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Rencontre entre les députés et les Présidents des Chambres de métiers
à l'Hôtel de Lassay le mercredi 15 novembre 2000

Allocution de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

J'ai grand plaisir à accueillir, ici, à la présidence de l'Assemblée nationale, la rencontre des députés et des Présidents de Chambres de métiers. C'est, autant que je sache, une première, tout au moins dans cette configuration, puisque les députés rencontrent les responsables professionnels plus souvent sur le terrain qu'à Paris.

C'est donc au nom de l'ensemble des députés que je tiens à remercier tout particulièrement le Président de l'Assemblée permanente des Chambres de métiers, Alain Griset, et le Président de la Chambre de métiers du Territoire de Belfort, Paul Grosjean, qui sont à l'origine de notre réunion d'aujourd'hui.

Avant même de lancer le débat, et peut-être pour mieux l'engager, je me permettrai de m'interroger à haute voix sur ce qui a fait que ce débat est une première : pourquoi n'y a-t-il pas eu de précédent, et pourquoi discuter aujourd'hui ? Aurions-nous eu peur les uns des autres ? Aurions-nous préféré nous ignorer, nous députés, en ne reconnaissant pas l'apport essentiel de l'artisanat à notre société et à notre économie, et vous, professionnels, en ne percevant pas que, si le législateur ne peut pas tout régler, loin s'en faut, il peut aussi accompagner un secteur comme le vôtre, voire l'aider à anticiper sur son évolution ?

Voilà le sens que je souhaiterais donner à notre débat. Essayons de mieux nous comprendre. Essayons aujourd'hui d'établir un débat sur le fond, sur ce qui tient à l'organisation de vos entreprises, et essayons d'éviter, dans la mesure du possible, les sujets plus conjoncturels qui font plus l'objet de revendications et de négociations que d'une réflexion que nous pouvons mener tous ensemble.

Il faut bien avouer que la période, en plein examen du projet de loi de finances, nous amènera bien évidemment à aborder aussi des sujets dont on a beaucoup parlé ces derniers temps, comme la vignette - il y a déjà eu une avancée sur ce point, et je suis convaincu que le débat n'est pas terminé -, comme la TIPP, la taxe d'équarrissage - sujet particulièrement délicat à un moment où l'ensemble de la filière bovine traverse une période de difficultés exceptionnelles -, comme, enfin, le taux de TVA sur les activités à forte main d'oeuvre.

Permettez-moi de m'arrêter un instant sur ce point. La ténacité des députés a amené le gouvernement à accepter de réduire le taux de TVA sur les travaux d'entretien et d'amélioration de l'habitat. Cette mesure était coûteuse en terme de recettes dans le budget de l'Etat, mais nous y avions vu de nombreux avantages : simplification, effet positif pour l'artisanat, limitation du travail clandestin, possibilité pour certains ménages de concrétiser leurs projets. La disposition a été adoptée il y a 2 ans, et chacun reconnaît qu'elle a atteint ses objectifs. Maintenant, la question est posée de savoir si une mesure qui a si bien réussi ne devrait pas être étendue à d'autres activités, comme la restauration. A priori, on se dit que l'idée est excellente, puis on s'interroge : peut-on affirmer qu'elle aurait un impact réel sur l'activité, que nous irions plus souvent au restaurant ? Et puis, la mesure n'aurait pas d'impact sur le travail clandestin, puisqu'il n'existe pas, que je sache, de marché parallèle de la restauration.

N'allez pas croire, à travers ce que je viens de dire, que je suis hostile à la baisse de la TVA. C'est peut-être l'impôt le plus injuste, puisque tous les ménages s'en acquittent uniformément. Je souhaitais simplement, à travers cet exemple, vous montrer que nous, députés, avons à opérer des choix pour parvenir à ce délicat équilibre entre recettes et dépenses qu'est la loi de finances.

Mais revenons à notre sujet d'aujourd'hui, celui du travail que nous pouvons effectuer ensemble. Je crois que les députés ont désormais compris les données-clés de votre secteur : 800 000 entreprises, 2 300 000 emplois et surtout, la perspective de création en grand nombre de nouveaux emplois.

Nous, parlementaires, sommes trop souvent confrontés aux problèmes des grosses entreprises en difficultés, simplement parce qu'elles créent des problèmes lourds pour nos collectivités, des problèmes ne pouvant être gérés avec souplesse. Nous devrions davantage nous intéresser aux gisements d'emplois que vous représentez, vous les petits entrepreneurs, en créant vos emplois, en ayant des projets qui font votre vie et celle de ceux que vous pouvez recruter à l'occasion du développement de ces projets.

Bien que vous soyez les plus gros créateurs d'emplois, vous êtes aussi confrontés aux problèmes des très petites entreprises, que vous confirmerez certainement : comment répondre à une surcharge de travail ponctuelle ? Comment satisfaire une demande qui exige, parfois, des qualifications dont vous ne disposez pas chez vous ? Comment créer, faire vivre et transmettre dans les meilleures conditions votre outil de travail ?

Voilà des questions communes à tous, autour desquelles, quel que soit votre domaine d'activité, vous pouvez être amenés à trouver des solutions qui seront d'autant plus justes et efficaces qu'elles seront communes.

C'est sur ce constat que l'idée a germé chez certains d'entre vous et, je crois que vous savez cela, chez votre nouveau secrétaire d'Etat, François Patriat, de travailler à élaborer un projet de loi d'orientation des très petites entreprises qui pourrait durablement, structurellement, vous permettre de créer un environnement favorable à la naissance de vos entreprises et au développement de vos métiers.

Je crois que l'occasion de notre rencontre est trop belle pour ne pas être saisie. Il faut engager le débat.

La force de vos entreprises, c'est leur petite taille qui offre une souplesse indéniable pour agir immédiatement, dès qu'un besoin se fait sentir.

La faiblesse de vos entreprises, c'est - aussi - leur petite taille, qui pose des problèmes de formation, d'information, d'anticipation, d'organisation. Aussi, il me semble que nous pourrions utilement nous inspirer, pour mettre en avant cette force et limiter cette faiblesse, de ce que l'on appelle systèmes productifs locaux ou, plus simplement, « les villages d'entreprises ».

Les villages d'entreprises, ce sont des groupements qui se sont organisés autour d'une activité donnée, souvent assez pointue, dans une toute petite région. Ces villages sont très nombreux en Italie, ils se développent en France, souvent autour de spécificités locales anciennes qui peuvent être très diverses - coutellerie, usinage, poterie... Le plus connu, c'est la Silicon Valley qui n'est évidemment pas le bon exemple pour vous, compte tenu de sa taille. Mais l'idée que je souhaite mettre en avant, c'est que nous pourrions permettre, à travers une organisation appropriée, de faire en sorte que vous soyez en mesure de toujours apporter la meilleure réponse, le meilleur service, quelle que soit la demande.

Bien sûr, cette idée est peut-être un peu utopique, et il ne s'agit pas non plus de créer des structures lourdes là où elles ne l'étaient pas, ni d'imposer une organisation sur une région donnée. Il s'agit, par contre, d'essayer de mettre en oeuvre le fameux principe de subsidiarité, axe de nos discussions européennes : qu'est-ce que je fais mieux isolément, et qu'est-ce qui gagnera à être organisé collectivement ? Les sujets sont nombreux, qui peuvent être soumis à cette grille de lecture.

Le premier, c'est bien évidemment la réduction du temps de travail qui risquerait, appliquée sans discernement, de mettre en difficulté l'organisation des plus petites entreprises. Ce sujet, nous ne pouvons absolument pas l'éviter. D'autres domaines peuvent aussi être abordés. Sans les développer, je lancerai, en vrac, une liste qui n'est sûrement pas limitative, avec la simplification administrative déjà engagée de manière rationnelle par Marylise Lebranchu, avec les problèmes de qualification, de formation et, toujours controversé, l'apprentissage ; avec le recrutement, le remplacement, les groupements d'employeurs, la réponse groupée à des appels d'offre, voire - il n'y a pas de sujet tabou- avec l'externalisation ; avec le statut des conjoints, les questions de gestion et de comptabilité, les groupements d'entreprises, la transmission de l'outil de travail.

Voilà un véritable inventaire à la Prévert, que j'ai effectué sans ordre, car je suis convaincu que tous ces sujets sont liés les uns aux autres.

Le débat est lancé, je ne sais pas encore ce qui en sortira précisément, mais une chose est sûre, c'est qu'il est utile, ne serait-ce que parce que nous gagnerons à nous connaître mieux. Je vous remercie tous d'être ici. Votre présence démontre l'attachement que vous portez au débat démocratique.