Commission d'enquête sur le recours aux farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, la lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine et les enseignements de la crise en termes de pratiques agricoles et de santé publique

Rapport n° 3138
Tome II
Auditions - volume 5

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission
(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

M. Michel-Edouard LECLERC, co-président de l'association des centres distributeurs Leclerc (ACDLEC), accompagné de M. Yves BOISARD, directeur du contrôle de qualité, et de M. Hervé AUBÉ, directeur général de la société Kerméné ; M. Bernard TONON, président du conseil d'administration d'ITM Qualité (Intermarché), accompagné de M. Jean-Pierre MEUNIER, président du Conseil d'administration d'ITM entreprises, M. Dominique LANGLOIS, président de la société vitréenne d'abattage (SVA), et de M. Jean-Pierre CONSEIL, président du groupe produits carnés ; M. Jérôme BÉDIER, président de la Fédération des entreprises du commerce de distribution (FCD) ; et de M. Pierre PERRIN, président de la Confédération nationale de 1a boucherie-charcuterie-traiteur française (le 7 mars 2001) 4

Mme Maïté ERRECART, directrice de l'Institut national de la consommation (INC) et de Mme Marie-Jeanne HUSSET, directrice de la rédaction de 60 millions de consommateurs (le 20 mars 2001) 37

Mme Marie-José NICOLI, présidente de l'Union fédérale des consommateurs-Que Choisir ; Mme Reine-Claude MADER, présidente de la Coordination ; et de M. Christian HUARD, président de Consofrance (le 20 mars 2001) 48

M. Jean-Paul PROUST, Préfet, chargé de la mission interministérielle pour l'élimination des farines animales (le 20 mars 2001) 63

M. Alain CADIOU, directeur général des douanes et droits indirects, et de M. François MONGIN, chef du service et de M. Philippe KEARNEY, chef du bureau « Politique agricole commune et politique commerciale » (le 20 mars 2001) 79

M. Jérôme GALLOT, directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), accompagné de M. Daniel HULAUD, chef du bureau des produits d'origine animale (le 27 mars 2001) 100

Suite des auditions (volume 6).
Sommaire des auditions.


Audition de :

M. Michel-Edouard LECLERC,
co-président de l'association des centres distributeurs Leclerc (ACDLEC),

accompagné de :

M. Yves BOISARD, directeur du contrôle de qualité,
et de M. Hervé AUBÉ, directeur général de la société Kerméné ;

M. Bernard TONON,
président du conseil d'administration d'ITM Qualité (Intermarché),

accompagné de :

M. Jean-Pierre MEUNIER, président du Conseil d'administration d'ITM entreprises,
M. Dominique LANGLOIS, président de la société vitréenne d'abattage (SVA),
et de M. Jean-Pierre CONSEIL, président du groupe produits carnés ;

M. Jérôme BÉDIER,
président de la Fédération des entreprises du commerce de distribution (FCD) ;

et de M. Pierre PERRIN,
président de la Confédération nationale
de 1a boucherie-charcuterie-traiteur française

(extrait du procès-verbal de la séance du 7 mars 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

MM. Michel-Edouard Leclerc, Yves Boisard, Hervé Aubé, Bernard Tonon, Jean-Pierre Meunier, Dominique Langlois, Jean-Pierre Conseil, Jérôme Bédier et Pierre Perrin sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Michel-Edouard Leclerc, Yves Boisard, Hervé Aubé, Bernard Tonon, Jean-Pierre Meunier, Dominique Langlois, Jean-Pierre Conseil, Jérôme Bédier et Pierre Perrin prêtent serment.

M. le Président : Je souhaite la bienvenue à tous les participants de cette réunion consacrée à la grande distribution et remercie tous les présidents qui ont accepté de venir eux-mêmes répondre à nos questions pour nous faire part de leur point de vue.

La commission d'enquête souhaite savoir comment le secteur de la grande distribution a réagi à la crise de la viande bovine et quelles mesures de vigilance ses différents acteurs ont été conduits à mettre en place pour protéger et rassurer le consommateur. Elle souhaite également faire le point sur les questions de traçabilité et d'étiquetage, dont nous avons beaucoup parlé avec les industriels. Par ailleurs, nous savons que le consommateur français est attiré par les prix avantageux qui, avec la sécurité et l'information, constituent un élément qui pousse nos compatriotes à faire parfois des kilomètres pour se rendre dans une grande surface. Dès lors, les lieux de grande distribution sont probablement tentés de rechercher parmi les fournisseurs, non seulement les meilleurs, mais aussi ceux qui sont en mesure de proposer un prix en accord avec les attentes des consommateurs. Nous savons, en outre, que, si le consommateur consacre à son alimentation une part beaucoup plus faible de son budget que par le passé, il est de plus en plus attentif aux considérations relatives à la qualité des produits. La grande distribution a d'ailleurs accompagné cette évolution vers une plus grande exigence de qualité ; vous pourrez donc nous faire connaître votre point de vue à cet égard.

La suppression des farines animales pose la question de leur remplacement par des protéines d'origine végétale et notamment par des importations. Nous avons reçu ce matin les responsables professionnels qui nous ont confirmé que l'Europe est aujourd'hui à environ 25 % d'autosuffisance, ce qui laisse imaginer que nous avons massivement recours à des importations. Cette situation renvoie au problème des OGM et, notamment, à la façon dont on s'assure que les produits mis en vente et étiquetés sans OGM correspondent bien à cette mention.

La question a d'ailleurs été soulevée par les producteurs eux-mêmes. Vous savez qu'à cet égard, les producteurs de maïs français se sont orientés, même si la recherche se poursuit, ce qui est tout à fait légitime et nécessaire, vers des productions tracées de maïs non OGM.

Pour amorcer le dialogue, je propose que chaque intervenant prononce un exposé introductif d'une dizaine de minutes, qui sera ensuite suivi d'un débat.

M. Pierre PERRIN, Président de la Confédération nationale de la boucherie-charcuterie-traiteur française : Monsieur le Président, je représente la Confédération de la boucherie-charcuterie-traiteur française, donc les artisans bouchers et les bouchers de détail par opposition à la grande distribution que vous venez de mentionner. Je voulais dire mon sentiment par rapport à la crise de 1996 et notamment par rapport aux importations de farines, ajouter quelques mots sur la crise de l'année 2000, sur le produit et la traçabilité, ce qui rejoint le souhait que vous avez émis, de même que sur les volumes et les prix pratiqués à ce jour en boucherie artisanale.

Pour ce qui concerne la crise de 1996 et l'utilisation des farines animales à la même époque, il est vrai que nous sommes un peu stupéfaits de constater qu'en quatre années les enquêtes n'ont visiblement pas beaucoup avancé et que les coupables de l'époque s'en tirent plutôt bien.

Je rappelle simplement que l'interdiction d'importer des farines en provenance de Grande-Bretagne date de 1989 et que certaines ont été introduites en France entre 1993 et 1996 avec les conséquences que l'on sait pour une partie les animaux qui en ont été nourris. Il y a donc eu tromperie et le boucher artisan à l'aval de la filière s'est trouvé être victime de ceux qui, volontairement ou involontairement, ont participé à la dénaturation d'un produit destiné à la consommation humaine.

L'artisan boucher a subi une baisse de ventes, de volumes, de revenus, de même qu'un fort préjudice moral qui persiste depuis quatre ans, puisque les crises sont à rebondissement. Il a également subi un préjudice financier important : depuis 1996, la taxe sur l'achat de viande est perçue, en dépit des aménagements intervenus ces derniers jours, comme une injustice qui, malheureusement, n'est pas encore levée.

Une plainte de la Confédération de la boucherie a été déposée en décembre 1996 auprès du juge Boizette qui nous a reçus en fin d'année et fait savoir que la gendarmerie avait été mandatée pour consulter les registres d'importations, mais nous ne disposons d'aucun nouvel élément probant par rapport aux fraudes. Nous savons que certaines choses se sont passées et nous sommes donc un peu surpris que des suites plus tangibles n'aient pas été données à ce dossier.

Pour ce qui a trait à la crise de l'année 2000, nous considérons qu'elle était de nature totalement différente. En effet, elle a été pratiquement montée de toutes pièces, dans la mesure où aucun élément nouveau n'était intervenu dans l'intervalle, si ce n'est, dans le cadre du principe de précaution, la prise d'un certain nombre de mesures franco-françaises, à commencer par le test post-mortem à partir du mois de juin et la suppression, en automne, de l'utilisation des farines animales pour l'ensemble de l'alimentation des animaux. Nous étions tout à fait d'accord pour appliquer le principe de précaution, mais nous avons bien senti que toute cette démarche visant à rassurer le consommateur, avait un effet contraire. Je maintiens donc que cette crise a été créée de toutes pièces et nous regrettons simplement que les mesures prises alors n'aient pas été appliquées à l'ensemble de la Communauté, ce qui leur aurait permis d'être mieux comprises.

J'en arrive maintenant au produit lui-même en spécifiant, tout d'abord, que les produits distribués sont naturellement contrôlés par les services vétérinaires et que le secteur de la boucherie artisanale commercialise essentiellement du troupeau race à viande qui pose, on le sait, beaucoup moins de problèmes que d'autres. Avant la crise, un dispositif de traçabilité a été mis en place par une démarche volontaire de l'interprofession qui a, en outre, beaucoup mis l'accent sur l'accord traçabilité-étiquetage du 17 février 1987, qui fournissait des informations tout à fait intéressantes au consommateur sur l'origine, la race et la catégorie des animaux.

Malheureusement, depuis l'élaboration du texte communautaire sur l'étiquetage du 18 juillet 2000, l'accord interprofessionnel n'a pas été renouvelé comme nous souhaiterions qu'il le soit par les pouvoirs publics pour autant que l'interprofession en fasse la demande. Ce serait pour nous une mesure très utile en complément du texte communautaire du 18 juillet, qui n'indique que le lieu d'abattage, ce qui est nettement insuffisant. Depuis 1996, nous avons poursuivi nos démarches volontaires en matière de certification, la certification incluant la qualification des élevages, et garantissant bien évidemment l'alimentation.

Pour toutes ces raisons, si la boucherie artisanale a enregistré, à la rentrée 2000 comme en 1996, bien que de façon différente, un transfert des volumes en b_uf vers d'autres produits, notamment vers le veau et l'agneau, elle a assez rapidement retrouvé les volumes antérieurement distribués On observe donc une certaine stabilité des volumes, comme en témoignent les ratios de notre centre de gestion

Pour ce qui concerne les prix, il faut avouer que les bouchers artisans sont un peu agacés d'entendre dire que les prix s'effondrent. Si c'est probablement vrai pour une certaine catégorie de produits, dont les vaches de réforme et les jeunes bovins, on constate au contraire, pour les animaux de qualité qui sont en démarche de certification, comme le b_uf de tradition bouchère ou les viandes en label, une fermeté sur les prix, voire une certaine hausse. J'ai, là aussi, des ratios du centre de gestion qui en attestent et qui sont irréfutables. C'est également vrai pour le veau et l'agneau, excepté ces quinze derniers jours où il a subi des hausses de prix conséquentes. C'est ce qui nous fait dire qu'il convient d'éviter toute surenchère par rapport à ces produits. En effet, dans un marché extrêmement concurrentiel, il est de l'intérêt de toute la filière de vendre plus de viande et il ne faudrait pas que le prix constitue un frein supplémentaire par rapport à tous les événements touchant à la sécurité alimentaire.

Avant de terminer, je me contenterai d'ajouter que le Gouvernement gère la crise de manière assez inégale puisque, à côté d'aides que je ne conteste pas pour les uns, il maintient pour les autres des pénalités. C'est notamment le cas dans notre secteur avec la taxe sur les achats de viande pour les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse les 5 MF, lesquelles sont assez nombreuses et se retrouvent « le nez dans le mur », tant la révision des taux est stupéfiante, d'autant que vient s'y ajouter le coût du test. A mon avis, il y a au moins deux choses qu'il faut cesser de dire. Premièrement, que c'est à la distribution de payer : cela s'appelle un transfert de charges, car lorsqu'un dispositif est prévu à tel ou tel échelon de la filière, il semble logique que ce soit à ce niveau que les frais soient assumés, même s'il doit y avoir ensuite des répercussions. Deuxièmement, c'est le consommateur qui, en définitive, va payer : lorsque les augmentations sont trop importantes, elles doivent être obligatoirement lissées par les professionnels et c'est la marge qui en prend un coup ! C'est trop facile de tenir de tels propos !

M. Michel-Edouard LECLERC, co-président de l'association des centres distributeurs Leclerc : Je suis venu accompagné de M. Boisard, qui est directeur du contrôle de qualité Leclerc et qui, à ce titre, travaille en étroite liaison avec le comité stratégique que j'anime avec mon père et essaie de donner une vision globale des problèmes de qualité, pilote les actions locales, préconise et assure l'interface avec les administrations et les interprofessions. Je suis également assisté de Hervé Aubé, qui dirige nos industries agroalimentaires. Je suis à la fois représentant d'un groupe de distribution qui est un acteur de l'économie locale en Bretagne et même au-delà puisque nous avons dû changer de bassin d'approvisionnement, notamment pour les b_ufs.

Je n'avais pas prévu de présenter un exposé liminaire car, honnêtement, ne sachant pas par quel bout prendre le problème, je préférerais répondre à des questions pour tenter d'approfondir avec vous chaque problème ou recommandation que nous pourrions suggérer. Je m'en tiendrai donc juste à une description du contexte général.

Certains de vos collègues se sont dits étonnés de ne pas m'entendre davantage en ce moment et de ne pas me voir plus présent sur le thème de la nutrition, de la qualité et plus encore sur le thème de la promotion des produits français, qui mériteraient un petit coup de pouce. Je vais vous expliquer les raisons de ce choix de ne pas communiquer. Si je suis là, c'est d'ailleurs par déférence pour vous, car je continue à penser qu'aujourd'hui, nous avons intérêt à ne pas communiquer.

D'abord ceux de mes collègues qui l'ont fait se sont laissé piéger : je ne vais pas revenir sur l'affaire Carrefour, si ce n'est pour dire, sans être là pour le défendre, que ce groupe qui est mon concurrent n'a pas mérité ce qui lui est arrivé. Il était très difficile pour Carrefour de faire passer un message positif quand toutes les chaînes de télévision ont ressorti l'histoire de la SOVIBA et quand tous les journaux prestigieux comme Le Monde ou le Journal du Dimanche ont publié des titres tels que « la vache folle sur les étals » ou « la vache folle dans les supermarchés ». En effet, une fois que l'on est dans l'outrance et l'inexactitude, sauf à faire des procès à la presse, on n'a pas la possibilité de communiquer, surtout pour émettre des dénégations.

Je vous rappelle en outre que le fait que la distribution est interdite de publicité à la télévision a deux conséquences directes : premièrement, elle ne peut pas promouvoir ses propres actions positives : deuxièmement, les journalistes, par crainte d'être sermonnés par le CSA et de se voir reprocher de faire de la publicité pour les grandes enseignes, ne font plus passer les actions positives de la distribution. De toute façon, nous savons que la télévision ne parlera de nous que lorsque nos « copains » de la FNSEA viendront casser nos rayons ou lorsque des problèmes apparaîtront dans nos magasins. En conséquence, toute communication positive est aujourd'hui illusoire, inutile, inefficace et excessivement onéreuse. De surcroît, elle se trouve noyée dans une communication défavorable et nous ne savons pas la piloter dans le contexte ambiant. En cette période préélectorale, la surenchère entre organisations syndicales et politiques qui se « refilent le bébé », la Commission européenne qui ne veut plus être le bouc émissaire des inerties nationales, les ministres qui renvoient à leurs administrations et les administrations qui refusent de cautionner un système économique et veulent toujours plus privilégier la santé, tout cela rend impossible la communication.

Dans ce contexte, notre action s'inscrit dans un travail de sécurisation, de fidélisation et de reconquête des marchés sur les points de vente, dans la relation entre les acteurs du rayon boucherie-charcuterie-traiteur avec ses clients et dans la relation entre le magasin et sa zone de chalandise. Tout le travail porte sur cette dimension et mes collègues ici présents savent bien que les indices statistiques nous attribuent cette année une performance particulièrement forte sur les produits frais et les produits carnés. Cela signifie que, comme tout le monde, nous avons été touchés par la crise, mais beaucoup moins que d'autres qui avaient pourtant fait des efforts tout à fait intéressants, notamment, dans la création de filières.

Dans cette cacophonie ambiante, que vous ressentez aussi bien que nous, et dont nous sommes tous à la fois acteurs et victimes, personne ne maîtrise la folie du système. Les Français croient aujourd'hui que la fièvre aphteuse est arrivée en France, ce qui est possible mais non avéré, et tout le monde croit, tout en sachant que c'est faux, qu'elle peut être nuisible à l'homme, depuis que c'est le ministre de la santé qui communique sur le sujet et que l'incertitude imprègne toutes les communications.

Dans ce contexte, le distributeur a un rôle à jouer. Il a une mission économique, une mission sociale et une mission professionnelle. J'estime personnellement que mon rôle, en tant que distributeur, est de reconquérir le marché et la confiance du consommateur. Les éléments de la reconquête sont multiples : le prix, la qualité, le service, l'information. Tous ces critères font partie intégrante de notre métier et c'est sur eux que nous devons être jugés, sur notre performance, parce que c'est d'elle que dépend la capacité de nos producteurs à retrouver une assise financière, une assise économique et une motivation. Tout le travail que nous accomplissons aujourd'hui vise donc, point par point, rayon par rayon et produit par produit, à essayer non seulement de reconquérir des parts de marché sur nos concurrents car l'esprit de challenge ne nous abandonne pas, mais également d'atteindre ces objectifs.

La réglementation amont sur les farines animales ne relève pas de ma compétence : avant cette affaire, la composition des aliments n'était dans aucun de nos cahiers des charges un critère de référencement ou de sélection de produits. En revanche, nous appelons l'attention de tous pour faire en sorte que la distribution soit jugée sur son métier et non pas sur un transfert de responsabilités relève de l'amont. Nous pouvons être de bons traceurs quand il y a eu traçabilité en amont, de bons « valorisants » des labels quand la certification a été opérée en amont, mais notre métier reste avant tout le front de vente.

Voilà cinquante ans que les responsables des centres Leclerc répètent les mêmes choses : il n'y a pas de lien entre le fait de vouloir vendre moins cher et celui de tirer sur la qualité. Que mes collègues m'excusent de prendre cet exemple, mais si nous sommes devenus le premier bijoutier français, ce n'est pas en vendant des articles « bas de gamme ». Nous vendons des bijoux à 50 000 F : ils se vendent bien, nous avons le plus fort taux de croissance. Nous n'avons pas cédé aux autorisations de la réglementation européenne de faire de l'or inférieur à 18 carats, nous vendons et fabriquons français, les affaires marchent bien et c'est notre intérêt que de tirer la qualité vers le haut et d'élargir la gamme. Nous sommes devenus avec Auchan et Carrefour, pour ne parler que deux ou trois grands distributeurs, les leaders de vins fins en France alors que nous étions autrefois des vendeurs de picrate et de vins trois étoiles. C'est nous qui avons tiré le marché vers le haut et vers la diversité et le fait de vouloir vendre un Mouton-Rothschild ou un Côtes de Blaye moins cher n'est en rien incompatible avec le fait de vendre de bonnes bouteilles.

Je vous rappelle aussi que la grande distribution britannique est très chère. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle n'a jamais réussi à nous déloger en France et je pourrais citer bien d'autres arguments de ce type... Je crois qu'il ne faut pas confondre le fait de vouloir vendre moins cher que son concurrent en jouant sur sa capacité professionnelle et le lien qu'il y aurait entre des prix bas et la qualité des produits. Si l'on veut poursuivre la comparaison, on peut dire que les voitures, y compris les voitures françaises, n'ont jamais été aussi sures, alors qu'en francs constants leur prix ne cesse de décroître et il en va de même pour les télévisions, les ordinateurs etc. Il convient donc de sortir de cette polémique largement entretenue par des gens qui ont cherché à faire de nous des boucs émissaires. Les assises de la distribution se sont achevées, sans avoir porté leurs fruits et je crois que ceux qui les ont organisées s'en mordent les doigts. Aujourd'hui, ce qui importe, c'est de mobiliser l'ensemble des acteurs de la distribution sur le territoire français pour donner envie à nos vendeurs, chacun avec ses points forts et ses arguments, de participer, non seulement à un anoblissement de leur métier en aidant d'autres acteurs de la filière, mais aussi à une vraie cause nationale qui consiste à reconquérir la confiance des consommateurs. Tels sont les points sur lesquels j'aimerais ouvrir ce débat.

M. le Président : Je ne doute pas qu'ils susciteront tout à l'heure quelques questions de nos collègues. Je crois que si nous étions aussi convaincus de votre démonstration, vous n'auriez pas besoin de la répéter : il s'agit, si je puis dire, d'un combat permanent ...

M. Michel-Edouard LECLERC : C'est un combat où nous avons des adversaires !

M. le Président : ... derrière lequel, sans parler d'adversité, se pose la question de la traçabilité des produits qui sont proposés à la vente. Or, dans un environnement où il y a des surfaces de vente qui drainent beaucoup de consommateurs, il est évident que la façon dont vous proposez le choix n'est pas sans incidence sur l'ensemble de la filière. Je crois qu'il faut le dire assez clairement et tenter d'avancer dans la voie d'une meilleure qualité et d'une meilleure sécurité alimentaires. C'est là, je crois, notre objectif commun. Cela suscite des interrogations également chez les producteurs que nous avons entendus et, sans vouloir anticiper sur le débat qui va s'instaurer, je dirai qu'ils ont, aux aussi, le sentiment d'être pris dans une espèce de tenaille par rapport aux prix.

M. Michel-Edouard LECLERC : Lorsque je vends des produits Nestlé, Danone ou Yoplait, marques qui assument leurs responsabilités, qui effectuent leur traçabilité et qui disent leur nom, je n'ai pas de problème. Le travail a été fait en amont !

Mme Monique DENISE : Je souhaiterais que M. Leclerc reformule sa phrase concernant le ministre de la Santé. J'ai cru mal comprendre et j'aimerais que les choses soient claires !

M. Michel-Edouard LECLERC : Entendons-nous bien : nous ne sommes pas des pions entre deux ministères et je ne fais que retransmettre ce que je peux ressentir en tant qu'acteur de terrain. En termes de communication, quand le ministre de la santé parle de la fièvre aphteuse, alors qu'il est annoncé et répété que cette affection n'a pas de conséquences sur la santé humaine, sauf marginales est encore non prouvées, cela brouille les cartes ! Que mon ami Kouchner ait envie d'intervenir, je le comprends très bien, mais j'ai choisi, moi, de ne pas communiquer et il faut savoir que sa décision brouille les cartes. Que chacun assume sa responsabilité.

Mme Monique DENISE : Voilà qui est clair !

M. Jean-Pierre MEUNIER, président d'ITM entreprises : ITM entreprises est la société holding financière et commerciale du groupement des Mousquetaires. J'aimerais vous remercier au nom de ce groupement, de nous permettre de nous exprimer aujourd'hui devant votre assemblée sur la sécurité alimentaire, qui était déjà une exigence très légitime au niveau des consommateurs et qui est devenue une priorité. Dans notre groupe, nous préférons d'ailleurs parler de « sécurisation » alimentaire, terme qui nous paraît mieux correspondre à notre rôle de distributeurs. J'aimerais vous présenter les trois personnes qui m'accompagnent et dont deux sont des adhérents qui exploitent un Intermarché : Bernard Tonon, qui est exploitant dans le Calvados et responsable du service qualité, Jean-Pierre Conseil, qui est exploitant dans les Bouches-du-Rhône et qui est responsable des produits carnés, et le PDG de la SVA, à Vitré en Ille-et-Vilaine, société qui est notre partenaire historique en termes d'approvisionnement de produits carnés.

Jusqu'à présent mon approche est restée assez technique et sans aller plus avant, il me semble utile de dire quelques mots sur l'organisation du groupement des Mousquetaires en termes de distribution alimentaire. Ce dernier repose, comme vous le savez sans doute, sur des enseignes de proximité avec CDM, Ecomarché et Intermarché, qui représentent plus de 2 500 points de vente auxquels il faut rajouter plus de 700 relais de Mousquetaires. La démarche qualité dans notre groupement s'articule autour de trois axes : premièrement, la qualité de la conception et du produit jusqu'au consommateur, deuxièmement, l'application d'une méthode HACCP, troisièmement, bien sûr, des hommes et des moyens pour la mise en forme de ladite méthode. Depuis déjà dix ans, le groupement les Mousquetaires a développé une organisation que nous avons voulue globale avec comme principe de base, ainsi que je viens de vous le dire, l'HACCP. Cette organisation regroupe la production, la logistique et les points de vente. Aujourd'hui, ce sont environ 100 MF que nous consacrons à l'action sécurité-qualité.

Concrètement l'organisation tourne autour d'un service qualité central qui est directement rattaché à la direction générale, des structures qualité étant réparties au sein de chaque entité opérationnelle. Ce sont environ cinquante personnes qui sont dédiées à la qualité dont trente ingénieurs spécialisés par métier pour toutes les grandes branches de produits - produits carnés, produits laitiers, céréales, produits de la mer, produits mondiaux etc. - qui sont chargés de développer nos produits de marque et de suivre leur niveau de qualité ainsi naturellement que les produits de nos unités de production ou de transformation. Il va de soi que, par ce biais également, nous suivons l'ensemble des fournisseurs nationaux et internationaux. En outre, vingt autres ingénieurs sont, eux, chargés de la démarche qualité-hygiène dans nos entrepôts et dans nos points de vente. Cette organisation suppose des moyens : chaque année, 5 000 produits sont prélevés et analysés par un laboratoire externe accrédité COFRAC et 15 000 analyses sont réalisées tant au niveau de la microbiologie, de physico-chimie, qu'au niveau sensoriel. Elle est fondée sur des méthodes qui se résument pour tous les maillons de la chaîne par les termes suivants : audits, formations, plans d'action, action corrective et de progrès. Des vérifications et des contrôles sont aussi régulièrement effectués avec un service consommateur qui agit en ce sens et une cellule de crise qui est à l'écoute de tous les phénomènes qui peuvent survenir et qui a eu beaucoup de travail ces derniers temps.

J'en arrive aux initiatives du groupement concernant la traçabilité de la viande bovine dans les points de vente qui intéressent votre Commission. En matière de traçabilité de la viande bovine, le groupement des Mousquetaires a su réagir rapidement aux nouvelles obligations en informant le consommateur par le développement d'outils pratiques et des formations au niveau de l'ensemble des rayons boucherie de ses 2 500 points de vente alimentaire. J'en donnerai quelques exemples. Premièrement, en mars 1996, lors de la crise de la vache folle, le groupement des Mousquetaires, en collaboration avec son partenaire la société vitréenne d'abattage (SVA), a mis en place une traçabilité effective de l'origine française de l'abattage jusqu'à la remise des produits au consommateur. Un programme de formation spécifique a alors été développé pour les chefs bouchers et 2 000 kits ont été diffusés à l'époque avec vidéos et livrets de traçabilité. Deuxièmement, nous avons mis en place un code éthique, en 1998, pour tracer les mentions d'origine, les catégories et le type racial, comme le demandait l'accord interprofessionnel. Troisièmement, en 2001, nous avons diffusé un nouveau kit baptisé « j'étiquette, je trace et je compte » pour répondre aux nouvelles obligations réglementaires européennes et françaises. En ce qui concerne la stratégie qualité de notre métier de distributeurs en matière d'approvisionnement, notre choix s'est porté sur un partenaire fiable qui maîtrise son process, ses contrôles et qui, en deux minutes, va vous présenter son dispositif.

M. Dominique LANGLOIS, président de la société vitréenne d'abattage : Comme vient de vous l'expliquer Jean-Pierre Meunier, la SVA est partenaire du groupement depuis son origine. Il s'agit d'une entreprise dont le siège historique est à Vitré et qui est spécialisée dans l'abattage de gros bovins. Ce sont environ 140 000 tonnes de viande qui ont été traitées, dont 97 000 tonnes de gros bovins abattus sur ses trois sites d'abattage : Vitré, Liffré et Trémorel dans les Côtes d'Armor. La SVA a également trois sites de produits élaborés qui sont, soit des produits piécés, soit des produits pour brochettes ou saucisserie, soit des produits élaborés festifs. L'un se trouve à Agen, l'autre près de Vitré et le troisième dans la région de Troyes, un quatrième étant retenu pour la région Rhône-Alpes et Sud-est. En outre, la SVA dispose d'un système logistique de distribution de ses produits carnés, qui est organisé autour de 250 gros porteurs frigorifiques et de bases logistiques assez éclatées pour nous permettre d'assurer des livraisons sur les trajets les plus courts pour desservir les points de vente Intermarché, Ecomarché et les autres enseignes alimentaires.

Comme Jean-Pierre Meunier l'a rappelé, dès 1996 nous avions mis en place un système de traçabilité. Il a évolué au fil du temps en fonction à la fois de la réglementation et de la perfectibilité du système. Il s'agit d'un système assez complexe, que nous nous sommes efforcés de rendre aussi simple et aussi facile à utiliser que possible. A ce propos, je fais mienne la remarque du Président Perrin sur l'application de la réglementation européenne et l'abandon de l'accord interprofessionnel : c'est une erreur qui a été commise car, autant la traçabilité résultant de la réglementation en vigueur jusqu'en juillet 2000 était lisible et utile pour le consommateur, autant celle que nous impose la réglementation européenne est inintéressante, puisque les mentions du type racial et de la catégorie sont supprimées et remplacées par des numéros d'ateliers ou d'abattoirs qui ne signifient rien pour le consommateur. Mieux vaudrait se contenter de ne faire apparaître que l'origine plutôt que de mettre une quantité de numéros qui ne font que compliquer les choses aussi bien pour le client que pour le boucher qui doit reporter cette ribambelle de numéros. Je rejoins donc entièrement M. Perrin quant à la nécessité de reformuler une information lisible, en la complétant éventuellement au fil du temps et en évitant tout doublon : il serait impensable de remettre en place un accord interprofessionnel et d'appliquer en même temps la réglementation européenne.

J'ajouterai une remarque : il faut bien savoir où commence et finit aujourd'hui la traçabilité. Si pour l'exploitant agricole elle commence au niveau de l'élevage avec le registre d'élevage, pour nous, elle ne peut commencer qu'à l'entrée dans les outils d'abattage. Cela pose un problème dans la mesure où nous ne pouvons que retransmettre les informations disponibles, à savoir la catégorie de l'animal - b_uf, génisse ou jeune bovin - et son type racial. Aujourd'hui, malgré les attentes, hormis pour des démarches qualité ou certifiées qui représentent un volume très faible, voire marginal, nous ne sommes pas en mesure de fournir d'autres informations, notamment concernant l'alimentation des animaux que nous recevons. En conséquence, en matière de traçabilité, nous ne pouvons que nous en tenir aux éléments que nous recevons. Notre rôle consiste donc à assurer cette continuité d'information de l'entrée jusqu'à la sortie de nos unités d'abattage pour restituer aux distributeurs une information qui soit aussi facile que possible à exploiter. Elle se fait donc sous forme d'attestation lisible par code barre, système qui permet d'avoir une transcription à la fois simple et fiable sachant que la quantité d'informations à reproduire rend important le risque d'erreur et de mélange de numéros.

M. Jérôme BEDIER, Président de la fédération des entreprises du commerce de distribution : Il est effectivement utile de revenir sur l'analyse que l'on peut faire des raisons de la crise, comme M. Perrin l'a évoqué précédemment. Pour ce qui nous concerne, nous l'interprétons, en l'absence d'éléments nouveaux pouvant susciter une défiance directe des Français, comme une véritable crise de confiance dans l'application réelle des mesures de précaution depuis 1990. C'est en 1990, en effet, que les farines avaient été interdites pour l'alimentation des herbivores et en 1996 qu'ont été retirés les matériaux dits « à risque spécifié ».

Par conséquent, la crise tient plus à l'incapacité d'affirmer et de garantir l'existence de véritables contrôles qu'à des éléments nouveaux relatifs aux produits ou à la maladie de l'ESB. Je crois qu'il s'agit là d'un point très important. Si nous voulons retrouver la confiance, c'est sur ce paramètre que nous pouvons agir. Les Français ont très bien compris, pour l'avoir vu dans les médias, que personne n'était garant de l'application réelle des mesures qui avaient été arrêtées à l'époque et aussi longtemps que nous contournerons ce problème, nous ne retrouverons pas la confiance : les Français objecteront que nous pourrons leur dire tout ce que nous voudrons, si nous n'apportons pas la preuve que les mesures de précaution sont appliquées au quotidien par les acteurs de la filière, ils ne nous croiront pas.

Notre proposition consistait d'ailleurs à dire qu'il était prioritaire de généraliser des bonnes pratiques, non seulement en les faisant figurer dans les cahiers des charges, mais aussi en exerçant des contrôles effectués par des tiers de façon à garantir que la totalité des produits mis à la disposition des clients était parfaitement conforme évidemment à la législation et à la réglementation, mais aussi aux bonnes pratiques que les professionnels, d'un bout à l'autre de la filière, depuis l'alimentation des animaux jusqu'aux dispositifs en magasin, auraient choisi ensemble de respecter.

Sur le fond, notre profession n'avait pas pris position sur l'interdiction des farines et sur la généralisation des tests car nous considérions que les mesures prises, compte tenu des informations que nous donnaient les scientifiques, étaient tout à fait suffisantes. Concernant les tests, dont nous savions qu'ils allaient arriver, nous avions décidé de concentrer nos efforts pour obtenir des tests ante mortem de façon à les généraliser, au lieu d'étendre cette procédure extrêmement compliquée des tests post mortem.

Pourquoi avons-nous changé d'optique ? Parce que, à l'occasion de la crise, il nous a semblé que l'interdiction des farines et une généralisation des tests pouvaient être de nature à donner le sentiment que nous remédions à cette crise de confiance due à l'absence de contrôles. On pouvait ainsi penser, puisqu'il y avait carence de contrôles, qu'avec l'interdiction des farines, ils deviendraient superfétatoires. Il s'agissait donc de mesures visant à répondre directement à l'impression largement répandue chez les Français que les contrôles étaient insuffisants. C'est ce qui explique que nous nous soyons rangés à ces mesures, presque au moment même où le Gouvernement les a prises, non pas parce qu'elles nous paraissaient parfaitement justifiées sur le plan scientifique, mais parce que, même si elles pouvaient être discutées, elles nous semblaient opportunes au regard de l'ampleur de la crise de confiance française.

Par ailleurs, nous sommes, comme M. Perrin, consternés par la mesure qui n'a même pas été débattue au Parlement, visant à augmenter la fiscalité pesant sur la filière viande bovine au moment même où cette dernière est en crise. Aller voter une taxe de 4 %, quand la seule fiscalité est la TVA de 5,5 %, pour, de surcroît, la reverser au budget général, alors qu'elle nous avait été présentée comme étant normalement destinée à financer l'élimination des farines, constitue une agression caractérisée contre la filière concernée. Je sais que certains membres de cette filière n'ont pas protesté parce qu'ils avaient le sentiment que, s'ils le faisaient, cela risquerait de retomber sur eux. Nous disons que nous sommes face à un problème de santé publique et qu'il faut que ce soit le contribuable, au sens général, qui puisse prendre en charge ce coût. A ce propos, nous estimons qu'il est important de dire aux Français que l'Etat ne doit pas profiter de la crise bovine pour leur faire payer un impôt au passage. C'est là un élément très important qui n'a pas donné lieu à débat au Parlement puisque la mesure a été arrêtée, comme vous le savez, dans le collectif budgétaire, mais c'est un sujet qui doit revenir en discussion car il constitue une composante importante de la confiance des Français.

Pour ce qui a trait à la traçabilité, il convient de dire à nos compatriotes qu'elle s'est beaucoup améliorée. Depuis trois ou quatre ans, même si nous ne disposons pas de toutes les garanties sur l'alimentation que seule une généralisation des bonnes pratiques pourrait permettre, nous constatons une très nette amélioration de la traçabilité. Nous considérons aujourd'hui, pour ce qui concerne les produits frais et les produits de la viande, que la traçabilité est tout à fait convenable. Elle nous permet en particulier de gérer sans trop de difficulté les procédures de retrait. Ce n'est pas le cas pour les produits transformés où les lots compliquent singulièrement la tâche : nous l'avons vu dans l'affaire SOVIBA ou les mélanges de lots de steaks hachés imposait d'aller très loin pou retirer une certaine catégorie de marchandises. Tout le monde travaille donc aujourd'hui à resserrer la traçabilité pour qu'elle soit la plus opérationnelle possible, mais il n'en reste pas moins que nous avons quand même effectué un très bon travail dans ce domaine.

Il conviendrait maintenant d'élargir ce dispositif de traçabilité, communément appelé VBF, à un dispositif de garantie de bonnes pratiques portant sur le respect de la réglementation et sur un certain nombre de pratiques dans le domaine de l'alimentation animale. J'en profite d'ailleurs pour dire que nous sommes à nouveau demandeurs d'une interdiction des antibiotiques à d'autres fins que le soin des animaux. Je pense que, tôt ou tard, nous en viendrons à cette décision qu'ont prise, il y a peu de temps, les Suédois : on a déjà retiré quatre molécules sur huit, après avoir constaté qu'elles avaient des conséquences négatives sur l'antibiorésistance. C'est le genre de mesures qu'il convient de prendre avant qu'un débat faisant ressortir leur nécessité et prouvant que les antibiorésistances sont le principal danger sanitaire à un horizon de dix ou quinze ans, ne s'instaure dans les média.

Pour ce qui est de l'étiquetage, nous sommes tout à fait favorables au maintien de l'accord de 1997, qui suppose de continuer à étiqueter la catégorie et la race, d'autant que c'est ce que veulent nos clients. C'est d'ailleurs selon nous un élément de segmentation, de diversification, d'enrichissement de la valeur ajoutée du produit. Si cela se cumule avec la directive qui a été adoptée à Bruxelles à la fin du printemps dernier, l'effet sera très négatif. Nous aurons en effet une étiquette beaucoup trop complexe chargée de numéros inutiles qui n'aboutira qu'à une mauvaise information du consommateur, ce dernier nous semblant d'ailleurs être assez en ligne avec cette réflexion.

Il nous paraîtrait d'ailleurs très important que le Parlement français puisse se saisir de cette question, parce qu'il existe un blocage au niveau communautaire. Nous avons dit au Gouvernement qu'il fallait renégocier cette directive sur l'étiquetage qui a été prise avant la deuxième crise de l'ESB, en raison d'une négociation avec l'Allemagne qui déclarait, à l'époque, ne pas avoir de cas d'ESB et qui se refusait donc à étiqueter la viande bovine. Un accord est alors intervenu pour procéder à un étiquetage, mais ce dernier comporte des numéros, ce qui n'apprend rien au consommateur qui ne dispose, avec le numéro de l'atelier de découpe et de l'abattoir, d'aucune information opérationnelle. Ces données ne lui servent à rien !

Nous pouvons d'ailleurs organiser nous-mêmes la traçabilité, à partir d'un seul numéro qui figure sur tous les produits et qui est celui du lot qui permet de retrouver le processus de production de la viande. Nous souhaiterions donc que le Parlement français puisse aider le Gouvernement à renégocier cette directive à Bruxelles de façon à avoir un cadre clair, à défaut duquel nous serons dans une situation malaisée où l'étiquette s'avérera extrêmement complexe et peu opérationnelle. J'ai le sentiment que la Commission européenne ne veut pas bouger : à la suite d'un récent contact, il me semble que le commissaire en charge de cette question est très peu décidé à intervenir et qu'il ne le fera que si une pression assez forte s'exerce de différents pays pour mettre sur l'accent sur le fait qu'ils ne peuvent pas négocier, après cette crise majeure qu'ils viennent de traverser et qui se poursuit, comme ils le faisaient auparavant avec des pays qui se croyaient indemnes de l'ESB, alors qu'ils ne le sont pas.

Dans ces conditions, nous sommes tout à fait disposés à aller vite pour prolonger l'accord. Si je dis qu'il faut aller vite c'est parce que, actuellement, nous sommes verbalisés par l'administration française, non pas sur l'application de l'accord de 1997, puisqu'il n'est plus obligatoire, mais sur les mentions de numéros d'ateliers de découpe et d'abattoirs : dans certains départements nous avons été mis à l'amende de 3 000 F par barquette ne comportant pas ces numéros. Cette question commence donc à devenir urgente et nous aimerions bien la voir régler rapidement.

Les conséquences de tout cela sont assez lourdes puisque les pertes des rayons de viande bovine se situent aux alentours de 20 %. Nous chiffrons celles de nos enseignes pour l'exercice 2 000 à plus de 500 MF en chiffres cumulés ce qui représente un montant tout à fait considérable. Même si on observe des effets de report, il est certain que le report du b_uf à 70 F sur la volaille à 35 F ne suffit pas à compenser le déséquilibre du compte d'exploitation. C'est donc un sinistre assez lourd que nous subissons comme les autres. Or, la meilleure façon de le financer est bien de regagner la confiance des Français et donc d'arriver à une démarche conjointe de tous les acteurs.

A cet égard, je tiens à dire aussi de manière assez forte que nous avons un très gros problème dans la mesure où, depuis le début de la crise, l'interprofession - et je parle sous le contrôle de mon collègue M. Perrin - ne fonctionne pas ou fonctionne très mal. Autant l'interprofession avait bien fonctionné en 1996 quand un accord avait été très rapidement trouvé sur un plan d'organisation et de reconquête de l'opinion, autant nous nous débattons actuellement dans une sorte de « cacophonie » - pour reprendre le terme de Michel-Edouard Leclerc - où chacun fait des effets d'annonce, lance des logos inconnus des autres partenaires, explique que l'on va abattre tous les animaux de tel ou tel âge. Bref, tout cela se fait sans aucune véritable cohésion de filière, ce qui est un sérieux problème. En la matière, les pouvoirs publics ont un rôle à jouer, alors qu'ils m'ont parfois donné le sentiment qu'ils avaient plutôt tendance à opposer les uns aux autres. C'est une tactique qui peut faciliter certains caps conjoncturels mais qui s'avère, selon moi, très négative à terme pour conserver la confiance des Français. En l'espèce, Michel-Edouard Leclerc a raison de dire que les Français regardent si tout le monde est d'accord ou non : s'ils voient des acteurs privés qui semblent dire la même chose au même moment, il leur semble qu'il y a une certaine cohérence et ils ont confiance ; en revanche, s'ils entendent chacun dire une chose différente, ils préfèrent attendre.

Avant de conclure, je voudrais vous donner mon avis sur la mise en cause un peu récurrente des niveaux de prix et je voudrais, en premier lieu, préciser que dans nos magasins, les prix sont de toutes natures. On peut parler d'une gamme de prix et l'époque est révolue où nous avions une seule variété de viande et de fruits et légumes. Nous proposons des gammes complètes, qui comprennent toujours un premier prix, un prix milieu de gamme qui peut parfois correspondre à des marques de distributeurs sous une forme ou sous une autre, et des prix plus élevés. Je vais vous faire une confidence : nous, commerçants, aimons bien vendre des produits chers si les clients nous les achètent et ont le sentiment de faire une « bonne affaire ». Il est en effet beaucoup plus intéressant pour un commerçant de vendre un produit cher qu'un produit bon marché : quand on vend une bouteille de Château Margaux à 1 500 F, on a une marge supérieure à celle que l'on obtient en vendant une bouteille trois étoiles à 5 F. Par conséquent, nous aimons bien vendre des produits chers, mais nous les vendons quand les clients nous les achètent, c'est-à-dire quand ils ont le sentiment que, même si le produit est cher, son prix correspond à une qualité et à une valeur ajoutée véritables. Il faut donc cesser de parler du prix unique et ceux qui le font, ont, je crois, encore à l'esprit ce qui a été véritablement la croix portée par le monde agricole pendant des années : l'idée selon laquelle il fallait proposer des quantités indifférenciées de produits uniques qu'on vendait sur le marché, le bon agriculteur étant celui qui faisait le plus de quantité, un prix minimum lui garantissant de toute façon ses revenus. Nous sommes sortis de ce système si bien que la notion du prix minimum a perdu toute pertinence. Nous sommes aujourd'hui dans une logique qui offre des grappes de prix et où le bon agriculteur, et le bon producteur d'une manière générale, est celui qui parvient à se repérer dans le jeu des stratégies de toutes les gammes de prix. C'est cette réorientation vers la valeur ajoutée qui fera toute la richesse et le succès de l'agriculture de demain.

Toujours sur le même sujet, je souhaiterais dire que l'on est en train d'essayer de nous « passer le bébé » du productivisme agricole. Il faut assumer les choix de nos pères qui, à l'issue de la seconde guerre mondiale, ont eu raison de faire du productivisme agricole et je n'irai jamais déclarer que les choix arrêtés dans les années cinquante ou soixante pour faire de l'agriculture européenne une agriculture compétitive aient été mauvais à l'époque. C'était ce qu'il fallait faire et il faut le dire aux Français ! Quoi qu'il en soit, je maintiens que nous ne pouvons pas être tenus pour responsables des évolutions qui ont eu lieu vingt-cinq ou trente ans avant notre arrivée. Il ne faudrait pas oublier que le productivisme agricole remonte à l'après-guerre et que nous avons commencé à monter en régime à partir des années soixante et soixante-dix pour atteindre un pic dans les années quatre-vingt.

Nous pouvons vous assurer que cela fait quinze ans que nous savons ce choix obsolète, que cela fait quinze ans que nous le disons aux agriculteurs, que cela fait quinze ans que nous le disons aux organisations syndicales et cela fait d'ailleurs quinze ans qu'un grand nombre de leaders syndicalistes agricoles - je parle sous le contrôle de M. Guillaume - le savent parfaitement ! Nous avons, Dieu merci, en face de nous, toute une série de leaders syndicaux agricoles qui savent très bien que l'avenir requiert une démarche - qui a d'ailleurs été depuis quinze ou vingt ans celle de la filière du vin, de la filière pomme de terre ou autres - qui conduira les filières à se structurer, à s'organiser et à offrir autre chose que du productivisme.

Il est vrai que l'on nous a chargés de nombreux péchés du monde, mais, de grâce épargnez-nous celui du productivisme agricole. Si, dans le monde du commerce, nous avons été et sommes des productivistes, nous avons fait en sorte que la productivité s'améliore significativement, répondant à cela à une demande constante des autorités publiques, puisque, pendant des années et des années, on a reproché aux commerçants leurs marges excessives, sans d'ailleurs que cela soit fini. Nous estimons donc qu'il faut éviter de porter de telles accusations contre nous. Nous avons suffisamment de problèmes à régler ensemble pour ne pas perdre de temps à rejouer ce procès vieux de vingt ou trente ans.

Je terminerai en vous demandant de ne pas croire que le niveau des cours ait tellement baissé : si on étudie le niveau des cours de la viande bovine depuis la dernière crise de 1995, on constate que les cours ont été bons. Ils ont été bons, non pas parce que la grande distribution a été particulièrement vertueuse ou bienveillante à l'égard des éleveurs, mais parce que le marché a été relativement équilibré. Les autorités ont pris les mesures qu'il fallait, notamment en retirant toute une série d'animaux - grâce à la prime Hérode - ce qui a permis de rééquilibrer le marché. Or, pour ce qui nous concerne, nous préférons travailler avec des marchés équilibrés qu'avec des marchés fluctuants. La rémunération de l'agriculteur dépend donc essentiellement de l'équilibre des cours et du marché et non pas de nous.

Enfin, puisqu'on prétend que certains agriculteurs auraient pu distribuer des farines pour baisser les prix, j'objecterai deux choses. Premièrement que, s'il y en a un qui l'a fait, il ose nous le dire en face car cela signifierait qu'il aurait pris lui-même la décision de violer une réglementation impérative des pouvoirs publics pour baisser les prix, alors que d'ailleurs l'impact en termes de prix est tout à fait négligeable...

M. le Président : Je faisais allusion, d'une part aux circulations de farines à bas prix, qui ont eu lieu pendant la période 1988-1990 après leur interdiction en Grande-Bretagne jusqu'à leur interdiction en France, d'autre part là leur poursuite après leur interdiction en France en vue d'alimenter les volailles et les porcs.

M. Jérôme BEDIER : L'impact, selon nous, est faible. Deuxièmement, la vraie raison de la distribution de ces farines - et c'est pourquoi le troupeau laitier s'est trouvé mis en cause - c'est qu'elles stimulent la lactation. On n'a pas donné des farines pour baisser le prix de la viande, mais pour produire plus de lait et pour que la filière laitière fonctionne de manière plus efficace. Cela n'a donc rien à voir avec le marché de la viande même si, en définitive, ces vaches laitières se retrouvent comme sous-produits vendus sur le marché de la viande au bout d'un certain nombre d'années de bons et loyaux services de laitières. Je voulais juste faire ces remarques pour dire que refaire aujourd'hui les procès en sorcellerie du passé risque, non seulement de ne pas être très efficace, mais encore de paralyser ce qui me paraît être - et je terminerai par là - la priorité du moment, c'est-à-dire un rassemblement de l'ensemble des acteurs privés et publics pour proposer aux Français des solutions cohérentes pour qu'ils retrouvent confiance dans le marché de la viande.

M. le Président : Je suis parfaitement d'accord avec ce que vous venez de dire : c'est bien cela l'objectif ! Néanmoins, il s'agit également de bien comprendre les solutions qui peuvent être proposées après avoir vécu des crises de cette nature. Nous étions tous très intéressés par votre analyse, notamment sur les garanties à apporter au consommateur. Cela renvoie aussi à d'autres interrogations que nous avons eues ce matin même et depuis le début de nos auditions sur le fait que nous sommes sur un marché qui est ouvert et dans lequel des mesures de précaution ont été prises par certains pays qui les ont imposées à leurs propres filières, tandis qu'elles n'étaient pas appliquées aux pays voisins : je pense notamment à l'Allemagne. Vous avez ainsi pu constater que des mesures prises en 1996 en France n'ont été étendues au niveau européen que quatre ans plus tard.

Si nous avons parlé des prix, ce n'était pas pour vous faire un procès, mais pour connaître votre propre analyse d'une situation. Comme en ce moment on accuse les agriculteurs ou les producteurs de faire du productivisme et la grande distribution de faire une pression sur les prix, nous tentions d'avoir, comme nous l'avons d'ailleurs fait avec chacun des acteurs de la filière, votre appréciation, pour pouvoir, ensemble, trouver des solutions garantissant l'impératif de sécurité alimentaire, ainsi qu'une traçabilité optimale dans le cadre du marché unique.

Par ailleurs, vous avez évoqué, monsieur Leclerc, la question de la communication, qui, dans un contexte de transparence qui est une exigence légitime de nos compatriotes, peuvent être, non un facteur d'apaisement, mais un motif d'affolement avec les conséquences sur la consommation que l'on connaît.

Il s'agit également de savoir si, dans les périodes de crise, il n'y a pas à mener une réflexion et à élaborer une communication sur les « trous » qui existent dans les organisations communautaires, et qui sont visibles, par exemple, à travers les importations de viande en provenance d'Allemagne, pays qui ne s'imposait pas les mêmes conditions de sécurité que la France. N'avez-vous pas aussi votre rôle à jouer en signifiant que vous avez fait le choix d'une traçabilité optimale ?

Nous cherchons à comprendre les dysfonctionnements éventuels, les fraudes éventuelles, les cheminements, les conditions d'établissement d'un marché par rapport aux exigences nouvelles liées à la transparence sur les conditions de mise en marché et à la sécurité alimentaire. Nous entendons également faire des propositions et indiquer le chemin à suivre pour assurer un avenir à nos filières. Tels sont les quelques points que je tenais à préciser pour qu'il n'y ait pas de confusion quant à notre approche de ce problème très vaste dans lequel vous êtes des acteurs essentiels, puisque vous assurez la phase de mise sur le marché.

M. Michel-Edouard LECLERC : Ce que vous venez de dire est important et nous vous en sommes collectivement reconnaissants, tant il est vrai qu'à chaque fois que nous venions devant des commissions d'enquête au cours des dix dernières années, nous ressentions que l'on faisait de nous des boucs émissaires, ce que confirmaient les communications des politiques. Nous avions à nous justifier des prix bas et des importations. C'est la raison pour laquelle à un moment donné, face à une stratégie de la manipulation, nous répondons d'abord par l'agressivité, ensuite par le silence. Ce dernier a d'ailleurs payé. Si nous commençons une ère nouvelle, tant mieux et soyez-en remerciés !

M. le Rapporteur : Le Président a posé certaines des questions que je souhaitais moi-même soulever. Je confirme d'ailleurs sa description de l'état d'esprit qui est nôtre. Il ne s'agit pas d'être accusateur, mais de comprendre pourquoi nous n'avons pas suffisamment tiré les leçons de 1996 et pourquoi nous avons rechuté en 2000 ; nous souhaitons que certaines des pistes que nous pourrons dégager à la suite de ces auditions puissent servir l'ensemble de la filière. Puisque le Président a posé des questions d'ordre général, vous permettrez aux miennes d'être un peu plus précises.

Vous souhaitez une plus grande lisibilité au niveau de la filière. Je me demande s'il ne devrait pas exister au niveau national un organisme de veille, chargé de coordonner l'action, de réagir face à une situation de difficulté naissante et de s'exprimer d'une seule voix, même si nous savons bien que les choses sont compliquées.

Je prendrai un exemple à partir d'une de vos analyses que je partage. Vous parliez de la qualité de la viande en établissant une comparaison - comme je l'ai fait moi-même - avec la qualité des vins. Je dis aujourd'hui très clairement, et je crois que personne d'autre ne le fait, que toute la viande est sécurisée : il n'y a pas, aujourd'hui, au niveau de la viande, un produit qui soit, sur le plan sanitaire, plus sécurisé qu'un autre ! La différence de prix est liée à la qualité gustative et je crois que c'est aujourd'hui un message qui passe mal ou qui ne passe pas. S'il est vrai qu'il y a des consommateurs disposés à acheter la viande un peu plus cher, la différence résulte de la qualité de la viande, et non pas de la sécurité. J'estime qu'il faut parvenir à élaborer une communication claire sur ce point : oui, il y a de la viande qui se vend et qui se produit moins cher que d'autres, mais cela n'a rien à voir avec la sécurité !

J'aimerais que vous puissiez nous indiquer comment vous choisissez vos fournisseurs. C'est un point qui m'intéresse parce que, dans certains établissements, les étiquettes comportent même le nom des fournisseurs. N'y a-t-il pas des risques et des dangers à procéder de cette façon par rapport à l'ensemble de la filière ? Est-ce que tout le monde pratique la traçabilité à la même échelle et de la même façon ?

Je souhaiterais aussi évoquer le problème de la viande de la Communauté européenne : on nous dit, s'agissant notamment de la viande allemande, qu'elle a envahi le marché français. Nous savons que nous vivons dans le cadre d'un marché unique ; et aujourd'hui, les Britanniques nous reprochent de refuser la viande anglaise qu'ils disent encore plus sécurisée que la nôtre. Quoi qu'il en soit, j'aimerais obtenir des précisions sur tous ces sujets. Puisque vous avez parlé de progrès dans l'étiquetage et la traçabilité, j'aimerais savoir quelles propositions vous nous suggérez de faire en ce sens.

Enfin, je m'adresserai un peu plus directement à M. Perrin, pour lui dire qu'il a eu des paroles dures ; je suppose que vous les avez prononcées sciemment et, puisque vous avez évoqué « les coupables de l'époque », je voudrais en savoir un peu plus.

M. Dominique LANGLOIS : Pour répondre à votre question sur le choix des fournisseurs, je crois que certaines choses méritent d'être dites et d'être un peu précisées. Lors de la crise de 1996, le marché français était assez largement ouvert à l'entrée de viandes essentiellement européennes, notamment britanniques. Il faut savoir que, depuis lors, nous avions fait le choix de passer une garantie strictement viande française, choix partagé par d'autres enseignes de distribution et que le chiffre des importations a fortement diminué, puisqu'il se situait au milieu de l'année 2 000 aux environs de 200 000 tonnes, une grande partie étant orientée vers les restaurants d'entreprises et l'alimentation collective pour des raisons faciles à comprendre, liées notamment aux prix. La qualité, ainsi que vous l'avez dit, n'est pas, elle, liée à cette notion de prix et ce sont deux paramètres qu'il convient de dissocier.

Nous avons à faire face à une offre de produits diversifiée puisque nous distinguons plusieurs grandes catégories : un type d'animaux qui vient du troupeau laitier, un autre type d'animaux qui vient du troupeau races allaitantes et mixtes dont les normandes et les montbéliardes. Il faut savoir que le troupeau laitier existe et existera toujours, la vache ayant fourni du lait pouvant toujours être destinée à réintégrer le circuit industriel des viandes sous certaines conditions de traitement et de réengraissement. Il ne s'agit pas, en soi, d'un animal devant être totalement banni et considéré comme dangereux.

Certains termes doivent être revus et corrigés, notamment ceux « de vache de réforme » formule horrible qui, de plus, ne signifie rien si l'on veut bien considérer qu'une vache normande est faite pour produire du lait, mais que toutes les définitions de la race précise qu'il s'agit d'une race de qualité laitière, fromagère et bouchère. Ce serait tromper le consommateur que prétendre que la vache de réforme produit de la mauvaise viande et retirer du marché un produit de qualité qui subit les mêmes contrôles au niveau de l'abattage, de la préparation et de la distribution que tous les autres animaux, qu'ils soient labellisés ou non. Cette appréciation péjorative risquerait aussi de restreindre considérablement le marché en le privant de cette matière première qui existera toujours.

En revanche, envisager qu'elle soit orientée vers des fabrications spécifiques et qu'elle soit désignée comme telle pour que, dans l'offre de produits, il n'y ait pas de mélange possible, me paraît répondre à une demande et à une exigence tout à fait légitimes du consommateur. A titre d'exemple, d'une façon très globale, il faut savoir que seulement 20 % des 100 000 tonnes de gros bovins que nous abattons sont issus du troupeau laitier, ce qui montre bien la très grande diversité de l'offre de produits.

Concernant le choix des fournisseurs, on peut considérer qu'il y a aujourd'hui deux grands types d'approvisionnement possibles : l'approvisionnement sur le marché libre, c'est-à-dire le marché classique, constitué par les marchés aux bestiaux, les commerçants en bestiaux, les groupements de producteurs ou nos propres achats en direct et un approvisionnement de plus en plus développé qui passe par la contractualisation de production avec des producteurs, dans des démarches plus qualitatives. Ce second type d'approvisionnement répond à un double objectif.

Premièrement il permet d'apporter une garantie à nos fournisseurs. Face à la crise, les producteurs de jeunes bovins se retournent d'ailleurs vers nous pour nous demander ce qu'ils peuvent faire. Nous exportions environ 600 jeunes bovins au Portugal avant la crise, contre une vingtaine aujourd'hui. Nous avions mis en place des contrats avec ces producteurs pour produire de jeunes bovins Montbéliard qui correspondaient à la demande du Portugal. Aujourd'hui leurs producteurs nous demandent s'ils doivent ou non les remettre en élevage. Nous pouvons donc enclencher des démarches de contractualisation pour apporter une sécurité non au niveau du prix, parce qu'il faut en rester au prix du marché, mais de débouchés du produit.

Deuxièmement, il permet d'instaurer une prime à la qualité, puisque l'on fixe un critère de qualité de classement de la carcasse avant de bonifier le travail s'il satisfait à ce critère. C'est la seule démarche qui puisse, à terme, apporter la garantie demandée par le consommateur, puisque l'on peut prévoir la mise en place de cahiers des charges permettant de fixer des exigences très précises et d'avoir des contrôles internes et externes.

Telles sont les démarches que nous engageons. Nous savons que des programmes de production visent à réorienter les producteurs de jeunes bovins, qui sont particulièrement touchés par la crise vers des productions qui correspondent aux standards de la grande distribution pour l'offre en libre-service. C'est là une mise en production tout à fait intéressante qui demande à être aidée et encouragée car ce n'est pas chose simple pour les producteurs que de passer de la production de jeunes bovins à une production de type traditionnelle, ne serait-ce que parce que cela suppose d'avoir les terres et d'obtenir les aides financières nécessaires.

C'est une reconversion que nous avons développée à une échelle relativement modeste, puisque nous produisons une cinquantaine d'animaux par semaine, l'objectif étant de multiplier la production par cinq ou par dix, mais c'est la seule façon que nous avons de recréer l'offre-produits et, en tout cas, d'avancer vers une véritable traçabilité qui partira de la ferme, à la différence de la traçabilité actuelle, qui constitue un outil, mais qui est plus technique que qualitative. Il reste donc une étape supplémentaire à franchir. Pour en terminer sur ce sujet de traçabilité, j'ajouterai juste une remarque : on évoquait tout à l'heure le début de la crise de 2000, or il s'agit d'une non-crise, puisque le point de départ en a été la démonstration que la traçabilité fonctionnait bien en France, ce qui est quand même un paradoxe ! L'opérateur, qui est un collègue, a vu sa traçabilité parfaitement fonctionner, en nous permettant de stopper dans la chaîne alimentaire quelque chose qui n'aurait pas dû s'y trouver, le système en place a prouvé son bon fonctionnement. Or, paradoxalement, cela a provoqué une crise majeure.

On peut donc s'interroger sur le contexte qui a conduit cette crise à prendre une telle ampleur et à engendrer de telles conséquences.

M. le Rapporteur : Merci d'avoir abordé ce point que je voulais évoquer.

M. Pierre PERRIN : En boucherie artisanale, on dénombre environ 20 % de bouchers abatteurs, qui se rendent chez des producteurs dans les campagnes. Les autres achètent en carcasses auprès d'entreprises dans les abattoirs. Pour autant, on peut dire que quasiment tous achètent de visu « à la petite filière » ce qui, dans notre jargon, signifie qu'ils connaissent le fournisseur ou le grossiste ; c'est à ce niveau que se tissent des relations privilégiées.

S'agissant de la plainte que nous avons déposée en 1996, il y avait eu l'importation en France de farines en provenance de Grande-Bretagne ; il est prouvé que des farines ont été introduites frauduleusement sur le territoire de 1993 à 1996. Je ne parle pas d'autre chose et je n'accuse pas des gens de la filière ! Je suis surpris que l'on ne mette pas davantage d'énergie à retrouver ces gens qui sont à l'origine du malaise qui pénalise la filière viande et qui sont les coupables.

M. le Rapporteur : Merci de cette précision : des farines ont été introduites frauduleusement à une époque où elles n'avaient pas à l'être et elles ont été utilisées.

M. Jérôme BEDIER : Je partage votre avis sur la nécessité de disposer d'un organisme de veille. Nous en avons d'ailleurs fait part au ministre de l'agriculture au début de la crise ; il nous paraîtrait justifié qu'une cellule de crise permanente réunisse, par exemple, tous les quinze jours les acteurs de la filière. Nous l'avons fait savoir au ministre. Une cellule de crise s'est réunie au niveau du cabinet et de la direction générale de l'alimentation à deux ou trois reprises et des groupes de travail se sont mis en place, mais il manque probablement un organe politique pour faire le lien entre les acteurs privés et publics, pour permettre d'échanger les informations et se mettre d'accord sur les actions à mener de manière à ce que les Français puissent sentir la cohérence du comportement des uns et des autres - et Dieu sait si nous avons eu des exemples d'incohérence depuis le mois d'octobre...

En ce qui concerne le choix des fournisseurs, je crois que les responsables d'Intermarché ont très bien dit les choses. Le mouvement de fond de tout cela, c'est la contractualisation : nos filières de viande sont en plein processus de contractualisation parce que c'est elle qui permet de mener une politique de produits vis-à-vis de nos clients. Si nous souhaitons expliquer à nos clients - je prends l'exemple de l'un de nos adhérents, Auchan, qui vient de faire une communication sur ce sujet - ce qu'est le veau du Ségala et de l'Aveyron, il faut contractualiser pour l'expliquer suffisamment pour que cela en vaille la peine, d'autant que, le veau du Ségala étant un veau rosé, il convient d'apporter au consommateur encore plus d'explications sur la nature de ce produit.

La contractualisation permet d'aller encore plus loin, alors qu'on constate que cette filière a été vecteur d'un progrès important de la traçabilité, puisqu'il y a à peu près trois semaines, a été annoncée la mise en place d'une expérimentation, conduite par l'INRA, de traçabilité nouvelle, à partir de méthodes permettant d'assurer, en magasin, une traçabilité complète du produit vendu. Un autre de nos adhérents, Promodès, avait, il y a trois ans, mis en place des bornes dans les magasins permettant de retrouver l'origine de la viande vendue. Cela avait d'ailleurs donné lieu à un débat, parce que nous avions pensé faire figurer la vache sur la borne avant de prendre conscience que cela pouvait avoir un effet contre productif et que le client confronté au regard tendre de la vache pouvait être dissuadé ce qui nous a conduits à opter pour la photo de l'éleveur. Quoi qu'il en soit, c'est un système qui a fonctionné et qui a eu un impact plutôt positif. Les nouveaux outils, internet et autres, permettent sans doute d'aller assez loin dans ce service de traçabilité.

Je profite de ce débat pour dire que le vrai problème de la traçabilité ne se pose, en fait, pas tant dans nos magasins - même s'il se pose un peu dans le rayon dit « traditionnel » où il est plus difficile d'assurer une traçabilité que sur des barquettes - qu'au niveau de la restauration où les produits entrent dans des plats composés. Le véritable problème aujourd'hui est celui de l'homogénéité du niveau de traçabilité pour l'ensemble des débouchés de la viande. Il nous paraît important de pouvoir donner aux Français le sentiment que la traçabilité est totale dans tous les domaines et sous toutes les formes de mise à disposition de la viande au public. Je considère que cela doit être une priorité. Les consommateurs, qui sont d'ailleurs très vigilants, viennent de lancer une action sur la traçabilité en restauration, et notamment en restauration collective ; je pense que les élus que vous êtes, sont sensibilisés à cette question.

Je peux vous donner un exemple de l'incohérence du fonctionnement actuel de la filière. Un logo rouge avec un V blanc a été créé pour la restauration collective, mais, tout à coup, ses créateurs ont réalisé qu'il pourrait être utile pour remplacer VBF. Or des discussions sont nées à partir du moment où l'on a expliqué que ce logo pensé pour la restauration collective pouvait servir pour le reste des modes de distribution, non seulement pour le steack haché, mais aussi pour l'ensemble des viandes. C'est le genre de questions que nous avons du mal à traiter entre nous. Je fermerai là la parenthèse, mais elle montre bien la difficulté que nous avons aujourd'hui à prendre des décisions rationnelles. Il nous paraît donc important que la traçabilité soit relativement homogène au niveau national. A ce propos, je tiens à souligner que nos magasins importent très peu. Avant 1996, il y avait quelques filières, notamment en provenance d'Irlande, de viandes assez qualitatives appréciées des clients ; depuis lors, nos viandes sont dans leur majorité françaises, à l'exception de quelques productions comme l'agneau. Pour ce qui est des importations allemandes, je dirai que c'est un dossier que nous avons suivi d'assez près, puisque notre fédération compte des adhérents qui approvisionnent des professionnels de détail et des restaurateurs et nous avons pu constater que les produits importés d'Allemagne, qui étaient de très bons produits, très compétitifs, ont plutôt été destinés à la restauration qu'à nos magasins, où ils auraient déstabilisé l'image du produit sur laquelle nous investissons à moyen terme.

M. Michel-Edouard LECLERC : Pour notre part, nous serions favorable à ce que soit mis en avant le principe de responsabilité, plus que le principe de précaution, ou du moins ce que le principe de responsabilité soit le premier principe de précaution. On sent bien, en effet, à travers tout ce qui a été dit, qu'il faut que chacun prenne sa responsabilité pour que la filière se porte bien. Il faut donc que nous, les distributeurs, soyons jugés sur notre responsabilité, au niveau de la chaîne du froid, de l'étiquetage, du respect des codes d'information et autres qui relèvent de notre métier, alors qu'aujourd'hui certains militants de Greenpeace ou certains syndicats agricoles descendent dans nos magasins pour nous demander la preuve que les bovins ou les animaux que nous vendons au détail n'ont pas été nourris avec des céréales génétiquement modifiées, ce que, franchement, nous aimerions bien savoir. Comment transformer en question une accusation médiatisée ?

Les pouvoirs publics décident, à tort ou à raison, ce n'est pas à nous d'en juger, de supprimer les farines animales ; on s'oriente vers la nourriture végétale, la France est déficitaire pour cette production, donc tout le monde sait - les douaniers le voient, les logisticiens le voient - qu'il faudra importer. J'aimerais bien vous poser cette question et vous voir la transmettre à d'autres : qui est responsable de la traçabilité de ces tourteaux et de ces végétaux qui arrivent, non pas chez nous, mais comme nourriture dans les élevages ?

Il me semble que nous pourrions tous être d'accord pour dire - même si on peut faire du mécénat ou un peu de marketing sur des filières contrôlées sur lesquelles nous allons nous engager et pour lesquelles nous allons nous donner des moyens à la dimension de la publicité que nous souhaitons récolter - que tout cela restera marginal et que, sur le fond, il faut qu'une garantie soit apportée au niveau des pouvoirs publics et des acteurs de la filière en amont, au lieu d'aller la chercher en aval. Il me semble que, là, le principe de responsabilité est important !

Nous avions également travaillé dans l'idée de reprendre vos thèmes de réflexion sur un certain nombre de recommandations, notamment sur le système de veille dont vous avez parlé et je propose que nos conclusions vous soient présentées par M. Aubé qui s'est beaucoup impliqué sur ce sujet.

M. Henri AUBÉ, Directeur général de la société Kerméné : Il nous semblait intéressant d'uniformiser l'identification des animaux. Tout à l'heure, on a fait allusion à certaines importations de bovins en France, alors qu'il n'y a aucune uniformisation de la traçabilité entre la France, l'Allemagne et les autres pays. A combien reviendrait aujourd'hui l'établissement d'une carte d'identité bovine, nourrie par un système informatisé et qui suivrait la bête tout au long de sa vie ? Aujourd'hui, cela n'existe pas et les cartes d'identité sont différentes selon les régions et les départements. Il serait également intéressant de développer, pour tous ces animaux, une base nationale de données qui serait accessible à tous les acteurs de la filière.

M. François GUILLAUME : Cela existe : il y a un recensement de tous les animaux !

M. Henri AUBÉ : Aujourd'hui, il y a trois types de cartes sanitaires par animal et je vous en donnerai tout à l'heure des exemples. Vous pourrez constater qu'elles sont différentes selon les départements. Ce que nous demandons, c'est leur uniformisation.

Je reprendrai les propos de M. Leclerc en disant qu'il est intéressant aujourd'hui, puisque la France est déficitaire en protéines végétales, de tracer les protéines qui vont être importées. Cela va aussi avoir une influence considérable sur la qualité de la viande. Aujourd'hui, nous savons, par exemple, que la protéine végétale est beaucoup plus grasse que la protéine animale. Il serait donc intéressant d'engager un débat sur ce thème.

M. Michel-Edouard LECLERC : Chacun a une vision de son métier et s'exprime du point de vue qui est le sien. Pour ce qui nous concerne, nous savons communiquer sur un produit et quand j'opposais les produits de marque nationale ou régionale aux produits qui ne disposent pas de cet argument de vente ou de cette lisibilité de communication, c'est parce que nous nous rendons compte de la différence qui peut exister entre eux. Si je prends l'exemple de l'affaire Coca-Cola, - il s'agissait de la marque Coca-Cola avec, soit dit entre nous, les difficultés d'une communication positive - je note que plus personne parmi vous ne sait ce qu'elle est devenue. L'affaire est close et les conclusions de fin d'enquête correspondent à 1/10 000ème de la dramatisation qu'en a fait la presse. C'est dire si les choses sont difficiles !

Quand il s'agit d'affaires qui ont trait à Coca-Cola, Danone, Yoplait ou à des marques repères comme Leclerc ou Carrefour, la gestion des retraits est segmentée, circonscrite. On sait ce dont on parle et des responsabilité juridiques sont établies. La difficulté avec le secteur de la viande, c'est qu'on a affaire à des produits extrêmement peu « marketés ». Si survenait aujourd'hui une crise sur le vin, on ne dirait pas qu'il y a une crise sur le vin, mais on désignerait des marques ou des productions. Ce n'est pas le cas pour la viande et c'est tout le problème !

Cette crise est d'autant plus difficile à gérer que nous sommes dans une période de transition concernant les produits frais et d'élevage, qui amorcent un virage vers une agriculture qui n'est pas encore « marketée ». Au nombre des actions à mener, il me semble très important de tirer tous ensemble pour que la profession d'éleveur prenne conscience qu'il ne suffit pas de produire, même dans de bonnes conditions, qu'il ne suffit pas de tracer pour des raisons juridiques, mais qu'il faut, pour pouvoir valoriser et même éviter de se faire piéger par une crise globale, parvenir à travailler sur ces labels commerciaux qui ne sont pas forcément de qualité puisqu'ils peuvent être des labels de provenance, de terroir, etc.

Notre objectif est de communiquer sur des produits, précisément parce que nous avons sur les produits des engagements de responsabilité, ce qui nous permet de « regrignoter » cette part de marché que la filière a perdue. C'est très important sur le plan culturel.

M. Pierre HELLIER : S'il est vrai, M. Leclerc, que vous ne communiquez pas beaucoup, vous l'avez fait un soir sur Fr3 en tenant les mêmes propos que ceux que nous venons d'entendre, et qui m'avaient frappé, pour faire valoir que vous ne garantissez pas les produits de marque, qui sont garantis par la marque elle-même, et que vous souhaiteriez qu'il en soit ainsi pour la filière alimentaire. C'est votre intérêt compte tenu des quantités de produits que vous vendez et de l'ampleur dramatique que peut prendre pour vous et pour toute la filière la moindre défaillance dans l'un de vos magasins.

Il se dit notamment , par exemple, que la pression que vous exercez sur les producteurs est très forte, ce qui peut se comprendre, puisqu'elle vise à faire vendre un produit, qui trop cher, ne serait pas vendu - c'est du moins votre argument. Je suis Sarthois et donc bien placé pour savoir que les rillettes ont énormément souffert. Or, maintenant qu'elles sont très fortement sécurisées - le sel de Guérande, le poivre et tous les produits entrant dans leur composition sont, par exemple, analysés - leurs producteurs ont encore du mal à négocier avec vous des prix à la hausse. Vous allez me répondre que si les prix étaient à la hausse, le produit ne se vendrait pas. Je crois quand même qu'il faut sécuriser les filières et que, par les labels et les produits de qualité, vous allez obtenir les marques que vous demandez ; mais il faut que la grande distribution se montre un peu plus large sur les prix et un peu moins féroce dans les négociations.

M. Michel-Edouard LECLERC : Je suis d'accord avec vous pour reconnaître que le marché est dur, notamment concernant les rillettes qui se vendent moins et qui pâtissent de la listeria et du fait qu'il s'agit d'un produit qui n'est pas à la mode et qui n'est pas diététique. Je précise que j'ai toujours dit qu'il était, par principe, plus difficile d'être producteur que distributeur, ce dernier ayant une péréquation, une flexibilité de vente par rapport au consommateur que n'a pas le producteur. Dont acte ! Même si les chiffres de perte sont très importants pour la grande distribution, nous ne faisons d'ailleurs pas de l'impact économique de la crise un cheval de bataille, tant il est vrai que c'est sur le producteur ou même sur les commerçants spécialisés que cet impact est, socialement et psychologiquement, le plus fort.

En revanche, il faut comprendre que le marché ne se résume pas à un industriel et à un distributeur. Il fait également jouer des industriels entre eux et des producteurs entre eux : c'est d'abord cela le marché et l'approche qu'il convient d'avoir, et qui est généralement occultée dans les débats, doit en tenir compte. En effet, si tel producteur n'a pas trouvé preneur chez nous et que le produit est vendu, c'est qu'un autre distributeur l'a accepté. Par conséquent, il y a un seuil au-dessous duquel un niveau de prix ne couvre pas la rémunération du travail. C'est la raison pour laquelle le législateur intervient pour fixer ce qui doit être incompressible.

Quand, dans le cadre de la dérégulation, une compagnie aérienne fait des promotions sur les vols par des réductions qui peuvent atteindre 40 %, cela ne veut pas dire que la sécurité sur le vol est moindre ou que la partie de l'avion où sont situées les places en promotion va tomber avant la première classe ! Nous sommes dans un système de péréquation commerciale, dans un système marchand, où les compagnies essaient d'attirer le chaland par des promotions, mais avec l'obligation de respecter un seuil de qualité, quel que soit le prix de marché.

Certes, le marché est dur, certes, il est concurrentiel, certains souffrent plus que d'autres, les acteurs sont en compétition industrielle, y compris les uns par rapport aux autres, mais, finalement, ainsi que nous l'avons toujours répété lorsque nous étions interrogés sur notre rôle, nous ne pouvons pas, en tant qu'acheteurs, savoir jusqu'où le producteur peut aller, et surtout si d'autres producteurs peuvent y aller. En revanche, il convient de ne pas se tromper d'interlocuteur et si, à un moment donné, un producteur estime que le processus de contrôle de la qualité est remis en cause parce que le prix de marché est trop bas, il lui appartient de s'expliquer vis-à-vis des pouvoirs publics, et, bien sûr, vis-à-vis des distributeurs. C'est là le fondement du débat, sans quoi il n'y a plus de marché !

Votre discours est donc légitime sur le fond, étant précisé que certains problèmes peuvent se résoudre grâce à la contractualisation ; on peut d'ailleurs aussi faire du mécénat auprès d'un certain nombre de producteurs lorsqu'il s'agit de problèmes individuels. Pour autant, quel que soit le niveau de prix, un produit doit être sécurisé sur le marché. Le produit, qu'il s'agisse d'un premier prix ou d'un produit de luxe, doit, dès sa mise sur le marché, répondre à des normes de sécurité, étant entendu que les différences porteront ensuite sur la qualité gustative, les services supplémentaires, le confort etc.

C'est un point sur lequel j'insiste parce que, venu ici m'expliquer devant une commission sur les fruits et légumes, j'ai dû me justifier pendant une demi-heure sur le comportement d'une centrale d'achats que je n'ai pas. Les centres Leclerc n'ont pas de centrale d'achats viande : nous ne négocions pas au niveau national notre viande et donc nous n'exerçons pas une puissance de chiffre d'affaires sur des fournisseurs nationaux. Chaque centre Leclerc et, oserai-je le dire, chaque chef boucher, fait son approvisionnement en fonction de ses relations, y compris en mettant en compétition nos propres outils intégrés qui sont en permanence mis en compétition dans l'approvisionnement de la viande de b_uf des centres Leclerc. Le marché est dur, mais il ne correspond pas - même si cela peut se trouver, sans même parler de certains comportements ou errements - à la caricature du pot de fer contre le pot de terre. Dans l'absolu, ce marché reste très atomisé dans ses approvisionnements.

M. Pierre HELLIER : Je trouve précisément dommage que le législateur doive intervenir pour fixer un certain nombre de règles pour ce commerce. Les choses devraient se passer autrement !

M. Michel-Edouard LECLERC : Sur la qualité ?

M. Pierre HELLIER : Sur la qualité, nous sommes bien d'accord. Il est évident que la formule « vache de réforme » est très mauvaise et qu'il faudrait en trouver une meilleure, mais, indiscutablement, la qualité de tels animaux, même si elle est assurée sur le plan sanitaire et alimentaire, n'est pas exactement la même. En prétendant le contraire, on tombe dans un discours qui laisserait entendre que les vaches de réforme valent les viandes de haut niveau et de bons prix. Sans être un professionnel, je crois qu'il est indiscutable qu'une vache qui a produit du lait pendant un certain nombre d'années n'a pas la même composition histologique que la vache de race viande !

Je suis également étonné d'entendre M. Perrin dire que la boucherie traditionnelle ne va pas très bien, quand on entend plutôt le contraire, et que les prix en boucherie ne baissent pas alors qu'à la production ils ne sont manifestement pas à la hausse...

M. François GUILLAUME : J'aurais naturellement beaucoup à dire sur les différents thèmes qui ont été abordés et qui sortent un peu du cadre de nos travaux.

Concernant le productivisme, je n'y suis pas opposé, j'y suis même favorable car c'est une loi de la production, qu'elle soit agricole ou industrielle ! Le productivisme ne doit pas empêcher l'amélioration constante de la qualité sanitaire. Pour ce qui a trait aux produits, j'ai vu les éleveurs abatteurs réagir aux propos que tenait notre collègue, qui n'est pas du métier, sur les vaches de réforme. Avec toutes les vaches, qu'elles soient laitières ou de quelque race que ce soit, même si la normande est plutôt meilleure que la Prim Holstein, le problème n'est pas un problème de qualité de viande. On confond souvent qualité de la viande avec rapport de la masse musculaire par rapport au poids total de l'animal. Si on prend la qualité sous cet angle, elle est meilleure dans les Charolais qu'elle ne l'est dans les vaches de réforme. Cela étant, la vache de réforme, sur le plan gustatif, est tout aussi bonne que les autres bêtes.

Puisque nous parlons de productivisme et que la pierre a été envoyée dans le jardin des paysans, je la renvoie de l'autre côté en posant la question de savoir ce qu'est le productivisme dans le restant de la filière. C'est, par exemple, le fait que l'on mette trop rapidement sur le marché des animaux qui viennent d'être abattus, que l'on ne respecte pas le délai de la maturation de la viande, ce qui explique qu'avec de la viande de bonne qualité d'origine, le consommateur finit par manger de la viande de mauvaise qualité, parce que trop dure. Si on parle de productivisme, on peut aussi évoquer la façon dont sont fabriqués certains steaks hachés, auxquels on ajoute ce que l'on a extirpé des résidus d'os sans que cela, d'ailleurs, n'altère en rien la qualité sanitaire du produit.

M. Michel-Edouard LECLERC : Cela a été interdit !

M. François GUILLAUME : A M. Leclerc qui vient d'attirer mon attention sur ce point, je dirai qu'il est bien aimable vis-à-vis de son concurrent, la société Carrefour. Je suis d'accord avec lui pour dire qu'en matière de communication, il est extrêmement difficile de remonter le courant, parce que ne sont retenues que les informations les plus dramatiques, qui sont celles qui intéressent le public. Pour autant, il faut admettre que le bouchon a quand même été poussé un peu loin lorsque cette bête a été arrêtée, fort heureusement et tout à fait naturellement d'ailleurs, et que la société Carrefour, voulant en faire trop, a recherché tous les morceaux des animaux qui avaient avoisiné ladite bête. Il ne faut pas en rajouter si l'on ne veut pas courir le risque de devenir l'arroseur arrosé... Pour ma part, je poserai des questions précises.

Premièrement, entre l'interdiction des farines en Grande-Bretagne et en France, il s'est effectivement écoulé un délai trop long. Entre l'interdiction de la consommation des abats en Grande-Bretagne et en France le délai a encore été beaucoup plus long. Or, les abats sont un vecteur de contamination directe. En conséquence, j'aimerais que les intervenants ici présents me disent quand ils ont eu connaissance de l'interdiction survenue en Grande-Bretagne, et je voudrais savoir qui a continué à les diffuser dans les grandes chaînes de distribution, chez les bouchers etc.

Deuxièmement, s'agissant de la traçabilité, en réponse à votre objection selon laquelle les chartes d'alimentation des animaux varieraient d'une région à l'autre, et les cartes sanitaires et les étiquettes feraient défaut pour identifier l'animal d'une région à l'autre, je rappellerai qu'un producteur, qu'il soit industriel ou agricole, cherche les matières premières qui sont à sa disposition pour fabriquer son produit. Dès lors, on peut trouver dans certains endroits des opportunités. Un éleveur pourra, par exemple, récupérer les déchets d'un fabricant de soupes installé à proximité et les réintroduire dans son alimentation animale sans aucun problème, puisque ces déchets sont issus de produits destinés à l'alimentation humaine. Il ne faut donc pas considérer que l'on va harmoniser sur l'ensemble du territoire, avec une carte nutritionnelle, l'alimentation des animaux, car cela supposerait d'avoir plus de fonctionnaires que de paysans et de bouchers.

La France est un pays producteur et exportateur de viande. Si nous commençons à dire que nous ne consommons que de la viande française - parce que le discours se résume à cela - que fera-t-on du reste ? Qu'allez-vous faire le jour où l'on va vous proposer de la viande en provenance non seulement d'Allemagne, mais aussi des pays de l'Est qui vont intégrer l'Union européenne et dont les garanties sanitaires, croyez-moi, ne sont pas prêtes d'être au niveau de celles de la France ? La question mérite d'être posée.

Vous êtes acheteurs, si vous trouvez ailleurs de la viande qui vous paraît aussi bonne qu'ici, même sans traçabilité, que ferez-vous ? Vous allez naturellement me dire la main sur le c_ur que vous ne n'en achèterez jamais, mais un jour viendra où il faudra bien faire quelque chose vis-à-vis des habitants de ces pays là. De deux choses l'une : soit on les accepte dans l'Union européenne, soit on ne les accepte pas, mais on ne peut pas les accepter en leur disant de garder leurs produits !

Par ailleurs, on a vu une belle unanimité de toute la profession et de l'interprofession à la sortie du cabinet du ministre, sur le point de savoir qui allait payer les tests. On a dit que ce serait le consommateur, qui allait en être d'autant plus heureux qu'il aura une sécurité sur la viande. Vous savez tous aussi bien que moi que c'est un propos plutôt hypocrite, car qui définit le prix des animaux ? C'est le marché et, de toute façon, le coût du test sera introduit dans ce prix, ce qui revient à dire que c'est l'amont qui paiera.

Comme M. Perrin, je considère donc que, premièrement, la taxe d'équarrissage devrait être prise en charge par les pouvoirs publics, qui ont pris la décision d'éliminer les carcasses et les farines, même pour les monogastriques, ce qui n'était pas nécessaire ; deuxièmement, c'est à l'Etat, qui a pris la décision d'appliquer les tests, d'en assumer le coût. Ainsi, on s'assurera qu'il ne sera pas à la charge des agents de la filière.

M. François PERROT : Nous sommes à peu près sûrs de la qualité de la viande française, mais je crois que l'objectif est de garantir au consommateur qu'il trouvera toujours de la viande de qualité. Vous avez parlé de la traçabilité, dont on voit bien que ce n'est pas le client qui va la vérifier. Vous avez évoqué l'informatique, qui est l'outil sur lequel il faut effectivement s'appuyer, mais la traçabilité reste avant tout le problème des professionnels. Les contrôles peuvent être effectués de façon ponctuelle par la DGCCRF ou les services vétérinaires. La traçabilité est, à mon avis, une affaire de spécialistes et il ne faut pas s'efforcer de communiquer sur le sujet. Les articles de journaux parlent de traçabilité, ce qui reste vague pour le client et n'est pas de nature à le rassurer.

En revanche, une chose me choque : le fait que l'affichage et l'étiquetage ne soient pas en phase ! Aussi bien chez un boucher artisan que dans les grandes surfaces, vous pouvez avoir un grand panneau « viande charolaise » et sur l'étiquette située en dessous « viande française : vache ». Je peux vous dire que les gens qui font leurs courses et qui voient qu'il s'agit de vache en déduisent qu'il s'agit d'une vache laitière et le problème se trouve réglé : ils s'éloignent du rayon et vont chercher ailleurs ! C'est en clarifiant l'affichage, qu'une partie de la bataille sera gagnée. Actuellement, on sème la confusion dans les esprits parce que la traçabilité est un concept trop complexe et que l'affichage et l'étiquetage ne sont pas en phase. La communication pourrait commencer par une remise en place de tous ces systèmes de présentation dans les rayons.

M. Dominique LANGLOIS : La formule « vache de réforme » doit être bannie, mais il faut effectivement savoir de quoi on parle : de qualité et de sécurité alimentaire ou de qualité organoleptique et gustative. Une confusion est opérée entre des notions complètement différentes.

M. Pierre HELLIER : Je n'ai pas dit autre chose : la qualité sanitaire de la vache allaitante doit être totalement garantie ! La qualité gustative est sans doute un peu différente : on ne peut pas imaginer qu'une bête ayant produit du lait pendant des années ait la même qualité de viande !

M. Dominique LANGLOIS : Nous n'allons pas débattre sur des aspects aussi techniques, mais les spécialistes de la viande - et j'ai un producteur à mes côtés - sont unanimes pour dire qu'une bonne normande qui a fait un veau donne la meilleure des viandes. Les marques posent un réel problème qui mérite un débat. Dans les produits carnés en général et dans la viande de b_uf en particulier, deux marques dominent : Charal et Jean Rozé, qui est celle de notre entreprise. On peut se demander pourquoi. Parce que, comme l'a dit M. Leclerc, nous avons une distribution des produits carnés qui est totalement atomisée, ce qui rend impossible toute stratégie de marque.

La stratégie de marque n'a été possible pour nous - et je cite le cas à titre d'exemple - que parce qu'un partenariat fort nous permet de livrer 90 %, voire plus, des besoins du groupement des Mousquetaires, ce qui représente 70 % de nos sorties et de notre approvisionnement. Nous pouvons ainsi, sur l'année et en continu, avoir des besoins identifiés et donc nous positionner sur des marchés. Quelles autres marques existent ? Des marques collectives, soit des signes de qualité par les labels, soit des marques collectives telles que VBF ou b_uf de tradition bouchère pour les boucheries artisanales. Le consommateur, de mon point de vue, n'est pas du tout réceptif aux marques collectives, alors qu'il l'est au marketing, à la notion de marque, à condition qu'il y ait quelque chose derrière. A cet égard, il est dommage que l'ensemble des fonds européens consacrés à la promotion de la viande bovine en Europe, ne puissent pas, comme c'est le cas dans d'autres pays européens, être distribués aux entreprises qui prennent des initiatives en termes de marque, de viande, et qui doivent assumer de ce fait une lourde charge en termes d'organisation et de promotion. La France est l'un des seuls pays à ne pas répartir ses fonds et à les réserver à des marques collectives qui représentent des marchés assez faibles.

Toujours à propos des marques et des labels, il convient de souligner qu'il faut faire preuve de prudence, car un label n'est pas toujours synonyme de qualité : ce n'est pas parce qu'elle portera un label qu'une viande sera meilleure que celle provenant d'une vache sans label. En revanche, comme le prix est différent, il faut prendre garde à ne pas tomber dans le travers qui consisterait à dire qu'aujourd'hui seul le label pourrait apporter une sécurité au point de faire un produit de luxe d'un produit que l'on est parvenu à rendre de grande consommation, grâce notamment aux entreprises de viande qui l'ont très fortement sécurisé en se soumettant à de nombreuses contraintes.

Vous parliez, M. Guillaume, de steaks hachés : je crois qu'aujourd'hui la VSM - viande séparée mécaniquement - est interdite. Des cahiers des charges existent et sont vérifiés pour produire du steak haché. Des tests histologiques permettent de prouver que l'on ne retrouve dans le produit que du muscle et une charte est en train de sortir à l'initiative de l'interprofession pour établir un logo spécifique. Cette charte permettra de mettre à niveau tout le monde, puisque la non-adhésion à la charte équivaudra à un aveu de son non-respect, ce qui sera une bonne chose. L'industrie de la viande a donc consenti des efforts extrêmement significatifs en termes d'investissement pour se doter de contrôles de qualité et de process de fabrication apportant des garanties très importantes, ce qui est un peu oublié dans la crise. Il me semblait bon de le rappeler au moment où les industries des viandes subissent la crise de plein fouet sans avoir beaucoup été prises en compte...

Concernant les abats, en tant qu'industriels, nous avons appliqué, au fur et à mesure, les interdictions de commercialisation et, en tout cas, le retrait des matériaux à risque spécifiés. Dès lors que l'interdiction est intervenue, celui qui prenait le risque d'importer - je ne crois pas qu'on l'ait pris - le faisait de sa propre initiative. A partir du moment où l'interdiction d'importer des abats du Royaume-Uni était formelle, je comprends mal le sens de la question

M. François GUILLAUME : Il y a eu une interdiction en Grande-Bretagne de consommer les abats, mais cette mesure a été prise en France beaucoup plus tard. Le même décalage s'est produit pour les farines. Sans accuser personne, nous voulions donc savoir comment sont arrivés les farines et qui les a utilisées, comment vous avez eu connaissance de cette interdiction au Royaume-Uni et si vous avez continué à importer des abats. Les statistiques des douanes font état d'importations en provenance du Royaume-Uni, puisqu'en une seule année elles ont été multipliées par dix, au motif que ces produits ne se vendaient plus là-bas. Nous voulons savoir à qui incombe la faute de n'avoir pas interdit les abats, et établir qui était au courant. Il y a des fautes, à mon sens, partagées : d'une part, le conseiller agricole de l'ambassade aurait dû immédiatement avertir le ministère de l'agriculture de cette interdiction - peut-être l'a-t-il fait d'ailleurs - d'autre part, il est probable que certains importateurs français, informés de la situation, ont acheté ces abats en provenance de Grande-Bretagne à des prix d'autant plus intéressants que les Britanniques ne savaient pas quoi en faire !

M. Michel-Edouard LECLERC : Je veux bien répondre à cette question, qui me laisse un peu interloqué, dans la mesure où elle appartient au genre de celles qui ne nous sont pas destinées, à nous distributeurs, sauf pour apporter au débat une contribution intellectuelle et volontaire. Je parlerai d'ailleurs d'autant plus facilement du sujet que les centres Leclerc ne sont pas importateurs d'abats. D'abord, dans la mesure où l'interdiction ne frappait pas la France, il n'y a pas faute ! Ensuite si vous dites qu'il y a trace de ces importations dans les statistiques des douanes, la puissance publique, outre qu'elle peut s'interroger sur les raisons qui l'ont conduite à ne pas harmoniser ses interdictions avec celles de la Grande-Bretagne et à ne pas en avoir débattu dans le cadre de la Communauté, a toutes possibilités de s'adresser aux importateurs. Aujourd'hui tout le problème tient au fait que l'on nous fait « plancher » sur ce genre d'interrogations, alors que nous sommes en bout de chaîne...

M. François GUILLAUME : Permettez, le principe de précaution est un principe qui peut être appliqué, non seulement sur décision des pouvoirs publics, mais également par tous les agents économiques.

M. Michel-Edouard LECLERC : Pour ce qui me concerne, je refuse par principe la délégation de responsabilité. Déjà, depuis l'arrêt concernant le talc Morhange, nous sommes devenus juridiquement co-responsables de ce que le producteur met dans ses boites. Or, tout le monde sait que, sur le plan factuel, il nous est impossible d'ouvrir toutes les boites des produits que nous vendons. Il n'en reste pas moins que nous sommes co-responsables d'un problème concernant l'amont de la filière, ce qui est déjà énorme quand on sait que nous n'avons pas la capacité d'agir à ce niveau. Nous avons la chance d'avoir des entreprises qui marchent bien et de pouvoir consacrer beaucoup de moyens à l'autocontrôle, mais ce n'est pas le cas de tout le monde ! Il faut donc faire attention et il vous appartient à vous, députés, et à la puissance publique de bien délimiter le champ de responsabilité de chacun et d'y faire appliquer le droit.

En l'occurrence, concernant les importations d'abats qui auraient eu lieu à une certaine période, au lieu de vous adresser à nous, qui sommes sur le front de vente, vous devriez demander aux pouvoirs publics et éventuellement aux importateurs pourquoi il n'y a pas eu harmonisation des réglementations. C'est là en effet l'une des erreurs que nous avons payées avec les consommateurs

Je vous rappelle que, dans l'affaire de la dioxine, on nous a fait retirer, parce que l'on n'a pas voulu sérier les recherches sur l'origine des fraudes, avérées ou pas, des fournisseurs belges, tout ce qui comprenait jusqu'à 4 % de poulet dans les magasins, soit des milliers de tonnes de produits qui ont été détruits alors que, dans le même temps, on essayait de remplir des camions pour le Kosovo.

Le principe de responsabilité suppose qu'aujourd'hui chacun prenne ses responsabilités au niveau qui est le sien dans la chaîne. Il est un second principe, qui est très intéressant au niveau de notre discussion : la nécessité d'instaurer la traçabilité. Il convient d'organiser un système de crise et de faire en sorte que chacun trace à son niveau. Cela étant, il faut savoir que cela ne compte pour rien en termes d'arguments de vente. La traçabilité, aujourd'hui, ne rassure pas, C'est un élément incontournable de la gestion préventive d'une crise, du suivi de l'animal, mais ce n'est pas un argument de vente et donc la communication sur la traçabilité n'est pas un élément de vente.

En conséquence, vous me permettrez d'en revenir à ma marotte en disant que, si nous voulons reconquérir le marché, un marché dont il convient de répéter qu'il est globalement sain, il faut laisser les acteurs de proximité, notamment sur le front de vente
- petits bouchers ou grandes surfaces - et les producteurs de marque travailler à cette reconquête, par un système de responsabilité, de fidélisation du client. Il est très important que, dans cette politique qui va prendre deux ou trois ans, le bruit ambiant ne vienne pas casser l'effort.

Ces rumeurs, auxquelles nous avons peut-être part, chacun dans nos déclarations respectives, persistent et j'en veux pour preuve le Figaro de ce matin - c'est le système et non pas le journal qui est en cause - dont une demi-page est consacrée à la bactérie du hamburger, ce qui signifie que nous sommes repartis dans une hypertrophie médiatique. Il y a des milliers de morts sur les routes sans que l'on interdise la voiture, mais, pour six cas de gastrite, on va remettre toute la chaîne alimentaire en cause. S'il y a bien une préconisation à énoncer, c'est celle-ci : outre le principe de responsabilité, il convient de respecter un principe de modération au niveau de la communication et surtout de ne pas confondre le principe de transparence avec celui de la communication à tout prix. Il y a des moments où, la transparence étant incontournable, il faut pouvoir l'assurer, mais il y en a d'autres où il faut savoir se taire : en gestion de crise, le silence doit se piloter tout autant que la communication. On a évoqué précédemment le problème de la fièvre aphteuse, mais il est évident, lorsque l'on voit le président de la République surenchérir sur le Gouvernement que des bruits ambiants vont naître et casser tout le système.

Je ne suis le porte-parole de personne, mais je crois que tous les gens ici présents veulent bien faire, que ce soit par intérêt personnel ou par attachement citoyen ou autre, mais nous ne pourrons tous bien exercer notre métier que si l'apaisement du bruit ambiant nous permet d'avancer dans la reconquête de la confiance du consommateur, comme l'a bien dit Jérôme Bédier tout à l'heure.

M. Jérôme BEDIER : Je voulais revenir sur trois ou quatre points. Premièrement, concernant le débat essentiel portant sur le principe de précaution, je reparlerai de l'affaire SOVIBA. En la matière, nous avons vraiment le sentiment que le principe de précaution est une prérogative des pouvoirs publics. En effet, un acteur commercial n'a pas la capacité de poser des bornes dans ce domaine, notamment vis-à-vis de ses clients. Autant il peut intervenir dans le débat et donner sa conception du problème, autant il n'est pas en mesure de prendre la décision de précaution, qui, arrivé un moment, ne relève que des seuls pouvoirs publics.

C'est d'ailleurs un des combats que nous menons actuellement à l'échelle communautaire, où une directive élaborée sur les principes de précaution et de retrait tendait à faire partager cette responsabilité aux acteurs privilégiés. Or, si les acteurs privés se retrouvent dans une situation où ces questions sont en cause, ils feront ce que Carrefour a appelé de la « surprécaution », et ils iront au bout du moindre risque parce qu'ils ne pourront pas faire autrement. Il n'y a que les pouvoirs publics qui ont la légitimité, l'autorité et l'indépendance nécessaires pour affirmer ce qu'il faut faire dans les crises.

Si nous reprenons l'histoire dite « Carrefour », il semble, d'après mes informations, qu'elle soit assez singulière. Il y a eu alerte un vendredi ; on a su qu'il y avait un cas douteux qui n'était jamais rentré dans la chaîne alimentaire, mais qui posait problème. Une réunion a été organisée au niveau gouvernemental pour savoir si l'on faisait un communiqué. Si, comme cela devrait être le cas quand une décision de retrait est prise par les pouvoirs publics, un communiqué avait été transmis le vendredi soir pour expliquer les retraits, il n'y aurait eu aucun problème ! Or, pour une raison que j'ignore, les deux ministères concernés, faute de se mettre d'accord, ont trouvé une solution remarquable consistant à laisser à un juge le soin de communiquer sur le sujet, le lendemain, à onze heures du matin. Le juge est donc intervenu et il a pris une décision fracassante consistant à décider le retrait de toute une série de productions, d'où l'émoi général et le déclenchement de la crise.

Le lendemain matin, la société Carrefour a retiré les steaks hachés, en ajoutant même, comme l'a très bien dit M. François Guillaume, qu'elle faisait de la « surprécaution ». Dans un débat tellement virulent au plan médiatique, elle n'a pas eu d'autre choix que de faire ce que l'opinion réclamait d'une manière ou d'une autre. Cette crise attribuée à Carrefour illustre bien les dérives vers lesquelles nous allons si, à un moment donné, les pouvoirs publics ne prennent pas leurs responsabilités. Les Français font confiance, mais nous, acteurs économiques, nous ne pouvons pas gérer cela dans de bonnes conditions !

Deuxièmement, pour ce qui a trait au paiement des tests, nous avons considéré, avec l'ensemble de nos enseignes, qu'il pouvait être légitime que le produit paye ce qui pouvait être une caractéristique objective du produit. En d'autres termes, si on vend une viande qui présente la caractéristique nouvelle d'avoir été testée, on peut admettre le principe que ce soit le consommateur qui paye. C'est la raison pour laquelle nous avons accepté ce principe, sans être particulièrement heureux, ni les uns, ni les autres, alors qu'en revanche nous n'acceptons pas du tout la taxe d'équarrissage ou d'achat sur les viandes. C'est là un cas de figure complètement différent !

Autrement dit, il est normal que ce soit le produit qui paye le coût de la traçabilité, qui n'est pas une fin en soi, mais un moyen d'expliquer ce qu'est le produit ; mais, encore une fois, nous ne pouvons pas accepter une taxe qui, de plus, alimente le budget général ! Ce principe, nous y croyons dans la mesure où il permet de tracer une ligne de démarcation entre des charges qui seraient normalement dues et finalement acquittées par le consommateur et des charges indues telles que l'élimination des farines.

Troisièmement, il me semble que le débat portant sur les vaches de réforme illustre bien la difficulté de la communication. Qui a intérêt à « flinguer » la vache de réforme ? Personne, je crois. Pourquoi avons-nous sur ce sujet, durant deux mois et demi, un débat animé par toute une série de gens, pour dire globalement farines = vaches de réforme = grande distribution ? Encore une fois, cela n'a servi personne. Que les éleveurs de troupeaux allaitants ne croient pas qu'ils avaient intérêt à mettre en cause la vache de réforme : les Français ont eu une perception négative de l'ensemble des animaux ! Tous ceux qui joueront ce jeu-là, ne feront que contribuer à aggraver la crise. Nous avons, sur ce sujet des troupeaux, un vrai problème de communication, dans la mesure où les professionnels sont unanimes pour dire qu'une bonne vache laitière ayant vêlé à deux ou trois reprises a un goût bien meilleur et plus affirmé que les jeunes bovins qu'apprécient les Allemands ou les Italiens.

Cette difficulté de communiquer est liée aux termes mêmes qui sont utilisés. Nous avons eu un très grand débat interne à notre profession sur la formule « vache adulte », qui nous gênait beaucoup. Nous avons fini par accepter de la réduire au terme « vache », qui avait le mérite de la transparence, mais je peux vous dire que tous les professionnels de la viande se sont battus pour l'éviter. Il serait préférable de faire figurer sur l'étiquette la catégorie et la race, comme nous l'avons déjà dit.

J'en arrive au dernier point de mon intervention, que certains ont évoqué, et qui, pour nous, est central : la question de l'évolution des prix de la viande à la consommation. A ce sujet, on entend tout et son contraire : les uns nous disent de ne surtout pas baisser les prix, afin d'éviter de tout tirer par le bas au risque d'empêcher l'installation de stratégies de reconquête du marché et de déstabiliser d'autres formes de commerce, tandis que les autres nous incitent fortement à le faire, au motif que les prix ont baissé au vif et pas dans les rayons, en oubliant tous les problèmes de covalorisation des animaux : le vif peut baisser alors que le rumsteak augmente, faute de valoriser les autres morceaux, ce qui est, hélas très souvent le cas.

Sur ce sujet, nous estimons qu'il est impossible d'échapper à une définition collective de la politique des prix. Nous sommes plutôt favorables au fonctionnement du marché et plutôt libéraux, mais il est inévitable de se poser la question de savoir quelle est la stratégie collective sur les prix. On peut avoir une stratégie consistant à dire que les prix de la viande baissant, nous avons intérêt à les faire baisser pour reconquérir le marché Français. On peut, par exemple, comme l'ont fait les Britanniques, réunir tous les acteurs autour d'un projet de baisse de prix et consentir des réductions de 20 % ou 30 % sur la viande. C'était d'ailleurs l'un des objectifs de l'agenda de Berlin que souhaitait la Commission et qui se fondait globalement sur le fait que l'écart était tel entre la viande blanche et la viande rouge que l'avenir de la seconde se rapprochait de celui de la première, même s'il s'agit de viandes totalement différentes.

On peut défendre une autre stratégie, dont je dirai pour être franc qu'elle a plutôt notre préférence, et qui consiste à dire qu'il faut sortir par le haut, que, le problème n'étant pas lié au niveau des prix, une baisse ne servirait pas à grand-chose, et qu'il convient plutôt de mettre l'accent sur la qualité, la traçabilité, les spécificités. C'est d'ailleurs par le haut que nous sommes sortis des crises précédentes, celle du poulet aux hormones et même celle de l'ESB de 1996.

En revanche, comme je l'ai redit à M. Patriat et à M. Glavany au mois de janvier, il ne peut pas y avoir une absence de décision sur ce point, sauf à envoyer des messages épouvantables aux Français qui vont se sentir arnaqués ou floués. Le fait que nous n'ayons pas une vision précise et positive de l'évolution des prix à donner aux Français est extrêmement négatif. Nous avons d'ailleurs pu le constater, puisque plusieurs de nos enseignes, sachant qu'elles pouvaient se procurer des animaux, notamment des vaches de réforme laitières, de bonne qualité, répondant aux attentes des consommateurs, ont fait, pour ne pas casser l'image de prix globale, des opérations de promotion au mois de décembre. Ces opérations ont très mal marché parce que, autant le consommateur peut être sensible à une campagne nationale de baisse de prix expliquant comment elle est organisée pour qu'elle ne soit pas suspecte, autant il se méfie des opérations de baisse conduites au niveau d'une enseigne. Quand il demande au boucher où il a été chercher cette viande et que ce dernier lui répond qu'ayant bénéficié des effets de cours c'est exactement la même que celle qui se trouvait en rayon deux mois auparavant, il doute!

On ne peut donc pas échapper à cette décision collective qui est, à notre avis, trop retardée et qui, d'ailleurs, peut être segmentée. On peut, par exemple, décider de ne pas baisser les prix sur l'arrière, mais de les baisser sur le steak haché. Je pense, par exemple, que sur les abats restant autorisés, les prix doivent descendre de manière assez significative, même s'il s'agit d'un petit marché. Bref, nous sommes très ouverts à cette possibilité, mais il nous faut des interlocuteurs pour en parler, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui où nous avons en face de nous des interlocuteurs qui s'occupent de toute une série de dossiers et de sujets, mais qui ne nous permettent pas de caler cette décision qui est pourtant essentielle pour retrouver la confiance des Français.

M. Pierre PERRIN : Puisque l'on m'a interrogé sur la situation des volumes et des prix en boucherie, nous avons constaté, à l'automne 2000 comme en 1996, que chaque crise s'accompagne d'un retour du consommateur vers l'artisan de proximité, en l'occurrence l'artisan boucher, peut-être en raison de la confiance qu'il a en ses produits, peut-être en raison de son besoin d'assurance verbale : nous avons bien senti, à l'automne, que le consommateur avait envie de parler et d'être rassuré. De la même façon, nous avons noté un transfert des ventes du b_uf vers le veau, l'agneau, le porc ou la volaille. C'est un phénomène naturel qui doit également se retrouver dans les autres circuits de distribution.

Enfin, concernant les prix, je pourrai vous transmettre les ratios qui sont régulièrement communiqués à l'OFIVAL et qui sont donc tout à fait officiels et transparents, sur ces produits de qualité. Si l'on établit des comparaisons entre les quatre derniers mois de l'année 1999 et de l'année 2000, on enregistre une légère hausse, tous produits confondus. Là où la situation se complique, c'est que le coût du test et de la taxe d'équarrissage représente environ 2,20 F le kilo avec os ce qui, sur les arrières par exemple, correspond environ à une augmentation de 10 % du prix, qu'il est impossible de répercuter.

Les échos qui circulent font état d'un bon fonctionnement des boucheries : il est vrai qu'elles n'ont pas tellement perdu en volumes, mais la gestion devient très difficile.

Je voudrais maintenant répondre à M. Guillaume, qui a tenu un discours très européen sur les approvisionnements. Nous pouvons tous nous sentir très européens, mais l'organisation professionnelle des artisans bouchers respecte le choix des bouchers à qui il appartient de choisir quelles viandes ils souhaitent vendre. C'est le droit de chacun de vendre de la viande allemande, mais il n'empêche que nous constatons qu'à hauteur de 90 %, les viandes commercialisées par les artisans bouchers sont françaises et que sur ces 90 % - je ne sais pas s'il faut, pour autant, déjuger les vaches du troupeau laitier - 90 % des viandes sont issues de races à viande. Il est important de noter que cet état de fait est antérieur au logo VBF, donc antérieur à la crise de 1996.

Pour ce qui est de l'interdiction des abats, j'avoue ne pas très bien comprendre la question. Il est vrai que nous avons vendu les abats français obtenus soit auprès des bouchers abatteurs, soit par approvisionnement dans de petites filières. Nous avons continué à vendre des abats français aussi longtemps que cela a été autorisé. Je signale d'ailleurs que, les ris de veau et la fraise de veau étant aujourd'hui des produits interdits, une pénalité frappe, là aussi, les bouchers abatteurs et certains collègues qui achètent parfois à des fermes de proximité des veaux sous la mère, dans la mesure où ils doivent enregistrer une perte sèche de 400 F ou 500 F par animal du seul fait de l'interdiction de ces morceaux. Voilà quelle est la situation : il y a d'énormes difficultés au niveau de la rentabilité de l'entreprise.

M. le Rapporteur : Je ne veux pas me faire l'interprète de l'auteur de la question, mais il me semble que l'interrogation portait sur le fait qu'en 1989 les abats ont été interdits en Grande-Bretagne et que, pendant sept ou huit mois, les importations se sont poursuivies.

M. Jean-Pierre CONSEIL, Président du groupe produits carnés : Aujourd'hui, nous sommes en train de discuter de l'ESB, ce qui est bien, mais on oublie de parler un peu du métier des uns et des autres. Chacun s'efforce à parler du métier de l'autre, mais si chacun voulait bien se limiter à son métier et faire les choses comme il convient de les faire, on avancerait sans doute un peu plus vite. Chez Intermarché, nous avons des particularismes avec nos unités de production, nos usines où des marques nous confient des responsabilités importantes, Une marque comme Jean Rozé est développée à hauteur de 12 milliards de francs de chiffre d'affaires dans sept pays et nous ne proposons pas n'importe quoi n'importe comment ! En matière de communication nous avons choisi, comme Michel-Edouard Leclerc, d'être aussi « soft » que possible, sachant que ce sont nos professionnels qui peuvent communiquer et que c'est sur eux que nous pouvons nous appuyer.

En fait, nous sommes confrontés à une non-crise. Le problème que nous avons est simple : si les médias voulaient bien nous laisser tranquillement faire notre métier, nous pourrions nous développer dans de bonnes conditions et faire notre métier qui consiste à garantir les marques que nous offrons. Des marques comme Jean Rozé, ou Louis Armel dans le porc, qui sont quasiment uniques aujourd'hui dans la distribution, constituent des supports extraordinaires qui nous rapprochent de nos éleveurs et nous donnent vis-à-vis d'eux d'importantes responsabilités que nous assumons, ainsi que nous l'avons déjà montré à plusieurs reprises.

M. Michel-Edouard LECLERC : Comme il a été fait allusion aux importations, je voudrais préciser que, dans la liberté d'action que doit avoir le professionnel pour reconquérir son marché, la diabolisation est un phénomène terrible. Pendant que François Guillaume nous dit que l'Europe existe et qu'on peut importer, nous voyons à Montauban, à Mont-de-Marsan, des syndicats agricoles visiter les magasins pour en faire sortir tous les produits qui ne sont pas français. Ils ne se rendent même pas compte que ce réflexe corporatiste peut nuire à toute l'opération de reconquête de la crédibilité.

J'ai connu cela en Bretagne quand, face au problème qui menaçait les huîtres de Belon, on est allé chercher des huîtres japonaises modifiées californiennes pour refaire, un peu selon la méthode qui a sauvé le vignoble au temps du phylloxera, une huître convenable. Aujourd'hui, il n'y a pas un ostréiculteur pour s'en plaindre...

Pourtant, si, dans une région, tous les journaux locaux consacrent leur « une » au cas d'ESB trouvé dans le coin, il ne sert à rien de communiquer sur la vache française ou autre. Il y a des moments où il faut aussi que les acteurs syndicaux n'en rajoutent pas dans la gestion de leur intérêt immédiat et comprennent qu'il faut une stratégie collective qui passe par des moyens différenciés à l'appréciation des professionnels. J'ai conscience que c'est un v_u pieux puisque ce n'est pas à vous qu'il s'adresse, mais il serait bon que vos travaux puissent répercuter cet appel à la responsabilité de chacun - étant bien entendu que nous prendrons la nôtre.

Le paradoxe c'est que nous allons sortir d'ici et manger ce soir, que nous avons gagné un tiers d'espérance de vie en un siècle, voire plus, et que nous allons continuer à lire des articles sur la malbouffe... Vous pouvez nous aider, dans votre rapport d'enquête, à traduire, sinon le désarroi, du moins la perplexité d'acteurs qui ont tiré les leçons de la crise, y compris en matière de fraudes, de comportements, d'excès et qui sont des alliés objectifs dans la reconquête du marché.

M. le Rapporteur : Je retiens votre idée et sans prendre la défense des éleveurs qui conduisent le genre d'opérations auxquelles vous faites allusion, je crois qu'il ne faut pas perdre de vue que, lorsque l'on traverse une période de difficulté, on pratique une sorte d'autodéfense, même si elle est dépourvue de fondement, comme je ne cesse de le dire. Il y a des actions que l'on peut comprendre parce qu'elles correspondent à une situation de détresse, même si elles n'ont pas de justification économique et peuvent conduire leurs auteurs à dire demain l'inverse des thèses qu'il défendent aujourd'hui...

M. Michel-Edouard LECLERC : Aujourd'hui, ils ont besoin de médiatiser leur situation réelle, catastrophique pour beaucoup d'entre eux, et ils ont donc besoin de dramatisation pour attirer l'attention des pouvoirs publics, pour obtenir des subventions et des aides. En même temps, ils tiennent un discours qui empêche de sortir de la crise, puisque tout discours de revendication nourrit l'importance du drame. C'est un aspect de la communication qui est difficile à gérer.

M. le Rapporteur : Je partage votre point de vue : dans cette affaire franchement irrationnelle, la communication, au sens large, a joué un rôle particulièrement important.

M. Jérôme BEDIER : Je souhaiterais ajouter un mot sur les charges et dire qu'il convient de prendre garde à ne pas faire peser trop de charges sur ce prix de la viande bovine. Il est déjà très élevé, et après les taxes et le coût des tests, on craint d'autres décisions. Actuellement tout un débat est ouvert sur l'élimination des colonnes vertébrales qui, apparemment, aurait été décidée par Bruxelles. Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'il faudrait disposer de tout un système de ramassage particulier des colonnes vertébrales partout où l'on fait de la boucherie dite « traditionnelle ». Comment voulez-vous que nous acceptions une telle charge ? Quelles conséquences va-t-elle avoir sur le produit ? Il faut prendre en compte ce genre d'éléments car si l'on continue, pour des raisons que l'on peut comprendre, à accumuler les charges, on se retrouvera dans une situation ....

M. Michel-Edouard LECLERC : ...qui obligera à modifier la découpe dans les abattoirs.

M. le Rapporteur : Selon les informations dont nous disposons, il serait désormais possible de retirer la moelle épinière par aspiration.

M. Jérôme BEDIER : Je maintiens que les charges engendrent un risque très important et je peux vous dire que plusieurs enseignes s'interrogent déjà sur l'opportunité de maintenir certains rayons, certains services ou certains volumes dans le domaine de la boucherie bovine. On en arrive parfois à se demander s'il n'y a pas intérêt, compte tenu des pertes de volumes, à revoir le dispositif. Si on commence à entrer dans cette logique et si le front de vente commence à diminuer, ce sera très négatif ! On va vendre d'autres produits, comme le porc ou l'agneau, mais ce sera très négatif. Il y a donc là véritablement un problème lié au prix du produit et aux taux des charges. Il faut vite le traiter, sans quoi nous risquons d'être confrontés à une désaffection du consommateur et par là même du commerçant.

M. le Rapporteur : Je crois que nous allons en rester là, mais, sur la taxe d'équarrissage, je tiens à apporter cette petite précision : ce n'est pas une nouveauté, puisqu'elle existe depuis 1996...

M. Jérôme BEDIER : Pas au même niveau !

M. le Rapporteur : ... qu'elle a augmenté, mais qu'elle était applicable sur un chiffre d'affaires de 2,5 MF hors TVA, alors qu'aujourd'hui le chiffre d'affaires doit atteindre 5 MF hors TVA. Par ailleurs, si elle rentre dans le budget général - je le dis pour clarifier les choses - c'est pour des raisons d'ordre communautaire.

M. Michel-Edouard LECLERC : Légalement, nous avons gagné le procès de la mauvaise qualification de la taxe. En réalité, on paie un impôt sur la viande pour financer le budget courant de l'Etat.

M. le Rapporteur : Nous vous remercions.

Audition de Mme Maïté ERRECART,
directrice de l'Institut national de la consommation (INC)
et de Mme Marie-Jeanne HUSSET,

directrice de la rédaction de 60 millions de consommateurs

(extrait du procès-verbal de la séance du 20 mars 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

Mmes Errecart et Husset sont introduites.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation de M. le Président, Mmes Errecart et Husset prêtent serment.

M. le Président : Je souhaite la bienvenue à Mme Maïté Errecart, directrice de l'Institut national de la consommation, qui est accompagnée de Mme Marie-Jeanne Husset, directrice de la rédaction de 60 millions de consommateurs.

Madame Errecart, je voudrais rappeler que vous dirigez l'Institut national de la consommation depuis le 13 juin 2000 et que vous étiez auparavant conseiller technique au cabinet de Mme Lebranchu, alors secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.

L'INC est un établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle du ministère de l'Economie et des finances et de l'industrie. Il réalise des essais comparatifs ainsi que des études et des actions de formation. Il diffuse des informations et des documents aux consommateurs.

Vous adressez des informations et des documents aux consommateurs, aux usagers ainsi qu'aux organisations. Votre audition nous a paru d'autant plus nécessaire dès lors que l'un des objets de la commission d'enquête est lié à la protection des consommateurs. Votre avis sur le passé nous semblait pertinent. Au fur et à mesure de l'avancée des connaissances scientifiques concernant l'ESB, la chaîne alimentaire a-t-elle fait l'objet de mesures de précaution appropriées ?

Je le répète une fois de plus, M. Vergnier ainsi que les membres de la commission s'en feront l'écho, il ne s'agit pas de relire le passé à la lumière des connaissances actuelles, cela n'aurait aucun sens, mais surtout de voir au fur et à mesure de l'état des connaissances si toutes les bonnes décisions ont bien été prises en temps voulu. Ainsi, nous pourrons tirer les leçons de la crise passée et de celle d'aujourd'hui.

Dans cette optique, l'information du consommateur revêt un caractère essentiel. Il faudra en délimiter le contour. En effet, elle est d'autant plus sensible que l'alimentation est étroitement liée dans l'opinion à la vie et à la santé et que le moindre risque est considéré, aujourd'hui, comme inacceptable. Nous aurons à tenir compte de ce phénomène dans les propositions ou les mesures que nous présenterons. Il convient de réfléchir à l'idée selon laquelle le risque zéro ne peut pas exister dans l'alimentation, comme dans les autres activités. Nous sommes heureux de l'occasion qui nous est offerte d'approfondir ces questions avec vous.

Comme convenu, après votre exposé introductif, d'un quart d'heure environ, le rapporteur et les membres de la commission vous poseront toute une série de questions.

Mme Maïté ERRECART : L'Institut national de la consommation (INC) a une vocation d'information auprès du public comme auprès de ce que j'appellerai « les info-médiaires », c'est-à-dire tous les partenaires susceptibles de transmettre de l'information au public. Il s'agit bien sûr des associations de consommateurs, mais aussi des élus. L'INC effectue également des expertises, des essais comparatifs, ainsi que des études juridiques ou économiques sur les différents sujets qui intéressent la consommation. Enfin, l'Institut a une vocation de plus en plus précise en matière non plus d'information, mais d'éducation.

Aujourd'hui, j'insisterai davantage sur les aspects éducation, information, soutien aux associations de consommateurs. En effet, nous n'avons pas mené d'expertises à caractère scientifique sur les sujets qui nous préoccupent, à savoir les farines animales ou les conditions de production animale. Je vous présenterai nos convictions personnelles sur les matières qui font l'objet de votre enquête.

Première conviction : nous constatons que la loi du 1er juillet 1998 marque une avancée significative, en organisant l'expertise scientifique et en la dissociant de la décision politique. La place des citoyens consommateurs reste pourtant très insuffisante dans les processus de gestion d'incertitude.

Je développerai deux arguments pour étayer cette thèse. Tout d'abord, l'évaluation des scientifiques peut être déformée, comme on l'a vu récemment, par l'utilisation de critères purement techniques. L'utilisation de farines animales par les monogastriques n'avait pas de raison d'être interdite pour des raisons purement techniques et les risques ne semblaient pas préoccuper les scientifiques. C'était ne pas reconnaître l'erreur. La facilité consistait à mélanger des fabrications ou à ne pas prendre toutes les précautions nécessaires. C'était aussi ne pas reconnaître une insuffisance des contrôles. Les citoyens consommateurs sont à même de faire intervenir de tels arguments probablement même plus fortement que des spécialistes du secteur des sciences sociales, puisqu'on ne peut exclure que ceux-ci soient associés à l'avenir aux expertises scientifiques. Les citoyens consommateurs peuvent être porteurs d'appréciations originales et importantes qui valident ces appréciations du risque

Deuxième argument : la grille d'acceptabilité du risque par les consommateurs n'est pas nécessairement celle des scientifiques. En effet, ces derniers ajoutent dans le classement des risques des critères qualitatifs aux éléments purement quantitatifs souvent mis en avant par les scientifiques. Le risque est d'autant plus fort qu'il est subi et non pas volontaire. « Je décide ou non de m'exposer au risque ». Parmi les critères qualitatifs, le consommateur évoque le caractère connu ou inconnu du risque : « je sais à quel moment je m'expose ».

Nous évoquerons également un troisième critère : le caractère juste ou injuste du risque, « selon que le risque me profite et ne profite pas d'abord à d'autres ». Ces appréciations me paraissent devoir être présentes dans l'évaluation du risque et ce sont les citoyens consommateurs qui semblent pourvoir le porter le mieux possible. De tels critères dans l'évaluation du risque par le citoyen-consommateur expliquent pourquoi le tabac ou la route, qui causent beaucoup plus de morts aujourd'hui que ce qu'on peut même supposer du point de vue de la crise de l'ESB, ont un degré d'acceptation sans commune mesure.

Vous citiez à juste titre, M. le président, une très grande sensibilité et même un refus du risque lié à l'alimentation. A l'occasion de la Journée européenne du consommateur à laquelle nous avions participé la semaine dernière avec l'INRA et les associations de consommateurs, le CREDOC faisait ressortir que 61  % des Français considèrent comme insupportable d'avoir un seul mort au titre du risque alimentaire. Je mettrai à votre disposition les résultats de ces travaux et de ces réflexions.

Nous sommes convaincus que la gestion de crise ne peut devenir que plus pertinente avec l'organisation de l'expertise citoyenne. C'est introduire non pas de l'irrationalité, comme on le dit souvent, mais au contraire une autre rationalité. Ce n'est pas conférer aux scientifiques un rôle sur une appréciation du risque telle qu'ils ne peuvent l'assumer et que d'ailleurs ils ne revendiquent pas.

Pour ce qui concerne les farines animales, nous regrettons à l'INC que le débat ait tant tardé. L'expertise citoyenne aurait pu être organisée plus tôt. En 1996, 60 millions de consommateurs, se faisant l'écho des préoccupations des associations, demandait l'interdiction de l'utilisation des farines animales et exprimait son souhait de développer ce type de débat.

En 1999, mon prédécesseur, M. Deby, au cours d'une intervention auprès d'une commission parlementaire, insistait pour une meilleure connaissance des ingrédients figurant dans l'alimentation animale. Dès 1996, la demande était donc assez forte et précise, mais le débat n'a pas été organisé. Nous avons à l'INC une croyance forte dans la démocratie participative : les gens ont des choses à dire, il faut pouvoir les entendre jusqu'au bout. De ce point de vue, nous acceptons bien évidemment de partager le pouvoir.

En ce qui concerne la méthode de ce débat, Mme Viney et M. Kourilsky ont proposé l'expertise en deux cercles. Mais d'autres formes du débat citoyen peuvent exister. Ainsi, le Conseil national de la consommation (CNC) se réunit régulièrement sous l'égide de la DGCCRF avec des professionnels, des représentants des consommateurs et l'administration. Je citerai également le Conseil national de l'alimentation (CNA). Les travaux de normalisation et de certification sont aussi le lieu d'échanges et d'ajustements sur des réflexions en matière de qualité.

Nous avons l'expérience de conférences citoyennes puisque M. Le Déaut était à l'initiative de la conférence sur les OGM, les associations que vous rencontrerez s'en feront l'écho. Par ailleurs, dans le cadre de la préparation des Etats généraux de l'alimentation, les associations ont organisé toute une série de débats dans les régions. On en comptait plus d'une soixantaine. Je ne sais quelle est la meilleure méthode pour ce débat. A l'INC, nous prévoyons d'organiser au cours de l'année une réflexion avec les associations de consommateurs et les scientifiques sur ces conditions du débat citoyen.

Je voudrais encore ajouter un point. Ce débat citoyen ne doit pas se situer seulement lors de gestions de crise. Les consommateurs désirent pouvoir s'exprimer très en amont sur les sujets, et notamment sur la recherche. La semaine dernière, à la Journée européenne du consommateur, nous avons eu l'occasion de constater, dans le dialogue qui s'est tenu avec l'INRA, que certains sujets viennent de très loin. Il est tout à fait intéressant que les consommateurs puissent s'exprimer plus tôt dans le cadre des projets de recherche.

Dans le cadre de l'enquête menée par la SOFRES à la demande du ministère de la recherche et relative aux relations que les citoyens entretenaient avec la science, 38 % des personnes interrogées souhaitaient être consultées ou être associées à des décisions concernant la génétique, les modes de production alimentaire, les OGM ou les choix énergétiques. Les modes de production alimentaire arrivaient donc en deuxième position après la génétique.

Deuxième conviction : au-delà de l'information, il nous faut développer l'éducation du consommateur sur les conditions de production. Le CREDOC et l'INRA reconnaissent que pendant longtemps la « boîte noire agroalimentaire » ne préoccupait pas autant les consommateurs. Ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui. Depuis 1996, on note une demande accrue d'information sur les conditions de production. L'information au coup par coup le permettra. Mais plus fondamentalement, il convient de s'attacher aux aspects éducation du consommateur.

L'INC participe modestement à cette mission notamment par le lancement cette semaine, en présence de Mme Nicole Fontaine et de M. Patriat, d'une troisième campagne sur la sécurité alimentaire. Nous venons d'éditer « Le plaisir dans l'assiette, la sécurité en tête », livre que nous diffuserons à 250 000 exemplaires, tant auprès des lycéens que des familles à travers les associations familiales et les centres d'action sociale. Il s'agit de faire découvrir des conditions de production et des accidents susceptibles de survenir que nous ne cherchons pas à masquer. Il s'agit également de montrer comment le consommateur, à son niveau, a la possibilité de participer à la sécurité alimentaire. Ce type d'initiative, en l'occurrence financée par la Communauté européenne, est très intéressant parce que nous sommes convaincus qu'il faut commencer chez les jeunes à assurer cette information forte sur les conditions de production et donc les conditions de sécurité alimentaire.

Deuxième vecteur à prendre en compte : l'information grand public, en particulier au travers de la télévision. Ce grand média a été plébiscité par les consommateurs pour assurer une information de plus en plus importante, comme l'ont montré les résultats du dernier sondage que nous avons réalisé. A la question : à qui faire confiance pour informer sur la qualité des produits alimentaires à la télévision, les consommateurs ont répondu à 86 % : les associations de consommateurs et à 73 % l'INC. Malheureusement, les pouvoirs publics retombent à un score très inférieur, 15 %, et la publicité des entreprises à 14 %. Nous ne savions pas comment les consommateurs allaient placer l'INC en tant que vecteur. Nous sommes apparemment reconnus comme ayant les qualités d'indépendance suffisante. La question concernant les associations de consommateurs a été posée à plusieurs reprises. Les consommateurs font confiance à ces associations et demandent à ce que leur rôle informatif soit accru.

Enfin, dans le domaine de l'éducation, il convient d'inclure les questions de santé. Ce sont des préoccupations qui dominent. Nous avons toujours le même écho pour ce qui concerne les entreprises ou les pouvoirs publics. Par contre, une parole forte des acteurs de la santé semble pouvoir recueillir un assez large assentiment des consommateurs.

Après l'expertise citoyenne et l'éducation, que je viens d'évoquer, j'exprimerai une troisième conviction. Elle concerne l'information. Des progrès évidents ont été réalisés ces dernières années et notamment du fait que les avis de l'AFSSA sont publiés systématiquement. C'est très satisfaisant. Pour autant, des progrès restent encore à faire en matière d'information en provenance des instituts de recherche, des agences, des réseaux de surveillance et même d'une instance comme l'INC. Les médias sont évidemment friands d'information, il faut leur assurer une information de qualité, mais les besoins d'information concernent aussi d'autres populations, les élus, les associations de consommateurs. Cette qualité de l'information ne sera obtenue que par la multiplication d'un certain nombre de canaux et surtout par le fait qu'elle sera adaptée aux publics non spécialisés ou pressés par le temps. L'information doit être réellement disponible et ajustée.

Sur le fond, les journalistes de 60 millions de consommateurs témoignent de trois types de difficultés dans l'accès à l'information. Tout d'abord, difficultés en ce qui concerne l'accès aux résultats des enquêtes, qu'il s'agisse des services vétérinaires ou du ministère de l'Economie et des finances. Ainsi les résultats ne sont connus que pour 1999 en matière vétérinaire, ceux de 2000 ne sont pas disponibles. Deuxième type de difficultés, celles relatives aux procédures judiciaires en cours. A l'heure actuelle, il y a un problème de mise à disposition des informations sur l'évolution des dossiers et les résultats auxquels la justice parvient. M. Patriat s'est engagé à ce que les résultats des contrôles soient systématiquement publiés sur Internet favorisant ainsi une nouvelle source d'information.

M. le Président : Je vous remercie de cet exposé. Nous vous poserons des questions sur la manière de faire coïncider la communication scientifique, notamment celle de l'AFSSA, avec la nécessité, comme vous l'avez rappelé, d'une information adaptée et dont les conséquences sur les consommateurs sont parfois disproportionnées avec le risque encouru.

M. le Rapporteur : Vous évoquiez le débat citoyen. La difficulté réside dans la distance entre ce débat qui existe et l'information grand public. Vous l'avez ensuite abordé, notamment avec les médias. Pour nous, sans vouloir mettre en accusation qui que ce soit, les gens font leur métier du mieux possible, du moins on le suppose, on s'aperçoit aujourd'hui qu'un certain nombre de désinformations sont données qui nuisent directement à la consommation et au consommateur. Alors, comment améliorer tout cela ? Quelle influence pouvez-vous avoir ? Comment dire aujourd'hui : consommez de la viande rouge, du muscle, en toute tranquillité ? Ce message n'arrive pas à passer et pourtant on a la garantie que c'est sans danger, compte tenu du fait que le risque zéro n'existe pas.

Ensuite, je voudrais que vous nous apportiez plus de précisions sur les rapports existant entre l'INC et les organes d'évaluation. Selon vous, les expertises correspondent-elles aux besoins ? Y a-t-il un va et vient entre ce que font les experts et ceux qui ont besoin de ces expertises, afin de pouvoir les ajuster ? Au travers des auditions, les différents métiers nous ont paru cloisonnés. On peut affirmer, dans certains ouvrages, qu'on va « du pré à l'assiette », mais la communication paraît difficile. N'existe-t-il pas un moyen d'être plus efficace ?

Mme Maïté ERRECART : Je répondrai sur l'expertise, son articulation aux besoins, et sur le cloisonnement. Sur la question de l'information, ce sera Mme Husset qui interviendra. C'est pour nous une préoccupation qui se pose à chaque numéro mensuel : quel type d'information fournissons-nous ?

En ce qui concerne l'articulation des expertises aux besoins, des progrès sont constatés puisque l'AFSSA peut être saisie directement par les associations de consommateurs. J'en conviens, nous sommes dans des mondes qui ne fonctionnent pas de manière très simple et très souple. Les associations de consommateurs sont nombreuses en France, mais elles sont relativement faibles sur le plan de la quantité des expertises qu'elles peuvent accumuler. Cela tient à notre histoire. Le consumérisme n'occupe pas en France la place qu'il tient dans d'autres pays. De ce point de vue, les associations de consommateurs sont à armes inégales avec d'autres formes d'expertise, notamment scientifique. C'est une vraie difficulté pour essayer d'ajuster les expertises et pour éviter les cloisonnements.

Ensuite, en termes de communication et d'action, nous sommes encore assez cloisonnés. Nous essayons de travailler avec l'éducation nationale, mais ce n'est pas simple à l'heure actuelle. Il n'y a pas encore une parfaite fluidité dans les actions parce que les partenariats que nous montons ne sont pas tout à fait construits.

Autre problème que connaît l'INC, celui du partenariat avec le ministère de la santé. L'INC est sous tutelle du ministère de l'Economie et des finances. Vous connaissez l'administration française. Quand on est avec l'économie et les finances, on n'est pas nécessairement complètement connectés avec d'autres circuits. C'est difficile parce que c'est un monde large, mais il est nécessaire, pour l'INC en particulier, de construire un certain nombre de partenariats pour que, dans les aspects campagne d'éducation et d'information, nous soyons plus opérants.

M. le Président : Madame Husset, à vous de nous éclairer sur le rôle de la presse et de l'information.

Mme Marie-Jeanne HUSSET : En tant que directrice de la rédaction de 60 millions de consommateurs, mon métier est celui de journaliste et donc d'informateur. Je voudrais faire quelques remarques et essayer de répondre aux questions qui viennent d'être soulevées.

Tout d'abord, je dirai que la crise de la vache folle déclenchée en 1996 marque un temps résolument nouveau. Plus jamais les choses ne seront comme avant, non seulement dans le domaine de l'alimentation mais bien au-delà. Cette crise a montré l'importance de la demande des citoyens de participer aux choix scientifiques et techniques auxquels notre société est confrontée. Cette crise a servi de révélateur, d'où la nécessité du débat public et plus particulièrement sur l'élimination des farines animales. Comme l'a indiqué Mme Errecart tout à l'heure, dès 1996, 60 millions de consommateurs, relayant l'inquiétude des associations de consommateurs, a réclamé la suppression des farines animales. De 1996 au 14 novembre 2000, date de la décision officielle, on avait largement le temps d'organiser des débats publics dans les régions, pour poser au citoyen consommateur les termes du débat : voilà ce que sont les farines animales, comment nous les produisons, les problèmes que poserait leur élimination, par quoi les remplacer, qui financera, qui doit le faire et comment les éliminer ? Est-ce que vous souhaitez que des incinérateurs soient construits alors que vous êtes contre l'incinération, surtout si elle est dans votre région ? Les citoyens sont suffisamment intelligents pour pouvoir réfléchir à tous ces problèmes, y compris avec leurs associations, pour peu qu'on leur en donne le temps, et pouvoir se prononcer en dehors des périodes de crise aiguë. Après, les décisions peuvent être prises. L'application du principe de précaution suppose qu'on s'appuie à la fois sur une expertise indépendante, mais aussi qu'on renouvelle les expressions de la démocratie et que l'on puisse prendre en compte l'expression des citoyens. L'interdiction des farines animales aurait pu faire l'objet d'un débat public.

Pour en venir à l'information, je dirai qu'il en va de même que pour l'expertise. Il importe d'avoir une information indépendante, c'est-à-dire aussi une multiplicité d'informations. En France, fort heureusement, nous avons une multiplicité d'informateurs, de sources d'information, de journaux. Dans le domaine de la presse comme ailleurs, on trouve des bons et des mauvais. La presse immédiate, radio et télévision, est devenue une industrie. Ce sont des entreprises commerciales avec l'obligation d'aller vite et de se faire concurrence. Une période comme celle-ci montre l'importance de préserver des organes d'information réellement indépendants, des vrais journaux de service public ; 60 millions de consommateurs est ce journal de service public, c'est le seul en France pour la presse écrite. Cette notion, loin d'être ringarde, est essentielle par les temps qui courent. Si nous sommes un journal indépendant, ce n'est pas seulement parce que nous n'avons pas de publicité.

Le risque de désinformation résulterait donc plutôt de l'absence de tri parmi la multiplicité d'informations. Il est essentiel qu'il y ait des organes d'information qui puissent faire une information de longue haleine en dehors des périodes critiques. En effet, la crise, par définition, c'est aussi une crise de communication et d'information.

M. le Président : J'insisterai sur le fait que l'information doit être claire. Si nous avions consulté l'opinion sur l'interdiction des farines animales dans l'alimentation des animaux en plein c_ur de la crise en 2000, la majorité des citoyens aurait dit qu'on donnait toujours des farines animales aux bovins, alors que la mesure d'interdiction, pour ces animaux, existe depuis 1990. L'information des journalistes eux-mêmes sur les questions scientifiques notamment, reste à mettre en place. La précision doit être la règle.

M. le Rapporteur : Vous nous dites qu'en 1996, vous avez demandé l'élimination des farines pour tous les animaux. Pourquoi pas avant, puisque le problème des farines était connu avant 1996 ? Comme M. le président vient de l'indiquer, elles étaient interdites pour l'alimentation des bovins depuis 1990. Sur quelles bases vous appuyez-vous pour exprimer votre demande et pourquoi en 1996 ? Tout le monde s'interrogeait alors et tout le monde s'interroge encore sur l'opportunité de rétablir pour les monogastriques ces farines désormais supposées sans danger, puisque tous les matériaux à risque en ont été retirés.

Mme Marie-Jeanne HUSSET : En 1996, nous relayions les demandes des associations de consommateurs, c'est aussi notre travail. Dès cette époque, les farines animales étaient largement incriminées dans la crise de la vache folle. Nous avions aussi été attentifs aux décisions prises en Grande-Bretagne, pays certes largement plus touché que la France, mais qui, dès le début, avait interdit ces farines pour l'alimentation des ruminants. En écoutant les scientifiques français mais également britanniques, il semblait qu'à long terme cette solution paraissait pratiquement inéluctable.

M. Germain GENGENWIN : Les farines animales ont toujours existé. On en faisait déjà la publicité en 1900. L'Etat en vendait en vrac ou en sacs. Ce phénomène n'est pas nouveau. Il faudrait donc bien définir à quel moment est intervenue la maladie et pourquoi. J'aimerais également savoir comment le consommateur peut intervenir en amont au niveau de la recherche. Il faudrait soumettre les résultats des recherches aux consommateurs avant de les diffuser. Peut-être est-ce une solution ? Vous évoquez les conditions de production. Vous montrez à la télévision des images d'ateliers de volailles, de porcs et même de bovins. Il est certain que le consommateur va réagir très violemment. Ce n'est pas une critique. Il est bon que les poulets soient en plein air. Mais je pose la question. Le consommateur est-il disposé à payer le prix d'une telle modification du mode de production ?

Enfin, vous indiquez que le consommateur fait confiance aux informations que vous diffusez à travers vos médias et que seuls 15 % d'entre eux font confiance aux pouvoirs publics ou à la publicité des entreprises. Mesurez-vous votre pouvoir en ce domaine avec toutes les conséquences sur le marché et la situation actuelle que cela comporte, alors que les pouvoirs publics publient des pages entières dans la presse affirmant que la consommation de viande contrôlée est sans danger ? Vous êtes peut-être hésitants, mais une immense responsabilité vous incombe à l'égard du consommateur. Je ne mésestime pas votre rôle quant à la défense de la santé, bien sûr. Mais le problème demeure. Sur ce point, le rôle des organisations de consommateurs est immense.

Mme Maïté ERRECART : Sur la relation avec la recherche, il faut en discuter avec les chercheurs. L'INRA nous disait qu'à aucun moment les consommateurs ne sont associés à des travaux tels que les appels d'offres, qu'ils soient européens ou nationaux. La recherche est orientée à la marge. Les chercheurs ont besoin de moyens contractuels pour développer leurs travaux. Lors de l'élaboration de ces appels d'offres, il pourrait y avoir une consultation des associations de consommateurs. En ce moment, l'INC n'est absolument pas associée à des travaux de réflexion sur les recherches à mener. Personnellement, je trouve cela regrettable.

En ce qui concerne l'information sur les conditions de production, nous ne voulons pas nous limiter à montrer des volailles qui courent ou des porcs dans de la litière. Tel n'est pas notre objectif. Notre livre s'efforce de décrire les conditions de production industrielle et les accidents qui peuvent survenir. Il s'agit de faire l'information la plus objective possible et de sortir de la « boîte noire ».

M. le Président : Qu'entendez-vous, en l'espèce, par « boîte noire » ?

Mme Maïté ERRECART : « Boîte noire », cela signifie que les consommateurs ne savent pas exactement comment les marchandises sont produites ; ils en voient le résultat mais pas les processus. Quand on les avertit des conditions de production actuelles, ils sont relativement effrayés. Leur réaction serait plus sereine si on faisait un travail d'éducation réel qui leur montre les conditions de production effectives, les accidents susceptibles de survenir et les progrès significatifs réalisés dans le domaine de l'agroalimentaire. Une des préoccupations qui se fait jour en France est celle du bien-être des animaux, on le constate déjà dans d'autre pays. Les producteurs ont intérêt à s'en préoccuper.

M. le Rapporteur : Et sur la question du prix ?

Mme Maïté ERRECART : Lors d'une récente enquête, nous avons demandé aux consommateurs s'ils étaient prêts à payer la qualité plus cher. La réponse a été oui à 58 %, non à 41 %. La qualité est aujourd'hui considérée comme un droit. Sept millions de personnes ont des revenus modestes. Leur point de vue est légitime ; la qualité, ils y ont droit comme les autres. Les associations l'expliquent fort bien. Ainsi l'ORGECO indiquait qu'en France, compte tenu de la situation des revenus, certains consommateurs se déclaraient prêts à payer la qualité, d'autres la considéraient comme un droit.

Mme Marie-Jeanne HUSSET : L'enquête que nous avons commandée au CREDOC l'explique très clairement. Pour les consommateurs, résolument, la qualité est un tout. C'est un triptyque. C'est tout à la fois le goût, la qualité nutritionnelle et la sécurité. L'ensemble de ces trois exigences représente la qualité. Quelle belle leçon de bon sens donnée à l'ensemble des professionnels !

M. le Président : La parole est à M. Hellier.

M. Pierre HELLIER : Il faut absolument propager l'idée que tous les produits doivent être sécurisés, même en dehors de la consommation alimentaire. Toute notre consommation doit être sécurisée. Cela entraînera nécessairement des différences de prix, de qualité, de produits. Mais on ne peut pas accepter qu'un produit bas de gamme ne soit pas sécurisé.

Vous parlez d'organiser le débat citoyen. Honnêtement, pour ce qui concerne les farines animales, cela semble possible, puisque vous évoquez ce problème depuis 1996. Vous préconisez de prévenir la prochaine crise. Mais par définition, elle est imprévue. Alors comment avoir un débat adapté et comment concilier l'urgence dans laquelle se trouveront les responsables gouvernementaux par rapport aux décisions qu'ils auront à prendre ? Un débat sur les farines animales aurait été une bonne chose, cela aurait accéléré la décision. Mais on aurait certainement été amené à prendre les décisions avant la fin de ce débat. Comment concilier ce débat citoyen avec l'urgence des décisions ? C'est certainement très difficile.

M. François DOSE : Je voudrais faire deux observations. Quelle est la différence entre citoyen et consommateur ? Une pétition à cinq mille exemplaires pour que le train s'arrête dans telle gare, c'est le citoyen qui l'a fait. Parmi ces cinq mille personnes, il n'y en a pas dix qui montent dans le train. Quand on me dit qu'il faut beaucoup de petites épiceries dans le centre ville et que c'est scandaleux qu'il n'y ait plus que des banques ou des assurances, nous savons bien que, le samedi, les gens vont dans la ville voisine pour remplir le coffre de leur voiture. Le vocable consommateur-citoyen est une recherche intéressante, mais à préciser.

Deuxième remarque, j'ai bien compris ce qu'était le risque subi et le risque volontaire, le risque connu et le risque inconnu. J'ai moins compris ce qu'était le risque juste et le risque injuste.

Enfin, troisième question : avez-vous déjà mesuré le poids relatif de votre information mensuelle face à l'information quotidienne des journaux télévisés de midi et de vingt heures ? Avez-vous des contributions, des propositions sur ce point ?

Vous nous dites : nous sommes indépendants. Cette indépendance serait-elle meilleure si vous étiez rattachés à un autre ministère ? Avez-vous toujours été indépendants ou y a-t-il eu à un moment donné des rétentions sollicitées par les pouvoirs publics ? La question se pose puisque la Suède mettait en place dès 1986 ce que vous engagez en 1996. Comment expliquer ce décalage ? S'agit-il d'une prise de conscience collective ou y a-t-il eu rétention ? Avez-vous des documents là-dessus ?

Pouvez-vous nous confier le numéro que vous avez publié en 1996 ? Vous avez répondu à l'un de nos collègues qu'il résultait de la demande des associations. Aviez-vous fait un travail, au préalable, à l'INC ? Je ne comprends pas bien quand vous choisissez de publier ou non. Quels sont les critères de votre décision ?

M. Jean-Pierre DUPONT : J'ai bien compris le triptyque de votre action, c'est-à-dire l'expertise, l'éducation et l'information du consommateur. Je voudrais savoir quelles sont les méthodes qui vous permettent de mesurer l'importance des conséquences de l'information ? Nous avons connu ici au cours de la crise de l'ESB des dérives totales. J'ai entendu parler de cannibalisme bovin, de polygastriques devenus carnivores et cela de la bouche même de certains de nos collègues.

Je voudrais savoir quelles sont vos méthodes d'expertise par rapport au seuil d'information et au seuil de réceptivité. Il faut tenir compte des possibilités de réceptivité d'une population de 60 millions de consommateurs. En ce qui concerne la dérive de l'information, même si vous-mêmes pensez donner la bonne information, celle-ci est reprise et peut être déformée. Les conséquences peuvent alors être pires que le mal.

Mme Maïté ERRECART : Je vais préciser la distinction entre le risque juste et le risque injuste. Si je prends un risque parce que j'en tire un certain bénéfice, je le considère comme juste. Par exemple, je me déplace en voiture et donc j'assume le risque d'un éventuel accident. Ce qui est difficilement acceptable, au contraire, c'est le risque que vous subissez alors que le bénéficiaire en est une autre personne. Dans le cas des OGM, le bénéficiaire, ce n'était pas le consommateur final. Le bénéfice se situait dans la filière de production.

A ce stade, je dois dire quelques mots sur ce qu'est l'INC. L'Institut national de la consommation, c'est quatre-vingt-cinq personnes. Il ne faut pas s'imaginer un super institut. L'expertise que nous sommes capables de développer est nécessairement limitée par les moyens qui nous sont octroyés. Nos subventions se montent à 25 millions de francs par an. C'est une somme insuffisante et le nombre de nos experts en matières juridique, économique ou technique est réduit. Nous nous appuyons sur une expertise, mais elle est limitée. C'est pourquoi je vous disais en préambule que le sujet des farines animales et les conditions de production n'ont pas fait l'objet de travaux nous permettant d'acquérir une expertise.

A la question : comment travaillons-nous, je répondrai que, par exemple pour ce livre, nous avons fait appel aux experts de l'AFSSA ainsi qu'à des professionnels. Nous avons constitué un comité technique pour élaborer de l'information et s'assurer de sa qualité. L'expertise n'est pas interne alors nous allons chercher de l'expertise externe.

Enfin, je répondrai à un certain nombre de questions : quel est notre pouvoir, quel est le poids de l'information, le poids de 60 millions de consommateurs ? A l'heure actuelle, nous vendons à 150 000 exemplaires. C'est la limite de notre intervention et nous le regrettons. Même si nous sommes lus en moyenne par 5 ou 6 personnes, ça ne laisse qu'un impact limité. Il est clair que, dans les émissions de télévision, notre audience est nettement supérieure. Consomag, réalisé en collaboration avec les associations de consommateurs recueille une audience de 4 millions de téléspectateurs, ce qui n'est pas négligeable et nous assure un certain impact. Mais ce magazine ne représente que 3 ou 5 minutes deux fois par semaine. Il faut garder la mesure de ce qu'est notre pouvoir. En tant que directrice de l'INC, je pense que nous devrions avoir des moyens supplémentaires pour développer des émissions de télévision puisque, comme je vous l'ai indiqué, notre parole est crédible. Elle est fondée sur l'expérience de nombre d'années où nous assurons une information pratique et de qualité auprès des téléspectateurs.

Mme Marie-Jeanne HUSSET : Je répondrai à la question posée par M. Dosé : y a-t-il eu des pressions ? Je peux témoigner de la période que je connais, c'est-à-dire six ans puisque je suis directrice de la rédaction de 60 millions de consommateurs depuis janvier 1995. Je peux assurer qu'il y a une indépendance éditoriale totale. Des pressions, je ne dis pas qu'il n'y en a pas eu par le passé, je n'en sais rien. Il y a peut-être des tentatives de pression, y compris de la part d'industriels, mais elles sont relativement faibles parce qu'il y a une capacité de résistance. Je précise jusqu'à présent parce que l'indépendance, c'est comme la liberté, ça s'acquiert tous les jours.

Nous n'avons pas le sentiment d'avoir du pouvoir, mais surtout des responsabilités et ce n'est pas seulement par la diffusion de notre titre mais parce que notre titre sert de référence. Cela confère beaucoup de responsabilité aux journalistes que nous sommes. J'ai le souci que tous les journalistes qui participent à la confection du magazine respectent une déontologie qui est tout simplement la déontologie journalistique, c'est-à-dire ne pas avoir le goût du sensationnalisme, vérifier son information plutôt deux fois qu'une. Si tous les journalistes sont censés le faire, nous nous allons vérifier trois fois. Ca veut dire aussi ne pas se laisser inviter, ne pas recevoir de cadeaux. Nous avons le grand souci de respecter une parfaite déontologie.

Mme Marie-Jeanne HUSSET : M. Hellier, je voudrais répondre à la question que vous avez posée. Ce n'est évidemment pas au moment de la crise qu'il faut organiser les débats, puisque par définition les débats seraient faits pour éviter les crises, les prévenir. Une fois la crise déclenchée, il n'y a plus grand chose à faire. On ne peut pas connaître par avance les thèmes de la prochaine crise, mais on sent monter les inquiétudes. L'épandage des boues des stations d'épuration : voilà un bon thème pour le débat public dans les régions avec tous les interlocuteurs, les professionnels, les citoyens, les associations.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition conjointe de :

Mme Marie-José NICOLI,
présidente de l'Union fédérale des consommateurs-Que Choisir ;

Mme Reine-Claude MADER, présidente de la Coordination ;

et de M. Christian HUARD, président de Consofrance

(extrait du procès-verbal de la séance du 20 mars 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

Mmes Nicoli et Mader et M. Huard sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation de M. le Président, Mmes Nicoli et Mader et M. Huard prêtent serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Votre éclairage nous sera précieux pour aborder un volet important de la commission d'enquête relatif à l'information et à la protection des consommateurs. Dans ce domaine, la commission a pour mission de vérifier qu'au fur et à mesure de l'avancée des connaissances scientifiques concernant l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), la chaîne alimentaire a fait l'objet de mesures de précaution appropriées. Nous souhaitons être également en mesure de tirer la leçon des crises que nous traversons. L'alimentation est étroitement liée à la vie et à la santé. En ce domaine, on a le sentiment que le moindre risque est considéré comme inacceptable. Nous aurons à en tenir compte dans les mesures que nous proposerons mais nous aurons aussi à faire partager l'idée selon laquelle le risque zéro n'existe pas et que ça vaut aussi pour l'alimentation. Je souhaiterais aussi que nous évoquions un sujet qui nous tient à c_ur, celui de l'information : comment une information doit-elle être diffusée pour être compréhensible, sans, pour autant, provoquer des réactions irrationnelles et disproportionnées ?

Mme Marie-José NICOLI : L'affaire de l'ESB est un excellent phénomène pour étudier les comportements des consommateurs, du pouvoir politique, des pouvoirs publics et des professionnels dans tous les Etats membres, ainsi qu'au niveau communautaire. Si des sociologues se penchaient sur l'évolution de ce dossier, on pourrait pointer beaucoup de défaillances de la part de tous ces acteurs, nous y compris. Les défaillances, je les citerai très rapidement.

Le dossier de l'ESB a pour origine la Grande-Bretagne et ce n'est pas un hasard. Avec la politique de déréglementation, le domaine agricole est pratiquement privatisé. Il n'y avait, à l'époque, que des autocontrôles. Le gouvernement anglais a été alerté à plusieurs reprises par la commission Zukerman sur les problèmes que posait une alimentation des ruminants contenant des déchets animaux. Il n'y a pas eu de réaction ; l'Angleterre a aussi été informée qu'en 1981 et 1982, les procédés techniques de chauffage des farines avaient été modifiés. Le gouvernement anglais a attendu plus d'un an après l'apparition de la maladie de l'ESB, déclarée en juin 1987, pour prendre les premières mesures. Ces mesures consistaient à interdire les protéines animales pour l'alimentation des ruminants, mais ne prévoyaient pas l'interdiction des exportations. La Grande-Bretagne a laissé exporter des dizaines de milliers de tonnes de farines animales. Plus grave encore, de 1988 à 1993, les exportations d'abats ont été multipliées par quinze, les chiffres sont officiels, et l'on suppose que parmi ces abats servant à la fabrication des produits gélifiants ou liants, certains étaient contaminés.

L'Angleterre a été informée de la possibilité de transmission de la maladie à l'homme dès 1989. Les abats ont été interdits dans ce pays, mais n'ont pas été interdits à l'exportation. C'est le système du double langage : on se protège en interne et on envoie à l'exportation ces produits qui peuvent contaminer le reste de l'Europe. L'information officielle de la transmission à l'homme ne s'est faite qu'en mars 1996, c'est assez tardif ! Sur ce point, l'UFC-Que Choisir a déposé une plainte auprès de la Commission européenne le 23 juillet 1999, afin que celle-ci déclenche une procédure auprès de la Cour de justice des communautés européennes contre le Royaume-Uni et les pouvoirs publics anglais. Cette plainte est toujours en cours : la Commission ne sait pas trop quoi en faire. Elle voudrait bien le classer, mais si c'est le cas, évidemment nous le ferons savoir. Si elle ne le fait pas, ce serait en quelque sorte une reconnaissance par la Commission d'un certain nombre de manquements.

Pour ce qui concerne la France, les problèmes se sont posés entre 1988 et 1996, période de laxisme, de défaillances et de manquements de la part des pouvoirs publics et du pouvoir politique, parce que les décisions ont été prises très tardivement. Toutes les personnes qui développeront la maladie de Creutzfeldt-Jakob l'auront contractée entre 1988 et 1996. Quant aux bovins, je pense qu'à la fin 2001 on verra une diminution des cas d'ESB du fait des mesures prises en 1996. La France a décidé en 1990 la suppression des farines animales dans l'alimentation des bovins. Vous verrez dans le document que je vous ai remis que l'interdiction des farines animales anglaises ne s'est pas faite par décret mais par un simple avis Minitel, en février 1990, adressé aux différents professionnels et les invitant à ne plus utiliser les farines animales en provenance d'Angleterre dans l'alimentation des porcs et des volailles.

Après la suppression des farines animales pour les bovins en France, en 1990, des mesures ont stipulé, en 1996, l'interdiction de l'incorporation aux farines animales des cadavres de tous les animaux, des matériaux à risque spécifiés et des saisies d'abattoirs. Toutefois, il faut noter un côté trompe l'_il pour le consommateur français, puisque dans le même temps on continuait à importer de certains Etats membres, comme l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, de la viande d'animaux qui mangeaient des farines contaminées.

L'évolution communautaire a été encore plus lente. Je vous donne deux exemples très parlants : interdiction des farines animales pour les ruminants en France en 1990, au niveau communautaire en 1994, soit quatre ans après ; suppression des matériaux à risque spécifiés, des cadavres et des saisies d'abattoirs dans la composition des farines animales en France, en juillet 1996, au niveau communautaire, le 1er octobre 2000. Imaginez ce que les Allemands ont dû manger comme matériaux à risque dans leurs saucisses ! A l'heure actuelle, les farines animales sont proscrites dans toute l'Europe et nous espérons qu'elles vont l'être définitivement. Mais ce n'est pas acquis. Les industriels font pression au niveau communautaire pour les rétablir. Nous ne sommes pas assurés que toutes les farines ont les mêmes caractéristiques que les farines françaises, puisque entre octobre 2000 et novembre 2000, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie et les autres Etats membres n'ont pas eu le temps de mettre en place les systèmes pour nettoyer ces farines, ce qui veut dire qu'au niveau communautaire on reviendrait à une situation assez désagréable pour les consommateurs.

A l'heure actuelle, le problème est d'ordre environnemental, puisqu'il existe en France une vingtaine de sites de stockage de farines animales impropres en attente de destruction. Au Royaume-Uni, ce sont des bateaux poubelles entiers qui naviguent le long des côtes du pays en attente d'une solution.

L'affaire de l'ESB montre la faiblesse des organes de contrôle et d'inspection. La suppression des farines animales en France est une décision politique. L'AFSSA et le Comité Dormont ont indiqué que les farines animales devaient être considérées comme sans danger pour l'alimentation des porcs et des volailles. Mais cela n'a pas été suivi sur le terrain par un travail de contrôle et les professionnels n'ont pas fait l'effort de mettre en place des circuits étanches entre aliments pour ruminants et aliments pour porcs et volailles. Dans ces conditions, une contamination croisée s'est produite, qui a conduit à cette interdiction totale. S'il ne s'agissait que d'une contamination croisée avec des farines animales françaises, les risques n'auraient pas été trop sérieux après 1996. On peut se poser des questions sur les importations de farines allemandes ou espagnoles. Il y a eu des contaminations croisées également dans les autres Etats membres ; imaginez les conséquences dans des pays comme l'Allemagne ou l'Espagne où les matériaux à risque n'étaient pas retirés des farines.

En conclusion, la grande leçon à retenir, c'est que la communication en la matière a explosé. Les consommateurs sont maintenant surinformés de tous les problèmes de sécurité alimentaire. Tout le monde est sensibilisé, que ce soient les pouvoirs publics, les politiques, les médias ou les consommateurs. C'est un point positif. Pour l'avenir, il faut impérativement, lorsque des décisions sont prises dans la gestion des risques après l'évaluation scientifique, faire participer tous les acteurs sur le terrain. Ainsi, dans le cas des farines animales, on aurait dû associer étroitement les associations de riverains, les transporteurs, les fabricants d'aliments pour que la décision puisse s'appliquer sur le terrain. Je tiens à le souligner, ce point est extrêmement important.

Mme Reine-Claude MADER : Je ne vais pas revenir sur la chronologie des faits, qui a été évoquée par Mme Nicoli. Je voudrais néanmoins faire à ce sujet une observation. Cette chronologie fait apparaître qu'on parle de ces problèmes liés aux farines animales depuis seize ans. C'est donc extrêmement ancien. Ca fait quinze ans que l'on sait que l'ESB est transmissible au sein de l'espèce animale et cinq ans que le gouvernement britannique a fait savoir qu'elle était transmissible à l'homme. Cette chronologie est publiée sur le Net et tout le monde peut y avoir accès. Quelques mois après l'annonce par le gouvernement britannique de la transmissibilité de la maladie à l'homme, un décès attribué à cette nouvelle maladie de Creutzfeldt-Jakob était enregistré en France. Les questions qui se posent sont relatives aux bovins mais aussi aux ovins, ce qui déstabilise un peu plus les consommateurs, ainsi qu'à une possibilité de transmission aux autres espèces. Il n'y a pas de réponse. A cela vient enfin s'ajouter la question du traitement. Pour les organisations que je représente ici, il est urgent de dresser des bilans de cette crise sur les plans économique, écologique et de santé publique.

Sur le dernier point, il convient de déterminer avec exactitude l'incidence de la nouvelle maladie de Creutzfeldt-Jakob et d'en avoir une connaissance plus approfondie. Il faut absolument développer les tests prédictifs à un stade précoce, de manière à lever un certain d'ambiguïtés rapidement. Des doutes importants demeurent sur l'innocuité des produits de transfusion et des greffes, tels que la désinfection des matériels de chirurgie ou de diagnostics qui ne sont pas à usage unique. Les derniers résultats obtenus par différentes équipes, écossaise, suisse, sur un nouveau marqueur de la contamination à un stade précoce, ouvrent de nouvelles voies et nous souhaitons qu'elles soient explorées.

Deuxième type de questions, celles relatives à la protection des consommateurs. On l'a dit, un certain nombre de mesures importantes et efficaces ont été prises, nous n'en doutons pas un seul instant. Cependant, de nombreux doutes subsistent quant aux tissus et substances susceptibles de véhiculer le prion, chez les bovins, les ovins et l'ensemble des animaux d'élevage. Nous nous interrogeons toujours sur l'innocuité des gélatines utilisées tant dans l'alimentation que dans les médicaments, ainsi que sur le colostrum et les produits laitiers. Nous nous posons également un certain nombre de questions sur les ovins, parce qu'on a laissé entendre qu'il n'y avait pas de problème ; cependant nous considérons que trop peu d'analyses ont été effectuées pour fonder une opinion définitive. En tant qu'organisations de consommateurs, nous demandons que des analyses soient réalisées à grande échelle dans tous les pays de l'Union européenne producteurs de mouton, en attendant que tous les tissus considérés comme à risques potentiels par l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA) soient retirés de la chaîne alimentaire, au nom du principe de précaution, sur lequel nous reviendrons plus tard. Nous savons que le porc développe la maladie si on lui injecte le prion, mais non s'il ingère ces mêmes tissus. Il y a donc lieu de mettre en place un certain nombre de moyens pour infirmer ou confirmer les doutes des scientifiques et ceux des consommateurs.

Enfin, il faut multiplier les contrôles des denrées alimentaires, de l'abattoir à la distribution, afin de s'assurer que les réglementations sont suivies en matière de retrait de tissus à risques, et ceci quelque soit l'origine géographique des denrées. Ceci implique une harmonisation des règles européennes et nécessite la mise en place d'une traçabilité efficace, en particulier pour la triperie, ainsi que la prescription des mêmes règles aux produits d'importation, problème à ne pas négliger notamment quand on pense aux pays tiers.

En matière de recours aux farines animales, nous condamnons de manière extrêmement sévère les exportations faites par les Anglais de ces produits alors même qu'ils les savaient contaminés. Des organisations, dont la mienne, la CLCV, membre de la Coordination, se sont portées partie civile dans le dossier des importations en provenance de Grande-Bretagne qui a été confié au juge Edith Boizette. Nous déplorons les lenteurs de la justice. Un certain nombre d'organisations partie civile, dont d'ailleurs celle de Mme Nicoli, ont été reçues par la juge. Elles ont pu se rendre compte que peu de choses avaient été faites et que le dossier avait été laissé en souffrance, vraisemblablement parce qu'il présentait d'énormes difficultés.

Les organisations que je représente ici ont considéré qu'il fallait abandonner définitivement, et pour toute espèce animale sans aucune exception, l'utilisation de ces farines dans l'alimentation. D'une part, il n'est pas facile d'isoler les types de production pour telle et telle espèce animale, d'autre part des contaminations sont également possibles dans les chaînes de fabrication à tous les niveaux. Les organisations dénoncent également le problème du cycle alimentaire fermé. Les personnes qui nous ont précédés ont utilisé l'expression de cannibalisme. Cette expression est fausse, puisque les animaux ne se mangent pas entre eux au sens propre du terme. Par contre, le recyclage des produits issus des animaux pour les donner aux autres animaux nous fait craindre la multiplication d'agents infectieux. Pour la première fois, on a supposé que, si la fièvre aphteuse se développait avec une telle rapidité malgré les mesures draconiennes qui avaient été prises, c'était à cause d'une moindre résistance des animaux à la suite des sélections dont ils font l'objet et des types de farines qu'on leur donne.

Enfin, pour ce qui est de la question de l'élimination des déchets, les riverains des centres de stockage de ces farines sont inquiets et demandent des procédures d'enquête publique pour l'ouverture et la gestion de ces sites. A notre époque, il n'est pas concevable de décider d'implanter un site d'élimination des farines sans avoir consulté au préalable les riverains, sans les avoir préparés, notamment en leur expliquant les risques encourus ou l'absence de risque, ce qui me semble là tout à fait clair.

En matière de lutte contre l'ESB, toutes les mesures tendant à l'éradication de la maladie ne peuvent être efficaces que si elles sont de portée européenne. Nous devons également définir une politique vis-à-vis des pays tiers. Un système excellent en France ne suffit pas. De plus en plus de consommateurs achètent de la viande importée, notamment si elle s'avère moins onéreuse. Nous préconisons donc un niveau de protection harmonisé au niveau européen et discuté avec les pays tiers en essayant de leur imposer à eux aussi.

Enfin, nous plaidons pour une agriculture différente. Nous considérons qu'il faut réétudier les systèmes d'attribution des aides en fonction de l'agriculture et de la production que nous voulons. De la même manière, nous souhaitons des mesures tendant à favoriser la production de protéines végétales, même si cela remet en cause la politique des quotas arrêtée à Blair House. Je vous remettrai une note reprenant complètement les différents points que j'ai développés.

Je voudrais encore développer deux arguments et souligner notamment un problème de réglementation. Selon moi, les textes réglementaires, qu'ils soient français ou européens, sont d'un niveau assez bas, insuffisant pour des directives.

Dernier point, relatif à l'agriculture : les consommateurs prennent l'habitude de consommer des produits issus de l'agriculture biologique parce qu'ils pensent qu'ils sont d'une qualité supérieure aux produits provenant de l'agriculture classique. Là encore, il faut être vigilant car ces denrées subissent des traitements, contrairement à ce que prétendent ceux qui les produisent.

M. Christian HUARD : Beaucoup de choses ont été dites. Je pourrais, dans certains cas, actualiser ou marquer des différences avec ce qui a été dit précédemment et faire état de nos inquiétudes d'aujourd'hui. Nos adhérents, à Consofrance, sont issus du monde de l'enseignement, de la recherche et de l'université. Ils sont proches des milieux scientifiques, ce qui nous permet d'avoir des éléments d'information complémentaire à des discours officiels ou à des prises de position de leurs propres institutions. Ils nous apportent des éléments d'analyse, d'information, d'hypothèse entendus dans les milieux scientifiques et qui ne sont pas forcément du domaine de la publication scientifique officielle. Nous sommes amenés à travailler avec un certain nombre d'éléments d'information recueillis par questionnement de nos adhérents pour sortir un peu des discours officiels. Dans le domaine scientifique aujourd'hui, il y a de nombreuses interrogations sur cette maladie, sa transmission, ses causes, ses origines. Les éléments que je vous livre ici viennent autant de ces milieux que de l'analyse politique d'un mouvement de consommateurs.

Premier élément, nous connaissons un problème de gestion politique et institutionnel. S'il existe des commissaires européens chargés de la santé et de la consommation, en France on n'a toujours pas de ministre chargé de la consommation. Il y a bien un secrétariat d'Etat aux PME PMI, au Commerce et à l'Artisanat. Ce portefeuille est énorme. On a rajouté, il y a quelques années, la Consommation. Les agriculteurs sont gérés par un ministère, la santé l'est par d'autres ministres, mais en France, au niveau de la consommation, de l'attente, de l'écoute du citoyen, rien n'est prévu du point de vue institutionnel. On note les mêmes faiblesses chez nos voisins allemands : la crise était gérée là-bas par le ministre de l'Agriculture. Le jour où il a failli, cela a entraîné la création d'institutions nouvelles. A la Commission de Bruxelles on a tiré des leçons politiques des crises précédentes : si aucune personne n'est en charge des intérêts des consommateurs, incontestablement le risque est grand de déséquilibre dans les choix politiques. Nous ne pouvons pas travailler sans interlocuteur. Je prétends même que lorsqu'on parle du problème de la vache folle au nom des agriculteurs, ça ne rassure pas les consommateurs. Par contre, si on avait un vrai ministre de la Consommation qui s'exprimait au nom de la légitimité des consommateurs, je reste persuadé que sa voix serait mieux entendue, ce serait un élément favorisant la sortie de crise.

Voilà pourquoi nous étions pour le dépistage systématique, ce qui a suscité des débats. Chez les scientifiques, se posait la question de savoir si on allait tester toutes les bêtes. Au départ, la Commission européenne avait adopté le dépistage pour quelques milliers de bêtes en vue d'une étude épidémiologique et d'une meilleure connaissance du développement de cette maladie. Ce fut également le cas très vite en France, d'ailleurs bien avant l'ensemble de l'Europe. Nous sommes fermement convaincus qu'en rendant obligatoire le test systématique pour les bêtes de plus de 30 mois, on ouvrirait un marché du test qui nous permettrait d'espérer à terme une meilleure connaissance de la maladie chez tous les animaux, et non pas simplement sur un petit échantillon pour les besoins des scientifiques, mais pour avoir une véritable estimation sanitaire des risques encourus. Nous savons que les tests ne sont pas suffisants, ni d'une totale fiabilité, mais ça crée une dynamique, un marché qui peut espérer la mise au point de nouveaux tests de plus en plus performants et sensibles. Le passage de la mise au point de tests pour 50 000 bêtes à des millions de bêtes engage une autre dynamique dans les laboratoires de recherche privés et publics. Quand il n'y a pas de vrai marché, il n'y a pas de mobilisation scientifique et financière suffisante pour aller vers une meilleure sensibilité. Notre choix a été économique d'abord : mettre en place une dynamique qui nous permette d'avoir un meilleur contrôle de cette maladie.

Pourquoi avoir demandé, nous aussi, l'interdiction des farines animales, malgré une sécurisation très forte des farines par le retrait des matériaux à risque spécifiés ? On pouvait imaginer que les produits obtenus seraient sans aucun danger pour les cochons, les poissons et les volailles. Mais les scientifiques nous disent que ni la fraude ni les contaminations croisées expliquent le nombre en hausse de bovins atteints de l'ESB en France. D'autres que moi ont annoncé une troisième voie, parce qu'il y a une incertitude. J'ai transmis un dossier à ce sujet à la commission. Cette question est lancinante, elle prend des développements nouveaux ces derniers temps.

En Angleterre, un neurologue s'est penché sur le cas d'un petit village du Kent, Nottingham, où l'on a enregistré cinq décès et deux autres personnes atteintes de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (nvMCJ). C'est un véritable problème scientifique. Il y a certes un petit boucher, mais à lui seul il n'épuise la totalité de l'élevage voisin. Dans les villages alentour, aucun cas de maladie n'a été décelé. Cette concentration de cas a amené les chercheurs anglais, isolés au départ, à se demander s'il n'y avait pas une autre source de contamination ou de transmission de cette maladie en dehors de l'alimentation bovine. Si ce n'est pas par la consommation de bêtes contaminées qu'on contracte la maladie, ça change complètement les données économiques et sanitaires. Lors du dernier Salon de l'Agriculture, nous avons reposé la question à l'AFSSA : le risque d'une contamination par l'eau, qui avait été minoré, repoussé, n'est-il pas au c_ur du problème ? L'AFSSA a reconnu que cette hypothèse était revue à la hausse ces derniers temps par les scientifiques. La semaine dernière, à l'Académie des sciences, trois jours ont été consacrés à l'état des recherches sur l'ESB et les maladies à prions. Ces rencontres se sont déroulées à huis clos, mais des chercheurs nous ont dit que cette hypothèse avait été travaillée. Toutefois, les chercheurs anglais ont refusé de communiquer les conclusions qu'ils doivent déposer aujourd'hui même à Londres. Si j'en parle ici, c'est parce qu'après la filière bovine, nous aurons à gérer un autre dossier sur les maladies à prions.

Dès 1996, notre organisation, avec d'autres, s'était demandée pourquoi aucun chercheur, en dehors du Commissariat à l'Energie Atomique, ne s'intéressait au prion. Quelques chercheurs, à titre individuel, s'y intéressaient, mais il n'y avait pas de crédits de recherche affectés à l'INRA, au CNRS ou au CNEVA. La curiosité scientifique existait, mais il n'y avait pas de projet piloté sauf au CEA. C'est là qu'exerce M. Dormont, neurovirologue et médecin militaire, qui est devenu le grand spécialiste français. C'est le CEA qui a découvert le test le plus performant en France. Ce test n'est d'ailleurs pas exploité par un laboratoire français, il a été revendu à un laboratoire américain, Bio-Rad dont la revue scientifique s'appelle «Bio Radiation ». Aux Etats-Unis aussi, la plupart des recherches sur les maladies à prions ont été effectuées par le ministère des Armées. Autre fait spectaculaire, ce sont des animaux en liberté, les cerfs, les bisons sauvages, aux Etats-Unis, qui sont atteints de la maladie de la vache folle, et non les animaux domestiques. De même, au Canada, on note des cas d'ESB parmi les rennes qui se déplacent dans des zones où des expérimentations nucléaires aériennes ont eu lieu.

Voilà les pistes sur lesquelles nous travaillons : il y a une inconnue scientifique. Cette protéine existe depuis toujours, le problème, c'est qu'elle a changé de forme. Comment une protéine peut-elle changer sa forme de cette façon là et en plusieurs points du globe en même temps ? En effet, contrairement à ce que l'on peut dire, l'Angleterre n'est pas la seule à connaître ces premiers cas. D'autres cas ont été signalés chez d'autres types d'animaux de la planète.

Il y a donc trois hypothèses possibles. Tout d'abord, la thèse du micro virus, que défendent le professeur Dormont, les virologues et les biologistes. Ensuite, il y a la thèse de la mutation naturelle, assez contestée par les spécialistes de zoologie. Sachant qu'il faut des décennies, voire des siècles pour qu'une mutation chez un animal gagne toute l'espèce et qu'un certain nombre de croisements et de reproductions sont nécessaires pour que toute l'espèce subisse cette mutation, cette thèse, compte tenu de la rapidité du développement de cette anomalie, est-elle aussi controversée. La troisième voie serait qu'une activité d'un type un peu particulier aurait provoqué, en plusieurs endroit du globe, la mutation de cette protéine sous l'effet de champs électromagnétiques, d'inonisations ou de radiations.

Faut-il donc limiter les causes de cette maladie aux farines animales ? Si nous demandons leur interdiction, c'est parce que nous voulons isoler le problème de la transmission, que ce soit par fraude ou contamination croisée. Selon les scientifiques, on déterminera exactement l'impact des farines animales comme agent de contamination en 2003 ou 2004, à moins qu'on ait trouvé d'ici là d'autres réponses. Tant qu'on n'aura pas supprimé cette cause, largement reconnue comme étant à l'origine de la contamination, on ne pourra pas isoler les autres facteurs de transmission. C'est pourquoi nous étions les farouches partisans de l'interdiction des farines, même si elles sont aujourd'hui décontaminées du fait du retrait des matériaux à risque. La question du jour n'est pas celle que l'on se posait il y a cinq ans.

L'interdiction des farines pour l'alimentation des poissons nous intéresse au plus haut point. En effet, des vétérinaires spécialistes de ce secteur considèrent que des bovins auraient pu être contaminés par l'absorption de l'eau des rivières sur des lieux proches d'aquacultures, piscicultures ou élevages de truites. On a relevé un cas dans les Vosges et un cas dans le Maine-et-Loire. Les prions peuvent se retrouver concentrés dans un certain nombre de zones de rivières et pourraient être un agent contaminant. Je vous donne cet élément d'information supplémentaire pour vous indiquer les thèmes de nos études.

M. le Rapporteur : Vous avez dit, les uns et les autres, des choses très précises, ce qui va amener de ma part quelques questions simples. Tout d'abord, Mme Nicoli vous avez évoqué la commission Zukerman de 1979. Quels documents peut-on avoir de cette commission ?

Mme Marie-José NICOLI : Le gouvernement anglais a mis en place en 1979 la commission Zukerman dont le rapport, figurant dans le document que je vous ai fourni, explique les dangers liés aux abats. Nous avons présenté ce document dans les procédures judiciaires en cours.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué des importations de farines anglaises notamment : comment en avez-vous été informés ? Avez-vous pu alerter les pouvoirs publics ? Quand ? Avec quelles réponses ? Il s'agit de faire le point sur les dysfonctionnements que vous avez évoqués. Je note qu'aucun d'entre vous n'a évoqué les évolutions possibles de la traçabilité et l'étiquetage. Vous avez sans doute aussi étudié ce problème. J'ai le sentiment par ailleurs qu'on ne rend pas service à l'élevage, si on tente d'opposer ce qui est bio au reste. Je ne crois pas qu'il n'y ait que le bio qui soit sécurisé. Je viens d'un pays d'élevage où l'on trouve également, bien sûr, de l'agriculture biologique. Mais sur la qualité et la sécurité alimentaire, entretenir la confusion serait une erreur.

Mme Marie-José NICOLI : Pour ce qui est de l'évolution du dossier de l'ESB, notre association a informé les consommateurs à partir de 1989. Les premiers articles dans « Que Choisir » datent de cette époque. En 1990, nous avons publié l'avis de M. Castille, du Service politique des consommateurs de la Commission européenne, indiquant que celle-ci avait décidé de désinformer les consommateurs et de faire en sorte de mettre l'affaire de l'ESB sous le couvercle. Cette information a été reprise par la presse il y a deux ans. Lors de la mission Mattei, j'avais mis le document à disposition des parlementaires. Au fil des années, nous avons informé nos abonnés avec nos moyens ; nous comptons actuellement 340 000 abonnés à « Que Choisir » et 50 000 lecteurs en kiosque. La couverture d'information est bonne, elle comprend depuis 1996 tout le terrain judiciaire afin que rien ne soit étouffé et que les responsabilités soient prises.

Dans le domaine judiciaire, je citerai la plainte déposée devant les instances communautaires, afin que la responsabilité d'un Etat membre soit reconnue par l'Union européenne. Il ne s'agit pas de s'en prendre aux Anglais, mais s'il y a préjudice pour un consommateur dans un Etat membre, il doit être reconnu. Mme Mader faisait état tout à l'heure de la plainte relative à l'utilisation des farines animales, déposée chez la juge Boizette. Le dossier n'avance pas. Nous avons déclenché quatre ou cinq procédures où nous nous sommes portés partie civile au sujet de la découverte de farines animales contenant des boues provenant des stations d'épuration des usines en question. Enfin, nous sommes partie civile avec les familles qui ont déclenché des procédures concernant la nouvelle maladie de Creutzfeldt-Jakob. A travers toutes ces démarches, nous réunissons beaucoup d'informations. Ainsi, dans le dernier numéro de « Que Choisir », nous avons publié les résultats d'une enquête qui a duré plus d'un an sur la procédure instruite à Hazebrouck.

Pour ce qui concerne la traçabilité, il est vrai que les fabricants d'aliments refusent de donner toutes les informations sur les formules qu'ils livrent aux éleveurs, sous prétexte de secrets de fabrication. Par contre, la traçabilité des bovins s'est bien mise en place en France, c'est aussi de plus en plus le cas en Europe. Des doutes subsistent quant à la traçabilité des ovins. La taille des animaux fait obstacle à une traçabilité individuelle, ils sont tracés par lot.

Je voudrais faire remarquer que l'étiquetage est pour le consommateur un moyen d'information, mais aussi pour lui la faculté de jouer son rôle sur le marché. Quand on a l'origine ou la composition d'un produit, si un problème se pose dans un Etat membre ou un Etat tiers, le consommateur a la possibilité de ne pas acheter le produit. Je sais que cette thèse ne recueille pas les faveurs au niveau communautaire parce que les fonctionnaires redoutent que l'information sur l'origine des produits perturbe le marché unique. Par contre, ça ne les gêne pas de parler d'AOC ou d'IGP.

Enfin, troisième point sur la sécurité alimentaire, on arrive à une alimentation à deux vitesses. Mon organisation est tout à fait opposée à la réponse sur la sécurité sanitaire, réponse label ou produit bio. L'agriculture bio fait son chemin, se développe, mais ce n'est pas la réponse à la sécurité sanitaire. Nous pensons sincèrement que l'agriculture bio est un élément important du développement durable de l'agriculture, mais dans dix ans, en France, elle ne représentera que 8 % des territoires cultivés. Si on ne se fie qu'à l'agriculture bio, on mourra de faim, non par empoisonnement, mais parce que l'alimentation sera insuffisante. Nous approuvons l'analyse d'une agriculture productiviste qui doit évoluer dans le cadre de la PAC et des accords de Blair House, mais cela doit regrouper toutes les composantes, c'est-à-dire même les composantes de l'agriculture qui utilisent les produits chimiques. Les consommateurs ont besoin d'une forme d'agriculture et de produits qui nécessitent l'utilisation de produits chimiques. Qu'on en utilise de moins en moins, qu'on revoie la maîtrise de l'exploitation, nous y sommes tout à fait favorables. Les Allemands se fourvoient en donnant aux consommateurs la réponse « agriculture bio ». C'est un écran de fumée, c'est ne pas voir clairement qu'il y a une autre agriculture, même s'il faut la faire évoluer parce qu'elle n'est pas satisfaisante pour nous tous, pour l'environnement, pour la qualité des produits. On ne peut pas demain faire de tous les agriculteurs, des agriculteurs bio. On a d'ailleurs noté un ralentissement : en 1999, un peu plus de 2 000 fermes s'étaient reconverties à l'agriculture bio, en 2 000, il n'y en avait que 700. Si on demandait à tous les agriculteurs de se transformer en agriculteurs bio, on devrait alors se serrer la ceinture pendant trois ans et on serait contraint d'importer des produits sûrement moins contrôlés. En tant que présidente d'association de consommateurs, je n'ai aucun moyen de d'analyser les produits venant d'Argentine ou du Brésil par exemple, alors qu'en France je peux faire pression. J'éprouve des doutes quant aux produits venant de pays très lointains dont on m'assure qu'ils pratiquent l'agriculture extensive.

Mme Reine-Claude MADER : Dans les associations de consommateurs, au-delà de la défense des consommateurs au coup par coup, pour des anomalies qui sont avérées, nous avons une mission de veille. Nous nous tenons au courant de tout ce qui est fait au niveau de la qualité alimentaire, des problèmes de santé ou de sécurité en général de tel ou tel type de matériel. Par conséquent, ça fait très longtemps que l'on suit tout ce qui fait de nouveau et tout ce qui se pose comme problème, non seulement en France mais à travers le monde. Nous faisons partie d'organisations ayant des implantations européennes et internationales. Nous sommes membres de réseaux d'échanges qui ont pour nous une grande importance.

Au-delà de cette mission de veille et à la demande des pouvoirs publics, les associations de consommateurs participent à des institutions ou des instances siégeant en France au niveau de leur conseil d'administration, comme à l'INRA ou à l'AFSSA. Ainsi, les consommateurs ont accès à un type d'information dont ils ne disposeraient pas si les organisations étaient restées dans leur propre sphère d'influence.

De la même manière, à partir de toutes les relations que nous entretenons, s'est établi un réseau de scientifiques avec lesquels nous travaillons. Nos organisations disposent d'un nombre de spécialistes, en quantité certes insuffisante, nous le regrettons, mais auxquels est dévolue la tâche de nous servir d'interface avec le monde scientifique, afin de nous rendre accessible l'information. Personnellement, je suis responsable d'une organisation de consommateurs et je n'ai pas de formation scientifique. J'ai besoin de comprendre, ne serait-ce que si je veux ensuite pouvoir discuter et expliquer aux consommateurs. La vulgarisation, c'est compliqué, c'est donc à manipuler avec beaucoup de soin, d'autant que nous avons en direct un lien avec les médias qui sont très preneurs de nos réactions. Nous leur communiquons de l'information, ils nous en transmettent également.

Sur la deuxième question posée, je ne divergerai pas des déclarations de Mme Nicoli. La traçabilité en France pour les bovins a atteint un niveau extrêmement satisfaisant. Nous ne pouvons que nous en féliciter, mais le niveau n'est pas le même dans les autres pays, loin s'en faut. Nous considérons qu'il reste beaucoup à faire en ce qui concerne les autres pays de la Communauté. La traçabilité atteint pratiquement 100 % pour les bovins en France. Par contre, pour ce qui concerne les importations, les consommateurs aimeraient pouvoir suivre l'évolution des animaux, pas seulement des bovins, mais également des animaux plus exotiques. Une certaine consommation tend à se développer à ce niveau là en France et il serait bon de savoir ce que l'on peut faire dans ce domaine.

Le dernier point que j'évoquerai concerne l'agriculture bio. Ainsi que vous l'avez souligné, ce secteur occupe une toute partie du marché. Mais il faut bien comprendre que, pour les consommateurs déstabilisés, c'est un signe auquel ils tentent se raccrocher. La situation est plutôt confuse. Il y a quelques jours, à Bruxelles, plus de cent personnes étaient réunies, et pas seulement des consommateurs, pour en discuter. Il était intéressant de voir les échanges entre les différentes parties, c'était d'une complexité absolument effrayante, entre les appellations d'origine, les IGP, les labels, le label bio. C'est véritablement un métier à part entière que d'être consommateur à notre époque. Il est impératif de simplifier, de clarifier et de restreindre les signes de qualité, sinon cela ne veut plus rien dire du tout.

Sur cette question des labels et signes de qualité, je soulèverai d'autres problèmes : celui des cahiers des charges qui donnent lieu à l'attribution de ces signes ; celui des contrôles par des tiers, qui sont effectivement réalisés ou non, sans oublier les autocontrôles et tous les signes de qualité que les gens s'assignent eux-mêmes et notamment dans un certain nombre de pays. Les agriculteurs ont d'énormes responsabilités à l'heure actuelle. En tant qu'association de consommateurs, j'aurai garde de les considérer comme des jardiniers paysagistes. Ce n'est pas leur travail, ils ont de toute autres missions.

M. Christian HUARD : Je partage l'essentiel de ce qui a été dit, mais je reviendrai plus particulièrement sur un point évoqué par Mme Nicoli. La sécurité est un droit, on ne peut pas laisser croire que le bio ou le label est plus sûr. Ce n'est pas vrai. Quand on dit plus sûr, ça sous-entend que le reste serait moins sûr. Que ce soit de meilleure qualité en matière de présentation, de conservation, d'accord. Mais la sécurité est un droit qui doit s'imposer partout. Il n'est pas question de continuer à laisser croire dans ce pays que le bio est plus sûr et qu'il n'y a plus qu'à en manger les yeux fermés. Un cas d'ESB a d'ailleurs déjà été signalé chez un b_uf sous label. Ces signes ne sont pas des indices de sécurité, mais de qualité. C'est un débat éternel dans ce pays et en Europe. La sécurité est un droit, ce n'est pas une qualité qui se vend. Les produits doivent être sûrs.

Deuxièmement, je reviendrai sur la question de la traçabilité. Il y a quinze jours, s'est tenu un colloque sur la traçabilité, y compris de l'information : il n'y a pas que la traçabilité du produit, mais aussi celle de toute l'information qu'il peut transmettre. Ce poulet n'a-t-il été élevé qu'au grain ? Ce b_uf n'a-t-il été élevé qu'au foin, avec un peu de complément ? Ce foin contenait-il ou non des OGM ? Etait-il importé, traité, desséché, en granulés ou en épis ? Il s'agit là d'un problème général majeur à résoudre qui se serait posé avec ou sans ESB, avec ou sans fièvre aphteuse.

Autre problème : les allergies que provoquent certains produits alimentaires. Faut-il encore indiquer la contenance en gluten de ces produits pour 1 % de consommateurs allergiques, alors que 99 % des Français ne sont pas concernés par cette information ? Là encore faut-il inquiéter en annonçant la présence d'arachide ? C'est une huile qui en vaut bien d'autres du point de vue alimentaire et sanitaire.

J'évoquerai également le problème éthique car nous nous devons de prendre en compte la totalité des demandes des consommateurs. Les attentes sont variées. « Le » consommateur n'existe pas, je parlerais plutôt des consommateurs. Demain, peut-être nous faudra-t-il rajouter le label social. Ce produit a-t-il été réalisé avec le travail d'enfants ? En effet, dans certains pays, ce sont les enfants qui élèvent les bêtes. On pourrait accoler encore toute une série de labels de ce type et en arriver à une information par l'étiquette, faute d'autre réponse à un problème qui devient ingérable. On sera amené à faire des arbitrages auxquels nous ne sommes pas préparés, tout comme les politiques. Pour certains produits, il importera d'en connaître la date limite de consommation (DLC), pour d'autres, si des enfants y ont travaillé ou encore si son origine est française ou anglaise. C'est un problème de fond.

A Consofrance, nous travaillons sur une évolution de la réglementation, sur une différenciation à établir entre le droit de savoir et l'obligation d'informer. L'impossibilité d'informer bloque la mécanique du droit de savoir, droit à une recherche ou à une clarification. On est obligé d'arbitrer en amont sur une limitation de l'information transmise avec le produit. Le recours aux nouvelles technologies sur les lieux de vente ou d'autres solutions alternatives seraient susceptibles, à un moment donné, de fournir au consommateur la totalité des informations disponibles avec le produit, pour lui permettre d'exercer un arbitrage responsable et citoyen. Il n'est pas question de lui cacher de l'information faute de place pour des indications supplémentaires. C'est là qu'on crée des doutes, des troubles.

J'en reviens aux signes de qualité. Certaines entreprises vont indiquer par exemple que l'emballage est conforme à tel signe de qualité, à tel cahier des charges sur le recyclage. En plus des informations attendues sur le terrain sanitaire, l'emballage va comporter une multitude de signes incompréhensibles. Nous sommes partisans d'une démarche de clarification. Le Conseil économique et social s'est saisi de cette question. Il se réunit demain en séance plénière pour émettre un avis. Dans le domaine de l'hôtellerie, par exemple, le classement se fait par l'attribution d'étoiles. Le consommateur ne sait pas exactement ce que recouvrent ces étoiles. Mais il sait globalement, en termes de qualité, que trois étoiles, c'est mieux que deux, que quatre étoiles, c'est mieux que trois. Cependant, tout le monde est bien d'accord, l'hôtel doit être sûr même s'il n'a pas d'étoile. La qualité doit être valorisée. Toutefois, lorsqu'un consommateur est dans l'incapacité de faire la différence sur la qualité, il tranche en faveur du prix le plus bas. Quand on n'a pas les moyens de faire la différence, pourquoi acheter plus cher ? On en revient à la dynamique économique, la qualité doit être aussi porteur. Il ne s'agit pas de productivisme échevelé, nous approuvons la politique de révision des aides agricoles. Néanmoins, il faut s'interroger sur la manière de présenter cette qualité afin de rentabiliser les nouvelles filières qui nécessitent des investissements à des coûts plus élevés.

Dans toutes les crises passées, qu'il s'agisse de la dioxine, de l'ESB ou des ovins, on constate une dérive des prix vers le haut. Cette dérive ne s'explique pas seulement par la fixation des prix, mais par la suppression d'un certain nombre de vaches à lait qui fournissaient des viandes à bas prix pour faire des steaks hachés. On est en train, qu'on le veuille ou non, d'installer ou de favoriser une consommation duale. Les steaks hachés ne sont plus vendus dans les hypermarchés. Les prix qui y étaient pratiqués permettaient à certaines familles de manger de la viande. J'ai toujours à l'esprit ce coup de téléphone d'une mère de famille RMIste avec trois enfants qui me déclarait : « Moi, chez le boucher, je ne peux pas y aller ! Auparavant, je trouvais encore des steaks pas chers et je pouvais donner des protéines animales à mes enfants. Maintenant, je ne le peux plus. ». En conséquence, il faut s'interroger sur le coût de la sécurité. Les associations de consommateurs ne sont jamais présentes dans ces négociations dont il ressort in fine que le consommateur paiera. Il y a ceux qui vont pouvoir continuer de payer. Il y a ceux qui, de moins en moins, vont pouvoir le faire. Aujourd'hui, il y a des catégories qui se privent sur le plan alimentaire, non parce qu'elles ne veulent plus consommer de la viande, mais du fait des prix devenus inabordables.

M. Germain GENGENWIN : M. Huard, vous avez dit tout à l'heure que sept cas de maladie avaient été localisés dans un même village en Angleterre. S'agit-il bien d'une maladie liée directement à celle de la vache folle ? Y en a-t-il eu ailleurs ? Entretenez-vous une bonne collaboration avec les chercheurs britanniques dans ce domaine ? Vous affirmiez qu'avant 1996 il n'y avait pas de crédits pour la recherche sur le prion. Aujourd'hui, y a-t-il dans notre pays des investissements pour la recherche en ce domaine ? Par ailleurs, comment faire pour sortir de cette crise ? C'est un désastre économique, non seulement pour le consommateur, mais pour toute la filière de production animale, avec tout ce que cela comporte de cessations d'exploitations, cessations de productions et de conséquences pour l'environnement.

M. Christian HUARD : Nous avons un contact fréquent, par chercheurs interposés, avec les spécialistes anglais qui suivent le dossier. Les recherches ont progressé dans l'ensemble des pays de l'Union européenne où des crédits nouveaux sont apparus. Les scientifiques travaillent de plus en plus sur des programmes européens de recherche consacrés à la vache folle et qui doivent obligatoirement faire l'objet de demandes communes à plusieurs pays. Pour qu'un laboratoire obtienne des subventions européennes, il doit se mettre en réseau avec d'autres chercheurs.

En France, en 1996, il n'y avait que les moyens propres du CEA affectés à la recherche sur le prion. A cette époque le gouvernement a débloqué 70 millions de francs et le gouvernement actuel a décidé, en novembre 2000, dans le plan annoncé par le Premier ministre, de porter la somme à 210 millions, mesure adoptée lors de l'examen de la loi de finances par le Parlement. Selon les scientifiques, ces crédits, auxquels viennent s'ajouter les subventions européennes, leur permettront de travailler.

Il est plus difficile de répondre à la deuxième question. On ne pourra jamais savoir quel est le b_uf qui a contaminé un homme, du fait du temps d'incubation de la maladie. Il n'y a pas de traçabilité du prion. Juste à côté du village anglais où plusieurs décès ont été enregistrés, se trouve la plus grosse usine d'équarrissage du pays. Elle a été autorisée pendant très longtemps à déverser ses effluents liquides directement dans un puits, qui a sans doute contaminé la nappe phréatique. Voilà ce qui a alerté les neurologues et médecins anglais avant même que d'autres spécialistes ne se penchent sur ce phénomène. C'est dans ce même petit village de quelque 2 000 habitants que se sont déclarés les tout premiers cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob chez de très jeunes gens. Par définition, les jeunes, par unité de poids, sont de très grands consommateurs d'eau et de ce fait plus sensibles à la pollution. C'est aujourd'hui, à Londres, que sont présentés les résultats de cette recherche.

Mme Reine-Claude MADER : Il convient de noter également qu'un échange d'informations se fait à partir du Net et de réseaux qui se sont organisés spontanément. Je tenterai de répondre à la question de la sortie de crise. J'observe qu'en France, même en situation de crise, la confiance demeure vis-à-vis des mesures adoptées par les autorités. On ne le dit pas suffisamment. La presse ne le dit pas assez. Dans les associations, nous organisons des groupes où nous interrogeons les gens pour savoir comment ils vivent la crise. Ils estiment qu'en France, beaucoup de choses ont été faites. Cette confiance n'existe pas nécessairement dans d'autres pays. Mes collègues des associations de consommateurs anglaises accusent sans état d'âme les autorités de leur pays de laxisme et de négligence

Il faut continuer d'informer sur le risque, sur les mesures prises, assurer la transparence. On ne pourra reconquérir la confiance des Français, par rapport à la consommation de viande, que par la transparence. C'est le siècle de la communication, plus personne n'accepte plus d'être tenu à l'écart d'un certain nombre d'informations. Toutefois, le problème majeur subsiste : jusqu'où faut-il informer ? Faut-il tout dire ? Sous quelle forme ? Personne n'a de réponse.

M. le Président : On a bien compris l'aspiration légitime à être informé. Nous y contribuons à notre niveau, puisque toutes les auditions sont ouvertes au public et à la presse. Cela témoigne de notre volonté de participer à ce mouvement. La question que nous nous posons et que vous avez soulevée, c'est celle du contour que doit prendre l'information. De semaine en semaine, par l'information, on alimentait la crise, à travers les communications successives de l'AFSSA, par exemple. D'après les experts, il y a un risque lié aux abats de mouton, risque hypothétique. Dès le lendemain de la communication, les effets se sont fait brutalement ressentir sur la consommation de la viande ovine. Cela fait partie de nos interrogations : doit-on transmettre cette information délivrée par les scientifiques et qui est par nature évolutive en fonction de la recherche qui avance vite ? Comment faire ?

Mme Marie-José NICOLI : Depuis 1996, les dossiers que nous avons examinés étaient très négatifs. Il faut laisser au consommateur le temps de s'habituer à l'information. A cette époque, les journalistes n'étaient pas du tout intéressés par les problèmes de sécurité sanitaire et par les articles que nous avons fait paraître dans la revue « Que Choisir ». La lettre de M. Castille mettant en cause la Commission européenne, n'a jamais été reprise en 1990 alors qu'en 1997 les journalistes s'en sont tous faits l'écho. On ne sortira de la crise que si l'ensemble des partenaires sont responsabilisés : les médias en publiant moins de scoop, les pouvoirs publics en faisant de l'information institutionnelle. Ainsi, nous, organisations de consommateurs, affirmons que la fièvre aphteuse ne se transmet pas à l'homme. Si un certain nombre d'acteurs de la société font de l'information claire et nette, ce doit aussi être le cas des pouvoirs publics. En termes de communication, les pouvoirs publics ont évolué, mais ce n'est pas encore satisfaisant. Les politiques doivent aussi informer, mais dans l'intérêt général des consommateurs et non dans un contexte de querelles politiciennes. Les oppositions au plus haut niveau politique sont un des facteurs de la dernière crise de l'ESB.

La deuxième crise de l'ESB a résulté d'une montée en puissance des médias, qui se sont servis de tout, et notamment de déclarations politiques. Les décisions des maires de supprimer la viande de b_uf puis de la rétablir l'illustrent bien. Toutes sortes de mesures insensées, qui n'auraient pas dû être prises, ont amplifié cette deuxième crise. De nos jours, tout le monde est sensible au problème de sécurité sanitaire. On doit le voir à travers le prisme de l'intérêt général, non pas des intérêts partisans ou particuliers. Dans le monde agricole, les professionnels doivent accepter d'aller dans le sens de la transparence demandé par les consommateurs. Sans quoi, le consommateur se nourrira différemment. Le marché offre suffisamment de produits pouvant se substituer à la viande. Nous aussi, associations de consommateurs, devons disposer des moyens de mieux informer pour justifier pleinement de la confiance qui nous est accordée. Ceux-ci sont encore limités. Nous transmettons l'information soit à travers nos médias, soit à travers nos propres éléments de communication.

M. Christian HUARD : Je partage parfaitement ce point de vue. Quand on parle d'information, on peut évoquer les différents supports et même jeter la pierre sur les médias. Ce n'est pas suffisant. Là aussi, il faudrait disposer de temps pour prévoir des rencontres d'information de journalistes, nous le faisons pour d'autres dossiers. Les journalistes ne peuvent pas devenir brusquement des spécialistes des questions sur lesquelles on ne leur donne pas non plus les outils ou les temps de formation nécessaires. Je constate que les journalistes, pas plus que nous-mêmes, n'avons été réunis par les ministres concernés. Les choses se sont faites sur les parvis des ministères, les plateaux de télévision, dans les radios, mais il n'y a pas eu de gestion intelligente. Par contre, les gens de la filière agricoles ont été invités nombre de fois à la télévision.

Qui informe ? D'après le dernier baromètre Consofrance-CSA, on bat des records : 90 % des Français en général, 95 % des moins de 25 ans dont on sait qu'ils sont très sensibles à ces problèmes de sécurité aujourd'hui, font confiance aux organisations de consommateurs pour connaître la vérité. Je reviens à ce que j'ai dit tout à l'heure. Sur ce genre de problèmes, on fait davantage confiance au ministre de la Consommation qu'aux autres. Au niveau des organisations de consommateurs, nous n'avons pas les moyens de mettre en place cette information. Les maigres moyens octroyés aux mouvements de consommateurs pour gérer cette mission de service public sont tellement ridicules qu'on ne va pas les évoquer ici ! Nous disposons de bons informateurs, de sources crédibles ; le mouvement consommateur français, j'en témoigne ici par rapport à ce qui se fait dans d'autres pays, a fait preuve de sens de la responsabilité et de son souci du tissu économique et social. Pour autant, nous ne sommes pas capables d'utiliser toutes ces ressources.

Pour conclure, on en reste à des techniques un peu vieillottes face à des enjeux de type nouveau. Est-il possible de réfléchir tous en commun sur la dévolution de missions de service public à des gens de la société civile comme nous, que les citoyens respectent, connaissent et en qui ils ont confiance ? Pourquoi payer très cher des entreprises de communication pour des messages auxquels on ne croit pas, qui ne sont même pas audibles ? L'exemple de Publicis avec l'euro m'afflige tout particulièrement. Pourquoi ne pas réfléchir à de nouveaux réseaux de communication ? Ce n'est pas l'enjeu d'aujourd'hui. Il faut tout d'abord résoudre la question de savoir qui diffuse l'information et comment, avant de se préoccuper de son contenu.

M. le Rapporteur : Mme Nicoli, le début de votre intervention me rappelle les propos de M. Barnes : il déclarait que, certes, les farines animales anglaises étaient exportées tout en rappelant que leur interdiction pour les ruminants avait été signalée. Pour ce qui concerne les abats à risque, il indiquait qu'il était impossible qu'ils soient exportés, puisqu'ils étaient détruits sur place. Je ne relancerai pas le débat sur ce que cela vous inspire.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Jean-Paul PROUST,
Préfet, chargé de la mission interministérielle
pour l'élimination des farines animales

(extrait du procès-verbal de la séance du 20 mars 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Jean-Paul Proust est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Jean-Paul Proust prête serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez été chargé, le 14 novembre 2 000, de la mission interministérielle pour l'élimination des farines animales (MIEFA). Vous étiez précédemment chargé d'une mission d'études comparatives sur les services de sécurité publique et civile dans les grandes capitales. Notre commission d'enquête a pour mission, entre autres, d'examiner les problèmes que pose l'élimination des farines carnées. C'est un sujet de préoccupation pour ceux vivant à proximité des sites. Plus généralement, nous nous interrogeons sur les conditions dans lesquelles ces farines sont stockées, sur les conditions dans lesquelles les précautions sont prises et les conditions dans lesquelles on pourra les éliminer.

Il nous a semblé que vous étiez le mieux placé pour nous décrire les conditions dans lesquelles ces farines sont triées, transformées, transportées, stockées, incinérées, les dangers éventuels que peuvent présenter ces différentes opérations et les mesures prises pour y faire face.

Nous aimerions également étudier avec vous les perspectives, car il convient de rappeler que l'interdiction totale des farines animales dans l'alimentation des animaux destinés à la consommation humaine est une mesure temporaire. Si l'interdiction se poursuivait, comment envisagez-vous d'y faire face et comment allons-nous pouvoir éliminer ces stocks de farines ?

M. Jean-Paul PROUST : Par décision du Premier ministre en date du 14 novembre 2 000, a été suspendue l'utilisation des farines et graisses animales dans l'alimentation animale. Le même jour, le Premier ministre m'a confié la mission interministérielle consistant à assurer, dans l'urgence, la continuité de la filière, à organiser le stockage des farines et graisses animales et à prévoir les moyens nécessaires pour assurer leur élimination.

Les déchets d'animaux représentent à peu près 3,3 millions de tonnes de déchets crus par an, dont 800 000 tonnes sont des saisies sanitaires : soit les cadavres d'animaux dans le cadre du service public de l'équarrissage et la loi de 1996 ; soit des saisies décidées pour les parties non destinées à la consommation humaine des animaux dans les abattoirs. L'ensemble de ces saisies sanitaires, que l'on appelle "service public de l'équarrissage", représente donc 800 000 tonnes de déchets, soit 200 000 tonnes de farines et quelque 80 000 tonnes de graisses qui déjà faisaient l'objet d'une destruction, essentiellement par incinération dans les cimenteries. L'an dernier, 200 000 tonnes
- lesquelles représentent la production des farines issues des 800 000 tonnes de déchets - ont été brûlées dans les cimenteries.

Les farines dont nous parlerons aujourd'hui sont celles qui n'ont pas fait l'objet d'une saisie sanitaire : ce sont les déchets ordinaires des abattoirs ou des boucheries, c'est-à-dire de la viande destinée à la consommation humaine. C'est pourquoi on les appelle "les farines à bas risque" en référence aux farines à haut risque, celles du service public de l'équarrissage.

Ces farines à bas risque proviennent de 2,5 millions de tonnes par an de déchets éminemment périssables, qui doivent être traités en flux tendus, puisque la durée de conservation ne dépasse pas 24 heures. Elles doivent donc être immédiatement conditionnées et transformées en farines. On parle de la "continuité de la filière", car toute interruption de ce système entraîne immédiatement l'engorgement des abattoirs et une situation sanitaire grave, puisque des déchets par milliers de tonnes pourriraient. Il y avait donc nécessité absolue d'assurer la continuité de la filière, c'est-à-dire continuer à conditionner les déchets en farines et en graisses et donc d'en faire quelque chose. Telle était l'urgence.

En ce sens, la première action conduite par la mission fut de négocier avec les équarrisseurs pour qu'ils continuent à fabriquer un produit qui n'avait plus de débouché commercial. Ils ne pouvaient poursuivre leur activité industrielle que si on définissait un système d'indemnisation pour pallier l'absence de débouchés commerciaux dont ils profitaient auparavant. Ce fut fait. À la première quinzaine de novembre, nous avons photographié le marché des farines animales et fixé, dans le cadre d'un décret du 2 décembre, après un accord avec les équarrisseurs, un barème, la photographie du marché et donc le montant des indemnisations pour que les équarrisseurs continuent de ramasser les déchets et de fabriquer farines et graisses.

Il fallait dans le même temps trouver à stocker ces farines et graisses. Nous avons mobilisé les préfets pour qu'ils trouvent des sites de stockage. Ce ne fut guère aisé. Avec le ministère de l'Environnement, nous avons établi un cahier des charges pour définir précisément les conditions dans lesquelles devaient être stockées les farines et les graisses afin d'éviter tout risque de santé publique. Les préfets ont donc recherché des sites correspondant au cahier des charges, lequel prévoit essentiellement le stockage des farines en des lieux clos, couverts, à l'abri des intempéries, avec une dalle en ciment imperméable pour éviter toute infiltration dans le sol. En outre, les stockages devaient être suffisamment éloignés - 150 mètres minimum - des habitations. Figuraient ensuite des règles techniques.

Dans le courant du mois de décembre, quatre sites de stockage pour les graisses et quinze pour les farines ont été trouvées, correspondant à une capacité d'environ 200 000 tonnes. À ce jour, quatre mois après la mise en place de la mission, le stockage concerne environ 120 000 tonnes de farines. Le rythme de production est actuellement de l'ordre de 10 000 à 12 000 tonnes par semaine, car se sont ajoutées aux farines suspendues le 14 novembre 2000, les farines provenant de l'abattage des bovins de plus de trente mois. Suivant le rythme de l'abattage, variable de semaine en semaine, nous sommes plus près, soit de 10 000, soit de 12 000 tonnes. Sur les 12 000 tonnes produites, environ 8 000 tonnes par semaine sont stockées, l'élimination ayant commencé, notamment dans les cimenteries.

Il convenait de traiter, dans un second temps, l'élimination des graisses animales, ce qui s'est avéré le plus aisé, même si cela n'apparaissait pas nécessairement comme tel au départ, puisque les graisses animales requièrent des conditions de stockage plus difficiles. En revanche, les graisses animales, pour l'élimination desquelles avaient été prévues des aides, présentent l'avantage de caractéristiques proches du fioul lourd ; elles peuvent donc, sans gros d'investissements, brûler en substitution au fioul lourd dans des chaudières industrielles. Effectivement, en quelques mois, on a pu susciter la création d'un marché pour ces graisses animales. Toutes les graisses produites actuellement sont directement commercialisées par les équarrisseurs et nous allons pouvoir fermer les quatre sites de stockage qui avaient été ouverts. Un est déjà fermé, celui d'Ambès, dans la Gironde. Deux autres sont en cours de fermeture ; nous sommes en train de vendre les derniers stocks qui restent au Havre et à Brest. Le site de Dunkerque est le dernier, que nous maintiendrons par sécurité jusqu'au mois de juin, date à laquelle il sera fermé.

Le nouveau décret publié le 16 mars supprime la prime de 7 000 francs pour l'élimination des graisses animales et supprime le fait que l'État les prenne pour les stocker. Il s'agit d'un produit qui doit être normalement commercialisé avec une valeur positive par les équarrisseurs. Je ne parlerai donc plus des graisses animales dans la suite de mon propos.

Le troisième temps visait à compléter le dispositif de stockage. Un site a été retenu, d'une capacité de 200 000 tonnes. Mais c'est, hélas ! insuffisant. Je vous parlerai ensuite des perspectives d'élimination, mais il est certain que nos capacités d'élimination des farines seront insuffisantes au cours de l'année 2001. Elles avoisinent les 400 000-450 000 tonnes. C'est dire que nous aurons en fin d'année un stockage de l'ordre de 400 000 à 450 000 tonnes. Le point d'équilibre, le moment où l'on brûlera ou l'on utilisera autant de farines que l'on en produira devrait se situer au mois de septembre 2002. Nous connaîtrons par conséquent une augmentation du stockage jusqu'à cette date. Ce n'est qu'à partir de septembre-octobre 2002 que nous devrions pouvoir commencer à déstocker. Cela ne veut pas dire que certains stockages ne pourront pas être fermés entre-temps, car nous pourrons rationaliser, mais tel est à peu près le calendrier : augmentation des stocks qui devraient atteindre à peu près 600 000 tonnes à la mi-2002 pour ensuite commencer à décroître progressivement avec une fin des stockages prévue dans trois ou quatre ans.

Il nous faut donc compléter notre dispositif de stockage. Trois sites nouveaux devraient s'ouvrir dans les semaines qui viennent : un dans l'Est, un dans le Sud-Est et un dans l'Ouest. Cela permettra de faire face aux mois qui viennent. Dans le même temps, nous avons demandé aux préfets de zone de défense, au niveau interrégional, de lancer des appels d'offres européens pour trouver de grands sites de stockage, de préférence dans des zones industrielles, de grande dimension, très éloignés des habitations, de trouver des sites très professionnels qui puissent perdurer, à la différence de certains stocks constitués à l'origine dans l'urgence et qui pourraient rapidement fermer. Mais la nécessité s'imposera certainement de garder quelques grands sites de stockage pendant quelques années.

Le préfet de la zone de défense Ouest, préfet de la Région Bretagne, a lancé il y a un peu plus d'un mois un appel d'offres européen. Il a reçu plusieurs propositions de candidatures ; elles sont en cours d'examen. Je pense que la commission d'appels d'offres pour la zone Ouest sera en mesure, dans huit jours, de retenir quelques grands sites de stockage. Pour le Grand Ouest, il est prévu trois lots de 50 000 à 100 000 tonnes. Sont également engagés des appels d'offres du même type, mais pour des quantités moindres, probablement un seul lot, pour la zone de défense Est, un pour la zone Sud-Ouest, un pour la zone Sud-Est et un pour la zone Sud, dans la mesure où il y a peu de production. En revanche, les perspectives sont plus élevées d'élimination dans la zone Sud, ce qui suppose un stockage relais.

Voilà donc pour le stockage, en dépit des difficultés locales que l'on peut comprendre, car, même si les risques sanitaires du stockage des farines à bas risques sont peu élevés, s'y attache une mauvaise image, en tout cas une certaine nuisance. On comprend que cela suscite des réactions des élus locaux et de la population, de l'environnement immédiat des lieux de stockages. C'est compréhensible. Il est important d'expliquer que ces farines ne comportent en elles-mêmes pas de risques particuliers, sauf à les consommer. À ce jour, nous n'avons jamais trouvé de prion dans les farines à bas risques ; elles sont issues des déchets destinés à la consommation humaine. Ces farines sont de même nature que la viande de boucherie ; il s'agit simplement des déchets qu'il y a autour.

Sur un sujet qui suscite beaucoup d'irrationnel, il convient d'expliquer. C'est pourquoi, sur chaque site, nous avons demandé aux préfets de prévoir systématiquement, en liaison avec les élus locaux, des commissions locales d'information, afin d'organiser un lieu de débat et pour faire jouer une transparence maximale. Il n'en demeure pas moins que des nuisances existent. Si le stockage est mal entretenu, il peut engendrer des odeurs. De toute façon, cela induit des norias de camions. Tout cela n'est guère agréable pour le voisinage et l'on comprend la difficulté. Nous sommes obligés de faire appel à la solidarité, puisqu'il faut, au moins provisoirement stocker ces farines. Nous en exportions auparavant une partie en Belgique et en Allemagne, où elles étaient utilisées par les cimentiers. Or - c'est inévitable - les frontières sont en train de se fermer. Depuis une dizaine de jours, on ne peut plus exporter de farines, ce qui était prévisible.

Le problème qui se pose maintenant est de savoir comment éliminer les farines, car le stockage est un pis-aller, que l'on cherchera à faire durer le moins possible, dans la mesure où il présente des inconvénients : il engendre des nuisances et il est mal accueilli. En outre, il coûte cher. C'est donc une situation qu'il convient de limiter au maximum dans le temps. C'est pourquoi il était nécessaire - quatrième action de la mission dont j'avais la charge - de définir une stratégie d'élimination des farines. Pour cela, les actions portaient dans quatre directions.

Première action : étudier avec ceux qui déjà éliminaient des farines - je pense aux cimentiers - ce qu'ils pouvaient faire pour augmenter leurs capacités d'élimination. Quinze cimenteries consommaient des farines ; douze cimenteries nouvelles en consommeront, soit un total de vingt-sept qui brûleront des farines animales, ce qui permettra de passer de 200 000 tonnes en l'an 2 000, exclusivement dans le cadre du service public de l'équarrissage, à 350 000 tonnes en 2001 et à 450 000 tonnes en 2002.

Des contacts ont également été établis avec les industriels, grands consommateurs d'énergie. Certaines aboutiront assez rapidement. C'est le cas, je l'espère, avec la SNET, filiale électrique des Charbonnages, qui réalisera des essais en vraie grandeur sur 12 000 tonnes dans sa centrale d'Hornaing à partir de la mi-avril. On espère que les essais s'avéreront concluants, notamment en termes de non-pollution ou de pollution moindre, puisque tout laisse à penser que brûler de la farine entraînera une pollution moindre que de brûler du charbon ou du fioul. En effet, les farines ne contiennent pas de métaux et si elles sont brûlées à une température adéquate, elles ne rejetteront pas de dioxine et beaucoup moins de produits nocifs que le charbon ou le fioul. Nous allons donc le vérifier en vraie grandeur. Si les essais sont concluants, la SNET continuera de brûler du charbon, mais également 8 ou 10% de mélange à base de farines et de charbon, le pourcentage optimum restant à déterminer au cours des essais. On peut penser que la SNET pourrait brûler, par la suite, dans trois ou quatre centrales, environ 100 000 ou 120 000 tonnes de farines par an.

Un autre procédé est en cours de mise au point par une petite filiale de Total et de Charbonnages, Agglocentre, implantée à Monceaux-les-Mines. Elle produit un aggloméré de charbon et de farines qui peut être stocké plus facilement et qui présente une apparence moins rebutante, puisqu'il ressemble à du charbon. Il pourrait être brûlé comme combustible dans des chaudières comme produit de substitution au charbon. Ce produit contient 80% de farines et 20% de charbon.

Par ailleurs, des industriels comme Péchiney et d'autres sont intéressés à brûler des farines. Des contacts ont également été établis avec la filière "déchets" et des unités de chauffage urbain. Les perspectives visent à brûler environ 50 000 tonnes en 2001, 100 000 tonnes en 2002. Bref, nous arrivons, entre les cimentiers, les autres industriels, le chauffage urbain, à une perspective variant de 400 000 à 450 000 tonnes de farines et l'an prochain de 600 000 à 650 000 tonnes, ce qui nous conduit au constat que cela reste encore insuffisant.

Devant cette situation, la mission a lancé, avec le concours de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), du ministère de l'Environnement et de l'Industrie et de la collaboration étroite d'EDF, un appel à propositions, rendu public il y a quelques jours. Il s'agit de demander aux industriels de présenter des projets dédiés à la farine. Il y a deux appels à propositions : un appel "voie thermique" et un appel "autres solutions".

Par la voie thermique, il s'agit essentiellement de promouvoir des unités de cogénération pour produire de l'énergie, dont l'industriel peut avoir besoin - vapeur, eau chaude... - pour reprendre le surplus sur le réseau électrique avec une turbine fabriquant de l'électricité rachetée par EDF. Ce type de projet intéresse des industriels, qui ont présenté une vingtaine de propositions avant qu'elles soient formalisées dans l'appel à proposition. Les équarrisseurs se proposent de constituer de telles unités dans leurs principales usines. Ils ont l'avantage d'être sur place ; en outre, ils peuvent brûler du déchet cru, directement après un simple broyage. Les technologies permettent d'éliminer le déchet cru pour produire de l'énergie, ce qui serait plus économique, puisque l'on éviterait ainsi le passage par la farine - économie pour le budget de l'État, qui indemnise actuellement la farine. Nous poussons donc grandement les techniques qui élimineraient directement le déchet cru.

Sont également intéressés les groupes agroalimentaires intégrés, qu'ils soient coopératifs ou sociétés industrielles. De même que sont intéressés quelques grands abattoirs. Ils pourraient imaginer éliminer eux-mêmes leurs déchets en produisant leur propre énergie. Encore intéressée : la filière déchets qui pourrait imaginer d'éliminer dans les mêmes unités les farines animales, mais aussi des boues d'épuration, les lisiers de porcs et autres déchets. Enfin, des industriels simplement consommateurs d'énergie, notamment dans la chimie, sont également intéressés.

L'appel à proposition a été lancé ; il comporte une indication, qui n'est pas pour l'heure une décision, sur le prix de rachat par EDF. Il convient, pour comparer les projets, de fixer des hypothèses. Celle proposée est le rachat par EDF à 30 centimes le kilowatt. Les projets doivent présenter leur équilibre économique et demander éventuellement une aide : une aide à l'investissement et/ou une prime à l'élimination des farines, qui devra être obligatoirement dégressive pour arriver au point zéro au bout de cinq ans maximum. Ce n'est d'ailleurs pas un système définitif, l'objectif étant de retenir des projets pour assurer la capacité manquante d'environ 350 000 tonnes de farines l'an ou leur équivalent en déchets bruts. C'est dire que nous pourrons retenir une dizaine de projets à la suite de l'appel à propositions.

Les projets doivent au plus tard être déposés le 30 avril. Les décisions seront prises au mois de mai par le Gouvernement, qui fixera le montant des aides apportées à ces projets, qui seront bouclés par les conventions passées avec les industriels. Les premiers projets seront opérationnels dès 2002. Il s'agit de ceux qui ont déjà obtenu les autorisations administratives. Les autres réclameront un peu plus de temps avant d'être à l'_uvre. La plupart des projets, tout en étant significatifs au plan de l'investissement, ne sont pas considérables - de 150 à 200 millions de francs. Pour ces projets, on peut compter dix-huit mois de délai entre les procédures et les travaux, ce qui nous laisse espérer que la plupart des projets pourraient être opérationnels fin 2002, autorisant une capacité de destruction des farines proche d'un million de tonnes par an, c'est dire un peu supérieure à la production, pour commencer le déstockage en 2003. Telle est la stratégie retenue.

Parallèlement, nous avons lancé un appel à projets pour d'autres propositions qui n'utiliseraient pas la voie thermique. Nous n'avons pas voulu exclure d'autres valorisations, encore que, ce jour, la principale garantie sanitaire que nous indiquent les scientifiques - à peu près seule certitude en ce domaine où prévalent de nombreuses incertitudes - la meilleure manière d'être assuré d'éliminer le prion, disais-je, consiste à brûler à haute température les farines. Les scientifiques nous informent que les protéines disparaissent au-dessus de 800 degrés et à une exposition de temps suffisant. Autrement dit, s'il n'y a plus de protéines, il ne peut plus y avoir de prion. C'est une certaine sécurité, qui, peut-être, correspond à notre imaginaire, brûler étant la meilleure manière de purifier. Au-delà de l'imaginaire, les scientifiques confirment bien que c'est encore brûler à haute température qui offre la meilleure garantie sanitaire. Les cimentiers brûlent à 1 500 degrés. Dans les unités à lits fluidisants, les températures avoisinent les 950 degrés. À ces températures, alors que les scientifiques garantissent rarement, ils semblent nous garantir que les cendres ou les fumées dans l'atmosphère soient exemptes de prion. C'est un élément important.

Pour le deuxième appel à propositions, car nous ne voulions pas éliminer a priori d'autres solutions, nous avons donné un peu plus de temps, d'autant que les projets ne sont généralement qu'au stade des idées et non de projets. Nous recueillons donc les propositions jusqu'à la fin mai. Un comité scientifique étudiera la possibilité de retenir ou non tel projet avant que les décisions ne soient prises, notamment au regard du critère de santé publique. Ce n'est qu'après validation scientifique que l'on décidera ou non d'aider tel projet qui n'utiliserait pas la voie thermique. De ce que j'ai vu des projets, j'ai tendance à penser qu'ils ne sont pas prêts aujourd'hui et qu'il sera difficile de réunir toutes les garanties scientifiques recherchées sur des utilisations qui ne détruisent pas totalement la molécule. Cela dit, il ne faut pas fermer la porte, d'autant que certains affirment avoir des solutions ; il convient donc de les étudier. D'où cet appel d'offres. En revanche, en perspective, l'élimination directe du déchet cru est assez prometteuse, notamment par l'économie réalisée pour le contribuable.

En conclusion, l'élimination des déchets crus est un projet prometteur. Il permettait d'espérer que, dans quelques années, nous ne passerons plus par les farines. C'est pourquoi le décret publié il y a quarante-huit heures prévoit comme alternative à l'aide à l'imposition de farines l'indemnisation directe, à raison de 500 francs la tonne de déchets crus, pour ceux qui élimineraient directement leurs déchets crus.

M. le Président : Vous avez cité des tonnages, partant de l'hypothèse selon laquelle l'interdiction totale se poursuivrait durablement. Je le relève. La question essentielle à laquelle nous sommes confrontés depuis le début de notre commission d'enquête est celle du contrôle. Nous avons eu connaissance de sites implantés à proximité de points d'eau et imparfaitement isolés. Nous souhaiterions connaître les conditions de stockage des farines à bas et haut risques et l'exercice des contrôles qui s'y attache.

M. le Rapporteur : Ma première question concernera les sites sur le territoire national. Aujourd'hui, on nous signale, notamment au niveau des abattoirs, que le retrait-destruction ne peut s'effectuer dans de bonnes conditions, puisque les équarrisseurs ne peuvent plus stocker les farines. Selon vos propos, il n'y a pas de problèmes de stockage. Or, ce n'est pas ce qui remonte des départements, notamment ceux où intervient un retrait-destruction important. Des abattoirs sont en chômage technique partiel, car ils ne peuvent abattre aujourd'hui à la mesure de leurs capacités. Est-ce une réalité ?Varie-t-elle selon les lieux d'implantation ? À quoi est-elle due ?

S'agissant du financement, la question de la taxe d'équarrissage revient souvent. Elle est considérée comme élevée et pénalisante ; elle a été augmentée et le seuil a été modifié. Mais cette taxe d'équarrissage est-elle affectée à l'indemnisation ?

Un scientifique nous a indiqué que stocker les farines dans des conditions convenables nécessite de les mettre dans des contenants hermétiques. Le cahier des charges tel qu'établi vous semble-t-il suffisant ? Ne se retrouvera-t-on pas demain avec un autre problème lié aux farines et que des animaux pourraient véhiculer ?

Des animaux partant au retrait-destruction ne sont pas testés. Dès lors, comment peut-on affirmer qu'il n'y a pas de risque que certains animaux ne soient pas malades ?

M. Jean-Paul PROUST : M. le Président, au sujet de votre première question, nous travaillons sur l'idée de la suspension des farines animales pendant un certain temps. Nous estimons avoir une visibilité des chiffres à cinq ans. Nous travaillons donc sur la durée de cinq ans et, si des investissements sont proposés, nous recommandons aux industriels de les amortir au cours de cette période. Il est d'ailleurs prévu au cahier des charges pour l'appel à propositions une possibilité de diversification de la matière première à brûler. Lorsqu'il s'agit des petites centrales à construire, il est recommandé qu'elles puissent, non seulement y brûler des farines, mais également d'autres déchets, ceux des boues des stations d'épuration notamment, car l'on sait que les collectivités ne savent que faire des boues d'épuration qui, à terme, n'iront plus à l'épandage. L'idée est donc de passer par la diversification pour, au-delà de cinq ans, ne pas être confronté à des investissements inutiles. C'est là une hypothèse, mais nous nous fondons sur l'idée que la suspension sera maintenue au moins cinq ans.

S'agissant des capacités de stockage, elles sont suffisantes aujourd'hui, mais non sur l'année, puisque la capacité, d'une valeur de 200 000 tonnes, est descendue à 80 000 tonnes. En outre, géographiquement, il existe des différences. Enfin, des régions sont déficitaires. Nous allons encore connaître quelques semaines difficiles. Au-delà, les appels d'offres dont je parlais vont ouvrir le champ et une meilleure répartition régionale s'inscrira dans les faits à partir de la fin avril avec des sites dans toutes les régions. Cela dit, je m'inscris en faux contre l'affirmation de certains professionnels, selon laquelle c'est faute de stockage que l'on n'abattrait pas les bovins de moins de trente mois. C'est faux. Je défie un équarrisseur de dire que l'on n'a pas dégagé ses stocks à temps et qu'il était paralysé. Il est vrai que cela fut fait au prix d'acrobaties et de coûts parfois élevés, mais on a toujours dégagé les stocks. Nous voudrions dorénavant ne plus envoyer des farines de l'Est dans les Deux-Sèvres, ce qui est aberrant : cela coûte cher et des camions de farines traversent toute la France. Nous voulons parvenir à une meilleure répartition des sites, afin d'éviter des transports inutiles, mais je m'inscris en faux contre le fait que l'on n'abatte pas des bovins parce que l'on ne dégage pas les farines.

M. le Rapporteur : Cela a une répercussion énorme, notamment sur les abattoirs - je le redis. Aujourd'hui, des mesures de chômage partiel interviennent. Et puisque vous êtes en charge d'une mission interministérielle, je pense qu'il faudrait considérer le fait avec les préfets, car c'est un vrai problème qui se pose au niveau de la profession.

M. Jean-Paul PROUST : Certaines semaines - ce n'est plus vrai aujourd'hui - les équarrisseurs ont été à la limite de leurs capacités de production, c'est-à-dire qu'ils ont dépassé les 100 % de leurs possibilités de traitement. Ils ont effectivement une limite physique : ils ne peuvent traiter plus de 12 000 à 15 000 bovins par semaine. C'est moins vrai, hélas ! à l'heure où nous parlons, parce que les répercussions des mesures liées à la fièvre aphteuse limitent fortement les déplacements d'animaux, d'où des conséquences sur les abattages qui diminuent. Ce n'est donc plus vrai aujourd'hui, mais ce l'était il y a trois semaines : il y avait une difficulté.

La taxe d'équarrissage n'est pas une taxe affectée. Elle transite par le budget de l'État. Le coût des opérations de stockage et d'élimination des farines et graisses animales a été évalué à environ 2 milliards de francs en année pleine. Le dernier décret est un peu en retrait pour les indemnisations des équarrisseurs ; il est également simplifié. Il supprime l'aide à l'élimination des graisses. Ces nouvelles mesures devraient générer une réduction de cette enveloppe de l'ordre de 300 millions de francs. Aujourd'hui, nous avoisinons 1,7 milliard de francs en année pleine, l'objectif étant de réduire le plus rapidement possible le montant de l'enveloppe.

Au sujet des sites de stockage, un cahier des charges précis et clair a été diffusé. Il a été envoyé à tous les préfets et aux services déconcentrés - directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), services vétérinaires - et il est obligatoirement annexé à tous les marchés passés par l'État avec des stockeurs.

Si le contrôle n'est jamais absolu ni parfait, les services se rendent toutefois très souvent sur les lieux de stockage. En outre, l'un des objectifs que nous assignons aux commissions d'information est de faire remonter l'information. Des images ont été diffusées, pas toujours flatteuses sur les conditions de stockage. Je précise cependant que la plupart de ces images concernait, non pas les nouveaux sites de stockage résultant du dispositif du 14 novembre, mais les anciens stockages résultant au démarrage de la loi de 1996 sur les services publics de l'équarrissage. C'est le cas des images des anciens sites de stockage comme celui de Plouisy, dans les Côtes d'Armor. Il n'en demeure pas moins que nous essayons de tirer les leçons de la rigueur insuffisante qui a présidé à l'origine des stockages en 1996.

Ne me faites pas dire que tout est parfait dans le meilleur des mondes ! Des contrôles sont effectués, mais nous ne sommes pas derrière chaque camion. Cela dit, si des stockages se trouvaient en infraction répétée et ne respectaient pas les conditions du cahier des charges, des conditions de chargement ou de déchargement - c'est pourquoi nous souhaitons des capacités de stockage supérieures à nos besoins - nous n'hésiterions pas à résilier des contrats pour non-respect des clauses. Je souhaite d'ailleurs, suite aux appels d'offres, que nous parvenions rapidement à une capacité suffisante qui nous permettra d'être plus exigeants vis-à-vis des stockeurs.

M. le Président : Vous affirmez donc qu'il n'y a pas de problème de tri entre les farines à risque et celles à bas risque, que les contrôles sont bien effectués et qu'il ne peut donc y avoir de problème aujourd'hui s'agissant de farines à risque stockées ici ou là alors qu'elles devraient être destinées à l'incinération.

M. Jean-Paul PROUST : Les flux sont totalement séparés. A la question posée, je dois répondre que les bovins de plus de trente mois sont abattus dans la mesure de retrait de marché. Les pièces, comme les cervelles et les colonnes vertébrales, sont retirées et sont transformées en farines à risque. Le reste de la carcasse, normalement destiné au marché, y compris le filet et le faux-filet, est transformé en farines à bas risques, mais il est vrai que ces animaux ne sont pas testés.

M. le Président : Sommes-nous assurés aujourd'hui que les farines sont éliminées sans être stockées où que ce soit, sans risque de croisement de camions, de transfert ?

M. Jean-Paul PROUST : Il n'y a pas de mélange, tout est dédié, c'est-à-dire qu'il y a des stockages à risque et d'autres à bas risque.

M. le Président : Il existe donc des stockages à risque.

M. Jean-Paul PROUST : Il existe toujours des stockages des farines issues du Service public de l'équarrissage (SPE), mais il n'existe pas de mélange de farines à bas risque et d'autres à hauts risque.

M. le Président : Les farines à risque ne sont donc pas incinérées immédiatement après leur fabrication.

M. Jean-Paul PROUST : Non.

Mme Monique DENISE : M. le Préfet, je comprends les difficultés de votre mission. Elles sont extrêmes dans une situation intervenue soudainement. Aux termes de ses attributions, votre mission doit agir en parfaite concertation, dans la plus grande transparence, avec les élus, pour trouver des sites. Il se trouve que je suis députée d'une grande circonscription du Nord, grande par son étendue, petite par la population de ses villages. Fin novembre, nous avons appris brutalement que, dans un petit village de 1200 habitants, un site de stockage de farines avait été décidé. Personne n'était au courant, ni moi, ni le maire, ni les habitants. Bien entendu, ces farines sont données comme étant à bas risque ; bien sûr, on nous dit qu'elles ne contiennent pas de prion. Et puisqu'on les brûlera après - vous avez indiqué qu'une valorisation différente était difficilement envisageable - il est évident que subsiste un risque potentiel. Dès lors, imaginez l'émotion des habitants, qui n'est d'ailleurs pas tant liée au prion qu'aux fermentations éventuelles, dans la mesure où il s'agit d'un matériel biologique très riche, qui fermente extrêmement rapidement. S'il y avait des prions, bien évidemment, les insectes, les souris et les rats se chargeraient de les propager, car nous avons appris qu'un stockage offrant toutes les sécurités devrait présenter les caractéristiques des boîtes de conserve, ce qui n'est pas le cas actuellement avec les big bags qui ressemblent à des sacs de pommes de terre. Vous imaginez, M. le Préfet, l'émotion de la population face à cette décision non préparée, non concertée, et que les gens ont eu l'impression de prendre en pleine tête.

Certes, il manque encore des lieux de stockage ; bien sûr, il faut en trouver d'autres pour au moins quatre ou cinq ans. Dans la mesure où nous sommes tous concernés, il est vrai que "la poubelle", la décharge, qu'elle soit de déchets ultimes - dont une est prévue sur ma commune - ou autres, doit être implantée en un lieu quelconque. Essayons donc de le trouver ensemble, avec vous, votre mission, notamment votre chef de mission chargé de la région Nord, que j'ai eu assez souvent au téléphone. Nous sommes tombés d'accord pour dire que l'ensemble des sites n'a pas été véritablement évalué ni recherché. Je pense qu'il existe d'autres possibilités, notamment dans une région où les friches industrielles sont actuellement encore importantes, dans une zone où il y a un port et où les bateaux et péniches pourraient être une solution intéressante, car moins onéreuse à terme. Les farines transportées par péniches peuvent être ensuite emmenées sur le lieu d'incinération à moindre coût. Il existe encore d'autres lieux possibles de stockage, comme ces anciens sites militaires, aujourd'hui plus ou moins désaffectés. Il convient que tous ensemble et en parfaite concertation nous trouvions des lieux. Quant à accepter 4 000 tonnes de farines dans un petit village, je suis désolée, l'élue que je suis n'a pu que dire non. Le préfet n'était pas très content, je le comprends. Mais je ne pouvais accepter une telle décision. J'indique que le site a été réquisitionné. Je ne pouvais que m'y opposer.

À qui profite l'arrivée de farines dans un village ? À personne, si ce n'est à la personne qui loue son hangar. Les habitants alentours, dont les plus proches maisons se situent à moins de cent mètres du site, auront droit à la pollution, aux fermentations, aux odeurs, au trafic de camions, même si ce ne sont pas des norias de camions. Il faut relativiser. Voilà, monsieur le Préfet, ma réflexion sur ce qui est vécu sur le terrain par des personnes de terrain qui voient arriver des décisions sans concertation.

M. Jean-Paul PROUST : Finalement, le site dont vous parlez n'a pas été ouvert.

Mme Monique DENISE : Il a été réquisitionné.

M. Jean-Paul PROUST : J'ai invoqué l'urgence. Lorsque nous avons recherché les premiers sites, il fallait immédiatement les trouver. Cela a conduit à retenir des sites qui, si l'on considère les réactions locales, n'étaient pas parfaits. Sur les quinze sites ouverts, trois ou quatre présentent les mêmes caractéristiques que celui que vous décrivez, c'est-à-dire assez proches du village.

Dans le cadre de l'appel d'offres, nous essayons de trouver de grands sites industriels. Dans les zones portuaires du Nord, du Havre ou celle de la Basse-Loire, on trouve des kilomètres d'entrepôts sans la moindre habitation. On y stocke des produits infiniment plus dangereux et plus polluants que les farines animales et on a l'habitude de voir des norias de camions. Suite à l'appel d'offres lancé, je pense que nous allons trouver quelques grands sites, ce qui nous permettra de fermer avant la fin de l'année quelques-uns des sites sensibles situés trop près des habitations. Nous pourrons, je pense, en fermer quatre ou cinq avant la fin de l'année, tel celui que vous décrivez et auquel nous avons d'ailleurs renoncé.

M. François GUILLAUME : La presse a fait état de chiffres sur l'élimination des farines par les cimenteries, entraînant une dépense pour la collectivité publique de 400 à 1700 francs la tonne. Est-ce exact ? Qu'en est-il aujourd'hui ? De même, quels sont les coûts du stockage, car je pense que c'est avec des opérateurs privés que des contrats sont signés ? Vous avez indiqué d'ailleurs que, compte tenu des faibles possibilités, les marchés n'étaient pas faciles à passer.

Ma deuxième question porte sur les nuisances. Dans la formule du stockage, ce n'est pas tant que des prions puissent s'échapper que je trouve dangereux, quelle que soit la proximité des habitations, que les fermentations déjà évoquées, le développement de salmonelles, beaucoup plus dangereuses et facilement transportées par les insectes et les rongeurs.

Troisième question : au sujet des investissements, vous m'avez quelque peu inquiété, car vous avez indiqué à ceux qui voulaient investir qu'il fallait amortir les investissements sur cinq ans. Qu'est-ce à dire ? Nous sommes dans une phase d'interdiction de l'utilisation des farines issues de déchets d'animaux d'abattoirs, donc théoriquement sains, qui pourraient d'ailleurs être consommés par les monogastriques. Des scientifiques nous l'ont confirmé. Continuera-t-on à interdire les farines dans le but d'amortir les installations ou allons-nous subventionner ces équipements le jour où nous recommencerons à utiliser ces farines ?

Nous avons reçu diverses propositions d'utilisation. Vous-même avez déclaré - ce qui m'a également inquiété - qu'une des pistes trouvées, à défaut du bitume - et pourquoi pas le bitume ? - était la réalisation de briques destinées à la construction, formées d'un mélange de résine et de farine. Cela me semble quelque peu ubuesque. Je ne vois pas qui accepterait d'habiter dans une maison faite de briques constituées de farines animales.

Une autre piste est celle des engrais, toujours pour les farines issues de matériaux sans risque. Qu'en est-il ? Est-ce possible ? Se posent des problèmes de proximité afin d'éviter les longs déplacements. Vous avez évoqué le problème des traitements différenciés selon qu'il s'agissait de matériaux à risque ou de matériaux à bas risque. On s'interroge pour savoir si les farines à bas risque doivent subir le traitement obligatoire, puisqu'elles sont ensuite brûlées. Est-il utile de revenir aux pratiques habituelles : 133 degrés, 3 bars pendant 20 minutes ? C'est une question que nous avons posée aux industriels et aux équarrisseurs sans obtenir de réponse.

M. Jean-Paul PROUST : Si l'on reprend précisément les coûts, intervient en premier lieu l'indemnisation de l'équarrisseur pour la collecte et le conditionnement du produit, c'est-à-dire la collecte des déchets et sa transformation en farines, soit 1600 francs la tonne. Ensuite, s'ouvrent deux possibilités : soit l'équarrisseur s'occupera lui-même de stocker, de transporter et de détruire la farine - il passera par exemple un accord avec une unité d'incinération d'ordures ménagères - auquel cas il touchera forfaitairement, en sus de ces 1600 francs, 700 francs la tonne de farines pour stockage, transport et élimination. Soit un total de 2300 francs la tonne.

Dans le second cas, l'équarrisseur ne veut pas garder les farines et l'État les prend en charge ; dès lors, l'État les stocke provisoirement. Le coût du stockage est variable. Je ne connais évidemment pas les résultats des appels d'offres que l'on vient de lancer, mais on tourne en moyenne - le calcul des prix est assez compliqué, car il comprend une partie fixe et une partie variable - autour de 50 à 80 francs par trimestre. Si vous ramenez cela à une année, le coût du stockage pour l'État est de l'ordre de 200 à 350 francs la tonne.

L'État prend en charge le transport ; c'est pourquoi traverser la France n'est pas la solution idéale. Il accorde ensuite une prime à l'élimination. Elle est le résultat d'appels d'offres ou, demain, de conventions dans le cadre de l'appel à propositions vis-à-vis d'investisseurs qui veulent une garantie sur quelques années. Actuellement, la prime accordée aux cimentiers - ils étaient quasiment les seuls à brûler les farines - s'élève à 430 francs la tonne. Ce sont les derniers appels d'offres lancés. Voilà pour ce qui concerne le coût.

Pour les autres utilisations, je n'ai pas dit qu'il fallait faire du béton ou autre chose, certainement pas : je me suis contenté d'indiquer que l'on ne rejetait aucune idée a priori, mais qu'avant de retenir et d'aider un quelconque projet, on le soumettrait à une commission scientifique pour s'assurer qu'il ne présentait aucun inconvénient pour la santé publique. Pour l'heure, je ne connais pas de projet qui remplisse ces conditions. S'il y en a, le comité scientifique nous le dira.

M. François GUILLAUME : La presse vous a prêté ce propos.

M. Jean-Paul PROUST : Je ne suis pas défenseur des bétons. Je n'ai pas dit non plus qu'il ne fallait pas en fabriquer. Au reste, je ne prétends pas avoir les connaissances scientifiques qui me permettraient de choisir les projets. C'est donc un comité scientifique qui y procédera.

Quant aux engrais, je crois qu'il serait préférable de les exclure, car ils induiraient des problèmes d'un autre ordre.

A également été évoquée l'idée de jeter les farines à la mer. J'ai été directeur des pêches maritimes. Les pêcheurs m'ont déjà écrit pour demander à leur ancien directeur si telle était sa décision. Je les ai rassurés : nous n'allons pas les jeter à la mer.

Pour l'heure, je ne connais qu'une seule voie, celle de l'incinération. S'il s'en trouve d'autres, tant mieux ! En ce qui concerne le stockage, je suis d'accord avec vous, surtout s'il n'est pas géré dans d'excellentes conditions. En effet, gérer un stockage n'est pas si simple, car la farine doit être remuée pour éviter qu'elle ne fermente ; il y a toute une série de conditions qui, si elles ne sont pas respectées, engendrent des fermentations, des infections autres que le prion, même si les farines doivent subir un traitement thermique. Paradoxalement, les farines à bas risque suspendues doivent obéir à des exigences plus élevées au niveau du traitement thermique que celles dites "à haut risque". Les mesures se normaliseront, dans la mesure où le nouveau décret prévoit qu'un arrêté du ministère de l'Agriculture fixera de manière précise les normes correspondant aux recommandations du comité scientifique européen. Les normes de chauffage des farines ne garantissent pas la suppression de tout risque, mais les réduisent considérablement.

M. Roger LESTAS : Ma question rejoint à peu de chose près celle de M. François Guillaume. Je m'étonne que les cimenteries réclament de l'argent pour brûler des combustibles qu'on leur apporte. Je préside un syndicat d'élimination des ordures ménagères qui, depuis dix-huit ans, brûle ces ordures et produit de la vapeur, qu'il vend à un industriel laitier implanté à deux cents mètres. Nous avons dû nous mettre aux normes. Tout fonctionne bien.

Je me réjouis de l'orientation prise pour les farines. C'est un combustible apporté. Je m'étonne donc qu'on indemnise un industriel auquel on apporte du combustible ! Des installations sont certainement à faire. Mon syndicat vient de mettre aux normes le traitement des fumées. Le traitement des farines réclame-t-il un traitement des fumées plus complet que celui nécessaire aux ordures ménagères ? Actuellement, un industriel construit le deuxième four du syndicat ; il recherche des utilisateurs d'énergie pour brûler des farines animales. Existe-t-il encore des possibilités dans l'Ouest de la France où les animaux sont nombreux et où l'on compte une grande activité d'équarrissage ? Pourrais-je diriger cet industriel vers vos services, M. le Préfet ?

M. Jean-Paul PROUST : Tout à fait. Je vous donnerai les coordonnées de la mission.

M. le Président : Je vous rappelle la question de M. Lestas : faut-il subventionner les industriels auxquels on fournit un tel combustible ?

M. Jean-Paul PROUST : Pour l'heure, les marchés font défaut. Nous ne sommes donc pas dans une position confortable pour placer quelque chose. Les cimentiers n'acceptent que les combustibles indemnisés, autrement ils brûlent un tas de déchets pour lesquels ils se font payer. Mon problème est de créer un marché. Je pense qu'il existera dans cinq ans ; l'élimination des déchets ne devrait alors plus coûter de l'argent à l'État. Tel est l'objectif. Mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. Et nous ne pouvons attendre cinq ans, car il n'est pas concevable de cumuler cinq ans de stocks.

M. Roger LESTAS : Une tonne d'ordures génère 180 francs de vente d'énergie. Le syndicat prélève 320 francs aux collectivités pour traiter les ordures, mais il récupère 180 francs de vente d'énergie. Nous vendons l'énergie en fonction du prix du fioul lourd consommé par l'utilisateur en complément, puisque nous produisons 40% de ses besoins en énergie. Le coût varie donc chaque mois en fonction du prix du fioul lourd. Pour les ordures ménagères, c'est avantageux. Ce pourrait l'être également pour des utilisateurs.

M. Jean-Paul PROUST : Tel est l'esprit de l'appel à propositions.

M. François PERROT : Je souhaiterais que vous repreniez le parcours des farines à risque, de l'animal à la destruction, tout en prenant en compte l'environnement, les rongeurs, les oiseaux, le stockage dans les cimenteries avant incinération. Pourriez-vous nous détailler la façon dont cela se passe ? Ma seconde question a trait aux combustibles composés de 80% de farines et de 20% de charbon. Vous avez indiqué que l'on incorporait de la farine à de la houille sur un site à Monceaux-les-Mines. Ce combustible est-il commercialisé sur le marché domestique et les gens les brûlent-ils dans des chaudières ordinaires ?

M. Jean-Paul PROUST : Ce combustible nouveau est uniquement destiné à l'usage industriel et sera commercialisé par les Charbonnages de France (CDF).

Pour ce qui est du circuit, il existe trois catégories distinctes. Première catégorie : les animaux malades et les animaux abattus dans les élevages où a été repéré un animal malade. Ils sont incinérés directement dans des incinérateurs industriels spécialisés. Ces animaux atteints par l'ESB ou les bêtes du même troupeau n'apparaîtront pas dans le circuit.

Deuxième catégorie : les animaux qui relèvent du service public de l'équarrissage, dont les cadavres sont ramassés, ainsi que les saisies sanitaires, en augmentation, dans la mesure où de plus en plus de parties de l'animal sont considérées comme susceptibles d'être dangereuses. Elles sont interdites à la commercialisation pour des raisons sanitaires. Elles sont prélevées dans l'abattoir, vont dans des unités spécialisées des équarrisseurs pour le service public de l'équarrissage. On ne mélange jamais deux catégories d'animaux. Toutes ces parties d'animaux et ces cadavres sont traités par des unités d'équarrissage habilitées, en permanence sous contrôle physique du vétérinaire qui doit s'assurer, dans l'abattoir comme chez l'équarrisseur, de l'étanchéité du circuit. Il en sort ensuite de la farine qui va dans un stockage spécialisé pour le SPE. La quasi-totalité part chez les cimentiers, qui les brûlent à 1500 degrés, sans rejets, puisque cela participe de la fabrication du ciment.

La troisième catégorie est formée des déchets ordinaires des abattoirs, auxquels il faut ajouter les parties non prélevées sur les bovins de plus de trente mois, plus les déchets des bouchers, qui sont traités dans d'autres établissements d'équarrissage et qui donnent la farine dont nous parlons et qui sera stockée. En effet, nous avons établi une hiérarchie dans l'élimination : premièrement, le service public de l'équarrissage ; deuxièmement, les farines issues des bovins de plus de trente mois. Pour rembourser la France, Bruxelles exige que l'on justifie de l'incinération. En troisième lieu, les autres farines.

M. le Président : Nous souhaiterions que vous précisiez la situation au moment où les carcasses arrivent chez l'équarrisseur, car nous avons reçu les témoignages d'industriels de l'équarrissage, qui ont suscité en nous quelques interrogations. Viennent ensuite les conditions d'acheminement. Il convient de s'assurer des conditions d'acheminement et de la séparation des farines à risque et à bas risque suivant les orientations définies.

M. le Rapporteur : Dans quelles conditions le transport est-il effectué et avec quelle sécurité ?

M. Jean-Paul PROUST : Je ne m'occupe des farines que depuis quelques mois. Je dois constater que des progrès restent à réaliser au niveau des unités d'équarrissage, et ce dans toute la filière de l'équarrissage. Je ne veux pas aller trop loin, car je ne suis pas en charge de l'équarrissage, mais le ramassage des animaux s'opère dans des conditions limites, y compris de travail. Ramasser des cadavres à main nue n'est pas recommandé. Depuis le ramassage jusqu'à la transformation en farines, lesquelles posent à la limite le moins de problèmes, bien qu'elles en posent, il conviendra d'imposer progressivement des règles de sécurité à tous les échelons. Le sujet est devenu d'actualité, mais de réels progrès restent à faire.

M. le Président : Quelles seraient vos suggestions à chaque stade du processus ?

M. Jean-Paul PROUST : Je ne me sens pas capable de vous répondre, car cela mérite une étude particulière à chaque stade, afin de déterminer comment améliorer la situation sanitaire. Je ne me sens pas apte à vous répondre dans le détail des mesures techniques.

M. Marcel DEHOUX : Je reviens sur la question de Mme Denise sur le stockage. Sans jeter les farines dans la mer comme vous en avez exclu l'idée, le stockage sur bateau ou sur voie d'eau a-t-il été envisagé ?

M. Jean-Paul PROUST : Ce fut étudié, notamment sur les péniches. Mais ce mode n'a pas été retenu en raison de son coût très élevé. Cela dit, le principe est bon.

M. le Président : Avez-vous eu des contacts avec vos homologues européens? Le problème étant aujourd'hui généralisé, il semblerait, y compris s'agissant des exportations de farines à bas risque destinées aux cimentiers, que les exportations étaient rendues de plus en plus difficiles à mesure que le problème devenait un problème européen. Avez-vous pris des contacts avec vos homologues européens sur les conditions de contrôle et de stockage ?Avez-vous des échanges réguliers pour vous assurer ensemble d'un bon contrôle des farines à haut et à bas risque pour éviter les dysfonctionnements ?

M. Jean-Paul PROUST : Chaque pays a ses propres structures. Je n'ai pas vu qu'une mission interministérielle du même type ait été instaurée dans un autre État européen. Nous n'avons donc pas pris contact avec nos homologues, si ce n'est avec les attachés agricoles pour faire le point sur la manière dont cela se passait dans les différents pays.

En raccourci, les Anglais sont depuis longtemps accoutumés à traiter le problème, mais ils le font au prix fort ; cela coûte très cher au contribuable britannique. Les primes à l'incinération sont beaucoup plus élevées que celles que nous accordons en France aux cimentiers. Dans le cadre de l'appel à propositions, certains de nos industriels se sont rendus au Royaume-Uni où fonctionnent des centrales pour acheter des brevets et faire la même chose en France.

Les Allemands, quant à eux, donnent l'impression d'être quelque peu débordés. Pour l'heure, il ne semble pas que l'organisation soit bien claire, encore qu'ils peuvent rattraper leur retard dans la mesure où ils sont en avance au niveau des filières "déchets", c'est-à-dire qu'ils disposent de capacités d'incinération considérables et déjà en état de fonctionnement. Les interdictions sont décidées au niveau fédéral, mais les dispositions pour indemniser, stocker ou détruire, sont prises au niveau de chaque Land avec des variations importantes d'un Land à l'autre.

Voilà ce que je puis vous dire à ce stade de manière très schématique.

M. François GUILLAUME : Nous sommes actuellement un peu piégés par la façon dont ce problème est intervenu avec la brutalité que l'on sait. Il convient donc de bien utiliser les outils à notre disposition. Cela dit, dans la mesure où il est à peu près certain que l'on n'utilisera plus jamais les farines issues de l'équarrissage par exemple, n'existerait-il pas un système plus direct qui court-circuiterait la mise en farines des cadavres pour les utiliser plus directement ? Nous ne pouvions poser la question aux équarrisseurs tant il est vrai que leur intérêt est d'être les intermédiaires. Je pense que l'État doit mener une réflexion plus approfondie. Au dix-neuvième siècle, on enterrait les animaux. Puis on a trouvé que les farines pouvaient présenter un intérêt de par leur source de protéines particulièrement riches. Suite aux interdictions d'enfouir les animaux, on en est arrivé à la situation actuelle.

Ne pourrait-on trouver un système permettant de créer de véritables usines produisant de la chaleur ou de l'électricité avec l'ensemble des animaux, ce qui éviterait les classifications multiples, des stockages différents, réduirait les coûts ? Votre appel d'offres à projets nouveaux s'appuie-t-il sur une réflexion de ce type. Au sein de l'administration et de la recherche, travaille-t-on sur cette question ?

M. Jean-Paul PROUST : L'ADEME a fait entreprendre une étude par la Sodeteg sur l'élimination du déchet animal cru, brut. Elle est très intéressante ; ses conclusions sont d'ailleurs accessibles sur internet. Elle conclut que les technologies existent et sont au point pour produire de l'énergie avec des déchets crus, sans passer par la farine. Dans le cadre de l'appel à propositions, je pense que nous recevrons plusieurs projets d'élimination directe des déchets crus sans passer par les farines. J'ai eu des contacts avec des chefs d'abattoirs coopératifs ou des sociétés industrielles d'abattage qui sont très intéressés par ces possibilités.

Dans l'analyse que je donnais tout à l'heure des coûts, le vrai saut dans l'économie à réaliser pour le budget de l'État interviendra lorsque l'on n'aura plus besoin de passer par les farines, puisque, dans le budget indiqué, les 1600 francs actuels représentent l'essentiel du coût.

Dans cinq ou six ans, je suis convaincu que le problème ne se posera plus du tout dans les mêmes termes et que les abattoirs pourront directement fabriquer leur énergie en éliminant leurs propres déchets sans qu'il y ait nécessairement intervention du contribuable.

M. le Rapporteur : J'avais posé une question sur la réglementation du transport : s'agit-il de contrats passés avec des sociétés de transport ? Sous quelles conditions d'étanchéité ? Compte tenu de l'urgence, a-t-on paré au plus pressé ?

M. Jean-Paul PROUST : Nous recommandons le transport dédié, en utilisant, si possible, les mêmes camions au transport de la farine. A défaut, on exige un nettoyage, présentant lui-même des inconvénients, car il est réalisé avec de l'eau de javel qui contient du chlore ; on retrouve donc du chlore dans les farines. Nous souhaitons donc un transport dédié.

Nous incitons également, sans en faire une obligation, au transport par camions citernes, ce qui évidemment empêche toute envolée de farines et tout élément perturbateur lié aux intempéries. Cette utilisation des citernes sera systématique dans un certain nombre d'usages, ce qui est important pour les salariés. Des essais seront réalisés dans le Nord, dans la centrale d'Hornaing par la SNET, qui a réfléchi avec son comité d'hygiène et de sécurité, ses représentants du personnel, aux conditions de manutention des farines. Ils sont arrivés à un certain nombre de conclusions satisfaisantes, c'est-à-dire que le transport sera uniquement opéré par citerne et sans aucun stockage. Quelques camions citernes serviront de stocks tampons. Il n'y aura aucune manutention de farines entre le camion et la chaudière. Il suffira de brancher un tuyau et par pression la farine s'écoulera dans la chaudière.

Des progrès restent à faire. Des conditions de manutention de ces farines plus performantes peuvent être obtenues. Cela a un coût. Mais, puisque l'on aide, autant que les choses se fassent dans de bonnes conditions. Cet exemple me semble intéressant et je voulais vous en faire part. En attendant, nous privilégions le transport dédié en citernes.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Alain CADIOU,
directeur général des douanes et droits indirects,
et de M. François MONGIN, chef du service
et de M. Philippe KEARNEY, chef du bureau
« Politique agricole commune et politique commerciale »

(Procès-verbal de la séance du 20 mars 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président.

MM. Alain Cadiou, François Mongin et Philippe Kearney sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les intéressés prêtent serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez reçu le questionnaire que nous avons transmis au ministre de l'Economie et des Finances. Les questions sont très précises et sont destinées à faire le point, car la commission s'intéresse aux mouvements d'échanges des farines animales intervenus après leur interdiction au Royaume-Uni puis en France. Elle s'intéresse également aux contrôles qui furent effectués. Nous avons reçu ici même le témoignage de hauts fonctionnaires belges, qui nous ont dit avoir trouvé un stock de 8 300 tonnes en cours de réétiquetage dans un entrepôt d'Anvers. A ce titre, ils ont saisi vos services pour qu'ils procèdent à des contrôles. Nous souhaiterions savoir quelles infractions ont pu être relevées au cours de cette période et quelles sanctions ont été prises.

Nous nous intéressons également aux échanges d'abats de bovins. Après les mesures d'interdiction en Angleterre, les importations d'abats en France ont été multipliées par quinze. Je ne vous cache que nous avons de grandes difficultés à obtenir des chiffres concordants entre les déclarations des hauts fonctionnaires belges et les données émanant des services français. M. Mattei, qui fut le rapporteur de la mission d'information de 1996, nous a fait part des difficultés qu'il avait rencontrées pour collecter des chiffres. Nous essayons de lever ces difficultés. Au-delà des raisons techniques avancées, nous aimerions savoir comment obtenir des éléments nous permettant d'apprécier ces mouvements de farines et d'abats.

Nous nous intéressons également aux incidences que l'avènement du marché unique a eu sur les contrôles et sur le défaut d'harmonisation des règles sanitaires.

Comment arrivons-nous à contrôler nos importations en provenance d'autres Etats membres depuis l'avènement du marché unique lorsque nous imposons des règles de sécurité ?

M. Alain CADIOU : La dramatique épizootie actuelle de fièvre aphteuse a intensifié le degré de mobilisation des autorités publiques françaises en matière de sécurité alimentaire et tout naturellement de la douane. Cette nouvelle crise se juxtapose à celle de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB, à la prévention de laquelle la douane est, vous le savez, partie prenante depuis maintenant plus de dix ans, aux côtés d'autres administrations.

Nommé depuis quatre mois à la tête de l'administration des douanes, j'ai eu à m'occuper dès mon arrivée de cette question. Je suis donc particulièrement heureux de l'occasion qui m'est donnée de vous exposer le rôle de la douane dans la gestion de la crise de l'ESB. Je vous adresserai, dans les jours qui viennent, les réponses que mon administration est en mesure de vous fournir aux questions détaillées que vous m'avez fait parvenir.

Je souhaiterais aujourd'hui vous présenter les fonctions de la douane en matière de sécurité alimentaire en général et d'ESB en particulier. Il convient tout d'abord de rappeler que la douane assure la police de la circulation des marchandises. Son rôle n'est donc pas d'exprimer un avis scientifique sur la dangerosité de tel ou tel produit, mais de contrôler et, le cas échéant, de s'opposer, à l'entrée en France de produits sur lesquels pèse une suspicion de dangerosité.

Dans le droit-fil de ce rappel essentiel de la mission de mon administration, je me limiterai à trois séries d'observations. La douane est l'un des éléments du contrôle de la chaîne alimentaire. Ce mode d'organisation de la satisfaction de nos besoins alimentaires emporte deux types de conséquences, en termes de règles de précaution d'une part, et de coordination entre les services de l'Etat, d'autre part.

La précaution est un principe qui guide l'action administrative en matière de sécurité alimentaire. Ce principe signifie qu'aussi longtemps qu'un doute subsiste quant à l'innocuité d'un produit, celui-ci ne doit pas être commercialisé ou importé. La mise en _uvre de ce principe suppose en premier lieu une évaluation du risque, qui est aujourd'hui, en matière alimentaire, principalement dévolue à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA).

Elle signifie en second lieu une gestion du risque, qui relève des administrations chargées du contrôle. La précaution sous-tend les principes de défense de l'intérêt général, de rapidité de réaction, de coordination entre les administrations, de « contrôlabilité » des mesures, de traçabilité des produits, de proportionnalité aux besoins du dispositif de surveillance et de sanction des infractions commises.

Elle implique, en dernier lieu, une information claire des citoyens sur la nature des risques encourus.

L'exemple des farines carnées illustre cette application du principe de précaution, puisque les mesures restrictives ont évolué avec l'avancée des connaissances scientifiques. Des mesures ont en effet été prises, d'abord par les autorités françaises, puis par la Commission européenne, pour faire face aux risques que l'ESB a paru représenter pour la santé animale, puis humaine. Je me limiterai à rappeler très brièvement quelques dates significatives à cet égard pour la douane :

- depuis 1965, les farines animales pouvaient entrer en France dans les conditions du droit commun; en août 1989, la France a interdit l'importation des farines de viandes du Royaume-Uni puis, en décembre, des farines irlandaises ;

- en 1993, l'interdiction d'importation des farines de République d'Irlande a été levée ;

- en 1994, la Commission européenne a interdit les exportations de farines de ruminants originaires du Royaume-Uni et fabriquées avant le 1er janvier 1995 ;

- depuis mars 1996, un embargo national et communautaire a été décrété sur les produits bovins britanniques et les farines de viande et d'os de mammifères ;

- en novembre 2000, la France a interdit l'ensemble des farines animales dans l'alimentation des animaux, à l'exception des farines de poissons pour les seuls poissons. L'Union européenne a pris, en décembre, une mesure d'interdiction dont le périmètre s'est avéré moins large que celui de l'interdiction française. Ainsi, les farines de poissons ne sont pas prohibées dans l'alimentation des animaux terrestres. Cette mesure a été transposée en droit français après un avis de l'AFSSA.

La douane intervient en coopération avec d'autres administrations pour le contrôle de la chaîne alimentaire. La douane n'est naturellement pas le seul service en charge de la sécurité alimentaire en France. Elle intervient avec la direction générale de l'alimentation du ministère de l'Agriculture et de la Pêche (DGAL), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la direction générale de la santé (DGS).

En effet, le concept de chaîne alimentaire traduit une interpénétration d'actions qui imposent diverses contraintes. En premier lieu, le contrôle ne peut se focaliser sur le seul produit, mais doit également s'intéresser au processus de production et de fabrication - abattoirs, ateliers de découpe, de transformation, etc. - ou de commercialisation - restauration, grandes et moyennes surfaces. En second lieu, la traçabilité des produits revêt une importance particulière. Cette notion signifie qu'en contrepartie d'un processus de chaîne alimentaire, les produits doivent pouvoir être précisément localisés et leur origine et leur destination être identifiées. En troisième lieu, la coopération est primordiale entre les différentes administrations chargées du contrôle de la chaîne.

La douane, pour sa part, s'intéresse aux opérations d'importation et d'exportation de produits bruts ou finis, qui se situent le plus souvent en amont ou en aval du processus de production ou de transformation sur le territoire national. Elle s'appuie cependant sur les informations ou l'expertise technique de la DGCCRF et de la DGAL. Elle s'appuie également sur une coopération internationale bien développée. La coopération au plan national est un élément essentiel de contrôle de la chaîne alimentaire.

Un véritable réseau de veille et d'alerte a su se mettre en place au niveau central. Des groupes de pilotage se réunissent régulièrement, au sein du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie comme au niveau interministériel, afin d'échanger toutes informations nécessaires sur les contrôles et de prendre le plus rapidement possible les décisions qui s'imposent.

Un protocole d'accord « ESB » lie ainsi, depuis juillet 1998, la douane et la DGCCRF et vise notamment à favoriser les échanges d'informations, sous forme de fiches de liaison, sur les fraudes décelées lors des contrôles respectivement conduits par chaque administration. Il prévoit également des opérations conjointes de contrôle. Le bilan de cette coopération est largement positif : depuis la signature de ce protocole, le dispositif a permis d'échanger 470 fiches de liaison et de mener 13 actions conjointes. Le protocole a été étendu et révisé en mars 2000 pour tirer les conséquences des dernières crises intervenues, notamment celle de la dioxine belge ou du Coca-Cola. Un protocole analogue sera signé dans les prochains jours avec la DGAL.

Cette coopération est relayée au niveau local. Ainsi, lorsqu'à l'occasion d'un contrôle immédiat, un doute apparaît sur la nature des marchandises ou l'authenticité des documents présentés, les services douaniers peuvent solliciter l'avis des agents des services vétérinaires dépendant de la DGAL ou des agents de la DGCCRF.

Une coopération internationale est également mise en _uvre, notamment par le biais du réseau des attachés douaniers français à l'étranger et de l'assistance administrative mutuelle internationale, l'AAMI. Cette coopération est essentielle pour s'assurer de l'origine - Royaume-Uni, République d'Irlande, etc. voire de la nature exacte - farines de ruminants, de volailles, de plumes... - des produits soumis à restrictions ou à interdiction

De même, la France travaille sur les fraudes avec l'Office européen de lutte antifraude, l'OLAF. Une messagerie électronique européenne permet aux douanes des différents Etats membres d'échanger leurs informations en matière de fraude. En ce qui concerne les farines toutefois, aucune filière de fraude n'a été mise en évidence dans un quelconque Etat. Le rôle spécifique de la douane consiste à s'opposer à l'entrée sur le territoire des farines interdites, à leur sortie et à leur circulation. La douane est le pivot d'un dispositif de contrôle qu'elle anime avec des méthodes et des moyens adaptés et en coopération avec d'autres administrations nationales, communautaires ou étrangères.

Une différence majeure existe cependant entre les produits communautaires et les produits tiers. En effet, le marché unique, depuis 1993, ne permet plus de procéder à des contrôles systématiques aux frontières intérieures. Les moyens de contrôle ont évolué avec l'avènement du marché unique.

Jusqu'au 1er janvier 1993, les contrôles douaniers étaient systématiques aux frontières nationales, y compris sur les produits communautaires. Ils s'ajoutaient aux contrôles vétérinaires préalables sur ces produits. La mise en place du marché unique, en 1993, a entraîné la suppression des formalités de dédouanement dans le cadre des échanges intra-communautaires. Il en est résulté, d'une part, la disparition des contrôles vétérinaires et douaniers systématiques aux frontières, remplacés par des contrôles ponctuels sur l'ensemble du territoire ; d'autre part, une modification du régime de collecte des statistiques du commerce extérieur. Cette différence entre ce qui est d'origine communautaire et ce qui ne l'est pas a des conséquences immédiates sur l'applicabilité du code des douanes national.

Le code des douanes national s'applique directement en ce qui concerne les produits en provenance de pays tiers. Ce code organise des pouvoirs adaptés à la nature des contrôles des flux transfrontaliers : droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes - art. 60 - droit d'injonction d'arrêt aux conducteurs et d'immobilisation des moyens de transport - art. 61- droit de communication des certificats sanitaires et de tout document commercial - art. 65 - droit de saisie - art. 323-2. Le code des douanes permet, en outre, un régime spécifique de sanctions.

En ce qui concerne les produits communautaires, le code des douanes ne s'appliquait plus depuis 1993, jusqu'à l'institution récente de l'article 38-5 du code des douanes, par la loi n° 2001-06 du 4 janvier 2001. Toutefois, il pouvait être fait application de certaines dispositions spécifiques dans des cas très restreints. Ainsi, le code rural habilite les agents des douanes à effectuer certains contrôles sur les animaux vivants et les produits carnés accompagnés d'un document vétérinaire obligatoire dans les échanges intra-communautaires, en recourant de façon limitée à certains pouvoirs du code des douanes. C'est le cas des viandes qui doivent être accompagnées d'une attestation indiquant qu'elles ne contiennent pas de matériaux à risque spécifiés.

Des contrôles des produits alimentaires sont également possibles sur le marché national. En cas de danger grave et immédiat pour la sécurité et la santé des consommateurs, la douane peut recourir au code de la consommation. Il convient toutefois de relever que ce dernier offre des moyens de contrôle plus restreints que le code des douanes.

Pour optimiser l'utilisation des pouvoirs douaniers dans les échanges intra-communautaires, un article 38-5 nouveau du code des douanes a été adopté dans le cadre de la loi du 5 janvier 2001 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire en matière de santé des animaux. Ce nouvel article permet aux agents des douanes de retrouver des moyens d'actions plus complets, sur le fondement du code des douanes, à l'égard de marchandises désignées par arrêté, ces marchandises faisant l'objet de mesures de restriction communautaire ou nationale dans les échanges intra-communautaires.

Un premier arrêté sera publié prochainement portant sur les produits concernés par les embargos ESB sur le Royaume-Uni et le Portugal, ainsi que sur les farines et les autres matériaux à risque spécifiés.

Le dispositif douanier repose sur un triple niveau de contrôle. La douane dispose au total de près de 20 000 agents répartis sur l'ensemble du territoire en quarante directions régionales et cinq services à compétence nationale, dont la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières. La douane peut mobiliser plus de 10 000 agents, dont 1 750 pour les directions concernées par le contrôle des frontières Nord et Est, où s'effectue la majeure partie des introductions et des importations. A titre d'exemple, 1,3 million de camions originaires du Royaume-Uni s'est présenté à Calais et à Boulogne en 2000.

Dans ce cadre, un triple niveau de contrôle est mis en place. La sécurité alimentaire est tout d'abord prise en compte dans l'activité quotidienne de quelque 3 000 douaniers chargés du dédouanement des produits des pays tiers. Des contrôles immédiats sont opérés aux frontières de la France avec des pays tiers. A l'occasion de ces formalités, abolies en 1993 en ce qui concerne les produits communautaires, les douaniers s'assurent notamment de l'origine des marchandises déclarées et du fait que les contrôles sanitaires ont été opérés, y compris en ce qui concerne les farines animales qui peuvent être importées de pays tiers. Il convient aussi de rappeler que les laboratoires des douanes procèdent chaque année à environ 12 000 analyses de produits agroalimentaires.

En outre, bien que les règles du marché intérieur ne prévoient pas de contrôles douaniers systématiques à la frontière entre Etats membres, de tels contrôles sont cependant mis en place en cas de crise, notamment lorsqu'un embargo est décidé par les autorités politiques nationales. Ils sont principalement le fait des 6 500 agents les plus concernés des services de surveillance.

Deuxième niveau de contrôle : indépendamment de ces contrôles aux frontières, d'autres contrôles peuvent être effectués sur la circulation en tout point du territoire, notamment par les agents des services de surveillance. Les contrôles que j'évoque peuvent être documentaires et physiques. En ce qui concerne notamment les produits communautaires, il ne s'agit cependant pas de contrôler tous les véhicules, ce qui irait à l'encontre du principe de libre circulation des marchandises, mais de mettre en place un système de contrôle qui respecte les principes d'efficacité, de dissuasion et de proportionnalité.

De ce fait, les contrôles reposent sur une analyse de risque et un ciblage. Le ciblage consiste à focaliser les contrôles sur les moyens de transport qui, en raison de leur origine, de leur provenance, de leur itinéraire sont les plus susceptibles de transporter des marchandises litigieuses. C'est ainsi que les douaniers sont actuellement davantage appelés à contrôler les camions frigorifiques.

En vue de contrôler le respect de l'embargo sur le b_uf britannique, plus d'un million de contrôles ont été effectués en frontière ou à la circulation, sur les moyens de transport, depuis le début de la crise de l'ESB. Les chiffres de 1 million et de 1,3 million ne portent pas sur la même période et n'ont pas la même signification.

Des contrôles a posteriori sont menés dans les entreprises en vue de s'assurer que des produits interdits n'ont pas été introduits d'autres Etats-membres ou importés de pays tiers. Il peut s'agir, par exemple, des contrôles des déclarations d'échanges de biens ou d'enquêtes des services de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières.

Pour les produits communautaires en effet, les formalités préalables de dédouanement ont été remplacées par le dépôt d'une déclaration d'échanges de biens, DEB, document à vocation statistique. Cette dernière est un document que doivent remplir chaque mois les entreprises et récapitulant l'ensemble des opérations de livraisons et d'acquisitions communautaires auxquelles elles ont procédé.

En 1999, 52 428 contrôles de DEB ont ainsi été réalisés par l'ensemble des services douaniers, 11 485 de ces contrôles correspondant à des contrôles dits de « deuxième niveau », c'est-à-dire menés dans les entreprises et non pas uniquement documentaires. Ces contrôles sont systématiques en ce qui concerne l'ensemble des produits bovins concernés par l'embargo ESB. Corrélativement, de lourdes sanctions peuvent être infligées : lorsqu'une marchandise communautaire litigieuse est découverte par les services des douanes, elle est consignée dans l'attente de l'avis des services vétérinaires ou des services locaux de la DGCCRF. Cette consignation peut, après dix jours, être prolongée suite à la saisine du procureur de la République pour une durée totale de 21 jours.

Dans le cadre de l'ESB, depuis mars 1996, 213 consignations douanières ont donné lieu à 125 refoulements décidés par les services vétérinaires, 13 destructions et 12 consignations sous la responsabilité des services vétérinaires ; les autres consignations ont donné lieu à une décision de poursuite du transport, car les marchandises se sont révélées licites. Sur l'ensemble de ces consignations, 64 dénonciations aux procureurs de la République ont été effectuées sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale.

S'il apparaît que la marchandise est prohibée, elle peut être réexportée ou détruite, selon les cas ou selon la nature de la marchandise, sur décision des services sanitaires ou de l'autorité judiciaire. Pour les marchandises frauduleuses originaires des pays tiers, des sanctions douanières sur la base de l'article 414 du code des douanes - jusqu'à trois ans de prison et amende jusqu'à deux fois l'objet de la fraude - peuvent être infligées. Le rôle de la douane consiste également à établir des statistiques d'importation et d'exportation.

Je vous transmettrai, M. le Président, dans les prochains jours les éléments de réponse disponibles aux questions posées par votre commission.

Les données chiffrées, notamment celles relatives aux importations de farines carnées, appellent plusieurs précisions. Il convient en premier lieu d'apporter des précisions méthodologiques. Avant 1993, chaque importation de produits originaires des autres Etats membres était traitée comme celle des produits tiers et donnait lieu au dépôt d'une déclaration en douane soumise à des contrôles douaniers systématiques, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus. Les statistiques reposaient donc sur l'exploitation de la totalité de ces déclarations.

Depuis le 1er janvier 1993, le système statistique entre Etats membres de la Communauté, reposant sur les déclarations d'échanges de biens déposées mensuellement, connaît cinq limites. Première limite : aucun seuil communautaire n'est fixé en valeur pour le dépôt obligatoire des DEB et les obligations de déclaration dans les différents Etats membres peuvent être fixées à des niveaux différents. En France, les seuils, notablement inférieurs à ceux de la plupart des autres Etats membres, permettent de couvrir 99 % des échanges, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays de la Communauté.

Deuxième limite : la nomenclature combinée tarifaire européenne à huit chiffres, la NC8, qui désigne le produit sur ces déclarations, connaît deux types de limites. En premier lieu, elle a évolué dans le temps. Ceci limite la comparabilité, sur moyenne période, des données les plus fines. En second lieu, elle reprend seulement, dans de nombreux cas, les produits par grande famille. Il n'est donc pas toujours possible d'établir une correspondance entre des désignations courantes de produits et leur traduction sous la forme de la nomenclature douanière. La notion de farines animales de viandes correspond ainsi essentiellement au code 23 01 10 00 qui comprend les « farines, poudres et agglomérés sous formes de pellets de viandes ou d'abats, cretons ». C'est la position la plus spécifique pour les farines animales, sans qu'elle permette d'identifier s'il s'agit de viande bovine, ovine, caprine ou de volaille.

La France a demandé à diverses reprises l'introduction de nouvelles positions plus précises dans la nomenclature tarifaire communautaire pour distinguer la nature des farines et de certains produits bovins, mais cela n'a jamais été accepté par la Commission. L'introduction d'une nomenclature nationale obligatoire a également été rejetée par la Commission.

De nouvelles démarches en ce sens ont été effectuées lors des plus récentes réunions avec la Commission européenne et l'Office statistique communautaire « Eurostat ». Compte tenu de l'extension des épizooties et des incertitudes alimentaires, ces nouvelles démarches ont trouvé un accueil plus favorable que dans le passé tant de la part de la Commission que d'autres Etats membres qui partagent nos préoccupations.

Troisième limite statistique : le code géographique du Royaume-Uni - 006 - ne distingue pas la Grande-Bretagne de l'Irlande du Nord à l'égard desquelles, pourtant, les mesures d'embargo sont distinctes.

Quatrième limite : les déclarations d'échanges de biens mensuelles fondées sur les déclarations des opérateurs sont plus susceptibles d'erreurs de leur part que les déclarations en douane établies par des professionnels du dédouanement. Dans le cadre de la crise de l'ESB, les services douaniers ont donc procédé à plusieurs campagnes de vérification des déclarations d'échanges de biens relatives à l'importation de produits faisant l'objet de mesures de prohibition partielle ou totale.

Dans le prolongement des contrôles sur les acquisitions de farines animales et de bovins vivants de janvier 1993 à mars 1996, qui avaient permis de contrôler 98 % des tonnages introduits, des contrôles DEB sont régulièrement effectués sur l'ensemble des produits couverts par l'embargo. Par ailleurs, certaines campagnes de vérification ont été l'occasion d'actions communes avec la DGCCRF à travers lesquelles la douane a réalisé des études de flux en vue de recenser les stocks de farines. Ces opérations se sont achevées fin janvier 1999, sans qu'aucune fraude n'ait été décelée. Ces vérifications peuvent nécessiter des demandes d'assistance administrative mutuelle internationale du ministère de l'Agriculture et de la Pêche auprès des autorités compétentes, par exemple du Royaume-Uni.

Cinquième limite à la précision statistique : la règle retenue en matière de publication statistique peut également expliquer des différences. En premier lieu, les statistiques françaises indiquent l'origine de produits, tandis que les statistiques communautaires consolidées indiquent la provenance, ce qui peut induire des différences, notamment en cas de commerce « triangulaire ». Ainsi, une viande danoise introduite en Allemagne pour être transformée, avant d'être introduite en France, est reprise en origine danoise dans les statistiques françaises, mais en origine allemande dans les statistiques communautaires.

En second lieu, en France, les chiffres ne sont publiés que lorsqu'ils sont réputés avoir acquis un degré de fiabilité suffisant. Cela n'exclut pas, au demeurant, des rectifications marginales ultérieures liées aux rectifications statistiques résultant des résultats des enquêtes. Tel est le cas des farines animales, pour lesquelles les chiffres pour 1994, établis en 1995 et alors communiqués à la mission d'information parlementaire sur l'ESB, soit 390 tonnes, ont été rectifiés par la DGDDI par la suite pour atteindre 455 tonnes.

Cette différence s'explique par la réception progressive des résultats des vérifications, encore en cours au moment de la mission d'information, qui ont modifié les statistiques communiquées. En effet, les vérifications initiées par la douane pour vérifier l'origine exacte des marchandises déclarées sur les DEB peuvent parfois prendre trois à quatre années du fait des délais des procédures administratives d'assistance et du respect du cadre juridique en vigueur.

Quelques commentaires sur les farines carnées. La consommation de farines animales dans l'alimentation des animaux s'élève, selon les experts, à environ 400 000 tonnes par an. Les importations, entre 1990 et 1997, ont donc représenté entre 5 % en 1992 et 19 % en 1995 de cette consommation nationale.

Entre 1988 et 2000, la France a importé, ou introduit, 551 783 tonnes de farines relevant du code 23 01 10 00 précité.

Les Etats membres de l'Union européenne, y compris la Suède, la Finlande et l'Autriche, qui ont adhéré à l'Union européenne en 1995, étaient les principaux fournisseurs de la France. Les approvisionnements se sont diversifiés au cours de la période: le Danemark avec 12 500 tonnes en 1990 et la Belgique avec 8 000 tonnes en 1990, qui étaient les principaux fournisseurs au début des années 1990, se sont vu supplanter par les Pays-Bas avec 7 000 tonnes en 2000 et l'Allemagne avec 5 000 tonnes en 2000.

L'Irlande a largement bénéficié de la levée de l'embargo qui pesait sur ses exportations de farines de ruminants entre décembre 1989 et mars 1993, puisque ses exportations sont passées de 5 000 tonnes en 1993 à 20 000 en 1994, puis à 35 000 en 1995.

La part du Royaume-Uni dans la consommation nationale de farines s'est effondrée à partir de 1989. Les farines animales britanniques, qui avaient représenté en 1989 jusqu'à 4 % de la consommation nationale et un tiers des farines importées avec 16 000 tonnes, n'ont plus été importées de 1991 à 1993. Les échanges ont repris ensuite à un rythme moins soutenu : 455 tonnes en 1994, 1 096 tonnes en 1995 et 131 tonnes en 2000. Il s'agit de farines de volailles et/ou de farines non destinées à la fabrication des aliments pour ruminants.

Le Royaume-Uni semble avoir compensé la perte de ses marchés communautaires par des exportations plus dynamiques vers les pays tiers. En 1989, la France et les Pays-Bas étaient les deux premiers importateurs de farines britanniques avec 16 000 et 6 000 tonnes sur un total de 32 000. En 1993, les 32 000 tonnes exportées ont trouvé comme destination l'Indonésie à hauteur de 20 000 tonnes et Israël à hauteur de 4 000 tonnes.

M. le Président : Je vous remercie. Le bond des importations de farines irlandaises est singulier. Vous indiquez qu'il n'y a pas eu de fraudes en tant que telles. Nous sommes placés devant une question centrale : lorsque des mesures sanitaires de protection sont prises à l'égard de tel ou tel pays, comment s'assurer, compte tenu de l'imprécision des règles d'origine, qu'il n'y a pas de détournement ? Vous avez, à ce titre, relevé la différence d'appréciation statistique selon que ce sont les douanes françaises qui l'interprètent ou la Communauté. Nous sommes placés devant une question centrale : avez-vous eu les moyens de contrôler les entrées de farines en provenance de pays qui faisaient l'objet de mesures particulières d'interdiction ?

Un haut fonctionnaire belge entendu par la commission d'enquête a porté à notre connaissance la découverte d'un stock à Anvers de 8 300 tonnes, l'équivalent d'une année d'exportation belge vers la France. Avez-vous donc les moyens du contrôle des marchandises faisant l'objet de mesures d'interdiction temporaire ou définitive avec les flux que vous avez cités, la France étant passée en dix ans de 5 000 à 20 000, puis à 35 000 tonnes ? Difficulté supplémentaire : les codifications ne permettent pas une identification claire des produits. Nous aimerions avoir votre appréciation et savoir les leçons que vous en tirez. Comment nous assurer que des mesures de protection prises en matière sanitaire alimentaire se traduisent bien dans les faits.

M. Alain CADIOU : Nous ne sommes pas au courant - alors que nous devrions en être informés - de l'opération belge que vous évoquez. Nous allons vérifier ce point. S'agissant de l'action de contrôle, la Douane regroupe 20 000 douaniers, dont 10 000 affectés à des opérations commerciales, de dédouanement, et 10 000 en uniformes affectés à la surveillance. Je puis vous dire que les 10 000 douaniers de la surveillance sont mobilisables - je l'ai constaté il y a environ trois semaines s'agissant de la fièvre aphteuse. Au cours d'un week-end, nous avons été capables de mobiliser plus d'un millier de douaniers à la frontière belge. C'est leur métier et cela entre dans leur mission de contrôle de la marchandise. Monsieur le Président, vous dire s'il en faut deux mille ou trois mille de plus, je ne sais, mais, en tout cas, nous pouvons les mobiliser lorsque nous avons besoin d'eux vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cela au niveau de l'action.

M. le Président : Je parlais, non pas des moyens humains, encore que ce ne soit pas une question subsidiaire, mais du problème juridique de circulation des marchandises, au sujet duquel les chiffres montrent, dans leur complexité, que nous sommes face à une situation qui ne nous permet pas d'affirmer l'absence de fraudes. Il conviendra de préciser ce qui vous permet de dire qu'il n'y a pas eu fraude. Mon sentiment personnel me pousse à penser le contraire. Bien sûr, ce sentiment reste à confirmer.

M. Alain CADIOU: J'ai indiqué que nous n'avions pas décelé de fraudes, non qu'il n'y en avait pas eu. Je voulais simplement vous dire que les douaniers, lorsqu'il le faut, sont disponibles ; ils le sont d'autant plus que leur mission est simple. Lorsqu'il y a embargo total, les douaniers sont très efficaces. Cela devient un peu plus compliqué quand l'embargo n'est pas total ou repose sur des conditions.

M. le Président : Le chiffre cité par le fonctionnaire belge est de 8 300 tonnes.

M. Germain GENGENWIN : 8 300 tonnes de farines de viande appartenant à une société française. Les farines étaient réensachées et réexpédiées.

M. Philippe KEARNEY : Pas plus que le directeur général ou M. Mongin, je ne suis au courant de la découverte de ces 8 300 tonnes. S'il s'agit de farines françaises envoyées en Belgique...

M. le Président : Elles nous ont plutôt paru venir d'ailleurs et, s'agissant d'un port, il nous a semblé qu'elles avaient franchi une frontière maritime !

M. Philippe KEARNEY : J'ai bien noté le chiffre et l'origine. Nous allons prendre contact avec les autorités douanières belges. S'agissant des quantités, la Belgique est, en effet, l'un des premiers clients de la France en matière de farines. En 1996, nous avons exporté près de 39 000 tonnes de farines françaises en Belgique. Le chiffre est moins incohérent que dans le sens contraire. Mais il est vrai que subsistent des difficultés sur le contrôle de l'origine. Pour compléter les propos de M. le directeur général sur les moyens et sur le schéma de contrôle, nous disposons de moyens humains importants.

Un schéma de contrôle s'applique à plusieurs niveaux ; il fait se succéder une série de contrôles qui nous paraissent cohérents et des moyens juridiques qui se sont renforcés, même s'ils ont un peu évolué. Le schéma de contrôle assorti de ces moyens juridiques, avant et après 1993, nous permet d'avancer que nous avons un moyen de contrôler les flux légaux de farines et que, en matière de flux illégaux, nous n'avons pas mis en évidence au cours de ces contrôles, ni dans les contrôles immédiats, ni dans les contrôles a posteriori que le directeur général a décrits, de filières de fraude d'un quelconque Etat membre de l'Union européenne.

M. le Président : Comment expliquez-vous dans ces conditions le bond des exportations irlandaises ?

M. Philippe KEARNEY : Il s'explique par plusieurs éléments. Premièrement, l'Irlande est un gros producteur de bovins. La production de farines est potentiellement importante. Le bond irlandais est à rapprocher des quantités exportées antérieurement à l'embargo, puisque l'Irlande a été placée sous embargo pendant plusieurs années auparavant. Si l'on remonte aux années antérieures à 1988, on trouve des quantités et des tonnages exportés de l'Irlande vers la France du même ordre que ceux que nous avons constatés après la levée de l'embargo. Les tonnages irlandais étaient à l'époque légaux, même si l'augmentation peut perturber. Il est vraisemblable que l'Irlande a pris la place d'exportations britanniques qui se sont taries. Pour autant, cela ne signifie pas, l'Irlande ayant elle-même mis en place un embargo sur les farines provenant du Royaume-Uni, que des farines britanniques ont été exportées en France avec une fausse origine irlandaise. Nos contrôles ont permis de l'identifier ; nous avons pu remonter l'origine des farines. Il n'en reste pas moins que ce chiffre est perturbant. Mais voilà les moyens que nous avons de l'expliquer.

M. François GUILLAUME : Vous avez constaté la progression des farines importées d'Irlande de 5 000 à 35 000 tonnes. En êtes-vous restés là ou avez-vous alerté les autorités en leur indiquant un fait anormal ? Etes-vous en relation avec le ministère de l'Agriculture ?

M. Philippe KEARNEY : Les statistiques douanières sont systématiquement communiquées au ministère de l'Agriculture, qui a, par conséquent, été en position de réagir. Pour en revenir aux importations, si les tonnages sont importants, en pourcentage, les importations de farines que nous constatons depuis plus d'une dizaine d'années varient énormément d'une année à l'autre et d'un pays à l'autre. C'est un marché très volatil. Dans la mesure où les farines sont légales et qu'elles ne présentent pas de risques sanitaires avérés, puisque le risque a été levé en 1993, nous n'avons pas de raisons de bloquer des farines légales et réputées saines. Dès lors, je n'ai guère d'autres éléments à vous présenter, sinon que, derrière la logique économique, ne se cache aucun risque sanitaire. Ce n'est guère plus perturbant que d'autres variations, même si la variation irlandaise est, dans son ampleur, plus large que celles constatées dans d'autres Etats membres.

M. le Président : Le ministère de l'Agriculture a donc été saisi. Qu'en est-il advenu ? Y a-t-il eu un retour ?

M. Philippe KEARNEY : Non. Ce point n'a pas suscité de difficultés particulières.

M. le Président : Pas de demande d'enquête pour connaître les raisons de cet état de fait ?

M. Philippe KEARNEY : Des enquêtes ont été effectuées pour s'assurer qu'il n'y avait pas travestissement ou blanchiment de farines, si j'ose utiliser cette expression. Mais, à partir du moment où l'on s'est assuré que des farines britanniques n'étaient pas importées et que les farines irlandaises étaient légales, il n'y avait pas de raisons particulières d'en déduire autre chose en termes de fraudes.

M. Jacques GODFRAIN : Vous indiquez : « Nous étions, avec les Pays-Bas, le principal importateur de farines britanniques. » Quelques phrases avant, vous précisiez que les Pays-Bas étaient l'un de nos principaux fournisseurs de farines. J'avoue ne pas comprendre comment un pays qui était fortement importateur devient soudainement exportateur. Je pense que des liens privilégiés ont dû subsister entre les Pays-Bas et l'Indonésie. Etablissant le rapport avec la destination de farines britanniques en direction des Pays-Bas, on se pose nombre de questions. Est-il possible que des farines britanniques qui arrivent à Anvers puissent se transformer par magie en farines hollandaises ?

M. Philippe KEARNEY : Les principaux pays de l'Union européenne sont à la fois importateurs et exportateurs de farines, en raison de ce code tarifaire qui ne permet pas de distinguer entre les différentes formes de farines. La France exportait, en 1997, 86 000 tonnes de farines et en a importé 16 000 tonnes au cours de la même année. La France est à la fois importatrice et exportatrice. Je pense qu'il en allait de même pour les Pays-Bas. Les Pays-Bas étaient un importateur de farines britanniques à l'époque où elles étaient autorisées et ont été un exportateur de farines. Ils exportaient déjà des farines avant l'embargo vers la France et ont continué de le faire dans des proportions aussi importantes au cours de la décennie 1990. Ces farines hollandaises ne sont pas des farines britanniques « naturalisées ».

M. Marcel DEHOUX : Votre propos s'appuie-t-il sur des déclarations ou l'affirmez-vous après analyse ?

M. Philippe KEARNEY : Nous avons vérifié l'ensemble des importations de farines sur la période suspecte de 1993 à 1996.Les chiffres avaient d'ailleurs été communiqués à la mission d'information, dont M. Mattei était rapporteur. Nous avons vérifié l'origine de toutes les farines et procédé à des corrections. Celles-ci consistaient plutôt à identifier des farines déclarées britanniques au départ - qui, en fait, étaient irlandaises - que dans le sens inverse. Il n'y a pas eu naturalisation.

M. Marcel DEHOUX : Vous vous appuyez sur des déclarations.

M. Philippe KEARNEY : Oui, mais les déclarations sont ensuite vérifiées par des enquêtes dans les entreprises, enquêtes menées en liaison avec les pays d'exportation.

M. le Président : Sur la période considérée, combien avez-vous effectué de contrôles directement auprès des entreprises, « en remontant » la farine si je puis dire, pour rapprocher les tonnages, les entrées, les contrôles. Par rapport aux périodes antérieures et postérieures, sur la période sensible, y a-t-il eu des contrôles plus nombreux, plus poussés ?

M. Philippe KEARNEY : Sur la période antérieure à 1993, par définition, les farines étaient dédouanées et faisaient l'objet d'un double contrôle systématique : vétérinaire, douanier ensuite. Au cours de la période 1993-1996 et au-delà, il s'est agi de contrôles a posteriori systématiques dans la quasi-totalité des entreprises qui avaient importé ou introduit des farines de pays européens, ce qui a permis de contrôler 98 % des tonnages et donc une quantité équivalente d'entreprises. Mais ce sont là des contrôles a posteriori : une fois les farines importées, la douane se déplace dans les entreprises, vérifie la façon dont sont remplies les déclarations d'échanges de biens, compare ces déclarations d'échanges de biens avec les factures, avec la comptabilité de l'entreprise. Lorsqu'une difficulté apparaît, la douane enclenche une enquête, une demande d'assistance mutuelle dans les pays d'origine, ce que nous avions fait avec l'Irlande. Voilà le schéma. Pour la période 1993-1996, je pourrais vous communiquer le nombre exact d'enquêtes effectuées à l'époque, mais j'ai le souvenir que cela couvrait 98 % des tonnages introduits de l'ensemble des Etats membres.

M. le Président : Depuis 1993, la question de l'origine dans les comptabilités douanières françaises ou européennes n'est pas un élément ayant compliqué la situation. J'ai souvenance que M. Mattei, ici même, nous a indiqué très clairement que, malgré les nombreuses questions, il avait été dans l'incapacité d'obtenir des chiffres clairs sur les mouvements de farines. Il avait été amené à écrire dans son rapport, ce qu'il a maintenu lors de notre audition : « Dans l'état actuel des données dont il dispose, le rapporteur se doit d'indiquer qu'il ne lui est pas possible à titre personnel de confirmer ou d'infirmer les chiffres totalement contradictoires qui ont été fournis à la mission .»

M. Philippe KEARNEY : L'expression figurant effectivement dans le corps même du rapport Mattei, je ne suis pas surpris des déclarations qu'il a pu vous faire. Nous vous communiquerons les chiffres des importations françaises, donnée rendue plus complexe par la différence de méthode, la France comptant en origine, méthode qui présente un intérêt véritable. Ce qui nous intéresse n'est pas de savoir si des farines proviennent du Royaume-Uni, mais si elles sont originaires du Royaume-Uni. La méthode française est à la fois plus sûre sur le plan sanitaire et plus fidèle à la réalité des trafics commerciaux, en ce qu'elle appréhende davantage les données de production que de commercialisation. La difficulté tiendra dans la comparaison entre les chiffres français et les chiffres des exportations britanniques ou le chiffre consolidé de la Communauté européenne. C'est une difficulté de comparabilité, non de contrôle, puisque nous considérons que notre méthode, en la matière, est plus intéressante.

Je réponds maintenant à votre question précédente : entre 1993 et 1996, 2 379 contrôles ont été opérés sur les déclarations d'échanges de biens. Nous avons, à cette occasion, procédé à 506 corrections sur les opérations. Il est à rappeler que c'est l'époque où le système des DEB se mettait en place. Les opérateurs ont connu beaucoup de difficultés à remplir ces déclarations ; il y avait énormément d'erreurs d'imputation de codes statistiques. J'ajoute que ces 506 corrections portaient sur des erreurs matérielles et ne signifiaient en aucun cas des fraudes. Il s'agissait d'irrégularités matérielles.

M. le Rapporteur : Aucune fraude constatée ?

M. Philippe KEARNEY : Nous n'avons pas constaté de fraudes au sujet des farines. La seule introduction irrégulière de farines constatée a eu lieu le 15 novembre 2000 suite à l'embargo total sur l'introduction de farines. Un camion britannique s'est présenté au Havre. Les farines, légales le 13 novembre, ne l'étaient plus le 14.Or, le camion s'est présenté le 15. C'est la seule irrégularité que nous avons relevée.

M. le Rapporteur : Lorsque l'on organise un embargo ou que l'on pose une interdiction d'importation, avez-vous le sentiment de disposer des moyens nécessaires ? Il ne nous appartient pas du tout de dire que la douane ne fait pas bien son travail, mais l'on peut imaginer, à travers ce que l'on nous a rapporté, qu'il y a eu défaillance, déficience. Des problèmes pourraient-ils se poser au regard du droit communautaire ?

M. François MONGIN : Depuis 1993, nous sommes dans un régime de circulation intracommunautaire et sans rapport avec ce qu'il était avant. Nous sommes passés d'un dispositif systématique de contrôle, d'élaboration des documents douaniers par des professionnels du dédouanement, à un principe de libre circulation. Le contrôle douanier - je ne parle pas des périodes d'embargo - est devenu un contrôle non systématique sur échantillons. Le département du Nord est relié à la Belgique par près de trois cents axes de circulation. Quand nous avons eu à gérer la crise de la dioxine, je vous laisse imaginer les difficultés rencontrées pour répondre à votre question d'un contrôle douanier sur le seul département du Nord où nous sommes pourtant en capacité de mobiliser des troupes relativement nombreuses. Il est clair que le régime de libre circulation est en lui-même une contradiction vivante avec des décisions de restriction de circulation.

M. le Rapporteur : Tel était le sens de ma question.

M. François MONGIN : Je ne puis qu'y répondre ainsi !

M. le Rapporteur : Je comprends.

M. François MONGIN : Autre problème sur lequel il nous faut insister. Les déclarations d'échanges de biens mises en place en 1993 donnent lieu à des contrôles de nos agents dans les entreprises ; elles sont de nature purement statistique et, au surplus, simplifiée. Ce ne sont en rien des documents de contrôle ou des titres de circulation. Ce sont des documents statistiques qui nous permettent de remonter une chaîne, procéder à des recoupements sur la base de factures et autres documents, la comptabilité matière de l'entreprise pour essayer de retrouver des indices. Lorsque nous éprouvons un doute, nous pouvons, ainsi que relevé par M. Cadiou, faire procéder à des analyses par nos laboratoires ou par ceux de la DGCCRF.

Les DEB ne sont donc pas un instrument de suivi ni de contrôle extrêmement précis. Je signale également qu'il n'existe pas, au niveau communautaire, de seuil harmonisé d'élaboration des DEB. Nous avons fixé un seuil ; cela dit, d'autres pays ont établi des seuils beaucoup plus élevés. Par notre seuil, nous couvrons environ 98 % de nos flux commerciaux. Les Pays-Bas, pour rester sur cet exemple, ne couvrent que le tiers de leurs flux commerciaux, parce que leur seuil est beaucoup plus élevé.

Prenons un exemple de difficulté de recoupement statistique. Nous sommes le premier exportateur de bateaux vers la Belgique. Lorsque nous en recherchons la trace en Belgique, nous n'en trouvons plus aucune, car ces bateaux sont achetés par des particuliers se situant en dessous des seuils de déclaration. Les Français enregistreront des flux d'exportation extrêmement importants de bateaux de plaisance en Belgique, alors qu'on ne retrouve plus trace de ces bateaux dans les statistiques du commerce extérieur belge. C'est un problème majeur dans le recoupement statistique au plan communautaire qui, en outre, s'ajoute à l'agrégation évoquée précédemment. Nous militons depuis des années sans succès en faveur d'un code à dix chiffres qui permettrait de « décontracter » les items de nomenclature statistique douanière. Les initiatives que la France peut prendre en la matière sont un peu rapidement considérées à Bruxelles comme des tentatives de protectionnisme.

Pour répondre à votre question, M. le Rapporteur, nous avons les moyens de faire face à des situations d'embargo, mais, au demeurant, dans les contextes qui nous sont imposés depuis 1993.

Mme Monique DENISE : Vous avez indiqué que vous alliez nous donner des chiffres. Ces chiffres, je les ai. Je vais prendre un exemple qui date de 1993 puis de 1995. Je vous livre quelques dates en repère : 1988 : interdiction d'utilisation des farines animales pour nourrir les animaux au Royaume-Uni. 1993 : ouverture du marché unique. En 1994-1995, si on prend le cas de la France et de la Belgique, la France importait 16 000 tonnes de farines de Belgique et les exportations belges vers la France étaient notées à hauteur de 6 800 tonnes. Les chiffres sont têtus, ils sont clairs : près de 10 000 tonnes font défaut. D'où vient la différence ?

Nous avons auditionné ce matin des associations de consommateurs qui nous ont très froidement expliqué ce que nous savions déjà : les Anglais n'autorisaient plus les farines pour leurs animaux. Où sont passées ces farines ? De la même manière, ils n'autorisaient pas non plus la consommation des abats, alors qu'ils les exportaient sans état d'âme vers les autres pays. Ma question ne porte pas sur les abats, mais sur les farines : où sont passées les 10 000 tonnes de farines ? D'où vient la différence ?

M. Philippe KEARNEY : La réponse se situe pour l'essentiel dans les différences de méthodologie statistique que le directeur général et M. Mongin ont évoquées.

Mme Monique DENISE : Le décalage paraît trop gros pour une différence de méthodologie statistique, comme disait M. Sauvadet tout à l'heure !

M. Philippe KEARNEY : Nous avons vérifié la quasi-totalité - 98 % - des farines entrées en France au cours de la période 1993-1996, sans identifier une origine britannique. Je serais heureux d'avoir les statistiques belges calculées en origine, mais ce n'est pas le cas. Je ne peux vous donner d'autres explications.

Mme Monique DENISE : Les sources dont je dispose sont celles des douanes belges et françaises.

M. Philippe KEARNEY : Oui, mais les douanes françaises calculent en « origine Belgique » et les douanes belges en « provenance Belgique » ou « destination vers la France », marquant la différence de méthodologie statistique. On revient à l'exemple des bateaux de plaisance cités par M. Mongin, que l'on peut transposer aux farines.

M. le Président : Nous cherchons à comprendre. On voit bien la difficulté statistique, mais, au-delà, nous souhaitons savoir si, dans le cadre de mesures de précaution prises, nous avons les moyens d'un contrôle, pas seulement humain, mais technique, pour s'assurer des flux. Vous nous dites avoir contrôlé 98 % des arrivées de farines. Très bien. Nous allons reprendre les déclarations des représentants des autorités belges et nous nous reverrons pour faire le point, car il faut que nous sachions ce qui s'est passé.

M. François GUILLAUME : Je reprends la forte croissance des importations de farines en provenance de l'Irlande, car il me semble que c'est là un point clef. Je pose deux postulats. Depuis 1993, la tâche des services de douanes est extrêmement compliquée, puisque nous nous situons plus dans un cadre national, mais dans un marché unique. En fait, il n'y aurait guère de raisons d'établir des statistiques d'import-export entre les divers pays de l'Union européenne. Un jour viendra où elles seront supprimées. Les flux de marchandises sont, par définition, fluctuants : ils sont liés à des conjonctures de prix, d'offres et de demandes. Et je ne suis pas choqué qu'une année la France soit exportatrice vis-à-vis de la Belgique et qu'elle soit importatrice l'année suivante. Ce n'est pas tant ce point qui me pose problème que le deuxième postulat. Les statistiques ne présentent aucun intérêt si elles ne sont pas interprétées quantitativement et qualitativement. Les farines irlandaises ont été interdites. En 1993, on a rouvert la possibilité d'importer des farines irlandaises. Qui a pris cette décision ? Au vu de quelles circonstances ? Je pense que l'on s'est davantage appuyé sur des éléments politiques que techniques, voire de sécurité sanitaire. La décision a été prise ; le ministre de l'Agriculture s'est laissé imposer la décision en conseil des ministres européens. Il y a là un problème.

Vous empiliez les statistiques sans les interpréter, au fur et à mesure que vous constatiez la croissance des importations en provenance d'Irlande, tout en sachant qu'il n'y avait pas de différence de nomenclature entre l'Irlande et la Grande-Bretagne. Je m'étonne qu'un esprit curieux ne se soit pas interrogé, n'ait pas relevé cette incohérence et n'ait pas averti qui de droit, au ministère de l'Agriculture ou ailleurs, pour mettre en garde et mobiliser toutes les forces de contrôle afin de déceler les raisons de la progression des importations de farines avec tous les dangers que cela peut représenter.

J'ai l'impression que l'on va conclure, alors que l'on aura laissé de côté un sujet qui, selon moi, est plus important encore que les farines : je veux parler des abats, interdits en Grande-Bretagne postérieurement à l'interdiction des farines. Un délai considérable s'est écoulé entre l'interdiction anglaise et les mesures de sécurité françaises. S'il y a transmissibilité de la maladie, la transmission s'opère directement à l'homme par la consommation et ne passe plus, en ce cas, par les farines. Je n'arrive pas à comprendre que personne ne se soit étonné que les Anglais aient interdit les abats dans leur pays alors qu'ils continuaient à en exporter vers la France où ils étaient consommés.

M. le Rapporteur : Cela ramène à l'imprécision de la nomenclature. On nous dit les contrôles difficiles, car lorsque l'on passe la douane, il est indiqué « abats » sans que ne soit opérée de distinction entre les différentes catégories d'abats. Quelle est la classification ? Comment faites-vous ? Comment peut-on savoir ? Si la nomenclature est trop large, le contrôle n'est plus possible.

M. Philippe KEARNEY : Sur le champ très vaste des questions posées, j'en ai noté quatre. Au sujet de la libération des farines irlandaises en 1993, le ministre de l'Agriculture pourra vous fournir des éléments complémentaires. Il semble que les analyses réalisées à l'époque au plan communautaire - c'est à ce niveau que furent prises les décisions - montraient que l'épizootie d'ESB en Irlande progressait moins vite que ce qui était attendu, en tout cas, en Irlande du Sud, et que l'épidémie était hors de proportion avec ce qui était relevé au Royaume-Uni. L'Irlande se situe aujourd'hui dans la même catégorie de classification du risque ESB que la France. J'ajoute que le Commissaire à l'agriculture de l'époque était un Irlandais et qu'il a vraisemblablement pesé beaucoup dans la décision. Cela dit, apparemment, prévalait un fondement scientifique réel, qui est cette classification de l'Irlande du Sud.

Sur les différences de chiffres entre les divers États membres, je réponds à Mme Denise au sujet de la Belgique. A l'époque, la Belgique avait un seuil statistique de déclaration de prise en compte des produits trois fois supérieur, faisant échapper, par construction, aux statistiques trois fois plus de produits que ce qui passait réellement. Cela renforce encore l'exemple des bateaux de plaisance cités par M. Mongin.

Le code statistique 006 est identique pour la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord, l'Ulster. Le code est différent pour l'Irlande du Sud, ce qui permet de séparer les flux. Ce n'est pas le cas avec l'Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni, ce qui pose problème, puisque les mesures d'embargo sur la viande diffèrent.

Nous vous communiquerons les chiffres sur les importations d'abats. Effectivement, les importations d'abats sont élevées. On importe environ 60 000 tonnes d'abats bovins en France. La part du Royaume-Uni s'établissait à 7 500 tonnes en 1995 contre zéro à l'heure actuelle. Voilà pour fixer un ordre de grandeur ; des chiffres plus précis vous seront adressés. Les codes statistiques sont beaucoup plus développés qu'ils ne le sont pour les farines animales. On arrive un peu mieux à identifier les langues, les foies. Reste malgré tout une masse d'abats indifférenciés, que l'on ne peut précisément vérifier ; en tout cas, on ne sait quels sont les abats qui la constituent. La nomenclature tarifaire, la nomenclature statistique est conçue en fonction des flux des produits qui font l'objet du plus grand nombre d'échanges. Nous ne disposons pas d'une correspondance stricte entre les désignations courantes des produits et une nomenclature statistique.

M. le Rapporteur : Vous dites 7 500 tonnes d'abats en 1995 ?

M. Philippe KEARNEY : Nous avons introduit 7 700 tonnes en 1995 ; 7 400 tonnes en 1994 ; 6 000 tonnes en 1993 ; 5 000 tonnes en 1992 ; entre 4 500 tonnes et 5 000 tonnes au cours des années antérieures.

M. le Président : Il conviendrait que vous nous fournissiez très précisément les importations d'abats dès 1988, c'est-à-dire au moment où leur consommation fut interdite en Angleterre. Il nous a été confié, sous la foi du serment, qu'en l'espace de ces deux années, les importations avaient été multipliées par quinze.

M. Philippe KEARNEY : C'est peut-être vrai pour une catégorie précise d'abats, mais les chiffres dont je dispose indiquent 4 300 tonnes en 1988, presque 5 300 tonnes en 1989. On retombe à 4 900 tonnes en 1990 pour remonter à 5 300 tonnes en 1991. En 1992, on a 5 000 tonnes.

M. le Président : Il convient de distinguer parmi ces abats les matériaux présumés à risque en Angleterre. Par ailleurs, un embargo a été appliqué à partir de 1990.

M. Philippe KEARNEY : A partir de 1996.

M. le Rapporteur : Non, l'avis aux importateurs, en date du 15 février 1990, interdit l'importation en provenance du Royaume-Uni et de l'Irlande des têtes, des thymus, des amygdales, de la moelle épinière, de la cervelle, de la rate, des intestins.

M. Philippe KEARNEY : Nous pourrons vous fournir une décomposition des chiffres globaux dont nous disposons aujourd'hui.

M. le Rapporteur : Vous n'êtes pas en cause, mais il faut que nous sachions ce qui s'est passé.

M. Philippe KEARNEY : Bien sûr, nous vous fournirons une décomposition des importations entre les six ou sept codes concernés par les abats et les têtes.

M. le Président : Au nom de la commission, je vous demanderai de rendre les codes lisibles.

M. Philippe KEARNEY : Nous vous communiquerons une notice explicative. C'est la règle en matière douanière. En effet, les codes sont toujours assortis de notices explicatives, car les douaniers en ont besoin.

M. le Président : Nous souhaiterions également une chronologie extrêmement ciblée, comme la date des embargos et leur nature, afin que nous puissions dresser un tableau confrontant les décisions politiques avec les mesures de contrôle. Vous avez indiqué que des farines britanniques légales ont circulé jusqu'au 14 novembre. Un camion a été intercepté, disiez-vous, le 15 novembre 2000 transportant des farines de viandes d'origine britannique. Quelle est votre explication ?

M. Philippe KEARNEY : Des importations de farines britanniques restent légales : il s'agit de farines de volailles.

M. le Président : Comment les distinguez-vous, puisque le code ne le permet pas ?

M. Philippe KEARNEY : Par les contrôles a posteriori.

M. le Président : S'agit-il d'un contrôle permettant de remonter à l'origine ? Etes-vous en mesure d'affirmer que vous étiez certain de l'origine des farines autorisées, y compris en provenance de Grande-Bretagne ? Jusqu'où vont les contrôles ?

M. Philippe KEARNEY : Sur les farines entrées entre 1993 et 1996, la vérification a porté sur la composition de la totalité des farines introduites du Royaume-Uni pendant cette période. Il en est ressorti que la quasi-totalité des farines était des farines de volailles, une autre part des farines non destinées à l'alimentation des ruminants ; enfin, une proportion, de 53 tonnes je crois, dont nous n'avions pu trouver ni la composition ni la destination parce que l'entreprise avait fait faillite.

M. le Président : Comment cela se passe-t-il donc ? Procédez-vous à un prélèvement sur chaque camion qui entre en France ?

M. Philippe KEARNEY : Non, car lorsque les contrôles sont effectués, la marchandise a, la plupart du temps, disparu. Ce ne sont pas des analyses, mais des contrôles portant sur la comptabilité de l'entreprise, en liaison avec la comptabilité de l'entreprise productrice. Si une entreprise britannique est spécialisée dans la fabrication de farines de volailles, la production de farines introduite sera de la farine de volailles.

M. le Président : Vous n'avez donc pas procédé à des analyses, chimiques, sur prélèvement. Si oui, combien y en a-t-il eu sur la période incriminée ? Vous nous dites que tout est contrôlé, mais le contrôle s'opère a posteriori sur des origines et sur la base de déclarations. Si vous n'avez procédé à aucun prélèvement, qui doit les faire ? Nous traversions quand même une période extrêmement sensible, dont nous ne sommes pas encore sortis aujourd'hui en termes de santé animale et humaine ! La question est de savoir comment s'opère le contrôle. Telle est la question de fond à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés.

M. Philippe KEARNEY : Les contrôles a posteriori ne se prêtent pas à des analyses de farines. Il s'agit de contrôles fondés sur des déclarations et de leur cohérence avec les autres données obtenues. C'est un contrôle sur pièces documentaires.

M. le Président : Qui pourrait nous dire le nombre de contrôles physiques effectués sur les farines ?

M. Philippe KEARNEY : Nous pourrons vérifier le nombre de contrôles et d'analyses effectués à l'époque.

M. le Président : D'ailleurs, peut-on analyser ?

M. Philippe KEARNEY : On le peut. Des méthodologies existent qui permettent d'analyser les farines à partir de la composition des os. Toutefois, lorsque l'on procède aux contrôles qui se déroulent par trimestre ou par semestre, la marchandise a déjà été incorporée dans d'autres aliments. Ce type de contrôle - encore une fois, nous nous situons là dans la période post-1993 - ne se prête pas à des analyses systématiques. Les analyses que nous avons réalisées à l'époque l'ont été parce qu'il restait des farines dans le stock de l'entreprise.

M. le Président : M. Guillaume s'étonnait que personne n'ait réagi face à la montée des exportations, alors que l'on n'était pas assuré de la nomenclature et qu'il s'agit là de domaines liés à la santé animale et humaine. Si ce ne sont pas les agents des douanes qui doivent procéder aux contrôles, qui doit intervenir ?

M. Alain CADIOU : C'est, en effet, le fil directeur de cette réunion. Ainsi que je l'indiquais au début de mon propos, il est beaucoup plus simple pour les douaniers que l'embargo soit total avec un contrôle systématique aux frontières, car, on prélève alors physiquement la marchandise pour l'analyser. Si l'on passe d'un contrôle matière physique à un contrôle comptable, on ne se situe plus dans le même domaine. Nous sommes bien d'accord avec vous.

M. le Président : Nous entrons au c_ur du sujet.

M. François MONGIN : Dans un régime général de libre circulation, nos agents procèdent à des contrôles ponctuels. Depuis mars 1996 - M. Cadiou l'a indiqué - nous avons procédé à plus de 200 consignations douanières, physiques, de marchandises litigieuses, indéfinissables, ayant donné lieu à des refoulements, décidés en liaison avec les services vétérinaires, que nous pouvons requérir sur le terrain lorsque nous nous interrogeons sur la nature de la marchandise. Les farines animales sont une poudre malodorante, de couleur variable, a priori sans documents d'accompagnement des marchandises, lesquels ne sont pas imposés en régime de libre circulation communautaire. Elles sont donc difficiles à identifier de prime abord.

Nous avons procédé à 125 refoulements, 13 destructions, 12 consignations sous la responsabilité des services vétérinaires. Ils font suite aux contrôles physiques très directement et instantanément exercés sur les marchandises interpellées. Nous ne sommes pas en régime de frontières étanches avec des douaniers dans des postes de douanes, sur toutes les routes, comme on pouvait les voir avant 1993.

M. le Président : Pourquoi refoulement et non pas destruction de ce qui n'est pas conforme ?

M. François MONGIN : Ce sont les services vétérinaires qui prennent la décision du refoulement, de destruction ou de maintien en consignation.

M. Jacques GODFRAIN : Dans le cadre de l'Union européenne, la collaboration entre les services douaniers des différents pays me semble importante. Quel est votre niveau de collaboration, par exemple, avec les douaniers belges ? Un responsable belge nous a révélé un fait important, dont vous n'avez pas eu connaissance. Si je comprends bien, lorsque vous procédez à des vérifications a posteriori, vous contrôlez l'entreprise qui a exporté, par exemple de Belgique vers la France. Mais j'imagine que les entreprises ne sont pas seulement fabricantes et qu'elles sont souvent importatrices et exportatrices. Quelle est la réalité ? S'agit-il d'un produit élaboré en Belgique ou simplement importé et exporté en Belgique ?

L'efficacité suppose, me semble-t-il, une collaboration très étroite. Dans l'espace Schengen, a été instaurée une collaboration assez poussée entre les différents services de police. En va-t-il de même pour les services douaniers ?

M. Philippe KEARNEY : La coopération des douanes entre les différents Etats membres a précédé le système Schengen. Nous bénéficions à la fois de contacts bilatéraux et surtout d'un système d'information mutuelle entre les différents Etats membres qui passe par la messagerie électronique et ce par l'intermédiaire de l'Office de lutte antifraude, qui est un office communautaire. Toutes les fraudes découvertes dans un État membre, susceptibles d'avoir des incidences ou des répercussions dans un autre Etat membre doivent être déclarées et faire l'objet d'une information de la commission qui la répercute aux Etats concernés. C'est un élément du dispositif. Le second se traduit par le réseau de nos attachés douaniers, dont l'un, installé à La Haye, est compétent pour l'ensemble du Bénélux. C'est un relais qui nous permet de faire passer des informations ou de recevoir des informations de nos collègues belges ou néerlandais. Telles sont les informations dont nous pouvons disposer.

M. Jacques GODFRAIN : Estimez-vous que c'est suffisant ?

M. Philippe KEARNEY : Cela nous a permis de retracer l'origine et la composition des farines depuis 1993. C'est suffisant, mais la difficulté réside dans le peu de rapidité du système. La plupart du temps, cette assistance mutuelle passe par un réseau de douaniers, lesquels doivent transmettre l'information à leur ministère de l'Agriculture. En effet, les douaniers n'ont pas toujours connaissance de la raison sociale ni de l'activité des établissements de fabrication. Ce sont donc les ministères de l'Agriculture qui relayent et procèdent à l'enquête dans les établissements. Nous sommes conduits parfois à attendre deux ans avant d'obtenir les résultats des enquêtes. C'est le cas du Royaume-Uni : nous passons par le canal des attachés agricoles ou par un canal parallèle des attachés douaniers. C'est dire que des enquêtes sont encore en cours sur l'introduction et la composition de produits, éventuellement britanniques, sur la période 1998-1999 et 2000.Des enquêtes sont encore en cours sur l'année 1998 relatifs à des produits bovins, afin de vérifier s'il s'agit de bovins d'Irlande du Nord ou du reste du Royaume-Uni, d'Angleterre par exemple. Le système nous paraît le meilleur possible actuellement, mais il pose des problèmes de rapidité, plus que d'efficacité.

M. le Président : Beaucoup d'incertitudes subsistent. Nous attendons avec impatience - l'impatience liée à la brève durée d'une commission d'enquête, qui est de six mois - les réponses au questionnaire que nous vous avons transmis.

M. Alain CADIOU : Nous allons vous répondre rapidement et restons à votre disposition.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Jérôme GALLOT,
directeur général de la concurrence,
de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF),

accompagné de M. Daniel HULAUD, chef du bureau des produits d'origine animale

(extrait du procès-verbal de la séance du 27 mars 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

MM. Jérôme Gallot et Daniel Hulaud sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Jérôme Gallot prête serment.

M. le Président : Je souhaite la bienvenue à M. Jérôme Gallot, Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et à M. Daniel Hulaud, chef du bureau des produits d'origine animale.

M. Gallot, vous exercez depuis mars 1997 les fonctions de Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, vous êtes donc au premier rang des responsables administratifs qui agissent en faveur de la sécurité du consommateur. Vous préciserez le contour de votre mission et la façon dont vous l'exercez avec l'ensemble des autres administrations concernées. Nous avons auditionné récemment un responsable de la direction générale des douanes du ministère des Finances et nous auditionnerons prochainement un représentant de la direction générale de l'alimentation du ministère de l'Agriculture.

Nous aimerions naturellement savoir comment vous fonctionnez et quelles sont les responsabilités que vous exercez : élaboration de la réglementation, en liaison avec les autorités communautaires, contrôle de l'application de la réglementation, décisions en matière de sanction, coordination avec les autres administrations compétentes, en particulier la direction générale de l'alimentation du ministère de l'Agriculture et la direction générale des douanes au ministère des Finances à l'instant évoquées.

Nous voudrions aussi avoir votre sentiment sur la manière dont les administrations concernées - dont la vôtre fait partie - ont modifié leur fonctionnement et leur coordination pour tenir compte des observations parfois sévères du rapport de l'Inspecteur général des finances Villain. Enfin, il va de soi que le Rapporteur et les autres membres de la commission d'enquête vous poseront des questions sur le dispositif actuel de protection du consommateur, sur l'étiquetage, sur son information plus généralement, et sur la manière dont vous parvenez à faire respecter l'application des mesures préconisées compte tenu des moyens dont vous disposez. C'est là une question récurrente de notre commission d'enquête.

M. Jérôme GALLOT : J'ai noté vos réflexions et interrogations. Je m'efforcerai d'y répondre. Je ne reviens pas sur le contexte scientifique et juridique, certainement connu des membres de votre commission, si ce n'est pour rappeler que les mesures restrictives prises par les autorités françaises, puis dans un deuxième temps par la Commission, ont évolué avec l'avancée des connaissances scientifiques. Je note également que vous avez adressé un questionnaire à M. le ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie et à Mme la Secrétaire d'État au Budget. Je travaille à une partie des réponses, l'autre partie concernant la direction générale des douanes. Je pense que nous pourrons vous adresser les réponses à ce questionnaire extrêmement pointu dans le courant de la semaine prochaine, ainsi que vous l'avez demandé.

Je centrerai mon propos sur le rôle de mon administration, qui est de contrôle et vous dirai comment nous sommes intervenus dans la mise en _uvre des réglementations. Vous m'avez interrogé sur le rôle de la DGCCRF par rapport à d'autres administrations de contrôle. Vous avez cité la direction générale de l'alimentation et les douanes. La DGCCRF est intervenue en fonction des pouvoirs conférés par le code de la consommation, qui lui confère une mission horizontale de protection des consommateurs à partir d'une fonction de surveillance générale des marchés, intégrant les préoccupations de loyauté et de sécurité. Cela a conduit la direction à se rendre chez les fabricants d'aliments pour animaux, à vérifier les formulations, l'étiquetage et, plus exceptionnellement, à se rendre chez les équarrisseurs pour vérifier les matières premières composant les farines.

La DGAL, pour sa part, est principalement intervenue chez les équarrisseurs et dans les élevages. Je puis vous livrer un exemple des modalités conjointes d'intervention. Il est relatif au retrait des matériaux à risque spécifiés (MRS). Le retrait des MRS en abattoir est placé sous la surveillance des services vétérinaires, alors que les contrôles à la commercialisation et à la circulation peuvent également être effectués par les agents respectivement de la DGCCRF et de la direction générale des douanes. J'en profite pour vous dire que les douanes avaient compétence pour contrôler les importations.

La mission d'information parlementaire de 1996 avait relevé que mon administration avait produit des statistiques différentes de celles des douanes. Je crois pouvoir vous dire aujourd'hui qu'il n'en est rien, puisque nous n'avons pas une compétence globale sur les importations et les contrôles à l'importation. Nous nous sommes limités - ce qui n'est déjà pas mal - à des contrôles qualitatifs ciblés des produits d'alimentation animale qui ont été débarqués dans les ports de l'Ouest. Nous avons, par exemple, recherché les aflatoxines dans les tourteaux d'arachides et nous avons vérifié la qualité des produits importés. Bateau après bateau, ont été relevées les données se rapportant aux produits, aux quantités, aux origines, aux opérateurs et aux affréteurs. Nous n'avions obtenu qu'une vision partielle, mais elle nous a conduit à corriger, à rectifier les chiffres. Ils sont aujourd'hui consolidés sur les contrôles à l'importation et sur les flux de farines provenant d'un certain nombre de pays à problèmes, probablement le Royaume-Uni, mais également l'Irlande. Il n'y a donc que des données uniques sur les flux d'importation.

La coopération entre les directions d'administrations à l'instant évoquées a été considérablement renforcée depuis trois ou quatre ans. Pour prendre l'exemple des douanes, en février 1998, j'ai signé un protocole de coopération spécifique sur l'ESB et sur les contrôles ESB. Avec la direction générale de l'alimentation, la coopération est plus ancienne : elle remonte aux années 1990. Une première note d'instruction aux services départementaux a été signée en 1990 par la DGAL et la DGCCRF. Depuis que j'ai pris mes fonctions début 1997, les services des deux directions sont invités expressément à travailler ensemble dans les départements par le biais des pôles de compétences. Moi-même, en quatre ans, je me suis rendu à 102 reprises dans les départements. À chaque fois, je mobilise le Préfet et j'interroge les services sur la coopération entre les services.

La coopération est le fruit de trois éléments : une volonté personnelle des directeurs généraux, une mobilisation fréquente des services déconcentrés, une demande de compte rendu des échelons départementaux sur la façon dont les notes de service ont été appliquées et dont les missions ont été assumées. Je pourrais vous citer des chiffres précis sur les comptes rendus d'activité de ma direction sur les sujets liés à l'alimentation animale depuis 1997.

Les types de contrôle menés par la DGCCRF forment mon deuxième thème de réflexion. Il existe quatre grandes actions de contrôle menées sur les sujets liés à l'ESB par ma direction. D'abord, nous avons réalisé le contrôle en entreprises, selon des programmes d'enquête fixés au niveau des directions régionales et départementales. Les entreprises de fabrications d'aliments ont été visitées par les agents de la direction. Ont été effectués entre 200 et 435 contrôles par an entre 1990 et 1995 ; entre 700 et 1 300 contrôles par an entre 1996 et 2000.

Jusqu'en 1996, les agents ont vérifié que les produits prohibés, c'est-à-dire les farines de mammifères, ne figuraient pas dans la composition des produits alimentaires pour les ruminants. L'utilisation de farines de viandes interdites a été mise en évidence chez un seul fabricant. En six ans, nous avons enregistré un seul cas d'utilisation de farines de viandes interdites ; l'affaire remonte à 1991 et concernait une coopérative située en Haute-Garonne. Les inspecteurs ont ensuite procédé à des contrôles de cohérence entre les stocks, les ventes de différents produits et les formules de fabrication. Un contrôle de comptabilité matière a été mis en _uvre, permettant ainsi de perfectionner le simple contrôle des formules de fabrication et des factures d'achat.

Deuxième type de contrôle : à partir de la mi-1997, une véritable révolution est intervenue dans nos contrôles, car c'est à ce moment-là que nous avons pu disposer d'une méthode analytique fiable pour mettre en évidence et quantifier les farines de viandes et d'os dans les aliments pour animaux. Il s'agissait principalement, avant la mi-1997, de contrôles documentaires ; ensuite, le laboratoire de la direction de Rennes a mis en place une méthode analytique. Nous disposons d'un réseau de huit laboratoires, sept en métropole et un outre-mer, où travaillent environ 350 agents. Ils procèdent à des analyses physicochimiques, celles qui nous intéressent, et microbiologiques. Le laboratoire de Rennes fut donc le premier en Europe à mettre en place cette méthode de détection et de quantification des farines dans les aliments ; une autre à peu près équivalente a été instaurée au niveau européen en 1998. Immédiatement, un programme de contrôle a été lancé sur cette base en 1997. Plus de 300 prélèvements d'aliments pour ruminants ont été effectués et analysés. Dès 1997, quatre procédures contentieuses furent lancées, concrètement des procès-verbaux ont été adressés aux différents parquets. Au cours des années qui ont suivi, le nombre de prélèvements s'est accru pour atteindre 1115 en l'an 2000.

Je voudrais maintenant porter un bref commentaire sur une polémique qui date du mois d'octobre dernier sur un prétendu seuil de tolérance pour la présence de farines interdites dans les aliments pour bovins. Je serai extrêmement net, car cette affaire a pris de l'ampleur à la fin du mois d'octobre de l'année dernière. Les farines animales sont interdites, comme vous le savez, depuis 1990 pour les bovins. Bien entendu, un service de contrôle n'a pas de compétences réglementaires ; il ne peut mettre en _uvre des modalités de réglementation contraires aux lois et règlements. Que s'est-il passé ? Nous avons fixé une limite à partir de laquelle une procédure est envoyée devant les tribunaux. Elle fut établie à 0,1 % de fragments d'os dans les aliments destinés au bétail, 0,1 % de fragments d'os correspondant à 0,3 % de farines animales présentes dans les aliments. Pourquoi cette limite ? Parce que toute méthode d'analyse comporte une marge d'incertitude. Dans la mesure où nous sommes dans le cadre de procédures pénales, nous devons convaincre le juge de l'intention frauduleuse ou de la négligence coupable, celle-ci étant assimilée par la jurisprudence à une intentionnalité. À partir de 0,1 % de trace de fragments d'os, l'analyse est fiable. Nous avons estimé que nous serions en mesure de convaincre le juge que les farines ne pouvaient résulter d'une présence fortuite.

Entre 1997 et 2000, dix-huit procédures contentieuses ont été engagées, mais nous avions pris une petite marge. Je constate néanmoins que la justice s'est prononcée dans huit d'entre elles. Elle n'a débouché sur des condamnations que dans deux d'entre elles : une contravention en 1997 et un délit de tromperie en 1998.

L'expression de « tolérance » était particulièrement inappropriée, car, en deçà du seuil de 0,1 % de fragments d'os, ce n'était pas la règle du laisser faire, laisser passer, mais, au contraire, une intervention extrêmement volontariste de mon administration, qui s'est arrogée une sorte de droit d'injonction en exigeant des entreprises qu'elles recherchent la source de la contamination et adoptent des mesures correctrices. Dans tous les cas où nous avons détecté des traces, y compris minimes, nous avons procédé à des contrôles complémentaires pour nous assurer que lesdites entreprises prenaient des mesures correctrices. Je m'inscris donc en faux contre l'expression journalistique de « seuil de tolérance », totalement étrangère aux modalités d'intervention et d'action de mon service. J'ajoute que le comité scientifique directeur de Bruxelles a retenu en 1998 un taux supérieur au taux que nous nous étions fixé, à savoir celui de 0,15 % de fragments d'os.

Troisième modalité de contrôle et d'intervention de la DGCCRF : le traitement thermique des farines. En 1999, le laboratoire de Rennes a adopté une méthode encore non officielle pour vérifier que les farines avaient bien été traitées à 133 degrés, sous pression de 3 bars, pendant 20 minutes. Cette méthode était fondée sur la dégradation d'une protéine de porc. Nous avons, là aussi, procédé par voie de prélèvement chez les fabricants d'aliments pour vérifier la qualité des farines utilisées. En cas d'anomalies constatées, nous avons transmis aux services vétérinaires. C'est, là aussi, une modalité concrète d'intervention commune des services vétérinaires et de la DGCCRF chez les fabricants des farines en cause. De 2000 et jusqu'au 27 février 2001, 124 prélèvements ont été effectués par ma direction sur le contrôle du traitement thermique des farines. Dans 21 cas, concernant cinq entreprises, le traitement de chauffage des farines appliqué a été jugé insuffisant. Trois procédures contentieuses ont été engagées. Une entreprise s'est même vu retirer son agrément.

Dernier point sur les modalités de contrôle et d'intervention de la DGCCRF : l'origine et la traçabilité des viandes. Ce sont là des contrôles que nous menons de longue date et de manière extrêmement approfondie depuis l'embargo du 20 mars 1996. À ce jour, nous avons mené environ 65 000 contrôles sur l'origine des bovins, de la viande bovine et des produits qui en sont issus ; 460 procédures contentieuses ont été engagées ; 142 jugements définitifs ont été rendus ; des peines, parfois exemplaires, parfois très sévères ont été prononcées : de la prison avec sursis, des amendes jusqu'à 200000 francs.

Je me propose de vous fournir, dans le cadre du questionnaire adressé au ministre, la totalité des bilans de contrôle sur les quatre types d'action à l'instant évoqués. Nous continuons de privilégier deux grands axes de contrôle : le contrôle effectif de l'interdiction des farines et la poursuite du contrôle de l'origine et de la traçabilité des viandes. Pour le contrôle effectif de l'interdiction des farines, il s'agit de donner une pleine effectivité aux mesures prises le 14 novembre 2000. Je rappelle que, suite à ces mesures, l'ensemble des fabricants d'aliments pour animaux de rente a été contrôlé, ainsi que les fabricants d'additifs et la majorité des revendeurs, grossistes et distributeurs. Ces contrôles ont donné lieu au blocage d'environ 2500 tonnes de farines animales chez les fabricants d'aliments et de 1500 tonnes de graisse. Les aliments fabriqués avec les matières interdites représentent près de 2500 tonnes et, à la distribution, 85 tonnes d'aliments ont été retirés de la vente. Dans le cadre de ces opérations, depuis le 14 novembre, les enquêteurs ont effectué à peu près 600 prélèvements. Des traces de farines carnées ou de farines de poissons ont été décelées dans cinq aliments destinés à des monogastriques, volailles ou porcs, et dans six aliments destinés à des bovins. Nous avons même constaté la présence supérieure au taux de 0,1 % dans six aliments pour monogastriques.

Voilà les chiffres depuis le 14 novembre 2000, qui démontrent une pression de contrôle non négligeable. Je ne reviens pas sur d'autres affaires qui ont défrayé la chronique comme le problème survenu dans les Alpes du sud, où des aliments pour ruminants ont été achetés directement en Italie. Ils contenaient des farines animales. Dans cette affaire, qui a fait beaucoup de bruit dans la presse régionale et nationale, mes services ont agi en coopération très étroite avec les services vétérinaires. Des procédures contentieuses ont été engagées et les aliments furent mis sous séquestre par les vétérinaires.

Je terminerai par une réflexion d'ensemble ; elle concerne les différences entre la problématique de lutte contre la fraude et la problématique de sécurité alimentaire. Ce sont deux procédures différentes : la lutte contre la fraude nécessite la confidentialité, la discrétion, voire le secret. On ne peut lutter efficacement contre la fraude si toutes nos enquêtes sont sur la place publique. En revanche, la problématique liée à la sécurité alimentaire nécessite la transparence, l'information du consommateur en temps réel, le plus immédiatement possible. Cette confrontation entre les deux logiques est un vrai défi pour une direction comme la mienne. Il faut savoir que nous avons été condamnés en justice, parce que, sur certaines opérations de contrôle, il y avait eu médiatisation. Les enquêteurs ou les directeurs départementaux avaient communiqué des informations liées à l'enquête, pas seulement sous la pression médiatique, mais parce qu'il y avait une exigence liée à l'information du consommateur.

Comment résoudre cette contradiction ? Probablement, par des mesures de police administrative. Ma direction est aujourd'hui dotée de pouvoirs pénaux et joue un rôle très important avec les parquets, dans le cadre de la procédure pénale ou de sa préparation. Elle dispose de pouvoirs de police administrative, notamment en matière de retrait ou de rappel de produits qui peuvent être dangereux pour la santé ou la sécurité, mais ces pouvoirs restent insuffisants. C'est pourquoi j'ai été amené à proposer au Gouvernement d'accroître les pouvoirs de police administrative dont sont dotés mes agents, pour réconcilier la procédure de la lutte contre la fraude et le développement de la sécurité alimentaire.

Dans le cadre d'un texte portant diverses dispositions d'ordre économique et financier que le Gouvernement proposera prochainement, figureront des mesures permettant d'augmenter les pouvoirs de police administrative dont sont dotés les agents de la direction. Procédant ainsi, nous accroîtrons l'efficacité au quotidien des enquêtrices et des enquêteurs de ma direction.

M. le Président : Sans doute convient-il maintenant d'étudier les conditions d'exercice de contrôles au quotidien et de savoir comment on fait face à ce qui apparaît parfois comme des fraudes, s'agissant de produits provenant de pays qui ne s'imposent pas les mêmes règles sanitaires que celles que s'applique la France. Les éleveurs ont engagé des opérations « commando » pour faire le point des étiquetages, sollicitant ensuite les directions des services vétérinaires ou les directions locales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour savoir si nous sommes assurés que les viandes importées en France sont issues d'animaux testés, puisqu'il s'agit d'une obligation européenne. Nous aurons beaucoup de questions de cet ordre à vous poser.

M. le Rapporteur : La question du contrôle des importations nous préoccupe tous. Nous aimerions des précisions. Et puisque nous évoquons les moyens de contrôle, nous aimerions savoir si, au regard des moyens qui sont les vôtres, des choses restent à améliorer. Je voudrais également vous interroger sur la manière dont vous opérez les contrôles. Vous n'ignorez pas que certains articles de presse ont indiqué que des entreprises ont été informées à l'avance des contrôles, ce qui leur a permis de s'y préparer. Nous sommes obligés d'éclaircir certains points. Comment se pratiquent donc les contrôles, comment sont-ils décidés ? Vous indiquez être tenus à un certain secret. Je le comprends, mais lorsque vous décelez une fraude caractérisée, notamment en matière de farines animales, cela signifie que les personnes utilisatrices de ces farines, c'est-à-dire les clients, ne sont pas informées que tel ou tel producteur devrait être rayé de la livraison. Il faudrait que nous sachions où ont été distribuées ces farines. Lorsque vous procédez au contrôle, il y a eu auparavant achat et vente. A-t-on une idée de l'endroit où elles ont été vendues ? Comment peut-on le savoir ? Nous pourrions peut-être établir un rapport entre ce fait et ce qui a pu se produire sur certaines exploitations.

Quel type de relations entretenez-vous avec les autres États européens ? Vous disiez que des mesures avaient été mises en place au plan européen. Pouvez-vous nous éclairer sur la façon dont cela fonctionne et sur vos relations avec la DGAL et la DGDDI ?

M. Jérôme GALLOT : La DGCCRF n'a pas compétence pour contrôler les importations aux frontières ni même les introductions nationales depuis 1993. Ces contrôles sont effectués sur le marché français de manière régulière chez les fabricants d'aliments du bétail, dans les ateliers de découpe, chez les grossistes et à la distribution.

Depuis le début des années 70, nous menons une politique volontariste. Nous avons procédé à des contrôles ciblés, qualitatifs, à l'importation. Ils nous ont permis de connaître la provenance de marchandises et de faciliter certains contrôles sur le territoire national. Les contrôles ciblés à l'importation furent menés par une brigade d'élite, la direction nationale des enquêtes de répression des fraudes (DNERF), qui a une compétence territoriale nationale. L'article 44 du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques fera changer les choses. La compétence des agents de ma direction est liée à celle du chef de service auquel ils sont rattachés.

La DNERF a été mobilisée pour effectuer des enquêtes de filières assez lourdes. Elle a notamment bien travaillé sur les questions d'alimentation animale. Les directions départementales y ont également travaillé, mais davantage sur les établissements du ressort territorial du département, puisque la compétence territoriale des agents était celle de leur chef de service départemental. Cela évoluera, ce qui s'avérera extrêmement positif pour l'efficacité d'une direction comme la mienne : donner à nos agents une compétence territoriale nationale facilitera la lutte contre un certain nombre de grandes fraudes. La compétence territoriale nationale nécessitera, non pas moins, mais davantage d'organisation, afin que telle entreprise ne soit pas contrôlée le mardi matin par les enquêteurs du département et le jeudi après-midi par des enquêteurs venus d'un autre département. Voilà pour les importations.

S'agissant des moyens, question toujours délicate pour un directeur de ministère, en particulier du ministère des Finances, je m'efforce de faire face aux obligations très nombreuses qui sont celles de ma direction avec les moyens qui me sont octroyés. Mon rôle ne consiste pas en permanence à quémander des emplois. Je le fais une fois par an dans le cadre de la procédure budgétaire et j'ai alors des discussions avec les autorités qui sont les miennes au ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie. Le reste de l'année, j'ajuste pour faire face aux très nombreuses obligations conférées à la direction générale : le contrôle des marchés publics, le contrôle des concentrations, le développement de la concurrence, la protection économique du consommateur, la mise en _uvre d'un certain nombre de textes spécifiques. Il ne s'écoule pas une année sans que le Parlement ne donne à mes agents des compétences nouvelles sur tel ou tel texte : la langue française, le contrôle des centres d'UV, le contrôle des transporteurs routiers, la problématique du développement des médicaments génériques par rapport aux médicaments princeps avec un taux de remise différent pour le pharmacien, toutes choses conférées à des agents de ma direction. J'essaye de faire face.

Sous le contrôle des ministres, en 1997, j'ai fixé trois priorités aux agents de cette direction : la sécurité alimentaire, le contrôle des marchés publics et le développement de la concurrence. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas d'autres priorités plus sectorielles ou localisées. Aujourd'hui, mes agents s'occupent de la compréhension et du développement de l'euro au quotidien, de la protection économique du consommateur via le commerce électronique. Nous avons créé un centre de veille du commerce électronique en Bretagne au mois de décembre dernier. Nous avons créé un réseau dans les directions départementales sur les pratiques du commerce électronique. Ce sont là des attributions qui nous sont données. Pour être précis, aujourd'hui, sur les 4 000 agents de cette direction, à peu près 540 personnes traitent de problèmes liés à la sécurité alimentaire. La difficulté vient du fait que ces 540 agents ne travaillent pas nécessairement toute la journée ni toute l'année. S'il fallait donner un équivalent temps plein des agents qui traitent de sécurité alimentaire, je dirai - avec beaucoup de prudence - que le chiffre est de 300 ou de 320 enquêteurs et spécialistes des laboratoires. Bien entendu, lorsque nous voulons apprécier l'effort français en matière alimentaire, il convient d'ajouter les services vétérinaires et des agents de la direction générale des douanes.

En cas de crise - et nous en avons connu depuis deux ans, la dioxine, le coca-cola, l'ESB, de très nombreuses attaques de listéria - nous renforçons le dispositif. Jusqu'à présent, nous n'avions pas la compétence territoriale nationale, nous renforcions les effectifs au prix d'un arrangement juridique ; nous appelions les fonctionnaires venus en renfort « des agents accompagnateurs ». Par exemple, dans la crise de la dioxine qui avait concerné un établissement d'alimentation animale de l'Eure-et-Loir, j'avais fait venir des agents des départements limitrophes qui avaient pu renforcer les capacités de contrôle du département d'Eure-et-Loir. C'est dire que la DGCCRF présente une forme de flexibilité et de réactivité. Les chiffres que je vous livre sont donc susceptibles d'être accrus en cas de mobilisation forte. Voilà pour les moyens.

La coopération européenne se concrétise via la Communauté européenne et directement avec les États membres limitrophes. Via la Communauté européenne : nous disposons d'un réseau d'alerte communautaire avec deux points d'entrée en France, que sont la DGAL et la DGCCRF. En cas d'alerte sur des produits au nom de la sécurité alimentaire, la DGAL et la DGCCRF sont informées. Dans le cadre des travaux que nous avons menés avec la direction générale des douanes, nous sommes le point d'entrée au sein du ministère de l'Économie et des Finances. Le bureau d'administration centrale de la sécurité joue un rôle vis-à-vis des autres bureaux de ma direction générale en mutualisant les informations. M. Hulaud, ici présent, qui est chef du bureau de l'alimentation animale et des viandes, est automatiquement informé par le bureau de la sécurité en cas d'alerte communautaire. Ensuite, nous mutualisons l'information avec nos collègues de la direction générale des douanes. Depuis plusieurs années et bilatéralement, nous avons mis en place des contacts entre les directions régionales de la DGCCRF qui sont des directions frontalières avec les pays voisins. Avec la Belgique, la direction du Nord-Pas-de-Calais a une tradition forte d'échange et de contacts, de même que la direction régionale de Montpellier et la direction départementale de Perpignan avec l'Espagne ou la direction régionale de Marseille avec l'Italie.

Une telle organisation permet d'échanger des informations sur les problèmes de sécurité alimentaire et, au-delà, et de résoudre, ce qui est extrêmement compliqué, les petits litiges de consommation qui affectent des personnes en vacances de l'autre côté des frontières. Nous avons donc une tradition de coopération, d'une part avec Bruxelles, d'autre part avec les États limitrophes.

Avec la DGAL, depuis 1990, nous procédons par notes de service communes. Cette tradition a été grandement accélérée et renforcée récemment. Mme la directrice générale de l'alimentation, le directeur général de la santé et moi-même nous rencontrons tous les deux mois. Entre-temps, nous communiquons, si nécessaire, en cas de crise de sécurité alimentaire. Avec Mme Geslain-Lanéelle comme avec Mme Guillou, qui l'a précédée, nous sommes en relation téléphonique et de travail toutes les semaines.

En 1999, nous avons formalisé ces relations. Un protocole de coopération unit la DGAL, la DGS et la DGCCRF sur la problématique des textes liés à la transposition des directives communautaires, qui concernent les modalités de contrôle et la participation aux pôles de compétences sur le terrain. J'encourage vivement les directeurs départementaux et régionaux à participer au pôle de compétences. Évidemment, qui dit « pôle de compétences » dit problème pour savoir qui l'anime. Un jour, j'ai proposé à un préfet la règle de l'alternance. Le pôle de compétence dans tel département est présidé pendant deux ans par le DSV, puis intervient un turn over, ce qui me semble une bonne façon de sensibiliser, de mobiliser tous les services sans froisser les susceptibilités. Ce système des pôles de compétences avec présidence tournante a été mis en place dans beaucoup de départements. Parfois, c'est le DSV sans présidence tournante ; dans d'autres cas, plus rares, c'est le DGCCRF sans présidence tournante. Cela fonctionne globalement bien dans les trois quarts des départements. Il y a toujours, ici ou là, des difficultés locales, mais, globalement, je crois pouvoir dire que le dispositif de coopération fonctionne bien, mais il est surtout amélioré par rapport au passé.

Ainsi que je le disais tout à l'heure, la coopération est le fruit d'une volonté au sommet, d'efforts réitérés pour mobiliser les directeurs et les agents dans les services départementaux. C'est enfin la nécessité de la part des services de rendre compte de manière extrêmement suivie des actions de contrôle qu'ils mènent, soit seuls, soit qu'ils les réalisent en coopération avec les autres administrations.

M. le Rapporteur : Et comment sont programmés les contrôles ?

M. Jérôme GALLOT : Il existe trois types d'action. Premièrement, les tâches qui font l'objet d'une programmation nationale. C'est le cas, depuis 1996, de tout ce que j'ai évoqué sur le contrôle des farines. C'est une tâche programmée, la TP84-Z. Je tiens à disposition de la commission les documents envoyés chaque trimestre aux services déconcentrés, qui donnent la marche à suivre, rappellent les textes applicables et donnent les instructions de contrôle.

Deuxièmement, la programmation locale, que j'ai fortement encouragée. Je pars de l'idée que les directeurs régionaux et départementaux doivent être responsabilisés par des marges d'initiative accrues et reconnues. Des priorités nationales existent, c'est tout à fait clair ; le contrôle des farines en est une. Mais il existe aussi des tâches programmées au niveau régional pour des enquêtes qui doivent résulter d'une bonne connaissance du terrain. La fonction régionale, c'est-à-dire le développement du travail en équipe au plan régional entre les différents directeurs départementaux, a été fortement encouragée. Une note de service sur la fonction régionale a été signée par mes soins il y a six ou sept mois. C'est une priorité d'action.

Comment cela se passe-t-il concrètement ? Les cadres de mon administration au plan local se réunissent et élaborent au sein de ce que l'on appelle « un groupe régional de programmation » des priorités d'enquête régionale. Elles sont validées par le collège des directeurs au plan local, puis mises en application à l'échelle de la Région.

Troisièmement, des enquêtes d'initiative. Elles correspondent assez bien au souhait et au souci des enquêteurs de coller au plus près du terrain. C'est dans le cadre de ces enquêtes, qu'est réalisé le contrôle en entreprise. Du temps de l'ancienne répression des fraudes, ce contrôle s'appelait « contrôle à la production ». Il a été rénové et repensé en 1990 et je viens de sortir une note de service, dix ans après l'évaluation du contrôle en entreprise, pour rénover les modalités concrètes du contrôle en entreprise, celui-ci donnant lieu, à l'initiative des enquêteurs et de leur hiérarchie départementale, à des visites en entreprises. Jusqu'en 1996, les établissements d'alimentation animale ont été vus dans le cadre du contrôle en entreprise. Ils sont maintenant suivis et impulsés depuis les tâches programmées nationales, dont je remettrai des exemplaires à la commission.

M. Pierre HELLIER : Merci de cette mise au point sur la notion de seuil de tolérance, qui pouvait sembler choquante. Si j'ai bien compris : action judiciaire au-delà du seuil ; enquêtes et prévention en deçà. Je souhaiterais des éléments d'information sur les étiquetages. Nous avons vu ici des étiquettes floues, ne précisant absolument pas la composition, ni l'origine des protéines. Ces étiquettes sont-elles dorénavant beaucoup plus précises ?

M. le Président : Cela vaut pour les farines elles-mêmes et tout autant pour les viandes. Je rappelle la question que je posais tout à l'heure. Des opérations « coup de poing » ont été menées par les éleveurs. Ils voulaient simplement, relayant en cela l'action des consommateurs, savoir d'où venaient les viandes. Proviennent-elles de pays assurant toute la sécurité, notamment la mise en place des tests ? Jusqu'où va votre mission et où s'arrête-t-elle ? Nous avons constaté que la quasi-totalité des contrôles était effectuée sur stocks a posteriori et qu'il ne s'agissait pas de contrôles matière. Il était intéressant que vous nous précisiez les conditions de vérification. Disposait-on à cette date de la connaissance, de l'outil scientifique, pour s'assurer qu'il n'y avait pas de trace de viandes et d'os dans les farines prélevées et destinées aux ruminants ? Les membres de la commission ont été troublés par ce qu'ils ont appris lors de l'audition du directeur général des douanes. Le contrôle portait sur les documents et ne permettait pas d'obtenir des éléments fondés sur la réalité de ce qui entrait en France, sur son origine et parfois même en termes de tonnages.

Vous avez indiqué que cela fonctionnait bien. Je ne doute pas que cela marche mieux ; c'est d'ailleurs une exigence permanente du service public. Quelles leçons tirez-vous ? C'est l'occasion d'indiquer ce qui doit être amélioré. Nous avons le sentiment que, dans vos relations avec vos partenaires, l'information pourrait mieux circuler.

Dernier point : les étiquetages. Les éleveurs nous ont rapporté les contrôles qu'ils avaient effectués. Ils nous ont rapporté que des viandes portaient de petits drapeaux français « viande bovine française » alors qu'elles venaient d'Allemagne. Jusqu'où allez-vous dans le contrôle et comment contrôle-t-on chez nos voisins les produits qui entrent en France ?

M. Jérôme GALLOT : Se posent la question de l'étiquetage des aliments pour animaux et celle de l'étiquetage des viandes bovines. Dans le droit français, la mention « contient des farines animales interdites pour les ruminants » doit figurer sur l'étiquetage des aliments pour animaux. Cette mention est en cours de modification pour tenir compte de l'interdiction des farines chez les autres espèces depuis le 14 novembre 2000. Nous sommes en train de réviser, en étroite coordination avec Bruxelles, la réglementation pour améliorer l'information des éleveurs.

M. Pierre HELLIER : Ce n'est pas encore fait !

M. Jérôme GALLOT : Parce que cela relève du règlement communautaire. L'orientation vise à indiquer tous les ingrédients dans l'ordre décroissant, ce qui nécessitera des mentions, dont certaines seront relativement longues. Nous nous orientons également vers la possibilité pour les éleveurs d'exiger l'indication du pourcentage de chaque ingrédient mis en _uvre. Ce sont là des sujets communautaires et nous avançons à la vitesse permise par la Communauté, mais je puis vous affirmer que c'est une forte préoccupation et une priorité d'action de la direction. En matière d'étiquetage des viandes bovines, la France a pris de l'avance, car elle avait un accord interprofessionnel.

M. le Président : Nous sommes au c_ur d'un problème préoccupant. Une fois prise la décision communautaire d'interdire les farines, comment aurait-on dû procéder pour obtenir un temps de réponse plus rapide ? Depuis novembre, il ne s'est rien passé : il n'y a pas d'étiquetage sur les farines.

M. Jérôme GALLOT : Sur les étiquetages, apparaît toujours la mention « contient des farines animales interdites pour les ruminants ». C'est la mention française. Pour le reste, nous travaillons avec nos partenaires communautaires.

M. Pierre HELLIER : S'il s'agit d'une mention française, c'est dire que l'on peut prendre certaines initiatives.

M. Jérôme GALLOT : J'évoquerai l'étiquetage des viandes d'une manière générale, car l'on perçoit bien l'articulation entre le national et le communautaire. Pour la viande, un accord interprofessionnel a anticipé la prise d'une réglementation communautaire. Cet accord interprofessionnel étendu par les pouvoirs publics était assez complet et de nature à offrir les garanties de traçabilité des viandes.

Un règlement communautaire a été adopté en 2000. Mais il est moins exigeant que l'ancien accord interprofessionnel. Grâce à cet effort au niveau communautaire, certaines mentions sont obligatoires dans tous les pays membres de l'Union européenne, mais le champ couvert est moins large que celui que couvrait la seule réglementation française. M. le ministre de l'Agriculture a déjà indiqué à plusieurs reprises qu'il allait entreprendre tous ses efforts à Bruxelles pour faire modifier la réglementation sur l'étiquetage. Nous avons eu les plus grandes difficultés auprès de nos partenaires à obtenir des indications sur la provenance : « né, élevé, abattu » dans tel pays et sur la traçabilité des viandes bovines. Nous connaissons les mêmes difficultés pour les aliments pour animaux, d'autant que l'Union européenne a pris des réglementations suite aux décisions du mois de novembre 2000 en France. L'Union européenne s'est mise en branle, un peu contrainte et forcée, avec un effet retard.

Sur l'aspect scientifique, c'est à partir de 1997, notamment grâce aux travaux menés dans notre laboratoire de Rennes, que nous avons pu disposer des méthodes de détection analytique des fragments d'os dans l'alimentation animale, ce qui nous a ensuite permis de procéder à des contrôles, autres que purement scripturaux.

Un élément a également facilité la réalisation des contrôles : en 1996, l'ensemble des farines a été interdit pour les ruminants, notamment les farines de plumes. Avant 1996, on ne savait pas distinguer entre tel ou tel type de farines dont on pouvait retrouver, non de manière analytique d'ailleurs, les traces dans l'alimentation animale. A une raison scientifique s'est conjuguée une raison d'évolution de la réglementation qui a été parfaitement complétée à compter de 1996.

M. Pierre HELLIER : La gélatine est toujours fabriquée à partir de l'os et toujours commercialisée. L'origine des produits qui la composent fait-elle l'objet d'une surveillance ?

M. Jérôme GALLOT : Il n'y a pas modification des conditions techniques de fabrication de la gélatine.

M. Pierre HELLIER : On ne contrôle donc pas l'origine des produits? En fait, comment s'opère le contrôle ?

M. Jérôme GALLOT : Si vous le permettez, nous procéderons à une réponse écrite, mais je précise dès maintenant que nous contrôlons les modalités de fabrication des gélatines.

M. Daniel VACHEZ : Je poserai une question complémentaire sur l'étiquetage : il existe une très forte demande de la part des consommateurs, qui souhaitent connaître la provenance des viandes, pas seulement bovines, mais également ovines. Quel est le constat que vous portez sur l'étiquetage des viandes, sachant que, ce jour, dans le cadre des questions au Gouvernement, le ministre de l'Agriculture ne nous a pas caché qu'il était extrêmement inquiet sur le fait que de nombreuses carcasses de moutons entraient en France sans qu'il y ait véritablement d'étiquetage. Quel est votre point de vue sur le sujet ?

M. Jérôme GALLOT : Une directive de 1992 prévoit un certain nombre d'exigences en matière de traçabilité des ovins. Ces exigences sont très inférieures à celles qui prévalent en matière de viandes bovines. Depuis le règlement communautaire 2000, pour les viandes bovines, sont obligatoires les informations relatives à l'origine des viandes : pays d'abattage, pays de découpe ; doivent également figurer le numéro d'agrément de l'abattoir et de l'atelier de découpe, ainsi que le numéro de lot. Pour les ovins, la réglementation est beaucoup plus ancienne - elle date de 1992 - et les exigences sont bien moindres. Nous avions engagé, sans grand succès, quelques tentatives pour suggérer à nos partenaires d'accroître les exigences de traçabilité des ovins. En tout cas, la réglementation est moins exigeante envers les ovins et le ministre de l'Agriculture a raison de souligner que, même ces exigences minimales, qui datent d'une directive de 1992, sont mal assurées en France.

M. Claude GATIGNOL : Une particularité s'attache aux matières premières incorporées dans l'alimentation animale, plus spécialement dans la catégorie « alimentation jeunes bovins ». Je veux parler des matières grasses, soit d'origine végétale, soit, dans le cas qui occupe notre commission d'enquête, d'origine animale. Pour tous les animaux nés après l'interdiction des farines animales, se pose le problème, non pas tant la présence de farines dans les aliments, mais celle de matières grasses qui auraient pu comporter des ajouts, des éléments ne faisant pas partie des farines, mais des sous-produits, des déchets des lots d'abats importés. Vers 1988, cela représentait une importation de 350 tonnes et en 1996 de 8500 tonnes, des déchets sont passés naturellement, puisque ces abats étaient destinés à l'alimentation animale. Vos services ont-ils eu à se préoccuper de la nature d'une part, mais surtout de la traçabilité de ces produits « graisses d'origine animale » qui servaient à l'alimentation des veaux et qui sont l'une des explications que les professionnels donnent aux cas positifs que nous découvrons à l'heure actuelle ?

M. Jérôme GALLOT : Vous avez parfaitement raison de mettre en exergue la problématique des graisses animales. Je rappelle que les graisses animales sont les graisses issues de l'extraction des farines de viandes, de volailles, de plumes et de poissons et de la transformation des os destinés à la production de gélatine. La première mesure prise relative aux graisses animales fut d'en interdire l'introduction dans l'alimentation des animaux le 14 novembre dernier. Furent interdites les graisses, sous-produits de la fabrication de la gélatine, ainsi que les graisses de dégraissage des farines qui sont interdites dans l'alimentation des animaux de rente.

Vous avez raison d'appeler notre attention sur ce point ; nous en sommes parfaitement conscients. La réglementation de la mi-novembre est un premier pas. La Communauté européenne, le 14 mars 2001, il y a donc quelques jours, a classé les colonnes vertébrales parmi les matériaux à risques spécifiés. Depuis cette décision communautaire, les graisses obtenues à partir de la colonne vertébrale sont aussi interdites.

Il s'agit là de mesures extrêmement récentes. Mes services et ceux de la DGAL ont engagé une instruction commune. Elle a mis trois semaines à sortir - preuve que nous sommes en progrès - et fut envoyée à la totalité des directions départementales. Ce sujet de la vérification des interdictions d'utilisation de graisses animales fait partie du champ du contrôle des agents des deux directions. Je n'ai pas de bilan spécifique sur les graisses, mais il est clair qu'elles sont pour nous sujet de préoccupation et sujet à risques en ce qui concerne une éventuelle propagation de l'ESB.

M. Claude GATIGNOL : Cela depuis le 14 mars 2001. Mais auparavant, vos services ne s'en préoccupaient-ils pas ?

M. Jérôme GALLOT : Auparavant, nous traitions les graisses comme un sous-produit, ce qui n'était d'ailleurs pas technologiquement faux, des farines ; aucune interdiction spécifique ne s'appliquait aux graisses qui en étaient issues.

M. le Président : Aujourd'hui, tous les pays d'Europe mettent à la consommation des viandes d'animaux ayant fait l'objet de tests. Quand les viandes arrivent sur le marché
- elles furent nombreuses à arriver sur le marché français ces derniers mois - comment s'opèrent les contrôles ? Où s'opèrent-ils : dans les camions ? Par qui ? Combien y a-t-il eu de contrôles ? Lorsque des mesures d'embargo de certains produits sont prises, qui contrôle ? Comment ?

Lorsque les produits sont sur l'étal - je renvoie à l'étiquetage « viande bovine française » - qui contrôle ? Avez-vous renforcé les contrôles et combien ont été effectués ? Comment améliorer lesdits contrôles, ceux qui relèvent de votre responsabilité comme les autres, et pour que les communications se réalisent en temps réel ? Je prends un exemple : lorsque je vois de la viande arriver en France, je me demande si elle a fait l'objet de tests.

M. Jérôme GALLOT : Les douanes ont compétence pour arrêter les camions ; quand elles s'interrogent sur la marchandise, elles font appel à la DGCCRF ou aux services vétérinaires. Cela d'ailleurs fait l'objet du protocole conclu avec la direction des douanes en 1998 et plus encore d'une coopération unifiée, globalisée, sur tous les types de productions, y compris les produits industriels en 2000. Le protocole de 2000 fait état, entre autres point, des délais dans lesquels les agents de la DGCCRF interviennent une fois que la marchandise a fait l'objet d'un arrêt par les douaniers. Nous subissons des exigences fortes. Nous devons prélever quelques échantillons de marchandise - que nous envoyons pour analyse - sous trois jours, ce qui est pratiquement impossible. C'est pourquoi nous sommes constamment en discussion avec les douanes pour améliorer les délais et pour éviter cette situation de dépendance extrêmement difficile par rapport aux douanes. Je crois que prévaut une problématique quasiment identique entre la douane et les services vétérinaires. Il y a forcément une coopération, puisque les pouvoirs du code des douanes ne sont pas ceux du code de la consommation. Mes agents comme ceux de la direction générale de l'alimentation appliquent le code de consommation ; les douanes appliquent principalement le code des douanes et ont des réticences à appliquer le code de la consommation, alors qu'ils sont en droit de l'appliquer. Il y a une coopération quasiment physique rendue nécessaire par la complémentarité d'action liée aux arrêts de cargaison des douanes. Évidemment, dans ce cadre, nous arrêtons des cargaisons.

Les marchandises sont-elles testées? Je précise que nous n'avons absolument pas souhaité faire de l'exigence du test une garantie pour le consommateur, car ce n'est pas parce qu'un animal a été testé qu'il est totalement indemne de tout risque. Il y avait là une potentialité de tromperie, en tout cas cela pouvait induire en erreur.

M. le Président : Le test est une des conditions de mise sur le marché des animaux de plus de trente mois.

M. Jérôme GALLOT : Tout à fait, simplement, nous ne voulions pas en faire un argument de vente pour le consommateur. S'ajoutait un argument économique : si nous avions agi ainsi, nous n'aurions plus consommé les bovins de moins de trente mois. L'argument juridique rejoignait l'argument économique.

Depuis 1998, au-delà des interventions « coups de poing », qui réclament une collaboration physique, la DGCCRF et les Douanes s'échangent des informations. Depuis 1998, 412 fiches ont été échangées - dont 65 ont concerné la crise de la dioxine qui nous a grandement occupés à la mi-1999 - et 376 sur l'ESB. C'est dire que la coopération sur le terrain atteint des niveaux jusqu'à présent jamais obtenus, et fait l'objet d'une plus grande formalisation.

M. le Président : Sur le test, nous nous sommes bien compris. Il y a une obligation de test pour les animaux européens de plus de trente mois. Comment pouvons-nous assurer que les animaux de plus de trente mois mis sur le marché ont bien été testés ? Il ne s'agit pas d'en faire un élément commercial, mais de savoir qui contrôle les viandes importées et s'il y a contrôle de l'application d'une mesure communautaire.

M. Jérôme GALLOT : Ce sont principalement les douanes et les services vétérinaires qui contrôlent que les bovins ont été testés.

Quant aux suggestions, l'essentiel, me semble-t-il, est de faciliter la rapidité de l'action administrative. Le temps judiciaire est un temps beaucoup plus long que le temps de l'urgence administrative. Tout ce qui participe du développement des pouvoirs de police administrative et une bonne chose. Je rappelle que la loi d'orientation agricole a donné aux services vétérinaires des pouvoirs de police administrative sur les produits d'origine animale. Il est prévu que ces pouvoirs soient également donnés aux agents de ma direction à la fois sur les productions végétales et animales. Ce devrait être un des appuis des textes évoqués. Le temps judiciaire est nécessairement plus long, alors que nous avons la nécessité d'agir dans l'urgence au nom de la sécurité alimentaire. Les préfets pourraient agir davantage en urgence à la demande des agents des directions des services vétérinaires et des directions départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Il y a des pouvoirs de retrait ; aujourd'hui, il y a des possibilités d'arrêtés préfectoraux ou ministériels en cas de dangers graves ou immédiats. Les conditions de mise en _uvre sont difficiles. On pourrait atténuer les exigences qui concernent les mesures de police administrative de retrait de production susceptibles de présenter un danger.

Je suis prêt à présenter des propositions déclinant la problématique d'ensemble à la commission et à les envoyer dans les quelques jours qui viennent.

M. le Président : Nous vous remercions.


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