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N° 3386

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 novembre 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE
sur les CAUSES des INONDATIONS RÉPÉTITIVES ou EXCEPTIONNELLES
et sur les CONSÉQUENCES des IMTEMPÉRIES afin D'ÉTABLIR les RESPONSABILITÉS, D'ÉVALUER les COÛTS ainsi que la PERTINENCE des OUTILS de PRÉVENTION,
D'ALERTE et D'INDEMNISATION (1)

Président

M. Robert GALLEY,

Rapporteur

M. Jacques FLEURY,

Députés.

--

TOME II

AUDITIONS

La commission d'enquête sur les causes des inondations répétitives ou exceptionnelles et sur les conséquences des imtempéries afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts ansi que la pertinence des outils de prévention, d'alerte et d'indemnisation est composée de : M. Robert GALLEY, président, M. Maxime GREMETZ, M. Jean LAUNAY, vice-présidents, M. Philippe DURON, M. Christian KERT, secrétaires, M. Jacques FLEURY, rapporteur ; M. Stéphane ALAIZE, Mme Marie-Hélène AUBERT, Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN, M. Jacques BASCOU, M. Jacques BRUNHES, M. Dominique BUSSEREAU, M. Jean DELOBEL, M. Paul DHAILLE, M. Alain FERRY, M. Jean-Pierre GIRAN, M. Francis HAMMEL, M. Patrick JEANNE, M. Thierry LAZARO, M. Daniel MARCOVITCH, M. Jacques MASDEU-ARUS, M. Vincent PEILLON, M. Jacques PÉLISSARD, M. Gilles de ROBIEN, M. Henri SICRE, M. Jean-Pierre SOISSON, M. Pascal TERRASSE, M. Michel VOISIN.

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

(suite)

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des entretiens de la Commission

(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

pages

_ M. Thierry FRANCQ, sous-directeur des assurances à la direction du Trésor au ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie
(13 juin 2001)
132

_ M. Jean-Marc LAMÈRE, délégué général adjoint de la Fédération française des sociétés d'assurance, M. Guillaume ROSENWALD, président de la Mission risques naturels des sociétés d'assurance, Mme Catherine TRACA, secrétaire général adjoint du GEMA, M. Michel POUPONNEAU, directeur des sinistres à la MAIF et membre du conseil d'administration du fonds de prévention des risques naturels majeurs
(19 juin 2001)
138

_ M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS, directeur de l'Équipe pluridisciplinaire du plan « Loire grandeur nature »
(20 juin 2001)
146

_ M. Michel SAPPIN, directeur de la défense et de la sécurité civiles au ministère de l'Intérieur
(20 juin 2001)
161

_ M. Claude LEFROU, président de la mission interministérielle sur les inondations de la Somme
(27 juin 2001)
175

_ M. Bruno LEDOUX, consultant conduisant des études sur le retour d'expériences des crises en France et à l'étranger
(27 juin 2001)
184

_ M. Jean-Pierre BEYSSON, président-directeur général, M. Philippe COURTIER et M. Olivier MOCH,  directeurs  généraux  adjoints  de  Météo- France
(27 juin 2001)
192

_ M. Jean DUNGLAS, ingénieur général honoraire du génie rural, des eaux et des forêts
(27 juin 2001)
204

_ M. Gilles HUBERT, chargé de recherche au Centre d'enseignement et de recherche sur l'eau, la ville  et  l'environnement  (CEREVE)
(27 juin 2001)
212

_ M. Philippe HUET, inspecteur général de l'environnement, président de la mission interministérielle sur les inondations en Bretagne et M. Xavier MARTIN, ingénieur en chef du génie rural, des eaux et des forêts, membre de l'inspection générale de l'environnement
(3 juillet 2001)
221

_ M. Christophe SANSON, universitaire et consultant en droit de l'environnement
(3 juillet 2001)
231

_ M. Denis BERTEL, directeur général adjoint et responsable du pôle eau du BCEOM
(3 juillet 2001)
242

_ M. François BORDRY, président de Voies navigables de France, M. Benoît DELEU, directeur de l'infrastructure et de l'environnement, M. Patrick JUNOD, subdivisionnaire de Gambsheim
(3 juillet 2001)
250

_ M. Bernard ROUSSEAU, président de France Nature Environnement
(11 juillet 2001)
265

_ M. Christian TERRIER, directeur de l'ingénierie, et M. Jean-Paul GAUVIN, directeur de l'exploitation de la Compagnie nationale du Rhône
(11 juillet 2001)
273

_ M. Jacques MASSON, directeur de l'hydraulique, et Daniel DUBOIS, adjoint au directeur de la division de la production nucléaire d'EDF
(11 juillet 2001)
283

_ M. Michel RIOUX, président de l'association de défense des sinistrés et de protection des quartiers inondables du Mans
(11 juillet 2001)
292

_ M. Philippe BAFFERT, chef du bureau de la législation et de la réglementation au Service de la stratégie et de la législation à la Direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction  au  ministère  de  l'Équipement,  des  transports  et  du  logement
(11 juillet 2001)
305

_ M. Pierre MONADIER, coordonnateur de l'Inspection générale de l'équipement pour le bassin de la Loire (Conseil général des Ponts et chaussées)
(5 septembre 2001)
316

_ M. Bernard LENGLET, président du syndicat de communes de la vallée des Anguillères (département de la Somme)
(11 septembre 2001)
328

_ M. Yves COCHET, ministre de l'Aménagement du territoire et de l'environnement
(25 octobre 2001)
335

TABLES-RONDES

_ Table-ronde réunissant :

. bassin Adour-Garonne : M. Jean-Pierre POLY, directeur de l'agence

. bassin Artois-Picardie : M. Alain STRÉBELLE, directeur de l'agence

. bassin Loire-Bretagne : MM. Jean-Claude DEMAURE et Jean-Louis BESEME, président et directeur de l'agence,

. bassin Rhin-Meuse : M. Claude GAILLARD, député et président du comité de bassin, et MM. François BARTHELEMY et Daniel BOULNOIS, président et directeur de l'agence,

. bassin Rhône-Méditerranée-Corse : M. Henri TORRE, sénateur et président du comité de bassin, et M. Jean-Paul CHIROUZE, directeur de l'agence,

. bassin Seine-Normandie : M. Pierre-Alain ROCHE, directeur de l'agence.

(5 septembre 2001) 346

_ Table-ronde réunissant :

_ MM. Jean PALANCADE et Alain MIR, président et directeur de l'Association interdépartementale des basses plaines de l'Aude,

_ MM. Xavier de ROUX et Rémy FILALI, président et directeur de l'Institution interdépartementale pour l'aménagement du fleuve Charente et de ses affluents,

_ M. Guy PUSTELNIK, directeur de l'Établissement public interdépartemental Dordogne,

_ MM. Gaston ESCUDÉ et Michel AUZIÉ, vice-président et directeur du Syndicat mixte d'études et d'aménagement de la Garonne,

_ M. Régis THÉPOT, directeur de l'Établissement public Loire,

_ M. Daniel BERTHERY, directeur de l'Entente interdépartementale pour la protection contre les inondations de l'Oise, de l'Aisne, de l'Aire et de ses affluents,

_ MM. Éric GUILLAUMIN et Benoît CORTIER, directeur et chargé de mission de l'Institution interdépartementale des bassins Rhône-Saône,

_ M. Marc FORÊT, directeur du Syndicat mixte d'études pour l'aménagement du bassin de la Saône et du Doubs,

_ MM. Pascal POPELIN et Jean-Louis RIZZOLI, président et responsable du service technique de l'Institution interdépartementale des barrages-réservoirs du bassin de la Seine,

_ M. Michel ALLANIC, directeur de l'Institution d'aménagement de la Vilaine.

(11 septembre 2001) 369

_ Compte-rendu du déplacement d'une délégation de la Commission dans la Somme
(11 et 12 juin 2001) 394

_ Compte-rendu du déplacement d'une délégation de la Commission dans l'Ardèche, le Gard et l'Aude
(8 et 9 octobre 2001) 403

Audition de M. Thierry FRANCQ,
sous-directeur des assurances à la direction du Trésor

(extrait du procès-verbal de la séance du 19 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Thierry Francq est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Thierry Francq prête serment.

M. le Président : Cet après-midi, notre commission a choisi de consacrer ses travaux au régime d'indemnisation des catastrophes naturelles pour en dresser le bilan et pour réfléchir à son éventuelle évolution, notamment en réponse aux observations de la Cour des comptes.

M. Thierry FRANCQ : Je commencerai par quelques éléments d'estimation du coût du régime depuis qu'il existe. Il est à noter que, contrairement à ce que l'on pense souvent, la première cause de coûts pour ce régime depuis les années 90 ne sont pas les inondations, mais le risque de sécheresse, ou plus précisément le risque de subsidence, c'est-à-dire un phénomène de contraction et rétractation des sols argileux qui crée des tensions sur les habitations.

Entre 1989 et 2000, le risque de subsidence a coûté 22 milliards de francs alors que les inondations ont coûté 21 milliards de francs. Ce sont les deux principales causes de coûts pour le régime des catastrophes naturelles. En moyenne, le coût d'une inondation est de l'ordre de 1,5 milliard de francs. Les inondations les plus importantes en 1982 avaient coûté 2,5 milliards de francs aux assurances. L'estimation est très difficile pour celle de la Somme, compte tenu de ses particularités, notamment de sa durée. Aucune estimation, encore grossière à ce stade, ne dépasse le milliard de francs.

Concernant le fonctionnement du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, il est très important de noter qu'il s'agit avant tout d'un mécanisme de marché classique, « assurance-réassurance », mais encadré par diverses obligations imposées par les pouvoirs publics.

Les quatre plus importantes sont les suivantes.

La première est « l'obligation d'assurance », obligation qui n'est pas absolue, mais relative. Autrement dit, lorsqu'une personne assure son habitation contre l'incendie, elle s'assure automatiquement contre les risques de catastrophes naturelles. Cela n'oblige en rien un particulier à assurer son habitation. Dans les faits, il y a beaucoup d'éléments qui concourent à ce que les particuliers soient en grande majorité assurés. Cela est moins fréquent pour les entreprises et les collectivités locales, ce qui peut parfois poser des problèmes, notamment dans la Somme.

Deuxièmement, les pouvoirs publics fixent quelques paramètres financiers, principalement le taux de prime affecté au régime. L'estimation réelle du coût de l'assurance est faite par l'assureur. L'État a décidé que le risque catastrophe naturelle était une part de ce risque, quantifié par l'assureur.

Troisièmement, la garantie de l'État est une particularité de notre pays et permet de garantir de façon illimitée les risques de catastrophes naturelles.

Quatrièmement, le système de déclaration de l'état de catastrophe naturelle revient aux pouvoirs publics sur la base de critères objectifs.

En 1999, les primes payées par les particuliers, les entreprises et les collectivités locales assurées pour le risque de catastrophes naturelles étaient de l'ordre de 800 millions d'euros (5 548 millions de francs) auxquelles il faut ajouter des résultats financiers de l'ordre de 100 millions d'euros (656 millions de francs).

Sur ces 900 millions d'euros (5 904 millions de francs), 360 millions d'euros (2 361,6 millions de francs) ont été rétrocédés, pour l'essentiel, à la CCR. Certaines compagnies d'assurance ne se réassurent pas auprès de la CCR pour les catastrophes naturelles, mais c'est un phénomène très limité. Cette année-là, les sinistres payés ou provisionnés étaient de 1 045 millions d'euros (6 855,2 millions de francs). Au total, pour l'ensemble des assureurs, ce système a apporté un résultat d'exploitation de 21 millions d'euros (137,76 millions de francs). Le solde était négatif pour la CCR. Si j'avais cité 1997, la situation aurait été différente.

À la fin des années 90, les pouvoirs publics ont fait un double constat. D'une part, le régime était en train de dériver sur le plan financier, probablement davantage sous l'effet de la subsidence que des inondations. En effet, lorsque l'on regarde le régime des catastrophes naturelles, il est difficile de déceler une tendance à la hausse des inondations et de leur coût. D'autre part, il est apparu nécessaire de renforcer les incitations à la prévention. Bien entendu, le rapport de la Cour des comptes allait également dans ce sens, mais n'a pas été totalement pris en compte.

Des mesures essentielles ont été prises. Le taux de prime a été relevé de 9 à 12 %. Des incitations ont été mises en place pour la prescription de plans de prévention des risques (PPR), grâce à la modulation des franchises.

Il est difficile de faire dès maintenant un bilan précis de ces mesures. Cependant, du point de vue financier, le régime repose à nouveau sur des bases saines. Concernant la prévention, la prescription des PPR s'est nettement accélérée. L'administration a fait également preuve de souplesse. Par exemple, dans la Somme, nous avons tenu compte d'une prescription de PPR, réalisée au moment de la déclaration de catastrophe naturelle, pour éviter la modulation. Le but de la modulation n'est pas de laisser une part plus grande des sinistres à la charge des assurés, mais d'inciter à la mise en place de PPR.

Bien entendu, prescrire un PPR n'est pas une fin en soi. Encore faut-il qu'il soit mis en _uvre. Nous sommes loin d'avoir couvert l'ensemble des territoires qui mériteraient un PPR. Seulement un tiers des communes soumises à des risques particuliers bénéficient de PPR. Il y a donc un effort important à mener.

Nous avons également procédé à des réformes moins juridiques, grâce notamment à l'évolution des connaissances. La prévention consiste aussi à éviter que le régime catastrophes naturelles ne soit utilisé pour traiter d'événements qui ne sont pas des catastrophes naturelles.

De ce point de vue, nous avons fait le constat d'une véritable dérive en ce qui concerne la subsidence. Pour que le régime des catastrophes naturelles intervienne, l'événement doit être réellement catastrophique, c'est-à-dire exceptionnel. Avec l'aide de Météo-France, des mesures plus précises de la sécheresse ont été mises en place et permettent effectivement de déterminer le caractère exceptionnel des phénomènes de sécheresse. Cela n'est pas négligeable et devrait probablement contribuer à rééquilibrer la situation financière du régime et, par ailleurs, conduire à améliorer la prévention en matière de construction de maisons sur les terrains argileux.

Il est vrai que le rapport de la Cour des comptes suggérait de moduler les primes en fonction du profil de risque des assurés. Le gouvernement a étudié la question mais n'a pas suivi cette voie pour trois raisons.

La première repose sur le principe de solidarité. Le régime des catastrophes naturelles organise une certaine solidarité. En ce qui concerne le risque d'inondations, il n'y a pratiquement pas de risques si l'on habite en étage élevé alors que le risque existe si l'on habite au rez-de-chaussée. Dans cet exemple, la solidarité existe entre les personnes du rez-de-chaussée et les personnes des étages supérieurs. Cela illustre, de façon certes caricaturale, ce principe. La question est d'ordre politique : cette solidarité doit-elle être maintenue ou y a-t-il des adaptations à apporter ? Le Gouvernement a choisi de ne pas revenir sur ce principe.

La deuxième raison est qu'il existe aujourd'hui des possibilités de modulation grâce à la saisine du Bureau central de tarification. Dans l'exemple, célèbre dans le monde de l'assurance, d'un supermarché, situé en zone inondable, les assureurs traditionnels n'ont plus voulu l'assurer, ce qui est assez logique. Le dossier est allé au Bureau central de tarification qui a une marge de man_uvre pour réduire substantiellement la couverture du risque en augmentant fortement la franchise. De ce fait, on peut penser qu'il deviendra économiquement non rentable pour ce supermarché de rester à cet endroit. Toutes les situations ne sont pas aussi claires, mais l'on peut penser que si les marges de souplesse ne sont pas suffisantes par le biais de ce mécanisme, il faudra peut-être réfléchir à leur renforcement.

Par ailleurs, en fonction des risques, la prévention ne relève pas des mêmes responsabilités. Je suis un expert d'assurance, mais je suis moins expert en phénomènes naturels et en partage des responsabilités entre les différents acteurs. Mais, il me semble que, selon les types de risques, certaines responsabilités reviennent à l'État, aux collectivités locales ou en partie, aux assurés. Faire peser l'ensemble de l'incitation à la prévention sur les seuls assurés ne serait probablement pas le plus efficace. Certes, la modulation des franchises accroît la charge de l'assuré, mais manifestement, elle a eu des effets plus larges au niveau des collectivités locales, et peut-être même au niveau de l'État, en termes de sensibilisation à la nécessité de la prévention.

Il y a là une difficulté. Le partage des responsabilités n'est pas le même en cas d'inondations, de sécheresse ou de tremblements de terre, etc. Il convient donc d'y être attentif, mais il ne serait pas juste ou efficace de faire reposer l'incitation à la prévention uniquement sur les assurés.

Enfin, prosaïquement, si la modulation des primes était faite en fonction des risques, elle devrait être réellement pertinente car elle pourrait induire d'autres effets pervers. Cela pourrait s'avérer très coûteux de faire une véritable sélection du risque, certains éléments étant difficiles à évaluer. Cela pourrait donc se traduire par un renchérissement important des primes d'assurance.

M. le Président : Dans les inondations, n'y a-t-il pas une part de subsidence ? Dans la Somme, il y aura certainement des conséquences assez fortes sur les bâtiments lorsque ceux-ci vont sécher. Arrivez-vous à faire la part des choses dans les deux cas ?

Vous avez parlé d'un coût de 1,5 milliard par inondation. Cela couvre-t-il la totalité des dégâts ?

Un autre problème nous a été signalé par les entreprises dans la Somme. Il s'agit de la date de déclaration de la catastrophe naturelle, variable d'une commune à l'autre en fonction des déclarations des collectivités. Cela peut avoir une importance très forte pour la prise en compte des pertes d'exploitation. Il est possible que certaines collectivités, aux prises avec les difficultés de terrain, n'aient pas le temps de faire leur déclaration aussi rapidement que d'autres, mieux équipées et mieux organisées.

En ce qui concerne le dispositif de la loi Barnier, il a été noté un manque de jurisprudence en cas d'expropriation avec nécessité de reconstruire ailleurs. Par exemple, une maison détruite est remboursée à hauteur de 800 000 francs. Mais il est nécessaire de débourser 1 million pour la reconstruire ailleurs. La différence n'est visiblement pas couverte, ce qui pose des problèmes sérieux à l'assuré. Est-ce la réalité ? Cela mériterait d'être clarifié.

M. Thierry FRANCQ : J'ai cité des chiffres concernant le coût pour les assurances au sens large, y compris la CCR. Certains particuliers ne sont pas assurés sur chaque élément de leur habitation (clôture, etc.). Mais cela est relativement limité dans le cas des particuliers. Certaines entreprises ne sont pas assurées, de même pour les collectivités locales. Par ailleurs, il paraît difficile d'assurer la voirie pour des raisons techniques. Ne serait-ce que parce qu'il faut avoir une idée claire de l'état de la voirie avant la catastrophe pour pouvoir juger du sinistre. Je n'ai pas d'estimation pour tous ces coûts non assurés.

Le risque de subsidence est-il lié à l'inondation ? Je manque de bases scientifiques, géologiques pour vous répondre. La CCR parvient assez bien à faire la différence. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait eu une inondation catastrophique pour que la subsidence intervienne. Dans la Somme, je ne sais pas dans quelle mesure on pourrait connaître des phénomènes de subsidence.

Vous évoquiez le dispositif d'expropriation de la loi Barnier. Le problème le plus fréquemment cité est lorsqu'il n'y a pas expropriation selon ce régime. Au contraire, dans le cadre de la loi Barnier, lorsque la personne est indemnisée, il n'est pas tenu compte de la baisse de valeur intrinsèque de l'habitation et du terrain liée au fait qu'ils ne sont plus habitables. Certes, il peut y avoir des difficultés ponctuelles d'estimation qui découlent des évaluations au service des domaines. En revanche, lorsque nous ne sommes pas dans cette situation, la baisse de valeur du bien liée, par exemple, à une inondation, conduit effectivement à une perte pour l'assuré.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué le fait que la modulation des primes risque de produire des effets pervers. Pouvez-vous développer votre raisonnement ? Vous avez également indiqué que l'augmentation de la franchise et la modulation par commune avaient favorisé le développement des PPR. Je ne suis pas certain du lien. J'aimerais savoir quels sont les éventuels autres moyens qui pourraient pénaliser les collectivités qui ne prennent pas de mesures de prévention ou qui pourraient les encourager à en prendre ?

Au nom du principe de solidarité, le Gouvernement a refusé que les primes soient modulées en fonction du risque. Y a-t-il d'autres moyens de favoriser la prévention car elle ne paraît pas encore suffisante ? Enfin, il convient de ne pas encourager la reconstruction à l'identique, après une catastrophe telle que celle de la Somme. Peut-on inciter fortement, en jouant sur l'assurance, à reconstruire selon certaines normes de prévention ?

M. Thierry FRANCQ : Pour qu'une modulation en fonction du risque soit efficace, il est nécessaire que cette modulation soit juste et qu'elle corresponde au profil de risque. Si elle n'y correspond pas ou mal, elle peut conduire à réduire certains comportements préventifs dans les zones à risques ou à les accroître dans des zones où cela n'est pas nécessaire.

Si l'on prend l'exemple de maisons proches d'une rivière, il faut pouvoir juger de la réalité effective du risque d'inondation. Il est nécessaire d'avoir les éléments historiques, scientifiques, pour ce faire. Si l'on se trompe ou que l'on n'a pas d'informations suffisantes pour justifier des modulations pour ces maisons, le riverain estimera qu'il n'y a pas de risque particulier. On risque alors d'aboutir à un comportement contre-productif. Si l'on veut moduler, il est indispensable d'y mettre des moyens techniques et humains extrêmement importants.

En ce qui concerne les moyens de pénaliser ou d'encourager les collectivités à mettre en _uvre des mesures de prévention, il est toujours difficile de tirer des liens de causalité à partir de statistiques. Cependant, l'accélération des PPR est telle depuis que la modulation est en _uvre qu'il est difficile de croire qu'elle n'a pas eu d'effets. Le phénomène en jeu est probablement politique. Les habitants des communes sont aussi des électeurs.

Il peut y avoir deux types d'incitations vis-à-vis des collectivités locales. D'abord, des incitations d'ordre financier : on pourrait imaginer un système de péréquation des coûts de prévention entre l'État, les collectivités locales et le niveau régional. Il y a de multiples possibilités en ce domaine qui échappent à ma compétence.

Par ailleurs, lors des actes de la vie locale, par exemple le vote du budget, il serait bon de développer progressivement des bilans annuels ou pluriannuels sur les risques, notamment financiers, concernant les biens de la collectivité et sur les risques pour les habitants de la commune.

En matière d'assurance, l'assureur ne connaît que les assurés, il est donc difficile d'imaginer un mécanisme d'incitation directe vis-à-vis des communes.

Les incitations mises en _uvre, qui pèsent sur les assurés, comme la modulation, ont finalement un impact sur les collectivités locales. Il convient de renforcer cet élément pour les entreprises. Peut-être faut-il également augmenter les marges de man_uvre du Bureau central de tarification pour adapter les niveaux de garantie.

M. Robert GALLEY : Je vous remercie d'avoir très clairement indiqué que le problème de la modulation des primes était très complexe.

Les sinistrés de la Somme sont dans une situation tragique et ils ne vont pas se contenter d'être simplement indemnisés. Ils vont demander à ce que l'on prenne des mesures de prévention.

La ville de Paris est un vivant exemple de ces mesures prises suite à des inondations, puisqu'elle a créé des réservoirs en amont de la ville. Ceux-ci peuvent couvrir 38 % du volume de la crue de 1910, c'est-à-dire limiter les dégâts. Les voies sur berge seraient inondées, mais pas la place Saint-Michel. Le réservoir dans l'Aube, que l'on ne parvenait pas à financer, l'a été grâce à l'agence Seine-Normandie, qui a versé 22 millions de francs. Ce sont donc les consommateurs d'eau qui ont payé. Vous parliez de l'injustice qu'il y avait à faire payer une prime d'assurance accrue aux personnes du 9ème étage par rapport au rez-de-chaussée. Il en est de même pour les consommateurs d'eau...

Nous allons être soumis à une pression considérable de nos concitoyens visant à accroître la prévention du risque d'inondation. Par conséquent, dans les dix ou vingt ans à venir, nos concitoyens vont exiger que nous fassions des barrages. Des oppositions verront le jour, mais il faudra quand même les faire ! Ne pensez-vous pas qu'il serait judicieux que les assurances prennent une part de responsabilité et du financement puisqu'elles seront les ultimes bénéficiaires d'inondations moins nombreuses ou moins coûteuses ? Cette question sort donc très nettement du cadre de vos responsabilités. Avez-vous réfléchi à la logique du système ?

Pour sauver les rives de la Loire à Saumur, il faut faire des barrages dans le Haut Allier. On ne peut donc pas s'adresser à la communauté de Saumur pour construire dans l'Allier. Par conséquent, les organismes de bassin doivent les prendre en charge. Ne pensez-vous pas que la logique voudrait que les assurances participent à cet effort ?

M. Thierry FRANCQ : Les assureurs participent financièrement aux efforts de prévention, puisqu'ils financent la moitié du coût des PPR. Dans l'absolu, on pourrait imaginer un financement total par les assureurs, ce qui veut dire par les assurés. Techniquement, c'est envisageable mais il faudrait certainement une loi.

Surtout, le rôle des assureurs peut être intéressant, s'ils prennent également en charge l'édiction de normes ou l'encouragement à la mise en _uvre de normes, comme ils le font dans de nombreux domaines, afin de faire évoluer les comportements micro-économiques et renforcer ainsi la prévention.

Que le coût global des travaux de prévention soit payé par la communauté des assurés ou par la communauté des contribuables, cela fera quelques différences, mais globalement, cela ne changera pas les comportements. Il s'agit d'une question politique de partage du coût entre de nombreux acteurs. C'est essentiellement un problème de partage territorial du coût, entre ce qui relève de la solidarité nationale, de la région, du département, de la commune. À mon sens, faire financer par la communauté des assureurs un barrage est grosso modo identique à le faire financer par l'État.

M. Jacques BASCOU : On souligne la nécessité de la prévention en mettant en place des systèmes de modulation des primes en fonction du risque. À partir de l'observation et l'analyse du terrain, les PPR ont déterminé des zones d'aléas moyens, forts ou faibles. Or, certaines habitations existent depuis longtemps. Il conviendrait de les transférer ou de faire des travaux de surélévation. Pourtant, en cas d'inondation, les remboursements des assurances conduisent à une reconstruction à l'identique au même endroit. Comment régler cette contradiction ?

M. Thierry FRANCQ : Dans le cadre de la loi Barnier, s'il n'y a pas de menace sur la vie humaine, le dispositif d'expropriation ne fonctionne pas. La grande majorité des contrats d'assurance indemnise la réparation du bien là où il se trouve. Des contrats plus chers, qui indemnisent davantage, se développent. On pourrait encourager les assureurs à produire des contrats qui incorporent une couverture plus importante et qui prennent en compte ce type de cas. Déjà, les assureurs développent des contrats pour indemniser des personnes qui doivent quitter leur habitation pendant un certain temps. Ce n'est pas obligatoire, mais cela se développe. On peut l'encourager. Rendre cela obligatoire poserait un certain nombre de difficultés techniques. Il faut toujours veiller à ce qu'un système d'assurance ne soit pas utilisé à des fins détournées.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition conjointe de M. Jean-Marc LAMÈRE,
délégué général adjoint
de la Fédération française des sociétés d'assurance,

M. Guillaume ROSENWALD,
président
de la Mission risques naturels des sociétés d'assurance,

Mme Catherine TRACA,
secrétaire général adjoint
du GEMA,

M. Michel POUPONNEAU,
directeur des sinistres
à la MAIF et
membre du conseil d'administration du
fonds de prévention des risques naturels majeurs

(extrait du procès-verbal de la séance du 19 juin 2001)

Présidence de M. Éric Doligé, Président

Mme Catherine Traca et MM. Jean-Marc Lamère, Guillaume Rosenwald et Michel Pouponneau sont introduits.

M. le Président leur rappelle le mode de fonctionnement de la commission et leur indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, Mme Catherine Traca et MM. Jean-Marc Lamère, Guillaume Rosenwald et Michel Pouponneau prêtent serment.

M. Jean-Marc LAMÈRE : Nous avons entendu nos collègues de la Caisse centrale de réassurance (CCR) et du ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie. Depuis 1982, nous partageons les mêmes préoccupations et essayons d'ajuster ce dispositif qui, bien que perfectible, est globalement jugé intelligent par les Français, mais l'est encore davantage par d'autres pays étrangers ne disposant pas d'un système identique.

Je rappellerai d'abord un des principes du dispositif en me souvenant des débats de 1982. Ce dispositif est intelligent parce qu'il opère un partage des rôles. Chacun doit bien faire son travail sans faire celui de l'autre. Il revient aux pouvoirs publics d'édicter des normes et de les faire respecter, de se charger de la prévention grâce aux nombreux instruments dont ils sont les seuls à disposer, notamment en termes d'aménagement du territoire, étant entendu que la prévention dans ce domaine, sauf dans des cas rares, ne peut se traiter qu'au niveau de la région ou de l'ensemble d'un bassin. Il revient aux assureurs, grâce à leurs instruments sur le terrain, de démultiplier la production de ces garanties et, en cas de survenance d'un sinistre, notamment en cas de sinistre grave, de libérer les moyens nécessaires d'expertise, d'indemnisation et aussi d'assistance.

Cela étant dit, il convient d'être vigilant à l'équilibre délicat de ce régime. Nous y veillons conjointement depuis des années. Il est fondé sur le double principe de la responsabilité et de la solidarité. Le débat de la commission au sujet de la modulation de la prime illustre ce dilemme. S'il était décidé de moduler la prime en fonction du risque, soit il faudrait des réglementations très lourdes et détaillées, donc très difficiles à mettre en _uvre, pour éviter toute dérive, soit il faudrait demander à l'assureur de procéder comme il le fait pour les autres risques, c'est-à-dire de tarifer en fonction du risque. Dans ce dernier cas, le dispositif fondé sur la solidarité s'effriterait. Le montant de la surprime « catastrophe naturelle » est de 12 %. La prime moyenne que paient les assurés en multirisque habitation est de l'ordre de 1 000 francs. Une modulation portant donc sur cent vingt francs ne produirait que peu d'effets d'entraînement.

Je citerai quelques chiffres utiles pour éclairer votre commission.

Ces dernières années nous avons connu de grandes inondations : Nice et le Sud-Est en 1994 (700 millions de francs) ; le Nord, l'Ouest et l'Est, principalement à Metz au début 1995 (2,6 milliards de francs) ; le Sud-Ouest en décembre 1996 (500 millions de francs) ; la Normandie en juin 1997 (400 millions de francs) ; l'Aude en novembre 1999 (1,9 milliard de francs) ; les inondations de décembre 1999 liées à la tempête (2 milliards de francs).

Le sinistre moyen est relativement stable ces dernières années. Le sinistre inondation est de l'ordre de 36 000 francs pour les particuliers, de 155 000 francs pour les entreprises et de 61 000 francs pour les exploitations agricoles.

Nous fondons nos estimations sur cette base. Elles nous sont demandées parfois le lendemain même de la survenance d'une catastrophe ! Ainsi, on peut commencer à estimer les deux sinistres de Bretagne, celui de fin 2000 et celui du début 2001. En indemnisation assurantielle uniquement, ce sinistre est estimé à un peu moins de 500 millions de francs. Lorsque l'on observe finement la situation en Somme-Picardie, on compte environ 3 000 habitations concernées, une centaine d'entreprises et une centaine d'exploitations agricoles. Si l'on applique les chiffres cités, cela aboutit à une estimation relativement faible. Certes, cette inondation est nouvelle par sa durée et par le fait qu'il s'agit d'une remontée de nappe phréatique. Il est important d'en tenir compte, dans la mesure où il y aura peut-être un coût moyen plus élevé, avec dans certains cas l'obligation de reconstruire. Aujourd'hui, nous estimons ce sinistre entre 400 et 600 millions de francs, estimation plus faible que celle qu'indiquait M. Thierry Francq.

Je ne voudrais pas vous inonder de chiffres ! Si vous le souhaitez, des statistiques détaillées sont à votre disposition.

En tant qu'acteurs de ce dispositif « catastrophe naturelle », nous avons été amenés à tenter de prévoir les événements à venir. De nombreuses études scientifiques ont été réalisées. Nous avons analysé les résultats des projections des météorologues et climatologues concernant les dix prochaines années. En ce qui concerne les inondations, il est prévu une augmentation assez forte, de l'ordre de 20 %, des précipitations dans la partie nord de la France et, d'une manière générale, sur les versants ouest. Dans la partie sud, l'augmentation de la pluviométrie sera plus modérée, mais avec une variabilité plus forte, c'est-à-dire une succession de périodes de sécheresse et de fortes précipitations. Ainsi, au nord, il y aura probablement une augmentation des sinistres dus à des remontées de nappes phréatiques et, au sud, une augmentation des inondations dues à des pluies torrentielles avec ravinements. Ce sont deux types de catastrophes quelque peu différents. Si l'on combine cette augmentation de la fréquence avec l'augmentation des valeurs assurées prévisibles pour les dix années à venir, l'augmentation de la charge est de l'ordre de 20 %.

Le régime pourra-t-il supporter cela et dans quelles conditions ? A priori oui, car cette estimation est faite sur dix ans.

Depuis 1982, les assureurs ainsi que tous les acteurs de ce dispositif ont beaucoup appris. En particulier, nous avons beaucoup progressé dans la gestion des crises. Immédiatement après la survenance d'une inondation ou d'un autre type de catastrophe naturelle, le centre de documentation et d'information de l'assurance (CDIA) met en place un « téléphone vert » et adresse des messages à la presse afin de rappeler aux assurés le processus de déclaration et d'expertise des sinistres. Nous avons également créé une cellule de crise, constituée de personnes spécialisées envoyées immédiatement sur place pour porter assistance lorsque cela est nécessaire. Nos mutuelles et sociétés le font par ailleurs directement.

Enfin, nous disposons sur place d'un réseau de coordinateurs « catastrophes naturelles », techniciens qui travaillent avec les cellules de crise installées par les préfets et du réseau du CDIA, destiné à donner des informations concrètes aux assurés en leur apportant assistance et à participer à tous les débats locaux visant à améliorer le sort des victimes.

Les récentes inondations ont fait apparaître qu'un certain nombre de points du dispositif d'indemnisation des catastrophes naturelles pourraient être améliorés. Nous avons engagé des réflexions avec nos partenaires, les pouvoirs publics et la CCR, afin de déterminer quelles seraient les meilleures solutions pour mieux indemniser les victimes, qu'il s'agisse d'une extension du régime sur certains points, d'une extension du rôle du « fonds Barnier » sur d'autres points ou d'une amélioration de l'information dans le but de susciter une meilleure couverture dans le cadre d'une assurance libre.

Ces différents points sont les suivants :

1.  les dommages ultérieurs du fait de la déstabilisation du terrain : il s'agit de savoir si ces phénomènes doivent être rattachés au premier arrêté interministériel « catastrophe naturelle » ou à des arrêtés successifs ; le phénomène d'inondation dans la Somme, par sa durée, oblige à aborder cette question car le problème ne se posait jusqu'alors que pour la sécheresse ;

2.  la prise en charge des travaux de consolidation des terrains privés afin d'éviter la ruine des bâtiments : nous avons connu cela lors d'inondations ou d'affaissements - problème des cavités souterraines et de la colline de Menton par exemple ; cela renvoie à la limite entre ce qui relève du privé et du public ; il ne sert à rien de conforter uniquement les terrains privés si les terrains publics ne le sont pas, et inversement ;

3.  le point le plus délicat évoqué précédemment est celui de l'interdiction définitive d'occuper ; cela est lié aux conditions restrictives de mise en jeu du « fonds Barnier » : risque futur, menace pour les personnes, coût des mesures de sauvegarde supérieur au coût de l'expropriation alors que le régime des catastrophes naturelles n'indemnise que les dommages réellement survenus ; nous devrons répondre à cette question dans les mois qui viennent ;

4.  les dommages au terrain rendant l'accès à un bâtiment peu ou pas endommagé impossible : cela concerne certains cas d'inondation et d'effondrement ; lors de l'effondrement de la colline de Menton, on a constaté des effondrements de terrain de plusieurs mètres, sans que la maison ne soit atteinte, mais qui empêchaient néanmoins les gens d'entrer dans cette maison ;

5.  la prise en compte des frais de relogement pendant la période d'indisponibilité du bâtiment : c'est un problème bien connu dans le cas de la Somme et plus facile à régler sur le plan technique ;

6.  la perte d'exploitation des entreprises en cas d'impossibilité d'accès, de coupure d'électricité ou d'eau, c'est-à-dire les pertes d'exploitation indirectes : ce n'est pas simple ; comment, par exemple, estimer la perte d'exploitation de l'hôtel-restaurant en face de la gare quand le train ne passe plus ?

7.  la prise en charge des honoraires d'expert d'assuré, qui correspondent à une garantie annexe : compte tenu de situations difficiles pour les particuliers et les entreprises que nous avons eues à connaître récemment, il convient de corriger cette anomalie.

M. le Président : Vous avez ouvert un certain nombre de pistes.

Pour en revenir à la prévention, évoquée tout à l'heure avec M. Thierry Francq, la modulation apparaît complexe à mettre en place, assuré par assuré, puisque l'on est dans le cadre de la solidarité. Mais, la réflexion est possible au niveau du secteur du bâtiment. Lorsque ces entreprises effectuent des travaux de reconstruction chez un sinistré, il conviendrait qu'elles tiennent compte de normes plus réalistes en fonction des risques potentiels. Lorsqu'un électricien intervient dans une salle de bains, il doit respecter des normes afin d'éviter tout risque d'accident, sinon sa responsabilité est engagée. De même, dans ces zones, un architecte qui propose un bâtiment devrait respecter des dispositions minimales afin de limiter les dégâts. Cela est encore plus vrai pour des entreprises qui ont des machines à installer dans des zones potentiellement inondables. Avec quelques dispositions prises dès l'origine, on pourrait limiter les coûts.

L'assurance peut-elle être incitative en la matière ?

M. le Rapporteur : J'ai compris que, dans les dix prochaines années, la nappe phréatique montera dans le département de la Somme. D'ailleurs, en ce moment, alors que les rivières ont retrouvé leur niveau normal, il continue de se produire des inondations de caves et de maisons, du fait de la remontée de cette nappe. Dans les mois qui viennent, avec une pluviométrie qui pourrait s'annoncer catastrophique dès l'automne, les problèmes reviendront. Les personnes qui ont été obligées d'abandonner leur logement aujourd'hui y reviendront pendant l'été. Elles ne sont pas obligées de reconstruire leur maison, mais devront rénover. D'ici là, nous n'aurons pas le temps de modifier les plans d'occupation des sols (POS), de mettre en place des règles particulières pour la construction. Que peut-on faire rapidement pour empêcher une reconstruction à l'identique qui finirait par peser sur les assurances ? Dans quelques temps, on risque de rencontrer un phénomène identique qui créera des coûts identiques. Vous avez précisé que chacun doit tenir son rôle : l'État fixe les normes et les assureurs assurent. N'y a-t-il pas un moyen, par le biais des assurances, d'encourager la prise de mesures, immédiates ou à terme, évitant que la collectivité, au travers des assurances, paie sans arrêt des travaux qui seront à plus ou moins long terme inutiles.

Vous posez plusieurs questions dans votre exposé. Pouvez-vous y répondre ?

Par ailleurs, lors de notre déplacement dans la Somme, j'ai noté que 20 % des sinistrés n'étaient pas assurés. Quelle est la proportion de personnes non assurées dans d'autres régions de la France ? Que peut-on faire dans cette hypothèse ? L'assurance n'est pas une société de philanthropie, cependant un problème se pose à ce niveau.

Dans le département de la Somme, les sociétés d'assurance ont-elles pris des mesures particulières pour gérer les conséquences de la crise ?

Avez-vous connaissance de résiliations de contrat liées à des inondations récurrentes ? Cela peut-il arriver et quelle est la politique des sociétés d'assurance en la matière ?

M. Jean-Marc LAMÈRE : Je répondrai brièvement aux questions portant sur les assurances puis Guillaume Rosenwald, président de la mission des risques naturels, répondra aux questions plus techniques de M. le Président.

La garantie « catastrophe naturelle » est obligatoire, mais elle est greffée sur une garantie qui ne l'est pas, la garantie « dommages aux biens », autant pour les particuliers que pour les entreprises. En France, hors départements d'outre-mer, le taux de couverture « multirisques habitation », qui inclut cette garantie, est de 95 %. Le taux de non-assurance de la Somme paraît donc assez élevé.

Nous n'avons pas connaissance de résiliations. Cela ne fait pas partie des débats qui se déroulent dans notre enceinte. Les assureurs ont mis du temps à comprendre le régime, à l'adapter, à « l'industrialiser », mais aujourd'hui, à quelque famille qu'ils appartiennent, sociétés ou mutuelles, tous ont trouvé avantage à ce système de solidarité.

M. Guillaume ROSENWALD : En matière de prévention, que peut-on faire pour améliorer la reconstruction ? La réponse comporte trois aspects : la connaissance - savoir quoi faire -, le conseil et, enfin, l'aspect financier.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la connaissance sur les méthodes de construction adaptées aux zones inondables est faiblement normée. Les cultures ou la mémoire régionales des catastrophes naturelles permettent de savoir que, par exemple, on ne mettait pas le salon au rez-de-chaussée dans telle région, on avait un sol dallé et non pas de la moquette, etc. Cette connaissance existe chez les gens présents depuis longtemps, mais pas chez les nouveaux arrivants. En revanche, il n'y a pas de cahier des charges précisant qu'en zone inondable, il convient de construire une maison de telle manière ou d'utiliser tel produit spécifique. Tout cela relève de connaissances individuelles ou de la pratique de certains spécialistes, mais il n'existe pas de norme. Il serait certainement souhaitable de les rendre obligatoires ou, au moins, de les mettre à disposition. Dans les zones inondables, on peut éventuellement interdire de construire mais on ne peut obliger à l'amélioration de l'habitat existant.

De façon récente, les assureurs essaient d'aider au développement de cette connaissance. Dans le cas de la Somme, il existe une démarche coordonnée entre assureurs et experts, de manière à faire une typologie des différents types d'habitations, afin que les spécialistes des ministères de l'Équipement, de l'Environnement et du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), s'il est missionné, puissent en déduire des orientations.

Supposons cette connaissance acquise, il faut encore la transmettre aux habitants et aux entreprises. Le rôle de l'assureur est alors variable. Il peut être important auprès des entreprises, avant même que la connaissance ne soit totalement normée. La Mission des risques naturels des sociétés d'assurance met en place une méthodologie d'analyse du risque inondation auprès des inspecteurs d'assurance. Pour le risque incendie, ceux-ci font ce travail depuis un siècle : ils visitent les entreprises, donnent des conseils, et parfois imposent tel ou tel équipement. Un supermarché, même s'il est en zone inondable, possède des équipements contre l'incendie. Depuis un siècle, on est très sensible à l'incendie et les moyens techniques mis à disposition sont très importants. Il reste beaucoup à faire en matière d'inondations et, plus généralement, de catastrophes naturelles et nous travaillons tous ensemble à la mise en place de ce guide de conseil aux entreprises.

Concernant les risques pour les particuliers, pour des questions de coût, nous n'avons pas le même investissement humain. L'assurance multirisque habitation représente un contrat de 1 000 francs en moyenne. Sauf à augmenter fortement le prix du contrat, on ne peut pas se permettre de faire des visites de risque chez chaque assuré. Il convient donc de trouver d'autres moyens de diffusion de l'information, comme par exemple les magazines des sociétés d'assurance destinés à leurs assurés. En collaboration avec les ministères concernés, nous mettons en place des conseils de base à l'intention des assurés.

Une fois tout cela en place, il faut parler d'amélioration de l'habitat. Ce que doit l'assureur, ce n'est pas l'amélioration de l'habitat, mais l'indemnisation de ce qui a été détruit. Et s'il allait plus loin, il y aurait un manque d'équité entre celui qui a été touché par une inondation ou une catastrophe quelconque et qui se verrait ouvrir un droit à amélioration de l'habitat et celui qui n'est pas ou ne sera jamais touché et n'aurait droit à rien. Il est souhaitable qu'il y ait bien séparation entre la mission de l'assureur, qui est de réparer les dommages, et le financement de l'amélioration de l'habitat.

M. Michel POUPONNEAU : Nos deux familles se réunissent régulièrement afin de trouver des réponses communes et cohérentes, notamment face aux sinistrés de la Somme.

Sur cette question délicate du respect du principe indemnitaire qui est prévu par le code des assurances et répond à une certaine équité, la piste de réflexion conduit à raisonner sous la forme de réemploi de l'indemnité. Une fois déterminé le montant de l'indemnité due en application du contrat et correspondant aux dommages subis, il y a certainement des façons plus intelligentes que d'autres d'utiliser cette indemnité. Les experts sont très préoccupés par cette question et ne manquent pas de l'intégrer dans la relation personnalisée qui s'instaure avec l'assuré à l'occasion du règlement d'un sinistre.

Par ailleurs, la loi a pour vocation principale de rendre assurable un risque qui ne l'est pas, puisque l'on s'accorde à dire qu'il n'y a guère que 10 % de la population française qui soit exposée dangereusement à ce type d'événements.

Mais au-delà de cette constatation, les garanties des contrats d'assurance peuvent prévoir au profit des assurés des prestations variables, plus ou moins protectrices. Cela dépend bien évidemment de l'effort dont l'assuré s'estime capable et veut bien consentir par rapport à son patrimoine immobilier et à ses biens en général.

M. le Rapporteur : J'ai une question relative à la perte d'exploitation pour les entreprises. Vous avez évoqué une centaine d'entreprises concernées dans la Somme. À ma connaissance, c'est deux fois plus. Les critères sont peut-être différents. Celles qui sont inondées sont ou non assurées pour la perte d'exploitation. Mais certaines, qui n'ont pas été directement victimes des inondations, vont perdre deux à trois mois de chiffre d'affaires, voire plus, car les inondations ont duré six mois dans certains secteurs. Les entreprises saisonnières risquent de perdre la totalité de leur chiffre d'affaires annuel. Ce risque n'est pas assuré. Serait-il possible de l'assurer ? Dans le cas de la Somme, qui est particulier en raison de sa durée, cela risque d'entraîner des dépôts de bilan, des pertes d'emplois, etc.

M. Jean-Marc LAMÈRE : Parmi les sept points que j'évoquais et qui sont en cours d'examen, j'espère que nous, assureurs, Caisse centrale de réassurance (CCR) et pouvoirs publics, pourrons apporter des réponses à certains points délicats. Il s'agit de savoir ce qui doit être solidarisé, éventuellement dans le cadre du « fonds Barnier », et ce qui doit être laissé au libre choix de l'assuré. C'est particulièrement le cas des entreprises. La réponse que nous nous apprêtons à donner est d'abord une large information des assurés sur le risque. Les assureurs des risques d'entreprise proposeront des extensions de garantie de perte d'exploitation. La précaution que nous prendrons - c'est pourquoi il nous faut du temps pour élaborer les clauses en question - sera de délimiter les clauses par rapport aux faits générateurs, en spécifiant les types d'événements. Il faut raccorder la perte d'exploitation au fait générateur, le phénomène d'inondation. Le même hôtel-restaurant dont je parlais tout à l'heure peut avoir connu une perte de chiffre d'affaires parce qu'il a changé de cuisinier ... Il est indispensable de réfléchir au cadrage des garanties. L'innovation sera de proposer aux assurés qui disposent déjà d'une garantie « perte d'exploitation directe » une extension de « perte d'exploitation indirecte » consécutive aux événements naturels.

Mme Catherine TRACA : Au GEMA, nous sommes moins concernés. Mais nous parlons ici d'extension des garanties « perte d'exploitation ». Il conviendrait peut-être dans un premier temps de sensibiliser les assurés à se garantir contre la perte d'exploitation. Au moment des tempêtes, la plupart des dossiers concernaient des gens qui n'avaient pas souscrit cette garantie. Un important travail d'information reste à faire. En contrepartie, une prime doit être acquittée. Beaucoup d'entreprises prennent le risque de ne pas couvrir ce type de problème. Après les tempêtes, chaque société d'assurance a contacté tous ses assurés pour les sensibiliser au problème.

M. le Président : Dans la Loire, on dit qu'il faut investir 3,5 milliards de francs pour ramener de 40 à 6 milliards de francs les dégâts d'une crue centennale. Cela peut intéresser les assureurs car ils économiseront une partie de ces milliards. Il y a donc intérêt à faire ces travaux quoi qu'il arrive. Il s'agit d'un intérêt national, même si on peut ne pas être d'accord sur le type de travaux à faire.

Vous avez cité des chiffres pour la Somme. Le coût des travaux de prévention sera très important. On sait aussi que ce type de crue est cinq-centennale et sans danger sur le plan humain, alors que sur la Loire, elles sont centennales. Faut-il investir un milliard de francs pour éviter une nouvelle catastrophe cinq-centennale ? Il faut aussi prendre en compte les aspects sociologiques et économiques, voire un aspect « désertification ». Si l'on ne peut pas reconstruire dans la vallée de la Somme, ni en hauteur parce que l'architecte des Bâtiments de France le refuse, on risque de créer des zones démographiquement et économiquement sinistrées.

M. Jean-Marc LAMÈRE : Les assureurs s'efforcent de bien faire leur métier, concernant l'indemnisation qui leur est dévolue par la loi de 1982.

En termes de prévention, lorsqu'il s'agit de travaux sur la rivière ou l'ensemble du bassin, il est évident que l'agence de l'eau ou le ministère de l'Environnement doivent jouer leur rôle au titre de l'aménagement du territoire. Il est nécessaire d'instaurer la même solidarité pour la prévention, indépendamment des fréquences et des coûts, que celle que l'on a instaurée pour l'indemnisation.

En ce qui concerne la Somme, je ne suis pas sûr que ce type d'événements soit si rare. Personne ne peut se prononcer sur la fréquence. D'après les prévisions des climatologues, on peut craindre que le phénomène de remontée de nappe phréatique ne devienne plus fréquent. On connaît bien les travaux à accomplir qui ne sont pas si onéreux que cela. Par ailleurs, on peut aussi prévoir la montée des eaux. Si, dans le sud de la France, on a affaire à des crues torrentielles, ce n'est pas le cas dans la Somme et cela ne sera pas le cas dans le futur. Certaines techniques de sondage des sols permettent de mesurer les variations de la nappe phréatique et d'avertir les personnes concernées, habitants et entreprises. L'essentiel des valeurs perdues et des pertes d'exploitation tient au délai réduit entre l'information et l'inondation. Si l'on a le temps de sauver les marchandises, d'organiser des réseaux de secours avec ses clients et ses fournisseurs, le coût du sinistre peut être considérablement réduit.

La création de tels dispositifs relève des pouvoirs publics.

M. le Président : Que pensez-vous de la création d'un centre national pour rassembler toute l'information et permettre aux différents experts et intervenants de se rencontrer ? Vous avez évoqué des sujets qui ne sont pas les vôtres, mais qui vous permettent de limiter l'incidence d'une inondation. Il convient de pouvoir échanger votre réflexion avec d'autres et avec ceux qui ont la responsabilité de mettre en place ces dispositifs. Il est nécessaire de prévoir un lieu où les problèmes peuvent se régler et ils ne se régleront que si tout cela a été préalablement discuté autour d'une table.

M. Guillaume ROSENWALD : Il est en effet important que chacun apporte l'information qui permette de prendre les bonnes décisions. Il faut que les climatologues, météorologues, géologues apportent les leurs sur des domaines assez peu maîtrisés. Il y a une dizaine d'années, les scientifiques disaient que les nappes phréatiques étaient à un niveau tellement bas qu'il faudrait une centaine d'années pour les reconstituer à un niveau convenable. Nous voyons aujourd'hui l'incertitude de tous les modèles sur ces sujets ! Les assureurs peuvent apporter des informations pratiques ou de retour d'expérience de coûts sur les sinistres. Quant à savoir à quel niveau ce centre doit être créé, nous nous adapterons à l'organisation mise en place et nous apporterons notre concours, quel que soit le dispositif choisi.

M. Michel POUPONNEAU : Je trouve que la difficulté de l'équilibre entre indemnisation et prévention est illustrée par nos propos. Tout à la fois, nous nous demandons si le système d'indemnisation n'est pas trop déresponsabilisant et nous essayons, devant la détresse des sinistrés, de voir si le régime est suffisamment protecteur.

Je voudrais faire écho aux propos de M. Jean-Marc Lamère. Je fais partie de ceux qui pensent qu'il est bon que le régime continue d'assurer un niveau d'indemnisation correct et que la faiblesse du dispositif se trouve dans la prévention. Avec beaucoup d'intérêt, les assureurs ont observé que certaines mesures décrites précédemment, comme la réduction de la franchise, font décoller la prévention.

Malgré sa complexité, l'un des succès du volet « indemnisations » de la loi repose sur la large mutualisation. Un assureur mutualiste ne peut qu'être sensible au maintien de la pérennité de ce système. Il faut encourager la prévention sous diverses formes parce que le système de mutualisation de la prévention est plus difficile à mettre en _uvre. Il faudrait accepter l'idée de solidarité intercommunale. Il me semble qu'il conviendrait d'avancer dans ce sens. De même, il serait souhaitable que les structures capables de faire progresser la prévention disposent des moyens juridiques de faire prendre les mesures de prévention nécessaires en temps utile.

C'est à la représentation nationale de situer le niveau de la protection là où elle l'entend et de régler le problème de la contribution de l'assuré ou du citoyen.

M. le Rapporteur : Y a-t-il des exemples à tirer des expériences menées à l'étranger ? Y aurait-il une meilleure formule que la nôtre ?

M. Jean-Marc LAMÈRE : C'est l'inverse ! De nombreux pays européens viennent en délégation observer nos systèmes. Dans ces régimes libres, seule une très petite fraction de gens sont couverts, ceux qui sont exposés et qui ont les moyens de payer des couvertures très chères.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS,
directeur de
l'Équipe pluridisciplinaire du plan « Loire grandeur nature »

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 20 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Nicolas-Gérard Camphuis est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Nicolas-Gérard Camphuis prête serment.

M. le Président : L'Équipe pluridisciplinaire du plan Loire est une structure qui a fait la preuve de son efficacité. Elle constitue à mon sens un modèle qui mériterait d'être mis en place dans d'autres bassins. La commission souhaite vivement que vous nous décriviez ses missions, son organisation. Vous nous direz également ce qui vous semble transposable ailleurs.

M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS : L'Équipe pluridisciplinaire du plan Loire, que je dirige, est une émanation de trois partenaires qui l'ont créée, la financent et la pilotent au quotidien. Ces trois partenaires sont :

- l'État représenté par le préfet coordonnateur du plan Loire, également préfet coordonnateur du bassin Loire-Bretagne et préfet de la région Centre,

- l'Établissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (ÉPALA), qui a la particularité d'être un établissement public uniquement composé de représentants de collectivités territoriales et dans lequel l'État n'est pas présent,

- l'agence de l'eau Loire-Bretagne.

Ces trois partenaires ont donné comme mission à l'Équipe pluridisciplinaire de fournir un appui technique en matière de réduction du risque d'inondations.

Ce qui est important dans l'organisation de l'Équipe pluridisciplinaire, c'est d'abord son partenariat, d'autant que sur la Loire il a un sens important étant donné l'histoire des années 1980 à 1990, où les collectivités territoriales et l'État ne communiquaient pas facilement entre eux. Malgré toute une histoire où le travail en commun n'a pas été facile sur tous les plans, ce partenariat s'est mis en place sur une base technique, dans le but de disposer d'une information partagée et validée ensemble : c'est vraiment là le fondement de l'Équipe pluridisciplinaire.

La deuxième particularité de l'Équipe est qu'elle n'est cantonnée qu'aux aspects techniques. Là aussi, son champ de compétences est bien clair. Elle n'empiète jamais sur une quelconque décision politique. C'est très important, entre autres dans le contact et les relations avec le grand public : chaque fois que nous sommes en contact, soit avec des élus locaux, soit avec des associations représentant les ligériens, cette clarté du rôle de l'Équipe, cantonnée à des aspects techniques, est un grand bénéfice. En effet, les uns et les autres savent tout de suite à quoi s'en tenir. Les décisions relèvent du politique, les éclairages et les informations dont chacun a besoin pour essayer de comprendre relèvent d'une équipe émanant des trois partenaires.

Dernier point, l'Équipe est pluridisciplinaire, c'est-à-dire que nous sommes, aujourd'hui, sept personnes. C'est une équipe relativement légère. Nous travaillons sur des thèmes qui, en général, ne sont jamais étudiés au sein d'une même institution, puisque nous avons aussi bien quelqu'un s'occupant d'hydraulique - c'est-à-dire comment les crues apparaissent et se propagent -, quelqu'un s'intéressant aux enjeux socio-économiques, quelqu'un étudiant la gestion des milieux naturels, en relation avec les problèmes d'inondations, ou quelqu'un s'intéressant aussi aux comportements des cours d'eau. Ces disciplines aujourd'hui, que ce soit dans les services de l'État ou des collectivités territoriales, sont rarement présentes dans une même structure.

Nos missions sont les suivantes. Dans la phase d'étude, nous acquérons ensemble une connaissance de la rivière et de son comportement. Nous partageons cette connaissance, ce qui fait que les collectivités locales et l'État sont d'accord sur ce que nous disons et publions : ce qui est déjà un grand progrès. Mais, l'important est, qu'au-delà de cette accumulation de connaissances, nous apportons aussi un appui technique à la maîtrise d'ouvrage.

Sur la Loire, c'est une fonction qui s'est avérée extrêmement utile d'autant que, sans revenir sur toute l'histoire de l'aménagement de la Loire, on peut dire en raccourci qu'arrivés au seuil des années 2000, l'État et les collectivités rassemblées au sein de l'ÉPALA ont déjà énormément investi et réalisé leur mission en matière de protection. On arrive dans une phase où la réduction du risque d'inondations va être plus le fait, non pas des particuliers, mais du maître d'ouvrage local.

Sur l'ensemble du bassin versant avec le barrage de Villerest ou les endiguements que l'État entretient régulièrement avec le concours financier des conseils généraux et conseils régionaux, on est arrivé à un niveau de protection tel que, si un maire d'une petite ou d'une grande ville ou d'une commune rurale veut améliorer sa protection et réduire le risque, ce sera à lui de le faire.

Or, dans ce cadre, on rencontre des difficultés. J'étais avant-hier avec le maire d'une commune de 1 000 habitants, dont la moitié de la commune est en zone inondable et un tiers serait fortement perturbé par le fonctionnement d'un déversoir de sécurité. Le maire d'une commune comme celle-là, n'a ni moyens humains, ni moyens financiers facilement mobilisables. Il ne sait pas ce qu'il doit faire, comment le faire, à qui s'adresser...

Or, le niveau de protection actuel de la Loire est tel que si l'on veut progresser, ce ne peut être que par des initiatives locales. Là, la nécessité d'un appui technique partagé est important. Nous avons cette double mission qui demande un pilotage au quotidien. Nous avons travaillé d'abord sur un tronçon de 450 kilomètres. Maintenant, nous avons vocation à intervenir sur l'ensemble du bassin versant de la Loire. Cela fait quand même beaucoup de sollicitations possibles.

Voilà pour les missions et l'objectif. Je vous ai décrit l'organisation. En ce qui concerne le pilotage, nous avons un système extrêmement simple : un comité technique, c'est-à-dire composé de représentants des services techniques de l'État, de l'ÉPALA et de l'agence de l'eau, se réunissant tous les mois et auquel nous rendons compte de notre activité. Nous lui présentons les points sur lesquels nous avons besoin d'une orientation et, chaque mois, un relevé de décisions est établi qui oriente le travail de l'équipe pour le mois suivant.

De plus, nous avons un comité de pilotage regroupant douze membres (quatre par partenaire). Pour l'ÉPALA, c'est le Président Doligé, ici présent, avec trois autres représentants élus. Au sein de l'État, c'est le préfet coordonnateur de bassin, le directeur régional de l'environnement de bassin, le délégué interministériel du plan Loire et le directeur régional de l'équipement Centre.

L'agence de l'eau désigne son directeur assisté de trois administrateurs membres du conseil d'administration, chacun représentant l'un des trois collèges de l'État, des collectivités locales et des usagers.

Ce comité de pilotage se réunit deux à trois fois par an. Là aussi, il prend connaissance des dossiers, de leur avancement, donne un avis sur les budgets et les grandes orientations.

Comment ceci est-il reproductible sur d'autres bassins ? D'une certaine façon, on l'a déjà reproduit sur le bassin de la Loire puisque notre vocation initiale était la Loire moyenne. Au vu de la qualité reconnue par les riverains de la Loire, du climat de collaboration, de confiance et de compréhension qu'il y avait, d'autres sous-bassins de la Loire ont demandé à bénéficier d'une démarche similaire. Cela a été réalisé sur le bassin de la Maine et sur le bassin de la Loire en amont du barrage de Villerest.

Déjà sur le bassin de la Loire, on a essayé de reproduire non pas l'existence d'une structure mais cette dynamique partenariale, c'est-à-dire que l'Équipe accompagne une démarche reposant à la fois sur une capacité d'étude et sur un appui technique à la maîtrise d'ouvrage. Il y a toujours ces deux pôles de la connaissance et de l'opérationnel, qui visent à aider les gens à être maîtres d'ouvrage chez eux. Ce qui est reproductible ce sont ces deux pôles : partager une connaissance, y compris dans des domaines relativement nouveaux, et fournir un appui technique.

Je souhaiterais maintenant attirer votre attention sur des domaines nouveaux auxquels nous sommes de plus en plus sensibilisés. Je pense à tout ce qui relève des sciences humaines. L'une des grosses difficultés sur laquelle nous butons actuellement sur le bassin de la Loire est la restauration de ce que nous appelons une culture du risque et la compréhension du comportement humain, aussi bien de l'habitant en zone inondable que du décideur local, vis-à-vis de ce risque. Nous sentons de grandes difficultés à appréhender le risque et à lui faire face, avec des réactions du genre : « cela ne nous arrivera pas », « en tout cas ce n'est pas à nous de le faire », « vous nous racontez des histoires, c'est pour ceci ou cela. ».

Il y a vraiment un gros travail à entreprendre pour faire progresser la société française sur la voie de cette compréhension de ce qui se passe chez un homme face au risque d'inondations et sur ce qui peut l'aider à l'accepter et à l'assumer. Cela relève de la psychologie, ainsi que d'une science du comportement que l'on appelle l'éthologie.

Sur la Loire moyenne, nous avons quelques exemples. Nous avons commencé à une toute petite échelle à introduire ces notions, entre autres dans une zone où il y a un déversoir de sécurité qui va fonctionner et inonder des habitations qui sont derrière. On doit à moyen terme envisager de retirer ces habitations de la zone.

Ce qui est aussi reproductible, c'est la pertinence de l'échelle retenue, à savoir le bassin. On a un outil en France en matière de connaissance et de prévention des inondations que beaucoup nous envient. Entre les ministères travaillant là-dessus, principalement le ministère de l'Environnement, les établissements publics créés par les collectivités territoriales, on a vraiment beaucoup de personnes présentes.

Ce qui manque c'est un partenariat, notamment sur les aspects techniques, sachant qu'au niveau du bassin versant les outils existent et doivent être mis en _uvre. Un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) est un bon outil pour appréhender à l'échelle locale le problème de l'inondation et travailler ensemble, à partir du moment où l'on dispose des connaissances techniques requises.

Il manque vraisemblablement un pôle au niveau des bassins ou des districts hydrographiques dont parle la directive-cadre européenne. On peut prendre les six grands bassins versants des agences de l'eau ; si l'on y met en place des équipes similaires à celle de l'Équipe pluridisciplinaire du plan Loire, il faudra une coordination nationale pour deux raisons.

Tout d'abord, il y a des thèmes, comme celui que je viens de vous présenter ou celui sur lequel on travaille actuellement - la diminution de la vulnérabilité des entreprises - où l'on a tout intérêt à partager les compétences entre les six bassins versants. Une fois que vous aurez compris comment se comporte quelqu'un face au risque ou comment on fait pour qu'une entreprise, installée en zone inondable, se protège mieux afin de réduire les conséquences d'une inondation, ce sera valable pour tous les bassins versants.

Ensuite, l'intérêt de faire quelque chose au niveau national est de réaliser des économies d'échelle sur certains thèmes et aboutir à une cohérence entre les différentes démarches. C'est peut-être un aspect que j'ai passé sous silence mais qui, après quelques années d'expérience, a pris une importance essentielle dans le travail de l'équipe, puisque sa mission est avant tout d'assurer une cohérence technique.

Aujourd'hui, des initiatives existent. Je rappelle ce que font les ministères, les établissements publics territoriaux de bassin, les associations de protection de la nature ou de sinistrés, les chambres consulaires... S'il y avait un outil au service des uns et des autres pour assurer une cohérence complémentaire et construire un discours partagé, il y aurait un gain. C'est ce que nous avons réussi à faire sur la Loire moyenne et sur le bassin de Loire : cela serait reproductible ailleurs.

Si nous ressentons vraiment le besoin d'avoir des interlocuteurs similaires sur d'autres bassins et une cohérence nationale, je ne vous cacherai pas que l'une des difficultés est de définir le support administratif d'équipes comme la nôtre.

Quand les trois partenaires ont décidé, en 1994, la création de l'Équipe pluridisciplinaire, on s'est vraiment posé la question : « comment fait-on ? C'est une bonne idée, mais qui la crée, où et comment ? »

Autant cela n'a pas été trop difficile financièrement - il suffit de décider de mettre de l'argent en commun et il faut saluer quand même le courage de ceux qui ont choisi d'y investir des sommes non négligeables -, autant le support administratif n'a pas été très facile à trouver. En effet, si vous hébergez une telle structure chez l'un des partenaires, surtout quand le partenaire est soit l'État, soit un établissement public de collectivités territoriales, vous risquez déjà de « connoter » votre démarche. Les premières fois que je suis arrivé sur le terrain, on m'a dit : « vous êtes l'État » et je sentais tout de suite l'animosité grandir contre l'État. D'autres me disaient : « vous êtes l'ÉPALA, donc... ».

La solution trouvée à l'époque de l'hébergement par l'agence de l'eau Loire-Bretagne a été un premier pas pour afficher ce partenariat. Si elle est un établissement public de l'État dépendant du ministère de l'Environnement, elle relève néanmoins de trois collèges, à savoir les usagers, l'État et les collectivités territoriales.

Je ne peux dire s'il faut reproduire ce choix si l'on propose la création d'autres structures similaires dans d'autres bassins versants. Mais ce dont je peux témoigner, c'est que si l'on se dirige vers une structure se disant partenariale mais accueillie uniquement par l'un des partenaires, il y a vraisemblablement un risque que, au bout de quelque temps, elle soit phagocytée par ce partenaire, même de façon inconsciente, ou vue par les gens du bassin comme appartenant à ce partenaire et non pas aux trois.

M. le Président : Vous avez répondu à un certain nombre de questions que je voulais vous poser, dont je connaissais certaines des réponses mais pas forcément toutes. Si vous le permettez, je voudrais donner une ou deux précisions.

Vous avez dit qu'il a fallu que les partenaires décident de mettre ensemble des moyens financiers. Ce n'est pas le plus difficile, mais encore faut-il le faire. Je voulais simplement dire à mes collègues que, dans le plan Barnier, il a été décidé d'investir 50 millions de francs sur six ans sur l'Équipe pluridisciplinaire. Ce n'est pas seulement le coût de l'Équipe et de ses sept personnes, mais celui de la multitude d'études nécessaires, parfois extrêmement importantes. Le coût de l'opération est donc significatif, il faut le savoir. C'était ma première réflexion.

On peut avoir aussi une réflexion sur la notion de bassin. On en parle beaucoup, mais cela n'a pas forcément la même signification pour tout le monde. Il y a les six bassins des agences, les bassins des établissements publics territoriaux, qui sont une vingtaine aujourd'hui, sur des bassins entiers ou sur des parties de bassin seulement. Lorsqu'on parle de la mise en place d'équipes, de structures, de travailler par bassin, il faut veiller à ne pas s'en tenir à des limites administratives. Mais, travailler par bassin, ce n'est pas forcément se caler sur le bassin des agences de l'eau. Il faut bien préciser dans nos réflexions, voire dans notre rapport que, à chaque fois que le mot bassin est prononcé, il n'a pas forcément le même contenu.

M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS : Effectivement, c'est une notion importante. Quand on prend un cours d'eau avec son bassin versant, c'est-à-dire toute la zone géographique collectant les écoulements qui se retrouvent ensuite dans la rivière, on dispose déjà, à travers les SAGE, d'un lieu partenarial où peuvent se décider des politiques de gestion des ressources ou des politiques de réduction du risque d'inondation. Mais, je ne suis pas sûr que descendre à l'échelle d'un cours d'eau, sur lequel on peut faire ces fameux SAGE, soit pertinent pour créer des structures telles que l'Équipe pluridisciplinaire.

Si l'on propose la création d'équipes pluridisciplinaires, c'est plutôt à un échelon au-dessus où, pour le moment, il n'existe pas grand chose et où les réflexes de partenariat ne sont pas évidents, y compris en ce qui concerne le partenariat technique.

Vous citiez aussi tout à l'heure le coût. Effectivement, l'équipe du plan Loire, c'est sept personnes et 50 millions de francs pendant six ans. Vous signaliez que l'on peut espérer dans les années à venir que cela coûte un peu moins cher. De mon côté, je pense que cela peut, en effet, coûter un peu moins cher, mais probablement pas beaucoup moins. Pour une raison relativement simple, c'est que nous avons jusqu'à maintenant fait des études de fond. C'est-à-dire que l'on a modélisé, montré, grâce à des modèles virtuels mathématiques, comment les crues se propageraient et ce qui serait inondé ou non. Le coût sur 450 kilomètres de cours d'eau est quand même de plus de 10 millions de francs.

On a recensé tous les enjeux, pour savoir s'ils sont en zone inondable ou non. Là aussi, pour recenser ces enjeux et évaluer les dommages, le coût est d'environ 7 à 8 millions de francs.

Maintenant, il s'agit d'informer les gens, ce qui est un domaine relativement nouveau et coûteux. Aujourd'hui, les maires demandent des cartes de ce qui sera inondé pour telle ou telle crue. Aujourd'hui, pour faire une carte d'inondations à l'échelle d'une commune, c'est-à-dire en gros la carte topographique IGN au 1/25 millième, il faut relever la topographie et retravailler toutes les données hydrauliques pour les retranscrire sur cette carte. Si vous vous trompez et que l'on met, par exemple, un hameau dans l'eau ou non, cela peut être relativement gênant en cas de crise. Notre budget primitif sur ce point pour les 450 kilomètres, c'est aussi 10 millions de francs.

Ensuite, vous connaissez la démarche Osiris, à laquelle l'ÉPALA participe, qui est une démarche européenne d'élaboration de l'information que l'on peut apporter à un élu ou à un chef d'entreprise en cas de crise pour qu'il ait le bon comportement. Là aussi, l'ordre de grandeur du coût de cette démarche est à peu près identique.

Quand vous avez de tels coûts, il n'est pas sage et réaliste de proposer de multiplier de telles structures. C'est pourquoi le bassin des agences de l'eau ou le district correspondant au district hydrographique, que propose la Commission européenne, serait à mon avis l'échelon pertinent.

Si l'on devait généraliser des équipes similaires sur l'ensemble de la France, on est devant un schéma correspondant à une soixantaine de personnes, en comptant les personnes dans chaque bassin et la coordination nationale au service des six bassins.

Cela fait quand même un budget annuel d'une soixantaine de millions de francs. Vous le disiez, ce sont des sommes qui ne sont pas négligeables. Mais, on peut les comparer aux dommages. Il suffit de voir ce que cela a coûté sur la Somme. Je vous rappelle que, sur la Loire moyenne, la moindre inondation similaire à celle de la Somme entraînerait 6 à 7 milliards de francs de dégâts que l'on ne sait pas éviter aujourd'hui. Si jamais les endiguements, réalisés depuis trois ou quatre siècles et protégeant les deux tiers de la zone inondable de la Loire, rompent à un endroit ou à un autre, on peut atteindre 40 milliards de francs de dommages. Vous connaissez les évaluations faites pour Paris : on est plutôt autour de 60 à 80 milliards de francs.

60 millions de francs annuels peuvent donc sembler un coût important, mais au regard de ce que cela peut permettre en matière de connaissance, d'élaboration d'un discours partagé, d'apaisement social parce que l'on aura diffusé une information auprès de la population, c'est quelque chose qu'il faut relativiser.

Ai-je répondu à vos interrogations sur l'échelle ?

M. le Président : Oui. Simplement le dernier point que vous pouvez peut-être préciser pour mes collègues, c'est la durée nécessaire pour acquérir un minimum de connaissances permettant ensuite d'aboutir à un premier résultat.

M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS : Tout à fait. Les trois partenaires du plan Loire ont défini une première période allant de 1994 à 2000. En 2000, nous leur avons remis un état de la connaissance acquise. On a pu leur dire : si jamais une crue arrive aujourd'hui, voilà ce qui serait certainement inondé, voilà ce qui ne le serait que si les levées rompent.

On a pu leur dire quels étaient les enjeux. Je vous rappelle que l'on ne savait pas combien il y avait de personnes en zone inondable. Aujourd'hui, en France, on ne sait toujours pas dire combien de personnes vivent en zone inondable. C'est quand même un problème quand on veut faire de la planification publique.

On a pu leur dire, en gros, ce que cela coûterait. Quand nous avons commencé notre travail en 1994, il n'existait pas de méthodes d'évaluation des dommages autres que les méthodes anglo-saxonnes basées sur des estimations à l'hectare. Étant donné que l'on nous demandait de raisonner à une échelle très précise et très localisée, sur tel ou tel enjeu, l'hectare ne suffisait pas. Il fallait que l'on descende jusqu'à l'individu, et la méthodologie nécessaire n'existait pas.

De 1994 jusqu'à 2000, on a apporté toute cette connaissance et, fort de celle-ci, on rentre maintenant dans une phase beaucoup plus orientée vers l'appui à la maîtrise d'ouvrage.

Par exemple, il faut garder à l'esprit que si un chef d'entreprise ou un maire décide d'intégrer le risque d'inondation et de faire quelque chose, le délai sera au minimum de cinq à dix ans entre le moment où il aura pris sa décision et celui où elle aura été réalisée.

Ainsi, le maire, que l'on a vu lundi a besoin d'établir un plan de gestion de crise et de déplacer des maisons qui se trouvent dans la zone inondable ou qui sont dans l'axe d'écoulement d'un déversoir de sécurité, maisons construites malheureusement il y a une trentaine d'années seulement. Il nous a dit : « si j'arrive déjà en six ans à établir un plan de secours pour savoir que faire si une crue arrive, je serais très content. Donc, on réfléchira peut-être à votre histoire de délocalisation dans le contrat de plan suivant ».

On est vraiment dans des politiques inscrites dans la durée, car l'appui technique à la maîtrise d'ouvrage fait cruellement défaut aujourd'hui. Ce maire nous dit ne pas savoir à qui s'adresser à la direction départementale de l'équipement. Il est vrai qu'actuellement il n'y a pas grand monde qui peut l'aider, parce que les compétences ne sont pas très nombreuses et que ce sont des démarches nouvelles. Pour délocaliser des maisons ou des entreprises, il n'y a ni cadre juridique, ni cadre d'urbanisme. Trouver un moyen urbanistique pour le faire est donc très difficile.

Les trois partenaires du comité de pilotage de l'Équipe ont dit qu'il faudrait environ 4 milliards de francs d'investissement sur la Loire pour réduire encore davantage le risque d'inondations. Au vu de ce que l'on est capable en France de consacrer à ce genre de politique, cela demandera entre quinze et vingt ans.

M. le Rapporteur : Comme je ne suis pas un spécialiste comme le Président à la fois des problèmes de la Loire et des problèmes d'inondations, je voudrais être certain d'avoir bien compris. Le niveau opportun pour reproduire le type d'équipe que vous animez aujourd'hui, est-ce bien les six bassins des agences ou ai-je mal compris ?

M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS : À mes yeux, mais je ne suis qu'un humble technicien, si l'on peut déjà en avoir six, cela sera déjà très bien. Ne rêvons pas d'en avoir beaucoup plus.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que cela serait mieux s'il y en avait plus ?

M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS : Je ne suis pas sûr que si l'on en avait plus, on y gagnerait. C'est important aussi de partager l'information et de construire un discours commun.

Je prends l'exemple du bassin de la Loire. Il ne comprend pas la Bretagne où l'on ne trouve que des petits cours d'eau qui partent des Monts d'Arrée et vont directement à la mer. La Bretagne relève pourtant de l'agence de l'eau Loire-Bretagne. On pourrait choisir de faire une Équipe pluridisciplinaire Loire et une autre en Bretagne, notamment pour des raisons de spécificités culturelles. Pourquoi pas ? Cela dit, on est allé à trois reprises, entre février et avril, assister la mission d'inspection du ministère de l'Environnement sur les crues en Bretagne. On s'est rendu compte qu'ils rencontrent les mêmes problèmes que sur la Loire, sur la Maine ou ailleurs. On peut donc tout à fait les aider et une structure propre à la Bretagne n'est pas indispensable.

Ce qui est important, c'est une structure proche du terrain, car une équipe nationale va s'engluer au niveau national. Je vous l'ai dit, lundi j'étais dans une commune, hier soir j'étais dans une Chambre de Commerce, ce soir je retourne dans une autre Chambre de Commerce. Pouvoir être au contact de l'utilisateur final est un gage d'efficacité du travail que l'on fait - on fait quelque chose qu'il attend - et puis c'est aussi un gage de reconnaissance, c'est-à-dire que notre travail est accepté par les gens.

C'est pour cela que l'échelle des six grands bassins versants des agences peut apparaître comme une échelle pertinente. Si je connais bien le bassin de la Loire et de Loire-Bretagne, je dois vous avouer que je ne connais pas très bien les autres bassins, puisque ma carrière professionnelle m'a conduit à l'étranger pour m'intéresser à la sécheresse.

M. le Rapporteur : Vous avez brossé finalement un tableau assez positif de la démarche de l'Équipe pluridisciplinaire. Y a-t-il des améliorations à apporter au mécanisme, par exemple concernant le financement ou l'organisation ?

M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS : Pour le moment, cela se passe bien. Il faut quand même reconnaître que, si cela se passe bien, cela dépend beaucoup de la volonté et de la personnalité de ceux qui pilotent. L'Équipe pluridisciplinaire n'existerait pas si, au sein du comité de pilotage, le président de l'ÉPALA et le préfet coordonnateur du plan Loire n'avaient pas la volonté de travailler ensemble. Elle n'existerait pas non plus si les trois directeurs des services techniques qui nous pilotent n'avaient pas aussi la volonté d'avancer.

La difficulté que nous avons rencontrée initialement était administrative. S'il faut réfléchir à une amélioration, c'est vraiment essayer de trouver le support administratif à la fois le plus partenarial et le moins propice à créer des difficultés de mise en _uvre.

Pour vous donner un exemple précis, quand nous avons été créés, nous avons été hébergés par l'agence de l'eau Loire-Bretagne. En effet, il était compliqué d'installer sept personnes supplémentaires dans un établissement public territorial comme l'ÉPALA qui n'emploie que dix agents à plein temps, d'autant plus qu'il s'agissait de personnes recrutées sur des contrats à durée déterminée. Côté État, c'était carrément impossible.

Lorsque les trois partenaires ont dit qu'ils prolongeaient l'Équipe, le contrôleur financier de l'agence de l'eau a refusé de renouveler les contrats. On a donc dû recourir à des contrats à durée indéterminée, ce qui n'a pas été une gymnastique simple pour un établissement public. Derrière, vous avez le ministère du Budget qui veille. C'est quelque chose auquel il faut prêter attention, parce que cela peut faire échouer le processus.

Sur l'estuaire de la Loire, il existe une équipe un peu similaire à la nôtre, mais qui réalise beaucoup plus d'étude et très peu d'appui technique à la maîtrise d'ouvrage. C'est une équipe qui élabore une connaissance partagée sur le fonctionnement de l'estuaire. Il a été envisagé à un moment qu'elle soit érigée sous la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP). Cela fait dix-huit mois que la réflexion a commencé, elle ne s'est toujours pas concrétisée. L'une des difficultés dans ces équipes sera donc le choix du support administratif pertinent.

Sinon, en ce qui concerne notre activité, nous avons aujourd'hui une capacité de porter l'information à la connaissance des utilisateurs finaux que sont les élus, les services de l'État ou les ligériens eux-mêmes. C'est l'une des missions qui nous sont assignées par le comité de pilotage. Nous pouvons répondre à des demandes, nous présentons nos résultats annuels devant la commission Loire du comité de bassin et la mission déléguée de bassin, c'est-à-dire les services de l'État se réunissant annuellement à l'échelle du bassin. Donc, des lieux de communication de l'information existent. C'est quelque chose auquel il faut veiller. Il faut éviter que ces structures tournent en rond. Il faut vraiment veiller à ce qu'il existe un lieu où l'on puisse vérifier la pertinence de leurs démarches.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué la nécessité de développer la culture du risque. Quel est l'état de votre réflexion sur le sujet ?

M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS : Cela fait trois ans que l'on y réfléchit, mais nous rencontrons une difficulté. En effet, quand l'Équipe pluridisciplinaire a été créée, ce problème n'avait pas la même acuité et donc l'équipe ne compte personne dont le profil soit orienté plutôt vers la psychologie ou la sociologie. Donc, nous devons nous entourer de compétences extérieures, qui, je dois vous l'avouer, sont très difficiles à trouver en France.

Pour nous, c'est vraiment un point central dès lors que l'on veut passer à la mise en _uvre. Tant qu'il s'agit d'accumuler et de partager la connaissance, il n'y a pas de difficulté. Mais, dès que l'on veut mettre en _uvre quelque chose, on se heurte tout de suite à des comportements liés à l'incrédulité ou à ce que j'appellerais l'inacceptabilité, c'est-à-dire la difficulté qu'a l'homme à prendre en compte l'ampleur d'un risque et à comprendre qu'il doit changer son comportement pour y faire face.

Le rapport de M. Yves Dauge a beaucoup insisté sur la mémoire du risque. Il me semble qu'il s'agit en effet d'un préalable important. Faire ressortir de l'oubli l'existence du risque et le fait qu'il soit réapparu de telle ou telle façon depuis un certain nombre d'années est sûrement la base de toute politique en la matière. Si l'on n'a pas reconstitué cette mémoire du risque et que l'on ne la porte pas à la connaissance des gens, on va construire un édifice un peu bancal. Mais, il faut reconnaître que cela ne suffit pas.

Je reprends l'exemple de ma réunion de lundi dernier, puisque je me suis appuyé dessus à plusieurs reprises. J'avais apporté la carte de 1850. Sur le secteur, il y a eu trois crues en 1846, 1856 et 1866 qui ont dévasté l'ensemble de la commune. J'ai dit au maire : « Regardez, la carte levée à cette époque par l'armée au 1/20 000e montre bien que vous étiez complètement sous l'eau, il y avait 4 mètres d'eau à cet endroit ». Cela fait quand même le milieu du premier étage. Pourtant, il continuait à demander s'il ne serait pas possible de draguer la Loire pour qu'elle coule mieux et qu'elle déborde moins.

J'ai mis deux personnes à plein temps pour inventorier toutes les archives départementales. De plus, nous avons réussi à mobiliser une association de retraités que cela intéressait. On est allé voir dans les archives départementales, on a tout saisi sur ordinateur, on a fait des photocopies, des plans, etc. On tient tout cela à la disposition des directions départementales de l'équipement ou des collectivités territoriales. On a donc les éléments nécessaires. Cependant, on bute actuellement sur un problème : l'incrédulité.

Quand le maire de Saint-Pierre-des-Corps veut initier une autre démarche, « vivre différemment avec les crues », l'une des premières choses qu'il nous demande est comment faire comprendre que le risque est réel, qu'il faut vivre avec lui et que l'incrédulité ne mène nulle part.

La mémoire est donc essentielle, mais aussi l'aspect psychologique et l'acceptation positive du risque. Cependant, il ne faut pas non plus se résigner. À la fin de notre réunion lundi, le premier adjoint paraissait penser que dans ces conditions, il n'y avait rien à faire. Au contraire ! C'est là une première difficulté.

La deuxième difficulté concerne les outils d'aménagement. Les cinq ou six maires avec lesquels on a dépassé le niveau de l'incrédulité - par exemple Saint-Pierre-des-Corps ou Sully, dont le maire a présenté sa volonté d'agir concrètement au Président de la République l'autre jour - se heurtent à une difficulté majeure. On manque actuellement d'un outil de planification urbaine, qui permettrait à un élu de disposer d'une certaine maîtrise foncière sur des terrains où le risque est important. La loi Barnier a prévu quelque chose pour les sites soumis au risque torrentiel, mais vous n'avez donc pas beaucoup d'endroits en milieu urbain ou en plaine qui sont concernés.

Je vous donne deux exemples. Jargeau, une ville en amont d'Orléans, est totalement située en zone inondable : aucun hectare de son territoire n'est en dehors de la zone inondable. L'État a mis en place un PPR et a dit au maire qu'on ne construit plus en dehors de telle zone. A contrario, à l'intérieur de cette zone, on peut construire quand il y a des parcelles vides.

De quel outil le maire dispose-t-il pour maîtriser l'utilisation de ces quelques parcelles ? On a étudié la question avec les services de l'État : on ne dispose pas de grand chose. Si la parcelle est privée, son propriétaire peut faire tout et n'importe quoi, même si le maire voudrait y installer un équipement public indispensable à la commune ou la louer pendant cinq ou dix ans. Aujourd'hui, il ne peut pas avoir cette maîtrise foncière.

Autre exemple, dans la ville de Blois : une soixantaine d'habitations sont situées dans l'écoulement d'un déversoir. Si la ville ou le district de Blois voulait déplacer ces habitations de la zone à risque, on ne sait pas comment il ou elle pourrait faire. En effet, toutes les démarches de type ZAC nécessitent l'existence d'un projet et déplacer des maisons pour les retirer d'une zone à risque n'est pas un projet accepté dans ces cas-là.

Il n'est peut-être pas difficile de résoudre cette difficulté urbanistique. En effet, les maires auront besoin d'outils d'aménagement performants ; d'abord pour acquérir ce genre de maîtrise foncière, ensuite pour réduire la vulnérabilité. À Gien, tout le centre-ville en bas du château (peut-être 1 500 habitants et 200 commerces), va baigner entre trois et quatre mètres d'eau en cas de crue majeure. Si le maire veut réduire la vulnérabilité, mettre en place une politique concertée avec les habitants et les commerçants pour faire en sorte que, le jour où c'est inondé, cela coûte le moins cher possible, il n'a pas vraiment d'outils d'aménagement adaptés à sa disposition.

Une autre difficulté va apparaître, celle de la gestion collective à moyen terme de ces zones. Pour le moment, les PPR définissent des zones inconstructibles. Mais, il y a déjà des endroits où le problème n'est pas tant la construction que la reconstruction ou la réorganisation.

Je vous citais tout à l'heure le cas de la commune de Saint-Pierre-des-Corps qui est voisine de Tours. Elle a connu beaucoup d'évolutions en dix ans : sa population et les modes de vie ont changé. Donc, le maire voudrait modifier la voirie, reconstruire un centre-ville, etc. Actuellement, beaucoup des opérations de requalification urbaine, que des maires vont vouloir mettre en _uvre, pourront se trouver en porte-à-faux avec les règles des PPR.

Par exemple, les PPR interdisent généralement de couvrir une parcelle à 100 %, puisque l'enjeu est de moins exposer les biens. Or, quand vous faites de la requalification urbaine et que vous voulez un nouveau centre-ville, vous voudriez que certaines parcelles soient couvertes à 100 %.

Donc, il va falloir réfléchir si l'on veut que ce merveilleux outil, qu'est le PPR que nous envient d'autres pays, reste efficace. Il faut se doter d'outils d'aménagement pour prendre en considération ce genre de situation.

Pour moi, la culture du risque, c'est effectivement la mémoire et le comportement, mais c'est aussi avoir une vision à moyen terme de l'espace et de l'habitat en zone inondable et donc se doter des outils pertinents pour cela.

M. le Rapporteur : La question des constructions d'ouvrage de protection m'intéresse particulièrement. S'agissant de la culture du risque, on peut penser que - c'est un peu la doctrine du ministère de l'Environnement - la construction d'ouvrage de protection entraîne une baisse de vigilance. Qu'en pensez-vous ?

M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS : Je vais vous donner l'avis d'un technicien de terrain.

Dans le cadre de ma mission, j'ai présenté moi-même les résultats de nos études à quarante-quatre reprises en 2000, dont huit fois dans des réunions publiques ouvertes aux habitants. Au cours des quarante-quatre présentations, j'ai dû entendre quarante-quatre fois la remarque selon laquelle il n'y avait plus de problème avec les barrages que l'on a faits. J'ai été obligé de rappeler que, sur la Loire, il n'y a qu'un seul barrage écrêteur de crue. Techniquement, pour le technicien et ingénieur que je suis, celui-ci est remarquable. C'est un ouvrage dont on gère le niveau de la retenue en l'abaissant préventivement pendant les périodes de l'année où les crues les plus fortes arrivent. Cela a été conçu dès le départ comme cela dans la concession signée avec EDF.

C'est un ouvrage qui réussit quand même à réduire ce débit de 500 à 1 000 m3/seconde. J'imagine que pour vous cela ne veut pas dire grand chose. Je vous rappelle que, sur la Somme, le débit maximum contre lequel on se battait était de 80 m3/seconde. 1 000 m3/seconde, c'est la moitié du débit passant devant Notre-Dame lors d'une crue de la Seine de type 1910. Un ouvrage réussissant à capter cela est vraiment colossal.

Le bilan sur la Loire moyenne, c'est que cela fait baisser de 50 à 80 centimètres la hauteur d'eau en amont d'Orléans. Mais il reste encore 5 à 6 mètres. Effectivement, il y a des endroits qui ne vont plus être inondés et d'autres qui le seront moins. Cependant, pour un assureur qu'il y ait 20 cm ou 1,50 m ou 1,80 m d'eau, c'est la même chose. Pour l'habitant qu'il y ait 3 cm ou 1,50 m, c'est aussi à peu près la même chose, puisque c'est le stress d'avoir vu l'eau entrer chez soi et de n'avoir rien pu faire qui est le plus important.

Pour autant, il est clair que ces ouvrages sont utiles. Il y a des situations où ils peuvent vraiment être bénéfiques. Cependant, ils peuvent aussi clairement fragiliser la culture du risque.

Par ailleurs, ces ouvrages, il faut les gérer et les entretenir. Le Président de l'ÉPALA pourra vous dire combien cela coûte. Les Ligériens de base l'oublient complètement. Pour pouvoir gérer un ouvrage comme Villerest, il faut quand même une centaine de capteurs du niveau de la pluie et de niveau de l'eau en amont du barrage, entretenus 24 heures sur 24. Cela représente une équipe de douze personnes à plein temps à longueur d'année. De plus, il faut entretenir le barrage lui-même. Cela a des coûts cachés que l'on oublie assez vite, mais qui ne sont pas négligeables pour la collectivité nationale et pour le bassin.

La Loire est un bon exemple d'une politique longtemps axée sur les barrages et les renforcements des levées. Quand l'Équipe a été créée, l'ÉPALA était sur le point de lancer l'enquête d'utilité publique pour un nouvel ouvrage écrêteur sur le Veurdre. La question dont a été immédiatement saisie l'équipe était : faut-il ou non réaliser cet ouvrage ? L'exemple de la Loire est vraiment éclairant. La détermination des trois partenaires a conduit à transformer cette question, « faut-il un ouvrage en plus ? », en une autre : « que fait-on en période de crue ? ». C'est plutôt sous cette forme qu'il faudrait envisager l'étude des nouveaux équipements, en étudiant différents scénarios.

Sur la Loire moyenne, nous avons comparé une douzaine de scénarios avec ou sans cet ouvrage écrêteur. On a pu en montrer le bénéfice en termes hydrauliques mais aussi mettre en lumière d'autres aspects, ce que l'on gagne en gestion de crise, en qualité de l'annonce de crue et de l'alerte, en difficulté ou non de prise de décisions...

Il ne faut pas se leurrer. Les générations précédentes ont rapidement identifié les endroits où l'on peut stocker de l'eau, souvent à vocation énergétique, de façon importante pour réduire les inondations. Les lieux où l'on peut encore faire des ouvrages particulièrement pertinents ne sont pas très nombreux. Sur la Loire, il y a un seul endroit et ce ne sera pas un barrage pérenne. On ne pourra pas en trouver beaucoup d'autres.

Il faut faire attention à ne pas se focaliser sur les barrages parce que, en fait, il n'y a plus tellement de possibilités aujourd'hui en France. On a déjà construit tous les barrages possibles pour stocker de l'eau, faire de l'électricité ou d'autres choses.

Il faut de plus en plus expliquer aux gens ce qu'est une crue et comment on fait pour s'en protéger collectivement. C'est l'une des propositions du rapport Dauge.

M. Jean LAUNAY : Au fil de nos auditions, on commence à mieux distinguer l'architecture administrative sur le territoire national avec l'État et ses services, les missions interministérielles, les établissements publics territoriaux de bassin, les agences...

Vous avez préconisé la mise en place d'équipes comme la vôtre dans le cadre de bassins, qui correspondraient à peu près au découpage des agences de l'eau. Vous avez évoqué votre mission d'appui technique à la maîtrise d'ouvrage et, en même temps, dit que cette dynamique partenariale, une fois qu'elle se mettait en place, permettait de déboucher sur une maîtrise d'ouvrage partagée. C'est sur ce débouché que je voudrais porter ma réflexion.

On a, au sein des établissements publics territoriaux de bassin, différents cas de figure. Certains produisent des études à la demande de leurs membres et il arrive quelquefois que ceux-ci en viennent à critiquer leur propre outil, en lui reprochant de ne faire que des études.

Je voudrais votre avis et peut-être celui du Président Doligé sur cette articulation entre la connaissance, et le souhait de la faire partager, et sur l'échelle pertinente pour la maîtrise d'ouvrage.

Concernant la maîtrise d'ouvrage partagée, je suppose que cela recouvre la conception du projet et la définition de ce qu'il faut faire. Encore faut-il, après, trouver un maître d'ouvrage opérationnel qui va porter l'opération, et là, ce n'est pas la moindre des difficultés.

M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS : Je voudrais juste apporter une précision : quand je parle d'appui ou de maîtrise d'ouvrage partagée, il s'agit plutôt d'appui technique à la maîtrise d'ouvrage partagée. Ce qui peut aussi être partagé - vous l'avez très bien mis en lumière - c'est ce que, sur la Loire, on a appelé la stratégie.

Dans l'exemple de la Loire, de 1994 à 1999, il y a eu études, comparaison de scénarios puis élaboration de stratégies, en prenant en compte les propositions de l'État. Ensuite, des discussions entre l'État et les collectivités locales ont débouché sur la définition de priorités dans le cadre des contrats de plan État-région. C'est ce cadre qui, concrètement, - le président Doligé peut le préciser parce que, sur ce point, je sors un peu de ma compétence administrative - a permis de mettre en place des actions et leur financement, sachant qu'en amont de ces contrats de plan, il y avait un cadre conventionnel établi entre l'État, l'ÉPALA et l'agence de l'eau.

Une fois que l'on en est là, vous avez tout à fait raison, les difficultés commencent. Je vais vous donner l'exemple du contrat de plan État-Région Centre. Sur le thème de la réduction du risque d'inondations, il prévoit, pour les six ans à venir, 370 millions de francs. Comparées à un contrat de plan routier, il est clair que ce sont des sommes modestes. Cela fait quand même 60 millions de francs à dépenser chaque année, 5 millions de francs par mois. Ce n'est quand même pas mal. Sur cinq départements, cela fait 1 million de francs par département et par mois, pour réduire le risque d'inondations. Il faut donc des maîtres d'ouvrage pour pouvoir utiliser tous ces crédits.

Ce qui relativise cette question, c'est que, sur ces 370 millions de francs, environ 250 millions de francs vont dans le renforcement des levées. Il s'agit de génie civil, cela se dépense généralement assez vite et, par chance, il y a un maître d'ouvrage qui est l'État. Mais pour le reste, ce sera chacune des communes, chacune des entreprises qui devront se porter volontaires. N'oubliez pas que l'État n'est pas tenu de protéger le riverain contre les inondations. L'État est tenu de maintenir en état les protections lui appartenant - sur la Loire, ce sont les levées - mais il n'a pas à protéger les gens contre les inondations.

Si un maire veut soit se protéger, soit réduire le risque, ce qui ne veut pas dire seulement se protéger - ce qu'on l'invite de plus en plus à faire -, il faut qu'il soit lui-même volontaire et qu'il se porte maître d'ouvrage.

C'est une difficulté réelle sur la Loire. Le Président Doligé sait que l'on s'y est heurté à plusieurs reprises à la fois dans le cadre de l'Équipe pluridisciplinaire et, surtout, dans le cadre de la négociation des contrats de plan. Au-delà des équipes pluridisciplinaires qui pourraient être mises en place, il faut trouver, ce que nous appelons des relais locaux. Il s'agit de personnes qui aident chacun des maîtres d'ouvrage à élaborer des outils pour la réduction du risque. Cela peut être effectivement des protections (murets, etc.) mais c'est surtout, et très souvent, de la formation préventive, de la gestion de crise préparée à l'avance, de l'information du public, de la culture du risque, etc. On peut penser que ces relais locaux se trouvent en priorité dans les collectivités territoriales. Je pense comme vous que les mieux à même de parler aux principaux maîtres d'ouvrage que seront les élus, sont aussi les collectivités territoriales.

On peut citer l'exemple du département du Loiret qui emploie une personne à plein temps pour faire cet appui technique à la maîtrise d'ouvrage. On peut penser aussi aux pays quand ils existent. Nous avons, en relation avec le conseil régional du Centre, commencé à faire une information-animation des agents de pays pour qu'ils puissent se tenir à la disposition des élus qui voudraient agir.

Mais, il n'y a pas que les maires. On peut parler aussi des chefs d'entreprise, des directeurs d'établissements sanitaires et sociaux (maisons de retraite, maisons de convalescence), des directeurs d'école, des agriculteurs, des chambres consulaires, etc. Ensuite, associer parmi les relais, le circuit des notaires, des agents immobiliers, des professionnels des travaux publics et du bâtiment, n'est pas, non plus, du tout inutile.

En Loire moyenne, il y a des transactions immobilières chaque année, beaucoup de gens entreprennent des travaux d'amélioration de leur habitat : autant d'occasions pour diffuser l'information et réduire le risque.

Ainsi, l'utilité concrète d'équipes pluridisciplinaires est liée à l'existence, dans la société civile et les collectivités territoriales, de personnes désignées pour accompagner ceux qui auront à mettre en _uvre la stratégie élaborée.

Pour le contrat de plan État-région, on a beaucoup de difficultés à avancer là-dessus depuis dix-huit mois. Je vous citais l'initiative du conseil général du Loiret. Il est proposé de faire de même dans chaque département du bassin afin qu'il y ait au moins une personne chargée de cet appui technique. Le conseil régional souhaite aussi mobiliser les pays et les syndicats locaux. Nous avons vraiment besoin d'une force de travail importante qui, actuellement, n'est pas là.

Dépenser 80 ou 100 millions de francs en six ans à cette échelle, c'est un réel problème qui se retrouvera partout en France.

M. le Président : Chacun doit faire un effort à son niveau. C'est toute une organisation pyramidale qu'il faut mettre en place. Nous avons décidé la mise en place d'un relais local : il s'agit d'un ingénieur spécialisé, pouvant avoir une action importante auprès de l'ensemble des collectivités locales soumises à des risques. J'essaie de convaincre mes collègues des autres départements ligériens de faire la même chose, donc de monter tout un maillage, à différents niveaux, permettant d'avoir une meilleure efficacité sur le terrain. En effet, l'un des gros problèmes, c'est la maîtrise d'ouvrage.

Tout à l'heure, M. Camphuis, a dit que heureusement, sur les 370 millions de francs du contrat de plan, il y en avait 250 dont l'État est le maître d'ouvrage. Mais je n'ai pas le sentiment, en regardant les engagements d'année en année, qu'il soit très efficace. On fait plutôt en 2000 ce qui était prévu en 1995 ou en 1996. Il y a toujours des décalages. Ce n'est pas aussi simple, parce qu'il y a plusieurs régions concernées, plusieurs départements par région, une DDE dans chaque département, etc.

Tout cela n'est pas simple. Il y en a qui sont passionnés, certains moins, certains sont spécialisés, certains non. Ce sont des problèmes qui ne sont pas aussi simples à résoudre. Même quand on est organisé sur un bassin ou une partie de bassin, il y a encore des frontières administratives qui ne sont pas forcément faciles à surmonter.

M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS : Vous n'ignorez pas que la grande difficulté, qui fait que les travaux sur les levées n'avancent pas au rythme que l'on souhaiterait, est le rassemblement des fonds. L'État étant maître d'ouvrage, il est obligé de recevoir la contribution des collectivités territoriales partenaires (les conseils généraux, qui financent environ 45 %, et les conseils régionaux, 25 %) par la procédure des fonds de concours.

Là, vraiment, c'est une mécanique dantesque. Si l'on pouvait la modifier, on gagnerait du temps et on économiserait l'énergie des ingénieurs qui sont obligés de faire surtout de la paperasse. Je vous rappelle qu'actuellement il y a des opérations de renforcement des levées qui n'arrivent pas à être réalisées uniquement parce que le circuit de rattachement des fonds de concours demande beaucoup trop de temps. Il suffit qu'une des régions n'ait pas signé correctement et il faut tout recommencer afin que toutes les régions et les départements signent à nouveau. On arrive au mois de décembre et c'est alors trop tard.

La Loire est un fleuve vivant : si vous recevez l'argent au mois de novembre pour faire les travaux, c'est trop tard. On ne fait plus de travaux sur la Loire au mois de novembre, soit parce qu'il y a trop d'eau, soit pour d'autres raisons. Uniquement pour des histoires administratives de rattachement de fonds de concours, il y a donc des opérations qui ne se font pas.

Une amélioration législative, administrative ou autre de cette procédure est vraiment indispensable. Certes, si vous allez dans d'autres bassins, c'est pire. Il y a des endroits assez nombreux où l'on ne sait même pas qui est propriétaire des endiguements.

Sur la Loire heureusement, on sait pratiquement qui est propriétaire de chaque mètre. On a même découvert que l'État était propriétaire de certaines portions alors qu'il l'ignorait. De plus, notre politique contractuelle marche bien depuis maintenant une quinzaine d'années et il y a des ingénieurs de qualité dans les services de l'État qui anticipent bien les problèmes.

En revanche, on est confronté à une mécanique administrative folle. Je ne baigne pas dedans. Les gens avec qui je suis en relation, soit dans les conseils généraux, soit dans les services de l'État, pour ces rattachements de fonds de concours, disent que c'est vraiment complètement fou. Avec un tel système, on est à peu près sûr que les travaux ne seront pas faits une année sur deux.

M. le Président : Effectivement, la question de la propriété est un problème complexe. Quand vous prenez une levée où vous changez de propriétaire tous les kilomètres, que vous avez parfois un propriétaire au milieu qui, comme l'État dans certains cas, interdit de passer sur son kilomètre, alors que l'on a le droit de passer avant et après, cela pose des problèmes inextricables de gestion. Là aussi, il y a une clarification à faire.

Vous l'avez dit, il y a des problèmes de cadre juridique, de manque d'outils d'aménagement et de manque d'outils de planification urbaine. Ce sont des sujets sur lesquels il faut que l'on parvienne à faire un certain nombre de propositions. Quand on regarde l'application dans une commune des projets d'intérêt général (PIG), - je l'ai vécu dans ma commune - il y a des choses très positives et d'autres complètement aberrantes : on applique la même règle partout de la même façon alors que, comme vous le disiez tout à l'heure, il y a des cas pour lesquels il faudrait être plus souple.

Ce n'est pas simple, il faut entrer dans les détails. Or, nous avons des outils très généraux qui s'appliquent partout de la même manière.

M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS : J'attire votre attention sur le fait que la France est relativement novatrice au niveau européen en matière de réduction du risque d'inondations. Mais des initiatives se font à l'échelle européenne et internationale. Il serait important, surtout s'il existe un pôle de coordination national entre les différentes équipes, que ce pôle ait une ouverture sur l'Europe et en particulier que l'on regarde de près la mise en _uvre de la directive-cadre européenne. Celle-ci va, en effet, fortement conditionner le paysage de l'aménagement et de la gestion des eaux dans les années à venir. C'est un élément important à prendre en compte à l'avenir dans les politiques d'aménagement.

M. le Président : Sur le plan européen, vous êtes allé sur l'Oder quand il y avait des problèmes pour voir comment les choses fonctionnaient. Sur le plan européen, y a-t-il des pays dans lesquels il existe des expériences intéressantes, qui sont en avance sur certains points ou qui ont réglé certains problèmes que l'on a du mal à régler ?

M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS : Le travail que l'on a conduit depuis six-sept ans ne nous a pas laissé beaucoup de temps pour aller voir à l'étranger. Effectivement, nous sommes allés sur l'Oder qui est un cours d'eau très similaire à la Loire. Cela dit, le système polonais, qui était encore à l'époque très calqué sur le système hérité des années d'influence soviétique, reste en fort décalage avec le nôtre.

Je pourrais signaler des éclairages différents. Vous avez quelque chose de très structuré en Allemagne. La France fait partie avec l'Allemagne de la Commission internationale pour la protection du Rhin (CIPR). Ce sont des gens qu'il serait intéressant de rencontrer pour justement voir comment s'élabore une culture commune entre deux approches très différentes. Cela dit, le Rhin est un fleuve comme nous n'en avons que deux, le Rhône et le Rhin, entièrement canalisé et aménagé. L'expérience que l'on peut en tirer ne servira qu'à ces deux grands cours d'eau et, à mon avis, ne servira pas beaucoup aux petits cours d'eau un peu partout en France, comme la Vilaine, la Somme, etc.

Les Néerlandais ont une approche qui peut être intéressante par la capacité qu'ils ont d'obtenir de la population l'acceptation de modifications profondes de leur comportement : les gens acceptent de déménager sans protester, s'il a été décidé de déplacer une levée par exemple.

Vous vous souvenez, monsieur le Président, que l'une des questions que l'on avait posées dans les scénarios étudiés sur la Loire moyenne était la possibilité ou non de déplacer des levées ? La réponse avait été qu'il fallait encore attendre... Les Néerlandais le font. Cela dit, il est vrai qu'ils sont exposés à un risque autrement plus grave que le nôtre avec la présence de la mer.

Une autre initiative qui peut être intéressante est celle des Britanniques qui sont très en avance sur les aspects scientifiques et de connaissance locale du risque. Beaucoup des cours d'eau du Royaume-Uni sont de moyenne ampleur. L'île n'est pas vaste et les cours d'eau vont directement à la mer. Les initiatives locales britanniques peuvent servir d'exemple pour des initiatives françaises sur des cours d'eau d'une moyenne ampleur ou sur des affluents de grands fleuves.

Les Britanniques ont quand même mis une équipe nationale d'une trentaine de personnes sur ces problématiques. Ils sont très exposés au risque d'inondations mais semblent capables de vivre en zone inondable. Il y a des endroits où les gens savent qu'ils vont être inondés tous les deux ou trois ans, que l'eau va entrer dans leur maison, rester quelque temps puis repartir. Chose qu'en France, on n'a pas encore tellement intégré. Je ne sais pas si la culture anglaise peut être transposée dans notre pays, mais il y a là une volonté affichée de mettre des moyens humains importants sur ces aspects et une capacité de la population locale à faire face aux inondations. Ils peuvent apporter des enseignements sur la façon de gérer la crise et de faire les aménagements locaux. Les élus français de petites communes retrouveront en Angleterre des cours d'eau analogues à ceux qu'ils connaissent, des communes de la même taille que les leurs et des gens qui arrivent à vivre mieux avec les inondations.

M. le Président : Monsieur le directeur, nous vous remercions.

Audition de M. Michel SAPPIN,
directeur de la défense et de la sécurité civiles
au ministère de l'Intérieur

(extrait du procès-verbal de la séance du 20 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président.

M. Michel SAPPIN est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Michel Sappin prête serment.

M. le Président : Nous avons souhaité vous auditionner compte tenu du rôle que votre direction joue à de nombreux stades des catastrophes naturelles, que ce soit pendant ou après, pour gérer la crise, la post-crise, pour préparer l'avant crise potentielle, notamment les moyens à mettre en _uvre au niveau national.

M. Michel SAPPIN : Je voudrais préciser tout d'abord que ma direction est composée de deux sous-directions principales. Je mets de côté la sous-direction des sapeurs-pompiers, que M. Fleury connaît bien. En effet, dans cette affaire, elle n'a à aucun moment participé.

J'ai donc deux sous-directions qui ont un rôle à jouer dans des crises comme celle de la Somme. D'une part, la sous-direction des opérations de secours, qui gère la crise et quelquefois la post-crise, et d'autre part, la sous-direction de la prévention et de la protection de la population, où l'on essaie à la fois de revenir sur les expériences des crises que l'on a vécues, d'en tirer les leçons, de faire des propositions pour essayer d'éviter que cela ne se reproduise. En même temps, on a un regard sur l'ensemble du dispositif de prévention mis en place en France, au travers notamment des plans divers et variés qui peuvent exister.

Dans la gestion de crise, il y a trois échelons qui jouent dans notre dispositif d'intervention. D'abord, il existe un dispositif départemental, piloté par le préfet et son équipe, ayant à sa disposition tous les moyens de l'État dans le département et au-delà, avec notamment l'aide incomparable que peuvent lui apporter les sapeurs-pompiers. Ensuite, il y a un niveau zonal, puis le niveau national.

Dans l'affaire de la Somme, le niveau zonal n'a pas fonctionné comme il l'aurait fait sur tout autre point du territoire, puisqu'il n'est pas encore mis en place à Lille. Je m'empresse de le dire parce que, devant la commission d'enquête du Sénat, il y a eu un malentendu sur le prétendu rôle du centre interregional de coordination des opérations de sécurité civile (CIRCOSC) de Lille. Il n'y en a pas actuellement à Lille. Il y a des CIRCOSC dans les six états-majors de zone en France, sauf à Lille. C'est d'ailleurs une situation qui avait déjà été dénoncée à l'époque des tempêtes de la fin 1999. Le rapport Sanson avait mis le doigt sur cette anomalie qu'il n'y ait pas dans le nord de la France un centre opérationnel de gestion, un CIRCOSC, comme il y a dans les autres zones de défense. Cette affaire avait été vue par ma direction et le ministre. Nous avions pris des mesures nécessaires pour créer cet état-major et ce CIRCOSC à Lille, à partir de juillet 2001.

Dans le cas de la Somme, je ne dis pas que cela a joué un rôle dans la crise. Je tiens quand même à dire qu'il n'y a pas eu effectivement le rôle que peuvent jouer les autres états-majors zonaux existant en France. Ce qui a peut-être été de nature à compliquer un peu les choses, puisqu'il y avait un relais absent en matière de coordination zonale.

Le niveau national, qui est le troisième niveau, et que ma direction représente, a donc été amené à jouer dans cette crise un rôle plus important peut-être qu'elle ne l'aurait joué s'il avait existé un CIRCOSC.

Je voudrais évoquer un autre élément rejoignant l'une des préoccupations des élus qui ont beaucoup posé de questions sur ce qui s'est passé au niveau de la prise de conscience par l'État de cette crise. Nous n'avons été effectivement avertis de ce qui se passait dans le département qu'à partir des premières décisions d'évacuation prises le 23 mars, à partir du moment où dans les communes comme Fontaine-sur-Somme, Boves et Gorenflos il y a eu les premières évacuations.

Ce n'est qu'à partir de ce moment que nous avons eu dans notre centre opérationnel de gestion interministérielle des crises, le COGIC, basé à Asnières, les premiers télégrammes venant du service départemental d'incendie et de secours de la Somme (SDIS 80) nous alertant sur ce qui commençait à se passer dans la Somme. On a commencé alors à se mettre en alerte progressivement au niveau du COGIC, pour préparer éventuellement des moyens supplémentaires à apporter au préfet de la Somme. En effet, quand il y a une crise de ce style, notre rôle est d'être un prestataire de moyens, de services et de pouvoir mettre à la disposition du préfet des moyens supplémentaires.

À partir du 23 mars, on a commencé à se mettre en alerte, jusqu'au 27-28 mars. Tout en se tenant informé, on constatait que le nombre d'interventions de sapeurs-pompiers n'était pas considérable. Il ne dépassait pas une vingtaine chaque jour pour l'ensemble du département, c'était déjà beaucoup dans un sens, mais ce n'était pas encore une crise sortant de l'ordinaire, malheureusement, en matière d'inondations. Puis, nous avons finalement commencé à monter tout un système de renfort à partir du moment où, le 29 mars, s'est mise en place la salle opérationnelle à la préfecture de la Somme et, plus encore, à partir du 3 avril, lorsque le préfet de la Somme a déclenché l'activation de son centre opérationnel.

Cela a donc été une alerte progressive. C'est la caractéristique de cette affaire de la Somme. En effet, nous n'avons pas été aux prises avec une montée très rapide des eaux mettant en péril des vies humaines, comme dans le cas des crues torrentielles. Cela a été une montée extrêmement régulière due à une succession de pluies, pratiquement sans précédent dans les annales météorologiques.

En plus, nous n'avions pas, à ce moment-là, que le problème de la Somme à gérer. Il y avait des phénomènes d'inondations dans d'autres régions en France. Nous avions également à gérer la crise de Vimy, de toute autre nature, mais qui nous mobilisait énormément les uns et les autres.

Tout cela pour expliquer qu'au niveau central, aussi bien dans ma direction que dans d'autres ministères, nous n'avons pas eu la sensation, avant les derniers jours du mois de mars, que nous nous trouvions vraiment devant un phénomène d'une ampleur particulière.

C'est un point très important qui repose aussi le problème des alertes météorologiques. Une succession de pluies quotidiennes et fortes n'entraîne pas des messages d'alerte de Météo-France particulièrement signalés. Nous ne sommes pas dans le cas de figure - comme c'était le cas, par exemple, dans les tempêtes de la fin 1999 -, où nous avons un bulletin d'alerte météo (BRAM), indiquant qu'il va y avoir des précipitations exceptionnelles, intenses mais courtes dans la durée, sur la région de la Somme. Nous avions une succession de bulletins quotidiens indiquant que des fortes pluies sur le nord de la France en général allaient intervenir ; donc quelque chose qui ne dépasse pas l'intensité « normale » en termes de précipitations. Cela n'enclenche pas de mesures particulières ni dans ma direction, ni au ministère de l'Environnement, ni dans d'autres administrations en charge de ce problème.

Il n'y a pas eu vraiment d'alertes météos. Je l'ai dit également devant vos collègues du Sénat qui faisaient allusion à des bulletins d'alerte de Météo-France. Nous n'avons jamais reçu - au COGIC où nous recevons tous les messages de Météo-France - un message spécifique disant qu'il allait y avoir sur la Somme tel ou tel phénomène.

Nous en saurons plus sur tous ces problèmes lorsque la mission d'expertise aura rendu son rapport au Premier ministre. À l'heure actuelle, seul un rapport d'étape très partiel a été porté à notre connaissance. Le rapport définitif le sera dans quelques semaines. À ce moment-là, nous serons mieux éclairés sur ce qui s'est réellement passé.

Pour l'instant, on évoque un certain nombre d'éléments comme des pluies très fortes, une saturation des sols, une montée des nappes phréatiques dans des conditions difficilement décelables. Tout cela mérite d'être vérifié. Il faudra que nous lisions tous avec beaucoup d'intérêt le rapport définitif de la mission d'expertise. En outre, dans le cadre de cette mission, le déroulement de la crise au sein du département de la Somme est abordé de façon très complète.

Sur la gestion de la crise elle-même, une fois qu'elle a été identifiée comme telle, au niveau de ma direction nous avons fait ce qu'il fallait en termes de moyens, de soutiens apportés au préfet Cadoux qui a reçu de notre part tout ce qu'il demandait. Il est clair qu'il n'y a eu aucune demande de moyens qui n'ait été satisfaite par ma direction. Nous avons joué notre rôle d'information du Gouvernement comme il le fallait. À partir de début avril, nous avons commencé à publier des points spécifiques sur la Somme.

Au moment où la crise a pris toute son ampleur, nous avons fait parvenir aussi bien à Matignon, au ministère de l'Intérieur et dans l'ensemble des autres ministères intéressés, deux points de situation par jour avec tous les renseignements qui nous remontaient à la fois des SDIS et d'autres canaux. Donc, l'information a vraiment été faite dans de bonnes conditions. En termes de renfort, nous avons veillé à ce que l'armée donne le nombre souhaité de militaires avec leur équipement. Nous avons, bien sûr, mis en place nos propres équipes et nos unités de la sécurité civile qui sont intervenues avec là aussi des matériels appropriés. Nous avons veillé également que le SDIS de la Somme puisse éventuellement, s'il en était besoin, être relayé par des colonnes de renfort de sapeurs-pompiers.

Nous avons fait notre travail dans des conditions totalement satisfaisantes pour ce qui concerne aussi bien l'aide à la population, la sécurisation des zones inondées et le renforcement des berges et des digues. Les moyens de l'État ont été mobilisés entièrement.

Je réponds peut-être par avance à une question souvent posée sur le non déclenchement du plan Orsec.

Là, c'est un grand débat que nous avons connu aussi au moment des tempêtes. Je rappelle qu'au moment des tempêtes, il y a eu environ 45 à 50 départements touchés, dont une bonne vingtaine extrêmement durement. On a eu à l'époque sept plans Orsec déclenchés. On constatait que, dans une zone touchée de la même manière, il y avait le plan Orsec dans un département et qu'il n'y en avait pas dans le département voisin. C'est un sujet sur lequel il y avait déjà eu quelques querelles de doctrine.

Le plan Orsec est une espèce de mythe. Aussi bien pour les fonctionnaires que pour les élus, le plan Orsec a souvent une valeur mythique. On pense que le simple fait de le déclencher va résoudre la crise. Je rappelle simplement que le plan Orsec mobilise effectivement les moyens de l'État et donne un certain nombre de pouvoirs au préfet. Cela dit, ces conséquences sont plutôt en termes d'indemnisation, de prise en charge par l'État d'une partie des dépenses. Cependant, en termes d'efficacité, à partir du moment où le préfet met en _uvre son centre opérationnel départemental (COD), il a entre les mains les mêmes pouvoirs et les mêmes moyens que s'il avait déclenché un plan Orsec. Il n'y a pas de différence de nature dans les moyens qu'on lui donne. Par ailleurs, les renforts qu'il peut solliciter, les moyens que nous pouvons lui donner sur le plan national ou zonal sont totalement indépendants du fait de savoir s'il y a ou non un plan Orsec. C'est vraiment quelque chose qui n'a aucune importance sur le plan opérationnel.

Par ailleurs, le préfet de la Somme a constaté qu'aucune vie humaine n'était en danger dans cette affaire. Il n'y a même pas eu de blessés. La montée des eaux a été suffisamment lente pour qu'effectivement on ne se trouve pas dans cette situation catastrophique. Aucun sauvetage n'a été organisé. Nos hélicoptères, qui ont été mobilisés, n'ont eu aucun hélitreuillage à effectuer. Donc, il n'y avait pas de personnes vraiment en danger. On peut dire que la mise en _uvre du plan Orsec ne s'imposait de toute façon pas à partir du moment où il n'y avait pas de secours, au sens de l'urgence à mettre en place. C'était plus des mesures d'évacuation, de protection des populations qui pouvaient se faire par des moyens tout à fait normaux.

Certains élus ou une partie de la population ont pu avoir l'impression que les secours ont tardé à arriver. C'est quelque chose que l'on observe souvent dans les crises. Les pompiers, quand il y a un nombre important de communes en cause, ne peuvent à l'évidence pas être partout en même temps, mais ils sont partout à temps pour éviter qu'il y ait des conséquences dramatiques sur le plan humain. Après tout, c'est ce qui nous paraît être le plus important. Mais, à aucun moment, le préfet de la Somme n'a encore une fois manqué de moyens matériels. Il les a eus. Il a eu les embarcations, les hommes, les moyens nécessaires pour mettre à l'abri tout le monde dans des conditions satisfaisantes et pour essayer d'assurer ensuite une certaine continuité de la vie.

Pendant toutes ces semaines, même si les villages étaient évacués, des personnes avaient refusé l'évacuation. Il y avait aussi un certain nombre de tâches de sécurisation à mener. Le préfet a toujours eu les moyens nécessaires pour ces missions en termes d'embarcations, d'hommes, de matériels, de surveillance par hélicoptère des zones évacuées.

On a eu la sensation d'être devant une crise difficilement prévisible, même chez les élus de la Somme, comme j'ai pu m'en rendre compte, pour en avoir discuté avec certains maires venus nous voir à Matignon ou au ministère. On avait perdu au fil des années la perception que dans la Somme il pouvait y avoir des inondations de cette nature.

Lorsqu'au mois de février le préfet de la Somme avait commencé à alerter les maires sur une saturation des sols, il y a eu quand même un certain scepticisme général. Cela étant dû au fait que l'on a plutôt l'habitude d'une certaine forme de crue, pour laquelle il n'y a pas de mesures de précaution particulières à prendre. Ce sentiment me semble avoir été partagé aussi bien par les représentants de l'État, les élus que par la population. Personne n'a vu venir un phénomène d'une telle ampleur.

Ma direction, qui pour être mise en alerte a besoin d'un certain nombre de signaux forts, ne les a à aucun moment reçus avant la fin du mois de mars. C'est vrai que nous avons donc vu venir cette inondation sans préparation particulière, comme tout le monde, c'est-à-dire très lentement, de façon régulière, mais dans des conditions qui ne nous sont pas apparues dramatiques.

M. le Rapporteur : Il est exact que nous avons eu affaire, dans la Somme, à une inondation de type assez particulier. On voit l'eau monter tout doucement, personne ne s'inquiète au départ parce que cela s'est déjà produit sans que cela soit catastrophique. Puis, petit à petit, cela se développe et devient effectivement catastrophique. Il y a donc la mise en route que vous avez décrite. La gestion des services de l'État dans la Somme a été relativement convenablement appréciée. Simplement, se pose toujours la question des quelques premiers jours, où l'on a réagi plus ou moins rapidement.

Sur le plan pratique, peut-on tirer des leçons pour d'éventuelles crises du même type ? Pour l'avenir, y a-t-il des conclusions et des leçons à tirer ?

L'un des éléments que l'on a constatés, lorsque nous sommes allés sur place, c'est que, lorsque s'est mise en place la cellule interministérielle civilo-militaire, comme par miracle, - je ne sais pas si c'est plus psychologique que réel - on a eu l'impression que les problèmes se sont résolus plus facilement.

J'avais tendance à penser que le préfet et ses services constituent déjà, en eux-mêmes, une cellule interministérielle. Le fait que l'on ait créé une cellule supplémentaire a, semble-t-il, réglé un certain nombre de problèmes de sorte que les élus locaux se disent : pourquoi ne l'a-t-on pas mise en place plus tôt ? Cela aurait peut-être réglé un peu plus vite les problèmes. J'aimerais avoir votre avis sur ce point.

Si la création d'une cellule interministérielle de ce type a effectivement un effet positif concret, est-ce une formule pouvant être reprise et systématisée à l'avenir ?

Vous avez dit, très justement, que l'ensemble des moyens ont été mis à la disposition du préfet, mais on a constaté - ces questions nous ont été posées - que l'on mettait du temps à trouver un certain nombre de matériels : pompes, barques, barrages flottants, parpaings, sable, etc., particulièrement les pompes que l'on ne trouve pas sur place.

On avait envisagé dans une autre commission à laquelle nous participions d'avoir des stocks soit au niveau zonal, soit à un niveau plus décentralisé, pour avoir la possibilité de réagir plus rapidement. En effet, il semblerait qu'il y existe des matériels que l'on ne trouve pas facilement, même en s'adressant aux entreprises privées. Faut-il envisager un stock minimum d'urgence ?

Je reviens sur les moyens à mobiliser en cas de crise. On a eu le sentiment qu'il manquait un aspect : l'aide psychologique. Quand il y a une catastrophe aéronautique ou ferroviaire, on a maintenant pris l'habitude de mobiliser des psychologues pour assister les victimes ou leur famille. Là, on a le sentiment qu'il faudrait peut-être envisager ce type d'intervention, plus qu'on ne l'a fait jusqu'à maintenant.

J'aimerais aussi aborder le problème de la coordination avec l'armée. Effectivement, les militaires ont été très présents, ils ont fait un travail considérable, apprécié par la population. Pas seulement les militaires d'ailleurs, l'ensemble des personnels de l'État ont joué un rôle formidable. Enfin, je l'ai constaté personnellement, je ne sais pas comment se débrouille une armée en cas de conflit mais là, en l'espèce, elle n'était pas capable de nourrir ses hommes. C'est un problème concret. Le petit déjeuner à 16 h et le repas de midi à 20 h, il y a eu un problème de logistique.

M. Michel SAPPIN : Sur les leçons à tirer, on sent bien que tout n'a pas été parfait ni dans la prévention, ni ensuite dans la gestion. Une crise comme celle-là mérite d'être effectivement analysée. C'est pour cela que je vous disais que l'on attend avec impatience le rapport des inspections pour connaître leurs conclusions.

D'ores et déjà, des leçons devront être retenues de la montée des nappes phréatiques dans la Somme. À l'heure actuelle, c'est un problème qui dépend du ministère de l'Environnement, mais nous sommes en liaison avec eux. Tous les systèmes d'alerte mis en place au niveau des nappes phréatiques en France sont orientés vers le sous-sol. C'est-à-dire qu'ils visent à alerter les pouvoirs publics en cas de baisse de la nappe phréatique pouvant entraîner des conséquences fâcheuses en termes de sécheresse. En revanche, nous n'avons pas de système d'alerte en cas de montée des nappes phréatiques, susceptible de provoquer des débordements. C'est un point sur lequel il faut sûrement que nous agissions pour nous doter de systèmes d'alarme susceptibles de nous donner des renseignements aussi bien quand cela baisse que quand cela monte trop. C'est un cas concret que l'on a déjà identifié et sur lequel on travaillera en liaison avec nos collègues de l'Environnement en charge de ce dossier.

Sur l'affaire de la cellule interministérielle, nous avons déjà, depuis plusieurs années, au sein du ministère de l'Intérieur et de ma direction, essayé de monter des mécanismes pour appuyer les préfets, lorsqu'il se passe un certain nombre d'événements. Tout le monde sait qu'autour du préfet, l'équipe qui gère des crises de ce genre est relativement réduite. Ce sont essentiellement les services du cabinet et ce que l'on appelle le service interministériel des affaires civiles et économiques de défense et de protection civile (SIACEDPC). D'une préfecture à l'autre, il peut avoir un format variable, mais ce n'est jamais un format considérable.

Quand j'étais dans le Lot, où j'ai dû vivre pendant huit jours la crise du gouffre des Vitarelles, j'ai pu voir que l'on arrive très vite à une saturation physique des personnels, parce que l'on n'en a pas beaucoup à sa disposition. Dans le lot, le SIACEDPC était composé de quatre ou cinq personnes susceptibles d'intervenir. C'est assez réduit.

À la fois parce qu'il faut tenir dans la durée et qu'il faut avoir autour du préfet des spécialistes qu'on ne trouve pas toujours sur place, on a donc développé ce concept d'appui. On envoie systématiquement maintenant ce que l'on appelle des missions d'appui de la sécurité civile (MASC), composées de gens ayant l'habitude de gérer ce genre de situation : des officiers, des unités militaires de la sécurité civile ou des pompiers, des administrateurs civils, des sous-préfets, etc., que l'on envoie en renfort. On leur adjoint toujours un ou deux spécialistes de la crise en question. Si c'est une crise portant sur du chimique, on enverra des chimistes ; si c'est une crise portant sur du nucléaire, si cela nous arrive un jour, on enverra des experts nucléaires, etc.

Déjà, l'envoi de ces missions est ressenti par l'ensemble des préfets en France comme un progrès assez important. On a effectivement fait plus dans la Somme, parce que l'on a vite vu que la crise allait durer et qu'il y avait, en même temps, à traiter la crise et surtout la post-crise.

Il y avait, pour les populations, tout un problème financier, d'indemnisation, de prise en charge, etc., qui sortait de l'ordinaire. D'où l'idée, qui a été celle du Gouvernement, de demander au ministre de l'Intérieur de désigner un sous-préfet pour prendre la tête d'une cellule spécifique et de lui adjoindre des fonctionnaires de haut niveau venus de différentes administrations, ainsi que des militaires, pour constituer une vraie cellule de traitement spécifique de cette affaire.

C'est la première fois que l'on mettait en place une telle structure. Il faudra en tirer toutes les leçons avec le préfet et les élus de la Somme. Globalement, l'action de cette cellule a été appréciée. Cela nous incitera probablement à reproduire l'expérience dans des situations comparables.

Je relie cela à ce que je vous disais dans mon exposé introductif sur l'absence de CIRCOSC à Lille, et donc pas d'état-major de zone. Il y aurait eu un état-major de zone, comme il y a dans les autres zones de défense en France, on aurait peut-être pu procéder autrement en confiant au préfet délégué auprès du préfet de zone, et à son état-major, le rôle qu'a joué cette cellule interministérielle. Comme il n'y avait pas ce soutien lillois, on a été obligé de mettre cela en place. Encore une fois, on est plutôt satisfait de l'expérience.

Sur les matériels nécessaires, le département de la Somme, comme tous les départements de France, a élaboré un schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (SDACR). Le risque inondation n'y est pas pris en compte de façon importante, parce que ce schéma a été élaboré en fonction des événements des dix dernières années, notamment les statistiques relatives aux interventions des secours. L'intervention sur les problèmes d'environnement ne représentait que 7 % des sorties des services de secours. Les inondations de quelque nature que ce soit (inondations de cave, accidents domestiques, etc.) ne représentaient que 3 % des interventions de sapeurs-pompiers sur les dix dernières années.

C'est vrai que le SDACR n'ayant pas identifié ce risque comme étant très important, les services du SDIS 80 ne se sont pas dotés des matériels correspondants. Ils en avaient comme tous les SDIS de France, mais pas plus. Donc, il y a peut-être eu au départ un manque de pompes et d'un certain nombre de matériels dont ils pouvaient avoir besoin. Les autres départements du nord de la France sont aussi un peu dans ce cas. Il a donc fallu que l'on fasse venir d'autres zones ou de l'étranger des engins spécifiques pour lutter contre les inondations.

J'ai eu l'occasion de dire, il n'y a pas longtemps devant d'autres élus, que l'on ne peut pas tout faire. Mon budget est de 1,5 milliard de francs, ce qui n'est pas négligeable. Cela dit, une grande partie de ce budget est consacrée à la lutte contre les feux de forêt, parce que c'est un risque important dans notre pays. On investit énormément dans les canadairs, les interventions et matériels spécifiques aux feux de forêt. Les unités de la sécurité civile ont à leur disposition un certain nombre d'autres matériels liés à d'autres risques, notamment les inondations, mais ce n'est pas la préoccupation dominante.

Faut-il que l'on se dote de tels matériels ? C'est une réflexion que l'on peut faire sous l'angle uniquement hexagonal, c'est-à-dire estimer qu'il faudrait avoir tout chez nous. L'autre façon est de le voir sur le plan européen. C'est ce que l'on fait de plus en plus. La sécurité civile s'inscrit de plus en plus dans le cadre d'une coopération européenne forte. C'est vrai que nous avons des pays, pas très loin du nord de la France, où il y a des matériels contre les inondations. Ils ont tout ce qu'il faut, parce que c'est le risque dominant chez eux. Dans le cadre de cette coopération, on s'aperçoit qu'il est aussi vite fait de faire venir des pompes des Pays-Bas ou d'Allemagne que de Brignoles ou de Nogent-le-Rotrou.

C'est cette réflexion dans un cadre européen qu'il faut, à mon sens, développer. Chaque pays aurait sa spécialité, en fonction de ses risques majeurs les plus fréquents. Mais le jour où le voisin fait face à une catastrophe de ce genre, on lui fournit évidemment les moyens dont il a besoin.

Une cellule médico-psychologique a été mise en place dans la Somme. Peut-être pas au début, mais on en vient toujours au même problème ! Elle a été mise en place rapidement, car on le fait désormais systématiquement. À chaque fois que nous avons une crise qui, soit parce qu'elle est dramatique, soit parce qu'elle dure longtemps, peut poser des problèmes psychologiques, on met en place tout un réseau de psychologues qui travaillent avec nous, dépendant soit d'associations, soit des ministères de la Santé ou de l'Intérieur. Les SDIS s'en dotent également de plus en plus. Nous avons vraiment mis l'accent là-dessus.

Ces cellules travaillent aussi bien au bénéfice de nos personnels qu'à celui de la population. Il n'y a plus aujourd'hui d'intervention en France, suite à des catastrophes dramatiques, sans que, systématiquement, les personnels (pompiers, unités de la sécurité civile) soient entourés de psychologues. Pour la population, c'est la même chose. Nous avons le même réseau. Lorsqu'il y a des événements vraiment graves, on y veille toujours. Il faut que cela continue à être la règle.

Sur la coordination avec l'armée, j'en reviens toujours au point de départ. C'est vrai qu'elle est faite normalement au niveau de la zone de défense entre le préfet de zone et son état-major, et le général commandant la zone de défense militaire et son état-major. Il y a des relations permanentes, en dehors de la crise et pendant celle-ci. Il y a échange d'officiers, travail en commun sous la double autorité du général et du préfet.

Dans la Somme, pour les raisons que je vous ai expliquées tout à l'heure, les choses ont été peut-être un peu plus compliquées. Cela dit, nous avons pris le relais depuis Paris, puisque nous avons des liaisons également quotidiennes avec le centre opérationnel inter-armées (le COIA). Dès qu'il se passe quelque chose, on est en relation avec eux dix fois par jour. Nous échangeons des officiers, nous savons ce que les militaires font et nous savons comment nous coordonner avec eux. Tout cela se passe bien.

Je voudrais ajouter deux choses. L'autre jour, quand j'ai rencontré des élus de la Somme, j'ai insisté, parce que j'ai cru comprendre qu'ils ne l'avaient pas bien discerné, qu'au moins la moitié des militaires présents dans la Somme relevaient du ministère de l'Intérieur, et non de la Défense. Nous avons 1 600 militaires mis à notre disposition par le ministère de la Défense tout au long de l'année, qui constituent nos unités de la sécurité civile. La sécurité civile les paie, leur fournit le matériel et les dirige sur le plan opérationnel. Ils sont habillés comme les autres, mais ils ont un logo « Sécurité civile USC » sur l'épaule. Il faut le savoir, même s'il est naturel que beaucoup de gens les confondent.

Était-ce ceux-là qui étaient mal nourris ? J'espère que non. On va le vérifier. Il est certain qu'au niveau de la Défense, la professionnalisation de l'armée pose de graves problèmes d'intendance. Au moment de la tempête, on a pu voir que, sur les 10 000 militaires engagés sur le territoire national, il y avait déjà eu un certain nombre de dysfonctionnements en raison de cette transition qui n'est pas encore totalement achevée. C'est vrai que c'est l'intendance qui pose le plus de difficultés à l'heure actuelle.

Je voudrais faire une réflexion à ce sujet. Dans les années antérieures, quand il y avait un événement dans un département, le préfet avait une solution toute trouvée : il s'adressait au colonel de la garnison la plus proche - 75 à 80 % des départements français avaient un régiment implanté sur leur territoire. C'était facile, il suffisait de demander et, immédiatement, le régiment sortait et venait prêter main forte. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Je vous rappelle qu'au moment de la tempête, alors qu'il y a eu des événements considérables sur plus de la moitié de la France, les militaires, malgré toute la bonne volonté qu'ils ont pu mettre, n'ont pu aligner que 10 000 hommes. C'était un effort considérable de leur part.

À coté de cela, les sapeurs-pompiers sont 230 000. Certes, ils ne sont pas tous opérationnels et il n'est pas possible de tous les aligner en même temps. Mais, pendant la tempête, ce sont plus de 125 000 pompiers qui ont été mis en action sur le territoire national. La véritable armée, si je puis dire, en matière de sécurité civile, n'est pas constituée par les militaires mais par les sapeurs-pompiers.

J'ai 1 600 hommes dans les unités de la sécurité civile à l'heure actuelle. Combien en aurai-je dans cinq ou dix ans ? Personne ne le sait. Le système se pérennisera-t-il ? C'est l'une des réflexions que l'on a dans le cadre de la grande loi de fin d'année que le ministre doit déposer devant le Parlement. Il s'agit de réfléchir à une organisation de la sécurité civile dans laquelle - je ne dirais pas que l'on ne tient plus compte des militaires, ce serait exagéré - l'on prend en considération le fait que nous aurons de moins en moins de militaires à notre disposition. Il faudra donc agir avec des moyens civils quels qu'ils soient, sapeurs-pompiers ou autres.

M. le Président : Au cours de nos travaux, nous avons beaucoup parlé de problèmes de culture du risque. Compte tenu du nombre de ministères concernés, du nombre de spécialistes qui interviennent, pensez-vous qu'il soit facile de mettre en place un système plus cohérent ou plus lisible ? Y a-t-il à l'intérieur des autres ministères, des gens qui possèdent cette culture du risque, ou attend-on que la catastrophe se produise pour s'intéresser à cette question ?

Je dis cela en fonction de ce que j'observe sur le terrain. Nous avons effectivement des personnes à la préfecture chargées des problèmes de sécurité. Mais, on a l'impression qu'ils cherchent surtout à faire appliquer des normes de sécurité très strictes sans aucune souplesse. En revanche, lorsqu'on fait place à des problèmes majeurs, il n'y aucun répondant. Certaines personnes n'ont peut-être pas la formation et la culture nécessaires. Appliquer des textes est facile. Quand il faut en arriver à l'opérationnel et passer à de l'action, on a le sentiment que ces personnes ne savent plus faire.

M. Michel SAPPIN : Je vais essayer de vous faire des réponses teintées d'optimisme. À propos de la culture du risque, on a quand même bien progressé en France depuis quelques années, pour une raison évidente : c'est qu'il y a à la fois la carotte et le bâton. Les populations étant de plus en plus soucieuses d'une sécurité maximale, chacun voit bien qu'il a intérêt à investir dans ce domaine. Les Français, quand ils parlent de sécurité aujourd'hui - les enquêtes d'opinion le montrent - ne pensent pas seulement à la délinquance, mais vraiment à la sécurité tous azimuts (alimentaire, contre les risques naturels...). Tout le monde y trouvant un certain intérêt, les progrès seront rapides.

Il y a la carotte donc, mais également le bâton. Il est évident que la pénalisation croissante à laquelle on assiste, qui touche tout le monde, aussi bien les fonctionnaires que les élus, est de nature à faire que chacun s'y intéresse réellement. Je le constate à travers quelques réactions de hauts fonctionnaires, pas seulement dans la préfectorale, mais aussi chez ceux en charge de services de l'État, qui jusque-là ne s'étaient pas toujours mobilisés en faveur de la sécurité.

On le constate à un certain nombre d'indicateurs, par exemple les sujets traités par les instituts spécialisés. L'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), qui s'occupe des grands problèmes de la défense nationale, ne s'était jamais abaissé à venir s'intéresser à la sécurité civile. Bouleversement fondamental cette année ! La session nationale de l'IHEDN a consacré une journée et demie à venir s'intéresser aux problèmes de sécurité civile. Ce qui est important. Concernant l'Institut des hautes études de sécurité intérieure (IHESI), nous avons de nombreuses demandes venant de tous les secteurs, économique, politique, journalistique, etc. On sort vraiment de ce qui était le public habituel de ce genre d'institut.

Autre exemple en ce qui concerne les collectivités locales. Le nombre de communes qui ont maintenant un adjoint chargé de la sécurité, au sens large du terme, est de plus en plus grand. Il y a quelques années c'était vraiment les plus grandes villes et puis c'était surtout sous l'angle des commissions de sécurité, etc. Maintenant, la culture de la sécurité et du risque est intégrée dans les services de la mairie. Cela progresse beaucoup, et dans des communes de plus en plus petites.

Dans l'ensemble des stages que l'on organise en France - notre ministère en organise, il n'est pas le seul - nous avons aussi de plus en plus de stages dédiés aux risques, à la gestion de la crise, à la prévention, etc. La direction de la sécurité civile dispose d'un bureau, qui a maintenant pris son essor, qui organise, à longueur d'année, pour tous les fonctionnaires du ministère, des stages de gestion de crise, de prévention, etc. Ce sont des centaines de fonctionnaires du ministère de l'Intérieur qui sont chaque année conditionnés pour répondre à ce genre de choses.

Dans les zones de défense, les préfets de zone organisent des stages interministériels de ce style et essayent d'y faire venir des fonctionnaires d'autres administrations et des collectivités locales. Cela se fait de plus en plus. Là encore, c'est un mouvement en marche. La répétition des crises dans notre pays et la dramatisation aussi d'un certain nombre d'affaires font que l'on va aller de plus en plus vers un élargissement de cette culture du risque, vis-à-vis des entreprises, des collectivités locales et, bien entendu, des diverses administrations.

Le problème de la cohérence est peut-être un peu plus préoccupant. Il est exact que, dans le système administratif tel qu'il est à l'heure actuelle, chaque ministère a plutôt tendance à vivre dans un camp retranché, et que les passerelles sont quelquefois un peu difficiles à franchir. En dehors du ministère de l'Intérieur, nous avons beaucoup d'interlocuteurs. Les principaux, en la matière, c'est le ministère de l'Environnement, avec notamment la délégation aux risques majeurs. Je mentirais en disant que nous avons des relations très soutenues avec celle-ci. Je suis directeur de la sécurité civile depuis un an et demi maintenant, j'ai dû rencontrer le délégué aux risques majeurs une fois. Cela ne me paraît pas très logique.

C'est pour cela que, dans les propositions que nous faisons et que nous essayons de pousser dans cette grande loi sur la sécurité civile en préparation, figure la proposition de mettre en place un comité interministériel sur la sécurité civile, et les risques en général, afin que ces problèmes, qui sont horizontaux, soient pris en charge par une structure interministérielle. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. Il faut vite passer à une étape supérieure. On ne peut plus gérer les différentes étapes de la crise de façon dissociée, sans qu'il y ait un véritable travail en commun.

Peut-être que ce travail en commun est plus réel au niveau départemental où le préfet a l'autorité sur tous les services de l'État, même si on ne peut pas dire que l'autorité d'un préfet de département sur la direction régionale de l'environnement soit importante. Je ne pense pas non plus que le préfet de région ait beaucoup plus d'importance. Là aussi, il y a des boulons à resserrer.

Je vous dis très franchement et très directement ce que nous pensons sur cette affaire. La cohérence est encore à venir. Par contre, la culture du risque est en marche.

M. le Président : Dans le même cadre, le rapport Bourrelier suggère de confier l'ensemble des compétences en matière de risque naturel à la direction de la sécurité civile. Que pensez-vous de cette proposition ?

M. Michel SAPPIN : Dans le souci de cohérence dont je vous parlais, il y a une logique. Honnêtement, ma direction et le ministère de l'Intérieur en général ne sont pas demandeurs. Que chaque ministère et ses propres services travaillent dans leurs domaines, cela me paraît bien. Mais, il faut vraiment une coordination.

Les sapeurs-pompiers, que connaît bien le Rapporteur, demandent un secrétaire d'État à la sécurité civile. Au-delà du symbole, cela serait-il plus efficace ? Je n'en sais rien. En tous les cas, il est indispensable qu'il y ait une coordination interministérielle. C'est-à-dire une institution où tous les services des ministères concernés soient présents. Il n'y a pas que l'Environnement, il y a aussi l'Équipement, l'Agriculture, etc. On voit bien à l'heure actuelle que l'on ne sait plus très bien qui s'occupe des problèmes de l'eau. C'est extrêmement émietté dans l'administration et ce n'est pas sans inconvénient.

On a besoin d'un organisme de coordination, mais je ne demande pas que ma direction en soit le chef de file. Ce n'est pas dans la nature de nos attributions. Je m'occupe un peu de prévention, c'est normal. La sécurité civile a besoin de regarder quels sont les risques, de s'y adapter, de les prendre en considération dans sa propre façon de raisonner et d'agir. C'est pour cela qu'il existe une sous-direction qui s'en occupe. Mais, je ne pense pas qu'un fonctionnaire du ministère de l'Intérieur ait les capacités nécessaires, en termes de personnels disponibles, pour gérer un ensemble aussi considérable.

Chacun à sa place, mais la coordination est indispensable.

M. Stéphane ALAIZE : Vous avez dit que des centaines de fonctionnaires sont formés actuellement sur la culture du risque. Ils se familiarisent avec cette culture. On a le sentiment, en tout cas c'est le mien, qu'ils ne sont pas si nombreux dans l'administration territoriale. Où les retrouve-t-on au niveau territorial, quand il s'agit d'intervenir ou même de prévenir et de travailler avec les collectivités locales, pour mettre au point des programmes d'intervention ?

M. Michel SAPPIN : Les formations, que l'on fait à l'heure actuelle au niveau central, concernent des gens qui tournent dans toute la France. Un fonctionnaire a une longévité dans un département peut-être insuffisante pour appréhender l'ensemble des problèmes et pour bien les connaître. C'est un reproche que l'on peut faire.

Au ministère de l'Intérieur, l'ensemble des sous-préfets ont été obligatoirement formés à la gestion du risque. Ce qui est un phénomène nouveau. Ces stages n'existent de façon systématique que depuis quatre ou cinq ans. Tous les préfets sont passés, à deux ou trois reprises, par de tels stages. C'était un peu nouveau. On vivait, en France, dans l'idée que le préfet n'avait plus besoin de se former et qu'il était par définition omniscient. Maintenant, on en est largement revenu : les préfets, comme les autres fonctionnaires de l'État, suivent des stages nombreux dans tous les domaines, notamment dans celui du risque et de la gestion de crise.

On s'efforce également de le faire pour les fonctionnaires des SIACEDPC, au moins pour leurs dirigeants principaux, les responsables des services. Pour les autres, c'est au niveau zonal de le prendre en charge.

Dans un département, si l'on veut former quinze à vingt personnes dans les différentes administrations, cela ne peut pas se faire à Paris. Il est évident qu'il faut que cela se fasse dans un échelon plus proche. C'est aux zones de défense de le prendre en main. Certaines le font déjà, d'autres sont en train de prendre des dispositions pour pouvoir le faire. Il faut un peu de temps. De plus, au niveau zonal, comme au niveau départemental, le grand avantage est que l'on peut mélanger tout le monde, y compris des élus et des chefs d'entreprise. Je trouve très important que, dans une région où l'on sait qu'il y a des problèmes avec des usines Seveso, par exemple, il n'y ait pas une formation totalement séparée des responsables de l'entreprise et des fonctionnaires qui auront en charge la crise, si jamais elle intervient. Il faut que l'on essaie de mélanger tout le monde. On peut le faire au niveau départemental. Ce serait un grand progrès si l'on arrivait à le faire systématiquement.

M. le Président : Vous avez des responsabilités essentielles en matière d'alerte. J'aimerais savoir comment se passe la coordination au niveau de votre direction. En 1994, devant une précédente commission d'enquête, votre prédécesseur avait estimé que la diffusion de l'alerte aux maires ne fonctionnait pas très bien. Qu'en est-il aujourd'hui ?

M. Michel SAPPIN : C'est toujours « pas très bien », Monsieur le Président. Je le confirme tout à fait. La seule chose que je puis dire c'est que nous sommes en train de faire de gros efforts, aussi bien sur les crues que sur d'autres sujets.

Vous savez que l'on croule en France sous les bulletins d'alerte. Météo-France s'en est rendu compte. Je travaille beaucoup avec le président de Météo-France et son équipe. Nous avons bien avancé. Nous serons en mesure, à partir de septembre, de faire fonctionner un nouveau système d'alerte qui sera expliqué à tout le monde, aux élus et à la population. Il sera plus clair, plus lisible et plus rapide. Nous avons déjà commencé à éditer des petites brochures sur la vigilance, en liaison avec Météo-France, pour pouvoir mieux expliquer comment cela va se passer.

L'alerte météo est en pleine restructuration et amélioration. Nous sommes en train de revoir complètement le système du réseau national d'alerte (RNA), que chacun connaît par le fait que le premier mercredi de chaque mois, les sirènes retentissent. Les sirènes retentissent mais plus personne ne sait ce qu'il faut faire. Quand on fait des sondages parmi la population sur l'attitude à adopter lorsque les sirènes se mettent à retentir, vous avez une personne sur deux qui dit « je m'enferme chez moi » et l'autre, « je cours dans la rue ».

C'est un système totalement obsolète, dépassé, car lié à la guerre froide. On s'est posé la question de savoir ce qu'il fallait en faire et on ramène bien sûr cette réflexion aux risques spécifiques pouvant exister dans certaines régions.

Il faut que l'on réforme ce réseau afin qu'il diffuse une alerte dont le mode d'emploi aura été donné à la population concernée par avance. C'est un gros dossier que l'on est en train de mener avec le ministère de l'Industrie, parce que c'est lui qui a la charge du RNA. On est en train d'identifier toutes les difficultés. On veut se servir aussi des moyens modernes de diffusion, notamment les portables. Il faudrait que, s'il y a un problème dans une usine Seveso, l'on se mette d'accord avec les opérateurs pour très vite passer un message d'alerte et que tous les portables sonnent en même temps dans la zone, etc.

Je ne vais pas m'étendre là-dessus, je voulais simplement vous dire que l'on travaille beaucoup sur ces affaires-là. Je pense que l'on va déboucher dans les mois à venir sur des solutions qualitativement bien meilleures.

Pour ce qui concerne les crues, je vous confirme que notre système ne fonctionne pas. La diffusion de l'alerte en elle-même n'est pas simple. Sur un bassin d'une rivière à risques, alerter tout le monde rapidement pose des tas de problèmes, malgré les portables. Il faut joindre les secrétaires de mairie, les maires, la gendarmerie. On sent bien qu'il y a un certain nombre de difficultés à résoudre. Les installations sont très anciennes. Les systèmes d'annonce de crues dans les préfectures sont pour la plupart dépassés techniquement. Nous avons, depuis deux ans, essayé de faire des expériences avec le système DALI, un système vraiment moderne au niveau informatique. On a joué de malchance puisque son fabricant a fait faillite. On a donc été obligé d'y renoncer. On est en train, là aussi, de travailler au niveau du ministère en liaison avec un certain nombre d'associations d'élus, sur la rénovation de ce système d'annonce des crues.

Au niveau de l'annonce des crues, il y a les problèmes matériels et humains. Il faut trouver un système qui permette de joindre rapidement la personne idoine pour vite mettre en éveil la population. Il y a aussi un problème de compétences.

Dans l'exemple de la Somme, on a touché du doigt la difficulté. Il n'y a pas de système d'annonce des crues sur la Somme, parce que ce n'est pas une rivière qui a coutume d'avoir des crues rapides. On a pris l'habitude des crues lentes, majestueuses en quelque sorte, contre lesquelles on n'avait pas trouvé utile dans les années antérieures de mettre en place un système d'alerte. Il y a cependant des stations de mesures situées sur la Somme et gérées par la DIREN du Nord-Pas-de-Calais. En revanche, c'est la DIREN de Picardie qui est gestionnaire des stations situées sur les affluents. Donc, il y a entre les deux DIREN, dépendant de deux systèmes différents et deux préfets de région différents, des problèmes de liaison. C'est malheureusement une situation que l'on retrouve sur de nombreux points du territoire national.

Il y a de gros progrès à faire. Nous allons y travailler en liaison avec les autres ministères. Nous avons des cas bien connus, celui de la Loire notamment pour laquelle on sent bien qu'il faut remédier à une approche trop départementaliste. Il faudrait une liaison instituée au niveau de l'ensemble du bassin de la Loire. Là encore, c'est un très gros chantier qu'il faut que l'on ouvre. On en a l'ambition. Tous les ministères sont d'accord pour le faire. Peut-être que, là encore, la cohérence a besoin de s'établir et de se renforcer avant que l'on puisse vraiment faire un travail efficace.

M. le Président : Sur l'alerte, Mme la ministre de l'Environnement est venue à Orléans visiter le réseau d'alerte Cristal il y a quelques jours. C'est un sujet qui nous passionne tous et la passionne. On se rend bien compte que c'est un dossier qu'il faut faire avancer. Cela étant, en l'occurrence, on parlait d'un radar à implanter. Le radar a un coût, puis il faut des moyens pour le faire fonctionner, etc. C'est donc le ministère de l'Environnement qui, à un moment donné, va décider de mettre en place ce réseau là plutôt qu'ailleurs. Vous, parallèlement, vous réfléchissez pour voir comment mettre plus de cohérence dans tout ce système. Il est bien clair que vous ne pouvez avancer que si l'autre ministère avance. C'est un exemple. Ce qui prouve bien la nécessité d'une cohérence et d'une réflexion interministérielle permanente.

M. Jean LAUNAY : Vous l'avez abordé et j'allais vous poser la question de ce système DALI que vous venez d'évoquer. Quand on a reçu, en tant qu'élus, la note qui évoquait la mise en place de ce système, j'ai eu personnellement l'étrange sentiment d'un transfert de responsabilités ou d'un dégagement sur les collectivités locales.

Le renoncement vient-il du fait de l'entreprise ou, au départ, le système était-il vicié ? Il n'y avait pas eu beaucoup de concertations en amont, cela semblait être un système obligatoire dans lequel on devait rentrer. Pour être clair et puisque vous connaissez le Lot, j'ai eu le sentiment très directement d'un gros parapluie qui s'ouvrait.

M. Michel SAPPIN : Vous avez raison. On ne peut pas dire que l'on a arrêté DALI uniquement parce que le système ne marchait pas sur le plan informatique et que l'on manquait d'opérateurs pour l'entretenir. Effectivement, il y a eu beaucoup de critiques contre DALI dans certains départements. Le système n'avait probablement pas été suffisamment réfléchi en amont. La concertation avec l'ensemble des intéressés et les élus au premier plan, n'avait pas été bonne.

Au lieu de se borner à trouver une solution informatique de rechange, ce qui est finalement simple, on va plutôt essayer de repenser un peu tout cela. Nous aurons besoin d'avoir un dialogue avec les associations d'élus, au premier rang l'Association des maires de France. Il faut qu'on le fasse rapidement dans un domaine où l'on ne peut rien imposer sans concertation. Sur un sujet comme celui-là, c'est encore plus frappant que sur d'autres.

M. le Président : L'idée était que l'État avait la responsabilité de communiquer l'information : il se dépêchait de la transmettre au maire, en lui disant : « maintenant que vous l'avez c'est à vous de donner l'alerte ». On a quelques difficultés à voir où sont les responsabilités. À partir du moment où elles seront bien délimitées, les uns et les autres rempliront bien leur fonction.

M. Michel SAPPIN : Je n'ai pas de réponse à vous apporter là-dessus. C'est vrai qu'en termes de responsabilité, il est clair que, si une affaire tourne mal, tout le monde devient responsable. Personne ne peut dire qu'il a donné l'alerte et qu'après il se désintéresse de l'affaire. Le fonctionnaire qui prendrait une telle posture serait par la suite dans une situation juridique délicate. Il faut donc trouver un mode de communication qui soit à la fois rapide, ciblé et efficace. On peut peut-être se servir encore du réseau des sirènes.

Je ne pense pas que l'on puisse dire que, dans les années antérieures, il y ait eu vraiment des vies humaines mises en jeu par des crues de la Loire. En revanche, c'est vrai qu'il y a beaucoup de fleuves et de rivières en France ayant des crues extrêmement rapides. Là, il faut très vite que la population soit évacuée, d'où l'utilisation des sirènes. Il faut, entre les services de l'État et les services des collectivités locales, que le mode d'emploi soit clair, que chacun sache, avec son organisation propre, exactement ce qu'il doit faire et quel est son rôle dans l'alerte et ensuite l'évacuation des populations.

Cela me paraît être un minimum que, dans ces départements, on trouve un système adapté. Dans les autres départements, quand il y a des crues lentes, il ne s'agit que de prévenir la population que dans un certain nombre d'heures, il va y avoir un risque d'inondation. Les gens ont l'habitude, ils ont des parpaings dans les caves, etc. Là, la chaîne peut être un peu plus longue, ce qui ne doit pas être le cas, encore une fois, quand il y a un risque aigu. On ne peut pas admettre, personne n'admettrait que, par manque de communication entre les uns et les autres, le message ne passe pas.

M. Stéphane ALAIZE : Vous vous êtes déclaré partisan d'une structure centrale de coordination en matière de sécurité civile. De quoi s'agit-il ? Pouvez-vous éventuellement nous la définir ? Avez-vous déjà une idée assez arrêtée ?

M. Michel SAPPIN : On est encore au stade des hypothèses. Il faut que le Premier ministre se prononce, ce qu'il fera très probablement dans le cadre du projet de loi que j'évoquais tout à l'heure. L'idée est de s'inspirer de ce qui peut exister en matière, par exemple, de sécurité nucléaire avec un comité interministériel, un secrétariat général, avec donc une structure permanente qui fait la coordination. On n'a pas besoin d'une équipe nombreuse, mais d'un secrétariat général pointu en termes de compétences. Toutes les structures interministérielles sont constituées comme cela.

Il peut y avoir d'autres formules. Celle que je viens de décrire a l'avantage d'être bien connue dans l'administration et de donner généralement de bons résultats. En tous les cas, ce sera sûrement plus efficace que l'absence de coordination existant jusqu'à maintenant.

M. Stéphane ALAIZE : Je voudrais savoir également quelle coordination vous envisagez avec les élus. Bien souvent, il existe une réflexion sur les problèmes de sécurité dans les services de l'État mais sa mise en _uvre opérationnelle est difficile. Notre commission d'enquête n'est pas la première. Depuis 1994, il ne s'est pas passé grand chose du point de vue opérationnel. L'idée est de savoir comment on peut organiser une sorte de veille permanente, associant les élus. Nous avons le sentiment que les élus sont écartés, alors que c'est à eux que revient finalement la responsabilité directe sur le terrain.

M. Michel SAPPIN : C'est peut-être davantage vrai dans des cas de figure où il y a beaucoup de communes touchées en même temps dans le même département. Dans ces cas-là, c'est vrai que le sous-préfet, le directeur de cabinet ou les chefs des services de l'État ne peuvent pas être partout à la fois. Il y a forcément un sentiment d'isolement du maire qui doit gérer pendant de longues heures la crise tout seul, même si le téléphone fonctionne. Il est en première ligne et c'est vrai qu'il ne voit pas arriver de représentants du préfet ou des services de l'État avant de longues heures. Cela a été le cas dans la Somme. Quand on discute avec les maires, beaucoup ont eu ce sentiment, qui a été encore accentué par l'isolement physique créé par l'inondation elle-même.

Je reconnais volontiers qu'il y a, là, une difficulté. Il faut absolument que le lien permanent, par téléphone ou par d'autres moyens, subsiste entre le maire et le préfet dans sa cellule départementale, pour faire passer les messages, les demandes et les réponses, etc.

En revanche, en cas de crise ne concernant qu'une ou deux communes, l'appareil d'État est tout de suite aux côtés du maire. Généralement, les choses marchent plutôt bien dans ce cas de figure. Il ne devrait pas y avoir de problèmes particuliers ou de conflits dans cette hypothèse.

Nous demandons aux préfets et à leurs services de travailler de plus en plus en association avec les maires en matière de prévention et de pré-crise. Comme je vous le disais, le fait que des adjoints chargés de la sécurité existent dans beaucoup de communes est une grande avancée. Cela permet aux élus et à leurs services, d'être tout au long de l'année au contact avec les responsables de l'État chargés ensuite de gérer la crise quand elle se produit. Cela facilite énormément les choses.

À Marseille, par exemple, il y a une direction entière chargée de la sécurité, avec un directeur et un maire-adjoint qui la chapeaute. C'est tout au long de l'année, sur tous les problèmes de sécurité, que des échanges interviennent. Ce qui est valable dans une très grande ville comme Marseille, ne peut évidemment pas l'être partout, je le conçois bien. Mais, qu'un élu ou un fonctionnaire ayant en charge l'ensemble de ces problèmes soit identifié, c'est un progrès considérable. En outre, l'existence d'un adjoint chargé spécifiquement de ces problèmes décharge beaucoup le maire.

M. le Président : Monsieur le directeur, nous vous remercions.

Audition de M. Claude LEFROU,
président
de la mission interministérielle sur les inondations de la Somme,

(extrait du procès-verbal de la séance du 27 juin 2001)

Présidence de M. Éric Doligé, Président

M. Claude Lefrou est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Claude Lefrou prête serment.

M. le Président : Même si notre champ d'investigation n'est pas limité aux inondations de la Somme, nous sommes évidemment vivement intéressés par vos premières constatations dans la Somme et surtout par les enseignements retirés qui puissent être transposables ailleurs.

En outre, vous avez dirigé la mission interministérielle sur les inondations de l'Aude. Vous êtes donc particulièrement bien placé pour avoir une vue d'ensemble sur le dossier des inondations.

M. Claude LEFROU : Les crues de la Somme, intervenues à partir de la fin du mois de mars 2001, sont tout à fait particulières et résultent de l'accumulation des pluies durant sept mois, du mois d'octobre 2000 à la fin du mois d'avril 2001. Les quantités d'eau tombées pendant cette période sont exceptionnelles. Le précédent record était celui de 1994-1995. La pluie, d'octobre 2000 à avril 2001, a concerné l'ensemble du bassin alors qu'en 1994-1995, seule la partie aval avait été touchée par les pluies exceptionnelles. En automne, seule Abbeville avait connu des pluies importantes, le reste du bassin ayant été épargné. En revanche, au cours de l'hiver dernier, tout le bassin a été concerné. Cela explique une inondation tout à fait exceptionnelle.

Il s'agit à peu près du même phénomène météorologique que celui intervenu en Bretagne, ayant causé quatre crues successives. Dans la Somme, cela s'est traduit par une crue de nature très différente liée à la géologie de ce bassin, constitué d'un sous-sol très perméable et d'une nappe d'une très grande inertie. Si l'on étudie le fonctionnement de la nappe, on remarque que, à l'étiage, elle se vide progressivement dans la rivière car elle est sa seule source d'alimentation. Le réservoir supérieur est le sol dans lequel les plantes puisent leur eau. Il existe également un réservoir inférieur qui est la nappe elle-même. Entre les deux, se trouve une partie de sous-sol dans laquelle les vides comprennent à la fois de l'eau et de l'air et dans laquelle l'eau s'écoule verticalement vers la nappe d'eau souterraine. Au contraire, celle-ci s'écoule ensuite horizontalement vers les sources qui alimentent les rivières.

En hautes eaux normales, le sol se sature. Il y a un peu de ruissellement dans le bassin de la Somme. En Bretagne, il était beaucoup plus important. Les rivières ont donc réagi plus vite à la pluie qu'elles ne l'ont fait dans la Somme. Il y a, dans ce cas, davantage d'eau dans la zone non saturée puisque l'eau y descend pour atteindre la zone aquifère dont le niveau monte progressivement.

Corrélativement à cela, le débit des rivières augmente. Durant ces hautes eaux exceptionnelles, la nappe est montée encore plus haut. Les sources pérennes ont donc connu un débit plus important. Il est apparu par ailleurs des sources temporaires dans des zones où, normalement, il n'y a pas d'écoulement superficiel. Elles ont accru les apports aux eaux superficielles.

Par ailleurs, cette nappe possède une grande inertie. Lors d'années telles que 1996, 1997, 1998, peu pluvieuses, le niveau de la nappe diminue mais elle continue d'alimenter les rivières. Malgré le peu d'apports pluvieux, les affluents de la Somme continuent de couler.

En revanche, quand les apports sont supérieurs à la moyenne, comme en 1999 et 2000, le niveau de la nappe monte. Au cours de chaque hiver, ce niveau monte puis redescend à un niveau supérieur à celui atteint l'année précédente lorsque l'année est excédentaire. Fin 2000, la nappe était déjà à un niveau élevé suite aux deux années précédentes, pluvieuses, auxquelles se sont ajoutées les pluies exceptionnelles de 2000-2001. Pendant les premiers mois, la nappe a accumulé les quantités d'eau tombées. Fin mars, elle a commencé à déborder et ce, jusqu'à début mai. L'inondation a donc duré deux mois.

Ainsi, de la même façon, à la fin du prochain été, nous aurons atteint un niveau encore supérieur au niveau du début de l'automne dernier.

Par conséquent, il y a un risque relativement important d'inondation l'an prochain, même avec des pluies moins exceptionnelles que cette année. Cela justifie notre proposition de doter les services de l'État de moyens de suivi et de prévision de l'ensemble de ces phénomènes.

Cela n'existait pas auparavant parce que le besoin ne s'en faisait pas sentir. Les seuls outils de prévision concernaient les étiages. On craignait un assèchement des nappes lié au développement de l'irrigation.

Aujourd'hui, les dispositifs de mesure sont suffisants en matière de météorologie et d'hydrogéologie, mais quelque peu insuffisants en matière d'hydrologie. Mais, surtout, ces différents outils sont gérés par des organismes distincts qui ne se communiquent pas leurs informations. Nous recommandons un rassemblement des données météorologiques, hydrogéologiques, hydrologiques, hydrauliques et la création d'un modèle de prévision. Simpliste cette année, faute de temps, ce modèle pourra être amélioré ultérieurement. Étant donnée l'inertie de la nappe, il est possible d'effectuer des prévisions à partir de la pluviométrie.

Durant l'inondation, la rivière et le canal, créé au XIXe siècle, n'ont pas pu évacuer cette quantité d'eau anormale. Par conséquent, il y a eu débordement dans le lit majeur. Cette quantité d'eau, évaluée à 90 millions de mètres cubes, a été extrêmement difficile à évacuer, notamment parce que l'on avait quelque peu oublié l'utilité du réseau hydraulique. Celui-ci est constitué des affluents de la Somme et de fossés destinés à ramener les eaux dans le canal au niveau du bief inférieur. D'une part, ce réseau était plus ou moins bien entretenu. D'autre part, certains ouvrages limitaient ses capacités d'écoulement. Le mauvais entretien ou ces obstacles ont sans doute renforcé l'effet de l'inondation et, très probablement, retardé la décrue.

Deux questions se sont alors posées.

D'une part, y avait-il eu des apports de bassins voisins ? Le bassin de la Seine a été incriminé. Nous avons pu vérifier que les ouvrages de navigation qui assurent la liaison entre les bassins du Nord, le bassin de la Somme et celui de la Seine n'ont pas été responsables d'apports d'eau extérieurs. Les consignes d'exploitation de ces ouvrages, en période de hautes eaux, conduisent plutôt à des transferts du bassin de la Somme vers les autres bassins. Elles avaient été mises en _uvre.

Par ailleurs, à partir du 27 avril 2001, sur décision du ministre de l'Équipement, des transferts ont été organisés dans l'autre sens. Ceux-ci se sont traduits par une réduction des possibilités de navigation sur le canal du Nord. Cela a permis de pomper aux différentes écluses et de déverser quelques mètres cubes par seconde d'eau du bassin de la Somme vers la Sensée au nord et vers l'Oise au sud.

D'autre part, les ouvrages proches de la mer, à Saint-Valéry-sur-Somme, en aval du canal maritime, ont-ils limité les possibilités d'écoulement ? Ces ouvrages ont bien fonctionné. Le canal maritime n'a pratiquement pas débordé. L'eau arrivée à Saint-Valéry-sur-Somme a pu être évacuée à la mer. Les obstacles à l'écoulement se sont plutôt manifestés à Abbeville et en amont.

En revanche, le système d'ouvrages de Saint-Valéry comporte une porte à la mer, que l'on ferme quand le niveau de la mer est supérieur au niveau du canal, afin d'éviter l'introduction d'eau de mer dans les terres. En situation normale de hautes eaux, ces portes sont toujours ouvertes, sauf pendant les hautes mers de vives eaux, pendant lesquelles il faut les fermer quelques heures. Cette fermeture a une répercussion en amont, à hauteur d'Abbeville, puisqu'elle augmente le niveau de l'eau de quelques décimètres. Il serait possible d'envisager un ouvrage à Saint-Valéry qui éviterait cet inconvénient à Abbeville. Cela ne changerait en rien les possibilités d'écoulement de l'eau de l'ensemble du bassin, mais limiterait une remontée de celle-ci à Abbeville.

Une telle crue ne peut être évitée. Cependant, il est possible de faciliter les écoulements, notamment dans le lit majeur. Pour cela, certains travaux doivent être réalisés au cours de l'été prochain. La conception d'un système optimisé dans le lit majeur nécessite, d'une part, des études hydrauliques et d'autre part, une concertation entre les communes concernées. Il est possible d'améliorer la situation dans une commune, mais il ne faut pas créer des dommages plus importants dans la commune voisine.

À Saint-Valéry, on peut envisager un ouvrage qui supprimerait l'impact des hautes mers de vives eaux à Abbeville. Le long du canal maritime, un contre-fossé a inondé la station d'épuration de Saint-Valéry et quelques habitations proches car il draine une partie des quartiers de la rive gauche. On pourrait imaginer d'améliorer les caractéristiques de drainage de ce fossé et de modifier l'ouvrage à la mer afin qu'il se vide plus facilement. Cela nécessitera peut être l'implantation d'une pompe permanente du type de celles qui avaient été mises en place provisoirement.

De manière plus générale, il faut noter que cette inondation est arrivée dans une région qui n'avait pas vraiment de culture du risque. Tout le monde a été surpris, tant les pouvoirs publics que les collectivités territoriales et les habitants. Il n'y avait pas de plan de prévention des risques (PPR). En revanche, suite aux crues de 1994-1995, un atlas des zones inondables venait d'être terminé, mais n'était pas encore diffusé. Il conviendra de le réviser pour tenir compte de cette crue. Nous recommandons de réaliser des PPR dans toutes les zones inondées et inondables. Le préfet les a d'ores et déjà prescrits.

L'urgence porte sur la réhabilitation des logements existants et, éventuellement, le relogement dans un autre site. Certains logements ont été à ce point dégradés qu'il est sans doute raisonnable d'envisager de les reconstruire en zone non inondable. À cet égard, nous avons une approche différente de celle des assurances qui préconisent la reconstruction à l'identique. Aussi, une aide financière doit-elle être envisagée afin de permettre le relogement dans des conditions convenables, d'autant que les familles concernées ont généralement des revenus modestes et n'ont pas la possibilité de reconstruire ailleurs sans aide.

M. le Président : Nous avons compris que le risque est encore très élevé dans la Somme. Des pluies, même moyennes, risquent de permettre la reproduction des phénomènes que nous venons de connaître.

Vous avez évoqué des travaux ou des dispositions à prendre qui permettraient de limiter en partie les conséquences d'une inondation. Pensez-vous que l'État ait une capacité de réaction et de prise de décision suffisante pour faire face à des problèmes éventuels dans les mois à venir ? Je suis plutôt inquiet. On connaît relativement bien les phénomènes que vous avez décrits... Ensuite, il faut réagir !

M. Claude LEFROU : Un comité interministériel est programmé pour le 9 juillet. Il abordera la question de la Somme et de la Bretagne. L'État débloquera des financements dont j'ignore le montant.

Concernant le service d'annonce des crues, il y a lieu d'être optimiste. Une réunion est programmée lundi à Amiens dans le but d'établir le cahier des charges de ce service. À la fin de l'été ou au cours de l'automne, l'État se sera doté d'un outil de suivi et de prévision efficace qui permettra d'informer correctement les pouvoirs publics et la population des risques éventuels.

Concernant les travaux à effectuer, qu'il s'agisse des réparations à faire sur le canal, sur la voirie, ou des travaux d'amélioration du système hydraulique facilitant l'écoulement des eaux, l'État n'est pas maître d'ouvrage. Ce sont les collectivités territoriales qui le sont. Le canal est une voie navigable dont la propriété a été transférée au conseil régional dans le cadre de la loi de décentralisation. Il l'a lui-même concédée au conseil général, aujourd'hui maître d'ouvrage des travaux.

Concernant tous les autres équipements hydrauliques, les maîtres d'ouvrage sont, soit des associations syndicales autorisées, soit des syndicats de communes qui disposent de peu de moyens et ont réalisé peu d'opérations. Nous suggérons une réflexion à propos de la maîtrise d'ouvrage afin que le département s'implique en réalisant un ou plusieurs syndicats mixtes. Le département a déjà pris des initiatives à cet égard.

M. le Président : Il ne suffit pas d'être maître d'ouvrage et d'effectuer des travaux dans l'urgence, encore faut-il qu'il y ait des autorisations de l'État ! Compte tenu de l'urgence, avons-nous la capacité à répondre dans les délais ? Nous savons souvent qui est le maître d'ouvrage mais compte tenu de la complexité des textes administratifs, notamment concernant les appels d'offres, pourra-t-il réaliser des travaux avant l'année prochaine ? Lorsque nous sommes allés dans la Somme, des maires nous ont expliqué qu'ils avaient lancé les travaux les plus urgents mais qu'ils doutaient de la légalité de ces actes. La notion d'urgence sera vérifiée par le juge. En l'occurrence, y a-t-il urgence ?

M. Claude LEFROU : Les procédures prévoient, en effet, des exceptions pour les travaux d'urgence.

Le principal problème demeure l'identification d'un maître d'ouvrage et l'obtention des financements. Il est nécessaire que les études techniques, permettant la réalisation des ouvrages, soient faites rapidement. La direction départementale de l'équipement est le maître d'_uvre du département de la Somme. Elle a la capacité technique à répondre à la demande, mais des décisions politiques doivent être prises. Cependant, l'ensemble des services de l'État est mobilisé dans le département et s'il y a nécessité d'accélérer les procédures administratives, le préfet pourra y pourvoir.

M. le Rapporteur : Dans le cas de la Somme, qui me concerne tout particulièrement, vous avez dit ce que tout le monde pense sur place, à savoir que de nouvelles inondations peuvent se produire. Vous avez préconisé un service de prévision. Il permettrait d'expliquer aux gens qu'ils vont être inondés et de prendre les dispositions nécessaires, mais il ne permettra pas d'éviter l'inondation.

Vous avez préconisé un certain nombre de travaux d'urgence. Quel peut être l'impact potentiel de ces travaux ? Quelle sera l'importance de la baisse des niveaux d'eau ?

M. Claude LEFROU : Les travaux d'urgence auront un impact local certain. Certains travaux ont été réalisés pendant les événements avec l'aide du Génie. Un certain nombre d'obstacles à l'écoulement ont été supprimés ou réduits. Les travaux de cette nature peuvent être envisagés dès à présent. Ils limiteront localement l'impact de l'inondation mais, globalement, il est peu probable que ces travaux soient réellement significatifs.

M. le Rapporteur : Des travaux ont été réalisés pendant la crise et ont eu des effets sur le niveau de l'eau. Était-ce une coïncidence ? Les gens se sont demandé alors pourquoi ils n'avaient pas été effectués plus tôt. Était-ce possible techniquement ? S'est-on posé la question du coût et de leurs conséquences ?

M. Claude LEFROU : Comme ces travaux n'avaient pas été imaginés auparavant, ils n'ont été réalisés que lorsque l'on a constaté que certains ouvrages limitaient l'écoulement. L'une des difficultés était de s'assurer qu'en limitant l'inondation à un endroit, on ne l'aggravait pas ailleurs.

M. le Rapporteur : Si M. Maxime Gremetz était là, il vous parlerait d'un blocage à Amiens. Y a-t-il un verrou qui pourrait être évité ?

M. Claude LEFROU : Il est clair que cela est plus difficile à traiter sur Amiens. On peut faire des améliorations assez facilement à Abbeville, ainsi qu'à Fontaine-sur-Somme. Certains verrous ont été identifiés. À Amiens, il faudrait des études relativement approfondies pour améliorer la situation, notamment au niveau des hortillonnages.

M. le Rapporteur : Il y a une polémique sur l'entretien du canal de la Somme. J'ai cru comprendre que vous estimiez qu'il avait été convenablement entretenu. Lors de notre déplacement, de nombreuses personnes nous ont signalé des dysfonctionnements, l'absence de profondeur et la présence de coquilles au fond du lit du canal. Qu'avez-vous constaté ?

M. Claude LEFROU : La profondeur du canal est variable selon l'endroit et le type de navigation qui y est pratiquée. Ce canal est entretenu par le conseil général qui dépense beaucoup plus d'argent que l'État en son temps. Il y consacre 10 millions de francs par an, afin de permettre la navigation, commerciale en aval et de loisirs en amont. Jusqu'à présent, on n'imaginait pas qu'il soit utile d'entretenir le canal pour autre chose. Si l'on revenait à un gabarit plus important que les spécialistes appellent le curage « à vieux fonds et à vieux bords », cela augmenterait les capacités du canal sans pour autant permettre l'écoulement de la totalité des eaux de pluie du bassin de la Somme. Malgré tout, si les caractéristiques du canal avaient été différentes, l'inondation aurait sans doute été moins importante.

M. le Rapporteur : Vous avez dit qu'il fallait faciliter l'écoulement des eaux par le canal, mais aussi par le réseau des contre-fossés et des rivières du bassin et qu'il serait souhaitable de le faire rapidement en mobilisant les collectivités locales par le biais des syndicats. Je ne sais si l'on y parviendra rapidement. Le président du conseil général nous expliquait qu'il avait essayé de le faire sur le bassin de l'Hallue et de l'Ancre et qu'il avait été obligé d'y renoncer. Le fait que nous ayons connu cette crise permettra peut-être une meilleure sensibilisation des élus locaux.

De manière générale, quelles sont les réformes et orientations à retenir pour l'organisation des bassins versants ?

M. Claude LEFROU : Il s'agit non seulement d'une approche hydraulique, mais également d'un problème d'aménagement du territoire. Il convient à la fois d'imaginer un système hydraulique cohérent, mais aussi d'admettre que l'eau, en cas de pluviométrie exceptionnelle, ne peut pas rester dans le lit mineur. Il faut organiser le lit majeur avec des zones protégées de l'inondation et des zones affectées à l'expansion de la crue. On doit aboutir à une approche intercommunale correspondant à la fois aux contraintes hydrauliques, mais aussi aux politiques d'urbanisme.

M. le Rapporteur : De façon plus générale, quel est le meilleur intervenant ? L'État doit-il prendre une responsabilité plus importante que celle qui lui est normalement attribuée, ou bien faut-il laisser aux collectivités locales le soin de s'organiser ?

M. Claude LEFROU : La réponse à cette question est politique. Nous nous situons dans la répartition des responsabilités entre l'État, les communes et essentiellement, les organisations intercommunales. Sans organisation intercommunale, il n'y a pas de solution possible.

M. Jean LAUNAY : Vous avez dit tout à l'heure que le réseau hydraulique avait été plus ou moins bien entretenu. Cette formule est souvent négative. Avez-vous identifié les responsabilités de ceux qui avaient construit certains types d'ouvrages limitant la capacité d'écoulement? Qui sont-ils et ont-ils des responsabilités directes sur les retards observés dans la décrue ?

Par ailleurs, quel est le meilleur niveau pour la maîtrise d'ouvrage ? Je suis également partisan de l'intercommunalité. Chacun exige une protection maximale et cherche à identifier des responsables. Notre objectif est de proposer un schéma cohérent offrant la capacité de réagir en urgence et, au-delà, d'éviter la répétition des problèmes. Là est l'objet de notre commission d'enquête.

M. Claude LEFROU : Nous avons identifié vingt associations syndicales autorisées et sept syndicats intercommunaux ayant des responsabilités dans la gestion de ce réseau hydraulique complexe, mise à part la gestion du canal lui-même, qui revient au conseil général.

Juridiquement, les riverains sont responsables et les communes ont un pouvoir de substitution. Ce n'est qu'à ces niveaux que l'on a des possibilités d'action. Bien entendu, l'État et les collectivités territoriales, telles que les régions et les départements, ont des capacités d'incitations financières. De plus, le département peut entrer dans les syndicats mixtes.

On retrouve partout ce type de difficultés, liées à l'évolution de la société. Auparavant, les riverains entretenaient les cours d'eau. Aujourd'hui ils ne le font plus pour des raisons multiples. Auparavant, ces riverains étaient souvent des agriculteurs et avaient une main-d'_uvre disponible en dehors des périodes de culture : assez naturellement, ils pouvaient donc entretenir le voisinage de leur propriété. Par ailleurs, l'impact de la pollution était moins important qu'actuellement : aujourd'hui, il leur faudrait retirer de la rivière des matériaux qui n'y sont pas venus naturellement. Par conséquent, la plupart des riverains ont perdu l'habitude d'entretenir les rivières dont ils sont propriétaires. L'entretien se fait correctement dans les endroits où les communes se sont substituées aux riverains et organisées en syndicats intercommunaux.

M. Stéphane ALAIZE : Vous signalez le mauvais entretien des rivières comme étant un facteur aggravant dans les inondations. Quel type d'entretien conduirait à un meilleur écoulement des eaux ? Je suis le représentant d'une région à crues méditerranéennes. Nous sommes confrontés à de grosses difficultés concernant l'entretien du lit de la rivière et des berges. Les atterrissements, dépôts de graviers et de pierres, modifient le cours de l'eau. Par ailleurs, les embâcles s'accumulent, ces arbres déracinés se calent en bordure de rivière et, le jour de la crue, contre les ponts. Ils constituent des barrages qui provoquent de nombreux dégâts, voire une vague qui fait déborder le lit de la rivière. À quel rythme cet entretien devrait-il être fait ?

Nous avons parlé des maîtres d'ouvrage. L'une de nos difficultés est la réticence des services de l'État à donner des autorisations alors que la volonté existe localement, notamment au niveau intercommunal. Quelles améliorations peuvent être apportées ?

M. Claude LEFROU : La situation dans la Somme est très différente de celle des régions méditerranéennes. Les phénomènes d'embâcles ne la concernent pas. Les vitesses d'écoulement n'entraînent pas des arrachages d'arbre, comme on les a connus dans les crues de l'Aude.

Il s'agit dans la Somme de calibrer le lit de la rivière, éventuellement de faire sauter des obstacles ou de créer des possibilités d'écoulement.

Cela diffère sensiblement de ce qui se passe en zone méditerranéenne, où l'équilibre est assez difficile à trouver entre un dimensionnement des lits de rivières permettant l'évacuation des crues d'une part, et l'équilibre écologique de la rivière, sur lequel les avis divergent, d'autre part. Les quantités d'eau à évacuer en cas de crue sont sans commune mesure avec ce que l'on a pu connaître dans la Somme. Dans la Somme, 100 m3 par seconde se sont déversés sur un bassin de près de 6 000 km2. En zone méditerranéenne, sur des bassins de quelques centaines de kilomètres carrés, on connaît des débits bien plus importants. Il est impensable qu'il n'y ait pas de débordement. Mais il existe des possibilités d'entretien qui permettent de limiter l'impact des embâcles et des débordements.

M. le Président : Suite à votre mission dans la Somme, vous avez fait des propositions. Cela avait déjà été le cas dans l'Aude. Ce que vous préconisiez en 1999 a-t-il été suivi d'effets en 2001 ?

M. Claude LEFROU : Je n'ai pas été chargé de faire le point. Je ne suis pas sûr de pouvoir faire une évaluation correcte et exhaustive de ce qui a été réalisé. Nous avions recommandé la création d'un service hydro-météorologique interrégional ou interdépartemental. Il semble que l'on s'achemine vers un service national. Il y avait par ailleurs des travaux à engager dans les basses plaines de l'Aude. L'État, la région et les départements ont mis en place le financement dans le cadre du contrat de plan. Les études ont été réalisées, le maître d'ouvrage est trouvé. Il est donc permis de penser que tous les travaux nécessaires seront réalisés.

Enfin, le département a mis en place une organisation en matière d'entretien des rivières, c'est une sorte de fédération des syndicats existants, aidée financièrement par le département, mais également l'État et l'agence de l'eau.

M. Robert GALLEY : Dans votre rapport d'étape sur la Somme, j'ai été frappé par la modestie des propositions en matière de zones d'expansion des crues. Il n'est pas question d'en faire une solution miracle. Mais, dans les plus hautes vallées de la Somme, ne pourrait-on pas faire un recensement systématique et faire en sorte que les gens acceptent que certaines de leurs terres soient inondées pour éviter que d'autres le soient ?

C'est un problème que je connais dans la vallée de la Seine. Votre mission d'expertise ne peut aller aussi loin qu'on pourrait le souhaiter étant donné que vous n'avez pas pu travailler assez longtemps sur ce sujet. Considérez-vous qu'il est parfaitement superfétatoire de rechercher des zones d'expansion pour limiter le phénomène dans la basse vallée de la Somme ?

M. Claude LEFROU : D'une part, pour des raisons topographiques et géologiques, on ne peut pas imaginer, comme dans le bassin de la Seine, de grands barrages-réservoirs. En revanche, il est possible de répartir les zones de crues et les zones protégées. Dans la partie aval du bassin, qui a été inondée, une telle répartition serait efficace. Quelques aménagements sur l'amont peuvent apporter des améliorations. Les pompages effectués vers l'Oise ou vers la Sensée ne sont pas inutiles, mais leur impact risque d'être limité par rapport à un bon aménagement du lit majeur, dans sa partie comprise entre Amiens et la mer.

M. Paul DHAILLE : Beaucoup de zones font déjà office de zones d'expansion. Dans le lit majeur, de nombreuses zones d'étangs ont été inondées. Il n'y a pas eu de réactions importantes dans la mesure où les habitants de ces secteurs sont habitués à ces phénomènes. Mais en raison de l'importance de la crue, on a eu des débordements plus importants dans des zones inhabituelles ; des habitations ont donc été touchées. Seules quelques zones du lit majeur sont urbanisées. Cela a joué.

M. Robert GALLEY : En Seine-et-Marne, sur la Bassée, on envisage la création d'une zone d'expansion des crues d'une capacité de 40 millions de mètres cubes en reliant d'immenses carrières. Le projet est lancé. Là encore, on peut se demander s'il va apporter quelque chose ou s'il est superfétatoire.

M. le Président : Je vous ai demandé si vous aviez connaissance du suivi des mesures que vous aviez préconisées. Vous avez répondu que votre mission interministérielle sur l'Aude étant terminée, vous ne saviez pas ce qui s'était passé par la suite. Ne faudrait-il pas que les missions interministérielles désignées puissent, deux ou trois ans après, vérifier si l'analyse et les propositions faites ont bien été mises en _uvre ou s'il y a des correctifs à apporter ? A priori, il semble qu'il n'y ait pas de suivi.

M. Claude LEFROU : Une organisation plus systématique du retour d'expérience serait préférable. Le plus souvent, on nomme une mission interministérielle sur les cas exceptionnels, avec un objectif précis et une mission limitée dans le temps. Sur certains événements, il serait sans doute utile d'avoir un retour d'expérience à six mois, un an ou deux ans après. Dans le cas de l'Aude, six mois plus tard, on ne pouvait évaluer définitivement tous les dommages aux habitations. Il en sera de même dans la Somme.

De même, l'impact socio-psychologique doit être analysé dans le temps, parce que les conséquences des dégâts perdurent au-delà de la mission. Dans le cas de l'Aude, certaines personnes rencontrent encore des problèmes dans leurs habitations, notamment le développement de champignons. Cela n'avait pas été évalué au moment de la mission. Un certain nombre d'aspects méritent d'être suivis, pas nécessairement par le biais de missions interministérielles d'inspection, mais par l'organisation systématique du retour d'expérience, y compris sur des événements moins médiatiques que ceux qui font l'objet de ces missions.

M. le Rapporteur : Dans votre rapport sur l'Aude, vous aviez évoqué la nécessité d'améliorer la procédure d'élaboration des PPR. Vos recommandations ont-elles été suivies d'effets ?

Pour en revenir à la Somme, concernant la gestion de la crise, comment avez-vous jugé la couverture médiatique ? Comment avez-vous apprécié la cellule interministérielle ? Cette formule doit-elle être mise en place systématiquement ?

M. Claude LEFROU : Concernant les PPR, nos conclusions sont proches de ce que M. Yves Dauge a écrit dans son rapport. On a progressé dans la concertation. Le PPR est une décision de l'État, mais pour qu'il soit suivi d'effet, il convient que les collectivités concernées et la population s'approprient les propositions qu'il contient. De plus, les collectivités et les populations doivent avoir une bonne appréciation du risque. Ce n'est pas facile car les gens ont tendance à vouloir oublier et donc à minimiser le risque.

Cette approche participative dans l'élaboration des PPR n'est aujourd'hui pas optimale, d'autant plus qu'il y a une volonté du Gouvernement d'établir le plus tôt possible un grand nombre de PPR. C'est quelque peu contradictoire avec la nécessité de prendre le temps de s'accorder sur les dispositions retenues.

S'agissant de la diffusion de l'information dans la Somme, il y a eu une médiatisation extraordinaire. Les revues de presse sur la Somme sont bien plus importantes que sur d'autres événements de ce type. L'administration était démunie pour communiquer, parce qu'elle ne disposait pas de l'outil d'information dont elle va désormais se doter. Par conséquent, elle a suivi l'événement un peu comme l'ont fait les journalistes et a relativement peu anticipé. Elle fera mieux la prochaine fois.

La prévision est plus facile dans le cas de la Somme car le phénomène est lent. Dans le cas des inondations méditerranéennes, c'est très difficile et cela requiert la mise en place de technologies sophistiquées, telle que l'utilisation de radars météorologiques, dont on a moins besoin dans la Somme.

La cellule interministérielle mise en place dans la Somme est une bonne chose. On a doté l'administration préfectorale de moyens supplémentaires, de personnes expérimentées, dans un département qui n'avait pas du tout l'expérience de la gestion de ce type d'événements. En cas d'événements de cette nature, il serait utile de mobiliser des expériences acquises en d'autres lieux. Faut-il avoir une cellule affectée à cela ? Cela paraît difficile, car ce n'est pas un travail à plein temps. En revanche, on pourrait envisager un recensement de personnes mobilisables et compétentes en ce domaine en cas d'événements de cette nature.

M. le Président : Monsieur le président, nous vous remercions.

Audition de M. Bruno LEDOUX,
consultant conduisant des études
sur le retour d
'expériences des crises en France et à l'étranger

(extrait du procès-verbal de la séance du 27 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Bruno Ledoux est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Bruno Ledoux prête serment.

M. le Président : Vous avez acquis une compétence particulière en matière de retour d'expérience, tant en France qu'à l'étranger. La commission est évidemment désireuse d'en savoir plus sur ce nouveau concept et sur ce que l'on peut en attendre pour définir une politique de prévention des inondations plus efficace. Vous avez aussi mené des études sur les impacts socio-économiques des inondations, avec M. Gilles Hubert. Vous nous direz si cette approche vous semble suffisamment développée dans notre pays.

M. Bruno LEDOUX : Je suis consultant indépendant dans le domaine de la prévention des risques et inondations. Je suis installé à Montpellier, mais je travaille sur l'ensemble du territoire français, métropole et départements d'outre-mer. Je travaille depuis dix ans dans ce domaine. J'ai commencé ma carrière dans une filière d'ingénierie technique du premier courtier français d'assurance. Ensuite, j'ai travaillé dans un organisme de recherche à Montpellier pour l'aménagement du territoire. Depuis six ans, je suis installé à mon compte en tant que consultant. J'ai un collaborateur, un juriste spécialiste en droit de l'environnement et de l'eau.

J'étudie essentiellement trois aspects de la prévention des risques : les approches à caractère socio-économique, la gestion des zones inondables et les problématiques de gestion de crise et post-crise, en mettant en _uvre des démarches de retour d'expérience, tant en France qu'à l'étranger.

Les approches socio-économiques sont d'abord des études a posteriori. Puis le retour d'expérience après les grands sinistres nourrit des modélisations économiques. J'ai réalisé des études concernant la Loire et la région parisienne pour simuler, non pas l'aspect hydraulique pris en charge par les hydrauliciens, mais les conséquences socio-économiques imputables à la récurrence des grandes inondations du début du siècle et du siècle dernier.

Notre deuxième pôle de compétence est la gestion des zones inondables, en milieu urbain ou péri-urbain, à travers la mise en _uvre des fameux outils, anciennement plans d'exposition aux risques (PER), aujourd'hui plans de prévention des risques (PPR). J'ai travaillé pour les services centraux, sur les aspects méthodologiques, et pour les services déconcentrés de l'État, sur la mise en _uvre des PPR. Je préciserai mon point de vue à ce sujet. J'essaie d'intervenir très en amont de la mise en _uvre de ces outils.

Je travaille également sur la gestion des zones inondables en milieu rural et naturel et sur des notions nouvelles de préservation et de restauration des champs d'expansion des crues.

Concernant la gestion de la crise et de la post-crise, j'ai eu l'occasion de travailler sur les cas de l'Aude et du Tarn avec M. Claude Lefrou. Actuellement, j'_uvre sur un programme de recherche portant sur la gestion des grandes inondations au Québec et sur les grandes crues de l'Oder. J'essaie de développer l'outil du retour d'expérience en partant du constat effectué lors de mes études économiques sur la Seine et la Loire. Sur la région parisienne et sur la Loire, nous essayons d'évaluer les impacts de crues que l'on n'a pas connues depuis un siècle ou un siècle et demi. C'est très difficile. L'idée est d'analyser des expériences étrangères similaires telles que celle de l'Oder en Pologne et celle du Saguenay dans la province québécoise.

Je suis également auteur d'un ouvrage sur les catastrophes naturelles, paru en 1995, qui balaie l'ensemble des phénomènes naturels susceptibles de se produire sur le territoire français et la façon dont on les gère. Plus récemment, j'ai écrit un ouvrage plus technique en collaboration avec Gilles Hubert sur les méthodes d'évaluation économique des dommages.

Par ailleurs, depuis deux ans, mon bureau d'études publie une lettre d'information sur la prévention des risques et inondations en France. Un dernier numéro vient de paraître. Il s'agit d'une rétrospective des inondations en France et dans le monde en 2000.

M. le Rapporteur : Quelques questions sur le concept même de retour d'expérience : pouvez-vous nous expliquer la méthode, les outils, sa finalité et éventuellement son origine ? Le retour d'expérience en matière de gestion des catastrophes naturelles est-il fréquent en France ? Avez-vous des comparaisons avec l'étranger ? Pourriez-vous nous préciser quelles précédentes catastrophes ont fait l'objet de retour d'expérience et quels enseignements ont pu en être tirés ?

M. Bruno LEDOUX : J'ai commencé à utiliser la méthode sans qu'elle ne soit très formalisée. Lorsqu'on m'a demandé de simuler l'impact potentiel de crues de grande ampleur, du type de celles susceptibles de se produire sur la Loire ou sur la Seine, j'ai naturellement cherché à tirer les enseignements de sinistres survenus ces dix dernières années en France. Il s'agissait de caler nos modèles et de construire des fonctions d'endommagement qui permettent, en fonction de paramètres hydrauliques, d'évaluer le coût moyen des dommages relatifs à l'habitat, aux entreprises, etc.

J'ai rencontré des experts qui, depuis la mise en place de la loi de 1982 sur l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles, ont eu à évaluer les inondations en France, tant au niveau de l'habitat qu'au niveau industriel. J'ai consulté les statistiques des assureurs, mais j'ai surtout travaillé avec leurs experts. Cela a été ma première démarche de retour d'expérience visant à modéliser les impacts économiques des inondations.

Progressivement, j'ai constaté qu'au-delà de l'information à caractère économique et financier sur le dommage, on pouvait retirer certains enseignements de ces démarches, notamment sur les dysfonctionnements que l'on ne parvient pas à intégrer dans nos modèles économiques et sur la gestion de la crise et de la post-crise. J'ai pris conscience que les modalités de la gestion de crise et de la post-crise, appelée phase de reconstruction, influençaient l'ampleur des dommages indirects. Petit à petit, j'ai pensé qu'il serait intéressant de passer de l'expérience française de petits sinistres à l'observation des expériences étrangères. Au cours des vingt dernières années, nous n'avons pas eu de sinistres de grande ampleur spatiale, tels que ceux que l'on tente de simuler sur la Seine ou la Loire ; d'où l'idée d'observer des expériences étrangères.

La première expérience a été celle du Québec qui, pendant l'été 1996, a vécu une inondation de très grande ampleur. Ce phénomène, jamais vécu par les Québécois, ressemblait, en termes de perturbations de l'activité d'un territoire, à ce que l'on serait susceptible de vivre en région parisienne ou dans la Loire. La même étude va commencer en Pologne. Dans certaines de ses caractéristiques, la crue de l'Oder est assez semblable à ce que l'on pourrait vivre dans la Loire. Il convient d'étendre le champ du retour d'expérience à tous les aspects de la crise, à la façon dont les acteurs se mobilisent et apportent des réponses aux problèmes posés par les crues de grande ampleur spatiale.

Depuis quelques années, le ministère de l'Environnement fait ce même constat : il est impératif de mieux formaliser et systématiser le retour d'expérience. L'objectif est de valoriser les enseignements afin de nourrir la réflexion sur la prévention. Après les inondations de l'Aude et du Tarn, et auparavant suite à la catastrophe de Vaison-la-Romaine, nous avions constaté que, faute d'organisation du retour d'expérience et de diffusion des enseignements retirés, chaque département confronté à la gestion de crise et de post-crise réinventait les mêmes procédures. Comme l'expérience acquise n'avait pas été diffusée, on perdait des jours précieux à réinventer des procédures et des dispositifs que le département voisin avait déjà créés. Dans la mesure où une telle expérience n'intervient qu'une fois, au maximum, dans la carrière d'un fonctionnaire, il y a nécessité d'organiser et de diffuser le retour d'expérience afin de mettre l'expérience acquise à la disposition des gestionnaires confrontés à des phénomènes équivalents.

M. le Rapporteur : À l'occasion de votre expérience de l'Aude et du Tarn, vous aviez conclu qu'il conviendrait de créer un « bureau départemental de reconstruction ». Est-ce pour mobiliser l'information ? Le niveau départemental est-il opportun ?

M. Bruno LEDOUX : Je me suis inspiré de l'expérience québécoise qui m'a beaucoup séduit. Au lendemain de la catastrophe, le gouvernement québécois et les autorités ont décidé de gérer la phase de reconstruction de manière assez originale. Dans la région sinistrée, ils ont mis en place une structure ad hoc, appelée « bureau de reconstruction », gérée par le plus haut fonctionnaire en place dans la région. Un certain nombre d'experts dans divers domaines ont été mis à disposition auprès de ce bureau. En place pendant trois ans, il a constitué un lien très efficace et original entre le niveau local, c'est-à-dire le territoire sinistré, et les plus hautes instances du gouvernement, de façon à accélérer les procédures administratives. Cela permettait aux différents ministères d'élaborer très rapidement des textes réglementaires adaptés à des situations très locales.

Par exemple, concernant les indemnisations, il n'existe pas de système d'assurance « catastrophes naturelles » au Québec. L'État prend en charge les indemnisations, selon un certain seuil, pour les dommages à l'habitat. Si l'on avait respecté ce seuil, il y aurait eu un exode des populations dans les zones très rurales, car l'habitat y était en très mauvais état et ne correspondait absolument pas à la valeur établie par ce seuil. Le constat très rapide de ces problèmes par le bureau a été transmis au niveau central. Un texte a été aussitôt élaboré, qui a permis de relever les seuils dans certaines circonstances.

À l'inverse, dans l'Aude, ce travail a été réalisé par les administrations elles-mêmes. La préfecture devait faire face à son travail habituel et, en outre, devait gérer la post-crise et la reconstruction. D'une part, cela représentait un travail supplémentaire très difficile à gérer pour les fonctionnaires. Cela a duré plusieurs mois et cela dure encore. D'autre part, ces personnes n'étaient pas forcément les plus compétentes. Les problèmes de reconstruction font appel à des compétences très spécifiques en comptabilité et à une bonne connaissance des textes dans leurs aspects dérogatoires. Lorsqu'un sinistre atteint un certain seuil territorial tel que celui de l'Aude, il me semble opportun de mettre en place ce type de dispositif. Il a été amorcé dans l'Aude sous forme d'un bureau spécifique avec un détachement de quelques fonctionnaires, mais visiblement, c'était très insuffisant.

Par contre, dans le Tarn, le sinistre était plus réduit territorialement. La sous-préfecture a bien assumé la phase de post-crise et de reconstruction.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que ce serait utile dans la Somme ?

M. Bruno LEDOUX : Je le pense, car les fonctionnaires des services de l'État doivent faire face à la fois à leur travail habituel et à ce surcroît de travail.

Dans l'exemple de l'Aude, le conseil général a décidé de basculer pendant un an l'intégralité de la charge de travail des services concernés sur la reconstruction. Les services d'une direction départementale de l'équipement ou d'une préfecture ne peuvent pas le faire. Il conviendrait de creuser cette réflexion en cas de sinistre d'ampleur spatiale importante.

M. le Rapporteur : Avez-vous des conclusions généralisables à retirer du retour d'expérience ? Comment optimiser cet outil ? La création d'un centre de mémoire pourrait-elle répondre à cette préoccupation et comment l'envisagez-vous ?

M. Bruno LEDOUX : Il faut en premier lieu observer le retour d'expérience de plusieurs sites. En second lieu, différents niveaux sont à considérer. À l'échelle nationale, à l'image de ce que l'on fait en matière d'incidents technologiques, on nourrit des statistiques, mais on ne retranscrit pas forcément l'expérience des gens de terrain. Il convient d'organiser un retour d'expérience à l'échelle locale de façon à ce que les gestionnaires de ces événements aient le recul nécessaire pour réfléchir à leur expérience et tenter de la formaliser.

Il me semble que le retour d'expérience a peut-être également une autre vocation. Je citerai l'expérience du Québec où nous étions proches de la situation de l'Aude. Les Québécois ont mis en place une commission scientifique et technique sur la gestion des barrages. L'inondation était en effet liée à des dysfonctionnements d'ouvrages hydrauliques, nombreux sur les rivières québécoises. Implicitement, cette mission avait un rôle social très fort, celui d'être un lieu d'écoute pour les sinistrés. Le particulier sinistré pouvait exprimer sa détresse, son point de vue sur les causes du phénomène qu'il avait subi ainsi que sur les améliorations à apporter. Ce rôle social de la démarche du retour d'expérience est très important.

Dans l'Aude et dans le Tarn, j'ai constaté une certaine déception de la part des élus. On avait annoncé une mission de retour d'expérience dirigée par M. Claude Lefrou. Les gens ont assisté au passage de M. Lefrou et ils ont attendu presque un an avant d'avoir un retour. Ils étaient en attente d'explications. En France, le retour d'expérience associe trop les experts parisiens et pas d'assez près les acteurs locaux. Ceux-ci viennent certes pour écouter les gens mais mettent plusieurs mois pour remettre leur rapport. Des améliorations sont perceptibles, il est vrai, puisque le rapport intermédiaire de M. Lefrou est sur Internet. Même si sa démarche n'est pas finalisée, on en prend acte en donnant un accès à l'information. Dans l'Aude, le problème est qu'il a fallu attendre un an avant de disposer du rapport et que les populations locales l'ont relativement mal vécu. Le retour d'expérience a aussi cette fonction sociale.

Comme le soulignait M. Lefrou, il convient par ailleurs de se donner les moyens de l'étaler dans le temps. Le retour d'expérience quasi immédiat est délicat parce qu'il intervient juste après la crise. Il est difficile de gérer un retour d'expérience serein et objectif à ce moment. La gestion des conséquences d'un sinistre s'étale dans le temps. Il faut donc revenir six mois, un an après. Il serait intéressant de revenir dans l'Aude aujourd'hui car le colloque, organisé par le Ministère de l'Environnement et l'OCDE en avril 2001 à Carcassonne, a montré que la phase de reconstruction n'était pas terminée. Des assistantes sociales du conseil général ont constaté que certaines personnes avaient encore des problèmes psychologiques, alors que tous les dispositifs de soutien ont pris fin. Ce suivi est important. Ainsi, il convient de différencier les différents niveaux et objectifs, notamment social et informatif, du retour d'expérience.

M. le Président : Ces deux niveaux vous paraissent-ils indispensables au plan local et national ?

M. Bruno LEDOUX : Cela me semble incontournable. Je faisais allusion à la publication que je viens de faire sur les inondations en France et à l'étranger en l'an 2000. Mes principales sources d'information sont les médias. En France, pour avoir du recul sur l'année 2000, je m'en remets également aux assureurs pour connaître le montant des indemnisations. J'ai d'autres sources d'information, mais aucune vision globale et exhaustive permettant une analyse correcte.

Or, c'est très important si l'on veut fixer les objectifs d'une politique de prévention. Comment les fixer si l'on n'a pas un état complet de la situation ? Ces données manquent parce que l'on n'organise pas de manière suffisamment généralisée le retour d'expérience.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous approfondir la question des PPR ?

M. Bruno LEDOUX : Le sujet des PPR est passionnant. Il m'intéresse dans la mesure où j'ai _uvré sur les anciens PER. En 1995, j'ai réalisé, pour le compte du ministère de l'Environnement, une mission de retour d'expérience sur la façon dont les services instructeurs ont mis en _uvre ces outils. Plus particulièrement, j'ai analysé les aspects socio-économiques, c'est-à-dire les études de vulnérabilité. J'interviens pour les services de l'État, non pas pour réaliser des PPR, mais très en amont afin de faciliter la démarche PPR stricto sensu et le dialogue entre les services de l'État et les collectivités locales.

Lorsque l'on parle de prévention des risques naturels, on ne pose pas toujours les problèmes de façon satisfaisante. On aborde d'emblée les aspects très techniques. On sous-estime, ou l'on méconnaît souvent, le fait que la gestion des risques ne relève pas seulement de la technique, mais aussi d'un problème politique de choix de société. Gérer les risques nécessite en premier lieu de se demander contre quoi l'on veut se protéger. On doit faire jouer le curseur entre le risque tel qu'il est aujourd'hui et le risque zéro. Le choix du niveau du curseur est politique.

Le ministère de l'Environnement s'est fixé l'objectif de 5 000 PPR en 2005. Cet objectif est présenté sous un angle technique mais que signifie-t-il réellement en termes de choix de société ?

Comment répondre à cette question ? Combien les inondations coûtent-elles à la société française chaque année ? Depuis 1982, selon la Caisse centrale de réassurance, elles coûtent 1,5 milliard de francs en indemnisations. Tous les dommages n'étant pas indemnisés, il faut multiplier ce chiffre par deux pour obtenir le coût réel. Depuis vingt ans, la société française supporte donc annuellement 3 milliards de francs de dommages en raison des inondations ! La moitié est prise en charge par l'assurance tandis que l'autre moitié correspond à ce que supportent les personnes mal assurées ou non assurées et à tout ce qui n'est pas assurable : les biens des collectivités locales et de l'État, qui sont leur propre assureur, à la nuance près que certains biens des collectivités locales sont assurables et assurés.

5 000 PPR vont-ils réduire ce montant de dommages annuels ? Non, ils ne réduiront pas d'un franc le coût des dommages. Le PPR permet simplement de ne pas augmenter ce coût. Il agit sur le futur, mais il n'est pas rétroactif et n'agit pas sur l'existant, ou très faiblement.

Cela veut-il dire que, politiquement, on a fait le choix de rester à ce niveau de 3 milliards de dommages annuels ? Je ne sais pas. Cela ne fait pas l'objet d'un débat public. On aborde rarement le problème de la prévention des risques en termes de débat public. Certains choix importants sont faits entre techniciens et experts. Ainsi, la commission interministérielle décide-t-elle de la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Différents fonctionnaires de différents ministères ont défini une jurisprudence, qui ne correspond pas nécessairement à la philosophie de l'Assemblée nationale ou du Sénat, dans la loi de 1982. Il y a une forme de dérive. On a débattu politiquement d'un choix de société en 1982. On en a débattu à nouveau partiellement en 1995, mais, pour l'essentiel, les problèmes de risques naturels ne font pas l'objet d'un débat public.

Concernant le choix de la crue de référence dans les PPR inondations, les services instructeurs imposent soit la crue centennale, soit la crue historique, si elle est supérieure à la première. Dans mes rapports avec les collectivités locales, ce choix est également remis en question. Certaines collectivités locales aimeraient débattre du niveau de risque acceptable. Sans porter un jugement, je constate que cela traduit un choix technique plutôt qu'un choix de société.

Depuis quelques années, les services instructeurs font appel à mon bureau d'étude et à d'autres lorsque le processus bloque, souvent parce qu'il y a des enjeux économiques et urbains très forts. Pour caricaturer, la démarche est très régalienne. Le préfet prescrit un PPR. La commune ne voit rien venir alors que les services de l'État élaborent un projet de zonage à intégrer dans le plan d'occupation des sols (POS). Cela se passe bien lorsque les enjeux ne sont pas importants. Mais dans les communes urbaines à forts enjeux, on veut plaquer un document technique et régalien sur un POS, traduction d'un projet politique.

Le PPR ne règle pas à lui tout seul le problème de la gestion du risque. J'aurais tendance à inciter les services de l'État à considérer le PPR comme un des outils d'une boîte à outils plus riche et à réfléchir à un projet de territoire et à gérer les risques en jouant sur plusieurs leviers définis en concertation avec les collectivités locales. Contrairement à ce que l'on entend dire, le PPR n'est pas le seul outil et il ne peut tout régler.

Cela dit, je comprends la réponse du ministère de l'Environnement. Cette procédure a été créée il y a vingt ans. Le ministère est, à chaque incident, sous les feux de l'actualité et on lui demande des comptes. Je comprends sa volonté de faire progresser les PPR.

Il reste que l'un des enjeux majeurs est de rapprocher les questions d'aménagement du territoire, de développement économique local et d'urbanisme à celle de la gestion du risque. Tel qu'il est conçu aujourd'hui, le PPR n'est pas la meilleure façon de les rapprocher. Il est trop rigide et veut s'imposer à un projet de territoire, alors qu'il serait nécessaire de repenser le projet de territoire en tenant compte de la problématique du risque.

Il est nécessaire de consacrer davantage de moyens aux PPR, même si ceux-ci sont déjà conséquents. Un des problèmes vient peut-être du fait que l'on s'occupe plus des aspects techniques que de la concertation. L'un des travers des services de l'État, relayés par les collectivités locales, est de croire qu'avec des études très fines de l'aléa (le risque physique), on peut déduire presque mécaniquement des dispositions réglementaires. Finalement, on demande aux experts, non seulement de définir le risque physique, mais également de déterminer les zones constructibles. Or, cela relève d'un choix politique et non de celui d'un technicien.

Les élus ont toujours du mal à prendre des dispositions touchant à la propriété privée. Les services de l'État ont par ailleurs des difficultés à entrer en concertation avec les collectivités locales. On consacre ainsi beaucoup d'argent aux études techniques en pensant que, plus elles seront coûteuses et précises, plus il sera facile de tracer les zonages réglementaires.

Ce n'est pas si simple. Remettre en cause cette démarche strictement réglementaire signifie admettre une certaine latitude dans la détermination de ce qui serait constructible et ce qui ne le serait pas. Mais cela toucherait également au dispositif d'indemnisation des catastrophes naturelles. Or, nous sommes bordés par ce système, car on oublie souvent que le PPR est très lié au dispositif d'assurances.

En 1982, l'Assemblée nationale a d'abord proposé un système d'indemnisation des catastrophes naturelles et le Sénat a ensuite suggéré de border le dispositif en mettant en _uvre les anciens PER. Aujourd'hui, le PPR a vocation à faire en sorte que le système « catastrophes naturelles » ne dérape pas. Si l'on ne maîtrisait pas l'urbanisation en zone inondable, on pourrait passer de 3 à 5, voire 6 milliards de dommages annuels. Ce serait intenable ! À travers les PPR, l'État est garant de la solidarité nationale sur laquelle repose le dispositif « catastrophes naturelles ». En schématisant, 90 % des Français indemnisent les 10 % qui vivent dans les zones inondables ; ce n'est pas choquant. En revanche, il serait choquant de faire déraper le système.

Les élus aimeraient que les industriels qui s'installent sur leur commune assument certains risques. Ce serait possible dans un système assurantiel classique. Mais, en France, il y a un troisième intervenant, l'État, qui borde le système.

J'espère être suffisamment clair car ce problème est assez complexe.

M. le Rapporteur : J'ai bien compris le problème posé, mais je ne suis pas certain d'avoir saisi vers quelles orientations et solutions il conviendrait de s'engager...

M. le Président : L'aspect technique et réglementaire est facile à concevoir. Plus on demande aux techniciens d'être fins, plus on a le sentiment d'être juste au niveau règlementaire. En revanche, le choix politique est extrêmement difficile à opérer dans la mesure où il se situe à la fois au niveau local - où l'on s'accorde facilement sur un choix politique - et au niveau national qui peut retenir des orientations contradictoires. La difficulté est de faire comprendre la problématique locale au niveau national, qui a une vision plus uniforme des dossiers.

M. Bruno LEDOUX : La solution n'est-elle pas de prendre davantage de temps à élaborer les PPR, afin de mieux articuler ceux-ci avec les projets de territoire des collectivités locales ? En même temps, l'État doit afficher des règles du jeu et des calendriers plus clairs. Des PPR sont prescrits et la mise en place tarde. Ce n'est pas normal ! Est-ce compatible avec le projet de réaliser des centaines ou des milliers de PPR ?

Par ailleurs, il est légitime de vouloir stopper un certain nombre de bévues dans les zones inondables. Il est indispensable de travailler sur l'articulation entre les différents documents de gestion du territoire.

M. Jean LAUNAY : J'adhère volontiers à votre théorie d'un aménagement concerté, global et cohérent. Cependant, vous semblez remettre en cause la primauté du PPR. Or, les PPR sont l'une des rares formules globales de notre politique de prévention. Si l'on remet en cause cette primauté, ne pensez-vous pas que l'on risque de faire régresser un effort de prévention relativement récent.

Peut-être, le ministère de l'Environnement n'est-il pas le lieu idéal de cette politique. Ne vaudrait-il pas mieux revenir à un secrétariat d'État ou à un ministère aux risques majeurs ?

M. Bruno LEDOUX : Il ne s'agit pas de faire marche arrière. Depuis 1995, il y a une réelle dynamique. Mais il existe un problème de moyens et de compétences. Au sein des directions départementales de l'équipement, les personnels affectés à ces dossiers ont une énorme charge de travail. Dans l'Aude, 100 PPR ont été prescrits et un seul homme doit gérer cela ! Dans la Somme, qui va gérer les 127 PPR qui viennent d'être prescrits ?

Il y a par ailleurs un problème de gestion du personnel autour de cette thématique du risque. Les fonctionnaires qui acquièrent une expérience en ces domaines changent relativement rapidement de poste pour faire tout autre chose. On ne parvient pas à valoriser ces expériences. Dans la carrière d'un fonctionnaire, le passage à un poste traitant de la gestion du risque ne fait pas progresser une carrière. C'est dommage ! Il convient de pérenniser une expérience, constituée non seulement de connaissances techniques et réglementaires mais aussi d'un savoir-faire en matière de concertation avec les collectivités locales, acquis au fil des ans.

Concernant la concertation interministérielle, on constate que, en matière de gestion globale du risque, il faut réunir les ministères de l'Équipement, de l'Intérieur, de l'Environnement et de l'Agriculture. Je travaille sur la préservation et la restauration des champs d'expansion des crues. Nous éprouvons beaucoup de difficultés à obtenir la présence du ministère de l'Agriculture. Il convient, en effet, d'introduire une dimension interministérielle dans cette thématique du risque, qui est par nature très transversale.

M. le Président : Quels sont les autres freins au développement des champs d'expansion des crues ? Le représentant de WWF disait que, depuis quelques décennies, de nombreuses zones humides avaient disparu.

M. Bruno LEDOUX : La notion de champ d'expansion des crues englobe celle de zone humide, mais ne se réduit pas à cela. Les champs peuvent avoir une fonction d'écrêtement des crues, mais sans être réellement des zones humides.

Dans les zones humides, on constate une dégradation dont on connaît relativement bien les causes. Il y a deux ans, la direction de l'eau du ministère de l'Environnement m'avait demandé de réaliser un tour de France des expériences de préservation, de reconquête et de restauration des champs d'expansion des crues. J'ai constaté une forte mobilisation des syndicats intercommunaux à l'échelle des bassins versants sur cette thématique. Mais ils se heurtent toujours au fait que l'on se situe sur des cours d'eau non domaniaux : c'est le problème de la propriété des cours d'eau qui se pose.

Nous avons travaillé sur tous les outils d'aménagement fonciers et d'intervention des maîtres d'ouvrages publics sur les parcelles des particuliers. Nous constatons en permanence l'absence d'un cadre juridique permettant de mettre en place des dispositifs de préservation ou de restauration des champs d'expansion des crues au nom de l'intérêt général.

Le projet de loi sur l'eau, à travers la création d'une servitude « inondations », à l'image de ce qui existe aujourd'hui seulement en Alsace, permettrait de régler les problèmes au plan juridique. Au plan pratique, cela sera plus délicat. Les collectivités locales pourraient instaurer des servitudes dans la perspective de protéger ou restaurer des champs d'expansion des crues, moyennant indemnisation ou rachat. Cela n'est pas possible pour le moment : on ne peut pas imposer au propriétaire d'une parcelle privée, disposant du droit de riveraineté en bordure d'un cours d'eau non domanial, de ne pas se protéger contre les inondations et d'accepter des sur-inondations.

Or, l'un des enjeux de la gestion intégrée à l'échelle du bassin versant passe par la préservation des champs d'expansion des crues, voire par l'amélioration de leur capacité d'écrêtement. Comme on se situe en terrain privé, on passe par des conventions qui engendrent des problèmes juridiques, mais qui reposent sur la bonne volonté des propriétaires.

Si l'article du projet de loi sur l'eau est adopté, on possédera un véritable outil juridique pour préserver et restaurer les champs d'expansion de crues.

M. le Président : Nous vous remercions.

Auditions de M. Jean-Pierre BEYSSON,
président-directeur général,

de M. Philippe COURTIER
et de M. Olivier MOCH,
directeurs généraux adjoints
de Météo-France

(extrait du procès-verbal de la séance du 27 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

MM. Jean-Pierre Beysson, Philippe Courtier et Olivier Moch sont introduits.

Monsieur le Président leur rappelle le mode de fonctionnement de la commission et leur indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Jean-Pierre Beysson, Philippe Courtier et Olivier Moch prêtent serment.

M. le Président : Dans la connaissance des causes des inondations, la météorologie joue évidemment un rôle essentiel. D'un point de vue global, vous nous direz s'il faut s'attendre, dans les prochaines années, à une multiplication des inondations consécutive au changement climatique annoncé. D'un point de vue plus opérationnel, la commission souhaite que vous nous fassiez part des progrès intervenus au cours des dernières années en matière de prévision ou d'alerte.

M. Jean-Pierre BEYSSON : Je souhaiterais d'abord attirer votre attention sur le fait que dans les attributions de l'établissement public Météo-France, telles qu'elles ont été définies par le décret du 18 juin 1993 portant création de l'établissement public, aucune compétence ne lui est spécifiquement reconnue en matière d'hydrologie.

Météo-France a pour mission de surveiller l'atmosphère, l'océan superficiel et le manteau neigeux et d'en prévoir les évolutions ; il n'est donc pas question d'hydrologie. À la lumière des événements de la Somme et d'autres régions françaises, récemment ou durant les mois qui ont précédé - n'oublions pas non plus les inondations catastrophiques du Sud-Est, notamment dans l'Aude, en novembre 1999 -, nous avons le sentiment que les compétences de Météo-France pourraient être davantage insérées dans le dispositif d'annonces des crues. On parle d'ailleurs de services d'« annonce » des crues, et non de « prévision » des crues. Le système actuel ne fait que l'annonce des crues ; il y a donc sur ce point des progrès à faire.

Concernant les inondations de la Somme, nous étions dans une situation particulière, car ce département n'est pas doté d'un service d'annonce des crues. La compétence en matière d'annonce des crues est partagée entre l'État et les collectivités territoriales. L'État a fixé des bassins, des fleuves et des rivières sur lesquels il considère qu'il a une responsabilité en matière de surveillance des phénomènes hydrologiques et donc d'annonce des crues. Ainsi, il décide ou non de mettre en place un service d'annonce des crues qui est le plus souvent confié à la direction départementale de l'équipement (DDE), à la direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF) ou encore à la direction régionale de l'environnement (DIREN). Le département de la Somme n'était pas couvert par ce service. Météo-France s'est trouvé dans une situation où il n'avait aucun interlocuteur à qui faire part des informations dont il disposait en matière de prévisions des phénomènes pluviométriques, mais surtout en matière de rappel des cumuls observés dans les jours, semaines et mois précédents. Le phénomène des inondations de la Somme tient, en effet, largement à l'importance exceptionnelle des cumuls de précipitations depuis l'automne.

L'organisation actuelle en matière de service d'annonce des crues remonte à un arrêté du 27 février 1984. Il prévoit qu'en situation de cumul ou de prévision de pluies plus importantes, nous délivrions deux types de messages.

Tout d'abord, nous donnons des bulletins régionaux de fortes précipitations (BRP), selon les régions, en fonction de seuils fixés par les autorités de tutelle. En la circonstance, il s'agit de la direction de l'eau du ministère de l'Environnement. Ces bulletins régionaux de fortes précipitations, pour la région Nord-Picardie, doivent être émis dès lors qu'il y a un dépassement de 20 millimètres de pluviométrie en 24 heures.

Par ailleurs, des bulletins d'alerte précipitations (BAP) doivent être émis dans cette région dès lors que l'on dépasse 20 millimètres en 24 heures ou 30 millimètres en 48 heures. Lorsqu'il y a un service d'annonce des crues, le bulletin d'alerte précipitations lui est envoyé. Dans le département de la Somme, ces bulletins suivant l'évolution hydrologique du bassin de la Somme ne pouvaient pas être envoyés à un service d'annonce des crues puisqu'il n'y en a pas. Nous avons envoyé des bulletins régionaux de fortes précipitations à de nombreuses reprises auprès des instances régionales : les 20, 22, 24 et 28 mars, les 7, 15, 20 et 24 avril, ainsi que les 1er et 3 mai ; nous avons également envoyé des bulletins d'alerte précipitations les 8, 20, 23 et 28 mars, le 24 avril et le 3 mai etc. À la demande du préfet de la Somme, le service départemental a fait divers rapports sur l'évolution de la pluviométrie et les cumuls depuis l'automne, réajustés à plusieurs reprises, et notamment au cours du mois de mars.

Nous avons le sentiment d'avoir délivré le maximum d'informations avec ces bulletins d'annonce de précipitations, mais nous n'avons pas pour autant le sentiment que le dispositif est parfait. À l'évidence, il manque sans doute un destinataire susceptible d'utiliser valablement cette information, car ce n'est qu'une des informations utiles pour la prévision des crues. S'y ajoutent la connaissance précise du bassin, ses caractéristiques hydrologiques et les caractéristiques des nappes phréatiques.

Notre information n'est utile que si elle est utilisée, non au titre de constat du passé, mais au titre de l'approche climatologique du phénomène. Cela vient illustrer mon propos liminaire, à savoir que de notre point de vue, les compétences de Météo-France pourraient être utilisées davantage et mieux insérées dans l'ensemble du dispositif.

Je rappelle qu'il y a deux types de crues : les crues soudaines, crues cévenoles par exemple et les crues de plaine. S'agissant des premières, comme celles de Vaison-la-Romaine ou de Puysserguier qui, en quelques heures, peuvent conduire à des phénomènes de flux hydrologiques considérables, il est évident que ce type de phénomènes est très largement dépendant de la prévision météorologique puisqu'il est directement la conséquence de la situation météorologique. Les caractéristiques et l'état d'entretien du bassin sont un élément, mais c'est pour l'essentiel la caractéristique météorologique qui constitue l'élément à partir duquel on peut passer d'un système d'annonce à un système de prévision des crues. Concernant cet aspect météorologique, des progrès sont déjà engrangés et d'autres sont à venir prochainement.

Les progrès engrangés tiennent à l'utilisation de l'outil radar, permettant la détection des phénomènes pluviométriques. Un effort exceptionnel de l'État et du ministère de l'Environnement a permis de sur-densifier le réseau dans l'arc méditerranéen en installant cinq radars supplémentaires de manière à ce que l'on puisse non seulement détecter les phénomènes dangereux, mais aussi les quantifier. Pour la détection d'un phénomène potentiellement dangereux, un radar a une portée d'environ 200 kilomètres ; pour une quantification, le rayon n'est plus que de 80 à 100 kilomètres. On voit donc l'utilité de la densification du réseau. Par ailleurs, des logiciels d'extrapolation et d'interprétation ont été mis en place.

Le lancement du satellite géostationnaire européen de seconde génération, en juillet 2002, va nous permettre de disposer d'un nouvel instrument de mesure satellitaire. Nous disposerons de capacités beaucoup plus grandes qu'actuellement pour caractériser la colonne nuageuse et détecter les phénomènes orageux de manière plus anticipée qu'ils ne le sont aujourd'hui.

M. Philippe COURTIER : Le satellite météorologique opérationnel aujourd'hui comprend trois canaux : un dans le visible, un dans l'infrarouge et un dans la vapeur d'eau. L'instrument dont parlait Jean-Pierre Beysson comporte treize canaux. On peut ainsi avoir des informations sur la verticale dans l'atmosphère. De plus, la résolution horizontale est plus fine et la résolution temporelle, c'est-à-dire la fréquence à laquelle on acquiert des images, est double puisqu'elle apparaît toutes les 15 minutes au lieu de toutes les demi-heures. Voilà l'essentiel des différences de caractéristiques.

M. Jean-Pierre BEYSSON : La détermination assez précise de la température du sommet et de la base des nuages permet de déterminer les phénomènes convectifs particulièrement dangereux.

M. Philippe COURTIER : C'est effectivement l'information sur la verticale de l'atmosphère qui permet de caractériser le potentiel d'instabilité présent dans l'atmosphère et d'anticiper sur la formation des orages violents.

M. Jean-Pierre BEYSSON : Nous développons également un effort assez unique en Europe, reconnu au cours d'une réunion internationale du Centre européen de prévision météorologique à moyen terme. Météo-France est en avance sur la prévision immédiate, c'est-à-dire la détection assez précise du moment et de la durée exacte d'un phénomène météorologique pour les heures qui viennent. Nous faisons cela à l'occasion du tournoi de Roland Garros de manière assez spécifique et nous travaillons, en y mettant des moyens importants, pour étendre ce service de prévision immédiate à l'ensemble des phénomènes météorologiques et à l'ensemble du territoire.

Tous ces éléments de réflexion font que, pour les crues soudaines, nous pensons qu'il y aurait fortement intérêt à ce que le dispositif soit fortement ancré autour des compétences de Météo-France. Ce n'est pas une lutte de territoire. Nous pensons vraiment qu'il y a une réflexion à avoir. Cette compétence pourrait aussi être mise en _uvre dans les services d'annonce des crues. On ne peut pas modifier fondamentalement le dispositif par rapport à ce qu'il est, mais peut-être peut-on imaginer une interpénétration plus grande, une utilisation plus forte des outils.

Concernant les crues lentes, si nous voulons passer de l'annonce des crues à la prévision, il est évident, pour l'ensemble de la communauté hydrologique française et internationale, que les progrès en la matière dépendront de la modélisation des phénomènes de bassin. Nous avons réalisé la modélisation fine des écoulements de l'ensemble du bassin du Rhône en tenant compte de la fonte nivale, des caractéristiques de la végétation, de la pluviométrie etc. Cela donne une caractérisation des phénomènes qui apparaît extrêmement réaliste. Cet outil en voie de recherche obtient des résultats déjà très prometteurs.

Nous avons fait le même type de modélisation sur le grand bassin de la Garonne, avec des résultats moins positifs. En effet, sur les petits affluents de la Garonne, les résultats sont moins probants. Il n'empêche que c'est certainement dans cette voie-là qu'il faut progresser dans les années à venir en matière de prévisions des phénomènes de crue des bassins. De ce point de vue, c'est aussi une compétence météorologique qui repose sur l'utilisation de moyens de modélisation et sur l'utilisation de calculateurs très puissants qui n'existent pas ailleurs.

On pourrait progresser dans l'analyse du problème en prenant en compte le fait que Météo-France doit contribuer à la sécurité des personnes et des biens en matière de météorologie et que, pour ce faire, il est présent sur le terrain 24 heures sur 24, 365 jours par an, dans chaque département de métropole et d'outre-mer. La situation est assez différente pour les services d'annonce des crues qui, n'étant pas permanents, ne se mettent en mouvement que quand une crue est prévisible.

Une réflexion en cours au sein du ministère de l'Environnement et d'autres administrations envisage la création d'un centre hydrologique national qui viendrait apporter un appui méthodologique, éventuellement opérationnel, à l'ensemble des services d'annonce des crues. Ce centre pourrait mettre au point les méthodes, les outils, les instruments et faire, le cas échéant, l'appui pédagogique. Cela nous semble être une bonne idée. Il nous paraîtrait utile que les liens soient les plus forts possibles avec les compétences existant à Météo-France dans le domaine de la météorologie. Le pas à franchir pour compléter nos compétences en matière hydrologique est certainement plus facile que le chemin inverse qui consiste à transformer l'hydrologue en météorologue, puisque les moyens à mettre en _uvre sont considérables.

Je rappellerai enfin que Météo-France compte 3 700 personnes réparties au plus près du terrain, c'est à dire dans chaque département de France. Sur ces 3 700 personnes, 1 500 travaillent en service posté, permanent ou semi-permanent, pour assurer une continuité de surveillance. Nous gérons un budget de 2 milliards de francs. Nous investissons 450 millions de francs par an. Nous disposons du plus gros calculateur opérationnel qui existe en France.

Les moyens sont importants et nous serions ravis de les mettre aussi à la disposition du domaine de l'hydrologie.

M. le Président : Nous avons auditionné plusieurs personnes et organismes et nous nous sommes aperçus qu'il y avait des problèmes de cohérence entre les différents partenaires. J'ai cru également, au travers de vos propos, ressentir que les compétences n'étaient pas assez exploitées ou que l'on ne cherchait pas assez la bonne information là où il faut.

En l'espèce, il y a la Somme, mais il y a aussi le problème global. Vous nous avez expliqué la différence entre les bulletins de fortes précipitations et les bulletins d'alerte de précipitations. Concernant la Somme, un certain nombre de bulletins d'alerte ont été communiqués à des dates précises. L'un des intervenants, la sécurité civile, nous a dit qu'il recevait tellement de documents divers et variés qu'il les empilait. Il semblerait que certains n'y aient pas prêté l'attention nécessaire, que ce soit au niveau du préfet ou de la sécurité civile. Peut-être aussi n'y a-t-il pas, au niveau de l'alerte, un degré assez appuyé qui permette à l'interlocuteur de réagir comme il le devrait le moment voulu. Quelque chose manque sûrement dans la transmission des documents ; celui qui émet est peut-être conscient mais celui qui reçoit ne l'est peut-être pas.

Les intervenants du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) nous ont fait part d'une autre réflexion, pas plus critique vis-à-vis de Météo-France que vis-à-vis d'eux-mêmes. Ils disent travailler le sous-sol alors que Météo-France travaille du côté du ciel et que d'autres travaillent au milieu, à la surface du sol. Il semble que tous ces scientifiques travaillent peu ensemble, se connaissent peu et qu'ils ont peu de coordination. C'est un élément de réflexion.

Vous dites qu'il manque parfois de destinataire pour utiliser vos informations. On a vraiment le sentiment qu'il s'est passé quelque chose de cet ordre dans le cas de la Somme. Peut-être serait-il intéressant de croiser à nouveau les dates, parce que j'ai le sentiment qu'elles ne sont pas tout à fait les mêmes entre les divers interlocuteurs. Vous ajoutez que vos compétences sont mal utilisées compte tenu de votre permanence sur le terrain 24 heures sur 24. Ce n'est pas négligeable, car nous savons bien qu'un système d'annonce de crue pose quelques problèmes en raison du nombre modeste de personnes qu'il mobilise.

M. le Rapporteur : Vous avez abordé à plusieurs reprises l'idée de la coordination entre les scientifiques. Comment pensez-vous organiser ce travail en commun ? J'ai eu le sentiment que Météo-France pourrait jouer un rôle moteur dans cette affaire. Comment envisagez-vous cette coordination, sachant que chaque chapelle est intéressée à garder ses prérogatives ?

M. Jean-Pierre BEYSSON : On ne peut pas bouleverser du jour au lendemain toute une organisation. Il sera très difficile de revenir sur les services d'annonce des crues tels qu'ils sont organisés pour l'essentiel aujourd'hui et cela prendra beaucoup de temps. Il serait bien de commencer par créer un centre national d'hydrologie qui mettrait au point les méthodes, les outils, qui viendrait appuyer les services locaux d'annonce des crues et leur permettrait progressivement de passer de l'annonce à la prévision des crues. Il est essentiel que ce centre national d'hydrologie réunisse les compétences nécessaires et qu'il soit vraiment transversal en termes de compétences. Il faut une compétence météorologique, géologique, hydrologique, car nous ne sommes pas hydrologues, même si nous pensons que le problème de l'hydrologie va reposer de plus en plus sur des instruments proprement météorologiques. Le mieux serait donc de créer une structure de recherche-développement constituée de 20 à 25 personnes dans laquelle on réunirait l'ensemble de ces trois composantes principales de la maîtrise des problèmes de crue.

Des réflexions sont en cours pour une localisation dans le sud de la France. On peut de ce point de vue hésiter entre de nombreuses solutions, mais beaucoup d'arguments militent en faveur de Toulouse. Nous proposerions volontiers que ce centre puisse s'implanter à proximité immédiate de notre centre nerveux de Toulouse qui comprend 1 000 personnes. Notre service central de prévision météorologique et notre centre national de recherche se trouvent là-bas. Le directeur de l'eau partage cette idée. Il serait encore mieux que cela soit à proximité immédiate car nous disposons à Toulouse de superficies encore importantes. Nous avions vu grand en 1980, lorsque la délocalisation a commencé.

D'autre part, il y a un centre de recherche de calcul avancé qui regroupe l'Aérospatiale et le Centre national d'études spatiales (CNES) autour de techniques pointues en matière de modélisation, ainsi qu'un centre hydrologique de la Marine nationale. C'est donc un lieu d'excellence en matière de recherche et d'application. Il faudrait commencer par là.

Ensuite, il faudrait renforcer progressivement les services locaux épisodiques et renforcer les points les plus sensibles en y créant des services permanents. Au-delà de la période de crue, ceux-ci pourraient travailler sur la recherche-développement, en appui des orientations et du travail de défrichage qui serait fait par le centre national. Aujourd'hui, seulement 50 départements sont couverts par un service d'annonce des crues. Il y a donc des progrès à faire en la matière. Ce n'est pas facile car c'est une compétence partagée entre l'État et les collectivités territoriales. Certaines ont déjà fait des efforts : Marseille, Nîmes, Montpellier, Béziers se sont dotées de services locaux et ont demandé des prestations très étendues à Météo-France pour venir en appui de leurs services d'annonce des crues. Ainsi, nous avons noué des collaborations utiles avec des collectivités locales.

M. Olivier MOCH : Concernant la recherche, les résultats acquis sur les bassins du Rhône et de la Garonne sont issus d'une collaboration de plusieurs organismes, le BRGM, le CEMAGREF dans le cadre des programmes nationaux de l'Institut national des sciences de l'univers avec des chercheurs du CNRS. La recherche est donc déjà coordonnée.

Par contre, il faut transférer cette recherche vers l'opérationnel. Le dispositif décrit par le président répondrait tout à fait à cet objectif en étant adossé aux outils de modélisation numérique, qui sont déjà disponibles dans l'établissement.

M. Philippe COURTIER : En matière de recherche, il existe aussi un projet Pactes qui regroupe des grands organismes publics comme le CNRS, le CNES et des entreprises privées comme Alcatel et Astrium. Il vise à trouver le moyen de tirer pleinement partie des outils qui existent, mais qui sont encore disparates. Une question essentielle est de savoir ce que l'on peut tirer de l'information satellitaire. C'est en cours avec la construction d'un démonstrateur qui devra être prêt dans dix-huit mois.

M. le Rapporteur : Il nous a été indiqué que Météo-France allait mettre au point un nouveau système d'alerte à partir de septembre. De quoi s'agit-il ?

M. Jean-Pierre BEYSSON : Dès après les tempêtes de décembre 1999, nous avons expliqué à M. Gayssot que nous tirions un enseignement majeur de ces événements. En dépit des limites de la prévision faite à ce moment, à savoir que nous avons sous-estimé les phénomènes, il n'empêche que nous avions annoncé dans la plupart des régions touchées des vents supérieurs à 130 km/h. Malheureusement, les gens n'ont pas conscience qu'à 130 km/h, les caravanes s'envolent et les toitures sont emportées.

Nous avons indiqué au ministre que notre conviction était que d'une part, l'information n'était pas portée suffisamment à la connaissance des principaux intéressés - les élus locaux et le grand public - et que d'autre part, elle était portée sous une forme incompréhensible pour tout autre que le spécialiste ayant rédigé le bulletin. Depuis fort longtemps, il existe une procédure d'alerte publique qui repose sur l'émission de bulletins comme les BRP et les BAP. Dans le domaine des autres phénomènes météorologiques, ce sont des bulletins régionaux d'alerte météorologique (BRAM) ou des bulletins Alarme qui sont des alertes nationales. Nous avons pour mission d'envoyer ces bulletins d'alerte aux services de la protection civile, aux organismes locaux (les CODISC) ou au centre national (le CIRCOSC). Nous les envoyons et ils en font ce qu'ils peuvent en faire, c'est-à-dire qu'ils alertent eux-mêmes leurs pompiers, mais personne n'alerte le grand public sous une forme directe.

Nous avons imaginé une procédure quelque peu différente. Nous en avons discuté avec les directeurs de la sécurité civile et de la prévention des pollutions et des risques. Tout le monde a partagé notre avis pour passer à une notion de carte de vigilance que nous allons mettre en place le 1er octobre prochain. Sur chaque département de la métropole, elle portera une couleur. Nous aurons ainsi quatre couleurs :

- couleur verte : aucun phénomène météorologique n'est susceptible d'être dangereux ; il n'y a pas de vigilance nécessaire ;

- couleur jaune : phénomène qui peut être assez sérieux, mais de l'ordre du phénomène habituel dans la région concernée ; par exemple, un mistral de 90 km/h, très fréquent, serait en jaune ;

- couleur orange : phénomène très sérieux, avec des précautions particulières à prendre ;

- couleur rouge : alarme, phénomène très grave.

Cette carte de vigilance sera publiée deux fois par jour, mise à la disposition de tout le monde et diffusée à l'ensemble des médias, audiovisuels et écrits, dans le cadre d'une prestation gratuite, même à ceux qui ne sont pas clients de Météo-France. Cette carte sera accompagnée d'une couleur et d'un logo qui illustrera le phénomène en cause (neige, pluie, vent...). Elle sera accompagnée d'un « cartoon » dans lequel se trouveront des conseils de comportement. Dès lors que l'on sera en couleur orange, on aura des bulletins de suivi qui alimenteront automatiquement la chaîne d'alerte publique. Ce que nous faisions vis-à-vis de la protection civile et des services d'annonce des crues continuera sous la forme de bulletins de suivi qui viendront expliciter les zones en orange ou rouge.

La protection civile, pour ce qui concerne les phénomènes météorologiques autres que les inondations, mettra en place une procédure permettant de faire suivre ces bulletins de suivi vers l'ensemble des intervenants concernés, y compris les maires.

M. Olivier MOCH : Il est prévu que la carte de vigilance soit publiée deux fois par jour. Lorsque la situation est en couleur orange ou rouge, la situation est analysée par les bulletins publics de suivi. Par ailleurs, il existe une procédure d'alerte qui concerne les collectivités territoriales, par laquelle le ministère de l'Intérieur veille à ce que le message soit reçu.

M. Jean-Pierre BEYSSON : La chaîne d'alerte publique peut être longue à informer. Un CIRCOSC analyse et complète les informations reçues avant d'alerter son personnel. En tout état de cause, nous mettrons dans la carte de vigilance tout phénomène paraissant dangereux.

Parallèlement, nous avons eu des discussions avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) afin de sensibiliser le monde audiovisuel à cette nouvelle procédure. Deux réunions se sont tenues au CSA : l'écho a été très favorable. Nous leur demandions de s'engager à interrompre leurs programmes et à faire une annonce spécifique en cas d'alerte rouge détectée trop tard. Ils en ont pris l'engagement. Nous allons passer une convention avec chaque chaîne hertzienne et chaque radio, même locale. Nous nous engageons, en contrepartie, à leur donner des informations complémentaires et à expliciter la situation, même s'ils ne sont pas clients de Météo-France. C'est une extension de notre mission de service public qui est importante.

Nous pourrions aussi imaginer quelque chose qui aille dans ce sens en ce qui concerne les inondations.

M. le Président : Les éléments que vous connaissez aujourd'hui vous permettent déjà d'élaborer la carte de vigilance. Si la carte avait existé, vous auriez pu la fournir à la Somme le moment voulu. Pensez-vous que le préfet de région ou la sécurité civile auraient été alertés plus rapidement s'ils avaient disposé d'une telle carte ? Auraient-ils pu exploiter plus rapidement les informations que vous donniez ? N'aurait-il pas fallu qu'ils les confrontent avec les informations sur le sous-sol et la nappe ? L'analyse de tous ces éléments par une personne compétente aurait-elle pu permettre de prévoir ce qui allait se passer ?

M. Olivier MOCH : Concernant la carte de vigilance et les pluies, nous sommes en phase de test depuis longtemps. Mais cette information n'est pas entièrement suffisante pour caractériser le débit des rivières et les inondations. Il faut conjuguer l'information relative aux pluies avec d'autres, comme le niveau des nappes phréatiques, le niveau de la mer, les vents forts venant du rivage et l'état du bassin. C'est pourquoi nous avons besoin de ce service spécialisé qui, à partir d'une information essentiellement météorologique, peut en tirer des conclusions.

À cela, j'ajoute que des éléments de caractérisation sont donnés dans la nouvelle procédure. Désormais, en plus d'annoncer des vents de 130 km/h, nous préciserons les risques et les dangers. Avec la sécurité civile et les ministères concernés, des conseils de comportement sont prévus, informant de ce qu'il convient de faire : « restez chez vous, écoutez la radio », etc.

M. Philippe COURTIER : L'autre point concerne ce que nous savons faire en matière de prévision. Aujourd'hui, nous faisons des prévisions déterministes jusqu'à trois jours et des prévisions probabilistes entre trois et sept jours. Nous ne pouvons pas prévoir de façon certaine qu'il y aura des précipitations très importantes sept jours à l'avance. Cependant, nous pouvons affirmer qu'il y a une probabilité de sept chances sur dix qu'il y ait des précipitations très importantes entre cinq et sept jours à l'avance.

En ajoutant l'information sur l'état des sols et des nappes, nous pouvons élaborer plusieurs scénarios qui permettent de donner une probabilité sur les risques de débordement entre cinq et sept jours à l'avance dans le cas de crues lentes de type Somme ou Sâone. En fonction de ce risque, les autorités sont à même de prendre certaines mesures.

M. Jean-Pierre BEYSSON : Ce problème des inondations est très complexe. L'aspect météorologique est très important et le deviendra encore plus, car nous saurons bientôt modéliser les phénomènes de rivières. Sans modélisation, on se réfère aux aspects proprement hydrologiques et géologiques. En la circonstance, Olivier Moch avait raison de rappeler que les phénomènes de surcote de la mer rendaient difficile l'écoulement des eaux. Météo-France est incapable de quantifier les conséquences d'un phénomène cumulant très haut niveau des rivières et surcôte des mers et océans. Reste à savoir si quelqu'un était capable de le faire.

Cependant, il faut souligner que nous avions fait remarquer que nous avions atteint des cumuls de pluie absolument considérables depuis octobre. Notre délégué départemental avait fait un premier rapport de catastrophe naturelle qui a été envoyé à la préfecture de la Somme au cours du mois de janvier. Il concernait des débordements très localisés de cours d'eau. Je crois vraiment qu'il y a un problème de destinataire de l'information, car celle-ci était disponible, mais personne n'avait la compétence pour l'utiliser. Je comprends que la population locale ait du mal à comprendre cela, puisque c'était un phénomène de crue lente et qu'ils ont vu arriver l'eau tout d'un coup. Sans aller jusqu'au modèle exemplaire de l'ÉPALA, où des moyens considérables ont été mis en place, une structure serait nécessaire pour cumuler l'information existante et y ajouter celles qui sont nécessaires.

M. le Rapporteur : Nous avons constaté que vers le 22 janvier, le préfet a transmis aux collectivités locales l'information d'un risque de débordement, comme cela se produit souvent sans que ce soit pour autant une crue catastrophique. Le message avait peut-être été insuffisamment catastrophiste pour alerter le préfet et ce dernier n'est peut-être pas suffisamment technicien pour interpréter votre message. Il semble que le problème soit là. Concernant les niveaux de précipitation, y a-t-il des comparaisons qui vous permettent de considérer qu'elles sont ou ne sont pas exceptionnelles ? Cela s'inscrit-il dans un cycle d'origine « anthropique » dans lequel la pluviométrie serait plus importante ?

J'étais très inquiet, en tant que député de la Somme, quand on nous a expliqué que, dans les dix prochaines années, la pluviométrie dans le nord de la France risquait de s'aggraver. Par conséquent, ce que nous avons connu cet hiver risque de se reproduire.

M. Jean-Pierre BEYSSON : Un changement climatique est observé depuis le début du siècle dernier. Cela peut paraître négligeable puisque la température a augmenté de 0,6 degré. Pour l'essentiel, c'est dû à l'activité de l'homme. L'ensemble de la communauté scientifique partage aujourd'hui cet avis. Nous sommes aussi certains que ce réchauffement se poursuivra, même si les mesures hautement souhaitables en matière de limitation des émissions de gaz à effet de serre étaient enfin prises. Cela s'explique par un effet d'inertie et par l'importance du stock de gaz à effet de serre accumulé dans l'atmosphère : le climat continuera donc à se réchauffer.

Le troisième rapport du Groupe intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC), élaboré par plus de 500 chercheurs du monde entier, comprend cette fois des phrases extrêmement fortes disant que le climat va se réchauffer dans une fourchette allant de 1,8 à 6 degrés. Ce n'était pas le cas du deuxième rapport de 1995, dans lequel des doutes et des précautions oratoires étaient introduits, traduction d'un manque d'unanimité des scientifiques. Cette hausse considérable est due à l'activité de l'homme et aux émissions de gaz à effet de serre. Une variation de 6 degrés a déjà été constatée entre deux périodes interglaciaires, sans que ce soit dû à l'influence de l'homme, mais la grande différence réside dans le fait que cela se passe cette fois en un siècle seulement et que l'activité de l'homme en est largement la cause. La rapidité de ce changement du climat est un phénomène majeur. Lorsqu'une grande période de temps s'écoule, la nature évolue et s'adapte progressivement, mais lors d'une période aussi brève, les conséquences peuvent être dramatiques. Les météorologistes et les scientifiques spécialistes de l'atmosphère considèrent qu'il est urgent de prendre des mesures.

Toutefois, personne ne peut affirmer aujourd'hui que les phénomènes paroxystiques constatés en matière de météorologie sont dus à ce changement de climat. Nous avons déjà connu des phénomènes de même intensité dans le passé. Dans son ouvrage datant du 19e siècle, « Les inondations en France du 5e siècle à nos jours », M. Champion cite des phénomènes d'inondation d'ampleur comparable dans la Somme. La spécificité de l'inondation que nous venons de vivre est néanmoins sa durée. Nous ne pouvons pas l'imputer au changement climatique. Cependant, sous nos latitudes, il y a de fortes probabilités que le réchauffement du climat entraîne une intensification des précipitations dans le nord, en même temps qu'une sécheresse plus grande dans le sud de la France. En revanche, il n'est pas possible de faire des prévisions sur les dix années à venir.

M. Philippe COURTIER : Par définition, un phénomène extrême se produit rarement. Nous pouvons donc apprécier si sa fréquence va augmenter. S'il se produit tous les 150 ans et que sa fréquence augmente en revenant tous les 100 ans, ce n'est pas en regardant une occurrence comme une tempête ou une crue de la Somme que l'on peut avoir la preuve d'un changement climatique. A contrario, le changement climatique que nous connaissons est tout à fait cohérent avec une augmentation de ce type de phénomène. Sans être une preuve, cet élément va dans le même sens.

M. Jean-Pierre BEYSSON : Il y a une forte probabilité qu'il y ait une intensification des phénomènes extrêmes sous nos latitudes. Mais ceux qui se produisent aujourd'hui peuvent tout à fait s'expliquer par la variabilité naturelle du climat. Cela dit, il faut faire quelque chose contre le réchauffement.

M. Jacques BRUNHES : Monsieur le président, vous avez évoqué le problème de l'annonce et de la prévision avec un objectif de coordination au niveau d'un centre hydrologique national, car une série de phénomènes entrent en ligne de compte, notamment géologiques, hydrologiques ou météorologiques.

Le remembrement organisé, l'arrachage des haies ou le non entretien des réseaux hydrauliques et des voies d'eau peuvent avoir des conséquences lourdes qui ne sont pas seulement le fait des intempéries. Concernant la création d'un centre hydrologique national, où en est-on de cette réflexion ? Ne faudrait-il pas installer un centre hydrologique dans chaque bassin ou chaque région ? Un centre national est important, mais n'y a-t-il pas besoin d'observatoires qui soient plus près du terrain? L'essentiel de nos préoccupations est la prévention. Nous pourrions prévenir au maximum afin que les phénomènes que nous venons de vivre ne se reproduisent pas.

Que sont exactement les bassins de modélisation dont vous avez parlé ? Jouent-ils un rôle dans la prévention ?

Enfin, j'ai cru comprendre que la carte de vigilance serait départementale. Toutefois, lorsqu'un département sera signalé en rouge, cela ne signifiera pas pour autant que l'ensemble de son territoire est concerné. Y aura-t-il un peu plus de finesse dans cette carte de vigilance ?

M. Jean-Pierre BEYSSON : Sur le premier point, diverses administrations travaillent activement sur la finalisation d'un projet de centre hydrologique national, sous le pilotage de la direction de l'eau. Nous en sommes au niveau de l'arbitrage de principe. Nous ne sommes pas impliqués dans la mise au point du projet, je ne peux donc pas vous en dire plus. Je crois que cela devrait, en principe, être soumis à un prochain comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire pour la détermination du principe et de la localisation. Pour le reste, je n'en sais pas plus.

Quant au contenu, cela devrait être un outil pour faire passer le plus rapidement possible du stade de la recherche au stade opérationnel un certain nombre de développements et d'outils pouvant être utiles ensuite à tous.

J'ai parlé de ce que nous faisons en matière de prévision immédiate. Notre centre de recherche a fait des avancées sur des outils, des processus etc. La difficulté est de les rendre opérationnels. Les équipes de recherche-développement doivent travailler sur un projet de recherche pour en faire un outil. Nous créerons une cellule de recherche-développement qui va mettre au point les outils et méthodes pour l'ensemble de nos réseaux, de nos centres départementaux et régionaux. Huit personnes travailleront pour l'ensemble.

Un centre national restreint, avec 25 personnes de haut niveau qui constituent une force de frappe réelle dans des domaines aussi précis, me paraît utile. Notre analyse du problème peut être inexacte, dans la mesure où nous ne détenons qu'une partie des compétences sur le sujet. Un service d'annonce des crues, même local, rencontrera des difficultés s'il n'a pas la bonne formation, les bons outils et les bonnes méthodes. Au contraire, un centre national, mettant au point ses outils et capable de transmettre rapidement des avancées de la recherche dans le domaine opérationnel, sera un très grand progrès, surtout pour les modélisations de bassins.

Nous avons regroupé des gens du CNRS, du CEMAGREF, des Mines de Paris, d'EDF, du BRGM, etc. afin de réunir diverses compétences pour mener notre projet de recherche. En ce qui concerne le modèle opérationnel de recherche, il y a ensuite un énorme travail à fournir. Au niveau de la recherche, nous n'avons pas de contraintes de temps à la différence de l'opérationnel où la prévision doit être donnée avant l'arrivée de l'événement. Le produit n'est donc plus le même, car il faut revoir les codes informatiques, etc. C'est un travail considérable. Dans ces domaines-là, un centre national sera tout à fait utile.

Faut-il des centres régionaux ? Un préfet coordonnateur de bassin existe déjà et représente déjà un responsable identifié. L'important est de pouvoir identifier la personne responsable, qui coordonne les moyens existants. La difficulté majeure est effectivement la coordination et la collaboration entre les nombreuses compétences.

M. Olivier MOCH : J'aimerais réagir sur la partie de votre question qui concerne l'échelle à laquelle il faut que nous travaillions. Si on fait des centres hydrologiques trop petits dans chaque département, la difficulté à laquelle on sera confronté sera la rareté de leurs prestations. La situation sera différente de celle des météorologues, des médecins ou des pompiers qui travaillent tous les jours. Il serait difficile de maintenir l'expertise et l'entraînement dans un centre qui n'interviendrait que tous les trois ans. C'est l'une des difficultés spécifiques constatées aussi dans l'arrêté actuel qui évoque des missions d'annonce des crues qui deviennent la priorité des agents affectés à ces services seulement en période de crues prévisibles.

Nous nous sommes aussi interrogés sur la carte de vigilance. Nous travaillons chez Météo-France à une échelle inférieure à celle du département. Nous faisons des bulletins couvrant 700 zones en France par pas de trois heures sur les 36 heures à venir. Nous nous demandions s'il nous faudrait placer tout le département en orange par exemple, ou viser une échelle plus fine. Nous avons proposé, avec la sécurité civile, le ministère de l'Environnement et la sécurité routière, de travailler à l'échelle du département pour que l'information soit parfaitement compréhensible par le public. La couleur orange signifie qu'il y a un danger quelque part dans le département, qu'il faut être vigilant et s'intéresser à la météorologie. Il va de soi que nous continuons à faire, par ailleurs, des bulletins de suivi beaucoup plus fins. Pour tout vous avouer, nous avions pensé, au début, le faire à l'échelle régionale, mais c'est beaucoup trop vaste pour être efficace.

Par exemple, si nous colorons l'Isère en orange, cela signifie que les habitants ne peuvent pas se désintéresser de la météorologie le lendemain. Chaque département est divisé en cinq zones et il y a 700 zones en métropole sur lesquels des bulletins de suivi très précis sont réalisés.

M. le Rapporteur : Le rapport de M. Yves Dauge soulignait l'importance de la gratuité des services de prévision et évoquait le problème du risque de la mise en cause de la responsabilité de Météo-France. J'aimerais connaître votre opinion là-dessus.

M. Jean-Pierre BEYSSON : Nous avons arrêté notre politique dans ses grandes lignes. Elle est relativement simple. Nous offrons gratuitement, dans le cadre de notre mission de service public, l'information météorologique indispensable pour que tout un chacun puisse organiser sa vie et prendre les précautions nécessaires. Nous diffusons donc un bulletin AFP trois fois par jour sur l'ensemble de la France, qui n'est pas tronqué par rapport à l'information que nous devons. L'information étant très complète, les médias peuvent s'en servir, sans avoir à acheter d'information supplémentaire à Météo-France.

Par le biais de ce bulletin AFP, l'information météorologique de base est disponible pour tout un chacun gratuitement. Toutes les prestations que nous fournissons aux services officiels, tels les services d'annonce des crues, la sécurité civile ou l'armée, sont fournies gratuitement. En revanche, les services plus précis sont soumis à tarification. Une entreprise peut se contenter de l'information qu'elle trouve dans le journal si c'est suffisant pour son activité.

Toutefois, s'il s'agit d'une activité de génie civil qui a des précautions particulières à prendre pour réaliser ses travaux, il peut être nécessaire d'avoir des informations plus fines, connaître la force du vent demi-heure par demi-heure par exemple. Cela peut parfois nécessiter la mise en place de moyens d'observation spécifiques, ce qui entre alors dans le domaine du service payant.

Autant la politique des données d'un certain nombre de services publics a pu souvent donner lieu à des contestations, autant depuis quelques années, nous n'avons plus de litiges et de conflits avec le public ni avec nos concurrents dans le domaine de la facturation de nos prestations.

En ce qui concerne la responsabilité, nous avions deux litiges mettant en cause notre responsabilité. L'un vient d'être jugé en notre faveur. Il s'agissait de l'organisateur d'une course de côte sur le Mont-Dore qui considérait que l'affluence à cette manifestation avait été en deçà de ses espérances parce que le temps avait été bien meilleur que nous ne l'avions annoncé les jours précédents. Il n'était pas avéré que nos prévisions étaient inexactes et il a été débouté de sa demande.

L'autre procès est plus important. Il a trait à des orages de grêle dans les Pyrénées-Orientales il y a deux ans. De nombreux requérants, arboriculteurs et viticulteurs, ont saisi la justice pour faire condamner Météo-France au titre de défaut de prévision de cet orage de grêle exceptionnel. Nous sommes en cours d'instance. Les experts ont conclu que l'ensemble des précautions dans l'état de l'art avaient été mises en _uvre et que la responsabilité de Météo-France ne pouvait être engagée.

Nous rappelons tout le temps que Météo-France est astreint à une obligation de moyens et doit tout mettre en _uvre pour assurer les prestations qui sont à sa charge. En revanche, il ne peut y avoir d'obligation de résultat dans la mesure où la météorologie a ses limites, bien qu'on les repousse régulièrement. Certains phénomènes sont très difficiles à prévoir, en particulier les grêles ou les phénomènes auto-convectifs purement locaux qui naissent et disparaissent en quelques heures. Quand un orage de grêle de l'intensité de celui des Pyrénées-Orientales apparaît et disparaît en une heure de temps, même l'image radar ne peut pas le détecter.

M. le Rapporteur : Ne pouvez-vous pas être tenté de retenir une information, dans le souci du développement touristique ?

M. Jean-Pierre BEYSSON : Cette idée est une légende ! Au contraire, on nous fait plutôt le reproche de nous mettre à l'abri. C'est un débat que nous avons déjà eu afin de savoir si nos prévisionnistes, depuis que ces instances ont été introduites, n'émettent pas plus de bulletins d'alerte que nécessaire pour ne pas risquer de manquer un seul événement météorologique.

Nous avons des indicateurs de fiabilité de nos prévisions et de qualité de la prestation fournie à la protection civile, qui font l'objet d'analyses et de discussions chaque année. Nous avons démontré que l'augmentation sensible du nombre de BRAM et de bulletins Alarme était justifiée par un plus grand nombre d'orages.

M. Olivier MOCH : Ajoutons que les seuils de BRAM avaient été fixés par la sécurité civile pour ses besoins propres de réaction. L'un des aspects de ce nouveau système de vigilance consiste à utiliser des seuils plus élevés afin de diminuer le nombre de bulletins d'alerte. Cela faisait très précisément partie de la commande initiale.

M. le Rapporteur : La couverture radar, jugée insuffisante en 1994, a-t-elle été complétée ?

M. Jean-Pierre BEYSSON : Elle a été complétée dans l'arc méditerranéen, conformément au programme du Gouvernement, mais elle demeure insuffisante pour la quantification des phénomènes. Actuellement, nous sommes en discussion avec la direction de l'eau, pour que le ministère de l'Environnement poursuive son effort.

Pour la région Nord-Picardie et la partie ouest de la Champagne, nous pensons qu'un radar supplémentaire serait nécessaire. Nous pensons pouvoir nous appuyer aussi sur un radar supplémentaire en Belgique pour compléter le dispositif. Dans le cadre de notre programme à cinq ans que nous sommes en train de finaliser, nous songeons à l'implantation de quatre ou cinq nouveaux radars pour les besoins de quantification, sans compter le renouvellement de nos radars anciens.

Dans le cadre de notre contrat d'objectif qui couvre la période 2001-2004 et 2005-2006 pour le programme radar, nous envisageons un programme de l'ordre de 80 millions de francs. Les discussions sont en cours avec le ministère de l'Environnement, qui devrait en financer la moitié. Nous allons donc sensiblement améliorer la couverture de la France par cette extension du réseau radar.

Météo-France fait de nombreux efforts pour que la mobilisation maximum des ressources soit possible pour les radars, en particulier les ressources européennes. Si on installait un radar dans la région de Douai, il serait éligible au financement INTERREG, puisqu'il couvrirait aussi la Belgique voire le Luxembourg.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Jean DUNGLAS,
ingénieur général honoraire du génie rural, des eaux et des forêts

(extrait du procès-verbal de la séance du 27 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Jean Dunglas est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Jean Dunglas prête serment.

M. le Président : Vous avez été l'auteur en 1995 d'un rapport sur la coordination des services administratifs dans la lutte contre les inondations de l'Aisne et de l'Oise.

Avant ce rapport, vous avez été amené à vous intéresser à d'autres catastrophes, notamment celle de Vaison-la-Romaine. Vous disposez donc du recul nécessaire pour éclairer la commission.

M. Jean DUNGLAS : Je me suis occupé de problèmes d'hydraulique depuis le début de ma carrière au service de l'État. Elle a débuté en décembre 1959 lors de la catastrophe du barrage de Malpasset. Depuis 40 ans, j'ai beaucoup travaillé sur ces questions et, depuis mon départ à la retraite fin 1998, j'ai continué à m'en occuper de manière plus personnelle. En janvier 2001, le président de l'académie d'agriculture de France m'a demandé de faire une étude sur les inondations bretonnes.

Comme vous l'avez dit, les inondations commencent à être bien connues. Cela étant, comme dans tous les sujets bien connus, on découvre régulièrement de nouveaux aspects. Je m'en suis personnellement rendu compte depuis quelques mois.

À la fin de ma période d'activité au Conseil Général du génie rural des eaux et des forêts, comme président de la section « Hydraulique et milieux aquatiques », le préfet de région Île-de-France m'avait demandé d'apporter mon appui au président de l'Entente Oise-Aisne. Celle-ci mobilise et coordonne les efforts pour lutter contre les inondations dans ce bassin.

Au fur et à mesure que les bureaux d'études procédaient à diverses analyses sur les circonstances des inondations, sur les précautions à prendre, nous nous sommes rendu compte qu'un certain nombre d'aspects nouveaux ou inattendus apparaissaient progressivement. Je vous en citerai seulement deux qui sont mal connus.

Dans le passé, l'hydrologie apparaissait un peu comme une science que l'on traitait par des statistiques. Aujourd'hui, nous nous rendons compte que beaucoup de choses jouent en amont. Premièrement, il existe des déphasages et des décalages entre les ondes de crue venant des divers points du bassin qui peuvent se combiner. Deuxièmement, il existe une certaine convergence entre phénomènes météorologiques et pluviométriques d'une part et, d'autre part, l'état de saturation des sols et toute l'histoire de l'humidité des sols au cours des mois, voire des années précédentes.

J'en donnerai deux exemples. D'abord, le cas des inondations de 1993 et 1995 dans l'Oise et dans l'Aisne est intéressant. Avec des pics d'hydrogramme sur les deux rivières nettement plus faibles qu'en 1993, l'inondation de 1995 a pratiquement été du même ordre de grandeur à l'aval de Compiègne. En effet, de façon assez exceptionnelle, les deux pointes des hydrogrammes sont arrivées en même temps à Compiègne. Le phénomène s'est donc trouvé considérablement renforcé.

L'explication est d'abord météorologique. Quand les perturbations viennent de l'ouest ou du nord-ouest, comme le bassin versant de l'Oise est un peu plus court que celui de l'Aisne, l'onde de l'Oise devance celle de l'Aisne. Mais quand les perturbations viennent du sud - ce qui est de plus en plus souvent le cas pour des raisons qui ne sont pas encore très claires -, c'est l'Aisne qui reçoit d'abord la perturbation et l'Oise ensuite. À ce moment-là, le débit de l'Aisne augmente en premier et donne son maximum avant ou au même moment que l'Oise, d'où ce phénomène que je viens de vous signaler.

Ensuite, un autre phénomène est apparu très clairement lors des inondations bretonnes de cet hiver. En Bretagne, on a l'habitude des inondations. Les chroniques de M. Champion, qui ont plus d'un siècle et qui racontent l'histoire des inondations en France sur plus de mille ans, nous rappellent que les rivières bretonnes ont souvent débordé dans le passé. Cette année pourtant, quelque chose d'assez curieux s'est passé : les pics pluvieux ont été importants, mais pas extraordinaires. Mais, il y a eu des cumuls considérables durant les quatre ou six mois qui ont précédé l'inondation aboutissant à une saturation complète, presque absolue, des sols. De cette façon, en janvier, quand il tombait une goutte, elle ruisselait intégralement.

Je n'avais encore jamais vu, sur des sols de ce type, une saturation aussi complète sur une telle profondeur. Le sol des prairies était tellement saturé, que la pluie ruisselait, comme on peut l'observer en montagne mais, il est vrai, avec des pentes beaucoup plus fortes. Des phénomènes de ce genre n'étaient pas très bien connus par le passé. On commence seulement à mieux les analyser.

Ces exemples soulignent d'ailleurs la nécessité de continuer à faire des recherches dans tous ces domaines. Une partie de l'eau s'évapore toujours normalement - en mars, il peut s'en évaporer plus de la moitié -, une autre partie s'infiltre et le reste ruisselle. Si, en même temps, nous sommes dans une atmosphère saturée d'eau, s'il fait frais ou si le sol est complètement saturé, c'est la quasi-totalité de ce qui tombe qui ruisselle. Toute cette dynamique de la transformation de la pluie en débit est encore relativement mal connue et il faudra la maîtriser dans l'avenir. Il y a des besoins de recherche considérables en la matière. L'Entente Oise-Aisne vient d'ailleurs de lancer une étude sur ce sujet. Un bureau d'études a été choisi et l'étude est en cours. Elle permettra de mieux cerner cela et de mieux traiter les données sur les pics possibles de crues.

Je viens de vous parler de l'aléa. Je voudrais aborder l'autre aspect du risque qui est la vulnérabilité. Il y a inondation seulement quand des biens ou des vies sont en danger. Si la crue arrive sur une zone totalement vide, c'est une crue dont personne ne se préoccupe. Cette question de vulnérabilité est très importante. En effet, plusieurs variables jouent. La première est une beaucoup moins grande habitude des populations à ces phénomènes climatiques. Les populations sont plus mobiles que dans le passé et la mémoire des inondations disparaît dans la plupart des zones inondables.

À titre d'anecdote, en visitant la bordure de l'Oise en 1995, j'ai rencontré un propriétaire, cadre supérieur qui avait quitté Paris. Sa propriété, me disait-il, était très agréable en été. Mais, il ne voulait pas que l'eau monte de plus de 40 centimètres, sinon elle rentrait dans sa cuisine. Il ne voulait pas non plus qu'elle baisse de plus de 50 centimètres, sinon la vase sentait mauvais. Il ajoutait qu'il revenait à l'État de prendre en charge la régulation de la rivière. Dans le passé, on n'entendait pas de tels propos. Les gens avaient conscience que les phénomènes naturels ne pouvaient être maîtrisés ni par la technologie ni par l'administration.

Par ailleurs, dans de nombreuses zones inondables, les autorités locales et les notaires ne font pas leur travail et ne disent pas aux acheteurs d'une propriété qu'elle est inondable. Souvent, cette information ne figure pas dans le plan d'occupation des sols quand il n'y a pas de plan de prévention des risques (PPR). En réalité, les gens sont conscients de la perte de capital subie quand leur propriété est déclarée en zone inondable. Ils le cachent en essayant de ne pas trop y penser jusqu'au jour où la catastrophe arrive. C'est un premier élément très important.

Second élément, il y a une demande considérable d'habitats au bord de l'eau. C'est vrai pour le littoral et pour les rivières. Le tropisme vers l'eau est considérable.

Le troisième point est lié au système français d'indemnisation des catastrophes naturelles. Il est remarquable parce qu'il permet d'indemniser efficacement les sinistrés. Mais il est également pervers. Jusqu'à très récemment, quand on était inondé et que l'état de catastrophe naturelle était déclaré, les assurances payaient. C'était une cause d'indifférence vis-à-vis du phénomène.

Une autre explication est liée au fait que chaque commune essaie de se développer. Les maires des communes concernées n'ont souvent plus d'autres terrains à proposer qu'en bordure des rivières. Il y a des résistances locales compréhensibles quant à l'institution des PPR. Or, ceux-ci sont indispensables, puisqu'ils visent à ce qu'il n'y ait pas de nouveaux sinistrés à l'avenir.

Que peut-on faire de plus ? Une autre solution est envisageable pour l'avenir, à condition de revoir les textes réglementaires. Elle consisterait, à chaque fois qu'on le peut et quand on est obligé de reconstruire localement, à diminuer la vulnérabilité des habitations. À titre d'exemple, on pourrait mettre sous gaine étanche les lignes électriques et téléphoniques et placer systématiquement les prises dans les pièces hors d'eau, tout en veillant à ne laisser d'appareils sensibles en dessous du niveau inondable.

Ne peut-on vraiment rien faire contre l'aléa ? Je pense que l'on peut encore faire beaucoup. L'Entente Oise-Aisne a abandonné l'idée de construire des barrages-réservoirs parce que ce n'est pas viable pour une raison simple : on ne peut pas défendre un territoire contre une crue centennale avec un barrage-réservoir destiné à ne servir complètement qu'en moyenne une fois tous les cent ans. De tels ouvrages ne sont pas justifiés économiquement, compte tenu des prix du foncier et de la construction, des taux d'actualisation pratiqués, enfin des coûts d'entretien et de gestion.

Pour éviter l'inondation, il faut d'abord retarder au maximum l'arrivée de l'eau qui est tombée en amont, ensuite faire sauter les bouchons éventuels dans les zones vulnérables et éviter d'en créer de nouveaux par des décisions erronées, prises localement à partir de points de vue géographiquement trop limités. J'ai vu trop de lotissements créés avec des bretelles d'accès mal étudiées qui, à la première grosse averse, provoquaient des inondations. Enfin, comme je l'ai indiqué dans mon rapport, il faut gérer globalement le bassin versant.

La deuxième mesure à prendre est la création d'établissements publics, comme ceux pour l'aménagement de la Meuse, de la Loire ou comme l'Entente Oise-Aisne. Ils peuvent servir de maîtres d'ouvrages locaux pour mettre en _uvre tous ces systèmes de défense et de lutte contre les crues.

Le troisième aspect, point focal de mon rapport de 1996, est de mieux harmoniser l'activité des services.

Enfin, je voudrais attirer votre attention sur un point actuellement fondamental. Les techniques hydrauliques de prévision et d'aménagement deviennent très complexes. Les modèles informatiques et numériques utilisés pour prévoir et suivre les crues ne sont pas à la portée de n'importe quel ingénieur, mais nécessitent la formation de spécialistes expérimentés.

Malheureusement, à l'heure actuelle, l'administration a de moins en moins les moyens de maîtriser ces techniques avancées, même quand elle fait appel à des bureaux d'études très compétents, comme le laboratoire EDF de Chatou ou le CEMAGREF ou aux quelques bureaux d'études privés qui disposent d'équipes de pointe. L'administration doit s'organiser de manière à utiliser efficacement ces organismes.

Dans les départements et les régions, une meilleure coordination entre les divers services préfectoraux est également nécessaire. De manière générale, la coordination globale entre directions départementales de l'équipement (DDE) et directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF) est excellente. Elle doit également être bonne entre services départementaux et services régionaux, en particulier avec les directions régionales de l'environnement (DIREN). Il faut garder en tête que DDAF et DDE sont les services départementaux du ministère de l'Environnement, la DIREN étant son échelon régional. Il faut aussi également que la DIREN de bassin soit parfaitement efficace dans ce domaine.

Je constate avec beaucoup de satisfaction que la coordination s'améliore. En revanche, le manque de moyens humains, et donc d'expertise, de ces services est plus inquiétant. Un des moyens pour pallier cette pénurie serait de recenser et de mobiliser à l'échelle régionale (et même à l'échelle interrégionale) les quelques bons spécialistes que l'on peut encore trouver.

Par ailleurs, lorsque les rivières sont navigables ou dépendent directement de l'État, la qualité de la coordination avec Voies navigables de France (VNF) et les services de la navigation est très importante. Elle n'était pas très bonne quand je suis arrivé en Picardie en 1996. Les conclusions de mon rapport ont peut-être accéléré les réformes. Actuellement, les progrès sont visibles. La coordination entre un service d'annonce de crue, un puissant établissement public d'État comme VNF, des services de la navigation, qui sont à la fois des services de l'État et des services d'action de VNF, et des services régionaux et départementaux tels que ceux décrits plus haut est d'une très grande complexité.

Je suis très heureux que le projet de loi sur l'eau, présenté en conseil des ministres, permette certaines avancées significatives en donnant aux établissements publics et aux administrations des moyens réglementaires pour pouvoir traiter contractuellement avec les propriétaires des zones que l'on se propose d'inonder provisoirement pour protéger des zones habitées à l'aval.

M. le Président : Vos propos m'ont rappelé une réunion que j'ai tenue hier avec le préfet concernant les problèmes de la Loire. J'avais devant moi le préfet et douze responsables administratifs. Sur les treize personnes présentes, une seule s'occupe vraiment des problèmes de la Loire. Par ailleurs, les moyens de la DIREN ne seront renforcés que par l'arrivée d'un technicien, et non un ingénieur comme prévu, en mai 2003 alors qu'on l'attend depuis longtemps.

La présence de tous ces interlocuteurs montre bien qu'il y a sûrement la volonté de faire quelque chose, mais cela montre aussi qu'on ne se donne pas forcément la capacité, et sûrement pas les moyens intellectuels d'agir.

M. le Rapporteur : Dans votre rapport, vous souligniez que les structures administratives en charge de la prévention et de la gestion des inondations étaient trop nombreuses et peu cohérentes. Comment peut-on améliorer cette architecture administrative ? Quel rôle l'État doit-il jouer en matière de prévention ?

M. Jean DUNGLAS : Ayant travaillé dans la fonction publique d'État pendant 40 ans, je suis resté très ferme sur le rôle de l'État dans ce domaine. La vie des populations et les biens sont en jeu. C'est le rôle de l'État de s'occuper de sécurité publique. Il est exclu qu'il en soit autrement. D'ailleurs, je ne connais aucun pays au monde dans lequel l'État s'en désintéresse. Même aux États-Unis, les diverses administrations examinent cela de très près. La liberté d'installation est en général plus grande mais les propriétaires menacés par les inondations ont à choisir les assurances en conséquence.

Comment faire ? Il y a plusieurs échelons dont le premier est la responsabilité directe de tout le système hydrologique. La loi du 3 janvier 1992 sur l'eau est tout à fait claire à cet égard. Le préfet de bassin a un rôle central mais c'est la DIREN de bassin qui, en pratique, est responsable en ce domaine. Les plus importantes DIREN de bassin sont celles d'Île-de-France, du Centre, de Midi-Pyrénées et de Rhône-Alpes avec des effectifs de 80 à 100 personnes. Mais les DIREN de bassin ont d'autres missions et la section hydraulique compte moins de dix à quinze personnes opérationnelles.

La DIREN d'Île-de-France est l'une de celles qui disposent de l'organisation la plus puissante, notamment au niveau de l'annonce des crues. Ses moyens, sans être extravagants, ne sont pas négligeables. Les autres DIREN, en règle générale, gèrent tout le système de mesures hydrologiques. Jusqu'à une période relativement récente, la DIREN Île-de-France gérait l'ensemble des stations hydrologiques de mesure sur le bassin de la Seine. Elle rétrocède progressivement cette charge, lourde et coûteuse en matériels, en hommes et en matériel aux autres DIREN du bassin.

La partie correspondant à l'annonce des crues est plus complexe car, sur le plan législatif et réglementaire, l'État, n'a normalement pas à gérer l'annonce de crue. Historiquement il l'a prise en charge, sauf quelques cas particuliers, comme à Marseille. Cette mission est parfois assumée par des établissements publics « sous-traitants ».

Dans le cas du bassin de la Seine et de celui de l'Aisne et de l'Oise, la structure est un peu complexe. Toute la partie de l'Oise amont et l'Aisne sont gérées par le Service de navigation de la Seine, de Compiègne ou de Reims. La partie plus en aval de l'Oise est gérée par la DIREN de bassin.

Un problème va se poser - que j'avais déjà soulevé en 1996 et qui va se retrouver à l'ordre du jour - concernant la technique de l'annonce de crue en elle-même. Ce problème comporte deux aspects :

- l'aspect technique, hydrologique, de modélisation ; comment faire en sorte que l'on puisse, quand il tombe de l'eau sur les Ardennes, prévoir de façon suffisamment précise l'onde de crue à Compiègne, à Creil puis à Pontoise ?

- l'aspect réglementaire portait sur les méthodes pour prévenir les préfets à temps ; ceux-ci doivent en effet prévenir les maires à qui il revient de prévenir les populations ; des progrès considérables ont été faits depuis 1996 ; à l'époque, très peu de mairies étaient équipées de fax et encore moins de téléphones portables ; on utilisait des radios plus ou moins efficaces et on en était encore aux télégrammes portés par la gendarmerie depuis la préfecture jusqu'aux différentes mairies intéressées ; depuis, on a fait des progrès avec le minitel, les fax, Internet et surtout avec les téléphones portables : ces nouveaux moyens donnent beaucoup de possibilités et doivent être utilisés au mieux.

À l'inverse, on est en face de difficultés techniques en matière de modélisation et de prévision de la crue. Au risque de vous choquer, il faut savoir qu'à l'heure actuelle en France, dans les trois quarts des cas, les prévisions de crue des rivières de plaine sont toujours faites au moyen d'une méthode dite des « réglettes » ou abaques de Bachet, mise au point en 1934. Ingénieur général des ponts et chaussées, il a mis au point cette méthode, en partant du principe que, quand l'eau tombe sur un bassin versant, une onde de crue se forme, pouvant épouser une gamme de hauteurs de crue relativement importante et sa propagation ne dépend pas seulement de sa hauteur, mais de tout l'environnement. En se basant sur des crues antérieures et moyennant des extrapolations plus ou moins linéaires, on peut obtenir des hauteurs de crue à l'aval et des temps de parcours assez réalistes.

L'avantage de cette méthode est que l'on peut former un technicien à leur utilisation efficace en deux ou trois semaines. Il devient excellent au bout de trois ans de pratique. C'est le terrain qui forme une sorte de calculateur analogique du phénomène. On utilise les observations passées pour déterminer ce qui se passera en aval et dans l'avenir. Actuellement, on dispose pourtant de modèles mathématiques beaucoup plus élaborés et extrêmement performants, permettant de tenir compte de l'évolution de l'occupation des sols, de la rugosité de la rivière, de la forme de l'hydrogramme, etc.

Mais la mise en _uvre de ces modèles mathématiques demande de gros ordinateurs et surtout des spécialistes, des ingénieurs expérimentés et de bon niveau. Même avec un ordinateur, l'ingénieur doit avoir une bonne connaissance du terrain. Il doit savoir que, dans telle zone, la crue va atteindre telle hauteur, que, dans tel petit bois, le frottement d'eau va être un peu plus fort. Il doit jouer sur les coefficients de frottement pour éviter les vibrations et les oscillations. Tout cela demande beaucoup de flair. Un ingénieur venant de l'extérieur ne pourra pas utiliser un tel modèle en huit jours.

On a donc des modèles très complexes mais efficaces pour lesquels il nous faut des gens expérimentés. Il en est de même pour les modèles de passage pluie-débit : les personnels doivent pouvoir interpréter l'image radar des nuages, en déduire la quantité de pluie qui va tomber et le débit qui va en résulter. Actuellement, on ne dispose pas de tels personnels.

Parce que les services veulent être opérationnels, ils préfèrent utiliser des méthodes relativement anciennes et robustes, pas trop difficiles à mettre en _uvre, mais relativement peu précises et hésitent à investir dans des modèles plus complexes.

En 1996, j'avais déjà souligné qu'il serait intéressant d'avoir un modèle d'écoulement global à l'échelle du bassin versant de la Seine. Actuellement, il n'est toujours pas en place, par manque de moyens financiers et parce que peu de bureaux d'études sont capables de le construire. Il y en a certainement moins de 10 en France : à ceux déjà nommément cités s'ajoutent divers bureaux privés comme HYDRATEC, ISL ou SOGREAH, etc. Ensuite, il faudrait des ingénieurs pour le faire tourner et les mettre à jour. Il y a là une grosse difficulté.

Qui pourrait gérer ce modèle ? Je posais déjà la question il y a 5 ans : on ne peut y répondre de façon générale et systématique. La DIREN, le service de la navigation, un établissement public spécialisé ? La question n'est toujours pas résolue.

M. le Rapporteur : Vous indiquez dans votre rapport que selon une étude de MM. Gari et Graff, 80 % des constructions en zone inondable ont été édifiées au cours des quarante dernières années. Est-il possible d'enrayer ce phénomène ? Par ailleurs, comment traiter les constructions en zone inondable de manière à limiter leur exposition aux risques ? Comment peut-on enrayer le phénomène de la construction dans ces zones ?

M. Jean DUNGLAS : Pour en avoir parlé avec beaucoup de maires, notamment celui de Compiègne et ses collaborateurs, et plusieurs maires des Ardennes, je peux vous dire que c'est extrêmement difficile. Un exemple significatif est ce qui s'est passé à Charleville-Mézières, il y a quelques années, avec une fonderie du groupe PSA située dans la vallée de la Meuse. Des pressions considérables sont exercées sur les élus pour qu'ils accordent des permis de construire, des dérogations ou qu'ils fassent édifier des digues. C'est d'autant plus difficile de refuser ces permis que, les gens aiment bien s'installer au bord de l'eau, même les industriels. Par ailleurs, certaines communes n'ont plus de terrains à part ceux-là.

L'intercommunalité est l'un des éléments de réponse les plus importants à ce problème. Il faut absolument que, là où la pression est forte pour le développement économique local, les communes au bord de l'eau soumises à ces pressions puissent s'agglomérer avec des communes situées plus haut. Ces communes pourraient dialoguer et se partager le fruit du développement industriel et commercial local.

Les bâtiments déjà construits en zone inondable posent aussi un problème. On ne peut pas démolir les maisons et mettre les gens à la porte. Le problème se pose dans la Somme. De la même manière, on ne peut pas non plus geler complètement l'état du bâti dans une partie d'agglomération inondable. C'est psychologiquement et humainement impossible.

Certaines solutions techniques sont envisageables. Elles consistent à rendre les habitations moins vulnérables, en accord avec les compagnies d'assurance. Lorsque l'on rénove une maison inondée, toute la partie inondable doit être spécialement adaptée pour résister à l'eau, les meubles doivent être facilement transportables. Il faut éliminer les installations électriques dans les sous-sols. Il est aberrant de constater que la première installation informatique de l'aéroport de Nice était située au sous-sol, dans la gamme de cotes menacées par les crues du Var. Dès les premières inondations, elle s'est trouvée hors service.

M. le Président : Je vous inviterai à aller visiter les sous-sols de l'Assemblée nationale : On pourrait aussi avoir quelques surprises.

M. le Rapporteur : S'agissant des crues de plaine, je pense effectivement que l'on ne pourra pas obliger les gens à reconstruire ailleurs, sauf exception. Mais les bâtiments soumis à des inondations répétitives du même type souffriront très sérieusement. Remonter les prises électriques ne les mettra pas à l'abri de la vulnérabilité.

M. Jean DUNGLAS : Vous avez raison. Si les gens ne veulent pas déménager, il faudra installer certaines maisons sur pilotis ou sur des pieux de béton armé, de manière à ce que la base soit transparente en cas d'inondation. Cette solution coûtera probablement très cher. Mais commençons à le faire tout de suite et essayons de mettre en place des accords avec l'ensemble des compagnies d'assurance pour que ces choses puissent se faire de manière progressive. Si l'on ne s'y met pas, on se retrouva au même point dans cinquante ans.

De même que vous avez souligné la vulnérabilité de l'Assemblée nationale, je voudrais signaler, dans la région parisienne, la vulnérabilité des réseaux de transports, tels le RER ou le réseau souterrain de la RATP. Si la crue de 1910 devait se renouveler, on estime que les dégâts seraient de l'ordre de 50 à 60 milliards de francs ! On épuiserait toutes les réserves du fonds catastrophes naturelles !

Il faut savoir que la mise en place de réservoirs en amont du bassin de la Seine permettrait de baisser le niveau d'une crue de type 1910 de 60 à 80 centimètres. C'est considérable, mais pas de nature à changer radicalement les conséquences des inondations à Paris.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué la mise en place des PPR. Estimez-vous que des améliorations pourraient être apportées au dispositif pour le rendre plus opérationnel et plus efficace ?

M. Jean DUNGLAS : Le PPR est une arme intéressante et puissante, dont les avantages sont évidents. En quelque sorte, on évite les futurs sinistrés. Mais d'un autre côté, il est certain qu'il est perçu par beaucoup d'élus locaux comme un retour au centralisme étatique, comme un moyen donné au préfet de limiter les libertés de s'organiser localement.

Comment concilier ces deux aspects ? Il est vrai que la mise en place des PPR a été lente. Très souvent, les quelques PPR existants ont été faits « à la hussarde ». Celui de Compiègne a été bouclé par le préfet la veille de son départ. Je ne crois pas que ces méthodes soient les meilleures. Il faut y consacrer du temps, en laissant la possibilité aux gens de s'exprimer. Il faut expliquer sans cesse. L'expérience a prouvé qu'une mise en _uvre trop rapide aboutissait à des recours des administrés plus nombreux. Il faut rester à l'écoute des populations. Les maires ont un rôle important à jouer. Les services préfectoraux aussi. D'après des chiffres récents, la situation s'améliore, même si c'est encore très lent.

L'essentiel est de garder le cap de cette politique. En particulier, les PPR doivent faire l'objet de la meilleure information et offrir un minimum de flexibilité. Au début, les propriétaires avaient l'impression qu'ils ne pouvaient plus changer leur portail ou remettre en état leurs clôtures. Il faut les rassurer et les associer, avec leurs élus, à ce travail fondamental de protection.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Gilles HUBERT,
chargé de recherche au
Centre d'enseignement et de recherche sur l'eau, la ville et l'environnement
(CEREVE),

(extrait du procès-verbal de la séance du 27 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Gilles Hubert est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Gilles Hubert prête serment.

M. le Président : Dans votre activité de chercheur, vous vous êtes plus particulièrement intéressé aux impacts socio-économiques des inondations, en collaboration avec M. Bruno Ledoux que nous avons entendu ce matin, et aux « mesures non structurelles » de prévention. Sur ce dernier point, vous vous êtes notamment intéressé, avec d'autres chercheurs, aux plans de prévention des risques (PPR) et à la façon dont leurs prescriptions sont intégrées dans les documents d'urbanisme et comment elles sont prises en compte lors de la délivrance des autorisations d'occupation du sol.

Autant de points qui sont au c_ur des investigations de notre commission.

M. Gilles HUBERT : Je ne reviendrai pas sur les sujets abordés par M. Bruno Ledoux avec qui je travaille régulièrement. Actuellement, nous travaillons ensemble sur l'intégration des connaissances socio-économiques dans les documents réglementaires. Le ministère de l'Environnement, dès 1982, a ajouté à l'analyse de l'aléa la question de l'évaluation de la vulnérabilité. Dans la procédure des PPR, créée en 1995, il n'est plus question de vulnérabilité, mais d'enjeux. À partir de ce changement sémantique, nous avons essayé de voir s'il y avait un changement dans les pratiques des services instructeurs qui réalisent les documents réglementaires. Nous avons également essayé de voir, par des études de cas, quelles étaient les connaissances produites lorsque l'on s'intéressait à la dimension socio-économique. En particulier, nous avons cherché à savoir à quoi cela servait dans la réglementation.

Nous nous sommes aperçu, au travers des enquêtes auprès des services instructeurs et des études de cas, que très peu de choses étaient développées par les services sur ces questions. Souvent, les études à ce sujet étaient réalisées pour la forme. Quand on parlait d'enjeux, il s'agissait juste de faire une cartographie de l'occupation des sols un peu améliorée. En fait, cela n'apportait aucune connaissance nouvelle et aucune donnée complémentaire aux élus locaux dans la mesure où ils connaissent très bien leur territoire.

Lorsque des investigations spécifiques étaient développées, par exemple sur l'évolution de l'occupation des sols une fois que le territoire est réglementé, sur les conséquences sur le développement local et sur les alternatives en matière d'urbanisme, - tous éléments qui pouvaient être intéressants au plan de l'analyse -, elles n'étaient menées que de manière très expérimentale et seulement quand des conflits très importants apparaissaient entre l'administration et les élus locaux. C'était un peu par obligation que l'État investissait dans le domaine. Cela paraît assez logique, car les services de l'État ont une culture d'ingénieur, en tout cas ceux qui instruisent les documents de planification réglementaires. Ils considèrent qu'une bonne connaissance de l'aléa suffit pour cartographier l'occupation des sols et définir la réglementation.

Notre petite équipe du CEREVE a également travaillé sur la question de l'évaluation de l'efficacité de la réglementation une fois qu'elle était mise en _uvre. Nous nous sommes intéressés à une analyse a posteriori de la réglementation approuvée sur un territoire et nous avons essayé de mesurer ses effets. Notre analyse a été originale par rapport au travail de la commission Bourrelier qui date de 1997, puisque nous nous sommes adressés directement aux occupants des zones inondables réglementées, à savoir les groupes affectés : la population et les responsables d'activités.

Nous avons fait un travail d'enquête approfondie auprès des ménages et des activités (commerce, industrie, artisanat, agriculture, ...) pour avoir leur sentiment sur la réglementation et ses effets en matière d'information sur le risque, de mise en _uvre de mesures individuelles de prévention, etc. Nous avons complété cette analyse par un travail d'interview auprès des acteurs locaux, notamment les élus. Nous avons fait un travail approfondi en matière d'analyse des données sur l'évolution des permis de construire sur une dizaine d'années, sur l'évolution du marché foncier et des transactions sur un territoire pour déterminer l'influence du risque ou de la réglementation. Enfin, nous avons fait une analyse de la cartographie de l'occupation des sols dans le temps, avant et après l'instauration d'une cartographie réglementaire.

Notre travail a fait ressortir des évidences. Sur un territoire, il semble que l'approbation d'un règlement n'ait pas d'effets importants. Nous avons essentiellement travaillé sur des sites soumis à des crues de plaine, crues lentes où l'on a des possibilités d'intervenir en matière d'annonce de crue, d'évacuation, etc. Il s'est avéré que les orientations données par les élus locaux en matière d'occupation des sols tenaient déjà compte du risque et que la réglementation ajoutée n'apportait rien de plus. Nous avons vu cela en analysant les permis de construire : dans les zones à risques forts, aucun permis de construire n'est délivré, du moins sur les sites étudiés. Cela ne veut pas dire que c'est la généralité. Dans les zones à risques plus faibles, la réglementation mise en _uvre n'influence pas le rythme de construction.

L'information et le comportement des habitants nous intéressaient beaucoup, considérant que lorsque l'on mettait en _uvre une réglementation, c'était une façon de sensibiliser et d'apporter des informations complémentaires à la population. Sur 800 particuliers et responsables d'activités interrogés au cours de l'enquête, 7 % seulement connaissaient l'existence du règlement approuvé depuis plus de cinq ans sur la commune où ils habitaient. Au plan de l'information, c'était assez caractéristique.

Nous nous sommes intéressés aux mesures d'accompagnement individuelles prises par les habitants, comme le rehaussement du système électrique, la possibilité d'enlever les meubles, etc. Dans nombre de cas, toutes les mesures qui permettent de réduire la vulnérabilité étaient déjà prises par les habitants eux-mêmes avant que la réglementation n'intervienne. Pourtant, sur l'ensemble des communes, quatre sur le Val-de-Saône et deux en Seine-et-Marne, tous les habitants et tous les responsables d'activités étaient installés depuis une douzaine d'années en moyenne, bien avant l'instauration de la réglementation. Il n'y a donc pas eu de changements d'attitude ou de comportement sur les territoires étudiés.

Nous avons demandé si les habitants connaissaient le risque, et cela au moment de leur installation. Dans la majorité des cas, les gens connaissaient déjà le risque et s'installaient en toute connaissance de cause. Les critères d'installation des particuliers dans ces zones étaient le cadre de vie et la proximité d'équipements. Pour les activités, le facteur essentiel d'installation était la présence d'infrastructures de transports. Sur les sites à crues de plaine, les gens s'installent en connaissance de cause ; la mise en _uvre d'une réglementation spécifique « risque » ne modifie pas leur comportement.

Nous travaillons actuellement sur la problématique des marchés fonciers. Cette question s'avère difficile à étudier, parce que le comportement du marché immobilier et du foncier est influencé par de multiples facteurs. On a des difficultés à identifier la part qui revient au risque en tant que tel et à la réglementation.

Pour l'instant, nous avons fait un travail expérimental à Champs-sur-Marne, où est implantée l'École nationale des ponts et chaussées et à Esbly, une commune proche. Ces deux communes ont un caractère d'inondation différent. Nous avons étudié l'évolution du marché à travers les déclarations d'intention d'aliéner (DIA). Lorsque le droit de préemption d'une commune est mis en _uvre, les vendeurs doivent apporter des informations sur le prix de vente, sur la taille des parcelles et des habitations. Nous avons étudié un quartier très précis de Champs-sur-Marne, quartier homogène, construit dans les années 1930 sur des parcelles de taille identique, dont la moitié est soumise à un risque d'inondation en référence à la crue de la Marne de 1950 - l'autre moitié étant en dehors de ce secteur inondable. Il est apparu que le prix des maisons comparables était plus élevé de 10 % en moyenne. Il s'agit d'un effet lié au cadre de vie. Il est vrai que dans le cas de Champs-sur-Marne, il n'y a pas eu d'inondation récente. En outre, il n'y a pas encore de PPR (le document est en cours d'élaboration). Dans la commune d'Esbly, située à 25 kilomètres en amont, l'influence du risque y est plus forte parce qu'il y a conjonction de deux cours d'eau : le Grand Morin et la Marne. Nous avons constaté que dans les secteurs soumis à inondation, les biens identiques subissaient une dévaluation de l'ordre de 40 %.

Ce sont donc des situations totalement différentes. Dans le cas d'Esbly, les inondations se produisent quasi annuellement ou tous les deux ans. On a là un facteur qui est plus lié à l'événement lui-même. Dans le cas d'Esbly, il n'y a pas de réglementation approuvée mais seulement un projet de PPR. On ne peut donc pas dire que la réglementation a une influence sur cet aspect des choses.

Je peux cependant vous donner un contre-exemple. Nous nous sommes aperçu que, à Orléans, la réglementation mise en _uvre sur des secteurs à forts aléas avait créé une pression qui a engendré un accroissement notable des prix pour les maisons en vente, l'offre y étant inférieure à la demande car les nouvelles constructions sont interdites. Sur cette question précise, on observe tout et son contraire.

M. le Rapporteur : Les propriétaires voient le prix de leur maison augmenter, même en zone inondable, du fait de l'interdiction de construire.

M. Gilles HUBERT : C'est vrai, s'il n'y a pas eu d'inondation récente. Dans la Somme, par exemple, on peut s'attendre à des effets inverses.

Nous poursuivons un travail similaire sur des territoires soumis à crues torrentielles, pour voir si des différences liées aux types de crues peuvent être constatées. J'avais rencontré M. Henri Sicre, membre de votre commission, lors d'un travail de terrain. Nous travaillons actuellement sur des communes proches de chez lui, dans les Pyrénées-Orientales, notamment Amélie-les-Bains et Arles-sur-Tech.

M. le Président : Vos propos montrent que la réglementation n'a pas eu autant d'impact que nous le pensions. Le PPR n'a rien changé au niveau de ma commune. Nous avons juste rencontré quelques petites difficultés administratives sur des points de détail mais, sur les points essentiels, nous avions déjà pris les mesures qui s'imposaient depuis longtemps.

M. le Rapporteur : À vous entendre, j'ai l'impression que les PPR ne sont pas très utiles. Cela fait déjà plusieurs fois que nous le demandons à nos interlocuteurs. D'après vous, il semble que les effets sur le terrain ne soient pas très mesurables. Pouvez-vous préciser votre pensée, qui n'est peut-être pas aussi brutale que celle que je viens d'énoncer. Pensez-vous qu'un type de réglementation un peu différent pourrait apporter une réponse plus satisfaisante ?

M. Gilles HUBERT : On peut effectivement se demander s'il y a un apport particulier d'une réglementation spécifique « risque ». À l'issue de notre rencontre avec les élus de diverses communes, nous retenons deux points de vue.

Tout d'abord, le fait d'avoir une réglementation pérenne permet d'éviter aux élus locaux d'être sous la pression de demandes de permis de construire excessives. La réglementation peut donc être utile. La principale remarque porte sur la façon de procéder. L'État a conçu un guide méthodologique sur la concertation lors de l'élaboration des PPR. Cependant, les exemples étudiés ne font pas ressortir une concertation telle que nous la concevons. Au mieux, une information a-t-elle été donnée, mais dans la plupart des cas rencontrés, les élus se sont sentis mis devant le fait accompli. Le préfet décide l'instauration d'un PPR sur leur territoire et l'annonce se fait ainsi.

Ce processus de décision amène de nombreuses critiques et devrait être modifié. Ce sont des aspects sur lesquels on ne peut pas passer en force. On nous annonçait 2 000 PPR en 2000 et on affiche l'objectif de 5 000 en 2005. Pourtant, l'objectif ne doit pas être uniquement quantitatif mais aussi qualitatif. Il faut obtenir une forme d'appropriation des documents réglementaires, l'objectif principal étant de diminuer la vulnérabilité des zones inondables. Une forme concertée est nécessaire. De même, il faudrait accepter l'intégration dans ces réglementations des approches concernant le développement local. On devrait permettre de traiter ensemble la gestion de l'occupation des sols et l'aménagement du territoire. Jusqu'à présent, nous avons l'impression qu'il n'existe qu'une mesure coercitive de réglementation du droit des sols. Il y a un refus d'une démarche plus globale d'aménagement du territoire et de gestion de bassin. On retrouve cette démarche dans d'autres procédures, telles les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) par exemple.

M. le Rapporteur : J'aimerais comprendre un peu mieux. Un plan qui autorise à construire à tel endroit et pas à tel autre pour cause de zone inondable est facile à comprendre. Mais vous allez plus loin ; j'aimerais donc, en tant que maire, que vous explicitiez les choses afin que je sache comment cela peut se vivre.

M. Gilles HUBERT : Nous nous sommes aperçu que la démarche technique développée par les services de l'État se traduisait essentiellement en termes de cartographie d'un aléa. Bruno Ledoux vous a peut-être parlé de l'expérience qu'il a menée sur la boucle de Poses (Seine), un ensemble de communes situées autour du Val-de-Reuil, où un PPR a été engagé il y a quelques années. Lorsque la première carte des aléas est arrivée sur la table des conseils municipaux, il y a eu une levée de bouclier parce que le tracé ne correspondait pas du tout à ce qu'il y avait dans le plan de surfaces submersibles qui préexistait. Il y a eu alors négociations. À partir de là, les services de l'État ont engagé un travail précis sur les contraintes que pouvait entraîner la réglementation sur le plan du développement local.

Deux bureaux d'études privés, dont celui de Bruno Ledoux, ont été chargés de mener des investigations auprès des entreprises et de la société civile sur le fonctionnement et les besoins des entreprises installées dans les zones qui seraient réglementées. Il fallait définir les alternatives de développement et les moyens pour se protéger.

À partir d'un diagnostic du territoire orienté par rapport à l'inondation, élus et agents de l'État ont réfléchi ensemble sur les stratégies en matière de développement de la commune. C'est ainsi que des moyens ont été trouvés pour permettre un développement alternatif lorsque l'on réglemente et que l'on gèle l'occupation des territoires. Cela s'est fait concrètement dans ce cas, mais ces exemples restent rarissimes. Nous sommes donc capables, à travers la mise en _uvre d'une réglementation, d'engager des réflexions qui vont au-delà de l'aspect coercitif des choses.

M. le Rapporteur : Vous évoquez là le cas d'entreprises existantes, avec lesquelles on négocie pour savoir comment elles peuvent se maintenir ou se développer dans le cadre où elles sont implantées. Mais quand vous parlez de démarche de développement, il s'agit d'entreprises nouvelles candidates à une implantation. Que se passe-t-il dans ce cas ?

M. Gilles HUBERT : Dans le cas du Val-de-Reuil, évoquant l'alternative au développement, la problématique était de savoir dans quels secteurs nouveaux des zones d'activités ou d'habitats pourraient se développer. Les réflexions sont engagées directement avec les élus locaux qui déterminent les objectifs en matière d'urbanisation et de vocation de l'usage des sols. Nous sommes dans le cas particulier d'une ville nouvelle, c'est donc l'intercommunalité qui est en jeu derrière ces questions de gestion du risque. Si l'on gèle un territoire, si l'on conserve des champs d'inondation, c'est pour protéger les communes à l'aval. Il faut donc une approche territoriale et intercommunale de la gestion du risque. Les services de l'État peuvent, si cela n'existe pas sur le terrain, essayer d'engager des réflexions dans ce sens-là.

M. le Président : J'ai écouté avec attention ce que vous avez dit, comme je l'ai fait pour M. Bruno Ledoux ce matin. Nous sommes d'accord sur le fait qu'il y ait besoin d'une certaine réglementation pour ne pas faire n'importe quoi n'importe où, d'où la nécessité du PPR.

Le vrai problème est le manque de concertation. Dans certains endroits, on se comporte en ingénieur en tirant un trait parce qu'il y a une cote de x centimètres ou mètres d'eau attendus en cas d'inondation. Or, la situation varie selon les endroits et ce n'est pas la même chose d'être sous 10 cm à tel endroit ou à tel autre. Des conditions sont à mettre en _uvre afin de réaliser certains équipements. Je l'ai constaté dans la mise en place de mon PPR. On a d'abord mis en place un projet d'intérêt général (PIG). Le préfet s'est aperçu que le PIG s'imposait au POS, mais que l'on pouvait modifier le POS pour détourner le PIG. Il a pensé que certains allaient s'en apercevoir et il l'a transformé en PPR. Globalement, le PIG est devenu un PPR. Le préfet nous a réunis pour nous dire que c'était la même chose sous un nom différent. Après m'être renseigné, j'ai découvert que ce n'était pas tout à fait la même chose. Nous avons discuté et tout s'est arrangé. Cependant, il n'y a eu aucune négociation.

Le territoire de la commune comprend des zones d'aléa fort, moyen et faible. L'application mathématique selon les cotes est complètement aberrante alors qu'une discussion aurait permis de régler les petits problèmes comme on le fait dans un POS. Dans un POS, si vous dites que toutes les barrières doivent être à 1,10 mètre, vous pourrez toujours vous permettre de mettre l'une ou l'autre à 1,20 mètre pour des questions d'esthétique ou de sécurité. Réviser un POS est possible, alors que je ne sais pas si le PPR peut se réviser facilement.

M. Gilles HUBERT : Il existe une procédure administrative de révision, mais seul l'État peut l'engager. La façon dont cela s'est passé sur votre commune illustre bien la manière dont cela se passe généralement. Il y a une forme standardisée et normalisée que l'on applique du Nord au Sud, sans chercher une adaptation. On pourrait agir avec davantage de souplesse. Nous avons rencontré des riverains de la Saône qui vivent avec les inondations. Ils sont parfois installés depuis des générations. Les nouveaux arrivants sont mis au courant par le voisinage et cela se passe correctement. Il n'y a pas besoin de rajouter une couche réglementaire par-dessus. À l'inverse, certaines situations exigent une réglementation. Il faudrait toutefois avoir une approche plus souple.

Cette situation donne l'impression que l'on fait du rattrapage et que l'on veut absolument faire du chiffre. Ainsi, les moyens financiers pour réaliser des PPR ont été augmentés. Le ratio entre le nombre de PPR programmés et le budget qui leur est consacré indique une somme de 100 000 francs par commune, ce qui ne permet pas de faire des études poussées.

M. le Président : Un exemple me vient à l'esprit. Une famille de ma commune a un enfant de plus. Elle demande à transformer son garage en chambre pour le loger. On le lui refuse parce que, dans le cadre du PPR, elle ne peut augmenter sa surface habitable de plus de quelques pour cent. Elle doit garder l'enfant dans une autre chambre, alors qu'il y a la surface suffisante sans ajouter de construction. Le garage ne peut pas être transformé en chambre, alors que, de toute façon, ils seront toujours aussi nombreux dans la maison puisque l'enfant sera avec eux. Cela illustre le côté un peu aberrant de la chose. Nous avons essayé la négociation, les lettres, les rencontres, mais il n'y a malheureusement pas de discussion possible.

C'est le petit côté négatif de la réglementation qui passe mal, surtout si l'on considère que cela aurait pu être négocié ou discuté. En pratique, à cause de 2 % de cas particuliers, 98 % sont confrontés à des problèmes. Même s'ils comportent de bons aspects, les PPR posent un problème de discussion, de négociation et de concertation.

M. le Rapporteur : Pour reprendre votre exemple, il est évident qu'ils doivent avoir la possibilité d'aménager leur bâtiment, mais cela entraînerait un coût supplémentaire en cas de nouvelle catastrophe. Leur décision entraînera un dommage collectif puisque cela sera pris en compte par la collectivité.

M. le Président : Il faudrait peut-être compenser par un système ayant plus de souplesse.

M. le Rapporteur : Le PPR a-t-il un rôle d'alerte des populations ? Vous avez répondu négativement. Dans le département de la Somme, il n'y avait pas de PPR. Je ne suis pas persuadé qu'un PPR jouera un rôle d'alerte supplémentaire. Les gens auront reçu une information évidente par les inondations de cette année. S'il n'y a pas d'inondation nouvelle d'ici plusieurs années, l'information faite par les PPR n'aura pas beaucoup progressé, surtout dans les régions à fort mouvement migratoire.

M. Gilles HUBERT : Je rappelais tout à l'heure que seuls 7 % des gens connaissaient l'existence du PPR approuvé depuis plus de cinq ans. On se rend compte que l'information n'est pas passée. Par contre, 75 % connaissent l'existence du risque qu'ils ont appris par des vecteurs d'information indirecte, comme les voisins et non pas par les services de l'État.

M. le Rapporteur : Je n'ai pas eu le sentiment que la culture du risque était très développée dans le département de la Somme. Quand vous dites que 75 % des gens connaissent l'existence du risque, cela prouve que 25 % ne la connaissent pas, soit parce qu'ils l'ont occultée, soit parce que ce sont de nouveaux arrivants. Avez-vous des suggestions afin de développer cette culture du risque ? Nous avons bien compris qu'elle n'était pas développée dans notre département. Lors de notre déplacement dans la Somme, certains maires de petites communes ont avoué avoir été prévenus par le préfet mais ne s'être pas inquiétés. Il n'y a effectivement aucune culture du risque. Que peut-on faire pour la développer si les réglementations ne jouent pas ce rôle ?

M. Gilles HUBERT : Si les gens ne connaissent pas le risque, c'est parce qu'ils n'ont pas connu d'inondation ou parce qu'ils se sont installés récemment dans le secteur.

C'est à l'occasion d'un PPR qu'il est néanmoins possible de faire de l'information auprès de la population, mais pas à travers une enquête publique. C'est pourquoi j'insistais sur la concertation. J'imagine, à l'occasion d'un PPR, une sorte de commission locale des risques à l'image de la commission locale de l'eau pour les SAGE. On organiserait un processus local de concertation avec les trois collèges classiques, c'est-à-dire l'administration, les élus locaux et la société civile. Il s'agit de commencer à travailler avec une information sur cette base-là car on ne peut pas se permettre de faire une information une fois que le risque est arrivé. À ce premier stade, si une réglementation est mise en _uvre, il faut profiter de l'occasion pour communiquer autour des risques naturels.

Ensuite, des rappels doivent être faits régulièrement. D'après mon expérience, les élus locaux sont assez réticents à évoquer le risque avec la population. Ils semblaient avoir peur d'effrayer les nouveaux arrivants. Un travail d'information régulière est à faire auprès des habitants. Aux États-Unis, par exemple, les gens reçoivent tous les ans une lettre d'avertissement leur rappelant qu'ils sont en zone inondable et donnant des informations simples de comportement à adopter en cas d'événement majeur.

Sans doute la culture du risque s'acquiert-elle avec l'événement, mais on ne peut pas attendre la catastrophe pour s'inquiéter de la manière de gérer le risque. De plus, cette information est nécessaire car la population bouge de plus en plus ; beaucoup ne restent en moyenne que quatre ou cinq ans sur un secteur.

M. le Président : Il est effectivement difficile pour un élu de conseiller à qui que ce soit de ne pas venir sur sa commune située en zone inondable. Mais avec une bonne formation, les élus sont le meilleur vecteur de l'information de la population.

Hier, nous avons rendu à 33 maires de communes de la Loire moyenne les résultats d'une étude relative aux risques d'inondation. Un maire nous a confié que, n'ayant que trois maisons inondables, il n'était venu que par curiosité, mais qu'il s'était aperçu que le risque était considérable dans sa commune. En effet, les routes seraient coupées et la ville inaccessible ; les commerces ne pourraient plus travailler. L'information va bien au-delà du problème physique de l'inondation ; elle doit concerner tous les problèmes périphériques. Je suis persuadé que le maire et son équipe municipale ont de grandes facilités à faire passer l'information, car ils sont plus disponibles que les services de l'État. Il faut mettre en place un système qui permette au maire d'être informé, compétent, de savoir transmettre l'information. Peut-être faut-il lui donner des documents suffisamment didactiques pour qu'il les relaie.

M. Gilles HUBERT : Vous évoquiez la communication de documents. Quand on voit la façon dont les PPR sont rédigés, comment penser qu'ils soient communicables ? Le PPR est un document très technique. La moitié des gens ne le comprennent pas. Faisons un effort sur la présentation des documents officiels.

Maintenant, il y a des dossiers communaux synthétiques (DCS) et des dossiers d'information communaux sur les risques naturels majeurs (DICRIM). Sont-ils vraiment transmis aux populations par les mairies ? Je n'en suis pas convaincu. Il faut décentraliser et travailler sous forme de réunions dans les zones à risque pour transmettre l'information. Je ne pense pas que le citoyen vienne de lui-même chercher l'information, consulter un document d'information en mairie, sauf s'il a un permis de construire à demander, un agrandissement à faire. Il y a vraiment un effort à faire, peut-être en s'appuyant sur les associations de sinistrés par exemple.

Ce sont des vecteurs intéressants de communication. À Champs-sur-Marne, il n'y a pas eu d'inondation depuis plusieurs années. Mais des associations de riverains existent. Même si elles ne sont pas en contact avec la mairie, elles connaissent fort bien le secteur. Certaines personnes ont retracé l'histoire de la région et rassemblent beaucoup d'informations. Pourtant, on ne s'appuie pas sur elles, alors qu'elles aussi peuvent permettre de développer une culture du risque.

Enfin, une culture du risque s'organise à travers un retour d'expérience des événements passés, le rassemblement de données et la diffusion de l'information. L'État, et le ministère de l'Environnement en particulier, a beaucoup à faire en la matière. La façon dont va réagir une commune et ses habitants sur un secteur est intéressante à connaître pour ceux d'un autre secteur. Même si le risque ne va pas apparaître de façon identique ni avoir les mêmes conséquences, il y a toujours des leçons à tirer. Il faut parvenir à amorcer des réseaux d'échange. L'Association des maires de France peut être le moteur de la création d'échanges. Là aussi, l'État peut avoir un rôle d'impulsion.

Autre source de retour d'information : les missions officielles établissent des rapports après les catastrophes, mais seuls les chercheurs vont lire ces rapports qui restent dans les placards et ne servent pas vraiment.

M. le Rapporteur : Vous avez mené des recherches sur les impacts socio-économiques des inondations. Y intégrez-vous tous les dommages potentiels ou réels indirects ? Le président évoquait le fait que si une route est coupée, des entreprises, des artisans ou des particuliers sont bloqués. Comment intégrez-vous cela ?

M. Gilles HUBERT : Nous faisons des études à caractère socio-économique en tant que laboratoire de recherche. Nous sommes pluridisciplinaires : nous ne sommes pas des économistes purs, ni hydrologues, ni sociologues. Mais, lorsque l'on s'intéresse à l'évaluation des impacts socio-économiques, il est important d'intégrer toutes les dimensions indirectes du risque. Simplement, dans ce domaine, le savoir-faire est relativement faible. À l'heure actuelle, on connaît bien l'impact direct sur l'habitat. On connaît un peu moins bien, à cause de leur grande diversité, les impacts directs sur les activités. On connaît relativement bien les impacts directs à l'agriculture. Mais nous ne sommes pas très avancés dans la connaissance des impacts indirects. Si une entreprise ferme, quel tissu social et économique cela va-t-il toucher ? Pendant combien de temps ? Quels seront les relais ? Si le boulanger n'a plus de farine, quel est l'autre boulanger qui peut prendre le relais ?...

Mais plus on compte, moins on compte bien. On ne sait pas où l'on doit s'arrêter. C'est sans doute à travers des discussions avec les acteurs locaux qu'il faut définir un cahier des charges à cet égard. À partir d'un constat sur le tissu social et économique, il faut s'interroger sur les méthodes de travail et sur les types d'évaluations à développer. Faut-il intégrer dans ces évaluations une entreprise faisant partie d'un grand groupe international ? Ou faut-il ne considérer que le tissu de petites entreprises, de petits artisans sur qui l'impact d'une inondation est catastrophique ? Cela se discute. Dès lors que l'on peut définir un cahier des charges précis, on trouve les structures, bureaux d'études ou centres de recherches, qui savent faire. Pour l'instant, on se cantonne à ce que l'on sait mesurer, on fait beaucoup de recyclage et on applique des recettes méthodologiques.

Des chiffres circulent selon lesquels le coût moyen de dommages directs à une habitation est de 30 000 francs. On le trouve dans de nombreux rapports rédigés par les bureaux d'études sans connaître l'origine de ce coût. Je n'ai rien contre les bureaux d'études, mais il faut savoir que leur logique économique fait qu'ils comptent leur temps. Ils récupèrent les informations à droite et à gauche et ils ne vont pas chercher plus loin. On n'essaie pas d'aller un peu plus en profondeur sur ces questions sauf à titre exceptionnel.

Dans le domaine de la connaissance des impacts socio-économiques, nous avons beaucoup à apprendre des autres pays. Je pense notamment à la Grande-Bretagne où, depuis une vingtaine d'années, de gros laboratoires organisés en équipes pluridisciplinaires ont des missions officielles du gouvernement. Après une inondation, ils font un travail de recensement et d'enquête sur le terrain. Ils créent ainsi de grosses bases de données grâce auxquelles ils avancent sur des connaissances plus fines des impacts. Chez nous, on « bricole » un peu.

M. le Président : Ne pourrait-on pas recycler les données anglaises ?

M. Gilles HUBERT : Nous nous sommes intéressés à cet aspect, mais sur l'habitat, c'est impossible car le type d'habitat et le niveau d'équipement sont différents. Par contre, on pourrait utiliser les méthodologies. Mais j'ai l'impression que là encore, sur le plan de la politique publique, on hésite toujours. On a commencé à s'intéresser en France aux études à caractère socio-économique dans les années 1950-1960. Le ministère de l'Environnement a tenté de créer un retour d'expérience, une base de données sur les catastrophes naturelles afin de récupérer des informations et de les utiliser pour faire des évaluations. Il n'y a pas eu de suite. Ces données ont été perdues.

À l'heure actuelle, les plus grandes avancées dans ce domaine sont très récentes ; elles datent des années 1990 et portent sur de grands bassins, la Seine, la Loire avec le plan « Loire grandeur nature », la Meuse, le Rhône. Ce sont des collectivités locales qui engagent des études avec de gros budgets pour analyser plus en profondeur ces aspects d'impacts socio-économiques. Il s'agit là d'un travail intéressant.

Sur le bassin de la Seine par exemple, avec les gestionnaires de réseaux de transports, EDF etc., des groupes de travail ont été mis en place pour examiner ensemble diverses hypothèses : si le réseau EDF est touché, quelles sont les conséquences sur la RATP, la SNCF ? À partir de cela, ils ont bâti des scénarios de risques et ensuite, ils ont travaillé sur des évaluations. Cela s'est fait avec un accompagnement par des bureaux d'études travaillant avec les gestionnaires de services. Si l'on veut faire du travail approfondi, en particulier sur les impacts socio-économiques, on ne peut pas le faire dans le flou. Il faut réunir les gens directement concernés pour évaluer ensemble ce qui peut être évalué. Cela permet de faire en plus de la sensibilisation et de l'information sur ces questions.

M. le Rapporteur : Nous nous interrogeons sur la politique de gestion des ressources en eau et de la prévention des inondations qui semblent peut-être séparées de façon artificielle et excessive.

M. Gilles HUBERT : Quand on parle de politique de gestion de l'eau, j'ai tendance à penser aux SDAGE et aux SAGE parce que l'on parle alors de gestion globale et de bassin versant. Effectivement, il y a une séparation très nette entre les plans de prévention des risques et ces documents de gestion globale. Les SAGE intègrent le risque à une autre échelle. Éventuellement, à travers ces documents de planification, on a intérêt à combiner mesures structurelles et non structurelles, notamment outils réglementaires et actions de protection (digues, ouvrage de rétention, contrôle du ruissellement pluvial...).

Pourquoi sépare-t-on les choses ? Parce que l'on traite pour l'instant le côté réglementaire et coercitif et que l'on ne veut pas entendre parler d'autre chose que de réglementer le droit des sols. On ne veut pas admettre qu'il est possible de combiner protection structurelle et prévention réglementaire. Il faut changer d'échelle et d'outil si l'on veut passer à une approche plus globale. Dans ce cas, les SAGE sont des outils très intéressants parce que rien n'empêche de tenir compte des plans de prévention existants, de voir dans tel ou tel secteur s'il n'y a pas une réglementation de ce type à mettre en _uvre.

Dans la mesure où l'on va travailler à l'échelle d'un bassin versant, la dynamique doit être créée via l'intercommunalité. C'est le rôle des maîtres d'ouvrage collectif de mettre ensuite en _uvre le projet. Cela veut aussi dire trouver des mesures de compensation. Si l'on inonde telle commune pour protéger telle autre, comment gérer et comment compenser ? À l'heure actuelle, il n'y a aucune mesure d'accompagnement dans les PPR. Ce manque est souvent soulevé par les élus. On impose des prescriptions à un individu ou à une activité. On impose à une collectivité d'équiper les établissements publics de telle ou telle manière, de mettre en place des systèmes d'évacuation. En fait, il n'y a aucun régime spécifique qui va permettre d'aider à la mise en _uvre de ces systèmes. De ce fait, au niveau individuel, ce n'est pas fait. En outre, il n'y a aucun contrôle.

À Banyuls-sur-Mer (Pyrénées Orientales), se produisent des inondations torrentielles qui viennent de la montagne. On demande aux habitants d'installer un vasistas d'évacuation par le toit, mais les gens ne le font pas. D'abord pour des raisons de sécurité car ils craignent de fournir un accès aux voleurs. Ensuite, pour des questions de coût. Ils ne prennent pas les mesures de sécurité qui leur sont demandées.

Pour en revenir au SAGE, cette procédure est intéressante pour amorcer une solidarité amont-aval et une gestion de bassin versant. Dans cette approche globale, il peut y avoir un volet risque et, en appui, des systèmes d'accompagnement et de péréquation entre les collectivités parties prenantes. On y arrive bien en matière de gestion de rivière quand les syndicats intercommunaux définissent des clefs de répartition des charges financières calculées par rapport au linéaire de berges, à la taille de la population, à la fiscalité locale. Pourquoi ne pourrait-on pas le faire pour les risques ? Il me semble possible de trouver des systèmes de répartition et faire jouer la solidarité à travers ces outils d'approche globale.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Philippe HUET,
inspecteur général de l'environnement,
président de la
mission interministérielle sur les inondations en Bretagne,

et de M. Xavier MARTIN,
ingénieur en chef du génie rural, des eaux et des forêts,
membre de l'inspection générale de l'environnement.

(extrait du procès-verbal de la séance du 3 juillet 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

MM. Philippe Huet et Xavier Martin sont introduits.

M. le Président leur rappelle le mode de fonctionnement de la commission et leur indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Philippe Huet et Xavier Martin prêtent serment.

M. le Président : Monsieur Huet, par vos responsabilités actuelles et passées, vous avez acquis une vision panoramique du dossier des inondations, expérience qui sera fort utile à notre commission. Après avoir animé le groupe « Inondations » du Comité français de la décennie internationale pour la prévention des catastrophes naturelles, vous avez assisté notre collègue Yves Dauge, avec M. Xavier Martin, dans la rédaction du rapport qu'il a remis au Premier Ministre.

Actuellement, vous présidez la mission interministérielle sur les inondations en Bretagne dont le rapport d'étape dépasse le strict cadre breton pour nourrir une réflexion tout à fait transposable ailleurs.

M. Philippe HUET : Je suis venu avec mon collègue M. Xavier Martin. Nous appartenons tous deux à l'Inspection de l'environnement et nous avons réalisé des missions ensemble ou séparément. Sur le Var et le Verdon, nous avons travaillé, et nous continuons de le faire, sur les enjeux de vulnérabilité de la basse plaine du Var qui sont considérables et encore mal réglés. Nous nous sommes intéressés aux inondations dans l'Hérault, qui ont provoqué des dégâts matériels importants dans la zone d'Agde, dans le Tarn-et-Garonne, où sont implantées en zone inondable des grandes surfaces dans la banlieue de Montauban et des lotissements dans la périphérie de Moissac. Bien qu'une rupture de digue ait fait 130 morts en 1930 dans cette ville, la vie ayant repris son cours, on a renouvelé les mêmes erreurs, quelques dizaines d'années plus tard. En outre nous avons une mission en cours en Seine-Maritime sur les coulées boueuses.

Nous avons aussi conduit des missions plus transversales. J'ai travaillé vingt ans en montagne, récemment notamment sur l'accident de Chamonix qui a fait neuf morts, sur l'accident de Barjac, sur des chutes de blocs de pierre en Lozère, qui ont fait un mort et d'importants dégâts matériels.

Nous participons à l'élaboration de programmes de recherche sur les inondations au sein du ministère de l'Environnement et d'un programme de recherche sur la prise en compte des risques par la société. Votre collègue M. Philippe Duron nous fait d'ailleurs l'honneur de participer à certaines des réunions organisées à ce sujet.

J'ajoute que l'État vient de mettre en place une instance de conseil et d'appui technique destiné à aider les services locaux à déterminer l'aléa de référence dans les plans de prévention des risques. Le sujet nous tient très à c_ur. Qui en effet doit définir le risque acceptable ?

J'évoquerai brièvement la mission Bretagne qui vient de se terminer. Nous avons remis notre rapport définitif au Gouvernement, jeudi dernier. Des décisions seront prises au Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) qui doit se tenir la semaine prochaine.

Ces inondations sont la conséquence de l'événement pluvieux de l'automne-hiver 2000-2001. Cela a commencé, les 11 et 12 novembre 2000, par l'inondation de certains quartiers de Rennes. Un flux de sud-ouest/nord-est s'est installé pour tout l'hiver, il a ensuite fait des dégâts en Normandie, dans la Somme et ailleurs. On sait moins qu'il avait préalablement provoqué des dégâts considérables au Portugal et en Grande-Bretagne en octobre, évalués à quelque 10 milliards de francs, alors que le coût du sinistre breton a été d'environ un milliard de francs. Le précédent sinistre significatif s'était produit en 1995. Beaucoup plus étendu, il avait concerné la moitié des communes bretonnes mais avait provoqué beaucoup moins de dégâts (300 à 400 millions de francs).

En décembre s'est produit un deuxième épisode significatif, principalement sur le Finistère, département qui a d'ailleurs subi les deux tiers des dégâts de l'ensemble des épisodes. Le troisième épisode, au mois de janvier, le plus médiatisé, notamment sur la Vilaine à Redon, a concerné aussi un peu le Finistère et le Morbihan, mais surtout l'Ille-et-Vilaine. Un quatrième épisode s'est produit fin janvier, dont on a moins parlé. Le cinquième et dernier a eu lieu fin mars, de sorte que dans certains secteurs de la Vilaine, des riverains se sont trouvés quatre fois dans l'eau au cours de l'hiver.

La mission a mis en place un groupe de scientifiques, bretons et non bretons, entouré de l'expertise d'un groupe d'hydrauliciens.

Selon les hydro-météorologues, la période de retour de cet automne-hiver « pourri » est estimée entre trente et soixante-dix ans, mais en aucun cas largement supérieure, de même que pour les crues et les inondations. Bien que certains riverains bretons aient estimé que nous n'avions guère manifesté de compassion à l'égard de la détresse des victimes, cela nous a conduits à définir l'événement comme un sérieux avertissement mais non pas comme le plus grave raisonnablement imaginable. Ce diagnostic a été confirmé par tous les préfets qui ont jugé, en termes de sécurité civile, qu'il s'agissait d'un événement sérieux mais pas d'une catastrophe majeure. Ils ont d'ailleurs pu largement le traiter avec leurs propres moyens.

Concernant les dommages, nous avons relevé la grande fragilité des zones industrielles et du réseau routier, contrairement au réseau SNCF bâti au XIXe siècle, à une époque - le Second Empire - où les grandes inondations de la Loire étaient encore présentes dans les mémoires. Outre le fait que les voies ferrées ne supportent pas les grandes pentes, et sont donc souvent en remblais, des précautions particulières ont pu être prises, de sorte que le réseau breton s'est trouvé entièrement hors d'eau, hormis la gare de Quimper. En revanche, on a constaté plus de trois cents coupures de routes, principalement départementales et communales, mais aussi de quelques voies nationales.

Nous avons été surpris par la fragilité des centres-villes de Quimperlé, Quimper, Guipry et Redon. Des centres-villes historiques, le long de quais, ont beaucoup souffert. L'explication avancée, avec le peu de moyens et de temps dont nous disposions, est l'augmentation de la vulnérabilité de ces quartiers dont les activités étaient traditionnellement liées à l'eau. Les magasins liés à l'activité portuaire ont été remplacés par des magasins d'électronique, des restaurants, des boutiques d'alimentation, dont les exploitants ont un peu oublié le voisinage de l'eau. C'est une question importante. Ces centres-villes sont là, souvent classés, superbes, et ils doivent vivre.

Classiquement, les bâtiments publics ont été touchés. La préfecture de Quimper, le service d'annonce de crues de Redon se sont retrouvés dans l'eau, ainsi que des maternités, des maisons de retraite, des cliniques. La clinique de Bruz, au sud de Rennes, a dû être évacuée deux fois.

Les canaux ont subi de très importants dégâts. Le président de Voies navigables de France, que vous allez recevoir, en parlera sans doute beaucoup mieux que moi.

Les dommages ont eu aussi un impact psychologique et politique très fort. La presse nationale et régionale a publié sur ces événements 1 400 articles que nous avons fait analyser. Nous avons rencontré des gens exaspérés, non seulement les riverains sinistrés mais aussi les autorités gestionnaires. La petite enquête que nous avons effectuée auprès de cent sinistrés a montré que le facteur moral, la lassitude, le sentiment d'insécurité, d'impuissance des pouvoirs publics venaient avant les dégâts matériels. Nous avons constaté la grande vigueur des associations, parfois très revendicatives, un peu agressives mais souvent aussi très constructives. Nous avons été frappés par le nombre d'associations ayant une très bonne connaissance du voisinage de l'eau, de la façon dont l'écoulement se fait au droit de leur territoire, des aménagements possibles. Nous avons trouvé là des partenaires très intéressants.

On nous a demandé d'évaluer les éléments de la politique publique de prévention en Bretagne. Nous en avons examiné les différents volets : annonce de crues, information préventive, occupation des sols, gestion hydraulique, gestion des milieux agricoles, connaissances, recherche, techniques d'indemnisation. Sur l'ensemble de ces volets, notre diagnostic global, en Bretagne, est que la politique publique de prévention est encore jeune. Elle n'a, de fait, démarré qu'après les inondations de 1995. Un excellent rapport de la direction régionale de l'environnement (DIREN) n'a alors pas été repris de façon organisée. Chaque service, chaque élu a fait individuellement ce qu'il pensait devoir faire mais il n'y a pas eu d'action coordonnée au niveau de l'ensemble régional.

Chacun sait que les problèmes de l'eau de la Bretagne sont principalement les étiages - d'où les équipements en barrages - et la reconquête de la qualité de l'eau. Dès lors, les problèmes d'inondations ont paru à tout le monde relativement secondaires. Voulant en comprendre les raisons, nous avons fait une évaluation des enjeux. En Bretagne, combien d'habitants vivent en zone inondable ?

À notre connaissance, ce travail est très insuffisamment fait dans notre pays. La connaissance de la vulnérabilité nous paraît être vraiment un maillon faible du système. Globalement, je suis incapable de vous dire combien de nos concitoyens vivent aujourd'hui en zone inondable, avec le niveau de risque qu'ils prennent. La vallée de la Loire a réalisé un travail approfondi à ce sujet mais je n'en connais pas d'équivalent. Nous avons essayé de le faire rapidement en Bretagne. Nous avons estimé entre 20 000 et 40 000 le nombre d'habitants en zone inondable. Dans une région de 2,8 millions d'habitants, cela n'a peut-être pas paru impliquer une action prioritaire, d'autant qu'il n'existe pas a priori de risque de mort d'hommes.

Il s'agit donc d'une politique encore jeune, peu appropriée par les différents partenaires.

Par exemple, en Bretagne, sept plans de prévention des risques seulement ont été établis, alors qu'une bonne trentaine serait justifiée. Une des conclusions de la mission est que ceux qui existent doivent être refaits. Nous ne jetons la pierre à personne. La mesure des aléas et des niveaux d'eau s'est révélée erronée. À Quimper et à Quimperlé, les zones jugées à l'abri par le plan de prévention des risques se sont retrouvées sous un mètre d'eau. Il est clair que l'aléa de référence a été sous-estimé.

Autre exemple, s'agissant de l'information préventive, les décrets d'application de la loi de 1987 sur l'information réglementaire ont créé les dossiers départementaux des risques majeurs (DDRM), les dossiers communaux synthétiques (DCS), les dossiers d'information communaux des risques majeurs (DICRIM), qui sont extrêmement barbares dans leur vocabulaire. Ainsi, les gens ne les comprennent pas. Pour en avoir parlé avec des maires, nous savons qu'il existe des DCS en Ille-et-Vilaine, mais ils ne savent pas trop qu'en faire : ils les confondent souvent avec les plans de prévention des risques. Quant au DICRIM, c'est-à-dire le document de proximité essentiel, nul ne sait ce que c'est. D'ailleurs, il n'y en a pas. Sur l'information préventive, il y a donc vraiment des inadaptations ou des malentendus.

Concernant la connaissance du risque, il n'existe pas de connaissance historique organisée des crues en Bretagne, comme on en trouve dans d'autres régions. Pour le bassin de la Loire, on trouve d'excellents ouvrages de référence, tel que le Dion. Pour les Alpes, on trouve le Mougins et le Pardé. Nous avons préconisé la constitution d'un groupe de scientifiques pour creuser ces approches.

Un certain nombre de partenaires nous ont dit que l'on ne savait plus très bien qui doit faire quoi, quelle est la responsabilité du citoyen, des collectivités locales, de l'État.

Après le diagnostic, nous proposons un programme de prévention des inondations en Bretagne qui ait pour principal objectif d'éviter à nouveau une perte de mobilisation, de savoir-faire et de mémoire du terrain. Nous avons une très belle photo montrant un panneau sur lequel est écrit : « Terrain à bâtir, à vendre », avec en arrière-plan le flot recouvrant le sol. On continue d'agir de façon déraisonnable, parce que ce problème ne parvient pas à émerger du quotidien de l'aménagement du territoire. Nous proposons l'élaboration d'un programme pluriannuel négocié entre l'État et les collectivités, qui sera présenté au CIADT de lundi prochain.

Il comporterait plusieurs volets. Le premier vise à réagir vite. Nous souhaitons que des actions commencent d'être engagées dès maintenant, cet été ou cet automne. Outre les problèmes de réparation - beaucoup de travaux sont à réaliser sur les canaux mais, bien entendu, personne ne veut payer - nous mettons l'accent sur la réduction de la vulnérabilité. Avant de penser à l'agriculture, à la gestion hydraulique et à l'entretien des rivières, à l'imperméabilisation due aux périmètres urbains, nous entendons nous interroger sur ce qu'il convient de faire pour réduire les dommages là où les habitations ou les industries sont exposées.

Il importe ensuite de cesser les constructions en zone inondable. Chacun ici sait bien que c'est plus vite dit que fait mais, en tout cas pour la Bretagne, nous avons acquis la conviction qu'il y a suffisamment d'espace pour que méritent d'être étudiées des solutions de développement ailleurs qu'en zone inondable. D'où un programme de plans de prévention des risques et des audits d'habitat et d'entreprises. Certains maires le font de leur propre initiative : un architecte ou un technicien en bâtiment va chez chacun et regarde de façon très précise ce qui peut être fait pour réduire les dommages à l'avenir. On essaie ensuite d'aider à effectuer les travaux d'amélioration de l'habitat dans le cadre d'une opération groupée.

De même, nous avons mis en évidence que là où des industriels, depuis 1995, avaient pris des précautions, les dégâts avaient été significativement réduits. Nous proposons des audits et l'organisation de travaux.

Le deuxième volet vise à mettre l'accent sur la connaissance et la culture du risque, à travers la mise en place d'un pôle de compétences scientifiques et techniques. À nos yeux, les sciences humaines sont les grandes orphelines de ce type d'approche. Depuis que nous nous occupons de ces questions, nous n'avons pas réussi à intéresser les économistes. En matière de sociologie, on est un peu moins mal loti. En matière de psychologie, nous sentons que c'est nécessaire mais nous manquons d'expérience. En matière d'histoire et de géographie, nous n'avons pas su obtenir des cartes de l'évolution de l'urbanisation en Bretagne au cours des cinquante dernières années, alors que ce devrait être la mission d'une université de géographie.

L'information préventive est ce qu'elle est, mais nous insistons pour que, à titre d'accompagnement, des mesures soient prises pour rendre intelligible à chacun la volonté du législateur. Certains membres des cabinets ministériels nous disent que ce n'est pas sérieux, mais nous souhaitons le marquage des crues et des territoires. En arrivant ici, j'ai vu sur un mur du Palais-Bourbon une marque de la crue de 1910. Il est intéressant de constater que les crues anciennes sont très bien repérées. En Bretagne, la crue de 1936 est très bien repérée, les suivantes le sont beaucoup moins. Nous proposons l'organisation d'expositions itinérantes. Quand je travaillais en montagne, le service de restauration des terrains en montagne en avait préparée une sur les risques en altitude qui avait reçu 300 000 visiteurs et avait été présentée à la Cité des sciences de La Villette, car ces questions intéressent la population. Nous souhaitons aussi que soit encouragée l'éducation et la formation du citoyen dès l'enfance, afin qu'il réapprenne à connaître la nature dans laquelle il vit.

J'en viens au programme d'aménagement des bassins versants. Je rappelle qu'en Bretagne, on trouve le bassin de la Vilaine, qui occupe 10 000 km² soit un tiers de la Bretagne, et une trentaine de bassins versants côtiers avec des comportements assez différents. Au début, nous avons été très prudents. Nous avons identifié une quarantaine d'opérations ponctuelles sur ces différents bassins. Par exemple, à Quimperlé, une conduite de France Telecom, de diamètre 400, qui traverse la rivière, induit un niveau de crue supplémentaire de quarante centimètres. Si elle est encore présente à l'automne prochain, nous serons en droit de nous poser des questions. Nous avons ainsi recommandé d'effectuer le plus tôt possible quelques opérations élémentaires.

Quant aux programmes d'aménagement des bassins proprement dits, il y aurait beaucoup à dire. L'hydraulique de Bretagne, en particulier de la Vilaine, est très compliquée. De nombreux cours aboutissent dans des marais, des estuaires, etc. Compte tenu de la faible déclivité des terrains, toute opération effectuée à un endroit se répercute ailleurs. Il convient donc d'être très prudent avant de lancer des programmes de travaux lourds. À plus long terme, nous avons donc proposé un programme d'étude et des pistes de travaux concernant des zones d'expansion, la gestion des étangs, la couverture végétale des sols.

L'ensemble de ces opérations à mener sur les trois années à venir - réduction de la vulnérabilité, connaissance du risque et information, travaux d'hydraulique et réparations - est estimé à environ 350 millions de francs. J'ignore ce que le CIADT en retiendra.

Tout cela ne sera utile que si l'action publique peut être rendue plus efficace. Nous mettons l'accent sur deux points.

Le premier a trait aux maîtres d'ouvrage. M. Pierre Méhaignerie pilote excellemment un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), mais il n'existe pas encore en Bretagne de maîtres d'ouvrage pour programmer l'ensemble. Il y a une multiplicité de maîtres d'ouvrage mais pour l'inondation, aucun ne peut avoir aujourd'hui la vision opérationnelle du bassin de la Vilaine par exemple. Il en est de même pour les bassins côtiers. Nous avons été surpris de constater que la ville de Quimperlé réglait ses problèmes seule et n'avait aucun moyen d'aller voir ce qui se passait au-dessus.

Le second concerne les moyens publics, en particulier de l'État. Nous avons plaidé pour que l'État concentre son action sur les questions qui engagent la sécurité, - c'est-à-dire les réseaux d'observations, l'annonce de crues, l'alerte, la police des eaux - et se désengage de certaines actions d'appui aux collectivités.

M. le Président : Monsieur l'inspecteur général, vous estimez que sur la trentaine de PPR potentiels, les sept qui ont été réalisés ne sont pas d'une très grande efficacité. Peut-être est-ce dû à un défaut de concertation lors de leur élaboration. Vous avez indiqué que les associations étaient très au fait de la situation et des problèmes. Peut-être n'y a-t-il pas eu, lors de l'élaboration des PPR, une approche de terrain suffisante.

Vous avez en outre fait état d'un déficit d'approche économique. Est-ce uniquement le cas pour la Bretagne que vous avez étudiée ou pensez-vous qu'il s'agisse d'une situation plus générale ?

À la fin de votre propos, vous avez mentionné des travaux d'urgence d'un montant de 350 millions de francs à réaliser dans les trois années à venir. Y croyez-vous sérieusement ? Quand on sait que rien n'existe sur le terrain, qu'il n'y a pas de maître d'ouvrage capable de les réaliser, qu'il n'y a pas de structures capables de les mettre en _uvre, qu'après avoir inscrits les crédits sur un budget, il faut du temps pour les libérer, l'on peut penser qu'il ne se passera pas grand-chose dans les trois ans à venir à la lumière de ce qui se passe ailleurs. Mais, j'espère me tromper.

M. Philippe HUET : Concernant les travaux d'urgence, une réponse facile consiste à dire que si l'on ne commence pas par marquer un coup fort, il ne se passera jamais rien. Un grand nombre de maires, de représentants d'associations et de sinistrés nous ont dit : depuis 1995, il ne s'est rien passé, nous n'avons reçu aucun signal de nulle part. Cela n'est pas faux, nous l'avons vérifié sur le terrain. Il nous a donc paru important d'affirmer que les pouvoirs publics considèrent que c'est un problème sérieux et qu'ils sont disposés à agir. Nous n'avons cessé de dire que l'on ne pourrait rattraper en trois ans des dérives de plusieurs décennies. C'est un travail long, mais qu'il faut bien décider d'engager à un moment donné.

Je ne partage pas entièrement votre pessimisme. Ces 350 millions de francs comprennent des travaux de réparation - nous devrions être capables de réparer une digue éventrée en trois ans - et des travaux d'hydraulique repérés depuis longtemps. Dès qu'une décision sur un programme global sera prise, c'est-à-dire lundi prochain, nous dirons : voilà la quarantaine de points pour lesquels il importe de réaliser immédiatement l'étude d'exécution pour un engagement très rapide des travaux.

Vous m'objecterez la lourdeur des procédures (« enquête Bouchardeau », enquête « loi sur l'eau », enquête de déclaration d'utilité publique, etc.). Toutefois, non seulement tous ces travaux ne sont pas de ce niveau-là, mais encore, la procédure d'urgence prévue dans la loi sur l'eau mériterait d'être repensée. L'inspection à laquelle j'appartiens avait d'ailleurs réalisé en 1996 un travail à ce sujet. On a beaucoup reproché à l'administration d'user trop largement de la procédure d'urgence pour éviter les enquêtes. À l'inverse, nous avons effectué en 1995-1996 une mission sur le Var. Je viens de recevoir des représentants d'associations du secteur. Cinq ans après, rien de décisif n'a été fait sur le terrain. Il est clair que cela ne va pas. Il existe donc sans doute là une voie d'amélioration à explorer.

De plus, outre les travaux d'hydraulique qui sont longs, il y a tous les travaux de réduction de la vulnérabilité. Que je sache, pour faire une opération programmée de l'habitat, il ne faut pas cinq ans. Je citerai un exemple précis : sans attendre personne, le maire d'Inzinzac-Lochrist, en aval du Blavet, a demandé à un technicien de sa municipalité accompagné d'un architecte d'aller visiter chacun individuellement afin de réaliser les travaux que j'ai évoqués. Il peut être fait de même pour les industriels. Certains ont pris d'ores et déjà la décision de se délocaliser. Nous avons demandé au CIADT un budget pour accompagner ces délocalisations. Dernier exemple, la décision a été prise de reconstruire ailleurs le collège de Quimper qui a été inondé. L'étude est engagée.

J'ajoute que nous avons vivement recommandé au préfet et à la Région qu'un responsable du dossier soit identifié et qu'il ne soit pas oublié dès le retour du soleil.

Le déficit d'approche économique est général. Si l'on sait de mieux en mieux évaluer les dommages, en revanche, je ne connais pas de bons exemples d'évaluation des enjeux économiques, d'élaboration de raisonnements économiques admis par tout le monde et faisant intervenir un minimum de probabilités. Les choses avancent apparemment dans la vallée de la Loire, mais c'est rarement le cas ailleurs. J'anime un comité d'orientation de programme de recherche « inondations » réunissant notamment des usagers et des maires. Nous avons de bonnes réponses en matière d'hydraulique, d'histoire, de sociologie mais très peu en matière d'économie.

Concernant les PPR, je le répète, je ne jetterai la pierre à personne. Je voudrais vous livrer le fond de ma pensée et de mes interrogations à la lumière de mon expérience. Je considère que le législateur a pris une option redoutable, en 1995, en décidant qu'il reviendrait à l'État de prescrire et d'élaborer les plans de prévention des risques, car c'est un sujet essentiellement politique, au sens noble du terme. Qui doit décider que tel risque est acceptable ou non ? Est-ce un fonctionnaire ? En tant qu'ingénieur, ma responsabilité est de dire ce que l'on sait sur telle rivière, quels dégâts elle risque de provoquer pour une hauteur d'eau donnée, mais il ne me revient pas de dire ce qu'il faut faire. Au cours des réunions organisées par M. Yves Dauge, cela avait fait l'objet de débats très vifs avec la douzaine de députés-maires venus exposer leurs points de vue. Certains d'entre eux ont dit que ces responsabilités étaient trop lourdes pour les faire porter par les seuls élus, mais qu'ils devaient avoir la possibilité de dialoguer avec l'État.

Aujourd'hui, il convient de déverrouiller le système. On ne cesse de répéter au directeur départemental de l'équipement que cela doit être une de ses préoccupations majeures. Or l'ingénieur de la DDE concernée est souvent très isolé. Il ne cesse de se heurter à des partenaires locaux qui, très légitimement, lui disent qu'ils n'ont jamais vu d'eau à cet endroit, qu'ils veulent y construire une salle des fêtes, ce qui est compatible avec le risque d'inondation, ou qu'il suffit de faire des travaux pour prévenir le risque.

Dès lors, il me paraît nécessaire d'organiser un vrai débat public en vue de définir qui doit dire que tel risque est acceptable. Est-ce à moi, Dauphinois, de prescrire des obligations aux gens de la vallée du Var ? Je les ai prévenus qu'ils auraient un jour à subir un événement très grave, mais s'ils sont assez téméraires pour prendre la responsabilité de construire sans précaution, ai-je la légitimité de les en empêcher ? Il conviendrait de remettre chacun à sa place. Que le technicien de l'État fasse son travail et que le débat politique soit organisé par les politiques. Si, ensuite, il faut toujours quelqu'un pour décider - c'était l'option de M. Yves Dauge -, que la responsabilité en revienne au préfet, après « débat formalisé ».

Nous allions plus loin. Comment cela se passe-t-il dans d'autres pays ? Dans le val d'Aoste, cela relève du domaine de la loi. Dans le cadre d'une loi nationale de 1985, le législateur a pris une loi régionale qui prévoit le risque acceptable le long de tel et tel cours d'eau. De plus, les décrets d'application sont étonnamment précis. Les Suisses ont choisi une option un peu différente : le canton décide du risque. Ils ont sophistiqué le dispositif en modulant le niveau de risque à prendre en fonction de l'enjeu. On ne retient pas le même niveau pour un court de tennis que pour un hôpital. Mais c'est écrit. Chez nous, certes, il y a de plus en plus de guides techniques mais ils n'ont pas de valeur sociale.

Il conviendrait d'éviter que le fonctionnaire soit seul à décider dans la solitude de son bureau. C'est insupportable à vivre, eu égard au risque de décision défavorable du tribunal administratif et au risque pénal. Il est absolument anormal que l'on s'en prenne à un fonctionnaire qui a considéré que l'avalanche arriverait ou n'arriverait pas à tel endroit, parce que personne ne voulait le faire à sa place. C'est suffisamment grave pour que cela ne relève pas de la seule administration. Telle est ma conviction.

M. le Rapporteur : Dans quelles conditions a eu lieu en Bretagne l'indemnisation des dégâts par les compagnies d'assurances ? Votre rapport signale des ruptures de contrat et de fortes augmentations de primes. Vous suggérez que les compagnies d'assurance puissent financer des réflexions en vue de réduire la vulnérabilité. Comment cela pourrait-il être appliqué concrètement ?

M. Philippe HUET : Globalement, cela s'est bien passé. Fin mars, les deux tiers des indemnisations avaient été versées. En revanche, comme il est précisé dans le rapport, mais nous n'avons pas les moyens de savoir si c'est statistiquement significatif ou pas, on a observé des cas où l'assureur a exigé de très fortes surprimes pour pérenniser les contrats ou a refusé de prendre en compte des travaux de nature à améliorer la situation. Autrement dit, l'assureur préfère payer trois fois la même chose, à cinq années d'intervalle, plutôt que de payer une fois et demie et d'avoir moins à payer après, au prétexte que ce serait de l'enrichissement sans cause. D'autres ont accepté ce type de travaux dans la limite de 20 %.

Nous avons voulu appeler l'attention sur le point suivant : le système « catastrophes naturelles », avec les excès et les dérives que vous connaissez, a conduit certains assureurs à reprendre une attitude strictement assurantielle, consistant à refuser de couvrir un risque devenu quasiment certain. Nous avons eu connaissance d'un seul cas de refus catégorique, celui du supermarché Leclerc de Saint-Nicolas-de-Redon, qui s'est terminé au Bureau central de tarification (BCT) qui a désigné un assureur.

M. le Rapporteur : Comment améliorer l'architecture administrative dans le domaine de la prévention des inondations ? Quel rôle pourraient jouer les agences de l'eau, Voies navigables de France, les établissements publics territoriaux de basin ?

M. Philippe HUET : Nous considérons qu'il convient d'agir sur la vulnérabilité. C'est une première piste d'efforts à consentir par l'administration. Il s'agit de mieux prendre en compte, dans l'aménagement du territoire, les risques naturels auxquels une parcelle est soumise. Cela peut signifier de le faire reconnaître, par les services de l'État et des collectivités, comme une priorité, c'est-à-dire d'y affecter des personnels aussi compétents et motivés que possible. Cela ne doit pas être accessoire mais conditionner toute la planification de l'urbanisme. On est très loin du compte. Cela requiert un travail auprès des administrations en charge de ces questions et auprès des organismes en charge de l'habitat. D'une façon générale, il convient de diffuser la culture du risque au sein de l'administration.

Il convient aussi de faire en sorte que, d'une façon ou d'une autre, le débat soit public et d'assurer aux fonctionnaires concernés un soutien de tous les instants, sauf bien sûr en cas de faute professionnelle. Il n'est pas supportable de voir certains collègues remarquables être mis en examen. Il importe d'affirmer que c'est une tâche noble, au lieu de faire du fonctionnaire le lampiste à piéger.

Je ne répondrai pas directement à votre question concernant les travaux d'hydraulique. Il est vrai que leur mise en route est difficile. J'ai 61 ans. En comparaison de ce que j'ai connu à 27 ans dans les Pyrénées, c'est devenu un parcours du combattant.

Quant aux agences, si elles peuvent intervenir financièrement - c'est d'ailleurs le chemin pris par la loi - je le vois moins bien techniquement.

M. Stéphane ALAIZE : Au début de votre intervention, vous avez indiqué, à propos du Tarn-et-Garonne, que l'expérience n'avait été d'aucune utilité et que l'on semblait avoir tout oublié. Pouvez-vous préciser comment les erreurs recommencent ? Que n'a-t-on pas su faire dans le passé que l'on ne sait toujours pas faire aujourd'hui ?

Vous avez parlé d'une instance de conseil créée au niveau de l'État. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?

M. Philippe HUET : En ce qui concerne le Tarn-et-Garonne, nous avons trouvé dans la périphérie immédiate de Moissac un endiguement à l'intérieur duquel était prévue la réalisation d'un lotissement, tout en sachant que les inondations de 1930 avaient été particulièrement dévastatrices à cet endroit. Nous avons dit très clairement qu'il ne fallait pas construire des habitations à cet endroit, mais seulement, peut-être, des activités légères pouvant être interrompues sans inconvénient. Même dans une ville comme Moissac où il y a une rue des Sauveteurs, une rue du Maroc, une rue de l'Alsace - parce que la reconstruction a été effectuée avec l'aide du Maroc et d'Alsaciens -, soixante-dix ans après, le souvenir s'est affaibli. Il faut rappeler en permanence que le danger existe.

Je considère que l'instance de conseil est un peu un échec. Quand on demande à l'État de fixer l'aléa de référence, avec les responsabilités qui en découlent, les préfets ne souhaitent pas toujours prendre ces responsabilités tout seuls. L'idée a émergé de mettre en place une commission de vieux fonctionnaires de l'équipement, de l'agriculture et de l'environnement, chargés de donner un avis sur les dossiers que feraient remonter les préfets. C'est récent puisque cela résulte d'un arrêté du 25 mai dernier. J'aurais largement préféré que cette instance soit mixte et comprenne aussi des élus, des représentants des associations, des scientifiques. Je trouve étonnant que nous soyons amenés à donner des avis sur des problèmes locaux, nous savons qu'en cas de problème, c'est à nous que l'on viendra demander des comptes.

M. Stéphane ALAIZE : Vous souhaiteriez donc que cette instance de conseil puisse se déplacer sur le terrain et non se limiter à travailler sur les dossiers.

M. Philippe HUET : Non, elle peut déjà le faire. Ce n'est pas cela que je mets en cause. Nous sommes un des rares pays d'Europe où cette fonction revient à l'État de par la volonté du législateur. Dans beaucoup d'autres pays, l'intégration du risque dans l'aménagement du territoire fait partie du jeu général de l'urbanisme et est donc décentralisée. Un sociologue avec qui nous avons travaillé nous a dit : « Il faut à tout prix refuser le dialogue de l'expert avec lui-même ». Il faut absolument que ce que l'expert a à dire vienne s'inscrire dans le débat politique.

M. Paul DHAILLE : Vous avez dit, si j'ai bien compris, qu'en matière de catastrophes naturelles, il existe de nombreux documents à valeur technique mais sans valeur sociale.

Je m'attendais à ce que vous disiez qu'ils n'ont pas de valeur juridique, la valeur sociale impliquant que le document devienne public et fasse l'objet de débat. Vous avez ensuite évoqué l'aléa de référence fixé par l'État. C'est la deuxième commission d'enquête à laquelle je participe, après celle sur le naufrage de l'Erika. Or, durant toutes les auditions de cette commission d'enquête, j'ai entendu parler, par la voix de certains de mes collègues et d'autres intervenants, du « risque zéro », lequel exclut que l'on puisse concevoir un risque acceptable.

Même s'il y avait débat public, même si cela était fixé par la loi, n'y aurait-il pas un risque juridique ? Un particulier pourrait toujours en référer à un tribunal, en considérant que la décision des élus et des techniciens était insuffisante. En fin de compte, cela ne couvre personne, pas plus le technicien que le politique. On reste soumis à l'aléa juridique, un tribunal pouvant estimer que le niveau du risque retenu était insuffisant. C'est plus un débat de société qu'un débat technique sur l'aléa de référence ou le risque acceptable. En matière sanitaire, de catastrophe naturelle ou de sécurité routière, on accepte de moins en moins le risque. À chaque fois qu'il se passe quelque chose, on va demander au ministre concerné quelle est son analyse de la catastrophe et quelles mesures il compte prendre. Le ministre doit immédiatement dire ce qui n'a pas fonctionné et ce qu'il aurait fallu faire. N'est-ce pas là le c_ur du problème ?

M. Philippe HUET : Avant de venir ici, je discutais avec des habitants de la vallée du Var où le débat juridique est devenu tel, que la préfecture publie des communiqués dans lesquels il est mentionné : « Sous réserve de l'appréciation du juge administratif ». On ne sait plus qui fait quoi, qui est responsable. Moyennant quoi, rien de significatif ne se passe encore sur le terrain.

En 1858, Maurice Champion a publié une histoire des inondations en France depuis le VIe siècle, en six volumes. Cet ouvrage passionnant, que nous avons fait rééditer avec l'aide de M. Emmanuel Leroy-Ladurie, devrait être lu dans toutes les écoles de nos belles vallées. Quand on habite au bord d'une rivière, environné d'un beau paysage, l'on doit être capable de comprendre que l'eau peut venir vous visiter. J'ai remarqué en arrivant que vous délibériez dans une zone inondable, que l'accès des immeubles a été surélevé et que des précautions ont été prises. Comment peut-on perdre à ce point la mémoire ? : le long de la Vilaine, 180 maisons ont été envahies par l'eau. Nous avons rencontré certains de leurs habitants qui nous ont dit avoir choisi de posséder une maison à cet endroit - il y a de nombreuses résidences secondaires - parce qu'ils étaient passionnés de pêche ! Il importe de redonner un peu de place au bon sens.

M. Jacques BASCOU : Vous avez évoqué la nécessité de délocaliser les entreprises, voire de déplacer des habitants et des bâtiments publics. Vous avez également évoqué la réticence des compagnies d'assurance à intervenir en amont, ce qui nous a été confirmé lors des auditions. Qui peut prendre en charge ces financements ? Est-ce l'État, qui prescrit les PPR ?

M. Philippe HUET : Depuis les trente glorieuses, on a beaucoup construit en zone inondable. On ne saurait envisager de déménager une bonne partie de la puissance industrielle de la région parisienne, de la vallée du Rhône ou de la vallée de la Loire. Nous avons voulu donner un signal pour dire que s'il revient beaucoup plus cher de rester sur place en se protégeant que d'aller ailleurs - c'est d'ailleurs l'esprit de la loi sur l'expropriation, laquelle ne s'applique qu'en présence d'un risque mortel - étudier une solution de déménagement n'est pas nécessairement absurde, mais cela doit rester un cas limite. Pour la Bretagne, nous avons proposé qu'une somme significative, dégagée au titre du fonds national d'aménagement du territoire, soit mise à disposition des autorités locales afin de leur permettre d'agir au coup par coup. En Bretagne, nous avons repéré six à sept entreprises pouvant être concernées. Cela nous paraît être aussi un signal fort envers les autres, avec l'espoir que ceux qui viendront s'installer éviteront le secteur, mais il est hors de question de généraliser le système.

M. Xavier MARTIN : En outre, il nous semble important que le risque soit rappelé à chaque étape de la vie de la parcelle. Personne n'avise le candidat à la location d'une maison que son sous-sol ou son rez-de-chaussée sont inondables. Les voisins qui le savent ne le lui disent pas. Le locataire est donc soumis à un risque supplémentaire. De même, le risque d'inondation d'une parcelle de terrain en zone inondable est très rarement signalé aux futurs propriétaires. Alors que, lors de l'achat d'un logement à Paris, l'on mentionne les risques liés aux termites, aux carrières, etc. les risques des crues sont totalement passés sous silence. Il importe que l'acquéreur d'un bien n'ait plus le souci du vice caché. Car le risque d'inondation est bien un vice caché qui est rarement de nature à annuler la vente.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Christophe SANSON,
universitaire et consultant en droit de l'environnement

(extrait du procès-verbal de la séance du 3 juillet 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Christophe Sanson est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Christophe Sanson prête serment.

M. le Président : La commission d'enquête s'intéresse notamment à démêler l'écheveau des compétences et des responsabilités en matière d'inondations, tant les acteurs sont nombreux et leur rôle pas toujours bien connu et peu coordonné. Dans ce cadre, votre travail d'étude de la jurisprudence en la matière permettra de nourrir la réflexion de la commission.

Par ailleurs, vous avez participé, au cabinet de M. Michel Barnier, à la mise au point de la loi créant les plans de prévention des risques (PPR). La commission a entendu des appréciations très diverses à leur sujet. Vous nous direz quel était l'objectif de la création de ce nouvel instrument. Sa mise en _uvre correspond-elle aux attentes de ses concepteurs ? Sinon, quelles sont les dérives ou les difficultés que vous avez plus particulièrement notées.

M. Christophe SANSON : J'ai effectivement participé au grand mouvement législatif engagé en 1994, qui a abouti à la réforme des plans de prévention des risques. Il s'agissait, dans le titre II de la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite « loi Barnier », de revoir un certain nombre d'instruments existants. Je l'évoquerai dans un second temps. Je vous donnerai alors mon opinion sur la mise en _uvre de ce dispositif.

Dans cet exposé liminaire, j'aborderai quelques points concernant l'encadrement juridique de la gestion de la prévention des inondations. Le droit est construit à partir des mesures de prévention contre les inondations. C'est notamment le cas de l'entretien des cours d'eau et des travaux de défense contre les inondations. Les autorités de police compétentes doivent agir de manière préventive. Nous avons aussi une approche en termes de responsabilité de la puissance publique, ce qui conduit nécessairement à s'interroger sur le rôle des uns et des autres. Enfin, qui dit responsabilité dit clauses d'exonération.

Mon propos est extrait d'un ouvrage rédigé sous ma direction pour le ministère de l'Environnement. Malheureusement pas encore diffusé à une grande échelle, sa deuxième édition devrait faire l'objet d'une publication par la Documentation française, à la fin de cette année. Il consiste à fournir, en quinze fiches thématiques sur l'ensemble des risques naturels, à la fois les extraits significatifs des textes, les extraits de la jurisprudence, en mettant en valeur les considérants et les attendus de principe, et des commentaires liant les deux.

Concernant les mesures de protection contre les inondations, le premier point important a trait à l'entretien des cours d'eaux et aux travaux de défense contre les inondations.

En principe, ni l'État ni les communes ne sont obligés d'assurer la protection des propriétés contre l'action naturelle des eaux à la place des propriétaires. Cette obligation, fondée du point de vue juridique, est inscrite dans l'ancien article 114 du code rural qui est devenu l'article L. 215-14 du nouveau code de l'environnement : l'entretien des cours d'eau non domaniaux est une obligation des propriétaires riverains, lesquels sont tenus à un curage et à un entretien régulier de la rive.

Les propriétaires doivent donc assumer la charge de l'entretien des ouvrages de protection contre les inondations. Cette obligation résulte d'une loi ancienne très critiquée, celle du 16 septembre 1807 relative au dessèchement des marais, qui prévoit que « les travaux d'endiguement entrepris sur les fleuves, rivières ou torrents navigables ou non navigables pour assurer la défense des propriétés sont à la charge des propriétaires intéressés ». La jurisprudence, même récente - je pense à un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 10 avril 1991, Bourel c. Ville de Guingamp - réutilise ce texte et confirme cette obligation.

Contrairement à une idée reçue, les propriétaires riverains doivent supporter les dépenses dans la proportion de leurs intérêts aux travaux. Dans ce domaine, le préfet est l'autorité compétente pour prendre les dispositions nécessaires pour l'exécution des règlements et usages locaux relatifs aux cours d'eau.

Le rôle des collectivités n'est pas pour autant négligeable. Elles peuvent ainsi intervenir quel que soit le régime juridique du cours d'eau, conformément à l'article 31 de la loi sur l'eau qui est devenu l'article L. 211-7 du code de l'environnement et le décret de 1993. Les collectivités locales ont la possibilité « d'entreprendre tous travaux, ouvrages ou installations présentant un caractère d'intérêt général ou d'urgence ».

Bien entendu, lorsque les collectivités réalisent les travaux, elles sont amenées à faire participer financièrement les propriétaires intéressés.

Par ailleurs, quel est le rôle et quelles sont les obligations du service d'annonce des crues ? Cette question juridique mérite d'être posée. En vertu des articles du code général des collectivités territoriales, le maire a l'obligation de prévenir la population de la montée des eaux. En pratique, l'État assure une alerte météorologique auprès des communes sur la base des informations que lui communique Météo-France. Lorsque cela est faisable, il organise une annonce des crues. Les modalités d'organisation sont définies par les textes. Le préfet est responsable de l'organisation de l'annonce des crues dans le département. Il s'appuie sur le service d'annonce des crues et sur le service de protection civile chargés d'alerter les maires.

On retrouve le partage des compétences entre l'État et les collectivités territoriales. Nous y reviendrons car, à mon sens, il n'y a pas de solution de principe, ce partage relevant d'un choix politique. On pourrait considérer que l'État assume toutes les responsabilités ou, au contraire, que les collectivités les assument toutes. On trouve, dans les textes actuels, des éléments en faveur d'une thèse ou de l'autre.

Le deuxième axe concerne les autorités de police et la prévention des inondations. Quelles sont leurs obligations concernant le maintien de la sécurité publique ? Je vous rappelle que l'article L. 2212-2, 5° du code général des collectivités territoriales prévoit que le maire doit, par le biais de mesures convenables, prévenir les risques naturels. Toutefois, cette obligation n'est pas absolue, notamment en cas de carence ou lorsque le phénomène naturel dépasse largement le cadre d'une commune.

J'insiste sur le fait qu'il s'agit pour le maire d'une compétence de police municipale générale. Une confusion est souvent faite, même par des juristes, entre la compétence de police générale du maire, notamment pour la prévention des inondations, et la compétence du préfet qui subsiste, d'une part, quand le phénomène concerne simultanément plusieurs communes et, d'autre part, quand il y a nécessité de substitution. Cela n'enlève rien, en droit, au fait que l'on a bien une compétence de police municipale, d'un côté, et la compétence de l'État qui peut s'exercer par substitution, de l'autre. Il faut corriger l'erreur qui consiste à penser que, lorsqu'il agit en vertu de son pouvoir de police générale, le maire agit au nom de l'État. C'est faux. La jurisprudence le montre à chaque contentieux, en mettant éventuellement en cause la responsabilité de la commune au titre de la police municipale.

Une autre sous-question se pose : quel rôle doivent assumer les autorités de police agissant au titre de l'urbanisme ? C'est un aspect essentiel car on se rend compte que, la plupart du temps, le pouvoir de police s'exerce malheureusement dans l'urgence alors que la police de l'urbanisme doit s'exercer bien en amont. Les erreurs ont été commises souvent par méconnaissance des textes. Le texte qui s'appliquait jusqu'à présent, et qui a donné lieu à la jurisprudence la plus abondante, était le fameux article R. 111-3 du code de l'urbanisme concernant le « périmètre de risque », qui a été abrogé par le décret du 5 octobre 1995 et remplacé par les PPR. En application de ce texte, le préfet devait délimiter des zones à l'intérieur desquelles les terrains étaient exposés aux risques, notamment d'inondation.

La jurisprudence sur les PPR n'est pas encore très abondante, mais on peut légitimement penser que tout ce qui a été jugé avant pour l'article R. 111-3 s'appliquera également aux PPR, à savoir que la responsabilité de l'État peut être engagée en l'absence de délimitation d'une zone de risque par le préfet, si le juge parvient à démontrer que le préfet ne pouvait ignorer le caractère capricieux d'un cours d'eau. C'est le cas dans un arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux du 8 février 1996, dans le cadre de l'article R. 111-3, mais on pourrait appliquer la même jurisprudence sous l'empire de la loi Barnier.

Cette jurisprudence sur les autorisations d'urbanisme concerne également les maires. Si le maire délivre une autorisation sans l'assortir de conditions spéciales alors qu'il avait connaissance du danger, il engagera la responsabilité de la commune, dès lors que le préfet a par ailleurs défini la zone de risque. C'est aussi le cas lorsque le maire ne tirerait pas les conséquences de l'adoption d'un document de prévention des risques. Même lorsque la zone n'a pas été définie par le préfet, le juge considère que les deux fautes sont indépendantes. En présence d'un cumul de fautes, c'est-à-dire non délimitation par le préfet d'une zone à risque et délivrance d'un permis de construire ou d'une autorisation d'occuper le sol par le maire, le juge distingue bien les deux fautes de prévision.

Une autre disposition, qui est toujours en vigueur, mérite d'être signalée. L'article R. 111-2 du code de l'urbanisme permet de refuser ou d'imposer des prescriptions spéciales à une autorisation de construire si elle est susceptible de porter atteinte à la sécurité publique. Les inondations sont évidemment concernées.

J'évoquerai ensuite la mise en jeu de la responsabilité. Si les collectivités territoriales ne peuvent être responsables des dommages imputables à l'action de la mer ou des eaux des fleuves, il en est autrement lorsque les dommages résultent d'inondations. Trois cas de responsabilité sont possibles.

Le premier est le défaut d'annonce des crues. Une jurisprudence constante du Conseil d'État considère que l'activité est difficile - l'État le fait d'ailleurs de manière volontaire puisque c'est normalement de la responsabilité des communes et que seule la faute lourde peut entraîner la responsabilité de l'État.

Le deuxième a trait à la responsabilité des autorités chargées de la sécurité publique. La jurisprudence subordonne l'engagement de la responsabilité de la commune ou de l'État, à raison de l'absence de mesures de prévention contre les inondations, à la faute lourde.

Le troisième, qui prête à controverses, est le cas de la responsabilité engagée à l'occasion des travaux et ouvrages publics. Lorsqu'un ouvrage de défense est impliqué dans les dommages causés, soit qu'il ait été mal entretenu, soit qu'il ait été mal conçu, la collectivité engage sa responsabilité sans faute. Il s'agit d'une jurisprudence très ancienne, qui s'appuie sur la loi du 28 pluviôse an VIII. Certains élus considèrent la jurisprudence du Conseil d'État comme paradoxale puisque, si l'on ne fait rien, on n'engage pas toujours sa responsabilité, alors que si l'on réalise un ouvrage qui est pris en défaut, on engage la responsabilité de la collectivité.

Deux cas de figure sont envisageables. Si la présence de l'ouvrage n'a pas aggravé l'inondation, le Conseil d'État considère que l'administration pourra démontrer que les inondations constituent un événement de force majeure, cause d'exonération de sa responsabilité. En revanche, si le fonctionnement défectueux de l'ouvrage a aggravé les effets de l'inondation, la responsabilité de l'État pourra être engagée sur le fondement du défaut d'entretien normal de l'ouvrage public ou sur celui de la responsabilité pour faute. On retrouve les mêmes cas de figure pour l'ouvrage public communal. Lorsqu'un défaut d'entretien est avéré, la responsabilité de la commune sera engagée.

J'évoquerai enfin les clauses d'exonération de responsabilité. Aujourd'hui, pour résumer la jurisprudence, il faut savoir que le juge fait participer tous les intervenants. Tout le monde est responsable à un titre ou à un autre. C'est valable non seulement pour les collectivités locales et l'État, mais aussi pour la victime. Contrairement à ce que l'on croit généralement, la faute de la victime est de nature à diminuer sensiblement la responsabilité des collectivités.

Une des clauses d'exonération les plus souvent employées est la force majeure. Traditionnellement, en droit, c'est un événement extérieur à la personne, imprévisible et irrésistible dans ses effets.

Une bonne illustration en est l'affaire du Grand-Bornand. Un jugement du Tribunal administratif de Grenoble avait rejeté la demande des victimes, estimant que la crue revêtait les caractéristiques d'un événement de force majeure. Toutefois, la Cour administrative d'appel de Lyon a refusé cette interprétation. Pour les juges, les sols étant saturés d'eau, en raison de plusieurs semaines de précipitations intenses, l'autorité compétente aurait dû intervenir, le danger étant prévisible. Une tendance lourde de la jurisprudence est de reculer au maximum l'action de la force majeure et de considérer que la plupart des phénomènes sont prévisibles. Pour ce faire, elle utilise notamment les précédents.

Une autre clause d'exonération est la faute de la victime. Elle permet d'exonérer partiellement ou totalement l'administration de sa responsabilité. Selon l'arrêt Guion du Conseil d'État du 30 décembre 1998, un propriétaire qui ne protège pas suffisamment son fonds, malgré les risques liés à la situation naturelle des lieux, commet une faute de nature à exonérer partiellement la commune de sa responsabilité. La tendance générale de la jurisprudence du Conseil d'État est de considérer que, quand bien même il aurait obtenu une autorisation de construire, un industriel ou un particulier doit lui-même faire son enquête. D'ailleurs, les autorisations d'urbanisme en France sont accordées sous réserve des risques pouvant toucher le site.

De la même façon, la jurisprudence Meunier du Conseil d'État du 10 juillet 1996 reconnaît qu'une personne qui s'expose sciemment aux risques naturels ne peut prétendre à aucune indemnisation. C'est assez sain. Cela illustre ce que je disais tout à l'heure sur le partage de responsabilité souhaité par le juge administratif entre les autorités, les collectivités et les particuliers.

M. le Président : Je vous remercie de nous avoir remonté le moral. En tant qu'élus, nous avons vraiment le sentiment d'une grande complexité des dispositifs juridiques.

M. le Rapporteur : Je reviendrai sur la loi du 16 septembre 1807 dont vous avez dit qu'elle était fort critiquée. Vous avez indiqué que les collectivités peuvent entreprendre des travaux d'intérêt général ou d'urgence. Comment concilier cela avec la loi de 1807 qui rend les propriétaires seuls responsables de l'entretien des rivières ? Comment faire évoluer la législation dans ce domaine ?

M. Christophe SANSON : La loi de 1807 est déjà battue en brèche dans les esprits. En posant la question autour de vous, vous constaterez que l'on considère que cette obligation d'entretien incombe à l'État et aux collectivités en général. C'est devant le juge que les choses se règlent. Au nom du bon sens, la loi devrait accompagner ce changement, mais il conviendra d'abord de réfléchir aux conséquences financières relativement lourdes de ce changement.

Actuellement, sur la partie domaniale, l'État, le gestionnaire ou le concessionnaire, lorsque le cours d'eau a été transféré ou concédé, a uniquement l'obligation d'assurer le libre écoulement des eaux. Si l'on abroge la loi de 1807, il faudra non seulement que l'État assume ce rôle mais assure également l'entretien. Une solution intermédiaire pourrait consister à attribuer la compétence à des collectivités intermédiaires : communautés de communes, autorités en charge des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE).

Aujourd'hui, cette loi est utilisée en dernier recours contre les propriétaires récalcitrants, dont je reconnais que la plupart ne voient plus l'utilité économique des cours d'eau et, par conséquent, n'ont pas les moyens de leur entretien. Il convient toujours de raisonner au cas par cas, car cela pourrait entraîner des conséquences financières considérables.

M. le Rapporteur : A-t-on aujourd'hui la possibilité d'accéder aux rivières, ne serait-ce que pour permettre aux collectivités locales de les entretenir, si elles le souhaitent ?

M. Christophe SANSON : L'article 31 de la loi sur l'eau précitée permet toute une série d'interventions des collectivités, alors que la loi de 1807 visait plus particulièrement l'entretien courant. Les spécialistes le diront mieux que moi, du point de vue écologique, mieux vaut un entretien régulier, au jour le jour, que les entretiens, comme ceux effectués dans les années soixante-dix, où l'on rectifiait les cours d'eau, provoquant par contrecoup des dégâts importants. La question principale est moins celle des travaux importants que de l'entretien régulier.

De nombreuses collectivités ont pris en charge, de fait, ces responsabilités. Je pense aux départements, qui ont mis en place des structures pérennes qui financent ces travaux, par exemple les brigades bleues, notamment avec l'argent de la taxe départementale des espaces naturels sensibles. Une révolution est en cours.

M. le Rapporteur : Il n'existe aucun obstacle juridique ou concret à ce qu'elles le fassent ?

M. Christophe SANSON : En matière de droit de l'environnement, c'est une particularité de la matière, tout le monde peut tout faire. Il manque souvent les moyens et la volonté de le faire, mais le droit n'empêche rien.

M. le Rapporteur : Pour le canal de la Somme, par exemple, une rive est propriété de l'État donc entretenue par le département qui en a la gestion, mais l'autre est propriété privée. On peut passer à certains endroits avec l'autorisation des propriétaires alors que d'autres refusent, en sorte que, concrètement, on n'arrive pas toujours à faire le travail.

M. Christophe SANSON : On peut aussi penser que certains propriétaires riverains regroupés en associations font un bon travail. Comme dans beaucoup d'autres domaines, on ne peut pas concevoir un statut général pour l'ensemble du territoire. Décider brutalement que l'État ou les collectivités locales assument cette compétence à la place des propriétaires riverains aurait un effet démobilisant sur de nombreux propriétaires et pourrait être dangereux.

M. le Rapporteur : J'en viens maintenant aux PPR. Qu'en pensez-vous ?

M. Christophe SANSON : Je ne suis sûrement pas très objectif sur la question, puisque j'étais « la petite main » de la loi Barnier au cabinet de Michel Barnier de 1993 à 1995. J'ai contribué à l'élaboration du projet de loi et à son suivi à l'Assemblée nationale et au Sénat. Le titre II a constitué un temps fort de cette loi. Il comporte d'autres dispositions, notamment l'expropriation pour risque et le toilettage des textes concernant l'entretien des cours d'eau réalisé de manière écologique.

Les PPR sont nés d'une idée très simple. J'ai le sentiment, peut-être subjectif, qu'il ne se passait pas grand chose avant le programme décennal de prévention des inondations et de lutte contre les risques naturels adopté en conseil des ministres, début 1994. Depuis 1994, on a beaucoup fait, y compris ces trois dernières années, avec l'augmentation des crédits. Songez que, pour les PPR, on est passé de 25 millions de francs de financements par an, il y a quatre ans, à 100 millions de francs aujourd'hui. Il se trouve aussi que l'on n'avait jamais autant connu de catastrophes naturelles et d'inondations. Mais il ne faut pas, comme un grand journal du soir, faire un rapprochement douteux et affirmer que, parce que l'on a connu des inondations à répétition ces dernières années, les politiques publiques sont complètement défaillantes. Il y a un vice dans le raisonnement.

Mieux vaut raisonner de manière assez simple et considérer que les catastrophes naturelles sont la conjonction de deux phénomènes : l'aléa, sur lequel on ne peut pas faire grand-chose, et la vulnérabilité. L'aléa sans la vulnérabilité, c'est la dune qui s'effondre dans le désert sans aucune conséquence. La vulnérabilité sans aléa, c'est la situation dans laquelle nous nous trouvons ici, à l'Assemblée en zone inondable sans inondation. On peut faire beaucoup pour combattre la vulnérabilité, on ne peut pas faire grand chose pour combattre l'aléa. Or, ces dernières années, nous avons beaucoup agi en matière de vulnérabilité.

Le PPR est une réforme simple. Il a consisté, après avoir constaté que l'on avait quatre documents qui étaient mal appliqués, complexes et qui visaient à peu près les mêmes objectifs, à n'en faire qu'un. C'est un peu le « couteau suisse » de la prévention des risques naturels. On avait en effet le plan de surfaces submersibles (PSS), l'article R. 111-3 du code de l'urbanisme relatif au périmètre de risque, le plan de zones sensibles aux incendies de forêt (PZSIF) qui datait de la loi de 1987, et le plan d'exposition aux risques naturels prévisibles (PER) qui datait de la loi de 1982. Considérant que ces outils ont les mêmes objectifs et que l'on souhaite avant tout lutter contre l'urbanisation en zone à risques, on a conçu un document unique.

Ce faisant, on l'améliore à plusieurs égards. Du point de vue du droit pénal puisque, contrairement à qui était prévu dans les autres documents, quiconque ne respecte pas un PPR s'expose à des sanctions pénales. Du point de vue de l'effectivité de l'instrument, puisque les autres documents revêtaient le caractère de documents de reconnaissance, comme l'indiquait le titre même du PER - plan d'exposition aux risques naturels -, alors que le PPR met l'accent sur la prévention.

Dernier point qui n'est jamais mis en avant, ce document permet d'agir sur l'existant. Il est faux de prétendre le contraire. C'est un document généraliste, assez lourd, assez contraignant, mais qui trouve sa place dans le système français de prévention des risques naturels, notamment en agissant sur l'urbanisme et sur l'occupation des sols en général. Cela ne veut pas dire qu'il faut en faire partout. On a avancé le chiffre de 10 000 ou 12 000, voire 20 000 communes exposées. M. Vesseron, directeur de la prévention des pollutions et des risques au ministère de l'Environnement considère que seules 5 000 communes nécessitent un PPR et il a raison.

Le PPR s'inscrit dans une logique de document spécialisé, pour des communes particulièrement concernées par un ou plusieurs risques naturels. Les autres documents doivent coexister avec lui. Il y a une logique dans tout cela. Le PPR s'applique pour cibler des risques précis et importants. Depuis l'entrée en vigueur de la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU), le plan local d'urbanisme (PLU) reprend les principes du plan d'occupation des sols. Enfin, les communes dépourvues de PLU ont la possibilité, au titre de l'article R. 111-2, de refuser au coup par coup les permis de construire en zone inondable. Il y a donc vraiment une application du principe de subsidiarité. Il n'existe pas, à mes yeux, de contradiction entre ces trois instruments.

M. le Président : Puisque vous avez cité un chiffre concernant les moyens mis à disposition pour réaliser des PPR, j'indiquerai qu'il a été dit devant la commission que le quantitatif semblait primer le qualitatif. On nous a dit également que l'État a davantage une connaissance d'ingénieur que de terrain, d'où certaines difficultés dans la mise en place des PPR, voire dans leur acceptation par les élus et les populations. Avant votre arrivée, M. Huet estimait que, en Bretagne, sept PPR sont à refaire parce qu'ils se sont révélés inadaptés. Globalement, on constate des difficultés de mise en place dues peut-être à un manque de coordination et de concertation entre les techniciens et le terrain. On demande l'avis des acteurs de terrain, mais on n'en tient souvent pas compte.

M. Christophe SANSON : Je partage cette opinion. Je voulais d'ailleurs vous signaler le dernier numéro du Journal des maires où nous avons publié les conclusions d'une étude sur la stratégie de promotion des PPR. J'ai aidé, avec une équipe de spécialistes, le ministère de l'Environnement à réfléchir à une meilleure stratégie de « vente » des PPR, car les difficultés que vous décrivez sont évidentes. Elles ne tiennent pas, je crois, à l'outil lui-même. Il n'est pas nécessaire de le retravailler. Les préfets en sont satisfaits. Du point de juridique, la jurisprudence montre déjà qu'il est performant. Toutefois, il existe une difficulté de mise en _uvre et, même, tout simplement, d'élaboration.

Vous avez souligné les deux défauts majeurs des PPR. D'une part, il existe un risque de les bâcler si l'on en fait trop. Dès lors, l'on doit se demander si, malgré les 100 millions de francs distribués, les préfets ont la possibilité, avec les directions départementales de l'équipement (DDE), de faire un bon travail. D'autre part, le PPR étant un document d'État, et c'est l'objet de l'étude publiée dans Le journal des maires, réalisée à l'issue d'un sondage auprès de deux mille communes concernées, on peut se demander s'il est bien connu et bien compris des collectivités. La réponse est non. Le PPR n'est ni compris, ni vraiment accepté, ni bien perçu par les collectivités. Cela concerne d'ailleurs surtout les collectivités qui n'en ont pas et qui ne voient pas du tout de quoi il s'agit. Cela renvoie à la nécessité de l'information des collectivités sur les outils de gestion et de prévention des risques naturels. Poserait-on des questions identiques sur les documents d'information communaux sur les risques majeurs (DICRIM) et sur tous les autres documents d'information, que l'on obtiendrait les mêmes réponses.

Pour avoir étudié bon nombre de PPR sur le terrain, je ne voudrais pas du tout donner l'impression de jeter la pierre aux services de l'État qui ont un important travail à réaliser. Il n'est pas facile pour les DDE de gérer des procédures longues, extrêmement lourdes, qui donnent lieu, naturellement à des contestations des propriétaires ou des élus, qui considèrent parfois de manière hypocrite que le PPR crée le risque, alors qu'il ne décrit qu'un risque préexistant.

Les services de l'État ne tiennent pas suffisamment compte des connaissances de base de la population. Autrefois, les inondations étaient moins meurtrières et faisaient beaucoup moins de dégâts parce qu'il y avait un bon sens populaire, une mémoire. Depuis le début du siècle, on a considéré que d'autres chantiers étaient plus importants et l'on a perdu la mémoire des inondations.

Souvent, l'État veut faire un PPR avec une connaissance parfaite des aléas. C'est une erreur fondamentale. Cela aboutit à retarder l'adoption du PPR, alors qu'il importe d'en disposer le plus vite possible. L'expérience montre que, quand un PPR est adopté, il est respecté. De plus, une connaissance précise n'apporte rien de plus. On est toujours démenti par les faits. Il importe avant tout de protéger, même sommairement. Les services de l'État perdent un temps considérable en études techniques extrêmement sophistiquées et très coûteuses. On exige parfois trois études pour le même PPR.

M. le Rapporteur : Ne pas prendre un minimum de précautions poserait quelques problèmes de politique locale. Vous avez dit que, contrairement à ce que l'on imagine tous, le PPR pouvait avoir un effet sur l'existant. Pouvez-vous développer cette idée ?

M. Christophe SANSON : De manière pas tout à fait honnête, les assureurs ont appelé l'attention sur cet aspect des choses. Contrairement à ce que l'on peut croire, ils défendent d'ailleurs le système catastrophes naturelles. Cependant, ils ont tendance à dire qu'il existe un problème en France, puisque la prévention n'a pas été faite et que 25 à 30 % des constructions sont situées en zone inondable.

Même en admettant ce raisonnement, on doit considérer que le PPR peut prescrire toute une série de dispositions concernant la protection elle-même. Il peut prescrire des règles de bon sens, consistant à interdire telle ou telle occupation dans tel ou tel logement par exemple. Autrefois, on n'installait jamais de congélateurs dans les caves. On s'attendait toujours à l'inondation, elle n'était pas toujours très grave. Cela n'empêchait pas de vivre. Sur les bords de Loire, on trouve des caves inondables, cela n'avait pas de conséquences particulières. Aujourd'hui, alors que la crise du logement conduit à utiliser chaque mètre carré d'une habitation, on s'affranchit de ces règles élémentaires. Le PPR peut ramener du bon sens en permettant, avec un peu de courage, de prévoir des prescriptions telles qu'une obligation de surélever, des travaux de protection élémentaires de nature à réduire la vulnérabilité.

Il n'y a pas d'obstacle juridique à ce que le PPR aille le plus loin possible. Le décret d'application de la loi Barnier évoque même la possibilité de gérer la crise. Il suffit de l'inclure dans son règlement. Pour autant, on ne doit pas nécessairement s'orienter vers des PPR extrêmement compliqués. Un règlement de PPR efficace et bien fait peut tenir en deux pages.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais connaître votre point de vue sur le système d'assurance. Le trouvez-vous trop déresponsabilisant ? N'y a-t-il pas une opposition entre l'aspect solidarité et l'aspect prévention ?

M. Christophe SANSON : Contrairement à ce que l'on entend dire et à ce que l'on écrit généralement, je considère qu'il s'agit d'un régime exemplaire, original et intéressant. Il résulte d'une initiative parlementaire et non d'une démarche technocratique. Il ne faut jamais oublier que l'on a acheté la paix sociale avec ce régime. Auparavant, quand on était incapable d'indemniser, on devait utiliser les fonds de secours dotés de crédits très limités. De plus, les délais étaient très longs car l'État travaille beaucoup moins vite que les assureurs.

On sait bien, par exemple, que le délai d'indemnisation au titre du fonds des calamités agricoles est plus long que celui des assurances. Les assureurs sont très performants. Ils gèrent très bien cette activité. On a dénoncé à plusieurs reprises la captation d'une rente de la part des assureurs. Avant les grandes inondations de ces dernières années, on considérait que, sur les 4 milliards de francs de cotisations du régime, un quart revenait à la gestion, un quart au provisionnement et la moitié à l'indemnisation. Les choses ont changé.

Dans l'ensemble, les Français sont satisfaits du système. Le Gouvernement a voulu le corriger subrepticement, en septembre dernier, en augmentant les franchises. Cela corrige un peu l'aspect systématique du système. On n'est jamais inondé de gaieté de c_ur. Mais dans certaines zones inondables, les propriétaires qui désirent vendre précisent : « indemnisable en cas d'inondation ». Il est dangereux de tenir un tel raisonnement. Il est bon qu'existe un système de franchise. Celui adopté en septembre 2000 aurait pu l'être autrement qu'à la sauvette et sans publicité, mais il va tout de même plutôt dans le bon sens.

Globalement, je ne pense pas que le système soit condamnable. S'il l'est, il faut proposer autre chose. On ne peut revenir au système d'avant 1982, où il fallait chercher en catastrophe des subventions au Parlement, avec la pression qu'on imagine sur l'Assemblée nationale et le Sénat pour trouver des solutions dans l'urgence.

La question est de savoir si l'on accepte de payer et si cela a un effet pervers sur la prévention. On n'a pas établi de rapport de cause à effet. De toute façon, l'information en matière de risque naturel fait défaut. Il convient de s'interroger sur l'information de l'acquéreur concernant le caractère inondable de son terrain. À cet égard, il y a sans doute beaucoup à faire du côté des notaires et du certificat d'urbanisme.

M. Paul DHAILLE : En effet, nous nous demandions s'il ne conviendrait pas de signaler les risques de crues dans les actes de vente et dans les actes de location. Pensez-vous que cela n'aurait qu'un effet d'information ou bien que la jurisprudence des tribunaux et le comportement des assurances pourraient en être transformés ?

M. Christophe SANSON : Je pense que cela aurait un effet bénéfique, mais cela suppose résolue une question préalable extrêmement difficile. Si l'on dispose d'une information claire en ce qui concerne le plomb, les termites ou le bruit, en revanche, on ne l'a pas d'une manière aussi évidente en matière de risques. Considère-t-on qu'il y a risque dès que trois arrêtés de catastrophe naturelle ont été pris dans telle commune ? On ne dispose d'une information incontestable que lorsqu'une étude a été effectuée et un PPR mis en place. Cela laisserait, à l'heure actuelle, la plupart des communes en dehors du champ d'application d'un tel dispositif.

Cela dit, il serait très intéressant de faire peser l'obligation d'information sur le propriétaire, au moment de la cession de son bien, comme on le fait en matière d'installations classées. En vertu de l'article L. 514-20 du code de l'environnement, issu de la loi de 1976, l'industriel qui détient un terrain sur lequel une installation classée a été exploitée, a l'obligation de le faire savoir à son acquéreur.

Il est surprenant de constater que les assureurs ne contribuent pas à cette information. Pourtant, puisque nombre de communes ont connu plusieurs arrêtés de catastrophe naturelle, on devrait avoir une information fiable. Or, curieusement, aucune base de données n'a été constituée. Les assureurs considèrent que ce n'est pas à eux de le faire. Le système est extrêmement morcelé et décentralisé. Nous n'avons aujourd'hui pas la possibilité de faire un récolement d'informations. Ce serait à l'État de le faire. Tant que nous n'aurons pas cette information précise, il paraît illusoire d'obliger le propriétaire à déclarer qu'il possède un bien inondable. Mais il est certain que cette situation facilite la mauvaise foi.

M. Paul DHAILLE : Pensez-vous véritablement qu'une telle évolution pourrait modifier la jurisprudence des tribunaux concernant la répartition des responsabilités financières ?

M. Christophe SANSON : Dans un premier temps, au moins, cela pourrait faire réfléchir les acquéreurs. Lors d'une transaction immobilière, une clause fait renoncer l'acquéreur à tout recours afin d'éviter les procès au moindre vice caché. Mais dans la mesure où un terrain est peu cher par rapport à un autre identique, c'est qu'il n'est pas idéalement situé.

En matière de risques naturels, on doit s'orienter vers des solutions nuancées. Je considère que l'on peut habiter des zones inondables, construire en zone inondable, à condition de le faire de manière intelligente et mesurée. On a avancé l'idée de constructions démontables. Tout est possible, lorsqu'on prend en compte le risque, ce que l'on ne fait pas actuellement.

M. Paul DHAILLE : Si l'on estime que la responsabilité de l'entretien des cours d'eau ne relève plus des propriétaires riverains et si on la transfère aux communes, se pose un problème financier. Quelle structure pourrait assumer cette compétence ? Vous avez avancé l'idée d'une prise en charge par les SAGE. Or les commissions locales de l'eau, qui élaborent les SAGE, n'ont pas la personnalité juridique. Elles ne pourraient pas prendre de responsabilité en ce domaine.

Je suis assez partisan des intercommunalités. Si l'on transférait la responsabilité de l'entretien des cours d'eau, par qui cela pourrait-il être le mieux assuré, avec les moyens financiers adéquats ? Pensez-vous qu'il conviendrait d'appuyer les SAGE sur une structure juridique et administrative ?

M. Christophe SANSON : On se situe aujourd'hui à une époque de transition. L'État s'affaiblit un peu partout. Transférer la mise en _uvre des PPR et l'attribuer aux communes ou aux communautés d'agglomération ne changerait pas fondamentalement les choses. Il me semble que l'on va plus vers une gestion par bassin.

Je le répète, je trouve assez dangereux de vouloir lever complètement l'obligation qui pèse sur les propriétaires riverains. D'une part, certains font un bon travail d'entretien. D'autre part, eu égard à la multitude de cours d'eau, l'on risque de se retrouver avec un fardeau ingérable. Le bon sens qui prévalait au XIXe siècle reste au moins en partie valable aujourd'hui. Quand vous avez le bénéfice d'un terrain, vous devez aussi en assurer l'entretien.

On pourrait donner la personnalité morale aux commissions locales de l'eau, mais avec la loi Chevènement, on voit aussi se profiler des responsables potentiels tout à fait convaincants. Les communautés d'agglomération pourraient se charger de gérer les intérêts d'un bassin versant, de gérer la sur-inondation, de prévoir des zones d'expansion des crues, la péréquation et l'indemnisation. Cela présenterait l'inconvénient d'accréditer l'idée qu'à terme, les villes pourraient inonder les campagnes mais ce pourrait être une solution. M. Brice Lalonde disait, à propos des inondations : « Il faut bien qu'il y ait un patron quelque part ». En matière de risque naturel, l'enchevêtrement des responsabilités conduit à une absence de responsabilité, génératrice de difficultés.

M. Paul DHAILLE : Je ne suis pas partisan de donner la personnalité morale aux commissions locales. Le recours aux intercommunalités me paraît être la meilleure formule.

Vous dites que la loi de 1807 était une bonne loi. Je n'en suis pas totalement persuadé. Il me semble que la proximité d'un cours d'eau ne présentait pas les mêmes avantages ni les mêmes inconvénients au XIXe qu'au XXsiècle. Jadis, il permettait d'arroser son jardin, de disposer de puissance motrice, d'assainir une habitation. Aujourd'hui, les intérêts sont plus esthétiques, voire écologiques. Concernant la responsabilité des riverains, je ne partage pas votre point de vue. Je n'ai pas le sentiment que les associations de riverains fonctionnent très bien, dans la mesure où, parallèlement à la responsabilité administrative et juridique, existe un problème fiscal. Qui dit association de riverains dit nécessité de lever l'impôt ou une cotisation.

Faudrait-il instituer une redevance ou un impôt en échange de la suppression de la responsabilité de l'entretien pour les riverains ? Je me demande si les deux ne vont pas de pair.

M. le Rapporteur : Comment la jurisprudence évalue-t-elle la responsabilité des propriétaires riverains qui n'ont pas entretenu convenablement leurs berges ?

M. Christophe SANSON : Elle est sans pitié. En cas de mauvais entretien, elle applique la loi, qui est très claire.

Très souvent, la réalité a dépassé le droit. On voit souvent se mettre en place des cellules d'assistance technique à l'entretien des rivières - CATER -, des brigades bleues, etc. La collectivité a donc pris en charge cette obligation à la place des riverains, mais je pense que l'on ne pourra pas le faire partout et à tous les niveaux. On voit pourtant aujourd'hui certaines collectivités publiques, notamment les conseils généraux, se consacrer à des cours d'eau prioritaires.

M. Stéphane ALAIZE : J'ai le sentiment, lequel est largement partagé par des élus locaux de mon département, à savoir l'Ardèche, que l'application de la loi Barnier finit par aboutir à une sorte de « sacralisation » des cours d'eau. Cela bloque toute initiative, tout entretien même léger, au motif que l'on ne peut modifier l'environnement de la rivière sans risquer de la déstabiliser. Or, de petits travaux seraient souvent nécessaires, afin d'éviter le pire un jour de crue. La loi Barnier a-t-elle institué un système particulièrement restrictif ou s'agit-il d'une interprétation locale qui ne correspond pas tout à fait à l'esprit de la loi ?

M. Christophe SANSON : C'est une question difficile car je n'ai pas votre connaissance du terrain et de cette situation particulière. Je rappelle que le titre II de la loi Barnier comprend trois axes principaux : l'expropriation, les PPR et la réécriture de textes anciens qui autorisaient des travaux très traumatisants pour les cours d'eau. Nous avons essayé de donner des indications aux services pour que l'entretien des cours d'eau soit comparable à l'élagage doux des arbres. On n'échappe pas à des applications parfois excessives, dans les deux sens. Une meilleure application de la loi passe par l'information des personnes chargées de l'entretien courant.

Il n'y a pas d'interdiction de travaux. Tous les travaux sont possibles. On évite seulement de renouveler les erreurs des années soixante-dix, de rectification de cours d'eau, de travaux traumatisants, à grande échelle. Je considère comme vous que les travaux et les protections sont importants. Une saine politique de gestion des risques naturels intègre toutes les dimensions : la prévision, la prévention, la protection et l'indemnisation.

Le ministère de l'Environnement a, sur ce point, une doctrine un peu partiale qui consiste à considérer que tout ouvrage de protection est transparent. Si, après l'établissement d'un PPR, vous construisez un ouvrage de protection, on n'en tiendra pas compte et le PPR restera aussi strict. Cette doctrine n'est pas absolument convaincante sur le plan rationnel et elle est un peu partisane. Je n'ai pas cette vision des choses.

M. le Président : Nous vous remercions pour ces éclairages. Qu'il s'agisse des PPR ou l'entretien des rivières privées, il faut se donner les moyens du contrôle et du suivi ; mais c'est un sujet difficile. Quant à l'inscription dans les actes notariés, il convient de rester prudent. Tant que l'on n'aura pas défini avec précision le degré de vulnérabilité de tel ou tel secteur, il sera difficile de déterminer ce qui peut être considéré comme inondable avec certitude.

Nous vous remercions.

Audition de M. Denis BERTEL,
Directeur général adjoint et
responsable du pôle eau du BCEOM

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 3 juillet 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Denis Bertel est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Denis Bertel prête serment.

M. Denis BERTEL : Tout d'abord je vous rappellerai brièvement en quoi consiste l'activité de notre bureau d'études. Il a été créé en 1949 par les ministères de la Coopération et de l'Équipement, afin d'étudier les équipements de l'outre-mer. Le sigle BCEOM, Bureau central d'études pour les équipements d'outre-mer, est devenu, depuis quelque temps, un nom ordinaire.

Le BCEOM est aujourd'hui une société d'ingénierie, dont le capital est détenu par le holding Egis, lui-même filiale de la Caisse des dépôts et consignations à hauteur de 80 %. Nous employons environ cinq cents personnes. Notre chiffre d'affaires est de 400 millions de francs, dont 80 % réalisés à l'étranger, principalement sur des financements de bailleurs internationaux, dans tous les domaines de l'équipement et de l'aménagement du territoire : transports, eau, environnement, énergie, etc. 20 % de notre activité s'effectuent en France, métropole et outre-mer, dans tous les métiers de l'eau et de l'environnement.

La protection contre les crues est un des secteurs d'excellence de nos interventions. Notre activité française représente quelque 80 millions de francs, dont la moitié porte sur les études de protection contre les crues, au sens large (prévention, prévision, protection).

Nous intervenons en France pour le compte de clients publics exclusivement. Ce sont, à parts égales, des collectivités locales ou leurs groupements - syndicats mixtes, districts, communautés d'agglomération, etc. - et les services de l'État ou les grands organismes assimilés, type agences de l'eau, qui ne sont pas des clients stricto sensu mais des donneurs d'ordres importants pour nous.

Dans ce champ d'activité, notre action s'exerce dans les trois domaines de la politique de lutte contre les crues.

En matière de prévention, nous avons une très forte activité en matière de modélisation et de cartographie de zones inondables. Nos références les plus récentes sont la modélisation de l'estuaire de la Loire, la modélisation de tout le cours de la Meuse, la modélisation de la Camargue et celle de rivières ou fleuves de tailles plus modestes. Toutes ces études débouchent généralement sur des cartographies. Nous avons, au fil du temps, développé ou acheté des outils qui nous permettent d'être à la pointe du progrès en matière de modélisation et de cartographie de zones inondables.

La prévision est actuellement pour nous un important vecteur de développement. Nous sommes en train de réaliser des modèles de prévision pour la Meuse, l'Hérault et quelques cours d'eau côtiers du bassin méditerranéen.

Dans le domaine de la protection, c'est-à-dire l'étude ou la direction de projets de protection contre les crues, tels que des petits barrages ou des endiguements, nous avons plusieurs réalisations à notre actif. Un des ouvrages récents le plus représentatif de ces dernières années se trouve sur la Loire, à Brives-Charensac, dans l'agglomération du Puy. Nous avons été le maître d'_uvre de cette opération pour le compte de l'État.

Tel est, brièvement exposé, le champ de nos activités. J'ai un peu de mal à choisir un fil directeur car le sujet est extrêmement vaste.

Je précise enfin que je suis ingénieur du corps des ponts et chaussées, donc fonctionnaire. J'ai eu l'occasion de servir dans une direction départementale de l'équipement dans le domaine de la protection contre les crues et de la police de l'eau, et en direction régionale de l'industrie et de la recherche (DRIRE), dans le domaine de l'environnement industriel et des risques technologiques.

M. le Président : Vous avez évoqué l'ouvrage de Brives-Charensac, équipement particulier sur un lieu particulier destiné à protéger la commune. Les communes situées en aval se posent un certain nombre de questions, car elles ne se sentent pas protégées par cet équipement. Faut-il réaliser des équipements complémentaires ou cet équipement supprime-t-il tous les risques en aval ?

M. Denis BERTEL : Il ne réduit absolument pas le risque en aval. C'est un ouvrage de protection locale. On s'est toutefois assuré au cours des études qu'il n'aggravait pas les crues à l'aval, ce qui n'était pas évident à l'origine. Il n'a aucun impact sur les populations en aval mais à un très bon niveau d'efficacité sur le territoire même de Brives-Charensac.

M. le Président : Il avait été prévu un projet de barrage, mais il a été annulé. En remplacement, seul cet équipement spécifique a été réalisé pour protéger la commune. Les autres communes situées en aval, qui devaient être protégées par le barrage initial, craignent que cet ouvrage n'accélère le mouvement du fleuve en cas de crue. Théoriquement, d'autres équipements devraient être réalisés pour les communes suivantes, mais on s'est arrêté à l'endroit qui posait problème à l'époque.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous de la critique des effets pervers des ouvrages de protection - digues, barrages - selon laquelle ils font naître un sentiment trompeur de protection ?

M. Denis BERTEL : C'est un constat fait par tout le monde. Un endiguement a un effet pervers dans la mesure où il donne à la population l'impression d'assurer une protection absolue, ce qui n'est jamais le cas. Dans le meilleur des cas, les ouvrages sont conçus pour assurer une protection centennale. Ils sont limités par l'objectif même de leur conception. Souvent, cette limite n'est pas perçue par les populations et est même mal intégrée par ceux qui ont la responsabilité d'autoriser des installations à l'arrière de ces endiguements.

M. le Rapporteur : Vous avez étudié les lacs réservoirs de la Seine. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

M. Denis BERTEL : Nous sommes intervenus sur un aspect mineur. Nous avons conçu un logiciel d'optimisation de la gestion dite coordonnée de ces ouvrages. L'objectif de notre étude était de faire en sorte que la gestion des ouvrages soit coordonnée de manière à optimiser leur efficacité dans la gestion d'une crue dans l'agglomération parisienne.

Je n'ai pas d'avis particulier sur les barrages-réservoirs. La question des barrages se pose de manière récurrente. On peut constater que l'on n'en réalise plus depuis longtemps. Je crois même que l'on en a détruit quelques-uns. Le barrage assure une bonne protection. En revanche, il a des impacts locaux tout aussi indéniables, positifs ou négatifs. La question principale, c'est que ceux qui tirent le bénéfice de l'installation des barrages ne sont pas ceux qui en subissent les inconvénients. On est toujours dans la logique d'opposition entre les populations amont et les populations aval, les uns en ayant les inconvénients, les autres les avantages supposés. On retrouve cette question sur les barrages-réservoirs de la Seine comme sur d'autres ouvrages du même type en France.

M. le Président : Concernant la destruction de barrages, si vous pensez à Maison-Rouge ou Saint-Etienne-du-Vigan, je précise que ce sont des petits barrages EDF, ce ne sont pas des barrages liés à la protection des populations. Ce sont des petits barrages anciens qui empêchaient la remontée des saumons.

M. le Rapporteur : Actuellement, la priorité est de multiplier les plans de prévention des risques (PPR). Les études de modélisation sont-elles suffisamment précises ?

M. Denis BERTEL : Je commencerai malheureusement par dire que le degré de précision est très variable. La chaîne de la modélisation comporte en gros deux maillons.

Le premier est l'hydrologie, qui consiste à prévoir comment la pluie se transforme en débit dans une rivière. Celui-ci est relativement sujet à caution parce qu'il fait appel à de nombreuses données éminemment variables : état du sol, saturation, répartition spatiale de la pluie, etc. On est face à des phénomènes difficiles à maîtriser. Il existe une part d'inconnue. On est là dans un champ d'une précision relativement modeste, laquelle dépend elle-même de la configuration et de la taille du bassin versant.

Le second est la modélisation hydraulique. Il consiste à définir comment le débit se propage tout au long d'une rivière et entraîne certaines vitesses et hauteurs d'eau à tel et tel endroit. Il s'agit donc de l'écoulement proprement dit. Là, en revanche, on atteint des précisions variables mais dans l'ensemble remarquables. Certes, il est plus facile de modéliser la Seine dans la traversée de Paris qu'un torrent des Alpes, mais dans des rivières lentes aux topographies bien maîtrisées, l'on obtient une précision de l'ordre du centimètre.

M. le Rapporteur : Pour prescrire un PPR, l'on peut donc utiliser une modélisation afin de déterminer très précisément les zones à risque ?

M. Denis BERTEL : Oui, car les modélisations donnent des résultats très précis. Cependant, pour prendre en compte le risque dans les documents d'urbanisme à partir de cette cartographie, il très utile de connaître les limites de fiabilité des modèles. Ce point est souvent mal compris. On a souvent le tort de vouloir établir des cartographies au centimètre près, sans tenir compte des possibilités d'erreurs, parfois dues à la topographie elle-même. C'est souvent là que le bât blesse.

M. le Rapporteur : En 1994, vous avez réalisé une cartographie dans le sud de la France. Avez-vous pu constater que l'on en avait tiré des mesures de prévention effectives ?

M. Denis BERTEL : Franchement, non. Après avoir réalisé une étude, nous sommes très rarement en mesure de voir ce qui la suit. Notre intervention est très ponctuelle dans le cadre d'un contrat.

M. le Président : Vous le savez tout de même un peu ? Vous n'avez pas la curiosité de chercher à savoir si vos études ont porté leurs fruits ?

M. le Rapporteur : Dans le département de l'Aude, par exemple ?

M. Denis BERTEL : D'autres responsables du BCEOM sont peut-être mieux informés de ces questions.

M. le Président : Nos collègues de l'Aude nous ont fait comprendre qu'il ne s'était pas passé grand-chose.

M. Denis BERTEL : Toute la difficulté est d'intégrer des faits objectifs. Nous intervenons sur un plan tout à fait factuel. Bien que ce soit de la modélisation, de la prévision et de la statistique, c'est le résultat d'une étude scientifique, même si elle comporte bien entendu des aléas et des imprécisions. Nous n'intervenons pas dans la prise en compte de ces études dans les documents d'urbanisme. Je suppose que bien des études que nous avons réalisées n'ont pas donné lieu à application dans les documents d'urbanisme.

M. le Rapporteur : Estimez-vous que les activités humaines, notamment les pratiques agricoles, jouent un rôle important dans l'aggravation des crues exceptionnelles ou moyennes ?

M. Denis BERTEL : Je ne le crois pas. Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais je ne pense pas avoir lu dans la littérature spécialisée que les pratiques agricoles étaient un facteur très aggravant. Peut-être l'est-il un peu ? L'activité humaine ne contribue guère à accélérer la crue et à renforcer les débits, sauf peut-être sur des petits bassins versants très urbanisés, car sur les bassins versants d'une certaine taille, tous les effets sont amortis. En revanche, l'urbanisation a pour effet d'aggraver la vulnérabilité, donc les conséquences et les dommages des inondations.

M. le Président : Une de vos missions consiste en la modélisation cartographique des zones inondables. Existe-t-il en France une banque de données ou un lieu où toutes les zones cartographiées potentiellement inondables sont répertoriées ?

M. Denis BERTEL : Je ne le crois pas.

M. le Président : Cela permettrait de savoir, dans les zones dites à risque, quelle part du territoire est cartographiée et quelle part ne l'est pas.

M. Denis BERTEL : Des atlas ont dû être constitués à un moment donné. Ils étaient valables à un instant donné, mais cette matière est très évolutive. On réalise de nombreuses études chaque année. Les données météorologiques et hydrologiques évoluent beaucoup. Maintenir à jour une cartographie de ce type exigerait un travail continu. Cela requerrait des outils assez lourds qui, à ma connaissance, n'existent pas.

M. le Rapporteur : Avez-vous étudié le problème de la Somme ? Avez-vous connu des phénomènes analogues ?

M. Denis BERTEL : Non, mais il se trouve que nous avions été missionnés pour étudier l'aménagement et la mise en valeur de la baie de Somme qui est soumise à un ensablement. Comme nous étions sur place et que nous connaissions un peu le terrain, on nous a demandé de réaliser quelques missions complémentaires dans le cadre des inondations, mais nous ne sommes pas très pointus sur le sujet. On a beaucoup écrit et dit. J'ai l'impression que c'est un phénomène exceptionnel en France, moins par son ampleur que par sa nature, dans la mesure où il fait intervenir davantage des crues de sous-sol que des crues traditionnelles par écoulement superficiel.

M. le Rapporteur : Malgré ce caractère exceptionnel, on a mis en cause l'entretien des cours d'eau. Que pensez-vous globalement de l'entretien des cours d'eau dans le pays ?

M. Denis BERTEL : C'est un sujet qui a été particulièrement mal traité. Je ne pense même pas que l'on puisse parler de politique d'entretien des cours d'eau. Il n'y a pas d'entretien des cours d'eau, ou très peu. C'est un facteur aggravant par constitution d'embâcles au moment des crues. Cela pose aussi la question des moyens et de la maîtrise d'ouvrage. Il n'existe pas de maîtrise d'ouvrage adaptée pour ce type de travaux. L'entretien des cours d'eau serait pourtant très nécessaire.

M. le Président : Il existe tout de même une logique, une continuité entre vos trois types de missions que sont la modélisation, la prévision et les études sur les ouvrages. Quand on ne vous commande qu'une modélisation, laissez-vous entrevoir quand même que certaines opérations de protection pourraient être nécessaires ? Quand vous avez établi la cartographie du sud de la France, en 1994, vous avez dû faire quelques préconisations ou remarques. Savez-vous si votre intervention a été prolongée par un autre bureau d'études ?

M. Denis BERTEL : Je connais mal ces études. Je n'étais pas encore au BCEOM quand elles ont été réalisées. C'étaient vraiment des études de connaissance, de cartographie et d'identification du risque, sans la moindre perspective de conception ou de proposition d'ouvrages régulateurs. En revanche, de nombreuses études que nous menons comportent deux volets : l'un relatif à l'identification du risque par modélisation et cartographie, l'autre, prospectif, consistant à étudier et à proposer des solutions ou des scénarios, d'ailleurs souvent complexes, d'amélioration de la situation par ouvrages de protection. C'est le cas des études assez lourdes que nous venons d'achever sur la Meuse, où nous avons proposé d'importants programmes pour améliorer la situation. Mais je ne pense pas que les études de 1994 dans le sud de la France allaient jusqu'à préconiser des ouvrages.

M. le Rapporteur : Votre expérience vous permet-elle d'établir des comparaisons entre la politique de lutte contre les inondations qui est menée en France et celles engagées à l'étranger ?

M. Denis BERTEL : Compte tenu du champ d'action de notre société, l'outre-mer, nous intervenons dans des pays pauvres ou en développement sur financement de bailleurs internationaux. Nos zones d'interventions ne sont pas l'Allemagne, l'Espagne ou l'Angleterre mais les Philippines, la Thaïlande, le Bangladesh. Dans ces pays, les phénomènes, et surtout la prise en compte sociale et financière du risque, sont très différents. En revanche, dans l'outre-mer français, nous avons des expériences assez intéressantes à la Réunion, aux Antilles, à Tahiti. Mais là encore, la culture du risque est très différente de celle de la métropole.

M. le Rapporteur : En quoi est-elle différente ?

M. Denis BERTEL : À la Réunion et aux Antilles, la maîtrise foncière est assez délicate. Il y a des installations un peu désordonnées. Quand le risque se concrétise, c'est une fatalité. On reconstruit à la hâte. L'habitat n'est pas du tout de même nature.

M. le Rapporteur : Considérez-vous qu'en France continentale, la culture du risque est plus développée ?

M. Denis BERTEL : Sans doute trop faible, mais plus développée que dans les zones dans lesquelles nous intervenons. Mais, elle n'est pas très forte. La mémoire est très courte. C'est sans doute un des aspects sur lesquels des améliorations doivent pouvoir être apportées. J'ai été frappé de constater, dans mes expériences antérieures, que les risques technologiques n'étaient pas du tout abordés de la même façon que les risques naturels. Il y a toute une stratégie de communication et d'information auprès des populations concernées, qui n'existe pas ou très peu dans le domaine des risques naturels.

M. Paul Dhaille : De quelle nature sont vos préconisations ? Concernent-elles l'aménagement du territoire - je pense aux bassins de rétention - ou bien l'aménagement des cours d'eau ? Y a-t-il des préconisations que vous souhaiteriez faire et que la législation vous empêche de faire ?

M. Denis BERTEL : Les préconisations peuvent être de toutes natures. Elles peuvent être à caractère public, par des ouvrages de protection traditionnels ou plus sophistiqués, du type de celui que nous avons mis en _uvre à Brives-Charensac. Ce sont soit des ouvrages locaux, soit des ouvrages éloignés, barrages ou équivalents. Elles peuvent être à caractère privé. Elles consistent alors à chercher à réduire la vulnérabilité des biens. Par exemple, pour une usine située en zone inondable - il y en a plusieurs sur la Meuse -, un ouvrage de protection n'étant pas forcément réaliste, nous suggérons d'agir à l'intérieur de l'usine pour réduire la vulnérabilité.

M. Paul DHAILLE : Faites-vous des préconisations en matière de zones d'expansion de crues ? Vous heurtez-vous au problème de la maîtrise foncière ou de l'indemnisation des propriétaires ?

M. Denis BERTEL : À notre niveau, nos préconisations restent assez techniques. Un maître d'ouvrage nous demande souvent de faire des préconisations techniques. La maîtrise foncière ou les discussions avec les propriétaires fonciers sont des sujets qui nous échappent.

M. Paul DHAILLE : Vous dites que vous travaillez dans des pays en voie de développement. Je suppose que la notion de cours d'eau y est différente de celle qui a cours dans un pays développé ou industrialisé.

Dans un pays en voie de développement, le cours d'un fleuve n'est pas fixé. En France, on a un cadastre en vertu duquel chaque mètre carré du territoire appartient à quelqu'un. En Grande-Bretagne à l'inverse, la notion de cadastre est totalement étrangère à l'esprit local. Dès lors, traite-t-on la notion de cours d'eau dans les pays en voie de développement ou dans les pays qui ignorent les notions de propriété et de domanialité de la même manière qu'en France ?

M. Denis BERTEL : On les traite très différemment. À l'étranger, nos solutions sont beaucoup plus lourdes et radicales. Nous sommes intervenus sur le Nil bleu et sur le delta du Gange et du Brahmapoutre où la crue est souhaitée car elle est un élément d'apport fertilisant. L'approche des problèmes est totalement différente.

M. le Président : Parmi vos clients français, avez-vous plusieurs ministères ou l'un d'entre eux est-il privilégié ? De nombreux ministères sont compétents sur ce sujet et nous avons parfois des difficultés à nous y retrouver.

M. Denis BERTEL : Nous aussi. Nous travaillons essentiellement pour deux ministères, le ministère de l'Équipement, des transports et du logement et le ministère de l'Environnement, généralement pour leurs services extérieurs.

M. le Rapporteur : De façon plus générale, notre démarche de législateurs vise à faire des propositions relevant de la loi ou du règlement. Dans votre vie professionnelle, rencontrez-vous des difficultés à propos desquelles vous pourriez faire des suggestions ?

M. Denis BERTEL : Au cours de l'histoire récente, les outils de prévention se sont succédé : plans de surfaces submersibles, dispositions de l'article R. 111-3 du code de l'urbanisme, plans d'exposition aux risques, plans de prévention des risques. Sans doute se sont-ils améliorés au fil du temps, mais c'est moins la qualité de l'instrument juridique que son application qui fait défaut. Si l'on considère la politique d'amélioration de la qualité de l'eau des cours d'eau, on s'aperçoit que des moyens totalement différents ont été mis en _uvre, tels que les agences de l'eau et surtout les instruments financiers correspondants. Certes, le bilan du fonctionnement des agences de l'eau est peut-être mitigé, mais il est clair que des moyens similaires n'ont pas été mis en place dans le domaine de la prévention et de la lutte contre les inondations.

On constate aujourd'hui un défaut de maîtrise d'ouvrage et d'outils financiers. Quand les maîtres d'ouvrage parviennent à se constituer, ils rencontrent souvent des difficultés pour dégager des moyens, voire pour savoir à qui s'adresser pour les trouver.

Par ailleurs, le traitement par l'assurance est un peu trop passif. Il est bien d'indemniser les gens qui ont été touchés mais on peut regretter que les flux financiers considérables qui circulent ne soient pas utilisés, au moins très partiellement, pour améliorer le niveau de protection des populations.

M. Paul DHAILLE : Pensez-vous que les agences de l'eau pourraient contribuer à la solution de ces problèmes ?

M. Denis BERTEL : Les agences de l'eau, ou leurs équivalents, constituent sans doute un outil qui a fait la preuve de son efficacité. Mais, la question est de savoir par quelles ressources financières elles pourraient contribuer à la mise en _uvre d'une politique de prévention.

M. le Président : D'un côté, il y a les agences de l'eau, qui ont des moyens mais pas de compétences en matière d'inondation, et, de l'autre côté, il y a les établissements publics territoriaux de bassin qui ont les compétences mais pas les moyens. On va les chercher pour assurer des maîtrises d'ouvrage, mais ils doivent chercher des financements pour réaliser les travaux.

M. Denis BERTEL : En outre, l'émiettement des compétences des services de l'État est assez déroutant et nuit certainement à l'efficacité du dispositif.

M. le Rapporteur : Quel serait le meilleur niveau d'intervention ?

M. Denis BERTEL : Aujourd'hui, la police de l'eau s'effectue au niveau départemental, qui n'est peut-être pas très adapté à la prise en compte de ce type de phénomène. Le minimum serait le niveau régional, l'idéal le niveau du bassin.

M. Paul DHAILLE : Les missions inter-services de l'eau n'ont pas résolu le problème ?

M. Denis BERTEL : Je n'ose pas m'exprimer franchement là-dessus. Les missions inter-services de l'eau représentent un effort très louable de concertation. Je n'en dirai pas plus. De telles mesures ne sont pas à l'échelle des problèmes.

Je vous rappelle les outils considérables qui ont été mis en _uvre dans le domaine de la pollution pour aboutir à des résultats. Les missions inter-services de l'eau améliorent certainement la concertation entre les services de l'État, mais cela ne suffit pas.

M. Paul DHAILLE : Les bassins versants peuvent être de très petite dimension. Ce que l'on appelle la vallée du Commerce représente deux cantons ou deux cantons et demi. Ou bien, si l'on pense au bassin versant de la Seine, cela relève quasiment de l'agence de l'eau.

M. le Rapporteur : Quelle est votre appréciation du système des PPR ?

M. Denis BERTEL : L'outil est théoriquement bon. Son inscription dans les documents d'urbanisme peine un peu. Je crois savoir que le nombre de PPR approuvés reste assez faible en comparaison du nombre théoriquement nécessaire.

M. le Rapporteur : Les moyens financiers ont été multipliés par quatre. On a le sentiment que l'on va sortir des PPR à la pelle. Est-ce une bonne solution ?

M. Denis BERTEL : Ce n'est déjà pas mal. Les PPR auraient déjà la vertu de limiter la spirale qui consiste à s'installer de plus en plus en zone inondable. C'est au moins un élément de préservation. Cela ne réglera pas tous les problèmes mais cela permettra à tout le moins de ne pas les aggraver. À condition bien entendu de les mettre réellement en _uvre.

M. le Président : Monsieur le directeur, nous vous remercions.

Audition de M. François BORDRY,
président de
Voies navigables de France,

de M. Benoît DELEU,
directeur de l'infrastructure et de l'environnement,

et de M. Patrick JUNOD,
subdivisionnaire de Gambsheim,

(extrait du procès-verbal de la séance du 3 juillet 2001 )

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

MM. François Bordry, Benoît Deleu et Patrick Junod sont introduits.

M. le Président leur rappelle le mode de fonctionnement de la commission et leur indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. François Bordry, Benoît Deleu et Patrick Junod prêtent serment.

M. le Président : Les conditions dans lesquelles les cours d'eau de notre pays sont entretenus sont au c_ur des interrogations de notre commission. Voies navigables de France (VNF) constitue, à ce titre, un interlocuteur essentiel. D'autant plus que vous avez récemment affirmé votre volonté d'accroître votre rôle dans la prévention et la gestion des crues. Vous nous direz comment vous envisagez cette nouvelle mission.

M. François BORDRY : Jusqu'en 1991, l'État gérait lui-même, par ses services du ministère de l'équipement, son réseau de voies navigables en France. Il avait confié en revanche à un établissement public, l'Office national de la navigation, la gestion du transport réglementé - les bourses d'affrètement et le tour de rôle, qui étaient de règle à l'époque - et l'animation du réseau. En 1991, l'État a réuni ces deux fonctions, l'exploitation et l'animation du réseau sous l'égide d'un seul établissement public, VNF, placé sous la tutelle du ministère de l'Équipement, des transports et du logement, et a doté cet établissement de ressources propres qui ont permis d'améliorer la gestion des voies d'eau qui lui ont été confiées.

La création de VNF correspond à la prise de conscience de la polyvalence de l'eau, puisque chaque usager doit contribuer à la restauration et à l'entretien du réseau, qu'il s'agisse de la navigation, du refroidissement des centrales thermiques d'EDF, de l'alimentation de villes comme Paris, (laquelle tire presque la moitié de son eau potable de la Seine et de la Marne), des industriels ou, dans une bien moindre mesure, des agriculteurs.

L'État a confié à VNF 6 700 kilomètres de canaux et de fleuves - 6 800 au départ, avant que la partie de la Loire comprise entre le bec de Vienne et le débouché de la Maine sur la Loire ne soit déclassée, après l'entrée en application de la loi Barnier.

Il faut savoir que les lois de décentralisation de 1982 permettent aux régions qui le souhaitent de demander la gestion des voies navigables traversant leur territoire. C'est pourquoi la gestion de la Somme a été transférée à la région Picardie, qui l'a confiée au département de la Somme et le réseau breton - le canal de Nantes à Brest, la Vilaine, la Mayenne, l'Erdre, une courte partie de la Charente - tranférée à la Bretagne et aux Pays de la Loire.

La création de VNF s'est accompagnée d'un élargissement des missions qui lui ont été confiées par l'État depuis la loi de finances de décembre 1990.

Ces missions sont les suivantes :

- exploiter, entretenir et améliorer les voies navigables, les ports fluviaux et les dépendances du domaine public dont la gestion lui a été confiée ;

- réaliser les infrastructures nouvelles du réseau en cohérence avec la perspective européenne, puisque celui-ci est très largement relié au réseau européen du Bénélux et de l'Allemagne ;

- gérer le domaine public fluvial de l'État ;

- centraliser et porter à la connaissance du public les renseignements de toute nature concernant l'utilisation des voies navigables, et donc gérer les statistiques ;

- rechercher tout moyen propre à développer l'utilisation des voies navigables et à en améliorer l'exploitation, ce qui a permis à VNF de développer le tourisme et la plaisance sur les voies d'eau à petit gabarit ;

- assurer les missions confiées à l'Office public de la navigation, qui gérait les bourses d'affrètement et un système de transport réglementé depuis 1941.

VNF est un établissement public de l'État, doté d'environ trois cents cinquante emplois privés et à la disposition duquel l'État a mis les services de navigation ou des directions départementales de l'équipement (DDE), pour la gestion de certains canaux et de rivières. Au total, 5 500 agents de l'État ont été mis à sa disposition. L'État paie les salaires de ces fonctionnaires, mais VNF définit la politique de gestion des voies navigables et apporte à ces services les financements nécessaires pour l'exploitation, la gestion et la restauration des voies navigables qui lui sont confiées.

VNF est ainsi composée de dix-sept directions régionales ou représentations locales, qui vont de grands bassins avec une direction interrégionale, comme celle de la Seine à Paris, jusqu'à de petits tronçons de rivières, éclatés dans certaines DDE, comme pour la Garonne, dans le Lot-et-Garonne, ou le canal de Roanne à Digoin. VNF compte sept directions régionales, le bassin de la Seine, le réseau du Nord-Pas-de-Calais, le réseau de Lorraine - la Meuse et la Moselle et les canaux qui leur sont liés -l'Alsace, le bassin Rhône-Saône et les canaux du Centre. C'est la DDE de la Nièvre qui gère les canaux du centre jusqu'au débouché de la Seine à Morêt-sur-Loing, travaillant bien au-delà de son territoire routier.

Les chefs des services de la navigation ou les directeurs départementaux de l'équipement responsables d'un service hydraulique sont en même temps les directeurs régionaux de VNF et représentent l'établissement localement.

Hormis ces missions, les services de navigation exercent, pour le compte de l'État et sous l'autorité des préfets, certaines missions régaliennes : la police de l'eau pour le compte du ministère de l'Environnement, la police de la navigation pour le compte du ministère de l'Équipement, des transports et du logement, la gestion des cours d'eau domaniaux non navigables (souvent l'amont des cours d'eau navigables) pour le compte du ministère de l'Environnement. Ils participent également au service d'annonce des crues et, le plus souvent, en assurent la gestion.

Ainsi, si les missions de VNF ne couvrent pas l'ensemble des usages de la voie d'eau, les directions régionales de VNF, services de la navigation, rassemblent les compétences pour agir pour le compte de différents maîtres d'ouvrage publics - ministère de l'Équipement, des transports et du logement, ministère de l'Environnement, collectivités locales. À titre d'illustration, M. Junod pourra évoquer l'implication du service de Strasbourg dans le montage des dossiers d'action de restauration écologique de la bande rhénane ou celle du service de Nancy dans des études de protection contre les crues de la Meuse à Charleville-Mézières.

À la suite des crues de cette année, de nombreux problèmes ont été découverts, qui posent à nouveau la question de la politique d'aménagement des rivières et du rôle du gestionnaire du cours d'eau dans la gestion hydraulique. Nous avons eu des inondations dans l'ensemble des bassins du Nord de la France et du Rhône. Seul le Midi méditerranéen a été épargné, pour une fois. Nous avions connu précédemment des inondations de caractère tout à fait différent, de type torrentiel, qui avaient fortement endommagé le canal du Midi, à certains endroits.

Ces crues ont provoqué des arrêts de la navigation sur les voies d'eau gérées par VNF. Le réseau à grand gabarit a été interrompu sept jours consécutifs sur le Rhin, quatre jours sur la liaison du Nord-Pas-de-Calais entre Dunkerque et l'Escaut, six jours sur la Saône, quatre jours sur le Rhône et dix-huit jours à Paris sur la Seine, où la crue a été particulièrement longue. Le réseau à petit gabarit a également été fortement touché. L'Yonne a été interdite à la navigation trente-neuf jours dans le bief de Saint-Martin, près de Sens, et soixante jours sur le canal du Nivernais.

Ces crues ont occasionné des dégâts. Nous avons dû mobiliser une enveloppe de 25 millions de francs sur notre propre budget pour revenir à des conditions normales de navigation. La priorité a été accordée au rétablissement des profondeurs : un crédit de 14 millions de francs a été ouvert pour des travaux de dragage à cause des atterrissements déposés par les crues, y compris sur la Seine. Au sortir de certains ouvrages, la crue n'était pas encore terminée que les bateaux commençaient déjà à talonner.

De plus, sur la Somme, nous avons effectué des pompages exceptionnels. Nous avons dû abaisser l'amplitude des niveaux de navigation sur le canal du Nord (qui, à cet endroit, est une partie de la Somme amont) en limitant les heures de franchissement des écluses, à cause des perturbations provoquées par les pompages d'eau. Nous avons même dû subventionner les transporteurs qui ont été pénalisés par ces réductions de navigation car contraints soit de faire le tour par le canal de Saint-Quentin, ce qui allongeait la durée du trajet d'un ou deux jours, soit d'attendre le lendemain pour pouvoir passer.

De plus, pour les opérations de pompage, les agents de l'établissement sont allés prêter main forte à nos services du canal du Nord et à la DDE sur la Somme aval.

Les services mis à la disposition de VNF aident souvent les collectivités locales à gérer les problèmes de crues. Le service de navigation a été très impliqué dans la crue de la Somme. Cela a été également le cas là où nous sommes fortement implantés, notamment dans tout le bassin de la Seine et le réseau du Nord-Pas-de-Calais où, fait exceptionnel, les canaux servent à faire transiter les crues du bassin de l'Escaut vers le bassin de la Deûle et de la Lys, puis vers le bassin de l'Aa, près de Dunkerque. Les décisions de transfert d'eau via le canal à grand gabarit sont prises par le préfet.

Nous intervenons aussi sur la Meuse, qui a fait l'objet de deux crues centennales, en 1993 et 1995, sur la Moselle, sur le Rhin et sur le bassin de la Saône et du Rhône.

Sur les bassins où VNF est présent, l'ensemble des compétences, dans le domaine des transports, de la plaisance, de la restauration du réseau et même de la gestion de l'eau en cas de crue, sont réunies au sein des services de la navigation mis à disposition de VNF. Certaines sont assurées pour le compte de VNF et d'autres pour le compte de l'État, car ce sont des missions régaliennes. Par ailleurs, il convient de signaler que la montée en puissance de VNF depuis dix ans a été accompagnée d'une volonté très forte de fédérer autour de l'établissement l'ensemble des collectivités territoriales et des partenaires, notamment les professionnels, avec des objectifs d'aménagement du territoire et de développement du transport, du tourisme et des loisirs de proximité.

Nous pensons qu'il n'est plus temps pour VNF de se replier sur sa responsabilité propre, qui se limite à l'entretien du chenal de navigation et à la gestion de la partie strictement navigable du cours d'eau. VNF n'a reçu ni la mission ni les moyens financiers de s'engager dans une politique propre de lutte contre les inondations. Il importe de rappeler que, selon la loi de 1807, la protection contre les crues appartient aux riverains et que la loi de 1992 permet aux collectivités de se substituer aux riverains défaillants. C'est une évidence mais certains propos ont pu laisser croire - je pense à la Meuse ou aux crues de l'Oise, il y a quelques années -, que l'État seul avait compétence en la matière. Il va de soi que le problème est bien plus complexe.

Cependant, l'organisation de la gestion de l'eau est difficile à lire. La notion de polyvalence de l'eau est complexe et les intervenants nombreux. Nous sommes conscients de la nécessité pour VNF de sortir de ce strict rôle de gestion de la seule navigation. Nous l'avons d'ailleurs fait, d'une certaine manière, grâce aux compétences techniques de nos directions régionales.

Je prendrai l'exemple de la charte de gestion du risque inondation sur les bassins versants de l'Aisne et de l'Oise, signée en janvier dernier. Cette charte porte sur des actions relevant de la compétence de l'État, à savoir l'annonce des crues et l'élaboration des plans de prévention des risques (PPR), mais aussi sur des actions relevant de la compétence des collectivités locales, à savoir l'Entente interdépartementale Oise-Aisne, qui existe depuis longtemps. Il s'agit de la restauration des champs d'expansion des crues et de la construction des digues de protection. Elle prévoit également le renforcement de cette structure interdépartementale, maître d'ouvrage des travaux de protection contre les inondations.

Elle comporte un chapitre relatif au programme d'aménagement de l'Oise, proposé par VNF et par l'État aux collectivités locales. Sans entrer dans le détail, ce programme prévoit notamment la reconstruction de sept barrages sur l'Oise, à l'aval de Compiègne, et la fiabilisation des barrages d'Andrésy et de Denouval sur la Seine, au débouché de l'Oise.

La modernisation de ces barrages, rendue nécessaire par leur vétusté et les dangers qu'entraîne leur exploitation, permet également une gestion plus fine de la ligne d'eau, ce qui aura une incidence positive sur l'écoulement des eaux, surtout au début de la montée des eaux.

Il s'agit donc d'un programme mixte qui intéresse non seulement la navigation mais aussi, et très largement, les populations locales.

Cette charte a le mérite de rappeler les responsabilités des uns et des autres et la répartition des financements. Elle positionne l'établissement public comme un partenaire des collectivités locales, sans faire supporter par son budget des financements pour la lutte contre les crues auxquels il ne pourrait naturellement pas faire face. Nous sommes maîtres d'ouvrage de ce qui nous concerne, c'est-à-dire le programme de barrages. Nous pouvons également être maître d'_uvre, conducteur d'opération, coordonnateur du reste du programme pour l'ensemble des besoins, le maître d'ouvrage restant l'entente interdépartementale, c'est-à-dire les collectivités territoriales.

Nous sommes gestionnaires d'une partie importante du réseau français. L'État pourrait, s'il le souhaitait, dans un souci de lisibilité, confier à VNF, sur les bassins où il est fortement présent, tels que la Seine, le Nord-Pas-de-Calais, la Meuse, la Moselle, le Rhin et le bassin Saône-Rhône, la coordination et la fédération de l'ensemble des opérateurs chargés de la protection contre les crues. L'établissement pourrait être maître d'_uvre, conducteur d'opération - on ne dit plus maître d'ouvrage délégué -, c'est-à-dire que les maîtres d'ouvrage réels resteraient responsables de l'apport financier. Si l'État en décidait ainsi, VNF pourrait sortir de son strict rôle de gestion de la navigation. L'ensemble des missions confiées aux services mis à disposition de VNF pourraient être chapeautées par l'établissement public afin que les collectivités et l'opinion publique aient, sur ces bassins, un interlocuteur unique assumant clairement la responsabilité de l'animation du réseau contre les crues.

Telle est la réforme que j'ai proposée au ministère de l'Équipement, des transports et du logement. À l'État d'en décider. Lors des crues de la Somme, les journalistes et de nombreux opérateurs se tournaient vers nous. Nous n'étions pas gestionnaire du réseau concerné, si ce n'est à l'amont, et donc seulement indirectement impliqués. Par conséquent, la première mesure de lisibilité serait que l'État confie l'ensemble de la mission de fédération des opérateurs à VNF, ceux-ci restant apporteurs des financements nécessaires. La loi dit, en effet, clairement que les collectivités locales ou les riverains sont responsables du financement.

M. Junod va nous décrire la situation sur le Rhin. Elle est un bon exemple d'imbrication de l'intervention de VNF et des services de l'État pour le système d'alerte contre les crues, la restauration écologique du Rhin, après les endiguements effectués à l'amont par EDF sur le grand canal d'Alsace et, phénomène particulier lié au droit local alsacien, la mobilisation des habitants pour la protection des digues.

M. Patrick JUNOD : Je suis subdivisionnaire du service de la navigation à Gambsheim, mis à disposition de VNF. Gambsheim se situe à quinze kilomètres à l'aval de Strasbourg, sur le Rhin.

M. François BORDRY : Ce sont les premières écluses à l'aval de Strasbourg.

M. Patrick JUNOD : Ce sont les plus grandes écluses de navigation intérieure française, avec un trafic supérieur à vingt-cinq millions de tonnes l'an passé. Gambsheim est également le siège du centre d'alerte du Rhin, le « Centre d'alerte rhénan et d'informations nautiques de Gambsheim », le CARING. Il s'est développé depuis une vingtaine d'années, mais surtout après l'incendie de l'usine Sandoz en Suisse, dont tout le monde se souvient. Il est destiné à lutter contre les pollutions sur le plan international, à assurer le suivi du transport des matières dangereuses et à surveiller les crues.

Ce centre qui fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre gère les 183 kilomètres du Rhin franco-allemand entre la Suisse et l'Allemagne.

Les financements pour le développement de ce centre sont divers. Ils proviennent du ministère de l'Équipement, des transports et du logement, du ministère de l'Environnement, de l'agence de l'eau, de VNF et des fonds européens par l'intermédiaire de la Commission internationale pour la protection du Rhin.

Nous assumons les tâches régaliennes qui incombent au service de la navigation de l'État. Nous travaillons directement sous couvert des préfets du Haut-Rhin et du Bas-Rhin et du préfet de région. VNF est largement impliqué, puisque, en application du droit local, l'établissement finance la construction, la gestion et l'entretien des digues de hautes eaux sur le « Rhin à courant libre », c'est-à-dire sur les vingt kilomètres restant sur le territoire français jusqu'à la frontière allemande.

La construction des digues a été réalisée dans le cadre de conventions internationales franco-allemandes, en particulier celle du 6 décembre 1982. Depuis 1991, VNF s'est substitué à l'État.

Le droit local présente l'avantage de permettre de faire appel à la population en demandant aux maires de réquisitionner les hommes de 17 à 60 ans. Nous avons des équipes organisées par commune, notamment sur cinq communes riveraines. Nous pouvons ainsi mobiliser rapidement environ 350 personnes par jour, vingt-quatre heures sur vingt-quatre qui, par équipes, signaleront tous les problèmes rencontrés sur les digues.

Le deuxième volet est l'implication de VNF dans la restauration des écosystèmes. Nous avons un programme important qui va s'amplifier dans le cadre de la convention Rhin 2020, signée à Strasbourg le 29 janvier 2001 par les ministres concernés. Nous assurons la maîtrise d'_uvre, le plus souvent pour le compte de collectivités locales, des opérations de restauration des écosystèmes, la reconnexion d'anciens bras du Rhin afin de redynamiser les cours d'eau, la création de zones d'expansion des crues, en particulier des polders. Là aussi, il y a une implication directe de VNF qui gère des crédits ouverts par l'Allemagne. Ces polders sont de grands bassins de rétention. L'implication de VNF s'est déjà concrétisée par la construction d'une passe à poissons sur le dernier barrage à l'aval de Gambsheim, qui a coûté 55 millions de francs, dans le cadre d'une convention franco-allemande signée le 4 mars 1997. Celle-ci débouchera, dans deux ans, sur la construction d'une autre passe à poissons, la plus grande d'Europe, à Gambsheim, pour la remontée de tous les grands migrateurs, en particulier le saumon.

Le programme Rhin 2020, qui fait suite au programme Action Rhin, a pour premier objectif des restaurations à court terme, à horizon 2005. La dépense prévue sur le plan international est de 5 milliards d'euros (32,6 milliards de francs).

L'exemple du Rhin, fleuve international, montre l'imbrication des services de l'État et de VNF et la nécessité de « superposer les casquettes » pour la gestion des grandes crues et des grands événements.

M. François BORDRY : On constate en effet, sur de nombreux bassins où nous sommes présents, une imbrication étroite des fonctions et des missions. Quel que soit le responsable final de la mission, ce sont les services mis à disposition de VNF qui regroupent l'ensemble des compétences.

Pendant très longtemps, nous nous sommes réfugiés derrière les missions déléguées par l'État et qui concernaient strictement la navigation. Notre budget de 1,5 milliard de francs suffit à peine à la restauration du réseau navigable. Il n'est pas question pour nous d'envisager des programmes de prévention d'inondations compris entre 1 et 3 milliards de francs sur la seule Somme et de plusieurs milliards de francs sur chacun des bassins de navigation.

Nous pensons aujourd'hui être sortis de cette ambiguïté et avoir bien fait comprendre que nous pouvions être fédérateurs et coordonnateurs dans un certain nombre d'autres domaines pour le compte de l'ensemble des maîtres d'ouvrage qui, bien entendu, resteraient responsables de l'apport des financements nécessaires. L'État doit en décider, puisque nous sommes un établissement public sous sa tutelle.

M. le Président : Vos sept grandes divisions correspondent-elles à peu près aux six grands bassins des agences de l'eau ou bien le découpage est-il fort différent ?

En évoquant les bassins de navigation, vous avez précisé que vous pourriez être fédérateur des opérateurs. Cela serait-il possible, sur l'ensemble du territoire ou plutôt sur les bassins où vous êtes déjà relativement fédérateur, puisque de nombreux services de l'État ont été mis à votre disposition ?

M. Junod a évoqué le centre d'alerte sur le Rhin et les 350 personnes qui peuvent fournir des informations. Quel est leur rôle ? Ce centre fonctionne-t-il avec des portables ou bien grâce à des radars et à des satellites ou dispose-t-il encore seulement de moyens archaïques ?

Enfin, vous avez dit que cinq milliards d'euros allaient être consacrés au plan sur le Rhin. Concernent-ils les 170 kilomètres de ce fleuve ou une partie moindre ? Portent-ils sur la totalité de la période ? Au plan international, quelles sont vos relations avec vos partenaires étrangers ?

Je laisserai le soin à mes collègues de vous poser des questions précises sur les canaux de la Somme. J'ajouterais que, ce matin, un intervenant nous a dit qu'il y avait beaucoup de travaux à faire sur les canaux de Bretagne mais que personne ne voulait payer. Ainsi donc, lorsque les cours d'eau ont été concédés, vous n'avez plus aucune responsabilité en matière de travaux d'entretien.

M. François BORDRY : Aucune. Le seul cas de mixité est celui du canal du Nivernais, dont la partie la plus étroite, là où les écluses sont inférieures au gabarit Freycinet, avaient été concédées au département en 1971, avant la création de VNF. La DDE, direction interrégionale de VNF, gère la partie concédée pour le compte du département. Mais VNF en tant que tel n'intervient pas.

Le découpage géographique des agences de l'eau ne correspond pas tout à fait au découpage administratif de VNF ou des bassins de navigation. Il est presque identique pour ce qui concerne l'agence de l'eau Seine-Normandie. Le champ d'action de l'agence de l'eau Artois-Picardie correspond assez bien au découpage du réseau VNF dans le Nord de la France. Nous sommes très peu concernés par l'agence de l'eau Loire-Bretagne. Nous gérons quelques ouvrages à l'amont de la Loire, soit parce qu'il y a des barrages de prise d'eau, soit parce que, comme à Decize, les bateaux traversent la Loire pour relier le canal du Nivernais au canal latéral. L'agence Rhin-Meuse correspond pour nous à deux directions régionales, celles du bassin de Moselle-Meuse et celle du bassin du Rhin. L'agence du bassin Rhône-Saône-Méditerranée-Corse correspond assez bien au bassin de la Saône et du Rhône. Concernant enfin le bassin Adour-Garonne, nous ne gérons pas véritablement la Garonne. Nous gérons uniquement le canal du Midi et le canal latéral à la Garonne. Nous avons quelques délégations locales qui gèrent la Garonne réputée navigable, mais nous ne sommes pas organisés sur ce fleuve.

Nous ne pourrions pas prendre cette responsabilité sur l'ensemble de la France, en particulier sur la Loire dont nous ne sommes pas gestionnaire sauf à l'aval, et sur le bassin de la Garonne. En revanche, nous pourrions le faire sur le bassin de la Seine, le bassin Artois-Picardie, le bassin de l'Escaut et des rivières et canaux du Nord, le bassin de la Meuse, le bassin de la Moselle, le bassin du Rhin et le bassin Rhône-Saône, en liaison avec la Compagnie nationale du Rhône qui gère les barrages hydroélectriques. Cela correspond tout de même à une bonne partie des bassins fluviaux français.

Quant à votre question sur le centre d'alerte du Rhin, je propose que M. Junod y réponde. En tout cas, je tiens à dire que l'Allemagne est un partenaire avec lequel la coopération est aisée.

M. Patrick JUNOD : Notre centre d'alerte dispose de différents moyens. En matière de crues, nous disposons d'informations à partir de modèles de prévision. Il existe un modèle suisse qui nous donne une vue à soixante heures, un modèle EDF, qui gère les ouvrages de navigation et les ouvrages hydroélectriques entre Bâle et Strasbourg, un modèle basé à Grenoble qui nous fournit des informations avec des projections à six heures et un modèle allemand, situé à Karlsruhe, juste à l'aval de la frontière allemande. Calés entre tout cela, nous parvenons très bien à appréhender les phénomènes, à apprécier l'importance des crues et à déclencher les alertes en temps voulu.

En revanche, nous souhaitons développer notre propre modèle. Nous constituons actuellement un dossier qui sera présenté à la Commission internationale pour la protection du Rhin en vue de trouver un financement avec d'autres partenaires, sans doute l'État français et VNF.

Concernant les habitants de villages constitués par équipes, en liaison avec les maires et les sous-préfets, nous informons régulièrement les populations afin de leur montrer l'importance que revêt cette action et l'intérêt qu'elles ont à protéger leur commune et leurs biens. Jadis, les agriculteurs avaient parfaitement conscience de protéger leurs animaux et leurs propres vies. On trouve maintenant beaucoup de frontaliers. C'est pourquoi nous communiquons régulièrement afin de continuer à mobiliser les riverains.

Comment nous informent-ils ? Nous leur remettons du matériel. Chaque digue est assortie d'une maisonnette dotée de tout le matériel de première urgence : sacs, sable, ficelles, ciseaux, pelles, grillage. Ils sont équipés de radios portables en liaison avec tous nos véhicules, qui patrouillent nuit et jour dans le secteur. Dès qu'ils signalent une difficulté, un véhicule intervient et le CARING reçoit bien entendu l'information. Nous étudions la possibilité d'utiliser des téléphones portables, plus fiables, bien que nous constations encore, le long du Rhin, des interférences entre les réseaux allemand et français.

Ces personnes ont des carnets avec des consignes simples, telles que regarder la couleur de l'eau. Une eau trouble vient de la digue, une eau limpide vient de la nappe phréatique. Nous avons placé à tous les points sensibles des digues des échelles relevées une fois par heure. Cela nous permet de reconstituer le lais des crues et d'entreprendre, le cas échéant, des travaux de confortement des digues.

Le programme de protection du Rhin, doté d'un financement de 5 milliards d'euros s'intitule Rhin 2020. C'est un programme européen qui concerne le Rhin de l'aval du lac de Constance jusqu'à la mer du Nord. Les 5 milliards d'euros devraient être débloqués pour les cinq premières années. Ce plan est très ambitieux car il s'agit, dans les cinq premières années, de reconstituer vingt kilomètres carrés de zones d'expansion des crues et de reconnecter des dizaines de bras d'eau. La France sera impliquée dans ce programme dans une proportion qui reste à définir.

Nous avons de plus en plus de contraintes d'ordre écologique, d'où la nécessité de réaliser des études d'impact très lourdes pour intégrer toutes les directives européennes - oiseaux, habitats, eau - et la loi sur l'eau de 1992. Dès lors, nous prenons un certain retard mais il y a une volonté générale d'aboutir.

M. le Rapporteur : Vous ouvrez une piste dans la mesure où vous pourriez être le coordonnateur de la lutte contre les inondations, non pas sur l'ensemble du territoire, puisque vous n'êtes pas présent partout, mais sur une grande partie de celui-ci. Nous avons bien compris que votre budget ne permettrait pas d'alimenter cette lutte. Envisagez-vous de vous charger de l'ensemble des aspects de la lutte contre les inondations, y compris de l'entretien et de la mesure des risques ?

Nous constatons également la difficulté de déterminer un interlocuteur unique. Il nous semble intéressant de pouvoir désigner un maître d'ouvrage unique, encore faut-il que quelqu'un prenne la décision politique et financière. Qui, selon vous, peut être cet interlocuteur ?

M. François BORDRY : Naturellement, il convient en premier lieu de préciser le cadre juridique et financier de notre action. Effectivement, les services de VNF sont les opérateurs principaux, quasiment essentiels, sur ces bassins. Par conséquent, l'établissement public pourrait se charger lui-même de fédérer l'ensemble des partenaires, s'ils en sont d'accord. Il va de soi que lorsque nous disposons d'interlocuteurs comme les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), cela peut faciliter les choses. Lorsqu'il n'y en a pas, le résultat ne peut être atteint que si l'ensemble du secteur accepte la coordination, avec les décisions financières qui en découlent. Comme je l'ai dit, ce sont souvent des aménagements à but partagé et, par conséquent, les financements ne peuvent être que croisés.

M. le Rapporteur : Je vais bien sûr vous interroger sur la Somme. Vous avez évoqué la gestion des transferts d'eau de canal à canal, dans le Nord.

M. François BORDRY : Les transferts d'eau se font plutôt de rivière à rivière par les canaux.

M. le Rapporteur : Le rapport Lefrou indique que vous avez arrêté les restitutions d'eau vers le canal de la Somme le 26 avril 2001.

M. Benoît DELEU : C'est exact.

M. le Rapporteur : En lisant le rapport, mes concitoyens de la Somme vont continuer à s'interroger. On va dire : s'ils ont arrêté l'écoulement des eaux, c'est qu'elles coulaient dans la Somme. Pourquoi l'ont-ils arrêté le 26 avril et pas plus tôt ?

M. François BORDRY : Le système hydraulique de la Somme, comme l'ensemble du réseau du Nord, est extrêmement compliqué.

VNF gère le canal de la Somme à l'amont, lequel reçoit de l'eau par une rigole qui vient de l'Oise. Il existe une série de transferts d'eau entre le système hydraulique de l'Oise et le système des canaux du Nord, le bassin de l'Escaut et de la Sensée. C'est un système très imbriqué, avec des pompages. La partie du canal du Nord, qui est en fait la Somme canalisée, comporte des biefs de partage qui ont besoin d'alimentation en eau par pompage à partir de l'Oise, au sud, et à partir du canal Dunkerque-Valenciennes, au nord. Ces pompages sont mis en _uvre en cas d'étiage. Bien entendu, toute cette tuyauterie d'apport d'eau est fermée en cas de trop fortes eaux.

Par ailleurs, un certain nombre d'affluents de la Somme se déversent maintenant dans le canal parallèle à la Somme. Cette eau est restituée à la Somme après avoir été court-circuitée par le canal. L'ensemble des échanges a été fermé dès l'annonce de la crue sur la Somme.

M. Benoît DELEU : Concernant l'indication figurant dans le rapport Lefrou selon laquelle on a arrêté de déverser de l'eau dans la Somme à partir du 26 avril, il faut être conscient que les canaux, notamment le canal du Nord, ont été conçus essentiellement pour la navigation, de manière à ce que le niveau d'eau soit maintenu sensiblement constant, c'est-à-dire avec une amplitude de l'ordre de trente centimètres, afin d'avoir à la fois des enfoncements et des tirants d'air suffisants pour faire passer les bateaux sous les ponts.

M. François BORDRY : C'est donc la Somme elle-même qui est la variable d'ajustement.

M. Benoît DELEU : Il existe un autre élément lié à la sécurité. Les canaux étant conçus pour un certain niveau d'eau, si celui-ci augmente, la pression se fait plus forte, ce qui provoque des risques d'effondrement des digues. C'est la raison pour laquelle le système de gestion de l'eau prévoit de tout mettre en _uvre pour que le niveau d'eau soit maintenu à peu près constant, avec une certaine variation.

Le canal du Nord présente la particularité d'être traversé par trois affluents de la Somme : la Beine, l'Allemagne et le Lingon qui, en période de crue de la Somme, ont apporté de l'eau dans ce canal. Il existe historiquement un trop-plein que le déversoir d'Epenancourt régule. L'eau provenant des trois affluents est rejetée dans la Somme et des lâchers d'eau sont possibles aux écluses de Sormont, un peu plus en aval, qui rejettent, non pas dans la Somme, mais dans le canal de la Somme, géré par le département.

Il a été possible, le 26 avril, de fermer le déversoir d'Epenancourt, afin de limiter les apports d'eau dans la Somme, lesquels sont d'ailleurs marginaux en comparaison de son débit à cette époque. Cette fermeture a été possible à cette date parce que les crues de l'Oise venaient de se terminer.

Il était donc possible de rejeter de l'eau dans le bassin de l'Oise. De plus, les débits provenant des cours d'eau que j'ai cités tout à l'heure pouvaient être repris par un système de pompage qui remontait l'eau, d'une part, vers le bassin de la Sensée, dans le Nord-Pas-de-Calais, et, d'autre part, vers le bassin de l'Oise.

Il a fallu ajouter des pompes pour augmenter le débit de pompage vers le bassin de l'Oise. On est ainsi passé de 2 m3/s à 3 m3/s. Étant donné que, sur le canal du Nord, des lâchers d'eau entre cinq heures et dix heures du matin et entre seize heures et vingt heures n'étaient pas compatibles avec la navigation, on a interrompu celle-ci.

M. François BORDRY : L'Oise est restée en état d'alerte jusqu'au 24 ou 25 avril. Avant cette date, il n'était donc pas possible de lui ajouter de l'eau.

M. le Rapporteur : Considérez-vous que la communication a été efficace à ce sujet ?

M. François BORDRY : Il faut s'habituer à bien communiquer en cas de crise. Il faut reconnaître que l'imbrication des réseaux d'eau est tellement compliquée que la communication n'est pas simple. Nous aurions pu faire mieux en termes de communication locale en réagissant plus rapidement.

Encore faut-il savoir qui est responsable. Les pompes qui ont été installées sur le canal pour remonter de l'eau vers l'Oise étaient-elles vraiment sous la responsabilité de VNF ou sous la responsabilité du préfet au titre de la gestion des crues et de la protection civile ? Qui doit être l'opérateur ? Actuellement, d'une certaine manière, il y a beaucoup de pilotes dans l'avion, ce qui complique la gestion des crises.

M. le Rapporteur : L'Oise ayant atteint un niveau limite, vous aviez pris la décision de ne pas renvoyer d'eau vers l'Oise ?

M. François BORDRY : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Pendant ce temps, la Somme a débordé. C'est donc vous qui avez pris la décision. Est-ce vraiment de votre responsabilité ?

M. Benoît DELEU : En l'occurrence, les termes se sont posés différemment. La décision a été prise de renvoyer de l'eau sur l'Oise. Il a fallu mettre en place un système de pompage exceptionnel pour y parvenir.

M. François BORDRY : Sous l'autorité du préfet et du ministère ! Pas de notre propre initiative.

M. le Président : À la lueur des propos que vous avez tenus sur ces pompages, la question est de savoir qui pilote les opérations. À la suite des événements qui se sont produits, peut-être apparaîtra-t-il nécessaire de prendre de nouvelles dispositions.

M. le Rapporteur : On a par ailleurs mis en cause l'installation de fibres optiques le long du canal de la Somme. Pensez-vous que cela était de nature à affaiblir le canal ?

M. François BORDRY : À ma connaissance, elles ont été posées à quatre-vingts centimètres de profondeur, sous le chemin de halage, comme pour des fils téléphoniques. Il n'y a eu aucune rupture de berge ni de digue. Cela ne change rien à l'écoulement des eaux. Il ne peut donc y avoir aucune implication.

M. le Rapporteur : Est-ce qu'un meilleur entretien des cours d'eau aurait permis de limiter l'effet des inondations ?

M. François BORDRY : Je ne peux pas vous répondre. Nous gérons le canal de la Somme à l'amont, mais pas la rivière. Je n'en suis pas persuadé puisque, de toute façon, il faut que l'eau passe. Je ne vois pas comment elle aurait pu passer différemment.

M. le Président : Je suppose que vous avez une très grande connaissance de l'ensemble des cours d'eau sur lesquels vous intervenez. Le sujet des inondations vous intéresse donc potentiellement. Avez-vous des relations avec l'ensemble, - et ils sont nombreux ! - de ceux qui s'occupent des inondations ? Est-ce qu'ils vous questionnent ? Est-ce que vous leur apportez de l'information ? Pouvez-vous leur fournir des études que vous avez réalisées et leur apporter des conseils ?

M. François BORDRY : Il est des endroits où la coopération inter-collectivités locales est forte. Sans parler de la Loire, je pense à l'Aisne et à l'Oise où une entente interdépartementale existe depuis une trentaine d'années et est devenue relativement efficace assez récemment. Nous avons collaboré très étroitement avec celle-ci, les différents services de l'État et les agences de l'eau qui, sous un angle ou sous un autre, participent aux réflexions sur les rivières. Nous avons abouti tous ensemble, mais nous en avons été largement les opérateurs, à une modélisation mathématique de l'Oise qui permet de mesurer précisément l'impact sur l'aval de digues ou de n'importe quel aménagement - barrage, par exemple - à l'amont.

Il existe sur le terrain des rapports naturels souvent étroits, pas toujours très formalisés, avec les acteurs locaux de la rivière. À certains endroits, la coopération est traditionnelle et ancienne. Ailleurs, elle est plus récente, pas toujours très formalisée et peut d'ailleurs créer des illusions. Ainsi, lors des crues de 1993 et 1995, l'Établissement public pour l'aménagement de la Meuse et de ses affluents (ÉPAMA) a été présenté comme étant la solution miracle aux problèmes d'inondations. Certes, c'est une institution importante et coordinatrice, mais quand on connaît le montant du budget de fonctionnement de l'ÉPAMA, on a quelques doutes sur ses capacités de maîtrise d'ouvrage ou de réelle fédération des acteurs de la région. Là, d'une certaine manière, VNF joue un rôle de pilote afin d'essayer d'entraîner tous les acteurs.

M. Paul DHAILLE : Vous avez évoqué la gestion par VNF des cours d'eau navigables. Or j'avais compris que l'entretien du chenal de la Seine revenait aux ports autonomes.

M. François BORDRY : Non !

M. Paul DHAILLE : Quels sont les rapports entre VNF et les ports autonomes ?

M. François BORDRY : Seuls certains ports sont autonomes.

M. Paul DHAILLE : Qu'en est-il du port de Rouen, par exemple ?

M. François BORDRY : C'est un port autonome, qui est chargé de l'entretien de son chenal maritime. En revanche, la situation du port autonome de Paris, est plus compliquée car le directeur régional de VNF pour le bassin de la Seine est aussi le directeur général du port autonome de Paris. On peut parfois avoir l'impression que l'un fait le travail de l'autre, selon la casquette sous laquelle on s'adresse à Gilles Leblanc, l'actuel directeur. Le chenal de la Seine relève bien de la responsabilité de VNF, le port autonome étant affectataire de terrains à sec au bord de la rivière et d'une part de la rivière à l'approche de ces terrains, quelques mètres au-delà du quai.

M. Paul DHAILLE : Il n'empêche qu'il effectue les travaux de dragage.

M. François BORDRY : Pour l'entrée du port de Gennevilliers.

M. Paul DHAILLE : Le canal maritime qui va du Havre à Rouen relève bien du port autonome. Est-ce sous votre surveillance ?

M. François BORDRY : Les péniches ne vont pas au port du Havre par la Seine jusqu'au bout mais par le canal de Tancarville. Bizarrement, pour une raison historique que j'ignore, ce canal est resté directement placé sous la responsabilité de l'État et non de VNF. Mais le directeur du service maritime et de navigation de Rouen est également directeur régional de VNF, lequel est en même temps directeur du port autonome de Rouen. Il y a donc là aussi une imbrication très forte de nature à entraîner des confusions, mais c'est le port qui entretient le chenal.

M. Paul DHAILLE : Cela me conduit à ma deuxième question. Les voies d'eau sont des systèmes complexes, non seulement en terme d'hydraulique mais aussi par le nombre des intervenants. Sur la Seine, par exemple, il y a EDF, VNF, les préfets, les ports autonomes. Qui prend les décisions, par exemple de gestion des barrages, et arbitre entre des intérêts qui peuvent être contradictoires ? Sans être dans la même situation que mon collègue de la Somme, nous qui sommes dans la basse Seine, nous avons l'impression que l'on prend les décisions de lâchers d'eau en fonction de la situation de Paris et non en fonction de celle des raffineries de la basse Seine.

M. François BORDRY : La complication est encore plus grande que vous ne le pensez. Les barrages en amont de la Seine ont été réalisés par les collectivités territoriales. Puisque ce sont des ouvrages écrêteurs de crues, ce sont elles qui gèrent les lâchers d'eau à partir d'eux et non VNF.

M. Paul DHAILLE : Qui prend la décision de lâcher ou de ne pas lâcher d'eau ? Les préfets ont-ils un pouvoir dans ce domaine ? Prennent-ils les décisions en dernier ressort ? Qui décide entre le préfet de Paris, le préfet de Haute-Normandie et le préfet de Basse-Normandie ?

M. François BORDRY : Le préfet de la région Ile-de-France est coordonnateur de bassin.

M. Paul DHAILLE : C'est donc Paris qui commande.

M. François BORDRY : Tout à fait.

M. le Président : C'est le préfet de la région parisienne qui a signé à Laon, qui n'est pas dans la région Île-de-France, une charte avec l'Entente interdépartementale Oise-Aisne.

M. Paul DHAILLE : Je trouve surprenant que le législateur ait permis que vous ayez compétence sur toute une série de voies navigables mais qu'un certain nombre de collectivités - conseils généraux ou conseils régionaux  - peuvent également se substituer à vous.

M. François BORDRY : Les conseils régionaux concèdent aux départements.

M. Paul DHAILLE : J'ai, par exemple, été très étonné du tronçonnement opéré sur la Somme. Comment peut-on admettre que la gestion d'un système hydraulique par nature complexe soit confiée pour partie à l'un et pour une autre partie à un autre ? Jugez-vous souhaitable que l'ensemble du système hydraulique d'un bassin versant soit géré par la même institution ?

M. François BORDRY : La loi de décentralisation de 1982 est assez claire. La région a le droit de récupérer ses voies d'eaux si elle le souhaite. À ma connaissance, nous ne pouvons pas nous y opposer. La région Picardie aurait pu demander de prendre en concession le morceau de canal du Nord et le canal de la Somme qui restent gérés par VNF, à charge pour elle d'en assumer les coûts. Elle n'a pris, ce qui se comprend, que la partie touristique du canal, c'est-à-dire la gestion de l'aval où il y a une circulation touristique intéressante et, à ce titre, porteuse de développement économique.

M. Paul DHAILLE : Si l'on peut penser que les agences de l'eau recouvrent l'ensemble d'un bassin, en revanche, les régions administratives ne recouvrent pas obligatoirement des systèmes cohérents en matière de voies d'eau et d'inondations.

M. François BORDRY : C'est exact, mais c'est le texte de la loi de décentralisation de 1982, qui est antérieur de huit ou neuf ans à la création de VNF.

M. Paul DHAILLE : J'étais déjà à l'Assemblée nationale à l'époque, mais on peut faire des erreurs.

M. François BORDRY : C'est pourquoi la plupart du temps, pour ne pas dire toujours, les régions ont concédé aux départements afin d'avoir une gestion plus fine de leurs cours d'eau, ce qui malgré tout pose des problèmes de cohérence.

M. Paul DHAILLE : M. Patrick Junod, qui travaille avec les autorités allemandes, peut-il nous décrire le système allemand de gestion des crues ? A-t-il une opinion sur les avantages respectifs des systèmes français et allemand ?

M. François BORDRY : Pour connaître assez bien le bassin du Rhin, je puis vous indiquer qu'en Allemagne, contrairement à la plupart des infrastructures qui sont sous l'autorité des Länder, la navigation est sous l'autorité du pouvoir fédéral.

M. Patrick JUNOD : En matière de gestion des crues, des commissions franco-allemandes se réunissent régulièrement avec des groupes de travail. Nous définissons d'un commun accord des lois précises de man_uvre des barrages, de remplissage des polders, d'écrêtement des crues. Dès que ces mesures sont validées, nous les portons dans un classeur où les consignes sont clairement définies dans les deux langues, avec les schémas et les circuits d'information. Ensuite, elles sont transmises à nos centres respectifs. Dans chaque centre, des fiches réflexes permettent à nos agents de réagir très rapidement. De façon globale, les décisions se prennent entre le service de la navigation représentant l'État français et le Regierungsprasidium de Fribourg, pour le secteur qui nous concerne, mais ce peut être le Regierungsprasidium d'un autre Land plus à l'aval. Donc, on s'informe, on se transmet les informations, on prend les décisions d'un commun accord.

M. Paul DHAILLE : Ces réunions et ces classeurs prennent-ils en compte le Rhin sur la totalité de son cours ?

M. Patrick JUNOD : Non, il s'agit des 183 kilomètres franco-allemands que nous gérons. Lorsque nous connaissons des problèmes de lâchers d'eau intempestifs ou lorsque nous voulons des explications de la part de la Suisse, nous proposons la réunion d'un groupe de travail tripartite. Dans tous nos groupes de travail figure également EDF, qui est gestionnaire des chutes entre Bâle et Strasbourg.

M. François BORDRY : En revanche, je ne sais pas si le système de crues est identique sur les autres bassins allemands, comme celui de l'Oder. Nous essaierons de vous fournir une réponse écrite.

M. le Président : Mon collègue vous a demandé qui décidait des lâchers concernant les grands bassins gérés par une entente interdépartementale. Je suppose que les lâchers s'effectuent en coordination avec VNF et qu'il existe des règles extrêmement précises.

M. François BORDRY : Oui, à cause des répercussions sur les écluses.

M. le Président : Par ailleurs, vous gérez la navigation sur le canal de la Somme.

M. François BORDRY : De la Somme amont ! Entre le canal de Saint-Quentin et le canal du Nord, la partie amont est géré par VNF. Le canal du Nord remonte vers le nord où il forme une partie du canal du Nord à relativement grand gabarit (six à huit cents tonnes). À partir du moment où la Somme repart vers l'ouest, elle devient sous gestion départementale, à gabarit Freycinet, et ne concerne plus que la navigation de plaisance.

M. le Président : VNF ne s'en occupe plus.

M. François BORDRY : Non, cela relève de la DDE, pour le compte du département. Mais l'eau vient de l'amont qui est géré par VNF, sur la partie canal. Nous passons le relais à la concession à partir de l'écluse qui a été citée tout à l'heure. Nous gérons le canal de la Somme, mais pas le lit de la Somme naturelle qui est géré par le service de navigation pour le compte du ministère de l'Environnement. J'ai proposé tout à l'heure que tout cela soit placé sous l'autorité de VNF, parce que ce sont les mêmes services qui, localement, travaillent pour le compte de VNF sur le canal et pour le compte du ministère de l'Environnement sur le lit naturel.

M. le Président : Je comprends mieux la finalité de votre proposition. Il s'agit de clarifier en faisant en sorte qu'un interlocuteur unique gère tout.

M. Patrick JUNOD : Je préciserai que la Commission internationale pour la protection du Rhin, qui avait initialement compétence en matière de suivi de la qualité de l'eau et de lutte contre les pollutions, a étendu ses prérogatives à la lutte contre les pollutions et à la création des champs d'inondation. Elle est également devenue l'organe représentatif des États riverains du Rhin pour centraliser tous les problèmes de crue à l'échelle de l'ensemble du bassin rhénan.

M. le Président : Nous vous remercions.

() La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Sécurité publique.


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