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N° 1802

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 septembre 1999

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1)

sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. JEAN-PIERRE BRARD,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Impôts et taxes.

Partie I (chapitre Premier et chapitre II)

Pour en faciliter la consultation, ce rapport a été découpé en quatre parties
Pour consulter la partie II (chapitres trois et quatre) cliquer ici

Pour consulter l'annexe 1, cliquer ici
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A la suite du rapport d'étape N°1105 , intitulé « Fraude et évasion fiscales : une intolérable atteinte à l'impôt citoyen », le présent rapport s'intéresse à l'ensemble des aspects nationaux et internationaux de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Il propose ainsi :

- de lutter, par des actions multilatérales menées au niveau de l'OCDE et à l'échelon communautaire, mais aussi par des initiatives nationales, contre les paradis fiscaux, bancaires et judiciaires et les régimes fiscaux préférentiels, en raison de l'importance croissante de la dimension internationale de la fraude et de l'évasion fiscales ;

- de renforcer les dispositifs de sanction des fraudes à la TVA intra-communautaire, notamment des fraudes tournantes de types « carrousels » ;

- de compléter, dans une perspective dynamique prenant en compte la nécessité d'une réforme fiscale d'ensemble, le dispositif législatif de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 15

CHAPITRE PREMIER : LA MODERNISATION DES MODALITÉS DU CONTRÔLE FISCAL : UNE OPTION ESSENTIELLE DANS LE CADRE D'UNE RELATION RENOUVELÉE AVEC LE CONTRIBUABLE 25

I.-  L'ADOPTION D'UNE NOUVELLE APPROCHE DES RELATIONS ENTRE L'ADMINISTRATION ET LE CONTRIBUABLE DANS LE CADRE DE LA RÉFORME DU MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE 26

II.-  LA RÉORIENTATION DES MODALITÉS DU CONTRÔLE FISCAL 33

A.- LE RECOURS À L'ANALYSE DE RISQUE : UNE INNOVATION APPRÉCIABLE 33

B.- L'ADAPTATION DES PROCÉDURES DE CONTRÔLE EXTERNE DES PME : UNE MESURE CONFORME AUX ENJEUX 37

III.-  LES PROPOSITIONS DE VOTRE RAPPORTEUR POUR FACILITER PLUS ENCORE L'ACCÈS DU CITOYEN À LA LOI FISCALE ET À L'ADMINISTRATION FISCALE 40

A.- L'AMÉLIORATION DE LA TRANSPARENCE DU RECOUVREMENT DES RAPPELS D'IMPOSITION 40

B.- L'AMÉNAGEMENT DES PROCÉDURES DE MÉDIATION LORS DES OPÉRATIONS DE CONTRÔLE FISCAL 41

C.- LE RENFORCEMENT DE LA FORMATION ET DE L'INFORMATION DU CITOYEN SUR LA RÈGLE FISCALE 42

1.- La mise en _uvre de campagnes d'information sur les dispositions adoptées dans les lois de finances 42

2.- L'enseignement des éléments de base sur les impôts et la fiscalité dans les écoles, dans le cadre de l'instruction civique 43

CHAPITRE II : LA LUTTE CONTRE LA GRANDE FRAUDE ET L'ÉVASION FISCALES INTERNATIONALES 45

I.-  LES PARADIS FISCAUX ET LES RÉGIMES FISCAUX PRÉFÉRENTIELS : DES LIEUX DE « FLIBUSTE » FISCALE, OÙ LA FRAUDE ET L'ÉVASION FISCALES CROISENT LES PRODUITS FINANCIERS DE LA GRANDE CRIMINALITÉ ORGANISÉE 47

A.- LES PARADIS FISCAUX : UN CADRE PROPICE À L'ÉPANOUISSEMENT DE LA FRAUDE FISCALE COMME DE LA GRANDE CRIMINALITÉ FINANCIÈRE INTERNATIONALE 50

1.- Les éléments caractéristiques des paradis fiscaux : une faible fiscalité ; un secret bancaire absolu ; la préservation de l'anonymat des propriétaires de sociétés ; une coopération fiscale et judiciaire réduite voire inexistante 52

a) L'absence d'impôt ou une faible fiscalité directe, pour les non-résidents tout au moins 52

b) L'absence de coopération avec les autres Etats en matière fiscale pour la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales 54

c) Un secret bancaire très protégé, qui n'est levé que dans des cas très rares et pour les seuls cas de blanchiment d'argent ou d'infractions pénales lourdes 55

d) Des formalités de création et de gestion de sociétés assez réduites 57

e) La possibilité de constituer aisément des trusts 59

f) Un droit de sociétés et des trusts garantissant l'anonymat des propriétaires ou bénéficiaires réels 62

g) Une coopération pénale assez limitée 64

h) La présence complémentaire d'une zone franche, parfois 64

2.- Le lieu privilégié de l'épanouissement de la fraude et de l'évasion fiscales, ainsi que de la grande criminalité financière 66

a) La complexité des motifs de l'implantation dans les paradis fiscaux : une réalité largement illustrée par l'histoire 67

b) Les montages à des fins de fraude ou d'évasion fiscales : des procédés classiques et largement connus 70

c) La communication à partir de certains paradis fiscaux : une véritable incitation à la fraude fiscale 84

d) Le recyclage financier à des fins de blanchiment des capitaux d'origine criminelle : des mécanismes reposant sur les mêmes circuits que ceux utilisés pour la fraude fiscale 85

e) Les opérations susceptibles d'être réalisées dans des paradis fiscaux à des fins ni fiscales ni criminelles 92

3.- Des désavantages, en termes de coût et d'insécurité juridique, qui seraient dirimants s'il n'y avait pas l'attrait de l'anonymat 95

a) Des prestations d'un intérêt objectif limité en raison du niveau élevé des coûts de gestion 95

b) Une certaine insécurité juridique et de nombreux exemples d'escroquerie 99

4.- Une masse considérable de capitaux qui explique la forte rentabilité des très nombreuses institutions financières et bancaires qui y sont implantées 101

a) Des institutions financières très nombreuses 101

b) Des implantations bancaires très rentables malgré des coûts parfois élevés 102

c) Des capitaux hors de proportion avec la taille et le rôle économique des territoires concernés 103

5.- Les nouveaux risques électroniques 107

B.- LES RÉGIMES FISCAUX PRÉFÉRENTIELS : UNE CONCURRENCE FISCALE FORTEMENT DOMMAGEABLE DANS LE CONTEXTE DE LA GLOBALISATION ÉCONOMIQUE ET UN POINT DE PASSAGE VERS LES PARADIS FISCAUX 108

1.- La différence entre paradis fiscal et régime fiscal préférentiel 108

a) La différence de concept 108

b) Les effets de la concurrence fiscale : des pertes de base taxable et des pertes d'emplois dans les Etats à fiscalité normale 110

2.- Les principaux exemples de régimes fiscaux préférentiels pour les entreprises 111

a) L'imposition à taux réduit des centres financiers 112

b) Les rulings néerlandais 113

c) Les sociétés holdings du Luxembourg, de Belgique et des Pays-Bas, ainsi que de Suisse 115

d) Les quartiers généraux et centres de coordination 123

e) Le capital informel (Infocap) 125

f) Les règles spécifiques à certaines activités 126

g) Les zones franches 126

h) Les sociétés off shore ou non résidentes 126

3.- La fiscalité des personnes physiques : l'exemple du forfait en Suisse 128

4.- La face moins connue des régimes fiscaux préférentiels : un point de passage parfois aisé vers certains paradis fiscaux 129

a) Les sociétés exportatrices américaines : les Foreign Sales Corporations 129

b) Les Antilles néerlandaises : le « sandwich » néerlandais 130

c) La finance branch implantée en Suisse 134

d) Des régimes parfois favorables au blanchiment des revenus d'activités criminelles 135

5.- Le problème des régimes fiscaux de fait 136

a) Saint-Martin et Saint-Barthélémy 136

b) Campione 139

II.-  LE DÉMANTÈLEMENT DES PARADIS FISCAUX ET DES RÉGIMES FISCAUX PRÉFÉRENTIELS : SOUTENIR LES ACTIONS MENÉES AUX PLANS COMMUNAUTAIRE ET INTERNATIONAL 140

A.- LA LUTTE CONTRE LES PARADIS FISCAUX POUR DES MOTIFS DE DROIT PÉNAL OU DES CONSIDÉRATIONS PRUDENTIELLES : DES ACTIONS COMPLÉMENTAIRES AUX INITIATIVES FISCALES 141

1.- Les initiatives à objectif bancaire et financier : une contribution aux réflexions sur la stabilité du système financier international 141

2.- Les initiatives menées contre les paradis fiscaux dans le domaine du blanchiment : une participation active de la France 144

a) Les préoccupations de l'ONU : la lutte contre la grande criminalité et la grande délinquance financière internationale 144

b) Les initiatives françaises au sein des travaux du groupe d'action financière internationale contre le blanchiment de capitaux (GAFI) 146

c) Les initiatives communautaires en matière de lutte contre le blanchiment 151

B.- LES INITIATIVES À OBJECTIF FISCAL MENÉES AU NIVEAU DE L'UNION EUROPÉENNE ET DE L'OCDE EN VUE DU DÉMANTÈLEMENT DES PARADIS FISCAUX ET DES RÉGIMES FISCAUX PRÉFÉRENTIELS DOMMAGEABLES : DES ACTIONS ESSENTIELLES À SOUTENIR 153

1.- Les initiatives engagées à l'échelon communautaire 153

a) Les problèmes posés par la concurrence fiscale : une préoccupation déjà ancienne 154

b) Le code de conduite en matière de fiscalité des entreprises 155

c) La proposition de directive du Conseil visant à garantir un minimum d'imposition effective des revenus de l'épargne sous forme d'intérêts à l'intérieur de la Communauté : une étape essentielle qui esquisse la perspective d'une éradication des paradis fiscaux en Europe 158

2.- Les travaux de l'OCDE : une certaine similarité avec ceux de l'Union, mais un cadre plus large 166

a) Les recommandations issues du rapport sur la concurrence fiscale dommageable 167

b) Le traitement des régimes fiscaux préférentiels dommageables par les pays membres 169

c) L'établissement d'une liste des paradis fiscaux 171

3.- L'action du Royaume-Uni et de la Couronne britannique 172

C.- LA COMPLÉMENTARITÉ DES APPROCHES PÉNALE ET FISCALE DANS LE DOMAINE DE LA LUTTE CONTRE LES PARADIS FISCAUX ET LA GRANDE CRIMINALITÉ INTERNATIONALE 175

1.- Le caractère nécessairement insuffisant des dispositifs de prévention et de répression du blanchiment de capitaux 176

a) Les problèmes juridiques 177

b) Les problèmes pratiques 180

c) L'insuffisante fiabilité des mécanismes anti-blanchiment au niveau international 183

2.- La capacité des techniques fiscales à limiter les bénéfices des enrichissements inexpliqués et frauduleux 184

a) La pertinence des techniques de contrôle fiscal dans la lutte contre la grande fraude 184

b) La nécessité de réexaminer la question de la communication à l'administration fiscale des informations recueillies par Tracfin 185

D.- LE CARACTÈRE INCONTOURNABLE DE L'OBJECTIF D'UN ESPACE JUDICIAIRE ET D'UN ESPACE DE COOPÉRATION FISCALE SANS AUCUN ÉCRAN ET D'UNE CONVERGENCE FISCALE, AU PLAN EUROPÉEN 187

1.- La création d'un espace judiciaire ainsi que d'un espace de coopération fiscale sans écran 187

a) L'objectif d'un espace fiscal et d'un espace judiciaire transparents 187

b) La nécessité de réaliser cet objectif, au plan européen tout au moins 188

2.- La spécificité supplémentaire de l'Union européenne : constituer un espace homogène caractérisé par une fiscalité largement convergente 192

E.- SUPPRIMER L'AIDE AUX PAYS RECENSÉS COMME DES PARADIS FISCAUX 194

III.-  LA NÉCESSITÉ DE COMPLÉTER L'EFFICACITÉ DES PROCÉDURES PÉNALE ET FISCALE DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET L'ÉVASION FISCALES 196

A.- MODERNISER LA CAPACITÉ D'ACTION DES FONCTIONNAIRES EN CHARGE DU CONTRÔLE FISCAL 197

1.- Renforcer l'efficacité des dispositions du code général des impôts destinées au contrôle des opérations internationales 198

a) Les propositions en matière de fiscalité personnelle 199

b) Les propositions en matière de fiscalité des entreprises 204

2.- Envisager la suppression de l'article L. 80 C du livre des procédures fiscales 209

3.- Améliorer la formation des agents et développer la capacité d'expertise mise à leur disposition 210

a) Développer la formation 210

b) Renforcer l'expertise interne 211

c) Créer un réseau d'experts de l'administration pour l'assister dans l'évaluation des prix de certaines prestations internationales 211

B.- ACCROÎTRE L'EFFICACITÉ DU RÉSEAU DES CONVENTIONS FISCALES AUXQUELS LA FRANCE A ADHÉRÉ 212

1.- Augmenter les possibilités d'échange d'informations en matière fiscale 213

a) Augmenter le nombre des conventions fiscales prévoyant un échange de renseignements et veiller à la qualité de ces conventions 214

b) Développer le réseau des attachés fiscaux et des attachés douaniers et renforcer les moyens des postes existants 218

2.- Solliciter, notamment des pays européens, la modification des conventions applicables et obtenir l'adaptation des directives et règlements communautaires, afin d'assurer un accès effectif à l'information nécessaire à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales 219

a) Les problèmes posés par certaines conventions fiscales 219

b) Le cas des conventions fiscales franco-monégasques 222

C.- DÉVELOPPER LE RÉSEAU DES CONVENTIONS D'ASSISTANCE JUDICIAIRE ET AMÉLIORER LES MODALITÉS DE TRAITEMENT DE LA FRAUDE FISCALE 223

1.- Compléter le réseau des conventions d'entraide judiciaire et des conventions d'extradition pour faciliter les recherches et accélérer les procédures 226

2.- Veiller à ce que la fraude fiscale figure sans restriction parmi les infractions pour lesquelles la coopération est obligatoire 234

D.- COMPLÉTER L'EFFORT DE RENFORCEMENT DU RÉSEAU DES CONVENTIONS PAR UN EXAMEN APPROFONDI DES DISPOSITIONS DES CONVENTIONS D'ENTRAIDE JUDICIAIRE ET DES CONVENTIONS COMPORTANT DES CLAUSES D'ÉCHANGE DE RENSEIGNEMENTS EN MATIÈRE FISCALE 241

CHAPITRE III : LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE AUX IMPÔTS INDIRECTS : RENFORCER LES PROCÉDURES DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE TOURNANTE À LA TVA ORGANISÉE DANS LE CADRE DE « CARROUSELS » ET DEVELOPPER LA COOPÉRATION EUROPÉENNE 245

I.-  LES CARROUSELS DESTINÉS À ÉLUDER LA TVA INTRACOMMUNAUTAIRE 247

A.- LA SIMPLICITÉ ET LA FACILITÉ D'EXÉCUTION DES MONTAGES 247

1.- Les règles prévues par le régime transitoire en matière de TVA sur les échanges de biens à l'intérieur du marché unique 247

2.- La simplicité des mécanismes de fraude 250

3.- La possibilité d'organiser des montages plus complexes et difficiles à appréhender 253

B.- UNE FRAUDE ASSEZ RÉPANDUE DANS CERTAINS SECTEURS, TRÈS RENTABLE ET OÙ L'ON SOUPÇONNE UNE PRÉSENCE DE LA GRANDE CRIMINALITÉ ORGANISÉE 256

1.- Une fraude concentrée sur certains secteurs économiques 256

2.- Une fraude extrêmement rentable pour ses organisateurs 257

a) Le rendement des carrousels proprement dits 257

b) La possibilité de greffer sur les carrousels d'autres types de fraude 263

3.- Une fraude infiltrée par la grande délinquance ainsi que par la grande criminalité organisée de type mafieux 264

4.- Une fraude extrêmement déstabilisante sur le plan économique 265

C.- UNE FRAUDE SUSCEPTIBLE DE PERDURER EN L'ABSENCE DE PERSPECTIVE DE CHANGEMENT DES RÈGLES COMMUNAUTAIRES 267

II.-  LA NÉCESSITÉ DE PRÉVOIR UN ALOURDISSEMENT SUBSTANTIEL DES PEINES ET D'ENVISAGER L'HYPOTHÈSE D'UN RENFORCEMENT DES PROCÉDURES DE POURSUITE 270

A.- UNE FRAUDE DIFFICILE À COMBATTRE SUR LE PLAN FISCAL, MAIS SUSCEPTIBLE DE FAIRE L'OBJET DE POURSUITES PÉNALES ASSEZ RAPIDES 270

1.- La procédure fiscale 270

a) La détection du risque : la surveillance des crédits de TVA 270

b) La sanction des infractions : une procédure efficace, mais délicate à mettre en _uvre 271

2.- La procédure pénale 273

B.- PRÉVOIR UN RENFORCEMENT SUBSTANTIEL DES PEINES ET METTRE À L'ÉTUDE L'OCTROI DE COMPÉTENCES DE POLICE JUDICIAIRE À UNE SECTION SPÉCIALISÉE DU MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES 276

1.- Renforcer substantiellement les peines en cas d'escroquerie à la TVA en bande organisée 276

2.- Demander au Gouvernement un rapport sur la mise en place d'un service spécialisé du ministère de l'économie et des finances disposant de prérogatives de police judiciaire afin de réduire les délais de répression et sur la création d'une infraction spécifique de fraude organisée à la TVA 277

III.- L'AMÉLIORATION DES PROCÉDURES DE COOPÉRATION PRÉVUES À L'ÉCHELON COMMUNAUTAIRE ET LE RENFORCEMENT NÉCESSAIRE DES ACTIONS COORDONNÉES ENTRE ETATS MEMBRES POUR L'ENSEMBLE DES FRAUDES À LA TVA 289

A.- L'IMPORTANCE DE LA FRAUDE À LA TVA AU NIVEAU COMMUNAUTAIRE ET DES ETATS MEMBRES 289

1.- L'approche globale 289

2.- L'exemple de la Belgique 291

B.- L'AMÉLIORATION DES PROCÉDURES EXISTANTES 292

1.- Les recommandations de la Cour des comptes des Communautés européennes 292

2.- Les possibilités d'amélioration 293

a) Le document d'accompagnement des marchandises 293

b) L'amélioration des échanges automatisés d'informations 294

c) Appliquer les mêmes règles dans tous les Etats : l'exemple de la navigation de grande plaisance 294

C.- LA NÉCESSITÉ DE DÉVELOPPER DES ACTIONS COORDONNÉES 300

1.- La coopération entre les Etats membres 300

2.- L'action de la Communauté européenne 302

CHAPITRE IV : DE NOUVELLES MESURES DE MODERNISATION DES DISPOSITIFS FISCAUX DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET L'ÉVASION FISCALES : LE MAINTIEN D'UNE NÉCESSAIRE VIGILANCE 307

I.-  AMÉLIORER LA CONNAISSANCE DES DIFFÉRENTS RISQUES DE FRAUDE ET D'ÉVASION FISCALES, AINSI QUE DE LA DÉLINQUANCE FINANCIÈRE, GRÂCE À LA CRÉATION D'UN OBSERVATOIRE DE LA FRAUDE 309

II.-  COMPLÉTER LA MODERNISATION DES INSTRUMENTS JURIDIQUES DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET L'ÉVASION FISCALES 315

A.- RÉDUIRE LES POSSIBILITÉS DE PAIEMENT EN ESPÈCES 315

1.- Réduire de 50.000 francs à 20.000 francs le montant maximum des paiements en espèces pour les particuliers non commerçants 315

2.- Appliquer la disposition relative à l'obligation de paiement par chèque au paiement des primes d'assurance-vie 316

3.- Instituer une amende fiscale de 50% en cas de vente sans facture 317

B.- LIMITER LES POSSIBILITÉS D'AMÉLIORATION DU TRAIN DE VIE GRÂCE À LA FRAUDE FISCALE 318

1.- Réduire de 308.510 francs à 200.000 francs le seuil de l'évaluation forfaitaire minimale du revenu imposable d'après certains éléments du train de vie, pour l'impôt sur le revenu 318

2.- Limiter les possibilités d'imputation des dépenses personnelles sur les comptes des sociétés ou des entreprises individuelles 320

C.- RENFORCER LES MODALITÉS DU CONTRÔLE FISCAL 322

1.- Améliorer la connaissance de certaines mutations à titre gratuit 322

a) Prévoir l'enregistrement des cessions de polices d'assurance-vie, afin d'éviter que ces cessions ne permettent, en cas de faculté de rachat, une donation indirecte 322

b) Rendre obligatoire la déclaration des dons manuels à l'administration fiscale 323

2.- Encadrer le régime des sociétés civiles et des sociétés à prépondérance immobilière 324

a) Prévoir la production annuelle de comptes à l'administration fiscale par les sociétés civiles qui ne sont pas encore soumises à cette obligation 324

b) Rendre obligatoire la formalité de l'acte authentique pour l'élaboration des statuts, les modifications statutaires et les cessions de parts de sociétés immobilières 324

c) Supprimer la possibilité de procéder à des paiements hors la vue du notaire pour les transactions immobilières 327

3.- Prévoir l'accès des fonctionnaires des impôts aux clefs de décryptage 327

4.- Exclure les sociétés holdings du champ de la disposition limitant à trois mois la durée de vérification des petites entreprises, mesure qui doit être réservée aux seules PME 328

5.- Accroître la responsabilité des sociétés de domiciliation 328

D.- AMÉLIORER LA PORTÉE DES RÉSULTATS DU CONTRÔLE FISCAL 329

1.- Clarifier le rôle de l'intérêt de retard en supprimant sa déductibilité du résultat des entreprises et en réduisant, en contrepartie, son taux à 6% 329

a) Supprimer la déductibilité du résultat imposable des pénalités de recouvrement sanctionnant le versement tardif des impôts 329

b) Réduire de 0,75% par mois (9% par an) à 0,5% par mois (6% par an) le taux de l'intérêt de retard 330

2.- Plafonner l'effet de la tolérance légale pour les grandes sociétés 332

3.- Supprimer le bénéfice de la tolérance légale pour les contribuables de mauvaise foi ou s'étant livrés à des man_uvres frauduleuses 332

4.- Moderniser les modalités de pénalisation des infractions fiscales 333

a) Renforcer et accélérer la pénalisation des infractions fiscales les plus graves 333

b) Améliorer l'efficacité des opérations d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle (ESFP) ayant mis en évidence la présence de revenus d'origine indéterminée 334

5.- Soumettre à la procédure de redressement contradictoire les rappels d'imposition en matière de taxe professionnelle et appliquer les pénalités de droit commun 335

E.- RENFORCER LES PLANS DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL CLANDESTIN 336

III.-  SUPPRIMER CERTAINS DISPOSITIFS PERMETTANT DE PROCÉDER À DE L'ÉVASION FISCALE 337

A.- L'IMPÔT SUR LE REVENU ET L'IMPOSITION DES PLUS-VALUES 337

1.- Supprimer la possibilité pour les contribuables de procéder à une déclaration séparée pour leurs enfants mineurs disposant de ressources propres 337

2.- Mieux coordonner le paiement de l'impôt sur les plus-values de cession de titres et les droits de mutation à titre gratuit 339

B.- L'IMPOSITION DES RÉSULTATS DES SOCIÉTÉS 341

1.- Supprimer la déductibilité des intérêts des emprunts contractés par les sociétés holdings dans le seul but de réduire le coût d'acquisition d'une entreprise 341

2.- Limiter l'intérêt du recours aux sociétés transparentes pour les sociétés de capitaux 342

IV.-  ENVISAGER, POUR LE FUTUR, DE RÉTABLIR L'ÉQUITÉ ET LA CITOYENNETÉ DES GRANDS IMPÔTS EN MATIÈRE DE FISCALITÉ PERSONNELLE DANS LE CADRE D'UNE ÉVENTUELLE RÉFORME FISCALE 343

A.- L'IMPÔT SUR LE REVENU : LIMITER LES POSSIBILITÉS DE CUMUL DES EXONÉRATIONS ET DES RÉDUCTIONS D'IMPÔT, ET RÉFORMER LE RÉGIME DE L'AVOIR FISCAL 343

B.- L'IMPÔT SUR LA FORTUNE : ÉTUDIER LA CONSOLIDATION DE SA LÉGITIMITÉ GRÂCE À L'ÉLARGISSEMENT DE SON ASSIETTE, LA RÉDUCTION DES TAUX, LE RELÈVEMENT DU SEUIL D'EXONÉRATION ET LA SUPPRESSION DE LA LIMITATION DU PLAFONNEMENT 354

1.- L'extension de l'assiette de l'ISF, la réduction des taux et le relèvement du seuil 355

2.- La suppression de la limitation du plafonnement du montant total de l'ISF et de l'impôt sur le revenu par rapport aux revenus 357

C.- LES DROITS DE MUTATION À TITRE GRATUIT : CLARIFIER ET MORALISER LES MODALITÉS DE LA TRANSMISSION À TITRE GRATUIT DE LA PROPRIÉTÉ 359

D.- SÉCURISER LES TRANSACTIONS INTERNATIONALES INTERNES AUX GROUPES EN DÉVELOPPANT LA PROCÉDURE DE L'AGRÉMENT PRÉALABLE AUX PRIX DE TRANSFERT (APPT) 361

E.- DÉPASSER PAR DES DISPOSITIONS SPÉCIFIQUES LES CONTRAINTES ISSUES DE LA NÉCESSAIRE STABILITÉ DES MODALITÉS GÉNÉRALES DE RÉPRESSION DES ABUS DE DROIT 367

RÉCAPITULATIF DES PROPOSITIONS DU RAPPORTEUR 369

EXAMEN EN COMMISSION 381

ANNEXES 

INTRODUCTION

Après avoir écouté plus d'une centaine de personnes, des fonctionnaires, des magistrats, des avocats, des banquiers et des financiers, des statisticiens, des policiers, des experts-comptables, des conseils, des universitaires, des représentants d'organisations syndicales, après s'être rendu dans huit Etats étrangers (1), avoir été reçu par les autorités communautaires, notamment par M. Mario Monti, membre de la Commission, votre Rapporteur ne saurait avoir la même image de la fraude et de l'évasion fiscales que celle qu'il avait il y a dix-huit mois, lorsque, le 6 avril 1998, la Commission des finances de l'économie générale et du plan lui a confié un rapport sur ce thème.

Il mesure mieux toute la difficulté de saisir une matière complexe qui va de la fraude grossière, fondée sur la simple dissimulation, aux montages sophistiqués qui suscitent, parfois, l'intérêt de ceux qui doivent en montrer l'illégalité, d'autant que son appréhension repose sur la distinction entre deux notions, la fraude, illégale, et l'évasion, légale, entre lesquelles la frontière est parfois difficile à borner.

Il a le sentiment que sa mission pourrait encore se prolonger, qu'il découvrirait toujours dans les recoins peu explorés de l'articulation du code général des impôts, du droit civil ou du droit commercial, des opportunités d'éluder l'impôt, dont certaines très rentables pour leurs organisateurs, et que la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales est un combat sans cesse renouvelé. Néanmoins, il considère qu'il convient maintenant de conclure par un ensemble de propositions dans la perspective de la loi de finances pour 2000.

Avant toute chose, votre Rapporteur tient à remercier l'ensemble de ses interlocuteurs, ceux qui l'ont accueillis comme ceux qui ont accepté de se rendre à une audition dans les locaux de l'Assemblée nationale. Ces remerciements s'adressent naturellement en premier lieu aux fonctionnaires en poste dans les ambassades de France à l'étranger qui ont bien voulu l'assister dans ses missions dans les Etats relevant de leurs compétences, et aux fonctionnaires du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. La majorité des personnalités rencontrées par votre Rapporteur a souhaité conserver l'anonymat. Il eût été peu délicat de placer celles-ci dans une situation spécifique en publiant une liste partielle des personnes entendues. Le parti a donc été pris de ne publier aucune liste, afin de ne pas délivrer une information tronquée.

Ces travaux ont permis à votre Rapporteur de procéder à plusieurs constats d'ordre général.

Le premier est celui du bon fonctionnement et de l'efficacité de l'administration fiscale française.

D'une part, les fonctionnaires de l'administration des impôts, dans leur ensemble, notamment ceux qui effectuent les tâches d'assiette et de contrôle de l'impôt, font preuve d'un excellent esprit de service, d'un grand dévouement et d'un remarquable sens de l'Etat.

D'autre part, l'efficacité du dispositif de contrôle fiscal n'est pas à démontrer, puisque la tendance à l'amélioration des résultats du contrôle, déjà soulignée l'an dernier dans le cadre du rapport d'étape n° 1105 intitulé « Fraude et évasion fiscales : une intolérable atteinte à l'impôt citoyen », a été confirmée en 1997, dernière année pour laquelle des statistiques complètes sont disponibles.

Sans reprendre les éléments de fond, évoqués l'an dernier, on rappellera seulement que le montant des droits rappelés s'est établi à 73,3 milliards de francs en 1997 contre 67,2 milliards de francs en 1996, en droits simples, soit une progression de 9%. S'agissant de seules opérations de contrôle sur place, dans le cadre des procédures d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle (ESFP) et de vérification de comptabilité, les rappels se sont élevés à 44,5 milliards de francs en droits simples et à 13,3 milliards de francs en pénalités.

Pour les seules ESFP, les droits simples rappelés dans le cadre de 4.707 opérations se sont élevées à 3 milliards de francs et les pénalités à 1,5 milliard de francs.

S'agissant des opérations de vérification de comptabilité, on observera que 41,5 milliards de francs de droits simples ont été rappelés et que les pénalités infligées se sont élevées à 11,8 milliards de francs.

Enfin, il faut observer que notre administration fiscale jouit à l'étranger d'une excellente réputation et que la collaboration qu'elle peut accorder dans le cadre de l'assistance internationale paraît appréciée.

En deuxième lieu, il est impossible de donner, même d'une manière approximative, une estimation fiable de la fraude fiscale.

Les opérations et les recoupements qui sont opérés dans le cadre de l'établissement des comptes nationaux, même s'ils sont établis avec rigueur, ne permettent pas d'établir des données suffisamment sûres pour que la comparaison des grands agrégats de la comptabilité nationale, tels que les revenus du capital ou ceux de l'épargne, avec l'estimation de ces mêmes grandeurs économiques sur la base du recouvrement de l'impôt, permette d'en inférer une quelconque conclusion chiffrée sur la base du principe selon lequel la différence entre les deux chiffres serait égale à la fraude. On observe, en effet, que l'INSEE éprouve une grande difficulté à appréhender la fraude fiscale, ce qui rend incertain le montant des corrections que l'institut opère dans ses calculs pour tenir compte de ce phénomène. Il en est également ainsi pour le travail clandestin.

En outre, ces opérations donnent lieu à des arbitrages de chiffres et de méthode qui ne sont opérés que lorsqu'une nouvelle base est établie, c'est à dire lorsque les chiffres de l'année qui sert de référence sont calculés. Par convention, les règles de correction restent ensuite les mêmes tant que la base ne change pas, c'est à dire pendant plusieurs années. On mesure ainsi l'impossibilité d'établir une quelconque conclusion, puisque le phénomène de la fraude et de l'évasion fiscales, ainsi que celui du travail clandestin, évoluent.

Naturellement, certains organismes procèdent à des estimations chiffrées, mais il va de soi que votre Rapporteur ne saurait garantir leur fiabilité, dès lors que la méthode d'estimation n'est pas connue.

En troisième lieu, même si le seul respect des principes républicains de l'égalité devant la loi et devant l'impôt et de la fixation d'une contribution aux charges publiques en fonction des capacités de chacun justifie la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, il est clairement apparu que cette action ne relevait pas seulement d'une nécessité citoyenne et morale, mais s'inscrivait également dans le cadre d'une obligation de respect des règles de fonctionnement du système économique.

En effet, d'une part, il n'est pas admissible que les coûts de production et les prix de vente des produits d'une entreprise ne dépendent pas de seuls critères techniques ou d'organisation du travail, mais plutôt de la qualité de son conseiller fiscal ou de sa capacité à frauder. Les règles normales du jeu de la concurrence en sont affectées.

D'autre part, on peut craindre qu'une partie importante de l'économie ne soit contrôlée, à terme, par les personnes pratiquant la fraude fiscale à une grande échelle et le blanchiment de capitaux, c'est à dire par un milieu criminel sans scrupules.

De plus, il ne faut pas méconnaître que la lutte contre la fraude renforce la légitimité de l'impôt, car chacun reconnaît alors que celui-ci est payé par tous, renforce les marges de man_uvre budgétaires et permet d'envisager une baisse des prélèvements obligatoires.

En quatrième lieu, l'évasion fiscale et l'optimisation fiscale étant étroitement liées à la complexité de la loi fiscale, il revient au législateur de garantir au citoyen une loi fiscale claire, simple et la plus neutre possible. Les deux premiers éléments constituent un objectif qu'il n'est pas aisé de prétendre atteindre, dès lors que la réalité économique et sociale est complexe et que la loi fiscale se doit de suivre au plus près cette réalité.

La neutralité fiscale constitue un objectif d'un autre ordre, puisqu'il s'agit d'imposer de la même manière une opération économique, quelles que soient les modalités juridiques selon lesquelles elle est organisée. Ainsi, plus la loi fiscale est neutre, moins les possibilités d'évasion fiscale et les pratiques relevant de l'abus de droit sont étendues. Cet objectif n'en est cependant pas moins difficile à atteindre, dans la mesure où la complexité des combinaisons du droit civil, du droit commercial et du droit des sociétés avec le droit fiscal est difficile à saisir lorsque l'on adopte ou adapte une mesure législative.

En cinquième lieu, l'intérêt des fraudeurs ou des personnes qui pratiquent l'évasion fiscale à éluder l'impôt augmente en fonction du niveau de l'impôt d'une manière bien plus spectaculaire que le sens commun ne conduirait à le penser.

En effet, ainsi que l'indique le tableau suivant, pour les impôts directs, impôt sur le revenu ou impôt sur les bénéfices, si, lorsque le taux de l'impôt est de 20%, le fait d'omettre de déclarer 10, pour une base imposable de 100, entraîne un gain de 2 et génère un gain relatif très faible de 2,27% du revenu après impôt (2 sur 88), on constate qu'un relèvement du taux de l'impôt entraîne une forte augmentation, plus que proportionnelle, de ce gain relatif, lequel s'établit à 6,06% pour un taux d'impôt de 40%, à 9,09% avec un taux d'impôt de 50%, à 13,6% avec un taux d'impôt de 60%, à 36,4% avec un taux d'impôt de 80%, voire à 81,8% si, par hypothèse, on retient un taux d'impôt de 90%.

Gain relatif d'une opération de fraude fiscale en fonction du taux marginal de l'impôt, pour un impôt sur le revenu ou sur les bénéfices

Taux de l'impôt

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

Base d'imposition (1)

100

100

100

100

100

100

100

100

100

Impôt dû (2)

10

20

30

40

50

60

70

80

90

Revenu net (3) = (1) - (2)

90

80

70

60

50

40

30

20

10

Base d'imposition addition-nelle (4)

10

10

10

10

10

10

10

10

10

Impôt dû sur cette base (5)

1

2

3

4

5

6

7

8

9

Revenu net total (6) = (3) + (4) - (5)

99

88

77

66

55

44

33

22

11

Rapport apparent de la fraude (5)/(4)

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

Gain relatif de la fraude (7) = (5)/(6)

0,01%

2,27%

3,89%

6,06%

9,09%

13,6%

21,2%

36,4%

81,8%

Rapport du gain relatif et du taux de l'impôt

-

0,113

0,130

0,151

0,182

0,267

0,303

0,455

0,909

On constate ainsi qu'il est mentionné sur la dernière ligne, que le rapport entre le gain relatif procuré par la fraude, en termes d'augmentation du revenu, et le taux de l'impôt, croît notablement à partir de 60%. Ce rapport un peu abstrait est pourtant très significatif, car il représente un indice intrinsèque de « rentabilité » de la fraude fiscale.

En ce qui concerne les impôts sur la consommation, comme la TVA ou les accises, ou encore les droits de douane, le même raisonnement vaut, ainsi que l'indique le tableau suivant, puisque, dans l'hypothèse d'un partage en deux parts égales du montant de l'impôt fraudé entre le vendeur et l'acquéreur, la baisse de prix dont bénéficie le consommateur devient significative, de l'ordre de 10%, à partir d'un taux de l'impôt indirect de 20%. Le tableau suivant pose le principe selon lequel la marge nette, c'est à dire le bénéfice après paiement des frais est de 10%.

Gain relatif d'une opération de fraude fiscale en fonction du taux de l'impôt, pour un impôt indirect calculé ad valorem (2)

Taux de l'impôt indirect

10%

15%

20%

30%

50%

100%

150%

200%

Prix de vente hors taxe (circuit commercial normal) (1)

100

100

100

100

100

100

100

100

Marge commerciale nette, hors frais (2)

10

10

10

10

10

10

10

10

Prix TTC (3)

110

115

120

130

150

200

250

300

Prix de vente sur le marché parallèle, dans l'hypothèse d'un partage égal de l'impôt éludé (4)

105

108

110

115

125

150

175

200

Bénéfice de la fraude, par unité (instigateur) (5)

5

8

10

15

25

50

75

100

Rapport du bénéfice et de la marge commerciale nette (5)/(2)

50%

80%

100%

150%

250%

500%

750%

1.000%

Réduction de prix obtenue en fraude (consommateur) (6)

5

7

10

15

25

50

75

100

Rapport de la réduction de prix obtenue en fraude et du prix TTC (6)/(3)

4,5%

7%

8,33%

11,54%

16,66%

25%

30%

33,33%

Ce constat conduit à envisager trois hypothèses, en réaction :

- d'abord, celle d'une baisse du niveau et du rendement de l'impôt, comme le prônent les libéraux, mais on doit observer qu'il s'agit d'une solution difficilement envisageable, dans la mesure où un Etat moderne qui obéit à des règles de solidarité offre des prestations de service public de qualité, notamment en matière d'éducation et de santé, qui exigent des prélèvements obligatoires importants. Il faut, en effet, relever qu'aucun des pays ayant une gestion d'inspiration libérale ne sert au plus grand nombre des prestations de la qualité des nôtres dans ces deux domaines, ce qui, in fine, traduit une indéniable carence de la solidarité dans le développement que les seules comparaisons des PIB ne permettent pas d'appréhender ;

- ensuite, celle d'une réduction des taux de l'impôt grâce à l'élargissement de son assiette et à la suppression des abattements et exonérations diverses. C'est la conclusion logique que l'on doit tirer de cette étude. Cette remarque vaut naturellement pour l'impôt de solidarité sur la fortune ;

- enfin, celle d'une plus grande vigilance du contrôle fiscal tant sur les impôts à taux élevés que sur les impôts à taux faible, comme c'est déjà le cas en pratique.

En sixième lieu, de nombreux interlocuteurs de votre Rapporteur ont insisté sur la nécessité d'instaurer en France une stabilité de la loi fiscale, de manière à faire cesser le sentiment d'insécurité qui perturbe les contribuables et qui marque les différents investisseurs étrangers, depuis le début de la décennie, et qui incite un certain nombre de résidents français fortunés au départ. Le nombre des mesures législatives adoptées dans le cadre de chaque loi de finances, de chaque loi de finances rectificative, de chaque projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier est si important que l'opinion d'une activité fiscale insuffisamment ordonnée de notre pays est largement répandue dans les milieux économiques internationaux. Ce jugement concerne l'ensemble des gouvernements en place depuis de début de la décennie.

Il revient donc au Gouvernement et à l'actuelle majorité parlementaire d'établir la crédibilité de la France quant à sa capacité à effectuer des choix fiscaux pertinents et à s'y tenir.

En dernier lieu, les travaux effectués au cours de sa mission ont renforcé votre Rapporteur dans la conviction de la nécessité d'une réforme fiscale d'ensemble, non seulement pour atteindre les grands objectifs précédemment évoqués, mais également pour restaurer la légitimité de l'impôt dont on constate trop souvent qu'elle est mise à mal.

Cette réforme fiscale devrait en outre préserver l'un des éléments essentiels de notre système fiscal, celui de la progressivité effective de l'impôt sur le revenu, tant il faut se garder des sirènes de la fausse simplicité et de la véritable iniquité que recèle tout dispositif fondé sur un impôt proportionnel et prétendant substituer la notion d'équité à celle d'égalité.

Elle devrait permettre également de développer la transparence de l'administration fiscale, qui reste insuffisante. Ce débat a cependant été suffisamment évoqué dans le cadre de son rapport d'étape précité n° 1105 pour que votre Rapporteur n'y revienne pas une seconde fois.

Par ailleurs, ledit rapport d'étape ayant traité d'une manière assez complète la question du contrôle fiscal et de ses modalités, le présent rapport a adopté une approche différente, en analysant les différents risques fiscaux auxquels notre pays est actuellement confronté.

Il identifie ainsi trois risques principaux : celui de la fraude et de l'évasion fiscales internationales reposant sur des montages utilisant des structures implantées dans plusieurs pays, notamment des paradis fiscaux ; celui de la fraude à la TVA intra-communautaire ; celui de certains procédés interne de fraude ou d'évasion qui ne sont pas encore suffisamment sanctionnés par la loi.

Indéniablement, chacun de ces risques ne présente pas la même importance.

Tous les avis convergent pour estimer que le développement de la fraude fiscale internationale organisée dans le cadre des paradis fiscaux est le plus important des trois. Les Etats et territoires en cause abritent non seulement le produit d'une fraude fiscale d'autant plus importante que les deux dernières décennies ont été marquées par le développement du commerce international, la libéralisation des mouvements de capitaux et l'apparition des transactions commerciales et financières électroniques qui ne laissent aucune trace, mais ils abritent aussi des opérations de blanchiment de capitaux issus de la grande criminalité organisée.

Sur la base d'un secret bancaire absolu, de l'anonymat organisé dans le cadre du droit des sociétés, et d'une absence de coopération en matière judiciaire et pénale, des opérations inacceptables sont effectuées dans la plus grande confidentialité et dans la plus grande sécurité pour les délinquants et les fraudeurs. En outre, les risques que représentent les paradis fiscaux ne s'apprécient pas seulement au plan pénal ou fiscal, mais également au plan financier, car les montages qui peuvent être effectués se font parfois sans aucun respect des règles prudentielles internationalement reconnues, comme l'a montrée la quasi-faillite du LTCM (Long Term Capital Management), un fonds américain de couverture ultraspéculatif, à l'automne dernier, lors de la crise financière.

Ces risques sont d'ailleurs perçus comme suffisamment graves pour que l'ensemble de la communauté internationale se mobilise, notamment l'Organisation des Nations-Unies, les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales membres du G 7, l'Union européenne et l'OCDE.

L'action de ces deux dernières institutions relève plus particulièrement de l'objet du présent rapport, puisqu'elle vise à dénoncer et à supprimer les régimes fiscaux de concurrence déloyale qui faussent les données de la compétition économique. Elle concerne en priorité les paradis fiscaux, mais elle a un objet plus large car elle vise également les régimes fiscaux préférentiels organisés par des Etats ou territoires dont la fiscalité présente par ailleurs un niveau comparable à ce qu'il est dans les grands Etats industrialisés.

En ce qui concerne les Etats, on observe avec satisfaction que la France a un rôle moteur, parmi d'autres pays, dans l'organisation de la coopération internationale pour la lutte contre la délinquance financière sous toutes ses formes, notamment le blanchiment.

Le deuxième facteur de risque est la fraude à la TVA intra-communautaire, dans la mesure où, si elle a parachevé la libre circulation des marchandises en supprimant les frontières douanières internes, l'intégration communautaire a laissé subsister des frontières fiscales intérieures, avec un dispositif d'exonération de TVA pour les livraisons d'un Etat membre de l'Union vers les autres Etats sur la base duquel plusieurs techniques de fraude sont possibles. Le principal procédé repose sur l'organisation d'une fraude tournante à la TVA de type « carrousel ».

Ces deux risques, celui des paradis fiscaux et de la fraude à la TVA intra-communautaire, ont la même origine, d'un point de vue juridique. Ils reposent sur le fait que la mise en _uvre de la libre circulation des personnes, des capitaux et des marchandises, qui permet de sortir aisément du cadre étatique, n'a pas été accompagnée par un développement des possibilités d'échange d'informations et de coopération en matières fiscale, judiciaire et pénale.

Palier les conséquences de ce morcellement fiscal et pénal exige, pour l'essentiel, des mesures de coopération entre Etats, décidées dans un cadre multilatéral ou dans un cadre bilatéral. Ces mesures ne sont pas d'ordre législatif et le rôle des assemblées parlementaires ne peut, à cet égard, que se limiter à afficher un soutien solide au Gouvernement, de manière que celui-ci puisse clairement faire valoir la position de la France dans les négociations internationales ou dans les arbitrages communautaires.

Seules quelques dispositions législatives, d'une portée nécessairement plus limitée, mais qui est loin d'être insignifiante, peuvent être suggérées.

Par contraste, et cela n'est pas sans poser de problème à la représentation parlementaire, dans la mesure où son intervention en termes de propositions de modifications législatives peut donner à un esprit non averti l'impression qu'elle s'intéresse davantage à ce qui est le moins important. En effet, les risques de fraude ou d'évasion fiscales au plan interne pour lesquels des améliorations législatives sont nécessaires ou envisageables, sont beaucoup moins importants, en termes de base imposable, mais peuvent donner lieu à des propositions assez nombreuses.

En outre, cette distorsion est accentuée par le fait que, parmi les propositions envisageables, certaines ne peuvent être présentées ici car, remettant en cause certains des éléments de base des grands impôts de fiscalité personnelle, l'impôt sur le revenu, l'impôt sur la fortune, les droits de mutation à titre gratuit, elles relèvent d'une réforme fiscale d'ensemble plutôt que du seul cadre du présent rapport, dont le thème est déjà suffisamment vaste.

Avant de présenter chacun de ces trois risques et les différentes mesures qu'il propose, votre Rapporteur tient cependant à mettre en exergue l'important effort de modernisation du cadre général du contrôle fiscal qui est en train d'être réalisé par la direction générale des impôts.

*

* *

CHAPITRE PREMIER

LA MODERNISATION DES MODALITÉS DU CONTRÔLE FISCAL : UNE OPTION ESSENTIELLE DANS LE CADRE D'UNE RELATION RENOUVELÉE AVEC LE CONTRIBUABLE

Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie fait actuellement l'objet de réformes significatives. Ces réformes portent tant sur les structures et l'organisation des services que sur les méthodes. Elles concernent en particulier la direction générale des impôts.

Une grande partie de ces mesures est inspirée de celles qui ont été mises en _uvre à l'étranger ces dernières années. Il s'agit donc largement d'un effort de modernisation et de remise à niveau de notre administration fiscale et, plus généralement, de nos administrations financières.

Il a paru utile à votre Rapporteur de faire état des principales orientations retenues par le Gouvernement, notamment de celles relatives au contrôle fiscal, même si son approche ne peut être que partielle, car il serait prématuré d'évoquer certains éléments relatifs à l'organisation des services, actuellement soumis à la concertation entre l'administration et les syndicats.

C'est donc avec un a priori plutôt descriptif que votre Rapporteur s'efforcera de présenter l'objet des principales réformes engagées.

Cette position de principe ne lui interdit pas cependant de saluer les nouvelles modalités du contrôle fiscal reposant une philosophie plus moderne des relations entre l'administration et le contribuable, ainsi que sur une approche qualitative et l'analyse de risque. Cette question se situe en effet au c_ur du sujet qui lui a été confié par la Commission des finances. Votre Rapporteur s'attachera donc, sur ce point, à suggérer quelques éléments de réforme complémentaires à ceux que propose le Gouvernement.

I.- L'ADOPTION D'UNE NOUVELLE APPROCHE DES RELATIONS ENTRE L'ADMINISTRATION ET LE CONTRIBUABLE DANS LE CADRE DE LA RÉFORME DU MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

En avril dernier, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Dominique Strauss-Kahn, et le secrétaire d'Etat au budget, M. Christian Sautter, ont fait part des objectifs de la nouvelle phase de réforme engagée au sein du ministère, après la fusion, décidée en juin 1997, entre le ministère de l'économie et des finances et le ministère de l'industrie et la réorganisation des structures de l'administration centrale en 1998.

Ces objectifs sont les suivants :

- donner la priorité aux usagers du service public, en simplifiant les formalités et en leur apportant un meilleur service ;

- faire des cadres et agents du ministère les acteurs de la réforme ;

- construire un service public plus performant et à coût maîtrisé.

La Mission pour la réforme du ministère, dite « mission 2003 », dirigée par M. Paul Champsaur, directeur général de l'INSEE, président du comité des directeurs, et M. Thierry Bert, chef du service de l'Inspection générale des finances, a engagé les travaux nécessaires à la mise en _uvre de ces réformes.

S'agissant des contribuables, pour lesquels un changement de terminologie est opéré et que le ministère souhaite qualifier d'« usagers », trois mesures ont été définies.

En premier lieu, chaque « usager » devrait avoir un correspondant fiscal unique. Ce correspondant aura un accès direct, sans délai, « en temps réel », au dossier du contribuable et l'orientera si nécessaire vers un agent spécialisé pour répondre aux questions les plus difficiles. Le recours aux techniques informatiques rend possible cette évolution.

Cette mesure vise aussi bien les particuliers que les entreprises, les grandes comme les petites. On mesure le progrès qui sera accompli, dès lors qu'on sait que chaque PME a actuellement six interlocuteurs fiscaux.

En deuxième lieu, le Gouvernement propose la simplification de la déclaration des revenus des particuliers, grâce à la « déclaration express » pour l'impôt sur le revenu. Chaque année, les particuliers devraient ainsi recevoir une déclaration pré-imprimée mentionnant leurs revenus dont le montant est communiqué par des tiers à l'administration fiscale, notamment les revenus salariaux, déclarés par l'employeur. Les revenus des capitaux mobiliers soumis au barème devraient également être concernés.

Le contribuable n'aura plus qu'à vérifier la fiabilité des informations pré-imprimées, à compléter en cas d'omission. Cela représente une amélioration considérable en termes de simplification. Il s'agit d'une mutation tout à fait remarquable sur le plan des symboles, car elle met le contribuable en situation de contrôler l'administration fiscale, alors que c'est habituellement l'inverse qui se produit, ce qui devrait décrisper les relations réciproques.

En troisième lieu, les grandes entreprises devraient avoir un interlocuteur fiscal unique grâce à la création d'une direction des grandes entreprises, chargée des problèmes d'assiette et de recouvrement des impôts acquittés par elles. Un total de dix-sept-mille entreprises serait concerné. On observera que la direction des grandes entreprises ne devrait pas couvrir le même champ que celui actuellement couvert par la direction nationale des vérifications nationales et internationales (DVNI), service de contrôle.

Cette réforme va dans le sens de ce qu'avait souhaité l'an dernier votre Rapporteur dans le cadre de son rapport d'étape n° 1105 intitulé « Fraude et évasion fiscales : une intolérable atteinte à l'impôt citoyen », celui d'une centralisation des déclarations des entreprises relevant d'un même groupe, de manière que l'administration fiscale puisse avoir une vision d'ensemble de la stratégie fiscale d'un groupe, et puisse ainsi mieux comprendre les opérations décidées par ses dirigeants.

Ces propositions appellent trois observations.

D'une part, elles vont dans le même sens que les réformes opérées dans les principaux pays étrangers disposant d'une administration fiscale réputée efficace.

D'autre part, elles devraient permettre de réaliser des gains d'efficacité.

Enfin, elles ont des conséquences importantes en termes de contrôle fiscal.

Le rapport de synthèse de la mission d'analyse comparative des administrations fiscales de l'inspection générale des finances, établi sous la supervision de M. Jean-Luc Lépine, inspecteur général des finances, daté du 20 mai 1999, reposant sur l'étude de la situation dans neuf pays de l'OCDE (3), soit douze administrations fiscales, constate en effet :

- que les administrations fiscales étrangères, notamment les plus performantes ont adopté une nouvelle philosophie de gestion, centrée sur la notion de « respect volontaire et spontané » de la loi fiscale par le contribuable (« compliance » en anglais) ;

- que ces administrations recourent à une utilisation intensive des nouvelles technologies de l'information ;

- qu'elles se sont engagées dans une démarche de maîtrise des coûts ;

- que les organisations se sont transformées, et que l'on constate une convergence de l'organisation des administrations fiscales vers un modèle commun ou « modèle partagé », selon les termes même du rapport ;

- que le processus de transformation des administrations fiscales s'est accéléré, car ce modèle commun n'existait pas il y a dix ans.

Lors de ses déplacements aux Etats-Unis et aux Pays-Bas, votre Rapporteur a, en effet, été frappé par une identité de vue dans l'approche de la relation de l'administration fiscale avec le contribuable et par la similarité de l'organisation de l'administration fiscale, avec l'identification de groupes de contribuables reposant sur la distinction entre les personnes physiques, les petites et moyennes entreprises et les grandes entreprises.

Ainsi, aux Pays-Bas, la direction générale de l'administration fiscale dispose de quatre directions opérationnelles, puisque les douanes sont rattachées à l'administration des impôts : la direction des personnes physiques ; la direction des PME ; la direction des grandes entreprises ; la direction des douanes.

Aux Etats-Unis, après les critiques du Congrès mettant en cause, en 1997, l'Internal revenue service (défaut d'efficacité, non-respect des droits du contribuable, défauts d'organisation et de communication), une nouvelle organisation est prévue, avec quatre groupes disposant d'une autonomie réelle : celui des grands groupes ; celui des PME et des travailleurs indépendants ; celui des particuliers (revenus salariaux et revenus de placement) ; celui des organismes non lucratifs, lesquels représentent une spécificité américaine.

La logique des relations avec les contribuables sur laquelle reposent les réformes envisagées induit en effet le recours à une organisation très normalisée.

Dans la mesure où l'objectif vers lequel doit tendre l'administration fiscale est d'assurer un rendement convenable de l'impôt en recourant le moins possible aux opérations répressives de contrôle fiscal, la notion de respect volontaire des obligations fiscales a pour contrepartie le développement d'une culture de service très affirmée. Il faut, en effet, renforcer la qualité du service rendu par l'administration, c'est à dire la qualité, la rapidité et la fiabilité des informations qu'elle peut délivrer, ainsi que l'aide qu'elle peut apporter à la compréhension de la loi fiscale et des obligations en découlant, notamment des obligations déclaratives, pour que le contribuable puisse accomplir sans difficulté les formalités qui lui incombent.

Ainsi, à l'étranger, le contribuable devient un « client » et ses préoccupations sont prises en compte d'une manière croissante. En France, la notion « d'usager » devrait ainsi progressivement remplacer celle de contribuable. Celle de client, ayant une valeur péjorative dans le langage de certaines administrations de contrôle, n'a fort heureusement pas été retenue.

Cette philosophie conduit, par souci de simplification, à la notion d'interlocuteur unique pour le contribuable et implique une réorganisation des services administratifs en fonction de chacun des groupes identifiés comme ayant des besoins et des problèmes spécifiques.

Elle a également une conséquence fort intéressante en matière de contrôle fiscal car, limitant les possibilités d'erreurs involontaires, elle permet d'identifier d'une manière assez sûre le contribuable de bonne foi qui ne remplit pas ses obligations fiscales correctement parce qu'il ne les connaît pas ou ne les comprend pas, et celui qui a une démarche de fraude. Aux Etats-Unis, la nouvelle démarche est mise en relation avec l'importance du tax gap, c'est à dire de l'écart entre l'assiette fiscale estimée et le produit de l'impôt réellement recouvré par l'administration.

Ce souci d'un renforcement de la qualité de l'assistance fournie par l'administration et de la diversification des services rendus est appréciable, même s'il conduit à opérer entre les contribuables des distinctions dont certains craignent qu'elles puissent être contraires à nos principes républicains.

Pourtant, cette distinction entre trois catégories de contribuables, et à l'intérieur de ces catégories, entre ceux qui s'exécutent volontairement de leurs obligations et les autres, n'apparaît ni choquante ni contraire au principe d'égalité devant la loi, dès lors que l'on est en présence de personnes dont il faut convenir qu'elles se trouvent objectivement dans des situations de fait très différentes.

Elle apparaît même nécessaire dès lors qu'elle permet à l'administration de fournir un service adapté et de qualité à l'ensemble des contribuables, ce qui représente un progrès notable par rapport à la situation actuelle où les seules entreprises d'une certaine taille et les particuliers les plus fortunés peuvent s'offrir les services des conseillers fiscaux les plus habiles, ainsi que le constate l'administration lorsqu'elle doit exercer la procédure de répression des abus de droit.

Ainsi, votre Rapporteur partage-t-il la philosophie de la réforme engagée et considère avec un grand intérêt, dans leurs grandes lignes, ses conséquences en termes de réorganisation. S'agissant des mesures de détail, il ne lui appartient naturellement pas, à ce stade, de se prononcer.

La question de la maîtrise des coûts est à l'arrière-plan des opérations de réorganisation envisagée.

Les travaux de la mission précitée montrent que le taux d'intervention, qui est calculé en rapportant le coût net des missions fiscales des administrations aux recettes fiscales nettes encaissées, est supérieur en France à ce qu'il est chez nos principaux partenaires, sur le fondement des données relatives à l'année 1997.

Sur la base de cet indicateur, on peut en effet distinguer : les administrations les moins coûteuses, celles des Etats-Unis et de la Suède avec respectivement un coût de 0,49 % et 0,52% des recettes encaissées ; les administrations se situant autour du point médian de 1%, avec l'Irlande (0,83%), l'Espagne (0,89%), le Canada (1,05%), le Royaume-Uni (1,12%) et les Pays-Bas (1,23%) ; les trois pays où le taux d'intervention est le plus élevé, l'Italie (1,52%), la France (1,60%) et l'Allemagne (1,71%). La moyenne est de 1,10%. Votre Rapporteur considère que ces comparaisons doivent être faites avec beaucoup de circonspection. Sa mission, dont ce n'était pas l'objet, ne lui a pas permis de se faire une opinion fondée sur l'efficacité des administrations étrangères qui permettrait d'établir un rapport éventuel entre l'efficacité et les coûts.

Le graphique suivant récapitule ces données :

graphique

Recettes prises en compte : impôts et cotisations sociales, sauf pour l'Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni (impôts seulement) / France : DGI + CP (ACOSS exclue).

Source : Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

Les facteurs explicatifs de ces divergences ne sont pas faciles à distinguer, même si l'on peut évoquer, comme le fait avec prudence la mission, le type d'impôts gérés, tant il est certain que la retenue à la source est un facteur d'économie, et la productivité du système fiscal. Il faut également évoquer l'implantation territoriale de l'administration fiscale, la France disposant d'un réseau très dense. La mission note ainsi qu'un indicateur reconstitué prenant en compte les impôts et les cotisations sociales permettrait de situer notre pays à 1,13%.

On constate néanmoins que notre pays se situe à un niveau plus élevé que celui de nos principaux partenaires.

Cette question des coûts de l'établissement et du recouvrement de l'impôt appelle de la part de votre Rapporteur trois observations :

- si la réduction des coûts ne doit pas constituer l'objectif premier de la réforme des administrations fiscales, il ne faut pas pour autant rejeter une réforme, dont votre Rapporteur a déjà souligné la légitimité sur le plan philosophique et intellectuel, pour le seul motif qu'elle permettrait de diminuer le coût de l'établissement de l'assiette et du recouvrement de l'impôt ;

- les effectifs libérés par l'augmentation de l'efficacité du service peuvent être consacrés à des redéploiements de personnels au profit des services en charge des opérations du contrôle fiscal. C'est l'intérêt de l'administration, puisque, ainsi que l'a montré votre Rapporteur dans le cadre de son rapport d'étape précité, un emploi supplémentaire dans un service en charge du contrôle fiscal « rapporte » en termes de rappels de droits précédemment éludés. Il conviendra ainsi de veiller à ce qu'une partie des gains d'efficacité se traduise par des redéploiements de personnels en faveur des opérations de contrôle fiscal ;

- l'augmentation de l'efficacité des services fiscaux peut permettre d'accroître les moyens consacrés à d'autres actions de l'Etat, telles que l'éducation nationale, car il est nécessaire, pour la légitimité de l'impôt, qui reste une obligation pas toujours très bien perçue par l'opinion, de ne pas risquer d'accréditer l'idée que l'administration qui les perçoit serait gérée, en connaissance de cause, d'une manière peu efficace et dispendieuse.

Avant de clore sur ce point, votre Rapporteur tient à préciser qu'il ne se prononce pas sur la question de savoir si le recouvrement spontané de l'impôt doit être effectué par le service d'assiette et le recouvrement forcé, après contrôle fiscal, par un service spécialisé, comme c'est souvent le cas à l'étranger, ainsi que l'a rappelé la mission précitée de l'inspection générale des finances. Il considère que cette question, qui conduit à remettre en cause la dichotomie entre la direction générale de la comptabilité publique et la direction général des impôts, ne relève pas, à ce stade, de la mission qui lui a été confiée.

II.- LA RÉORIENTATION DES MODALITÉS DU CONTRÔLE FISCAL

A.- LE RECOURS À L'ANALYSE DE RISQUE : UNE INNOVATION APPRÉCIABLE

Ainsi que vient de le rappeler votre Rapporteur, le principe de base sur lequel repose la modernisation des administrations fiscales est celui de la distinction entre les contribuables scrupuleux qui se conforment spontanément, avec l'aide de l'administration fiscale, à leurs obligations, et ceux qui ne s'y conforment pas.

Cette summa divisio, selon les termes même du rapport précité établi par l'inspection générale des finances, conduit ainsi à distinguer les contribuables dits « conformes », qui déclarent leurs revenus et payent sans difficulté leurs impôts, et les contribuables « non conformes », voire malhonnêtes, qui vont de fait utiliser les failles ainsi que l'extrême complexité du système fiscal, pour éluder le paiement de l'impôt.

Elle permet ainsi de procéder à une réorientation de l'essentiel des moyens du contrôle fiscal vers les contribuables présentant le risque le plus important et à ne pas procéder à des opérations de contrôle lourdes pour les contribuables scrupuleux.

Naturellement, cette concentration de moyens nécessairement limités de l'administration sur les contribuables présentant un risque fiscal ne conduit pas à ne pas prévoir de contrôle sur les populations ne présentant pas de risque, mais à effectuer essentiellement des contrôles sur pièces ou quelques contrôles externes limités. Il s'agit bien d'une distinction qui a des conséquences non en termes de statut du contribuable, mais en termes de fréquence et d'importance des contrôles.

C'est une logique de renforcement de la portée du contrôle fiscal.

En pratique, cette nouvelle approche en termes d'analyse de risque intervient à deux niveaux.

S'agissant de la programmation, elle permet de consacrer d'importants efforts aux secteurs qui présentent des potentialités de fraude importantes.

S'agissant des interventions auprès de contribuables, le recours à cette démarche autorise, dans le cadre des orientations générales de la programmation du contrôle fiscal, une démarche de qualité fondée sur une analyse du risque individuel que présente le contribuable sur le plan fiscal et la surveillance de ce risque. Ce risque est apprécié en termes de pertes de recettes pour l'administration fiscale.

Grâce aux moyens informatiques, il est possible de procéder à une analyse de ce risque individuel sur deux plans également : d'une part, au niveau du comportement du contribuable vis-à-vis de ses obligations déclaratives, et, s'agissant des entreprises, de leurs dirigeants, éventuellement ; d'autre part, au niveau de la solvabilité du contribuable et de son comportement passé en termes de paiement de l'impôt et de respect de ses engagements lorsque des facilités lui ont été offertes par l'administration (respect des délais de paiement ou des plans de règlements etc.). La logique du dispositif est donc d'assurer un lien entre le contrôle fiscal et le recouvrement.

L'analyse de risque permet ainsi de mieux sanctionner les comportements délictueux en permettant un véritable suivi du contribuable défaillant.

Sur le plan des moyens, cette démarche nécessite de mettre à la disposition des vérificateurs des bases de données importantes et fiables qui fournissent des informations sur le contribuable

On ne peut que se féliciter de cette nouvelle approche du contrôle fiscal qui repose en fait sur la mise en _uvre de l'évidence selon laquelle le contrôle fiscal doit être par priorité orienté en direction des secteurs économiques et des contribuables à risques, et même, des contribuables à risque parmi les secteurs économiques à risque.

Les expériences étrangères confirment que le recours à l'analyse de risque permet de renforcer la qualité du contrôle fiscal et l'amélioration du recouvrement de l'impôt après contrôle fiscal.

Aux Pays-Bas, l'administration fiscale utilise ainsi, pour les entreprises, un modèle dit de maintien du droit, qui repose sur l'analyse du risque.

Une analyse des risques issus de la loi fiscale, combinée avec une analyse du risque fiscal de l'entreprise compte tenu de son activité et de ses modalités de fonctionnement (on parle de groupe de « clients » homogènes), et avec une prise en compte du comportement fiscal de l'entreprise et de ses dirigeants, permet de définir la classe de risque de l'entreprise.

Le résultat de cette analyse, combiné avec le calcul de la somme dite WOLB représentative de la contribution annuelle de l'entreprise au Trésor, permet d'affecter celle-ci à une catégorie d'attention. Chaque catégorie d'attention relève d'une procédure de suivi spécifique.

Lorsque des signaux supplémentaires sont reçus par l'administration fiscale, traduisant un renforcement du risque, les données relatives au contribuable sont mises à jour.

En ce qui concerne le risque financier, à savoir la gestion de la dette globale du contribuable et le suivi de son dossier individuel, les procédures suivies à l'étranger conduisent à attribuer au contribuable une note de risque, de la même manière que les institutions financières à l'égard de leurs débiteurs.

Au-delà, le recours à l'analyse de risque présente huit avantages, fort appréciables aux yeux de votre Rapporteur.

En premier lieu, il permet une stratégie de dissuasion dont on peut penser qu'elle a tout lieu d'être efficace, puisqu'elle permet d'atteindre l'objectif final d'une administration chargée du contrôle fiscal, qui n'est pas de sanctionner pour sanctionner, mais de faire passer les contribuables de la catégorie des contribuables peu scrupuleux ou « non conformes » à celle des contribuables probes ou « conformes ». L'intérêt objectif d'un contribuable étant son maintien dans une catégorie jugée sans risque et de cesser de faire partie de la catégorie à risque, il est donc fortement incité à s'acquitter parfaitement de ses obligations.

En deuxième lieu, le recours à l'analyse de risque respecte les principes de bases de la démarche de contrôle fiscal, laquelle consiste à réprimer les comportements frauduleux pour des raisons non seulement morales, mais également économiques car ces comportements faussent la concurrence, à assurer le rappel des droits éludés pour des raisons budgétaires et à dissuader le contribuable de frauder.

En troisième lieu, la démarche assure une réactivité importante de l'administration fiscale lorsque le risque augmente. Des informations supplémentaires peuvent, en effet, conduire à changer un contribuable de catégorie de risque, et montrer la nécessité d'un contrôle fiscal, lequel peut être effectué avant que la dette fiscale ne prenne trop d'importance et ne devienne irrécouvrable.

En quatrième lieu, la logique de la démarche conduit à adopter une vision d'ensemble de la situation du contribuable et à assurer ainsi un lien entre le contrôle fiscal et le recouvrement des droits rappelés, ce qui permettrait d'éviter les difficultés actuelles, où l'autonomie de la logique du contrôle fiscal et l'absence de préoccupation quant au recouvrement entraîne une véritable course à la multiplication des rappels irrécouvrables.

Cette liaison permettra de donner une plus grande signification aux statistiques du contrôle fiscal.

En cinquième lieu, la démarche retenue ne permet pas de nourrir de crainte pour les libertés publiques dès lors que l'utilisation des moyens informatisés intervient dans le respect des règles générales protectrices des données individuelles, notamment dans le respect des règles assurant le « droit à l'oubli ». L'élimination de données anciennes doit ainsi être prévue.

En sixième lieu, elle renforce la légitimité du contrôle fiscal, dès lors que celui-ci est statistiquement orienté vers la fraude et que le contribuable sait que le facteur d'arbitraire est réduit au minimum.

En septième lieu, cette démarche n'apparaît pas contraire au principe de l'égalité devant l'impôt dès lors qu'elle traite différemment non pas deux contribuables identiques, mais des contribuables qui se trouvent dans des situations différentes en fonction de critères objectifs.

En huitième et dernier lieu, le recours à l'analyse de risque permet de procéder à une adaptation des modalités du contrôle fiscal aux enjeux et aux situations qui doit conduire à diversifier les modes d'intervention.

Cette adaptation appelle deux observations.

D'une part, elle permet d'introduire une certaine souplesse dans le plan de charge annuel du vérificateur, chaque intervention auprès d'un contribuable pour une opération de vérification étant pondérée en fonction de l'enjeu fiscal et financier que représente le contribuable

D'autre part, elle présente un intérêt appréciable pour le contrôle des petites entreprises. Ce point doit être développé à part, compte tenu de son importance.

B.- L'ADAPTATION DES PROCÉDURES DE CONTRÔLE EXTERNE
DES PME : UNE MESURE CONFORME AUX ENJEUX

Le rapport précité établi par l'inspection générale des finances n'est pas le premier à faire état de la nécessité de procéder à une analyse de risque, en matière de contrôle fiscal.

Le rapport du groupe de réflexion sur le contrôle fiscal des petites et moyennes entreprises, présidé par M. Jean-Michel Roy, directeur des services fiscaux des Yvelines, remis en août 1997, préconisait en effet ce recours à l'analyse de risque.

Sur cette base, il recommandait la création d'une procédure spécifique de vérification des petites entreprises, ayant noté que « la direction générale des impôts a une bonne performance en couverture du tissu et en résultat des entreprises les plus importantes et que sa ligne d'action doit être certainement corrigée pour les PME-PMI et les TPE à l'égard desquelles le taux de couverture est faible ».

Il préconisait ainsi, d'une part, de diversifier les modalités d'intervention de l'administration, d'autre part, d'assurer une prise de contact rapide entre l'administration fiscale et l'entreprise et, enfin, de définir une modalité particulière de vérification des petites entreprises, afin d'éviter la multiplication des contrôles lourds, prenant acte de ce que, parmi les procédures de contrôle externe, la procédure de vérification de comptabilité destinée aux petites entreprises définie en 1982, la vérification-diagnostic (VEDI), était en voie de dépérissement.

Suivant ces recommandations, l'administration a ainsi mis en place la procédure de la vérification générale des petites entreprises, la VGPE, méthode de vérification applicable en l'absence de risque présumé et, en priorité, pour les bénéfices non commerciaux (BNC) et les entreprises nouvelles.

La VGPE consiste à vérifier un seul exercice, à établir un diagnostic à chaque étape du contrôle et à étendre la vérification à l'ensemble de la période si un risque est détecté.

Ainsi, avec la VGPE, les procédures de contrôle fiscal externe des entreprises offrent un ensemble d'instruments diversifiés et adaptés.

D'une part, la procédure d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle (ESFP), destinée en principe aux particuliers, peut être engagée lorsque la fraude ne peut être appréhendée qu'au niveau du revenu du dirigeant ou de l'exploitant de l'entreprise.

D'autre part, s'agissant des différents types de vérifications de comptabilité, on observera que, pour ces mêmes PME, plusieurs procédures peuvent être mises en _uvre :

- la vérification simplifiée (VS), lorsqu'un seul impôt est contrôlé ;

- la vérification ponctuelle (VP), s'il s'agit de vérifier un point précis ;

- la vérification générale (VG), dans les situations à risque (entreprise défaillante ou clandestine, déficit reportable sur plusieurs exercices, antécédents frauduleux du dirigeant ou de l'exploitant, entreprise domiciliée) ou pour les sociétés appartenant à un groupe ;

- et la VEDI, le cas échéant, pour les entreprises relevant du régime du réel simplifié, procédure allégée dans le cadre de chacun des types de vérification précédemment évoqués.

Votre Rapporteur se félicite de la mise en place de la procédure de la VGPE qui permet d'augmenter la présence de l'administration fiscale sur le terrain, et ainsi la fréquence des contrôles sans pour autant créer d'obligation lourde pour le contribuable. Ainsi qu'il l'avait noté dans le cadre de son rapport d'étape précité, cela permet de dédramatiser l'opération de contrôle fiscal.

Indéniablement les nouvelles modalités du contrôle fiscal, inspirées des exemples étrangers, constituent une initiative à soutenir.

Cependant, ce soutien accordé par votre Rapporteur ne saurait être un soutien aveugle.

En effet, s'il s'avérait qu'elle était gérée d'une manière insuffisamment dynamique, que les mises à jour étaient insuffisantes et que les appréciations du risque n'étaient pas fiables, la nouvelle démarche du contrôle fiscal ne manquerait pas de tourner au désavantage des contribuables identifiés une fois pour toutes, sur la foi d'informations parfois erronées, comme des contribuables à risque, et offrirait des possibilités de fraude difficiles à détecter de la part de contribuables qui auraient eu la chance d'échapper à cette classification.

Sur un autre plan, l'exemplarité du contrôle fiscal fait qu'il convient de veiller à ce que, par l'un de ces effets pervers dont la démarche administrative a parfois le secret, les contrôles ne se focalisent pas sur les seuls contribuables solvables. Le taux de recouvrement s'améliorerait certes, mais artificiellement, ce qui donnerait l'image fausse d'un renforcement de l'efficacité du contrôle fiscal. Mais, en contrepartie, on pourrait craindre que la méthode n'incite les contribuables à réduire, en apparence, leur solvabilité afin d'échapper à la vigilance des services fiscaux, ce qui permettrait à des fraudes importantes d'échapper à l'action de l'administration. L'exercice du contrôle fiscal sur des entreprises insolvables a, dans certains cas, une vertu pédagogique qu'il ne faut point méconnaître.

Si ces risques se réalisaient, il y aurait dans ces deux cas des dysfonctionnements graves du service administratif.

A cet égard, la meilleure garantie consiste à maintenir une présence fiscale, adaptée, certes, mais réelle, sur l'ensemble du corps social.

III.- LES PROPOSITIONS DE VOTRE RAPPORTEUR POUR FACILITER PLUS ENCORE L'ACCÈS DU CITOYEN À LA LOI FISCALE ET À L'ADMINISTRATION FISCALE 

En complément des actions du Gouvernement en faveur d'un renforcement de la citoyenneté de l'impôt, votre Rapporteur a été conduit à envisager trois types de mesures, qui n'ont pas l'ampleur de celles qui viennent d'être évoquées, mais sont suffisamment consensuelles pour ne pas appeler de longues observations.

A.- L'AMÉLIORATION DE LA TRANSPARENCE DU RECOUVREMENT DES RAPPELS D'IMPOSITION

Les nouvelles orientations du contrôle fiscal, qui viennent d'être évoquées, doivent assurer une meilleure liaison entre les rappels d'imposition et le recouvrement de ces rappels.

Il importe donc de modifier la teneur des informations communiquées au Parlement, chaque année, dans le cadre du fascicule Evaluation des voies et moyens annexé au projet de loi de finances.

Deux mesures sont ainsi envisageables :

- d'une part, améliorer la transparence sur les modalités selon lesquelles interviennent la transaction, la remise et la modération en matière fiscale, pour les droits rappelés à l'issue de procédures de contrôle fiscal. Le recours à de telles procédures devrait être plus limité dès lors que les opérations de contrôle fiscal seraient plus fiables.

Votre Rapporteur juge ainsi nécessaire de prévoir, dans le cadre du fascicule précité, un rapport au Parlement sur le montant des cotes totalement ou partiellement soldées après contrôle fiscal en raison d'une mesure gracieuse ainsi que, dans le respect du secret fiscal et de manière anonyme, sur les motifs ayant conduit à réduire le montant des droits rappelés, au-delà de certains montants définis par type d'impôt, par dossier (cote, affaire ou exercice, selon la terminologie de l'administration).

Il considère également que le montant des transactions, remises et modérations accordées par chacune des autorités compétentes, ministre, directeur général, directeur régional, directeur départemental, devrait faire l'objet d'une présentation détaillée.

- d'autre part, créer un indice de performance du contrôle fiscal établi chaque année, sur la base du rapprochement entre le montant des rappels et des recouvrements, par exercice auquel les rappels et les recouvrements sont rattachés.

Ces informations sont en effet nécessaires pour comprendre des chiffres relatifs aux résultats du contrôle fiscal qu'il est sinon, lorsqu'ils sont extraits de leur contexte et présentés sans informations complémentaires, impossible d'interpréter correctement.

B.-  L'AMÉNAGEMENT DES PROCÉDURES DE MÉDIATION LORS DES OPÉRATIONS DE CONTRÔLE FISCAL

Afin de faciliter la résolution des conflits entre l'administration fiscale et les contribuables, lors des opérations de contrôle fiscal, on peut envisager d'améliorer les procédures d'arbitrage existantes.

Actuellement, celles-ci sont fondées sur l'intervention d'un interlocuteur - départemental pour le cas général, mais il existe également des interlocuteurs régionaux ou des interlocuteurs pour les grandes directions nationales -, qui est un fonctionnaire susceptible d'entendre le contribuable au nom du directeur des services fiscaux compétent.

Le contribuable est également informé sur les possibilités de recours hiérarchique dont il dispose pendant les opérations de vérification et de redressement, la Charte du contribuable vérifié prévoyant que non seulement le nom et les coordonnées du supérieur hiérarchique direct du vérificateur mais également celles de l'interlocuteur sont mentionnées sur l'avis de vérification.

Le recours auprès de l'interlocuteur et le recours hiérarchique peuvent être menés conjointement, à tout moment de la procédure de contrôle externe, pendant la vérification comme pendant les opérations de redressement.

La saisine de l'interlocuteur, comme celle du supérieur hiérarchique direct du vérificateur, a un effet suspensif, dans la mesure où aucune imposition supplémentaire, aucun rappel, ne peut être mis en recouvrement tant qu'il n'a pas été statué sur les recours engagés.

Ce dispositif est satisfaisant, car il introduit une double possibilité de recours.

Deux améliorations peuvent cependant être envisagées.

D'une part, on peut souhaiter renforcer le rôle d'arbitre de l'interlocuteur en prévoyant que l'exercice de cette fonction serait confié à des personnalités indépendantes de l'administration fiscale, par exemple des magistrats honoraires.

D'autre part, on doit envisager d'obliger l'administration à motiver de manière détaillée les raisons pour lesquelles elle ne suivrait pas l'arbitrage qui serait rendu par l'interlocuteur départemental.

Ces deux propositions, qui inciteront l'administration à faire preuve d'une plus grande pédagogie lors de l'exercice des opérations de contrôle fiscal, vont dans le même sens que les différentes mesures actuellement mises en _uvre, fondées sur l'incitation du contribuable à respecter volontairement ses obligations fiscales, compte tenu de la qualité de l'aide qui lui est apportée par l'administration.

C.- LE RENFORCEMENT DE LA FORMATION ET DE L'INFORMATION DU CITOYEN SUR LA RÈGLE FISCALE

1.- La mise en _uvre de campagnes d'information sur les dispositions adoptées dans les lois de finances

La loi de finances de l'année donne lieu à une information passablement inégale. Le dépôt du projet de loi initial fait l'objet d'un large écho dans la presse, les temps forts du débat parlementaire également, lorsque des dispositions particulièrement marquantes sont adoptées.

En revanche, l'adoption définitive de la loi par les assemblées ne fait pas l'objet d'une large publicité, ce qui nuit à la compréhension, par l'opinion publique, des dispositions réellement et définitivement adoptées. Souvent, le dispositif initial est mieux connu que le dispositif définitif.

Afin de faciliter la compréhension de l'évolution de la loi fiscale par le citoyen, il serait nécessaire de renforcer la communication sur les principales modifications des règles fiscales prévues par la loi de finances, ainsi que les mesures nouvelles, en matière de fiscalité des particuliers et d'imposition des petites entreprises.

2.- L'enseignement des éléments de base sur les impôts et la fiscalité dans les écoles, dans le cadre de l'instruction civique

Pour un grand nombre de personnes, la règle fiscale est inaccessible faute de maîtriser les bases et les principes essentiels régissant les principaux impôts et taxes, et d'opérer une distinction claire entre, d'une part, les impôts, d'autre part, les cotisations sociales et, enfin, les prélèvements et impositions divers tels que la redevance audiovisuelle.

De même, la notion de fraude, c'est à dire de man_uvre illégale et réprimée conduisant à réduire le montant de l'impôt payé, mais pas de l'impôt légalement dû, n'est pas distinguée de celle de planification fiscale ou d'optimisation fiscale, laquelle consiste à utiliser au mieux les différentes options proposées par le législateur, dans le but de ne pas retenir la solution la plus lourdement taxée.

Dans la perspective de l'affirmation indispensable de la citoyenneté, il apparaît ainsi nécessaire d'expliquer très tôt dans l'enceinte scolaire la véritable légitimité de l'impôt.

Il appartient donc à l'enseignement élémentaire et à l'enseignement secondaire de donner les premiers éléments relatifs à la compréhension de la fiscalité, et les actions engagées sur ce point dans le cadre de l'instruction civique doivent être renforcées. Un effort doit être également engagé auprès des enseignants, afin de leur permettre, à eux aussi, de s'orienter dans l'écheveau des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques.

Nul ne saurait ne pas souscrire à cette proposition dont l'objectif est de développer le sens civique et le respect de la citoyenneté de l'impôt.

*

* *

CHAPITRE II

LA LUTTE CONTRE LA GRANDE FRAUDE ET L'ÉVASION FISCALES INTERNATIONALES

Après s'être rendu, en avril dernier, aux Etats-Unis, à Panama et aux Bahamas, puis en mai à Nice et à Marseille, à proximité de Monaco et, en juin, d'une part, au Royaume-Uni et en Irlande, d'autre part, aux Pays-Bas, en Belgique, à Bruxelles auprès des institutions de l'Union européenne et enfin au Luxembourg, votre Rapporteur a pu mesurer combien la fraude et l'évasion fiscales internationales représentent, pour les administrations fiscales, un risque important.

Ce risque est indéniablement lié, d'une part, au développement des paradis fiscaux, puisque l'OCDE recense quarante-sept juridictions, c'est-à-dire Etats indépendants ou territoires autonomes dépendant d'une grande puissance ou liée à elle, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, principalement, et, d'autre part, au foisonnement des régimes fiscaux préférentiels, dans l'ensemble des pays du monde.

Face à cette situation, les possibilités des Etats de prendre, en réaction, des mesures dites anti-abus complémentaires à celles déjà en vigueur sont assez limitées, car ils se heurtent très vite au problème de la souveraineté des paradis fiscaux et des Etats initiateurs de régimes de concurrence fiscale dommageable, et seule la pression internationale apparaît comme un moyen d'action efficace et sûr.

Aussi votre Rapporteur est-il conduit à soutenir en priorité la participation active de la France aux actions collectives de la communauté internationale et de l'Union européenne, dans la perspective d'éradiquer les aspects les plus choquants non seulement des paradis fiscaux mais aussi de la législation d'un certain nombre d'autres Etats, tels que l'opacité d'un secret bancaire absolu, les abus de l'anonymat qu'autorise le droit local des sociétés et celui des trusts ou des institutions comparables, l'immunité dont bénéficie sur le plan pénal la grande délinquance financière internationale, l'immunité fiscale des produits frauduleusement soustraits à la vigilance des administrations fiscales et l'impossibilité, pour les administrations fiscales, de procéder à des poursuites, ainsi que l'anarchie financière et l'absence de respect des règles prudentielles élémentaires généralement reconnues, et d'éliminer les régimes fiscaux préférentiels générateurs d'une concurrence déloyale qui perturbe le marché.

Néanmoins, cette primauté de l'action multilatérale ne doit pas conduire à s'interdire toute initiative nationale.

Bien au contraire, lorsque cela ne risque pas de nuire à la clarté du message de la France, une initiative au plan national ne peut que conforter la position de notre pays en montrant sa détermination.

Ainsi, après avoir rappelé, d'une part, les principaux enseignements des missions à l'occasion desquelles il a pris concrètement connaissance des modes de fonctionnement des paradis fiscaux et des régimes fiscaux préférentiels et, d'autre part, les actions engagées au plan international tant sur le plan pénal, que sur le plan fiscal et financier, votre Rapporteur suggérera-t-il un renforcement de l'efficacité de la législation relative au contrôle des opérations internationales et une extension, sous certaines réserves et avec nombre de précautions, du réseau des conventions internationales d'échange de renseignements en matière fiscale et d'entraide judiciaire en matière pénale

On pourra observer que l'objet de ces propositions dépasse les seuls aspects strictement fiscaux.

Il s'est avéré délicat de ne pas évoquer les aspects pénaux de la fraude, ainsi que, d'une manière plus générale, les questions relatives au blanchiment d'argent dans le cadre de l'examen des questions relatives aux paradis fiscaux, dans la mesure où l'ensemble des réseaux sont très mélangés. Des sujets non directement liés à la fraude et l'évasion fiscales, mais plutôt à la grande criminalité organisée seront donc évoqués dans les développements qui suivent.

Evidemment, les réflexions de votre Rapporteur ne sauraient en aucun cas préjuger des conclusions de la mission d'information commune sur les paradis fiscaux et la lutte contre le blanchiment des capitaux en Europe, récemment créée au sein de notre Assemblée et dont les travaux, résultant de préoccupations spécifiques clairement annoncées par son président et ses rapporteurs devraient apporter un éclairage utile.

I.- LES PARADIS FISCAUX ET LES RÉGIMES FISCAUX PRÉFÉRENTIELS : DES LIEUX DE « FLIBUSTE » FISCALE, OÙ LA FRAUDE ET L'ÉVASION FISCALES CROISENT LES PRODUITS FINANCIERS DE LA GRANDE CRIMINALITÉ ORGANISÉE

Ainsi que l'avait rappelé votre Rapporteur dans le cadre de son rapport d'étape, les évolutions des deux dernières décennies ont considérablement accru les possibilités de fraude et d'évasion fiscales avec :

- le développement du commerce international, et des transactions qui lui sont liées, dont il est parfois difficile d'apprécier la régularité, faute de pouvoir toutes les contrôler. Cette évolution a été facilitée par une très forte diffusion des capacités et des techniques de production dans l'ensemble des pays du monde, ainsi que par l'ampleur des délocalisations industrielles ;

- la complexité des réseaux de distribution des marchandises, qui impliquent parfois un grand nombre d'intermédiaires entre le pays de départ et le pays de destination ;

- le développement des « exportations » et « importations » de prestations de services, secteur où les prix sont loin d'être normalisés et où les possibilités de contrôle des surévaluations et des sous-évaluations sont très limitées ;

- la suppression du contrôle des changes et l'instauration d'une liberté totale des transactions financières internationales ;

- l'explosion du volume des mouvements de capitaux, qui rend matériellement impossible toute procédure de contrôle fiable ;

- le développement des télécommunications, qui a favorisé les possibilités de mobilité des biens et des capitaux ainsi que celle des personnes en permettant de nouer plus facilement des relations exploratoires préalables à des relations commerciales ou à des transactions financières ;

- la réduction du coût de transport des marchandises, ce qui rend celui-ci négligeable au regard des différences de coûts de production ;

- le développement et la réduction des coûts des transports internationaux de passagers, qui permettent d'établir plus aisément des relations d'affaires, mais également de surveiller plus directement la gestion d'une fortune délocalisée ;

- les débuts du commerce électronique, lequel se traduit par des possibilités de fraude fiscale comme cela a été confirmé aux Etats-Unis pour la sales tax dans le cadre du commerce entre Etats membres de la fédération.

En outre dans le cadre de la construction européenne, ces facteurs ont été amplifiés par deux éléments :

- la suppression, dans la perspective du grand marché, des contrôles douaniers pour les échanges de marchandises entre les Etats membres de l'Union européenne, contrôles qui représentaient un instrument tout à fait appréciable ;

- le démantèlement du contrôle des changes et la libéralisation complète des mouvements de capitaux, non seulement pour les relations entre les Etats membres, ce qu'exige la logique du marché unique, mais également pour les relations avec les pays tiers, qui a conduit à supprimer le second pilier du contrôle de l'administration sur les transactions internationales.

L'économie moderne se présente donc comme un espace très décloisonné, ouvert, d'échanges et de transactions, de dimension mondiale, où l'Etat doit opérer, avec une capacité d'action forte mais ne s'exerçant que sur un territoire restreint, un prélèvement fiscal sur une matière qui peut lui échapper sans grande difficulté, puisque les entreprises comme les particuliers ont toute latitude pour pratiquer ce que l'on appelle un shopping fiscal, et opérer soit des arbitrages légaux qui relèvent de la simple optimisation fiscale (au sens large car il faut également tenir compte de l'importance des prélèvements sociaux), soit des arbitrages illégaux relevant de la fraude fiscale.

En outre, les risques de fraude et d'évasion fiscales sont d'autant plus accrus que les réalités et les mentalités changent et que des pratiques de recherche systématique de la réduction de la charge fiscale ou sociale, autrefois le fait d'une minorité, tendent à se développer.

Plusieurs de ses interlocuteurs ont même signalé à votre Rapporteur que le phénomène avait pris une telle ampleur que nombre des personnes intéressées par des montages fiscaux internationaux étaient parfois manifestement de celles pour lesquelles le rendement d'une stratégie fiscale hardie serait négatif, compte tenu de son coût.

A l'opposé, en effet, les administrations fiscales restent cloisonnées dans le cadre étatique, ne peuvent obtenir certaines informations sur les opérations internationales qu'avec des procédures spécifiques et parfois longues et ne peuvent obtenir aucune information sur les transactions effectuées dans les paradis fiscaux ou les juridictions qui ne coopèrent pas. Ce même cloisonnement est ressenti par les juges en matière pénale.

L'essentiel de ces risques est ainsi concentré sur les paradis fiscaux et les régimes fiscaux préférentiels.

Si l'on conçoit bien la différence entre un paradis fiscal, Etat ou territoire caractérisé par le très faible niveau des impôts, et un régime fiscal préférentiel, matérialisé par l'application de règles fiscales très avantageuses et dérogatoires du droit commun dans un Etat à fiscalité normale, la distinction entre les deux notions n'est pas très claire en pratique.

On constate en effet un véritable continuum allant du vrai paradis fiscal caractérisé par très peu d'impôts et l'absence totale d'impôts directs, un secret bancaire absolu, des règles du droit civil et du droit des sociétés garantissant un anonymat absolu pour les propriétaires ou des bénéficiaires de sociétés, personnes morales et trusts, ainsi qu'une absence de coopération pénale et fiscale, au régime fiscal préférentiel prévoyant simplement des avantages fiscaux pour l'implantation d'un quartier général d'un groupe d'entreprises de taille internationale.

La situation intermédiaire est celle des centres off shore
qui repose sur une différence de fond entre les opérations économiques réalisées à l'intérieur du territoire, contrôlées et taxées, et les opérations internationales, très peu contrôlées et très peu taxées.

Le tableau suivant, qui propose une « liste de paradis fiscaux », telle qu'elle a pu être établie à partir de la compilation de divers documents présentés comme des guides des paradis fiscaux, mentionne en fait mon sentiment des vrais paradis fiscaux, mais également des pays qui relèvent plus de la catégorie des régimes fiscaux préférentiels que des paradis fiscaux, mais représente une base assez sûre pour citer les principales juridictions, Etats ou territoires concernés :

LISTE DE PARADIS FISCAUX NOTOIRES

 

Andorre

Grenade

Monaco

Anguilla

Guernesey

Montserrat

Antigua et Barbuda

Hong-Kong

Nauru

Antilles néerlandaises

Irlande

Panama

Bahamas

Ile de Man

Pays-Bas

Bahreïn

Iles Cook

Saint-Kitts-et-Nevis

Barbade

Iles vierges britanniques

(Saint-Christophe-et-Nièves)

Bermudes

Jersey

Saint-Vincent et les Grenadines

Cayman ou Iles Caïmans

Liberia

Sark ou Sercq

Chypre

Liechtenstein

Suisse

Costa Rica

Luxembourg

Turks et Caïcos (Turques et Caïques)

Gibraltar

Malte

Vanuatu

NB : Les territoires non souverains sont en italique.

Source : Liste établie d'après les trois ouvrages suivants :

Guide mondial des paradis fiscaux, The Economist ; The main havens, Grundy's tax haven, Hampton ; The main tax havens, Spitz, Diamond and Diamond

Néanmoins, on observe une différence notable entre les paradis fiscaux et les pays à régimes fiscaux préférentiels, les premiers représentent une plaque tournante privilégiée pour la fraude fiscale, mais aussi un éventuel point de passage pour le recyclage des produits du crime organisé, ce qui est nettement moins le cas des seconds.

A.- LES PARADIS FISCAUX : UN CADRE PROPICE À L'ÉPANOUISSEMENT DE LA FRAUDE FISCALE COMME DE LA GRANDE CRIMINALITÉ FINANCIÈRE INTERNATIONALE

Dans le domaine de la fraude et de l'évasion fiscales, les « paradis fiscaux » tiennent naturellement une place de choix.

Ils assurent en effet une grande immunité bancaire, fiscale et judiciaire, aux personnes qui détiennent des actifs qui y sont localisés, soit directement, en propre, soit par l'intermédiaire de sociétés ou de participations dans des sociétés. Ils permettent ainsi à des personnes physiques comme à des entreprises de se soustraire à leurs obligations, et de procéder à des opérations clandestines, occultes et secrètes, parfois légales, mais le plus souvent illégales. Le « paradis bancaire » et le « paradis judiciaire » viennent s'ajouter au « paradis fiscal » proprement dit.

Outre ces avantages, quatre éléments sont en outre considérés comme primordiaux par les professionnels en charge des montages fiscaux internationaux : la stabilité politique, qui garantit la stabilité de la règle juridique ; l'absence de contrôle des changes pour les non-résidents, qui permet de disposer d'une totale liberté pour les mouvements de capitaux ; un secteur bancaire et juridique développé et de bonne qualité ; des télécommunications et des liaisons aériennes aisées, rapides et fiables.

On trouve cependant différents types de paradis fiscaux, selon que des impôts, toujours modérés, sont ou non prélevés, selon le degré de protection du secret bancaire, selon que l'Etat ou le territoire concerné coopère ou non en matière fiscale ou en matière judiciaire avec certains Etats étrangers.

La principale distinction concerne cependant le paradis fiscal au sens strict et le centre off shore.

Parfois, les deux termes sont utilisés comme synonymes.

On ne saurait cependant confondre les deux notions, car les centres ou les places off shore sont organisés par certains Etats ou par certains territoires, qui réservent des règles spécifiques semblables à celles des paradis fiscaux aux seules opérations internationales n'ayant aucun lien avec une activité économique au sein de leur territoire.

Le régime du centre off shore repose donc, en principe, sur l'application de règles distinctes aux résidents et aux non-résidents, soit en tout point de la législation fiscale, financière ou bancaire, soit sur certains points seulement. Le centre exerce des activités destinées aux seuls non-résidents. Les établissements bancaires, notamment, doivent obtenir une licence spécifique, distincte de celle qui permet de faire des opérations avec des résidents.

On notera les centres off shore répertoriés par M. Barry Spitz, par exemple, auteur de l'ouvrage « International Tax Havens Guide : the professional's source for Offshore investment information », Harcourt-Brace :

Une liste des centres off shore

Andorre

Antilles néerlandaises

Aruba

Bahamas

Barbade

Bermudes

Chypre

Costa Rica

Hong Kong

Iles Caïmans

Iles Cook

Ile de Man

Ile Maurice

Iles Turques et Caïques

Iles Vierges britanniques

Gibraltar

Guernesey

Jamaïque

Jersey

Labuan (Malaisie)

Libéria

Liechtenstein

Luxembourg

Madère

Malte

Monaco

Nauru

Niue

Panama

Samoa occidentales (Îles)

Saint-Christophe et Nièves

Vanuatu

NB : Les territoires non souverains sont en italique.

1.- Les éléments caractéristiques des paradis fiscaux : une faible fiscalité ; un secret bancaire absolu ; la préservation de l'anonymat des propriétaires de sociétés ; une coopération fiscale et judiciaire réduite, voire inexistante

a) L'absence d'impôt ou une faible fiscalité directe, pour les non-résidents tout au moins

Le véritable paradis fiscal se caractérise par l'absence d'impôt direct sur le revenu, sur les plus values, sur les bénéfices, sur le capital ou sur la fortune, ainsi que sur les successions et les donations, ou le faible niveau de ces prélèvements.

La diversité des mesures est telle qu'il ne sera possible à votre Rapporteur que d'en donner quelques exemples, aucun tableau comparatif fiable ne pouvant être dressé. Plusieurs techniques permettent de parvenir à ce résultat : soit une exonération totale ; soit des taux très faibles, ou des montants nominaux également faibles, pour les droits fixes ; soit des déductions de base importantes ; soit des taux réduits par rapport aux taux de droit commun ; soit des reports d'imposition.

On doit cependant noter que le régime est souvent plus favorable aux sociétés qu'aux personnes physiques.

Votre Rapporteur s'en tiendra, sur ce point, à quelques exemples. L'exemple le plus achevé du paradis fiscal, où votre Rapporteur a pu se rendre, est celui des Bahamas, où aucun impôt n'est perçu sur les revenus, les bénéfices, les plus-values, les ventes, les successions et la fortune. Il n'y pas non plus de retenue à la source sur les dividendes, les intérêts, les redevances et les salaires.

Au Panama, a contrario, la séparation entre l'off shore et l'on shore est assez marquée, le pays ayant opté pour le principe d'une territorialité stricte de l'impôt. Les revenus et bénéfices d'origine non panaméenne ne sont pas taxés. Il existe ainsi un impôt sur les bénéfices, au taux de 30%, qui ne concerne que les résultats de source panaméenne. Pour leur part, les bénéfices des activités de commerce international ou de transit, les revenus des activités gérées depuis Panama, mais extérieures au pays, et les dividendes relatifs à ces activités sont exonérés d'impôt. Le même principe de territorialité stricte s'applique pour le revenu des personnes physiques. De même, la taxe de 1% sur l'actif net professionnel ne concerne que les seules entreprises exerçant au sein du territoire de Panama, les entreprises implantées dans la zone franche de Colon comme les sociétés off shore étant exonérées.

Au Liechtenstein, les holdings et les sociétés de domiciliation ne sont assujetties qu'à un impôt sur le capital à taux réduit et ne paient d'impôt ni sur les bénéfices ni sur les plus values. De même, lorsqu'elle exerce l'activité d'une société de domiciliation, c'est-à-dire détient et gère des participations, mais n'exerce pas d'activité au Liechtenstein, une Anstalt (4) est également exonérée d'impôt sur les bénéfices et les plus-values et n'est redevable d'impôt sur le capital qu'à un taux réduit de 0,1%, alors que le taux normal est de 0,2%. Un régime similaire s'applique aux Stiftungen (fondations), chargées de gérer des biens ou des participations dans un but déterminé, notamment dans un cadre familial, avec une exonération de l'impôt sur les bénéfices et les plus-values, mais un impôt sur le capital au taux de droit commun de 0,2%.

En ce qui concerne les îles anglo-normandes, si la fiscalité de Jersey n'est pas considérée comme attrayante pour les personnes physiques non-résidentes, qui sont imposées sur leurs revenus de source locale au taux de 20%, ce qui reste néanmoins plus favorable que le régime français, elle est en revanche favorable pour les sociétés n'exerçant pas d'activité sur place, qu'il s'agisse des exempt companies, sociétés soit détenues par des non-résidents, soit constituant des fonds d'investissements collectifs, qui sont exonérées d'impôt sous réserve d'un droit fixe annuel de 500 livres sterling, ou des international business companies (IBC) passibles d'un impôt à taux dégressif de 2% à 0,5% sur les profits retirés des opérations internationales. Un régime similaire s'applique aux sociétés d'assurance captives, c'est à dire aux sociétés d'assurance créées au sein d'un groupe et effectuant des opérations pour les seules sociétés de ce groupe, qui peuvent prendre la forme d'exempt companies ou d'international business companies (IBC), leur impôt annuel étant au maximum de 600 livres sterling ou 2% des profits. Des régimes tout à fait comparables sont en vigueur à Guernesey.

La principauté d'Andorre présente un profil assez semblable à celui des Bahamas. Il n'y a pas d'impôt direct sur les revenus des personnes physiques, ni sur les bénéfices, ni sur les plus-values. Il n'y a pas plus de retenue à la source. Il existe seulement une taxation forfaitaire annuelle sur les entreprises, de l'ordre de 100.000 pesetas, soit moins de 5.000 francs. Il n'y a pas non plus d'impôt sur les successions ni sur les donations.

Un autre avantage des paradis fiscaux est de pouvoir bénéficier, directement ou indirectement, d'un important réseau de conventions fiscales permettant la circulation des revenus entre différents pays ou territoire avec un prélèvement réduit par rapport aux règles de droit commun. Chypre, la Suisse, les Pays-Bas et les Antilles néerlandaises sont souvent cités.

Notamment, la convention fiscale, dite BRK, pour Belastingregeling voor het Koninkrijk, liant les Antilles néerlandaises, Aruba et les Pays-Bas permet de procéder à des montages avantageux

b) L'absence de coopération avec les autres Etats en matière fiscale pour la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales

L'absence de conventions fiscales prévoyant l'échange de renseignements pour la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales est également une constante assez générale des paradis fiscaux. Il s'agit d'une stratégie volontaire, plus ou moins marquée, d'isolement fiscal.

Toutefois, ce principe connaît quelques exceptions, certains Etats ou certains territoires bénéficient directement ou indirectement de conventions, comme cela vient d'être précisé pour les Antilles néerlandaises et Aruba.

Parmi les Etats ou territoires n'ayant pas conclu de convention fiscale avec la France ou avec d'autres Etats, on doit noter : l'Andorre, qui n'a pas conclu de convention fiscale avec les pays étrangers et ne livre pas d'informations aux autorités fiscales étrangères ; les Antilles néerlandaises, si l'on excepte les Pays-Bas et Aruba, la convention prévoyant notamment un échange d'information entre les trois entités; Aruba, si l'on excepte également les Pays-bas et les Antilles néerlandaises ; les Bahamas ; les Iles Caïman ; les Iles Cook ; le Costa Rica ; Labuan (Malaisie) ; Nauru ; Niue ; Panama ; les Iles Turques et Caïques ; le Vanuatu ; les Samoas occidentales.

Parmi les Etats ou territoires qui n'ont signé aucune convention avec la France, mais en ont conclu avec d'autres Etats, on peut signaler les Etats ou territoires suivants : la Barbade, qui a signé certaines conventions destinées à éliminer les doubles impositions, dont l'une avec les Etats-Unis prévoyant certains échanges d'informations ; les Bermudes, qui ont signé une convention avec les seuls Etats-Unis, cette convention prévoyant un échange d'informations ; les Iles vierges britanniques, qui entrent dans le champ des seules conventions conclues avec le Japon et la Suisse, et n'ont pas conclu de convention avec le Royaume-Uni ; Guernesey, qui a conclu une convention de non double imposition avec le Royaume-Uni et Jersey ; l'Ile de Man, qui a signé un traité destiné à éviter les doubles impositions avec le Royaume-Uni ; la Jamaïque, qui a conclu plusieurs traités avec différents Etats prévoyant l'échange d'information en vue de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale ; le Liberia ; le Liechtenstein, qui a conclu une convention destinée à éviter certaines doubles imposition avec la Suisse ainsi qu'avec l'Autriche, uniquement ; l'Ile Maurice ; Saint-Chistophe et Nieves, qui a conclu une convention destinée à éviter les doubles impositions avec le seul Royaume-Uni.

En pratique, ces conventions sont le plus souvent conclues avec l'ancienne puissance coloniale, l'Etat dont dépend le territoire, les Etats voisins ou les Etats-Unis.

c) Un secret bancaire très protégé, qui n'est levé que dans des cas très rares et pour les seuls cas de blanchiment d'argent ou d'infractions pénales lourdes

Pour les différents Etats considérés comme des paradis fiscaux, le secret bancaire absolu constitue un élément de base. Il permet d'attirer une clientèle soucieuse de discrétion.

Le modèle en général cité est celui de la loi bancaire suisse, qui prévoit un secret absolu. La violation du secret bancaire constitue dans ce pays une infraction pénale passible d'une peine de prison et d'une lourde amende, indépendamment des sanctions d'exclusion professionnelle. Sauf dans des cas spécifiques essentiellement liés à des enquêtes criminelles, relatives notamment au blanchiment, aucune information bancaire ne peut être divulguée.

Dans la plupart des pays considérés comme des paradis fiscaux, le secret bancaire peut connaître différents degrés de protection :

- les comptes totalement anonymes, dont nul employé de la banque ne peut connaître le bénéficiaire, dès lorsqu'il ne révèle pas son identité. Ces comptes, réellement anonymes, existent également dans des pays qui ne sont pas réputés être des paradis fiscaux, comme l'Autriche. Il s'agit des Sparbücher, comptes sur livret au porteur. On dénombre vingt-six millions de ces comptes pour huit millions d'habitants. De tels comptes existeraient également en République tchèque ;

- les comptes prévoyant l'interposition d'un intermédiaire, par exemple un avocat, entre le bénéficiaire et la banque. Ces comptes ont été supprimés en Suisse ;

- les comptes détenus par un prête nom, sur lesquels la banque ne peut exercer qu'un contrôle réduit ;

- les comptes à numéros, codés et du titulaire duquel seuls le gestionnaire du compte et au moins un dirigeant de l'établissement connaissent l'identité. Ces comptes connaissent deux degrés : une protection forte quand le client ne peut demander de lui-même la levée du secret bancaire ; un protection faible quand tel n'est pas le cas ;

- les comptes protégés par le secret bancaire, sans codage.

La protection du secret va très loin. Les membres du personnel des banques sont en général tenus de signer une déclaration les engageant à respecter le secret bancaire. Lorsque des comptes à numéros sont utilisés, les procédures sont organisées de manière telle que le nombre de personnes connaissant l'identité du détenteur du compte soit très réduit.

Le secret bancaire est en principe protégé par une législation financière, pénale ou par la législation spécifique, mais tel n'est pas toujours le cas. Il relève en effet parfois de la législation sur le secret professionnel ou de la législation bancaire, comme à Guernesey. Il peut également reposer, en l'absence de loi, sur la pratique ou sur la common law, comme aux Bermudes, aux Iles vierges britanniques ou comme à l'île de Man.

Lorsqu'elle est prévue, la levée du secret bancaire intervient dans des circonstances spécifiques. Tel est en général le cas, en présence d'une législation adéquate, en cas de blanchiment ou de trafic de drogue, ou en cas d'infraction économique pénale grave, comme en Suisse ou à Guernesey.

Néanmoins, les possibilités de levée du secret bancaire restent en général très limitées. Certaines mesures peuvent constituer de simples affichages. En outre, le système reste parfois marqué par son opacité, compte tenu de la longueur des procédures et des voies de recours possibles, ce qui permet au bénéficiaire du secret de prévoir des solutions de repli.

La délai demandé pour l'ouverture d'un compte bancaire considéré comme un bon critère d'appréciation de l'efficacité des dispositifs de lutte contre le blanchiment.

d) Des formalités de création et de gestion de sociétés assez réduites

- les sociétés off shore

La facilité de créer des sociétés est la deuxième caractéristique des paradis fiscaux. Il s'agit naturellement de sociétés tournées vers les activités internationales, car l'économie du pays offre peu d'opportunités, ou de sociétés off shore.

On observera cependant que cette particularité n'est pas réservée aux paradis fiscaux stricto sensu, puisque, par exemple, l'Etat américain du Delaware (Etats-Unis) est très peu formaliste. Le registre des sociétés accepte de prendre en compte les immatriculations sur la base des certificats de constitution transmis par télécopie. Les principales réunions peuvent avoir lieu par téléphone ou au moyen de consents, c'est-à-dire par correspondance, par des documents signés par toutes les personnes concernées. Les statuts constituent un document privé qu'il n'est pas nécessaire de publier. Les sociétés enregistrées qui ne sont ni dirigées ni contrôlées du Delaware sont soumises dans cet Etat à une taxe annuelle de 100 $.

Cette législation a d'ailleurs été copiée par certains Etats, dont le Panama.

La forme la plus courante, et la plus connue, de la société off shore est l'International Business Company ou IBC, ou encore l'Exempt corporation ou l'Exempt company.

Ces sociétés présentent plusieurs caractéristiques.

En premier lieu, elles peuvent être rapidement créées, dans un délai de quelques jours au plus. Ce délai est par exemple d'un à deux jours aux Bahamas.

Certains Etats ou territoires autorisent également les sociétés prêtes à fonctionner ou shelf companies. De telles sociétés permettent de faire des opérations dans le délai d'une seule journée, entre deux avions.

En deuxième lieu, la constitution des sociétés est simple. Le capital minimum exigé est nul ou faible, sauf pour les secteurs de la finance et de l'assurance. Le nombre des associés est très réduit et peut se limiter à un seul, soit immédiatement soit une fois la société constituée et immatriculée, comme c'est le cas à Panama. Les droit d'apport sont assez faibles, et peuvent même s'accompagner d'exonérations. Les administrateurs peuvent n'être soumis à aucune condition de résidence ou de nationalité et n'être pas nécessairement actionnaires, et c'est notamment le cas aux Iles Vierges britanniques. L'objet social peut être libellé d'une manière très large.

Enfin, et ce point n'est pas le moindre, les actions peuvent parfois être émises sans valeur nominale. Elles peuvent également être au porteur. Aux Iles Vierges britanniques, elles peuvent même être amorties.

En troisième lieu, le fonctionnement est peu exigeant, et n'oblige pas à une présence minimale sur place. Les assemblées générales ou les conseils d'administration peuvent être tenus soit par procuration, soit comme c'est le cas aux Bahamas, par téléphone. Si les comptes et documents sociaux doivent être en général conservés par le représentant sur place, cette formalité est réduite au minimum à Anguilla, par exemple, où les specified private companies ne sont tenues ni de rendre un rapport financier, ni d'établir un bilan, ni de conserver, entre autres, les procès verbaux des conseils et les résolutions. Par ailleurs, la certification de comptes n'est pas toujours obligatoire.

En quatrième lieu, les sociétés ne sont pas obligatoirement soumises à un contrôle de la part d'une autorité publique et ne doivent pas obligatoirement produire des comptes.

Un contrôle est en revanche prévu dans certains Etats ou territoires parmi lesquels : la Barbade, au-delà d'un actif ou d'un chiffre d'affaires brut de 500.000 dollars ; les îles Cook pour le secteur de l'assurance ou de la banque off shore ; Chypre ; Guernesey.

En général, la désignation d'un représentant local est toujours exigée. Le rôle de ce représentant est plus ou moins étendu. Il doit connaître le nom des bénéficiaires réels, ainsi que dans les territoires qui le prévoient, comme Aruba, leur honorabilité ou good standing. L'agent est par ailleurs chargé de conserver les pièces essentielles de la société, notamment les pièces comptables.

Le représentant est soumis à l'obligation de secret professionnel. Il peut s'agir d'un avocat ou d'une personne exerçant une profession comptable ou juridique, mais tel n'est pas toujours le cas.

En cinquième et dernier lieu, les sociétés régies par le droit des paradis fiscaux peuvent avoir un objet très large.

Le succès des sociétés off shore se traduit dans les chiffres. On compterait, mais le chiffre est tenu secret, près de 100.000 sociétés off shore à Panama et les autorités mentionnent environ 80.000 IBC aux Bahamas. Les premières sont plutôt des filiales de sociétés. Les secondes sont souvent des instruments de gestion de la fortune privée.

- Les secteurs des banques et des assurances

Les seules restrictions à l'activité des sociétés off shore concernent, en général, l'impossibilité d'exercer sans licence des activités dans la banque, la finance, l'assurance ou la réassurance. Des dispositions spécifiques sont en effet prévues. Un capital minimum est exigé, et une surveillance de la part des autorités financières est en général organisée.

Lorsque leur exercice est autorisé, les règles applicables à ces activités sont en général favorables. Certains paradis fiscaux comme les Bahamas ou les Bermudes se sont spécialisés dans des sociétés exerçant ces activités, notamment les captives d'assurance ou de réassurance opérant uniquement pour les sociétés d'un même groupe.

e) La possibilité de constituer aisément des trusts

La reconnaissance des trusts, des fiducies ou des institutions équivalentes comme les Stiftungen du Liechtenstein est une autre caractéristique des paradis fiscaux.

On rappellera qu'il s'agit d'instruments essentiels d'optimisation fiscale de la gestion de la fortune privée et, dans certains cas, de la réduction de la fiscalité supportée par des sociétés.

Le trust est une structure sans personnalité morale qui repose sur une superposition de droits, semblable à un démembrement de propriété, mais plus complexe que les démembrements classiques reposant sur la distinction entre l'usufruit et la nue-propriété. Le trust résulte en effet d'un acte par lequel une personne, le constituant, confie des biens à une deuxième personne, le trustee ou gestionnaire, à charge pour lui d'en faire bénéficier une troisième, le bénéficiaire, avant de remettre les biens à une quatrième personne, l'attributaire. Le trust ne peut excéder une certaine durée, qui dépend du droit applicable.

Le trust, ou la fiducie qui constitue son équivalent dans les pays de tradition francophone, présente en outre une grande souplesse : il s'accompagne en général d'un trust deed, lettre qui encadre la gestion des biens et la manière d'en distribuer les fruits. Il peut être définitif, ou au contraire, révocable. Le trust peut être simple ou discrétionnaire. Dans ce dernier cas, le trustee dispose de la faculté de distribuer ou de ne pas distribuer les revenus et de choisir le bénéficiaire dans les limites imposées par la volonté du constituant. Le bénéficiaire peut d'ailleurs être un autre trust à caractère discrétionnaire, ou une société implantée dans un paradis fiscal, ce qui ajoute à l'opacité du montage.

S'agissant de la gestion de fortune privée, dès lors que la constitution d'un trust est soumise à un droit dont le taux est inférieur à celui des droits de mutation ou des droits de donation et que le changement de bénéficiaire ne donne pas lieu à taxation, cette formule permet de faire bénéficier, soit à titre temporaire, soit à titre définitif, avec des droits réduits, une personne apparentée ou une personne non-parente des avantages de la propriété, la jouissance et les revenus des biens, tout en permettant d'opérer, pour le futur, le transfert de jouissance sans qu'aucun droit ne soit perçu.

Une catégorie très appréciée est celle des trusts d'accumulation, qui ne distribuent pas les revenus du patrimoine incorporé, mais procèdent à une capitalisation, pour des raisons fiscales notamment.

Le trust est ainsi l'institution considérée au Royaume-Uni comme un instrument ayant permis à la très grande fortune de se perpétuer, en éludant les impôts et droits qui auraient été normalement dus. Les îles anglo-normandes sont réputées pour cette pratique.

En ce qui concerne les sociétés, le trust permet, en général, de procéder à des opérations dans une certaine discrétion, le gestionnaire ou trustee étant le seul à avoir, avec les autorités ou avec les tiers, les relations qu'exige normalement la gestion courante d'affaires économiques, financières ou commerciales. Les opérations d'une société détenant un trust peuvent ainsi être particulièrement opaques.

Le trust permet également de procéder à des opérations conjointes d'investissement ou d'emprunt.

Le principal avantage du trust reste, cependant, pour les personnes tentées par la grande fraude fiscale et financière internationale, son manque de transparence. Seul, le gestionnaire ou trustee est connu par les bénéficiaires. Votre Rapporteur a ainsi pu remarquer lors de ses déplacements sur place, dans des centres des impôts, combien les recherches étaient difficiles lorsque des vérifications portent sur des trusts.

La combinaison en cascade de trusts discrétionnaires permet de réaliser des montages impénétrables, comme le montre le schéma suivant :

Un exemple de montage opaque : le trust discrétionnaire en cascade

Le trust alternatif est fondé sur l'articulation de deux niveaux au moins de trusts discrétionnaires et de plusieurs sociétés écran.

Ce type de montage est coûteux, mais il permet une « opacité totale » dès lors que les différentes structures sont établies dans différents pays.

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Bénéficiaires possibles

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2ème trust

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Bénéficiaires possibles

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Le gestionnaire de chacun des trusts ayant un pouvoir discrétionnaire, il est impossible de savoir qui bénéficie et quand des revenus du trust. La présence des sociétés off shore complique le schéma à peu de frais.

Dès lors, on conçoit qu'il convient de conserver l'incertitude actuelle sur le statut des trusts en droit français, qui, malgré plusieurs points correctement éclaircis, conserve encore certaines zones d'ombre quant à leur statut fiscal. Cela ne peut que préserver notre pays du développement inopportun de cet instrument, à partir de montages juridiques effectués à l'étranger.

Cette dernière remarque conduit votre Rapporteur à émettre la même réserve vis à vis de la création en France d'un régime de la fiducie, qui ne serait qu'un trust déguisé, et permettrait, sous couvert de préoccupations relatives à l'unité du patrimoine qui peuvent être prises en compte dans le cadre autre de la société civile ou de la société commerciale, d'obtenir, à terme, des avantages fiscaux indus pour les détenteurs de très grosses fortunes, en termes d'impôt sur la fortune, d'impôt sur le revenu et de droits de mutation à titre gratuit (successions ou donations).

f) Un droit des sociétés et des trusts garantissant l'anonymat des propriétaires ou bénéficiaires réels

L'anonymat, c'est-à-dire l'impossibilité pour un tiers de savoir qui détient des participations dans une société donnée, constitue un élément essentiel des paradis fiscaux. La même opacité concerne les bénéficiaires des trusts.

Le principe est, en effet, celui de l'absence de publicité quant aux propriétaires ou des bénéficiaires réels, ou au dirigeant réel, d'une société ou d'un personne morale.

Lorsqu'un registre existe, comme c'est le cas des îles anglo-normandes, le système du nominee ou du prête-nom permet de mentionner un nom qui ne constitue qu'un écran : personne exerçant une profession juridique, si la loi le permet ; personne spécialisée dans la fonction de prête-nom, sinon. Cette dernière hypothèse, courante, concerne en particulier l'île de Sercq où une même personne est censée gérer plus de mille sociétés sur les dix ou vingt mille réputées être dirigées à partir de l'île.

On constate cependant plusieurs degrés de confidentialité : une confidentialité totale, lorsque le nom du propriétaire ou du bénéficiaire réel ne doit être communiqué à aucune autorité publique ; une confidentialité partielle, lorsque les identités doivent être divulguées à l'occasion d'une recherche pénale ou d'une enquête liée à la lutte contre le blanchiment de capitaux ; une confidentialité limitée, lorsqu'une autorité connaît l'identité du bénéficiaire dès la constitution de la société.

En certaines hypothèses, la divulgation de l'identité d'un propriétaire ou bénéficiaire réel est donc obligatoire.

De manière concrète, le propriétaire réel (beneficial owner) de participations dans une société off shore n'est, en principe, pas nécessairement révélé lors de la constitution de cette société dans plusieurs Etats ou territoires : les Bahamas, où l'agent local ne doit révéler son nom que sur ordre de la Cour suprême ; la Barbade ; les Iles Vierges britanniques ; les îles Caïmans, où la communication n'est obligatoire qu'en cas de lutte anti-blanchiment ou pour certaines affaires criminelles, ainsi que pour certaines opérations relatives au secteur de la finance et de l'assurance.

Le propriétaire réel doit être révélé à une autorité, soumise à une obligation de confidentialité, aux Bermudes.

En ce qui concerne les trusts, le gestionnaire ou trustee, n'est pas tenu de procéder à l'enregistrement du nom du bénéficiaire dans plusieurs Etats ou territoires : les Bahamas ; les Bermudes ; la Barbade ; les Iles Vierges britanniques ; Gibraltar.

L'identité des bénéficiaires d'un trust doit parfois être révélée lors de l'ouverture d'un compte bancaire. Mais il existe différentes procédures. Parfois, comme c'est le cas aux Bermudes, aux Iles vierges britanniques, à Chypre, aux îles Caïmans, et à Guernesey, le nom du bénéficiaire d'un trust doit être communiqué lors de l'ouverture d'un compte bancaire, en liaison avec des préoccupations de lutte contre le blanchiment. A Gibraltar, cette procédure vise le nom du constituant.

Une telle divulgation n'est pas toujours nécessaire. Ainsi, à la Barbade, lorsque la trust company est connue de la banque et que le compte est ouvert à son nom, l'identité du bénéficiaire n'a pas à être révélée.

A Chypre, les noms des bénéficiaires réels font l'objet d'une communication restreinte, et sont donnés, au moment de la constitution des trusts, aux représentants d'un organisme officiel, la Banque centrale en l'occurrence.

Le secret professionnel est par ailleurs applicable dans des conditions strictes aux personnes exerçant des professions juridiques, et ne peut être levé que dans les cas où la loi le prévoit.

L'avantage du trust est donc de disposer d'une manière discrète de revenus d'une fortune dont la gestion est assurée de manière tout à fait ouverte par le trustee.

g) Une coopération pénale assez limitée

Un autre élément caractéristique des paradis fiscaux est la faiblesse de la coopération pénale. Ce point est cependant moins marqué que les autres, un assez grand nombre de paradis fiscaux ayant conclu avec certains Etats des conventions d'entraide en matière répressive. Par exemple, les îles Caïmans ont conclu un traité d'entraide répressive avec les Etats-Unis. Un traité spécifique est également en vigueur pour les affaires de drogue.

Il faut également remarquer que certains Etats ou territoires disposent de législations spécifiques prévoyant les modalités de cette entraide, dans le cadre d'une procédure judiciaire, comme c'est le cas des Bahamas.

A Guernesey, certaines dispositions législatives prévoient une coopération avec les Etats et les enquêteurs étrangers. Il en est de même aux Bahamas et à la Barbade.

h) La présence complémentaire d'une zone franche, parfois

Dans certains cas, les Etats considérés comme des paradis fiscaux ont créé une zone franche, qui dispose d'avantages spécifiques en termes douaniers et en termes d'imposition.

Il n'est pas inintéressant de noter que deux des principales zones franches d'Amérique, situées dans la zone caraïbe, à des endroits d'ailleurs stratégiques, l'une à Colon, au débouché du Canal de Panama, l'autre à Freeport, aux Bahamas, sont implantées dans deux pays considérés comme des paradis fiscaux notoires.

Les entreprises établies dans la zone franche de Panama, visitée par votre Rapporteur, bénéficient en outre d'avantages fiscaux, notamment celles qui procèdent à des opérations de reconditionnement.

Ces zones franches exercent certes leur fonction de plaque tournante pour le commerce international, notamment le commerce intercontinental venant d'Asie et à destination de l'Amérique. Les entreprises chinoises y sont fort solidement implantées.

Mais, elles offrent également des opportunités pour réaliser, sous le couvert du recours à des sociétés locales, des transactions dont les termes ne pourront être connus avec exactitude de la part du pays d'exportation ou d'importation, et pour localiser dans une zone faiblement taxée et sans risque de communication de renseignements à l'administration fiscale compétente, des profits appréciables.

On observera que 1.600 sociétés sont implantées dans la zone franche de Colon qui occupe 400 hectares. Un agrandissement est prévu avec l'inclusion d'un aérodrome.

Les zones franches sont mentionnées dans le rapport intitulé « Paradis financiers, secret bancaire et blanchiment d'argent » établi dans le cadre des travaux de l'Office des Nations Unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime (février 1999). A la page 71 de ce document, il est insisté sur le fait que les zones franches sont devenues des centres de toilettage des expéditions pour en cacher l'origine et la destination finale et maquiller la valeur des biens faisant l'objet du commerce international. Ces zones auraient servi de plaques tournantes pour la drogue, les armes, les marchandises volées ou contrefaites et pour les tentatives de contournement des embargos internationaux. Elles seraient actuellement des endroits commodes pour écouler l'argent de la drogue en payant des marchandises volées ou contrefaites dans le cadre d'acquisitions dont la contrepartie est constituée de dépôts bancaires dans d'autres pays. Le pays de fabrication reçoit l'argent de la drogue. La zone franche masque l'origine, notamment s'il y une légère opération de fabrication ou de reconditionnement opérée sur place. Les sommes correspondantes sont perçues dans le pays de destination, lors de la vente des biens.

En l'absence de possibilité de connaître le détail des transactions dont ont fait l'objet les marchandises échangées, on ne peut que se rendre à cet argument.

Le trafic des zones franches est très important.

On rappellera que la zone franche de Colon importe annuellement des marchandises pour une valeur déclarée de 5,5 milliards de dollars, et en réexporte, à un coût supérieur, après transformation, pour une valeur déclarée de 6,28 milliards de dollars. Une proportion de 50% à 60% des marchandises est officiellement contrôlée.

A l'issue de cette étude trop brève des « avantages » des paradis fiscaux, on mesure combien les Etats et les territoires concernés font reposer leur activité sur deux éléments : un faible niveau d'imposition ; un secret généralisé et d'autant mieux préservé que les échanges d'information en matière fiscale et en matière pénale sont inexistants pour les premiers et très réduits pour les seconds.

Les trois types de paradis fiscaux 

Une classification traditionnelle des paradis fiscaux, un peu ancienne car établie lorsque le contrôle des changes était encore en vigueur, est la suivante :

- les paradis fiscaux de type anglo-saxon, où le secret bancaire est garanti, mais dans lesquels l'identité des opérateurs peut apparaître, au niveau du contrôle des changes et des conventions de trusts ;

- les paradis fiscaux de « droit helvétique » ne prévoyant pas de contrôle des changes et dans lequel l'identité du propriétaire n'apparaît qu'au niveau de la convention de fiducie ;

- les paradis fiscaux offrant des structures garantissant l'anonymat et non soumis au contrôle des changes. Les actions sont émises au porteur, sauf les actions de garantie des administrateurs.

2.- Le lieu privilégié de l'épanouissement de la fraude et de l'évasion fiscales, ainsi que de la grande criminalité financière

Les paradis fiscaux et les centres off shore constituent le support privilégié de l'épanouissement de la fraude fiscale, de l'évasion fiscale et de la grande délinquance et criminalité financières internationales.

La motivation de l'implantation d'activités ou de capitaux dans un paradis fiscal ou dans un centre off shore ne repose cependant pas sur un seul élément, et il faut se préserver d'une opinion trop simpliste selon laquelle les Etats ou territoires concernés sont des paradis fiscaux pour attirer les capitaux, des paradis bancaires pour les protéger et des paradis juridiques pour les absoudre.

Certaines opérations répondent à une préoccupation purement fiscale, certes, d'autres s'appuient au contraire davantage sur le secret bancaire ou sur la garantie de l'anonymat des opérations effectuées sous le couvert des trusts ou des IBC.

Certaines opérations auraient même lieu en l'absence de règles fiscales avantageuses, comme les opérations de blanchiment de capitaux frauduleux ou des opérations commerciales régulières, mais pour lesquelles un anonymat est jugé indispensable. Ces opérations seraient suffisamment rentables pour supporter une fiscalité normale, si besoin était.

En offrant plusieurs avantages, les paradis fiscaux ne font ainsi que mettre en _uvre, d'une manière pragmatique, une stratégie tous azimuts pour attirer les capitaux étrangers, dans le but de constituer un secteur tertiaire prospère, essentiellement financier et juridique.

a) La complexité des motifs de l'implantation dans les paradis fiscaux : une réalité largement illustrée par l'histoire

Sur le plan général, un bref rappel historique de leur développement illustre la complexité des motifs qui ont conduit au développement des paradis fiscaux.

Sans remonter au statut spécifique de certains territoires qui ont pu jouir d'un régime commercial et financier privilégié pour des raisons déterminées, certaines îles caraïbes ayant ainsi servi les intérêts britanniques en facilitant l'exercice de l'interlope aux XVIIe et XVIIIe siècles, et ayant permis d'entamer le monopole du commerce de Cadix avec l'essentiel des colonies d'Amérique latine alors sous la domination espagnole, l'optimisation fiscale internationale, que l'on a d'abord appelée évasion fiscale, est clairement apparue avec une certaine ampleur après la Première guerre mondiale, dans les années 1920. Elle n'a pas été essentiellement motivée par des considérations fiscales, même si l'impôt sur le revenu avait récemment été créé en France, mais reposait plutôt sur des raisons monétaires, la perte de la valeur de l'ensemble des monnaies continentales par rapport à l'or étant ressentie par les détenteurs de fortune comme un véritable traumatisme, après la longue période de stabilité monétaire caractéristique du XIXe siècle et l'étalon or généralisé. Dans une Europe continentale instable, la Suisse, notamment, Etat n'ayant pas subi le poids de la guerre et jouissant en outre d'une certaine base industrielle, est apparue comme un havre de sécurité aisément accessible, plus accessible que le Royaume-Uni et les Etats-Unis, autres Etats à monnaie forte.

A la même époque, en 1928, le Luxembourg a décidé d'ouvrir un marché financier et d'attirer les capitaux, à un moment où les marchés étaient cloisonnés, grâce un régime fiscal favorable prévoyant une exonération d'impôt sur les revenus et les plus-values des sociétés : il s'agit du régime des sociétés holdings de la loi de 1929.

Après la Seconde guerre mondiale, on a assisté au développement progressif de paradis fiscaux et bancaires sous l'effet de plusieurs facteurs liés à une conjoncture historique particulière :

- certains Etats ont opéré une différenciation entre la fiscalité des résidents et celle des non-résidents, ainsi qu'une déconnexion entre l'activité domestique et l'activité internationale, consacrant ainsi la distinction entre l'on shore et l'off shore, qui est à la base de la conception moderne du paradis fiscal, où la fiscalité pèse sur les résidents, soit qu'il s'agisse d'une fiscalité indirecte à base d'impôts de consommation ou de droits de douane, soit qu'il s'agisse d'une fiscalité directe fondée sur un impôt sur le revenu ou un impôt sur les résultats des entreprises dont sont exonérées les seules activités réalisées à l'étranger ;

- les institutions bancaires et financières ont choisi de contourner les règles strictes imposées en matière financière par les pays industrialisés dans les années 1960 et 1970, par le développement de branches off shore. Ainsi, entre 1964 et 1973, le nombre des succursales et filiales étrangères des banques américaines est passé de 181 à 699, dont 181 dans les centres financiers off shore des Caraïbes et 156 en Europe. Le total des actifs externes des banques américaines est passé de 7 à 53 milliards de dollars au cours de la même période ;

- on a assisté au développement, dans un cadre totalement libre, du marché de l'eurodollar, c'est à dire du marché des dollars détenus par des sociétés ou des personnes physiques ne résidant pas aux Etats-Unis, en dehors de tout contrôle national, dans les années 1960 et 1970, pour contourner quatre contraintes du marché monétaire et financier américain : la législation restrictive sur la rémunération des dépôts aux Etats-Unis ; les restrictions des possibilités de prêts aux non-résidents américains ; la législation de 1963 relative à l'impôt d'égalisation des intérêts (interest equalisation tax), qui rendait peu attractive l'émission d'obligations en dollars sur le marché américain par les entreprises non américaines ; le Programme de restriction des investissements étrangers direct, datant de 1972.

Après l'introduction de la taxe d'égalisation des intérêts, les émissions d'obligation en dollars à l'extérieur du marché américain sont passées de 135 millions de dollars en 1963 à 696 millions en 1964. A la même époque, le marché des eurodevises s'est développé à partir de 1964-1965 après l'imposition d'une retenue à la source en Allemagne, en France et aux Pays-Bas.

Il faut, en outre, rappeler que la création des réserves obligatoires non rémunérées auprès des banques centrales a incité à une délocalisation des activités de prêts au Luxembourg, où une telle règle n'a pas été instituée.

Ces différents éléments ont favorisé le développement des paradis fiscaux, notamment sous l'impulsion des filiales et succursales des établissements financiers américains auxquelles les mesures de taxation et de restriction, mises en place aux Etats-Unis et précédemment évoquées, ne s'appliquaient pas, et des institutions de la City londonienne, favorables au développement des zones à basse pression fiscale pour la clientèle des grandes entreprises.

En Asie, le développement des relations interbancaires off shore a débuté après 1968, avec le lancement du marché asiatique du dollar (Asian Dollar Market ou AMD).

En Europe, le Luxembourg est devenu une place attractive pour les investisseurs venant principalement de France, de Belgique et d'Allemagne de l'Ouest au début des années 1980 en raison de la faible fiscalité, de l'absence de prélèvement à la source sur les intérêts et les dividendes et du secret bancaire. Ce rôle a été renforcé après l'institution d'une retenue à la source sur les revenus de l'épargne en Allemagne en 1992. On observera que 1.600 fonds communs de placement sont établis dans le Grand-Duché.

En outre, dans le cadre de ce que l'on a appelé la « commercialisation de la souveraineté », le nombre des paradis fiscaux s'est considérablement développé au cours des années 1970, certains Etats s'engageant sur cette voie tant en Europe, avec Chypre, Malte et Gibraltar, qu'en Asie, après une période de décolonisation où apparaissaient les difficultés de créer les conditions du développement économique.

Cette expansion des paradis fiscaux et des centres off shore a été ensuite largement facilitée par les nécessités de l'organisation du recyclage des pétro-dollars à partir du début de l'année 1974.

Ainsi, au Moyen-Orient, Bahreïn est devenu un centre de placement des surplus pétroliers de la région au milieu des années 1970, après l'adoption d'une législation bancaire et d'incitations fiscales pour développer la constitution de banques off shore.

Il faut également mentionner l'explosion des crédits liés au développement du commerce international ainsi qu'aux emprunts concernant de grands projets d'investissement dans de nombreux pays du tiers monde.

On peut considérer ensuite que le développement des paradis fiscaux a atteint son paroxysme, avec l'abandon du keynesianisme et la vigueur du néolibéralisme dans les années 1980 et 1990.

En outre, on ne saurait suffisamment insister sur le fait que l'internationalisation des grandes entreprises, et même de certaines entreprises à taille moyenne, a fortement accru les possibilités de recours aux paradis fiscaux, avec les transferts internes, la complexité des relations avec les entreprises étrangères et la multiplication des partenariats les plus divers.

Enfin, et ce facteur n'est pas le moindre, les paradis fiscaux ont beaucoup bénéficié du développement de la finance criminelle, essentiellement de l'économie de la drogue, qui correspondrait à un flux annuel de quelque 300 à 500 milliards de dollars, soit l'équivalant d'un tiers du PIB de la France.

b) Les montages à des fins de fraude ou d'évasion fiscales : des procédés classiques et largement connus

D'une manière générale, pour les particuliers et entreprises français, l'utilisation des paradis fiscaux et des centres off shore à des fins fiscales correspond à deux objectifs essentiels :

- un objectif d'optimisation fiscale ou d'évasion légale, lorsque aucune infraction législative n'est constituée ;

- un objectif de fraude fiscale, dès lors que le montage contrevient à une disposition législative dite anti-abus prévue par le code général des impôts.

La rigueur de la législation française fait que l'essentiel des montages générateurs de bénéfices et pour lesquels aucune base taxable n'est déclarée en France constituent des infractions fiscales, et sont donc frauduleux.

En matière de fiscalité personnelle, relèvent de la fraude fiscale internationale :

- la détention dans un paradis fiscal d'éléments de patrimoine non déclarés, pour les personnes assujetties à l'impôt de solidarité sur la fortune ou qui seraient assujetties à cet impôt si la totalité de leur patrimoine était prise en compte ;

- la perception de revenus non déclarés ;

- l'accumulation de revenus acquis dans le cadre de structures de gestion de patrimoine à dominante monétaire et financière dont on détient directement ou indirectement, personnellement ou dans le cadre d'une communauté d'intérêt à caractère familial, plus de 10% ;

- et ainsi, d'une manière plus synthétique, la non-déclaration d'éléments de patrimoine, de leurs résultats ou de revenus acquis dans les paradis fiscaux.

En matière de fiscalité des entreprises, il y a fraude dès lors que des transactions ne sont ni justifiées ni effectuées à un prix sincère et que les bénéfices réalisés dans le cadre de filiales implantées dans les paradis fiscaux ne sont pas imposés selon les modalités prévues à l'article 209 B du code général des impôts.

- Le principe de base : la création de structures écrans

La création de sociétés écrans ou de sociétés relais, ou de structures telles que les trusts, dans un paradis fiscal est le principe de base sur lequel reposent les montages internationaux. Ces structures ont, en effet, un rôle d'interposition et de localisation de revenus dont les organisateurs du montage souhaitent qu'ils ne soient pas appréhendés par l'administration fiscale du pays de résidence. L'extrême difficulté, voire l'impossibilité d'identifier les propriétaires réels de ces sociétés, place, en effet, les recettes et revenus perçus par ces sociétés, à l'abri des recherches fiscales ou pénales, et rend le montage attractif. En matière purement fiscale, on peut d'ailleurs même considérer cette immunité comme acquise, en l'absence de convention d'échange de renseignements

Certains montages complexes reposent sur l'utilisation de plusieurs sociétés écrans dans le cadre d'une véritable chaîne, ou dans le cadre de constructions en parallèle. Le coût de gestion de chaque société représente le frein essentiel à une complexification à l'infini des montages.

On observera cependant que toutes les sociétés ou structures écran ne sont pas à but exclusivement fiscal. Certaines d'entre elles peuvent en effet répondre également à un souci de contourner la législation du pays de résidence.

Tel est le cas en matière maritime avec les pavillons de complaisance.

Certains Etats ou territoires autorisent en effet les entreprises de transport maritime à enregistrer un navire ou à arborer leur pavillon, même si le siège de l'entreprise est situé à l'étranger ou si les activités sont exercées en dehors de leur territoire. C'est cependant la souplesse des règles applicables en matière de contrôles administratifs ou techniques et de droit du travail qui fait, à parité avec les avantages fiscaux dont bénéficient les sociétés concernées, tout l'intérêt des pavillons de complaisance.

- Les applications en matière de fiscalité personnelle

Les paradis fiscaux offrent l'opportunité de procéder à des montages permettant de frauder les différentes impôts, en matière de fiscalité personnelle : l'impôt sur le revenu, l'impôt sur la fortune, l'impôt sur les donations ou sur les successions

Plusieurs procédés standards sont identifiés.

Le transfert du domicile fiscal dans un paradis fiscal par un contribuable est un procédé courant. Il s'agit d'une évasion fiscale, tout à fait légale, dès lors que le contribuable ne garde avec la France aucun des liens dont l'article 4 B du code général des impôts prévoit qu'il implique la domiciliation fiscale en France (avoir en France son foyer ou le lieu de son séjour principal ; y exercer une activité professionnelle, sauf à titre accessoire ; avoir en France le centre de ses intérêts économiques). Lorsque la délocalisation est fictive, il y a fraude.

La fraude au domicile fiscal est ainsi un exemple courant de fraude fiscale. Elle intéresse cependant peu les personnes physiques, car l'administration fiscale dispose dans le cadre d'un contrôle sur place ou d'une enquête de la possibilité de prouver que le contribuable est domicilié en France parce qu'il répond à l'un des critères précédemment évoqués. Le centre de ses intérêts économiques est apprécié en fonction de l'origine de la majeure partie des revenus.

Les stratégies de départ à l'étranger reposent plutôt, dans un premier temps, sur une délocalisation temporaire et réelle dans un pays avec lequel notre pays dispose d'une convention présentant une plus grande garantie de sérieux, notamment des pays européens.

Cependant, un transfert fictif ou réel, de domicile fiscal est d'autant plus attractif pour ceux qui conservent des biens ou des intérêts en France, que, comme l'indique l'encadré suivant, le régime fiscal des non-résidents est plus favorable que celui des résidents, pour les personnes disposant de fortunes mobilières importantes et de revenus de capitaux ou de redevances de droits de propriété intellectuelle substantiels.

Le statut des non-résidents en droit fiscal français
(personnes physiques)

Le code général des impôts prévoit une obligation fiscale limitée aux seuls revenus de source française pour les non-résidents, sous réserve des conventions internationales. Pour établir cette imposition, lorsqu'il n'y a pas de dispositions spécifiques, les règles de droit commun s'appliquent.

Les revenus de source française sont constitués, d'une part, des revenus provenant de biens, de droits ou d'activités localisées en France et, d'autre part, des revenus versés par une personne domiciliée ou établie en France.

La première catégorie concerne les revenus suivants :

- les revenus d'immeubles et de droits immobiliers, les revenus de valeurs mobilières et capitaux mobiliers, sous réserve du prélèvement libératoire pour les placements à revenu fixe ;

- les revenus des exploitations industrielles, commerciales, agricoles ou artisanales ;

- les revenus d'activité professionnelle salariée ou non, ainsi que les revenus tirés des opérations à caractère lucratif effectuées en France ;

- les plus-values immobilières ou réalisées sur la cession de titres de sociétés à prépondérance immobilière ;

- les plus-values de cessions de participations supérieures à 25% dans les sociétés de capitaux (participations substantielles) ;

- les rémunérations des prestations artistiques ou sportives fournies ou utilisées en France.

La deuxième catégorie concerne les revenus dont le débiteur est établi ou domicilié en France : pensions et rentes ; produits perçus au titre des droits de propriété intellectuelle ; rémunération des prestations de services de toute nature fournies, c'est à dire matériellement exécutées, en France ou utilisées effectivement en France (résultat de travaux d'étude, location d'un bien utilisé en France).

Certains contribuables, qui disposent d'une ou de plusieurs habitations en France, sont taxés forfaitairement sur la base de trois fois la valeur locative annuelle de ces habitations, en application de l'article 164 C du code général des impôts. Ce dispositif n'est applicable que lorsque l'intéressé ne dispose pas de revenus de source française ou que leur montant est inférieur à la base précitée. Il n'est pas applicable, non plus, lorsqu'une convention exclut sa mise en jeu, ou en cas de transfert de domicile à l'étranger.

Une fois l'assiette déterminée selon les modalités de droit commun ou selon celles prévues à l'article 164 C du code général des impôts, l'impôt est calculé en appliquant le barème progressif et en tenant compte du quotient familial. L'impôt ne peut être inférieur à 25% du revenu imposable (ou 18% pour les DOM), sauf si le contribuable justifie que le taux moyen de son impôt serait inférieur à 25% s'il résidait en France.

Certains des revenus de source française sont soumis, sous réserve également de conventions internationales, à une retenue à la source ou à un prélèvement à la source, qui vaut soit acompte à imputer sur le montant de l'impôt sur le revenu, soit versement définitif libératoire de l'impôt, ce qui limite l'intérêt d'une délocalisation fictive et la création de sociétés écrans.

Une retenue à la source d'un taux maximal de 25%, libératoire de l'impôt sur le revenu dans certaines conditions, est prévue sur les pensions et rentes viagères (il y a trois tranches selon le niveau des revenus perçus : 0%, 15% ou 25%).

Une retenue de 33,1/3% est prévue pour les revenus non salariaux (15% pour les sportifs). Elle n'est pas libératoire de l'impôt sur le revenu.

Une retenue de 25% du montant brut décaissé par la société est effectuée sur les dividendes versés, soit un taux effectif de 33,1/3. Son taux est porté à 50% pour les dividendes distribués par les holdings de participation étrangère à des personnes dont le siège ou le domicile fiscal est situé dans un pays n'ayant pas conclu de convention destinée à éviter les doubles impositions.

S'agissant des plus-values sur participations substantielles, une imposition forfaitaire de 16% tenant lieu d'impôt sur le revenu est prévue.

En ce qui concerne les placements à revenus fixes, le taux du prélèvement libératoire est le plus souvent égal à zéro.

Le taux du prélèvement libératoire est de 33,1/3% sur les profits immobiliers à caractère non professionnel et de 50% sur les profits immobiliers à caractère professionnel.

On constate que les taux des retenues à la source et prélèvements libératoires, même élevés, restent inférieurs aux taux des tranches supérieures du barème (43%, 48% et 54%).

En conclusion, on doit observer plusieurs avantages significatifs, qui motivent des stratégies de transfert réel ou fictif de domicile fiscal :

- les plus-values de cession de valeurs mobilières ou titres non cotés français ou gérés en France sont exonérés en application de l'article 244 bis C du code général des impôts, dès lors que le seuil de 25% relatif aux participations substantielles n'est pas atteint ; il en est de même des plus-values de cession de parts de sociétés de personnes et des plus-values de cession de biens meubles (navires de plaisance etc.) ;

- l'impôt de solidarité sur la fortune n'est acquitté que sur les seuls immeubles et droits immobiliers détenus directement ou indirectement, les titres de sociétés à prépondérance immobilière ainsi que les titres de participations représentant 10% au moins du capital d'une société ; les placements financiers (moins de 10% du capital d'une entreprise) sont exonérés en application de l'article 885 L du code général des impôts.

La réduction artificielle du revenu d'activité déclaré, technique qui consiste à diviser le revenu afin de n'en déclarer qu'une partie à l'administration fiscale, relève, en général, de la fraude fiscale, car l'article 4 A du code général des impôts prévoit l'imposition en France de l'ensemble des revenus mondiaux des personnes physiques, sauf convention internationale contraire. A compter du 1er janvier 1999, cette obligation déclarative concerne également les revenus acquis et capitalisés, mais non perçus, dans les structures de gestion de patrimoine dont l'actif est à dominante monétaire et financière, bénéficiant d'un régime fiscal privilégié ou implantées dans des paradis fiscaux et dans lesquelles le contribuable détient, directement ou indirectement, plus de 10% des droits.

Le premier cas de fraude consiste en la perception à l'étranger de revenus non déclarés, provenant soit d'activités occultes, soit d'éléments de patrimoine ou de droits de propriété intellectuelle inconnus de l'administration fiscale française et non déclarés. Une technique courante est celle du fractionnement du salaire des cadres de direction, ou split-roll : le cadre exerce une double activité, l'une en France, l'autre dans le paradis fiscal, où il reçoit une partie de sa rémunération. Cette dernière est imposable en France, puisque aucune convention fiscale ne vient contredire le principe précédemment rappelé de l'article 4 A du code général des impôts. En fait, l'impôt peut être éludé, car les possibilités de contrôle de la part de l'administration fiscale française sont inexistantes. L'emploi local peut même être fictif. Dans une variante, le cadre peut exercer une fonction d'administrateur de l'IBC ou de l'Exempt Company entraînant le versement sur place de tantièmes, de jetons de présence ou de rémunérations exceptionnelles.

On rappellera que le split-roll effectué dans le cadre d'un paradis fiscal est plus avantageux, lorsque la rémunération n'est pas révélée à l'administration fiscale française, que s'il concerne un pays lié au nôtre par une convention fiscale conforme au modèle de l'OCDE et prévoyant l'imposition dans le pays de l'exercice de la deuxième activité des revenus qui en proviennent et l'application de la règle du taux effectif en France. Dans ce dernier cas, si le taux de l'imposition sur place est inférieur à ce qu'il est en France, cette formule reste avantageuse, mais on constate seulement une réduction d'imposition, et non une absence d'imposition.

Dans une troisième version, celle du salarié détaché à l'étranger qui devient non résident de France, la fraude consiste à ne pas déclarer dans l'Etat de résidence la part de la rémunération versée en France.

Une deuxième fraude, commune aux questions de fiscalité personnelle et de fiscalité des entreprises, consiste en l'exercice d'une activité occulte non déclarée à partir d'une société ou d'une entité établie ou censée être établie dans un paradis fiscal.

Cette hypothèse concerne les cas d'exercice d'activités de négoce, de conseil ou d'expertise au plan international, et plus généralement, les fonctions d'intermédiaire de toute sorte. Il faut cependant rappeler qu'une retenue à la source de 33,1/3% est perçue au titre des prestations de service utilisées ou fournies en France par une personne non-résidente.

Ce cas de fraude tend cependant à prendre une forme nouvelle, difficilement appréhendable, avec les possibilités offertes par Internet de délivrer des prestations ou des biens immatériels à partir d'un site réellement ou fictivement implanté en dehors de l'Etat de domiciliation du contribuable.

On mentionnera par ailleurs des montages plus sophistiqués, à caractère également frauduleux, reposant sur la création de sociétés fictives dites sociétés d'artiste : le cas type est celui de la société qui perçoit les cachets dans un pays européen en lieu et place de l'artiste et lui reverse un salaire, déclaré, assez modeste. L'article 155 A du code général des impôts, disposition anti-abus, a rendu ce procédé illégal, en posant le principe selon lequel des sommes perçues à l'étranger par des sociétés fictives, au titre de prestations de service rendues en France, sont assujetties à l'impôt en France.

La dissimulation d'éléments de patrimoine constitue certainement le cas de fraude le plus répandu. Elle consiste à détenir dans des paradis fiscaux soit directement, à l'abri d'un secret bancaire presque absolu, soit indirectement, dans le cadre d'une société d'administration ou de gestion de patrimoine, à l'abri de la large confidentialité autorisée par le droit local des sociétés ou par le droit des trusts, des biens mobiliers ou immobiliers. Cette situation permet d'éluder cinq impôts : l'impôt sur le revenu, pour les revenus périodiquement perçus ou acquis ; l'impôt sur la fortune ; l'impôt sur les plus-values, lors de la transformation de la consistance du patrimoine ; les droits de mutation à titre onéreux, lorsque les impôts localement perçus à ce titre sont inexistants alors que les cessions de biens situés en France auraient été taxées ; les droits de mutation à titre gratuit, droits de donation ou droits de succession.

Cet avantage peut être d'autant plus appréciable pour le fraudeur que les principaux impôts, ISF et IR sont progressifs et que la dissimulation permet d'échapper à une taxation dans le cadre des tranches hautes du barème.

La carte bancaire ou la carte de crédit internationale dont les débits sont imputés sur un compte détenu dans un paradis fiscal constitue le complément indissociable du recours à des paradis fiscaux, car elle permet une large utilisation dans l'ensemble des pays du monde, et notamment dans le pays de résidence du contribuable, d'une partie des sommes dissimulées. Elle permet de financer une partie importante du train de vie. Elle est considérée comme un moyen privilégié de blanchiment des capitaux occultes.

- Les applications en matière de fiscalité des entreprises

· Le premier cas d'utilisation des paradis fiscaux en matière de fiscalité des entreprises consiste dans les tentatives de domiciliation fictive d'une entreprise dans un paradis fiscal, alors que son siège de direction effective est situé en France.

En pratique, ce type de montage est sévèrement sanctionné par l'administration fiscale lorsque, sur la base des résultats d'un droit de visite ou de saisie prévu par l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ou sur la base des éléments qu'elle a pu recueillir par ailleurs, celle-ci peut démontrer que la société est effectivement dirigée à partir de la France. Une imposition est alors établie sur le fondement du principe de l'imposition en France des résultats des entreprises qui y sont exploitées, dans le cadre du I de l'article 209 du code général des impôts.

· Le deuxième objectif des montages prévoyant un recours aux paradis fiscaux en matière de fiscalité des entreprises consiste en la réduction du bénéfice imposable en France, grâce à une augmentation de charges ou une réduction des recettes ayant pour contrepartie une augmentation symétrique des recettes ou une réduction symétrique des charges au profit d'une structure contrôlée en toute discrétion.

En pratique, les transferts de bénéfices interviennent de la manière suivante :

- les manipulations de prix d'acquisition à l'importation ou à l'exportation, grâce à l'interposition d'une société écran qui effectue une simple opération de facturation : ainsi, à l'importation, la société française acquiert ses fournitures non pas directement auprès de son fournisseur, mais indirectement auprès d'une société de facturation implantée dans un paradis fiscal, dont la marge constitue autant de base taxable échappant à l'impôt en France ; le schéma inverse prévaut pour les exportations ;

- les accords de partage de coûts (cost sharing) ;

- le recours à des sociétés prestataires de services, utilisées soit pour faire facturer par une société implantée dans un paradis fiscal des prestations réelles, qui ont été effectivement rendues par une société tierce, soit pour faire facturer des prestations plus ou moins fictives, mais ayant une apparence de réalité et dont le prix réel sera très difficile à estimer pour l'administration fiscale. Les services d'études techniques ou d'étude des marchés, les sociétés de publicité ou d'assistance technique sont souvent cités ;

- le recours à des sociétés titulaires de droits de propriété intellectuelle ou de droits de propriété commerciale, utilisées pour y localiser les redevances correspondantes. Le prix normal de ces redevances est difficile à évaluer et peut donner lieu à de nombreuses manipulations ;

- le versement de redevances de crédit-bail, qui obéit à la même logique, l'acquisition de la propriété des biens faisant l'objet du contrat de crédit-bail ayant pour seul objet de fournir un support permettant de justifier le transfert de sommes à l'étranger ;

- les emprunts réalisés auprès de filiales étrangères ou de sociétés étrangères liées, notamment de sociétés exerçant une activité bancaire ; les emprunts donnent lieu à versement d'intérêts déductibles de la base de l'impôt sur les sociétés en France, dès lors qu'ils ne sont pas excessifs et correspondent à une opération réelle de prêt, conformément aux dispositions de l'article 238 A du code général des impôts, les bénéfices correspondants n'étant pas imposés dans le paradis fiscal.

Néanmoins, pour la majeure partie des paradis fiscaux, le bénéfice des opérations précédemment décrites est, en règle générale, limité par l'importance des prélèvements à la source, précédemment mentionnés, effectués sur les sommes versées à des personnes physiques ou morales non-résidentes soit en application de l'article 119 bis du code général des impôts, pour les intérêts d'emprunt, soit en application de l'article 182 B de ce même code, pour les redevances et les sommes versées en contrepartie de prestations de service de toute nature fournies ou utilisées en France.

En général, pour éviter cette retenue à la source, les montages reposent donc sur l'interposition en outre d'une société écran bénéficiant d'un régime fiscal privilégié dans un Etat à fiscalité normale et disposant de conventions favorables avec un véritable paradis fiscal. Les Pays-Bas offrent ce cadre, grâce à une combinaison astucieuse des rulings avec la convention fiscale dite BRK précédemment mentionnée et applicable aux Antilles néerlandaises, ainsi que le précisera plus en détail votre Rapporteur à propos des régimes fiscaux privilégiés.

En outre, on observera que les sommes versées en contrepartie de prestations de services non utilisées en France, ce qui recouvre essentiellement les commissions versées dans le cadre du négoce international, ne font pas l'objet d'une retenue à la source.

· Le troisième mécanisme d'utilisation des paradis fiscaux en matière de fiscalité des entreprises repose sur la constitution de sociétés holdings, c'est à dire de sociétés qui ne sont créées que pour détenir et gérer des participations dans d'autres sociétés. L'objectif de la création d'une telle société est de bénéficier d'un taux d'imposition relativement bas tant pour les bénéfices que pour les plus-values de cession de participations.

Dans ce domaine encore, ce ne sont pas les paradis fiscaux les plus lointains qui sont les plus intéressants, compte tenu de la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du code général des impôts sur les bénéfices distribués aux personnes morales qui n'ont pas leur siège en France, au taux de 25% sur le montant brut décaissé par l'entreprise, soit un taux effectif de 33 ,1/3%, dans le cas général (5) conformément à l'article 187, compte tenu également de l'absence d'avoir fiscal au profit des actionnaires non-résidents, en l'absence de convention internationale, ainsi que de l'imposition des plus-values de cession des participations substantielles représentant plus de 25% des droits dans une société. Ce dernier élément peut cependant être aisément contourné par l'interposition d'un premier niveau de société détenant la participation substantielle.

Ce sont au contraire des Etats proches disposant de régimes fiscaux privilégiés, et ne constituant pas des paradis fiscaux stricto sensu, comme les Pays-Bas, le Luxembourg et la Belgique qui sont considérés comme les plus intéressants pour l'implantation de holdings, ainsi que le précisera votre Rapporteur à propos des régimes fiscaux privilégiés.

· Les sociétés captives d'assurance ou de réassurance constituent l'un des éléments du renom de certains paradis fiscaux, notamment les Bermudes, les Bahamas, les îles Caïmans, Guernesey ou le Luxembourg.

Elles permettent de contourner le principe selon lequel les provisions dites de propre assureur constituées pour faire face à des risques éventuels, ne sont pas déductibles.

Ces sociétés, dominées par la société mère et dont les prestations sont réservées à une seule société ou à un groupe de sociétés, perçoivent des primes déductibles du résultat imposable de la société versante.

Elles peuvent également servir de support à d'autres montages lorsque la prime versée est sciemment majorée de manière à localiser dans le paradis fiscal la différence entre la prime réputée versée et la prime réellement versée ensuite à la société qui assure réellement le risque. Le procédé le plus subtil consiste à négocier une prime d'un montant faible directement auprès d'un assureur ou d'un réassureur étranger et à acquitter une prime d'un montant habituel auprès de la captive.

Les captives de réassurance répondent à la même logique, mais à un stade ultérieur de l'opération d'assurance. On rappellera que la réassurance est l'opération par laquelle l'assureur principal transfère au réassureur, en contrepartie du paiement d'une prime, tout ou partie du risque à sa charge, c'est à dire l'obligation de procéder au versement des indemnités prévues en cas de réalisation du risque assuré. Les captives de réassurance sont donc créées par les assureurs.

Enfin, les banques et les sociétés financières captives permettent de centraliser des opérations de prêts et de gestion de trésorerie, avec des frais moindres.

- Des exemples de montages simples ou complexes

Il est difficile à votre Rapporteur de ne pas donner quelques exemples illustrant concrètement la manière dont sont organisés les montages.

Cependant, cette partie ne saurait être trop précise afin que le présent rapport ne constitue pas une sorte de manuel à l'intention de ceux qui souhaiteraient pratiquer la fraude ou l'évasion fiscales.

· La société de gestion de patrimoine

La société de gestion de patrimoine est une société écran qui permet d'utiliser le produit d'une activité occulte dans son pays de résidence ou dans un pays à fiscalité normale pratiquant l'échange de renseignements avec son pays de résidence, sous le couvert d'une structure dont les véritables actionnaires ne sont pas connus.

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Compte dans un paradis fiscal

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Société civile immobilière France

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Navire de plaisance

· La complexité d'un circuit commercial

Dans un circuit commercial international complexe où les prix de transaction sont difficiles à contrôler, trois fraudes sont possibles :

- les majorations ou minorations de prix, si les dirigeants de la société souhaitent modifier la localisation de son profit ;

- les commissions pour obtenir des marchés à l'étranger, qui peuvent être fictives ;

- les indemnités diverses, notamment les indemnités pour rupture abusive de contrat avec des sociétés « écran » censées être spécialisées dans la promotion des ventes et le développement commercial.

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Entreprise d'import-export France

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Vente à prix normal

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Commissions pour obtenir un marché

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Fournisseurs tous pays

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Comme toute formule de fraude internationale, celle-ci est destinée à l'enrichissement de son propriétaire. Le trust d'accumulation peut être remplacé par un trust de gestion de patrimoine semblable à celui de l'exemple précédent.

c) La communication à partir de certains paradis fiscaux : une véritable incitation à la fraude fiscale

Les paradis fiscaux constituent le support d'une véritable incitation à la fraude fiscale, ainsi qu'à la fraude au système de financement de la sécurité sociale.

L'accessibilité aisée et généralisée à des services censés couvrir l'ensemble des paradis fiscaux via Internet ou aux plus fameux d'entre eux par l'intermédiaire des annonces publiées dans un magazine aussi réputé que The Economist, publié au Royaume-Uni mais lu dans le monde entier, ou dans un quotidien aussi largement diffusé que l'International Herald Tribune, est souvent dénoncée à juste titre.

Votre Rapporteur a ainsi pu, à l'occasion d'une consultation de l'adresse suivante, atolnet.com, prendre connaissance du texte figurant en annexe 1, confectionné par une société implantée à Victoria (Mahé), aux Seychelles, Etat touristique qui a quelques velléités de constituer un paradis fiscal important.

Un deuxième exemple est constitué par le site Internet de Finor Associates Ltd, qui propose des réponses rassurantes à des questions qui appelleraient pourtant une réponse claire de la part d'un inspecteur des impôts, telle que celle de savoir s'il est légitime de détenir des fonds non déclarés à l'étranger.

L'ensemble des documents mentionnés en annexe 2 montre les prestations proposées : comptes bancaires ; cartes bancaires ; sociétés off shore ; et même documents officiels de type passeport (y compris des faux passeports du Sud-Vietnam, Etat qui n'existe plus depuis vingt-quatre ans !), permis de conduire qui conduisent à rappeler qu'un certain nombre d'Etats monnayent leur citoyenneté dans des conditions particulièrement avantageuses, comme le Honduras selon le guide précité des centres off shore, établi par M. Barry Spitz.

En ce qui concerne les annonces de presse, leur contenu est certes moins caricatural, néanmoins, on doit se poser la question de savoir si elles ne provoquent pas une certaine accoutumance à l'égard des montages reposant sur la constitution de sociétés dans des paradis fiscaux.

d) Le recyclage financier à des fins de blanchiment des capitaux d'origine criminelle : des mécanismes reposant sur les mêmes circuits que ceux utilisés pour la fraude fiscale

Le blanchiment consiste d'une certaine manière en une opération inverse de la fraude fiscale puisque la seconde a pour objet de rendre illégaux des capitaux qui peuvent être d'origine parfaitement légale (et qui pourraient rester légaux) à seule fin d'échapper à l'impôt, alors que le blanchiment tend à donner une apparence de légalité à une somme d'origine illégale, provenant de l'exercice d'activités illicites, criminelles ou délictueuses, telles que le trafic de stupéfiants naturellement, mais aussi le racket, le proxénétisme ou le vol, en en dissimulant l'origine.

Les techniques utilisées ne sont donc pas identiques. De nombreux procédés de blanchiment ont au contraire un coût fiscal non négligeable et conduisent à payer un supplément d'impôt : il en est ainsi de ceux qui reposent sur le gonflement artificiel du chiffre d'affaires d'entreprises de services en intégrant d'importantes sommes en espèces qui prennent alors une apparence légale. Les secteurs concernés sont ceux où les versements en espèces sont parfaitement justifiées en raison de la nature des prestations de service rendues : restauration, blanchisseries, sociétés de lavage de voiture, salons de coiffure etc. Les sociétés complices veillent à rester parfaitement en règle avec leurs obligations fiscales afin de ne pas attirer inutilement l'attention de l'administration fiscale.

On doit également mentionner les techniques classiques du rachat de tickets gagnants pour les courses de chevaux ou les jeux de hasards, les achats de biens à prix déclarés plus faibles que les prix réels grâce au versement d'un complément en espèces et leur revente à un prix normal, ce qui majore d'autant la marge commerciale normale.

On observera que le marché de l'art est souvent cité, par de nombreux observateurs, comme source de blanchiment. Les manipulations de prix lors de ventes aux enchères à l'occasion desquelles des complices rachètent des objets de collection à un prix sans commune mesure avec leur valeur réelle et les manipulations de transactions doivent être citées, d'autant que le plafond des paiements en espèces, fixé à 50.000 francs, ne s'applique pas aux non-résidents et que le lien entre l'acquéreur et le vendeur n'apparaît pas, puisque les commissaires-priseurs font écran. Tel n'est pas le cas pour les ventes intervenant dans le cadre de commerces traditionnels.

Ces techniques classiques et purement internes sont cependant insuffisantes. Le volume des capitaux à blanchir est tel que le recours à des transferts d'argent à l'étranger s'avère indispensable.

On rappellera que M. Jean de Maillard, dans son ouvrage intitulé « Un monde sans loi : la criminalité financière en images », (Stock, 1998), estime ce volume à 320 milliards de dollars, soit 2.000 milliards de francs environ, c'est-à-dire un ordre de grandeur semblable au budget de l'Etat, en France.

En outre, les procédures de compensation, dans chaque Etat, de créances et de dettes de manière à réduire les transferts rendus nécessaires par la différence entre, d'une part, les zones de production de drogues (Colombie et autres Etats andins pour la cocaïne, Europe orientale, Afrique du Nord et Moyen Orient, ainsi qu'Amérique centrale pour le cannabis, toutefois assez répandu dans le reste du monde, Asie centrale et Asie du Sud-Est, mais aussi Amérique du Sud, pour le pavot, dont on extrait l'héroïne) et les zones de consommation, et, d'autre part, les lieux d'exercice de la criminalité rentable, ces mêmes pays industrialisés, et les lieux de résidence de certains de ses organisateurs, les grandes mafias étant d'origines italienne, et américaine, colombienne, japonaise, chinoise, non seulement de Hong Kong et de Taiwan, mais aussi de Chine, russe et turque, selon l'ouvrage précité de M. Jean de Maillard, ne peuvent, elles non plus, suffire à éliminer les excédents en devises provenant des pays industrialisés, essentiellement en dollars américains.

L'utilisation des paradis fiscaux s'impose alors, car le secret bancaire et la confidentialité prévus par les règles du droit des sociétés offrent des écrans permettant de dissimuler l'origine des capitaux.

En pratique, trois éléments supplémentaires motivent également le recours aux paradis fiscaux.

D'abord, le faible niveau des impôts rend le coût des opérations de blanchiment moins élevé que dans les pays à fiscalité normale.

Ensuite, les capitaux détenus dans des structures locales sont à l'abri de toute investigation de la part d'une administration fiscale ou d'une autorité judiciaire étrangère.

Sachant que l'objectif de toute organisation criminelle est l'enrichissement illimité et par tout moyen de ses chefs, qu'il est difficile à l'issue d'un certain nombre d'années de justifier d'une fortune considérable ne reposant sur aucun héritage ou sur aucune réussite industrielle ou entrepreneuriale remarquable, et que la crainte de « tomber » pour fraude fiscale, comme ce fut le cas d'Al Capone, reste vive, on mesure l'importance de cet élément.

Enfin, l'utilisation concomitante des paradis fiscaux par la grande finance internationale fait que certaines transactions peuvent acquérir une apparence de respectabilité qu'elles n'auraient sinon jamais, même si, dans certains milieux économiques et financiers, l'étiquette « paradis fiscal » est toujours éminemment suspecte et donne lieu à des jugements sans complaisance.

On ne manquera pas d'observer que certains montages relatifs à l'utilisation, dans le pays de résidence du contribuable ou dans un pays à fiscalité normale, des fonds issus de la fraude fiscale ou du recyclage du blanchiment sont strictement identiques.

Plusieurs cas de recours aux paradis fiscaux sont ainsi recensés, par M. Jean de Maillard, dans son ouvrage précité, par Mme Marie-Christine Dupuis dans son ouvrage intitulé « Comment le crime organisé blanchit l'argent sale » (collection Finance criminelle, PUF, 1998) et par les auteurs du rapport intitulé « Paradis financiers, secret bancaire et blanchiment d'argent », publié en février 1999 dans le cadre des travaux de l'Office des Nations Unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime.

On constate ainsi :

- l'utilisation d'un compte dans un paradis fiscal pour y déposer des sommes en espèces. C'est le procédé le plus grossier, celui qui est mis en péril par les différents dispositifs législatifs de lutte contre le blanchiment, lorsqu'ils fonctionnent correctement ; en outre, le transport de masses d'argent liquide est toujours délicat, même s'il a été précisé à votre Rapporteur, lorsqu'il s'est rendu à Panama, qu'un conteneur transportant des masses considérables de billets en dollars avait été saisi, et jamais réclamé à l'administration du Panama ! Ce procédé est cependant, selon certains experts américains assez fréquemment utilisé. D'autant que le faible prix du dollar au marché noir en Colombie révèle une alimentation massive et permanente en espèces, selon ce qui a été précisé à votre Rapporteur par d'autres interlocuteurs. Le rapport précité présenté dans le cadre de l'Office des Nations Unies mentionne également l'existence de réseaux de passeurs dont certains sont organisés sur la base d'un véritable trafic de passeports diplomatiques permettant d'assurer les transferts dans des conditions de sécurité totale. On pourrait s'étonner de la survivance de ce procédé coûteux, puisqu'il faut rémunérer le passeur et très artisanal à l'heure des procédés informatiques et boursiers évolués, mais un interlocuteur de votre Rapporteur a insisté sur la nécessité de ne pas négliger le maintien de comportement très archaïques et frustes, « reptiliens », dans le milieu du crime et de la délinquance économique ;

- la centralisation sur des comptes spécifiques des dépôts fractionnés opérés dans des pays industrialisés, conformément à la technique dite des « fourmis » ou du « schtroumpfage », qui repose sur l'ouverture de nombreux comptes et le dépôt de sommes inférieures aux seuils de déclenchement des procédures anti-blanchiment ;

- la création de sociétés internationales de commerce ou de prestation de services, ayant des activités plus ou moins fictives pour justifier des transferts de fonds à partir d'un pays industrialisé sous le couvert d'une opération commerciale ;

- la création de sociétés écrans pour lesquelles la détention de capitaux importants, sur des comptes bancaires, sera moins suspecte que de la part de personnes physiques ;

- la création de trusts ayant une vocation similaire ;

- la circulation de capitaux entre plusieurs paradis fiscaux de manière à brouiller les pistes, certains Etats ou territoires ayant alors la vocation de centres de transfert, avec la recherche d'itinéraires labyrinthiques ;

- l'utilisation de comptes dits « migrateurs », que le gestionnaire a pour instruction de virer dans un autre centre financier à la première alerte ou dès qu'un soupçon de recherche apparaît ;

- la création par les trafiquants de leurs propres banques, dites name-plate banks, administrées par des sociétés de gestion.

Le rapatriement de capitaux ainsi localisés dans les paradis fiscaux intervient ensuite avec des procédés du même type que ceux auxquels il est recouru pour les montages à caractère fiscal. On notera ainsi :

- le recours aux cartes bancaire ou de crédit internationales dont les paiements sont imputés directement ou indirectement selon les procédures indiquées infra par votre Rapporteur, au a) du 3 ;

- l'utilisation d'un compte de transit, compte central ouvert par des établissements bancaires étrangers auprès d'une banque du pays hôte et permettant aux clients de tirer des chèques de banque sur ce compte ;

- le recours, occasionnel, sauf à risquer d'attirer l'attention, à un casino implanté dans un paradis fiscal, ce dernier transformant un virement reçu au titre d'un client en un gain au jeu, légalement réglé par virement international dans le pays de résidence de ce « client » ;

- la réalisation d'une plus-value immobilière fictive grâce à la vente à prix majoré d'un bien immobilier à une société étrangère d'investisseurs internationaux ;

- les plus-values réalisées sur les marchés boursiers ou les marchés de produits dérivés, ayant ou non pour contrepartie des moins values volontaires dans le paradis fiscal. Ces techniques sont complexes, notamment lorsqu'elles mettent en jeu des produits dérivés, qui peuvent donner lieu à plusieurs estimations, selon la méthode retenue ;

Les produits dérivés

Davantage encore que les marchés d'actions, les marchés dérivés constituent potentiellement de très bons véhicules pour blanchir rapidement de grosses sommes d'argent. Ils présentent en effet un certain nombre de caractéristiques susceptibles d'intéresser les blanchisseurs (6). Il faut tout d'abord constater que si les produits dérivés étaient originellement utilisés comme instruments de hedging (couverture) pour se prémunir de risques (de change, de variation des cours des matières premières ou des taux d'intérêt par exemple), les prises de positions à des fins purement spéculatives sont aujourd'hui dominantes. Ce qui en fait des marchés attirants pour des opérateurs dont l'unique objectif est de générer des profits, donc enclins à prendre des risques. Par ailleurs, pour fonctionner de façon efficiente, leur degré de liquidité doit être élevé, et il leur faut attirer des capitaux considérables. Les volumes de transactions rendent difficilement détectable une opération criminelle ; sur le seul marché des changes par exemple, les transactions journalières s'élèvent à 1.400 milliards de dollars dans le monde. Sur les marchés dérivés proprement dits, on ne dispose pas vraiment de statistiques consistantes. En janvier 1994, l'agence Reuter parlait de 4.600 milliards de dollars, tandis que les estimations du Federal reserve s'élèvent à 7.000 milliards. D'autres chiffres publiés par des organismes spécialisés dépassent les 10.000 milliards de dollars (1.200 milliards de dollars selon la Federal deposit insurance corporation).... Autre caractéristique, les instruments échangés sur ces marchés sont complexes et dématérialisés : les contractants achètent non pas directement des devises ou des matières premières, mais un droit d'acheter ou de vendre à une date ultérieure à un cours donné - droit qu'ils peuvent ou non exercer. La majorité des opérations sont d'ailleurs spéculatives et n'impliquent donc pas la livraison physique, de l'actif sous-jacent.

Dès lors qu'elles se concluent simplement par l'inversion de la position initiale prise par le courtier, l'origine et la destination des fonds sont extrêmement difficiles à détecter. L'engagement sur un contrat ne nécessite pas le règlement de l'intégralité du montant du contrat, mais d'une fraction seulement du montant notionnel. Cela signifie qu'avec une mise initiale réduite, le blanchisseur va pouvoir réaliser des gains élevés
- donc blanchir des sommes importantes. Il s'agit donc d'opérations à fort effet de levier. Enfin, les produits évoluant rapidement, les organismes chargés de leur réglementation peinent à adapter la législation à des mutations toujours plus rapides.

Les cas concrets où la preuve a pu être apportée de l'utilisation des marchés dérivés à des fins criminelles de blanchiment sont néanmoins très limités. On sait que des émanations d'entités criminelles ont tenté de prendre le contrôle de centres boursiers pour faciliter leurs opérations. Dès 1983, une enquête commune de Scotland Yard et de la Commodity futures trading commission avait permis de stopper l'acquisition de sièges vacants à la bourse des matières premières de la Nouvelle-Orléans par des financiers affiliés à des trafiquants d'héroïne siciliens. Lesquels tentèrent alors leur chance à la bourse de Philadelphie avant d'être, là encore, rattrapés par la loi.


Source : Marie-Christine Dupuis - « 
Comment le crime organisé blanchit l'argent sale » collection Finance criminelle, PUF, 1998

- la facturation des prestations de services ou de biens, à prix majorés, par une société résidente à une société off shore (il s'agit là d'une opération strictement symétrique à celle utilisée pour les cas de fraude fiscale) ;

- le versement d'honoraires ou de rémunérations correspondant à des fonctions fictives d'intermédiaire ou de conseil ;

- le prêt adossé, qui constitue, selon le rapport de l'Office précité des Nations Unies, un moyen privilégié de blanchiment. Les capitaux sont déposés sur un compte off shore et sont prêtés indirectement à une entreprise. Le capital est rapatrié sans impôt, et donne lieu, en outre, à la réduction des impôts dus par l'entreprise emprunteuse, puisque les intérêts d'emprunt sont déductibles du résultat imposable. Lorsque le prêt est financé à partir d'un prêt lui-même conclu entre l'établissement prêteur et la structure implantée dans un paradis fiscal, le remboursement de l'emprunt permet en outre d'exporter une deuxième fois dans le paradis fiscal le montant du capital emprunté, et d'accroître le volume du blanchiment.

Les prêts adossés ou prêts autofinancés

La technique du prêt adossé repose sur une idée simple : certaines juridictions connues pour leur laxisme accueillent volontiers des dépôts d'argent liquide sans se montrer curieuses sur l'origine des fonds ni sur l'identité du détenteur du compte. Néanmoins, les organisations criminelles peuvent avoir envie ou le besoin de disposer de ces fonds dans leur pays d'origine ou dans ceux qui servent de théâtre à leurs activités criminelles. Un simple virement bancaire pour rapatrier les fonds déposés dans des banques exotiques présente l'inconvénient d'une trop grande traçabilité en cas d'investigation. D'où l'idée de recourir à un mécanisme plus subtil : l'argent déposé sur un compte off shore sert de collatéral pour obtenir un prêt accordé par une banque implantée dans le pays d'élection du trafiquant. La nature du collatéral peut varier : dépôt en cash, actifs en nature (biens immobiliers, _uvres d'art), actifs financiers (titres...). En outre, pour complexifier la transaction, les fonds peuvent être transférés entre plusieurs comptes avant de servir de collatéral pour l'obtention du prêt. Enfin, le compte initial peut être ouvert au nom d'une personne morale, société possédée par le blanchisseur. Comme dans le cas d'une personne physique, la société demande un prêt dans son propre pays et la demande peut être appuyée par une lettre de crédit émise par la banque qui a reçu les fonds en dépôt. Là encore, l'emprunteur encaisse l'argent sans prise de risque. La société peut éventuellement être dissoute, le prêt ne sera alors jamais remboursé et la banque du paradis fiscal où les narcodollars ont été laissés en dépôt peut facilement se rembourser sur ces fonds.

Cette technique a été mise au point dans les années cinquante par Meyer Lansky, le financier de la mafia qui avait alors imaginé de tirer parti du secret bancaire en vigueur dans les institutions suisses pour blanchir à moindre risque l'argent du crime organisé américain. Elle se prête à de multiples variantes selon le type de collatéral, le mode de rémunération des intermédiaires, les caractéristiques du prêt. L'une d'elles a été judicieusement surnommée le « sandwich hollandais » : les fonds sont initialement déposés dans une banque sise dans les Antilles néerlandaises, paradis fiscal des caraïbes, tandis que le prêt final est, lui, obtenu aux Pays-Bas. « La Bank of credit and commerce international » (BCCI) a eu largement recours au prêts autofinancés pour blanchir les fonds des narcotrafiquants colombiens. L'argent provenant de la vente de drogue aux Etats-Unis était transporté clandestinement jusqu'au Panama où il était déposé dans la filiale locale de la banque. Un prêt d'une valeur équivalente était alors accordé, moins 1% correspondant à la commission de la banque. Ce prêt n'était évidemment jamais remboursé, la banque conservant le cash. Là encore, cette technique pouvait être adaptée aux besoins spécifiques des clients : montants à blanchir, périodicité des flux financiers, particularités propres à la juridiction d'émission du prêt final entre autres. Un cadre de la filiale panaméenne de la BCCI, décidément rompu à ce type d'acrobaties financières, avait ainsi proposé à un agent américain sous couverture, d'effectuer une opération du même ordre. Les fonds qui lui avaient été présentés comme provenant du narcotrafic pouvaient, proposait-il, être virés sur un compte de la BCCI au Luxembourg et investis dans des certificats de dépôts portant un intérêt. Un prêt d'un montant équivalent et au même taux d'intérêt, moins une commission à négocier, serait alors accordé. Il ne resterait plus qu'à effacer le prêt des livres de la banque quand les certificats de dépôts arriveraient à échéance.


Source : Marie-Christine Dupuis -
op. cit.

Enfin, l'utilisation des circuits économiques internationaux par les bénéficiaires des grandes organisations criminelles a donné lieu à de nombreuse affaires dont l'une mérite d'être citée, dans l'encadré suivant, même si elle ne met pas directement en jeu les paradis fiscaux.

Le cas des entreprises colombiennes.

Le lundi 30 octobre 1995, un article du New-York Times révèle l'utilisation de sociétés américaines par le cartel de Cali, dans le blanchiment des narcodollars résultant du trafic de cocaïne aux Etats-Unis. Une série d'enquêtes menées simultanément à New-York, Los Angeles, Houston et Miami ont, en effet, permis de mettre en évidence le rôle des sociétés américaines, la plupart du temps abusées par des éléments criminels, dans les montages de blanchiment mis en place par les chefs du cartel pour un montant global estimé autour de 3 milliards de dollars (18 milliards de francs) par an. Le blanchiment s'opère de la façon suivante : des émissaires du cartel prennent contact avec des entreprises colombiennes importatrices de produits américains qui, parce qu'elles commercent sur une base régulière avec les Etats-Unis, sont moins contrôlées que ne peuvent l'être de petits importateurs occasionnels. Ils leur proposent alors de mettre à leur disposition des dollars (en fait des narcodollars) pour régler les exportateurs américains. Les importateurs colombiens rembourseront ensuite les intermédiaires du cartel de Cali à un taux de change inférieur au taux officiel. Les importateurs bénéficient donc d'une prime de change tandis que les narcotrafiquants récupèrent des fonds blanchis, de surcroît rapatriés sur le territoire colombien. Selon le New-York Times qui se réfère aux déclarations de Greg Passic, un fonctionnaire du département du Trésor américain, de grandes sociétés américaines se sont fait piéger. Ainsi, General Electric, General Motors, Microsoft ou Apple auraient vendu des marchandises à des importateurs colombiens en ignorant leurs liens avec le cartel de Cali. Au total, les services des douanes parlent de 105 entreprises américaines ayant reçu des narcodollars en paiement d'exportations en Colombie. « Les cartels investissent dans le commerce, car nous travaillons à resserrer le secteur financier », a conclu Robert Gelbard, secrétaire d'Etat adjoint en charge de la lutte contre le trafic de drogue, « il devient de plus en plus important que les entreprises sachent à qui elles s'adressent lorsqu'elles traitent des affaires ».

Source : Marie-Christine Dupuis, op. cit.

e) Les opérations susceptibles d'être réalisées dans des paradis fiscaux à des fins ni fiscales ni criminelles

Le développement des places off shore n'est pas uniquement lié au recyclage du produit de la fraude fiscale ou à celui des activités de la grande criminalité organisée.

On observe, en effet, plusieurs cas où le paradis fiscal offre une souplesse que n'autorise pas, dans de nombreux Etats, le droit civil, le droit commercial ou, d'une manière plus générale, le droit des opérations comptables et financières. En outre, certaines opérations peuvent bénéficier d'une discrétion nécessaire à leur bon déroulement.

Il y a certes un contournement de la loi, mais il n'y a pas d'activité illégale, comme le montrent plusieurs exemples.

· Le contournement des règles du droit successoral

La confidentialité dans laquelle sont gérés les comptes bancaires et financiers, les portefeuilles de titres, les sociétés off shore et les trusts dans les paradis fiscaux permettent, en matière de transmission du patrimoine, des opérations qui sont contraires aux règles du droit civil de nombreux pays, tels que la France où le système de la réserve interdit à une personne de laisser la totalité de ses biens à un légataire de son choix.

Elle donne également la faculté d'attribuer temporairement ou à titre viager des revenus à une personne de son choix, en toute confidentialité, et sans supporter le risque d'un cumul d'imposition, dans les pays où les pensions versées à autrui ne sont pas déductibles du revenu imposable, comme c'est également le cas en France.

Cette souplesse a souvent été rappelée par de nombreux interlocuteurs de votre Rapporteur, car elle permet, en outre, de procéder à des opérations qui ne sont pas plus approuvés par l'opinion des pays de culture latine que dans les Etats de tradition anglo-saxonne voire puritaine, telles que les versements d'une partie du patrimoine à une personnes n'ayant aucun autre lien qu'affectif avec le titulaire ou à un(e) conjoint(e) morganatique ou encore à des enfants naturels.

· Les fonds off shore

Certains paradis fiscaux sont réputés pour les fonds communs, fonds off shore ou mutual funds : les Bermudes, les îles Caraïbes, Guernesey, Hong-Kong, l'île de Man, Jersey, ainsi que le Luxembourg. On rappellera que 1600 fonds sont répertoriés au Luxembourg.

Ces fonds ont une clientèle mondiale et leur implantation est liée à l'existence d'un grand savoir-faire financier, juridique et technique de place.

Le premier avantage mis en évidence est la souplesse de la législation locale, qui permet de nombreuses innovations.

L'exemple des fonds à compartiments ou umbrella funds qui permettent aux investisseurs, entreprises ou particuliers, d'investir dans différents types d'actifs et de procéder à des arbitrages, sans changer de pays et sans payer de droits d'entrée ou de sortie, est souvent cité en exemple.

Au deuxième plan, cependant, on trouve les règles fiscales, non parce qu'elles facilitent des fraudes, mais parce qu'elles permettent de limiter les coûts sur un marché très concurrentiel et parce que l'absence de retenue à la source simplifie les opérations de virement lorsque l'on dispose d'une clientèle internationale et comportant plus de particuliers que d'entreprises.

A côté des fonds off shore, il faut également mentionner les trusts d'investissements internationaux qui jouent le rôle de fonds communs de placement ou de fonds de capitalisation.

· Les special purpose vehicules

Ce que l'on appelle en langage technique les special purpose vehicules (SPV), c'est à dire les structures à objet déterminé, constitue un autre exemple d'opérations non illégales opérées dans les paradis fiscaux.

Les SPV sont en effet des structures créées sous forme de sociétés ou de trusts, destinées à effectuer pour une entreprise, une banque ou une société d'assurance, une opération particulière qui ne doit pas apparaître dans les comptes consolidés pour des raisons de crédibilité ou de confidentialité. Les structures de défaisance, chargées d'acquérir un actif ou une créance ayant enregistré une forte perte et d'étaler cette perte dans le temps, représentent un type particulier de SPV.

Des SPV peuvent également être utilisés pour des opérations commerciales.

· Certaines opérations de banques centrales

Certaines banques centrales utilisent les services des paradis fiscaux pour utiliser au mieux leurs réserves.

Parfois, ces utilisations sont légitimes. Les petits Etats qui souhaitent ne pas systématiquement dépendre des grandes banques commerciales des grands pays pour opérer les arbitrages de trésorerie propres à toute institution financière sont principalement concernés.

Cependant, on peut s'émouvoir de certains comportements de la part d'une banque centrale, la banque centrale de Russie, qui, selon l'édition du journal Le Monde datée du mercredi 14 juillet 1999, aurait utilisé une société off shore de Jersey, FIMACO, au capital de mille dollars de 1993 à 1998. Des réserves en devises, des prêts du FMI et des bons du trésor y auraient été gérés pour un montant de 50 milliards de dollars. Une partie de ces fonds aurait servi à spéculer entre février et mais 1996 sur le marché du GKO, c'est à dire des titres d'Etat russes par l'intermédiaire d'un fonds dont le rendement était de 200% en raison des difficultés financières du pays.

On peut également déplorer que d'autres banques centrales tentent d'échapper ainsi au gel de leurs avoirs en cas de crise internationale les mettant en cause et conduisant à un embargo de la part de la communauté internationale.

3.- Des désavantages, en termes de coût et d'insécurité juridique, qui seraient dirimants s'il n'y avait pas l'attrait de l'anonymat

Les paradis fiscaux comme les centres off shore ne sont pas tous sans désavantage ni sans risque pour leurs utilisateurs.

L'accès aux prestations servies peut s'avérer coûteux et une certaine insécurité juridique, liée aux difficultés de recours, peut être ressentie par les éventuels clients.

Ces éléments confirment, si besoin était, la présomption que c'est l'absence de transparence, plus que tout autre facteur, qui rend ces sites financiers attractifs.

a) Des prestations d'un intérêt objectif limité en raison du niveau élevé des coûts de gestion

L'accroissement des risques de fraude fiscale internationale, déjà cité par votre Rapporteur, ne doit pas faire conclure à une utilisation généralisée des paradis fiscaux par l'ensemble des contribuables aisés. En effet, seule une minorité, tentée par la fraude caractérisée ou opérant pour la grande fraude organisée, est à même de profiter de l'ensemble des opportunités offertes, compte tenu des coûts et des risques, propres à rebuter tout esprit sensé et qui ne peuvent que constituer la contrepartie d'une volonté de discrétion et d'anonymat à tout prix.

Ainsi, à l'exception de certains secteurs dans des pays proches considérés comme des paradis fiscaux qui sont potentiellement accessibles au plus grand nombre comme l'assurance vie au Luxembourg et les comptes bancaires en Suisse, les prestations financières et juridiques servies dans les paradis fiscaux sont, dans l'ensemble, coûteuses.

Bien que ces données soient le plus souvent secrètes et ne soient même communiquées aux clients qu'avec discrétion, dans la mesure où il existe pour les meilleurs clients une certaine capacité de négociation tarifaire, votre Rapporteur a, en effet, pu relever que les coûts financiers de la gestion d'actifs dans les paradis fiscaux ne sont pas des plus modestes, ce qui fait du paradis fiscal un produit de luxe.

En ce qui concerne les comptes bancaires, on notera que le coût de leur ouverture et de leur gestion n'est pas en général significatif, car l'on ne vient pas dans un paradis fiscal pour laisser de l'argent « dormir » sur un compte bancaire.

Néanmoins, il faut évoquer le coût de l'ouverture des comptes à distance sur Internet.

Les éléments communiqués sur le serveur, déjà mentionné, de Finor Associates Ltd montre que les frais de base du compte privé secret et du compte de paiement par carte bancaire, produit phare, destiné aux entrepreneurs individuels, s'élèvent à 1.250 dollars américains par an. En ce qui concerne les coûts des comptes équivalents pour les entreprises existantes, le coût est de 1.000 dollars par an.

Pour apprécier le caractère très élevé de ces coûts, on rappellera qu'avec un taux de prélèvement libératoire de 25% en vigueur en France, la somme de 6.000 francs correspond au montant de l'impôt et des prélèvements sociaux sur montant d'intérêt annuel de 24.000 francs, soit un capital de 480.000 francs avec un taux de rémunération brute de 5%.

Comme par ailleurs, des fonds doivent être en permanence déposés auprès de la banque pour servir de garantie aux prélèvements et que la rémunération de ces fonds est de 4% nette, on constate qu'il convient d'avoir en permanence en compte 150.000 francs pour couvrir les frais.

De plus, les frais de carte sont de 6% par transaction, ce qui est assez élevé. Ces frais sont naturellement à la charge du titulaire du compte.

Différents comptes sont moins onéreux, mais moins avantageux également (cf. Annexe 2).

S'agissant des cartes de paiement ou des cartes de crédit gérées à partir de paradis fiscaux, outre le coût de transaction qui vient d'être évoqué, il faut mentionner une particularité propre à alourdir les frais d'utilisation.

Certaines banques se refusent en effet à opérer une gestion directe des prélèvements des débits correspondant à ces cartes, pour des raisons qui n'ont pas été clairement expliquées à votre Rapporteur, mais qui tiennent le plus vraisemblablement à un souci de confidentialité et au souci de rendre impossible de remonter la filière en cas de découverte de la carte à l'occasion d'une opération de contrôle fiscal ou de contrôle douanier. La carte est donc gérée par un organisme ad hoc et les prélèvements nécessaires au maintien du niveau des fonds exigés pour garantir le paiement ou au paiement des débits, lorsque, par hypothèse non confirmée à votre Rapporteur mais théoriquement possible, un dépôt permanent n'est pas exigé, sont prélevés sur le compte bancaire par l'intermédiaire d'une personne qu'il convient de rémunérer, ce qui occasionne des frais supplémentaires.

En ce qui concerne la gestion privée bancaire ou private banking, un niveau minimum de capital est en général exigé pour la gestion de portefeuille. Ce seuil est assez élevé, de l'ordre de 500.000 dollars, soit trois millions de francs, mais il est peu significatif, puisque le niveau minimum considéré comme nécessaire pour assurer dans de bonnes conditions la préservation du capital est de l'ordre du million de dollar. En schématisant un peu, on doit considérer que le million de dollar est l'unité de base de la gestion privée dans les paradis fiscaux.

Lorsqu'il n'existe pas de seuil de dépôt minimum, cette absence ne doit pas être interprétée comme une volonté de faciliter l'accès aux prestations servies, car il est clairement expliqué à l'impétrant que les formules proposées ne seront pas intéressantes pour lui, compte tenu des coûts.

L'absence de seuil ne concerne donc que les personnes susceptibles d'être intéressées, qui souhaitent ne pas trop s'engager dans un premier temps et qui ont, selon une terminologie délicieuse et ô combien significative, un « potentiel » suffisant. Ce « potentiel » est laissé à l'appréciation du gestionnaire du compte.

D'une manière plus générale, on constate que les coûts de gestion sont à un niveau proche de celui du niveau des impôts sur l'épargne dans les pays occidentaux. Ainsi, il a été précisé à votre Rapporteur, dans un paradis fiscal, que pour un capital de 2 millions de dollars, le rendement annuel s'établissait à 10% environ pour une gestion diversifiée peu risquée, ces dernières années, et les frais à 2,5% du montant du capital environ, dont 0,3% de droit de garde et 0,75% de frais de base. Ce prélèvement est globalement du même ordre que le taux de 25% effectués dans le cadre du prélèvement libératoire et des prélèvements sociaux précédemment mentionnés ou du taux de 26% relatif aux plus-values financières.

Il est cependant vrai que l'avantage pour le détenteur du capital est d'échapper à l'ISF et à un taux de prélèvement pouvant atteindre 1,8% du capital, qui réduit sensiblement le rendement net de la fortune placée en France si elle dépasse les seuils de l'impôt sur la fortune.

En contrepartie de ce coût, les institutions bancaires et financières fournissent, il est vrai, des prestations de services tout à fait personnalisées telles que la fourniture de petits produits de consommation courante uniquement distribués dans des pays où ne résident pas leurs clients et qu'il leur est impossible de se procurer sinon, tels des médicaments de confort, et la livraison de ces produits ou leur mise à disposition auprès du gestionnaire du compte.

Les trusts représentent également une structure assez coûteuse. Aucune information précise n'a été donnée à votre Rapporteur, sinon que la rémunération était en partie proportionnelle au montant des actifs gérés et que la formule n'était intéressante que pour les montants très importants de plusieurs millions de dollars, compte tenu de la gestion personnalisée qu'elle implique.

Les sociétés standards comme les International Business Companies (IBC) ou les Exempt companies sont d'un coût nettement moins élevé.

A titre d'exemple, M. Thomas P. Azzara, dans la septième édition de son ouvrage « Tax havens in the world », édité aux Bahamas (New Providence Press), évalue le coût de la constitution d'une IBC dans ce pays à 2.100 dollars américains, et ses frais de fonctionnement annuel à un minimum de 1.050 dollars américains. Selon d'autres sources, le coût d'une IBC serait de 1.500 dollars à l'ouverture et de 500 à 800 dollars ensuite chaque année. Il s'agit d'un coût de base.

Les IBC aux Bahamas sont utilisées pour la gestion de la fortune privée ou des opérations privées dans un tiers environ des cas.

Ces ordres de grandeur ont été confirmés par plusieurs interlocuteurs à votre Rapporteur.

S'agissant du Luxembourg, il a été précisé à votre Rapporteur que le coût de base d'une société holding relevant de la loi de 1929 est de 15.000 francs français par an. Néanmoins, le coût réel de son fonctionnement peut atteindre des sommes beaucoup élevées lorsque les opérations sont complexes. Certaines sociétés pourraient même entraîner des frais de l'ordre de 200.000 francs français par an.

Ces montants peuvent paraître élevés, dans un contexte où le nombre des établissements est important au regard de la taille des pays. Toutefois, la stabilité de la clientèle, notamment en matière de gestion de fortunes privées ou private banking rend une éventuelle réduction des coûts hypothétiques. La concurrence ne joue pas réellement.

Enfin, au chapitre des coûts de la délocalisation dans des paradis fiscaux, il faut rappeler que, s'agissant des vrais paradis fiscaux tels que les Bahamas, où il n'y a pas d'impôts directs, les personnes qui ont choisi d'y établir leur résidence doivent faire face à un coût de la vie particulièrement prohibitif, puisque l'essentiel des recette fiscales provient des impôts indirects et des droits de douane s'appliquant à la quasi-totalité des produits de consommation, lesquels sont importés. Votre Rapporteur a pu constater le résultat de cette situation aux Bahamas où les prix à la consommation sont forts élevés. Il en est de même à Monaco où le prix de l'immobilier ne peut que décourager les tentatives de transfert de résidence.

La délocalisation d'actifs ou le transfert de son domicile fiscal dans des paradis fiscaux représente donc un coût élevé qui ne trouve le plus souvent une justification réelle que pour une fortune de plusieurs dizaines de millions de francs, compte tenu de l'importance des avantages consentis dans notre pays aux produits d'épargne défiscalisés tels que l'assurance vie. Ce phénomène est d'autant plus vrai que l'Etat ou le territoire considéré est éloigné du nôtre.

b) Une certaine insécurité juridique et de nombreux exemples d'escroquerie

En matière d'investissements, la sécurité juridique est l'un des éléments fondamentaux mis en avant par les personnes qui font de la gestion de fortune leur profession.

Cette sécurité concerne naturellement la stabilité de la règle fiscale, mais également la capacité de faire valoir ses droits en cas de litige avec les représentants des professions juridiques et les institutions financières.

Si la première, assurée par l'Etat, n'appelle aucune observation, la deuxième dépend de nombreux facteurs parmi lesquels la qualité des avocats et des tribunaux locaux, car il ne faut pas négliger que c'est la loi locale qui est applicable.

Il faut même insister sur le fait que la capacité à faire valoir ses droits est d'autant moins assurée que la personne tentée par un montage fiscal qui sera nécessairement frauduleux présente une vulnérabilité assez importante, car elle ne pourra donner une quelconque publicité à la plainte qu'elle sera conduite à déposer en cas d'incident. On peut même considérer que la vulnérabilité est totale lorsque l'objectif est de recycler des capitaux frauduleux ou le produit tiré de la fraude ou de l'évasion fiscales.

S'agissant des formules proposées sur Internet, qui se traduisent par le versement de droits d'accès élevés pour une simple consultation approfondie du serveur ou par l'envoi de documents à domicile contre rémunération, on ne manquera pas de souligner que l'insécurité est renforcée par une grande incertitude sur le droit applicable et par l'absence de « préhensibilité » du prestataire de services. Il en est de même en cas de relations uniquement par correspondance.

Certes, les paradis fiscaux sont fondés sur une relation de confiance et une grande éthique professionnelle avec le client, mais il serait illusoire de penser que ces règles informelles sont partout respectées, et par tous les membres des diverses professions qui interviennent.

La dimension régionale est certainement forte car, si certains pays semblent présenter une garantie de grande sécurité compte tenu de la rigueur des dispositifs de contrôle public du fonctionnement du secteur bancaire, d'autres ne sont indéniablement pas dans ce cas.

Les incidents de parcours sont en effet nombreux et des publications, dont l'une, intitulée Off shore alert, diffusée notamment sur Internet à partir de Miami et relative à certains Etats ou territoires des Caraïbes, a été montrée à votre Rapporteur, recense les différentes escroqueries constatées. Celles-ci peuvent être jugées peu nombreuses au regard de la masse des opérations ; elles n'en sont pas moins lourdes de conséquences pour ceux qui ont cru, par exemple, au mirage du paradis tropical.

A contrario, on doit observer que cette insécurité ne sera pas, en général, ressentie dans deux cas : celui d'une personne liée au milieu de la grande fraude ou de la grande criminalité organisée ; celui d'une personne introduite auprès d'un établissement bancaire, juridique comptable ou financier local par un établissement situé dans un autre pays.

Le sentiment de votre Rapporteur est que cette dernière formule est la plus courante compte tenu des précautions que les établissements disent respecter pour éviter les sanctions prévues par les différentes législations de lutte contre le blanchiment d'argent.

Ce dernier élément permet d'expliquer en grande partie la contradiction apparente entre l'existence de facteurs de risques non négligeables dans certains Etats ou territoires et l'importance relative des capitaux qui y sont placés.

En outre, on ne peut manquer de rappeler que la présence de nombre de banques, notamment de banques originaires des pays industrialisés de taille et de réputation internationale, où les contrôles internes sont réels, représente un autre facteur important de limitation des risques.

La garantie de l'établissement et du nom, ainsi que la nécessité pour celui qui donne la marque d'introduction à partir de l'Europe ou des Etats-Unis, de conserver la confiance de son client pallient en fait beaucoup de déficiences.

4.- Une masse considérable de capitaux qui explique la forte rentabilité des très nombreuses institutions financières et bancaires qui y sont implantées

a) Des institutions financières très nombreuses

D'une manière générale, on constate la présence dans les paradis fiscaux d'un grand nombre d'établissements bancaires ou financiers de réputation internationale, ainsi que celle de grands cabinets juridiques et comptables.

En ce qui concerne les banques, plusieurs centaines sont implantées dans chaque paradis fiscal, dont un grand nombre d'établissements purement locaux. On en dénombre ainsi environ 220 au Luxembourg, 108 à Panama, auxquelles il faut ajouter 500 compagnies financières, et près de 400 aux Bahamas.

Ce secteur est très hétérogène, puisqu'il regroupe tant les grandes banques locales que les filiales de banques étrangères, les captives de groupes internationaux, les banques à vocation purement personnelle ou familiale et les banques écran, sans grande activité, gérées par des sociétés tierces, et qui n'ont même parfois aucun local et n'existent matériellement que grâce à des comptes auprès de la banque centrale et d'autres banques et d'une plaque posée sur un immeuble : les name plate banks. Les autorités bahaméennes ont fait un effort de réduction du nombre de ces dernières.

Votre Rapporteur a pu observer sur place la présence en leur nom propre de certaines grandes banques françaises, ainsi que de banques européennes, nord américaines, israéliennes et japonaises. S'agissant d'autres établissements, la présence des grandes banques est assurée indirectement par l'intermédiaire soit d'une filiale purement locale, soit par l'intermédiaire de la filiale d'un établissement luxembourgeois ou suisse lui-même détenu à la suite d'un rachat.

La raison de ces implantations répond clairement à une logique commerciale, d'occupation d'un marché où il convient de répondre aux besoins tant des sociétés que des personnes physiques. Néanmoins, comme il s'agit d'une implantation commerciale destinée à attirer souvent une clientèle avide de secret bancaire, au-delà des aspects liés à l'intervention sur les euro-marchés, on peut juger la motivation de cette implantation fort ambiguë.

On ne peut blâmer, dans le cadre du présent rapport, les seules banques françaises pouvant avoir des succursales ou des filiales dans les paradis fiscaux. Il serait naïf de penser que le seul retrait des banques françaises réglerait le problème.

b) Des implantations bancaires très rentables malgré des coûts parfois élevés

On ne saurait se cacher que la forte implantation, directe ou indirecte, des grandes banques de dimension internationale répond à une logique financière dans la mesure où le taux de rentabilité des capitaux investis, que l'on appelle le taux de retour sur investissement, est remarquable.

Il se situerait le plus souvent entre 25% et 50% pour les établissements réputés, et un taux de 15% peut être considéré comme lié à une défaillance, selon les données communiquées à votre Rapporteur.

Cette rentabilité est d'autant plus remarquable que les coûts d'exploitation, notamment les coûts immobiliers dans les pays où les installations sont chères, tels les Bahamas, ainsi que les coûts salariaux peuvent s'avérer très élevés.

Si le détail des postes n'a pu être passé en revue dans le cadre étroit d'un rapport d'information, il faut noter que les salaires versés aux personnels directement en relation avec la clientèle dans le cadre du private banking sont incomparablement plus élevés que les salaires du secteur bancaire en général. Certains établissements étrangers, rares au demeurant, verseraient même jusqu'à un million de dollar par an, hors primes, à quelques-uns uns de leurs responsables de clientèle.

Ces coûts poussent d'ailleurs à une croissance de la rentabilité qui fait que le seuil à partir duquel la gestion est personnalisée et ne repose plus systématiquement sur des investissements dans des SICAV ou des fonds « maison » est extrêmement élevé. Aucune donnée n'a été communiquée à votre Rapporteur, mais des montants de plusieurs dizaines de millions de francs semblent nécessaires.

c) Des capitaux hors de proportion avec la taille et le rôle économique des territoires concernés

Les montants gérés dans les paradis fiscaux sont sans commune mesure par rapport au poids réel de leur économie et la taille de leur population. Cela confirme, si besoin était, le caractère profondément illégitime des mécanismes sur lesquels repose le drainage de l'épargne et des capitaux vers ces endroits.

- l'évaluation globale

Comme toujours lorsque l'on procède à l'évaluation de phénomènes toujours entourés d'une certaine discrétion, il convient de rester prudent dans l'évaluation du montant des actifs localisés dans les paradis fiscaux.

L'ordre de grandeur le plus couramment cité est de 5.000 milliards de dollars ou 30.000 milliards de francs.

Cet ordre de grandeur résulte de plusieurs approches. Les deux plus significatives sont, d'une part, celle qui repose sur une analyse des actifs étrangers détenus par les centres off shore dans le reste du monde, et, d'autre part, celle qui repose sur une analyse de la fortune privée.

La première approche repose sur le fait que les centres off shore ont un rôle de pur intermédiaire financier et que les capitaux n'y restent pas localisés, mais qu'ils sont placés, sous le couvert de l'anonymat, sur les marchés monétaires et financiers des pays industrialisés. Le montant des capitaux placés dans les centres off shore est ainsi donné par l'estimation du montant des placements étrangers effectués par les institutions financières qui y sont implantées.

La deuxième approche se fonde sur une analyse de la grande et moyenne fortune privée dont les détenteurs représentent la clientèle éventuelle des paradis fiscaux.

L'étude des activités bancaires off shore telle qu'elle a été effectuée dans le cadre des travaux du Fonds monétaire international par M. Jean-Claude Milleron, ministre-conseiller, conseiller financier à l'Ambassade de France à Washington, administrateur du fonds, et fort aimablement communiquée par son auteur à votre Rapporteur, montre que les actifs détenus à l'étranger par l'ensemble des centres financiers off shore comme les engagements vis-à-vis de l'étranger peuvent être estimés à 4.800 milliards de dollars en 1997.

On rappellera que cette étude repose sur une liste très extensive des paradis fiscaux et des centres off shore.

ETATS ET TERRITOIRES AYANT UN CENTRE FINANCIER OFF SHORE

Afrique

Asie et Pacifique

Europe

Moyen-Orient

Hémisphère occidental

Djibouti

Australie

Andorre

Bahreïn

Anguilla

Ile Maurice

Hong-Kong

Autriche

Dubaï

Antigua

Libéria

Ile Guam

Campione (Italie)

Israël

Antilles néerlandaises

Seychelles

Iles Cook

Chypre

Koweït

Aruba

Tanger

Iles Marshall

Gibraltar

Liban

Bahamas

 

Japon (1)

Guernesey

Oman

Barbade

 

Macau

Hongrie

 

Belize

 

Malaisie (2)

Irlande (5)

 

Bermudes

 

Mariannes

Jersey

 

Costa Rica

 

Micronésie

Liechtenstein

 

Dominique

 

Nauru

Luxembourg

 

Etats-Unis (7)

 

Niue

Madère

 

Grenade

 

Philippines

Malte

 

Iles Caïmans

       

Iles Turques et Caïques

 

Samoas occidentales

Monaco

 

Iles Vierges britanniques

 

Singapour (3)

Pays-Bas

 

Montserrat

 

Thaïlande (4)

Royaume-Uni (6)

 

Panama

 

Vanuatu

Russie

 

Puerto Rico

   

Sercq et Ile de Man

 

Sainte-Lucie

   

Suisse

 

St-Christophe et Nieves

       

St-Vincent et les
Grenadines

       

Uruguay

Source : Bank of International Settlements, IMF Staff, Ghosh and Ortiz (1994) ; Cassard (1994) ; Far Eastern Economic Review (Mars 1992) ; Doggart (1993) ; et U.N. Office for Drug Control and Crime Prevention (1998).

(1) Japanese Offshore Market (JOM).

(2) Labuan.

(3) Asian Currency Units (ACUs).

(4) Bangkok International Banking Facilities (BIBFs).

(5) Dublin.

(6) Londres.

(7) Les International Banking Facilities (IBFs) des Etats-Unis sont situés à New-York, Miami, Houston, Chicago et Los-Angeles-San Francisco.

Selon le Rapport sur la richesse mondiale (1998), étude réalisée par Gemini consulting pour Merril Lynch, d'après plusieurs sources, les actifs totaux des particuliers disposant d'un actif net substantiel (High net worth individuals ou HNWIs), c'est à dire disposant d'un montant d'actifs susceptibles de faire l'objet d'un investissement rapide supérieur à 1 million de dollars, s'établissait à 5.800 milliards de dollars en 1997, soit un tiers de la grande fortune privée aisément mobilisable. Cette approche fondée sur les HWNIs est parfois contestée, car elle conduit à placer sur le même plan des personnes ayant des situations de fortune et de revenus fort différentes, un cadre dirigeant venant de réaliser les stocks options et un grand financier, et à exclure de riches hommes d'affaires ayant en définitive peu de liquidités mobilisables.

La première approche étant plus restrictive que la seconde, on peut donc considérer que ces deux études concordent.

Ces montants sont considérables. A titre de comparaison, on retiendra que le produit intérieur brut de la France est de l'ordre de 1.500 milliards de dollars chaque année et que celui des Etats-Unis est de l'ordre de l'ensemble des actifs détenus dans les paradis fiscaux.

On ne peut manquer d'observer que le montant des capitaux placés dans les paradis fiscaux et les centres off shore tend à augmenter. Le montant des actifs étrangers détenus par les centres off shore serait passé, sur cinq ans, de 1992 à 1997 de 3.500 milliards de dollars à 4.800 milliards de dollars, soit une augmentation de 6,4% par an, et à la fin de l'année 1997, la part des actifs des centres off shore dans les actifs financiers internationaux s'établissait à 54,2%.

S'agissant de la fortune privée, le rapport précité établi par Gemini consulting avance que les capitaux des personnes à fort potentiel placés dans les centres off shore sont passés de 2.300 milliards de dollars en 1989 à 5.800 milliards de dollars, soit une progression de 12,3% par an. Ils représenteraient un tiers des avoirs placés dans le monde.

- L'évaluation par pays

En ce qui concerne la décomposition par pays, les données sont rares.

Selon celles de l'étude précédemment évoquée de Gemini-consulting, l'observation de la décomposition des placements par pays montre la prépondérance des paradis bancaires et fiscaux traditionnels que sont la Suisse et le Luxembourg, même si la position relative du premier a tendance à s'éroder.

La Suisse représente encore un tiers des avoirs totaux, et devance le Luxembourg, qui est au-dessus du dixième, la zone caraïbe avec un peu moins de 10%, les îles anglo-normandes, un peu plus de 5%, Hong Kong etc. On doit observer qu'une proportion notable des actifs transite par Londres, qui représente 10 à 15% de la fortune off shore.

Il faut également observer que les îles Caïmans sont généralement considérées comme le cinquième centre financier du monde, après Londres, New York, Tokyo et Hong Kong, avec plus de 570 banques agréées et plus de 500 milliards de dollars de dépôts.

On constate donc que le problème des paradis fiscaux est essentiellement un problème européen et qu'un démantèlement des sites de notre continent doit être considéré comme l'objectif prioritaire. En outre, dans les Caraïbes, de nombreux territoires dépendent du Royaume-Uni et des Pays-Bas.

5.- Les nouveaux risques électroniques

Avec le développement des nouvelles technologies, les paradis fiscaux sont devenus une sorte de nouvelle frontière. Ils représentent l'espace d'une nouvelle aventure capitaliste fondé sur des principes assez peu solides.

On trouve ainsi sur Internet les publicités et les annonces pour les casinos électroniques basés dans les Caraïbes, sur les services financiers off shore en tout genre et sur les possibilités d'acquisition de biens immatériels ou matériels, sans taxe, et réglés par carte bancaire internationale grâce à des procédures de paiements censées être sécurisées.

Si l'on ajoute les cyberpaiements avec la monnaie électronique anonyme des cartes prépayées, cartes à puces éventuellement rechargeables sur lesquelles des mouvements importants peuvent être inscrits, la floraison des services de type Cybercash de circulation de monnaie sur Internet, si l'on tient compte du fait qu'il suffit d'un ordinateur pour créer des services de ce type, on mesure les risques d'un développement incontrôlé des systèmes électroniques.

Les risques de fraudes sont alors accrus d'autant. D'ores et déjà, certains services à distance et certaines ventes à distance réalisées de l'extérieur de l'Union européenne avec paiement par carte ne sont pas assujettis à la TVA, et ne pourraient l'être faute de traçabilité suffisante des transactions.

Si l'on pense que les problèmes inhérents à la difficulté de taxer les opérations effectuées dans le cadre du commerce et des transactions électroniques peuvent se résoudre grâce aux négociations entre Etats, on conçoit mal que la Communauté internationale puisse tolérer le maintien des paradis fiscaux, ces juridictions opaques ne coopérant pas aux procédures destinées à assurer un minimum de transparence et de traçabilité dans les toutes prochaines années. Ce serait sinon faire preuve d'angélisme.

B.- LES RÉGIMES FISCAUX PRÉFÉRENTIELS : UNE CONCURRENCE FISCALE FORTEMENT DOMMAGEABLE DANS LE CONTEXTE DE LA GLOBALISATION ÉCONOMIQUE ET UN POINT DE PASSAGE VERS LES PARADIS FISCAUX

Les régimes fiscaux préférentiels à caractère dommageable, qui peuvent résulter non seulement de la législation fiscale ou de textes fiscaux, mais également de lois ou de textes à caractère non fiscal ou, pire encore, de simples pratiques administratives informelles et non codifiées, représentent a priori, s'agissant de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales internationales, un enjeu moindre que celui des paradis fiscaux proprement dits, puisqu'ils offrent un degré de transparence supérieur et qu'ils reposent uniquement sur des avantages fiscaux destinés à attirer les activités financières et d'autres prestations de service très mobiles.

Les problèmes qu'ils posent sont donc essentiellement des problèmes économiques, car ils faussent la concurrence en la faisant jouer sur des éléments qui ne reposent pas sur l'efficacité des processus de production ou, dans le domaine des prestations de services, des méthodes d'organisation.

On rappellera cependant que ce constat doit être nuancé car, ainsi que l'a déjà précisé votre Rapporteur, la distinction entre un paradis fiscal et un régime fiscal préférentiel n'est pas toujours très aisée, comme en témoigne la présence des Pays-Bas et de l'Irlande, entre autres, dans la liste des paradis fiscaux précédemment mentionnée ; de même, les régimes fiscaux préférentiels sont parfois utilisés pour accéder, par l'intermédiaire de conventions fiscales favorables, aux paradis fiscaux. Tel est le cas des rulings néerlandais qui se combinent avantageusement avec la convention conclue entre les Pays-Bas, Aruba et les Antilles néerlandaises.

1.- La différence entre paradis fiscal et régime fiscal préférentiel

a) La différence de concept

La différence entre les paradis fiscaux et les régimes fiscaux préférentiels a été caractérisée par l'OCDE dans le cadre de son rapport établi en avril 1998, intitulé « Concurrence fiscale dommageable : un problème mondial ».

Si les paradis fiscaux sont caractérisés par des impôts inexistants ou insignifiants, l'absence de véritable échange de renseignements, en application de règles de confidentialité stricte, l'absence de transparence dans le fonctionnement des règles législatives, juridiques ou administratives, ainsi que l'absence d'obligation d'exercer une activité substantielle, qui attire ainsi les investissements pour des motifs purement fiscaux, les régimes fiscaux préférentiels générateurs d'une concurrence fiscale dommageable sont caractérisés par des éléments de même nature, mais d'un degré moindre :

- l'impôt existe, mais les dispositions relatives au barème ou à la définition de l'assiette sont telles que les taux effectifs d'imposition sont « nuls ou faibles », selon les termes employés par l'OCDE ;

- les régimes sont « cantonnés », c'est à dire qu'ils ne sont, en principe, ni accessibles aux résidents, ni applicables aux opérations menées sur le marché national, tant en matière industrielle ou commerciale qu'en matière de prestations de services ;

- on note une absence de transparence dans le fonctionnement de ces régimes, notamment lorsque qu'il est possible de négocier des dispositions fiscales avec l'administration et qu'il est difficile de connaître de l'extérieur les pratiques administratives, mais l'Etat ou le territoire n'exclut pas l'échange d'informations, d'une manière générale ;

- on observe également une absence de véritable échange de renseignements, s'agissant de contribuables bénéficiant de la mise en _uvre de l'un des régimes concernés.

En outre, l'OCDE met en exergue un certain nombre d'autres facteurs.

En premier lieu, elle stigmatise la technique de la définition artificielle de la base d'imposition, de manière à minorer l'impôt tout en gardant un taux apparent. Ce procédé existe d'une manière ou d'une autre dans la plupart des pays concernés.

En second lieu, le rapport précité mentionne le non-respect des principes internationaux applicables en matière de prix de transfert entre sociétés d'un même groupe, qui impose d'appliquer des prix de pleine concurrence, soit en déterminant le niveau des bénéfices d'une manière qui ne correspond pas aux fonctions effectivement assumées par l'entité taxable, soit en autorisant une affectation excessive des bénéfices à la firme qui ne se livre à une aucune activité ou qui se livre à une activité ne correspondant pas à un établissement stable.

En troisième lieu, l'exonération de l'impôt du pays de résidence pour les revenus de sources étrangères est considérée comme particulièrement attractive, car elle réduit le taux effectif de l'imposition des revenus et incite à l'implantation d'activités pour des raisons fiscales.

En quatrième lieu, l'accès à un vaste réseau de conventions internationales peut, dans certains cas, ouvrir la possibilité de bénéficier des régimes fiscaux préférentiels dommageables à un éventail plus large de pays que cela n'aurait été le cas, notamment lorsque les conventions ne comportent ni une définition claire de la résidence, ni des dispositions complètes anti-abus, ni des mécanismes efficaces d'échange de renseignements.

Ces éléments permettent de percevoir le type même d'un régime de concurrence fiscale dommageable : un régime de moindre imposition assez confidentiel, délivré sur accord de l'administration fiscale dans des conditions opaques, et permettant, grâce à un vaste réseau de conventions fiscales, une centralisation et une redistribution de revenus dans le cadre d'un groupe international réparti sur plusieurs pays.

b) Les effets de la concurrence fiscale : des pertes de base taxable et des pertes d'emplois dans les Etats à fiscalité normale

Ainsi que le note le rapport de l'OCDE précité, les régimes fiscaux préférentiels sont ciblés de manière à attirer les activités économiques les plus faciles à déplacer pour bénéficier des écarts de taux d'imposition, à savoir les activités financières et les autres activités de services. Ils peuvent être particulièrement efficaces s'ils sont ciblés de façon à attirer les revenus provenant des activités de sociétés écrans et d'investissements passifs plutôt que d'investissements actifs. L'existence de ces régimes fiscaux préférentiels peut encourager le déplacement d'activités pour lesquelles il n'y a pas ou peu de demandes sur le marché intérieur dans le pays d'accueil. Le régime fiscal préférentiel devient ainsi un simple canal de transmission et, en l'absence de ce régime, le flux d'investissement ne passerait sans doute pas par le pays en question.

Les régimes fiscaux préférentiels constituent un vecteur essentiel des transferts internationaux des bases d'imposition, qu'il s'agisse de la délocalisation réelle des entreprises qui s'implantent dans un pays pour des raisons purement fiscales ou qu'il s'agisse de délocalisations purement fictives sous forme de sociétés non-résidentes ou de sociétés faussement résidentes dans l'Etat créateur du régime préférentiel, dont le seul objectif est de fournir un paravent pour la moindre imposition des seuls profits financiers.

Ainsi, les régimes fiscaux préférentiels sont-ils de toute évidence les responsables de pertes de recettes fiscales préjudiciables pour les Etats qui subissent la concurrence fiscale déloyale et d'augmentation des recettes dans les pays d'accueil, évolutions d'autant moins justifiées que le montant de l'impôt payé ne correspond pas au montant de la quote-part des charges publiques qui devrait incomber aux sociétés bénéficiaires de ces régimes.

2.- Les principaux exemples de régimes fiscaux préférentiels pour les entreprises

Votre Rapporteur, sur la base de la nombreuse documentation relative à l'optimisation fiscale et au tax planning et des éléments communiqués à l'occasion de différentes missions et auditions, a pu recueillir des éléments sur de nombreux régimes de concurrence fiscale. Un certain nombre de cas peuvent être présentés. Cette étude ne prétend naturellement pas à l'exhaustivité.

L'objectif de votre Rapporteur n'est pas de préjuger, avant la conclusion des travaux de l'Union européenne et de l'OCDE, si tel ou tel régime est générateur de concurrence fiscale dommageable ou est injustifié, notamment au regard de considérations d'aménagement du territoire. Il est d'essayer de faire comprendre les mécanismes de base qui régissent ces régimes fiscaux préférentiels.

Certains de ces régimes sont en vigueur en France, notamment celui des zones franches urbaines (ZFU) et celui des quartiers généraux des groupes multinationaux. Votre Rapporteur considère que cette situation n'est pas légitime et que les régimes fiscaux préférentiels actuellement en vigueur dans notre pays doivent être démantelés.

a) L'imposition à taux réduit des centres financiers

De nombreux centres financiers internationaux ont été créés ces dernières années dans différents pays « périphériques », notamment en Europe.

Ces centres financiers bénéficient de taux d'imposition réduits, ce qui facilite l'implantation des entreprises.

En Irlande, il faut mentionner le Centre international des services financiers (International Financial Services Centre ou ISFC), situé dans les docks de Dublin. Les sociétés qui y sont installées bénéficient d'un taux d'imposition de 10% sur les bénéfices qu'elles réalisent. Plusieurs conditions sont prévues : les sociétés doivent être exportatrices de services, c'est à dire qu'elles doivent réaliser leurs activités essentiellement avec des clients ou des entreprises résidant hors d'Irlande, dans certains domaines tels que les opérations bancaires, les prêts à des sociétés commerciales ou industrielles, le crédit-bail, l'assurance ou la réassurance ; un agrément préalable est nécessaire, sous réserve que plusieurs conditions soient réunies, notamment en matière de création d'emplois.

Ce régime de faveur concerne notamment les sociétés de réassurance.

En Italie, la loi du 9 janvier 1991 a créé le Centre financier off shore de Trieste, dont les avantages sont beaucoup plus limités. Les implantations, dans ce centre financier, des filiales ou des succursales d'établissement de crédit ou de sociétés de courtage, des sociétés d'intermédiation financière, des compagnies d'assurance, des sociétés de commerce international, des sociétés dont l'activité consiste à prêter ou à emprunter sur les marchés de capitaux, sont exonérées d'impôt sur les sociétés et d'impôt local sur les bénéfices pour une durée de cinq ans non pour l'ensemble de leurs opérations, mais à raison des seules opérations menées avec les Etats d'Europe de l'Est (décision de la Commission européenne du 12 avril 1995).

A Madère, les sociétés implantées dans le centre d'affaires international, centre financier off shore, bénéficient d'un régime fiscal privilégié pour les activités financières à caractère international (sociétés holdings, banques, assurance et réassurance, affacturage, crédit bail) ainsi que certaines activités de services à caractère international (exploitation de commerces, enregistrement de navires, etc.).

Hors d'Europe, on peut mentionner Tanger avec, d'une part, le Centre financier off shore qui garantit secret bancaire et l'absence de contrôle des changes pour les opérations effectuées pour le compte des non-résidents et, d'autre part, les avantages fiscaux octroyés aux entreprises qui s'y implantent.

b) Les rulings néerlandais

Lorsque l'on parle d'optimisation fiscale, les rulings néerlandais sont souvent cités.

Un ruling est un avis préalable de l'administration fiscale sur le traitement fiscal d'une opération envisagée par un contribuable. Il est sollicité par le contribuable. Les rulings sont fréquents pour les transactions internationales des grandes entreprises multinationales, mais la procédure est susceptible de concerner l'ensemble des contribuables néerlandais.

En 1990, dans le cadre d'une circulaire ministérielle du 26 avril, l'administration a normalisé des règles uniformes pour la délivrance de rulings standardisés, d'une validité de quatre ans, renouvelables une fois.

Ces sept procédures standardisées concernent :

- le ruling pour détenteurs d'actions, qui permet de s'assurer du statut (investissement ou réserve) des actions détenues sur une société étrangères ; en pratique, ce régime s'applique notamment aux sociétés holdings, pour l'application de la règle dite de la participation-exemption évoquée au c) ;

- le ruling pour les sociétés financières, qui fixe la marge considérée comme normale par l'administration fiscale néerlandaise, au prix du marché, pour une société qui emprunte pour prêter les fonds ainsi collectés à des sociétés liées ;

- le ruling pour les finance branch qui, pour une société de droit néerlandais qui affecte la totalité de son actif à des activités de financement dans un pays étranger lié aux Pays-Bas par une convention fiscale, au moyen d'un établissement stable (succursale) situé dans ce pays, détermine la part du bénéfice imputable à cet établissement stable. Ce ruling peut se combiner avec le précédent ;

- le ruling sur les sociétés de gestion de droits ou de royalties, qui indique la rémunération considérée comme normale par l'administration fiscale néerlandaise, au prix du marché, pour une société qui acquiert des licences d'exploitation de droits de propriété intellectuelle (brevets, procédés de fabrication etc.) et qui en confie l'exploitation à des entreprises liées ou à des tiers ;

- les deux rulings sur les prix de transfert pour les groupes ayant des activités auxiliaires, préparatoires, de distribution ou de coordination aux Pays-Bas, l'un pour l'application de la méthode du prix de revient majoré (« cost plus »), l'autre pour celle du prix de revente (« resale minus ») ;

- le ruling sur le capital informel, qui se fonde sur l'exploitation habile d'un arrêt rendu par la Cour suprême des Pays-Bas le 31 mars 1978, aux termes duquel une personne morale assujettie à l'impôt aux Pays-Bas peut, sous certaines conditions, déduire de ses bénéfices des intérêts au titre des capitaux mis gratuitement à sa disposition par une entreprise liée. Selon l'administration fiscale néerlandaise, on peut imaginer d'autres situations où il est question de capitaux informels. Toute rémunération, à prix minoré, d'une prestation délivrée par un groupe à sa filiale néerlandaise est ainsi susceptible de constituer la base d'un capital informel.

Depuis 1995, la politique de promotion en matière de rulings , afin de favoriser les investissements aux Pays-Bas, a conduit à des rulings sur mesure, pouvant avoir une durée de validité supérieure à quatre ans.

La pratique du ruling est conçue, selon les autorités néerlandaises, comme un système ouvert, car toute demande qui satisfait aux critères peut obtenir l'application d'un ruling. L'administration n'est cependant pas tenue de répondre dans un délai fixé, même si elle s'efforce de répondre assez rapidement, selon ce qui a été précisé lors de son déplacement aux Pays-Bas à votre Rapporteur, dans un délai de trois mois.

Sur le fond, comme l'illustre les exemples des procédures standardisées, les rulings ont pour objet d'établir des règles pour la détermination et le calcul de la base imposable, sans modifier le taux de l'impôt sur les sociétés.

Le succès de la formule montre qu'au-delà de la simple recherche de la stabilité de la règle fiscale, les règles retenues sont favorables au contribuable.

Le nombre de rulings accordé est ainsi important. En 1998, le service compétent a ainsi accordé 450 nouveaux rulings, a procédé à la prorogation de 200 d'entre eux, et a été conduit à un refus ou à un retrait dans 241 cas.

Le nombre de rulings en cours est difficile à estimer car, en application d'une conception stricte du principe d'égalité devant la loi conduisant à considérer qu'un contribuable qui n'a pas demandé de ruling ne doit pas être moins bien traité qu'un contribuable qui a demandé l'application d'un ruling, l'administration doit appliquer en l'absence de ruling préalable les mêmes règles fiscales.

Un total de 6.000 opérations en faveur de ce que l'on appelle ainsi les ruling like tax payers a été effectué en 1998.

Cette règle a en outre une conséquence, même si les rulings ne sont pas publiés, celle de l'accès du contribuable à l'information.

On peut apprécier ce souci de transparence et d'application égale de la loi. La contrepartie de cette procédure ouverte est cependant une certaine difficulté des administrations fiscales étrangères à percevoir la réalité de la règle fiscale applicable à une société réputée établie aux Pays-Bas, lors des opérations de contrôle fiscal portant sur les opérations internationales.

En outre, les rulings peuvent être combinés entre eux, ce qui nuit à la clarté de la situation des contribuables, appréciée de l'extérieur.

On observera enfin que plusieurs cas sont exclusifs de l'obtention ou du maintien de l'application d'un ruling notamment : l'abus de droit ; l'abus de l'esprit de la loi ; les agissements contraires à la bonne foi, notamment vis-à-vis d'un Etat ayant contracté une convention internationale avec les Pays-Bas ; l'absence de levée de l'anonymat de certains détenteurs de parts de la société demandant l'application du ruling.

c) Les sociétés holdings du Luxembourg, de Belgique et des Pays-Bas,
ainsi que de Suisse

Pour apprécier la réalité des avantages dont bénéficient les sociétés holdings, il convient de se concentrer sur la fiscalité applicable aux opérations les plus courantes résultant de leur activité de détention et de gestion des participations financières :

- la fiscalité du versement des dividendes par les filiales, c'est à dire le taux de prélèvement à la source opéré par les pays où celles-ci sont implantées ;

- l'imposition des dividendes perçus, dans le pays où est établie la société holding ;

- le régime de l'imposition des plus-values de cession des participations ;

- la fiscalité de la redistribution aux actionnaires, notamment la possibilité d'imputer les montants des retenues à la source perçues, par les Etats étrangers, lors de la distribution de dividende par les filiales, sur le montant de la retenue à la source à laquelle sont éventuellement assujettis les dividendes versés par la holding ;

- la possibilité de déduire les intérêts supportés par la société holding au titre d'un emprunt contracté pour acquérir des participations ;

- la qualité du réseau des conventions dont est susceptible de bénéficier la société holding en raison du pays où elle est située.

Dans la configuration la plus favorable, tous ces éléments sont réunis. En pratique, ce sont les exonérations des produits (dividendes et plus-values) qui font l'essentiel du choix d'implantation de la société holding.

On rappellera que l'objectif poursuivi par les groupes est d'interposer entre une société mère étrangère et ses participations dans différents pays, une société holding de manière à minimiser la charge fiscale tant pour la perception des dividendes que pour la restructuration éventuelle des participations.

Ces stratégies d'interposition expliquent pourquoi la plupart des grands groupes détiennent des filiales dans l'un de trois pays du Benelux, ou en Suisse. Lors des entretiens qui lui ont été accordés, votre Rapporteur a ainsi pu se faire confirmer la préférence des entreprises françaises pour les Pays-Bas et la forte implantation des grandes entreprises américaines au Luxembourg.

La création de ces sociétés ne manque pas de créer des difficultés pour les autres Etats.

En particulier, on doit s'interroger sur le cas de certaines sociétés des Pays-Bas, qui sont des sociétés peu actives, qui ne semblent ainsi pas être réellement résidentes, mais sont néanmoins réputées résidentes, selon les règles fiscales en vigueur, car constituées aux Pays-Bas conformément au droit néerlandais et y conservant leur siège statutaire ainsi que leurs comptes, et pour lesquelles il est difficile de préciser la localisation du centre de leur direction.

· En effet, aux Pays-Bas, le régime des sociétés holdings résidentes est particulièrement avantageux. Il répond à l'ensemble des critères qui viennent d'être cités, à une exception : le droit fiscal néerlandais interdit la déductibilité des frais financiers liés à l'acquisition de participations dans des sociétés étrangères.

Il faut ainsi souligner :

- le régime de la participation-exemption, évoqué dans l'encadré ci-après, qui permet l'exonération d'impôt sur les bénéfices pour les dividendes et plus-values. En pratique, ce régime est toujours accordé, sauf pour certaines sociétés holdings purement passives qui n'interviennent pas dans la gestion des filiales ;

- la possibilité de l'application du régime mères/filiales défini au plan européen, qui rend le régime de la participation-exemption plus facilement applicable notamment en cas de participation dans des filiales résidentes d'autres Etats membres de l'Union européenne, particulièrement pour des investissements en portefeuille ;

- l'exonération de retenue à la source sur les dividendes distribués par des filiales néerlandaises à des sociétés mères néerlandaises pouvant bénéficier de la participation-exemption ;

- l'exonération de retenue à la source sur les dividendes distribués par des filiales néerlandaises à des sociétés mères résidentes d'autres Etats membres de l'Union européenne détenant une participation de 25% du capital ou des droits de vote de la filiale ;

- l'absence de retenue à la source sur les intérêts et redevances versés par des débiteurs néerlandais à des bénéficiaires non-résidents ;

- l'institution en 1995 d'un crédit d'impôt partiel de 3% sur les dividendes perçus par la société holding auprès de ses filiales dont elle détient au moins 25% du capital au titre de la retenue à la source subie par ces revenus dans le pays de la filiale (cette retenue à la source est, en général, de 5%), ce qui revient à l'imputation partielle de la retenue à la source « d'entrée » sur celle de « sortie », et concerne essentiellement la redistribution des produits de filiales situées hors de l'Union européenne à des actionnaires résidents de l'Union, détenant moins de 25% du capital de la société holding et ne bénéficiant pas ainsi de la réduction de la retenue à la source dans le cadre de la directive mères/filiales ;

- la possibilité de connaître dans le cadre d'un ruling la charge fiscale qui pèsera sur la société néerlandaise.

En pratique, le recours à la société holding néerlandaise n'est pas avantageux lorsqu'il existe entre l'Etat de la filiale et l'Etat de l'actionnaire une convention fiscale qui prévoit des modalités d'imposition comparables à celles conclues entre les Pays-Bas et ces deux Etats. C'est notamment le cas pour la distribution en France des dividendes d'une société implantée en Allemagne, pour laquelle l'interposition d'un holding néerlandais est neutre, c'est-à-dire ni avantageuse, ni désavantageuse.

Lorsque tel n'est pas le cas, le recours au holding néerlandais est avantageux et permet de réduire la charge fiscale. Les holdings néerlandaises sont en effet couvertes par les conventions fiscales.

Ce régime est particulièrement intéressant Il explique la forte concentration de sociétés holdings aux Pays-Bas.

On constate en effet que l'essentiel de l'activité d'une société holding, la réalisation de plus-values et la perception de dividendes intervient en franchise d'impôt et la redistribution de ces dividendes fait, dans l'hypothèse la moins favorable, l'objet d'un prélèvement réduit.

Le régime de la participation-exemption aux Pays-Bas

Le régime de la participation-exemption a pour effet de neutraliser pour une société mère les avantages et les inconvénients de sa participation dans le capital d'une autre société.

Il est avantageux, car non seulement les dividendes reçus de la filiale mais encore les distributions de bénéfices sous forme de primes ou d'actions gratuites, les distributions déguisées, les profits venant de la cession de droits, les plus-values de cession de la participation et les bonis de liquidation sont exonérés d'impôt sur les bénéfices. Depuis le 1er janvier 1997, les gains de change sur les prêts qui financent l'acquisition des participations étrangères sont également exonérés.

Ce régime est d'autant plus intéressant que les plus values de cession de participation dans des filiales étrangères sont exonérées.

En contrepartie, les pertes et charges imputables à la filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère néerlandaise de même que les moins-values sur la participation concernée.

Cette non-déductibilité concerne surtout les intérêts des emprunts contractés pour l'acquisition d'une filiale étrangère.

En effet, ce principe restrictif connaît plusieurs exceptions :

- les frais et charges imputables à la filiale sont déductibles du résultat imposable de la société mère, s'il est démontré que la filiale a contribué à la réalisation de bénéfices imposables aux Pays-Bas. Cette condition est vérifiée en principe pour les participations détenues dans des filiales néerlandaises ainsi que pour des participations détenues dans des filiales étrangères ayant un établissement stable aux Pays-Bas, soumis à l'impôt néerlandais ;

- les moins-values enregistrées lors de la liquidation de la participation sont également déductibles ;

- la participation dans la filiale peut faire l'objet d'un amortissement, depuis le 1er janvier 1997, pour les participations substantielles supérieures à 25 %, dans les cinq années suivant l'acquisition, lorsque la valeur de marché devient inférieure à son coût de revient.

Le régime de la participation-exemption s'applique aux participations détenues par des sociétés néerlandaises ou par des établissements stables de sociétés étrangères, pour des participations dans des sociétés néerlandaises ou étrangères. La participation doit être supérieure à 5% du capital de la filiale, et ne doit pas faire partie des stocks ou de l'actif circulant de l'entreprise. En outre, s'agissant des filiales étrangères, deux conditions supplémentaires sont exigées : il ne doit pas s'agir de titres de portefeuilles, mais de titres d'investissement, la filiale devant être active et un lien devant être établi entre l'activité de la société mère et l'activité de la filiale ; la filiale doit être soumise à un impôt sur les bénéfices dans le pays où elle a son siège, au niveau national. Cette dernière condition est interprétée d'une manière large, puisque l'imposition ne doit pas être nécessairement effective et que, par une instruction du 1er mars 1994, le ministère des finances a indiqué qu'il considérait comme établis au niveau national les impôts perçus à Guernesey, Jersey, Man, Guam, Porto Rico, Gibraltar, Hong Kong et Taïwan.

Cependant, le régime est éligible pour les investissements en portefeuille de plus de 25 %, lorsque la filiale n'est pas soumise à un régime fiscal privilégié.

Ce régime est plus favorable que le régime mères/filiales prévu à l'échelon européen, car il concerne les plus-values et qu'en outre, aucun délai minimum de détention n'est exigé.

Comme il n'existe en droit néerlandais aucune restriction quant à l'activité que peut exercer une société holding, on observera trois types spécifiques de holding :

- les holdings exerçant une activité de financement ou de refinancement au sein d'un groupe, qui bénéficient en outre d'une règle fiscale favorable supplémentaire, accordée sur demande expresse, et permettant de constituer une réserve spéciale non imposable d'un montant équivalent à 80% au plus des revenus tirés des activités de financement intragroupe ;

- les holdings exerçant une activité de gestion de droits de propriété intellectuelle ;

- les holdings exerçant une activité immobilière.

Le deuxième de ces trois cas donnera lieu à une présentation concrète infra, car il est souvent utilisé en combinaison avec la convention Belasteningregeling voor het Koninkrijk dite BRK qui régit les relations avec Aruba et les Antilles néerlandaises, pour pratiquer des montages d'évasion fiscale internationale.

· En Belgique, le régime des sociétés holdings a été parachevé par la loi du 23 octobre 1991, qui a prévu l'exonération d'impôt pour les plus-values réalisées lors de la cession de participations représentant au moins 5% du capital de la filiale, sans délai minimum de détention. Les dividendes relatifs à ces participations étaient déjà exonérés de l'impôt sur les sociétés à concurrence de 95% de leur montant, sans possibilité cependant de déduction des pertes et de constatation d'un déficit reportable, dès lors qu'elles ne provenaient pas de résultats relevant d'un régime fiscal préférentiel non analogue à l'impôt belge sur les sociétés (société implantée dans un paradis fiscal, SICAV française, etc.) afin de ne faciliter ni la fraude ni l'évasion fiscales.

Ce régime est d'autant plus intéressant qu'il se combine avec celui des sociétés mères/filiales prévu au plan européen. En pratique, les dividendes distribués par une société mère résidente d'un autre Etat membre de la Communauté échappent à toute retenue à la source (précompte) en Belgique dès lors que la société mère détient au moins 25 % du capital depuis un an.

Le régime belge s'avère plus favorable que celui des Pays-Bas sur un point : les intérêts d'emprunts contractés pour l'acquisition d'une participation sont toujours déductibles de la quote-part de 5% des dividendes demeurant imposable ou des résultats des produits provenant d'autres activités.

En revanche, il l'est moins s'agissant du traitement des crédits d'impôt : ceux résultant des retenues effectuées à l'étranger ne sont pas imputables sur les résultats calculés en Belgique.

· Au Luxembourg, deux régimes fiscaux coexistent : celui des sociétés holdings relevant de la loi du 31 juillet 1929 (holdings 1929) et les sociétés de participations financières (SOPARFI), introduites par le règlement grand-ducal du 24 décembre 1990.

Les SOPARFI offrent l'avantage de relever du droit commun et de ne pas être écartées, en principe, du bénéfice des conventions fiscales conclues par le Luxembourg ni des directives et règlements communautaires, ce qui n'est pas le cas des holdings 1929.

Les holdings 1929 ont pour objet exclusif la prise de participations dans des sociétés locales ou étrangères ainsi que la gestion et la mise en valeur de ces participations. Elles ne peuvent ainsi exercer d'activité industrielle ou commerciale propre. Elles ne sont pas assujetties à l'impôt sur les sociétés, sans aucune condition quant à l'importance ou à la durée de détention des participations donnant lieu à versement de dividendes à leur profit, mais sont seulement tenues d'acquitter une taxe annuelle d'abonnement égale à 0,2% du capital social. Les plus-values sont également exonérées d'impôt. En contrepartie, les mois-values ne sont pas déductibles.

Les revenus distribués par les holdings sont exempts de toute retenue à la source.

En revanche, les charges afférentes aux prises de participation ne sont pas déductibles.

Les SOPARFI ont été créées récemment, en 1990, et offrent un cadre plus souple que celui des holdings 1929.

Elles ne sont pas soumises à la taxe annuelle d'abonnement précédemment mentionnée, mais les apports en numéraire sont soumis à un droit d'enregistrement de 1%.

Les dividendes reçus sont exonérés d'impôt sur les sociétés dès lors qu'ils proviennent de participations supérieures à 10% ou d'un montant d'au moins 50 millions de francs luxembourgeois (7), détenues depuis plus de douze mois, et qu'ils ont été soumis à un impôt sur les sociétés au Luxembourg ou à un impôt comparable à l'étranger. Cette dernière condition est présumée remplie avec un impôt au taux nominal de 15%. On observera par ailleurs qu'en application de la directive communautaire mère/filiale, le versement de dividendes au profit d'une société mère résidente dans un pays de l'Union est exonéré de retenue à la source, pour les participations supérieures à 25 % et détenues depuis plus de deux ans.

S'agissant des plus-values de cession, celles-ci sont exonérées pour les participations actives, cette condition étant considérée comme remplie dès lors que la participation dans la filiale est supérieure à 25% ou représente un montant de plus de 250 millions de francs luxembourgeois (soit 6,2 millions d'euros) et qu'elle est détenue depuis un an au moins.

Les moins-values sont déductibles, y compris les moins-values latentes grâce à la possibilité de constituer une provision, dès lorsqu'il existe des bénéfices imposables indépendamment des dividendes et des plus-values exonérés.

De même, les charges afférentes à la prise de participation sont déductibles dans la mesure où elles dépassent le montant des dividendes reçus.

· En Suisse, les sociétés holdings pures, qui exercent pour seule activité la gestion de participations dans d'autres entreprises, et n'ont ainsi aucune activité industrielle ou commerciale, et dont les actifs sont, en général, mais cela varie selon les cantons, constitués pour 75% au moins de participations, bénéficient d'un régime très favorable avec une exonération de l'impôt fédéral sur les sociétés à proportion des dividendes et des plus-values provenant de la participation et l'exonération de l'impôt cantonal et communal sur les sociétés. L'impôt sur le capital reste cependant perçu dans les conditions de droit commun. Un dispositif similaire d'exonération, totale, d'impôt sur les bénéfices existe au niveau cantonal.

Ces éléments favorisent l'implantation de société holdings en Suisse et dans les trois pays du Benelux.

Globalement, ces régimes n'étant pas strictement identiques, ils ne répondent pas exactement aux mêmes préoccupations. Si aucune moins-value n'est à craindre, le régime néerlandais est préférable compte tenu du nombre de conventions fiscales conclues par les Pays-Bas, même si les charges financières relatives à l'acquisition des participations ne sont pas déductibles. Dans l'hypothèse inverse, le régime belge est plus favorable.

S'agissant de la situation de notre pays, on doit observer que ces Etats européens sont mieux placés que les paradis fiscaux pour l'implantation de sociétés détenant des participations importantes en France, car chacune des conventions fiscales bilatérales fait obstacle à l'imposition des plus-values de cession des participations substantielles, caractérisées par la détention de plus de 25% du capital ou des droits d'une société sur les cinq dernières années, imposition normalement due tant par les personnes physiques que par les personnes morales, et ainsi les sociétés, non-résidentes, en application de l'article 244 bis B du code général des impôts.

d) Les quartiers généraux et centres de coordination

Les quartiers généraux de groupes ou d'entreprises bénéficient, dans de nombreux pays, d'un régime fiscal préférentiel. L'objectif est d'encourager les groupes multinationaux à implanter leurs quartiers généraux dans le pays qui institue la mesure.

Les quartiers généraux relèvent ainsi d'un régime qui leur assure une imposition sur une base réduite, grâce à un dispositif reposant sur l'application du taux de droit commun de l'impôt sur les sociétés à une assiette forfaitaire d'un montant faible, sans déductions, abattements ou reports de pertes.

En Belgique, les centres de coordination relèvent de l'arrêté royal du 30 décembre 1982. Il s'agit soit de sociétés de droit belge, soit de succursales belges de sociétés étrangères, faisant partie d'un groupe et exerçant certaines activités caractéristiques d'un groupe : publicité, recherche et diffusion d'informations, assurance et réassurance, recherche scientifique, relations avec les organismes administratifs, gestion comptable, informatique, centralisation des transactions financières et couverture des risques dus à la fluctuation des cours des devises. Plusieurs conditions de fond sont prévues : faire partie d'un groupe international ; créer un certain nombre d'emplois ; avoir un chiffre d'affaires au moins égal à 10 milliards de francs belges (8) et disposer de fonds propres atteignant au moins 1 milliard de francs belges (9).

Pour une période de dix ans renouvelable, les centres de coordination agréés bénéficient des avantages suivants : ils sont imposés à l'impôt sur les sociétés sur une base forfaitaire égale à 8% des seules dépenses, exception faites des dépenses de personnel et des charges financières ; ils sont exonérés de retenue à la source sur les intérêts et dividendes payés ; ils disposent de divers avantages en matière de fiscalité immobilière. Une taxe spéciale de 4 millions de francs belges (10) par centre est exigible depuis 1993.

L'exemple suivant, emprunté à l'ouvrage de MM. Thierry Lamorlette et Patrick Rassat « Stratégie fiscale internationale » (Maxima, 3è édition, 1997), fait apparaître la réduction d'impôt issue d'un centre de coordination.

On rappellera que le centre est financé, outre par des produits financiers, par des droits recevant diverses appellations en raison de la nature des prestations servies, commerciales, techniques ou directoriales : management fees ; commercial fees ; technical fees.

Réduction d'impôt sur les sociétés grâce à un centre de coordination belge

 
 

Base taxable

Autre société

Centre de coordination

Produits financiers

1.000

1.000

Autres produits

600

600

TOTAL DES PRODUITS

1.600

1.600

Charges financières

400

400

Rémunérations et salaires

35

35

Autres charges

70

70

TOTAL DES CHARGES

505

505

Bénéfice avant impôts

1.095

1.095

Impôt sur les sociétés

   

Assiette imposable

1.095

5,6

(70 x 8%)

Impôt (43%)

471

2,4

Bénéfice net disponible

624

1.092,6

Source : P. Rassat - Th. Lamorlette, Stratégie fiscale internationale, Maxima, 1997.

On constate une charge d'impôt extrêmement réduite, grâce à une estimation forfaitaire très minorée du profit.

Des régimes similaires existent en Suisse, en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, entre autres.

e) Le capital informel (Infocap)

Le système du capital informel a déjà fait l'objet supra d'une première exposition dans le cadre de la présentation des rulings aux Pays-Bas.

Il sera difficile à votre Rapporteur d'être très précis, car l'ensemble des cas d'application de ce régime fiscal privilégié ne sont pas connus.

L'un d'entre eux a cependant été présenté à votre Rapporteur : celui du prêt à taux zéro pour une société néerlandaise.

Dans l'hypothèse où le rapport des capitaux propres sur les emprunts est de 15% à 85% dans la filiale néerlandaise d'un groupe, les intérêts, calculés au taux du marché, sont déductibles et constituent le capital informel, dès lors qu'il reste à la disposition de l'entreprise pendant trois ans. Après cette période de trois ans, le capital informel peut être versé sans retenue à la source à la société mère.

Ainsi, la société filiale bénéficie en fait d'une avance de trésorerie de la part de la société mère, avance qui est considérée comme un élément de capital, ce qui évite la fiscalité correspondante sur le plan de la retenue à la source.

On constate que ce dispositif revient ainsi, lorsqu'un prêt est en jeu, à rendre déductible ce qui constitue en fait des dividendes et à les exonérer de toute retenue à la source, ce qui revient à cumuler deux avantages.

Un dispositif de capital informel, nommé Infocap, serait également prévu en Belgique, sans texte législatif formel, selon certaines informations communiquées à votre Rapporteur. En pratique, le dispositif reviendrait à ce qui a été précédemment exposé. Une fraction du bénéfice serait de fait exonérée d'impôt, car une charge rémunérant le capital informel viendrait en déduction du bénéfice imposable et son montant serait versé directement à la société mère, sans prélèvement à la source. Cinq entreprises seraient susceptibles d'être concernées

Ce type de procédure, très fine, doit être particulièrement surveillé, car, de manière générique, le paiement de prestations fournies par un groupe à l'une de ses filiales peut constituer la base de la constitution d'un revenu qui sera reversé ensuite en franchise de tout impôt ou de toute retenue à la source. On instaure en fait une double franchise d'impôt, plus avantageuse que si un apport en capital était effectué.

f) Les règles spécifiques à certaines activités

S'agissant des taux d'imposition spécifiques à certaines activités, il convient de préciser que l'Irlande avait prévu d'appliquer jusqu'en 2010 un taux réduit de l'impôt sur les sociétés de 10% pour les activités manufacturières réalisées sur le territoire.

En pratique, ainsi que cela a été vu dans le cadre du a), ces régimes bénéficient surtout aux centres financiers off shore.

La modification du régime fiscal irlandais, avec un taux de l'impôt sur les sociétés de droit commun de 12,5% après 2003 fait que ce régime va disparaître, pour le futur.

g) Les zones franches

A titre d'exemple, on signalera qu'à Madère, la zone franche concerne les seules entreprises exerçant une activité industrielle ou commerciale. Les filiales ou succursales de sociétés étrangères implantées dans la zone de Madère sont exonérées d'impôt sur les sociétés jusqu'au 31 décembre 2011. Les actionnaires sont exonérés de toute retenue à la source sur les dividendes et les intérêts payés par ces sociétés. Les sociétés implantées localement ne supportent aucun impôt local, ni aucun droit d'accises.

h) Les sociétés off shore ou non résidentes

Les sociétés off shore ou non-résidentes constituent une pratique commune aux paradis fiscaux et aux régimes fiscaux préférentiels. Ces sociétés permettent en effet de réaliser des opérations commerciales, de percevoir des bénéfices et, pour les personnes physiques qui en sont les propriétaires réels, de percevoir des revenus à l'insu de l'administration fiscale du pays d'origine. Elles sont connues pour exercer la fonction de société écran.

Ainsi, à Chypre, les sociétés non-résidentes bénéficient de modalités d'imposition privilégiées. Les sociétés constituées dans l'île dont le capital est détenu par des non-résidents et dont la source de revenus est située hors de Chypre sont soit soumises à l'impôt sur les sociétés au taux préférentiel de 4,25% lorsqu'elles sont contrôlées ou dirigées depuis Chypre, soit exonérées d'impôt lorsqu'elles ne sont ni dirigées, ni contrôlées à partir de Chypre.

En Espagne, les sociétés situées dans la « zone spéciale des Canaries (ZEC) » ne sont imposées à l'impôt sur les sociétés qu'au taux de 1%. Les intérêts et dividendes versés à des non-résidents ne sont soumis à aucune retenue à la source.

A Gibraltar, non couvert par la convention fiscale franco-britannique, les exempt companies, sociétés de droit territorial ou de droit étranger, peuvent obtenir pour une durée de vingt-cinq ans un certificat d'exonération lorsqu'elles ne réalisent pas d'opération sur le marché local. Certaines sociétés peuvent obtenir ce certificat lorsqu'elles exercent une activité à Gibraltar ou qu'elles fournissent des services à des sociétés exonérées. Les exempt companies sont soumises à un impôt forfaitaire annuel variant de 225 £ à 300 £.

En Grèce, la loi 89 de 1967 exonère d'impôt sur le revenu les sociétés industrielles ou commerciales étrangères qui ne font pas de commerce ou ne réalisent pas d'affaires sur place.

En Suisse, les sociétés de domicile présentent des caractéristiques semblables : elles n'exercent pas d'activité en Suisse, elles n'y ont aucun siège, elles ne possèdent ni immeuble ni personnel propre dans le pays. Elles sont généralement domiciliées auprès de banques, de sociétés fiduciaires ou d'avocats. Elles ne bénéficient pas d'exonération au niveau fédéral, mais sont exonérées d'impôt sur les sociétés dans la plupart des cantons. Ce régime est compatible avec celui des sociétés holdings suisses, précédemment examiné.

Les différents Etats estimant préjudiciable l'utilisation de sociétés non-résidentes par leurs ressortissants ont fait pression sur les pays concernés pour qu'ils suppriment le statut de société non-résidente. Ce sujet est ainsi l'un de ceux sur lesquels des progrès substantiels sont intervenus.

Ainsi, deux Etats ont organisé la suppression du régime favorable des sociétés non-résidentes : le Royaume-Uni et l'Irlande.

En Irlande, où les sociétés non-résidentes, c'est-à-dire les sociétés constituées en Irlande dont le siège de direction effective était situé hors du pays et qui n'y exerçaient pas d'activité, étaient de droit exonérées d'impôt dans le pays, de nouvelles dispositions, applicables à partir du 1er octobre 1999, prévoient que toute société constituée en Irlande, quelle que soit la date de sa création, est nécessairement réputée résidente en Irlande et donc passible de l'impôt sur les sociétés irlandais, sauf si elle est détenue par un ressortissant communautaire ou par une personne relevant d'un Etat avec lequel l'Irlande a conclu une convention destinée à éviter les doubles impositions, ou encore par une société cotée en bourse. Dans ces derniers cas, les sociétés non-résidentes devront préciser de quelle juridiction fiscale elles relèvent. Différentes mesures d'accompagnement sont prévues, notamment sur la divulgation de l'identité des propriétaires ou bénéficiaires de la société, l'obligation d'avoir un directeur établi en Irlande et la limitation des possibilités de cumul des postes de direction de sociétés.

Les sociétés non-résidentes ont déjà fait l'objet d'une suppression progressive au Royaume-Uni, depuis 1988. En effet, jusqu'au 15 mars 1988, le critère de la résidence fiscale était le critère de la direction effective. Les sociétés ayant leur siège de direction effective en dehors du Royaume-Uni n'étaient imposées que sur leurs revenus de source britannique, les autres sociétés sur leurs revenus mondiaux. Depuis cette date, le critère de résidence fiscale est le lieu de constitution de la société. Néanmoins, les sociétés non-résidentes au 15 mars 1988 ont continué à bénéficier de leur régime, à titre transitoire, jusqu'au 1er décembre 1993. Naturellement, les règles éventuellement prévues par les conventions fiscales s'appliquent, et les sociétés créées au Royaume-Uni dont le siège de direction effective est en France restent imposables en France. Tel est également le cas pour les îles anglo-normandes et la Suisse.

3.- La fiscalité des personnes physiques :
l'exemple du forfait en Suisse

La Suisse a prévu, pour les non-résidents qui veulent s'installer dans la Confédération, un système d'imposition forfaitaire.

Le contribuable est imposé selon des modalités avantageuses, négociées avec les administrations fiscales compétentes, car il faut rappeler qu'il existe deux niveaux de taxation : le niveau fédéral et le niveau cantonal.

L'impôt fédéral est calculé selon le barème normal, sur la base d'une estimation des dépenses de vie courante du contribuable et de sa famille. En pratique, cette base ne peut être inférieure à une fois et demie la valeur locative du bien qu'ils occupent ou du prix de la pension pour les personnes vivant à l'hôtel. L'impôt ne peut non plus être inférieur à l'impôt qui frapperait normalement les revenus du patrimoine mobilier et immobilier situé en Suisse et aux pensions de source suisse perçues par le contribuable. Ce régime s'applique aux ressortissants étrangers qui, pour la première fois ou après une absence de dix ans, prennent domicile ou séjournent en Suisse (plus de 90 jours par an) sans y exercer d'activité lucrative.

Au niveau des cantons, les conditions sont comparables, sous réserve cependant d'une absence d'au moins 20 ans dans certains cantons tels Genève et Vaud.

4.- La face moins connue des régimes fiscaux préférentiels :
un point de passage parfois aisé vers certains paradis fiscaux

Certains des régimes fiscaux préférentiels représentent un point de passage vers quelques Etats considérés comme des paradis fiscaux, grâce à l'utilisation de dispositions conventionnelles favorables.

Outre le cas des sociétés exportatrices américaines bénéficiant du régime des Foreign Sales Corporations (FSC), les exemples les plus connus reposent, d'une part, sur l'utilisation de la convention fiscale Belasteningregeling voor het Koninkrijk dite BRK qui régit les relations des Pays-Bas avec Aruba et les Antilles néerlandaises et, d'autre part, sur les relations avec la Suisse.

a) Les sociétés exportatrices américaines : les Foreign Sales Corporations

A la fin du mois de juillet 1999, le Tribunal d'arbitrage de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a rendu un rapport intérimaire condamnant le recours par des sociétés américaines à des sociétés écrans installées dans des paradis fiscaux, notamment dans ceux relevant de la catégorie des « Possessions américaines » comme les Iles vierges américaines, pour y localiser, en franchise d'impôt, les profits réalisés dans le cadre d'opérations d'exportation.

Les sociétés étrangères de distribution-vente, les Foreign Sales Corporations (FSC), gérées à l'étranger et effectuant des opérations à l'étranger, bénéficient en effet de deux séries de règles favorables. D'une part, elles peuvent choisir entre deux modalités de détermination des prix de transfert présentant un caractère avantageux, car leur profit est estimé soit à 23% des bénéfices imposables résultant de l'opération d'exportation, ce qui dépasse la marge commerciale normale, soit à 1,83% des revenus bruts (i.e. du chiffre d'affaires) de l'opération. D'autre part, les bénéfices sont largement exonérés d'impôt, selon des modalités assez complexes. Enfin, les bénéfices des FSC sont perçus par les sociétés mères en franchise d'impôt.

Selon les informations publiées dans la presse (Les Echos du 28 juillet 1999), de très grandes sociétés américaines seraient concernées : Microsoft, Boeing, General Motors, Motorola, Chrysler. L'avantage retiré par les entreprises américaines des règles relatives aux FSC serait de 2 milliards de dollars par an.

On rappellera que le régime des FSC a remplacé en 1984 celui des Domestic International Sales Corporations (DISC) qui avait été condamné par le GATT.

b) Les Antilles néerlandaises : le « sandwich » néerlandais

L'intérêt de passer par une société néerlandaise pour constituer un montage fiscal avantageux est établi dans plusieurs cas. Les montages correspondants sont qualifiés de « sandwich » néerlandais dans le langage des conseillers fiscaux.

Le cas le plus connu est celui des sociétés de gestion de redevance de droits de propriété intellectuelle.

Lorsqu'une personne, fiscalement domiciliée dans un Etat où la fiscalité est normale, met au point une invention ou un procédé pouvant donner lieu à exploitation industrielle ou commerciale, voire artisanale dans le cadre d'une chaîne de magasins franchisés versant en contrepartie une redevance, elle peut incorporer les droits de propriété intellectuelle correspondants dans une société domiciliée dans un paradis fiscal, afin de constituer un dispositif avantageux, en infraction avec les dispositions anti-abus de la loi fiscale de son pays, mais en bénéficiant d'une fiscalité réduite sur les revenus de son invention.

Schéma de réduction de la charge fiscale grâce au recours à une société écran de redevance implantée dans un paradis fiscal

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Ce schéma simple présente cependant l'inconvénient de faire supporter une retenue à la source au taux de 33 1/3% en application de l'article 182 B du code général des impôts, qui prévoit une telle retenue sur les produits perçus par des détenteurs de droits de propriété intellectuelle payés par un débiteur exerçant en France à une personne ou des sociétés n'ayant pas dans notre pays d'installation professionnelle permanente.

L'interposition d'une société relais constituée aux Pays-Bas, concessionnaire des droits de propriété intellectuelle et octroyant une sous-concession, présente l'avantage de réduire le prélèvement fiscal.

En effet :

- la convention conclue entre la France et les Pays-Bas exclut toute retenue à la source, ce qui fait que le prélèvement précédent ne s'applique pas ;

- l'obtention d'un « ruling » permet d'obtenir l'imposition sur une base très réduite représentant 7% du montant des droits perçus au cours de l'année jusqu'à deux millions de florins, et progressivement ramenée jusqu'à 2% au-delà de ce montant ;

- les Pays-Bas ne prélèvent aucune retenue à la source sur les redevances versées par un débiteur néerlandais à un bénéficiaire non résident, et la convention précitée dite BRK ne prévoit pas non plus de prélèvement ;

- les sociétés de redevance implantées aux Antilles néerlandaises sont imposées aux taux de 2,4% pour les 100.000 premiers florins, soit 49.090 euros, environ, et de 3% au-delà.

Schéma de réduction de la charge fiscale grâce au recours à une société néerlandaise et à une société écran de redevance implantée dans un paradis fiscal

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Dans le cadre de ce schéma, sur un montant de 100, le versement direct d'une redevance de concession à une société implantée dans un paradis fiscal subit une charge fiscale de 33,1/3 au profit du Trésor français.

Le recours à une société relais des Pays-bas se traduit par le versement des montants suivants :

- une somme de 2,45 au profit du Trésor néerlandais (le taux de droit commun de 35% s'applique à une base de 7% du montant perçu par la société) ;

- un montant de 2,93 au plus (par application du taux maximum d'imposition de 3% au produit net restant à distribuer après imposition aux Pays-Bas, soit 97,55) au profit du Trésor de l'île des Antilles néerlandaises d'implantation.

La charge totale est ainsi de 5,38 pour une redevance relevant des taux d'imposition les plus élevés, compte non tenu des frais éventuels de gestion, qui peuvent être négligés.

L'économie d'impôt peut donc être estimée à 27,95. Elle est tout à fait substantielle, dans ce cas précis qui est le plus défavorable.

En effet, pour les très fortes redevances dont la fraction supérieure est imposée sur la base de 2% du montant versé à la société relais implantée aux Pays-Bas, un calcul similaire montre que l'économie d'impôt est de 29,65, étant donné que l'impôt s'élève seulement à 0,7 aux Pays-Bas et à 2,98 dans l'île où est implantée la société écran.

On constate que ces taux d'imposition effectifs sont considérablement plus réduits qu'en France, même si le régime fiscal des inventeurs n'est pas des plus défavorables, puisque dans certains cas, les résultats de la concession de licences d'exploitation, ne relèvent pas d'une imposition au barème progressif dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, mais relèvent du régime d'imposition des plus-values à long terme prévu à l'article 39 quindecies du code général des impôts, soit 16%, compte non tenu des prélèvements sociaux (CSG et CRDS). Ceux qui relèvent du barème progressif bénéficient par ailleurs, lorsque les frais réellement exposés par l'inventeur ne sont pas déduits, d'un abattement de 30%, ce qui réduit le taux effectif maximal d'imposition à 37,8%, hors prélèvements sociaux.

Un schéma similaire vaut pour les sociétés de financement, puisque la marge imposable aux Pays-Bas est fixée à au moins 0,125% du montant des fonds prêtés, en règle générale.

Un schéma autre est celui de la société holding détenant une filiale commerciale implantée dans l'une des Antilles néerlandaises.

La société commerciale est imposée sur une base très faible.

Les dividendes remontent sans retenue à la source et sont exonérés d'impôt aux Pays-Bas. Ensuite, ils circulent librement au niveau de l'Union européenne en application de la directive mère/fille.

c) La finance branch implantée en Suisse

Un autre cas très classique d'utilisation du droit néerlandais est celui de la finance branch implantée en Suisse.

Le montage repose sur l'interposition d'une société holding exerçant une activité de financement intra-groupe aux Pays-Bas, dont le capital est constitué à partir d'apports réalisés par une société bénéficiaire implantée dans un pays à fiscalité normale, financés par emprunt, et dont l'activité de prêt est réalisée par l'intermédiaire d'une succursale ne disposant pas de la personnalité morale, implantée en Suisse.

Ce schéma permet en effet, grâce à un ruling délivré par l'administration fiscale néerlandaise, de réaliser des économies d'impôt en transformant des dividendes en intérêts d'emprunt, déductibles du résultat imposable, avant de le retransformer en dividendes.

Lorsqu'une société dont le capital est supérieur à 100 millions de florins (soit 45,38 millions d'euros), dirigée à partir des Pays-Bas et effectuant des opérations de financement intragroupe, constitue une succursale dans un Etat avec lequel les Pays-Bas ont conclu une convention fiscale, ce qui est le cas de la Suisse, pour effectuer des opérations intragroupes, le ruling prévoit que la répartition du profit intervient selon la clef suivante, de 10% pour la société néerlandaise et 90% pour la succursale suisse, si les comptes sont tenus en devises et dans la succursale, et de 15% et 85% si ceux-ci sont tenus en florins néerlandais (euros, depuis le 1er janvier 1999).

L'implantation d'une succursale en Suisse, dans un canton où il n'y a pas d'impôt sur les bénéfices et où seul l'impôt fédéral au taux maximum de 9,8% est perçu, permet ainsi de retirer les plus grands avantages de ce ruling. On rappellera que l'impôt fédéral sur les bénéfices est complexe en Suisse, car il est progressif et dépend en outre du rendement de l'entreprise, le taux effectif variant entre un minimum de 3,6% et un maximum de 9,8%.

Combiné avec un taux de retenue à la source de 0% pour le versement des profits entre la Suisse et les Pays-Bas , l'existence d'un crédit d'impôt, prévu par la convention helvético-néerlandaise au titre de l'impôt sur les résultats perçus aux Pays-Bas (11) et l'application de la directive européenne mère-filiale prévoyant l'absence de retenue à la source pour la distribution des dividendes aux actionnaires, on mesure l'intérêt pour les actionnaires d'une société bénéficiaire en France, membre d'un groupe, d'une opération consistant à faire emprunter des capitaux pour constituer le capital d'un holding de financement du groupe implanté aux Pays-Bas avec une succursale en Suisse.

Selon ce schéma, les bénéfices réalisés et taxables en France sont gommés par la charge des intérêts de l'emprunt et le bénéfice taxable en France disparaît. En contrepartie, les intérêts créditeurs sont perçus en Suisse et aux Pays-Bas, où ils relèvent d'une fiscalité plus avantageuse, et peuvent « remonter » et être distribués aux actionnaires ultimes sans retenue à la source. Le taux effectif d'imposition des bénéfices passerait ainsi de 40% à 22%.

d) Des régimes parfois favorables au blanchiment des revenus d'activités criminelles

Les régimes fiscaux privilégiés sont souvent considérés comme suspects par les spécialistes de l'économie criminelle, car ils offrent des opportunités de blanchiment des capitaux à coût moindre, ce qui serait particulièrement apprécié par les personnes assurant la gestion financière et le recyclage des produits d'origine criminelle.

Ainsi, M. Jean de Maillard, magistrat, dans son ouvrage précité intitulé « Un monde sans loi : la criminalité financière en images » dénonce-t-il les zones franches urbaines (ZFU) créées dans le cadre de la politique de la ville, comme des « paradis fiscaux du pauvre », jugeant que les allégements fiscaux et sociaux sur lesquels elles reposaient permettaient de créer des opportunités pour le blanchiment des multiples trafics organisés dans les quartiers en cause.

Il jugeait que la démarche favoriserait l'émergence de groupes de délinquance de mieux en mieux organisés et bénéficiant d'un enrichissement d'autant plus rapide qu'ils seraient officiellement exonérés de taxes, de charges sociales et d'impôts.

Il est difficile de confirmer ce sentiment, mais on ne peut être que réservé sur les zones franches urbaines. Le rapport d'enquête sur le dispositif des zones franches urbaines et des zones de redynamisation urbaine établi par une mission conjointe de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale de l'administration, en décembre 1998, a d'ailleurs mis en évidence les effets pour le moins incertains des mesures prises.

La mission a, en effet, constaté une croissance du nombre des entreprises, selon les sources, de 100% à 250% à Nice, de 40% à 50% à Mantes-la-Jolie, de 30% à 50% à Vaulx-en-Velin, et, pour l'ensemble des ZFU, de 12% selon les services fiscaux, de 51% selon l'Association nationale des villes de ZFU, et de 31% selon l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale. Le nombre des entreprises installées dans les ZFU après le 1er janvier 1997 est ainsi de 2.938 sur un an, selon l'Association, de 1.086 sur 18 mois selon l'Acoss et de 1.106 selon les services fiscaux. Une grande partie de ces entreprises provient de délocalisations d'entreprises préexistantes, mais on observe également une proportion significative de création par les habitants des zones.

Si l'on tient compte de ce qu'une grande partie des 20.000 emplois supplémentaires provient de transferts, et de ce que les 10.000 emplois créés n'ont que très peu profité aux résidents des ZFU, on constate un décalage entre les créations d'entreprises lancées sur place et le nombre d'emplois créés, qui ne laisse pas de représenter un indice inquiétant. Il est donc vraisemblable que certaines des créations d'entreprises dans les ZFU aient constitué, et constituent encore, le paravent d'opérations de recyclage de la finance criminelle. Cette situation ne permet pas d'envisager la pérennité de ces zones.

5.- Le problème des régimes fiscaux de fait

A coté des paradis et régimes fiscaux de droit, il faut mentionner le cas des régimes de fait, qui se sont développés en marge d'Etats à fiscalité normale pour des raisons difficilement perceptibles, et dont les règles propres ont une base historique et coutumière plus ou moins établie.

Ces situations ne peuvent qu'être une nouvelle fois dénoncées.

a) Saint-Martin et Saint-Barthélémy

Il est difficile d'évoquer les paradis fiscaux et les régimes fiscaux préférentiels sans mentionner le cas des îles de Saint-Martin et Saint-Barthélémy, qui dépendent du département de la Guadeloupe.

L'état de droit n'y est pas respecté, notamment en matière fiscale.

Votre Rapporteur ne s'est pas rendu sur place, mais était-ce bien nécessaire depuis que d'autres parlementaires, des sénateurs, MM. François Blaizot et Michel Dreyfus-Schmidt, ont rendu un excellent rapport, il y a deux ans, dont les constats sont encore d'actualité : « Saint-Barthélémy et Saint-Martin : deux îles françaises dans la Caraïbe » (rapport n° 339, 1996-1997).

On constate certaines particularités au statut plus ou moins incertain et, de manière générale, d'importantes distorsions entre le droit et le fait.

D'un seul point de vue douanier et fiscal, il convient de relever ainsi :

- que les droits de douane ne sont pas exigibles, sur une base « coutumière » à l'origine, mais qu'un droit de quai spécifique est prélevé sur les importations au profit de la commune de Saint-Barthélémy ;

- que l'octroi de mer n'est pas perçu en application de l'article 19 de la loi n° 92-676 du 17 juillet 1992 relative à l'octroi de mer ;

- que la TVA n'est pas perçue, sur la base également de la prorogation, validée par deux décisions administratives des 3 juillet 1948 et 4 décembre 1957, visées et confirmées par une note du service de la législation fiscale du 12 mai 1993, d'une situation ancienne (les deux communes sont néanmoins éligibles aux versements du FCTVA) ;

- que les contributions indirectes n'y sont généralement pas exigibles, à l'exception du droit de licence sur les débits de boisson (article 1568 du code général des impôts) et de l'impôt sur les spectacles prévu à l'article 1559 du même code, mais qui ne serait pas pour autant perçu ;

- que les droits d'enregistrement, normalement exigibles, qu'il s'agisse des mutations à titre onéreux ou des mutations à titre gratuit, mais que le recouvrement de l'impôt sur les successions est très difficile, notamment en raison des indivisions ;

- que l'établissement et le recouvrement des impôts directs, bien que normalement exigibles, selon une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, font l'objet de difficultés stupéfiantes.

Ainsi, à Saint-Barthélémy, sous prétexte du traité de rétrocession par la Suède du 10 août 1877 prévoyant de manière classique que la France succédait aux actes régulièrement faits par la couronne de Suède, dans ses droits et obligations, la perception des impôts directs est contestée par la population et ses élus, alors même que la loi du 2 mars 1878 portant approbation du traité a précisé que l'île serait considérée comme une dépendance de la Guadeloupe au point de vue politique, administratif et judiciaire et que les lois, règlements et arrêtés y seraient applicables.

En pratique, l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, qui n'existaient pas à l'époque de la signature du Traité ne pouvaient donc être écartés, ne sont cependant ni établis ni perçus.

Les anciens maires admettent même avoir fourni des certificats de non-imposition.

S'agissant de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), seuls les habitants imposables à raison de biens situés à l'extérieur de l'île l'acquittent. La résidence principale, bien que située à Saint-Barthélémy, est souvent mentionnée sur les déclarations, ce qui est paradoxal pour des contribuables prétendant que le territoire sur lequel ils vivent bénéficie de franchises.

A Saint-Martin, la contestation est moins générale. On observe plusieurs milliers de déclarations à l'impôt sur le revenu de particuliers et de déclaration de résultats d'entreprises. Néanmoins, l'impôt n'est pas bien établi. Quelques dizaines de redevables de l'ISF sont également identifiés à Saint-Martin.

En ce qui concerne les impôts locaux, ils sont normalement perçus à Saint-Martin, et ont permis de recouvrer un certain produit, de 39 millions de francs en 1994 pour la commune et de 95 millions de francs pour l'ensemble des impôts locaux.

A Saint-Barthélémy, aucun impôt direct local n'est perçu, les bases n'ayant jamais été établies dans la commune et le conseil municipal s'abstenant de voter les taux.

On observe donc une situation fiscale particulière, où la charge fiscale acquittée par la population est très réduite, en partie sur la base de certaines dispositions juridiques certes, mais en raison surtout d'une fraude massive, à laquelle il convient de mettre fin, même si, comme à Saint-Barthélémy, elle est organisée avec le consentement des élus locaux.

Votre Rapporteur estime en effet que, dans un premier temps, l'objectif doit être de percevoir les impôts normalement dus et sur le fondement desquels aucune contestation ne peut être valablement établie. L'objectif doit ainsi être de percevoir les grands impôts directs nationaux, impôt sur le revenu, impôt sur de solidarité sur la fortune et impôt sur les sociétés, les droits de mutation à titre gratuit ainsi que les impôts locaux.

S'agissant de la fiscalité indirecte, une étude de fond est nécessaire, compte tenu du statut spécifique de ces îles.

Concernant les exonérations et franchises, un débat parlementaire devrait déboucher sur des décisions ayant vocation à être mises en _uvre.

b) Campione

Campione constitue une spécificité dans le paysage juridique et fiscal italien. Elle dispose de privilèges directement issus du Moyen-âge.

Il s'agit d'une commune italienne, dépendant de Côme mais enclavée entre le lac de Lugano et le territoire suisse (Canton du Tessin).

Le droit fiscal y est simple et caractéristique d'un vrai paradis fiscal, pour les personnes physiques : aucun impôt n'est perçu ni sur le revenu, ni sur les dividendes, ni sur les redevances, ni sur les intérêts, ni sur la fortune, ni sur les plus values, ni sur les donations, ni sur les successions. Le seul impôt est une taxe municipale d'habitation. Campione est en dehors du territoire fiscal et du territoire douanier de l'Union. La TVA n'y est pas non plus perçue.

Campione est utilisée pour créer non seulement des sociétés à responsabilité limitée ou des sociétés en commandite simple selon le droit italien (soumises à la fiscalité italienne), mais encore des Aktiengesellschaften (AG) domiciliées en Suisse, mais qui n'y auront aucune activité et dont le siège de direction effective sera Campione ou une Anstalt relevant du Liechtenstein. La monnaie en circulation est le franc suisse, et non l'euro ou sa subdivision, la lire italienne. Il n'y a aucune banque à Campione.

Campione est également connue pour son casino.

II.- LE DÉMANTÈLEMENT DES PARADIS FISCAUX ET DES RÉGIMES FISCAUX PRÉFÉRENTIELS : SOUTENIR LES ACTIONS MENÉES AUX PLANS COMMUNAUTAIRE ET INTERNATIONAL

Au-delà des simples considérations pratiques qui font qu'une action multilatérale est plus efficace qu'une action bilatérale, lorsqu'il faut faire plier la volonté d'un Etat souverain ou d'un territoire dont l'autonomie est garantie par une tradition constitutionnelle pluriséculaire, comme c'est le cas, par exemple, des îles anglo-normandes, plusieurs éléments de droit ou de fait font que l'action en vue du démantèlement des paradis fiscaux et des régimes fiscaux préférentiels doit être menée par priorité dans un cadre international.

D'une part, l'appréciation du principe, convenu entre les membres des Nations Unies, selon lequel le concept de souveraineté d'un Etat a pour corollaire que cet Etat ne doit pas aider les citoyens ou les résidents d'un autre Etat à enfreindre les lois de leur pays, doit de préférence intervenir dans un cadre multilatéral, afin de ne pas entraîner des débordements qui pourraient être considérés comme des abus de puissance de la part d'un grand Etat. En outre, l'expérience montre que la mise en adéquation du droit international et du droit interne des Etats sur les grands problèmes tels que la lutte contre l'esclavage, la lutte contre le travail des enfants, la lutte contre la drogue ainsi que la lutte contre les procédures de blanchiment des bénéfices de la grande criminalité internationale, exige un débat préalable et la formation d'un large consensus comme condition première d'une action efficace.

D'autre part, le nombre des Etats ou des territoires impliqués, à des degrés divers, dans des pratiques préjudiciables aux intérêts des autres Etats, et la capacité du secteur bancaire et financier à transférer ses activités d'un Etat ou d'un territoire à l'autre, exigent un règlement global et coordonné de l'ensemble de la question.

De nombreuses actions ont été engagées contre les paradis fiscaux, ces dernières années, et plus encore ces derniers mois, et ces actions, menées tous azimuts, donnent au citoyen le sentiment qu'il existe une volonté politique réelle de venir à bout de ces situations aberrantes qui protègent, sur le plan pénal, la grande criminalité et, sur le plan financier, des institutions dangereuses par les risques qu'elles font courir au système bancaire international.

Dans la perspective du présent rapport, les actions de l'Union européenne et de l'OCDE contre les régimes fiscaux préférentiels et la concurrence fiscale dommageable sont essentielles.

L'objectif est, en effet, d'aboutir à un espace fiscal et judiciaire transparent. La tâche n'est cependant pas aisée car il existe de fortes résistances. Le 2 juillet 1999, le Groupe d'action financière internationale contre le blanchiment de capitaux (GAFI) a ainsi publié un communiqué dans lequel ses membres « expriment leurs préoccupations à propos de certaines initiatives d'Antigua et Barbuda, qui ont eu pour effet de renforcer le secret bancaire et de faire obstacle aux enquêtes, à la coopération internationale et à l'entraide judiciaire ».

A.- LA LUTTE CONTRE LES PARADIS FISCAUX POUR DES MOTIFS DE DROIT PÉNAL OU DES CONSIDÉRATIONS PRUDENTIELLES : DES ACTIONS COMPLÉMENTAIRES AUX INITIATIVES FISCALES

Pour ce qui est l'objet du présent rapport, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, certaines des initiatives lancées ou des actions menées au plan international contre les paradis fiscaux répondent à des considérations d'ordre pénal ou prudentiel certes connexes, mais tout à fait essentielles. Il convient de les mentionner afin de bien clarifier les enjeux.

1.- Les initiatives à objectif bancaire et financier : une contribution aux réflexions sur la stabilité du système financier international

Ainsi que l'a précisé le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Dominique Strauss-Kahn, à la fin du mois de juin 1999, lors de la clôture de la conférence annuelle de la Banque mondiale sur le développement, certains Etats ou territoires, parmi lesquels « Antigua et Barbuda, les îles Caïmans et les îles Marshall », nommément désignés, sont défaillants dans leurs procédures de contrôle bancaire et posent un problème de sécurité financière, certes totalement étranger aux préoccupations fiscales, mais qui participe du vaste mouvement d'actions lancées contre les paradis fiscaux, qui constituent aussi des paradis bancaires.

La question est donc ici vue sous l'angle de la pure régulation financière, ce qui implique des actions totalement distinctes de celles prévues en matière fiscale et dans le domaine des procédures à caractère pénal de lutte contre la grande criminalité internationale.

Les paradis fiscaux présentent, en effet, tout au moins pour certains d'entre eux, de création assez récente, des faiblesses préoccupantes susceptibles de provoquer d'importantes déstabilisations. Ce risque n'est pas à négliger quelques mois après l'affaire du LTCM (Long term capital management), ce fond de couverture à caractère spéculatif qui avait recours à des montages sophistiqués permettant de réduire le montant des engagements figurant au bilan et de créer des engagements hors bilan atteignant des montants vertigineux, supérieurs au budget de la France.

Les autorités administratives de contrôle et régulation financière (AACR) chargées de contrôler le secteur bancaire et financier, notamment le respect des règles prudentielles, ne peuvent en effet procéder avec ces pays ou territoires à des échanges d'informations, des dispositions légales ou réglementaires abusives prohibant cet échange ou le soumettant à des conditions restrictives. Cette absence de transparence ne peut être tolérée.

Ainsi, dans le cadre du G 7, l'objectif de stabilité du système financier international a conduit à une initiative purement financière, qui a ensuite été complétée par un soutien aux actions engagées par ailleurs dans le domaine de la lutte contre le blanchiment et en matière fiscale.

Le communiqué des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du G 7, publié à l'issue de la réunion de Bonn du 20 février 1999, a annoncé la création du Forum sur la stabilité financière, à la suite du rapport de M. Hans Tietmeyer, gouverneur de la Bundesbank, sur la coopération et la coordination internationale dans le domaine de surveillance et du contrôle des marchés.

Lors de sa réunion à Washington, le 14 avril dernier, le Forum, présidé par M. Andrew Crockett, directeur général de la Banque des règlements internationaux (BRI), a constitué trois groupes de travail, dont l'un, présidé par M. John Pulmer, superintendant des institutions financières au Canada, a pour mission d'évaluer l'impact sur la stabilité financière globale de l'utilisation des centres off shore par les intervenants sur les marchés, ainsi que les efforts réalisés par ces centres pour mettre en application les normes prudentielles et internationales et respecter les accords internationaux d'échange d'informations.

Le rapport devrait être remis au mois de septembre 1999, lors de la prochaine réunion du Forum.

Cette préoccupation a été confirmée par le communiqué des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du G 7, publié à l'issue de la réunion de Washington du 29 avril dernier, mais il est important de noter qu'il a également été recommandé au Groupe d'action financière internationale contre le blanchiment de capitaux (GAFI) de s'efforcer d'élargir le cercle des Etats ou territoires mettant en application ses recommandations, d'identifier les territoires se montrant incapables de coopérer dans la lutte contre le blanchiment et de prendre les mesures nécessaires pour lever ces obstacles.

Un soutien a également été affirmé en faveur des actions de lutte contre la concurrence fiscale dommageable aux entreprises au sein de l'OCDE et de l'Union européenne, évoquées ultérieurement par votre Rapporteur.

Cette démarche valide l'opinion partagée par votre Rapporteur en faveur d'une démarche globale ne négligeant aucun des aspects, financier, bancaire, pénal et fiscal, de la lutte contre les paradis fiscaux.

En outre, lors de la réunion des ministres et des gouverneurs des banques centrales du G7 à Cologne, le 20 juin dernier, une demande a été renouvelée au GAFI pour faire en sorte que les centres off shore appliquent les règles définies en matière de lutte contre le blanchiment, assurant ainsi une première démarche pour un règlement global du problème des paradis fiscaux.

Par ailleurs, les travaux du Comité de Bâle sur le secret bancaire doivent également être mentionnés. Animée par le souci de la fiabilité du système financier international, la Conférence internationale des superviseurs des banques a établi vingt-neuf recommandations visant à renforcer l'efficacité de la supervision des banques exerçant une activité hors des frontières nationales.

Des lignes directrices permettent de déterminer le degré d'efficacité du contrôle opéré dans les pays d'origine et de surveiller l'application et le contenu des règles de contrôle dans les pays d'implantation.

Ces recommandations prévoient également des inspections sur place.

Enfin, même si cela n'a jamais été clairement précisé, la mise en place, éventuellement, au plan international, d'une taxe sur les mouvements de capitaux, dite taxe Tobin, car fondée sur les travaux de M. James Tobin, prix Nobel d'économie, représente un troisième élément de convergence des préoccupations relatives à la stabilité du système financier international.

La création d'une telle taxe, en limitant les possibilités de mouvements trop rapides de capitaux, et ayant vocation à devenir progressivement universelle, rendrait délicat le recours aux paradis fiscaux, les allers et retours sur les places financières, sur la base desquels fonctionne l'économie des Etats et territoires concernés, en l'absence de possibilité d'investissement sur place, étant pénalisés.

Sur ce thème, votre Rapporteur ne saurait aller au-delà sans empiéter sur les compétences de ses collègues, MM. Gérard Fuchs et Daniel Feurtet, députés, chargé par la Commission des finances d'une mission d'information sur les mouvements internationaux de capitaux.

Il regrette seulement que la Commission européenne se soit prononcée contre l'instauration de cette taxe.

2.- Les initiatives menées contre les paradis fiscaux dans le domaine du blanchiment : une participation active de la France

La lutte contre la délinquance financière, le blanchiment des capitaux et la corruption des agents publics, ainsi que la lutte contre les paradis fiscaux, qui couvrent ces pratiques par le secret qu'ils offrent à leurs ressortissants, représentent un thème d'étude pour de nombreuses organisations internationales.

L'objet du présent rapport n'est pas de procéder à un recensement exhaustif, mais de mentionner les réflexions engagées qui ont semblé à votre Rapporteur les plus importantes et qui ont d'ailleurs fait l'objet d'initiatives fortes de la part de la France.

a) Les préoccupations de l'ONU : la lutte contre la grande criminalité et la grande délinquance financière internationale

Organisme suprême de coopération internationale, à vocation universelle et omnipraticienne grâce aux institutions dépendant d'elle, l'Organisation des Nations-Unies s'intéresse naturellement à la question de la lutte contre le crime organisé. Cette préoccupation remonte même à la période de la création de l'Organisation.

Le centre de prévention du crime international, qui dépend de l'Office pour le contrôle des drogues et la prévention du crime, traite ainsi les questions de la prévention du crime, de la justice et de la réforme des législations pénales.

Ses travaux concernent actuellement le crime international organisé, la lutte contre la corruption et le trafic d'être humains. Ce dernier point concerne l'exploitation des immigrants ainsi que les trafics de femmes et d'enfants.

L'Office a le projet de publier un rapport bisannuel sur le crime organisé, au niveau mondial.

Il faut également mentionner le programme global des Nations-Unies sur le blanchiment.

Dans ce cadre, la lutte contre les paradis fiscaux fait l'objet de travaux significatifs, comme en témoigne le rapport intitulé « Paradis financiers, secret bancaire et blanchiment d'argent » publié en février dernier, même si, ainsi que le précise le directeur de l'Office, le contenu du rapport n'engage que ses quatre auteurs : M. Jack A. Blum, partenaire du cabinet juridique Lovel Novins et Lamont, à Washington D.C., M. Michael Levi, professeur de criminologie et directeur du White Collar and Organised Crime Research Unit de l'Université de Cardiff, M. R . T. Taylor, professeur d'économie à l'Université Mc Gill de Montréal et M. Phil Williams, professeur à la Graduate School of Public and International Affairs et directeur du Ridgway Center for International Securities Studies à l'Université de Pittsburgh, ainsi que directeur de publication de la revue Journal of Transnational Organized Crime.

C'est surtout dans le cadre des travaux entrepris en matière de lutte contre la corruption et ses circuits financiers, qui ont donné lieu à la réunion du groupe d'experts sur la corruption, qui s'est tenue à Paris du 30 mars au 1er avril 1999, que la participation active de notre pays s'est manifestée.

C'est en effet à la demande de la France, initiative qu'il convient de saluer, que les problèmes posés par les centres financiers off shore ont été placés au c_ur de la réunion.

Intervenant en ouverture du séminaire, le ministre de l'économie des finances et de l'industrie, M. Dominique Strauss-Kahn a rappelé que les centres off shore posaient des problèmes graves auxquels la communauté internationale devait trouver rapidement des solutions efficaces, et a souligné que, dans le monde ouvert de la fin du XXe siècle, on ne pouvait plus tolérer que des pays ou territoires n'assument pas leurs responsabilités en matière de lutte contre la corruption et le blanchiment de capitaux. Ces centres constituent en effet le c_ur de réseaux complexes de versement et de recyclage de l'argent de la corruption, qui peut atteindre des montants considérables.

Parmi les recommandations, on observera la nécessité d'explorer les moyens de convaincre les centres off shore de se doter de règles permettant de déceler et d'agir contre les produits de la corruption et de participer activement à la coopération internationale contre la délinquance financière qui lui est liée, de s'assurer que les autorités administratives et judiciaires de tous les pays ont la capacité de coopérer efficacement, et de s'assurer que le secret bancaire et les dispositions fiscales n'entravent pas cette coopération. Ces préoccupations rejoignent directement celles de votre Rapporteur.

Ces conclusions ont été discutées à la fin du mois d'avril dernier dans le cadre des travaux de la Commission pour la prévention du crime et de la justice pénale et ont vocation, en principe, à donner lieu à un projet de résolution de l'Assemblée générale des Nations-Unies.

On doit observer que ces travaux sont complémentaires de ceux entrepris pour la lutte contre la corruption tant dans le cadre de l'OCDE, avec la convention de lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, signée à Paris le 17 décembre 1997 par les vingt-neuf pays membres de l'organisation, ainsi que par cinq pays non-membres, l'Argentine, le Brésil, la Bulgarie, le Chili et la Slovaquie. A l'échelon communautaire, le protocole tendant à la répression des faits de corruption portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés a été signé le 27 novembre 1996, et a été suivi d'une convention globale, signée le 26 mai 1997, tendant à l'incrimination de tout fait de corruption, qu'il ait ou non porté atteinte aux intérêts financiers des Communautés.

Enfin, il faut mentionner l'existence du Programme mondial contre le blanchiment de l'argent de l'ONU, mis en _uvre par l'Office précité, programme triennal de recherche et d'assistance technique, couvrant les années 1997 à 1999.

b) Les initiatives françaises au sein des travaux du Groupe d'action financière internationale contre le blanchiment de capitaux (GAFI)

Le Groupe d'action financière internationale contre le blanchiment de capitaux (GAFI), qui regroupe vingt-six pays et deux organisations régionales, l'une en Asie et l'autre pour les Caraïbes, a été créé en 1989 au Sommet de l'Arche, à l'initiative de la France. Il est considéré comme l'organisme de référence dans ce domaine. Ses quarante recommandations constituent le standard internationalement reconnu et le GAFI constitue l'élément moteur de la coopération internationale.

Le GAFI porte actuellement son effort sur l'élargissement du cercle des pays engagés dans la moralisation de leurs circuits financiers, l'intégration du système financier international exigeant également un réseau mondial de détection des capitaux frauduleux, toute faiblesse pouvant être exploitée par les opérateurs pratiquant le blanchiment.

Ainsi que l'a déjà précisé votre Rapporteur, les ministres des finances du G 7, sur l'initiative du ministre français de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Dominique Strauss-Kahn, ont appelé le GAFI à examiner les problèmes posés par les paradis fiscaux. L'objectif est d'offrir une réponse multilatérale à un risque, lui aussi, multilatéral.

Dans ce cadre, la France a transmis une note sur les juridictions non coopératives au groupe ad hoc du GAFI.

Cette note avait pour objectif de préciser les conditions éventuelles dans lesquelles il pourrait être envisagé que les Etats et territoires concernés modifient leurs règles et leurs pratiques qui nuisent à la lutte contre le blanchiment.

Elle a proposé une démarche logique reposant sur :

- l'identification préalable des règles et des pratiques dont l'éradication s'avère nécessaire et la détermination de la liste des pays ou territoires ne respectant pas les critères minimaux de participation à la coopération internationale contre la délinquance financière, appelés « juridictions non coopératives ». Trois critères sont retenus : la vigilance des institutions financières, la détection des transactions suspectes et la poursuite des infractions. Les principes retenus sont repris dans l'encadré ci-après ;

- la détermination de trois niveaux d'action : une nouvelle rédaction de la recommandation n° 25 du GAFI relative aux risques présentés par les sociétés écrans, de manière à détailler les risques induits par les personnes morales qui ne permettent pas l'identification des véritables propriétaires ; des actions diplomatiques visant à l'adoption, par les juridictions précédemment identifiées comme non coopératives, de législations conformes aux recommandations du GAFI ; l'adoption d'éventuelles « contre-mesures » destinées à protéger les économies des pays industrialisés de « l'argent sale ».

S'agissant des contre-mesures, la note propose :

- un renforcement de l'obligation de vigilance des institutions financières des pays membres du GAFI vis-à-vis des opérations financières réalisées par ou avec des personnes physiques ou des entités juridiques ayant leurs comptes bancaires ou domiciliées dans une juridiction non coopérative ;

- l'institution d'une obligation de déclaration de soupçon vis-à-vis des opérations financières réalisées avec des personnes physiques ou morales ayant leur compte auprès d'une institution financière implantée dans une « juridiction non coopérative » ;

- avec un point d'interrogation, la prohibition de certaines ou de toutes les opérations financières avec certaines de ces juridictions, à savoir la menace d'un embargo financier.

Les deux dernières propositions appellent les observations suivantes :

- l'institution d'une obligation de déclaration de soupçon vis-à-vis des opérations financières réalisées avec des personnes physiques ou morales ayant leur compte auprès d'une institution financière implantée dans une « juridiction non coopérative », reprend une obligation de la législation espagnole, actuellement peu répandue. Il s'agit pourtant d'une obligation qui va de soi ;

- la dernière proposition, envisagée d'ailleurs avec un doute louable, n'apparaît pas des plus réalistes dès lors que l'expérience montre qu'un embargo commercial, dont la violation suppose des opérations physiques lourdes, est assez facile à contourner et que l'on doit ainsi en conclure que des opérations nécessitant seulement des lignes de télécommunications et des terminaux informatiques ne poseront pas grand problème aux éventuels « forceurs de blocus », qu'elle enrichira, par surcroît...

Les règles et pratiques dommageables

identifiées comme caractéristiques d'une juridiction non coopérative

dans le cadre de la note française adressée au groupe ad hoc du GAFI

1. Les éléments afférents au droit commercial et au droit des sociétés

- l'absence d'un système assurant l'enregistrement ou l'immatriculation et la divulgation d'informations juridiques sur les personnes morales ;

- l'impossibilité d'identifier les véritables propriétaires ou bénéficiaires des personnes morales ou des trusts ;

2. Les lacunes de la réglementation financière

- l'absence ou l'insuffisance des autorités administratives de contrôle et de régulation des institutions financières et la dissociation du contrôle administratif des institutions on shore et des institutions off shore ;

- les insuffisances des procédures de contrôle des conditions de création des institutions financières, telles que le fait d'autoriser les personnes physiques ou morales non spécialement agréées à effectuer des opérations bancaires ;

- les insuffisances des procédures de contrôle de la moralité et de l'honorabilité des dirigeants et propriétaires économiques des institutions bancaires ;

- le secret bancaire opposable aux autorités administratives de contrôle et de régulation en matière bancaire (recommandation n° 2 du GAFI) ou aux autorités judiciaires en cas d'enquêtes pénales (recommandation n° 2 et n° 37 du GAFI) ;

- l'insuffisance des prescriptions s'imposant aux banques quant à l'identification de leurs clients (recommandations n° 10 et 11 du GAFI) et l'absence d'obligation de conserver pendant une durée suffisante les éléments relatifs à l'identité de leurs clients (recommandation n° 12 du GAFI) ;

- les obstacles à l'identification d'un client d'une banque par les autorités administratives de contrôle ou de régulation, ainsi que par les autorités judiciaires (recommandation n° 12 du GAFI), ainsi qu'à l'identification des produits commercialisés par la banque ;

- les comptes anonymes ou codés (recommandation n° 10 du GAFI) ;

- les comptes dont le titulaire officiel est un intermédiaire ou semble être un intermédiaire et pour lesquels l'identification du bénéficiaire réel est insuffisamment requise ou de fait impossible (recommandation n° 10 du GAFI) ;

- l'absence de dispositif de détection des transactions suspectes reposant sur la déclaration de soupçon à une autorité compétente en cas d'opération suspectée d'être en relation avec une infraction pénale grave (recommandation n° 15 du GAFI),

- l'absence de caractère secret de cette déclaration (recommandation n° 17 du GAFI),

- l'absence de protection des personnes déclarantes contre toute mise en cause de leur responsabilité civile ou pénale (recommandation n° 16 du GAFI),

- l'absence d'obligation de dénonciation des faits délictueux ;

- le manque d'étanchéité entre le secteur financier on shore et l'off shore, et la possibilité pour le second de faire des opérations pour les résidents ;

3. Les règles ou les pratiques faisant obstacle à l'échange d'informations au niveau national, soit en le prohibant, soit en le restreignant abusivement

- les obstacles à la coopération administrative internationale, empêchant de transmettre dans les meilleurs délais les informations demandées, en raison notamment de conditions restrictives abusives ;

- les refus de communication d'informations à des autorités administratives de contrôle et de régulation à cause de la présence d'éléments ayant trait à l'évasion fiscale ;

- l'insuffisance des moyens juridiques, humains et matériels accordés aux autorités administratives de contrôle ;

- les obstacles directs à la coopération judiciaire internationale, avec le fait de ne pas avoir érigé le blanchiment en infraction pénale (recommandation n° 4 du GAFI), de ne pas accorder dans les plus brefs délais l'entraide judiciaire internationale, lorsqu'elle est requise (recommandations n° 36 à 40 du GAFI), d'avoir, par exemple, des dispositions légales ou réglementaires prohibant l'échange d'informations entre autorités judiciaires au plan international, de soumettre cet échange à des conditions très restrictives ;

- les refus de communication d'informations à des autorités judiciaires à cause de la présence d'éléments ayant trait à l'évasion fiscale ;

- l'insuffisance des moyens juridiques, humains et matériels accordés aux autorités judiciaires.

L'identification de ces pratiques dommageables reprend les mêmes thèmes que ceux exposés par votre Rapporteur sur la protection du secret bancaire et de la confidentialité de l'identité des propriétaires ou bénéficiaires réels des sociétés commerciales et des trusts.

Par ailleurs, le Groupe d'action financière des Caraïbes (GAFIC) s'efforce de faire appliquer les quarante recommandations du GAFI antérieurement mentionnées, ainsi que dix-neuf recommandations supplémentaires applicables à la seule zone caraïbe.

On ne peut que saluer l'impulsion française pour un renforcement de la lutte contre les paradis fiscaux en matière pénale ou en matière purement financière.

c) Les initiatives communautaires en matière de lutte contre le blanchiment

Au niveau de l'Union européenne, il faut signaler la présentation par la Commission, le 14 juillet 1999, d'un deuxième projet de directive sur le blanchiment, après la directive 91/308 du 10 juin 1991, relative à la prévention et à l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux.

Cette nouvelle directive aurait pour objectif, d'une part, de procéder à un élargissement des infractions et, d'autre part, d'étendre le champ des professions soumises à l'obligation de déclaration des transactions suspectes.

Selon la communication de la Commission : « La nouvelle proposition étendrait la gamme des activités criminelles visées par la directive et renforcerait l'exigence qu'elle prévoit de signaler les opérations suspectes de blanchiment de capitaux. La criminalité organisée de même que la fraude et la corruption affectant les intérêts financiers de l'Union européenne seraient ajoutés au trafic de drogue déjà visé par le texte. Cette extension répondrait au développement spectaculaire de la criminalité organisée qui n'est pas fondée sur le trafic de drogue et améliorerait non seulement la déclaration des opérations suspectes, mais faciliterait aussi, et surtout, la coopération internationale entre autorités judiciaires et policières de différents pays.

« À mesure que les défenses du secteur bancaire contre le blanchiment de capitaux se sont renforcées, la criminalité organisée dans ce secteur a cherché d'autres moyens de déguiser l'origine criminelle des fonds. C'est une tendance qui a été clairement mise en évidence par le groupe d'action financière internationale (GAFI), (principal organisme de lutte contre le blanchiment au niveau mondial, qui regroupe la Commission et tous les Etats membres de l'Union européenne ainsi que onze autres pays et le Conseil de coopération du Golfe) et les Nations Unies, qui ont relevé des cas fréquents où les services de membres des professions juridiques étaient utilisés abusivement pour aider à dissimuler des fonds d'origine criminelle. On a relevé aussi de nombreux cas où le secteur immobilier était utilisé pour blanchir des fonds provenant eux aussi d'activités criminelles.

« (...) La proposition obligerait (...) le secteur immobilier, les experts-comptables et les casinos à participer pleinement à la lutte contre la criminalité organisée. Ces activités et professions seraient tenues de s'assurer d'une manière adéquate de l'identité de leurs clients et de signaler les opérations suspectes de blanchiment de capitaux aux autorités antiblanchiment désignées par les Etats membres. Les membres de ces professions se verraient octroyer une protection contre toute mise en cause de leur responsabilité civile ou pénale résultant du fait qu'ils ont signalé des capitaux provenant d'une source suspecte.

« Dans le cas des notaires et d'autres membres des professions juridiques indépendantes, les obligations de la directive s'appliqueraient à l'égard d'activités financières spécifiques ou relevant du droit des sociétés où le risque de blanchiment des capitaux est le plus élevé (par exemple, achat et vente de biens immobiliers ou d'entreprises commerciales, manipulation d'argent, de titres ou d'autres actifs appartenant au client, ouverture ou gestion de comptes bancaires, d'épargne ou de titres, constitution, gestion ou direction de sociétés, de fiducies ou de structures similaires). »

Ces initiatives, non fiscales, sont complémentaires de celles prises au plan fiscal tant dans le cadre de l'Union européenne que dans celui de l'OCDE. Elles sont indispensables, dans la mesure où seule une approche globale et complète permettra de résoudre le problème posé par les paradis fiscaux.

B.- LES INITIATIVES À OBJECTIF FISCAL MENÉES AU NIVEAU
DE L'UNION EUROPÉENNE ET DE L'OCDE EN VUE DU DÉMANTÈLEMENT DES PARADIS FISCAUX ET DES RÉGIMES FISCAUX PRÉFÉRENTIELS DOMMAGEABLES :
DES ACTIONS ESSENTIELLES À SOUTENIR

La nécessité d'une action coordonnée au niveau international pour la lutte tant contre les paradis fiscaux que contre les régimes de concurrence fiscale dommageables, s'est traduite par des initiatives prises à l'échelon communautaire comme dans le cadre de l'OCDE.

Au regard de l'objet du rapport d'information qui a été confié par la Commission des finances à votre Rapporteur, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, notamment au niveau international, ces actions sont d'un intérêt tout autre que celles précédemment évoquées, qui ont essentiellement un objectif financier ou pénal.

Il convient de les soutenir sans réserve, car elles représentent un progrès essentiel, même si elles n'offrent que des perspectives à moyen terme, et non des avancées spectaculaires et immédiates.

A l'examen des travaux effectués au sein tant de l'Union européenne que de l'OCDE, on joindra cependant, pour la cohérence de l'exposé, les initiatives, qui semblent par comparaison plus timides ou réservées prises par le Royaume-Uni et la Couronne britannique, pour tenter de faire avancer la transparence financière et bancaire ainsi que le droit des sociétés dans les nombreux territoires qui en dépendent et constituent des paradis fiscaux.

1.- Les initiatives engagées à l'échelon communautaire

On ne peut pas évoquer la question de la lutte contre la concurrence fiscale dommageable au sein de l'Union européenne sans rendre hommage à M. Mario Monti, commissaire européen, en charge des questions relatives au marché intérieur jusqu'au printemps de cette année, qui a donné l'impulsion nécessaire pour que soient établies des propositions de règles minimales contre les abus de la concurrence fiscale et ses effets désastreux en matière de localisation et délocalisation du facteur de production le plus mobile, le capital.

a) Les problèmes posés par la concurrence fiscale :
une préoccupation déjà ancienne

L'harmonisation de la fiscalité des revenus de l'épargne a déjà fait l'objet d'un projet de directive à la fin des années 1980, le projet du 12 mai 1989, au moment de l'abolition des réglementations nationales sur le contrôle des changes, en application de la directive 88/361 du 24 juin 1988 sur la suppression des restrictions aux mouvements de capitaux, et de l'élimination progressive, dans presque tous les Etats membres des prélèvements fiscaux sur l'épargne des non résidents.

Ce projet prévoyait l'instauration d'une retenue à la source sur les intérêts de toute nature versés au profit des résidents des Etats membres de la Communauté dès lors que le débiteur était lui-même résident.

Il n'a pas eu de suite en raison des problèmes que posait son dispositif pour les euro-obligations.

Une proposition française en faveur d'un échange de renseignements s'est, pour sa part, heurtée à l'opposition du Luxembourg à la levée du secret bancaire.

En ce qui concerne les projets actuels, il faut en situer l'origine en avril 1996, lorsqu'une approche globale en matière de politique fiscale a été lancée lors de la réunion informelle du Conseil Ecofin de Vérone.

Cette approche reposait sur le constat selon lequel une action coordonnée était indispensable pour réduire les distorsions provoquées au sein du marché unique, pour prévenir des pertes de recettes fiscales substantielles et pour orienter les structures fiscales dans un sens plus favorable à l'emploi, notamment en inversant la tendance consistant à imposer davantage le travail que des bases plus mobiles.

Ces objectifs sont apparus concordants avec le Plan d'action en faveur du marché unique visant à supprimer les distorsions affectant le marché, à créer un système commun de TVA et à restructurer le cadre communautaire en matière de taxation des produits énergétiques.

Un groupe de haut niveau composé de représentants des ministres des finances et présidé par un représentant de la Commission européenne a été nommé pour suivre cette question.

Le groupe de haut niveau a tenu, de juin à octobre 1996, plusieurs réunions, et a contribué à la communication de la Commission en date du 22 octobre 1996 insistant sur la nécessité de charger un groupe permanent, le groupe de politique fiscale (GPF), de coordonner les politiques fiscales dans l'Union, et affirmant la nécessité de poursuivre la réflexion, notamment en ce qui concerne la concurrence fiscale dommageable. Cette approche a été approuvée par le Conseil européen de Dublin.

Les travaux du GPF ont été centrés sur la concurrence fiscale dommageable.

Sur cette base, la Commission, soucieuse de coopérer étroitement avec les différents Etats membres et « consciente de la nécessité d'éviter de donner l'impression de vouloir modifier la répartition des compétences » a proposé des mesures ayant un objectif relativement plus limité que ce que certains Etats auraient souhaité, reposant essentiellement sur l'adoption d'un code de conduite en matière de fiscalité des entreprises et une imposition minimum des revenus de l'épargne.

Ces orientations ont été retenues.

Le Conseil Ecofin du 1er décembre 1997 a ainsi demandé à la Commission de présenter une proposition de directive concernant l'imposition des revenus de l'épargne et a adopté une résolution relative au code conduite en matière de fiscalité des entreprises.

b) Le code de conduite en matière de fiscalité des entreprises

Le code de conduite a pour objectif la suppression, au sein de l'Union, des mesures de concurrence fiscales dommageable, destinées à attirer l'implantation des entreprises, en raison non pas d'un faible niveau de fiscalité reflétant un choix de politique générale, mais d'un avantage purement circonstanciel et ciblé.

La résolution relative au code de conduite, adoptée au Conseil Ecofin de décembre 1997, définit, d'une manière générale, les mesures potentiellement néfastes, à commencer par les mesures fiscales qui prévoient un niveau effectif d'imposition plus faible que ceux généralement appliqués dans l'Etat membre concerné, voire une imposition nulle.

La Commission a proposé une classification de ces régimes, regroupés sous cinq rubriques : les services intragroupes ; les services financiers et d'assurance et les compagnies off shore ; les autres régimes spécifiques à certains contribuables ; les mesures incitatives régionales; les autres activités.

On observera que ces travaux concernent l'essentiel des questions abordées par votre Rapporteur dans le cadre de ses observations précédentes sur les paradis fiscaux et les régimes fiscaux préférentiels.

Le code de conduite repose, pour l'instant, sur une opération de recensement des régimes fiscaux préférentiels entraînant des conséquences dommageables afin de déterminer les dispositifs à démanteler.

Un groupe « code de conduite » a été officiellement créé lors du Conseil Ecofin du 9 mars 1998 afin d'évaluer les mesures fiscales pouvant rentrer dans le champ d'application du code et de superviser la communication des informations relatives à ces mesures. Chaque Etat membre ainsi que la Commission, ont désigné un représentant de haut niveau et un suppléant.

Le président du groupe, Mme Dawn Primarolo, désignée parmi les représentants des Etats membres, exercera son mandat pendant une durée de deux ans à compter de la date de sa désignation.

Le groupe se réunit au moins deux fois par an à haut niveau pour faciliter l'orientation politique des travaux du groupe, un ou plusieurs sous-groupes pouvant être créés pour examiner des questions déterminées. Les travaux sont confidentiels.

Selon les informations communiquées à votre Rapporteur, quelque 240 mesures seraient actuellement en cours d'examen.

Lors du Conseil européen de Cologne, les 3 et 4 juin dernier, il a été pris acte du deuxième rapport intermédiaire du groupe « code de conduite ».

Il a également été demandé que les travaux soient menés à bonne fin de manière à respecter le principe selon lequel les mesures dommageables devront en principe être démantelées d'ici au 31 décembre 2002.

Le code de conduite a cependant déjà eu des effets positifs car, lors de son approbation, les Etats membres se sont engagés à :

- ne pas introduire de nouvelles mesures fiscales dommageables ;

- réexaminer leurs dispositions existantes et pratiques en vigueur et, au besoin, à les modifier, en vue d'éliminer, dans les meilleurs délais, toute mesure dommageable en tenant compte des discussions du Conseil qui suivront la procédure d'évaluation ;

- s'informer mutuellement des mesures fiscales pouvant entrer dans le champ d'application du code et à superviser la communication des informations relatives à ces mesures ;

- promouvoir l'adoption de principes visant à éliminer les mesures fiscales dommageables dans les pays tiers et dans les territoires auxquels ne s'applique pas le Traité. En particulier, les Etats membres qui ont des territoires dépendants ou associés ou qui ont des responsabilités particulières ou des prérogatives fiscales sur d'autres territoires s'engagent, dans le cadre de leurs dispositions constitutionnelles, à assurer l'application de ces principes dans ces territoires.

Il faut insister sur l'importance de la clause de statu quo.

En outre, il faut se féliciter de ce que la perspective est clairement tracée d'un démantèlement prochain, dans le cadre de l'Union européenne, des régimes fiscaux de concurrence déloyale.

Deux ans après sa mise en _uvre, le fonctionnement du code fera en outre l'objet d'un examen par le Conseil.

Il faut également rappeler que la résolution a retenu une approche globale, comportant une référence à l'engagement clair souscrit par la Commission en ce qui concerne les règles sur les aides d'Etat prévues par les articles 92 à 94 du traité CE : la Commission s'est en effet engagée à publier des lignes directrices sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat aux mesures touchant à la fiscalité des entreprises, ainsi qu'à appliquer plus rigoureusement ces règles en matière d'aides d'Etat moyennant la prise en compte des effets négatifs de ces aides qu'aura permis de révéler le processus de révision.

c) La proposition de directive du Conseil visant à garantir un minimum d'imposition effective des revenus de l'épargne sous forme d'intérêts à l'intérieur de la Communauté : une étape essentielle qui esquisse la perspective d'une éradication des paradis fiscaux dans l'Union européenne

La proposition de directive du Conseil visant à garantir un minimum d'imposition effective des revenus de l'épargne sous forme d'intérêts à l'intérieur de la Communauté (COM [98] 295 final, soumise au Parlement, en application de l'article 88-4 de la Constitution sous le n° E 1105), est une nouvelle réponse aux phénomènes de déplacement de capitaux au sein de l'Union européenne, à cause des différences de taxation des revenus de l'épargne et des conséquences du secret bancaire, qui ont conduit à une concurrence fiscale préjudiciable aux intérêts des Etats, dix ans après l'échec du projet de 1989, précédemment mentionné.

Ainsi que l'observe le Conseil des impôts dans le cadre de son dix-septième rapport, relatif à « la fiscalité des revenus de l'épargne », treize des quinze Etats membres de l'Union pratiquent une exonération totale ou élargie sur les intérêts versés à des non-résidents. Huit pays prévoient une exonération totale (Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Finlande, Luxembourg, Pays-Bas, Suède). Trois pays réservent plutôt ces exonérations aux revenus d'obligations (Belgique, France et Italie). Les cas de retenue à la source prévus par le droit interne sont supprimés par les conventions fiscales conclues par le Royaume-Uni et l'Irlande. Les deux exceptions sont la Grèce et le Portugal, dont les conventions réduisent son taux, mais ne suppriment pas la retenue.

Pour les dividendes, les taux de retenue varient de 12,5 à 30% Ils sont généralement plafonnés à 15 % par le jeu des conventions fiscales. La Grèce, l'Irlande et le Royaume-Uni prévoient une exonération totale.

S'agissant des mouvements de capitaux imputables à la fiscalité, on considère généralement que la forte augmentation du nombre des OPCVM luxembourgeois commercialisés en France depuis 1993 est un indicateur de transferts d'épargne.

La proposition de directive prévoit ainsi, pour mettre fin à cette situation, un minimum d'imposition des revenus de l'épargne transfrontalière, sur le montant des intérêts versés dans la Communauté en faveur des personnes physiques qui ont leur résidence fiscale dans un Etat membre différent de celui où ces intérêts sont versés. Chaque Etat membre devra opter, en application du principe dit de « coexistence » entre l'impôt et le secret bancaire, à savoir entre l'application d'une retenue à la source, à un taux d'au moins 20%, sur ces paiements d'intérêt, et la communication aux autres Etats membres d'informations sur le montant des intérêts versés aux personnes physiques résidant dans ces pays, étant précisé que la fourniture d'information sera automatique et ne pourra s'effectuer de manière restreinte ou sous condition.

L'objectif de la proposition de directive est ainsi un objectif fiscal.

Il s'agit de limiter le bénéfice d'une man_uvre de fraude fiscale fondée sur le placement de capitaux dans un autre Etat que celui où l'on est fiscalement domicilié afin de pouvoir omettre, sans risque de rappel ni sanction, de déclarer les revenus correspondants.

En effet, en cas d'option pour l'échange automatique de renseignements de la part de l'Etat où le contribuable personne physique a placé son épargne ou une partie de sa fortune, l'impôt sera acquitté dans le pays de résidence de ce dernier, sur la base des informations communiquées à l'administration fiscale compétente.

En cas d'option pour le prélèvement à la source, une imposition d'au moins 20% sera perçue, ce qui assure un minimum de taxation, même si l'épargnant ne déclare pas ce revenu à l'administration fiscale dont il relève.

Naturellement, le contribuable conservera la possibilité d'être imposé exclusivement dans son Etat de résidence sur les intérêts de son épargne placée dans un autre Etat membre ayant opté pour la retenue à la source. Il devra alors solliciter auprès de l'autorité fiscale de son Etat de résidence un certificat autorisant l'établissement payeur des intérêts à ne pas effectuer le prélèvement à la source. Afin d'éviter une double imposition, la retenue à la source sera prise en compte et le remboursement de la part de l'Etat payeur est prévu, lorsque le taux de la retenue sera supérieur au taux d'imposition effectif.

Les principaux responsables de la mise en _uvre de ce dispositif seront les agents payeurs d'intérêts, c'est à dire principalement les banques et les institutions financières.

- Quelques points sont encore en cours de discussion ou méritent d'être éclaircis.

En premier lieu, le niveau du taux de la retenue à la source est le point le plus délicat.

Le taux de 20% proposé par la Commission n'est pas encore définitif, le Conseil européen ne s'étant pas officiellement prononcé sur la question.

Pour un pays comme le nôtre, où le taux du prélèvement forfaitaire libératoire sur les intérêts perçus par les résidents est actuellement de 25%, compte tenu des prélèvements sociaux, ce taux de 20% peut sembler faible si l'on tient compte du fait que l'objectif est de supprimer tout intérêt fiscal à placer des capitaux dans un pays à secret bancaire strict.

Pour certains, il peut sembler élevé si l'on tient compte de ce que le taux du prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu pour les non-résidents est de 0% pour la majeure partie des titres (emprunts d'Etat émis après le 1er octobre 1984, obligations et titres participatifs émis après le 1er janvier 1987, bons du Trésor en compte courant, billets de trésorerie, certificats de dépôt et assimilés, et certains contrats ou bons de capitalisation d'une durée supérieure à six ans ou à huit ans) et de 15% pour d'autres (bons du Trésor sur formule et bons de caisse dont le bénéficiaire est connu, comptes bloqués d'associés, comptes courants, dépôts, cautionnement).

En définitive, le taux de 20% n'apparaît cependant ni très élevé ni conforme à la perspective du rééquilibrage de la fiscalité entre l'imposition des revenus du capital et celle des revenus, qui a été tracée lors de la réunion de Vérone, en 1996, ainsi que vient de le préciser votre Rapporteur.

Aussi, votre Rapporteur juge-t-il qu'un taux de 25% serait plus satisfaisant, dès lors que l'on tient compte du fait que le bas niveau des taux actuellement applicables pour les non-résidents est le résultat d'une concurrence fiscale que la proposition de directive se donne précisément pour objectif de combattre. Il s'associe ainsi à la position constante du Gouvernement français.

En deuxième lieu, d'éventuelles exceptions sont envisagées. Des exclusions sont demandées par le Royaume-Uni, pour les euro-obligations, c'est à dire les obligations libellées en devises émises dans un autre Etat que celui dont la monnaie est choisie, ainsi que par le Luxembourg, pour les fonds d'investissement placés dans cet Etat.

Le Royaume-Uni a obtenu, lors du Conseil européen de Cologne, les 3 et 4 juin dernier, de pourvoir présenter un mémorandum. Le fond du problème est le suivant. Les contrats d'euro-obligations garantissent aux porteurs que les paiements effectués par l'émetteur ou les gestionnaires sont libres de tout prélèvement fiscal et comprennent une clause dite de gross-up selon laquelle lorsqu'un impôt introduit postérieurement à l'émission d'un titre vient affecter son rendement, l'emprunteur peut soit compenser la perte correspondante, soit procéder à une annulation des titres par un remboursement anticipé, au pair, de la totalité de l'emprunt. La place de Londres souhaite ainsi éviter la perspective de remboursements massifs. En outre, des craintes sont avancées quant à un renchérissement des coûts et ainsi à une éventuelle délocalisation en dehors de Londres d'une partie du marché des euro-obligations. La création du marché des euro-obligations après la création de l'equalisation interest tax en 1963 aux Etats-Unis est avancée comme précédent. Celle des euro-marchés après l'institution d'une retenue à la source en Allemagne, aux Pays-Bas et en France l'est également.

Si le premier argument impose une certaine réflexion, compte tenu de la nécessité d'éviter des remboursements anticipés trop massifs pouvant perturber les marchés financiers, cette solution ne pouvant être que préférée par l'emprunteur dans le contexte actuel des taux d'intérêt faibles, le deuxième rend plus circonspect compte tenu du faible volume des euro-obligations détenues par des personnes physiques par rapport aux investisseurs institutionnels. Aussi, votre Rapporteur tient-il à insister sur son opposition à toute solution qui donnerait un avantage pérenne inéquitable à la place financière de Londres.

La spécificité des euro-obligations peut, dans une certaine mesure, être prise en considération, mais elle ne doit pas conduire à une exclusion, dès lors que la quasi-totalité des porteurs sont des personnes morales qui ne relèvent pas du champ d'application de la directive.

S'agissant des fonds luxembourgeois, un argument similaire permet d'écarter la demande du Grand-Duché.

En troisième lieu, la retenue à la source ne s'appliquant qu'aux résidents communautaires, il apparaît clairement que le contrôle de la qualité de non résident non communautaire doit fait l'objet de modalités strictes et harmonisées au niveau de l'Union, sauf à provoquer des comportements de fraude fiscale dans les pays où les règles seraient plus souples. Votre Rapporteur, estimant que tout système de déclaration sur l'honneur est insuffisant, étant donné les difficultés d'organisation d'un contrôle de ces déclarations, soutient ainsi la position du Gouvernement français en faveur de l'obligation de fournir un certificat attestant la domiciliation fiscale dans un Etat extérieur à l'Union.

- L'aspect le plus intéressant de la démarche concerne l'extension du dispositif aux Etats ou territoires voisins de l'Union européenne, mais ne faisant pas partie de son territoire, ainsi qu'à certains Etats tiers.

Il répond au souci, pragmatique, d'obtenir l'unanimité des Etats membres sur la proposition de directive, et de lever ainsi les objections du Luxembourg, en éliminant tout risque de délocalisation de l'épargne nouvellement taxée vers les paradis fiscaux extérieurs au territoire de l'Union, compte tenu de l'extrême mobilité de l'épargne.

Afin d'éviter la délocalisation de l'épargne vers les pays tiers, il est prévu d'engager des négociations avec les principaux partenaires commerciaux de l'Union de manière que les agents payeurs d'intérêts assurent l'application du principe de coexistence précédemment défini vis-à-vis des revenus de l'épargne payés à des résidents fiscaux des Etats membres.

S'agissant des territoires dépendant ou associés des Etats membres, la proposition prévoit des responsabilités particulières pour les Etats membres concernés, afin de promouvoir l'application de dispositions équivalentes à celles de la directive.

Il s'agit principalement des îles anglo-normandes (Jersey, Guernesey) et de l'île de Man, puisque l'on rappellera que Gibraltar est couvert par le traité instituant la Communauté européenne, ainsi que les pays et territoires auxquels s'applique la quatrième partie du traité relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer mentionnés dans le tableau ci-après. Ont été mentionnés en gras ceux qui constituent des paradis fiscaux notoires et ont été déjà cités comme tels par votre Rapporteur, sur le fondement d'appréciations convergentes portées par les rédacteurs de guides de paradis fiscaux :

Pays et territoires d'outre-mer auxquels s'appliquent
les dispositions de la quatrième partie du traité CE

Danemark :

- Groenland

France :

- Mayotte

- Nouvelle-Calédonie et dépendances,

- Polynésie française

- Terres australes et antarctiques françaises

- Wallis-et-Futuna

- Saint-Pierre-et-Miquelon

Pays-Bas :

- Aruba

- Anguilla

- Antilles néerlandaises :

(Bonaire, Curaçao, Saba, Saint-Eustache, Saint-Martin)

Royaume-Uni :

- îles Caïmans,

- îles Falkland,

- Géorgie du Sud et îles Sandwich du Sud,

- Montserrat,

- Pitcairn,

- Sainte-Hélène et ses dépendances,

- territoire de l'Antarctique britannique,

- territoires britanniques de l'océan indien,

- îles Turques et Caïques,

- îles Vierges britanniques,

- Bermudes.

En ce qui concerne les Etats extérieurs à l'Union, des « contacts exploratoires » ont été établis en vue de promouvoir l'extension en dehors de la Communauté des principes de la directive, avec la Suisse, le Liechtenstein, Monaco, Saint-Marin et la principauté d'Andorre. Ces contacts ont été estimés intéressants par le commissaire européen, M. Mario Monti, qui a jugé très ouverte l'attitude adoptée par ces Etats.

La Suisse a notamment confirmé son intérêt pour la mise en place d'une taxation effective des revenus de l'épargne et la lutte contre l'évasion fiscale.

Le souci d'une approche globale est cependant mis en avant par ces différents Etats, qui souhaitent une application de la directive dans les territoires associés et dépendants des Etats membres de l'Union européenne.

Les perspectives du démantèlement des paradis fiscaux en Europe, d'un point de vue fiscal, sont ainsi clairement esquissées.

La proposition de directive apparaît ainsi, notamment parce qu'elle est susceptible de marquer le début de l'éradication des paradis fiscaux dans l'Union européenne, assez satisfaisante et mérite d'être soutenue sans réserve.

A cet égard, le calendrier semble satisfaisant, puisque, après l'approbation de la proposition par le Parlement européen le 10 février 1999, moyennant dix amendements dont six concernent les considérants, et l'avis favorable du Comité économique et social le 24 février, le Conseil européen de décembre 1998 a recommandé de faire en sorte que l'obtention d'un accord entre les Etats membres intervienne avant le Conseil européen de décembre 1999.

La Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale a examiné la proposition de directive du Conseil, visant à garantir un minimum d'imposition effective des revenus de l'épargne sous forme d'intérêts à l'intérieur de la Communauté (COM [98] 295 final / n° E 1105), le 8 avril 1999, sur le rapport de M. Gérard Fuchs. La proposition de résolution de la Délégation est annexée au rapport d'information n° 1537 de M. Gérard Fuchs, intitulé : « Vers une fiscalité communautaire de l'épargne : la première pierre ». Cette proposition a été mise en distribution le 13 avril 1999 (n° 1538). La Délégation approuve ainsi le principe d'un minimum d'imposition effective des revenus de l'épargne versés sous forme d'intérêts à l'intérieur de la Communauté et demande des mesures semblables à celles évoquées par votre Rapporteur : la poursuite des négociations engagées avec les pays tiers, sous réserve que la progression de ces négociations ou la signature d'éventuels accords ne constitue pas un préalable à l'adoption ou à l'entrée en vigueur de la directive ; la nécessité pour les Etats membres ayant des territoires dépendants ou associés de prendre des mesures appropriées pour assurer que ces territoires appliqueront des mesures équivalentes à celles prévues par la directive ; un niveau de 25%, au lieu de 20%, pour le taux minimum de retenue à la source ; des mesures complémentaires pour assurer une véritable harmonisation de l'ensemble de la fiscalité de l'épargne entre les Etats membres.

- A moyen terme cependant, le démantèlement des paradis fiscaux en Europe devra reposer sur un dispositif plus strict que la directive. On observe en effet trois points de faiblesse qui font que le dispositif envisagé devra être revu et ne constitue qu'une étape, fût-elle importante.

D'une part, comme elle ne concerne que les personnes physiques, la proposition de directive risque d'avoir une efficacité réduite s'il s'avère que les règles relatives à la répression des abus de droit en matière fiscale ou relatives à l'escroquerie en matière fiscale, telle que celles en vigueur au Luxembourg notamment, ne permettent pas de sanctionner les montages fondés sur l'incorporation des titres dans une société de gestion de patrimoine.

D'autre part, elle ne concerne qu'une partie des produits d'épargne. Notamment, elle ne vise ni les revenus d'actions ni les revenus de l'assurance vie. La proposition de directive n'aborde pas non plus la question des plus-values.

Enfin, la mise en _uvre du principe de coexistence devrait se traduire par une option de la plupart des Etats en faveur du prélèvement à la source, tant pour des raisons budgétaires, car le prélèvement à la source assurera des rentrées fiscales à l'Etat où l'épargne est investie tandis que l'échange d'informations assurera des rentrées fiscales dans les Etats partenaires où résident les épargnants, que pour des raisons pratiques, dans la mesure où l'échange d'information sera lourd à gérer, pour tous les intervenants.

Ainsi que l'a remarqué dans le cadre de son rapport précité le rapporteur de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, M. Gérard Fuchs, ce constat conduit à poser le problème de la répartition des ressources provenant de la retenue à la source. Votre Rapporteur considère également que celles-ci devront faire l'objet d'une répartition au plan européen. En effet, une démarche de péréquation est d'autant plus légitime que l'épargne concernée, dont les revenus sont ainsi taxés, a été placée dans les pays en raison de l'attrait que représentaient des dispositifs caractéristiques des régimes de concurrence fiscale dommageable et de paradis fiscal.

Il va de soi que cette situation ne pourra se prolonger à terme, car elle risque de consolider l'idée que le secret bancaire est absolu dans certains Etats de l'Union ainsi que dans les Etats et territoires qui se seraient associés à la démarche.

Il apparaît en effet qu'une amélioration des possibilités d'échange d'informations entre les administrations fiscales devra être recherchée à moyen terme tant le secret bancaire est le pilier essentiel d'un véritable recel des capitaux qui sont frauduleusement soustraits à la connaissance de l'administration fiscale, non seulement pour que leurs revenus échappent à l'impôt mais également pour que le « principal » reste acquis en fraude par rapport à l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés ou les droits de mutation à titre gratuit.

On ne doit pas, en effet, considérer que ces capitaux, d'origine frauduleuse sur le plan fiscal, doivent bénéficier, en application du principe de coexistence entre le secret bancaire et l'impôt minimum, d'une immunité définitive du seul fait du paiement d'un impôt minimum sur les intérêts provenant leur fraction donnant lieu à la perception de revenus fixes sous forme d'intérêt.

Votre Rapporteur considère que la transparence totale doit être, à terme, l'objectif de toute démarche de coopération en Europe.

Cependant, dans un premier temps, l'objectif de la Commission européenne de faire adopter la directive avant la fin de l'année 1999 pour une entrée en vigueur avant la mise en _uvre complète de l'euro, au 1er janvier 2001, doit être respecté.

Les actions engagées au niveau de l'Union européenne doivent donc être menées à bien.

En outre, en complément de ces actions, conformément à la logique des principes qui les sous-tendent, votre Rapporteur considère que l'Union européenne ne devrait pas admettre, à l'avenir, l'adhésion de nouveaux Etats membres qui n'auraient pas préalablement démantelé les dispositions de leurs régimes fiscaux qui présenteraient un caractère dommageable, par exemple la République tchèque, avec le livret d'épargne anonyme précédemment mentionné.

2.- Les travaux de l'OCDE : une certaine similarité avec ceux de l'Union, mais un cadre plus large

L'OCDE offre le cadre le plus adapté pour les études et la coopération en matière fiscale entre les différents pays industrialisés, par l'intermédiaire de son comité des affaires fiscales.

On rappellera en effet que les modèles de conventions bilatérales établis par l'OCDE en matière fiscale servent de référence pour l'établissement des conventions bilatérales, même si les textes définitifs, après la négociation, peuvent s'écarter du modèle de base sur plusieurs points.

Les préoccupations de l'organisation en matière de concurrence fiscale dommageable sont un peu postérieures à celles de la Commission européenne. Néanmoins, elles sont maintenant assez anciennes, puisque c'est en mai 1996 que les ministres ont demandé à l'organisation de « mettre au point des mesures pour limiter les distorsions introduites par la compétition fiscale dommageable dans les décisions d'investissement et de financement et leurs conséquences pour la matière imposable au niveau national, et soumettre un rapport en 1998. »

Ce rapport a été approuvé par le Conseil de l'OCDE le 9 avril 1998. Il a été soumis aux ministres lors de leur réunion des 27 et 28 avril 1998.

On observera que deux Etats membres de l'OCDE, la Suisse et le Luxembourg, ont déclaré ne pas être liés par le rapport et ses recommandations. Ces deux Etats ont avancé, entre autres, le problème de la confidentialité de certaines informations, le Luxembourg mentionnant même explicitement le secret bancaire.

a) Les recommandations issues du rapport sur la concurrence fiscale dommageable

Le rapport sur la concurrence fiscale dommageable a proposé plusieurs recommandations destinées à permettre aux Etats de réagir contre les pratiques en cause.

Ces recommandations concernent trois niveaux : le niveau national ou unilatéral ; le niveau conventionnel, bilatéral ou multilatéral ; le niveau international.

En ce qui concerne la législation interne, les recommandations visent à instituer :

- l'imposition dans le pays de résidence du contribuable ou de l'entreprise des revenus ou des bénéfices provenant des sociétés étrangères qu'ils contrôlent (notion de société étrangère contrôlée) ;

- l'imposition dans le pays de résidence des revenus acquis dans le cadre des fonds communs de placement étrangers, sans seuil de participation ;

- la suppression du bénéfice du régime de la participation-exemption et des autres régimes d'exemption des revenus étrangers pour les résultats des entreprises ne correspondant pas à de véritables activités commerciales (revenus passifs) ;

- la création d'obligations spéciales de communication d'informations pour le contrôle des opérations internationales et le partage de ces informations dans le cadre des procédures d'échange de renseignements, en liaison avec les autres pays concernés ;

- la publicité des conditions d'octroi, de refus ou de révocation des décisions administratives anticipées (du type des « rulings ») relatives à la situation d'un contribuable, ou prises dans la perspective d'une transaction ;

- l'application des principes définis par le rapport de l'OCDE sur les prix de transfert ;

- l'examen des législations, règles et pratiques bancaires relatives à l'accès aux renseignements bancaires, dans la perspective de lever les obstacles relatifs à l'accès à ces informations par l'administration fiscale.

En ce qui concerne les conventions fiscales, le rapport a recommandé :

- un usage plus intensif et plus efficace des procédures d'échange de renseignements, avec la mise en _uvre de programmes visant à augmenter l'échange de renseignements pertinents relatifs aux transactions dans les paradis fiscaux et les régimes fiscaux préférentiels constituant une concurrence fiscale dommageable ;

- la limitation du droit aux avantages prévus par les conventions pour les entités et les revenus bénéficiant de mesures constituant des pratiques fiscales dommageables, et la clarification en ce sens du modèle de convention fiscale établi par l'Organisation ;

- la clarification du statut des règles et des doctrines anti-abus dans les conventions fiscales, afin qu'il soit bien clair que ces règles et doctrines sont compatibles avec ces conventions, et la modification en ce sens du modèle de convention fiscale établie par l'Organisation ;

- l'établissement d'une liste de dispositions utilisées par les pays pour exclure des avantages résultant des conventions fiscales certaines entités ou certains types de revenus et susceptibles d'être examinées dans le cadre des travaux du Forum sur les pratiques fiscales dommageables;

- un examen des conventions fiscales conclues avec les paradis fiscaux et la dénonciation de ces conventions, sauf si celles-ci contiennent des clauses de protection permettant qu'elles ne soient pas utilisées à l'encontre d'un autre pays ;

- des programmes coordonnés de mise en _uvre des dispositions fiscales, avec notamment des vérifications simultanées, des dispositifs particuliers d'échange de renseignements ou des activités communes de formation, pour les contribuables bénéficiant de mesures constituant une concurrence fiscale dommageable ;

- le renforcement de l'assistance en matière de recouvrement des créances fiscales.

S'agissant, enfin, d'intensifier la coopération internationale face à la concurrence fiscale dommageable, le rapport recommande :

- l'adoption de principes directeurs et la création d'un Forum sur les pratiques fiscales dommageables, pour la mise en _uvre de ces principes directeurs et des recommandations qui viennent d'être évoqués ;

- l'établissement d'une liste des paradis fiscaux ;

- l'institution, pour les pays ayant des liens particuliers d'ordre politique ou économique, notamment, avec les paradis fiscaux, d'une vigilance de manière que ces liens ne contribuent pas à une concurrence fiscale dommageable ;

- la promotion, par le Forum de gestion stratégique du comité des affaires fiscales, d'un ensemble de principes destinés à guider l'administration fiscale dans l'application de ce rapport.

b) Le traitement des régimes fiscaux préférentiels dommageables par les pays membres

En vue d'intensifier la coopération internationale face à la concurrence fiscale dommageable, le Conseil de l'OCDE a donc recommandé la création d'un Forum sur les pratiques fiscales dommageables, destiné à veiller à la mise en _uvre des quinze principes directeurs définis pour le traitement des régimes fiscaux préférentiels dommageables dans les pays membres, ainsi que des recommandations contenues dans le rapport précédemment évoqué.

Le Forum a ainsi été créé en 1998 et a pour objet de procéder à l'évaluation permanente des régimes en vigueur ou envisagés dans les pays membres de l'Organisation, ainsi que d'analyser l'efficacité des contre-mesures, y compris de mesures non fiscales et de proposer les moyens d'en analyser l'efficacité.

Les principes directeurs retenus ont été les suivants :

- s'abstenir d'adopter de nouvelles mesures ou d'étendre le champ d'application des mesures existantes ou de les renforcer ;

- réexaminer les mesures existantes en vue de détecter celles qui constituent des pratiques dommageables, et porter ces mesures à la connaissance du Forum, de manière à établir une liste dans un délai de deux ans à compter de la date d'approbation des principes directeurs par le Conseil de l'OCDE, soit avant le 9 avril 2000 ;

- éliminer, dans un délai de cinq ans, les caractéristiques dommageables de ces régimes fiscaux préférentiels, soit avant avril 2003, et en tout état de cause avant le 31 décembre 2005 pour les contribuables bénéficiant encore de ces régimes au 31 décembre 2000 ; la liste sera ainsi réexaminée pour en retirer les dispositifs ayant cessé de constituer des régimes fiscaux préférentiels dommageables ;

- la possibilité, pour tout Etat membre de l'organisation, de consulter le Forum sur une mesure nationale ou étrangère susceptible de constituer un régime de concurrence fiscale dommageable, le Forum ayant compétence pour émettre un avis non contraignant ;

- la coordination, dans le cadre du Forum, des réponses aux pratiques fiscales dommageables adoptées par d'autres pays, sous forme de mesures nationales ou de conventions fiscales ;

- le recours au Forum pour encourager les pays non-membres intéressés à s'associer à ces principes directeurs.

Un travail de recensement est actuellement en cours. Il devrait aboutir avant le 9 avril 2000, dans le respect du calendrier qui vient d'être évoqué par votre Rapporteur.

Deux démarches sont effectuées en parallèle.

D'une part, chaque Etat doit procéder à l'évaluation (à l'auto-évaluation) de ses propres dispositifs susceptibles de constituer des régimes de concurrence fiscale dommageable, en vue de la réunion du Forum qui aura lieu à la fin du mois de septembre 1999.

D'autre part, le rapport d'ensemble sur les dispositifs constituant des régimes fiscaux de concurrence dommageables sera établi pour avril 2000. Plusieurs groupes de travail thématiques ont été crées dans cette perspective. Le rapport recensera et présentera les mesures contestables, mais ne devrait stigmatiser aucun Etat ou aucun territoire en particulier.

c) L'établissement d'une liste des paradis fiscaux

Le Forum a également reçu pour mandat, dans le cadre de la recommandation n° 16, d'établir une liste des paradis fiscaux, en examinant l'état de la législation applicable dans les différents domaines caractéristiques des paradis fiscaux.

Chacune des quarante sept juridictions, Etats ou des territoires, susceptibles de constituer un paradis fiscal fait ainsi actuellement l'objet d'une étude.

Sur le plan pratique, ce travail d'étude est en cours de réalisation dans le cadre des quatre groupes d'études constitués pour traiter chacun une partie de ces quarante-sept juridictions. La France assure la présidence de l'un des groupes. Des questionnaires sont envoyés sur certains points factuels aux juridictions examinées.

Sur la base de ces études, il sera établi une liste des paradis fiscaux. La date avancée est celle d'avril 2000.

Il convient de soutenir cette démarche d'incitation sanction, même si elle peut paraître un peu floue dans ses conséquences finales, compte tenu de l'absence de précision sur l'utilisation qui sera faite de cette liste. On peut seulement observer que plusieurs pays ont fait _uvre de précédent en la matière en asseyant certaines de leurs dispositions dites anti-abus sur l'établissement d'une liste officielle des paradis fiscaux.

La procédure engagée par l'OCDE, tant au niveau national qu'au niveau multilatéral, a, en effet, une vertu pédagogique indéniable.

Lors de ses déplacements dans certains Etats communément considérés comme des paradis fiscaux et qui d'ailleurs se revendiquent comme tels, jugeant seulement que l'adjectif « harmful » (dommageable) est impropre, il a été possible à votre Rapporteur d'apprécier la crainte de certains Etats ou territoires de figurer sur une liste des paradis fiscaux perçue comme une liste noire, dont l'effet positif pour lutter contre la concurrence fiscale dommageable n'est donc pas contestable.

Il est donc important de souligner, afin de ne pas rigidifier inutilement les relations avec ces juridictions, le fait que la recommandation n° 19 a suggéré au Forum d'engager un dialogue avec les pays non-membres en passant, le cas échéant, par les enceintes offertes par d'autres organisations fiscales internationales, dans le but de promouvoir les autres recommandations nécessaires à la lutte contre la concurrence fiscale dommageable.

3.- L'action du Royaume-Uni et de la Couronne britannique

Un grand nombre de paradis fiscaux sont des territoires non indépendants, disposant d'une autonomie plus ou moins large dans le cadre des institutions très spécifiques du Royaume-Uni et de la Couronne britannique.

Un certain nombre d'initiatives de moralisation, répondant à la montée de la pression internationale, ont été prises par les autorités britanniques.

La plus ancienne concerne la fermeture de l'essentiel des banques de l'île de Montserrat, qui étaient des name plate banks, c'est à dire des banques sans contenu réel, au début de la décennie.

Il a été également décidé de confier, il y a quatre ans, à un grand cabinet d'audit financier la mission d'examiner les services financiers off shore dans les territoires dépendants. Les résultats ont été repris dans le cadre du rapport dit Gallagher proposant différentes réformes dans les principaux territoires concernés. Des pressions ont été effectuées sur plusieurs territoires des Caraïbes pour qu'ils procèdent à la régularisation de leur secteur financier.

S'agissant des îles européennes, le rapport récent sur les règles applicables en matière financière et fiscale dans les dépendances de la Couronne, établi par M. Andrew Edwards, procède à un examen des dispositions applicables dans les îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey ainsi que dans l'île de Man. Ce rapport met en évidence les procédures de traitement des opérations suspectes et examine les possibilités d'évolution s'agissant de l'accès à l'information et de l'engagement de poursuites en matière de délinquance et de criminalité financières.

Les recommandations du rapport établi par M. Andrew Edwards

sur les dépendances de la Couronne

(Ile de Man, Jersey et Guernesey)

Le rapport ne présente pas de recommandation forte, mais procède à un certain nombre de constats.

On doit néanmoins observer qu'il suggère plusieurs réformes à opérer dans plusieurs domaines. On peut ainsi relever :

Règles applicables en matière financière

- la création d'un pouvoir de poursuite de la part des autorités chargées du contrôle du secteur financier, à Jersey et Guernesey, comme cela existe déjà à l'île de Man, ainsi que des pouvoirs de dénonciation (name and shame) et d'amende à l'égard des titulaires d'autorisation qui ne se conforment pas à leurs obligations et de ceux qui opèrent sans licence ;

- l'abandon par l'île de Man du principe de l'autorisation préalable du Chief minister pour les opérations de coopération avec les autorités étrangères de contrôle et de régulation en matière financière ;

- l'assouplissement des sanctions en cas de non-respect des règles de confidentialité ; il ne s'agirait plus d'une criminal offence (infraction pénale grave), mais d'un defence of due diligence (défaut de diligence), comme au Royaume-Uni ;

Droit des sociétés 

- la suppression de l'absence d'obligation de produire des comptes annuels pour les sociétés de personnes à responsabilité limitée (Limited liabilities partnerships), dans les trois îles ;

- la suppression de l'absence de mise en _uvre de l'obligation de produire des comptes annuels, à l'île de Man ;

- l'enregistrement des sociétés opérant sur place, mais créées ailleurs, et la communication des noms des propriétaires ou bénéficiaires réels, comme c'est le cas pour les sociétés créées localement ;

- la suppression des actions au porteur, actuellement autorisées à Man et à Jersey, mais non à Guernesey ;

- la création à Man et à Guernesey d'un nouvel organisme public chargé des questions prudentielles ;

- l'institution d'une fonction et d'une responsabilité individuelle de dirigeant, qui ne pourrait être exercée par un avocat, la création d'un code de conduite pour les dirigeants de sociétés, le renforcement des obligations des personnes dirigeant des sociétés et la possibilité pour les autorités de les interdire d'activité en cas de défaillance financière ; ces dispositions seraient étendues aux succursales des sociétés crées à l'étranger ;

- l'adoption d'une législation évitant les dirigeants prête-nom (nominee), à la suite d'un accord des autorités de Guernesey, d'Aurigny et de Sercq (cette dernière île est connue en raison de l'un de ses habitants qui dirige plus de mille sociétés) ;

Trusts et gestionnaires de trusts (trustees)

- le renforcement des obligations des gestionnaires, pour éviter les cas d'irresponsabilité et de défaillance ;

- l'extension des dispositions législatives de contrôle du secteur financier aux activités de gestion de trusts, ainsi que la création d'une autorisation (license) pour l'exercice de ces activités ;

Lutte contre la criminalité financière et le banchiment d'argent

Après avoir constaté la mise en place de dispositifs de lutte contre le blanchiment similaires à ceux du Royaume-Uni, le rapport recommande :

- la suppression, à Jersey, de la disposition selon laquelle la coopération internationale en matière pénale n'est octroyée que pour les infractions passibles d'une peine maximale d'au moins un an de prison ;

- la suppression de la disposition assurant une coopération pénale pour les seuls cas dont le préjudice est supérieur à 2 millions de livres sterling, et une entraide facultative pour les cas de moindre importance, à Jersey également ;

- l'amélioration des procédures d'entraide juridictionnelle en matière pénale, suggérée sur plusieurs points de procédure (notamment la question de l'avis préalable de l'Attorney General à Jersey avant la divulgation par la police d'une déclaration de soupçon à une autorité étrangère, l'adoption d'une loi unique sur la coopération pénale, de manière à unifier des dispositions éparses, le renforcement de l'efficacité de l'échange d'information en matière fiscale prévu dans le cadre des conventions conclues avec le Royaume-Uni).

En conclusion, le rapport juge prioritaire :

- pour Jersey, l'amélioration de la coopération internationale pénale pour combattre toutes les infractions, y compris la fraude fiscale portant sur des montants de moindre importance que les 2 millions de livres précédemment évoqués ;

- pour Guernesey, la résolution du problème des prête-noms pour la direction des sociétés, l'enregistrement des sociétés opérant à partir de l'île, mais qui n'y sont pas créées, la modernisation de la législation sur l'insolvabilité et le développement de règles et dispositifs de sécurité financière et de contrôle ;

- pour l'île de Man, le renforcement de la régulation des activités de gestion des trusts et du vaste secteur des sociétés.

C.- LA COMPLÉMENTARITÉ DES APPROCHES PÉNALE ET FISCALE DANS LE DOMAINE DE LA LUTTE CONTRE LES PARADIS FISCAUX ET LA GRANDE CRIMINALITÉ INTERNATIONALE

Face au foisonnement des initiatives multiples ayant trait à la lutte contre les paradis fiscaux, il n'est guère facile de se faire une opinion, même si l'on dispose des éléments d'information et de réflexion permettant d'apprécier à sa juste mesure la portée de chaque initiative.

Faut-il privilégier la défense de la stabilité financière au plan international ? Faut-il au contraire privilégier la coopération internationale en matière pénale et la lutte contre le blanchiment ? Faut-il enfin défendre la levée du secret bancaire et de la confidentialité prévue par les règles du droit des sociétés et du droit des trusts au profit des administrations fiscales ?

Du point de vue de votre Rapporteur, il ne saurait être envisageable de hiérarchiser ces différentes questions, tant les approches sont complémentaires. L'objectif est, en effet, d'éviter que l'on ne puisse faire des transactions ou des montages juridiques désordonnés (« n'importe quoi, n'importe comment et avec n'importe qui ») dans des Etats ou dans des territoires qui ont la prétention d'avoir des relations économiques et financières importantes avec le reste du monde. Il convient donc d'insister sur la nécessité d'un règlement global.

Cependant, des nombreux entretiens qu'a eus votre Rapporteur, notamment aux Bahamas et à Panama, mais aussi à Luxembourg, il ressort que les questions prudentielle et pénale sont plus aisées à résoudre que la question fiscale, qui, en partie en raison d'une vieille tolérance vis-à-vis de l'escroquerie à l'égard du « pouvoir », risque de souffrir d'un contexte moins propice à son règlement.

Aussi, et pas seulement parce que l'objet du rapport d'information qui lui a été confié est la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, votre Rapporteur tient-il à rappeler la nécessaire complémentarité des actions de coopération en matière de lutte contre le blanchiment et des actions à caractère administratif entreprises en matière fiscale.

L'efficacité des premières dépend en définitive des secondes.

En outre, on constate que la grande criminalité financière perdure, même dans les Etats qui ont mis en _uvre des règles strictes de lutte contre le blanchiment, et ce près d'une décennie après cette mise en _uvre.

1.- Le caractère nécessairement insuffisant des dispositifs de prévention et de répression du blanchiment de capitaux

Si l'on raisonne d'un point de vue global, on est conduit à constater que les mesures destinées à prévenir et à réprimer le blanchiment des capitaux sont d'une efficacité nécessairement limitée, et ne permettent d'éradiquer ni la grande criminalité internationale, ni la grande fraude fiscale.

Depuis plusieurs années, en effet, de nombreux pays ont mis en place une législation destinée à prévenir et à réprimer le blanchiment d'argent, mais ces phénomènes existent toujours.

Même un pays comme la France, qui dispose d'un dispositif assez complet organisé autour de la cellule Tracfin et ayant fait par deux fois l'objet d'une évaluation internationale très favorable, est perméable à la pénétration de certains capitaux d'origine manifestement douteuse qui investissent plus particulièrement le Sud-Est et la région parisienne. Le secteur immobilier de la Côte d'Azur serait le plus touché.

Des secteurs comme celui des bureaux de change manuel sont également soupçonnés de servir de base à des pratiques de blanchiment, de même que le secteur des jeux, avec notamment les casinos et les courses, même si, ainsi que cela a été précisé à votre Rapporteur, la vigilance des services spécialisés du ministère de l'intérieur est forte et si les procédures sont, dans les casinos, particulièrement strictes.

Des investissements importants dans les domaines de l'immobilier, des équipements touristiques, voire de l'industrie, semblent également faire l'objet de pratiques de blanchiment importantes.

Un grand nombre d'interlocuteurs de votre Rapporteur a ainsi insisté sur la percée durant la dernière décennie, alors que le dispositif Tracfin était déjà opérationnel depuis 1990 de même que les structures spécialisées du ministère de l'intérieur et du ministère de la justice, de la mafia russe, et plus généralement de la grande criminalité organisée venant des anciens pays socialistes d'Europe centrale et orientale et de l'ensemble des composantes de l'ex-Union soviétique. La présence active, et non seulement passive dans le cadre de résidences « secondaires », des mafias italiennes ou des organisations voisines a également été plusieurs fois mentionnée.

Ce constat purement factuel ne met pas en cause la qualité internationalement reconnue de la cellule Tracfin et de ses personnels. Il montre uniquement la difficulté de la tâche à accomplir.

L'origine des faiblesses des différents dispositifs anti-blanchiment tient à la fois à des éléments purement juridiques et à des aspects pratiques.

L'efficacité d'une législation relative à la lutte contre le blanchiment repose sur cinq conditions exigeantes, rarement réunies : une législation complète ; une bonne collaboration des professions concernées ; une évaluation régulière ; la capacité d'avoir une approche financière globale du mouvement des capitaux concernés ; des moyens administratifs adéquats. 

a) Les problèmes juridiques

S'agissant des aspects juridiques, il faut souligner que l'efficacité d'un dispositif relatif à la lutte contre le blanchiment repose sur deux éléments : une législation complète et la capacité d'avoir une approche financière globale du circuit des capitaux concernés.

· L'étendue de la législation est souvent insuffisante

Comme le montre l'exemple de la France, une législation anti-blanchiment n'est complète que si elle couvre l'ensemble des infractions financières relatives à la grande criminalité et l'ensemble des secteurs économiques susceptibles de permettre aisément le blanchiment à des capitaux importants. L'article 324-1 du code pénal définit le blanchiment comme « le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect, ainsi que le fait d'apporter son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct d'un crime ou d'un délit ».

Or, ces deux conditions ne sont pas réalisées dans de nombreux pays.

S'agissant des infractions couvertes, certaines législations sont restées au premier stade de la conception de la lutte contre le blanchiment de capitaux, et n'incriminent ainsi que le seul blanchiment de l'argent provenant d'une infraction à la législation sur les stupéfiants.

D'autres législations, moins étroites, suivent les recommandations du Groupe d'action financière internationale (GAFI), créé en 1989 à l'initiative des pays industrialisés, et concernent un ensemble d'infractions plus vaste.

Néanmoins, les pays qui, comme le nôtre, incluent la fraude fiscale dans les infractions sont rares. La tendance est même à l'exclusion.

Il est très significatif de noter que les pays habituellement considérés comme des paradis fiscaux excluent la fraude fiscale de la législation anti-blanchiment. Votre Rapporteur a pu noter qu'il en est ainsi, en particulier dans certains de ces pays ou territoires : Andorre ; les Bahamas ; les îles Caïmans, les îles Cook ; Chypre ; Gibraltar, etc.

Or, ainsi que le note, en page 57, le rapport précité établi dans le cadre des travaux de l'Office des Nations Unies pour le contrôle des drogues et l'évaluation du crime, « il n'est peut être pas essentiel que la fraude fiscale soit une infraction principale dans une inculpation de blanchiment d'argent : les Etats-Unis, par exemple, s'en passent. Mais si l'on autorise les institutions financières à ne pas communiquer d'informations sur des comportements suspects au motif qu'elles estiment, ou déclarent estimer, que les fonds sont « uniquement » de l'argent non déclaré au fisc, on leur donne la possibilité, ainsi qu'à leurs clients de rationaliser leur comportement, à savoir faire des affaires comme elles l'entendent et déclarer ultérieurement à un tribunal ou à des services de réglementation qu'elles ne pensaient pas que les fonds étaient des produits de la criminalité, mais uniquement des produits d'une évasion fiscale, échappant ainsi à une condamnation et/ou à une mesure réglementaire sévère. »

Votre Rapporteur souscrit totalement à cette opinion.

Un autre problème est celui du seuil de déclaration des transactions suspectes. Ce seuil est en général situé autour de 10.000 dollars, à l'image de l'état du droit aux Etats-Unis. Il est parfois plus élevé. On doit se poser la question de la pertinence de son niveau dans les Etats où il dépasse notablement les 100.000 francs. Selon une publication du GAFI, en 1996, il était de 1,6 million de francs au Japon et de 300.000 francs en Turquie. A ce stade, la technique du dépôt fractionné est grandement facilitée.

· Des législations qui couvrent essentiellement le seul secteur bancaire et financier

En ce qui concerne les secteurs économiques, une réflexion similaire peut être faite.

Une législation n'est en effet efficace que si elle couvre l'ensemble des secteurs susceptibles de faire l'objet de procédures de blanchiment et si elle couvre l'ensemble des acteurs de ces secteurs.

Or, on constate que les législations en vigueur concernent, en général, le seul secteur bancaire et financier stricto sensu, ainsi que le secteur des assurances, mais ne couvrent pas le secteur immobilier, où les possibilités de blanchiment sont très nombreuses, ne serait-ce que grâce aux opportunités de faire apparaître des plus-values importantes et totalement fictives.

Il est vrai que ces législations ne font que se conformer aux recommandations du GAFI, qui ne vise que les opérateurs de la finance au sens large, de l'assurance et de l'assurance-vie.

Une telle faiblesse a été ressentie par votre Rapporteur lors de ses déplacements à l'étranger, notamment aux Bahamas et à Panama.

D'après l'expérience d'autres juridictions, on ne peut pas ne pas être inquiet dès lors que l'immobilier flambe dans des Etats où la pression foncière est objectivement faible et où les immeubles correspondants restent vides.

S'agissant de la manière dont la couverture du secteur financier est assurée, il conviendrait également de s'assurer que l'ensemble des opérateurs concernés, notamment celui des changeurs manuels, est bien couvert.

· La nécessité d'avoir une vision globale des mouvements de capitaux n'est pas toujours bien appréhendée par la législation contre le blanchiment

Fondamentalement, même si certaines infractions peuvent être détectées et transmises pour instruction à l'administration, puis faire l'objet d'une dénonciation à l'autorité judiciaire (le parquet, en France), les procédures de lutte contre le blanchiment sont mises en place grâce à la coopération des personnes exerçant les professions concernées par le champ du dispositif.

Cette coopération repose essentiellement sur une obligation de vigilance, la vérification de l'identification du client, l'enregistrement interne des opérations correspondantes et la conservation des documents afférents, la détection des transactions suspectes et leur communication aux services spécialisés dans le cadre de la déclaration de soupçon.

On sent bien que, pour être efficace, la procédure exige du déclarant qu'il dispose d'une information qu'il n'obtiendra pas nécessairement, sur le circuit des capitaux, puisqu'il n'a, la plupart du temps, aucune idée du circuit des capitaux avant la transaction dont il a connaissance.

Ainsi, si une transaction portant sur une somme de cinquante millions de francs venant directement de Russie sera suspecte, tel ne sera plus le cas si elle vient d'Allemagne où pourtant le secret bancaire est fort.

De même, il semble inenvisageable de déclarer l'ensemble des transactions affectant les paradis fiscaux proches, tels que la Suisse ou le Luxembourg, dont la proximité géographique et les liens économiques avec notre pays font que nombre de transactions ne sauraient être suspectées.

Certes la déclaration de soupçon peut intervenir a posteriori, et un retard de déclaration n'est pas nécessairement préjudiciable, mais on conviendra que l'impossibilité, pour un professionnel, de disposer de suffisamment d'informations pour appréhender une transaction réduit l'efficacité des dispositifs anti-blanchiment.

b) Les problèmes pratiques

Sans vouloir sortir du cadre de sa mission, centrée sur la question fiscale, votre Rapporteur voudrait souligner certains aspects qui montrent que l'on ne peut pas, en pratique, compter sur les seules législations anti-blanchiment pour appréhender l'ensemble des flux financiers issus de la grande criminalité financière ou de la fraude fiscale.

D'une part, il faut noter que les dispositifs anti-blanchiment reposent sur la sincérité de la collaboration des personnes exerçant les professions concernées par l'obligation de procéder à une déclaration de soupçon. On mesure combien ce fondement est fragile.

A l'issue de ses déplacements à l'étranger, votre Rapporteur a pu noter que cette collaboration était inégale selon les pays ou les secteurs. Deux stratégies sont particulièrement révélatrices : celle consistant à faire très peu de déclarations ; celle reposant sur un grand nombre de déclarations, dont certaines peu significatives, ce qui encombre le service compétent pour instruire ces déclarations.

Votre Rapporteur a pu constater, sans qu'il ne puisse cependant nommer les pays concernés, que certains milieux financiers étaient soupçonnés de mettre en _uvre ces stratégies.

Tel n'est naturellement pas le cas de la France où le nombre des déclarations de soupçon reçues par Tracfin est passé de 648 en 1993 à 1.244 en 1998. On pourrait, en revanche, se poser des questions sur la fiabilité des déclarations de soupçon si leur nombre atteignait plusieurs centaines, voire plusieurs milliers, par mois.

D'autre part, le rapport précité de l'Office des Nations Unies pour le contrôle des drogues et l'évaluation du crime a pointé plusieurs éléments que votre Rapporteur se contentera de reprendre.

D'une part, en page 13, les auteurs du rapport jugent qu'en « remplacement de la méthode ancienne , qui voulait que le blanchiment d'argent soit assuré de manière occasionnelle par une institution ayant des liens directs avec un ou plusieurs criminels ou groupes criminels, est apparu ce qui est en fait un système financier mondial intégré et clandestin qui entretient avec les criminels faisant appel à ses services des relations strictement assimilables aux transactions réalisées dans les conditions normales du commerce. Comme l'indiquent des preuves tirées de cas concrets, les blanchisseurs sont maintenant, le plus souvent, des entrepreneurs indépendants aussi à l'aise dans la gestion de l'argent de la drogue que dans le blanchiment de fonds reçus en paiement d'une livraison d'armes effectuées en violation d'un embargo, et aussi habiles à faciliter les délits d'initiés qu'à faire circuler les commissions occultes des entreprises. »

D'autre part, le rapport rappelle que la progression des paiements électroniques a fait que le volume des transactions est très important et ne peut être contrôlé. Ce volume provient essentiellement du fait que les marchés procèdent à une perpétuelle réallocation des ressources. Il s'agit essentiellement des transferts opérés par la Société mondiale des télécommunications financières Interbank (SWIFT), la Federal Reserve (Fedwire) et le Clearing House Interbank Payments System (CHIPS).

Selon un rapport de l'United States Office of Technology Assesment, on peut estimer qu'entre un demi-millième et un millième des 700.000 transferts quotidiens, soit entre 350 et 700 transferts, concernent environ 300 millions de dollars de fonds blanchis, sur une masse de 2.000 milliards de dollars transférés un jour normal

Par ailleurs, le développement des bourses et le rapprochement de métiers autrefois spécialisés facilite aussi le blanchiment en rendant les volumes traités plus importants et en réduisant la connaissance précise de la matière financière par les acteurs.

L'ouvrage précité de M. Jean de Maillard, intitulé « Un monde sans loi », rappelle comment un certain nombre de procédures de blanchiment reposent sur l'apparition de plus-values dans le pays de transfert des capitaux et, le cas échéant, de moins values dans celui de l'origine des capitaux.

Certaines de ses opérations peuvent être détectables si elles portent sur des produits simples, et si, comme le commande la sécurité, elles interviennent dans le cadre de transactions de gré à gré ou sur les marchés dits gris, où la « contrepartie », c'est à dire l'origine de l'opération inverse, peut être connue.

Dès lors qu'elles portent sur des produits complexes, des produits dérivés comme l'imagination des grands opérateurs sur les marchés financiers en a créé des dizaines ces dernières années, et que le mode de calcul du prix normal de la transaction est très difficile à établir ou peut être appréhendé de plusieurs manières, le contrôle au sein même de grandes institutions financières s'avère des plus délicats.

La réduction du nombre de formalités et de contrôles dans le cadre de la déréglementation constitue également un facteur à prendre en compte.

Une personne autrefois impliquée dans ces procédures, dont le texte d'une intervention est repris dans le rapport précité, M. Kenneth Rijock, ancien conseiller juridique à Miami, condamné pour blanchiment d'argent, a mis en évidence certains aspects très pratiques à ne pas négliger, s'agissant des banques de certains Etats des Caraïbes : « Il n'est jamais question de s'assurer de l'identité des déposants » et « L'absence de demandes d'informations judiciaires ou diplomatiques provenant des Etats-Unis, les banques off shore qui attirent les trafiquants étant en général la propriété d'entrepreneurs locaux dotés de solides relations politiques ».

Enfin, plusieurs autres difficultés sont identifiées dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d'argent, dans le cadre du rapport précité établi à l'occasion des travaux de l'Office des Nations-Unies pour le contrôle des drogues et l'évaluation du crime (p. 14) :

- la nécessité, « pour s'attaquer au blanchiment, de viser, non pas une institution donnée, mais plutôt des ensembles bien établis de pratiques bancaires et financières qui ont déjà une longue histoire et qui sont protégés par de puissants groupes d'intérêt. Il pourrait être nécessaire de prendre des mesures que certains pays et territoires ne manqueraient pas d'interpréter comme des menaces directes à leur souveraineté même. » ;

- l'enchevêtrement des aspects licites et illicites de l'activité économique ;

- l'accroissement du secteur des activités de services aux ménages, lieu d'exercice préférentiel d'un blanchiment de proximité ;

- le détournement des procédures de chèques et de cartes de crédit, encaissés directement par l'entreprise de blanchiment ;

- la dollarisation des marchés parallèles, qui accroît la demande en coupures de dollars ;

- la déréglementation généralisée des marchés de capitaux ;

- la coïncidence des grandes institutions financières et bancaires, d'une part, et de la grande criminalité, d'autre part, pour les opérations off shore.

Pour conclure sur ce point, votre Rapporteur rappellera que l'un de ses interlocuteurs lui a indiqué la pratique des comptes tournants, ouverts pour une durée de moins de trois mois, avec des complicités au sein des banques, à Miami.

c) L'insuffisante fiabilité des mécanismes anti-blanchiment
au niveau international

Les éléments que vient de citer votre Rapporteur attirent également l'attention sur l'absence de fiabilité des dispositifs anti-blanchiment au niveau mondial.

En effet, compte tenu des volumes et du mélange entre des fonds de diverses origines dans le cadre des relations interbancaires, il est impossible de procéder à chaque niveau de transaction financière à un contrôle efficace. Le point crucial du contrôle est celui du moment de l'entrée dans le système bancaire et financier. Si ce contrôle précis est mal assuré, l'efficacité de l'ensemble du système anti-blanchiment est en jeu.

Face à cette fragilité structurelle, une autre appréhension des capitaux frauduleux est donc nécessaire, sauf à renforcer les contrôles au point d'arrêter les transactions financières internationales, ce qui est tout à fait impossible et inopportun.

Le contrôle fiscal approfondi tourné vers la lutte contre la grande criminalité financière internationale semble, en revanche, tout à fait indiqué.

2.- La capacité des techniques fiscales à limiter les bénéfices des enrichissements inexpliqués et frauduleux

a) La pertinence des techniques de contrôle fiscal dans la lutte
contre la grande fraude

Dans la mesure où les dispositifs de lutte contre le blanchiment ne présentent pas la fiabilité totale que l'on pourrait souhaiter, pour des raisons difficilement surmontables sauf à recourir à des mesures de contrôle si strictes qu'elles ne pourraient qu'être perçues que comme attentatoires aux libertés individuelles, il apparaît nécessaire de considérer le contrôle fiscal, même si cela n'est pas sa fonction première, comme un instrument auxiliaire de lutte contre les opérations de blanchiment de capitaux.

Comme la plupart des administrations fiscales, l'administration française dispose d'un certain nombre de techniques lui permettant de détecter les cas de blanchiment, qu'il s'agisse de la fiscalité des entreprises lors des opérations de contrôle fiscal, lorsque des sommes suspectes sont perçues soit en espèces, soit dans le cadre de contrats internationaux, soit dans le cadre de relations d'affaires paraissant hors de proportion avec l'activité réelle de l'entreprise, ou qu'il s'agisse de la fiscalité personnelle, dans la mesure où les techniques mises en _uvre à l'occasion de la procédure d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle des contribuables permettent de demander au contribuable des justifications sur les variations de son patrimoine, ainsi que d'établir les liens entre ses revenus déclarés et ses dépenses, notamment les techniques des balances de trésorerie et des balances espèces.

En outre, l'administration peut demander à un contribuable d'expliquer les écarts entre le montant des sommes portées au crédit de ses comptes bancaires et financiers et ses revenus déclarés (i.e., la différence avec les flux financiers générés par ses revenus déclarés), sous réserve du respect de la règle dite du « double », règle jurisprudentielle définie par le Conseil d'Etat et récemment confirmée dans le cadre deux arrêts récents (C.E. 5 mars 1999, n° 164412, Bancarel, et C.E. 5 mars 1999, n° 176799, Ministre c/ Cadart), selon laquelle ces demandes ne peuvent valablement être adressées au contribuable que lorsque les sommes portées au crédit des comptes représentent au moins le double du montant des revenus déclarés. Cette règle du « double », si elle est acceptable pour les flux modestes, donne une véritable prime aux grands fraudeurs.

En outre, l'application de la procédure de taxation d'office au niveau du revenu global, prévue à l'article L. 69 du livre des procédures fiscales, lorsque le solde créditeur d'une balance demeure inexpliqué, par exemple, lorsque le contribuable refuse de répondre ou répond d'une manière insuffisamment précise aux demandes de l'administration fiscale, permet d'éviter que des revenus d'origine frauduleuse échappent à la taxation. En pratique, ces revenus, qui ne sont rattachés à aucune catégorie, sont qualifiés de revenus d'origine indéterminée.

L'efficacité du contrôle fiscal est en outre garantie, pour les résidents, par les dispositions du premier alinéa de l'article 4 A du code général des impôts, qui précise que les personnes domiciliées en France sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus mondiaux, sauf convention internationale contraire.

Une approche mixte à la fois fiscale et criminelle existe aux Etats-Unis. Au sein de l'Internal revenue service (IRS), la Criminal investigation division non seulement traite les cas de fraude fiscale grave, à l'issue d'une sélection opérée par les services en charge du contrôle fiscal de droit commun, mais s'intéresse également à l'ensemble des aspects de la criminalité financière. Elle travaille ainsi en coordination avec les grandes administrations répressives, notamment le FBI, la Drug enforcement administration (DEA), FINCEN (spécialisé contre la lutte contre le blanchiment). Ses agents disposent, sous le contrôle d'un juge spécialisé, de pouvoirs très étendus.

Sans aller jusqu'à recommander la création d'une structure similaire, votre Rapporteur tient à rappeler combien cet exemple illustre la complémentarité entre l'approche pénale et l'approche fiscale, dès lors qu'il y a enrichissement frauduleux.

b) La nécessité de réexaminer la question de la communication à l'administration fiscale des informations recueillies par Tracfin

La complémentarité entre les procédures spécifiques de lutte contre la grande criminalité financière et les procédures de contrôle fiscal, lorsqu'elles sont spécifiquement orientées, comme il se doit, vers la lutte contre la grande fraude, conduit également votre Rapporteur à soulever le problème de la communication à l'administration fiscale des déclarations de soupçon.

En effet, l'article 16 de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants, qui n'a pas été modifiée par les trois aménagements successifs opérés en 1993, 1996 et 1998, prévoit que les informations communiquées à Tracfin dans le cadre des déclarations de soupçon, ne peuvent être utilisées à d'autres fins que la lutte contre le blanchiment de capitaux. Il instaure le principe d'une séparation étanche entre Tracfin et l'administration fiscale. Son respect est garanti par une référence l'article 378 du code pénal relatif à la violation du secret professionnel.

Pour l'administration, cette séparation est justifiée par la nécessité de ne pas diminuer l'efficacité de la procédure précédemment décrite reposant sur l'obligation de vigilance et la déclaration de soupçon, laquelle est parfaitement bien assurée tant que les informations ne sont pas disséminées dans plusieurs administrations et qu'elles ont pour seul but de lutter contre la grande criminalité financière.

Cet argument n'est pas sans portée, car on pourrait craindre une réaction négative de la part des professionnels face à ce qui serait perçu comme une immixtion supplémentaire de l'administration fiscale dans une sphère vis-à-vis de laquelle elle dispose d'un droit de communication beaucoup plus large que dans de nombreux autres pays, la sphère bancaire et financière. Néanmoins, les professionnels, comme tous les citoyens, ont à appliquer la loi lorsqu'elle est votée.

On observera d'ailleurs qu'il n'y a pas une telle étanchéité aux Etats-Unis.

Enfin, on ne peut pas ne pas noter l'incohérence du dispositif, lorsque l'infraction initiale est une fraude fiscale, dans la mesure où il faut attendre la transmission du dossier au Procureur de la République, et que lui-même le transmette aux services fiscaux en application de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, pour que l'administration fiscale puisse engager une procédure de contrôle externe préalable à une procédure de redressement contradictoire.

Il est vrai que l'enjeu reste limité, puisque dans la plupart des dossiers transmis, l'infraction primitive est une infraction en matière de trafic des stupéfiants.

La question de l'utilisation des déclarations de soupçons à des fins fiscales mérite donc débat.

D.- LE CARACTÈRE INCONTOURNABLE DE L'OBJECTIF D'UN ESPACE JUDICIAIRE ET D'UN ESPACE DE COOPÉRATION FISCALE SANS AUCUN ÉCRAN ET D'UNE CONVERGENCE FISCALE, AU PLAN EUROPÉEN

1.- La création d'un espace judiciaire ainsi que d'un espace de coopération fiscale sans écran

a) L'objectif d'un espace fiscal et d'un espace judiciaire transparents

Au terme de ces analyses, il est possible de brosser le tableau du paysage juridique auquel doivent aboutir les différentes actions engagées contre les paradis fiscaux et contre les régimes fiscaux préférentiels : celui d'un espace judiciaire et fiscal transparent, où les limites actuellement imposées par le régime du secret bancaire, le secret de la propriété réelle des sociétés et l'incertitude sur les bénéficiaires réels des trusts pourraient être aisément levées, dans le respect de la vie privée, pour les besoins, d'une part, des enquêtes pénales et, d'autre part, des recherches purement fiscales.

En outre, s'agissant des questions plus techniques de prudence financière, il convient également d'envisager un espace ouvert à la circulation de l'information.

L'objectif doit ainsi être d'aboutir à la conclusion, soit dans un cadre multilatéral, soit dans un cadre bilatéral, du plus grand nombre de conventions d'entraide judiciaire prévoyant la levée du secret bancaire et de l'anonymat prévus par le droit civil et le droit commercial, dans certains Etats ou territoires.

Si le premier point fait, assez aisément, l'objet d'un large accord, le deuxième donne lieu à des réactions plus réservées.

On exprime des craintes, avec à l'arrière-plan l'image d'une administration fiscale toute puissante qui saurait tout sur la vie des citoyens, alors que comme l'exprime si bien son président, M. Michel Gentot, dans le rapport annuel de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) pour l'année 1998, « les fichiers les plus importants ne sont pas aujourd'hui ceux de l'Etat ou des administrations. » M. Gentot relève ensuite : « A l'heure des mégabases de données et d'Internet, l'information nominative a acquis une valeur marchande, les « profils » constitués sur les personnes s'achètent et se vendent. Un marché est né, suscitant de nouvelles inquiétudes et appelant sans doute à une vigilance d'une autre nature que celle à laquelle le législateur de 1978 avait songé. »

Par rapport aux règles actuellement en vigueur dans l'essentiel des pays, cette démarche de développement des conventions fiscales et pénales doit s'attacher à plusieurs points :

1. une généralisation des procédures anti-blanchiment à l'ensemble du secteur financier et au secteur immobilier ;

2. l'accès à l'information bancaire pour l'administration fiscale et l'autorité judiciaire ;

3. l'accès à l'identité des propriétaires ou bénéficiaires réels (beneficial owners) d'une société, d'une personne morale ou d'un trust pour l'administration fiscale comme pour l'autorité judiciaire ;

4. l'extinction des zones de protection vis-à-vis des poursuites judiciaires.

b) La nécessité de réaliser cet objectif, au plan européen tout au moins

En ce qui concerne le champ territorial d'application des principes et des règles qui viennent d'être évoqués, il va de soi que celui-ci doit être le plus large possible.

Cependant, s'il est un ressort territorial que l'on doit considérer comme prioritaire, c'est celui de l'Europe occidentale au sens large, c'est à dire de l'Union européenne, des territoires associés et dépendants et des Etats voisins de l'Union dont les règles de secret font actuellement obstacle aux recherches de l'autorité judiciaire comme au respect des règles fiscales.

Doivent donc être associés à cette démarche non seulement le Luxembourg, mais également les îles anglo-normandes (Jersey et Guernesey), l'île de Man, Andorre, Monaco, Saint-Marin, la Suisse et le Liechtenstein.

S'agissant de la seule question fiscale, on mesure l'importance du progrès à effectuer dès lors que, comme le rappelle le dix-huitième rapport précité du Conseil des impôts au Président de la République (1999) relatif à la fiscalité des revenus de l'épargne, la portée du droit de communication reste très réduite dans les pays de l'Union. Elle est, par comparaison, plus aisée avec les Etats-Unis qu'avec le Luxembourg, qui ne fournit aucune information même lorsqu'une procédure pénale est engagée en matière fiscale, ou l'Autriche et le Portugal, deux pays qui refusent la fourniture de renseignements en cas de présomption de fraude fiscale et ont ainsi les mêmes règles que le Japon, pays avec lequel nous avons, somme toute, peu de relations.

Selon le Conseil des impôts, « le tableau suivant permet de juger du degré d'application du droit de communication dans différents Etats d'Europe, ainsi qu'aux Etats-Unis et au Japon. Le Luxembourg apparaît d'évidence comme étant le pays le plus restrictif, puisqu'il n'existe même pas de droit à renseignement lorsqu'une procédure pénale est engagée. Cette position est toutefois très exceptionnelle. Moins rares sont les pays qui refusent la fourniture de renseignements en cas de présomption de fraude fiscale (Autriche, Luxembourg, Portugal et Japon), mais la pratique la plus fréquente des pays ne pratiquant pas la communication automatique des relevés de coupons est la fourniture de renseignements dans le cadre d'une vérification générale ou sur demande nominative.




Pays

Relevés de coupons (intérêts et dividendes) Renseignements automatiques avec identité du bénéficiaire


Renseignements sur demande nominative (droit de communication hors vérification)



Renseignements dans le cadre d'une vérification


Renseignements dans le cadre d'une vérification si présomption de fraude fiscale


Renseignements dans le cadre d'une vérification si procédure pénale engagée

Allemagne

oui (1)

oui (1)

oui (1)

oui

-

Autriche

non

non

non

non

oui

Belgique

non

non

non

oui

-

Danemark

Intérêts : oui

Dividendes : non

non

oui

-

-

Espagne

oui

oui

oui

-

-

Finlande

non

oui

oui

-

-

France

oui

oui

oui

-

-

Grèce

non

oui

oui

-

-

Irlande

non

non

non

-

-

Italie

Intérêts : non

Dividendes : oui

oui

oui

-

-

Luxembourg

non

non

non

non

non

Pays-Bas

Intérêts : oui

Dividendes : oui à compter de 1997

oui

oui

-

-

Portugal

non

non

non

non

oui

Royaume-Uni

non

oui

oui

-

-

Suède

oui

oui

oui

-

-

Etats-Unis

oui

oui

oui

-

-

Japon

oui

non

non

non

-

(1) Si le contribuable demande à bénéficier de l'abattement annuel de 3.100 DM.

Source : Union européenne.

Il n'est cependant pas exclu que les choses évoluent, comme le montre l'exemple des sociétés non-résidentes au Royaume-Uni et en Irlande, déjà mentionné par votre Rapporteur supra.

En outre, traiter au plan européen les problèmes posés par l'absence de taxation, le secret bancaire et le secret relatif à l'identité des propriétaires réels de parts de sociétés ou des droits bénéficiaires sur les revenus d'un trust, présente l'avantage de résoudre l'essentiel des problèmes rencontrés par la France, dès lors que les paradis fiscaux les plus utilisés dans des montages sont pour l'essentiel des territoires dépendants des Pays-Bas ou du Royaume-Uni, ou étroitement liés à ces deux Etats : d'une part, les Antilles néerlandaises et Aruba, et, d'autre part, les îles Caïmans, les îles Vierges britanniques, Gibraltar, les Bermudes, les îles Turques et Caïques.

Cependant, la réalisation d'un espace fiscal et d'un espace judiciaire européens nécessite des améliorations sensibles sur plusieurs points.

S'agissant de la coopération en matière fiscale, si celle-ci est assez avancée pour les impôts indirects, notamment la TVA, les dispositifs existants s'avèrent insuffisants pour les impôts directs.

La directive 77/799 du 19 décembre 1977, complétée par les directives 79/1070 du 6 décembre 1979 (JOCE n° L331) et 92/108 du 14 décembre 1992 (JOCE n° L390), organise une forme d'assistance mutuelle entre les Etats membres, qui consiste essentiellement en diverses sortes d'échanges de renseignements, se heurte en effet à des limites importantes.

En effet, d'une part, son article 8 ne prévoit pas l'obligation de faire effectuer des recherches ou de transmettre des informations lorsque la législation ou la pratique administrative de l'Etat membre qui devrait fournir les informations n'autorisent pas l'autorité compétente à effectuer ces recherches ou à recueillir ou à utiliser ces informations pour les propres besoins de cet Etat.

D'autre part, la transmission d'informations peut être refusée dans le cas où elle conduirait à divulguer soit un secret commercial, industriel ou professionnel ou un procédé commercial, soit une information dont la divulgation serait contraire à l'ordre public.

Enfin, l'autorité compétente d'un Etat membre peut refuser la transmission d'informations lorsque l'Etat intéressé n'est pas en mesure de fournir une transmission d'informations équivalente pour des raisons de fait ou de droit. Il y a donc là une mesure de réciprocité à l'envers tout à fait préjudiciable.

Une révision profonde de la directive de 1977 s'impose donc.

En ce qui concerne la coopération judiciaire et policière, on constate en pratique des difficultés semblables.

Tout progrès significatif dans la lutte contre la fraude exige d'aller vers la réalisation de cet espace judiciaire et pénal unifié encore loin d'être réalisé.

2.- La spécificité supplémentaire de l'Union européenne : constituer un espace homogène caractérisé par une fiscalité largement convergente

Bien que cette question ne relève pas directement du présent rapport, votre Rapporteur souhaiterait également insister, en ce qui concerne l'Union européenne, sur son sentiment selon lequel l'adoption de la proposition de directive sur la fiscalité de l'épargne et le code de conduite ne représentent qu'une étape, fût-elle importante, de la construction européenne, dans le domaine fiscal.

Si les effets les plus négatifs de la concurrence fiscale devraient être, sinon supprimés, du moins atténués, pour le facteur de production le plus mobile, le capital, afin d'éviter les déplacements dus à des niveaux d'imposition artificiellement bas, ces deux instruments ne régleront cependant ni le problème de la différence des niveaux des taux d'imposition entre les Etats ni celui de la concurrence fiscale globale exercée de la part de certains pays.

Le cas de l'Irlande, qui supprime son régime fiscal préférentiel d'imposition de certaines entreprises au taux de 10% (les entreprises du secteur manufacturier, certaines sociétés implantées dans la zone franche de Shannon et les sociétés implantées dans l'International Financial Services Center des docks de Dublin) et réduit simultanément le taux de l'impôt sur les sociétés de 25% à 12,5% à partir de 2003 (contre 28% actuellement et 25% à partir du 1er janvier 2000), est caractéristique d'une évolution préoccupante, d'autant plus que cette innocuité fiscale va être largement financée par l'Union grâce à la manne des fonds structurels, essentiellement abondés par les Etats qui sont victimes du dumping fiscal !

Or, cette question doit être résolue, sous peine de s'enfermer dans une logique de nivellement par le bas des taux d'imposition, conformément au modèle anglo-saxon, qui ne peut se faire qu'à l'avantage des entreprises au détriment des ménages, ainsi qu'à l'avantage des dépenses privées des foyers aisés au détriment des dépenses publiques de solidarité, lesquelles s'expriment notamment par la gratuité de l'accès aux prestations des services d'éducation et de santé.

En témoignent la réduction du taux d'imposition des sociétés au Danemark, de 34% à 32% et l'exonération de retenue à la source pour les sociétés liées non européennes, décidées en 1998.

Ce problème débouche inévitablement sur la question de la compétence de l'Union en matière fiscale et des modalités de la prise de décision communautaire.

En ce qui concerne le rôle de l'Union, votre Rapporteur considère qu'il doit être renforcé, afin que la logique de convergence fiscale, directement issue des ressorts profonds de la construction communautaire, puisse être orientée vers la conservation de l'acquis du modèle social continental fondé sur la maîtrise des inégalités et le rôle des dépenses publiques de solidarité. Ce modèle social suppose également un rejet implicite du modèle social anglo-saxon, peu structuré, même s'il est présenté comme le pur produit d'un travaillisme revisité par une inspiration nouvelle, très libre et qui traduit en langage moderne les notions essentielles, permanentes et immanentes de la vie économique et sociale, avec la même fiabilité que ce que les traducteurs du XVIIIe siècle appelaient « Les belles infidèles ».

On ne saurait se dissimuler que cette exigence forte d'une convergence maîtrisée des niveaux d'imposition en matière de fiscalité directe s'accommode mal du maintien de la règle de l'unanimité pour la prise de décision au sein du Conseil.

Elle implique donc de poser la question d'une évolution institutionnelle.

Aussi votre Rapporteur suggère-t-il une évolution relative à la prise de décision pour la seule matière fiscale, compte tenu de sa spécificité. Deux voies semblent possibles : en premier lieu, celle d'une double majorité, d'une part, au niveau des votes pondérés, d'autre part, au niveau du nombre des pays (votes non pondérés) ; en second lieu, celle de la possibilité d'un vote à la majorité qualifié, après un certain délai dont la durée pourrait être fixée entre deux ans et cinq ans, si une proposition de directive n'a pas été adoptée à l'unanimité.

Ces deux propositions alternatives représentent chacune un point d'équilibre entre deux nécessités : celle du respect de l'identité et de la souveraineté des Etats ; celle de ne pas laisser dicter l'avenir de l'Union par les seuls Etats qui pratiquent le principe du moins disant social et fiscal.

E.- SUPPRIMER L'AIDE AUX PAYS RECENSÉS COMME
DES PARADIS FISCAUX

Lors de son déplacement aux Bahamas, votre Rapporteur a eu la surprise de découvrir que des pays considérés comme des paradis fiscaux, et dont les ressources budgétaires sont faibles non en raison d'une faible base taxable, mais en raison d'une politique délibérée ayant pour contrepartie une concurrence fiscale fortement dommageable, recevaient des aides publiques au développement.

Il n'a pas souhaité sortir du cadre de sa mission et tenter d'opérer un recensement des aides perçues de différents Etats ou d'organismes donateurs comme le Fonds européen de développement ou la Banque européenne d'investissement.

Aussi, et sans que cela doive être considéré comme une marque d'ingratitude vis-à-vis d'un Etat qui lui a accordé le droit de séjour sur son territoire pour une mission et des entretiens d'une grande qualité et au plus haut niveau, votre Rapporteur ne peut-il exprimer que le regret que cet Etat, comme d'autres, ait bénéficié de plusieurs concours européens.

Au total, la Communauté y a financé plus de vingt projets et les Bahamas ont reçu un montant d'aides représentant plus de 90 millions d'ECU, soit près de 600 millions de francs.

Ces projets ont essentiellement eu pour objet d'améliorer les infrastructures routières. Ils ont également permis de procéder à des opérations d'électrification et à l'amélioration des aérodromes.

Par ailleurs, plusieurs projets, représentant un total de 260 millions de dollars en engagements et 210 millions de crédits effectivement utilisés, ont été financés par des prêts de la Banque interaméricaine de développement.

L'un de ces projets concerne un élément aussi essentiel que l'amélioration du service d'approvisionnement d'eau dans les Family Islands, îles habitées par des populations restées à l'écart du tourisme et du mirage de l'off shore.

Cette situation pose un problème moral de fond.

En effet, même si, ainsi qu'il a pu le constater lui-même lors de sa mission sur place, l'Etat a mis en place une législation de lutte anti-blanchiment fondée sur le gel temporaire des fonds suspectés en cas de soupçon et le recours à l'assistance internationale pour obtenir des informations sur les détenteurs des sommes concernées, mais qui ne concerne pas la fraude fiscale, et même si certains hauts responsables publics ont fait valoir à votre Rapporteur l'effort de suppression des name plate banks, c'est-à-dire des établissements bancaires de pure façade sans activité réelle et pouvant servir de paravent, qui a été opéré, ce qui traduit un effort appréciable de moralisation et de régularisation des comportements, force est de constater que le caractère dommageable de la concurrence fiscale rend inopportun le maintien d'une aide à cet Etat.

Un élu national, parlementaire dont la première mission est le vote du budget, doit même se demander quelle justification il pourrait donner à ses électeurs pour l'octroi d'une aide, fût-elle donnée par l'intermédiaire de l'Union européenne, à un pays qui sert de refuge à la fraude fiscale et est utilisé comme base de départ pour des opérations d'évasion fiscale sophistiquées dont profitent certains des ressortissants français parmi les plus aisés, les mieux informés et les moins scrupuleux. La réponse à cette question est simple et rapide : aucune.

Aussi, votre Rapporteur recommande-t-il la mise en place rapide d'une véritable action de vigilance de manière qu'aucune aide ne soit plus octroyée aux pays reconnus comme des paradis fiscaux notoires, à l'exception de celles qui ont fait l'objet d'un engagement irrévocable. Cette mesure concernerait tant les aides consenties aux échelons national et européen que celles attribuées par les grandes institutions internationales dont la France est membre.

Il s'agit d'une mesure symbolique forte et concrète, qui si elle n'était pas prise, risquerait de donner aux pays concernés un doute sur la volonté des pays développés de régler réellement la question des paradis fiscaux, de la concurrence fiscale dommageable et de la lutte contre la grande criminalité financière internationale.

Si elle était adoptée, cette mesure aurait une valeur pédagogique essentielle, car elle indiquerait clairement qu'il est une voie, à ne pas suivre, qui conduit au faux développement. L'aide des Etats européens serait ainsi réservée aux vrais projets de développement stables et durables.

S'agissant d'une question aussi importante, votre Rapporteur estime qu'il ne messierait pas que les ministres chargés des finances, des affaires étrangères, des affaires européennes et de la coopération puissent livrer leurs réflexions à l'Assemblée nationale, lors de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000, à l'automne 1999.

III.- LA NÉCESSITÉ DE COMPLÉTER L'EFFICACITÉ DES PROCÉDURES PÉNALE ET FISCALE DE LUTTE CONTRE LA
FRAUDE ET L'ÉVASION FISCALES

La coopération entre Etats ou territoires, exercée dans le cadre des conventions, qu'il s'agisse de conventions fiscales comprenant une clause d'assistance administrative permettant de procéder à des échanges de renseignements, qu'il s'agisse de conventions d'entraide judiciaire en matière pénale, ou qu'il s'agisse d'instruments juridiques équivalents, tels que les règlements communautaires, représente la forme achevée de l'action internationale en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales à composante internationale.

L'objectif doit être d'avoir le plus large réseau possible de conventions permettant l'échange de renseignements en matière fiscale, au profit de l'administration fiscale française, ainsi que le réseau le plus ouvert possible de conventions d'entraide judiciaire en matière pénale et de conventions d'extradition qui couvrent la matière fiscale.

Cet objectif d'un espace transparent qui permettrait un très large échange d'informations au plan fiscal comme un très large accès à l'élément de preuve au plan judiciaire, dans le respect naturellement de règles de procédure strictes et sans que les droits fondamentaux du citoyen ne soient lésés, vise au premier chef les Etats ou les territoires autonomes sur le plan fiscal ou sur le plan judiciaire qui constituent des paradis fiscaux et c'est la raison pour laquelle les observations qui suivent sont mentionnées dans la partie du rapport consacrée aux paradis fiscaux.

Néanmoins, cet objectif vise également des Etats ou des territoires qui ne constituent pas des paradis fiscaux et qui disposent de règles relatives aux capitaux d'origine frauduleuse ou au blanchiment tout à fait comparables aux nôtres, mais vis-à-vis desquels notre dispositif conventionnel présente quelques faiblesses en matière de transmission des informations et dont on ne conçoit pas que ces faiblesses puissent subsister dans le cadre d'un règlement global de la question de paradis fiscaux et des régimes fiscaux préférentiels tel qu'il se profile au plan européen comme au plan international.

Dans cette perspective, il apparaît nécessaire de :

- développer le réseau des conventions fiscales prévoyant l'échange de renseignements afin de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales et de développer le réseau des attachés fiscaux implantés à l'étranger ;

- développer, en veillant à ce que celles-ci répondent bien à l'objectif de répression de la fraude fiscale, le réseau des conventions d'assistance judiciaire en matière pénale et celui des conventions applicables en matière d'extradition ;

- procéder, en priorité pour les Etats ou territoires présentant un risque important en matière de fraude et d'évasion fiscale, à l'organisation d'un examen approfondi et simultanée de l'ensemble des conventions fiscales et des conventions d'entraide en matière pénale, ainsi que des conventions d'extradition, en liaison avec un examen précis des dispositions de droit interne de chaque Etat étranger, de manière à avoir une idée exacte des obstacles à la sanction administrative et à la répression pénale des infractions fiscales et financières ayant une dimension internationale.

A titre complémentaire, votre Rapporteur propose également une modernisation des procédures fiscales prévues par la loi, de manière à lutter plus efficacement contre la fraude et l'évasion fiscales internationales, lutte qui passe par une modernisation de la capacité d'action des fonctionnaires de l'administration fiscale française.

A.- MODERNISER LA CAPACITÉ D'ACTION DES FONCTIONNAIRES EN CHARGE DU CONTRÔLE FISCAL

Au terme de sa mission, votre Rapporteur ne peut que rappeler que le constat selon lequel les dispositions du code général des impôts destinées à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales internationales sont assez complètes, constat auquel il avait déjà procédé dans le cadre de son rapport d'étape précité.

Ce constat s'avère d'autant plus fondé que la loi de finances pour 1999 est venue renforcer ce dispositif, s'agissant de la fiscalité personnelle, grâce à trois mesures, essentiellement :

- la taxation des plus-values latentes sur les participations substantielles représentant plus de 25% du capital d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés au départ de France, lorsqu'un contribuable transfère son domicile fiscal à l'étranger, de manière que l'impôt sur la plus-value, au taux de 16%, ne soit pas éludé grâce à un transfert temporaire de domicile ;

- la modification des règles de territorialité en matière de droits de mutation à titre gratuit, de manière à éviter qu'un transfert de domicile ne fasse échapper à l'impôt en France les biens situés à l'étranger ;

- l'imposition des revenus non distribués capitalisés dans des structures d'accumulation situées dans des pays à faible ou très faible fiscalité, telles que les holdings du Luxembourg relevant de la loi de 1929, lorsque le contribuable détient plus de 10% du capital ou des droits dans la structure.

Néanmoins, il est apparu que des mesures complémentaires devaient être envisagées.

En outre, deux autres dispositions peuvent être proposées.

D'une part, la suppression de l'article L. 80 C du livre des procédures fiscales, qui interdit l'intervention, auprès d'un contribuable, d'un agent d'une administration fiscale étrangère peut maintenant être envisagée, à un moment où la coopération européenne se développe.

D'autre part, un thème, déjà soulevé dans le cadre du rapport d'étape, mérite que l'on insiste, celui de l'expertise et de la formation des vérificateurs, car la matière internationale est très complexe et évolue très vite.

1.- Renforcer l'efficacité des dispositions du code général des impôts destinées au contrôle des opérations internationales

A l'occasion des différentes auditions auxquelles il a pu procéder, votre Rapporteur a pu recueillir un certain nombre de suggestions sur la modernisation des procédures de contrôle des opérations internationales des personnes physiques comme des entreprises.

Avant de les examiner, il importe de rappeler que l'un des éléments de base des modalités du contrôle des opérations internationales par l'administration fiscale, est la notion de régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire où est implanté le contribuable.

C'est une approche fine qui consiste à déterminer de manière pragmatique la réalité de la charge fiscale supportée par l'entreprise ou la personne physique sur place, pour déterminer si la disposition anti-abus destinée à prévenir la fraude et l'évasion fiscales internationale est applicable. En pratique, il y a régime fiscal privilégié dès lors que l'impôt local, déterminé selon les mêmes modalités que l'impôt français équivalent est inférieur de plus d'un tiers à ce dernier.

En pratique, les dispositifs visent tant les régimes fiscaux préférentiels que les paradis fiscaux. Dans ce cadre, la publication d'une liste (officielle) des paradis fiscaux, semblable à celle établie dans divers pays, ne paraît pas manifestement indispensable, puisque le critère précédemment indiqué permet d'identifier de manière fiable un régime fiscal préférentiel et un paradis fiscal, où chaque modalité d'imposition présente un caractère préférentiel.

a) Les propositions en matière de fiscalité personnelle

Le droit fiscal français comprend plusieurs éléments destinés à éviter que les personnes physiques ne puissent utiliser les facilités des paradis fiscaux ou des régimes préférentiels.

D'une part, de nombreux paiements font l'objet d'un prélèvement ou d'une retenue à la source, qui s'avèrent substantiels dès lors qu'ils ne sont pas réduits par le jeu d'une convention fiscale internationale conclue avec notre pays, ce qui est le cas pour les paradis fiscaux.

On rappellera en effet que certains des revenus de source française acquittés auprès d'une personne morale ou d'une personne physique non-résidente sont soumis, sous réserve également de conventions internationales, à une retenue à la source ou à un prélèvement à la source, qui vaut acompte à imputer sur le montant de l'impôt sur le revenu, ou versement définitif libératoire de l'impôt, ce qui limite l'intérêt d'une délocalisation fictive ou de la création de sociétés écrans.

Une retenue à la source d'un taux maximal de 25% est prévue sur les pensions et rentes viagères (il y a trois tranches selon le niveau des revenus perçus : 0%, 15% ou 25%).

Cette retenue est de 33,1/3% pour les revenus non salariaux (15% pour les sportifs). Elle n'est pas libératoire de l'impôt sur le revenu.

Une retenue de 25% du montant brut décaissé par la société est effectuée sur les dividendes versés, soit un taux effectif de 33,1/3%. Son taux est porté à 50% pour les dividendes distribués par les holdings de participation étrangère à des personnes dont le siège ou le domicile fiscal est situé dans un pays n'ayant pas conclu de convention fiscale destinée à éviter les doubles impositions.

D'autre part, un ensemble de mesures permet de contrôler les opérations internationales des personnes physiques et prévoit des obligations déclaratives, dont le non respect est constitutif d'une infraction fiscale et fait sortir le contribuable du cadre de l'évasion fiscale :

- l'article 4 A du code général des impôts prévoit que les contribuables fiscalement domiciliés en France sont imposables en France sur l'ensemble de leurs revenus mondiaux, dans le cadre de ce que la doctrine appelle le principe de l'obligation fiscale illimitée, sauf convention internationale contraire ; cette dernière réserve ne concerne naturellement pas les paradis fiscaux, en l'absence de convention conclue avec eux ;

- l'article 173 précise que la déclaration annuelle de revenus doit mentionner, séparément, les revenus encaissés, c'est-à-dire effectivement perçus, à l'étranger ;

- l'article 123 bis prévoit une imposition des revenus acquis et non encore distribués dans le cadre de structures de gestion de patrimoine (sociétés, trusts, etc.) dont le patrimoine est principalement composé d'actifs monétaires et financiers ;

- le 1° de l'article 885 A prévoit une obligation fiscale également illimitée, sur le plan territorial, pour les personnes fiscalement domiciliées en France, dans le cadre de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), dès lors que le montant de leur patrimoine situé en France et à l'étranger dépasse le seuil d'exonération, soit 4,7 millions de francs ;

- l'article 155 A permet, notamment, à l'administration fiscale de taxer en France comme revenu de la personne physique prestataire du service, les sommes versées à une personne, physique ou morale, établie dans un paradis fiscal, en contrepartie d'une prestation de service rendue en France par une personne fiscalement domiciliée en France  (cet article prévoit également un dispositif analogue, mais moins systématique, lorsque la structure étrangère n'est pas établie dans un paradis fiscal) ;

- l'article 750 ter prévoit que sont imposés en France au titre des droits de mutation à titre gratuit les biens qui y sont situés, lorsque le donataire, le légataire ou l'héritier n'est pas fiscalement domicilié en France ;

- l'article 1649 A prévoit que les comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger, ce qui vise notamment les paradis fiscaux, doivent être déclarés à l'administration fiscale avec la déclaration annuelle de revenus ;

- l'article 1649 quater A impose de déclarer les transferts financiers réalisés sans l'intermédiaire d'un établissement financier, de plus de 50.000 francs, et l'article L. 96 A du livre des procédures fiscale prévoit que, dans le cadre du droit de communication, l'administration fiscale peut être informée des transferts financiers à l'étranger réalisés à partir de comptes de résidents et de comptes de non-résidents.

En outre, il faut tenir compte de ce que l'administration peut obtenir des sanctions dans le cadre de la répression des abus de droit, laquelle permet d'écarter les effets de tout montage organisé dans un but exclusivement fiscal.

Il apparaît, à la lecture attentive de ces dispositions, que deux cas ne sont pas couverts : d'une part, celui des cartes de crédit dont les débits sont imputés sur un compte localisé dans un paradis fiscal ; d'autre part, celui des intérêts détenus dans des structures implantées à l'étranger et ne relevant pas de l'article 123 bis, pour les contribuables qui ne sont pas redevables de l'ISF.

On peut envisager de combler ces deux lacunes.

En outre, il semble qu'il faille envisager un renforcement du délai de vérification des sociétés étrangères de gestion d'éléments de patrimoines personnels.

· Renforcer les obligations déclaratives des contribuables, en prévoyant d'étendre la mesure relative aux comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger, aux cartes de crédit détenues auprès d'établissements situés à l'étranger

Ainsi que l'a déjà indiqué votre Rapporteur dans le cadre du présent chapitre, de nombreux observateurs jugent que l'utilisation de cartes de crédit ou de cartes bancaires internationales directement ou indirectement alimentées, selon les modalités précédemment évoquées, par des comptes situés dans des paradis fiscaux, est l'un des principaux moyens du blanchiment des capitaux de la fraude fiscale et des revenus de la grande délinquance financière internationale.

Les paiements correspondants ne pouvant être connus de l'administration fiscale, en l'absence de compte bancaire susceptible d'être répertorié par ses services, il est possible pour un particulier de vivre sur un grand train, en France, sans que l'administration puisse établir son train de vie, dès lors que certaines précautions élémentaires sont respectées par le fraudeur.

Ce risque est d'autant plus grand, que, certes dans le cadre d'une pratique où de nombreux cas d'escroquerie sont relevés, certains serveurs reliés à Internet offrent de devenir titulaire de l'une de ces cartes et vantent leurs avantages.

S'agissant des personnes titulaires de ces comptes, le cas de certains grands intermédiaires dans des contrats internationaux a été évoqué.

Ce type de fraude est également susceptible de concerner des populations plus nombreuses de personnes ayant une certaine connaissance des mécanismes de base des relations interbancaires en milieu international, et peut conduire à favoriser ce que votre Rapporteur a déjà évoqué, le split roll, à savoir le versement d'une partie du salaire des cadres à l'étranger, à l'image de ce que le groupe Elf semble avoir fait à une certaine époque.

Certains objecteront que cette infraction serait redondante avec celle résultant de l'utilisation d'un compte non déclaré sur un établissement bancaire ou financier étranger, prévue à l'article 1649 A du code général des impôts. C'est vrai dans une certaine mesure si l'on considère le problème en droit pur.

Sur le plan pratique cependant, tel n'est pas le cas, car il n'existe aucun texte habilitant l'administration fiscale ou l'administration des douanes à effectuer un contrôle sur ce type de moyen de paiement.

En outre, il convient d'anticiper la perspective de la monnaie électronique ou des cartes de paiement pourront être rechargées sans que le lien avec un compte bancaire ne puisse être établi.

Aussi votre Rapporteur juge-t-il nécessaire, afin de bien caractériser ce type de fraude, d'instituer, dans le cadre de la déclaration de l'impôt sur le revenu, une obligation de déclarer les cartes de paiement et les cartes de crédit dont les règlements ne donnent pas lieu à une imputation sur un compte bancaire ou postal tenu en France, et de mentionner les modalités de règlement des dettes résultant de leur usage vis-à-vis de l'organisme financier gestionnaire.

En complément, il convient également d'habiliter les agents des douanes à opérer le contrôle de la sincérité de ces déclarations, lors de contrôles aux frontières, en même temps qu'ils opèrent le contrôle des déclarations de transferts physiques de capitaux prévues à l'article 1649 quater A du code général des impôts.

Par ailleurs, il semble nécessaire à votre Rapporteur de clarifier vis-à-vis du droit de communication le statut des centres de gestion des paiements par carte bancaire, afin de permettre à l'administration fiscale de détecter les cartes étrangères régulièrement utilisées en France, d'identifier les cartes non déclarées, révélant des revenus occultes, et d'établir ainsi dans certains cas la domiciliation fiscale en France des titulaires de ces cartes, lorsque l'occasion se présente et qu'il y a lieu de procéder à cette domiciliation.

· Rendre obligatoire, pour les contribuables non assujettis à l'ISF, la déclaration des avoirs de toute nature détenus à l'étranger

La détention d'avoirs dans des paradis fiscaux ou dans des pays offrant un régime fiscal privilégié constitue une première étape vers la fraude fiscale avérée, dès lors que certains paradis fiscaux ne s'intéressent pas qu'à la seule catégorie des personnes susceptibles de mobiliser au moins un million de dollars américains en liquidités.

Or, il n'existe actuellement aucune obligation déclarative pour ces avoirs, dès lors que le contribuable n'est pas assujetti à l'ISF et qu'il capitalise ses revenus dans le cadre d'une structure de type OPCVM des droits de laquelle il détient naturellement moins de 10%. Dans ce cas, en effet, il ne doit acquitter aucun impôt annuel dans le cadre du nouvel article 123 bis du code général des impôts, applicable à compter des revenus de l'année 1999.

Il semble nécessaire de combler cette lacune et d'instituer dans le cadre de la déclaration annuelle des revenus une obligation déclarative spécifique.

Cette obligation viserait certes certains contribuables non assujettis à l'ISF à raison de leurs biens français ou étrangers. Cependant, il ne faut pas en conclure qu'elle imposerait une obligation aux contribuables modestes ou relevant des catégories moyenne, car ceux-ci n'ont ni les aspirations, ni les possibilités financières, ni l'espérance de jouer un jour « dans la cour » de ceux qui font de l'optimisation fiscale internationale, pratique qui n'est guère conforme à nos valeurs républicaines.

Elle concernera en fait les personnes aisées qui échappent à l'ISF sur leur seul patrimoine situé en France soit en raison de l'importance de leurs biens exonérés, soit en raison de son montant, mais qui souhaitent continuer à ne pas être redevable de cet impôt afin d'échapper à la déclaration annuelle, laquelle constitue un instrument essentiel du contrôle des avoirs d'un contribuable et de détection des enrichissements frauduleux.

Il s'agit là de fraudeurs potentiels, qu'il vaut mieux sensibiliser très tôt au sens de leur démarche de diversification internationale des avoirs.

· Accroître les délais de vérification pour les sociétés étrangères dont l'actif est principalement constitué d'immeubles, d'actifs à utilisation personnelle ou d'actifs monétaires et financiers

En complément des observations précédentes, votre Rapporteur souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur le fait que le délai de vérification applicable aux sociétés étrangères de gestion d'un patrimoine personnel, dont l'actif est principalement constitué d'immeubles, notamment d'immeubles d'habitation, de moyens de transport privé comme les avions personnels ou les yachts, ou d'actifs monétaires et financiers, c'est-à-dire le délai de contrôle externe de droit commun applicable aux petites et moyennes entreprises, d'une durée de trois mois, semble trop bref, notamment lorsque l'assistance administrative doit être mise en _uvre.

Il est difficile à votre Rapporteur de se prononcer catégoriquement sur une question aussi délicate dans la mesure où un délai de trois mois semble suffisant si le dossier a été bien préparé en amont.

Cependant, le sujet mérite d'être évoqué.

b) Les propositions en matière de fiscalité des entreprises

Ainsi que votre Rapporteur l'a déjà évoqué, le dispositif de contrôle des opérations internationales est assez complet en matière de fiscalité des entreprises.

Grâce au principe de l'inversion de la charge de la preuve, il est le plus souvent demandé à l'entreprise de prouver le bien fondé de la déduction d'une charge dont le montant est versé à l'étranger. En outre, comme en matière de fiscalité interne, la théorie de l'acte anormal de gestion, qui permet d'exclure la déductibilité d'une dépense dont l'administration prouve qu'elle qui ne relève pas de l'intérêt de l'entreprise, et celle de l'abus de droit, qui permet d'écarter un acte fictif ou simulé, sont applicables.

D'une manière plus précise, le principe du renversement de la charge de la preuve, en application duquel une charge n'est déductible du résultat imposable que si l'entreprise apporte la preuve que la dépense correspond à des opérations réelles et qu'elle ne présente pas un caractère anormal ou exagéré, est prévu à l'article 238 A du code général des impôts pour :

- les charges financières, de tous types, intérêts, arrérages, et produits versés au titre d'obligations, de créances, de dépôts ou de cautionnements ;

- les redevances de cession ou de concession de licences d'exploitation de brevets d'invention, de marques de fabrique, de procédés ou de formules de fabrication et autres droits analogues ;

- les rémunérations de services, sous forme de salaires, honoraires ou commissions ;

- les versements de toute nature à un organisme financier établi dans un Etat ou un territoire à fiscalité privilégiée, quel que soit le domicile du bénéficiaire du versement.

Le deuxième principe de base des dispositifs de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales internationales, est celui de la réintégration de certains bénéfices réalisés dans le cadre de structures implantées dans les paradis fiscaux, dans les résultats des entreprises. Il intervient à plusieurs niveaux :

- d'une part, l'article 57 du code général des impôts permet de rapporter aux résultats imposables en France les bénéfices indirectement transférés à l'étranger soit par voie de majoration des prix d'achat ou de diminution des prix de ventes, soit par tout autre moyen (les versements de redevances excessives ou sans contrepartie, les octrois de prêts sans intérêts ou à taux réduits, les abandons de créances, les prises en charge de frais étant, entre autres, souvent cités), lorsque l'administration apporte la preuve de l'existence et du montant des avantages et que l'entreprise n'établit pas, en réponse, que ces avantages correspondent à des nécessités commerciales réelles. Ce dispositif, normalement applicable aux opérations entre sociétés dépendantes ou liées, afin de contrôler les prix de transfert, est également applicable aux opérations menées entre une entreprise française et une société établies dans un paradis fiscal, même en l'absence de lien de dépendance ; il s'agit d'un dispositif complémentaire, et recoupant partiellement celui de l'article 238 A. Il a le mérite d'être large, car il couvre l'ensemble des transactions commerciales ;

- d'autre part, l'article 209 B permet à l'administration d'imposer les entreprises françaises, dans le cadre d'une déclaration séparée, donc sans compensation avec d'éventuelles pertes en France, au titre des bénéfices réalisés par leurs filiales ou établissements, dont elles détiennent au moins 10% du capital (ou 25 % pour les structures crées avant le 30 septembre 1992), implantés hors de France et soumis à un régime fiscal privilégié, ce qui couvre naturellement les implantations dans les paradis fiscaux, dès lors que ces filiales ou établissements n'exercent pas, à titre principal, une activité industrielle ou commerciale effective et ne réalisent pas leurs opérations de manière prépondérante sur le marché local ;

- l'article 238 bis 0-I prévoit que les entreprises sont imposables chaque année sur les produits des actifs qu'elles ont transférés hors de France, entre les mains d'une personne ou d'une structure chargée de les gérer dans leur intérêt ou d'assumer pour leur compte un engagement existant ou futur ;

- enfin l'article 155 A précité, applicable aux personnes physiques, concerne également les entreprises qui feraient verser au nom d'une personne étrangère établie à l'étranger, dans un paradis fiscal, notamment, les rémunérations qui leurs sont dues en contrepartie de prestations de services rendues en France.

L'ensemble de ce dispositif anti-abus du code général des impôts est très complet.

Cependant, on peut s'interroger sur sa portée effective, car ces mesures ne prennent leur plein effet qu'en cas de vérification de comptabilité, c'est à dire de contrôle sur place. Or, le nombre des vérifications de comptabilité, de l'ordre de 45.000 par an, apparaît trop faible eu égard aux enjeux.

Il convient donc de rendre plus efficace le dispositif, à trois niveaux, pour les exercices ouverts à compter du 1er juillet 1999, compte tenu de la nécessité de ne pas entraîner de charge administrative nouvelle pour les exercices comptables et fiscaux en cours et de laisser aux entreprises un délai d'adaptation de six mois.

· Prévoir une déclaration spécifique pour les charges et transactions donnant lieu à versement dans un paradis fiscal ou au profit d'une personne bénéficiant d'un régime fiscal privilégié

D'une manière générale, il semble nécessaire à votre Rapporteur de prévoir que les charges versées à des entreprises implantées dans des paradis fiscaux ou bénéficiant de régimes fiscaux privilégiés ne seront dorénavant déductibles que si elles ont été communiquées à l'administration fiscale, dans le cadre d'une présentation détaillée, versement par versement, sous une forme similaire à celle des mentions expresses, au moment de la déclaration des bénéfices de la société (ou de la déclaration de revenus, pour les sociétés transparentes), et que si l'administration n'en a pas rejeté le principe dans un délai de six mois, sans préjudice naturellement d'une éventuelle remise en cause de la déductibilité dans le cadre d'une opération de contrôle sur place et de l'éventuelle application des sanctions correspondantes. En cas de renseignements erronés ou inexacts, la déductibilité de la dépense serait naturellement exclue, par principe.

Cette mesure aurait, selon votre Rapporteur, une grande vertu pédagogique, celle de sensibiliser les chefs d'entreprise, leurs personnels et les différents professionnels (experts comptables et commissaires aux comptes) au caractère économiquement anormal des régimes fiscaux préférentiels et des paradis fiscaux.

Elle tendrait ainsi à dissuader leur usage.

Certains remarqueront que ce principe concerne déjà les commissions, honoraires ou autres rémunérations excédant 500 francs par an et par bénéficiaire, qui doivent faire l'objet d'une déclaration spécifique de la part des entreprises individuelles, des professions indépendantes et des sociétés, et qu'il existe également une déclaration spécifique pour les droits d'inventeur et les droits d'auteur.

On peut leur répondre que ces déclarations ne sont pas similaires à celles proposées par votre Rapporteur, ni dans leur objet, puisqu'elles sont plus restreintes, ni dans leur champ géographique d'application, puisqu'elles concernent tous les pays.

La déclaration prévue par votre Rapporteur aurait pour mérite de faire apparaître l'ensemble des transactions réalisées avec les paradis fiscaux, notamment les versements d'intérêts et d'indemnités diverses telles que les indemnités pour rupture abusive d'un contrat, ou les indemnités de transaction en cas d'organisation d'un faux procès qui permettent de procéder à des transferts internationaux suspects, selon la technique présentée par M. Jean de Maillard dans son ouvrage précité « Un monde sans loi : la criminalité financière en images ».

· Supprimer la déductibilité des intérêts versés en contrepartie d'emprunts contractés auprès d'établissements financiers ou de sociétés établis dans des paradis fiscaux

En ce qui concerne la question spécifique des charges financières d'intérêts d'emprunt, on ne peut pas considérer sans suspicion les emprunts contractés auprès des établissements et sociétés implantées dans les paradis fiscaux. La technique du prêt adossé constitue, en effet, ainsi que l'a rappelé votre Rapporteur, une technique de blanchiment de capitaux soustraits à l'impôt ou de fonds provenant du recyclage des produits de la grande criminalité organisée.

On est donc conduit à recommander la suppression totale de leur déductibilité, compte tenu du fait que ces charges sont fondées sur des prêts dont la contrepartie est constituée d'actifs financiers très suspects.

· Supprimer la déductibilité des charges donnant lieu à paiement dans l'un des paradis fiscaux figurant sur la liste qui sera établie par l'OCDE

Votre Rapporteur considère qu'une mesure importante doit être prise à l'encontre des Etats ou territoires qui figureraient sur la liste des paradis fiscaux qui sera établie par l'OCDE au plus tard le 9 avril 2000 et suggère une suppression totale de la déductibilité des charges des entreprises provenant d'opérations réalisées avec ces Etats.

Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a plusieurs fois envisagé d'aller jusqu'à un embargo financier, qui semble très difficile à mettre en _uvre.

Votre Rapporteur propose une mesure plus simple, celle d'un « embargo fiscal » consistant à supprimer toute déductibilité, et ainsi à créer une sorte de taxe sur les transactions réalisée avec les paradis fiscaux qui seraient inscrits sur la liste arrêtée en avril 2000 par l'OCDE.

Ainsi, une dépense de 100 normalement déductible et ne donnant pas lieu à versement d'une retenue à la source ne reviendrait plus à 60 pour une entreprise bénéficiaire réalisant plus de 50 millions de chiffre d'affaires, compte tenu du taux de l'impôt sur les sociétés et de la future écotaxe, mais à 100, soit une majoration de charge de 66%.

Pour une charge déductible donnant lieu à une retenue à la source d'un tiers, telle qu'une prestation de service utilisée en France, le versement de 100 net de retenue imposerait à l'entreprise une charge fiscale de 73,1/3% (à raison de 40% au titre de l'impôt sur les sociétés et 33,1/3% pour la retenue à la source).

On mesure l'effet dissuasif de la proposition de votre Rapporteur.

Ces trois mesures pouvant faire l'objet de détournements aisés grâce à des filiales ou à des sociétés liées implantées dans des pays de l'Union européenne, il va de soi que, faute d'une application généralisée à l'ensemble des pays de l'Union dans un délai assez bref, une extension de ces mesures restrictives devraient être réalisée pour les versements à ces filiales et sociétés liées implantées à l'étranger.

2.- Envisager la suppression de l'article L. 80 C du livre des procédures fiscales

Adopté dans le cadre de la loi n° 87-502 du 8 juillet 1987 modifiant certaines procédures fiscales et douanières, l'article L. 80 C du livre des procédures fiscales fait de l'intervention, auprès d'un contribuable, sur le territoire national, d'un agent d'une administration fiscale d'un Etat étranger un motif de nullité du redressement opéré et des poursuites éventuellement fondées sur ce redressement.

Il s'agit à l'origine d'un amendement parlementaire, présenté par M. Pascal Arrighi, député, et les membres de la Commission des finances appartenant au groupe du Front national (R.N.), adopté par la commission et modifié ensuite, avant son adoption en séance publique, en cours de débat, à l'initiative du Gouvernement.

L'objectif était de manifester par une décision politique l'opposition de la France à la disposition de la Convention du Conseil de l'Europe concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, élaborée conjointement avec l'OCDE, ouverte à la signature le 25 janvier 1988 et prévoyant des interventions des fonctionnaires des administrations fiscales en territoire étranger.

Plus de dix ans après, le maintien de ce texte dans notre droit fiscal représente un symbole difficile à perpétuer.

Sa suppression doit être envisagée.

Elle doit l'être d'autant plus qu'elle est inopérante en droit, puisque si la France ratifie la convention précitée, sans émettre de réserve sur ce point précis, ou toute autre convention prévoyant la présence d'un fonctionnaire d'une administration fiscale étrangère à l'occasion d'une procédure de contrôle sur place, la disposition de la convention primant, l'article L. 80 C sera inopérant.

En outre, à l'heure où la grande fraude fiscale joue sur le cloisonnement des frontières et des procédures, il convient que les responsables politiques donnent l'exemple du décloisonnement et de l'échange d'informations et de personnels entre administrations fiscales.

3.- Améliorer la formation des agents et développer la capacité d'expertise mise à leur disposition

L'amélioration de la qualité des connaissances des hommes est l'un des enjeux essentiels de la modernisation et de l'accroissement de l'efficacité du contrôle fiscal.

La nécessité d'une bonne formation des personnels des impôts aux enjeux et aux techniques de la fraude et de l'évasion fiscales internationales, dès les écoles de formation, notamment dès l'Ecole nationale des impôts pour les futurs inspecteurs, fait l'objet d'un consensus suffisant pour que votre Rapporteur n'ait grand besoin d'insister.

a) Développer la formation

Dans le cadre de son rapport d'étape précité n° 1105, votre Rapporteur a déjà insisté sur la nécessité de développer la formation des personnels en charge du contrôle fiscal, de manière à leur permettre de connaître les techniques de pointe utilisées par les contribuables, entreprises et particuliers, pour éluder l'impôt dont ils sont redevables.

Cette recommandation doit, cette année, être renouvelée tant il est apparu à votre Rapporteur que les montages internationaux tendaient à se développer et à concerner des catégories de contribuables qui n'y auraient jamais songé il y a quelques années.

Elle vaut notamment pour les questions liées à la réalisation de plus-values sur les marchés boursiers et sur les marchés de gré à gré, qui ont été maintes fois signalées à votre Rapporteur.

La technique du portage, c'est-à-dire de l'acquisition de parts de sociétés de capitaux ou de sociétés de personnes et de leur cession, après réalisation d'une plus-value, est considérée comme une technique permettant de percevoir des revenus avec une moindre imposition, pourvu que les prix d'achat et de cession aient été convenus d'avance et que la plus-value soit apparemment justifiée. Il s'agirait là également d'une technique de corruption des décideurs dans certains pays, selon certaines informations communiquées à votre Rapporteur.

Une surveillance particulière doit donc être exercée sur ce point.

La vigilance doit être d'autant plus importante que la technicité des produits dérivés permet des manipulations aisées de cours, incompréhensibles pour un esprit non averti.

Détecter ces procédés exige à l'évidence une formation d'autant plus poussée qu'il convient de donner aux vérificateurs une expérience suffisante pour qu'ils puissent sans difficulté distinguer les opérations parfaitement honnêtes, et ne pas soupçonner inutilement le contribuable de bonne foi.

b) Renforcer l'expertise interne

S'agissant de la spécialisation de certains vérificateurs telle qu'elle est notamment opérée à la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), mais également dans les services déconcentrés, votre Rapporteur rappelle qu'il avait déjà souligné l'intérêt d'une telle démarche dans le cadre de son rapport d'étape précité n° 1105.

L'efficacité du contrôle fiscal exige, en effet, pour les secteurs très spécialisés, notamment ceux de la finance, l'appui de personnels qui ont les mêmes connaissances et la même vision d'ensemble des enjeux techniques et financiers de la filière que ceux qui exercent dans les entreprises.

Il renouvelle donc sa recommandation en faveur de la poursuite des actions engagées, notamment dans le domaine international, où, comme le montre le présent rapport, les enjeux sont très complexes.

c) Créer un réseau d'experts de l'administration pour l'assister dans l'évaluation des prix de certaines prestations internationales

Pour le contrôle des opérations internationales, l'évaluation des conditions des prix de pleine concurrence est particulièrement difficile.

L'exemple des faux rapports d'expertise rédigés en langues étrangères le prouve.

L'appel à des compétences très pointues s'avère donc indispensable.

Si l'administration fiscale a développé la formation de ses propres personnels et dispose de vérificateurs experts dans certains domaines, il peut être utile de prévoir que, dans des secteurs très spécifiques, elle puisse s'adjoindre la collaboration occasionnelle de personnes privées.

Il s'agit ainsi d'aller au-delà de la formule des experts publics, fonctionnaires ou membres des établissements publics, actuellement en vigueur et de permettre à l'administration de bénéficier, si elle en éprouve le besoin, de l'ensemble des compétences disponibles pour évaluer des prestations de service, des biens et des revenus très spécifiques.

B.- ACCROÎTRE L'EFFICACITÉ DU RÉSEAU DES CONVENTIONS FISCALES AUXQUELLES LA FRANCE A ADHÉRÉ

Dans le cadre de ses propositions précitées sur la lutte contre la concurrence fiscale dommageable, l'OCDE recommande un usage plus intensif et plus efficace des procédures d'échanges de renseignements.

C'est dans cette perspective et motivé par un souci de renforcement de la transparence et du décloisonnement des informations détenues par les différentes administrations en matière fiscale que votre Rapporteur propose un renforcement notable du réseau des conventions auxquelles la France est partie, en matière fiscale.

Naturellement, la mise en _uvre de cette proposition doit prendre en compte la difficulté de conclure une convention sans l'accord de l'autre partie.

Néanmoins, ayant pu constater la crainte que suscitait, dans l'esprit des hauts responsables administratifs de certains Etats, la possibilité de figurer sur la liste des paradis fiscaux qui sera établie par l'OCDE en avril 2000, il convient, en accord naturellement avec nos principaux partenaires, de prendre des initiatives pouvant conduire à faciliter l'échange d'informations avec celles des juridictions concernées qui voudront bien faire preuve d'un esprit coopératif.

Avant d'évoquer ses propositions, votre Rapporteur souhaiterait toutefois insister sur le fait que la voie la plus facile consisterait, puisqu'une partie des paradis fiscaux ont conclu avec le Royaume-Uni (les îles anglo-normandes, entre autres), les Pays-Bas (Aruba et les Antilles néerlandaises) ou la France (Monaco), des conventions prévoyant l'échange de certains renseignements en matière fiscale, une extension de ces conventions à l'ensemble des Etats de l'Union européenne.

Une telle solution mérite d'être étudiée rapidement, mais il apparaît prématuré de la proposer compte tenu des insuffisances de ces conventions, à certains égards, ainsi que des difficultés que de telles extensions sans précaution pourraient créer vis-à-vis de pays tiers en termes d'optimisation fiscale.

1.- Augmenter les possibilités d'échange d'informations
en matière fiscale

En matière fiscale, l'assistance administrative désigne l'ensemble des opérations effectuées dans le cadre de la coopération entre les administrations fiscales d'au moins deux Etats en vue d'établir l'assiette et d'assurer le contrôle et le recouvrement des impôts.

En pratique, l'assistance administrative prend deux formes : l'échange de renseignements et l'assistance au recouvrement.

Pour la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, le point crucial est l'échange de renseignements qui permet d'établir l'impôt. Il convient ainsi d'accroître les possibilités d'échange. Cet accroissement n'est pas seulement affaire de droit, mais également de moyens.

Aussi votre Rapporteur est-il conduit à recommander non seulement de compléter et d'améliorer le réseau des conventions fiscales prévoyant l'échange de renseignements en vue de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, mais aussi d'augmenter le nombre des postes d'attaché fiscal à l'étranger et d'accroître les moyens de chaque poste. La même remarque vaut pour les postes d'attaché douanier.

La présence de représentants des administrations financières dans les principaux Etats étrangers crée un climat de coopération très positif qui renforce considérablement l'efficacité des moyens juridiques existants.

a) Augmenter le nombre des conventions fiscales prévoyant un échange de renseignements et veiller à la qualité de ces conventions

· Le cadre des échanges de renseignements

Si l'on excepte les procédures informelles, l'échange de renseignements intervient selon quatre modalités non exclusives les unes des autres : l'échange de renseignements d'office ; l'échange de renseignements automatique ; l'échange spontané de renseignements ; l'échange de renseignements sur demande.

L'échange automatique de renseignements d'office ne concerne que dix-sept pays (Allemagne, Autriche, Belgique, Burkina Faso (Haute-Volta) Danemark, Etats-Unis, Finlande, Gabon, Maroc, Monaco, Niger, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Royaume-Uni, Sénégal et Suède) et un territoire d'outre-mer (la Polynésie). Il est mis en _uvre pour les impôts autres que la TVA. Les catégories de revenus visées sont principalement les salaires, les intérêts, redevances, honoraires, commissions.

L'échange de renseignements automatique concerne la TVA et sera évoqué ultérieurement dans le cadre du chapitre III relatif à la fraude à la TVA intra-communautaire.

L'échange spontané de renseignements concerne les éléments recueillis lors des procédures d'établissement de l'assiette et du contrôle de l'impôt. Il est considéré comme un substitut à l'échange de renseignements d'office pour les pays avec lesquels aucun accord exprès n'a été conclu, ou comme un complément pour des renseignements ponctuels non visés par l'accord intervenu sur l'échange d'office. Les éléments transmis concernent l'existence de revenus imposables dans le pays auquel sont transmis les éléments, la fortune et le train de vie d'un non résident ou une fraude supposée commise dans l'autre Etat.

Enfin, l'échange de renseignements sur demande concerne les cas où un Etat souhaite recueillir des informations susceptibles d'être détenues dans un Etat partenaire ou obtenir la confirmation des faits dont il a eu connaissance.

Sur le plan juridique, ces procédures s'exercent sur trois fondements : les conventions bilatérales ; les directives et règlements communautaires ; l'article L. 114 du livre des procédures fiscales, qui habilite l'administration des impôts à échanger des renseignements avec les administrations des territoires d'outre-mer et des collectivités territoriales relevant d'un régime fiscal spécifique, ainsi qu'avec les Etats ayant conclu avec la France une convention d'assistance réciproque en matière d'impôts.

· La nécessité d'une extension des conventions fiscales comportant des clauses d'assistance administrative permettant, sans réserve, à la France de demander des renseignements afin de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales.

Le rôle essentiel des conventions fiscales comportant des clauses d'assistance administrative permettant, sans réserve, à la France de demander des renseignements afin de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales conduit à recommander la conclusion de conventions avec des Etats ou territoires vis-à-vis desquels nous ne sommes pour l'instant pas liés.

LES CONVENTIONS D'ASSISTANCE ADMINISTRATIVE EN VUE DE LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET L'ÉVASION FISCALES
CONCLUES PAR LA FRANCE

(En vigueur au 1er octobre 1996)

Etat ou territoire

Impôts visés

Afrique du sud

IR - IF

Algérie

IR - S - DE

Allemagne

IR - IF

Argentine

IR - IF

Australie

IR

Autriche

IR - IF - S -D

Bangladesh

IR

Belgique

IR - S - DE

Bénin

IR - S - DE

Brésil

IR

Bulgarie

IR

Burkina-Faso

IR - S - DE

Cameroun

IR - S - DE

Canada

IR - IF - S

Centrafrique

IR - S - DE

Chine

IR

Chypre

IR - IF

Congo

IR - S - DE

Corée (République de)

IR

Côte d'Ivoire

IR - S - DE -
Rémunérations publiques

Danemark

IR - IF

LES CONVENTIONS D'ASSISTANCE ADMINISTRATIVE EN VUE DE LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET L'ÉVASION FISCALES
CONCLUES PAR LA FRANCE

(Suite)

Egypte

IR - IF

Equateur

IR

Espagne

IR - IF - S

Etats-Unis

IR - IF
+ impôt sur les opérations de bourse
S - D

Finlande

IR - IF - S

Gabon

IR - S - DE

Grèce

IR

Hongrie

IR - IF

Inde

IR - IF

Indonésie

IR - IF

Iran

IR

Irlande

IR

Islande

IR

Israël

IR - IF

Italie

IR - IF - S - D

Japon

IR

Jordanie

IR

Koweit

IR -IF - S

Liban

IR - S

Luxembourg

IR - IF

Madagascar

IR

Malaisie

IR

Malawi

IR

Mali

IR - S - DE

Malte

IR - IF

Maroc

IR - S - DE

Maurice (Ile)

IR - IF

Mauritanie

IR - S - DE

Mayotte

IR - S - DE

Mexique

IR

Monaco

Convention fiscale n'ayant pas principalement pour objet d'éviter les doubles impositions
IR-S

Niger

IR - S - DE

Nigéria

IR

Norvège

IR - IF

Nouvelle-Calédonie

IR - S - DE -D

LES CONVENTIONS D'ASSISTANCE ADMINISTRATIVE EN VUE DE LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET L'ÉVASION FISCALES
CONCLUES PAR LA FRANCE

(Suite)

Nouvelle-Zélande

IR

Pakistan

IR

Pays-Bas

IR - IF

Philippines

IR

Pologne

IR - IF

Polynésie française

Impôts sur les revenus
de capitaux mobiliers

Portugal

IR - S - D

Qatar

IR - IF - S

Roumanie

IR - IF

Royaume-Uni

IR - S

Saint-Pierre-et-Miquelon

IR - S - DE - D

Sénégal

IR - S - DE

Singapour

IR

Slovaquie

IR - IF

Sri Lanka

IR

Suède

IR - IF - S - D

Suisse

IR - IF - S - SD

Tchèque (république)

IR - IF

Thaïlande

IR

Togo

IR - S - DE

Trinité et Tobago

IR

Tunisie

IR - S - DE

Turquie

IR

Ex-URSS (Etats membres de la CEI)

IR

Régime fiscal des brevets

Venezuela

IR

Viêt-Nam

IR - IF

Ex-Yougoslavie

IR

Zambie

IR

Note : D : droits sur les donations ; DE : droits d'enregistrement ; IF : impôt sur la fortune ;
IR : impôts sur le revenu (y compris l'impôt sur les sociétés) ; S : droits de succession.

On constate que la liste de ces Etats ne comprend pas plusieurs paradis fiscaux notoires, qui représentent autant d'écrans à l'exercice du contrôle fiscal tant pour l'impôt sur le revenu que pour l'impôt sur les sociétés.

Une extension du réseau des conventions s'impose donc.

Néanmoins, cette extension ne doit pas se faire sans précaution. Il importe en effet de veiller à la réalité de l'accès à l'information qu'autorise la convention. Trop de conventions ne permettent pas, en effet , d'accéder à la totalité de l'information pertinente dans le cadre des seules procédures fiscales.

b) Développer le réseau des attachés fiscaux et des attachés douaniers et renforcer les moyens des postes existants

Les attachés fiscaux assurent, dans certaines de nos ambassades, la représentation de la direction générale des impôts dans le pays où ils exercent leurs fonctions. Six postes d'attachés fiscaux sont actuellement ouverts à Bonn, Bruxelles (pour la Belgique et les Pays-Bas), Londres, Madrid, Rome et Washington (pour les Etats-Unis et le Canada).

Les attachés fiscaux exercent trois missions essentielles :

- une mission de contrôle fiscal puisqu'ils sont chargés, en qualité d'autorité compétente, par délégation, de la liaison avec les autorités fiscales du pays de résidence ou des pays où ils sont accrédités, en vue d'échanger spontanément ou sur demande les renseignements prévus pour l'application des accords fiscaux conclus avec la France en matière d'assistance administrative, ainsi que des directives et règlements communautaires pour les pays de l'Union européenne, et qu'ils gèrent également certains aspects des composantes internationales des contrôles (recueil d'éléments relatifs aux domiciliations, suivi de certaines affaires en matière de TVA intra-communautaire) ;

- une participation aux discussions avec les administrations fiscales étrangères sur l'application et l'évolution des conventions, ainsi que lors de la mise en _uvre des procédures amiables prévues par ces conventions ;

- une observation de l'organisation des administrations fiscales étrangères et une étude de la législation interne.

Lors de sa rencontre avec l'ensemble des six attachés fiscaux, à Paris, d'abord, à l'occasion de ses différents déplacements à l'étranger, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Belgique et au Pays-Bas ensuite, il est clairement apparu à votre Rapporteur que les postes d'attachés fiscaux étaient essentiels.

On ne peut donc que recommander une extension du nombre des postes et une extension de la couverture des pays.

A l'heure où le présent rapport a été rédigé, le projet d'une extension à l'Irlande des compétences de l'attaché fiscal en poste à Londres était en voie de réalisation, le principe en ayant déjà été acté. Il faut se féliciter de cette initiative.

Néanmoins, votre Rapporteur recommande la création d'autres postes d'attachés fiscaux, de manière que l'ensemble des pays européens soient, à terme, couverts, sans procéder à une simple extension des compétences des postes existants. Par ailleurs, pour les pays avec lesquels nous avons beaucoup de liens économiques et financiers, et ainsi de nombreuses demandes d'échange de renseignements, la règle selon laquelle un poste couvre un seul pays ne devra pas être perdue de vue, à l'avenir.

En effet, les postes actuels ne sont pas en sous-activité, et c'est plutôt à un accroissement de leurs moyens qu'il faut songer. L'attaché fiscal dispose en effet d'une équipe réduite à un seul collaborateur alors que les demandes d'échange de renseignements et le nombre des dossiers dont il faut assurer le suivi tendent à aller croissant.

Bien que cette question relève moins de l'objet de sa mission, votre Rapporteur a pu établir un constat similaire pour les postes d'attaché douanier. Il est donc conduit à formuler le même souhait.

Ces fonctionnaires qui disposent fort heureusement d'une latitude certaine dans leur travail, par la qualité des rapports qu'ils établissent avec leurs collègues des administrations compétentes du pays d'accueil, contribuent efficacement à l'établissement d'un climat très positif qui ne peut que favoriser la coopération.

2.- Solliciter, notamment des pays européens, la modification des conventions applicables et obtenir l'adaptation des directives et règlements communautaires, afin d'assurer un accès effectif à l'information nécessaire à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales

a) Les problèmes posés par certaines conventions fiscales

Plusieurs types de dispositions restrictives peuvent conduire à réduire considérablement l'efficacité de certaines conventions en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

Cette situation, relativement tolérable à une époque où la fraude et l'évasion fiscales internationales étaient limitées à des sphères très restreintes de la société, ne l'est plus à l'époque de la mondialisation. Elle l'est même d'autant moins qu'elle concerne de nombreux Etats européens avec lesquels notre pays et ses ressortissants entretiennent des relations économiques, commerciales et financières importantes.

Le premier cas est celui des conventions conclues avec certains pays du Golfe persique et qui prévoient l'élimination des doubles impositions, mais ne comportent pas de clause relative aux échanges de renseignements (Arabie saoudite, Bahreïn, Qatar). La mise en _uvre d'une procédure de contrôle fiscal n'est donc pas simple.

Le deuxième exemple est celui des conventions qui comprennent des clauses restrictives d'échange de renseignements, notamment de celles conclues avec l'Algérie, la Malaise, Madagascar et la Suisse.

Au-delà de ces deux catégories marquées, plusieurs exemples montrent les difficultés générées par les textes des conventions ou les difficultés d'harmonisation avec la loi interne et méritent d'être cités.

Ainsi, la convention conclue avec la Suisse ne couvre ni le droit interne ni la lutte contre la fraude fiscale internationale, mais a seulement pour objet d'éviter les doubles impositions.

L'article 28-1 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 concernant l'échange de renseignements prévoit, en effet, que les Etats pourront, sur demande, échanger des renseignements nécessaires pour une application régulière de la convention mais aussi qu'il ne pourra pas être échangé de renseignements qui dévoileraient un secret commercial, bancaire, industriel ou professionnel ou un procédé commercial.

S'agissant des Pays-Bas, en matière d'impôts directs et d'impôt sur la fortune, la fourniture de renseignements à un Etat requérant est conditionnée par la mise en _uvre préalable des dispositions de la loi interne. Cette procédure induit plusieurs conséquences préjudiciables à la rapidité et à l'efficacité du contrôle fiscal : des délais particulièrement longs, la procédure prévoyant trois stades ; la notification des informations recueillies au cours de l'enquête au contribuable résident des Pays-Bas ; la discussion entre l'administration et le contribuable résident des Pays-Bas qui peut s'opposer à la transmission de certains renseignements ; la saisine du Conseil d'Etat en cas de désaccord persistant du contribuable.

Elle impose également comme condition impérative que l'Etat requérant ait un intérêt direct à la demande. Les demandes engagées dans un simple souci d'information ou qui apparaissent comme telles sont donc vouées à l'échec, et il doit y avoir, pour réussir, des droits en cause ou pour le moins des rappels présumés.

En outre si, en principe, les renseignements ou documents fournis ne sont pas limités (documents comptables, pièces justificatives, contrats, actes), on constate en pratique d'importantes difficultés.

Ainsi, les régimes fiscaux privilégiés (holdings, sociétés financières, secteurs à « ruling »), entraînent souvent des réponses vagues, voire inutilisables.

Au Royaume-Uni, il n'est pas possible pour l'Inland Revenue d'interroger une banque sur les comptes bancaires détenus par un contribuable vérifié en France, sauf à démontrer que cette information a une incidence sur le bénéfice de la banque, ce qui est bien évidemment exclu en pratique.

Ainsi, les demandes d'assistance portant sur le recensement des comptes bancaires n'ont aucune chance d'aboutir, sauf exception visée ci-après, étant précisé qu'il n'existe pas de fichier centralisé des comptes bancaires au Royaume-Uni, et que l'Inland Revenue ne connaît pas les établissements où le contribuable peut avoir des comptes. En tout état de cause, la banque ne serait pas obligée de répondre.

La seule exception concerne la possibilité d'obtenir d'un organisme indépendant d'appel (Commissioners) une injonction de produire l'information demandée. Cette procédure n'est accordée que si l'Inland revenue démontre qu'elle est en présence d'une fraude fiscale avérée, et que les droits fraudés aux dépens de la Couronne britannique sont substantiels. Les demandes d'assistance n'entrent pratiquement jamais dans ce cadre.

Enfin, il faut citer les dispositions restrictives de la convention conclue avec le Luxembourg, tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Paris le 1er avril 1958, qui prévoit dans son article 22 que l'échange de renseignements concerne les éléments que les « législations nationales permettent d'obtenir » et qu'il ne pourra être échangé de renseignements qui dévoileraient un secret bancaire, notamment.

Dans cette situation, où l'on mesure l'ampleur des améliorations à obtenir, même s'il s'interroge sur les raisons du délai, c'est avec satisfaction que votre Rapporteur a eu la confirmation que la France avait toujours l'intention de ratifier la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, élaborée au sein du Conseil de l'Europe sur la base d'un premier projet établi par le comité des affaires fiscales de l'OCDE, et ouverte à la signature le 25 janvier 1988.

Cette convention pourrait cependant faire l'objet de réserves de la part de nos partenaires. Elle prévoit en effet d'aller au-delà des procédures classiques d'échange de renseignements et d'autoriser les contrôles fiscaux en territoire étranger.

b) Le cas des conventions fiscales franco-monégasques

L'ensemble constitué des deux conventions fiscales franco-monégasques, la convention fiscale du 18 mai 1963 et la convention relative aux successions de 1950, ne semble plus offrir un dispositif réellement satisfaisant pour la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, même si la France reste moins vulnérable vis-à-vis de Monaco que d'autre pays membres de l'Union européenne, notamment l'Italie.

On constate en effet plusieurs éléments de nature à favoriser la fraude ou l'évasion fiscales et qui montrent que la protection des intérêts de la France dans le cadre d'un dispositif strict ne remplit plus qu'imparfaitement sa mission. On rappellera que ce dispositif est fondé, ce qui est rare, sur le critère de la nationalité et ne concerne que les seuls ressortissants français, et non les ressortissants européens qui auraient pu à une période de leur vie être fiscalement domiciliés en France.

En ce qui concerne l'objectif premier de la convention de 1963, à savoir l'assujettissement à l'impôt sur le revenu, en France, des nationaux français résidant à Monaco, on constaterait des difficultés pour obtenir des renseignements nécessaires à l'établissement de l'assiette de l'impôt des personnes exerçant à Monaco des activités indépendantes relevant de la catégorie des BIC ou de celle des BNC. Pourtant, l'article 21 de la convention du 18 mai 1963 prévoit un tel échange de renseignements.

Une autre difficulté concerne l'ISF. Celui-ci n'est en effet pas dû sur les résidents monégasques de nationalité française, car il n'est pas couvert par la convention. Un transfert de résidence à Monaco, coûteux certes, au plan immobilier, permet donc d'échapper à l'ISF.

De même, des stratégies de minoration des droits de succession sont possibles, car, dès lors que le de cujus y réside depuis plus de cinq ans, ceux-ci sont acquittés dans la Principauté. On rappellera que le taux maximum est de 16%. En outre, la modification des règles de territorialité en matière de droits de succession opérée dans le cadre de l'article 19 de la loi de finances pour 1999, n'est pas applicable, car c'est la convention franco-monégasque qui prime. On observera qu'environ soixante personnes de nationalité française décéderaient, chaque année, à Monaco.

Il faut également mentionner le préjudice causé par la facilité de constituer dans la Principauté des sociétés civiles immobilières, dont les parts ne sont pas imposables en France à l'impôt sur les successions, lorsque le de cujus est domicilié dans la Principauté. On rappellera que si l'article 2 de la convention de 1950 n'attribue l'imposition des immeubles et droits immobiliers qu'au seul Etat du situs et que si la question de savoir si un bien ou un droit a ou non un caractère immobilier est résolue d'après l'Etat dans lequel il est situé, l'article 6 de cette convention prévoit que les parts de sociétés à prépondérance immobilière sont imposées dans le pays de résidence du défunt, quelles que soient la nature et la localisation de leurs actifs. Il faut observer que, contrairement aux sociétés commerciales, soumises à autorisation, les sociétés civiles peuvent en effet être constituées librement à Monaco. Il est donc possible de constituer des SCI à Monaco et d'y incorporer des biens immobiliers situés en France.

Enfin, il est impossible d'obtenir communication de renseignements bancaires pour l'établissement de la domiciliation fiscale, car les renseignements ne peuvent être donnés que lorsque cette domiciliation est établie.

Cette situation incite à un rappel des autorités monégasques à leurs obligations, en matière d'échange de renseignements et de qualité des informations délivrées.

Il apparaît en outre nécessaire d'obtenir par avenant des modifications des conventions de 1950 et 1963 dans le sens souhaité par leurs initiateurs : la neutralité fiscale du transfert de domicile à Monaco par un Français. Cette neutralité n'est en effet plus respectée.

C.- DÉVELOPPER LE RÉSEAU DES CONVENTIONS D'ASSISTANCE JUDICIAIRE ET AMÉLIORER LES MODALITÉS DE TRAITEMENT DE LA FRAUDE FISCALE

Lorsqu'elle conduit à des poursuites pénales et à des condamnations, soit en application de l'article 1741 du code général des impôts, principalement, après autorisation de la commission des infractions fiscales, soit pour escroquerie à la TVA en application de l'article 313-1 ou de l'article 313-2 du code pénal, la fraude fiscale peut entraîner la mise en jeu des différents instruments de coopération internationale.

Il s'agit soit de l'entraide pénale, dès lors que des éléments de preuve peuvent se situer à l'étranger, car le principe de la souveraineté des Etats interdit en effet à la juridiction pénale française de procéder, à peine de nullité, à des actes d'instruction en dehors des frontières, soit de l'extradition, dans le cadre de laquelle l'Etat requérant demande à l'Etat requis de lui remettre une personne se trouvant sur son territoire, afin de la juger (extradition à fin de jugement) ou de lui faire exécuter sa peine (extradition à fin d'exécution d'une peine).

D'une manière générale, si l'entraide répressive repose sur plusieurs instruments, notamment la communication transfrontalière de pièces à conviction, de dossiers ou de documents, et la comparution de personnes, soit sur la base du volontariat, s'il  s'agit de témoins non détenus ou d'experts, soit sur la base du transfèrement, s'il s'agit de personnes détenues, le moyen essentiel de coopération est la commission rogatoire internationale, acte d'une autorité judiciaire française adressée à une autorité judiciaire étrangère, par laquelle l'autorité de l'Etat requérant demande à celle de l'Etat requis de réunir des preuves et de les lui communiquer.

On rappellera qu'une commission rogatoire doit être naturellement précise dans sa rédaction, mais qu'elle peut avoir des objets très divers, et demander tout acte ou tout document utile à la manifestation de la vérité et susceptible d'être effectué par un magistrat étranger ou sous l'autorité d'un magistrat étranger. Il s'agit notamment de l'obtention de renseignements, et naturellement de renseignements bancaires ou commerciaux, d'enquêtes, d'expertises, de la délivrance de documents, de l'organisation d'écoutes téléphoniques, de transport sur les lieux, de perquisition ou de confrontations ou d'auditions de personnes. La seule restriction concerne le placement en détention provisoire, qu'il n'est pas possible d'obtenir dans le cadre d'une commission rogatoire internationale.

La qualité de la coopération en matière répressive dépend donc pour l'essentiel des modalités de transmission ainsi que des délais et condition d'exécution des commissions rogatoires internationales.

Cette question est d'autant plus aiguë en matière fiscale qu'elle se pose lorsque les éléments nécessaires n'ont pu être collationnés dans le cadre de l'assistance administrative et doivent faire l'objet de demandes au stade pénal.

En ce qui concerne l'extradition, l'enjeu n'est pas du même ordre, puisque la procédure tend à provoquer le retour du délinquant sur le territoire national soit pour le juger, soit pour lui faire exécuter sa peine, mais il n'en est pas moins important, car la crédibilité de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales exige que l'Etat soit à même de réprimer le plus complètement les comportements répréhensibles qu'il a poursuivis.

La mise en _uvre de ces procédures d'entraide répressive et d'extradition est peu fréquente en matière fiscale. L'appareil statistique des Parquets généraux et de la Chancellerie ne permet pas de connaître le nombre exact des demandes concernées, mais il a été confirmé à votre Rapporteur que ce nombre est faible, ce qui corrobore, si besoin était, la faiblesse de la pénalisation des infractions fiscales en France déjà largement soulignée dans le cadre du rapport d'étape n° 1105 intitulé « Fraude et évasion fiscale : une intolérable atteinte à l'impôt citoyen ».

S'agissant des demandes adressées à la France, celles-ci sont également assez rares. Les plus fréquentes émanent du Royaume-Uni, et concernent les accises et la TVA.

Néanmoins, ce recours assez limité ne doit pas conduire à négliger le fait que la coopération pénale internationale constitue, par principe, l'élément primordial de la lutte contre la fraude fiscale car elle permet de faire entrer dans le droit commun des zones de non droit en matière fiscale et de procéder, le cas échéant, à des poursuites dont la publicité aura une valeur d'exemplarité particulièrement dissuasive sur les contribuables éventuellement tentés par la fraude.

Votre Rapporteur a déjà pu mesurer (cf. supra II, D, 2) l'importance de l'effort à faire pour atteindre la situation idéale où chaque Etat serait lié au nôtre, soit dans le cadre d'une convention bilatérale, soit dans le cadre d'une convention multilatérale, en matière tant d'entraide pénale que d'extradition rendant obligatoire l'exécution des actes d'assistance demandés par notre pays.

Il lui a paru nécessaire de proposer ainsi :

- de compléter le réseau des conventions d'entraide pénale et des conventions d'extradition auxquelles la France est partie ;

- de veiller au contenu de ces conventions, des conventions existantes comme des conventions futures, de manière que la fraude fiscale ne fasse l'objet d'aucune restriction et soit traitée comme une infraction de droit commun.

Naturellement, la mise en _uvre de cette proposition devra tenir compte de la difficulté de conclure une convention sans l'accord de l'autre partie.

Néanmoins, ayant pu constater la crainte que suscitait, dans l'esprit des hauts responsables administratifs de certains Etats, l'éventualité de figurer sur la liste des paradis fiscaux qui sera établie par l'OCDE en avril 2000, votre Rapporteur estime qu'il convient, en accord naturellement avec nos principaux partenaires, de prendre des initiatives pouvant conduire à faciliter l'échange d'informations avec celles des juridictions concernées qui voudront bien faire preuve d'un esprit coopératif.

Naturellement, ces propositions ne concernent pas prioritairement, les pays membres de l'Union européenne, compte tenu de l'importance des textes communautaires, des instruments multilatéraux élaborés à ce niveau, tels que la convention de protection des intérêts financiers de la Communauté ou la Convention d'application du 13 juin 1990 de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, et des conventions bilatérales conclues indépendamment de l'impulsion communautaire entre deux Etats membres.

Cependant, elles ne les excluent pas, l'article K 7 du titre VI du traité sur l'Union européenne n'interdisant pas la conclusion d'accords entre deux ou plusieurs Etats membres, à condition que cette coopération plus poussée n'affecte pas celle menée dans le cadre du « troisième pilier » de l'Union.

1.- Compléter le réseau des conventions d'entraide judiciaire et des conventions d'extradition pour faciliter les recherches et accélérer les procédures

Le développement du réseau des conventions d'entraide judiciaire en matière pénale constitue un élément essentiel de la crédibilité des poursuites engagées à raison des infractions pour fraude fiscale, en matière internationale : il permet de donner un caractère certain à l'entraide et de simplifier les procédures, ce qui revient à les accélérer.

En l'absence de convention, en effet, la coopération pénale internationale n'est pas impossible, mais elle est difficile et lourde.

S'agissant de l'entraide pénale, l'exécution d'une commission rogatoire n'est nullement une obligation mais uniquement un acte de courtoisie internationale. Il en résulte donc une très grande incertitude qui laisse aux criminels et délinquants le sentiment d'une large impunité. Ce sentiment peut même se muer en la quasi-certitude d'une impunité totale lorsque l'Etat concerné exclut, par principe, toute coopération pour une infraction donnée.

Sur le plan de la procédure, la commission doit transiter par la voie diplomatique, c'est à dire par le ministère des affaires étrangères de chacun des Etats, ce qui est nécessairement long. On ne relève pas moins de six niveaux de transmission, chaque juridiction devant s'adresser via une instance de centralisation, les parquets généraux des cours d'appel en France, au ministère de la justice lequel doit adresser la demande au ministère des affaires étrangères. Sauf urgence et dans la seule mesure où la loi de l'Etat requis le prévoit, toute communication d'autorité judiciaire à autorité judiciaire ne peut avoir de suite utile.

En outre, sur le plan technique, de nombreux éléments, qui reposent sur une logique juridique indéniable, représentent des facteurs de complexité et sont susceptibles de ralentir la procédure pénale, et de permettre à celui qui en est l'objet de se mettre hors de portée :

- la régularité de l'exécution de la commission doit être appréciée, par l'autorité judiciaire de l'Etat requérant, à la lumière de la loi étrangère ;

- la force probante des éléments est, par contre, appréciée, au fond, selon les règles de l'Etat requérant ;

- certains Etats prévoient, dans un cadre législatif ad hoc des procédures complexes d'appel des modalités d'exécution des commissions rogatoires, qui peuvent présenter autant de difficulté ;

- la divulgation de certaines informations, notamment d'informations bancaires ou relatives à la détention réelle d'une société n'est pas autorisée pour certaines infractions. Ces restrictions concernent souvent les infractions fiscales.

En outre, le principe dit de la double incrimination, selon lequel l'infraction commise dans l'Etat requérant doit également être prévue par le droit pénal de l'Etat requis s'applique, en principe.

Cette règle est cependant interprétée d'une manière souple par certains Etats, ce qui facilite une coopération sans base conventionnelle et fait que l'entraide est accordée presque systématiquement.

En matière d'extradition, la procédure est également longue et difficile, en l'absence de convention. On rappellera en outre que toute procédure d'extradition est soumise au principe de la double incrimination et que ce principe s'applique sans exception. Ceci limite le champ des demandes compte tenu du nombre des pays réputés constituer des paradis fiscaux, déjà mentionnés (cf supra I, A) qui ne reconnaissent pas la fraude fiscale comme une infraction pénale.

Lorsque l'entraide judiciaire ou l'extradition ont fait l'objet de conventions entre la France et l'Etat requis, qu'il s'agisse d'une convention multilatérale ou d'une convention bilatérale, l'exercice des poursuites dans l'espace international ou européen est plus aisé, puisque ce qui était facultatif constitue désormais une obligation.

En effet, s'agissant de l'entraide pénale, les conventions, qu'elles soient bilatérales ou multilatérales, réglementent tant l'envoi que l'exécution des commissions rogatoires internationales.

Elles permettent ainsi de procéder à une simplification et, surtout, à une accélération des procédures. La voie diplomatique pouvant représenter un délai allant de six à huit mois, le délai est moindre en cas de transmission directe d'autorité judiciaire à autorité judiciaire.

Ainsi, si certaines conventions prévoient la transmission de la commission rogatoire par la voie diplomatique, d'autres disposent qu'elles peuvent faire l'objet d'une transmission entre les ministres de la justice et d'autres prévoient même, soit en cas d'urgence, soit en l'absence même d'urgence une transmission directe de l'autorité judiciaire requérante à l'autorité judiciaire requise.

Par ailleurs, la procédure perd de son incertitude, puisque l'Etat requis, qui s'est engagé dans le cadre conventionnel, a l'obligation d'exécuter la commission dès lors que l'infraction est couverte par la convention. L'infraction peut être mentionnée soit de manière explicite, comme c'est le cas pour les conventions d'entraide pénale, toujours anciennes, qui relèvent de la catégorie des conventions à liste.

La non exécution ne peut que résulter d'une réserve de l'application du principe de la double incrimination, si la convention le prévoit.

Elle peut également résulter d'une disposition laissant à l'Etat requis la faculté de refuser, en certaines circonstances, l'exécution de la commission rogatoire.

De même en matière d'extradition, la convention crée des obligations similaires.

Si la signature d'une convention bilatérale représente un progrès, on ne doit cependant pas en déduire que tout problème d'exécution des commissions rogatoires est supprimé. Certaines procédures internes de recours sont semblables à celles précédemment signalées pour le cas où il n'y a pas de convention, et interviennent parfois, en pratique.

Un simple examen de la liste des Etats avec laquelle la France a conclu, soit dans un cadre multilatéral, soit dans un cadre bilatéral, montre clairement que la France dispose d'un réseau très incomplet qui ne couvre pas les paradis fiscaux les plus avérés.

Au 31 janvier 1998, le total des conventions bilatérales liant la France à un autre Etat s'établissait à 32 pour les conventions d'extradition et à 21 pour les conventions d'assistance judiciaire en matière pénale.

Le tableau suivant présente la liste des Etats concernés :

LES ETATS AVEC LESQUELS LA FRANCE A CONCLU UNE CONVENTION BILATÉRALE EN MATIÈRE D'ENTRAIDE PÉNALE
OU UNE CONVENTION D'EXTRADITION

(Liste élaborée au 31 janvier 1998)

Pays

Extradition

Entraide judiciaire en matière pénale

Algérie

Convention relative à l'exequatur et à l'extradition du 27 août 1964 (JO du 17 août 1965, page 7269)

Protocole judiciaire du 28 août 1962 (JO du 30 août 1962, page 8510), accord par échange de lettres du 18 septembre 1980 sur la coopération judiciaire - entrée en vigueur le 1er octobre 1980, JO du 9 octobre 1980, page 2297)

Australie

Convention franco-australienne d'extradition du 30 août 1988, entrée en vigueur le 23 novembre 1989 (JO du 16 décembre 1989, page 15639)

Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et l'Australie du 14 janvier 1993 (JO du 18 mai 1994, page 7287)

Bénin

Accord de coopération en matière de justice du 27 février 1975 ((JO du 10 janvier 1978, page 258)

Voir aussi l'accord de coopération militaire technique du 27 février 1975 (JO du 10 janvier 1978, page 259)

Burkina Faso

Accord de coopération en matière de justice du 24 avril 1961 (JO des 5 et 6 février 1962, page 1311)

Cameroun

Accord de coopération en matière de justice du 21 février 1974 (JO du 17 décembre 1975, page 12903)

Idem plus accord de coopération militaire du 21 février 1974 (JO du 17 décembre 1975, page 12895)

Canada

Convention d'extradition du 17 novembre 1988, entrée en vigueur le 1er décembre 1989 (JO du 6 janvier 1990, page 226)

Convention d'entraide judiciaire en matière pénale du 15 décembre 1989 (JO du 16 mai 1991, page 6487)

Centrafrique

Accord de coopération en matière de justice du 18 janvier 1965 (JO du 19 mai 1967, page 4916)

Pays

Extradition

Entraide judiciaire en matière pénale

Colombie

Convention entre la République française et la République de Nouvelle-Grenade pour l'extradition réciproque des criminels du 9 avril 1850 (B.L. 1852 n° 566, page 337)

 

Congo

Convention de coopération en matière judiciaire du 1er janvier 1974 (JO du 10 février 1982, page 516)

Corée

 

Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement français et la République de Corée en date du 2 mars 1995, entrée en vigueur le 7 février 1997 (JO du 17 avril 1997, page 5813)

Côte d'Ivoire

Accord de coopération en matière judiciaire du 24 avril 1961 (JO des 5 et 6 février 1962, page 1265)

Cuba

Traité d'extradition du 3 janvier 1925 (JO du 12 juin 1929, page 6434)

 

Djibouti

Convention d'extradition du 27 septembre 1986 (JO du 21 août 1992, page 11376)

Convention d'entraide judiciaire en matière pénale du 27 septembre 1986 (JO du 21 août 1992, page 11378)

Egypte

Convention de coopération judiciaire en matière pénale du 15 mars 1982 (JO du 19 juillet 1983, page 2228)

Equateur

Traité d'extradition du 13 avril 1937 (JO du 8 mars 1938, page 2652)

Etats-Unis

Convention d'extradition du 6 janvier 1909 (JO des 5 et 23 juillet 1911), complétée par la convention du 12 février 1970 additionnelle à la convention d'extradition du 6 janvier 1909 avec trois échanges de lettres (JO du 17 avril 1971, page 3702)

 

Gabon

Convention d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition du 23 juillet 1963 (JO du 2 mars 1965, page 1724)

Guinée équatoriale

Accord de coopération militaire technique signé le 9 mars 1985 (JO du 18 avril 1988, page 5028)

 

Iran

Convention d'extradition du 24 juin 1964 (JO du 30 mars 1967, page 3077, article 22 interprété par échange de lettres des 28 mai-8 juin 1966)

 

Kiribati

Voir JO du 17 juin 1957, page 5702

 

Laos

voir article 22 de la convention du 16 novembre 1956

Convention d'entraide judiciaire et d'établissement d'une procédure simplifié du 16 novembre 1956 (JO du 10 avril 1960, page 3332)

Libéria

Traité d'extradition du 5 juillet 1897 (JO du 10 juillet 1900)

 

Madagascar

Convention du 4 juin 1973 concernant l'entraide judiciaire, la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions ainsi que l'extradition-simplifiée 1956 (JO du 30 juillet 1975, page 7708)

Mali

Accord de coopération en matière de justice du 9 mars 1962 1956 (JO du 10 juillet 1964, page 6128, rectificatif 1956 JO du 27 février 1965, page 1643)

 

Pays

Extradition

Entraide judiciaire en matière pénale

Maroc

Convention d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition du 5 octobre 1957 1956 (JO du 14 janvier 1960, page 425), échange de lettres du 16 novembre 1970 et 4 janvier 1971 pour l'application de l'article 34 de la convention du 5 octobre 1957 1956 (JO du 18 juin 1971, page 5852)

Idem, plus protocole additionnel à la convention précitée supprimant l'exigence de légalisation entre la France et le Maroc, en date du 10 août 1981 (JO du 19 décembre 1981, page 3459)

Mauritanie

Accord en matière de justice du 19 juin 1961 avec échange de lettres (JO du 6 février 1962, page 1330)

Mexique

Convention d'extradition entre la France et le Mexique en date du 27 janvier 1994 (JO du 23 avril 1995, page 6330)

Convention d'entraide judiciaire en matière pénale du 27 janvier 1994 (JO du 23 avril 1995, page 6328)

Monaco

Convention d'extradition du 11 mai 1992 (JO du 15 octobre 1993, page 14386)

Convention du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire (JO du 2 avril 1953, page 3121), plus convention de voisinage du 18 mai 1963 (JO du 27 septembre 1963, page 8687)

Niger

Convention de coopération judiciaire du 19 février 1977 (JO du 26 avril 1980, page 1068)

Idem, plus accord de coopération militaire technique du 19 février 1977 (JO du 29 avril 1980, page 1064)

Nouvelle-Zélande

Convention d'extradition avec la Grande-Bretagne du 14 août 1876 (JO du 10 avril 1878), convention du 13 février 1896 avec la Grande-Bretagne modifiant la convention d'extradition du 14 août 1876 (JO du 20 février 1896), convention du 17 octobre 1908 additionnelle d'extradition modifiant la convention du 14 août 1876 (JO du 31 juillet 1909), échange de lettres franco-britannique du 16 février 1978 modifiant l'article 3 de la convention d'extradition du 14 août 1876 (JO du 11 mai 1978, page 2033)

 

Pérou

Convention d'extradition du 30 septembre 1874 (JO du 23 janvier 1876)

 

Roumanie

Convention relative à l'entraide judiciaire en matière pénale et à l'extradition du 5 novembre 1974 (JO des 17-18 novembre 1975, page 11877)

 

Saint-Marin

Convention d'extradition du 30 avril 1926 (JO du 10 avril 1929), les articles 13, 14, 15 et 16 de la convention précitée ayant été abrogés par la convention du 25 mai 1967

Convention relative à l'aide mutuelle judiciaire et à l'exécution des jugements du 15 mai 1967 (JO du 15 mars 1969, page 2660)

Source : Ministère de la justice.

On observera en outre que plusieurs conventions bilatérales sont actuellement en cours de négociation avec l'Inde, la République dominicaine, la Pologne et les Bahamas.

Le projet de convention concernant les Etats-Unis a été récemment signé.

S'agissant de ce dernier Etat, réputé constituer un paradis fiscal et revendiquant d'ailleurs cette qualité tout en niant son caractère dommageable, on doit considérer cette négociation comme un exemple à suivre.

Cette liste montre, en effet, a contrario, l'absence des principaux Etats ou territoires considérés comme des paradis fiscaux.

En ce qui concerne l'Europe, deux conventions multilatérales ont été conclues sous l'égide du Conseil de l'Europe : la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale, faite à Strasbourg le 20 avril 1959 et la convention européenne d'extradition, faite à Paris le 13 décembre 1957 et entrée en vigueur le 11 mai 1986, pour la France.

Ces conventions couvrent l'ensemble des pays européens, à l'exception de l'Andorre ainsi que de Saint-Marin et Monaco, mais ces deux derniers relèvent cependant de la coopération bilatérale, mais elles couvrent Israël, qui n'est pas non plus membre du Conseil de l'Europe, ainsi que l'indique le tableau suivant :

ETAT DES SIGNATURES ET DES RATIFICATIONS AU 11 MAI 1999
CONVENTION EUROPÉENNE D'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE


Etats membres


Signature

Ratification ou adhésion


Entrée en vigueur

R : réserves
D : déclarations
T : réserves territoriales

Albanie

X

     

Andorre

       

Autriche

X

X

X

R/D

Belgique

X

X

X

R/D

Bulgarie

X

X

X

R/D

Croatie

X

X

X

D

Chypre

X

     

République tchèque

X

X

X

R/D

Danemark

X

X

X

R/D

Estonie

X

X

X

R/D

Finlande

Adhésion

X

X

R/D

France

X

X

X

R/D

Géorgie

X

     

Allemagne

X

X

X

R/D

Grèce

X

X

X

D

Hongrie

X

X

X

R/D

Islande

X

X

X

R/D

Irlande

X

X

X

R/D

Italie

X

X

X

D

Lettonie

X

X

X

D

Liechtenstein

Adhésion

X

X

R/D

Lituanie

X

X

X

R/D

Luxembourg

X

X

X

R/D

Malte

X

X

X

R/D

Moldova

X

X

X

R/D

Pays-Bas

X

X

X

R/D/T

Norvège

X

X

X

R/D

Pologne

X

X

X

D

Portugal

X

X

X

D

Roumanie

X

X

X

R/D

Russie

X

   

R/D

Saint-Marin

       

Slovaquie

X

X

X

R/D

Slovénie

X

     

Espagne

X

X

X

R/D

Suède

X

X

X

R/D

Suisse

X

X

X

R/D

L.e.r.y. (1) -Macédoine

       

Turquie

X

X

X

D

Ukraine

X

X

X

R/D

Royaume-Uni

X

X

X

R/D

Etats non membres

       

Israël

Adhésion

X

X

R/D

(1) L'ex-République yougoslave de Macédoine.

S'agissant de certains des Etats membres de l'Union européenne, la coopération est beaucoup plus forte dans le cadre de l'espace dit de Schengen.

La convention d'application du 19 juin 1990 de l'accord de Schengen, du 14 juin 1985, qui concerne sept, et bientôt dix Etats continentaux de l'Union, l'Allemagne, le Benelux, l'Espagne, la France et le Portugal (12), prévoit un renforcement de la coopération judiciaire qui concerne tant l'entraide judiciaire en matière répressive que l'extradition et la transmission de l'exécution des jugements répressifs. Elle représente la forme la plus achevée de la coopération, car elle organise une automaticité et une accélération des procédures.

Le paragraphe 1 de l'article 53 de cette convention n'exige pas l'urgence pour la transmission directe de l'autorité judiciaire requérante à l'autorité requise, ce qui allège sensiblement les procédures.

Cet examen du dispositif conventionnel tant dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale que de celui de l'extradition montre que l'ensemble des Etats ne sont pas couverts par le champ d'une coopération pourtant nécessaire.

Si certaines réserves peuvent à juste titre être avancées pour éviter de développer une coopération avec les Etats n'ayant pas un système judiciaire et juridictionnel présentant des garanties similaires au nôtre, il convient néanmoins de compléter le réseau des conventions en direction des paradis fiscaux de manière à pouvoir exercer une action répressive contre la fraude fiscale.

2.- Veiller à ce que la fraude fiscale figure sans restriction parmi les infractions pour lesquelles la coopération est obligatoire

La conclusion d'une convention d'entraide judiciaire en matière pénale ou d'une convention d'extradition constitue une étape essentielle, et donc nécessaire, pour la répression de la fraude fiscale internationale.

Néanmoins, elle ne constitue pas en elle-même un point d'aboutissement, car il convient de veiller à son contenu et à ce que la fraude fiscale y soit traitée de la même manière qu'une infraction de droit commun.

En effet, pour des raisons en partie historiques, le développement de la délinquance économique et fiscale étant assez récent et n'ayant pas été clairement perçu lors de la conclusion de certaines conventions conclues au début ou dans la première moitié du siècle, et en partie culturelles, l'infraction en « col blanc » n'étant pas considérée comme ayant la même dangerosité que d'autres infractions, la fraude fiscale fait l'objet d'un sort spécifique, et il convient toujours, en pratique, d'examiner avec soin la convention applicable afin de déterminer avec exactitude dans quelles conditions l'entraide judiciaire pénale peut être demandée ou selon quelles modalités l'extradition est possible ainsi que de quelle manière cette convention traite la matière fiscale afin de déterminer si elle permet d'exercer les poursuites d'une manière satisfaisante.

En présence d'une convention bilatérale, le texte de la convention suffit, sous réserve de quelques éléments interprétatifs. En présence d'une convention multilatérale, il convient de se référer non seulement aux termes de la convention, mais également, aux déclarations et réserves qui ont pu être faites par les parties ainsi qu'aux éventuels accords conclus dans un cadre bilatéral et qui peuvent venir compléter les termes de la convention.

En ce qui concerne l'entraide judiciaire pénale, on constate, d'une manière générale, que l'obligation d'assistance ne s'applique pas aux infraction fiscales.

C'est notamment le cas vis-à-vis de certains pays européens, dans la mesure où l'article 2 de la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale faite à Strasbourg le 20 avril 1959, intervenant dans le cadre du Conseil de l'Europe, fait de la nature fiscale de l'infraction un cas de refus éventuel de l'entraide, celle-ci présentant donc un caractère facultatif, et où ces Etats n'ont encore ni signé ni ratifié le protocole additionnel fait à Strasbourg le 17 mars 1978, et entré en vigueur le 2 mai 1991, pour la France, qui corrige cette situation et prive les Etats signataires de la possibilité de refus de l'entraide en prévoyant que les Etats parties à la convention doivent obligatoirement accorder l'entraide judiciaire en matière de poursuites pénales pour fraude fiscale

En effet, ce protocole additionnel n'a pas été ratifié ni même signé par trois Etats considérés comme les trois principaux paradis fiscaux en Europe. Un examen attentif du tableau récapitulatif de l'état des signatures et des ratifications montre, en effet, que le Luxembourg et la Suisse l'ont signé, le premier en 1994, la deuxième en 1991, mais ne l'ont pas encore ratifié, ce qui fait qu'il n'est donc pas encore entré en vigueur pour ces Etats, et que le Liechtenstein ne l'a ni signé, ni ratifié.

On observe également qu'Israël, qui n'est certes pas membre du Conseil de l'Europe, n'a pas ratifié la protocole additionnel.

ETAT DES SIGNATURES ET DES RATIFICATIONS AU 11 MAI 1999
PROTOCOLE ADDITIONNEL À LA CONVENTION EUROPÉENNE D'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE


Etats membres


Signature

Ratification ou adhésion


Entrée en vigueur

R : réserves
D : déclarations
T : réserves territoriales

Albanie

X

     

Andorre

       

Autriche

X

X

X

D

Belgique

X

     

Bulgarie

X

X

X

D

Croatie

       

Chypre

X

     

République tchèque

X

X

X

D

Danemark

X

X

X

 

Estonie

X

X

X

 

Finlande

Adhésion

X

X

 

France

X

X

X

T

Géorgie

       

Allemagne

X

X

X

R/D

Grèce

X

X

X

 

Hongrie

X

X

X

 

Islande

X

X

X

 

Irlande

X

X

X

D

Italie

X

X

X

D

Lettonie

X

X

X

 

Liechtenstein

       

Lituanie

X

X

X

 

Luxembourg

X

   

R/D

Malte

       

Moldova

X

     

Pays-Bas

X

X

X

T

Norvège

X

X

X

 

Pologne

X

X

X

 

Portugal

X

X

X

 

Roumanie

X

X

X

 

Russie

X

     

Saint-Marin

       

Slovaquie

X

X

X

 

Slovénie

X

     

Espagne

X

X

X

R

Suède

X

X

X

 

Suisse

X

   

R

L.e.r.y. (1) -Macédoine

       

Turquie

X

X

X

 

Ukraine

X

X

X

 

Royaume-Uni

X

X

X

D

Etats non membres

       

Israël

       

(1) L'ex-République yougoslave de Macédoine.

De manière plus subtile, les restrictions quant à l'entraide judiciaire en matière fiscale peuvent provenir de réserves ou déclarations formulées par les Etats signataires, que ces réserves ou déclarations portent sur le texte de la convention ou bien sur le texte du protocole additionnel relatif à la matière fiscale.

S'agissant du texte de base, une première analyse rapide de ces réserves et déclarations conduit à constater :

- que le Gouvernement du Luxembourg se réserve le droit d'accepter l'automaticité de l'assistance en matière fiscale uniquement si l'infraction constitue une escroquerie en matière d'impôt conformément à la loi luxembourgeoise. Cette condition est assez exigeante, puisqu'elle repose sur la combinaison d'une man_uvre et d'un montant d'impôt fraudé significatif ;

- que le Gouvernement des Pays-Bas a déclaré accepter le protocole pour le Royaume en Europe, ce qui exclut les Antilles néerlandaises et qu'en outre, il a émis une réserve selon laquelle il se réservait le droit de ne pas exécuter les commissions rogatoires aux fins de perquisitions ou saisies d'objets en matière fiscale ;

- que ce même Gouvernement a déclaré, dans une note verbale de la Représentation des Pays-Bas, en date du 22 décembre 1993, accepter le titre Ier du protocole, dont l'article 1er relatif aux infractions fiscales et l'article 2 relatif aux commissions rogatoires dans ce domaine, à l'égard des Antilles néerlandaises, mais uniquement dans leurs relations avec les Etats avec lesquels le Royaume a conclu, à l'égard de ces territoires une convention en vigueur tendant à éviter la double imposition, ce qui semble se résumer à la Norvège, selon l'ouvrage précité de M. Barry Spitz « 1999 International Tax Havens Guide », Harcourt Brace ;

- que la Suisse a déclaré se réserver le droit d'accepter ce même titre Ier relatif aux infractions fiscales que dans la mesure où l'infraction fiscale constitue une escroquerie en matière de contribution, ce qui en réduit le champ et qui revient à établir le principe de la double incrimination, également.

Il est vrai que l'Allemagne a également déposé une réserve similaire s'agissant de l'exécution des commissions rogatoires. L'infraction motivant la commission doit également être punissable selon la loi allemande ou, mutatis mutandis, doit l'être après transposition.

Le deuxième problème concerne, en effet, la limitation à l'utilisation des renseignements.

Il faut, en effet, mentionner la règle dite de spécialité, prévoyant, d'une part, que les renseignements obtenus par la voie de l'entraide ne peuvent, dans l'Etat requérant, ni être utilisés aux fins d'investigation ni être produits comme moyens de preuve dans toute procédure relative à une infraction pour laquelle l'entraide est exclue et, d'autre part, que ces renseignements peuvent être utilisés uniquement contre la personne poursuivie ou ses complices. Cette règle interdit l'utilisation des informations transmises par les Etats qui ne souhaitent pas que l'entraide concerne des infractions fiscales, soit pour procéder à des redressements d'imposition, soit pour étayer des poursuites pénales pour fraude fiscale.

Ce principe est notamment rappelé dans le cadre de l'accord conclu entre la France et la Suisse en vue de compléter la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale. Il fait même l'objet d'une mention dans les courriers de transmission des pièces d'exécution des demandes d'entraide adressées par les autorités suisses.

Il va de soi que toute utilisation contraire conduirait à une nullité de la procédure de redressement effectuée par l'administration fiscale et aux éventuelles poursuites pénales qui seraient engagées par la suite, après l'avis favorable de la commission des infractions fiscales.

Cette situation est particulièrement choquante, car elle peut conduire à donner à l'opinion publique l'impression que de nombreuses procédures auxquelles la presse donne un large écho se traduisent par l'impunité totale des personnes mises en cause, alors même que les sommes en jeu atteignent des montants fort élevés et représentent bien plus que ce qu'il est possible de percevoir comme bénéfice d'un montage fiscal frauduleux ou astucieux en matière de fiscalité personnelle.

Même si votre Rapporteur éprouve quelque réticence à faire allusion, fût-ce très indirectement et sans la nommer, à une affaire qui n'a pas été jugée, il doit préciser que les informations relatives aux comptes suisses transmises le cadre de certains dossiers judiciaires en cours et dont la presse s'est fait un large écho ne pourraient servir de base à un quelconque redressement fiscal.

En ce qui concerne les conventions bilatérales conclues avec des pays situés hors d'Europe, rares sont celles qui ne prévoient pas une disposition spécifique aux infractions fiscales et dans le cadre desquelles l'entraide prévue par la convention n'est pas accordée au même titre que pour toute autre infraction.

En règle générale, la matière fiscale fait donc l'objet d'un traitement particulier.

Ce traitement est particulièrement préjudiciable lorsque le texte de la convention prévoit que l'entraide peut être refusée si la demande se rapporte à une infraction en matière de taxes, d'impôts ou de douane, ainsi que de change, comme c'est notamment le cas de la convention conclue avec l'Australie (article 16, paragraphe 1, de la convention du 14 janvier 1993) et de la convention conclue avec le Canada (article 4, paragraphe 1, de la convention du 15 décembre 1989).

Par ailleurs, certaines conventions prévoient que l'exécution des commissions rogatoires est interdite si l'infraction n'est pas punissable selon la loi de l'Etat requis. D'autre prévoient que celle-ci doit être susceptible de conduire à une extradition, ce qui réintroduit toujours, d'une manière plus ou moins subtile, le principe de la double incrimination.

Il va de soi que ces restrictions ou des restrictions similaires reposant sur d'autres mécanismes ne sont plus acceptables dans les circonstances actuelles où la faculté de procéder à des montages de fraude fiscale sur une base internationale est si aisée.

Il convient ainsi, tant pour les conventions actuelles que pour les conventions à venir, de veiller à ce que les infractions fiscales soient traitées comme des infractions non spécifiques et de veiller à ce que l'ensemble des informations transmises à l'occasion de l'entraide judiciaire puissent être utilisées sans restriction pour la sanction des infractions fiscales.

Il importe, en effet, d'être cohérent avec le principe posé par l'article L. 101 du livre des procédures fiscales selon lequel « l'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une man_uvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt. » Cette disposition vise toutes les instances, civiles, commerciales ou pénales, et concerne même les informations criminelles ou correctionnelles terminées par un non lieu.

En outre, toute autre position n'est pas tenable compte tenu de l'importance des infractions dites mixtes, c'est à dire ayant simultanément un aspect économique non fiscal et un aspect fiscal.

En ce qui concerne l'extradition, les problèmes posés sont similaires, même s'il faut rappeler, d'une manière générale, la portée du principe de la double incrimination qui veut que l'Etat requis ne procède pas à l'extradition en l'absence de qualification pénale des faits par sa législation.

S'agissant de la convention européenne d'extradition faite à Paris le 13 décembre 1957 et entrée en vigueur le 11 mai 1986, pour la France, les infractions fiscales restent facultatives dans la grande majorité des cas, étant donné que l'article 5, relatif à ces infractions fiscales, prévoit que l'extradition n'est accordée en matière de taxes et impôts, ainsi que de douanes et de changes, que s'il en a été ainsi décidé ainsi de manière expresse entre l'Etat requérant et l'Etat requis. De même, le deuxième protocole additionnel, du 17 mars 1978, dont l'article 2 prévoit, d'une part, une obligation d'extrader pour les faits qui correspondent à une infraction de même nature, selon la loi de la Partie requise, conformément au principe de la double incrimination et, d'autre part, l'impossibilité de refuser une extradition pour le motif que la législation de la partie requise n'impose pas le même type de taxes ou d'impôts que la législation de la partie requérante, n'a été ratifié que par un nombre d'Etats très restreint.

La France n'a pas ratifié ce deuxième protocole additionnel.

On doit rappeler qu'elle a déclaré, s'agissant de la convention elle-même, qu'un échange de lettres était nécessaire dans chaque cas particulier, pour la mise en _uvre de la faculté de décider ou non d'une extradition.

Pour des raisons similaires à celles précédemment exposées, votre Rapporteur ne peut que souhaiter une automaticité de l'extradition pour des infractions fiscales.

En ce qui concerne les Etats non européens, la situation est similaire à ce qui existe pour l'entraide judiciaire.

Certaines conventions bilatérales, telles la convention du 31 août 1988 conclue avec l'Australie et la convention du 17 novembre 1988 conclue avec le Canada, prévoient une faculté de refuser l'extradition pour les infractions fiscales.

La même observation s'impose donc pour les conventions d'extradition que pour les conventions d'assistance judiciaire : la matière fiscale doit être traitée comme une infraction délictuelle de droit commun.

La convention précitée d'application de l'accord de Schengen, du 19 juin 1990, représente a contrario, mais pour les seuls impôts indirects, ce à quoi il convient d'aboutir : un traitement rapide et non spécifique de la matière fiscale.

D'une part, le paragraphe 1 de l'article 50 prévoit une automaticité de l'entraide en matière d'accises, de taxe à la valeur ajoutée et d'infractions douanières, comme pour d'autres infractions.

D'autre part, l'article 63 prévoit l'automaticité de l'extradition de pour ces mêmes infractions, et dans une forme simplifiée excluant l'échange de lettres.

D.- COMPLÉTER L'EFFORT DE RENFORCEMENT DU RÉSEAU DES CONVENTIONS PAR UN EXAMEN APPROFONDI DES DISPOSITIONS DES CONVENTIONS D'ENTRAIDE JUDICIAIRE ET DES CONVENTIONS COMPORTANT DES CLAUSES D'ÉCHANGE DE RENSEIGNEMENTS EN MATIÈRE FISCALE

Pour avoir une vision d'ensemble suffisamment claire de la manière dont la fraude fiscale ayant une dimension internationale est appréhendée, d'abord sur le plan purement fiscal et ensuite sur le plan pénal, dans un contexte où, comme vient de le montrer votre Rapporteur, les conventions sont susceptibles de comporter de véritables chausses-trappes, il importe que les services de l'Etat aient une vision aussi claire des circuits de fraude et d'évasion fiscales, que celle que peuvent avoir les délinquants fiscaux ou les délinquants économiques et financiers, qui judicieusement conseillés, sont toujours prompts à utiliser les failles des dispositifs législatifs et conventionnels.

Aussi votre Rapporteur est-il conduit à recommander, dans le cadre d'une procédure d'évaluation du fonctionnement des conventions d'examen des modalités de sanction des infractions fiscales et financières aux plans européen et international, d'effectuer avec naturellement une priorité pour les Etats ou territoire présentant un certain risque vis-à-vis des montages à caractère financiers ou fiscaux ou ceux permettant d'accéder indirectement mais aisément à ces Etats ou territoires, un examen au cas par cas de la manière dont l'infraction peut être sanctionnée et de déterminer avec exactitude les modalités et les possibilités d'accès aux trois éléments essentiels de l'information relative au contribuable : l'information bancaire et financière ; l'information relative aux participations, droits aux bénéfices et fonctions de gestion ou direction dans les sociétés commerciales ou civiles, ainsi que dans les types de structures comparables ; l'information juridique permettant de connaître les bénéficiaires réels ou éventuels de personnes morales, d'organismes, de trusts ou de structures comparables.

Lorsque le cas d'un Etat membre de l'Union européenne est examiné, l'articulation des textes communautaires (directives et règlements) et des conventions multilatérales édictées dans ce cadre avec les conventions bilatérales doit également être prise en compte.

En outre, cette procédure d'examen détaillé des modalités de sanction des infractions fiscales et financières aux plans européen et international exige une étude assez approfondie de la loi locale afin de vérifier qu'aucune disposition appliquée par les autorités, notamment les autorités fiscales ou les autorités juridictionnelles, ne vient contrarier l'obtention d'informations ou d'éléments de preuve et ainsi l'action fiscale ou l'action pénale telle qu'elle doit s'exercer conformément à l'esprit de la convention.

Le cas des conflits entre la loi et une convention internationale est suffisamment fréquent pour devoir n'être point négligé, notamment dans les systèmes dits dualistes où la convention ne s'applique pas d'elle-même et nécessite un texte de transposition.

Ces questions pratiques d'articulation de diverses dispositions juridiques sont fondamentales. On rappellera en effet que lors du colloque intitulé « Pour un espace judiciaire européen » organisé en Avignon le 16 octobre 1998, à l'initiative de Mme Elisabeth Guigou, Garde des sceaux, ministre de la justice, M. Bernard Bertossa, Procureur de Genève, a jugé que la Suisse avait instrumentalisé la lenteur des réponses aux commissions rogatoires, dans la mesure où il est possible d'intenter des recours judiciaires à l'encontre des décisions d'ouverture sur le territoire de la Confédération, d'une enquête judiciaire sur requête de l'étranger.

Enfin, cette procédure devrait conduire à porter une appréciation exacte sur la manière dont s'articulent les délais de reprise applicable en matière fiscale avec les délais de prescription prévus par la loi française, notamment l'article L. 230 du livre des procédures fiscales, en matière pénale pour la fraude fiscale, et de la pertinence au regard de la répression de la fraude fiscale et de la délinquance économique internationale de notre procédure de poursuite pénale des infractions fiscales, qui intervenant une fois le redressement effectué et l'avis de la commission des infractions fiscales recueilli, est nécessairement long, même si la prescription est suspendue pour une durée d'au plus six mois entre le moment où la commission est saisie et celui où elle se prononce.

Cette procédure d'examen approfondi du système conventionnel et de son articulation avec la loi ne représente cependant pas une innovation totale.

Elle ne vise en effet qu'à compléter et à mettre à jour avec une périodicité suffisante, les travaux d'évaluation effectués dans tous les Etats pour savoir comment ils font face à leur obligation de coopération internationale en matière pénale. Ces travaux d'évaluation présentent un intérêt essentiel. Ils ont permis de mettre en évidence certaines difficultés au Luxembourg, ne concernant pas nécessairement la matière fiscale, mais caractéristiques d'un état d'esprit. Sont ainsi visés, d'une part, la pratique du contrôle de légalité des demandes d'entraide étrangères au regard de la législation nationale, ce qui est contraire à la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale précitée, et, d'autre part, la transmission systématique au ministère de la justice des demandes d'entraide visant un établissement bancaire, semblant faire double emploi avec le contrôle de légalité effectué par le magistrat instructeur et induisant donc des délais. Un projet de loi serait prévu, au Luxembourg, pour corriger cette situation.

Néanmoins, la proposition de votre Rapporteur a un objectif à la fois plus précis et plus limité, puisque ne portant que sur la matière fiscale.

Elle a pour objectif, faut-il le rappeler, de maîtriser les éléments et le calendrier de procédures complexes afin de garantir la capacité d'action de l'administration fiscale et de la justice qui reposent sur une grande réactivité, compte tenu de la rapidité d'exécution des fraudes économiques et financières modernes.

Plus généralement et dans la durée, il est indispensable que l'ensemble des conventions signées par la France - dont certaines sont très anciennes - fassent l'objet d'un travail d'évaluation - qui n'a jamais été fait - afin qu'un chantier ambitieux de mise à jour de leurs dispositions soit ouvert.

Pour consulter la partie II (chapitres trois et quatre) cliquer ici

Pour consulter l'annexe 1, cliquer ici
Pour consulter l'annexe 2, cliquer ici

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N°1802. - RAPPORT D'INFORMATION de M. Jean-Pierre BRARD déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des finances sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

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BON DE COMMANDE

RAPPORT D'INFORMATION N°1802
(DOCUMENT PAPIER)

La lutte contre la fraude et l'évasion fiscales :
Retrouver l'égalité devant l'impôt

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() Votre Rapporteur s`est rendu aux Etats-Unis du 7 au 12 avril 1999, à Panama les 13 et 14 avril 1999 et aux Bahamas les 15 et 16 avril 1999. Il est allé au Royaume-Uni les 2 et 3 juin et en Irlande le 4 juin. Il a poursuivi ses déplacements aux Pays-Bas le 14 juin, en Belgique le 15 juin et au Luxembourg le 16 juin. Le 15 juin, il a également eu des entretiens avec les autorités communautaires.

Par ailleurs, il a rencontré les fonctionnaires des services déconcentrés de la direction générale des impôts et de la direction générale des douanes et droits indirects implantés à Nice et à Marseille au début du mois de mai.

() En matière de droits indirects calculés ad valorem, c'est-à-dire sur la valeur du bien, les taux peuvent dépasser 100%. De tels taux sont rares, mais ne sont pas purement théoriques. L'exemple d'un droit de douane de 100% a été récemment donné par les Etats-Unis, les autorités américaines ayant décidé à la mi-juillet 1999 d'assujettir à un tel droit des produits alimentaires symboliques tels que le foie gras, les truffes et le roquefort, par mesure de rétorsion vis-à-vis de l'Union européenne, qui refuse l'importation sur son territoire de la viande issue de b_ufs élevés aux hormones.

Les produits les plus couramment concernés par des droits indirects aussi élevés sont en général les produits du tabac et les boissons alcooliques. Des taux de 200% peuvent être atteints dans certains pays. Tel n'est pas le cas en France. En revanche, en matière de produits pétroliers, le rapport entre les taxes et le prix hors taxe du produit s'établissait à 419,36% pour le supercarburant plombé, à 368,4% pour le supercarburant sans plomb 95 et à 264,44% pour le gazole, en juillet dernier.

() Allemagne, Canada, Etats-Unis, Espagne, Irlande, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède. Deux administrations ont été visitées au Royaume-Uni, compte tenu de l'attribution de la TVA aux douanes, et trois en Allemagne, compte tenu de la structure fédérale.

() Personne morale spécifique au Liechtenstein ou « établissement ».

() On rappellera que ce taux est de 50% pour les dividendes distribués par les holdings de participation étrangères à des personnes domiciliées dans un pays n'ayant pas conclu de convention destinée à éviter les doubles impositions.

() L'objectif n'est pas, ici, de décrire le fonctionnement des marchés dérivés pour lequel on renverra à des ouvrages de finances spécialisés. On se contentera d'indiquer comment les « blanchisseurs » tirent parti de leur mode de fonctionnement propre.

() Soit 1,24 million d'euros.

() Soit 248 millions d'euros.

() Soit 24,8 millions d'euros.

() Soit 99.157 euros.

() Ce crédit d'impôt était, à l'origine, égal à 100% du montant acquitté. Il a été dernièrement réduit à 50% selon les informations communiquées à votre Rapporteur.

() L'Autriche, l'Italie et la Grèce devraient s'y joindre bientôt.


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