ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE

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RAPPORT D'INFORMATION

Présenté à la suite de la mission effectuée au Maroc
du 19 au 24 novembre 1999

par une délégation du

GROUPE D'AMITIÉ FRANCE-MAROC

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Cette délégation était composée de M. Bernard Charles, Président, Mme Odette Trupin, MM. Loïc Bouvard, Michel Lefait, secrétaires, M. Alain Marleix.

SOMMAIRE

Introduction

Présentation générale de la situation du Maroc

I - La stabilité du régime marocain

A) L'avance de l'état de droit et l'alternance

1. L'instauration d'une monarchie constitutionnelle

2. La mise en place de l'alternance

B) L'accession au pouvoir de Mohamed VI

1. Une volonté de rupture dans la continuité

2. Mettre fin à l'attentisme

II - Une situation économique et sociale en demi-teinte

A) Des handicaps persistants

1. Une "poudrière" sociale

2. Prééminence de l'agriculture et faiblesse des ressources budgétaires

B) L'ouverture de l'économie marocaine

1. Les relations avec l'Union européenne

2. Les réformes et la mise à niveau de l'industrie

C) La France, principal partenaire économique du Maroc

1. L'aide financière

2. Partenariat et l'implantation des entreprises françaises

Composition de la délégation

Programme de la mission

Compte rendu des entretiens avec :

M. Abdelhouahed Radi, Président de la Chambre des Représentants

les membres du groupe d'amitié parlementaire "Maroc-France"

M. Mohamed Jalal Essaid, Président de la Chambre des Conseillers

M. Fathallah Oualalou, Ministre de l'Economie et des Finances

M. Ahmed Lahlimi, Ministre délégué auprès du Premier Ministre, chargé des Affaires générales du Gouvernement

M. Abdeslam Znined, Ministre délégué auprès du Ministre des Affaires étrangères et de la coopération, chargé du Maghreb et du monde arabe islamique

graphique

Une délégation du Groupe d'amitié France-Maroc de l'Assemblée nationale, conduite par M. Bernard Charles (R.C.V.), Président du Groupe d'amitié et composée de Mme Odette Trupin (S), MM Loïc Bouvard (UDF), Michel Lefait (S), Alain Marleix (R.P.R.) s'est rendue au Maroc du 19 au 24 novembre 1999.

Durant toute l'année 1999, plus de deux cents manifestations ont été organisées aussi bien à Paris qu'en régions dans le cadre du " Temps du Maroc " afin de mieux faire connaître à la France la diversité de la culture marocaine. Le temps fort de cette année symbolique fut sûrement, à l'occasion des célébrations du 14 juillet, le défilé de quatre compagnies de la garde royale marocaine sur les Champs Elysées en présence du Roi Hassan II, invité d'honneur de la France pour son ultime déplacement officiel.

Le Bureau de l'Assemblée nationale a souhaité, dès décembre 1998, que celle-ci ne reste pas à l'écart de toutes ces initiatives ; cette année du Maroc en France devait être l'occasion de renouer des liens avec le Parlement marocain, par l'intermédiaire du Groupe d'amitié, présidé alors par M. Michel Crépeau, Député de Charente maritime, et grand ami du Maroc. Son décès, en mars, n'a pas permis que ce voyage ait lieu au premier semestre. Cependant M. Bernard Charles, député du Lot, devenu le nouveau Président du Groupe, a tenu à ce que cette mission puisse avoir lieu en 1999.

La disparition du Roi Hassan II en juillet et l'avènement de Mohamed VI ouvre une période de transition qui ne pouvait qu'encourager les parlementaires à renouer les contacts avec leurs homologues marocains. Le discours et les premières décisions du nouveau Roi, qui ont conduit au départ de M. Basri, Ministre de l'Intérieur, ont marqué sa volonté de rupture et suscité encore plus d'intérêt pour le pays.

Les 4 et 5 novembre, la réunion annuelle franco-marocaine des Chefs de gouvernement, avec la présence du Premier Ministre, M. Lionel Jospin, et de nombreux ministres, à Rabat, a notamment permis la conversion d'une nouvelle tranche de la dette marocaine en investissements.

Sur la plan politique aussi, 1999 fut bien " l'année du Maroc ".

Arrivée le vendredi 19 novembre à Marrakech, la délégation a été accueillie par M. Mohamed Bekkali, député de Fès (USFP), Professeur d'université, tout récemment élu Président du Groupe d'amitié parlementaire Maroc-France. Le samedi, M. Omar El Jazouli, sénateur-maire de Marrakech a accueilli la délégation à la Mairie, puis, il l'a accompagnée en ville, afin de lui faire connaître l'ensemble des activités artisanales et touristiques. En fin de journée, lors de la réception organisée à la résidence du Consul général, la délégation a pu rencontrer des membres de la communauté française. Le dimanche a été consacré à la visite des principaux monuments de la ville, avant le départ en voiture pour Rabat. Le lundi, après un hommage au Feu Roi Hassan II au Mausolée, les réunions de travail se sont déroulées au Parlement, d'abord à la Chambre des Représentants, avec le Président Abdelouahed Radi et les membres du Groupe d'amitié Maroc - France, puis au Sénat avec M. Mohamed Jalal Essaid, Président de la Chambre des Conseillers. Le lendemain a été consacré à des entretiens avec des membres du gouvernement : MM Oualalou, Ministre de l'Economie et des Finances, Lahlimi, Ministre délégué auprès du Premier Ministre, chargé des Affaires générales du Gouvernement et Znined, Ministre délégué auprès du Ministre des Affaires étrangères et de la coopération, chargé du Maghreb et du monde arabe islamique. Un déjeuner de travail a été organisé avec l'ensemble de l'équipe de l'Ambassade de France, ainsi qu'une rencontre à la Chambre Française de Commerce et d'Industrie de Casablanca, avec des chefs d'entreprises françaises établies au Maroc.

A Marrakech, les discussions ont porté essentiellement sur les problèmes d'aménagement du territoire et de capacité d'accueil des touristes. Au Parlement, les entretiens ont fait notamment ressortir le manque de moyens dont souffre les Chambres pour conforter la démocratie. Les différentes réunions de travail ont permis également d'analyser la situation économique et sociale du Maroc, sans oublier les problèmes internationaux avec notamment le Sahara occidental, l'Algérie, et le dialogue euro-méditerranéen.

L'ensemble de la délégation s'est réjouie de la grande liberté de ton et de l'atmosphère amicale qui ont régné lors des différents entretiens. Elle a pu constater la force des relations franco-marocaines, mais aussi l'étendue des attentes envers la France.

Tous ces entretiens ont confirmé la volonté du Maroc d'entrer dans une ère nouvelle.

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L'ensemble de la délégation tient à remercier ses hôtes marocains : M. Mohamed Bekkali, Président du Groupe d'amitié parlementaire Maroc-France, M. Abdelouahed Radi, Président de la Chambre des Représentants, M. Omar El Jazouli, Maire de Marrakech, pour l'accueil chaleureux qu'ils nous ont réservé, mais également M. Michel de Bonnecorse, Ambassadeur de France et l'ensemble de ses collaborateurs pour leur disponibilité et leur efficacité, ainsi que M. Jacques Buguet, Consul général à Marrakech.

Présentation générale de la situation du Maroc

I - LA STABILITE DU REGIME

A) L'avancée de l'état de droit et l'alternance

1. Instauration d'une monarchie constitutionnelle

Depuis 1972, le Royaume du Maroc est une monarchie constitutionnelle. La Constitution a été révisée une première fois en 1992, à l'instigation du Roi Hassan II, instaurant ainsi le vote d'investiture du gouvernement par la Chambre des Représentants. Puis, un nouveau référendum constitutionnel a été organisé en 1996, afin de permettre l'élection au suffrage universel direct de la totalité des membres de la Chambre des Représentants (et non plus les 2/3) pour 5 ans (au lieu de 6 ans), mais aussi d'instituer le système bicaméral.

Ainsi, la nouvelle Chambre des Conseillers doit représenter " les forces vives qui travaillent et qui produisent ". Elle est constituée pour les 3/5èmes par des représentants des collectivités locales ; les 2/5èmes restants sont des membres élus par des représentants des chambres professionnelles et des syndicats. Le mandat est de neuf ans et le renouvellement se fait par tiers tous les trois ans. Cette seconde Chambre n'est pas simplement consultative. Les deux chambres ont des pouvoirs quelque peu différenciés, mais importants. L'adoption définitive d'un texte et l'engagement de la responsabilité du gouvernement se fait à la Chambre des Représentants, mais la seconde Chambre peut faire des propositions de loi, auditionner des ministres, constituer des commissions d'enquête. Elle peut également censurer le gouvernement et possède un pouvoir particulier lui permettant d'obtenir des explications de la part du gouvernement : les motions d'avertissement.

Cette dernière révision constitutionnelle, du 13 septembre 1996, a correspondu au souhait de l'opposition d'avoir une Chambre élue dans sa totalité au suffrage universel, tandis que l'instauration d'une Chambre haute, modératrice, n'a pas suscité d'importantes réticences. En outre, le Roi Hassan II a confirmé le 11 octobre 1996, dans son discours d'ouverture de la session parlementaire, la transparence des futures élections et a appelé à l'alternance.

2. La mise en place de l'alternance

Les élections législatives, résultant de la modification de la Constitution, se sont déroulées le 14 novembre 1997. Les 325 membres de la Chambre des Représentants ont été élus au scrutin majoritaire uninominal à un tour. Les suffrages exprimés ont montré un très grand émiettement des forces politiques, notamment en raison de l'absence de candidature commune pour les partis d'opposition appartenant au bloc démocratique. L'élection des 270 membres de la Chambre des Conseillers s'est déroulée le 5 décembre, après bien des concertations et des polémiques sur la composition des collèges électoraux. Les résultats ont été favorables aux partis du centre, plus modérés. Cette nouvelle configuration a donné une grande latitude au souverain pour la réunion d'une majorité parlementaire et la création d'une coalition gouvernementale.

Le Roi a choisi de confier le 4 février 1998 la direction du gouvernement de coalition à Abderrahmane Youssoufi, dirigeant de l'Union Socialiste des Forces Progressistes (USFP), principal parti de la Chambre des Représentants et ancien opposant. Ce premier gouvernement d'alternance reflétait l'accord du Roi et des partis sur la répartition du pouvoir en attribuant les ministères régaliens (notamment Affaires étrangères et Intérieur) à des fidèles de la Couronne et les grands ministères aux partis représentant les populations urbaines. Ces derniers ont considéré que les réformes constitutionnelles obtenues étaient suffisantes pour accepter de participer au gouvernement.

Cette alternance témoigne du consensus qui existe sur la construction institutionnelle accomplie par Hassan II. Bien que le Maroc reste la seule monarchie de tout le continent africain, la stabilité de son régime demeure réelle et l'expérience d'alternance politique " prend tout son sens ", selon M. Védrine, Ministre des Affaires étrangères, avec le nouveau Roi Mohamed VI.

B) L'accession au pouvoir de Mohamed VI

1. Une volonté de rupture dans la continuité

La succession, le 23 juillet dernier, s'est opérée sans difficulté. Dès son intronisation, le nouveau souverain a manifesté clairement sa confiance au Premier Ministre. Il a également pris tout de suite des décisions importantes et ainsi nettement affirmé son autorité. Ses interventions ont concerné la gestion du problème du Sahara occidental avec la création d'une commission royale et la nomination d'un nouvel ambassadeur auprès de la MINURSO, mais également les opposants avec le retour au Maroc d'Abraham Serfaty et les mesures administratives prises vis à vis de la famille Ben Barka. Cette autorité et cette volonté de rupture se sont surtout manifestées avec la décision spectaculaire de destituer, sans préavis, le 9 novembre 1999, M. Basri, Ministre de l'Intérieur depuis plus de 20 ans et véritable homme fort du régime. Les directeurs de l'agence officielle MAP et de la première chaîne de télévision publique TVM, sous la tutelle du Ministère de l'Intérieur, ont également été remplacés.

La chute de M. Basri a été saluée par une grande partie de la presse. Cependant, pour certains, cette décision ne constitue qu'un changement d'hommes et non un changement réel du régime. En effet, le jeune souverain s'est entouré de "promotionnels ", qui ont fait leurs études avec lui au Collège royal ou à l'université. Ces hommes constituent un clan et un réseau, sur lequel le jeune souverain peut s'appuyer. Ils occupent désormais les postes qui ont été libérés.

Pourtant, les marocains dans leur ensemble sont favorables à ce que le roi gouverne, car un pouvoir fort et équitable est nécessaire. Une " évolution à l'espagnole " du Maroc semble peu probable. Ainsi, la monarchie, seul fédérateur d'un pays éclaté, semble incontestée. De plus, le Roi, " Commandeur des croyants ", apparaît comme un rempart face aux islamistes. Au total, le Maroc, dernière monarchie du continent africain, offre une stabilité institutionnelle totale.

Le risque viendrait plutôt de la focalisation excessive de la classe politique sur son rapport avec le Roi, oubliant qu'il y a un peuple et ses attentes. Il semble nécessaire de répondre aux besoins de la population en attente de résultats concrets immédiats.

2. Mettre fin à l'attentisme

Depuis quelques années, le désengagement d'Hassan II de la vie politique bloquait toute réforme. La nomination d'un Premier Ministre de transition semblait être la dernière concession possible. Les socialistes avaient accepté de participer au gouvernement de transition, mais aucune réforme d'importance n'est intervenue, comme s'ils avaient attendu la succession.

Mohamed VI, considéré comme le " Roi des pauvres ", bénéficie d'un capital de sympathie important. Son arrivée, comme celle du gouvernement socialiste en 1998, suscite beaucoup d'espoir de changement. Les rapports entre le Roi et le Premier ministre sont bons. Pourtant M. Youssoufi se trouve confronté à un exercice difficile, devant composer avec les 7 partis de la coalition et un gouvernement qui compte environ 40 membres. De plus, les différents acteurs sociaux, ainsi que certains partis politiques, manifestent de plus en plus d'impatience. Le peuple marocain attend plus de liberté d'expression, plus de transparence et de communication. L'attentisme du gouvernement est de plus en plus mal perçu. Fort de la confiance du Roi, qui soutient publiquement ses projets, le gouvernement sera tenu pour seul responsable de la lenteur des réformes .

Le Maroc est considéré par certains comme une " poudrière " : la situation économique et sociale est grave. Il ne faudra pas trop décevoir les espoirs qu'ont fait naître l'arrivée de l'alternance et l'accession au trône du jeune souverain, alors que, misère et chômage aidant, les islamistes se font plus présents et apparaissent comme la seule véritable opposition depuis que la gauche a accepté de gouverner.

II - UNE SITUATION ECONOMIQUE ET SOCIALE EN DEMI-TEINTE

A) Des handicaps persistants

1. Une "poudrière" sociale

Le Maroc compte environ 29 millions d'habitants. Il conserve certaines caractéristiques structurelles de pays en développement : le quart de la population (soit plus de 7 millions de personnes) vit en dessous du seuil de pauvreté, 20% des actifs sont au chômage, la moitié des habitants restent analphabètes. Dans le classement des états selon leur indice de développement humain, établi par les Nations unies, le Maroc se situe au 125ème rang, largement derrière l'Algérie et la Tunisie.

Le taux de croissance de la population est de 2,1% par an et 60% de la population a moins de 25 ans.

Les campagnes font vivre la moitié de la population active. Les exploitations sont enclavées, un dixième est raccordé à un réseau d'électricité et un vingtième à un réseau d'eau courante. La population y est aux trois quarts analphabète car les systèmes d'enseignement mis en place, fort coûteux pour le budget marocain, sont souvent inefficaces en raison de l'éparpillement de la population et de la persistance de certaines réticences à la scolarisation des enfants (exemple des petites filles chargées des corvées d'eau).

Le gouvernement doit fournir des emplois à une population qui continue à déserter les campagnes pour les villes. A cela s'ajoutent les cent mille diplômés de l'enseignement supérieur (ingénieurs, professeurs, techniciens) qui ne trouvent pas d'emploi. Ainsi, le mécontentement, longtemps cantonné dans le monde rural, se développe dans les agglomérations.

Par ailleurs, la corruption gangrène l'administration et atteint des sphères élevées, tandis que le trafic de drogue important dans le nord du pays (région du Rif) fait du Maroc le premier exportateur mondial de cannabis.

2. Prééminence de l'agriculture et faiblesse des ressources budgétaires

L'application d'un programme d'ajustement structurel entre 1983 et 1992 a permis de rétablir les grands équilibres économiques : l'inflation s'est établie à 1% en 1998 et le déficit budgétaire a été stabilisé autour de 3%. Cependant, ces indicateurs ne permettent pas de comprendre l'ensemble de la réalité économique. En effet, l'économie marocaine reste très dépendante de son agriculture. Le taux de croissance du pays résulte principalement de l'état des récoltes : il est passé de 12% en 1996 à - 2% en 1997, à plus 7% en 1998. Le taux moyen de croissance, environ 2%, reste insuffisant compte tenu de la croissance démographique.

En tout état de cause, le Maroc demeure structurellement trop dépendant de ses exportations de produits traditionnels. Aussi, pour diversifier ses exportations, il doit accroître la compétitivité de son industrie.

D'important travaux d'équipement sont nécessaires dans les campagnes. Le secteur minier, avec notamment l'extraction de phosphates, ne permet pas le développement de la grande industrie. Le secteur industriel reste largement dominé par le textile et le cuir, produits à faible valeur ajoutée. Ainsi, très dépendant des revenus agricoles, l'Etat marocain ne dispose pas de ressources importantes pour son budget. Celui-ci s'élève à environ 65 milliards de francs (la moitié du budget de l'Andalousie). Plus de la moitié est consacrée aux dépenses de fonctionnement qui recouvrent une importante fonction publique et l'engagement militaire au Sahara occidental. Le tiers du budget finance le remboursement de la dette (22 milliards de dollars). Il reste en conséquence moins de 15% pour financer les infrastructures nouvelles et répondre aux besoins sociaux.

Le gouvernement mise donc sur un réaménagement de la dette extérieure et sur le secteur privé appelé à se développer avec l'ouverture économique. Celle-ci ne se réalisera pas sans d'importantes mutations d'une société marquée par la coexistence d'un secteur moderne émergent et d'une frange rurale à la recherche de son développement.

B) L'ouverture de l'économie marocaine

1. Les relations avec l'Union européenne

La première conférence euro-méditerranéenne, regroupant les 15 pays de l'Union et 12 pays du pourtour méditerranéen, s'est tenue à Barcelone les 27 et 28 novembre 1995 et a abouti à une déclaration considérée comme l'acte fondateur du dialogue euro-méditerranéen. Cette déclaration contient un volet économique et financier fixant comme objectif l'année 2010 pour l'instauration d'une zone de libre-échange industriel. Afin d'atténuer les effets économiques et sociaux de cette ouverture, la déclaration étend les domaines où la coopération doit se développer.

Pour atteindre cet objectif, l'Union a décidé de mettre en _uvre deux types de mécanisme : les accords d'association, conclus entre l'Union et chacun des partenaires et un programme de coopération technique, le programme MEDA, qui doit accompagner la mise en _uvre du libre-échange.

L'accord d'association comporte un volet commercial obligeant les pays méditerranéens à s'ouvrir à la concurrence européenne dans le domaine industriel alors qu'ils sont actuellement protégés par des barrières douanières. Le second volet doit encourager les investissements en instaurant la libre circulation des capitaux dans le pays partenaire, la libre concurrence et la libéralisation des marchés publics.

Le Maroc est très favorable au développement du processus initié à Barcelone mais il exprime sa déception en raison des lenteurs dans la mise en _uvre des mécanismes de coopération et certaines craintes à propos de l'instauration du libre-échange pour les produits industriels, insuffisamment compensé par les ouvertures de l'Union qui n'entend pas démanteler ses protections dans le domaine agricole. Ses griefs portent également sur la longueur des procédures de ratification de l'accord d'association par les Quinze. En effet, l'accord avec le Maroc signé le 26 février 1996 n'entrera en vigueur qu'en février 2000.

Le programme MEDA, qui s'est substitué aux protocoles bilatéraux, a permis de lancer un nouveau type de coopération et d'augmenter fortement l'engagement financier de l'Union européenne. Les crédits MEDA appuient des projets à caractère national et des projets régionaux. Ces projets recouvrent une aide à l'ajustement structurel, un soutien aux privatisations et aux réformes économiques, et l'aide au développement rural.

Entre 1996 et 1998, le Maroc a ainsi bénéficié de 450 millions d'euros, 120 millions consacrés à l'ajustement structurel et d'aide à la transition économique et 330 millions soutenant notamment des projets de normalisation des télécommunications, de développement rural, d'éducation, de formation professionnelle. Pour la période 1996-1999, l'enveloppe s'élèvera à 580 millions. Cependant, cette aide communautaire souffre de ne pas être rapidement versée compte tenu, en particulier, de l'extrême lourdeur des procédures. Ainsi, en 1999, le Maroc n'avait reçu que 71 millions sur sa première enveloppe.

2. Les réformes et la mise à niveau de l'industrie

L'économie marocaine devra, en effet, encaisser le choc de la libéralisation des échanges industriels, qui se traduira par la diminution des recettes douanières et donc des ressources fiscales.

L'ouverture des marchés va également exposer les entreprises marocaines à la concurrence des produits industriels communautaires. Le secteur industriel devra donc être consolidé car voué à atteindre un certain niveau de performance et de compétitivité. Le Royaume devra donc attirer durablement les investissements directs étrangers nécessaires à la diversification et à la modernisation de son économie. Il devra donc à la fois mener les réformes et préserver les équilibres sociaux durant la phase d'ajustement.

Le pays offre cependant un avantage certain pour les investisseurs étrangers : une main-d'_uvre moins coûteuse que celles des pays industrialisés. Il a en outre pris des mesures depuis quelques années pour offrir des facilités administratives et des conditions financières avantageuses (charte de l'investissement). Le gouvernement a créé en 1993 un Conseil national du commerce extérieur (CNCE), chargé de donner des avis, d'émettre des suggestions, d'analyser les comportements des exportateurs et importateurs. En 1996, un nouveau code de commerce a été publié et une nouvelle loi sur les sociétés anonymes est entrée en vigueur. En 1997, ont été créés les tribunaux de commerce.

L'ouverture du pays nécessite aussi une réforme du système financier et de l'activité bancaire, bien que des dispositions ont été prises dès 1991 afin que les banques marocaines puissent mieux s'intégrer à l'appareil de production national, mais aussi au secteur financier international. Une loi de 1993 fixe les règles des établissements bancaires et les encourage à sortir des activités classiques (dépôt, épargne, assurance-vie) pour développer des activités de service, mais on note un décalage entre les objectifs qui ont été fixés et les réalisations. Cette situation n'a pas permis qu'une part importante des capitaux et de l'épargne aille s'investir en bourse même si la Bourse de Casablanca est devenue la troisième place en Afrique (après Johannesburg et le Caire). Sa progression s'explique surtout par les privatisations réalisées depuis 1993, alors que les investissements étrangers ne représentent qu'une faible partie des fonds engagées.

Alors que les privatisations déjà réalisées ont surtout été favorables aux grands groupes nationaux qui ont renforcé leur contrôle sur l'économie nationale, que la contrebande permet à des milliers de familles d'avoir des revenus, mais constitue un manque de recettes pour l'Etat, les entrepreneurs réclament une réforme de l'administration judiciaire, afin d'obtenir la sécurité juridique indispensable pour développer les activités industrielles ou de services et attirer les investisseurs étrangers. Le processus d'élaboration, d'adoption et d'application de la loi doit également être accéléré. Le gouvernement devra aussi trouver des activités de substitution pour la population de la région du Rif qui vit de la culture du cannabis, et dont les revenus, blanchis en partie par la contrebande, sont bien supérieurs à ceux fournis par l'exploitation de la mer ou de la terre. Il devra également composer avec les réseaux traditionnels de pouvoir. Jusqu'à présent les progrès réalisés étaient de " beaucoup inférieurs " à ceux de pays comparables, le Maroc " perdait du terrain ", selon le rapport de la Banque mondiale rendu public en 1995. Les mentalités peinaient pour suivre le train des réformes.

Les nombreuses autres réformes annoncées en 1998 et 1999 (code du travail, des assurances et des douanes, lois sur la concurrence et la propriété industrielle, réforme fiscale, régime des subventions alimentaires) ne sont encore que partiellement mises en oeuvre.

Pourtant, la bonne tenue des indicateurs macroéconomiques est un signe encourageant pour relever le défi de l'ouverture économique à la veille de l'entrée en vigueur de l'accord d'association avec l'Union européenne. Il importe maintenant que les mentalités évoluent et les acteurs économiques adhèrent à toutes les transformations qui s'imposent

C) La France, le principal partenaire économique du Maroc

1. L'aide financière

L'aide financière française reste la plus importante aide bilatérale reçue par le Royaume: elle a dépassé, toutes coopérations confondues, les 3 milliards de francs en 1998. La France a apporté, en 1996-97, 51% de l'aide publique au développement reçue par le Maroc et 71% des contributions bilatérales. Elle est le premier prêteur avec près de la moitié des créances du Club de Paris et près de 19% de l'encours total fin 1998. Dans le cadre de l'Union européenne, la France apporte 18% des fonds MEDA destinés au Maroc. La France déploie ainsi au Maroc la quasi-totalité de ses instruments d'aide publique au développement : on peut évaluer son aide à 1% en moyenne du PIB marocain chaque année.

Depuis 1993, l'aide française s'est inscrite dans le cadre des concours de la Caisse Française de Développement (CFD), devenue en 1998, l'Agence Française de Développement (AFD) qui se sont surtout portés sur le développement du monde rural.

A ces instruments s'ajoutent ceux que la France met en oeuvre dans le cadre du club de Paris pour aider le Maroc dans son effort de désendettement, avec notamment la conversion de la dette en investissements (2,4 milliards de Francs de créances françaises rééchelonnées depuis 1996).

La France soutient également les efforts du Maroc dans la gestion de sa dette externe. Ainsi, depuis que le Maroc est devenu une place financière émergente, l'AFD a consenti deux opérations de garantie afin qu'il puisse refinancer sa dette la plus onéreuse (environ 200 millions de dollars) auprès d'un consortium bancaire.

2. Partenariat et implantations des entreprises françaises

Le passage au Maroc, les 4 et 5 novembre, du Premier Ministre Lionel Jospin, lors de la réunion annuelle des chefs de gouvernement, a permis de faire le point sur les relations économiques franco-marocaines.

La France reste le premier client et le premier fournisseur du Maroc. En qualité de client, la France représente 36% de part de marché, ce qui la situe loin devant l'Espagne et l'Inde, gros acheteur de phosphates. En temps que fournisseur, la France représente 26% de parts de marché. Elle n'est pas véritablement menacée par la concurrence étrangère dont les parts de marchés oscillent entre 6 et 10%, pour les quatre pays les mieux placés, bien que l'Espagne améliore lentement mais sûrement ses investissements.

Le Maroc est le deuxième partenaire commercial de la France hors OCDE, après la Chine.

La nouvelle tranche de reconversion en investissements de la dette marocaine qui a été décidée, porte de 20 à 30% la part reconvertible. Ces investissements pourront venir consolider le partenariat entre les deux pays en tissant de nouvelles relations entre les entreprises françaises et marocaines.

Actuellement, 520 filiales françaises sont recensées au Maroc et 300 entreprises sont la propriété de " français au Maroc ". La France se situe au premier rang par son implantation industrielle et commerciale au Maroc (environ 800 sociétés), loin devant les autres partenaires du pays (Espagne, Italie ou Etats-Unis). Quinze des vingt premiers groupes français sont implantés au Maroc (Renault, Citroën, Aérospatiale, Rhône-Poulenc, Total-Fina...). Ainsi, cinquante sociétés françaises se situent parmi les plus gros employeurs du pays. Les entreprises françaises emploient plus de 65 000 personnes au Maroc.

Ce partenariat entre la France et le Maroc s'est développé depuis plus de 50 ans. 40% des 520 filiales françaises recensées étaient déjà implantées au Maroc avant 1960. La France se situe au premier rang des investisseurs étrangers au Maroc en raison notamment des mouvements de capitaux entre maisons mères et filiales (recapitalisations, investissements). C'est pourquoi la marge de progression française pour de nouveaux partenariats est beaucoup plus faible que celle de ses concurrents.

COMPOSITION DE LA DELEGATION

- M. Bernard CHARLES, Président du Groupe d'amitié France-Maroc, Député du Lot (RCV)

- Mme Odette TRUPIN, Membre du bureau du Groupe d'amitié France-Maroc, Députée de la Gironde (S)

- M. Loïc BOUVARD, Membre du bureau du Groupe d'amitié France-Maroc, Député du Morbihan (UDF)

- M. Michel LEFAIT, Membre du bureau du Groupe d'amitié France-Maroc, Député du Pas-de-Calais (S)

- M. Alain MARLEIX, Membre du Groupe d'amitié France-Maroc, Député du Cantal (RPR)

Programme de la mission

Vendredi 19 novembre

- 16 h 00 arrivée de la délégation à l'aéroport Marrakech Menara,

accueil par M. Mohamed Bekkali, Député de Fès et Président du groupe d'amitié Maroc - France,

rencontre avec la presse locale,

Samedi 20 novembre

- 10 h 30 réception à la mairie de Marrakech par le Sénateur-Maire, M. Omar El Jazouli, en présence de MM. Abdelkader Ahnmili, Conseiller parlementaire, Président de la Chambre d'artisanat, vice-président de la communauté urbaine et Ahmed Touizi, conseiller parlementaire et membre du conseil municipal,

visite des souks et des ateliers d'artisanat,

- 17 h 00 cocktail offert par le Consul général de Marrakech, M. Jacques Buguet,

- 20 h 00 soirée marocaine

Dimanche 21 novembre

- matin visite des monuments historiques de la ville,

- après-midi départ vers Rabat,

lundi 22 novembre

- 10 h 30 visite du mausolée Feu le Roi Mohamed V,

- 11 h 00 rencontre avec M. Abdelwahad Radi, Président de la Chambre des Représentants,

- 15 h 30 séance de travail avec les membres du groupe d'amitié Maroc-France,

- 18 h 00 entretien avec M. Mohamed Jalal Essaid, Président de la Chambre des Conseillers,

- 20 h 00 dîner officiel à la chambre des Représentants,

Mardi 23 novembre

- 8 h 30 entretien avec M. Fathallah Oualalou, Ministre de l'Economie et des Finances,

- 9 h 30 entretien avec M. Ahmed Lahlimi, Ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des Affaires générales du gouvernement,

- 11 h 00 entretien avec M. Abdeslam Znined, Ministre délégué auprès du Ministre des Affaires étrangères et de la coopération chargé du Maghreb et du monde arabe islamique,

- 12 h00 déjeuner de travail à la résidence de l'Ambassadeur de France,

- 15 h 00 départ vers Casablanca,

- 15 h 30 visite de la Mosquée Hassan II,

- 16 h 30 séance de travail à la Chambre Française de Commerce et d'Industrie du Maroc,

Mercredi 24 novembre

- 8 h 00 Départ pour Paris de l'aéroport Mohamed V à Casablanca.

COMPTE RENDU DES ENTRETIENS
Entretien avec M. Abdelouahed Radi,
Président de la Chambre des Représentants

M. Radi fait part de sa joie d'accueillir une délégation du Groupe d'amitié France - Maroc, tout en soulignant que sa tâche est facile puisque les relations entre les deux pays sont à la fois des plus pérennes, profondes et solides. Il souligne également la qualité des relations interparlementaires qui lui ont permis déjà de recevoir d'éminentes personnalités. Le défi des groupes d'amitié est de maintenir la qualité de ces relations, qui est liée à des réalités politiques, sociales et historiques. Ainsi, la France est le premier partenaire du Maroc dans tous les domaines, c'est le pays qui lui donne le plus de satisfaction. Il se félicite aussi du succès obtenu par le " Temps du Maroc " en France.

Il constate que politiquement, les positions des deux pays sont proches y compris sur le plan multilatéral. Il est important pour le Maroc d'avoir un ami sur lequel compter au sein des Quinze de l'Union. La position de la France est également très proche de celle du Maroc sur les problèmes de la Méditerranée (processus de paix au Moyen Orient, Irak,...). Les deux pays ont les mêmes visions à long terme.

M. Radi fait un inventaire de toutes les visites qui ont eu lieu et se félicite de l'institution de la réunion annuelle des deux chefs de gouvernement. Au sein du Conseil de l'Europe, du Parlement de l'OTAN, de l'UIP, de nombreuses relations se sont également créées. M. Radi reprend : " avec les français, on se sent en famille, ces liens constituent un capital unique, à entretenir, fait de complicité, de spontanéité et de confiance. "

M. Charles confirme la qualité des relations franco-marocaines illustrée par le succès du " Temps du Maroc " en France et l'intérêt de l'opinion publique française pour les récentes évolutions du pays. Il fait remarquer que tout n'est pas parfait, notamment les conditions d'accueil dans les consulats pour l'obtention de visas. M. Radi répond que la France a promis de faire des efforts, et que comme tous les problèmes, celui-ci se règlera progressivement, que ce n'est qu'un problème de gestion et non un problème de fond.

Sur le plan politique, M. Radi estime qu'on doit prendre conscience de tous les efforts et des progrès qui ont été réalisés, mais également des difficultés et des attentes qui existent. En effet, les problèmes des droits de l'Homme se résolvent : il n'y a plus d'exilés (les derniers viennent de rentrer), plus de détenus politiques ou d'opinion. Cette évolution s'est faite en dix ans. La liberté progresse : " Le Maroc vit un Mai 68 permanent ". M. Radi rappelle qu'il a été dans l'opposition pendant 36 ans pour se battre et se réjouit d'avoir obtenu cette évolution de son vivant. Pour lui, cet octroi n'est pas artificiel. Ce fut une conquête longue, mais elle est solide et irréversible. Hassan II avait compris qu'il fallait aller dans cette voie, mais il avait ses méthodes et son rythme ; avec Mohamed VI, on assiste non seulement à une accélération du mouvement mais aussi à son approfondissement. M. Radi souligne ainsi la qualité des décisions prises par le nouveau souverain et leur répercussion en profondeur dans la société marocaine, favorable à cette évolution. La succession a montré la maturité du peuple marocain.

M. Radi fait un rappel historique sur le passage d'une monarchie absolue (1956) à une monarchie constitutionnelle (1972 -1992 - 1996). Puis, il précise que, depuis l'Indépendance, il n'y a jamais eu de parti unique. Le Maroc a toujours connu une opposition et une contestation interne grâce à l'existence de partis politiques, de la presse et bien sûr de la Constitution.

Après tous ces aspects positifs, M. Radi évoque la situation économique et sociale. Il cite toutes les données inquiétantes : taux de chômage, seuil de pauvreté, croissance démographique. Puis il mentionne le rôle important, mais capricieux, de l'agriculture pour la croissance du pays. Le système économique est ainsi fragile et non maîtrisable. En ce qui concerne le secteur industriel, celui-ci requiert une mobilisation de savoir-faire, de capitaux et de technologies. Le Maroc manque d'équipements, comme de tracteurs dans le secteur agricole, mais ceux-ci sont coûteux. Or, le budget de l'Etat marocain est réduit : 11 à 12 milliards de Dollars (les seules rentrées sont les impôts des contribuables). Il décrit ensuite la structure du budget pour lequel les marges de man_uvre sont étroites. Les aspirations et les besoins des marocains ne peuvent ainsi être satisfaites. M. Radi fait ainsi part de ses craintes face à une population qui peut maintenant protester. Pour lui, les risques d'émeutes existent, mais il ne craint pas une menace islamiste .

M. Charles demande à quoi seront consacrés les recettes des privatisations. M. Radi répond qu'il n'a pas de position idéologique et que le pragmatisme doit prévaloir. Idéalement, ces revenus serviraient à des investissements productifs, eux-mêmes générateurs de revenus nouveaux. Il fait un rappel historique : au lendemain de l'Indépendance, 17 % de la valeur ajoutée provenait du secteur public. Faute d'argent, les marocains ne pouvaient pas investir et c'est l'Etat qui palliait cette situation. Les secteurs de la sécurité, de l'énergie, du chemin de fer, de l'aviation étaient dans le giron de l'Etat. C'est plus tard que des fortunes se sont constituées mais elles restent modestes.

M. Radi conclut sur ce point en faisant remarquer que le désir de consommer des marocains n'est pas compatible avec la nécessité d'investir. Or, les gens veulent voir à l'_uvre la majorité en place depuis deux ans, ils sont impatients. La presse et même la classe politique ne tiennent pas de discours pédagogique, ils sont vindicatifs.

M. Radi évoque le second problème auquel est confronté le Maroc : le Sahara occidental. Selon lui, le Maroc n'a fait que récupérer un territoire. Il rappelle que De Gaulle avait voulu négocier les frontières et la France avait ainsi proposé une organisation et une gestion du Sahara entre riverains mais l'Algérie et le Maroc ont préféré surseoir en voulant s'arranger entre peuples frères. Il est revenu sur les étapes de l'indépendance marocaine, et les négociations avec l'Espagne jusqu'en 1975. Selon lui, le problème du Sahara est une survivance de la guerre froide durant laquelle les adversaires du Maroc ont opté pour le bloc de l'Est. Le Maroc avait récupéré le Sahara par le traité de Madrid. Le jugement de la Cour internationale de la Haye reconnaissait les liens historiques entre le Maroc et le Sahara. On peut ainsi dire que, sur le plan juridique, le Maroc dispose d'un bon dossier.

Après 1973, l'Algérie et la Libye se sont liguées contre le Maroc. Unis par des solidarités idéologiques et achetés par les pétrodollars, les pays africains se sont retournés contre le Maroc. Le pays a alors subi la pression de ses amis, dont celle du Président Mitterrand, afin de convaincre Hassan II d'accepter le référendum. Celui-ci devait initialement être réglé au sein de l'OUA. Le Maroc a ressenti comme une trahison l'internationalisation du problème. Ses amis sont restés impuissants. Le Maroc a ainsi été victime d'un concours de circonstances. Tandis que l'Algérie revient actuellement sur son cheval de bataille, le Sahara occidental, les pays amis ne font rien pour aider le Maroc. Seule la France joint le geste à la parole.

M. Charles souhaite connaître les problèmes que rencontre la Chambre des Représentants.

M. Radi estime que des réformes sérieuses s'imposent sur le plan politique. En effet, l'Assemblée compte 10 ou 11 groupes parlementaires, obligatoirement artificiels. Une mise au point du système électoral s'impose donc car un pluralisme exagéré ne concourt pas finalement à l'expression du suffrage. Un parti doit être porteur d'un projet de société. Or, la légitimité des formations actuelles repose sur des problèmes de quartiers. Ainsi, au nom de la liberté, on pollue la démocratie. On assiste à une " tribalisation " de la vie politique par des mafias ; cette situation est rendue possible par l'analphabétisme et la pauvreté des populations ; les prochaines élections encourent le risque de pollution par l'argent. M. Radi regrette que les partis de gauche, modernes, n'encadrent pas la population pauvre, qui vote pour des petits partis parasites.

Cette situation doit conduire à la recherche de garde-fous pour assainir la vie politique. M. Radi évoque la législation scandinave concernant les statuts des partis politiques dont la création doit apporter " un plus " par rapport à ceux existants. Il y a également des solutions plus quantitatives, comme en Allemagne où les partis doivent obtenir 5% des voix pour être représentés. Le système français peut aussi être un modèle (seuil des 5% ou le système des signatures).

Mme Trupin demande quelles sont les actions menées pour le renforcement de l'éducation populaire, qui constituerait sans doute la solution à tous ces problèmes.

M. Radi répond que 25% des dépenses de fonctionnement sont allouées à l'éducation. Mais le problème est avant tout culturel : les familles préfèrent garder les enfants pour les employer à des corvées d'eau plutôt que les envoyer à l'école. Le pays doit également faire face à un problème démographique. Si l'Etat parvient tant bien que mal à alléger la charge de la scolarisation (achats des livres, ramassage scolaire), il faudrait parvenir à subventionner les familles, ce que le budget ne permet pas. Les générations précédentes ont failli à leur devoir : l'alphabétisation a été stoppée à l'Indépendance.

M. Radi demande que la France soit sensible à ces problèmes tant sur le plan bilatéral que sur le plan multilatéral. La coopération doit aider le Maroc à résoudre ces problèmes économiques et sociaux. En raccourci, quatre millions de personnes travaillent pour en faire vivre 30 millions : le pays ne peut avoir d'épargne, ni de hausse de son niveau de vie. La soupape de sécurité est constituée par les ressortissants vivant à l'étranger qui envoient de l'argent.

M. Charles demande ce qu'il en est de la " crédibilisation " du discours politique.

M. Radi répond que ce problème est international. On se demande toujours quel discours tenir. Il reconnaît que les opposants, dont il faisait partie, ont commis des erreurs dans le passé, que leurs propositions n'étaient pas réalistes, bien qu'elles fussent émises de bonne foi.

M. Charles fait remarquer que le Parlement doit se donner les moyens de faire vivre la démocratie, qu'il faut étudier comment une collaboration concrète pourrait s'instaurer avec l'Assemblée nationale.

M. Radi précise qu'il existe trois domaines où le Parlement marocain peut profiter de l'expérience française : le droit parlementaire, le domaine législatif et la gestion des services administratifs. La Chambre des Représentants manque de structure d'accueil administrative ou politique. L'instauration d'une seconde Chambre n'a fait qu'amplifier les problèmes. En effet, les deux chambres partagent locaux et fonctionnaires et même l'hémicycle. M. Radi mentionne que pendant 25 ans tous les efforts ont porté sur les problèmes politiques et non sur la gestion ou l'administration.

Cependant, les besoins concernent d'abord le droit parlementaire qui est actuellement vide. Le Parlement ne fonctionne qu'avec deux textes : la Constitution et le règlement intérieur, d'où le recours à l'improvisation. Ainsi, aucun texte ne régit les prérogatives du Bureau, les procédures administratives. Le Parlement peut s'inspirer des textes en vigueur en France, puisque la Constitution est inspirée de celle de 1958 et que toutes les lois de base sont les mêmes. Cette logique institutionnelle devra se refléter dans le droit parlementaire.

En ce qui concerne le domaine législatif, M. Radi souligne que les députés n'ont pas les instruments pour faire des propositions de loi. Cette situation nécessite la création d'une cellule de documentation et même d'un accès à internet.

Réunion de travail avec le Groupe d'amitié

parlementaire Maroc - France

M. Bekkali, Président du Groupe d'amitié parlementaire Maroc-France, souhaite, au nom de tous les membres, la bienvenue à leurs homologues français.

Il souligne les bons rapports qui existent entre la France et le Maroc, mais déplore le manque d'avancées concrètes avec l'Union européenne. Il souhaite ainsi que la France soit l'Ambassadeur du Maroc au sein de l'Union européenne.

M. Charles fait part de sa joie de venir au Maroc en mission avec une délégation et explique que ses pensées vont à Michel Crépeau, qui était l'initiateur du voyage. Il mentionne le souhait du Président Fabius que des contacts fructueux s'instaurent entre les deux Parlements. M. Charles précise également que le Groupe d'amitié France-Maroc est l'un des plus importants de l'Assemblée nationale par le nombre. La France connaît actuellement un engouement pour le Maroc, auquel le " Temps du Maroc " contribue. Alors que ce pays connaît un développement du tourisme, il est devenu une destination phare pour les français. Il note également que si de nombreuses convergences existent entre les deux pays, le degré d'efficacité de l'action des deux groupe d'amitié se mesurera en fonction des réalisations concrètes. Les groupes d'amitié existent pour permettre des rencontres plus directes. Au-delà de la convivialité, il s'agit d'établir un programme de travail entre les deux parlements permettant notamment une collaboration technique à laquelle le Président Fabius est attaché. M. Charles précise que la délégation a bien conscience de tous les problèmes qui se posent au Maroc et notamment la faiblesse de son budget. Cependant, la démocratie implique de se donner les moyens de la faire vivre. Elle doit ainsi permettre à tous d'accéder à la fonction de Représentant, et de les doter d'une capacité d'analyse et d'expertise face aux ministères. De gros efforts ont été faits en France pour y parvenir mais cette évolution des moyens a nécessité un long cheminement.

Le premier sujet abordé porte sur le volet économique. Dans ce domaine, M. Boulouaz précise que le Maroc distingue ses relations avec la France, principal partenaire, et la France en tant que pays membre de l'Union européenne. Il fait remarquer que dans le domaine agricole, le Maroc est directement en concurrence avec l'Espagne et l'Italie. Or, il ne bénéficie pas des mêmes avantages. Malgré les règles édictées par l'OMC, l'internationalisation du commerce et tous les accords qui permettent le libre-échange, des pratiques protectionnistes obligent le Maroc à réduire ses exportations. En ce qui concerne, par exemple, la production de tomates, il existe des contingentements, et le Maroc n'est sollicité que lorsque la production européenne n'est plus suffisante. Autre exemple, la production d'huile d'olives pour laquelle l'Europe accorde des subventions.

Certains membres font alors remarquer que les zones agricoles productrices de tomates sont tellement touchées par le protectionnisme de l'Europe que leur population aspire à partir. Ainsi, la lutte contre l'immigration clandestine, en Europe, passe aussi par l'ouverture des frontières pour les produits agricoles. En tout état de cause, le Maroc ne pourra pas lutter face aux avantages dont bénéficient les producteurs européens, aussi la France doit-elle le défendre auprès de l'Union européenne.

M. Charles répond qu'il s'agit d'un problème difficile, notamment en ce qui concerne les fonds structurels, qui ne peut se régler qu'au plan européen. Le Groupe d'amitié peut certes faire part des inquiétudes aux ministres Glavany et Moscovici, mais il doit plutôt contribuer à initier des actions concrètes et aider au développement d'accords bilatéraux à l'échelle des régions avec des collectivités territoriales. M. Charles mentionne, à titre d'exemples, deux projets qu'il soutient pleinement : l'un concerne les techniques d'irrigation et le second la production de melons, qui pourrait se développer dans la région de Marrakech en collaboration avec la Chambre d'agriculture du Lot et les producteurs de melons du Quercy.

***

Les parlementaires marocains critiquent très sévèrement les conditions d'accueil dans les consulats français, qu'ils considèrent très humiliantes et incompatibles avec les liens affectifs très forts qui existent entre les deux pays. Le redéploiement et la suppression de certains consulats sont incompris. Un parlementaire suggère également d'alléger les conditions d'obtention des visas pour la France, puisque celle-ci va connaître, dans les prochaines années, un manque de main d'_uvre .

M. Charles explique que la délégation a bien pris conscience de cette situation. Il s'engage à intervenir auprès des ministres concernés pour leur rappeler le cruel manque de moyens dont souffrent certains consulats.

Le problème du Sahara occidental est également évoqué. Les parlementaires rappellent que le Maroc vit une situation délicate, non pas parce qu'il ne croit pas en sa légitimité historique sur ce territoire, mais parce que la prégnance de ce problème est un frein au développement économique. Ils demandent que la France s'implique plus pour rétablir le dialogue avec l'Algérie.

M. Charles rappelle la position de la France qui souhaite que le Maroc poursuive ses efforts de dialogue et de coopération avec la Minurso. Elle est également prête, si le Maroc le souhaite, à contribuer à la recherche d'une solution dans ce dossier. Elle n'a jamais souhaité brusquer les choses, et s'est toujours employée à convaincre les américains qu'aucune " troisième voie " ne soit suggérée dans la précipitation et sans l'accord du Maroc.

M. Marleix ajoute que le Maroc souffre d'un problème de communication sur le sujet. Ses arguments, tels que le Président Radi les a présentés ce matin même, semblent tout à fait recevables, mais il ne les fait pas assez valoir dans les instances internationales. Il suggère donc que le Maroc adopte une nouvelle présentation de sa position.

Un parlementaire intervient pour faire part de ses craintes sur le " bégaiement " de la francophonie au Maroc. Le français risque d'être supplanté d'ici 10 ou 15 ans par l'anglais. La France ne prête pas assez attention à ce problème et ses efforts ne sont pas assez importants, notamment par la faiblesse du nombre de places offertes dans les lycées français et le coût élevé des études. Cette langue que les deux pays partagent crée pourtant les liens les plus solides.

Mme Trupin félicite ses interlocuteurs de leur aisance dans la pratique du français. Elle ajoute que la France doit certainement faire des efforts mais elle ne doit pas se substituer à l'autorité et à la culture des pays francophones. Il est en effet bien désolant d'observer l'hégémonie d'un anglais galvaudé, utilisé pour le business.

M. Lefait intervient en faisant part des expériences de coopération décentralisées du Conseil général du Pas-de-Calais ; celles-ci pourraient se développer avec le Maroc.

M. Charles conclut en souhaitant que les deux groupes d'amitié puissent _uvrer pour que les dossiers de coopération entre les deux pays aboutissent. Il suggère comme thème concret de collaboration : l'aménagement du territoire, la charte communale, ou l'intercommunalité, ainsi que la mise en place d'une coopération interparlementaire. Le Maroc a également besoin d'un transfert de savoir-faire dans le domaine du tourisme pour lequel il est confronté à un problème d'accueil. L'agro-tourisme pourrait ainsi se développer.

Les députés marocains concluent en évoquant l'organisation de la Coupe du monde de football de 2006. Ils espèrent que la France soutiendra le Maroc dans les instances internationales du football. Cette manifestation pourrait être une chance unique pour le développement de l'économie marocaine et pour une jeunesse pleine d'espoir. Les députés marocains estiment en outre, que la France, par les investissements qu'elle pourrait réaliser à cette occasion, en tirerait de nombreux bénéfices.

Entretien avec M. Mohamed Jalal Essaid,

Président de la Chambre des Conseillers

M. Mohamed Jalal Essaid souhaite la bienvenue à la délégation. Il évoque les relations cordiales, privilégiées, voire fraternelles qui existent entre le Maroc et la France et souhaite que les relations entre parlementaires soient à la hauteur de celles qui existent entre les chefs d'Etat et de gouvernement.

M. Jalal Essaid explique que le pays a renoué avec le bicaméralisme en 1996, déjà expérimenté en 1963, mais qui avait été supprimé après que la seconde Chambre eût mis en minorité le gouvernement à deux reprises. Il précise également que les deux Chambres ont des attributions à peu près identiques. Leur pouvoir de contrôle a été renforcé puisque toutes deux ont le pouvoir de censure et que la Chambre des Conseillers peut voter des motions d'avertissement. L'évolution possible de ce système consisterait à cantonner la Chambre des Conseillers dans les problèmes économiques et sociaux. En tout état de cause, le système fait actuellement l'objet d'un débat auquel est associé le Sénat français. M. Jalal Essaid donne l'exemple de la séance des questions orales au gouvernement durant laquelle on assiste à une répétition des questions par les deux chambres, ce qui suscite l'incompréhension des marocains. En conséquence, la création d'une cellule de travail a été décidée, avec M. Radi, Président de la Chambre des Représentants ; elle comprend quatre députés et quatre conseillers chargés d'harmoniser les règlements intérieurs afin d'éviter toutes ces répétitions.

M. Jalal Essaid explique ensuite que la Chambre des Représentants dispose d'une majorité confortable mais que la Chambre des Conseillers, composée de 10 groupes politiques et d'un groupe syndical, a une majorité beaucoup plus courte. Le groupe syndical se retrouve ainsi dans le rôle du groupe pivot, qui peut faire passer ou rejeter une loi à lui seul. Or, actuellement ce groupe est opposé aux privatisations, obligeant récemment le gouvernement à reculer sur un texte.

M. Charles répond qu'il est bien conscient des problèmes que peut poser la cohabitation de deux assemblées dans les mêmes locaux. L'organisation et la coordination du travail entre deux assemblées peut faire l'objet d'une coopération avec le Parlement français.

M. Jalal Essaid salue les réformes très courageuses du souverain. Il souhaite que les assemblées, mais aussi les amis du Maroc, accompagnent ce mouvement de réformes. Il se félicite de l'intensification des relations franco-marocaines. (commissions intergouvernementales, reconversion de la dette, importance des investissements au Maroc). Cependant, la France et l'Espagne devraient participer plus activement au développement de la zone nord du pays.

Les initiatives de la France au Moyen-Orient (processus de paix) sont très appréciées et il serait bon qu'elle s'implique encore davantage. Les Etats-Unis ne doivent pas gérer seuls le dossier. En ce qui concerne l'Irak, le Maroc soutient les résolutions proposées par la France.

En ce qui concerne les relations culturelles, on peut dire que le Maroc reste un pays francophone, " un pays ayant la langue française en partage ". La participation de la France doit être plus active dans le domaine de l'enseignement. En tant qu'enseignant, M. Jalal Essaid souhaite l'utilisation de méthodes modernes, comme la création d' " universités virtuelles francophones ". Leur efficacité nécessitera aussi une adaptation des enseignants au pays qui les reçoit.

M. Jalal Essaid fait une dernière remarque sur le Sahara occidental : il précise que le Maroc est toujours sensible au principe de la légalité internationale, comme l'atteste l'initiative du référendum prise par Hassan II, malgré l'existence de l'accord de Madrid. Cependant, le référendum devra être conforme aux résolutions internationales : tous les critères onusiens dans l'identification des participants au référendum doivent être appliqués.

Entretien avec M. Fathallah OUALALOU,

Ministre de l'Economie et des Finances

M. Oualalou se réjouit de s'entretenir avec une délégation de parlementaires, puisqu'il est lui-même député de Rabat. Il rappelle que la France est le premier partenaire du Maroc sur tous les plans et que leurs relations sont intimes. Il faudrait maintenant que la France devienne un relais dans les relations avec l'Union européenne. Si le Maroc est certes fier de s'ouvrir, de se rénover, il est également fier de son authenticité. M. Oualalou appelle de ses v_ux la mise en place d'un grand partenariat de progrès avec le Maghreb et la Méditerranée. Il rappelle que le Maroc doit parvenir à la maîtrise des équilibres globaux pour affronter la mondialisation et également lutter contre la pauvreté . Les enjeux en sont l'efficience économique et la solidarité. Il salue l'intégration progressive de l'Europe, son retour à la croissance.

M. Oualalou demande la rénovation des relations franco-marocaines, une rénovation certes quantitative mais également qualitative, pour parvenir à un véritable partenariat de progrès qui favorise l'investissement privé. Ce partenariat revêt deux aspects :

le problème de la dette : la charge de la dette marocaine doit diminuer ; la France a déjà fait avancer ce dossier, au sein du Club de Paris. A l'avenir, elle devra jouer un rôle encore plus important dans le processus de concessions et de privatisations ;

la présidence française de l'Union européenne : la France devra intéresser l'Europe à la mise à niveau de l'économie marocaine, contribuer également à la rénovation de la PAC pour l'échéance de 2010.

M. Oualalou salue la réussite du " Temps du Maroc ", qui ne pouvait avoir lieu qu'en France (où l'intérêt de l'opinion publique pour le Maroc est cependant nouveau). Il est, en effet, important qu'une démocratie arrive à intérioriser les problèmes d'un pays en voie de développement. Il salue la présence de Agence Française de Développement (AFD) qui a permis à la coopération de mieux s'adapter aux besoins, et souligne la nécessité de trouver de nouveaux créneaux de coopération, comme l'aménagement du territoire.

M. Oualalou précise que le Maroc et la France ont en général une convergence de vues sur les problèmes liés à la mondialisation et que pour les négociations de Seattle, ils auront les mêmes approches, notamment en ce qui concerne " l'exception culturelle ".

Enfin, sur le problème du Sahara occidental, M. Oualalou évoque la responsabilité des partis de gauche français, qui se sont montrés trop idéologues, et enclins à soutenir l'Algérie dont le mode de développement semblait plus progressiste. Il souhaite que son voisin résolve rapidement ses problèmes internes, car l'unification du Maghreb est une nécessité.

Entretien avec M. Ahmed Lahlimi,
Ministre délégué auprès du Premier ministre,
chargé des Affaires générales du gouvernement

M. Lahlimi rappelle que durant la colonisation, la France a aidé le Maroc à entrer dans la modernité. Si la France reconnaît actuellement les erreurs de sa politique, tel l'éloignement de Mohamed V, le Maroc reconnaît la capacité de développement que la France lui a ainsi léguée. En tout état de cause, les professeurs français ont largement contribué à l'éveil de la conscience nationale marocaine.

M. Lahlimi évoque l'échéance de 2010. Avec l'ouverture sur l'Europe de l'économie marocaine, l'appareil de production va devoir résister à la concurrence. Cette perspective doit être favorable à sa mise à niveau. Cependant, c'est toute l'économie sociale actuelle (coopératives, mutuelles) qui est menacée et doit connaître une mutation. Le Maroc compte sur l'aide de la France pour affronter cette échéance.

M. Charles souligne toutes les convergences et " la communauté d'idées " qui existent entre les deux pays, ainsi que l'unanimité qui existe au sein de l'exécutif français pour aider le Maroc à rester un pôle de stabilité. M. Charles a bien conscience des défis que le pays doit relever, et il souhaite que le Groupe d'amitié puisse, à son niveau, l'aider.

M. Lahlimi estime que plusieurs mutations doivent avoir lieu en même temps, à la fois sur le plan économique (ouverture à la concurrence), le plan social (émergence de nouvelles valeurs, éclatements des structures traditionnelles), et sur le plan politique avec le développement de la démocratie (changement des institutions). Les interventions des parlementaires devront donc définir des orientations précises.

M. Lahlimi considère que la monarchie marocaine a eu l'intelligence d'avoir le sens de l'histoire : tout en sachant tenir compte des pesanteurs, elle a mis en place jusqu'à présent tout ce qui pouvait l'être. Le Maroc doit encore réformer la justice et l'enseignement, piliers de la démocratie, et ne pas être dévié de cette voie par les problèmes sociaux. Ces réformes vont demander des investissements dont le profit sera différé. C'est pourquoi, il va falloir être très pédagogue auprès de la population. En effet, la démocratisation du régime donne de l'espoir, aiguise les appétits et fait ressortir les frustrations du passé. M. Lahlimi estime qu'il faut juste combler les attentes les plus pressantes des couches les plus défavorisées, en attendant l'aboutissement des réformes.

M. Bekkali estime que les relations avec la France ou l'Union européenne doivent parvenir à intégrer la dimension géopolitique comme facteur de développement, et construire une vision à long terme. Pour le moment, ces relations sont plus constituées de discours que d'actes, et elles font peser des contraintes supplémentaires sur le Maroc.

M. Lahlimi estime que le processus de Barcelone est bien dans la ligne attendue par le Maroc, mais que les blocages à son déroulement sont aussi dus aux pays de la rive sud de la Méditerranée (problème du Moyen-Orient, relation avec l'Algérie).

Selon M. Lahlimi, le Maroc pâtit de ses mauvaises relations avec l'Algérie et il s'en inquiète. Il évoque, dans une analyse personnelle, la profondeur du problème algérien. Il s'agit d'un pays dont toutes les structures ont éclaté très rapidement. Privé de toute autre forme d'expression, le peuple s'est recentré vers la religion, qui est ainsi devenue un cadre de résistance, puis de lutte. Contrairement au Maroc où les partis politiques permettaient à certains de s'exprimer, l'Algérie n'a pas connu le pluralisme politique. L'intégrisme s'est ensuite renforcé, puis a été entretenu par l'évolution des problèmes au Moyen-Orient.

M. Lahlimi ajoute que l'Algérie souhaite avoir accès à l'Atlantique ; il mentionne également une probable préoccupation d'un rôle majeur en Afrique, comme leader du tiers monde, et un problème identitaire. M. Lahlimi estime que le pays pourra dépasser cette vision par l'instauration de la démocratie et du libéralisme économique (la concurrence économique doit supplanter la concurrence politique ou militaire). Malheureusement, le système algérien n'a formé que des technocrates, puis des intégristes, tandis que le Maroc possède des entrepreneurs.

M. Lahlimi conclut en rappelant que le Maroc vit une expérience qui mérite d'aboutir, car elle aura des conséquences sur les pays proches. Il ne doit plus être présenté comme une monarchie rétrograde, mais comme un modèle pour le monde musulman et arabe.

Entretien avec M. Abdeslam Znined,

Ministre délégué auprès du Ministre des Affaires étrangères et de la coopération

chargé du Maghreb et du monde arabe islamique

M. Abdeslam Znined évoque la mémoire de M. Crépeau, puis il rappelle que le Maroc compte sur la France pour une coopération à tous les niveaux, sachant que le Roi Mohamed VI et le Premier Ministre, M. Youssoufi attachent une importance particulière au développement des secteurs sociaux.

M. Abdeslam Znined évoque ensuite le problème de l'obtention des visas pour la France. Il s'agit d'un problème récurrent faisant l'objet de nombreuses questions orales au Parlement. Plus que le refus, ce qui choque les marocains, ce sont les conditions d'accueil et la longueur des files d'attentes dans les consulats français. M. Abdeslam Znined est conscient des efforts qui ont déjà été accomplis mais il lui semble encore nécessaire d'augmenter le nombre de fonctionnaires et de lignes téléphoniques. Il est en outre regrettable que le consulat d'Oujda ait été fermé, obligeant ses habitants à se rendre à Fez.

M. Abdeslam Znined espère que la France va contribuer au développement de la région du Rif, auquel le Roi Mohamed VI est très attaché. Cette région étant un foyer d'émigration, la France a intérêt à inciter les ONG et les entreprises à s'y implanter.

Enfin, M. Abdeslam Znined compte sur la France pour soutenir la candidature du Maroc à l'organisation de la Coupe du Monde de football en 2006.

Rapport d'information présenté à la suite de la mission effectuée au Maroc du 19 au 24 novembre 1999 par une délégation du groupe d'amitié France-Maroc.

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Rapport d'information de M. Bernard Charles, présenté à la suite de la mission effectuée au Maroc du 19 au 24 novembre 1999 par une délégation du groupe d'amitié France-Maroc.


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