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Voeux de M. Raymond FORNI, Président de l'Assemblée nationale,
A Monsieur Jacques CHIRAC, Président de la République
Palais de l'Elysée - Jeudi 3 janvier 2002

Monsieur le Président de la République,
Dans un tel lieu et en de telles circonstances, les premiers voeux que l'on doit former vont à la démocratie. L'année qui s'ouvre nous montre qu'elle est vivante puisque, rien qu'en France, les électeurs sont appelés à désigner le Président de la République et à élire leurs députés.

Dans de tels moments, les voyantes et autres chiromanciennes, y compris sous la forme sophistiquée des sondages, ne manquent pas. Félicitons-nous des erreurs régulièrement commises par ces Pythies contemporaines. Ces erreurs fournissent la preuve que, pour choisir leurs représentants et leurs gouvernants, les Français font confiance à leur propre jugement plutôt qu'à ce qu'on voudrait leur suggérer, sinon leur dicter. Par le passé, les surprises n'ont pas manqué - en France ou ailleurs - et c'était l'indice de la bonne santé de la démocratie. Réjouissons-nous de cette primauté du fait sur l'illusion.

En France ou ailleurs, car 2002 n'est pas, en fait de scrutin, qu'une année française. Sur les quinze membres de l'Union européenne, cinq autres pays sont appelés aux urnes, donc plus du tiers des membres de l'Union : l'Allemagne, l'Irlande, les Pays-Bas, la Suède et le Portugal. Sans oublier les récents renouvellements danois et italien.

De pareilles consultations ont lieu aussi aux portes de l'Union puisque, là encore, cinq des pays candidats à l'adhésion connaîtront les aléas nécessaires du suffrage universel : la Hongrie, la Lituanie, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie. Et l'on rappellera les élections polonaises de septembre dernier.

Une telle énumération ne relève pas de la litanie. Enumérer ces échéances démocratiques, de part et d'autre du fossé qui, voilà douze ans seulement, déchirait l'Europe en deux, c'est souligner, s'il en était besoin, que, dans cette partie du monde, la grande affaire, c'est l'édification d'une nouvelle entité politique, d'une démocratie commune à tous les Européens ; quels qu'en seront la forme et le nom.

Mais on ne réunit pas, ici, des peuples chargés d'Histoire, comme on s'emparait, ailleurs et jadis, de terres tenues pour vierges parce que n'y habitaient "que" des Comanches, des Cheyennes ou des Cherokees. La Suède fut en son temps, et pas seulement avec Gustave-Adolphe, un peuple conquérant et dominateur. Les Anglais ont été plus longtemps que l'Allemagne les ennemis de la France, mais la sauvagerie des conflits entre ces deux pays s'est interposée pour gommer la rivalité parfois meurtrière de Paris et de Londres. L'Italie, membre fondateur de la Communauté européenne, n'était pas du « bon côté » lors de la seconde guerre mondiale dont elle sortit disloquée. L'Espagne et le Portugal étouffaient sous la dictature il n'y a pas si longtemps.

Nous avons surmonté tout cela pour la simple raison que l'Union européenne, c'est la paix entre les Etats, à défaut qu'elle règne toujours à l'intérieur de leurs frontières.

On peut assurément émettre de légitimes critiques sur ses insuffisances démocratiques ou, à l'inverse, sur son excessive bureaucratie ; on peut la dire plus économique que sociale, plus soucieuse des marchands que des hommes, il demeure que l'Europe est d'abord une union d'Etats qui ont décidé de ne plus se faire la guerre. Le reste, tout le reste, viendra, et c'est ma conviction.

La France et l'Allemagne ont, les premières, non sans courage politique, donné l'exemple. C'est aussi pour cela que l'amitié franco-allemande est vitale pour l'Europe ; parce que cette amitié est née du sang, de la haine, de la destruction et de la mort. Nos deux pays sont le symbole du possible. L'Europe, l'Europe « élargie », c'est aussi un défi à l'impossible.

Adepte fervent de la diplomatie parlementaire, j'ai voulu que l'Assemblée nationale _uvre en ce sens et, il y a moins d'un mois, juste avant le sommet de Laeken, le Bundestag et l'Assemblée nationale ont tenu réunion commune à Paris pour demander, à l'unanimité des deux importantes délégations présentes, d'une part, que les parlementaires nationaux soient plus étroitement associés à la réforme institutionnelle de l'Union ; d'autre part, l'adoption d'une Constitution européenne.

Dans mon esprit, cette réunion, qui faisait suite à d'autres, correspond à ce « plus d'Europe » que, spontanément, d'instinct, j'ai souhaité lors des événements du 11 septembre. « Plus d'Europe » par un mouvement que l'on pourrait justement dire contradictoire : que plus de pays rejoignent l'Union européenne et, cependant, que cette Union, à commencer pour les occasions terribles que je citais, parle plus encore d'une seule voix ; que, dans chaque Etat qui la compose, les citoyens, les gens que nous sommes, aient autant conscience d'être Européens que d'appartenir à tel ou tel pays ; pour donner vie au bel aphorisme de François Mitterrand : « La France est ma patrie, l'Europe est son avenir. »

Il ne fait pas de doute, à mes yeux du moins, que l'Euro y contribuera. Attribut de la souveraineté, la monnaie a toujours été un facteur d'unité et ce n'est pas pour rien que les rois de France ferraillaient contre les grands féodaux pour les empêcher de battre monnaie.
Une monnaie commune, ce n'est pas que de l'économie, c'est aussi, en particulier, un coup de pouce au désir et à la liberté d'aller et de venir ; donc, individuellement, de se connaître, d'échanger idées et informations, bref, de nous ressentir Européens.

Car, s'il est peu douteux que, tous âges confondus, ce changement de monnaie ne suscite une aimable pagaïe, d'ailleurs moins prononcée que certains ne pouvaient le craindre, il est en revanche certain que l'Europe y gagne, elle, profondément, puisque, outre son drapeau et son hymne, elle se donne un symbole qui occupera l'existence quotidienne de la plupart des Européens ; autrement dit, plus qu'un symbole : la vie !
Monsieur le Président de la République, à vous-même, à votre épouse, à votre famille, à vos proches, à vos amis, à vos collaborateurs, je vous souhaite en mon nom, au nom du Bureau de l'Assemblée nationale, au nom de tous les députés, au nom du personnel de l'Assemblée, une heureuse année.