Accueil > Documents parlementaires > Les rapports d'enquête
 

 

 

N° 871

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

 

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le.5 mai 1998

Dépôt publié au Journal Officiel du 6 mai 1998

 

RAPPORT

FAIT

 

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE (1)
sur l’état des droits de l’enfant en France,
notamment au regard des conditions de vie des mineurs
et de leur place dans la cité
,

Président

M. Laurent FABIUS,

Rapporteur

M. Jean-Paul BRET,

Députés.

——

 Les auditions suivantes sont proposées dans un document distinct

TOME II

AUDITIONS

(1) Cette Commission est composée de : MM. Laurent FABIUS, président, Mmes Martine AURILLAC, Bernadette ISAAC-SIBILLE, vice-présidents, MM. Bernard BIRSINGER, Pierre CARASSUS, secrétaires, Jean-Paul BRET, rapporteur ; Mme Sylvie ANDRIEUX, MM. Pierre-Christophe BAGUET, François BAROIN, Mmes Huguette BELLO, Yvette BENAYOUN-NAKACHE, Danièle BOUSQUET, Christine BOUTIN, MM. Jean-François CHOSSY, François FILLON, Mme Dominique GILLOT, MM. Pierre GOLDBERG, Gaétan GORCE, Michel HUNAULT, Mme Claudine LEDOUX, M. Pierre LEQUILLER, Mme Raymonde LE TEXIER, MM. Lionnel LUCA, Alain NÉRI, Mme Françoise de PANAFIEU, MM. Christian PAUL, Bernard PERRUT, Mme Annette PEULVAST-BERGEAL, MM. François VANNSON, Kofi YAMGNANE

Enfants.

 

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la Commission

(la date de l’audition figure ci-dessous entre parenthèses)

 

Pages

__ Messieurs Jean-Bernard Gicquel, Secrétaire général, Pascal Vivet, Secrétaire adjoint, Bertrand GIRAUD et Mesdames Claude Jahier et Jeannine Jouanin, Conseil français des associations pour les droits de l’enfant (COFRADE) (29 janvier 1998).

 

 

5

__ Docteur François Rémy, Président d’honneur du Comité français pour l’UNICEF et Madame Bernadette Puiseux, Chargée de mission (29 janvier 1998).

 

13

__ Madame Ségolène Royal, Ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie (29 janvier 1998).


19

__ Monsieur Bernard Kouchner, Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’emploi et de la solidarité, chargé de la santé (5 février 1998).


31

__ Mesdames Carole Bouquet, Porte-parole de " La voix de l’enfant ", Martine Brousse, Directrice, Catherine Lardon-Galéote, Avocate, et le docteur Georges Bangemann, pédiatre praticien au CHU de Nîmes (5 février 1998).



43

__ Messieurs Jean-Jacques Andrieux, Directeur général de l’Association française pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (AFSEA), Michel Franza, Directeur adjoint et Madame Dorothée Dufour, Directrice de l’unité éducative de la Sauvegarde du Nord (5 février 1998).




51

__ Mesdames Annie Gaudière, directrice du service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée (SNATEM - " Allo enfance maltraitée ") et Soumaïla Ben Hassine, Coordonnatrice (5 février 1998).



57

__ Monsieur Jean-Louis Sanchez, Délégué général de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS) et Madame Claudine Padieu, directrice scientifique (5 février 1998).



63

__ Madame Elisabeth Guigou, Garde des sceaux, Ministre de la justice (12 février 1998).


73

__ Madame Marie-George Buffet, Ministre de la jeunesse et des sports (12 février 1998).


85

__ Messieurs Olivier Brasseur, Directeur général du Centre international de l’enfance et de la famille (CIDEF), Frédéric Jesu, Coordonnateur de département et Bruno Ribes, Chargé de projets (12 février 1998).



95

__ Mesdames Marceline Gabel, Secrétaire général de la Grande Cause Nationale 1997 " Protection de l’enfance maltraitée " et Catherine Boiteux-Pelletier, Chargée de mission au ministère de l’emploi et de la solidarité (12 février 1998).



103

__ Monsieur Jean-Pierre ROSENCZVEIG, Président du tribunal pour enfants de Bobigny (26 février 1998).


111

 Les auditions suivantes sont proposées dans un document distinct

__ Madame Sylvie PERDRIOLLE, Directrice de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la justice et Monsieur Christian PETIT, Sous-directeur des affaires administratives et financières (26 février 1998).



123

__ Monsieur Hervé HAMON, Président de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (26 février 1998).


131

__ Madame Marie-Paule POILPOT, Directrice de la Fondation pour l’enfance et le Professeur Jean-Paul Dommergues, Chef du service de pédiatrie de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (26 février 1998).



139

__ Monsieur Henri LECLERC, Président de la Ligue des droits de l’homme et Madame Elisabeth Auclaire, Présidente de la commission " Droits de l’enfant " (26 février 1998).



147

__ Madame Denise CACHEUX, Chargée de mission au COFRADE, ancienne directrice de l’Institut de l’enfance et de la famille, ancienne députée et auteur d’un rapport d’information sur les droits de l’enfant (5 mars 1998).



155

__ Madame Odile MOIRIN, ancienne parlementaire en mission, auteur du rapport " Pour une véritable politique de l’enfance " (5 mars 1998).


161

__ Madame Monique LOUSTAU, Présidente de l’Association contre la prostitution enfantine et Monsieur Bernard LEMETTRE, Coordonnateur national du mouvement Le Nid (5 mars 1998).



167

__ Monsieur Hubert BRIN, Président de l’Union nationale des associations familiales et Mesdames Chantal LEBATARD, Responsable du secteur psycho-sociologie et droit des familles et Monique SASSIER, Sous-directrice des études et actions politiques (5 mars 1998).




173

__ Mesdames Francine de la GORCE, Vice-Présidente du mouvement ATD-Quart monde et Isabelle DELIGNE, Responsable de la petite enfance (5 mars 1998).


179

__ Madame Monique DAGNAUD, Membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) (26 mars 1998).


187

__ Messieurs Pascal PETIT, Rédacteur en chef du journal télévisé de Canal J et Rémy Pflimlin, Directeur de la publication du Journal de enfants et Madame Béatrice d’IRUBE, Directrice de la rédaction (26 mars 1998).



193

__ Madame Isabelle FALQUE-PIERROTIN, ancienne Présidente d’un groupe de travail interministériel chargé d’élaborer un rapport sur l’Internet (26 mars 1998).


199

__ Messieurs Pierre TOURNEMIRE, Secrétaire général adjoint de la Ligue de l’enseignement, Jacques HENRARD, Secrétaire général de la Jeunesse au plein air (JPA), Jacques DEMEULIER, Directeur général des centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA), et Pierre de ROSA, Vice président des Francas (26 mars 1998).





205

__ Monsieur Didier BOULAUD, Président de l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (ANACEJ), Madame Claire JODRY, Directrice et Monsieur Roger ADELAIDE, Administrateur (26 mars 1998).



215

__ Docteur Jean-François DODET, Membre du Haut comité de la santé publique, médecin inspecteur régional de Bourgogne (2 avril 1998).


223

__ Monsieur Jean-Pierre ROSENCZVEIG, Président du Tribunal pour enfants de Bobigny (2 avril 1998).


229

__ Madame Louise SYLWANDER, Médiateur des enfants du royaume de Suède (2 avril 1998).


243

 

*

* *

— Déplacement en Seine-Saint-Denis :

Réunion avec M. Robert Clément, Président du Conseil général et les représentants des services départementaux et table ronde avec les représentants des services de l’Etat et les représentants de l’autorité judiciaire (9 avril 1998)

 

Audition de MM. Jean-Bernard GICQUEL, Secrétaire général,
Pascal VIVET, Secrétaire général adjoint, Bertrand GIRAUD
et de Mmes Claude JAHIER et Jeannine JOUANIN,
Conseil français des associations pour les droits de l’enfant
(COFRADE)

(extrait du procès-verbal de la séance du 29 janvier 1998)

Présidence de M. Laurent FABIUS, Président

Messieurs Jean-Bernard Gicquel, Pascal Vivet, Bertrand Giraud et Mesdames Claude Jahier et Jeannine Jouanin sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Jean-Bernard Gicquel, Pascal Vivet, Bertrand Giraud et Mmes Claude Jahier et Jeannine Jouanin prêtent serment.

M. le Président : Mesdames, messieurs, nous aimerions connaître, d’une part, votre appréciation sur l’état des droits de l’enfant en France, et, d’autre part, vos propositions en ce domaine. Je vous propose de nous présenter un exposé liminaire, puis nous vous poserons des questions.

M. Jean-Bernard GICQUEL : Le COFRADE, Conseil français des associations pour les droits de l’enfant, regroupe à ce jour cent vingt associations œuvrant pour le respect et la promotion des droits de l’enfant, notamment ceux inscrits dans la Convention internationale des droits de l’enfant.

 Le dossier que nous vous remettons aujourd’hui montre que la genèse du COFRADE, créé en 1988, était étroitement liée à celle de la Convention adoptée par l’assemblée des Nations Unies le 20 novembre 1989. Ce dossier présente les modes de fonctionnement et les activités du COFRADE pour promouvoir la pleine application de la Convention entrée en vigueur en France le 6 septembre 1990.

La coopération du COFRADE avec les pouvoirs publics a été initiée de manière assez spectaculaire par la remise d’un document intitulé " 73 idées pour l’application en France de la Convention ", à Mme Hélène Dorlhac, secrétaire d’Etat à la famille, en septembre 1990. Elle s’est poursuivie par une rencontre annuelle, le 20 novembre de chaque année, pour faire le point des avancées enregistrées et des obstacles rencontrés dans l’application de la Convention en France.

Si le COFRADE vérifie la conformité des lois françaises et des projets de loi avec les dispositions de la Convention, surveille leur application sur le terrain et exerce une fonction de proposition, il s’efforce également d’analyser les causes profondes des atteintes aux droits des enfants et d’élaborer des propositions pour y porter remède.

La cause première des atteintes aux droits des enfants réside dans le développement universel de l’extrême pauvreté provoquée par le fonctionnement de plus en plus injuste du système économique mondial qui creuse les écarts entre les riches et les pauvres, tant au niveau international qu’au sein de chaque pays – y compris les pays riches et, parmi eux, la France.

Ces vingt dernières années, le système économique mondial a évolué dans le sens d’un renforcement de la " marchandisation " et d’une régression, voire d’un abandon, dans certains pays, de la protection sociale. La pensée unique a érigé la compétitivité en principe de vie et balayé les notions de justice sociale, de fraternité et de solidarité. Ce sont les enfants qui ont le plus souffert de cette évolution.

Cette analyse a conduit le COFRADE à soutenir et à présenter des propositions pour l’instauration d’un plus juste partage des richesses mondiales et pour la mise en place d’une politique humaine et sociale sur l’ensemble de la planète. Notre document développe nos propositions et interpelle la politique de solidarité internationale de notre pays.

La France est elle-même touchée par une dégradation des conditions de vie de familles toujours plus nombreuses. Il est de plus en plus fréquent que des familles retardent les soins dentaires ou médicaux de leurs enfants, faute de pouvoir avancer les frais de visite, d’appareillage ou de médicament. Deux mille enfants sont atteints de saturnisme à Paris. La fréquentation des cantines scolaires a régressé partout ces dernières années, mais plus fortement dans les quartiers les plus défavorisés.

Même s’il demeure marginal, le travail des enfants progresse en France, comme l’ont montré les travaux de l’atelier ad hoc du COFRADE, et on peut parler d’exploitation des apprentis dans certains métiers de l’alimentation. De nombreux enfants ne partent jamais en vacances et ne bénéficient d’aucune activité sportive ou culturelle.

Enfin, si l’augmentation du nombre d’enfants maltraités s’explique en partie par un meilleur repérage des victimes, il n’en est pas moins vrai que la situation de précarité et l’angoisse du lendemain - vécues par une proportion importante de nos concitoyens - se traduisent par une augmentation des violences faites aux enfants.

Cette évolution négative de la situation des enfants dans notre pays amène le COFRADE à juger sévèrement l’attitude de la Cour de cassation qui met en cause la valeur constitutionnelle de la Convention en alléguant, depuis mars 1993, que les dispositions de la Convention n’engagent que les Etats et qu’elles ne peuvent, en conséquence, être invoquées devant les tribunaux – c’est-à-dire être directement applicables en droit interne.

Le COFRADE estme par ailleurs que la diffusion et la promotion de la Convention ont laissé trop longtemps à désirer dans notre pays. Il se réjouit d’une évolution favorable en ce domaine depuis 1996 avec le vote unanime du Sénat, puis de l’Assemblée nationale
– à l’exception de Mme Stirbois – le 9 avril 1996 instituant le 20 novembre journée nationale des droits de l’enfant.

Nous nous félicitns également que la Convention ait été publiée en octobre 1996 dans le bulletin officiel de l’éducation nationale. Par ailleurs, plusieurs notes et instructions sont parues depuis le mois de septembre 1997 concernant, par exemple, les violences sexuelles et la prévention des conduites à risque. En outre, un numéro spécial du 6 novembre fait état de l’application de la Convention dans les écoles, les collèges et les lycées.

Le COFRADE attend du ministère de l’éducation nationale qu’il aille plus loin en intégrant l’éducation aux droits de l’enfant dans la formation des futurs enseignants et naturellement aussi dans celle des enseignants en activité.

Nous attendons des autres ministères concernés le même effort dans la formation de leurs personnels et l’établissement de synergies en la matière entre les ministères, les pouvoirs locaux, les Conseils généraux – qui ont un rôle très important depuis la décentralisation de la lutte contre les maltraitances –, les conseils municipaux et les associations.

Le COFRADE regrette le retard pris par la France dans la présentation de son rapport initial au Comité des droits de l’enfant de l’ONU, déposé en avril 1993 au lieu de septembre 1992. En outre, la présentation du deuxième rapport a déjà pris du retard, puisqu’elle aurait dû intervenir en septembre 1997. Nous pressons donc l’actuel Gouvernement de présenter ce rapport en 1998, car nous estimons que la France, patrie des droits de l’homme, devrait se montrer exemplaire en ce qui concerne le respect des engagements qu’elle souscrit en ratifiant des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits des personnes.

 

Rappelons aussi l’absence de présentation à l’Assemblée nationale avant le 20 novembre de chaque année d’un rapport du Gouvernement sur la mise en œuvre de la Convention et sur son action en faveur de la situation des enfants dans le monde, alors qu’il s’agit pourtant d’une obligation inscrite dans une loi du 27 janvier 1993.

 

Le document que nous remettons à votre commission développe les analyses et les propositions du COFRADE concernant les divers domaines d’application des droits de l’enfant inscrits dans la Convention. Je m’en tiendrai à nos principales recommandations.

 

Premièrement, la santé. Il convient d’améliorer l’articulation entre les services de PMI et les services de promotion de la santé en faveur des élèves par la signature de Conventions entre les présidents de Conseils généraux et les inspecteurs d’académie. Il convient également de revaloriser les services de santé et d’action sociale de l’éducation nationale et de développer l’éducation à la santé qui reste très embryonnaire dans le système scolaire.

 

Il convient de promouvoir l’utilisation du carnet de santé des enfants dès leur naissance et pendant toute leur scolarité ; de faciliter l’accès aux consultations, aux examens et aux soins recommandés par les médecins et infirmières scolaires, en instaurant la gratuité de la première consultation ou l’exonération du ticket modérateur ; de diffuser les résultats des expériences pilotes menées dans le cadre de contrats villes dans l’Oise et la Seine-Saint-Denis, concernant le dépistage et le suivi des problèmes auditifs, visuels, langagiers et dentaires des enfants ; d’évaluer rapidement l’impact de la mise en place du fonds social institué à la rentrée scolaire 1997 pour faciliter l’accès aux cantines scolaires aux enfants des familles démunies.

 

Deuxièmement, l’éducation. Il convient de conforter l’existence d’une école publique, laïque, obligatoire et gratuite pour tous ; d’assurer cette gratuité totale de l’enseignement public afin d’assurer aux enfants de familles modestes des conditions d’éducation susceptibles d’égaliser leurs chances de réussite dans les études et de développer toutes leurs potentialités ; d’assurer l’accès à l’école de tous les enfants présents sur le territoire national, y compris les enfants de parents en situation irrégulière, et sans oublier les enfants des peuples nomades ; d’accueillir tous les enfants de deux ans dont les familles souhaitent l’inscription à l’école maternelle ; d’augmenter le nombre de psychologues scolaires et de rééducateurs pour prendre en charge les enfants en difficulté ; enfin, de consolider les centres de loisirs et les maisons des jeunes, et de donner à tous les enfants la possibilité de partir en colonies de vacances – actuellement, 40 % des enfants en France ne partent jamais en vacances.

 

Troisièmement, la protection. Nous proposons d’étudier l’amélioration des coordinations entre les diverses institutions de protection des enfants ; de faire bénéficier l’enfant victime et l’enfant délinquant de l’assistance d’un avocat, dès l’ouverture d’une information judiciaire, et/ou d’une assistance éducative ; d’afficher obligatoirement, dans tous les lieux de vie, le numéro vert " Enfance maltraitée " et la Convention internationale des droits de l’enfant et de contrôler cette obligation ; de revoir la durée de l’interdiction, pour toute personne condamnée pour des délits et des crimes sexuels sur mineurs, d’exercer une activité professionnelle auprès d’une communauté d’enfants, le texte actuel laissant, en effet, à désirer.

 

Quatrièmement, le travail des enfants. Le COFRADE demande que la lutte contre le chômage et la pauvreté soit la préoccupation majeure de la politique gouvernementale et de l’ensemble des acteurs économiques ; que la formation de tous les professionnels de l’enfance intègre la détection des troubles engendrés par le travail des enfants ; que l’apprentissage reste sous statut scolaire et que les personnels enseignants et les inspecteurs du travail aient véritablement les moyens de contrôler l’application stricte de la législation du travail relative aux mineurs – nous avons des statistiques et nous avons fait un communiqué de presse, il y a un an, sur l’exploitation des apprentis.

 

En outre, nous proposons que les commissions préfectorales d’agrément des maîtres d’apprentissage soient rétablies et dotées de moyens de suivi et que les apprentis soient bien informés de leurs droits. Enfin, que la législation soit appliquée avec rigueur pour les formes illégales de travail des enfants, dans les ateliers clandestins, la mendicité, les petits travaux dans la rue, le commerce de la drogue, la prostitution.

 

Cinquièmement, la participation des enfants. Nous demandons à toutes les institutions éducatives de mettre en place les structures nécessaires à l’expression des enfants, afin que tous les enfants puissent participer réellement à la vie et au fonctionnement des communautés éducatives qu’ils fréquentent : élaboration, évaluation et actualisation des règles de vie et des projets éducatifs à leur initiative ; coopératives ; journaux ; activités diverses.

 

Nous souhaitons le développement de commissions ou conseils municipaux d’enfants et la poursuite du Parlement des enfants. En outre, nous souhaitons que la France mette toute son influence en œuvre pour promouvoir un modèle de développement économique européen et mondial plus juste et durable, pour lutter contre la pauvreté et contre la " marchandisation " de plus en plus forte de toutes les activités humaines et pour mener un effort intense et soutenu de solidarité au plan national et international.

 

Je vous remercie.

 

M. le Président : Je vous remercie de cet exposé à la fois complet et concis.

 

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : M. Gicquel, vous avez parlé des enfants de nomades. Avez-vous pu mener une étude plus approfondie à ce sujet ? Nous évoquions hier cette question dans un groupe de travail, et c’est un sujet qui nous préoccupe énormément, notamment en matière de scolarisation.

 

Mme Claude JAHIER : Il a été constaté que les enfants de familles nomades, de familles itinérantes, n’étaient pas toujours accueillis dans les écoles, malgré les circulaires en vigueur, qui sont souvent ignorées par les directeurs d’établissement.

 

Ces textes sont très clairs : ils précisent que les titres de séjour des parents ou des responsables du mineur n’ont pas à être demandés lors de l’inscription dans un établissement ; que pour l’admission dans les écoles maternelles, les règles en vigueur pour les enfants français doivent être appliquées sans restriction aux enfants étrangers et aux enfants nomades. Or ces textes ne sont pas appliqués, et bon nombre d’enfants ne sont pas accueillis dans les écoles.

 

Le COFRADE propose qu’il y ait une possibilité de scolarisation en maternelle sur les terrains d’accueil des nomades et que la scolarisation des enfants en primaire puissent se faire dans les établissements ordinaires, afin d’éviter la ségrégation. En outre, nous préconisons l’établissement d’outils pédagogiques adaptés à ce type de familles et des instituteurs itinérants qui pourraient éventuellement suivre les nomades au cours de leurs déplacements.

 

Nous vous signalons des initiatives intéressantes qui pourraient être reprises : quatre organismes se sont spécialisés dans la réalisation de documents destinés aux enfants du voyage qu’il serait intéressant de généraliser, afin que les écoles soient mises au courant ; par ailleurs, un stage école a été organisé en Touraine par des enseignants à l’initiative d’un inspecteur de l’éducation nationale pour travailler auprès des familles nomades ; enfin, je vous signale qu’une association de Tziganes forme des moniteurs au soutien scolaire, en partenariat avec le ministère. Nous souhaitons, bien entendu, que toutes ces initiatives puissent être développées.

 

M. Pierre-Christophe BAGUET : Je suis effaré par le nombre des manquements aux règles en vigueur dont il a été fait état.

 

Par ailleurs, le COFRADE a-t-il la possibilité de nous faire une approche chiffrée des propositions qu’il nous présente ?

 

M. Pascal VIVET : Les propositions que nous avons formulées figurent en fait déjà dans des textes de loi. C’est l’inapplication de la loi en matière de droits de l’enfant qui pose un véritable problème.

 

Les propositions formulées par le COFRADE sont, en effet, chiffrées. Nous travaillons régulièrement avec l’un de ses membres fondateurs qui est le Centre international de l’enfance et de la famille - fusion du CIE et de l’IDEF – afin de déterminer très précisément le coût des mesures que nous proposons.

 

Je reviens de Belle-Ile-en-Mer où nous fêtions, le 26 janvier, l’anniversaire de la Convention des droits de l’enfant et je puis vous dire que les deux cents enfants que j’ai rencontrés souhaitaient saluer votre commission : nous vous laisserons d’ailleurs une déclaration des enfants de France, qu’ils ont élaborée et qui rejoint, très curieusement, celle du dernier Parlement des enfants.

 

Après cette parenthèse, que je voulais absolument ouvrir, je reviens à votre question, M. le député. Il existe des secteurs dans lesquels il va falloir travailler, parce qu’il y a des propositions. Pour l’essentiel, il ne s’agit pas d’empiler des dispositifs, mais de revoir les compétences. Il est inacceptable, aujourd’hui, de constater qu’il y a un différentiel de un à huit selon le département où l’on habite, en matière de prestations d’aide sociale à l’enfance ! Il faut envisager un rééquilibrage.

 

M. le Président : Nous retenons qu’il y a un problème d’application, d’évaluation des textes qui existent.

 

M. Bertrand GIRAUD : M. le Président, il y a non seulement une question de coût, mais également d’économies. Certains dysfonctionnements sont très coûteux. Nous n’avons pas l’arrogance d’être des experts dans tous les domaines, mais je me permettrais de signaler l’existence d’un document – qui ne fait pas partie du dossier que nous déposons – dans lequel nous avons pris l’initiative de faire une étude chiffrée de certains dysfonctionnements. En effet, des économies de plusieurs milliards de francs chaque année, voire de plusieurs dizaines de milliards de francs, sont possibles en faisant mieux fonctionner des dispositifs déjà existants.

 

Mme Bernadette ISAAC-SIBILLE : En tant que vice-présidente d’un Conseil général, j’ai pu constater que les Conseils généraux n’appliquaient pas tous la loi de décentralisation. Cependant, chaque Conseil général détermine sa propre politique, de sorte qu’on ne peut pas comparer ce qui est fait dans des départements voisins, même si on peut souhaiter que les lois de décentralisation soient appliquées de manière plus homogène.

 

M. le Président : Vous mettez là l’accent sur un point très important. Il est vrai que la décentralisation existe, mais en même temps, du point de vue des enfants, on ne peut pas leur dire " vous avez la chance ou la malchance d’habiter tel département, et vous avez à en subir les inconvénients " ! Il y a un point d’équilibre à trouver.

 

Mme Dominique GILLOT : Je souhaitais simplement approuver la proposition faite par le COFRADE de vérifier que la loi est bien appliquée sur tout le territoire, et faire état d’une expérience menée dans mon département, le Val-d’Oise, pour encourager tous les responsables institutionnels en charge des droits de l’enfant à vérifier que la protection de l’enfance en danger est bien assurée.

 

Tous les partenaires institutionnels, les magistrats du parquet, du tribunal pour enfants, les services de protection judiciaire de la jeunesse, l’inspection académique, la direction de l’enfance du Conseil général, ont signé, en juin 1996, une charte pour traduire cette volonté d’agir ensemble pour la protection de l’enfance en danger. Des commissions se sont ensuite réunies pour mettre au point un guide du signalement de l’enfant afin que chacun assume bien ses responsabilités et que l’on n’attende pas que la situation se dégrade pour engager une procédure judiciaire qui peut être plus grave dans ses conséquences qu’une prévention rapide.

 

Je tiens cette charte à votre disposition.

 

M. Pascal VIVET : Nous avons fait un bilan très précis de la loi Dorlhac – loi de prévention des mauvais traitements – qui imposait une coordination dans tous les établissements sur l’ensemble des départements de France. Or dix départements seulement ont appliqué cette loi, dont je rappelle qu’elle date du 10 juillet 1989 !

 

M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Vous avez jugé sévèrement la jurisprudence de la Cour de cassation. Au-delà de ce jugement, avez-vous fait des propositions ?

 

M. Jean-Bernard GICQUEL : Le Parlement a accepté que le Gouvernement français ratifie la Convention internationale. L’article 55 de la Constitution précise que toutes les Conventions internationales ont une valeur supraconstitutionnelle. Cette Convention internationale devrait donc pouvoir s’appliquer dans notre pays. Or, depuis 1993, la Cour de cassation rend des arrêts qui contredisent cette Convention.

 

Avez-vous, en tant que députés, la possibilité d’établir un suivi concernant le respect de cette Convention ?

 

M. le Président : Il s’agit d’un problème qui se pose dans plusieurs domaines et qui fera l’objet d’une étude juridique.

 

M. Pascal VIVET : J’aimerais dire un mot concernant un phénomène nouveau en matière de protection de l’enfance – objectif auquel nous sommes tous attachés. Si nous avons fait tomber les trois tabous relatifs aux violences physiques, psychologiques et sexuelles à l’égard des enfants, il semble qu’il existe encore un tabou que nous avons énormément de mal à faire tomber et qui concerne les violences dites institutionnelles. Celles-ci sont en quelque sorte le comble de l’enfance maltraitée : un enfant est séparé de ses parents pour être placé dans une institution où il est de nouveau maltraité !

 

Pardonnez-moi d’évoquer ce sujet qui peut paraître marginal. Nous avons demandé une étude chiffrée au SNATEM – Service national d’accueil téléphonique " allô enfance maltraitée " – qui reçoit un million d’appels par an : ils font état de 5 % d’appels ayant trait aux violences institutionnelles, soit cinq mille cas par an transmis aux autorités judiciaires !

 

M. le Président : Mesdames, messieurs, il me reste à vous féliciter du travail que vous réalisez. Nous allons travailler sur ce sujet pendant plusieurs mois, puis nous vous ferons part de nos conclusions. Je vous en prie, transmettez-nous tous les documents que vous jugez utiles à nos travaux.

 

Je vous remercie.

 

 

Audition du Docteur François REMY,
Président d’honneur du Comité français pour l’UNICEF
et de Mme Bernadette PUISEUX, Chargée de mission

(extrait du procès-verbal de la séance du 29 janvier 1998)

Présidence de M. Laurent FABIUS, Président

Monsieur François Rémy et Madame Bernadette Puiseux sont introduits.

 

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. François Rémy et Mme Bernadette Puiseux prêtent serment.

 

M. François REMY : Je vous remercie, M. le Président, d’avoir bien voulu associer l’UNICEF à vos travaux.

 

L’UNICEF recouvre deux réalités différentes : on trouve d’une part, au niveau international, l’Organisation des Nations Unies que l’on appelle le Fonds des Nations Unies pour l’aide à l’enfance – qui fait partie de la maison mère de New York et qui est représentée dans tous les pays du monde – et, d’autre part, dans chacun des pays dits de coopération – qui sont les pays industrialisés – il existe un Comité pour l’UNICEF qui, dans le cas de la France, est régi par la loi de 1901 sur les associations. Par un accord d’accréditation, l’Organisation des Nations Unies lui confère toute autorité pour représenter, si nécessaire, les intérêts de l’organisation.

 

Je me présente donc devant vous aujourd’hui, non seulement en tant qu’ancien président du Comité français, mais également en tant qu’ancien directeur de l’organisation.

 

L’UNICEF est citée dans le texte même de la Convention de New York. Dans le cadre de l’élaboration, au cours des années 1986/1987, de cette Convention – qui résulte d’une initiative privée polonaise relayée par la commission des droits de l’homme de Genève – l’UNICEF a, en quelque sorte, pu obtenir la légalisation des activités qui étaient sa raison d’être depuis 1946.

 

Par empirisme, sympathie, esprit de coopération, esprit onusien, des problèmes rencontrés dans le monde entier devaient être traités dans un cadre très précis et faisaient l’objet d’une analyse très poussée devant aboutir à des textes ayant autorité en matière internationale. Au cours de la négociation de la Convention, l’UNICEF a pu développer et faire entériner l’essentiel de ses préoccupations concernant la situation de l’enfance dans tous les pays du monde, et en particulier dans les pays du tiers monde.

 

On retrouve également l’UNICEF dans les derniers articles de la Convention, puisque, de part sa présence dans cent vingt sept pays du monde, il est un agent de coopération auprès des Gouvernements, auprès des populations, pour que les idées clairement exposées dans la Convention deviennent une réalité dans tous les pays.

 

La Convention a été unanimement ratifiée, à l’exception – pour des raisons à l’évidence différentes – de la Somalie et des Etats-Unis.

 

L’application des différentes dispositions de la Convention constitue aujourd’hui l’objectif majeur de l’UNICEF. Les priorités sont différentes selon le niveau de développement des pays auxquels on s’adresse ou selon leur niveau de conscience des problèmes humains posés par le développement.

 

N’oublions pas que dans les " pays les moins avancés ", il existe encore des situations tragiques et inadmissibles, de sorte que ces pays sont devenus le terrain d’action privilégié de l’UNICEF.

 

La vocation de l’UNICEF et les possibilités d’action concertée avec les autorités françaises dans ce domaine font que nous pouvons, en fonction des constats de priorité, mettre l’accent sur les interventions les plus urgentes. L’article le plus douloureux et le plus extraordinaire de la Convention, l’article 6 paragraphe B, précise en substance que les enfants qui sont nés ont le droit de survivre. Il est assez étonnant que l’on soit obligé de proclamer un pareil droit, quand on pense à ce que devraient être les conditions normales de vie sur cette terre.

 

Une des fonctions essentielles de l’UNICEF est d’organiser un contact permanent entre les différentes institutions qui travaillent à améliorer la situation de l’enfance. En 1990, le directeur exécutif de l’UNICEF a proposé, au cours d’une conférence internationale de haut niveau qui s’est tenue à l’ONU, d’opérer, parmi les prescriptions de la Convention applicables dans tous les pays du monde et en particulier dans les pays en voie de développement, une sélection des priorités assignées à la coopération internationale. Dans cette optique, l’UNICEF, le Comité et pratiquement tous les pays du monde donnent, dans le cadre de leur coopération, la priorité aux besoins essentiels de l’enfance.

 

Sachant que, pour mille enfants Japonais nés en 1997, il n’en manquera que quatre à la fin de l’année, on ne peut pas tolérer que sur mille enfants qui naissent dans un pays sahélien en 1997, deux cent seize ne survivront pas jusqu’à la fin de l’année. Voilà un exemple qui montre très clairement quelles doivent être les priorités de l’UNICEF et des coopérations internationales.

 

Au travers de ses cent vingt sept bureaux nationaux, l’UNICEF est en permanence au contact des problèmes et des situations rencontrés ; il est non seulement présent dans les capitales, mais également dans les campagnes. En Irak, par exemple, depuis toujours et même pendant les événements récents, l’UNICEF était présent à Bagdad et dans trois sous-bureaux qui permettent d’assurer un dialogue et un diagnostic permanent des situations.

 

S’agissant du rôle de l’UNICEF et de celui du Comité français dans sa fonction d’intermédiaire, il faut savoir que, grâce à la Convention et au sommet de New York de 1990, se sont établies des relations de travail et de coopération avec les différents départements ministériels qui ont un rôle à jouer dans la coopération et les ONG concernées. L’essentiel de ces relations s’est développé avec le ministère ou le secrétariat d’Etat à la coopération, où les habitudes de travail et la prise en considération des propositions de la Convention et du sommet ont permis d’axer certaines interventions sur les objectifs qui ressortent de manière évidente d’une lecture a contrario de la Convention.

 

Dans les dix dernières années, depuis que l’on a commencé à faire de la Convention un instrument d’intervention sur le terrain, des résultats satisfaisants ont été obtenus. Le premier est que la mortalité des enfants a baissé – sauf dans certains PMA – dans des proportions satisfaisantes, même s’il reste du chemin à parcourir.

 

Pour ne pas faire le bilan de toutes les nécessités, rappelons simplement que ce qui importe au même titre que la lutte pour la vie, c’est le problème du développement de l’éducation, facteur de vie, de progrès et de santé. Les grandes priorités sur lesquelles travaille actuellement l’UNICEF, en coopération avec la France et d’autres pays, sont les vaccinations, la protection de la vie et l’éducation, en particulier l’éducation des filles, porteuses de nombreux messages positifs en faveur de l’enfance.

 

Le Gouvernement français coopère donc avec l’UNICEF, que ce soit directement ou par l’intermédiaire du Comité, cette coopération se manifestant dans le cadre de la réorientation de certaines activités du ministère de la coopération, dans certaines activités de la direction des affaires culturelles du ministère des affaires étrangères et avec les services internationaux de chacun des ministères.

 

Il existe également une coopération très intéressante des ONG à caractère philanthropique, dont les objectifs se rapprochent de plus en plus de la priorité exprimée au travers de la Convention.

 

Le siège du Comité français est à Paris, mais il est représenté dans quatre vingt neuf départements. Il a une fonction d’information sur la situation et travaille avec le ministère de l’éducation nationale, afin que dans le cadre de l’éducation civique, de l’éducation à la citoyenneté, on permette l’acquisition de certaines connaissances nécessaires. En effet, les enfants de France, qui deviendront des adultes, doivent savoir comment vivent les autres enfants du monde. C’est à partir de cette réflexion que nous voulons développer cette activité de coopération.

 

M. le Président : Je vous remercie de cette présentation concise du travail de l’UNICEF, notamment au regard de la Convention de New York. Je cède la parole aux membres de la commission qui voudront sans doute revenir sur votre évaluation de la situation française.

 

Mme Martine AURILLAC : Chacun sait l’importance de la tâche que vous avez à assumer et de quelle manière vous le faites. De quels moyens matériels et financiers disposez-vous pour vos activités ?

 

M. François REMY : L’UNICEF a deux catégories de ressources. D’une part, la contribution gouvernementale, qui est comprise dans la dotation budgétaire de la direction des Nations Unies au titre du ministère des affaires étrangères et qui devrait être, cette année, de quarante huit millions de francs. Du fait des difficultés budgétaires que vous connaissez, cette contribution, qui avait atteint par le passé des niveaux plus importants – la meilleure année ayant été 1994 –, a sensiblement diminué, la même évolution ayant été constatée dans d’autres pays contributifs. D’autre part, la collecte de fonds par les comités nationaux constitue un élément essentiel des ressources de l’UNICEF. Le Comité français récolte par ce biais une somme supérieure à celle versée par le Gouvernement, ce qui fait de la France un des grands pays donateurs.

 

J’ajoute qu’il ne s’agit pas d’un marché unilatéral, en ce sens que l’UNICEF, pour les services qu’il apporte dans les pays en voie de développement – par exemple les vaccinations –, achète en France probablement plus que ce que la France ne donne à l’UNICEF. Il s’agit d’une donnée qui devrait être prise en considération lorsqu’est débattu à la Comission des affaires étrangères le montant des subventions accordées à diverses associations.

 

M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Après avoir rappelé que votre activité était essentiellement liée à l’application de la Convention, vous avez surtout évoqué vos actions de coopération internationale. Avez-vous également la fonction de veiller à l’application de la Convention en France ?

 

M. François REMY : Par rapport à d’autres pays, la France a un schéma de travail très particulier. En effet, le COFRADE a été créé en 1989 à l’initiative du Comité français pour l’UNICEF, de l’Institut de l’enfance et de la famille et du Bureau international catholique de l’enfance.

 

A l’époque, la fonction essentielle de ce Comité était la promotion du principe de la Convention et non pas de son contenu. Dans le travail d’information qui a été fait en France, les responsabilités ont été partagées ; le COFRADE, qui a pris une importance considérable, est composé de trois commissions, dont l’une s’occupe des relations avec les pays du tiers monde. L’UNICEF a joué un rôle très important dans l’animation de cette commission, puisque nous disposons d’informations qu’il n’est pas toujours facile de recueillir.

 

Mme Bernadette PUISEUX : Nous avons en charge, grâce au mandat donné par l’UNICEF international, l’application de la Convention des droits de l’enfant en France. Nous suivons donc, avec les organisations que nous avons préparées à cette tâche, l’application de la Convention.

 

Le rapport d’experts sera présenté avant le 20 novembre à la commission des experts de la Convention aux Nations Unies à Genève et le Comité français de l’UNICEF suit, avec les spécialistes du ministère des affaires sociales, la préparation de ce rapport.

 

Certains problèmes se posent en France. La Convention a été publiée au Journal officiel ; elle est donc contraignante et a une valeur supranationale. Cependant, la Cour de cassation n’applique pas cette obligation de respecter la Convention internationale lorsque les articles ne sont pas " lisibles ". Il conviendrait que la Cour de cassation change de position et reconnaisse que les articles de la Convention ont une valeur supranationale. Le Conseil d’Etat, quant à lui, a évolué et n’adopte plus la même position que la Cour de cassation. Il s’agit là d’un grave problème.

 

Mme Bellamy, directeur général de l’UNICEF, a souligné, au cours de sa récente audition par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, la nécessité de créer un médiateur des enfants, comme il en existe déjà dans dix pays d’Europe. Le problème en France est que, compte tenu de la décentralisation, on se demande quelle compétence pourra avoir le médiateur. En Espagne, par exemple, la province autonome de Madrid a créé un médiateur dont le champ de compétence est évidemment limité à cette province.

 

M. le Président : Avez-vous, madame, des études réalisées sur les médiateurs des enfants ?

 

Mme Bernadette PUISEUX : J’ai assisté récemment, à Vienne, à un colloque sur les médiateurs et je pense pouvoir vous communiquer des informations sur ce sujet, car les médiateurs de Vienne, de Bruxelles, de Madrid et des pays nordiques – qui sont les pionniers – étaient présents. Bien entendu, M. le Président, je vous les ferai parvenir.

 

Actuellement – dans le domaine social – les enfants souffrent particulièrement de la situation d’exclusion et de chômage que vivent leurs parents. Cette situation difficile doit être prise en compte : les enfants doivent avoir accès à la santé et au soutien scolaire sans tenir compte des ressources des parents – comme cela est actuellement à l’étude. Or nous avons constamment des appels montrant que cet objectif n’est pas encore passé dans les faits.

 

Les enfants ont également un droit à l’expression. Je préside l’Ecole des parents et des éducateurs d’Ile-de-France et le ministère de la santé nous a confié " Fil santé jeune " – un numéro de téléphone vert – qui est un lieu d’expression pour les jeunes de dix à vingt-cinq ans. Nous recevons trois mille cinq cents appels par jour émanant de toute la France, la ligne étant ouverte de huit heures à minuit tous les jours de la semaine. L’équipe qui reçoit ces appels est composée de vingt-cinq psychologues, juristes, encadrés par des médecins.

 

Le droit d’expression n’est pas encore reconnu puisque tous les enfants qui nous appellent nous disent qu’ils n’ont pas la possibilité de parler à leurs parents ou à leurs professeurs. Le droit à l’écoute est un élément essentiel de la Convention et il faut le mettre en application.

 

M. le Président : Comment ces jeunes ont-ils entendu parler de ce numéro vert ?

 

Mme Bernadette PUISEUX : Le ministère de la santé a fait une importante promotion : un million de petites cartes d’information semblables à des cartes de téléphone ont été distribuées dans les écoles, ainsi que par les médecins à l’initiative de leur syndicats.

 

J’évoquerai également le problème d’écoute des enfants en justice, car la loi qui demande que l’enfant soit écouté est plus ou moins respectée selon les tribunaux.

 

En ce qui concerne les problèmes des enfants maltraités – et notamment des sévices sexuels –, je pense que les tabous, en France, sont levés. Il y a une prise en charge par les ministères et par les régions, un mouvement libérateur s’est créé et je pense qu’il ne doit pas être excessif.

 

Le Comité français pour l’UNICEF a d’importants moyens d’information et aide les associations. Nous avons, par exemple, effectué un travail sur les nomades en Europe, que je vous communiquerai.

 

M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Pouvez-vous préciser votre pensée, lorsque vous dites que le mouvement libérateur que vous avez mentionné ne doit pas être excessif ?

 

Mme Bernadette PUISEUX : Les parents, très sensibilisés à ce problème, ont des réactions violentes : un homme qui s’approche d’un enfant dans la rue risque de se faire traiter de pédophile. Il s’est créé une psychose qui nous semble un peu démesurée, et c’est le rôle des médias de faire comprendre au public que ce phénomène dont on parle beaucoup n’est pas généralisé. Nous recevons un million d’appels par an, et très peu concernent des cas de pédophilie.

 

M. François REMY : Il convient également d’adopter une attitude identique à l’égard des pays du tiers monde où le problème de l’enfance n’est vu qu’au travers de l’exploitation intolérable des enfants. On aurait tendance à ne voir l’Extrème Orient ou certaines parties de l’Afrique qu’au travers de leurs maisons ou lieux de prostitution, masquant ainsi d’autres problèmes fondamentaux. Nous devons maintenir les choses à leur juste dimension.

 

M. le Président : Madame, monsieur, je vous remercie.

Audition de Mme Ségolène ROYAL,
Ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, chargée de l’enseignement scolaire,
accompagnée par M. Jean-Michel HAYAT, Conseiller technique

(Extrait du procès-verbal de la séance du 29 janvier 1998)

Présidence de M. Laurent FABIUS, Président

Madame Ségolène Royal est introduite.

 

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme Ségolène Royal prête serment.

 

M. le Président : Mme la Ministre, je souhaiterais que vous nous présentiez dans un exposé liminaire l’état des droits de l’enfant en France dans votre domaine de compétence et les projets les concernant que vous comptez mettre en œuvre ou que vous avez déjà mis en place. Nous vous poserons ensuite des questions.

 

Mme Ségolène ROYAL : M. le Président, mesdames, messieurs les députés, je suis très honorée d’être auditionnée dans le cadre de cette commission d’enquête sur l’état des droits de l’enfant en France, notamment au regard des conditions de vie des mineurs et de leur place dans la cité.

 

Le droit à l’éducation est un droit fondamental de l’enfant, inscrit dans tous les grands textes internationaux, mais aussi dans la loi de 1989 relative à l’éducation. Celle-ci prévoit que le droit à l’éducation est garanti à chacun, afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle et d’exercer sa citoyenneté. Il est donc vrai que, dans la mission éducative de l’école, se trouvent toutes les facettes de la défense des droits et de la dignité des enfants.

 

J’évoquerai les chantiers que j’ai ouverts en tant que ministre de l’enseignement scolaire. J’ai là un certain nombre de textes qui ont déjà été publiés et que je souhaite évoquer rapidement.

 

A la lumière de mon expérience de parlementaire et des différents débats qui ont déjà eu lieu à l’Assemblée nationale – j’étais, au moment de ma nomination, responsable au sein de la commission des lois du projet de loi sur les abus sexuels – j’ai cherché, dès mon arrivée au ministère, à prolonger cette action. Le premier problème auquel je me suis attaquée est celui de la pédophilie au sein des établissements scolaires, en essayant de briser la loi du silence qui a trop longtemps étouffé la parole de l’enfant. Une circulaire de l’éducation nationale, qui pour la première fois employait le mot de " pédophilie ", a été diffusée avec des indications extrêmement concrètes sur la façon dont la communauté scolaire doit agir, en ayant un double souci, celui de la protection de l’enfant et celui du respect de la présomption d’innocence de la personne mise en cause.

 

En cas de révélation directe par un enfant, la consigne est désormais très claire : le fonctionnaire qui a recueilli la parole de l’enfant doit immédiatement en aviser le procureur de la République sans se livrer à une quelconque évaluation. En revanche, dans les cas où il n’y a que des soupçons, des témoignages indirects ou une rumeur, j’ai mis en place dans chaque département un centre de ressources composé de représentants de l’administration, médecins, assistantes sociales et psychologues, dont le rôle est de soutenir la communauté éducative touchée, afin de déterminer les suites judiciaires qu’il convient d’y apporter.

 

Mes instructions ne se limitent pas seulement à la prise en compte de la parole de l’enfant, elles entendent aussi assurer sa protection et celle de l’ensemble de la communauté scolaire.

 

Premièrement, désormais tout fonctionnaire de l’éducation nationale mis en examen par la justice fait l’objet d’une suspension immédiate.

 

Deuxièmement, la mise en place d’une cellule d’écoute au sein de l’établissement scolaire est désormais obligatoire pour informer, expliquer, soutenir des parents d’élèves, des enseignants, des enfants ébranlés par de tels faits.

 

Enfin, je veille à ce que l’éducation nationale soit présente lors de tous les procès mettant en cause un fonctionnaire de l’éducation nationale, et je donne des consignes très précises. Tout d’abord, à l’avocat qui représente l’Etat dans ces affaires, pour que l’indemnisation due aux familles ne soit pas contestée. En effet, j’ai été très choquée de constater que, dans les procès de pédophilie, l’avocat de l’Etat rejoignait très souvent les positions de l’avocat du pédophile en tant qu’il plaidait pour un refus d’indemnisation, une telle convergence d’intérêts étant tout à fait intolérable pour les familles. Ensuite, l’administration centrale doit engager une action récursoire afin de recouvrer auprès du fonctionnaire condamné les sommes versées par l’Etat au titre de l’indemnisation des familles, afin d’éviter, là aussi, qu’il y ait un sentiment de complicité entre l’éducation nationale et le fonctionnaire condamné. Par ailleurs, il est demandé aux inspecteurs d’académie d’être présents aux audiences aux côtés des familles.

 

Enfin, tout fonctionnaire définitivement condamné par la justice fait désormais l’objet d’une mesure de révocation. Autrement dit, il est mis fin aux mutations, aux pressions sur les parents pour qu’ils se taisent et à l’étouffement des différentes affaires.

 

L’objectif de cette démarche très volontariste est d’abord d’éradiquer la pédophilie du système scolaire, c’est-à-dire de faire en sorte que les adultes ayant des pulsions sexuelles à l’égard des enfants renoncent à entrer dans la principale profession qui leur permet d’entrer en contact avec eux. Auparavant, une sorte de sentiment d’impunité pouvait leur laisser croire que cette profession leur était ouverte et que l’indifférence à l’égard d’un certain type de comportement les mettait à l’abri de toute poursuite.

 

Aujourd’hui, nous recevons un signalement par jour. Antérieurement, de tels faits étaient traités au niveau local et ne faisaient l’objet d’aucune communication à l’administration centrale. Nous avons donc mis en place un observatoire au sein de la direction des affaires juridiques. Nous exigeons des inspecteurs d’académie et des recteurs qu’ils nous signalent tous les faits concernant les mœurs. Nous suivons de même tous les problèmes de violence qui sont maintenant systématiquement signalés à l’administration centrale, ce qui nous permet de contrôler la mise en place et le respect des instructions que nous avons données.

 

Le traitement des problèmes liés à la pédophilie étant exposé, il ne faut pas oublier que l’école est aussi le lieu où se révèlent la plupart des cas de maltraitance subie par les enfants dans leur famille ; 80 % des cas de maltraitance sont le fait des proches de l’enfant, et l’école se révèle alors être un lieu de protection où l’enfant peut parler aux enseignants, aux infirmières, aux médecins scolaires. C’est la raison pour laquelle il convient de ne pas considérer de façon disproportionnée les faits de pédophilie, si graves soient-ils, par rapport à la maltraitance qui peut être vécue dans les familles, pour laquelle l’école joue un rôle protecteur.

 

La circulaire concernant la saisine du procureur de la République s’applique bien évidemment à tous les cas de violence subis dans les familles.

 

Par ailleurs, afin d’améliorer notre efficacité, nous avons donné des instructions aux inspecteurs d’académie pour qu’ils signent des Conventions avec les présidents de Conseils généraux. Dans certains départements, des actions exemplaires sont conduites, notamment dans le domaine de la formation des professionnels liés à l’enfance, qui permettent de mettre en place une véritable coordination des actions entre les personnels dépendant des Conseils généraux – qui jouent un rôle important dans le domaine de la protection de l’enfance – et les personnels de l’éducation nationale.

 

Afin de mettre en place une véritable prévention, j’ai souhaité qu’à l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant un important travail de présentation et d’explication de la Convention internationale des droits de l’enfant soit assuré dans toutes les écoles, les collèges et les lycées de France. J’ai donc fait publier un numéro hors série du bulletin officiel de l’éducation nationale – dont je vais vous remettre plusieurs exemplaires – dans lequel j’ai essayé de mettre en valeur l’ensemble des principes de la Convention des droits de l’enfant pour que cela donne lieu, dans les écoles, à des actions concrètes.

 

De même, je vous ai apporté le numéro du bulletin officiel relatif à la lutte contre les violences sexuelles.

 

Enfin, j’ai diffusé à quatre millions d’exemplaires une petite brochure intitulée " Le passeport pour le pays de prudence ", afin qu’elle soit remise individuellement à tous les élèves de l’école primaire et que les cours d’instruction civique puissent désormais englober cette sensibilisation au respect du corps par les élèves, au droit de voir respecter leur corps par les adultes, sur le thème " Le corps des enfants n’est pas un jouet ". Le corps de l’enfant n’est pas un jouet pour l’enfant lui-même, qui doit apprendre à respecter son corps – principe qui est prolongé dans l’éducation à la santé ; le corps des autres enfants n’est pas un jouet – il faut apprendre très tôt aux enfants à respecter le corps des autres, notamment afin de prévenir les actes de violence et plus tard les actes de pression sexuelle entre adolescents ; enfin, le corps de l’enfant n’est pas un jouet pour les adultes. Très tôt il faut apprendre à l’enfant à dire " non ", sans le traumatiser.

 

Cette brochure éveille l’attention des enfants aux situations de danger auxquelles ils peuvent être exposés et propose toujours une solution positive permettant de parvenir au " pays de Prudence ".

 

Si la commission est intéressée par le déroulement des actions qui ont été engagées auprès des enseignants autour de cette brochure – et qui a conduit à mettre en lumière certains cas d’abus sexuel –, le ministère de l’éducation nationale lui communiquera un dossier complet.

 

J’aborderai maintenant le droit de l’enfant à la santé.

 

Nous avons mis en place, dès notre arrivée, un fonds social pour les cantines scolaires, car, pour être en bonne santé, l’enfant doit tout d’abord manger à sa faim, ce qui est un droit fondamental. Grâce à ce dispositif, les chefs d’établissement voient des enfants dont les parents ne pouvaient plus payer revenir à la cantine.

 

La bonne santé des enfants suppose également qu’ils puissent être suivis et examinés par le personnel médico-social. La santé scolaire est, en France, en situation extrêmement difficile, c’est la raison pour laquelle le principal effort budgétaire pour 1998 a porté sur la création de postes d’infirmières et d’assistantes sociales, et ce dans le droit fil de la proposition de loi retenue l’année dernière par le Parlement des enfants qui prévoyait la présence d’une infirmière dans chaque école.

 

J’évoquerai, en troisième lieu, la lutte contre l’échec scolaire.

 

Il s’agit là d’un thème fondamental, illustré récemment par la relance des zones d’éducation prioritaire, qui permet de " donner plus à ceux qui ont le moins " et qui s’articule autour de plusieurs actions : la reconnaissance du métier d’enseignant dans ces zones difficiles, la mise en place de réseaux d’éducation prioritaire, la redéfinition de priorités pédagogiques au service de la réussite scolaire des enfants en difficulté et les efforts faits en faveur de la scolarisation des enfants de moins de trois ans. Enfin, deux chantiers extrêmement importants concernant les enfants en risque de rupture scolaire ont été ouverts : d’une part, l’extension des dispositifs relais en collège – à savoir la possibilité de reprendre par petits groupes les enfants qui sont en rupture avec l’institution –, et, d’autre part, l’intégration de l’éducation nationale dans le projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions, avec, en particulier, la formation des enseignants à la réalité de la grande pauvreté.

 

Indépendamment des autres thèmes que je ne citerai que pour mémoire, j’évoquerai la réflexion sur la question de l’orientation des élèves, qui est très souvent ressentie comme une forme de violence de l’institution scolaire, quand les élèves ou bien leur famille ne comprennent pas les choix d’orientation qui ont été faits.

 

Tous ces dispositifs, qui doivent être améliorés, participent au respect des droits de l’enfant.

 

Je terminerai en évoquant la question, essentielle, du partenariat de l’école avec les familles.

 

Les parents, notamment ceux qui ont connu l’échec scolaire, doivent être réintégrés dans l’oeuvre de coéducation de l’école. Des actions exceptionnelles sont conduites par certaines écoles en zone d’éducation prioritaire, qui consistent à contacter les parents qui sont eux-mêmes en situation de rejet par rapport à l’école – parce qu’ils sont illettrés ou ont connu l’échec scolaire – et qui pensent qu’ils ne peuvent rien faire pour leurs enfants. L’école doit réussir à retisser les liens avec ces parents en revalorisant leur rôle parental et en leur expliquant qu’une parole d’encouragement est essentielle pour la réussite scolaire de leur enfant. L’école peut même parfois aller plus loin en associant les parents en difficulté de lecture à certains cours, en les faisant venir dans les classes.

 

Toutes ces actions en partenariat avec les parents, notamment les parents en difficulté, sont des actions essentielles que je souhaite développer dans le système scolaire en encourageant, par exemple, les réunions de parents d’élèves dans les logements. En effet, certains parents ne franchissent pas le seuil de l’école, considérant qu’il ne s’agit pas d’un lieu pour eux ; il convient donc que l’école aille vers ces familles pour revaloriser leur rôle de parents et pour leur dire qu’ils ont un rôle important à jouer dans l’éducation de leurs enfants.

 

J’évoquerai en conclusion un aspect plus international concernant l’éducation et le développement. Il se tient régulièrement des réunions internationales des ministres de l’éducation ; or la France a une parole très forte à porter sur le thème de l’aide au développement, dans le cadre de laquelle il conviendrait de donner plus d’importance à la construction d’écoles, car c’est par là que l’on fera progresser les droits de l’enfant. Je pense en particulier à l’accent qui doit être mis sur l’éducation des jeunes filles, qui seule permet, dans certains pays, de faire reculer certains fléaux, parmi lesquels se trouvent les mutilations sexuelles.

 

Le lien entre éducation, développement et droit de l’enfant est donc essentiel.

 

M. le Président : Mme la Ministre, je vous remercie d’avoir développé le thème de la protection de l’enfant contre les abus sexuels et d’avoir abordé les autres thèmes importants que sont le droit à la santé et à l’éducation et à ces aspects internationaux. Les membres de la commission vont maintenant vous interroger sur tous ces points.

 

M. Gaëtan GORCE : Je me félicite, Mme la Ministre, des initiatives qui ont été prises depuis plusieurs mois sur le thème des droits de l’enfant.

 

Vous avez parlé des initiatives prises en matière de prévention des infractions sexuelles : avez-vous une idée du nombre de cas qui ont concerné et qui concernent l’éducation nationale ?

 

Envisagez-vous d’évaluer l’efficacité des dispositifs de concertation qui se mettent en place ? Pour le département qui me concerne, j’ai pu juger de la rapidité avec laquelle tout cela a été mis en place et de la disponibilité de l’administration.

 

Les zones d’éducation prioritaire réaffirment le principe du droit à l’école et à l’éducation et font partie de la démarche qui doit être conduite. On sait que le fonctionnement de ces ZEP est souvent un peu entravé par des règles administratives et financières qui peuvent gêner une approche en termes de projets pédagogiques.

 

Enfin, estimez-vous, par rapport aux préoccupations que vous avez exprimées sur différents domaines, qu’un lien doive être fait avec l’aménagement des rythmes scolaires,?

 

Mme Ségolène ROYAL : Je répondrai tout d’abord à la première question : il y a trois cents affaires en cours dans le primaire et quarante-cinq dans le secondaire. Ces affaires durent parfois depuis plusieurs années. Aujourd’hui, le nombre des affaires a augmenté, puisque l’on nous signale un cas par jour.

 

Dans le domaine de la protection de l’enfance, un gros travail reste à faire. J’ai demandé que l’on accorde une attention particulière aux enfants qui ont été placés, c’est-à-dire à ceux qui n’ont pas de parents à qui parler. Tout le travail qui a été fait dans l’éducation reste à faire dans le domaine de la protection sociale en France, notamment dans les foyers, car, en l’absence de familles permettant de faire prendre en considération la parole de l’enfant, la chape de silence qui entoure les cas de maltraitance y est plus épaisse qu’ailleurs.

 

Le placement des enfants constitue un autre domaine à traiter. Je sais que Mme la Ministre de l’emploi et de la solidarité y est sensible, mais le problème est délicat du fait que les présidents de Conseils généraux sont un peu " juges et parties ", lorsqu’ils décident un placement. Il y a là dans ces décisions une grande complexité juridique et donc un grand chantier à ouvrir.

 

Je travaille également avec Mme Marie-Georges Buffet sur la question de la jeunesse et des sports, où les tabous sont peut-être encore plus lourds qu’à l’école et où de nombreuses actions doivent être mises en place.

 

Il convient de noter qu’il existe désormais une coordination éducation/justice. Jusqu’à présent, chaque administration était un peu dans sa tour d’ivoire, l’éducation se gardant bien de prévenir la justice pour protéger sa réputation, et la justice ne renvoyant pas vers l’éducation les informations concernant la suite donnée aux signalements. Je puis vous citer des cas extrêmement pénibles où des directrices d’école ou des institutrices, qui avaient eu le courage de signaler certains faits, n’étaient pas tenues au courant de la suite donnée à ces affaires. Aujourd’hui, il existe une obligation d’information réciproque entre l’éducation et la justice. Cela a conforté les deux institutions dans leur volonté de lutter contre tous les faits de maltraitance.

 

En ce qui concerne les zones d’éducation prioritaire, votre observation est très juste. Pour tenter de surmonter cet effet de frontière qui sépare trop durement les établissements qui sont en ZEP de ceux qui ne le sont pas, et qui parfois reçoivent le même type de public sans avoir les mêmes moyens, je viens de créer les réseaux d’éducation prioritaire qui permettent aux établissements sensibles se situant à proximité des ZEP de bénéficier de certaines mesures. Il a été demandé aux recteurs de faire des propositions concernant cette mise en réseau des établissements scolaires.

 

Chaque fois que nous mettrons en place des actions en faveur des secteurs d’éducation prioritaire, les établissements en réseau d’éducation prioritaire seront englobés dans ces efforts – par exemple, lorsque la priorité sera donnée à la scolarisation des enfants de moins de trois ans dans les ZEP, les établissements mis en réseau d’éducation prioritaire seront également concernés et il en ira de même pour l’affectation prioritaire des nouveaux postes d’infirmières.

 

M. Bernard BIRSINGER : L’école constitue un lieu important pour la défense des droits de l’enfant. Elle ne peut pas, certes, régler tous les problèmes, mais il s’agit d’un service public présent dans tous les quartiers et dans lequel passent tous les enfants. C’est la raison pour laquelle les mesures prises et annoncées vont dans le bon sens.

 

Avez-vous déjà une première évaluation de l’efficacité des mesures qui ont été prises en matière de restauration scolaire, notamment dans les collèges ?

 

S’agissant de la sélection sociale, on constate, même s’il y a plus d’étudiants aujourd’hui, que le nombre de jeunes issus des catégories employés ou ouvriers et sortant de l’université avec un diplôme est faible. Il a été prouvé que la scolarisation des enfants de deux ans permettait, notamment dans les zones difficiles, d’assurer aux jeunes une meilleure scolarité. Que comptez-vous faire, notamment en termes de postes d’enseignants, pour que la scolarisation des enfants de deux ans soit étendue ?

 

Vous venez de parler des réseaux d’éducation prioritaire ; cela est très important, car nous devons nous attaquer au problème de l’échec scolaire. Des milliers de jeunes sont exclus, dès le départ, de notre société, dans laquelle ils ne trouvent pas leur place. Ce problème nécessite une mobilisation de l’ensemble des partenaires et des efforts supplémentaires.

 

Enfin, vous avez, Mme la Ministre, parlé de la santé et de la création dans les écoles des poste d’infirmières et d’assistantes sociales. Il conviendrait cependant de ne pas oublier le médecin scolaire. Le seul lien à la santé, pour certains jeunes, passe par la médecine scolaire. Nous avons besoin de plus de médecins scolaires, et il serait bon également de réfléchir à des actions de prévention qui pourraient nous aider à progresser dans un certain nombre de domaines.

 

En Seine-Saint-Denis, par exemple, nous avons mené, pendant plusieurs années, une campagne de prévention bucco-dentaire ; de ce fait, nous avons fait reculer considérablement le nombre de caries chez les enfants. Des expériences de ce type pourraient utilement être étendues à l’ensemble du territoire.

 

Mme Ségolène ROYAL : S’agissant de la scolarisation des enfants de moins de trois ans dans les ZEP, sachez que dans certaines zones cette scolarisation atteint déjà 100 %. Or partout où c’est le cas, la réussite scolaire de ces enfants est incontestablement meilleure. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’étendre cette scolarisation des enfants de moins de trois ans dans toutes les ZEP.

 

Nous allons essayer de le faire dans la mesure où nous maintenons les mêmes moyens en personnel enseignant, alors que l’on constate une baisse des effectifs dans le primaire – trente cinq mille élèves en moins cette année, cinquante mille l’année dernière –, ce qui nous donne une marge de manoeuvre dans certaines ZEP pour mettre l’accent sur cette scolarisation des enfants de moins de trois ans.

 

Nous avons également engagé un travail de coordination avec tous les services municipaux d’accueil de la petite enfance. Il convient de créer une articulation souple entre les structures d’accueil de la petite enfance, les familles où l’enfant est gardé à domicile et la scolarisation des enfants. Des transitions intelligentes ont déjà été mises en place dans certains quartiers, nous avons l’intention de les généraliser.

 

S’agissant de l’efficacité des mesures prises en matière de restauration scolaire, nous sommes en train d’en faire l’inventaire, académie par académie. J’ai réuni la semaine dernière l’ensemble des intendants de toutes les académies de France : les résultats sont assez contrastés d’une académie à l’autre. Dans certains collèges, le taux de fréquentation a augmenté de 40 % ; dans d’autres, l’augmentation est beaucoup plus faible. Cela dépend beaucoup de l’engagement des chefs d’établissement pour repérer les enfants en situation de malnutrition et pour solliciter leurs familles. Nous avons mis l’accent sur la souplesse des critères d’attribution à mettre en œuvre. Il est en tout cas certain que partout les fonds sociaux pour les cantines se sont révélés utiles. Leur champ d’action a été étendu au service de petits déjeuners ; en effet, le fait de bien manger le matin est un élément important dans la réussite scolaire des élèves et cela est particulièrement important en milieu rural où les trajets domicile-école sont parfois très longs.

 

M. le Président : Pourrez-vous, Mme la Ministre, nous communiquer, dès que vous aurez les résultats, les analyses chiffrées concernant, d’une part, les cantines scolaires, et, d’autre part, la corrélation qui existe entre la scolarisation précoce et la réussite scolaire.

 

Mme Ségolène ROYAL : Tout à fait, M. le Président.

 

Mme Bernadette ISAAC-SIBILLE : Mme la Ministre, je vous remercie publiquement d’avoir la gentillesse de soutenir le " projet santé " pilote que nous mettons en place dans le département du Rhône. Cependant, je souhaitais vous faire part d’un problème concernant l’embauche de médecins scolaires. Pour ceux qui sont embauchés par les rectorats dans le cadre d’opérations du type de celle que je viens de citer, la consigne est de les recruter pour moins qu’un mi-temps afin que, s’ils se retrouvent au chômage, ils ne puissent pas toucher les allocations chômage !

 

Nous rencontrons, de ce fait, de sérieux problèmes pour embaucher, dans les zones rurales, des médecins que l’on paierait deux mille quatre cents francs par mois !

 

M. Jean-François CHOSSY : L’intérêt de l’école, comme révélateur des cas de maltraitance, est tout à fait indéniable. La question que je me pose est la suivante : comment les maîtres ou les éducateurs, qui ne sont ni des médecins ni des psychologues, sont-ils formés pour aborder de tels problèmes ?

 

M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Vous avez évoqué, Mme la Ministre, la question de " l’enfant citoyen dans son école ", notamment à travers son orientation, qui est souvent faite, il est vrai, de manière un peu autoritaire.

 

Au début du siècle " l’enfant citoyen dans son école " a souvent donné lieu à des expériences pédagogiques particulières, puis elles se sont généralisées. Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui les expériences dans ce domaine restent souvent soumises à l’appréciation de la communauté éducative. Ainsi par exemple, le succès des conseils pour enfants, qui ont pour objet de permettre aux élèves de participer à la définition de leur destin scolaire et de leurs conditions de vie au sein de l’école, dépend du degré d’engagement des directeurs et des équipes éducatives. Or il me semble qu’aujourd’hui le ministère de l’éducation nationale pourrait intervenir de manière plus directive et ne plus laisser le directeur ou l’équipe éducative décider si ces actions doivent être ou non menées. Je me demande donc si la participation de l’enfant à son destin scolaire ne devrait pas être plus encadrée par le ministère de l’éducation nationale.

 

Mme Raymonde LE TEXIER : Mme la Ministre, je voudrais revenir sur le problème des abus sexuels pour lesquels je crois beaucoup à la prévention, en apprenant notamment à l’enfant à se protéger lui-même.

 

Vous allez dans ce sens avec le " Passeport pour le pays de prudence " ; comment les enseignants sont-ils formés pour exploiter cette brochure ? Comment est-elle diffusée dans les écoles ? Enfin, comment pouvez-vous, une fois celle-ci arrivée dans les écoles, vérifier qu’elle est bien distribuée aux enfants – je fais là allusion à toutes les réticences que l’on peut rencontrer chez certains enseignants et parents qui ne veulent pas que l’on parle de ces problèmes ?

 

Mme Dominique GILLOT : Je reviendrai, quant à moi, sur les deux derniers chantiers que vous avez évoqués et qui sont relatifs, d’une part, à la réflexion et aux modifications de comportement en matière d’orientation des enfants et, d’autre part, au rôle des parents.

 

Il est important que vous vous investissiez dans ces chantiers et que vous les mainteniez ouverts le plus longtemps possible, car il va falloir aller à l’encontre d’habitudes qui concourent à professionnaliser à outrance les rapports autour des enfants et à considérer que les spécialistes, les professionnels, sont toujours mieux armés que les parents, surtout si ceux-ci appartiennent à des milieux défavorisés.

 

Quelles que soient les conditions de vie des familles, rien ne vaut un entourage familial affectueux et éducatif pour structurer le devenir d’un enfant. Il nous appartient de vérifier que chaque famille est en capacité d’exercer cette obligation, qui est celle de l’expression des droits imprescriptibles de chaque enfant.

 

Mme Martine AURILLAC : Ma première question rejoint celle de notre collègue sur la formation des enseignants : il est capital, sur des sujets aussi graves et délicats, que les enseignants puissent recevoir une formation spécialisée, notamment au sein des IUFM.

 

Ma seconde question concerne le rapport annuel relatif à l’application de la Convention des droits de l’enfant que devait présenter le Gouvernement au parlement. Ce rapport sera-t-il présenté cette année ?

 

M. le Président : Ce rapport relève au premier chef de la responsabilité du ministère de Mme Martine Aubry, mais le problème soulevé est bien réel.

 

M. Christian PAUL : Mme la Ministre, la santé est, bien entendu, au cœur des droits de l’enfant, et l’école apporte des réponses concrètes dans ce domaine.

 

Pourtant, l’éducation nationale a parfois du mal à assurer la continuité de l’effort nécessaire. Je souligne avec satisfaction l’augmentation des postes d’infirmières et de médecins scolaires, mais la santé concerne également la situation psychologique des enfants. Or on observe depuis un certain nombre d’années une réduction des moyens apportés aux réseaux d’aides spécialisées qui font un travail de soutien psychologique auprès des enfants.

 

Avez-vous des projets sur ce point ?

 

Mme Ségolène ROYAL : Mme Isaac-Sibille, vous soulevez un vrai sujet, celui de l’articulation entre la médecine scolaire et la médecine de quartier. Au-delà du problème que vous évoquez concernant le versement forfaitaire d’une certaine somme mensuelle, il existe des possibilités de vacation à l’heure pour ces médecins qui permettent d’atténuer la difficulté dont vous faites état.

 

Cela dit, indépendamment de l’effort poursuivi concernant la création de postes de médecins scolaires, nous sommes en train de réfléchir à la création d’un statut mixte de médecin qui serait à la fois médecin scolaire et médecin hospitalier, ou médecin scolaire et médecin de quartier, avec une rémunération correcte des périodes d’activité effectuées à l’école.

 

Nous nous trouvons devant un paradoxe assez étonnant, puisqu’il y a trop de médecins libéraux – c’est-à-dire une offre médicale trop forte qui entraîne un certain déficit de la sécurité sociale – et un manque cruel de médecins scolaires, dans le même temps.

 

M. Chossy, la formation des maîtres au problème de la maltraitance a déjà commencé, puisque nous mettons en place, à l’intérieur des IUFM, des modules de formation – ce que certains IUFM avaient déjà fait. Nous encourageons en particulier la mise en place de modules de formation communs aux autres personnels médico-sociaux, entre les inspections académiques et les Conseils généraux, puisque ce sont les mêmes assistantes sociales, les mêmes infirmières et les mêmes professionnels de santé qui ont à faire face au signalement de maltraitance à la fois dans les familles et dans les institutions. Cette formation conjointe est de loin la plus efficace.

 

Seulement 4 % des assistantes sociales ou des infirmières sont aujourd’hui formées au problème de la maltraitance des enfants, ce qui est un chiffre catastrophique. La France a un retard colossal dans ce domaine qu’il faut absolument combler.

 

Les jeunes stagiaires des IUFM sont très demandeurs de formations liées à la protection de la santé des enfants. C’est pourquoi nous intégrons, dans les modules de formation actuellement en cours, cette préoccupation.

 

M. Bret, en ce qui concerne l’enfant citoyen dans son école, vous me demandez comment nous pourrions systématiser cette préoccupation.

 

Nous avons mis en place deux types d’actions dans les écoles. D’une part, les initiatives citoyennes, qui ont précisément pour objectif de favoriser et de rendre obligatoire la prise de conscience par les enfants de leurs droits et de leurs obligations. Ces initiatives citoyennes vont culminer au mois de mai par une semaine nationale des initiatives citoyennes. Tout ce qui nous remonte des écoles, des collèges et des lycées sur les initiatives qui ont été prises par les équipes pédagogiques est encourageant.

 

Mon idée est de nous appuyer – à partir de ce qui se fait dans les classes pour lutter contre les phénomènes de violence, en particulier de violence verbale, qui dégradent le climat dans les écoles – sur ces expériences concrètes réussies pour reformuler, dès la rentrée prochaine, le contenu de l’instruction civique.

 

Nous intégrerons d’ailleurs, dès la rentrée, un programme d’instruction civique en classe de première, qui ne constituera pas une accumulation de savoirs nouveaux, mais une réflexion sur les comportements, sur les droits et les devoirs.

 

D’autre part, il sera également demandé à tous les établissements scolaires de travailler sur les règlements intérieurs en mettant en place des contrats de droits et de devoirs dans les écoles – qui concerneront également les adultes. Tous les partenaires de la communauté scolaire, enseignants, personnels non-enseignants, parents d’élèves et élèves, feront un travail sur leurs droits et leurs devoirs. Ensuite, il y aura une confrontation qui fera émerger un contrat de vie scolaire, qui sera sans cesse remis en cause et soumis à l’épreuve des faits.

 

Mme Le Texier, le " Passeport pour le pays de prudence " a été tiré à quatre millions d’exemplaires avec autorisation donnée aux inspections académiques d’en tirer en complément. Normalement, tous les élèves de l’école primaire, à partir du CM1, ont dû recevoir cette brochure.

 

En outre, j’ai diligenté une inspection pour faire un bilan de la diffusion de ce passeport et vérifier si cette brochure n’était pas restée bloquée dans certaines inspections académiques.

 

Ce document a été corédigé avec les familles rurales, l’association de parents d’élèves FCPE et le Comité français d’éducation pour la santé. Il y a eu très peu de réticences. Même si, dans un premier temps, certains instituteurs ont protesté en disant qu’il ne relevait pas de leur fonction de sensibiliser les enfants à de tels problèmes, la demande des enfants – qui avaient entendu parler du passeport et qui ne l’avaient pas reçu – a fait que pratiquement tous les obstacles ont été levés et que l’on a maintenant des remontées extrêmement positives des débats qui ont lieu dans les établissements, parce que, dans ce passeport, on fait confiance aux enfants.

 

Vous me demandez si les enseignants ont été formés pour parler de ce problème. Mais ce document est également destiné aux parents, aux pères et mères de famille qui veulent sensibiliser leurs enfants à ces problèmes. Or les enseignants sont également souvent des parents ; on peut donc leur faire confiance pour utiliser au mieux ce document qui aborde très clairement et très franchement les problèmes de sexualité ou d’agressions sexuelles.

 

Je ressens un soulagement dans les établissements scolaires, grâce à la circulaire extrêmement précise, mais également à ce petit document pédagogique complété par la diffusion d’une vidéo, " Mon corps, c’est mon corps, j’ai le droit de dire non ", qui a été tirée à quatre mille exemplaires et dont un nouveau tirage est en cours. Ces cassettes ont été bloquées pendant des années dans les inspections académiques, faute d’autorisation officielle de diffusion. Elles sont maintenant diffusées dans les établissements scolaires, y compris dans les collèges, en accompagnement d’un travail réalisé par des psychologues et des infirmières scolaires, c’est-à-dire des personnes plus spécialement formées pour entamer le dialogue avec les élèves.

 

J’ai également fait réaliser un document audiovisuel sur la prévention des violences entre élèves, intitulé " Cet autre que moi ". Il a été réalisé dans un collège de la banlieue parisienne et traite de la violence verbale et sexuelle entre adolescents – thème dont on ne parle pas suffisamment car il est important que les jeunes ne soient pas victimes des pressions du modèle social dominant, de la télévision ou de l’entourage et apprennent à dire non si ils ne veulent pas avoir de rapports sexuels. Les adolescents qui ont perdu leurs points de repère peuvent utilement trouver à l’école des références en matière de comportement éducatif.

 

Un chantier considérable a été ouvert, celui de l’orientation. Il y a trop d’inégalités dans le traitement de l’orientation des élèves. Certaines paroles prononcées en conseil de classe à propos des élèves sont inadmissibles. Je donnerais des instructions pour que les professeurs, lors des conseils de classe ou des évaluations, disent aux élèves ce qu’ils font et non pas ce qu’ils sont. Dire en permanence à un élève qu’il est médiocre, c’est le dévaloriser, même si cela est involontaire. Or je pense qu’il est possible de faire autrement en s’appuyant sur des expériences réussies. Le conseiller d’orientation a pour mission de valoriser les points positifs de l’élève pour lui permettre d’aller de l’avant.

 

Dans les grandes classes, peut-être même en quatrième et en tout cas au lycée, les élèves vont avoir l’autorisation systématique d’assister au conseil de classe. On demande aux élèves d’être acteurs dans leur orientation, ils doivent donc également être acteurs dans leur évaluation. Dans les lycées où les élèves viennent s’exprimer au conseil de classe, tout le monde se félicite de cette pratique.

 

Mme Aurillac, s’agissant de la formation des enseignants, une coordination doit être mise en place avec les collectivités locales, car les mêmes carences existent au sein des personnels sociaux de l’éducation et des personnels sociaux d’autres structures. C’est en unissant nos efforts que nous arriverons à améliorer les choses.

 

Chaque fois qu’ont été élaborés des plans départementaux, éducation/justice/affaires sociales/Conseils généraux pour mettre en place des modules de formation, les moyens ont été démultipliés et les progrès ont été considérables.

 

M. Paul, vous m’interrogez sur la santé psychologique et le rôle des réseaux d’aide spécialisée. Il s’agit également, il est vrai, d’un chantier important dans lequel est intégré l’aspect " droits des enfants handicapés à l’école ". L’école intègre trop peu d’enfants handicapés, 4 % seulement. Je me suis fixée un premier objectif de doublement du nombre d’enfants handicapés accueillis dans les classes ordinaires. En outre, il existe des réseaux d’accueil des enfants handicapés, d’un côté, et des enfants en difficulté psychologique, de l’autre, qu’il ne faut pas mélanger.

 

Trop souvent la solution de facilité est de placer dans des structures qui ne sont pas adaptées, des enfants en grande difficulté psychologique. Nous réactivons donc les réseaux d’aide pour que le dépistage puisse conduire à des actions bien ciblées sur le handicap de l’enfant, qu’il soit psychologique ou d’une autre nature.

 

Je terminerai sur le thème des rythmes scolaires, question à laquelle je n’ai pas répondu tout à l’heure. Il s’agit là d’un sujet essentiel par rapport aux droits de l’enfant, et la souplesse que nous devons absolument apporter à l’aménagement des rythmes de l’enfant m’a conduite à engager une action de coordination avec les ministères de la jeunesse et des sports et de la culture. En effet, il y a trop souvent des conflits dans les établissements entre les rythmes scolaires de l’éducation nationale et ceux de la jeunesse et des sports, ce qui entraîne une grande confusion, des inégalités très importantes entre communes et des incohérences au sein d’un même bassin de collèges.

 

Nous allons lancer un appel à projet dans tous les départements pour éviter de voir émerger des opérations " rythmes scolaires " différentes d’une école à l’autre.

 

Le dispositif relatif à l’aménagement des rythmes scolaires englobera un territoire cohérent – par exemple de la dimension du canton ou d’un collège et des écoles primaires qui en dépendent. Par ailleurs, la nouvelle vague des emplois-jeunes va être axée sur l’aménagement des rythmes scolaires, et cette action sera étendue au collège.

 

L’effort que nous devons fournir aujourd’hui doit porter sur le collège, car c’est là que se joue l’intégration citoyenne des pré-adolescents. Des moyens importants doivent être mobilisés pour lutter contre l’échec scolaire et certains comportements de violence chez les adolescents.

 

M. le Président : Mme la Ministre, je vous remercie.

Audition de M. Bernard KOUCHNER,
Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’emploi et de la solidarité, chargé de la santé, accompagné par
MM. Guy Janvier et Eric Chevallier, Conseillers techniques

(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 février 1998)

Présidence de M. Laurent FABIUS, Président

Monsieur Bernard Kouchner est introduit.

 

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Bernard Kouchner prête serment.

 

M. Bernard KOUCHNER : M. le Président, la commission que vous venez de mettre en place a pour objet de dresser un bilan de l’état des droits de l’enfant en France, notamment au regard des conditions de vie des mineurs et de leur place dans la cité.

 

Votre rapporteur, M. Jean-Paul Bret, l’a souligné lors de la discussion sur la création de cette commission : au lieu de s’améliorer, la situation de nombreux enfants se dégrade. Cela est dû, bien évidemment, et en très grande partie, à la crise sociale et à la précarisation de plus en plus grande de bon nombre de familles françaises.

 

La meilleure façon de garantir les droits de l’enfant et de lui assurer une place dans la société, c’est de lutter contre le chômage et l’exclusion de ses parents. C’est ce que le Gouvernement s’est donné comme première tâche, lorsque le Premier ministre Lionel Jospin a proposé aux Français un pacte de développement et de solidarité.

 

Nous le savons, il y a dans notre société quelque chose d’injuste. Nous n’avons globalement jamais été aussi riches et pourtant plusieurs millions de personnes connaissent la précarité et craignent pour l’avenir de leurs enfants. La pauvreté est en elle-même une maltraitance. Vous l’avez dit, M. le Rapporteur, et j’approuve totalement cette affirmation.

 

En France, le statut juridique de l’enfant lui assure, en théorie, une protection suffisante. Dans les faits, cette protection est loin d’être garantie et nous devons, à l’occasion de toutes les mesures que nous prenons, garder à l’esprit qu’agir pour les droits de l’enfant, c’est travailler à l’éclosion d’une société plus juste et plus solidaire.

 

La France a signé, le 26 janvier 1990, la Convention internationale sur les droits de l’enfant qui avait été adoptée par les Nations Unies le 20 novembre 1989. La Convention marque une étape importante pour les droits de l’enfant en France et dans le monde.

 

Pour la première fois, la France s’est ralliée à un texte global, cohérent et universel sur l’enfance. Partant de l’idée que l’enfant est une personne, la Convention s’attache à toutes les dimensions de sa vie, à l’intérieur et à l’extérieur de la famille. Elle contribue à tracer les contours de l’enfance et de la place de l’enfant dans la société, à travers l’ensemble de ses droits civils, sociaux, économiques, culturels, voire politiques.

 

Il s’agit d’un texte contraignant, même si persiste, avec la Cour de cassation, un débat sur la portée juridique exacte du texte. Pour la Cour, seuls les Etats seraient liés. La Convention ne serait pas directement applicable en droit interne. Il n’y aurait donc pas de droits directs pour les enfants. Or tout le pari politique des instigateurs de la Convention est d’amener ces Etats à s’engager sur des objectifs et à reconnaître des droits aux enfants. L’objectif majeur visé est de dépasser les beaux discours et les engagements formels pour favoriser un réel changement des conditions de vie faites aux enfants.

 

Des obligations pèsent sur les Etats parties à cette Convention, et donc sur la France : respecter les droits affirmés dans les textes ; réunir les conditions de leur mise en œuvre ; rendre des comptes ; organiser la coopération internationale.

 

En France, depuis 1989, date de l’adoption par l’Assemblée générale de l’ONU de cette Convention, le ministère de la famille est chargé de la coordination du travail gouvernemental au plan interne et de la mise en œuvre de cette Convention. Celui-ci ne s’est pas appuyé sur une instance interministérielle spécifique. En revanche, sur l’initiative du COFRADE, le ministère organise chaque année, le 20 novembre, date anniversaire de l’adoption de la Convention, une rencontre nationale entre ces associations et les pouvoirs publics.

 

Depuis la loi du 9 avril 1996, ces rencontres sont devenues officielles, mais sans que la coopération interministérielle soit institutionnalisée. Cela peut expliquer le manque de coordination entre les ministères.

 

Un seul rapport sur l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant, très exhaustif il est vrai, a été établi par la France et présenté à l’ONU en 1994. Contrairement à l’obligation établie par la loi du 27 janvier 1993, aucun rapport n’a jamais été présenté devant le Parlement, comme M. le Rapporteur l’a souligné. Il est temps de mettre fin à cette lacune et je m’engage solennellement devant vous, ce matin, à ce qu’un rapport soit établi et présenté au plus tard le 20 novembre prochain. Je demanderai, avec Mme Martine Aubry, au Premier ministre de mettre en place un groupe interministériel qui sera chargé de préparer ce rapport.

 

Avant d’aborder les sujets qui relèvent plus particulièrement de mes attributions, j’aimerais souligner le caractère novateur de la Convention internationale des droits de l’enfant.

 

Ce texte fait une référence permanente à l’intérêt supérieur de l’enfant. Surtout, et il s’agit sans doute de la novation essentielle, l’enfant est considéré comme une personne qui doit disposer de droits propres. L’enfant est sujet de droit, mais le préambule rappelle qu’il a besoin de protection. Celle-ci incombe avant tout à la famille, " unité fondamentale de la société ".

 

Le temps m’étant compté, je voudrais, si vous le permettez, insister sur deux points qui me semblent très importants : d’une part, les questions de santé, et, d’autre part, la maltraitance.

 

En ce qui concerne les questions de santé, le dernier rapport du Haut comité de la santé publique, présenté à Lille en juin dernier, nous fournit les grandes lignes de l’orientation future.

 

Il convient d’améliorer les connaissances sur l’état de santé des enfants et des jeunes ; de former les intervenants agissant auprès des jeunes, en particulier pour prévenir les conduites à risque – on voit ces jours-ci combien cette tâche est difficile puisque les chiffres du suicide qui ont été publiés sont très alarmants, en particulier en ce qui concerne les jeunes – ; de détecter et de prendre en charge les enfants et les adolescents en difficulté ; enfin, d’améliorer le processus de développement harmonieux de l’enfant.

 

J’insiste tout particulièrement sur un point : il n’est pas admissible que nous ne fassions pas de progrès réels et rapides sur la détection précoce des enfants et des adolescents en difficulté. Ce n’est pas pour les stigmatiser que nous devons mettre en place les conditions d’un dépistage le plus précoce possible des carences physiques, psychologiques, affectives, sociales des enfants, mais, au contraire, pour les aider. Comment leur assurer l’égalité des chances si, dès le départ, ils sont " marqués " par la vie ?

 

Les structures actuellement responsables de la santé de l’enfant ont trop tendance à privilégier son développement physique et sa croissance corporelle et négligent son développement psychique, sa capacité d’apprentissage, les conditions de la construction de sa personnalité et sa socialisation. Nous devons instituer un suivi continu de la santé physique et mentale de l’enfant.

 

Il convient de travailler, en liaison avec les familles dont on a assez souvent évoqué les difficultés, à remédier, par une disponibilité, un entourage affectif et des conseils appropriés, aux difficultés des jeunes dans les domaines de la vie affective, de la vie scolaire, de la socialisation et du développement de la personnalité. Or l’accompagnement individuel et collectif, pourtant indispensable, est fortement consommateur de temps.

 

Les messages généraux et normalisateurs ne sont pas entendus. En revanche, les actions de proximité, réalisées après une mise en confiance par des intervenants bien identifiés, sont bien reçues et efficaces.

 

Il convient donc de mettre en place, à l’échelon territorial le mieux adapté, sans doute le quartier, des réseaux de prise en charge globale du développement de l’enfant et de l’adolescent.

 

Il faut aider les parents ayant des difficultés éducatives avec leurs enfants. Cela exige une présence attentive et disponible de personnes compétentes : groupes de soutien aux professionnels pour mieux comprendre les phénomènes d’exclusion, lieux d’écoute et de socialisation pour les jeunes ou les adultes, groupes de parole pour des personnes vivant des situations de rupture sociale ou familiale. Les travailleurs sociaux et les associations ont là un rôle considérable, mais difficile, à jouer.

 

Sur le terrain, ils sont des milliers à accomplir un travail remarquable, accompagnés de millions de bénévoles qu’il faut également aider et soutenir. C’est à la condition d’une prise en charge communautaire des problèmes de notre société que les enfants pourront trouver dans la cité la place qui leur revient. C’est l’objectif principal de la loi de prévention et de lutte contre les exclusions que le Gouvernement prépare. C’est aussi l’objectif de la politique de la ville que poursuit Mme la Ministre de l’emploi et de la solidarité.

 

Je m’exprimerai maintenant sur les questions de maltraitance.

 

Le dernier rapport de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée
– l’ODAS –, rendu public le 12 novembre dernier, constate que le nombre d’enfants en danger en France ne cesse d’augmenter. L’ODAS dénombre soixante-quatorze mille enfants maltraités et en risque de maltraitance en 1996, soit 14 % de plus que l’année précédente. Cette augmentation s’explique d’abord par l’amélioration du système de repérage, mais elle trouve aussi ses causes dans la précarisation de notre société et la dislocation du lien social.

 

Autre évolution mise en exergue par l’ODAS, le recours de plus en plus fréquent à la justice, tant pour les signalements que pour les prises en charge. Ce renforcement de l’intervention judiciaire n’était pas prévus, lorsque la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance a été votée. Elle privilégiait la protection administrative par rapport à la protection judiciaire. Des efforts considérables ont été faits pour mettre en place un système efficace de repérage, notamment grâce à l’installation et au développement continu du SNATEM
– Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée.

 

La protection de l’enfance maltraitée avait été déclarée grande cause nationale par le précédent Gouvernement. Le changement de majorité intervenu en juin dernier n’a pas altéré la volonté collective de poursuivre cette action, bien au contraire.

 

Les recommandations faites le 20 novembre dernier à l’occasion du bilan de " la grande cause " doivent être prises en compte. Je n’en citerai que quelques-unes : mieux former, ensemble, les acteurs de la protection ; développer localement les stratégies d’un partenariat authentique ; évaluer les effets des mesures mises en place ; viser à diminuer l’apparition des difficultés des enfants avant qu’ils ne soient maltraités – en particulier grâce au soutien de la fonction parentale.

 

Le Gouvernement a déjà donné des signes d’une politique volontariste dans ce domaine. En premier lieu, pour ce qui concerne les abus sexuels qui, je le sais, ne résument pas l’ensemble des situations de maltraitance, nous avons décidé de renforcer le dispositif législatif existant.

 

C’est le sens du projet de loi présenté par Mme Elisabeth Guigou relatif aux infractions sexuelles et à la protection des mineurs, qui a une double finalité : d’une part, mieux protéger les mineurs en créant un véritable statut juridique pour les victimes, et, d’autre part, réduire les risques de récidive en instituant une mesure de suivi socio-judiciaire. La loi intégrera autant les préoccupations d’ordre sanitaire que judiciaire, contrairement à ce qui avait été précedemment envisagé.

 

Par ailleurs, pour répondre au désarroi de la communauté éducative qui est souvent en première ligne dans ce domaine, M. Claude Allègre et Mme Ségolène Royal ont fait parvenir une circulaire à tous les responsables de l’éducation nationale pour leur préciser, de manière détaillée, la conduite à tenir lorsqu’une situation de violence sexuelle sur un enfant est repérée ou soupçonnée.

 

Je veux citer aussi le programme gouvernemental de lutte contre la violence scolaire.

 

N’y a-t-il pas une forme pernicieuse de maltraitance quand les enfants finissent par avoir peur d’aller à l’école à cause du racket, du caïdat et des menaces qui sont exercés à leur encontre ? Qu’en est-il des droits de l’enfant quand un climat de peur s’est instauré dans une classe ou dans un établissement scolaire ?

 

En ce qui nous concerne, nous entendons, avec Mme la Ministre de l’emploi et de la solidarité, être très impliqués dans la prévention des mauvais traitements à l’école, même si, bien entendu, le ministère de l’éducation nationale garde un rôle moteur en ce domaine.

 

Sur ce plan, je dois vous dire, notamment, notre intention d’être extrêmement attentifs à la situation des enfants dans les institutions sociales et médico-sociales, où des cas de même nature nous ont été signalés. Dès notre arrivée, nous avons été informés, souvent d’ailleurs avec retard, d’affaires de sévices à enfants dans ces institutions.

 

Je considère comme parfaitement inacceptable que de telles situations soient souvent révélées après que la presse s’en soit emparée. Nous avons donc donné des instructions extrêmement fermes aux préfets leur demandant d’être vigilants sur ce type d’affaires et d’en informer immédiatement le cabinet.

 

Cependant, il convient d’être clair : les mauvais traitements, le non-respect des droits élémentaires de l’enfant, se déroulent le plus souvent dans la sphère privée et familiale. Il convient donc, au-delà de la sensibilisation indispensable de l’opinion publique, de développer des actions de fond en direction des familles.

 

La protection de l’enfance n’étant pas assurée en France par une institution unique, mais par l’action convergente de plusieurs institutions - les services sociaux départementaux, l’autorité judiciaire, la police, la gendarmerie, le système éducatif, les institutions hospitalières, les associations privées –, il nous faut maintenant évaluer notre système de protection de l’enfance.

 

Je conclurai ce bref exposé en vous disant quelques mots de nos projets en matière de politique familiale. Nous en avons fixé les grandes lignes devant le Sénat qui avait interrogé Mme la Ministre de l’emploi et de la solidarité sur cette question le 4 novembre dernier.

 

Quoi de plus personnel que la famille et, en même temps, quoi de plus essentiel pour construire la société ? Quelle part, dans ce domaine, laisser à l’intimité de chacun et quelle place donner à l’intervention publique ? La réponse est difficile. Elle ne s’accommode ni de simplisme ni de polémique.

 

Notre objectif est clair : protéger et conforter la famille, parce qu’elle est la cellule de base où se construit l’enfant sur le plan affectif, où il acquiert ses premiers repères. C’est dans la famille que s’exprime en premier lieu la solidarité, que s’apprend le respect de l’autre et que se construisent les premières expériences et les apprentissages. C’est dans la famille que se transmettent les valeurs, que s’éveillent et s’éduquent la créativité et le goût du savoir.

 

Dans un monde de plus en plus changeant et mobile, où les informations, les personnes et les cultures circulent, les repères s’obscurcissent et se relativisent. Dans une société en crise, la transmission des valeurs, des comportements, est plus difficile.

 

Défendre la famille, c’est défendre les valeurs et les objectifs auxquels nous sommes tous attachés, c’est-à-dire préserver la cohésion sociale, donner à chacun une place, promouvoir la solidarité.

 

Avoir un enfant n’est pas un risque, mais une chance. Pour que cette chance soit totale et pour tous, il nous faut une vraie politique familiale. D’où les réflexions que Mme la Ministre de l’emploi et de la solidarité entend mener sur l’ensemble de la politique familiale pour préparer la conférence de la famille prévue en 1998.

 

La question de la famille renvoie à celle de la protection des enfants. Quel équilibre trouver entre le respect de la sphère privée et les garanties que la société doit apporter à tout individu, et en particulier aux plus fragiles ? Quelle place aussi pour les jeunes adultes restant au domicile des parents ?

 

C’est l’ensemble des questions financières, juridiques et des actions administratives qu’il convient de reconsidérer, avec le souci premier d’aider les familles et de permettre à chaque enfant de devenir un adulte digne et autonome, respectueux des autres et capable de trouver une place dans la société.

 

Les droits de l’enfant seront réellement respectés et c’est à cette condition que notre société reprendra confiance en elle, parce que ses enfants auront l’espoir d’un monde plus juste.

 

Je vous remercie.

 

M. le Président : Toute notre matinée est consacrée essentiellement à la question de la maltraitance. Parmi les indications que vous nous avez données, j’ai relevé en particulier votre engagement, au nom du Gouvernement, de remettre avant le 20 novembre le rapport prévu par la loi de 1993 sur l’application en France de la Convention internationale. Nous y serons attentifs.

 

Vous avez évoqué la terrible question du suicide chez les jeunes. Ce jeudi 5 février est la seconde journée nationale de prévention du suicide. Les chiffres qui nous sont communiqués sont extrêmement lourds. Les causes sont diverses, mais elles relèvent à l’évidence toujours d’une forme de désespoir. Il est nécessaire d’appeler sur ce problème l’attention de tous ceux qui peuvent agir pour lutter contre toutes les formes de désespoir, contre l’isolement des jeunes.

 

Vous avez vous-même – j’ai lu une déclaration à ce sujet – proposé de multiplier les lieux d’écoute, les associations d’entraide, toutes les formes d’activités collectives qui brisent l’isolement, qui favorisent la solidarité. La commission y sera, elle aussi, attentive.

 

Pourriez-vous, sur ce sujet, nous donner l’essentiel des mesures que vous comptez prendre pour faire reculer ce fléau ?

 

M. Bernard KOUCHNER : La comptabilisation du nombre de tentatives de suicide est délicate. Personne ne sait si le chiffre exact est de cent trente mille, cent cinquante mille, voire, d’après certains, cent soixante dix mille tentatives par an, ce qui nous place pratiquement au premier rang mondial.

 

Nous savons en revanche précisément qu’il y a douze mille morts par an. Pas seulement des jeunes, mais sept jeunes par jour se suicident en France. Le suicide des personnes âgées est également un problème important qui nous interpelle sur la manière dont nous les prenons en charge.

 

Que faire ? Je souhaite, de façon très volontariste, et j’engage le Gouvernement, mais aussi tous les services administratifs et les professionnels dans ce pari, que le nombre de décès par suicides soit réduit à moins de dix mille en trois ans. Tel est notre objectif. Il est ambitieux et en même temps, au regard des chiffres, insuffisant.

 

L’Angleterre, par exemple, a diminué de moitié, en quelques années, le nombre de suicides, par une action très volontaire de la société civile. En France, nous avons des associations qui fonctionnent très bien et que nous soutenons. Il existe également un certain nombre de lieux d’appel que le ministère soutient.

 

Que pouvons-nous faire de plus ?

 

D’abord, former les professionnels travaillant en réseaux. Un professionnel seul ne peut suffire dans un quartier. La moitié des suicidés, en particulier les jeunes, ont consulté un médecin dans la semaine précédente. Cela veut donc bien dire que les signes d’alerte qui existent, au moins dans la moitié des cas, n’ont pas été entendus.

 

Nous sommes pourtant le pays qui consomme le plus de neuroleptiques au monde. La facilité est donc, que l’on entende ou non les appels d’une personne angoissée, de lui donner des médicaments sans l’écouter suffisamment ou, du moins, sans l’introduire dans un réseau de professionnels. C’est la raison pour laquelle il convient de former les médecins à l’écoute. Je m’engage à ce que, dans la formation médicale continue, l’accent soit porté sur la formation à l’écoute des personnes en danger.

 

Ensuite, un suivi doit être assuré. La plupart des tentatives de suicide aboutissent dans un service d’urgence de médecine générale. Ces personnes y sont parfois, mais pas assez, prises en charge par un psychiatre – mais cela prend quelquefois des heures pour le faire venir ; d’où la nécessité que les psychiatres soient de garde dans tous les services d’urgence, et ils ont, pour cela, besoin d’une formation. Cependant, même si les adolescents bénéficient d’une prise en charge dans les services d’urgence, ils ne sont pas suivis à leur sortie ou ne le sont que trop rarement. Or c’est ce suivi là, sur leur lieu de résidence, qui est essentiel.

 

Enfin, il existe d’autres actions que nous pourrions mener et des stages de formation qui pourraient être initiés à l’Ecole nationale de santé publique de Rennes. La formation initiale des médecins doit comporter davantage de cours relatifs à la santé mentale, à la psychiatrie en général, et plus d’argent doit être distribué aux points d’écoute
– on en dénombre actuellement soixante-seize mais c’est insuffisant. L’année prochaine, la grande cause nationale pourrait être consacrée à la prévention du suicide.

 

Tout cela devrait, je l’espère, aboutir à la diminution des suicides à moins de dix mille par an dans trois ans.

 

M. Pierre CARASSUS : Parmi les risques auxquels sont exposés les enfants, il y a la drogue. Le ministère a-t-il des estimations qui nous permettraient d’apprécier à partir de quel âge les enfants consomment de la drogue ?

 

En outre, le ministère impulse-t-il une politique particulière, tant en matière de prévention que de soins, pour la petite enfance ?

 

Mme Christine BOUTIN : M. le secrétaire d’Etat, vous est-il possible de nous dire quelles sont les causes des suicides de jeunes ? Connaissons-nous réellement les raisons pour lesquelles ces jeunes se suicident ? Par ailleurs, avez-vous des statistiques concernant l’âge des personnes – et notamment des jeunes – qui se suicident ?

 

J’ai eu connaissance de la publication d’un certain nombre de livres qui donnent, de façon précise, les cocktails qui permettent de se suicider. Depuis des années, je me bats pour que ce type de livres ne soit pas vendu de façon aussi libre, mais j’ai échoué. Avez-vous les moyens de faire cesser ces ventes et disposez-vous d’informations à ce sujet ?

 

S’agissant de la drogue, je serais également intéressée de savoir à partir de quel âge il y a consommation ?

 

M. le Président : M. le secrétaire d’Etat, si vous ne disposez pas de certains chiffres aujourd’hui, ce que je comprends très bien, vous pourrez nous les communiquer ultérieurement.

 

Mme Bernadette ISAAC-SIBILLE : Je vous ai entendu avec beaucoup d’émotion, M. le secrétaire d’Etat, parler de la famille, cellule essentielle dans notre société. Quel type de famille visez-vous – car de nombreuses familles sont éclatées ?

 

Des questions ont été posées sur la drogue, mais il ne faudrait pas oublier le problème de l’alcool et notamment de la combinaison drogue/alcool. Dans quel projet de loi le Gouvernement va-t-il prendre en compte cette consommation de drogue et d’alcool ?

 

Le problème est grave, car si les cafés respectent la législation sur la vente d’alcool interdite aux mineurs, certaines épiceries ouvertes 23 heures sur 24 vendent de l’alcool aux jeunes. Ne faudrait-il pas légiférer sur la vente de l’alcool aux mineurs afin d’éviter certaines dérives et tout ce qui fait perdre son contrôle à cette jeunesse qui attend des cadres dans lesquels grandir ?

 

M. Bernard KOUCHNER : En ce qui concerne l’âge auquel se commettent les premières tentatives de suicide, j’étais à Caen en début de semaine au service des urgences où une jeune femme de dix-sept ans était hospitalisée pour une tentative de suicide. La jeune psychiatre qui était présente m’a indiqué qu’il y avait mille trois cents tentatives de suicides par an à Caen, et que la plus jeune avait neuf ans.

 

L’enquête du Comité français d’éducation pour la santé précise que 13 % des candidats au suicide ont entre quinze et dix-neuf ans, 4 % étant passés à l’acte. Sur les douze mille décès, environ un tiers sont des jeunes de moins de vingt-cinq ans. Une enquête téléphonique est actuellement menée sur quatre mille personnes, par le Comité français d’éducation pour la santé ; je vous communiquerai les résultats pour la journée nationale contre le suicide, mais il est clair que l’âge moyen s’abaisse.

 

En ce qui concerne la drogue, je distinguerai d’abord les drogues légales des drogues illégales.

 

Pour les drogues légales – en majorité le tabac et l’alcool – la consommation de tabac s’accroît chez les jeunes. C’est la raison pour laquelle nous avons augmenté le prix des cigarettes ainsi que celui du tabac à rouler qui est fortement chargé en nicotine ; en effet, l’augmentation du prix des cigarettes se traduit immédiatement par une baisse de la consommation, en particulier chez les jeunes – même si ensuite certains s’adaptent à la nouvelle situation.

 

La publicité sur le tabac est très encadrée en France – nous n’avons fait aucune entorse à la loi Evin, même pas – et je dirai surtout pas – pour la Coupe du monde –, ce qui n’est pas le cas dans le reste du monde où la publicité pour le tabac est directement dirigée vers les jeunes, avec des effets spectaculaires sur la consommation.

 

Soixante mille personnes meurent directement à cause du tabac dans notre pays tous les ans ; et je ne parle pas des pathologies associées. Et avec l’alcool – il s’agit souvent d’imprégnation que l’on appelle alcoolo-tabagique – le chiffre monte à cent mille, voire à cent vingt mille décès annuels.

 

La consommation d’alcool chez les jeunes est théoriquement interdite et dans tous les débits de boissons se trouve l’affiche reproduisant la loi sur la répression de l’ivresse publique. On peut se demander s’il faut légiférer de façon plus draconienne. Je ne sais pas si c’est la solution ; personnellement je ne le crois pas, je crois beaucoup plus à l’information et à la formation.

 

Nous avons également constaté que les jeunes consommaient des prémix, ces nouvelles boissons agréables et sucrées, mais contenant de l’alcool, qui font des ravages parmi la jeunesse, parce que leur prix est faible. De la même manière, la consommation de bière a augmenté chez les jeunes, parce que le prix est plus faible que celui des vins ou d’autres alcools.

 

S’agissant des drogues illégales, je ne les citerai pas toutes. Simplement, l’on constate que de nouvelles drogues apparaissent autour de l’ecstasy et de nouveaux anesthésiques en provenance du monde vétérinaire ; c’est surtout le mélange de toutes ces substances qui est dommageable. Les polytoxicomanies auxquelles on assiste nous laissent souvent assez désarmés.

 

Les derniers chiffres précisent que les drogues dites douces, telles que le cannabis, sont consommées par sept millions de français une fois dans leur vie, et par trois millions de personnes de façon régulière.

 

Les drogues dures, notamment l’héroïne, sont consommées par cent cinquante mille à deux cent mille personnes par voie intraveineuse – il y a, bien entendu, une part de mystère, puisque tout cela est illégal.

 

Y a-t-il une politique dans notre pays ? Oui, il y en a une, que j’aimerais d’ailleurs bien faire évoluer, car elle me paraît, pour une part, relativement inefficace.

 

Il y a un projet triennal de la MILT – la Mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie – qui se décline en termes de prévention, d’information et de prise en charge. Les crédits sont importants, ils sont cette année, en augmentation de 3,2 %, s’élevant à sept cent dix-sept millions de francs auxquels s’ajoute un autre crédit de soixante huit millions de francs pour 1998. Les propositions faites par un certain nombre de ministères sont reprises et nous souhaitons développer la prévention à l’encontre des nouvelles drogues – en particulier de l’ecstasy, qui nous laisse dans une situation désarmante sur le plan médical – et la prise en charge des polyintoxications – mélange médicament/alcool – qui sont très dangereuses en termes de santé publique et de sécurité routière.

 

Nous ne savons pas pour l’instant détecter – sauf examens qui seront d’ailleurs demandés plus fréquemment dans le cadre de la nouvelle loi qui est à l’étude – les substances toxiques absorbées. En cas d’accident grave, on s’intéresse à l’alcool, mais il faudrait également s’intéresser aux prises médicamenteuses – et pas seulement de drogues illégales. Une triste affaire récente nous a prouvé que le mélange de neuroleptiques
– dix-huit millions de boites vendues par mois en France – et d’alcool entraîne des conséquences dommageables sur la conduite.

 

Nous allons d’ailleurs mettre des " pictogrammes " sur les boites de médicaments pour signifier que, en cas de prise de certains médicaments, on devrait s’abstenir de conduire.

 

En ce qui concerne le suicide, il est très difficile d’en déterminer les causes. Je ne parlerai pas des explications métaphysiques, philosophiques, qui sont à l’origine de bien des suicides. Il existe une interrogation d’adolescents dont on sait qu’elle a un caractère traditionnel ; le passage de la puberté à l’âge adulte est un passage difficile, qui s’accompagne d’interrogations dont nous connaissons la profondeur et le danger.

 

Il y a aussi les situations sociales. Personne n’est arrivé à évaluer, de façon précise, les conséquences de la pauvreté sur les suicides. Cependant, il est certain qu’elles existent. Les situations de misère sociale entraînent du désespoir. Nous avons cependant l’impression, et il faudra affiner ces chiffres, que seulement un tiers des tentatives de suicide peuvent être rattachées à la situation sociale des intéressés.

 

Il s’agit, en majorité, de drames familiaux ou sentimentaux. Et il y a aussi, il ne faut pas l’oublier, même si cela concerne peu de cas, un substrat de pathologies mentales. Il est nécessaire que la psychiatrie prenne en charge les dépressions graves, les psychoses maniaco-dépressives, les névroses, etc.

 

En France, on refuse beaucoup trop cette explication, et l’accès au psychiatre en est plus difficile. Or dans la difficulté, il faut se faire assister. Cette demande que les médecins n’entendent pas, parce qu’ils n’ont pas été suffisamment éduqués dans ce domaine, est le signe de ce rejet de notre société. On ne parle pas de ces choses négligées dans les études médicales, ce sont encore de réels tabous. Les signaux d’appel – qui vont jusqu’à des phases du type " je veux en finir ", " j’en ai assez de la vie " – doivent être pris au sérieux. Chacun a dans son entourage – moi compris – des amis ou des proches qui nous ont fait signe et que nous n’avons pas entendus à ce moment-là.

 

Ce réseau, que j’appelle de mes voeux, entre l’hôpital et la ville, entre les psychiatres et les médecins généralistes, entre les psychologues, les infirmières et les associations qui ont un rôle considérable dans le changement des mentalités, est essentiel à construire.

 

A propos de la famille, la préparation de la conférence de juin 1998 est confiée à Mme Gillot, député du Val-d’Oise, et trois groupes de travail seront mis en place : le premier, sur les aspects financiers, est confié à M. Thelot, le deuxième, sur l’environnement de la famille, la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale et l’accueil des enfants, à Mme André et le troisième, sur le statut de la famille, à Mme Théry. Le rapport sera disponible vers le mois de mai.

 

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : M. le secrétaire d’Etat, quelle politique entendez-vous mener en faveur de l’enfance handicapée, notamment des cérébro-moteurs ?

 

M. Gaëtan GORCE : Quelle appréciation portez-vous sur la densité, l’efficacité et la qualité des structures d’accueil pour les enfants qui sont retirés à la garde familiale ?

 

Comment évaluez-vous les actions des services de PMI, notamment l’action qu’ils peuvent conduire en relation avec le service de promotion de la santé de l’éducation nationale ? On sait qu’il y a là un problème de coordination et on évoque notamment la difficulté d’assurer les bilans de santé dans les écoles maternelles.

 

Quel jugement portez-vous sur un système qui concilie décentralisation et intervention des services de l’Etat ?

 

Mme Dominique GILLOT : M. le Président, je ne voudrais pas engager la discussion sur la définition du modèle de la famille qui fera l’objet d’une exploration collective, simplement je souhaiterais compléter le propos de M. Kouchner sur la nécessaire formation des professionnels à l’écoute de l’enfance en difficulté.

 

Nous sommes très attentifs aux enfants, aux jeunes qui expriment par la violence ou par des conduites extrêmement significatives leur désespoir lié à des conditions de vie. Mais il en existe d’autres qui souffrent aussi beaucoup et qui ont des conduites équivalentes à celles du suicide, c’est-à-dire qui s’effacent complètement, qui n’existent plus et qui ne participent pas du tout à l’interpellation des partenaires concernés. Or nous devons également être très attentifs à ce type de comportement.

 

Un enfant trop sage, trop effacé, trop refermé sur lui-même doit poser autant de questions qu’un enfant qui manifeste des comportements violents, car c’est le même type de négation de l’idée qu’il se fait de son existence, du prix que représente sa vie pour l’ensemble de la société.

 

La semaine dernière, Mme Ségolène Royal nous parlait de la nécessité de relancer un travail de définition de lieux d’écoute, de liens entre l’école, les collèges et les parents ; or il me semble important d’approfondir cette piste pour avoir des lieux de dialogue, de guidance parentale de façon à permettre aux parents et aux personnes qui s’occupent des enfants d’être à l’écoute de tous les comportements qui doivent nous alerter.

 

M. Bernard KOUCHNER : M. le Président, le temps m’étant compté, je vous enverrai mes réponses par écrit en ce qui concerne les questions précises de Mme Benayoun-Nakache et M. Gorce. Cela dit, le renforcement des places de CAT est déjà une réponse.

 

L’expression qui consiste à définir le suicide par l’effacement pour exister est terrible ! C’est ce que Mme Gillot vient de dire : il y a en effet des enfants qui présentent une attitude de repli, de retrait. Mais qui écoute tout cela ? L’important c’est que la famille, les structures de l’Etat, déconcentrées ou non, la médecine scolaire, les éducateurs, repèrent ces signes de détresse, de tension chez l’enfant. Or les circuits sont coupés les uns des autres ; c’est ce qui me semble le plus dangereux.

 

Nous essayons, avec Mme Ségolène Royal et M. Claude Allègre, de développer cette médecine scolaire ; c’est très difficile, mais c’est indispensable et nous avons la volonté d’améliorer une situation qui n’est pas satisfaisante.

 

Pour le reste de l’écoute, j’ai le sentiment que, dans notre société cloisonnée, on s’écoute de moins en moins ; il y a de la communication, mais pas de paroles échangées. Les sociétés que l’on a qualifiées de primitives pendant un certain temps sont beaucoup plus à l’écoute de ces dangers-là que nous ; les solidarités familiale, fraternelle, clanique, villageoise y existent, alors qu’elles ont disparu chez nous.

 

Je vous remercie.

 

 

 

Audition de Mmes Carole BOUQUET,
Porte-parole de " La voix de l’enfant ",
Martine BROUSSE, Directrice,
Catherine LARDON-GALEOTE, Avocate,
et du Docteur Georges BANGEMANN, Pédiatre praticien au CHU de Nîmes

(extrait du procès-verbal de la séance du 5 février 1998)

Présidence de M. Laurent FABIUS, Président

Mesdames Carole Bouquet, Martine Brousse, Catherine Lardon-Galéote, et le docteur Georges Bangemann sont introduits.

 

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mmes Carole Bouquet, Martine Brousse, Catherine Lardon-Galéote et le docteur Georges Bangemann prêtent serment.

 

Mme Carole BOUQUET : M. le Président, mesdames, messieurs les députés, il y a un an et demi, sur mon initiative, a été créé un groupe de travail pluridisciplinaire formé de magistrats, d’avocats, de représentants de l’éducation nationale, de policiers, de membres d’association et de médecins. Il m’a semblé évident, afin d’améliorer la protection de l’enfance en France, qu’il fallait travailler ensemble.

 

La parole de l’enfant a été favorisée depuis quelques années, mais, dans le meilleur des cas, nous n’en faisons presque rien et, dans le pire des cas, elle est rejetée. L’enfant est victime et il n’a pas le droit à la présomption d’innocence. Il va devoir subir un chemin de croix pour essayer de faire entendre sa souffrance.

 

Le respect des droits des enfants aujourd’hui est la seule garantie du respect des droits de l’homme de demain. C’est une certitude pour moi, et c’est pour cette raison que nous sommes là.

 

Mme Catherine LARDON-GALEOTE : M. le Président, je ferai trois constats.

 

Nous avons la chance, nous avocats, d’avoir la possibilité d’entendre les enfants. Nous sommes un peu privilégiés, en ce sens que les enfants peuvent nous rencontrer – amenés soit par des parents, soit par des associations – en toute liberté, c’est-à-dire sans qu’ils soient plaignants comme dans un commissariat, une gendarmerie ou chez un médecin.

 

Or cette chance d’entendre les enfants dans ces conditions n’est pas donnée à ceux qui vont avoir à prendre une décision d’autorité – je pense là en particulier aux magistrats – en ce qui concerne leur avenir ou leur plainte, à partir du moment où ils ont été victimes.

 

On constate depuis des années que la parole d’un enfant n’est pas un élément de preuve, dans 80 % des affaires. Lorsqu’un enfant se plaint de violences sexuelles – car lorsqu’il s’agit de violences physiques visibles, on le croit, fort heureusement – il n’est pas cru et sa parole n’est en rien, dans le procès judiciaire, considérée comme un élément de preuve, notamment par les magistrats.

 

Je constate, dans toutes les affaires que nous avons à traiter, qu’au niveau de la gendarmerie ou de la police, où le travail effectué est considérable, la plainte de l’enfant est prise en compte, alors que, sauf exception, au niveau des parquets, des juges d’instruction, voire des juges pour enfants, il existe une suspicion sur les faits dont ils se plaignent. Cette suspicion est augmentée si la personne mise en cause est l’un des parents, et en particulier le père.

 

Il est vrai que nous craignons de tomber dans la psychose comme en Amérique où l’on a pu constater une augmentation des affaires et des plaintes des enfants, notamment dans des couples dissociés.

 

Actuellement, il est navrant de constater que lorsqu’un enfant a envie, a besoin de parler à un juge pour enfants et que, par malheur, ses parents sont en situation de rupture, il y a un a priori systématique contre la parole de l’enfant qui consiste à condérer qu’il ment ou qu’il est manipulé, le plus souvent par la mère. Cela n’est pas admissible, car il faut avant tout pouvoir recueillir la parole de l’enfant pour que, éventuellement, la justice puisse se faire.

 

Il ne faut pas tomber dans ce travers, car sous prétexte de fausses allégations
– possibles, mais rares, il faut bien le reconnaître – des procédures, des enquêtes ou des instructions n’aboutissent pas.

 

Par ailleurs, il est choquant, compte tenu de ce que nous vivons dans les cabinets spécialisés des associations, d’entendre dire, de la part de personnes ayant autorité, que, par exemple, la prostitution enfantine en France n’existe pas. Si l’on entend de tels propos de la part de personnes qui sont chargées des enquêtes et qui savent pertinemment que cela existe, c’est parce que l’on a envie de rassurer la population.

 

Or l’on obtient des conséquences inverses : de plus en plus d’enfants se plaignent, de plus en plus d’affaires sont ouvertes, de plus en plus de personnes, de parents sont au courant que des enfants risquent ou ont subi des agressions sexuelles – viols, prostitution. Je pense que nous allons à contre-courant et qu’un jour, en France, une bombe risque d’exploser, des affaires vont éclater parce que rien n’aura été fait avant.

 

Nous ne devons donc pas rassurer à bon compte, il existe des situations dramatiques en France. Nous devons, au contraire, dire au public que ces situations existent, mais que nous faisons tout pour enrayer ce fléau.

 

M. Georges BANGEMANN : Je ne reprendrai pas le problème de l’enfance maltraitée dans son ensemble, mais il faut savoir qu’il y a quinze ans environ six cents à sept cents décès d’enfants étaient imputables à des mauvais traitements infligés par les parents ; aujourd’hui, les chiffres sont les mêmes ! Si nous avons fait un certain nombre de progrès, ceux-ci ne sont pas suffisamment sensibles pour un médecin d’enfants comme moi.

 

Par ailleurs, il existe un certain nombre de déficits qui pourraient être corrigés très simplement. Il existe, tout d’abord, un déficit au niveau médical ; il y a, dans ce domaine, une énorme difficulté de mobilisation des plus grandes compétences, un énorme déficit de communication entre médecins, travailleurs sociaux et magistrats, c’est-à-dire un déficit de confiance : on ne travaille pas en équipe. Or ce sont les enfants qui payent cette addition.

 

Il y a là des problèmes de territoire, de compétence, que nous devrions être capables de balayer d’une manière assez pratique. J’essayerai de vous dire comment cela pourrait être fait.

 

Il existe dans ce que l’on appelle la société civile, un nombre important de personnes qui sont prêtes à se mobiliser pour aider les enfants en grande difficulté ou en danger. Mais il se trouve qu’elles sont découragées, car en pratique la loi leur interdit de se mobiliser.

 

Cela est regrettable, car ce dont les enfants ont besoin, c’est précisément cette société civile qui est en mesure de le leur apporter. Lorsqu’un enfant est soumis à des sévices importants et que le magistrat prend une ordonnance de placement provisoire pour assurer sa sécurité physique, c’est sa sécurité psychique qui, à ce moment-là, n’est plus assurée.

 

Cet enfant est placé dans un établissement. Or les enfants ont impérativement besoin de recevoir tous les jours une " ration " affective individuelle qui leur est donnée de telle sorte que pour eux les choses soient claires. C’est-à-dire que chaque enfant doit avoir en face de lui un adulte dont il sait qu’il compte pour lui : " quand je suis absent, cet adulte est malheureux, quand je suis présent, il est heureux ; je suis important pour lui ".

 

Or on ne trouve pas dans les institutions, où il y a nécessairement des règles de travail, ce type de relation sans laquelle l’enfant présente tôt dans la vie des carences affectives majeures qui expliqueront par la suite la tragédie de son exclusion sociale et de ses échecs.

 

Nous pouvons, sans risque important, mobiliser la société civile et favoriser les formes familiales, bénévoles, de prises en charge des enfants gravement maltraités, pour que ceux-ci aient une deuxième chance.

 

Mme Martine BROUSSE : En tant que directrice d’une fédération d’associations, je soulignerais trois points.

 

Premièrement, la société civile doit mener des actions complémentaires de soutien et d’appui à tout ce qui est mis en œuvre par les institutions et les pouvoirs publics. Nous jouons aujourd’hui un rôle de sapeurs-pompiers : nous accueillons au quotidien des enfants, des familles. C’est dans ce sens que nous avons, sur l’initiative de Mme Carole Bouquet, mis en place ce groupe pluridisciplinaire.

 

Deuxièmement, ce groupe a fait le constat de nombreux dysfonctionnements, non pas en ce qui concerne la législation – la France est sans doute l’un des pays au monde qui a la meilleure législation de protection de l’enfance –, mais les moyens d’application. En effet, nous disposons de très peu de moyens d’application correspondant aux besoins de ces enfants victimes de mauvais traitements.

 

Troisièmement, nous devons avoir une approche différente de ces enfants victimes. Ils sont, avant d’être des enfants plaignants, des enfants souffrants. Nous avons formulé des propositions que nous avons soumises aux différents ministres – Mme Aubry et M. Kouchner, Mme Ségolène Royal, Mme Guigou, M. Chevènement et M. Richard pour la gendarmerie – afin de créer des lieux, des permanences d’accueil d’urgence où les enfants seraient accueillis en tant que victimes, en tant qu’enfants souffrants, et non pas au commissariat de police ou à la gendarmerie en tant que plaignants.

 

Nous souhaitons que la parole de l’enfant ne soit pas seulement entendue, mais également crue et portée par des adultes qui ont l’autorité et les moyens de la protéger.

 

M. François BAROIN : Mme Lardon-Galéote, j’ai été très frappé par votre intervention, car elle suppose qu’une loi du silence est établie en France autour des drames que vivent les enfants.

 

Qui en porte la responsabilité ? Les médias, qui ne relaient pas ? Les structures, qui ne sont pas suffisamment dénoncées ? Y a-t-il des protections ?

 

Les associations telles que la vôtre, représentées par des personnalités éminentes, ne suffisent-elles pas à mettre en lumière tout ce qui se passe ? Quelle est la faille du système et de quelle manière, selon vous, pourrait-on y remédier ?

 

Mme Raymonde LE TEXIER : Tout d’abord, Mme Brousse, je ne situe pas votre association, je souhaiterais donc que vous nous en disiez un peu plus.

 

Ensuite, Mme Lardon-Galéote, lorsque vous dites que les enfants peuvent venir vous voir librement accompagnés par leurs parents ou par une association, parlez-vous de vous en tant qu’avocate dans cette association ?

 

Par ailleurs, je vous trouve personnellement un peu catégorique lorsque vous dites que la parole de l’enfant – s’agissant notamment d’agressions sexuelles – n’est pas entendue, notamment par les magistrats. Je connais des magistrats dont le principe de départ, lorsqu’ils entendent un enfant, est de lui dire " moi je te crois ", et de protéger immédiatement l’enfant, allant jusqu’à le retirer de sa famille le jour même.

 

Enfin, Docteur Bangemann, je ne sais pas si j’ai bien compris vos propos : vous mettez en cause l’institution dans laquelle l’enfant est placé parce que, selon vous, il est impossible, compte tenu du fonctionnement de ces institutions, que l’enfant reçoive sa dose quotidienne d’affection. Il y a beaucoup de vrai dans ce que vous dites. Mais vous ajoutez qu’une réponse de la société civile est meilleure qu’une prise en charge institutionnelle. Or je pense que le placement dans une famille, aussi généreuse soit-elle, n’est pas la panacée, et que l’on trouve également de la maltraitance dans les familles accueillantes. Je ne suis donc pas sûre qu’il y ait de solution toute faite.

 

M. le Président : Mme Le Texier, vous devez disposer des éléments concernant cette association que nous n’aurions pas invitée si elle n’était pas représentative.

 

Mme Brousse vous pourrez nous communiquer des notes écrites sur les sujets que l’on n’aura pas eu le temps d’aborder ou pour répondre de façon plus approfondie à toutes ces questions.

 

Mme Claudine LEDOUX : Vous avez, Mme Lardon-Galéote, parlé du problème de la prostitution enfantine en France : quelle est l’ampleur de ce problème et quelles sont vos propositions pour enrayer ce fléau ?

 

Mme Christine BOUTIN : Personnellement, je suis très attachée à la place des pères dans une famille. Or je suis un peu étonnée par les propos de Mme Lardon-Galéote qui affirme que les allégations des enfants sont plus souvent exactes que fausses. Vous fondez-vous sur des statistiques pour affirmer cela ?

 

Par ailleurs, quelle est votre vision de la place des pères dans les difficultés familiales ?

 

M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Mme Bouquet a commencé cette audition en soulignant la volonté de travailler ensemble. Or il y a déjà un grand nombre d’acteurs qui s’occupent du problème de la maltraitance.

 

Avez-vous le souci de travailler ensemble au-delà de votre propre réseau, c’est-à-dire avec les autres acteurs ?

 

Mme Martine BROUSSE : Notre souci, puisque nous sommes une fédération qui regroupe quarante-sept associations, est de travailler et de renforcer les liens entre les différents intervenants sur le terrain.

 

Le souci de Mme Bouquet a été de réunir des professionnels venant d’horizons différents – et n’étant pas forcément des militants de la vie associative –, des médecins, des magistrats, des avocats, des enseignants et des travailleurs sociaux.

 

Par ailleurs, nous sommes en relation constante avec d’autres organisations, d’autres associations, mais aussi avec les pouvoirs publics, pour enrichir par nos expériences et par les compétences des uns et des autres les réflexions à mener pour arriver à de réelles solutions.

 

Enfin, j’ajouterai que " La voix de l’enfant " est présidée par le bâtonnier Pettiti, juge à la Cour européenne des droits de l’homme.

 

Je laisse la parole à Carole Bouquet, afin qu’elle nous dise quelques mots sur la crédibilité de la parole de l’enfant.

 

Mme Carole BOUQUET : Non, je ne suis qu’un porte-parole, un saltimbanque qui favorise la parole des magistrats, des avocats, des médecins et je ne souhaite pas prendre leur place.

 

Mme Catherine LARDON-GALEOTE : Mme Le Texier, les enfants " viennent à moi ", mais également vers d’autres avocats, parce que je suis connue comme avocat d’enfants spécialisée dans la protection de la famille et de l’enfance, à la fois dans l’association et en tant qu’avocat exerçant en libéral.

 

S’agissant de la place des pères, elle est tout à fait nécessaire dans l’évolution familiale. Ce que je constate au quotidien, devant les juridictions, c’est un a priori. Lorsque nous venons interpeller certains magistrats – je ne vous parle là que de ce qui fait problème et qu’il ne faut pas généraliser à tous les magistrats –, on nous renvoie systématiquement cette réponse : " Attention, cet enfant qui se plaint est dans une situation familiale où les parents sont en rupture ". Il y a un a priori systématique pour penser que cet enfant agit de cette façon simplement pour faire plaisir à la maman.

 

S’agissant de la prostitution enfantine, j’ai en mémoire une intervention de Mme Tricar, de la brigade de protection des mineurs – avec qui nous travaillons –, disant, après les événements belges : " En France, ce n’est pas cela, il y a, certes, des situations sporadiques, mais nous n’avons pas à faire au même type d’organisations, de réseaux ". Dans le même temps, nous étions saisis, à la fédération, d’un dossier où un petit enfant avait été prostitué entre l’âge de sept et huit ans, après avoir été racolé par une organisation de proxénètes place Notre-Dame.

 

On ne peut pas dire au public que de tels événements n’existent pas en France, alors qu’ils existent et que des personnes compétentes font un excellent travail pour lutter contre ces situations terribles.

 

En ce qui concerne les statistiques relatives aux allégations des enfants – vraies ou fausses – je n’en connais pas. Il y a là un travail à organiser.

 

M. Baroin, oui, la loi du silence existe. Nous sortons d’un procès dont vous avez sans doute entendu parler mettant en cause l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. L’instruction a duré quatre ans ! Les parents ont subi des pressions pour ne pas porter plainte, pour que l’affaire soit réglée au sein de l’institution. Il y a un tel consensus que les plaignants se sentent presque coupables d’avoir à porter plainte !

 

La parole d’un enfant n’a pas de poids par rapport à celle d’un adulte. Imaginez la parole d’un enfant face à une institution qui s’autoprotège ! En matière de pédophilie, l’on sait que les pédophiles se trouvent dans toutes les classes sociales ; alors imaginez la parole d’un enfant de sept ou huit ans face à un homme ayant une responsabilité publique ou institutionnelle !

 

Cette loi du silence, cette protection est-elle calculée ? Non, je crois que lorsqu’un enfant se plaint d’avoir subi de son instituteur, d’un maire ou d’un médecin, des violences sexuelles, on ne veut pas le croire – la parole d’un enfant a encore moins de valeur en présence d’une personne titulaire d’une autorité.

 

M. Georges BANGEMANN : Kempe est probablement le pédiatre américain qui a joué le rôle majeur dans les années 1960/1970 ; il a été à l’origine de la campagne qui, aux Etats-Unis, a permis de mesurer l’ampleur du drame de l’enfance maltraitée. Il disait qu’en matière d’abus sexuels les enfants ne mentaient jamais.

 

Ce n’est sans doute qu’une phrase lapidaire et abusive et il y a naturellement des phénomènes particuliers, il y a des enfants sous influence et des enfants affabulateurs. Il est clair que, pour un neuropsychiatre, les choses sont relativement simples, car les enfants victimes d’abus sexuels sont dans une souffrance terrible lorsqu’il s’agit de parler de ce qui leur arrive. Les enfants affabulateurs, quant à eux, sont dans un rôle, un spectacle dont ils sont les personnages principaux.

 

Sur le plan psychologique, ils sont exactement à l’opposé l’un de l’autre. Nous devons tenter de nous mettre à la place de l’enfant qui a été victime d’abus sexuels ; prenons l’exemple le plus courant, l’abus sexuel intrafamilial.

 

Tout d’abord, si l’abus sexuel a eu lieu, c’est parce que l’enfant n’a pas pu parler à sa mère. Il n’a pas pu éveiller sa méfiance et elle n’a pas pu intervenir et le protéger. Ensuite, cet enfant qui est victime de chantage affectif, est pris dans un système où le moteur même de l’action de celui qui va en abuser – son père – est de le culpabiliser : " tu te conduis mal en me séduisant ". Voilà comment cela fonctionne. Et c’est la raison pour laquelle les enfants se sentent isolés et cherchent des appuis.

 

On comprend mieux maintenant pourquoi des enfants sans problèmes apparents commencent à dire des grossièretés à leur institutrice ou à des personnes de leur environnement ; c’est une façon maladroite pour un enfant de tâter le terrain.

 

Tout cela pour vous dire que lorsque la situation est devenue intenable, par exemple parce que le père s’attaque à sa jeune soeur, l’enfant craque, va être en rupture psychologique et avouer. Et là, dans une telle situation, seuls les médecins habitués comprendront son " délire ", qui est bien souvent fort mal interprété.

 

Il est donc indispensable de saisir la parole de l’enfant le plus tôt possible, et de la faire saisir par les personnes dont c’est le métier, car c’est une véritable prise d’empreintes affective. Bien souvent lorsque le psychiatre arrive, l’enfant a déjà subi quatre ou cinq interrogatoires ; la situation est alors extrêmement difficile à démêler.

 

Il y a donc, pour nous, un devoir de technicité et surtout d’autorisation de cette technicité.

 

M. le Président : Mesdames, monsieur, je vous remercie d’avoir pris sur votre temps pour venir ce matin, et vous félicite de votre travail.

 

 

 

Audition de MM. Jean-Jacques ANDRIEUX,
Directeur général de l’Association française pour
la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (AFSEA),
Michel FRANZA, Directeur adjoint
et de Mme Dorothée DUFOUR,
Directrice de l’unité éducative de la Sauvegarde du Nord

(extrait du procès-verbal de la séance du 5 février 1998)

Présidence de M. Laurent FABIUS, Président

Messieurs Jean-Jacques Andrieux et Michel Franza et Madame Dorothée Dufour sont introduits.

 

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Jean-Jacques Andrieux, Michel Franza et Mme Dorothée Dufour prêtent serment.

 

M. Jean-Jacques ANDRIEUX : Pour traiter le thème des droits de l’enfant et de sa place dans la cité, nous avons pris le parti de sélectionner trois points importants pour vous faire part des préoccupations qui sont les nôtres, laissant à votre initiative la possibilité de développer tel ou tel sujet.

 

L’Association française pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence est l’union nationale de cent vingt trois associations départementales ou locales qui sont les Sauvegardes de l’enfance ; elle rassemble environ dix mille bénévoles et vingt-cinq mille professionnels de l’éducation spécialisée, en particulier, et s’occupe d’environ deux cent cinquante mille enfants, adolescents et jeunes adultes.

 

Nous prenons en charge aussi bien l’enfant maltraité que l’enfant ayant des difficultés de comportements ou l’enfant inadapté mental, ainsi que des adolescents et des jeunes majeurs délinquants. Depuis un certain nombre d’années, du fait du développement de la crise, nos associations ont eu à s’engager dans des dispositifs d’insertion et plus globalement dans des actions auprès des familles, puisque généralement lorsqu’un enfant leur est confié, par ordonnance d’un magistrat – dans le cadre de l’article 375 du Code civil relatif à l’enfance en danger –, on découvre des difficultés familiales.

 

Je parlerai tout d’abord de l’enfance maltraitée, puis, de la notion de " construction du citoyen " et, enfin, de l’environnement éducatif.

 

Premièrement, l’enfance maltraitée.

 

Le problème de fond a quelque peu été altéré par la médiatisation extrême que nous vivons depuis 1997 – c’est-à-dire depuis l’affaire Dutroux. De ce fait, la lecture que l’on peut avoir de ce problème est focalisé sur un certain nombre de situations.

 

Nous vous rappelons que 75 % des cas de maltraitance sexuelle sont des situations familiales. On ne peut donc pas résumer la maltraitance sexuelle aux affaires dramatiques que l’actualité nous livre. Il s’agit d’un fait : dans tout groupe social, il y a une possibilité de déviance, de dérapage, mais il s’agit d’un problème beaucoup plus vaste car il touche un milieu fragile, la famille ; il ne doit donc pas être traité de façon médiatique ou sur la place publique.

 

Les violences sexuelles en famille ne se traduisent pas toujours par des actes violents. Elles ont toujours existé et nous espérons qu’elles existeront de moins en moins. Depuis une quinzaine d’années, nous avons fait des progrès en ce qui concerne la prévention de ces violences et leur traitement rapide.

 

A la suite d’expériences réalisées dans des départements avec des Sauvegardes de l’enfance, on a vu se mettre en place le téléphone vert, c’est-à-dire la possibilité de signaler une situation paraissant préoccupante. On a ainsi repoussé le tabou qui existait, justement parce qu’il s’agissait essentiellement de situations familiales. Or, si l’on repousse les tabous, si l’on favorise le signalement, on a ensuite affaire à des personnes compétentes.

 

J’entends dire parfois que rien n’est fait en faveur des enfants maltraités. Nos établissements accueillent environ dix-huit mille enfants qui sont en cours de " réparation " ; je ne nie pas le fait que dans un certain nombre de cas le dispositif n’a pas marché, mais il faut savoir que les magistrats, les médecins, les enseignants sont de plus en plus souvent entendus lorsqu’ils soupçonnent une difficulté.

 

Nous sommes largement intervenus au cours de la dernière année et nous avons relevé trois points essentiels.

 

Le premier, c’est la rapidité et la cohérence de la réponse judiciaire et sociale. La rapidité, c’est d’abord faire en sorte que les affaires ne traînent pas et soient prises en compte, non pas dans l’immédiateté, mais dans un délai suffisamment court pour que l’on ne multiplie pas les auditions, afin d’éviter les résurgences de traumatisme chez l’enfant. Par ailleurs, la sanction doit être rapide et visible, car il convient également de penser à la famille.

 

La cohérence, c’est se rappeler qu’il ne faut pas se tromper de victime. Nous sommes attentifs à toutes les idées que l’on peut avoir pour le traitement des délinquants sexuels, mais il ne faut jamais oublier que, dans ce cas en particulier, la victime est un enfant, donc extrêmement fragile.

 

J’ai traité une affaire dans laquelle le père avait abusé de son enfant handicapé vers l’âge de sept ou huit ans. Le père a été condamné à dix-huit ans de réclusion, mais a bénéficié d’une remise de peine pour bonne conduite au bout de cinq ou six ans. Or ce dernier, à sa sortie de prison, a décidé de rentrer chez lui, tout simplement ! Ce fut un drame pour la mère et les enfants encore mineurs. Il ne faut donc pas se tromper de victime.

 

Deuxième point, l’intervention thérapeutique et sociale auprès du mineur et de la famille. Il s’agit d’un domaine où un effort est à faire. Pour les enfants placés dans nos établissements ou dans des familles d’accueil - qui se trouvent donc dans des situations particulièrement difficiles –, on peut dire que l’action est en route. Cependant, il peut se passer un temps assez long entre la constatation de l’état de violence et l’intervention thérapeutique. Celle-ci doit donc être plus rapide, non seulement auprès de l’enfant, mais également auprès de ses parents.

 

Troisième point, il convient de développer un programme de prévention coordonné entre l’Etat, les collectivités locales, les associations, l’école et les familles. L’année dernière, la grande cause nationale a eu le mérite de faire parler du problème et de faire prendre conscience au public que nous sommes tous concernés.

 

Un certain nombre d’initiatives sont prises, des livres sont publiés, des outils pédagogiques sont proposés aux enseignants, mais il s’agit d’un sujet suffisamment important pour ne pas attendre que les faits se produisent pour, ensuite, les réparer le mieux possible. Nous pouvons d’ailleurs être étonnés, lorsqu’on connaît leur audience à certaines heures de la journée, que les chaînes publiques de télévision ne soient pas aujourd’hui plus impliquées dans les actions de prévention.

 

Enfin, nous sommes favorables à l’extension de l’expérience Mélanie, c’est-à-dire à l’utilisation de la vidéo pour recueillir le témoignage des enfants – même si cela pose un certain nombre de problèmes, par exemple en cas de rétractation. Il nous paraît essentiel que l’enfant ne subisse pas plusieurs interrogatoires et soit entendu une bonne fois pour toute – le témoignage à la barre contre son père est très traumatisant pour lui. Les résurgences du traumatisme subi ne vont pas dans le sens d’un appui thérapeutique.

 

Deuxièmement, construire le citoyen.

 

Ce qui nous paraît essentiel, lorsque nous parlons des droits de l’enfant, c’est d’aider l’enfant à devenir citoyen, à acquérir le droit à la responsabilité. Il ne faut pas construire les droits des enfants en face des droits des autres. Nous devons aider ces enfants à devenir des hommes et des femmes capables de prendre des décisions et être responsables de leur destin.

 

Troisièmement, l’environnement éducatif.

 

La France possède un environnement éducatif, social, composé d’un grand nombre de dispositifs. Mais notre principal souci est de faire travailler ensemble les différents intervenants ; chaque département ministériel ou intervenant local a son secteur d’activité. Or pour construire les enfants et pour respecter leurs droits, nous devons penser à la notion de référent unique.

 

Afin d’illustrer mon propos concernant la cohérence des interventions sociales, j’ai demandé à Mme Dorothée Dufour, directrice de l’unité éducative de la Sauvegarde du Nord, de venir vous parler d’un dispositif mis en place dans cette Sauvegarde, appelé " La boite à mots ".

 

M. Pierre CARASSUS : Lors de la précédente audition, a été évoqué le problème des enfants victimes de violences que l’on plaçait dans des établissements – ou des familles d’accueil – dans lesquels il y aurait, semble-t-il, un grand déficit d’affection. Je connais la Sauvegarde de mon département, et je sais que l’on y trouve de bons professionnels.

 

On ne peut sans doute pas remplacer l’amour familial, mais partagez-vous ce scepticisme sur vos capacités à donner cette affection aux enfants ?

 

M. Jean-Jacques ANDRIEUX : Si je partageais ce scepticisme, je vous étonnerais !

 

Notre association, je vous l’ai dit, est composée de vingt-cinq mille travailleurs sociaux et deux cent quarante mille à deux cent cinquante mille enfants sont accueillis ; la capacité de donner de l’affection est, tout d’abord, différente d’un être à l’autre, mais je crois surtout que la construction des projets éducatifs repose sur une notion essentielle : donner une capacité d’écoute, de la chaleur et de l’amour. Il s’agit là d’une de nos préoccupations essentielles, et nous sommes prêts à vous accueillir dans nos établissements pour que vous constatiez par vous-mêmes que nos travailleurs sociaux sont capables de donner beaucoup d’amour aux enfants.

 

Cependant, nous sommes dans une autre logique qui est de restaurer, dès que possible, le lien familial. Il ne faut pas se tromper : il ne faut pas oublier qui est la mère et qui est le père ; or dans le cas des enfants qui nous sont confiés, sauf cas extrêmes de déchéance des droits parentaux, nous avons le souci que la famille conserve toute sa primauté, son rôle éducatif. Nous voulons faire en sorte qu’il n’y ait pas de confusion.

 

Mme Dorothée DUFOUR : Je souhaiterais, très rapidement, vous donner quelques précisions sur l’expérience que nous menons avec " La boite à mots ", car elle peut nous donner quelques pistes importantes concernant la maltraitance.

 

Cet outil n’a pas été créé dans un objectif de prévention de la maltraitance. Il s’agit d’une intervention au sein des écoles en partenariat avec l’Inspection académique du Nord. Elle consiste à instaurer une correspondance anonyme et libre entre des enfants et des répondants bénévoles de la société civile.

 

Les enfants savent qu’ils vont écrire à des répondants qu’ils ne verront jamais
– Tom et Betty –, mais qui répondront à toutes leurs questions. Ce dispositif a été mis en place à la suite d’une action d’insertion dans les écoles en vue de prévenir l’échec scolaire. Nous avons constaté qu’un enfant accaparé par des préoccupations personnelles n’est pas disponible pour les acquisitions scolaires. Il nous semblait également important de ne pas stigmatiser les enfants en difficulté, mais de mettre en place un outil qui s’adresse à l’ensemble des enfants.

 

Tous les mois, les enfants ont donc la possibilité d’écrire avec l’aide de facteurs écrivains – cela nous permet en même temps de promouvoir l’apprentissage de l’écriture – à des répondants qui, par notre intermédiaire, vont recevoir chez eux un certain nombre de courriers auxquels ils devront répondre.

 

Le dispositif a été conçu de telle sorte que ces répondants ne sont pas seuls avec ces lettres ; ils se rencontrent tous les mois pour soumettre au groupe leurs propositions de réponses et les faire valider par le groupe. Cette façon de faire entraîne, bien évidemment, de nombreuses questions et de nombreux débats.

 

Il s’agit d’un dispositif qui produit des effets à différents niveaux. En ne ciblant pas l’objectif de prévention de la maltraitance, il permet aux enfants d’écrire en toute liberté. Les enfants sont en recherche de sens, de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas, de ce qui est bon et de ce qui n’est pas bon.

 

De nombreuses questions portent sur la violence : la violence dans la cour de l’école, la violence dans leur famille, la violence à la télévision. La réponse des répondants va être la plus ouverte possible au niveau des références éthiques, mais va aussi leur permettre de se situer par rapport à des actes qu’ils jugent répréhensibles.

 

Bien entendu, nous avons prévu, dans ce système, un filtre par rapport à ce que nous appelons les " lettres alerte ", c’est-à-dire les lettres dans lesquelles les enfants expriment expressément une maltraitance les concernant. Dans ce cas de figure, la lettre est traitée par les professionnels avec les services du département chargés du dépistage de la maltraitance.

 

Cette action nous paraît importante au regard du rapport qu’elle implique entre une association et un partenaire qui est ici l’école. L’association apporte un savoir-faire, un éclairage que l’école ne peut pas donner et un apport d’adultes sans intention sur l’enfant
– nous n’avons aucune intention éducative ; cela permet une liberté totale.

 

Elle permet également une mobilisation d’adultes, jeunes et moins jeunes, autour de la question de l’exercice des droits de l’enfant, ainsi qu’une forme de réconciliation des enfants avec le monde des adultes. Bien souvent, ce monde est perçu comme menaçant, exigeant ou ayant une intention sur l’enfant. C’est la raison pour laquelle certains dispositifs de prévention ne fonctionnent pas, les enfants ne faisant pas confiance aux professionnels mis à leur disposition.

 

Je vous remercie.

 

M. le Président : Madame, messieurs, je vous remercie et vous félicite pour votre travail.

Audition de Mmes Annie GAUDIERE, Directrice du
Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée
(SNATEM - " Allo enfance maltraitée ")
et Soumaïla BEN HASSINE, Coordonnatrice

(extrait du procès-verbal de la séance du 5 février 1998)

Présidence de M. Laurent FABIUS

Mesdames Annie Gaudière et Soumaïla Ben Hassine sont introduites.

 

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mmes Annie Gaudière et Soumaïla Ben Hassine prêtent serment.

 

Mme Annie GAUDIERE : Je suis directeur du numéro vert " Allo enfance maltraitée " et Mme Ben Hassine occupe le poste de coordonnateur qui, dans notre service, fait le lien entre les Conseils généraux et le numéro vert.

 

Ce numéro vert " Allo enfance maltraitée ", qui bénéficie d’un numéro à trois chiffres – le 119 – depuis mars 1997, a été mis en place en application de la loi du 10 juillet 1989 qui définissait également le rôle des présidents de Conseils généraux, lesquels devaient, dans leur propre dispositif, mettre en place un système de recueil des mineurs maltraités.

 

Le principe de ce numéro, financé à part égale par l’Etat et les départements, est de participer aux dépistages des situations de maltraitance de mineurs qui seraient passées inaperçues localement et de les renvoyer vers les présidents de Conseils généraux qui procèdent aux évaluations, aux diagnostics et aux traitements et qui mobilisent tous les moyens locaux, que ce soit ceux qui leur sont propres ou ceux qui relèvent soit des associations, soit des services de l’Etat. Tel est donc le principe de base.

 

Cette ligne, qui est ouverte depuis janvier 1990, reçoit actuellement six mille appels par jour parmi lesquels elle ne peut prendre que quatre cent cinquante à six cents, compte tenu du nombre de personnes dont elle dispose et qui sont toutes des professionnels salariés.

 

C’est un système qui fonctionne 24 heures sur 24, tous les jours de l’année, avec des professionnels, je le répète, et en articulation avec les dispositifs départementaux.

 

Vous me permettrez de rappeler maintenant brièvement ses missions qui sont l’écoute, l’information, le conseil et l’orientation, la transmission d’informations recueillies sur les mineurs présumés maltraités aux autorités départementales et l’étude épidémiologique qui doit permettre de mieux connaître le phénomène de maltraitance en France.

 

Pour ce qui a trait à la connaissance du phénomène de maltraitance par le biais de ce service, je soulignerai que, de 1992 à 1996, il a permis des actions de prévention et de protection en direction de cent mille enfants dont vingt-trois mille quatre cent quarante ont fait l’objet d’une saisine directe d’un président d’un Conseil général. Cela signifie que, pour ces vingt-trois mille quatre cent quarante enfants, une enquête a été diligentée par les services départementaux – en général, elle est menée par plusieurs personnes dont le plus souvent une assistante sociale, un médecin de PMI et parfois un psychologue. Les résultats de cette évaluation font, par la suite, l’objet d’une orientation vers l’autorité, soit administrative, soit judiciaire.

 

Majoritairement, les mauvais traitements sont d’ordre physique et psychologique. Les situations d’abus sexuels n’arrivent pas au premier rang puisqu’elles représentent 13 % de la maltraitance. Ces mauvais traitements concernent les enfants de tous âges, cependant 44 % d’entre eux ont moins de six ans avec un pic pour les tout petits de zéro à trois ans.

 

En 1996, 50 % des situations que nous avons signalées étaient inconnues des départements. Je vous rappelle qu’au départ, le principe de ce téléphone était de renvoyer vers les départements les situations qui leur auraient échappé. Or, on se rend compte qu’actuellement une situation sur deux est inconnue des services départementaux et que ce chiffre est en augmentation constante depuis plusieurs années – au début il y avait 30 % des situations qui étaient ignorées contre 50 % aujourd’hui – ce qui est assez surprenant.

 

Je pense que la surcharge de travail des professionnels de terrain y est pour quelque chose.

 

Les auteurs de mauvais traitements appartiennent à la famille proche dans plus de 90 % des cas, selon la répartition suivante : les mères dans 46 % des cas , les pères dans 33 % des cas et les beaux-pères dans 10,8 % des cas. C’est dire que les mauvais traitements sont prioritairement, ou majoritairement, d’ordre physique et psychologique, et non pas sexuel, et que c’est bien la famille qui est le plus souvent à l’origine de ces mauvais traitements.

 

Les appels d’adultes sont, depuis quelques années, en augmentation et révèlent une sensibilité publique et citoyenne plus importante, c’est évident.

 

Les appels d’enfants restent majoritaires mais permettent rarement une prise en charge des situations. En effet, les enfants qui prennent la parole expriment une souffrance mais ils ne permettent pas d’aller plus loin dans la prise en charge, car généralement ils souhaitent rester anonymes et protéger leur famille.

 

Le numéro vert national ne fait donc pas de prise en charge mais du dépistage et il renvoie vers les services locaux.

 

Aujourd’hui, nous recevons six mille appels journaliers et nous en traitons entre quatre cent cinquante à six cents. Nous sommes également abondamment sollicités par des courriers d’usagers et sur la ligne administrative, celle du numéro vert étant, c’est vrai, très fréquemment encombrée. Ces courriers d’usagers nous font part, de plus en plus fréquemment, de situations qui sont déjà traitées, donc qui sont en cours d’instruction ou qui ont été jugées et qui, pour eux, restent insatisfaisantes. Ces cas se multiplient depuis quelque temps. Je veux dire par là qu’il y aurait des dysfonctionnements institutionnels – bien sûr ce sont des personnes qui nous l’écrivent – qui décevraient les usagers mais sur lesquels nous n’avons, nous, aucune possibilité de revenir puisqu’il s’agit de situations déjà traitées. Nous ressaisissons donc les autorités départementales et judiciaires en leur expliquant que nous sommes saisis par une personne pour une situation dont nous savons qu’elles sont informées.

 

M. le Président : Avant que mes collègues ne prennent la parole, je vous poserai deux petites questions qui me sont suggérées par ce que vous venez de dire.

 

D’une part, comment ceux qui vous saisissent ont-ils eu connaissance de votre existence ?

 

D’autre part, puisque vous dites que vous ne pouvez prendre que quatre cent cinquante à six cents appels par jour sur les six mille qui vous sont adressés, qu’advient-il des autres ?

 

Mme Annie GAUDIERE : A votre première question, je répondrai que l’affichage du numéro vert national est obligatoire dans tous les lieux recevant des mineurs, ce qui paraît peut-être insuffisant, car à la lecture des événements, on voit que les adultes sont de plus en plus sensibilisés et que nous aurions donc intérêt à toucher les parents le plus tôt possible pour éviter le passage à l’acte.

 

Dans cette optique, nous sommes donc en train de monter une opération avec la RATP et la SNCF qui sont demandeurs pour effectuer ce travail avec nous, afin de sensibiliser davantage les familles et de leur donner une information sur les lieux où ils peuvent aller chercher de l’aide lorsqu’ils se trouvent en difficulté. Je crois, en effet, qu’il est très important d’intervenir très tôt.

 

Concernant votre seconde question, je confirme donc que nous prenons entre quatre cent cinquante et six cents appels par jour : c’est insuffisant ! Nous avons obtenu, pour 1998, trois millions de francs d’augmentation de budget ce qui porte à huit millions sept cent mille francs aussi bien la contribution de l’Etat que celle des présidents de Conseils généraux.

 

Cette augmentation va nous permettre d’embaucher du personnel supplémentaire et j’ai déjà prévu d’engager vingt personnes qui seront des professionnels. Nous employons déjà beaucoup de psychologues, de juristes – dont Mme Ben Hassine – et nous souhaiterions diversifier davantage les compétences en engageant également des travailleurs sociaux mais nous nous heurtons à la difficulté suivante : ces personnels ne peuvent être embauchés pour l’écoute qu’à mi-temps, conformément à une règle que nous nous sommes fixée au départ en raison du caractère éprouvant et fatiguant de cette fonction et de façon à ce qu’ils puissent travailler sur le terrain durant l’autre mi-temps.

 

Ces personnels effectuent donc un mi-temps chez nous et un mi-temps dans une structure de type PMI, consultation psychologique, etc.

 

Cela revient à dire que ces postes qui laissent beaucoup de liberté intéressent essentiellement des psychologues qui sont beaucoup plus nombreux à faire acte de candidature que les travailleurs sociaux que j’aimerais pourtant beaucoup pouvoir intégrer.

 

Nous sommes donc réellement confrontés à une difficulté de recrutement.

 

Par ailleurs, nous allons mettre en place un système de " switch board " qui permet d’effectuer un tri des appels et qui fonctionne déjà, aussi bien en Grande-Bretagne chez Child line, qu’en Italie chez Telefono azzuro. En effet tous les appels qui arrivent aujourd’hui chez les professionnels ne revêtent pas la même importance, ne présentent pas le même caractère de gravité. Il convient donc de les hiérarchiser et de leur permettre d’être orientés vers des pools de compétence, c’est-à-dire des pools de juristes, des pools de travailleurs sociaux, des pools de psychologues. Il est vrai que tout appel ne doit pas forcément être traité par un psychologue et je crois qu’il est important de le souligner.

 

M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Si vous le permettez, j’aimerais revenir sur les chiffres. Celui de six mille appels par jour semble considérable, et comme vous dites que vous n’en prenez que cinq cents, on peut se poser la question de ce qu’il advient des cinq mille cinq cents personnes qui appellent et qui ne reçoivent pas de réponse, voire se demander si le système n’a pas un effet plus négatif que positif.

 

Les choses demandent sans doute à être nuancées parce que j’imagine que l’on doit retrouver ces cinq mille cinq cents appels par la suite, mais je pense qu’il y a une vraie interrogation sur le fait qu’un système ne répond qu’à un petit dixième de la demande...

 

Vous avez tenté de pallier cet inconvénient par une augmentation de personnel mais existe-t-il d’autres solutions qui pourraient être envisagées pour éviter cette espèce de " dysharmonie " entre la finalité du système et le nombre des appels restés sans réponse.

 

Mme Annie GAUDIERE : Ce service public doit, en effet, être ouvert au plus grand nombre et cela a été mon souci dès le départ.

 

Nous avons fait réaliser une étude par les Télécom pour savoir combien il y avait de personnes derrière ces appels : six mille appels représentent, en réalité, trois mille personnes puisque nous savons qu’une même personne appelle en moyenne à deux reprises. Cela signifie que l’on y voit déjà un peu plus clair quant au nombre de personnes qui nous sollicitent !

 

En conséquence, nous savons qu’il y a environ trois mille personnes qui appellent et le problème se pose un peu dans les même termes que pour les autoroutes : il suffit d’ouvrir une troisième voie pour supprimer les " bouchons " et il est vrai que nous nous sommes rendus compte qu’il était possible d’atteindre des performances importantes, à l’occasion d’opérations exceptionnelles comme celle du 26 mars où nous avions mis, pour une opération médiatique, un plateau très important en place comprenant une première ligne d’excellents standardistes bien formés pour trier les appels et une seconde ligne de professionnels pour répondre aux appels qui donnaient matière à un entretien un peu plus long,.

 

Je crois donc qu’il faut augmenter les effectifs, c’est évident, mais aussi changer le dispositif et le système ; sur ce point, je me heurte évidemment à quelques petites oppositions de la part du personnel, mais les problèmes finissent par se régler : je pense que vous avez sans doute entendu parler de quelques grèves...

 

M. le Président : Actuellement, nous en entendons parler dans différents secteurs mais cela c’est la vie !

 

Mme Soumaïla BEN HASSINE : J’aimerais préciser le rôle du coordonnateur au sein du SNATEM. Il se situe en interface de l’équipe chargée de l’accueil téléphonique et des correspondants départementaux à qui nous communiquons les comptes rendus des appels.

 

Le coordonnateur a la responsabilité, non seulement de soutenir techniquement chaque professionnel en place au téléphone, de lui apporter les meilleurs conseils et toutes les informations susceptibles de lui permettre de répondre au mieux au public, mais encore de s’assurer du bon acheminement des transmissions des comptes rendus des appels téléphoniques au niveau des correspondants et d’assurer la liaison avec les dispositifs locaux.

 

M. le Président : Je reviendrai peut-être sur un dernier point puisque vous avez cité des exemples étrangers dont un italien et l’autre britannique - mais il en existe peut-être d’autres - avez-vous le sentiment que nous sommes, par rapport à nos voisins, en avance, en retard et estimez-vous que nous pourrions nous inspirer d’autres expériences en cours ?

 

Avant que vous ne me répondiez, je donne la parole à M. Baguet qui, à son tour, souhaite vous interroger.

 

M. Pierre-Christophe BAGUET : Avez-vous une idée de la répartition géographique sur le territoire national des personnes qui sont à l’origine du million d’appels que vous recevez annuellement ?

 

M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Ma question se situe dans le prolongement de la précédente : observez-vous des inégalités dans cette répartition ?

 

Mme Annie GAUDIERE : Oui, mais il est un peu compliqué d’en parler comme cela parce que l’on s’est rendu compte que là où il y avait une bonne sensibilisation et une bonne information de la part des présidents de Conseils généraux les appels étaient plus nombreux car les numéros étaient bien affichés ! Ce n’est pas très encourageant, je dois le reconnaître, pour les présidents de Conseils généraux qui font bien leur travail puisque, plus ils diffusent le numéro et plus on y a recours.

 

En outre, nous nous sommes aperçus que plus il y avait de dispositifs locaux et plus on nous appelait et cela constitue quand même un problème parce que nous imaginions, au départ, que nous serions totalement complémentaires, c’est-à-dire que là où il y aurait des déficits de structures d’accueil et d’écoute, nous serions davantage sollicités.

 

Ce n’est nullement le cas et nous avons le sentiment que, finalement, il n’y a pas forcément une complémentarité, puisque une diffusion plus importante du numéro vert va générer davantage d’appels et que des structures locales plus nombreuses vont aussi susciter davantage de mobilité et un peu plus de curiosité de la part des personnes.

 

En conséquence, nous observons des disparités dont il est difficile de déterminer l’origine.

 

Bien sûr, il faut ajouter qu’il convient de les rapporter au nombre d’enfants. En effet, nous avons la possibilité de dire qu’en raison de leur importance, il émane de certains départements un plus grand nombre d’appels, mais encore faut-il ramener ces données au nombre d’enfants qui, bien évidemment, est décisif. Mais, même en le faisant, on sait, par exemple, que les départements du Nord, du Pas-de-Calais et de Paris nous sollicitent énormément et que les situations y sont dramatiques parce que liées aussi à des difficultés économiques extrêmement importantes ainsi qu’à une pauvreté qui n’est peut-être pas uniquement financière dans la mesure où certaines personnes, qui considèrent le travail comme la première valeur, n’ont pas d’autre intérêt dans la vie et s’adonnent à l’alcoolisme et à la violence lorsque le travail disparaît.

 

M. le Président : Merci beaucoup, mesdames et bravo pour ce que vous faites.

Audition de M. Jean-Louis SANCHEZ, Délégué général
de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS)
et de Mme Claudine PADIEU, Directrice scientifique

(extrait du procès-verbal de la séance du 5 février 1998)

Présidence de M. Laurent FABIUS

Monsieur Jean-Louis Sanchez et Madame Claudine Padieu sont introduits.

 

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean-Louis Sanchez et Mme Claudine Padieu prêtent serment.

 

M. Jean-Louis SANCHEZ : Je commencerai par dire brièvement quelques mots pour présenter notre institution qui trouve d’ailleurs son origine dans des démarches parlementaires, puisque l’initiative de sa création revient notamment à Jean-Michel Belorgey et Jean-Pierre Fourcade, respectivement Président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale, à l’époque, et Président de la commission des affaires sociales du Sénat.

 

Cette institution a vu le jour pour essayer, dans un domaine extrêmement éparpillé, de porter un regard dégagé des pesanteurs institutionnelles ou financières. C’est pourquoi elle a pris la forme associative : je crois que c’est ce qui explique, aujourd’hui, le développement de notre institution et, j’ose le dire, sa crédibilité puisque, récemment, le Sénat nous a confié l’évaluation des premiers mois d’application de la PSD sur le territoire national.

 

A l’intérieur de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée, il y a donc cinq observatoires, dont deux concernent l’action sociale départementale et l’action sociale communale, ce qui nous a d’ailleurs permis de mettre en relief un phénomène encore mal connu en France, à savoir l’importance du rôle des villes dans l’action sociale. Je considère que l’on échappera de moins à moins à l’interrogation sur ce rôle des villes dans l’action sociale, comme aussi dans la prévention de la délinquance et de l’abandon d’enfants.

 

En ce qui concerne les autres observatoires, ils ont plus directement trait aux populations, le premier plus particulièrement aux personnes âgées, le second aux populations en situation de précarité, le troisième à la protection de l’enfance.

 

Quelles sont les missions de ce dernier observatoire qui nous intéresse aujourd’hui ?

 

Tout d’abord, il a été nécessaire de donner aux départements, chargés, depuis la loi de 1989, de l’observation des phénomènes de la maltraitance, en plus de leurs responsabilités générales en matière de protection de l’enfance, des recommandations concernant la mise en place d’outils d’observation : telle a été la première mission de cet observatoire qui nous permet aujourd’hui, grâce à la collaboration avec les départements et certains parquets, d’obtenir des informations sur l’évolution de la population des enfants maltraités à l’échelon national. Je crois d’ailleurs que la France est aujourd’hui l’un des seuls pays européens à être doté d’un système d’observation de l’évolution de la maltraitance !

 

Vous savez que, cette année, des résultats ont pu être obtenus concernant, non seulement l’évolution de la population, mais également l’évolution de la prise en charge.

 

Claudine Padieu va maintenant vous en dire quelques mots, car ils seront de nature à éclairer nos propos concernant l’analyse plus générale de ce que nous pensons être aujourd’hui la performance du système de protection de l’enfance en France.

 

Mme Claudine PADIEU : Très rapidement, je vais vous communiquer quelques données chiffrées concernant l’évolution des signalements et l’évolution des prises en charge.

 

L’évolution apparente du nombre de signalements est, depuis deux ans, de huit mille à neuf mille par an. C’est-à-dire qu’il y avait cinquante huit mille signalements en 1994, soixante cinq mille en 1995, soixante quatorze mille en 1996. Cette évolution est due à trois facteurs et non pas uniquement à une aggravation de la situation.

 

Le premier facteur est l’amélioration de la capacité à observer. Cette capacité qui n’existait pas il y a quelques années, augmente chaque année sans être pour autant parfaite. Autrement dit, la réalité de l’augmentation n’est pas de huit mille à neuf mille par an mais elle est inférieure à ces chiffres, puisqu’elle est en partie due à l’amélioration de l’outil d’observation.

 

Le deuxième facteur expliquant cette augmentation est la sensibilisation plus grande des travailleurs sociaux, des familles, des instituteurs, à la réalité des phénomènes.

 

Le troisième facteur est, selon nous, une part réelle d’augmentation du phénomène de maltraitance, mais nous ne sommes pas encore capables de mesurer le poids de ces trois facteurs explicatifs.

 

Pourquoi pensons-nous qu’il y a effectivement un accroissement du phénomène ? Parce que, à l’autre bout de l’observation, c’est-à-dire lorsque l’on considère les prises en charge effectives, après une très longue période de diminution de leur nombre – de 1975 à 1986-1990 – on observe d’abord une stagnation, puis – à partir de 1995-1996 – une lente augmentation de ces prises en charge, augmentation qui est de l’ordre de mille à deux mille enfants par an.

 

Il est donc certain que l’augmentation des signalements correspond partiellement à une réelle aggravation de la situation.

 

Pour en revenir aux signalements, nous distinguons deux catégories d’enfants : le noyau dur des enfants maltraités, et une population plus floue pour laquelle des actions sont toutefois nécessaires et qui se compose des enfants en risque de maltraitance.

 

L’augmentation porte uniquement sur cette dernière catégorie, les enfants maltraités étant depuis deux ans bien cernés, dans la mesure où ils passent par le circuit normal du signalement au Conseil général qui transmet ensuite le dossier au parquet.

 

Il reste un phénomène sur lequel nous aurons certainement l’occasion de revenir, qui est celui de la transmission directe au parquet, notamment par l’éducation nationale, mais aussi par les hôpitaux, par exemple. Ces cas représentent une réalité mal cernée, mais les informations qualitatives dont nous disposons laissent à penser qu’il n’y a pas d’explosion des signalements directement transmis au parquet, autrement dit que les vingt et un mille enfants maltraités dénombrés par les départements en 1996 représentent l’essentiel de la maltraitance signalée et que ce nombre est quasiment stable.

 

Il faut remarquer, en outre, qu’une éventuelle augmentation des phénomènes d’abus sexuels, dont la très forte médiatisation, l’année dernière, a donné l’impression, y compris aux travailleurs sociaux, qu’ils étaient en recrudescence, ne se traduit pas dans les chiffres. Il y a, bien sûr une petite augmentation, mais elle n’est nullement comparable aux impressions que les uns et les autres peuvent en avoir.

 

On a enregistré quatre mille cas d’enfants à risques supplémentaires de 1994 à 1995, puisqu’ils sont passés de quarante et un mille à quarante cinq mille et huit mille cas supplémentaires de 1995 à 1996, puisqu’ils sont passés de quarante cinq mille à cinquante trois mille, ce qui représente un doublement de l’augmentation.

 

Cette situation est due, ainsi que je le disais précédemment, en partie à l’amélioration du système d’observation, et dans une petite proportion, sans doute, à une aggravation du phénomène.

 

M. Jean-Louis SANCHEZ : De façon plus générale, notre observatoire constate, du fait notamment de ses rencontres avec les acteurs de terrain, que le système français comprend, aujourd’hui, des éléments de performance absolument indéniables.

 

Parmi eux, je citerai d’abord un repérage qui s’améliore. On a, en effet, le sentiment – et d’ailleurs la mise en place du téléphone vert semble le confirmer – que la très grande masse des enfants maltraités ou en danger est aujourd’hui connue des services départementaux ou des services de justice, ce qui constitue une réelle performance par rapport aux autres pays européens.

 

Je citerai, ensuite, la prise en charge qui s’améliore constamment. La décentralisation n’a pas démérité, à une exception près : le système de prévention qui fonctionnait notamment à travers la distribution d’allocations mensuelles, donc de secours mensuels aux familles dont les enfants sont en situation de risque. Depuis l’instauration du RMI, de nombreux départements se sont saisis de ce prétexte pour réduire considérablement ces crédits d’allocations mensuelles.

 

Cela étant, je rappellerai tout de même que, depuis 1984, les crédits d’aide sociale à l’enfance ont augmenté, en France, de 67 %, alors que le nombre de prises en charge par les départements d’enfants en danger ou maltraités a plutôt diminué : depuis trois ans, on note une certaine stagnation, voire à nouveau une augmentation, mais sur dix ou quinze ans la tendance à la baisse est indéniable.

 

Je citerai, enfin, la logique de prise en charge du système français qui, entre protection administrative et protection judiciaire, nous est envié aujourd’hui y compris par nos amis britanniques, puisque la Grande-Bretagne tente actuellement de s’en inspirer. Il présente, en effet, le mérite d’une certaine logique de fonctionnement respectant à la fois la liberté individuelle et, bien évidemment, la nécessaire sauvegarde de l’enfant.

 

J’en arrive maintenant aux éléments qui sont plus discutables dans notre système de protection de l’enfance.

 

Premièrement, la tendance à la judiciarisation des signalements et de la prise en charge est de plus en plus marquée. On a le sentiment qu’aussi bien du côté des écoles que de celui des travailleurs sociaux, en règle générale, on préfère, pour ne pas prendre trop de risques appeler immédiatement l’attention des services de justice sur la situation de l’enfant : c’est tout à fait contraire à la loi de 1989 et je crois que les dernières initiatives prises, notamment par le Parlement ou par le Gouvernement, – je pense aux dernières circulaires adressées aux écoles sur la nécessité pour les enseignants de transmettre directement les signalements à la justice – ont peut-être contribué à accélérer ce mouvement qui fait qu’aujourd’hui la justice est encombrée de signalements et que l’on ne retrouve plus du tout l’esprit de la loi de 1989, qui faisait de la protection judiciaire l’exception, la protection à travers les Conseils généraux étant la règle.

 

J’ajoute, en ce qui concerne les services du Conseil général que, contrairement à ce que l’on aurait pu craindre au moment de la décentralisation, la crainte de tout dérapage médiatique sur ces problèmes de protection de l’enfance a amené les élus locaux à se montrer extrêmement précautionneux dans leurs rapports aux services, qu’en outre il y a eu très peu d’interventions politiques des Conseils généraux dans le fonctionnement des services de l’ASE – Aide sociale à l’enfance – et que les crédits ont été constamment abondés en fonction des demandes desdits services.

 

Deuxièmement, sur l’articulation entre les services de justice et les services de l’ASE, il y a indiscutablement eu des améliorations, mais nous nous trouvons très souvent confrontés à un problème qui tient à la continuité de l’action de la justice : les juges des enfants passent très vite dans les départements et les liens tissés entre les services de justice et les services départementaux souffrent de cette mobilité excessive. Quand on commence à bâtir des instruments partenariaux, de type observatoire partenarial des signalements, par exemple, on s’aperçoit que la rotation rapide des hommes ne permet pas de préserver ce partenariat.

 

Troisièmement, le " dogme " du lien avec la famille naturelle reste encore aujourd’hui très observé dans les services de justice et il est vrai que l’ensemble des observateurs des phénomènes de protection de l’enfance souhaitent une évolution de cette relation trop privilégiée avec la famille naturelle.

 

Quatrièmement, la difficulté à rénover l’offre de services demeure un point discutable du système français. Ce problème est constant dans toute l’action sociale : il y a aujourd’hui une construction d’une offre de services qui repose sur un rapport quasiment exclusif entre financeurs et prestataires de services, c’est-à-dire que les prestataires de services dictent leur loi aux financeurs et que ces derniers l’acceptent assez facilement pour éviter trop de difficultés. Cette situation empêche l’innovation et l’on arrive, d’ailleurs, à une performance en matière de coût des services de l’ASE qui est fortement discutable, puisqu’il faut que vous sachiez que la prise en charge d’un enfant en établissement est de l’ordre de neuf cents francs par jour aujourd’hui et que, récemment, on apprenait que pour la PJJ, certains prix de journée des nouvelles structures sont de l’ordre de mille quatre cents francs par jour.

 

C’est tout de même tout à fait considérable, d’autant que, lorsque l’on évalue de façon un peu plus précise la réalité du service offert, on s’aperçoit que l’avis des professionnels a souvent été privilégié sur la performance du service.

 

Cinquièmement, le problème de l’adolescence laisse actuellement nos services très désarmés. Encore une fois, contrairement aux idées répandues, il n’y a pas plus d’enfants récidivistes qu’il n’y en avait voilà quelques années. En revanche, les enfants sont aujourd’hui beaucoup plus perturbés qu’ils ne l’étaient et leur prise en charge pose d’immenses problèmes qui, au-delà de la question de la prise en charge de l’adolescence, concernent l’ensemble de l’action sociale. L’absence de perspectives en matière d’insertion et d’emploi et les difficultés parentales aujourd’hui bien connues constituent des phénomènes nouveaux qui fragilisent la qualité de la réponse sociale.

 

Il n’en reste pas moins vrai que, dans l’action sociale, l’un des rares domaines dans laquelle la performance française peut être effectivement mise en relief, en dépit de ses imperfections, est celui de la protection de l’enfance.

 

M. le Président : Madame, monsieur, je vous remercie.

 

Mes chers collègues je vais vous donner la parole et j’imagine que c’est surtout la dernière partie du propos qui vient d’être tenu qui retiendra votre attention sans appeler de discussions d’opinion, puisque je rappelle que notre commission d’enquête a pour tâche, non pas d’entrer dans une discussion d’opinions par rapport à ceux et celles que nous entendons, mais de fouiller un sujet et de nous permettre de nous former nous-mêmes, une opinion que nous livrerons, le moment venu, à nos collègues et au public.

 

M. Bernard BIRSINGER : Je dirai brièvement quelques mots sur vos constats.

 

On parle évidemment de la manière dont sont pris en charge les enfants maltraités, mais je souhaiterais d’abord savoir si vous disposez d’études sur les causes de ce phénomène : est-il lié à la constitution de la famille, à son origine, au taux de chômage ?

 

Je crois qu’il faut aussi rechercher et travailler en amont et regarder très précisément, au travers de telles études, ce qu’il est possible d’en déduire sur les familles dans lesquelles se trouvent ces enfants maltraités.

 

M. le Président : Je précise aux intervenants qu’il est possible, sur telle ou telle question de répondre en nous faisant parvenir une petite feuille comportant certains chiffres ou certaines informations : c’est tout à fait envisageable !

 

Mme Raymonde LE TEXIER : Vous avez, tout à l’heure, madame, établi une distinction très claire entre les enfants victimes de violences et les enfants à risques : quels critères permettent de considérer qu’un enfant est un enfant à risques ?

 

Par ailleurs, vous avez évoqué le fameux dogme sur la relation privilégiée avec la famille naturelle que vous semblez remettre en cause : pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce sujet ? Si, dans les structures que vous étudiez, on cesse de chercher à maintenir coûte que coûte un lien entre l’enfant et sa famille, qu’advient-il du placement ? Faut-il envisager de placer les enfants jusqu’à leur majorité, voire au-delà ? Cela signifie-t-il que l’on procéderait à des placements pour de longues périodes ?

 

M. Gaëtan GORCE : Puisque la relation avec la famille naturelle vient d’être évoquée, je n’y reviendrai pas et m’en tiendrai à deux remarques.

 

D’une part, vous avez dit que le repérage était satisfaisant et que la quasi-totalité des cas étaient connus, j’aimerais savoir comment vous pouvez arriver à une telle affirmation. D’autre part, concernant les prestataires de services, vous avez signalé que, parfois, les avis des professionnels étaient trop privilégiés par rapport à la performance du service et j’aimerais, là encore, savoir comment il vous est possible de l’évaluer.

 

M. le Président : J’aimerais également que vous nous apportiez quelques précisions sur le coût comparé dont vous avez dit qu’il était important.

 

M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Ma question vient compléter la précédente. Concernant le repérage, vous avez indiqué qu’il vous semblait bien fonctionner dans la quasi-totalité des cas, alors que la personne que nous venons d’entendre s’exprimer sur le numéro vert nous a au contraire indiqué que seule une partie des appels renvoyés aux Conseils généraux – 50 % si j’ai bonne mémoire – étaient connus d’eux, ce qui fait une différence importante !

 

Je sais bien que le nombre des appels au numéro vert ne doit pas être confondu avec celui des personnes concernées et qu’il y a ensuite des corrections à la baisse à faire pour passer du premier au second, mais j’ai néanmoins relevé une approche différente sur les chiffres et la notion de repérage et des différences entre votre propos et celui que nous avons entendu précédemment.

 

Par ailleurs, vous êtes largement intervenus sur l’analyse de la performance du dispositif de repérage, mais il faut aussi prendre en considération ce que produit ce dispositif. Mon interrogation est suscitée par une intervention précédente d’une personne qui indiquait que le nombre d’intervenants pour une famille donnée pouvait atteindre vingt et un intervenants et qui mettait l’accent sur la notion de référent unique : il est vrai qu’en tant qu’élus locaux, nous avons souvent une perception de la multiplicité de l’intervention dans le domaine social et de l’efficacité qui peut être liée à ladite multiplicité. J’aimerais savoir si vous avez une opinion sur ce sujet ?

 

M. Jean-Louis SANCHEZ : Oui !

 

Nous avons maintenant pour objectif de mieux connaître l’origine des phénomènes de maltraitance.

 

Je pense que, à la fin de cette année, nous donnerons pour la première fois, avec l’évolution du nombre des signalements et l’origine des signalements, des informations plus qualitatives sur la maltraitance. Il faut savoir que nous revenons de très loin, puisqu’il n’y avait absolument aucun élément statistique en dehors des éléments de gestion et de prise en charge il y a encore quelques années, mais je pense que, dès cette année, nous serons en mesure de fournir des informations plus complètes et que, chaque année, le système s’améliorera.

 

Le pli est pris et je crois que tout le monde est conscient de l’importance de cette observation du diagnostic, comme préalable à la décision. De plus, nous avons maintenant le sentiment que les parquets vont également s’inscrire dans cette dynamique d’observation partagée avec les départements et je crois que nous devrions obtenir des résultats de plus en plus fiables dans un avenir proche.

 

De ce point de vue, nous nourrissons une certaine espérance, mais, aujourd’hui, nous ne pouvons encore que dresser un constat d’impossibilité !

 

En ce qui concerne la performance du repérage, nous n’avons pas de légitimité à défendre dans le domaine de l’action. En conséquence, lorsque nous disons que le système de repérage est bon, nous le disons, notamment, en analysant les chiffres du téléphone vert car, pour les enfants considérés par les services du téléphone vert comme maltraités ou à risques, si le pourcentage de ceux qui sont inconnus des services départementaux est aujourd’hui plus important – il faut rappeler que dans les premières années de fonctionnement du téléphone vert, ces cas étaient de l’ordre de 5% à 6% du total et cette faible proportion prouvait que les situations les plus flagrantes étaient déjà repérées –, il progresse dans des fourchettes qui demeurent néanmoins très faibles.

 

Les enfants adressés par le téléphone vert aux départements sont très peu nombreux. Lorsque nous avons voulu mener une étude avec le SNATEM – nous sommes en train de la conduire – pour savoir pourquoi les personnes passaient par le téléphone vert au lieu de s’adresser à des professionnels de l’action sociale, il nous a fallu élargir notre échantillon parce que le nombre d’enfants signalés aux départements par le téléphone vert était trop peu significatif. Donc, 50 % est un chiffre impressionnant mais ce pourcentage de 50 % s’applique à quoi ? A très peu d’enfants !

 

Cela ne remet nullement l’existence du téléphone vert en cause : le simple fait qu’il ait permis de prouver que nous connaissions les enfants en danger et les enfants maltraités dans ce pays suffirait à légitimer son développement.

 

Mme Claudine PADIEU : En tout cas, les situations les plus lourdes...

 

M. Jean-Louis SANCHEZ : En effet. Il est donc important qu’un pays comme la France ait ce dernier recours et, même si nous ne découvrions à travers le téléphone vert qu’une dizaine de cas méconnus en France, il est de toute façon utile d’en disposer.

 

De plus, il existe une quantité de gens qui appellent le téléphone vert pour pouvoir entendre et se faire entendre : de ce point de vue là, tout le monde s’accorde à reconnaître l’importance du téléphone vert national. Ce qui serait, en revanche souhaitable, c’est la suppression des téléphones verts locaux qui existent encore et qui font parfois double emploi avec le téléphone vert national.

 

Mme Claudine PADIEU : Je souhaiterais compléter sur un point ce que nous entendons par " signalement ". Il ne s’agit pas de n’importe quel appel, par exemple celui de la première voisine grincheuse, car ce n’est qu’après l’examen de cet appel par une équipe pluridisciplinaire - ce qui est obligatoire selon les textes - qu’il entre dans la catégorie des signalements ou des appels classés sans suite.

 

Il y a un certain nombre d’appels d’information qui entrent dans la seconde catégorie. Les signalements ne sont que les appels jugés suffisamment graves pour nécessiter, soit un suivi administratif, soit une transmission à la justice.

 

M. Jean-Louis SANCHEZ : Madame, vous avez posé à Mme Padieu le problème de la classification enfants à risques/enfants maltraités, mais c’est moi qui vais vous répondre, laissant à Mme Padieu le soin d’intervenir ensuite sur le dogme et cela de façon à répartir les rôles.

 

Cette classification est une classification statistique, c’est-à-dire qu’il a fallu, à un moment donné, faire des choix arbitraires sur ce qu’était un enfant à risques et ce qu’était un enfant maltraité.

 

Ce qui est important, c’est que cette définition ait un caractère durable, afin que nous parlions chaque année de la même chose et que nous puissions comparer les évolutions.

 

Ces définitions arbitraires ont tout de même été arrêtées par un groupe de travail, au sein de l’ODAS, dans lequel étaient représentés les deux ministères concernés, à savoir le ministère des affaires sociales et le ministère de la justice, un certain nombre de départements performants et quelques partenaires, dont en particulier le directeur de cet observatoire au sein de l’ODAS que vous aurez l’occasion d’auditionner puisqu’elle a été, l’année dernière, Secrétaire national de l’année de l’enfant, je veux parler de Mme Marceline Gabel, qui a été très largement à l’origine de la loi de 1989.

 

Il s’est agi effectivement de choix arbitraires, l’enfant maltraité étant celui pour lequel on peut qualifier à la fois l’importance des violences physiques et l’importance des troubles des comportements : il s’agit d’une définition extrêmement précise qui, je crois, est assez bien respectée mais qui est statistique !

 

Ensuite, dans la pratique individuelle, chacun a sa propre définition et sa propre perception de la maltraitance.

 

Donc, nous distinguons bien la démarche d’observation de la démarche individuelle qui caractérise l’action au quotidien.

 

Mme Claudine PADIEU : Sur le dogme fondateur de la politique actuelle de protection de l’enfance qui est de préserver à tout prix le lien avec la famille naturelle, les travailleurs sociaux de terrain s’interrogent fortement, bien entendu pas de façon systématique mais dans le cas de certaines familles avec lesquelles il est vraiment catastrophique de maintenir ce lien : certains cas – je peux citer celui des enfants dont le père a assassiné la mère et qui sont obligés d’aller voir leur père en prison – laissent planer des doutes sur la capacité de la famille à apporter quelque chose à l’enfant et les travailleurs sociaux, devant de telles situations, s’interrogent sur l’utilité de maintenir le lien à tout prix et pensent qu’il serait parfois préférable de reconstruire d’autres liens affectifs ailleurs.

 

Des études ont été menées dans le cadre de l’évaluation des politiques d’insertion des jeunes et l’une d’entre elles s’intéressait particulièrement au sort des enfants passés par l’aide sociale à l’enfance ou par la protection judiciaire de la jeunesse : un des résultats tout à fait frappant de cette étude montrait que des enfants placés en famille d’accueil pendant une longue période, non seulement se sentaient beaucoup mieux dans leur peau que ceux, soit qui avaient erré d’établissement en établissement, soit qui avaient été maintenus dans un premier temps dans leur famille avant que ne se produise une catastrophe assez grande pour justifier un placement, mais encore qu’ils étaient mieux insérés quatre ou cinq ans après la sortie du système que la moyenne des jeunes du même milieu socioprofessionnel que le leur.

 

Autrement dit, il y avait un lien affectif qui s’était recréé avec la famille d’accueil quand la durée de présence au sein de cette famille avait été suffisante. Cette constatation était l’élément le plus positif du bilan des prises en charge d’enfants !

 

Donc, pour répondre à cette question de séparation complète avec la famille, je dirai que oui, dans certains cas, les travailleurs sociaux de terrain trouvent qu’il serait très souhaitable de couper complètement avec la famille et de revenir sur ce dogme fondateur. Ce n’est, bien sûr pas nous qui le disons, car nous n’avons pas à nous prononcer sur ce sujet.

 

M. Jean-Louis SANCHEZ : M. le Président, si vous me le permettez, je souhaiterais répondre sur un dernier point important : celui du coût de la prise en charge.

 

Je rappellerai tout de même qu’entre 1985 et 1997, la dépense d’action sociale départementale a été multipliée par deux, soit une augmentation de cent pour cent en douze ans : c’est dire que les efforts ont été considérables !

 

Or, si ces efforts sont considérables, c’est fondamentalement parce que le poids des habitudes, certaines pesanteurs corporatistes, et les craintes des prestataires de services, a aussi assez peu permis d’intégrer dans les dynamiques sociales françaises une articulation plus forte avec des réseaux de voisinage, de mobiliser davantage les solidarités familiales : on se situe tout de même, en France, dans une réponse qui s’appuie exclusivement sur la collectivité publique et essaie assez peu d’utiliser les ressorts de la vie sociale.

 

Je crois que cela ne pourra pas durer car, dans l’avenir, nous le savons, avec l’explosion du vieillissement, la solitude des personnes âgées, l’effritement des liens sociaux, on ne pourra pas, avec les coûts actuels de prise en charge, assurer, préserver la continuité de l’action sociale.

 

C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il faut absolument innover, y compris dans le domaine de la protection de l’enfance et c’est vrai que, actuellement, les coûts exorbitants du service rendu empêchent de dégager des marges financières qui permettraient peut-être de jouer davantage la carte de la prévention en amont.

 

C’est aussi la raison pour laquelle nous ne pouvons pas ne pas signaler à la représentation parlementaire ce coût très important et je crains que si, un jour, l’opinion s’empare de ce sujet, il ne soit explosif.

 

Dans une fratrie de trois enfants, vous pouvez arriver à atteindre des coûts annuels d’un million et demi de francs et de telles situations sont fréquentes, puisqu’il y a de nombreuses fratries qui sont intégralement prises en charge en établissement : c’est un exemple extrême mais on voit facilement ce que l’opinion pourrait faire de ces chiffres-là, d’autant que nous ne sommes pas certains que nous ne pourrions pas atteindre des performances au moins équivalentes à des coûts moindres, notamment en articulant peut-être l’intervention professionnelle, l’intervention bénévole et l’intervention des réseaux de voisinage.

 

Il y a une nouvelle dynamique à créer dans le social si l’on ne veut pas " aller droit dans le mur ".

 

M. le Président : La parole est à M. Gorce pour poser, je crois, la dernière question.

 

M. Gaëtan GORCE : Je reste un peu sur ma faim en ce qui concerne la performance. Vous avez commencé à traiter le sujet sur le volet financier, certes important, mais il demeure difficile de définir la performance en la matière.

 

Par rapport à l’enfant, à son mode de placement, vous disiez que vous vous trouviez en quelque sorte dans un processus d’évaluation des techniques de placement, des établissements eux-mêmes par rapport à leur taux d’encadrement, à la façon dont les enfants étaient accueillis et suivis, sur les résultats attendus : vous êtes en train de nous dire que tous ces sujets restent manifestement encore un peu incertains pour en avoir une approche globale et cohérente.

 

Si vous justifiez l’innovation en la matière, j’espère que ce n’est pas uniquement du point de vue financier, mais que c’est aussi – et je suis certain que tel est le cas – par rapport à d’autres considérations !

 

Par ailleurs, de nombreux intervenants que nous avons entendus au cours des précédentes auditions nous disent qu’en fait le droit, dans ce pays, est satisfaisant à quelques détails près, pour assurer la protection de l’enfant, mais que les moyens manquent. On ne retrouve pas exactement cette approche à travers la question que vous traitez, ce qui peut se comprendre, mais j’aurais souhaité éventuellement que vous ajoutiez quelques mots sur ce point.

 

M. le Président : Sur les moyens ou les modes de fonctionnement ...

 

M. Jean-Louis SANCHEZ : Les évaluations sont fort rares dans le domaine de l’action sociale comme dans les autres domaines de l’action publique. Il en est une, pourtant, qui porte rétroactivement sur ce que sont devenus les enfants pris en charge par l’ASE. Les conclusions de cette étude ont permis de constater que le placement familial offrait, à risques équivalents, comme le rappelait Claudine Padieu, un nombre de chances supérieures au placement en hébergement.

 

Or, lorsque l’on voit l’évolution du placement en France, on s’aperçoit, alors que le placement a beaucoup diminué depuis quelques années, que la forme qui a le plus régressé est le placement familial et que la forme qui est la mieux préservée est le placement en hébergement.

 

Si vous voulez une illustration du poids du système de l’emploi, vous l’avez là mais j’ajouterai tout de même, sur les aspects de performance, que l’organisation de l’accueil en hébergement – et c’est vrai de l’ensemble du service public français – est faite d’abord pour privilégier le fonctionnement des professionnels et assez peu pour développer des rapports relationnels à l’enfant. Je peux vous dire que, par exemple, dans des établissements que j’ai connus et dont j’ai assuré le contrôle, j’ai pu constater que les horaires des éducateurs étaient souvent en contradiction avec ceux des enfants : quand les enfants étaient à l’école, plusieurs éducateurs étaient présents, mais la nuit, quand les enfants avaient besoin d’eux, ils n’étaient pas là pour les entendre ! C’est assez fréquent !

 

Mme Claudine PADIEU : Je voudrais tout de même apporter une nuance et mettre l’accent sur la difficulté qu’il y a à apporter une réponse à des enfants accueillis de plus en plus tard.

 

En effet, dans le système de protection de l’enfance arrivent des adolescents, voire de grands adolescents, très démolis, très déstructurés et le savoir-faire fait parfois défaut de telle sorte que, malgré un dévouement indéniable, il y a un manque d’efficacité, une absence ou une insuffisance de résultats que l’on ne peut pas imputer aux professionnels eux-mêmes mais à la difficulté que l’on rencontre à imaginer des solutions pour des enfants de plus en plus difficiles à prendre en charge.

 

M. le Président : Merci beaucoup. Merci de votre venue et merci de votre travail !

Audition de Mme Elisabeth GUIGOU,
Garde des sceaux, Ministre de la justice,
accompagnée par MM. Jean ALÈGRE et Jean-Christophe ERARD,
Conseillers techniques
et Mme Sylvie PERDRIOLLE,
Directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

(extrait du procès-verbal de la séance du 12 février 1998)

Présidence de M. Laurent FABIUS, Président

Madame Elisabeth Guigou est introduite.

 

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme Elisabeth Guigou prête serment.

 

Mme Elisabeth GUIGOU : Je vous remercie, M. le Président, de m’avoir invitée à m’exprimer devant cette commission d’enquête qui se propose de faire le bilan des droits de l’enfant en France.

 

Notre pays dispose d’outils législatifs et réglementaires qui vont tout à fait dans ce sens. Chacun a présent à l’esprit l’ordonnance du 2 février 1945, fondatrice du droit pénal des mineurs, qui a consacré la primauté de l’action éducative en direction des mineurs délinquants et l’ordonnance du 23 décembre 1958 qui organise la protection de l’enfance en danger et confie cette protection au juge des enfants.

 

Notre droit n’est pas en retard par rapport à la Convention internationale des droits de l’enfant et je voudrais consacrer cet exposé introductif à deux aspects : la protection de l’enfant et la promotion des droits de l’enfant.

 

En ce qui concerne la protection de l’enfant qui est, évidemment, le premier droit, je voudrais aborder la question de l’enfance en danger. Protéger l’enfant, c’est avant tout le droit et le devoir des parents et ce n’est qu’en cas de défaillance parentale que la protection consentie ou imposée peut prendre le relais.

 

Le principe premier de la responsabilité parentale est affirmé avec force dans notre droit. Je dis bien responsabilité parentale, puisque le principe de la puissance paternelle a été abandonné au profit de l’autorité parentale. Le code civil, par une loi du 4 juin 1970, a consacré le principe de l’autorité parentale sur les enfants, qu’ils soient légitimes ou naturels. Puis, une loi du 22 juillet 1987 a consacré l’autorité parentale commune.

 

Les parents ont donc le devoir de garde, de surveillance et d’éducation. Cela concerne le père et la mère, c’est-à-dire que ce sont eux qui ont le droit et le devoir de prendre toutes les décisions concernant la personne de l’enfant, que ce soient le choix de l’école, la sortie du territoire, les actes médicaux, la surveillance des fréquentations, le choix de la religion..., soit un pouvoir considérable.

 

Il faut souligner, ce n’est pas dit assez souvent, que les parents sont civilement responsables des actes de leurs enfants. C’est un point sur lequel il convient d’insister parce que cela peut comporter des conséquences, qui ne sont pas assez mises en évidence actuellement, lorsque les enfants se livrent à des actes qui doivent être réprimés.

 

En même temps, l’enfant a le droit d’avoir des relations personnelles avec sa famille proche, notamment ses grands-parents – vous savez que l’article 8 de la Convention prévoit de préserver les relations familiales de l’enfant, de le laisser, autant que possible, avec ses frères et soeurs, de préserver ses relations avec ses grands-parents.

 

Que se passe-t-il lorsque l’autorité parentale ne s’exerce pas convenablement ?

 

Il peut y avoir recours à la protection administrative de l’enfant. Lorsque les parents reconnaissent leur défaillance éducative, ils peuvent demander à être soutenus, pour surmonter leurs difficultés, par les services de la protection de l’enfance placés auprès du président du Conseil général depuis les lois de décentralisation. Les parents donnent alors leur consentement.

 

Ce n’est que lorsque l’enfant est en danger avéré que, précisément, la protection de l’enfant prend une forme imposée. Et c’est le mandat judiciaire.

 

L’intervention judiciaire s’exerce cependant dans le cadre de l’article 9 de la Convention qui dispose que cette intervention est, bien entendu, nécessaire lorsque les parents maltraitent ou négligent l’enfant. Mais le principe demeure que l’enfant ne doit pas être séparé de ses parents contre son gré. Le juge peut prendre des mesures d’assistance éducative si la santé, la sécurité, la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, mais il doit s’efforcer dans toute la mesure du possible de recueillir l’adhésion de la famille et, en cas de placement de l’enfant hors de celle-ci, il doit dans toute la mesure du possible assurer un droit de visite et un droit de correspondance. Ces dispositions sont cohérentes avec l’article 9 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

 

Parfois, il faut choisir des voies plus radicales pour assurer la protection de l’enfant, et c’est le retrait de l’autorité parentale. Il intervient à l’évidence en cas de violences, à l’égard desquelles tout un arsenal de dispositions pénales permet la poursuite et la condamnation d’une manière plus sévère que s’il s’était agi d’une victime majeure.

 

Je précise, à cet égard, que le projet de loi relatif à la prévention et à la répression des infractions sexuelles en cours de discussion au Parlement accorde, pour la première fois dans notre droit, une place entière aux mineurs victimes, c’est-à-dire un vrai statut de victime au mineur. Jusqu’à présent dans notre droit, il y avait un statut du mineur délinquant, mais pas de statut du mineur victime.

 

Le dernier élément de la protection des mineurs que je voudrais évoquer est celui de la protection à l’égard des médias.

 

L’enfant a droit à la liberté d’expression, il a droit à l’information. Cela est évidemment tempéré par le fait que les parents ont le droit et le devoir de guider l’enfant dans le choix de ses informations. Le débat porte, là encore, sur la confrontation entre responsabilité parentale et intervention publique.

 

Il est vrai que notre droit de la presse, pour assurer la liberté de la presse, a ciblé les interdictions sur celles faites aux mineurs. C’est le cas dans la presse écrite, à la télévision, pour le cinéma et vous savez qu’il existe un projet de loi visant à réglementer les produits vidéo, les jeux électroniques et les CD-ROM. A ce jour, notre droit s’est surtout intéressé aux supports; il me semble qu’il conviendrait à l’avenir de réfléchir également au contenu des messages qui sont diffusés en direction de la jeunesse. Je rappelle par ailleurs qu’un mineur ne peut pas être filmé par les télévisions sans autorisation préalable de ses parents.

 

J’aborde maintenant la question de l’enfance délinquante. Le principe est celui de la primauté de l’éducatif. C’est l’ordonnance de 1945 qui, dans son préambule, précise que " la France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains ". Il faut, selon notre droit, protéger tous les enfants, qu’il s’agisse d’enfants en danger ou de mineurs délinquants.

 

Vous connaissez les deux principes fondamentaux de l’ordonnance de 1945 : la primauté de la mesure éducative sur la sanction et le principe de la spécialisation des magistrats et des procédures applicables.

 

Tout cela coïncide tout à fait avec les articles 37 et 40 de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui préconisent d’appliquer aux mineurs délinquants des mesures aussi individualisées que possible et s’il est nécessaire de recourir à l’emprisonnement, de le faire avec toutes les garanties de réinsertion.

 

L’ordonnance de 1945 n’exclut pas, en effet, la sanction pénale. Elle énonce simplement la primauté de l’éducatif et organise le caractère indissociable de l’éducatif et du judiciaire.

 

Le juge des enfants dispose de mesures éducatives diversifiées : l’admonestation ; la remise aux parents ou à un tuteur ; la liberté surveillée ; la mise sous protection judiciaire, sous forme de placement ou de mesure en milieu ouvert ; le placement dans un établissement adapté.

 

Si le recours à l’emprisonnement est inévitable, la mesure doit faire l’objet de dispositions particulières pour protéger l’intégrité du mineur et favoriser sa réinsertion.

 

Je voudrais simplement citer très brièvement la série de textes qui organisent cette protection des mineurs en matière de détention provisoire ou d’emprisonnement, de régime de détention, d’habilitation pénitentiaire. Inutile de dire que toutes ces dispositions doivent être sans cesse réévaluées.

 

Un aspect extrêmement important de l’adaptation et du renouvellement des réponses vis-à-vis des mineurs délinquants est la nécessité du travail en réseau des différentes personnes et institutions qui prennent en charge ces mineurs. On ne peut dissocier, par exemple, la question de la santé des mineurs de toutes celles que nous venons d’aborder et nous savons que, dans notre système, la question des mineurs qui ont des problèmes psychologiques ou psychiatriques n’est pas bien traitée. C’est l’un des problèmes fondamentaux auxquels nous devons nous attacher.

 

De même, il est indispensable, cela commence à se faire mais ce devrait être généralisé, d’organiser une meilleure lisibilité de la réponse pénale, d’une part en direction des mineurs délinquants – réponse suffisamment précoce grâce aux mesures dites en temps réel prises par les parquets et visant à convoquer le mineur avec ses parents de manière quasi-immédiate, c’est-à-dire dans les heures ou en tout cas dans les jours qui suivent –, et d’autre part en direction des victimes.

 

Ces procédures en temps réel sont discutées et critiquées par certains. Je pense, pour ma part, qu’elles constituent, pour les primo-délinquants en tout cas, une réponse vraiment intéressante par leur rapidité, la responsabilisation des parents et le lien qui est créé immédiatement avec la victime, même si elles ne sont pas la seule réponse.

 

La mesure de réparation, qui a été adoptée par la loi du 4 janvier 1993 et qui est directement inspirée de l’article 40 de la Convention internationale des droits de l’enfant, est un type de mesure qui devrait être développé, parce qu’elle me paraît de nature à pouvoir mieux faire fonctionner le lien social.

 

Le deuxième point de cet exposé introductif, qui sera plus bref, traite de la façon de compléter cet arsenal par des pratiques professionnelles qui assurent davantage la promotion de l’enfant.

 

Dans notre droit, conformément à l’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant qui demande que l’enfant puisse s’exprimer librement, qu’il puisse être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative, l’enfant est couramment partie aux instances judiciaires qui le concernent. Il dispose de droits procéduraux. C’est le cas aussi bien de l’enfant en assistance éducative que de l’enfant en infraction pénale.

 

L’enfant en assistance éducative, sauf restrictions liées à son état ou à son âge
– s’il est malade ou nourrisson –, peut accomplir tous les actes liés à la procédure. Il peut saisir le juge des enfants. Il peut être entendu par lui. Il peut bénéficier de l’assistance d’un avocat. Il peut interjeter appel de la décision prise par le juge. L’audition de l’enfant est le principe.

 

Les avocats ont commencé à se spécialiser dans le domaine de l’enfance. Depuis le début des années 90, des formations spéciales sont dispensées par des barreaux précurseurs. C’est le cas à Bordeaux, Lille, Marseille, Strasbourg, Lyon, Clermont-Ferrand, Evry, Rouen, Versailles, Rochefort-sur-Mer. Soutenues par le ministère de la justice, ces formations se développent au moyen de Conventions pour le financement des actions correspondantes et, depuis la loi du 10 juillet 1991, l’assistance éducative a été admise au rang des mesures susceptibles d’être rémunérées par l’aide juridictionnelle.

 

Pour l’enfant auteur d’infractions pénales, le code pénal consacre le principe de la personnalité de la responsabilité pénale et des peines.

 

Le mineur est pleinement partie au procès pénal dans lequel il est jugé et dispose de droits procéduraux – audition, avocat, copie du dossier, accès à l’aide juridictionnelle, droit d’être jugé dans des délais raisonnables, droit de faire opposition.

 

La défense des mineurs délinquants, comme d’ailleurs en matière éducative, est tout à fait susceptible d’améliorations.

 

Que préconisent les avocats des enfants ?

 

Ils préconisent aujourd’hui de leur reconnaître un droit de suite, ce qui signifie pour le mineur un même avocat pour toute la procédure, voire pour tout le temps de sa minorité, sauf incompatibilité naturellement. Il est également suggéré que le bénéfice de l’aide juridictionnelle soit calculé en fonction du seul patrimoine des mineurs et non plus en considération des ressources des parents. Ce sont deux questions sur lesquelles il faut réfléchir.

 

Actuellement, l’appréciation distincte des ressources n’est opérée que s’il est constaté une divergence d’intérêts entre l’enfant et ses parents. Cela conduit, en réalité, à priver d’un défenseur l’enfant dont les parents ont des ressources suffisantes pour rémunérer un avocat mais s’abstiennent de toute démarche pour faire assurer une défense de l’enfant. C’est une question très importante sur laquelle nous devrions pousser plus loin les réflexions.

 

L’enfant auditionné dans une procédure le concernant, alors qu’il n’est pas partie à l’instance, bénéficie de l’aide juridictionnelle de droit et c’est un paradoxe. Non seulement dans ce cas il n’est pas tenu compte des ressources des parents, mais il n’est pas tenu compte de l’état de son patrimoine.

 

L’enfant a le droit à la parole dans les procédures lorsqu’il est sollicité dans une instance qui le concerne, lorsqu’il est concerné par un litige qui se déroule à son insu, dans le cas de procédures familiales où ses relations avec ses deux parents ou ses frères et soeurs peuvent être remises en cause.

 

De même, notre droit accorde une place prépondérante à l’expression du consentement de l’enfant à l’occasion de certains actes qui peuvent toucher à son intégrité. C’est ainsi que l’enfant a le droit d’être entendu dans toute procédure le concernant. Lorsque le mineur demande à être auditionné, si le juge l’estime inopportun, il doit motiver ce refus.

 

Enfin, l’audition de l’enfant est naturellement particulièrement importante s’agissant de l’enfant victime d’une infraction pénale. La loi du 8 janvier 1993, vous vous en souvenez sans doute, a facilité la désignation d’un administrateur ad hoc pour permettre la représentation utile de l’intérêt de l’enfant et le projet de loi sur la répression des infractions sexuelles parachève cette évolution puisqu’il unifie les conditions de désignation de l’administrateur ad hoc.

 

Le consentement de l’enfant doit être recueilli pour tous les actes qui touchent à son intégrité physique ou à son lien de filiation. C’est le cas en matière de suivi médical. C’est le cas également en matière d’adoption, puisque l’enfant doit consentir personnellement à une adoption plénière ou une adoption simple. Il en va de même en matière de changement de prénom ou de modification administrative. Je souligne également que la femme mineure célibataire, française ou étrangère, doit consentir personnellement à l’interruption volontaire de grossesse, hors la présence de ses parents ou de ses représentants légaux. En cas de prélèvement d’organes ou de prélèvement de sang, le refus de l’enfant fait obstacle à l’opération envisagée.

 

Cet exposé montre que les droits de l’enfant sont largement respectés et encouragés en France. L’Europe a souhaité élaborer un instrument juridique qui complète la Convention internationale et recense les domaines qui ne sont pas encore couverts par cette Convention. La Convention européenne, vous la connaissez, a été ouverte à la signature le 25 janvier 1996 et j’espère que notre pays pourra la ratifier.

 

Tels sont les sujets dont je souhaitais vous entretenir.

 

Un dernier mot pour dire que l’on entend beaucoup parler, ces derniers temps, d’abaissement de l’âge de la majorité. Il me semble que ce serait une profonde erreur car, au moment où nous voulons au contraire insister sur la responsabilité normale, naturelle, qu’il faut promouvoir, des parents vis-à-vis des enfants, l’abaissement de l’âge de la majorité serait contradictoire avec cette volonté.

 

M. le Président : Mme la Ministre, nous allons procéder, comme d’habitude, par une série de questions à laquelle vous répondrez, si vous le voulez bien.

 

Mme Claudine LEDOUX : Je voudrais revenir sur la responsabilité, la responsabilisation des parents. Ceux-ci sont responsables au premier chef, responsables à divers titres, notamment juridiquement puisque leur responsabilité civile peut être engagée.

 

Certains, cherchant à trouver des solutions à la défaillance de certains parents, voient une solution dans la suppression des allocations familiales ou dans leur mise sous tutelle. Qu’en pensez-vous ?

 

M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Ma première question concerne l’expression de l’enfant dans les procédures judiciaires que vous avez évoquée. Vous avez notamment parlé des progrès importants réalisés depuis la loi de 1993. Cependant, l’audition des mineurs est actuellement une simple possibilité laissée aux juges et, en cas de refus, aucun appel n’est possible. Pourriez-vous revenir sur ce point ?

 

Ma seconde question concerne l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant en droit interne français. Vous avez souligné que nous n’étions pas en retard. Néanmoins, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer, à travers deux arrêts du 10 mars et du 2 juin 1993, et a jugé que les dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant ne pouvaient être invoquées devant les tribunaux, cette Convention ne créant pas d’obligation à la charge des états parties. C’est une problématique générale sur laquelle je souhaiterais que vous puissiez nous donner quelques informations.

 

M. Pierre-Christophe BAGUET : Je voulais avoir quelques chiffres, notamment sur le nombre de dossiers en cours d’instruction en France aujourd’hui, et connaître éventuellement le pourcentage de dossiers qui aboutissent. Combien y a-t-il de cas de protection judiciaire ? Combien de retraits de l’autorité parentale ?

 

M. le Président : Si vous ne disposez pas immédiatement de certains éléments chiffrés, vous pourrez nous les faire parvenir par la suite.

 

Si vous avez la gentillesse de répondre à cette première batterie de questions, je vous donne la parole.

 

Mme Elisabeth GUIGOU : En ce qui concerne les allocations familiales, j’ai déjà indiqué que j’étais contre ce type de mesures. Tout d’abord, parce que notre dispositif juridique prévoit déjà que l’on peut mettre sous tutelle les allocations familiales et que, si c’était si simple, ce serait fait plus largement. Mais je ne vois pas comment, s’agissant de familles déjà en difficulté – il s’agit le plus souvent de femmes seules débordées par des enfants sur lesquels elles n’ont plus d’autorité –, souvent au chômage, dont les allocations familiales sont les seules ressources, on pourrait imaginer apporter des solutions en supprimant ou en réduisant les allocations. On peut toujours les mettre sous tutelle si le père ou la mère les dépense pour autre chose que pour le bien des enfants.

 

D’une façon générale, en matière de délinquance des mineurs, je ne pense pas qu’il puisse y avoir une seule solution. C’est probablement le sujet le plus préoccupant dans notre société à plusieurs titres.

 

Tout d’abord, il est vrai que la délinquance des mineurs prend des formes de plus en plus graves chez des enfants de plus en plus jeunes. Reste à savoir si elle croît en quantité. Il y a une certaine controverse entre statisticiens, mais ce qui est sûr, c’est que des enfants de plus en plus jeunes commettent des actes de plus en plus graves.

 

Ensuite, j’observe des comportements de fuite de la part des adultes par rapport à ce phénomène de délinquance des mineurs, comportements de fuite qui caractérisent aussi bien les parents que les institutions.

 

C’est la raison pour laquelle il faut affirmer la primauté du principe éducatif qui me paraît absolument essentielle, car le premier devoir d’une société est de ne pas se résigner à ce que des jeunes soient définitivement bloqués, enkystés dans la délinquance. Il faut vouloir qu’ils puissent se réinsérer.

 

Souvent, ces enfants qui basculent dans la délinquance n’ont jamais été écoutés, ils se sentent négligés et ne se sentent pas de place dans la société. Ils ne se perçoivent que dans des comportements marginaux, dans des lieux à part. C’est ainsi que beaucoup s’enfoncent dans les trafics.

 

Mais il faut dire et redire que l’éducation comporte aussi la sanction. Il est donc extrêmement important de développer des procédures. Je voudrais faire une remarque à ce sujet car on mélange tout. On mélange ce qui est de l’ordre de l’intervention sociale et ce qui doit être de l’ordre de l’intervention judiciaire.

 

La justice ne peut intervenir que lorsqu’il y a acte de délinquance, ce qui ne veut pas dire que les magistrats ne doivent pas participer avec les autres responsables publics à la prévention.

 

Lorsque je parle de comportements de fuite, c’est parce qu’il y a aujourd’hui dans notre société des réflexes qui consistent, par exemple pour l’école, à exclure. Heureusement, le ministre de l’éducation nationale réagit contre cette tendance. On exclut des mineurs qui restent en dehors de toute activité scolaire pendant des années ! Viennent ensuite les travailleurs sociaux, dont le dévouement est admirable, et ainsi, on reporte le problème vers la justice.

 

Toutes ces mesures qui paraissaient être des recettes miracles, l’abaissement de l’âge de la majorité, la mise sous tutelle des allocations familiales ou la réinstauration des maisons de correction, me paraissent correspondre à des comportements de fuite, c’est-à-dire des réflexes d’adultes qui n’assument pas entièrement la responsabilité qui doit être la leur, qui est une responsabilité d’écoute, mais aussi de fermeté vis-à-vis des mineurs.

 

En ce qui concerne l’audition de l’enfant, il faut éviter que les enfants ne soient partie à toutes les instances ; notamment en matière de divorce, il n’est pas souhaitable qu’ils soient trop impliqués dans les controverses qui existent entre leurs parents. C’est une question d’appréciation du juge, mais j’ai insisté sur la motivation, qui est nécessaire. Il faut trouver un équilibre.

 

Sur le caractère applicable de la Convention internationale des droits de l’enfant, notre droit est de plus en plus largement en conformité avec les obligations de la Convention. Nous devrions arriver à réduire ce type de hiatus constaté par la Cour de cassation.

 

Pour ce qui est des chiffres, les juges des enfants prennent près de deux cent mille décisions par an. Au pénal, nous avons soixante mille décisions dont seize mille sont confiées à la protection judiciaire de la jeunesse, secteur public. Au civil, nous avons environ cent quarante mille décisions par an.

 

M. Gaëtan GORCE : Vous évoquez l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant. Un des points de cette Convention, extrêmement délicat à traiter, que l’on ne trouve pas dans le droit français et qui est souvent rappelé par ceux qui suivent l’application de cette Convention, est le droit de l’enfant à connaître ses origines. Pourrions-nous connaître votre sentiment à ce sujet ?

 

Dans un tout autre ordre d’idée, celui de l’action qui doit être conduite sur le terrain en direction des enfants délinquants ou de ceux pour lesquels se posent des problèmes de délinquance, estimez-vous que les moyens mobilisés par les différents services, qui intéressent souvent les collectivités territoriales, sont suffisants par rapport à l’ampleur des problèmes à traiter ?

 

Mme Annette PEULVAST-BERGEAL : Je voudrais évoquer le cas d’enfants qui se comptent par dizaines, voire par centaines, car je ne suis pas sure que les chiffres soient très précis. Ce sont les enfants nés en France de mère française, qui, à la suite d’un divorce, ont été enlevés, séparés et sont partis dans d’autres pays et dont les mères, lorsqu’elles ont la possibilité de les voir, ce qui est rare et se fait toujours dans des conditions très difficiles, disent qu’ils sont en danger et qu’ils n’ont pas des conditions de vie épanouissantes.

 

Le ministère des affaires étrangères répond très souvent que pour certains pays, il n’existe aucune Convention et qu’il est impuissant. Le ministère de la justice peut-il avoir une action en direction de ces enfants qui, je le répète, sont français ?

 

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Mme la Ministre, je voudrais attirer votre attention sur ces enfants handicapés qui subissent dans différents centres sociaux, voire dans des hôpitaux, des sévices de la part de leur encadrement ou même de médecins. Je voudrais connaître votre avis sur ce point et les sanctions encourues par ces personnes qui se livrent à des sévices sur ces enfants particulièrement en difficulté ?

 

Mme Martine AURILLAC : Mme la Ministre, vous avez évoqué la protection des enfants à l’égard des médias et avez rappelé, à juste titre, l’importance qui s’attache au contenu des messages face auxquels nous sommes très démunis. Quels sont vos projets à cet égard ?

 

M. le Président : Dans les auditions auxquelles nous avons procédé, il apparaît que se posent des problèmes qui touchent la règle de droit, mais le plus souvent ce sont des questions d’application. Vous vous occupez de l’application mais aussi de la règle de droit. Avez-vous dans vos cartons des projets d’amélioration de la règle de droit sur tel ou tel point qui pourrait concerner le droit des enfants ?

 

Mme Elisabeth GUIGOU : Sur le droit des enfants à connaître leur origine, à ce jour, nous avons l’accouchement sous X. C’est une particularité du droit français, je ne serais pas opposée au fait qu’il évolue.

 

La responsabilité des collectivités territoriales est une question essentielle parce que la décentralisation a confié des responsabilités très importantes aux Conseils généraux. Je n’ai pas d’évaluation précise sur la façon dont les Conseils généraux s’acquittent de leurs obligations. Je ne peux en avoir une idée qu’à la suite de rapports ponctuels. Mais j’ai globalement le sentiment que les Conseils généraux s’occupent davantage de la protection de la petite enfance et de la protection des personnes âgées que de la question des adolescents. Ce n’est cependant qu’une impression parce que je ne dispose pas d’évaluation précise. Je m’attache cependant à approfondir les choses.

 

Nous avons en effet engagé un travail avec l’Assemblée des présidents de Conseils généraux et son président, que j’ai rencontré récemment. Nous intensifierons cela après les élections cantonales parce que, pour l’instant, les Conseils généraux sont pris par autre chose, mais il me semble indispensable d’avoir cette évaluation en la matière. Nous prendrons un échantillon suffisamment représentatif des départements pour voir s’il existe une coopération suffisante entre le système judiciaire et les Conseils généraux et comment elle peut être améliorée.

 

Les enfants nés de couples mixtes vivent parfois des drames terribles. Nous faisons notre possible à travers l’entraide judiciaire et l’action diplomatique qui, souvent, est intense.

 

Au niveau européen, nous venons d’adopter au conseil des ministres une Convention que l’on appelle de " Bruxelles II " qui concerne justement la coopération entre juges en matière de divorce et donc de garde d’enfants. Elle n’est pas encore formellement adoptée dans tous ses détails.

 

Lorsque celle-ci sera signée et ratifiée par tous les Etats membres, ce sera la décision d’un seul juge d’un seul Etat membre – il faudra bien sûr choisir ce juge – qui s’imposera à tous les Etats membres. Chaque Etat devra faire respecter par ses propres juges les décisions prises par le juge de l’Etat voisin en matière de divorce et de garde des enfants. C’est un progrès considérable pour les enfants et pour les personnes qui, déjà divorcées, devaient parfois divorcer à nouveau lorsqu’elles souhaitaient se remarier dans un pays différent.

 

En ce qui concerne les enfants handicapés, les sanctions applicables sont celles du droit commun. Chaque fois que ce type de problème est signalé, il y a naturellement intervention judiciaire. Nous avons eu, par exemple, quelques affaires d’abus sexuel sur des enfants handicapés ou difficiles. Sachez que j’y ai apporté une attention personnelle immédiate et constante et que les juges sont intervenus immédiatement.

 

Cela pose le problème du signalement par la protection maternelle et infantile. Souvent, on n’est alerté que longtemps après que ce type de sévices a commencé. C’est là qu’est le problème : comment faire en sorte que la protection maternelle et infantile et la santé scolaire puissent alerter de façon suffisamment précoce ?

 

Le contenu des messages diffusés par les médias constitue une question difficile. Si j’avais la réponse, je vous l’aurais donnée, mais je ne l’ai pas. C’est certainement l’un des sujets sur lequel votre commission d’enquête peut le mieux faire avancer la réflexion.

 

Nous avons, bien sûr, des projets d’amélioration de la règle de droit.

 

Le projet de loi sur la prévention et la répression des atteintes sexuelles est évidemment très important, car, comme je le disais, nous disposons pour la première fois d’un statut du mineur victime et de dispositions qui visent à réduire autant que possible le traumatisme pour le mineur. Non seulement ce sont des dispositions législatives qui, par exemple, prévoient qu’il puisse y avoir des auditions audiovisuelles ou audio pour qu’il n’y ait qu’un seul enregistrement de l’enfant, mais nous avons aussi tout un travail engagé entre plusieurs ministères – le mien, ceux de l’intérieur, de la santé, de l’éducation nationale – pour faire en sorte, dans sept villes test, que l’enfant victime de sévices puisse être entendu par toutes les parties prenantes dans un seul endroit – par hypothèse, l’hôpital.

 

L’école ayant signalé qu’un enfant est soumis à des sévices sexuels, il est auditionné en premier lieu par un pédopsychiatre capable non seulement d’entendre sa parole, mais aussi d’écouter ses silences – c’est extrêmement important. A partir de là, nous essayons de faire en sorte que les policiers et les juges puissent venir à l’hôpital, comme on le fait avec les victimes d’accidents de la route, et non pas reconvoquer l’enfant par la suite.

 

Nous menons évidemment une réflexion sur la détention des mineurs. Actuellement, sept cents jeunes sont en prison, ce qui est encore trop à mes yeux. Cela peut paraître peu, mais nous devons faire en sorte de faire entrer davantage l’éducatif dans les prisons pour jeunes. Cette année, j’ai affecté la totalité des postes de surveillants supplémentaires que je vais créer sur le budget 1998 aux centres de jeunes détenus. J’ai pu voir à Fleury-Mérogis pour les plus jeunes détenus – nous avons mis en place un surveillant qui s’occupe d’une dizaine de jeunes – des résultats assez spectaculaires. Ces jeunes tiennent leur cellule propre et on sent qu’ils font quelque chose de leur séjour en prison. Cela demande évidemment des moyens importants.

 

Nous avons également engagé une réflexion sur le suivi individualisé des mineurs multirécidivistes. J’ai reçu un rapport que j’avais commandé au mois de juillet sur les unités d’encadrement éducatif renforcé créées par mon prédécesseur et sur les foyers d’hébergement, rapport intéressant au sens où il montre que pour ces mineurs récidivistes, qui souvent n’ont pas du tout connu l’autorité parentale, la solution est probablement dans un suivi continu par un éducateur, selon la formule : " un adulte, un mineur ". En même temps, nous devons, à travers cette relation exclusive pendant un certain temps entre un adulte et un mineur, réfléchir davantage en termes de projet éducatif qu’en termes de structure.

 

Les juges des enfants, en tout cas, me disent qu’ils ont besoin d’une diversité de structures vers lesquelles orienter ces jeunes. Cela pose des problèmes de moyens. Je suis en train de faire faire par mes services, notamment par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, une évaluation plus large des possibilités des foyers classiques et des UEER. Nous allons profiter de la mission parlementaire confiée à Mme Christine Lazerges et à M. Jean-Pierre Balduyck, pour élargir notre réflexion.

 

Je souhaiterais que l’on s’interroge, s’agissant de ces mineurs multirécidivistes, sur l’action de l’ensemble des services administratifs. Avec Claude Allègre, par exemple, nous sommes en train de réfléchir à la mise en place de " classes relais ". Il en existe actuellement soixante-dix, dont une dans chaque département de la région parisienne, mais aucune à Paris. Ce sont des classes comptant entre huit et douze enfants, un enseignant et un éducateur. Je ne peux pas, avec les six mille éducateurs de la protection de la jeunesse, imaginer que l’on puisse multiplier à grande échelle ces classes relais, mais ce que je peux faire avec l’éducation nationale, Claude Allègre en est d’accord, c’est voir la façon dont elle peut créer ces classes destinées à accueillir des enfants pour un temps limité, puisque l’objectif est de les réinsérer dans le circuit scolaire et dont les services de la protection judiciaire de la jeunesse peuvent apporter le conseil et l’expertise qui, souvent, font défaut aux enseignants.

 

Nous devons réfléchir sur la formation des enseignants. Leur formation actuelle fonctionne bien avec les enfants qui n’ont pas de problème. Les syndicats d’enseignants que j’ai pu contacter me le disent. Mais ils ne sont ni préparés ni formés à affronter des enfants qui ont toutes sortes de carences, psychologiques, affectives, sociales, culturelles, économiques avec le chômage des parents.

 

Il faut ensuite faire en sorte que les services sociaux alertent beaucoup plus précocement sur les enfants et les familles à problèmes. Les enseignants que je rencontre dans les tribunaux me disent souvent que, dès la maternelle, on est capable d’identifier ces enfants qui sont dans des familles à problèmes.

 

Nous devons aussi nous interroger sur la suppression des brigades des mineurs qui relèvent de la police. Les juges que j’ai interrogés à ce sujet me disent qu’elles étaient extrêmement utiles parce que, lorsque des policiers appartenant à ces brigades des mineurs amenaient un jeune devant un juge, ils lui restituaient en même temps le contexte dans lequel vivait ce jeune. Avait-il déjà fait telle ou telle chose, etc. ... C’était un éclairage extrêmement important. Aujourd’hui, ces brigades existent encore pour les mineurs victimes. C’est très bien, mais il me semble qu’il y a là une réflexion à mener. C’est évidemment un chantier extrêmement vaste.

 

M. le Président : Mme la Ministre, nous vous remercions infiniment de la précision et de la richesse de vos réponses.

Audition de Mme Marie-George BUFFET,
Ministre de la jeunesse et des sports,
accompagnée par M. Gilles GARNIER,
Chef adjoint de cabinet
et Mme Martine TIMSIT, Conseillère technique

(extrait du procès-verbal de la séance du 12 février 1998)

Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
puis de Mme Annette PEULVAST-BERGEAL

Madame Marie-George Buffet est introduite.

 

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme Marie-George Buffet prête serment.

 

Mme Marie-George BUFFET : L’accès à l’éducation, aux vacances, aux loisirs, mais aussi à l’information, à l’expression et à la décision constitue pour les enfants et les jeunes des droits fondamentaux. Ces droits sont des facteurs déterminants pour leur développement. Ils permettent l’exercice de la citoyenneté et contribuent plus que jamais à renforcer la cohésion sociale, en faisant reculer les phénomènes de violence et de repli.

 

La défense de ces droits fonde depuis toujours l’action du ministère de la jeunesse et des sports, même si dans une période récente, l’aspect jeunesse de l’activité du ministère a été quelque peu dévalorisé.

 

Certaines de ces actions relèvent du champ traditionnel de ce ministère, notamment en ce qui concerne l’enfance. D’autres sont beaucoup plus récentes et novatrices. Certaines sont bien connues du grand public. Beaucoup restent encore, malheureusement, insuffisamment connues et reconnues.

 

Je traiterai tout d’abord de l’accès aux vacances et aux loisirs. Il s’agit d’une action traditionnelle de ce ministère. L’accueil des enfants et des jeunes pendant les vacances et les temps de loisirs a constitué une des missions originelles du ministère de la jeunesse et des sports.

 

Il concerne les centres de vacances – un million six cent mille enfants de quatre à dix-huit ans accueillis chaque année –, les centres de loisirs sans hébergement – quatre millions d’enfants de deux à dix-huit ans accueillis chaque année –, les chantiers de jeunes
– seize mille jeunes par an de douze à vingt-cinq ans –, les opérations qui s’adressent aux quartiers en difficulté, comme Ville-Vie-Vacances – huit cent mille jeunes de douze à vingt-cinq ans –, les contrats d’aménagement des rythmes de vie des enfants et des jeunes - plus de deux millions d’enfants de quatorze à douze ans, couverts par deux mille contrats, dont cent vingt-quatre mille enfants dans le cadre de deux cent quarante contrats expérimentant de nouveaux rythmes scolaires –, enfin, les projets locaux d’animation de jeunesse et de sport et autres formules contractuelles passées avec les élus locaux qui visent à assurer, en collaboration avec les partenaires locaux et le monde associatif, la mise en place de véritables politiques globales de jeunesse et de sport - un million six cent mille enfants et jeunes, essentiellement de douze à vingt-cinq ans.

 

Des améliorations restent à apporter. Un enfant sur trois ne part jamais en vacances. Le problème de l’accessibilité aux vacances et aux loisirs demeure donc posé. J’ai fait, dans le cadre de la loi sur la prévention des exclusions, des propositions dans le sens de l’accès du plus grand nombre aux vacances et aux loisirs, notamment par l’instauration du quotient familial pour tout ce qui est activité de loisir et activité sportive et la mise en place d’un " coupon-sport " pour l’accès des enfants et des jeunes aux clubs sportifs.

 

Des formules innovantes restent encore à développer pour accueillir les adolescents qui, faute de changement, désertent peu à peu les structures trop traditionnelles, que ce soient les centres de vacances ou les pratiques sportives à travers la formule des clubs.

 

Des rapprochements sont actuellement en cours avec l’éducation nationale pour envisager les conditions d’une éventuelle généralisation des contrats de rythme de vie qui, si la discussion avec ce ministère aboutit, seront désormais des " contrats locaux d’éducation ".

 

Au-delà de la simple fonction sociale d’accueil et de garde, le secteur des vacances et des loisirs remplit une fonction éducative déterminante.

 

Tout comme il existe une politique de l’école et une politique de la famille, le temps de loisir demande, au regard des évolutions sociales et des enjeux du troisième millénaire, la mise en oeuvre d’une véritable politique publique.

 

Le temps de loisir est, en effet, un temps durant lequel peuvent s’aggraver ou, au contraire, se réduire les inégalités culturelles, économiques et sociales. C’est donc, plus que jamais, un enjeu déterminant pour la réduction de la " désagrégation " sociale. D’où l’enjeu d’une revalorisation, d’une actualisation de l’éducation populaire, notamment dans son volet enfants et jeunes.

 

Deuxièmement, la protection des mineurs est une action constante du ministère. L’accès aux vacances et à toutes les formes de loisir est développé par le ministère, dans un cadre réglementaire spécifique, qui vise à garantir à tous sécurité et qualité. Ce cadre réglementaire est unique en son genre dans toute l’Europe.

 

La protection des mineurs est assurée par les services déconcentrés de la jeunesse et des sports, par des contrôles des services assurés sur place par des personnels de la jeunesse et des sports, par la mise en œuvre d’une procédure administrative spécifique en cas de dysfonctionnements ou de déviances constatés. Cette procédure permet d’interdire de façon provisoire ou définitive, tout animateur, directeur ou responsable ayant commis des agissements répréhensibles. Une procédure d’urgence permet d’écarter immédiatement les personnes soupçonnées de tels agissements. L’ensemble de ce dispositif jusqu’ici géré au niveau national est désormais déconcentré au niveau du préfet de département depuis le 1er janvier 1998.

 

Une procédure du même type existe pour les activités sportives. Jusqu’à présent, dans ce domaine, ces mesures concernaient essentiellement, je dirai presque uniquement, le respect ou non des niveaux de diplômes exigés pour exercer des fonctions d’encadrement. Il a fallu alerter ce secteur sur la nécessité de faire en sorte que ces procédures puissent aussi toucher les problèmes de maltraitance dans la pratique sportive.

 

Le ministère assure également de nombreuses actions de lutte contre la maltraitance : participation active au groupe permanent interministériel de l’enfant maltraité, réalisation de documents divers d’information et de formation auprès de l’encadrement. Depuis presque deux ans maintenant, le ministère a mis en oeuvre un vaste dispositif de prévention contre les risques sectaires : création d’un réseau de correspondants régionaux, réalisation de documents d’information et de formation, vigilance accrue à l’égard des déclarations de séjour des centres de vacances, des centres de loisirs et des associations sollicitant l’agrément ; participation du ministère de la jeunesse et des sports aux travaux de l’Observatoire interministériel des sectes; soutien aux associations spécialisées.

 

Le ministère conduit également de nombreuses actions de lutte contre le sida. Il a tenu récemment des journées de prévention avec l’ensemble du milieu des éducateurs et du milieu d’animation. Là aussi, des améliorations sont nécessaires. Nous avons besoin d’un renforcement des moyens humains des services déconcentrés qui assurent aujourd’hui le contrôle des structures, d’autant qu’il y a eu multiplication, dans la période récente, de structures privées parfois très provisoires pour accueillir les enfants et les jeunes, ce qui nécessite une vigilance accrue.

 

Il est également nécessaire de renforcer les coopérations entre les divers services de l’Etat. Le ministère de la jeunesse et des sports a trop longtemps travaillé isolément. Nous avons besoin de rapports plus étroits entre les services de l’éducation nationale, de l’emploi et de la solidarité, de la justice et de l’intérieur et de réactiver les pôles de compétence. Une structure de concertation permettant à tous ces interlocuteurs de discuter de la question de l’enfance et de la jeunesse existe, mais pas dans tous les départements. Il faut la remettre sur pied.

 

Au-delà de ces actions traditionnelles, auxquelles il faudrait ajouter des opérations comme " Défi jeunes " ou " Ticket sport ", la nouveauté est de faire des jeunes des acteurs à part entière des mesures qui leur sont destinées. Nous parlons des enfants et des jeunes, nous nous adressons à des associations qui travaillent avec eux, mais nous avons tout simplement oublié de leur demander de prendre la parole eux-mêmes, et cela dès le collège.

 

Nous avons donc décidé de lancer dès le 21 juin des " Rencontres locales de la jeunesse ". Elles ont réuni plus de cent mille jeunes, au cours de mille sept cents rencontres. Ils ont tout de suite exprimé des demandes précises et ont insisté pour qu’une suite soit donnée à ces premières rencontres. Ils ont voulu des actes et des mesures extrêmement concrets. Tous les comptes rendus de ces rencontres constituent une matière extraordinairement riche et font apparaître une jeunesse multiple qui se retrouve sur des points essentiels : elle veut qu’on lui donne des responsabilités, qu’on la reconnaisse, elle n’attend pas tout d’en haut; elle ne demande pas qu’on agisse à sa place, mais simplement qu’on lui ouvre les portes.

 

Ces aspirations se sont traduites par des dizaines de propositions concrètes. Nous avons retenu cinquante mesures élaborées avec d’autres ministères. Une de ces mesures, qui a été réclamée dès le début, visait à mettre en place des structures permanentes de concertation. Nous avons donc créé des conseils permanents de la jeunesse aux niveaux départemental et national. Nous avons appelé les élus locaux à multiplier les conseils locaux de la jeunesse.

 

A la suite de ces réunions, des groupes de travail ont été créés, notamment sur les questions de l’accessibilité, de l’information, de la violence et de la citoyenneté.

 

Ces rencontres ont peut-être cassé une fausse image des enfants et des jeunes d’aujourd’hui. On ne constate pas de rejet de la chose publique, de rejet des adultes, mais plutôt une envie de s’en mêler, une envie craintive, teintée de doute, une peur d’être à nouveau déçus, mais parallèlement une forte attente que les adultes s’adressent à eux en tant qu’individus.

 

Parmi les différentes questions qui ont marqué ces rencontres, la plus forte est celle de l’information. Dans une société de plus en plus complexe, l’accès à une information globale, précise et adaptée à leurs besoins représente pour les jeunes une attente essentielle. Alors qu’existe dans notre pays une multitude de réseaux d’information qui commencent dès l’école, très présents dans les lycées, alors que le réseau information jeunesse aujourd’hui comprend mille cinq cent deux structures qui reçoivent près de cinq millions de jeunes par an, les jeunes, de façon massive, nous disent qu’ils ne sont pas informés, qu’ils ne trouvent pas les lieux pour trouver l’information, qu’ils ne sont pas aidés. Ils cherchent un regroupement de l’information et plus qu’une information, ils cherchent ce qu’ils appellent des " cellules d’aide ", des interlocuteurs capables de les aider dans leurs réflexions, dans la mise en œuvre de leur projet, dans leur vie personnelle, intime. A ce propos, la question de la sexualité est revenue avec beaucoup de force au cours de ces rencontres.

 

Face à cette demande, nous travaillons avec d’autres ministères sur la mise en place d’un point unique d’information dont le lieu pourrait être divers, selon la réalité sociale et géographique des villes. Certaines structures, comme la mairie, sont accessibles et connues. Dans d’autres lieux, d’autres sont plus connues comme la PAIO. Il faut choisir, au cas par cas, ces lieux uniques d’information.

 

Les premières expériences de cellules d’aide se mettent en place au niveau des préfectures, où des personnels administratifs se consacrent à recevoir les jeunes sur tous les sujets qu’ils veulent exposer.

 

Le deuxième point : être écoutés, être reconnus.

 

Une intervention en direction de la jeunesse ne saurait faire l’impasse sur la prise en compte des formes de sociabilité des jeunes, de leur mode de construction de soi et de leur représentation.

 

Le préalable à toute participation et inscription citoyenne des jeunes est la reconnaissance a priori de leur droit de cité, de la singularité de leurs trajectoires, de leur identité. D’où l’importance de l’écoute, condition de leur reconnaissance, et de la formulation de leur demande. Celle-ci ne saurait être assimilée à l’expression spontanée ni à un sondage d’opinion. Elle ne peut naître que de l’apprentissage de la parole, de la construction collective d’un espace public.

 

Un espace propre n’est pas ce qu’ils revendiquent, ils souhaitent que les adultes jouent un rôle d’accompagnateurs, je dirais de " passeurs ", de " personnes ressources ", visant à favoriser l’accès à l’autonomie des jeunes, médiateurs entre les désirs des jeunes et les contraintes imposées par les réalités sociales, économiques, culturelles. En ce sens, leur rôle est aussi d’aider à la prise en compte, par les pouvoirs publics et les structures institutionnalisées, des formes de sociabilités juvéniles.

 

Un des obstacles à cette reconnaissance des jeunes est la persistance d’un regard extérieur négatif porté sur la jeunesse ou sur de larges fractions de celle-ci, regard qui a du mal à prendre en compte les mutations en cours, qui ne sait reconnaître le jeune que lorsqu’il est conforme, et qui suscite la mise en valeur des identités négatives.

 

En liaison avec les événements qui ont eu lieu lors des fêtes de fin d’année et avec la violence dans les cités, de nombreux jeunes nous ont dit qu’ils aimeraient que l’accent soit mis de la même façon sur les initiatives qu’ils prennent eux-mêmes contre la violence dans ces cités. Ils demandent qu’on leur donne la parole pour examiner avec eux les chemins qu’ils peuvent prendre pour faire reculer la violence.

 

Ils souhaitent être écoutés. Et lorsqu’on les écoute, on se rend compte qu’il y a à la fois besoin de réparation sociale à court terme – on l’a vu dans les mesures qu’ils ont adoptées, c’est tout de suite qu’ils veulent résoudre des problèmes d’accessibilité –, mais aussi besoin d’avenir. Il s’agit donc d’aborder avec eux toutes les questions liées à la formation, à l’emploi, à la possibilité tout simplement de pouvoir construire un avenir.

 

On constate qu’au temps linéaire et rigide de l’intervention politique et administrative correspond un temps plus complexe du jeune qui, à la fois, s’inscrit dans le présent, connaît une difficulté croissante à se projeter, mais cherche des moyens de passage au monde adulte. Le rôle des politiques publiques, d’après moi, est de faciliter ces passages, de permettre aux jeunes de se construire, d’acquérir leur autonomie et de s’inscrire dans la société.

 

Cela induit une intervention globale, concrète et demande d’éviter tout enfermement, qu’il soit social, générationnel ou territorial. Aujourd’hui, de plus en plus, le territoire du jeune n’est même plus la commune, mais le quartier. Souvent, on rencontre chez eux, on le voit bien avec le dispositif emploi-jeunes, un refus de celui qui n’est pas du quartier, parfois même une colère parce que le plan emploi-jeunes permet l’embauche de jeunes qui sont de la commune mais pas du quartier. Il faut prendre cette question de l’enfermement territorial à bras le corps parce qu’elle est source de repli sur soi et de rejet de l’autre.

 

La réponse à toutes ces questions demande qu’au-delà de la nécessaire offre d’activités et d’équipements – le besoin d’équipements de proximité est souvent souligné – existe une intervention en termes de reconnaissance du jeune comme acteur. Cela demande la constitution d’espaces publics, entendus comme lieux d’expression, de construction d’une parole commune et de débat. C’est l’un des grands enjeux actuels.

 

Nous sommes, par exemple, amenés aujourd’hui, à juste titre, à réaffirmer les valeurs fondamentales de la République. Le discours sur la restauration de ces valeurs qui tend à se développer appelle à une construction menée en commun avec les jeunes. Cela ne peut pas se faire vers eux, en dehors d’eux, mais bien avec eux car ces valeurs, ces repères, il faut les construire avec leurs réalités actuelles, leur vision du monde tel qu’ils le perçoivent aujourd’hui.

 

La troisième demande très forte est celle de l’accueil, du rapport avec les institutions : accueil dans les services publics – j’ai parlé des cellules d’aide –, accueil dans l’entreprise – appel au tutorat, à un partenariat avec le salarié plus ancien –, et accueil dans les lieux publics – face aux exemples de discrimination qui se multiplient dans tous les lieux publics et d’activités de loisir.

 

Enfin, je pense qu’il faut favoriser l’expérience de la citoyenneté.

 

Contrairement à une idée reçue, on constate un développement du mouvement associatif dirigé par des jeunes. Ce mouvement associatif est très différent de celui que nous connaissions jusqu’à présent, notamment les grands réseaux d’éducation populaire et de jeunesse. Ce sont des associations qui se créent dans des limites géographiques, sur des thèmes très restreints. Ces associations ont parfois une durée de vie très courte. Mais nous devons aider les grands réseaux à prendre en compte cette nouvelle vie associative, car c’est souvent là que les jeunes en grande désespérance font les premiers pas vers une reconnaissance de leur existence, de leur utilité et donc vers l’envie d’entrer dans une nouvelle citoyenneté.

 

Il faut travailler en reconnaissant ces expériences bénévoles des jeunes dans leurs études, lors de leur entrée dans la vie professionnelle, comme le font certains pays d’Europe du Nord. Il convient de donner des plus, des unités de valeur, y compris dans le cursus universitaire, aux jeunes qui s’investissent dans la vie associative.

 

Dernière idée : accompagner les intervenants adultes. De nombreux élus, bénévoles, dirigeants d’associations ou de clubs nous demandent des formations spécifiques pour les aider à comprendre les mutations en cours. Les formations telles qu’elles existent aujourd’hui, que ce soit au niveau de l’animation ou de la vie sportive, ne correspondent pas aux besoins actuels des contacts entre les adultes et les jeunes.

 

Pour conclure, je dirai que si des logiques protectrices et éducatives sont légitimes, des réponses uniquement éducatives apparaissent comme trop limitées par rapport aux attentes des jeunes. La question est donc bien celle de l’existence sociale des jeunes, de leur place et de leur reconnaissance. Il s’agit donc de passer d’une approche où les jeunes ont été l’objet d’éducation et de politique à une approche où ils deviennent des partenaires, de passer d’une logique de transmission des normes à une logique de co-construction de points de repère, le rôle des adultes étant un rôle de " conduite accompagnée ".

 

C’est bien là une démarche nouvelle qu’il faut que nous mettions en place, non seulement au niveau d’un ministère, mais au niveau de tout un comportement de l’institution, de la politique par rapport à ces jeunes.

 

M. Pierre-Christophe BAGUET : Mme la Ministre, vous avez parlé d’un rapprochement avec l’éducation nationale pour réfléchir à l’aménagement des rythmes scolaires. Prévoyez-vous la mise en place d’une structure qui pourrait empêcher qu’un instituteur, muté en cours d’année pour troubles de comportement, se retrouve directeur d’une colonie de vacances l’année suivante ?

 

Vous avez parlé de la formation insuffisante des animateurs. Les enfants en maternelle et en cours élémentaire passent cent quarante-trois jours par an à l’école, deux cent vingt-deux jours en dehors de l’école. Ils passent de plus en plus de temps dans les structures municipales et sont encadrés à 80 %, voire à 90 %, par des animateurs qui ont entre dix-sept et vingt-cinq ans et qui disposent en tout et pour tout d’une formation théorique de huit jours, complétée de quelques stages, le fameux BAFA. Ces formations sont complètement inadaptées. Comment pensez-vous remédier à cette situation ?

 

Mme Dominique GILLOT : La question précédente sur la qualité de la formation et de la responsabilité des tout jeunes adultes auxquels l’on confie nos enfants pendant de nombreuses heures reflète effectivement une grande préoccupation.

 

Mais je voudrais porter l’accent sur le constat – votre intervention complète et devrait même précéder celle que nous venons d’entendre – que vous dressez des observations des jeunes face à l’absence d’adultes aptes à exercer leurs responsabilités à leur égard, ce sentiment qu’ils ont de ne pas avoir suffisamment d’encadrement, d’aide de la part des adultes qui leur transmettent des connaissances, qui assument leurs responsabilités : ce constat correspond à une réponse de plus en plus institutionnelle, qui est sollicitée par des adultes qui se sentent complètement débordés.

 

Mme Guigou était tout à l’heure interpellée sur un accroissement de la judiciarisation des relations visant à sanctionner des dérives qui devraient être prises en compte par tout ce milieu éducatif que vous avez bien cerné, auquel il faudrait ajouter la famille. Un enfant est enfant de sa famille, de son quartier, de son école. Il est vraiment indispensable qu’aujourd’hui, même si l’on aurait pu le faire plus tôt, on prenne conscience de la nécessité d’une politique transversale d’accompagnement de tous les adultes qui ont le devoir d’assumer leurs responsabilités vis-à-vis des jeunes. Un enfant ne peut pas grandir et se développer tout seul. Il est donc important de l’encadrer et votre volonté de redonner toute sa place à l’éducation populaire, en la mettant au cœur de l’action d’information, d’accompagnement, de soutien et d’aide des jeunes, me paraît judicieuse.

 

Comment comptez-vous concrétiser cette orientation politique qui est appelée de tous nos voeux ?

 

M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Vous avez utilisé le terme de " contrats locaux d’éducation " destinés à remplacer les anciens contrats d’aménagement du temps de l’enfant – CATE. Cette nouvelle dénomination signifie-t-elle que vous entendez, en co-réalisation avec l’éducation nationale, les " décrocher " de la notion de rythme scolaire, puisque les contrats d’aménagement du temps de l’enfant étaient liés à la notion des semaines de cinq ou quatre jours ?

 

Mme Marie-George BUFFET : Sur l’aménagement du temps de l’enfant, il se trouve que, depuis maintenant plus de quinze ans, c’est le ministère de la jeunesse et des sports qui expérimente des conceptions sur l’occupation des temps de loisir.

 

A une époque, on a parlé de l’aménagement des rythmes scolaires, ce qui était assez paradoxal puisque cet aménagement se faisait en dehors de l’éducation nationale et parfois, dans certains endroits, contre elle. On laissait de côté ce qui se passait à l’école et l’on essayait de répondre à ses problèmes. Ces expériences restaient très limitées.

 

Lorsque je suis arrivée à ce ministère, je me suis posé deux questions.

 

Premièrement, pouvait-on continuer à parler de rythme de vie de l’enfant sans introduire de réflexion commune avec la période scolaire ?

 

Deuxièmement, pouvait-on rester pendant vingt ans au niveau expérimental alors que la République nous appelle à faire profiter l’ensemble de nos concitoyens des mesures que nous prenons ?

 

L’idée est donc de se dégager de la question de quatre ou cinq jours, de l’après-midi sans cartable, et d’essayer d’aménager au niveau de la semaine, dans le temps scolaire, avec des aides-éducateurs, plus de temps d’ouverture vers la pratique culturelle, sportive, ou autres, et de coordonner cette ouverture à l’intérieur de l’éducation nationale avec ce qui peut se faire en fin de journée, le midi, le mercredi et le samedi matin. Il s’agit de donner une réponse cohérente.

 

Nous sommes dans une phase de concertation. Nous ferons un appel d’offres en direction des collectivités locales et des associations pour essayer de construire quelques projets de contrat locaux d’éducation d’ici la fin de l’année.

 

En ce qui concerne le rapprochement avec l’éducation nationale à propos des questions de maltraitance, il est vrai que jusqu’à présent un éducateur pouvait figurer sur la liste du ministère de la jeunesse et des sports et pas sur celle de l’éducation nationale. Je vais même aller plus loin, un animateur pouvait être suspendu en animation et encadrer un club sportif. Au sein de mon ministère et avec ma collègue Mme Ségolène Royal, nous avons décidé de rapprocher les éléments d’information pour que les personnes incriminées ne puissent plus exercer nulle part leurs actes de maltraitance.

 

Le point sur lequel nous sommes certainement pour l’instant le plus en retard est l’encadrement du mouvement sportif. Jusqu’à présent, dans le domaine de l’animation, des centres de loisir et de vacances, les choses étaient déjà très avancées, très surveillées et suivies. Alors que nous avons prononcé cinquante suspensions l’année dernière dans le secteur de l’animation, il n’y en a eu qu’une au sein du mouvement sportif.

 

En ce qui concerne les formations, il faut considérer le BAFA comme un diplôme très important car, pour beaucoup de jeunes, c’est le brevet de la citoyenneté. Pour la première fois, ils sont mis en position d’apprendre un métier et en situation d’encadrer d’autres jeunes. C’est un pas important. A mon sens, le BAFA devrait relever de la gratuité, car c’est vraiment une première étape. Nous y travaillons.

 

Cependant, il est vrai que la formation BAFA, dans sa conception actuelle, est insuffisante. On peut constater dans nos centres de loisir et de vacances une baisse du niveau de recrutement. De nombreux organismes emploient massivement des jeunes détenteurs du BAFA, mais nous n’avons pas suffisamment des personnels d’encadrement doté des diplômes supérieurs.

 

Nous connaissons également un problème avec les formations jeunesse et sports qui sont trop spécialisées. Nous pouvons certes former de très grands techniciens en athlétisme et, parmi eux, des spécialistes du javelot ou du saut en hauteur, mais ces hommes et ces femmes nous disent aujourd’hui que ces formations ne leur permettent pas de répondre aux problèmes auxquels ils sont confrontés dans leurs rapports avec les enfants et les jeunes qu’ils sont amenés à encadrer. Ils reconnaissent avoir besoin d’être formés au niveau de la pratique sportive ou de l’animation, mais ils demandent aussi à être formés au niveau de la relation sociale, du suivi social, des comportements relationnels.

 

Nous avons donc engagé une réflexion pour une refonte globale de nos formations. Nous aurons toujours besoin de formations spécialisées correspondant à des besoins propres à certains niveaux, mais nous aurons de plus en plus besoin de formations transversales permettant à un homme ou une femme de se tourner vers les enfants, d’être capables d’affronter les problèmes qu’ils rencontrent aujourd’hui et de jouer ce rôle d’accompagnateur.

 

L’éducation populaire a connu une période extrêmement difficile ces dernières années et nos grands réseaux ont, pour des raisons financières, parfois perdu de vue leur objectif d’éducation populaire pour être simplement des prestataires de services, notamment des prestataires de formation pour réussir à fonctionner. La plupart de ces réseaux en sont conscients. Nous allons donc organiser avec eux au mois d’octobre un colloque sur l’actualité de l’éducation populaire aujourd’hui et sur ses missions : comment l’éducation populaire peut-elle être un moyen d’aider à la prise de responsabilité des enfants et des jeunes ? Comment ce réseau d’éducation populaire peut-il être un moyen d’ouverture à des connaissances pour de nombreux jeunes ? Nous le ferons en prenant en compte les réseaux associatifs créés par les jeunes eux-mêmes, sans marquer d’opposition entre ce nouveau réseau associatif et les grands réseaux d’éducation populaire et de jeunesse.

 

Les rapports entre adultes et jeunes constituent le point important. Les jeunes veulent être reconnus en tant que tels, avec leurs projets, leurs initiatives, leurs idées, leur vécu, leurs goûts, mais ils expriment aussi le besoin que des adultes les accompagnent dans ce passage de l’enfance ou de l’adolescence à la vie adulte. Ils ont parfois l’impression d’être dans le noir. Ils ont envie d’agir mais ne voient pas du tout quel chemin emprunter pour mettre en œuvre tel ou tel projet.

 

Si l’on arrive à faire passer l’idée qu’il n’y a pas de rejet de l’adulte, qu’il n’y a pas de rejet systématique de l’institution, de la politique au sens large du terme, de la chose publique, mais plutôt un sentiment d’incompréhension, de fermeture, si l’on ouvre un passage, si on les accompagne, ils sont prêts à s’y engouffrer et nous aurons fait un pas en avant tout à fait significatif.

 

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je voudrais revenir très rapidement sur les enfants des quartiers qui ne pourront jamais partir en colonie de vacances, qui n’ont même pas de salle pour s’exprimer dans leur quartier, pour être autonomes, et qui vont être frustrés d’un événement qui, dans les banlieues et les quartiers populaires, prend un retentissement important, je veux parler de la coupe du monde de football.

 

Ce sera un événement très important, notamment par toutes ses retombées économiques et financières, mais beaucoup d’enfants de ces quartiers en seront exclus. Ils pourront suivre les matchs sur grand écran dans leur quartier. C’est un exemple parmi d’autres, mais on connaît l’importance du sport et du foot en particulier dans ces quartiers populaires et l’on sait bien que tout cela repose sur un bénévolat que j’appelle " héroïque ". Pourriez-vous, à ce propos, nous dire où en est le statut du bénévole que vous appelez de vos voeux ?

 

Votre ministère pourra-t-il apporter un début de réponse sur l’interrogation de tous ces jeunes pour lesquels le foot est un vecteur important et un facteur d’intégration ?

 

Mme Marie-George BUFFET : En ce qui concerne les départs en vacances, nous avons un véritable problème. On constate que dans les centres de vacances, les anciennes colonies de vacances, le nombre de places a diminué en raison des difficultés rencontrées par les communes, du coût de ces départs en vacances. Il nous faut donc engager une réflexion plus globale sur des propositions précises permettant le réel départ des enfants dans ces centres.

 

Pour ce qui a trait à la coupe du monde, la plupart des enfants et des jeunes de ces quartiers n’entreront bien évidemment pas dans les stades pour deux raisons : d’une part, il y a deux millions cinq cents mille places et huit millions de demandes, d’autre part, même si le prix des places a été modulé, ces enfants ont été dès le début privés de la possibilité de les acheter.

 

Nous avons pris deux dispositions pour corriger cette situation. D’une part, nous favoriserons tout ce qui relèvera de l’animation autour de la coupe du monde dans ces quartiers. Nous avons prévu quinze millions de francs pour aider des projets associatifs soit montés par des jeunes, soit montés par des communes, à créer une animation pour que ces enfants soient quand même de la fête. Ce sont des projets comme " Cité Foot " auquel se sont inscrits de nombreux quartiers pour participer à des rencontres sportives, mais ce sont aussi des projets qui sortent un peu du sport, des projets culturels tournant autour de la coupe du monde.

 

D’autre part, nous ferons en sorte que ces enfants ne soient pas simplement cantonnés à regarder le match devant la télévision, où manque l’aspect convivial de la fête sportive. Nous avons obtenu un droit de retransmission gratuit par écrans géants, mais nous nous sommes vite aperçus que ce n’était pas suffisant, car les communes reculaient devant la difficulté de la tâche consistant à obtenir un écran géant et à régler les problèmes techniques. Nous avons donc, avec l’aide conséquente d’associations, décidé de prendre en charge trois équipements sous forme de camions écrans géants, qui nous permettront, avec les communes qui apporteront une participation financière, de créer un premier circuit de retransmission. Nous devons signer un premier accord avec l’agglomération lyonnaise dans quelques jours afin de faciliter la démarche des communes et de permettre à de nombreux jeunes d’avoir accès le plus facilement possible à la retransmission de ces matchs dans le cadre d’accords intercommunaux, le fait que l’écran géant est situé dans un quartier ne devant pas empêcher les jeunes du quartier voisin relevant d’une autre commune d’ y avoir accès.

 

Mais il faudra rester très sensible à ce qui va se passer autour des stades, parce que des jeunes pensent encore qu’ils pourront avoir accès aux stades, comme lors d’un championnat de France. Ils espèrent encore pouvoir acheter leur place au dernier moment. De plus, commence à se développer un marché noir. Jusqu’au bout, il va falloir accompagner le déroulement de cette coupe du monde par une action de proximité vers ces jeunes, par des mesures d’animation renforcées pour qu’il n’y ait aucune expression de colère ou de violence liée à des phénomènes de rejet autour des stades sites de la coupe du monde.

 

Pour ce qui concerne le statut du bénévole, nous allons entamer le travail de concertation interministérielle et avec les associations. Le ministère de la jeunesse et des sports pilotera ce travail, qui concerne l’ensemble du mouvement associatif, pour aboutir à un projet de loi en 1999. Les propositions existent déjà au sein du mouvement associatif qui y travaille depuis des années. Il faut maintenant étudier le financement de ces propositions qui concernent le temps libre, l’indemnisation et la reconnaissance dans le cursus scolaire et professionnel. Ce sont là les grands axes. Les questions de responsabilité sont également une source de préoccupation pour les bénévoles.

 

Plus largement, nous devons étudier la question de l’intégration par le sport. Sans raccourci illusoire, je combats l’idée qui consiste à dire : " Faites-leur faire du sport, ils ne feront pas de bêtises ". Nous n’en sommes plus là. On a déjà constaté que la violence entrait à l’école, mais depuis quelques mois on constate qu’elle entre aussi dans les stades. Je ne parle pas des supporters d’équipes professionnelles, mais de rencontres minimes, cadets, où les équipes se livrent à des affrontements très violents. Si l’on veut que le sport joue son rôle d’intégration, il faut travailler à une mobilisation du mouvement sportif sur les comportements. Là aussi, il convient d’apporter une aide aux bénévoles encadrants, car ils sont quelque peu désespérés face à cette violence qui arrive sur les stades.

 

Il faut également – c’est un débat que nous avons avec les fédérations sportives et nous avons fait figurer ce point dans les Conventions que nous signons avec elles pour l’année 1998 – que les fédérations sportives s’ouvrent à de nouvelles pratiques sportives. On ne peut avoir d’un côté le club, avec son fonctionnement tout à fait normal, les entraînements et la compétition, et de l’autre, des pratiques sportives " sauvages " organisées pour des jeunes ou des moins jeunes et parfois utilisées par des marques privées qui organisent des tournois parallèles, comme de célèbres marques de chaussures, sans qu’il n’y ait aucune garantie sur le contenu de ces tournois puisqu’ils ne sont pas sous la responsabilité du mouvement sportif.

 

Nous éprouvons des difficultés à faire en sorte que l’ensemble des fédérations cherchent à travailler vers ces jeunes. Quelques fédérations s’y emploient. Hier, j’ai encore signé mille cinq cents nouveaux emplois-jeunes dans le mouvement sportif avec les fédérations d’athlétisme, de gymnastique et d’aviron. Ces emplois-jeunes visent à permettre d’aller vers de nouveaux publics, notamment vers un public jeune.

 

Mme la Présidente : Mme la Ministre, il me reste à vous remercier d’avoir été aussi complète dans votre exposé et dans vos réponses.

Audition de MM. Olivier BRASSEUR, Directeur général du
Centre international de l’enfance et de la famille (CIDEF),
Frédéric JESU, Coordonnateur de département
et Bruno RIBES, Chargé de projets

(extrait du procès-verbal de la séance du 12 février 1998)

Présidence de Mme Annette PEULVAST-BERGEAL

Messieurs Olivier Brasseur, Frédéric Jésu et Bruno Ribes sont introduits.

 

Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation de la Présidente, MM. Olivier Brasseur, Frédéric Jésu et Bruno Ribes prêtent serment.

 

M. Olivier BRASSEUR : J’ai ici un document qui nous sera utile lors de l’exposé.

 

Mme la Présidente, mesdames et messieurs les parlementaires, je tiens à vous remercier d’avoir invité le CIDEF à participer à vos travaux car les droits de l’enfant sont au coeur de ses activités.

 

Mon propos liminaire sera bref, pour que nous puissions avoir après une discussion sur les différents points.

 

Parler des droits de l’enfant implique que l’on examine un vaste champ de questions, qui va de l’obligation de l’Etat à assurer la survie de l’enfant à des problématiques plus complexes qui relèvent de la liberté d’expression.

 

Lorsque l’on parle de questions relatives à l’enfant, on a tendance à segmenter les sujets soit par âge, soit par matière, soit par temps de la vie. Je suis content que cette commission – et je vous en félicite, Mme la Présidente – aborde les droits de l’enfant dans le cadre prescrit, parce qu’ainsi, elle va avoir à connaître de toutes les questions qui touchent à ces droits.

 

Sur la " carte du tendre " que je vous ai fait passer, vous trouvez en ordonnée l’âge et en abscisse les heures du jour. On a malheureusement tendance à segmenter la journée en suivant les temps familiaux, les temps à l’école, les temps à la cantine, les temps périscolaires, et l’on s’aperçoit très vite qu’entre ces temps, il y a de profondes césures et une absence d’intégration.

 

Il en va de même lorsque l’on décline les questions relatives à l’enfant en fonction de l’âge, puisque l’on parle alors de tranches de zéro à trois ans, de trois ans à six ans puis de l’adolescence. On constate des zones d’inconnu comme la période huit-douze ans, sans parler de celle de l’adolescence dont les problèmes sont plus complexes.

 

Nous commencerons notre propos par une recommandation, ou plutôt une suggestion, qui serait que l’ensemble des dispositifs sociaux, sanitaires et éducatifs devrait être réexaminé en vue d’apporter des réponses plus globales, d’assurer une plus grande continuité du suivi, une approche véritablement intégrée et une meilleure coordination des actions, notamment en faveur des enfants les moins favorisés.

 

L’objectif de cette intégration serait d’assurer ce qui constitue la toile de fond, à savoir une meilleure socialisation des enfants.

 

Il sera difficile en dix minutes d’embrasser toutes ces questions et je restreindrai notre propos à quelques domaines simples mais particulièrement importants.

 

Le premier domaine est le droit de l’enfant à connaître ses origines.

 

Le dispositif législatif français comporte une contradiction qui fait que l’aide sociale à l’enfance prend en charge les femmes qui désirent accoucher sous le sceau du secret. Passé le délai de trois mois, l’enfant est admis en qualité de pupille de l’État et ne peut plus alors connaître ses origines. Cela est en contradiction avec l’article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

 

En France, 85 % des enfants nés hors mariage sont reconnus par leur père avant l’âge de cinq ans. 15 % des enfants ne le sont pas, sans que l’on en connaisse les raisons.

 

Notre deuxième suggestion à la commission serait qu’elle recommande de modifier la législation et de mettre en œuvre tous les moyens permettant à chaque enfant de connaître ses origines. Je n’entre pas dans le détail car j’imagine que d’autres institutions auditionnées vous en ont parlé.

 

Le deuxième domaine est la prévention des carences familiales et éducatives.

 

La France est, avec les pays nordiques et la Belgique, le pays qui offre probablement l’une des politiques les plus actives en matière de garde des jeunes enfants. Il existe nombre de dispositifs innovants et malgré cette qualité de l’offre, on constate une grande disparité géographique, notamment entre zones urbaines et zones rurales.

 

Cette question se complique par la segmentation des tranches d’âge. Nous pourrions suggérer à la commission d’envisager que l’accueil de la petite enfance soit harmonisé afin d’avoir un système unifié couvrant une tranche d’âge plus large, de zéro à six ans.

 

L’autre problème relatif à la prévention des carences familiales et éducatives a, bien sûr, trait à ce l’on appelle la conciliation de la vie familiale et du travail.

 

Aujourd’hui, 75 % des femmes de vingt-cinq à cinquante ans exercent ou recherchent un emploi. Quand on sait que les femmes occupent en général un emploi plus répétitif que celui des hommes, probablement aussi plus pénible, et que lorsqu’elles rentrent à la maison, elles ont généralement à assumer les tâches ménagères, on voit qu’il ne reste plus beaucoup de temps pour s’occuper des enfants.

 

Sur les deux millions deux cent mille enfants âgés de moins de trois ans, 67 % sont gardés à domicile, 12 % sont scolarisés, 9 % sont en crèche et 11 % sont chez une assistante maternelle. Le dispositif actuel favorise le maintien à domicile. Cette tendance nous semble être préjudiciable à l’apprentissage précoce de la vie en société.

 

Par ailleurs, s’il existe une désaffection des lieux d’accueil comme les crèches et les jardins d’enfant, c’est parce que ceux-ci ne sont pas suffisamment adaptés aux modifications des conditions de vie. Les normes qui régissent actuellement le fonctionnement de ces lieux d’accueil datent de vingt ans. Nous suggérons donc à la commission d’envisager que le mode de fonctionnement des lieux d’accueil des enfants de zéro à six ans soit réexaminé afin de mieux les adapter aux besoins des parents et de leur faire jouer un rôle de lieu d’intégration et de socialisation, notamment pour les familles en situation de précarité.

 

Le troisième domaine concerne la prévention des violences faites aux enfants.

 

Le dispositif législatif et réglementaire crée une répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités locales. Le juge, fonctionnaire de l’État, engage des dépenses qui relèvent, en fait, du budget du Conseil général. J’espère que le recours parfois excessif aux instances de la justice se calmera, sinon les Conseils généraux se trouveront face à des dépenses dont ils n’ont pas la maîtrise. Nous suggérons que le rôle des Conseils généraux dans le domaine de la protection de l’enfance – qui couvre la polyvalence de secteur, la protection maternelle et infantile et l’aide sociale à l’enfance – soit encouragé, promu, afin de faire prévaloir la prévention sur la sanction.

 

L’avant dernier domaine, qui relève des attributions traditionnelles du Centre international de l’enfance et de la famille, a trait aux questions de santé.

 

Je voudrais, là encore, souligner la fragmentation, les césures, qui existent dans la vie de l’enfant entre famille, école, institutions sportives ou récréationnelles, crèches, etc. Trop souvent, malheureusement, les problèmes de santé des enfants, à l’école primaire en tout cas, sont ignorés. Plus grave encore, les enfants signalés par la médecine scolaire, appartenant à des familles en situation de précarité, ne peuvent bénéficier du suivi des prescriptions du médecin scolaire, telles qu’une paire de lunettes, un problème d’audition ou de croissance.

 

Nous souhaiterions que la médecine scolaire, qui reste quand même le parent pauvre de la médecine malgré tous les efforts faits récemment pour recruter des infirmières, soit mieux intégrée. Il suffit pour se convaincre du bien fondé d’un tel vœu de dire que l’on compte un médecin de santé scolaire pour sept mille cinq cents élèves.

 

Tout ce dispositif du titre II du code de santé publique, qui couvre la PMI, l’assistance médicale à la procréation, l’examen prénuptial, le contrôle des maternités et l’IVG est une intrication des responsabilités des collectivités locales et de l’État qui ne sont pas toujours bien définies. La médecine libérale, quant à elle, suit sa propre logique et l’on ne s’étonnera pas que dans le maillage de ces trois réseaux, les enfants en situation de précarité puissent " échapper " aux soins qu’ils mériteraient.

 

Nous aurions deux suggestions à faire sur ce domaine de la santé.

 

Premièrement, il faudrait renforcer l’articulation entre PMI et services académiques de promotion de la santé en faveur des élèves, notamment à l’occasion du bilan de santé de quatre ans réalisé par les services de PMI dans les écoles maternelles, par une utilisation plus systématique du carnet de santé – qui existe, mais est insuffisamment utilisé –, par une standardisation et une exploitation nationale des bilans de santé scolaires à six ans et en sortie de collège, qui nous permettraient de mieux connaître la situation exacte et l’état de santé de nos enfants.

 

Deuxièmement, il faudrait renforcer l’articulation entre les dispositifs préventifs et curatifs publics et libéraux sur la base de modèles expérimentaux élaborés conjointement par des Conseils généraux, les CPAM et les inspecteurs d’académie pour assurer un véritable suivi des bilans de santé scolaire et éviter que ces enfants en situation de précarité ne passent à travers les mailles du dépistage et de la prise en charge.

 

Dernier domaine – vous allez penser, Mme la Présidente, que le CIDEF se mêle de ce qui ne le regarde pas, mais j’en prends l’entière responsabilité parce que cela nous paraît important – on ne peut pas socialiser nos enfants si l’on ne s’occupe pas de leur éducation.

 

Le CIDEF n’est pas vraiment un spécialiste de l’éducation, mais j’aimerais attirer l’attention de la commission sur une situation qui nous préoccupe : plus de 8 % des jeunes sortent aujourd’hui en France du système éducatif sans aucune qualification, en situation d’échec scolaire. Des enquêtes ont montré que la majorité des adultes déclarant avoir des difficultés de lecture, d’écriture ou de maîtrise du langage ont quitté l’école sans diplôme. En 1996, près de 14 % des enfants entrant en sixième ne maîtrisaient pas la lecture. Cette situation est extrêmement préoccupante.

 

De plus, à diplôme équivalent, on sait que la précarité, le chômage et la dislocation de la cellule familiale sont des facteurs désastreux sur la performance de l’élève. Imaginez les résultats pour les familles qui cumulent tous ces handicaps !

 

Ce simple constat, tiré d’enquêtes que tout le monde connaît, montre que les besoins de formation et d’éducation sont évidemment disparates et que cette disparité s’accommode mal d’une offre " standardisée " au plan national par l’existence de programmes.

 

Je serai peut-être sévère vis-à-vis de l’école, mais – c’est une opinion tout à fait personnelle – je trouve que l’école française n’est pas suffisamment adaptée aux changements de la demande, insuffisamment ouverte sur l’extérieur et insuffisamment décloisonnée à l’intérieur. On sait que les disciplines s’ignorent, se concurrencent dans les temps scolaires. Bien souvent, il n’existe pas d’équipe pédagogique, encore moins d’équipe pluridisciplinaire où l’on verrait les enseignants, l’assistante sociale, l’infirmière scolaire, le médecin scolaire, et éventuellement un psychologue scolaire, se réunir de manière institutionnalisée pour assurer une prise en charge intégrée des enfants, notamment de ceux en difficulté.

 

La suggestion que nous aimerions faire consisterait à mettre en place des équipes pluridisciplinaires, ce qui permettrait d’éviter ces 8 % d’échec scolaire dans notre pays.

 

Cela devrait aller de pair avec une autre proposition, qui n’est pas tout à fait de notre ressort, mais à laquelle nous tenons aussi, la possibilité d’expression des mineurs dans le débat social. J’imagine que Mme la Ministre de la jeunesse et des sports a dû vous en parler. Il est important que l’on puisse à la fois éduquer et éduquer à l’expression pour mieux valoriser les droits des enfants et les responsabiliser, car nous pensons que les droits ne vont pas sans devoirs.

 

Notre dernière suggestion a trait aux temps de la journée. Les enfants sont soumis à des journées très longues. Le périscolaire, ce temps entre l’école et une vie familiale de plus en plus retardée en raison de l’activité professionnelle des deux parents, reste une zone d’inconnu. Nous savons assez mal ce que font les jeunes, en particulier ceux de six à quatorze ans lorsqu’ils sortent de l’école. Nous le savons mieux pour les adolescents. Il faudrait se pencher sur ce temps périscolaire pour étudier comment l’utiliser pour en faire un véritable temps d’intégration, de socialisation, de responsabilisation, plutôt qu’un temps d’errance.

 

Telles sont, Mme la Présidente, les remarques que je voulais vous faire.

 

Mme la Présidente : Nous vous remercions pour cet exposé clair et précis qui nous a permis de pointer un certain nombre de problèmes, qui recoupent les propos tenus par Mmes Guigou et Buffet.

 

Mme Dominique GILLOT : J’ai été particulièrement intéressée par cet exposé, notamment par la partie relative à la prévention des carences familiales et éducatives. Je souhaiterais disposer d’un document plus consistant, qui reprenne plus largement vos explications.

 

En revanche, je voudrais livrer à votre réflexion une pensée qui m’habite en permanence. Vous avez dit que les enfants ont des droits qu’il est nécessaire de valoriser, mais aussi des devoirs. A mon sens, ce sont les adultes qui ont des obligations vis-à-vis des enfants. Un enfant n’a que des droits et le devoir de grandir, l’obligation de devenir un homme, grâce à l’accompagnement éducatif et affectueux qu’il trouve autour de lui. Je suis donc un peu gênée par la dérive d’une telle affirmation.

 

M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Vous avez évoqué l’accueil de la petite enfance de zéro à sept ans, en souhaitant que ce concept soit plus global qu’aujourd’hui, puisqu’à l’heure actuelle, nous avons une tranche d’âge de zéro à trois ans avec les dispositifs que vous avez cités, puis l’école maternelle. Au-delà de cette revendication de globalisation, je souhaiterais que vous nous précisiez votre propos. Ce sera mon premier point.

 

Le deuxième est contenu dans le premier. Vous avez évoqué la nécessaire adaptation des lieux d’accueil de zéro à trois ans et la situation de certains équipements collectifs, comme les crèches qui ne sont plus adaptées aux besoins d’accueil, ce qui se traduit, dans certaines villes, par un excédent de places disponibles. Cependant, les caisses d’allocations familiales, un partenaire assez souvent présent dans ce secteur, ont engagé de manière intelligente – en tout cas, pour les exemples que je connais – des politiques d’adaptation de ces lieux collectifs à l’évolution de la société, acceptant de prendre en compte plus de parents en difficulté ou des parents qui ne travaillent pas forcément tous les deux, ce qui était souvent une condition d’inscription dans les crèches collectives. Qu’en pensez-vous ?

 

Le troisième point, plus général, concerne la décentralisation en matière d’aide sociale à l’enfance, qui suscite des jugements contrastés. Certains déplorent la diversité des politiques suivies par les collectivités territoriales et l’apparition dans notre pays d’une protection sociale à plusieurs vitesses suivant l’endroit où l’on se trouve. L’ODAS que nous avons auditionné la semaine dernière estime que la décentralisation a eu un impact favorable sur les modalités de prise en charge de l’enfance en danger. Je souhaiterais connaître votre avis sur cette question.

 

M. Olivier BRASSEUR : Mme Gillot a raison d’apporter cette nuance et je devrais moi-même être plus nuancé. Quand je parle de devoirs, je pense plutôt à l’apprentissage des devoirs. Il existe des devoirs prévus par le Code civil, à savoir, par exemple, que l’enfant doit le respect à ses parents. Ce sont peut-être des dispositions du Code napoléonien, mais ces devoirs existent et on peut les rappeler de temps en temps. Mais j’accepte votre remarque car lorsque nous parlons de devoirs, il s’agit plutôt de l’apprentissage de ces devoirs.

 

Je passe la parole à M. Ribes pour vous parler de l’accueil des enfants et de la politique d’adaptation des lieux d’accueil, et à M. Jesu, pour ce qui a trait à l’aide sociale à l’enfance.

 

M. Bruno RIBES : Je reviens sur ce qui vient d’être dit à propos des devoirs.

 

Plusieurs études sociologiques ou psychologiques sont actuellement menées, notamment sur le rapport " don-dette " à l’intérieur de la famille. Il y est montré que le don ne prend sa véritable signification, même aux yeux de l’enfant, que si, à l’inverse, l’enfant reconnaît avoir une dette envers ses parents.

 

Cet aspect a été souligné, d’un point de vue sociologique, par l’étude des relations et des comportements familiaux. Des psychologues, de Strasbourg notamment, ont insisté, à propos du devoir " tes père et mère honoreras ", sur l’importance psychologique de maintenir une certaine stature des parents et de permettre à l’enfant de se reconnaître en situation de devoir honorer ses parents. Il faudrait définir le terme " honorer " très longuement. C’est un premier point.

 

Le deuxième point concerne le problème de l’accueil des petits enfants de zéro à six ans. En raison des grandes difficultés que connaissent les communes rurales à maintenir des lieux d’accueil très diversifiés ou spécialisés, il faudrait en venir à des lieux d’accueil multifonctionnels et étudier, au travers des relations financières des communes entre elles ou avec les bourgs voisins, comment les financer. Cela permettrait également de résoudre un problème qui se pose aujourd’hui avec toujours plus d’acuité, à savoir ne plus spécialiser crèches, haltes-garderies, etc., de façon à avoir des lieux beaucoup plus ouverts permettant d’intégrer une relation à l’école maternelle plus poussée.

 

De telles expériences existent dans d’autres pays. Le Danemark, particulièrement ouvert à ces questions, dispose déjà de lieux d’accueil multifonctionnels s’adressant à des enfants de zéro à six ans. L’Espagne, depuis 1990 a, par la réforme de sa loi sur l’enseignement, créé un premier degré de l’enseignement qui touche les enfants de zéro à six ans et qui dépend entièrement de l’éducation nationale.

 

Aujourd’hui, nos lieux d’accueil pour enfants de zéro à six ans dépendent, d’un côté, de l’action sociale et, de l’autre, de l’éducation nationale. Or, ce n’est pas la même logique qui préside à ces deux institutions, y compris dans la conception de l’accueil de l’enfant. Nous pensons qu’il est très important de se rendre compte qu’une des missions fondamentales des lieux d’accueil de la petite enfance aujourd’hui est l’intégration sociale des enfants et de leurs parents ; des enfants, parce que ce sont souvent des enfants uniques ; des parents, parce que les familles sont souvent trop isolées ou surchargées pour les familles monoparentales. C’est la raison pour laquelle il serait souhaitable de multiplier ces fameuses maisons " ouvertes " de quartier, où les parents peuvent se rencontrer et se réconforter.

 

M. Frédéric JESU : La décentralisation a-t-elle introduit une protection sociale de l’enfance à plusieurs vitesses ?

 

Les travaux de l’ODAS ont mis en évidence que sur le plan financier, la décentralisation a, au contraire, été une occasion de réduction des disparités entre départements.

 

Reste qu’aujourd’hui, on observe un terrain extrêmement disparate pour ce qui est non seulement des pratiques et des moyens affectés, mais aussi de la demande exercée à l’égard des services d’aide sociale à l’enfance. Du point de vue de l’enfant, des droits de l’enfant à la protection et à une famille, l’enfant est concerné par un dispositif de protection qui offre un volet social et un volet judiciaire. Il va de soi que l’enfant a plutôt intérêt à rencontrer d’abord le volet social, le volet préventif, qui va préserver son intégration dans sa famille et dans son environnement tout en l’aidant à résoudre avec sa famille ses difficultés au fur et à mesure et dans les lieux où elles apparaissent.

 

Les départements, qui ont la compétence de mettre en œuvre les différentes facettes du volet de protection sociale, peuvent développer un réel savoir-faire en la matière et l’on observe partout, du nord au sud, dans les départements ruraux ou urbains, dans ceux d’outre-mer ou métropolitains, une tendance à adapter les missions et les moyens de l’aide sociale à l’enfance aux besoins des familles et des enfants.

 

L’avantage que l’on pourrait tirer de quinze ans de décentralisation serait de faire le bilan des pratiques les plus innovantes et les plus appropriées et de les valoriser pour inciter les départements en retard à suivre ces pratiques.

 

Reste que le volet judiciaire attire beaucoup d’attention et utilise de gros moyens financiers qui pourraient être employés à promouvoir les politiques de prévention. Il est donc important d’alerter l’opinion, les décideurs et, pour commencer, vous-mêmes sur le fait que nous sommes aujourd’hui à un point extrême de " judiciarisation " de la protection de l’enfance ; les recours excessifs et souvent inappropriés doivent être analysés en profondeur, sans a priori, impliquant une analyse des pratiques professionnelles, de la gravité relative des situations pour lesquelles la protection judiciaire est mobilisée. En engageant les dépenses sociales départementales comme ils le font, les parquets et les juges pour enfants se mettent dans la situation de ne plus pouvoir compter sur un volet préventif de compétence départementale leur permettant de réduire les recours à leurs services et à leurs interventions.

 

M. Olivier BRASSEUR : Je vous ai fait dix suggestions, mais je peux à ce propos en ajouter une onzième.

 

Il faudrait faire cette évaluation des pratiques professionnelles et de ce qui s’est passé après la décentralisation de façon à dresser un bilan et peut-être faire ainsi bénéficier l’ensemble des Conseils généraux de dispositifs particulièrement efficaces que nous pourrions identifier.

 

M. Frédéric JESU : Il faut étendre la question posée sur l’aide sociale à l’enfance aux services départementaux de protection maternelle et infantile. Des disparités existent également dans l’exercice des missions dévolues aux PMI. Des pratiques innovantes se développent dans le cadre de ces missions. Un bilan national des pratiques et des tendances observées d’un département à l’autre serait vraiment judicieux.

 

Mme la Présidente : Toutes vos suggestions ont été enregistrées. Elles vont enrichir le débat qui va se poursuivre. Il me reste à vous remercier. Les documents que vous nous avez fournis nous permettront de voir plus clair dans un sujet qui est malheureusement aussi difficile que complexe.

 

M. Bruno RIBES : A titre personnel, je voulais insister sur un sujet sur lequel il est aujourd’hui très important d’arriver à une harmonisation : il s’agit, pour les jeunes entre vingt et vingt-cinq ans, de toutes les questions d’obligation alimentaire, d’obligation d’entretien, d’obligation d’éducation. Les mesures prises dans ces domaines sont encore très mal unifiées. Quels sont les devoirs des parents en la matière et jusqu’à quel âge ? Une clarification des dispositions juridiques serait réellement nécessaire.

 

M. Frédéric JESU : A propos des documents évoqués, je voudrais informer les membres de la commission que le CIDEF et le COFRADE sont très étroitement associés dans les travaux relatifs à la questions des droits des enfants et de la santé. D’après ce que m’en a dit son secrétaire général, le COFRADE vous a déjà communiqué les documents que nous avons élaborés conjointement.

 

Mme la Présidente : Nous avons effectivement reçu ces documents.

Audition de Mmes Marceline GABEL, Secrétaire général de la
Grande Cause Nationale 1997 " Protection de l’enfance maltraitée "
et Catherine BOITEUX-PELLETIER,
Chargée de mission au ministère de l’emploi et de la solidarité

(extrait du procès-verbal de la séance du 12 février 1998)

Présidence de Mme Annette PEULVAST-BERGEAL

Mesdames Marceline Gabel et Catherine Boiteux-Pelletier sont introduites.

 

Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation de la Présidente, Mmes Marceline Gabel et Catherine Boiteux-Pelletier prêtent serment.

 

Mme Marceline GABEL : Je vous rappellerai ce qu’était l’esprit de la grande cause, son développement et les résultats que l’on peut en espérer, mais auparavant, permettez-moi de me présenter.

 

Venant de l’université de Bobigny, j’ai été appelée au ministère des affaires sociales au début des années 1980, à la direction de l’action sociale, pour y préparer notamment la première campagne de prévention des abus sexuels à l’encontre des enfants et la loi du 10 juillet 1989 sur l’enfance maltraitée. A l’issue de ce travail, lorsque j’ai pris ma retraite il y a quelques années, j’ai pris la coordination du groupe de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée sur les enfants en danger. C’est au moment où le cabinet de M. Emmanuelli m’a appelée comme chargée de mission pour préparer le congrès mondial de Stockholm et le plan gouvernemental qui le suivait que j’ai été sollicitée pour assurer ce secrétariat général de la grande cause nationale.

 

Cette grande cause a rassemblé seize associations, huit ONG internationales et huit associations nationales s’occupant d’enfants maltraités, et ce collectif a lancé un appel d’offres pour choisir son logo et son slogan. Je crois que d’emblée, nous avons voulu par ce choix marquer l’accent que nous souhaitions mettre sur cette grande cause, c’est-à-dire ne pas se fixer sur des sujets larmoyants, simplistes, du style " Enfants martyrs, parents bourreaux ", mais au contraire, solliciter par ce slogan : " Si tout le monde bouge, ça bougera " l’ensemble des citoyens, l’ensemble de la population Toutes les représentations qui en ont été faites l’ont été par des visages d’enfants heureux, souriants, et non pas comme certaines sociétés de communication nous l’avaient proposé, par des enfants cassés, fracturés, etc.

 

L’objectif était effectivement de susciter cette mobilisation. Pour ce faire, une communication très importante, avec clips vidéo, espaces radio-vidéos, panneaux et presse, offerts par les médias a été mise sur pied, pour une somme totale de l’ordre de quatre millions de francs. Trois comités ont participé à cette grande cause : le collectif des associations, un comité technique et scientifique rassemblant des experts reconnus au plan national et chargés d’attribuer des labels de qualité à tous les projets d’action, et un comité de parrainage qui a valorisé et porté de façon plus sociale l’idée de cette grande cause.

 

Cent vingt actions ont été labellisées, dont soixante-quinze en direction du grand public, pour lequel l’attente était importante, et environ quarante en direction des professionnels. La date de clôture de cette grande cause a été arrêtée au 20 novembre, date volontairement fixée ce jour-là, pour coïncider avec la deuxième journée nationale de la Convention des droits de l’enfant.

 

Elle a donné lieu à un livre-bilan très largement distribué qui recense les recommandations faites par les trois comités. Ce livre est encore disponible chez l’un des mécènes. Parallèlement, pour financer ces actions labellisées, un mouvement a entraîné le mécénat d’entreprise. Une somme d’environ deux millions et demi de francs a été recueillie, qui a permis de financer toutes ces actions.

 

Ce livre-bilan comporte les recommandations adressées à M. Kouchner lorsqu’il est venu clore la grande cause. Je peux vous les résumer rapidement, parce qu’elles constituent le fond du problème.

 

Nous avons repris trois points sur lesquels le problème de la maltraitance mérite d’être encore très largement travaillé et qui nous semblent des manques à l’heure actuelle en matière de pratique professionnelle.

 

Premièrement, le problème de la formation. Nous recommandions de mieux former, ensemble, les acteurs de la prévention. Lorsque la loi du 10 juillet 1989 a été préparée par la commission Barrot, il avait été fortement insisté sur le fait que, tant que les professionnels – soit une quinzaine de professions tournant autour d’une famille maltraitante – ne bénéficieront pas d’une sensibilisation et d’une formation communes, il y aura des conflits entre professionnels et institutions, ce qui est fort dommageable pour les familles et les enfants.

 

Deuxièmement, la nécessité de développer localement des stratégies de partenariat authentique. Au niveau des villes et des départements, on voit bien le travail qui peut être réalisé.

 

Troisièmement, l’évaluation de tout ce qui est fait. En France, cette évaluation reste dramatiquement inexistante. Notre système de protection est très complet et formidable, mais les actions se répètent sans qu’une évaluation sur le long terme permette d’en mesurer les effets. Que donnent un placement d’enfant, une mesure éducative cinq ou dix ans après ? Il y a là un chantier énorme à mettre en place. Cela se réfère à l’ensemble du problème des mauvais traitements d’enfants.

 

En ce qui concernait plus précisément l’esprit de la grande cause, nous souhaitions mettre l’accent sur le problème de la prévention, c’est-à-dire prévenir les difficultés dans le milieu de vie des enfants avant qu’ils ne soient maltraités. Pour tous les parents, nous souhaitons un soutien de la fonction parentale, spécialement dans les périodes sensibles de la vie familiale, en développant les compétences de tout parent, quel qu’il soit, quelles que soient ses difficultés, et les solidarités, les lieux d’écoute et d’information. Il s’agit de développer les solidarités de proximité, de quartier, d’immeuble, de village. C’est un tissu social qui s’est " détricoté " au cours de ces dernières années et qu’il faut maintenant réactiver. On sent qu’il existe un très grand courant dans la population pour le faire.

 

La grande cause avait une boite postale. Nous avons reçu énormément de " courriers du citoyen ", comme on les nomme en termes administratifs, qui touchaient essentiellement à deux aspects. D’une part, des gens qui relataient de façon dramatique des expériences de vie de leur enfance et, d’autre part, et c’est un problème tout à fait nouveau qui sera lourd de conséquences dans l’avenir de ces enfants, le problème des divorces et des conditions dans lesquelles ils interviennent, conditions qui font que l’on fabrique des conflits qui, à l’origine, n’existaient pas et dont les enfants sont vraiment les victimes
– durée d’une instruction de divorce atteignant deux ou trois ans, séance de conciliation trop rapide, conflits sur les droits de garde, etc. J’ai naturellement transmis ce courrier au cabinet de Mme Guigou.

 

Par ailleurs, on a vu se développer un mouvement dans la population disant " nous voulons faire quelque chose, dites-nous comment ". Des propositions ont été faites. C’est un mouvement qu’il ne faut pas laisser de côté. Les autres pays européens commencent eux aussi à développer ce travail de " retricotage " social en liaison avec les professionnels. Il ne s’agit pas de substituer au travail d’un travailleur social ou d’un psychologue un bénévolat qui serait une solution facile permettant de régler les problèmes du point de vue budgétaire, mais il faut pouvoir démultiplier les actions par des " personnes relais " issues du même milieu social que ces familles en difficulté, qui seraient aidées, soutenues et contrôlées par des travailleurs sociaux, par des gens professionnellement formés.

 

J’oublie certainement de nombreux aspects, mais je pense que les questions que vous nous poserez permettront d’y répondre.

 

Mme Catherine BOITEUX-PELLETIER : Je voulais simplement corriger un lapsus de Mme Gabel. Lorsqu’elle a parlé du mécénat de la communication, d’achat d’espaces, de frais techniques et d’honoraires, ce n’était pas quatre millions, mais quatorze millions de francs qu’il fallait entendre.

 

Par ailleurs, nous avions prévu, pour gagner du temps de ne faire qu’un seul discours. Je suis entièrement d’accord avec ce qu’a dit Mme Gabel et lui laisse donc la parole.

 

Mme la Présidente : Pourrions-nous avoir quelques exemplaires de ce bilan que vous avez édité ? Cela pourrait intéresser les commissaires puisque vous en avez tiré les conséquences.

 

Je souhaiterais poser une question préalable. En fonction de ce bilan que vous connaissez mieux que quiconque, pensez-vous que cette action mise en place en 1997 doive devenir pérenne ?

 

Mme Marceline GABEL : Elle perdure. La clôture a eu lieu le 20 novembre, nous ne cessons de le rappeler, mais les villes, les départements, les associations avaient mis en route un processus qui se poursuit encore aujourd’hui. Il ne se passe pas un jour sans que l’on nous réclame encore l’autorisation d’utiliser le logo et les affiches de la grande cause, sans que l’on annonce des activités qui se poursuivent.

 

Elle perdure également dans la réalisation des actions, car ce sont des actions qui, pour certaines, étaient très longues à mettre en place. Je vous en donne un exemple : la réalisation de trois cassettes vidéo pour former les psychiatres au traitement des auteurs d’abus sexuels. Cela a été très largement financé par un mécène d’entreprise, le ministère de la justice et celui des affaires sociales, plus symboliquement. Elle est en cours de réalisation et ne sortira que le 15 mars, probablement en même temps que la loi.

 

Les choses se poursuivent donc. Elles se poursuivront également, c’est en tout cas le souhait de la direction de l’action sociale du ministère des affaires sociales, par le fait que le comité technique et scientifique qui a travaillé, examiné ces labels et qui est expert sur ces sujets continuera à apporter son expertise à cette direction, de même que le collectif des associations qui représente un large panel de la société civile, même si toutes n’y sont pas représentées.

 

M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Pensez-vous que nous avons aujourd’hui une connaissance exhaustive des cas de maltraitance et que le numéro vert du SNATEM n’amène aux services d’aide sociale des départements que très peu de cas nouveaux ? C’est un débat que nous avons eu au sein de la commission et les avis semblent différents selon qu’ils émanent du SNATEM ou de l’ODAS.

 

Plus largement, quel jugement portez-vous sur le fonctionnement du SNATEM, notamment sur le fait que 90 % des appels reçus ne sont pas traités ? Pensez-vous que le numéro vert est concurrent ou complémentaire des réseaux traditionnels de signalement ?

 

Ma dernière question porte sur la loi du 10 juillet 1989 sur la protection de l’enfance maltraitée, à l’élaboration de laquelle vous avez participé activement. Nous parlons d’évaluation et de bilan, mais plusieurs personnes que nous avons reçues, notamment le directeur général du CIDEF, constatent une " judiciarisation " croissante des cas au détriment de l’action préventive, administrative ou sociale, selon la façon dont on l’appelle. Quel est votre opinion sur ce sujet ?

 

Mme Marceline GABEL : La loi du 10 juillet 1989 faisait obligation aux départements de recueillir les signalements d’enfants en danger. L’ODASS a été chargé de mettre en place une méthodologie parce que nous étions dans un flou complet. Nous avons donc fait ce travail et proposé aux départements – dont chacun est naturellement libre d’accepter ou non, mais il semble qu’un très large consensus se dessine – une méthode permettant de distinguer un enfant maltraité et un enfant à risque, ce qui n’est pas du tout la même chose.

 

Nous avons maintenant une photographie très claire de ce que sont les signalements qui passent par le service de l’aide sociale à l’enfance des Conseils généraux, qui nous donnent maintenant une mesure de flux que l’on peut observer depuis trois ans de façon à peu près fiable. C’est la seule mesure dont nous disposons.

 

Or, elle est incomplète dans la mesure où un hôpital, l’éducation nationale, un médecin libéral, n’importe qui, peut saisir directement le procureur de la République. Tant que localement, les observatoires départementaux n’auront pas efficacement joint ces deux éléments de connaissance, nous n’aurons pas une vue globale. Nous y travaillons. Cela doit recouvrir à peu près 80 % de l’ensemble des situations dans lesquelles on peut dire qu’il y a un enfant en danger.

 

A partir de cette progression, on observe un certain nombre de choses. Par exemple, l’augmentation du nombre des abus sexuels, qui n’est pas une augmentation en soi, mais celle d’un meilleur repérage, de l’effet des campagnes de prévention auprès des enfants qui parlent mieux, des adultes qui les entendent plus, etc. Nous avons observé que les saisines judiciaires - puisque quand un signalement est transmis à l’aide sociale à l’enfance, deux possibilités s’offrent, celles d’un traitement administratif ou judiciaire – sont en augmentation de 20 % chaque année. C’est considérable. Cette année, ce sont quarante deux mille enfants qui seront envoyés à l’autorité judiciaire.

 

Le programme de l’année de notre groupe de travail consiste à tenter de déterminer très précisément ce qui fait que l’on " judiciarise " davantage les familles en difficulté.

 

Il y a probablement des éléments d’explication touchant à des problèmes budgétaires. C’est une façon de faire prescrire les mesures par les juges pour enfants et de les faire payer par les Conseils généraux. C’est un contournement évident des règles normales.

 

Il y a aussi l’effet de ce que l’on appelle le syndrome d’Och, c’est-à-dire l’effet du signalement " parapluie " de travailleurs sociaux, compte tenu du fait que certains d’entre eux sont mis en examen et condamnés pour n’avoir pas signalé un cas suffisamment rapidement.

 

Il y a également l’effet d’une aggravation de certaines situations familiales. Les commentaires que nous recueillons dans les différents départements nous indiquent que certaines familles sont, sur le plan de la psychopathologie, beaucoup plus lourdement atteintes qu’au cours des années précédentes. Nous travaillons à toute une série d’hypothèses avec la protection judiciaire de la jeunesse, en essayant de rapprocher notre réflexion de celle des Conseils généraux.

 

Le corollaire est que la prévention s’amoindrit. La prévention, c’est la PMI, c’est un ensemble de mesures qui ne sont pas aussi visibles que peuvent l’être trois mille cinq cents placements et quatre mille mesures d’AEMO. Une mesure de prévention ne se comptabilise pas. C’est là tout le problème. Or, c’est avant, quand la famille est en difficulté, qu’il faut agir très vite.

 

J’en viens au téléphone vert. Il est, à mon sens, un complément tout à fait indispensable, un lieu de repère pour l’ensemble de la population. Sa mission est d’envoyer les informations qui lui parviennent aux services départementaux. Ce n’est pas lui qui évalue, évidemment. Les chiffres qu’il fournit ne sont que ceux des appels, ce ne sont pas ceux de la maltraitance. Il faut être très clair. Lorsque l’on dit que 80 % des abus sexuels se font dans la famille, c’est ce qui ressort des quelques milliers d’appels reçus au téléphone vert, ce n’est pas la réalité de la situation sur un plan épidémiologique pur. Il faut toujours être très vigilant avec les chiffres et bien les situer dans un contexte précis. Ils s’éclairent alors mutuellement de manière très naturelle.

 

Le téléphone vert est un lieu d’écoute important. Il pose parfois problème aux départements qui ont mis en place d’autres lignes, mais certaines basculent la nuit sur le téléphone vert. Il existe des arrangements de cet ordre.

 

Mme la Présidente : Je voudrais revenir sur un problème que nous avons évoqué à différentes reprises lors de précédentes auditions, celui de la violence en institution. Avez-vous pu la mesurer ou reste-t-elle protégée par le secret et le tabou le plus total ?

 

Mme Marceline GABEL : Mon sentiment est que l’on n’est plus au niveau du tabou total. La situation a évolué. L’éducation nationale a mis très officiellement à plat ce problème qui était méconnu.

 

Dans la violence institutionnelle, on trouve tout à la fois la violence d’un individu qui dérape, qui " disjoncte " véritablement, comme partout ailleurs, et ce, dans toutes les institutions quelles qu’elles soient, médicales, juridiques, sociales, et la violence de certaines institutions, violentes par essence, par leurs règlements intérieurs, leurs privations de liberté de parole, etc. On peut dire aussi que, d’une certaine façon, l’ensemble de notre système de protection des enfants en danger peut être violent si le partenariat n’est pas bien réalisé, si les conflits entre les institutions ne sont pas bien évacués , si les conflits entre les professionnels se pérennisent. Il est vrai que toute institution peut être potentiellement maltraitante, violente pour les enfants.

 

Mais je crois le tabou levé. Les gens parlent et mettent à jour des affaires qui, jadis, pour sauver l’image de marque de l’institution, étaient bien cachées.

 

M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Nous avons déjà posé cette question à l’identique aux interlocuteurs du CIDEF, mais il est intéressant d’avoir votre point de vue, qui peut être un peu différent, sur le jugement que vous portez sur la décentralisation. L’ODAS porte un jugement plutôt positif sur l’impact de la décentralisation, mais cette dernière entraîne aussi des situations différentes selon la géographie. Constatez-vous des situations disparates ?

 

Mme Marceline GABEL : Entre ceux qui comptent plus de deux millions d’habitants, urbanisés, et ceux qui n’en comptent que quelques centaines de milliers, nos départements sont en effet très différents. Je reviens d’une formation dans le Lot; les choses y sont à taille humaine, tout le monde se connaît. Cela n’a rien de comparable quant à l’action qu’il est possible de mener, quant aux modifications des pratiques professionnelles qui peuvent se jouer autour d’une famille. Les situations sont, de ce point de vue, très variables.

 

Par ailleurs, il existe des départements plus dynamiques sur certains sujets que sur d’autres. Certains ont été très en pointe en matière de protection de l’enfant. D’autres le sont sur d’autres sujets, les personnes âgées, par exemple. Les situations sont, là aussi, variables.

 

Mais ce qui me frappe le plus en matière d’observation de l’enfance en danger, ce sont les fluctuations que l’on peut constater au cours des années. Là où les choses avaient bien pris forme, où le partenariat avec la justice et l’éducation nationale s’était bien institué, où des protocoles avaient été signés, où cela avait bien fonctionné pendant un ou deux ans, tout peut brusquement basculer. Tout ce qui s’est monté et qui existait peut être compromis par des changements de personnes. Il suffit qu’un procureur change et l’on repart presque de zéro. Les services du Conseil général sont réorganisés, les points de repère ne sont plus les mêmes, les circuits du signalement ne sont plus les mêmes et il faut à nouveau du temps pour remonter un système qui fonctionne correctement. C’est certainement l’observation la plus frappante et la plus préoccupante, parce que cela est assez désespérant. Il est déjà long de modifier les mentalités et d’amener les gens à se positionner autrement, alors quand il faut recommencer...

 

Peu de départements échappent à ce genre d’aléas. Pour vous donner un exemple, un département qui nous envoyait très régulièrement les données chiffrées des observations locales s’est trouvé dans l’incapacité de le faire l’année suivante parce que la personne qui centralisait ces données était décédée et que l’on ne savait comment elle opérait. Cela peut tenir à des choses de cet ordre. Il faut être réaliste, c’est aussi la vie, mais cela fait aussi la difficulté si l’on veut être sérieux et fiable dans les chiffres que l’on avance.

 

Mme la Présidente : Mme Boiteux-Pelletier, souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

 

Mme Catherine BOITEUX-PELLETIER : Il me semble qu’avec la grande cause sur la protection de l’enfance maltraitée, une étape a été franchie en matière de prise de conscience et de libération de la parole. Si l’on peut affirmer cela, c’est en partie parce que l’on a fait un sondage autour du 20 novembre auprès des Français pour essayer de savoir quel a été l’impact des actions menées. Nous avons eu des résultats tout à fait exceptionnels, puisque 80 % des Français avaient entendu parler de la grande cause nationale, de son thème. On arrivait même à 86 % chez les femmes, ce qui est tout à fait exceptionnel. Dans ce genre d’action de communication, quand on atteint 30 % à 40 % de personnes informées, on considère que l’on a à peu près réussi; quand on atteint 60 %, on considère que l’on a fait quelque chose de vraiment formidable. J’insiste donc sur cette forte prise de conscience.

 

Par ailleurs, 63 % des personnes qui avaient entendu parler de la grande cause considéraient qu’elles avaient un rôle à jouer dans ce problème de l’enfance maltraitée. Nous avons là vraiment la preuve qu’une étape a été franchie.

 

En ce qui concerne la pérennité, et pour la suite, il faudrait peut-être arriver à institutionnaliser le travail amorcé par les grandes causes. C’est ce que nous avons préconisé et ce que le ministère de l’emploi et de la solidarité est en train d’essayer de prendre en charge. D’une manière générale, c’est au moment où les choses s’amorcent et prennent forme qu’on les arrête institutionnellement. C’est tout à fait regrettable.

 

Mme Marceline GABEL : Tout à fait. Le suivi est une chose extrêmement importante dans ce genre d’action. Bilan et suivi sont des éléments qu’on ne peut évacuer et occulter.

 

Mme la Présidente : Mesdames, je vous remercie d’être venues.

Audition de M. Jean-Pierre ROSENCZVEIG
Président du Tribunal pour enfants de Bobigny

(extrait du procès-verbal de la séance du 26 février 1998)

Présidence de M. Laurent FABIUS, Président

Monsieur Jean-Pierre Rosenczveig est introduit.

 

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Jean-Pierre Rosenczveig prête serment.

 

M. Jean-Pierre Rosenczveig : Il est très difficile pour moi d’aborder ces questions en une demi-heure ou en dix minutes, mais ce sont les règles du jeu. J’ai fait le choix de vous remettre un document écrit et de ne retenir que l’essentiel oralement, en insistant sur mes trois priorités. Je vous énoncerai ensuite les vingt-huit propositions réalistes que j’ai à vous faire, plus une qui est utopique.

 

Pour cadrer les choses – je suis généralement présenté comme extrémiste – je pense que mon propos sera raisonnable, sinon consensuel.

 

On me présente aussi souvent comme engagé. Je pense qu’il faut de temps en temps " décoiffer " certaines hypocrisies. J’espère y contribuer. Je suis praticien et de longue date, un peu " pédocentré " comme diraient certains et non " pédofrustré " comme disent certaines revues pédophiles que j’ai amenées ici et qui mériteraient des poursuites judiciaires. En d’autres termes, une pratique professionnelle et le fait que je sois magistrat me font dire que l’on peut tirer un certain nombre de conclusions de ce que nous voyons. Hervé Hamon complétera.

 

Il est vrai que j’ai eu la chance de diriger un organisme de recherche et d’avoir une vision qui va au-delà de la magistrature et de la justice, c’est ce que je vais essayer de restituer.

 

Il est vrai aussi que le propos que je tiendrai sera politique, au sens où je pense que l’idée que l’on se fait de l’enfant et de l’enfance est un projet politique et je revendique de m’inscrire dans le débat démocratique.

 

Il est vrai enfin qu’il faut être aussi militant, c’est-à-dire avoir une certaine conception des droits de l’homme et les propositions que vous allez avancer vont être une contribution à l’idée que vous vous faites des droits de l’homme, les droits des enfants n’étant qu’un palliatif à l’échec des droits de l’homme et une de leurs déclinaisons. Malheureusement, il ne devrait pas y avoir de droits de l’enfant si les droits de l’homme étaient respectés, ici et ailleurs.

 

Cela étant dit pour présenter la tonalité de mon propos engagée et volontairement provocatrice, mais appuyée sur des pratiques professionnelles et sur une vie personnelle, trois priorités me semblent importantes à avancer : deux de fond et une de forme.

 

La première priorité, c’est la question politique du moment, est le débat sur le lien qui sera décliné dans le débat sur la famille. Beaucoup de jeunes dans cette société ne savent pas d’où ils viennent ni où ils vont, notamment ils n’ont pas de lien avec leur histoire, avec la communauté que nous constituons. Ils n’ont pas de lien, surtout, avec leur famille.

 

C’est une proposition essentielle à avancer, comme l’ont fait la Suède et le Portugal récemment. Il faut rendre obligatoire l’établissement de la filiation paternelle et maternelle. La filiation de l’enfant lui appartient, elle n’appartient pas aux adultes. C’est là que l’on fait un choix de camp, on se situe du côté des enfants, et aussi du côté du projet de société que l’on a.

 

C’est un enjeu à la fois personnel pour les enfants et un enjeu politique pour notre société : quatre vingt mille à quatre vingt dix mille enfants naissent chaque année sans père légal. C’est parmi ceux-là que l’on trouve ceux qui dévient d’un degré au début et qui, ensuite, se retrouvent à quatorze, quinze ou seize ans dans la violence. Il faut que nous, les adultes, acceptions de revenir sur ce que nous avons conquis, et qu’il fallait conquérir à une certaine époque, à savoir notre liberté.

 

A la liberté que nous avons en tant qu’adulte doit correspondre une responsabilité. Nous avons pris le beurre, l’argent du beurre et nous voulons le sourire de la crémière. Nous nous plaignons aujourd’hui que les enfants soient dans l’irrespect des adultes, mais nous, les adultes, n’assumons pas globalement, toutes causes confondues, nos responsabilités à leur égard. C’est un combat d’hommes et de femmes, c’est le combat des pères et des mères, il faut poser le problème de la condition parentale. L’enfant a le droit à une filiation établie, paternelle et maternelle. Le Portugal vient de le voter. Faut-il, comme les Suédois, essayer de convaincre les mères notamment de contribuer à établir la filiation paternelle ? Faut-il, comme les Portugais, tenter de contraindre ? Je pense que c’est un projet plus libéral et de conviction qu’il faut dans ce pays, mais nous ne pouvons plus laisser des adultes manipuler la filiation des enfants.

 

A l’extrême, vous le savez, le Parlement l’a voté en 1994, vous avez été amenés à interdire que les parents qui avaient des enfants nés de procréation assistée puissent, dans un premier temps, leur donner un statut légal et, ensuite, les désavouer. Les adultes ne doivent pas manipuler la filiation des enfants. Ils ne doivent pas manipuler le nom et le patronyme des enfants. J’ai toute une série de propositions à faire à ce sujet.

 

La filiation établie, c’est aussi le principe de la coresponsabilité parentale que vous devez poser.

 

Mariés ou pas mariés, vivant ensemble ou pas, s’aimant ou ne s’aimant pas, lorsque l’on fait un enfant, on en prend pour dix-huit ans au moins. Ce n’est pas le cas actuellement dans le couple non marié. C’est une usine à gaz que le Parlement a voté en 1993, alors que dans une proposition que nous avions suscitée dans le cadre de l’Institut de l’enfance et de la famille, nous préconisions que de la filiation découle automatiquement l’autorité parentale. On a posé deux conditions qui ne fonctionnent pas en pratique par rapport aux enfants qui sont dans les situations les plus fragiles – 40 % d’enfants naissent hors le mariage à l’heure actuelle. En effet, pour qu’il y ait automatiquement la double autorité parentale, on exige que l’enfant ait été reconnu par les deux parents dans l’année de la naissance – ce qui peut encore se concevoir –, mais que les parents apportent la preuve de leur vie commune au moment de la deuxième reconnaissance. C’est d’une complexité effroyable, cela ne fonctionne pas et l’on prive des pères et des mères d’exercer conjointement l’autorité parentale, et donc, l’on prive des enfants d’avoir leurs deux parents qui exercent conjointement l’autorité parentale.

 

Il faut poser des principes simples que l’on peut exposer en vingt secondes au journal télévisé de vingt heures. Quand on ne peut pas exposer des principes juridiques simples, la loi n’est pas comprise et n’est pas appliquée. Nous l’avions dit. Malheureusement, les travaux d’Hugues Fulchiron, professeur de droit à Lyon, que je cite dans mon document écrit, le démontrent.

 

Il faut travailler sur le lien. Il faut surtout envoyer en responsabilité parentale les beaux-pères et les belles-mères : un million cinq cent mille enfants sont élevés par des parents qui ne sont pas leurs géniteurs. Les hommes et les femmes qui élèvent ces enfants comme les leurs ne se sentent pas et ne sont pas responsables. Les enfants ne manquent pas de leur dire : " Qui t’es toi ? T’es pas mon père, t’es pas ma mère ", alors qu’il faut montrer que la maison, la famille, ce n’est pas un hôtel, que lorsque l’on vit avec quelqu’un, on est sous l’autorité de ce quelqu’un.

 

Il va falloir que vous trouviez une formule où l’on dise que, sans concurrencer le père biologique qui n’est pas à la maison, le beau-père a une autorité reconnue par la société. Il faut afficher un message clair à l’égard des jeunes de cette société : celui avec qui vous vivez est légitimement en droit d’exercer sur vous une autorité.

 

Je reviendrai sur le principe mais, pour moi, c’est la question-clé. Tout le reste est subsidiaire. C’est le débat sur le lien, celui sur la communauté, celui sur la nationalité, celui sur les territoires et la guerre des territoires actuellement. Les enfants de ce pays, pour grand nombre d’entre eux, ne savent pas d’où ils viennent et comme, en plus, ils n’ont pas d’espoir, vous ajoutez un zeste d’injustice et vous avez des explosions dans les banlieues et ailleurs.

 

C’est la raison pour laquelle je dis que je tiens à la fois un discours de citoyen et de praticien du droit.

 

La deuxième priorité concerne l’expression de la parole individuelle et collective des enfants. Vous devez là encore poser des principes de droits de l’homme qui sont simples.

 

Il est scandaleux, dans un pays comme le nôtre, que celui qui demande à être entendu par son juge ne le soit pas. Or, c’est le principe qui a été adopté en 1993, contrairement à ce que nous avions avancé, parce qu’on a peur de la parole des enfants. Si nous en avons peur, c’est que, aussi bien à la maison que dans la société, nous n’avons rien à leur dire, car on libère la parole des gens avec qui l’on peut discuter. En l’espèce, on a une peur bleue d’engager le dialogue à la maison avec les enfants lorsque l’on se sépare, on a une peur bleue d’engager le dialogue social parce que l’on ne sait ce que l’on a à dire à la jeunesse, d’une manière générale.

 

Il n’est pas normal qu’un texte juridique dise que l’audition d’un enfant en justice dépend du bon vouloir d’un juge. C’est un juge qui le dit : tout individu qui demande à être entendu par son juge doit l’être. Ensuite, c’est une autre chose de savoir si le juge estime que telle ou telle personne est manipulée. Tous les juges savent que tous les gens qui sont en face d’eux tentent de les manipuler. C’est le rôle du juge, nous avons été " programmés " à défaire cette manipulation. Alors, arrêtons par principe de dire que tout enfant ne peut être que manipulé, au risque de priver les enfants d’une capacité d’expression par la parole et par le geste de ce qu’ils ressentent et de ce qu’ils vivent.

 

Je vous avance un certain nombre de propositions. Cela, ce sont deux grands axes de propositions techniques, de fond, des droits de l’enfant.

 

J’en viens maintenant à la troisième priorité, qui a plus trait à la méthodologie. Je pense que le premier des droits de l’homme est d’être informé sur les droits de l’homme.

 

Il ne sert à rien de supprimer l’esclavage si l’on n’en informe pas les esclaves ou de mettre un terme à la seconde guerre mondiale sans prévenir tous les Japonais qui sont dans la jungle que celle-ci s’est achevée - j’ai encore en tête des images de Japonais sortis quinze ou vingt ans après la fin de la guerre de la jungle où ils étaient cachés.

 

Quels efforts faisons-nous dans cette société pour informer les citoyens en général, et les enfants en particulier, de leurs droits et de leurs devoirs, de leur statut puisque, pour moi, droit et devoir riment bien entendu – à tel point que les adultes eux-mêmes ne connaissent pas le statut des enfants ?

 

L’effort premier, c’est d’informer sur les droits de l’enfant. On part de ce présupposé que, dans la nuit des dix-huit ans, par l’opération du Saint-Esprit, l’homme devenant un être achevé acquiert tous les droits civils, civiques et politiques alors que jamais on ne l’a informé du contenu réel et du sens de ses droits. Il y a là un effort d’information important à mettre en œuvre.

 

Je vais maintenant vous énoncer mes propositions, puis je pense qu’ensuite vous choisirez, " picorerez ", pardonnez-moi l’expression, là où vous le voudrez.

 

Les premières que je vous soumets sont de l’ordre du symbolique.

 

La première, j’y tiens beaucoup, est d’un coût de zéro franc zéro centime. J’ai essayé de vous faire des réformes à zéro franc zéro centime, parce que je sais que vous êtes très sensibles à cette idée. Il s’agit de supprimer l’expression " enfant légitime " qui laisse à penser qu’il y a des enfants qui ne le sont pas.

 

Tous les enfants qui naissent en France, sont à la fois légitimes et naturels, mis à part les quinze cents qui naissent du pyrex par la procréation assistée. La référence au mariage, pour être maintenant très politique, n’est plus la référence appropriée. Ce qui est important, c’est le contenu, et non le contenant. Quand 40 % et bientôt 50 % d’enfants naissent hors mariage de leurs parents, on peut affirmer que tous les enfants de ce pays sont légitimes. Supprimons des choses qui datent d’une autre époque !

 

Deuxième proposition : il vous faut rendre obligatoire l’assurance des parents. L’enfant est devenu un risque, on vous exposera les arrêts de la Cour de cassation du 17 février et du 27 mars 1997. Il n’y a plus de responsabilité pour faute en matière parentale, le simple fait d’avoir un enfant vous rend responsable. Trop de gens, à l’heure actuelle, engagent leur responsabilité civile comme parents sans être assurés. Cela ne réglera pas le problème de la pauvreté, puisque les gens n’assurent même pas leur appartement, mais il faut considérer quelque part que l’enfant est un risque social et il faut s’assurer.

 

Troisième proposition : substituer dans nos textes – c’est encore un problème symbolique – l’idée du droit de visite et du droit d’hébergement des parents et dire que c’est un devoir pour les parents de visiter et d’héberger leur enfant. C’est un droit pour l’enfant.

 

Quatrième proposition : revenir sur la disposition de Napoléon, qui veut qu’à tout âge, l’enfant doit honneur et respect à ses parents, dire qu’ascendants et descendants se doivent réciproquement respect et solidarité. Cela ne veut pas dire que les parents n’ont pas autorité, mais nous ne sommes plus sous le régime napoléonien où Napoléon se faisait obéir du préfet, le préfet du chef de famille, le chef de famille de la femme, et la femme des enfants. Nous sommes dans des relations transversales et non plus verticales. L’article 371 du Code civil est d’une autre époque. D’autres pays d’Europe qui en avaient hérité grâce à Napoléon, la Grèce et l’Allemagne, ont su évoluer.

 

Cinquième proposition, il faut rendre obligatoire l’établissement de la filiation paternelle, avec un texte : l’enfant a le droit de voir établie sa filiation maternelle et paternelle. Selon la proposition suédoise ou portugaise, l’État prend éventuellement les initiatives qui s’imposent à cet effet. Mais les Français étant légalistes, si l’on pose déjà le principe, si on leur dit : " Vous n’avez plus le choix, vous devez ", ils feront. Actuellement, on leur dit qu’ils ont le choix, alors ils choisissent, c’est logique. Ils respectent la loi de la République.

 

Sixième proposition, s’agissant de l’autorité parentale pour les parents séparés, je vous propose d’adopter la définition californienne, qui me paraît passionnante et qui est ainsi formulée : " l’État garantit à l’enfant le droit d’entretenir des relations avec ses deux parents et ceux qui lui sont chers ; ", – cet aspect sera traité dans la propositions suivante – : " les deux parents sont égaux en devoirs et en droits à l’égard de l’enfant, indépendamment de leur statut matrimonial ; " – la proposition est contenue dans la phrase qui vient – : " dans l’hypothèse où les parents ne peuvent pas s’entendre sur l’essentiel pour répondre au besoin de protection et d’éducation de l’enfant, le juge veillera à confier l’exercice principal des responsabilités sur l’enfant au parent qui prendra le mieux en compte le besoin de l’enfant d’entretenir des relations avec l’autre ".

 

En d’autres termes, ce n’est pas en fonction de ma richesse et de ma culture personnelle que l’on me confie l’enfant, mais plutôt en fonction du fait que j’ai compris que mon enfant a besoin de voir l’autre parent avec qui il ne vivra pas en permanence. C’est une gestion familiale que le juge contrôle, de la réponse à la séparation.

 

Septième proposition, il faut compléter la circulaire éducation nationale–justice du 14 mars 1994. L’éducation nationale est confrontée de plus en plus à des enfants dont les parents sont séparés. Elle ne peut pas, donc l’État ne peut pas, cautionner le fait qu’un parent a tout et l’autre rien. Il faut envoyer les notes de l’enfant aux deux. Il ne faut pas que l’enfant joue le père contre la mère, il faut qu’il sache que ses deux parents veillent à son éducation. J’ajoute que le rôle de l’Etat est de permettre l’exercice des droits des plus faibles. Or, la loi veut que le parent " non gardien " a l’obligation de suivre l’éducation de son enfant. A l’État de mettre celui-la en situation d’exercer ses devoirs.

 

Huitième proposition : les beaux-parents qui élèvent l’enfant de leur conjoint ou ami depuis un an auraient le droit d’exercer une autorité quotidienne sur l’enfant, avec l’accord de leur conjoint ou ami – c’est un problème de rédaction.

 

Neuvième proposition : il faut revoir les conditions de l’adoption plénière. J’entends par là qu’il faut que les enfants adoptés aient un statut stable, donc une adoption irréversible. Mais au nom de quoi, sinon l’intérêt des adultes, doit-on priver et amputer l’enfant de son histoire ? Chacun d’entre nous est fait de différentes couches. Il ne faut pas opposer le biologique et l’affectif. Mon slogan est de dire " un plus un égalent un ".

 

Au nom de quoi veut-on un enfant propre de tout passé ? On veut une stabilité, on veut créer un lien affectif et juridique avec un enfant. C’est important pour l’enfant, mais au nom de quoi l’amputer de son passé ? Il faut revenir sur l’effet de l’adoption plénière, qui nie et amène même à reconstituer l’état civil de l’enfant. Un enfant est et c’est parce qu’il est comme cela que je l’adopte et non parce que je souhaiterais qu’il fût ainsi. Je l’adopte tel qu’il est et non tel que je souhaiterais qu’il soit.

 

La dixième proposition concerne l’accès aux origines, problème essentiel. Il y a là affrontement parents-enfants frontal. Il faut que vous posiez le principe que tout individu a le droit d’accéder au dossier constitué sur lui et aux informations qui le concerne s’agissant de sa filiation. Il faut aller un peu plus loin que la loi Mattei.

 

Onzième proposition : j’ai repéré que la carte d’identité nationale d’un enfant dépend du bon vouloir des parents – loi de 1955 et surtout un arrêté d’application qui est contraire à la loi, parce que la loi ne le prévoit pas. Il faut qu’il soit clair que l’identité d’un enfant lui appartient et je ne vois pas au nom de quoi j’empêcherais, ou j’autoriserais, mes enfants à avoir ou non une carte d’identité, d’autant plus que l’on multiplie les contrôles de police. Il faut que la société sache ce qu’elle veut et j’ajoute qu’un certain nombre de parents privent leur enfant d’une carte d’identité.

 

C’étaient les propositions sur l’aspect filiation.

 

Sur l’aspect audition et parole de l’enfant, je dirai – c’est ma douzième proposition – que tout individu, même mineur, doit être entendu dans les procédures qui le concernent quand il en fait la demande à l’autorité décisionnaire.

 

Treizième proposition : s’agissant de la liberté d’association, qui est un point clé, nous manquons de corps intermédiaires. On sait bien que les associations, les syndicats, sinon les partis politiques, n’ont plus la place qu’ils avaient. Les enfants, comme les adultes, s’inscrivent dans l’éphémère et le provisoire. Il faut restaurer la vie associative. Tant que les gamins ont de l’espoir et de l’utopie, il faut les mobiliser sur la vie associative.

 

L’article 15 de la Convention internationale des droits de l’enfant dit que " les Etats parties respectent la liberté associative des enfants ". Utilisons cet article. Une circulaire d’application, à mon avis, suffirait.

 

Je donne pour l’exemple, pour montrer que ce n’est pas de l’utopie, le lycée Bergson à Paris. La maison des lycéens, depuis deux ans, est animée par un mineur, avec l’accord de la préfecture, car nous avons fait en sorte que ce soit le cas.

 

La liberté d’association, c’est l’expression collective; le droit d’être auditionné par l’enfant en justice, c’est l’expression personnelle.

 

Très rapidement, une série de propositions très concrètes sur le nom d’usage. Ce sont des avancées très pointues. Peut-être certaines d’entre elles vont-elles un peu " décoiffer ", surprendre ou choquer, mais c’est l’exercice qui m’a été demandé.

 

Quatorzième proposition : sur le nom d’usage, alors que l’on a dit que c’était au nom des enfants que l’on permettait à des enfants de parents mariés d’utiliser le nom de leur mère accolé à celui du père, pourquoi ne demande-t-on pas son avis à l’enfant et ne lui permet-on pas de prendre l’initiative de porter le nom de sa mère accolé à celui de son père, si vraiment c’est un droit motivé par le droit de l’enfant ? La réforme était motivé par l’intérêt des femmes, ce qui est légitime, mais il n’y a aucune raison que l’on soit hypocrite.

 

Quinzième proposition : sur l’IVG, au nom de quoi, en tant que parent, ai-je le droit d’autoriser ou d’empêcher ma fille ou mes filles d’interrompre leur grossesse ? Que je doive être présent auprès d’elles dans cet instant difficile, d’autant que je n’ai pas su les informer sur la contraception, c’est sûr. Mais au nom de quoi aurais-je un pouvoir sur le corps de mon enfant ? De ce pouvoir, certains abusent. Je pense qu’il faut supprimer cette idée que ce sont aux parents d’autoriser l’IVG de leur enfant. En revanche, que l’on prévoit un mécanisme d’information des parents quand une jeune fille mineure veut interrompre sa grossesse ne me choquerait pas.

 

Seizième proposition : s’agissant du divorce ou de la séparation, pourquoi mettre sur le même pied l’enfant de cinq, douze ou dix-sept ans ? A partir d’un certain âge, il faudrait que l’accord de l’enfant soit nécessaire pour organiser sa résidence principale. Je vous propose de le fixer à quinze ans et je vous rappellerai qu’à treize ans, on ne demande pas son avis à l’enfant pour le mettre en prison, contrairement à ce que pensent certaines personnes, qui voudraient même abaisser la majorité à quatorze ans à cette fin. Dès treize ans, on peut mettre des gosses en prison et l’on ne s’en prive pas.

 

Dix-septième proposition : il faut interdire l’identification d’un enfant dans les médias quand est évoquée sa situation familiale et personnelle. L’enfant délinquant est plus protégé dans les médias que ne l’est l’enfant de parents divorcés. Un parent divorcé peut exposer son gosse à la télé, un enfant victime d’un pédophile peut venir à visage non camouflé montrer à tous ses copains de France ou d’ailleurs qu’il a été victime d’un pédophile, alors qu’un jeune qui a commis un vol dans un grand magasin va être protégé. Cela ne tient pas la route. Il faut modifier cela.

 

Point essentiel, je vais très vite, mais c’est bien sûr pour moi l’un des aspects les plus importants : il faut poser le principe dans la loi du droit de l’enfant à l’accès à un dispositif sanitaire et social au sein de l’école. C’est le débat sur la prévention de la maltraitance à enfant, qui rejoint celui sur la décentralisation. Je suis désolé de le traiter à la hussarde et aussi vite. Il faut que l’Etat et les collectivités locales admettent qu’ils ont un intérêt commun à développer le service social scolaire : moi, Etat, parce que j’ai intérêt à ce que mes gosses se portent bien pour que je puisse leur enseigner et moi, Conseil général, parce que comme je ne sais pas quels sont les gosses en souffrance, mais que je sais qu’ils vont à l’école tous les jours, je vais les repérer là où ils sont.

 

C’est la deuxième étape de la décentralisation qu’il faut franchir, c’est celle des accords de coopération entre Etat et collectivités locales. Arrêtons de dire que l’Etat se défausse sur les collectivités et que les collectivités veulent prendre le pouvoir à l’Etat ; il y a du corporatisme dans tout cela. Les enfants l’ont bien dit à l’occasion du Parlement des enfants, ils veulent des infirmières à l’école. Cela veut dire qu’ils souffrent, que leurs copains souffrent à l’école et c’est là où il faut qu’ils trouvent des personnes pour être leurs interlocuteurs. Le service sanitaire et social est le secteur sinistré du dispositif de protection de l’enfance. C’est celui auquel la priorité doit être donnée. L’annonce de deux cent cinquante créations de postes, alors que l’on estime qu’il en faut sept mille cinq cents, est une bonne chose, mais c’est une vraie programmation et un accord Etat–APCG qu’il faut promouvoir.

 

Cela commence à exister, mais je suis favorable à la généralisation.

 

Point précis – certains dans la salle connaissent le sujet cent fois mieux que moi – mais je le cite, car il est important : ne négligeons pas les enfants handicapés, handicaps physiques, handicaps sociaux. Ce qui se passe dans le domaine de l’intersecteur psychiatrique est un drame, ce qui se passe dans les CDES est un drame. De nombreux parents qui ont des enfants handicapés sur le plan psychologique et moral ne trouvent pas de lieu où faire accueillir leurs enfants. Les listes d’attente sont scandaleuses. Un gamin qui souffre psychiatriquement ne peut pas être pris en charge à la hauteur de ce qu’il faut, actuellement, en France. A la limite, laissons les enfants du divorce et occupons-nous des gosses qui sont vraiment en grande difficulté.

 

Je ne sais si vous avez travaillé sur ce sujet, mais il faut une enquête spéciale sur la psychiatrie infantile et les CDES.

 

S’agissant de la protection judiciaire, il est un point essentiel concernant les libertés sur lequel j’attire votre attention. Sylvie Perdriolle et Hervé Hamon vous en parleront probablement, mais je n’en suis pas sûr, aussi vais-je le dire.

 

Nous sommes entrés depuis 1990 dans un aggiornamiento de la justice, notamment en matière de délinquance juvénile. Le parquet est devenu un parquet qui, enfin, exerce ses responsabilités et non un parquet activiste. Mais il a redécouvert en intervenant rapidement sur les jeunes délinquants, qu’il y avait derrière des gosses en souffrance. Le parquet n’intervient donc pas seulement sur les gosses délinquants, mais aussi sur les gosses en danger.

 

Or, ils ont découvert dans leur arsenal juridique, nos procureurs de la République, un pouvoir essentiel : celui de retirer un enfant et de le placer. Or, le procureur n’est pas obligé pour exercer ce pouvoir de recevoir les gens ; les décisions ne sont pas motivées, elles sont sans appel et, surtout, elles ne sont pas limitées dans le temps.

 

Il faut que le Parlement dise qu’il est normal qu’en urgence, le parquet intervienne, mais que ces mesures n’auront qu’un mois d’efficacité et non six mois. Cela peut être fait en cinq minutes et ne coûtera que zéro franc, zéro centime. Sinon vous allez au devant de drames. Les procureurs de la République, en catastrophe, vont retirer des enfants sur simple coup de téléphone. Nous en avons déjà connus, nous, les juges pour enfants. Si nous ne sommes plus les deus ex machina que nous fûmes il y a vingt ou trente ans, utilisons au moins notre expérience.

 

Autre point que Sylvie Perdriolle pourra développer mieux que moi : un programme spécifique sur l’incarcération des mineurs s’impose. A Fleury-Mérogis et ailleurs, la sécurité des enfants détenus n’est pas assurée. La loi de la jungle de la rue pénètre dans la prison. Nous n’avons pas organisé la prison pour les enfants.

 

J’ajoute qu’il ne me paraît pas judicieux de penser à des prisons " soft ", du style " maison close ", comme certains l’ont avancé à Villepinte ou ailleurs. Soit un gosse doit aller en prison parce qu’il le mérite, soit il faut mettre en place des démarches éducatives. Il n’y aura pas de prison éducative mais, quitte à mettre un gosse en prison, qu’au moins la République assure la sécurité de ces enfants, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Il se passe dans les prisons de France des agressions, des viols et toute une série de choses déplorables.

 

Vingt et unième proposition : il faut un programme d’équipes d’internat scolaire et éducatif. Des jeunes viennent au tribunal pour demander à être placés en internat scolaire tellement ils disent que l’école actuelle ne leur correspond pas.

 

Il nous faut des internats éducatifs aussi. Dix internats éducatifs seulement prennent en charge les gosses grands délinquants en France. Plutôt que de créer des UEER à mille quatre cents francs par jour, faisons en sorte que toutes les instances publiques, de la Protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la jeunesse et des sports, soient capables d’accueillir les gosses en difficulté et, surtout, allons chercher au tréfonds de la France ceux qui, comme en 1945, pourraient prendre en charge des gosses en grande difficulté, qui ne le savent pas encore eux-mêmes.

 

C’est l’école de la deuxième chance avancée par M. Amsellem, ou d’autres. Il faut un programme nous équipant en internats scolaires éducatifs, qui rejoint la priorité éducative.

 

Vingt-deuxième proposition : il faut affirmer la liberté de pensée et de conviction religieuse pour tout individu, notamment pour les enfants. La Cour de cassation, dans un arrêt de 1991 – comme je suis en situation de recherche, je peux critiquer la Cour de cassation –, a osé affirmer qu’un enfant ne pouvait pas choisir sa religion avant dix-huit ans. Comment peut-on un seul instant penser que l’on puisse interdire à quelqu’un d’avoir des convictions religieuses avant dix-huit ans ?

 

Il faut se référer à l’article 14 de la Convention internationale et dire que l’Etat garantit à tout enfant, comme à toute personne, la liberté de pensée et de religion.

 

Quant au problème d’expression des valeurs religieuses, plutôt que de faire des circulaires en 1991 ou en 1994, on aurait mieux fait de se référer à l’alinéa 3 de l’article 14 de cette Convention qui dit que " quand l’ordre public n’est pas menacé, chacun a le droit d’exprimer comme il le veut ses convictions religieuses ". C’est un autre débat de savoir si le tchador était un problème de religion ou d’exploitation des femmes par les hommes mais, puisque l’on avait choisi le terrain de la religion, il ne faut pas que nous cédions sur nos principes.

 

Vingt-troisième proposition : tout cela m’amène à dire que vous pourriez présenter un projet d’orientation sur les droits des enfants qui résume ces grands principes. Je vous communiquerai un projet qui date d’une certaine époque, je n’ai volontairement pas modifié la date pour en montrer l’actualité.

 

Vingt-quatrième proposition : à tout le moins, comme dans d’autres pays, nous gagnerions à codifier les différentes dispositions relatives à l’enfant, c’est-à-dire à gommer leurs incohérences et à faire ressortir la dynamique commune.

 

Enfin, d’autres comme le COFRADE vous l’ont demandé, et je maintiens que c’est important, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation – fort heureusement le Conseil d’Etat est là et les juridictions de base ne se laissent pas totalement faire –, on nous a enseigné que l’article 55 de la Constitution disait qu’une Convention dûment ratifiée par nos autorités était supérieure à la loi de la République. La Cour de cassation estime que la Convention internationale sur les droits de l’enfant, d’une manière générale, n’est pas " self executing ", ce qui est une erreur pour tous les grands juristes français ou francophones, ce qui nous ridiculise d’ailleurs à l’étranger lorsque l’on aborde ce type de questions, il faut, en attendant une décision du Tribunal des conflits, qui ne viendra peut-être pas, pour trancher entre la Cour de cassation et le Conseil d’Etat, qu’une loi vienne préciser la portée de la Convention de New York.

 

Ce qui est sûr, c’est que M. Rocard, Premier ministre, et les hommes politiques qui, à l’unanimité dans cette assemblée, ont soutenu la Convention l’ont fait parce qu’ils pensaient que cette Convention était directement applicable. Le Parlement a fait quelque chose que la Cour de cassation veut défaire, je ne pense pas que ce soit bon.

 

Vingt-sixième proposition : il faut mandater, sur les thèmes de l’information, du statut et des obligations corollaires des adultes, une institution, comme en son temps vous l’aviez fait pour l’Institut de l’enfance et de la famille qui a été supprimé il y a quelques temps. Il faut peut-être mandater le Centre international de l’enfance et de la famille pour être le " lieu ressource " chargé de mettre en œuvre une information permanente sur les droits de l’enfant et dégager les moyens budgétaires qui sont nécessaires, en d’autres termes, maintenir ces moyens.

 

Vingt-septième proposition : vous en avez déjà débattu, cela fait des années que nous demandons à notre pays d’être respectueux des Conventions – je ne l’ai pas dit dans mon introduction, mais le droit français ne peut, à mon avis, plus se réfléchir sans être européen. Respectons les Conventions et les recommandations du Parlement européen et instaurons un médiateur de l’enfance.

 

Vous trouverez une note dans mon dossier qui explicite, de mon point de vue, quels pourraient être la mission, les termes, le mode de fonctionnement de ce médiateur de la République dont le rôle, me semble-t-il, ne doit pas être d’avoir du pouvoir, mais une conviction et de rapprocher les uns des autres, d’être le porteur de revendications non pas individuelles mais collectives, être l’une des instances passerelles entre les jeunes et la société, comme le sont les conseils communaux ou régionaux de l’enfance.

 

Je ne suis pas favorable à ce qu’il y ait un ministère de l’enfance. On supprime un ministère comme un ministre. En revanche, il faut des choses plus profondes. Une délégation interministérielle qui aurait en permanence le souci de vérifier l’adéquation d’un certain nombre de politiques au regard des engagements nationaux et internationaux de notre pays serait une bonne chose. Je serais plutôt favorable à une délégation interministérielle.

 

J’en viens à ma dernière proposition, celle qui ne peut pas être codifiée : serons-nous capables de donner de l’espoir aux jeunes ? Tout cela est bien beau, tout cela ce sont des droits formels. On peut faire des efforts pour passer des droits formels à des droits réels, mais la carence fondamentale des jeunes qui sont en souffrance dans ce pays, c’est qu’ils n’ont pas d’utopie, pas d’espoir. Mais cela ne peut pas faire l’objet d’un article de loi. Si vous pouviez faire cela, donner une perspective aux jeunes, pas seulement de savoir si en 2020 leurs retraites leur seront payées – car c’est cela le débat politique du moment ! Nous, les adultes, n’avons rien à offrir aux jeunes. Si je fais masse du tout par rapport aux jeunes que je connais dans les juridictions : ils n’ont déjà pas de passé, ils n’ont pas d’espoir, ils savent que la société est inégalitaire, mais cela ils peuvent le supporter, vous ajoutez un zeste d’injustice, c’est-à-dire leur sentiment d’injustice lorsqu’on leur lance un regard ou qu’il y a telle ou telle interpellation, et vous avez l’explosion.

 

Ma conclusion est de dire – en cela, je pense que c’est une approche consensuelle, pas seulement militante et engagée, même si la forme l’est pour provoquer le débat – que l’intérêt des enfants, c’est l’intérêt social, notre intérêt collectif comme adulte est de garantir les droits des enfants, le statut de l’enfant plutôt – avec droits et devoirs – non pas en opposition à celui de l’adulte, mais comme en faisant partie.

 

La question clé est celle du lien et du dialogue. C’est autour de ces priorités que j’ai essayé de vous présenter rapidement les quelques vingt-sept propositions que je vous donne par écrit.

 

M. le Président : Il est vrai qu’il était impossible de présenter ces propositions en dix minutes, ne serait-ce que pour les énoncer, mais chacun aura été impressionné par la conviction, l’expérience et l’engagement que votre déposition traduit.

 

Mes chers collègues, nous sommes devant un problème, qui est que nous avons certainement beaucoup de questions à poser à M. Rosenczveig, mais peu de temps pour le faire.

 

M. Jean-Pierre Rosenczveig : Ce n’est pas un problème pour moi. C’était la règle du jeu.

 

Mme Christine Boutin : M. le Président, les propos de M. Rosenczveig sont tellement denses qu’ils mériteraient plus ample réflexion. Peut-être pourrions-nous y revenir pour poser d’autres questions, plus en profondeur, à M. Rosenczveig ?

 

M. le Président : De toute manière, ce que vient de dire M. Rosenczveig va alimenter notre réflexion. Puis, il nous faudra faire un choix entre toutes ces propositions. C’est au moment de ce choix que nous pourrions lui demander des éclaircissements et des précisions au cours d’une nouvelle audition.

 

Madame Isaac-Sibille, vous avez peut-être quelque chose à demander ?

 

Mme Bernadette Isaac-Sibille : C’était tout à fait intéressant et si nous pouvions avoir le texte écrit, y réfléchir et, ensuite, poser à M. Rosenczveig des questions sur les orientations à retenir, ce serait une bonne formule.

 

M. le Président : Le texte que vous nous donnez va être diffusé à tous les membres de notre commission d’enquête. Puis, le cas échéant, nous vous ferons " replancher ".

Mais je pense que vous avez noté que ce que vous nous avez dit avec passion a suscité la réflexion nécessaire.

M. Jean-Pierre Rosenczveig : Je vous laisse trois documents, M. le Président : le texte de mon intervention, un texte sur le médiateur et une proposition de loi d’orientation.

Je vous invite également à lire, en étant un peu révulsés, cette brochure " l’Infini ", qui s’appelle la question pédophile, comme l’on disait la question juive. Des gens comme moi, et d’autres, y sont traités de fascistes et de pédofrustrés.

M. le Président : Je vous remercie.

 



© Assemblée nationale