Accueil > Archives de la XIe législature > Discours de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

Forum européen pour une initiative contre la peine de mort aux Etats-Unis
à la Mutualité le samedi 21 octobre 2000

Intervention de Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Mesdames,

Messieurs,

Chers amis,

Je voudrais d'abord remercier les organisateurs du forum, l'association "Ensemble contre la peine de mort" et en premier lieu Michel Taube et Tina Kieffer, qui ont voulu faire de cette journée du 21 octobre une véritable mobilisation contre la peine de mort aux États-Unis.

Le Forum d'aujourd'hui n'est pas un colloque de plus. Il y a urgence. Près de 3 700 personnes aux États-Unis attendent dans les couloirs que chaque jour veuille bien payer son tribut à l'oeuvre de mort. C'est pourquoi je vous dirai ma certitude qu'il faut tout faire pour obtenir des États-Unis un moratoire sur les exécutions capitales.

Il y a urgence, parce que la conviction qui nous réunit aujourd'hui c'est que nous ne voulons pas d'une justice qui tue ! (I) Mais pour cela, il faut réfléchir et définir ensemble une stratégie pour faire aboutir cette conviction (II).

I. Une conviction, d'abord

Aux États-Unis, la justice tue ! Les chiffres et les statistiques sont les plus implacables des réquisitoires contre la peine de mort :

Depuis la reprise des exécutions, en 1977, et jusqu'à la fin 1999, 598 condamnés à mort ont été exécutés aux États-Unis. Le Texas vient en tête des États américains, avec 199 exécutions, suivi de la Virginie (73), de la Floride (44) et du Missouri (41) ; avec 98 exécutions en 1999, soit 30 de plus qu'en 1998, les États-Unis, avec l'Arabie Saoudite, la Chine, l'Iran et la République - qu'on n'ose appeler démocratique - du Congo, sont responsables de 85 % des exécutions dans le monde.

Les États-Unis figurent parmi les cinq derniers pays avec l'Arabie Saoudite, l'Iran, le Nigeria et le Yémen, à appliquer la peine de mort aux détenus qui étaient mineurs au moment des faits : depuis 1977, 17 condamnés ont été exécutés, dont neuf dans le seul État du Texas. Gary Graham a ainsi été exécuté le 26 juin dernier à l'âge de 36 ans, pour un crime qu'il aurait commis 19 ans auparavant !

Nous sommes rassemblés aujourd'hui pour dire que le droit à la vie est le premier des droits de l'homme, universellement reconnu par les traités dont s'est dotée la communauté internationale, la Déclaration universelle des droits de l'homme, le pacte des droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l'homme.

Bientôt, la Charte européenne des droits fondamentaux dont le principe a été adopté à Biarritz. La peine de mort est évidemment la négation directe des engagements contenus dans ces traités.

La peine de mort est intrinsèquement inconstitutionnelle. Elle est contraire à toutes les Constitutions possibles puisqu'il n'y a pas de Constitution sans respect des droits fondamentaux et sans respect de la dignité de l'homme. Un État de droit ne peut s'arroger le droit de tuer les citoyens.

La peine de mort, qui porte atteinte à la dignité, frappe d'abord aux USA, d'abord les noirs, les minorités et les pauvres. Elle est prononcée souvent à la suite de procédures judiciaires bâclées. Elles révèlent toutes les discriminations, mais aussi l'incompétence de la défense, les faux témoignages et la partialité de la police comme des procureurs. La peine de mort est dans son principe indigne et, dans son application, fondamentalement raciste et contraire à l'égalité et aux droits élémentaires de la défense.

D'autres, ailleurs, ont su réagir dans la dignité. Je salue ici l'Afrique du Sud qui a réalisé ce tour de force de bannir cette peine de sa loi fondamentale alors qu'elle sortait à peine d'une histoire tragique où les droits les plus élémentaires étaient déniés à toute la communauté noire. Dans une société profondément divisée, qui aurait pu exiger vengeance de toutes les humiliations subies, il s'est trouvé des hommes et des femmes assez courageux pour exclure de son droit, la négation du droit .

La peine de mort est la négation de la justice parce qu'en plus de supprimer un être humain, elle anéantit le sens même de la peine.

Une peine qui a pour seule prétention d'assurer à une société la sécurité n'est plus une peine, c'est une vengeance. Une peine qui supprime au lieu de corriger, c'est la loi du Talion. Aucune société civilisée ne peut accepter de dévorer ses propres enfants sous peine de montrer que le respect de l'humanité n'est pas le fondement de son action. C'est pour cela que la réhabilitation doit être aussi l'horizon de la justice.

Je le dis à nos amis américains, la peine de mort est la négation de la civilisation et de la démocratie. La société n'est pas instituée pour mettre la violence au pouvoir. Elle est au contraire instituée pour substituer le droit à la violence.

Je le dis à nos amis américains, non seulement la peine de mort est la négation du droit, mais elle est aussi impuissante à combattre la violence puisqu'elle en est le symbole. Une violence légale. Donc la violence la plus criminelle qui soit puisqu'elle assassine légalement. Elle est en réalité la légitimation de la violence la plus totale, celle qui consiste pour un État à supprimer la vie.

Je le dis à nos amis américains, la peine de mort déshumanise notre monde. Elle ne déshumanise pas seulement la société américaine mais le monde entier dans lequel nous vivons puisqu'elle donne la primauté aux représailles et à la violence, tout en éliminant la clémence et la réhabilitation qui fondent le système de justice auquel nous croyons.

Ce que je viens de rappeler, tout le monde ici le sait. Maintenant si nous sommes là, c'est pour agir ensemble contre la peine de mort aux États-Unis et partout où elle est encore appliquée. Nous en voulons l'abolition universelle parce que c'est le seul mot d'ordre qui soit acceptable.

II. Une Stratégie, ensuite.

Si nous voulons l'abolition universelle, nous devons procéder par étape. Nous voulons d'abord l'abolition aux États-Unis parce que la peine de mort est une tache sur l'image prestigieuse de la plus grande démocratie du monde. Et parce qu'elle est une tache sur la démocratie elle est une ombre portée sur nous !

L'Europe s'est débarrassée de cette peine. La France s'en est débarrassée en 1981, grâce à l'action de Robert Badinter et aux engagements de François Mitterrand qui a voulu l'abolition alors que l'opinion n'y était pas favorable.

Cette même année, le Parlement européen avait pris la tête du mouvement abolitionniste au sein des organes communautaires en adoptant une résolution demandant la suppression de la peine de mort dans tous les États membres. Le protocole additionnel à la Convention européenne qui prévoit cette abolition a été adopté en 1982.

Tous les pays de l'Union l'ont ratifié et bien au delà des pays de l'Union. L'article 2 de la Charte européenne des droits fondamentaux, dont le projet vient d'être adopté lors du sommet informel des 15 à Biarritz , bannit la peine de mort.

Pourtant l'Europe n'en aura pas fini de cette peine inhumaine tant que les États-Unis n'en seront pas débarrassés. Elle n'en a pas fini parce que les Américains sont nos amis. Ce qu'ils font, ce qu'ils pensent, ne nous est pas indifférent parce que, précisément, ce sont nos amis.

Et à cet instant, il nous faut réfléchir !

Nous avons une conviction, l'abolition.

Nous avons un but, l'abolition.

Mais avons-nous une stratégie ?

Elle doit être construite autour de quelques idées simples, si nous voulons réussir :

1. Nous n'obtiendrons pas l'abolition de la peine de mort aux États-Unis en nous adressant au Président des États-Unis. Parce que la peine de mort ne relève pas de l'État fédéral (sauf quelques rares cas) mais des États fédérés. Certes le symbole est fort, mais sachons ce qu'est la réalité là-bas.

2. Nous n'obtiendrons pas l'abolition de la peine de mort aux États-Unis en mettant en accusation les États-Unis en général. Tout d'abord parce que 12 États ne la pratiquent pas.

Certains, comme le Michigan, l'ont aboli depuis plus de 150 ans et ont résisté à toutes les tentatives pour la rétablir. Ensuite parce que d'autres États ont suspendu les exécutions comme l'Illinois. Enfin parce que d'autres États sont sur la voie d'un moratoire.

3. Nous n'obtiendrons pas l'abolition de la peine de mort pure et simple parce que les Américains restent attachés à la soi-disant "juste rétribution" des actes. "Celui qui a tué devrait mourir". Je crains que leur histoire, leur culture et leur attachement à une certaine forme de puritanisme, tout autant que de justice immanente et violente, continuent à leur faire prendre la peine de mort pour une peine naturelle.

4. Aussi, je crois que la stratégie de tous ceux qui veulent la fin de la peine de mort aux Etats Unis, c'est à dire de nous tous ici, doit être graduelle et diversifiée. Je sais bien qu'une telle position peut décevoir ceux qui sont partisans d'une abolition universelle et tout de suite. Mais je suis convaincu que la bataille contre la peine de mort se gagnera État par État comme cela a été le cas pour l'esclavage et en s'appuyant sur une démarche graduelle.

- Il faut être pragmatique et moraliste à la fois.

En premier lieu, montrer les défaillances de la justice. Après la publication dans le Chicago Tribune d'une remarquable enquête sur les dysfonctionnements de la justice dans l'Illinois, le Gouverneur républicain George RYAN a décidé un moratoire immédiat. L'étude sur la peine de mort réalisée par l'Université de Columbia va dans le même sens. Elle démontre le taux impressionnant d'erreurs que secrète le système judiciaire américain. Il faut le dire, il faut le dire aux américains, de nombreux innocents ont été assassinés légalement. Si les Américains ne croient pas, contrairement à nous, que la peine de mort est contraire à la dignité et à l'équité, ils sont sensibles à la vérité et à la régularité des procédures. Il faut que notre stratégie en tienne compte.

- Nous devons également nous battre pour le droit, de façon que les textes internationaux soient respectés, et notamment le pacte pour les droits civils et politiques de l'ONU.

Il n'est pas acceptable que les États-Unis appliquent la peine de mort aux mineurs, aux femmes enceintes, aux mères de jeunes enfants, aux handicapés mentaux.

- Enfin, il faut éviter de donner des leçons aux Américains. Aucun peuple ne le supporte et sans doute la France n'est-elle pas la mieux placée pour cela. Aussi je crois vraiment qu'il faut s'appuyer sur les nombreuses associations qui militent déjà efficacement pour sensibiliser l'opinion américaine : Amnesty international, Human rights watch, l'American bar association, se sont toutes prononcées pour un moratoire des exécutions. Les Églises s'engagent aussi de façon très marquée et elles ont une influence déterminantes sur les âmes et les consciences. Notre association elle-même doit être le fer de lance de cette vague.

*

Parce que je le rêve, parce que je le crois, je voudrais vous dire ma certitude que nous marchons vers l'abolition universelle. Cette cause est juste et ce sont nos amis Américains que je voudrais convaincre en premier.

La pression continue des opinions publiques et les condamnations successives de la commission des droits de l'homme des Nations-Unies contribuent à éclairer l'opinion américaine.

Nous devons convaincre cette opinion de surseoir aux exécutions.

C'est la raison d'être de ce forum.

C'est la raison d'être de notre présence, de ma présence, parce que je me sens porteur des plus grandes voix qui ont résonner dans l'hémicycle dont celle de Victor Hugo : "On recule épouvanté devant l'idée d'un si grand crime commis par un si grand peuple".

C'est la raison d'être de notre espoir.