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La Bibliothèque et ses chefs-d'œuvre

Les fonds numérisés de Jean-Jacques Rousseau

La nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau

La Bibliothèque de l'Assemblée nationale possède, dans son fonds ancien, un ensemble de versions manuscrites ou imprimées - et dans ce cas annotées de la main de l'auteur - du roman La nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau. Ces versions ont précédé l'établissement du texte définitif que l'on connaît aujourd'hui. Il s'agit du Premier Brouillon (541 pages in 8° manuscrites) ; de la Copie personnelle (794 pages in 8° dont 546 manuscrites) ; de la Copie autographe pour la Maréchale de Luxembourg (six volumes, soit un ensemble de 1881 pages in 8° manuscrites) et de l'édition Duchesne-Coindet (1237 pages imprimées in 8° avec corrections autographes).

On trouvera ici, en version numérisée, et pour la première fois depuis l'admission de l'œuvre dans les fonds de l'Assemblée en 1794, l'édition en version intégrale du Brouillon, accompagnée d'une courte notice de présentation.

La nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau
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La Copie personnelle correspond au deuxième brouillon de La nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau. Tel quel, ce manuscrit, qui comporte encore de nombreuses corrections, est loin de représenter la version définitive de l'oeuvre.

Primitivement, cette copie, reliée en maroquin rouge, comportait quatre volumes, tous les quatre la propriété du conventionnel Hérault de Séchelles qui les avait achetés en Hollande, ainsi qu'un petit portrait sur émail de Mme de Warens, pour 24 000 livres.

Les deux premiers volumes regroupent les trois premières parties de La nouvelle Héloïse et les deux suivants la quatrième, la cinquième et la sixième partie de l'oeuvre.

A la mort de Hérault de Séchelles, guillotiné en 1794, la Convention se saisit des deux derniers volumes au domicile du parlementaire. Ce sont eux qui sont présentés ici. En revanche, les émissaires de la Convention ne retrouvèrent pas les deux premiers volumes, ni le portrait.

Ceux-ci font cependant leur réapparition en 1801, lors d'une vente aux enchères effectuée au bénéfice de la veuve du conventionnel. Tous ces souvenirs sont achetés pour 700 francs or par une seule personne, un particulier du nom de Rivière. Ensuite, on perd à nouveau la trace des deux premiers volumes de la Copie personnelle.

On sait cependant que, entre les deux guerres, un volume - le premier correspondant au deux premières parties de La nouvelle Héloïse - était passé dans la bibliothèque du duc de Newcastle. L'autre volume (troisième partie) était la propriété de Louis Barthou, ancien Président du Conseil. Un spécialiste de Rousseau, professeur à la Sorbonne, Daniel Mornet, a pu consulter cet ouvrage pour l'édition Hachette de 1925.

Copie personnelle Copie personnelle
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La troisième oeuvre présentée ici, la Copie pour la Maréchale de Luxembourg, n'est pas à proprement parler un brouillon mais plutôt une copie autographe de La nouvelle Héloïse que Jean-Jacques Rousseau a réalisée en 1760, afin d'honorer l'une de ses bienfaitrices. Tout en recopiant, Rousseau n'a pu néanmoins s'empêcher de procéder à un certain nombre de corrections. Par ailleurs, le manuscrit est orné de douze dessins originaux, exécutés à la plume et rehaussés de bistre par Gravelot, sur les indications de Rousseau lui-même.

Copie pour la Maréchale de Luxembourg
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La dernière oeuvre présentée ici - l'édition Duchesne-Coindet - n'est pas un manuscrit stricto sensu. C'est une version imprimée mais annotée et corrigée de la main de Rousseau en 1764.

La première version imprimée de La nouvelle Héloïse date de 1761. C'est l'édition Rey d'Amsterdam. L'édition que l'on trouvera ci-après, appelée d'abord tout simplement l'édition Duchesne, a été réalisée en 1764, à Paris et à Neuchâtel, sans avoir reçu l'aval de Rousseau. Le texte était sensiblement différent de l'édition Rey.

Rousseau tombe sur elle chez un ami genevois François Coindet. Il est fort irrité des changements de textes intervenus depuis 1761, sans son autorisation, et il multiplie les corrections pour revenir à peu près à l'editio princeps, sous réserve d'une seconde préface et de quelques ajouts (comme la traduction en français des citations italiennes). On sent l'écriture de Rousseau souvent fébrile et compulsive face aux libertés prises par l'éditeur sur son texte.

En tant que telle, l'édition rectifiée et corrigée, confiée ensuite par Rousseau à son ami Coindet pour qu'il puisse vérifier, documents originaux en mains, les éditions ultérieures de La nouvelle Héloïse en Suisse, est devenue l'édition « Duchesne-Coindet ».

Edition Duchesne-Coindet
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Le Premier brouillon de La nouvelle Héloïse à la Bibliothèque nationale

La Bibliothèque nationale possède la lettre 18 (troisième partie) du Premier brouillon de La nouvelle Héloïse reliée dans un maroquin rouge. C’est cette lettre que nous vous convions à découvrir ci-dessous, en accord avec la BnF, institution qui a numérisé ce manuscrit et avec laquelle l’Assemblée nationale a conclu un accord de pôle associé. La lettre 18 vient en complément de la version numérisée du Premier brouillon, appartenant à la Bibliothèque de l’Assemblée, brouillon qui vous a été présenté plus haut et qui commence à la lettre 61 ( première partie ).

Cette lettre est très intéressante car l’on voit Rousseau y parler très précisément de la morale, qu’il dépeint, en même temps, comme une « heureuse révolution ». En particulier, le mariage y est présenté comme la plus sainte des institutions. Il est l’expression même de la loi morale. Par le mariage, le conflit quasi « cornélien » de Julie entre le devoir et le sentiment disparaît. Les deux s’accordent rassemblés sous une même règle. Comme on le voit écrit de la main de Rousseau sur le manuscrit de la BnF (vue 27 folio 9 à droite) : « La pureté, la dignité, la sainteté du mariage, si vivement exposées dans les paroles de l’écriture… tout cela me fit une telle impression que je crus sentir intérieurement une révolution subite. Une puissance inconnue sembla corriger tout à coup le désordre de mes affections et les rétablir selon la loi du devoir et de la nature ».

Cette idée du caractère à la fois sacré et très intériorisé de la norme morale – caractère qui provoque une révolution (c'est-à-dire un changement radical) au sein de la conscience, lorsqu’elle l’aperçoit, tout en restaurant son unité perdue – va très certainement donner à penser à Kant. Dans la Critique de la raison pratique (1788), Kant énonce, en effet, à la suite de Rousseau, des conceptions assez semblables sur le caractère sacré de la loi morale, sur son aspect fortement intérieur et synthétique, ainsi que sur le côté révolutionnaire de cette découverte. Selon Kant, le «je pense» a la faculté de se transformer immédiatement en raison pratique, en conscience morale, dans l’intériorité du cogito, et indépendamment de toute expérience ou de toute mise en situation (Telle est la signification , notamment, de la célèbre «révolution copernicienne» proposée par le philosophe). Cette raison pratique rassemble, sous l’unité du « je pense », la diversité des phénomènes de la vie morale en leur imposant des déterminations par le biais de jugements - les jugements moraux - dont la forme est celle de l’impératif catégorique (le « tu dois »). Ces jugements impératifs, qui expriment la règle morale, contribuent à donner son autonomie et son unité à la conscience. L’homme est donc naturellement moral, et par là il atteint au sublime, c'est-à-dire au sacré. Kant, dans la Critique de la raison pratique voit en effet dans l’univers deux choses sublimes : « le ciel étoilé au dessus de nos têtes et la loi morale dans notre cœur ».

On notera par ailleurs, en conclusion, à propos de la Copie personnelle, le second brouillon de La nouvelle Héloïse de Rousseau, que la Bibliothèque nationale a failli acheter les deux volumes manquants à la collection de l’Assemblée, en 1802, au moment du Consulat. En effet, après la mort de la veuve d’Hérault de Séchelles le 14 fructidor an VI (31 août 1798), la vente de ses biens eut lieu le 25 brumaire an X (16 novembre 1801). La Bibliothèque de l’Assemblée nationale ne se porta pas acquéreur des deux volumes mis en vente, les tomes 1 et 2 du manuscrit, alors pourtant qu’elle possédait les deux autres volumes, les tomes 3 et 4. La Bibliothèque nationale fit de même. Les deux volumes furent donc achetés par le libraire Rivière pour la somme de 700 F. Dès le 5 brumaire an XI, Rivière engagea des tractations avec la Bibliothèque nationale pour lui revendre les volumes par l’intermédiaire – démarche habituelle à l’époque – du ministère de l’Intérieur. Il demanda 12.000 F. L’affaire ne se fit pas car jugée trop coûteuse. Un an et demi plus tard, Rivière fit tous ses efforts pour relancer les négociations ; il réduisit ses prétentions et ne demanda plus que 4.500 F. Peine perdue, ce fut jugé encore trop cher. Il fit une dernière tentative au près de la Bibliothèque impériale en germinal an XIII (mars - avril 1805) et demanda alors 4.800 F. Mais cette tentative, au total, resta toujours aussi infructueuse. Les deux premiers volumes du manuscrit de La nouvelle Héloïse finirent donc par disparaître du marché. C’est que Rousseau n’était pas si « présentable » sous le Consulat et l’Empire. Il avait trop marqué la pensée jacobine et il était considéré alors comme un auteur peu fréquentable. C’est ainsi que les deux institutions, l’Assemblée nationale et la Bibliothèque nationale, pour des motifs certainement politiques, perdirent une très belle occasion de récupérer de très précieux manuscrits de Jean-Jacques Rousseau.

Edition Duchesne-Coindet
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Les Confessions

Cet ouvrage fut écrit par Jean-Jacques Rousseau entre 1765 et 1770. Il fut publié par les éditeurs Paul Moultou et Pierre-Alexandre Du Peyrou en 1782, pour la première partie, et en 1789, pour la seconde, à partir des éléments qu'ils possédaient. Néanmoins, comme à son accoutumée, Rousseau avait fait plusieurs copies de son texte, avec des variantes importantes, et il existe donc, à la veille de la Révolution française, plusieurs manuscrits distincts des Confessions, avec des versions sensiblement différentes.

Le texte qui est présenté ici, pour la première fois, et dans sa version intégrale, est le manuscrit dit « de Paris » qui fut remis à la Convention nationale le 5 Vendémiaire an III (26 septembre 1794) par la veuve de Rousseau, Thérèse Levasseur.

Auparavant, le manuscrit avait été la propriété du marquis René de Girardin qui avait placé chacun des deux livrets le composant dans deux enveloppes fermées, scellées avec le cachet même de Rousseau en forme de lyre. Ce sont ces deux enveloppes, ouvertes par la Convention, qui sont photographiées ci-dessous.

C'est René de Girardin qui a porté sur les enveloppes la mention qu'on peut y lire : « Remis par Jean-Jacques Rousseau, sous son cachet, pour n'être ouvert qu'en 1801 ». La date de 1801 avait, en effet, été expressément choisie par Rousseau pour lever l'anonymat des personnes dont il parle dans son livre, pas toujours de manière bienveillante.

Par ailleurs, on peut noter qu'au début et à la fin de chaque livret, on voit apparaître la signature du Président de séance à la Convention, le 26 septembre 1794, date du dépôt de l'oeuvre et de l'ouverture des enveloppes, le député Barbeau du Barran ; on découvre également celle des six secrétaires qui siégeaient avec lui lors de cette séance, les députés Pelet, Borie, Cordier, Louchet, Lozeau et Laporte.

Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau
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Les Dialogues

Dans cette oeuvre achevée en 1776, Rousseau s'efforce de se représenter face à ses contemporains et à la postérité de la façon la plus sincère possible. Il met en scène un personnage nommé Rousseau qui s'entretient avec un « Français », au sujet de « J.J. », personnage absent. Le Français incarne un juge, Rousseau un avocat. A travers cet ouvrage, l'auteur revient sur la totalité de son oeuvre et revendique notamment la paternité des écrits sur lesquels des doutes ont été émis.

Les quatre copies autographes répertoriées, présentées ci-après dans l'ordre chronologique de leur écriture, comportent assez peu de variantes. Rousseau l'explique d'ailleurs dans l'avertissement destiné « Au lecteur » figurant en tête du manuscrit conservé à l'Assemblée nationale :« Voyant l'excessive longueur de ces dialogues j'ai tenté plusieurs fois de les élaguer, d'en ôter les différentes répétitions, d'y mettre un peu d'ordre et de suite ; jamais je n'ai pu soutenir ce nouveau tourment. [...] faute de pouvoir faire mieux, je me borne à transcrire ces informes essais que je suis hors d'état de corriger ». L'existence d'une cinquième version manuscrite de l'oeuvre demeure hypothétique.

· La première copie autographe, conservée par la BnF, a connu un destin original. Rousseau le relate dans un court texte à la fin des Dialogues, intitulé Histoire du précédent écrit. Soucieux de protéger son oeuvre de ses « persécuteurs », il décide de la confier à « la Providence », « de remettre à elle seule l'entière disposition du dépôt [qu'il désirait] laisser entre de sûres mains ». Il tente alors, en 1776, de déposer le manuscrit à Notre-Dame de Paris, mais le choeur étant fermé, Rousseau est contraint d'abandonner son idée. C'est alors qu'il se tourne vers l'abbé de Condillac, homme de lettres qu'il admire et à qui il pense pouvoir se fier. Il lui confie donc ses précieux écrits, avec ordre « que le manuscrit ne fut point imprimé avant la fin du siècle présent ». Ce voeu sera bien respecté, puisque la nièce de Condillac conserva le texte jusqu'en 1800 qui fut déposé à l'hospice de Beaugency. Il passa successivement dans deux collections privées avant d'entrer à la BnF, par dation, en 1996.

· Une deuxième version (incomplète) de l'oeuvre est remise à un jeune anglais, Brooke Boothby, que Rousseau rencontre alors qu'il s'affaire à cette copie. Voyant en Boothby « le dépositaire que la Providence [lui] a choisi », il lui confie le premier Dialogue, pensant lui remettre la suite plus tard. Rousseau change finalement d'avis, perdant sa confiance en Boothby. Ce dernier tint néanmoins parole et ce manuscrit fut publié en 1780, après la mort de Rousseau. Cette version appartient depuis 1781 à la British Library.

· Rousseau fait ensuite don à son ami Paul Moultou d'une troisième copie qui servira à l'édition publiée en 1782, préparée par René de Girardin, Du Peyrou et lui-même. Dans cette édition, Moultou a supprimé treize passages ou notes des deux derniers Dialogues, non seulement car il les jugeait trop violents mais aussi car il estimait qu'ils mettaient en cause des corps collectifs ou des personnalités. « Ces dialogues feraient beaucoup de peine aux gens de lettres qu'il faut ménager », écrit-il dans une lettre du 9 décembre 1779 à René de Girardin. Le texte sera édité après la publication de la copie de Broothby.
Ce manuscrit fut donné en 1835 à la bibliothèque publique et universitaire de Genève par la petite-fille de Moultou.

· Le manuscrit détenu par la bibliothèque de l'Assemblée Nationale est donc la quatrième version. Celui-ci porte sur la reliure une note précisant le nom de ses anciens propriétaires : « Ce manuscrit a été donné par l'auteur à une dame de la famille de Cramayel qui le donna elle-même à M. de Clerigny ancien administrateur des Domaines de la Couronne. Celui-ci le donna à M. de la Chapelle ; il est ensuite passé à M. de Flobert ».

On sait en outre que Rousseau avait confié une copie des Dialogues au comte d'Angevillers, l'un de ses correspondants. Dans son Etat des écrits posthumes de Jean-Jacques Rousseau adressé à Du Peyrou, le marquis de Girardin a noté qu'une partie des Dialogues se trouvait « entre les mains du comte d'Angevilliers qui sur ma réclamation est convenu de le remettre à la veuve, en observant toutefois qu'il ne connaît pas nature à être imprimé ».

A l'occasion de recherches récentes, le professeur Philip Stewart, vient de montrer les liens familiaux et personnels qui liaient cette « dame de la famille Cramayel » au comte d'Angivillers. C'est donc bien de ce même manuscrit qu'il s'agit.

Le manuscrit présenté ici a été acquis par la bibliothèque de la Chambre des députés en 1812, administrée alors par Druon. En très bon état, il compte 225 feuillets numérotés par l'auteur et reliés en maroquin rouge. Quelques particularités méritent d'être mentionnées :
- l'écriture est extrêmement soignée, et le texte est remarquablement bien aligné à l'intérieur d'un fin liseré de couleur rouge tracé à la main. Il comporte peu de corrections, sauf page 221, où trente et une lignes ont été soigneusement raturées par l'auteur ;
- en tête de la première page, on peut lire une recommandation de l'auteur qui ne figure pas dans toutes les versions : « Si j'osais faire quelque prière à ceux entre les mains de qui tombera cet écrit, ce serait de vouloir bien le lire tout entier avant que d'en disposer et même avant que d'en parler à personne ; mais très sûr d'avance que cette grâce ne me sera pas accordée, je me tais et remets tout à la Providence » ;
- trois paperoles, en très bon état, sont insérées, pages 16, 42 et 205 ;
- entre les pages 200 et 201, on remarquera la trace d'une coupure nette de page, qui n'a pas affecté la pagination.

Les Dialogues
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L'Emile ou de l'Education

Dans Les Confessions, Rousseau a montré l'importance de l'Emile, quilui a coûté « vingt ans de méditations et trois ans de travail ». Ecrit entre 1757 et 1760, l'ouvrage a été publié la première fois en 1762.

A travers cette oeuvre,Rousseau expose les principes d'une éducation conforme à la nature. Son objectif est de recréer « l'homme naturel », dont le savoir sera constitué de notions concrètes, utiles pour la vie pratique. L'éducation d'Emile devra s'adapter à ses facultés qui évolueront en fonction de son âge. Par exemple, jusqu'à douze ans, on s'adressera presque exclusivement aux sens, laissant de côté l'éducation livresque. Il s'agit aussi de former le jugement. En effet, Emile sera un jour un chef de famille et un citoyen : les dernières années de son éducation devront le préparer à cette tâche.

L'oeuvre est divisée en cinq livres, suivant la croissance de l'enfant. Le livre I traite de l'éducation jusqu'à cinq ans, le deuxième de cinq à douze ans, le troisième de douze à quinze ans et le quatrième de quinze à vingt ans. Le livre V, lui, introduit le personnage de Sophie et évoque l'éducation des filles, le mariage, la vie de famille.

L'Emile est aussi l'occasion pour Rousseau de développer ses idées sur la religion, notamment à travers La profession de foi du vicaire savoyard, une digression que l'on trouve dans le livre IV, où il prêche la religion naturelle et la morale de la conscience. Ce passage exprime le déisme de Rousseau, qui, devant l'existence de différentes religions, ne sait choisir la meilleure, et s'en remet à l'adoration de l'Être Suprême. Il rappelle ainsi qu'en matière d'adoration divine, « ce devoir est de toutes les religions, de tous les pays, de tous les hommes. Quant au culte extérieur, s'il doit être uniforme pour le bon ordre, c'est purement une affaire de police ».

L'Emile eut un grand retentissement, non seulement sur les contemporains de Rousseau, dont certains se mirent même à élever leurs enfants selon ses principes, mais son influence s'est étendue aussi chez les théoriciens de la fin du XVIIIe siècle, voire sur la pédagogie moderne.

L'Emile a été censuré dès sa parution en 1762. Un arrêt du Parlement le condamne, le 9 juin 1762, à « être brûlé ou lacéré ». L'archevêque de Paris exprime son accord avec le Parlement en août de la même année. On reproche notamment à l'ouvrage de « flatter les passions » et d'être « contraire à la foi et aux bonnes moeurs », notamment puisqu'il évoque une « religion naturelle ».

Emile ou de l’Education
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Le manuscrit de l'Assemblée nationale

Outre divers fragments (Bibliothèque de Neuchâtel) et une copie séparée de la Profession de foi du vicaire savoyard (Bibliothèque de Genève), il nous est resté trois manuscrits de l'Émile. Le plus ancien (le « manuscrit Favre ») est un brouillon encore partiel, le plus tardif est celui que Rousseau a communiqué à son imprimeur, Duchesne, par l'intermédiaire de Mme de Luxembourg. Ils sont conservés par la Bibliothèque de Genève. Mais Rousseau avait gardé une version intermédiaire, qu'il appelle parfois son brouillon : c'est cette copie que conserve la Bibliothèque de l'Assemblée Nationale. Ce manuscrit revêt un intérêt particulier.
En effet, pour pouvoir contrôler l'impression de son texte, Rousseau a reporté sur cette version plus ancienne les passages qu'il avait ajoutés dans la version définitive transmise à Duchesne. Il y a ensuite également noté ceux, plus nouveaux, qu'il demandait à l'imprimeur d'ajouter en cours d'impression. Ce manuscrit est donc en un sens le dernier de l'Émile. Il met donc en évidence le caractère tardif de certains des passages célèbres de l'Émile :

En voici quelques exemples extraits du livre III (première partie du second volume) :

- au verso du feuillet 38, la phrase fameuse « je hais les livres ; ils n'apprennent qu'à parler de ce qu'on ne sait pas » a été rédigée en cours d'impression.
- feuillet 59, a été ajouté le paragraphe qui insiste sur la nécessité du travail comme participation à la vie en société et se termine par « Tout citoyen oisif est un fripon ». On remarquera les nombreuses ratures et corrections, accumulées les unes sur les autres, dans un paragraphe qui critique l'oisiveté chez l'homme social : « un rentier que l'Etat paye pour ne rien faire ne diffère guère, à mes yeux, d'un brigand qui vit aux dépens des passants » ;
- feuillet 60, un autre trait célèbre apparaît comme un ajout : « Nous approchons de l'état de crise et du siècle des révolutions ».

On ne sait par quelles mains ce manuscrit est passé jusqu'à la Révolution française. On est en revanche mieux renseigné sur les conditions dans lesquelles il s'est retrouvé à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale. Les procès verbaux du Comité d'instruction publique de la Convention et de sa Commission des arts sont clairs à cet égard. Le procès verbal de la séance du 1er floréal an II du CIP (20 avril 1794), rapporte une intervention (anonyme) de l'un de ses membres qui fait observer que Hérault de Séchelles - guillotiné le 16 germinal - possédait des manuscrits « de l'Émile et de l'Héloïse », et un portrait de Mme de Warens. Il est décidé que la commission des arts assurera leur transfert à la « Bibliothèque nationale ». Le 5 floréal, la Commission des arts délègue à sa « section de bibliographie » la mission de rechercher ces documents dans les papiers de Hérault ainsi que dans ceux de Lepeletier de Rosambo (exécuté deux jours plus tôt).Le 5 prairial, en effet, la Commission des arts fait état du dépôt des manuscrits et du portrait « à la bibliothèque du Comité d'instruction publique ». Le fait que la mention de cette entrée ne figure pas dans les archives du Comité n'a rien d'inhabituel : notoirement mal tenues dans cette période, elles omettent de nombreuses pièces dont on sait pourtant qu'elles s'y trouvaient. Voir : Procès verbaux du Comité d'instruction publique édités par M-J. Guillaume, 1891-1907, en particulier son annexe « Les manuscrits de J.-J. Rousseau et le comité d'instruction publique », vol. VI, p. 929-945. Également : E. Coyecque et H. Debraye, Catalogue général des manuscrits des bibliothèques de France, Chambre des députés, 1907, p. 532-533).
Il semblerait en outre que certaines additions à l'Emile évoquées par Lakanal dans un document datant de 1798, faisaient partie des cahiers remis par la citoyenne Mogurier à la Convention le 28 vendémiaire an III (19 octobre 1794). La trace de ces documents est perdue.

Quelques particularités du manuscrit

- la version de l'Emile présentée ici est un manuscrit autographe, en trois volumes, qui s'apparente à une mise au net du texte, avec des corrections et ajouts considérables ;
- le premier volume contient les livres I et II, le deuxième les livres III et IV et le dernier le livre V. Ils sont reliés en maroquin rouge et paginés par l'auteur ;
.- le recto des feuillets est consacré au texte, le verso est en général réservé aux additions et aux notes, qui sont nombreuses mais d'importance inégale ;
- chaque livre est numéroté séparément, à l'encre noire, avec dans le corps du texte une autre pagination à l'encre rouge, peut-être destinée à son impression. Cette pagination disparaît dans le dernier volume ;
- on note plusieurs erreurs de pagination ;
- on remarquera aussi les astérisques et autres signes que Rousseau utilise pour faire des renvois. A d'autres endroits, des pages entières sont carrément ajoutées, comme c'est le cas dans le livre I, aux feuillets 48, 49 et 50 ;
- Rousseau a aussi introduit des paperoles, ajouts de papier collés sur le manuscrit. Au feuillet 191 du livre V, une paperole porte des traces de brûlure ;
- l'auteur a rendu volontairement illisibles quelques passages. Ainsi, au feuillet 58 du livre 2, après avoir raturé un passage, il a collé une paperole, rendant impossible la lecture du texte initial ;
- dans le livre III, un autre passage peut susciter des interrogations sur les intentions de Rousseau. Au feuillet 133, on peut aisément constater que deux pages ont été encollées par l'auteur. Or, celles-ci sont à présent séparées. On peut supposer que Rousseau a voulu supprimer un long paragraphe de son texte mais que les pages se sont détachées au fil du temps. Pourtant, en bas de page, un paragraphe n'a pas été raturé et est encore bien lisible ;
- de façon anecdotique, on observe à la fin du livre III une multiplication posée au verso d'un page. Son manuscrit lui a-t-il servi à prendre des notes personnelles ? S'agit-il de comptes liés à la publication de l'ouvrage ?


Le Devin du village

Le Devin du village, partition manuscrite.

Moins célèbre que ses écrits philosophiques et littéraires, Le Devin du village demeure cependant l'oeuvre musicale la plus connue de Jean-Jacques Rousseau. C'est un intermède, c'est-à-dire un petit opéra en un acte. Composé au printemps 1752, il fut achevé en trois semaines et seulement six jours furent nécessaires pour écrire le plan et la musique. Il fut joué pour la première fois le 18 octobre 1752 à Fontainebleau, en présence de Louis XV et de Madame de Pompadour.

Alors que jusqu'ici Rousseau n'a pas réussi à faire reconnaître ses talents dans le domaine musical, il rencontre un réel succès auprès de la Cour et du Roi lui-même. Le chanteur Jélyotte, qui tenait alors le premier rôle, lui écrit, le 20 octobre 1752 : « Le Roy, qui comme vous le savez, n'aime pas la musique, chante vos airs toute la journée, avec la voix la plus fausse de son royaume ».

Le livret, repris par Favart dès 1753 sous le titre Bastien, Bastienne a même inspiré le jeune Mozart, qui le mit en musique en 1768.

On sait peu de choses sur l'histoire de la partition manuscrite conservée par la Bibliothèque. Il semble qu'elle ait appartenue aux musiciens François Francoeur, directeur de l'Académie de musique lorsque le Devin y fut représenté, puis Clos, avant d'être acquis en 1812 par Druon, bibliothécaire de la Chambre des députés. La Bibliothèque municipale de Lyon conserve une copie autographe du livret de l'oeuvre.

L'oeuvre dans son temps

Le Devin a marqué l'histoire de la musique française, certes grâce au nom de son auteur, mais surtout parce qu'il s'inscrit dans la Querelle des bouffons, qui opposa musiques française et italienne. Cette controverse débute en 1752, lors de la venue d'une troupe de chanteurs italiens venus présenter des opere buffe, de petits intermèdes comiquesmettant en scène des thèmes liés à la vie quotidienne, joués et chantés par deux ou trois artistes, autour d'un orchestre réduit.

Rousseau prend une part active dans la Querelle, qu'il résume ainsi dans Les Confessions : « Tout Paris se divisa en deux partis plus échauffés que s'il se fût agi d'une affaire d'Etat ou de religion. L'un plus puissant, plus nombreux, composé des grands, des riches et des femmes, soutenait la musique française ; l'autre, plus vif, plus fier, plus enthousiaste, était composé de vrais connaisseurs, des gens à talents, des hommes de génie ». En 1753, dans sa Lettre sur la musique, il réaffirme sa préférence pour la musique italienne : « les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir, ou si jamais ils en ont une ce sera tant pis pour eux ». La langue française est donc pour Rousseau hostile à la musique, ses sonorités étant réellement impropres à la musicalité. Il rejette en outre la polyphonie, prônant la simplicité des airs et l'unité des mélodies, autant de choses qui manqueraient à la musique française.

Cependant, paradoxalement, Rousseau rédige le livret de l'oeuvre en français, essayant de présenter une méthode qu'il considère innovante : la fusion du texte français et de la musique italienne. Le récitatif du Devin du village est donc plutôt mesuré et rapide, tandis que la matière musicale est simplifiée. Rousseau tente de se situer aux antipodes des opéras de Lully et Rameau, caractérisés par des thèmes mythologiques et des mises en scènes compliquées et fastueuses. Pourtant, en 1803, le Journal des débats estime que « cette musique est absolument dans le goût français, quoique l'auteur fût enthousiaste de la musique italienne » (Cf. l'extrait du Journal des débats en tête du manuscrit).

La postérité de l'oeuvre

Le Devin du village a connu un succès certain, au moins jusqu'au premier tiers du XIXe siècle. Alors que les oeuvres de Rameau et de ses prédécesseurs disparaissent du répertoire à la fin du XVIIIe siècle, Le Devin fut joué régulièrement : il a été représenté environ 400 fois entre 1752 et 1829. Cependant, par la suite, les oeuvres françaises données à l'Opéra s'inspirent de la réforme gluckiste et l'oeuvre de Rousseau est alors considérée comme un « vieux vaudeville ». Stendhal estime ainsi, en 1823, que Le Devin est « une imitation assez gauche de la musique qu'on avait en Italie vers l'an 1730 ». En 1834, c'est au tour de Berlioz de tourner en dérision « les petites chansons, les petits flonflons, les petits rondeaux, les petits solos, les petites bergeries, les petites drôleries de toute espèce dont se compose son petit intermède ». Rousseau continuera à être joué, mais il ne sera plus proposé à l'Opéra.

L'influence de l'oeuvre demeure cependant non négligeable. On peut estimer que le succès de l'opéra-comique, qui arrive en France lors de la Querelle, marque le début de l'évolution du goût vis-à-vis de l'opéra. Avec des pièces comme Le Devin du village, le public aurait été préparé à la réforme menée par Gluck.

L'argument

L'histoire de cette « bluette lyrique » est plutôt simple. Colette, une jeune bergère, se languit de son bien-aimé Colin, parti avec une autre femme. Dans son infortune elle va consulter le devin du village, qui lui laisse croire qu'il saura faire revenir Colin. Il persuade ensuite celui-ci que sa bergère l'a quitté pour un homme de la ville. A son tour, Colin demande au devin de l'aider grâce à des sortilèges. Ce dernier s'exécute et les deux jeunes amants se retrouvent, plus amoureux que jamais. Rousseau célèbre ici l'amour et la vertu de la femme aimante, exalte les valeurs de la nature en opposition aux mensonges de la ville.

Un opéra remanié plusieurs fois

Rousseau est un compositeur très précis : il donne sur sa partition de nombreuses indications à l'intention de ses interprètes, tels que « débité », « réflexion triste », « réflexion douce », « tendrement », « avec emphase », ainsi que des nuances.

Le Devin du village a fait l'objet de plusieurs vagues de corrections et d'ajouts qui sont visibles sur le manuscrit conservé par la bibliothèque. Ces modifications semblent être, aux yeux de certains spécialistes, de la main de Rousseau, même si d'autres auraient pu être effectuées par Francoeur, premier violon lors de la représentation de 1752, comme l'affirme la lettre jointe en tête du manuscrit.

Rousseau lui-même aurait donné son accord pour ces corrections, mais sans enthousiasme. Il écrit ainsi dans Les Confessions : « La partie à laquelle je m'étais le plus attaché, et où je m'éloignais le plus de la route commune, était le récitatif. Le mien était accentué d'une façon toute nouvelle, et marchait avec le débit de la parole. On n'osa laisser cette horrible innovation, l'on craignait qu'elle ne révoltât les oreilles moutonnières. Je consentis que Francoeur et Jélyotte fissent un autre récitatif, mais je ne voulus pas m'en mêler ».

La version du Devin jouée à l'Opéra en 1753 fut encore remaniée, certaines corrections furent notamment abandonnées.

Néanmoins, selon certains, Rousseau aurait conservé quelques morceaux dont il n'aurait pas été entièrement l'auteur : l'idée des paroles et du refrain lui viendraient de Monsieur Collé, les paroles de l'ariette de Monsieur Cahusec, les arrangements de l'entrée des bergères auraient été suggérés par Monsieur d'Holbach.

De là viennent les accusations de plagiat dont Rousseau a été parfois l'objet. Le baron d'Holbach, qui se brouilla plus tard avec Rousseau, a répandu ce genre de rumeurs. Rousseau évoque cet épisode dans Les Confessions : « Il se répandit [...] un bruit que je n'étais pas l'auteur du Devin du village. Comme je ne fus jamais un grand croque-note, je suis persuadé que sans mon Dictionnaire de Musique, on aurait dit à la fin que je ne la savais pas ». Il se justifie sur la paternité de son oeuvre dans ses Dialogues, où il estime qu'elle est marquée d'une « empreinte impossible à méconnaître ». Il insiste : « si j'ignorais quel est l'auteur du Devin du village je le sentirais à cette conformité ».

Description du document

L'ouvrage, relié en maroquin rouge, est composite : outre la partition du Devin, il comporte divers documents annexés ainsi que de nombreuses annotations :

- la partition se présente sous la forme d'un volume in-folio de 54 pages. Son attribution à la main de Rousseau (exceptées peut-être certaines corrections comme indiqué plus haut) n'est pas confirmée par les recherches contemporaines. Mais elle date sans aucun doute de l'époque de la création de l'oeuvre. Elle présente de nombreuses paperoles. Des passages ont été entièrement raturés.On note en plusieurs endroits une usure du papier qui semble correspondre à des traces de gommage ;
- au bas de la première page ainsi qu'aux pages 19, 35 et 50, on trouve la griffe de François Francoeur ;
- entre les pages 47 et 48 de la partition, une pantomime de quatre pages a été ajoutée ;
- en tête de volume, a été joint un extrait du Journal des débats du lundi 9 vendémiaire an XIII (1er octobre 1804), qui décrit de façon élogieuse une reprise du Devin à l'Académie de musique ;
- ensuite une lettre manuscrite datée du 21 floréal an X (11 mai 1802) relate les circonstances de la naissance du Devin. Elle est rédigée par Louis-Joseph Francoeur, neveu du musicien François Francoeur ;
- enfin, le musicien Clos, probablement le dernier possesseur du manuscrit avant son achat par la bibliothèque, a rédigé un « avertissement » de 8 pages qui réaffirme la paternité de Rousseau sur l'oeuvre. Clos donne même des détails sur ses visites à l'auteur, comme pour asseoir le bien-fondé de ses propos ;
- on peut aussi noter la présence, à la fin de l'ouvrage, d'une pièce de Pedro Antonio Avondano, Prigionier che fà ritorno, copiée par Rousseau en 1752. Son caractère autographe est aujourd'hui généralement reconnu.

Du Contrat social
Du Contrat social, manuscrit conservé à la Bibliothèque de Genève.

Légué à la Bibliothèque de Genève en 1882 par Amélie Streckeisen-Moultou, petite fille de Paul Moultou, ami genevois de Rousseau, le manuscrit du Contrat social ici présenté est un document précieux pour la compréhension de l'évolution de la pensée politique de Rousseau. En effet, le manuscrit correspondant au texte publié en 1762 a été perdu et ce document, écrit entre 1756 et 1758, offre une version intermédiaire, copie d'abord consciencieusement préparée pour l'édition, puis corrigée et transformée en brouillon pour une nouvelle composition du texte. Le manuscrit comporte 72 feuillets (26,5 x 19 cm) dont le recto porte la rédaction principale, le verso des ajouts postérieurs et certains éléments de brouillon.

Convaincu que « tout tient à la politique », Rousseau avait très tôt conçu le projet d'un grand ouvrage sur les « Institutions politiques », dans lequel il aurait montré que les moeurs, les lois, l'économie, la forme des gouvernements et les rapports des sociétés entre elles sont indissociables et tiennent à « deux objets principaux : la liberté et l'égalité ». Ce qu'il en avait rédigé a disparu, à l'exception des Principes du droit de la guerre, inachevés, et surtout, du Contrat social, un des textes majeurs de la philosophie politique. Rousseau y examine les conditions, essentielles et circonstancielles, d'une société légitime. Les premières sont exprimées par les notions de contrat social et de volonté générale. Il n'y a de société que formée par la libre volonté de ses membres, aucune autorité que celle de leur volonté commune : « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout ». Mais il faut aussi que des circonstances exceptionnelles permettent à un peuple de recouvrer sa liberté. C'est à cette possibilité que correspond l'idée de révolution.

Ce manuscrit a été numérisé par les soins de la Bibliothèque de Genève. Le feuilletage a été réalisé par l'Assemblée nationale, à l'occasion du prêt du manuscrit consenti par la Suisse à la France pour l'exposition Rousseau et la Révolution qui s'est tenue du 10 février au 6 avril 2012 au Palais Bourbon.

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Projet de Constitution française de 1791 annoté par Robespierre

            Le projet de Constitution française de 1791 annoté de la main de Robespierre est entré dans les collections de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale en juin 1989 à la suite de son acquisition dans une vente aux enchères publiques, en vue de la célébration du bicentenaire de la Révolution. Cet ouvrage est référencé parmi les manuscrits sous la cote MS 1856. 

            Les annotations, transcrites ci-après, concernent pour l’essentiel les dispositions relatives aux pouvoirs publics et aux droits civiques. Elles ont constitué les plans de deux interventions que Robespierre a prononcées devant la Constituante les 10 et 11 août 1791 lors de la discussion du projet de Constitution, présentées en annexe. 

            Sur les dispositions relatives aux pouvoirs publics, Robespierre, se référant à Jean-Jacques Rousseau, défend l’idée que le pouvoir législatif constitue l’essence même de la souveraineté du peuple, et, qu’à ce titre, il ne peut en aucune manière être délégué, et s’oppose aux dispositions conférant au roi le pouvoir de sanction du pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Robespierre ne sera pas suivi par l’Assemblée. 

            S’agissant du droit électoral, Robespierre plaide en faveur de la suppression du « marc d’argent », adopté le 29 octobre 1789, qui avait institué un suffrage censitaire à trois niveaux de contribution pour être citoyen actif, électeur et éligible. A la suite de son intervention, les députés supprimeront, le 27 août 1791, la condition du « marc d’argent » qui instituait l’obligation de payer un minimum d’impôt direct pour être éligible, mais ils maintiendront la distinction entre citoyens passifs, citoyens actifs et électeurs.

            Sur le plan matériel, cet exemplaire personnel de Robespierre comporte 59 pages de texte auxquelles il faut ajouter deux feuillets de garde en tête de l’ouvrage et un feuillet de garde in fine. La page de titre, très endommagée, a été contrecollée sur un feuillet vierge inséré lors de la reliure de l’ouvrage. Un feuillet imprimé manquant (pages 41 et 42) est remplacé par un feuillet entièrement manuscrit monté sur onglet sur la page vierge placée à cet endroit lors de la reliure ; il complète l’article 1er de la section IV du chapitre III ;  

            L’ouvrage, de format in-4°, mesure 28 cm de long et 22 cm de large et son épaisseur ne dépasse pas 1,5 cm. Sa reliure en demi-chagrin brun date des années 1860 et est en assez bon état. 

            Le papier, non rogné et légèrement bruni, est d’une extrême fragilité en particulier en bordure des feuillets. Plusieurs feuillets ont été restaurés, consolidés avec du papier japon, notamment ceux qui comportaient des annotations de Robespierre, afin d’éviter toute perte de texte.

 


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le Projet de Constitution française de 1791 annoté par Robespierre

Transcription des annotations manuscrites de Robespierre (pdf)

 

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Le fonds ancien de la Bibliothèque



L'ancienneté de la Bibliothèque de l'Assemblée nationale, les conditions dans lesquelles ont été rassemblés les premiers ouvrages, l'esprit encyclopédique enfin qui a guidé la politique des achats jusqu'aux environs de 1830, expliquent l'exceptionnelle richesse du fonds ancien : près de 1 900 manuscrits, dont une bible du IXe siècle, les décades de Tite Live avec des enluminures du XVe siècle, le procès de Jeanne d'Arc, un calendrier aztèque et plusieurs oeuvres de Jean-Jacques Rousseau, 80 incunables, des collections de journaux et d'affiches, et de nombreuses éditions originales.

Le Roman de la Rose

Le Roman de la Rose
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Grand poème allégorique écrit par deux auteurs successifs, Guillaume de Lorris et Jean de Meung, entre 1230 et 1275, le Roman de la Rose fut l'oeuvre la plus lue de la littérature française, depuis le XIIIe siècle jusqu'au milieu du XVIe siècle.

Son caractère paraît pourtant relativement hétérogène. La première partie, composée de 4 028 vers, est une sorte d'ode à l'amour courtois. La seconde, représentant environ 18 000 vers, constitue une vulgarisation de toutes les connaissances de l'époque, sous une forme variée qui passe de l'essai philosophique à la satire.

La Bibliothèque de l'Assemblée nationale possède deux exemplaires de cette oeuvre : un incunable, édité vers l'année 1490 à Paris et comprenant quatre-vingt huit gravures sur bois ; et un manuscrit du XIVe siècle sur parchemin qu'il vous est proposé de feuilleter ici à la suite de sa numérisation par la Bibliothèque nationale de France, dans le cadre d'une opération menée par la John Hopkins University de Baltimore et portant sur la numérisation des quelque deux cent cinquante manuscrits du Roman de la Rose conservés dans le monde.

Codex Borbonicus (fin XVe siècle)

Codex Borbonicus
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Manuscrit aztèque sur écorce, plié en paravent, comportant des annotations postérieures en langue espagnole.

Calendrier religieux et divinatoire mexicain servant à la fois de rituel et de diurnal pour la célébration des fêtes.

Ce document fut acheté en vente publique en 1826 sans que l'on ait pu déterminer comment il était parvenu en Europe.

Journal de Francisco Roïs et Suma oriental de Tomé Pires

Francisco Roïs et Suma oriental
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Le Journal de Francisco Roïs et la Suma oriental de Tomé Pires sont deux manuscrits de navigateurs portugais du XVIe siècle. Ces ouvrages ont été présentés au public, pour la première fois, sur des bornes interactives, lors d'une exposition consacrée aux trésors de l'Assemblée nationale, qui s'est déroulée du 17 septembre au 29 octobre 2005. Ils sont désormais disponibles en ligne, sur le site Internet de l'Assemblée.

Francisco Roïs (Rodrigues) fut l'un des pilotes de la flotte qu'Alfonso de Albuquerque envoya en novembre 1511 à la découverte des îles Moluques, sous le commandement d'Antonio de Abreu. Parti de Malacca, le navire de Roïs reconnut la partie méridionale de l'archipel des Moluques, c'est-à-dire Amboine, Seram et les îles Banda. Son Journal rassemble des observations nautiques sur cette expédition, des cartes, avec de très belles roses des vents, et des relevés de côtes très précis pour une époque qui ignorait la topographie aérienne. L'ensemble, qui recouvre 178 feuillets et 124 pages, fut vraisemblablement établi entre 1512 et 1520. L'oeuvre fait penser, par ses dessins, aux travaux d'un autre cartographe, quant à lui d'origine ottomane, mais très exactement contemporain de Roïs : Piri Reis.

La Suma oriental est une description du monde, depuis la mer Rouge jusqu'à la Chine, effectuée par Tomé Pires qui fut le premier Européen à être chargé d'une représentation diplomatique à Pékin. L'exemplaire manuscrit que l'on peut découvrir, joint au Journal de Roïs, est une copie que celui-ci fit sans doute établir lorsqu'il eut l'occasion de rencontrer Pires en Inde ou à Canton. Pirès accomplit sa mission en Chine jusqu'en 1521 ; à cette date, il fut victime des désaccords nés entre l'empereur de Chine et le roi du Portugal et il finit, après nombre de vicissitudes, par être expulsé, non sans avoir accompli un court séjour en prison sous l'accusation d'espionnage. C'est, sans doute, tout de suite après cet épisode que l'on peut situer la rencontre de Roïs et de Pirès. Par suite, la Suma oriental date probablement de cette époque, c'est-à-dire de 1521.

Jean DUVET - L'Apocalypse figurée

Jean DUVET - L'Apocalypse figurée
Planche 10 - Saint Jean dévorant le livre apporté par l'Ange

Planches gravées du XVIe siècle.

Reliure de parchemin souple ornée de motifs centraux et d'angles estampés et dorés.

Planche 10 - Saint Jean dévorant le livre apporté par l'Ange

L'Apocalypse de Saint Jean décrit sept visions reliant le divin et l'histoire.

Ici une suite d'estampes gravées en taille-douce par celui qui fut parfois appelé le « Dürer français ». Certaines sont des premiers états sans inscription ni signature, aucune ne comporte de texte. Sans atteindre à la perfection des planches du peintre allemand, l'ouvrage de Duvet exprime avec force l'aspect mystique de l'oeuvre.

Manuscrit Les heures de Croÿ

Francisco Roïs et Suma oriental
Cliquer sur l'image pour = compulser le manuscrit Les heures de Croy

Ce manuscrit enluminé du XVe siècle est un livre d'heures ayant appartenu à la famille de Croÿ, comme en témoignent les armoiries figurant au bas du folio 5.

L'ouvrage comporte 130 feuillets sur papier vélin, dont 25 miniatures avec encadrement de rinceaux et de feuillages. La reliure est beaucoup plus moderne et se présente sous la forme d'un maroquin brun gaufré, aux armes de Croÿ.

Manuscrit Les heures de Croÿ : La miniature du folio 26 représente Saint Privat, évêque de Gévaudan

La miniature du folio 26 représente Saint Privat, évêque de Gévaudan, dont la figure canonisée sera invoquée par les fidèles en 1765, au moment des grandes peurs en Lozère liée à l'apparition de la célèbre « bête », qui devait être sans doute un loup de grande taille. Cela situe le premier destinataire de l'ouvrage dans cette région. Le peintre de l'ensemble des miniatures pourrait être Simon Liboron, bourgmestre de Troyes.

Le manuscrit est passé à la fin du XVIe siècle à la famille de Croÿ puis dans une bibliothèque relevant d'un domaine national.

Compigné - Le Palais Bourbon et l'hôtel de Lassay aux environs de 1780


© photo Irène Andréani

Tableau en relief sur étain par Compigné, tabletier du Roi.

Installés au XVIIIe siècle dans le quartier des ébénistes, les tabletiers leur fournissaient de fines marqueteries d'ivoire, d'écaille ou de bois précieux et fabriquaient également coffrets, miniatures et tableautins. Le génie de Compigné, qui produisait notamment des miniatures en écaille sculptée en léger relief, fut, dès 1760, de substituer l'étain à l'écaille, et d'y ajouter une feuille d'or ou d'argent, parfois rehaussée à la gouache ou au vernis coloré. Ces « compignés » représentent le plus souvent des vues de villes, de monuments ou de châteaux, dans des perspectives de parcs ou de paysages sur plusieurs plans. Ces châteaux, ces paysages animés de petits personnages tirent leur valeur de la finesse du trait, des effets de perspective, des contrastes de couleurs rehaussées d'or, et de l'intérêt du sujet représenté. A cet égard, la représentation du Palais Bourbon et de l'hôtel de Lassay aux environs de 1780 est parfaitement caractéristique de ce style.

Gazette nationale ou Le Moniteur universel

La Gazette nationale

La bibliothèque possède une collection complète de la Gazette nationale ou Moniteur universel, dont le premier numéro date du 24 novembre 1789. Journal fondé par le libraire lillois Charles Panckoucke, il fut spécialement consacré à la publication des débats, délibérations, et décrets de l'Assemblée nationale, et prit tout de suite, par la force des choses, un caractère quasi officiel.

Pourtant, il ne devint l'organe officiel du gouvernement qu'à partir du 7 nivôse an VIII (18 décembre 1799). De juillet 1815 à février 1816, la partie officielle lui fut momentanément retirée. Le Moniteur continua à être géré par les héritiers Panckoucke jusqu'au 31 décembre 1868, date à laquelle le gouvernement mit en adjudication la feuille officielle qui dut, sur la réclamation du Moniteur, prendre le titre de Journal Officiel.

La Marseillaise

La Marseillaise
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© Association Gutenberg XXIe siècle

Composée à Strasbourg par Claude Joseph Rouget de Lisle en avril 1792, lors de la déclaration de guerre contre l'Autriche, et d'abord intitulée « Chant de guerre pour l'Armée du Rhin », la Marseillaise fut adoptée par le bataillon des Marseillais appelé à Paris à l'occasion de l'insurrection du 10 Août 1792. Cet hymne, porté par la ferveur populaire, fut décrété chant national le 26 messidor An III (14 juillet 1795) et le 14 février 1879.

Il ne comprenait, à l'origine, que six couplets. Un septième, appelé la « strophe des enfants », fut ajouté en octobre 1792 par Gossec lorsque fut représenté, à l'Opéra, « l'offrande de la liberté scène religieuse sur la chanson des Marseillais ».

Les documents numérisés sont extraits de deux ouvrages comportant l'un le manuscrit autographe de la Marseillaise, l'autre une aquarelle représentant deux soldats révolutionnaires et une lettre autographe de Rouget de Lisle, ouvrages qui ont été respectivement acquis par la bibliothèque de l'Assemblée nationale en 1952 et en 1980. [Dossier La Marseillaise]

Voir aussi :


Le catalogue de l'exposition
« Les Trésors de l'Assemblée nationale »