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La Journée du Livre
POLITIQUE

 

LE PRIX DU LIVRE POLITIQUE 2004

 

Ni putes, ni soumises,
de Fadela AMARA, avec la collaboration de Sylvia Zappi,
La Découverte (septembre 2003
)

« Ni Putes Ni Soumises ». C’est avec ce slogan volontairement provocateur qu’une poignée de filles de banlieues lance au printemps 2002 un manifeste dénonçant le machisme et les violences masculines. Après le meurtre de Sohane, brûlée vive à Vitry-sur-Seine par un garçon d'une cité voisine, le mouvement s’amplifie et débouche en février 2003 sur une « Marche des femmes contre les ghettos et pour l’égalité », formidable élan de libération d'une parole trop longtemps retenue. Fadela Amara est l’initiatrice et la figure emblématique de cette marche. Ce livre correspond à son désir de briser l’omerta et de poursuivre les débats engagés alors. À travers l'évocation de son parcours - filles d'immigrés algériens, née en France en 1964, elle a grandi dans une cité de Clermont-Ferrand et s'est très rapidement tournée vers le militantisme - et les témoignages reçus pendant la marche, elle tente ici de comprendre les raisons de la dérive des banlieues. Au-delà de son récit singulier, ce sont les voix de milliers de jeunes femmes qui se font entendre, exprimant leurs interrogations et leur révolte : pourquoi cette recrudescence des violences à l'égard des filles et cette régression du statut des femmes dans les cités ? Face au constat amer de la décomposition du lien social et de la dégradation des rapports entre hommes et femmes, Fadela Amara délivre ici un message de colère, de lutte et d’espoir. Celui de voir les filles des cités gagner leur liberté, dans un rapport pacifié avec l’autre sexe.


La France qui tombe,
de Nicolas BAVEREZ,
Perrin (octobre 2003)

Nicolas Baverez réfléchit sur la spécificité du domaine français et s’interroge sur la part croissante et inexorable de son malaise. Dans La France qui tombe, Nicolas Baverez s’essaie à une analyse d’un quart de siècle de politique et d’économie « à la française ». Pour lui « l’écart se creuse entre la rhétorique de la puissance et les moyens de son exercice ». Chiffres à l’appui – ceux du chômage, des dépenses publiques, de la production et du travail – Nicolas Baverez envisage « la chronique annoncée du déclin de la France » due au fait que chaque gouvernement depuis l’après-guerre se trouve comme paralysé par l’idée d’une réforme. Et pas plus la gauche que la droite n’ont réussi à ce jour à engager le pays dans la voie d’une vraie modernité ; leur offre politique se révélant « incapable d’élaborer, d’assumer et de mettre en œuvre un projet ambitieux et cohérent de modernisation du pays ».

L’essai de Nicolas Baverez pointe les dysfonctionnements du système français. Ce n’est pas, selon lui, que la France soit irréformable, c’est surtout « que le gouvernement est incapable de concevoir et réaliser les réformes ». Sa charge vise tout autant un modèle culturel fondé sur un ancrage archaïque des mentalités qu’une absence de volonté d’envisager à chaque niveau un destin collectif. Baverez, à grand renfort de chiffres et d’exemples, veut parvenir à l’équation alarmiste que l’immobilisme politique, social et économique de la France a pour corrélation son avachissement intellectuel et moral.

Présentation de l’auteur

Avocat, historien et économiste, Nicolas Baverez signe dans Le Point et au Monde des éditoriaux aigus, de grande audience.


Témoins du futur. Philosophie et messianisme,
de Pierre BOURETZ,
Gallimard (août 2003)

Il s'agit d'un ouvrage considérable de plus de mille deux cent pages relevant de l'histoire des idées et de la philosophie pure.

Guerres d'ampleur inconnu, rêves d'émancipation brisés, extermination: le XXe siècle a été le cimetière du futur. Il y a des témoins: de Hermann Cohen à Emmanuel Lévinas, d'Ernst Bloch à Leo Strauss, de Franz Rosenzweig à Gershom Scholem, de Walter Benjamin et Martin Buber à Hans Jonas, ils sont allemands d'origine ou de culture, juifs et philosophes. Leur formation, leurs préoccupations et leur orientation parfois s'opposent, mais souvent se croisent: entre l'engagement sioniste et des formes hétérodoxes de marxisme, dans la redécouverte de traditions cachées de l'histoire juive, au carrefour de l'éthique et de la métaphysique. Ils ont en commun d'avoir contribué à introduire dans la philosophie une dimension messianique inédite. La raison en est que, à un moment donné de leur critique du monde comme il va, l'expérience historique s'est dressée comme un obstacle qu'il fallait se résigner à accepter ou tenter de surmonter pour dégager un nouvel horizon, tourné vers le futur, ouvert à l'utopie, en un mot messianique. Les plus grands de leurs prédécesseurs avaient annoncé le désenchantement du monde et proposé d'en payer le prix: leurs oeuvres portent la trace d'une morsure du nihilisme. Eux se sont risqués à la résistance et au sauvetage des promesses du monde: c'est la lumière messianique qui éclaire leur oeuvre. Thèses de Walter Benjamin sur l'histoire, principe de responsabilité envers les générations futures chez Hans Jonas, redéfinition par Emmanuel Lévinas des formes de l'éthique, voici quelques-unes des problématiques qui irriguent désormais la philosophie.

Entre les penseurs, Pierre Bouretz a développé des continuités, des analogies, etc. Même si leur système prenait des sources différentes, parfois opposées : Kant pour Cohen, Marx pour Bloch ou Benjamin, la mystique pour Buber, etc.


Tirs croisés - La laïcité à l’épreuve des intégrismes chrétien, juif et musulman,
de Caroline FOUREST & Fiammetta VENNER,
Calmann-Lévy (octobre 2003)

Depuis le 11 septembre 2001, le monde vit dans la hantise du terrorisme musulman. Mais ce traumatisme n’a pas permis une réflexion en profondeur sur l’origine de ce terrorisme : l’intégrisme. Quand il l’a fait, le monde occidental a voulu se persuader que seul l’islam pouvait susciter la barbarie. Ce qui a le mérite de rassurer et d’accréditer la thèse du « choc des civilisations ».

Caroline Fourest et Fiammetta Venner se sont plongées dans les documents, les témoignages, les interviews et les textes sacrés. Elles apportent un cinglant démenti à cette illusion en démontrant que, sur bien des points (comme les droits des femmes, la sexualité, l’intolérance culturelle ou la violence), le monde dont rêvent les intégristes musulmans ressemble à s’y méprendre à celui prôné par les intégristes juifs et chrétiens. Mieux, malgré les apparences d’un choc des religions, leurs actions convergent vers un monde toujours plus instable et de moins en moins sécularisé dont tous profitent.

 La véritable ligne de fracture, loin d’isoler l’Islam du « reste du monde », pourrait surtout séparer partout dans le monde les démocrates des théocrates – autrement dit, les partisans d’une cité ouverte, tolérante et protectrice des libertés individuelles –, des intégristes, fondamentalement d’accord pour prendre la laïcité sous les tirs croisés de leurs fanatismes.

Ce livre analytique par son ton et sa méthode, mais explosif par les questions qu’il soulève et les réponses qu’il apporte, est un signal d’alarme pour tous les défenseurs des libertés et de la laïcité.

Présentation des auteurs

Fiammetta Venner est boursière CNRS, en séjour post-doctoral au Cadis durant les années 2003 et 2004. Elle a soutenu en 2002 un doctorat en science politique à l'IEP de Paris (spécialisation sociologie politique et politiques publiques). Elle est directrice de publication de la revue Prochoix.

Spécialiste de l’extrême droite religieuse, rédactrice en chef de la revue ProChoix, Caroline Fourest enquête depuis cinq ans sur les réseaux « pro-vie » français et internationaux. Elle a déjà publié : Les Sponsors du Front national et ses amis (Éd. Raymond Castells), Les Anti-PaCS ou la dernière croisade homophobe (ProChoix) avec Fiammetta Venner.


Bas les voiles !,
de Chahdortt DJAVANN,
Gallimard (septembre 2003)

Un livre court (47 pages) mais d'une grande clarté fournissant un riche argumentaire sur la question, écrit par une Iranienne anthropologue vivant en France. « Bas les voiles ! » est le pamphlet de cette rentrée littéraire 2003. L'auteur est iranienne et elle sait de quoi elle parle. Le ton est donné dès les premières lignes : « J'ai porté dix ans le voile. C'était le voile ou la mort. Je sais de quoi je parle. »

Âgée de 13 ans lors du « désastre historique de 1979 », elle a été « réprimée, condamnée à être une musulmane, une soumise, et emprisonnée sous le noir du voile » jusqu'à l'âge de 23 ans. Depuis, elle a quitté son pays et s'est installée en France où elle vit depuis dix ans. Pour répondre aux multiples malentendus véhiculés par l'opinion et les experts improvisés de la question, elle signe un texte clair et tranché, fruit à la fois d'une expérience personnelle et d'une enquête approfondie.

Où sont ces intellectuels de salon complices de la barbarie islamique quand, en France, on force des fillettes à se murer dans une prison portative ? Que disent-ils quand, de fait, des enfants de 10 ans sont réduites au statut d'un objet sexuel à préserver pour la jouissance du futur mari ? Le droit à la différence, l'expression de la foi (quelle foi ? celle d'entériner l'infériorité de la femme ?), le refus de l'exclusion à l'école : voilà leurs lâches démissions, oubliant toutes celles, beaucoup plus nombreuses, qui sont contraintes à la porter. L'auteur ne dresse aucune liste de noms, elle serait trop longue. Un seul apparaît cependant : la Ligue de Droits de l'Homme et sa relecture de la laïcité qui, selon elle, n'interdirait pas d'afficher son esclavagisme religieux à l'école.

Mais Chahdortt Djavann va plus loin. Le voile, imposé aux enfants, opère une véritable perturbation psychologique autant intime que destructurante. Il faut donc l'interdire pour les filles. Non pas en invoquant la laïcité mais, plus simplement, par respect des droits humains, une valeur universelle quoiqu'en disent les islamistes.

L'écriture est passionnée et la lecture ne l'est pas moins. Une charge qui n'a que faire des politesses diplomatiques : Bas les voiles ! explique sans fard ce que signifie imposer le port du voile aux femmes, et ce que cela implique de l'autoriser en France.


Au nom de l’autre. Réflexion sur l’antisémitisme qui vient,
Alain FINKIELKRAUT,
Gallimard (septembre 2003)

« Il faut du courage pour porter une kippa dans ces lieux féroces qu'on appelle cités sensibles et dans le métro parisien ; le sionisme est criminalisé par toujours plus d'intellectuels, l'enseignement de la Shoah se révèle impossible à l'instant même où il devient obligatoire, la découverte de l'Antiquité livre les Hébreux au chahut des enfants, l'injure « sale juif » a fait sa réapparition (en verlan) dans presque toutes les cours d'école. Les Juifs ont le coeur lourd et, pour la première fois depuis la guerre, ils ont peur ». Alain Finkielkraut livre dans ce petit essai un texte concis - particulièrement clair et d'une écriture alerte et remarquable - les réflexions que lui inspire le retour d'actes, d'intimidations, injures et agressions qui ont frappé et déstabilisé la communauté juive depuis la toute fin du mois de septembre 2000. Le texte est court et il ne s'agit pas au sens strict d'une étude scientifique décryptant et analysant le pourquoi du comment, mais bel et bien des réflexions personnelles du philosophe.


Chateaubriand. Poésie et terreur,
de Marc FUMAROLI,
Editions de Fallois (octobre 2003)

Bousculant les académismes et les pseudo-modernités, Marc Fumaroli dresse un monument pluriel à la gloire d'un écrivain majeur. Un homme des mutations, au carrefour crucial de l'histoire de France, comme de celle de l'Europe et du monde.

Chacun de ses chapitres peut être lu comme un tout, à part et à loisir. Chacun contient l'esprit soit d'un grand auteur classique, Milton, Rousseau, Mme de Staël, Byron, Tocqueville, Baudelaire, Joseph Conrad, Marcel Proust, soit d'un poète inconnu et qui vaut la peine d'être découvert, Fontanes, Ballanche, soit le portrait d'un héros ou d'une héroïne célèbre, Napoléon, Talleyrand, Pauline de Beaumont, Mme Récamier. Tous ces auteurs et tous ces personnages se rattachent en effet les uns aux autres par le dialogue que Chateaubriand a poursuivi avec eux, au cours de son voyage d'Ouest en Est, d'Est en Ouest, du Nord au Sud, de saison en saison, pour comprendre le « siècle des révolutions », le sien, le dernier siècle au cours duquel la France était en mesure d'orienter le destin du monde et dont il lui revenait de dire à la fois la grandeur et l'échec. L'intrigue qui fait l'unité de ce livre-gigogne, c'est la lente genèse, répartie sur près d'un demi-siècle, d'un chef-d'œuvre poétique et politique : les Mémoires d'outre-tombe. Les enjeux de cette intrigue, mais aussi son décor, c'est l'histoire de France cassée en deux tronçons par la Terreur de 1792-1794, c'est le tremblement de terre, ininterrompu jusqu'à nos jours, dont cette tragédie reste l'épicentre, et ce sont les régimes éphémères qui se sont hissés tour à tour en France, du vivant de Chateaubriand, sur ce terrain mouvant. C'est aussi l'itinéraire, dans ce siècle, d'un esprit libre, qui fut un immense écrivain et une âme religieuse, ravagé et mis au défi par la face de Gorgone de la Terreur.


Ouest contre Ouest,
de André GLUCKSMANN,
Plon (mai 2003)

« Un grand débat stratégique s’est ouvert avec fracas. Il dominera la décennie qui vient ». Le fracas dont parle André Glucksmann dans son dernier ouvrage Ouest contre Ouest, c’est bien évidemment le chaos retentissant de la chute des tours du World Trade Center. Pour le philosophe, cet événement majeur doit nous mettre face à de nouvelles interrogations : soit nous défendons une histoire et une culture de la civilisation, héritière de la pensée hellénique et de l’esprit des Lumières, soit nous concédons à un nihilisme, celui du terrorisme qui nie la liberté individuelle qui est notre droit le plus fondamental. Après son Dostoïevski à Manhattan où il démontrait que le terrorisme n’est pas tant une question d’organisation et de planification politique qu’une question de volonté et de détermination, le philosophe André Glucksmann continue d’interroger le phénomène du 11 septembre. L’événement retentissant place tout homme conscient et responsable comme à la croisée des chemins. L’éthique de la responsabilité qui en découle n’est pas mince. Pour lui, le 11 septembre est effectivement un événement majeur en ce sens qu’il pose la question de l’avenir de l’humanité. Ne pas prendre la mesure de ce changement, de ce basculement d’ordre des choses et d’ordre du monde, reviendrait à croire que rien ne s’est passé. Au nom d’une casuistique qui engage à ne pas se tromper d’ennemi, le philosophe apporte son soutien à l’administration Bush. Quand bien même Glucksmann ne se revendiquerait pas d’une idéologie politique proaméricaine, il déplore et critique une position politique française passéiste et manquant de réalisme.

Dans Ouest contre Ouest Glucksmann avance qu’une guerre idéologique se joue chez nous, en Occident, opposant « les attardés du 10 septembre et les réveillés du 11 ». Vif et polémique, cet essai cherche à empoigner et à comprendre au présent les conflits de notre monde. La dangerosité de la situation réclamant pour le philosophe plus de discernement de notre part que de simples vœux pacifistes et malheureusement utopistes. Selon Glucksmann, la question des questions n'est pas multipolarité ou unipolarité, mais nihilisme ou civilisation.

L'auteur vu par l'éditeur

André Glucksmann a publié son premier livre, Le Discours de la guerre, en 1967. On connaît le retentissement de La Cuisinière et le mangeur d'hommes, des Maîtres penseurs et de La Bêtise. Son dernier ouvrage, Dostoïevski à Manhattan, a été publié en 2002 avec un grand succès.


Le goût de l’avenir,
de Jean-Claude GUILLEBAUD,
Seuil (mai 2003)

La grande question qui habite ce livre est la suivante : les changements prodigieux que nous vivons sont-ils en train de nous déposséder de l’histoire ? Pouvons-nous agir encore sur notre destin et choisir notre avenir en toute connaissance de cause ? La question est urgente tant cette « grande bifurcation » qui agite l’époque, (voir La refondation du monde) s’accomplit sous nos yeux fait de nous des témoins apeurés et incertains. Jean-Claude Guillebaud fait ici le pari de renoncer au renoncement, de déplacer les lignes, de mettre au jour les contradictions qui paralysent et la pensée et l’action, pour choisir notre avenir. Il en est temps, si nous acceptons de penser sans a priori nos contradictions, celles qui habitent les sociétés et celles qui traversent les individus.

Des exemples: souci de la règle ou désir de liberté, où fixer les limites et donc définir la transgression ? Individualisme revendiqué et besoin d’un lien social renforcé, comment les concilier? L’affirmation contemporaine du droit et du devoir de transparence (pour l’individu, pour la justice, pour l’économie etc.) doit-elle prendre le pas sur l’intime ? Et si la notion, aujourd’hui récusée, de « péché originel » était une façon de penser innocence et culpabilité d’une façon non manichéenne, la ligne de partage entre les deux passant à l’intérieur de chacun de nous ? L’obsession du corps et du tout biologique n’est pas plus recevable que l’illusion du tout esprit que les sciences nous prépareraient. Croire qu’on sait ou savoir qu’on croit : où sont les fondements de la tolérance, de la démocratie ? Cette réflexion mêle des références philosophiques clairement expliquées, un ancrage dans le réel toujours éclairant. Ce livre fait penser sans timidité, il n’impose pas mais il revendique le droit de savoir pour choisir.

L’ouvrage de Jean-Claude Guillebaud est, à cet égard, salutaire : la clarté et l’élégance avec laquelle il nous fait circuler dans le maillage serré du treillis intellectuel et moral de notre temps nous éclaire et, ce faisant, nous fait renouer avec l’ambition de comprendre, de comprendre notre histoire contemporaine, de nous comprendre nous-mêmes. L’orientation de ses analyses est d’inspiration à la fois sociologique – avec une nouvelle mise en cause de l’individualisme ambiant et de ses effets délétères – et philosophique, en particulier avec le repérage de l’oubli de la question du mal dans la réflexion des philosophes de la fin du XXe siècle. Un essai audacieux qui, même s’il ne convainc pas toujours dans les diagnostics qu’il porte, représente une solide contribution à l’indispensable débat collectif sur la nature du monde qui est en train de naître.

Présentation de l’auteur

Jean-Claude Guillebaud est écrivain, journaliste et éditeur. Derniers livres publiés : La Trahison des Lumières (prix Jean-Jacques Rousseau, 1995), La Tyrannie du plaisir (prix Renaudot-essai, 1998), La Refondation du monde, Le Principe d'humanité (grand prix européen de l'essai, 2002).


Rupture dans la civilisation
de Jacques Julliard
Gallimard (novembre 2003)

Longtemps, la fascination qu'ont exercée sur la plupart d'entre nous les États-Unis venait de leur ambivalence : ils se présentaient à la fois comme les héritiers de l'Ancien Monde et les inventeurs du Nouveau. Nous autres vieux Européens les considérions avec le regard mouillé de tendresse de parents qui voient leurs enfants les surpasser en hardiesse, en invention, en réussite, tout en leur restant fidèles. Ce temps-là n'est plus. En renonçant à son ambivalence, l'Amérique a renoncé à son identité.


La fabrique d’une nation. La France entre Rome et les Germains des origines à nos jours,
de Claude NICOLET,
Perrin (septembre 2003)

Dans cet essai Claude Nicolet étudie scrupuleusement l'enjeu de l'hérédité double, romaine et « barbare », dans la représentation spécifique de la France.

On se souvient que le spécialiste de l'ordre équestre romain, qui signa un mémorable Métier de citoyen dans la Rome républicaine (1976) très vite tenu pour un « classique », avait dans le même temps investi le champ du contemporaniste avec, notamment, son Idée républicaine en France 1789-1924 (1982).

Rien de surprenant, donc, à ce qu'il réexamine la question des origines du discours « national » depuis les Grandes Chroniques de Saint-Denis de l'automne médiéval. Si Nicolet circonscrit prudemment son enquête aux seuls cercles du monde érudit, il en tire le saisissant tableau d'une représentation que se disputent plusieurs mythologies originelles, courants « germaniste » et romaniste » opposés à dater du XVIe siècle. Fondant la nation France sur une égalité romaine qui sait se faire assimilatrice ou sur un « droit de conquête » qui instaure la légitimité de nobles privilégiés, les théoriciens se répondent au fil des âges. Au temps des Lumières, avec Boulainvilliers, dont le traité posthume, L'état de la France (1727), est justement lavé du soupçon de racisme biologique comme « national » que des sectateurs partisans lui feront encourir, et l'abbé Dubos, dont l'Histoire critique (1734) voit dans la monarchie française la seule héritière légitime et directe de Rome.

Au XIXe, où François Guizot comme Augustin Thierry, très « politiques », requalifient l'approche historique abandonnée à la Révolution, l'un promouvant le concept de « civilisation » quand l'autre joue la « guerre des races » et ancre le débat sur la parenté du couple franco-allemand. Le moment-clé du « césarisme » avec Napoléon III et Stoffel en quête du vrai site d'Alésia, et la réaction de Mommsen, puis l'apport de Fustel de Coulanges, historien du long terme qui revendique pour la France l'« esprit latin », quand son élève Camille Jullian entrevoit dans son Histoire de la Gaule une nation presque formée, communauté de langage, de croyances, voire de formes politiques, à la veille de la conquête... Ce qu'il nomme un « tempérament ».

Au terme d'une enquête où la rivalité avec le voisin germanique est toujours dans le champ, c'est sur l'effacement des distinctions, sur un territoire défini d'abord par le pouvoir politique, et finalement le consentement explicite des individus que semble être née la nation à la française. Des variations stimulantes d'ethnogenèse qui éclairent les avatars du nationalisme.


Le pouvoir du " Monde ". Quand un journal veut changer la France,
de Bernard POULET,
La Découverte (octobre 2003
)

Depuis sa relance en 1995, Le Monde a reconquis une hégémonie médiatique qu'il avait longtemps laissée échapper. On l'avait dit moribond, il est redevenu un faiseur d'opinion, un acteur majeur de la vie politique. C'est précisément ce rôle retrouvé qui explique l'ampleur du séisme politico-médiatique provoqué début 2003 par le livre de Philippe Cohen et Pierre Péan, La face cachée du Monde. Un livre qui, par ses partis pris et ses excès, permet difficilement de comprendre la place qu'il occupe désormais sur l'échiquier politique français.

Écrit sans haine, nourri d'une enquête au long cours, ce livre de Bernard Poulet porte sur le célèbre « quotidien du soir » un regard critique autrement révélateur de la crise du journalisme contemporain. Revenant sur la crise qui a secoué Le Monde, il explique comment et pourquoi ses dirigeants se sont si mal défendus. Surtout, loin des attaques ad hominem, il met à jour les ressorts de l'incroyable ambition qui a animé Jean-Marie Colombani, Edwy Plenel et Alain Minc depuis huit ans : rien moins que changer la République…

Bernard Poulet révèle ainsi l'ancienne et étrange fascination-répulsion entre François Mitterrand et les leaders de la gauche de la rédaction, un facteur clé pour comprendre l'évolution ultérieure du quotidien depuis que ces derniers ont pris le pouvoir. Et il raconte comment, sans jamais s'en expliquer clairement auprès de leurs lecteurs, ils ont conduit une véritable révolution journalistique, faite d'innovations mais aussi, en privilégiant les « coups » et la mise en scène de l'information, de graves dérapages…

Présentation de l’auteur

Bernard Poulet, journaliste, est rédacteur en chef à L'Expansion.


Castro l’infidèle,
de Serge RAFFY,
Fayard (septembre 2003)

Roman hallucinant mais vrai, entre thriller politique, chanson de geste et réalisme magique à la Garcia Màrquez : cette biographie de Fidel Castro, résultat de longues années d'enquête, de centaines d'entretiens et de témoignages exclusifs sur un personnage historique « monumental », tyran, missionnaire, marxiste, jésuite, regorge de révélations. Sur ses amours tumultueuses, officielles et interdites, ses enfants secrets, sa haine viscérale de la famille et des homosexuels. Révélations aussi sur ses relations très précoces avec les services secrets soviétiques, sur son terrifiant système répressif, sur les coulisses de la « crise des missiles », sur la véritable histoire de l'assassinat du président Kennedy, sur la mort du Che, enfin expliquée, sur le rôle de Cuba dans le dossier chilien qui a abouti à la chute et la mort de Salvador Allende, sur l'affaire Ochoa, sur la peur de Gorbatchev d'être victime d'un attentat à Cuba, sur le jeu tortueux des USA qui, après avoir tenté de l'assassiner à de multiples reprises dans les années soixante, ont fini par tolérer ce dictateur « pas comme les autres » afin d'avoir, à leur porte, un « échantillon communiste inoffensif ». Pour la première fois, un livre plonge au cœur de la légende du Comandante, homme caméléon, stalinien tropical, génie ou psychopathe, qui a inventé un nouveau genre littéraire malheureusement appliqué au peuple cubain : l'irréalisme tragique.

Présentation de l’auteur

Serge Raffy, 50 ans, a été rédacteur en chef du magazine Elle et rédacteur en chef adjoint du Nouvel Observateur. Journaliste, écrivain, scénariste, il est l'auteur des Enfants de Gaston (Lattès 1989), La Veuve (Fayard, 1994), Monsieur Gendre (Fayard, 1995), Jospin, secrets de famille (Fayard, 2001), et a également publié, aux éditions Pauvert (1999), Lignes de fuite, un recueil de poésie.


Adieu à la France qui s’en va,
de Jean-Marie ROUART,
Grasset (septembre 2003)

Romancier, (Prix Renaudot, Prix Interallié), directeur du Figaro littéraire, académicien, Jean-Marie Rouart est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages remarquables et toujours salués par la critique.

Dans ce livre – qui conjugue subtilement une trame autobiographique à une trame idéologique – Jean-Marie Rouart se penche sur une énigme : qu’est-ce que la France ? Ou, plutôt : quelle est sa France à lui ? Cette question, à vrai dire, n’est pas nouvelle de la part d’un écrivain dont les romans ou les chroniques n’ont cessé – depuis Avant-guerre jusqu’à sa défense d’Omar Raddad, depuis sa biographie du cardinal de Bernis jusqu’à son éloge du Duc de Morny - de traquer l’essence d’un pays qu’il aime à la folie, mais qui ne ressemble pas toujours à l’idée qu’il s’en fait.

Car la France de Jean-Marie Rouart, au fond, n’est pas « progressiste », ni « réactionnaire ». C’est, de l’aveu même de l’auteur, « un jeu de miroirs avec la mémoire », où l’on trouve Jeanne d’Arc et Romain Gary, l’aventure coloniale et la Résistance, l’affaire Dreyfus et le martyre des Moines de Tibirine, Vichy et Valmy, Stendhal et de Gaulle, Drieu la Rochelle et Chateaubriand… « Sa » France, c’est aussi – d’abord - une aptitude à l’universel toujours contrariée par des régressions identitaires ; c’est une façon d’aimer, une manière agnostique de rester chrétien… Avec cet essai, écrit à la première personne, très « Berlien » d’inspiration, ce jeune académicien a donc choisi de voyager par l’esprit dans l’éternité d’une nation où l’on a l’habitude de faire de la littérature avec l’histoire, et de la politique avec la littérature. A sa façon, toute impressionniste, plus charnelle qu’abstraite, Rouart nous donne là une « anti-idéologie française » dans la mesure où il tient pour acquis que la France est ce pays qui, irrésistiblement, a su déjouer le pire – tout en le frôlant, parfois, de très près…


La Dernière Génération d’octobre,
de Benjamin STORA,
Stock (septembre 2003)

Stora se fait l'historien de sa propre mémoire : dans La Dernière Génération d'Octobre, pour la première fois, sans toujours pouvoir s'y tenir, il dit « je ». Il raconte son enfance au 2, rue Grand, à Constantine (la « Jérusalem du Maghreb »), l'exil familial en juin 1962, enfin les épousailles avec la République, par l'entremise de l'espérance révolutionnaire. Si elle est très présente dans la Dernière Génération d’Octobre, l’Algérie n’est pourtant pas le sujet central de ce dernier essai. Il s’agit ici d’une sorte d’itinéraire d’un enfant du siècle, le livre-bilan d’un homme qui, la cinquantaine arrivée, éprouve le besoin de refaire le chemin de sa vie et d’en comprendre le déroulement. S’efforçant d’en être à la fois le témoin et l’historien : « Un témoin lesté d’une expérience, et un historien regardant de plus loin par-dessus l’épaule du témoin. » Même s’il parle de et sur lui, Stora ne s’isole pas de toute une classe d’âge née à la politique en mai 1968, et qui en sera marquée à vie. D’où le titre du livre qui « espère contribuer à la connaissance d’une génération [...] qui, peut-être, fut la dernière en France à croire aux idéaux portés par la révolution russe d’octobre 1917 ».

Les documents cohabitent ici avec les souvenirs, et le style de l'historien avec celui du témoin. À côté des analyses politiques, émergent l'ambivalence des sentiments (fraternité, dévouement, mais aussi pulsions totalitaires), le clair-obscur des images (batailles de rue et scènes d'exclusion), ou encore un formidable portrait du père, figure décisive d'un douloureux « rendez-vous manqué ».


Le nouveau désordre mondial : Réflexions d’un Européen,
de Tzvetan TODOROV
Robert Laffont (septembre 2003)

Force ou droit ? Hyperpuissance ou monde « multipolaire » ? Derrière les débats nés de la guerre d'Irak et de ses conséquences se cachent les inquiétudes durables d'un nouveau désordre mondial. Homme des deux rives de l'Europe, ayant vécu aux États-Unis, Tzvetan Todorov propose dans ce livre court et dense une analyse lucide, profondément cohérente, enracinée dans sa connaissance de l'histoire de nos idées et de notre culture. Il prolonge sa réflexion par une série de propositions, parfois inattendues, destinées à fonder une « puissance tranquille » européenne. Europe malmenée, Europe divisée, « vieille Europe » peut-être... Mais si cette Europe-là, riche de sa diversité, forte de sa mémoire, émergeait enfin, à l'heure décisive ?

Sémiologue au départ, spécialiste de l'analyse littéraire, Todorov a su au fil du temps élargir son champ d'étude à l'histoire des idées (les Lumières, le libéralisme), puis à l'histoire tout court en étudiant entre autres la mémoire historique et enfin à la politique. Ses qualités intellectuelles sont rehaussées par une expérience hors pair: Bulgare d'origine, il a quitté son pays (un des plus staliniens de l'orbite soviétique) au tout début des années soixante pour s'installer à Paris alors qu'il entrait dans l'âge de raison. De plus ses recherches l'ont conduit à séjourner longuement aux États-Unis. Todorov connaît ainsi de l'intérieur la vieille et la nouvelle Europe, mais aussi les États-Unis. Par les temps qui courent ce n'est vraiment pas négligeable. Le nouveau désordre mondial. Réflexions d'un Européen contribue à mettre de l'ordre dans nos idées. En une petite centaine de pages légères, limpides, mais d'une grande profondeur, il répond aux questions que chacun se pose sur la guerre d'Irak, le mensonge américain, la fronde française, la division européenne, la paralysie onusienne, l'humiliation arabe, le fanatisme islamiste, les incertitudes de l'avenir. Todorov ne se contente pas de constater. Il propose. Par exemple, en donnant et expliquant les paramètres qui composent les fameuses valeurs européennes: la justice, la démocratie, la liberté individuelle, la laïcité et la tolérance. Partisan de l'Union européenne, il pense que - sans se mesurer à la puissance américaine ni la contester - elle devrait se donner rapidement la stature d'une puissance moyenne (à l'égal de la Russie ou de la Chine) en plaçant la priorité sur la construction d'une armée européenne capable non seulement de défendre l'UE, mais encore d'être le bras armé de cette UE dans la politique internationale. La création d'une telle armée (qui revivifierait l'OTAN dans sa fonction d'alliance politique) imposerait une mutation démocratique des institutions européennes, avec l'élection d'un président par le parlement, la désignation d'un gouvernement européen par ce président sur des critères de compétences et non d'appartenance nationale (ces compétences comprenant la charge du militaire et de la politique étrangère), l'abandon du concept égalitaire à l'intérieur de l'Union.

Présentation de l’auteur

Tzvetan Todorov est directeur de recherches au CNRS, critique, historien et philosophe. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Mémoire du mal, Tentation du bien (Robert Laffont, 2000) et Devoirs et délices, une vie de passeur (Le Seuil, 2002), une autobiographie intellectuelle.