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Colloque « Le secret professionnel »,
organisé par la Conférence des bâtonniers
à l'Assemblée nationale le mercredi 22 novembre 2000

Discours de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais vous dire tout d'abord tout le plaisir que j'ai de me trouver parmi vous, ce matin, pour ouvrir ce colloque sur le secret professionnel, à l'invitation du Président de la conférence des bâtonniers, Michel Benichou.

Bien que Président de l'Assemblée nationale, je n'ai pas tout à fait oublié mon ancien métier d'avocat auquel je suis profondément attaché. Je considère, mais comme bien d'autres sans doute, que c'est la profession de défenseur des personnes, qui m'a amené à m'engager plus avant dans la défense des droits et libertés publiques de nos concitoyens.

Faut-il le rappeler, la République a puisé souvent dans le vivier des avocats pour en faire ses porte-parole, comme si elle avait trouvé là des professionnels particulièrement aptes à défendre la délibération démocratique, avec ses procédures contradictoires, ses débats, ses valeurs et sa confiance dans la loi et le droit.

I. Le secret professionnel, garantie de l'état de droit

Au nombre des droits et des principes constitutionnels constamment réaffirmés par les plus hautes juridictions de notre pays, les droits de la défense figurent à la première place. Il en va de même pour tous les pays de l'Union qui ont cette tradition commune parce qu'elle se confond tout simplement avec l'état de droit. Si les particuliers ne trouvent pas de défenseur qu'ils peuvent rémunérer et en qui ils ont confiance pour faire valoir leurs droits, ils sont désarmés, à la merci des pouvoirs et des puissants.

Comme l'écrivait Émile Garçon à la fin du siècle dernier dans son commentaire de l'article 378 du code pénal  

"Le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l'avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n'étaient assurées d'un secret inviolable.

Il importe donc à l'ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à la discrétion et que le silence leur soit imposé sans condition ni réserve, car personne n'oserait plus s'adresser à eux si l'on pouvait craindre la divulgation du secret confié. Ce secret est donc absolu et d'ordre public".

Ces propos montrent, en premier lieu, qu'il n'y a pas de défense, si une part de secret n'est pas maintenu : secret sur l'état de santé de tel ou tel, secret des pensées et des penchants dans la confession, secret des lettres, correspondances et confidences entre un avocat et son client. Le secret est d'abord un contre-pouvoir. Il est l'espace qui résiste à l'investigation du public. Il est la part qui protège du regard inquisiteur de la société.

En deuxième lieu, le secret est l'élément central du principe de confiance légitime parce qu'il n'y a pas de défense possible si celui à qui je me confie me trahit, livre mes secrets à mon adversaire ou à l'accusation !

Enfin, le secret ne se borne pas au secret professionnel. Il n'est pas d'abord institué pour le bénéfice de l'avocat ou du notaire, du médecin ou du confesseur mais pour le bénéfice du public, c'est à dire pour un intérêt général, celui d'une société démocratique.

Ainsi, au cours de notre histoire, le secret professionnel des avocats, fragile à l'origine, est devenu un principe fondamental de notre société. Il est inscrit à l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. Celle-ci a même été modifiée en 1997 pour qu'en toutes matières, dans le domaine du conseil comme dans celui de la défense, le secret professionnel couvre tous les documents, notes, correspondances ou pièces du dossier.

II. Le secret professionnel doit tenir compte d'autres impératifs.

Cependant, il faut reconnaître que si le secret professionnel est nécessaire aux sociétés démocratiques, il n'est pas le seul principe qui doit être observé et, comme souvent, il doit se concilier avec d'autres tout aussi importants : notamment l'égalité de tous les justiciables devant la loi et la recherche de la vérité par les magistrats.

C'est la conciliation entre ces principes qui suscite la légitime inquiétude des avocats. Trois principes sont en concurrence, tous extrêmement puissants : le secret professionnel, les droits de la défense et l'efficacité de l'instruction.

Car si le secret est apparu longtemps comme le corollaire du respect des droits individuels, il est aujourd'hui mis en cause au nom d'une société plus transparente. L'exigence de vérité gagne du terrain. La société demande à être informée et elle est prompte à suspecter dans tout secret une turpitude qui n'ose avouer son nom.

Les secrets n'ont pas bonne presse. On aperçoit difficilement aujourd'hui ce qui faisait la légitimité du secret défense, du secret médical, ou du secret bancaire, voire du secret de la confession. Le secret de l'instruction ne résiste plus guère à la liberté d'expression ni aux demandes qui émanent de la nouvelle démocratie d'opinion appuyée sur les médias.

La conciliation entre les principes contradictoires s'est particulièrement focalisée sur les conditions dans lesquelles les magistrats instructeurs peuvent procéder aux perquisitions dans les cabinets d'avocats. Un certain nombre d'affaires récentes sont encore dans toutes les mémoires. Je n'insiste pas.

L'article 94 du code de procédure pénale donne au juge d'instruction la possibilité d'effectuer des perquisitions dans tous les lieux où peuvent se trouver des objets ou des documents dont la découverte serait utile à la manifestation de la vérité. D'ailleurs, les articles 96 et 97 permettent la saisie de documents sous réserve du secret professionnel et des droits de la défense. L'article 56-1 du même code prévoit explicitement les perquisitions dans le cabinet d'avocat.

Avant la loi sur la présomption d'innocence, il prévoyait l'intervention du bâtonnier qui avait pour mission d'assurer le respect du secret professionnel et des droits de la défense, sans l'autoriser cependant à prendre connaissance des documents.

La Cour de cassation est intervenue à plusieurs reprises pour dire que le secret professionnel ne couvrait pas les documents que l'avocat détenait à la suite d'activités illicites. Même après la loi de 1997, la Cour réaffirmera en 1999, d'une part que le juge peut saisir des documents qui sont de nature à établir une participation de l'avocat à une infraction et, d'autre part, qu'il peut opérer toutes saisies de documents mêmes couverts par le secret professionnel dès lors qu'ils ne concernent pas l'exercice des droits de la défense.

Quoiqu'on en pense, une perquisition effectuée dans un cabinet d'avocat est une procédure à haut risque. Elle menace, tout comme la saisie de documents, les droits de la défense. C'est la raison pour laquelle elle doit être entourée de toutes les précautions nécessaires. A cet égard, je me félicite que le législateur vienne d'adopter dans la loi relative à la présomption d'innocence de nouvelles modalités de déroulement des perquisitions dans les cabinets d'avocats, inscrites à l'article 56-1 du code de procédure pénale. Elles donnent un rôle plus actif au bâtonnier et permettent un recours devant le juge des libertés et de la détention en cas de contestation. C'est une bonne chose.

Le colloque d'aujourd'hui devrait ainsi vous permettre de vous interroger non seulement sur le champ d'application du secret professionnel mais aussi sur les procédures à mettre en oeuvre.

Au delà de ces questions traditionnelles, assez bien balisées par la jurisprudence, vous devrez aborder également le devenir du secret professionnel dans un monde profondément transformé par les nouvelles technologies. Il n'est plus question alors du seul secret professionnel des avocats. Il est plutôt question de l'anonymat en général.

Là encore, on retrouverait les magistrats à la pointe du combat contre le secret car ils y sont particulièrement confrontés. L'appel de Genève en faveur d'un espace judiciaire européen est une réaction suscitée notamment par "les réseaux informatiques d'Internet, du modem et du fax par lesquels l'argent d'origine frauduleuse peut circuler à grande vitesse d'un compte à l'autre d'un paradis fiscal à l'autre, sous couvert de sociétés offshore, anonymes, contrôlées par de respectables fiduciaires".

L'appel de Genève est aussi un appel à lever le secret bancaire, paravent et alibi commode pour couvrir les circuits occultes empruntés par la délinquance financière et le recyclage d'argent sale. Vous en discuterez cette après-midi en abordant le thème du secret et de la lutte contre le blanchiment.

L'Europe est maintenant particulièrement préoccupée, et à bon droit, des moyens de renforcer l'efficacité de la lutte contre la délinquance financière.

Les conclusions des ministres de la justice, de l'intérieur et des finances de l'Union, adoptées lors du Conseil du 17 octobre dernier, visent, entre autres, à étendre aux professions juridiques et comptables le champ d'application de la directive de 1991 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux. Dans la pratique, cela signifierait que les membres de ces professions, lorsqu'ils délivrent des prestations de conseil, seraient dans l'obligation de dénoncer ceux de leurs clients se livrant à des opérations douteuses . Mais alors que deviendrait le secret professionnel ?

Là aussi, le Conseil des barreaux de l'Union européenne a rappelé que le secret professionnel de l'avocat concerne tant son activité d'assistance et de représentation en justice, que celle de conseil juridique.

En conclusion

Tous ces problèmes, que je n'ai fait qu'effleurer, sont extrêmement difficiles. Je suis persuadé que le métier d'avocat est à la croisée des chemins. Un certain nombre de questions lui sont directement posées non seulement en raison de la fusion des professions de conseil et d'avocat mais aussi en raison des nouvelles technologies.

Mais les problèmes les plus délicats viennent de la perception récente par l'opinion publique que le secret professionnel pourrait être la part d'ombre dont s'entourent certaines professions pour échapper à la loi commune. L'exigence d'égalité est aujourd'hui plus forte que jamais. Nous sommes tous confrontés à ce défi qui est aussi un défi éthique et déontologique.

Comme l'écrivait Maître Henri Leclerc, "le secret des avocats n'est pas sacré. C'est une norme nécessaire au bon fonctionnement de la justice. Il permet de mieux aider les citoyens à se défendre et à se débrouiller dans l'inextricable écheveau juridique dans lequel ils se débattent".

Tous ici, nous sommes persuadés qu'il est fait pour cela et seulement pour cela.