persuadée que nos territoires sont des démonstrateurs de politiques publiques que nos concitoyens appellent toujours plus de leurs vœux.

À l’avenir, notre Délégation devra tenir son rôle et faire plus que ce que nos moyens limités ont permis de faire, afin que les outre-mer occupent leur vraie place et que nous puissions accéder à l’égalité républicaine qu’il faut souhaiter pour nous tous.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. En tant qu’élue métropolitaine, je souhaite, monsieur le président, saluer la qualité des travaux de la Délégation, qu’il aurait fallu faire partager à tous. C’est à juste titre que Philippe Gosselin a considéré que cette connaissance devrait être plus largement diffusée. Les députés de métropole gagneraient beaucoup à connaître des problématiques ayant été évoquées en ce lieu, car, s’il existe des différences, il existe aussi des ressemblances.

C’est pourquoi, à l’avenir, il faudra assurer le rayonnement des travaux de la Délégation aux outre-mer. Pour y avoir participé, j’ai pu apprécier la richesse des contributions, qui auraient mérité d’être partagées par l’ensemble des députés, pas uniquement par les membres de la Délégation.

J’observe par ailleurs que les dispositions relatives à l’application des lois aux outre-mer figurent à la fin des textes législatifs, pourquoi ne pas changer, et les faire figurer en tête ?

Bien qu’arrivée à la Délégation en cours de législature, je tiens à vous remercier, monsieur le président, pour le climat que j’y ai trouvé. C’est avec plaisir que j’ai participé à ses travaux qui portent souvent sur des questions communes aux outre-mer et à la métropole, ce qui justifie amplement qu’ils soient partagés par tous.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous propose d’insérer dans la conclusion du rapport dont le projet vous a été adressé la phrase suivante, qui reprend la suggestion de notre collègue Chantal Berthelot : « La Délégation unanime souhaite un accroissement significatif de ses moyens, qui doivent lui permettre d’intervenir efficacement, à la fois dans la phase de préparation des réformes législatives, et dans le suivi des politiques intéressant les outre-mer. » (Assentiment unanime)

À l’unanimité, la Délégation autorise la publication du rapport d’activité de la Délégation pour la XIVe législature.

M. le président Jean-Claude Fruteau. J’aurai l’honneur et le plaisir de remettre ce rapport d’activité ainsi complété à M. le président de l’Assemblée nationale, auprès de qui, tout au long de cette législature, j’ai trouvé une oreille attentive, et qui de longue date est en communion avec l’outre-mer. J’espère que vous serez nombreux à participer à cet événement.

Au terme de notre dernière réunion de la législature, je tiens à vous faire connaître que j’ai décidé de ne pas être candidat aux prochaines élections législatives, et que, par conséquent, je ne serai plus parmi vous lors de la prochaine législature. Je vous souhaite à tous, quels que soient vos choix politiques, de vous trouver en situation de continuer l’action que nous avons menée ensemble au sein de cette délégation. Merci à tous.

TRAVAUX ET AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION

I. ÉCHANGE DE VUES SUR LE PROJET DE LOI RELATIF À L’ÉGALITÉ RÉELLE

(Séance du 27 septembre 2016)

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mes chers collègues, je vous remercie pour votre présence. Cette réunion se situe au milieu de la procédure qui devrait conduire à l’adoption d’un projet de loi sur l’égalité réelle, enrichi, à l’invitation expresse de la ministre, par les propositions de plusieurs d’entre nous, et notamment, des trois rapporteurs, le rapporteur général et les deux rapporteurs pour avis des commissions des Affaires sociales et des Affaires économiques.

La saisine de trois commissions et la désignation de collègues engagés de longue date pour la promotion de nos Outre-mer garantit que tous les thèmes que l’on peut évoquer aujourd’hui au nom de l’égalité réelle seront abordés et soumis au débat public.

En conséquence, l’intervention directe de la Délégation aux Outre-mer sous la forme, désormais traditionnelle, de nos propositions, ne s’imposait pas dans la procédure. Cependant, j’ai eu le sentiment que nous ne pouvions pas rester à l’écart de la réflexion suscitée par ce projet de loi. Ce sentiment a encore été renforcé par ma participation à l’audition de la ministre des Outre-mer par la commission des lois, et par les propos que celle-ci a tenus à cette occasion.

Je voudrais souligner que ma présence ès qualités à cette audition est la conséquence d’une invitation que le président de la commission des Lois a pris l’initiative de m’adresser en invoquant expressément l’expertise propre de la Délégation aux Outre-mer. De toute évidence, à ses yeux, cette expertise ne portait pas principalement sur les détails des mesures contenues dans le projet de loi, sur lesquelles M. le rapporteur Victorin Lurel permettrait à l’évidence de faire toute la clarté désirable. Mon intervention devant la commission des lois prenait tout son sens dans le cadre d’une mise en perspective de ces mesures, dans la problématique de long et moyen termes de l’égalité réelle, et plus largement, du développement intégral de nos Outre-mer.

Ce souci de mise en perspective, qui a inspiré en grande partie les deux premiers titres du projet de loi, a été repris par la ministre des Outre-mer dans son intervention initiale et dans la réponse qu’elle a faite au rapporteur et à moi-même. Il me semble justifier pleinement les travaux de notre Délégation, seule instance qui porte en permanence, dans l’organisation de l’Assemblée nationale, le souci des Outre-mer.

Il nous revient de veiller en permanence à la prise en compte des réalités ultramarines, au-delà des péripéties d’une discussion parlementaire particulière. C’est pourquoi j’ai voulu provoquer cette réunion, pour nous permettre d’échanger, au-delà des débats juridiques et techniques sur telle ou telle disposition du projet de loi, sur les conditions générales de réalisation de cette égalité réelle, comme sur la réception de l’idée dans nos territoires. Nous pourrions ainsi déterminer quelques thèmes généraux qui mériteraient à nos yeux une attention particulière, tout en prenant bien sûr en considération le travail que nous avons accompli ensemble depuis le début de la législature.

Au-delà de l’utilisation que nous pourrons en faire dans les quelques mois à venir, cette réflexion peut-être une manière d’affirmer la continuité et la nécessité de la Délégation au moment de passer le relais à nos successeurs. Ce passage de relais serait d’ailleurs grandement facilité si, comme je l’ai proposé par amendement, la base juridique de notre Délégation était consolidée, sur le modèle de la Délégation aux droits des femmes. Je remercie d’ailleurs vivement celles et ceux qui, en cosignant cet amendement, m’ont exprimé leur soutien.

Avant d’ouvrir le débat, je tiens à rappeler où nous en sommes de la procédure.

L’audition de la ministre a eu lieu le mardi 20 septembre. Le lundi 26 septembre, se sont réunis les deux commissions saisies pour avis : la commission des Affaires sociales avec, comme rapporteure, Mme Monique Orphé ; et la commission des Affaires économiques avec, comme rapporteur, M. Serge Letchimy. Elles ont adopté respectivement 19 et 16 amendements, qui ont été transmis à la commission des Lois.

Après l’échange de vue de la Délégation des Outre-mer aujourd’hui, se réunira à vingt-et-une heures ce soir, et demain matin à dix heures, la commission des Lois saisie au fond avec, comme rapporteur, M. Victorin Lurel. À ma connaissance, 262 amendements ont été déposés. Et je précise que l’examen du projet de loi commencera par les titres III et IV.

Enfin, l’examen du texte en séance publique est prévu la semaine prochaine, les mardi 4, mercredi 5 et jeudi 6 octobre.

M. Ibrahim Aboubacar. Monsieur le président, les membres de la Délégation sont invités à un échange de vue d’ordre général sur ce projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle Outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.

Pour notre part, et je m’exprime en tant que responsable du groupe socialiste, nous nous inscrivons résolument dans la volonté, partagée avec le Gouvernement, d’enrichir ce texte.

Comme vous l’avez précisé, la commission des affaires économiques et celle des affaires sociales ont travaillé en ce sens. De mon côté, je me contenterai de souligner les quelques points qui me paraissent indispensables pour donner à la fois de la force et de la cohérence au texte.

Nous considérons que ce texte est une étape extrêmement importante pour le développement de l’ensemble de nos Outre-mer, quel que soit leur statut juridique. Mais il doit être à la hauteur des attentes de nos compatriotes des Outre-mer. En effet, depuis les événements de 2009, ceux-ci traversent des moments difficiles. Le ressenti varie d’un territoire à un autre, en fonction des réalités et des aspirations des populations, mais cette nouvelle étape est nécessaire.

D’abord, nous devons donner de la force à ce texte.

Cela signifie que les dispositions que nous allons adopter devront permettre de mobiliser les acteurs qui seront amenés à s’engager dans ce processus, ce qui suppose que ceux-ci aient confiance dans les dispositifs que nous mettrons entre leurs mains. Pour y parvenir, plusieurs points devront être acquis.

Premièrement, à l’issue des débats, il faudra que nous y voyions clair sur les différents moyens à mettre en place. Il est question d’inviter les uns et les autres à élaborer des plans de convergence. Or ces plans de convergence doivent pouvoir s’appuyer sur des moyens, notamment de développement économique, et faire appel à l’innovation et à l’imagination. Voilà pourquoi, si nous voulons que ces plans de convergence soient innovants, nous devrons nous-mêmes, en amont, faire preuve d’innovation et d’imagination pour déterminer les moyens dont pourront disposer les acteurs pour élaborer ces plans de convergence.

Deuxièmement, les plans de convergence que nous allons mettre en place auront une durée de dix à vingt ans – selon les territoires. C’est évidemment incompatible avec des plans de développement économique qui seraient remis en cause ou modifiés tous les deux ou trois ans, avec une incertitude qui pèserait sur les outils économiques. D’une manière ou d’une autre, nous devrons faire en sorte que, lorsque ces plans de convergence auront été établis et signés, on dispose d’une certaine visibilité. Celle-ci passe par la permanence des outils qui seront appelés à venir à l’appui de ce processus de long terme. Autrement, le long terme du dispositif sera difficile à établir.

Troisièmement, il faudra obtenir l’adhésion des populations. Cela suppose que nous soyons clairs sur cet objectif d’égalité réelle, qui a suscité un très grand espoir dans nos collectivités des Outre-mer. Et cela suppose qu’un certain nombre de questions soient tranchées dans les différentes catégories de collectivités.

Dans les quatre anciens départements d’Outre-mer, au terme de ce processus, il faudra que nous y voyions clair sur la stratégie d’achèvement de l’égalité sociale à suivre. Car visiblement, l’égalité sociale n’y est pas achevée.

Dans le dernier département d’Outre-mer, qui a été créé en 2011, c’est-à-dire Mayotte, l’objectif d’égalité réelle se construira en parallèle de l’objectif d’égalité sociale décrit dans « Mayotte 2025 ». Quelques mesures figurent dans le titre III. Au terme de notre exercice, la stratégie gouvernementale – notre stratégie, puisque c’est nous qui délibérons – pour mettre en place de l’égalité réelle dans ce territoire devra être claire.

Les autres collectivités de l’article 74 sont invitées à rentrer dans ce processus. De la même façon, il faudra que nous ayons une vision claire de la manière dont ces collectivités pourront s’y inscrire. Il faudra renforcer tout particulièrement les dispositifs afférents à ces collectivités pour que cette question de l’égalité réelle puisse s’exprimer pleinement, à leur façon et selon leurs attentes.

Ce sont là des préalables qu’il me semblait indispensable de rappeler, dans le cadre du débat général auquel notre président nous invite. Mais ce débat général ne devra pas tourner à la cacophonie. Et j’en viens à la deuxième exigence : il faut donner de la cohérence au texte.

Nous sommes invités à mettre en place des plans de convergence. J’ai dit tout à l’heure que nous devions faire preuve d’innovation et d’imagination. Mais imagination ne veut pas dire foisonnement. Nous devrons préciser clairement, à travers les dispositions que nous mettrons dans le texte, le contenu de ces plans de convergence. De la même manière, les différents dispositifs expérimentaux qui ont été évoqués n’excluent pas une certaine cohérence.

J’en viens au dispositif de suivi et de pilotage.

Le dispositif de pilotage vers lequel nous nous dirigeons passerait par le renforcement de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État Outre-mer (CNEPEOM). Un amendement a été déposé en ce sens pour étoffer le dispositif de pilotage de cette Commission.

Le dispositif de suivi de la CNEPEOM est annuel. Peut-être faudra-t-il réfléchir à un dispositif d’évaluation quinquennal, un peu plus musclé, pour que l’on puisse distinguer les travaux de suivi annuel des travaux de bilan qui seraient réalisés à des moments déterminés.

Enfin, au-delà de ces dispositifs de suivi, ces plans de convergence d’un genre nouveau poseront forcément la question du pilotage. En effet, autant le suivi peut être national, au sein d’une commission unique qui ferait un suivi global, autant le pilotage doit s’effectuer territoire par territoire, sur la base de contrats qui peuvent être signés par l’État, les collectivités et les établissements publics intéressés, et donc dans des formats extrêmement souples. Voilà pourquoi, à un moment ou à un autre, il faudra réexaminer le dispositif de pilotage – à moins de considérer que celui-ci sera un des éléments fondamentaux du contenu même des plans de convergence.

Tels sont les points généraux que je tenais à évoquer. J’ajoute que 262 amendements ont effectivement été déposés. Mais il n’échappe à personne que beaucoup d’entre eux ne passeront pas le barrage de l’article 40. Je pense donc qu’il serait nécessaire d’enrichir ce texte au-delà du périmètre sur lequel nous pouvons opérer en tant que parlementaires, sous couvert de l’article 40.

Mme Monique Orphé. J’interviens sur le travail que j’ai mené en tant que rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Le temps dont je disposais était contraint puisque je n’ai eu que quinze jours pour faire des auditions, rassembler des éléments et faire des propositions. Je me suis également appuyée sur les différents travaux que j’avais menés précédemment, par exemple sur la santé ou le droit du travail en Outre-mer.

Je suis d’accord avec ce qu’a dit M. Aboubacar, notamment sur les plans de convergence. Néanmoins, j’estime, monsieur le président, qu’il nous faudra un signal fort, en particulier sur l’achèvement de l’égalité sociale. Les amendements sur lesquels j’ai travaillé ont malheureusement été déclarés irrecevables parce qu’ils créaient une charge. Néanmoins, un travail a été mené avec la ministre des Outre-mer pour voir comment les faire aboutir.

M. Philippe Houillon. Il suffit que le Gouvernement les dépose !

Mme Monique Orphé. Certains de ces amendements visent à régler le problème des petites retraites en Outre-mer. Jusqu’en 1993, les salariés ne touchaient pas un gros salaire, il n’y avait pas non plus de caisses de retraite complémentaire et le travail au noir était fréquent. Des retraités ne touchaient que le minimum contributif – 629 euros quand ils n’avaient pas un taux plein, et 688 euros avec un taux plein.

D’autres amendements concernent l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) versée à des travailleurs pauvres, mais aussi à des personnes qui n’ont pas travaillé. On demande aux héritiers de rembourser l’ASPA ; ce recours sur succession freine l’accès à cette allocation. Plusieurs amendements ont été déposés pour voir comment lever ces freins, soit en relevant le seuil de ce recours, qui est aujourd’hui fixé à 39 000 euros, soit en le supprimant, pendant un certain temps, dans les Outre-mer – mais apparemment, ce n’est pas constitutionnel. Ce sont des propositions. Mais là encore, elles ont été déclarées irrecevables en application de l’article 40.

Se pose ensuite le problème du complément familial, qui est versé à partir du premier enfant, jusqu’à cinq ans. Là encore, un travail a été mené en concertation avec la ministre, et nous espérons faire évoluer l’attribution du complément familial. De la même façon, je crois que le Gouvernement s’est penché sur le régime social des indépendants (RSI). Enfin, le dernier amendement qui a été écarté par l’article 40 porte sur l’application de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) aux territoires ultramarins.

Les amendements adoptés concernent surtout la santé en Outre-mer : le financement des hôpitaux en Outre-mer et les problèmes de santé publique comme le diabète et l’alcoolisme. J’ai notamment déposé un amendement qui, je l’espère, sera repris ce soir, et qui porte sur les publicités pour l’alcool près des établissements scolaires. J’ai aussi demandé un rapport sur la taxation du rhum, dont le prix est extrêmement bas en Outre-mer.

Je me suis également intéressée aux rapatriements sanitaires des enfants d’Outre-mer. Par exemple, en cas de décès, la sécurité sociale ne prend pas en compte ces rapatriements. J’en ai parlé à la ministre, et j’espère que l’on arrivera à résoudre ce problème. Symboliquement, j’aimerais que l’on aboutisse.

Des amendements ont été également adoptés sur la formation, par exemple pour s’attaquer au problème de l’illettrisme en Outre-mer. L’un d’eux vise à créer un chapitre spécialement consacré à la lutte contre ce fléau. Un débat s’est développé autour de cette question, et l’on a dit qu’elle relevait de la responsabilité de l’État. J’essaierai peut-être, en séance, d’enrichir ce chapitre.

Sur l’égalité hommes-femmes, j’ai attiré l’attention sur la nécessité de développer des observatoires, notamment sur la problématique des violences faites aux femmes et aux hommes. J’ai également déposé l’amendement visant à généraliser l’enquête « Violences et rapports de genre » (VIRAGE) à tous les départements d’Outre-mer.

Je terminerai sur un point que j’aurais dû aborder plus tôt : la possibilité d’étendre la CMUC à Mayotte, pour favoriser le développement de la médecine ambulatoire. En effet, comme vous le savez, tout tourne autour de l’hôpital. Peut-être l’extension de la CMUC pourrait-elle convaincre les médecins de venir s’y installer.

Tels sont, monsieur le président, les amendements qui ont été déposés et discutés hier par la commission des affaires sociales.

M. Philippe Houillon. Monsieur le président, il me semble – et ce n’est pas parce que je siège de ce côté-ci de la salle – que notre Délégation a maintenant la responsabilité de dire que ce texte n’a pas suffisamment d’ambition.

Notre collègue vient de s’interroger, à juste titre, sur le pilotage du dispositif. Mais quelle majorité va le piloter ? C’est maintenant que l’on s’occupe des Outre-mer, alors que nous sommes en fin de mandature, et que des élections présidentielle et législatives vont bientôt avoir lieu.

Les trois premiers articles sont extrêmement généraux. Ils ne sont pas normatifs. Et il n’y a à peu près rien en matière économique. Nous devons saisir l’occasion de dire que nous souhaitons pour les Outre-mer autre chose qu’un amalgame de mesures, de mesures certes importantes, mais qui ne sont pas à la hauteur des attentes.

L’autre jour, notre collègue, ancien ministre, M. Victorin Lurel, a déclaré qu’il souhaitait que ce texte soit le fruit d’une une coproduction. Sauf qu’une partie des amendements qui ont été déposés, aussi bien de votre côté que du nôtre, se heurtent aux dispositions de l’article 40, et sont donc irrecevables. Si le Gouvernement veut coproduire, c’est très simple : soit il lève le gage, et les amendements deviennent par conséquent recevables ; soit il en reprend certains et les dépose en son nom.

Vous pourriez estimer que mon propos vient des bancs de l’opposition. Tel n’est pas le cas. Je crois seulement que nous devons adopter une posture et dire que les Outre-mer attendent autre chose. Ce projet manque d’une vision globale. On a agi dans la précipitation. Mme la rapporteure pour avis vient d’ailleurs de déplorer de n’avoir eu que quinze jours pour faire des auditions. Ce n’est pas du travail !

Pour servir une ambition, pour combler les attentes, il faut prendre le temps. Mais, évidemment, on a l’impression – et cette fois, je vais être partisan – que l’on a mis l’ouvrage sur le métier juste avant des élections. Certaines mesures sont peut-être utiles, mais enfin…

Peut-être ne ferez-vous pas ce que je vous ai demandé en commençant, monsieur le président. Je ne vous en blâmerai pas, parce que je suis ancien en politique, et que je sais comment se passent les jeux de majorité avec le Gouvernement. Pourtant, ce serait bien de le faire parce que chacun partage probablement, sans le dire, autour de cette table, la même opinion : ce projet est très en deçà de ce que l’on pouvait souhaiter. Il est même très en deçà des trente-cinq propositions du rapport de Victorin Lurel qui, selon moi, aurait mérité d’être complété.

Je pense donc que cela pourrait être dit de manière unanime. Après tout, c’est dans le rôle de la Délégation.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, monsieur Houillon, pour votre intervention. Je vous répondrai d’abord que vous avez démontré, au sein de votre Délégation, votre souci de travailler sans prendre de positions trop partisanes. Évidemment, on peut regretter que ce ne soit pas le cas ailleurs, mais c’est votre affaire. Quoi qu’il en soit, vous êtes un membre à part entière de la délégation, et personne ici ne vous empêchera d’exposer votre opinion. D’ailleurs, il n’a jamais été dit que tout le monde devait toujours avoir le même point de vue – fût-ce entre les membres d’un même groupe.

Ensuite, ne croyez pas que le président de la Délégation soit resté inactif et qu’il va le rester pendant les jours qui restent. Il est exact que par un concours de circonstances, le temps imparti est court. Je le reconnais et le regrette, mais pour autant, on ne peut pas dire que rien n’ait été fait pour les Outre-mer. Permettez-moi de vous rappeler qu’ici même, en Délégation, nous avons voté des propositions, des rapports ont été repris partiellement, voire assez largement. Je pense à la recommandation qui figurait dans un de nos rapports, visant à augmenter le taux du CICE à 9 % dans les Outre-mer, ce qui est aujourd’hui en vigueur.

On ne peut donc pas reprocher au Président de la République d’avoir négligé les Outre-mer au cours de son mandat. Bien sûr, on peut toujours espérer faire plus. On verra cela à l’ouvrage… Cela étant dit, je le répète, je ne serai pas inactif. Vous avez exposé les moyens dont dispose le Gouvernement au moment de l’examen du texte. Selon moi, on peut s’attendre à ce que certaines choses évoluent à cette occasion.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Si on nous donnait le RSI comme en métropole, ce serait déjà une belle victoire ! Depuis 2008, je le réclame. Après moi, d’autres l’ont fait. Avant moi, un sénateur martiniquais l’avait réclamé pour les travailleurs indépendants, qui ne peuvent pas percevoir les allocations familiales s’ils ne paient pas les cotisations. Et cela, c’est d’une injustice flagrante !

Il est vrai que l’on peut tout mettre dans « l’égalité réelle ». Mais si l’on obtenait au moins cela, ce serait une bonne chose.

Mme Huguette Bello. La bonne chose pour moi, c’est la retraite des agriculteurs. Par exemple, à La Réunion, les agriculteurs perçoivent une retraite de 200-300 euros, contre 75 % du SMIC en France hexagonale. L’égalité, c'est aussi cela. Et c’est aussi la retraite pour les petits pêcheurs.

Ce texte, sur lequel on va travailler et voter, doit vraiment inspirer les mesures que l’on va prendre. Car c’est un texte hybride, qui a un double caractère, déclaratif et normatif. Il faudra veiller à ne pas créer des désillusions chez les peuples d’Outre-mer, qui en attendent beaucoup. C’est ce que je crains.

Certes, les bonnes intentions dont là. Mais il y a tellement d’inégalités ! En 1946, il y a eu un grand texte. Certains – comme Adrien Barré, de La Réunion, un universitaire membre du Conseil de la République – s’étaient alors battus pour que les lois de l’hexagone s’appliquent Outre-mer. Mais on sait le temps que cela a pris ! Et c’est un combat que nous devons encore mener aujourd’hui. Encore une fois, j’ai peur des désillusions.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Monsieur le président, en entendant mes collègues de l’Outre-mer et M. Houillon, je me dis que ce texte ne correspond peut-être pas aux attentes d’égalité – notez que je ne parle pas d’« égalité réelle », mais d’égalité. Donnons donc l’égalité aux Outre-mer, comme en métropole.

Mais même si ce texte n’est pas à la hauteur des attentes, je me dis qu’il va favoriser le travail des parlementaires. On peut considérer, comme a dit M. Houillon, que le Gouvernement n’a peut-être pas été assez ambitieux. Pour ma part, je considère qu’il laisse aux parlementaires le soin de construire un texte qui correspond aux territoires, et qui servira leurs aspirations.

Ce texte constitue une base, certes un peu faible, mais les parlementaires vont avoir la chance de pouvoir l’enrichir pour atteindre l’égalité. Si je ne sais pas très bien ce qu’est l’égalité réelle, je sais ce qu’est l’égalité : pour les agriculteurs, c’est avoir la même retraite, qu’ils habitent à La Réunion ou en Bretagne ; pour les citoyens, c’est de pouvoir toucher l’ASPA ou le complément familial, qu’ils soient de Rennes, de Paris ou de Mayotte.

Je pense donc que la Délégation doit se saisir de ce texte et participer aux débats pour le faire progresser.

M. Thierry Robert. Dans ce projet, il est question d’« égalité réelle ». Aujourd’hui, quand on discute avec les citoyens, on constate que c’est ce qu’ils attendent. Il suffit d’ouvrir le dictionnaire pour comprendre de quoi il s’agit.

J’observe qu’on en parle depuis maintenant quelques années. Mais nous devons faire en sorte que la montagne n’accouche pas d’une souris !

L’une de nos collègues vient de dire que nous allions pouvoir enrichir le texte. De fait, nous avons tous, à commencer par moi-même, déposé des amendements. Mais à chaque fois qu’un amendement créait des dépenses, il était immédiatement déclaré irrecevable. Comment voulez-vous atteindre l’égalité réelle sans aucun moyen financier ?

Les propositions foisonnent. Tout n’est sans doute pas faisable. Peut-être faudra-t-il un certain nombre d’années pour atteindre l’égalité réelle. Est-ce huit ans, dix ans, quinze ans, vingt ans, peu importe. Mais il sera nécessaire – et nous devrons saisir l’occasion de le dire au cours des prochaines séances de travail et dans les deux semaines à venir – d’essayer d’apporter de vraies réponses aux questions qui se posent.

Le sujet de l’ASPA a été abordé depuis tout à l’heure. C’est un véritable souci, et tout le monde le sait. J’ai moi-même déposé un amendement à ce propos, mais il a été déclaré irrecevable parce qu’il crée des dépenses. Je finis donc par me demander si l’on n’a pas donné à la ministre des Outre-mer une tâche qui relève presque de l’impossible.

On va peut-être dire qu’elle n’a pas fait son travail, alors que, pour l’avoir rencontrée dernièrement, je sais qu’elle est pleine d’ambition et de volonté. Elle connaît le territoire et elle a envie de bien faire. Mais peut-on construire un immeuble sans granulats et sans ciment ? Sa tâche est complexe.

Je ne sais pas si, en tant que président, vous pouvez faire remonter ces informations. Je pense que la ministre des Outre-mer, si l’on n’écoute pas forcément ses demandes avec attention, doit se sentir un peu seule. Comment l’aider ? À quelle porte pourrions-nous frapper ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je souhaite vous rassurer au sujet de la ministre des Outre-mer, Éricka Bareigts. Il ne me semble pas qu’il a été choisi de la mettre en danger. Elle dispose de la confiance totale du Président de la République et du Premier ministre. On lui a confié une mission certes difficile, mais une mission d’avenir, et je pense qu’elle a toutes les qualités pour réussir, à commencer par la conviction…

M. Thierry Robert. Je m’interroge sur les moyens dont elle dispose, je n’ai pas dit qu’elle n’était pas compétente ou était sans volonté…

M. le président Jean-Claude Fruteau. J’entends bien que vous ne tarissez pas d’éloges à son sujet, et que vous la plaignez de se trouver dans cette situation.

Cependant, pour filer votre comparaison, vous évoquez un bel immeuble, c’est une belle image, mais il faut commencer par les plans. Ce texte est d’abord l’esquisse, avec quelques éléments matériels constituant les fondations ; ce n’est pas encore l’immeuble en lui-même, il s’agit d’un travail de longue haleine. Les plans de convergence nécessitent dix à vingt ans. Ce n’est pas en quelques jours, quelques semaines ou quelques mois que ce cadre peut être rempli d’une manière propre à satisfaire chacun.

En revanche, il existe une armature, un projet, la définition d’une méthode : c’est la première fois qu’une telle stratégie est annoncée. Car, jusqu’à présent, les divers gouvernements ont annoncé des plans. Certains en ont adopté, d’autres non. Les plans adoptés portaient sur quelques années, deux, trois, quatre ou cinq ans.

Aujourd’hui, c’est une perspective qui est ouverte, un engagement que l’État prend via à vis des Outre-mer. Bien sûr, un autre gouvernement pourra toujours défaire ce que celui-ci aura fait, mais je n’imagine pas qu’un gouvernement puisse tirer un trait sur cette promesse. Elle sera peut-être aménagée, son contenu peut-être augmenté, mais je serais très étonné qu’on la supprime : un tel geste serait un symbole trop dangereux pour les uns comme pour les autres. Nous savons à quel point les partis politiques de gouvernement portent attention à nos Outre-mer, pour toutes les raisons que chacun connaît.

M. Philippe Naillet. Il faut rappeler que, depuis le rapport de M. Victorin Lurel, depuis que l’égalité réelle est évoquée, et que le projet de loi a été présenté à l’Assemblée nationale, des attentes ont été suscitées. Car chacun sait que, soixante-dix ans après la départementalisation, malgré toutes les politiques publiques mises en œuvre, un certain nombre d’inégalités persistent.

Pour nos populations, ce texte constitue l’occasion d’ouvrir une nouvelle page ; ce qui signifie que nous ne pourrons pas faire l’économie d’un certain nombre de mesures sociales. Tous ceux qui se sont exprimés aujourd’hui l’ont dit : des signaux doivent être envoyés, singulièrement en ce qui concerne la vieillesse.

Il faut parachever la correction d’inégalités flagrantes ; car l’égalité réelle consiste précisément à les supprimer. Article 40 ou non, nous verrons bien à l’issue des travaux parlementaires, mais, si nous échouions à adopter quelques mesures sociales, l’affaire ferait « pschitt ».

Par ailleurs, il faut donner une vision au développement économique, car, à la Réunion par exemple, là aussi, malgré le dynamisme économique - le taux de croissance est passé au-delà de 3 % en 2014 et à 2,6 % en 2015 - nous connaissons depuis plusieurs années des taux de chômage élevés. Ce texte doit donner un sens au développement économique, il doit s’appuyer sur les nouvelles opportunités que sont la révolution technologique et la croissance des bassins géographiques qui nous entourent. À cet égard, je rappelle, qu’autour de la Réunion, des pays comme l’Afrique du Sud, le Mozambique et le Kenya connaissent des taux de croissance supérieurs à 5 %. Un pays comme l’Éthiopie, plus proche de la Réunion que de l’Hexagone, a connu un taux de croissance de 10 % jusqu’en 2014, 8,5 % étant prévu pour 2015 et 2016. Au titre de ces nouvelles opportunités, doivent encore être mentionnés le développement durable et l’économie circulaire. Ces progrès doivent nous permettre de sortir de ce que nous avons connu : l’économie fondée sur l’import-substitution, le BTP en grande partie dépendant de la commande publique… 

Le projet de loi doit ouvrir une perspective économique, et mettre en place des outils ; même si je suis un jeune député, j’ai compris que nous ne ferons pas tout cela en neuf mois, mais nous devons délivrer ce message d’avenir.

M. Ibrahim Aboubacar a mentionné les plans de convergence. Ils sont susceptibles de passer pour des tartes à la crème si un contenu ne leur est pas donné, mais j’ai entendu, monsieur le président, que vous considériez que leur édifice va se construire. Ces plans de convergence doivent être à la fois crédibles et visibles, faute de quoi on nous dira que le travail a été bâclé.

Je reconnais la difficulté de l’exercice. Attendons la fin des travaux parlementaires pour tirer des conclusions, évitons les conclusions hâtives ! Nous devons faire bloc, car je pense que tous ceux qui sont aujourd’hui présents dans cette salle défendent avant tout l’intérêt des populations d’Outre-mer. Nous verrons bien, in fine, ce qui ressortira.

Enfin, le Gouvernement a une responsabilité, et les élus de la majorité ne sont pas les seuls impliqués, avec Victorin Lurel hier et Éricka Bareigts aujourd’hui, les Outre-mer ont été respectées au cours de ce quinquennat. L’égalité réelle que l’on nous demande de co-construire constitue une marque supplémentaire de ce respect ; rien ne nous est imposé, il nous est demandé d’y apporter du contenu.

M. Gabriel Serville. Monsieur le président, ce que j’entends ici ou là depuis que nous examinons le projet de loi m’amène à exprimer ici mes sentiments et ressentiments. Je ne souhaite pas, pour autant, être rabat-joie ni mettre des bâtons dans les roues de ceux qui veulent avancer, car il est tout à notre honneur d’être dans la co-construction et le fusionnement d’idées.

J’ai envie, comme le disait Félix Éboué, de jouer le jeu, de m’élever au-dessus de certaines contingences en allant à l’essentiel, et en laissant de côté un certain nombre de préjugés. Mais il est vrai que des situations durent, dont nous ne parvenons pas à nous défaire.

Comme bien de nos collègues, j’ai déposé des amendements. Toutefois je m’interroge : n’avons-nous pas commis d’erreur sémantique en parlant d’égalité réelle ? Ne devrions-nous pas plutôt parler d’équité ? Car il me semble que c’est plus de cela que nous avons besoin. Il faut parfois donner un peu plus à ceux qui n’ont pas assez, et un peu moins à ceux qui ont trop.

Or, c’est précisément là que le bât blesse. Nos populations de Guyane ne cessent de se plaindre ; nonobstant tous les efforts réalisés, l’exaspération est exacerbée. Au cours de la présente législature, bien des choses ont été faites, mais les résultats ne sont pas suffisamment visibles pour convaincre nos populations que le travail a été fait par le Gouvernement ainsi que par les parlementaires que nous sommes.

Une réelle difficulté de terrain existe, je m’en suis récemment ouvert à Mme la ministre : pour évoquer l’égalité, il faut avant tout évoquer la sincérité ainsi que d’une meilleure connaissance du terrain. Les exemples sont nombreux où les Outre-mer, et particulièrement la Guyane, se sont mis au travail, ont rédigé des projets et procédé à des expérimentations ; mais, à l’heure de la mise en musique de la partition, nous avons toujours buté sur des tonnes d’incompréhension, simplement parce que nous n’avons pas la même appréhension des situations de terrain.

L’exposé des motifs du projet de loi illustre une certaine forme d’analyse ainsi qu’une manière de poser les interrogations et d’établir le diagnostic. Nous ne cessons de le dire : lorsqu’une loi est adoptée au Parlement, elle est fondée sur un certain nombre de vérités ; or, souvent, les vérités de la France hexagonale ne sont pas celles des Outre-mer, et en particulier de la Guyane.

Notre collègue Marie-Anne Chapdelaine et sa collègue sénatrice Aline Archimbaud, se sont rendues en Guyane dans le cadre de leur mission sur le suicide chez les jeunes amérindiens et elles ont formulé ensuite un panel de propositions. Lorsque l’on constate aujourd’hui les résultats de leur travail, on se demande comment faire pour que ce type de propositions soit pris en compte par le Gouvernement.

On nous demande encore de nous livrer à un exercice qui est parfois simple, parfois compliqué, consistant à revenir sur des diagnostics et à préconiser des solutions. Je crains fortement – et l’article 40 de la Constitution a été évoqué à plusieurs reprises aujourd’hui – que les propositions ainsi formulées ne puissent pas aller à leur terme. Nous le constatons en Guyane : crise de l’hôpital, crise de la santé, crise dans les écoles, accès à la justice et au logement.

Nous aurions pu imaginer que ce projet de loi sur l’égalité réelle gomme toutes ces disparités. Mais je vous dirai sincèrement, qu’en raison des délais qui nous sont impartis d’ici l’élection de l’année prochaine, je ne suis pas du tout convaincu – non pas de la pertinence du travail que nous accomplissons, car il est de bon sens –, mais de la capacité, notamment du Gouvernement, à pouvoir prendre en considération les propositions que nous serions susceptibles de formuler dans le cadre de l’examen de ce texte.

Mes chers collègues, je suis avec vous, et je vais tâcher d’avancer comme il se doit. Mais je vous donne rendez-vous aux premiers mois de l’année 2017 pour dresser un premier bilan de l’application de la loi. Il nous faudra être très prudents, très perspicaces et très précis dans l’analyse de la situation afin de ne pas nous tromper. Sinon, les désillusions des populations s’exacerberont, et elles ne nous le pardonneront pas.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je partage pleinement, mon cher collègue, votre souci de ne pas aller vers des désillusions. Il faut dire encore une fois que l’originalité de ce projet comme son intérêt résident dans l’ambition annoncée et l’engagement pris. Une méthode est décrite, et des outils sont mis à disposition.

En l’absence de mesures à caractère financier, le projet de loi n’aurait pas été complet. C’est la première fois qu’un tel texte est présenté, et je suis de ceux qui considèrent – quand bien même je ne suis pas pleinement satisfait par l’état actuel du texte – que, tous ensemble, nous devons répondre à l’invitation de co-construction et de coproduction de la ministre. Nous pourrons ainsi aboutir à une loi qui satisfera en grande partie des demandes exprimées aujourd’hui, et nous aurons surtout l’occasion, comme l’a suggéré Philippe Naillet, de saisir toutes les opportunités susceptibles de se présenter dans nos collectivités et territoires.

Cette démarche trouvera ensuite sa place dans les plans de convergence. La construction sera contractuelle, avec les collectivités, les organisations, etc. Je pense qu’il faut faire confiance à ce qui nous est proposé, quand bien même le terme de convergence peut être sujet à interprétation.

Mme Brigitte Allain. Nous devons reconnaître le caractère social de ce projet de loi ; en ce sens, il s’agit d’un texte de gauche. J’entends les réserves émises par nos collègues qui considèrent que l’article 40 bloque les initiatives, mais c’est là que le Gouvernement doit tenir son rôle, et j’espère que d’ici le débat en séance publique tel sera le cas.

L’égalité réelle passe aussi par l’économie et l’écologie. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le président, de nombreuses lois ayant trait à l’économie comportaient un titre consacré aux Outre-mer. Il aurait été intéressant que ce texte dise, lui aussi, que l’égalité réelle passe aussi par l’économie. Les départements d’Outre-mer sont beaucoup trop dépendants de la Métropole sur les plans alimentaires et énergétiques. Les raisons sont connues, elles ont été pour partie prises en compte par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Pour gagner l’égalité sociale, l’ambition devrait être de réaliser l’égalité économique. Pour ce faire, le meilleur moyen consiste à réduire la dépendance des territoires ultramarins, en développant l’économie locale par la mise en valeur des ressources endogènes. Une telle action appelle des décisions politiques importantes afin de mettre un terme à ces importations, comme celles des cuisses et ailes de poulet, selon qu’il s’agit de la Réunion ou de Mayotte, vendues à bas prix, ce qui n’encourage absolument pas les productions locales.

Tant à la Réunion qu’à Mayotte, j’ai vu des initiatives locales intéressantes avec des produits « pays » ; il faut produire ou transformer ici, mais une réelle impulsion politique doit favoriser ces productions. Dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’égalité et la citoyenneté, nous avons adopté une mesure prévoyant que la restauration collective devait comporter 40 % de produits locaux, dont 20 % de produits « bio ». La semaine dernière, le Sénat a supprimé cette mesure. Nous y reviendrons.

Si des moyens spécifiques ne sont pas donnés dans les départements d’Outre-mer, l’égalité réelle n’y sera jamais réalisée. J’ai visité le lycée agricole de Mayotte : certains élèves doivent marcher pendant plus d’une heure matin et soir pour s’y rendre et en revenir ; certains ne dorment que quelques heures par nuit parce qu’ils doivent travailler ou partager une couche et qu’ils ne sont pas toujours logés dans de bonnes conditions. Dans ces conditions, l’égalité sociale est difficile à réaliser ; il sera difficile d’atteindre le même niveau de formation qu’en métropole. Il ne faut pas taire les réalités ; mais la seule ambition d’atteindre l’égalité sociale ne saurait se suffire à elle-même.

M. Daniel Gibbes. Je suis quelque peu pessimiste quant aux suites qui seront données à ce texte, car aucun des orateurs présents ne s’est exprimé de façon catégoriquement positive à son sujet. Comme notre collègue Gabriel Serville, je ne pensais pas prendre la parole aujourd’hui, toutefois, et nous sommes tous au fait de la situation, la question posée au sujet de toutes les propositions est celle de leur mise en œuvre.

Je pense qu’il y a eu un problème dans la méthode, la mise en musique. Ainsi, à l’occasion de l’examen de la loi pour le développement économique des Outre-mer (LODEOM), des états généraux se sont préalablement tenus, qui ont pris en considération un certain nombre d’éléments, dont l’application devait être immédiate.

L’un de nos collègues a considéré que nos concitoyens attendent une application immédiate. Or la réalisation de l’égalité réelle ne réside pas dans un seul texte. La notion a été ainsi évoquée à l’occasion des débats sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Elle est présente dans tous les textes examinés par notre assemblée : il faut que chacun d’entre eux comporte une partie consacrée à l’Outre-mer.

Il ne s’agit pas, cependant, de construire des coquilles où chacun vient faire son marché. Or, nous constatons tous qu’il n’y a pas de visibilité claire. Comme l’ont relevé nos collègues Mme Orphé et M. Houillon, le Gouvernement n’a pas levé le gage pour le moindre de nos amendements dépensiers, pas plus qu’il n’a repris ces amendements à son compte. Or ils portent sur des inégalités financières concrètes. Ce qui me gêne, ainsi, c’est la vision que le Gouvernement porte sur sa politique pour les Outre-mer.

Nous sommes tous animés de bonnes intentions, mais ce projet de loi n’est pas à la hauteur de la portée qu’il aurait dû avoir. Je ne remets pas en cause les intentions de la ministre, mais, comme nous tous, j’exprime une grande insatisfaction. Une autre méthodologie, une meilleure vision, aurait peut-être permis un projet de loi mieux adapté.

Lorsque j’évoquais le CICE, j’ai mentionné une problématique caractéristique : au moment où nous avons décliné l’application du pacte de responsabilité, nous avons mis en garde contre la menace directe résultant pour certains territoires de la mise en œuvre d’un dispositif d’État. La collectivité de Saint-Martin, que je connais bien, a, en vertu de l’article 74 de la Constitution, une compétence fiscale. Avec un statut différent, la Guadeloupe et la Martinique bénéficient, elles, du CICE. Je ne leur conteste pas ce droit, mais j’en constate simplement les conséquences à Saint-Martin : les entreprises qui bénéficient du CICE peuvent concurrencer des entreprises situées sur un territoire également français, mais qui n’est pas soumis aux mêmes règles. Voilà une inégalité flagrante.

Il s’agit de réalités concrètes devant trouver leur solution dans une loi fiscale. Chaque texte qui voudra nous distinguer et nous enfermer dans un carcan particulier reproduira ces problématiques.

Chaque loi applicable à la Métropole devrait comporter des dispositions propres à l’Outre-mer, ce qui devrait donner plus de visibilité et de méthode afin de parvenir aux résultats auxquels nous aspirons tous.

Mme Chantal Berthelot. Je tiens à vous remercier, monsieur le président, pour avoir organisé cet échange de vues, comme je remercie nos collègues présents, car il faut saluer leur nombre, qui est inhabituel.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Il est vrai que, de façon exceptionnelle, ils sont très nombreux, mais je ne voulais effaroucher personne, c’est pourquoi je n’ai pas relevé le fait…

Mme Chantal Berthelot. Cela prouve que le sujet, controversé ou non, intéresse tous nos collègues, y compris ceux qui ne sont pas ultramarins…

L’exercice sera pour moi difficile. Certains de mes collègues, appartenant à mon groupe, connaissent ma position sur ce projet de loi. Je vais tâcher de faire la part des choses et, là où je crois déceler des carences de méthodologie, faire part de quelques-unes de mes espérances.

Effectivement, l’exposé des motifs expose une certaine philosophie de l’égalité réelle, mais, monsieur le président, bien des noms me gênent. Évoquer Condorcet, le Président de la République et le Premier ministre, qui a commandé un rapport à Victorin Lurel, n’est pas une mauvaise chose ; mais je ne comprends pas la mention d’autres noms dans un texte réputé porté par un gouvernement de gauche.

L’ancien ministre aux Outre-mer, Victorin Lurel, a formulé dans son rapport de 2016 des propositions chiffrées et ambitieuses, dont la somme représente des montants considérables. Or, nous savons tous que décliner un tel document en projet de loi constitue un exercice singulièrement difficile. C’est peut-être cela qui nous vaut d’examiner un projet de loi ayant conservé le titre du rapport, mais qui, au fond, ne constitue qu’une méthode, une façon juridique de nous conduire vers l’horizon de l’égalité réelle.

Des outils sont présentés, comme les plans de convergence, et des dispositions sociales applicables à Mayotte, susceptibles d’être enrichies. Ainsi est illustré le décalage entre le rapport très ambitieux d’un ancien ministre, qui réclame de considérables engagements financiers, et sa transcription dans un projet de loi.

Aussi, le Gouvernement devra-t-il assumer ses responsabilités devant le Parlement, en reprenant les amendements tombés sous le coup de l’article 40 de la Constitution ; dans le cas contraire, il lui reviendra d’assumer ses choix. En tant que parlementaires, nous avons fait notre travail en déposant 260 amendements, dont beaucoup ont été considérés comme dépensiers. La coproduction existe, mais le Gouvernement devra répondre à l’attente qu’il a suscitée et que les députés ont exprimée par leurs amendements, ce qui est leur rôle.

J’ai relu la loi de départementalisation de 1946, dont je rappelle qu’elle est constituée de trois articles très clairs et de poids. Elle dit des choses simples : nos colonies sont transformées en départements, et tous les textes de loi promulgués sont applicables aux Outre-mer. S’agissant des retraites des agriculteurs par exemple, il suffit d’appliquer cette loi qui existe !

Soixante-dix ans après sa promulgation, nous constatons que son application a été complexe, peut-être parce que le regard jeté sur les Outre-mer est par trop hexagonal. Peut-être faudrait-il que ce regard soit porté à partir des Outre-mer eux-mêmes, en quelque sorte de l’intérieur. À mes yeux, le réel enjeu de ce projet de loi réside peut-être précisément en cela. Quelles que soient les majorités politiques, il faudrait que la France considère ses Outre-mer avec un regard totalement différent : c’est cela la réalité que nous attendons tous, et que nous souhaitons que la France entende. C’est là que réside le véritable enjeu : que l’on nous regarde à partir de chez nous, et non à partir de la Métropole. Ce n’est que sur le fondement d’un tel regard qu’il est possible de comprendre comment répondre de manière spécifique et adaptée.

Dans quelques heures, lors de l’examen du texte par la commission des lois, j’espère faire passer le message : le contrat de plan « Mayotte 2025 » a engagé la signature de l’État ; de son côté, la Guyane a souhaité un accompagnement de l’État dans sa croissance démographique ainsi que dans ses perspectives de développement. Aujourd’hui, nous attendons toujours cet engagement. Nous sommes partisans des points de convergence, mais, si pour la Guyane, d’ici la semaine prochaine aucune date n’est fixée, je vous dirai, mes chers collègues, de ne pas trop faire confiance à ces points de convergence.

Je suis désolée, monsieur le président, d’être aussi crue, mais notre liberté de parlementaires est de dire les choses. Nous appartenons à une majorité dont je suis solidaire ; mais il faut qu’elle entende lorsqu’elle ne répond pas à nos attentes ainsi qu’à celle de nos concitoyens des Outre-mer.

M. Napole Polutélé. En ce qui concerne la collectivité de Wallis-et-Futuna, je considère que ce projet de loi constitue un concept extrêmement ambitieux, formidable avec cette notion d’égalité réelle. Il apporte à ma collectivité, l’espérance de l’égalité. Cette espérance, dans le temps, paraîtra peut-être virtuelle ou utopique. Mais, dans tous les cas, ce texte représente un objectif, et c’est en ce sens qu’il peut constituer un espoir.

La recherche de l’égalité réelle est déjà une réalité dans mon territoire, à 22 000 kilomètres de la Métropole. Tout y est à construire. Je rappelle qu’un récent rapport de la Cour des comptes a considéré que la contribution d’État ne produisait pas tous les effets souhaitables. Il me semble qu’à partir de cette contribution publique, nous pourrions envisager d’autres perspectives de développement, et que l’investissement qu’elle représente pourra être mieux mis à profit.

Je voudrais évoquer la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui me paraît aller déjà dans le sens de l’égalité réelle. En effet, le Gouvernement a bien voulu que Wallis-et-Futuna bénéficie de la péréquation tarifaire. Cette mesure constitue un geste social très important pour notre territoire, car le prix du kilowattheure y est cinq à six fois plus élevé qu’en métropole.

Bien entendu, l’effort demande à être poursuivi dans d’autres domaines, Mme Orphé a évoqué les allocations versées aux personnes âgées. À Wallis-et-Futuna, le montant mensuel de cette prestation s’élève à 70 euros mensuels. J’ai entendu mentionner la somme de 600 euros ; je serais très heureux que mes compatriotes puissent bénéficier d’un tel montant ! Toutefois, je ne perds pas espoir, je considère que ce projet de loi pourrait comporter des points de convergence, des ouvertures susceptibles de nous permettre de tendre à l’égalité sociale. Le titre II consacré au territoire de Mayotte est la preuve qu’il est possible d’avancer dans ce sens ; il constitue la première pierre d’un édifice, qui devra être complété.

Nous devons tendre vers la perspective de l’égalité réelle. À 22 000 kilomètres, nous sommes aussi la France. Je le rappelle, nos territoires d’Outre-mer apportent à la France le deuxième domaine mondial de zones économiques exclusives, ce que nous avons trop tendance à oublier. À ce titre, nous méritons d’être pris en considération.

Voilà, monsieur le président, les aspects que je souhaitais souligner. Je me félicite de ce texte dont je considère qu’il constitue un espoir pour nos territoires d’Outre-mer.

Mme Maina Sage. Quelle suite sera-t-elle donnée à notre débat de ce jour, monsieur le président ? Est-il prévu qu’un compte rendu soit établi ce soir, pour l’examen du texte par la commission des lois ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. Le compte rendu sera rendu public et distribué pour le débat en séance publique, sans pour autant faire l’objet d’un rapport proprement dit, présenté au nom de notre délégation. J’ai organisé cette réunion afin que chacun puisse librement s’exprimer, sans craindre les interprétations malveillantes toujours possibles dans un cadre plus large.

Mme Maina Sage. Je partage l’ambition et la volonté qui animent ce projet de loi et transcendent les clivages partisans. Je crains toutefois que les moyens ne soient pas au rendez-vous, et que la montagne n’accouche d’une souris.

Je fais partie de ceux qui ont fait en sorte que ce texte reçoive un avis favorable de la Polynésie, car il me semble que nous posons là une première pierre ; mais cela n’en diminue pas les faiblesses.

Beaucoup de contributions sont venues étoffer le texte du Gouvernement afin de lui donner plus d’envergure ; mais cet apport reste des mots à valeur purement symbolique. On le voit à travers le nombre des amendements adoptés qui demandent la publication de rapports.

Ma critique se veut constructive et non simplement politique. Tous les territoires attendent beaucoup de ce texte, dans un état d’esprit qui dépassera l’opposition entre la gauche et la droite. Nous avons tous travaillé et contribué à l’examen du projet de loi, nous ne pouvons pas nous arrêter au milieu du gué, et j’espère que le Gouvernent saura nous entendre. Je remets quelque peu en question le terme de co-construction, dont je doute ; il serait préférable de parler de coproduction, car nous avons tous participé au travail. La co-construction avec le Gouvernement devrait se traduire par des actes concrets de modification du texte.

Je reconnais volontiers que ce projet de loi présente une structure. D’ici son examen en séance publique, nous devons pouvoir y ajouter des éléments économiques concrets. À cet égard, la continuité territoriale telle qu’elle est présentée me pose problème, et pense que ce sentiment est partagé entre nous : il ne s’agit pas d’économie, il s’agit de passer un contrat gagnant-gagnant, et il me semble que nos collègues métropolitains peuvent nous y aider. Mais comment trouver les clés pour leur expliquer que nous avons besoin de ce portage exceptionnel, doté des moyens dédiés ? Ces moyens doivent être particuliers, et mis en œuvre rapidement afin que nos territoires puissent déjauger, faute de quoi les Outre-mer seront le tonneau des Danaïdes.

Le rattrapage social est fondamental, et je vous soutiens dans cette démarche, même s’il concerne principalement les DOM. Je voudrais souligner, à cet égard, la solidarité des collectivités d’Outre-mer (COM), car cela n’est pas toujours réciproque. Il est très difficile pour les COM de comprendre pourquoi les DOM ne bénéficient pas du rattrapage social et n’ont pas les mêmes avantages.

Nous nous accordons tous, je l’entends, à considérer qu’en aidant les territoires à se développer économiquement et durablement, nous diminuerons d’autant le besoin d’aide sociale : c’est là une source d’économie. Encore une fois, il s’agit d’un contrat gagnant-gagnant, c’est pourquoi il faut adopter des mesures exceptionnelles dans le cadre d’un plan économique quinquennal. C’est ainsi que nous aiderons ces territoires à s’en sortir et à rétablir l’équilibre afin d’atteindre plus rapidement l’égalité à laquelle nous sommes tous attachés.

Certes, rien ne sera jamais parfait, l’égalité ne se décrète pas, il n’est pas question d’une égalité absolue, mais d’un horizon ; c’est aussi cela que j’apprécie dans l’approche de Victorin Lurel. Nous devons être ambitieux, et ne pas opposer le social à l’économique. Le social constitue une évidence dont nous ne devrions même pas avoir à discuter ; à cet égard, je comprends mal l’application de l’article 40. Dans le domaine économique, nous devons rapidement identifier ensemble les priorités pour lesquelles il est possible de soutenir massivement des dispositifs efficaces.

Je répète par ailleurs que la continuité territoriale n’a rien à voir avec les préoccupations économiques, elle concerne aussi le domaine social. Ainsi, est-il proposé de rattraper la distance existant en soutenant la mobilité étudiante, mais quelle est la place des entreprises dans ce texte ? Ce ne sont pas les services publics qui font l’économie, ce sont les entreprises qui créent des emplois ; elles sont nos partenaires en termes de développement. J’observe les mauvais traitements dont elles font l’objet dans la mise en œuvre de la défiscalisation, particulièrement dans les COM ; je constate d’ailleurs un déséquilibre, car les DOM bénéficient du CICE ainsi que des exonérations de charges.

Je souhaiterais que nous puissions avoir une approche innovante et différente, ambitieuse et décomplexée vis-à-vis de nos situations. Cela reviendrait à définir une autre relation entre l’État et nos collectivités, ce que j’ai évoqué lors de l’audition de Mme la ministre. Il s’agit aussi de changer le regard porté sur nos territoires.

Le temps qui nous a été imparti pour examiner ce projet de loi a été court, alors que nous avons besoin de nous pencher sur les moyens que l’Outre-mer peut se donner pour changer ce regard. Je soutiens l’amendement relatif au renforcement des moyens de notre délégation qui doit être l’un des outils clés propres à faire entendre la voix de nos territoires au Parlement.

Par-delà ces préoccupations se pose la question du rôle de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État Outre-mer (CNEPEOM), ainsi que de l’évaluation. Il aurait été bon qu’au-delà des objectifs sociaux et économiques, le projet de loi puisse décliner concrètement les outils qui nous permettront la mise en œuvre de ces plans. Ainsi, faut-il donner une autre envergure à la CNEPEOM ; le nombre de rapports que nous demandons dans ce texte dénote l’absence totale de statistiques dans pratiquement tous les domaines. Or, sans statistiques fiables, sans suivi et sans évaluations, il n’est pas possible de piloter une quelconque action ; sans diagnostic, il n’est pas possible de prescrire de remède. Un volet pourrait être ajouté au projet de loi, qui porterait sur les moyens exceptionnels que l’État serait susceptible de mettre à la disposition des territoires afin d’améliorer la connaissance, le suivi, l’évaluation et le contrôle.

J’espère que cet échange de vues entre les membres de la délégation pourra être utile, avant l’examen du texte par la commission des lois, qui nous fera entrer dans le détail des mesures.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie, madame Sage, de votre participation, qui, comme toujours, est intéressante, et vise l’efficacité.

Soyez assurés, mes chers collègues, que je saurai me faire, en tant que président de cette délégation, votre porte-parole. Ma tâche est aisée, en l’occurrence, car nos échanges ont été relativement consensuels, même s’il existe des nuances.

Je ne ménagerai pas ma peine, une fois encore, pour faire entendre votre voix, votre désappointement, votre désenchantement, votre déception. Je ferai aussi part de votre volonté d’aller de l’avant, de votre espoir, que je sais partagés. En tout état de cause, je suis persuadé que la co-construction existera.

II. AUDITION DE MME CHRISTINE PIRÈS BEAUNE SUR LES CONCOURS FINANCIERS DE L’ÉTAT AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DES OUTRE-MER

(Séance du 25 octobre 2016)

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue, en votre nom, à notre collègue Christine Pires Beaune, députée du Puy-de-Dôme.

Christine Pires Beaune est rapporteure spéciale de la commission des finances pour les relations de l’État avec les collectivités territoriales et les avances aux collectivités territoriales. C’est une spécialiste reconnue de ce qu’il est convenu d’appeler les concours de l’État aux collectivités locales, en particulier de la dotation globale de fonctionnement.

La question des relations financières entre l’État et les collectivités locales ne cesse d’évoluer, sous l’influence de deux problématiques générales.

La première est celle des compétences dévolues aux collectivités, et de la contrepartie financière de la définition et de l’évolution de ces compétences : on l’a bien vu lorsqu’il s’est agi, en 1983, de tirer les conséquences de la réforme fondamentale de la décentralisation.

La seconde est celle de la répartition entre ressources propres, notamment fiscales, des collectivités, et ressources transférées, provenant des dotations de l’État, au premier rang desquelles on trouve la dotation globale de fonctionnement.

Ces débats affectent naturellement les collectivités locales et territoriales de nos Outre-mer, avec des particularités liées à la taille de ces collectivités – les communes de La Réunion et de Guyane, par exemple, sont bien plus vastes que la moyenne des communes de l’hexagone – et à la structure spécifique de leurs finances aussi bien que de leurs charges.

Il sera bon pour nous de bénéficier d’un regard à la fois proche et extérieur, et surtout compétent, comme celui de notre collègue Mme Pires Beaune, pour nous aider à réfléchir sur l’équilibre financier de nos collectivités, et l’évolution prévisible des concours de l’État.

Je lui propose donc de bien vouloir nous livrer son appréciation générale sur ce sujet, au regard de nos préoccupations particulières de responsables de collectivités ultramarines. Celles et ceux qui le souhaitent pourront ensuite exposer leurs analyses personnelles et leurs questions et engager la discussion avec notre invitée.

Mme Christine Pires Beaune. Je suis très heureuse de venir parler devant vous de finances locales, mais je suis loin d’être une spécialiste. Le sujet est tellement vaste que notre hémicycle ne compte peut-être qu’un seul vrai spécialiste, Gilles Carrez, du fait de ses nombreux mandats et de son rôle au sein du comité des finances locales.

Pour ma part, je connais un peu le sujet de la dotation globale de fonctionnement (DGF) pour m’y être consacrée pendant de longs mois. J’ai malheureusement constaté, avec beaucoup d’entre vous, que le rapport que j’avais rédigé avec le sénateur Jean Germain a été enterré. L’année dernière, le PLF prévoyait une réforme de la DGF dont l’application avait été repoussée au 1er janvier 2017 : parce que de nouvelles communautés de communes étaient en train de se constituer et que la carte intercommunale en serait profondément modifiée, il paraissait préférable d’attendre. Or cette année, le PLF prévoit tout simplement la suppression de l’article 150 de la loi de finances pour 2016, c’est-à-dire la suppression de la réforme de la DGF…

Pour ma part, je regrette cette décision. Lors de la remise de notre rapport, il y a un peu plus d’un an, toutes les associations d’élus s’accordaient sur la nécessité d’une réforme d’une DGF devenue compliquée, illisible et inéquitable : il arrivait fréquemment que deux communes dans la même situation reçoivent des dotations différentes de la part de l’État.

Mais dès qu’il s’est agi d’entrer dans le détail des solutions proposées, les avis ont divergé, et à l’exception de l’Association des maires ruraux qui voulait maintenir la réforme de la DGF, toutes les associations d’élus ont demandé plus de temps pour mettre en œuvre une réforme différente de celle proposée à l’article 150. Surtout, ces associations avancent maintenant qu’il faut une loi spécifique sur les finances des collectivités locales. Lors du dernier congrès de l’Association des maires de France, son président a accédé à la demande d’une loi spécifique à partir de 2018.

Je ne sais si cette loi verra le jour. De nombreuses questions compliquées à régler se posent, ne serait-ce que celle du calendrier. Devant quelle chambre cette loi spécifique va-t-elle venir en priorité ? En tant que loi de finances, elle devrait être présentée en priorité devant l’Assemblée nationale ; mais elle devrait être votée avant le projet de loi de finances, puisque nous avons un objectif de dépenses publiques à respecter. Je ne sais pas comment tout cela pourra s’articuler, et je suis plutôt dubitative sur les chances de voir un jour une loi de finances consacrée aux collectivités locales.

On parle souvent d’« araignée » pour décrire l’architecture de la notion globale de fonctionnement. En gros, il existe une DGF du bloc communal, une DGF des départements et une DGF des régions.

Pour ce qui est du bloc communal, la DGF se compose d’une dotation forfaitaire et de la dotation d’aménagement, qui inclut les dotations de péréquation et les dotations des EPCI (établissements publics de coopération intercommunale). Il n’existe pas de DGF des EPCI à proprement parler. Une des pistes de la réforme que nous proposions était de créer une DGF propre aux EPCI, mais elle est aujourd’hui incluse dans la dotation d’aménagement, avec les dotations de péréquation.

Les communes d’Outre-mer ne bénéficient pas d’un régime particulier pour la dotation forfaitaire : c’est le droit commun qui s’applique donc.

Il n’en est pas de même pour les dotations de péréquation. Rappelons qu’il faut distinguer deux formes de péréquation : la péréquation dite verticale, constituée des dotations versées par l’État aux collectivités, et la péréquation horizontale, constituée des dotations versées entre collectivités, gérée à travers le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC).

Il existe trois dotations de péréquation verticale principales : la dotation de solidarité urbaine (DSU), la dotation de solidarité rurale (DSR) et la dotation nationale de péréquation (DNP).

Les communes d’Outre-mer bénéficient de deux quotes-parts spécifiques, une quote-part DSU/DSR et une quote-part dotation nationale de péréquation (DNP). Le montant des enveloppes est déterminé en appliquant au montant total de la dotation de droit commun un ratio de population majoré de 33 %. Le résultat est la dotation d’aménagement des communes et circonscriptions territoriales d’Outre-mer (DACOM). C’est ce calcul qui détermine l’enveloppe.

Le mode de répartition de cette enveloppe diffère également de celui appliqué en métropole ; certains critères sont communs, d’autres sont spécifiques. La répartition repose naturellement sur des critères de démographie, autrement dit sur la population, mais elle est également fonction de la superficie, de l’éloignement du chef-lieu du territoire et de critères financiers : impôts ménages pour les départements d’Outre-mer et centimes additionnels pour la Polynésie Française et la Nouvelle-Calédonie

La loi de finances pour 2016 a un peu changé les choses afin que les territoires d’Outre-mer soient moins pénalisés par la contribution au redressement des finances publiques (CRFP). La CRFP est payée par toutes les collectivités, qu’elles soient en difficulté ou non. Elle est calculée en prenant le total des recettes réelles de fonctionnement de la collectivité, auquel on applique un pourcentage identique pour tous. L’année dernière, celui-ci était d’un peu moins de 2 % pour les communes.

La loi de finances pour 2016 a modifié le périmètre des recettes réelles de fonctionnement pris en compte pour le calcul de la CRFP des communes des départements d’Outre-mer : pour ces communes, l’assiette de calcul de la contribution est diminuée des recettes qu’elles perçoivent au titre de l’octroi de mer. Cela a eu pour effet d’en diminuer le poids pour elles.

Pour 2016, le montant de la dotation d’aménagement – qui regroupe l’enveloppe des EPCI et les dotations de péréquation – s’élève à 3,9 milliards d’euros au plan national, ce qui représente une augmentation de 8,14 % par rapport à 2015. Ces dernières années, un énorme effort de péréquation est réalisé. Mais cet effort énorme est supporté par toutes les collectivités, pas par l’État, puisque la péréquation se finance au sein de ce que l’on appelle l’enveloppe normée.

La somme des deux quotes-parts destinées aux communes d’Outre-mer, après application du rapport majoré de population précité, s’établit à 210 millions d’euros, soit une progression de 7,7 % par rapport à 2015.

Dans le détail, c’est la quote-part DSU/DSR qui a le plus augmenté, de 9,95 % par rapport à 2015, pour s’établir à 168,2 millions d’euros. Sur cette somme, 129,8 millions d’euros ont été répartis au profit des communes des départements d’Outre-mer, y compris le département de Mayotte, et 38,3 millions d’euros bénéficient aux communes des collectivités de Polynésie française, de Nouvelle-Calédonie, de Wallis-et-Futuna et de Saint-Pierre-et-Miquelon.

La quote-part DNP des communes d’Outre-mer s’établit quant à elle à 42,37 millions d’euros pour 2016, en diminution de 0,41 %.

Pour 2017, quelques mesures prévues dans le projet de loi de finances vont dans le bon sens.

La dotation d’aménagement des communes d’Outre-mer (DACOM) est actuellement calculée par application au montant total de la dotation d’aménagement d’un coefficient majoré de 33 %. L’article 59, alinéa 15 du projet de loi de finances propose de porter cette majoration à 35 %. Faute de simulations, je ne peux pas vous dire la somme que cela représente, mais cela va plutôt dans le bon sens.

Le même article 59 prévoit l’attribution au département de Mayotte d’une part de DGF régionale pour financer l’exercice de certaines compétences régionales par le département. Cette dotation s’élèvera à 804 000 euros pour 2017.

Enfin, l’article 59 prévoit une augmentation générale, donc aussi pour les Outre-mer, de 180 millions d’euros de la DSU et de 117 millions d’euros de la DSR. C’est la même progression que celle que nous avons connue en 2016. J’ai déposé un amendement pour porter l’augmentation de la DSR au même montant que celle de la DSU, soit 180 millions d’euros. Vendredi dernier, cet amendement a été repris par le Gouvernement et inclus dans un amendement global qui concerne également la ponction opérée sur les départements et les régions pour financer la hausse de la population, la carte de l’intercommunalité et les variables d’ajustement. Si cette mesure arrive au terme de la procédure, la DSU et la DSR augmenteront chacune de 180 millions d’euros.

La réforme de la DGF, telle qu’elle était proposée, aurait abouti à une augmentation de la DGF des communes des DOM de 2,2 %, car elle était favorable à certains territoires, dont les territoires d’Outre-mer. Cette réforme n’est plus d’actualité, mais selon les simulations, la dotation de Saint-Benoît à La Réunion aurait augmenté de 468 000 euros, celle de Saint-Denis de 947 000 euros.

Enfin, je viens de recevoir un rapport de la Cour des comptes d’octobre 2016, réalisé à la demande du président Carrez, sur les finances publiques locales. Une partie de ses développements concerne les collectivités d’Outre-mer ; il serait intéressant pour vous de le consulter.

M. Jean-Claude Fruteau, président. Merci pour cet exposé dense et complet. Moi qui ne suis pas spécialiste de ces problèmes, j’ai eu un peu de mal à suivre, car il faut s’y connaître un peu : la matière est difficile. Mais je sais, en tant que maire, les efforts qui nous ont été demandés pour participer au redressement des finances publiques, et qui ont inévitablement une répercussion sur les ressources générales des communes.

Il est très bien que nous soyons ici mis au fait du pourquoi et du comment. Même si nous ne pouvons pas y changer grand-chose pour le moment, il faut espérer que l’on reprendra bientôt les pistes d’améliorations envisagées dans le rapport que vous avez rendu.

Mme Christine Pires Beaune. On peut regretter que la contribution au redressement des finances publiques soit uniforme. Aujourd’hui, quelle que soit la commune ou la collectivité, le même pourcentage s’applique au total des recettes réelles de fonctionnement, hors octroi de mer et recettes exceptionnelles. On aurait pu envisager une ponction soumise à péréquation.

Mais le scandale va au-delà : plus de 160 communes ne touchent plus de DGF. Si la contribution est calculée sur les recettes réelles de fonctionnement, c’est par le biais de la DGF que la commune est ponctionnée. Du coup, une commune qui ne touche plus de DGF échapperait à cette ponction. Mais le Gouvernement a trouvé un artifice : ces communes sont ponctionnées directement sur leur fiscalité locale. Elles paient donc une contribution, mais c’est tout de même injuste, car les autres communes ont été prélevées en 2014 et en 2015, ces prélèvements se sont cumulés, tandis que pour les communes qui ne paient pas de DGF, comme il s’agit d’une ponction sur la fiscalité locale, il n’y a pas eu de cumul.

Mais le plus scandaleux est que ces communes, qui paient certes une contribution au redressement, ne financent absolument pas la hausse de la péréquation qui est décidée chaque année. Pour financer cette hausse, la DGF des communes les plus riches est écrêtée au bénéfice des plus pauvres. Mais comme ces communes les plus riches ne touchent pas de DGF, elles échappent à l’écrêtement. Du coup, elles ne financent pas la hausse de la péréquation.

M. Serge Letchimy. Notre collègue sénateur Georges Patient avait introduit une réflexion sur ces sujets. Quel est votre avis sur les propositions qu’il a faites pour régler le problème de l’injustice vis-à-vis du versement de la DGF Outre-mer ?

Par ailleurs, le fait que l’octroi de mer ne soit pas comptabilisé au titre des recettes de fonctionnement pénalise-t-il les collectivités d’Outre-mer ?

Mme Christine Pires Beaune. Au contraire, le fait de ne pas inclure l’octroi de mer dans leurs recettes avantage les collectivités d’Outre-mer, mais je n’ai pas l’évaluation de l’économie qui est ainsi réalisée. C’est une mesure positive introduite l’année dernière dans la loi de finances pour 2016, puisque nous avons décidé d’exclure l’octroi de mer, au même titre que les recettes exceptionnelles.

M. Serge Letchimy. Ma troisième question porte sur les critères de calcul de la DGF de base, notamment la population. Certaines régions voient leur population augmenter considérablement – c’est le cas de la Guyane, de Mayotte ou, dans une moindre mesure, de La Réunion – tandis que d’autres connaissent une chute démographique terrible. Et au lieu de diminuer les charges, elles augmentent. Cet élément entre-t-il dans votre réflexion ?

Prenons l’exemple de la Martinique : nous avons déjà perdu 18 000 habitants, et nous en compterons 20 000 à 30 000 de moins d’ici à cinq ou dix ans. Il faut donc peut-être revoir ce critère.

Ma dernière question porte sur les villes centres. Nous avons mené un important combat pour la prise en compte des charges de centralité pour les communes, sous-préfectures ou capitales des régions d’Outre-mer. Par exemple, la centralité de Saint-Denis de La Réunion représente pour cette commune une charge supplémentaire, car plus de personnes y viennent en journée que la population recensée. Fort-de-France est fréquenté par presque 150 000 personnes en journée, alors que sa population ne dépasse pas 90 000 ou 95 000 personnes. Tout cela induit des charges de centralité qui n’étaient pas du tout comptabilisées dans le calcul de la DSU. Quel est votre avis sur ce point ?

Mme Christine Pires Beaune. Dans le rapport que nous avons réalisé avec notre collègue Jean Germain, nous avions clairement écrit qu’il fallait beaucoup plus de temps pour étudier la situation des collectivités Outre-mer, et nous avions laissé de côté ce sujet qui méritait une analyse poussée. Nous renvoyions donc sur ce point au rapport de Georges Patient. Je n’ai donc pas poussé très loin l’analyse de la situation Outre-mer.

En revanche, s’agissant des critères, nous avons clairement écrit qu’il y avait urgence. Le potentiel fiscal, le potentiel financier ou l’effort fiscal sont devenus des critères obsolètes. Le critère de la population lui aussi soulève des interrogations, notamment l’algorithme utilisé.

Je suggère systématiquement au président du comité des finances locales, André Laignel, de se saisir de ces sujets. Ce sont ces critères qui déterminent la répartition : s’ils ne correspondent plus à la réalité, cela signifie qu’en plus, le mode de répartition est complètement décorrélé de la réalité de nos territoires.

Les charges de centralité étaient prises en compte dans la réforme. Dans sa version prévue initialement, le mécanisme ne fonctionnait pas, mais l’idée méritait d’être tenues : une ville centre se retrouve à supporter des charges de centralité par le fait que certains de ses équipements profitent à tous, alors qu’elle est la seule à les financer. Il faut pouvoir en tenir compte, y compris dans les dotations qui lui sont reversées.

Je ne sais pas comment fonctionne l’intercommunalité Outre-mer, mais en métropole, je suis partisane d’une territorialisation de la DGF, afin de considérer le territoire comme un ensemble, plutôt que de séparer l’EPCI d’un côté et la commune de l’autre. Aujourd’hui, selon la façon dont l’intercommunalité est organisée, le même équipement peut être géré par une commune ou par un EPCI. Et l’État, depuis Paris, ne peut pas décider s’il faut donner à l’EPCI ou à la commune en fonction de leurs responsabilités respectives.

C’est pour cela qu’une DGF calculée au niveau des territoires – EPCI et communes – sur la base de critères agrégés donnerait un résultat beaucoup plus juste, permettant de tenir compte de la centralité.

Toutes ces pistes étaient ouvertes dans le rapport ; malheureusement il ne sera pas appliqué. J’espère tout de même que la réforme viendra. Nous sommes au pied du mur, nous le voyons aujourd’hui avec le PLF 2017 : les variables d’ajustement sont presque à zéro, et ne suffisent plus pour compenser la hausse de la population, la carte communale et la hausse de la péréquation.

Nous sommes donc obligés d’aller chercher d’autres recettes pour les intégrer à l’enveloppe normée. C’est d’ailleurs scandaleux : ce sont les recettes des départements et des régions qui sont mises à contribution, notamment la dotation de compensation de réforme de la taxe professionnelle. Or ce sont les départements au passé industriel qui bénéficiaient le plus de cette dotation, tout simplement qu’ils étaient plus pauvres que d’autres. Les départements de Paris ou des Hauts-de-Seine ne touchent rien au titre de la dotation de compensation de réforme de la taxe professionnelle. Autrement dit, cette base ne permet pas de les ponctionner, et les plus riches échappent à la ponction. Tel qu’il est écrit aujourd’hui, le système ne me satisfait absolument pas, mais nous sommes au pied du mur : nous ne parviendrons plus à assurer la péréquation, ni à financer la hausse de la population et les mouvements de cartes intercommunales si de nouvelles recettes ne viennent pas alimenter l’enveloppe normée.

M. Daniel Gibbes. Ma question concerne ma circonscription, mais aussi très certainement la Guadeloupe, la Martinique et d’autres.

Saint-Martin est une collectivité régie par l’article 74 de la Constitution, dotée de l’autonomie fiscale ; le transfert de compétences qui a eu lieu en 2008 nous cause aujourd’hui quelques soucis.

Le montant des enveloppes de dotation est déterminé en appliquant des ratios de population auxquels s’ajoute parfois le critère de la superficie. Mais comment peut-on déterminer ces enveloppes sans indices statistiques fiables ? Pour vous donner un exemple, l’estimation du PIB par habitant pour la collectivité de Saint-Martin a été réalisée en 2005 par le CEROM – comptes économiques rapides pour l’Outre-mer – sur la base de données de 1999… Aujourd’hui, en 2016, les chiffres sont bien différents. Comment peut-on être sûr que les dotations sont adaptées à la situation de nos territoires si nous ne disposons pas d’indices statistiques fiables ? Ce problème, qui peut être un frein pour le développement de nos territoires, a été évoqué lors du débat sur le projet de loi sur l’égalité réelle Outre-mer. Lorsque nous disons que nous ne recevons pas notre juste part, nous ne mendions pas, nous mettons en cause des statistiques totalement obsolètes.

Mme Christine Pires Beaune. Je répète ce que j’ai dit tout à l’heure en précisant deux choses : votre quote-part est calculée en appliquant un ratio de population majoré ; ensuite, dans la répartition de la dotation, d’autres critères entrent en ligne de compte comme la superficie, les impôts ménages, etc.

Cela n’enlève rien à ce que j’ai dit : les critères aujourd’hui ne sont pas fiables, y compris en métropole, car les modalités de recensement de la population font que la hausse de la population d’une commune n’est pas prise en compte immédiatement : il faut attendre le recensement suivant au terme des cinq ans. Les communes dont la population augmente fortement s’en plaignent. Mais lorsque la population diminue, l’effet est aussi dramatique puisqu’il faut amortir les charges fixes liées au fonctionnement des équipements avec une population moindre. Cela pose un vrai problème. Le travail sur les critères est aussi important que la réforme elle-même. Même si la réforme ne se fait pas faute de majorité, ce serait une avancée tout de même de pouvoir s’appuyer sur des critères rénovés, plus justes. Il faudrait probablement déterminer des critères spécifiques pour l’Outre-mer, mais je suis incapable de vous dire quels sont les bons critères.

M. Daniel Gibbes. J’ai compris votre démonstration et je suis d’accord avec son fil conducteur. Votre exemple pour les communes dans l’hexagone met en exergue un écart de cinq ans entre l’évolution démographique et sa prise en compte. Dans l’exemple de Saint-Martin, il dépasse une dizaine d’années – de 1999 à 2016 ! C’est ce genre d’exemple qu’il faut aujourd’hui mettre en avant pour restaurer la crédibilité de nos territoires qui sont souvent considérés comme des gouffres financiers par l’hexagone. Je mets les pieds dans le plat, car c’est ainsi que nos territoires sont perçus. Je ne conteste pas la nécessité de redéfinir des critères – il me semble plus facile de faire en sorte qu’on dispose d’indices statistiques les plus justes possible – mais le critère démographique reste préjudiciable pour nous.

M. Serge Letchimy. Je veux appuyer ce qu’a dit notre collègue. Je reconnais des tentatives d’amélioration sur le volet population puisque l’INSEE procède désormais par sondages pour le recensement. Ce que vous avez dit est incroyable. Comment peut-on laisser les choses se faire de cette manière ? Cela témoigne d’une gouvernance à vue de l’Outre-mer de la part de l’État, mais aussi d’une gouvernance à vue de chaque collectivité. C’est un grave problème. Depuis que je suis parlementaire, j’entends cela. Ce qui m’étonne le plus, c’est l’absence de réaction de l’État. Cette situation est totalement contraire à la logique de la décentralisation ; vouloir gouverner localement, sans pour autant parler d’autonomie ou d’indépendance, me semble pourtant une préoccupation récurrente.

Je vous donne un exemple : la Martinique allait se voir sucrer quelque 270 millions d’euros de fonds européens au motif qu’Eurostat – l’outil statistique européen – estimait que son PIB avait dépassé le seuil d’éligibilité à l’objectif 1 du Fonds européen de développement régional (FEDER). Au-dessus de ce seuil, on change de catégorie. Eurostat considérait que le PIB martiniquais représentait 75,5 % de la moyenne communautaire alors que le seuil est de 75 %. La France était incapable de fournir des statistiques cohérentes pour contredire l’analyse européenne. Il a fallu une bataille incroyable pour obtenir le maintien de ces 275 millions d’euros. Pour des calculs financiers aussi importants, une telle carence est invraisemblable. Il faut secouer, aujourd’hui ou demain, le gouvernement quel qu’il soit pour régler ce problème. On navigue à vue, sans aucune certitude sur les choix qu’on fait. Daniel Gibbes a parfaitement raison.

Mme Christine Pires Beaune. Je mesure en vous écoutant les répercussions que peut entraîner le critère de population en Outre-mer, notamment sur les politiques publiques à mettre en place.

Vous déplorez la gouvernance à vue des collectivités. Je suis moi-même conseillère municipale d’une commune de 1 600 habitants dans laquelle il n’existait pas de plan pluriannuel d’investissement, ni de pilotage. Je m’aperçois que cela devient indispensable, y compris dans les petites communes. Notre commune se retrouve en épargne nette négative pour la deuxième année consécutive, avec des taux d’imposition pourtant déjà assez élevés, faute d’avoir mesuré sur le long terme les conséquences du regroupement intercommunal sur le dynamisme des recettes économiques.

L’État a une responsabilité, les associations d’élus aussi. Il faut faire comprendre aux collectivités qu’on ne peut plus naviguer à vue et qu’il faut des plans pluriannuels d’investissement et un pilotage financier, quitte à imposer – je ne suis pourtant pas fanatique du bâton – des pactes financiers entre la communauté de communes et les communes, sinon on n’y arrivera pas.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Le bâton existe déjà dans les organismes financiers qui refusent des emprunts pour financer des investissements aux communes qui ne présentent pas une situation financière saine ou en tout cas pas trop dégradée. C’est le cas pour de nombreuses communes d’Outre-mer, à commencer par la mienne qui sera en épargne nette négative cette année.

Mme Christine Pires Beaune. Quand je parlais de bâton, je visais le pacte financier au sein du territoire et non pas vis-à-vis des organismes extérieurs, où il existe déjà. La dotation de solidarité communautaire est aujourd’hui facultative. Il n’est pas normal qu’à l’intérieur d’un territoire – j’entends par là un EPCI et les communes – aisé, une commune souffre. La solidarité au sein du territoire devrait être naturelle.

M. Daniel Gibbes. Je vais faire plaisir à mon collègue Serge Letchimy. Aujourd’hui, Saint-Martin, à la différence de Saint-Barthélemy, jouxte une collectivité hollandaise, avec des frontières ouvertes, un fonctionnement totalement différent ; les écarts sont encore plus énormes localement.

De nombreuses collectivités pourraient s’en sortir économiquement et fiscalement de façon autonome, en devenant une collectivité comme l’a fait Saint-Martin. Mais elles voient d’un œil inquiet que cela ne marche pas à Saint-Martin. Je le dis souvent, c’est l’homme qui est derrière la machine ou l’outil qui fait que cela fonctionne ou pas. Il faut bien comprendre que cela ne peut pas marcher lorsque la terre mère – l’hexagone – n’aide pas sur certains points précis, comme les outils statistiques. L’exemple de Saint-Martin n’incite pas les autres territoires à choisir la voie du développement régional – Serge Letchimy a présenté une proposition de loi relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération de l’Outre-mer dans son environnement régional. Notre dynamique est complètement différente de l’hexagone. Nous pouvons nous en sortir par nous-mêmes en nous insérant dans notre environnement – les États-Unis, Sainte-Lucie pour la Martinique, la Dominique pour la Guadeloupe – dont nous subissons la concurrence frontale. Nous ne pouvons pas prendre notre autonomie en main comme nous le voudrions parce que la façon d’agir de l’État, sur des éléments pourtant très simples et qui pourraient nous aider, nous en empêche. Si le minimum était fait, nous aurions plus de latitude dans la gestion de notre outil financier et nous coûterions beaucoup moins cher à l’État. Alors que les territoires voudraient aller dans cette direction, ils redoutent de ne pas bénéficier la compensation à laquelle ils devraient avoir droit. C’est un frein à vouloir aller vers plus d’autonomie. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre.

Aujourd’hui, une île, Saint-Barthélemy, montre que cela peut marcher. Pourquoi ? Parce qu’elle ne dépend pas de ces éléments statistiques. Saint-Barthélemy s’autogère, mais c’est un « produit » complètement à part. Saint-Martin, la Guadeloupe et la Martinique pourraient fonctionner de manière autonome s’ils pouvaient compter sur cette aide minimale fondée sur des critères solides et concrets. Je l’ai dit lorsque nous avons pris le train en marche pour le pacte de responsabilité : il faudrait un véritable pacte pour l’Outre-mer et une déclinaison des politiques nationales sur nos territoires. Nous pourrions alors faire un grand pas en avant.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Comme l’a dit Mme Pires Beaune, dans un EPCI, certaines communes ne bénéficient pas de la solidarité. Dans l’EPCI dont dépend ma commune, qui a été créé en 2014 – la Guadeloupe était très en retard –, deux communes sont exsangues, elles sont incapables de payer leur contribution à la solidarité : c’est l’EPCI qui les aide et leur verse leur dotation. Certaines communes en Guadeloupe sont en difficulté, elles n’ont pas d’épargne nette et mettront plusieurs années à retrouver une situation financière saine. C’est un cri d’alarme. Ma commune se porte encore bien, mais nombreuses sont celles qui ne peuvent pas payer le service d’incendie et de secours (SDIS), qui est pourtant une dépense obligatoire. Les problèmes ne vont pas disparaître. Vous dites qu’on tarde à faire la réforme. Je pense qu’on aurait dû la faire et mettre les élus face à leurs responsabilités. C’est ce qui manque.

M. Serge Letchimy. La discussion engagée par Daniel Gibbes est très intéressante : elle renvoie à la fiscalité et à l’article 74 de la Constitution. Cet article pose clairement problème au regard du pacte républicain et de la solidarité nationale – je le dis comme je le pense. Sur le fondement de l’article 74, on considère que dès lors qu’on a demandé l’autonomie, on est tenu d’entrer dans un processus où l’on se finance soi-même, totalement ou partiellement. Je ne partage pas cette interprétation. S’il est possible de tenir ce raisonnement, c’est parce que cet article est bâtard et, je le dis comme je le pense, néocolonial. La solidarité et la péréquation, mais aussi la mise à disposition d’outils statistiques permettant de bien calculer les dotations, relèvent d’une responsabilité que l’État doit assumer, y compris pour les collectivités régies par l’article 74. Lorsqu’on vous octroie le statut prévu par l’article 74 et qu’on vous laisse dans l’embarras, c’est une faute. Lorsqu’on vous laisse vous débrouiller pour l’inventaire foncier et bâti et que vous perdez deux ans pour la perception de la fiscalité, c’est une responsabilité que l’État n’assume pas. Quand vous commencez à vivre et qu’on vous empêche de respirer en vous mettant une pince sur le nez, on vous tue !

C’est en cela que je ne partage pas du tout cette conception de l’autonomie selon l’article 74 : l’État doit assumer un minimum de compétences régaliennes, y compris financièrement. L’autonomie ne veut pas dire la séparation. Même les autonomistes comme moi, qui sont pour l’égalité et la prise en compte de la différence – non pas au sens communautaire, mais la différence dans les politiques de développement – ne s’y retrouvent pas. On le voit avec la Polynésie : les Polynésiens qui sont extrêmement fiers de leur pays sont obligés de se tenir la main pour obtenir un financement pour un hôpital. Cela devient ridicule. L’article 74 mérite une clarification. Tout le monde se reporte sur l’article 73 qui est un processus hyper-assimilant et un peu aliénant – je ne parle pas seulement d’assimilation culturelle, mais aussi économique. Une des premières émancipations que nos territoires doivent obtenir, c’est l’émancipation économique. Certains n’aiment pas qu’on emploie cette expression : dès qu’un élu de droite à Saint-Martin, ou à la Martinique comme M. Monplaisir, entend parler d’émancipation économique, il commence à courir partout. Mais cela n’a rien à voir avec l’indépendance. L’émancipation économique, c’est le développement local, l’ingénierie locale, la construction d’un nouveau modèle. Je partage le point de vue de Daniel Gibbes. Il faudrait peut-être ouvrir ce débat.

Madame Pires Beaune, vous avez dit quelque chose qui m’a semblé tout à la fois audacieux et inquiétant : les EPCI aujourd’hui bénéficient d’une DGF qui transite par la commune.

Mme Christine Pires Beaune. La dotation d’aménagement est composée de la DGF des EPCI et des dotations de péréquation des communes – DSU, DSR et DNP. La DGF des EPCI est versée directement aux EPCI et la DGF des communes est versée directement aux communes.

J’ai seulement dit qu’un jour ou l’autre, on aboutira à une DGF territoriale. Cela ne veut pas dire qu’elle sera versée à l’EPCI qui lui-même la reversera aux communes ; elle sera toujours versée à l’un et à l’autre, mais les critères qui permettront d’établir les masses à répartir devront être agrégés : on prendra en compte la richesse de tout le territoire, celui-ci étant composé de l’EPCI et de toutes les communes.

M. Serge Letchimy. Chaque institution perçoit sa DGF. C’est important, car il y a un enjeu politique dans les EPCI aujourd’hui. Certains vont jusqu’à considérer l’EPCI comme une institution politique, dont les membres seront demain élus au suffrage universel direct ; pour le moment, ils sont désignés sur les listes communales.

M. le président Jean-Claude Fruteau. C’est un pas.

M. Serge Letchimy. Je crains le deuxième pas.

Mme Christine Pires Beaune. Le deuxième pas a été voté dans la loi MAPAM pour les métropoles et peut-être les communautés urbaines qui devraient, à partir de 2020, être élues au suffrage universel.

Cela dit, on commence à entendre des bruits sur un possible retour sur cette décision.

M. Serge Letchimy. Autrement dit, la commune se retrouve complètement laminée. Les EPCI deviennent des outils totalement politiques avec des pouvoirs considérables. Lorsqu’il n’y a plus de régions et de départements, je peux le comprendre, mais, si on a un département, une région plus un EPCI élu au suffrage universel direct, on peut craindre pour la vitalité des communes. Il faut mener une réflexion sur le financement des communes et des EPCI sur des thématiques aussi importantes que l’environnement, le développement économique, ou les transports.

Mme Christine Pires Beaune. L’articulation entre la commune et la communauté de communes est un vrai sujet. Personnellement, je n’en fais pas des collectivités concurrentes – l’EPCI n’est d’ailleurs pas une collectivité pour l’instant. Elles sont complémentaires. Encore une fois, si la clause de subsidiarité est bien appliquée, il n’y a pas de problème. Par contre, les EPCI, de taille plus grande et avec un nouveau mode d’élection, vont se politiser, c’est une évidence.

M. Philippe Naillet. Si les EPCI portent un projet pour le territoire, cela devrait éviter le débat sur le rôle des communes et des EPCI.

Je retiens une proposition intéressante, bien que j’aie compris qu’elle n’est même pas encore au stade de la réflexion : celle d’une DGF territoriale. Je saisis la pertinence de cette solution, mais elle rend essentielle la définition des critères.

Mme Christine Pires Beaune. Il serait peut-être plus consensuel de commencer par travailler sur la révision des critères – population, potentiel fiscal, potentiel financier. Il me semble que le rapport de la Cour des comptes, paru hier, aborde cette question.

M. Daniel Gibbes. On a bien compris que les EPCI sont au cœur du débat. Mais c’est sur les critères qui seront retenus pour définir la richesse d’un territoire que tout se jouera.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Il serait présomptueux de croire que nous avons fait le tour de la question, mais nous avons bien avancé. Il me reste à vous remercier, chère collègue, d’être venue nous parler de ces sujets qui vous tiennent à cœur.

III. AUDITION DE MM. PHILIPPE FOLLIOT, DÉPUTÉ DU TARN, ET PATRICK VINCENT, DIRECTEUR GÉNÉRAL DÉLÉGUÉ DE L’IFREMER, SUR LE DOMAINE MARITIME DES OUTRE-MER ET LE STATUT DE L’ÎLE DE CLIPPERTON

(Séance du 15 novembre 2016)

M. le président Jean-Claude Fruteau. J'ai le plaisir d'accueillir ce soir en votre nom notre collègue Philippe Folliot, député du Tarn, dont l'Assemblée nationale va examiner incessamment la proposition de loi sur le statut de l'île de Clipperton, et M. Patrick Vincent, directeur général délégué de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER).

Cette audition est un peu la conséquence d'une observation qui a été souvent faite dans les mois qui ont précédé la COP 21 : comment la France pourrait-elle négliger les effets négatifs du changement climatique sur les Outre-mer, alors qu'elle dispose, grâce à ceux-ci, du deuxième domaine maritime mondial ?

Aujourd'hui je vous propose d'envisager, avec nos invités, la formulation positive du problème : comment les Outre-mer français peuvent-ils apporter leur contribution, grâce à leur prolongement maritime, à la richesse nationale et, indissociablement, comment faire pour que leur économie en profite ?

La situation de l'île de Clipperton est en quelque sorte un cas limite de la question, sur laquelle je remercie par avance notre collègue Folliot de bien vouloir nous éclairer. Les responsabilités de M. Patrick Vincent le mettront à même de nous ouvrir des perspectives plus générales.

M. Philippe Folliot. Je n'ose pas dire que je suis tombé tout petit dans l’île de la Passion, comme un autre est tombé dans la potion magique ! Souvent les gens trouvent singulier qu'un député du Tarn se passionne pour la mer et l'Outre-mer comme je le fais.

Pour ne rien vous cacher, cela remonte à mon plus jeune âge. Je suis issu d'un milieu assez populaire, mon père était ouvrier agricole. Gamins, nous ne partions presque jamais en vacances, juste pour aller chez mes grands-parents. Lorsque j'avais sept ou huit ans, mes parents m'ont offert un atlas pour Noël, et j'ai voyagé en regardant les cartes. Quand j'avais une dizaine d'années, je connaissais tous les endroits de la carte qui portaient la mention : « Fr. ». D'un point de vue cartographique, Clipperton, les Kerguélen, Wallis et Futuna, la Guadeloupe, la Martinique ou la Réunion n'avaient pas de secret pour moi. En sixième ou cinquième, lors d'un cours de géographie, le professeur parlait de la Polynésie et du Pacifique, et je me rappelle lui avoir dit de ne pas oublier Clipperton. Je pense qu'il n'en avait jamais entendu parler, et comme l'on dit chez nous, il m'a renvoyé dans mes vingt-deux ! Quelques jours après, il est venu me trouver pour reconnaître son oubli.

Un tel oubli n'a rien d'illogique, personne ne connaît cette île, et personne n'a conscience de son intérêt. Clipperton est notre seule possession dans le Pacifique nord. Selon certains, c’est là que se situera le centre de gravité de la planète au XXIe siècle. Il est un peu bête que la France délaisse son seul territoire dans cette aire géographique.

La zone économique exclusive (ZEE) de la France métropolitaine, Corse comprise, couvre 345 000 kilomètres carrés. Celle de Clipperton couvre 436 000 kilomètres carrés. Il s'agit d'un atout géostratégique extrêmement important, qui peut offrir des ressources essentielles.

On peut se demander pourquoi cette île est française. Un beau matin d'avril 1711, le jour du Vendredi saint, deux navigateurs français, dont Michel Dubocage, navigateur havrais, sont passés au large d'une île. Ils ont donc décidé de nommer cette île : « Île de la Passion ». Juridiquement, à l'époque de ces grandes découvertes, un navigateur passant devant une île pouvait en prendre possession au nom de son souverain sans même poser pied à terre, il lui suffisait de la décrire, et de publier sa découverte à son retour.

Cette île est restée longtemps dans l'oubli, jusqu'en 1863, lorsque Napoléon III a décidé d'en prendre officiellement possession. Il a envoyé un bateau planter le drapeau français. Il y a eu des revendications mexicaines sur cette île. Pendant quelques décennies, la situation est restée un peu particulière : l'île était officiellement française, mais elle a été occupée par les États-Unis, puis par le Mexique, pour exploiter le guano.

Dans l'imaginaire collectif mexicain, Clipperton est presque leur Alsace-Lorraine. Après un certain nombre d'échanges entre les deux gouvernements, il a été décidé en 1910 de solliciter un arbitrage international. Un accord a été trouvé pour désigner comme arbitre Victor-Emmanuel II, roi d'Italie.

Pour une fois, nous pouvons nous féliciter d'avoir une administration qui fait bien son travail ! La France a présenté un dossier juridiquement bien constitué. Les Mexicains étaient sûrs de gagner, ils ont peut-être été moins rigoureux. L'arbitrage a été rendu vingt ans plus tard, en 1931, et la souveraineté française sur cette île a été définitivement affirmée. Une loi mexicaine a reconnu cette souveraineté quelque temps plus tard. Il existe toujours quelques mouvements populistes au Mexique pour revenir sur cette question, mais cette île est incontestablement française.

Des oubliés ont vécu sur cette île. Pendant la révolution mexicaine, une garnison d'une quinzaine de personnes y est restée sans recevoir d’assistance. Ses membres ont essayé d'en partir parce qu'ils avaient cru voir au large un bateau, mais leur embarcation s'est renversée. Seuls étaient restés sur l'île le gardien de phare, avec les femmes et les enfants. Le gardien de phare s'est proclamé roi de l'île, et je vous laisse imaginer ce qui a pu se passer dans ce milieu clos. Ils sont restés plusieurs années dans cette situation, jusqu'au jour où un bateau américain, qui passait au large, a récupéré les femmes et découvert le cadavre du gardien de phare, qu'elles avaient assassiné. On ne sait pas très bien pourquoi il a été assassiné : était-ce parce qu'il avait menacé de les tuer si l'on venait les chercher ?

Ces faits se sont déroulés en 1917. Depuis lors, l’île n'a été occupée que deux fois. En 1944, par les Américains qui l’ont envahie et y ont construit une piste d'aviation, car ils redoutaient que les Japonais ne la prennent et ont décidé de l'occuper de manière préventive. Immédiatement après la Libération, le Général De Gaulle, toujours particulièrement soucieux de la souveraineté française et de l'intégrité du territoire national, a envoyé un navire pour reprendre officiellement possession de Clipperton, ce qui a été fait.

La deuxième période d'occupation a eu lieu entre 1966 et 1969, au moment du lancement des essais nucléaires dans le Pacifique. Une petite base y avait été implantée en prévision d’éventuelles déclarations américaines sur des retombées radioactives touchant les États-Unis. La position de Clipperton, entre la Polynésie et les États-Unis, permettait de s’assurer de l'absence de toute conséquence de cet ordre en y pratiquant les analyses scientifiques nécessaires. Depuis cette date, l’île n’a pas connu d’occupation durable.

Clipperton est un sujet d'étude scientifique tout à fait intéressant. On y a connu la période du crabe : l'île a abrité jusqu'à 11 millions de crabes, ils ne sont plus qu'un million. Aujourd'hui, c’est la lutte des espèces : le rat est en train de prendre le dessus sur le crabe.

Si je rentre dans l'histoire parlementaire, ce sera uniquement en tant que premier parlementaire – même le premier élu de la République – à me rendre sur Clipperton ! Lors de la nuit que j'y ai passée, j'ai entendu les rats poursuivre les crabes pour les dévorer. Aujourd'hui, des centaines de milliers de rats peuplent l'île.

L'île abrite aussi la plus grande colonie au monde de fous masqués. Il y avait une centaine d'individus en 1958, lorsqu'un comptage a été réalisé, et l’île en aurait abrité jusqu'à 110 000. Au dernier comptage, la population aurait diminué en conséquence de la surpêche.

Ce qui frappe en arrivant sur cette île, c'est une image terrible d'abandon : une terre inhabitée, jonchée de déchets ramenés par la mer, totalement délaissée par la République. Avant que je ne commence à agiter ce sujet, le dernier ordre de mission donné à la Marine nationale lui enjoignait d'y passer une fois tous les trois ans, pour changer le drapeau et repeindre la stèle. On ne peut pas prétendre assumer une souveraineté de cette manière.

Il me semble important de souligner que cette île n'a pas de statut juridique propre. Elle fait partie du domaine public de l'État, ce qui signifie qu'en théorie, le droit métropolitain s'y applique sur Clipperton. Mais ce droit est totalement inadapté.

Prenons l'exemple de la loi littoral, qui repose sur une répartition de compétences entre les communes et l'État. Il n'y a pas de commune à Clipperton, donc on ne peut pas appliquer la loi.

J’ai remis au Premier ministre le rapport de la mission dont il m’avait chargé sur Clipperton. L'une de ses préconisations est appliquée : dorénavant, à chaque fois que des étrangers demandent l’autorisation d’aller sur l’île, nous envoyons un observateur français dont les frais de transport sont pris en charge par les visiteurs.

Au mois de janvier dernier, une université américaine voulait faire une étude scientifique. Ils se sont rendus sur place, et nous avons ainsi envoyé un scientifique depuis la Polynésie. Il se trouve que des touristes étaient sur place, et l'un d'entre eux est décédé des suites d'un accident de plongée. Que faire dans ce cas ? Il faudrait qu'un enquêteur vienne de la métropole, puisque le Haut-Commissaire en Polynésie n'a pas de pouvoir spécifique, il ne sert que de boîte aux lettres.

J'ai conclu de ma mission qu'il fallait doter cette île d'un statut juridique. Cela montrerait que la France s'y intéresse, ce qui est un gage de souveraineté, et permettrait de résoudre les problèmes entraînés par la situation de cette île.

Plusieurs options étaient envisageables.

La première est de créer une collectivité. Mais cette solution est totalement inadaptée, car il n'y a pas d'habitants.

La deuxième était de rattacher Clipperton à la Polynésie. J'en ai parlé avec Édouard Fritsch lorsque je me suis rendu en Polynésie afin d'y rechercher des éléments d'appui pour la future base scientifique que nous pourrions créer sur Clipperton. Il n'est pas du tout favorable à cette solution : la dernière chose qu'il souhaite est de compter une commune de plus. Surtout, les Polynésiens craignent qu'on leur demande de s'occuper de Clipperton à budget constant, et donc d'avoir moins pour les autres territoires.

Une autre option consistait à faire de Clipperton le sixième district de Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Du point de vue de l'organisation, les TAAF et les îles éparses sont ce qui s’en rapproche le plus. Dans les terres australes, il n'y a pas non plus d'habitants, mais des bases scientifiques, et nous souhaitons installer une telle base sur Clipperton.

La proposition de loi rend à l'île son nom d'origine : île de la Passion. Le nom de Clipperton est celui d'un flibustier anglais ; dans la région, on pensait qu'il avait son repaire sur cette île. Je ne sais pas s'il y avait caché un trésor, personne ne l'a jamais retrouvé en tout cas. C'est la raison pour laquelle cette île a pris ce nom.

La création de ce sixième district des TAAF suscitait les réticences de la préfète, administratrice générale de ces territoires, qui craignait qu'on lui demande de s'occuper de Clipperton à budget constant.

J'ai donc proposé pour Clipperton un statut qui n’entraîne pas, comme pour les TAAF, la création d’une administration support pour les TAAF, car il faut éviter de créer des charges supplémentaires. Nous souhaitons faire du Haut-Commissaire en Polynésie française l’administrateur supérieur de Clipperton, cumulant ainsi deux fonctions. Cette charge représente un demi-équivalent temps plein à l'année.

Comme dans les TAAF, un conseil consultatif serait mis en place, composé de quelques personnes qualifiées – autant que possible, des personnes qui connaissent un petit peu la situation de l'île. Pour l'élaboration de mon rapport, je me suis beaucoup appuyé sur la personne qui connaît le mieux cette île : le professeur Christian Jost, de l'université de Polynésie française. Lorsque je me suis rendu sur l'île, il achevait une mission scientifique appelée « Passion 2015 ». J'ai beaucoup échangé et travaillé avec lui, notamment sur les éléments d'expertise scientifique pour le projet de construction d'une base scientifique.

L'objectif est de créer une structure souple, avec un cadre législatif qui permette de décider au cas par cas si un texte voté par le Parlement s’appliquera à l'île de la Passion. De nombreuses lois n'ont aucun intérêt pour cette île, puisqu'elles n'y sont pas applicables.

Il faut régler la situation juridique de l'île avant de pouvoir créer une base scientifique à vocation internationale sur Clipperton, c'est tout le sens de ma proposition de loi. L'enjeu est important : il faut réaffirmer la souveraineté française et, ainsi, régler juridiquement les désordres actuels.

C'est aussi le premier pas vers une meilleure gestion des ressources halieutiques dans ce secteur. En 2007, la France a signé avec le Mexique un accord de pêche inique, qui porte non seulement sur la zone économique exclusive de l'île de la Passion, mais aussi sur les eaux territoriales, ce qui est choquant sur le plan juridique et scandaleux sur le plan écologique.

Jean-Louis Étienne, mon compatriote tarnais, a mené une mission sur l'île de la Passion en 2005. Il m'a expliqué qu'il voyait les senneurs mexicains s'approcher à deux ou trois milles des côtes et racler tout ce qu'ils pouvaient. Chacun sait que lorsqu'il y a une île au milieu de nulle part, elle remplit le rôle de nursery. Venir pêcher dans une nursery, c'est une aberration !

Parce qu’elle se désintéresse d’une île qu’elle abandonne totalement, la France laisse faire des pratiques de pêche prohibées partout ailleurs. Les senneurs mexicains lancent des grenades, avec des hélicoptères, pour concentrer les poissons. La France tolère dans sa ZEE des pratiques qu'elle condamne partout ailleurs dans le monde. Un jour, un pays avec lequel nous sommes en conflit sur le droit d'usage nous opposera que nous donnons des leçons en Méditerranée et dans l'Atlantique nord alors que nous laissons faire n'importe quoi dans notre propre ZEE. Nous ne sommes pas crédibles.

Il est fondamental de renégocier les accords de pêche. Aujourd'hui, les Mexicains n'ont qu'une seule obligation, c'est de déclarer les prises. Selon les années, ils déclarent entre 1 500 et 4 500 tonnes de thon pêchées sur Clipperton. Quand j'y étais, nous avons croisé un senneur mexicain, l'Oaxaca, d'une capacité de 1 100 tonnes. Il terminait sa campagne de pêche. Le pacha du Prairial a demandé à inspecter les soutes du bateau : le capitaine a refusé. L’équipage était en train de pêcher sans avoir activé le système d'identification automatique (AIS). Nous les avons pris la main dans le sac. Mais comme l'accord de pêche avec les Mexicains ne nous donne pas le droit de contrôler leurs actions de pêche, ils peuvent faire n'importe quoi. On nous dit qu'ils prennent 1 500 tonnes en une année : mais le bateau que nous avons vu avait certainement une charge de 1 100 tonnes de poisson. Ils se paient notre tête ! On estime que leurs prises se situent autour de 30 000 ou 50 000 tonnes, voire plus. Il est choquant de laisser piller nos ressources sans rien dire.

Je demande donc que nous élaborions une nouvelle convention, en mettant ces droits de pêche en vente, comme cela se fait partout ailleurs dans le Pacifique. J'ai estimé que la mise en vente pourrait rapporter entre un million et 5 millions d'euros par an. Si nous retenons une valeur moyenne, de 2 millions par an, la recette nous permettrait de rembourser l'investissement initial de la base scientifique, que j'estime à 15 millions d'euros, et de la faire fonctionner. Ce ne sont pas les bâtiments qui vont coûter cher, mais la logistique, car il faut tout apporter de Polynésie. Il faut dix jours de mer depuis Papeete.

L'île a une largeur moyenne de 500 mètres, et à son point le plus étroit, elle est large de moins de 20 mètres. Il existait des passes, qui se sont fermées naturellement et sont en train de se rouvrir. En aidant la nature à rouvrir ces passes, on permettrait la régénération du lagon, qui est totalement eutrophié. C'est une mare fermée, à l'odeur nauséabonde, dont l'eau est acide, et presque corrosive pour la peau, car depuis des décennies, des tonnes de fiente d'oiseaux s’y sont accumulées. Il serait intéressant d'étudier le retour de la vie dans ce lagon.

Nous sommes à la croisée des chemins, dans un monde toujours plus instable et dangereux. Si demain, un gouvernement populiste prend le pouvoir au Mexique et envoie une mission occuper l’île de Clipperton, la nettoyer et la protéger, allons-nous déclarer la guerre au Mexique pour récupérer une île totalement délaissée ?

Il est saisissant de dresser le parallèle avec la politique de la Chine dans les îles Spratleys. Sur le récif de Fiery Cross, ils ont tout bétonné pour construire une base, un port et un héliport. Leur seul objectif est de transformer cet îlot en île, et ainsi de bénéficier d’une ZEE en application de la convention de Montego Bay. Nous, au contraire, nous laissons Clipperton à l’abandon. Le plus probable est que les Mexicains ne vont pas contester la souveraineté française sur Clipperton, mais soutenir qu’il s’agit d’un îlot inhabité, et non d’une île habitable. Si leur prétention est accueillie, nous perdrons tous nos droits sur la zone économique exclusive autour de l’île, et, donc, non seulement aux ressources halieutiques, mais aux nodules polymétalliques qui s’y trouvent.

La zone de fracture dite de Clarion-Clipperton est en effet une des zones du monde les plus riches en nodules polymétalliques, comme Wallis et Futuna. Il est irresponsable de notre part de ne pas nous intéresser à ces ressources potentielles, sacrifiant ainsi l’intérêt des générations futures.

Nous prétendons créer une aire marine protégée. À quoi cela sert-il, mais si aucun moyen n’est prévu pour la protéger ? Nous allons nous donner bonne conscience dans les conférences internationales en disant que nous créons quelques dizaines de milliers de kilomètres carrés d’aire marine protégée. Mais en réalité, créer une aire marine protégée aurait un sens seulement s’il y avait une base scientifique, et donc une présence humaine permettant d’éviter les débordements que nous connaissons aujourd’hui. Il faut sortir de la simple posture.

Je ne prétends pas être un grand spécialiste de Clipperton, mais je suis sûr d’en connaître au moins autant qu’un certain nombre de fonctionnaires des ministères concernés, qui préparent des mesures réglementaires sans connaître le sujet. Pour rédiger mon rapport, j’ai reçu un soutien très actif de la ministre des Outre-mer de l’époque, George Pau-Langevin. Mais le comportement d’autres ministères a été affligeant. Je me souviens du directeur de cabinet d’un ministre qui, pendant l’audition, cherchait Clipperton sur internet pour y trouver des informations !

C’est du mépris pour les Outre-mer Nos Outre-mer forment un tout. Si on laisse un morceau se détricoter, tout le reste en sera fragilisé. C’est une chaîne. Ne rien faire – ou se donner bonne conscience avec une aire marine protégée – est irresponsable.

L’adoption de ma proposition de loi constituera un acte symbolique fort, qui sera notamment perçu comme tel par les Mexicains et contribuera à résoudre d’inextricables situations juridiques, notamment celle du traitement juridique de l’entrée et du séjour irréguliers d’une personne de nationalité étrangère sur Clipperton.

La nature a horreur du vide. Si nous ne clarifions pas la situation, quelqu’un d’autre le fera un jour ou l’autre : les Mexicains, les Américains ou les Chinois.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Vous avez rendu en début d’année les conclusions de la mission que le Premier ministre vous a confiée sur le devenir de l’île de Clipperton ; qu’en est-il aujourd’hui ? Je me réjouis que Mme Pau-Langevin, que je salue, vous ait apporté tout le soutien nécessaire, mais la situation a-t-elle évolué depuis la parution de votre rapport ?

M. Philippe Folliot. Plusieurs évolutions positives se sont produites.

Mme George Pau-Langevin. Nous avons nettoyé le guano !

M. Philippe Folliot. D’une part, il a été décidé de profiter des passages de la marine, les uns réguliers et les autres exceptionnels, pour s’arrêter sur l’île et y entreprendre un certain nombre d’actions, la plus symbolique – qui correspond à l’une des préconisations de mon rapport – étant la neutralisation du dépôt de munitions que l’armée américaine a abandonné il y a plus de soixante-dix ans, et qui n’avait jamais été traité. D’autre part, plusieurs campagnes de nettoyage ont eu lieu, mais son achèvement est une tâche extrêmement lourde qui nécessitera des moyens d’une autre ampleur.

J’ai proposé la réintroduction expérimentale du cochon sur l’île. Apportés par les troupes américaines, les cochons y sont restés après leur départ, se nourrissant de crabes, jusqu’à ce qu’il soit décidé de les éliminer dans les années 1960. Leur disparition a d’abord ouvert la voie au retour des crabes ; à la fin des années 1990, des rats se sont échappés d’un navire échoué et, sans prédateur, ils prospèrent désormais – j’ai d’ailleurs proposé que soit conduite une campagne de dératisation. La victoire du rat sur le crabe s’est traduite par une extension de la couverture végétale de l’île.

Cette histoire témoigne du fait que l’île, comme l’affirme le professeur Christian Jost, est une sorte de micro-planète. Étant l’un des lieux les plus isolés au monde – il est très rare de trouver des îles éloignées de plus de mille kilomètres de la terre la plus proche – Clipperton possède des traits endémiques très intéressants. L’érosion littorale, par exemple, produit en cinq ans les mêmes effets qu’en cent cinquante ailleurs. C’est donc un passionnant laboratoire.

La préconisation essentielle de mon rapport consiste à renégocier dès 2017 l’accord de pêche avec le Mexique. Sans doute faudra-t-il surmonter les réticences du ministère des affaires étrangères, qui préférerait éviter de faire payer des droits de pêche au Mexique. Si on renonce à cette recette, il faudra attribuer au moins 2 millions d’euros au ministère des Outre-mer pour couvrir le fonctionnement de la base scientifique ! J’ai tâché de produire un rapport responsable. On ne saurait affirmer qu’il faut agir sans s’en donner les moyens, et en même temps j’ai recherché des solutions dont l’application n’aurait pas d’incidence sur le budget de l’État.

M. Patrick Vincent, directeur général délégué de l’IFREMER. La situation de l’île de Clipperton soulève tout à la fois une question de souveraineté nationale et un enjeu scientifique, l’une et l’autre ne se recouvrant pas pleinement. En effet, la recherche scientifique ne saurait justifier à elle seule l’implantation d’autres activités qui permettraient d’y exercer notre souveraineté. S’agissant des ressources minérales profondes, j’évoquerai brièvement les cas de Wallis-et-Futuna et de la Polynésie française afin de mettre Clipperton en perspective. De façon générale, la place de l’Outre-mer dans le projet de stratégie nationale pour la mer et le littoral doit être renforcée.

L’île de Clipperton est un atout géostratégique et un enjeu de souveraineté nationale. De ce point de vue, la communauté scientifique peut être utile, car elle sait s’intéresser aux objets d’étude qui lui sont présentés – même si elle ne s’en serait pas elle-même saisie en priorité. En l’occurrence, Clipperton présente plusieurs objets d’étude intéressants, dans les domaines de la biodiversité et de la climatologie par exemple, d’autant plus que l’océan Pacifique joue un rôle majeur dans les échanges entre atmosphère et océans et dans la régulation climatique. Cela étant, c’est aussi une région où se concentrent de nombreux intérêts stratégiques, ce qui explique que des réseaux d’observation océanique et atmosphérique y sont déjà installés. Ces réseaux semblent suffire, de sorte que l’ajout d’un point d’observation à Clipperton ne produirait pas de données supplémentaires susceptibles d’affiner substantiellement les prévisions climatiques.

D’autres sujets, en revanche, sont plus pertinents. La création d’une aire marine protégée, par exemple, pourrait se justifier à la condition que soient respectés des critères de gestion – qu’ils s’appliquent à l’environnement ou aux ressources biologiques, voire à l’un et aux autres – assortis de moyens de contrôle qui permettraient de vérifier que l’aire en question vit bien. Toute aire marine protégée pose en effet de telles questions de gestion et de contrôle, en métropole comme en Outre-mer – et a fortiori dans le cas de Clipperton.

Du point de vue des ressources minérales profondes, la zone d’intérêt est celle de Clarion-Clipperton qui, en réalité, est assez éloignée de l’île elle-même. Une installation établie sur le rocher ne serait donc pas immédiatement utile en cas d’exploitation des nodules polymétalliques. L’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) a délivré à la France un permis d’exploitation de ces ressources qui arrivait à expiration en juin 2016. Avant de demander la prorogation de ce permis, il a fallu s’interroger sur la capacité des industriels à se doter des processus nécessaires à l’exploitation des nodules ; ils nous ont indiqué qu’ils ne se sentaient pas prêts et qu’ils privilégiaient l’exploitation d’encroûtements métallifères à Wallis-et-Futuna. Le critère économique ne justifiait donc pas la prorogation du permis d’exploitation minière ; en revanche, la France a souhaité en demander la prorogation afin de sauvegarder ses droits. Elle a donc déposé une demande pour cinq ans en décembre 2015. À sa 22e session qui s’est tenue en juillet, l’AIFM a instruit cette demande ainsi que celles de cinq autres pays dits investisseurs pionniers, qui s’intéressent à l’exploitation des nodules depuis plusieurs dizaines d’années. Elle a accepté la demande de la France, en lui accordant un nouveau permis valable jusqu’au 20 juin 2021.

Ce permis qui, encore une fois, servira surtout à sauvegarder nos droits, se traduira par une activité scientifique minimale portant sur l’environnement – un domaine quelque peu délaissé pendant les précédentes périodes de validité du permis. Cette piste d’étude a été suggérée à la suite d’une expertise collective conduite en 2015 sur les impacts de l’exploitation des ressources minérales en haute mer et leur maîtrise. Les recommandations qui en ont résulté sont désormais connues par l’ensemble des acteurs du monde scientifique et industriel et de la société civile.

En somme, la France est en mesure d’entretenir ses droits pendant cinq ans, de réaliser des recherches scientifiques – même si celles-ci ne donneront pas lieu à une campagne océanographique spécifique – et de permettre aux filières industrielles d’évaluer la faisabilité de l’exploitation de ces nodules.

À Wallis-et-Futuna, la question des ressources minérales profondes ne se pose pas dans les mêmes termes puisqu’il ne s’agit pas de nodules polymétalliques mais d’encroûtements métallifères, en particulier cobaltifères, qui sont parfois assez riches. Avec ses partenaires publics, l’IFREMER a réalisé entre 2012 et 2014 plusieurs campagnes d’exploration scientifique qui ont permis de cartographier précisément la région, de réaliser des études géologiques et géophysiques – notamment sur les anomalies magnétiques – et d’examiner l’activité hydrothermale, qui est importante dans cette zone. S’agissant des encroûtements cobaltifères à proprement parler, les processus de transport de matière et d’accumulation métallique sont encore mal connus et nécessitent davantage de recherches. Ajoutons que toute recherche sur les ressources minérales suppose désormais d’étudier parallèlement la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes en exploitant toutes les interactions qui existent entre les disciplines géologiques et les sciences de l’environnement.

Depuis 2014, l’État a décidé de constituer une mission d’experts chargée d’examiner les dimensions environnementale, économique et juridique du dossier sous la direction des ministères de l’Outre-mer, de l’environnement et de la recherche et de l’enseignement supérieur, sa coordination étant confiée à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Cette mission tiendra sa première réunion le 22 novembre. Le coordinateur se rendra à Wallis-et-Futuna fin novembre ; ensuite, plusieurs missions se dérouleront en janvier et février, la mission devant rendre ses conclusions en juin prochain. Autrement dit, les recherches scientifiques de ces dernières années cèdent peu à peu le pas à des missions portant sur des questions environnementales et économiques : la confirmation de simples indices de l’existence d’encroûtements cobaltifères permettra en effet aux entreprises d’envisager comment mettre au point les pilotes, voire les filières industrielles d’exploitation.

Ces deux dernières années, l’IRD a également piloté la rédaction d’un rapport d’expertise collective sur les ressources minérales profondes en Polynésie française. Ce rapport a fait l’objet à Papeete, en mai, d’une restititution qui a permis un débat salutaire sur les conclusions présentées avec la communauté scientifique, le monde économique et la société civile. Conjointement menée par l’État et le Gouvernement de la Polynésie française, cette étude pluridisciplinaire a mobilisé un grand nombre d’experts et permis de mieux comprendre les enjeux miniers sous-marins dans cette région, tout en dressant un état des lieux des connaissances. Plusieurs recommandations ont été formulées – dont s’emparera jusqu’en 2017 la nouvelle mission d’experts – en vue de bâtir un système d’information ouvrant l’accès aux données existantes et signalant les lacunes de nos connaissances. Grâce aux données déjà recueillies et à celles qui le seront dans les mois qui viennent, il sera possible d’envisager plusieurs scénarios techniques et économiques et de lancer les premières consultations afin, si possible, d’établir une stratégie de développement d’une filière sous-marine. L’idée, en effet, est de passer du stade de la recherche et de l’exploration à la création d’une filière.

Nos capacités en Outre-mer dépassent largement le cadre des seules ressources minérales profondes. Le développement des filières ostréicoles et aquacoles doit se poursuivre, par exemple. Dans ces domaines, l’IFREMER a bâti des capacités scientifiques, et ces connaissances ont été transférées aux exploitants aquacoles. L’une des missions de l’Institut consiste en effet, en tant qu’organisme de recherche, à appuyer les politiques publiques pour permettre le développement de secteurs d’activité : les recherches en biologie et en zootechnie conduites en Nouvelle-Calédonie, par exemple, ont porté leurs fruits et permis le développement de l’élevage de la crevette dans l’archipel. Nous devons renforcer le lien entre la recherche et le développement socio-économique de nos territoires d’Outre-mer.

Pour que cette synergie soit durable, il faut prévoir un effort de formation adapté, notamment dans le cadre de la stratégie nationale pour la mer et le littoral. En Outre-mer, la stratégie de formation doit tenir compte des connaissances existantes tout en contribuant à leur transfert vers les filières industrielles. De ce point de vue, la Nouvelle-Calédonie est un laboratoire de biodiversité marine sans équivalent qui donne à la France une chance unique d’étudier son évolution. Nous disposons des capacités nécessaires pour favoriser le développement de filières à partir des connaissances acquises non seulement par l’IFREMER, mais aussi par les autres acteurs dans le domaine de la recherche marine – le CNRS, l’IRD, les universités marines de métropole et celles d’Outre-mer, en particulier.

M. Napole Polutélé. Nous nous félicitons tous de la chance que l’Outre-mer représente pour la France, notamment parce qu’il la place au deuxième rang mondial en termes de domaine maritime avec 11 millions de kilomètres carrés, soit vingt fois la superficie de la métropole.

Il existe cependant une différence majeure entre l’île de Clipperton et l’archipel de Wallis-et-Futuna, monsieur le directeur général : la première est inhabitée tandis que le second compte 12 000 habitants. J’entends que les trois campagnes scientifiques conduites depuis 2010 ont produit des avancées, mais je déplore que la population de Wallis-et-Futuna n’en ait pas été avertie et qu’elle découvre aujourd’hui le sujet. L’attribution des permis d’exploration pose problème, car la population n’est pas assez informée. Je me réjouis naturellement de la création de la mission d’experts, que les élus ont demandée auprès du ministère de l’Outre-mer afin de mieux les informer – et de mieux informer la chefferie. En effet, le système en vigueur à Wallis-et-Futuna est quelque peu atypique par rapport à l’organisation administrative de la République : c’est la chefferie qui, sur ce territoire, est la garante des institutions.

La population est encore dans l’expectative et, en vertu du principe de précaution, attend des réponses à ses questions. La mer est son garde-manger. Toute activité qui la perturberait suscite de profondes angoisses ; c’est bien naturel. De ce point de vue, les experts qui se rendront sur place en début d’année devront rassurer la population.

Autre motif d’inquiétude : la répartition des compétences. Wallis-et-Futuna fait partie des collectivités qui relèvent de l’article 74 de la Constitution. À ce titre, les compétences à terre sont distinctes de la responsabilité de la zone économique exclusive. Les travaux en cours pour compléter le code minier n’ont pas encore abouti ; il est pourtant essentiel de définir précisément les compétences de chacun des territoires et de lever ces inquiétudes avant de poursuivre l’exploration et l’exploitation des gisements sous-marins. Nous comptons là encore sur la mission d’experts pour nous rassurer.

M. Patrick Vincent. Cette mission d’experts comporte en effet un volet scientifique, un autre économique et un troisième juridique. Les inquiétudes que vous relayez sur l’insuffisante information de la population ont été entendues par l’ensemble des parties prenantes, au-delà du seul IFREMER. En ce qui me concerne, je prendrai les dispositions nécessaires pour que les membres de la mission tiennent compte de sa dimension socio-économique et juridique et ne négligent pas l’information de la population.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie d’avoir participé à cette audition sur un sujet vaste et important pour les Outre-mer, même si l’on en parle trop peu.

I. AUDITION DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DES OUTRE-MER SUR LES DOSSIERS ULTRAMARINS EN COURS DE NÉGOCIATION DANS LES INSTANCES EUROPÉENNES

(Séance du 6 décembre 2016)

M. le président Jean-Claude Fruteau. Monsieur le directeur général, je suis tout à fait heureux de vous souhaiter la bienvenue au nom de la Délégation aux Outre-mer, et je vous remercie d’être venu avec votre collaborateur, M. Stanislas Cazelles, nous entretenir de l’avancement des dossiers ultramarins dans les institutions européennes.

Ce sujet intéresse bien sûr l’ensemble des Outre-mer français, même si, comme nous le savons tous, le droit européen ne les prend pas en compte de manière uniforme, puisqu’il distingue les régions ultrapériphériques (RUP) des pays et territoires d’Outre-mer (PTOM).

Pour les régions ultrapériphériques, la difficulté demeure de faire admettre, par les institutions bruxelloises, les aménagements à l’application des règles communautaires que justifient les caractéristiques de leurs territoires. Notre collègue M. Letchimy avait eu l’occasion d’aborder le problème à travers la mission qui lui avait été confiée il y a quelques années maintenant par le Premier ministre, et dans le rapport qui en était issu. Mais c’est un sujet de débat récurrent, tant il est vrai qu’aux yeux de l’Union européenne, un mécanisme perçu comme une dérogation ne peut pas être durablement à l’abri de remises en cause de son bien-fondé et, dès lors, de son existence.

Nous savons tous aussi que les décisions prises par l’Union européenne à propos de certains produits essentiels pour nos territoires, tels que le sucre et la banane, ont des répercussions très importantes, pour ne pas dire vitales, sur les populations ultramarines concernées.

Votre audition nous semblait donc nécessaire pour faire le point sur des processus communautaires qui avancent selon leur propre logique – assez indépendante des vicissitudes de la politique nationale – et qui appellent de notre part une vigilance particulière.

Il n’est pas question de montrer du doigt la Commission et les institutions européennes. Avant de siéger à l’Assemblée nationale, j’ai été pendant huit ans député au Parlement européen et je suis un fervent partisan de la construction européenne. Mais il y a des constats que l’on est bien obligé de faire.

Je vous remercie donc d’être venus devant notre Délégation pour nous apporter des réponses aux questions que nous nous posons sur l’actualité européenne.

M. Claude Girault, directeur général adjoint à la Direction générale des Outre-mer. Monsieur le président, j’ai demandé à Stanislas Cazelles, sous-directeur des politiques publiques à la Direction générale des Outre-mer, de m’accompagner. C’est en effet un praticien et un fin connaisseur de l’actualité européenne, notamment Outre-mer, et il pourra préciser certains de mes propos.

Les sujets européens sont vraiment un des cœurs de métier et un des cœurs de l’action de la ministre des Outre-mer qui, la semaine dernière encore, s’est rendue avec des élus ultramarins à Bruxelles pour rencontrer la commissaire Margrethe Vestager et parler de la révision du règlement général d’exemption par catégorie, le RGEC. C’est un axe d’action fort ancien du Gouvernement. Nous travaillons depuis longtemps sur ce thème. Plusieurs étapes ont été franchies, et nous sommes heureux d’avoir poussé à cette révision du RGEC, à propos de laquelle le Président de la République, le Premier ministre et le président de la Commission européenne sont intervenus.

Au cours de cette mandature, nous avons également beaucoup travaillé et discuté avec Bruxelles sur l’octroi de mer et sa reconduction.

Nous sommes arrivés à une étape importante, puisque les discussions sur la RGEC et sur l’octroi de mer sont à nouveau ouvertes.

Par ailleurs, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, nous travaillons à valoriser et à exploiter toutes les potentialités de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – sur la mise en œuvre de dispositifs spécifiques en faveur des RUP. Et le travail du député Letchimy, sans être notre livre de chevet, est un des fondements de l’action du ministère des Outre-mer.

La ministre est très attachée à la bonne prise en compte des régions ultrapériphériques dans la révision des politiques communautaires, en particulier des politiques de cohésion. Avec les élus ultramarins, nous nous efforçons de développer cette approche auprès de la Commission, qui la reçoit plutôt favorablement. J’en veux pour preuve la dernière rencontre des autorités de gestion des fonds européens, qui s’est tenue à Strasbourg il y a quelques semaines. Comme cette rencontre correspondait à une session du Parlement européen, un dialogue très approfondi a pu s’instaurer avec des présidents de régions, y compris ultrapériphériques. Un échange informel a même eu lieu au cours d’un dîner avec plusieurs commissaires européens, dont Mme Corina Cretu, la nouvelle commissaire chargée de la politique régionale, et Mme Marianne Thyssen, la commissaire européenne chargée de l’emploi – un portefeuille très important pour le FSE (Fonds social européen).

Par ailleurs, M. Jean-Claude Juncker, président de la Commission, et les commissaires européens compétents tiendront une session de travail, le 30 mars prochain, avec les présidents des RUP des trois États membres qui en comportent, l’Espagne, le Portugal et la France. La ministre des Outre-mer prendra toute sa part à la préparation de cette session, qui devrait permettre de sensibiliser la Commission à ce que l’on appelle le « poste 2020 », autrement dit les politiques de cohésion après 2020.

De la même façon, nous avons sensibilisé la Commission – c’est d’ailleurs un des axes d’action de notre ministère et de notre direction générale en particulier – sur la clôture de gestion des programmes européens 2007-2013.

Nous sommes en train de nous réorganiser, au sein de la direction générale, pour travailler avec l’ensemble des autorités de gestion dans les régions ultrapériphériques. Mais le panorama des autorités de gestion Outre-mer est complexe ; la discussion avec les collectivités territoriales Outre-mer a conduit à des situations qui le sont tout autant. Les fonds sont partagés entre l’État, les régions et les collectivités uniques, là où il y en a – Martinique, Guyane et Mayotte. Le conseil départemental de Mayotte n’ayant pas souhaité prendre cette compétence, l’État est resté la seule autorité de gestion des fonds européens destinés à cette collectivité.

Nous sommes dans une phase d’achèvement des audits de certification des autorités de gestion. Nous n’avons donc pas tout à fait terminé, ce qui nous préoccupe. Les programmations sont faites dans un certain nombre de situations, mais les paiements risquent de prendre quelque retard. Voilà pourquoi nous nous sommes mobilisés, avec le Commissariat général pour l’égalité des territoires, pour que la dynamique des fonds européens produise ses effets sur nos territoires. Ce n’est pas à la délégation aux Outre-mer que j’expliquerai qu’il existe sur ces territoires une forte tension sur l’emploi, et que les fonds européens sont absolument nécessaires à leur développement. La perspective « post 2020 » ne doit pas se traduire, pour les territoires ultramarins de l’Union, par des pertes.

Par ailleurs, si l’on n’y prend pas garde, le Brexit peut avoir un effet en Martinique, que sa situation de richesse relative peut conduire à sortir de certains mécanismes européens. Aucune décision n’a été prise, mais nous sommes entrés dans une phase très proactive, au cours de laquelle nous devrons faire preuve de pédagogie vis-à-vis de la Commission.

Nous avons eu le sentiment, lors de nos derniers contacts, qu’aussi bien les services de la Commission que les directions générales de la Commission ou les commissaires eux-mêmes portaient une réelle attention aux spécificités des régions ultrapériphériques. Un certain nombre de commissaires se sont déplacés et prévoient de se déplacer régulièrement dans nos territoires, que ce soit dans l’Atlantique ou dans l’océan Indien – à La Réunion et à Mayotte, dont la situation particulière est bien prise en compte.

Tout à l’heure, monsieur le président, vous avez évoqué le calendrier politique de la France par rapport à celui de l’Union. C’est ce que nous disent à la fois nos collègues des services de la Commission et les commissaires : il faut que le mandat de la Commission se déroule normalement dans le cadre du calendrier qui est le sien.

Les vingt-huit États ont leur propre calendrier électoral, et aucun ne doit prévaloir sur les autres – hormis celui qui est lié au Brexit. Nous devons nous préparer sans attendre que l’élection présidentielle et les élections législatives qui la suivent soient passées. N’oublions pas que le calendrier de la Commission la conduira à finaliser à l’été 2017 les premières orientations des programmes européens.

Les travaux de la Délégation, qui sont très larges, nous seront très précieux. Ils nous aideront à construire un discours, des propositions, à sensibiliser les uns et les autres sur les retards économiques de nos territoires ultramarins et sur la nécessité de leur octroyer des aides à l’emploi, qui sont au cœur du FSE et de l’IEJ (Initiative pour l’emploi des jeunes).

Nous devons aussi porter attention à l’éventuelle absence d’engagement de projets ou de paiements. On ne peut pas, en effet, tenir un discours sur la situation très dégradée ou très préoccupante de nos territoires en termes de développement économique et social et d’égalité réelle si, en même temps, les fonds disponibles ne sont, soit pas programmés, soit pas engagés. Cela risque de fragiliser grandement le message politique que le Gouvernement, le Parlement national et les élus peuvent porter.

Nous sommes donc très soucieux de la qualité de la gestion. Certes, nous avons pu rencontrer des difficultés dues au fait que nous avons organisé, conformément aux décisions du Parlement et aux orientations voulues par la majorité, le transfert d’une grande partie de la gestion des fonds européens aux régions. Ces difficultés ont pu retarder l’organisation des différents dispositifs. Mais nous nous efforçons de rattraper ces retards.

Voilà donc quelques éléments rapides sur les actualités européennes. Je laisserai Stanislas Cazelles compléter mon propos sur les points qu’il a plus particulièrement suivis, notamment sur le RGEC.

Je remarquerai, de manière un peu humoristique, que la première destination de travail de la direction générale des Outre-mer n’est pas l’Outre-mer… mais Bruxelles. Nos échanges les plus fréquents – et les plus soutenus – se font avec les services des différentes directions générales de la Commission, en particulier celles de la politique régionale et urbaine et celle de la concurrence – DG REGIO et DG Concurrence.

Il faut expliquer, sans jamais se lasser, la spécificité de nos territoires, leur situation et le caractère absolument indispensable de l’accompagnement européen. Il faut démontrer que nos territoires ne vont pas porter de graves atteintes à la libre circulation et aux différentes libertés fondamentales de l’Union, auxquelles nous sommes tous attachés, et que les spécificités citées à l’article 349 ne vont pas lourdement entraver la concurrence dans ces territoires. La taille, l’éloignement et l’insularité de ces territoires s’opposent à leur rentabilité économique, et justifient que l’on prenne en compte certaines situations.

M. Stanislas Cazelles, sous-directeur des politiques publiques à la Direction générale des Outre-mer. Monsieur le président, je me propose de vous donner quelques éléments sur la négociation en cours sur les aides d’État, qui sont sans doute le sujet le plus actuel. Je pourrai revenir ensuite, si vous le souhaitez, sur les fonds européens et sur une séquence importante prévue en mars prochain.

On appelle « aides d’État » l’ensemble des aides aux entreprises qui sont interdites par l’Europe, dans la mesure où la construction européenne s’est faite sur l’idée d’un marché qui se régule. Bien sûr, le droit européen prévoit des exceptions à cette interdiction globale. Voilà pourquoi le travail de fond du ministère de l’Outre-mer consiste à faire rentrer dans les catégories d’exceptions qui existent toutes les aides que nous accordons à nos entreprises ultramarines. Et pour qu’il y ait une exception, il faut, grosso modo, soit une contrainte spéciale, soit un motif d’intérêt général.

On peut invoquer un motif d’intérêt général quand on aide le logement social, la création d’entreprises ou la conservation du patrimoine, etc. Outre-mer, on a plutôt tendance à invoquer, pour justifier les interventions de l’État, les contraintes spéciales que supportent les entreprises. Dans les régions ultrapériphériques, les contraintes mises en avant sont celles qui figurent à l’article 349, à savoir la petite taille des marchés, l’éloignement, l’insularité, le climat, et d’autres éléments de cette nature.

Le raisonnement paraît simple, d’autant plus que l’on explique que nos Outre-mer sont aujourd’hui dans une situation de moindre développement que le reste de la moyenne européenne et qu’il est donc nécessaire de les aider durablement. Ce contexte a d’ailleurs permis la conclusion, à l’été 2015, d’un accord politique entre le Président de la République et le président de la Commission européenne sur le maintien, dans la durée, des 2,5 milliards d’intervention de l’État dans les économies. Mais autant cet accord politique a été relativement facile à expliquer et à obtenir, autant sa traduction juridique constitue une difficulté lourde, quotidienne, depuis maintenant un an et demi.

J’ai identifié quatre sources de difficulté, que je me permets de vous citer pour organiser le propos.

La première, c’est la multiplicité des acteurs dans les négociations européennes. Il y a bien sûr la Commission, mais derrière elle, il y en a beaucoup d’autres. Il y a bien sûr la France, mais il y a aussi l’Espagne et le Portugal avec lesquels nous essayons toujours d’arriver groupés pour être plus forts dans la discussion. Il nous faut donc comprendre les mécanismes des Açores, de Madère et des Canaries, ce qui est une source supplémentaire de complexité. Il y a bien sûr les entreprises et leurs représentants – soit leurs représentants organisés à Bruxelles, soit leurs représentants dans les fédérations. Sans oublier le niveau interministériel, où tout le monde ne tient pas forcément un discours convergent.

La deuxième source de difficulté, c’est une sorte de méfiance réciproque et des sentiments un peu ambivalents.

Du côté de l’Union européenne, il y a ce que l’on pourrait appeler, de façon assez atroce, « d’autres pauvres » que les régions ultrapériphériques : les « territoires faiblement peuplés » ; un certain nombre d’États qui sont rentrés dans une deuxième ou troisième vague d’élargissement, dont les niveaux de développement sont plus bas par rapport à la moyenne européenne ; enfin, de nombreuses petites îles de la Méditerranée : Malte, Chypre, toutes les petites îles de la Grèce et les Baléares. La crainte est que, dès l’on accorde quelque chose aux régions ultrapériphériques, d’autres demandent les mêmes dérogations.

Il y a aussi la méfiance des paradis fiscaux, méfiance absurde et sans fondement quand on connaît l’histoire de nos Outre-mer, mais qui est très présente dans les vérifications que la Commission fait de façon permanente.

De notre côté, il peut être difficile de comprendre l’enjeu européen, pour les échanges intra-communautaires comme pour les libertés fondamentales évoquées par Claude Girault, de certaines vérifications pointilleuses. Par exemple, dans les douze derniers mois, la Commission a lancé deux vérifications un peu approfondies : la première portait sur le dispositif de continuité intérieure à la Guyane, et donc sur les subventions aux billets d’avion entre le fond de la forêt guyanaise et Cayenne ; la seconde portait sur la tarification des bouteilles de gaz à la Réunion. (Marques d’étonnement) C’est compliqué pour nous, car il nous faut entrer dans le raisonnement de l’autre et accepter sa façon de penser.

La troisième source de complexité, à mon avis la plus importante, est qu’il nous faut expliquer que nos systèmes de soutien aux entreprises sont des systèmes de masse, et non des systèmes précis et ponctuels.

Quand on aide les tissus économiques ultramarins, on aide une économie dans sa globalité à être plus riche en emplois que ce qu’elle pourrait spontanément être du fait des complexités que l’on a évoquées. On n’aide pas l’équivalent de la desserte entre Marseille et la Corse ou du développement de telle vallée perdue des Alpes ou des Pyrénées, on aide un secteur global de l’économie. On ne peut donc pas connaître et mesurer tous les effets de cette aide de façon aussi chirurgicale que les effets des aides d’État auxquelles la Commission est habituée. Celle-ci a spontanément une approche très individualisée, parcellisée, chiffrée, calculée, qui, en pratique, n’est pas adaptée à un régime de masse.

On peut considérer, de façon rustique, que les aides aux entreprises ressortent à peu près de dix régimes différents, et s’adressent à environ 150 000 entreprises, soit l’équivalent d’1,5 million de décisions individuelles d’aide chaque année. Aussi bien, ce système ne peut-il pas être contrôlé de façon individuelle, ni par aide, ni par entreprise. Il n’y a que les aides à finalité régionale, dans les régions ultrapériphériques, qui soient aussi massives. Ainsi, la Commission n’a pas de cadre pré-pensé dans lequel elle puisse prendre en compte notre complexité.

Pour répondre à cette complexité, nous avons innové avec elle, en lançant une étude qui a été confiée à un cabinet extérieur à l’administration, avec un comité de pilotage et des universitaires – afin de se prévaloir de la crédibilité d’un regard extérieur. Il s’agissait de montrer comment nos régimes de masse ne favorisaient pas plus les économies que les surcoûts liés aux handicaps structurels de l’article 349.

Cette étude qui associait des socio-professionnels, des universitaires, des représentants des collectivités à travers la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État Outre-mer (CNEPEOM) et l’ensemble des administrations concernées, a duré un an. Elle a conduit à un rapport, que l’on pourra vous remettre si vous le souhaitez, et qui tente, au plan macroscopique, de faire cette démonstration que nous ne pouvons pas faire au plan microscopique, entreprise par entreprise.

La quatrième source de complexité est que derrière la Commission européenne, il y a plusieurs réalités. Il y a bien sûr la DG Concurrence, mais il y a aussi la Direction générale Fiscalité et union douanière. Et les systèmes sont « à double clé ». Cela signifie qu’il faut à la fois l’accord de l’une et l’autre directions. Et parfois, comme dans toute organisation humaine, même si tout le monde tire dans le même sens, la discussion avec les uns et la discussion avec les autres n’est pas la même. Et puis, comme dans les organisations classiques, interviennent à la fois l’échelon administratif et l’échelon plus politique, autour des commissaires. Ce jeu à plusieurs est encore une source de difficulté.

On retrouve ce système de double clé à deux niveaux extrêmement sensibles pour les économies ultramarines :

En premier lieu, l’année 2014 et l’année 2015 ont été consacrées à l’autorisation de l’octroi de mer par la Commission au titre des mesures fiscales ; puis l’année 2016 et l’année 2017 l’ont été à l’autorisation de l’octroi de mer au titre des mesures d’aides aux entreprises. Cela peut sembler paradoxal, mais cela représente quatre ans de travail, avec les administrations bruxelloises, autour d’un dispositif qui a été voté par les parlementaires en 2014, et qui est mis en œuvre au quotidien par les entreprises et par les directions des douanes sur le territoire.

En second lieu, le système de fiscalité réduite sur les exportations de rhum des DOM dans le commerce hexagonal a fait l’objet d’une autorisation au titre de la fiscalité et d’une autorisation au titre des aides d’État. De la même façon, la demande de révision qui est en cours est soumise à ce double système.

On retrouve ce système des doubles clés quand on aide l’agriculture ou la pêche. Or les règles de fonctionnement de la Direction générale de l’agriculture et du développement rural, ou celles de Direction générale des affaires maritimes et de la pêche, sont différentes de celles de la DG Concurrence.

Dans un certain nombre de cas, il nous faut donc faire face à des règles dont la complexité est liée à la construction juridique européenne.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Dans un double souci de simplification administrative et de consolidation durable des 2,5 milliards d’euros d’aide aux entreprises, la Commission européenne a proposé de passer d’un régime d’autorisation à un régime de déclaration. Ce n’est donc plus l’État français qui demande à la Commission d’autoriser ces régimes d’aide aux entreprises : il les déclare dans un système d’exceptions préexistant, le fameux règlement général d’exemption de notification.

Neuf régimes vont ainsi pouvoir être déclarés par la France dans le cadre de ce règlement. Le principal d’entre eux est le régime d’exonération de charges sociales patronales, qui représente environ 1 milliard d’euros, donc une part très importante des aides. De son côté, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) majoré pour l’Outre-mer représente plusieurs millions d’euros.

Le dixième régime, celui de l’octroi de mer, est notifié au titre des aides de l’État. La notification a eu lieu le 25 novembre dernier, et le processus d’autorisation, sur lequel nous avons obtenu un certain nombre de garanties administratives et politiques, devrait conduire à une approbation formelle par la Commission d’ici la fin du premier trimestre 2017.

Globalement, la négociation sur les aides d’État sera achevée d’ici à la fin du premier trimestre 2017. Mais, rien n’étant jamais définitif avec la Commission européenne, car toutes les réglementations connaissent une « date de péremption », elle reprendra pour la période commençant en 2020.

Les fonds européens, qui représentent une masse financière considérable investie par nos concitoyens dans les Outre-mer, ne peuvent qu’être considérés de façon positive au regard de leur importance. En effet, seul l’effort conjoint des vingt-huit États membres de l’Union européenne permet d’atteindre un tel niveau financier.

L’effort de gestion demeure toutefois très lourd, car, de façon systématique, on travaille sur trois régimes de fonds européens simultanés.

L’application du régime de ces fonds pour la période 2007-2013 est en cours d’achèvement, mais elle ne cessera véritablement qu’à la fin de l’année 2017, après une clôture dont, au demeurant, les opérations se passent plutôt bien. Notre seule inquiétude a porté sur un risque de reprise de 60 millions d’euros de fonds alloués par le fonds européen de développement régional (FEDER) en Guadeloupe et à la Réunion, du fait d’une règle de gestion contraignante imposant l’équilibre entre les aides au fonctionnement et les aides à l’investissement. Or, l’aide à l’investissement avait bien été exécutée telle que programmée, mais l’aide au fonctionnement avait fait l’objet d’une moindre réalisation.

Du fait de la difficulté de la mise en route de l’aide au fret, dispositif créé en 2009, et qui se trouvait alors en cours de cycle, la Commission européenne a dans un premier temps considéré que, le fonctionnement n’ayant pas été réalisé à 100 %, il fallait rabaisser l’investissement afin de ramener les deux au même niveau. Il nous était demandé de niveler l’investissement au niveau de la partie du tableau pour laquelle nous avions été le moins performants. Au terme d’une âpre bataille, nous avons toutefois obtenu gain de cause au mois de novembre dernier.

S’agissant du régime 2014-2020, le premier moment de vérité interviendra au premier trimestre 2017, lorsque nous ferons, à mi-parcours, le bilan des trois premières années. Nous nourrissons quelques inquiétudes : d’une part, l’État ne maîtrise plus tous les leviers, ce qui crée une difficulté supplémentaire dans le suivi ; par ailleurs, certaines pesanteurs dans la mise en route – rencontrées aussi par les régions métropolitaines – ont conduit à des taux d’exécution inférieurs à 20 %, ce qui est nettement insuffisant pour la période considérée.

Nous avons commencé à travailler sur le troisième cycle, « post 2020 » selon le jargon bruxellois, à cet égard notre grande inquiétude est que la tentation de faire toujours plus vert, plus bleu, plus intelligent, plus moderne et vertueux, fasse oublier à tout le monde que nos Outre-mer ont encore besoin d’un certain nombre d’équipements de bases qui font défaut, du fait du développement de leur démographie, plus particulièrement à Mayotte ou en Guyane, ou d’un problème d’accès à l’eau, comme en Guadeloupe.

L’enjeu majeur à nos yeux est de prévenir un décrochage conduisant les fonds européens à ne plus se préoccuper que d’innovation, de nouvelles technologies ainsi que d’économie intelligente et non polluante, au lieu de répondre à nos besoins de base.

À l’échelon interministériel ainsi qu’avec nos interlocuteurs espagnols et portugais, nous préparons un événement politique important, qui aura lieu au mois de mars prochain à Bruxelles : le forum d’échanges entre les États membres, les RUP et la Commission. Cet événement donnera lieu à une communication de la Commission, qui devrait intervenir au mois de septembre 2017, et orienter son travail pour plusieurs années.

Enfin, comme l’a dit Claude Girault, la première destination du ministère de l’Outre-mer est Bruxelles. Nous sommes fiers d’avoir obtenu que nos amis des services bruxellois se rendent Outre-mer, où se tiennent beaucoup de réunions intéressantes, car la mise au contact avec la réalité du terrain est importante. La Direction générale de la politique régionale et urbaine, qui possède la culture des territoires, s’est ainsi déplacée. Nous avons par ailleurs réussi à faire venir à Paris la Direction générale de la concurrence pour évoquer concrètement les questions fiscales et douanières, et nous espérons bien les faire venir Outre-mer un jour ; mais des frontières psychologiques importantes restent à franchir.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci pour ces présentations qui nous éclairent, et nous permettent de constater que les problèmes ne datent pas d’hier, qu’ils sont toujours les mêmes. Nous éprouvons toujours la même difficulté, oscillant entre des périodes où nous avons le sentiment de parvenir à convaincre de la nécessité de tenir compte de la spécificité de l’Outre-mer, et d’autres, plus heureuses.

Il n’est pas douteux que ces variations soient liées aux changements politiques, tel le Brexit, qui a des conséquences pour la Martinique, mais, de son côté, la France est déjà en période électorale, bientôt suivie par l’Allemagne, alors que le référendum italien s’est déroulé il y a quelques jours. Il s’agit de quatre pays dont le poids historique et politique est important, et ces périodes d’incertitude ne facilitent pas les choses.

M. Philippe Houillon. Il semblerait que, le 28 novembre dernier, se soit tenu à Bruxelles un comité spécial consacré à l’agriculture biologique. Dans ce cadre, la France serait susceptible de signer un accord assez préjudiciable aux territoires ultramarins, particulièrement en ce qui concerne la banane.

Disposez-vous d’informations supplémentaires à ce sujet ?

M. Claude Girault. À l’instant précis, je ne peux répondre que par la négative. Je n’exclus pas que, parmi les très nombreux sujets qui nous préoccupent, cette information circule au sein des services et entre les ministères. Nous nous efforcerons de vous apporter une réponse.

C’est en effet à la suite d’échanges entre services que nous avons tenté tant bien que mal de rattraper les informations relatives à l’accord portant sur le sucre. La préparation de cet accord s’était égarée dans des considérations, sans doute fondées en termes diplomatiques généraux, mais qui ne prenaient pas en compte les conséquences massives que les termes de l’accord pouvaient avoir sur nos économies sucrières, particulièrement à la Réunion.

M. Philippe Houillon. Grosso modo, on permet aux pays exportant vers l’Europe d’appliquer leur propre réglementation dans le domaine de l’agriculture biologique, alors que l’on impose aux territoires ultramarins les normes européennes qu’ils ne peuvent respecter : s’ils respectent ces règles, ils produisent à des coûts qui ne sont pas compétitifs.

M. Claude Girault. Nous connaissons bien ces sujets, et la Direction générale aux Outre-mer dispose de spécialistes de ces questions, qui sont extrêmement attentifs à ces situations, particulièrement celle de la production de banane aux Antilles. Je me propose donc de faire en sorte qu’une réponse précise soit adressée à M. Houillon.

M. Stanislas Cazelles. Cette forme d’inégalité de traitement existe déjà aujourd’hui entre le « bio » européen, y compris ultramarin, et le bio des autres. C’est ce qui explique l’importante mobilisation de 130 millions d’euros par an de fonds européens en faveur du secteur de la banane, plus des aides au transport, qui ont pour objet de compenser ces différentiels de compétitivité, à la fois en masse salariale et en productivité globale.

Je ne prétends pas que cela est suffisant, et qu’une nouvelle menace n’est pas susceptible de peser sur ce secteur, mais nous sommes d’ores et déjà très préoccupés par le sujet de la production de bananes.

M. Philippe Houillon. Il serait intéressant de conduire une réflexion sur la question suivante : si les normes européennes sont adoptées dans le but de protéger le consommateur, ce qui est probablement le cas, et que l’on accepte que le consommateur consomme des produits provenant de pays extérieurs tenus à des normes moindres ; quid de la mise en danger de la vie d’autrui ou d’autres concepts juridiques particulièrement intéressants ?

Or cette réflexion n’a jamais été faite – elle mériterait de l’être. Si l’objet est la protection du consommateur, pourquoi accepter ces normes moins exigeantes et moins protectrices du consommateur ? Sous réserve de plus d’investigation, la réponse négative paraît juridiquement tout à fait soutenable.

M. Claude Girault. En ce qui regarde la protection du consommateur, vous avez raison ; il me semble toutefois que les produits alimentaires mis sur le marché pour la consommation humaine sont supposés ne pas mettre la santé en péril.

En revanche, il est indéniable que les qualifications données aux produits, bio ou non bio, doivent protéger la santé humaine, faute de quoi ces produits ne peuvent pas être mis sur le marché. Les motivations de l’activité de l’agriculture biologique la font contribuer à la santé humaine, mais la mise en danger de la vie d’autrui pourrait difficilement être retenue à l’appui d’un de recours devant la justice.

Avec vos collègues du Sénat, nous avons évoqué il y a peu la question de ces inexplicables distorsions de concurrence, provenant de ce que certaines entreprises labellisées bio ont des productions très éloignées de nos propres critères. Et l’Europe, dans le contexte de liberté des marchés et du respect des règles de concurrence, risque d’être soumise à de sérieuses difficultés liées à une excessive distorsion de la concurrence, susceptible de concerner la santé humaine.

M. Philippe Houillon. J’ai souhaité prendre l’image forte de la mise en danger de la santé humaine, mais bien d’autres voies juridiques sont ouvertes. Avec un raisonnement simple, il est possible de considérer que les normes édictées visent un objectif particulier, sauf à vouloir pénaliser les seuls producteurs de l’Union européenne, et que cet objectif est considéré comme pertinent. Si l’on admet par ailleurs des normes moins exigeantes, ce qui est le cas dans la production bio, car elle semble concernée par une actualité récente, ou non bio…

M. le président Jean-Claude Fruteau. Ce qui vaut d’ailleurs pour la banane…

M. Philippe Houillon. C’est pourquoi nos producteurs ont lancé la banane française, pour résister à la concurrence. Si l’on considère que ces objectifs sont pertinents, que ce soit au titre de la santé publique ou de l’information du consommateur, par exemple, afin de lutter contre l’acceptation de normes moins contraignantes, il faut trouver la qualification juridique pour pouvoir agir.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Vous avez raison, mais il y a plus de dix ans que nous débattons de ce sujet…

M. Claude Girault. La France n’a jamais saisi la Cour de justice européenne de la question, monsieur le président.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous avons péché par naïveté en imaginant obtenir gain de cause par la discussion avec les instances européennes ; nous pourrions passer à un autre stade, il faut voir comment, et c’est à vous de nous le dire.

M. Philippe Houillon. Il faut saisir la Cour de justice européenne ; le sujet mérite une consultation.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, messieurs, pour vos propos.

II. AUDITION DES RESPONSABLES DES ÉTATS GÉNÉRAUX DE LA PRODUCTION AUDIOVISUELLE ET CINÉMATOGRAPHIQUE DES OUTRE-MER

(séance du 10 janvier 2017)

Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente. Mes chers collègues, à l’initiative de Mme Maina Sage, nous accueillons aujourd’hui Mme Tisseau-Giraudel, coordinatrice des États Généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des Outre-mer.

Ils se sont réunis le mois dernier en Polynésie française ; ils ont rassemblé des professionnels de l’audiovisuel de tous les Outre-mer. À ce titre, leur tenue constitue un événement qui a retenu l’attention de notre Délégation.

D’après les informations qui m’ont été communiquées, ces États généraux ont été l’occasion d’une évaluation partagée de la situation de l’audiovisuel dans les Outre-mer et de la recherche, également en commun, de perspectives d’un développement futur.

Je passe la parole à Mme Maina Sage pour une brève introduction.

Mme Maina Sage. J’ai pu assister à certains des ateliers de ces États généraux, dont la coordinatrice a souhaité que le Parlement et les ministères concernés soient informés des conclusions.

C’est à ce titre que j’ai sollicité la Délégation aux Outre-mer, car cette rencontre permettra la bonne information de tous ceux qui sont intéressés par ces sujets, qui ont été abordés l’an passé par une étude du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ainsi qu’à l’occasion de nos débats sur le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle Outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.

C’est la première fois que nous rencontrons des représentants du tissu professionnel ultramarin, qui souhaitent faire connaître leurs filières, et démontrer tout le potentiel de développement économique et de valorisation de nos patrimoines que celles-ci peuvent représenter.

Mme Christine Tisseau-Giraudel, coordinatrice des États Généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des Outre-mer. Je tiens à remercier Maina Sage, qui a entendu notre souhait d’être reçus à l’Assemblée nationale. Chacun d’entre nous présentera les divers territoires ultramarins ayant participé à ces États généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des Outre-mer.

Nous dresserons un rapide état des lieux, puis nous présenterons nos pré-conclusions ainsi que nos recommandations, sachant qu’à la fin du mois prochain, nous présenterons l’ensemble de nos propositions après leur validation par les services des divers ministères concernés.

M. Marc Barrat, président de l’Association Guyane – Cinéma, Audiovisuel et Multimédia (G-CAM). Je suis réalisateur et responsable de la société de production Kanopé films, située en Guyane. Je suis également président de l’Association Guyane – Cinéma, Audiovisuel et Multimédia (G-CAM), créée en 2009, qui compte quarante-sept membres, et rassemble des producteurs, des réalisateurs, des techniciens ainsi que des acteurs.

La Guyane comprend aujourd’hui dix sociétés de production, une centaine de techniciens, intermittents et auto-entrepreneurs, dont une dizaine d’auteurs affiliés à la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) et à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). Nous diffusons quatre chaînes de télévision. Quatre festivals de cinéma sont organisés chaque année, et nous disposons de quatre cinémas, dont un complexe de six salles.

Depuis 2010, nous bénéficions d’un fonds de financement au titre de la convention de coopération cinématographique passée entre l’État, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et la région. Ce fonds a permis de pérenniser, de démocratiser et d’augmenter l’aide régionale, notamment avec l’apport du « 1 euro pour 2 euros » du CNC : lorsque la région engage 100 000 euros, le CNC apporte 50 000 euros, pour les aides à l’écriture, à la production ou au développement. En 2015, la dotation du fonds pour la Guyane s’est élevée à 405 000 euros avec 270 000 euros d’apport de la Communauté territoriale de Guyane (CTG) ; vous aurez le loisir de comparer ces chiffres avec ceux de mes collègues.

En 2013, un bureau d’accueil des tournages (BAT) a été créé afin d’accompagner les productions extérieures

La Guyane a toujours été une terre d’aventure, or l’aventure aime la fiction. Parmi nos projets phares ayant vu le jour en Guyane, peuvent être cités : Jean Galmot, aventurier, réalisé en 1989, le Vieux qui lisait des romans d’amour, réalisé en 2000 et le premier long métrage, que j’ai en l’honneur de réaliser en 2008 : Orpailleurs.

Depuis deux ans, on observe un intérêt marqué pour notre territoire à travers des œuvres de fiction comme la Loi de la jungle, d’Antonin Peretjatko, une comédie « déjantée ». En 2015, pour la première fois, une importante série a été produite par Canal+ Guyane, comportant huit épisodes de cinquante-deux minutes ; elle sera diffusée le 23 janvier sur la chaîne Canal+.

Enfin, la chaîne Arte vient de tourner un thriller policier de trois épisodes de cinquante minutes, intitulé Maroni.

Ainsi, les sociétés de production locales arrivent-elles à tirer leur épingle du jeu dans ces séries de fiction en étant prestataire de services ou producteur exécutif. En revanche, elles rencontrent de grandes difficultés dans la production de documentaires. En 2015, 80 % des documentaires, tournés en Guyane et en partie financés par le fonds CNC-État-Régions, étaient initiés par des productions hexagonales.

On constate que les productions locales ont du mal à se positionner, aussi bien pour l’accès aux diffuseurs que pour les financements.

Mme Sabine Jean-Louis Zéphir, présidente du Syndicat des producteurs indépendants du cinéma et de l’audiovisuel martiniquais (SPICAM). Je suis productrice et présidente du Syndicat des producteurs indépendants cinéma et audiovisuel martiniquais (SPICAM). Certes, le Syndicat n’existe que depuis six mois, mais ses membres fondateurs ont plus de quinze ans d’expérience dans le secteur.

Il existe une vingtaine de sociétés de production en Martinique, pour une quarantaine d’auteurs et de réalisateurs ainsi qu’environ 150 techniciens audiovisuels intermittents du spectacle. Six chaînes de télévision et un complexe cinéma de dix salles sont présents dans le territoire.

Jusqu’à l’année 2011, la Martinique ne bénéficiait pas d’une convention avec le CNC, mais il existait un fonds d’aide au tournage, lié à la politique culturelle de la région, qui a favorisé l’émergence de notre filière ainsi que le soutien d’un certain nombre de productions.

Ainsi, jusqu’en 2011, avons-nous disposé d’une enveloppe de soutien d’un montant maximum d’environ 700 000 euros. En 2011-2012 la première convention CNC-État-Régions a été passée ; elle a favorisé le développement de l’audiovisuel et du cinéma avec plus d’un million d’euros attribué à une vingtaine de projets, qu’il s’agisse de documentaires, de courts ou de longs métrages. Cette aide, qui n’a duré qu’un an, n’a pas été reconduite ; toutefois, dans le secteur du cinéma, la production a été soutenue à hauteur de 1,8 million d’euros entre 2014 et 2016 par la région Martinique.

Cette année, la reconduction de la convention CNC-État-Régions est inscrite au programme de la nouvelle collectivité territoriale de Martinique (CTM) ; pour la période 2017-2019, nous espérons qu’elle nous permettra de bénéficier du régime du « 1 euro pour 2 euros» précédemment cité.

Par ailleurs, la création en 2017 d’un BAT en Martinique, seule région de France à en être dépourvue jusqu’alors, ainsi que d’une commission du film, constituera une avancée importante.

À l’instar de tous les territoires ultramarins, la Martinique regorge de talents et de compétences qui ne demandent qu’à s’exprimer. J’en veux pour preuve toutes ces œuvres qui nous ont été offertes par des personnes de talents comme Euzhan Palcy, Lucien Jean-Baptiste, Guy Deslauriers, Jean-Claude Barny et d’autres encore… Aussi avons-nous besoin de vous.

Mme Christine Della-Maggiora, vice-présidente de la Fédération indépendante des producteurs audiovisuels de Nouvelle-Calédonie (FIPA-NC). Je suis chargée de production à la société Latitude 21 Pacific et vice-présidente de la Fédération indépendante des producteurs audiovisuels de Nouvelle-Calédonie (FIPA-NC), créée en 2011. La Fédération compte aujourd’hui dix-huit sociétés de production actives dans les domaines du documentaire, de la docu-fiction, de magazine et de programmes de flux.

Nous avons également créé l’Association des producteurs de fiction (ACPF), qui regroupe sept membres réalisant des films de court et de long métrage. Depuis 2005, nous disposons d’un bureau d’accueil des tournages. En 2009, la province Sud a créé la commission locale d’aide à la production audiovisuelle et cinématographique ; elle a été suivie par la province Nord, et, de façon ponctuelle, par la province des îles Loyauté.

Les enveloppes correspondant à ces aides fluctuent largement chaque année. Elles n’en ont pas moins constitué un réel levier pour la production audiovisuelle en Nouvelle-Calédonie en développant la filière, tout en étant parfois insuffisantes dans le secteur de la fiction.

À ce jour, la Nouvelle-Calédonie n’est pas éligible aux aides du CNC. Toutefois, l’année 2017 verra la création d’un fonds audiovisuel, décidée par le Congrès au mois d’août dernier ; en outre, un processus de signature de convention est en cours avec le CNC et devrait aboutir cette année.

En dix ans, nous sommes passés d’une à vingt-cinq sociétés de production, et nous produisons quarante fois plus qu’il y a dix ans.

En 2016, trente documentaires ont été produits en Nouvelle-Calédonie, dont dix-sept localement ; ils ont été diffusés sur des chaînes locales, nationales et internationales. Nous disposons de trois chaînes de télévision : Nouvelle-Calédonie 1re (NC 1re), Canal+ Calédonie et NCTV. Nous organisons cinq festivals, et disposons d’un cinéma.

Tout particulièrement depuis 2015, à travers son BAT, la Nouvelle-Calédonie accueille des productions extérieures comme le film Louise Michel, la série Foudre et l’émission Koh-Lanta, pour plusieurs saisons, et dernièrement, le film Mercenaire, primé à la quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2016.

Même si elle est jeune, la filière audiovisuelle néo-calédonienne est forte de vingt-cinq sociétés de production, de plus de cinquante réalisateurs et de 250 techniciens et autres prestataires spécialisés. Nos producteurs sont très actifs, et nous sommes parvenus à nous structurer malgré les difficultés, avec parfois un sentiment d’inégalité, car nous ne bénéficions pas des aides du CNC.

Mme Christine Tisseau-Giraudel. Avant d’évoquer la Polynésie, en l’absence d’Estelle Jomaron-Galabert, présidente de l’Agence film Réunion (AFR), je présenterai la situation prévalant à La Réunion.

La naissance de la filière audiovisuelle et cinématographique de La Réunion peut être située à l’année 2001.

Ce territoire compte aujourd’hui dix-huit sociétés de production, 155 techniciens, quatre chaînes de télévision, huit festivals, sept complexes de cinéma représentant vingt-trois salles.

Le fonds de soutien annuel s’élève à 1,35 million d’euros, auquel le CNC apporte 577 000 euros, et un bureau d’accueil des tournages a été mis en place en 2001.

Il faut relever que La Réunion est le territoire le plus avancé des Outre-mer : elle conduit une réelle politique de promotion de la destination à travers l’accueil des tournages, qu’elle a très vite lié au tourisme et à l’économie. Au cours des États généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des Outre-mer, nous avons très tôt décidé qu’elle nous servirait de modèle.

En Polynésie française, je suis productrice et présidente du Syndicat de la production audiovisuelle en Polynésie française (SPAPF).

La filière polynésienne a vu le jour en 2003 ; auparavant, nous produisions surtout des films publicitaires et institutionnels, mais peu de choses pour la télévision. La création en 2004 du Festival international du film documentaire océanien (FIFO) a marqué pour nous une prise de conscience : pourquoi ne pas réaliser de films alors que nous en recevons cent chez nous ? De leur côté, nos institutionnels nous ont demandé : pourquoi pas vous ?

Nous avons donc commencé à nous fédérer, et à constituer en 2007 un fonds de soutien à la production audiovisuelle ; c’était un préalable, puisqu’à l’instar de la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française n’avait pas accès aux dotations du CNC. La création de ce fonds a donné le départ du développement de la production audiovisuelle polynésienne : en 2003 nous produisions un documentaire par an, et disposions de cinq techniciens, aujourd’hui, nous produisons presque trente documentaires par an, et comptons 120 techniciens.

Ainsi, l’accompagnement politique et institutionnel, à travers le fonds de soutien et la mise en place de mesures incitatives et d’accompagnement des professionnels et des facilitateurs de tournages, a permis ce développement en Polynésie.

L’accès aux crédits du CNC a constitué la seconde phase du développement. Faute d’être éligible à la convention CNC-État-Régions, la Polynésie française, en 2013, a signé une convention avec cet organisme permettant aux producteurs locaux de bénéficier d’une enveloppe dédiée d’un montant de 577 000 euros.

Aujourd’hui, la Polynésie française compte deux chaînes de télévision, trois festivals, quatre complexes de cinéma et une quinzaine de sociétés de production. Le fonds de soutien créé en 2007, et dont le montant a été doublé cette année, s’élève à 1,4 million d’euros. Le bureau d’accueil des tournages dont nous disposions a été fermé, mais le ministre polynésien de la relance économique a annoncé sa réouverture après qu’il se sera assuré auprès des professionnels que celui-ci répond bien à leurs attentes. De fait, le BAT constitue la porte d’entrée des tournages extérieurs sur nos territoires. Au demeurant, nous savons recevoir des tournages en l’absence de bureau d’accueil, mais cet organisme, souvent placé sous l’égide de Film France qui les regroupe, confère un gage de sérieux aux sociétés de production nationales comme internationales.

Mme Christine Vial-Collet, présidente de l’Association des producteurs de cinéma et d’audiovisuel de Guadeloupe (APCIAG). Je suis présidente de l’Association des producteurs de cinéma et d’audiovisuel de Guadeloupe, association née en 2010, et regroupant près de 17 producteurs guadeloupéens.

En Guadeloupe, le secteur audiovisuel et cinématographique a réellement pris naissance en 2002, et, à partir de 2005, la région a décidé de participer activement à son organisation ; dans le même temps, un protocole a été signé avec le CNC qui attribue des aides.

Il faut conserver à l’esprit que ces mesures bénéficient aux professionnels locaux, certes, mais « boostent » l’attractivité de notre territoire en attirant des tournages ainsi que de grosses productions nationales, voire internationales.

Ainsi, dès 2006, une première série importante, intitulée la Baie des flamboyants, est-elle tournée ; cette émission, qui s’est étalée sur 300 épisodes en quatre saisons, a constitué pour de nombreux techniciens locaux l’occasion d’acquérir une solide expérience.

En 2011, a été donné le premier tour de manivelle de la série télévisée britannique produite par BBC 1, Death in Paradise, intégralement tournée en Guadeloupe ; le tournage de la septième saison a commencé. Les retombées économiques pour le territoire se chiffrent à au moins trois millions d’euros dépensés sur le territoire par an.

Certes, cette série est la plus grosse production en Guadeloupe, mais le secteur est resté actif, car de nombreuses séries, des documentaires ainsi que des films de court et long métrage ont été produits et certains primés.

En 2008, un bureau d’accueil des tournages a été créé : il compte aujourd’hui vingt auteurs et 222 techniciens. Nous disposons de matériel permettant la gestion simultanée de plusieurs tournages, en 2015, nous avons ainsi enregistré 600 jours de tournage.

Nous bénéficions de deux fonds.

Depuis 2005, le fonds de coopération cinématographique et audiovisuel, dans le cadre de la convention CNC-État-Régions, qui, en 2015, a aidé douze projets, la région ayant versé 591 000 euros et le CNC 578 000 euros.

Depuis 2014, le fonds régional d’aide aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles, qui soutient les projets en production, postproduction et diffusion ; dans ce cadre, neuf projets ont été aidés pour un montant de 1,3 million d’euros.

Lors des travaux des États généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des Outre-mer — pour lesquels Mme Maina Sage, qui était présente, a évoqué l’égalité réelle —, nous avons ensemble considéré qu’il était grand temps que l’ensemble des mesures d’accompagnement propres à favoriser le développement des filières audiovisuelles disponibles en métropole soient adaptées aux particularités résultant de l’éloignement géographique des départements et territoires ultramarins, et étendues aux Outre-mer.

Par ailleurs, le groupe France Télévisions, à travers les chaînes Outre-mer 1re, France O, mais aussi France 2, France 3, France 4 et France 5, devrait soutenir la production cinématographique des Outre-mer de la même façon qu’il soutient la production métropolitaine, notamment celle qui se situe dans l’enceinte du périphérique parisien.

Enfin, les œuvres ultramarines doivent rayonner sur l’ensemble des chaînes et autres supports, singulièrement sur ceux de l’audiovisuel public.

Nous avons donc défini un développement en trois axes.

Le premier porte sur le développement de la filière : je laisse à Sabine Jean-Louis Zéphir le soin de s’exprimer à ce sujet.

Mme Sabine Jean-Louis Zéphir. L’accompagnement de la filière audiovisuelle et cinématographique dans l’ensemble des territoires et départements ultramarins passe par trois mesures majeures.

La première porte sur la formation et la professionnalisation : si nous souhaitons que nos filières soient plus attractives et compétitives devant la compétition internationale, toujours plus sévère sur tous les marchés, nous devons créer et favoriser l’accès aux formations continues et de spécialisation de nos auteurs, techniciens et producteurs.

Par ailleurs, afin de préparer l’avenir de notre jeunesse, nous devons lui dispenser des formations initiales solides et adaptées. L’éducation à l’image est elle aussi nécessaire, car décrypter et comprendre le monde qui nous entoure est aujourd’hui fondamental ; les professionnels de la filière sont conscients du rôle qui leur revient dans cette action.

Je laisse à Marc Barrat le soin d’évoquer la question du financement de la formation et la professionnalisation.

M. Marc Barrat. Le financement de la formation et la professionnalisation doit être étendu à l’ensemble des départements et territoires d’Outre-mer, comme les conventions CNC-Régions ou CNC-Territoires, notamment en intégrant les aides à l’écriture, au développement et à la production. Je pense naturellement à la Nouvelle-Calédonie qui ne bénéficie pas encore de ce fonds de soutien.

Le niveau d’investissement des chaînes du réseau Outre-mer 1re et de France Télévisions doit être aligné sur celui de France 3 régions. Ainsi, dans le secteur du documentaire, le taux d’investissement est-il de 10 % du budget total du film pour les chaînes d’Outre-mer 1re — Guadeloupe 1re, Martinique 1re, par exemple —, de 38 % en régions métropolitaines, et de 50 % en général pour les productions à l’intérieur du périphérique.

Nous voulons encore réduire le délai de versement des subventions d’aide publique afin de tendre dans les départements ultramarins notamment, vers le délai légal de quarante-cinq jours ou de soixante jours calendaires. En effet, les collectivités sont souvent longues à verser les subventions, ce qui met en péril des sociétés de production dont la trésorerie est fragilisée par ces délais trop importants.

Nous souhaitons créer des solutions de crédit adaptées à la production audiovisuelle et cinématographique ultramarine telles Cofiloisirs ou Coficiné, en nous appuyant sur les structures bancaires ou de financement existantes, comme l’Agence française de développement (AFD), ou Bpifrance.

Nous voulons aussi créer une société d’investissement destinée à la collecte de fonds privés, exclusivement consacrée au financement de la production audiovisuelle et cinématographique, comme les Sofica, qui relèvent plus de la défiscalisation ultramarine.

Je cède la parole à Christine Tisseau-Giraudel afin qu’elle évoque les accueils de tournages.

Mme Christine Tisseau-Giraudel. Je souhaite auparavant évoquer les différences de traitement existant entre l’Outre-mer et la métropole. Pour la production de la même œuvre, le même documentaire, la même durée et le même budget — œuvre qui sera peut-être diffusée sur la chaîne qui aurait donné 50 % —, les chaînes de proximité du groupe France Télévisions diffusées chez nous et sur le réseau national reçoivent le taux d’aide maximum. Il s’agit là d’une injustice flagrante.

D’ailleurs les membres du comité d’experts — qui étaient des producteurs et des diffuseurs, comme le Syndicat des producteurs indépendants (SPI) — que nous avons reçu aux États généraux, par-delà leur volonté de nous soutenir, étaient sidérés de constater que nous avions pu créer des filières dans de telles conditions.

Un producteur métropolitain ne se lancerait pas dans l’aventure avec le seul financement de 10 % reçu de la part d’une chaîne de télévision. C’est bien que nous ayons su trouver une autre façon de produire et de fonctionner, parce que nous sommes passionnés. Mais rien ne justifie qu’il en aille ainsi, sauf à considérer que nos filières sont récentes. Aujourd’hui nous entendons encore certains diffuseurs considérer qu’il n’existe pas de filières Outre-mer. Il est vrai que ces filières ont été créées entre 2001 et 2004, et que cela est très récent. On peut imaginer que les gens, hors ceux de France O et du réseau France 1re, travaillant dans les autres chaînes puissent ne pas nous connaître. Il n’en demeure pas moins qu’il n’est plus vrai que rien n’existe dans le secteur en Outre-mer : nous en sommes la preuve vivante.

Aujourd’hui six départements et territoires des Outre-mer comptent au total plus de quatre-vingt-dix sociétés de production. Je ne nie pas que des choses manquent, notamment dans le domaine de la formation, mais nous produisons déjà beaucoup, pour les chaînes locales, nationales et internationales. Nous accueillons des sociétés de production : les techniciens et la production d’œuvres ultramarine sont donc bien là.

Nous souhaitons que vous puissiez conserver cela à l’esprit, car trop souvent, c’est l’argument de cette inexistence — qui n’est plus pertinent depuis dix ans — qui nous est opposé dans les discussions relatives au financement.

Le deuxième axe de développement que nous proposons porte sur la facilitation de la venue de productions audiovisuelles et cinématographiques, tant nationales qu’internationales, dans nos territoires.

Le développement existe sur deux plans : celui de la production locale, avec nos auteurs, nos thèmes et les divers diffuseurs, et celui de la réception de tournages, qui sont source de formation et d’expertise pour nos techniciens.

Il convient donc de développer les BAT dans tous les territoires ultramarins. Aujourd’hui, seules la Martinique et la Polynésie en sont encore dépourvues, bien que les choses soient en bonne voie.

Il faut sensibiliser les chaînes de télévision nationales, dont France Télévisions, et les inciter à s’engager dans la localisation de tournage d’épisodes de séries et fictions existantes, comme Meurtre à…, diffusée par France 3, et dont des épisodes ont été tournés en Martinique et en Guadeloupe. La pratique doit être étendue à l’ensemble des Outre-mer ; des séries très grand public produites par TF 1 comme Joséphine ange gardien pourraient-elles être concernées.

Par ailleurs, les surcoûts dus à l’éloignement géographique devraient être lissés, car notre situation d’isolement majore les coûts de réalisation au regard de Paris intra-muros par exemple. Des solutions existent, et les fonds de soutien permettent le lissage de ces surcoûts ; le crédit d’impôt destiné à favoriser la localisation des tournages nationaux en métropole pourrait être bonifié dès lors qu’il s’agit de tourner dans les Outre-mer.

Enfin, il conviendrait d’exonérer des taxes du type octroi de mer ou droits d’entrée, très liées au territoire antillais, les matériels de tournage devant être importés dans les territoires ultramarins, car cette forme de taxation n’a pas de sens.

Mme Christine Della-Maggiora. Le troisième axe du développement de la production audiovisuelle et cinématographique ultramarine est constitué par la nécessité d’étendre la notoriété des œuvres dans les bassins géographiques des départements et territoires ultramarins ainsi que sur le plan national et international.

À cette fin, il convient d’être présent sur les marchés, et de s’intégrer dans l’environnement géographique ; dans le but de faire connaître au mieux les œuvres, les producteurs ultramarins doivent être présents dans les marchés aux films ainsi que dans les festivals nationaux et internationaux.

Par ailleurs, le rôle des diffuseurs doit être accru en renforçant la production de documentaires proposés par les télévisions locales ultramarines. Ce qui passera par la signature de contrats d’objectifs ou de conventions passées entre les régions ou pays et le CNC.

Canal+ Overseas devrait par ailleurs être engagé dans chacun des départements ou territoires dans lesquels Canal+ est diffusé, et non plus seulement dans ceux où la chaîne est implantée. De son côté, France Télévisions devrait s’engager pour la production d’au moins dix documentaires et de fictions par antenne et par an.

Mme Maina Sage. Ces États généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des Outre-mer ont-ils été l’occasion de fédérer les professionnels afin de dégager une stratégie commune, susceptible de valoriser les activités audiovisuelles et cinématographiques sur le plan économique ?

Comment les acteurs politiques locaux perçoivent-ils la mise en cohérence de vos filières avec la promotion des destinations ? Car le tourisme fait partie des premières ressources propres de nos territoires. Les États généraux ont-ils constitué l’occasion de croiser les données, et d’engager une démarche avec les représentants politiques locaux ?

M. Stéphane Claireaux. À l’instar de Mayotte, la production audiovisuelle et cinématographique à Saint-Pierre-et-Miquelon est quasi inexistante ; la seule unité de production présente est SPM 1re, qui produit très peu de documentaires. Quelques petites sociétés de productions ont bien été créées par des techniciens de SPM 1re, mais, compte tenu du statut de collectivité territoriale de l’archipel, elles n’ont pu passer de convention avec le CNC.

Quelques expériences cinématographiques ont été tentées comme la série Entre terre et mer d’Hervé Baslé, tournée à Saint-Pierre-et-Miquelon. L’acteur Roland Blanche tenait l’un des rôles principaux, et j’avais été délégué de production. Le tournage a eu lieu sur une petite île située en face de Saint-Pierre, et, faute d’alimentation électrique, il avait fallu recourir à des groupes électrogènes, ce qui n’avait pas simplifié les conditions de tournage !

Depuis quelques années, on constate un regain d’intérêt pour l’archipel : une société de production métropolitaine a pris conscience de la richesse de l’histoire de Saint-Pierre-et-Miquelon. Par ailleurs, j’ai rencontré un cinéaste venu de la Métropole souhaitant tourner un court métrage sur place. Récemment, j’ai été contacté par David Mitnik, membre de l’Association des Directeurs de Production (ADP), qui s’est étonné de constater que Saint-Pierre-et-Miquelon était absent du site internet de Film France parce qu’il n’existe pas de BAT dans l’archipel.

Tout reste à construire à Saint-Pierre-et-Miquelon, alors qu’avec SPM 1re l’archipel dispose de compétences, des œuvres communes pourraient être réalisées avec d’autres départements et territoires ultramarins et le Québec est très demandeur, mais nous ne disposons pas des moyens nécessaires.

Mme Maina Sage. Il ne faut pas oublier Saint-Pierre-et-Miquelon !

M. Stéphane Claireaux. C’est presque un appel au secours que je lance !

Mme Christine Tisseau-Giraudel. Les acteurs du secteur audiovisuel de Saint-Pierre-et-Miquelon seront les bienvenus dans notre union de producteurs ultramarins.

M. Stéphane Claireaux. Ce serait une très bonne chose. J’ai récemment rencontré un jeune ayant fait des études d’audiovisuel, et qui souhaitait revenir dans l’archipel pour y travailler. Mon fils, qui est titulaire d’un master 2 de cinéma, est resté en métropole, car il a été rebuté par les complications administratives auxquelles se trouve confronté celui qui veut réaliser une œuvre audiovisuelle à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Mme Christine Della-Maggiora. Il faut conserver à l’esprit que nos territoires présentent une grande richesse grâce à nos paysages dans leur variété. Ainsi, à Saint-Pierre-et-Miquelon, peut-on admirer les baleines qui viennent se nourrir, et l’archipel recèle une histoire marquante ainsi que des paysages atypiques. De plus, la vogue des cinémas danois et suédois, par la proximité des paysages, pourrait profiter à Saint-Pierre-et-Miquelon ; la filière audiovisuelle est tout à fait susceptible de constituer un axe de développement pour l’archipel.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente. Nous retenons que nous allons nous rendre à Saint-Pierre-et-Miquelon afin de voir ce qu’il s’y passe !

Mme Maina Sage. Et à Mayotte !

M. Marcel Rogemont. Membre de la commission des affaires culturelles ainsi que du conseil d’administration du CNC, je suis particulièrement impliqué dans les questions touchant à l’audiovisuel.

J’apprécie la mobilisation dont vous faites preuve à sa juste valeur. Cette mobilisation est d’autant plus nécessaire que le CNC a décidé de ne pas être en première ligne, mais de se tenir à l’attention des pouvoirs publics locaux. Cela vaut pour la Métropole comme pour l’extérieur, il est donc évident que le déclenchement du dispositif, comme son volume, dépendent en métropole des régions et des collectivités territoriales.

Le CNC ne pratique donc pas de discrimination à l’encontre des départements et territoires ultramarins, ainsi, même sur le territoire métropolitain, toutes les régions n’ont-elles pas encore passé de convention.

Les montants financiers que vous évoquez sont importants…

M. Marc Barrat. Pas en Guyane !

M. Marcel Rogemont. Ils sont la preuve de votre mobilisation, qui se justifie d’autant plus par ses conséquences sur la création d’emplois et le développement économique.

Vous n’êtes pas sans savoir que l’État ne dispose pratiquement plus d’argent à investir directement dans la production audiovisuelle et cinématographique ; s’il est encore susceptible de financer quelques festivals, il faut reconnaître que les caisses sont vides. D’ailleurs, certaines régions, dont la région Bretagne, qui est celle de Mme la présidente, ont déjà récupéré l’argent, soit 300 000 euros en l’occurrence.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente. Nous sommes élus de la même ville…

M. Marcel Rogemont. Nous sommes députés de la même République, élus dans la même ville, ce qui n’est pas exactement la même chose !

M. Philippe Houillon. Députés de la Nation. (Sourires)

M. Marcel Rogemont. S’agissant de France Télévisions, France O pose une vraie question : à titre personnel, je ne vous cacherai pas que j’éprouve quelque difficulté à percevoir son utilité. Pendant dix-huit mois, elle fut la chaîne de la diversité puisque l’apport de la France ultramarine ne suffisait pas à remplir suffisamment la grille des programmes de France O afin qu’elle puisse être regardée en métropole.

Cette chaîne pose une réelle question politique aux gouvernements, à l’actuel et à au gouvernement de droite demain (Sourires).

M. Philippe Houillon. J’en accepte l’augure !

M. Marcel Rogemont. Demain est toujours une incertitude, et je n’ai pas dit quand !

Puisqu’elle ne donne pas satisfaction, l’argent qui lui est consacré pourrait être dépensé différemment. Je vous suggère cette idée, car je ne suis pas assez téméraire pour poursuivre plus avant mon raisonnement, qu’au demeurant vous avez compris… (Rires.)

Le recours aux Sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel (SOFICA), qui a été évoqué, est intéressant. Je suis par ailleurs partisan de la pratique du crédit d’impôt. J’ai participé à la création du crédit d’impôt dit « Luc Besson », destiné aux productions importantes, qui n’a pas manqué de connaître des retombées économiques non négligeables, notamment en termes d’emplois ; car un budget de 150 à 200 millions d’euros pour un film génère forcément du business.

Le recours au crédit d’impôt constitue donc une bonne idée, qu’il faudra toutefois préciser, et que nous ne manquerons pas de soutenir. Il s’agirait d’en proposer la bonification pour la France ultramarine, ce qui serait recevable dans le cadre d’une des lois consacrées à l’Outre-mer.

Par ailleurs, vous devez poursuivre votre mobilisation pour l’obtention du « 1 euro pour 2 euros », car, le budget du CNC représentant environ 800 millions, il n’y a pas d’obstacle, tout dépend de la capacité de vos collectivités à financer l’opération.

Par ailleurs, dans le cadre de vos négociations avec France Télévisions, il faut conserver à l’esprit le changement éventuel d’utilisation des crédits aujourd’hui dévolus à France O. Nous sommes d’ailleurs quelques-uns à penser que cette chaîne devrait être supprimée, car l’investissement n’atteint que 0,6 % ; plusieurs dizaines de millions sont concernés dans cette affaire.

France Télévisions accompagne systématiquement les initiatives des régions, car elle dispose de crédits pour cela ; je ne connais pas les derniers chiffres, mais les sommes concernées sont importantes.

Mme Christine Tisseau-Giraudel. À la question de Mme Maina Sage, qui a demandé si les États généraux de la production audiovisuelle et cinématographique des Outre-mer ont permis de fédérer les professionnels et les territoires, je répondrai positivement. Nous avons préparé ces premiers États généraux pendant deux ans, nous nous sommes rencontrés lors de marchés du film ou dans des festivals, en métropole ou ailleurs.

Au lendemain des États généraux, une association des professionnels de l’audiovisuel et du cinéma est née, qui regroupe notamment l’ensemble des syndicats et associations des acteurs du secteur présents dans les territoires ultramarins où existent des filières professionnelles.

Par ailleurs, une plateforme commune va être créée afin de mettre en valeur l’ensemble des professionnels et leurs métiers à travers les sociétés de production ainsi que les œuvres documentaires comme de fiction. Aujourd’hui, nous sommes invisibles, c’est donc à nous de faire la preuve du contraire, et plus nous serons nombreux et unis, plus nous serons forts. Notre plateforme sera aussi présente sur la Toile.

Nous envisageons encore de participer aux rencontres majeures en métropole que sont le Sunny Side of the Doc et le festival de fiction télévisée de La Rochelle, aux mois de juin et septembre prochains. Par ailleurs, nous nous rendrons en janvier 2018 au festival international de programmes audiovisuels (FIPA), qui constitue le plus important rendez-vous des programmes et des œuvres, afin d’y faire valoir les œuvres ultramarines réalisées dans tous les domaines.

Des collaborations sont en cours, qui aboutiront à des partages de compétences et de formation. Un ingénieur du son guyanais très compétent pourrait ainsi se rendre en Polynésie afin de former nos propres ingénieurs, car nos façons de travailler sont proches.

Nous sommes animés d’un réel désir, car aujourd’hui nous sommes bloqués dans notre développement, nous savons faire des documentaires et sommes capables de réaliser des mini séries et mini fictions, jusqu’à treize ou vingt-six minutes, sans pouvoir aller plus loin.

Nous disposons de quelques chaînes de télévision de proximité, sans pour autant avoir immédiatement accès aux chaînes nationales, fut-ce celles dont la thématique est ultramarine, comme France O ou le réseau des 1res. Nous connaissons les montants d’investissement de France Télévisions, qui se targue d’être le premier investisseur dans la création française… sauf en Outre-mer. Cela pour des raisons historiques, car il est vrai que nos filières sont naissantes ; et, il y a une dizaine d’années à peine, le métier des chaînes du réseau des 1res consistait à puiser des programmes dans la grande vidéothèque de France pour les diffuser.

Nous devons rebattre les cartes, et réapprendre à travailler ensemble, et jeter les vraies bases d’une société de production parisienne avec des chaînes nationales et une société de production régionale avec France 3 régions, par exemple.

Mme Christine Vial-Collet. Une nouvelle répartition du budget attribué à France O a été évoquée ; ce serait une très bonne chose qu’il aille au réseau des 1res, qui aujourd’hui n’a pas d’argent. Ce qui signifie qu’il ne peut pas nous accompagner dans notre production, et ses programmes sont constitués de telenovelas parce qu’ils ne sont pas chers.

Ces telenovelas représentent un grand danger, car elles déstructurent totalement la société dans tous les territoires. En Guadeloupe, les assistantes sociales vous diront que les mères ne vont plus chercher leurs enfants à l’école, et que, lorsque les enfants rentrent à la maison, il leur est intimé d’aller jouer dehors, car leurs mères sont accaparées par les telenovelas. Ces séries sont addictives, et elles abrutissent.

La télévision publique a une responsabilité dans l’éducation de la population, certes, les telenovelas coûtent moins cher que la production de programmes locaux, mais, à mon sens, à terme, la délinquance coûtera bien plus.

Lorsque je dis que les chaînes du réseau 1re n’ont pas du tout d’argent, c’est qu’il nous faut pleurer pour 3 500 euros d’achat de droits pour des documentaires qui nous ont coûté 160 000 euros. Certes, nous parvenons encore à vendre quelques productions à France O, mais si l’argent qui lui est consacré doit être redistribué, ce doit être en faveur du réseau des 1res.

Or celles-ci rétorqueront qu’afin d’avoir de l’audience, elles doivent diffuser des telenovelas. À Tahiti, où je me suis rendue, j’ai rencontré la directrice de Tahiti Nui Télévision (TNTV), qui est une chaîne locale indépendante fortement subventionnée par le gouvernement polynésien, et qui produit beaucoup de programmes locaux, se plaçant ainsi devant Polynésie 1re.

Aussi, que l’on ne me dise pas que les programmes locaux n’intéressent pas populations ! Je suis persuadée qu’en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie et à la Réunion, si des programmes qui leur ressemblent sont proposés aux locaux, ils seront regardés. Et cela donnera des repères fondamentaux à notre jeunesse, alors que nos sociétés ultramarines tombent en déliquescence, et que nos jeunes sombrent dans la violence.

M. Marc Barrat. Aujourd’hui, nous avons rencontré M. Marc Vizy, conseiller de l’Élysée pour l’Outre-mer, qui nous a indiqué qu’il était demandé à France O de revenir à ses prérogatives de chaîne des Outre-mer.

M. Marcel Rogemont. Cela a été fait il y a déjà deux ans. France O est devenue la chaîne de la diversité à la saison 2010-2011, mais ensuite le holà a été mis. Car le concept même de diversité, consistant à allier les territoires ultramarins aux quartiers difficiles, était incompréhensible.

Mme Sabine Jean-Louis Zéphir. On parle beaucoup de France O, mais nous combattons pour sortir de cet enclavement. Nous ne souhaitons pas que nos œuvres soient enfermées dans une chaîne constituant un ghetto, que ce soit France O ou le réseau des Outre-mer 1res. Nos programmes, nos auteurs, nos comédiens et nos réalisateurs confèrent toute la légitimité nécessaire à notre filière, qui a aussi sa place sur les chaînes nationales.

Nous ne souhaitons pas être des producteurs à part, mais des producteurs tout court ; notre filière doit être reconnue au même titre que les autres.

En effet, dans son contrat d’objectifs et de moyens, France Télévisions est soumise à des obligations, et 20 % de son chiffre d’affaires doit être alloué à la production indépendante. Notre question est de savoir quelle est la part des Outre-mer dans ces 20 %. Nous ne disposons pas de ces chiffres aujourd’hui.

Actuellement, 80 % du budget du réseau Outre-mer 1re est absorbé par la masse salariale, et 20 % vont à la production ; dans cette part se trouvent les sommes consacrées à l’achat de telenovelas et de quelques productions. Ce qui signifie qu’il n’y a rien ou très peu pour la production indépendante.

Mme Christine Della-Maggiora. Non seulement on nous enferme dans une chaîne unique, mais on nous enferme aussi dans nos capacités de production.

Autour de la Nouvelle-Calédonie se trouvent la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Fidji, Vanuatu et les îles Salomon, dont nous sommes plus proches que des producteurs métropolitains.

Nous avons la capacité de réaliser dans nos bassins géographiques des films qui font rayonner la francophonie (M. Philippe Houillon approuve), susceptibles d’être traduits en espagnol ou en anglais, et qui constituent une considérable ouverture sur les marchés internationaux. C’est pourquoi nous souhaitons que, par-delà France O, les chaînes nationales prennent conscience du potentiel que nous représentons.

M. Serge Letchimy. J’allais dire « ouf » ! Il est bon que les professionnels du secteur de l’audiovisuel et du cinéma ultramarins se soient enfin rassemblés, car longtemps les revendications ont été dispersées. De même, notre réunion de ce jour est une excellente initiative : elle place les enjeux sur le plan politique, tant il est vrai que ce sont des décisions politiques qui sont en cause. Et certains candidats gagneraient à intégrer ces questions dans leur programme de campagne.

L’enjeu n’est pas que financier, il est vital, sociétal, et profondément ancré dans l’évolution des différents pays.

Ainsi c’est à juste titre que les telenovelas ont été évoquées ; je connais la même tragédie lorsque le directeur d’un hebdomadaire martiniquais affirme qu’il ne peut vendre son journal qu’à la condition qu’il affiche du sang. J’ai mené une bataille contre ce genre de publications afin que puissent être diffusés au quotidien des débats de fond, portant sur les idées et les valeurs. Hélas, si la première page n’affiche pas de manchette sanglante, le journal n’est pas vendu.

La diffusion est ainsi abandonnée à la loi du marché, en toute méconnaissance des réalités économiques de la production.

Par ailleurs, et je l’ai entendu à l’instant, l’audiovisuel et la production cinématographique n’ont jamais été considérés comme une filière économique intégrée. M. Rogemont, grand défenseur de l’Outre-mer, a bien montré comment, à travers France O, nous sommes tous tombés dans les travers d’une certaine conception de la diversité. Le terme de diversité est un fourre-tout qui peut signifier n’importe quoi ; au point de pouvoir devenir un concept, les dévoiements de France O montrent que plus on se rengorge de diversité dans l’Hexagone, mieux on est dans sa peau, et plus on est mal Outre-mer.

Nous n’incarnons pas seulement une diversité, nous avons une profondeur culturelle, une histoire, des pays et une richesse, tout cela doit être valorisé. Cette esthétique de la diversité me gêne beaucoup. Elle explique la pauvreté des moyens mis en œuvre dans l’accompagnement de la naissance d’une filière. Lorsque j’étais président de région, j’ai soutenu bien des combats pour le financement, et une convention a été passée avec le CNC ; de son côté, la région a structuré son dispositif d’aides.

Les travaux des États généraux doivent être l’occasion de clarifier la place de la production audiovisuelle et cinématographique dans l’économie de l’Outre-mer, qui doit être placée au même rang que le numérique, le tourisme, la biodiversité et la richesse océanique. Or tel n’est pas le cas aujourd’hui, et nous devons aller beaucoup plus loin. Si nous cherchons des vecteurs de croissance et de développement pour nos pays, nous ne devons pas rester dans l’économie de comptoir existant aujourd’hui, mais trouver les filières susceptibles d’être créatrices d’activité dans le champ du modernisme comme le numérique, l’imagerie, la production, etc.

Nous sommes à l’an zéro de cette démarche, aussi les professionnels doivent-ils s’organiser et créer une vraie plateforme, et la personne que nous aurons choisi de placer à sa tête devra exposer un programme clair. Il faut cesser de jouer avec France O et ses 15 % ou 20 %, une masse financière de soutien à la production est disponible : elle doit être ouverte à tous, y compris à l’exportation. Pourquoi ne produirions-nous pas des telenovelas bòkay — ce qui signifie « près de chez nous » ?

Notre réflexe est d’inscrire notre potentiel de production dans l’étroitesse de notre géographie et de nos 400 000 habitants ; nous devons soutenir son exportation comme nous soutenons la banane si nous voulons exporter nos réalisations au Brésil, par exemple. Si un effort européen peut garantir l’équilibre de l’économie de la banane, pourquoi des productions cinématographiques locales ne pourraient-elles pas bénéficier de fonds d’équilibre européens et de crédits d’impôt à l’échelon national ?

Nos sous-sols ne recèlent ni or ni minerais. Nous devons changer de paradigme, et nous appuyer sur la dynamique portée par la culture locale, et dont la différence est telle qu’elle est susceptible de créer une grande richesse nationale. De son côté, la production cinématographique constitue un créneau très important.

Nous sommes à des années-lumière de ces revendications. Ainsi, pour retransmettre le Tour des yoles de Martinique, sport unique et susceptible de connaître une renommée mondiale, Martinique 1re est-elle contrainte à recourir à 60 % de subvention de la collectivité régionale ; elle ne s’inscrit même pas dans une dynamique de production. Cela n’a aucun sens ! Nous ne sommes pas dans une démarche de soutien à la production ! Il ne suffit pas de se faire plaisir et de filmer un dimanche un Tour de yole.

La médiocrité de la production locale est consternante (Mme Sabine Jean-Louis Zéphir proteste)

Mme Maina Sage. C’est un problème de moyens.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente : Un problème quantitatif et non qualitatif.

M. Serge Letchimy. Elle n’est pas due à la médiocrité des intéressés, mais au manque de moyens financiers. Lorsque je vois à quel point vous souffrez pour votre petite production et sa diffusion, alors que je souhaite demeurer dans la République et l’Union européenne, je songe que nous sommes avant tout caribéens. Nous n’avons pas évoqué la coopération que nous pourrions établir dans le domaine de l’audiovisuel et du cinéma avec les 40 millions de Caribéens, les 300 millions d’Américains du Sud et les 65 millions de Français.

Si nous associons l’audiovisuel, le numérique et les échanges économiques, nous pourrions faire de grandes choses, susceptibles de reposer la question de l’identité locale sur un nouveau plan, car l’aliénation culturelle a pris le visage de l’aliénation économique ; c’est pourquoi la coopération interne à la Caraïbe est très importante. J’en parlerai d’ailleurs au candidat que je soutiens afin de connaître ses intentions dans ce domaine.

Enfin, je demande à nos interlocuteurs s’ils peuvent nous fournir un document faisant la synthèse de leurs travaux ainsi que de leurs propositions.

Mme Christine Tisseau-Giraudel. Pour l’ensemble des membres du comité de pilotage, la présente semaine est consacrée à des réunions techniques destinées à établir des pré-conclusions. Au cours de la semaine du 20 février prochain, nous nous rendrons en métropole : nous serons alors à même de vous communiquer le document final.

Mme Sabine Jean-Louis Zéphir. Je souhaiterais tempérer l’expression de « productions médiocres », qui me froisse. Il existe des productions de très bonne qualité, mais elles ne sont pas assez nombreuses ; donc cette expression ne peut concerner que le seul aspect quantitatif de la question. Et cette problématique n’affecte pas que nos territoires ; en revanche, nos productions de très grande qualité souffrent d’un manque de moyens financiers et de notoriété. Elles sont donc peu connues dès lors que nous ne sortons pas de notre stratosphère territoriale : c’est là qu’est le manque.

Au cours de votre mandat, monsieur Letchimy, les productions de qualité ont été soutenues, précisément au titre de leur qualité. Nous parvenons à proposer de bonnes productions avec trois fois moins de moyens que si nous travaillions dans des territoires nationaux.

Mme Maina Sage. Tout ce que j’ai entendu aujourd’hui entre en pleine cohérence avec l’étude menée pour la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État Outre-mer (CNÉPÉOM), qui, deux fois par an, rend un rapport. Pour la première fois, le volet culture y a été intégré. De façon exceptionnelle, la question de l’audiovisuel a été très peu abordée, car nous étions dans l’attente de ces États généraux.

Tout ce que vous avez évoqué est symptomatique du secteur culturel, et concerne aussi la promotion des auteurs et des artistes en général. Je partage le point de vue de Serge Letchimy : nous devons changer de logiciel, et aborder la question du soutien aux filières culturelles en tant que potentiel de développement économique particulier, qui favorise la promotion d’autres secteurs. Il s’agit de tirer vers le haut des domaines dont les intérêts se croisent comme le tourisme ou l’éducation.

Il faut par ailleurs reconnaître que le contexte national est difficile, et que les enjeux du présent nous conduisent à construire une stratégie pour l’ensemble des territoires, qui ne doit pas moins prendre en compte les perspectives qu’offrent nos bassins régionaux. Certains marchés sont proches, qui sont trop souvent ignorés, et c’est peut-être là que, sur le plan national, nous devrions innover plus afin que les territoires ultramarins puissent bénéficier de toutes les passerelles.

Je vous encourage à prendre connaissance de la synthèse portant sur la culture réalisée par le CNÉPÉOM; elle montre que la France dispose d’un arsenal phénoménal dans le domaine des relations diplomatiques et internationales, qui est l’un des meilleurs au monde. La France a organisé un secteur culturel reconnu dans le monde entier, il vient en support de son tourisme, avec des organismes spécialisés et professionnels, qui, dans les bassins régionaux, sont déjà en contact avec tous nos voisins.

Aujourd’hui, l’enjeu est pour nous de faire en sorte que ces professionnels qui gèrent les artistes présents dans l’Hexagone puissent aussi s’ouvrir à l’offre ultramarine. Ainsi, dans le secteur de l’audiovisuel, devons-nous parvenir à vous mettre en contact avec les professionnels nationaux pour vous intégrer dans l’offre française aujourd’hui distribuée dans nos bassins régionaux.

Au regard du calendrier électoral, j’ai conscience que la remise des conclusions de vos travaux au mois de février prochain risque d’être quelque peu tardive ; c’est pourquoi j’ai souhaité l’entrevue de ce jour afin que vous puissiez avoir une place dans les programmes consacrés aux Outre-mer que proposeront prochainement les candidats.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente. Les productions réalisées dans vos territoires doivent effectivement irradier toute la France, y compris la Métropole. Car les métropolitains ont besoin de connaître ce qui est fait chez vous. Et les telenovelas sont aussi diffusées chez nous.

Si nous parvenions à faire connaître ce qui se passe ailleurs, dans des territoires avec lesquels nous avons la langue en partage, nous gagnerions en qualité. Il existe des festivals autres que celui de La Rochelle, qui se déroulent notamment en Bretagne, où vous seriez très bien accueillis.

Mme Christine Vial-Collet. Nous vous remercions pour la qualité de votre écoute. Nous sommes persuadés que la filière audiovisuelle et cinématographique constitue un axe de développement pour les Outre-mer. J’en veux pour preuve le nombre de sociétés de production cinématographiques nationales et internationales qui viennent tourner dans tous nos territoires. Nous pouvons faire au moins aussi bien, et permettre à de jeunes Ultramarins de trouver du travail chez eux.

J’ai beaucoup entendu parler d’aides et de subventions : il faut savoir que cela est l’usage dans nos professions, car l’audiovisuel et le cinéma sont des secteurs aidés, et les rapports du CNC montrent que, sur un euro investi dans une production, la valeur ajoutée est de huit euros au minimum. Il ne s’agit donc pas d’argent jeté à plaisir.

J’ai par ailleurs promis à Christine Tisseau-Giraudel de rappeler qu’à une époque, Brigitte Bardot faisait entrer en France plus de devises que la Régie Renault qui vendait des voitures. Il est donc possible de faire de ce secteur, qui est certes culturel, mais n’en représente pas moins une industrie — on parle couramment d’industrie du cinéma — une filière pérenne et pourvoyeuse d’emplois pour chacun de nos territoires.

Mme Christine Tisseau-Giraudel. Je souhaite remercier Maina Sage d’avoir provoqué cette rencontre ainsi que nos interlocuteurs pour leur écoute et leurs propositions.

J’ai bien noté que le crédit d’impôt bonifié offrait des perspectives intéressantes.

Nous voulons sortir de l’ombre, et désormais, vous nous connaissez mieux, vous connaissez notre travail, nous vous avons fourni des chiffres : 1 000 techniciens, 90 sociétés de production réparties dans six territoires et départements. Aussi, la prochaine fois qu’une chaîne de télévision ou une institution viendra vous dire que l’audiovisuel et le cinéma sont sous-représentés Outre-mer, vous pourrez lui répondre que c’est faux.

1  Il convient d’ajouter que l’élaboration des divers rapports d’information a systématiquement donné lieu à la pratique de nombreuses auditions dont, au moins dans un premier temps, un grand nombre a été tenu dans le cadre de la Délégation elle-même (y compris sous forme de table ronde) et non pas sous la seule responsabilité du ou des rapporteurs.

2  La rencontre du 10 février 2015 était une audition conjointe de Mme Marisol Touraine et de Mme Pau-Langevin sur le projet de loi relatif à la santé. La Délégation a également reçu, le 14 mai 2013, M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, à l’occasion de l’examen du projet de loi d’avenir sur l’agriculture dont elle s’était saisie.


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