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Colloque « France et Europe de l'énergie : nouvelles attentes, nouveaux marchés »
à l'Assemblée nationale le mardi 17 octobre 2000

Discours de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Mesdames et Messieurs les députés,

Mesdames et Messieurs,

Je suis particulièrement heureux que Michel Destot m'ait proposé d'introduire les travaux du colloque qui nous réunit aujourd'hui. Je lui adresse mes plus vifs remerciements et le félicite d'avoir su faire de ces « rencontres parlementaires sur l'énergie » le traditionnel rendez-vous de la réflexion sur l'avenir du secteur de l'énergie en France. Vos réunions attestent de l'intérêt de débats organisés à l'initiative de parlementaires qui favorisent l'échange entre les hommes politiques et les hommes d'entreprises, entre ceux qui définissent les règles du jeu et ceux qui les font vivre.

Ce colloque revêt aujourd'hui une importance particulière, en raison des événements graves subis récemment par ce secteur. Je pense, bien sûr, à la tempête historique qui s'est abattue sur la France en décembre dernier, et qui a rappelé, dans la douleur, combien l'électricité demeure un produit de première nécessité. Je songe aussi au naufrage de l'Erika, qui a montré, une nouvelle fois, en dépit et même en raison des contraintes croissantes de compétitivité qui pèsent sur les entreprises, qu'on doit établir des normes de sécurité plus contraignantes sur les chargements. Dans ce domaine, je crois que les pouvoirs publics doivent avoir les moyens d'exercer un contrôle fort. Enfin, je pense à la montée des prix du pétrole brut, à des niveaux qui n'avaient pas été atteints depuis des années. Une montée certes révélatrice d'un accroissement des besoins dû à une amélioration de la conjoncture mondiale, mais aussi et surtout, de la capacité retrouvée des pays producteurs à pratiquer une politique de l'offre plus concertée, et qui nous rappellent que les réserves mondiales vont en s'amenuisant.

En outre, depuis 18 mois, des changements structurels majeurs sont intervenus dans le secteur de l'énergie : l'ouverture programmée des marchés de l'électricité puis du gaz, après un demi-siècle de monopole ; la fusion des deux grandes entreprises privées françaises Elf et Total Fina, dans le domaine pétrolier ; l'établissement de partenariats des deux entreprises publiques EDF et Gaz de France avec des entreprises étrangères, tant au niveau européen que mondial.

Ces bouleversements récents rendent d'autant plus difficiles les décisions à prendre sur la stratégie économique de long terme et sur la modernisation des règles du marché énergétique, à l'échelle de la planète.

Pourtant, ces choix sont urgents. Ils doivent être opérés sans attendre car, à l'instar de la man_uvre de changement de cap d'un paquebot, un long moment s'écoule avant que l'effet n'en soit ressenti.

Ces choix sont lourds de conséquences puisqu'ils engagent notre avenir, celui de nos enfants et même de nos petits-enfants. Peu de décisions comme celles que nous avons à prendre sur les centrales nucléaires, portent sur une telle échéance. Il n'y a guère, dans notre histoire, que les cathédrales qui aient nécessité un temps de conception, puis de construction, aussi long. Songeons aux célèbres 107 ans qu'il a fallu pour édifier Notre-Dame-de-Paris !

Nous savons aujourd'hui que les centrales nucléaires actuelles auront une durée de vie très supérieure à celle envisagée lors de leur mise en fonction. Mais nous devrons rapidement nous déterminer sur l'opportunité de leur prochaine génération. Vous l'aurez compris, il ne s'agit pas pour moi d'entrer dans une discussion de spécialistes sur les avantages et les inconvénients de la future génération de réacteur nucléaire, mais bien de réfléchir à de grands choix de société.

A cet égard, je pense que nous devons nous poser au moins deux grandes questions :

- Tout d'abord, le choix de l'indépendance énergétique, que nous avons fait il y a quarante ans, est-il toujours aussi pertinent à l'heure de la mondialisation et de l'interpénétration croissante des marchés ?

- Ensuite, la spécificité française caractérisée par la priorité du nucléaire est un avantage économique pour notre pays. Mais à partir de quel niveau une part trop importante dévolue à cette énergie devient-elle un frein qui nous empêche de bénéficier de la souplesse donnée par la diversité des énergies disponibles, dans un contexte où les contraintes sur le marché énergétique mondial sont de plus en plus fortes ?

A cet égard, je tiens à rendre hommage au président d'EDF pour avoir fait accepter l'idée que le simple énoncé de ces questions ne soit plus tabou dans sa maison. Les choses ont changé et beaucoup admettent à présent que le « tout nucléaire » n'est plus LA solution intangible. Il faudra, à l'avenir, utiliser davantage les différentes énergies, selon le degré d'autonomie que nous voulons conserver mais aussi en fonction de leurs avantages respectifs (réserves disponibles, impact sur la pollution, capacité à répondre aux besoins des citoyens et des entreprises).

Notre modèle énergétique est depuis longtemps caractérisé par des outils de production centralisés, des investissements très lourds et une rentabilité obtenue sur le long terme. A l'avenir, les besoins énergétiques devront être plus décentralisés et la rentabilité beaucoup plus rapide. Un lycée, un hôpital, une usine deviendront leur propre centre de production d'énergie.

Si la loi de février 2000 sur la modernisation de l'électricité prévoit simplement qu'il faudra « laisser une place » aux productions d'énergies décentralisées, il est vraisemblable que, sous la pression des industriels, cette part augmentera rapidement. Cette évolution aura des conséquences très importantes sur l'aménagement du territoire et sur les caractéristiques de l'offre énergétique qui devra être faite par les fournisseurs d'énergie.

Je ne doute pas que ce colloque permette aussi d'avancer sur la question du rôle que nous souhaitons voir joué par les deux grandes entreprises nationales, EDF et Gaz de France, à la suite de l'ouverture progressive des marchés.

Les règles du jeu actuelles sont bouleversées, notamment en ce qui concerne les missions de service public que notre histoire leur a progressivement conférées (aménagement du territoire, mesures sociales....). Hier, le financement de ces mesures étaient supportées par l'ensemble des usagers. L'existence d'un monopole permettait d'assurer la péréquation des tarifs, comprise et admise par tous.

On sait que le Parlement a décidé en février 2000 de maintenir un service public de distribution d'électricité. Mais demain, avec l'ouverture des marchés, le nombre des petits et moyens usagers dont les besoins en énergie restent couverts par ces deux entreprises publiques va décroître. Ils seront donc moins nombreux alors que les charges correspondantes sont constantes, voire en augmentation. Très vite, la question se posera de savoir si cette solidarité peut continuer d'être assurée par ces seuls usagers, autrement dit si l'Etat et les collectivités locales n'ont pas à assumer leur part dans la fourniture de ce bien de première nécessité.

Ce colloque est, enfin, l'occasion de débattre des questions de politique industrielle dans le secteur de l'énergie. En effet, dans nombre de secteurs industriels, par le jeu des privatisations et de l'ouverture mondiale des marchés, les pouvoirs publics ont perdu de leur capacité d'intervention. Je constate que ce n'est pas le cas dans le domaine énergétique. Par conséquent, il me semble opportun d'orienter notre réflexion sur au moins deux points essentiels :

- Tout d'abord, sur la place que nous voulons voir progressivement occupée par les énergies renouvelables. Le récent rapport de M. Yves Cochet montre très bien qu'en valeur absolue, la France était ces dernières années le premier producteur européen d'énergies issues de sources renouvelables. Mais, rapportée à notre consommation totale, cette production d'énergie est trois fois inférieure à ce qu'elle est en Suède, en Autriche ou en Finlande. De plus, la production française d'énergies renouvelables émergentes (éolienne, solaire...) ne représente que moins de 2 % de la production européenne.

    Aujourd'hui, si les technologies correspondantes existent, notre passage à la phase industrielle est trop lent. Il nous faut déployer un large éventail d'incitations diverses pour encourager les industriels concernés. Là aussi, nous devons préparer l'avenir.

- Ensuite, la conclusion des rapports de Nicole Bricq et Charles Fiterman nous invite à nous interroger sur le devenir de Gaz de France. Pensons-nous que la conclusion d'accords de partenariats technologiques et commerciaux, en Europe et au-delà, soit suffisante pour garantir la survie de GDF à l'heure où les rapprochements entre entreprises sont chaque mois plus nombreux ? Ou faudra-t-il aussi lui permettre de nouer des liens plus stables avec d'autres acteurs européens, à la recherche, comme elle, d'une meilleure intégration sur toute la filière gazière ? Gaz de France doit maintenir les valeurs de service public qui l'ont forgée mais aussi développer les moyens nécessaires pour lutter à armes égales avec ses compétiteurs étrangers. L'examen du texte sur l'avenir de Gaz de France sera l'occasion d'en débattre plus longuement.

Ces questions trop rapidement évoquées appellent des réponses urgentes. Chaque mois passé est un mois perdu pour les choix que nous devons faire pour nos entreprises comme pour le développement des énergies renouvelables. Au temps de la réflexion doit succéder celui de l'action. Vos échanges avec les industriels présents sont, j'en suis convaincu, la meilleure garantie de la pertinence de nos futures décisions.

Je vous souhaite de bons et fructueux travaux.