ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

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Sous le haut patronage de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

COLLOQUE

« L'UKRAINE, SITUATION ET PERSPECTIVES

DIX ANS APRES L'INDEPENDANCE »

Organisé par le groupe d'amitié France-Ukraine 1

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mercredi 5 décembre 2001

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PARIS

Composition du groupe d'amitié France-Ukraine :

- Président : M. Alain Barrau ;

- Vice-présidents : MM. René André, M. Alain Cacheux, M. Pierre Carassus, M. François Loos

- Secrétaires parlementaires: MM. Loïc Bouvard, M. Maurice Ligot

- Membres : MM. Philippe Auberger, Jean-Pierre Balduyck, Jean-Louis Bernard, Claude Birraux, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Patrick Braouezec, Jean Briane, Yves Bur, Yves Coussain, Marcel Dehoux, Mme Monique Denise, MM. Bernard Derosier, Albert Facon, Jean-Michel Ferrand, Jacques Fleury, Pierre Forgues, Claude Gatignol, Patrick Herr, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Denis Jacquat, Guy Lengagne, Thierry Mariani, Michel Meylan, Jean-Claude Mignon, Yves Nicolin, Jean Proriol, Patrick Rimbert, André Thien Ah Koon, Jean Ueberschlag, André Vallini

SOMMAIRE

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Allocution d'ouverture du colloque 7

l'Ukraine : le retour a l'Europe de la « nation oubliée » 11

Politique et démocratie en Ukraine 17

Débats de la première table ronde : 33

L'Ukraine, acteur international 39

Débats de la deuxième table ronde 53

Transition économique et coopération 57

Débats de la troisième table ronde 69

Les relations franco-ukrainiennes 73

Conclusion du colloque 89

Annexe 1 : fiche signalétique de l'Ukraine 91

Composition de la délégation ukrainienne 93

Liste des intervenants français 94

Annexe 2 : colloque sur l'Ukraine, situation et perspectives dix ans après l'indépendance 95

avertissement

Ces actes ont été faits à partir des enregistrements audio et des notes prises lors du colloque par les services de l'Assemblée nationale. Les notes de bas- de -page sont celles faites par les auteurs ayant fourni un texte écrit.

L'interprétation simultanée en français et en ukrainien a été faite par mesdames

-Irina BONIN

-Natalka BOYKO

-Maria DELFOSSE

CARTE DE L'UKRAINE

ALLOCUTION D'OUVERTURE DU COLLOQUE

M. Raymond FORNI, Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Président du groupe d'amitié,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Chers collègues,

Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs,

L'Ukraine fête, en ce mois de décembre 2001, le dixième anniversaire de son indépendance. Je suis reconnaissant à Alain Barrau d'avoir pris, pour le célébrer, l'initiative de ce colloque. Car cet anniversaire est, pour le parlementaire que je suis, important : il est celui de la démocratie dans ce pays. Certes, l'avènement de la liberté n'a pas réglé comme par miracle tous les problèmes auxquels était confrontée l'Ukraine. Mais au terme de ces dix années de changements, c'est avec optimisme que nous pouvons nous tourner, avec les Ukrainiens, vers l'avenir.

Cette indépendance, l'Ukraine a su véritablement la conquérir.

L'indépendance se gagne d'abord dans les urnes. C'est du suffrage universel -et du seul suffrage universel- que peut émaner un pouvoir légitime. Des élections se tiendront l'an prochain, aux mois de mars et avril 2002, en Ukraine. Les rythmes habituels de la vie démocratique s'installent ainsi progressivement dans ce pays. Je m'en réjouis. Je souhaite que ce printemps 2002 soit véritablement un printemps de la démocratie en Ukraine.

C'est aussi une indépendance politique qu'il a fallu bâtir, dans une relation équilibrée avec le voisin russe. Les relations entre l'Ukraine et la Russie resteront longtemps particulières. Car elles s'enracinent dans toute la profondeur de plus d'un millénaire d'histoire partagée. Elles s'apparentent à celles que nous Français entretenons avec des pays qui nous sont très proches historiquement ou culturellement. A cet égard, je veux souligner que l'année 2001 est aussi celle du 950eme anniversaire des noces du roi Henri 1er de France avec la princesse Anne de Kyïv.

Mais ces relations conservent aussi l'empreinte d'un passé parfois difficile que l'Ukraine a eu le courage de surmonter, de moments tragiques que les Ukrainiens ont décidé de dépasser, sans les oublier, afin de nouer, avec la Russie, des relations apaisées.

Indépendante, la nouvelle Ukraine est devenue un véritable partenaire européen.

Un partenaire européen, c'est un pays avec lequel les Européens travaillent. L'accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et l'Ukraine est entré en vigueur en mars 1998. Il nous permet de conduire un dialogue politique régulier, de travailler au développement de nos échanges commerciaux, de bâtir une coopération dans les domaines économique, social et culturel. Ce partenariat s'insère, depuis le 10 décembre 1999, dans une "stratégie commune" de l'Union à l'égard de l'Ukraine, stratégie qui vise à soutenir le processus de transition démocratique, à assurer la stabilité et la sécurité en Europe et à renforcer la coopération entre l'Union et l'Ukraine.

Un partenaire européen, c'est un pays qui cherche à contribuer à la stabilité de notre continent. L'Ukraine le fait, en poursuivant une politique de bon voisinage avec la Pologne, la Roumanie, la Hongrie. L'Ukraine le fait, en menant, en matière de désarmement nucléaire, une action déterminée. L'Ukraine le fait, en contribuant à la recherche d'un règlement du conflit en Transnistrie et en participant aux forces de maintien de la paix au Kosovo.

Un partenaire européen, c'est un pays qui face aux crises majeures réagit à l'unisson des autres Européens. Après les attentats du 11 septembre, les autorités ukrainiennes ont manifesté, comme les autorités françaises, comme celles de tous les pays d'Europe, leur pleine solidarité avec les Etats-Unis.

C'est pourquoi la France souhaite aider l'Ukraine à consolider son indépendance.

L'Ukraine est pour nous un pays qui compte. Elle joue un rôle décisif dans la stabilité de l'Europe orientale. Elle sera bientôt -à partir de 2004- l'un des voisins immédiats de l'Union européenne. Il nous faudra donc approfondir avec ce pays une coopération indispensable dans de nombreux domaines essentiels -la question de la circulation des personnes et des migrations n'étant pas des moindres. Le gouvernement a souhaité organiser, en septembre 2000, à Paris, le sommet Union européenne-Ukraine. C'était un indice important de l'intérêt que nous portons à ce pays.

Il nous faut accompagner le redressement économique de l'Ukraine. Ce redressement a été spectaculaire, puisque l'année 2000 a connu le premier taux de croissance positif depuis l'indépendance. Alors que l'horizon économique mondial s'obscurcit, il nous faut soutenir les réformes en cours. Les finances publiques ont été assainies en 2000. La fiscalité, les secteurs de l'énergie et de l'agriculture ont été réformés. Des privatisations sont engagées. Symptôme de ce redressement, les réserves de la banque nationale d'Ukraine ont doublé depuis le début de l'année, dépassant 3,15 milliards de dollars, un montant record depuis l'indépendance.

Nos échanges restent encore trop modestes, la France n'est que le neuvième fournisseur de l'Ukraine. Je souhaite que les entreprises françaises se portent plus nombreuses vers ce marché de 50 millions d'habitants, vers ce pays qui, par bien des traits, ressemble au nôtre.

Mesdames, Messieurs, avant que vos travaux ne débutent véritablement, je voudrais rappeler qu'avant que n'intervienne la grande "glaciation " de cette partie de l'Europe, la première déclaration d'indépendance de l'Ukraine, proclamée le 1er novembre 1918, garantissait "à tous les citoyens de l'Etat ukrainien, sans distinction de nationalité et de confession (...) l'égalité politique, nationale et confessionnelle". L'inspiration de cette déclaration était manifestement celle de notre Révolution. Les valeurs d'égalité dont elle confiait la défense au nouvel Etat ukrainien étaient donc un peu celles de notre République. Par delà les souvenirs historiques, c'est cette inspiration, ce sont ces valeurs qui fondent l'amitié entre l'Ukraine et la France. Sachons faire en sorte qu'elles soient chaque jour un peu plus largement partagées.

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L'UKRAINE : LE RETOUR A L'EUROPE
DE LA « NATION OUBLIEE »

M. Alain BARRAU, Président du groupe d'amitié France-Ukraine

En 1989 avait lieu à Rome un colloque intitulé : « l'Ukraine, la nation oubliée ». Dix ans se sont écoulés depuis l'accession de l'Ukraine à l'indépendance, plus de dix ans se sont écoulés depuis ce colloque et aujourd'hui, chacun trouverait très surprenant que l'on considère comme une nation oubliée un pays de près de 50 millions d'habitants.

A la veille du dixième anniversaire de l'établissement de relations diplomatiques entre la France et l'Ukraine, alors que l'indépendance de l'Ukraine a déjà dix ans, cette journée de l'Ukraine à l'Assemblée nationale tend à rappeler ce qui est désormais une évidence : l'Ukraine est bien présente et elle a plus que jamais un rôle à jouer.

Nous assistons à la renaissance et à l'affirmation de l'Ukraine.

L'Ukraine a une identité spécifique : L'Ukraine n'est pas un nouvel Etat, puisque son indépendance a été proclamée une première fois en 1918. Le Parlement actuel a d'ailleurs repris le nom de la « Rada » (« conseil »), qui avait proclamé cette fragile indépendance. Si je rappelle ces points d'histoire, c'est que l'identité de ce pays s'est confondue avec son histoire, ses tragédies, que nous découvrons pour certaines aujourd'hui, comme la famine des années trente, mais surtout avec sa langue. D'ailleurs, l'Assemblée a tenu à ce que l'ukrainien, votre langue, soit une de nos deux langues de travail aujourd'hui. Je remercie l'ambassade d'Ukraine à Paris pour l'aide qu'elle a pu nous apporter, et je me réjouis avec mes collègues d'entendre votre belle langue. L'existence d'une identité propre à l'Ukraine est désormais admise. Le souvenir d'un Etat ukrainien était jusqu'en 1991 relativement lointain, il a fallu quelques années pour que l'on parle de l'Ukraine comme d'un acteur à part entière de la diplomatie européenne, et le premier succès de l'Ukraine indépendante a justement consisté à rendre cette indépendance visible et irréversible.

Ces premiers dix ans n'ont pas été une « décennie perdue » mais une décennie de démarrage. La décennie qui vient de s'écouler a été difficile pour l'Ukraine. Les difficultés de la transition économique ont été particulièrement sensibles, l'Ukraine souffrant de sa forte dépendance énergétique à l'égard de la Russie et de l'endettement qui en découle. Cette question est aujourd'hui en voie de règlement et ne devrait plus peser du même poids.

Le potentiel économique de l'Ukraine demeure néanmoins important, en particulier dans les domaines agricole et industriel. L'Assemblée nationale a été associée à la coopération entre l'Ukraine et le ministère de l'agriculture français. J'ai reçu moi-même Mme Vaschouk, votre collègue Présidente de la Commission de l'agriculture à la Rada. Enfin, les derniers chiffres de l'économie ukrainienne autorisent un certain optimisme. Après dix ans, l'économie ukrainienne a connu son premier taux de croissance positif depuis 1991 en 2000 : une croissance de 6%  ainsi qu'un excédent de la balance commerciale de 2,8 milliards de dollars.

La fuite des capitaux, problème qui a longtemps pesé sur l'économie de l'Ukraine, semble avoir fortement diminué puisqu'elle est passée de 1 milliard de dollars en 1999 à 100 millions de dollars en 2000.

Aussi bien en ce qui concerne l'Ukraine qu'à propos de sa situation en Europe, utiliser à propos des années quatre-vingt-dix cette expression, que l'on entend parfois, de « décennie perdue » est erroné. Au-delà du bilan économique de la décennie, pendant laquelle il a fallu en quelque sorte régler la facture de la gestion précédente, il est apparu d'une manière de plus en plus évidente que l'indépendance acquise en 1991 n'avait aucun caractère artificiel, contrairement à ce que l'on entendait souvent à l'époque. Là se trouve l'acquis majeur de la décennie.

Si l'identité d'un pays se construit dans le regard que lui portent les autres, l'Ukraine est aujourd'hui reconnue alors qu'en 1993, M. Kravtchouk constatait avec amertume que « sur les cartes des dirigeants du monde, l'Ukraine n'existe même pas ».

L'Ukraine a consolidé son indépendance et affirmé sa souveraineté.

Au-delà de la dépendance économique vis-à-vis de la Russie, l'Ukraine a su ces dernières années entériner dans les faits une indépendance qui paraissait un peu théorique il y a dix ans. L'Ukraine a tout d'abord normalisé ses relations bilatérales avec la Russie. Elle a fait en sorte que la Communauté des Etats Indépendants (CEI) ne soit pas pour elle un simple prolongement du carcan soviétique - ce qui ne paraissait absolument pas évident en 1994. L'Ukraine est parvenue à régler les différents contentieux qu'avait laissés une indépendance peut-être un peu soudaine, à savoir les questions de la Crimée, de la flotte de la mer Noire ou encore la question de la présence sur son sol d'une partie de l'arsenal nucléaire soviétique.

C'est ainsi que le Traité d'amitié et de coopération que l'Ukraine et la Russie ont signé le 31 mai 1997 non seulement réglait définitivement ces problèmes, mais surtout entérinait définitivement cette souveraineté ukrainienne, qui était parfois peu ou mal acceptée à Moscou. Il s'agit donc d'aider l'Ukraine à bâtir vis-à-vis de la Russie une relation sur un pied d'égalité.

Il reste que l'intégration entre les deux pays est profonde. Environ la moitié de la population ukrainienne parle le russe et l'Ukraine continue de dépendre des ressources énergétiques russes. Il n'est donc pas question pour l'Ukraine de couper ses relations avec son voisin russe, ni d'établir avec ce dernier des rapports de méfiance qui seraient néfastes pour l'un comme pour l'autre. L'Ukraine est aujourd'hui bien décidée à ce que ses relations avec la Russie ne relèvent pas d'un rapport « entre aîné et junior », pour reprendre la formule prononcée en 1992 par le Président Kravtchouk.

L'Ukraine est une puissance régionale.

Elle est un partenaire pour la paix : la meilleure preuve de l'émancipation de l'Ukraine est le rôle joué par cette dernière au niveau international. L'Ukraine a fortement affirmé cette volonté en annonçant en 1996 un partenariat stratégique avec les Etats-Unis. L'Ukraine a également été le premier pays à adhérer au partenariat pour l'initiative de paix de l'OTAN et en a été un participant très actif. L'OTAN et l'Ukraine ont également signé en 1997 une « charte de partenariat spécifique » qui inclut un mécanisme de consultation lors des crises.

Plus concrètement, l'Ukraine participe activement au maintien de la paix en ex-Yougoslavie et, à cette fin, a constitué un bataillon commun avec la Pologne. Ce faisant, l'Ukraine a montré qu'elle était en mesure de construire une relation bilatérale approfondie avec un futur membre de l'Union européenne. L'Ukraine a également cherché à se montrer à la hauteur de ses responsabilités régionales en participant activement à la recherche d'une solution au problème de la Transnistrie.

Elle est une puissance régionale européenne. L'Ukraine a également fait la preuve de sa capacité à construire, dans un cadre régional, une relation multilatérale constructive. L'Ukraine adhère au Conseil de l'Europe en 1995, puis devient membre de l'Initiative centre-européenne. L'Ukraine s'est en outre montrée active dans le cadre du GOUAM (Géorgie, Ouzbékistan, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie) ou de l'organisation de coopération économique de la mer Noire. C'est par cette participation à des forums régionaux et par la mise en place de relations bilatérales harmonieuses avec ses voisins roumain, bulgare et polonais que l'Ukraine assume le rôle central que lui confère sa géographie.

Nous devons également prêter attention à la capacité qu'a l'Ukraine d'entretenir des relations avec l'ensemble des républiques caucasiennes. L'Ukraine, de par sa position géostratégique, est à même de favoriser une présence européenne dans cette région.

Cette relation avec la Pologne, les Présidents Kravtchouk et Walesa ont commencé à la construire dès 1993, et son importance s'est progressivement accrue à mesure que se précisait la perspective de l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne, adhésion qui fera de l'Ukraine un pays frontalier de l'espace Schengen. En tant que Président de la Délégation à l'Union européenne, je ne peux que m'interroger sur la position que nous devons adopter face à l'Ukraine suite au prochain élargissement de l'Union à ses voisins les plus proches.

Pour ces raisons il existe une stratégie visant à encourager l'Ukraine. Le plus important et le plus difficile est donc d'adopter le juste comportement vis-à-vis d'un pays qui doit encore fournir un effort considérable. Personne n'est en position de dicter à l'Ukraine sa politique ou de déterminer à sa place son destin. Il appartient en revanche à l'Europe de rendre aussi facile que possible une évolution souhaitée par chacun. C'est dans cette perspective que s'inscrit la stratégie de l'Union européenne. Lors des tables rondes de ce colloque, nous aborderons sans aucun doute ces diverses questions. Mais, me direz-vous, pourquoi un tel événement à l'Assemblée nationale?

L'Ukraine est sur le chemin de la démocratie, mais celle-ci ne se décrète pas, elle se construit.

La démocratie n'est pas réalisée une fois proclamée. Il faut la construire et la faire vivre, et cela dépend souvent, plus qu'on ne le croit, des conditions matérielles et techniques de son implantation. C'est à ce titre que les Parlements ont le devoir de s'entraider, et c'est pour cette raison que l'Assemblée nationale a mis la coopération interparlementaire en bonne place dans son action diplomatique, en aidant à l'approfondissement de l'Etat de droit et au bon fonctionnement des institutions démocratiques. Avant de juger de la progression de l'Etat de droit dans une démocratie émergente, il faut d'abord se demander ce que l'on a soi-même fait pour la favoriser.

Le Traité d'entente et de coopération entre la France et l'Ukraine, signé en 1992, pose le principe du développement d'actions de coopération dans le domaine des institutions démocratiques et de l'Etat de droit, ainsi que celui d'une coopération renforcée entre les Parlements des deux Etats.

L'action de l'Assemblée en ce sens est importante. C'est dans cet esprit que l'Assemblée nationale a mis en _uvre une coopération technique régulière avec le Parlement ukrainien. Ainsi, une délégation de haut niveau, composée de cinq Présidents de Commissions de la Verkhovna Rada, dont M. Ostach qui est aujourd'hui présent, a suivi en mars 2001 un programme technique qui portait sur les questions budgétaires, sur la constitutionnalité des lois ainsi que sur les procédures parlementaires.

Le Bureau de l'Assemblée nationale a également voulu apporter son concours à l'émergence de la démocratie ukrainienne en envoyant, à la demande des autorités ukrainiennes, des observateurs lors de toutes les élections législatives et présidentielles qui s'y sont tenues depuis l'indépendance.

L'Assemblée nationale est un lieu où les occasions de contacts sont multiples. C'est à cette fin qu'ont été créés les groupes d'amitié, et c'est parce que le groupe d'amitié France-Ukraine a été particulièrement actif depuis sa création, en 1993, que le colloque d'aujourd'hui a pu être organisé. Outre les contacts réguliers qu'il entretient avec des personnalités et des délégations ukrainiennes, ce groupe d'amitié a également été régulièrement associé aux commissions mixtes franco-ukrainiennes organisées par le ministère des finances ou dans le cadre de la coopération européenne.

Ses membres participent à des actions locales ou nationales. Bernadette Isaac-Sibille travaille avec la région de Dnipropetrovsk. Claude Birraux, vice-président de l'Office des Choix technologiques, est allé à Kyïv pour assister aux auditions parlementaires à l'occasion de la fermeture de la centrale de Tchernobyl, en décembre 2000. René André, vice-président du groupe d'amitié France-Ukraine a représenté l'Assemblée nationale au dernier Forum franco-ukrainien à Kyïv.

L'Europe de demain se construit en différentes étapes, et l'élargissement ne doit pas être perçu par l'Ukraine comme un problème. L'Ukraine indépendante et démocratique est encore en construction mais les progrès réalisés sont considérables. Il importe d'encourager l'Ukraine dans la voie qu'elle s'est choisie, qui est celle d'une indépendance affirmée et d'un retour à l'Europe. Je vous souhaite à tous la bienvenue, et à nos amis ukrainiens, je dirai : « vitayemo » (« bienvenue » en ukrainien).

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POLITIQUE ET DEMOCRATIE EN UKRAINE

Président : M. René ANDRE, vice-président du groupe d'amitié France-Ukraine

M. René ANDRE, vice-président du groupe d'amitié France-Ukraine : Je remercie chaleureusement les participants à ce colloque d'avoir voulu aborder les thèmes de la démocratie et de la politique en Ukraine. Ce que respectivement, M. Alain Barrau, Président du groupe d'amitié France-Ukraine, et M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale, ont dit sur l'importance des relations qui doivent unir nos deux pays est essentiel. Il n'y a pas de volonté de domination d'un pays par rapport à l'autre, et nous, Français comme Européens, nous avons besoin d'une coopération forte avec l'Ukraine, car c'est à travers elle que se construit l'avenir, sachant qu'un monde unipolaire n'est pas souhaitable.

Votre pays a une civilisation particulière qui a marqué l'Europe et si vous ne nous rejoignez pas, quelque chose d'important sera perdu.

M. Ihor OSTACH, Président de la Commission des affaires étrangères de la Verkhovna Rada : Tout d'abord permettez-moi de remercier vivement nos collègues députés français, pour avoir pris l'heureuse initiative d'organiser une Journée Ukraine à l'Assemblée nationale française, ainsi qu'un colloque consacré au thème « Ukraine : Situation et perspectives, dix ans après l'indépendance ». Cela démontre votre intérêt pour notre pays, et permet aux représentants ukrainiens de présenter ici, au sein même de l'Assemblée nationale, nos positions et notre analyse sur la situation en Ukraine.

Beaucoup savent qu'en août dernier, le jeune Etat ukrainien a fêté, pour la première fois dans son histoire, le dixième anniversaire de son indépendance. Cette date a été sans doute l'une des meilleures occasions de revoir les réalisations accomplies durant cette décennie décisive, et d'attirer l'attention sur les problèmes et les obstacles au développement du pays, en vue de définir les moyens appropriés pour les éliminer.

Au cours de cette décennie historique, notre société a évolué dans son ensemble dans la bonne direction, et ceci dans de nombreux domaines : politique, économique, social, culturel, etc.

Pourtant, si on essayait d'évaluer les accomplissements marquants de cette décennie, ils ne reflètent qu'en partie le potentiel de la Nation. Celle-ci n'a pas d'homogénéité de ses populations, et elle reste aussi hétérogène sur le plan idéologique. En effet, elle subit les pressions divergentes de diverses forces politiques qui analysent de manière différente les perspectives de développement historique, sans oublier certaines forces anti-étatiques.

C'est là la toile de fond de la situation en Ukraine. En dépit de changements évidents, la mise en _uvre d'un Etat démocratique et social, d'un Etat de droit, puis par voie de conséquence, la formation d'une véritable société civile, reste une constante au plan politique. Le pouvoir a une responsabilité fondamentale en ce domaine. C'est ainsi que nous pourrons mettre en _uvre l'objectif commun des Européens de construire l'Europe commune dont l'idée, faut-il le rappeler, est d'origine française.

L'expérience mondiale a démontré que les parlements nationaux, en tant que dépositaires de la légitimité démocratique, jouent un rôle majeur dans la construction d'un Etat de droit.

Aujourd'hui l'opinion publique en Ukraine, et également au-delà de ses frontières, reste préoccupée en souhaitant que les élections de mars 2002 aboutissent à la formation d'un paysage politique progressiste au sein du Parlement ukrainien, garantissant son indépendance. En 2002 les élections législatives en Ukraine seront, sans exagération, le vecteur de son développement national et extérieur à long terme. La transparence de ces élections, la légitimité et l'objectivité des résultats seront déterminantes pour l'avenir de toute la société ukrainienne. Il n'est donc pas surprenant que l'adoption de la nouvelle loi électorale ait fait l'objet de vifs débats entre les différents partis politiques. Ce n'est qu'au troisième essai que toutes les parties impliquées sont parvenues à équilibrer leurs intérêts. Cela fait maintenant un mois que la version révisée de la loi « Sur les élections législatives en Ukraine » est entrée en vigueur.

Les dissensions ont porté sur deux dispositions principales de ce texte, ayant une importance particulière pour assurer des élections transparentes et objectives, à savoir la durée de la campagne électorale et la procédure de formation des commissions électorales.

La plupart des partis politiques, surtout ceux ayant un accès limité aux mass media, ont proposé d'établir une durée de la campagne électorale de six mois, espérant ainsi obtenir la garantie du bon déroulement de la campagne électorale et de bons sondages. Néanmoins, la nouvelle loi en vigueur définit une durée de la campagne électorale de 90 jours.

Une autre disposition de la loi électorale ayant une importance particulière pour un déroulement démocratique des élections, et surtout pour l'élimination ou, du moins, la minimisation des tentatives de fraude électorale, réside dans l'article 20 qui définit la procédure d'établissement dans les circonscriptions des commissions électorales qui seront les acteurs clé dans le dépouillement des votes. Ces commissions seront composées d'un maximum de vingt représentants des partis politiques participant aux élections. La loi garantit la participation des partis ou coalitions, ayant eu un minimum de 4% aux élections législatives précédentes, ainsi qu'aux partis ayant des groupes ou formant des coalitions au sein du Parlement ukrainien actuellement en place. Les autres partis ou coalitions seront représentés aux commissions électorales formées dans les circonscriptions sur la base d'un tirage au sort.

D'autres dispositions devront prévenir les abus administratifs, ainsi que les entraves à la libre expression de la volonté des électeurs. Dans ce même contexte, il est opportun de mentionner que le nouveau code pénal d'Ukraine (en vigueur depuis le premier septembre de cette année) définit la fraude électorale comme un acte criminel, et prévoit dans son article 157 une possibilité d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à douze ans. Par ailleurs, les amendements au code administratif d'Ukraine visent à établir également des poursuites administratives (qui pourraient s'avérer aussi efficaces que les mesures criminelles) pour la violation de la loi électorale, notamment l'ingérence dans les activités d'une commission électorale, le non-respect de ses décisions, la délivrance illégitime d'un bulletin de vote, etc.

L'un des moyens permettant de garantir la transparence aux prochaines élections législatives en Ukraine sera d'assurer de bonnes conditions de travail pour les missions d'observateurs officiels représentant des pays étrangers ou des organisations internationales. Un groupe spécial interministériel est actuellement établi en Ukraine afin de leur prêter l'assistance nécessaire.

Les résultats des prochaines élections législatives subiront également l'impact direct d'une autre innovation législative significative qui, à première vue, n'est pas en rapport avec les élections, à savoir l'adoption du nouveau code foncier d'Ukraine (qui entre en vigueur le premier janvier 2002). Produit des batailles les plus acharnées au sein du Parlement au cours des dernières années entre la droite et le centre droit, d'une part, et la gauche principalement communiste d'autre part, cette loi prive maintenant les « barons communistes » de leur dernier argument électoral. En effet, le système féodal kolkhozien indestructible qui servait de base économique et politique dans l'Ukraine rurale disparaît.

C'est dans ce cadre politique et juridique que se dessinent les prochaines élections législatives. Quant au positionnement pré-électoral des acteurs des prochaines élections législatives, à un mois du démarrage officiel de la campagne électorale, on peut déjà faire des prévisions sur les principales tendances. Selon les sondages d'opinion, trois forces politiques se dessinent et devraient devenir les acteurs majeurs au sein du futur Parlement ukrainien : le bloc de centre droit « Notre Ukraine » présidé par l'Ex-premier ministre Victor Iouchtchenko, le bloc centriste « Pour l'Ukraine unifiée », et le Parti Communiste d'Ukraine. Si les deux premiers établissent une coalition avec l'appoint d'un ou deux autres partis ou blocs ayant une plate-forme politique similaire, ils pourraient ainsi s'assurer de la victoire aux élections, avoir la majorité parlementaire et certainement former un nouveau gouvernement.

Parmi les questions d'actualité importantes figurent notamment la finalisation et l'adoption du nouveau code civil et du code fiscal. Malgré de nombreuses avancées significatives, certains engagements de notre pays pris au moment de l'adhésion au Conseil de l'Europe n'ont pas encore été suivis d'effets. Je laisserai le soin de développer les questions de politique extérieure à un de mes collègues du pouvoir exécutif.

Je souhaiterais revenir brièvement sur la liberté d'expression qui est sans doute le problème ukrainien ayant eu récemment le plus grand retentissement international. Le respect de cette liberté politique en Ukraine reste paradoxal. D'une part, nous avons de nombreux mass media d'orientations diverses. « L'_il vigilant » du quatrième pouvoir ne laisse dans l'ombre pratiquement aucun acte des fonctionnaires d'Etat de tous niveaux. D'autre part, l'Ukraine reste toujours l'un des rares pays européens n'ayant pas de chaîne de télévision indépendante, et personne ne croit encore en la possibilité d'établir une telle télévision objective et non-engagée, bien que certains progrès récents dans ce domaine fasse renaître l'espoir. Les moyens donnés aux différentes forces politiques, pendant le processus électoral, en matière d'accès aux médias pour informer l'opinion publique, sont plus que polarisés : des blocs monopolisent l'espace audiovisuel, et les autres n'ont rien. Il est à noter que, dans le contexte pré-électoral, ce déséquilibre est un réel problème. De plus, la sécurité des journalistes reste encore un des problèmes les plus graves en Ukraine : à ce jour, pratiquement aucune enquête sur l'assassinat ou la disparition d'un journaliste n'a abouti à un résultat convaincant.

Il est évident que ce problème ne pourra pas être résolu uniquement par des moyens nationaux ; une certaine influence extérieure n'y sera pas inutile.

M. René ANDRÉ, vice-président du groupe d'amitié France-Ukraine : Nous vous remercions de votre intention d'inviter des observateurs internationaux à l'occasion de vos prochaines élections, et s'il est vrai que nous souhaitons volontiers répondre à cette invitation, je me permettrai néanmoins de vous informer qu'au même moment, la France connaîtra une situation identique à la vôtre puisque nous aurons à nous préparer à deux échéances électorales : une élection présidentielle suivie d'élections législatives, ce qui risque de réduire la disponibilité des observateurs potentiels.

S'agissant de notre coopération, je dois dire qu'elle ne se réduit pas simplement à un colloque, tel celui qui est organisé aujourd'hui. Pour vous en donner une preuve concrète, je vous indique que, dans quelques jours, des responsables économiques ukrainiens se rendront à l'invitation de partenaires français dans les régions de Bretagne et Normandie.

Après cette courte parenthèse, je donne donc la parole à Mme Annie Daubenton.

Mme Annie DAUBENTON, chercheur indépendant, Kyïv : L'Ukraine est indépendante, c'est un fait incontestable, qui a d'ailleurs été largement célébré à l'occasion de son jubilé ; cette indépendance a été voulue par les Ukrainiens et n'est pas seulement tombée comme le fruit du hasard provoqué par les événements d'août 1991 à Moscou. Pourtant, dix ans après, une première question se pose : l'Ukraine est indépendante, certes, mais qui est indépendant en Ukraine ? Il ne suffit pas que l'Ukraine soit indépendante, il faut que chacun des acteurs de l'Etat le soit. Voilà sans doute un des problèmes les plus cruels de cette période : le pays est « souverain », mais peu d'acteurs semblent jouir d'une véritable autonomie. Sur quelle couche la société civile peut-elle alors légitimement s'appuyer ?

Il faut constater par ailleurs que cette évolution est inversement proportionnelle à l'histoire de l'indépendance du pays. Aux débuts de l'indépendance, la population aspirait et croyait en la liberté, alors qu'elle n'avait ni constitution nouvelle, ni code, ni structure économique et des mass-médias balbutiants ; maintenant que cette indépendance est davantage structurée, les libertés semblent se réduire. On ne peut pas parler de la société civile dans les mêmes termes qu'il y a deux années : sa formation est freinée au moment où elle commençait à se manifester. Pourquoi ?

Je ne veux pas faire ici la propagande de l'optimisme ou du pessimisme, qui ont souvent tendance à tenir lieu de prospective, mais essayer de brosser le tableau le plus objectif possible des acquis et des entraves majeures. Je crois que l'amitié qui nous réunit ici crée des devoirs : ceux de parler ouvertement des choses positives comme négatives, des freins comme des acquis.

Il existe des freins.

Il y a en premier lieu le fait que la classe moyenne, pilier de la société civile, est introuvable. Qui dit société civile, dit syndicats indépendants, avocats indépendants, mass-médias indépendants, une économie qui profite à la population, celle-ci nourrissant en retour les institutions civiles.

Or la majeure partie de la société continue de vivre dans le sous-développement économique. Quelques chiffres sont éloquents. L'écart entre la population la plus riche et la plus pauvre d'Ukraine est supérieur à celle des États-Unis au moment de la grande dépression dans les années 30 : aux États-Unis elle était alors de 1 à 18. En Ukraine, elle est aujourd'hui de 1 à 292. Tous les spécialistes s'accordent à considérer que l'économie se porte plutôt bien, mais la population reste à l'écart de la croissance, ce qui la met en retour psychologiquement à l'écart d'une vraie situation de partenariat, que ce soit face à l'État, au patronat ou aux institutions qu'elle serait censée animer, entretenir, voire créer.

Si dans les sondages3, une grande partie de la population se perçoit comme « classe moyenne », elle n'en a en réalité aucun des attributs. Nombreux sont ceux qui s'identifient spontanément à cette classe moyenne alors qu'ils ne disposent pas de conditions de logement normales, exercent un métier qui ne correspond pas à leur formation, ne lisent pas la presse, n'ont pas d'accès à Internet, sont privés d'information.

Un autre phénomène notable : cette situation n'a pas été linéaire. Durant la 2ème moitié du gouvernement Iouchtchenko, la population dit bénéficier d'un peu oxygène4 avec le rattrapage de nombreux salaires, une légère augmentation des retraites, une sensible diminution des écarts entre les plus riches et les plus démunis ; mais le balancier est reparti dans l'autre sens avec de nouveaux retards de salaires et une progression économique de la majeure partie de la population non proportionnelle au développement de l'économie nationale.

La première clé de la société civile se trouverait dans la disparition de la misère.

Mais il en est d'autres.

La société civile est coincée entre l'Etat et les lobbies. Faute de pouvoir être entretenues par la population, les organisations le sont par des structures dont ce n'est pas la vocation.

Un rappel : le phénomène associatif a connu une croissance exponentielle ces dernières années. En 1999, on comptait entre 20 et 30 000 associations juridiquement enregistrées, contre 4 000 en 1995. Cette brusque floraison n'était pas en soi le signe de l'émergence d'une société civile et nombre d'entre elles n'avaient pas grand chose à voir avec des mouvements de défense des citoyens. Aujourd'hui, on peut les répartir en quatre principaux groupes5 :

Une partie de ces organisations a tout simplement disparu, ce qui est logique, il y avait pléthore.

Une deuxième partie a commencé à collaborer avec les pouvoirs locaux, obtenant même des subsides de l'État Une troisième partie a commencé à collaborer avec les partis politiques, devenant des éléments de ceux-là

Enfin, une dernière et petite partie est restée purement indépendante. Celle-ci se trouve concentrée à Kyïv et Lviv. Dans les autres villes ou régions, le contrôle local est trop présent pour permettre à l'initiative indépendante de s'épanouir.

Concernant cette promiscuité du phénomène associatif avec les pouvoirs politico-financiers, je donnerai un exemple : celui d'un phénomène que les politologues appellent ironiquement la « holding politique ». Un des partis les plus influents du Parlement et qui a donné bon nombre de ministres ou responsables parlementaires au pouvoir ukrainien concentre entre ses mains les oblenergos (distributeurs d'énergie) de dix régions d'Ukraine, le consortium métallurgie, un centre d'investissement ukraino-russe, plusieurs banques et entreprises se trouvant dans des zones off-shores, plusieurs journaux ukrainiens ainsi que des participations dans trois chaînes de télévision du pays et cette liste est loin d'être exhaustive. Concernant la société civile, ce parti a également pris sous son aile la Fondation de soutien aux scientifiques intitulée « l'Ukraine, XXIème siècle » et le Comité national des organisations ukrainiennes de jeunes6. On pourrait dire que ce parti est un sponsor généreux, certes, mais il torpille les règles du jeu. Il est loin d'être le seul. On pourrait citer de nombreux exemples de même nature ou plus spectaculaires encore.

Un autre trompe-l'_il de société civile est constitué par les structures que l'État crée lui-même, semblant soucieux de limiter son propre pouvoir. Celles-ci ont des titres ou slogans prometteurs -et avec lesquels on ne peut qu'exprimer son accord- comme la lutte contre la corruption ou la défense des droits et intérêts de tel ou tel groupe. La lutte contre le crime organisé ou dernièrement contre le terrorisme fournit à ces structures une légitimité nouvelle. On voit là la tentation pour le pouvoir de fabriquer soi-même des contre-pouvoirs, ce qui n'est normalement pas son rôle.

Si tous les sondages montrent que la distance est grandissante entre l'État et la population, celle-ci par contre diminue toujours davantage entre l'État et les institutions, jusqu'à la collusion.

Cette collusion entre des pouvoirs qui devraient rester indépendants les uns des autres est encore plus affirmée dans le domaine des médias. Ce phénomène s'est accentué durant la dernière année en raison de la crise politique ainsi qu'à l'approche des élections parlementaires.

Les mass-médias n'échappent pas à la monopolisation pyramidale du monde économique. Ils en font maintenant étroitement partie et peu nombreux sont ceux qui parviennent à y échapper : pour mettre la presse au pas, tous les moyens sont bons, depuis les traditionnelles inspections des pompiers, de la sécurité, du fisc, jusqu'au chantage ; je ne reviendrai pas sur plusieurs disparitions mystérieuses suffisamment connues de tous.

Les sites Internet ont également été l'objet d'une tentative de reprise en main, le Secrétaire du Conseil de Sécurité7 considérant qu'ils diffusaient une image négative du pays et susceptible de porter atteinte à la sûreté de l'État.

Entre-temps, s'ouvre à Kyïv un « Centre de presse russe », dirigé par G. Pavlovski, un proche du Kremlin et une chaîne de télévision « NTV-Ukraine », bilingue, sera diffusée à partir de janvier 2002, date de début officiel de la campagne électorale.

La technologie électorale apparaît plus forte que la démocratie. Il est justement un autre paradoxe de la situation actuelle : les préparatifs de la campagne électorale, moment où la démocratie devrait s'exercer de façon privilégiée, font apparaître tout au contraire des jeux contribuant davantage à désorienter le futur électeur qu'à l'éclairer sur la politique à venir du pays.

Les partis, groupes ou blocs, changent d'un jour à l'autre de nom ou de composition, provoquant une opacité politique. Comment se retrouver entre « Le parti des régions », « Régions d'Ukraine », « En Europe » ou « En Europe avec la Russie », entre le « Parti démocratique unifié » et « l'Union démocratique », entre « Notre Ukraine », « Pour une Ukraine unie » et « Unité ». La confusion est d'autant plus grande que ces dénominations qui peuvent être attractives sont rarement suivies d'un programme politique, clarifiant les enjeux.

Une autre tentation de manipulation de la société civile vient d'une nouvelle confusion des pouvoirs. En mettant par exemple à la tête du bloc pro-présidentiel le chef de l'administration présidentielle en personne, on voit que les ressources de ce qu'on appelle la verticale du pouvoir, c'est à dire l'influence sur toute la hiérarchie des responsables locaux, pèseront lourdement dans le scrutin. D'autant que toute opposition ou débat contradictoire risque d'être taxé de non-légitimité à l'égard du pouvoir en place, voire d'atteinte à la sûreté de l'État.

Mais il existe aussi des acquis

Ainsi décrite la situation est noire et pourtant en rester là serait aussi injuste que d'avoir manqué à la description de quelques-uns de ces maux qui empêchent actuellement la société de respirer.

L'adoption de certains codes essentiels en est un exemple. C'est qu'il faut également dire que les acquis des dernières années sont considérables, particulièrement à cause des potentialités dont ils sont porteurs.

Peut-être n'est-il pas inutile d'énumérer à nouveau ce qui a été fait : l'abolition de la peine de mort, l'adoption du Code pénal, du code foncier, du code commercial, du code de la Famille, du code douanier, et l'adoption ces jours derniers du code civil, des codes orientés vers une certaine protection du citoyen, vers la défense de la propriété privée et en faveur de l'économie de marché. Ces codes ne sont pas parfaits, bien sûr ; ils sont là pour être amendés au fur et à mesure de l'usage. Il est vrai que des bonnes lois restent purement déclaratives si le citoyen ne peut recourir à un juge indépendant. Leur mise en application ne peut pas non plus être immédiate : il reste à entreprendre une énorme opération de formation collective pour faire connaître au citoyen ses droits, pour former les avocats à une nouvelle connaissance des textes, pour habituer les tribunaux à ne pas donner dans l'arbitraire, pour apprendre à ne plus vivre entre deux juridictions et adopter l'une ou l'autre au gré des dossiers.

Sept codes adoptés pendant cette législature, on peut dire que c'est aussi important que l'adoption de la nouvelle constitution par le parlement précédent.

Le chantier était immense pour ce qui constitue la création des fondements de l'État et de ce point de vue dix années représentent une durée très courte.

Il faut souligner aussi que cette « codification » tous azimuts est un chantier public si l'on en juge par le nombre de publications présentes dans les librairies, concernant tous les domaines, et accessibles au citoyen.

En ce qui concerne la loi électorale, la Commission centrale a garanti que des mesures judiciaires seraient prises pour bloquer toute ingérence du pouvoir exécutif. D'ores et déjà on sait en tout cas que cette société dite civile est prête à constituer des groupes de scrutateurs plus que vigilants au moment du dépouillement. Les organisations internationales sont invitées comme scrutateurs ainsi que des responsables de la Communauté des Etats indépendants, comme il l'a été dit lors du dernier sommet de la C.E.I.

L'histoire du pays est également un terrain sur lequel les experts, les scientifiques, n'ont pas failli, depuis les manuels destinés à la jeunesse qui dispose maintenant d'une vision ouverte de l'histoire de son pays et de sa place dans le monde. Les adultes aussi peuvent désormais acquérir ou consulter de nombreux livres sur l'histoire, la littérature, les arts, redonnant au pays et à ses véritables élites la place qu'ils méritent dans la culture mondiale. Ces graines là aussi sont semées pour l'avenir, même si l'on n'en voit pas le résultat immédiat.

D'autres signes donnent une vision encourageante de la place que mériterait la société si on lui permettait d'y accéder : la presse jeune, elle, si les mass-médias nationaux sont contrôlés, est florissante, un mouvement qui n'est pas encore quantifiable, mais un signe majeur. Les jeunes ne se disent pas politisés, mais très « intéressés », « concernés » par l'avenir du pays, parlent, débattent entre eux ou dans le cadre de ces parlements organisés dans certaines universités ou académies où ils apprennent les règles du jeu parlementaire en réglant les questions de leur vie estudiantine. Les sociologues appellent cela le « temps des clubs »8, un moment important de la conscientisation sociale.

Le potentiel social du pays reste considérable, son niveau de formation est loin d'être médiocre et surtout ouvert à l'information nouvelle. Durant les dix années d'indépendance on est arrivé à dé-soviétiser le mode d'enseignement, sous la poussée, tantôt des jeunes, tantôt des professeurs, les deux s'entraidant souvent pour acquérir et améliorer les connaissances.

Si le dialogue social est peu développé, il y a des forces d'opposition -ou je dirais plutôt de « proposition »- qui sont actives disposant d'une base sociale, souvent professionnelle, tentant de faire passer leur vision ou leur expérience auprès des députés par exemple ; certaines recherches ou recommandations sont parfois comprises et ont eu un impact sur les actes législatifs approuvés plus tard. Il y a des centres d'information et des centres de recherches qui tentent de faire passer auprès de la population une image plus objective de ce qui se passe dans le pays. Je citerai, là aussi à titre d'exemple, un site qui vient de s'ouvrir, « Commission d'éthique journalistique » qui diffuse entre autres les textes de lois officiels et a en projet un « Centre de crise de la presse indépendante ». Je mentionnerai également pour ce qui est des initiatives franco-ukrainiennes, le travail de l'Institut des Mass-médias à Kyïv qui travaille sans grands effets de manche, mais avec vigilance, en coordination avec Reporters sans Frontières. Il veille au respect des droits du journaliste, mais surtout à sa formation et à sa connaissance des textes.

Quelle est l'humeur de la société finalement?

Un autre point important dans cette balance entre les acquis et les difficultés, c'est l'état d'esprit de la population. On note deux faits marquants.

D'une part de nombreux sondages montrent que les valeurs pro-européennes de l'Ukraine sont soutenues par environ un quart de la population, tandis qu'une Ukraine disons soviétique par un tiers des interrogés ; le reste de la population marquant son désintérêt, son absence de connaissance de la chose politique9. C'est ce groupe-là pourtant qui sera fondamental pour les progrès civils ou au contraire les manipulations politiques.

Par ailleurs - et c'est un phénomène d'une certaine manière rassurant, l'humeur de la société n'est pas linéaire quant à son avenir. Avant les élections présidentielles de 1999, la majorité de la population exprimait son accord avec le caractère nécessaire des transformations en cours. Puis la méfiance à l'égard du pouvoir se manifeste de façon significative au moment du référendum d'avril 2000 visant à accroître les pouvoirs présidentiels. La reprise de confiance de la société en ses propres capacités grandit de façon de nouveau significative jusqu'aux événements du 9 mars 2001, moment de dérapage dans les manifestations dont les responsabilités ne seront jamais tirées au clair. La société revient alors à sa situation antérieure d'attentisme et de faible espoir de pouvoir améliorer quoi que ce soit.

Aujourd'hui et quels que soient les motifs d'inquiétude rappelés au début de cet exposé, la situation de la société quant à son avenir n'est pas négative. 58 % des interrogés lors d'un sondage effectué en septembre dernier considèrent que leurs conditions de vie vont s'améliorer durant les cinq prochaines années, tandis que 17 % pensent que ce sera pire et 19 % voit une situation semblable se perpétuer.

Pour conclure, on peut dire que se trouvent en Ukraine tous les ingrédients pour la formation d'une société civile, à condition que le pouvoir laisse la population y accéder, principalement en desserrant l'étau économique.

Tous les acquis que nous avons énumérés sont à terme porteurs d'autonomie sociale, à condition que l'indépendance ne soit pas confisquée, que la société ne soit pas considérée comme une propriété privée. Au moment où la plupart des textes entreront en application, leur mise en application dépendra directement de la situation politique du pays.

Il est enfin un phénomène paradoxal : à l'intérieur de cette même indépendance chérie par tous, on constate que le pouvoir a peur de l'opposition et que l'opposition a peur de s'opposer - ou de contredire - le pouvoir, comme si ces deux mouvements du balancier n'étaient pas la garantie même de la démocratie.

Pour le reste, et si l'on regarde le grand voisin de l'Est, la Russie, qui s'est livrée il y a quelques jours à une grand messe réunissant au Kremlin 5 000 acteurs officiels de la société civile, on peut dire que le pouvoir ukrainien a eu la grande sagesse de ne pas décréter la société civile par oukase et de n'avoir pas encore eu l'idée de la convoquer dans un des palais de la rue Hrouchevski.

L'ultime qualité de ce pouvoir est de rester encore hésitant entre deux mondes. La société civile s'est déclarée résolument du côté de l'Europe. A un État de droit de suivre le penchant de sa population.

M. René ANDRE, vice-président du groupe d'amitié France-Ukraine : Vous avez, Madame, évoqué les difficultés. Je serai, quant à moi, plus optimiste que vous. Il faut considérer l'Ukraine au regard de son passé. De 1918 à 1991, ce pays vivait sur une autre planète, avec d'autres critères et d'autres références. N'ayant conquis son indépendance que depuis dix ans, nous devons comprendre qu'il faut du temps pour acquérir nos réflexes et notre niveau de démocratie, et c'est bien là le vrai débat. Il a fallu plus d'un siècle à la France pour parvenir à la situation que nous connaissons aujourd'hui.

Mais vous avez également souligné les facteurs d'espérance en rappelant que la situation d'indépendance avait évolué en dix ans. Je veux aussi espérer que la tendance ira encore vers plus de démocratie et plus d'appréhension du pouvoir par la société civile. A titre de comparaison, la société civile a évolué et continue d'évoluer en France. Ainsi, actuellement, de nombreux responsables politiques travaillent sur un thème qui fait de plus en plus débat, à savoir l'émergence de la vie associative au sein de la nation, à tous les niveaux (régions, départements, etc...) et c'est une situation relativement récente pour nous que de travailler de concert avec ces nouveaux acteurs de la vie sociale.

M. Bernard SCHREINER, vice-président de la Délégation parlementaire à l'Assemblée du Conseil de l'Europe : L'adhésion de l'Ukraine au Conseil de l'Europe en novembre 1995 a marqué une étape essentielle dans le chemin que suit ce pays vers la démocratie et sa reconnaissance comme pays européen à part entière.

L'Etat de droit en Ukraine reste encore à construire mais l'année qui vient de s'écouler bien que difficile pour les relations entre l'Assemblée parlementaire du conseil de l'Europe et l'Ukraine aura également été marquée par des progrès.

L'Ukraine est un des Etats du Conseil de l'Europe qui fait l'objet d'un suivi régulier du respect de ses engagements.

Il y a tout juste un an débutait l'affaire « Gongadzé ». Le rapport du 23 janvier 2001 sur la liberté d'expression en Ukraine a mis l'accent sur la crise politique qui a touché ce pays à la fin de l'an 2000. Ce journaliste d'investigation, disparu le 16 septembre 2000 avait été retrouvé assassiné. La Rada avait constitué à l'époque une Commission spéciale ad hoc pour enquêter sur sa disparition. En novembre 2000, M. Oleksandr Moroz, chef du parti socialiste, présentait au Parlement des cassettes audio qui auraient été enregistrées dans le bureau du Président Koutchma. Une confrontation entre le pouvoir exécutif et le Parlement avait alors commencé avec pour point d'orgue une manifestation de grande ampleur organisée en janvier 2001 par l'opposition.

Le Conseil de l'Europe s'est préoccupé de cette affaire et le 6 avril 2001, la Commission de suivi de l'Assemblée parlementaire a demandé l'exclusion de l'Ukraine. La Commission s'appuyait à la fois sur la crise liée à l'affaire Gongadzé et sur le fait qu'en raison de divers blocages institutionnels, des lois essentielles n'avaient pas été adoptées. Cette proposition de la Commission de suivi était particulièrement sévère puisque, si elle avait été suivie d'effets, elle aurait constitué une première au Conseil de l'Europe en 51 ans d'existence.

Le rapport du 9 avril soulignait que certes l'Ukraine avait ratifié le protocole N°6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, abolissant la peine de mort le 4 avril 2000 mais que « toutes les parties en cause devaient assumer leurs responsabilités et engager sans délai un dialogue constructif ».

Le 26 avril, en session, nous avons pu constater que cette pression du Conseil de l'Europe avait été suivie d'effets. Ainsi, l'adoption du nouveau code pénal et de la loi sur les partis politiques par la Verkhovna Rada a permis à l'Assemblée d'accorder « un sursis » à l'Ukraine, voulant montrer par ce vote son soutien à ceux qui défendaient le processus démocratique dans ce pays.

Notre collègue belge, M Georges Clerfayt , avait lors des débats rappelé quel devait être le rôle de l'Assemblée du Conseil de l'Europe en soulignant que dans un groupe les plus faibles doivent être aidés par les plus forts. Il s'était interrogé sur notre action, nous les démocraties européennes, pour aider l'Ukraine à avancer sur la voie qu'elle devait suivre vers plus de démocratie. Il avait souligné que le Conseil devait alimenter et animer le débat démocratique, et non pas punir. De nombreux orateurs ont insisté sur le fait qu'il ne fallait pas isoler l'Ukraine du reste de l'Europe et sur la responsabilité de l'Assemblée vis-à-vis du peuple ukrainien.

La session d'automne a montré une évolution sensible : nous avons tendu la main à l'Ukraine au lieu d'attendre ou d'exclure et nous avons pu constater avec satisfaction que des progrès substantiels avaient été accomplis. Ces progrès ne doivent certes pas faire oublier que dans certains domaines, en particulier la situation des médias et le dialogue entre l'Etat et la société civile ainsi que le rappelait Mme Daubenton avant moi, l'Ukraine doit encore faire des efforts.

Cependant, d'importants textes législatifs ont été adoptés en 2001 : le nouveau code pénal, la loi sur les partis politiques, la nouvelle loi sur les élections législatives, la petite réforme judiciaire (dix lois sur le fonctionnement du système judiciaire), le nouveau code foncier et enfin la semaine dernière le nouveau code civil (qui entrera en vigueur en 2003).

Bien entendu, l'application de ces textes et l'adaptation des administrations censées les appliquer sera essentielle pour que cette progression vers l'Etat de droit soit une réalité.

Le Conseil de l'Europe peut jouer un rôle au même titre que ses Etats membres pour permettre une expertise juridique et aider en particulier à ce que certaines incohérences dues à l'existence de dispositions transitoires, puissent être supprimées.

Certains points devront faire l'objet d'une attention particulière de la part de l'Ukraine. D'une part, les élections législatives de l'an prochain seront un baromètre de l'état de la démocratie dans ce pays. D'autre part, le fonctionnement du ministère public devrait, ainsi que le réclame la dernière résolution du Conseil de l'Europe, être modifié afin de finaliser la réforme judiciaire en cours.

Enfin, en janvier 2002, l'Assemblée examinera à nouveau la situation du respect par l'Ukraine de ses engagements. A ce moment là, conformément à la résolution 1262 du mois de septembre, le Conseil de l'Europe pourrait envisager de clore la procédure de suivi officielle. L'Ukraine ne serait plus alors sur la liste des quelques pays membres du Conseil de l'Europe qui font l'objet d'un suivi renforcé, une façon pour ce pays d'entamer sa deuxième décennie d'indépendance par un beau signe d'espoir.

DEBATS DE LA PREMIERE TABLE RONDE :

M. Andreï FIALKO, Conseiller diplomatique du Président de l'Ukraine : Je peux vous assurer que les Français, tout comme la culture française, nous inspirent fortement, et, à cet égard, je me félicite de l'importance du lobby français en Ukraine, c'est une source d'enthousiasme pour nous.

S'agissant de la place de l'Ukraine dans le concert des nations, on doit reconnaître que, formellement, elle appartient au même espace-temps que l'Europe et la France.

Nous devons cependant être conscients que les bienfaits économiques ne « tombent pas du ciel » et qu'il faut faire avec ce que l'on a. Le combat pour l'économie est une chose, le combat pour la démocratie en est une autre. Evoquant justement les démocraties émergentes, M. Hubert Védrine a souligné combien bâtir la démocratie était une tâche différente et qu'il fallait savoir notamment tenir compte de l'histoire de chaque pays, car une culture n'est jamais réductible à un modèle ou à un autre.

Si, actuellement, en Europe, on peut se permettre de « repenser » l'Etat, cette problématique est impossible en Ukraine, puisque chez nous, on en est encore à se questionner sur l'existence même de notre Etat. L'Occident a vécu, bien avant nous, cette situation, c'est pourquoi son aide nous paraît souhaitable.

Le progrès démocratique n'est possible qu'à condition qu'il soit accepté par la Nation et par le Parlement. C'est en fait la paralysie du Parlement qui a freiné le processus démocratique.

Il y a la situation idéale et la situation réelle, et, s'agissant de la capacité des hommes politiques à conduire un tel progrès, je peux vous assurer que, par exemple, M. Volodymir Litvine est une personnalité forte, avec de réelles convictions européennes.

M. Vladimir POSSELSKY, étudiant en doctorat, Institut d'études politiques de Paris : La situation en Ukraine reflète objectivement les difficultés des pays d'Europe centrale. On doit donc se demander si l'Ukraine est en mesure d'avancer, s'il existe une place pour la société civile et un Etat de droit, car il serait trop triste que dans vingt ou trente ans, notre pays reste au niveau de l'Algérie ou de certains pays d'Afrique. Toutefois, je reconnais que cela peut être une éventualité à ne pas écarter.

M. Sergueï TERIOKHINE, Président du groupe d'amitié Ukraine-France: J'aurai quelques remarques à apporter à l'intervention de Mme Daubenton. Si je partage, sur de nombreux points, votre analyse, je ne suis pas aussi pessimiste que vous. Votre discours contient des imprécisions qui rendent l'image de notre pays plus noire qu'elle n'est. Alors que vous évoquez des menaces pesant sur les choix démocratiques, vous avez mentionné l'action du parti social-démocrate. Je doute que ce parti puisse être concerné par vos critiques. Il a totalisé entre 3 et 5% des voix aux dernières consultations, n'a pas été en mesure d'entrer au Parlement, et il en sera très vraisemblablement de même aux prochaines élections.

Certes, il existe des partis comme celui de M. Litvine, ou d'autres, défendant des projets trop régionaux (mairie de Kyïv), voire des affaires exclusivement locales (parti de l'Unité) et c'est vrai que leur multiplication nuit à la véritable liberté d'expression du citoyen.

Vous avez dit, Mme Daubenton, que le parti social-démocrate possédait la plupart des médias et avait, entre autres, une forte influence sur le programme « Homme de l'année ». Or, je peux vous dire, en tant que membre du conseil de ce programme, censé élire la personnalité ayant le plus _uvré durant l'année dans le domaine culturel ou politique, que ce parti n'a jamais été, d'une manière ou d'une autre, le mécène de ce projet.

Plus généralement, il est vrai que je n'ai pas assisté, durant la dernière année, à des développements démocratiques et politiques notables, mais j'ai espoir qu'ils se manifesteront à l'occasion des prochaines élections.

M. Ihor OSTACH, Président de la Commission des affaires étrangères de la Verkhovna Rada : J'ai apprécié l'intervention de Mme Daubenton et ce qu'elle a dit sur la classe moyenne me paraît très vrai. Sans cette classe, il n'y aura pas de société civile en Ukraine ni d'évolution possible vers la démocratie. C'est par exemple à son intention qu'a été adopté le code foncier ; pour les mêmes raisons, nous tentons de mettre en place des conditions de développement au profit des petites et moyennes entreprises.

L'inexistence d'une classe moyenne en Ukraine s'explique par l'absence d'investissements et à cet égard, les disparités de traitement que nous subissons en matière d'aides internationales sont éloquentes.

Pour ne citer qu'un exemple, celui de la Pologne, ce pays a reçu depuis une décennie une aide économique étrangère considérable: ainsi, les dix milliards de dollars qu'elle perçoit annuellement correspondent à tout ce qui nous a été accordé en dix ans. Par voie de conséquence, la Pologne a progressé effectivement beaucoup plus vite sur la voie démocratique.

Pour revenir sur cette question de la classe moyenne, dois-je rappeler que le récent examen en première lecture au Parlement du code fiscal, en vue de réduire la pression fiscale sur les entreprises, constitue précisément une volonté de développer cette classe moyenne.

S'agissant du problème de la corruption, nous percevons le processus électoral comme un moyen salvateur qui pourrait contribuer à l'éradiquer. Notre ancien Premier ministre, M. Iouchtchenko a beaucoup _uvré contre la corruption et contre les holdings politiques, mais il a été obligé de démissionner.

Je ne suis pas de l'avis de Mme Daubenton lorsqu'elle dit qu'il n'existe pas d'opposition en Ukraine. Celle-ci existe, tant à gauche qu'à droite, et je mentionnerai, pour preuve, le parti communiste et le bloc d'opposition, ce dernier jouant un rôle important.

S'agissant de nos relations internationales, nous avons eu l'impression que l'Ukraine n'a commencé à intéresser le Conseil de l'Europe qu'à l'occasion de l'affaire « Gongadzé ». Pourtant, nous aussi, nous nous en sommes préoccupés, et en particulier le Parlement, puisque celui-ci avait demandé la démission du Procureur général et du Ministre de l'Intérieur. Les Ukrainiens ont été très touchés par ce crime et c'est l'Ukraine qui a proposé le choix de ce journaliste pour le prix de l'OSCE, qui a d'ailleurs été remis à son épouse, à l'Assemblée nationale, au mois de juillet.

Je conteste les chiffres avancés par Mme Daubenton selon lesquels, d'après un sondage, un quart seulement de la population ukrainienne soutiendrait les valeurs européennes. Je peux vous dire, tout au contraire, que la majorité de la nation et des hommes politiques défendent ces valeurs.

Enfin, je vous rappelle que dans le programme d'action adopté par l'Ukraine, figure le volet de la coopération avec l'Union européenne et que 260 députés ont voté en faveur de ce projet.

M. René ANDRÉ, vice-président du groupe d'amitié France-Ukraine : Je me félicite de la franchise de ce débat, qui prouve, si besoin est, que l'Ukraine est sur le chemin de la démocratie.

M. Alain BARRAU, Président du groupe d'amitié France-Ukraine : Je souhaiterais d'abord que Mme Daubenton puisse préciser certains de ses arguments. Je remercie ensuite les participants à ce colloque qui ont permis que ce débat - éminemment démocratique- puisse se dérouler à l'Assemblée nationale à Paris. C'est en effet un signe très fort et symbolique que d'accepter de discuter de la place de la société civile en Ukraine, ailleurs que chez soi...

Je retiens de ce qui a été dit plusieurs lignes de force importantes :

Tout d'abord, je relève qu'un système démocratique s'est mis en place, avec des élections se déroulant de plus en plus normalement, en présence d'observateurs étrangers, et que ces opérations sont rentrées véritablement dans la pratique quotidienne. Je constate qu'à l'instar des vieilles démocraties, un débat politique émerge, avec l'expression de points de vue différents.

Dans l'intervention de Mme Daubenton, j'ai estimé que le lien qu'il importait d'établir entre l'économie et le développement de la société civile constituait une piste importante à suivre, mais la question demeure de savoir comment ce lien s'établit. C'est une problématique qui ne se réduit pas seulement au taux de croissance.

Par ailleurs, s'il est vrai que l'Ukraine sort tout juste d'une période économique difficile, il convient aujourd'hui de se poser la question du développement des associations, des syndicats, des organisations patronales. Il faut également se préoccuper de la séparation du pouvoir économique de l'appareil d'Etat et répondre à la question suivante : comment pouvons-nous contribuer, nous, Français et Européens, à vous aider dans ce domaine ? Il faut aussi être bien conscient que, même si la Révolution française a véhiculé des idées d'une portée universelle, il ne nous appartient pas d'exporter notre propre modèle, d'autant plus qu'il n'est pas parfait.

S'agissant des investissements étrangers, votre comparaison avec la Pologne, M. Ostach, m'a semblé très intéressante et mérite que l'on se questionne sur le fait que les entreprises françaises investissent de préférence dans ce pays.

Mme Annie DAUBENTON, chercheur : Je suis très sensible à tout ce qui a été dit et notamment à l'idée qu'aucune culture n'est réductible à une autre. Cependant, pour l'Ukraine, comme pour tout autre pays, il est important de pouvoir être observé de l'extérieur.

Vous avez contesté les chiffres d'un sondage relatif au sentiment des Ukrainiens vis-à-vis des valeurs européennes. Je vous précise que mes sources proviennent de la très sérieuse revue Critica - octobre 2001, page 10, et du centre de politologie ukrainien Razumkov.

S'agissant du programme « Homme de l'année », oui, j'ai dit qu'il était sous zone d'influence, mais il ne faut pas y voir une accusation.

D'une façon plus générale, enfin, sachez que je ne suis pas pessimiste mais parfois inquiète ; cependant, j'ai aussi d'immenses espoirs.

M. Ihor OSTACH, Président de la Commission des affaires étrangères de la Verkhovna Rada : Madame, on connaît votre profond attachement pour l'Ukraine et je souhaitais vous dire combien nous y sommes sensibles.

Pour terminer cette première table ronde sur une note d'humour, j'évoquerai des liens avec les symboles du passé, en vous contant brièvement l'histoire de la confiserie ukrainienne Karl Marx. Lors de notre indépendance, son directeur s'est demandé s'il fallait en changer la dénomination. Finalement, le nom de la marque est resté inchangé, et c'est ainsi, sous cette marque, qu'un petit bonhomme portant une barbe blanche est devenu le symbole publicitaire des confiseries connues de tous nos enfants. Quand certains d'entre eux ont été interrogés récemment sur Karl Marx, leur réponse a été unanime : « c'est un monsieur qui fait de délicieux bonbons »...

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L'UKRAINE, ACTEUR INTERNATIONAL

Président : M. François LONCLE, Président de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale

M. François LONCLE, Président de la Commission des affaires étrangères: Je me réjouis d'être aujourd'hui parmi vous pour débattre de l'Ukraine, un pays avec lequel la France entretient d'anciennes et de bonnes relations. Comme vous l'avez déjà souligné au cours de vos débats de la matinée, ce colloque intervient en effet à un moment historique, puisque l'Ukraine a fêté le dixième anniversaire de son indépendance retrouvée, et que d'importantes élections législatives auront lieu en mars prochain.

Cette première décennie d'indépendance a été marquée, pour l'Ukraine, par une évidente instabilité politique (dix gouvernements en dix ans), mais aussi par des réformes profondes, dans les domaines agricole, industriel, bancaire ou énergétique. L'Ukraine connaît aujourd'hui une situation économique relativement favorable : croissance soutenue, augmentation de la production industrielle, baisse de la dette publique, diminution de l'inflation.

C'est dans ce contexte qu'il convient d'encourager et de soutenir la candidature de l'Ukraine à l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce). En dix ans, l'Ukraine est indéniablement devenue un acteur international, son rôle sur la scène internationale est conditionné par sa position géopolitique spécifique. Elle a mené depuis son indépendance une politique extérieure caractérisée par l'équilibre entre l'Europe et la Russie.

Deux questions essentielles se posent pour le présent et pour l'avenir. Premièrement, quelles seront les relations avec le grand voisin russe, de quelle nature est le rapprochement politique et économique russo-ukrainien depuis l'accession à la présidence de Vladimir Poutine ? Plus clairement, assiste-t-on à un retour de la Russie en Ukraine compte tenu du poids de l'histoire, des interdépendances économiques, des comportements des élites, de la proximité culturelle entre les deux pays ? Quelle influence exercera sur l'Ukraine la nouvelle donne internationale engendrée par les attentats du 11 septembre par rapport à la Russie et à l'Europe ?

Deuxièmement, quelles seront ses relations avec l'Union européenne dont elle sera à terme limitrophe ? Dans la mesure où Kyïv a proclamé depuis plusieurs années avoir fait un choix européen, que cela implique-t-il pour l'Union européenne, quelle sera notre réponse ? Comment lever certaines incompréhensions qui ont vu le jour entre ukrainiens et européens, les premiers reprochant aux seconds de ne pas reconnaître clairement la vocation européenne de l'Ukraine, les seconds critiquant les premiers sur la lenteur des réformes ?

Voilà, brièvement tracé, le cadre dans lequel j'invite maintenant les orateurs inscrits à prendre la parole.

Mme Anne de TINGUY, vice-présidente de l'association française d'études ukrainiennes: On a parlé d'interrogations débouchant sur des inquiétudes, d'avancées, de difficultés. En matière internationale, il en va de même. Quand on écoute le discours ukrainien, on est un peu perplexe. A écouter le Président Koutchma ou le Premier ministre Kinakh, il n'y aurait pas d'alternative à l'intégration à l'Europe, mais il n'y en aurait pas non plus à des relations stratégiques avec la Russie. M. Koutchma a même annoncé qu'en Europe, « personne n'attendait l'Ukraine ».

Cela nous amène à nous interroger sur la stratégie actuelle des dirigeants ukrainiens. L'Ukraine a mené une politique difficile d'équilibre entre l'Est et l'Ouest pendant les années quatre-vingt dix. Assiste-t-on aujourd'hui à un tournant ? Si c'était le cas, les équilibres européens issus de l'effondrement de l'URSS en seraient profondément modifiés.

Rappelons d'abord la politique difficile et dynamique qu'a menée l'Ukraine pendant les années quatre-vingt dix. Rappelons simplement deux déclarations : M. Brzezinski affirmait que "sans l'Ukraine, la Russie cesserait d'être un empire", tandis que le Président Kwazniewski affirmait que « plus l'Ukraine serait en Europe, plus l'Europe serait en sécurité ». Ce thème du retour à l'Europe est l'élément central de la politique étrangère ukrainienne pendant la décennie passée. Elle demeure certes dépendante de la Russie, mais comme dit le Président Kravtchouk, l'Ukraine demeure soucieuse de sortir du « système colonial et de l'esclavage dans lequel elle était ». Cela se traduit par une politique dominée par la prise de distance avec la Russie et la CEI, qui n'est à ses yeux que l'instrument d'un divorce civilisé. En 1997, elle se regroupe au sein du GUAM, forum constitué avec des pays voisins. Elle se rapproche aussi des pays d'Europe centrale comme la Pologne, ainsi que des Etats-Unis, en particulier à partir de l'accord tripartite russo-américano-ukrainien de janvier 1994 sur les armements stratégiques. La relation ukraino-américaine se transforme peu à peu en partenariat stratégique que doublent les relations de coopération mises en place avec l'Alliance atlantique. L'Ukraine a souhaité cette relation et l'a développée dans le cadre du Partenariat pour la paix, tout en soutenant l'élargissement à l'Est de l'Alliance atlantique, contrairement aux v_ux de Moscou.

Cette politique d'équilibre a profondément marqué les équilibres internationaux dans cette partie du monde et a coûté très cher à la Russie, ce qu'il faut garder à l'esprit pour apprécier la politique du Président Poutine. L'Ukraine a contribué à ce que la CEI demeure une coquille vide et favorisé la pénétration américaine dans une zone que la Russie considère toujours comme sa sphère d'influence.

Nous arrivons à l'année 2000, marquée par deux événements essentiels. Le premier est l'arrivée au pouvoir de M. Poutine, le second est la crise politique en Ukraine, dont nous avons parlé tout à l'heure.

M. Poutine a immédiatement défini les orientations de sa politique extérieure, et compris que la Russie devait d'abord retrouver une influence parmi ses voisins proches, et en premier lieu l'Ukraine. La Russie devait aussi déstabiliser cet axe Est-Ouest, ce GUAM dont nous avons parlé, très tôt perçu par Moscou comme une véritable menace.

Ce sont ces pays qui ont fait l'objet des attentions de M. Poutine, parmi lesquels l'Ukraine. M. Poutine a immédiatement développé un dialogue politique qui s'était dégradé sous M. Eltsine, et qui est désormais beaucoup plus nourri. Il a également mis en _uvre un rapprochement économique, la Russie accroissant son poids dans l'économie ukrainienne. En 2000, on a vu des sociétés russes prendre le contrôle de sociétés ukrainiennes dans des secteurs clés. Enfin, on a vu la Russie faire pression sur l'Ukraine, en particulier par le biais de la dette énergétique.

Le limogeage de M. Tarassiouk, ministre des Affaires étrangères pro-occidental, il y a maintenant quatorze mois, semble avoir accentué ce changement. Le rapprochement avec la Russie n'a pas cessé d'être conforté depuis lors : accord de coopération militaire signé en janvier 2001, rencontre au sommet Poutine-Koutchma à Dnipropetrovsk avec la signature d'accords importants sur la réunification des réseaux électriques. Les exemples ont été tellement nombreux que l'on ne sait plus très bien quoi citer, mais il est clair que ce rapprochement s'exerce dans tous les domaines. L'échec des négociations avec la BERD la semaine dernière sur la question de l'aide aux projets concernant les centrales nucléaires ukrainiennes a débouché immédiatement sur une demande faite à la Russie, à laquelle M. Kassianov a répondu immédiatement, puisqu'il a annoncé hier qu'une aide serait apportée à l'Ukraine.

Comment interpréter tout cela? Un rapprochement russo-ukrainien est certes souhaitable. Cependant, nos amis ukrainiens nous ont rappelé que l'Ukraine, pour être véritablement indépendante, devait prendre ses distances vis-à-vis de la Russie. Cela aurait-il changé?

D'autre part, la Russie n'est pas un partenaire comme les autres pour l'Ukraine. Chacun sait que cette indépendance a été acceptée à regret par la Russie et qu'il reste des sujets sensibles, comme celui de la Crimée.

Deuxième élément, cette crise politique très grave qui a eu lieu en 2000 et à laquelle l'Ukraine demeure confrontée. Nous ne pouvons que nous interroger sur les motivations du Président Koutchma lorsque affaibli, il s'est tourné vers la Russie.

L'Ukraine est-elle condamnée à retourner dans le giron russe ? Le souhaite-t-elle ? Mène-t-elle une politique multidimensionnelle ? La stratégie de l'Ukraine, pour nous, n'est pas claire.

Quatre points en conclusion :

Un rapprochement trop prononcé avec la Russie ne fait pas l'unanimité en Ukraine. Certains y voient une capitulation. Certaines personnalités politiques, comme M. Iouchtchenko, estiment que l'intégration à l'Europe doit être une priorité.

Second point, ce rapprochement avec la Russie ne s'est pas accompagné d'une rupture avec les pays occidentaux. La coopération avec l'Alliance atlantique continue.

Troisième point, l'intégration à l'Europe est-elle possible ?

Quatrième point, très important pour nous Français : en dépit des efforts du chargé d'affaires M. Yokhna, nous n'avons pas d'ambassadeur. Alors, M. le Président, donnez-nous un ambassadeur !

M. Andreï FIALKO, Conseiller diplomatique du Président de l'Ukraine : Je suis ravi de cette initiative de l'Assemblée nationale et de l'occasion qui m'est ainsi donnée de poursuivre le dialogue avec Mme de Tinguy. Ainsi pour répondre aux doutes que vous exprimez, je citerai William Blake, qui a dit que « si le soleil et la lune se mettaient à douter, ils s'éteindraient sur-le-champ ». Je crois en effet que l'Europe doute beaucoup, parfois même au détriment de sa capacité à agir.

J'essaierai de vous convaincre que les doutes peuvent être aisément dissipés. Les priorités de la politique de l'Ukraine sont en effet très faciles à formuler : premièrement l'Union européenne, deuxièmement l'Europe, troisièmement la communauté transatlantique. Il n'y a pas de contradiction, mais plutôt des convergences entre nos relations avec l'Europe et avec la Russie. Les relations de l'Ukraine avec la Russie sont très importantes pour des raisons évidentes ; or il est souvent dit que ces relations suscitent des questions. Mais leur intensité ne peut être comparée avec celle de nos liens avec l'Occident. La plupart des dirigeants occidentaux rencontrent le Président Poutine régulièrement et entretiennent avec lui un dialogue suivi. Nous n'avons pas avec le dirigeant russe la même intimité ni la même intensité de relations, ce qui nous amène à nous interroger sur la nature de ces liens entre la Russie et l'Occident. Que se disent les Présidents Bush et Poutine ? Quelles en sont les conséquences pour l'Europe centrale et orientale ? Nous l'ignorons.

Il n'y a rien dans les relations entre l'Ukraine et la Russie qui puisse compromettre les intérêts des Etats-Unis et de l'Europe. En ce qui concerne les accords de Dnipropetrovsk, ils ne sont pas non plus de nature à troubler l'Occident, ainsi que le reconnaissent d'ailleurs les responsables américains eux-mêmes.

Les relations avec l'OTAN sont pour nous très importantes. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur les finalités politiques de ces relations, mais l'Ukraine souhaite que toutes les possibilités soient ouvertes. Il y a plusieurs réalités à prendre en compte. Premièrement, aucun membre de l'Alliance atlantique n'est actuellement prêt à soutenir la candidature de l'Ukraine, à l'exception peut-être de la Pologne. Deuxièmement, l'Ukraine elle-même n'est pas prête à en faire la demande, parce qu'il lui est impossible de dégager les ressources nécessaires pour se mettre au niveau requis concernant le volet militaire. Par ailleurs, l'adhésion de l'Ukraine provoquerait probablement une crise politique majeure entre la Russie et l'Occident. Nous souhaitons donc mettre en _uvre une coopération étroite avec l'OTAN, en attendant une évolution ultérieure de la situation.

L'Ukraine est également un leader régional, et constitue l'avant garde de l'espace post-soviétique pour l'intégration européenne. Le processus en cours d'intégration entre Pays baltes et l'espace de la mer Noire est très important compte tenu de la tendance dangereuse des pays candidats à l'Union européenne et à l'OTAN à concentrer leur attention vers l'Ouest au détriment de leurs partenaires traditionnels de l'Est.

L'Ukraine apparaît aussi comme un élément important pour la stabilité et la paix en Europe. Nous sommes parmi les premiers contributeurs en ce qui concerne les forces de maintien de la paix. Nous avons notamment joué un rôle majeur dans les Balkans ainsi qu'en Macédoine, d'une façon certes plus controversée, quoique j'estime pour ma part que nous avons permis à l'Occident de sauver la face dans ce pays.

Enfin l'Ukraine dispose d'une situation géostratégique unique que nous voulons mettre à profit pour la réalisation de projets concrets, tels que la construction de corridors de transport, gazoducs et oléoducs notamment.

M. Ihor OSTACH, Président de la Commission des affaires étrangères de la Verkhovna Rada : A l'aube du troisième millénaire, le monde civilisé oriente ses efforts vers la résolution des problèmes de la paix, de la stabilité, du renforcement de la démocratie et de la protection de l'environnement.

Les parlements nationaux jouent un rôle important dans ce processus. Un des moyens pour atteindre ce but est la diplomatie parlementaire active, la coopération internationale bilatérale et multilatérale des organes législatifs nationaux. L'Ukraine, malgré sa jeunesse, utilise depuis longtemps les possibilités de la diplomatie parlementaire pour régler des problèmes d'actualité tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale.

La constitution ukrainienne, adoptée en juillet 1996 a doté la Verkhovna Rada de larges pouvoirs dans le domaine des relations internationales et en particulier : la définition des principes de la politique extérieure, l'accord obligatoire de la Verkhovna Rada pour ratifier les traités internationaux, la dénonciation des traités internationaux, l'adoption des lois sur la politique et l'activité économique extérieures, ainsi que certains pouvoirs dans le domaine de la sécurité nationale et de la défense.

La Verkhovna Rada a défini la base législative de la politique extérieure de l'Ukraine dans la résolution du 2 juillet 1993 sur « Les principaux objectifs de la politique étrangère de l'Ukraine ».

Mais trois ans avant cet événement, le 16 juillet 1990, soit plus d'un an avant que l'Ukraine n'obtienne son indépendance (le 24 août 1991), les principes des relations politiques et des droits de l'Ukraine ont été énoncés dans la déclaration sur la souveraineté de l'Ukraine, déclaration qui a proclamé l'égalité de l'Ukraine dans ses relations extérieures et son intention de devenir un Etat neutre en dehors de tout bloc, un Etat qui participe aux structures européennes et qui reconnaît les normes du droit international.

On peut distinguer trois objectifs principaux de la politique diplomatique internationale du Parlement ukrainien. Tout d'abord - c'est sa participation aux travaux des structures interparlementaires.

La résolution du 2 juillet 1993 a défini la participation de notre Etat aux organisations régionales et internationales. Conformément à cette résolution, la Verkhovna Rada coopère efficacement avec l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, l'Assemblée de l'OSCE (Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe), l'Union interparlementaire, l'Assemblée des pays riverains de la mer Noire, l'Assemblée interparlementaire européenne orthodoxe, de l'Union de l'Europe Occidentale, de l'Assemblée de l'Atlantique Nord et enfin le Parlement européen.

L'activité de notre parlement dans le domaine des relations internationales de l'Etat s'est avérée la plus dynamique dans sa coopération avec le Conseil de l'Europe. La coopération avec l'Assemblée parlementaire ainsi qu'avec d'autres organes du Conseil de l'Europe fait partie des priorités du Parlement ukrainien et s'effectue avec la participation directe de sa délégation permanente.

Depuis le mois de janvier 1996, quand le Parlement ukrainien est devenu membre de l'Assemblée, sa délégation permanente a effectué un travail important pour que l'Etat d'Ukraine accomplisse ses obligations et ses devoirs devant le Conseil de l'Europe et explique à l'Assemblée la situation qui s'est créée en Ukraine pendant la construction de l'Etat démocratique.

Les membres de la Délégation ont utilisé à plusieurs reprises la tribune de l'Assemblée pour attirer l'attention des dirigeants politiques sur les problèmes en Ukraine et pour faire des propositions concrètes sur la protection des intérêts nationaux de l'Etat ukrainien et sur le renforcement de la coopération de l'Ukraine avec le Conseil de l'Europe.

Grâce au travail diplomatique très dynamique des députés ukrainiens, les questions de la liquidation des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, la réalisation par la communauté internationale de ses obligations devant l'Ukraine liées à la fermeture de la centrale ou la résolution des problèmes du développement social et culturel des Tatars de Crimée, ont toujours bénéficié d'une attention particulière de l'Assemblée.

La campagne d'adhésion de l'Ukraine au Conseil de l'Europe s'accompagnait d'une forte flamme patriotique. A cette époque on ne se rendait pas compte des grandes difficultés auxquelles il faudrait faire face surtout dans le domaine législatif. Aussi nous ne savions pas s'il était possible de réformer la législation nationale dans les très brefs délais énoncés dans nos obligations. Cela explique le retard de l'adoption par la Verkhovna Rada de quelques documents législatifs.

Toutefois je voudrais souligner que ces derniers temps le Parlement ukrainien a fait beaucoup de progrès pour satisfaire les exigences du Conseil de l'Europe dans le domaine législatif comme il a été rappelé précédemment.

En octobre 1999 la Verkhovna Rada a adhéré à l'Union Interparlementaire. La participation des parlementaires ukrainiens aux travaux de l'Union interparlementaire offre la possibilité d'organiser des rencontres bilatérales avec leurs collègues du monde entier sur les problèmes d'intérêt commun. Le témoignage du dynamisme et de l'autorité gagnée par la Verkhovna Rada dans l'Union Interparlementaire est l'élection du membre du Parlement ukrainien au Comité exécutif du Conseil pendant la 106eme Conférence interparlementaire de septembre 2001.

La protection des droits de l'Homme de tous les parlementaires du monde est un des aspects de l'activité de l'Union, et les parlements membres de l'Union Interparlementaire l'aident beaucoup. Par exemple la Verkhovna Rada a contribué largement à la libération du député moldave M. Ilachkou, détenu illicitement en Trandnistrie en été 2001.

La Verkhovna Rada coopère activement avec le Parlement européen, dont la composante clé est le Comité de coopération parlementaire « Ukraine - Union européenne ». Ce Comité, créé conformément aux dispositions de « l'accord de partenariat et de coopération entre l'Ukraine, les institutions européennes et leurs pays membres » a pour but le dialogue politique régulier au niveau parlementaire.

Depuis sa création le Comité s'est réuni quatre fois. Pendant les réunions les problèmes du développement politique et économique et la coopération de l'Ukraine avec l'Union européenne dans le domaine de la protection de l'environnement, de l'énergie et de la sécurité nucléaire ont été abordés. Des recommandations concrètes ont été adoptées pour approfondir cette coopération.

Le 11 décembre 2001 auront lieu à la Verkhovna Rada des auditions parlementaires sur la réalisation de la politique d'intégration dans l'Union européenne. A cette occasion, le Cabinet des Ministres présentera son rapport sur l'exécution par l'Ukraine des articles de l'accord de partenariat et de coopération entre l'Ukraine et l'Union européenne. Les comités parlementaires concernés informeront le Parlement des perspectives d'adaptation des normes législatives ukrainiennes aux normes de l'Union européenne.

Les représentants de la Verkhovna Rada prenant part aux travaux de l'OSCE défendent la sécurité politique, économique sociale et écologique de la région. Le témoignage du rôle croissant de la Verkhovna Rada dans les activités de l'Assemblée de l'OSCE est l'élection au poste du vice-président de l'Assemblée du représentant du Parlement ukrainien.

Un des axes importants de la diplomatie parlementaire est la participation au processus de monitoring des élections législatives dans les pays européens. Le 17 novembre 2001 les parlementaires ukrainiens ont participé activement en qualité d'observateurs lors des élections au Kosovo.

Le travail du Parlement dans le cadre de nos rapports avec l'OTAN est devenu plus dynamique en 2000. En effet, la délégation permanente de la Verkhovna Rada dans l'Assemblée Parlementaire de l'OTAN joue un rôle important dans ce processus et contribue à l'examen des questions de sécurité européenne, des questions concernant l'économie, la politique et l'écologie de l'Europe centrale et orientale. La délégation apporte sa contribution au renforcement de l'image positive de l'OTAN en Ukraine.

Pendant la période écoulée la Verkhovna Rada a adopté les lois permettant la ratification de l'Accord entre les pays membres de l'OTAN et les autres pays qui participent au « Partenariat pour la paix » ainsi que les lois sur le statut de leurs forces armées et sur le protocole annexe de cet accord », « sur le régime d'accès et les conditions de séjour des régiments des armées des autres pays européens sur le territoire d'Ukraine » et «sur la décision du Président d'Ukraine de donner l'accès aux régiments étrangers sur le territoire ukrainien en 2001 pour participer aux exercices militaires multinationaux des forces de paix ».

La Verkhovna Rada est un des membres les plus actifs de l'Assemblée de l'Organisation de la Coopération économique des pays de la mer Noire qui depuis février 1993 joue un rôle moteur dans l'élaboration de la position de l'Assemblée sur des questions d'actualité. A la session au mois de juillet 2001 à Bakou le représentant de la Verkhovna Rada a été élu vice-président de l'Assemblée de l'Organisation de la Coopération économique des pays de la mer Noire ce qui montre l'autorité dont jouit le Parlement ukrainien au sein de cette organisation.

Le deuxième axe de l'activité internationale de la Verkhovna Rada est le développement des relations interparlementaires bilatérales.

La forme principale de cette coopération est le fonctionnement des groupes des relations parlementaires (ou d'amitié) de la Verkhovna Rada. Le Président de la Verkhovna Rada prête beaucoup d'attention à la création d'un large réseau de tels groupes d'amitié, il examine la liste des membres de ces groupes présentée par la Commission des affaires étrangères du parlement et valide ces listes par des arrêtés.

Ces groupes analysent les rapports entre Etats, rédigent des propositions d'amélioration de ces rapports, contribuent au travail de rapprochement des législations nationales, à la synchronisation des processus de ratification, et à l'élaboration de solutions sur les problèmes d'intérêt commun.

Les groupes d'amitié établissent des contacts directs avec leurs collègues étrangers, ils échangent leur expérience dans le domaine du travail législatif ce qui permet au Parlement ukrainien d'acquérir une meilleure expérience en prenant l'exemple des parlements du monde entier. Lors de la législature précédente ( 1994 - 1998 ) 60 groupes d'amitié avaient été créés, aujourd'hui il en existe 57 concernant des pays de tous les continents.

Cependant, nous sommes confrontés au fait que dans les parlements de certains pays la pratique des groupes d'amitié n'existe pas. Alors nous essayons de trouver d'autres formes de collaboration avec ces parlements.

Par exemple, dans le cadre la rencontre des Présidents des Parlements du monde à New York en septembre 2000, le Président du Parlement ukrainien, M. Ivan Plioutch a eu une dizaine de rencontres avec ses homologues étrangers.

A titre d'information le 6-10 juin 2000 les députés du groupe des relations interparlementaires Ukraine-France de la Verkhovna Rada ont visité la France et nous attendons chez nous les 16 et 17 décembre prochain les sénateurs membres du groupe d'amitié France-Ukraine.

Les dirigeants de la Verkhovna Rada accordent beaucoup d'importance aux contacts avec les structures gouvernementales des autres Etats. Dans le cadre de certains échanges bilatéraux du Parlement ukrainien ont été signés des documents communs (mémorandums, communiqués, accords, déclarations). Un exemple de tels documents est le projet d'un accord de coopération interparlementaire entre la Verkhovna Rada et la Douma de la Fédération de Russie. La rédaction de cet accord est en cours.

De même, sont particulièrement utiles les échanges interparlementaires au niveau des Commissions travaillant dans le même domaine.

Le troisième axe de l'activité internationale du Parlement est la fonction législative.

Ainsi au cours des années d'indépendance, c'est à dire depuis août 1991, la Verkhovna Rada a ratifié plus de 500 textes (bilatéraux et multilatéraux).

La diplomatie parlementaire est plus libre que la diplomatie officielle, car dépourvue de toutes sortes d'obligations. Mais elle peut être efficace dès lors qu'elle est suivie d'actions du pouvoir exécutif et du secteur économique. Autrement cela n'a aucun sens.

Tout en essayant d'obtenir des résultats des efforts entrepris en collaboration étroite avec les collègues du monde entier, les parlementaires ukrainiens voudraient trouver leur place sur le terrain de la diplomatie parlementaire.

M. Maurice LIGOT, vice-président de la Délégation pour l'Union européenne : Dix ans, ce n'est pas beaucoup pour construire une démocratie, ni une économie dynamique et moderne. Les inquiétudes exprimées sont donc sans doute réelles mais à relativiser. L'Union européenne peut en outre être un soutien et un partenaire dans cette difficile construction.

Réciproquement, l'Ukraine est un partenaire important de l'Union européenne. On l'a vu le 11 septembre, lorsque à Yalta s'est réunie une conférence entre l'Union européenne et l'Ukraine, où s'exprimaient à la fois les préoccupations de l'Union européenne et la volonté de l'Ukraine d'aller, par étapes, dans le sens préconisé par l'Union.

L'Ukraine est un partenaire important de l'Union, mais elle est également confrontée à une réunification de l'Europe qui amène cette dernière jusqu'à ses frontières.

Partenaire important, cela va de soi en raison de sa position géographique, de sa population comme de ses capacités matérielles, humaines et culturelles.

Cette acceptation de l'Ukraine comme partenaire se manifeste d'abord par l'accord de partenariat et de coopération de 1998 et par la stratégie commune d'action qui fixe trois objectifs généraux :

Premier objectif, l'aide à la transition démocratique et économique, d'où un soutien financier européen d'un montant de quatre milliards d'euros.

Deuxième objectif, la stabilité et la sécurité du continent européen.

Troisième objectif, l'appui à l'Ukraine dans le contexte de l'élargissement.

Un domaine en particulier est sensible en matière de stratégie commune : le secteur énergétique. Des actions ont ainsi été menées en vue de la fermeture de la centrale de Tchernobyl.

Un problème mérite d'être signalé : le secteur énergétique est en voie de privatisation, ce qui pourrait entraîner une dépendance accrue à l'égard de la Russie, par la voie de rachat d'entreprises, ce qui est désormais possible. Par ailleurs, à la suite du 11 septembre, la Russie a maintenu son niveau de production pétrolière, ce qui pourrait ne pas être sans conséquences pour l'Ukraine.

Enfin, le projet de financement par la BERD de deux réacteurs nucléaires a finalement été refusé par l'Ukraine, ce qui a immédiatement été suivi de propositions russes, ce qui n'est, encore une fois, pas sans conséquences sur les relations avec l'Union européenne.

Toutes les potentialités de l'accord de partenariat et de coopération avec l'Ukraine ne sont donc pas utilisées comme elles le pourraient.

Quant aux relations entre les pays candidats et l'Ukraine, des liens existent, bilatéraux et multilatéraux. Ces liens sont normaux, compte tenu de la position géostratégique de l'Ukraine, laquelle constitue un pont entre l'Est et l'Ouest. Ce rôle se retrouve dans la création du GUUAM qui rassemble la Géorgie, l'Ouzbékistan, l'Ukraine, l'Azerbaïdjan et la Moldavie. Cette bande de territoire va du c_ur de l'Europe au c_ur de l'Asie centrale.

L'élargissement de l'Europe a forcément des conséquences à l'égard de l'Ukraine. Les frontières de l'Ukraine avec les futurs pays membres deviendront les frontières extérieures de l'Union, ce qui posera des problèmes du fait des accords de Schengen. Ces accords risquent de bloquer le commerce transfrontalier avec la Pologne, par exemple. Or, il faudra éviter de créer une sorte de rideau de fer économique. Il faudra donc créer à terme une zone de libre-échange Union européenne-Ukraine, conjointement avec l'adhésion de l'Ukraine à l'OMC. L'adhésion à l'OMC de la Russie pourrait faciliter un tel processus.

Il y a aussi la question de la redéfinition de nos relations avec l'Ukraine. L'Ukraine a fait savoir qu'elle serait prête à adhérer en 2007. C'est une déclaration d'intention, mais cela implique que l'Ukraine améliore sa situation intérieure, du point de vue politique et juridique, afin que cette adhésion puisse être envisagée.

Cela implique aussi que l'Ukraine clarifie sa position à l'égard de la Russie.

Le Parlement européen a fait une proposition intéressante en ce qui concerne cette période transitoire: la création d'une zone européenne qui permettrait une coopération renforcée avec les voisins des nouveaux pays membres.

Il faut cependant s'interroger sur les conséquences de la nouvelle donne internationale pour l'Ukraine et pour l'Union européenne. Il y a notamment, à cet égard, le retour de la Russie, ses prises de position sur le terrorisme, les questions pétrolières et la perspective de relations plus étroites entre elle et les pays occidentaux. Tout cela ne sera-t-il pas pour la Russie le moyen d'exercer une pression plus importante sur l'Ukraine ? C'est aussi pour cette raison qu'il faut s'interroger sur la future place de l'Ukraine au sein de l'Europe.

Comme il a été dit lors du conseil européen de Nice, l'Ukraine pourrait être systématiquement associée à l'Union européenne et à ses actions extérieures, en tant que pays proche.

Pour conclure, l'Union européenne souhaite profondément que l'évolution démocratique de l'Ukraine puisse se manifester de façon indiscutable lors des prochaines élections, au cours desquelles elle sera présente grâce à des observateurs qui s'assureront que la démocratie est bien présente en Ukraine, ce qui est le souhait profond de l'Union européenne.

M. François LONCLE, Président de la Commission des affaires étrangères : S'agissant de la question, évoquée notamment par Maurice Ligot, des frontières extérieures de l'Ukraine suite à l'élargissement de l'Union européenne, des dispositions ont été adoptées par les Parlements de l'Union afin d'éviter l'instauration d'une nouvelle fracture entre la Suède et la Norvège, par exemple. Des mesures similaires pourraient être imaginées concernant l'Ukraine.

DEBATS DE LA DEUXIEME TABLE RONDE

Mme Marie-Hélène BERARD, Présidente de MHB SA : Je représente une petite banque d'investissements dont l'objectif est de rapprocher des entreprises françaises d'entreprises de l'ex-Union soviétique. Je pense tout d'abord qu'il convient d'éviter l'hypocrisie. Il semble peu probable en effet que l'Union européenne envisagerait une éventuelle adhésion de l'Ukraine si cela déplaisait à la Russie. Dans ce cas, l'Ukraine elle-même ne serait sans doute pas candidate.

S'agissant du programme sur les réacteurs nucléaires K2R4, il me semble que l'Occident n'a pas rempli ses engagements. En conséquence, l'Ukraine semble s'être tournée vers un nouveau partenaire, en l'occurrence la Russie. Je souhaiterais toutefois que M. Fialko puisse me le confirmer.

M. Andreï FIALKO, Conseiller diplomatique du Président de l'Ukraine : Nous respectons bien évidemment la position de la Russie mais nous partons de nos propres intérêts. Nous estimons que si l'Union européenne ou l'OTAN sont parvenues à vaincre l'opposition de la Russie à l'adhésion des Pays baltes ou de la Pologne, pourquoi faudrait-il tenir compte de la même opposition dans le cas de l'Ukraine ? L'invitation de l'Ukraine à intégrer l'Union européenne serait une solution simple pour dissiper ces doutes.

S'agissant des réacteurs nucléaires, il semble que toutes les voies restent ouvertes. Dire que l'Ukraine change d'orientation serait erroné, car il s'agit là de facteurs purement économiques. L'Ukraine cherche bien à intégrer l'Europe, mais elle ne veut pas payer plus que nécessaire.

M. Sergueï KRUGLIK, chef de la section économique de l'ambassade d'Ukraine à Paris : Je voudrais préciser que la BERD (Banque européenne de reconstruction et de développement) n'octroie pas d'aides à proprement parler, elle ne fait qu'affecter les aides provenant du G7 et de l'Union européenne en les soumettant à des conditions.

Lorsque j'avais des responsabilités à la Banque centrale, j'avais déjà pu constater combien les négociations avec la BERD étaient difficiles pour obtenir des financements pour les PME. La situation n'a pas changé depuis, la BERD ne cessant de présenter de nouvelles exigences. La dernière de ces exigences était la fermeture de Tchernobyl, qui est maintenant effective depuis un an. Or nous attendons toujours les décisions de la BERD, qui demande maintenant une augmentation des prix de l'énergie. Il est évident que trois mois avant les élections il n'est pas possible de prendre une telle mesure.

Toutefois les relations avec cette institution restent ouvertes, même s'il existe une alternative avec la Russie. Nous avons résolu la question du rééchelonnement de la dette extérieure avec le Club de Paris, ainsi que celle du rééchelonnement de la dette privée avec les Occidentaux. Ces avancées devraient faciliter la conclusion d'un nouvel accord avec la BERD.

M. Kyrillo MITROVITCH, membre de la société Tarass Chevtchenko : Mme de Tinguy et M. Ligot ont abordé la question des rapports russo-ukrainiens et se sont interrogés sur le choix que fera l'Ukraine. En tant qu'Etat souverain, c'est en effet à elle d'apporter une réponse, mais aucun pays ne vit en vase clos, et l'Ukraine ne peut rester insensible à l'attitude de l'Europe et de l'Occident vis-à-vis d'elle-même et de la Russie. Or il s'est développé en Occident un phénomène de « Poutine-mania » qui influe sur la politique extérieure et dont il faut tenir compte. C'est notamment ce phénomène qui peut expliquer l'absence d'accompagnement et de soutien par l'Occident de ce qui se passe en Ukraine, en particulier concernant la politique de réformes menée par M. Iouchtchenko (je rappelle que bien que principal parti ukrainien représenté au parlement, les communistes n'y ont jamais obtenu de majorité). Cette absence de soutien se manifeste tant au niveau parlementaire que de l'opinion publique et des médias. Le désintérêt de la presse à l'égard de l'Ukraine est flagrant. En revanche, les occidentaux se comportent souvent avec l'Ukraine comme des procureurs.

M. Maurice LIGOT, vice-président de la Délégation pour l'Union européenne : Lorsque nous disons que l'Ukraine doit clarifier sa position à l'égard de la Russie et de l'Union européenne, cela ne signifie pas qu'elle doit exclure l'une par rapport à l'autre. Elle peut très bien entretenir des rapports de confiance avec l'ensemble de ses voisins, sans exclusive. Il n'en reste pas moins qu'un effort de clarification doit être fait vis-à-vis de la communauté internationale.

Mme Anne de TINGUY, vice-présidente de l'Association française pour les études ukrainiennes : En ce qui concerne le choix, pour l'Ukraine, entre l'Union européenne et la Russie, l'idéal serait évidemment qu'il n'y ait pas de choix à faire. Constatons toutefois que ce n'est pas en ces termes que la question se pose actuellement. Je ne pense pas que le slogan que l'on trouve assez fréquemment dans la presse ukrainienne, « en Europe avec la Russie », soit réalisable. Pourquoi la voie vers Bruxelles passerait-elle par Moscou ?

D'autre part les situations ukrainienne et russe vis-à-vis de l'Union européenne sont extrêmement différentes, au point de vue géographique, historique, politique et économique. Le Président Poutine a clairement affirmé que la Russie n'est pas candidate à l'Union européenne.

M. Andreï FIALKO, Conseiller diplomatique du Président de l'Ukraine : Je pense qu'il ne faut pas retenir tout ce qui se dit dans la presse ukrainienne. Les mots clés de notre politique extérieure sont : « intégration à l'Union européenne », et « coopération très étroite avec la Russie ». Il suffirait d'inviter l'Ukraine dans l'Union pour dissiper les doutes. Or nous appliquons l'acquis communautaire sans savoir si nous serons un jour intégrés.

L'Ukraine est très claire dans ses actes. Lors du récent Sommet de la CEI à Moscou, l'Ukraine n'a signé aucun document sur les frontières communes, la défense commune. Aux Nations unies également, sur le traité ABM, nous avons pris des positions différentes de la Russie, mais très proches de celles de la France. Donc il reste des problèmes, mais pas de contradictions.

M. Ihor OSTACH, Président de la Commission des affaires étrangères de la Verkhovna Rada : L'expression « en Europe avec la Russie » a fait son apparition dans le Parlement ukrainien au sein d'un groupe parlementaire qui a d'excellentes relations d'affaires avec la Russie, puis un deuxième groupe s'est constitué avec le slogan « en Asie avec la Russie ». Il s'agit d'un processus normal, chacun a le droit d'exprimer ses opinions.

L'Ukraine a sa propre voie, son propre accord avec l'Union européenne, sa charte de partenariat spécifique avec l'OTAN. Elle a donc toutes les raisons d'être perçue comme un acteur international indépendant.

Depuis le 11 septembre, les Russes, par un effet de balancier, se proposent de relayer les demandes de l'Ukraine auprès de l'Europe. Cette procédure n'est évidemment pas acceptable pour l'Ukraine. La formule « vers l'Europe avec la Russie » ne doit pas être interprétée comme une satellisation de l'Ukraine autour de la Russie.

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TRANSITION ECONOMIQUE ET COOPERATION

Président : M. Vitalyi YOKHNA, Chargé d'affaires de l'ambassade d'Ukraine à Paris

Mme Michèle QUERE, responsable géographique (Belarus, Moldova, Ukraine) à la DREE : Je commencerai par une note d'optimisme : le marché ukrainien est en effet intéressant, en raison de la taille de la population, des capacités de ce pays en matière agricole ainsi que de son parc industriel.

Tout d'abord, la situation économique s'améliore. La croissance est revenue en 2000 et en 2001. Les prévisions pour 2002 sont également favorables. La demande intérieure est aussi en augmentation, tandis que la croissance industrielle a été pour cette année de 16%. Les importations demeurent stables. Le secteur agricole, en raison des réformes (notamment sur le code foncier) est également en bonne voie.

Enfin, plus généralement, l'engagement d'un vaste programme de réformes est très encourageant. Des réformes ont été engagées concernant la situation des créanciers et les faillites. Les codes foncier, fiscal, civil et de la propriété ont été révisés, ainsi que la législation sur la propriété intellectuelle. Ce sont là d'excellents signes. Autre série de réformes à signaler, celles qui concernent le secteur bancaire, ce qui est essentiel. Enfin, les privatisations ont été engagées. Concernant les institutions financières internationales, les versements ont repris et le Club de Paris a accepté de restructurer la dette extérieure. Un bémol toutefois : cela ne suffit pas à créer la confiance. En matière de privatisations, également, beaucoup reste à faire, en particulier dans les secteurs militaro-industriels. Voilà donc un panorama général de la situation.

Quel est l'état de nos relations commerciales ? Tout d'abord, en ce qui concerne les échanges, nous sommes le huitième fournisseur de l'Ukraine. Depuis la reprise économique, les échanges se sont accrus et le niveau de 2000 est équivalent à celui de 1998. Pour 2000 et 2001, nous observons un renforcement du commerce extérieur de l'Ukraine, nos importations augmentant de 26 ou 28 % et nos exportations de 14 ou 15 %. Nous achetons principalement des produits agro-alimentaires, du bois, des produits de confection et des produits énergétiques ; nous vendons de l'alcool et des produits d'équipement, notamment dans le domaine informatique. On pourrait faire mieux, mais ce n'est déjà pas mal.

Où en sont les investissements ? C'est là un point important, mais nous sommes cette fois en mauvaise position. La France représente environ 2% des investissements étrangers en Ukraine. Contrairement aux échanges commerciaux, ils n'ont pas augmenté lors de la reprise économique, notamment parce que la plupart d'entre eux ont été faits entre 1995 et 1998. Les principaux secteurs concernés sont l'agriculture (pour un tiers), la communication et le BTP.

Cette faible présence s'explique principalement par les doutes des entreprises en matière de sécurité juridique et par le manque de transparence des privatisations.

Quelles sont les actions concrètes de coopération ? Dans ce domaine, le dialogue est permanent entre les milieux d'affaires des différents pays. Des actions ponctuelles sont menées, et le Ministère des finances est engagé dans des formes de coopération plus institutionnelles visant à accompagner, autant que possible, les entreprises françaises. Par exemple, une Commission mixte se réunit régulièrement (et se réunira certainement dans le courant de l'année prochaine) et des rencontres entre les milieux d'affaires des deux pays sont organisées par le Centre français du Commerce extérieur.

M. Vitalyi YOKHNA, Chargé d'affaires de l'ambassade d'Ukraine à Paris : Merci madame. En vous écoutant attentivement j'ai bien compris que notre coopération s'améliore, notamment dans le domaine de l'agriculture. Grâce à l'évolution de ces dernières années, il s'avère qu'il est possible de travailler en synergie. L'Ukraine a besoin de l'expérience française, par exemple en ce qui concerne l'organisation du marché du blé. En organisant son propre système de marché du blé, la France est sortie de l'impasse vers 1950.

Nos deux pays ont des intérêts convergents et la France s'intéresse au marché ukrainien. C'est à notre Parlement qu'il revient d'être actif et de créer des lois favorisant les investissements étrangers. Il doit poursuivre cet effort nécessaire d'adaptation des lois.

Je vais maintenant donner la parole à M. Ivan Dankevitch, maire-adjoint de Kyïv, qui a été ministre des transports. Il va nous parler du développement des entreprises à Kyïv. Depuis quelques années, Kyïv est devenue un grand chantier avec, notamment, la rénovation de la gare ferroviaire et de la place centrale. C'est la ville qui attire le plus d'investisseurs étrangers. Les gens que je rencontre sont impressionnés par sa beauté et par la quantité de chantiers. Car malgré les difficultés économiques, la capitale ukrainienne s'embellit. Elle a tous les atouts pour attirer les investisseurs français.

M. Ivan DANKEVITCH, maire-adjoint de Kyïv : Au nom du maire de Kyïv, au nom des députés de la mairie de Kyïv et au nom de la municipalité de la ville je voudrais saluer tous les députés de l'Assemblée Nationale, tous les invités et les représentants de l'ambassade d'Ukraine en France à l'occasion du colloque consacré aux journées de l'Ukraine à Paris. Pour nous cet événement est un pas en avant, destiné à donner une impulsion à la coopération franco-ukrainienne dans le domaine des investissements et des échanges commerciaux entre les sociétés françaises et ukrainiennes.

Kyïv a la singularité de posséder toutes les conditions pour un développement économique croissant. C'est un centre administratif, politique et économique de niveau européen avec des centres d'affaires conformes aux standards européens dont la superficie atteint plus de 100 000 m² .

Sous l'égide de la mairie de Kyïv la gare ferroviaire a été reconstruite et modernisée ainsi que les principales artères et les plus grandes places de la capitale (place de l'Indépendance, la place Sevastopolska et la place Tolstoï).

Le PRB (produit régional brut) par personne est supérieur de 1,9 fois au PRB des autres régions d'Ukraine et forme ainsi une partie importante du PIB du pays. L'initiative des entrepreneurs prend de l'élan. L'année dernière à Kyïv ont été enregistrés 12000 entrepreneurs. Les PME de la capitale ont produit presque un tiers de toute la production réalisée par les PME ukrainiennes.

Les conditions de vie jouent un rôle important pour assurer la croissance économique de Kyïv. Pratiquement dans tous les arrondissements de la capitale on construit des logements confortables. De nouvelles lignes de métro et de bus sont en construction pour relier avec le centre, les quartiers les plus éloignés tels que Academmistechko, Teremki, Bilitchi et Novobilitchi. Les sociétés étrangères participent activement au renouvellement du parc du transport urbain, comme les bus et les rames de métro.

Le système de protection de la santé se développe. La municipalité de Kyïv construit et reconstruit des établissements médicaux, dont plusieurs sont uniques en Ukraine. Les églises sont rénovées. Une politique équilibrée a permis de créer de bonnes conditions pour les croyants de toutes les confessions et d'éviter tout malentendu d'origine religieuse.

Les parcs et les squares de la ville surprennent agréablement les hôtes de la ville. Récemment à l'occasion des dix ans d'indépendance, a été finie la reconstruction du parc Chevtchenko. Kyïv a gagné le concours ukrainien « La ville la mieux aménagée ». Tout cela définit les conditions de vie des habitants de Kyïv. Nous considérons que ces conditions sont assez correctes et dignes d'une capitale européenne.

Le salaire moyen au mois d'août était de 574 grivnas ou de plus de 100$ ce qui est plus important par rapport à d'autres régions de l'Ukraine.

Je voudrais souligner tout particulièrement le fait que le développement de Kyïv est du à l'Etat et aux investisseurs privés. Les investissements provenant du budget forment une petite partie du volume total, les investissements privés intérieurs et extérieurs étant la source principale du développement de la capitale. Certains projets importants sont réalisés avec la participation commune des pouvoirs locaux et des investisseurs privés comme par exemple la rénovation du quartier Bessarabskiy ou de la place de l'Indépendance.

Les sociétés étrangères contribuent largement au développement économique de Kyïv. Elles financent la construction d'entreprises, d'hôtels, de restaurants, de supermarchés et de beaucoup d'autres chantiers. Durant ces dernières années le volume des capitaux investis dans l'économie de Kyïv par les non-résidents a augmenté de 200-250 millions de dollars chaque année.

Ainsi l'année dernière les investissements des entreprises et des organisations étaient de 3,8 milliards de grivnas ou à peu près de 700 millions de dollars ce qui montre l'attirance de la ville. Les investissements réalisés par des non-résidents en dix ans d'indépendance ont atteint 1,8 milliards de dollars.

Le rôle des pouvoirs locaux dans cette évolution est primordial. Notamment, la municipalité a entrepris de créer des conditions favorables pour les investisseurs.

Le fonctionnement des collectivités locales en Ukraine est garanti par la loi sur « les collectivités locales en Ukraine ». Pour Kyïv la loi sur « la capitale d'Ukraine- Kyïv-la ville héros » a été d'une importance primordiale. Cette loi a été votée il y a deux mois. Grâce à cette loi la capitale a obtenu un statut particulier, que l'on pourrait comparer avec celui octroyé par le droit de Magdeburg.

Le vote de cette loi a défini ses droits juridiques et ses possibilités en tant que capitale européenne. Ainsi, Kyïv est organisée sur le modèle de Paris, avec des mairies d'arrondissement. Les habitants de Kyïv ont le droit d'exiger que ces structures agissent tout d'abord dans l'intérêt des habitants de la capitale. Le vote de la loi sur la capitale donne aux pouvoirs locaux les moyens d'agir plus efficacement sans se préoccuper du pouvoir central, et de résoudre les problèmes économiques et sociaux de la ville.

Les mairies d'arrondissement disposent de leurs propres organes exécutifs appelés des « administrations » et non comités exécutifs. Ces administrations exercent les fonctions des comités exécutifs, sont contrôlées et sont obligées de rendre compte aux mairies sur les questions qui font partie des compétences des collectivités locales.

Le maire de Kyïv est élu aux élections générales et désigné par le Président d'Ukraine comme Président de l'administration de la ville, conformément aux dispositions de la constitution et de la législation concernée. Le maire de Kyïv est le président de l'organe exécutif de la mairie qui est, conformément à la loi sur la capitale, l'AK (Administration de Kyïv).

La ville de Kyïv en qualité de capitale d'Ukraine selon la loi sur « La capitale d'Ukraine- Kyïv- la ville héros » ( art. 19,20,21 ) dispose d'un soutien financier de l'Etat.

Une des questions clés du fonctionnement des collectivités locales est l'octroi de certains pouvoirs, certaines fonctions, de certains droits et responsabilités aux collectivités locales de la ville tout en veillant à ce que ces fonctions n'interfèrent pas dans les fonctions des organes territoriaux.

La collectivité locale de Kyïv est compétente pour les domaines suivants: les programmes de développement social et économique du territoire, la gestion des biens mobiliers, immobiliers et fonciers de la collectivité locale, l'établissement du budget et son exécution, la fixation des impôts locaux et leur collecte, l'aide sociale et la protection de la santé (y compris les services d'urgence), la gestion des équipements publics (voirie, eau et énergie) et aménagement du territoire, le fonctionnement des services du domaine culturel, éducatif et artistique, l'organisation des loisirs, la protection de l'environnement, l'organisation des référendums et la constatation de leurs résultats et la gestion des établissements publics.

Il n'y a aucun doute dans le fait que le statut particulier de Kyïv a amélioré la gestion de la ville, l'ayant rendue plus efficace. Ainsi le niveau de vie des habitants de Kyïv s'est élevé, de bonnes conditions de travail et de loisir pour les hôtes de la ville sont assurées et le bon fonctionnement des organes de pouvoir est garanti.

Il nous faut absolument utiliser ce potentiel pour réaliser de gros projets d'investissements y compris dans le domaine des exportations et de la production de produits locaux.

Parfois des investisseurs étrangers se plaignent de la complexité des procédures bureaucratiques à travers lesquelles ils sont obligés de passer. Cette bureaucratie existe partout y compris dans les pays industrialisés. La réforme administrative entreprise en Ukraine vise à améliorer l'efficacité de cette bureaucratie. Dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres Kyïv joue un rôle de leader en essayant de servir d'exemple pour les autres régions. Par exemple Kyïv a commencé à regrouper les arrondissements de la capitale pour passer de 14 arrondissements à 10, plus grands et mieux aménagés.

Nous sommes persuadés que les liens internationaux de la ville sont une base pour le développement des rapports commerciaux et des projets d'investissements. Ces relations sont déjà assez anciennes et diverses.

Kyïv a établi des relations amicales et de jumelage avec une cinquantaine de villes de tous les continents.

Pour stimuler nos relations économiques internationales nous utilisons activement nos missions diplomatiques à l'étranger et les missions diplomatiques étrangères représentées en Ukraine. Des réunions régulières des membres du Trade club ont lieu avec la participation des attachés économiques des ambassades. D'autre part, toute l'information sur la coopération économique avec Kyïv est envoyée régulièrement dans les missions diplomatiques ukrainiennes à l'étranger.

Ainsi Kyïv met en pratique la stratégie du ministère des Affaires étrangères destinée à stimuler la coopération économique internationale. Le corps diplomatique et la mairie de Kyïv forment une équipe de partenariat efficace et aident les sociétés ukrainiennes et étrangères du secteur privé à établir des contacts afin de conclure et de signer des accords bilatéraux.

De notre côté nous garantissons l'entier soutien de la mairie de Kyïv à toutes les propositions, toutes les démarches et les projets orientés vers la création d'emplois et vers l'augmentation des revenus des habitants de la capitale. Nous sommes pour la croissance du budget de la ville, pour l'amélioration du niveau de vie des habitants de Kyïv. Nous sommes pour le développement du marché libre et pour une concurrence saine au profit de notre société.

Permettez-moi de vous remercier de tout mon c_ur de ce colloque consacré aux journées de l'Ukraine à Paris et d'exprimer mon espoir dans le rapprochement et la compréhension entre les deux grands pays que sont la France et l'Ukraine, dans la coopération entre Paris et Kyïv, et dans l'accélération de la coopération économique et culturelle.

M Vitalyi YOKHNA, Chargé d'affaires de l'ambassade d'Ukraine à Paris: Merci, M. Dankevitch. Kyiv est jumelée à Toulouse, mais depuis l'indépendance, c'est plutôt entre les pôles politiques, Kyiv et Paris, que des liens se créent, notamment à travers le développement d'institutions civiles. Or, seule la capitale est dotée de tels instruments. Les liens entre Kyiv et Paris sont donc appelés à se renforcer. Dans le domaine économique, il y a également beaucoup de place pour les projets communs. 

Je passe maintenant la parole à M. Teriokhine.

M. Sergueï TÉRIOKHINE, Président du groupe d'amitié Ukraine-France: Avant d'aborder le sujet de mon intervention, j'aimerais rebondir sur deux remarques de M. Dankevitch. Tout d'abord, je souscris à son appel à plus d'investissements pour Kyïv. En second lieu, je prône dans ce domaine la diminution des pressions administratives et des règles de procédures. Un exemple suffira : pour construire ma maison, il m'a fallu obtenir 54 signatures. Il est excellent que la Mairie de Kyïv soit consciente de la nécessité de réformes dans ce sens.

Je tiens maintenant à remercier M. Barrau grâce auquel, après l'indépendance, l'Ukraine a le rare privilège de se voir consacrer une journée entière de discussions au Parlement.

J'aimerais d'abord faire un petit détour historique.

Entre 1992 et 1998, l'économie ukrainienne était plus morte que vive. Aujourd'hui, le malade est en voie de guérison, et de guérison rapide.

Le passage du plan au marché a été difficile. L'inflation a atteint pendant un temps le taux record de 1500%, phénomène dû en grande partie au fait que le prix de l'énergie russe avait été multiplié par 60. La dépendance énergétique de l'Ukraine réduisait énormément sa marge de man_uvre budgétaire, et le déficit pouvait atteindre 40% du PIB.

L'une des réponses a été la réforme monétaire et la création de la grivna, qui n'était plus raccordée au rouble mais au contraire flottait par rapport aux devises internationales.. En raison de l'instabilité des devises européennes, l'Ukraine a choisi le dollar comme référent international. Le Parlement demande aujourd'hui que l'euro joue ce rôle. Attendons le 1er janvier 2002 et le passage réel à l'euro.

En 1996, une deuxième réforme importante a été mise en _uvre : la réforme fiscale. Bien que les taux d'imposition aient été diminués, les recettes ont augmenté de 42% pour la TVA et de 40% pour l'impôt sur les bénéfices. Les opposants à cette baisse des impôts ne voient pas que ces soulagements fiscaux renforcent en réalité le budget.

L'Ukraine a su échapper aux crises financières asiatique et russe et ses finances publiques ont été épargnées, mais la monnaie a dû être fortement dévaluée à deux reprises. Les emprunts d'Etat ont perdu la confiance du marché et leur place sur le marché obligataire ukrainien a diminué.

Le FMI, dont le rôle est d'aider les Etats à surmonter les crises de ce type, a interrompu tous les prêts, lesquels ne pouvaient être relancés qu'une fois que la situation s'améliorerait, ce qui a été le cas à partir de 2000 et 2001.

Les économistes s'interrogent : cette amélioration est-elle due au travail de M. Iouchtchenko, connu pour sa rigueur et pour avoir été à l'origine du principe de corridor monétaire, ou est-elle due à l'évolution interne de l'économie ? En réalité, les signes politiques, comme l'arrivée d'un gouvernement de technocrates, ont eu une importance primordiale dans ce résultat.

Aujourd'hui, tout le monde, en Ukraine et à l'étranger, est étonné par l'évolution récente de l'économie ukrainienne. Ainsi, dans un contexte pré-électoral, par nature propice aux blocages, la croissance continue du volume de production, de l'ordre de 16%, rapproche l'Ukraine des « petits dragons » asiatiques des années soixante-dix et quatre-vingt. L'appréciation de la grivna, également, est le signe d'un renforcement de l'économie ukrainienne. Le maire de Kyïv déclarait récemment qu'il n'y aurait plus de chômeurs dans cette ville avant la fin de l'année 2002. Au risque de surprendre, je suis persuadé qu'il a raison.

Quelques points importants méritent enfin d'être évoqués, comme le nouveau code foncier et le Code commercial, même s'il conserve des défauts. Le nouveau code civil, qui s'inspire du code Napoléon, a facilité la réforme judiciaire en cours dont le « troisième pouvoir » sort renforcé. Cela constitue une réponse à la question de Mme Quéré sur la sécurité juridique des investisseurs.

Autre point important, la loi sur l'autonomie de la Banque centrale ukrainienne et la création d'un conseil de supervision, qui émane de l'exécutif et du législatif et qui jouera un rôle consultatif. La Banque centrale demeurera autonome par rapport à ces deux pouvoirs.

Je ne suis néanmoins pas toujours satisfait des réformes actuelles. Ainsi, le nouveau code foncier me paraît laisser trop de pouvoir aux « barons rouges ».

Autres points positifs, le code criminel et le code de la famille, qui renforce le rôle des femmes. Nous respectons ainsi l'esprit des recommandations de l'Union européenne. Enfin, une nouvelle loi va être votée sur les sociétés par actions, ainsi que sur les tarifs douaniers. Le but de ces réformes est de favoriser l'adhésion de l'Ukraine à l'OMC. Pour ce faire, nous devons harmoniser notre législation.

Ces réformes se heurtent néanmoins à plusieurs entraves. Tout d'abord, malgré l'existence d'une base législative pour lutter contre les monopoles, il demeure encore possible de créer des oligopoles, voire des monopoles. Le Comité d'Etat antimonopoles ne peut rien y faire.

Par exemple, les investissements de portefeuille dépendent de procédures d'appels d'offre qui présentent souvent un caractère discriminatoire au détriment des petits investisseurs.

L'administration fiscale, par ailleurs, continue sa guerre non déclarée contre les petites et moyennes entreprises, peut-être parce que ces dernières sont moins bien placées pour se défendre.

Il existe encore un double standard, une différence de traitement entre investissements nationaux et étrangers, par exemple dans le secteur automobile, ce qui est contraire aux normes du commerce libre. Je comprends à cet égard la réaction de la France, laquelle devrait se montrer encore plus insistante à l'égard de l'Ukraine.

Enfin, il subsiste des problèmes dans le domaine des assurances sociales et des retraites. La réforme de ce secteur a toutefois été bien perçue lors de sa première lecture au Parlement.

Concernant le secteur bancaire, des réformes s'imposent également, notamment en matière boursière et dans le secteur de l'énergie. L'expérience de la France dans ce secteur est à ce titre très utile. Enfin, les travaux concernant le code fiscal ne sont pas terminés mais sont en cours.

Pour dresser un bilan, je dirais donc que dans l'ensemble, le balancier penche du bon côté : pour paraphraser Mme Quéré, il y a plus de dièses que de bémols. J'appellerai enfin la partie française à demeurer attentive au travail des législateurs, l'initiative des lois leur revenant en Ukraine. Ils sont également prêts à écouter la France, mais il y a un paradoxe : alors que la France est le concepteur de la TVA, elle ne participe pas au groupe de travail consultatif constitué d'experts internationaux consulté par l'Ukraine, contrairement à la Belgique. Il serait souhaitable que la France collabore plus activement. Nous nous pencherons bientôt sur les secteurs de l'énergie, des télécommunications et sur les mesures de soutien au secteur agricole, domaines dans lesquels nous aurons besoin de l'expertise de la France.

M. Vitalyi YOKHNA, Chargé d'affaires de l'ambassade d'Ukraine à Paris : Je vous remercie M. Teriokhine. Comme vous avez pu le constater, M. Teriokhine est un jeune homme de la nouvelle génération. Je pense que vous avez bien perçu l'optimisme de ses propos. Il est une preuve que la jeunesse existe en Ukraine. Comme nous avons pris un peu de retard, je donne immédiatement la parole à M. Claude Birraux, député, qui connaît bien l'Ukraine ainsi que ses problèmes énergétiques.

M. Claude BIRRAUX, vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques : Merci M. le Président. Je connais un certain nombre de vos collègues de la Verkhovna Rada car je fais partie de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, et en tant que membre de la Commission de la culture et de la science et de l'éducation je connais bien son Président, votre collègue M. Anatoliy Rakhansky. Mon intervention portera sur la question énergétique en Ukraine.

La France et l'Ukraine se trouvent dans des situations semblables du point de vue énergétique car elles assurent leur indépendance à hauteur de 50%, en ayant abandonné le recours aux combustibles locaux, comme le charbon, pour le nucléaire. Cependant l'intensité énergétique est très forte en Ukraine qui a une consommation par tête habitant sept fois supérieure à celle de la moyenne des pays de l'OCDE, ce qui est une des raisons des problèmes de l'économie ukrainienne.

Quelle est la politique énergétique française: Il y a, en France, un large consensus politique qui vise à assurer l'indépendance énergétique, concernant l'utilisation rationnelle de l'énergie. Notre pays, qui dispose de peu de ressources fossiles et de ressources énergétiques propres, s'est engagé à respecter les engagements pris à la conférence de Kyoto afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Nous appliquons également les directives européennes relatives à l'ouverture du marché de l'électricité ainsi qu'à la part des énergies nouvelles renouvelables dont la part devrait représenter 21% en 2010. Le recours au nucléaire a été justifié par la politique d'économie d'énergie ainsi qu'une utilisation rationnelle de l'énergie. Dans les années 1970, au moment de la crise pétrolière, la France a su assurer sa croissance énergétique pendant une quinzaine d'années. Notre pays a également eu le souci de « l'efficacité énergétique » en imaginant des dispositifs destinés à économiser l'énergie tels que la régulation thermique des bâtiments, l'installation de vannes thermostatiques sur les radiateurs, l'incitation à la consommation du strict nécessaire. Parallèlement ces mesures ont contribué à la création d'emplois.

Nos deux pays coopèrent étroitement dans le domaine de la sûreté nucléaire, notamment avec le concours de deux organismes ukrainiens, l'organisme de sûreté ukrainien (le SSTC) et l'Institut ukrainien de radioécologie mais aussi par les programmes Phare et Tacis et ceux de la BERD. Le souci constant est d'améliorer la sûreté de l'existant. Le suivi des évaluations de la sûreté relatives à la réduction des risques présentés par le sarcophage de Tchernobyl est une des préoccupations majeures et, à ce titre, il faut mentionner l'initiative franco-allemande qui a répondu à un appel du gouvernement ukrainien en avril 1996 qui associe, outre la France et l'Allemagne, des instituts russes, biélorusses et ukrainiens relatifs à la santé des populations affectées. Trente-sept projets ont été menés pour un financement de 6 millions €.

Le problème majeur est celui de la fermeture de la centrale de Tchernobyl. Il y a un an j'étais sur place dans le cadre d'auditions parlementaires et j'ai constaté une réelle prise de conscience du drame. La fermeture était déjà contenue dans le mémorandum de l'accord du G7 relatif à l'Ukraine en décembre 1995 à Ottawa. La France a contribué pour 20% au compte « sûreté nucléaire » géré par la BERD en tant que pays donateur, et est également contributeur au compte sarcophage de Tchernobyl. Cette fermeture a entraîné une rupture avec un système qui privilégiait la production, système responsable de l'accident.

En fermant cette centrale, l'Ukraine a tourné une page en montrant son réel attachement à la santé de la population. Il y a donc eu un renversement de l'échelle des valeurs sur lesquelles se fondait la société ukrainienne.

Elle a ainsi adressé un signe très fort au monde.

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DEBATS DE LA TROISIEME TABLE RONDE

Mme Nina MOUSSET-EVTOUCHENKO, Présidente de l'association internationale East-West Bridge: Parmi les pays de l'ex-Union soviétique, six sont relativement riches (Russie, Ukraine, Ouzbékistan, Kazakhstan, Turkménistan et Azerbaïdjan). Les autres n'ont pas les matières premières nécessaires à leur développement. Par ailleurs, en dix ans, l'Ukraine s'est dotée d'une importante base législative. Le potentiel de l'Ukraine est énorme, comme nous avons pu le voir aujourd'hui. La nouvelle génération est là.

Parmi ces six pays riches, seule l'Ukraine est un bon élève de l'Europe et des Etats-Unis, le seul à avoir suivi toutes les recommandations du FMI, de la BERD ou de Washington. Le résultat est là : 6% de croissance. D'un autre côté, il y a les projets concrets. Or, il faut faire la jonction entre tous ces vecteurs.

Mme Quéré, quelle est la position de la DREE ; quelle est votre opinion ; que doit faire Bercy et que doit faire l'Ukraine ?

Mme Michèle QUERE, responsable géographique à la DREE : La vision de la DREE est dans l'ensemble plutôt optimiste. L'appréciation de la DREE est la suivante : on observe actuellement une embellie depuis 2000, embellie qui peut se transformer en une croissance durable. Attendons l'an prochain pour en avoir le c_ur net. Cela étant, les opportunités d'affaires existent et le terrain juridique est plutôt favorable.

La DREE jouera le rôle qu'elle joue déjà : nous n'avons jamais cessé d'aider les entreprises qui désirent s'implanter en Ukraine ; il existe pour ce faire divers mécanismes d'accompagnement. A titre d'exemple, et répondant à l'appel de M. Teriokhine, dans le domaine fiscal, l'ADETEF, au sein du Ministère de l'économie et des finances, coopère à la mise en place de votre nouveau système.

Les actions concrètes se font par le truchement de nos services : le service commercial de l'ambassade, le poste d'expansion économique. Les Commissions mixtes jouent également un rôle très important, notamment un rôle informatif.

M. Sergueï TERIOKHINE, Président du groupe d'amitié Ukraine-France: Pourquoi se contenter d'un optimisme modéré ? Il y a dix ans, connaissait-on seulement l'existence de l'Ukraine ? Dans l'ensemble, non. Aujourd'hui, la plupart des Français croient que l'Ukraine fait partie de la Russie. Cela s'explique principalement par le fait qu'il n'y avait pas de relations entre les hommes d'affaires du reste du monde et l'Ukraine, du moins sous cette appellation.

Le problème est au fond plutôt moral qu'économique. Pourrons-nous inventer seuls les règles adéquates, propices aux investissements étrangers, sans que des investisseurs étrangers soient eux-mêmes présents et exercent leur influence sur le pouvoir exécutif et législatif en Ukraine ?

Néanmoins, en dépit des risques, les Etats-Unis investissent à eux seuls autant que tous les autres réunis à l'exception de Chypre, ce dernier pays constituant un cas particulier puisqu'il s'agit là du problème de fuite et du retour des capitaux.

M. François BARATIN, Secrétaire général du Forum de Kyïv: Je voudrais poser une question à M. Teriokhine. Vous nous avez expliqué tout à l'heure que le Parlement exerce l'initiative des lois, et son travail législatif depuis quelques années est effectivement impressionnant. Cependant, les difficultés rencontrées par les entreprises tiennent plutôt à leur application qui pose généralement problème. Nouvelles lois et anciennes lois sont mal distinguées et l'application est souvent approximative.

Est-ce que le Parlement dispose de prérogatives de contrôle ? Un tel pouvoir est explicitement dévolu au Parlement américain. Disposez-vous d'un tel droit de regard ?

M. Sergueï TERIOKHINE, Président du groupe d'amitié Ukraine-France : Il y a sur ce sujet un paradoxe : l'initiative des lois ne revient pas au gouvernement, sauf sur deux ou trois sujets, l'initiative revenant à la Banque centrale et aux députés.

La constitution prévoit un contrôle du Conseil des ministres, mais il n'y a pas de loi spécifique sur le contrôle de l'application des lois, donc ce dernier est difficile en pratique, sauf à modifier la loi. Le seul moyen consiste à demander des explications par la voie d'une modification de la loi.

Pourquoi ? Parce que le Parlement, a priori, n'a pas d'influence sur le travail du gouvernement, hormis en donnant son accord sur la seule nomination du Premier ministre. Il n'a notamment pas le droit de créer une majorité qui pourrait soutenir l'action du Conseil des ministres, puisqu'une telle majorité n'aurait pas d'existence constitutionnelle. Un projet de réforme a été soumis et est actuellement à l'étude au Tribunal constitutionnel.

Ce problème a de nombreuses répercussions pratiques, en effet, auxquelles nous allons tenter de remédier.

M. Kyrillo MITROVITCH, membre de la société Tarass Chevtchenko : Existe-t-il des entreprises françaises susceptibles de s'intéresser à des ressources pétrolières inexplorées? Autre question, comment peut-on intensifier le marché des brevets en Ukraine, domaine que l'époque soviétique n'a pas favorisé ?

M. Claude BIRRAUX, vice-président de l'Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques : Sur la prospective pétrolière, les entreprises françaises sont parmi les plus compétentes du monde. Par les moyens indiqués tout à l'heure par Mme Quéré, des liens peuvent être tissés. Il n'y a pas d'obstacle.

Le problème des brevets est également un problème européen, leur nombre étant inférieur en Europe à ce qu'il est aux Etats-Unis. Une révolution des esprits s'impose chez les scientifiques européens en général, qui devraient penser davantage à valoriser le fruit de leurs recherches. Grâce à une loi sur l'innovation votée il y a maintenant deux ans en France, les chercheurs peuvent valoriser leurs recherches par un dépôt de brevet simplifié et par leur participation, à temps partiel, à des sociétés d'exploitation de brevets. Quelque chose du même ordre peut sûrement être fait en Ukraine.

LES RELATIONS FRANCO-UKRAINIENNES

Président : M. Sergueï TERIOKHINE, Président du groupe d'amitié Ukraine-France de la Verkhovna Rada

M. Sergueï TERIOKHINE, Président du groupe d'amitié Ukraine-France : Cette troisième table ronde me paraît être la plus importante de notre rencontre car elle porte sur les relations franco-ukrainiennes. S'il est vrai que le terme amitié est inscrit dans le titre de notre colloque, nous avons surtout mis en avant, jusqu'à présent, les problèmes. Cette table ronde doit donc nous permettre d'évoquer les pistes visant à consolider cette amitié. Certes, il existe déjà, aujourd'hui, des liens permanents entre nos gouvernements et nos parlements, mais il nous faut penser à élargir notre coopération et conduire nos échanges dans un cadre aussi vaste que possible.

Trois personnes sont amenées à prendre la parole au cours de cette table ronde. Interviendra en premier lieu, mon ami et collègue Patrice Gélard, sénateur, Président du groupe d'amitié France-Ukraine, qui, il y a plus d'un an, m'a invité avec une délégation de collègues députés ukrainiens en France. Cette invitation à Paris nous a permis de mieux connaître l'organisation du Sénat ainsi que le fonctionnement de vos collectivités locales en province. Par ailleurs, dois-je rappeler que l'expérience du bicamérisme français constitue une de nos sources d'inspiration dans la perspective de créer, quand les circonstances le permettront, une seconde chambre dans notre pays.

Le deuxième intervenant sera M. François Baratin, Secrétaire général du Forum franco-ukrainien, chargé de promouvoir le dialogue entre nos deux pays ; cette association a enfin une homologue en Ukraine grâce aux soutiens des entreprises que j'avais démarchées, de mon côté, il y a un an.

Enfin, M. Arkadi Joukovsky, de la société Tarass Chevtchenko, évoquera les relations culturelles, avant que je ne cède la parole à M. Alain Barrau, qui clôturera le colloque.

M. Patrice GELARD, Président du groupe d'amitié sénatorial France-Ukraine : Si j'ai été pessimiste pour le passé, je tenterai d'être raisonnablement optimiste pour l'avenir...

D'aucuns disent qu'au moins un quart des Français sont descendants d'Ukrainiens puisque les généalogistes ont démontré précisément qu'un quart des Français descendaient du roi saint Louis, lui-même fruit de l'union d'Henri Ier avec Anne de Kyïv...

En marge de cette boutade, je rappellerai que les relations entre nos deux pays sont anciennes car la France s'est intéressée à la première république d'Ukraine (1918 - 1919) ; hélas, ces relations n'ont pas duré bien longtemps. Pourtant, avant la révolution de 1917, il existait des liens étroits entre les deux grands ports français - Marseille et Le Havre- et le port d'Odessa. Des négociants havrais avaient mêmes débuté leur carrière dans le grand port d'Ukraine mais ce ne sont plus aujourd'hui que des traces de nos vieilles relations d'amitié.

Avec le régime soviétique, nous avons pris de fort mauvaises habitudes en ne traitant exclusivement que d'Etat à Etat, notamment en matière de relations économiques. Les investisseurs et économistes français n'ont traité, durant toute la période soviétique, que dans le cadre de plans à moyen terme, conclus au sein de la Grande commission bipartite franco-soviétique. Entre temps, certains pays ont su rapidement s'affranchir de ces lourdeurs, en apprenant à court-circuiter les réseaux officiels, à l'exemple de l'Allemagne et de l'Italie, activement présentes sur le terrain, ce qui n'est pas notre cas.

Il nous faut donc changer notre culture.

Malheureusement, je dois aussi établir d'autres constats :

Les Français ne connaissant pas l'Ukraine, ils n'y vont pas en touristes alors même que de vraies potentialités existent sur place. Il faudrait - à l'instar de ce qu'ont su faire pour leur propre pays la Bulgarie ou la République tchèque - mobiliser les agences de voyages en misant sur les nombreux pôles d'intérêt que recèle l'Ukraine : mer Noire, chasse, monuments historiques, paysages, etc.

La langue ukrainienne est pour ainsi dire inconnue des Français, ceux-ci aujourd'hui s'intéressant de préférence à l'étude de leurs propres langues régionales (breton, corse), alors que l'on assiste au même moment à un désapprentissage général de la langue russe en France. Les effectifs d'étudiants à l'INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales) ne cessent de diminuer dans toutes les disciplines slaves : russe, ukrainien, polonais, bulgare, serbo-croate. A ce rythme, à l'exception de quelques chercheurs isolés, notre culture slave disparaîtra. Enfin, la langue ukrainienne n'est pas enseignée dans nos lycées car elle ne débouche sur aucun diplôme (CAPES, agrégation).

Une idée fausse, aussi, est largement répandue dans notre pays ; cela est dû à tous ceux qui s'ingénient à présenter la Russie et l'Ukraine comme des entités identiques. Cette mauvaise appréhension de la réalité est véhiculée par un courant journalistique mais aussi par bon nombre d'hommes politiques. L'Ukraine est considérée - par le Parlement européen, le premier, mais aussi par bien des pays - comme une chasse gardée de la Russie, c'est à dire comme n'étant pas vraiment indépendante. On se rend compte que même les relations de la France avec l'Ukraine ne doivent pas déranger les relations franco-russes. C'est aussi cet état d'esprit qu'il faut changer.

Ce qui n'a pas joué en faveur du développement de nos liens, ce sont les appréciations portées par la compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur - la COFACE - qui ont entraîné pendant longtemps des implications négatives dans nos relations, car l'Ukraine était présentée à nos investisseurs comme étant un pays à hauts risques pour de multiples motifs : instabilité juridique, risques politiques, risques économiques, difficultés de rapatriement des bénéfices. Certes, on assiste, depuis, à une évolution dans les milieux exportateurs mais on a encore conservé une mentalité frileuse.

Pour toutes ces raisons, la France est insuffisamment présente dans votre pays, tant sur le plan politique qu'économique.

Pourtant, la présence de certains de nos ministres - je pense à ceux de l'agriculture et des transports, par exemple - serait bienvenue et tout à fait justifiée pour régler les problèmes en suspens qui relèvent de leur compétence; cela étant et réciproquement, on ne voit guère de ministres ukrainiens à Paris.

Je souhaiterai maintenant évoquer les quelques pistes auxquelles j'ai songé pour développer nos relations bilatérales.

Il convient tout d'abord de renforcer les groupes d'amitié de l'Assemblée nationale et du Sénat. Nous sommes prêts dans les deux chambres à accueillir les délégations ukrainiennes de passage à Paris et à nous rendre dans la mesure du possible à Kyïv et dans la province.

Il faut chercher, en deuxième lieu, à favoriser les partenariats régionaux transversaux dans certains secteurs clés : santé, agriculture, économie, transports, à l'instar de ce qu'ont réalisé les villes de Toulouse et Kyïv dans le domaine de la santé, des universités et de l'économie. A titre d'information, je vous indique aussi qu'un projet à caractère économique est en cours de réalisation entre les villes de Marseille et Odessa.

Ces types d'initiative ont des répercussions positives parce qu'ils peuvent conduire pour l'avenir à des partenariats entre PME. Ces dernières, jusqu'à présent, hésitaient à se rendre en pays inconnu. Historiquement, en effet, elles avaient toujours été exclues des décisions prises au niveau de la Grande Commission franco-soviétique.

Il faut aussi resserrer les liens entre nos chambres de commerce mais, surtout, il est devenu impératif de revitaliser nos relations dans le domaine culturel, relations que la France a gravement négligées.

Si la France est présente culturellement en Ukraine, c'est grâce à la volonté des Ukrainiens qui ont voulu développer notre langue et notre culture, que ce soit à travers l'Alliance française ou le lycée français de Kyïv, par exemple.

Je suis stupéfait de découvrir que dans des régions d'Ukraine, des étudiants apprennent le français et ont une connaissance poussée de notre langue, sans jamais être venus en France. Malheureusement, les efforts que vous faites perdent de leur portée si nous n'essayons pas de leur donner un prolongement concret.

En fait, la France a négligé de s'intéresser aux programmes européens décidés à Turin, et aujourd'hui, ce sont des projets suédois ou finlandais, par exemple, qui sont prioritairement sélectionnés. De la même manière, nous sommes très peu présents dans les programmes TACIS ou PHARE, devancés, en cela, par les Allemands ou les Britanniques - ces derniers n'hésitant pas à sous-traiter leurs opérations à des agences américaines qui perçoivent donc des fonds européens !

Dans ce paysage éducatif et culturel où la France brille par son absence, il existe des exceptions, je pense notamment au Parlement français qui a soumissionné, il y a quelques temps déjà, pour un programme de développement au profit de l'institution parlementaire ukrainienne. Si nos fonctionnaires se rendent ainsi régulièrement dans votre pays, je pense néanmoins que l'on peut faire encore plus.

Je regrette qu'à l'heure actuelle le ministère de l'éducation nationale, tout comme celui de la recherche, ne disposent plus des moyens financiers suffisants pour accorder des bourses universitaires parce que nos ressources budgétaires sont largement consommées dans les programmes européens. J'estime, par ailleurs, que l'on peut recourir à d'autres outils de coopération et je pense notamment à l'utilisation qui pourrait être faite des fondations.

Il me semble en particulier souhaitable de créer une fondation pour les études juridiques, capable d'accueillir des étudiants étrangers, ce qui contribuerait, par là même, à redonner un essor à la francophonie.

Nos voisins allemands, par le biais d'une fondation financée par la société Volkswagen, n'hésitent pas, pour leur part, à beaucoup donner aux pays d'Europe de l'Est.

J'ai essayé, de mon côté, de motiver des entreprises françaises pour une telle démarche mais il m'a été répondu ceci : « nous avons nos propres bonnes _uvres et nous ne voulons pas financer des structures que nous ne pourrions pas contrôler ».

C'est pourquoi, je vous le dis, c'est un vaste programme qui nous est proposé pour l'avenir, si nous souhaitons vraiment réaliser l'extension de nos liens économiques et culturels.

Je vais enfin vous dire ce à quoi j'aspire : c'est de voir se produire la troupe de l'opéra de Kyïv à la Bastille ou encore entendre votre orchestre symphonique, ici à Paris. Mais j'imagine également d'autres manifestations possibles, telles des expositions de peintures et de sculptures d'artistes ukrainiens qui seraient présentées au Sénat.

M. Sergueï TERIOKHINE, Président du groupe d'amitié Ukraine-France : Le groupe d'amitié avec la France au Parlement ukrainien est le plus important, avec 56 députés, alors qu'il n'y en a que 34 dans celui avec la Russie. Ceci est significatif de l'intérêt pour la France et donc de l'enjeu de nos relations.

Il convient de démentir les a priori selon lesquels l'Ukraine serait dans la sphère d'influence de la Russie. Toutes nos initiatives depuis 1991 ont démontré l'inverse. Par exemple l'Ukraine a déployé des efforts pour développer une coopération régionale avec les zones de la mer Baltique et de la mer du Nord, même si les Pays baltes et la Biélorussie ont choisi une voie différente. De même, l'implication de l'Ukraine dans le Forum GOUAM, qui est une coopération économique régionale sans la Russie, démontre sa volonté de combattre le stéréotype selon lequel elle resterait dans la sphère d'influence russe et de multiplier les vecteurs de coopération.

Donc il faut que l'attention des pays de l'Europe occidentale soit focalisée sur l'Ukraine, il faut combattre ce pessimisme. Alors que la COFACE continuait en 1990 à assurer les exportations vers l'URSS bien que cette dernière soit notoirement au bord de la faillite, elle s'est retirée de l'Ukraine dès la proclamation de son indépendance. Ses homologues allemande, anglaise et japonaise sont quant à elles restées présentes sur le marché ukrainien. Le retrait de la COFACE était clairement une décision politique des autorités de Bercy, prise malgré le dynamisme de l'ambassade d'Ukraine à Paris.

M. Gélard a très bien exposé les problèmes liés à l'enseignement des langues française et ukrainienne dans nos pays respectifs. Je pense qu'il faut encourager l'apprentissage de l'ukrainien qui présente une certaine proximité avec le français.

M. François BARATIN, Secrétaire général du Forum franco-ukrainien : Mon expérience de l'Ukraine est récente, je m'y suis rendu pour la première fois en 1994. Depuis j'ai contribué à la création de deux associations, le Club de Kyïv en 1995, puis le Forum franco-ukrainien en 1999.

Nous avions fait en 1997 un inventaire des associations françaises dont le titre ou l'objet comportait le mot « Ukraine », et en avions trouvé plus de cent, ce qui démontre bien que l'Ukraine n'est pas absente des préoccupations des français en général. Plusieurs milliers de personnes sont en effet intéressées activement au développement de la coopération franco-ukrainienne. Parmi ces associations, environ la moitié présentaient un caractère humanitaire, et l'autre moitié un caractère culturel. Très peu, en revanche, avaient un caractère économique.

C'est pourquoi M. Malherbe et moi-même avons créé le Club de Kyïv, dans le but d'en faire un lieu où les entreprises qui s'intéressent à l'Ukraine puissent y trouver des informations et échanger leur expérience. L'objectif à terme était de créer une chambre de commerce franco-ukrainienne, qui s'avère indispensable pour offrir aux entreprises françaises des facilités leur permettant d'investir et de commercer avec l'Ukraine. Réciproquement, il faut également aider les entreprises ukrainiennes à s'installer en France, car elles sont particulièrement peu nombreuses à le faire. Le Club de Kyïv organise des débats mensuels qui permettent aux participants de partager leur expérience. Nous faisons également du travail de terrain, comme par exemple la recherche de partenaires pour les entrepreneurs, mais cette activité a tendance à décroître depuis deux ans ce qui est paradoxal puisque c'est précisément depuis cette période que la croissance redémarre en Ukraine. Le Club est également un lieu de « brain-storming », où l'on recherche des solutions pour faciliter les investissements en Ukraine.

A l'occasion d'un débat, l'un de nos membres, ancien conseiller du ministre des Transports ukrainien, nous a exposé les avantages des contrats de concession, qui sont susceptibles de s'adapter parfaitement à l'Ukraine. Il s'agit de contrats entre l'Etat, ou une collectivité locale, et une société privée pour la prise en charge d'une activité économique, en général un service public. Dans ce cadre, les infrastructures demeurent publiques, la collectivité locale ou l'Etat exercent un contrôle politique sur le fonctionnement de l'activité concernée, mais l'entreprise dispose d'une très grande autonomie de gestion dans le cadre d'un cahier des charges défini à l'avance et pour une durée limitée. Nous avons en France une longue expérience de ce système, qui s'est beaucoup répandu à l'étranger depuis une dizaine d'années. C'est en effet ce type de contrat qui permet à de très grosses entreprises comme Vivendi ou la Lyonnaise des Eaux d'investir des sommes très importantes dans des villes étrangères. Nous avons donc pensé que ce système pouvait convenir à l'Ukraine, s'agissant d'un pays où l'Etat est assez démuni et ne peut par ailleurs, pour des raisons politiques évidentes, céder à vil prix à des sociétés étrangères des infrastructures qui représentent un investissement de plusieurs décennies. C'est pourquoi, avec l'aide de la DREE, le Club de Kyïv a mis en place un groupe d'experts internationaux, essentiellement français, pour travailler avec le Parlement ukrainien à l'élaboration d'une loi sur la concession, qui a été votée le 16 juillet 1999. Cette loi n'a toutefois jamais reçu d'application et nous attendons toujours qu'elle soit expérimentée sur un cas particulier, car il s'agit d'un vecteur d'investissements français extrêmement important. Mais il faut que les deux parties montrent de l'intérêt pour pouvoir lancer une coopération.

Deuxième volet de nos activités, nous démarrons actuellement un cycle sur la sous-traitance, à la demande des sociétés françaises. Plutôt que de sous-traiter en Corée, nous pourrions en effet choisir de le faire en Ukraine qui est plus près. Cette voie pourrait également s'avérer prometteuse, c'est notamment elle qui a permis aux sociétés taiwanaises et coréennes de prendre leur envol par rapport aux sociétés japonaises : elles ont commencé par travailler à façon, puis ont amélioré le procédé jusqu'à devenir des sous-traitants incontournables, ou parfois même prendre le pas sur le donneur d'ordre. C'est donc un moyen de développer une activité industrielle.

A titre d'exemple, le cas nous a été rapporté d'une PME française qui a investi avec succès dans une scierie en Ukraine et qui vend ses productions essentiellement à l'exportation. Cette société a rencontré de grosses difficultés pour obtenir des services fiscaux, comme toute entreprise qui exporte, le remboursement de la TVA qu'elle avait réglée à ses fournisseurs. Il semble donc que l'Ukraine ne soit pas très favorable à la sous-traitance dans la mesure où il s'agit d'entreprises exportatrices qui ne contribuent pas au budget de l'Etat par le biais de la TVA.

L'autre association que nous avons créée, le Forum franco-ukrainien, est quant à lui beaucoup plus institutionnel. Il est présidé par M. Jean-Claude Trichet et répond à une demande des gouvernements des deux pays. Son objectif est de constituer un lieu de rencontre dans des domaines très divers. Par exemple nous recevrons la semaine prochaine un groupe d'une dizaine de présidents d'universités ukrainiennes et d'autant de leurs homologues français pour travailler sur deux projets concrets : d'une part la mise en place d'un serveur informatique à haut débit entre les universités françaises et ukrainiennes, qui peut avoir de nombreux usages, et d'autre part le programme Koutchma de formation professionnelle de cadres ukrainiens, en partenariat avec la France et l'Allemagne. Nous envisageons d'organiser l'an prochain une rencontre entre collectivités locales pour discuter de problèmes tant juridiques qu'économiques ou culturels. Ces rencontres permettent d'instituer des relations de confiance qui peuvent déboucher sur une multitude de petits projets, prémices à l'instauration d'une véritable coopération entre nos deux pays.

M. Arkady JOUKOVSKY, Président de la société Tarass Chevtchenko : Malgré leur éloignement géographique, car situés à deux extrémités de l'Europe et distants l'un de l'autre de plus de deux mille kilomètres, et leur différence d'origine - latine d'un côté et slave de l'autre, de religion - catholique et orthodoxe, de rite - romain et byzantin, le peuple français et le peuple ukrainien ont toujours eu un point commun : l'amour de la liberté, l'esprit démocratique propre aux pays méditerranéens - la mer Noire constituant en effet une partie du berceau de la civilisation européenne.

Dès les temps les plus anciens, des contacts de nature politique, économique et culturelle ont existé entre la France et l'Ukraine. Selon les époques, l'intérêt des Français pour l'Ukraine fut plus ou moins important. Plutôt que de me livrer à des réflexions sur ce sujet, je préfère apporter des faits et laisser l'auditeur en juger.

Dans ce bref aperçu historique, je ne passerai en revue que les événements les plus importants, sans entrer dans les détails, puisque tout chercheur ou lecteur pourra trouver de plus amples renseignements dans différents ouvrages d'historiens ukrainiens de France, en particulier chez Elie Borschak.

Sur le plan politique et étatique, la France établit ses premières relations avec l'Ukraine au XIe siècle, par la voie matrimoniale, selon la coutume de l'époque : Henri Ier, petit-fils de Hugues Capet, épousa la princesse Anne de Kyïv, fille du prince Yaroslav le Sage. Une Ukrainienne devint reine de France. Après la mort de son époux, la reine Anne devint régente de France et exerça la tutelle jusqu'à la majorité de Philippe Ier. Demeurant avec ses enfants au château de Senlis, elle fonda l'abbaye Saint-Vincent, qui existe encore à Senlis.

Au XIIIe siècle, à la suite de conflits internes et de la lutte contre les peuples nomades, le déclin de l'Etat kiévien entraîna l'affaiblissement des liens avec l'Occident. Néanmoins, la Rous10 demanda l'aide des pays de l'Europe occidentale pour lutter contre l'invasion tatare de 1240. En 1245, le métropolite Petro Akerovytch prit part au concile de Lyon dans ce but, mais sans résultat.

Un siècle plus tard, l'Ukraine se trouvant dépourvue d'entité étatique, ses relations avec la France seront essentiellement d'ordre culturel. Un grand nombre d'Ukrainiens prirent le chemin de la France pour y parfaire leurs études, principalement à la Sorbonne. De précieux manuscrits littéraires et religieux, parmi lesquels l'Évangéliaire de Reims et la Confession de foi orthodoxe du métropolite Petro Mohyla, sont conservés en France.

Les campagnes victorieuses des Cosaques contre l'Empire ottoman au début du XVIIe siècle attirèrent l'attention de la Milice chrétienne, créée par Charles de Gonzague, duc de Nevers, lequel s'efforça d'organiser une coalition contre la Turquie. La Ligue prit contact avec l'hetman Petro Sahaïdatchny, qui en devint membre avec toute l'armée cosaque, forte de 40 000 hommes.

Le premier ouvrage spécialisé sur les Cosaques de l'Ukraine, la Description d'Ukranie (1650), fut publié par l'ingénieur et cartographe militaire Guillaume Le Vasseur de Beauplan, travaillant au service de la Pologne, après son séjour en Ukraine de 1631 à 1647. Il est également l'auteur d'une carte de l'Ukraine d'une importance considérable, puisque c'était la première carte de l'Europe orientale dressée sur la base de mesures astronomiques et topographiques modernes.

Un autre auteur qui informa les Français sur l'Ukraine fut Pierre Chevalier, conseiller du roi à la Cour des monnaies, lequel dans son Histoire de la guerre des Cosaques contre la Pologne (1663) apporta un complément d'information à l'ouvrage de Beauplan. Chevalier fut aussi l'intermédiaire entre le gouvernement français et Bohdan Khmelnytsky dans les négociations en vue de l'engagement d'un détachement de 2 400 Cosaques, qui prit part au siège de Dunkerque.

La Gazette de France des XVIIe et XVIIIe siècles suivit tout particulièrement les guerres des Cosaques en Ukraine. Sous le règne de Louis XIV, le Cardinal Mazarin s'intéressa à l'État cosaque de l'hetman Bohdan Khmelnytsky. La France était favorable à l'entente polono-cosaque et hostile au rapprochement de l'Ukraine avec la Moscovie. Elle approuva le traité de paix de Hadiatch (1658) entre l'Ukraine et la Pologne, mais condamna le traité polono-russe d'Androussovo (1667) et l'extension du pouvoir moscovite en Ukraine.

La France encouragea les aspirations indépendantistes de l'Ukraine, soutint l'action de l'hetman Ivan Mazepa et aida à la création de l'alliance ukraino-suédoise (1708). Louis XIV fut tenu au courant de l'action de Mazepa par son ministre des Affaires étrangères, le marquis de Torcy, et par ses ambassadeurs à Varsovie, à Constantinople et en Suède. Après la défaite de Poltava (1709), les diplomates français usèrent de leur influence auprès de la Porte pour qu'elle ne livre pas Mazepa et ses hommes au tsar Pierre Ier. Selon l'instruction du ministre de Torcy « l'agrandissement de la puissance de Moscou n'est pas dans l'intérêt du roi ». En 1734, le directeur politique du Ministère des Affaires étrangères, Le Dran, définit la politique de la France à l'égard de l'Ukraine comme suit : « La Russie, on peut la déranger par l'Ukraine. Les Cosaques, habitants de l'Ukraine, une grande Nation et courageuse, n'est pas contente, depuis longtemps elle gémit sous le joug des Russes ».

La diplomatie française soutint également le successeur de Mazepa, l'hetman Pylyp Orlyk, puis son fils Hryhori Orlyk, qui servit dans le corps diplomatique et les forces armées françaises, parvenant au rang de général. C'est dans cette atmosphère d'encouragement de la France à la cause ukrainienne que Voltaire porta ce jugement sur la destinée de l'Ukraine : « L'Ukraine a toujours aspiré à être libre ; mais étant entourée de la Moscovie, des États du grand-seigneur et de la Pologne, il lui a fallu chercher un protecteur, et par conséquent un maître, dans l'un de ces trois Etats. Elle se mit d'abord sous la protection de la Pologne, qui la traita trop en sujette ; elle se donna ensuite au Moscovite, qui la gouverna en esclave autant qu'il le put.»11

Sous le règne de Louis XVI, la politique de la France continua d'être favorable à la question ukrainienne. Après la destruction de la Sitch (le centre militaire des Cosaques) (1775), le ministre des Affaires étrangères, le comte de Vergennes, proposa « d'entrer en contact avec les Cosaques pour créer une diversion contre la tsarine » (Catherine II).

La question ukrainienne fut soulevée durant la Révolution française. L'ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, Genet, adressa à la Convention un mémorandum, demandant de préparer un soulèvement antirusse en Ukraine.

La France s'intéressa tout particulièrement à l'Ukraine pendant la campagne de Napoléon en Russie. Celui-ci s'intéressa spécialement aux Cosaques d'Ukraine. Après le démembrement de la Russie, un État indépendant, sous le nom de Napoléonide, devait être créé en Ukraine, et l'économie de l'Ukraine devait servir à renforcer celle de la France. En rapport avec la campagne de Russie, il convient de signaler un événement important dans l'histoire des relations franco-ukrainiennes. Le médecin militaire de Napoléon, Dominique-Pierre de la Flise, originaire de Nancy, fut fait prisonnier par les Russes. Après sa libération, il s'établit dans le nord de l'Ukraine et y travailla jusqu'en 1861. Il a laissé plusieurs ouvrages sur le folklore, l'ethnographie et la topographie de la région de Kyïv et des provinces adjacentes du nord de l'Ukraine. Ses neuf grands albums manuscrits avec des commentaires sur divers aspects de la vie et de la culture du peuple ukrainien sont actuellement publiés par l'Académie des Sciences d'Ukraine (depuis 1996).

Après la disparition de l'Etat cosaque et des structures étatiques en Ukraine, les relations avec la France se limitèrent une nouvelle fois au domaine culturel.

Dans les années 1820, le grand mathématicien ukrainien Mykhaïlo Ostrohradsky suivit des cours de mathématiques à la Faculté des Sciences et au Collège de France, chez P. Laplace, A. Ampère, J. Fourier, A. Cauchy et D. Poisson. Il écrivit une partie de ses travaux en français, et ceux-ci furent publiés dans les Mémoires de l'Académie royale des sciences de l'Institut de France.

Pendant la guerre de Crimée, Prosper Mérimée fit paraître, en 1855, l'essai Les Cosaques de l'Ukraine et leurs derniers atamans, suivi d'un ouvrage consacré à l'hetman Bohdan Khmelnytsky, Les Cosaques d'autrefois (1863). Le grand mérite de Mérimée est d'avoir bien analysé la situation de l'Ukraine, prise entre ses deux voisins, la Pologne et la Russie, et d'avoir voulu l'expliquer à ses compatriotes.

Les slavisants Louis Léger, Emile Durand, Adolphe d'Avril ont étudié l'oeuvre du poète Tarass Chevtchenko et l'action des membres de la Confrérie de Cyrille et Méthode. Honoré de Balzac, qui a voyagé en Ukraine dans les années 1847-1850, a décrit son périple dans le récit Lettre sur Kyïv.

Le sénateur Casimir Delamarre adressa au Sénat une pétition réclamant une réforme de l'enseignement de l'histoire, pétition qui fut publiée sous forme de brochure, intitulée Un peuple de quinze millions oublié devant l'histoire (1869).

Adolphe d'Avril, publiciste et diplomate, un des fondateurs de l'Alliance Française, s'intéressa lui aussi à l'Ukraine. En 1876, dans son Voyage sentimental dans les pays slaves, il expliquait à ses compatriotes que « les Ruthènes [Ukrainiens] sont peu connus en Europe, car les Russes et les Polonais nous les ont cachés (...). Ils sont considérés comme une communauté à part, le peuple le plus poétique, le plus musical et le plus artiste des peuples slaves. »

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, Marko Vovtchok, femme de lettres ukrainienne qui vécut en France de 1860 à 1867, était liée avec Jules Verne, Gustave Flaubert, Prosper Mérimée et Pierre-Jules Hetzel. Ce dernier, sous le pseudonyme de P.-J. Stahl, écrivit avec elle le célèbre récit Maroussia (1878), couronné par l'Académie Française.

Le publiciste ukrainien Mykhaïlo Drahomanov participa en 1878 au Congrès littéraire international de Paris, où il diffusa sa brochure La littérature oukraïnienne proscrite par le gouvernement russe. Louis Léger, fondateur des études slaves en France, et Alfred Rambaud, historien et homme politique, participèrent en 1874 au Congrès archéologique de Kyïv. À la fin du XIXe siècle, l'anthropologue et ethnographe ukrainien Fédir Vovk travailla à l'École d'Anthropologie de Paris, où il publia ses travaux en français.

Après la signature du traité franco-russe de 1891, l'intérêt pour la cause ukrainienne faiblit en France. Pendant la première guerre mondiale, la France préféra éluder le problème ukrainien, pour ne pas contrarier la Russie. Mais lors de la révolution de février 1917, le gouvernement français suivit de près les travaux du parlement ukrainien, la Rada Centrale Ukrainienne. À la fin de l'année 1917, le ministre des Affaires étrangères, Stephen Pichon, fit à l'Assemblée nationale une déclaration favorable à l'Ukraine. Le 3 janvier 1918, le gouvernement français nomma le général Tabouis commissaire de la République française auprès de la République d'Ukraine. Le 4 janvier 1918, Georges Tabouis présenta ses lettres de créance au chef du gouvernement ukrainien, Volodymyr Vynnytchenko, reconnaissant ainsi de facto la République Populaire Ukrainienne (UNR en ukrainien). Cependant, l'ouverture des négociations de paix avec les Puissances centrales, à Brest-Litovsk, et la guerre contre les Bolcheviks mirent fin aux relations cordiales entre la France et l'Ukraine. Dès lors, la France appuya la cause russe en aidant l'Armée de Volontaires, la garde blanche, et se montra défavorable à l'indépendance de l'Ukraine. Cette attitude se manifesta durant l'intervention française à Odessa (décembre 1918-avril 1919) et lors de la Conférence de la Paix à Paris (1919-1923).

Il y eut toutefois des exceptions : plusieurs publications favorables à la cause ukrainienne parurent. Citons les ouvrages de Pierre Chasles, de Louis Réau, directeur de l'Institut français de Petrograd, de Louis Léger, de Charles Dubreuil, ancien lecteur de français à Kyïv. De son côté, la délégation ukrainienne à la Conférence de la Paix fit paraître, en 1919, quelques publications en français ainsi qu'une étude sur l'Ukraine par Fédir Savtchenko.

Dans l'entre-deux-guerres, la France était opposée à tout mouvement indépendantiste en Europe orientale. Cette attitude de la France se confirma après l'instauration de relations diplomatiques avec l'URSS et la signature du traité de non-intervention, rejetant toute activité hostile réciproque. En dépit de cette position officielle, des hommes d'Etat ukrainiens, dont Simon Petlioura et Volodymyr Vynnytchenko, trouvèrent refuge en France.

À cette époque, on compte des acquis non négligeables dans les relations franco-ukrainiennes sur le plan culturel et scientifique. Antoine Martel noua des relations avec l'Académie des Sciences d'Ukraine. Les revues Le Monde slave et la Revue des études slaves publièrent de nombreux articles ainsi qu'une chronique régulière consacrée à l'Ukraine. Roger Tisserand donna une histoire populaire, La Vie d'un peuple. L'Ukraine (1933). René Martel et Jacques Benoît-Méchin signèrent des études historiques. Elie Borschak traita des relations historiques entre la France et l'Ukraine.

Dans les années 30, une association française, le «Cercle d'Etudes ukrainiennes», fut fondée à Paris. Présidé par Gabriel Ferrand, ministre plénipotentiaire, professeur à l'École des Hautes Études, le cercle comptait parmi ses membres des personnalités telles que le général Georges Tabouis, Emmanuel Evain, député de Paris, et Fernand Mazade entre autres, et avait pour but d'informer le public français sur l'Ukraine.

A la veille de la seconde guerre mondiale, Maurice Schuman (sous le pseudonyme d'André Sidobre) analysa la question ukrainienne dans son ouvrage Les problèmes ukrainiens et la paix européenne (1939).

Depuis 1938, la langue ukrainienne est enseignée à l'École des Langues Orientales, aujourd'hui : Institut National des Langues et Civilisations Orientales.

Lorsque éclata la guerre germano-soviétique, la France opta pour l'URSS et se désintéressa, de ce fait, du problème ukrainien.

Dans les années 50, les tentatives du gouvernement français pour ouvrir un consulat à Kyïv se heurtèrent au refus des autorités soviétiques.

En 1966, lors de son voyage à Kyïv, le général Charles de Gaulle, s'entretenant avec les dirigeants de l'Ukraine soviétique, évoqua la grande mais tragique histoire de l'Ukraine. « Histoire, disait-il, qui touche depuis bien longtemps les c_urs français. Nous savons ce que firent vos princes au milieu des périls et des menaces. Nous savons quelles épreuves vous avez traversées. Nous savons quels combats furent livrés sur ce sol. » Son successeur, le Président Georges Pompidou, entama des démarches pour se rendre à Kyïv, mais son brusque décès y mit fin.

À partir de 1954, une délégation permanente de l'Ukraine soviétique siégea à l'UNESCO. À l'époque, l'activité de la délégation était assez limitée, cependant elle s'efforçait d'exploiter la tribune de l'UNESCO pour mieux faire connaître l'Ukraine et les réalisations du peuple ukrainien dans le domaine de l'éducation, de la science et de la culture.

Après la seconde guerre mondiale, plusieurs intellectuels français traitèrent des sujets ukrainiens : Marie Scherrer (Les Dumy ukrainiennes, 1947), Georges Luciani (Le Livre de la genèse du peuple ukrainien, 1956), Alain Desroches (Le Problème ukrainien et Simon Petlura, 1962), Louis Aragon et Eugène Guillevic (analyse des oeuvres de Chevtchenko).

En 1964, à l'occasion de la commémoration du 150e anniversaire de la naissance de Tarass Chevtchenko, d'éminentes personnalités françaises, parmi lesquelles André Maurois, André Mazon et André Mirambel, contribuèrent à resserrer les liens entre la France et l'Ukraine. Et le Conseil de la Ville de Paris donna le nom de Tarass Chevtchenko au square situé à côté de l'église ukrainienne Saint-Volodymyr (au 186, Boulevard Saint-Germain). En 1978, un monument à la mémoire de Chevtchenko, offert par l'Ukraine, fut inauguré dans ce même square.

En collaboration avec leurs collègues ukrainiens, des universitaires français organisèrent une série de colloques consacrés à de grandes figures de l'Ukraine. Michel Cadot, professeur de littérature à la Sorbonne, fut l'organisateur de la plupart de ces colloques.

En 1993 fut créée l'Association française d'études ukrainiennes, d'abord présidée par le professeur Daniel Beauvois, puis par le professeur Michel Cadot. Parmi les chercheurs les plus actifs aujourd'hui dans le domaine des études ukrainiennes, il convient de citer les politologues Alain Besançon et Anne de Tinguy, le comparatiste Michel Cadot, l'historien Daniel Beauvois et le philologue Emile Kruba.

Après la proclamation de l'indépendance de l'Ukraine, le 24 août 1991, la France fut un des premiers pays du monde à reconnaître l'Etat ukrainien (le 27 décembre 1991).

Lors de sa visite d'Etat en Ukraine, du 2 au 4 septembre 1998, le Président Jacques Chirac rendit un hommage appuyé à la constance et à la puissance du sentiment national ukrainien. Il encouragea l'Ukraine dans ses orientations internationales, tout en rappelant la place qu'occupait déjà l'Ukraine dans le cadre européen.

En conclusion, il nous faut constater que l'histoire de l'Ukraine en général ainsi que ses rapports avec la France furent largement tributaires du facteur géographique, c'est-à-dire des relations de l'Ukraine avec ses voisins immédiats, la Pologne et la Russie. A l'époque cosaque, la France encouragea l'entente polono-ukrainienne et fut hostile à toute ingérence de la Russie. Mais dès la fin du XIXe siècle, cette attitude changea, à la suite de l'accord franco-russe, qui n'envisageait nullement l'existence d'une Ukraine indépendante.

Aujourd'hui, l'Ukraine étant à nouveau libre, les relations entre la France et l'Ukraine peuvent contribuer à leur prospérité mutuelle, mais aussi à la stabilité dans cette partie de l'Europe, et à aider à ancrer tous les pays du vieux continent dans le cadre européen.

CONCLUSION DU COLLOQUE

M. Alain BARRAU, Président du groupe d'amitié France-Ukraine : Je remercie tout d'abord tous ceux qui ont participé à la préparation de cette journée et en particulier nos deux ambassades, celle d'Ukraine à Paris mais aussi de France à Kyïv car leur efficacité, leur courtoisie et leur disponibilité ont permis que cette journée se déroule dans de bonnes conditions.

L'objectif de cette journée était qu'ait lieu un échange aussi approfondi que possible sur les sujets les plus importants en matière de coopération franco-ukrainienne. Les débats qui ont eu lieu lors des quatre tables rondes sont également l'occasion de saluer les dix ans d'indépendance de l'Ukraine, dont la construction a lieu chaque jour sous nos yeux.

Je voudrais maintenant souligner trois points qui me semblent, à ce stade, importants pour nous tous, Ukrainiens et Français.

Tout ce qui peut favoriser les échanges commerciaux et les investissements entre nos deux pays est dans notre intérêt. Il y a un énorme effort législatif fait actuellement par l'Ukraine pour faciliter l'accueil des investissements étrangers, et une telle évolution sera utile à tout le monde, notamment parce que nous avons des intérêts communs à un niveau très important. Les caractéristiques économiques de nos deux pays, leur taille, leur agriculture, font que nous avons beaucoup d'intérêts communs. Cela sera enfin un moyen d'accroître la place de notre pays et de l'Europe en Ukraine, et inversement de l'Ukraine en France.

Peut-être est-ce encore plus important, les caractéristiques de nos deux peuples sont très proches. Ce sont deux peuples qui sont capables de défendre leur culture, leur civilisation, leur langue. Il faut faire en sorte que l'anglais ne soit pas la seule pratiquée, qu'une deuxième langue le soit également est important, en France comme en Ukraine. Nous pouvons être très actifs à cet égard. Les mesures concrètes, les actions dans le domaine culturel, musical, des arts plastiques, seront des moyens de valoriser nos cultures, qui sont riches.

Pour en revenir à la discussion de ce matin, l'un des enjeux consisterait à pouvoir utiliser les atouts considérables de l'Ukraine dans une perspective européenne.

L'Ukraine fera un jour partie de l'Union européenne. Cela prendra peut-être un certain temps, mais l'Union européenne devrait un jour englober tous les Etats qui ont vocation à en faire partie.

Aussi, nos amis ukrainiens ne devront pas se sentir délaissés lors du prochain élargissement de l'Union européenne. Il est vrai qu'elle ne sera pas immédiatement concernée, mais l'important est de préparer la suite et de faire en sorte que la mise en place des frontières extérieures de l'Union ne soit pas un obstacle entre cette dernière et l'Ukraine.

D'ici quelques jours sera mise en place une convention qui traitera de la manière dont devra fonctionner la future Europe, à partir de 2004. J'ai pour ma part toujours pensé que la position géostratégique de l'Ukraine, comme grande puissance régionale, était un atout pour nous tous. Nous devons nous servir de l'expérience ukrainienne. L'expérience et la pratique ukrainiennes de la Russie nous seront précieuses.

Nous devons également, et c'est une idée qui m'est très chère, tirer avantage de la pratique ukrainienne de la région caucasienne, dans laquelle votre audience est importante. Il y a d'autres puissances dans la région, comme la Turquie ou l'Iran, mais il faut valoriser votre appartenance à l'Europe.

Ces trois dimensions, la dimension européenne, la dimension russe et la dimension caucasienne, me semblent faire partie des atouts considérables dont la puissance régionale ukrainienne doit disposer.

C'est ainsi que je souhaite continuer à contribuer à ce dialogue. Le stade de la simple prise en compte de la question ukrainienne est dépassé. Nous pouvons et devons bâtir quelque chose d'important pour l'Europe de demain.

ANNEXE 1 : FICHE SIGNALETIQUE DE L'UKRAINE12

I- Données géographiques:

Superficie

603 700 km²

Population

49,6 millions d'habitants (73 % Ukrainiens, 22% Russes, 5% autres (Moldaves, Hongrois, Polonais, Tatars etc...)

   

Croissance annuelle (1995-2000)

-0,8 %

Grandes villes

Kyïv (2,6 millions), Kharkiv (1,5 M), Dnipropetrovsk (1,2M), Odessa (1,1M), Donetsk (1,1M) et Lviv (0,8M)

   

Religions

orthodoxes (80%), catholiques uniates et latins (10 à 15%), protestants (0,4M) et juifs (0,6M)

   

Langue officielle

ukrainien

   

II- Données économiques

 
   

Croissance annuelle (1989-1999)

-10,6 %

Croissance annuelle (2000)

+ 6%

PIB par habitant PPA (2000)

3458 $

Secteur agricole

20 % population active, 13,8 % du PIB

Secteur industriel

40 % population active, 38,5 % du PIB

Secteur tertiaire

40 % population active, 47,7 % du PIB

Taux de chômage (2000)

4,2 %

Taux d'inflation (2000)

26 %

   

Dette extérieure

10,4 milliards de $

Energie taux de couverture

56,3 % (40% électricité produite par les centrales nucléaires), forte dépendance vis-à-vis de la Russie

   

Commerce extérieur (2000)

excédentaire de 2,7 Md $ (déficit en 1999: 265M$)

Exportations

15,7 Milliards de $ (dont 6,4 Md $ en métaux ferreux et non-précieux, 2,6Md $ produits manufacturés )

Importations

14,9 Md $ (dont 6,4Md $ en fuel et énergie)

Principaux partenaires

Russie (37 %), Union européenne (30% dont Allemagne 7% et France 2,1 %), Asie (23%), Turkménistan (5% grâce au gaz), Etats-Unis (4%)

Investissements étrangers

750 M$

   

III- Données institutionnelles

 
   

* République unitaire

 

* Constitution adoptée le 28 juin 1996

 

* Parlement monocaméral ( prochaines élections en mars 2002): la Verkhovna Rada comprend 450 sièges. Actuellement 115 sièges sont détenus par les communistes, la majorité étant émiettée entre divers groupes d'une vingtaine de députés.

* Chef de l'Etat: M. Léonid KOUTCHMA (réélu en 1999)

* Président de la Verkhovna Rada: M Ivan PLIOUTCH (depuis février 2000)

* Chef du gouvernement: M. Anatolyi KINAKH (depuis juin 2001)

* Ministre des affaires étrangères: M Anatoly ZLENKO (octobre 2000, il était auparavant Ambassadeur d'Ukraine à Paris)

* Relations diplomatiques établies avec la France en décembre 1991.

* L'Ukraine est membre fondateur de l'ONU, de la CEI, OSCE, Conseil de l'Europe (depuis 1995) et de CEMN (coopération autour de la mer noire)

* Partenariat avec l'OTAN (depuis 1997)

* Stratégie commune avec l'Union européenne (2000), accord de partenariat et de coopération (1998)

* En 2002, mise en place du programme franco-ukrainien de coopération interuniversitaire DNIPRO.

COMPOSITION DE LA DELEGATION UKRAINIENNE

1) verkhovna rada

· M. Ihor OSTACH, député de Lviv (réforme- congrès), Président de la Commission des affaires étrangères, vice-président de l'Assemblée interparlementaire de l'OSCE

· M. Sergueï TERIOKHINE, député de Kyïv (réforme-congrès), vice-président de la Commission des finances et des questions bancaires, Président du groupe d'amitié Ukraine-France

2) administration presidentielle

· M. Andreï FIALKO, Conseiller diplomatique du Président de l'Ukraine Léonid KOUTCHMA

3) ministere des affaires etrangeres

· M. Yevhen PERELYGUINE, directeur du département de l'intégration européenne,

· Mme Natalya GOLUB, attachée à la direction de l'Union européenne

4) mairie de kyïv

· M. Ivan DANKEVITCH, maire-adjoint

· M. Valery LEBEDYVSKY, député de la Rada de Kyiv, chef-adjoint à la direction générale des relations économiques extérieures et des investissements

· M. Vassyly MOMOT, directeur général de l'entreprise municipale "aéroport international Jouliany"

· M. Boris TSIGANENKO, directeur-adjoint de la compagnie d'énergie "Kyivenergo"

LISTE DES INTERVENANTS FRANÇAIS

1) Assemblée nationale

· M. Raymond FORNI, député du Territoire de Belfort, Président de l'Assemblée nationale (S)

· M. Alain BARRAU, député de l'Hérault, Président du groupe d'amitié France-Ukraine, Président de la Délégation pour l'Union européenne (S)

· M. René ANDRE, député de la Manche, vice-président du groupe d'amitié France-Ukraine, membre de la Délégation du Bureau chargée des relations internationales (RPR)

· M. Claude BIRRAUX, député de la Haute-Savoie, vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, membre du groupe d'amitié France-Ukraine (UDF)

· M. Maurice LIGOT, député du Maine-et-Loire, vice-président de la Délégation pour l'Union européenne, Secrétaire parlementaire du groupe d'amitié France-Ukraine (UDF)

· M. François LONCLE, député de l'Eure, Président de la Commission des affaires étrangères (S)

· M. Bernard SCHREINER, député du Bas-Rhin, vice-président de la délégation à l'Assemblée du Conseil de l'Europe (RPR)

2) sénat

· M. Patrice GELARD, Président du groupe d'amitié sénatorial France-Ukraine (RPR)

3) représentants d'autres institutions:

· M. François BARATIN, Secrétaire général du Forum franco-ukrainien et du Club de Kyiv

· Mme Michèle QUERE, responsable géographique (Ukraine, Belarus, Russie) à la DREE (direction des relations économiques extérieures)

5) chercheurs:

· Mme Annie DAUBENTON, chercheur indépendant, Kyïv

· Mme Anne de TINGUY, chercheur au CERI, vice-présidente de l'association française d'études ukrainiennes

ANNEXE 2 : colloque sur L'UKRAINE, SITUATION ET PERSPECTIVES DIX ANS APRES L'INDEPENDANCE

5 décembre 2001

Colloque organisé par le groupe d'amitié France-Ukraine,
présidé par Alain BARRAU

8h45 : accueil des invités

9h30 : allocution d'ouverture par M. Raymond FORNI, Président de l'Assemblée nationale

9h45 : M. Alain BARRAU, député (S), Président du groupe d'amitié France-Ukraine « l'Ukraine, le retour à l'Europe de «  la Nation oubliée »

10h00- 11h30 : POLITIQUE ET DEMOCRATIE EN UKRAINE

Président : M. René ANDRE, député (RPR), vice-président du groupe d'amitié France-Ukraine

Transition politique et institutionnelle, société civile et Etat de droit

Orateurs :

· M. Ihor OSTACH, député de Lviv, Président de la Commission des affaires étrangères à la Verkhovna Rada, vice-président de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE : « survol du paysage politique ukrainien »

· Mme Annie DAUBENTON, chercheur, Kyiv « l'Etat et la société civile : quel dialogue ? »

· M. Bernard SCHREINER, député (RPR), vice-président de la délégation à l'assemblée du Conseil de l'Europe « l'Etat de droit en Ukraine devant le Conseil de l'Europe »

Débat

11h30-11h45 pause-café

11h45-13h15 : l'UKRAINE, ACTEUR INTERNATIONAL

Président : M François LONCLE, député (S), Président de la Commission des affaires étrangères

Quelle place pour l'Ukraine dans la nouvelle architecture européenne?

Orateurs :

· Mme Anne de TINGUY, chercheur au CERI, vice-présidente de l'Association française des études ukrainiennes « l'Ukraine : une politique d'équilibre entre l'Est et l'Ouest est-elle encore possible ? »

· M. Andreï FIALKO, Conseiller diplomatique du Président de l'Ukraine « les priorités de la politique étrangère ukrainienne »

· M. Ihor OSTACH, député, Président de la Commission des affaires étrangères à la Verkhovna Rada, vice-président de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE « le rôle de la diplomatie parlementaire »

· M. Maurice LIGOT, député (UDF), vice-président de la Délégation pour l'Union européenne « l'Ukraine et l'Union européenne »

Débat

13h15-14h30 : interruption des débats

14H45-16H15 : TRANSITION ÉCONOMIQUE ET COOPÉRATION

Président : M Vitalyi YOKHNA, Chargé d'affaires de l'ambassade d'Ukraine à Paris

Forces et faiblesses de l'économie ukrainienne, les réformes en cours

orateurs :

· Mme Michelle QUERE, responsable géographique (Ukraine, Belarus, Russie) à la DREE « la coopération commerciale et économique franco-ukrainienne : état et perspectives »

· M Ivan DANKEVITCH, maire-adjoint de Kyïv, « les collectivités locales et le développement économique »

· M. Sergueï TERIOKHINE, député de Kyïv, vice-président du comité des finances et des questions bancaires, Président du groupe d'amitié Ukraine-France « les réformes économiques en Ukraine »

· M Claude BIRRAUX, député (UDF), vice-président de l'office parlementaire des choix technologiques « la question énergétique en Ukraine »

Débat

16h15-16h30 : pause-café

16h30-18h00 : LES RELATIONS FRANCO-UKRAINIENNES

Président : M. Sergueï TERIOKHINE, député, Président du groupe d'amitié Ukraine-France

Des relations anciennes en pleine évolution

orateurs :

· M. Patrice GELARD, sénateur (RPR), Président du groupe d'amitié sénatorial France-Ukraine « les relations parlementaires franco-ukrainiennes »

· M. François BARATIN, Secrétaire général du Forum franco-ukrainien « le dialogue franco-ukrainien »

· M. Arkadi JOUKOVSKI, Président de la société Tarass Chevtchenko « les relations culturelles franco-ukrainiennes »

Débat

18h00-18h15 : allocution de clôture par M Alain BARRAU, Président du groupe d'amitié France-Ukraine

Colloque « l'Ukraine, situation et perspectives dix ans après l'indépendance » (DIAN-08-2002)

1 La composition du groupe d'amitié figure au verso de la présente page

2 Voir revue « ïï », Lviv, septembre 2001, p. 19, article de M. Popovitch.

3 Sondages du centre Razoumkov, 2001. L. Shenguina

4 Travaux de l'Institut politique de M. Tomenko

5 Id.

6 Voir « Universum », n° 11/12, 2000, p. 21

7 E. Martchouk cité par « Expert Tsentr »

8 Terme employé par Ludmila Shenguina, Centre Razoumkov.

9 Revue « Kritika », octobre 2001, p. 10.

10 Il ne faut pas confondre la « Rous » avec la « Russie », dont la naissance est de beaucoup postérieure. Pour éviter cette confusion, on emploie aussi les termes « Ruthénie » et « ruthène ».

11 Voltaire, Histoire de Russie sous Pierre le Grand, Histoire de Charles XII. Tome XVI. Paris, 1878.

12 Sources: rapport Banque Mondiale 2001; Etat du monde 2002; revue Ukraine, dix ans d'indépendance, ambassade d'Ukraine à Paris 2001.


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