Application de la loi du 19 janvier 2000
relative à la réduction négociée du temps de travail

Communication à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales
le 7 février 2001

M. Gaëtan GORCE, rapporteur,
Député de la Nièvre

INTRODUCTION

1. Les objectifs assignés à l'aménagement et à la réduction du temps de travail (ARTT) sont, dans l'ensemble, en passe d'être atteints.

Deux ans et demi après le vote de la première loi, et presque un an jour pour jour après l’entrée en vigueur de la seconde, force est de constater que les objectifs initiaux assignés au processus d'aménagement et de réduction du temps de travail sont en passe dans l'ensemble d'être atteints.

Si l’on se réfère au précédent rapport, de mars 1999, le bilan qu'il est aujourd'hui possible de dresser recoupe assez largement les perspectives tracées alors :

  • La mise en œuvre des trente-cinq heures a tout d'abord permis d'enclencher une dynamique de négociation sans précédent, dans toutes les branches, dans tous les secteurs d'activité et sur l'ensemble du territoire, quelle que soit la taille des entreprises. On est passé de 1 055 accords signés au 16 décembre 1998 à 21 569 accords signés fin 1999 pour 49 451 accords au 24 janvier 2001 couvrant ainsi 4,9 millions de salariés, soit à peu près la moitié de ceux concernés à terme par la nouvelle durée légale. Comment ne pas relever qu'une loi présentée le plus souvent par ses détracteurs comme un acte d'autorité a, en réalité, constitué un formidable encouragement au développement du dialogue social et à la négociation d'entreprise notamment par le biais du mandatement dans les plus petits établissements ? On n'a d'ailleurs pas fini à cet égard de mesurer les conséquences de la loi sur des sujets aussi essentiels que la représentativité des organisations syndicales ou la représentation des personnels dans les entreprises.
  • Nul ne conteste plus par ailleurs l'effet exercé par la réduction du temps de travail sur les créations d'emplois. Le rapport de mars 1999 tablait sur environ 250 000 emplois à l'échéance du 1er janvier 2002 : nous en sommes au 1er janvier 2001 à 230 000 emplois créés auxquels il convient d'ajouter 32 600 emplois préservés dans le cadre d’accords défensifs. Les économistes s'accordent aujourd'hui pour reconnaître la contribution de la réduction du temps de travail à la création record d'emplois enregistrée depuis 1997 : plus d'un million cent mille emplois marchands non agricoles c'est à dire un rythme plus élevé que celui enregistré au plus fort des Trente Glorieuses. Le récent rapport de M. Jean Pisani-Ferry nous apporte un éclairage intéressant en comparant les deux périodes de croissance forte qu'a connues notre pays : la fin des années 80 (87/89) et celle des années 90 (97/99) au cours de laquelle 330 000 emplois ont été créés alors que la croissance était plus faible de près d'un point. Il souligne l’importance de " l’effet trente-cinq heures " dans cet enrichissement de la croissance en emplois.
  • Enfin, le passage aux trente-cinq heures s'est accompagné pour les salariés d'une amélioration significative de leurs conditions de vie, en particulier d'un gain réel de temps libre : là encore, les sondages effectués tant auprès des personnels que des chefs d'entreprises traduisent une satisfaction réelle que l'on retrouve très largement dans l'ensemble de l'opinion. Reconnaissons cependant, à cet égard, que la société dans son ensemble ne s'est peut-être pas encore adaptée à cette situation nouvelle : un bouleversement des temps loisirs et un développement des vacances courtes mais aussi une aspiration à une organisation des temps sociaux (coordination des horaires des services et en particulier du service public) ; enfin, il existe un risque d'intensification du travail lié aux défaillances de la négociation.

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En somme, s'agissant des trente-cinq heures, le passage du débat théorique à la pratique sociale a débarrassé le processus d'aménagement et de réduction du temps de travail de son halo d'interrogations, voire d'inquiétudes. Est symptomatique de ce changement de climat l'évolution des réflexions menées par des économistes et juristes telles que répercutées dans le dossier " Premiers effets des trente-cinq heures " du numéro de la revue Travail – Emploi de juillet 2000.

Soulignons cependant un point essentiel : l'efficacité de la réduction du temps de travail en terme d'emplois comme d'organisation est d'autant plus forte dans les entreprises qu'elle s'inscrit dans un projet global de développement de l'activité. Autrement dit, la réduction du temps de travail peut être une chance pour ceux qui décident de la conduire comme une opportunité de réviser leur organisation et leur stratégie en se projetant dans l'avenir. A l'opposé, à ne retenir que l'aspect " contraignant ", en refusant de l'inscrire dans une dynamique économique et sociale, certains chefs d'entreprise courent le risque de difficultés ultérieures révélatrices autant de leurs doutes ou des dysfonctionnements de leur organisation que des effets des trente-cinq heures.

2. Le débat s'est progressivement déplacé vers les relations complexes qu'entretiennent la réduction du temps de travail et la croissance dans un contexte de forte expansion.

Le mouvement de réduction du temps de travail est désormais puissamment engagé. Selon les sources URSSAF à la fin 2000, la réduction du temps de travail touche 43 000 entreprises correspondant à 102 000 établissements et 4,9 millions de salariés (étant entendu qu'il ne s'agit que des entreprises bénéficiant des allègements dans le cadre de la loi du 19 janvier 2001).

La mise en œuvre des trente-cinq heures a alimenté, au cours de l’année 2000, un débat relativement vif, certains observateurs estimant que la réduction du temps de travail avait pour effet de brider la croissance, soit en limitant le pouvoir d’achat des salariés et en exerçant ainsi un effet restrictif sur la consommation, soit en faisant diminuer le volume d’heures travaillées par l’effet conjugué du plafonnement des heures supplémentaires et des difficultés de recrutement annoncées, empêchant ainsi les entreprises de répondre à une demande en forte hausse du fait de l’expansion économique. Là encore, ces réserves ont été démenties par les faits.

S'agissant des salaires et du pouvoir d'achat, observons tout d'abord que la crainte des trente-cinq heures payées trente-cinq n’a pas été confirmée. Selon une étude de la DARES de novembre 2000, 92 % des entreprises ayant conclu un accord ont compensé intégralement l’effet de la réduction du temps de travail sur les salaires qui sont donc restés stables. 4 % des entreprises concernées n’ont compensé que partiellement le passage aux trente-cinq heures. La réduction du temps de travail est effectivement associée à une modération salariale dans de nombreux cas, mais cette modération est limitée dans le temps. Elle a par ailleurs été accompagnée par un fort mouvement de création d’emplois se traduisant par une augmentation de la masse salariale dans la valeur ajoutée. Enfin, le tassement du pouvoir d’achat du salaire mensuel de base observé fin 2000 a été plus que compensé par la baisse concomitante des prélèvements. Dès lors, loin de freiner la consommation des ménages, la réduction du temps de travail a au contraire contribué au rétablissement de la confiance économique en favorisant un nouveau partage de la hausse de la valeur ajoutée en faveur de l'emploi.

S'agissant ensuite du volume d'heures travaillées, les études menées sur ces questions montrent de la façon la plus claire qu’il n’y a pas de baisse du volume d’heures travaillées. Selon une étude de la DARES, le nombre d’heures travaillées par les salariés dans les secteurs concurrentiels non agricoles a progressé de 0,3 % au cours du premier semestre de l’année 2000 et est en hausse continue depuis 1997. Au début de l’année 2000, les gains de productivité horaire, résultant de l’évolution du PIB et de la hausse des heures travaillées progressent d’environ 2,5 % en croissance annuelle, soit un rythme équivalent à celui de 1999.

Par ailleurs, la notion de difficultés de recrutement reste éminemment subjective : il n’existe aucun lien direct entre la réduction du temps de travail et les difficultés de recrutement. Une étude du ministère de l’emploi et de la solidarité d’octobre 2000 portant sur les liens entre la réduction du temps de travail et les difficultés de recrutement rappelle qu’il n’existe pas nécessairement de contradictions entre le fait de chercher à réduire certaines difficultés de recrutement et le fait de vouloir mettre en place des horaires hebdomadaires moins lourds. En négociant une réduction du temps de travail, les employeurs tendent à améliorer l’image de certaines professions aux conditions de travail difficiles (dans le BTP, dans les métiers du transport routier, de l’hôtellerie et de la restauration). Cela peut créer un effet d’appel vers des professions considérées aujourd’hui comme peu attractives.

En réalité, cette question traduit plutôt la difficulté des acteurs économiques et sociaux à adapter leurs politiques d'emploi à un contexte de forte expansion. Les difficultés observées ne pourront ainsi trouver leur solution qu'autour d'un ensemble coordonné d'initiatives :

  • D'abord, une évolution en profondeur des stratégies de recrutement des entrepreneurs liée à un appui renforcé du service public de l'emploi. L'Agence nationale pour l’emploi (ANPE) doit, à cet égard, poursuivre sa nouvelle orientation visant à agir désormais autant, sinon plus, sur l'offre que sur la demande d'emploi, contribuant à redéfinir les profils de poste et associant une Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) plus réactive, aux actions d'adaptation.
  • Ensuite, l'encouragement à une plus grande fluidité du marché du travail, c'est à dire, à la reconnaissance du droit à la promotion sociale, en facilitant le reclassement de salariés ayant accepté, par la contrainte de la crise, des emplois ne correspondant ni à leurs attentes ni à leur qualification.
  • Enfin, l'engagement d'un véritable processus de négociation sur les conditions de travail, les salaires et la formation dans les secteurs professionnels les plus touchés. Il est clair que si les organisations professionnelles ne prennent pas l'initiative, encouragée par l'Etat, d'une mise à plat de leurs dispositions contractuelles, elles s'exposent à ne pouvoir répondre aux attentes de leurs salariés, ou à leurs besoins propres, qu'à travers la satisfaction de revendications salariales susceptibles de se radicaliser progressivement.

3. Le véritable enjeu concerne désormais le passage progressif des très petites entreprises (TPE) aux trente-cinq heures.

La question centrale est bien aujourd'hui celle de la réduction du temps de travail dans les très petites entreprises de 20 salariés et moins. Dans le souci de prendre en compte la spécificité de ces entreprises, le législateur leur a donné un délai de quatre années à compter de l'entrée en vigueur de la deuxième loi et de près de cinq ans et demi si l'on prend pour référence la première loi du 13 juin 1998.

L'échéance du 1er janvier 2002 ne peut donc être présentée comme un couperet. Elle constitue cependant une nouvelle étape qu'il importe de franchir dans les meilleures conditions possibles.

Il est normal, et même tout à fait nécessaire, que les pouvoirs publics, les organisations professionnelles et syndicales réfléchissent aujourd'hui à la situation particulière de ces établissements et utilisent les mois qui viennent pour répondre aux interrogations, aux attentes voire aux craintes des entrepreneurs.

S'il ne peut en effet être question (et leurs organisations repoussent d'ailleurs elles-même totalement cette perspective) de reporter l'échéance, il est néanmoins souhaitable de l'aborder en restant très attentif aux préoccupations des TPE pour trois raisons :
- d'abord, en raison de leur taille qui les prive souvent des moyens d'analyse, d'expertise susceptibles de favoriser l'adaptation de leur organisation ;
- ensuite, en raison de leur nombre, c'est-à-dire de la diversité des situations à traiter qui réduit la pertinence des mécanismes d'appui-conseil ;
- enfin, en raison de la forte implication personnelle de leurs dirigeants qui, sollicités par la gestion quotidienne de leurs affaires, sont tentés, sinon contraints, de retarder le moment où il leur faudra envisager la mise en place de l'aménagement de la réduction du temps de travail.

Plus largement, l'ARTT dans les TPE pose le problème du dialogue social dans ces entreprises le plus souvent dépourvues de toute représentation du personnel, rétives à la présence syndicale, soumises enfin à une concurrence et à une pression de la clientèle qui les conduisent à adopter parfois une attitude de souplesse à l'égard de certaines réglementations (en particulier s'agissant des heures supplémentaires).

Relever les défis de l'ARTT pour les TPE n'est pas, comme le prétendent certains, les obliger à entrer dans le carcan de nouveaux horaires, mais leur permettre de saisir l'opportunité offerte par l'ARTT de préparer l'entrée dans une ère de croissance nouvelle.

I – Même si de nombreuses très petites entreprises sont dejà passées à trente-cinq heures, l'immense majorité ne s'engagera dans le processus de réduction du temps de travail qu'à partir du 1er janvier 2002.

  1. Les TPE ont, dès la mise en place de la loi du 13 juin 1998, joué un rôle dynamique, plusieurs milliers s'engageant rapidement dans le processus de réduction du temps de travail.
  2. Ainsi, dans son premier rapport présenté en mars 1999, le rapporteur observait déjà qu'entre juin et décembre 98 " près de 9 signatures sur 10 ont lieu au niveau des TPE ". Le second rapport présenté en juin dressait le constat que " les entreprises signataires d'accords (60 000 à cette date) sont pour 45 % d'entre elles des entreprises de moins de 20 salariés qui ne sont pas tenues de réduire la durée du travail avant le 1er janvier 2002 ".

    Ce mouvement, depuis lors, ne s'est pas interrompu, bien au contraire : une étude de l'ACOSS souligne qu'à la fin octobre 2000 la réduction du temps de travail touchait plus de 16 656 entreprises de 20 salariés et moins (pour 141 188 salariés) et que celles-ci représentaient 38,8 % des entreprises passées à trente-cinq heures selon d'ailleurs un rythme continu (plus 23 % entre juillet et octobre 2000 par exemple). Il convient de noter la très forte représentation des entreprises de service dans cet ensemble, suivies par celles de la construction.

  3. Pour autant, la très grande majorité des TPE ne s'engagera qu'à partir de cette année ou du 1er janvier 2002.

Rapportées au nombre total d'entreprises de 20 salariés et moins, celles passées à trente-cinq heures ne représentent en effet que 1,2 % de l'ensemble et 2,8 % des effectifs pour 3,8 % de l'assiette salariale. Certes, cette moyenne masque des dynamiques différentes selon les secteurs : supérieure dans les services financiers (5,2 % du total dans les entreprises du secteur et 11,3 % des effectifs), l'énergie (4,6 et 7,7 %) ; inférieure dans le commerce par exemple (1,1 % et 2,3 %) ou les services aux particuliers (0,6 % et 1,3 %). C'est dire le chemin qu'il reste à parcourir.

II – Si l'ARTT dans les TPE suscite des difficultés particulières, la solution ne réside pas dans le report de l'échéance du 1er janvier 2002 ou dans une révision de la législation applicable.

On l’a vu, seules 2 à 3 % des quelque 1,7 millions de TPE sont passées aux trente-cinq heures à ce jour et seulement 11 à 12 % des salariés de ces entreprises bénéficient d’une réduction de leur temps de travail. Cela s’explique par trois grands facteurs : la grande méconnaissance du contenu de la loi, le fait que ces entreprises sont soumises à des contraintes particulières et l’insuffisance des relais locaux et techniques. Le report de l’application de la loi ou l’allongement de la période d’adaptation ne constitue pas une solution à ces difficultés.

A.- Les TPE sont soumises à des contraintes humaines, organisationnelles, financières spécifiques qu'il convient de prendre en compte.

Un ensemble de facteurs se mêlent dans bien des cas pour rendre la perspective du passage aux trente-cinq heures a priori complexe. L'ARTT joue ici comme un révélateur ou un point de focalisation de tendances déjà anciennes. L'embauche d'un nouveau salarié peut être nécessaire pour maintenir les horaires d'ouverture ou le niveau de chiffre d'affaires. Elle peut alors se heurter à des difficultés de recrutement ou même de financement qui supposent une stratégie de croissance ou de développement dans laquelle certaines entreprises peuvent hésiter à s'engager.

1) Les contraintes humaines

·  Une polyvalence difficile à mettre en œuvre

Un des effets de la réduction du temps de travail est de favoriser, notamment dans les grandes structures, des efforts dans le sens de la polyvalence des salariés. Ceux-ci sont de plus en plus souvent amenés à développer leurs compétences dans différents secteurs de l’entreprise afin de remplacer à tour de rôle leurs collègues absents pour cause de prise de jours ou de demi-journées de réduction du temps de travail. Cette faculté est plus difficile à mettre en place dans les petites structures dans lesquelles chaque salarié détient une responsabilité bien particulière (exemple caractéristique de la boulangerie où la personne qui sert les clients ne peut pas remplacer celle chargée de la confection du pain). Dans certaines très petites entreprises, la polyvalence des salariés peut ainsi se heurter à des impossibilités techniques réelles.

·  Des difficultés de recrutement qui constituent un mal récurrent pour les TPE.

Les chefs des très petites entreprises, notamment dans le monde de l’artisanat et le petit commerce, évoquent de façon croissante les difficultés de recrutement de salariés suffisamment qualifiés et disponibles sur le marché du travail pour assumer des tâches requérant des compétences spécifiques ou des savoir-faire difficiles et longs à acquérir.

Cette situation n'est pas nouvelle. Elle a, en revanche, été accentuée, non pas tant par la RTT, que par la relance de l'activité économique et la baisse du chômage. Lorsqu’on interroge un responsable d’entreprise et qu’on lui demande s’il a des difficultés de recrutement en lui donnant pour seul choix une réponse affirmative ou négative, il est évident que des phénomènes de mémoire jouent. Un responsable du recrutement qui se souvient de la situation qui prévalait il y a encore quelques années, lorsque, instantanément, toutes les qualifications étaient disponibles du jour au lendemain dans toutes les localisations possibles, aura évidemment tendance à considérer que la situation, aujourd’hui, est devenue plus difficile.

Cette situation ne peut par ailleurs être séparée des conditions de travail et de salaires proposées. Certains secteurs ont beaucoup tardé à se moderniser : le dialogue social y est souvent inexistant ou difficile et les conditions de travail parfois particulièrement pénibles. Dans un tel contexte, alors que la reprise de l’activité se fait plus forte, il n’est pas surprenant que les salariés, autrefois contraints d’accepter ce type de postes, s’en détournent aujourd’hui.

Enfin, les difficultés de recrutement sont parfois dues à une inadéquation temporaire entre l’offre et la demande sur les marchés locaux que seules des actions de formation personnalisées au plus près des besoins des entreprises sont susceptibles de pallier.

Les entreprises doivent par ailleurs admettre que le recrutement d’un nouveau salarié suppose un temps et donc des coûts de formation incontournables. Il en va de l’avenir de l’entreprise elle-même : elle doit être capable de développer en son sein les compétences des salariés déjà en poste et d’adapter celles des nouveaux arrivés.

D'une certaine manière, la réduction du temps de travail peut au contraire permettre d'apporter une première forme de réponse à ces difficultés : ainsi, ce restaurant de Limoges qui a fait le choix de la RTT en 1999 pour fidéliser son personnel.

b) Les contraintes organisationnelles

La réduction du temps de travail requiert une capacité à imaginer de nouvelles formes d’organisation du travail. Les effets d’échelle pouvant être attendus d’une réorganisation plus rationnelle des tâches sont sans doute plus restreints au sein de très petites structures dans lesquelles les marges d’action semblent a priori plus réduites. Il convient toutefois de nuancer ces propos, les gains de productivité pouvant être obtenus quelle que soit la taille de l’unité considérée.

Il est exact que le processus de mise en place de la réduction du temps de travail nécessite une capacité d’expertise qui est souvent absente des très petites entreprises. Cependant, ces entreprises n’ont pas été confrontées à cette situation sans aide. Au contraire, les actions d’appui-conseil ont été mises en œuvre afin d’aider les entreprises à repenser leur organisation selon des procédés et des logiques que les chefs d’entreprise ne concevraient pas spontanément dans certains cas. Toutefois, le système actuel présente certaines limites. C’est la raison pour laquelle le rapporteur propose la mise sur pied d’un service d’ingénierie et d’expertise adapté aux très petites entreprises.

c) Les contraintes financières

Bon nombre d’employeurs de petites structures considèrent que la réduction du temps de travail représente nécessairement une démarche coûteuse pour leur entreprise. Ils craignent que l’expérience soit risquée et se solde, à court terme, par une diminution des performances de leur société.

D’une manière générale, il est exact que plus l’intensité capitalistique d’une entreprise est élevée, moins la réduction du temps de travail s’avérera coûteuse car la création de la valeur n’est pas uniquement dépendante de la main d’œuvre. Ceci étant, même dans les petites entreprises de faible intensité capitalistique, le coût de la réduction du temps de travail, notamment en cas de maintien des salaires antérieurs, peut être absorbé par les allègements de cotisations sociales Le coût sera également limité voire sur-compensé par la création de nouvelles activités à l'instar de ce garage, par exemple, qui a mis en place un service de réparation innovant ou de cette boulangerie qui a développé ses ventes à domicile.

B.- Ni le report de l'échéance du 1er janvier 2002 ni la révision de la législation ne constituent une réponse appropriée à ces difficultés.

Les différents acteurs ont intégré le fait que l’application de la réduction du temps de travail allait devenir une réalité. L’adoption des deux lois sur les trente-cinq heures est un fait irréversible aux yeux de tous. Il est frappant d'observer que le report des dispositions votées n'est nullement souhaité par les organisation professionnelles représentatives de ces secteurs d'activité qui considèrent qu'il ne constituerait pas une réponse adaptée aux préoccupations soulevées.

Les représentants d’organisations patronales – le MEDEF, l’UPA, la CGPME notamment – auditionnés par le rapporteur au cours du moisde janvier 2001, ont ainsi définitivement pris acte, et de façon non équivoque, de l’adoption de la loi du 19 janvier 2000. Témoigne par exemple de cette évolution le document rédigé le 23 novembre 2000 par l’Union professionnelle artisanale (UPA) à l’intention du rapporteur, qui commence ainsi : " L’artisanat a clairement exprimé ses craintes, à l’occasion des débats sur les lois relatives aux trente-cinq heures, concernant l’obligation de réduction généralisée du temps de travail. Cette volonté politique est aujourd’hui devenue loi de la République. "

Certains représentants d’organisations patronales auditionnés par le rapporteur ont en revanche souvent plaidé pour un allongement voire une pérennisation de la période d’adaptation qu'il paraît difficile cependant d'envisager :

- La période d’adaptation a été conçue, comme son nom l’indique, comme une période pendant laquelle les règles du jeu sont volontairement assouplies afin de permettre progressivement une remise à niveau, une adaptation à la nouvelle donne de l’ensemble des acteurs. Le logique veut qu’à terme, dans le régime définitif, les mêmes règles s’appliquent à tous. Ce principe d’égalité de traitement entre les salariés est fondamental ; il a d’ailleurs été rappelé avec force par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 janvier 2000. Cela signifie qu’au plus tard en 2004, l’ensemble des salariés devront bénéficier en France de la réduction du temps de travail. La première heure supplémentaire rémunérée comme telle (c’est-à-dire majorée de 25 %) sera donc la trente-sixième heure. Le prolongement dans le temps de la taxation minorée de 10 % (qui est celle prévue pour la période de transition) aboutirait à des différences de traitement intolérables entre les salariés.

- Le deuxième phénomène est intrinsèquement lié au premier : du fait de l’attractivité moindre pour les salariés des emplois restés de fait à trente-neuf heures, la différence de paiement des heures travaillées aurait pour effet de créer des distorsions de concurrence entre deux catégories d’entreprises : celles ayant joué le jeu des trente-cinq heures et celles ayant refusé toute démarche en ce sens. Il est clair que la stratégie de " l’autruche " ne sera gagnante à terme ni socialement ni économiquement.

- Le fait de prolonger la période d’adaptation pour les petites entreprises ayant refusé de mettre en œuvre les trente-cinq heures aurait pour effet d’encourager les comportements d’attentisme et présenterait le paradoxe de pénaliser en définitive celles des entreprises qui se seront engagées spontanément dans le processus. Outre que cela ne se justifierait pas du point de vue technique, le signal politique qui serait envoyé serait pour le moins paradoxal.

- Enfin, certains employeurs font valoir que leurs salariés effectuent depuis des années des heures supplémentaires au-delà de trente-neuf heures de façon massive, structurelle et permanente. Il est clair que l’abaissement de la durée légale de quatre heures aura un impact sur le nombre d’heures supplémentaires de façon mécanique. Mais la situation de ces salariés qui ont de fait besoin des heures supplémentaires pour obtenir une rémunération convenable ne constitue pas initialement une situation saine. Les heures supplémentaires ne doivent représenter qu’un moyen de faire face temporairement à un surcroît d’activité. Si ces heures sont si nombreuses, fréquentes et régulières, cela ne signifie t-il pas que l’entreprise fonctionne en sous-effectif chronique ? L’application de la réduction du temps de travail ne constitue t-elle pas une occasion unique de repenser ce problème et de réaliser, enfin, les embauches nécessaires ?

III – Si la loi comporte déjà de nombreuses dispositions favorables aux TPE, un programme d'accompagnement de ces entreprises est cependant nécessaire.

Le législateur n’a jamais méconnu les spécificités des entreprises de moins de vingt salariés puisque, dès l’adoption de la première loi en juin 1998, deux dates ont été fixées pour le passage à la nouvelle durée légale : 1er janvier 2000 pour les entreprises de vingt salariés et plus et 1er janvier 2002 pour les entreprises de moins de vingt salariés. La loi du 19 janvier 2000 a ensuite prévu diverses souplesses qui paraissent suffisantes en l’état (A), ce qui n’exclut pas la mise en place d’un dispositif d’accompagnement en leur faveur (B).

A.- Le législateur a eu, dès l'origine, la volonté de prendre en compte la spécificité des TPE.

Pour les entreprises de vingt salariés et plus comme pour les entreprises de moins de vingt salariés, la loi a prévu une période de transition avant que s’applique de façon pérenne le régime définitif relatif aux heures supplémentaires.

1. La période d’adaptation a été conçue précisément pour aider les entreprises, et notamment les plus petites d’entre elles, à se réorganiser " en douceur ".

L’entrée en vigueur de la deuxième loi n’a jamais été conçue comme une date-couperet. Pour faire en sorte que la réforme des trente-cinq heures se solde par un succès, le législateur a considéré que sa mise en œuvre devait se faire, durant une période limitée, en encourageant la négociation. Les expériences montrent, en effet, que seule une réduction du temps de travail négociée entre les partenaires sociaux et jouant sur tous les paramètres de l’organisation du travail au sein de l’entreprise, est susceptible de fournir des conditions propices à la création d’emplois durables.

C’est la raison pour laquelle la loi du 19 janvier 2000 a prévu une période d’adaptation pendant laquelle les entreprises vont pouvoir continuer à négocier ou pour certaines, prendre la décision d’appliquer un accord de branche en accès direct.

En ce qui concerne le mécanisme des heures supplémentaires applicables aux petites entreprises, il faut souligner les trois points suivants :

- Le taux de majoration des heures supplémentaires comprises entre trente-cinq et trente-neuf heures est limité à 10 % en 2002 et ne doit passer à 25 % que l’année suivante.

- Les heures supplémentaires ne doivent en outre s’imputer sur le contingent annuel de cent trente heures dès la trente-cinquième heure qu’en 2004. D’ici cette date, les heures supplémentaires effectuées s’imputent sur le contingent selon un mécanisme dégressif après la trente-septième heure en 2002 (au lieu de la trente-neuvième heure aujourd’hui) et après la trente-sixième heure en 2003. Cela signifie que ces entreprises pourront, en 2002, pratiquer un horaire de plus de trente-huit heures et trente minutes par semaine sans que les heures au-dessus de trente-cinq heures soient décomptées au titre du contingent annuel.

- Enfin, les dispositions contenues à l’article L. 212-5-1 du code du travail sur le repos compensateur ont été maintenues. Ainsi les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel ouvrent droit à un repos compensateur obligatoire dont la durée est égale à 50 % de ces heures supplémentaires pour les entreprises de dix salariés au plus et à 100 % pour les entreprises de plus de dix salariés.

2. Le système de négociation et d'allègement de cotisation a été défini en fonction des caractéristiques des très petites entreprises

a) Les très petites entreprises bénéficient de modalités de négociation d’aménagement et de réduction du temps de travail destinées à faciliter la mise en place de la RTT.

La loi a subordonné le bénéfice des allègements de cotisations patronales à la conclusion d'un accord d'entreprise approuvé par le (ou les) syndicat(s) majoritaire(s), ou, à défaut, par une procédure conclue par une consultation des salariés. Ces dispositifs destinés à favoriser la conclusion d'accords de réduction du temps de travail ont été imaginés pour tenir compte de la situation particulière des TPE

Ces entreprises sont tout d'abord purement et simplement dispensées de la condition d’accord dans les deux années qui suivent leur création si celle-ci est postérieure au 31 janvier 2000.

Elles conservent en outre la possibilité de conclure des accords sur le fondement de la loi du 13 janvier  1998 jusqu’au 1er janvier 2002, alors que les entreprises de plus de vingt salariés ne disposent plus d’une telle faculté depuis le 1er janvier 2000. Il convient de noter que les accords ainsi conclus ne sont soumis ni aux mêmes obligations en termes de contenu, ni aux mêmes procédures d’approbation par les salariés ou leurs représentants que ceux conclus sur le fondement de la loi du 19 janvier 2000.

Enfin, les procédures de négociation et d’approbation des accords conclus sur le fondement de celle-ci ont été aménagées au profit des très petites entreprises puisqu’elles peuvent bénéficier des allégements de cotisations lorsqu’il y a :
- signature par une (ou des) organisation(s) syndicale(s) majoritaire(s) ou un salarié mandaté dans les conditions de droit commun ;
- mais aussi application d’une convention ou d’un accord de branche étendu ou agréé prévoyant un accès direct ;
- ou signature par les délégués du personnel (en l’absence de délégué syndical, de mandaté ou d’accord de branche étendu ou agréé d’accès direct) ;
- ou encore soumission par l’employeur, uniquement dans les entreprises de moins de onze salariés et à défaut d’autre possibilité, d’un document établi par lui directement auprès des salariés et approbation dudit document par la commission paritaire locale.

b) Le régime des allègements de cotisations est par ailleurs particulièrement favorable aux TPE.

Les très petites entreprises peuvent dès lors qu’elles en respectent les conditions (baisse de 10 % du temps de travail et création ou préservation d’au moins 6 % d’emplois) continuer à conclure des accords sur le fondement de la loi du 13 juin 1998, bénéficier de l’aide incitative et cumuler pour partie celle-ci avec le nouvel allégement accordé de droit si elles en font la demande. Elles pourront donc cumuler une aide incitative d’un montant moyen de 6 000 francs en 2001 avec la composante " allégement de cotisations bas et moyens salaires " de l’aide mise en place par la loi du 19 janvier 2000 (17 500 francs).

Les très petites entreprises ont également la possibilité de passer aux trente-cinq heures par étapes d’ici le 1er janvier 2002. Les conditions, outre une durée maximale à cette date de trente-cinq heures, sont les mêmes que pour l’aide incitative et le dispositif présente donc les mêmes avantages, notamment le bénéfice du nouvel allégement. Cette disposition est particulièrement importante pour des entreprises qui partent souvent de durées effectives supérieures à trente-neuf heures et peuvent ainsi entrer dans le dispositif d’aides dès qu’elles s’engagent sur le chemin et non seulement quand elles sont arrivées au bout de celui-ci.

En outre, les entreprises créées après le 31 janvier 2000 qui fixent la durée collective à trente-cinq heures par semaine (ou 1 600 heures par an) et rémunèrent leurs salariés au moins 169 fois le SMIC horaire bénéficient du cumul de l’aide incitative et du nouvel allégement sur les bas et moyens salaires.

Par ailleurs, la loi du 19 janvier 2000 a considérablement allégé les formalités liées à l’aide incitative pour les très petites entreprises puisque l’on est passé à un système déclaratif, ainsi que l’obligation d’embauche. Il convient de rappeler qu’une entreprise de moins de 8 salariés ayant conclu un accord sur le fondement de la loi du 13 juin 1998 est dispensée de l’obligation d’embauche correspondante.

Conditions de négociation, délai de mise en place des trente-cinq heures, montant des aides, obligation d’embauche, formalités administratives, on voit que rien n’a été négligé pour rendre le plus facile possible aux très petites entreprises le passage aux trente-cinq heures.

B.- Un programme d'accompagnement est cependant rendu nécessaire par la faiblesse des relais techniques dont bénéficient les TPE.

Face aux 1 724 246 très petites entreprises, l’apparente rationalité du maillage territorial de l’administration, des organisations syndicales, professionnelles, des organismes consulaires recouvre, elle aussi, une réalité très diversifiée et trop souvent inadaptée aux besoins des TPE. Dans la mise en place des trente-cinq heures les outils techniques spécifiques mis en place par la loi, tel l’appui-conseil, ne suffisent pas à combler ce manque.

1. Des relais locaux limités

Aucun des acteurs concernés par la mise en place des trente-cinq heures n’est à stigmatiser. Tous s’efforcent dans la mesure de leurs moyens d’apporter leur aide aux très petites entreprises. Ils se heurtent cependant à trois obstacles majeurs : les faiblesses de leur maillage territorial, le nombre des TPE et la réticence culturelle de nombre d’entre elles à l’égard de toute intervention – ou même tout regard – extérieure dans leur gestion.

En dépit de la réelle mobilisation des services extérieurs du ministère de l’emploi et de partenaires à l’action essentielle tels que l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) et ses relais locaux, l’administration, au sens large, ne peut seule aider les TPE. Ceci tient à la fois à l’insuffisance de ces moyens, à leur mobilisation inégale et à des interprétations parfois différentes de la loi d’un département à l’autre, mais aussi au sentiment largement répandu au sein des TPE que ce n’est pas le rôle de l’administration que de les conseiller quant à leur organisation.

Les organisations syndicales ont, elles aussi, consenti des efforts remarquables pour accompagner la démarche de réduction du temps de travail, notamment de formation de leurs représentants. Toutefois, ces efforts se heurtent à la faiblesse de la présence syndicale dans les TPE ainsi qu’au fait que la démarche de réduction du temps de travail est souvent portée à titre principal par l’employeur.

Le niveau de la branche, dans lequel les organisations syndicales jouent un rôle majeur, est essentiel en particulier par la possibilité qu’il offre de recourir à l’accès direct, mais les branches se mobilisent de façon inégale dans la mise en place des trente-cinq heures et ne touchent de toute façon pas l’ensemble des TPE, ni même la majorité d’entre elles. L’exemple de branches aussi dynamiques que celle du bâtiment en témoigne : 7 000 entreprises seulement ont eu recours à l’accès direct ouvert par l’accord de branche. Les organisations professionnelles et les chambres consulaires se heurtent à des difficultés comparables : insuffisance des moyens, notamment humains, très grande différence d’implication et de dynamisme d’un point à l’autre du territoire.

Enfin, la faiblesse du développement des groupements d’employeurs – pourtant vivement encouragés par la loi du 19 janvier 2000 – témoigne d’une dernière difficulté : la réticence des TPE à collaborer avec des partenaires dont on craint l’immixtion ou la concurrence.

2. Des relais techniques insuffisants

La loi du 19 janvier 2000 a mis en place un dispositif d’appui-conseil, dans le prolongement de celui institué par la loi du 13 juin 1998, au profit des entreprises de moins de 500 salariés. Il leur permet de bénéficier d’une aide pour étudier, grâce à un conseil extérieur, les enjeux de la réduction et de la réorganisation du temps de travail, les différents scénarios possibles, les conditions de faisabilité. La loi du 19 janvier 2000 a autorisé le recours à cette aide postérieurement à la mise en place de la réduction du temps de travail afin de faciliter les ajustements dans la période de rodage de celle-ci.

Avec désormais plus de deux ans de recul, le jugement sur l’utilité de l’appui-conseil pour les TPE est mitigé. Il se révèle peu adapté tant dans sa durée, souvent trop longue, que dans les intervenants auxquels il est fait appel. La singularité des TPE les rend souvent étrangères à la grille d’analyse mise en œuvre par les cabinets de conseil dont la tâche majeure n’est plus d’aider les TPE, mais d’en comprendre le fonctionnement… Il n’est donc pas surprenant que le recours à l’appui-conseil soit d’abord le fait des entreprises autour de 50 salariés et non des TPE.

De fait, dans l’appréciation de l’opportunité de mettre en place ou non la réduction du temps de travail, les TPE se trouvent en priorité vers leur expert-comptable et non vers un cabinet de consultants. L’employeur préfère s’en remettre au jugement d’un partenaire connu, au fait de la réalité de son entreprise. Outre la limite physique du recours à l’appui-conseil – les crédits budgétaires affectés à cet effet sont sans commune mesure avec le défi quantitatif que constituent les trente-cinq heures dans les TPE d’une part ; d’autre part, le nombre des consultants n’est pas extensible à l’infini – il semble opportun de préférer pour les TPE le recours aux partenaires habituels, experts-comptables, organismes consulaires, organisations professionnelles, plutôt que de plaquer un dispositif inadapté.

Compte tenu des faiblesses du maillage territorial précédemment évoquées, il ne s’agit pas de faire reposer selon un modèle national uniforme la responsabilité de l’accompagnement des TPE vers les trente-cinq heures sur une catégorie d’intervenants donnée, mais de profiter localement, au plus près des entreprises, des ressources existantes. Ces ressources peuvent résulter du dynamisme particulier d’une structure, ici la chambre de commerce, là le représentant local de telle ou telle organisation professionnelle, ailleurs une présence syndicale particulièrement active qui permet le fonctionnement d’une commission paritaire locale. Elles peuvent également découler d’une solidarité géographique (bassin d’emploi) ou sectorielle forte.

Plutôt que de chercher à créer une solution directement applicable à toutes les TPE de France, il convient d’encourager les initiatives locales, les expériences originales et sous forme d’appel à projets d’en favoriser ensuite la diffusion, la contagion.

De ce point de vue, le rapporteur ne peut que saluer la dynamique mise en place par exemple en Midi-Pyrénées où, par l’intermédiaire du fonds régional d’innovation pour l’emploi, ont été encouragées des démarches variées d’accompagnement des TPE à la réduction du temps de travail (appui des chambres de commerce, groupements d’employeurs, commissions paritaires locales).

IV – Six recommandations pour accompagner la réduction du temps de travail dans les TPE.

Un programme d'accompagnement, visant à compenser les faiblesses décrites ci-dessus, est absolument nécessaire. Il tient en six recommandations.

1. Compenser le déficit d'information des TPE par des actions d’information nationales et locales d’envergure

Il est frappant de constater à quel point les lois sur les trente-cinq heures qui ont suscité tant de débats passionnés au moment de leur discussion et de leur adoption, sont en réalité si mal connues. Il est probable que la passion même qui a entouré leur examen, du fait de l’attitude de rejet d’une partie du patronat notamment, est la source même de cette méconnaissance. Les médias se font parfois l’écho de craintes de certains chefs d’entreprise se plaignant que les trente-cinq heures empêchent la modulation des horaires. Il faut rappeler ici avec force que des accords de modulation peuvent être signés sur la base de 1 600 heures par an afin de permettre aux entreprises concernées de faire face aux pics d’activités survenant en cours d’année.

De même, le mécanisme de la période de transition est encore flou dans l’esprit de certains employeurs réticents à appliquer les trente-cinq heures, ce qui explique leur faible mobilisation. Enfin, les possibilités de réduction du temps de travail prévues pour les salariés cadres, qui permettent pourtant de couvrir l’ensemble des situations, sont sous-estimées. Certes, des campagnes d’information ont déjà été menées tant par le Gouvernement que par les grandes confédérations syndicales, et notamment la CFDT. Des forums locaux ont été organisés sous l’égide des directions départementales du travail, mais ces initiatives sont restées insuffisantes et trop superficielles.

Le rapporteur recommande par conséquent la mise en place d'une nouvelle campagne d'information portant en particulier sur trois points :

  • L'existence et le contenu de la période d'adaptation ;
  • L'importance et les modalités d'allègements de cotisations sociales patronales ;
  • Les avantages liés à des accords d'anticipation par rapport à l'échéance du 1er janvier 2002.

Cette campagne devrait également s'appuyer sur une remobilisation des réseaux professionnels à travers les conventions conclues avec les organisations professionnelles, syndicales et consulaires.

2. Mettre en place des plates-formes de compétences par bassins d’emploi

Il importe non seulement que la loi soit connue mais qu'elle soit bien appliquée. Le mécanisme de l'appui-conseil est ici insuffisant pour répondre au besoin d'accompagnement des entreprises, en raison de leur nombre et de leur spécificité. Faute de pouvoir envisager pour les millions d'entreprises concernées une action personnalisée sur mesure, la solution la plus réaliste et sans doute la plus efficace pourrait résider dans la mise en place de structures locales d'appui, réunissant l'ensemble des services et administrations concernés, les organisations professionnelles et, éventuellement, les collectivités territoriales.

Ces " plates-formes de compétences " auraient pour mission d'apporter aux entreprises ou aux réseaux professionnels une information utile et puisée à une seule source, une capacité de pré-diagnostic et d'accompagnement au fur et à mesure de l'application de l'accord.

Pour des raisons évidentes d'application, ces plates-formes devraient être créées à l'échelon des bassins d'emploi, en s'appuyant sur le réseau désormais très dense des comités de bassin d'emploi et des associations de pays. Le rapporteur suggère que la création de ces plates-formes intervienne à partir d'un vaste appel à projets, adressé aux intervenants locaux (pays, chambres de commerce et d’industrie) et financé par un redéploiement d'une partie des crédits destinées à l'appui-conseil.

La réglementation devrait également être modifiée pour encourager la mise en place d'un appui-conseil collectif, établi en coopération avec les syndicats professionnels, ces derniers constituant les interlocuteurs les plus proches des TPE, avec le réseau des experts-comptables qui pourrait également être utilement conventionné.

3. Créer une mission nationale d'appui

Il est essentiel que cette démarche soit appuyée par une structure nationale légère. Le rapporteur propose la création d’une mission nationale chargée

  • d’évaluer les appels à projets en vue de la constitution des plates-formes de compétences et d'attribuer les financements nécessaires ;
  • d'accompagner leur mise en place sur le plan méthodologique ;
  • de fournir aux acteurs toutes les données utiles à la fois sur le plan juridique et statistique ;
  • de dresser des bilans d'expérience proposés à la plus large diffusion.

Cette mission dont la durée d'intervention devrait être confondue avec celle de la période d'adaptation, réunirait des représentants de tous les ministère concernés, permettant ainsi de surmonter les carences observées en matière de coopération interministérielle.

4. Soutenir l'innovation sociale dans les TPE.

L'ARTT peut être, dans les TPE comme dans les grandes entreprises, l'occasion de favoriser l'innovation sociale.

Celle-ci est d'autant plus nécessaire que surmonter les problèmes d'organisation ou de recrutement peut susciter de la part des entreprises une capacité novatrice que la législation et les pouvoirs publics doivent accompagner. Il en va ainsi actuellement de la mise en place de groupements d'employeurs dont l'impact reste encore trop limité. De même, les plates-formes d'accompagnement doivent pouvoir appuyer les expériences collectives de négociation et de passage aux trente-cinq heures, à l'exemple des actions menées sur l'ensemble des commerces d'une même rue.

De la même manière, le rapporteur ne peut qu'encourager la conclusion d'accords entre l'Etat et les organisations professionnelles pour développer la formation dans ces secteurs, à l'instar de ce qui a été fait dans le bâtiment par exemple.

5. Veiller à la couverture par des accords de branches d'application directe de l'ensemble des TPE

La loi a prévu, pour faciliter la mise en œuvre de la RTT dans les TPE, la possibilité d’introduire dans les conventions des branche des clauses dites d'application directe.

Il convient donc de veiller à ce que la totalité des secteurs d'activité soient couverts par ce type de disposition.

A ce jour, le maillage n'est pas encore complet. Certaines branches importantes sont encore non couvertes : la boucherie (20 000 entreprises ; 43 000 salariés) ; les commerces et services de l'audiovisuel, de l'électromécanique et de l'électroménager (160 000 entreprises ; 60 000 salariés) ; les activités immobilières (65 000 entreprises ; 314 000 salariés) ; les services informatiques (21 400 entreprises ; 206 000 salariés) et l'essentiel des professions libérales, juridiques et de santé.

Les retards observés dans la signature de tels accords, les blocages de la négociation liés au déficit du dialogue sociale rendent nécessaire une implication plus forte et plus directe des pouvoirs publics à l'instar des discussions actuellement engagées dans les hôtels, cafés, restaurants (17 500 entreprises ; 685 761 salariés). La négociation conduite dans ce secteur est tout à fait caractéristique des problèmes rencontrés dans les petites entreprises du commerce, à savoir, une durée hebdomadaire déjà très supérieure à la durée légale et le recours au régime des équivalences. Toutefois, l’exemple de la négociation entamée dans les hôtels, cafés, restaurants (dans lesquels l’équivalence est de quarante-trois heures pour trente-neuf heures) doit être l’occasion de rappeler l’objectif d’un passage à trente-cinq heures effectives à terme (en l’occurrence 2007). La conclusion de cet accord pourrait servir de référence à d'autres initiatives et constituer une réelle avancée.

6. Intégrer le volet RTT dans une politique globale de soutien aux entreprises commerciales et artisanales.

S'il est clair que le passage aux trente-cinq heures ne peut que s'inscrire dans la stratégie de chaque entreprise, de la même manière, l'action d'accompagnement des pouvoirs publics devrait naturellement prendre en compte l'ensemble des questions déterminantes pour l'avenir du secteur professionnel et de nouveau mises en avant par la réduction du temps de travail. A l'instar du contrat de progrès conclu avec les transporteurs routiers, le Gouvernement serait bien inspiré de proposer à certaines branches la mise en place de programmes de soutien débordant la question du seul passage aux trente-cinq heures. Ainsi, dans les hôtels-restaurants, il ne fait aucun doute qu'au-delà de la réduction du temps de travail, les entreprises de ce secteur sont confrontées depuis presque deux décennies à une mutation en profondeur qui menace nombre d'entre elles. Première destination touristique au monde, notre pays ne peut se passer d'une véritable réflexion sur les moyens de pérenniser un tissu de petites entreprises de qualité.

Le rapporteur suggère par conséquent, soit la généralisation de la formule des contrats de progrès à ces différents secteurs, soit l'élaboration d'une loi d'orientation sur le commerce et l'artisanat susceptible de répondre aux principaux défis auxquels sont confrontées ces petites entreprises en matière de simplification administrative, d'accès au crédit, de recrutement et de formation notamment.

En fin de compte, il s'agirait d'inscrire la réduction du temps de travail dans un processus d'appui à la modernisation de secteurs qui mettent peut-être plus de temps que d'autres à s'adapter aux conditions de la nouvelle croissance.

* * *

ANNEXE

LE RÉGIME DES HEURES SUPPLÉMENTAIRES

Les règles applicables aux heures supplémentaires pendant toute la période d'adaptation doivent permettre d'ajuster progressivement leur activité à la nouvelle durée du travail.

 

 

 

2002

Entreprises de moins de vingt salariés passées aux 35 heures

Entreprises de moins de vingt salariés ayant une durée collective supérieure à 35 heures

 

Pour toutes les entreprises de moins de vingt salariés

 

Bonification de 10 % pour les quatre premières heures supplémentaires (36ème à 39ème)

Puis 25 %
pour les quatre suivantes (39ème à 43ème)

Puis 50 % pour les heures effectuées après la 43ème

Bonification de 10 % pour les quatre premières heures supplémentaires (36ème à 39ème)

Puis 25 % de bonification pour les quatre suivantes (39ème à 43ème)

Puis 50 % pour les heures effectuées après la 43ème

Abaissement du seuil de déclenchement à 37 heures (au lieu de 39 heures actuellement)

En cas d’annualisation, abaissement de ce seuil à 1690 heures

Nota Bene : On peut noter qu’à cette date, pour les entreprises de vingt salariés et plus, le seuil de déclenchement des heures supplémentaires sera ramené logiquement et définitivement à 35 heures.

 

 

2003

Entreprises de moins de vingt salariés passées aux 35 heures

Entreprises de moins de vingt salariés ayant une durée collective supérieure à 35 heures

 

Pour toutes les entreprises de moins de vingt salariés

 

Le régime définitif s’applique.

25 % de bonification pour les quatre premières heures (36ème à 39ème)

25 % pour les quatre suivantes (39ème à 43ème)

50 % après la 43ème heure

D’après l’article L. 212-5,

25 % de bonification pour les quatre premières heures (36ème à 39ème )

25 % pour les quatre suivantes (39ème à 43ème)

50 % après la 43ème heure

Abaissement du seuil de déclenchement à 36 heures

En cas d’annualisation, abaissement du seuil à 1645 heures

Le régime décrit plus haut doit être pérenne et s’appliquer à terme dès le 1er janvier 2003 à toutes les entreprises de moins de vingt salariés. Ces dernières doivent avoir toutes conclu un accord sur les 35 heures.

 

 

2004

A cette date, le régime définitif s’appliquera pour l’ensemble des entreprises, quelle que soit leur taille. Toutes sont supposées être passées à 35 heures. La 36ème heure sera en toute hypothèse considérée comme une heure supplémentaire. Les règles suivantes s’appliqueront :

Les huit premières heures supplémentaires (les quatre premières : de la 36ème à la 39ème et les quatre suivantes : de la 40ème à la 43ème incluse) donneront lieu à une bonification de 25 %. Pour les quatre premières heures, la bonification pourra être attribuée sous forme de repos ou sous forme de majoration de salaire selon le choix retenu dans l’accord collectif. En l’absence d’accord, c’est le repos qui s’appliquera.

Les heures supplémentaires effectuées au-delà de la 43ème heure donneront lieu à une majoration de 50 %.

C’est à partir de la 36ème heure (ou, en cas d’annualisation, de la 1600ème heure) que s’imputeront les heures supplémentaires pour le calcul du contingent annuel d’heures supplémentaires, lequel doit être maintenu à 130 heures par salarié.

Le régime définitif ne s’appliquera aux entreprises de moins de vingt salariés qu’à partir du 1er janvier 2004.

 

Taxation des heures supplémentaires

Date d’application

De la 36ème à la 39ème heure incluse

Taxation des quatre premières heures supplémentaires

 

 

Deux dates :

- A partir de 2001 pour les entreprises de vingt salariés et plus

A partir de 2003 pour les entreprises de moins de vingt salariés

Cas n° 1 :

Entreprises passées aux 35 heures (ou moins)

ê

Bonification de 25 %

Cas n° 2 :

Entreprises ayant une durée collective du travail supérieure à 35 heures

ê

Bonification de 25 %

Il existe deux options possibles en ce qui concerne la bonification. Celle-ci donne lieu :

. soit à l’attribution d’un repos ;

. soit au versement d’une majoration de salaire.

Les accords de branche étendus ou les accords d’entreprise ou d’établissement déterminent ces modalités. A défaut d’accord, la bonification est attribuée sous forme de repos.

 

Taxation des heures supplémentaires après la 39ème heure

25 % de majoration de la 39ème à la 43ème (" chacune des quatre heures supplémentaires effectuées au-delà de la quatrième ")

50 % de majoration au-delà de la 43ème heure

Deux dates :

- A partir de 2001 pour les entreprises de plus de vingt salariés

- A partir de 2003 pour les entreprises de moins de vingt salariés

On peut, en outre, rappeler que la loi du 19 janvier 2000 a prévu (dans le I de l’article L. 212-5 nouveau du code du travail) des dispositions novatrices permettant de remplacer la bonification des quatre premières heures supplémentaires (de la 36ème incluse à la 39ème incluse) par du repos au lieu d’une majoration de salaire. Le tableau ci-après décrit les diverses situations possibles.

 

Choix de la bonification des heures supplémentaires sous forme de repos

(par accord explicitement

ou en l’absence d’accord, automatiquement)

Choix de la bonification sous forme de majoration de salaire

 

(par accord explicitement)

 

Entreprises ayant une durée collective à 35 heures ou moins

1 heure supplémentaire Þ

100 % de rémunération +

25 % (15 minutes) de repos

1 heure supplémentaire Þ 100 % de rémunération +

25 % de majoration de salaire

Pour résumer, l’accord de branche étendu, d’entreprise ou d’établissement détermine les modalités de la bonification qui peut donner lieu soit à l’attribution d’un repos (pris selon les modalités définies à l’article L. 212-5-1 du code du travail), soit au versement d’une majoration de salaire équivalente. A défaut de convention ou d’accord, la bonification sera automatiquement attribuée sous forme de repos. Lorsque la solution du repos est choisie par les partenaires sociaux, ou lorsque cette option s’impose en l’absence d’accord, une heure supplémentaire (entre la 36ème et la 39ème incluse) est payée à 100 % comme une heure normale, et donne lieu soit à 25 % de repos (donc 15 minutes de repos).