Commission d'enquête sur le recours aux farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, la lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine et les enseignements de la crise en termes de pratiques agricoles et de santé publique

Rapport n° 3138
Tome II
Auditions - volume 8

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission
(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

M. Olivier KRIEGK, directeur scientifique du groupe CANA (le 2 mai 2001) 4

M. Philippe DOUSTE-BLAZY, ancien ministre délégué à la Santé (mars 1993 - mai 1995) (le 2 mai 2001) 15

M. Jean PUECH, ancien ministre de l'Agriculture et de la Pêche (mars 1993 - mai 1995) (le 2 mai 2001) 23

M. Benoît ASSEMAT, président du Syndicat national des vétérinaires inspecteurs de l'administration (SNVIA), accompagné de M. Jérôme COPPALLE, Secrétaire général du SNVIA (le 9 mai 2001) 35

M. Louis LE PENSEC, ancien ministre de l'Agriculture et de la Pêche (juin 1997 - octobre 1998), accompagné de M. Jean-François COLLIN et de Mme Sophie BÉRANGER, respectivement directeur de cabinet et conseillère technique au cabinet de M. LE PENSEC de 1997 à 1998 (le 9 mai 2001) 56

M. François PATRIAT, secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, (le 9 mai 2001) 70

M. Jean-Jacques RÉVEILLON, directeur de la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et sanitaires (le 15 mai 2001) 83

M. Alain GLON, président directeur général des établissements GLON-SANDERS (le 15 mai 2001) 97

Sommaire des auditions.


Audition de M. Olivier KRIEGK,
directeur scientifique du groupe CANA

(extrait du procès-verbal de la séance du 2 mai 2001)

Présidence de M. Michel Vergnier, Rapporteur

M. Olivier Kriegk est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Rapporteur, M. Olivier Kriegk prête serment.

M. le Rapporteur : Je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes directeur scientifique du groupe CANA, auquel appartient la SOVIBA. Il nous a paru intéressant de vous entendre, dans la mesure où la nouvelle affaire de la vache folle semble avoir pris naissance dans un abattoir de la SOVIBA à Villers Bocage, où un bovin atteint de l'ESB a été détecté par les contrôles vétérinaires, a donc été stoppé et n'est pas entré dans la chaîne alimentaire. Cet animal, d'après nos informations, ne provenait pas d'un de vos élevages coopératifs, mais d'un éleveur local.

Le dispositif de contrôle a donc bien fonctionné. Que s'est-il passé par la suite pour que cet incident correctement traité déclenche la plus grave crise de la filière bovine et cause un désastre économique et humain dont on n'est pas encore sorti six mois après ? Est-ce seulement un problème de communication ? Comment celle-ci a-t-elle été effectuée ? Quelles leçons tirer de cette expérience ?

M. Olivier KRIEGK : Je me propose de vous faire part de l'expérience que j'ai eue de cette affaire en tant directeur scientifique du groupe CANA, auquel appartient l'entreprise SOVIBA. Il s'agit d'un groupe agro-alimentaire, sur lequel je vous transmets des informations par un dossier qui vous sera distribué. La crise de l'ESB, qui a débuté au mois d'octobre dernier, est partie médiatiquement de l'entreprise SOVIBA. Un rappel rapide des faits permettra d'expliquer et de répondre à votre interrogation sur les raisons de l'impact médiatique extrêmement fort et des conséquences économiques très lourdes.

L'animal, bloqué à l'abattoir le 11 octobre 2000 et au sujet duquel nous avons obtenu les résultats des tests effectués par l'AFSSA le 19 octobre, provenait d'un troupeau vendu en totalité par sa propriétaire à un négociant, lequel nous avait livré le 4 octobre - quinze jours avant l'annonce d'un test positif sur l'un des animaux - onze animaux de ce troupeau, un douzième ayant été vendu à un autre exploitant agricole pour poursuivre sa carrière laitière. Le treizième, présentant des signes pathologiques, avait été conservé par le négociant pendant une semaine avant de le présenter à l'abattoir le 11. Cet animal malade n'a jamais rejoint la chaîne alimentaire.

En revanche, le 19 octobre, nous avons été sollicités par les pouvoirs publics, par la DSV, pour procéder au retrait des viandes issues des onze vaches saines abattues le 4 octobre. C'est ce décalage de quinze jours entre l'abattage des animaux sains et la demande de retrait qui a déclenché la crise. À la date où il nous a été demandé le retrait des animaux sains, on peut considérer que cent pour cent des quartiers avants étaient commercialisés et consommés. Les quartiers avants sont transformés en steaks hachés. La date limite de consommation des produits, dont les derniers avaient été fabriqués le 11 octobre, était dépassée de trois jours lorsque l'on nous a demandé de procéder au retrait. L'on peut considérer que les quartiers avant, en gros 50% des muscles, étaient consommés en totalité ; pour les quartiers arrières, les muscles sous-vide, ensuite découpés en rôtis et en steaks, qui demandent des durées de maturation de viande plus longues, on peut considérer que 50% de la marchandise étaient consommés. C'est avec rapidité que nous avons mis en _uvre la demande de retrait : en moins de vingt-quatre heures, les 780 magasins susceptibles d'avoir été livrés avec de la marchandise issue de ces onze vaches ou de lots assemblés dans l'abattoir à partir de ces onze vaches et d'autres animaux, ont été prévenus et ont donné suite à la demande de retrait.

De la partie technique de cette crise, nous retirons que des procédures anticipatrices de l'entreprise ont permis de limiter - si on peut employer ce terme au vu de l'ampleur de la crise - les conséquences négatives, dans la mesure où nous avons pu mettre en _uvre une traçabilité efficace révélant aux consommateurs et aux pouvoirs publics que nous étions capables, dans un délai extrêmement court, de retrouver la destination exhaustive de la totalité des muscles issus de ces animaux. Je pense qu'il aurait été catastrophique pour le citoyen de constater qu'un abattoir n'était pas capable de retrouver la destination des produits qu'il mettait en _uvre.

Deuxième élément important, que vous avez relevé : la barrière sanitaire a très bien fonctionné, malgré la fraude ou supposée fraude. C'est la justice d'ailleurs qui déterminera s'il y a eu ou non fraude de la part du négociant qui nous a livré ces animaux. Malgré cette négligence du négociant, la barrière sanitaire a bien fonctionné. C'est un élément qui n'a pas été suffisamment souligné pour rassurer le consommateur.

L'entreprise a analysé la crise en proposant de nouvelles mesures : un certain nombre nous concerne directement. Notre entreprise est d'abord coopérative. Toutefois, l'approvisionnement de nos abattoirs dépasse le cadre de nos groupements de producteurs coopératifs compte tenu de la structure du marché de la viande bovine qui, en France, est principalement alimenté par la vache de réforme laitière, ce qui suppose un approvisionnement extrêmement vaste en termes de nombre de producteurs et qui, de ce fait, dépasse largement le cadre de nos groupements. Pour autant, aux groupements sur lesquels nous avons prise, nous avons préconisé des actions de prévention sanitaire par application de mesures préventives de visites sanitaires effectuées par des vétérinaires libéraux. Cela nous permet d'améliorer la garantie sanitaire en amont de l'approvisionnement de nos abattoirs, bien sûr largement au-delà du problème ESB.

Nous avons par ailleurs décidé une évolution de nos processus de fabrication, afin d'éviter de nous retrouver avec des lots de fabrication faisant appel à un nombre de vaches trop important, ce qui conduit, en aval, à alimenter un nombre élevé de magasins à partir d'un animal assemblé dans des lots de plus grande importance. Nous avons donc décidé d'instaurer des processus de fabrication plus complexes et plus difficiles à mettre en _uvre compte tenu de la forte hétérogénéité des vaches qui arrivent dans les abattoirs, afin d'établir une traçabilité à l'animal pour ce qui concerne les muscles sous vide, à partir d'un nombre d'animaux très réduit pour ce qui concerne les steaks hachés, au maximum dix vaches, pour constituer des lots.

Enfin, troisième élément, dès le 26 octobre, nous avons proposé aux pouvoirs publics et au cabinet du ministre de l'Agriculture, M. Glavany, de mettre en place des tests systématiques dans les abattoirs avant que cette décision ne soit prise par les pouvoirs publics en proposant, pour éviter la cacophonie de mise en _uvre systématique d'une telle mesure, de se servir des abattoirs de SOVIBA, pointée du doigt par les médias au démarrage de la crise. Nous avons proposé que nos sites d'abattage soient sites pilotes pour le développement de tests systématiques.

Deuxième point de mon intervention : nous avons proposé de mettre les tests en place en proposant une analyse scientifique du dossier et de privilégier le test français mis au point par le CEA, commercialisé par la société Bio-Rad, dont la Communauté européenne avait souligné la sensibilité nettement supérieure à celle de Prionics, qui avait fait l'objet de la première mise en _uvre de tests depuis le début du mois de juin 2000. Ce test, extrêmement sensible d'après les scientifiques que j'avais consultés, représentait une valeur de sécurité alimentaire supérieure et me semblait un élément fort de réassurance du consommateur. Hélas ! il n'a pas été retenu. Aujourd'hui, ce test est agréé par les pouvoirs publics, mais n'est utilisé que de manière marginale. Nous avons, pour notre part, investi dans des laboratoires associés aux outils d'abattage, de manière à privilégier l'efficacité, en proposant aux pouvoirs publics que ces laboratoires soient soumis à leur contrôle.

Le troisième élément sur lequel je voudrais vous proposer des réflexions porte sur le dossier des farines de viande. En ce domaine, le groupe coopératif auquel j'appartiens avait pris des mesures anticipatrices dès 1987. Notre groupe coopératif n'a jamais utilisé de farines de viande dans l'alimentation des ruminants pour des raisons de nature technique et physiologique des animaux, en privilégiant l'aspect scientifique par rapport à l'aspect économique.

En 1987, le marché des ingrédients alimentaires proposait aux fabricants d'aliments pour le bétail des farines d'origine anglaise à des prix extrêmement compétitifs, nettement plus bas que les farines issues des industries d'équarrissage français. Les sociétés de service qui nous conseillent en matière d'alimentation animale nous avaient fortement déconseillé d'utiliser ces produits compte tenu des risques sanitaires liés à ces farines anglaises. Dès 1986, en effet, nous savions que le développement des premiers cas d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) en Angleterre était vraisemblablement lié à ces farines animales. Nous avons donc refusé d'acheter ces farines anglaises à bas prix et privilégié les farines animales françaises pour nos filières de volailles et de porcs.

En 1996, lors de la crise de la vache folle, le rapport Dormont, commandité par les pouvoirs publics, précisait dans son cinquième point, que l'un des éléments fortement suspecté pour le développement de la maladie était lié au risque de contamination croisée dans les usines d'aliments pour le bétail ou en aval, dans les élevages, entre des aliments contenant des farines de viande et les aliments pour bovins, qui ne doivent plus en contenir depuis 1990.

Nous avons donc été amenés à interpréter ce cinquième point du rapport Dormont et j'ai pris la décision - j'étais à l'époque directeur « Aliments du bétail » pour le groupe - de retirer les farines de viande des usines polyvalentes qui fabriquaient des aliments pour les ruminants. J'ai conservé les farines de viande pour une usine spécialisée dans la production d'aliments pour les volailles et qui ne fabriquait que ce type de produit. J'ai, en revanche, retiré les farines de viande dans ces usines polyvalentes en 1996.

Je mesure aujourd'hui l'impact de cette décision au travers de l'appréciation qualitative et non scientifique du nombre d'éleveurs de la coopérative touchés par l'ESB rapporté à l'ensemble des éleveurs français. Vous pourrez apprécier par vous-mêmes : sur le marché de la Loire-Atlantique, où nous détenons près de 40% de parts de marché, on constate une baisse significative du nombre de cas par rapport aux départements qui nous entourent.

Avant de répondre à vos questions, je présenterai quelques points de conclusions. Au-delà de la réglementation, les politiques de rigueur d'entreprise, de sécurité alimentaire, d'anticipation de la part d'entreprises responsables permettent de concourir positivement à la solution de ce type de problème. Les groupes agro-alimentaires coopératifs ont sans doute un rôle spécifique à jouer, de par leur engagement aux filières, d'une part - c'est un point important - de par la nature même du statut, qui suppose que les agriculteurs qui sont sociétaires et propriétaires de l'entreprise privilégient, dans la hiérarchie des valeurs de l'entreprise, l'homme et la pérennité des exploitations agricoles plutôt que le profit à court terme. C'est ce qui nous a amenés à choisir un certain nombre de solutions, coûteuses a priori. En 1996, des voix se sont élevées dans l'entreprise quand j'ai pris la décision de supprimer les farines de viande des usines polyvalentes. En effet, je pénalisais économiquement les filières porcs et les filières pondeuses, mais j'ai privilégié la prévention et le principe de précaution plutôt que le profit à court terme.

Nous souhaiterions pouvoir contribuer plus qu'hier à l'amélioration continue de l'alimentation et de la sécurité alimentaire et être reconnus davantage dans les instances de concertation et de travail que nous proposent les pouvoirs publics.

M. le Rapporteur : Vous pensez bien que nous allons vous demander de préciser les informations dont vous avez disposé dans les années 86-87, date à laquelle vous prenez les décisions singulières - et opportunes - que vous avez évoquées. Vous disposiez d'informations sur la situation en Grande-Bretagne. De qui provenaient vos informations ? Qu'est-ce qui vous a conduit à prendre de telles décisions à cette époque, vous situant ainsi, si j'ose dire, à l'avant-garde ?

M. Olivier KRIEGK : En 1987, les Anglais avaient interdit l'utilisation des farines de viande dans leur pays. Toutefois, la réglementation permettait de commercialiser ces farines à l'extérieur. Les conseils que nous avons suivis nous furent prodigués par notre « firme services ». Dans le métier de l'alimentation du bétail en France, les fabricants d'aliment du bétail ont coutume de faire appel à ce que l'on appelle « les firmes services », qui pratiquent deux métiers : d'une part, apporter un conseil scientifique sur la nutrition des animaux et sur la zootechnie ; d'autre part, fournir à leurs clients ou adhérents ce que l'on appelle des « prémix », autrement dit des concentrés de vitamines, d'oligoéléments, incorporés à faible dose dans les aliments que l'on fabrique dans les usines d'alimentation animale. Notre firme services est une union de coopératives qui s'appelle la Centrale coopérative de productions animales (CCPA) ; nous en sommes actionnaires à 25 % ;

Ce que je vais vous rapporter relève plus d'une mémoire collective vieille de quatorze ans que des éléments écrits, que je n'ai pu retrouver. La CCPA nous avait déconseillé à l'époque l'utilisation des farines anglaises, en raison du lien supposé avec l'ESB. À l'époque, en effet, les éléments étaient plus supposés que démontrés. Elles nous furent déconseillées également pour des aspects sanitaires plus globaux, dans la mesure où un élément peut vraisemblablement être mis en exergue dans la diffusion de la maladie, à savoir la diminution des conditions de traitement thermique des farines en Angleterre. Cet élément était supposé avoir contribué plus fortement à la diffusion de la maladie. Ces conditions de traitement sanitaire plus faibles des farines anglaises s'accompagnaient d'une qualité bactériologique des produits dégradée par rapport aux produits d'origine française. C'est la conjonction de ces deux raisons qui nous a conduits à refuser d'utiliser les farines anglaises malgré leur prix attractif.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué des négociations difficiles à certains moments, ce qui laisse à penser qu'ailleurs le coût des aliments a été privilégié, car l'on a dû penser que c'était un élément intéressant sur le plan économique. À l'époque, la transmission à l'homme n'étant pas évoquée, c'est le volet économique qui l'a emporté, ailleurs que chez vous.

M. Olivier KRIEGK : Oui, je le pense. Je puis vous chiffrer l'incidence économique. En ce qui concerne les aliments pour les ruminants, l'intérêt économique est extrêmement faible, puisque, physiologiquement, le ruminant n'est pas adapté à la valorisation de ce type de protéines.

En revanche, pour les porcs et pour les volailles, l'incidence économique ressort à trois centimes du kilo d'aliment fini, soit six millions de francs par an pour une entreprise comme la mienne à l'époque, sur 200.000 tonnes d'aliments porcs et les pondeuses, sachant que nous avons préservé l'intérêt économique pour les volailles de chair grâce à l'usine spécialisée à laquelle j'ai fait allusion. Six millions de francs par an, pour une entreprise insérée dans des logiques de filières où les marges globales sont faibles, ne sont pas négligeables. Pour autant, il faut relativiser. Je rapporte ce chiffre de 6 millions au chiffre d'affaires de 600 millions de francs de l'activité dont j'assumais la responsabilité à l'époque, ce qui représente de l'ordre de 1% du chiffre d'affaires. C'est l'ordre de grandeur du résultat net des filières animales de ce type. Pour autant, je considère que les enjeux de sécurité alimentaire méritent que l'on tire un trait. Cela n'a pas été forcément le cas de toutes les entreprises dans la profession.

M. le Rapporteur : La suite des événements semble donc vous avoir donné raison. Quelle est votre appréciation sur les mécanismes de contrôle en matière de sécurité alimentaire ? La diversité des instances de contrôle vous paraît-elle présenter un avantage pour le consommateur ?

M. Olivier KRIEGK : La multiplicité des instances de contrôle des filières dont nous parlons - la DGCCRF pour certains aspects, la Direction des services vétérinaires, le ministère de l'Agriculture pour d'autres - conduit à effectuer des contrôles largement complémentaires, plus que concurrents. Il est important pour le citoyen d'avoir l'assurance que des contrôles sont exercés sur les entreprises qui concourent à la production alimentaire. J'ai le sentiment partagé d'être face à une administration parfois mal coordonnée, mais le plus souvent efficace dans ses contrôles. Les relations entre pouvoirs publics et entreprises sont, d'une manière générale, de bonne qualité et intelligentes, dans la mesure où les contrôles sont effectués avec pertinence et compétence. Parfois aussi, on a le sentiment que la multiplicité des intervenants conduit à une multiplicité des contrôles, ainsi qu'à une certaine lourdeur dans le fonctionnement des entreprises. Globalement, à regarder ce qui se passe dans les pays européens qui nous entourent, je crois que nous pouvons être fiers du système de contrôle mis en place en France. Nous sommes plutôt satisfaits de la manière dont cela fonctionne.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué la traçabilité, en indiquant que vous aviez pu retrouver la destination des produits. Quels progrès selon vous peut-on encore réaliser dans le domaine de l'étiquetage, notamment des viandes ? Quel regard portez-vous sur l'étiquetage des aliments ? Entre une réglementation française assez précise et une réglementation européenne plus laxiste, quels problèmes peuvent émerger ? Les produits que les éleveurs donnaient à consommer étaient-ils correctement étiquetés ? Même question dans le domaine de la viande. Quels progrès peut-on encore réaliser en matière de traçabilité ?

M. Olivier KRIEGK : Pour moi, la traçabilité n'est pas une fin en soi, mais un outil. Par la traçabilité ascendante, à partir d'un produit fini, il s'agit de remonter jusqu'à l'origine de ce produit ; en traçabilité descendante, il s'agit, à partir d'un animal, de retrouver la totalité des destinations de cet animal. C'est bien là un outil, non une finalité en soi. Pouvoir remonter à l'origine d'un animal malade permet de savoir que l'on a mal travaillé, non de garantir la sécurité alimentaire. Ce qui concourt à la sécurité réside dans les procédures de qualité, les systèmes d'assurance qualité, Iso 9000 pour ce qui concerne les outils industriels ou Agriconfiance pour l'assurance qualité de la production agricole. Mais la traçabilité n'est pas en soi un élément de sécurité alimentaire. L'élément de traçabilité est l'outil qui permet de régler les problèmes ou de trouver leur origine très rapidement.

Cela m'amène à une deuxième considération : les améliorations à obtenir concernent la fluidité de l'information sur la traçabilité. Si on évoque des problèmes bactériologiques, comme la listéria ou la salmonelle, l'élément central consiste à retrouver très rapidement la destination d'un produit, d'un lot contaminé ou l'origine d'un problème rencontré par un consommateur. On peut dire la même chose de la vache folle : le délai qui s'est écoulé entre le 4 et le 19 octobre n'est pas le signe d'une grande fluidité de l'information. L'élément essentiel est la rapidité de la circulation de l'information et la qualité des outils de traçabilité. C'est un point sur lequel la SOVIBA a démontré une bonne performance, puisque, en l'espace de quelques heures, nous avons pu retrouver 780 magasins destinataires de 37 tonnes de steaks hachés, y compris de nombreuses supérettes et des magasins de détail. Je ne suis pas certain que toutes les entreprises aujourd'hui soient en mesure de faire preuve de cette même diligence.

En ce qui concerne l'étiquetage et l'information du consommateur, pour l'aliment du bétail, je suis favorable à un maximum de transparence, et ce pour deux raisons. D'une part, nous devons à nos sociétaires agriculteurs et à nos clients une information claire et intelligible. La réglementation permet aujourd'hui, en matière d'aliments du bétail, d'étiqueter des familles d'ingrédients en laissant subsister une certaine opacité de l'information ou une liste détaillée d'ingrédients : au lieu de mentionner la famille de céréales, on ferait mieux de parler de blé, de maïs, d'orge. Cette seconde option me semble plus claire et c'est celle que nous avons retenue pour donner le maximum d'informations à nos éleveurs. En matière de farines de viande, la mention « concentré de protéines carnées » n'est guère intelligible pour tous les éleveurs. La formule « farines de viandes » me semble plus explicite, encore que cette allégation n'a désormais plus de sens, puisque les farines sont interdites.

La seconde raison qui justifie une information la plus claire possible, que l'on retrouvera de manière plus approfondie pour les viandes, tient dans la nécessité de recréer les conditions d'une confiance entre le citoyen et son agriculture. Ces conditions passent, d'abord et avant tout, par la transparence et par l'information. L'étiquetage doit y concourir. C'est une évidence, c'est davantage pour la viande que l'on touchera le citoyen, que par l'aliment du bétail. De ce point de vue, la traçabilité qui existe dans nos outils nous permet de donner une origine précise de l'animal, de donner l'information sur sa race, éventuellement sur le nom de l'éleveur et sur sa localisation. Ces éléments relèvent davantage du marketing et de la communication que d'une information sécuritaire sur la qualité de la viande. Il n'en reste pas moins que le maximum d'information et de transparence sur l'étiquetage permet de concourir à la restauration de l'image de l'agriculture dans l'esprit du consommateur.

M. François DOSÉ : En 1987, qui a décidé d'écarter les farines anglaises des usines d'alimentation du bétail ? Les techniciens du groupe, par délégation ou les administrateurs du groupe, les sociétaires, des agriculteurs, qui, peut-être, sont engagés par ailleurs dans d'autres mouvements?

M. Olivier KRIEGK : C'est une décision technique de mon prédécesseur, directeur en charge de l'aliment du bétail, que j'ai interrogé l'année dernière et qui m'a fait part des éléments qu'il avait en mémoire.

M. Jean-Michel MARCHAND : Vous indiquez que l'incidence financière, même si elle n'est pas négligeable, n'est pas aussi importante qu'on a bien voulu le dire par ailleurs. Vous ajoutez que les protéines animales ne sont pas très performantes pour les ruminants. Or, j'avais cru comprendre le contraire. Ce sont là deux informations sur lesquelles je souhaiterais que vous reveniez pour plus de précision. Car l'on se demande pourquoi certains, et pas vous, ont continué aussi longtemps sur la même voie.

En 1996 vous retirez les farines animales de vos entreprises polyvalentes. Prenez-vous parallèlement des précautions pour les livraisons, qui sont une source de contaminations croisées ? J'aimerais que vous affiniez vos propos sur la situation en Loire-Atlantique, où l'impact de l'ESB s'est révélé moindre que dans les départements voisins. Disposez-vous des chiffres concernant l'ensemble de vos sociétaires, voire de vos clients ? Autrement dit, combien enregistrez-vous de cas d'ESB parmi vos sociétaires et vos clients ? Enfin, vous avez préconisé un test ; or, ce n'est pas celui-là qui fut retenu. Quelles sont les qualités du test Bio-Rad ?

M. Olivier KRIEGK : S'agissant de l'intérêt des farines de viande pour les ruminants, les divergences s'expliquent sur un plan technique. Les ruminants, comme leur nom l'indique, disposent d'un rumen, vaste poche de fermentation située en amont de l'intestin. Les micro-organismes de la panse consomment les nutriments absorbés par la vache. L'efficacité alimentaire et donc économique des nutriments ou des aliments que l'on propose à l'animal, repose sur la solubilité et la digestibilité des protéines qu'on lui fait ingérer. Les farines de viande sont des protéines solubles et très digestibles, ce qui amène à une consommation très forte dans le rumen et par conséquent une valorisation moins importante dans l'intestin et une efficacité moindre au regard de la production de lait ou de viande. Je considère que les protéines animales pour le ruminant présentent un faible intérêt économique comparé à d'autres sources de protéines.

Nous avons choisi des technologies proposées par l'INRA il y a une trentaine d'années, pour mieux valoriser les protéines végétales. Ces technologies consistent en particulier à utiliser des tourteaux de soja pour permettre une moins grande dégradation dans le rumen et une meilleure utilisation dans l'intestin. La meilleure valorisation des protéines végétales réduit à néant l'intérêt économique des farines de viande par rapport aux protéines végétales protégées.

M. le Rapporteur : Quelle est la proportion de farines de viande dans la composition des aliments industriels, à la fois pour les bovins et pour les monogastriques ?

M. Olivier KRIEGK : Je ne puis vous répondre pour les bovins, puisque je n'en ai jamais utilisé pour eux. Pour les volailles de chair, les taux d'incorporation que nous avons retenus oscillent entre 2 et 3 % et, pour les porcs, ils avoisinent 2 %.

M. Jean-Michel MARCHAND : Ce système de protéines végétales est-il breveté ? Est-il disponible par tous les professionnels ?

M. Olivier KRIEGK : C'est un système déposé par l'INRA il y a une trentaine d'années. Il est tombé dans le domaine public. Il est sur le marché depuis une dizaine d'années au moins.

M. le Rapporteur : Avez-vous un contact direct avec les agriculteurs produisant des céréales avec lesquels vous fabriquez des aliments? Qu'en est-il pour le soja ?

M. Olivier KRIEGK : Pour les céréales au sens strict - blé, orge, maïs - notre approvisionnement est en partie lié aux apports de nos sociétaires, mais il est certain que la vocation de notre région est davantage tournée vers l'élevage que sur les productions céréalières. Nous sommes donc amenés à acheter des céréales hors nos frontières de chalandise, c'est-à-dire dans la Région Centre ou celle de Poitou-Charentes. Nos approvisionnements en céréales au sens strict sont régionaux ou un peu extérieurs.

Pour l'approvisionnement en protéines, avant interdiction des farines de viande, nous étions dépendants de l'importation à hauteur de 70 % ; aujourd'hui, cette dépendance atteint environ 80 %. Notre approvisionnement en soja est exclusivement issu du Brésil. Depuis les crises récentes, nous avons développé une politique de traçabilité de l'origine des sojas que nous achetons, pour des raisons extérieures aux problèmes liés aux farines de viande ; elles sont plutôt liées à la problématique des organismes génétiquement modifiés (OGM).

M. le Rapporteur : C'était bien le sens de mon intervention.

M. Olivier KRIEGK : Je réponds ainsi à votre sous-entendu ! Nous avons donc mis en place depuis un an et demi deux filières distinctes : l'une avec un partenaire distributeur, l'autre en propre. Sur cette deuxième filière, propre à notre entreprise, nous avons développé avec une coopérative brésilienne de l'État du Parana un partenariat, qui nous permet d'obtenir la traçabilité à l'origine de la totalité de nos tourteaux de soja, c'est-à-dire que, pour chaque bateau que nous recevons tous les mois, nous disposons de la liste des producteurs qui ont concouru à la production de ces tourteaux.

Au sujet des contaminations croisées liées aux fabrications dans les usines, nous avons réglé le problème à la source en supprimant les farines de viande. Pour ce qui est des livraisons d'aliments, nous avons également traité le sujet, puisque nos livraisons d'aliments pour le bétail sont gérées à 60 % par des camions propres à la coopérative et rattachés aux usines. Ces camions sont, par nature, non contaminés, parce que livrant à partir d'une usine exempte de farines de viande et revenant à leur point de départ après livraison.

Pour 40 % de nos livraisons, nous travaillons avec des fournisseurs extérieurs, des transporteurs privés. Dans le cadre de notre système d'assurance qualité, certifié Iso 9002, nous avons mis en place des procédures strictes de nettoyage de camions et d'interdits de livraison. Ces mesures portent à la fois sur la gestion des cases de livraison à l'intérieur du camion et sur le suivi individualisé lorsque ces transporteurs travaillent pour d'autres fabricants. Nous avons donc traité le problème.

À propos de sociétaires touchés par l'ESB, j'ai voulu souligner dans mon propos introductif, que grâce aux mesures prises de tout temps - non-utilisation des farines de viande dans les aliments des ruminants bien avant l'interdiction de 1990, sélection de fournisseurs français entre 1990 et 1996, suppression des farines de viande pour les monogastriques après 1996 pour éviter les contaminations croisées - nous sommes vraisemblablement moins touchés que d'autres. À ma connaissance, trois sociétaires de la coopérative sont touchés par la crise de la vache folle. Sur les trois, un seul prétend avoir utilisé la coopérative comme unique fournisseur d'aliments du bétail. Malgré l'image catastrophique que l'on peut donner d'une agriculture intégrée, les agriculteurs sont libres de choisir leurs fournisseurs ; rares sont ceux qui travaillent avec un seul fournisseur d'aliments pour ruminants.

Un seul sociétaire me dit avoir exclusivement utilisé les produits de la coopérative. J'ai une piste scientifique à avancer sur ce cas. Parmi les causes de diffusion de la maladie, on a évoqué la diffusion par le sol et par les fourrages. Il se trouve que ce sociétaire est situé à proximité d'un abattoir, qui a depuis lors déposé son bilan. Il utilisait les surfaces de ce sociétaire pour épandre les boues de la station d'épuration de l'abattoir. J'ai toute confiance dans les propos de ce sociétaire. J'ai longuement travaillé avec lui sur la gamme d'aliments qu'il a utilisés pour ses vaches. Je prétends que les mesures préventives prises de manière générale, non spécifiquement autour du dossier, paraissent se traduire - je suis prudent sur les termes - par une diffusion de la maladie via notre entreprise apparemment beaucoup plus faible que dans d'autres environnements techniques. Je ne dispose pas d'analyses scientifiques rigoureuses ; je livre simplement des éléments qualitatifs.

Vous m'interrogez sur les tests de dépistage. Le test Bio-Rad a été mis au point par le CEA suite aux travaux engagés après la crise de 1996, lesquels ont fait l'objet d'une thèse d'État, défendue en 1999. Sa sensibilité a été évaluée par la Commission européenne comme étant trente fois supérieure à celle du test Prionics, choisi par le Gouvernement pour mettre en place l'étude épidémiologique en juin 2000. Après avoir pris contact avec l'inventeur du test et avec la société Bio-Rad qui le commercialise, je considère que la sensibilité de ce test français garantissait la sécurité alimentaire. La démonstration qui en a été faite dans une communication scientifique, publiée dans la revue Nature le 25 janvier 2001, se fonde sur l'argumentation suivante : la sensibilité du test français se calcule en prenant un cerveau de vache malade dilué avec de la cervelle saine dix fois, cent fois, mille fois, dix mille fois. La cervelle malade diluée trois mille fois avec du cerveau sain n'est plus capable de reproduire la maladie par injection intracrânienne chez une souris. La dose nécessaire à la contamination par voie orale de la même souris, a fortiori de l'homme, est de plusieurs milliers de fois supérieure à celle nécessaire pour provoquer la maladie chez la souris. On peut considérer qu'une telle dose n'étant plus capable de reproduire la maladie chez la souris par voie intracrânienne, a fortiori, on n'est plus capable de reproduire la maladie par voie orale chez la souris ou chez l'homme. Le test Prionics a été retenu, notamment parce qu'il était plus opérationnel au mois de juin dernier.

Ces éléments scientifiques que j'avais identifiés dès le mois de novembre m'ont permis de proposer aux pouvoirs publics d'utiliser de préférence le test français plutôt que le test suisse.

M. le Rapporteur : Un argument avait milité à l'encontre du test Bio-Rad, celui selon lequel il pouvait détecter des faux positifs. Vous paraît-il pertinent ?

M. Olivier KRIEGK : Non. Lorsque l'on a commencé avec le test Prionics, en juin dernier, on a été confronté au même problème que celui rencontré logiquement avec Bio-Rad six mois plus tard. C'est dire la confrontation brutale du passage du stade paillasse-laboratoire à un stade industriel. Il est évident que la transition entre la mise au point en laboratoire d'un test et le stade industriel pose des problèmes d'adaptation et de mise au point qui peuvent durer quelques semaines. Je crois savoir que l'AFSSA a été confrontée à ce même type de problèmes en juin dernier. J'étais certain qu'en utilisant Bio-Rad, nous serions confrontés à une difficulté identique. Cela ne voulait pas dire qu'il ne fallait pas s'y attacher. Début novembre, nous avons proposé aux pouvoirs publics de l'utiliser de manière pilote dans quelques abattoirs avant de le systématiser, pensant que c'était là une mesure pertinente pour nous permettre de passer en quelques semaines du stade laboratoire au stade industriel.

Quelques semaines après la mise en _uvre du test Bio-Rad dans nos outils, nous avons réglé définitivement les problèmes de faux positifs. Il a fallu, comme je pouvais m'y attendre quand on met au point un test Elisa, une période de mise au point. La société Bio-Rad a eu quelques ratés pour stabiliser ses réactifs. Je puis vous confirmer que ces problèmes sont entièrement réglés. Il n'était pas illogique d'imaginer que nous allions connaître des difficultés pendant quelque temps. Ce ne devait pas constituer pour autant un frein, compte tenu des enjeux de sécurité alimentaire.

M. le Rapporteur : Avez-vous une opinion sur la façon d'améliorer les techniques d'abattage ? Je pense notamment aux techniques d'aspiration de la moelle épinière. Est-ce là une bonne évolution ?

M. Olivier KRIEGK : Les mesures prises en 1996 pour éliminer des matériaux à risque spécifiés à la fois de la consommation humaine et de la fabrication des farines de viande furent des mesures efficaces, mais nous n'en mesurerons les effets qu'à la fin de 2001, compte tenu de la durée d'incubation de la maladie que l'on connaît maintenant d'une manière assez précise.

Ces mesures sont-elles perfectibles ? Je l'ignore. Nous avions proposé de mettre en place des protocoles d'essai avec des traceurs colorés pour mesurer l'incidence de la fente des animaux. Nous avons essayé de mesurer l'impact de la contamination d'une colonne tranchée en deux et donc de la moelle épinière d'une vache malade sur la carcasse suivante grâce à des traceurs colorés. Ces travaux n'ont pas été conduits, faute de réponse à nos propositions sur le sujet. Personnellement, je suis peu inquiet. Je pense toutefois utile d'engager des études de suivi pour mesurer ces impacts. J'ai le sentiment, mais je ne suis pas le plus compétent, que les mesures prises en 1996 étaient pertinentes, vraisemblablement suffisantes, mais ce sont les mois qui viennent qui nous permettront d'en avoir confirmation.

M. François PERROT : Je reviens sur la société conseil, la CCPA, dont vous possédez 25% des actions. Je suppose que les autres actionnaires sont des sociétés, qui, comme vous, bénéficient de ses conseils. Vous avez suivi les conseils qui vous étaient prodigués. Quelles sont les autres sociétés actionnaires de cette coopérative ?

M. Olivier KRIEGK : Les principales coopératives actionnaires de CCPA sont, sur la partie « aliments du bétail », Copagri-Bretagne, la CAM (Coopérative des agriculteurs de la Mayenne), la Coopérative A1 dans le Nord de la France, des coopératives du Sud-Ouest, diverses coopératives réparties sur toute la France. Je vous ai citées les plus importantes en termes de fabrication d'aliments pour le bétail.

M. le Rapporteur : Quel regard portez-vous sur l'avenir de la consommation de viande ? Laurent Spanghero et le commissaire Fischler ont estimé que la consommation ne retrouverait pas son niveau antérieur. Est-ce également votre sentiment ? Plutôt que de parler de qualité de viande, ne pensez-vous pas qu'il serait préférable de parler de qualité de production ?

M. Olivier KRIEGK : Mes fonctions m'amènent peu à lire dans le marc de café, mais, de l'analyse de la crise de 1996, il ressort que la production n'a jamais repris le niveau initial. À l'époque, la crise nous était un peu extérieure, en ce sens que c'était le problème des Anglais. L'ampleur de la crise que nous venons de vivre est, de mon point de vue beaucoup plus forte, dans la mesure où c'est un problème qui touche la France et le consommateur français.

La production a repris aujourd'hui, comparée à ce qu'elle était au mois d'octobre ou de novembre dernier, mais je crains fort que la consommation ait bien du mal à revenir aux niveaux antérieurs. Aujourd'hui, à l'image de ce que j'ai exposé tout à l'heure en matière de traçabilité, l'important pour moi n'est pas de prouver d'où vient la viande, mais de montrer comment elle est produite.

D'une façon générale, face à la diversité des crises alimentaires vécues ces dernières années, notre responsabilité première consiste à restaurer un climat de confiance, fondé d'abord sur les conditions de production. La traçabilité que nous devons mettre en _uvre doit prouver les logiques de l'agriculture raisonnée plus que la qualité des produits intrinsèques. Pour la sortie de crise de nos entreprises coopératives, il convient que nous soyons en mesure de valoriser le lien au terroir de nos groupes alimentaires coopératifs, en donnant à ce lien la consistance qu'en attend le citoyen au travers la traçabilité des modes de production. En amont des filières de productions animales, nous devons livrer l'information et avancer des preuves sur les modes de production des fourrages, sur le respect de l'environnement lié aux pratiques de fertilisation ou de traitement phytosanitaire. L'ensemble de ces éléments permettra au citoyen de redonner sa confiance à son agriculture et de retrouver les niveaux de consommation sur l'ensemble des produits. C'est en tout cas le sens de mon action au sein du groupe qui m'emploie.

M. le Rapporteur : Nous vous remercions.

Audition de M. Philippe DOUSTE-BLAZY,
ancien ministre délégué à la Santé (mars 1993 - mai 1995)

(extrait du procès-verbal de la séance du 2 mai 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Philippe Douste-Blazy est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Philippe Douste-Blazy prête serment.

M. le Président : Je souhaite la bienvenue à M. Douste-Blazy, ancien ministre délégué à la Santé de mars 1993 à mai 1995. Nous souhaiterions savoir comment l'affaire de la vache folle, dont on a peu à peu suspecté la transmissibilité à l'homme, a été traitée sous l'angle de la santé publique. Il a fallu attendre le 20 mars 1996, date de la déclaration du ministre de la Santé britannique évoquant dix victimes humaines de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ), pour que la contamination humaine par l'infection de l'ESB soit admise par la communauté scientifique et les pouvoirs publics. N'a-t-on pas trop attendu pour prendre des mesures ? D'une manière générale, il nous est apparu que les questions sanitaires des aliments relevaient principalement du ministère de l'Agriculture, sans oublier les contrôles des services de la répression des fraudes exercés par une direction du ministère des Finances. L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), dont la création et la montée en puissance ont été appréciées, est d'ailleurs placée sous la tutelle du ministère de l'Agriculture. Nous souhaiterions donc connaître votre sentiment sur la gestion du dossier sous l'angle de la santé publique.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Je voudrais d'abord vous dire combien il me paraît important de revenir sur ces périodes, pour que toute la transparence soit faite et pour que cela puisse servir à d'autres événements de santé publique. L'intervention du ministère de la Santé entre 1993 et 1995 fut constante pour sauvegarder la santé publique face à un éventuel risque de transmission de l'ESB à l'homme.

Je scinderai mon intervention en deux parties. Avant mars 1996, l'ESB était considéré comme une maladie exclusivement animale, évoluant sur le mode épidémique dans un seul pays : le Royaume-Uni. En conséquence, le ministère de l'Agriculture était le seul compétent en matière de suivi et de prévention de l'épidémie de l'ESB et en matière de sécurité des denrées et produits d'origine animale. Il n'en demeure pas moins que le ministère de la Santé, par le biais du cabinet du ministre, de la Direction générale de la santé et du Conseil supérieur d'hygiène publique de France, s'est préoccupé à plusieurs reprises des conséquences que cette maladie animale pouvait entraîner sur la santé publique.

Le Conseil supérieur d'hygiène publique de France s'est prononcé une première fois le 3 novembre 1992 en rappelant la nécessité de veiller à une application rigoureuse des dispositions réglementaires, mais n'a pas évoqué, c'est vrai, l'interdiction des farines animales dans l'alimentation de l'ensemble des ruminants. Elles étaient interdites pour l'alimentation des bovins depuis 1990.

La Direction générale de la santé s'est préoccupée des possibles contaminations inter-humaines et animaux-hommes en prenant un certain nombre de mesures visant à supprimer l'introduction de tissus d'origine bovine dans la préparation des médicaments le 22 juillet 1992, des compléments alimentaires le 31 juillet 1992, mais aussi en prenant des mesures de sécurisation concernant la transfusion sanguine et la chirurgie.

Enfin, mon directeur de cabinet, a, par note du 15 novembre 1993, interrogé la Direction générale de la santé sur une éventuelle possibilité de contamination animal-homme suite à l'article publié dans le Lancet le 11 novembre 1993. Le Directeur général de la santé lui a répondu par note du 16 décembre 1993, rappelant les mesures de sécurité prises au cours des années passées et soulignant qu'à ce jour la barrière d'espèces semblait suffisamment solide pour prévenir la transmission entre le b_uf et l'homme. Il convient de noter à cet égard que ce n'est qu'en mars 1996 qu'a été annoncée la contamination de dix Anglais par la forme humaine de l'ESB. Voilà pour la première partie de mon propos.

Par ailleurs, je suis intervenu personnellement sur le sujet à partir du mois de mars 1994 à la suite d'une rencontre avec le secrétaire d'État allemand à la Santé, M. Baldur Wagner. En effet, à cette époque, les Allemands ont souhaité que des mesures complémentaires soient prises, afin de mieux protéger la santé humaine d'une éventuelle contamination par voie alimentaire. Les Allemands demandaient notamment l'interdiction complète des farines animales dans l'alimentation des ruminants. Deux réunions interministérielles se sont tenues le 25 mars 1994 et le 15 juin 1994.

Lors de la réunion interministérielle du 25 mars 1994, a été rappelée la teneur de mes entretiens avec mon homologue allemand. La position arrêtée par le cabinet du Premier ministre et signifiée à la délégation française au « Conseil Agriculture » des 28 et 29 mars 1994 et au « Conseil Santé » du 30 mars 1994 était la suivante : « Nous constatons qu'aucun événement scientifique ou médical nouveau ne justifie que l'on prenne hâtivement des mesures d'urgence. » Néanmoins, certaines exigences allemandes ont été considérées comme recevables, la France se prononçant notamment pour l'interdiction des farines animales dans l'alimentation des bovins, mais aussi pour l'ensemble des ruminants. Le « Conseil Santé » n'a pas permis de faire évoluer la position particulièrement rigide de la Commission, malgré mon intervention personnelle sur ce dossier en appui de la position allemande. En revanche, la réunion interministérielle du 15 juin 1994 a permis au ministère de la Santé de faire valoir une position plus incisive, afin que la France s'associe à la démarche allemande. En conclusion de cette réunion, il a été décidé qu'une lettre cosignée par Mme Veil, ministre de la Santé, et M. Puech, ministre de l'Agriculture, d'une part, et de leurs homologues allemands d'autre part, serait envoyée à la Commission, à M. Fynn, dans le but d'obtenir des mesures de protection complémentaire, notamment en ce qui concerne l'importation de viande sur pied en provenance de Grande-Bretagne.

Dans le contexte des connaissances scientifiques de l'époque et de la réglementation européenne, il me semble que le ministère de la Santé sous mon autorité et sous celle de Mme Veil a fait, dans son domaine de compétences - les médicaments, les produits d'origine humaine - ce qui convenait. Dans le domaine de l'alimentation animale et de l'alimentation humaine, qui ne relevaient pas de la compétence du ministère de la Santé, des interventions importantes ont été engagées auprès du ministère de l'Agriculture, du ministère de la Santé allemand et de la Commission européenne pour obtenir des mesures complémentaires, c'est-à-dire l'interdiction des farines animales pour tous les ruminants en 1994 et la limitation de l'importation de b_uf britannique.

M. le Président : Je vous remercie de ces précisions concernant les positions de l'Allemagne et les relations de l'époque entre la France et l'Allemagne. C'est un aspect qui n'avait pas, jusqu'à présent, été porté à notre connaissance.

M. le Rapporteur : Après ces quelques semaines d'auditions, il nous semble que, si la France a su prendre des décisions importantes au bon moment, ou avec, le cas échéant, quelque retard, il n'en a pas été de même à l'échelle communautaire. On constate notamment que les réunions des ministres de la Santé ne sont pas aussi fréquentes qu'elles le sont pour les ministres de l'Agriculture. Alors que la santé est devenue une priorité - on le constate dans tous les domaines - on relève une véritable lacune.

On perçoit l'importance des agences mises en place. L'agence européenne a beaucoup de mal à voir le jour. Quelles sont les difficultés pouvant résulter, selon vous, du décalage entre les informations données par les scientifiques et les mesures prises par les décideurs publics ?

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Ce sont là de grands sujets de fond ! Sur le « Conseil Santé », à la lumière des drames que nous avons vécus dans notre pays, je crois nécessaire d'évoquer une science médicale en progrès qui ne doit plus aujourd'hui être absente - au contraire, elle doit être développée au point de devenir la référence absolue pour toute politique de santé - il s'agit de l'épidémiologie. Au dix-neuvième siècle et au début du vingtième, un bon médecin se définissait, pour un tiers, par une bonne compétence, pour un tiers, une très bonne expérience et, pour un tiers, une bonne intuition ; aujourd'hui, un bon médecin est celui qui connaît parfaitement les conférences de consensus mises en place épidémiologiquement, parce que, avec la loi des grands nombres, en comparant 30 000 personnes dans un groupe contre 30 000 personnes dans un autre et en faisant varier, toutes choses égales par ailleurs, un seul paramètre dans l'un des deux, on peut mesurer la conséquence de ce paramètre, sachant qu'on est capable d'appareiller les deux groupes par sexe, par âge, par catégorie socioprofessionnelle.

Il est essentiel que, demain, les politiques de santé publique, comme les analyses des hommes politiques, soient fondées sur ces différentes épidémiologies. Il en est qui ne sont pas encore expliquées. S'agissant des OGM, plutôt que d'organiser des congrès et des réunions à n'en plus finir, les uns voulant faire naître des peurs collectives, les autres disant que c'est un progrès, la solution doit passer par des expériences avec, par exemple, deux pays qui accepteraient les OGM, deux autres qui les refuseraient. Au terme de trente ans, on mesurerait les effets. Trouvons des solutions pour fixer une règle épidémiologique d'évaluation. A la suite de quoi, les réunions du « Conseil Santé » deviendront importantes.

En fait, vous posez le problème du poids politique du ministre de la Santé dans un gouvernement. Ministre dans un gouvernement, vous mesurez rapidement votre poids politique ! Vous avancez ce que vous croyez utile d'entreprendre, alors que, face à vous, deux ou trois de vos collègues disent : « Maintenant qu'il a parlé, on va pouvoir évoquer les choses sérieuses ! » Et cela y compris lorsqu'il s'agit de problèmes de santé publique. Je souhaite que toutes les leçons servent et que l'on comprenne que le ministre de la Santé joue un rôle majeur et que ce poste doit être confié à une personne dotée d'un poids politique.

Par voie de conséquence, le jour où nous aurons établi de nouvelles règles épidémiologiques entre nous, il sera plus facile de réunir les Conseils des ministres de la Santé des Etats membres. Cela me permet de répondre à votre deuxième question : l'Agence européenne sera beaucoup plus aisée à gérer, car au niveau national le corporatisme joue plus aisément. Les producteurs de foie gras du Sud-Ouest font pression pour que l'on ne gêne pas la production ; parallèlement, en Ecosse ou dans une autre région, on permet tel produit. Rester sur de tels schémas serait une catastrophe. Si, à l'inverse, la règle épidémiologique et scientifique joue, l'avancée sera extraordinaire. C'est dire qu'au-delà du corporatisme, au-delà du nationalisme, doit prévaloir l'intérêt général de la santé publique.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé de la recherche. On n'a pris que très récemment au sérieux la recherche sur la maladie. Vous avez développé l'argument selon lequel il s'agissait au départ d'une maladie animale. Il n'en demeure pas moins que le Dr Dormont, notamment, y travaille depuis plusieurs années, sans avoir toujours disposé des moyens nécessaires. Quel est votre sentiment, même si l'on perçoit au fond l'explication ? Il nous semble que, depuis des années, on a pris beaucoup de retard en ce domaine.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : On connaissait à l'époque la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Souvenez-vous des problèmes de ce type posés par l'hypophyse. Je comprends que vous posiez la question des moyens mis au service de la recherche, car elle est de bon sens, surtout lorsque survient un tel drame humain. En réalité, les études sur le prion aujourd'hui sont très difficiles, car si tout le monde parle du prion, les chercheurs constatent que ce n'est pas une bactérie, que ce n'est pas un virus. C'est excessivement délicat. Personne n'a vu un prion.

La recherche médicale française, notamment l'INSERM, qui a compté d'excellents directeurs généraux, est une organisation remarquable de très haut niveau. Vous avez raison : maintenant que nous connaissons la dangerosité du prion, il faudrait accorder plus de moyens à la recherche. Mais je ne ferai pas le procès de l'INSERM qui, dans notre pays, est un institut de très haut niveau et qui appréhende bien les sujets.

A l'inverse, parce que je suis un Européen convaincu, je pense qu'il n'est pas possible bien longtemps de construire cette Europe que nous voulons - l'Union européenne - en continuant à découper en petits morceaux les budgets des ministères de la Recherche. Autant je peux comprendre que, sur des sujets comme la protection sociale, l'éducation nationale, l'enseignement supérieur, certains pays fixent des priorités, d'autres moins - cela relève du niveau étatique - autant, pour l'intérêt général, il est préférable de toujours donner de gros moyens aux équipes qui sont très bonnes plutôt que de saupoudrer en accordant des crédits à chaque équipe européenne. Si on continue à ne pas mettre en commun les budgets de la recherche, nous risquons d'être moins efficaces que les Américains et tout simplement beaucoup moins efficaces pour l'humanité.

M. François DOSÉ : Si parmi mes quatre questions, se glisse quelque impertinence, elle ne vise pas votre personne ; il s'agit de mieux comprendre la situation. Il n'en reste pas moins que je veux poser les questions franchement. De 1993 à 1995, avez-vous le souvenir que le ministère de la Santé a commandé des recherches sur le fondamental ou l'expérimental en ce domaine ? Ou, d'après ce que l'on a entendu depuis quelques mois, avez-vous le sentiment - et cela peut se comprendre - qu'en l'état des connaissances de l'époque, on a refusé des crédits de recherche à quelques laboratoires qui auraient frappé à la porte du ministère, en alertant sur la nécessité de se pencher plus précisément sur la question ?

Comment l'homme politique que vous êtes a réagi face au débat qui était déjà quasiment terminé à l'époque en Suède ? Dans certains pays, on a utilisé les termes de « farines de cadavres » au lieu de « farines carnées », conduisant toute une société à se poser le problème autrement. Ce débat est-il revenu jusqu'à vous ?

Hier pour aujourd'hui ou peut-être aujourd'hui pour demain, avez-vous le sentiment que des relations doivent être modifiées, en plaçant la santé au c_ur du système par rapport, non seulement à l'agriculture et à ses producteurs, mais peut-être aussi à l'industrie et à ses innovations, ainsi qu'à la recherche ? Faut-il encore approfondir la transversalité ou estimez-vous qu'elle existe et que toute aventure humaine connaît des dysfonctionnements ?

Enfin, lorsque l'on est en charge d'un ministère, l'information en provenance des autres pays, par exemple le Royaume-Uni, arrive-t-elle bien jusque chez vous ? Quel rôle jouent les ambassades ? Les attachés agricoles ont-ils alerté leurs autorités sur la situation qui prévalait dans ce pays depuis 1985-1986 ?

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Le ministre de la Santé n'impose pas aux chercheurs les thèmes de recherche. Cela ne se passe pas ainsi. Des organismes comme le CNRS ou l'INSERM sont composés de personnes de très haut niveau, très compétentes, qui ont beaucoup travaillé dans leur vie, qui produisent des publications internationales. J'ai pour elles un profond respect. Dans la mesure où ces organismes dépendent aussi du ministère, il est normal que nous fassions tout pour qu'ils fonctionnent et que nous leur accordions des crédits. Si, en revanche, vous me dites qu'il faut accorder davantage de crédits à l'INSERM, au CNRS, à la recherche française, alors je réponds oui, mais c'est à ces organismes qu'il appartient de définir leurs choix dans le cadre de leur commission. Donner de l'argent à une institution certes, mais téléphoner au directeur pour imposer tel ou tel programme n'est pas possible. Le politique outrepasserait ses droits. Là où vous avez raison, c'est qu'il peut y avoir, à la lumière de ce que nous ressentons, des priorités à donner, ce qui, peut-être, est insuffisamment fait au niveau politique.

Quelles sont les priorités que fixera le ministère de la Santé au cours des prochaines années ? Dans certains pays, tous les trois ou quatre ans, via le Parlement, des priorités de santé publique sont établies - on peut ajouter : et de recherche. Par exemple, on peut décider de consacrer au cours des trois années à venir des moyens en faveur des personnes âgées dépendantes, de la périnatalité, de la mortalité périnatale. Autant le ministre ne peut décider des choix au coup par coup, même s'il pense profitable de travailler sur tel ou tel sujet, autant il est normal - et c'est le rôle du politique - de demander, parce que la France se situe au treizième rang des indicateurs de mortalité infantile, de travailler sur ce sujet au cours des trois ou quatre prochaines années. Lorsque j'étais ministre de la Santé, j'ai ainsi fait passer de tels messages, par exemple sur la prévention du cancer du sein. Sur ce point, vous avez raison : il convient que le ministère soit plus réactif dans ses indications sur les axes prioritaires. Mais, vous le savez, il existe un ministère de la Recherche et c'est à lui que revient cette tâche.

Je n'étais pas au courant de ce qui se passait en Suède ; ce n'est pas revenu au niveau du ministre. Cela se comprend, car le dossier était exclusivement traité par le ministère de l'Agriculture.

Pour répondre à votre troisième question, dans notre pays, lors de la constitution des gouvernements, nous devrions réfléchir à l'organisation d'un ministère de la Santé publique et de l'Environnement. Les problèmes de l'environnement sont centraux. Pourquoi le sont-ils ? En raison des questions de santé qui y sont liées. Les problèmes santé-environnement sont importants. Je suis professeur d'épidémiologie de santé publique ; dans les cours que nous dispensons aux étudiants, une partie du programme s'intitule « Santé-environnement ». Aujourd'hui, nous savons que, parmi les nourrissons de moins de deux ans dans les agglomérations de plus de 500 000 habitants, un sur trois souffre d'asthme et de bronchiolites à répétition et que cette maladie est liée à la pollution automobile. On est d'autant plus efficace sur l'environnement que l'on parle à toutes les mères et aux pères de ces enfants de problèmes de santé. Vous avez raison : il faut modifier les relations qui existent entre le ministère de la Santé et les autres ministères, parce qu'il s'agit, in fine, de la santé des femmes et des hommes qui vivent dans ce pays. Nous revenons au propos de M. le Rapporteur : il est nécessaire que le poids politique du ministre de la Santé publique soit effectif. Il convient également que le ministre en charge de la santé publique soit un ministre de plein exercice. C'est un point qui dépasse les clivages politiques. Le ministre de la Santé publique actuel sera totalement d'accord avec moi sur le sujet.

Face à un événement comme celui de la vache folle, il arrive que, dans un premier temps, ce sont plutôt les règles du marché qui priment dès lors que les problèmes de santé ne sont pas abordés. Que s'est-il passé à l'époque ? Les agriculteurs devaient mettre en garde et demander que l'on ne fasse pas n'importe quoi. On entendait : « Il n'y a que quelques cas d'ESB. L'homme, on n'en a jamais parlé. » « Qui est ce jeune ministre de la Santé français qui nous parle de cela ? » C'est ce que j'ai entendu au « Conseil Santé », et cela parce qu'il y avait derrière des milliers et des milliers d'emplois, des millions de francs, de dollars et de livres sterling qui étaient en jeu. En général, lorsque le problème de santé publique prend de l'ampleur, il est trop tard.

J'aimerais que l'on tire la leçon de ces drames pour essayer de mettre en place des « sentinelles », c'est ainsi qu'on les nomme en épidémiologie. Une fois qu'elles fonctionnent, elles permettent de prendre rapidement des mesures drastiques. La crise actuelle gérée par le gouvernement se rapproche d'une gestion drastique, ce qui est préférable à une gestion de tolérance, car la situation peut devenir très dangereuse. Cela dépasse de très loin la question de la communication avec les ambassades. Ce n'est, au reste, plus le problème. Le sujet est traité d'Etat à Etat. A ce titre, M. le Rapporteur a raison de dire que les ministres de la Santé doivent se rencontrer plus souvent. Pourquoi les ministres de l'Agriculture se voient-ils souvent ? Parce que les enjeux économiques sont tels qu'ils y sont contraints ! Les ministres de la Santé n'étant jamais en avant - ou trop tard - ils se rencontrent beaucoup moins souvent et c'est dommage. L'Europe ne se construira sans drame que si les ministres de la Santé se rencontrent souvent.

M. le Président : Je voudrais revenir sur la question de la communication, notamment celle des avis de l'AFSSA, qui répond à une aspiration de l'opinion à la transparence. L'opinion veut savoir. Dans le même temps, cela suscite quelques interrogations. Des communications ont eu des effets extrêmement lourds sur l'économie. Je pense notamment aux avis recommandant d'élargir la liste des abats d'ovins à retirer de la consommation. Quelles leçons en tirez-vous ? Comment doit s'opérer une communication scientifique ? Comment faire coïncider l'exigence d'une plus grande transparence avec le souci de ne pas affoler inutilement les personnes ?

Par ailleurs, comment envisageriez-vous le fonctionnement d'une agence européenne en lien avec les agences nationales, notamment dans l'hypothèse de désaccord scientifique ? Parfois, des avis divergeants opposent la France et les institutions communautaires, y compris sur l'analyse du risque. Quel fonctionnement imagineriez-vous, bien sûr dans le respect des communautés scientifiques et en essayant d'harmoniser des mesures qui, on l'a vu, ne l'ont pas été en Europe, ce qui a d'ailleurs conduit à des situations d'incompréhension majeures quand la France s'imposait des mesures de précaution que d'autres pays n'appliquaient pas chez eux, les marchandises continuant de circuler librement alors qu'elles ne répondaient pas aux impératifs que nous nous étions fixés dans notre propre pays ?

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Le problème de la communication en matière de santé publique reste le grand sujet. Deux réflexions. Tout d'abord un constat : nous vivons dans la société de l'immédiateté de l'information ; à ce titre, nous sommes dans une société de communications rapides, notamment télévisées, malheureusement trop souvent fondées sur l'émotion et sur ce que j'appelle le oui ou le non, le blanc ou le noir. Or, en médecine, en santé publique, l'opinion considère qu'il ne doit pas y avoir place pour le risque.

Si on demande à un ministre en charge d'un sujet aussi important s'il peut assurer que la mesure qu'il prend évitera tout problème et que le ministre répond négativement, il se passe quelque chose : le doute déjà s'installe. Et si le doute est entré, cela signifie que quiconque peut écrire le lendemain un article titrant : « Malgré ce qui a été fait, il n'est pas impossible que... » Pour un non-scientifique, pour une personne qui ignore le sujet, qui a tout simplement une famille et des enfants, s'il est écrit dans un seul article parmi cent mille qu'il existe un danger, il conclut qu'il y a un danger. C'est là qu'intervient le principe de précaution, qui est plutôt un facteur positif, mais qui peut devenir, au bout d'un certain moment, le syndrome de précaution, qui touche tout et finit par engendrer des excès qui peuvent se révéler excessivement dangereux.

Votre question pose un problème de société majeur. Je ne détiens pas la réponse. On sait que l'absence de journalistes et d'information est l'un des critères de la dictature. C'est un drame. Merci à tous ceux qui font la presse ! En même temps, vous ne pouvez empêcher à des personnes responsables de dire la vérité, d'écrire que, même avec telle ou telle précaution, subsiste tel ou tel risque. Il s'agit là de la déontologie et de l'éthique de responsabilité. On touche à l'éthique, non de conviction, mais de responsabilité. Il faudra que nous nous penchions un jour tous ensemble sur ces sujets : les politiques, la presse et les citoyens. C'est un sujet majeur. J'ajoute que ce sont des sujets qui font énormément d'audience à la télévision et qui font vendre beaucoup de journaux. Preuve que ce sont là des sujets très sensibles.

Oui aux agences. Il est préférable de demander un avis à une agence qu'à une communauté non organisée. En même temps, la responsabilité des hommes et des femmes politiques ne doit pas être minimisée. Si au ministère de la Santé, vous créez une agence sur ceci, une agence sur cela, une agence sur les organes - je l'ai créée ! - une agence sur le sang - je l'ai mise en place - une agence sur le médicament - Bernard Kouchner et moi-même l'avons instaurée en 1992-1993 - au bout d'un temps, le ministre est déchargé de ses responsabilités. Oui donc aux agences, mais oui aussi aux relations qui peuvent présider entre le ministre et le président de l'agence. La multiplication d'agences dotées de pouvoirs décisionnels - et non simplement consultatifs - constituerait une mauvaise pente pour la démocratie.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Jean PUECH,
ancien ministre de l'Agriculture et de la Pêche
(mars 1993 - mai 1995)

(extrait du procès-verbal de la séance du 2 mai 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Jean PUECH est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Puech prête serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez été ministre de l'Agriculture du 30 mars 1993 au 11 mai 1995. A cette époque, l'encéphalopathie spongiforme bovine était déjà bien connue en Grande-Bretagne, puisqu'en juillet 1993, les Britanniques annonçaient leur 100 000ème cas d'ESB. Le 1er janvier 1993, c'est la mise en place du marché unique. Tout circulait abondamment : farines, bovins, carcasses et plats préparés. A l'époque, on croyait que l'ESB n'était pas transmissible à l'homme, mais l'on s'interrogeait de plus en plus. Ainsi, en 1993, deux éleveurs anglais sont décédés de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Ils avaient eu, l'un et l'autre, des cas d'ESB dans leur troupeau de vaches laitières.

Il ne s'agit pas de relire le passé à la lumière de ce que nous savons aujourd'hui, mais nous souhaiterions savoir quel était à l'époque l'état de votre information sur l'ESB. Quelles mesures avez-vous été amené à prendre ? Comment avez-vous apprécié ce problème ?

M. Jean PUECH : J'étais en charge du ministère de l'Agriculture entre le mois d'avril 1993 et celui de mai 1995, c'est-à-dire dans une phase que je qualifierais de phase intermédiaire entre deux dates importantes.

La première est 1989, date à laquelle l'ESB est reconnue comme une maladie animale frappant très sévèrement le cheptel du Royaume-Uni. A cette date, on prend vraiment conscience que cette maladie animale est liée au fait que le Royaume-Uni n'a pas suffisamment traité ces farines, en négligeant notamment de détruire l'agent pathogène présumé, baptisé prion. Il y avait des insuffisances au niveau de leur préparation dans la température utilisée. C'est donc en 1989 que se révèle toute l'ampleur de cette maladie animale.

La seconde date est celle de 1996, lorsque l'ESB est déclarée transmissible à l'homme. Durant toute la période de 1989 à 1996, les scientifiques se sont interrogés sur la nature de cet agent de transmission, le prion, et sur la possibilité du franchissement de la barrière des espèces. C'est en 1996, vous le savez, à la suite d'une déclaration du gouvernement britannique, que fut rendu public devant la Chambre des Communes un rapport établissant la possible transmission de l'ESB à l'homme sous la forme d'une nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Au cours de cette période, j'ai eu la responsabilité du ministère de l'Agriculture. L'action que j'ai pu conduire fut inspirée par trois idées principales.

La première, vous l'avez rappelée : au 1er janvier 1993, nous sommes entrés dans le marché unique. Si le marché commun permettait encore le contrôle des échanges aux frontières intérieures de l'Union, notamment des contrôles sanitaires, en revanche, dès le 1er janvier 1993, la circulation des marchandises est devenue libre. Il s'agissait donc de prendre des mesures qualifiées « d'harmonisation des réglementations ». La France a été, pendant cette période, un élément moteur pour pratiquer le plus rapidement possible la mise en _uvre de ces politiques harmonisées.

Deuxième idée force, il s'agissait de consolider progressivement l'action publique en France, en prenant en compte régulièrement l'évolution des connaissances scientifiques.

Troisième idée : on ne parlait pas beaucoup en fait de cette maladie dans les médias ni de sa possible transmissibilité. J'ai demandé personnellement que la transparence de l'information soit réelle vis-à-vis de nos concitoyens.

J'ai donc eu à réagir sur ce dossier, notamment à compter du deuxième cas intervenu en France pour l'année 1993, me semble-t-il. Je vous rappelle qu'au total, nous avons connu trois cas en 1993. Ces cas avaient été mis en évidence par notre réseau d'épidémiosurveillance qui était efficace et qui avait été mis en place dès 1989. Au total, dans les cinq années antérieures, nous avions recensé six cas d'ESB sur 11 millions de bovins.

A cette époque, les experts s'interrogeaient sur l'interprétation que l'on pouvait donner d'un taux aussi faible. Les uns parlaient d'une présence endémique. On sait que, chez les ovins, il existe la tremblante du mouton, mais cela ne porte pas à conséquence. D'autres disaient que c'était une sorte d'écho de l'épidémie britannique qui arrivait sur notre territoire. En tout cas, il y avait une approche qui minimisait certainement la situation, si l'on prend en compte les développements qu'elle a connus depuis.

J'étais très sensible à ces premiers dossiers que je découvrais, d'autant plus sensible que c'était la période du procès sur le sang contaminé. La question était certes totalement différente, mais il me semblait que la question du sida avait été, à l'origine, quelque peu négligée. J'ai donc demandé à ce que l'on soit vraiment en alerte et très attentif sur l'évolution de l'ESB. Une question venait immédiatement à l'esprit, même si aucune réponse n'était apportée : cette maladie était-elle transmissible à l'homme ? Les experts ne reconnaissaient que la transmissibilité au niveau des animaux. La réponse des scientifiques, dans l'état de leurs connaissances, était à l'époque négative. Une certaine vigilance s'imposait cependant, parce que la barrière des espèces animales avait pu être franchie dans certains cas en laboratoire. Des chats, ainsi que des guépards, me semble-t-il, avaient également présenté des symptômes de type ESB. On voyait bien que la transmission entre espèces animales était peut-être possible mais, à cette époque, rien ne justifiait d'interdire les farines animales pour les porcs et les volailles. Cette décision ne fut d'ailleurs prise que très récemment, en 2000, dans un contexte politique que nous connaissons bien après que l'embargo sur l'ensemble des viandes britanniques ait été décidé.

Les décisions et les positions que j'ai été amené à prendre alors ont donc été nécessairement des décisions graduées en fonction de la connaissance que nous avions à cette époque de ce dossier. C'est éclairé par les informations que nous recevions - des informations qui étaient d'ailleurs aussitôt discutées et contestées - que j'ai pris des décisions.

J'avais conscience que le risque principal, et je reviens sur les trois idées force qui ont conduit mon action, pouvait provenir d'une absence d'harmonisation entre les différents Etats de l'Union européenne. Il est évident qu'entre le Royaume-Uni, l'Irlande, la Belgique, les Pays-Bas et l'Allemagne, les échanges étaient nombreux et que l'on ne pouvait imaginer de politique cohérente si les précautions n'étaient pas prises au niveau européen.

J'ai, à plusieurs reprises, soit en séance publique du Conseil, soit en séance restreinte, posé ces problèmes. Les services vétérinaires français ont pris une part très active pour la mise en place de règles harmonisées sur ces points importants au regard des connaissances de l'époque car les autres pays européens n'étaient pas aussi moteurs que la France. C'est ainsi qu'ont été prises des décisions du 27 juillet et du 14 décembre 1994 portant sur les restrictions renforcées sur les exportations de viandes britanniques vers les autres Etats membres de l'Union européenne, exportations limitées aux viandes provenant de bovins nés après 1992. Les viandes devaient désormais être désossées et, à défaut, devaient provenir exclusivement de cheptels indemnes d'ESB depuis six ans. Ces mesures furent prises au niveau européen en juillet et décembre 1994.

Deuxième type de mesures : l'harmonisation du mode de traitement des farines de viandes et d'os (FVO) en vue de garantir la destruction de l'agent de l'ESB. Ce sont des mesures très techniques portant sur la pression, la température, etc.

Troisièmement, l'extension aux ovins, caprins et autres ruminants de l'interdiction d'utilisation des farines animales fut une décision prise le 27 juin 1994. Ce furent des décisions importantes au regard de ce que nous savions. Peut-être aurait-il fallu aller plus loin, mais cela montre que l'Union européenne s'est préoccupée de cette harmonisation et que la France a beaucoup alerté ses collègues européens. Je vous indique tout de même que si ces avancés sont indéniables, elles furent assez longues à obtenir parce que les décisions communautaires ont toujours été lentes. Pour faire bouger les choses, il faut vraiment être tenace, d'autant que vous êtes très vite plongé dans des considérations techniques, qui dépassent les politiques.

Personnellement, je fais partie de ces ministres qui, n'étant pas des techniciens, ont rarement souhaité s'engager dans des considérations techniques. Je m'en suis tenu essentiellement à des prises de position politiques. Aussi, n'étant pas tout à fait satisfait des réponses de mes partenaires européens et surtout de la commission, j'ai contacté le ministre français de la Santé, Mme Veil, ainsi que le secrétaire d'Etat, M. Douste-Blazy, en leur indiquant qu'un problème se posait à nous. Nous avons ensemble demandé que le Conseil des ministres de la Santé européen et que le commissaire chargé de la Santé prennent des initiatives avec détermination. Ainsi, nous avons adressé un appel et une lettre cosignée par Mme Veil et moi-même, au commissaire de l'Agriculture européen ainsi qu'au commissaire de la Santé. Voilà pour le côté européen.

Côté français, pour ce qui est des cas déclarés d'ESB, j'en ai connu trois en 1993 et deux en1994, qui s'ajoutaient aux cinq connus et publiés avant 1993. Nous étions face à des cas assez sporadiques d'une maladie animale, qui n'était pas à cette époque dite contagieuse pour l'homme. Pourtant, mon attention a été attirée sur un point du protocole qui était mis en _uvre lorsque l'on décelait une bête atteinte d'ESB : on détruisait la bête, après lui avoir prélevé la tête de façon à poursuivre les analyses, et l'on abattait le reste du troupeau sur lequel étaient faites également des analyses. Si ces dernières n'étaient pas positives, on remettait la viande à la consommation.

J'ai immédiatement réagi, considérant que, si la bête atteinte d'ESB appartenait à un troupeau qui avait été nourri comme elle, il était impossible de mettre en circulation commerciale le reste du troupeau. C'est ainsi qu'à partir du milieu de l'année 1993 fut décidée la destruction des animaux du troupeau dans son intégralité.

J'ai également demandé à ce que tout cela se fasse dans la plus grande transparence. J'ai ici un communiqué du mois de mai 1994 dans lequel j'annonçais les trois cas d'ESB mis en évidence : « Ces trois cas concernent des vaches âgées de race Holstein. Cela porte à neuf le nombre de cas diagnostiqués en France depuis 1990, date de mise en place du réseau d'épidémiosurveillance. Avant même que le résultat des analyses ne confirme le diagnostic, des animaux suspects ont été abattus et congelés pour examen complémentaire. Le reste du cheptel a été, dans un premier temps, mis sous séquestre. Dès confirmation de la maladie, le ministère de l'Agriculture et de la Pêche a décidé de faire abattre la totalité du cheptel de ces exploitations et d'en faire détruire la viande. »

Lorsque ces communiqués sortaient du ministère, j'étais très attentif au relais que la presse pourrait assurer. Eh bien, sur ce communiqué, il n'y a eu aucun relais de la presse ! Sans doute le simple fait d'ouvrir le dossier et de le traiter dans la transparence faisait que cela n'intéressait plus la presse. Ce n'est pas une critique, mais cela arrive souvent. Bref, la presse et les médias n'en ont pratiquement pas parlé.

M. le Président : Quelle est la date exacte de ce communiqué ?

M. Jean PUECH : Ce communiqué - mais il doit y en avoir d'autres, je ne les ai pas tous conservés - est en date du 26 mai 1994. L'utilisation des farines de viandes et d'os dans les aliments pour animaux, était interdite depuis 1990 uniquement pour l'alimentation des bovins, mais elle était autorisée pour toutes les autres espèces - porcs, volailles, monogastriques et autres espèces de ruminants. J'ai donc signé un arrêté étendant à tous les ruminants domestiques, ovins et caprins, ainsi qu'aux ruminants sauvages, notamment les cervidés, l'interdiction d'incorporation de farines animales dans leur alimentation. Cet arrêté a été pris le 20 décembre 1994 et publié au journal officiel le 5 janvier 1995.

Concernant l'importation des farines animales en provenance du Royaume-Uni, la commission s'est penchée sur cette question, je le sais. Nous vivions à cette époque sous le régime de l'avis aux importateurs. Le 13 août 1989, a été prise une décision prévoyant une interdiction d'importation des farines animales en vue de leur utilisation dans l'alimentation des ruminants, avec possibilité d'obtenir des dérogations, au cas par cas, lorsque ces farines étaient destinées à des entreprises de fabrication d'aliments de porcs et de volailles.

Comment suivre ce dossier ? Les services avaient estimé que la mise en _uvre devrait être déconcentrée et décentralisée, parce qu'il fallait connaître les opérateurs, l'entreprise, les outils industriels dans toutes leurs dimensions, la nature de la production et de ces différentes farines. Je vois mal comment il aurait pu en être autrement. Les autorisations étaient donc directement données par les services vétérinaires départementaux. Je pense, et je suis même certain, que ces services n'ont délivré d'autorisation qu'à bon escient.

Là encore, l'expérience a montré qu'il est possible que tout n'ait pas été fait de façon parfaite chez les opérateurs. Il fallait, par exemple, après transport de tel type de farine qui devait être suivi du transport de tel autre type de farine, nettoyer le camion-benne de façon impeccable. Qui pouvait vérifier cela ? Il existait certes des contrôles au niveau local, mais les contrôleurs étaient-ils suffisamment nombreux et équipés ? Avaient-ils une conscience suffisante de l'importance du dossier ? Je ne suis pas à même de répondre. Il est évident qu'ont existé des possibilités de contact de types de farines chez les opérateurs, chez les transporteurs et chez les éleveurs. C'est la raison pour laquelle les mesures que je viens de vous rappeler étaient prises en tenant compte au mieux des connaissances sur ce douloureux problème, mais tel qu'il se posait à nous à ce moment-là.

Tel est l'essentiel de ce que je pouvais vous en dire. J'ai essayé de faire un résume d'une période qui est certes présente - et, malheureusement, actualisée en permanence par les cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob qui se sont déclarés et le récent décès de la troisième personne atteinte - mais sur laquelle quelques années sont déjà passées.

M. le Rapporteur : Lors des différentes auditions, nous avons effectivement souvent entendu comme réponse à nos interrogations que, durant un temps, l'ESB a été considérée essentiellement comme une maladie animale et limitée à l'Angleterre. Mais comment pouvait-on imaginer qu'une maladie qui connaissait une telle ampleur en Grande-Bretagne ne risquait pas de se développer plus fortement sur notre territoire ? Nous avons aussi posé la question à votre collègue Douste-Blazy.

Cela me conduit à vous poser la question de l'information venant de pays comme la Grande-Bretagne par l'intermédiaire de nos ambassades. Certains nous disent que des notes précises auraient été adressées par les attachés agricoles, d'autres, que les informations n'ont pu franchir la Manche. Quelles étaient, en fait, les informations dont vous disposiez en provenance de Grande-Bretagne ? Etiez-vous alerté régulièrement par la personne chargée du secteur de l'agriculture à l'ambassade ? Nous avons du mal à comprendre. Il ne s'agit pas pour nous de mettre en cause un ministre ou un autre, mais simplement de comprendre la façon dont circulait l'information car il y avait là une véritable épidémie d'ESB qui dépassait les cent mille cas lorsque vous exerciez vos fonctions. De même, nous voyons qu'à cette époque les importations de farines sont interdites en Angleterre et autorisées sur notre territoire. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean PUECH : Comme je le disais, l'information avait certainement du mal à franchir le Channel. Concernant ceux qui étaient sous mon autorité, peut-être m'a-t-on caché un certain nombre de choses, mais je ne crois pas que cela ait été le cas sur l'essentiel, parce qu'un ministre doit être informé sur l'essentiel.

On m'a informé de la question lors de la survenance du deuxième cas de vache folle sous mon ministère. J'ai fait très rapidement le point sur les mesures déjà prises. J'ai estimé, compte tenu du fait que nous étions dans la période du sang contaminé, que l'on ne pouvait négliger l'information, mais je n'en ai pas eu plus que ce que je vous ai livré. Aujourd'hui, il peut paraître surprenant que, face aux centaines de milliers de cas au Royaume-Uni, nous n'ayons pas été plus réactifs. Les autres pays l'ont été encore moins. C'est en effet surprenant dans une Europe qui, normalement, doit traiter les questions importantes en commun.

En fait, nous n'avons pas donné plus d'importance à l'information en raison du fait que tous les scientifiques disaient que cela se limitait à l'espèce animale. Pendant un temps, on a même dit qu'il n'y avait pas de passage d'une espèce animale à une autre espèce animale. La véritable dimension du problème n'a pas été bien appréciée, c'est évident. Pour ce qui est de l'information, il est vrai qu'il y a les ambassades, mais il est vrai aussi que nous tous, élus et hommes politiques, sommes parfois poussés par ce que nous lisons dans la presse. Or la presse ne relayait pas ce type d'informations. A cette époque, elle n'a pas titré régulièrement sur le sujet. Cela a contribué à en faire une affaire à laquelle nous n'avons pas attribué l'importance que nous aurions dû. Les relais n'ont pas été pris.

Pour reprendre mon modeste exemple, je vous ai indiqué qu'il y avait eu trois nouveaux cas d'ESB en France en 1993, à la suite desquels de nouvelles dispositions avaient été prises, notamment celle de la destruction du troupeau. Mais la presse n'avait pas relayé le communiqué du ministère. On annoncerait aujourd'hui trois nouveaux cas d'ESB, alors que tout le monde sait que l'ESB existe partout sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne, je suis certain que cela ferait les gros titres, que les médias s'en empareraient. A l'époque, nous avons enregistré au niveau de la communication et de l'information un net désintérêt.

M François DOSE : Jusqu'en 1996, c'est votre ministère et les responsables agricoles qui sont essentiellement concernés par ce dossier. Cela me conduit à vous poser trois questions. Premièrement, avez-vous un souvenir précis de demandes émanant de chercheurs ou peut-être, lors du débat budgétaire, de demandes de parlementaires qui souhaitaient que la recherche dans ce domaine soit plus fortement soutenue ? Lorsque nous avons auditionné des chercheurs, nous avons parfois entendu des avis divergents, certains disant même que la classe politique n'avait pas été très réactive.

Deuxièmement, le ministère de l'Agriculture est traditionnellement cogéré. Cela fait l'objet d'ailleurs d'appréciations. Rarement, un ministère implique autant les acteurs de l'agriculture. Comment ceux-ci réagissaient-ils ? Nous avons rencontré les responsables de groupements sanitaires, qui nous ont dit qu'ils avaient envoyé une délégation en Angleterre dès 1989 et adressé une note au ministère de l'Agriculture. Quel était l'état de la connivence ? Attendaient-ils de vous que vous régliez les problèmes économiques ou vous bousculaient-ils, ayant le sentiment que nous étions en retard sur la santé ?

Ma troisième question m'intéresse, au fond, en tant que nouveau parlementaire. Comment réagissaient les parlementaires d'alors ? Aujourd'hui, on voit bien la distance existant entre les représentants de la Nation et ceux qui représentent l'Etat. On constate toujours un peu plus de turbulences chez les représentants de la Nation. A cette époque et sur ce thème, y avait-il une distance entre les deux ?

M. Jean PUECH : J'ai quitté le ministère de l'Agriculture pour le ministère de la Fonction publique au mois de mai 1995. La discussion budgétaire, vous le savez, est toujours assez âpre. Mais, concernant les crédits de la recherche, je n'ai pas le souvenir d'une réaction négative de la part des chercheurs. Je n'ai pas les chiffres en tête mais, lors des débats budgétaires, et dans les discussions avec Bercy, je pense que l'enseignement, la formation et la recherche ont enregistré ces années-là une progression. Je n'ai pas fait l'objet de démarches précises de la part de chercheurs qui m'auraient alerté en me disant que c'était là un dossier important, nécessitant une mobilisation de crédits particulière, exigeant un effort en conséquence.

De même, je n'ai pas le souvenir de rencontres avec les représentants des groupements sanitaires m'ayant averti qu'il y avait un problème. Il ne s'agit pas de dire lequel a été le plus réactif, mais je pense qu'ils ont plutôt enregistré les décisions prises. Quand les décisions ont été prises, ce n'est pas sur leur suggestion et je n'ai pas entendu de représentants de la profession dire qu'elles n'étaient pas suffisantes.

Comment les parlementaires réagissaient-ils ? Il serait intéressant de rechercher les questions d'actualité qui furent posées alors. Quand les ministres se retrouvent dans l'arène lors des questions d'actualité, ce sont de grands moments pour eux. On s'en souvient. A cette époque, nous étions en pleine réouverture du dossier du GATT, concernant le préaccord de Blair House. Je me rappelle avoir eu de nombreuses questions sur ces négociations internationales. Concernant l'ESB, je ne peux vous répondre comme ça, mais je ne pense pas qu'il y en ait eu beaucoup. Peut-être aucune, car, comme je vous le disais, ce n'était pas inscrit au fronton des actions que nous avions à mener à ce moment-là.

M. Joseph PARRENIN : Avec le recul, pensez-vous que nous ayons pris toutes les précautions, en France et en Europe, par rapport à un problème comme celui-là ?

M. Jean PUECH : Avec le recul, aujourd'hui, on se dit qu'il aurait fallu faire plus. C'est tellement évident ! Mais, à ce moment-là, les connaissances qui étaient à notre disposition étaient celles exprimées par les scientifiques. Vous vous adressez à un homme politique qui doit savoir écouter les personnes compétentes en la matière. Or les scientifiques n'étaient pas alors suffisamment affirmatifs pour que l'on puisse prendre des décisions.

Les décisions dites de précaution, je les ai prises lorsque j'ai constaté que l'on remettait à la vente la viande des troupeaux abattus au sein desquels un cas était décelé. Le principe de précaution, qui ne s'appelait pas ainsi, nous l'avions mis en _uvre avant l'heure. Pourtant, les scientifiques disaient que l'on pouvait continuer à consommer cette viande. Peut-être peut-on le faire d'ailleurs, je n'ai pas aujourd'hui accès au développement des connaissances en la matière. Mais je crois vraiment que la France a pris le maximum de décisions que nous pouvions prendre.

Je me souviens avoir bousculé mes partenaires européens pour qu'ils veuillent bien accepter l'harmonisation des décisions prises. Un jour que je n'étais vraiment pas satisfait en rentrant d'une réunion, j'ai alerté le ministre de la Santé, alors que nous n'avions pas encore d'information sur la transmissibilité à l'homme, mais quelques doutes. C'est ainsi qu'avec Mme Veil, nous avons entrepris une démarche conjointe. Nous avons fait ce que nous pouvions. L'Europe n'a pas suffisamment réagi mais, là encore, il faut essayer de se resituer à cette période.

M. Joseph PARRENIN : Concernant les décisions, mon analyse rejoint la vôtre, mais j'aimerais également avoir votre point de vue sur l'application des décisions. Avons-nous les outils permettant de faire appliquer les décisions ? J'étais agriculteur jusqu'en 1997. J'ai deux voisins qui viennent d'avoir un cas d'ESB dans leur troupeau : pour l'un, c'était il y a six semaines, pour l'autre, le troupeau part à la fin de la semaine. Ces agriculteurs se posent la question de savoir quelle a été la source de contamination. Alors que les farines animales étaient interdites, l'administration avait-elle les moyens d'exercer un contrôle correct de l'application des décisions prises par les pouvoirs publics ?

M. Jean PUECH : La surveillance relève de services issus de plusieurs ministères : les douanes, la DGCCRF, la direction des services vétérinaires. Nous avons des services compétents. Ont-ils bien coordonné leur action ? J'ose l'espérer. Avaient-ils vraiment conscience de la gravité ? Ils l'avaient au regard des informations telles qu'elles étaient traitées à ce moment-là. On se rend compte aussi que la fraude existe toujours, dans toutes les républiques et dans tous les pays. Aujourd'hui encore certains se permettent de passer outre. Le dispositif était mis en place. Quel a été le degré de son efficacité ? Je pense qu'elle n'a pas été parfaite à cent pour cent. Mais je ne peux vous en dire plus.

On a bien dû relever à cette époque des cas d'éleveurs ou de transformateurs de produits qui n'avaient pas respecté la réglementation. Peut-être n'ont-ils pas été poursuivis ? Je n'en sais rien, mais je n'en ai pas le souvenir. Compte tenu de la situation que nous connaissons aujourd'hui, je peux dire, a posteriori, que nous aurions sans doute dû avoir des cas qui, au niveau médiatique, auraient dû être montrés comme le mauvais exemple que l'on sanctionne. Y a-t-il eu des poursuites judiciaires ou autres pour des personnes ayant transgressé alors la réglementation ? Je ne le sais. En tout cas, je ne l'ai vu dans la presse ni à ce moment-là ni par la suite.

M. le Rapporteur : Je reviens sur une question de M. Dosé à laquelle, me semble-t-il, vous n'avez pas répondu et que je vais vous poser de manière très directe. A l'époque où vous exerciez, et même avant, on ne prend pas en compte suffisamment, dirait-on aujourd'hui, la maladie humaine, notamment au niveau européen. Avez-vous le sentiment que le souci de protection du marché l'ait emporté, que l'on n'a pas voulu affoler le marché, chose que l'on peut d'ailleurs comprendre en raison de l'importance économique du marché de la viande ? L'ensemble des organisations et des décideurs n'ont-ils pas pensé que l'on risquait d'être confronté à une crise importante et que, la maladie n'étant pas transmissible, il ne fallait pas en faire trop ?

M. Jean PUECH : Tant qu'il a été dit que cette maladie n'était pas transmissible à l'homme, elle a été traitée comme l'était toute maladie animale. A partir du moment où le ministre a appris qu'elle était transmissible à l'homme, la décision politique a été prise. Ce n'était pas moi. Tout le monde a présent à l'esprit la décision du ministre Vasseur. Dès qu'il a eu connaissance de la transmission de la maladie à l'être humain, il a immédiatement pris la décision politique qui s'imposait. Jusqu'à cette date, on pouvait le redouter, le craindre mais personne ne l'avait dit officiellement. Mais combien d'élus ai-je entendu dire que nous connaissions la tremblante du mouton depuis des siècles ! J'avais beau dire qu'il ne fallait pas tout confondre, le parallèle entre ces deux maladies a pourtant été fait pendant longtemps, y compris par des élus - peut-être même les élus en faisaient-ils un peu plus que les autres !

Dès que cela s'est su, la décision a été prise très rapidement, même très brutalement. Le ministre français de l'époque a pris la décision presque unilatéralement, sans avoir de discussion préalable avec ses partenaires. Il a interdit tous les échanges, ce qui était très courageux. Il a réagi en temps et en heure, très vite, sans prendre en compte un seul instant les réactions qu'il pourrait avoir, et qu'il a d'ailleurs eues, de la part des autres pays. A mon avis, nous avons pris les décisions qu'il fallait au regard des informations dont nous disposions.

M. le Rapporteur : Un autre fait n'est guère compréhensible : en Angleterre, les cas d'ESB se multiplient et, en 1989, les abats bovins à risque font l'objet d'une mesure d'interdiction. En France, des cas d'ESB se déclarent et, pendant plusieurs années, il n'y a pas de retrait des matériaux à risque. C'est assez étonnant.

M. Jean PUECH : Les décisions ont été prises progressivement. Mais de quelles dates parlez-vous exactement ?

M. le Rapporteur : Pour la Grande-Bretagne, c'est en 1989 qu'a lieu le retrait des MRS, qui continuent d'ailleurs à entrer en France. Le franchissement de la barrière des espèces est communément admis en 1990 et les ministres, il est vrai, ont pris alors des décisions courageuses, mais pas la décision de retrait des MRS, qui n'interviendra en France qu'en 1996. En Europe, n'en parlons pas, elle est prise bien plus tard. Qu'en dites-vous ?

M. Jean PUECH : Je n'ai pas une connaissance scientifique du dossier qui me permette de vous répondre.

M. le Président : Quant à la façon dont les informations vous sont parvenues, la question reste pour nous entière. Comment se fait-il que, dans un espace européen devenu en 1993 un marché unique, l'on n'était pas mieux informé de ce qui se passait, notamment en Angleterre ? Je pense, par exemple, aux farines animales qui étaient interdites à tous les ruminants en Angleterre, mais qui étaient exportées en France. Il est d'ailleurs très difficile de cerner les volumes exacts des importations. Je pense aussi aux matériaux à risque spécifiés également interdits et retirés en Angleterre, mais exportés en France !

Cela reste pour nous un sujet de préoccupation et d'interrogation, même s'il ne s'agit pas de relire le passé à la lumière des connaissances actuelles : comment un problème peut-il prendre une telle ampleur dans un pays, avec lequel les échanges sont développés, sans qu'une information suffisante soit donnée ? Quelle leçon en tirez-vous ?

Par ailleurs, vous dites que des mesures qui ont été prises. Mais une mesure n'est bonne que lorsqu'elle est praticable, appliquée et contrôlée. Or, indépendamment des cas de fraude dont nous voyons les contours se dessiner, comment pouviez-vous vous assurer que la mesure que vous aviez prise serait applicable et contrôlée, dans la mesure où la farine circulait ? Nous souhaiterions avoir votre analyse, ne serait-ce que pour éviter que cette situation ne se reproduise. Nous nous sommes appliqué des règles et des mesures sanitaires, alors que d'autres pays ne se les sont pas imposées et que les marchandises continuaient à circuler au nom du marché unique. S'agissant de santé humaine, cela pose problème. Les matériaux à risque spécifiés, par exemple, n'ont été retirés dans tous les pays d'Europe qu'il y a quelques mois, soit douze ans après que le problème soit apparu et ait été clairement identifié dans un pays.

Vous qui aviez en charge un ministère, quelle lecture faites-vous de cela ? Quelles leçons en tirez-vous pour l'avenir ? Il est essentiel d'avoir des règles harmonisées en matière de sécurité sanitaire. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. On a laissé circuler des marchandises qui n'étaient pas soumises aux mêmes règles de sécurité et de précaution que celles que nous nous sommes imposées. J'aimerais connaître votre sentiment à ce sujet. Vous avez également abordé le très important sujet des différents intervenants de contrôle. Quelle lecture en faites-vous ? Quelles leçons en tirez-vous ?

M. Jean PUECH : Effectivement, cette démarche n'est positive que si l'on arrive à tirer des enseignements que l'on pourra mettre ensuite en _uvre. J'ai, pour ma part, l'impression que nous prenons des mesures au niveau européen qui ne peuvent pas être parfaitement appliquées, bien souvent, parce que nous n'en avons pas les moyens. Sur cet exemple, sans doute pouvons-nous tirer toute une série d'enseignements. Je vous en livrerai d'autres que j'ai vécus.

Au niveau européen, les pays n'ont pas une conscience suffisante pour traiter tous ces problèmes dans un esprit européen. Ils ne pensent pas assez que notre sort, notre économie et notre santé sont à ce point liés au niveau européen. Comment se fait-il que l'Allemagne ait pu dire, il y a quelques mois encore, qu'elle n'avait pas d'ESB chez elle ? En Espagne, au Portugal, qui sont des pays proches de ma région et dans lesquels je me rends souvent, il m'est arrivé de poser la question à des responsables, qui me répondaient qu'ils ne connaissaient pas d'ESB ! Pourtant, il me semblait évident qu'il y en avait. Et nous sommes pourtant dans une même Europe et nous avons des services, au niveau européen, chargés de mettre en _uvre des politiques et des décisions ! Je crois, effectivement, que l'on prend des décisions et qu'ensuite, on n'a pas les moyens des politiques que l'on décide.

Pour vous donner un exemple, j'ai connu une crise difficile durant l'exercice de mes fonctions ministérielles. Les cours avaient fortement chuté dans le domaine de la pêche, phénomène lié à un effondrement du prix des crevettes. Lorsque je demandais comment il se faisait que nous soyons inondés de crevettes, on me répondait que des bateaux de pêche russes venaient vendre chez nous ce qu'ils pêchaient au large de nos côtes. J'ai fini par mettre en piste tous les douaniers en leur demandant de me trouver réellement l'origine de cet effondrement des cours. Ce n'était pas très compliqué : toutes les crevettes arrivaient par cargo à Roissy, et non par mer. Nous ne pouvions pas les arrêter car, à l'époque, Roissy n'était pas équipé de frigos permettant de stocker toutes ces crevettes pendant la durée des analyses. Nos services disaient que si un cargo entier sain était arrêté et que nous empêchions la commercialisation de ses marchandises, il nous faudrait ensuite indemniser le producteur ou l'importateur, et que nous n'y arriverions pas. J'ai donc fait installer des frigos à Roissy pour pouvoir contrôler les crevettes et nous les avons contrôlées, notamment celles qui arrivaient de Thaïlande. Elles étaient impeccables, parfaites. Mais, avant leur expédition dans les caisses, elles étaient arrosées d'eau légèrement javellisée et vous aviez de belles petites crevettes blanches sans aucune souche microbienne. C'était très propre !

Voilà bien les grands échanges, l'organisation du commerce et des échanges à l'intérieur et à l'extérieur de l'Europe : on prend des décisions mais, ensuite, il faut savoir si l'on a les moyens de faire appliquer les politiques qui sont décidées. Pour en savoir plus, je puis vous assurer qu'il faut mettre beaucoup de monde en piste et, par la pression, parvenir à connaître l'exacte situation pour pouvoir ensuite prendre des mesures en conséquence.

Mais rappelons-nous aussi que, dans le dernier dossier de l'ESB, l'Allemagne il y a encore quelques mois affirmait ne pas être touchée alors qu'elle a fait partie des pays qui ont toujours eu des échanges très importants avec le Royaume-Uni.

M. François PERROT : M. François Dosé a tout à l'heure abordé le sujet mais je souhaiterais poser une question complémentaire : la FNGDS avait transmis des documents au ministère de l'Agriculture. Avant que vous en soyez ministre, une lettre avait été adressée par le président Blandin au ministère de l'Agriculture transmettant des informations. Pourquoi ces informations n'ont-elles pas été exploitées ? J'aimerais savoir comment les informations qui arrivent au ministère sont prises en compte.

M. Jean PUECH : Sur ce sujet précis, je ne peux pas faire de commentaire. Dans un grand ministère, comptant de nombreuses directions, les informations sont traitées à différents niveaux. Je ne sais pas si la lettre de M. Blandin avait été remise au ministre ; et je me garderai bien de me livrer à des commentaires sur le sujet. Pour ma part, j'avais instauré les « mardis de l'Agriculture ». Une fois par mois, le mardi, j'étais à la disposition des responsables agricoles. Toutes les grandes organisations assistaient à ces mardis de l'Agriculture. Je n'ai pas souvenir que, dans l'ordre du jour que nous préparions ensemble, ce sujet soit apparu. Cela ne signifie pas que nous ne nous en préoccupions pas du tout, mais je ne m'en souviens pas.

M. le Président : Avez-vous eu des craintes sur les conditions d'utilisation des farines interdites et celles dans lesquelles elles entraient sur le sol français ?

M. Jean PUECH : A ce moment-là, non. A posteriori, je me rends compte que les décisions prises n'ont certainement pas été mises en _uvre avec l'efficacité que l'on peut s'imaginer. Quand on est responsable politique, on prend cette décision et l'on s'attend à ce qu'elle soit exécutée. En fait, cela a mis du temps pour être mis en _uvre. A ce moment-là, je pensais que tout fonctionnait correctement. Je pense toutefois qu'avec les moyens dont nous disposions, les différents services ont fait de leur mieux.

M. le Président : Une des grandes surprises de notre commission d'enquête a été d'apprendre que les avis aux importateurs de cette importance étaient pris au niveau administratif, sans même que les ministres en aient été tenus informés. C'est, en tout cas, ce que deux d'entre eux nous ont indiqué. Cela a été une surprise d'autant plus grande que ces avis aux importateurs faisaient parfois l'objet de possibilités de dérogation. Or non seulement ceux-ci n'étaient pas signés du ministre, mais celui-ci n'en était même pas informé.

M. Jean PUECH : Comment peut-on imaginer que la mise en _uvre d'une décision de cette nature ne puisse pas être déconcentrée ? Il y a les importateurs, puis ceux qui transforment les produits à Toulouse, Strasbourg ou Brest. C'est au niveau local que le contrôle peut se faire. Mais, bien sûr, il faut que les services chargés du contrôle soient pleinement conscients de l'importance de la mesure mais, quand vous êtes à la tête d'un ministère, vous ne pouvez pas mettre en question la compétence de vos propres services.

M. le Président : Je me suis mal fait comprendre. La décision bloquant des importations de farines britanniques avait été prise au plan national, à l'échelon central mais résultait d'un avis aux importateurs résultant d'une décision purement administrative.

M. Jean PUECH : Et mise en _uvre au niveau local.

M. le Président : Nous avons été extrêmement surpris qu'une mesure de cette importance et qui était fondée sur une relation assez précise entre l'utilisation des farines et la maladie animale, ait été prise de cette manière. Il est également surprenant pour nous de constater que les informations entre pays, surtout au sein d'un marché unique, n'aient pas soulevé davantage de questions et de préoccupations puisque ces marchandises ont circulé sans que l'on soit vraiment outillé pour assurer les contrôles des décisions prises.

M. Jean PUECH : Cela ne circulait pas librement de pays à pays, puisque c'était au niveau local que les décisions étaient prises. La question est de savoir quel est le niveau le plus efficace, le plus pertinent pour mettre en _uvre une décision. J'aimerais que l'on m'explique en quoi le niveau local n'est pas plus efficace, plus pertinent que le niveau central, a fortiori le ministre. En toute hypothèse, l'importateur et les différents transformateurs, nous les trouvons quelque part sur notre territoire. Ils seraient passés par les services au niveau régional et départemental et le dossier serait remonté avec un avis donné au niveau local. Je ne pense pas qu'un ministre se permettrait aujourd'hui de prendre une décision contraire à l'avis qui lui serait donné au niveau local, compte tenu de ce qui pourrait se passer par la suite et que l'on pourrait l'interroger pour lui demander la raison pour laquelle il a modifié l'avis.

C'est un problème d'efficacité et de pertinence dans la mise en _uvre d'une décision. Personnellement, je fais confiance aux fonctionnaires, tant au niveau central que local ; autant au niveau local, dirais-je, car c'est là qu'il y a la connaissance du terrain, c'est-à-dire de la personne, de la dimension et du sérieux de l'entreprise. C'est à ce niveau que sont réunies toutes les données qui me paraissent importantes.

M. le Président : Quelles leçons tirez-vous de cette période ?

M. Jean PUECH : Bien évidemment, on livre à ceux qui ont le pouvoir de décision la meilleure connaissance des dossiers sur lesquels ils doivent décider et statuer. Je n'ai pas mené d'enquête pour savoir si, dès 1989, on avait une connaissance plus précise dans le domaine scientifique. Peut-être n'a-t-on pas tout dit à ce moment-là ; il est possible que les politiques aient eu à leur disposition des données insuffisantes qui ne traduisaient pas le véritable niveau de connaissance et qu'ils n'avaient pas eu accès à des thèses minoritaires qui se sont révélées ensuite pertinentes.

Cela signifie qu'au niveau européen, si l'on veut avancer, il faut que les politiques aient une bonne connaissance des dossiers européens dans toutes leurs dimensions et qu'apparaisse une véritable conscience européenne. Ce qui me choque le plus dans ce dossier, c'est qu'il ait fallu attendre décembre 2000 pour que des partenaires européens, qui savaient pertinemment qu'ils ne pouvaient rester à l'abri de cette maladie et persistaient à dire que tout le reste de l'Europe était touché mais pas eux, reconnaissent qu'ils étaient concernés comme les autres. L'Europe a ses faiblesses. Je constate que dans un certain nombre de domaines - celui-là, mais il y en a bien d'autres - les faiblesses sont nombreuses. Il s'agit de les surmonter.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Benoît ASSEMAT,
président du Syndicat national des vétérinaires inspecteurs
de l'administration (SNVIA),
accompagné de M. Jérôme COPPALLE,
Secrétaire général du SNVIA

(extrait du procès-verbal de la séance du 9 mai 2001)

Présidence de M. Michel Vergnier, rapporteur,
puis de M. François Sauvadet, président.

MM. Benoît Assemat et Jérôme Coppalle sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Rapporteur, MM. Benoît Assemat et Jérôme Coppalle prêtent serment.

M. le Rapporteur : Je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes président du syndicat national des vétérinaires inspecteurs de l'administration et, parallèlement, adjoint au directeur de la brigade d'enquêtes vétérinaires. Nous avons décidé d'entendre son directeur la semaine prochaine. En conséquence, c'est au titre de président du SNVIA que nous souhaitons vous entendre. Vous êtes accompagné de M. Jérôme Coppalle, secrétaire général de ce syndicat. Vous pourrez nous exposer les conditions dans lesquelles les vétérinaires inspecteurs de l'administration ont pu faire face aux nombreuses réglementations qui se sont succédées dans ce qu'il est convenu d'appeler la crise de la vache folle.

M. Benoît ASSEMAT : Tout d'abord, un mot d'introduction pour rappeler la représentativité de notre syndicat - qui représente plus de 80 % des vétérinaires inspecteurs - et le rôle essentiel joué par ce corps en matière de santé publique vétérinaire, notamment dans l'administration des services vétérinaires en France pour en assurer la direction et l'encadrement au sein des directions des services vétérinaires et au sein de la direction générale de l'alimentation.

La mission d'encadrement et d'expertise sanitaire des vétérinaires inspecteurs se réalise dans les services avec de nombreux autres agents, dont on ne parle pas suffisamment, qui sont des techniciens, des préposés sanitaires, des ingénieurs et des personnels administratifs, qui sont indispensables au bon fonctionnement de l'administration vétérinaire.

Je ferai le point de la situation en deux temps : tout d'abord, en donnant quelques éléments sur l'organisation administrative vétérinaire et celle du contrôle sanitaire vétérinaire en France, notamment en relation avec le dossier de l'ESB ; ensuite, en évoquant certains aspects du dossier de l'ESB, avant de terminer par quelques recommandations.

L'administration vétérinaire dispose d'atouts incontestables, mais souffre également de grandes faiblesses structurelles. Le principal atout de cette administration vétérinaire est, à mon sens, de disposer d'un contrôle statutaire unifié sur l'ensemble de la chaîne alimentaire de production de denrées animales, de l'animal vivant jusqu'au consommateur. Cette situation, qui est celle de la France mais qui n'est pas celle de l'Union européenne, est issue de la loi de 1965 qui a créé un service d'Etat d'hygiène alimentaire, lequel, ajouté aux services départementaux des épizooties, fut à l'origine de la constitution des directions des services vétérinaires (DSV) et de la conception d'un contrôle sanitaire qui s'étend de l'étable à la table du consommateur.

Mais il y avait une exception, dans cette organisation du contrôle sanitaire unifié, à savoir le contrôle de l'alimentation animale, lequel, jusqu'à une période très récente, n'était pas inclus dans les attributions des services vétérinaires, mais relevait de la DGCGRF. Cette situation était due au fait que le législateur n'avait pas pensé au départ qu'il faudrait remonter si loin dans la chaîne alimentaire ; le contrôle commençait là où se trouvent les animaux vivants, mais pas dans les usines d'alimentation animale.

Cette situation a été modifiée par la loi d'orientation agricole de juillet 1999, qui a prévu d'étendre le contrôle sanitaire plus en amont. Des textes ont été pris au cours de l'année 2000 et sont actuellement en cours d'application en ce qui concerne la réglementation de l'alimentation animale. Cette évolution correspond parfaitement à ce que souhaite l'Union européenne dans le livre Blanc publié en février 2000, dans lequel il est souhaité que chaque Etat membre mette en place un contrôle du champ à l'assiette, c'est-à-dire un peu plus large que celui de l'étable à la table, tel que nous le connaissions dans notre pays.

Je terminerai, sur ce point des atouts des DSV, en signalant le cas de deux pays voisins, l'Allemagne et l'Espagne, qui ne disposent pas de notre type d'organisation, parce que ce sont des autorités locales qui gèrent le contrôle sanitaire et, surtout parce que celui-ci relève de deux ministères différents, Agriculture et Santé. Lorsque les services vétérinaires sont ainsi éclatés, les choses ne se passent pas aussi bien. A titre personnel, je n'ai pas vraiment été étonné de ne voir apparaître des cas d'ESB que récemment dans ces deux pays, alors que tout le monde pensait que cette maladie y sévissait aussi.

Cet objectif de protection de la santé publique est celui des services vétérinaires dans notre pays ; mais tout aussi importante est la capacité qui est donnée à cette administration, par des moyens cumulés, d'être plus efficace lorsque nous traversons des crises sanitaires aussi importantes que celles de l'ESB ou celle de la fièvre aphteuse.

Je souhaite maintenant évoquer les faiblesses structurelles que notre syndicat dénonce depuis très longtemps et auxquelles il faudrait remédier pour améliorer le fonctionnement de notre administration. La première de ces faiblesses est le rattachement des directions des services vétérinaires aux directions départementales de l'agriculture (DDA). Ce rattachement entraîne un manque de lisibilité, de crédibilité de l'action des services vétérinaires, en tout cas, aux yeux de l'opinion publique. Il aboutit aussi à un défaut de reconnaissance, de considération des vétérinaires inspecteurs, qui jouent pourtant un rôle essentiel dans cette administration des services vétérinaires.

Nous demandons donc, avec force, que des dispositions nouvelles soient prises par le ministère de l'Agriculture, pour établir un contrôle sanitaire séparé et indépendant de l'appui économique aux filières, car c'est ainsi que l'Etat fonctionnera au mieux. Cette situation a d'ailleurs été souvent relevée par des commissions d'enquête précédentes, comme celle présidée par M. Leyzour et dont le rapporteur était M. Chevallier. La mission d'information parlementaire présidée par Mme Guilhem, et dont le professeur Mattei était le rapporteur, avait aussi mis l'accent sur cette situation.

La deuxième faiblesse structurelle importante est celle qui touche à des effectifs très insuffisants. Nous ne disons pas cela simplement parce que nous sommes une organisation syndicale et pour avoir le plaisir d'avoir plus de fonctionnaires, car cette insuffisance des effectifs ne porte pas principalement sur le corps des vétérinaires inspecteurs, mais surtout sur les autres catégories de personnels : techniciens et agents administratifs, notamment.

Cette situation n'a pas permis de mettre en _uvre, autant qu'il aurait été souhaitable, un contrôle sanitaire approfondi sur l'ensemble des maillons de la chaîne alimentaire. Je ne citerai qu'un chiffre, qui porte sur les cent directions départementales des services vétérinaires en France. Pour 1999, il a été établi par le ministère de l'Agriculture que le contrôle sanitaire des 380 000 établissements de la chaîne alimentaire, hors abattoirs de boucherie et de volaille, et non compris l'encadrement des vétérinaires inspecteurs, sont de 425 équivalents temps plein. Sur l'ensemble du territoire national ! Et pour 380 000 établissements !

Cela entraîne bien évidemment des situations très différentes et certains secteurs ne peuvent pas du tout faire l'objet d'inspections, comme pourtant l'esprit de la loi de 1965 l'avait prévu, car cette loi visait à mettre en place un contrôle depuis l'animal vivant jusqu'au consommateur, pour toutes les filières animales, pas seulement la viande mais également pour les poissons, les produits laitiers et tout type de produits d'origine animale. Les effectifs sont très insuffisants ! Nous ne cessons de le dire, même si nous observons que le Gouvernement a pris des mesures de renforcement des effectifs par un plan sur deux ans, mais ce ne sera pas suffisant sur le long terme.

La troisième faiblesse structurelle est l'absence d'un échelon intermédiaire dans l'administration vétérinaire entre la Direction générale de l'alimentation (DGAL) et les directions départementales des services vétérinaires (DSV). L'absence d'un échelon intermédiaire nuit à l'efficacité et à la capacité des services à organiser de manière coordonnée et à harmoniser l'ensemble de l'application de la réglementation sanitaire. Finalement, cela revient à un défaut de pilotage de l'ensemble de cette administration vétérinaire, car on ne peut pas tout demander à l'échelon central de la DGAL, qui a à traiter une multitude de dossiers, et qui n'a pas la capacité suffisante pour coordonner et assurer le pilotage de l'activité des services déconcentrés.

Nous pensons - et nous savons que cette analyse est partagée par le ministère de l'Agriculture - que la mise en place d'un échelon intermédiaire entre l'échelon central et l'échelon départemental déconcentré est nécessaire.

Voilà pour cette présentation de l'administration vétérinaire en lien avec le dossier de l'ESB. Pour entrer plus en détail dans ce dossier, je l'évoquerai en présentant trois phases. Tout d'abord celle qui va de juillet 1990 à juin 1996. C'est la phase qui a généré le plus grand nombre de contaminations, la très grande majorité des animaux atteints d'ESB étant nés en 1993, 1994 et 1995.

Vous savez également qu'a été mis en évidence le phénomène des contaminations croisées, notamment grâce aux enquêtes réalisées depuis plusieurs années par la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires (BNEV). Ce phénomène des contaminations croisées est très répandu dans les usines d'alimentation animale et inhérent aux usines multi-espèces qui utilisaient les farines animales dans des productions animales dans lesquelles elles étaient autorisées, notamment les porcs et les volailles.

Ces contaminations croisées sont un fait maintenant connu de tous, que l'on peut mettre en relation avec le constat, fait depuis longtemps, qu'il n'y avait pas eu - je parle en m'appuyant sur les rapports de la DGCCRF - de preuve d'une incorporation de farines animales dans l'alimentation des ruminants, sauf un cas signalé en 1991. Cela montre la difficulté d'organiser un contrôle sanitaire, qui demande beaucoup de technicité.

Finalement, deux éléments coexistent : d'une part, le défaut de mise en évidence d'incorporation volontaire de farines animales dans les aliments destinés aux animaux pour lesquels ces farines étaient interdites (les bovins à partir de 1990 ; les autres ruminants à compter de 1994) ; d'autre part, la mise en évidence de contaminations croisées, qui conduit à trouver dans ces aliments des traces de farines animales pour des raisons que je ne détaillerai pas dans cette présentation liminaire.

Sur cette période de 1990 à 1996, à côté du phénomène des contaminations croisées, on peut s'interroger sur le rôle joué par d'autres produits d'origine animale non interdits dans l'alimentation des ruminants. Cet élément était déjà mis en avant lors de précédentes commissions d'enquête, mais le rapport de l'AFSSA vient de le mettre en évidence, en évoquant notamment le problème de certaines graisses animales et du phosphate bi-calcique. Sur ce point, je tiens à attirer votre attention sur le rôle qu'ont pu jouer les graisses d'équarrissage avant juin 1996, date à laquelle le service public d'équarrissage a été progressivement mis en _uvre. Que sont ces graisses d'équarrissage ? Ce sont des produits qui étaient issus de l'activité d'équarrissage avant 1996, qui incorporaient donc les cadavres d'animaux et les matériels à risque spécifiés (MRS). Les industries d'équarrissage produisaient alors ces produits bruts, que l'on peut appeler des farines grasses, à partir desquelles étaient produites, d'une part, des farines de viandes et d'os, et, d'autre part, des graisses d'équarrissage issues du dégraissage des farines.

Compte tenu du caractère biochimique lipophile de la protéine prion, qui présente en effet une affinité pour les graisses, il serait normal de se poser la question du rôle joué dans l'ESB par ces graisses d'équarrissage qui ont été légalement utilisées jusqu'en juin 1996 dans l'alimentation des ruminants.

Je serai plus bref sur la période qui s'étend à partir des mesures prises en juin 1996. Ces mesures ont été essentielles pour couper l'évolution de l'ESB dans notre pays, mais aussi pour protéger la santé publique par le retrait des MRS. Nous sommes maintenant en mai 2001. Je pense que nous pouvons considérer, quand on voit les années de naissance des bovins qui développent des cas d'ESB en France par rapport aux autres pays, qu'il y a très peu d'animaux nés en 1996 qui sont atteints d'ESB. Il y en a sept, tous nés au premier semestre 1996. Sur ces sept, cinq sont nés en janvier 1996. Si on classe l'âge de naissance des animaux d'une manière plus cohérente - vous le savez, les animaux naissent en automne et en hiver - donc si on les classe du 1er juillet d'une année au 30 juin de l'année suivante, ce qui représente une classe d'âge de naissance plus homogène, car les animaux nés en janvier 1996 ne sont pas très différents de ceux nés en novembre ou décembre 1995, ils ont reçu la même alimentation, et que nous observons les trois classes d'âge très importantes que sont 1993-1994, 1994-1995, et 1995-1996, à ce jour, à ma connaissance, celle qui va du 1er juillet 1996 au 30 juin 1997 n'a toujours pas présenté de cas d'ESB.

Je ne veux pas dire qu'elle n'en présentera pas mais, compte tenu du grand nombre de cas observés depuis huit mois, c'est un signe qui me semble fort, car ces animaux ont maintenant cinq ans et, au cours des années précédentes, en 1997, 1998 et 1999, nous avons vu apparaître chaque année les nouvelles classes d'âge d'animaux à l'âge de quatre ans. Or nous n'avons toujours pas aujourd'hui de cas d'ESB pour cette classe 1996-1997.

L'efficacité des mesures prises en juin 1996 est toutefois mise à mal par le fait qu'il s'agissait de mesures purement nationales, prises dans un contexte de marché unique européen. C'est là une limite évidente. Il a fallu quatre ans et demi pour parvenir à l'harmonisation du retrait des MRS à l'échelle de l'Union européenne. Ce fut un grand souci pour l'efficacité du dispositif.

Pour en venir aux mesures prises en novembre 2000, j'indiquerai seulement qu'elles ont été décidées - c'est la crise qui l'a voulu - juste au moment où l'on aurait pu commencer à montrer l'efficacité des mesures prises au printemps 1996. A l'automne 2000, il était un peu tôt pour avoir des éléments de ce point de vue. Il s'agit, comme chacun le sait, de l'application du principe de précaution et de la volonté de la société de ne plus utiliser ces farines animales qui, pour la population, sont symboliques des excès d'une agriculture productiviste. C'est ce rejet qui a conduit à prendre les mesures de novembre 2000.

Je conclurai par quelques recommandations. En premier lieu, je souhaite rappeler qu'il faudrait certainement plus d'Europe dans le domaine sanitaire. Il est inacceptable d'avoir dû attendre quatre ans et demi pour harmoniser des mesures aussi essentielles que le retrait du système nerveux central.

En deuxième lieu, il est nécessaire de hiérarchiser les risques sanitaires. C'est indispensable mais nous voyons combien c'est difficile à mettre en _uvre car le consommateur exige, en matière de risque alimentaire, un risque zéro. Il n'admet pas le moindre risque. C'est un sujet difficile qu'il faut pourtant aborder, car le risque zéro est une illusion.

En troisième lieu, il serait bon d'insister sur la nécessité d'un contrôle sanitaire unifié. C'est un atout important dont dispose notre pays, mais il faut en tirer les conséquences. Comme plusieurs rapports l'ont indiqué, qu'ils s'agissent de rapports parlementaires ou d'un récent rapport réalisé par l'Ecole nationale d'administration, il faut mettre en place dans notre pays une autorité pleinement responsable de la sécurité sanitaire de l'alimentation. C'est un point important pour l'efficacité du dispositif.

Il faut, en quatrième lieu, renforcer les services vétérinaires. Je tiens à signaler que l'Office international des épizooties (OIE), réuni il y a deux semaines à Paris sur le sujet de la fièvre aphteuse, a fait des recommandations auprès des gouvernements des 157 pays membres et des opinions publiques de ces pays, pour que soit bien comprise la nécessité de renforcer les services vétérinaires dans un contexte d'échanges de plus en plus nombreux. Ce renforcement passe par une plus grande indépendance par rapport à la pression économique, mais aussi par un renforcement durable des effectifs et des moyens accordés aux services vétérinaires.

Enfin, j'insiste sur la nécessité d'éclaircir le rôle joué par les graisses d'équarrissage dans l'apparition des cas d'ESB pour les bovins nés avant juin 1996.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé de deux pays européens, l'Allemagne et l'Espagne, mais pas de l'Angleterre. Pouvez-vous en dire un mot ? C'est tout de même un aspect qui a retenu notre attention et, face à la crise récente de la fièvre aphteuse, nous nous sommes posé des questions. Vous faites des recommandations intéressantes, mais j'aimerais que vous puissiez nous dire deux mots sur l'origine de la crise. Vous êtes parti dans votre exposé de l'année 1990. Que dites-vous des années 1988 et 1989 ?

Quand vous parlez d'échelon intermédiaire entre la DGAL et les directions départementales, quel échelon envisagez-vous ? L'échelon régional ? Enfin, vous parliez de la loi d'orientation agricole, qui a étendu très sensiblement les pouvoirs des vétérinaires inspecteurs. Les difficultés d'application sur le terrain sont-elles uniquement liées à des problèmes d'effectifs ?

M. Benoît ASSEMAT : Si j'ai évoqué la situation de l'Espagne et de l'Allemagne, c'est surtout parce que je connais bien ces pays, surtout l'Espagne, pour y avoir fait de longs séjours. Je ne connais pas précisément la situation au Royaume-Uni, sinon ce que tout le monde a relevé, à savoir le fait que cette administration avait été très affaiblie au cours des vingt dernières années et que l'on peut évoquer cet affaiblissement des services vétérinaires dans le déficit de contrôle sanitaire. Je n'irai pas plus loin.

Sur l'origine de l'ESB, c'est un fait acquis que cette maladie trouve son origine dans la contamination de farines animales. Je ne voyais pas grand-chose à ajouter à cela.

M. le Rapporteur : On constate malgré tout, que ce soit en Grande-Bretagne ou en France, qu'il existe des foyers particulièrement localisés. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

M. Benoît ASSEMAT : Avant 1990, pour ce qui concerne la situation de la France, les animaux contaminés sont surtout nés entre le 1er juillet 1988 et la fin de l'année 1989. Cette période correspond au moment où les farines britanniques ont été massivement importées, avant les mesures de limitation prises en août 1989. Il me paraît donc raisonnable de penser que ces farines britanniques importées durant cette période seraient à l'origine de la première vague de foyers qui a été observée dans le grand Ouest de la France, particulièrement dans les élevages bretons, qui sont les lieux où l'élevage et les grandes usines avaient principalement utilisé ces farines britanniques.

Ensuite, pour expliquer ce qui se passe depuis juillet 1993 - on constate une forte contamination des bovins nés depuis lors, plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Je ne tranche pas, mais j'ai souhaité parler de cette période pour mettre en évidence le rôle - qu'il faut, à mon avis, éclaircir - des graisses d'équarrissage utilisées tout à fait légalement dans l'alimentation des ruminants. J'observe que 1993 est cinq ans après cette période de 1988-1989 qui a vu la première phase de contamination des animaux. Je ne trouverai pas anormal que ce soit cette première phase d'animaux contaminés en 1988-1989 qui, ensuite, a entraîné le cycle de contamination français, ou une partie de celui-ci du moins, ce qui expliquerait que nous ayons vu apparaître, pour les animaux nés à partir de 1993, des cas que l'on a diagnostiqués à partir de 1997.

Sur l'échelon intermédiaire de l'administration, je n'ai pas donné de précisions car c'est un sujet complexe. Des réflexions ont lieu en ce moment. Deux pistes s'offrent à nous. L'échelon régional est celui qui vient le premier à l'esprit, compte tenu de l'organisation administrative que nous connaissons. C'est sans doute cette voie qui sera empruntée ; on pourrait imaginer que le directeur des services vétérinaires du chef-lieu de région exerce un rôle particulier pour assurer une activité d'harmonisation, de pilotage de l'activité des DSV de toute la région.

Une autre voie pourrait également être envisagée. Elle a été tracée par la mission chargée de l'élimination des farines animales (MIEFA) du préfet Proust et qui s'est appuyée sur les préfets de zones de défense. Ces derniers sont ceux qui, en matière de gestion de crise, ont un rôle à jouer pour assurer la coordination et la mobilisation des moyens de l'Etat sur l'ensemble de la zone. Il existe, en matière de sécurité, un lien entre le préfet de département et le préfet de zone, mais il me semble qu'entre le préfet de région et celui de département, le lien n'est pas de même nature. Il me semble que les fonctions du préfet de région ne s'exercent pas en matière de sécurité, mais plutôt en matière de pilotage d'activité économique, d'aménagement du territoire, de mise en _uvre de politiques économiques. Je n'ai pas réellement de réponse à cela. C'est un sujet très complexe mais, logiquement, dans l'administration de l'agriculture, on doit d'abord penser à l'échelon régional, car c'est sans doute le plus immédiat, le plus facile à mettre en place.

Votre dernière question portait sur la loi d'orientation agricole. Celle-ci a donné lieu à des textes réglementaires. Je ne pense pas que tous aient été publiés. En matière d'alimentation animale, ils l'ont été à partir de février 2000. C'est donc très récent. Depuis cette date, les directions des services vétérinaires ont une charge de travail qui ajoute à l'organisation d'un contrôle sanitaire quotidien de toute chaîne la alimentaire, des gestions de crise extrêmement lourdes, qu'il s'agisse de la crise de l'ESB ou de celle de la fièvre aphteuse. Il est certain qu'il est très difficile, dans les directions des services vétérinaires, de cumuler l'organisation d'un contrôle sanitaire permanent sur cette chaîne alimentaire de 380 000 établissements et la gestion de ces crises, qui est extrêmement lourde. Je crois que, si les services mettent en _uvre les dispositions de ces textes, ils le font avec des moyens encore trop limités.

M. Pierre HELLIER : Votre exposé est empreint de logique et d'espoir car, finalement, on a le sentiment que l'évolution du nombre de cas d'ESB s'améliore. Je pense que vous avez raison de souhaiter vous affranchir de cette tutelle de la DDA afin d'obtenir une liberté d'action et une crédibilité supérieures. Quel est, à votre avis, le rôle de la modification des conditions de préparation des farines animales ? La baisse de la température a-t-elle eu un rôle aussi déterminant qu'on veut le croire ?

Par ailleurs, depuis quand a-t-on connaissance du caractère lipophile du prion ? Quand on sait que les graisses sont exprimées simplement par pression, à partir de matériaux plutôt suspects, on peut imaginer que la contamination est quasi certaine.

M. Benoît ASSEMAT : Je ne voudrais pas que vous pensiez que j'affirme catégoriquement qu'il n'y aura pas de cas car je suis convaincu du contraire ; mais s'il y en a dix fois moins, par exemple, c'est déjà le signe que des mesures ont été efficaces. Si des mesures faisaient que le nombre d'accidentés de la route diminuait autant, on trouverait le remède très efficace.

Pour ce qui est de l'indépendance de la DSV par rapport à la DDA, je n'ai rien à ajouter sinon qu'en ce qui nous concerne, elle ne correspond en aucun cas à une logique de sécession, mais de bonne administration de l'Etat, afin que chacun, dans son rôle, puisse mieux travailler dans l'intérêt du bon fonctionnement de l'administration de l'Etat, sous l'autorité du préfet.

Vous m'avez posé deux questions sur l'efficacité et le traitement des farines...

M. Pierre HELLIER : On pense que l'abaissement de la température a joué un rôle essentiel.

M. Benoîts ASSEMAT : Pour ma part, je m'en tiens à cette explication. Je suis, en tant que vétérinaire, très intéressé par cette question, mais pas suffisamment expert pour remettre en question les théories développées par les experts.

En revanche, tous les traités de biochimie indiquaient le caractère lipophile du prion. Il est d'ailleurs indiqué à plusieurs reprises dans le rapport de l'AFSSA. Je ne pense pas du tout que ce soit une découverte. Je suis incapable de vous dire depuis quand cela est connu des experts. Mais, durant les années 1988 à 1990, période à partir de laquelle on commence à s'intéresser à cette maladie, on acquiert la certitude non pas de manière expérimentale, mais par l'épidémiologie que les farines animales jouent un rôle majeur. Je ne suis donc pas surpris que l'on ait pris en 1990 des mesures pour interdire les farines animales dans l'alimentation des bovins. C'était une mesure essentielle.

En revanche, pour expliquer ce qui se passe après l'interdiction des farines animales de 1990, le rapport de l'AFSSA le dit clairement, on peut certes mettre en évidence des défauts graves, des fraudes, mais encore faut-il que les farines aient été contaminées, peut-être par les farines britanniques légalement importées, ou par un autre produit. La seule certitude, pour les experts de cette maladie, pendant une bonne décennie, a été ce point central du rôle majeur des farines animales. A partir de là, il a peut-être été difficile de penser qu'à côté de ces farines animales, des graisses d'équarrissage continuaient à être utilisées partout. On ne refait pas l'histoire, ce serait trop facile. C'est la raison pour laquelle je ne veux pas jeter la pierre aux mesures qui ont été prises dans le passé. Je pense néanmoins que, si l'on veut essayer de comprendre ce qui s'est passé en 1993, 1994 et 1995, il est nécessaire de se poser la question du rôle joué par les graisses d'équarrissage. Je ne dis pas qu'elles ont joué un rôle essentiel. Je n'en sais rien. Je dis seulement qu'il serait souhaitable de poser la question.

M. Pierre HELLIER : Et le phosphate bi-calcique ?

M. Benoît ASSEMAT : Le rapport de l'AFSSA évoque le phosphate bi-calcique, de même que d'autres produits. Si l'on peut prendre des mesures qui ajoutent une pierre supplémentaire au dispositif, il faut le faire. Mais il ne faudrait pas croire que ce soit l'essentiel. Ma conviction est qu'en 1990 et en 1996 surtout, des mesures très importantes ont été prises ; depuis lors, on ne fait qu'ajouter, améliorer le dispositif sur la base très solide des mesures arrêtées en juin 1996 interdisant les cadavres d'animaux, les saisies sanitaires et les MRS.

On ajoute des mesures supplémentaires au fil du temps, parce que la connaissance évolue, mais l'essentiel a été fait en juin 1996. Je ne voudrais pas non plus laisser croire que, dès que l'on annonce ces mesures en juin 1996, instantanément tout se fait de manière parfaite. J'étais alors dans le département de la Corrèze, je peux vous dire la difficulté que nous avons rencontrée pour obtenir rapidement dans les abattoirs, ne serait-ce que des bacs pour recueillir les déchets. Les camions de l'équarrissage qui, dans un premier temps, transportaient simultanément les matériaux à haut risque et à bas risque ont fini par se spécialiser. Ensuite, se furent les établissements qui recevaient les produits qui ont dû se spécialiser. Cela n'a pu se faire sur un simple claquement de doigts. Ce fut une immense affaire en 1996 que de mettre en place ce service public de l'équarrissage. Tout n'était pas parfait. Cela a été dit. Je ne prétendrai pas le contraire car la perfection n'existe pas, pas plus que le risque zéro.

Mme Monique DENISE : D'après l'exposé que vous venez de faire, la cause première de contamination serait les farines animales, en particulier d'importation anglaise. Avez-vous exploré la piste d'une contamination éventuelle par l'eau ou dans les champs, comparable à celle vécue au siècle dernier, du temps du charbon, dans les « champs maudits » ? Par ailleurs, quels sont les contrôles opérés actuellement par les services vétérinaires sur les produits importés, qu'ils soient intra ou extra européens ? De quels moyens disposent-ils pour s'opposer à l'entrée dans la chaîne alimentaire de carcasses ou d'animaux vivants sans qu'il y ait eu auparavant de contrôles dans leurs pays de départ ou à leur arrivée en France ?

M. Benoît ASSEMAT : Votre première question évoque cette fameuse troisième voie dont on a parlé il y a quelques mois. Je ne sais pas si vous me posez la question au titre de mes fonctions à la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires - M. Réveillon vous en parlera mieux que moi - mais, à partir du moment où les scientifiques ont toujours dit que l'alimentation était la voie essentielle, je dois dire que, de façon assez cohérente, me semble-t-il, le travail s'est fait majoritairement autour de l'alimentation des ruminants.

Pour ce qui est de l'organisation des contrôles par les services vétérinaires tant pour les échanges intracommunautaires que pour les importations de pays tiers, il faut bien voir que deux dispositifs distincts ont été mis en place. Les échanges intracommunautaires font l'objet depuis le 1er janvier 1993 d'un principe de marché unique européen et de libre circulation des marchandises. Le contrôle aux frontières a donc été supprimé à cette date. Pour les animaux vivants toutefois, un contrôle particulier a été maintenu qui s'appuie sur un échange d'informations entre les autorités vétérinaires. C'est le système que l'on appelle ANIMO, système d'échange de données informatiques, et le maintien de certificat sanitaire pour les échanges de ces animaux. Nous avons donc toujours, pour les animaux vivants, la nécessité de demander un certificat sanitaire à l'autorité du pays d'origine, et ensuite, d'information par l'autorité du pays d'origine vers l'autorité de destination. Le principe étant celui de la libre circulation, les contrôles intra-communautaires ne peuvent être qu'aléatoires et non discriminatoires. Naturellement, si des anomalies sont rencontrées lors de contrôles effectués à destination, les services vétérinaires disposent, s'il s'agit d'une atteinte à la protection de la santé publique, du pouvoir de saisir les carcasses.

Si l'on pense que des carcasses importées sont porteuses de tuberculose, par exemple, les vétérinaires doivent les saisir. Lorsque des vétérinaires constatent des anomalies sur des marchandises intracommunautaires, ils doivent faire remonter l'information à la direction générale de l'alimentation qui, elle, fait la liaison avec l'autorité du pays membre d'origine. Des mesures administratives sont alors prises, qui peuvent aller jusqu'à des mesures sanitaires de saisie. Des pouvoirs de police administrative très importants sont confiés aux services vétérinaires.

Le second volet de votre question est celui du contrôle de l'importation à partir de pays tiers. C'est un autre sujet. Le dispositif mis en place à partir du 1er janvier 1993 a conduit à renforcer le contrôle aux frontières avec les pays tiers et à établir un contrôle harmonisé pour tout ce qui entre en provenance de pays tiers. Au lieu d'avoir un contrôle un peu général de tout ce qui passait la frontière, on a retiré de ce contrôle à la frontière tous les échanges intracommunautaires, qui représentent la majorité des échanges, et l'on a mis l'accent sur le contrôle sanitaire à l'importation des pays tiers. Il s'agit de contrôles systématiques, conduits en étroite liaison avec les services des douanes, puisque ces derniers ne peuvent dédouaner des produits si ceux-ci n'ont pas été soumis au contrôle vétérinaire. Il y a donc inspection systématique des lots par les agents des services vétérinaires situés dans des postes d'inspection frontaliers. Ces postes d'inspection frontaliers sont au nombre de vingt-sept dans notre pays ; il en existe des centaines au sein de l'Union européenne. Ils ont pour but de protéger l'espace européen en contrôlant de manière harmonisée les marchandises qui entrent des pays tiers.

Les sanctions consistent, tout simplement, en cas d'anomalies constatées lors de ce contrôle, à refouler ces marchandises en refusant de signer le document nécessaire pour les douanes, voire à réaliser des prélèvements. Ces contrôles peuvent aussi conduire les autorités à retirer des établissements des listes de ceux autorisés à exporter dans l'Union européenne. Selon la nature du problème, il existe toute une batterie de dispositions que l'administration peut utiliser pour préserver la santé animale et la santé publique.

Mme Monique DENISE : Les hormones étant interdites en France, comment sont contrôlées les importations de viandes venant de pays d'Amérique du Nord ou du Sud, dans lesquels l'alimentation des animaux contient des hormones ?

M. Benoît ASSEMAT : C'est un sujet que je ne connais pas très bien. Pour ce que j'en sais, il me semble qu'il existe un dispositif particulier. Pour les viandes expédiées des Etats-Unis, par exemple, les autorités américaines doivent certifier qu'elles viennent d'un circuit de production d'animaux qui ne sont pas traités avec des anabolisants. J'imagine qu'il en est de même pour les pays d'Amérique du Sud.

Ensuite, comment s'effectue ce contrôle ? Au-delà du fait que le système ne peut fonctionner que s'il existe une confiance mutuelle entre les autorités vétérinaires du pays de départ et celles du pays d'arrivée, une confiance mutuelle se construit, mais il faut la vérifier et la contrôler. Aussi j'imagine qu'il y a, lors de l'introduction en France, des contrôles pour évaluer la présence éventuelle de résidus. Mais je n'ai pas de détail sur ce dispositif ni sur les résultats de ces contrôles. Ce n'est pas un aspect sur lequel j'ai travaillé.

M. le Président : La question des contrôles fait l'objet de nombreuses interrogations au sein de cette commission, sous deux aspects. Le premier, c'est de rendre les contrôles possibles. On sait bien qu'un certain nombre de mesures, notamment concernant les farines, ne l'ont pas toujours permis. Le deuxième, qui nous a beaucoup préoccupé, est celui de savoir dans quelles conditions on pouvait laisser circuler des marchandises qui n'étaient pas toutes soumises aux mêmes règles sanitaires. Cela renvoie à une question essentielle : lorsque des pays se prétendent indemnes d'ESB, les marchandises circulent sans avoir fait l'objet des mêmes règles de précaution que celles que nous nous sommes imposées. C'est un des sujets que nous avons évoqués à Bruxelles avec les commissaires européens.

J'aimerais revenir sur les conditions dans lesquelles ces contrôles ont pu être effectués. C'est un des étonnements de cette commission d'enquête d'avoir appris l'existence de fraudes par l'inspecteur de l'agriculture belge, dont le témoignage a d'ailleurs relancé la procédure judiciaire. Pourriez-vous préciser les conditions de ce contrôle ? Vous avez parlé tout à l'heure de contrôles sanitaires unifiés. Qu'est-ce que cela recouvre dans votre esprit ? Vous avez suggéré de renforcer l'échelon régional. J'aimerais avoir votre avis sur le fonctionnement des pôles de compétence qui, vous le savez, ont été mis en place sous l'autorité des préfets dans une trentaine de départements.

M. Benoît ASSEMAT : C'est un sujet immense, M. le président. Je m'efforcerai d'en aborder les points essentiels, mais il pourrait faire l'objet d'un débat approfondi, auquel je serais heureux de participer, car c'est un sujet central qui me passionne dans mes fonctions administratives. Rendre les contrôles possibles, c'est éviter de faire ce qui a trop été fait : changer les règles sans arrêt. En raison du décalage entre l'élaboration d'une règle et son application jusqu'au plus près du terrain, des changements trop fréquents des règles constituent une source de difficultés préoccupantes. J'avais également signalé dans mon intervention liminaire qu'il n'est pas possible de prendre toujours des mesures de portée nationale dans un marché unique européen.

Dans mon esprit, quand je parle d'un contrôle sanitaire unifié, c'est tout d'abord pour rappeler que, si le législateur a voulu dès 1965 mettre en place un contrôle sanitaire qui associe la santé animale et l'hygiène alimentaire, de l'étable à la table, les pouvoirs publics n'ont pas pris les moyens suffisants au cours des décennies passées pour le mettre réellement en _uvre. Mais j'indiquais surtout qu'il y avait une exception à ce contrôle sanitaire unifié, qui était le contrôle de l'alimentation animale. En effet, les bases juridiques qui avaient été posées par le législateur en 1965 ne permettaient pas d'intervenir dans les usines d'alimentation animale.

C'est donc pour évoquer ce cas particulier, qui est central dans le sujet de la commission d'enquête parlementaire, de l'utilisation des farines animales dans les usines d'alimentation animale que je parlais de ce contrôle unifié. J'avais indiqué que les enquêtes menées par la brigade d'enquêtes vétérinaires avaient permis de montrer l'existence très répandue des contaminations croisées inhérentes au fonctionnement des usines d'alimentation animale, mais que les contrôles réalisés par la DGCCRF avaient montré qu'il n'y avait pas eu d'incorporation volontaire, à l'exception d'un cas en 1991. On voit donc la difficulté d'apprécier une situation technique et d'organiser un contrôle fiable.

J'en viens au c_ur de votre question, qui porte sur les problèmes de compétence et le rôle respectif de chaque administration. Tous les rapports parlementaires réalisés récemment montrent qu'il n'est pas bon d'avoir un tel enchevêtrement des compétences, une telle confusion des rôles de chacun. Il serait bien plus sain de distinguer les fonctions de chaque administration, pour pouvoir ensuite les faire travailler ensemble. Or, c'est un avis personnel, la logique dans laquelle nous sommes depuis quelques années consiste à dire que le contrôle sanitaire de l'alimentation relève de plusieurs ministères, de plusieurs services, et conduit à cette coordination un peu molle réalisée au sein des pôles de compétence. Nous en sommes là parce que c'est la volonté du Gouvernement. Les préfets dans les départements mettent en _uvre des pôles de compétence. On essaie d'éviter de se marcher sur les pieds ; on essaie de répartir les compétences, mais je ne pense pas que cette logique permettra d'aboutir à une véritable rénovation des services publics et à une véritable réforme du fonctionnement de l'Etat.

Je crois profondément qu'il existe une administration compétente pour cette tâche et qui est organisée pour réaliser les contrôles sanitaires des filières de l'alimentation en général. C'est le rôle des services vétérinaires de remplir cette fonction. Le législateur l'a voulu il y a trente-six ans.

Une autre fonction doit être assurée pour tous les consommateurs, c'est celle qui conduit à faire respecter les règles en matière de loyauté des transactions commerciales. C'est un autre volet. La sécurité sanitaire en est un ; le respect des règles relatives à la loyauté des transactions commerciales en est un autre. Nous avons des services qui devraient être spécialisés autour de ces thèmes. La DGCCRF a un rôle immense, que personne ne conteste ; sa capacité à organiser des contrôles est reconnue de tous. Mais il serait plus sain que l'on confie à la DGCCRF un rôle en matière de loyauté des transactions commerciales, y compris dans le champ alimentaire, et que l'on confie aux services vétérinaires la responsabilité du contrôle sanitaire et que sur la base de cette clarification des responsabilités des deux services, on puisse réellement les faire travailler ensemble.

Si l'on ne clarifie pas les compétences des différents services pour les faire travailler ensemble, tout le monde fait tout, et tout se monde se dit que s'il ne le fait pas, l'autre va le faire. Cela conduit à des situations telles que, pour le contrôle sanitaire effectué dans le secteur de la restauration, vous avez autant de systèmes que de départements. Dans certains départements, les services vétérinaires considèrent qu'ils n'en ont pas les moyens et ne contrôlent pas ; dans d'autres, ils essaient de le faire ; dans d'autres encore, la tâche est répartie entre services de répression des fraudes et services vétérinaires.

On est obligé de faire cela parce que les moyens sont nettement insuffisants. Pour ne vous citer qu'un chiffre, qui me vient de l'administration vétérinaire de l'Agriculture : en 1999, sur les cent directions de services vétérinaires en France, vous aviez 3 850 équivalents temps plein au total pour assurer toutes les fonctions - la santé animale, le bien-être animal, le contrôle sanitaire, etc. Sur ces 3 850, vous aviez 425 équivalents temps plein qui se consacraient au contrôle de la chaîne alimentaire une fois retirés les agents qui travaillent dans les abattoirs de boucherie et de volaille, car une bonne proportion des effectifs sont dans les abattoirs.

Donc, face aux 380 000 établissements intervenant dans la chaîne alimentaire, dont 30 000 au moins ont un agrément sanitaire, qu'il s'agisse d'ateliers de découpe, de charcuteries, de cuisines centrales, pour les produits laitiers, pour les produits de la pêche, vous aviez 425 équivalents temps plein. Quand nous dénonçons le défaut de moyens de ces services, ce n'est pas pour le plaisir d'avoir plus de fonctionnaires. Je le dis d'autant plus aisément que ce ne sont pas des effectifs de vétérinaires inspecteurs dont notre pays a besoin, ce sont avant tout des effectifs de techniciens, d'agents administratifs, d'ingénieurs qui font le travail sur le terrain.

Nous avions chiffré à mille emplois les besoins au moment où le Premier ministre a annoncé un plan de création de 300 emplois sur deux ans. Ce plan est important et nous souhaitons qu'il soit mis en _uvre le plus rapidement possible, mais nous avons trente ans de retard à récupérer.

Quand je relis les travaux parlementaires de 1965 qui avaient abouti à la loi visant à créer un service d'Etat d'hygiène alimentaire, je me dis que les parlementaires avaient fait montre d'une grande ambition. Mais, pour des raisons difficiles à analyser, les pouvoirs publics n'ont pas su la mettre en _uvre en dégageant les moyens suffisants au cours des années 70, quand il aurait été possible de le faire. Pour expliquer cela, il faut savoir que les services départementaux dépendaient, pour leur fonctionnement, des présidents de conseils généraux jusqu'en 1991, les services vétérinaires relevant du service départemental des épizooties. Cela fonctionnait d'ailleurs très bien car nous avions avec le conseil général une autorité de tutelle très proche. Mais cela veut dire que l'administration de l'Etat s'est toujours sentie relativement éloignée du bon fonctionnement de ce service qui, à l'origine, était municipal.

Lorsque l'étatisation des services a été décidée pour créer la direction des services vétérinaires, je crois sincèrement qu'on ne l'a pas analysée en détail. On croyait en avoir fini avec tous les problèmes sanitaires, qu'il n'y aurait plus qu'à assurer une surveillance générale. Puis, nous avons vu apparaître des maladies nouvelles que personne n'avait imaginées, qu'il s'agisse du sida pour la santé publique ou de l'ESB pour la santé animale. Et il faut maintenant rattraper trente ans de retard pour structurer les services.

L'Office international des épizooties (OIE) a déclaré, voici deux semaines, aux représentants des 157 Etats membres qui y participaient, qu'il fallait sensibiliser les gouvernements et les opinions publiques de chaque pays pour renforcer les services vétérinaires. Je ne sais si ma réponse a été suffisamment précise mais pour entrer plus avant dans le détail, il faudrait bien plus de temps.

M. le Président : Vous avez essentiellement parlé des effectifs. Mais s'agissant de la façon dont les contrôles ont été effectués, pensez-vous que les mailles du filet ont été trop lâches ? Quelle lecture faites-vous de la situation ? Notre commission a constaté que, jusqu'à la déclaration de l'inspecteur belge, beaucoup de personnes entendues supposaient qu'il y avait eu des fraudes, mais sans pouvoir étayer leurs propos. Ce n'est pas notre rôle mais celui de la justice de rechercher les infractions pénales, mais, en tout cas, cela nous a paru assez surprenant. Quelle lecture avez-vous de cette affaire ?

M. Benoît ASSEMAT : Les services vétérinaires n'étaient pas chargés du contrôle des farines animales jusqu'à l'année dernière, j'insiste sur ce point. Mon sentiment sur ce dossier est que, si des fraudes ont été commises, c'est à la justice de faire son travail et de les sanctionner ; mais je n'ai pas le sentiment que toutes les usines d'alimentation animale ont, de manière générale et volontaire, voulu frauder de manière massive pour continuer à mettre des farines animales sur le marché après l'interdiction de leur utilisation pour les bovins en juillet 1990.

Mais quand on fait une analyse détaillée du dispositif - et là c'est la compétence technique des services vétérinaires qui intervient - on constate que les contaminations croisées sont liées au fait que les usines multi-espèces de l'alimentation animale, c'est-à-dire qui fabriquaient des aliments pour les ruminants et les monogastriques, ont utilisé des farines animales. Elles étaient généralisées. Sont-elles à l'origine de la situation que nous connaissons, de cette explosion de cas que nous avons connus pour les animaux nés en 1993, 1994 et 1995 ? Jusqu'à présent, on a considéré que c'était l'origine majeure. Le comité Dormont a, à plusieurs reprises, indiqué que ces contaminations croisées constituaient certainement l'origine essentielle de tous ces cas. Mais j'observe maintenant que, selon le rapport de l'AFSSA, un autre volet est mis en évidence : celui des graisses d'équarrissage. Je dis que si des graisses animales peuvent être en cause, ce sont avant tout les graisses d'équarrissage utilisées avant 1996.

Mais pour ce qui est de l'efficacité du dispositif, il faut se rappeler que les problème, avant 1996, était un problème de santé animale. Le rôle de la direction des services vétérinaires - avec tous les vétérinaires sanitaires qui existent dans le département, car, vous le savez, il existe un maillage du territoire par les vétérinaires sanitaires qui ne sont pas les agents de l'Etat, mais qui collaborent au service public, sur mandat du préfet - était de veiller à ce que le dispositif de surveillance sur le terrain fonctionne.

Mais je ne vais pas vous dire qu'une préoccupation forte entre 1990 et 1996 s'exprimait sur le terrain. Ce serait mentir. Mon sentiment est que ce problème était considéré comme accessoire. Il y avait très peu de cas en France et, au sein de l'administration vétérinaire, nous avions d'autres sujets de préoccupation très forts. Au moment où je suis arrivé, par exemple, dans le département de la Corrèze, il y avait de gros problèmes de brucellose et nous avons, avec les organisations professionnelles, travaillé pour éradiquer les dernières manifestations de cette maladie. Bien d'autres actions ont été menées.

Je ne vais pas vous dire que l'ESB était la préoccupation essentielle car ce n'est pas vrai. C'est en mars 1996, qu'il y a eu ce coup de tonnerre et l'on peut se dire, rétrospectivement, que sans ce coup de tonnerre, nous serions certainement entrés dans un cycle de contamination franco-français très important. Car sans lui, le service public d'équarrissage n'aurait pas été mis en _uvre, pas plus que ces mesures exceptionnelles qui furent prises en 1996, notamment le renforcement du contrôle de l'identification des bovins.

Il faut voir les changements immenses qui ont eu lieu entre le printemps 1996 et maintenant, avec la prise de conscience très forte de tous. Sans cela, nous serions à coup sûr entrés dans un cycle de contamination très fort, dont nous ne nous serions pas rendu compte. Donc, heureusement que les Britanniques ont lancé ce signal en mars 1996, car cela a permis à notre pays de prendre des mesures. Mais notre pays seul, ce n'est pas suffisant. Le fait qu'il ait fallu quatre ans et demi pour que ces mesures soient prises au niveau communautaire me semble particulièrement dramatique pour la capacité des pouvoirs publics à s'organiser.

M. le Rapporteur : Il est vrai que 1996 a été une année importante, avec l'annonce de la transmissibilité de l'ESB à l'homme, mais nous aurions pu être alertés auparavant. J'en viens à des aspects que nous n'avons pas encore abordés. On parle beaucoup de traçabilité, d'étiquetage, d'une définition commune de la viande au niveau européen. Que peut-on encore améliorer ? Pour prendre un exemple très précis, les règles communautaires de l'étiquetage sur des aliments pour animaux manquent de précision. Quel est votre sentiment ? Ensuite, quid des techniques d'abattage ? Avez-vous un avis sur le sujet ? Que pensez-vous de la technique consistant à aspirer la moelle épinière ?

Enfin, nous n'avons pas abordé la question des tests. Le choix est fait. Quelle est votre appréciation sur les différents aspects de cette question ?

M. Benoît ASSEMAT : Si l'alerte aurait pu être donnée plus tôt, il me semble néanmoins que la France a quand même été en tête pour essayer de faire avancer les choses. On peut penser que ce n'était pas suffisant, mais c'est dès le moment où l'affaire de la transmission de l'ESB au chat a été révélée, en 1990, que M. Nallet, le ministre de l'Agriculture de l'époque, a pris cette mesure forte, qui, je pense, a été considérée comme tout à fait excessive par les autres Etats européens et la Commission européenne, d'opposer un embargo sur les bovins britanniques. Mais cet embargo a été levé une semaine après son déclenchement.

Bien sûr, c'est un exemple flagrant, mais on aurait pu se dire que les garanties sanitaires qui étaient demandées aux Britanniques pour expédier leurs animaux et leur viande étaient impossibles à certifier d'une manière raisonnable et que l'on aurait pu, face à cette situation, prendre des mesures de protection. Je veux dire par là que les dispositions qui ont été prises pour lever l'embargo de 1990 ont peut-être été un affichage ; en réalité, les services britanniques n'ont pas été en mesure de faire des contrôles permettant de certifier ce qui était demandé. On a là une défaillance du dispositif de contrôle. Mais il me semble que la France a quand même toujours été présente. On peut toujours dire qu'il aurait fallu faire mieux. L'arrêt partiel des farines en juillet 1990 a été pris bien avant que les instances communautaires ne le demandent en juin 1994.

La traçabilité et l'étiquetage des aliments, notamment ceux destinés à l'alimentation animale, ne sont pas des sujets sur lesquels je pourrai vous apporter des précisions car, comme je vous le disais, il y a, d'un côté, la sécurité sanitaire et, de l'autre, l'information du consommateur et la loyauté des transactions. Ce dossier relèverait plutôt de la loyauté des transactions. C'est important l'étiquetage. Quel que soit l'étiquetage, il faut que le produit soit sain et ne présente pas de risque pour la santé. Si l'on peut aller plus loin sur l'étiquetage, il est bien évident qu'il faut le faire. Il est tout à fait normal que les éleveurs veuillent savoir ce qu'il y a dans les sacs d'aliments qu'on leur vend. Mais je ne suis pas spécialiste en la matière.

En ce qui concerne les techniques d'abattage, ce n'est finalement qu'en avril 1996 qu'ont été mises en place les mesures visant à retirer la moelle épinière ou à couper la tête. On a commencé en juin 1996 à retirer simplement le système nerveux central, c'est-à-dire la cervelle des bovins nés avant 1991, et ensuite de plus de six mois. On cassait alors les têtes, de manière différente, pour retirer la cervelle et récupérer la boîte crânienne. Il a fallu près d'un an et demi pour se rendre compte, et ce sont les enquêtes de la brigade d'enquêtes vétérinaires qui l'ont montré, qu'il était préférable d'ôter la tête dans son entier que de la casser pour éviter les risques de dissémination du système nerveux central. De surcroît, on a à l'intérieur de la boîte crânienne la dure-mère qui peut être un élément contaminant. Donc, quand on prend la mesure en 1996, on dit qu'il faut retirer la cervelle. Puis, il faut un an pour se rendre compte que ce n'est pas la bonne méthode mais qu'il faut retirer la tête. Dans les abattoirs, c'est très compliqué. On a voulu, pour les moutons, retirer la moelle épinière sur les animaux de plus de douze mois. On a mis au point une technique d'abord de soufflage, puis d'aspiration. Au début, on a voulu souffler. On s'est dit que cela ne marchait pas très bien et que souffler pouvait disséminer des éléments contaminants, puis on a décidé de procéder par aspiration. On a fait fonctionner des aspirateurs avec des contrôles très compliqués. Il faut fendre les carcasses de brebis pour décider si l'aspiration est efficace ou pas. Quand il reste un centimètre de moelle épinière, est-ce grave ou pas ?

De même, quand on met en place des mesures, imaginez ce qui se passe à l'abattoir. On décide de retirer les moelles épinières. Actuellement, on fend les carcasses. Il y a donc une dissémination possible. Retirer les moelles épinières est extrêmement important, mais est-ce fait de manière parfaite ? Quand on fait des visites d'enquête, on s'aperçoit que, dans un certain nombre de cas, les morceaux de moelle épinière qui tombent par terre ne sont pas systématiquement ramassés et mis dans le haut risque. Dans certains cas, ils peuvent être considérés comme des déchets.

Dès que vous entrez dans le détail des dispositifs de contrôle, vous pouvez toujours mettre en évidence qu'il y a moyen de faire mieux et identifier des points qui peuvent être améliorés. Je souhaite insister sur le point que ce n'est pas parce qu'un dispositif n'est pas parfaitement mis en _uvre à 100 % qu'il faut considérer qu'il est inopérant.

Quand on retire les cervelles et les moelles épinières, quand on dit que les cadavres d'animaux font l'objet du service public d'équarrissage, certes, tout n'est peut-être pas parfait mais je crois que, globalement, les cadavres ne sont plus entrés dans la composition des farines animales à partir de juin 1996. Même si certaines usines étaient mixtes, même si certaines aires de déchargement de leurs produits n'étaient peut-être pas suffisamment individualisées, je ne crois pas que l'on puisse dire que, d'une manière générale, la réglementation n'a pas été appliquée.

Ce que l'on peut dire, c'est que l'on peut toujours mieux faire et qu'il faut que l'administration se dote d'un système de contrôle interne et je rejoins le thème du pilotage de l'activité des services. Il faut très certainement qu'en plus des services qui sont sur le terrain pour faire appliquer la réglementation, d'autres services aient un _il plus élevé pour en assurer le pilotage, la synthèse et identifier les défauts du dispositif. C'est en partie la fonction de la brigade d'enquêtes vétérinaires mais, quand on parle d'un échelon intermédiaire, je crois que celui-ci devra jouer un rôle pour mieux assurer l'harmonisation des protocoles techniques d'inspection.

Il reste un chantier immense à défricher autour de cette activité technique d'inspection des filières animales. Je peux vous assurer que c'est particulièrement complexe. Il faut de la matière grise, des agents pour assurer les contrôles sur le terrain. C'est un immense chantier pour les décennies à venir, parce que l'élevage de notre pays et son industrie agroalimentaire méritent que la France se dote de services publics qui soient vraiment à la pointe de ce qui peut se faire.

Concernant les tests, je ne sais que vous dire. Lorsqu'on nous a dit que les tests allaient être généralisés, nous avons pensé que ce serait une tâche impossible à mettre en _uvre. Il y a eu de nombreux recrutements, deux à trois cents agents affectés dans les abattoirs ; les services, entre le début du mois de décembre 2000 et le 2 janvier 2001, se sont organisés. Cela ne s'est pas mal passé mais, pour vous livrer mon sentiment, on a pu faire croire à l'opinion publique que c'était par la réalisation de ces tests qu'on allait protéger sa santé. Or la véritable mesure de protection de la santé est celle qui consiste à retirer les MRS de tous les animaux. Les tests, vous le savez, ne peuvent permettre de dépister les animaux que quelques mois au mieux avant l'apparition des symptômes et un animal qui est en cours d'incubation depuis deux ou trois ans ne sera pas dépisté par les tests. Il me semble donc que cela fait partie de ces mesures décidées depuis novembre 2000 qui ont été prises par le Gouvernement pour répondre à la grande inquiétude de l'opinion publique et dont je pense qu'elles ne peuvent apporter qu'un progrès marginal par rapport à ce qui a été fait dès 1996 et qui est essentiel.

Ces mesures d'interdiction totale des farines et de dépistage systématique coûtent des milliards de francs. Si le Gouvernement a décidé de les prendre, c'est qu'il fallait le faire, et les services et les vétérinaires inspecteurs que nous sommes appliquent les mesures qui sont décidées ; mais mon sentiment est que l'on dépense des milliards de francs pour rassurer le consommateur, car le gain en termes de santé publique n'est peut-être pas aussi important qu'on voudrait le croire. Mais puisque ce dispositif a été décidé, je vous assure que les services s'organisent pour lui donner suite de la manière la plus professionnelle possible.

M. Pierre HELLIER : Il faut quand même rassurer la population. C'est essentiel.

M. Benoît ASSEMAT : Absolument. C'est pour cela que je dis que le Gouvernement devait prendre ces mesures. Il a décidé d'interdire toutes les farines animales, toutes les graisses animales, c'est très bien, mais on peut dire que l'appréciation scientifique est passée au second plan par rapport à la nécessité de rassurer la population. C'est du moins mon sentiment personnel.

M. Jean-Pierre DUPONT : L'un va avec l'autre. On connaît la durée moyenne de la période d'incubation. Mais il est intéressant de dire aux agriculteurs que l'on voulait prendre des mesures destinées à rassurer la population. Les animaux testés avaient eux aussi valeur d'image et cela s'inscrivait dans toute la transparence. Il est vrai que cela coûte très cher - à peu près à 250 francs par test. L'Etat et les collectivités territoriales ont fait un gros effort. Dans mon département, ce sont neuf emplois supplémentaires qui sont pris en charge.

M. le Président : Cela s'est fait dans tous les départements.

M. le Rapporteur : Se pose maintenant le problème du stockage des farines, avec les problèmes sanitaires qui en résultent. Qui va contrôler les stockages ? Cela relève-t-il de la compétence des services vétérinaires ? Partagez-vous les inquiétudes que nous avons à ce sujet ?

L'interdiction totale des farines répond davantage au souci de rassurer l'opinion publique qu'à un risque. Je parle pour les monogastriques : il me semble dommage que, pour rassurer l'opinion publique, on en vienne à stocker des farines de porcs et de volailles plutôt que les donner aux monogastriques. Mais il paraît difficile de dire aujourd'hui à l'opinion publique que l'on réintroduit les farines animales pour les monogastriques. En attendant, il faut stocker, mais on voit que cela pose de véritables problèmes. Quels sont les contrôles sanitaires des risques liés à ces stockages ?

M. Benoît ASSEMAT : Le contrôle de l'équarrissage a toujours été une attribution des services vétérinaires, effectuée par l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement, pour le compte du ministère de l'Environnement, afin d'éviter les pollutions et les nuisances vis-à-vis des tiers car, avant 1996, l'équarrissage récoltait tout ce qu'il y avait et le transformait en farines.

Depuis 1996, on a beaucoup improvisé, à tous les niveaux. On a improvisé aussi pour stocker les farines. Dans certains endroits on les a stockées dans des conditions très précaires. Il me semble que la situation est en train de se résorber, mais qu'elle ne l'est pas encore totalement. Cette part d'improvisation qu'il y a eu en 1996, nous en avons tiré les conséquences et, en novembre 2000, le nouveau dispositif a été mis en place dans des conditions beaucoup plus strictes et encadrées que précédemment.

Il me semble cependant, mais je ne connais pas la situation sur le terrain, que les farines animales sont actuellement stockées dans de meilleures conditions qu'auparavant. Dans ce qui est stocké, il y a le haut risque et le bas risque. Le haut risque est détruit. Donc, désormais, ce qui est stocké, contrairement à ce qui se passait en juin 1996, est du bas risque et il me semble que l'on a décidé de le stocker dans de bien meilleures conditions qu'on ne l'avait fait en 1996. C'est là un net progrès.

M. le Président : J'entends bien ce que vous dites, mais les capacités de destruction étant, semble-t-il, inférieures à la masse produite, cela pose le problème du stockage de farines à haut risque.

M. Benoît ASSEMAT : C'est le rôle des services vétérinaires que d'organiser ce contrôle. Dans les départements concernés, les DSV doivent lui donner une très grande importance et l'inscrire parmi leurs priorités d'action. Dans les DSV, si l'on ne met pas en _uvre des priorités d'action, on est incapable de mettre en _uvre l'ensemble des réglementations sanitaires. Cela doit donc être une priorité. Je ne sais si les services se heurtent à de réelles difficultés à l'heure actuelle.

Je voudrais répondre à la question de la réintroduction éventuelle de certaines farines. Si le rapport de l'AFSSA a clairement recommandé, pour les farines issues de ruminants, de maintenir l'interdiction de leur utilisation pour toutes les espèces, il me semble qu'il a laissé la porte ouverte pour les farines issues des porcs et des volailles, qui représentent 70 % de la masse des farines animales actuellement stockées et détruites. Je ne me prononcerai pas sur l'opportunité de cet assouplissement dans le contexte socio-économique actuel. L'AFSSA dit que, sur le plan scientifique, aucune raison ne s'y oppose. Mais est-ce acceptable par l'opinion publique ? C'est aux pouvoirs publics et à la représentation nationale d'en décider.

Par ailleurs, il faut rappeler, que dans une carcasse de bovin, de porc ou de volaille reconnue apte à la consommation, l'on ne consomme même pas la moitié de son poids. On peut considérer que c'est du gaspillage. Mais en disant cela, je me place plutôt sur le terrain des risques mais, au-delà du risque, il faut prendre en compte l'attente de la société et je ne voudrais surtout pas laisser croire que je conteste les mesures de sécurité et de précaution.

M. le Président : Avez-vous d'autres éléments à donner sur les conditions du contrôle des conditions dans lesquelles le stockage des farines est effectué ?

M. Benoît ASSEMAT : Je n'ai pas d'élément parce que, depuis trois ans, j'appartiens à la brigade d'enquêtes vétérinaires ; je n'ai pas eu à m'occuper de ce sujet. Concernant la mission interministérielle sur l'élimination des farines animales (MIEFA) et le recours aux préfets de zone, il me semble qu'ils ont du mal à trouver les sites, mais je n'ai pas d'éléments me permettant d'affirmer que nous n'avons pas la capacité de stockage suffisant. Mon sentiment est que nous avons connu tellement de problèmes avec les stockages faits en 1996, que l'on fait beaucoup mieux aujourd'hui. M. Coppalle, qui est secrétaire général de notre syndicat et qui est affecté à une DSV, pourrait vous apporter une réponse plus précise.

M. Jérôme COPPALLE : En ce qui concerne le stockage des farines animales, vu le niveau d'exigence très élevé, nous avons de réelles difficultés à trouver des sites. Je suis dans le département du Doubs et c'est toutes les semaines que nos équarrissages sont saturés. Il existe une réelle non-acceptation par les populations qui vivent à proximité des sites de stockage. Pour la Franche-Comté, nous avons fait le tour des quatre départements trois fois de suite. Il est impossible de trouver un site de stockage qui corresponde à tous les critères réglementaires précis.

M. Assemat a parlé de contrôle unifié de la chaîne alimentaire ; le stockage des farines en est encore l'illustration, car le contrôle unifié va jusqu'au contrôle des déchets de la chaîne alimentaire à travers le troisième service de la direction des services vétérinaires, qui est le service environnement, le service d'inspection des installations classées. Nous avons en France un contrôle unifié qui va de l'alimentation animale, en passant par la transformation jusqu'à l'épuration de l'industrie agroalimentaire, ce qui me semble très important.

M. le Président : Vous avez évoqué le temps qui s'était écoulé entre la prise de mesures de précaution en France et leur application à l'échelle communautaire. Aviez-vous des contacts avec vos collègues d'autres pays ? Quelle était la nature de ces contacts ? Avez-vous évoqué cette problématique des MRS ? Les importations en provenance de pays tiers, notamment des pays d'Europe centrale et orientale, font entrer des carcasses d'animaux qui n'ont pas fait l'objet des mêmes mesures de précaution, notamment en matière de test. Or, ces animaux ont sans doute été alimentés avec des farines contaminées, qui ont été importées dans ces pays. Quelle analyse faites-vous de cette difficulté ?

M. Benoît ASSEMAT : Les relations que j'ai pu avoir avec des collègues d'autres pays sont limitées. Je n'ai pu citer que deux exemples : l'Espagne que je connais bien, où j'ai fait plusieurs séjours à titre professionnel. Dans ce pays, notamment en Galice, la région d'Espagne la plus touchée par l'ESB, jusqu'à la crise qui s'est déclenchée en octobre-novembre 2000, il était totalement exclu de prendre la moindre mesure s'agissant des MRS. J'en ai longuement parlé avec eux. Ils étaient totalement persuadés de n'être jamais concernés par ce problème, alors qu'ils touchent le nord du Portugal qui est la région la plus atteinte par cette maladie, autant que le Royaume-Uni.

C'était assez incompréhensible, mais mon sentiment est qu'ils le croyaient profondément. Les responsables croyaient réellement ne pas être concernés par cette maladie. Ils appliquaient eux aussi des mesures nationales. Par exemple, pour les carcasses françaises, l'Espagne avait décidé de leur retirer la colonne vertébrale. La France était considérée comme infectée ; l'Espagne prenait donc des mesures de précaution. Les autres étaient totalement indemnes, donc, pas question d'en prendre. C'était aussi simple que cela, même si cela peut aujourd'hui paraître extraordinaire.

Deuxième exemple : les moutons britanniques ; vous le savez, la France en importe beaucoup. Les « mesures-miroirs » appliquées par la France consistaient à enlever la tête des moutons, quel que soit leur âge dès lors qu'ils venaient du Royaume-Uni. Le Royaume-Uni applique cette mesure pour ses agneaux de moins de six mois. Mais cette mesure ne peut s'appliquer que lorsque les services présents dans les abattoirs savent que des lots d'agneaux viennent du Royaume-Uni ; or, comme vous le savez, le commerce peut se faire de manière triangulaire, par les Pays-Bas notamment, qui ont expédié de grandes quantités d'agneaux britanniques avec des certificats établis par les Pays-Bas. Les ovins ont simplement comme garantie de venir d'un pays de l'Union européenne. Voilà donc la limite de ces mesures : si les services n'allaient pas dans le détail regarder l'identification de tous les moutons, on pouvait ne pas s'apercevoir qu'ils étaient britanniques. L'opérateur néerlandais aurait parfaitement pu retirer l'identification britannique et apposer l'identification Pays-Bas et expédier ces moutons de cette manière.

J'ai eu l'occasion dans mes fonctions d'intervenir sur ce dossier. J'avait été en relation avec l'attaché agricole des Pays-Bas à Paris ; il avait été convenu que les Pays-Bas signaleraient sur les papiers sanitaires qu'il s'agissait d'animaux britanniques. Mais ces mesures sanitaires ne sont pas communautaires. Pour ce qui concerne les pays tiers, j'imagine que, si l'Union européenne décide que toutes les carcasses doivent être testées, elle a les moyens de le faire.

M. Pierre HELLIER : En ce qui concerne le transport des animaux, nous avons eu récemment avec l'arrivée en Mayenne de lots d'agneaux un problème de fièvre aphteuse. Je suis un peu étonné que l'on soit obligé de faire entrer dans un centre un certain nombre d'animaux pour les répartir ensuite dans toute la France. Ne peut-on directement les envoyer chez l'éleveur qui les a commandés ? Je ne veux pas accuser qui que soit, mais je ne vois pas l'intérêt de ce genre de pratiques. C'est un problème franco-français, sans doute.

M. Benoît ASSEMAT : C'est un problème tout à fait communautaire, puisqu'il y a une réglementation applicable aux opérateurs qui organisent ces échanges intracommunautaires et un système d'agrément de ces centres de rassemblement. Tout cela est géré pour faire fonctionner le marché unique et éviter la dissémination des maladies. L'activité de négoce des animaux est une activité très répandue, que ce soit pour l'expédition - et la France est surtout exportatrice - ou pour l'importation. Lorsque des animaux sont expédiés de France vers les autres pays européens, ils sont rassemblés dans ces centres. Le certificat sanitaire n'est pas établi chez chacun des éleveurs détenteurs de broutards, mais les broutards qui sont expédiés, par exemple, vers l'Italie, sont regroupés dans ces centres et font l'objet d'une certification.

Il en est de même lors de l'arrivée. Quand vous avez cinq cents agneaux qui arrivent, vous pouvez avoir de gros opérateurs qui vont emporter directement ces cinq cents agneaux et d'autres qui vont en prendre trente pour tel destinataire, vingt pour tel autre. Je ne veux pas défendre les marchands de bestiaux, mais cette activité de négoce d'animaux vivants existe, il faut mieux l'encadrer et éviter, par exemple, des transports d'animaux qui durent vingt-quatre ou quarante-huit heures.

M. le Président : La question que je posais portait en fait sur les carcasses. Je posais la question de savoir si, actuellement, toutes les viandes issues de pays tiers et mises en circulation dans l'Union européenne ont fait l'objet des tests applicables aux animaux de plus de trente mois.

M. Benoît ASSEMAT : Personnellement, je n'ai pas connaissance de la réglementation actuelle, mais M. Coppalle m'indiquait que l'Union européenne avait pris une mesure pour demander que l'importation des pays tiers respecte les mêmes règles ; j'imagine qu'à partir de trente mois, les animaux sont testés. Si cet état de fait existe, cela signifie que cette nouvelle règle - je ne fais que des suppositions, car je n'ai pas d'éléments - a été diffusée à l'ensemble des postes d'inspection frontaliers. Il faudrait le vérifier en se rendant dans un des vingt-sept postes français. D'ailleurs, si vous avez l'occasion, la visite d'un poste d'inspection frontalier est extrêmement instructive pour voir comment ce contrôle est réalisé. Si cette réglementation existe, j'imagine que cela ne peut se faire qu'avec des mentions sur le certificat sanitaire où l'autorité du pays de départ indiquerait que, s'agissant d'un animal de plus de trente mois, il a bien été testé négativement. Je fais des suppositions. Evidemment, tout cela est contrôlé par l'Office alimentaire et vétérinaire (OAV), qui a pour fonction de vérifier au sein des Etats membres, et aussi dans les pays tiers, si les règles fixées sont bien respectées.

M. le Président : Cet office compte une centaine de personnes. Cent personnes pour contrôler tous les États membres et les pays tiers qui exportent dans la Communauté ! Vous évoquiez le manque de moyens avec 450 personnes pour 380 000 établissements à contrôler, je vous renvoie à votre propre analyse. Mais permettez-moi de m'étonner que vous ne soyez pas au courant des mesures en vigueur sur ce point.

M. Benoît ASSEMAT : Il faut dire qu'il n'y a que vingt-sept postes d'inspection frontaliers. Lorsque j'étais en poste dans les Vosges, il n'y avait pas de poste frontalier. Dans le département de la Corrèze, il n'y en avait pas non plus. C'est une activité que je connais pour avoir travaillé dans un autre cadre, mais que je n'ai pas pratiquée. Le contrôle de ce qui vient des pays tiers se fait uniquement à ces points-là et lorsque les marchandises sont entrées, que ce soit par l'Autriche, l'Espagne ou la France, elles prennent un statut communautaire. Une fois le premier contrôle effectué à l'importation des pays tiers, elles prennent un statut de marchandises communautaires. A partir de là, elles circulent librement.

C'est donc un domaine très spécialisé qui est piloté directement par la DGAL dans la mission de coordination internationale qui pilote, en direct, sur le plan technique, l'activité des vingt-sept postes d'inspection frontaliers. Je lis beaucoup la presse et m'intéresse à ce sujet, mais je regrette de ne pouvoir vous donner la réponse. C'est un sujet très spécialisé.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Louis LE PENSEC,
ancien ministre de l'Agriculture et de la Pêche
(juin 1997 - octobre 1998)

accompagné de
M. Jean-François COLLIN et de Mme Sophie BÉRANGER,
respectivement directeur de cabinet et conseillère technique
au cabinet de M. LE PENSEC de 1997 à 1998

(extrait du procès-verbal de la séance du 9 mai 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

MM. Louis Le Pensec, Jean-François Collin et Mme Sophie Béranger sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Louis Le Pensec, Jean-François Collin et Mme Sophie Béranger prêtent serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez été ministre de l'Agriculture de juin 1997 à octobre 1998. Vous êtes accompagné de votre ancien directeur de cabinet, M. Jean-François Collin et de Mme Sophie Béranger qui fut conseillère technique à vos côtés. Pendant la période où vous étiez ministre de l'Agriculture, en 1998, la France s'est décidée à appliquer la réglementation communautaire édictée en 1996, préconisant le chauffage des farines animales aux conditions techniques que vous connaissez bien : une température de 133° sous 3 bars pendant 20 minutes. Jusqu'alors la France estimait ces précautions inutiles puisqu'elle avait rendu obligatoire depuis 1996 le retrait des matières à haut risque et celui des matériaux à risque spécifiés, seuls susceptibles d'être contaminants. Il serait intéressant que vous nous indiquiez plus précisément les raisons qui ont incité les autorités françaises à adopter ces deux attitudes successives.

De même, vous pourrez nous exposer la manière dont vous avez abordé et géré cette affaire dite de la « vache folle » au ministère de l'Agriculture en coordination avec vos collègues de la Santé et des Finances. Vingt-cinq cas d'ESB avaient été enregistrés en France depuis 1991 ; il y en a eu six supplémentaires en 1997, dix-huit en 1998, trente et un en 1999 et cent soixante-deux en 2000.

Une de nos préoccupations porte sur les conditions dans lesquelles la recherche a été encouragée. Avez-vous, personnellement, été amené ou appelé à prendre des décisions concernant la recherche sur ces maladies, sur l'ESB en particulier. Nous aimerions également savoir comment vous avez veillé au contrôle des mesures qui étaient en vigueur s'agissant du retrait des matériaux à risque spécifiés, mais aussi de la réglementation des farines animales et de l'équarrissage. Un inspecteur général belge a fait des déclarations devant cette commission au sujet d'une entreprise qui, depuis, fait l'objet de poursuites judiciaires. La question du contrôle de l'application des mesures se pose fréquemment à nous. Nous aimerions que vous nous précisiez les conditions par lesquelles vous avez veillé à ce que ces contrôles puissent être correctement effectués.

Nous souhaiterions que vous nous livriez également vos réflexions sur l'attitude des instances européennes. Nous avons été très surpris de voir que certains Etats membres se soient déclarés indemnes de tous risques pendant des années et de constater le décalage entre les mesures françaises et les décisions communautaires. Nous avons d'ailleurs exprimé cette surprise la semaine dernière à Bruxelles auprès de M. Fischler, Commissaire en charge de l'Agriculture et M. Byrne, Commissaire à la Santé et à la protection des consommateurs.

M. Louis LE PENSEC : C'est bien volontiers que j'ai répondu à l'invitation de venir devant votre commission d'enquête, en espérant contribuer à servir la vérité en venant vous exposer et vous expliquer les décisions que j'ai pu prendre à la tête du ministère de l'Agriculture et de la Pêche de juin 1997 à octobre 1998. Cela me vaut le plaisir de retrouver certains d'entre vous, côtoyés au cours de ce dernier quart de siècle dans cette Assemblée. Je suis, pour y avoir participé, convaincu des contributions apportées par les commissions d'enquête.

Si je n'avais pas été conscient du fait que la question de l'alimentation et, plus précisément, de la sécurité des aliments solliciterait une grande part de mon attention et de mon temps de ministre de l'Agriculture, les faits m'auraient rapidement rappelé à la réalité. Au demeurant, M. le Premier ministre, Lionel Jospin, dans son discours de politique générale devant l'Assemblée le 17 juin 1997 citait la sécurité sanitaire parmi les priorités de son gouvernement.

Je me propose, ainsi que vous m'y invitez, de vous dire l'état de la question des farines animales lorsque je suis arrivé au ministère en juin 1997 ainsi que les décisions que j'ai prises en ce domaine. J'énoncerai les principes qui ont guidé mon action et j'évoquerai, bien évidemment, le contexte communautaire.

Tout d'abord, la situation en 1997.

On se souvient qu'en 1996, lorsque les autorités britanniques ont fait part de la possible transmission de l'ESB à l'homme, c'est en urgence qu'un comité interministériel sur les encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST) présidé par le docteur Dormont, a été mis en place. C'est sur la base des avis de ce comité que la grande majorité des mesures réglementaires a été prise au titre du respect du principe de précaution.

La première priorité, toujours rappelée par ce comité, a été d'éliminer de la chaîne alimentaire les organes ou tissus potentiellement contaminés par des prions - les matériaux à risque spécifiés - ainsi que les cadavres d'animaux et les saisies sanitaires d'abattoir. Ces mesures, qui furent adaptées au fur et à mesure de l'évolution des connaissances scientifiques, ont été mises en application dès 1996. L'interdiction de l'utilisation des farines carnées dans l'alimentation des bovins prise dès 1990 a été étendue à l'ensemble des ruminants en 1994. C'est en 1996 que l'embargo total concernant les animaux de l'espèce bovine originaires du Royaume-Uni ainsi des farines de viandes et d'os a été décidé par l'Union européenne.

En juin 1997, vingt-sept cas d'ESB avaient été détectés en France dans le cadre du réseau d'épidémiosurveillance clinique. Durant la suite de mon mandat ministériel, seize nouveaux cas furent mis en évidence. Cette situation classait la France, au sens de l'Office international des Epizooties (OIE), dans les pays à faible incidence, par opposition au Royaume-Uni, où le nombre cumulé de cas dépassait les 160 000. J'étais, toutefois, très vite interpellé par la jeunesse de certains animaux atteints par l'ESB, animaux de quatre ou cinq ans. Il s'agissait, dans le jargon vétérinaire, de cas dits NAIF, c'est-à-dire nés après l'interdiction des farines de viande, laquelle datait de 1990. Sur les quarante-trois cas observés depuis 1991, seize étaient des cas NAIF. Plusieurs hypothèses étaient alors émises pour expliquer la contamination de ces animaux.

La première était l'apparition de cas sporadiques de la maladie. L'existence d'une ESB sporadique avec une prévalence extrêmement faible, comparable à celle de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme, n'était pas exclue.

La deuxième était l'hypothèse de contaminations croisées, c'est-à-dire de contaminations entre les matières premières et aliments destinés aux bovins et matières premières et aliments destinés aux porcs ou aux volailles, qui auraient eu lieu lors de la fabrication ou de la distribution des aliments et expliqueraient une infection tardive.

La troisième hypothèse était celle de la contamination dite horizontale, par l'environnement.

La quatrième, celle de la contamination verticale : de la vache au veau.

La cinquième était liée à l'utilisation frauduleuse de farines d'origine britannique ou d'autres pays mettant en _uvre des mesures de précaution moindres.

Malgré l'interdiction prise par la France en 1989 d'importer des farines britanniques, celles-ci ont circulé en Europe jusqu'en juillet 1996, date à laquelle l'embargo total a été décidé. Il était difficile entre 1989 et 1996, de s'assurer de la provenance initiale des farines communautaires en l'absence de contrôles aux frontières.

L'hypothèse qui me semblait alors la plus probable était celle des contaminations croisées. Les mesures prises au cours du deuxième semestre de 1996, sur la base des avis du comité présidé par le docteur Dormont, apparaissaient comme suffisantes pour prévenir le risque résiduel. Aussi, compte tenu d'un délai moyen d'incubation de l'ESB de cinq ans, des cas étaient prévisibles au moins jusqu'en 2001.

L'autre sujet qui me préoccupait était celui des farines proprement dites. Mon prédécesseur, Philippe Vasseur, avait décidé de retirer de la consommation les matériels à risque spécifiés (MRS), des cadavres et des saisies d'abattoir. Ces matériaux étaient transformés en farines qualifiées « à haut risque » et destinées à la destruction par incinération.

En rythme annuel, en 1997, elles représentaient 120 000 tonnes. A mon arrivée au ministère de l'Agriculture et de la Pêche, 50 000 tonnes seulement avaient pu être incinérées. Il est vrai que les installations capables de brûler ces farines, c'est-à-dire principalement les cimenteries et les usines d'incinération, n'étaient pas des interlocuteurs habituels du secteur de l'équarrissage. Près de 110 000 tonnes étaient stockées dans l'attente de leur incinération, dont 20 000 tonnes en plein air du fait de la saturation des capacités de stockage. Ma première urgence a donc été de résorber ce stock, ce qui a pu être fait globalement à fin de 1998.

Concernant les farines valorisables, le principe de prévention de l'ESB en France comportait trois niveaux de sécurité pour l'alimentation animale : le premier concernait le retrait des MRS, des cadavres et des saisies sanitaires ; le deuxième était celui du traitement des autres matières, dites valorisables, selon un barème reconnu comme inactivant l'agent de l'ESB, les modalités étant laissées au choix de l'opérateur ; le troisième était celui de l'interdiction d'emploi des produits issus de matières valorisables dans l'alimentation des ruminants.

Toutefois, à l'échelle communautaire, le tri des matériaux présentant un risque n'était pas obligatoire. La France était le seul pays présentant une faible incidence de cas d'ESB qui détruisait les matériaux présentant des risques et qui s'assurait qu'ils n'entraient pas dans la chaîne alimentaire. Une décision communautaire imposait, à partir du 1er avril 1997, une obligation de traitement des farines selon un seul barème sans que, je le répète, soit imposé de tri préalable des matériaux potentiellement contaminés. Cette disposition présentait, selon moi, des garanties sanitaires moindres par rapport au système adopté en France. Je m'en suis entretenu avec le docteur Dormont, qui partageait cette analyse.

La France était en conflit avec l'Union européenne sur cette décision et notre pays avait fait l'objet d'une procédure d'infraction de la part de la Commission : tout d'abord, envoi d'une mise en demeure en juin ; puis, émission d'un avis motivé à l'encontre de la France. Un refus de notre pays l'aurait exposé à une action devant la Cour de justice des communautés européennes.

Le Comité sur les ESST a été saisi pour donner un avis sur le traitement imposé par la décision communautaire. Cet avis fut rendu en date du 18 décembre 1997. Il indiquait que ce traitement à 133° à 3 bars pendant vingt minutes pouvait présenter une sécurité supplémentaire dans le système mis en place, à condition de cumuler les précautions préconisées. Il précisait également que « la commercialisation à titre provisoire des farines de viandes et d'os, préparées en conformité avec la décision européenne 94-382 d'application en France, est considérée comme acceptable en attendant la mise en conformité des installations et des procédés de fabrication des farines de viande et d'os avec les décisions communautaires 96-449 et 97-735, c'est-à-dire le traitement des farines selon le procédé de chauffage à 133° durant vingt minutes à 3 bars. »

J'ai alors demandé au Premier ministre de réunir les ministres concernés par la sécurité sanitaire pour définir les modalités de prise en compte de l'avis du Comité sur les ESST. Le Premier ministre a accédé à ma demande et cette réunion a eu lieu à l'Hôtel Matignon le 26 janvier 1998. Il a été décidé lors de cette réunion de mettre en place les mesures nécessaires pour suivre cette recommandation sur le premier point, au titre du respect du principe de précaution et dans un souci d'apaisement des relations avec la Commission et d'harmonisation communautaire.

J'ai ainsi pris l'arrêté du 6 février 1998. Toutefois, j'ai décidé que cet arrêté relatif à la transformation des déchets animaux et régissant la production d'aliments destinés aux animaux serait d'application immédiate. Les stocks de farines qui n'avaient pas subi le traitement à 133° durant vingt minutes sous 3 bars ont été soit retraités, soit détruits. Il ne semblait pas souhaitable de gérer pendant une période intermédiaire qu'il aurait fallu définir, des stocks de farines valorisables traités et des stocks non traités.

De plus, le traitement permettait d'augmenter la sécurité du dispositif de prévention vis-à-vis de l'ESB. Sa mise en place immédiate paraissait préférable.

Bien évidemment, on mesure les dispositions financières d'accompagnement qu'il a fallu adopter pour aider les entreprises à se mettre aux normes et, pendant cette période de mise aux normes, du 6 février au 30 juin 1998, soit à détruire les farines non conformes, soit à les traiter selon le barème imposé. L'ensemble de ces mesures a eu un coût de 500 millions de francs.

Je voudrais à présent aborder la dimension communautaire du dossier. Il est à souligner que, pour toutes les mesures concernant l'ESB, un certain retard a été pris par les instances communautaires, par la Commission et par le Conseil. L'interdiction de l'emploi des farines de viandes dans l'alimentation et la fabrication d'aliments destinés aux bovins, par exemple, prise en France en 1990, ne devient communautaire qu'en 1994. Les premières mesures concernant le retrait des MRS de l'alimentation et leur incinération datent en France de 1996, alors que sur le plan communautaire, la décision n'a été adoptée par la Commission qu'en juillet 1997 et sa mise en _uvre n'a été effective dans toute l'Union que fin 2000.

Ce manque d'harmonisation a été fort dommageable. Il n'était pas possible d'interdire l'arrivée en France des produits provenant des autres pays européens sous prétexte qu'ils n'étaient pas obtenus conformément à nos normes. Cela aurait mis en cause de façon trop importante le marché unique. C'est la raison pour laquelle j'ai tenté, avec une détermination constante, de défendre les mesures de précaution prises en France et d'obtenir une harmonisation au sein de l'Union.

Dès le premier Conseil des ministres de l'Agriculture auquel je participais à Bruxelles au cours du premier mois de ma prise de fonctions, en juin 1997, j'ai souligné l'urgence qui s'imposait d'harmoniser, dans le souci du respect du principe de précaution, la politique communautaire en matière de surveillance, de lutte, d'éradication de l'ESB et de la tremblante au sein de l'Union européenne.

J'ai alors fortement appuyé l'initiative de la Commission pour le projet de décision visant à interdire l'utilisation des matériaux présentant des risques vis-à-vis de l'ESB, en regrettant toutefois que les cadavres d'animaux et les saisies d'abattoir ne soient pas prévus explicitement dans la liste. Je suis systématiquement revenu sur ce point lors des différents « Conseils Agriculture », en appuyant également l'initiative de la Commission portant sur l'interdiction de toutes les farines animales dans l'alimentation des ruminants.

Je soulignerai les positions de blocage systématique sur toutes ces décisions prises par les Etats membres qui n'avaient pas de cas d'ESB déclarés. Par exemple, la décision de la Commission relative au retrait des MRS, en date du 30 juillet 1997, aurait dû être d'application au 1er janvier 1998. Sur la pression des Etats membres « indemnes » d'ESB, la Commission a annoncé le 15 décembre 1997 le report de l'interdiction jusqu'au 1er avril 1998. Cette mesure fut par la suite à nouveau retardée d'avril 1998 à janvier 1999.

Lors du Conseil des ministres de l'Agriculture de mars 1998, j'avais réitéré ma demande concernant l'harmonisation de ces mesures, en refusant toute distinction entre les Etats membres qui avaient eu quelques cas natifs et qui appliqueraient les mesures et ceux qui n'en avaient pas eu officiellement et qui dérogeraient à ces mesures. La Commission avait ajouté cette proposition à la décision initiale pour essayer de dégager une majorité sur son projet. Il était pourtant déjà évident que le nombre de cas constatés dans certains Etats membres était étroitement lié au fonctionnement de leur réseau d'épidémiosurveillance.

Comment pouvait-on admettre que des animaux ayant subi la même exposition au risque, en consommant des farines britanniques, soient atteints d'ESB dans un pays sans l'être dans un pays voisin ? Les différentes crises sanitaires qui ont eu lieu ces dernières années - celle de l'ESB est en cela très illustrative - ont démontré que la surveillance de toutes les étapes du processus de production était importante.

J'acquis au fil des semaines passées au ministère de l'Agriculture la conviction que, pour que la sécurité sanitaire puissent être correctement assurée, il était nécessaire de disposer d'une analyse scientifique fiable, indépendante, qui permette de faire une analyse précise des risques ; mais la gestion des risques, c'est-à-dire les décisions découlant de cette analyse, devait, quant à elle, continuer de relever du politique, qui doit assumer la responsabilité de ses décisions, parfois difficiles à prendre face à l'incertitude scientifique.

C'est sur la base de cette séparation entre processus d'analyse et gestion des risques, principe repris par la plupart des instances internationales, que j'ai fondé mon action en matière de sécurité sanitaire. Je l'ai défendue au sein du Gouvernement et ce principe a prévalu lors de la création en 1998 de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA).

Cette agence, pôle d'expertises, a depuis montré combien sa capacité d'analyse était précieuse. Elle a en effet tout pouvoir pour évaluer les risques sanitaires, sur l'ensemble de la filière, de tout élément pouvant altérer la sécurité des aliments. Son rôle dans le domaine de l'expertise et de la recherche lui confère une capacité d'influence sur l'organisation et l'orientation de la recherche publique en matière d'alimentation. Ces conditions de saisine et de consultation en font un point de passage obligé de la décision publique dans son domaine de compétence.

Cet aspect d'évaluation des risques est primordial dans la gestion de la crise de l'ESB, puisque demeurent encore de grandes incertitudes sur cette maladie à commencer par l'agent qui en est la cause. Il est nécessaire de pouvoir adapter très rapidement les mesures réglementaires en fonction des connaissances scientifiques nouvellement acquises.

Quelles que soient les mesures prises, leur efficacité repose toujours sur le fait qu'elles soient effectivement respectées. Il est donc fondamental que les systèmes de contrôle soient efficaces. Dès le mois de juillet 1997, il m'est apparu capital que la sécurité et la qualité de l'alimentation, érigées au rang de priorité, aient une traduction budgétaire. En conséquence, le mois suivant mon entrée au ministère, j'ai décidé d'augmenter de 14 % des crédits qui y étaient consacrés.

Les crédits affectés au contrôle sanitaire des produits alimentaires et de la santé animale, mais aussi de l'hygiène des aliments, connurent dans le projet de loi de finances pour 1998 une progression, jamais égalée depuis, de plus de 21,3 % par rapport au budget de 1997. Les crédits consacrés aux analyses vétérinaires, ainsi qu'au fonctionnement des postes d'inspection frontalière et de la brigade d'intervention progressèrent de 13 %. Les services de contrôle français, c'est-à-dire les services vétérinaires, les douanes et la DGCCRF, ont montré à de nombreuses reprises leur efficacité et, récemment, la gestion de la crise de la fièvre aphteuse en a fourni une bonne illustration.

Le 12 mai 1997, le Gouvernement fut informé de l'enquête diligentée par la Commission concernant un trafic portant sur près de 1 600 tonnes de viande britannique, qui auraient transité par des entreprises belges. Les services français du ministère de l'Agriculture entreprirent le contrôle systématique des entreprises pouvant être incriminées. Les autorités françaises travaillèrent en étroite collaboration avec les autorités compétentes des Etats membres et de la Commission, c'est-à-dire l'Unité de coordination de la lutte antifraude (UCLAF) et l'Office alimentaire et vétérinaire (OAV). Deux dossiers furent remis au procureur de la République. Les autorités communautaires donnèrent acte à la France de sa collaboration et de l'efficacité des contrôles.

Compte tenu de la confiance que j'accordais aux services vétérinaires et afin de compléter et d'assurer une plus grande sécurité juridique à leur action, j'ai proposé de renforcer leurs pouvoirs dans le cadre de la loi d'orientation agricole. Les contrôles des services de l'Etat doivent pouvoir s'exercer tout le long de la filière alimentaire en remontant en amont, pour mieux appréhender l'ensemble des risques liés à l'alimentation. Les dispositions de la loi d'orientation agricole ont permis de renforcer la traçabilité dans les filières animales, car il est primordial de connaître l'histoire d'un produit alimentaire afin de pouvoir garantir qu'il ne présente pas de risque pour le consommateur.

La loi d'orientation agricole a également posé les fondements d'un système épidémiosurveillance qui permet de mieux orienter la stratégie de la qualité des aliments.

En conclusion, je soulignerai que les attentes des consommateurs en matière de sécurité sanitaire des aliments sont de plus en plus fortes. Elles sont légitimes. Lors de la Conférence internationale sur les farines qui a eu lieu pendant ma mandature, Mme Nicoli,  présidente de l'UFC, déclarait que les consommateurs seraient prêts à accepter que les farines animales soient données aux porcs, aux volailles et aux poissons, à condition que les matières premières soient saines. Elle poursuivait ses propos en insistant sur le fait que les pays de l'Union, hormis l'Angleterre et la France, continuaient à fabriquer ces farines à partir de cadavres et des saisies d'abattoir. Cela lui semblait tout à fait inadmissible. Actuellement, tous les consommateurs condamnent l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux et ont tendance à la lier au développement des productions intensives.

Le respect du principe de précaution est au c_ur des débats. Il nécessite de se poser la question d'agir face à l'incertitude scientifique. Il est de la responsabilité de chacun de ne pas céder à la précipitation et de prendre en compte dans les décisions l'évolution des connaissances scientifiques, en n'oubliant pas d'intégrer les fonctions culturelles et sociales des aliments. Il est également nécessaire que ces décisions soient prises en toute transparence vis-à-vis des parties concernées, qu'il s'agisse des consommateurs ou des scientifiques chargés de l'expertise.

L'ESB fut d'abord une question de santé animale. Elle n'est devenue une question de santé humaine qu'en 1996. Bien que le lien entre l'utilisation des farines animales et la transmission de l'ESB aux bovins soit établi par les scientifiques britanniques dès 1988, la question de la destruction des farines animales n'a pas été posée avant une date très récente. L'interdiction d'utilisation pour les ruminants, au plan communautaire, date de 1994. Quant aux monogastriques, tout le monde considérait jusqu'à la fin de l'année 2000, que les farines animales constituaient pour eux un apport de protéines utile et acceptable.

Nous travaillons dans un domaine dans lequel, à ce jour, sont posées plus de questions que de certitudes. L'existence d'un risque est une chose, la probabilité de survenue de ce risque en est une autre, l'évaluation de sa gravité en est une troisième. La difficulté de la décision politique est de prendre des décisions qui soient proportionnées au risque encouru en l'absence de certitude.

Aucune décision n'est sans inconvénient. L'interdiction d'utilisation des farines carnées dans l'alimentation animale pose, à son tour, des problèmes environnementaux et sanitaires liés aux conditions de stockage pendant de longues périodes, puis aux conditions de destruction. C'est la raison pour laquelle, lorsque la question d'une éventuelle interdiction d'utilisation a été évoquée en 1998 en France au niveau interministériel, il ne s'est trouvé personne pour défendre cette solution, notamment du côté des scientifiques spécialistes de ces questions. Finalement, cette décision a été prise en raison des risques de non-respect des décisions prises par les pouvoirs publics, et non en raison de l'inadaptation de ces décisions.

M. le Président : Sur un marché unique, depuis 1993, l'absence d'harmonisation des mesures sanitaires a suscité l'incompréhension des producteurs qui se voyaient imposer des mesures que d'autres n'étaient pas tenus de respecter, alors que les marchandises circulaient librement. Vous avez particulièrement insisté sur ce point qui semble effectivement central. Nous nous interrogeons sur l'articulation possible entre des agences nationales, comme l'AFSSA, et la future agence européenne. En cas de désaccord entre instances européennes et instances nationales, comment les règles s'appliqueront-elles ?

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous apporter des précisions sur le stockage des farines à haut risque ? Vous avez indiqué que, fin 1998, le problème de leur stockage était réglé. J'ai pu constater personnellement dans mon département qu'un certain nombre de farines avaient été stockées dans des conditions qui n'étaient pas toujours adéquates dans les années 1996 et 1997. Êtes-vous certain que, fin 1998, la totalité du stock des farines avait pu être incinéré ou détruit ? Que s'est-il passé dans les années qui ont suivi ? A-t-on continué à les stocker ? Et si oui, dans quelles conditions ?

Par ailleurs, les ministres de l'Agriculture, nous le savons, sont en relation constante avec les organisations professionnelles agricoles. Quel était l'état de réflexion de ces dernières ? Certains, dont la FNGDS, nous disent qu'elles alertaient régulièrement les ministères sur les risques liés à l'utilisation des farines de viande et d'os. En avez-vous entendu parler ?

Comment réagissaient ces organisations professionnelles par rapport à l'ESB ? Il est tout de même assez surprenant de constater la différence entre la crise dans ces années-là et celle de 2000. Dans les années 1998-1999, la consommation a repris, malgré la survenance de cas d'ESB. Cela n'a pas été le cas lors de la nouvelle crise de 2000.

Pouvez-vous nous dire quel était, à l'époque, le sentiment de ces organisations, dont on sait l'influence qu'elles peuvent avoir sur le plan national ? Vous ont-elles alerté ? Permettez-moi d'être direct : compte tenu du faible coût de ces aliments procurant des compléments en protéines intéressants, et compte tenu du contexte communautaire, les considérations d'ordre économique ne l'ont-elles pas emporté sur celles relatives à la santé publique ?

M. Louis LE PENSEC : Je confirme les chiffres et les dates que j'ai pu donner en matière de gestion de farines à haut risque. Certes, cela ne représente que quelques lignes dans mon intervention mais, faut-il le dire, ce fut une question très lourde, à laquelle était d'ailleurs quotidiennement confrontée ma conseillère technique. Avec votre autorisation, Mme Sophie Béranger, qui a géré ce très délicat dossier avec mon entier soutien et mes encouragements, pourrait vous répondre sur ce point.

Mme Sophie BÉRANGER : Le stockage des farines à haut risque était l'une de mes priorités, à vrai dire la première d'entre elles. En effet, la résorption de ce stockage a demandé un délai, parce que certaines de ces farines ne correspondaient pas aux normes techniques des entreprises susceptibles de les brûler.

Lorsque la mesure fut prise en 1996, la fabrication de farines s'est poursuivie selon les modes anciens et, de mémoire, nous avions ce que l'on appelle les « farines grasses », farines que les cimentiers ne savaient pas brûler. Il a fallu mettre au point des systèmes capables de retraiter ces farines et trouver des débouchés. Cela a pris un certain temps, de l'ordre d'un an.

La première priorité était d'éliminer les stocks de farines stockées en plein air. Comme le disait M. le ministre, il y en avait 20 000 tonnes. Elles ont pu être résorbées assez rapidement, au bout d'un an. Des appels d'offres ont été lancés. Lorsque l'on regarde les chiffres, en gros, la production des farines à risque était de 120 000 tonnes et la capacité d'incinération de 240 000 ; fin 1998, il n'y avait plus de farines à haut risque stockées en plein air.

M. le Rapporteur : Le moyen, c'était l'incinération ?

Mme Sophie BERANGER : Oui. L'incinération s'est effectuée par deux biais : les cimentiers et les usines de traitement d'ordures ménagères.

M. le Rapporteur : C'était un travail important, parce que cela posait un réel problème de santé publique. Par la suite, arrivait-on à détruire les farines à haut risque au fur et à mesure qu'on les produisait ?

Mme Sophie BÉRANGER : Tout ce que je peux dire, c'est qu'en 1997-1998, étaient produites 120 000 tonnes de farines à haut risque, alors que la capacité de destruction était de 240 000. Donc, normalement, nous avions une marge d'ajustement qui n'était, malgré tout, pas si évidente que cela parce que, pour brûler dans certaines installations, il fallait que les farines obéissent à des spécifications techniques précises. La difficulté a été de faire en sorte que certaines farines rentrent dans cette spécification.

M. Louis LE PENSEC : Je puis apporter quelques éléments de réponse sur cette question, car en tant qu'élu local ayant dans sa zone d'influence un établissement d'équarrissage, je reste confronté quotidiennement à la question des farines. Mais le hasard des choses fait que celui qui fut mon directeur de cabinet à l'Agriculture est actuellement le directeur de cabinet de la ministre de l'Environnement. Il a notamment en charge cette question, telle qu'elle se présente aux pouvoirs publics, avec la nécessité de mettre en place un dispositif de traitement de ces farines à risque. Avec votre autorisation, il peut vous dire concrètement, et synthétiquement, quel est aujourd'hui l'état de la question.

M. Jean-François COLLIN : Les volumes concernés après la décision d'interdiction des farines carnées pour l'alimentation animale ont évidemment beaucoup progressé, puisque nous n'en sommes plus à un volume de 120 000 tonnes par an, mais de l'ordre de un million de tonnes par an de farines animales à détruire, sans faire la distinction désormais entre farines à haut risque ou à bas risque, puisque toutes sont vouées à la destruction, même si les modalités peuvent être différentes.

Pour répondre d'un mot à la question que vous avez évoquée, les capacités de destruction actuellement mobilisables ne sont pas suffisantes pour absorber les volumes de farines qu'il faut éliminer chaque année.

Mme Béranger rappelait les capacités sur lesquelles on pouvait compter de façon certaine, qui sont de l'ordre de 250 000 tonnes mobilisables immédiatement, auxquelles s'ajoutent des capacités qui étaient déjà utilisables à l'étranger, c'est-à-dire en Allemagne, qui utilise ces farines animales pour produire de l'énergie. Cela porte à 400 000 tonnes ces possibilités. Le reste sont des capacités potentielles.

Une mission interministérielle a été constituée, vous le savez, sous la présidence d'un préfet pour contrôler cela au jour le jour et conduire les négociations avec les cimentiers et d'autres intervenants potentiels. Il semble que, pour détruire les graisses animales, ce soit relativement simple. Il s'agit d'une source d'énergie assez proche du fioul lourd et qui trouve un débouché dans des conditions relativement simples.

En revanche, pour les farines, nous avons lancé un appel d'offres, qui est en cours actuellement. Nous devrions recueillir bientôt les propositions des différentes professions que cela concerne, non seulement les cimentiers, mais aussi certains industriels, qui préconisent d'autres solutions techniques, comme la pyrolyse, par exemple. Il faut voir également dans quelles conditions peuvent être sollicitées les installations de destruction des ordures ménagères.

Bref, nous avons une palette de solutions qui sont à creuser sur le plan technique, mais aussi sur le plan réglementaire car, chaque fois, il s'agit d'installations classées qui ont besoin d'autorisations spécifiques pour pouvoir détruire ces farines.

M. Louis LE PENSEC : Pour poursuivre ma réponse aux questions posées par M. le Rapporteur et vous-même sur l'alerte du ministre et les risques liés à la consommation de farines, je le dis, sans crainte d'être démenti : aucune organisation professionnelle n'a alerté le ministre ou son cabinet sur les risques liés à la consommation des farines valorisables. Personne n'a véritablement posé la question de l'interdiction des farines pour les monogastriques avant 2000. Faut-il rappeler que la décision de suspension et d'interdiction a été prise par les pouvoirs publics en novembre 2000. Mais personne, ni au niveau du ministre, ni au niveau de son cabinet, n'a souvenir d'un quelconque courrier ou même de propos d'organisations professionnelles qui auraient évoqué cette question.

Vous citiez, M. le président, la question de la recherche. Je précise que celle-ci était conduite par plusieurs organismes : l'INRA, le CNEVA avant son intégration à l'AFSSA, l'INSERM, mais aussi le laboratoire du docteur Dormont au CEA ou celui de Mme Brugère-Picoux à l'Ecole nationale vétérinaire d'Alfort. C'est donc au sein du comité interministériel de lutte contre les ESST que les besoins de recherche apparaissaient et que la coordination entre les différents partenaires pouvait se faire en matière de recherche.

Depuis 1998, c'est l'AFSSA qui joue un rôle majeur d'expertise. Bien évidemment, je m'étais assuré lors de la préparation du budget de 1998 que la recherche ne manquait pas d'argent. En tout cas, il n'y a pas eu d'expression, au niveau du ministre, d'un manque de moyens pour conduire la recherche sur l'ESB au sein du ministère de l'Agriculture.

M. le Président : Vous avez parlé de différentes hypothèses relatives aux cas d'ESB décelés. Parmi ces hypothèses, vous citiez les contaminations croisées, hypothèse sérieusement accréditée par les scientifiques que nous avons pu auditionner. Après avoir constaté ces cas, avez-vous pris des mesures visant à éviter cette contamination croisée ? En fonction de l'état des connaissances de l'époque et non de ce que nous savons aujourd'hui, s'agissait-il d'un sujet évoqué devant vous de manière récurrente ?

M. Louis LE PENSEC : Puisque nous émettions cette hypothèse, bien évidemment, nous en tirions des conclusions pour l'action. J'ai demandé un rapport sur les farines au comité permanent de coordination des inspections (COPERCI). C'est un rapport réalisé par M. Le Bail. Il comportait un volet sanitaire mais aussi un volet financier, puisqu'il s'agissait de mesurer l'évolution de la taxe d'équarrissage. Ce rapport n'a pas été rendu public, car il concernait le fonctionnement des services vétérinaires et qu'aucune demande n'a été formulée sur le sujet justifiant qu'il soit rendu public.

Dès que les premiers éléments de ce rapport ont été connus, des mesures correctives ont été prises. En particulier, dès mars 1998, une note de service prenant en compte les recommandations de ce rapport précisait les modalités d'application de l'arrêté du 6 février 1998 qui faisait suite à la mise aux normes communautaires des installations de traitement. La note de service indiquait aux services vétérinaires qu'il était impératif de réaliser une visite sanitaire tous les quinze jours. C'était donc un premier renseignement à tirer d'éventuels dysfonctionnements qui auraient pu exister suite aux observations du COPERCI.

M. le Président : C'était un problème sur lequel vous aviez le sentiment qu'il fallait réagir rapidement ?

M. Louis LE PENSEC : Ma conseillère technique peut éventuellement intervenir sur cette question des contaminations croisées, s'il lui est apparu quelque élément complémentaire à vous communiquer.

Mme Sophie BÉRANGER : Nous sommes ici aux frontières des compétences entre ministère de l'Agriculture et ministère des Finances. En fait, tout ce qui est inspection dans les établissements de fabrication des farines relève des services de la répression des fraudes. Bien évidemment, il y a eu des enquêtes au niveau des équarrisseurs, mais également, du côté des finances, au niveau des unités de fabrication. Je dois donc avouer n'en avoir pas gardé souvenir car cela ne relevait pas de la compétence propre du ministère de l'Agriculture.

M. Pierre HELLIER : A propos des problèmes qui existent entre les différentes administrations, que pensez-vous du souhait des services vétérinaires d'une indépendance par rapport aux directions départementales de l'Agriculture ? Pensez-vous qu'il faudrait leur accorder une autonomie plus grande ?

M. Louis LE PENSEC : J'ai tout à l'heure donné acte à ces services qu'ils avaient, à mes yeux, correctement rempli leur mission et que je leur faisais confiance. Je n'étais donc pas demandeur, pour ma part, de la mesure que vous évoquez. Mon conseiller technique qui a eu à traiter directement avec ce corps important de fonctionnaires a peut-être une leçon de l'expérience à donner.

M. le Président : Pour compléter la question de M. Hellier, je précise que le président du Syndicat national des vétérinaires inspecteurs de l'administration (SNVIA) a évoqué le souhait d'autonomie des DSV par rapport aux DDA.

M. Louis LE PENSEC : Pour la coordination, certes, mais pour ce qui est de l'autonomie, ils l'ont déjà, de fait, actuellement.

M. le Président : Ce n'est pas ce que nous a dit leur président.

M. Louis LE PENSEC : Ma conseillère technique, qui est vétérinaire de formation, est actuellement DDA. On ne peut aller à meilleure source. Elle peut attester ce point de vue.

Mme Sophie BÉRANGER : Je suis en effet vétérinaire et puis affirmer qu'effectivement, la partie hygiène alimentaire relève du directeur des services vétérinaires et ne relève pas de la DDA. La DSV est directement liée au préfet pour cette partie. La partie santé animale qui relève de la compétence de la DDA. En termes d'organisation des services, c'est un ensemble satisfaisant, puisque la DDA contrôle le système des primes et qu'il est donc important qu'elle sache que chez tel éleveur, par exemple, les pratiques en matière de prophylaxie sont douteuses, afin de pouvoir adapter la situation en termes de primes à verser ou à ne pas verser. Mais pour ce qui est de l'hygiène alimentaire et de la sécurité sanitaire des aliments, les services vétérinaires ne relèvent pas de la DDA.

M. le Président : Voilà une précision utile. Donc, la réflexion concernait la partie santé animale.

M. Pierre HELLIER : Les vétérinaires de l'administration souhaitent une plus grande autonomie par rapport à la DDA, autonomie que, personnellement, je serais assez partisan de leur accorder.

M. le Rapporteur : M. le ministre, vous avez participé à la préparation de la loi d'orientation agricole que vous avez défendue en première lecture. Il faut nous projeter vers l'avenir : derrière ce problème de farines que vous aviez relevé, se pose celui des protéines et des protéagineux, et notamment celui de la mise en _uvre d'un plan qui permette d'être moins dépendants dans ce domaine. Or on nous a fait comprendre très clairement à Bruxelles que, compte tenu du coût que pourrait représenter un tel plan, il n'en était pas question et que nous resterions dépendants des importations de pays tiers, qui coûtaient moins cher. De surcroît, la quantité de protéines végétales dont l'Europe a besoin pour remplacer les FVO est de 2 millions de tonnes par an, chiffre à rapprocher des 30 millions de tonnes qu'elle importe déjà des Etats-Unis ou du Brésil.

Pensez-vous qu'un développement des CTE, notamment des CTE herbagers, qu'il convient par ailleurs de simplifier, soit une des solutions ? Par rapport aux importations, aviez-vous eu déjà à l'époque des contacts ? Je pense notamment à l'importation de soja et au problème sous-jacent des OGM.

M. Louis LE PENSEC : Quant à la nécessité d'un plan protéines, non seulement j'y souscris, mais je souhaite qu'une volonté politique, non seulement nationale - je crois que celle-ci existe - mais communautaire s'exprime en la matière, quitte à s'opposer à ce qu'ont été les décisions américaines des accords de Blair House et à leurs conséquences. Je voudrais que l'Europe se dote d'un véritable plan en matière protéines et d'oléagineux. Cela n'a que trop tardé. Je m'en étais fait déjà l'écho lorsqu'il s'était agi d'engager les premières discussions de renégociations de la PAC. Cela me paraît être l'évidence.

En ce qui concerne les CTE herbagers, j'ai eu, comme vous le disiez, à faire valoir en première lecture, avec parfois l'accord et le soutien de votre président, et parfois ses contre-arguments, l'intérêt des CTE pour marquer une nouvelle orientation de l'agriculture. J'ai pu regretter les atermoiements communautaires dans les réponses en matière de financements et d'accord sur le plan de développement rural. Cela a pu conduire à un retard dans la mise en _uvre des contrats territoriaux d'exploitation, puisque, si nous en sommes à environ 6 000 actuellement, l'objectif en fin de législature était de 100 000.

Cela étant, ce qui est proposé en matière de CTE herbager me semble aller dans la bonne direction. Je ne méconnais pas les considérations financières, c'est-à-dire la cessation à terme, en 2002, du dispositif de la prime à l'herbe. Le CTE herbager va soutenir les éleveurs qui sont engagés dans une démarche de production des viandes de qualité et de valorisation des surfaces herbagères. Je note que ce que l'on appelle les « éleveurs cibles » de ces CTE herbagers ne sont pas, en général, les utilisateurs de compléments alimentaires, puisque dans leur système de production, c'est bien l'herbe qui est la base de l'alimentation des bovins. Ces éleveurs ont souvent eu des difficultés compte tenu des crises successives. Le président en sait quelque chose. Ce sont pourtant des acteurs clés du développement rural. Pour ma part, j'espère que les CTE herbagers permettront de les aider mais aussi de reconnaître leur travail.

M. le Président : A la lumière de votre expérience ministérielle et des déroulements successifs de cette crise, dont les derniers en date sont les décisions prises à l'échelle communautaire, quelles leçons tirez-vous sur les difficultés de contrôle ? La difficulté du contrôle a été réelle. Lorsque vous avez parlé des contrôles des mesures prises en matière de sécurité sanitaire, vous avez rappelé que les farines britanniques avaient circulé en Europe de 1989 à 1996. Notre étonnement a été grand en entendant de nombreux intervenants nous parler de possibilités de fraude, jusqu'à ce qu'un témoignage déposé devant la commission d'enquête et repris par la presse - dont je salue le concours à la manifestation de la vérité - ne mette à jour ce qui ressemble à un circuit de fraude.

Quelles leçons en tirez-vous ? Comment faire coïncider les règles d'un marché unique avec les contraintes que la sécurité sanitaire ou alimentaire imposent de prendre ?

M. Louis LE PENSEC : Tout au long de mon exposé liminaire et dans sa conclusion, j'ai énoncé ce qui me semblait devoir s'imposer si l'on cherche à limiter le risque le plus possible. J'avais pour souci de m'assurer que des décisions prises étaient bien appliquées, du moins que la réglementation était appliquée. Rien n'est plus pareil dans la conduite d'un ministère depuis l'affaire du sang contaminé, singulièrement pour le ministère de l'Agriculture, et, à n'en pas douter pour le ministère de la Santé. Dès que l'on franchit la porte de ces ministères, on a l'obsession du risque.

C'était cependant une préoccupation qui m'habitait depuis de nombreuses années. Je signale, car les mémoires sont fragiles, que je pense avoir été le premier à déposer à l'Assemblée nationale une proposition de loi dans les années 70 portant sur le risque technologique majeur, dans la mesure où j'avais été un peu le disciple du grand théoricien français en ce domaine, Patrick Lagadec. Le risque et la gestion du risque, je les avais donc déjà en tête.

Puis, il y a eu l'affaire du sang contaminé et le souci partagé par tout ministère de se poser, chaque matin, la question de savoir si l'on a fait tout ce qui convenait. C'était une obsession partagée par tout le cabinet. Certes, le premier jour, on ne m'a pas parlé des farines animales car, ces premiers jours furent consacrés à la crise des productions légumières. C'est dire tous les aléas de la gestion de ce ministère, qui est un ministère de crises. Mais chacun dans son domaine, et singulièrement ceux qui m'entourent aujourd'hui, était habité par cette obsession que le règlement et la loi fussent bien mis en _uvre ; d'où la nécessité de contrôles permanents.

Je pense que, sur des questions qui recèlent encore nombre d'incertitudes - et je ne doute pas que ceux que vous avez pu entendre sur la question de l'ESB n'aient fait état de ces incertitudes - il est un point qui me semble capital, celui de l'expertise contradictoire. Les connaissances évoluent. Lorsque l'on mesure en dix ans ce que l'on a pu apprendre et ce qui reste à défricher en matière d'ESB, il est essentiel que les différents points de vue de la science aient la possibilité de s'exprimer à travers un débat public organisé. Il convient de souligner que le premier débat organisé par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en matière de sécurité alimentaire portait sur les OGM. C'est dans cette enceinte que fut organisé un débat public. Il était capital que les scientifiques porteurs, non pas de vérité, mais de connaissances, d'appréciations, puissent les confronter, contradictoirement. Cela m'apparaît comme une exigence fondamentale.

Vous avez, à plusieurs reprises, évoqué le rôle des instances communautaires et des Etats membres. Il est évident que, de ce point de vue, il y a des failles ou, en tout cas, des insuffisances. Il est difficilement acceptable qu'en matière d'accès au marché, on s'aligne sur le moins-disant sanitaire. C'est ce à quoi nous avons pu assister au cours de ces dernières années, singulièrement sur le cas de l'ESB.

A l'heure où l'Europe veut se doter non seulement d'une constitution, mais d'une méthode de gouvernance à travers le débat ouvert sur le Livre blanc, je pense que c'est une suggestion qui peut être faite que, dans ces domaines sanitaires, des restrictions ne soient pas apportées à l'application des mesures nationales qui pourraient mieux servir la santé. Je me suis heurté à plusieurs reprises à l'incompréhension de mes homologues étrangers. Je n'ai pas à montrer du doigt certains Etats membres, les chiffres d'ESB qu'ils ont connus par la suite les désignant suffisamment comme ayant pu entraver la recherche de dispositions qui auraient encore limité les risques...

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. François PATRIAT,
secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises,
au commerce et à l'artisanat,

(extrait du procès-verbal de la séance du 9 mai 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. François Patriat est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. François Patriat prête serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Nous souhaitons examiner avec vous le dispositif mis en place pour protéger et rassurer le consommateur. Nous sommes confrontés à la problématique suivante : comment faire comprendre que la viande bovine est désormais plus sûre que jamais, comment étayer cette information, comment faire pour que la transparence de la filière, grâce aux méthodes de traçabilité de l'étiquetage soit pleinement garantie au consommateur ?

Il y a aussi tous les sujets d'actualité sur lesquels nous souhaitons vous entendre, notamment pour ce qui concerne l'étiquetage des produits destinés tant à l'alimentation animale qu'à la consommation humaine. Nous souhaitons également avoir votre appréciation sur cette crise qui dure depuis quelques années déjà et sur les difficultés de sa gestion, notamment dans le marché unique où les règles de sécurité sanitaire ne sont pas harmonisées, avec l'incompréhension que cela suscite chez les consommateurs et les producteurs eux-mêmes qui se voient imposer des contraintes au nom de la sécurité alimentaire que d'autres pays ne s'imposent pas.

M. François PATRIAT : Je réduirai volontairement mon propos à la partie consommation, à ses causes et incidences vues à travers les fonctions dont j'ai la charge, notamment en matière de contrôle, tant sur l'identité des produits que sur la loyauté des transactions et l'étiquetage. Je vous donnerai des éléments d'information sur l'état du marché de la viande à l'heure actuelle, l'état de la consommation, l'évolution des prix, des coûts, et le surcoût que représente aujourd'hui la sécurisation.

Arrivé au secrétariat d'État chargé de la consommation en octobre 2000, j'ai été immédiatement immergé dans les sujets touchant à l'ESB. Le lendemain de mon installation, j'ai vu mes services et les services vétérinaires confrontés à l'affaire Soviba, dans le Calvados. Ces mêmes services travaillaient sur l'allongement de la liste des matériaux à risque spécifiés (M.R.S.) alors que, dans le même temps, le débat sur le devenir des farines atteignait les sommets de l'État. Ma première déclaration publique prônait un moratoire sur les farines. J'avais demandé qu'un plan soit établi pour l'arrêt total des farines animales dans l'alimentation pour des raisons de sécurité et de caractère politique qui me paraissaient évidentes.

Je souhaite brièvement vous entretenir de la façon dont j'ai apporté ma contribution sur ce sujet sensible de l'ESB et, dans un deuxième temps, faire un commentaire sur l'actualité réglementaire de la « vache folle ».

Ma contribution pourrait être rassemblée sous le triptyque : contrôles, coopération, consommateurs. S'agissant des contrôles, dès mon arrivée, j'ai tenu à m'assurer que la pression de contrôle était suffisante. J'ai même demandé qu'elle soit renforcée. Les Français réclament moins de nouvelles lois que l'application effective des textes en vigueur.

Avec l'interdiction générale des farines le 14 novembre 2000, il m'a semblé indispensable de rehausser nos contrôles pour qu'ils soient à la hauteur de cette mesure sans précédent. Ainsi, j'ai demandé, en plein accord avec son directeur général, le doublement du nombre de prélèvements des aliments pour animaux dans le plan de contrôle ESB de la DGCCRF en 2001. J'ai eu conscience d'exiger beaucoup de ces services, qui ont plusieurs fonctions dans l'alimentation, afin de les focaliser sur ce dossier pour des raisons évidentes de santé et de sécurité devant l'ampleur du drame auquel nous étions confrontés.

Pour l'ensemble de l'année 2001, deux mille prélèvements devront être réalisés sur les aliments destinés à tous les animaux de rente. Vous pourrez vous en rendre compte vous-mêmes sur le terrain. À ce jour, près de 650 prélèvements ont d'ores et déjà été réalisés. Bien entendu, on poursuit, mois après mois, le programme de contrôle sur l'étiquetage et la traçabilité des viandes engagé depuis le 25 mars 1996. À ce jour, la DGCCRF a effectué plus de 66 000 contrôles. Nous constatons toujours des cas de fraudes et nous les faisons sanctionner (467 procédures contentieuses ont été engagées depuis 5 ans).

Sur le dossier de l'ESB et plus largement sur les produits alimentaires, l'opinion exprime plus que jamais un besoin social de contrôles. Des contrôles sur la sécurité d'abord, mais aussi sur la loyauté de l'information (étiquetage et publicité). À cet égard, j'ai le sentiment d'une forte mobilisation de la DGCCRF. J'ai d'ailleurs obtenu avec le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, un renforcement des effectifs par la création de 22 postes en début d'année.

Ces contrôles s'inscrivent plus largement dans le plan du gouvernement en matière de lutte contre l'ESB. En particulier, il faut rappeler le programme de dépistage mis en place par le ministère de l'agriculture : près de 600 000 tests réalisés depuis juin 2000. Le potentiel actuel est de 60 000 tests par semaine, soit 1,5 fois la consommation de viande d'abattage en France.

S'agissant de la coopération, j'ai conscience que la coopération interservices constitue en matière de sécurité alimentaire, plus que sur tout autre terrain, le mode d'action nécessaire pour une efficacité optimale. M. Glavany a déjà dû évoquer notre action transversale entre les services des douanes, la DGCCRF, DGAL, DGS. Les services de contrôle travaillent ensemble dans le cadre de protocoles d'accord (Douanes/DGCCRF) (DGCCRF/DGAL/DGS) qui ont été mis en place depuis trois ans. Ce n'est sans doute pas une révolution, mais en tout cas une nouveauté par rapport à des actions auparavant verticales, parfois même concurrentes.

J'ai voulu m'assurer de l'effectivité de cette coopération en créant une cellule de suivi de la coopération Douanes - DGCCRF avec les cabinets et les services. J'ai demandé en particulier que les Douanes et la DGCCRF établissent ensemble, un bilan précis de leur coopération pour l'année 2000 et examinent les moyens techniques et juridiques de renforcement de leurs actions.

Le travail commun est bien entendu toujours perfectible, mais le bilan est encourageant et il me semble que le réflexe de la coopération inter-administrative est maintenant acquis. Je resterai vigilant sur ce point. Cela se décline dans les départements. Nous avons d'ailleurs pu rencontrer ensemble la cellule de crise où collaborent les services de la santé, de l'agriculture, de la DGCCRF, des Douanes.

S'agissant des consommateurs, le rôle d'un ministre de la consommation est d'aider les consommateurs à être acteurs. C'est le moins quand on parle de sécurité alimentaire. J'ai tenu à informer régulièrement les organisations de consommateurs sur ce sujet extrêmement sensible en les réunissant régulièrement pour commenter les mesures nouvelles et les résultats des contrôles, pour écouter leurs avis ou leurs inquiétudes et pour tracer avec eux des perspectives.

Le 24 avril, lors de notre dernière rencontre, nous nous sommes entretenus de l'étiquetage des viandes, de leur traçabilité, des coûts liés à la sécurité et du dépistage. La synthèse de l'évolution des marchés et des prix leur a été communiquée. Je maintiendrai ce parti pris de transparence et le contact direct et régulier avec les organisations de consommateurs. Aucun sujet ne doit être tabou avec elles.

Par ailleurs, j'ai demandé à la DGCCRF de préparer une rubrique Internet sur les contrôles alimentaires : programmes, moyens et résultats. Cette rubrique sera mise en ligne courant du mois de juin. En effet, il me paraît essentiel non seulement d'améliorer la pédagogie de l'information, mais aussi d'élargir l'accès à cette information.

S'agissant de la prévention et des mesures réglementaires, la France reste fondamentalement volontariste, comme elle l'est depuis le début. Qu'on l'admette ou non, la France a toujours eu un temps d'avance sur ses partenaires dans la prise de mesures de prévention. Je peux parler d'expérience avec l'interdiction des farines en novembre 2000 qui a, comme on le sait, précipité la décision communautaire d'interdiction générale qui était impensable quelques mois auparavant.

Cette anticipation française est une constante depuis 10 ans dans le domaine de l'ESB. Je ne veux pas m'appesantir sur cet aspect, mais certains procès faits à la France sont de bien mauvais procès. Je retiens que nous avons été le premier pays à interdire les farines pour les bovins en 1990 - si on exclut le Royaume-Uni bien entendu - le premier après le Royaume-Uni à interdire les MRS dans la chaîne alimentaire en 1996, le premier pays à exclure des tissus à risque des aliments pour enfants en 1992, le premier à mettre au point en 1997 une méthode de détection des farines dans les aliments pour animaux, dont vous a longuement parlé le directeur général de la DGCCRF.

Quant aux farines animales proprement dites, elles ont été interdites en novembre dernier pour les non ruminants. Mais on doit se rappeler que dès juillet 1996, la France a exclu les M.R.S. de la fabrication des farines. Nos voisins ne le feront qu'en octobre 2000 en application d'une décision communautaire.

Étant en charge pour la partie qui nous concerne de la présidence française au dernier semestre de l'année 2000, je suis allé moi-même - après avoir rencontré David Byrne, Commissaire en charge de la santé et de la protection des consommateurs - devant le Parlement européen défendre la position de la France. Au terme de ce débat, le Parlement européen a adopté une résolution demandant l'interdiction des farines animales. En tant que président en exercice, face à une assemblée plutôt hostile, il est difficile d'être juge et partie. La présidence se doit de faire la synthèse des travaux et non pas d'exprimer l'avis d'un pays. J'ai quand même rencontré plusieurs responsables des autres pays de la Communauté et d'autres parlementaires européens pour leur dire qu'il était de l'intérêt de l'Europe de suivre le chemin de la France en la matière. Je pense que nous étions arrivés à un haut niveau de sécurité des farines en France au moment de leur interdiction, mais je sais très bien que ces farines restaient suspectes aux yeux des consommateurs et qu'il existe toujours un risque de fraude.

Je rappelle d'ailleurs que certaines associations de consommateurs ne demandaient pas cette interdiction totale des farines, en particulier parce qu'elles mesuraient que, si cette mesure avait pour effet d'éliminer un risque, elle pouvait en même temps créer un risque proximal à travers les pollutions dues au problème de stockage des farines animales.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement, en interdisant les farines, s'est engagé dans la voie de la sécurisation maximale en la matière. Je suis d'avis qu'il faut pérenniser cette mesure. C'est bien la force de l'engagement du Gouvernement qui a demandé, lors du dernier Conseil Agriculture, que soit pérennisée la mesure d'interdiction totale des farines animales dans l'alimentation.

Nous n'avons pas voulu faire de maximalisme, puisque nous avons ré-autorisé, depuis, les farines de poisson pour les monogastriques, mais il est clair que cette mesure d'interdiction reste appropriée eu égard aux risques de contamination croisée. Les scientifiques de l'AFSSA ont conforté cette décision.

Sur les M.R.S., les pays de l'Union européenne en sont venus à les interdire en octobre 2000, rejoignant ainsi la position française. L'interdiction d'utiliser les intestins, adoptée finalement par la Commission en décembre 2000, a suivi assez rapidement la décision française. Nous sommes de ce fait, désormais, dans une situation de quasi- harmonisation, ce qui pour la sécurité de tous les consommateurs me paraît satisfaisant.

Quant aux engrais, nous allons interdire l'incorporation des matières à haut risque et des farines de viande et d'os issues de ruminants dans les matières fertilisantes et les supports de culture.

Sur l'avenir proche, je souhaite qu'on aboutisse très rapidement sur des sujets qui me tiennent à c_ur :

- les graisses, sur lesquelles nous avons repris un peu d'avance sur nos partenaires en n'utilisant plus que des graisses nobles, celles recueillies à l'abattoir avant la fente des carcasses ;

- les vertèbres, désormais interdites, et pour lesquelles nous devons organiser très vite des circuits d'élimination. Ce qui n'est pas sans poser des difficultés aujourd'hui pour l'ensemble des intervenants de la chaîne.

Je souhaite aussi que les recherches et travaux sur l'ESB se poursuivent rapidement au niveau communautaire, y compris chez les ovins. Je me réjouis de la création prochaine de l'autorité alimentaire européenne. Ce fut l'objet essentiel de ma première rencontre avec David Byrne début novembre 2000, où je lui ai demandé la création de cette autorité alimentaire très rapidement.

Les représentants de certains États membres n'en voyaient pas l'utilité. Depuis trois ans, notre politique a été, d'une part d'évaluer le risque, d'autre part de l'assumer. C'est la séparation des pouvoirs entre instances indépendantes scientifiques, qui doivent évaluer le risque, et les instances politiques qui doivent le gérer. David Byrne était convaincu dès le début du dernier trimestre qu'il fallait créer cette Agence. Il a fallu que tout s'accélère pour que cette autorité alimentaire, qui devra être mise en réseau avec les agences nationales - ce qui posera certains problèmes sans doute - en vue d'accélérer et d'harmoniser les processus de décision et d'alerte, puisse fonctionner dès demain.

Je partage l'avis des associations de consommateurs que j'ai reçues récemment et qui s'inquiètent de l'impact sur l'environnement des mesures d'interdiction des farines. Nous nous efforçons, chaque fois qu'est prise une mesure nouvelle d'interdiction, d'en mesurer l'impact final sur l'environnement. Un préfet vient de succéder au préfet Proust à la tête de la mission interministérielle pour l'élimination des farines animales (MIEFA) ; j'ai pu mesurer l'engagement de M. Jean-Paul Proust pour trouver des solutions satisfaisantes dans les deux années qui viennent pour le stockage et le traitement des farines.

Il est clair à cet égard que nous continuerons à nous imposer l'élimination directe, sans stockage intermédiaire, de toutes les farines issues des animaux à risque et des MRS.

Enfin, je voudrais insister sur l'information du consommateur, qui représente un enjeu primordial complémentaire à l'action de prévention et de précaution. J'ai déjà évoqué mon engagement pour un dialogue permanent avec les associations de consommateurs. L'amélioration de l'étiquetage et la traçabilité, moyen essentiel de fiabiliser l'information donnée par l'étiquetage, constituent de fortes attentes des consommateurs.

Aussi, un travail est d'ores et déjà entrepris sur les viandes ovines et porcines. En effet, la confiance ne se décrète pas ; ce sont les consommateurs qui doivent dire à quelles conditions ils font confiance. Nous avons connu récemment un problème de volonté manifeste de tromperie sur la viande dans le département de la Côte d'Or. J'en ai saisi les services le soir même et l'instruction est menée par le Parquet de Mulhouse. Ces procédures sont aujourd'hui quotidiennes pour nos services.

M. Le Rapporteur : Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par « loyauté des transactions » ? Par ailleurs, je voudrais savoir s'il reste aujourd'hui un stockage de farines à haut risque ? Si oui, êtes-vous informé des sites de stockage et des quantités ? Nous avons reçu ce matin M. Le Pensec qui nous indiquait que, fin 1998, il n'y avait plus de farines à haut risque en stock. Aujourd'hui, parvient-on à éliminer toutes les farines à haut risque sans délai ?

Vous avez été le rapporteur de la loi d'orientation agricole qui prônait des avancées en matière de sécurité sanitaire des aliments. Comment cette loi est-elle appliquée, concrètement, en ce domaine ? Enfin, s'agissant de la consommation et de l'information, compte tenu du problème de la filière viande aujourd'hui, la meilleure aide à apporter aux éleveurs ne consisterait-elle pas à inciter les consommateurs à infléchir leurs habitudes alimentaires, notamment en ce qui concerne la viande des jeunes bovins, qui n'est consommée actuellement que dans quelques régions, avec notamment les veaux de Lyon ou de Saint-Etienne ? Je pense aussi à la consommation de la viande de taurillon. N'y aurait-il pas là, en relation avec les associations de consommateurs, à travailler pour favoriser la consommation de cette viande ? Cela pourrait permettre au marché intérieur de redémarrer puisque l'exportation de ces animaux semble quelque peu bloquée.

M. François PATRIAT : J'étais au banc du Gouvernement le soir où votre commission a été créée et j'ai entendu des propos d'une grande hauteur de vue sur la mission que vous souhaitiez lui assigner : analyser le passé et faire en sorte que ce genre de problème ne se repose plus. S'agissant des goût des consommateurs, je commencerai par une boutade : les consommateurs français sont des épicuriens prépastoriens. Ils aiment les produits de goût, la viande persillée, avec de la tendreté, un harmonieux mélange de graisse et de muscle, protides et lipides soigneusement imbriqués. C'est vrai que nous ne consommons pas de viande jeune aujourd'hui. Mon inquiétude vient du fait que les professionnels nous disent avoir fait des tentatives pour changer ces modes de consommation et ne pas avoir réussi. Je ne pense pas qu'il y ait eu un effort pédagogique en ce sens. Pourquoi ne pas manger de la viande, sous réserve qu'il n'en soit pas de la viande bovine comme il en est pour d'autres formes de protéines de viande qui, parce qu'elles sont mangées jeunes sont forcément élevées de façon intensive. Si l'on fait des animaux jeunes comme on l'a fait avec les « broutards », c'est parce que la valeur ajoutée est obtenue au bout de 7 mois. C'est en opposition avec la loi d'orientation agricole qui veut que l'on fasse des biens alimentaires accrochés à des territoires, à des signes d'identité et de qualité capables de créer des emplois et d'aménager le territoire.

Par ailleurs, je rappelle que, sur l'ensemble des 305 cas d'ESB en France, il y a eu un seul cas de test positif issu du troupeau allaitant, cher aux parlementaires ici présents ; il s'est avéré que l'animal avait mangé de la farine à l'époque.

Mon inquiétude est la suivante : n'est-on pas en train de changer le comportement à l'égard de la viande, qui tend à disparaître du menu alimentaire ? J'ai entendu des émissions, lu des articles expliquant comment faire des repas équilibrés sans viande bovine, y compris en la remplaçant, le cas échéant, par de la viande exotique dont la qualité organoleptique et microbienne n'est pas toujours certaine.

J'avais dit en début de crise - il me semble que je n'étais pas loin de la vérité - quand certains événements médiatiques ont fait replonger durablement et dangereusement la consommation, que la France ne retrouverait pas un niveau de consommation de viande bovine identique à celui d'avant octobre 2000. J'avais ajouté que sans doute, les abattages nombreux - l'épisode de fièvre aphteuse est venu après - entraîneraient une requalification des modes d'élevage dans nos pays, et par là même, une hausse des cours de la viande à la production qui viendrait compenser la baisse relative de la consommation.

Je pense que nous retrouverons des taux de consommation de 10 % inférieurs. Nous étions à moins 27 % il y a un mois et demi ; nous en sommes aujourd'hui à moins 15 % ou 20 %. Cela signifie que, l'actualité ayant détourné l'attention des consommateurs, l'esprit sensé reprenant le pas sur l'irrationnel, nous allons nous retrouver cet été avec un taux comparable.

Cela dit, je suis d'accord avec vous, M. le Rapporteur, la tentative des Allemands est bien de faire manger dans les grandes surfaces françaises de la viande de jeunes bovins et de taurillons de moins de 2 ans, ce que les Français ne savent pas faire. Quelle ne fut pas notre surprise de voir une viande JB Deutschland avec l'étiquette et le drapeau français mentionnant « qualité charolaise ». Cela peut être de la viande de qualité, mais le drapeau français traduit quand même une volonté de tromperie.

Par loyauté, j'entends la loyauté de l'identité, de l'origine des animaux, de l'information, des caractéristiques des produits, des mentions réglementaires et facultatives. À titre d'exemple, « viande française », « aliment 100 % végétal », « aliment garanti sans OGM », etc., sont des mentions qui doivent être fondées et justifiées.

Sur les mesures prises en matière de sécurité sanitaire des aliments, la loi d'orientation veut réorienter les crédits importants de l'agriculture vers un mode moins consommateur de produits non appréciés, qui retrouve aujourd'hui une agriculture correspondant à la demande territoriale du consommateur. En tant que député d'une région vinicole, quand je bois du Clos Vougeot, je bois du territoire ! Il y a une demande territoriale. C'est pourquoi les gens aujourd'hui y sont attachés et identifient au terroir les races « Limousine », « Blonde d'Aquitaine », « Salers » ou « Blanc Bleu ». Sur ce plan, la loi d'orientation, qui a défini les signes de qualité, les chemins de la qualité à travers le quatrième comité de l'INAO, a pour partie répondu à cette demande. La loi d'orientation agricole de 1998 a sensibilisé à la sécurité alimentaire ; mais je ne pense pas qu'elle y ait pourvu.

Aujourd'hui, l'élimination des farines obtenues à partir des MRS est directe, sans stockage intermédiaire. C'est la règle partout. Cela fera peut-être partie des contrôles que vous pourrez faire vous-mêmes sur le terrain. En tout cas, c'est l'information que j'ai aujourd'hui.

M. le Président : C'est une information importante que nous n'avions pas reçue de façon aussi formelle de la part du Gouvernement jusqu'à présent. Depuis le début de l'année, les bovins de plus de 30 mois ne peuvent entrer dans la chaîne alimentaire que s'ils ont été testés. Mais les viandes et carcasses qui viennent d'Europe centrale orientale, dont on peut imaginer qu'elles ne sont pas à l'abri de problèmes, ont-elles été testées à l'abattoir ?

S'agissant des contrôles, on ne contrôle bien que ce qui est contrôlable : cette évidence nous a été rappelée par les services compétents, avec toutes les difficultés qu'ils ont pu connaître dans le passé pour exercer leur tâche. La difficulté du contrôle s'exprime singulièrement lorsque les règles ne sont pas les mêmes selon les pays, alors que nous sommes dans un marché unique où les marchandises circulent librement.

Quelle lecture faites-vous de cette situation ? Comment pouvons-nous apporter des réponses aux consommateurs et aux producteurs qui s'interrogent légitimement, indépendamment de la mise en place de l'agence européenne, sur le fait qu'il est très difficile de contrôler ce qui circule dans l'Union européenne et qui n'est pas soumis aux mêmes règles qu'en France ? On nous a parlé de mesures miroirs, mais aussi de la difficulté de les faire respecter. Jusqu'en novembre 2000, les matériaux à risque spécifiés, notamment allemands, n'étaient pas retirés de la consommation humaine ni des farines parce que l'Allemagne s'estimait indemne de l'ESB.

Vous avez parlé de consommateurs et de relais de la consommation en soulignant que vous alliez recourir à l'Internet. Cela me paraît une bonne idée pour la transparence, et pour apporter les éléments d'information de nature à sécuriser ou à informer pleinement le consommateur. Les associations de consommateurs nous ont fait part de leurs difficultés, notamment sur les moyens de communiquer et d'effectuer un travail d'information et d'interface entre les consommateurs, les producteurs et les pouvoirs publics, dont les mesures devraient être mieux connues, puisque c'est l'un des éléments de la confiance.

Enfin, on a parlé de la nécessaire transparence, mais on a vu aussi la limite de l'exercice. Quand l'AFSSA a rendu son avis sur la possibilité de transmission du « prion » bovin aux ovins, issue d'une expérience réalisée en laboratoire, la consommation de viande ovine s'en est aussitôt ressentie. Comment faire coïncider l'exigence de transparence avec la nécessité de ne pas affoler les personnes avec des informations parfois plus troublantes que rassurantes ?

M. François PATRIAT : Je commencerai par répondre à la dernière question qui est, pour les responsables politiques, la plus aiguë. La position de la France a toujours été de suivre les avis des instances d'évaluation indépendante, comité Dormont et AFSSA. Nous l'avons fait souvent contre les autorités européennes et en corrélation avec le comité vétérinaire européen. Concernant les ovins, s'il y a présomption pour l'instant, rien n'est venu démontrer la possibilité du passage de l'ESB aux ovins. S'il y a des précautions à prendre
- on a entendu parler du problème de l'intestin des bovins avec la séparation de la séreuse, enveloppe intestinale - cela doit relever encore de l'expérimentation, du diagnostic, de la recherche. Il y a lieu naturellement de rassurer les consommateurs sur la réalité de la connaissance scientifique actuelle. Les recherches se poursuivent dans des conditions satisfaisantes et l'évolution des décisions se fait tant à l'échelle française qu'européenne. Même si la France a pris des mesures vis-à-vis de la tremblante, notamment avec la dernière décision gouvernementale, aucune démonstration scientifique ne vient - hors l'injection cérébrale - prouver le passage de l'ESB aux ovins.

Pour la relance de la consommation, nous tenons à la clarté et à la transparence et nous croyons à des réunions de type « appel au consommateur ». Très récemment, même si certains m'ont écrit pour me signaler qu'ils ne nous avaient pas attendu pour le faire ou qu'ils n'avaient pas cédé aux pressions, nous avons fait une lettre conjointe, avec quatre ministres, pour demander aux maires de réintroduire la viande dans les cantines scolaires.

La sauvegarde de la filière bovine française, au-delà des aspects sanitaire et épidémiologique, passe par un équilibre du marché retrouvé et par une consommation retrouvée. Ce n'est pas par une prime que l'on sauvera la filière bovine ; on le fera par une relance intelligente de la consommation, avec une maîtrise de la production qui se fait d'elle-même à travers les abattages aujourd'hui.

Nous transmettons tous les éléments aux associations : les tableaux qualité/prix, l'évolution des prix, l'évolution de la distribution. Nous associons souvent la distribution aux réunions et nous aurons bientôt avec Jean Glavany une réunion de filière pour la clarté de l'étiquetage. Nous souhaitons que demain soit indiqué pour les consommateurs le pays d'origine, le type et la race. C'est une demande importante aujourd'hui.

S'agissant des « mesures miroirs », nous demandons aux autres pays de la Communauté de respecter les mêmes contraintes que celles que nous nous imposons. Il y a eu une période de flottement. Mais se pose aussi le problème des animaux stockés non testés avant le 1er janvier 2001 qui demeurent dans les frigos, stockage dont le coût s'élève à quelques centaines de millions de francs, alors que ce sont des produits qui peuvent légalement être offerts à la consommation. Compte tenu des 15 ou 16 cas trouvés depuis, se pose un problème éthique qui n'élude pas pour autant le problème économique.

A l'intérieur de la Communauté, l'Italie, faute de moyens et de volonté politique, a beaucoup hésité, mais la pratique des contrôles est aujourd'hui à sa vitesse de croisière. L'Allemagne est aujourd'hui au même niveau que nous en matière de tests. Il va de soi que la discussion existe aujourd'hui avec les pays hors Communauté.

Je vous communique les chiffres des contrôles faits à ce jour par :

1°) la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) :

- l'étiquetage et la traçabilité des viandes : 65 000 contrôles depuis 1996, 467 procédures contentieuses engagées depuis 5 ans en moyenne. Nous effectuons 700 contrôles par mois sur l'étiquetage et la traçabilité.

- les prélèvements sur l'alimentation animale : plus de 1 000 prélèvements de janvier à novembre 2000, entre 2 000 et 3 000 prélèvements depuis les mesures prises en novembre 2000 et d'ici la fin 2001.

2°) les services des douanes :

- contrôles des douanes en 2000 : embargo britannique, 153 400 contrôles de transports, 125 refoulements, 13 destructions  ; embargo du Portugal : 40 880 contrôles, 1 refoulement ;

- interdiction des farines depuis le 14 novembre 2000 : 9 200 contrôles de transports pour 2484 tonnes, 4 destructions, 2 refoulements.

3°) les services vétérinaires :

- un dépistage de l'ESB sur les animaux de plus de 30 mois au 1er janvier 2001 : 600 000 tests et 15 animaux confirmés positivement. Cela signifie qu'en l'absence de test, le consommateur aurait mangé 15 animaux atteints par l'ESB ;

- le programme Grand Ouest entre juin 2000 et avril 2001 : 40 000 prélèvements avec un taux de prévalence de 0,21 % dans la population à risque (résultat : intermédiaire de décembre 2000).

Aujourd'hui ne circulent en intracommunautaire que les animaux censés êtres testés et nous en assumons la réalité par le maximum d'enquêtes et de relations d'État à État. Pour les animaux provenant de pays tiers et pénétrant dans la Communauté aujourd'hui, il n'est pas exigé de tests, mais le débat est en cours pour savoir comment doit être traité le problème. Le risque existe, mais ces pays sont susceptibles d'être indemnes d'ESB. On sait ce qu'il en est quand on a entendu nos homologues européens avant décembre 2000 !

M. le Président : A ce jour, sur les carcasses de viande en provenance des pays tiers, il n'y a pas de demande de test ESB formulée pour les animaux de plus de 30 mois.

M. François PATRIAT : Non. Ils sont soumis aux contrôles habituels. Je pourrais vous faire une réponse écrite en vérifiant selon la classification des pays.

M. le Président : Nous sommes très preneurs d'informations précises en la matière car nous souhaiterions savoir exactement quels sont les dangers potentiels.

M. François PATRIAT : C'est un domaine qui n'est pas du ressort du ministre de la Consommation, mais du ministre de l'Agriculture.

M. le Président : Vous êtes membres du Gouvernement et nous vous faisons confiance pour trouver des informations qui nous permettront de trouver réponse aux questions que nous nous posons dans cette commission d'enquête. Cette question sur les tests est extrêmement importante.

M. François PATRIAT : Je m'engage à vous fournir les informations.

Mme Monique DENISE : Nous avons reçu ce matin le président du syndicat national des vétérinaires inspecteurs de l'administration (SNVIA). Il nous a indiqué le principe selon lequel les viandes intra-européennes pénétrant sur le territoire français ont été testées dans les pays d'origine ; il a souligné qu'on devait faire confiance à ses collègues des autres pays européens. Nous en prenons acte.

Vous avez évoqué le cas de viandes étiquetées « charolaise » alors qu'elles viennent d'Allemagne. Quelles sont les mesures dont vous disposez pour sanctionner ce genre de pratique qui trompe le consommateur et fait beaucoup de tort à l'ensemble de la filière bovine ?

M. François PATRIAT : En réponse à votre première remarque, il est vrai qu'il s'agit de confiance mutuelle entre les États membres. Depuis le 1er janvier 2001, tous les animaux de plus de 30 mois destinés à la consommation - et demain de plus de 24 mois - abattus dans l'Union européenne subissent le test. L'obligation de test sera étendue au niveau européen aux animaux retirés du marché pour destruction à partir du 1er juillet 2001.

Personne n'y croyait. J'ai répondu à une question à l'Assemblée nationale en décembre ; on disait que jamais la France ne serait en mesure de faire les tests aussi rapidement. Au bout de 15 jours, nous étions à 15 000-20 000 tests par semaine. Personne n'a fait mieux. Cela prouve la qualité des laboratoires vétérinaires et des vétérinaires en France, mais aussi l'engagement des pouvoirs publics. Si nous n'avons pas agréé plus de 63 laboratoires, c'est pour que les investissements très lourds ne puissent être mis à mal dans ce domaine.

Deuxième point : je vous ai dit que, dans l'exemple d'une viande allemande dont l'étiquetage porte un drapeau français, je considère que c'est une volonté de tromperie qui est assimilée à une faute. Quelle que soit la teneur des sanctions, je sais que cet étiquetage est fautif, comme d'autres qui, sous prétexte de numéros qui seraient illisibles pour les consommateurs, n'indiqueraient pas le numéro du lot d'origine, le numéro de l'abatteur et le numéro du transformateur. Il faut bien faire la différence entre la traçabilité et l'information du consommateur. La traçabilité vous donne le chemin parcouru par l'animal depuis l'abattoir jusqu'à l'étal. L'information, c'est autre chose : le consommateur fait confiance aux opérateurs, mais il veut savoir s'il mange un bovin ou une génisse de 4 ans croisé normand/charolais ou une vache de réforme Holstein.

M. le Président : Vous n'avez pas répondu à la question posée sur les moyens dont disposent l'Institut national de la consommation et les associations de consommateurs.

M. François PATRIAT : Aujourd'hui, le budget est d'environ 50 millions pour les associations de consommateurs, au nombre de 18 aujourd'hui. Je souhaite qu'elles se regroupent plus qu'elles ne le font aujourd'hui. Leur balkanisation peut nuire à leur influence. Elles souhaitent garder leur identité d'origine. Elles font beaucoup de bénévolat et sont submergées de demandes. Ces 50 millions de francs doivent servir aux crédits de fonctionnement et à des projets d'information. Autour de l'INC, une réflexion est menée aujourd'hui. Je suis de ceux qui pensent qu'il faudrait accroître les crédits pour le monde de la consommation. C'est une réflexion que je mène avec mon cabinet ; le débat n'a pas encore eu lieu avec les autres ministres.

La consommation est un domaine extrêmement vaste. Je m'aperçois finalement que les associations elles-mêmes sont surtout demandeuses d'information en période de crise. Or, pour moi, l'intérêt d'une relation politique de consommation n'existe qu'au cours d'une période apaisée, au moment où l'on anticipe les problèmes. La presse elle-même ne parle guère des produits de consommation. Si je fais une conférence de presse sur la consommation en disant que les contrôles n'ont rien révélé, que la qualité de tel ou tel produit s'améliore, personne n'en parlera. Dans le domaine de la consommation, on est toujours dans une démarche de crise.

Je suis d'accord avec vous : il faut que les moyens des consommateurs soit accrus, non pas pour se balkaniser, mais pour mieux se structurer, pour mener des projets. Je souhaite aussi qu'ils s'investissent beaucoup au plan européen. J'ai le sentiment que les Anglo-saxons sont très présents à Bruxelles dans toutes les instances où se prennent les décisions pour les produits au lait cru, tels que la France sait les valoriser. Là, s'il y a besoin de moyens financiers, c'est pour que les consommateurs soient beaucoup plus présents à Bruxelles pour anticiper sur les décisions prises par l'exécutif européen. Il me semble très important que les instances consuméristes soit présentes à Bruxelles pour peser sur les décisions. Nous avons été trop absents ces dernières années, peut-être faute de moyens. Le Conseil national de la consommation a d'ailleurs demandé qu'à chaque réunion bimestrielle, il y ait une note sur l'aspect communautaire.

M. Daniel VACHEZ : Que pensez-vous de la possibilité de développer les labels existants ? J'observe qu'il y a très peu de viande bovine labellisée.

M. François PATRIAT : Nous avons déterminé les signes de qualité que sont les AOC, les AOP, les IGP, les labels, les certifications, les produits « bio ». Le développement de la qualité pour la viande se fait aussi au travers des marques. C'est une source qui est parfois considérée comme un label, qui n'en est pas un, mais à laquelle je ne suis pas du tout hostile. S'agissant des marques de distributeurs (MDD) aujourd'hui, je ne suis pas convaincu qu'il faille s'en prendre à elles en tant que telles, à condition qu'elles soient loyales, c'est-à-dire assorties d'une information réelle sur l'origine et les caractéristiques du produit.

Quant aux labels, il s'en développera sans doute d'autres. C'est difficile à mettre en place, l'ensemble des éléments de la filière n'étant pas toujours d'accord sur le cahier des charges à respecter. Ensuite, il y a le problème de la certification. Les organismes certificateurs exigent des étapes et des garanties. Je pense au problème des boues : des animaux auraient été élevés avec des produits contenant des boues. C'est vrai avec la farine aujourd'hui. Tous les organismes de stockage doivent être en mesure d'assurer au distributeur l'intégralité d'informations qui vont bien au-delà de ce que l'on pouvait penser il y a trois ans.

Je crois à la viande sous label. Il y en a déjà dans le domaine de la volailles. En matière de viande rouge, il y a une volonté des producteurs de développer les labels. D'abord, parce que cela crée de la valeur ajoutée et ensuite, parce qu'il y a une garantie de qualité. À travers le label, la qualité, dans le contexte actuel, rejoint la sécurité. Néanmoins, les signes d'origine ne sont pas toujours des signes de qualité. C'est un vrai débat.

Cela dit, je crois que les labels sont appelés à se développer. Leur nombre n'est pas figé. Il n'en est pas de même que les AOC. Je souhaite que leur mise en place se fasse à travers l'image des terroirs que nous développons dans notre élevage. Enfin, je vous ferai parvenir une note sur la situation du marché de la viande qui a été transmise à l'ensemble des associations de consommateurs.

M. le Président : Nous vous remercions, en vous invitant à nouveau à nous transmettre tous les documents répondant à nos questions.

Audition de M. Jean-Jacques RÉVEILLON,
directeur de la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et sanitaires

(extrait du procès-verbal de la séance du 15 mai 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Jean-Jacques Réveillon est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean-Jacques Réveillon prête serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes directeur de la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et sanitaires depuis février 2000 Cette brigade a été créée en 1992 pour lutter contre la délinquance sanitaire excédant les limites d'un département et nécessitant donc l'intervention d'un organe à compétence nationale.

Vous conduisez des enquêtes dans le cadre de la lutte contre l'ESB sur des sites de fabrication d'alimentation du bétail, en particulier depuis 1996. Vous avez donc beaucoup à nous dire sur la manière dont les mesures de sécurité ont été appliquées pour éviter les contaminations croisées et les fraudes. Votre brigade se compose de quinze enquêteurs, qui apportent un appui technique à l'autorité judiciaire, à la police et la gendarmerie.

Je vous suggère de nous exposer l'expérience que vous avez pu acquérir dans le cadre du contrôle de la fabrication des aliments et d'évoquer les principales affaires que vous avez pu contribuer à mettre au jour. Nous avons été surpris des propos de beaucoup de personnes auditionnées qui nous ont expliqué qu'il était difficile de mesurer l'ampleur de la fraude. Il a fallu une récente audition de notre commission pour que la machine judiciaire soit relancée. Nous avons constaté en nous rendant sur les sites de fabrication d'entendre les dirigeants nous expliquer que, jusqu'en février 1999, ils étaient incapables d'assurer à 100 % que ne rentraient pas dans l'alimentation des ruminants des farines d'origine animale.

Il nous serait également utile que vous puissiez faire le bilan des différentes brèches que laisse subsister le dispositif de réglementation et de contrôle de l'alimentation animale et humaine en vigueur. Je pense notamment à celle résultant de l'importation de carcasses d'animaux de pays tiers qui n'ont pas subi de dépistage de l'ESB, alors même que l'on sait que ces pays ont importé des farines anglaises. Je pense également à tous les plats préparés que l'on importe des pays tiers et qui incorporent de la viande provenant de bovins non traités.

Quelle est votre appréciation sur le fait qu'il a fallu attendre ces derniers mois pour obtenir que des mesures simples, comme le retrait des MRS, soient prises par les autres États membres ? Quelle est l'efficacité des « mesures miroirs » ? Comment éviter de porter atteinte, par de telles lacunes, à un dispositif national de réglementation et de contrôle qui nous paraît efficace ? Quelles mesures prendre pour parfaire les règles de sécurité en vigueur ?

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Comme vous l'avez rappelé, nous sommes une quinzaine d'enquêteurs à vocation nationale ; quatre se consacrent exclusivement aux enquêtes épidémiologiques ESB, d'autres aux aspects connexes du type enquête abattoirs, enquête graisse, etc.

Notre activité est de trois types : la lutte contre la délinquance sanitaire organisée, la lutte contre les anabolisants, médicaments et autres ; à partir de 1996 se sont ajoutées les enquêtes épidémiologiques ESB, les expertises de terrain en abattoirs et les expertises de filières pour le compte de la Direction générale de l'alimentation au ministère de l'Agriculture (DGAL).

La brigade occupe une place un peu à part au sein de la DGAL ; je dépends directement de Mme Catherine Geslain-Lanéelle, et je dispose d'une très large liberté d'action.

Pour les recherches épidémiologiques sur l'ESB, nous avons longtemps procédé à deux types d'enquêtes. D'une part, des enquêtes en élevage, au cours desquelles nous examinons l'environnement et tout ce qui a pu se produire au sein de l'élevage Nous relevons l'ensemble des factures de l'éleveur, quand elles existent, pour identifier les facteurs qui peuvent être à l'origine de l'ESB. Nous réalisons également des enquêtes alimentaires en entreprise à partir des relevés fournis par les éleveurs Nous complétons les relevés des éleveurs par les comptes clients des mêmes éleveurs chez les entreprises fournisseurs ; cela permet de mettre à jour les éventuels oublis Nous nous livrons à des enquêtes complètes dans les usines d'alimentation animale. Les deux enquêteurs spécialisés ont visité environ 250 sites de fabrication sur 500 existants, à l'occasion de ces enquêtes. Nous sommes essentiellement des experts de terrain, non des scientifiques chercheurs. Nos données sont versées directement à l'AFSSA et à l'INRA et nous travaillons ensemble afin qu'elles soient exploitées de manière scientifique et non pas empirique.

Je distinguerai quatre phases dans toute l'épidémiologie de l'ESB.

La première a duré jusqu'en 1989-1990. Notre cheptel s'est alors contaminé à partir des importations de farines anglaises.

La deuxième phase, 1993-1995, est notée au regard des dates de naissance des animaux qui, aujourd'hui, paraissent atteints. Il s'est passé quelque chose pour cette cohorte. Nous privilégions l'hypothèse des farines, qui reste la plus plausible ; nous estimons que la contamination peut avoir pour origine des farines françaises ou étrangères Nous estimons que la période 1993 à 1995 est marquée par une sous-déclaration ou, tout au moins, une sous-détection des cas. Cela nous a conduit certainement à réincorporer dans nos farines françaises des cadavres d'animaux atteints de l'ESB qui n'avaient pas été détectés. Par rapport aux farines britanniques importées dans les années 1985-1990 - environ 40000 tonnes, les mêmes que celles qui ont provoqué 30000 cas par an en Grande-Bretagne - le faible nombre de cas détectés en France ne nous semble pas crédible, dans la mesure où les mêmes farines ont commis en Grande-Bretagne beaucoup plus de dégâts.

Même si l'on estime qu'une part de ces farines importées est passée dans la production volailles et porcs, même si l'on peut avancer que les doses étaient plus faibles, nous pensons qu'il y a eu contamination de nos farines. Une seconde raison milite en ce sens : à cette époque, le réseau épidémiologique n'avait pas atteint sa pleine efficacité. Le simple constat que le nombre de cas déclarés est aujourd'hui plus élevé qu'à cette époque, en particulier des cas négatifs - qui devaient exister également - montre que nous étions certainement alors en sous-détection. Je ne dis pas en sous-déclaration, car la déclaration nécessite de reconnaître les signes cliniques. Or, nous nous sommes rendu compte, avec les tests notamment, que nombre d'animaux étaient atteints sans présenter les signes cliniques caractéristiques de l'ESB.

L'origine étrangère est possible au regard des importations. L'origine britannique est plus difficile à déceler, dans la mesure où l'importation était interdite, mais il était sans doute possible pour les farines britanniques de recevoir une autre étiquette d'origine. Nous n'avons jamais vu de farines étiquetées britanniques au cours de nos enquêtes. Nous procédons essentiellement par un travail documentaire en étroite liaison avec la gendarmerie, notamment la section de recherche de Paris. Nous leur fournissons tous les éléments qui nous paraissent pertinents pour leurs missions.

La troisième phase s'ouvre après juillet 1996 et court jusqu'au mois de novembre 2000. C'est la phase du retrait des matériaux à risques (MRS) spécifiés. Les farines ne devaient plus théoriquement être sujettes aux contaminations croisées, les matériaux à risques spécifiés ayant disparu Normalement, les farines françaises ne sont plus contaminées ou alors à des taux très faibles qui doivent conduire à une diminution notable des cas. C'est l'expérience que nous sommes en train de vivre. Dans quelques mois, nous pourrons préciser l'efficacité des mesures prises en 1996, sous réserve des fraudes qui ont pu être commises entre 1996 et 2000. Mais nous nous sommes aperçus, après coup, que le cheptel allemand était contaminé et que les Allemands ne disaient rien, de même que les cheptels italiens et espagnols Pendant ce temps, des produits étaient importés de ces pays, du fait du statut de « pays sain » dont ils bénéficiaient au nom du principe de la confiance. Entre 1996 et 2000, en France, un cas d'ESB concerne un bovin né le 18 août 1997, c'est le cas de Seine-Maritime ; un autre cas, né en 1998 dans le Finistère, pose toutefois un problème d'identité de l'animal prélevé ; l'exploitant de Seine-Maritime avait pour fournisseur une entreprise de l'Oise, aujourd'hui bien connue.

La dernière phase a débuté le 14 novembre 2000. C'est celle où, théoriquement, nous ne devrions plus connaître de contamination croisée possible, par absence de farines animales, mais c'est une phase où il convient, à mon sens, de continuer à contrôler les importations de farines, y compris végétales, car elles peuvent être suspectées. En effet, dès qu'il y a de l'argent à gagner, un système se crée à cette fin. C'est du moins notre analyse. Pour l'instant, il existe des farines animales qui ne valent rien et des farines de soja qui valent de l'argent. On trouvera toujours quelqu'un pour essayer de tirer profit de cette situation ; nous nous refusons à toute naïveté Nous allons porter notre attention sur le contrôle des importations de matières végétales, y compris les farines végétales.

Il ne faut pas oublier que nous importons aussi des aliments de pays dont nous ne contrôlons pas les farines, la Belgique et les Pays-Bas notamment.

Il faut bien distinguer ces quatre phases. La première : nous nous sommes contaminés ; la deuxième : nous avons recyclé l'agent infectieux dans nos farines et nous nous sommes peut-être contaminés par des importations ; durant la troisième, la contamination ne peut être le fait que d'importations, dans la mesure où nous estimons que les MRS ont bien été retirés pour conduire à une réduction notoire de l'infectiosité des farines Enfin, la quatrième phase, après la suppression des farines animales, appelle des contrôles.

Deux aspects sont à différencier. D'une part, la question des farines, qui relève du commerce international et qui a été traitée, en ce qui nous concerne, par le juge Boizette et la section de recherche de la gendarmerie de Paris. D'autre part, la question des contaminations croisées en usine, qui font l'objet d'enquêtes en usines, traitées par nous-mêmes, chacun à son étage, sachant que nous travaillons en collaboration Le juge Boizette a même réquisitionné mon spécialiste « alimentation » !

Une farine contaminée arrivant dans l'estomac d'un bovin suppose une contamination à l'usine, au cours du transport ou sur l'exploitation. La contamination croisée à l'usine est beaucoup plus fréquente qu'on ne le pense. En effet, dans le cadre de la concurrence, les industriels prennent pour une nécessité économique l'idée selon laquelle aucune matière première ne doit se perdre. Des écarts de tamisage, des retours de fin de bande sont réintégrés à un moment donné. En toute logique, la réincorporation aurait dû se faire dans les aliments volailles et porcs.

Or, cela n'a pas toujours été le cas. Les productions hors sol, pour être économiquement rentables, réclament une composition d'aliments très précise. Réincorporer des retours, qui eux-mêmes sont des produits composés, nécessite des calculs très précis. Il est donc préférable de les intégrer dans des rations destinées à des animaux sur lesquels pèse une exigence de productivité moins forte. Il existe quelques aliments moins exigeants que les aliments porcs ou volailles, voire bovins laitiers. Ce sont les aliments du type « truies gestantes » - la réintégration dans ce cas ne pose pas de problème - et les compléments alimentaires « jeunes bovins ». Ces aliments sont considérés comme compléments nutritionnels et sont destinés à assurer le développement du squelette de l'animal pour que de la viande s'accroche ensuite dessus. Dans ces deux cas, l'alimentation est moins précise et sans doute y a-t-il eu tentation de réintégrer des retours.

À ce titre, nous avons transmis sept dossiers d'entreprises au Parquet. Nous avons pu prouver dans chacun des cas que les entreprises avaient des pratiques qui conduisaient à des contaminations croisées. Un huitième dossier partira dans quinze jours environ.

Les investigations sont essentiellement documentaires. Nous commençons par un entretien avec le responsable de l'usine, le responsable qualité et le responsable de fabrication. Nous demandons au responsable de l'usine de nous indiquer à quelle date il a procédé à tel changement, à quelle date il a ajouté une cellule spécifique pour les retours afin d'éviter les mélanges, à quelle date il a transformé ses automates, etc. Une fois les réponses obtenues, nous lui demandons ses factures, car toutes ces modifications correspondent à des dépenses.

Je rappelle le sens du terme « retour ». Quand la bande de production d'un élevage porcin est terminée, le dernier aliment présent dans le silo sera, dans cet exemple, du « porc finition ». Or, la production repartira sur une nouvelle bande qui nécessitera un aliment « porcelet démarrage » Il faut bien vider les silos ! D'où l'existence de « retours », c'est-à-dire d'aliments qui reviennent en usine si la quantité est suffisante, sinon l'éleveur les garde, ce qui peut conduire, là aussi, à donner à des bovins des aliments porcs ou volailles. Certains éleveurs nous l'ont fait comprendre de manière codée. C'est la contamination croisée la plus classique.

En usine, les invendus, les sacs crevés, peuvent être réincorporés, ainsi que les écarts de tamisage - toute production doit répondre à une granulométrie précise et tout ce qui n'y répond pas sera réincorporé. Dans l'industrie de l'alimentation animale, rien ne se perd, y compris les balayures.

Par les factures, nous vérifions à partir de quel moment les éleveurs ont procédé aux investissements ayant permis la séparation des stockages ou la mise en _uvre d'autres pratiques. Nous examinons aussi, quand ils existent, les documents internes à l'entreprise, que l'on appelle « fil de l'eau » où est enregistré de façon linéaire l'historique de la fabrication. Vous avez entendu parler du cas de l'éleveur dont le soja était pollué - à faible quantité - par des farines animales. L'enquête a démontré que c'était dû à un ensachage particulier du soja, qui avait suivi immédiatement une fabrication d'aliments volailles sans rinçage. Dans le cas d'une succession de fabrications, avant de fabriquer un aliment pour bovins et après un aliment contenant de la farine animale, il convient de pratiquer le rinçage, lequel consiste à envoyer dans le circuit des machines un certain volume de l'aliment suivant que l'on met de côté et qui sera recyclé dans l'aliment porc ou volailles. On peut également, à la place de l'aliment, envoyer des céréales ou du soja, qui peuvent être réincorporés dans l'aliment porc ou volailles. Cela fait partie de tout ce qui est recyclé, les retours, etc.

Pour s'assurer que le soja, matière première, n'était pas pollué, nous nous sommes référés aux échantillons que conservent quelques mois les industriels en cas de litige. Nous avons procédé à des analyses sur les autres échantillons d'aliments bovins contenant du soja. Nous n'avons trouvé aucune trace de farines animales. C'était bien cette production précise qui, à un moment donné, avait été polluée faute de rinçage. Voilà un exemple.

S'agissant du transport, nous déterminons dans un premier temps s'il s'agit de tournées spécifiques ou de tournées mixtes. Dans les régions où l'élevage est très concentré, on peut faire des tournées spécifiques bovins et des tournées spécifiques porcs-volailles. Lorsque l'élevage est beaucoup moins concentré, les tournées sont mixtes. Dès lors, l'aliment se trouve dans certaines cellules du camion. Se présentent alors deux possibilités : soit il s'agit d'un camion qui chargera à air pulsé, auquel cas il ne restera plus rien dans la tuyauterie. Ce système supprime tout risque de contamination croisée liée au transport. Soit il s'agit d'un camion assorti d'un système à chaînes et à godets. En ce cas, il reste toujours, en début de livraison, une quantité de l'ordre de vingt à trente kilos de la livraison précédente. Si une livraison bovins suit une livraison volailles - je cite toujours les volailles, car c'est là que la dose incorporée de farines animales est la plus forte - une incorporation involontaire est possible. On ne peut cependant pas la qualifier d'accidentelle.

S'ajoute le fait qu'au cours des années, les scientifiques se sont aperçu que la dose infectante était plus faible qu'ils ne l'avaient cru au départ. Il n'y a pas dilution, d'autant moins que les farines sont un produit qui se mélange difficilement. Si les Britanniques incorporent à 6 % et d'autres à 3 %, ces derniers connaîtrons deux fois moins de cas ; il y aura deux fois moins de dose infectante, certes, mais ils ne la dilueront pas jusqu'à arriver en dessous de la chose infectante. La masse infectante n'est que peu divisée, ce qui peut expliquer l'aspect sporadique du phénomène et la difficulté d'attribuer la contamination à un lot précis.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais quelques précisions sur les contrôles. Vous avez parlé d'analyses des échantillons gardés par les fabricants. Procédez-vous également à des prélèvements inopinés ?

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Non. La brigade effectue des enquêtes à partir d'un cas d'ESB ou d'autres maladies. Dès lors que nous effectuons des enquêtes à partir d'un cas d'ESB, les échantillons gardés datant de moins de six mois, par rapport à un animal contaminé il y a cinq ou six ans sur un lot fabriqué par l'usine, ne sont pas probants. La brigade ne procède pas à des contrôles systématiques, qui relèvent davantage des services de la répression des fraudes.

Toutefois, nous y avons procédé, dans l'exemple cité précédemment, parce que l'éleveur a émis une suspicion. Le directeur des services vétérinaires (DSV) a fait procéder à une analyse ; quand il a constaté la positivité, nous nous sommes rendu sur place pour réaliser une analyse officielle avec procès-verbal, afin que l'analyse ait une valeur judiciaire. Par ailleurs, les échantillons conservés sont des échantillons de 200 à 250 grammes. Or, pour qu'une analyse soit opposable au plan juridique, trois échantillons de 500 grammes minimum sont nécessaires. Les « fils de l'eau » ne sont obligatoires que depuis le 8 février 2000. Depuis cette date, nous pouvons savoir dans quel ordre se sont succédé les fabrications. Une enquête est menée ; assez complexe, elle réclame entre un et trois jours minimum.

M. le Rapporteur : Pour en revenir aux deux périodes qui nous préoccupent le plus - 1989-1990 et 1993-1995 -, que pensez-vous des avis aux importateurs ? Les avis aux importateurs sont la seule information en la possession des éleveurs. On nous a même dit que les ministres de l'Agriculture n'étaient pas informés de ces avis aux importateurs, dont ils apprenaient l'existence par leur publication au Journal Officiel. Par ailleurs, il est un point sur lequel je souhaiterais des éclaircissements. Vous indiquez la possibilité de contamination sur la période 1993-1995, notamment par des farines françaises.

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Je n'exclus aucune hypothèse ; celle-là figure déjà dans nos rapports.

M. le Rapporteur : Mais les farines françaises étaient traitées.

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Oui, par traitement équivalent à 133 degrés, 3 bars, 20 minutes, également pratiqué par les Allemands. Mais l'on sait bien aujourd'hui que ce traitement équivalent, s'il a participé à une réduction de la contamination, ne la supprimait pas. Peut-être suffisait-il dans le cas d'une contamination faible et sporadique. Aujourd'hui, on sait que la dose contaminante est faible et que le traitement à 133 degrés, 3 bars, 20 minutes n'est pas une panacée. C'est un système de réduction décimale. On réduit certainement la contamination, mais sans l'éliminer totalement. Cela se sait depuis assez peu de temps.

Je parle de farines françaises contaminées, dans la mesure où si, entre 1993 et 1995, des cas nous ont échappé, des animaux sont morts de ces cas, ont été recyclés dans nos équarrissages et ont ainsi contaminé nos farines, de même que l'on a pu connaître des contaminations par des farines importées. La preuve sera bientôt apportée a contrario : on saura dans quelques mois si le fait d'avoir retiré ses MRS a permis à la France une réduction de la contamination. Ce ne sont que des hypothèses, car on ne peut pas avancer d'affirmations trop péremptoires en matière d'ESB. On ne peut extrapoler à l'heure actuelle, mais ce matin, le nombre de cas s'élevait à 7, tous intervenus au début de l'année 1996, aucun cas en 1996-1997, excepté celui du super-NAIF. Si cela continue ainsi, nous pourrons déterminer dans quelques mois l'efficacité des mesures prises en 1996.

J'en viens aux avis aux importateurs. Je précise au préalable que je ne me situe pas dans la partie « production réglementaire » de la DGAL Cela dit, les avis aux importateurs ont fait l'objet de beaucoup de débats. Si l'on se penche sur la courbe des exportations britanniques figurant dans le rapport Phillips, on note une courbe ascendante avec un pic en août 1989. À cette date, sont intervenus deux avis aux importateurs : celui des Hollandais le 2 août, celui des Français le 14 août. La courbe baisse ensuite jusqu'en février 1990. Peut-être les avis n'ont-ils pas eu une efficacité totale, dans la mesure où des dérogations étaient accordées, mais ils ont provoqué une baisse des exportations. Je ne puis vous informer sur les procédures de publications réglementaires et d'information des ministres, car je n'étais pas concerné.

Selon moi, les avis aux importateurs ont eu un effet. Je le juge par la courbe des exportations de farines anglaises, qui se caractérise par un pic en 1989 ; après cette date, on retrouve le pic, mais à destination des pays tiers. Se sont substituées les exportations britanniques vers les pays tiers ; mais des doutes pèsent sur le caractère exclusif de leur destination « pays tiers ».

M. le Président : Nous avons été surpris qu'un acte majeur, comme celui de suspendre les importations - lesquelles ont d'ailleurs fait l'objet de dérogations - n'ait pas été un acte politique pris au niveau ministériel. S'agissant de la levée partielle de l'embargo, à l'égard de l'Irlande - nous nous sommes aperçu que les codes douaniers ne permettaient pas de distinguer les farines d'origine anglaise et irlandaise. M. Nallet et M. Soisson, venus devant notre commission, nous ont indiqué que la décision n'était pas remontée jusqu'à eux. C'est un acte que l'on nous a présenté comme un acte administratif, dont la portée était significative et qui a eu d'ailleurs eu des effets positifs ; on aurait aimé qu'elle en ait davantage et que les contrôles aient renforcé l'efficacité de ces mesures sur le terrain. Nous avons relevé l'incapacité à relever des fraudes, y compris lorsque les autorités françaises furent saisies par les autorités belges.

M. le Rapporteur : Ma dernière demande de précision portait sur la période 1993-1995. Vous avez parlé de sous-détection des cas. Le système épidémiosurveillance est-il défaillant ? Nous avons bien compris « sous-détection » et non « sous-déclaration ».

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Je pense que les deux phénomènes entrent en ligne de compte. Le réseau d'épidémiosurveillance a augmenté son activité au fur et à mesure de la sensibilisation des éleveurs. En1993-1995, il ne fonctionnait pas, selon moi, à son optimum. On s'en aperçoit a posteriori quand on enregistre un nombre plus élevé de cas, y compris négatifs. Il n'y a pas de raisons en effet que les cas négatifs n'existent pas à cette époque. Ou alors cela signifierait la présence d'une maladie parallèle à l'ESB, qui se développerait au même rythme. Donc, lorsqu'on enregistre beaucoup plus de déclarations, mais aussi plus de cas négatifs, par exemple en l'an 2000, on se dit que tous les cas négatifs, donc tous les cas, n'ont pas été déclarés en 1993-1995. Il y a sous-déclaration et sous-détection, car les signes cliniques ne sont pas aussi évidents qu'on le montre dans les films. On choisit pour les films ce qui se voit, car on veut leur attribuer une visée pédagogique. Or, on s'est aperçu, y compris lors des tests, que des animaux positifs étaient morts des suites d'une torsion de matrice ou d'autres anomalies.

Il y a également eu sous-déclaration, parce que, à l'époque, il s'agissait d'une maladie rare et d'une maladie honteuse. C'était très difficile pour les éleveurs. Mais cela pose le problème de l'épidémiosurveillance passive, où l'on attend que les gens se manifestent, par rapport à l'épidémiosurveillance active et aux tests. C'est un phénomène un peu inhérent au système.

M. Pierre HELLIER : Au regard des difficultés de contrôler les produits en France en raison des contaminations croisées qui sont possibles pendant les transports ou à l'usine, on mesure le danger, beaucoup plus grand, résultant de l'importation d'aliments, en ce sens que l'on ne peut absolument pas contrôler l'origine des farines qui entrent dans leur composition. Vous semblez très réservé sur les procédures de chauffage des farines à 133°, 3 bars pendant vingt minutes. Au reste, vous n'êtes pas le seul. Le protocole de fabrication des farines animales ne permet pas de donner toute sécurité si l'animal qui entre dans la composition de celles-ci est contaminé. Vous le confirmez donc.

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Le Dr. Dormont lui-même le déclare. Je me réfère aux scientifiques pour le dire.

M Pierre HELLIER : Vous le confirmez.

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Les Allemands qui appliquaient, du moins l'affirmaient-ils, la formule 133 degrés, 20 minutes, 3 bars, se retrouvent aujourd'hui en difficulté.

M. le Président : La raison en est qu'ils ne retiraient pas, avant novembre 2000, les animaux à risque et les MRS.

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : La France n'a recyclé qu'une seule fois en 1995 le lot de contamination initiale de 1989. Les Allemands, s'ils ont laissé passer des animaux contaminés, ont recyclé une seconde fois avec un risque démultiplicateur. C'est inquiétant pour eux. Si l'on compte cinq ans d'incubation après 1993-1995 - les Allemands ont enregistré beaucoup de cas en 1995-1996 - on arrive à 1998-2000. Ces animaux sont repartis dans les filières d'alimentation animale puisque les Allemands ne procédaient pas à séparation avant le mois de novembre 2000. Ils ont importé moins de farines britanniques que la France, en proportion, mais ils risquent d'avoir recyclé deux fois au lieu d'une des animaux et organes contaminés.

M. Pierre HELLIER : Que pensez-vous du cas super-NAIF ?

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Il s'agit d'un animal né en août 1997. Sa mère a été réformée pour un problème d'anomalie que je qualifierai d'anatomique : un de ses trayons n'était pas fonctionnel. Pour une vache laitière, c'est une cause de réforme logique Elle a été réformée huit mois après la naissance du cas. Logiquement, si elle avait dû avoir des signes cliniques, ils se seraient vus. Cela nous permet pratiquement d'exclure la transmission mère-fille. Les analyses ADN réalisées montrent que l'ADN du cerveau est compatible avec l'ADN et du veau et du père déclaré, à chaque fois à 99 %. Il n'y a par conséquent aucun doute sur l'identité de l'animal

S'agissant d'une éventuelle troisième voie, un autre cas s'est déclaré à vingt kilomètres, dont l'herbage se situait à quelques kilomètres de l'herbage du cas super-NAIF, mais tout de même éloigné. Il n'y a pas de raison que le prion se soit promené ainsi ! Cela dit, le cas en Seine-Maritime avait le même fournisseur d'aliments.

M. le Président : Le même ? Sogal pour parler clair ?

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Oui. Mais ce n'était pas un super-NAIF, puisque c'était un animal de 1995.

M. le Président : Plusieurs opérateurs sont en charge du contrôle : les DSV, les Douanes, la DGCCRF, votre service mis en place en 1992. Quelles sont les relations entre ces diverses structures ? L'information circule-t-elle correctement ? Tout le monde savait, pressentait, imaginait l'existence de fraudes. Nous nous étonnons que personne ne soit parvenu à les pointer.

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Nous sommes une quinzaine d'enquêteurs. Nous fonctionnons sur le principe de la prestation de service aux organisations qui disposent de systèmes d'enquête, comme la police, la gendarmerie ou les Douanes. Notre principe n'est pas de multiplier le nombre des enquêteurs, dans la mesure où l'efficacité tient à la rapidité d'intervention et à la liberté laissée à l'agent qui intervient. On le place le plus rapidement possible sous une autre autorité en collaboration avec la Douane, la gendarmerie ou la police. Celles-ci sont appelées à intervenir dans les secteurs de la sécurité alimentaire comme de l'environnement. Dans la mesure où il s'agit d'un environnement réglementaire très spécifique, nous fournissons un appui technique, ce qui permet de démultiplier l'efficacité, puisqu'un enquêteur peut suivre à la fois trois ou quatre enquêtes de gendarmerie dans des secteurs différents.

Avec le service de la répression des fraudes, nous n'avons jamais tellement rencontré de problèmes Je dois même dire que ce sont ses agents qui nous ont appris toute la méthodologie des enquêtes en usine d'alimentation. Jusqu'en 1998, pour les enquêtes sur l'ESB, nous avons fonctionné selon une tournée commune avec leurs services. Nous travaillions avec M. Lelhaye, qui a cessé ses fonctions pour raisons de santé. Les Fraudes ne l'ont pas remplacé.

Les premiers dossiers que nous avons présentés au Parquet ont été établis par le service des fraudes, que nous avons repris. Nous avons traité seuls les suivants, mais simplement parce que l'enquêteur spécialisé des fraudes a cessé son activité et n'a pas été remplacé Nous n'avons jamais eu de problèmes Il s'agissait d'enquêtes épidémiologiques. Je le souligne, car je sens que vous évoquez implicitement la déposition de M. Houins. Pour ce qui nous concerne, nous n'avons jamais eu de problèmes avec les services des fraudes.

M. le Président : Il y avait des fraudes. Or ce n'est que suite à une sollicitation de l'administration belge, que l'on a saisi la DGCCRF. Quelle lecture faites-vous de cette affaire ?

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Je me garderai bien d'en faire une lecture. Nous n'avons jamais été informés de l'affaire belge.

M. le Président : C'est surprenant que personne ne soit au courant, ni le directeur général des douanes, ni le directeur de la DGCCRF. Il ne s'agit pourtant pas d'une quantité négligeable.

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Nous nous sommes rendu une fois en Belgique au titre d'une commission rogatoire avec les services des fraudes et la gendarmerie, mais c'était une enquête de gendarmerie et elle ne portait pas sur l'affaire que vous évoquez. En tout état de cause, lorsque nous détectons quoi que ce soit, nous prévenons les gendarmes. S'ils ne veulent pas suivre, ce n'est pas notre responsabilité. C'est le procureur qui décide.

M. le Président : Indépendamment du laps du temps nécessaire à la prise de décisions, nous voudrions comprendre comment les décisions ont été appliquées sur le terrain. Vous nous disiez que vous aviez contrôlé 250 sites de fabrication. Nous nous sommes rendu sur un site de fabrication non dédié pour entendre les responsables. Nous leur avons demandé s'ils avaient pris toutes les mesures nécessaires et s'ils pouvaient nous assurer que des farines animales ne rentraient pas dans l'alimentation des ruminants. Ils n'ont pu nous l'affirmer à 100 %, car le site n'était pas dédié. Sur les 250 sites que vous avez contrôlés, avez-vous constaté que les mesures d'interdiction des farines pour les bovins (1990) puis pour les ruminants (1994) étaient appliquées ?

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Les dossiers que nous avons transmis au Parquet sont ceux pour lesquels nous disposions d'éléments écrits, preuve que les mesures n'avaient pas été appliquées. Par exemple, lorsqu'un « fil de l'eau » nous permet de constater que telle fabrication a succédé à telle fabrication, automatiquement, on acquiert un élément de certitude. Lorsque le « fil de l'eau » nous prouve qu'il y a deux ans, par exemple, telle cellule et non pas telle autre a été approvisionnée en retours, nous disposons de documents écrits, mais, dans beaucoup d'autres cas, nous n'en disposons pas. C'est pourquoi notre travail de répression n'est pas statistiquement probant. Ce que je sais, c'est qu'une usine d'alimentation animale ne peut se permettre de jeter de la matière première ou de l'aliment. En conséquence, en fonction des équilibres des différentes catégories d'aliments qu'elle produit, elle a pu procéder à des mélanges.

Pour une dizaine d'entreprises - ce ne sont pas des sites - nous avons trouvé les éléments de preuve suffisants pour que le procureur ne classe pas le dossier. Pour les autres, nous ne garantissons pas l'inverse : c'est dire que nous n'avons pas trouvé les papiers. Je distingue les entreprises qui respectent des règles d'archivage de celles qui n'en ont pas.

M. le Président : Nous imaginons bien la difficulté de la tâche, mais si nous voulions une efficacité réelle, il aurait fallu distinguer et avoir des sites de production dédiés, c'est-à-dire que les farines animales n'auraient pu être introduites que dans les productions destinées aux monogastriques, permettant ainsi le contrôle des productions. À la lumière de l'expérience passée, avez-vous le sentiment que les décisions prises étaient contrôlables ? Si non, quelles leçons en tirer pour l'avenir? Comment s'assurer de la non-adjonction de farines animales ?

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Je préfère le terme « présence » à celui « d'adjonction » L'on inverse ainsi la charge de la preuve. Quand l'utilisation des farines est interdite, il faut prouver qu'on les a utilisées ; quand la présence est interdite, c'est apparemment plus anodin, mais cela oblige le fabricant à faire son test de matières premières. À l'heure actuelle, c'est l'utilisation qui est interdite, non la présence, ce qui complique les enquêtes La précision n'est donc pas anodine. Prouver la présence ou prouver l'utilisation n'est pas la même chose.

J'en viens aux leçons à tirer. À partir de 1996 jusqu'en 1997, voire 1998, il a fallu un certain temps pour réduire les contaminations croisées, cela étant compensé par le fait que l'étage « farines françaises»  devait normalement être sain.

Des leçons relatives à la spécialisation des entreprises sont aussi à tirer. La fabrication de farines destinées aux bovins représente 5 % à 10 % de la production d'une unité mixte. Le seul problème ayant trait à ces farines bovins est un problème d'économie locale. Des régions ne pourront pas constituer d'unités spécialisées « bovins », alors qu'elles le peuvent lorsqu'elles sont jointes à des unités mixtes bovins-porcins. Des régions, au contraire, pourront faire vivre des unités spécialisées, dans la mesure où leur densité en bovins est suffisante. Derrière la spécialisation « ruminants », se pose un problème économique lié à la répartition régionale des entreprises Dans les régions où il n'y a que peu de bovins, les aliments risquent de venir d'ailleurs.

M. Jean-Michel MARCHAND : Je reviens sur la distinction entre présence et utilisation. J'ai en mémoire une explication avancée en séance par le ministre de l'Agriculture. Il précisait qu'en-deçà de 0,3 %, on ne pouvait déterminer la présence de farines animales dans l'aliment concentré. Les deux faits sont-ils liés ? Depuis, on a appris que la contamination pouvait être le fait d'une quantité de produit infime. Vous venez de le dire, ajoutant qu'il n'y avait pas dilution d'une farine dans une autre. Ces deux éléments rapprochés appellent-ils quelques commentaires ?

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Les 0,3 % représentent la limite de résolution de l'outil d'analyse, donc la précision de la mesure. En revanche, le débat entre présence et utilisation est d'une autre nature. Prouver l'utilisation est très difficile sur le terrain judiciaire, alors que prouver la présence oblige chacun à contrôler sa matière première. Au niveau de la charge de la preuve, notre travail serait facilité si la notion de présence était retenue

M. le Président : Quels sont les textes concernés ?

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : L'arrêté du 14 novembre et l'arrêté précédent de 1990, modifié en 1994, qui précisent que l'utilisation des farines animales dans la fabrication d'aliments bovins, puis ruminants, est interdite. C'est là un avis personnel Je ne voudrais pas entrer en contradiction avec mon ministre.

M. François PERROT : Lors des auditions, nous avons entendu des fabricants de farines préciser que, depuis 1989, un laboratoire conseil leur avait conseillé de ne pas utiliser de farines animales, qui présentaient, selon lui, un risque. Ils ne l'ont pas fait au titre du principe de précaution Dans les enquêtes menées dans les usines, en avez-vous trouvé qui aurait exclu les farines animales dès 1989, ou, en tout cas, avant 1996 ?

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Nous en avons trouvé, mais après 1996. Il s'agissait de quelques usines qui n'utilisaient que des farines végétales, dont une, que nous avons envoyée devant le tribunal, parce qu'elle utilisait des retours d'origine animale. La préconisation de ne pas utiliser de farines animales est sans doute vraie, mais le fait est que des usines les utilisaient. Nous en avons trouvé.

M. Pierre HELLIER : Si l'on veut s'assurer de l'absence de farines animales dans un aliment qui ne doit pas en contenir, il faudrait des usines et des transports dédiés.

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : C'est là où je suis obligé de m'arrêter, car il s'agit d'un choix politique qui induit un risque économique

M. Pierre HELLIER : Sans même parler de contamination, il faut bien en passer par là pour obtenir la certitude de la composition de l'aliment ?

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Avant de prendre une décision en matière de farines animales, il faudrait développer les méthodes d'analyse et les multiplier. Nous avons besoin de bonnes méthodes d'analyse et de plusieurs laboratoires. Aujourd'hui, seul celui de Rennes est agréé.

Nous nous intéressons à un laboratoire, qui essaie de développer une méthode par sonde moléculaire, permettant d'identifier une trentaine d'espèces dans les farines animales. Il faut aider de tels laboratoires à se développer et à développer l'usage de la détermination des espèces pour les farines animales. On sait très bien le faire pour les poissons ; il n'y a pas de raison de ne pas y arriver pour des mammifères. Un laboratoire met au point une machine capable de détecter, en quatre heures, au moins une trentaine d'espèces différentes de mammifères entrant dans la composition d'une farine.

Je suis totalement opposé à des décisions d'allégement des interdictions sans mise en place immédiate de moyens de contrôle et sans un dispositif qui, d'une part, impose à l'industriel de pratiquer et de payer les contrôles, d'autre part, spécifie strictement les seules farines à utiliser.

Sans moyens de contrôle, je ne suis pas favorable à un allégement du dispositif. Prendre une décision rapide pour des raisons d'urgence dans une industrie lourde, on s'expose à une certaine inertie, dont le service de contrôle assume la responsabilité. Il faut disposer des moyens de contrôle avant de prendre une décision.

M. Roger LESTAS : Ces laboratoires sont indépendants des industriels de l'alimentation...

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Il n'en existe qu'un seul, à Rennes.

M. Roger LESTAS : Aucun industriel ne s'est-il équipé d'un mini-laboratoire pour contrôler sa propre production ?

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Je ne crois pas. Nous avons sur ce point, un énorme travail à engager. C'est un préalable, mais il faudrait que les industriels s'auto-contrôlent sur la base de dispositifs agréés, sachant qu'interviendrait ensuite un autre contrôle. Il n'est pas compliqué de prélever de la farine pour réaliser des contrôles. Les agriculteurs et les éleveurs subissent des contrôles deux ou trois fois l'an. En procédant aux contrôles d'identification, il suffirait de prélever un peu d'aliment pour croiser les contrôles. Cela n'engendrerait pas de frais supplémentaires. Nous pourrions procéder à des contrôles en exploitation. En cas de fraude, le fabricant serait sanctionné, mais il faudrait qu'il soit responsable, en particulier des matières premières qu'il importe. L'importateur est responsable de la première mise sur le marché en territoire national. Voilà le secteur sur lequel porter en priorité notre effort avant toute réforme.

M. le Rapporteur : Vous êtes docteur vétérinaire ; la révélation de la transmissibilité à l'homme de l'agent infectieux date de 1996, mais des scientifiques - par exemple Mme Brugère-Picoux - avaient exprimé bien avant cette date des hypothèses sur ce risque. Quel est votre sentiment ? N'avez-vous pas l'impression que l'on pouvait supposer un franchissement de la barrière d'espèces, mais que l'on a négligé tout cela, dans la mesure où l'on pensait qu'il ne s'agissait que d'une maladie animale ? En conséquence, la recherche n'a pas été soutenue et on a perdu du temps. On avait tout de même la certitude de la contamination par les farines animales en Grande-Bretagne ; cela ne fait pas de doute. Nous avons du mal à comprendre pourquoi cette préoccupation n'a pas été prise davantage en considération. On a le sentiment d'avoir perdu beaucoup de temps.

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Cela pose le problème de l'absence d'un organisme d'évaluation du risque. Les déclarations des scientifiques de l'époque, si vous les analysez, sont contradictoires. Dès lors, le problème est de savoir quelle est la légitimité et la valeur des conseils de ceux qui se prononcent. Sinon chacun choisit les siens. En créant le Comité Dormont et l'AFSSA, on a commencé à donner une légitimité à l'évaluation scientifique du risque. Les déclarations des scientifiques britanniques partaient en tous sens et ceux qui se révélaient trop pessimistes se retrouvaient hors des commissions qui se constituaient. Le problème ne tient pas dans le retard, mais dans la détermination de celui qui porte la légitimité de décréter que c'est dangereux ou que ce ne l'est pas. Je ne porte pas un avis sur ce qui s'est passé, mon point de vue a une portée générale.

M. le Président : Outre le cynisme qui a consisté à exporter les farines ou des produits à risques que la Grande-Bretagne n'utilisait pas chez elle, nous avons observé que la communauté scientifique française et européenne ne s'était pas saisie plus tôt d'un problème qui avait pris déjà dans un pays de l'Union européenne une dimension qui ne pouvait être ignorée. Aujourd'hui, la question continue de se poser. On sait que des pays ont importé des farines à risque. Or, nous importons de ces pays des carcasses d'animaux qui n'ont pas fait l'objet des mêmes mesures de précaution que celles que nous nous imposons. Cela vaut aussi pour les plats cuisinés. L'Europe a pris tardivement par rapport à la France, et la France tardivement par rapport à l'Angleterre, des mesures de précaution. Et l'on constate aujourd'hui que toutes les mesures de précaution ne sont pas prises à l'égard de pays tiers. Quel est votre sentiment ?

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Il m'est difficile de répondre, c'est vraiment là un problème d'ordre réglementaire. Il est toujours difficile d'essayer de reconstituer les faits pour connaître le pourquoi des choses C'est très compliqué quand on n'interroge pas ceux qui ont participé à la procédure décisionnelle elle-même.

M. le Président : Avez-vous le sentiment, depuis novembre 2000, d'avoir les moyens d'assurer le contrôle des décisions politiques prises au niveau européen ? Quelles suggestions faites-vous ?

M. Jean-Jacques RÉVEILLON : Je suis ennuyé pour vous répondre, car nous ne sommes pas un service de contrôle. Ce sont les services vétérinaires départementaux et de la répression des fraudes qui exercent les contrôles. Moi, je dirige un service d'enquête, qui dispose de suffisamment de moyens, dans la mesure où je ne puis en gérer davantage ; je les gère tous en direct. Les décisions se prennent par téléphone. Lorsqu'un contrôleur détecte une anomalie lors d'une visite, il nous appelle pour savoir quelle décision prendre. C'est donc un service d'enquête, non de contrôle. C'est pourquoi je suis gêné pour vous répondre. Je sais que vous avez entendu M. Benoît Assemat, Président du syndicat national des vétérinaires inspecteurs de l'administration. Je lui avais demandé de ne pas associer la brigade à son propos, car nous considérons que nous disposons des moyens nécessaires, alors que lui, en tant que dirigeant syndical, il les estime insuffisants pour ce qui concerne les services vétérinaires départementaux qui assurent les contrôles.

Le service de contrôle est donc assuré par les directeurs des services vétérinaires pour ce qui concerne le ministère de l'Agriculture, mais également par les services de la répression des fraudes et les Douanes. Je reviens sur un point que j'ai oublié de souligner, à savoir le Marché unique en 1993. À cette date, les mailles du filet de contrôle se sont élargies. Tout coïncide : le marché unique, la réinfection des farines et d'autres importations. La réunion de plusieurs facteurs a participé au fait que nous soyons contaminés.

M. Pierre HELLIER : Une remarque : l'avis des scientifiques sera toujours difficile à interpréter. Au début de l'épidémie du sida, des chercheurs - et non des moindres - affirmaient que le sang n'était pas contaminant. Pour l'ESB, dès lors que les cas humains ont été détectés en Angleterre, la machine s'est affolée, puisque l'on croyait que la barrière d'espèces protégeait l'homme de l'épidémie. Donc, l'affaire n'est pas si simple.

M. le Président : En effet. Nous vous remercions.

Audition de M. Alain GLON,
président directeur général des établissements GLON-SANDERS

(extrait du procès-verbal de la séance du 15 mai 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Alain Glon est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Alain Glon prête serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes le numéro un de l'alimentation animale en France. Vos établissements ont fabriqué des aliments pour animaux en y incorporant notamment des farines animales, en fonction de la réglementation. Nous souhaitons connaître les conditions dans lesquelles vous avez procédé à cette intégration et les proportions de farines animales utilisées dans les aliments destinés, respectivement aux bovins, aux ovins, aux porcs et aux volailles.

Nous aimerions savoir quelles mesures pratiques vous avez prises pour vous conformer aux réglementations successives, intervenues depuis 1989 dans le domaine de l'utilisation des farines animales pour l'alimentation des animaux d'élevage. Je vous rappelle les étapes. Août 1989 : avis aux importateurs interdisant les farines anglaises pour l'alimentation des ruminants. Comment cela s'est-il passé concrètement pour ce qui vous concerne ? Juillet 1990 : interdiction d'utilisation des farines animales pour l'alimentation des bovins. Comment avez-vous réagi sur les sites de fabrication ? 1994 : extension de l'interdiction d'utilisation de farines de ruminants à l'alimentation des ruminants. 1996 : date importante, puisque l'on est passé d'un problème de santé animale à un problème de santé humaine. L'incorporation des FVO, des matériaux à risque spécifiés, des cadavres et saisies sanitaires est désormais interdite. Novembre 2000 : interdiction totale des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage.

Nous aimerions connaître les conditions dans lesquelles vous avez pu importer des farines, dans quelle mesure vous vous assuriez que les farines importées, qui n'avaient pas fait l'objet des mêmes précautions, étaient exemptes de danger. Je pense à des pays qui se prétendaient indemnes jusqu'à une période récente et qui laissaient des matériaux à risques spécifiés dans la fabrication de ces farines. Je citerai l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie. Avez-vous importé des farines de ces pays ? Si oui, dans quelles proportions ? Comment avez-vous évité les risques de contaminations croisées ? Lors d'un déplacement sur le terrain, nous avons rencontré l'un de vos collègues, qui a déclaré ne pouvoir nous assurer, jusqu'à la création de sites dédiés en février 1999, l'absence de farines animales dans les aliments pour les ruminants.

Nous parlerons également des conditions de fabrication et d'étiquetage des aliments pour animaux. Quels critères président à la définition des codes internes ainsi qu'aux étiquetages figurant sur les aliments que vous avez livrés ? Nous évoquerons aussi la question des retours. Quelles mentions figuraient sur les documents, sur les étiquettes pour informer les utilisateurs sur la composition, la proportion des ingrédients que vous utilisiez ? Quelles réflexions suscitent les propos de ceux qui opposent le secret de fabrication comme limite à l'étiquetage ?

Enfin, nous aimerions savoir comment fonctionne un groupe tel le vôtre. Comment assurez-vous la qualité ? Le dirigeant d'une entreprise a été récemment mis en examen, car il serait concerné par des mouvements de farines et des réétiquetages. En tant que fabricant d'aliments, comment vous assuriez-vous de la traçabilité ? Qu'en est-il des importations d'aliments déjà fabriqués ? Nous voudrions enfin disposer d'un organigramme complet des diverses entités qui composent votre groupe.

M. Alain GLON : Je suis producteur d'aliments du bétail. Contrairement à ce que l'on voudrait faire croire, je ne suis pas équarrisseur. En amont de notre industrie, des personnes, en charge du traitement des cadavres ou les déchets d'animaux, produisent les farines, lesquelles doivent obéir à certaines normes. Je suis bien fabricant d'aliments. Et lorsque, par une expression convenue, on parle de « fabricants de farines », ce n'est pas anodin !

Cela fait environ vingt-cinq ans que je suis fabricant de nourriture animale. J'ai à peu près pratiqué tous les aspects de ce métier. Lorsque, dans les années 80, nous avons buté sur des difficultés, j'ai fondé et suis devenu le président de l'association Qualimat, qui s'intéresse à la qualité des aliments du bétail. Elle regroupe, en termes de compétences, les services de la répression des fraudes, les services de l'agriculture et autres organismes. L'association a travaillé en transparence totale avec les autorités depuis 1980 et a traité beaucoup de dossiers : les huiles frelatées d'Espagne, les problèmes de tryptophane, etc.

Notre association fonctionne toujours et suscite l'étonnement d'un grand nombre d'autorités au niveau mondial. En 1988, je fus appelé par une des autorités de la répression des fraudes, qui me dit avoir entendu à la BBC que des animaux mouraient au zoo de Londres ; l'idée fut avancée que la viande était à l'origine de ces décès. Il me demandait si nous disposions d'éléments d'information. Nous avons commencé à chercher, sans rien découvrir de particulier.

Nous importions en 1988 des farines de viande de Grande-Bretagne ou d'ailleurs, les données du marché le permettant. L'État français possédait 80 % de l'équarrissage français et le marché était très organisé ; les prix pratiqués incitaient naturellement à rechercher dans d'autres pays des matières premières à des prix légèrement inférieurs à ceux pratiqués en France.

Fin 1988, nous constatons la dégradation de la qualité des farines animales d'importation anglaise, pas du tout sur le plan de l'ESB puisque nous ignorions tout du problème à l'époque, mais sur le plan de la teneur en salmonelle et autres éléments bactériologiques peu souhaitables.

Mon entreprise porta le nom de Glon jusqu'au 1er janvier 1999, date à laquelle elle est devenue Glon-Sanders. Je vais essentiellement parler de Glon, mais on pourra élargir le débat à un niveau national. Dans la mesure où nombre d'événements sont intervenus dans l'Ouest, rester au niveau local permet plus facilement de cerner la question.

Nous avons décidé d'arrêter les importations de farines de viandes anglaises en décembre 1988. Le dernier bateau que nous avons reçu a dû arriver le 9 janvier 1989. Bien sûr, nous nous privions d'un avantage économique certain comparé à d'autres fabricants qui continuaient d'utiliser des farines de viande d'importation. Nous avons tenté de comprendre pourquoi la qualité s'était dégradée. Au fil du temps, nous avons découvert que tout n'était pas clair en Grande-Bretagne, à tel point que nous sommes intervenus auprès des autorités françaises pour demander l'interdiction des importations de Grande-Bretagne.

Lorsque nous avons constaté que les équarrisseurs français eux-mêmes achetaient des farines de viande anglaises pour les mêler aux leurs, nous avons perçu le danger. Aussi sommes-nous intervenus pour que les autorités interdisent les farines françaises dans l'alimentation des ruminants. Nous étions en 1989. Les textes d'application sont généralement intervenus quelques semaines ou quelques mois plus tard. C'est dire que nous avons très largement anticipé les décisions.

J'en viens aux années 90-91, lorsqu'un premier cas d'ESB a fait son apparition dans le département des Côtes d'Armor. On nous a indiqué qu'il s'agissait d'un épiphénomène, qui ne se reproduirait pas, et que nous pouvions dormir tranquilles ! Il n'en reste pas moins que nous avons appelé l'attention sur certains points, notamment sur différents vecteurs qui pouvaient contenir des farines animales, par exemple les pierres à lécher que l'on place dans les champs et que les animaux lèchent pour trouver du sel : ces blocs importés de Grande-Bretagne avaient pour constituant des farines animales.

Nous sommes donc intervenus au fil du temps pour demander à tout un chacun de prendre davantage de précautions. En ce qui nous concerne, nous avons également arrêté l'utilisation des matières grasses animales - françaises, car, a priori, elles n'étaient pas importées. Nous avons cessé de les utiliser, car nous avons considéré que les farines animales contenaient des farinettes, que la filtration n'était pas parfaite, que les farinettes contenaient des protéines et que, la protéine étant rattachée au prion, il y avait risque.

Au début de 1996, une déclaration fut faite à la Chambre des communes, annonçant plusieurs cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob liés à l'ESB. Une partie des craintes que nous avions émises se trouvant pleinement justifiée, nous avons pris des mesures. L'une des premières fut de cesser l'achat des farines animales. J'ai pu obtenir de mes collègues que nous interrompions l'achat des farines. De ce point de vue, les courriers des autorités étaient ambigus. On nous disait que les farines françaises devaient continuer d'être utilisées dans les conditions précédentes. Nous demandâmes à être éclairés sur le mot « doivent » ; or, nous n'avons jamais pu obtenir l'éclairage voulu. Évidemment, arrêter l'utilisation des farines animales aurait empêché de dégager les abattoirs et nous n'aurions immédiatement été accusés d'avoir bloqué l'économie.

Suite à la déclaration à la Chambre des communes, nous avons donc refusé d'acheter des farines de viande. Je souligne que ces farines étaient achetées par période de trois mois et que des achats avaient été réalisés sur janvier, février, mars 1996. Lorsque la déclaration fut faite, d'autres achats avaient été contractés sur avril, mai, juin. D'aucuns avaient pensé que notre appât du gain nous aurait poussés à acheter des farines de viande dont le prix baissait. Il n'en fut rien. Le 26 juin 1996, eut lieu à Lorient une réunion où les autorités tentèrent de fléchir la position des fabricants d'aliments, qui refusèrent de céder. Nous posions comme condition que les cadavres et les déchets à risques soient retirés de la fabrication des farines. Les autorités, non sans difficultés, en ont décidé le soir même. Nous avons alors repris l'achat des farines à cette période. Les abattoirs n'étaient alors plus dégagés.

Après avoir audité nos fournisseurs, nous nous sommes aperçu que les équarrisseurs français, à l'instar des Anglais, avaient allégé les traitements. Des moutons français étant contaminés par la tremblante, nous courrions le risque que les farines françaises ne soient pas bonnes. M. le Président, vous parliez de contaminations croisées. Les contaminations croisées supposent que les farines animales soient elles-mêmes contaminantes pour provoquer l'ESB chez l'animal. À partir de 1996, nous avions exigé que les farines animales soient uniquement produites à partir de déchets d'animaux destinés à la consommation humaine. Imaginez notre étonnement lorsque nous voyions les animaux atteints, ce qui donnait à penser que certains d'entre eux avaient pu être consommés.

Mais il convenait et il convient toujours que les fabricants d'aliments soient la cible ! On veut ainsi cacher les importations d'animaux, au titre de la génétique. Les Anglais, eux-mêmes fortement accusés, ont rebâti des statistiques, selon lesquelles 40000animaux ont été importés sur le continent au titre de la génétique, dont 11 % étaient porteurs sains. C'est dire que 5000 animaux atteints de l'ESB circulaient dans nos campagnes !

D'ailleurs, lorsque la fièvre aphteuse s'est déclarée, vous aurez relevé que nous avons abattu beaucoup d'animaux provenant de Grande-Bretagne. On peut se demander pourquoi ces animaux n'ont pas été détruits dans les années 1993-1994 et suivantes, d'autant que ces animaux, abattus et leurs cadavres transformés ont forcément généré de la farine de viande contaminante.

Un grand nombre de veaux a été importé, puisque le prix du veau s'était effondré. En France, des veaux anglais qui auraient dû être élevés pour être abattus dans des conditions très contrôlées, sont devenus « vaches françaises » suite à des trafics pour lesquels des personnes ont été condamnées. Tout cela est public. Ces veaux devenus « vaches françaises » pouvaient eux-mêmes être contaminants. Mais, là aussi, il convient de dire que les responsables sont les fabricants d'aliments !

Je pourrais citer de nombreuses autres sources de contamination. Lorsque nous avons pris conscience de ce danger, nous avons spécialisé nos usines de production dans les années 96-97, afin que plus aucune farine de viande n'entre dans les usines où nous produisions des aliments pour bovins. Nous avons réservé la production d'aliments « tous ruminants » à deux usines. Nous avons également spécialisé les camions de livraison et informé les éleveurs du danger qui résidait dans la mise à disposition des bovins des aliments destinés aux volailles. On a voulu faire croire que seules les farines anglaises étaient contaminantes. Or, à partir des animaux importés de Grande-Bretagne, les farines françaises étaient également devenues contaminantes.

Nous avons mis en _uvre plusieurs dispositions, tant et si bien que, si l'on en vient aux chiffres, on peut constater que, dans le département du Morbihan, qui compte des milliers d'éleveurs et où nous possédons les plus fortes parts de marché en alimentation des ruminants, nous ne sommes concernés par aucun cas d'ESB. Nous n'avons jamais été le fournisseur d'éleveurs concernés par l'ESB. Dans le département du Finistère, où, de façon organisée, on a défrayé la chronique, nous n'avons fourni des aliments qu'à un seul éleveur concerné, M. Favenec, qui nous téléphonait encore vendredi dernier pour s'excuser et demander que nous retirions notre plainte en diffamation. Dans les Côtes-d'Armor, nous sommes concernés par quelques cas, mais les Côtes d'Armor ont connu de très nombreuses importations. Voilà pour l'état des lieux.

M. le Président : Pourquoi vous a-t-on demandé de retirer votre plainte ?

M. Alain GLON : Médiatiquement, les choses furent très organisées. Un jour du mois de mai 1999, je fus appelé au téléphone par un haut fonctionnaire. Son propos fut en substance celui-ci : « Compte tenu du nombre de décès humains intervenus en Grande-Bretagne, les journalistes préparent des articles sur l'ESB. Nous allons être obligés de laisser sortir deux articles dans deux journaux. . . » qui me furent cités et qui continuent de parler de nous. « Les noms cités dans ces articles. . . » ajouta-t-il « . . . ne nous conviennent pas ; à la place, nous allons mettre le vôtre et celui de Guyomarc'h. Et, s'il vous plaît, silence ! ».

Lorsque je m'en étonnais, le brave homme me dit : « Mais, monsieur, vous ne risquez rien ! Cela relève de la correctionnelle. La prescription est de trois ans et les trois ans sont échus depuis longtemps. Et d'ailleurs je rencontre le juge Boizette pour lui en parler. »

Voyez combien tout cela est organisé ! À la suite d'articles diffamatoires, nous avons porté plainte contre le journal Marianne et FR3. Ennuyées par ces plaintes, les personnes concernées ont agi par tous moyens pour que nous les retirions.

Dans cette affaire, s'exercent énormément de pressions - et de toute nature. Vers le 15 janvier de cette année, nous avons reçu à l'improviste quinze officiers de la police judiciaire le même jour ! Ce dossier est lourd ; nous le savons tous. Mais les accusations formulées à notre encontre sont de plus en plus insupportables. Non seulement, nous avons toujours agi par anticipation, mais nous avons même pressé les autorités à prendre les dispositions que nous pensions utiles, avant même de connaître la dangerosité du phénomène en cause. En effet, il n'y a qu'environ trois mois que nous avons appris par le Dr. Dormont que la dose contaminante se situait à 1 milligramme alors que, à l'époque, on nous parlait de kilos.

Avant que les farines ne soient totalement interdites dans les usines spécialisées, nous interdisions qu'au cours de sa livraison précédente, le camion ait transporté des farines animales. Malgré cela, de temps en temps, nous en trouvions des traces.

La situation actuelle devient ubuesque : à la suite de prélèvements d'échantillons, d'analyses de toutes sortes, on a essayé d'imaginer ce que peut représenter 0,5 milligramme de morceau d'os trouvé dans un silo de nourriture animale. Bien sûr, on est incapable de retrouver le producteur de l'aliment. Imaginez, un timbre poste pèse un gramme ! 0,5 milligrammes représentent la moitié du millième. Et ce alors que vous et moi avons consommé de grandes quantités de viandes anglaises. C'est là aussi un sujet dont il ne convient pas de parler. La France est le deuxième pays en termes de risques, car elle a importé plusieurs années consécutives 100 000 tonnes de viande et d'organes divers venant de Grande-Bretagne et que vous et moi avons consommés. Que l'on continue de dire que les fabricants d'aliments du bétail sont la cause de tout, qu'un gramme peut être dangereux quand les humains ont consommé des kilos de viande, vous comprendrez que cela finisse par nous exaspérer !

M. le Rapporteur : Vous dites que vous avez pris la décision d'interdire les farines dans la fabrication des aliments en 1988. Qu'est-ce qui motivait cette interdiction ? De quelles informations disposiez-vous que les autorités n'avaient pas ? De quelles autorités s'agit-il ? De quelle manière êtes-vous intervenu ? Par écrit ? Ces questions portent sur les farines anglaises. Pour les farines françaises, vous dites que vous saviez qu'elles étaient mélangées à des farines anglaises.

M. Alain GLON : Nous avons écrit aux autorités, au ministère de l'Agriculture, notre ministère de tutelle, et notamment aux enquêteurs, car vous ne pouvez imaginer le nombre de jours d'enquête que nous avons subis.

M. le Rapporteur : Dans les années 88-89 ?

M. Alain GLON : Non. Je reprends les dates, qui sont importantes. En octobre-novembre 1988, nous avons été interpellés à propos d'une émission de la BBC en Grande-Bretagne qui avait fait état d'un phénomène curieux au zoo de Londres. À partir de là, sans savoir de quoi il s'agissait, nous avons été plus attentifs à la qualité des farines. Bien entendu, nous n'avons pas trouvé le moindre prion - on n'en parlait pas à l'époque. Mais nous avons constaté une dégradation de leur qualité : elles contenaient, entre autres, des salmonelles. C'est pourquoi nous avons décidé d'arrêter les importations de farines de Grande-Bretagne. J'ai personnellement donné des instructions pour arrêter les importations aux environs du 20 décembre 1988, si bien que nous avons reçu le dernier bateau le 9 janvier 1989.

Pendant quelques mois, au vu du handicap que nous subissions, nous avons travaillé pour savoir ce qui se passait en Grande-Bretagne. Mais tout cela est extrêmement ténu et personne ne se livre volontiers. C'est à partir des mois d'avril-mai 1989 que nos doutes se sont considérablement renforcés et que nous sommes intervenus, via notre syndicat professionnel, auprès des autorités de l'époque, essentiellement le ministère de l'Agriculture, pour dire nos craintes.

M. le Rapporteur : Vous avez procédé par écrit ?

M. Alain GLON : S'agissant de nos démarches auprès du ministère de l'Agriculture, notre syndicat dispose des dates des rencontres. Nous avons été interrogés par des enquêteurs, qui ont cherché à comprendre, lorsque apparurent les premiers cas d'ESB dans les années 1990-1991.

M. le Rapporteur : De quels services dépendaient ces enquêteurs ?

M. Alain GLON : Il s'agissait de la commission d'enquête vétérinaire de Toulouse. Bien sûr, nous étions dans un dialogue totalement ouvert avec les autorités : nous essayions de savoir, de comprendre. Ne prévalait, alors, aucune notion de culpabilité ni de responsabilité. C'est à partir de 1996 que tout cela s'est transformé en une sorte de chasse aux sorcières.

M. le Rapporteur : Vous dites arrêter les achats de farines en 1996. Qu'avez-vous fait entre 1989 et 1996 ?

M. Alain GLON : Nous avons continué de les utiliser, mais dans les aliments pour les autres animaux : volailles, porcs.

M. le Rapporteur : Pour les monogastriques. Vous n'aviez pas alors d'ateliers de fabrication dédiés.

M. Alain GLON : Non. Le fait que nous n'ayons aucun cas dans le Morbihan est significatif.

M. le Rapporteur : Je ne cherche pas à vous mettre en accusation. Je veux comprendre quelles informations ont été données, à qui, pourquoi. Pour le reste, nous avons bien entendu ce que vous nous avez dit : un seul client que vous fournissiez a connu un cas d'ESB. Vous avez continué de fabriquer des farines pour les monogastriques. De quels pays importiez-vous ?

M. Alain GLON : D'Irlande et du Danemark.

M. le Rapporteur : Quelle certitude aviez-vous qu'elles ne venaient pas d'Angleterre ?

M. Alain GLON : Nous auditons nos fournisseurs. Il s'est raconté des tas d'histoires, à tel point que l'Irlande, je crois, a porté plainte contre la France. Cela dit, les pays anglo-saxons sont beaucoup plus pragmatiques que nous. Par exemple, lorsque la Grande-Bretagne a interdit les farines animales, elle a mis en _uvre une mesure très simple, qui a consisté à racheter les farines à un prix beaucoup plus élevé que celui du marché. Sur le plan de la logique économique, analysée par les services de la répression des fraudes depuis plusieurs années, il a été démontré qu'il eût fallu être anormal au point de vue de l'économie pour acheter beaucoup plus cher en Grande-Bretagne ce que l'on pouvait trouver en France ou ailleurs à moindre coût. Les règles économiques faisaient que personne n'avait intérêt à le faire. C'eût été procéder à l'encontre d'une démarche économique normale.

M. le Président : Vous avez cessé d'utiliser les farines fin 1988. Où avez-vous acheté les farines ensuite ?

M. Alain GLON : En France, aux équarrisseurs français.

M. le Président : Quelle était la proportion de farines anglaises que vous utilisiez ? Arriviez-vous facilement à vous fournir sur le marché français ?

M. Alain GLON : Je ne dispose pas des chiffres. Nous sommes dans une activité où nous pratiquons des recettes sur le plan des besoins protéiques ou en calories des animaux. Nous travaillons avec une palette de matières premières qui, chacune présente ses mérites et ses intérêts. Nous analysons en permanence l'intérêt de l'économie trouvée dans le calcul de la recette par rapport au risque pris. Si nous avons arrêté très tôt d'utiliser des farines de viande dans les aliments bovins, c'est parce qu'il ne nous en coûtait rien d'arrêter ou quasiment rien ; encore une fois, nous ignorions l'existence du prion.

Les farines animales étaient vendues sur le marché français - c'est le cas dans le monde entier - au prix d'intérêt, autrement dit au prix auquel un producteur de nourriture animale est prêt à les acheter. Ce producteur les achètera en compétition avec d'autres sources de protéines telles que le soja, le colza, etc.

Vous posiez la question des taux d'utilisation. Pour les bovins, notre entreprise n'a jamais utilisé de farines anglaises. L'histoire, l'organisation des usines, le hasard du marché, ont fait que nous n'en avons jamais utilisé dans la fabrication d'aliments pour bovins. Si nous avons connu quelques cas, sans doute est-ce parce qu'il existe d'autres causes de contamination et peut-être par des farines françaises qui n'étaient pas saines.

Il faut savoir également qu'en France, les taux d'incorporation de farines animales dans l'alimentation des bovins étaient de l'ordre de 2, 3, 4 % ; cela correspondait aux préconisations de l'INRA. Souvenez-vous, après l'embargo des Américains en 1973 sur le soja, M. Calais fut nommé « M. Protéine » et chargé de lancer des plans protéiques pour la France. Les farines de viandes, parmi d'autres, étaient une source de protéines préconisée par l'INRA. En revanche, la Grande-Bretagne, moins bien située géographiquement que le continent pour importer des tourteaux de soja, avait intérêt à consommer davantage de farines animales ; ses taux d'utilisation se situaient en moyenne à 8 ou 10 %.

M. le Président : Nous cherchons à comprendre. Le sujet est compliqué, vous le dites vous-même. Vous arrêtez l'utilisation des farines anglaises. N'avez-vous aucune idée de ce qu'elles représentaient par rapport au total des farines que vous achetiez ?

M. Alain GLON : Je n'ai pas le chiffre à l'esprit. En 1998, nous avons pu acheter une dizaine de bateaux, 5 000 tonnes peut-être, alors que nous consommions 4 000 à 5 000 tonnes par mois.

M. le Président : Uniquement achetées à des opérateurs français ?

M. Alain GLON : Nous avons acheté des farines anglaises. Lorsque nous avons cessé de les acheter, nous nous sommes fournis sur le marché français, mais, la pénurie s'accentuant en France, nous avons acheté essentiellement en Irlande et au Danemark.

M. le Président : Dans la mesure où vous étiez très sensibilisé à la qualité des farines, puisque vous et votre syndicat avez alerté les autorités françaises, quelles mesures avez-vous prises pour vous assurer de la traçabilité ? On a bien vu que les farines irlandaises posaient un problème de code douanier.

M. Alain GLON : L'Irlande du nord fait partie de la Grande-Bretagne. Nous ne recourrions qu'aux seules farines d'Irlande du sud, de la République d'Irlande.

M. le Président : Vous assuriez-vous de la traçabilité ? À qui achetiez-vous les farines ? Le nom d'un opérateur, dirigeant d'Eurofeed Industrie France, M. Chataoui, a été cité. Est-ce une personne auprès de laquelle vous vous êtes approvisionné ?

M. Alain GLON : Non, mais nous aurions pu. L'histoire, le positionnement géographique ont fait que ce ne fut pas le cas.

M. le Président : Avez-vous le sentiment que ces opérateurs ont instauré des circuits de farines ? Comment avez-vous abordé ce problème ? Ainsi que vous l'avez vous-même souligné, les tensions ressenties sur un marché obligent généralement à rechercher ailleurs ?

M. Alain GLON : Nous en avons acheté au Danemark et à l'Irlande. Mais il faut savoir qu'une volonté de confusion est entretenue autour des farines. Les services de la répression des fraudes a rebâti la totalité de la comptabilité des farines en moins d'un mois, aux environs de juin 1996. La polémique est née d'un article de Jean-Yves Naud dans Le Monde qui a écrit en substance : « Ce n'est pas croyable, des voyous de fabricants d'aliments ont importé, depuis que les importations sont interdites, 30 000 tonnes de farines de viandes de Grande-Bretagne. ». Ce qui est totalement faux ! J'ai personnellement négocié la rectification de cet article, ce que je n'ai jamais pu obtenir.

En 1992, les contrôles douaniers ont été supprimées. Les douaniers n'étaient pas contents ; c'était leur droit. En conséquence de quoi, un grand nombre de statistiques n'ont plus été tenues ou ont été mal tenues. Les erreurs qui figuraient sur les codes douaniers portaient sur les pays d'origine et sur la dénomination des produits. Pour l'exemple, nos approvisionnements faisaient l'objet de sept erreurs, ce que les douanes ont trouvé en 1996.

La Grande-Bretagne portait, par exemple, le chiffre 5, qu'il convenait de reporter dans une colonne où les chiffres sont extrêmement longs ; l'Irlande, le chiffre 6, le Danemark le 7. Les erreurs provenaient de numéros qui n'étaient pas bons et de la codification. Par exemple, nous avions importé de Grande-Bretagne des farines de biscuits, des biscuits destinés aux humains, des stocks de guerre mis à la réforme. Ils avaient été enregistrés sous l'intitulé « farines de viande ». Mais tout cela a été clarifié en moins d'un mois. Le ministre Galland a fait une conférence de presse pour annoncer qu'il n'avait trouvé aucune anomalie, à l'exception peut-être de vingt-cinq tonnes dans le nord de la France. Tout a été rectifié. Mais, là encore, il est de bon ton d'accuser les fabricants de farines animales !

Tout récemment, nous avons été à nouveau accusés d'avoir triché avec des importations en provenance de Belgique. Or il convient de savoir que, du côté des autorités belges, il nous est demandé de déclarer au-dessus d'une certaine valeur correspondant à un peu plus d'un camion de farines animales ; en France, on déclare à une valeur beaucoup plus basse. Cet état de fait explique la différence de statistiques.

M. le Président : Derrière le problème de statistiques, se posent tout de même des interrogations sur des mouvements de farines, qui avaient fait l'objet de réétiquetage. M. Houins, qui a témoigné devant notre commission d'enquête, a évoqué ce problème particulier. Il a d'ailleurs indiqué avoir saisi les autorités françaises. Je pose donc la question à un gros opérateur : comment vous assuriez-vous de la traçabilité ? Les opérateurs étaient-ils plus ou moins sérieux ? Connaissiez-vous l'existence de trafics ? Selon vous, y en a-t-il eu ?

M. Alain GLON : À mon avis, il n'y en a pas eu.

M. le Président : L'inspecteur général belge nous a dit qu'il avait saisi les autorités françaises au sujet d'un tas de farines de 8 300 tonnes en cours de réétiquetage dans le port d'Anvers, ce qui n'est pas anodin. Nous nous interrogeons. Cela doit interpeller les fabricants. Nous savons que l'aspect économique est un élément auquel aucun industriel n'est insensible. J'aimerais que vous disiez ce que vous pensez de cette affaire en votre âme et conscience.

M. Alain GLON : Globalement, mon intime conviction est qu'il n'y a pas eu trafic. Comment pouvez-vous imaginer que des dizaines de contrôleurs _uvrant des centaines de jours n'aient rien trouvé ? Ce serait étonnant. L'affaire de M. Chataoui - je n'ai pas à en juger - est un peu différente, en ce sens que son entreprise livrait au Moyen-Orient des farines animales, d'après ce que j'ai compris des complexes protéiques. Si les informations dont je dispose s'avèrent exactes, lorsque M. Chataoui vendait un bateau de farines animales ou de complexes à destination de la Jordanie, pour ne pas courir le risque de manquer de marchandises pour remplir son bateau, il en achetait plus que ses besoins. Imaginons que son bateau avait une contenance de 3 000 tonnes ; il en achetait 3 300 tonnes, puisque nous ne connaissons jamais exactement la densité de la marchandise, donc le coefficient de remplissage. Lorsque le bateau partait, en fonction de sa taille, il restait de la farine qui, pour partie, était encore chez les vendeurs. J'ai entendu parler de Progilor, qui est une usine française et d'usines du côté de Fougères, fournisseurs de cette entreprise. Naturellement, lorsque le bateau était parti, ce monsieur revendait sur le marché français des farines qui n'étaient pas passées en Belgique. Si on veut bien prendre cette démarche en considération, on dégonflera déjà pour partie les tonnages et tout ce qui fut dit sur le sujet.

Ensuite, ce monsieur achetait des farines en Belgique, aux Pays-Bas. Le marché était ouvert. On peut se poser la question de savoir si, parmi ces farines revenues de cette entreprise vers la France, certaines n'étaient pas d'origine française. Je l'ignore.

En 1996, lorsque nous avons imposé aux autorités le retrait des déchets et des cadavres, dans le même temps, nous nous sommes interdit d'acheter ces farines à l'étranger. Nous avons vécu avec des différentiels de prix considérables, qui représentaient des millions de francs par mois pour mon entreprise. Bien sûr, nous étions en pénurie sur le marché français. Lorsque nous avons été capables de ne pas tenir compte d'intérêts de cette importance, comment nous accuser, par la suite, d'avoir lancé des trafics ?

M. le Président : Il convient de bien distinguer les questions que nous vous posons en tant que premier fabricant français. Nous ne faisons pas de lien, nous cherchons à comprendre les circuits des trafics éventuels. Les douanes et les opérateurs nous ont dit la complexité de procéder à des contrôles, ne serait-ce que par rapport à des documents douaniers. Le Directeur des douanes en a convenu devant notre commission d'enquête, de même que la DGCCRF et son directeur ainsi que les opérateurs en charge des enquêtes.

Par nos questions, nous souhaitons savoir si vous, qui êtes un grand opérateur, vous avez entendu ou eu le sentiment qu'il pouvait y avoir des fraudes comme le pense un certain nombre de contrôleurs.

M. Alain GLON : Mon intime conviction est non. Selon moi, il n'y a pas eu de fraudes. Cela dit, je n'ai pas tout vérifié, je ne connais pas tout ce qu'ont fait mes concurrents, mais il me paraîtrait tellement fou de s'être adonné à de telles pratiques pour un intérêt économique nul, que je ne l'imagine pas un instant.

M. le Président : Des opérateurs de votre syndicat ou d'autres ont-ils importé des farines d'origine allemande, puisqu'elles étaient toujours fabriquées jusqu'en novembre 2000 avec des matériaux à risque spécifiés ?

M. Alain GLON : À partir de 1996, la profession s'est interdit d'en importer. Je ne saurais dire, mais les services des douanes doivent le savoir, puisque les DEB en témoignent, dans la mesure où il y a des passages de frontières. Dans toute cette affaire, on peut se demander pourquoi les ordinateurs des douanes auraient enregistré autant d'importations illicites sans réagir. À ma connaissance, nous n'avons pas importé de farines d'Allemagne ou d'ailleurs, puisque nous nous l'étions interdit.

On a entendu dire que les farines françaises étaient bien meilleures que les autres. . . Oui, peut-être, mais elles n'étaient pas traitées à la pression. Nous avons, pour ce qui nous concerne, appliqué le traitement à la pression à partir du 1er avril 1997. La France a fini par céder aux injonctions de Bruxelles pour mettre en place le traitement à la pression en février 1998. Nous disposions alors de la seule installation capable de traiter à la pression. Nous avons traité plus de 100 000 tonnes pour le compte de la France.

M. le Rapporteur : Débattez-vous de tout cela avec les équarrisseurs ? Avec vos clients, les agriculteurs ?

M. Alain GLON : Nous avons retiré les farines animales de l'alimentation des animaux. Il n'y en avait plus. Pourquoi en aurions-nous parlé ?

M. le Rapporteur : Ne s'interrogeaint-ils pas ?

M. Alain GLON : Nous sommes dans un dialogue ouvert avec les éleveurs. Les gens qui nous interpellent le plus sont les grands consommateurs. La France se complaît à dénigrer la qualité de son alimentation. Or, les plus brillantes entreprises de l'alimentaire du monde trouvent que c'est en France que l'on travaille le mieux. C'est étonnant. Imaginez le risque que prendraient les plus grands groupes mondiaux. J'en connais qui dépensent un milliard de francs de publicité à la télévision française. Et ils emploieraient des fournisseurs incorrects ? Croyez-vous que nous serions le fournisseur des premières compagnies d'aviation mondiales si nos produits ne présentaient pas toutes les caractéristiques voulues ? Ceux qui ont exigé que nous traitions à la pression dès le 1er avril 1997, ce ne sont pas les autorités françaises, ce sont les clients qui nous dont dit que la France pouvait décider de règles convenant à ses citoyens, mais qu'ils voulaient que nos produits circulent librement dans la Communauté européenne.

M. le Président : Comment expliquez-vous que 80 % des cas d'ESB soient intervenus dans l'Ouest ?

M. Alain GLON : Que vous ont dit les personnes que vous avez interrogées sur les importations d'animaux vivants ?

M. le Président : Vous êtes l'un des premiers à insister sur ce point. Comment donc expliquez-vous la concentration de cas d'ESB dans l'Ouest ? Si toutes les mesures prises en 1990, en 1994 et en 1996 avaient bien été appliquées, nous ne devrions pas en trouver autant.

M. Alain GLON : Les raisons sont les suivantes : importation d'Angleterre d'animaux vivants au titre de la génétique, qui ont contaminé le circuit ; importation de veaux par dizaine de milliers - des personnes ont fait de la prison pour cela - entrés dans le circuit des viandes françaises ; importation par centaine de milliers de tonnes de viande de Grande-Bretagne que nous avons mangée et dont les os et les carcasses se sont retrouvés dans les farines françaises. Voilà pour les premières sources de contamination.

Les secondes passent par les farines animales. Les farines françaises que l'on croyait bonnes ne l'étaient peut-être pas autant que cela. À ce titre, peut-être conviendrait-il de se tourner vers la Suisse. Les aliments destinés à des volailles auraient pu être donnés à des bovins. Je place cela dans le lot des contaminations croisées.

M. Pierre HELLIER : Je vais faire très attention, car l'on sent bien que vous avez subi une pression depuis quelques années en tant que fabricant. Vous avez pris la précaution de nous dire au départ que vous n'étiez pas équarrisseur ni fabricant de farines de viande. Nous ne cherchons pas ici à accuser le fabricant ; nous essayons de comprendre les événements. À la mi-89, vous avez alerté les autorités pour les informer que vous aviez trouvé une modification bactériologique des farines achetées en Angleterre. Vous avez alors cessé d'en commander début 1989. Vous avez prévenu les autorités. Comment ? Il conviendrait que nous soyons avertis de la forme dans laquelle vous avez procédé.

Vous avez des usines dédiées - aliments avec farines animales, aliments sans farines animales -, des circuits de fabrication et de distribution dédiées. Vous pensez donc que c'est la solution à mettre en place. Etes-vous en mesure d'assurer la garantie du produit fini ? Dans la mesure où vous êtes le premier producteur français, avez-vous l'intention de vous doter d'un laboratoire ? Pensez-vous qu'il serait utile de vous doter d'un laboratoire vous assurant de la qualité de vos produits finis, quitte à vous retourner ultérieurement contre un fabricant qui vous aurait vendu un produit non conforme à vos exigences ?

Vous avez remarqué que la qualité des farines anglaises n'était pas correcte. Vous avez alors acheté des farines sur le marché français. Vous pensez que certains équarrisseurs, certains fabricants de farines de viande pouvaient importer des farines provenant d'autres pays. Et puis l'on sait que des farines animales anglaises sont arrivées sur le marché. Interdites en Angleterre, nous avons continué d'en acheter. Ce n'est pas le fabricant que je mets en cause, mais celui qui vous a fourni : n'a-t-il pas mélangé au produit français un peu de farines anglaises, moins coûteuses, même si vous avez indiqué que le Gouvernement anglais avait augmenté les prix de rachat ? Quoi qu'il en soit, les farines anglaises arrivaient sur notre territoire légalement et étaient utilisées. Soyez certain que je ne mets pas en cause le fabricant, mais au-delà, nos avons reçu M. Leclerc, qui a déclaré que, vendant un produit, il voulait qu'il soit garanti. C'est ce que vous avez également déclaré s'agissant de vos produits finaux.

M. Alain GLON : Pardonnez-moi si parfois je vous parais être en situation d'accusé, mais, depuis dix ans... Je reviens à vos questions. Nous avons prévenu les autorités. Fin 1988, nous nous sommes interrogés. Nous disposons de laboratoires d'analyses. Nous procédons à des milliers d'analyses. Nous ne recherchions pas le prion, car nous ignorions son existence. Les importations de farines animales de Grande-Bretagne par nos collègues ont dû s'arrêter en juillet 1989.

Nous avons prévenu les autorités. Je ne dispose pas des dates en mémoire, mais je me souviens avoir personnellement rencontré M. Nallet. Je lui ai fait part de nos inquiétudes sur ce qui se passait en Grande-Bretagne. J'ai indiqué que l'intérêt économique d'importer des farines animales était nul, qu'il serait utile d'interdire ces importations. Je me souviens de l'expression de M. Nallet qui m'a dit en substance : « Ce que vous me demandez est impossible. Nous avons déjà eu un tas d'ennuis au titre de la dinde ». Nous venions de connaître des problèmes liés à des importations de dindes. « Nous sommes là dans le domaine de la suspicion. Comment voulez-vous que j'interdise ce genre de choses sans m'attirer les foudres de Bruxelles ? ». Il nous a ajouté qu'il pourrait peut-être le faire au titre d'un article du code rural. Encore une fois, je ne me souviens pas de la date. Mais j'imagine que dans l'examen complet du dossier que vous avez dressé, vous avez également noté que des vétérinaires français s'étaient rendu en Grande-Bretagne pour enquêter en réaction au cri d'alarme lancé par l'attaché agricole français à l'ambassade de Londres. Des vétérinaires français en savaient plus long que nous sur le sujet.

M. le Président : À quelle époque situez-vous votre rencontre avec M. Nallet ?

M. Alain GLON : Je pense qu'il s'agissait de 1989.

M. le Président : C'est intéressant, car M. Nallet a déclaré qu'il n'avait pas été informé des problèmes d'ESB en Angleterre avant avril 1990.

M. Alain GLON : Je l'ai entendu dire.

M. le Président : Vous l'auriez donc rencontré avant.

M. Alain GLON : Oui.

M. le Président : Il s'agissait, j'imagine d'une simple conversation. Il n'y a pas eu échange de courrier.

M. Alain GLON : J'ai déjà été interrogé là-dessus. Mon nom a été enregistré rue de Varennes lorsque j'y suis entré. Je sais qu'il est difficile de trouver les archives, mais ce doit être possible.

M. Pierre HELLIER : Vous avez indiqué que votre syndicat aurait vraisemblablement communiqué avec le ministère.

M. Alain GLON : C'est loin tout cela, car les faits n'ont pris leur véritable dimension qu'en 1996. Je me souviens d'avoir rencontré au cabinet de M. Nallet un vétérinaire, M. Olry, puis un Conseiller, un homme très bien, M. Probst, que je rencontrais à l'époque pour un problème de salmonelle. Je n'ai pas noté toutes les dates.

M. Roger LESTAS : Dans votre profession, des personnes ont-elles été contactées afin d'obtenir des dérogations pour utiliser les farines britanniques envers et contre tout ?

M. Alain GLON : Non. Mes souvenirs sont vagues, mais je puis vous dire que la France, dans un premier avis aux importateurs, avait dû interdire tout ce qui venait des Iles anglo-saxonnes. L'interdit était vaste. L'Irlande du sud, en guerre avec le nord, est intervenue pour dire qu'elle n'était pas concernée par l'ESB et a demandé la réouverture de ses frontières. Qui plus est, à cette époque, l'Irlande assurait la présidence de la Communauté. Les importations d'Irlande ont repris après une interruption de courte durée et ont été réservées à l'alimentation des volailles et porcs. À ma connaissance, la mesure fut respectée. Et si elle ne le fut pas, imaginez le nombre de cas d'ESB que nous connaîtrions aujourd'hui. Ce serait une déferlante comme en Angleterre.

M. le Président : Malgré toutes les mesures prises, la moitié des cas français d'ESB sont apparus en 2000. Comment les opérateurs ont-ils réagi aux prescriptions, dans le contexte scientifique de l'époque ? En qualité d'opérateur important dans le secteur de l'alimentation animale, quelle est votre lecture, au regard de l'état des connaissances de l'époque, de la réaction des pouvoirs publics français et européens ? Avez-vous eu le sentiment qu'ils aient réagi ? Les mesures édictées étaient-elles praticables et contrôlables ?

M. Alain GLON : Je considère les mesures prises, en l'état des connaissances de l'époque, comme raisonnables. Mon interrogation porte davantage sur l'attitude de la Commission qui volontairement - elle l'a d'ailleurs écrit - pensait qu'il fallait organiser la désinformation, ce qui peut laisser entendre qu'elle en savait plus qu'elle ne voulait en dire. Du côté des autorités françaises, tout le monde savait que beaucoup d'animaux étaient importés au titre de la génétique et allaient contaminer la chaîne française

M. le Président : Après 1989.

M. Alain GLON : Jusqu'en 1994-1995. Par ailleurs, tous les veaux naturalisés français sont un phénomène qui également m'interpelle.

M. Roger LESTAS : Et il y en avait des veaux !

M. Alain GLON : Des personnes sont allées en prison pour cela.

M. le Président : Et s'agissant des mesures applicables par les opérateurs et sur leur contrôle ?

M. Alain GLON : Ce n'est pas trahir un secret que de dire que les administrations ne cultivent pas une entente cordiale ! C'est le moins que l'on puisse dire. Cela nous vaut beaucoup de débats. Si j'osais établir un classement, la répression des fraudes a été la première autorité à rétablir l'exactitude de l'information - aussi précisément qu'il était permis. En un mois, un mois et demi, la vérité fut rétablie. Si, à ce moment-là, on avait bien voulu prendre en considération ce qui était avancé, on aurait été beaucoup plus prudent sur l'importation d'animaux.

Notre profession était sous le contrôle de la répression des fraudes. Les importations d'animaux adultes ou de veaux, comme les importations de farines animales, ont toutes été autorisées sur la base de certificats vétérinaires français qui attestaient de la qualité des produits. Y compris les équarrisseurs, qui sont sous le contrôle des services vétérinaires français. S'ils ont changé leurs pratiques, s'ils ont mêlé à leurs produits des farines animales anglaises - ce n'est pas un secret, on retrouve cette information dans la presse avec le nom, désormais connu, des gens qui l'ont révélée -, c'était aux autorités de contrôle de le vérifier.

Selon moi, nous sommes victimes d'une compétition entre les différentes administrations. Les services des fraudes ont été les plus rapides à contrôler avec probablement le plus de précision, car ils ont procédé sous l'angle du raisonnement économique. Les douanes ensuite ont été rapides ; elles ont opéré en moins d'un mois grâce à des contrôles intenses, c'est dans leur pratique. Les services vétérinaires ont plutôt orienté leurs recherches sous l'angle des contaminations possibles, c'est-à-dire une voie analytique. Depuis, nous avons reçu la police judiciaire et la gendarmerie.

M. Pierre HELLIER : Comme le font actuellement les fabricants de rillettes, envisagez-vous un contrôle de qualité sur le produit fini et un contrôle plus précis que celui auquel vous procédez actuellement ? J'ai du mal à comprendre le lien entre les importations de veaux au titre de la génétique et la contamination. Sont-ce les animaux importés qui, atteints de l'ESB, sont la cause de la contamination ? Ces animaux doivent pouvoir être repérés. Contaminent-ils le reste de la filière ? Jusqu'à maintenant, a été éliminée l'idée d'une contamination entre animaux. Elle n'est a priori pas envisagée. Qui est à l'origine de la contamination : la filière de l'équarrissage les veaux anglais qui déclarent l'ESB en France ou les animaux importés ?

M. Alain GLON : Les Anglais ont considéré que, pendant la période à risque, 40 000 animaux sont entrés sur le continent au titre de la génétique, auxquels s'ajoutent les veaux, dont 11 % sont porteurs sains.

M. le Rapporteur : Comment peuvent-ils avancer ces chiffres ?

M. Alain GLON : Ils disposent de leurs statistiques d'exportation. D'ailleurs, nous devrions pareillement disposer des statistiques d'importation. Les animaux importés au titre de la génétique forment toute la partie masquée du dossier.

M. le Rapporteur : Sur quoi fondez-vous vos affirmations ?

M. Alain GLON : Cela a été écrit partout. Demandez aux Anglais ! Ils vous répondent statistiques. Il est vrai que les Anglais n'ont pas été très clairs au début de l'opération. Depuis, il y a eu une remise en ordre.

M. le Président : Vous parlez donc d'un pourcentage statistique par rapport à une population importée.

M. Alain GLON : Oui. Autre sujet qui devrait interpeller : la contamination de la Suisse, laquelle a importé 7 tonnes de Grande-Bretagne pendant la période à risques et 70 000 tonnes de France. Nous ne faisons qu'observer, mais il est des éléments qui appellent l'attention.

S'agissant des laboratoires, nous procédons en temps réel à des milliers d'analyses. Mais c'est là un domaine où la science n'apporte pas les réponses. Vous avez assisté aux débats autour de la mise en place des tests. Des personnes qui ont voulu mettre en place des laboratoires en ont été empêchées.

M. le Président : Par qui et pourquoi ?

M. Alain GLON : C'est, là aussi, une longue histoire. Trois tests ont été agréés par la Communauté européenne ; seul Prionics fut autorisé en France. Prionics n'arrivant plus à fournir, Bio-Rad fut ensuite agréé. Un troisième test irlandais existe, que j'avais voulu montrer aux autorités françaises en 1996. Il ne s'agissait pas encore d'un test, mais d'une méthodologie permettant de prélever les échantillons dans l'abattoir et donc de rôder le système.

Dans toute cette affaire, nous avons été tellement accusés que nous avons pris des avocats, les mêmes que ceux qui _uvrent dans l'affaire du sang contaminé, en raison de certaines analogies. Les avocats nous ont dit que ce n'est pas parce que la loi nous interdit des choses que l'on est dispensé de les faire ! Un texte de juin 2000 interdit à quiconque de détenir des tests et de les mettre en _uvre. Dans le même temps, nous pouvions être accusés dans nos abattoirs de ne pas les mettre en _uvre. Dans des conditions extrêmement difficiles, des laboratoires d'abattoirs ont fini par être autorisés à utiliser ces tests. L'autorisation fut différée de plusieurs semaines, sinon de plusieurs mois.

M. le Président : Comment expliquez-vous cela ?

M. Alain GLON : Par des rapports de force en présence. Les services vétérinaires considéraient que le contrôle dans les abattoirs était de leur ressort, qu'eux seuls devaient mettre en _uvre les tests, faute de quoi les agriculteurs qui auraient enregistré des cas positifs n'auraient pas été indemnisés, les dosages devant être réalisés dans un laboratoire officiel. Ces laboratoires ont d'ailleurs dû passer sous statut quasi-public pour être agréés.

M. le Président : Il fallait une autorité publique pour s'assurer de la réalité du test.

M. Alain GLON : Non, il a fallu créer des sociétés spécifiques.

M. le Président : Vous parlez des opérations de tests dans les abattoirs eux-mêmes. Il était légitime que la puissance publique s'assure du bon fonctionnement des tests. Nous avons visité la semaine dernière une unité de fabrication du test Bio-Rad. Nous avons constaté que les parts de marché évoluent ; elles se situent pour Bio-Rad à environ 30 % du marché français.

M. Alain GLON : Concernant les analyses, l'obligation de précaution qui est la nôtre cause parfois la difficulté même de la mettre en _uvre.

M. le Président : Pour résumer, à partir du moment où le risque est connu comme un risque de santé humaine en 1996, vous prenez une série de mesures immédiates pour éviter des contaminations croisées. Qu'avez-vous fait ?

M. Alain GLON : La spécialisation des usines en 1997. La connaissance a évolué au fil du temps. Au début, le seuil de contamination était considéré comme de l'ordre du kilo ; or, aujourd'hui, on nous parle d'un gramme. C'est progressivement que nous avons pris les dispositions parce qu'elles nous paraissaient raisonnables comparé à un coût économique supportable.

M. le Rapporteur : Spécialiser est une mesure importante. Vous parlez de 1997.

M. Alain GLON : Parce que nous avions des préventions. Je note dans mes dossiers : fin 1997, nous avons spécialisé les tournées de livraison des camions. La spécialisation des usines de production est intervenue en mars 1997. Deux usines furent spécialisées. En Bretagne, la densité des usines de production pour l'élevage permet de procéder à ce genre de choses beaucoup plus facilement que n'importe où ailleurs en France. Les situations ne sont pas comparables.

M. le Président : C'est pourquoi je vous posais la question du caractère applicable des mesures préconisées par les pouvoirs publics. Entre la prise d'une mesure et sa mise en _uvre effective, un délai assez long peut s'écouler. Nous avons rencontré un fabricant qui nous a dit être dans l'incapacité de nous certifier, jusqu'en février 1999, qu'aucune farine d'origine animale n'entrait plus dans la fabrication des aliments pour ruminants.

M. Alain GLON : Dites-vous bien que, depuis 1996, les farines animales n'étaient produites qu'à partir des animaux destinés à la consommation humaine.

M. le Président : Sur le marché français ! Mais vous importiez bien des farines.

M. Alain GLON : Non, pas à partir de 1996.

M. le Président : D'autres fabricants ?

M. Alain GLON : Pas à ma connaissance. Peut-être des fabricants situés en zones frontalières. Mais les fabricants se sont mis d'accord entre eux et ont accepté de ne plus importer de farines à partir de 1996.

M. le Président : On ne peut considérer que les importations des farines avaient totalement cessé en 1996.

M. le Rapporteur : Elles ont continué après 1996.

M. Alain GLON : Je suis désolé que vous le pensiez.

M. le Président : Il suffit de se reporter aux chiffres.

M. le Rapporteur : Quelques chiffres nous le prouvent en effet. Cela étant, d'après ce que vous dites, personne ne peut s'exonérer de toute responsabilité. Vous séparez vos unités en 1997 ; les contaminations ont eu lieu avant.

M. Alain GLON : L'état de la science avait progressé.

M. le Rapporteur : Oui. Cela pour dire que vous prenez des décisions en 1997, plus rapidement que d'autres ; mais, s'agissant des contaminations, les cas d'ESB en France aujourd'hui sont des animaux contaminés avant 1997. Y compris chez vous, des contaminations croisées ont pu intervenir.

M. Alain GLON : Pas un seul cas dans le Morbihan.

M. le Rapporteur : Essayez de comprendre notre souci : ce n'est pas votre entreprise en particulier qui est en cause. Peut-être avez-vous été plus chanceux que d'autres. La possibilité de contamination existe.

M. Alain GLON : Bien sûr. Vous nous interpellez sur la qualité des farines, mais elles ont été produites à partir des animaux consommés par les humains. Que dites-vous donc de ce que nous avons consommé vous et moi ?

M. le Rapporteur : La même chose.

M. Alain GLON : Plus de cent mille tonnes par an !

M. le Rapporteur : C'est celle que nous consommons aujourd'hui qui n'est plus dangereuse. Qui de nous est porteur du prion ? On le saura dans trente ans !

M. Alain GLON : On peut le savoir.

M. le Rapporteur : Je prends acte des mesures que vous avez prises en 1997. Mais, comme je vous le disais, ce n'est pas le but du rapport. Si l'on revient sur chaque étape, vous n'êtes pas à l'abri, vous non plus, de toute contamination. D'ailleurs, comment a été éclairci le cas d'ESB de 1999 dans le Finistère, que vous avez cité ? S'agissait-il d'une contamination croisée ?

M. Alain GLON : Une enquête a été menée. Si vous connaissez le cheminement du prion, vous savez qu'il apparaît dans l'iléon, ce qui voudrait dire que les bouses sont contaminantes.

M. le Rapporteur : Je n'ai jamais entendu cela.

M. le Président : Aucun scientifique ne nous l'a dit.

M. Alain GLON : La contamination arrive par l'iléon.

M. le Rapporteur : M. Glon, ce que j'essaye de vous dire c'est que, si vous avez pris des précautions au fur et à mesure que les connaissances évoluaient, personne ne peut s'exonérer de toute responsabilité, pas même vous !

M. Alain GLON : Je ne m'exonère nullement. Essayez d'imaginer ce que signifie d'être accusé depuis dix ans ! Mettez-vous un instant à ma place.

M. Pierre HELLIER : On ne peut reprocher à quelqu'un d'avoir pris des précautions ; nous pourrions le faire à l'encontre de quelqu'un qui n'en aurait pas prises.

M. le Président : Au sujet des problèmes de traçabilité et d'étiquetage, comment procédez-vous pour donner les informations sur la composition de vos livraisons ? On nous a dit que l'on ne pouvait guère aller au-delà d'une certaine forme d'étiquetage, car, au-delà, cela mettait en cause des secrets de fabrication. Où en êtes-vous dans la réflexion sur ce sujet ?

M. Alain GLON : Lorsque, en 1991, nous avons enquêté, nous avons été capables de rétablir l'historique de chaque aliment livré à un grand nombre d'éleveurs, y compris de remonter à l'origine des matières premières, donc de retrouver le fournisseur, sur une période qui remontait jusqu'en 1986. Nous avons rebâti la réalité sur sept ou huit ans. C'était un travail gigantesque, mais les informations existaient.

Sur l'étiquetage, la loi définit un certain nombre d'obligations. Pendant très longtemps, on prévoyait deux dispositions : soit un étiquetage par famille de produits, soit un étiquetage par produit. Nous sommes passés à un étiquetage par produit il y a très longtemps, mais tout cela n'éclaire que très moyennement le consommateur. À la lecture du terme « orge » sur l'étiquette, on ne sait pas s'il s'agit d'orge de qualité brasserie ou des orgettes de triage. L'étiquetage est une chose, la transparence en est une autre. Je ne sais si, dans notre profession, des personnes ont eu idée de cacher quoi que ce soit. En tout cas, ce n'est plus notre cas depuis très longtemps. Aujourd'hui, cela atteint la frénésie au point de vouloir mettre chaque parcelle cadastrale, chaque champ sous internet, afin de charger la mémoire du champ de tout ce qui s'y passe, et au point de mettre sur une même mémoire internet chaque bâtiment d'élevage pour être en mesure de savoir tout ce qu'a absorbé l'animal, les médicaments qu'il a reçus. Certes, nous réalisons des prouesses techniques, mais nous sommes en train de nous lester d'un handicap durable en termes de compétitivité par rapport à d'autres pays.

M. le Président : La véritable compétitivité consiste, dans le marché européen, à arrêter les mêmes règles de sécurité sanitaire alimentaire. C'est une exigence qui s'impose à tous les acteurs de la filière. Au nom de la compétitivité ou d'impératifs économiques, on a vu que des mesures prises en France, parfois avec un peu de retard, ne le furent que quatre ans plus tard en Europe alors que, dans le même temps, des marchandises continuaient de circuler et de provoquer un risque au nom de la libre circulation. Tout cela est affaire d'équilibre. Il ne s'agit pas de se mettre en situation insoutenable par rapport à d'autres pays. Nous avons d'ailleurs soulevé les conditions d'importation des carcasses issues de pays tiers et qui n'ont pas fait l'objet, dans leur pays d'origine, de tests ni de l'application des mêmes conditions de sécurité que celles que nous nous imposons.

Nous vous remercions.


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