Document diffusé le
28 septembre 1988 (a)
N° 161
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
NEUVIÈME LÉGISLATURE
PREMIÉRE SESSION ORDINAIRE DE 1988-1989
Annexe au procès-verbal de la séance du 3 octobre 1988
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES (1) SUR LE PROJET DE LOI(n° 146)
relatif au revenu minimum d’insertion
Président
PAR M. Jean-Michel BELORGEY,
Député
(a) Les délais réglementaires courant à compter de la distribution auront pour point de départ le 3 octobre 1988
(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page
Politique économique et sociale.- Actions d’insertion sociale et professionnelle – Allocation de revenu minimum d’insertion – Commission départementale et d’aide sociale – Commission locale d’insertion – Conseil départemental d’insertion – Convention Etat-départements – Cotisations – Départements – Etat – Etrangers – Etudiants – Pauvreté – Ressources – Sécurité sociale – Travail – Code de la sécurité sociale
La commission des affaires culturelles, familiales et sociales est composée de : MM. Jean-Michel Belorgey, président ; Alain Calmat, Jean-Paul Fuchs, Mme Yvettte Roudy, M. André Santini, vice présidents ; MM. Jean-Pierre Foucher, Denis Jacquat, Jean-Jack Queyranne, René Rouquet, secrétaires ; MM. Robert Anselin, Henri d’Attilio, Gautier Audinot, Mme Roselyne Bachelot, MM. Bernard Bardin, Alain Barrau, Jacques Barrot, Claude Bartolone, Mme Michèle Barzach, MM. Jean-Claude Bateux, Umberto Battist, Henri Bayard, François Bayrou, Roland Beix, Jean-Pierre Béquet, Louis Besson, Bernard Bioulac, Jean-Claude Boulard, Bruno Bourg-Broc, Jean-Pierre Braine, Mme Frédérique Bredin, MM. Benjamin Brial, Louis de Broissia, Christian Cabal, Jean-Christophe Cambadelis, Alain Carignon, Roland Carraz, Laurent Cathala, Jean-Claude Cavaillé, René Cazenave, Aimé Césaire, Jacques Chaban-Delmas, Jean-Yves Chamard, Guy Chanfrault, Bernard Charles, Jacques Chirac, Paul Chollet, Didier Chouat, André Clert, Michel Coffineau, Georges Colombier, René Couanau, Yves Coussain, Olivier Dassault, Bernard Debré, Marcel Dehoux, Bernard Derosier, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Willy Diméglio, Julien Dray, Guy Drut, Jean-Michel Dubernard, Jean-Paul Durieux, André Durr, Christian Estrosi, Jean Falala, Jean-Michel Dubernard, Jean-Paul Durieux, André Durr, Christian Estrosi, Jean Falala, Jean-Michel Ferrand, Michel Françaix, Serge Franchis, Marcel Garrouste, Jean Giovanelli, François-Michel Gonnot, Gérard Grignon, Jacques Guyard, Jean-Yves Haby, Georges Hage, Guy Hermier, Pierre Hiard, Elie Hoarau, Mmes Elisabeth Hubert, Marie Jacq, Muguette Jacquaint, MM. Alain Juppé, Jean-Philippe Lachenaud, Marc Laffineur, Jacques Lafleur, Jean-François Lamarque, Edouard Landrain, Dominique Larifla, Jean Laurain, Mme Marie-France Lecuir, MM. Robert Le Foll, Robert Loïdi, Maurice Louis-Joseph-Dogué, Jean-Pierre Luppi, Thierry Mandon, Georges marchais, Mme Gilberte MarinMoskovitz, MM. Didier Mathus, Pierre Merli, Charles Metzinger, Mme Hélène Mignon, MM. Gilbert Millet, Gilbert Mitterrand, Mme Christiane Mora, Mmes Françoise de Panafieu, Christiane Papon, Monique Papon, MM. Michel Pelchat, Jean-Pierre de Peretti della Rocca, Michel Péricard, Francisque Perrut, Mme Yann Piat, MM. Yves Pillet, Bernard Pons, Jean-Luc Préel, Jean Proveux, Guy Ravier, Gilles e Robien, François Rochebloine, José Rossi, Rudy Salles, Philippe Sanmarco, Jean-Pierre Santa Cruz, Jacques Santrot, Mme Suzanne Sauvaigo, MM. Bernard Schreiner (Bas-Rhin), Bernard Schreiner (Yvelines), Robert Schwint, Mme mari-Josèphe Sublet, MM. Jean-PierreSueur, Martial Taugourdeau, Guy Teissier, Michel Terrot, Jean-Michel Testu, André Thien Ah Koon, Jean Ueberschlag, Jean Valleix, Philippe de Villiers, Adrien Zeller.
SOMMAIRE
Pages
PRÉSENTATION GÉNÉRALE
Introduction
I.- Le concept
A.- Historique des réflexions et expériences de revenu minimum.
1. La réticence des pouvoirs publics à reconnaître un droit national et général à un revenu minimum
2. Les "apports" des expériences locales
3. Les exemples étrangers
B.- La persistance de thèses contradictoires
C- Le concept dans le projet de loi
IL- Le niveau et les contours de la prestation
A.- Que faut-il entendre par minimum ?
B.- Absence d'étude significative mais existence de quelques données sûres
C- La juste mesure : minimum garanti et SMIC. La réponse du projet de loi
1. Les aides au logement.
2. Les allocations familiales
3. La notion de foyer.
4. La mise enjeu de l'obligation alimentaire.
5. La mesure des revenus non salariaux.
III.- Bénéficiaires et modalités de distribution de la prestation
A.- Les jeunes
B.- Le» étrangers
C- Le problème des "sans domicile fixe"'(SDF)
D.- Les modalités d'instruction et de liquidation
E.- L'entrée dans les droits
F.- La sortie des droits
G.- Le contentieux
IV.- Quelle insertion ?
A.- La gestion collective de l'insertion
B.- La gestion individuelle : le contrat d’insertion
V.- Les modalités d'application aux départements d'outre-mer.
VI.- La couverture maladie et le droit au logement
A.- La couverture maladie des bénéficiaires du RMI
B.- Le droit au logement
Pour conclure
Annexe : récapitulatif des actions d'insertion déjà organisées à l'intention d'adultes en difficulté
TRAVAUX DE LA COMMISSION.
I.- Auditions
II.- Discussion générale
Examen des articles
Avant l’article premier.- Intégration du revenu minimum d'insertion dans le dispositif global de lutte contre la pauvreté .
TITRE PREMIER : Dispositions générales
Article premier : Définition du droit à un revenu minimum d'insertion
Article 2 : Caractère différentiel de l'allocation de revenu minimum (article supprimé)
Article 3: Montant du revenu minimum d'insertion
Après l'article 3 : Caractère différentiel de l'allocation de revenu minimum.
Article 4: Financement de l'allocation
TITRE II : Allocation de revenu minimum d'insertion
Chapitre premier : Conditions d'ouverture du droit à l'allocation.
Article 5: Point de départ du droit
Article 6 : Situation des personnes ayant la qualité d'élève, d'étudiant ou de stagiaire
Article 7 : Situation des étrangers
Chapitre II : Détermination dos ressources
Article 8 : Appréciation des ressources
Article 9: Cas particulier dos professions non-salariées
Chapitre III : Décision d'octroi de l'allocation et engagement de l'allocataire.
Article 10 : Instances de décision.
Article 11 : Dépôt de la demande d'allocation.
Article 12 : Cas des personnes sans résidence stable
Article 13 : Constitution et instruction du dossier (article supprimé).
Article 14 : Vérification des déclarations des bénéficiaires
Après l'article 14 .-Principe de confidentialité des informations recueillies pour l'instruction
Article 15 : Engagement de l'intéressé (article supprimé).
Article 16 : Période de versement
Article 17 : Révision du montant de l'allocation
Après l'article 17 : Détection précoce des personnes en situation de précarité
Chapitre IV : Versement de l'allocation
Article 18 : Service de l'allocation (article supprimé)
Article 19 : Caractère subsidiaire de l'allocation
Article 20 : Versement d'acomptes
Article21 : Seuils d'application
Article 22 : Réduction ou suspension de l'allocation liée à l'admission dans un établissement
Chapitre V : Recours
Article 23 : Recours gracieux préalable (article supprimé)
Article 24 : Recours contentieux
Chapitre VI : Dispositions diverses
Article25 : Prescriptions
Article26 : Récupération de l'indu
Article 27 : Récupération sur la succession ou la cession de l'actif du bénéficiaire
Article 28 : Caractère incessible et insaisissable de l'allocation.
Application de la tutelle aux prestations sociales.
Article29 : Sanctions
TITRE III : Actions d'insertion sociale et professionnelle
Article 30 : Conseil départemental d'insertion
Après l'article 30 .-Contrat d'insertion -activités d'insertion
Article 31 : Programme départemental d'insertion
Article32 : Convention d'insertion État-département...
Article 33 : Autres conventions d'insertion (article supprimé)
Après l'article 33 : Fonds départemental pour l'insertion
Article 34 : Définition de la participation minimale du département
Article 35 : Fixation de la participation minimale du département au cours de la période transitoire (article supprimé) Article 36 : Fixation de la participation minimale du département à l'issue de la période transitoire (article supprimé).
Article 37 : Évolution de la participation minimale du département (article supprimé)
Article 38 : Prélèvement applicable en cas d'insuffisance des dépenses d'insertion effectives (article supprimé)
Article 39 : Prélèvement applicable en l'absence de convention (article supprimé) .
Article 40 : Interruption des prélèvements visés aux articles 38 et 39 (article supprimé)
TITRE IV : Dispositions relatives à la sécurité sociale et au droit du travail
Article 41 : Couverture maladie des bénéficiaires du RMI
Article 42 : Cas particulier des exploitants agricoles déchus du droit à prestation (article supprimé)
Article43 : Extension de la protection légale contre les accidents du travail aux bénéficiaires du RMI suivant des actions d'insertion
Article 44 : Conventions pour l'organisation d'activités d'insertion professionnelle ou d'intérêt général
Article 45 : Statut des bénéficiaires des conventions visées à l'article 44...
Après l'article 45 : Actions d'insertion en faveur des bénéficiaires de l'allocation de parent isolé
TITRE V : Dispositions finales
Avant l'article 46 : Procédure de médiation
Article 46 : Dispositions d'exécution
Article47 : Modalités d'application aux départements d'outre-mer
Article 48 : Évaluation et durée d'application du RMI
TABLEAU COMPARATIF
AMENDEMENTS SOUMIS A LA COMMISSION ET NON ADOPTÉS
_________________________
Mesdames, Messieurs,
Le présent projet de loi relatif au revenu minimum d'insertion, est certainement, avec la loi d'orientation en faveur des handicapés de 1975, un des textes soumis à l'examen du Parlement depuis la fin de la seconde guerre mondiale introduisant dans la législation sociale, dans sa conception et dans sa mise en œuvre, les bouleversements les plus profonds.
L'intelligence de la mesure du caractère novateur de ce projet, de l'exacte nature de la philosophie dont il se réclame, des règles et des pratiques auxquelles il ouvre la voie, n'est malheureusement pas facilitée par la distinction traditionnellement opérée, en matière de sécurité sociale, pour obéir aux directives constitutionnelles, entre les principes (législatifs) et les modalités (réglementaires). La réduction traditionnellement opérée de cette distinction à une séparation entre définition littéraire d'une prestation et fixation de sa quotité s'est de longue date révélée contestable. Mais il est peu de cas où elle le soit apparue autant que dans celui-ci, où il s'agit de définir une prestation ayant vocation à satisfaire des besoins élémentaires, et dont l'adéquation à sa définition est par conséquent fonction de sa quotité et des facilités réellement consenties pour y accéder.
Pour surmonter cette difficulté, il est impérativement nécessaire que le gouvernement puisse, sur plusieurs des questions en débat, fournir au Parlement et singulièrement à l'Assemblée nationale des explications précises assorties d'engagements formels.
Faute de quoi l'examen auquel il sera procédé ne sera ni de nature à permettre une clarification des choix opérés ni même propre à éclairer, dans l'avenir, les opérateurs.
I.- LE CONCEPT
Il existe assurément une corrélation entre la perception du phénomène de la pauvreté, les réflexions conduites sur les objectifs, sur le contenu d'une politique de lutte et les moyens effectivement mis en œuvre pour y parvenir.
On constate d'ailleurs que les débats ont jusqu'ici reposé sur des analyses historiques ou contemporaines, mais trop rarement prospectives, du phénomène de la pauvreté. Pour définir une politique, on se rapporte généralement à ce qu'est la pauvreté ou à ce qu'elle a été mais les extrapolations sont rares ; on fait ainsi l'économie d'un effort de réflexion pour connaître ce que sera la pauvreté et mesurer l'impact du dispositif envisagé mis en place dans le contexte de la pauvreté de demain. On ne fait que projeter la pauvreté d'aujourd'hui à des horizons plus ou moins lointains. Dans cette optique, tout dispositif visant à améliorer les ressources des plus démunis est forcément appelé à réduire le nombre potentiel de déshérités. Or il convient aussi d'évaluer les effets pervers d'un tel système, lequel pourrait constituer un vecteur de paupérisation.
L'institution d'un revenu minimum garanti présente en effet trois risques :
- laisser entendre que le problème de la pauvreté est résolu et retirer de ce fait aux plus démunis les appuis et les aides sur lesquels ils pouvaient compter jusqu'ici ;
- devenir le "déversoir" du système actuel de protection sociale, lequel est devenu pesant. Tout le monde reconnaît que le système français est perfectionné et un consensus semble se dégager pour contenir la progression des dépenses sociales. Dans ces conditions, s'il apparaît illusoire d'imaginer que l'institution d'un revenu minimum garanti puisse entraîner un ajustement vers le haut des prestations existantes, on peut concevoir qu'elle rende plus aisé un désengagement des institutions sociales intervenant auprès de populations fragiles, tels les organismes de sécurité sociale ;
- maintenir une réserve de main-d'œuvre aux marges de l'appareil productif, ce qui est susceptible soit de "légitimer" l'organisation du marché du travail sur une base dualiste, soit de précariser le travail salarié lui-même.
Il faut cependant trouver rapidement une réponse aux situations de pauvreté qui se développent dans notre société mais il conviendra de rester vigilant à tout "dérapage"ou à toute dérive et de veiller à ce que le supplément consenti aux populations aujourd’hui démunies ne devienne un « moins » pour les composantes sociales prises dans leur ensemnble (pour la société). Il est vrai aussi que les populations « menacées » par l’institution du revenu minimum, dans la perspective d’une accélération du processus de « dualisation » de la société, sont en grande partie celles qui subissent actuellement le plus durement la crise économique, ce sont donc celles qui ont le plus besoin qu’un revenu minimum leur soit garanti. .
A- Historique des réflexions et expériences de revenu minimum
Il aura fallu une vingtaine d’années pour que l’idée du revenu minimum mûrisse et se concrétise en France, à l’échelon national, nourrie des expériences locales de revenu minimum.
2. La réticence des pouvoirs publics à reconnaître un droit national et général à un revenu minimum
Au début des années 1970, alors que les aspirations nouvelles se font jour (volonté d’améliorer la qualité de la vie, notion de « bonheur national brut ») dans un contexte d’expansion économique et de croissance, la Communauté européenne lance un programme de « lutte contre la pauvreté » [Le rapport fut confié, sous la responsabilité de la Direction de l’action sociale, à la Fondation pour la recherche sociale (FORS) : « La pauvreté et la lutte contre la pauvreté – Rapport français présenté à la Commission des Communautés européennes » - Décembre 1980] et deux ouvrages sont publiés, « Les exclus » de René Lenoir et « Vaincre la pauvreté dans les pays riches » de Lionel Stoléru, mais cette pauvreté est pensée à partir de la croissance et analysée comme un résidu même si elle est regardée comme touchant des populations nombreuses (15 millions de personnes selon René Lenoir ; 11,2 millions de personnes, d’après Lionel Stoléru). « Compte tenu des caractéristiques de la société urbaine et industrielle (…), le manque de ressources constitue un handicap important et un facteur non négligeable de l’inadaptation. A force de parler de société d'abondance et de consommation, on oublie qu'une part considérable de la population vit encore avec des ressources insuffisantes" (« Les Exclus » - René Lenoir).
René Lenoir préconise alors l'institution d'un revenu minimum garanti. « Il faut donner à chacun un revenu minimum. Ce revenu minimum serait indépendant du salaire minimum de croissance dont l'intérêt est indéniable mais qui ne concerne pas les plus défavorisés : jeunes, personnes âgées, handicapés, chômeurs, petits commerçants ou agriculteurs (...). Ce minimum doit se substituer aux nombreuses aides spécifiques qu'on a multipliées ces dernières années (...)". Mais il en désigne très nettement les difficultés ». Pour ceux qui se mettent volontairement en marge, et notamment qui refusent tout travail, le minimum social, c'est trop si la société doit en plus les soigner et les rééduquer en cas de maladie ou d'invalidité, et c'est trop peu si aucune protection sociale autre que celle du minimum de ressources ne leur est accordée. On voit l'ampleur et la difficulté du débat".
Les pouvoirs publics s'abstiennent d'ailleurs de trancher. Plutôt que de créer un minimum garanti à tous, ils préféreront améliorer les minima catégoriels existants, voire en créer de nouveaux (loi de 1975 sur les handicapés; création de l'allocation de parent isolé, puis du SURF; mise en place de l'assurance veuvage ; création de nouvelles prestations familiales sous condition de ressources). Parallèlement la situation économique et un rapport démographique favorables autorisent une amélioration sensible du régime des retraites.
Mais à partir des années 1980, le paysage social et économique est bouleversé par la crise et le chômage se développe. Le rapport Oheix « Contre la précarité et la pauvreté -60 propositions » distingue ainsi "la pauvreté traditionnelle", connue, mais seulement oubliée, celle des diverses catégories sociales subissant ou parfois reproduisant à travers plusieurs générations des situations d'exclusion et la "nouvelle pauvreté", concernant des ménages en situation précaire, c'est-à-dire vulnérables à toute diminution de leur pouvoir d'achat et qui, normalement insérés dans la société, se trouvent pris dans un processus d'exclusion progressive.
Pour les catégories restant en marge des "blocs de protection sociale", le rapport Oheix propose l'institution d'un "minimum de soutien social", allocation attribuée pour une période de quatre mois renouvelable jusqu'à la prise en charge par un "bloc" ou la reprise d'un emploi, financée à 80 % par l'État et pour le restant par les collectivités ou organismes sociaux et qui, au terme d'une période de deux années d'expérience et après évaluation des résultats, pourrait éventuellement être transformée en "minimum social contractuel garanti". Il préconise également la création d'un fonds d'intervention sociale (F.I.S.), financé par une taxe sur les jeux, une taxe sur les signes extérieurs de richesse et une cotisation exceptionnelle de cinq ans "frappant tous les salariés du secteur public et parapublic qui bénéficient de la sécurité de l'emploi."
Les mêmes propositions se retrouvent dans le rapport Charvet. Mais les pouvoirs publics sont encore réticents et les réponses données aux problèmes de pauvreté et de précarité prendront tout d'abord la forme de programmes d'action.
De fait, en octobre 1984, l'État met en place un programme d'action spécifique contre la pauvreté et la précarité destiné à prévenir les situations de détresse (circulaire du 23 octobre 1984 pour la période hivernale 1984-1985, dont le dispositif est reconduit pour l'hiver 1985-1986 par la circulaire du 3 octobre 1986).
Cependant la plupart des rapports d'exécution -notamment ceux des associations- insistent sur les effets négatifs des ruptures de financement et soulignent la nécessité de créer "un revenu minimum garanti, allocation de subsistance versée aux plus démunis, accompagnée d'un suivi social et d'un programme de réinsertion par la formation "1.
Aussi, tout en restant par principe hostile à la création au niveau national d'un tel minimum, le Gouvernement cherche-t-il à encourager quelques expériences locales.
"La situation des personnes en difficulté et notamment celle des familles frappées par le chômage est au centre des préoccupations du Gouvernement. Parmi les actions qui leur ont été consacrées, la mise en place d'un revenu familial minimum n'a pas été envisagée. Cette formule, appliquée de manière générale et automatique ne paraît pas souhaitable pour des raisons qui ont été souvent invoquées, notamment le risque élevé de fraude vis-à-vis d'un travail non déclaré, l'aspect d'assistance pure sans contrepartie en travail et en formation et le coût financier élevé. En revanche, le Conseil des ministres du 30 octobre dernier a décidé d'encourager quelques expériences de revenu minimum à condition que celles-ci s'accompagnent d'un effort réel de réinsertion sociale des personnes les plus défavorisées." 2
C'est ainsi qu'une convention passée le 4 mars 1986, avec le conseil général du Territoire de Belfort, prévoit la mise en place d'un complément de ressources destiné à permettre aux personnes en difficulté, en échange d'un effort de réinsertion (formation ou travail d'intérêt général), d'arriver à un revenu minimum (mécanisme de la prestation différentielle).
La même politique est poursuivie après le changement de gouvernement et en juin 1986 est signée entre le Conseil général de l'Ille-et-Vilaine, les villes de Rennes, Saint-Malo, Fougères, Redon, la CAF et la MSA d'Ille-et-Vilaine et l'État (mais pas par l'Association ATD quart monde qui avait initié l'expérience) une convention relative à la mise en place et au financement d'un complément local de ressources : garantissant un revenu minimum d'un montant de 1900 F pour une personne seule, 2 500 F pour deux, 3 100 F pour 3 + 400 F par personne supplémentaire, les prestations étant versées sous forme de différentiel, pouvant donner lieu à la mobilisation d'une contribution (en nature) des intéressés à l'amélioration des services ou des équipements publics, ouvert aux personnes âgées de 25 à 55 ans non prises en charge au titre de la formation, des TUC, ou d'un régime d'indemnisation chômage, assurance ou solidarité (ce qui peut faire trois personnes vivant avec moins de 1900 F), réservé aux personnes résidant sur le territoire depuis au moins deux ans, versé dans la limite d'un crédit, tous financeurs locaux confondus, de 1,5 million de francs avec doublement de mise par l'État (l'enveloppe est donc limitative),
.versé sur la base d'un contrat négocié entre le bénéficiaire et la commune pour des périodes trimestrielles, renouvelables trois fois, étant entendu "qu'à la fin de cette première série de quatre contrats, un délai de carence pendant lequel l'allocation sera suspendue sera observé pendant trois mois...!
2. Les "apports" des expériences locales
Des expériences locales dont le fonctionnement a pu être observé au cours des années 1980 et dont certaines préexistaient aux réformes engagées à cette époque (cf. tableau ci-après) on peut caractériser sommairement les traits comme suit.
Globalement le champ des bénéficiaires potentiels a tendance à s'élargir mais, pour chaque cas étudié, il demeure relativement étroit3. Chaque commune ou département énonce généralement une liste limitative de catégories de bénéficiaires : personnes âgées uniquement comme à Alençon, Lons-le-Saulnier ou à Neuilly-sur-Seine, chômeurs seulement comme à Bourg ou Saint-Dizier. En fait, il n'y a qu'à Strasbourg que la prestation est vraiment universelle.
Une contrepartie est généralement exigée. Seules les prestations consenties aux personnes âgées ou handicapées ne sont jamais assorties d'obligations. En revanche, lorsqu'il s'agit d'isolés, de femmes seules, de chômeurs, de ménages ou de couples, sur 23 dispositifs, 19 prévoient des engagements ou des obligations.
A Chenove (en 1978), on déclarait encore que "le minimum social garanti" était un droit pour les habitants de la commune. Mais pour les collectivités qui ont adopté plus récemment le revenu minimum garanti, le discours a sensiblement changé. Il s'agit d'un contrat moral passé entre le bénéficiaire et la commune. A Charleville Mézières (1983), à Nantes (1983), à Clichy (1985), à Auxerre (1985), le choix des bénéficiaires dépend de leur "comportement social".
Le CREDOC4 s'est interrogé sur la portée de ces choix et il a souligné les contradictions dont ils sont entachés, débouchant souvent sur une véritable incohérence des dispositifs retenus :
"Ils balancent entre le fait de considérer la prestation comme un instrument de réinsertion, nécessitant donc une évaluation et un suivi social, et celui de contrôler étroitement son attribution pour éviter tout débordement financier, l'administratif prenant alors le pas sur le social.
"Les moyens techniques, financiers et humains dont ils disposent pour assurer cette réinsertion sont sans commune mesure avec l'importance de l'action qu'il conviendrait véritablement d'engager.
"Leur volonté affichée de suivi et d'insertion des bénéficiaires a du mal à se concrétiser en l'absence de coordination interinstitutionnelle locale.
"De fait, les procédures d'instruction et le type de contrepartie exigés opèrent entre les différentes catégories de bénéficiaires potentiels une sélection qui n'est pas moins importante que celle engendrée par l'ensemble des conditions strictes figurant au code d'attribution.
"L'examen des conditions d'attribution des revenus minima met aussi en évidence les préoccupations contradictoires des gestionnaires et financeurs de l'allocation, tiraillés entre la notion extensive de revenu minimum garanti (mesure qui se veut à priori générale, permanente et automatique), le souci de maîtrise du coût de la prestation et la volonté de ne pas favoriser un éventuel comportement d'assistance des personnes aidées.
"... De même la volonté de lier la distribution du revenu minimum à des contreparties, concrétisées ou non par contrat, concourt à l'instauration d'autres critères de sélectivité, cette fois non codifiés, dont l'objectif est de refuser toute systématisation dans la distribution de l'aide.
"... Les méthodes adoptées se traduisent par l'instauration de critères... qui confèrent à la prestation quelques uns des défauts que la création du Revenu Minimum visait précisément à corriger (notamment la complexité et la spécialisation des aides légales)...
"... L'objectif de recouvrement de l'autonomie du bénéficiaire n'est- il pas contradictoire avec cette dépendance indirectement accrue ?
"Finalement, la "contrepartie" apparaît souvent comme un instrument indirect de sélection des bénéficiaires, ayant pour but principal de limiter les coûts financiers du système, en rejetant le caractère automatique et permanent de l'allocation."
Or la situation observée dans les pays étrangers se révèle assez différente.
Cette étude a été contestée par M. Serge Milano. Solidarité - Santé -Etudes statistiques n° 6 - 1987 - "Le revenu minimum garanti dans les pays de la CEE ". Voir aussi du même auteur l'article publié sous le même titre, dans la revue "Droit social" n° 6 -juin 1988.
3. Les exemples étrangers
Une enquête menée par le CREDOC5 auprès d'une cinquantaine de centres universitaires et de services gouvernementaux situés dans les pays de la CEE (non compris l'Espagne et le Portugal) et aux États-Unis, apporte à ce sujet des explications utiles.
"Parmi les pays étudiés -les neuf États d'Europe des dix hors la France, plus les États-Unis- sept ont un revenu minimum garanti, c'est-à-dire une allocation financière destinée à satisfaire les besoins fondamentaux des plus démunis.
"Par ailleurs l'Italie vient de mettre en place au niveau national un système de chèques sociaux pour les familles pauvres et il est probable que des systèmes locaux de garantie de ressources existent, très peu formalisés et mal connus des organismes nationaux.
"Les allocations existantes se distinguent à la fois par leur niveau, leur mode de calcul, leurs conditions d'attribution et leur financement mais trois points communs semblent fondamentaux "-Ces allocations revêtent un caractère universel. Les exclus du "revenu minimum garanti", lorsqu'ils existent, se limitent le plus souvent à certaines catégories d'étrangers. Les jeunes, en particulier, peuvent toujours bénéficier de la prestation, parfois même s'ils habitent encore chez leurs parents (au Royaume-Uni ou au Danemark).
"Elles ont une durée illimitée: aucun des pays étudiés ne fixe une durée maximale de versement de la prestation. Au contraire, la Grande- Bretagne prévoit un taux supérieur d'allocation pour les personnes qui sont durablement dépendantes du Supplementary Benefit (sauf s'il s'agit de chômeurs).
"Ces prestations sont assimilées à un droit. Ce point est jugé fondamental dans beaucoup d'études car il signifie pour les familles l'absence de démarches humiliantes et la non soumission à un quelconque arbitraire administratif.
"Les relations avec l'administration restent toutefois complexes lorsqu'existe, comme en Grande-Bretagne, toute une série de prestations complémentaires de l'allocation de base dont les règles d'attribution ne sont pas clairement fixées.
"Un quatrième point commun défavorable est à relever : un nombre non négligeable de bénéficiaires potentiels ne réclament pas ce minimum et se trouvent de fait, au-dessous du seuil de pauvreté. Mais il existe peu d'analyses pour tenter d'expliquer ce phénomène.
"Malgré un objectif commun -assurer à chacun la satisfaction de ses besoins fondamentaux- les niveaux des revenus minimum garantis varient sensiblement d'un pays à l'autre, que l'on raisonne en termes de montant absolu ou de niveau relatif (le tableau ci-après fournit quelques exemples). Les Pays-Bas assurent les revenus les plus élevés devant l'Allemagne alors que les allocations sont plus faibles en Grande-Bretagne et, surtout, en Irlande. Des différences locales existent aux États-Unis, au Danemark et en Belgique mais les taux moyens semblent assez élevés.
"En comparaison, la situation d'une famille française avec deux enfants ne bénéficiant que d'une allocation chômage de fin de droits et des allocations familiales apparaît relativement plus difficile puisque ses revenus plafonnent à 2 500 F par mois. Même si l'on ajoute une allocation logement et une allocation mensuelle de l'aide à l'enfance (versée souvent pendant une durée limitée), cette famille n'approche pas le montant des ressources garanties aux Pays-Bas ou en Allemagne.
"L'État participe toujours, pour une part plus ou moins grande, au financement du revenu minimum garanti mais cela n'implique pas une uniformité de son montant sur l'ensemble du territoire.
"L'uniformité du niveau du minimum est assurée aux Pays-Bas, en Irlande et en Grande-Bretagne. Les disparités entre Länder sont presque nulles en R.F.A. ; elles restent limitées au Danemark.
"Aux États-Unis, les écarts entre États sont très importants pour l'aide aux familles. Les effets pervers de cette trop grande dispersion ont amené le Gouvernement Fédéral américain à un encadrement plus strict, aussi bien pour la fixation des sommes allouées que pour la définition des conditions d'attribution.
"La Belgique a opté pour un financement mixte État-communes où ces dernières ont une autonomie certaine dans la détermination des allocations attribuées et des critères de sélection.
"Lorsqu'ils ont été créés dans les pays européens, les minimums sociaux ont toujours été présentés comme le "dernier filet de sécurité" rendu nécessaire par certains défauts de la protection sociale mais qui ne devait concerner qu'une part très marginale de la population et avait vocation à disparaître avec l'augmentation attendue du bien-être général et l'amélioration des prestations spécialisées. Ce schéma n'a été qu'en partie vérifié jusqu'au milieu des années 1970 et il a complètement éclaté depuis.
"L'exemple le plus connu, et le plus inquiétant, est certainement celui de la Grande-Bretagne où le Supplementary Benefit est devenu l'un des pivots, difficile à gérer, de la protection sociale. La croissance du nombre des bénéficiaires s'est accélérée avec la crise : 1 million de familles en 1948, 2 millions en 1966, 4,3 millions en 1983. Cette dérive de la vocation première du Supplementary Benefit est, selon P. Townsend, due à l'incohérence de l'échelle des taux des prestations. La faiblesse des montants de nombreuses prestations spécialisées (en particulier l'allocation chômage) rend nécessaire un recours complémentaire et systématique au minimum garanti.
"Les cas allemands, danois et néerlandais sont différents. Le nombre des bénéficiaires a toujours été non négligeable et il a beaucoup augmenté récemment, tout en restant proportionnellement nettement moins élevé qu'en Grande-Bretagne.
"L'Irlande et, surtout, la Belgique sont les seuls pays de la C.E.E. à avoir préservé jusqu'à présent le caractère un peu marginal du revenu minimum qui ne concernait en 1983 que 1,3 % de la population irlandaise et environ 0,5 % de la population belge. La très forte protection sociale en Belgique, le niveau relativement faible du minimum en Irlande et l'amélioration des autres prestations semblent les principaux facteurs explicatifs puisque les situations économiques sont plutôt mauvaises et les taux de chômage particulièrement élevés.
"Les minimums sociaux aux États-Unis appartiennent à une autre logique. Une aide est accordée avec parcimonie à ceux qui n'ont pu surmonter seuls leurs difficultés : minorités ethniques, familles monoparentales, victimes des tragédies récentes du pays (vétérans de la guerre du Vietnam). L'instauration de ces minimums sur une large échelle et avec un certain souci d'homogénéité fédérale est assez nouvelle (début des années 1970). Elle fait suite à la prise de conscience des risques d'explosion sociale provoqués par les trop grandes disparités constatées dans les années 60."
B.- La persistance de thèses contradictoires
La définition d'un revenu minimum garanti repose sur des appréciations morales, idéologiques ou politiques relatives aux besoins et aux comportements des pauvres ainsi que sur l'organisation du travail et la société marchande.
Aujourd'hui se dessine un consensus en France sur l'établissement d'un revenu minimum garanti. Mais face aux défenseurs de l'allocation universelle, laquelle constitue la version radicale du revenu minimum garanti, destiné à tout individu quel que soit son niveau de vie et son activité, se répandent divers courants visant à "rationaliser" le revenu minimum, à l'orienter dans tel ou tel sens, autant pour en réduire le champ (souci d'en limiter le coût - volonté de l'insérer dans le système de protection sociale existant - opposition de principe aux conceptions sur lesquelles repose l'allocation universelle) que pour lui donner un fondement précis. L'idée d'allocation universelle, dans sa dimension extrême, repose elle-même sur des positions différentes : "libertaire pour le collectif Charles Fourier, communiste utopique pour André Gorz, libérale pour Ralf Dahrendorf, avec une nette domination de points de vue réformateurs voire révolutionnaires. Cette domination se comprend si l'on tient compte de l'ampleur des bouleversements espérés par les promoteurs de cette allocation : il s'agirait du passage de la société capitaliste à une société réglée par des rapports non marchands, chacun étant à l'abri du besoin, et ne travaillant qu'un minimum, qu'il soit spontanément consenti, résulte d'une incitation (Charles Fourier) ou qu'il corresponde à une obligation sociale minimale (A. Gorz)" 6Le débat en France sur le revenu minimum est ainsi bipolaire (une fois posé le principe d'un "consensus" sur l'institution d'un revenu minimum). Un courant est favorable à une allocation universelle, un autre cherche à définir une prestation plus ciblée.
En annonçant dans sa lettre à tous les Français qu'il demanderait "au prochain Gouvernement qu'un revenu minimum soit attribué (...) Peu importe le nom qui lui sera donné, revenu minimum d'insertion, revenu minimum garanti... l'important est qu'un moyen de vivre ou plutôt de survivre soit garanti à ceux qui n'ont rien, qui ne peuvent rien, qui ne sont rien. C'est la condition de leur réinsertion sociale", François Mitterrand a, à ce qu'il semble nettement tranché dans le sens qu'indiquait le Rapport Wrezinski : "Un moyen de vivre pour ceux qui ne peuvent rien".
Telle était aussi, semble-t-il, la position du Premier Ministre quand à Vienne, début septembre, il évoquait "l'objectif non pas la condition d'insertion", entendant apparemment par là que l'insertion était un objectif inséparable du versement de la prestation, mais non la condition de l'accès à celle-ci.
C- Le concept dans le projet de loi
La démarche qu'emprunte le projet de loi reflète, comme il est normal, la volonté d'échapper aux travers observés dans la conception et la mise en œuvre des revenus minimums préexistants en France ou à l'étranger, et la permanence de l'hésitation ambiante sur ce que doit être la vocation d'une nouvelle technique de protection sociale de ce type.
Le projet de loi met donc l'accent tout à la fois :
-sur la nécessité de donner à ceux qui sont dans le dénuement des ressources suffisantes pour pallier la précarité de leur situation ;
-sur celle de ne pas s'en tenir au versement d'une prestation, mais de poursuivre simultanément un vigoureux effort d'insertion envers le plus grand nombre possible de bénéficiaires de la prestation financière.
Le lien prestation-insertion est donc très nettement affirmé, comme cela est légitime et nécessaire :
- pour apaiser les craintes de tous ceux qui redoutent que la création d'un minimum ne traduise un renoncement à conduire une politique de plein emploi et à lutter contre le dualisme social ;
-pour rassurer ceux qui, en partageant ou non la première crainte, y voient le risque d'une contre incitation au travail productif, ou plus brutalement, d'une incitation à la paresse.
Il est donc clair qu'on n'en n'est pas à mettre en place une allocation universelle ayant pour objet de permettre à tout membre de la société de choisir entre travail et non travail, ou de redistribuer le temps entre âges de la vie et groupes sociaux.
Il ne l'est pas moins cependant -cela résulte très nettement des déclarations précédemment rappelées du Président de la République et du Premier Ministre, mais aussi des prises de position du Parti Socialiste à travers les déclarations de ses responsables et de la proposition de loi socialiste déposée en décembre 1987, si l'on considère, ce qui parait peu contestable, qu'elles sont aussi une des sources du projet de loi-, qu'on sort en principe complètement d'une logique de la contrepartie, c'est-à-dire qu'on renonce à subordonner comme dans le cadre des compléments locaux de ressources, l'acquisition de la prestation à l'identification et à la mise en œuvre préalables d'actions d'insertion professionnelle ou sociale, même très largement conçues.
Il est dès lors tout à fait essentiel que le dispositif mis en place n'apparaisse pas tout à la fois comme inadéquat à son objet et comme vecteur d'un contrôle social arbitraire
Il faut par conséquent ne pas se méprendre sur les clientèles qu'il est supposé "traiter"
La double vocation du revenu minimum d'insertion : maintien de ressources et accompagnement de l'effort d'insertion devrait en fait trouver, selon les publics bénéficiaires, à s'illustrer de plusieurs manières différentes :
- versement d'une prestation pendant une période plus ou moins longue, correspondant à un "trou" de la protection sociale, sans exigence particulière en matière d'insertion, parce que ceux qui percevront le minimum n'ont ni débouchés professionnels plausibles, ni stigmates sociaux perceptibles, même sous la forme de déficit de sociabilité, appelant quelque forme d'action socio-pédagogique que ce soit : tel est le cas de retraités de moins de 65 ans non invalides réduits jusqu'à l'âge d'acquisition du minimum vieillesse à une retraite congrue, de nombre de préretraités de fait présentant les mêmes caractéristiques que les préretraités de droit sauf de n'avoir pas été financièrement pris en charge dans le cadre du FNE ou par une autre voie, de nombre de veuves de 55 à 65 ans à reversion modeste ou dérisoire ;
-versement de la prestation accompagné d'un effort intense de réinsertion immédiate sur le marché de l'emploi ou à son voisinage ; - versement de la prestation accompagné d'un effort de restauration des capacités de base à s'engager dans la compétition économique ou professionnelle pouvant s'étaler sur plusieurs années;
- versement de la prestation accompagné d'un soutien social prolongé en vue de permettre à certaines personnes, de longue date marginalisées, le rétablissement de liens sociaux distendus ou l'acquisition de comportements de sociabilité qu'il ne leur a précédemment jamais été donné d'acquérir. Sans doute serait-on en meilleure position pour affiner cette analyse autant que cela paraît souhaitable si on disposait d'informations statistiques satisfaisantes. Ce n'est pas le cas. Et il y a à cela des raisons connues : l'absence, depuis de nombreuses années, de tout effort cohérent d'appréciation du nombre et de la situation concrète des populaires précaires. Au moins, peut-on avoir en tête quelques ordres de grandeur et ne pas se fonder pour apprécier les situations auxquelles le RMI constitue une réponse, sur des cas limites ou numériquement peu importants.
Ainsi la référence aux cas des isolés ou des familles les plus difficiles -clochards, toxicomanes, gens du voyage, nomades- qu'on entend fréquemment articuler pour évoquer les risques de "dérapage" du RMI, parait- elle radicalement inadaptée pour guider le choix d'une stratégie d'ensemble.
Si le RMI est susceptible de concerner :
- 250 000 ou 350 000 ménages repérés dans les fichiers des CAF et 150 à 250 000 autres soit en tout 1,2 à 1,5 personnes comme le suggèrent les rares indications fournies par le Gouvernement ;
-ou 700 000 ménages représentant 2 millions de personnes comme tendent à l'indiquer les données émanant du Secours Catholique, ce n'est pas à plus de 5 à 8 % des bénéficiaires, que paraît susceptible de s'appliquer l'imagerie de l'asocial et ce n'est qu'une faible fraction de cette population qui risque de nourrir le réquisitoire contre le gaspillage de l'argent public en administrant la preuve (on peut de toute façon la fabriquer si elle ne se rencontre pas à l'état naturel) qu'il finance les "beuveries du soûlard ou les voyages du toxico".
Il est, dans ces conditions, regrettable et sans doute dangereux que, passé l'exposé des motifs, les dispositions de droit positif figurant dans les articles du projet de loi fassent, de façon presque systématique, retour, sinon à une thématique de la contrepartie, du moins à une économie qui, dans le même temps où la conception de l'insertion mise en évidence par le projet reste assez courte et peu parlante, instaure, entre prestation et insertion, un lien de subordination très étroit, comportant pour le bénéficiaire, et exclusivement pour lui, des sujétions floues mais pesantes.
Que le bénéficiaire de la prestation s'engage à participer, si cela est nécessaire -le "nécessaire" fait toute la différence- à des actions d'insertion sociale ou professionnelle, est en effet légitime.
Qu'on lui demande de s'engager à participer aux actions "qui lui sont proposées" comme le prévoit l'article 1er du projet de loi, n'est guère favorable à l'ouverture d'un dialogue impliquant qu'on reconnaisse aux deux parties un pouvoir de proposition et de négociation. De toute façon, prévoir que les actions en question "sont proposées" au moment du dépôt de la demande, en tout cas préalablement à la liquidation de la prestation, n'est guère plausible. A moins qu'on ne diffère sereinement le versement de la prestation dont il est pourtant dans la philosophie du projet qu'elle assure au plus tôt la survie dans la dignité.
Qu'on demande enfin au bénéficiaire du RMI de suivre les actions "qui lui seront proposées", comme le dit, au demeurant en contradiction avec l'article 1er, l'article 15 du projet de loi, est déjà plus réaliste en termes de déroulement de la procédure, mais revient à mettre encore plus nettement l'intéressé à la merci de choix faits à sa place par ses interlocuteurs administratifs, ce qui est, d'une part peu propice à l'insertion et à l'autonomie qu'elle implique, d'autre part peu compatible avec la dignité des intéressés.
Sans doute faut-il, par conséquent, promouvoir, d'une part, une conception plus claire de l'articulation entre prestation et insertion, d'autre part, une conception plus claire de ce en quoi peut consister le contrat d'insertion : son contenu, ses modalités de négociation et de sanction.
C'est en fait là, avec la question du niveau de la prestation, l'enjeu majeur du texte en débat.
La question des modalités d'organisation du dispositif administratif, d'instruction et de liquidation de la prestation, de mise en place et de suivi de l'insertion, est, elle aussi, importante, mais doit être appréciée à la lumière des deux autres et les incontestables enjeux de pouvoir qu'elle comporte ne doivent pas obérer les enjeux de service qui sont au coeur du texte.
Il en va de même des nombreuses autres questions que soulève le projet de loi, celles notamment qui concernent les "clientèles" de bénéficiaires.
Si le RMI est un ultime filet pour les exclus des autres systèmes de couverture sociale, il résulte qu'il devrait être :
- non seulement un système dont les prestations assurent à un niveau naturellement modeste, mais suffisant, la survie de ceux qui le perçoivent, sans qu'ils soient, sauf exception, (ou pour d'autres motifs que ceux qui y poussent les travailleurs à bas salaires confrontés à des problèmes occasionnels ou chroniques d'insuffisance de ressources) astreints à solliciter à nouveau les gestionnaires de l'aide sociale ; mais aussi un système sans exclu, que ce soit par l'effet de la réglementation, par celui des pratiques administratives ou par l'effet de l'ignorance des bénéficiaires potentiels des possibilités offertes.
II.- LE NIVEAU ET LES CONTOURS DE LA PRESTATION
A.- Que faut-il entendre par minimum ?
La définition d'un revenu minimum pose des problèmes complexes tant la notion de minimum est, par nature, susceptible de faire l'objet des interprétations les plus diverses.
Le flou conceptuel qui entoure cette notion se manifeste en premier lieu lorsqu'on tente de préciser la finalité ou la raison d'être d'un éventuel revenu minimum
On peut en effet se demander, par ordre croissant d'ambition, si le minimum doit permettre de ne pas mourir de faim, de satisfaire les besoins biologiques et les besoins non alimentaires incompressibles, de mener une existence autonome sans dépendre des infrastructures et des aides publiques ou privées destinées aux indigents, de satisfaire les besoins essentiels de la vie courante, de garantir des conditions d'existence dignes ou décentes ou enfin de mener une vie normale ?
Sachant, d'une part, que l'Union nationale des associations familiales (UNAF) par exemple estime le revenu minimal permettant à une famille de deux enfants de mener une vie "normale", mais modeste, à 9 615 francs par mois en 1988 et, d'autre part, que la notion de budget de survie n'a guère de sens dans une société évoluée qui valorise les besoins non alimentaires, on pressent que le minimum à retenir pour lutter de manière efficace mais réaliste contre les formes inacceptables de pauvreté doit se situer entre ces deux extrêmes, quoique cette conclusion toute imprégnée de subjectivité ne soit guère éclairante à ce stade du débat.
Elle permet cependant de faire ressortir un autre aspect du revenu minimum qui est sa signification politique.
Les tentatives de définition d'un revenu minimum ne sont généralement pas menées pour la seule beauté statistique de la chose, mais sont sous-tendues par la volonté d'améliorer la situation des personnes dont le revenu est, pour une raison ou pour une autre, inférieur à ce minimum.
Le concept de revenu minimum tend ici à se confondre avec celui de seuil de pauvreté. Cette confusion n'est peut-être pas totalement heureuse, dans la mesure où s'est progressivement fait jour et renforcée l'idée que la pauvreté ne se caractérise pas seulement par une insuffisance de revenu mais aussi par un cumul de précarités plus ou moins persistantes, mais elle conserve le grand mérite de lier clairement et étroitement le constat et l'obligation d'agir qui devrait en découler.
A la lumière de ce qui vient d'être dit, le mode de détermination et d'expression du revenu minimum apparaît comme particulièrement important puisqu'il va en principe conditionner la portée de l'effort à accomplir.
Dans ce domaine, on peut distinguer sommairement deux approches, l'une privilégiant le revenu et l'autre la dépense.
L'approche par le revenu est d'essence comparative puisqu'elle consiste à définir le revenu minimum en deçà duquel commence la pauvreté par référence à une autre unité ou proportion de revenu.
La grandeur de référence utilisée est généralement le revenu moyen ou le salaire minimum :
- l'OCDE retient comme seuil de pauvreté une proportion du revenu net moyen par habitant :
. 66,6 % pour une personne seule,
. 100 % pour deux personnes,
. 125 % pour trois personnes,
. 145 % pour quatre personnes,
. + 15 % par personne supplémentaire ;
-pour la CEE, la pauvreté commence lorsque le revenu disponible est inférieur à 50% du revenu net moyen
par unité de consommation, étant précisé que le décompte de ces unités de consommation se fait selon l'échelle d'Oxford : une unité pour le premier adulte du ménage, 0,7 pour les autres adultes et enfants de plus de quatorze ans et 0,5 pour les enfants de quatorze ans et moins (le seuil de 50 % a été seul retenu dans le rapport remis en 1981 dans le cadre du premier programme européen de lutte contre la pauvreté, mais les seuils de 40 % et 60 % du revenu net moyen par unité de consommation ont également été utilisés dans le cadre des enquêtes nationales qui ont précédé ce rapport) ;
- en France, les seuils de pauvreté sont souvent définis par rapport au SMIC : ainsi une enquête CNAF-CREDOC menée en 1979, avait retenu les seuils de 40 % et 60 % du SMIC par unité de consommation. De même l'évaluation du nombre de personnes concernées par les compléments locaux de ressources avait été faite sur la base de 20 % du SMIC net par unité de consommation.
Appréciée dans la durée, cette technique de définition d'un "revenu minimum - seuil de pauvreté" en fonction de l'évolution d'un paramètre de référence présente l'inconvénient de faire "entrer" ou "sortir" de la pauvreté des personnes dont les conditions de vie n'ont pourtant pas sensiblement varié. A l'inverse, les défenseurs de cette méthode font valoir qu'elle permet de neutraliser globalement l'effet des variations de la conjoncture économique et qu'elle exprime la permanence des inégalités de revenus.
De plus, si la pondération du revenu retenu en fonction de la taille du ménage est nécessaire, le choix d'une échelle unique d'unités de consommation comporte une part d'arbitraire, d'autant que cette pondération revient à réintroduire la notion de besoins réels -et donc de dépenses- dans l'approche par le revenu.
Il existe une autre méthode de détermination du seuil de pauvreté qui pousse à l'extrême la logique de la pauvreté relative en retenant le revenu supérieur du décile ou du quintile des ménages les plus pauvres. Par définition, la proportion des ménages pauvres sera alors toujours la même : dans ce cas de figure, on peut considérer qu'il y a divorce entre la notion conventionnelle de seuil de pauvreté et celle de revenu minimum considéré comme un objectif à atteindre.
Au contraire, le lien entre ces deux notions est particulièrement fort dans l'approche de la pauvreté par la dépense. Celle-ci se différencie de la précédente en ce qu'elle prend en considération les besoins effectifs des personnes. Le revenu minimum est, dans cette optique, égal à la somme des dépenses jugées indispensables et définit ainsi les situations de pauvreté en termes absolus et non plus relatifs.
Une fois ce principe posé, on voit bien que la question pendante est celle de la détermination des consommations indispensables qui composent le revenu minimum.
Le choix des types de consommation à retenir pour la constitution du "panier de la ménagère pauvre" comprend nécessairement une part d'arbitraire, même si elle est peut-être plus réduite que dans l'approche par le revenu. Si la prise en compte des dépenses d'alimentation, d'habillement, de logement et d'entretien courant s'impose dans son principe, elle pose déjà de délicats problèmes de délimitation ; l'inclusion d'autres types de dépenses (besoins personnels de la vie courante, transports, loisirs) dépendra de la conception que se fait une société des "conditions d'existence décentes" que le revenu minimum est censé assurer.
La deuxième difficulté liée à l'approche par la dépense n'est pas la moindre : pour que le revenu minimum ainsi déterminé ait une valeur significative, il faut qu'il ait une "base scientifique". Cela suppose l'organisation à fréquence rapprochée d'enquêtes permettant d'appréhender sur une échelle suffisante les comportements de consommations réels. Si le panier de la ménagère n'est pas régulièrement recalculé, mais simplement réévalué en fonction de l'évolution des prix, son lien avec la réalité tend à se distendre et la logique du revenu se mêle à celle de la dépense.
Dans les deux grands pays qui fixent un seuil de pauvreté absolue, cette confusion des genres peut être observée :
- Aux États-Unis, le seuil de pauvreté absolue est déterminé par référence à un montant de dépenses alimentaires indispensable, calculé par le ministère de l'Agriculture, ce montant étant ensuite multiplié par trois.
Ce mode de calcul forfaitaire se justifie en principe par le fait qu'en 1964, au moment où ce seuil a été calculé pour la première fois, la dépense alimentaire était égale au tiers de la consommation totale des ménages, alors qu'elle n'en représente aujourd'hui plus que le quart. L'utilisation dans le mode de calcul du seuil absolu de pauvreté d'une donnée dépassée est critiquée dans la mesure où elle conduit à minorer artificiellement ce seuil. De plus le montant du minimum alimentaire n'est plus réévalué depuis 1969 mais simplement indexé sur l'évolution des prix.
- En RFA, il existe une prestation de revenu minimum calculée à partir d'un schéma quantitatif des besoins, lui-même déterminé au niveau fédéral sur la base d'enquêtes sur le budget des ménages réalisées par l'office statistique fédéral.
Cependant, il faut noter que la dernière enquête de ce type a été réalisée en 1970 et que le taux normal pour chaque besoin n'est pas fixé au niveau fédéral mais par les Länder, ceux-ci devant cependant tenir compte du coût réel de la vie.
Il apparaît donc que la pureté de l'approche du revenu minimum par la dépense est très difficile à préserver.
La complexité des relations entre le couple "approche par le revenu - pauvreté relative" et le couple "approche par la dépense - pauvreté absolue" sera illustrée par deux ultimes exemples :
-Aux États-Unis, on calcule également un seuil de pauvreté relative défini à partir du seuil de pauvreté absolue constatée en 1965. Cette année-là, le seuil absolu était égal à 44 % du revenu médian, niveau auquel a été fixé le seuil de pauvreté relative. Par définition égal au seuil absolu en 1965, il s'en est progressivement détaché et lui était en 1982 supérieur de 14 %. C'est un exemple de seuil relatif "accroché" à un seuil absolu.
-En France, Serge Milano a cherché à définir la pauvreté absolue sur une période donnée en retenant un seuil qu'il a déterminé, au début de la période en cause, par référence à un des seuils relatifs utilisés pour réaliser l'enquête sur la pauvreté demandée par la CEE, soit 40 % du revenu moyen par unité de consommation, mais dont il a ensuite maintenu le niveau en francs constants tout au long de la période étudiée. C'est un exemple de seuil absolu "accroché" à un seuil relatif.
B.- Absence d'étude significative mais existence de quelques données sûres
Après avoir étudié les problèmes théoriques et méthodologiques inhérents à la notion de revenu minimum, il convient de se placer dans la perspective concrète d'une institution prochaine du RMI en France, en examinant les résultats des études récentes et significatives menées dans notre pays, pour tenter de déterminer les niveaux de revenu minimum en deçà desquels commencent les situations de pauvreté.
S'agissant de la définition des seuils de pauvreté, on a vu que la distinction entre l'approche par le revenu et l'approche par la dépense était loin d'être aussi tranchée qu'elle pouvait le sembler au premier abord. Il ne paraît cependant pas abusif de discerner dans la plupart des travaux réalisés une prédominance de la logique comparative, l'analyse des besoins réels n'en inspirant qu'un petit nombre. Dans son ouvrage intitulé "La pauvreté absolue", Serge Milano semble privilégier la logique du revenu. Il retient le seuil de 40 % du revenu disponible moyen par unité de consommation (u.c.) qui était l'un de ceux utilisés dans le rapport que la France a remis à la C.E.E. dans le cadre du premier programme européen de lutte contre la pauvreté. Les données contenues dans le rapport de 1979 étaient relatives à l'année 1975, pour laquelle 40 % du revenu moyen par u. c. correspondait à 20 F par jour et par u.c. Etudiant la période 1975-1987, S. Milano choisit de ne pas faire varier son seuil de référence en fonction de l'évolution du revenu disponible moyen mais de le maintenir en francs constants afin de comparer des situations définies de la même manière. En 1987, le seuil de pauvreté ainsi défini est égal à 55 F par jour et par u.c.
Les montants mensuels correspondants sont les suivants :
Isolé |
Couple | |
Famille sans enfant |
1665 |
2 830 |
Famille avec un enfant |
2 500 |
3 660 |
Famille avec deux enfants |
3 330 |
4395 |
Famille avec trois enfants |
4 160 |
5 330 |
Famille avec quatre enfants |
4 995 |
6160 |
(L'échelle de consommation utilisée est l'échelle d’Oxford : 1 pour le premier adulte, 0,7 pour le conjoint ; 05 par enfant.
Dans une étude récente intitulée "Protection sociale et pauvreté", le Centre d'étude des revenus et des coûts (C.E.R.C.) a choisi de définir deux seuils de pauvreté. Le premier égal à 75 F par jour et par u.c. procède également de l'enquête européenne sur la pauvreté. Il part du seuil de 50 % du revenu disponible moyen par u.c. qui a finalement été retenu dans le rapport communautaire de 1981 (alors que les seuils de 40 % et de 60 % avaient également été utilisés par les enquêtes nationales) et le convertit ensuite en fraction du SMIC net. L'année de conversion choisie est 1979, année de référence du rapport communautaire. Cette année là, 50 % du revenu disponible moyen français correspondait à 60 % du SMIC net. En choisissant un paramètre de référence qui varie non seulement en fonction de la conjoncture économique mais aussi en fonction de considérations qui lui sont propres -a savoir les "coups de pouce" donnés au SMIC par les gouvernements successifs-il est normal d'aboutir à un seuil de pauvreté plus élevé que celui de Serge Milano. Sans doute dans un souci d'équilibre, le CERC a-t-il également retenu le seuil de 50 F par jour et par u.c. qui correspond environ à 40 % du SMIC net et qui a déjà été utilisé à plusieurs reprises dans des études du CREDOC.
Les montants mensuels résultant de l'application de ces deux seuils sont les suivants :Revenus mensuels correspondant au seuil de pauvreté de 75 F par jour et par unité de consommation
Isolé |
Couple | |
Sans enfant |
2 250 |
3 825 |
Avec un enfant |
3 375 |
4 950 |
Avec deux enfants |
4 500 |
6 075 |
Avec trois enfants |
5 625 |
7 200 |
Avec quatre enfants |
6 750 |
8 325 |
Revenus mensuels correspondant au seuil de pauvreté de 50 F par jour et par unité de consommation
Isolé |
Couple | |
Sans enfant |
1500 |
2 550 |
Avec un enfant |
2 250 |
3 300 |
Avec deux enfants |
3 000 |
4 050 |
Avec trois enfants |
3 750 |
4 800 |
Avec quatre enfants |
4 500 |
5 500 |
Le graphique ci-dessous permet de comparer les seuils de pauvreté définis par le CREDOC avec les montants respectifs des différentes allocations différentielles et assimilables existantes.
D'autres études moins récentes tendant à définir en termes relatifs des seuils de pauvreté applicables à la France pourraient être citées.
En revanche, on doit constater que les travaux et recherches adoptant l'optique de la dépense, en s'efforçant d'abord de quantifier les besoins à satisfaire et ensuite de chiffrer les dépenses correspondantes dont l'addition constitue le revenu minimum, sont extrêmement peu nombreux, sinon quasi inexistants dans notre pays.
On ne peut que déplorer cet état de fait, lequel contraste singulièrement avec la situation observée en Allemagne et dans les pays anglo-saxons.
Même si l'approche de la pauvreté par la dépense comporte des limites et des contraintes dont il a déjà été fait état, elle a l'immense mérite d'imposer une plongée dans la réalité la plus immédiate de la pauvreté.
Même s'il peut sembler vain de se demander si le "panier de la ménagère pauvre" doit comporter une paire de chaussures tous les ans ou tous les deux ans ou bien un ticket de cinéma tous les mois ou tous les deux mois, ce genre d'interrogation rappelle qu'il existe des populations pour lesquelles le problème se pose bien en ces termes.
Il est donc souhaitable que l'institution du RMI soit, pour les pouvoirs publics et les divers organismes de recherches ou d'études concernés, l'occasion de promouvoir ou d'organiser des enquêtes visant à cerner d'un peu plus près la notion de budget minimum.
A l'occasion de la mise en place d'un RMI municipal à Montbéliard, une recherche de ce type a été entreprise, dont le tableau ci-après (cf. page 39) synthétise les résultats.
Bien que cette grille d'analyse des besoins minimum ait été constituée pour servir de base au calcul du RMI, la ville de Montbéliard, estimant qu'il ne lui appartenait pas de remettre en cause "une politique sociale conçue et pratiquée à l'échelon national" a décidé de plafonner le montant du RMI. (En 1988, 2 840 F pour une personne seule et 3 420 F pour un couple, avec ou sans personne à charge).
Il reste intéressant de constater que la seule approche récente de la pauvreté par les besoins conduit à déterminer des niveaux de revenu minimum sensiblement supérieurs à ceux actuellement annoncés pour le RMI :
- 2 840 F pour une personne seule
- 4 190 F pour un couple loyer compris
- 6 860 F pour quatre personnes
-1 740 F pour une personne seule
- 2 890 F pour un couple loyer déduit
- 5 160 F pour quatre personnes
C.- La juste mesure : minimum garanti et SMIC - La réponse du projet de loi
En termes politiques, la question du juste niveau du minimum proposé n'est naturellement pas seulement celle du montant minimum de ressources nécessaire à la satisfaction de besoins élémentaires. Elle est aussi, de toute évidence, celle du rapport entre ce minimum et le SMIC.
L'absence d'études récentes sur les dépenses concrètement effectuées dans le cadre d'un budget familial en deçà desquelles il n'est pas possible de satisfaire aux besoins élémentaires, et le recours à des analyses en termes de déficit de ressources par rapport au revenu moyen d'une collectivité nationale ou d'un groupe social, ont doublement masqué ce problème, en évacuant à la fois la question de ce qui est réellement nécessaire pour vivre dans la dignité et celle de savoir si le minimum de revenu concédé aux actifs se situe très au-delà, au voisinage ou même en deçà du seuil dit de pauvreté. Cela n'a malheureusement pas préparé les décideurs et l'opinion à une gestion dans de bonnes conditions de cette double contrainte.
Elle est pourtant incontournable.
Sans doute faut-il considérer que le niveau du minimum garanti aux non actifs ne saurait être sensiblement supérieur à 80 % du SMIC, sans créer dans les milieux d'actifs un effet de rejet, en même temps qu'une contre incitation au travail.
Mais si l'analyse des budgets des familles les plus pauvres laisse apparaître que le niveau en deçà duquel la survie dans la dignité n'est pas assurée est en fait très voisin de celui retenu pour fixer la garantie de revenu des actifs, il faut, en revanche, également considérer que le minimum concédé aux non actifs chargés de famille ne peut non plus être très en deçà de 80 % du SMIC.
Le RMI doit donc chercher sa voie dans l'étroit espace compris entre ce plafond et ce plancher.
Le niveau de revenu garanti annoncé selon la catégorie des ménages (2 000 F pour un isolé, 3 000 F pour un couple, 3 600 F pour une famille de un enfant, 4 200 F pour une famille de deux enfants, 4 800 F pour une famille de trois enfants, etc.) n'est pas, de ce point de vue, sans poser un certain nombre de problèmes.
Il conduit en effet, si l'on s'y tient, à proposer, dès le niveau de la famille de un enfant, une garantie s'approchant dangereusement du SMIC, et le risque de ce qu'il est convenu d'appeler le "télescopage" de celui-ci n'est donc pas nul.
Nombre |
RMI |
SMIC net |
1 |
2000 |
4000 |
2 (C) |
3000 |
4000 |
3 (C + 1) |
3600 |
4000 |
4 (C + 2) |
4200 |
4500 |
5 (C + 3) |
4800 |
5200 |
6 (C + 4) |
5400 |
5900 |
C : Couple
Aussi bien, malgré une préfiguration du dispositif reposant sur l'idée que le revenu minimum ne pouvait au mieux qu'assurer la satisfaction des besoins élémentaires, les problèmes de logement étant traités par ailleurs et les aides au logement étant, par conséquent, exclues des ressources prises en compte pour le calcul de l'allocation différentielle, peut-on comprendre que le Gouvernement soit amené à s'interroger sur l'opportunité de prendre en compte dans ces ressources une fraction des aides au logement pour corriger les effets de l'échelle affichée.
1. Les aides au logement
Encore convient-il que cette prise en compte des aides au logement ne débouche pas sur un abaissement de la garantie (théorique) annoncée, conduisant à fixer celle-ci à un niveau incompatible avec ce qu'on sait du niveau de ressources nécessaire pour la satisfaction des besoins élémentaires.
Le problème paraît se poser dans des termes différents, mais avec le même degré d'acuité, pour l'isolé et pour la famille d'un enfant :
-l'isolé parce que les charges qui pèsent sur lui à raison même de son isolement et de l'impossibilité de les étaler sur plusieurs unités de consommation, mais aussi de l'impossibilité de partager le poids matériel d'un certain nombre d'actes nécessaires à la vie, le mettent dans une position plus difficile que le couple, voire que certaines familles ;
- la famille de un enfant parce que la référence aux travailleurs du bas de l'échelle des salaires est une référence elle-même pénalisante, à proportion de la pénalisation dont souffrent ces travailleurs quand n'entre dans leur budget qu'un seul revenu, dès lors qu'ils n'émargent pas, sauf s'ils sont dans la situation atypique de familles monoparentales, au dispositif des prestations familiales.
Au vu de l'ensemble de ces considérations, il est clair que l'Assemblée ne saurait se prononcer sur l'article 8 du projet de loi sans avoir officiellement reçu communication du Gouvernement du "barème" réel de revenu minimum garanti, déduction faite de tout ou partie des aides au logement, qu'il entend appliquer aux différentes catégories de ménages.
A cet égard, on croit comprendre que le raisonnement suivi pourrait consister à comparer le revenu disponible (moyen) des différentes catégories de titulaires du RMI et des différentes catégories de titulaires du SMIC, après déduction des charges (moyennes) nettes de logement, c'est-à-dire des charges (moyennes) brutes moins les aides (moyennes) reçues.
En ne tenant compte des aides au logement que pour une partie déterminée forfaitairement, la formule serait la suivante :
RMI + aides au logement - (loyer et charges + forfait aides au logement) = revenu disponible.
On passerait ainsi de :
(1) Montant du RMI prévu par l'exposé des motifs.
(2) Montant du RMI après charges nettes de logement.
(3) Montant du RMI après déduction forfaitaire des aides au logement.
L'article 22 (1°) du projet prévoit en outre le non versement des allocations différentielles inférieures à 100 F, ce qui pose un problème manifeste, car cela signifierait que la garantie réelle s'abaisse en réalité d'autant, soit :
II faut donc en premier lieu, de toute évidence, renoncer à procéder ainsi à cette seconde réfaction du RMI garanti en vertu de l'article 3 du projet de loi.
Le niveau réel du RMI ne saurait surtout en second lieu être l'objet d'une alchimie bureaucratique du type de celle dont sont issus les barèmes d'AL ou d'APL.
Au-delà de l'information dont elle a besoin pour comprendre la portée de ce qu'elle vote, l'Assemblée devrait pouvoir, soit obtenir à ce sujet des engagements du Gouvernement, soit fixer dans le texte même de la loi les références que, d'accord avec lui, elle estime convenable d'observer et de rendre intelligibles au public.
2. Les allocations familiales
L'article 8 du projet de loi prévoyant que l'ensemble des ressources des personnes retenues pour la détermination du RMI est pris en compte pour le calcul de l'allocation, à l'exclusion de certaines prestations sociales à objet spécialisé et des rémunérations tirées d'activités professionnelles ou de stages ayant commencé au cours de la période du versement de l'allocation, article servant de base à l'imputation d'une fraction des aides au logement, est aussi celui qui consacre la prise en compte des allocations familiales.
Plusieurs partenaires sociaux, dont les associations familiales, le Comité chrétien de solidarité avec les chômeurs, le COORACE, organisme d'économie sociale, ont contesté cette intégration des prestations familiales dans les ressources prises en compte pour le calcul du RMI, estimant que, à procéder ainsi, on annule les effets de la politique familiale.
La vérité est que, au niveau où se situe le RMI, il est impossible de suivre pareille démarche sans recréer une hiérarchie des ressources qui, d'une part, conduit à "télescoper" le SMIC, d'autre part pénalise les ménages et particulièrement les familles mal dotées par le système des prestations familiales en vigueur.
Or, de deux choses l'une. Ou bien il fallait que le système des prestations familiales soit capable d'intégrer une logique du besoin, ou bien, dès lors que cela n'est pas le cas, on peut comprendre que la logique du besoin, prise en compte par une autre voie, se développe en marge de la logique des prestations familiales et que, les deux n'étant pas compatibles, la première prime la seconde.
Sans doute aurait-on également pu songer à ne pas prendre en compte pour la détermination du RMI ceux des enfants ouvrant déjà droit aux prestations familiales, mais on retombe en réalité sur le même écueil : une moindre satisfaction -ce qui n'est pas concevable- des besoins des familles ayant droit à des prestations familiales dont le montant n'atteint pas un niveau suffisant.
Aussi bien la position du Gouvernement paraît-elle tout à fait justifiée quand il se propose seulement de distraire des ressources prises en compte pour le calcul du RMI, celles qui résultent du projet de texte réglementaire ci-après.
Calcul de l'allocation de revenu minimum d'insertion
Projet de décret
"L'allocation de revenu minimum d'insertion est égale à la différence entre le montant du revenu visé au premier alinéa de l'article 2 et la totalité des ressources de quelque nature qu'elles soient, du bénéficiaire et des personnes visées au deuxième alinéa de l'article 2 à l'exception :
1°) de l'allocation d'éducation spéciale et de ses compléments, de l'allocation de rentrée scolaire, de l'allocation de garde d'enfant à domicile ;
2°) des primes de déménagement prévues au livre V du code de la sécurité sociale et ... du code de la construction et de l'habitation ;
3°) de la majoration pour tierce personne prévue par les articles R 341-6 et R 355-1 du code de la sécurité sociale ainsi que de l'allocation compensatrice prévue par l'article 39 de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975, lorsqu'elles servent à rémunérer un tiers ne faisant pas partie du foyer bénéficiaire du revenu minimum d'insertion ;
4°) de la prime de rééducation et du prêt d'honneur prévus à l'article R 432-10 du code de la sécurité sociale ;
Les notions de foyer et de personne à charge sont donc essentielles. Elles déterminent en quelle qualité (attributaire principal ou secondaire) et, par conséquent, à quel taux, une personne peut bénéficier de la nouvelle prestation. Elles détermineront aussi, par référence à d'éventuelles conditions d'âge, qui peut en bénéficier ou non, enfin jusqu'à quel point il peut être fait masse des ressources acquises par les membres d'un même ménage pour l'évaluation des droits de chacun de leurs membres ou du ménage pris comme un tout (articles 8 et 9 du projet de loi).
Mais elles peuvent agir de façon contradictoire. Une conception large du foyer, tout en offrant dans certains cas des possibilités naturellement plus avantageuses qu'une conception plus restrictive, peut dans d'autres cas, notamment par le jeu de la mise en commun de certaines ressources et de la réduction, à proportion de celles-ci, de l'allocation servie, se révéler nettement pénalisante.
Or, les préoccupations à prendre en compte pour guider le choix d'une formule sont assez claires. Il s'agit :
-de favoriser la prise en charge la plus large des personnes qui pourraient, par le jeu d'autres règles, se trouver exclues de l'entrée dans le droit (jeunes de moins de 25 ans en particulier) ;
- de ne pas encourager la décohabitation des parents et des enfants, ni des adultes et des ascendants, ni surtout des membres d'un couple, en favorisant les couples instables par rapport aux couples stables.
Ceci devrait en premier lieu, conduire à retenir comme "personnes à charge" tous les enfants âgés de moins de 25 ans, résidant au foyer, n'ayant personnellement pas droit au RMI, compte tenu des conditions d'âge fixées par ailleurs pour l'accès à celui-ci. En cas d'exclusion du bénéfice du RMI à titre principal de tous les moins de 25 ans, y compris ceux chargés de famille, devraient également être prises en compte avec eux dans le foyer de leurs parents, les personnes à leur charge, de moins de 25 ans, par exemple les parents, les enfants et les petits enfants. Faute de quoi existeraient des personnes qui, ne pouvant se rattacher à rien, n'auront droit, ou n'ouvriront droit, à rien ;
En second lieu et en sens opposé, de manière à ce que les moins de 25 ans ainsi rattachés à un foyer puissent lui "rapporter" mais non "lui coûter" devraient être écartés de la prise en compte au titre du RMI les moins de 25 ans disposant personnellement d'un revenu supérieur à 600 F ou 1 000 F. En effet en cas de ressources inférieures à la quotité ainsi définie, le bénéfice apporté par l'inclusion dans le foyer sera plus ou moins important, mais il demeurera réel. En revanche, si les ressources la dépassent, il en "coûtera" au foyer pris dans sa globalité puisque le différentiel s'imputera sur le RMI ainsi retenu et l'allocation sera réduite d'autant. En effet, le RMI étant familial ou global, et non pas individuel, les ressources des personnes à charge s'imputent sur la totalité du RMI et non sur la seule majoration affectée au RMI de base.
En troisième lieu, il doit être clair qu'au-delà de 25 ans, tout bénéficiaire potentiel du RMI doit y avoir droit au taux plein, faute de quoi, ne pouvant prétendre au RMI de base, aussi longtemps qu'il sera regardé comme "à charge", il sera , soit poussé à sortir du foyer parental pour améliorer son sort, soit porté à repousser de son propre foyer l'ascendant titulaire d'un minimum vieillesse "mangeant" l'essentiel du RMI, ces deux formes de décohabitation étant également à redouter.
Pour le reste, et notamment pour éviter d'encourager l'isolement et/ou le concubinage plutôt que les unions légales, il conviendrait de préférence à la notion de foyer fiscal, de se référer à la notion de foyer au sens des prestations familiales.
Si aucune législation de référence n'est en dernière analyse satisfaisante, il sera nécessaire d'inclure dans la loi une définition du foyer sui generis. En toute hypothèse pour que la portée du dispositif n'échappe pas complètement au législateur, celui-ci doit être mis en mesure d'apprécier en quoi il consiste.
Le RMI a un caractère subsidiaire. L'article 19 du projet de loi, en affirmant ce principe de subsidiarité au regard des autres prestations sociales et des créances d'aliments, privilégie la dimension "assistantielle" et alimentaire du RMI par rapport à la conception socioprofessionnelle que le projet de loi entend donner à la prestation en la liant étroitement à un effort d'insertion.
La mise en jeu de l'obligation alimentaire du Code Napoléon dans un contexte (solidarité familiale, transmission des patrimoines) totalement différent de celui du XIXe siècle a fait l'objet de nombreuses critiques. Au cours de la dernière décennie, des aménagements ont ainsi été apportés au principe de subsidiarité de l'aide sociale ou de prestations non contributives (suppression de l'obligation alimentaire pour l'attribution de l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité en 1973, pour l'ensemble des prestations créées, en faveur des personnes handicapées, par la loi du 30 juin 1975, pour l'octroi de certaines prestations concourant au maintien à domicile des personnes âgées, comme pour l'aide ménagère en 1977, pour la prise en charge du forfait journalier d'hospitalisation).
L'article 19 du projet de loi, sans renoncer au principe de la subsidiarité du revenu minimum institué, pour des raisons financières (limiter le coût de la prestation, en récupérant au moins partiellement le montant des allocations de RMI versées sur les obligés alimentaires) et d'opportunité politique (la société n'est pas prête à consentir de se substituer à la famille pour assurer la survie de ses membres, le "sacrifice" paraissant encore trop lourd), tient compte de cette évolution.
D'une part, il limite le champ de l'obligation alimentaire. Celle-ci ne jouera pas pour les enfants à l'égard de leurs père et mère ou autres ascendants, ni pour les alliés en ligne directe et au premier degré, ni pour les père, mère et ascendants à l'égard d'un enfant majeur. Elle est seulement mise à la charge des père et mère à l'égard de leurs enfants mineurs ou poursuivant des études, et des époux l'un envers l'autre (obligation de secours et d'assistance entre époux, pension alimentaire versée à l'époux en instance de divorce, devoir de secours en cas de divorce pour rupture de la vie commune, prestation compensatoire accordée à l'époux divorcé et pension alimentaire accordée à l'époux divorcé, avant la loi de 1975).
D'autre part, il prévoit des exceptions. En principe l'intéressé, pour bénéficier de l'allocation de revenu minimum, doit faire valoir ses droits aux créances d'aliments mais sur décision expresse du représentant de l'État, après avis de la commission locale d'insertion, il peut en être dispensé.
La portée de cette dérogation n'est pas évidente. S'il s'agit seulement de considérations de pure gestion (les organismes chargés de l'instruction ont constaté l'insolvabilité du débiteur, laquelle rend les poursuites éventuelles inopérantes ou incertaines), sa portée est nulle puisque le montant du droit alimentaire est déterminé par les moyens du débiteur. Si, au contraire, il s'agit de ne pas exacerber les différends entre membres d'une même famille, de tenir compte du désir d'autonomie exprimé par l'intéressé à l'égard de sa famille et d'ôter à cette obligation le caractère dissuasif qu'il peut avoir dans certaines circonstances, alors, cette procédure dérogatoire garde tout son intérêt, en tentant de concilier le caractère subsidiaire de l'allocation de RMI et la nécessité d'éviter toute exclusion d'un dispositif destiné à lutter contre la précarité. Encore faut-il que ladite procédure apporte un minimum de garanties à cet égard...
Le mécanisme de subsidiarité introduit par l'article 19 peut ainsi constituer pour l'intéressé une facilité supplémentaire ou un obstacle dirimant, selon l'utilisation concrète qui en sera faite par les services liquidateurs.
Ce peut être une facilité supplémentaire s'il est conçu comme une aide au recouvrement des créances du bénéficiaire du RMI, à l'instar du mécanisme de l'allocation de soutien familial, l'allocation de RMI étant versée à titre d'avance et l'État, subrogé dans les droits du bénéficiaire.
Ce peut être un instrument d'exclusion si le versement de l'allocation est systématiquement suspendu jusqu'à ce que le bénéficiaire entame les procédures contentieuses pour faire reconnaître sa créance, lesdites procédures étant parfois psychologiquement dissuasives et souvent techniquement lourdes.
Aussi bien ne paraît-il pas concevable qu'on courre ce risque et convient-il d'y parer :
- en mettant expressément à la charge des organismes impliqués dans le versement du RMI une obligation d'aide au recouvrement ;
-en donnant précocement aux Préfets des directives adéquates sur l'approche philosophique et pratique à retenir dans le maniement de leur pouvoir de dérogation.
5. La mesure des revenus non salariaux
L'article 9 du projet de loi prévoit que des modalités particulières de détermination des ressources provenant de l'exercice d'une activité non salariée seront fixées par voie réglementaire.
Cela est vraisemblablement légitime.
Il va de soi tout d'abord que le calcul des revenus professionnels non salariés appelle des règles différentes de celles retenues pour apprécier des revenus salariaux. Ainsi, par exemple, pour l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité, les revenus professionnels sont-ils appréciés d'après les règles suivies pour le calcul des cotisations d'assurances sociales, lorsqu'il s'agit de salaires ou de gains assimilés à des salaires par la législation de sécurité sociale, mais lorsqu'il s'agit d'autres revenus professionnels, ils sont appréciés comme en matière fiscale en faisant abstraction de tous exonérations, abattements ou décotes et sans qu'il soit tenu compte de toute déduction ne correspondant pas à une charge réelle.
Quelques problèmes particuliers risquent de surgir. Le RMI vise à répondre rapidement à des situations de détresse. Or, si l'allocation de RMI est calculée pour l'année n sur la base des ressources constatées de l'année n -1 ou n - 2, le RMI perd sa portée. L'intéressé qui a besoin l'année n de l'allocation de RMI peut se la voir refuser, parce que ses revenus de l'année n -1 ou n - 2 étaient supérieurs au RMI. A l'inverse, l'intéressé qui est apparemment revenu à une meilleure fortune ("apparemment" car ses revenus peuvent augmenter mais être entamés par les charges d'un endettement précédemment contracté dans une perspective de survie) peut recevoir l'allocation à un moment où il n'en a plus besoin (si l'on considère que le droit est ouvert à compter du dépôt de la demande et si le versement intervient dans les limites du délai de prescription fixé pour l'action en paiement). A moins qu'on ne lui oppose une sorte de délai de carence.
D'autres dispositions relevant plus de la dérogation que de la transposition des règles applicables aux salariés se révéleront en outre également nécessaires. Comment prendra-t-on en compte les revenus tirés d'une activité non salariée, lorsque celle-ci sera poursuivie au cours de la période de versement de l'allocation ? Quelles règles spécifiques appliquera- t-on pour apprécier les ressources des personnes regardées comme à charge dans certains cas particulièrement délicats comme celui des aides familiaux ?
La portée exacte de l'institution du RMI pour les personnes exerçant une activité non salariée dépendra entièrement des réponses à ces différentes questions.
Il paraît difficile de se prononcer sur l'article correspondant sans avoir reçu du Gouvernement un minimum d'information à ce sujet.
L'habilitation du pouvoir réglementaire à prendre en ce domaine des mesures dont la loi ne fixerait pas au moins les principes serait au surplus constitutionnellement contestable et les textes réglementaires ultérieurement arrêtés dans ces conditions pâtiraient sans doute assez vite de la fragilité de leurs bases légales.
III.- BENEFICIAIRES ET MODALITES DE DISTRIBUTION DE LA PRESTATION
A.- Les jeunes
La question de l'âge d'accès au revenu minimum d'insertion est naturellement décisive.
Elle n'est pas traitée par le projet de loi qui se borne à renvoyer, comme en d'autres domaines, au pouvoir réglementaire, le soin d'en trancher.
Il convient en premier lieu de ne pas prévoir, pour l'accès au revenu minimum d'insertion, d'âge limite.
On voit mal, en fait, qui on entendrait exclure :
- certes pas les retraités de plus de 60 ans et de moins de 65 ans, non invalides, réduits, pour cause de carrière courte ou de revenus de référence trop modestes, à une pension congrue. Le revenu minimum d'insertion apparaît au contraire pour eux l'occasion de combler, en attendant mieux, un trou préoccupant de la législation sociale résultant du défaut d'abaissement, de 65 à 60 ans (âge de la retraite désormais normal mais trop souvent fatidique quelle que soit la portée des règles en vigueur) de l'âge d'accès au minimum vieillesse ;
- pas non plus, on l'espère, les étrangers, titulaires d'une carte de 10 ans, et ayant par conséquent vocation à demeurer, mais ne remplissant pas, pour l'instant, puisqu'il faut 15 ans de présence en France, pour y accéder, les conditions pour se voir adjuger le bénéfice du Fonds national de solidarité.
Si le revenu minimum d'insertion est destiné à faire en sorte que toute personne s'étant vu reconnaître une quelconque forme d'appartenance à la société française soit garantie contre les exclusions qui l'empêcherait de s'y épanouir et d'y participer normalement, on comprendrait mal qu'un tel groupe de personnes a priori particulièrement estimable et particulièrement menacé dans ses conditions de vie et dans sa dignité, soit écarté du bénéfice de la mesure.
S'agissant des jeunes, on comprend que l'intention du Gouvernement est de ne pas leur permettre d'accéder au minimum d'insertion avant l'âge de 25 ans et ceci repose a priori sur des raisons assez convaincantes :
- l'existence, pour les jeunes n'ayant pas atteint cet âge, de dispositifs spécifiques d'insertion professionnelle ;
- la nécessité de ne pas favoriser la décohabitation des jeunes adultes d'avec leurs familles, singulièrement quand celles-ci ont les moyens de pourvoir à leurs besoins, hypothèse dans laquelle le revenu d'insertion servi aux jeunes isolés ne constituerait qu'une ressource d'appoint pour des personnes déjà pourvues.
Reste que ce jugement tend à s'effriter au moins partiellement à l'analyse :
- le dispositif d'insertion prévu en faveur des jeunes couvre en fait ceux-ci jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de 26 ans ;
- nombre déjeunes de milieu modeste ou démunis ont, sous l'effet de la crise, été rejetés par leurs familles et sont en situation particulièrement difficile ;
- les dispositifs d'insertion sont loin déjouer à coup sûr et de procurer à ceux qui en ont bénéficié, des débouchés professionnels stables ou des suppléments de débouchés, d'où il résulte qu'après avoir touché pendant un certain temps une allocation d'insertion, le jeune adulte peut se trouver à nouveau sans emploi et socialement à découvert ;
- aussi bien nombre de compléments locaux de ressources ont-ils été conçus pour être accordés aux jeunes ;
- le problème des jeunes chargés de famille mérite, quant à lui, une attention singulière, pour au moins deux motifs :
. on sait que si l'on veut encourager la natalité, ce qui reste, en principe au moins, toujours à l'ordre du jour, il faut encourager la natalité dans les jeunes ménages ; aussi serait-il paradoxal qu'on laisse à découvert des jeunes couples chargés d'enfants, sachant de surcroît, d'une part qu'on ne laisserait à découvert que les jeunes couples de type classique, puisque les familles monoparentales bénéficient pour leur part de l'allocation de parent isolé, dans les conditions qu'on connaît, d'autre part que l'absence des prestations familiales pour les ménages classiques de un enfant met ce type de ménage dans une situation singulièrement difficile alors que, s'il est un âge où il risque de s'en rencontrer, c'est bien celui où un jeune couple est amené à avoir son premier enfant ;
. pour un motif de cohérence pure tenant à ce que le choix retenu conduirait à la prise en charge, dans le cadre du revenu minimum d'insertion, d'un couple composé d'un parent de 25 ans et deux jours et d'un autre de 16 ans, mais déboucherait sur le rejet de la candidature d'un couple composé de deux parents de 24 ans et 6 mois...!
Il convient, par conséquent, pour le moins, d'admettre que sont susceptibles de bénéficier du revenu minimum d'insertion les personnes de moins de 25 ans en charge de famille, ce qui ne conduit en fait, à accepter comme charge supplémentaire, puisqu'une bonne partie des ménages monoparentaux sont déjà couverts par une autre voie, celle de l'API, que les ménages classiques. De même, de manière à ne pas courir le risque d'alourdir la situation des intéressés, jusqu'à ce qu'ils aient franchi l'âge de 25 ans, et de ne pas différer jusqu'au même âge la conduite d'efforts d'insertion complémentaires à ceux dont ils ont déjà bénéficié, on pourrait songer à prendre en charge les jeunes de moins de 25 ans ayant déjà bénéficié sans succès d'une action d'insertion et épuisé leurs droits à ce titre.
B.- Les étrangers
L'article premier du projet de loi ne subordonne l'ouverture du droit qu'à quatre conditions (résidence en France, ressources, âge, engagement dans un processus d'insertion).
L'article 7 ajoute à ces conditions générales des conditions spécifiques aux étrangers. Il fait le partage entre les étrangers appelés le cas échéant (s'ils en remplissent les conditions) à bénéficier du RMI et ceux totalement exclus du dispositif. Cette distinction est opérée sur une base statutaire et administrative.
Sont ainsi, au terme du projet de loi, susceptibles de bénéficier du RMI, dans les mêmes conditions que les Français, outre naturellement les personnes s'étant vues reconnaître le statut de réfugié, qu'elles aient ou non une carte de séjour, (cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant), les étrangers détenant une carte de résident de 10 ans, ou "un titre" donnant des droits équivalents, ce par quoi il faut sans doute comprendre une carte de séjour CEE ou un certificat de résidence de 10 ans (Algériens).
Sont en revanche exclus du bénéfice du RMI, tous les autres étrangers, quelle que soit leur durée de résidence en France, et cela même s'ils possèdent un titre de séjour (visiteurs et étudiants étrangers, salariés et non salariés, étrangers disposant d'une carte de séjour temporaire), ou appartenant à des catégories juridiquement repérées (non reconductibles, et non expulsables) ou dignes de considération.
S'agissant des enfants âgés de moins de seize ans, le projet de loi subordonne leur prise en compte pour la détermination du montant du revenu minimum, à la condition qu'ils soient nés en France ou y séjournent dans des conditions régulières.
Depuis l'intervention de la loi de 1986 relative à la famille, les enfants arrivés en France à compter du 1er juillet 1987 (date de la mesure réglementaire d'application) ne peuvent bénéficier des prestations familiales que s'ils ont été introduits régulièrement. En revanche, les enfants introduits irrégulièrement en France avant le 1er juillet 1987 peuvent, le cas échéant, entraîner pour leurs parents, le bénéfice de prestations familiales. Ils ne seraient, en revanche, si l'on s'en tient au projet de texte, pas pris en compte pour le calcul du RMI.
On voit bien la philosophie du dispositif: toute immigration a, en principe, pris fin, sauf dérogations exceptionnelles et immigration familiale maîtrisée. En accordant le RMI à d'autres étrangers que les titulaires de la carte de 10 ans, on relancerait l'immigration clandestine et la xénophobie. Cette vision est étroite, et humainement et socialement critiquable. S'il s'agit de faciliter l'insertion dans la société française de personnes appelées à y demeurer, il y a au moins deux catégories de personnes à qui on ne saurait le refuser :
- les personnes ayant droit au titre de 10 ans et qui, s'en voyant privées par "l'ostracisme des guichets", vivent de titres provisoires ;
- les non expulsables non reconductibles à qui par une étrange aberration, la loi de 1986 ne permet pas d'obtenir la régularisation de leur situation.
II est en outre difficile d'admettre que la prestation instituée, aussi destinée à répondre à des situations de détresse, soit refusée à une personne de nationalité étrangère en situation régulière, détenant un titre d'un an l'ayant autorisée à exercer une activité professionnelle.
S'agissant enfin des enfants victimes de la dissuasion aux regroupements familiaux officiels qui a, de longue date, pris racine dans le manque de logement ou les "jeux du guichet" et qui ont fait l'objet de regroupements de fait il serait pour le moins choquant qu'on leur réserve, dans le cadre de la législation du RMI, un sort moins favorable que dans celle des prestations familiales. Il faut donc recourir à une formule analogue à celle retenue pour les prestations familiales en 1987 : faire tomber la barre au jour de la promulgation de la présente loi. Toute autre formule est, ou discriminatoire, ou informulable juridiquement.
Il est clair, pour conclure, qu'on ne saurait "se caler", pour définir des droits sociaux, sur une législation arbitrairement répressive et à plusieurs égards incohérente comme celle de 1986, ni faire comme si celles des dispositions qu'elle comporte créant des droits en faveur de certaines catégories d'étrangers étaient pour de bon toujours correctement appliquées.
Il faut donc tenir compte, dans les choix arrêtés, de ces deux données à moins qu'on n'entende reproduire d'une législation à une autre les exclusives qui serviront un jour et servent déjà partiellement de terrain à la marginalisation et au rejet d'une partie de la population étrangère.
C- Le problème des "sans domicile fixe" (S.D.F.)
Le revenu minimum d'insertion étant une prestation servie, à la différence des prestations d'aide sociale, sans référence à un quelconque domicile de secours, (ceci est normal dès lors qu'on a affaire à une prestation financée par l'État, soumise à des conditions d'accès identiques sur l'ensemble du territoire national et n'impliquant aucune évaluation qualitative de la situation de son bénéficiaire, mais seulement une vérification de ressources), il n'y a, en général pas lieu à se poser le même type de problèmes qu'en matière d'aide sociale : l'identification de la résidence et de la commune ou du département de rattachement de celui qui le réclame.
Le cas des sans domicile fixe, c'est-à-dire des personnes sans résidence stable, comme dit le projet de loi, n'en pose pas moins un problème singulier, dès lors que les actions d'insertion qui constituent l'accompagnement du versement de la prestation doivent être menées dans un cadre territorial déterminé, que la commission chargée d'identifier ces actions et de procéder à leur suivi a une compétence territoriale, et que la demande de prestation doit, par conséquent, être formulée dans un ressort donné.
C'est pourquoi le projet de loi, dans son article 12, prévoit qu'une personne sans résidence stable doit, pour demander le bénéfice de l'allocation, élire domicile auprès d'un organisme agréé par le représentant de l'État dans le département.
Cette formule est satisfaisante sous un certain nombre de réserves.
Il convient, en premier lieu, de ne pas imposer à des organismes participant au dispositif de recueil des demandes et d'instruction des dossiers, ou, plus généralement, concernés par la mise en œuvre du revenu minimum d'insertion, soit dans cette phase, soit dans une phase ultérieure, des sujétions incompatibles, soit avec leur vocation, soit avec leur projet pédagogique, lequel peut, dans certains cas, comporter, soit l'exclusion de certaines catégories de clientèles, soit la rupture de relations avec certaines personnes qui ont, dans le passé, eu affaire à eux, mais auxquelles ils ont souhaité plus ou moins durablement refuser de continuer à offrir leurs services.
Il faut, en revanche, que la personne sans résidence stable qui sollicite une domiciliation, n'ait pas, pour y parvenir, à accomplir des formalités trop complexes et surtout qu'elle ne soit pas dans l'impossibilité de pourvoir à la formalité qu'on lui impose.
II convient, par conséquent, de prévoir les modalités selon lesquelles, à l'occasion de l'agrément, le représentant de l'État dans le département fixera tout à la fois les obligations des organismes agréés, et les limites de celles-ci.
Il convient de prévoir également qu'au moins un organisme, dans un ressort territorial qui ne saurait être plus large que celui de l'arrondissement, aura l'obligation de procéder à la domiciliation.
Dans les cas enfin où la formalité ne devrait pas donner lieu à contestation, ce qui sera, il faut l'espérer, la règle, il est souhaitable de ne pas imposer aux demandeurs du revenu minimum d'insertion d'avoir à multiplier inutilement les démarches, et i\ parait par conséquent expédient de prévoir que leur offrira également l’abri de la domiciliation.
D.- Les modalités d'instruction et de liquidation
S'agissant des procédures de gestion des prestations dues au titre du RMI, il convient de faire en sorte qu'elles facilitent autant que possible la mobilisation de leurs droits par les usagers et qu'elles soient aussi propices que possible :
- à une collaboration entre partenaires administratifs ou associatifs impliqués dans la mise en œuvre du dispositif,
- à un suivi rigoureux des dépenses,
- à une bonne articulation entre versement des prestations et conduite des actions d'insertion.
Le système retenu par le projet de loi n'est pas, à cet égard, sans reproches.
Tout d'abord, si le revenu minimum est un droit lié à une certaine situation financière et même si son acquisition implique parallèlement l'engagement de son bénéficiaire dans des actions d'insertion, on voit mal l'intérêt de l'examen des dossiers de demandes, préalablement à la décision du Préfet, par une commission locale d'insertion. Qu'une telle commission soit utile pour prescrire les actions d'insertion les plus appropriées et en suivre la mise en œuvre ne fait guère de doute. Son intervention dans la phase d'établissement des droits risque en revanche d'avoir pour seul effet d'alourdir la procédure.
Le choix fait à cet égard par le projet de loi participe en fait du "miroitement" déjà relevé au niveau des concepts RMI-droit ou RMI-négocié contre une prétendue contrepartie. Il serait souhaitable de prendre à ce sujet un parti clair, et dans un sens qui ferme la porte à l'arbitraire et à de nouvelles formes, aggravées par leur connotation moralisante, d'exclusion.
Il n'est, quant au reste et quoiqu'en pensent un certain nombre de responsables de conseils généraux, pas choquant que la responsabilité de la décision d'attribution du RMI soit confiée au représentant de l'État dans le département: le financement du minimum garanti incombera à l'État, la décentralisation ayant, même dans sa phase la plus exigeante, toujours réservé à l'État la responsabilité des interventions en faveur des populations précaires.
Il est clair, par ailleurs, que le traitement concret des demandes d'attribution du RMI comportera un certain nombre de phases qu'on gagnerait à identifier de façon plus précise que ne le fait le texte :
- ouverture ou retrait et dépôt des dossiers ;
- instruction financière (contrôle instantané, puis continu des ressources) ;
- instruction sociale ;
- décision sur la prestation ;
- liquidation de la prestation et ajustement de celle-ci en fonction de l'évolution des ressources ;
- suivi social individuel, programmation et évaluation des actions individuelles d'insertion ;
- programmation des dispositifs d'insertion ;
- suivi local et/ou régional des politiques d'insertion ;
- suivi national des dépenses et des performances d'ensemble.
Ce sont, si l'on comprend bien, les seules phases de liquidation de la prestation et de suivi des dépenses dont on entend assurer la concentration entre le plus petit nombre possible de mains pour autoriser une rationalisation des méthodes de gestion et de recueil statistique, ainsi que la tenue d'un tableau de bord en permanence à jour. De là l'idée non exprimée dans le texte du projet de loi mais suffisamment notoire pour qu'on la mentionne, de faire appel aux services des CAF qui disposent d'une bonne expérience en ce domaine et d'une incontestable homogénéité. Cette idée paraît acceptable, encore qu'elle implique de la part d'autres candidats potentiels à ce rôle un sacrifice qu'il faudra leur faire accepter.
Il serait en revanche déraisonnable, car cela ferait violence aux réalités de vouloir concentrer entre les mains des CAF les autres phases de la procédure.
C'est pour l'essentiel aux CCAS, le cas échéant aux associations, que paraît devoir être confiée l'ouverture des dossiers, celle-ci devant pouvoir intervenir au niveau le plus décentralisé possible, ce qui n'exclut pas que les CAF soient aussi des lieux de recueil des demandes mais elles ne peuvent détenir à cet égard un monopole.
L'expérience et la "force de frappe" des CCAS semblent également devoir être mises à profit :
- pour l'instruction financière,
- pour l'instruction sociale qui implique la disposition d'une abondante main-d'œuvre de travailleurs sociaux, si abondante qu'on voit mal comment il sera possible "d'écluser" les dossiers là où la coordination entre services sociaux est en déshérence (devront de fait également être impliqués, le service social départemental, celui de la MSA et des CAF, étant entendu que s'il est exclu, contrairement à ce qui a parfois été revendiqué, que le bénéficiaire du RMI choisisse son travailleur social, il faut sans doute imaginer, à titre de réserve de droit, une possibilité de "récusation"),
- pour le suivi social individuel.
Au total, il paraît pour le moins nécessaire, à la fois pour rendre intelligibles les intentions du législateur et possibles les adaptations requises par des réalités locales complexes, de confier à une convention à intervenir entre le représentant de l'État dans le département et l'ensemble des partenaires potentiellement concernés par la mise en place et en œuvre du RMI, le soin de préciser la place de chacun dans la gestion du dispositif.
E.- L'entrée dans les droits
Le souci d'assurer l'entrée dans le dispositif des personnes réunissant les conditions pour en bénéficier et risquant de ne pas faire eux- mêmes les démarches nécessaires à cet effet devrait conduire à mettre en place des mécanismes adéquats de signalement. Eluder cette nécessité reviendrait en effet à confesser qu'on joue à cache-cache avec les bénéficiaires du RMI et qu'on en accepte le principe parce qu'on compte bien que beaucoup ne le réclameront pas.
Il est clair de ce point de vue que les mécanismes à mettre en place peuvent se révéler assez lourds, en tout cas difficiles à gérer, mais il faut assurément songer :
- à un signalement des sorties de droits type assurance chômage, assurance veuvage, prestations familiales ;
-vraisemblablement aussi, à un signalement des retraites inférieures au minimum, puisqu'aussi bien on rencontrera, parmi les bénéficiaires du minimum, un certain nombre de retraités de moins de 65 ans, non inaptes, ne pouvant prétendre au bénéfice du minimum vieillesse.
A plus longue échéance, il faut de toute évidence perfectionner le dispositif de connaissance statistique (ce qui passe par une connaissance concrète, par le canal des travailleurs sociaux, des situations de pauvreté). Cela pourrait, en marge de l'examen du projet de loi et conformément aux souhaits du Rapport Wresinski, faire l'objet d'engagements précis de la part du Gouvernement.
F.- La sortie des droits
L'article 16 du projet de loi prévoit que :
"L'allocation est accordée pour une période dont la durée est fixée par décret. Elle est renouvelable.
"Si l'intéressé ne respecte pas l'engagement qu'il a pris, le versement de l'allocation est interrompu et une nouvelle demande ne peut être présentée qu'après l'expiration d'un délai fixé par décret."
Cette approche n'est pas cohérente avec la philosophie du projet.
On peut en effet faire siennes les observations ci-jointes du COORACE, organisme d'économie sociale, qui rejoignent celles de tous les mouvements caritatifs, mais en ayant le mérite de partir d'une approche plus nettement économique du problème de l'insertion :
"La durée est une donnée essentielle pour l'insertion ; 6mois nous semblent un minimum; de plus les conditions d'interruption et de renouvellement doivent être mieux garanties ; l'article 16 fait apparaître une menace, sans prendre en compte les aléas dus à la fragilité psychologique et sociale des bénéficiaires concernés. L'interruption est lourde de conséquence pour le bénéficiaire et sa famille, elle ne peut se faire sans un minimum de garanties. Seuls les manquements visiblement volontaires aux engagements doivent être "sanctionnés".
"De plus, dans les premiers mois du dispositif, les commissions locales risquent d'être submergées de dossiers d'attribution puis de renouvellement, sans pouvoir travailler suffisamment à la recherche de solutions d'insertion.
"Il est sage de prévoir au départ, à la fois pour l'objectif d'insertion des individus, qui demande du temps, mais aussi pour l'efficacité de la commission, des renouvellements tacites pendant les 18 premiers mois, et que ces durées soient indiquées dans la loi dans la mesure où elles sont déterminantes de l'esprit qui l'inspire."
Au-delà de ces considérations, il paraît nécessaire d'imaginer une autre sortie que l'exclusion pour les personnes n'ayant pu, au bout d'un certain temps de perception de l'allocation de RMI, parvenir à une solution,
-soit parce que les dispositifs nécessaires faisaient défaut,
- soit parce que leurs caractéristiques psychologiques et sociales rendent manifestement problématique une quelconque insertion.
En être incapable reviendrait à désigner des victimes expiatoires, des boucs émissaires, qu'on marquerait au front du signe de l'infamie, ou, comme le suggère à juste titre l'association Etudes Tsiganes, de "l'indignité à l'existence".
Car de deux choses l'une :
- ou TASE, l'hôpital, le centre d'hébergement recueilleront tout de même les exclus du RMI, mais pour un coût plus élevé que celui-ci et ce serait une politique de gribouille ;
- ou nul ne consentirait plus à secourir les intéressés et qu'adviendrait-il d'eux ?
A cela, il convient d'ajouter :
- que le meilleur moyen de mobiliser les "guichets" au service d'une politique d'insertion n'est pas de leur donner le choix entre la chasse aux mauvais pauvres et l'insertion mais de ne leur proposer que la seconde issue ;
- que vouloir insérer implique dans certains cas une véritable épreuve de force avec un candidat rebelle à l'insertion, mais que l'action sociale, c'est aussi cela et que à baisser les bras, la collectivité ne remplirait pas son rôle.
G.- Le contentieux
La mise en œuvre du revenu minimum d'insertion donnera lieu, c'est vraisemblable, à un certain nombre de litiges liés, soit à l'incertitude qui pèsera pendant un certain temps sur l'interprétation devant être donnée aux textes, soit à des réticences de certains opérateurs à appliquer la loi, même s'ils la comprennent, les bénéficiaires du revenu minimum d'insertion étant, pour une part d'entre eux, au nombre des populations qui ne suscitent pas aisément la sympathie des opérateurs administratifs et même parfois des responsables élus.
On comprend, dans ces conditions, que le projet de loi, soucieux d'éviter une prolifération du contentieux, ait songé à prévoir dans son article 23, que tout recours contentieux relatif à l'allocation de revenu minimum devrait être précédé d'un recours gracieux présenté au représentant de l'État dans le département, lequel statuerait après avis d'une commission composée de membres du conseil départemental d'insertion, au nombre desquels un fonctionnaire de l'État, et présidée par un magistrat ou une personnalité désignée par le premier président de la cour d'Appel.
Une telle formule, outre qu'elle institue une procédure fréquente en droit fiscal, mais quasiment sans précédent en droit social, présente un triple inconvénient.
Elle renvoie au décideur mieux informé le soin de réformer sa propre décision, ce à quoi aucun décideur n'est spontanément porté.
Elle institue une procédure quasi juridictionnelle (encore que ne comportant, les associations l'ont relevé, aucune référence à la possibilité pour le demandeur de se faire entendre par la commission) mais purement consultative, à la fois lourde, et d'une efficacité douteuse.
Elle risque de constituer, si la multiplication redoutée des contestations venait à se vérifier, un goulot d'étranglement dont le seul effet sera de retarder, aux dépens de l'usager dont les intérêts vitaux seront pourtant en principe en jeu, la solution des litiges.
Cette formule n'est, par conséquent, pas acceptable.
Il est de loin préférable, de façon à éviter les effets de dissuasion ou les effets dilatoires qui pourraient en résulter, de recourir à une formule à la fois plus simple, et plus expédiente : celle du médiateur, qui aura également l'avantage d'épargner à toutes sortes de médiateurs naturels, parlementaires, élus de toutes natures, la submersion qu'ils peuvent eux aussi redouter dans le cas où aucune procédure spéciale efficace n'aurait été expressément proposée aux usagers.
IV.- QUELLE INSERTION ?
A.- La gestion collective de l'insertion
Il n'aurait pas été réaliste que le texte du gouvernement se contente de poser le principe d'une liaison prestation-insertion, en vertu de laquelle le droit au RMI est subordonné à l'engagement du demandeur de suivre des actions d'insertion, sans se préoccuper de l'organisation et du financement de ces actions d'insertion.
C'est donc à juste titre que le projet de loi tente de tracer le cadre des actions d'insertion à mener en faveur des bénéficiaires du RMI et de prévoir les conditions dans lesquelles ces actions pourront être financées.
S'agissant de l'organisation collective des actions d'insertion, le schéma prévu par le gouvernement peut être résumé de la façon suivante :
-le conseil départemental d'insertion (CDI), présidé par le préfet et composé d'élus locaux et de personnes qualifiées en matière d'insertion, élabore un programme départemental d'insertion ;
- ce programme départemental d'insertion (PDI) identifie les besoins d'insertion des bénéficiaires du RMI et les possibilités offertes par les dispositifs d'insertion (existants ?).
- l'État et le département passent une convention qui, dans le respect des orientations tracées par le programme départemental d'insertion, détermine la participation financière du département aux actions d'insertion supplémentaires et les modalités de mise en œuvre de ces actions ;
-d'autres conventions peuvent éventuellement être conclues avec d'autres partenaires Ce schéma appelle plusieurs critiques :
- il paraît difficile de justifier que la présidence du conseil départemental d'insertion soit confiée au seul préfet dans la mesure où ce conseil a pour mission de définir les orientations d'une politique d'insertion dont la charge financière -en tout cas celle correspondant aux efforts supplémentaires engagés incombera pour l'essentiel au département; pour traduire cette évidence que la collaboration entre l'État et le département est une condition indispensable au succès de l'insertion, on voit mal comment ne pas envisager une co-présidence du CDI par le président du conseil général et le préfet ; (une co-présidence et non une présidence du seul président du Conseil général parce que la présence, en position de responsabilité du représentant de l'État est elle aussi indispensable en vue de mieux mobiliser un certain nombre de services publics : ANPE, AFPA, etc.)
-on est surpris d'avoir à déplorer l'absence dans les CDI et les CLI de représentants autres que ceux de l'Administration et des élus, les milieux économiques et syndicaux et les représentants du monde associatif devant aussi y avoir leur place ; il est évident qu'il faut remédier à cet oubli ;
-Aucune articulation n'est prévue entre le conseil départemental d'insertion, qui définit les besoins d'insertion des bénéficiaires du RMI, et les commissions locales d'insertion (CLI), qui assurent le suivi individuel des engagements d'insertion, alors que leur mission est de toute évidence complémentaire : il paraîtrait donc judicieux de prévoir dans la loi la participation au CDI de membres des CLI. Dans le même esprit, la répartition des CLI dans le département, qui doit être adaptée aux conditions locales, devrait être décidée par le CDI et non par le préfet. A l'intérieur d'un même département, il sera vraisemblablement nécessaire de choisir comme ressort des CLI des zones géographiques de taille différente, d'appliquer en un mot une stratégie "à géographie variable" qui tienne compte des différences de densité de population et des caractéristiques des bassins d'emploi plutôt que des vieux ressorts administratifs, cantonaux notamment. Ainsi le ressort d'une CLI pourra être aussi bien l'arrondissement que le "pays" ou encore la commune voire l'arrondissement municipal dans les très grandes villes.
- S'agissant du programme départemental d'insertion, dont il semblerait que le Gouvernement ait l'intention de lui confier le soin de déterminer, outre les actions d'insertion, les "guichets" où la demande de RMI pourrait être déposée (ce qui n'est manifestement pas la vocation que lui donne le texte et à quoi il doit de toute façon, ainsi qu'on l'a déjà indiqué, être pourvu par ailleurs), il semble qu'il faille en donner une définition moins statique : si ce programme se borne à déterminer comme le propose actuellement l'article 31 du projet, les besoins, les actions prises en charge et les moyens à mettre en œuvre pour les réaliser, il s'agit d'un recensement, non d'un programme, sans doute faut-il parler, pour le moins, des moyens à mettre en œuvre pour réaliser de nouvelles actions.
- La nature des relations qui doivent exister entre le PDI et la convention d'insertion État-département prévue à l'article 32 du projet n'est pas clairement définie, même si en l'état actuel du texte et des réflexions gouvernementales, c'est cette convention qui devrait constituer la véritable charte de l'insertion, le PDI devant au mieux tracer des objectifs d'insertion plutôt qu'encadrer étroitement la liberté contractuelle des parties. Aussi conviendrait-il d'affirmer que c'est la convention qui devra déterminer les nouvelles catégories d'actions d'insertion financées par les différents partenaires au profit des titulaires du RMI, étant entendu que ceux-ci pourront choisir d'augmenter la capacité d'actions d'insertion existantes aussi bien que de susciter des actions nouvelles.
Au-delà de ces critiques qui appellent, on l'a compris, une réécriture des articles 30, 31 et 32 du texte du projet sous-tendue par une vision claire de l'articulation des interventions des différents partenaires en présence et dynamique des actions qu'il s'agit de promouvoir plutôt que strictement bureaucratique et budgétaire, il paraît clair qu'un fonctionnement véritablement satisfaisant des stratégies départementales d'insertion impliquerait entre les partenaires qu'elles seront appelées à mobiliser, notamment entre l'État et le département, des relations placées sous le signe de l'ambition et de la confiance plutôt que sous celui de la rivalité et de la méfiance.
Or, les dispositions relatives à la participation des départements au financement de l'insertion des bénéficiaires du RMI qui sont à juste titre parmi les plus controversées du projet de loi, ne sont pas forcément de nature à pousser dans ce sens.
Ces dispositions posent en effet pour principe que la participation financière du département aux actions d'insertion (nouvellement mises en place) ne peut être inférieure au montant de la réduction des dépenses d'aide sociale légale résultant pour lui de l'institution du RMI et sept articles du projet sont consacrés à détailler les modalités selon lesquelles les départements réfractaires pourront être amenés à résipiscence. Cette démarche est au moins maladroite. Elle demande au minimum à être remise en perspective et à être "civilisée". Lui en substituer une autre présenterait incontestablement de sérieux avantages.
Tout d'abord, il est clair ou il devrait l'être, bien que le projet n'y contribue guère, que le projet de loi ne transfère aux départements ni les dépenses liées à la politique générale d'insertion ni même la totalité des dépenses relatives à l'insertion des bénéficiaires du RMI.
Il existe dans notre pays un grand nombre d'actions d'insertion déjà organisées à l'intention d'adultes en difficultés (handicapés, travailleurs immigrés, chômeurs de longue durée, femmes isolées) (cf. annexe page 84). Ces actions dont l'organisation et le financement sont assurés par l'État, seront maintenues ou développées et les titulaires du RMI pourront dans la plupart des cas en bénéficier dans les conditions de droit commun.
S'il est par ailleurs tout à fait évident que les capacités d'accueil des dispositifs d'insertion existants sont largement insuffisantes eu égard à la demande d'insertion que va créer l'application du RMI, ce n'est pas en second lieu la responsabilité financière de la totalité mais d'une partie seulement de cet effort supplémentaire qu'il s'agit de faire assumer par les départements.
L'idée est à cet égard que l'État prenant intégralement en charge le financement de la prestation, il est normal que les départements, en ce qui les concerne, fassent un effort significatif dans le domaine de l'insertion, étant entendu que cet effort ne saurait, pour l'essentiel, leur être imposé, que la liberté demeurera la règle, et que la contrainte n'interviendra qu'à titre exceptionnel, dans le cas où ils manqueraient gravement à leurs obligations.
Il en résulte que le montant de la participation financière du département aux actions nouvelles sera en principe déterminé par voie conventionnelle et qu'il n'y aura "taxation" qu'en cas de mauvaise volonté manifeste du département.
Pour que cette "taxation", qui n'est pas en soi contraire aux principes des lois de décentralisation, qui s'inspire de techniques déjà connues et n'est donc pas scandaleuse, ne se prête pas à l'accusation de l'être, il suffirait, semble-t-il, d'en préciser les règles.
Il semble notamment évident que si l'État réalise lui-même des économies sur les prestations légales d'aide sociale dont il a conservé la charge, celles-ci ne sauraient être incluses dans la participation minimale exigée du département. Encore faudrait-il le dire, ce que ne fait pas l'article 34 du projet qui, compte tenu de la généralité des termes, dit même exactement le contraire.
Il semble aussi que les économies prises en compte devraient bien sûr être les économies nettes, ce qui est important en particulier pour l'AMG, le département étant amené à prendre en charge, dans le cadre de la loi, les cotisations d'assurance personnelle des titulaires du RMI.
II semble enfin que la loi doive se prononcer sur la question de savoir si la réduction des dépenses départementales est déterminée avant ou après déduction des contingents communaux d'aide sociale.
Pour que les dispositions retenues à l'article 38 du projet, à titre d'ultime sanction contre les départements récalcitrants (versement au budget de l'État) n'apparaissent pas enfin comme une sorte de détournement de fonds par l'État aux dépens des départements et des populations défavorisées, il conviendrait que le Gouvernement prenne l'engagement, que la loi ne peut lui imposer, de réaffecter les sommes ainsi encaissées par le budget de l'État à des actions d'insertion.
Tout cela étant dit, deux questions subsistent :
- quel montant d'économies peut-on atteindre ?
- cela est-il à la mesure des enjeux ?
S'agissant des économies, on a évoqué le chiffre de 1 à 2 milliards de francs sur une addition de 7 à 9.
Ces chiffres demanderaient à être vérifiés.
Il est vraisemblable que les économies réelles se situeront très en deçà, ne serait-ce que parce que les départements continueront à assumer des charges importantes :
- au titre de la prise en charge des cotisations sociales d'assurance personnelle des bénéficiaires du RMI ;
- au titre de l'aide sociale facultative dont la mise en place du RMI ne fera pas disparaître dans beaucoup de circonstances le besoin ;
- au titre de l'aide sociale à l'enfance dont, à tout prendre, les prestations persisteront, nonobstant la mise en place du RMI, à revêtir le caractère de prestations légales et dont on aurait d'ailleurs pu se demander - mais mieux vaut ne pas l'avoir fait car cela aurait compliqué les choses- si leur mobilisation ne devrait pas être préalable à la demande d'allocation différentielle.
Il est dès lors clair que les moyens "nouveaux" susceptibles d'être dégagés au titre de l'obligation de financement mise à la charge des départements sont loin d'être à la mesure de la tâche à accomplir.
Il faudra par conséquent chercher :
- du côté des régions, compétentes, depuis la décentralisation, en matière de formation professionnelle, et qu'il y aurait, du coup, tout intérêt à nommer expressément dans le texte du projet de loi parmi les collectivités ayant vocation à financer l'insertion ;
- du côté de l'État lui-même qui, il n'est pas inutile de le répéter, est pour l'instant responsable à titre principal ainsi qu'en témoignent les compétences qui lui sont attribuées dans le cadre des textes de décentralisation et des crédits inscrits à son budget en matière d'insertion, des populations précaires et qui fera aussi, du fait du RMI, des économies sur d'autres postes budgétaires, les centres d'hébergement notamment ;
- du côté des ASSEDIC et des CAF qui seront, elles aussi, amenées à réaliser des économies (les premières sur leur fonds social, les secondes sur leur fonds d'action sanitaire et social), et dans cette mesure on peut comprendre l'irritation de certains présidents de conseils généraux d'être les seuls à être "taxés" sur leurs économies.
> :. Il serait dès lors expédient et permettrait en outre de sortir du système punitif des articles 34 à 40 du projet de loi, qui même aménagé restera peu satisfaisant, de mettre en place un fonds départemental d'insertion au financement duquel concourraient à la fois les départements, les régions, l'État, les CAF, les ASSEDIC, dans une proportion qui ne serait pas fixée par référence à telle ou telle économie, au demeurant difficile à calculer, mais par rapport à ce qui est en cause, à savoir la nécessité d'insérer un certain nombre de bénéficiaires du RMI, et par conséquent, par rapport au nombre de ceux-ci ou au volume des dépenses de prestations engendrées par leur admission au nouveau droit.
Une telle démarche peut apparaître à un certain nombre de conseils généraux plus menaçante que celle résultant du projet de loi. Elle serait, en tout cas, plus digne d'eux, de l'État et des enjeux en débat, moins tournée vers le passé, moins propice aux jeux bureaucratiques.
Aussi bien, a-t-elle su rencontrer la conviction de quelques décideurs locaux qui ont proposé en ce sens des aménagements du projet de texte. Ainsi de l'amendement proposé par le président du conseil général du Territoire de Belfort dans le texte qui suit :
"Le département est tenu d'affecter annuellement au fonds départemental d'insertion, sur ses ressources propres, un crédit qui ne peut être inférieur à 20% des sommes qui seront dépensées par l'État dans le département au titre des allocations de revenu minimum, hormis celles versées aux personnes sans domicile de secours. A cet effet, une estimation est faite chaque année en concertation avec le représentant de l'État. A défaut d'accord entre celui-ci et le département, le crédit minimum à inscrire au budget départemental est fixé par arrêté des ministres de l'intérieur, des affaires sociales et du budget, après avis de la chambre régionale des comptes territorialement compétente. Une régularisation est opérée après la fin de l'exercice, au vu des dépenses réellement faites par l'État et les ajustements éventuellement nécessaires se font dans le cadre des reports de crédits prévus à l'article 33. Les crédits du fonds départemental d'insertion constituent une dépense d'aide sociale légale et s'intègrent, à ce titre, aux contingents communaux d'aide sociale."
Il est clair qu'une telle novation dans la stratégie poursuivie impliquerait un effort du Gouvernement lui-même et non de la seule Assemblée qui se bornera à en indiquer la voie.
B.- Gestion individuelle : le contrat d'insertion
Pour conduire une insertion efficace, la seule formule constructive en même temps que respectueuse de la dignité des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion est, de toute évidence, celle du contrat fondé sur une analyse approfondie de leur situation de départ, débouchant sur la mise au point d'une stratégie personnalisée d'insertion, tenant compte à la fois de leurs possibilités, de leurs handicaps -cela devrait aller sans dire, mais ce n'est pas ce que fait le projet de loi, et il faut, par conséquent, le préciser-, de leurs souhaits en même temps que du possible, c'est-à-dire de l'offre d'insertion.
Celle-ci sera fonction :
- des caractéristiques locales du marché de l'emploi et des autres opportunités d'activités existant localement ;
-de la capacité d'accueil de l'appareil de formation compris au sens large ;
- des différentes catégories d'actions d'insertion sociale disponibles, susceptibles d'accueillir ceux des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion n'ayant pas vocation à une insertion professionnelle ou apparentée, mais seulement vocation à se voir proposer un accompagnement social.
C'est à la lumière de tous ces éléments que le contrat d'insertion devrait être établi, et régulièrement réajusté compte tenu des écarts qui auront pu être observés entre le projet et sa réalisation, lesquels écarts pourront naturellement être imputables à l'intéressé, sans qu'on doive pour autant les retenir contre lui - on ne fait pas d'insertion par l'échec -, mais pourront également être imputables aux insuffisances, aux lenteurs ou aux inadéquations de l'offre d'insertion ; auquel cas il est hors de question qu'on en fasse payer le prix à l'attributaire du RMI.
Nul ne peut, en effet, sérieusement soutenir que le développement de stratégies, même performantes, d'insertion soit de nature à transformer profondément, à brève échéance, les caractéristiques générales du marché à l'emploi, à en augmenter, sauf très marginalement, la capacité d'absorption.
Il est donc tout ce qu'il y a de plus nécessaire, pour ne pas s'exposer à de trop graves mécomptes notamment dans les relations avec l'opinion, d'éviter d'accréditer l'illusion que ces stratégies d'insertion permettront de résoudre des problèmes devant lesquels elles seront de toute évidence impuissantes :
- celui de l'équilibre général du marché de l'emploi ;
- celui de la capacité et de la volonté des entreprises et même des administrations ou des associations à socialiser, par la participation à une activité de production ou même de service, des individus peu performants ou peu qualifiés, en tout cas comparablement moins performants ou qualifiés que leurs concurrents sur le marché de l'emploi ;
- celui de la faible solvabilité, sauf intervention de financements publics ou généreux, eux-mêmes limités, de certains besoins sociaux réels mais coûteux à satisfaire (services d'aide à domicile ou en milieu sanitaire et social aux malades, personnes âgées ou handicapées), étant entendu que la conduite efficace de telles interventions implique le recours à un personnel, sinon techniquement, du moins psychologiquement qualifié et rémunéré à un niveau relativement convenable, faute de quoi il risque, serait-ce à son corps défendant, de ne fournir qu'un service dégradé.
Il faut donc se représenter la politique d'insertion possible en termes réalistes et la décrire de même.
a) Il ne saurait tout d'abord s'agir d'une politique d'insertion professionnelle que, dans au mieux, une petite moitié des cas. Ce à quoi il faut, dans les autres cas, songer est plutôt une politique d'insertion sociale ou, plus précisément, de maintien et de restauration des liens sociaux reposant à titre principal sur des actions du type :
- remise en forme sanitaire (désintoxication, soins bucco-dentaires) et psychologique ;
- lutte contre l'illettrisme ;
- entraînement aux démarches administratives, initiation à la vie culturelle ;
- aide et conseils pour l'éducation des enfants, la gestion du budget familial, la réalisation d'économies d'énergie ;
- soutien aux expériences d'entraide communautaire et d'économie d'autoconsommation (bricolages utiles, réparation de matériel domestique, travaux immobiliers d'entretien élémentaires, cuisines collectives...).
On peut mener de telles actions sur un mode novateur prenant ses distances vis-à-vis des vieux enseignements ménagers et ne comportant pas la dose excessive de contrôle social fréquemment dénoncée comme inhérente à certaines conceptions de l'économie ménagère et de la pédagogie de l'habitat.
Encore faut-il trouver des opérateurs pour y pourvoir.
b) Le problème de l'insertion professionnelle -quand elle est possible- doit lui-même être posé dans des termes renouvelés.
Il faut tout d'abord être disposé à confesser (et à agir en conséquence) que sur un marché en équilibre de sous-emploi, les personnes en situation de marginalité -au sens économiquement précis de ce terme- au regard de l'emploi, ne parviendront à échapper à la précarité qui les menace sans cesse que si on conduit à leur profit des actions longues commençant par un renforcement des aptitudes générales et débouchant sur des qualifications vraies.
Une telle stratégie a évidemment un coût en argent, en temps (celui consacré à la poursuite des itinéraires de formation qu'elle implique et celui consacré à la mise en place des capacités supplémentaires nécessaires à l'accueil des intéressés et/ou à l'écoulement des files d'attente, étant précisé qu'au problème de capacité proprement dit s'ajoute un problème d'adaptation des méthodes de formation).
Sans doute est-ce la raison pour laquelle elle a jusqu'à présent marqué le pas, en relation notamment avec la concentration des moyens des régions, après le transfert des compétences en matière de formation professionnelle, sur les formations qualifiantes de durée moyenne et avec la concentration des nouveaux moyens dégagés par l'État sur les formations courtes et d'adaptation essentiellement tournées vers les jeunes.
A cet égard, il est clair que tout en continuant à poursuivre les actions d'insertion de type maintenant traditionnel (mesures jeunes type TUC, SIVP, contrats d'adaptation et de qualification, intéressant les 25-26 ans, stages de réinsertion en alternance, PIL, TIL, PLIF, FNE femmes isolées, diverses actions concernant les autres demandeurs d'emploi de longue durée, AI, AMOF, cadre jusqu'à ce jour inutilisé), un effort doit être accompli pour en concevoir qui soient tout à la fois plus longues, plus denses, et adaptées à un public de titulaires du RMI.
La "banalisation" proposée des actions mises en place en faveur des chômeurs de longue durée apparaît de ce point de vue comme une option positive, comme toute formule tendant à diversifier et à enrichir la palette des itinéraires d'insertion.
Encore faudra-t-il parvenir à y "loger" les bénéficiaires du RMI.
En bref :
Il faut, entend-on dire plus ou moins nettement dans un certain nombre de sphères administratives, que si l'insertion ne marchait pas, le Préfet puisse cesser de payer.
C'est très précisément ce qu'il ne faut pas, le problème étant au contraire, en pareille hypothèse, de procéder à une réévaluation des stratégies mises en œuvre, sans interruption du versement de la prestation mais tout au plus en accentuant, dans certains cas, l'encadrement des efforts d'insertion entrepris.
Agir autrement serait retomber dans les errements mis en évidence par les études portant sur le fonctionnement des CLR et rouvrir la porte à des phénomènes d'exclusion.
V.- MODALITÉS D'APPLICATION AUX DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER
Le projet de loi pose le principe de l'application du RMI aux départements d'outre-mer, mais renvoie à un décret en Conseil d'État le soin d'en fixer les modalités.
On comprend que l'objet de ce décret pourrait notamment être de prévoir que le montant du RMI DOM serait calculé de telle sorte qu'il existe entre lui et le RMI métropolitain un rapport identique à celui qui existe entre le SMIC DOM et le SMIC métropolitain (soit 1 600 F pour un isolé, 800 F pour la deuxième personne du ménage et 480 F pour les suivantes).
La mise en œuvre du RMI dans les DOM soulève néanmoins un certain nombre d'autres problèmes complexes dont l'un des plus importants est naturellement de déterminer de quelle façon la mise en place de cette nouvelle prestation peut se combiner avec la réalisation de la parité sociale globale prévue par la loi de programme n° 86-1383 du 31 décembre 1986 relative au développement des départements d'outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte.
La Commission nationale d'évaluation de la parité sociale globale présidée par M. Rivierez a remis le 16 mars 1988 un rapport qui analyse les conditions dans lesquelles la parité sociale globale pourrait être mise en œuvre dans le délai de quatre ans fixé par la loi.
Après avoir évalué le coût de la parité sociale globale à 1 824,3 millions de francs pour l'année 1987, la commission a proposé une répartition entre les actions collectives supplémentaires à mettre en œuvre (220 millions) et les actions individuelles (le solde, soit 1 604,3 millions de francs), a identifié dans chaque groupe les actions et prestations à développer et a suggéré un calendrier d'application.
Dans ces conditions, il semble bien :
-que l'application simultanée du RMI DOM et du programme de M. Rivierez serait à la fois financièrement écrasante et vraisemblablement socialement inopportune ;
- que l'application préalable, dans un ordre adéquat, pas forcément celui du rapport Rivierez, de tout ou partie des mesures permettant de progresser vers la parité sociale globale permettrait en revanche de diminuer le coût pour l'État du RMI DOM, et surtout de ramener le nombre de ses bénéficiaires à un niveau moins alarmant qu'en cas d'application exclusive du RMI.
Mais il faut aussi être conscient que l'insertion dans les DOM va poser des problèmes encore plus aigus qu'en métropole, et qu'il serait parfaitement illusoire de prétendre y faire, au moins dans l'immédiat, bénéficier d'actions d'insertion une proportion très importante des attributaires du RMI à moins qu'on ne renforce très considérablement les moyens mis en œuvre. Ce qui pourrait rendre acceptable l'affectation d'une partie des ressources dégagées à un fonds d'insertion, que cette formule soit ou non retenue pour ce qui est des départements métropolitains.
Sur tout cela, on peut comprendre que le Gouvernement ait besoin de temps. Il serait cependant difficilement acceptable pour l'Assemblée de s'en remettre à lui de "faire pour le mieux", sans avoir reçu quelques informations sur la nature de ses intentions, étant entendu qu'en l'absence de renvoi à des adaptations par voie réglementaire de la législation métropolitaine, celle-ci s'applique de plein droit sur tout le territoire de la République.
VI.- LA COUVERTURE MALADIE ET LE DROIT AU LOGEMENT
A.- La couverture maladie des bénéficiaires du RMI
En théorie, toutes les personnes résidant en France ont droit à une couverture maladie au titre d'un régime obligatoire d'assurance maladie, de l'assurance personnelle, ou enfin de l'aide médicale gratuite.
Cependant, le rapport du groupe de travail sur l'accès aux soins des personnes en situation de pauvreté présidé par M. Revol a confirmé ce qu'avait permis d'entrevoir l'alerte donnée par plusieurs associations spécialisées : les procédures censées permettre la prise en charge partielle ou totale des dépenses de santé des plus démunis fonctionnent imparfaitement, ce qui aboutit parfois à priver les intéressés du droit à la protection de leur santé, reconnu par le préambule de la Constitution.
Le rapport Revol relève notamment que les personnes perdant la qualité d'assuré social d'un régime obligatoire ne sont pas systématiquement orientés vers l'assurance personnelle comme elles devraient l'être et que le recours à l'aide sociale pour la prise en charge des cotisations d'assurance personnelle ou pour l'attribution de l'aide médicale gratuite suppose une instruction longue et délicate, la mise en jeu de l'obligation alimentaire n'étant pas la moindre des difficultés rencontrées.
Il était donc particulièrement important que la question de la couverture maladie des bénéficiaires du RMI qui en sont dépourvus soit résolue de manière simple et rapide.
Le dispositif retenu par l'article 41 du projet de loi répond à ce double objectif.
S'agissant de l'affiliation à l'assurance personnelle, il la rend obligatoire pour tous les titulaires du RMI et les personnes à leur charge qui n'ont pas droit aux prestations en nature d'un régime obligatoire d'assurance maladie : cette formule extensive signifie que seront affiliées à l'assurance personnelle les personnes ayant la qualité d'assuré d'un régime d'assurance maladie mais n'ayant pas droit aux prestations de ce régime, par exemple parce qu'elles ne sont pas à jour de leurs cotisations ou qu'elles ne justifient pas d'une durée d'activité suffisante.
S'agissant des cotisations, le projet de loi opte pour une prise en charge de plein droit sans intervention de l'obligation alimentaire, ni d'une quelconque procédure d'admission par les commissions d'aide sociale, les services responsables de la gestion de l'AMG ayant seulement à procéder aux formalités matérielles et financières correspondantes, indépendamment de toute décision de prise en charge de ces commissions. Le financement des cotisations incombe au département dans lequel a été accordée l'allocation, étant précisé que la charge correspondante vient en déduction de la réduction des dépenses d'aide sociale légale servant de référence pour le calcul de la participation minimale au financement des actions d'insertion exigée des départements.
Ce mode d'imputation des dépenses de cotisations d'assurance personnelle a le mérite de la simplicité. Il est cependant clair qu'il se superpose au critère de droit commun régissant la répartition de la charge des dépenses d'aide sociale légale entre les départements : celui du domicile de secours. Puisque l'attribution du RMI ne passe pas, on l'a déjà indiqué, par l'identification d'un domicile de secours, et que les mécanismes de domiciliation précisés par l'article 12 du projet de loi introduisent une possibilité de glissement géographique de certaines populations, il se peut, à ce compte, qu'un département soit amené à prendre en charge les cotisations d'assurance personnelle d'un attributaire du RMI qui a son domicile de secours dans un autre département.
Telle est la logique du système. Il faut l'assumer, car on voit mal comment y échapper, mais une fois pour toutes, afin d'éviter les litiges dont l'usager ferait les frais.
Dans cette perspective peut-être l'évaluation des trois premières années de fonctionnement du RMI pourrait-elle s'accompagner d'une évaluation des problèmes posés par le mode d'imputation de certaines dépenses d'aide sociale et de la recherche de critères plus homogènes, plus faciles à mettre en œuvre et plus propices à des rapports plus sereins entre les parties.
Il était naturellement important qu'en cas de cessation de versement de l'allocation de RMI, aucune discontinuité n'intervienne dans la couverture maladie. Dans cette perspective, l'article 41 du projet de loi prévoit que la prise en charge de plein droit des cotisations de l'ex- attributaire du RMI est maintenue jusqu'à ce qu'il soit à nouveau statué dans les conditions de droit commun sur les droits de l'intéressé à la prise en charge de ses cotisations par l'aide sociale.
De tout cela, il résulte clairement que le jeu combiné des dispositions des articles 41 et 21 - 1° du projet de loi produirait, si on laissait ces dispositions en l'état, des effets particulièrement malheureux, car il conduirait à priver du bénéfice et de l'allocation de RMI, et donc de l'affiliation de plein droit à l'assurance personnelle avec prise en charge des cotisations par l'AMG, non alimentaire, ni d'une quelconque procédure d'admission par les commissions d'aide sociale, les services responsables de la gestion de l'AMG ayant seulement à procéder aux formalités matérielles et financières correspondantes, indépendamment de toute décision de prise en charge de ces commissions. Le financement des cotisations incombe au département dans lequel a été accordée l'allocation, étant précisé que la charge correspondante vient en déduction de la réduction des dépenses d'aide sociale légale servant de référence pour le calcul de la participation minimale au financement des actions d'insertion exigée des départements.
Ce mode d'imputation des dépenses de cotisations d'assurance personnelle a le mérite de la simplicité. Il est cependant clair qu'il se superpose au critère de droit commun régissant la répartition de la charge des dépenses d'aide sociale légale entre les départements : celui du domicile de secours. Puisque l'attribution du RMI ne passe pas, on l'a déjà indiqué, par l'identification d'un domicile de secours, et que les mécanismes de domiciliation précisés par l'article 12 du projet de loi introduisent une possibilité de glissement géographique de certaines populations, il se peut, à ce compte, qu'un département soit amené à prendre en charge les cotisations d'assurance personnelle d'un attributaire du RMI qui a son domicile de secours dans un autre département.
Telle est la logique du système. Il faut l'assumer, car on voit mal comment y échapper, mais une fois pour toutes, afin d'éviter les litiges dont l'usager ferait les frais.
Dans cette perspective peut-être l'évaluation des trois premières années de fonctionnement du RMI pourrait-elle s'accompagner d'une évaluation des problèmes posés par le mode d'imputation de certaines dépenses d'aide sociale et de la recherche de critères plus homogènes, plus faciles à mettre en œuvre et plus propices à des rapports plus sereins entre les parties.
Il était naturellement important qu'en cas de cessation de versement de l'allocation de RMI, aucune discontinuité n'intervienne dans la couverture maladie. Dans cette perspective, l'article 41 du projet de loi prévoit que la prise en charge de plein droit des cotisations de l'ex- attributaire du RMI est maintenue jusqu'à ce qu'il soit à nouveau statué dans les conditions de droit commun sur les droits de l'intéressé à la prise en charge de ses cotisations par l'aide sociale.
De tout cela, il résulte clairement que le jeu combiné des dispositions des articles 41 et 21 - 1° du projet de loi produirait, si on laissait ces dispositions en l'état, des effets particulièrement malheureux, car il conduirait à priver du bénéfice et de l'allocation de RMI, et donc de l'affiliation de plein droit à l'assurance personnelle avec prise en charge des cotisations par l'AMG, non seulement les membres de tous les ménages que l'imputation partielle des aides au logement sur le revenu minimum que l'article 3 du projet de loi et ses textes d'application feront tomber au-dessous du seuil de garantie, mais aussi ceux qui n'auraient pas plus de 100 F à percevoir.
On a déjà indiqué les autres raisons qui militent en faveur de la suppression de l'article 21 - 1°. Si par malheur elles n'étaient pas entendues, il est clair qu'il faudrait préciser, à l'article 41, que le non versement de l'allocation différentielle n'équivaut pas (ce qui va sans dire mais va encore mieux en le disant) à une non ouverture du droit et n'exclut donc pas l'attribution du bénéfice de la couverture sociale.
B.- Le droit au logement
Pour garantir le droit à l'habitat des personnes les plus démunies, deux types d'action sont concevables, ainsi que le note justement le rapport présenté en mai 1986 par Daniel Pétrequin au Conseil économique et social sur "le logement des personnes à faibles ressources" :
- assurer à chacun un revenu lui permettant de se loger sans aide particulière ;
- prendre des mesures spécifiques en matière de logement ou d'habitat et plus particulièrement d'aides à la personne en vue de permettre à chacun, compte tenu du niveau de ses revenus et de celui des loyers, de se procurer un logement.
L'institution du RMI ne peut, en raison de la faiblesse de son montant, certainement pas correspondre à la première solution. Elle doit donc être complétée par des mesures spécifiques. C'est sous ces auspices que la plupart des associations, de même que le mouvement familial et les organisations syndicales qui se sont prononcées sur le sujet ont pris position en faveur de l'exclusion des aides au logement des ressources prises en compte pour le calcul de l'allocation de RMI.
La question de l'imputation ou de la non imputation de tout ou partie des aides au logement sur les 2 000 F, 1 000 F et 600 F annoncés n'épuise cependant pas le sujet. La question du cumul ou du non-cumul du RMI et des aides au logement ne peut, par définition, concerner que les personnes bénéficiaires d'une aide au logement.
Or, tous les ménages à faibles ressources n'ont, de fait, pas accès aux allocations logement.
L'allocation logement à caractère familial est pour sa part réservée à quatre catégories de personnes :
- les bénéficiaires de l'une des prestations familiales existantes ;
- les ménages ou personnes qui n'ont pas droit à ces prestations, mais ont un enfant à charge ;
- les jeunes ménages sans enfant, mariés depuis moins de 5 ans et dont les âges cumulés des deux conjoints n'avaient pas atteint 40 ans au moment du mariage ;
-les ménages ou personnes ayant à leur charge un ascendant, descendant ou collatéral atteint d'une infirmité au moins égale à 80 %.
Trois catégories de personnes ouvrent droit à l'allocation à caractère social :
- les personnes âgées de plus de 65 ans ou de 60 ans en cas d'inaptitude au travail et pour les titulaires de la carte de déporté, interné politique ou résistant ;
- les personnes atteintes d'une infirmité au moins égale à 80 % ou reconnues inaptes au travail par une COTOREP ;
- les jeunes de moins de 25 ans exerçant une activité salariée occupant un logement indépendant.
L'aide personnalisée au logement, enfin, a été conçue de façon moins restrictive, plus solvabilisatrice que les allocations logement, mais elle n'intéressait jusqu'à présent que les logements neufs ou réhabilités.
C'est ainsi que quelque 150 000 ménages (dont semble-t-il quelque 60 000 candidats au RMI) sont jusqu'à présent exclus de toute aide.
Le nouveau régime des aides au logement issu de la réforme du conventionnement du parc social (art. 107 de la loi de finances pour 1988) a en principe programmé le "bouclage" d'ici 4 ans des aides à la personne dans le parc locatif social.
Tous les occupants du parc locatif social pourraient ainsi bénéficier d'une même aide à la personne, sous seule condition de revenu.
II est :
1) urgent de mener à bien -il faudrait à vrai dire accélérer- cette réforme ;
2) absolument nécessaire de l'étendre au parc non social où sont logés de nombreuses personnes en situation précaire.
Il serait extrêmement souhaitable que le gouvernement puisse prendre des engagements à ce sujet.
Car si 1 650 F pour un isolé, 2 330 F pour un couple, 2 800 F pour un couple avec un enfant, etc., charges de logement payées sont peu, 2 000 F, 3 000 F, 3 600 F, charges de logement non payées sont tout à fait clairement sans rapport avec quelque notion de minimum garanti que ce soit, si modestement comprise soit elle.
Pour conclure :
Les principales objections tirées des risques de dérive, par la création du RMI, vers une législation sociale à deux vitesses paraissent provisoirement surmontées.
Il est clair qu'elles ne tarderont pas à ressurgir, si l'expérience tendait à donner raison aux pessimistes. Ce serait le cas si les nombreuses catégories de personnes dont la situation appelle une couverture sociale spécifique, mais n'en bénéficient pas ou en ont seulement une très défaillante, se voyaient définitivement renvoyés, pour régler leur problème, aux seules possibilités offertes par le RMI. Entrent dans cette catégorie pour qui le RMI va dans un premier temps apporter comme un ballon d'oxygène, mais pourrait bientôt apparaître comme un ghetto :
- les retraités non inaptes de plus de 60 ans et moins de 65 ans ne bénéficiant que d'une retraite très faible ;
- certains chômeurs de longue durée sans droits ou ayant perdu leurs droits (y compris les saisonniers) ;
- les demandeurs d'emploi, anciens membres des professions non salariées ;
- les veuves jeunes, n'ayant pas droit ou ayant épuisé leurs droits à l'assurance-veuvage et ne disposant d'aucune autre ressource.
Aussi bien, paraît-il nécessaire que le Gouvernement prenne, à l'occasion du débat sur le projet de loi un certain nombre d'engagements faisant ressortir sa détermination de dégager dans chacun de ces domaines des solutions adaptées aux problèmes posés et que le RMI ne peut pas, à lui seul, résoudre.
Reste que pour tous ceux dont le RMI est appelé à résoudre durablement ou temporairement les problèmes, sa mise en application apparaît comme une urgence. Il conviendrait donc d'obtenir des engagements sur le calendrier envisagé. A compter de quand peut-on prévoir régler les premières allocations différentielles, premiers acomptes ou premiers versements sur droits supposés (et précisément y aura-t-il des versements sur droits supposés ?) Y aura-t-il par ailleurs, si le dispositif n'est pas en place avant l'hiver, reconduction et sous quels aménagements des plans pauvreté-précarité ?
Récapitulation des actions d'insertion déjà organisées à l'intention d'adultes en difficulté
Handicapés adultes
- Centres de pré-orientation
- Equipes de préparation et de suite au reclassement (EPSR)
- Centre de rééducation professionnelle (CPR)
- Centres d'aides par le travail (CAT)
- Ateliers protégés
- Aides à l'aménagement du poste de travail et à la compensation des charges supplémentaires d'encadrement
- Primes aux employeurs engageant des apprentis handicapés
- Contrats de rééducation professionnelle
- Contrats individuels d'adaptation professionnelle
- Contrats d'insertion professionnelle pluriannuels États-entreprises
- Actions financées par le Fonds de développement pour l'insertion professionnelle des handicapés (FDIPII).
Travailleurs immigrés
- Actions du Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles (FAS) visant à faciliter l'accès des immigrés aux filières traditionnelles de formation en compensant les surcoûts occasionnés par la mise en place d'un soutien spécifique. Sont concernés : les stages de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), les formations financées par le Fonds national de l'emploi (FNE) et les stages modulaires de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE),
- Stages spécifiques de préformation professionnelle financés par le FAS.
Chômeurs de longue durée
- Stages modulaires de l'ANPE
- Stages "demandeurs d'emploi de longue durée" du FNE
- Stages de réinsertion en alternance (SRA)
- Contrats de réinsertion en alternance (CRA)
- Stages de mise à niveau (SMAN)
- Programmes d'insertion locale (PIL)
- Compléments locaux de ressources (CLR).
Femmes seules
- Stages FNE "femmes isolées"
- Programmes locaux pour l'insertion des femmes isolées (PLIF).
1 Solidarité - Santé - Études statistiques n" 2 - 1987 - Guy Janvier "Les interventions spécifiques de l'État en faveur des personnes en situation de pauvreté et de précarité."
2 Réponse de Mme le Ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, porte-parole du Gouvernement à une question de M. Jacques Barrot - Questions écrites - Assemblée Nationale - 27 janvier 1986 p. 302-303.
3 Documents du Centre d'étude des revenus et des coûts -n° 88 - 1er trimestre 1988 "protection sociale et pauvreté"
4 Centre de Recherche pour l'Etude et l'Observation des Conditions de Vie -Chroniques du CREDOC n° 25 - janvier 1988 "Le revenu minimum garanti à l'épreuve des expériences locales ".
5 Chroniques du CREDOC - n° 13 - octobre 1986 Pauvreté et politiques sociales dans la CEE et aux États-Unis.
6 Bernard Gazier "Fondements de la protection sociale et revenu minimum garanti " - Revue française des affaires sanitaires et sociales - n° 2 - Avril-Juin 1988.