Accueil > Archives de la XIe législature > Discours de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

Compte rendu de l'audition de trois femmes afghanes
à l'Hôtel de Lassay le vendredi 4 mai 2001

M. le président R. Forni. Permettez-moi d'abord de vous souhaiter la bienvenue à toutes les trois, au nom de l'Assemblée nationale et en mon nom personnel, et de me réjouir que nous soyons ici, à vos côtés, représentant l'ensemble des forces politiques, opposition et majorité, de l'Assemblée que je préside. Nous sommes à la fois émus et heureux de vous accueillir ici ; c'est une occasion de plus d'attirer l'attention de l'opinion publique sur la condition des femmes, aujourd'hui, en Afghanistan.

Vous vous êtes présentées il y a un instant sous votre tchadri pour préserver votre anonymat. C'était en réalité mettre en évidence la logique d'obscurantisme et d'enfermement des Talibans, que nous voyons dramatiquement à l'oeuvre, et toucher un peu plus, symboliquement, l'opinion publique française. L'un des moyens de rompre l'enfermement actuel de votre pays, c'est d'en parler sans cesse, non seulement pour mobiliser l'opinion publique de nos pays, mais aussi pour dénoncer l'attitude stupide qui vous conduit à vous révolter. La cause qui est la vôtre est juste. Toute violence faite aux femmes, en Afghanistan et, plus généralement, dans le monde, est inacceptable. Protester contre cette violence, c'est dire aussi que les droits fondamentaux des femmes doivent être préservés.

Ici, à l'Assemblée nationale, je me réjouis de l'action menée par mes collègues parlementaires, que ce soit à titre personnel, dans les groupes auxquels ils participent ou dans le cadre de la délégation aux droits des femmes, présidée par Martine Lignières-Cassou.

Nous souhaitons donner l'écho le plus large à votre témoignage. Même si votre séjour en France a déjà été marqué par une succession d'événements - votre apparition à la télévision, votre rencontre avec un certain nombre d'organisations, le contact que avez eu avec Nicole Fontaine, présidente du Parlement européen - la rencontre qui a lieu aujourd'hui à l'Assemblée nationale, à l'origine de laquelle nous savons bien que Roselyne Bachelot a joué un rôle tout à fait important, déterminant, nous permet de vous assurer de notre détermination et de notre engagement à vos côtés dans le combat que vous menez. Je rappelle d'ailleurs qu'il y a quelques jours à peine, je recevais ici, dans ces mêmes salons, le commandant Massoud venu en visite en France, et je l'avais assuré à cette occasion du soutien de l'opinion publique française, en tous les cas de l'Assemblée, dans le combat qui est le sien.

Nous appuyons évidemment l'action des ONG présentes sur le terrain en Afghanistan. Je tiens, à cet égard, à saluer l'admirable et courageux travail qu'elles effectuent dans des conditions difficiles, leur dévouement qui permet d'atténuer la souffrance de votre peuple. Nous soutenons évidemment les mesures prises par le Gouvernement français pour renforcer l'assistance dont bénéficie l'Afghanistan, notamment l'aide qui vise à accompagner les victimes de la sécheresse et de la poursuite des combats. Car votre pays connaît à la fois des événements naturels et des événements qui le sont moins et qui nécessitent notre solidarité active.

Nous souhaitons tous, autour de cette table, contribuer autant que nous le pouvons à la recherche d'une solution politique en Afghanistan, susceptible de ramener la paix dans votre pays. Je rappelle qu'à cette fin, l'an dernier, trois parlementaires - dont notre ami Cazenave, mais aussi Jean-Michel Boucheron et le général Morillon, membre du Parlement européen - se sont rendus en Afghanistan dans des conditions difficiles pour essayer de faire le point et d'assurer un contact avec les forces du commandant Massoud. Un voyage ne règle pas forcément les problèmes, mais il peut aider à mieux les comprendre. C'est à cette occasion que le commandant Massoud a pu envisager sa venue dans notre pays.

Nous savons qu'engager des discussions pour la paix est difficile et le devient tous les jours un peu plus. Mais, malgré tout, nous savons que cela est plus que jamais nécessaire.

C'est pour toutes ces raisons que je suis très heureux de vous accueillir au nom de tous les députés, réunis dans une même volonté et animés d'une seule ambition : servir la cause des femmes afghanes. Nous devons avec vous, auprès de vous, poursuivre tous nos efforts et continuer à mettre toute notre intelligence au service du droit des femmes qui luttent admirablement, comme vous le faites, pour préserver ce qui est essentiel, votre dignité et votre liberté.

Donc, je vous remercie très sincèrement d'être venues jusque là.

_Latifa. En tant que représentantes des femmes afghanes, nous sommes très contentes d'être ici, nous voulons vous remercier de votre accueil. Nos autres rencontres avec le peuple français et le Parlement européen nous ont montré que nous pouvons espérer sortir du désespoir dans lequel nous nous trouvons.

En prenant la décision de venir ici en Europe, nous savions que d'autres femmes afghanes avaient voulu le faire avant nous mais nous sommes les premières à y être parvenues et à recueillir autant de promesses dont nous espérons qu'elles pourront déboucher sur un résultat tangible.

Je suis une jeune femme. Pendant cinq ans, j'ai été recluse, je n'ai pas pu continuer mes études et je ne connais rien du monde. Les jeunes et les femmes en Afghanistan se retrouvent aujourd'hui sans avenir et je suis leur représentante. Jeunes, hommes et femmes d'Afghanistan, nous voudrions que vous nous aidiez à ouvrir notre avenir à d'autres perspectives.

Nous avons rencontré hier Mme Nicole Fontaine, présidente du Parlement européen. Nous avons entendu des promesses qui nous ont donné beaucoup d'espoir.  Aujourd'hui, nous sommes ici pour en mesurer le résultat, pour voir à quoi toutes ces promesses pourraient aboutir.

Nous demandons instamment au Parlement français et à tous les organismes européens de ne jamais recevoir aucun représentant des Talibans afghans puisque ce sont des personnes qui nous ont fait énormément de mal. Et nous voudrions qu'aucun d'eux ne soit jamais reçu dans quelque instance européenne que ce soit.

Nous tenions absolument à rencontrer au moins une fois le Parlement français pour porter le message des femmes afghanes. Grâce à la collaboration du journal Elle, c'est désormais chose faite puisque nous avons pu venir ici nous faire la voix de toutes les femmes afghanes et vous faire part de leur désespoir, de leur détresse et de toutes leurs difficultés.

M. Maastan. Le soutien du journal Elle est tout à fait considérable.

Homa. Quand nous sommes avec vous, parmi des personnes dotées de beaucoup d'autorité, de culture, des intellectuels, nous ne nous sentons jamais isolées et nous voudrions nous entretenir avec vous pour arriver à trouver une solution pour notre avenir.

M. Maastan. Surtout les femmes !

Homa. Je compte beaucoup plus sur les femmes qui sont en face de moi, qui sont des femmes de pouvoir. J'aimerais que ces femmes-là soient à nos côtés et nous aident dans ce combat.

Nous avons besoin des hommes, aussi !

M. le Président. J'allais l'ajouter ! Ce n'est pas forcément inutile ! (Sourires)

Homa. Nous avons aussi besoin des hommes : je suis soutenue par mon mari qui m'a accompagnée et veut aussi faire passer le message que, sans les hommes, les femmes ne peuvent continuer ...

M. le Président. Il est bon que la solidarité s'exprime au travers de structures, d'institutions qui sont animées par des femmes. De ce point de vue, il est tout à fait légitime et normal que la Délégation aux droits des femmes soit est en première ligne. Mais dans nos institutions démocratiques, de telles instances n'ont de légitimité que dans la mesure où elles appartiennent à un ensemble qui est la représentation du peuple français, à savoir le Parlement de la République, qui comprend notamment l'Assemblée nationale.

Tout ça, évidemment, est vu d'un point de vue occidental qui est peut-être, sûrement même, différent de ce que vous rencontrez chez vous. Mais plus le cercle de ceux qui vous soutiennent sera large, plus les chances de succès seront grandes. Il ne faut donc exclure personne !

Mais je me suis écarté du sens de vos propos ! (Sourires.) Ces précisions de ma part sont certainement superfétatoires.

Diba. Je voudrais vous remercier de nous avoir invitées ici, au sein du Parlement français. Je voudrais dire que tant les hommes que les femmes sont las de la situation qui règne dans notre pays. Nous attendons surtout de vous une décision sérieuse précisément pour améliorer et changer notre avenir.

La situation est très difficile pour les femmes surtout ; on nous fait beaucoup de mal. Et nous voudrions vraiment lancer un appel à toute l'humanité pour avoir un avenir meilleur.

Il faut que la sauvagerie cesse dans notre pays car la situation des femmes est pire que celle des animaux. Vous qui respectez les animaux, vous devez entendre la réalité : notre situation est pire que la leur.

Homa. Nous avons tout à fait à l'esprit que l'avenir se fait avec les femmes et les hommes. On ne peut donc pas exclure les unes ou les autres. C'est ensemble qu'ils construisent l'avenir.

Nous ne sommes pas du tout contre les hommes qui sont ouverts, les intellectuels, tous ceux qui ont une ouverture d'esprit. Nous voulons travailler avec eux à améliorer le sort des femmes.

M. le Président. C'est évident !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin. Ces femmes ont demandé des actes concrets, non des déclarations. Nous voudrions connaître les actes de résistance que vous menez sur le terrain, et comment nous pourrions vous aider concrètement à les accomplir. Nous avons entendu parler d'écoles clandestines, de vos besoins en matériels scolaires, en livres. Nous savons aussi que des ONG tentent de vous aider. Pourriez-vous faire le bilan de leur action ?

Latifa. En premier lieu, nous voudrions que la question politique soit réglée. Des pays comme le Pakistan ou l'Arabie saoudite nous agressent et veulent maintenir l'Afghanistan dans l'obscurantisme. Nous aimerions que cette question soit réglée avant toute chose.

Il faudrait d'abord régler la question politique, afin que nous puissions vivre dans un espace de liberté et de calme. C'est à ce moment là seulement que nous vous demanderons de l'aide. Alors les jeunes pourront poursuivre leurs études dans de bonnes conditions, soit dans les écoles, soit à l'université.

Nous ne sommes pas venues pour demander une aide matérielle. C'est même contraire à notre combat de tous les jours. De toute façon, nous ne pourrions pas l'utiliser. Il faut d'abord que la situation globale change. Ensuite, nous aurons besoin de matériel pour continuer le combat et reconstruire le pays.

M. Mehrabodin Maastan. Une petite parenthèse, si je puis me permettre. En ce qui concerne le phénomène des écoles clandestines, d'un côté c'est une bonne chose, et heureusement qu'elles existent, mais de l'autre, c'est le contraire, parce qu'on nous habitue à la situation, et c'est ce que veulent les Talibans : restez dans votre maison et apprenez le Coran. C'est vraiment un piège dans lequel j'ai l'impression que nous sommes en train de nous engager. Nous en avons longuement discuté hier soir. Nous faisons cela parce que c'est le minimum. Mais nous ne pouvons pas continuer avec de telles méthodes d'éducation. Je voulais donc insister sur le fait qu'il faut absolument que la situation redevienne normale, pour que nous puissions rouvrir les écoles. Le lycée français pour jeune filles de Kaboul, le lycée Malalaï , est devenu une école coranique, comme le lycée Esteghlal. D'après ce que m'ont dit ces femmes, des troupes de Talibans s'y entraîne. C'est quelque chose de catastrophique pour l'histoire de la coopération franco-afghane, qui dure depuis cinquante à soixante ans.

Les écoles clandestines, c'est bien, c'est le strict minimum. Mais il ne faut pas habituer la population à ce phénomène.

Latifa. Depuis toujours, les Français oeuvrent dans le domaine de l'éducation à Kaboul, et nous en sommes conscientes. Il existe le lycée Malalaï pour les filles et le lycée Esteghlal pour les garçons. Si vous pouviez voir dans quel état de délabrement se trouvent ces lycées aujourd'hui... Le premier est devenu une medersa, une école coranique, et c'est pour nous insupportable. Le deuxième est dans un tel état de délabrement qu'il ne fonctionne pas. Nous voudrions que la situation change pour que l'on puisse reconstruire ces lycées, et afin que soit tracé un chemin de liberté par lequel les aides pourront nous parvenir, permettant une éducation normale.

M. Richard Cazenave. Elle ne nous a pas répondu sur les ONG.

Mme Martine Lignières-Cassou. Si, elle a parlé de l'aide matérielle qu'elles apportaient...

M. Richard Cazenave. C'est autre chose. Quelle appréciation portent-elles sur le travail des ONG ?

Latifa. Les ONG nous apportent de l'aide, mais quand l'aide parvient à Kaboul, elle n'est pas adressée aux personnes qui sont censées la recevoir. Les personnes chargées de la distribuer sont dans un tel état de dénuement qu'ils la détournent à leur profit .

L'aide des ONG est gérée par un groupe de pouvoir. Tout le monde est conscient qu'elle existe, mais concrètement, à son niveau, le peuple ne la voit pas venir.

Nous avons besoin de ces aides pour nos écoles, pour qu'elles ne connaissent pas le destin des lycées Malalaï et Esteghlal. Mais il faudrait qu'elles soient bien ciblées.

Mme Martine Lignières-Cassou. Je voudrais tout d'abord exprimer, comme le président, l'émotion qui est la nôtre à vous recevoir. Je pense tout particulièrement à vous, Homa, qui avez connu la période de liberté dont on a parlé au moment de votre présentation, qui avez eu une vie intellectuelle, une vie professionnelle active et riche, et qui devez aujourd'hui endurer la régression et la clandestinité. J'imagine que votre désarroi est encore plus grand que celui des jeunes générations. Le journal Elle a bien montré que des périodes de liberté, de rires, et de joie ont existé à Kaboul, et à quel point on est revenu à une situation d'exclusion et d'oppression.

Je considère que les femmes afghanes sont aujourd'hui les otages de la guerre civile. Latifa a tout à fait raison de dire que cette situation ne peut être dépassée et vaincue que si on trouve une solution politique - le président l'a rappelé - à la guerre civile qui ravage l'Afghanistan, et si un accord démocratique est trouvé entre toutes les parties, car c'est un pays d'une grande diversité ethnique et politique.

Je crois qu'il fait partie de notre rôle de pousser les organisations internationales comme l'ONU ou les institutions européennes, mais aussi la France, à faire en sorte que l'on parvienne à un règlement politique. Il fait également partie de notre rôle de réclamer l'isolement des Talibans, en les privant de toute aide, en faisant pression sur le Pakistan ou l'Arabie saoudite. C'est ce que nous avons commencé à faire, les uns et les autres, dans cette enceinte.

Il est vrai aussi que de la place qui est la nôtre, nous pouvons relayer, traduire, dire quelle est votre condition dans tout le pays. Cet appui de l'opinion publique, c'est à nous de vous l'apporter. Il est capital dans le combat qui est le vôtre.

Mme Muguette Jacquaint. Je voudrais, après le président et Mmes Bachelot-Narquin et Lignières-Cassou, vous dire aussi mon émotion d'être avec vous aujourd'hui. Depuis que la guerre civile règne sur votre pays, nous recevons des échos, des témoignages. Mais il est plus riche et plus concret de se rencontrer afin que nous puissions écouter ensemble le message que vous avez à faire passer. On a posé tout à l'heure la question : quelle aide concrète ? Dans un pays en guerre, où il n'y a plus ni démocratie ni liberté, l'histoire nous a montré que les premières victimes sont toujours les femmes.

C'est pour cette raison que les hommes et les femmes en France, et au-delà, l'opinion internationale, doivent se rassembler, se mobiliser. Les femmes ont un rôle important à jouer au niveau international pour que la situation intolérable, inacceptable, qui est faite aux femmes afghanes, soit connue. Et il y a encore beaucoup à faire au niveau de l'opinion publique.

Dans votre pays, les Talibans en particulier essaient - et malheureusement ils y réussissent - de vous empêcher de vous montrer, de vous faire entendre, de vous laisser jouer votre rôle de femme, voire simplement d'être humain. Vous qui avez besoin d'espoir, je voudrais tout de même vous dire que, si on s'y met tous, ils ne parviendront pas à nous museler car nous serons avec vous la voix, l'espoir, la force qu'ils veulent vous retirer.

Et chacune et chacun d'entre nous fera tout ce qu'il peut pour qu'un règlement politique aboutisse dans votre pays et que, dans le même temps, les autres pays qui aident les Talibans à maintenir la situation que vous connaissez aujourd'hui soient mis au banc des accusés.

Mme Marie-Hélène Aubert. Je voudrais ajouter un point à tout ce qui vient d'être dit..

    Il ne s'agit pas uniquement, je pense, d'une guerre civile mais plutôt d'une guerre de résistance. Cette oppression est absolument inconcevable pour nous et elle doit nous faire, toutes et tous, hurler sur l'ensemble de la planète. Au-delà de cette guerre civile entre factions rivales qui s'entre-tuent, il y a quelque chose d'insupportable non seulement pour les hommes et les femmes qui ont la chance de vivre dans nos pays mais pour tous ceux qui vivent partout dans le monde car la situation des femmes afghanes est quelque chose d'atroce et de terrible, qui n'a pas d'équivalent dans le monde aujourd'hui.

    Des démarches doivent être entreprises par la France. Il faut que le Gouvernement français et le président de la République s'expriment de façon très forte sur ce sujet et fassent pression autant qu'ils le peuvent sur l'Arabie Saoudite, sur le Pakistan en abordant, s'il le faut, la question des livraisons d'armes qui ne doit pas être dissimulée. Au niveau des Nations Unies, il est nécessaire de prendre une initiative importante parce que c'est véritablement le fondement de la civilisation humaine qui est en cause. On ne peut pas accepter qu'un régime, même dans un Etat souverain, même en guerre, se livre à une telle humiliation, une telle oppression, en procédant virtuellement à une mise à mort des femmes dans leur ensemble.

    Il faut le dire et le répéter avec force, cette situation est totalement insupportable.

S'il y avait plus de femmes dans nos gouvernements, aux Nations Unies, ou dans nos parlements, sans doute cette situation serait-elle encore moins tolérée.

M. le Président. C'est une allusion à la situation franco-française ! (Sourires .)

M. Richard Cazenave. Je voudrais d'abord remercier très chaleureusement Homa, Latifa et Diba. C'est la première fois, à ma connaissance, que des femmes afghanes viennent ici en France et en Europe pour témoigner et ce n'est pas sans risque qu'elles le font parce qu'elles vont retourner à Kaboul. Nous devons être pleinement conscients qu'elles prennent un risque personnel très important. Leur présence parmi nous aujourd'hui n'en a que plus de prix.

    Elles savent que la solution sera longue à voir le jour puisqu'elles nous ont dit que seul un règlement politique seulement leur permettrait d'améliorer leur sort.

    Mais nous devons en effet nous y mettre les uns et les autres avec davantage d'ardeur. Nous avons commencé déjà à l'Assemblée nationale. Le président Forni a rappelé qu'il avait autorisé l'an dernier une mission parlementaire. L'Assemblée nationale française a donc montré combien elle était alarmée par la situation des femmes afghanes, une situation qui est pire que celle des animaux. On peut au moins croiser le regard d'un animal. A Kaboul, on ne peut même pas croiser le regard d'une femme.

    Nous devons donc poursuivre ce travail politique en profondeur. Une action pourrait être menée par les femmes en Europe pour que, outre le Parlement européen, tous les parlements nationaux se mobilisent en faveur de cette cause qui est une cause mondiale, planétaire. Cette situation intolérable doit nous conduire à exercer des pressions plus fortes sur le Pakistan tout en sachant que la situation politique dans la région est complexe et que la position des Etats-Unis n'est pas très claire. Tant que le Pakistan n'aura pas cessé son ingérence, on sait très bien qu'il ne pourra pas y avoir de solution politique en Afghanistan.

Il y a aussi une action internationale à mener par les Parlements auprès des parlementaires américains. Je crois à cette action parlementaire, le président Forni le sait bien, et que, avec les femmes parlementaires qui sont ici avec nous tous, nous devrions essayer aussi, tenter de sensibiliser le Sénat américain sur cette question car les Etats-Unis sont une des clés de la solution au problème pakistanais ...

On a compris que le combat était politique, qu'il serait donc long et difficile.

Je voudrais revenir sur la question des ONG. Lorsque le commandant Massoud est venu à Paris, il a dit de n'arrêter à aucun prix l'aide aux ONG, ou le travail des ONG. Il nous a expliqué que les populations en avaient besoin au nord, bien sûr, en raison de la famine, le président Forni l'a rappelé , mais  aussi dans les zones contrôlées par les Talibans parce que c'était un dernier lien qui existait encore avec l'extérieur. Et je constate que les femmes qui ont témoigné dans le magasine Elle ont pu le faire grâce à leur travail dans les ONG qui leur ont permis de recueillir des informations et d'apporter ces témoignages. Et le témoignage, c'est très important dans une société médiatique.

Je voulais apporter cette précision parce que cette question a été un objet de débat, nous avons eu un colloque à l'Assemblée nationale sur ce point il y a quelques mois. Cette question était très controversée. Le commandant Massoud l'a tranchée de son côté et je voulais essayer de valider ce point de vue tout en étant parfaitement conscient que ce ne serait pas la présence des ONG qui réglerait le problème des femmes afghanes, qu'il ne fallait pas s'illusionner sur cette question et que la solution était politique. Seriez-vous d'accord avec ce que je viens de dire pour établir des choses précises ?

Homa. Evidemment, nous sommes d'accord pour que l'on nous aide. C'est le seul moyen de communiquer avec l'extérieur. Arrêter les aides serait catastrophique. Ce que l'on vous demande aujourd'hui, c'est de ne pas cesser les aides et de nous libérer de ce terrorisme pour que l'on puisse y avoir accès, les gérer nous-mêmes et reconstruire notre pays.

Surtout, la situation que nous vivons n'est plus le problème des seuls Afghanes mais celui de chaque être humain dans le monde car le terrorisme que nous subissons actuellement peut gagner les pays proches de l'Afghanistan et le monde entier.

Latifa. Comme l'a dit Mme Aubert, ce qui se passe en Afghanistan n'est pas une guerre civile ni une guerre ethnique mais une guerre d'invasion étrangère semblable à celle qui a eu lieu auparavant. C'est une guerre financée par l'Arabie Saoudite, avec l'aide indirecte des Etats-Unis et des soldats pakistanais qui se retrouvent dans notre pays.

La guerre précédente résultait aussi d'une invasion étrangère, mais, contrairement à ce qui se passe actuellement, elle avait suscité l'intérêt international, peut-être parce que nous avions quelques droits et que l'on existait un peu.

Notre problème n'est pas la religion. Notre pays a toujours été musulman et nous avons toujours été musulmans tout en continuant à étudier.

Au nom de toutes les femmes afghanes, je souhaite attirer votre attention sur le fait, que vous connaissez bien, que lorsque l'on souhaite détruire un peuple, une nation, on commence par détruire les femmes. Détruire les femmes afghanes, c'est donc vouloir détruire la nation afghane, toutes ethnies confondues.

Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point la réception, ici, du commandant Massoud a donné de l'espoir en Afghanistan, où l'on était à l'affût de la moindre information malgré la propagande officielle. Pour notre peuple, c'est un espoir supplémentaire d'être entendu par l'extérieur. Lorsque nous retournerons dans notre pays, nous dirons que des promesses nous ont été faites et nous espérons qu'elles seront suivies d'actes concrets.

M. le président. Je souhaite d'abord vous remercier pour votre témoignage, vous dire combien il nous est précieux et combien nous apprécions votre courage et votre dignité.

La politique, c'est parfois faire preuve de lucidité, pour ne pas dire de cynisme. Il est vrai que, trop longtemps, nos nations occidentales se sont beaucoup plus intéressées aux bouddhas de pierre qu'aux êtres de chair et de coeur que sont les femmes. Finalement, il a suffi d'un déclic, et vous en êtes à l'origine, pour que l'opinion publique prenne conscience qu'il ne s'agissait pas seulement de détruire des monuments. Comme vous l'avez dit très justement, ce qui est en jeu, c'est la destruction d'une civilisation, d'un peuple tout entier, et souvent, trop souvent, on commence par les femmes.

Vous avez exprimé vos désirs, vos souhaits, et je me réjouis que dépassiez le quotidien, certes indispensable, pour aller à l'essentiel ; c'est aussi votre dignité. Pour le matériel des écoles, la nourriture et les vêtements, on peut toujours trouver des solutions même si c'est difficile. De toute façon, quelle que soit l'action que nous mènerons, une aide sera diffusée au travers de réseaux, de chemins parfois compliqués, qui apportera une réponse aux interrogations de tous les jours.

Vous avez raison de dire que votre combat va bien au-delà puisqu'il est de trouver une solution politique à un problème difficile, compliqué, qui se pose à votre pays. Quant à moi, j'essaie avec d'autres de voir quelles sont les réponses que nous pouvons apporter.

La première va de soi. Car nos parlements mènent une action, la diplomatie parlementaire, qui consiste à mettre en relations deux pays, deux nations, deux parlements. Le premier engagement que je prends en tant que président de l'Assemblée, soutenu je l'imagine par tous ceux qui sont là, c'est de n'avoir, à aucun moment, de relations avec le régime des Talibans. Cela me paraît une évidence ; on ne peut pas tenir un double langage et à la fois entretenir des relations amicales avec vous, soutenir votre combat, et s'ouvrir à vos adversaires. Cela me paraît en tous les cas une décision simple.

La diplomatie parlementaire est beaucoup plus libre que la diplomatie d'Etat parce qu'il n'y a pas d'intérêts particuliers, économiques, militaires, ou de bonnes relations à conserver avec tel ou tel. Au fond, notre diplomatie, c'est la traduction de la voix du peuple français, que nous entendons chez nous, dans nos circonscriptions. Je peux donc vous dire aussi que, chaque fois que l'occasion nous en sera donnée, nous rappellerons leurs responsabilités, leurs devoirs et les conséquences de leurs actes à ceux dont on sait qu'ils sont des éléments d'intervention dans votre pays - vous avez évoqué le Pakistan et l'Arabie Saoudite mais il y en a d'autres, notamment les Etats-Unis d'Amérique - et je demande à tous les parlementaires de le faire chaque fois que l'occasion leur en sera donnée.

Certes, il y a l'expression du pouvoir législatif, que nous représentons. Mais dans une démocratie, il existe d'autres pouvoirs, notamment le pouvoir exécutif, c'est-à-dire le Gouvernement et, pour simplifier, le Président de la République. Il appartient à chacun de prendre, là où il est, les responsabilités qui sont les siennes. Lors de la visite du commandant Massoud, le Gouvernement a pu dire ce qu'il en pensait. Le Président de la République trouvera sans doute l'occasion de dire aussi ce qu'il en pense. J'ai noté qu'il intervenait sur différents thèmes en ce moment, peut-être abordera-t-il celui de l'Afghanistan.

M. Richard Cazenave. Il l'a fait devant la commission de l'ONU.

M. Le président. Je crois en effet qu'il ne suscite pas de divergences entre nous. Il n'y a pas de différences.

Le troisième élément, c'est que prendre des engagements, s'adresser à ceux qui sont directement concernés, cela suppose aussi que nous puissions, sur le plan international, intervenir dans les instances dans lesquelles nous sommes représentés. Je pense évidemment aux Nations-Unies, mais il en existe d'autres où nous avons la possibilité de nous exprimer : le Parlement européen en est une, mais aussi le Conseil de l'Europe, qui regroupe des pays dont certains sont très proches du vôtre. Richard Cazenave évoquait la signature, il y a peu, d'une charte des droits des femmes afghanes. Il est sans doute utile, voire indispensable, d'en rappeler l'existence à ces instances, et plus spécialement à celles qui sont chargées de veiller au respect des droits de chacun.

Pour le reste, qui est à vos yeux secondaire, et dont j'ai rappelé qu'il était tout de même le quotidien du peuple afghan, c'est-à-dire tout ce qui concerne les problèmes matériels, il faut reconnaître que l'Assemblée nationale n'est pas, en tant que telle, une institution qui peut intervenir. Elle n'a pas les structures qui le lui permettraient, ni la possibilité de voter les crédits nécessaires. Mais n'oublions pas que l'Assemblée est composée d'élus qui exercent des responsabilités ailleurs, et que chaque fois que nous pouvons porter le message de la solidarité au niveau des collectivités dans lesquelles nous sommes parfois engagés, nous devons le faire. C'est un moyen, détourné mais efficace, d'adopter une réponse aux problèmes matériels qui, j'en conviens, ne sont pas à placer en premier.

Voilà ce que je tenais à vous dire. Comme je l'ai dit tout à l'heure, on a plus parlé des bouddhas que des humains. C'est pourquoi je ne veux pas oublier le rôle essentiel qu'a joué le journal Elle. On doute parfois du choc des images, mais il en est tout de même qui frappent les esprits. Je constate depuis quelque jours une évolution considérable dans l'impression ressentie par l'opinion. Evidemment, ceux qui sont là sont sensibilisés depuis longtemps à cette question, ce n'est pas un enjeu qu'ils découvrent aujourd'hui. Mais en ce qui concerne l'opinion publique en général, le choc des images à été essentiel dans cette prise de conscience, qui, je l'espère, débouchera sur des décisions concrètes et une solidarité active à l'égard des femmes afghanes.

En tout cas, merci d'être venues. Continuez à porter le symbole, ici et ailleurs. Rassurez-nous quant à votre devenir, parce que je sais qu'il faut beaucoup de courage pour être là. Ce n'est pas simple, vous n'êtes pas des touristes, vous êtes, seconde après seconde, dans l'action politique. Même si vous perdiez cet élément de vue, on vous le rappellerait très vite. Soyez donc sur vos gardes.

Latifa. Je vous remercie, au nom de tout le peuple afghan, de nous avoir invitées. Je remercie une fois de plus le magazine Elle, qui a eu le courage de nous accueillir dans un pays démocratique à un moment où l'espoir commençait à diminuer. Après tout cela, après les promesses que vous nous avez faites, nous espérons pouvoir le restaurer, et que le combat continue.