Fabrication de la liasse
Rejeté
(mardi 5 décembre 2017)
Photo de monsieur le député Éric Coquerel
Photo de madame la députée Clémentine Autain
Photo de monsieur le député Ugo Bernalicis
Photo de monsieur le député Alexis Corbière
Photo de madame la députée Caroline Fiat
Photo de monsieur le député Bastien Lachaud
Photo de monsieur le député Michel Larive
Photo de monsieur le député Jean-Luc Mélenchon
Photo de madame la députée Danièle Obono
Photo de madame la députée Mathilde Panot
Photo de monsieur le député Loïc Prud'homme
Photo de monsieur le député Adrien Quatennens
Photo de monsieur le député Jean-Hugues Ratenon
Photo de madame la députée Muriel Ressiguier
Photo de madame la députée Sabine Rubin
Photo de monsieur le député François Ruffin
Photo de madame la députée Bénédicte Taurine

Rédiger ainsi cet article :

« I. – L'article 60 et le B du I de l’article 82 de la loi n° 2016‑1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 sont abrogés

Exposé sommaire

Le présent amendement propose d’abandonner le mécanisme de prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu prévu par l’article 60 de la loi de finances pour 2017. Ce projet avait été adopté sous la précédente législature mais son entrée en vigueur a déjà été reportée par l’ordonnance n° 2017‑1390 du 22 septembre 2017. Malgré ce report, nous y restons fortement opposés. 

Contrairement à ce que veut nous faire croire la majorité, le prélèvement à la source n’est pas un mode de recouvrement moderne. Il a été instauré en 1920 en Allemagne, en 1943 aux États-Unis, en 1944 en Grande Bretagne ou encore en 1962 en Belgique. Mais surtout, la plupart des travaux et études réalisés (par exemple un rapport du conseil des prélèvements obligatoires datant de 2012 ou encore le « Rapport d’information sur le Prélèvement à la Source de l’impôt sur le revenu » n° 98 déposé le 2 novembre 2016 au Sénat) établissent que le nouveau dispositif, s’il était mis en place, se révélerait :

– Complexe, du fait de la très forte personnalisation de l’impôt sur le revenu français et de la prévalence du concept de foyer fiscal sur celui d’individu, mais aussi des multiples enjeux et formalités supplémentaires induites par l’année de transition. Ainsi, le traitement des diverses imputations fiscales (par exemple les déductions suite à des dons) ou des crédits d’impôt (par exemple pour les emplois à domicile) sera rendu compliqué par ce passage au prélèvement à la source. En tout état de cause, les citoyens ne verront pas leurs obligations déclaratives allégées, bien au contraire : ils seront toujours tenus au dépôt d’une déclaration annuelle et ils devront en sus vérifier que les prélèvements effectués par leur employeur correspondent à l’euro près au montant exigible. En Allemagne, la complexité de l’impôt sur le revenu oblige même de nombreux contribuables à s’adresser à des conseillers privés. Est-ce vraiment une situation que l’on souhaiterait voir s’installer en France ?

– Inutile, puisque la France dispose déjà d’un excellent taux de recouvrement en matière d’impôt sur le revenu (99,4 % au 31 décembre de l’année N+1) et que notre pays est en pointe en termes de déclaration pré-remplie, de prélèvement mensualisé automatique et des procédures en ligne, y compris de paiement, à la grande satisfaction des usagers.

– Peu transparent : comme pour les impôts indirects et notamment la T.V.A., le prélèvement à la source ne facilite pas l’appréhension concrète par les citoyens concernés de la charge fiscale réellement supportée au titre de l’impôt sur le revenu ainsi que ses variations. Or, c’est parce qu’ils peuvent mesurer le niveau de l’impôt que nos compatriotes l’acceptent ou le contestent.

– Dangereux concernant le respect de la confidentialité des données de nos concitoyens. Ainsi, le prélèvement à la source représente une rupture de la logique française de confidentialité des revenus privés. Peu de contribuables se rendent compte que la réforme envisagée peut impliquer de fournir à son employeur sa situation familiale ou ses revenus patrimoniaux... La majorité nous a répondu en commission qu’il n’y aurait pas de problème de confidentialité puisque le salarié pourra utiliser un taux unique puis verser ensuite les sommes manquantes directement aux autorités fiscales. Cependant, cela ajoutera alors de la complexité... Quel serait l’intérêt de passer à un prélèvement à la source si chaque employé devra de toute façon compléter les versements directement aux autorités fiscales ? C’est en effet la situation à laquelle nous devrons faire face si l’on souhaite garantir la confidentialité à chaque salarié.

– Coûteux pour les finances publiques. En effet, cela entraînera inévitablement des coûts lourds pour l’administration, tenue non seulement d’adapter son organisation et ses logiciels déclaratifs et de paiement mais aussi de lancer d’importantes campagnes de sensibilisation et d’information en direction de multiples publics. Ainsi, l’administration engagera plusieurs dizaines de millions d’euros au titre de ce type d’opérations dans le cadre de contrats avec des prestataires extérieurs privés. À ce titre, le rapport de la mission d’audit sur les conditions de mise en œuvre du prélèvement à la source de l’inspection générale des finances (I.G.F.) commandé par le gouvernement et rendu en septembre dernier évalue « le coût de la réforme pour l’État (…) à 140 millions d’euros ». En outre, cela pourrait se révéler risqué pour les rentrées d’argent public en cas d’optimisation fiscale massive de la part des contribuables au cours de l’« année blanche ». Les contribuables pourraient être tentés de gonfler artificiellement certains types de revenus. A noter que ce risque est identifié par l’administration fiscale qui indique ainsi sur son site à la date du 21 novembre 2017 : « qu’afin d’éviter les abus, la loi prévoira des dispositions particulières pour que les contribuables qui sont en capacité de le faire ne puissent pas majorer artificiellement leurs revenus de l’année 2018 ». Cependant, nous souhaiterions avoir plus de précisions sur ce point. Enfin, cela risquera de détourner les agents des impôts de missions à plus forte valeur ajoutée, notamment la lutte contre la fraude fiscale, ce qui créera inévitablement des pertes de recettes pour l’État français.

– Coûteux pour les entreprises. En effet, ces dernières vont devoir supporter une partie de la complexité associée à la personnalisation et à la progressivité de l’impôt sur le revenu français. Cela va également provoquer des coûts lourds d’adaptation de leur organisation et de leurs logiciels de paye, comme le relève le rapport du Sénat publié en novembre 2016 (« Les éditeurs de logiciels [de paye] consultés nous ont indiqué qu’il pourrait y avoir facturation de coûts supplémentaires. Parallèlement, les entreprises qui ont déjà entamé les échanges avec leurs éditeurs nous le confirment »). Surtout, cela induira des coûts de gestion non négligeables qui frapperont au premier chef nos petites et moyennes entreprises françaises, fortement créatrices de croissance et d’emplois mais déjà fragiles. À noter à ce titre qu’en Allemagne, le surcoût lié à la retenue à la source de l’impôt sur le revenu est évalué à près de 10 euros par déclaration par an, soit un surcoût total de 230 millions d’euros par an pour les entreprises. Pour la France, le rapport de la mission d’audit de l’I.G.F. précité estime que cette charge pourrait être comprise « entre 310 et 420 millions d’euros ».

Nous avons beau chercher, nous ne trouvons donc aucun avantage à ce système. En fait, les seuls bénéficiaires de cette réforme seront les différents prestataires externes qui auront la charge de sa préparation et de sa mise en œuvre, avec des contrats de plusieurs dizaine de millions d’euros à la clef.