Biographies de :
Cambacérès, Tronchet,
Bigot de Préameneu,
Portalis et
Maleville
Biographies extraites du
Dictionnaire des Parlementaires
français de 1789 à 1889
[L'Assemblée nationale
remercie la Bibliothèque nationale de France (Gallica)
pour l'avoir
autorisée à reproduire les ouvrages numérisés par ses soins.]
CAMBACÉRÈS
(Jean-Jacques-Régis de), duc de parme, membre de la Convention,
député au Conseil des Cinq-Cents, ministre et pair des Cent
Jours, né à Montpellier (Hérault),le 18 octobre 1753, mort
à Paris, le 8 mars 1824, d'une vieille famille de
noblesse de robe, et fils d'un conseiller en la Cour des comptes,
aides et finances de Montpellier, fut destiné à la magistrature,
et se livra avec ardeur à l'étude du droit. Il succéda à son
père dans sa charge, en 1771, et fut choisi, en 1780, par l'ordre
de la noblesse dont il faisait partie, comme secrétaire rédacteur
de ses cahiers. Élu, en second, député de cet ordre, par la
sénéchaussée de Montpellier, son élection fut annulée, la
prétention de cette sénéchaussée à envoyer deux députés
n'ayant pas été admise ; à la suppression des cours, il fut
appelé à quelques fonctions administratives, puis à la
présidence du tribunal criminel de l’Hérault. Le 6 septembre
1792, ce département l'élut membre de la Convention, par
248 voix sur 469 votants, Cambacérès avait adhéré aux
idées nouvelles en légiste bien plus qu'en révolutionnaire, et
avait contracté avec la Révolution un mariage de raison et non pas
de sentiment ; aussi montra-t-il à la Convention
beaucoup plus d’habileté et de prudence que d'enthousiasme et
d'ardeur. Membre du comité de législation, il évita de se
compromettre en se renfermant d’abord dans les questions de
contentieux et de jurisprudence. Chargé, le 12 novembre 1792,
d'aller demander à Louis XVI quels défenseurs il avait choisis, il
obtint que ces défenseurs communiqueraient librement avec lui.
Quand il fut appelé à porter son jugement sur le roi, il commença
par déclarer que Louis était coupable, répondit au 2e
appel nominal (la sanction du peuple) : " Nous devions
aussi renvoyer à la sanction du peuple le décret par lequel nous
nous sommes constitués juges de Louis ; nous ne l'avons pas fait :
je dis non ", et s'exprima ainsi au 3e appel
(la peine) :
" Citoyens, si Louis eût été
conduit devant le tribunal que je présidais, j'aurais ouvert le
Code pénal, et je l'aurais condamné aux peines établies par la
loi contre les conspirateurs ; mais ici j'ai d'autres devoirs
à remplir. L'intérêt de la France, l'intérêt des nations ont
déterminé la Convention à ne pas renvoyer Louis aux juges
ordinaires, et à ne point assujettir son procès aux formes
prescrites. Pourquoi cette distinction? C'est qu'il a paru
nécessaire de décider de son sort par un grand acte de la justice
nationale ; c'est que les considérations politiques ont dû
prévaloir dans cette cause sur les règles de l'ordre
judiciaire ; c'est qu'on a reconnu qu'il ne fallait pas
s'attacher servilement à l'application de la loi, mais chercher la
mesure qui paraissait la plus utile au peuple. La mort de Louis ne
nous présenterait aucun de ces avantages ; la prolongation de son
existence peut au contraire nous servir. Il y aurait de l'imprudence
à se dessaisir d'un otage, qui doit contenir les ennemis
intérieurs et extérieurs.
" D'après ces considérations,
j'estime que la Convention nationale doit décréter que Louis a
encouru les peines établies contre les conspirateurs, par le Code
pénal : qu'elle doit suspendre l'exécution du décret
jusqu'à la cessation des hostilités, époque à laquelle il sera
définitivement prononcé par la Convention ou par le Corps
législatif sur le sort de Louis, qui demeurera jusqu’alors en
état de détention ; et néanmoins, en cas d'invasion du
territoire français par les ennemis de la République, le décret
sera mis à exécution. "
Malgré ce vote, il fut chargé de surveiller les
décrets de la Convention relatifs à la destruction des restes du
roi, et rendit compte de sa mission avec une impassibilité dont les
royalistes se souvinrent en 1816. Le 10 mars 1793, il défendit
Dumouriez dénoncé par la section Poissonnière, et, le même jour,
demanda, d'urgence, l'organisation du tribunal révolutionnaire, et
le remplacement des ministres : " Tous les pouvoirs
vous ont été confiés, dit-il, vous devez les exercer tous ;
il ne faut point suivre ici les principes ordinaires ; lorsque
vous construirez la Constitution, vous discuterez celui de la
séparation des pouvoirs : je demande que séance tenante, on
organise le tribunal et le ministère. " Le 26 mars,
nommé membre du comité de salut public à sa création, il
dénonça immédiatement Dumouriez, en son propre nom : la
défection du général rendait trop compromettante la défense
présentée seize jours auparavant. Le 6 avril, il fut élu
comme suppléant au comité d’exécution créé par l’assemblée,
et le 14 mai, il combattit la motion de Buzot réclamant de chaque
député l’état et l’origine de sa fortune. " Les
considérations personnelles, dit-il, ne doivent jamais influencer
les hommes politiques. S’il en est parmi nous qui aient abusé de
leur caractère pour augmenter leur fortune, l’opinion publique
saura les signaler, et leurs départements respectifs en feront
justice. " Il se tint ensuite à l’écart des débats
politiques, vota avec la majorité, le 31 mai, contre les
Girondins, et, décidé à s’enfermer dans les travaux de
législation, présenta, le 1er juin, un rapport sur la
situation des enfants naturels, et réclama, le 16 juin, l’établissement
du jury en matière civile : " Les tribunaux ne
pourront rendre de jugement, dit-il, que les faits n’aient été
préalablement décidés par des jurés. " Chargé avec
Merlin (de Dunai), de la classification des lois en un code
unique, question qu’il avait toujours eue en vue, il présenta un
premier rapport le 10 août 1793, exposa le projet lui-même en
octobre, le défendit les 6 et 9 décembre, et le reproduisit
plus tard aux Cinq-Cents : Cambacérès avait eu l’idée à
laquelle Napoléon devait attacher son nom. Après le
9 thermidor, au moment de la rentrée des
73 conventionnels arrêtés du 31 mai au 2 juin, il
proposa une amnistie plénière pour les faits non prévus par le
Code pénal ; le 5 novembre suivant, étant président de
l’Assemblée, il fit voter, au nom des comités de salut public,
de sûreté générale et de législation, une adresse au peuple
français, dans laquelle on annonçait que " le régime
qui a sauvé l’État sera maintenu, mais en le régularisant, en le
dégageant des vexations, des mesures cruelles, des inquiétudes
dont il a été le prétexte. " En janvier 1795, chargé
du rapport des trois comités sur " les individus de la
famille Capet " qui étaient encore détenus, il conclut
à ce que le Dauphin fût gardé au Temple, " car il ne
faut pas se dissimuler, dit-il, que l’inquiétude, le malaise,
dont tout le monde se plaint, doit être attribué à ceux qui
cherchent à persuader au peuple que le gouvernement républicain ne
peut durer. " Nommé président du comité de salut
public, il concentra presque entre ses mains le gouvernement, dont
aucun acte n’était expédié sans sa signature ; il fit
rejeter la motion de Personne sur la mise en accusation des membres
des comités et tribunaux révolutionnaires, réclama d’importantes
modifications à la Constitution de 1793, fit partie de la
commission chargée de les préparer, et obtint la substitution du
bannissement à la déportation contre les prêtres perturbateurs de
l’ordre public.
Après le 13 vendémiaire, compromis par les
papiers trouvés chez l’agent royaliste Lemaître, comme
entretenant des relations avec les conspirateurs, il se justifia
avec chaleur, et la Convention vota l’impression de son discours.
Après la législature, il dut à son vote
modéré, lors du procès du roi, de ne pas faire partie du
Directoire ; il n’entra même pas au Conseil des Cinq-Cents
comme conventionnel, ainsi que le rapportent la plupart de ses
biographes, mais comme l’élu de plus de cinquante départements
(21 vendémiaire an IV), entre lesquels il opta pour
l'Hérault, qui lui avait donné 210 voix sur 232 votants.
Il fut nommé président de cette assemblée, et y fit adopter la
création d'une commission de surveillance des actes du Directoire
au point de vue législatif (qui n'empêcha pas le
18 fructidor), et l'institution de la contrainte par corps en
matière civile (27 février 1797). Il sortit du Conseil le 20 mai
suivant et fut réélu à Paris par l’assemblée électorale de
l'Oratoire ; mais le coup d'État directorial du
22 floréal an VI annula son élection. La journée du
30 prairial ayant chassé du Directoire Merlin et Treilhard,
Cambacérès remplaça Lambrecht au ministère de la Justice, qu'il
occupa du 2 thermidor An VIl au 3 nivôse an VIII,
c'est-à-dire, même après le coup d'État du 18 brumaire.
Quand Bonaparte se fut débarrassé de Sieyès, il choisît
Cambacérès comme 2e consul, avec la charge
spéciale de l'organisation des pouvoirs judiciaires et de la
préparation des lois. Le 28 floréal an XII il le nomma
aussi chancelier de l'Empire, président du Sénat, puis grand
officier de la Légion d'honneur le 10 pluviôse an XIII,
et duc de Parme le 19 mars 1808; à cette occasion, on raconte
que Cambacérès disait à un de ses amis : " Que
vous m'appeliez Altesse en public, cela est très bien. Mais en
particulier ce cérémonial est inutile. Appelez-moi tout simplement
Monseigneur. " Le haut dignitaire, Altesse Sérénissime,
devint aussi membre du conseil privé, président du Conseil d'État
et de la Haute cour impériale, etc., et fut pourvu de toutes les
décorations européennes. On croit qu'il blâma l'exécution du duc
d'Enghien, les guerres d'Espagne et de Russie, et le mariage de
Napoléon avec une archiduchesse; publiquement et officiellement il
resta l'apologiste constant de l'Empire. Président du conseil de
régence en 1814, il détermina l'impératrice à se retirer avec le
roi de Rome au delà de la Loire, l'y accompagna, et envoya de
Blois, le 7 avril, son adhésion, comme sénateur, à la
déchéance de Napoléon. Réintégré dans toutes ses dignités au
retour de l'île d'Elbe, il fut nommé, le 2 juin 1815, pair
des Cent-Jours, président de la Chambre haute et, par intérim,
ministre de la Justice, dont les fonctions furent exercées par M.
Boulay, de la Meurthe, conseiller d'État. Mais à la seconde
Restauration, banni à tort, comme régicide, en vertu de la loi du
12 janvier 1816, il se retira à Bruxelles, d'où une
ordonnance royale du 13 mai 1818 le rappela, en lui restituant
ses droits civils et politiques ; au scrutin électoral de
1820, il déclara, en déposant son bulletin ouvert,
" qu'il venait joindre son vote à celui des fidèles amis
de la monarchie ". A sa mort, le gouvernement fit mettre
ses papiers sous scellés, malgré l'opposition judiciaire de
l'héritier. — Cambacérès a, dit-on, laissé des Mémoires,
qui n'ont pas été publiés ; il était membre de L'Institut
(Académie française) depuis l'organisation de ce corps par la
Convention (1795). D'après une lettre du marquis d'Aigrefeuille, en
date du 17 germinal an IX, lettre appartenant à la
collection d'autographes Fossé-Darcosse, la bibliothèque de
Cambacérès, alors consul, aurait été formée avec des livres
pris dans les bibliothèques publiques.
TRONCHET
(François-Denis), député
en 1789 et au Conseil des Anciens, membre du Sénat
conservateur, né à Paris le 23 mars
1723, mort à Paris le 10 mars 1806, fils d’un procureur au
parlement, fut reçu avocat en 1713 et donna des consultations. Il
avait déjà acquis un certain renom comme jurisconsulte lorsque
Maupéou exila le parlement en 1774. Il suivi alors l’exemple de
Target et des autres avocats et refusa de paraître au barreau, sans
cesser, dans sa campagne de Palaiseau où il s’était retiré, de
rédiger pour ses clients de nombreux mémoires juridiques. Au
retour des anciens parlements, il revint à Paris, devint à la
place de Gerber bâtonnier de l’ordre en janvier 1789, et,
quelques mois plus tard, le 13 mai 1789, fut élu député du Tiers
aux États-Généraux par la ville de Paris. Après avoir prêté le
serment du Jeu de paume, il protesta contre l’appellation d’" Assemblée
nationale " que les députés des communes voulaient
donner aux États-Généraux, applaudit aux premières réformes,
bien qu’il fût l’un des membres les plus modérés du tiers,
approuva la nuit du 4 août, et entra successivement au comité
de constitution, au comité féodal et au comité judiciaire. Comme
membre du comité féodal, il fut rapporteur du mode de rachat des
droits seigneuriaux déclarés rachetables (3 mai 1790), des
routes seigneuriales (18 décembre), des droits seigneuriaux
grevant les biens d’emphytéose (13 septembre 1791), et des
conséquences de la suppression de la dîme (7 juin
1791) ; il fit aussi déterminer l’emploi des fonds provenant
du rachat des droits féodaux. Comme membre du comité judiciaire,
il fit décréter l’institution des avoués, se montra partisan du
jury en matière criminelle, mais point en matière civile, appuya
la création d’un tribunal de cassation ou cour suprême (3 mai
1790), le maintien des juges d’instruction (10 décembre), et
l’égale répartition des héritages (12 mars 1791) en vertu
de cette théorie que " l’homme ne tient la faculté de
faire des dispositions testamentaires que de la loi civile et non de
la loi naturelle ". Comme membre du comité de
constitution, il soutint le principe du veto absolu, le droit de
grâce et la dualité des Chambres, et parla sur les conventions
nationales et sur la réforme de la Constitution. Le 30 janvier
1791, il réclama contre l’inscription de son nom sur la liste du
club monarchique. Président de l’Assemblée (29 mars 1791),
il combattit, après la fuite du roi à Varennes, la proposition de
Robespierre et Barêre qui voulaient saisir l’autorité judiciaire
de l’instruction de cette affaire, et fit adopter la nomination de
commissaires pour entendre les explications du roi ; il fut
lui-même chargé de recevoir la déclaration du prince. Après la
session, il fut élu 1er haut juré de la Seine, le
17 octobre 1791. Il était à sa campagne lorsqu’il reçut de
Garat la nouvelle que Louis XVI l’avait désigné pour lui
servir de défenseur devant la Convention. Tronchet ne suivit pas l’exemple
de Target ; il accepta, et écrivit au ministre à cette
occasion une lettre très prudente, où il expliquait que ne faisant
qu’accomplir son strict devoir d’avocat, il entendait n’encourir
aucune responsabilité. De concert avec Malesherbes et de Sèze, il
assista donc Louis XVI de ses conseils. Le 18 janvier
1793, lorsqu’il connut le veto de la Convention, il fit remarquer
que les deux tiers des voix n’avaient pu être obtenus, que l’ordre
du jour qui avait adopté le système de la simple majorité n’avait
pu être voté à l’appel nominal, que, par conséquent, on devait
en revenir à la décision protectrice qui subordonnait la
condamnation à l’obtention des deux tiers des voix. Merlin
répondit à Tronchet que la Convention n’était pas un jury, mais
un tribunal simplement chargé de l’application de la peine ;
il fut passé outre à l’observation de Tronchet, dont le nom
figura sur le testament du roi. Suspect après le 31 mai, il se
retira de nouveau à Palaiseau et n’en revint qu’après la chute
de Robespierre. Il se lia alors avec les Girondins rappelés après
thermidor et se montra disposé à sévir contre les terroristes.
Élu, le 20 vendémiaire an IV, député de Seine-et-Oise
au Conseil des Anciens, par 216 voix, il fut nommé secrétaire
le 11 brumaire suivant, prit une part active aux débats, fit
plusieurs rapports sur la répression des tentatives de crime, sur
la conservation des droits des défenseurs de la patrie, sur les
domaines congéables, sur l’intention en matière de répression,
en faveur de l’assimilation des enfants naturels aux enfants
légitimes. Élu président du Conseil le 9 frimaire de la
même année, il parla encore sur les successions, combattit la
résolution en faveur des créanciers des ci-devant secrétaires du
roi, appuya le rétablissement de la contrainte par corps en
matière civile, et donna lecture d’un rapport sur les élections
au corps législatif, et sur les difficultés qui s’étaient
élevées entre les deux Conseils ; il prit encore la parole
sur l’organisation du régime hypothécaire, les expropriations
forcées et l’arbitrage. Sorti du Conseil des Anciens en prairial
an VII, il ne prit aucune part effective au 18 brumaire,
qu’il se contenta d’approuver. En nivôse suivant, il entra à
la commission chargée de préparer un projet de code civil ;
du 24 thermidor an VIII au 1er pluviôse
an IX, il présida la commission de rédaction. Il y fit
prédominer l’esprit du droit coutumier, et se prononça pour le
régime de la communauté, comme étant de droit commun en France.
Il avait été nommé juge au tribunal de cassation le
11 germinal an VIII, et président le 1er floréal
de la même année ; mais ses occupations à la commission du
code l’empêchèrent de se consacrer exclusivement à ces hautes
fonctions. Nommé membre du Sénat conservateur le 8 ventôse
an IX, il fut appelé, par décret du premier Conseil, du
18 mars 1803, à la présidence de ce corps, et obtint quelques
temps après la sénatorerie d’Amiens. Membre de la Légion d’honneur
du 9 vendémiaire an VII, commandeur de l’ordre du
25 prairial, il mourut peu de temps après, et fut inhumé au
Panthéon. Il a laissé en manuscrits une tragédie : Calon,
des traductions en vers de l’Arioste et de Miltou, divers ouvrages
historiques, et près de trois mille consultations déposées depuis
à la bibliothèque de la cour de Cassation. Son nom a été donné
à l’une des rues de Paris.
PORTALIS
(Jean-Etienne-Marie), député au Conseil des Anciens et
ministre, né au Beausset (Var) le 1er avril 1745,
mort à Paris le 25 août 1807, issu d’une vieille famille
bourgeoise, étudia chez les oratoriens à Toulon puis à Marseille,
et suivit les cours de l’Ecole de droit d’Aix. En même temps il
débutait dans les lettres par un essai intitulé : Observations
sur l’ouvrage intitulé Emile ou de l’éducation (1763), et
par une brochure qui fit quelque bruit dans sa province : Des
préjugés. Reçu avocat (1795), il débuta avec succès au
barreau d’Aix, et se fit surtout remarquer, dans les discussions,
par l’affectation de simplicité qu’il apportait à ses
plaidoiries : c’était rompre avec les traditions, et les
vieux avocats blâmèrent le ton du débutant, qui riposta, dit-on,
avec vivacité : " C’est le barreau qui a besoin de
changer d’allure et non pas moi ! ". La science
juridique de Portalis se révéla pour la première fois dans un
écrit intitulé : Sur la distinction des deux puissances,
écrit composé à l’occasion d’une lutte engagée par le
clergé contre le parlement d’Aix : l’auteur fut l’objet
de violentes attaques, mais se défendit à son honneur. Une
consultation qu’il publia en 1770, à la demande de M. de
Choiseul, sur la validité des mariages des protestants en France,
lui valut des éloges de Voltaire, et le désigna bientôt pour les
fonctions d’assesseur d’Aix ; il était le second des
quatre administrateurs électifs de la province de Provence, connus
sous le nom de procureurs du pays. Député aux États de
Provence, il y tint un rang distingué, retrouva, sa mission
expirée, de brillants succès au barreau, et se vit confier
plusieurs affaires qui eurent un grand retentissement, par exemple
la cause de la comtesse de Mirabeau, plaidant en séparation de
corps contre son mari, le célèbre comte de Mirabeau, qui se
défendit lui-même. Il eut aussi Beaumarchais pour adversaire dans
le procès de l’écrivain contre le légataire de Paris Duverney.
En 1788, Portalis rédigea, au nom de l’ordre des avocats du
parlement d’Aix, une Lettre au garde des sceaux contre les
tentatives de l’archevêque de Sens, Loménie de Brienne, pour
amener un changement dans la constitution du royaume ; cette
lettre fut bientôt suivie d’un autre écrit sur le même sujet
intitulé : Examen impartial des édits du 8 mai 1788. Le
jeune avocat était en possession d’une belle situation dans sa
province quand éclata la Révolution. L’inimitié de Mirabeau à
son égard, et aussi le peu d’enthousiasme que Portalis sembla
avoir manifesté pour les idées nouvelles, l’éloignèrent de l’Assemblée
constituante. Dans les premiers mois de 1790, il refusa d’être
commissaire du roi pour l’organisation d’un des
trois départements formés de l’ancienne Provence. La même
année, il se retira avec les siens dans une maison de campagne des
environs de la ville et y demeura à l’écart des affaires jusqu’en
février 1792. Bien qu’éloigné de la politique, il craignit
cependant d’être inquiété, se rendit à Lyon, d’où on l’expulsa,
à la fin de 1793, parce qu’il n’y était pas né, se réfugia
à Villefranche où l’on tua son secrétaire, et aida à chercher
un asile plus sûr à Paris. Mais il ne tarda pas à être dénoncé
et arrêté : il est vrai qu’il subit sa détention dans une
maison de santé, grâce à la recommandation d’un de ses
compatriotes, en attendant que le 9 thermidor le rendit à la
liberté. Il se fixa alors à Paris, y reprit l’exercice de sa
profession d’avocat et se fit élire, le 28 vendémiaire
an IV, député de la Seine au Conseil des Anciens, par 316
voix (685 votants). En même temps, il obtenait la majorité dans
les Bouches-du-Rhône. Il opta pour Paris et prit place, aux
Anciens, dans les rangs du parti contre-révolutionnaire qui faisait
au Directoire une vive opposition. Il unit ses efforts à ceux de
Siméon, son compatriote et son beau-frère, de Barbé-Marbois, de
Lebrun et autres, s’opposa à la création d’un ministère de la
Police, fut secrétaire, puis président de l’assemblée, prit la
défense des prêtres et des émigrés, combattit la résolution
relative aux délits de presse, se prononça en maintes
circonstances contre les sociétés populaires, fut mêlé à l’affaire
de la conspiration de La-villebeurnoy, comme devant remplacer Cochon
au ministère de la Police, fit un rapport sur le divorce, et fut
atteint, comme royaliste, par le coup d’État du 18 fructidor.
Il se cacha chez le banquier de Lessert à Passy, put gagner la
Suisse, puis le Holstein, et ne rentra en France qu’au
18 brumaire. Bonaparte, qui estimait ses talents, le nomma d’abord
commissaire du gouvernement près le conseil des prises ; puis
commissaire avec Tronchet, Bigot de Préameneu et Maleville,
pour la rédaction du code civil. Conseiller d’État en septembre
1800, il se vit chargé principalement de toutes les affaires
concernant les cultes qu’il eut à réorganiser : Portalis
prit personnellement la plus grande part au Concordat conclu avec le
Pape Pie VII, et aux articles organiques destinés à le
compléter. Les discours qu’il prononça à cette époque furent
empreints des idées et des sentiments qu’avait toujours
professés l’église gallicane. C’est à Portalis que sont dus
le discours préliminaire qui précède le projet de code civil, et
les exposés des motifs des titres du Mariage, de la Propriété,
des Contrats aléatoires, etc. : la science, la
clarté, l’élégance et la pureté de style dont il fit preuve,
on été souvent admirées, et sa collaboration au code civil a
constamment passé pour son principal titre de gloire.
" Portalis, disait Napoléon, serait l’orateur le plus
fleuri et le plus élégant, s’il savait s’arrêter. "
Quand Louis XVIII fit des ouvertures de restauration à
Bonaparte, Portalis, consulté, conseilla " de détruire
jusque dans leurs germes les espérances chimériques d’une
ancienne famille, moins préoccupée de recouvrer ses titres que de
faire revivre les abus qui les lui ont fait perdre. "
Membre de la Légion d’honneur le 9 vendémiaire an XII,
grand officier de l'ordre le 25 prairial suivant, et grand
aigle le 13 pluviôse, an XIII, Portalis fut nommé, le
10 juillet 1804, ministre des Cultes. L’année d’avant il
était entré à l’Institut, à la réorganisation de ce corps, et
avait composé en cette qualité l’Éloge de l’avocat
général Ségnier. Atteint alors d’une cécité presque
complète, il se fit opérer de la cataracte ; mais le succès
ne répondit pas à ce qu’on espérait et Portalis mourut sans
avoir recouvré la vue, le 25 août 1807. Son corps fut
déposé dans les caveaux du Panthéon. Le fils et le petit-fils de
Jean-Etienne-Marie Portalis ont publié un ouvrage posthume de
lui : De l’usage et de l’abus de l’esprit
philosophique durant le dix-huitième siècle (1820), et des Discours,
rapports et travaux inédits.
BIGOT DE PR ÉAMENEU
(Félix-Julien-Jean, comte), député
à l’Assemblée législative de 1791, ministre des Cultes et
pair des Cent-Jours, né à Rennes (Ille-et-Vilaine), le
26 mars 1747, mort à Paris, le 31 juillet 1825, était
avocat au Parlement de Paris avant la Révolution, dont il embrassa
la cause avec une certaine réserve. Lors de l’établissement des
premiers tribunaux qui succédèrent aux anciennes Cours, en 1790,
il fut élu juge du quatrième arrondissement de la capitale ;
distingué par le " ministère
constitutionnel ", il fut envoyé commissaire à Uzès,
pour y apaiser des troubles d’ailleurs sans gravité. L’année d’après
(6 septembre 1791), Bigot de Préameneu fut nommé député de
Paris à l’Assemblée législative, par 387 voix sur 609
votants ; il y opina d’abord avec les défenseurs de la
royauté, et prononça, le 7 janvier 1792, en faveur de la
sanction royale, un discours qui provoqua les huées des tribunes.
Peu après il fit décréter pour Paris la prompte organisation du
jury, demanda que l’incompatibilité des fonctions de législateur
et de juré fut prononcée, approuva un arrêté du Parlement de
Paris contre les prêtres assermentés, et obtint, dans la séance
du 22 mai, que, par la loi qui ordonnait le séquestre des biens des
émigrés, il fût accordé un mois de délai à ceux qui
voudraient rentrer. Quelques jours après, il fut élu président,
et, en cette qualité, fit, le 20 avril, à Louis XVI, qui
venait déposer sa déclaration de guerre à l’Autriche, cette
réponse sommaire : " L’Assemblée examinera votre
proposition, et elle vous instruira du résultat de ses
délibérations. " Le 23 du même mois, il s’opposa au
projet de loi que Thuriot présentait contre les ecclésiastiques
qui refusaient de prêter serment à la Constitution ;
peut-être cette circonstance ne fut-elle pas étrangère, plus
tard, à sa nomination comme ministre des Cultes de Napoléon Ier.
Il est vrai qu’on en donna une raison plus futile : lui-même
répétait que c’était à cause de son nom (Bigot, en
quelque sorte prédestiné, que l’empereur avait songé à lui.
Bigot de Préameneu, qui avait encore obtenu
de l’Assemlée un décret interdisant aux pétitionnaires de se
présenter en armes à sa barre, dut se tenir caché sous le régime
révolutionnaire ; après s’être prudemment dérobé, il
reparut le 18 brumaire, applaudit au coup d’État de Bonaparte
et fut nommé par le premier consul commissaire du gouvernement
près le Tribunal de cassation, et conseiller d’État. C’est à
ce poste qu’il concourut, avec Portalis, Tronchet et autres, à la
rédaction des Codes. Parmi les nombreux discours qu’il prononça
à la tribune du Corps législatif pour soutenir les projets de loi
du Code civil, on a remarqué surtout celui qui a pour objet les Contrats
ou les Obligations conventionnelles en général.
Napoléon Ier le fit comte de l’Empire et officier de
la Légion d’honneur, puis, à la mort de Portalis (1808), l’appela
au ministère des Cultes. Il ne fit preuve, d’ailleurs, dans ces
fonctions, d’aucune initiative personnelle, se bornant à
exécuter exactement les ordres du maître jusqu’à la chute du
gouvernement impérial. Son plus important travail était d’analyser
les mandements des évêques sur les victoires de l’Empire, et d’en
extraire les passages les plus saillants à la louange de l’empereur
pour les insérer au Moniteur. Bigot de Préameneu, qui
s’était réfugié en Bretagne à la première Restauration, en
revint aux Cent-Jours, et fut appelé à la Chambre des pairs de l’Empire,
mais il n’eut cette fois que le titre, plus modeste, de directeur
général des cultes. Il perdit encore toutes ses dignités au
second retour des Bourbons et, depuis ce temps, il ne reparut plus
sur la scène politique. Vivant dans la retraite, il ne s’occupa
que de visiter les prions et les hospices, dont il était
administrateur. Admis en 1800, à l’Académie française, il
répondit au discours de réception de l’évêque d’Hermopolis
(M. de Frayssinous) : c’est même son seul titre littéraire.
A sa mort il laissa une fortune considérable, qui était surtout le
fruit de son extrême parcimonie.
MALEVILLE
(Jacques, marquis de), député au Conseil des Anciens,
membre du Sénat conservateur et pair de France, né à Domme
(Dordogne), le 19 juin 1741, mort à Domme le 22 novembre
1824 ; fils de monsieur Pierre de Maleville et de dame
Louise-Anne de Molènes, était avocat à Bordeaux avant la
Révolution. En 1789, il prit parti pour les idées nouvelles,
devint membre puis président du directoire du département de la
Dordogne (1790), et entra ensuite au tribunal de cassation (1791).
Elu, le 26 vendémiaire an IV, député de la Dordogne au
Conseil des Anciens, par 280 voix (405 votants), ami de
Portalis et de Barbé-Marbois, il s’opposa constamment aux mesures
de violence, attaqua la loi du 9 floréal an III, qui
semblait vouloir punir les citoyens d’élever leurs enfants dans
les idées royalistes, appuya la proposition d’abroger la loi du
8 brumaire an IV, et s’éleva contre l’ingérence du
Directoire dans les affaires, et contre les innovations que l’on
voulait introduire dans le code d’instruction criminelle. Quoique
de parti clichyen, il échappa aux proscriptions du
18 fructidor, demanda (21 nivôse an VI) que la
nomination des membres des tribunaux criminels restât attribuée
aux assemblées électorales, et parla en faveur du rétablissement
de la contrainte par corps et contre les nouvelles dispositions de
la loi qui accordait des avantages excessifs aux enfants
illégitimes. Réélu au Conseil des Anciens, son élection fut
annulée en floréal an VII. Il adhéra au 18 brumaire et
fut rappelé, le 11 germinal an VIII, au tribunal de cassation,
dont il présida peu après la section civile, en remplacement de
Troncher, du préparer le projet du code civil. Membre de la Légion
d’honneur (4 frimaire an XII), président de la cour de
Cassation (29 floréal suivant), il fut créé comte de l’empire
le 26 avril 1808. Il vota, en avril 1814, la déchéance
de l’empereur et le retour des Bourbons, qui le nommèrent pair de
France, le 4 juin 1814. Là, il se prononça contre la censure,
et, lors du procès du maréchal Ney, vota pour la déportation.
Grand-officier de la Légion d’honneur en 1817, il cessa presque
entièrement, à partir de 1820, de s’occuper des affaires
publiques, en raison de son état de santé. M. de Maleville a
publié : Du divorce et de la séparation de corps (1801
et 2e édition 1816) ; Analyse raisonnée de la
discussion du code civil au conseil d’État (4 volumes,
1804-1805 et 3e édition 1822) ; Défense de la
Constitution par un ancien magistrat (1814).
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