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Exposition
Edouard Pignon : un homme et le XXe siècle

Inauguration le mardi 30 octobre 2001
Ouvert au public du lundi au vendredi
Du 31 octobre au 29 novembre 2001,
de 10 heures à 17 heures

Immeuble Jacques Chaban-Delmas
Galerie 101, rue de l'Université, 75007 Paris
(Se munir d'une pièce d'identité)

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Galerie virtuelle de l'exposition


L'Homme à l'enfant endormi
1970 Huile sur toile, 73 x 60 cm
Affichage plein écran

Edouard en "portenfant".

A propos de la série dite de L’Homme à l’enfant, le catalogue de l’exposition du Grand Palais de 1985 indique qu’en 1951-1952, Picasso et Pignon partageant le même atelier à Vallauris, avaient pris l’habitude de remonter ensemble chez Picasso, leur journée achevée. Un soir, Paloma, alors âgée de deux ans, s’endort sur les épaules de Pignon où son père l’avait installée. "J’éprouvais une sensation étrange. Sa respiration se confondait avec la mienne dans la nuit. La confiance et l’abandon d’un enfant ainsi endormi sont étonnants. Nous montions en parlant, Picasso et moi, dans l’obscurité. Et j’ai été si frappé par cette espèce de fusion humaine que j’ai commencé, dès le lendemain, mes premiers Homme à l’enfant au fusain et Homme à l’enfant endormi, qui allaient se continuer en Mineur à l’enfant".

Sans doute atteint-on ici un de ces ressorts de l’inspiration qui projette le peintre sur sa toile le matin d’une nuit qui suit une expérience marquante, dont il réalisera, ultérieurement, à quel point elle aura été fructueuse. Ce qui touche en l’occurrence, et a fortiori s’agissant de Pignon auquel colle encore, et pour longtemps, la trop commode étiquette d’artiste engagé, c’est que cette expérience, du domaine de l’intime, du registre de la fusion qu’un enfant peut susciter, rejoint quelques mythes de la culture occidentale. L’iconographie du "portenfant", mais ses modèles littéraires également, renvoient à certaines figures : celle de Saint-Christophe portant l’Enfant Jésus, évidemment, abondamment diffusée sur toutes sortes de support ; celle d’Hermès portant Dionysos enfant de Praxitèle1 ; celle, plus intéressante dans notre propos, d’Hercule et Télèphe2 dans la statuaire hellénistique3, reprise dans la sculpture classique du XVIIe français4, où tout se joue dans le contraste entre la force brutale du héros et la confiante fragilité de l’enfant.

Mais c’est un texte, un poème de Goethe, Le Roi des Aulnes, qui peut constituer une grille de lecture plus éclairante des œuvres de la série L’Homme à l’enfant de Pignon. Le Roi des Aulnes est traversé par un dialogue entre l’enfant porté et le père portant, dans lequel s’inscrit progressivement une métamorphose par laquelle des sensations qui semblent d’abord simplement oniriques basculent dans un réel et complet cauchemar. De la série de Pignon, considérée dans son ensemble (des dessins de 1953 au grand mur céramique-sculpture de Lille de 1976-1977, en passant par les tableaux de 1970), émane le même type de beauté, totalement inquiétante : celle qui procède d’un échange, de la communication indistincte entre l’adulte et l’enfant qui se perpétue, de peinture en peinture, pendant plus de vingt ans, tandis que se transfigure le visage de l’homme, dans lequel s’incarnent les traits d’un personnage fantastique, mi-homme mi-diable au profil étrangement faunesque5. De même que dans le poème de Goethe, où la mortelle chevauchée dans les brumes de la lande révèle à l’enfant délirant de fièvre l’ombre du Roi des Aulnes qui cherche à le ravir, Pignon introduit dans ses dernières compositions un arrière-plan, qui devient motif autonome et à part entière dans la céramique-sculpture de Lille, où se côtoient des formes envahissantes et agressantes, empruntées aux Batailles ou aux Combats de Coqs, qui semblent violemment se projeter vers le visage de l’enfant.

Dans L’Homme à l’enfant, en vingt années de variations, c’est donc seulement le visage de l’homme qui se sera métamorphosé, abandonnant la lisse rigidité des figures des Mineurs desquelles il provient explicitement, pour adopter un faciès tourmenté dont le caractère ogresque est évidemment accentué par la permanence du calme des traits de l’enfant porté, bouleversante allégorie de l’innocence et de l’abandon.

N’est-on pas là alors, avec cette série, comme dans le palimpseste de tout l’œuvre peint de Pignon, avec autoportrait de l’artiste en personnage central, faisant signe, de 1953 à 1970 au fur et à mesure qu’il enregistre sa propre altération physique, qu’il s’oblige à ne point réveiller l’enfant endormi, qu’il accumule en contrepoint l’évocation des violences les plus sanglantes, et qu’il témoigne ainsi de sa résolution à rejeter toute recherche, sinon du "beau", du moins de l’inutilité de toute quête de l’esthétique en peinture ?

Didier Schulmann
Conservateur au Centre Georges Pompidou / Musée national d’art moderne

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Notes : 
1 au Musée du Vatican.
2 Télèphe est le fruit des amours d’Hercule avec Augé, fille d’Aléos, roi de Tégée, et prêtresse d’Athéna.
3 cf. entre autres, Héraclès et Télèphe, coll. de statuaire romaine, Musée du Louvre, provenant de Tivoli (Villa Hadriana), d’après un bronze grec (Lysippe ?), 2ème quart du IVe siècle avant J.C..
4 cf. Jouvenet, Hercule et Télèphe, 1684-1685, parc du Château de Versailles.
5 Cf. Philippe Bouchet dans cat. Edouard Pignon, rétrospective, Palais des beaux-arts, Lille, 1997-1998, p. 89.

Edouard Pignon, un homme et le XXe siècle.

Dès la fin de la Première Guerre mondiale, nombreux sont ceux qui interprètent le conflit comme l’évidente démonstration de la fin d’un monde. Les convictions du siècle passé devenues caduques, il est permis de penser que l’ampleur du désastre va ouvrir sur une nouvelle marche du temps et du progrès, sur un monde meilleur.

Contemporaines de cette période, il ne fait pas de doute que l’enfance et l’adolescence d’Edouard Pignon, qui se déroulent dans une petite ville minière du Nord, se nourrissent avant tout de ce mythe d’une histoire émancipatrice. Après son arrivée à Paris à la fin des années vingt, les débats autour de l’idée d’un "art moderne", d’un art monumental - auxquels il assiste lors de cette période d’apprentissage - s’inscrivent eux aussi dans la perspective d’une reconstruction de la société sur de nouvelles bases.

Toutefois, en ces années d’incertitude prémonitoires de la décennie dramatique qui s’annonce, si les peintres ambitionnent d’anticiper le réel à venir, leurs œuvres, lorsqu’elles n’investissent pas le terrain de l’utopie, sont d’abord marquées au sceau du passé immédiat.

En 1936, Edouard Pignon peint un Hommage aux mineurs des Asturies réprimés pendant les grèves d’Espagne. L’engagement, qui marque alors la thématique de son œuvre, s’incarne dans la pratique d’une peinture moderne qui, tout en renouant avec la tradition des maîtres anciens, se pense à la fois par rapport à l’Histoire et à l’Histoire de l’art.

Du reste, c’est à l’évidence l’engagement de l’artiste, exagérément associé plus d’ailleurs aux positions de la personne qu’à la réalité de son travail, qui entretient encore largement la confusion sur la portée de sa démarche créatrice. Pourtant, sa quête de la réalité - titre de l’un de ses livres devenu aujourd’hui un texte classique, témoignage essentiel de la parole du peintre et du sens qu’il voulait donner à sa peinture - relève clairement d’un questionnement face aux événements du monde. C’est d’ailleurs en ce sens qu’il convient de situer l’engagement militant qui fut le sien tout au long de sa vie.

Même si l’époque et l’atmosphère guerrière de l’actualité pénètrent les séries présentées ici - Batailles, Têtes de guerriers et Seigneurs de la guerre qui renvoient la vérité de violence et de mort des années soixante et soixante-dix - ces œuvres ne donnent ni à lire, ni à voir, un événement ! Elles sont moins déterminées par l’Histoire que portées par elle. Dans leur antagonisme au monde, tantôt dénonciatrices du climat tragique avec les Guerriers, tantôt consolatrices avec les Hommes à l’enfant, elles montrent la trace de l’Histoire, la confrontation d’un homme avec l’époque qu’il vit et qu’il traverse.

Toutes ces œuvres se posent, pourrait-on dire, en un condensé du siècle. Elles figent non seulement l’image qu’il nous renvoie mais aussi la marque qu’il imprime sur son passage. Dès lors, elles deviennent impossibles à concevoir hors du contexte qui les a produites. De même, peut-être est-il tout aussi impossible d’imaginer le XXe siècle sans ces œuvres qui en sont le saisissant reflet.

Philippe Bouchet
Rédacteur du catalogue raisonné

Chronologie

1905 : Naissance d’Edouard Pignon à Bully-les-Mines (Pas-de-Calais).

1927-1940 : Installé à Paris, exerce divers métiers tout en suivant des cours de peinture dans des écoles du soir. Peint en 1936 la première version de L’Ouvrier mort (Paris, Musée national d’art moderne).

1940-1945 : Membre du groupe des Jeunes peintres de tradition française. Premier contrat avec la Galerie de France qui le représentera jusqu’en 1976.

1945-1950 : Commence à peindre par "séries" : les Catalanes, Ostende, les Mineurs.

1950-1958 : Séries des Paysans, des Paysages et des Oliviers où il intensifie son approche du réel. Peint en 1952 la deuxième version de L’Ouvrier mort (Paris, Musée national d’art moderne).

1958-1961 : Multiplie ses séjours dans le Nord pour dessiner au milieu des combats de coqs qui deviennent, au fil des années, sa signature.

1961-1964 : Plusieurs séjours d’été en Italie (depuis 1958) lui inspirent les Battages et Pousseurs de blé. L’une des dernières toiles de la série, intitulée La Moisson-guerre, ouvre la période des Batailles (1961-1964).

1965-1966 : S’intéresse (depuis 1962) aux plongeurs qui concluent sa première rétrospective au Musée national d’art moderne en 1966. Parution de son livre d’entretiens, La Quête de la réalité.

1967-1970 : Séries des Seigneurs de la guerre et des Têtes de guerriers (depuis 1964) qui sont exposées en 1970 au Musée Galliéra à Paris avec des Hommes à l’enfant.

1971-1982 : Entreprend des séries d’aquarelles et de tableaux de Nus qu’il déclinera à travers les suites des Bleus de la mer (1978-1981) et des Nus aux cactus (1979-1982).

1982-1985 : A la faveur d’anciens carnets d’études, reprend deux thèmes traités dans les années 1950 : les Hommes de la terre (1981-1982) et les Electriciens sous le titre Haute tension (1982). Héritage des Nus et de leurs dérivés, les Dames du soleil (1983-1984) occupent la dernière salle de son importante rétrospective au Grand Palais en 1985.

1986-1989 : Atteint d’une cécité progressive, peint l’ultime série des Nus géants.

Décès le 14 mai 1993

Remerciements : Pierre et Franca Belfond, Daniel Boys, Sophie Cazé, Claire Galliano, Nicolas Pignon, Didier Schulmann. Commissaire de l’exposition : Philippe Bouchet. Textes : Philippe Bouchet, rédacteur du catalogue raisonné ; Didier Schulmann, Conservateur au Centre G. Pompidou / Musée national d’art moderne, Paris. Crédits photographiques : Studio Muller / Bernard Matussière ; Pierre Golendorf.