Présentation, à l'Assemblée nationale constituante,
du budget de la radiodiffusion

31 décembre 1945

Mesdames, messieurs, avant de répondre aux orateurs qui viennent d'intervenir sur le budget de la radiodiffusion, je voudrais donner une précision à propos du ma récente intervention sur le budget de l'information.

Lorsque i'ai déclaré qu'un journal du matin, le journal les Nouvelles du matin serait suspendu, je suis certain que cette phrase a été interprétée - et elle était interprétable - de plusieurs manières.

Je tiens à déclarer que le sens de ma phrase était fort précis. Le voici : L'autorisation qui avait été donnée à M. Jean Marin n'avait de valeur que pour M. Jean Marin. Du moment que M Jean Marin s'en allait, cette autorisation était sans objet et le journal Les Nouvelles allait être suspendu.

Cette phrase ne vise en aucun cas le patriotisme de M. Jean Marin auquel, au contraire, j'avais rendu hommage.

Je répondrai maintenant aux orateurs qui sont intervenus sur le budget de la radiodiffusion.

Ce qui d'ailleurs me gêne un peu pour répondre à l'orateur communiste et à l'orateur socialiste, c'est que je suis dans l'ensemble d'accord avec eux. Je ne vous dirai pas que la radio est excellente. Mais non ! Elle en est loin. Il s'agit de la changer. Reconnaissez donc, de même que nous sommes d'accord sur une ligne générale, que vous devez l'être avec nous sur le peu de temps qui nous a été donné pour avoir des résultats.

Vous avez posé un certain nombre de principes. Je vais vous suivre sur ce terrain, car le problème est important. Vous avez dit que le conseil supérieur était insuffisant. J'en suis entièrement d'accord. L'organisation du conseil supérieur est une mesure transitoire. Il s'agit d'aller beaucoup plus loin. Pour l'instant, je préfère le conseil supérieur à rien.

Vous avez dit que vous souhaitiez la liberté de la radio, c'est-à-dire la possibilité pour les groupes politiques de s'exprimer à la radio. Je suis entièrement d'accord avec vous à cet égard.

Je désire que la radio soit une organisation suffisamment précise pour qu'on sache dans cette Assemblée quand et dans quelles conditions les partis politiques prennent la parole. Il s'agit là d'ailleurs d'une question qui relève davantage des décisions de l'Assemblée que des miennes. Il n'y a en tout cas sur ce point aucune équivoque, aucun malentendu. Nous sommes d'accord.

J'en viens à la question de la radio d'Andorre.

Oui, nous avons les moyens d'action. Il serait infiniment trop long de les développer ici. Vous connaissez la complexité de la question, mais vous savez aussi qu'une commission interministérielle a été nommée pour s'occuper de la radio d'Andorre et, quant à nos perspectives, vraiment, messieurs, s'il s'agit de franquisme, je crois que, sous ce rapport, nous serons facilement d'accord.

En ce qui concerne le journal parlé, le problème est, vous le savez comme moi, un problème d'organisation générale. Il n'est pas possible d'isoler la réorganisation du journal parlé.

Maintenant, est-il souhaitable qu'il y ait une sorte de privilège du ministre de l'information sur le journal parlé ? A première vue, je pourrais vous dire que la question est à examiner de près, mais je n'en vois pas la nécessité impérieuse, c'est un problème d'organisation qui rejoint exactement l'autre.

Enfin, quant à la présidence de M. Guignebert, je déclare que deux problèmes différents se posent en cette matière.

D'une part, il eût été illégitime que M. Guignebert quittât la radio purement et simplement.

M. Jean Biondi. Pourquoi ?

M. le ministre de l'information. M. Guignebert avait pris la radio dans des circonstances que vous n'ignorez pas. Il l'avait maintenue. Il est évident que M. Guignebert, à qui l'on pouvait reprocher un certain nombre d'erreurs, ou plus simplement une expérience qui, somme toute, d'un avis quasi général n'avait pas réussi...

M. Jean Biondi. Voulez-vous me permettre de vous interrompre, monsieur le ministre ?

M. le ministre de l'information. Je vous en prie.

M. le président. La parole est à M. Biondi, avec l'autorisation de M. le ministre.

M. Jean Biondi. Monsieur le ministre, je ne voudrais pas que l'on puisse se méprendre sur le sens de mon intervention en ce qui concerne M. Guignebert.

M. le ministre de l'information. J'allais y venir.

M. Jean Biondi. Il m'est apparu anormal que renvoyant ou remplaçant le directeur général de la radiodiffusion, on lui donnât la présidence du conseil supérieur.

De deux choses l'une : ou bien il méritait d'être renvoyé, et alors il ne pouvait y avoir pour lui de compensation, ou bien, ce que je pense avec mes amis du groupe socialiste, M. Guignebert avait suffisamment rendu de services à la radio, dans des conditions particulièrement délicates et difficiles, il avait fait preuve d'une compétence qui pouvait justifier son maintien au poste qu'il occupait, et alors on devait le laisser là où il était.

Mais la mesure qui consiste, pour essayer de faire oublier ce que nous considérons, nous, monsieur le ministre, comme une injustice, à doter celui qui est frappé d'une espèce de sinécure est une mesure que je tenais a souligner et que nous ne pouvons pas accepter.

M. le ministre de l'information. J'avais annoncé deux raisons. J'ai donné la première. Permettez-moi de vous faire connaître la seconde.

Je disais que, d'une part, il eût été illégitime que M. Guignebert pût être considéré comme quelqu'un qu'on renvoyait, ce qui n'était d'ailleurs pas exact ; mais, d'autre part, M. Guignebert avait une expérience.

J'ai estimé que cette expérience avait une valeur, que la valeur de cette expérience n'était pas là où se trouvait M. Guignebert ; j'ajoute que M. Guignebert était d'accord avec moi à ce propos.

Nous avons pensé qu'il pouvait être très bon que l'effort qu'il avait entrepris pût se continuer dans un accord avec son successeur et que la formule provisoire qui serait la meilleure pour nous permettre d'aboutir était la formule de ce conseil, dont M. Guignebert aurait la présidence.

Au surplus, il est trop tard pour que nous entamions une polémique même amicale sur ce sujet, ce soir. Je voulais préciser simplement dans quel esprit avait été créé le conseil supérieur et dans quel esprit avait été nommé son président.

Restent maintenant deux questions : l'une est celle de la télévision ; l'autre est celle du nombre des fonctionnaires qui perçoivent les taxes.

Pour la question des taxes, elle est sans importance, car, au moment où ces fonctionnaires entrent en jeu, intervient une réorganisation complète, non pas spécialement dans la radio, mais de tout un système de taxes.

En ce qui concerne la télévision, qu'on me permette ici de protester très rapidement. 91 fonctionnaires pour la télévision, ce n'est pas beaucoup ; c'est même très insuffisant.

En vérité, la France est le deuxième pays du monde dans l'ordre de la télévision, c'est-à-dire dans l'ordre des découvertes techniques sur la télévision. Je ne vous ferai pas un cours, mais vous savez que la télévision n'est au point nulle part pour toute une série de raisons assez complexes et que l'essentiel en ce moment est de mettre au point ces possibilités.

La France, dans l'état de misère où elle se trouve, a la chance de devenir le deuxième pays du monde en cette matière.

Vraiment, est-ce payer trop cher de le payer de 91 fonctionnaires ?

Mesdames, messieurs, je ne proteste pas, car en somme, sur quoi protesterai-je ? Tout ce que vous m'avez dit me paraît parfaitement fondé. Tout ce que je peux vous dire, c'est que je souhaite que la radiodiffusion soit orientée dans ce sens, mais aussi je compte sur vous pour m'y aider, comme vous pouvez compter sur moi pour vous aider.

J.O. Débats Assemblée nationale Constituante,
n° 23. 1er janvier 1946. p. 662-663