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N° 1920

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 novembre 1999.

RAPPORT D'INFORMATION

déposé en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D'INFORMATION COMMUNE

SUR LES PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES DE L'AMÉNAGEMENT
DE L'AXE EUROPÉEN RHIN-RHÔNE (1)

Président

M. Michel VAUZELLE,

Rapporteur

M. Jean-Louis FOUSSERET,

Députés.

--

TOME II

AUDITIONS

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Aménagement du territoire.

La mission d'information commune sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône est composée de : M. Michel VAUZELLE, Président ; MM. André GERIN, Jean-Jacques WEBER, Vice-Présidents ; M. Thierry MARIANI, Mme Gilberte MARIN-MOSKOVITZ, Secrétaires ; M. Jean-Louis FOUSSERET, Rapporteur ; MM. Stéphane ALAIZE, Jean-Pierre BAEUMLER, Eric BESSON, Jean-Marie BOCKEL, André BOREL, Yves BUR, Jean CHARROPPIN, Jean-Marie DEMANGE, Dominique DORD, Jean-Michel DUBERNARD, André GODIN, Michel GREGOIRE, Mmes Paulette GUINCHARD-KUNSTLER, Cécile HELLE, MM. Gabriel MONTCHARMONT, Renaud MUSELIER, Joseph PARRENIN, François PATRIAT, Jacques PELISSARD, Bernard PERRUT, Jacques REBILLARD, Jean-Luc REITZER, Marc REYMANN, Jean RIGAUD, Mme Michèle RIVASI, MM. Jean ROATTA, André SCHNEIDER, Bernard SCHREINER, Pascal TERRASSE, Joseph TYRODE, Jean UEBERSCHLAG, André VAUCHEZ, Michel VAXÈS, Gérard VOISIN.

TOME SECOND
(1ère partie)

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la mission

(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

 

Pages

__ Mme Dominique VOYNET, Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement (mardi 19 mai 1998).

7

 

__ M. Jean-Claude GAYSSOT, Ministre de l'équipement, des transports et du logement (mardi 26 mai 1998).

22

__ MM. Jean-Louis GUIGOU, Délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale et Claude ROUSSEAU, Chargé de mission région Rhône-Alpes (mardi 16 juin 1998)


33

__ MM. Gaston BESSAY, Vice-président du conseil national des transports, Président de l'Institut Fer Route Etudes Transports (IFRET) et Alain BONNAFOUS, Vice-président du conseil national des transports, Professeur au Laboratoire d'économie des transports de Lyon (mardi 23 juin 1998)



43

__ MM. François BORDRY et Christian PARENT, respectivement Président et Directeur général de Voies Navigables de France (mercredi 1er juillet 1998).

72

__ M. Jean-Claude MARTINAND, Président de Réseau Ferré de France (mercredi 28 octobre 1998)

89

__ MM. Jean-Claude BERTHOD, Président directeur général de Novatrans, Président du Comité de liaison du transport et de la logistique (CLTL) et vice-président de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) et Jacques DUMERC, Directeur de Novatrans (mercredi 4 novembre 1998).



102

__ MM. Louis GALLOIS, Président de la SNCF et Armand TOUBOL, Directeur du fret (mercredi 18 novembre 1998).

116

__ M. Jean-Claude GAUDIN, Sénateur-maire de Marseille (vendredi 11 décembre 1998 à Marseille).

130

__ MM. Gilbert PAYET, Secrétaire général pour les affaires régionales à la préfecture de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et Hubert PEIGNÉ, Directeur régional de l'équipement (vendredi 11 décembre 1998 à Marseille).


137

__ MM. Gilbert JAUFFRET, Président de la Chambre de commerce et d'industrie du pays d'Arles et Jean-Claude JUAN, Directeur du développement régional à la Chambre régionale de commerce et d'industrie Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse (vendredi 11 décembre 1998 à Marseille).



152

__ M. Claude CARDELLA, Président de la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille-Provence (vendredi 11 décembre 1998 à Marseille).

159

__ M. Jean-Noël GUÉRINI, Président du conseil général des Bouches du Rhône (vendredi 11 décembre 1998 à Marseille).

165

__ MM. Henry ROUX-ALEZAIS et Éric BRASSART, respectivement Président et Directeur du port autonome de Marseille (vendredi 11 décembre 1998 à Marseille).

171

__ M. Jean-Michel DANCOISNE, Président du directoire de la Compagnie Nouvelle de Conteneurs (mercredi 20 janvier 1999).

184

__ M. Jean CHAPON, Président de l'association des utilisateurs de transport de fret (mercredi 27 janvier 1999).

196

__ MM. Pierre-Gérard MERLETTE, Adjoint au directeur du tourisme au secrétariat d'État au tourisme et Philippe MOISSET, Directeur de l'agence française de l'ingénierie touristique (mercredi 10 février 1999).


211

__ M. Hubert du MESNIL, Directeur des transports terrestres au ministère de l'équipement, des transports et du logement (mercredi 3 mars 1999).

221

__ Mme Annie CHANUT, Présidente de la Chambre de commerce et d'industrie Nord-Isère, MM. Jacques ESTOUR et Claude CHARDON, respectivement Président et Directeur de l'Office Interconsulaire des transports et des communications du Sud-Est, Pierre ALLOIN, Président de la Chambre de commerce et d'industrie de Villefranche et du Beaujolais, Pierre BITOUZET et Guy BRUN, respectivement Vice-Président délégué et Président de la commission développement économique de la Chambre de commerce et d'industrie de Lyon (vendredi 5 mars 1999 à Lyon).






235

__ MM. René TRÉGOUËT, Sénateur, Premier vice-président du conseil général, Georges BARRIOL, Cinquième vice-président du conseil général chargé des transports et Bernard RIVALTA, Conseiller général de Villeurbanne, Président du groupe socialiste au conseil général (vendredi 5 mars 1999 à Lyon).



254

__ Mme Anne-Marie COMPARINI, Présidente du conseil régional Rhône-Alpes, Adjointe au Maire de Lyon et MM. Gérard GEOFFRAY, Président du conseil économique et social régional, Bernard SOULAGE, Président du groupe socialiste du conseil régional, Charles PERSONNAZ, Premier vice-président du conseil régional, Jean-Michel BOCHATON, Conseiller régional communiste, Philippe MACKE, Conseiller régional du groupe Indépendants, Entreprise et Ruralité - IER - (vendredi 5 mars 1999 à Lyon).






263

__ MM. Raymond BARRE, ancien Premier ministre, Député, Maire de Lyon, Président de la communauté urbaine de Lyon et Jacques MOULINIER, Adjoint au Maire de Lyon, responsable des politiques d'agglomérations (vendredi 5 mars 1999 à Lyon)



276

__ M. Jean SIVARDIÈRE, Président de la fédération nationale des associations d'usagers des transports (mercredi 24 mars 1999)

285

__ M. Joël de ROSNAY, Directeur de la stratégie à la Cité des sciences et de l'industrie de la Villette (mercredi 31 mars 1999).

299

__ M. Claude GRESSIER, Directeur du transport maritime, des ports et du littoral au ministère de l'équipement, des transports et du logement (mercredi 7 avril 1999).

313

__ M. Gérard BAILLY, Président du conseil général du Jura (mercredi 5 mai 1999 à Besançon)

323

__ M. Christian PROUST, Président du conseil général du territoire de Bellfort (mercredi 5 mai 1999 à Besançon)

331

__ MM. Robert SCHWINT, Maire de Besançon, Jacques VUILLEMIN, Daniel ANTONY, Gérard BOICHON et Michel LOYAT, Adjoints au Maire de Besançon, et de membres du district du grand Besançon (mercredi 5 mai 1999 à Besançon)



346

__ M. Jacques LESIRE, Président de la Chambre régionale de commerce et d'industrie de Franche-Comté accompagné de Mme Dominique LANDRY, Responsable de l'aménagement du territoire à la CRCI de Franche-Comté et de M. Michel VIENNOIS, Directeur de l'aménagement à la CCI du Doubs (mercredi 5 mai 1999 à Besançon)





355

__ M. Jacques SICHERMAN, Directeur régional de l'équipement, et des représentants de PSA Peugeot Citroën : MM. Hervé PICHON, Délégué pour les relations avec les assemblées et les élus, Roger GARNIER, Directeur du centre de production de Sochaux, et Denis DUCHESNE, Directeur du centre de production de Mulhouse (mercredi 5 mai 1999 à Besançon)





369

__ MM. Gilles SENÉ, Porte-parole du collectif Saône-Doubs vivants-Sundgau vivant et François JEANNIN, Vice-président de la fédération nationale des associations d'usagers des transports (mercredi 5 mai 1999 à Besançon)



382

__ MM. Jean-Claude DUVERGET et Bernard CHAINEAUX, respectivement Vice-président et Directeur général des services du conseil régional (mercredi 5 mai 1999 à Besançon)



392

__ M. Jean-Paul MARBACHER, Président de la Chambre de commerce et d'industrie Sud-Alsace, accompagnés de MM. Philippe LESAGE, ancien Président de la CCI et Patrick HELL, chargé de mission transports à la CCI et de M. Jean-Pierre PRIGENT, Président des ports Mulhouse-Rhin (mercredi 19 mai 1999 à Mulhouse)




400

__ M. Eugène RIEDWEG, Premier adjoint au Maire de Mulhouse, accompagné de M. Gérard MARBACH, Directeur du développement économique et des affaires générales (mercredi 19 mai 1999 à Mulhouse)



413

__ MM. Constant GOERG et Philippe GALLI, respectivement Président et Directeur général du conseil général du Haut-Rhin (mercredi 19 mai 1999 à Colmar)


423

__ MM. André BAYLE, Directeur du port autonome de Strasbourg, Chef du service de la navigation et Directeur régional des Voies Navigables de France, Michel CHALOT, Président de la Chambre professionnelle des transporteurs routiers du Bas-Rhin, Jean-François ABY, Président de la métallurgie bas-rhinoise, Jean PERRIN, Permanent de la Chambre de commerce et d'industrie de Colmar et Jean-Pierre PRIGENT, Président des ports de Mulhouse-Rhin (mercredi 19 mai 1999 à Strasbourg)







428

__ M. André HOREL, Secrétaire général des affaires régionales et européennes d'Alsace, Mme Françoise CASTANY, Directrice déléguée au fret (SNCF), MM. André BAYLE, Directeur du port autonome de Strasbourg, Chef des services de la navigation et Directeur régional des Voies Navigables de France, Daniel WAHL, Responsable de l'Observation régional des transports, et Maurice ZYGLER, Direction régionale de l'environnement (mercredi 19 mai 1999 à Strasbourg)






443

__ M. Roland RIES, Maire de Strasbourg (mercredi 19 mai 1999 à Strasbourg)

452

__ Mme Margrith HANSELMANN et M. Matthias RINDERKNECHT, respectivement Sous-directrice et Collaborateur de la section politique et planification de l'Office fédéral des transports avec la participation de Mme Jacqueline MILLER-VOYATZAKIS et M. Ludovic HAREN, respectivement Conseillère économique et commercial et Attaché commercial de l'Ambassade de France en Suisse (mardi 15 juin 1999 à Berne)






455

__ MM. Charles FRIDERICI, Président de l'association suisse des transporteurs routiers (ASTAG), Membre de la commission transport et télécommunications du conseil national (Assemblée nationale) et Michel CRIPPA, Directeur de l'ASTAG (mardi 15 juin 1999 à Berne)




470

__ M. Pierre MOSCOVICI, Ministre délégué chargé des affaires européennes (mardi 29 juin 1999)


484

__ M. Jean-Pierre RONTEIX, Président de la Compagnie nationale du Rhône (mardi 29 juin 1999)


492

Contributions écrites

__ M. Jean-Stéphane DEVISSE, Responsable du programme « Transports durables », Fonds Mondial pour la Nature (WWF) France


502

__ M. Jean-Paul PROUST, Préfet de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur et des Bouches-du-Rhône


507

Audition de Mme Dominique VOYNET,
Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement

(Procès-verbal de la séance du mardi 19 mai 1998)

Présidence de M. Jean-Jacques WEBER, Vice-président

M. le Président : Mme la ministre, je voudrais vous souhaiter la bienvenue et vous remercier d'avoir accepté d'ouvrir notre cycle d'auditions.

Avant de vous donner la parole, je voudrais tout simplement rappeler que cette mission a été créée pour engager une réflexion globale sur le développement économique des régions concernées par l'abandon du projet de mise à grand gabarit du canal Rhin-Rhône.

C'est dans ce cadre que votre venue, Mme la ministre, nous intéresse évidemment beaucoup.

M. le Rapporteur : Je ne crois pas qu'il soit utile de rappeler très longuement la situation née de l'abrogation de la déclaration d'utilité publique car vous la connaissez bien : le canal est enterré ; il ne s'agit donc pas de refaire dans le cadre de cette mission un débat « pour » ou « contre » le canal, mais comme le Président vient de le dire, il s'agit d'avoir une vision très large, innovante sur les possibilités de développement culturel, économique et social qui existent sur cette liaison de Marseille à Strasbourg et de voir comment nous pouvons mettre en place un véritable projet de développement durable sur l'axe Rhin-Rhône.

Nous aimerions donc connaître l'état de vos réflexions et vos analyses par rapport à ce projet, qui est très important pour le développement économique de toute la partie sud-est de notre pays.

Mme Dominique VOYNET : Merci à vous pour cette occasion qui m'est donnée d'avancer un peu sur les perspectives de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône.

Tout d'abord, je pense qu'il faut bien regarder à quoi a servi le projet de canal Rhin-Rhône pendant des années pour les régions concernées. Je crois que le projet de canal a focalisé l'attention de nombreux élus soucieux du développement de leur région. Mais pendant toutes ces années où, finalement, on a attendu, espéré, il est devenu une sorte de mythe, doté d'un certain nombre d'avantages peu vérifiés, ou pas vérifiés. Pour bien des petites collectivités locales, notamment, l'espérance d'avoir un jour une voie d'eau à grand gabarit a probablement masqué l'incapacité à dresser un constat lucide de la situation économique de ces régions et à nourrir une réflexion approfondie pour élaborer des projets destinés à être mis en _uvre tout de suite et pas « un jour, peut-être, si le canal devait se faire ».

D'une certaine façon, pendant toutes ces années, le gel de nombreux terrains, l'attentisme de nombreux acteurs, l'absence d'entretien du système hydraulique - et, là, je pense autant à la rivière et à sa complexité qu'au canal Freycinet lui-même - ont été constatés. Et une sorte de désenchantement, de découragement a frappé un certain nombre des régions concernées au-delà de la situation objective sur le terrain.

La décision d'abandon du projet a, bien sûr, suscité de l'incompréhension ou de la colère chez certains élus. Elle a, me semble-t-il, été très largement comprise par les populations des régions du Sundgau, de Franche-Comté et du nord de la Bourgogne ; elle l'a été beaucoup moins par les populations riveraines des régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur pour lesquelles le débat n'a pas été aussi quotidien et la proximité avec le projet aussi intense.

Ce qui est certain aujourd'hui, c'est qu'il paraît difficile de travailler dans une simple logique de compensation ou de réparation de préjudice. D'une part, parce que le préjudice subi par la décision d'abandonner un projet aussi peu efficace sur le plan économique, aussi coûteux et aussi dévastateur sur le plan environnemental n'est pas facile à évaluer ; d'autre part, parce qu'un certain nombre de préjudices sont largement virtuels. Je vais vous en donner un exemple : j'ai reçu récemment une délégation d'agriculteurs disant : « bien sûr, nous n'avons rien perdu, nous avons bien nos terres à exploiter, mais l'un d'entre nous, qui espérait partir en préretraite, comptait bien bénéficier des indemnités liées à l'expropriation de ses terres ». Comme dans l'histoire de Perrette et du pot au lait, ce sont les bénéfices secondaires éventuellement liés à la réalisation de ce projet qui étaient attendus. Et il ne s'agit donc pas de corriger de tels désagréments ou préjudices.

Comme vous le savez, le Gouvernement a souhaité dresser un bilan tout à fait complet de la situation et prendre les mesures nécessaires à l'apurement des comptes du projet parce que, si certaines demandes sont assez fantaisistes, d'autres, en revanche, sont tout à fait légitimes. Il en va ainsi, par exemple, des demandes de communes qui avaient, d'ores et déjà, engagé des remembrements sur leur territoire. Il en va ainsi des achèvements de travaux pour assurer la fonctionnalité du projet : je pense, par exemple, à l'achèvement des travaux sur le bief Niffer-Mulhouse ou à la poursuite de travaux minima permettant de desservir le site de Pagny, en Bourgogne.

Je précise que nous avons souhaité ne pas obérer un éventuel développement de cette plate-forme fluviale, pour laquelle plusieurs dizaines de millions de francs ont déjà été dépensés, sans pour autant mettre à « grand gabarit » cette section de la Saône. Les dragages de la Saône ont été autorisés pour permettre d'atteindre le gabarit européen de 1 350 tonnes, puisque les dragages permettent d'aller jusqu'à 1 500 tonnes. Mais nous ne procéderons pas au rescindement de méandres qui étaient prévus.

Nous avons également souhaité réfléchir au devenir des terres qui avaient été acquises par la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et par la SORELIF. Nous avons demandé au préfet de la région de Franche-Comté de réfléchir au devenir de ces terres. Dans certains cas, il s'agit de zones humides très intéressantes d'un point de vue biologique, qui pourraient faire l'objet d'une rétrocession au Conservatoire des espèces naturelles et être classées en zones Natura 2000. Dans d'autres cas, il s'agit de parcelles qui se situent sur le territoire de collectivités qui nourrissent des projets de développement industriel ou de restructuration urbaine et qui pourraient leur revenir. Dans d'autres cas, enfin, il s'agira de faire en sorte que ces terres puissent être réutilisées par des agriculteurs désireux, par exemple, de consolider ou de restructurer leur exploitation. Par ailleurs, en ce qui concerne les bâtiments acquis par la CNR, certains pourraient faire l'objet d'une réutilisation collective et nous sommes en train de consulter les collectivités locales à ce sujet.

Vous aurez noté qu'outre l'apurement des comptes du projet, ce qui nous intéresse et ce qui vous intéresse évidemment, c'est la préparation d'un nouvel avenir. Je voudrais, à ce sujet, dire combien il me paraît nécessaire de relativiser le problème, largement mis en évidence par les promoteurs du projet de canal Rhin-Rhône à grand gabarit pour justifier sa réalisation rapide. Je veux parler ici, bien évidemment, du transit des marchandises et de l'augmentation du nombre de poids lourds sur des axes qui sont fondamentaux du point de vue de la construction européenne et des liaisons inter-régionales.

Je rappellerai tout d'abord qu'il est difficile de prolonger les courbes, comme on l'a si souvent fait, pour annoncer avec assurance une prochaine saturation de la totalité de ces axes. Le réseau routier est, certes, par endroits, déjà très chargé. Je pense en particulier à quelques kilomètres entre Belfort et Montbéliard et à quelques dizaines de kilomètres sur l'A 6, entre Châlon, Mâcon et en direction de Lyon. Mais il ne me paraît pas que ce soit la réalité sur l'ensemble du réseau.

Je vous rappelle par ailleurs qu'un axe de délestage de la vallée du Rhône en ce qui concerne le trafic des marchandises par la route est en cours de réalisation par étapes. Je veux parler ici, bien sûr, des autoroutes alpines, qui posent problème dans nombre d'endroits. Mais je crois savoir que Jean-Claude Gayssot, dans quelques jours, inaugurera une portion significative de cet itinéraire à travers une partie des régions de Franche-Comté et de Rhône-Alpes.

Je voudrais aussi évoquer la sous-utilisation de la voie ferrée. Il y a longtemps que la SNCF a annoncé sa capacité à améliorer de façon significative sa disponibilité en ce qui concerne le transit des marchandises. Les travaux nécessaires se chiffrent en centaines de millions de francs, et non en milliards. Et, quand je parle de centaines de millions de francs, ce ne sont pas de nombreuses centaines - 200 à 300 millions de francs - pour mettre au gabarit B+, le gabarit qui permet de faire circuler sur les plates-formes ferroviaires des conteneurs maritimes, la portion entre Strasbourg et Lyon.

Je souhaite également qu'on puisse utiliser la voie d'eau, autant que possible. Cette hypothèse paraît largement surréaliste en ce qui concerne la portion du réseau Freycinet qui est à petit gabarit et qui, depuis 20 à 30 ans, n'a guère été entretenue. Elle n'est évidemment pas secondaire en ce qui concerne la portion du Rhône qui est, d'ores et déjà, à grand gabarit. Une réflexion doit être menée, notamment, sur les potentialités du port Edouard Herriot à Lyon, comme je l'ai demandé depuis des années déjà.

Le moment idéal pour réfléchir à l'apport de ces différents moyens de transport sera le temps de préparation des schémas multimodaux de transport de marchandises et de voyageurs prévus dans le projet de loi portant révision de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire. Ce sera l'occasion de se poser la question de savoir à quels besoins nous souhaitons répondre, et comment le faire.

Nous souhaitons, autant que possible, valoriser les outils existants et la synergie entre ces outils et donc, accorder un soin tout particulier aux lieux de l'intermodalité. A ce sujet, je voudrais dire qu'il m'est arrivé d'être relativement inquiète en voyant les nombreux projets qui fleurissent sur l'axe Rhin-Rhône. Tout se passe comme si chaque ville moyenne espérait devenir le pôle de l'intermodalité sur cet axe. Je ne pense pas qu'il soit raisonnable, en tout cas, d'en développer un tous les 30 kilomètres, comme cela est le cas à certains endroits. L'intermodalité n'est, par ailleurs, réellement plausible et crédible que quand il s'agit réellement de multimodalité, et pas seulement de carrefours routiers.

Vous le savez, mais je n'insisterai pas sur ce point, parce que je ne doute pas qu'il y ait des questions des députés issus de cette région, nous avons convenu de lancer une vaste concertation concernant le développement durable du territoire entre la Saône et le Rhin concerné par le projet de canal. Le préfet de la région Franche-Comté a reçu une lettre de mission à cet effet. Cette mission ne concerne pas seulement la région Franche-Comté. Le préfet de Franche-Comté est préfet coordonnateur et il a évidemment le soutien et l'appui de ses collègues d'Alsace et de Bourgogne pour animer cette concertation, que nous avons voulue très ouverte et très large. Les thèmes retenus sont : la gestion de l'eau, qu'il s'agisse de préserver la ressource ou de prévenir les inondations, la valorisation du patrimoine naturel géré en tant qu'outil de développement et pas en tant que simple support d'une autre activité économique ; le développement économique, avec un accent particulier mis sur le tourisme, les activités agricoles et forestières, l'industrie, très présente dans cette région, et la reconquête de ce qu'il est convenu d'appeler les friches industrielles, les transports, enfin, avec un accent particulier sur l'avenir du canal Freycinet, dont il est permis de douter de l'avenir en ce qui concerne le transit de marchandises, mais qui a un intérêt, semble-t-il, en ce qui concerne le tourisme fluvial. Il est convenu également de travailler sur l'urbanisme et, notamment, de faire en sorte que les documents d'urbanisme, les schémas directeurs et les POS soient révisés à l'occasion de ce travail et que de nouveaux projets puissent être élaborés autour des emprises libérées.

Je n'en dis pas plus sur cette concertation. J'insisterai sur la nécessité - et je pense que votre mission d'information a cette fonction et je m'en réjouis - de repenser les solidarités sur cet axe, qui doit être conçu non pas comme un simple axe de transit, comme une sorte de boyau de transport, mais bien comme une opportunité essentielle de développement territorial. A cet égard, de grands projets, comme l'amélioration de la liaison ferroviaire pour les voyageurs sur l'axe Nord-Sud, me paraissent pouvoir être intégrés à votre réflexion. Une réflexion devrait également être menée sur les ports et, singulièrement, sur le port de Marseille. Elle devrait également, sans doute, porter sur les modalités d'un aménagement de la vallée du Rhône permettant de susciter à nouveau des créations d'emplois autour de la voie d'eau et de reconquérir des espaces démocratiques et des espaces d'initiative économique là où - nous en faisons le constat - ils sont en train de se dégrader. Je pense évidemment à l'emprise du Front national sur un certain nombre de ces territoires dans la basse vallée du Rhône.

Quels sont les rendez-vous de l'avenir ?

Pour ces projets, comme pour beaucoup d'autres, nous espérons mener une large concertation tout au long de l'année 1998 et préparer un programme d'action avec des projets concrets permettant d'insérer un projet de territoire dans le cadre des prochains contrats de plan entre l'État et la région, qui devraient débuter au 1er janvier 2000.

Nous avons devant nous une bonne année pour la concertation et pour le montage des projets. Ces projets devront être plus particulièrement examinés au regard de leur impact sur les territoires et de leur impact sur l'emploi. Nous serons très vigilants en la matière et privilégierons deux axes : rigueur dans l'utilisation des fonds publics et impact maximal sur l'emploi.

M. le Président : Je voudrais vous interroger sur ce qui vient de se passer hier à Altkirch, où a eu lieu, à l'initiative du préfet de Franche-Comté, une première réunion de concertation qui sera suivie, je crois, d'une dizaine ou d'une douzaine d'autres, dans les toutes prochaines semaines. Vous nous disiez à l'instant que cette concertation avait pour objet d'examiner des problèmes aussi divers que la gestion de l'eau, la valorisation du patrimoine, des problèmes industriels, de transport, etc., ou l'avenir du canal Freycinet.

Ne trouvez-vous pas que les travaux ou les réflexions qui sont engagés là, font déjà double emploi avec ceux que nous aurons éventuellement au sein de cette mission d'information commune ?

J'ai été, je dois vous le dire, un peu choqué par la rapidité avec laquelle cette concertation s'est mise en place. Alors que l'on accuse parfois l'État d'être un peu lent, aujourd'hui, ce n'est pas le cas. J'ai presque le sentiment qu'il risque de se développer une réflexion un peu dyarchique, avec d'un côté l'opinion des parlementaires sur l'avenir de cet axe et d'un autre côté les déclarations ou les préoccupations des hommes de terrain.

Il est sûr que dans le secteur que je connais bien, qui est celui du Sundgau jusqu'au territoire de Belfort, les problèmes fonciers seront au premier plan. Le problème de l'ancien canal Freycinet va évidemment être fortement évoqué et les gens se poseront des questions sur l'objectif final.

Vous avez eu tout à fait raison de lier le problème de l'axe Rhin-Rhône à celui de la desserte ferroviaire. Mais je continue à me poser des questions, parce que notre région est très mal desservie - il n'y a pas de TGV encore en Alsace - et parce que nous avons le sentiment, nous Alsaciens, que le canal pouvait relier des points économiquement forts. La haute Alsace, ou l'Alsace tout entière, est, en effet, un pôle économiquement fort, avec un taux de chômage assez faible, et une activité encore très soutenue.

Nous avions le sentiment que le canal aurait pu être un bon vecteur de transit de nos produits, notamment à destination du Moyen-Orient, qui est un fort client de l'Alsace, avec des avances de 10 à 12 jours. L'Alsace n'est certes pas dépourvue de voies d'eau, ni de débouchés pour ses marchandises : elles passent sur le Rhin, puis montent à Anvers, à Rotterdam, elles contournent Gibraltar. Mais nous pensions que Marseille aurait pu être le débouché de nos marchandises.

Voilà quelle est notre perplexité. Je vous l'ai déjà dit en plusieurs occasions, Mme la ministre. Je ne vais pas me lancer aujourd'hui dans un plaidoyer ou une diatribe contre votre décision. Néanmoins, nous avons réellement besoin d'explications et, surtout, de perspectives.

M. Jean-Marie BOCKEL : Première remarque : s'agissant du canal, vous savez qu'actuellement un certain nombre de réflexions sont menées et que des documents commencent à circuler sur des hypothèses de tracés alternatifs. J'ai reçu, comme certainement mes autres collègues, des documents à ce sujet. Cela m'intéresse, parce que, en général, ces hypothèses partent de Mulhouse, qui est, je le rappelle, un port important. Vous avez plusieurs fois cité Strasbourg et Lyon pour le trafic Rhin-Rhône. L'ensemble portuaire de Mulhouse se compose de trois sites, les uns étant au bord du Rhin et les autres au bout de la voie Niffer-Mulhouse, qui est à grand gabarit, comme vous le rappeliez tout à l'heure. Ces hypothèses alternatives partent donc de Mulhouse pour rejoindre la Saône par un tracé différent. Est-ce que les pouvoirs publics considèrent que cette réflexion n'a pas lieu d'être aujourd'hui, qu'elle est prématurée ou, au contraire, dépassée, ou est-ce que vous êtes intéressée par cette réflexion ?

Je suis certainement attentif et intéressé, mais je me pose des questions et j'avoue ne pas avoir véritablement une opinion arrêtée sur ces hypothèses alternatives, car il est certain que nous sommes tous favorables à la voie d'eau, à partir du moment où un certain nombre de conditions sont réunies.

Deuxième remarque : je ne reviens pas sur ce que vous avez dit concernant la notion de préjudice. Je pourrais en effet vous rejoindre, car on a entendu sur ces questions des propos parfois très exagérés et surprenants. Mais il est vrai, vous l'avez rappelé à juste titre, que pour un certain nombre de communes - c'est le cas pour la mienne, qui est une des principales communes concernées par l'ancien projet -, les emprises et les gels sont extrêmement importants. Un certain nombre de projets ont été gelés pendant des années
- notamment des projets importants, de contournement ou autres - et, aujourd'hui, un préjudice incontestable a été subi. Nous aimerions savoir comment sortir de cette situation. Ce que vous avez dit tout à l'heure sur la question des acquisitions possibles, et de leurs conditions, est évidemment un sujet qui nous intéresse. Les deux questions peuvent être liées. On peut très bien imaginer, comme cela se fait aujourd'hui à propos des emprises militaires, des discussions approfondies assorties, parfois, de conditions intéressantes. Nous sommes prêts à entrer dans ce type de discussion, sans comportement maximaliste et d'une manière tout à fait ouverte. La position des pouvoirs publics nous intéresse donc sur ce sujet.

Troisième et dernière remarque : vous avez parlé à plusieurs reprises du rail et de la plurimodalité. Je partage d'ailleurs votre sentiment sur le sérieux avec lequel il faut aborder cette question importante, mais lourde, de la plurimodalité. Mais nous sommes très demandeurs d'éclaircissements.

Vous avez eu raison de rappeler que la mission du préfet coordonnateur ne se limitait pas à la Franche-Comté ; parce que, à un moment, nous avons eu des craintes, non pas quant à la personnalité du préfet coordonnateur, qui est quelqu'un de tout à fait remarquable, mais parce qu'on a mis du temps à s'occuper de notre région. C'est en train de se faire. Je ne veux pas revenir sur le caractère incomplet de certains documents préalables qui sont issus de cette mission. Je ne veux pas avoir l'air de focaliser l'attention sur ma ville alors que, comme toutes les personnes ici présentes, je m'intéresse à l'ensemble du tracé. Mais il y avait des absences remarquées dans ce document. Tout cela est en train de changer - en tout cas, je l'espère - et je m'en réjouis.

Nous avons actuellement des attentes fortes en ce qui concerne le dossier du TGV Rhin-Rhône. Je ne veux pas engager le débat sur ce projet, son phasage et sa dimension. Ce que je souhaiterais simplement, c'est que le ministre de l'aménagement du territoire nous confirme que sera prochainement mis en _uvre l'arbitrage du Premier ministre du 4 février dernier qui, pour le moment, tarde à se concrétiser, ce qui, évidemment, nous préoccupe quelque peu.

M. Eric BESSON : Je voudrais vous remercier d'avoir noté que dans certaines régions
- Rhône-Alpes et, en ce qui me concerne, la Drôme -, la décision avait suscité quelque incompréhension. Je dirai que je commence à y être habitué, puisque, comme nous avons eu l'occasion d'en parler dans le cadre d'une autre mission, il me faut souvent être l'avocat de décisions dont on vous attribue, à tort ou à raison, la paternité ou la maternité.

Je voudrais vous demander si vos services, ou d'autres services de l'État, ont une explication et une documentation concernant la sous-utilisation du Rhône. Autrement dit, a-t-on réussi à faire un diagnostic exact des raisons pour lesquelles ce qui existe déjà est trop peu utilisé ?

En ce qui concerne les schémas multimodaux, nous - et, quand je dis « nous », je parle de l'ensemble des parlementaires - sommes dans la Drôme très attachés à ce sujet, parce que nous faisons partie des zones qui sont menacées d'asphyxie - si l'on en croit, en tout cas, les services de l'équipement - et que nous sommes absolument opposés à la création d'une nouvelle autoroute, qu'on l'appelle A 7 bis ou A 79. Les seules voies de dégagement que nous envisageons consistent en une meilleure utilisation du chemin de fer et du Rhône. Je serais donc désireux de savoir si vous avez déjà une idée de la façon dont ces schémas multimodaux pourraient s'organiser.

Ma troisième question déborde un peu du sujet, mais je voudrais vous demander si vous avez un avis sur le dossier de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) : nous sommes, en effet, sollicités, mes collègues et moi-même, par les salariés et parfois par les syndicats de la CNR sur le devenir de son statut et sur la production indépendante d'électricité.

Mme Dominique VOYNET : Je commencerai par les questions de M. Éric Besson, parce que cela facilitera mes réponses aux autres sujets.

Je ferai d'abord une petite remarque : Mme Dreyfus, Conseillère fédérale suisse, déclarait que deux sujets empoisonnaient durablement les relations diplomatiques entre la France et la Suisse : le projet de canal Rhin-Rhône et Superphénix. Je suis donc désolée de vous avoir causé des difficultés dans la Drôme, mais je suis ravie de voir que, au niveau international, ces décisions ont résolu d'autres problèmes.

Pourquoi cette sous-utilisation du Rhône ? Je crois que les éléments les plus intéressants sont à rechercher du côté des travaux de l'Observatoire économique et statistique des transports (OEST) et, en particulier, des travaux de M. Alain Bonnafous, qui ont très bien montré que cette sous-utilisation correspondait, en fait, à une tendance lourde de la dégradation de la part modale du fluvial à travers le monde et souvent - hélas ! - à une diminution des volumes, en valeur absolue, transportés par voie d'eau. M. Alain Bonnafous fait une démonstration brillante de l'évolution du fret sur le Saint-Laurent, au Canada, alors que ce fleuve est naturellement à très grand gabarit et sans écluses sur des milliers de kilomètres. Il explique également la grande déception qu'a constituée la mise en service de la liaison à grand gabarit Rhin-Main-Danube sur le tronçon concernant la vallée de l'Altmühl, que Jean-Marie Bockel connaît bien puisque nous l'avons visité ensemble et que c'est à cette occasion que nous avons fait connaissance. Cette visite a eu lieu il y a plusieurs années et la situation s'est dégradée depuis. Si le consortium qui a réalisé ces travaux peut cependant présenter des résultats moyennement satisfaisants, c'est parce qu'il intègre les trafics de ports comme Nuremberg qui avaient toujours été desservis par une voie fluviale à grand gabarit. L'utilisation de cette voie d'eau est donc très décevante. Elle l'est d'autant plus qu'il s'agit, non pas de desservir des arrière-pays, dans une logique d'hinterland, mais de liaisons inter-bassins.

La sous-utilisation s'explique aussi par le fait que la structure des déplacements a beaucoup évolué. Alors qu'on constate un allongement de la durée moyenne des déplacements par la route et par le fer, on constate une diminution des kilomètres parcourus par voie d'eau. Et si vous pouvez citer peut-être, M. le député, un exemple où il s'agissait d'envoyer telle ou telle denrée vers le Moyen-Orient, dans l'écrasante majorité des cas, les transports par voie d'eau sont inférieurs à 150 kilomètres. On a donc vraiment besoin d'avoir de la rapidité, de la proximité, etc.

Je crois que vous avez vous-même suggéré la solution. Pour ce qui me concerne, je ne suis pas hostile à la voie d'eau et je souhaite que, là où le réseau est déjà nourri et cohérent, comme c'est le cas dans le Nord-Est de l'Europe, là où les voies fluviales sont déjà à grand gabarit, on utilise au mieux les outils existants. Je serais très curieuse de voir, effectivement, comment on peut améliorer le recours à la voie d'eau sur la vallée du Rhône. Cela me paraît intéressant.

Il me paraît également intéressant de travailler sur la restauration d'une continuité entre l'étang de Berre et la mer, de mener une réflexion sur les liens entre la vallée du Rhône et le port de Marseille, ainsi que sur la réfection des digues.

Pourquoi évoquer ces thèmes, en apparence « hors sujet » ? Parce qu'il n'y a pas que la construction de voies d'eau à grand gabarit qui puisse rassurer les populations en leur montrant que l'État se soucie de leur devenir, de leur sécurité et de leur emploi. Il y a, dans les travaux que je viens de citer, sans doute beaucoup de perspectives pour la CNR, conçue certes pour l'équipement du Rhône, mais qui a encore du travail à faire sur ce terrain-là. C'est, d'ailleurs, une des conclusions de ma rencontre avec les salariés et avec les syndicats de la CNR : ils faisaient état de compétences accumulées dans les secteurs de l'entretien des rivières et des milieux humides, souvent, paradoxalement dans d'autres pays que la France, et ils manifestaient leur intérêt pour ce créneau.

J'ai omis tout à l'heure de souligner que bien des utilisateurs potentiels de la voie d'eau manifestent un intérêt qui reste aujourd'hui largement factice, en raison de l'existence commode d'alternatives. Il ne vous a sans doute pas échappé qu'un certain nombre de ces utilisateurs potentiels cherchaient, en fait, à exploiter la présence éventuelle d'une voie d'eau à grand gabarit pour négocier à la baisse les tarifs de la SNCF. Comment imaginer, par exemple, que Peugeot - pour ne citer que cet exemple - qui bénéficie d'une voie ferrée lui permettant de desservir de façon fine l'ensemble du territoire, par des embranchements très nombreux, puisqu'il y a des milliers de kilomètres de voies ferrées, utiliserait la voie d'eau et pas la voie ferrée ? De l'utilisateur potentiel à l'utilisateur réel, il y a ainsi souvent beaucoup de différence. C'est ce qui s'est passé avec la liaison Rhin-Main-Danube.

L'État est-il intéressé par le tracé alternatif que certains promeuvent à travers la Saône et la Moselle ?

Pour caricaturer la phrase d'un économiste patenté, je dirai que 100 kilomètres de plus, c'est probablement 10 milliards de francs de plus que le tracé antérieur et que c'est certainement très intéressant. Mais, en fait, pour rester sérieux, je n'en sais rien. Il me semble que les moyens dont nous disposons sont modestes, alors que la liste de nos projets est longue, tant pour le transport des personnes que pour celui des marchandises, et que notre responsabilité est de retenir les projets les plus économes en ce qui concerne l'argent public, les plus fonctionnels en ce qui concerne les services rendus tant aux personnes qu'aux entreprises et les moins destructeurs pour les milieux humides, pour l'environnement, pour la qualité de l'air.

J'ai tendance, de façon un peu intuitive, à considérer qu'il existe une grande marge de man_uvre du côté du rail, tant en ce qui concerne l'effet de serre qu'en matière d'efficacité économique. Je souhaite que cela soit vérifié au moment où l'on élaborera les schémas de services collectifs. Je ne suis pas convaincue qu'il faille se lancer aujourd'hui dans des études coûteuses sur un tracé fluvial dont l'efficacité ne saurait être, ne serait-ce qu'équivalente, à ce qui était prévu pour le canal Rhin-Rhône.

S'agissant des modalités de concertation, j'ai été frappée, lors de la phase de conclusion de la consultation des habitants des régions concernées qui avait été lancée par Corinne Lepage et Anne-Marie Idrac, par quelques phrases soulignant l'extraordinaire connaissance du dossier par les habitants, à la fois ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre. C'est parce que nous avons constaté, sur le terrain, cette extraordinaire motivation que nous avons souhaité continuer à associer les habitants individuellement, mais aussi les associations, les syndicats, les acteurs économiques et, bien sûr, les élus, à la définition de ce que devait être le projet de territoire.

Je ne pense pas que les parlementaires soient coupés du terrain. Et souvent, d'ailleurs, vous vous faites les relais des préoccupations de ce dernier. Mais il est vrai que nous attendons peut-être une approche plus macro-territoriale et plus macro-économique de la part des parlementaires que des agriculteurs de nos vallées. Quoique la démonstration a été faite qu'ils étaient aussi capables de prendre de la hauteur et de comprendre les enjeux d'intérêt général d'un dossier tel que celui-là. Je dois dire d'ailleurs qu'il était fréquent d'entendre des remarques telles que : « nous ne sommes pas hostiles a priori à cette voie d'eau à grand gabarit, mais nous voulons être sûrs que, si on nous l'impose, c'est qu'elle est utile et inévitable ».

J'ai donc beaucoup tenu à ce que cette mission confiée aux préfets de région soit l'occasion d'une large concertation.

En Alsace, on se plaint d'une concertation hâtive, avez-vous dit, ou précipitée ; en Franche-Comté, on se plaint qu'elle ait lieu trop tard. Il faut savoir que le préfet de région, qui connaissait un peu ce dossier, a été invité à assurer d'autres responsabilités au moment même où je lui confiais cette mission, qu'il a fallu quelques semaines au nouveau préfet de région pour identifier l'ensemble des enjeux et des acteurs, et que nous avons souhaité ne pas interférer avec le temps de la campagne des élections régionales et cantonales. Nous avons donc remis le début de la concertation au lendemain des élections.

Je ne verrais que des avantages à ce que les parlementaires des régions concernées prennent l'initiative d'animer ou de participer de façon active aux contributions des acteurs locaux. D'ailleurs, je crois que la totalité, ou presque, d'entre vous, sont aussi des élus de terrain en lien avec ces préoccupations.

S'agissant du dossier TGV, je voudrais faire état d'une précaution avant d'exprimer ma position.

La précaution est la suivante : il me paraît tout à fait important que le TGV ne remplace pas, au rayon des mythes, le canal Rhin-Rhône. Il ne faudrait pas, parce qu'il est difficile de financer d'emblée et rapidement un tracé cohérent sur l'ensemble de l'axe Rhin-Rhône, que nous nous interdisions d'améliorer ce qui peut et ce qui doit l'être, tant en ce qui concerne les services rendus, le matériel roulant que les voies, au cours des deux ou trois prochains contrats de plan. Il n'est en effet guère crédible d'imaginer que le tracé puisse être à très grande vitesse, sur l'ensemble d'un axe qui relierait Strasbourg, Mulhouse, Belfort, Besançon, Dijon et la région Rhône-Alpes.

Je me suis laissée imposer ce mot, je le regrette déjà, évidemment, parce que ce qui m'apparaît tout à fait essentiel, c'est de faire en sorte que cet outil permette de relier des régions qui devraient l'être sur le plan de la géographie et qui le sont si peu sur le plan des coopérations économiques que cela en est dommage - je pense, bien sûr, à la liaison entre l'Alsace, la Franche-Comté, la Bourgogne et la région Rhône-Alpes -, qui me paraissent des évidences et qui sont aujourd'hui un maillon manquant tout aussi important que pouvait l'être pour certains le maillon fluvial.

C'est pourquoi je plaide pour qu'un affinement du tracé sur une première portion de l'itinéraire - je fais très attention à ne plus utiliser les termes consacrés, chacun y mettant des idées différentes selon qu'on parle de phases, de branches, etc. - n'interdise pas d'améliorer significativement ce qui peut l'être sur des tronçons qui ne seraient peut-être améliorés que dans 20 ou 30 ans si on se contentait de faire appel au concept de TGV sur voie nouvelle avec le matériel Alstom.

M. Michel VAXES : Je ne reviendrai pas sur la situation assez catastrophique de l'emploi dans les Bouches-du-Rhône et dans la région PACA. Vous la connaissez aussi bien que moi et vous savez qu'on y dépasse allègrement les moyennes de taux de chômage nationaux de 5, 6, 7 ou 8 points selon les départements. Et on se trouve de ce fait dans une situation un peu paradoxale, car le département des Bouches-du-Rhône accueille le potentiel industriel le plus fort du sud de la France avec la sidérurgie, la pétrochimie, la chimie et le raffinage et qu'il dispose d'un outil précieux : le port de Marseille, composé bien évidemment de ses deux bassins : le bassin Est - Marseille et le bassin Ouest - port de Fos.

Je ne veux pas revenir sur les raisons de cette situation. On ne peut pas toutes les ramener aux difficultés de l'axe Nord-Sud ; il y a en fait des raisons multiples. Cela dit, dans un avenir très proche - et je dirai même tout de suite -, se pose une question. Le développement du port de Marseille, qui peut être le port européen le plus important, dépendra pour une part du développement du marché des conteneurs. Or, sur le marché des conteneurs aujourd'hui, le port de Marseille est largement concurrencé, parce que l'axe Nord-Sud n'est pas correctement assuré.

Je ne veux pas revenir sur la décision qui a été prise, mais seulement évoquer la solution alternative, celle du fer. Elle signifierait, d'une part - vous l'avez évoqué d'un mot tout à l'heure - des aménagements sur l'axe Strasbourg-Lyon, mais elle poserait, beaucoup plus fondamentalement, le problème du verrou de Lyon. Actuellement, les conteneurs sont bloqués et ne peuvent pas passer le verrou de Lyon, ce qui pose la question du contournement de cette ville.

Je souhaite connaître votre position sur cette solution alternative et votre soutien éventuel à la nécessité d'assurer - mais très rapidement - ce contournement de Lyon. A défaut, le port de Marseille ne répondra pas à la vocation, au minimum européenne, qu'il pourrait avoir aujourd'hui, notamment dans son bassin Ouest, c'est-à-dire le bassin de la zone industrialo-portuaire de Fos.

M. le Rapporteur : Je voudrais faire une remarque. Je crois que, dans le cadre de notre mission d'information, il va falloir que nous soyons très vigilants à ne pas être hors sujet et à ne pas, régulièrement, revenir à un débat sur le canal. Je crois qu'il faut que nous ayons une vision beaucoup plus large, ce qui sera effectivement quelque chose de difficile...

Tout ce qui touche à ce que Mme la ministre a appelé les « compensations » doit effectivement être évoqué et discuté ici, mais il est vrai que les régions concernées disposent d'autres lieux pour en parler.

Ce n'est donc pas là l'essentiel de notre discussion qui doit être, au contraire, beaucoup plus globale.

Le souci évoqué, par exemple, par notre collègue des Bouches-du-Rhône, est un véritable problème. Ma question rejoint la sienne, car un des objectifs du canal était le transport des marchandises. Les uns et les autres, nous avions des avis différents sur ce qu'aurait été la réalité de ce transport de marchandises par le canal, entre autres en termes d'efficacité. Cela dit, le problème demeure essentiel actuellement. Le transport de voyageurs relève effectivement de la logique TGV, nous venons d'en parler ; mais le transport des marchandises reste essentiel si on veut redynamiser l'axe Sud-Est de notre pays.

Ma question est simple : comment pensez-vous, notamment dans le cadre de la loi d'orientation et d'aménagement du territoire, rentabiliser au maximum la voie ferrée ? Quelles sont les possibilités réelles qui existent en termes d'absorption de trafic supplémentaire, puisque l'objectif est de faire passer du fret de la route sur le rail ?

Et puis une question simple, peut-être de bon sens : disposons-nous actuellement des bonnes études et des bons chiffres concernant le trafic et les capacités d'absorption de trafic, qui nous permettront de prendre, le moment venu, les bonnes décisions ? Ne faudrait-il pas disposer également d'études qui auraient un caractère indépendant ? Pouvons-nous utiliser uniquement les études émanant, par exemple, de la SNCF ; ne nous faudrait-il pas une contribution extérieure ?

M. André VAUCHEZ : Je comprends parfaitement, étant franc-comtois, la nécessité absolue de relier les deux extrémités du canal - je crois que tout le monde en est conscient.

Je crois, Mme la ministre, qu'il serait bon de considérer les flux européens Nord-Sud comme une chance pour l'Est de la France si l'on développe les transports combinés et si on garantit effectivement à la voie ferrée - qui est la seule issue, nous semble-t-il, d'après ce qui vient d'être dit - le développement qu'elle est en droit d'attendre.

Je crois qu'il faut souligner la rapidité avec laquelle peut être mis en _uvre un tel projet par rapport à celui du grand canal, qui nous reportait loin dans l'avenir et restait soumis à beaucoup d'aléas, tout en étant conscient qu'il pourrait y avoir effectivement des modifications de types de transports, comme le montre l'exemple précédemment cité de la région PACA et de ses conteneurs ; dernièrement, M. Salini déclarait qu'il était même surpris de voir combien l'évolution du transport par conteneurs allait bien au-delà des espérances. Ce projet peut nous rendre relativement optimistes en ce qui concerne nos régions.

Pour terminer, je crois effectivement que vous avez raison de globaliser le problème des flux, car il faut bien dire que, jusqu'à maintenant, nous avons toujours travaillé de façon très sectorielle en distinguant la voie ferrée, la route et la voie d'eau. Et maintenant, peut-être parce que la géographie nous l'impose, nous avons la chance inouïe de pouvoir travailler globalement.

Ma question sera donc la suivante : allons-nous saisir cette chance ?

Mme Dominique VOYNET : Ce qui me paraît très intéressant dans ce qui vient de se passer et dans ce que vous faites, c'est que cela nous permet d'engager la réflexion très en amont, avant que les préfets n'aient reçu la lettre d'intention de l'État en régions, avant que les présidents de régions n'aient lancé la concertation sur les schémas régionaux, avec une opportunité qui a eu peu d'équivalents. Cela ouvre la possibilité d'une réflexion inter-régionale, et presque internationale en ce qui concerne l'enjeu des transports. Je pense que cela va beaucoup nous aider pour monter des projets qui tiennent la route et pour hiérarchiser les priorités parce qu'on ne fera pas tout en même temps. Il faut donc que soient clairement identifiés les besoins pour savoir quelles hypothèses retenir.

Je pense, comme André Vauchez, que cette opportunité qui nous est donnée de réfléchir sur des territoires qui ne sont pas des territoires vierges, qui sont déjà concernés par des flux de transports très importants, par des liaisons très importantes non seulement sur l'axe Nord-Sud, mais aussi de façon transversale constitue une chance pour nos régions. J'ai l'intention d'y contribuer, ainsi que la DATAR.

M. Michel Vaxes a évoqué les contraintes, les difficultés du port de Marseille. Je lui suis très reconnaissante de ne pas avoir rappelé quelques unes des billevesées auxquelles on s'est si longtemps raccroché ; c'est le cas, par exemple, de l'explication des difficultés du port de Marseille par l'absence de ce que certains appelaient le « maillon manquant ». Comment expliquer qu'un maillon manque à Marseille et pas à Rotterdam, à l'autre extrémité ? C'était décidément étrange. Nous savons que les difficultés de Marseille sont, pour l'essentiel, liées :

- au contexte géopolitique méditerranéen. Ce n'est pas simple. Quand on considère ce qui se passe en Algérie, par exemple, aujourd'hui, on voit bien que certaines opportunités ont disparu,

- aux problèmes sociaux et à l'image du port qui en a découlé pendant longtemps,

- et puis, bien sûr, au flou dans l'offre portuaire française. Un flou que j'ai bien l'intention de clarifier à l'occasion de nos réflexions sur la loi d'aménagement durable du territoire.

Vous le savez, le vrai grand gabarit, sur les très longues distances, c'est la mer. Et, paradoxalement, nous serions allés plus vite de Rotterdam à Marseille par la mer en contournant toutes les côtes françaises et l'Espagne par Gibraltar qu'en franchissant des dizaines d'écluses en 5 à 7 jours comme cela aurait dû être le cas par le canal. Nous ne sommes donc pas nostalgiques ; nous préparons effectivement l'avenir.

Vous l'aurez noté, le verrou ferroviaire de Lyon renvoie, d'une certaine façon, au verrou fluvial de Lyon parce que, malgré le projet de liaison Rhin-Rhône à grand gabarit, rien n'avait été avancé de façon crédible pour permettre de faire franchir par les convois les courbes et les ponts de Lyon.

Je partage tout à fait votre analyse sur le recours aux transports par conteneurs. Si vous en êtes d'accord, notre travail visera à assurer une meilleure synergie, non plus entre la mer et le fleuve, qu'il ne faut pas abandonner, mais aussi entre la mer et le rail.

M. Jean-Louis Fousseret s'est interrogé sur la possibilité d'absorber du trafic supplémentaire par voie ferroviaire. Je crois que nous en avons tous conscience. Certains axes sont saturés ; d'autres ne le sont que de façon relative. La mise en service, par exemple, d'une portion de voie nouvelle entre Mulhouse et Besançon aurait comme avantage de libérer de façon significative des perspectives pour le transport de marchandises. La situation est moins tendue au-delà de Besançon, puisqu'il existe à partir de Besançon, d'ores et déjà, deux voies : l'une qui rejoint Dijon et la vallée du Rhône ; l'autre qui permet de rejoindre Lyon par Lons-le-Saulnier et Bourg-en-Bresse. Nous avons donc besoin, effectivement, d'utiliser au mieux le réseau existant, de le moderniser et de l'améliorer.

Disposons-nous de bonnes études concernant le trafic ? Je dirai que, dans la quasi totalité des bureaux d'études, la SNCF garde un poids prédominant et qu'il est évidemment difficile de répondre de façon très claire à cette question. Je ferai, si vous le voulez bien, le parallèle avec ce qui se passe dans le domaine de la sûreté nucléaire : depuis de nombreuses années, les autorités de sûreté françaises ont pris l'habitude de consulter des partenaires étrangers - allemands, anglais, suédois, par exemple. Il me semble qu'en ce qui concerne des études en matière ferroviaire, là encore, il devrait y avoir des coopérations et des synergies avec des bureaux d'études étrangers. Le recours, d'ailleurs, à des bureaux d'études étrangers n'est pas un scandale ; il devrait se mettre en place dans le cadre d'appels d'offres internationaux sur certains équipements.

Je communiquerai, si vous le souhaitez, un certain nombre de documents concernant la voie d'eau aux membres de votre mission d'information. Ces documents analysent les conditions d'un plus grand recours et d'une plus grande efficacité de la voie d'eau dans le contexte économique actuel. C'est un travail qui a été fait par des réseaux d'experts indépendants et qui ne manque pas d'intérêt ; il ne s'agit pas de la position du ministère, mais d'une contribution à la réflexion.

Et puis, bien évidemment, je suis tout à fait à votre disposition pour travailler, dans le cadre de la concertation, sur l'enrichissement des propositions qui pourraient être faites par le préfet de région et à l'occasion des 12 réunions géographiques dont vous avez signalé tout à l'heure l'existence.

Mme Gilberte MARIN-MOSKOVITZ : Je n'ai jamais été partisane du grand canal, peut-être parce que je travaillais pour l'entreprise Alsthom-Atlantique, rebaptisée aujourd'hui Alstom. Je pensais que l'avenir du personnel de cette entreprise passait par un développement des réseaux de chemin de fer.

Nous avons depuis longtemps pris en compte l'axe Rhin-Rhône dans nos réflexions et nous pensons que c'est le chemin obligé de cette Europe que beaucoup d'entre nous veulent pour demain. Encore faut-il avoir les moyens de faire circuler dans des conditions correctes non seulement les hommes, mais aussi les marchandises. Je crois que vous l'avez dit clairement.

Dans notre secteur de Franche-Comté, notamment dans l'aire urbaine, nous avons pris l'initiative de créer un réseau des villes Rhin Sud, ce qui démontre une forte volonté de réfléchir et de travailler ensemble et ce qui est positif pour l'avenir.

Vous avez parlé du développement économique, qui est, avec le TGV, une préoccupation importante de nos régions. Vous avez parlé aussi de l'industrie, ce qui m'amène à vous poser la question suivante : comment voyez-vous la redynamisation de ces régions et, notamment, quelle réponse peut-on apporter au défi qui est devant nous puisqu'on sait que c'est la fin des grandes entreprises et que Peugeot, notamment, réduit de plus en plus son personnel ? Même si à Mulhouse, aujourd'hui, des recrutements ont été faits pour la fabrication de la 206, ce n'est que momentané. Peugeot-Sochaux voit maigrir ses effectifs d'une manière extrêmement importante. Cela se fait dans la discrétion, mais cela se fait.

Comment peut-on développer l'action économique et l'industrie dans ces régions sans, pour autant, qu'elles se résument à de la mono-industrie ?

Mme Dominique VOYNET : Je me contenterai de quelques considérations générales parce que le sujet déborde un peu du thème de votre mission d'information.

Mme Gilberte MARIN-MOSKOVITZ : Cela porte sur l'aménagement du territoire tout de même...

Mme Dominique VOYNET : Le sujet de votre mission est assez étroit. En revanche, je pourrais parler pendant une heure de la stratégie de redynamisation économique du Nord de la Franche-Comté.

Tout d'abord, si je partage votre souci s'agissant de l'aire urbaine, en même temps, je ne voudrais pas que se généralise l'idée de régions dévastées, sans dynamisme, sans projets et qui se retrouveraient suspendues dans le néant par suite de la décision d'abandon du grand canal. Je crois qu'il existe de nombreux projets et que l'État est prêt à les accompagner.

Deuxièmement, les difficultés des entreprises que vous avez évoquées et les stratégies de ces groupes - parce que je crois qu'il n'y a pas seulement des difficultés - vont nous poser des problèmes au cours des mois à venir, sur lesquels les élus de la Franche-Comté nous ont alertés depuis plusieurs semaines.

Comme vous le savez, nous avons travaillé tout au long de l'hiver sur l'idée d'un commissariat à l'industrialisation Bourgogne-Franche-Comté. Je dois dire que ce qui vient de se passer dans la région Bourgogne ne nous facilite pas la tâche pour monter rapidement ce commissariat. Une réunion pour faire le point doit avoir lieu, à l'initiative du préfet de région, à la fin du mois. Il est difficile de monter ce projet avec l'exécutif bourguignon actuel.

M. le Président : Il ne faut quand même pas tout mélanger, Madame...

Mme Dominique VOYNET : Je suis désolée, c'est un des éléments à prendre en compte. C'est votre conviction ; moi, j'en ai une autre : je trouve cela difficile.

En ce qui concerne plus spécialement les perspectives de développement de matériel ferroviaire, qui était une des spécialités d'Alstom, je trouve déraisonnable de continuer à fonder l'avenir de l'entreprise sur un seul concept qui serait le train à très grande vitesse. Je pense qu'une diversification s'impose et que, notamment, des recherches dans les domaines des transports urbains, du transport pendulaire et des trains à grande vitesse, mais pas forcément à très grande vitesse, seraient sans doute très utiles. C'est une opinion que j'avais déjà il y a plusieurs années et à laquelle les dirigeants d'Alstom accordaient peu d'attention. Je me réjouis qu'aujourd'hui leur écoute soit plus attentive.

Je voudrais d'ailleurs vous rappeler qu'il y a quelques jours à peine, s'est réunie aux États-Unis l'association des utilisateurs des trains à grande vitesse. Ce sont, pour l'essentiel, des gestionnaires de collectivités ou de sociétés. Le concept qu'ils ont retenu est celui du train à grande vitesse, circulant à une vitesse commerciale de 220-240 kilomètres heure et non le train à très grande vitesse que nous développons ici. Un effort tout particulier est fourni par les collectivités aux États-Unis - où, pourtant, les distances sont très supérieures à celles qu'on connaît chez nous - sur les liaisons interurbaines à vitesse raisonnable, et sur la qualité et le confort du trajet plus que sur la vitesse proprement dite.

Vous avez aussi comme moi, certainement, lu en première page du Monde un petit billet montrant que, sur certaines liaisons, on circulait moins vite aujourd'hui en Grande-Bretagne qu'au siècle dernier. Sans parler de la Grande-Bretagne, je peux vous citer des exemples français qui ne sont pas plus encourageants. Je crois que nous avons beaucoup à travailler sur la qualité du réseau conventionnel, sur le service rendu, sur les arrêts, sur les matériels roulants et sur la résorption des points noirs qui conduisent à limiter les vitesses dans certains endroits.

M. le Président : Merci, Mme la ministre.

Je souhaiterais simplement, Mme la ministre, qu'à la fin des auditions nous puissions vous revoir et faire le point avec vous, ou du moins un point intermédiaire avant les conclusions des travaux de la mission.

Mme Dominique VOYNET : Je suis tout à fait d'accord.

Je vous adresserai très prochainement un premier document élaboré par le préfet de la région Franche-Comté qui présente l'état des lieux établi par les services de l'État. Un deuxième document, beaucoup plus iconoclaste, fait vraiment réfléchir à un ensemble d'axes sur lesquels l'État n'a jamais travaillé ; il s'agit de la contribution des 200 associations du collectif Saône et Doubs vivants, et a le mérite de balayer l'ensemble des champs de l'activité économique et de suggérer des solutions qui sont souvent intéressantes en matière d'emplois, sans coûter très cher à la collectivité. Tout n'est pas à retenir, évidemment, mais je pense qu'un _il critique de votre part serait très utile.

M. le Président : Je vous remercie, Mme la ministre.

Audition de M. Jean-Claude GAYSSOT,
Ministre de l'équipement, des transports et du logement

(Procès-verbal de la séance du mardi 26 mai 1998)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Merci, M. le ministre, d'avoir bien voulu venir devant notre mission d'information commune sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône.

Cette mission est née du souci, partagé par l'ensemble des groupes représentés à l'Assemblée nationale à la suite de l'abandon du projet de canal Rhin-Rhône, de réfléchir sur les perspectives d'aménagement du territoire national - et même européen -, en tout cas de toute la partie du territoire national qui était concernée et qui aurait pu bénéficier des retombées du canal Rhin-Rhône s'il avait été réalisé : depuis l'Alsace et le Nord-Est de notre pays jusqu'à la zone méditerranéenne et à la région Provence-Alpes-Côte d'azur.

Cette mission entend avoir une approche très globale et approfondie du problème. Il ne s'agit pas de demander des compensations à la suite de l'abandon du canal Rhin-Rhône, même si l'idée est tout de même de ne pas oublier ce que le canal Rhin-Rhône aurait pu apporter - à tort ou à raison - en termes de développement économique et social, de création d'emplois et d'épanouissement, bref, en termes d'aménagement du territoire.

Il était donc tout à fait naturel que nous commencions, pour mieux introduire nos débats et cadrer notre travail, par nous tourner vers les deux ministres du Gouvernement qui sont plus particulièrement chargés de ces problèmes, Mme Voynet et vous-même.

En vous remerciant encore une fois d'être présent parmi nous, je vous donne la parole.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Mesdames, messieurs, c'est bien volontiers que je réponds à la demande de votre président de vous apporter des informations et vous faire partager la réflexion actuelle du Gouvernement sur un sujet qui touche à la fois l'aménagement du territoire et la prospective en matière de transports.

Tout d'abord, je rappellerai en quelques mots ce que le Gouvernement a entrepris, suite à sa décision d'abandonner le projet Saône-Rhin, pour que les territoires concernés ne se sentent pas lésés.

Dès l'été 1997, une mission, conduite par un inspecteur général des finances et un ingénieur général des ponts et chaussées, a été mise en place pour évaluer les conséquences de cet abandon. Sur la base des propositions de cette mission, remises en novembre 1997, le Gouvernement a pris un certain nombre de décisions, articulées autour de deux orientations : à court terme, clore l'opération dans des conditions satisfaisantes sur le plan de l'équité ; à moyen terme, retracer les perspectives de développement des territoires concernés et de la Compagnie nationale du Rhône (CNR).

Pour ce qui concerne l'orientation à court terme - clore l'opération dans des conditions satisfaisantes -, cinq décisions ont été prises :

- Premièrement, confier au préfet de la région Franche-Comté le soin de clore le processus d'acquisition foncière par la rétrocession des terrains. Des études seront également nécessaires pour actualiser les documents d'aménagement ou d'urbanisme couvrant les emprises. Un fonds déconcentré de 30 millions de francs, financé par EDF via la SORELIF Saône-Rhin, est mis à la disposition du préfet pour régler équitablement les cas particuliers et cofinancer les études.

- Deuxièmement, achever les travaux engagés aux deux extrémités de la liaison, sur la Saône et sur le bief de Niffer-Mulhouse. Ces deux opérations sont en cours de réalisation sur les crédits du Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables (FITTVN).

- Troisièmement, proposer au Parlement de tirer les conséquences législatives de l'abandon du projet par une modification des lois du 4 janvier 1980 (concession CNR) et du 4 février 1995 (loi d'orientation et d'aménagement du territoire ou LOADT). Ce projet de loi, en cours de mise au point, prévoit d'abroger les dispositions législatives relatives au projet Saône-Rhin.

- Quatrièmement, dégager les moyens financiers permettant à la CNR d'assumer les conséquences de l'abandon du canal. A cette fin, la CNR bénéficie d'une aide d'EDF - directe ou via la SORELIF - à hauteur de 100 millions de francs, ce qui doit donc lui permettre de faire face aux conséquences de l'abandon, notamment sur le plan social.

- Cinquièmement, la SORELIF Saône-Rhin a été mise en liquidation amiable par ses deux actionnaires, CNR et EDF.

J'en viens maintenant à l'orientation à moyen terme : retracer des perspectives de développement pour les territoires concernés et pour la CNR.

S'agissant des perspectives de développement des territoires traversés, le préfet de la région Franche-Comté a mis en place un groupe de travail en vue de l'élaboration d'un projet de développement pour le territoire entre Saône et Rhin, traversé par le projet de canal. Cette démarche associe les collectivités locales et les forces vives du territoire concerné. Elle a pour objectif un programme de protection et de mise en valeur du territoire.

Pour ce qui a trait à l'avenir de la CNR, le Gouvernement a indiqué, dès juin 1997, qu'il souhaitait conforter l'entreprise dans ses missions issues de la loi de 1921, c'est-à-dire l'aménagement du Rhône du triple point de vue de la production électrique, de la navigation et de l'environnement. Ces missions traditionnelles s'exerceront dans un contexte nouveau, créé par la transposition, en 1999, de la directive européenne sur le marché intérieur de l'électricité.

Dans cette perspective, le Gouvernement a également clairement fixé l'objectif : faire de la CNR un producteur d'électricité pleinement responsable. Une réflexion a été engagée par la CNR et EDF sur les nombreux aspects juridiques, économiques et financiers d'une telle évolution.

Enfin, peut se poser la question de l'utilisation des ressources précédemment affectées au projet de canal. Ces ressources doivent permettre, premièrement et surtout, de réaliser des projets mettant en cohérence les politiques de transport, l'aménagement du territoire et l'environnement ; deuxièmement, de conforter la CNR dans l'exercice de ses missions ; enfin, d'intervenir au bénéfice des régions concernées par le projet.

D'ores et déjà, il a été décidé, d'une part, de doubler dès 1998 la taxe sur l'hydroélectricité alimentant le FITTVN et, d'autre part, d'élaborer un plan de restauration hydraulique et écologique du Rhône, qui pourra associer la CNR, l'agence de bassin et les collectivités locales. Un programme similaire est également à l'étude pour la vallée du Doubs.

L'évaluation de la « rente », réellement dégagée par la production d'électricité du Rhône et devenue libre d'affectation par le renoncement au canal, fait actuellement l'objet d'une expertise approfondie par une mission conjointe de l'Inspection générale des finances, du conseil général des ponts et chaussées, du conseil général des mines et de l'Inspection générale de l'administration.

Je tiens à rappeler ici l'importance qu'attache le Gouvernement au développement du transport fluvial.

En effet, la décision d'abandonner le canal Rhin-Rhône a parfois été interprétée, à tort, comme marquant la volonté du Gouvernement d'abandonner la politique de transport fluvial. Or, comme je viens de vous le dire, nous entreprenons des améliorations sur la Saône ainsi que sur le Rhône ; en outre, nous avons augmenté, en 1998, les crédits du FITTVN pour la voie d'eau de 23 %, ce qui montre bien la place nouvelle que ce mode de transport doit désormais occuper à nos yeux.

Par ailleurs, nous travaillons sur deux grands projets : celui de la Seine-Nord, pour lequel nous devrions être en mesure de prendre une décision, quant à son tracé, avant la fin de l'année ; celui de la Seine-Est, pour lequel les études de cadrage économiques devraient nous être remises à la rentrée prochaine.

J'en viens maintenant aux décisions que le Gouvernement a annoncées dans le domaine ferroviaire. En effet, cette partie du territoire est très importante, non seulement pour la France elle-même, mais également dans ses rapports avec les autres pays européens - Allemagne, Suisse, Italie.

Le 4 février dernier, lors d'une réunion interministérielle présidée par le Premier ministre, le Gouvernement a décidé d'accroître les financements consacrés par l'État au développement du transport ferroviaire, tant sur le réseau à grande vitesse que sur le réseau classique. C'est ainsi qu'il a décidé d'engager les études préparatoires à l'enquête d'utilité publique de la première phase du projet de TGV Rhin-Rhône, entre Mulhouse et Dijon.

J'ai d'ailleurs écrit, aujourd'hui même, au préfet de Franche-Comté pour lui demander d'engager ces études sur la base du dossier d'avant-projet sommaire qui avait été transmis à mes services à l'automne dernier.

Ces études devront permettre d'intégrer les améliorations possibles du projet par rapport à son environnement, dans les zones qui sont apparues les plus sensibles. Elles devront aussi permettre de préciser la faisabilité d'une réalisation progressive de la première phase du TGV Rhin-Rhône, notamment en analysant sur les plans techniques et économiques les conditions de réalisation d'une première tranche qui pourrait être Besançon-Mulhouse.

Cela dit, j'insiste bien sur le fait que c'est sur l'ensemble Mulhouse-Dijon que le lancement a lieu ; et c'est dans ce cadre que je propose de déterminer la faisabilité de sa réalisation progressive.

Dans le même temps - et c'est capital, eu égard à votre mission d'information - j'ai demandé que soient lancées les études de la branche Sud du TGV Rhin-Rhône. Un comité de pilotage va être mis en place, et une convention précisera la nature des études à entreprendre.

Le Gouvernement a donc décidé le 4 février dernier de ne pas attendre que le TGV-Est soit totalement réalisé pour attaquer les travaux du TGV Rhin-Rhône, et cela dès le XIIème plan. Cela est très important parce que ce faisant, nous libérerons des sillons sur le réseau classique. Bien évidemment, des travaux devront être entrepris pour le transport de marchandises, notamment la mise au gabarit B 16, de façon à rendre possibles des chargements très importants. Mais cela permettra un trafic de millions de tonnes de marchandises. Et ce faisant, nous nous inscrirons, par cette voie-là également, dans la mise en place de corridors à l'échelle européenne - descendant à la fois vers l'Italie, vers la Méditerranée et vers l'Espagne -, ce qui peut largement compenser ce qui était prévu sur le canal Rhin-Rhône. En termes d'aménagement du territoire et de capacités de transport autres que la route, ce projet est donc extrêmement important.

Par ailleurs, je puis aussi vous indiquer que j'ai obtenu l'engagement de la SNCF d'assurer à Dôle et au Jura une desserte ferroviaire de qualité, dès la première phase de réalisation de la première partie du TGV Rhin-Rhône.

Je terminerai mon propos en replaçant le développement économique et social de l'axe Rhin-Rhône dans une perspective plus générale.

Lors du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 15 décembre 1997, il a été décidé du principe, de la préparation et du calendrier de deux schémas de service de transport : un schéma voyageurs et un schéma fret.

Ces schémas s'inscrivent dans le cadre de la révision de la loi d'orientation et d'aménagement du territoire (LOADT ou loi Pasqua) du 4 février 1995, dont l'Assemblée aura à débattre. Le CIADT a prévu que ces schémas feraient l'objet d'une élaboration concertée, conduite par l'État, à l'échelle régionale et interrégionale, de telle sorte que jouent solidarité et intercomplémentarité.

A cet effet, un comité stratégique a été mis en place sous mon autorité. Il regroupe, sous la présidence de M. Brossier - du conseil général des ponts et chaussées -, les ministères concernés et la DATAR.

Actuellement, nous en sommes à l'étape préparatoire : le comité prépare un document de cadrage, qui sera adressé aux préfets de région après validation interministérielle. Ce document, accompagné d'éléments de diagnostics, de prévisions et de scénarios d'évolution, servira de cadre à la concertation. Cet envoi sera vraisemblablement effectué après le dépôt du projet de loi révisant la LOADT, dans les prochains mois.

Suivra alors une phase de concertation de plusieurs mois, avant que l'élaboration par l'État - courant 1999 - ne débouche sur une publication de schémas de service, fin 1999, lesquels prendront bien évidemment en compte la cohérence nécessaire tant au niveau national qu'international.

Parallèlement, interviendront la préparation et la négociation des contrats de plan État-Région.

C'est dire que nous serons alors dans une phase où plusieurs types de négociations se cumuleront, dans le cadre d'un débat démocratique préparant l'avenir.

Sur la base de ce calendrier, mes services travaillent sur les perspectives à long terme d'évolution des demandes de transport - à l'horizon 2020.

Dans ce cadre, les objectifs de l'État en matière de services de transport, pour ce qui concerne plus particulièrement l'axe Rhin-Rhône, me semblent être les suivants :

- tout d'abord, le maintien et le développement des grands axes de circulation internationaux. En fonction des situations locales et régionales, il peut s'agir de mettre en place des itinéraires alternatifs, de mieux gérer certains trafics, d'aménager le contournement de grandes agglomérations.

- ensuite, la fluidité de l'axe Nord-Sud reliant par les vallées de la Moselle, de la Meuse et du Rhin, le Nord de l'Europe - Allemagne et Bénélux - au Sud de l'Europe
- littoral méditerranéen, Italie et Espagne.

- enfin, le développement de cet axe Nord-Sud en contribuant à la structuration de l'arc méditerranéen reliant la Catalogne au Piémont et à la Lombardie, complémentaire de l'axe rhénan.

De nombreuses études sont menées actuellement par les directions régionales de l'équipement - rapports d'orientation multimodal, ou ROM - pour préciser les difficultés et les évolutions mais aussi pour concrétiser, au plan local, les points d'ancrage de ces objectifs.

D'ores et déjà, il apparaît que les principaux obstacles à la fluidité peuvent se situer autour des n_uds ferroviaires - Dijon, Chambéry, Lyon, Nîmes, Montpellier - plus que sur les couloirs proprement dits - surtout avec le projet de réalisation du TGV Rhin-Rhône. Mais les obstacles semblent également se situer aux extrémités du couloir Saône-Rhin : au Sud, d'une part, car on ne voit pas encore très clair sur l'évolution des trafics routiers entre le Sud de la région Rhône-Alpes, le Languedoc et la région PACA ; sur l'axe rhénan, d'autre part, le transit routier et ferroviaire passant aujourd'hui beaucoup plus par la rive allemande que par l'Alsace.

Tels sont les éléments que je souhaitais vous apporter aujourd'hui. Je suis bien entendu prêt à répondre à vos questions, que ce soit immédiatement ou en vous envoyant très rapidement des réponses écrites.

M. le Rapporteur : Vous venez de nous annoncer quelque chose de capital dans la perspective de l'aménagement de l'axe Marseille - Strasbourg, M. le ministre, à savoir le lancement des études de la branche Sud du TGV Rhin-Rhône. Notre mission de réflexion s'intéresse en effet à l'ensemble de l'axe allant de Marseille à Mulhouse.

En outre, votre idée de créer de nouveaux corridors pour le transport de marchandises, en vue de « remplacer », en quelque sorte, celui qui aurait pu transiter par le canal, me semble importante.

Cela dit, un certain nombre de points faibles ont été répertoriés sur le réseau. Vous avez parlé de la mise au gabarit B 16, que nous dénommons B +, mais qui doivent correspondrent à la même chose.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, c'est cela.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous dire dans quel délai cette mise au gabarit B + peut se faire ? Et avez-vous engagé des réflexions sur les potentialités de développement du port Edouard Herriot à Lyon ?

Par ailleurs, l'approche intermodale et multimodale étant, pour beaucoup d'entre nous, la voie de l'avenir, avez-vous déjà une première idée des plates-formes multimodales qui pourraient être envisagées sur l'axe Rhin-Rhône ?

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Je suis totalement convaincue de l'intérêt qu'il y aurait, pour le ferroviaire, à dégager des sillons sur la branche Sud, afin de les utiliser correctement pour le transport de marchandises. Pour autant, de manière générale, n'est-on pas en train, progressivement, de faire traverser les villes par les trains de marchandises, sur les voies classiques, et d'avoir des gares TGV pour les voyageurs situées, elles, hors des villes ?

Je souhaiterais par ailleurs, m'adressant là autant au ministre qu'au président et au rapporteur, connaître les enjeux et impacts de l'ensemble des déplacements en Franche-Comté par rapport à l'organisation des transports de marchandises suisses. Les grands choix suisses - en particulier la limitation de l'utilisation de tonnage à l'essieu - ne risquent-ils pas d'aboutir à des déplacements sur d'autres secteurs ?

Enfin, dans l'ensemble de la problématique Rhin-Rhône, les déplacements de passagers par voie aérienne ont-ils été pris en compte ? Cela me semble important.

M. André VAUCHEZ : M. le ministre, nous souhaitons que ce projet donne lieu à une étude globale afin d'éviter de morceler le territoire et d'être gênés, lors d'une réalisation, par un choix antérieur, en faveur d'un autre type de transport. Je suis tout à fait d'accord avec votre projet sur le principe, y compris, bien évidemment, avec la branche Sud du TGV.

S'agissant de la SNCF, j'ai été fort surpris de constater que sur ses diagrammes, le transit du fret dans la vallée du Rhône et en Alsace était réduit à un pointillé. C'est-à-dire qu'il se fait ailleurs, et que le chemin de fer est terriblement absent du transit de fret sur cet axe.

On peut donc penser que l'abandon du grand canal est une chance pour l'avenir, parce que la réalisation que nous pensons mener tous ensemble pour le transit de fret d'un bout du canal à l'autre pourra se faire dans des délais relativement rapides.

M. Renaud MUSELIER : M. le ministre, je suis gêné par le fait que toutes les discussions portent avant tout sur un aménagement du territoire situé très au Nord de la région Provence-Alpes-Côtes d'Azur.

J'ai bien compris que des raisons politiques ont amené à l'abandon du projet de canal Rhin-Rhône. J'ai bien compris qu'il fallait développer le fluvial et le ferroviaire. J'ai bien compris aussi que pour ce qui concerne la ventilation des fonds, il n'y avait rien pour le Sud du Sud - port de Marseille, Arles et région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Or, si nous ne demandons pas de compensations, nous souhaitons participer au développement économique, pour l'emploi et pour l'aspect humain.

J'ai bien compris en outre que, à moyen terme, une grosse opération concernait la Franche-Comté. C'est-à-dire que nous, qui sommes au Sud, ne sommes là encore pas véritablement impliqués.

Certes, l'aspect ferroviaire est très important pour nous.

Le port de Marseille a été une donnée essentielle, au départ, dans le projet de création du canal Rhin-Rhône, pour le transport de marchandises. Maintenant, puisque l'option est différente, il s'agit pour nous de nous y adapter. Mais encore faut-il une fluidité suffisante ; or les horaires sont insuffisants pour les lignes de marchandises, ce qui suppose de faire un choix entre les hommes et les marchandises. C'est dire que nous ne pourrons développer notre port si nous ne progressons pas en termes d'horaires pour le transport de marchandises.

D'où ma question : qu'est-il prévu pour le développement du trafic de marchandises sur les axes ferroviaires autour de Marseille - Espagne-Italie, Nord-Sud - ? Et n'y a-t-il pas lieu de prévoir des moyens supplémentaires pour développer notre port ?

M. Jacques PÉLISSARD : M. le ministre, merci pour l'étude initiale de la branche Sud du TGV. Je suis maire de Lons-le-Saunier, la petite capitale du Jura, et cela fait des années que nous demandions l'architecture d'ensemble du TGV Rhin-Rhône, y compris la branche Sud. Cette décision, vous l'avez prise. Elle paraît intelligente et cohérente, et je me permets de vous en remercier.

En ce qui concerne le financement, je rappelle qu'avait été évoquée, il y a quelques années, la possibilité de financer le canal Rhin-Rhône avec les 17 milliards d'EDF. Le président d'EDF m'avait alors déclaré qu'étant président d'une société nationale, il verserait l'argent là où l'État, son actionnaire principal, lui demanderait de le faire. N'est-il pas possible de financer, avec cette somme, tout ou partie de l'ensemble de l'infrastructure Rhin-Rhône, y compris la branche Sud du TGV ?

Enfin, M. le ministre, la ville de Lons a toujours fait le pari du rail. C'est ainsi qu'elle a facilité l'électrification de la ligne Lyon-Strasbourg à hauteur de 10 millions de francs. D'ici à la réalisation du TGV et de sa branche Sud en particulier, serait-il envisageable que la SNCF, sur demande de l'État, mette en place des trains pendulaires sur le réseau Lyon-Strasbourg, avec une desserte de qualité améliorée par rapport à l'existant ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Pour ce qui concerne notre démarche, de manière générale, nous devons faire évoluer les choses en matière de transports, et non pas perpétuer ce qui s'est fait jusqu'à présent.

En effet, à laisser les choses aller « au fil de l'eau », nous nous retrouverions, vers 2015 ou 2020, avec une asphyxie du réseau routier, des problèmes énormes de fluidité mais aussi d'environnement et de nuisances, et en revanche avec une stagnation des trafics ferroviaire et fluvial.

C'est dire que pour toutes les formes de trafic, y compris la route, il faut penser à un développement différent, et, sans administrer la société - car telle n'est pas la volonté du Gouvernement, pas plus que la mienne -, faire en sorte que les critères et l'offre de transports soient tels que l'on parvienne à un meilleur équilibre entre la route, le rail et la voie d'eau.

D'où l'importance de la loi sur les schémas de service, voyageurs et fret. Car dans ce domaine, la représentation nationale, les élus, les acteurs économiques et sociaux
- les « forces vives » - pourront définir, sur le terrain, les priorités.

Mais il y faut aussi des moyens. Or, lors de mon entrée en fonction en 1997, le FITTVN prévoyait d'octroyer 700 millions de francs au ferroviaire, crédit que nous avons porté à 1,3 milliard - soit une augmentation de 55 %, grâce à l'utilisation de la « rente » -, tout en annonçant le 4 février dernier que nous parviendrions à 2,3 milliards d'ici à la fin du XIIème contrat de plan. Nous entreprenons donc un vrai changement, en termes de moyens d'intervention de l'État.

Par ailleurs, si le territoire français a besoin de ses axes Nord-Sud, il nous faut veiller à ne pas ignorer toute la partie Ouest. D'où l'importance que j'attache, aussi, à la mise en place de corridors horizontaux. Et là encore, la discussion permettra de définir ce qu'il importe de faire.

J'en viens maintenant à des réponses plus précises.

En matière de mise au gabarit B+, celle-ci concerne directement les négociations du prochain contrat de plan. Il faut commencer à y travailler, dès maintenant, sachant que les priorités seront arrêtées dans le cadre des schémas de service.

Sur ce point, le Gouvernement a pratiquement décidé de doubler l'enveloppe prévue pour les contrats de plan État-région : nous avons proposé de la porter de 270 millions à 500 millions, ce qui, avec la part régionale, la monte à 1 milliard par an et à 5 milliards sur cinq ans - et peut-être même irons-nous au-delà. Cela ne concernera pas le seul TGV, mais également l'amélioration du réseau classique et les contournements, une de nos volontés étant de ne pas faire du tout-TGV.

En ce qui concerne le port Edouard Herriot de Lyon et au vu de ce qui a été fait sur le Rhin, il va de soi qu'il y a encore beaucoup à faire sur le Rhône en termes de développement, y compris en ce qui concerne la liaison avec le port de Marseille. Ce dernier a en tout cas un rôle stratégique dans l'articulation multimodale avec Marseille, ce qui suppose qu'on l'inscrive dans un programme de développement.

En ce qui concerne l'affirmation selon laquelle les trains de marchandises passeraient dans les villes alors que les TGV s'arrêteraient, eux, en rase campagne, il faut prendre garde aux généralités car certaines villes ont des gares de triage. Cela dit, il est vrai que certaines gares TGV sont situées en rase campagne, ce qui n'est pas nécessairement la panacée. Tout cela mérite réflexion : il faut penser au lien de la gare de voyageurs avec la ville, mais aussi s'intéresser aux « n_uds » qui existent. Or, ainsi que je vous l'ai dit, c'est moins le sillon lui-même qui pose problème que certains points nodaux.

En tout état de cause, les problèmes de contournement sont réels, en particulier à Lyon.

En ce qui concerne les plates-formes multimodales, qui sont au c_ur de la réflexion en cours sur les schémas de service de fret, il est certain que, si l'on souhaite opérer un rééquilibrage et faire le choix du multimodal, des plates-formes sont nécessaires. Mais dans ce domaine, il y a débat, et un débat intelligent. On peut penser qu'il faut de très vastes plates-formes à certains endroits du territoire, mais on a sans doute intérêt à réfléchir, aussi, à l'installation de plates-formes multimodales moins importantes, mais plus harmonieusement réparties sur le territoire. Tout cela fera l'objet de discussions dans le cadre du schéma de service de fret.

A ce propos, je souhaite évoquer le point suivant : vous savez que j'ai arrêté le lancement de l'enquête d'utilité publique concernant la A 51, ce qui a fait couler beaucoup d'encre. Or, après le sommet franco-italien, après des discussions avec l'Italie et la Suisse ainsi qu'avec les présidents des régions Rhône-Alpes et PACA, nous avons demandé que nous soit remis un rapport sur l'ensemble de la problématique des transports de tout l'arc alpin - Autriche, France, Suisse, Italie. Je viens tout juste de recevoir ce rapport ; et bien que je n'aie pas encore eu le temps de le lire, j'ai pris la décision de le rendre public tout prochainement. Vous en serez les premiers destinataires.

En ce qui concerne l'utilisation de la « rente », je vous ai déjà dit qu'une partie de cette « rente » avait été utilisée pour augmenter le FITTVN - soit 650 millions de francs. Une mission est en cours afin de déterminer si cette somme épuise la « rente » ou si des ressources complémentaires peuvent encore être mobilisées.

En ce qui concerne le port de Marseille, premier port français, qui a un rôle de premier plan en termes de développement de la région PACA, se pose le problème de tout son hinterland. En effet, l'efficacité d'un port se joue souvent, pour une grande part, sur la relation qu'il entretient avec les destinataires des marchandises.

Je crois que le port a connu un redressement au cours des dernières années. C'est d'ailleurs général en France : nos ports connaissent une progression de leur trafic de l'ordre de 8 %, sauf à Marseille, où elle est moindre.

M. Renaud MUSELIER : Elle est de 6 % à Marseille.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Cela dit, les autres ports concurrents se développent souvent plus que les nôtres, ce qui fait que nous ne sommes pas à l'abri de difficultés.

Une synergie, de toute évidence, est nécessaire avec le port fluvial de Lyon, qui constitue, en quelque sorte, un avant-port. A cet égard, une plate-forme fluvio-portuaire se met en place sur le site des Télines à Fos, sans oublier l'ouverture du corridor ferroviaire Nord-Sud, avec embranchement sur Marseille, et les liaisons fret entre Marseille et Fos.

Cela étant, et je le dis sans aucun esprit polémique, sachez que lorsque je suis entré en fonction, le financement nécessaire à l'achèvement des travaux prévus n'était pas disponible, y compris pour le TGV Méditerranée. Certes, 2 300 kilomètres de TGV étaient prévus, mais 500 millions par an étaient prévus pour les financer - à ce compte, il aurait fallu quatre siècles pour aboutir ! Et même sur le TGV Méditerranée, je le répète, les crédits étaient insuffisants pour achever les travaux. Nous avons failli les arrêter. Une des premières choses que j'ai donc dû faire a été de trouver les moyens pour poursuivre et achever le TGV Méditerranée, ce que nous allons faire, en tout cas sur la partie Nîmes-Marseille.

Mais si les sommes en jeu sont considérables, l'aménagement du territoire et les transports sont aussi de formidables enjeux de société. Des opportunités existent, nous disposons de moyens supplémentaires, des discussions vont s'engager sur les schémas de service fret et voyageurs ainsi que des négociations sur les futurs contrats de plan : il y a de quoi travailler dans le concret et de quoi ouvrir des perspectives, qui s'inscriront dans les réflexions de votre mission d'information.

M. Renaud MUSELIER : M. le ministre, je souhaite revenir un instant sur le port de Marseille, premier port français et troisième port européen.

Il est vrai que son développement n'est que 6 % alors qu'il est de 8 % à 10 % en France, et de 100 % ou 150 % dans certains grands ports européens.

Le port ne peut progresser que dans la mesure où, premièrement, il sera fiable - cela s'est considérablement amélioré depuis quelques années, suite à une prise de conscience collective - et, deuxièmement, dans la mesure où il sera compétitif en termes de prix : grosso modo, il est 15 à 20 % plus cher que les grands ports du Nord. Nous en sommes conscients, nous essayons d'en diminuer le coût.

Mais il y faut aussi de la logistique, afin de livrer nos marchandises en vingt-quatre heures, comme c'est le cas dans les autres grands ports du Nord, alors que nous ne pouvons le faire, actuellement, qu'en un peu plus de quarante-huit heures. Ce n'est pas si mal, mais c'est encore trop, étant donné la compétition générale.

Vous avez rappelé les efforts fournis par la Franche-Comté, vous avez souligné qu'un comité stratégique était mis en place pour la préparation du CIADT, et mentionné le futur contrat de plan État-région, ce qui, de toute évidence, suppose des dépenses importantes. Mais je souhaiterais que, dans la réflexion générale sur l'aménagement Rhin-Rhône, on ne s'arrête pas à Lyon.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Vous avez tout à fait raison d'insister sur ce point, et croyez bien que le président de la région, dès son élection, m'a fait part de ce souci.

M. Renaud MUSELIER : Et pour vous prouver que nous sommes capables et compétents, je vous rappelle que le port autonome de Marseille et le port Edouard Herriot ont créé un port sec, une sorte de port franc, de façon à faciliter l'accès à l'hinterland, et que Lyon ne fasse pas transiter toutes ses marchandises sur le Nord mais passe par chez nous.

M. le Rapporteur : M. le ministre, une question un peu provocatrice, pour terminer : l'analyse des trafics et des échanges doit-elle être confiée à la seule SNCF ? Il ne s'agit pas de remettre en cause la qualité du travail de la SNCF, mais ne serait-il pas intéressant que cette analyse soit également menée par des organismes extérieurs, qui peuvent avoir une vision et des solutions différentes ? Cela se pratique fréquemment pour ce qui concerne la problématique routière. C'est d'ailleurs ce que nous avions demandé pour le grand canal.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Ce que vous dites n'a rien de provocateur.

Dès mon arrivée au Gouvernement, j'ai déclaré que j'étais pour le renforcement de l'unicité de la SNCF, mais pas pour revenir en arrière en ce qui concerne une certaine séparation entre la maîtrise d'_uvre, les infrastructures, et la maîtrise d'ouvrage, l'exploitation.

Pourquoi ne suis-je pas en faveur d'un retour en arrière ? Pas seulement parce que la Commission européenne nous le demande. Mais parce que je crois qu'il est sain que ce ne soit pas nécessairement le même organisme qui indique ce qu'il faut faire, comment on le fait, qui devra le faire et qui le fasse payer.

Cela dit, des missions d'expertise sont d'ores et déjà confiées à des cabinets extérieurs. Une région a même commandé une étude pour la revitalisation d'une ligne
- Béziers-Neussargues -, et des propositions ont été faites, que je fais moi-même expertiser.

De toute manière, nous faisons expertiser toutes les propositions, tant les enjeux financiers sont importants. Quand on se rend compte que des projets expertisés pour un milliard ou deux coûtent au final un milliard de plus, et qu'on ne peut rien arrêter une fois que les travaux sont lancés, étant donné que cela coûterait encore plus cher, nous prenons des précautions.

Sachez bien, d'ailleurs, que si le trafic des ports a progressé, il en va de même pour les trafics ferroviaire, routier et aérien, et cela à l'échelle mondiale. Et qui plus est, nous sommes dans une perspective de croissance, ce qui est loin d'être négligeable, car cela permet beaucoup plus facilement d'envisager des projets, voire les réformes nécessaires.

Nous sommes donc dans une situation très favorable et cette perspective de développement important nous offre beaucoup plus de chances que par le passé mais aussi plus de responsabilités par rapport aux schémas de service et aux contrats de plan État-région. Pourvu que cela dure !

M. le Président : Merci beaucoup, M. le ministre, pour cette hauteur de vue.

Audition de MM. Jean-Louis GUIGOU,
Délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale,

et Claude ROUSSEAU, Chargé de mission région Rhône-Alpes

(Procès-verbal de la séance du mardi 16 juin 1998)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. Jean-Louis GUIGOU : M. le président, mesdames, messieurs les députés, mon exposé liminaire portera sur deux points : d'une part, la genèse de cette affaire, et, d'autre part, les alternatives, c'est-à-dire ce que nous proposons de substituer à ce projet.

Premièrement, la genèse. Premier point : il convient tout d'abord de savoir que la DATAR a toujours été hostile à ce projet qu'il aurait fallu réaliser non pas en 1995, mais en 1950. Il a fallu les pressions de MM. Charles Pasqua et Pierre-Henri Paillet pour nous faire céder. Le professeur Bonnafous, l'un des meilleurs spécialistes français des transports de voyageurs et du fret, animait pour la DATAR le groupe de prospective « France 2015 ». A la suite d'un article paru dans Le Figaro, dans lequel le professeur Bonnafous a pris position contre le projet de canal, il a été convoqué par M. Pierre-Henri Paillet et, sur instruction de M. Charles Pasqua, mis à la porte de la DATAR et de notre réseau.

La valeur de l'homme, qui est maintenant vice-président de l'association mondiale sur les transports et qui dirige tous les grands groupes au commissariat du plan, est telle que ce genre de réprimande révèle tout à fait le divorce d'idées qui peut exister.

Deuxième point : ce n'est pas la DATAR mais les Verts qui ont voulu l'abandon du canal Rhin-Rhône, et notamment Mme Dominique Voynet qui avait passé un accord préalable avec le parti socialiste et le Premier ministre - arrêt de Superphénix et du canal Rhin-Rhône. Mes services n'ont donc pas travaillé pour préparer cette décision. Celle-ci était prête. En revanche, ils travaillent pour pallier cet arrêt et trouver des alternatives.

Troisième point : ce projet est vieux de plus de trente ans. Toute la vallée du Doubs, mais pas la vallée de la Saône qui est navigable, l'attend depuis les années soixante. Tous les opérateurs étaient comme des « rentiers en puissance » et n'ont absolument rien réalisé ; ils attendaient le canal. Ils n'ont rien fait sur le plan agricole ni sur le plan de l'aménagement du territoire et le canal Freycinet est tombé dans la désuétude la plus totale. Il convient donc de dédommager toutes ces personnes qui ne sont pour rien dans cette espèce de partie de « ping-pong ».

Comptable de la solidarité nationale, j'ai assisté aux échanges et me retrouve dans une situation de fait pour laquelle nous devons trouver une solution.

La seconde partie de mon exposé portera sur les nouvelles perspectives d'aménagement de l'axe Rhin-Rhône.

Il ne fait aucun doute que l'aménagement de cet axe - sans que je puisse vous dire s'il sera canal, TGV ou autoroute - est une priorité pour faire coïncider la richesse du couloir rhénan avec le corridor du Rhône. Il convient de connecter le Rhin et le Rhône pour que les produits allemands aillent directement vers Marseille, car en 2007 l'accord de coopération avec la Méditerranée et une zone de libre échange de 730 millions de citoyens devra être pris en compte. Il convient donc d'aménager le port de Marseille dans la perspective des accords de Barcelone et donc d'ouverture à tous les pays de la Méditerranée.

Nous aurions ainsi un axe qui éviterait Paris. C'est la raison pour laquelle nous sommes très favorables à une articulation de ces deux corridors, mais pas avec le canal, dont le coût était exorbitant : plusieurs dizaines de milliards de francs ; avec les intérêts composés, on atteignait une somme de 45 milliards de francs pour 240 kilomètres, 24 écluses et l'équivalent d'un train par jour. En 1950, ce projet était tout à fait réalisable mais, aujourd'hui, le coût du renoncement à d'autres investissements est trop élevé : de tels investissements ne peuvent plus être réalisés alors que nos enfants manquent d'écoles.

Par ailleurs, il faut panser les plaies de la vallée du Doubs, de cette économie qui a été mise en sommeil pendant plus de 30 ans. Or ce que nous avons mis en place, sous l'impulsion de Mme Dominique Voynet, est très original. Dépassant le canal unique de la représentation politique, elle nous a imposé d'associer à nos réflexions les associations, les Chambres consulaires, le CJD et le patronat - c'est-à-dire les forces vives de la nation -, répartis en sept groupes de travail.

Nous investissons donc dans la vallée du Doubs. Le préfet a été quelque peu surpris par la méthode utilisée, mais il avance. Pour l'instant, nous avons investi 30 millions de francs sur deux ans - prélevés à la société constituée pour le canal Rhin-Rhône -, cette somme étant consacrée à des études, à des transformations en matière d'urbanisme, d'habitat, etc.

Nous devons aboutir à un projet de territoire. Nous travaillons dans la perspective des contrats de plan État-régions 2000-2006. Tout l'argent sera alors distribué : quelques 300 milliards de francs - 100 milliards de francs en provenance de l'Europe, 100 milliards des ministères et 100 milliards des collectivités locales. Nous travaillons en particulier sur cette vallée du Doubs pour que tous les projets de grande ampleur soient finançables et inscrits en priorité dans le contrat de plan État-région de Franche-Comté.

Enfin, nous avons dépensé, sur notre budget, un million de francs pour mener une étude très approfondie sur les problèmes de transports - transports combinés, TGV, TGV pendulaires. Le Gouvernement a arrêté une première phase de transport TGV sur l'axe Rhin-Rhône. Nous ne savons toujours pas si, une fois arrivés à Dôle, nous descendons directement sur Lyon - où l'on passerait par des espaces délicats sur le plan de l'écologie - ou si nous allons directement à Dijon pour emprunter ensuite des voies qui nous coûteraient moins cher. Aucune décision n'est encore prise à ce sujet, mais il faut absolument que, dans le schéma national de service des transports, les études relatives à cette zone - nécessaires pour connecter les deux corridors - soient effectuées.

Dans le même temps, nous travaillons sur l'espace européen et nous sommes très « branchés » avec les Allemands. Nous voulons faire en sorte que cette connexion ait un intérêt non seulement français mais également européen.

Je passerai rapidement sur les 20 millions de francs destinés aux aménagements hydrauliques et à la lutte contre les inondations dans la vallée du Doubs, pour lesquels nous rencontrons quelques problèmes que nous devrions résoudre.

Claude Rousseau, notre spécialiste des problèmes de transport, a peut-être quelque chose à ajouter ?

M. Claude ROUSSEAU : Je voudrais simplement préciser qu'il s'agit de 20 millions de francs par an pendant 10 ans, décidés par le CIAT du 15 décembre dernier, mais qu'il reste une imprécision quant à la façon de les financer.

M. Jean-Louis GUIGOU : Je terminerai sur l'ensemble des schémas de transports. Je me permets de vous rappeler la chose suivante : nous disons souvent, avec un peu de rudesse, peut-être, que nous sommes favorables à un peu moins d'équipements et un peu plus d'ingénierie du développement, à un peu moins de béton et un peu plus de développement et de création d'emplois. Cela fait 50 ans que la France est en paix, 50 ans que l'on fait des équipements de qualité, mais il reste des chaînons manquants, des lieux qui n'ont pas suffisamment fait l'objet d'investigation.

Il ne sert à rien, par exemple, de dépenser 1,5 milliard de francs pour créer « Le Havre 2000 » - en espérant que l'on ait au moins un port dans la compétition mondiale, le second étant celui de Marseille - si nous ne disposons pas de transport combiné en direction de l'Allemagne. Or cet axe n'existe pas. Il ne sert à rien de vouloir aménager Marseille si, derrière ce port, nous ne disposons pas de transport combiné en direction de l'Allemagne et des Ardennes. Or, nous ne disposons toujours pas de ce transport combiné.

Lorsque nous préconisons « un peu moins de béton et un peu plus de développement économique et de création d'emplois », il convient de nuancer ces propos, car des axes manquent toujours : l'axe Rhin-Rhône, les axes derrière Marseille et Le Havre. Il nous manque également l'axe reliant Nantes à Genève, c'est-à-dire la route centre Europe-Atlantique. Or si les axes Nord-Sud sont naturels, les axes Est-Ouest ne le sont pas ; il nécessitent une volonté de l'État. Si on ne veut pas que tout l'Ouest de la France soit marginalisé, il faut réaliser de grands équipements derrière le Havre et derrière Nantes.

Nous travaillons donc sur le schéma de service des transports qui est presque achevé. Les schémas de service de transports de fret et de voyageurs seront disponibles au début du mois d'octobre dans les préfectures et feront l'objet d'une concertation. En ultime recours, le Parlement décidera.

M. le Président : Vous avez bien situé l'objectif de notre mission, car il ne s'agit pas de parler uniquement de la vallée du Doubs et des problèmes posés par l'abandon du projet du canal Rhin-Rhône dans la région directement concernée, mais de toutes les régions que nous représentons ici. Nous avons, en tant que représentants de la Nation, le plus grand souci du développement de l'Ouest - bien que les élus présents aujourd'hui soient surtout des représentants de l'Est et du Sud-Est de la France, très soucieux de voir se réaliser la jonction du c_ur industriel de l'Allemagne, qui semble riche et actif, avec les activités qui pourront se développer à Marseille si le processus de Barcelone se déroule comme nous l'espérons.

C'est donc sur ce sujet que nous avons besoin de vos éclairages, afin que nous puissions travailler à ce qui pourrait nous permettre de relier les deux espaces que vous nous avez indiqués et de ne pas nous retrouver dans une situation parallèle à ce que l'on désigne par le terme peu élégant de « banane bleue ». Nous souhaitons tous participer à ce projet, nous situer sur le corridor, et ne pas simplement regarder passer les trains et les péniches.

Effectivement, on nous dit parfois que si nous créons de l'emploi et des activités, les équipements se développeront naturellement. Nous pensons qu'il convient peut-être de développer ces équipements pour qu'on puisse s'attaquer de manière sérieuse au développement de l'emploi et de l'économie.

J'ai fait remarquer à Mme Dominique Voynet que nous avions l'impression, dans la région PACA, d'être enclavés, ce qui l'a surprise, mais c'est un sentiment qui peut s'expliquer si l'on considère les Alpes et l'engorgement de la vallée du Rhône. Je ne plaide pas pour ma région ; nous représentons un ensemble de territoires qui forme le quart du territoire national. En outre, il s'agit non pas d'un problème national, mais européen. Peut-être pourriez-vous aller plus loin dans votre propos en nous faisant part des solutions alternatives à ce canal Rhin-Rhône ?

M. Jean-Louis GUIGOU : Je pourrai, en effet, aller plus loin dans mon propos, mais je pense qu'il serait plus utile, plus franc et plus clair d'évoquer cette question avec M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, qui a autorité pour élaborer le projet de schéma de services de transport des voyageurs et le schéma de services de transport de marchandises. Nous étions ce matin en réunion avec l'ensemble des ministères qui participent à l'élaboration des huit schémas de service et qui définissent les éléments de cadrage financier et technique.

Nous avons assisté à une telle inflation de promesses ces dix dernières années que le Premier ministre nous a demandé d'être responsables et de déterminer ce que l'on pouvait faire financièrement. Les éléments de cadrage ne sont pas encore tout à fait connus, mais je pense que vous êtes en droit de demander d'avoir la primeur de la connaissance des orientations de l'État. Cependant, comme je viens de vous l'indiquer, il serait préférable que vous vous adressiez à M. Jean-Claude Gayssot, car cela me gênerait de vous dévoiler ses projets. Son travail n'étant pas achevé, je vous suggère de lui demander tous ces renseignements début septembre. Il pourra, à ce moment-là, vous donner les chiffres, les cadrages et les grandes orientations. Vous aurez ainsi un mois et demi ou deux mois d'avance sur les préfets et les ministères.

Quelles sont les hypothèses ?

Mme Dominique Voynet est hostile au développement à deux fois trois voies de l'autoroute. En revanche, nous sommes tous intéressés par le transport combiné ; mais pour le moment il ne pourrait que remonter la vallée du Rhône, atteindre le Nord de Dijon et capter les marchandises en provenance d'Angleterre et de la Ruhr du côté des Ardennes.

Nous travaillons également sur le TGV pendulaire, sur lequel GEC Alsthom travaille au plan technique. Il s'agit d'une grande innovation : un TGV français capable de rouler à 300 km/h sur des sites propres et à 220 km/h sur des voies traditionnelles. L'investissement porte non pas sur les voies, mais sur le matériel, ce qui est un progrès considérable. Quand GEC Alsthom sortira-t-il ce TGV pendulaire ? Nous n'en savons rien. Cependant, je pense qu'en septembre nous disposerons de plus d'éléments.

Mis à part le transport combiné et le TGV pendulaire, nous rencontrons des difficultés, comme je viens de vous le dire, avec le deux fois trois voies, et nous avons des problèmes de tracés dans la Dombes et dans la partie des piémonts entre Dôle et Lyon. Sur ces points, les choix ne sont pas faits et seront arrêtés avant la fin de l'année.

Quelle est la démarche ? En septembre, l'État aura arrêté les cadrages financiers et techniques, mais pas les lieux géographiques. Une vaste consultation aura donc lieu par l'intermédiaire des préfets de région pour déterminer les priorités. Bien entendu, nous en proposerons quelques-unes : l'axe derrière Le Havre, l'axe derrière Marseille et l'axe Rhin-Rhône. Ce n'est donc qu'au mois de décembre que le système commencera à se stabiliser.

M. le Rapporteur : S'agissant de la vallée du Doubs, pensez-vous que nous devrions mettre en place un contrat de plan spécifique pour cette vallée - afin de rattraper le retard que vous avez décrit - ou un contrat de plan global pour la Franche-Comté qui intègre ce territoire ?

Je comprends qu'il appartient à M. Jean-Claude Gayssot de nous renseigner sur les cadrages techniques et financiers ; cependant je souhaiterais connaître la réflexion de la DATAR sur ce projet d'aménagement Rhin-Rhône. Comment imaginez-vous le transport des marchandises et des voyageurs sur cet axe, dans les années 2005-2010 ?

M. Eric BESSON : J'ai été très intéressé par vos propos concernant le transport combiné qui pourrait répondre à ce que le Président appelait l'engorgement dans la vallée du Rhône. Dans la Drôme, territoire très étroit de la vallée du Rhône, nous avons à la fois l'autoroute, la route nationale, l'ancienne voie de chemin de fer, la nouvelle voie de chemin de fer et le Rhône. Or, les services de l'équipement projettent régulièrement de nouvelles autoroutes, auxquelles sont opposés les parlementaires de la Drôme et de l'Ardèche. Nous sommes donc très intéressés par la mise en place de modèles exploratoires, tels que le transport combiné.

Concrètement, que pouvons-nous faire pour aller dans le sens de ce que vous préconisez ? Par ailleurs, envisagez-vous d'associer les élus concernés à cette réflexion ?

Pouvez-vous indiquer comment le Rhône pourraît être mieux utilisé tel qu'il est actuellement navigable ? Toutes les études montrent que les capacités de ce fleuve sont sous-utilisées ; vos services se sont-ils livrés à d'autres études et des conclusions ont-elles été déposées ?

M. Jean-Marie BOCKEL : Je saluerai tout d'abord la cohérence de la démarche de la DATAR dans ce dossier important et compliqué.

Je voudrais compléter la question du rapporteur relative à l'éventualité d'un contrat de plan spécifique et m'inquiéter de ce qu'il n'évoque que la Franche-Comté.

M. le Rapporteur : Il s'agit de la Franche-Comté-Alsace.

M. Jean-Marie BOCKEL : J'aimerais le faire préciser, car nous avons quelques difficultés dans les réunions qui ont lieu sur place. Je suis maire d'une ville qui est totalement concernée par les problèmes qui ont été évoqués tout à l'heure, notamment les gels de terrain ; qu'il s'agisse de Mulhouse ou de la Franche-Comté, la problématique est exactement la même. Il s'agit d'un point tout à fait mineur, puisque nous sommes associés à la même démarche, mais j'aurais souhaité vous l'entendre dire.

S'agissant des différents modes de transports susceptibles de valoriser cet axe stratégique, le TGV Rhin-Rhône, qui est un dossier qui tient à c_ur à plusieurs d'entre nous et qui avance à son rythme, ne me paraît pas dissociable du renforcement du fret ferroviaire ; il peut même y avoir un lien évident entre la nouvelle voie TGV et la voie actuelle qui pourrait être libérée pour renforcer ce trafic ferroviaire. Il s'agit d'un aspect important de ce dossier, avec toute la dimension de plurimodalité sur laquelle il serait intéressant de revenir.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Il me semble important de préciser de nouveau le sens de notre mission. Ce qui m'avait surprise - ainsi que l'ensemble des parlementaires franc-comtois -, en fonction de l'expérience de ce qui s'était passé autour du projet du grand canal, c'était l'absence de connaissance mutuelle des problèmes entre les gens du Rhin, ceux du Rhône et la situation spécifique de la Franche-Comté qui constitue la charnière. Notre mission est donc de bien identifier les enjeux des trois niveaux concernés. Le développement et la problématique franc-comtois sont essentiellement liés aux projets du Rhin et du Rhône.

Dans ces conditions, la réflexion sur la mise en place d'un contrat spécifique pour la région, de Mulhouse à la Saône, me semble essentielle. Vous avez très bien dépeint, avec des mots relativement forts, la situation dans laquelle se trouvent les habitants de cette région qui attendent depuis près de 40 ans le canal et qui n'ont pas investi, notamment en matière d'urbanisme. Or, on ne pourra prendre en compte la problématique de ce maillon qu'avec un contrat spécifique.

Ce contrat spécifique devra aborder non seulement le problème du transport
- le dossier du TGV est essentiel, tout comme celui de la réhabilitation du canal Freycinet et de la revalorisation économique de l'ensemble de l'axe -, mais également d'autres questions, comme, par exemple, celle de savoir si la réflexion de la DATAR se situe toujours dans une logique de liaison par voie d'eau entre le Nord et le Sud (entre Hambourg et la Méditerranée), car de ce mode de liaison dépendront nos projets de transports.

M. Jean-Louis GUIGOU : Voilà une carte de l'Europe sur laquelle j'ai dessiné notre objectif : il s'agit d'une échelle dont le premier montant va de Berlin jusqu'à Valence, l'autre venant de Stockholm et allant jusqu'à Madrid. Une échelle, donc, qui part de l'Espagne et la relie aux pays scandinaves. Pour bâtir cette échelle, qui est en cours de finition, l'axe Rhin-Rhône est, bien entendu, un élément essentiel. Les barreaux de cette échelle seront des axes reliant Le Havre à l'Allemagne, Nantes à la Suisse, Bordeaux à Lyon et Clermont-Ferrand. Telle est la trame que nous avons en tête, le schéma que nous souhaitons élaborer.

Faut-il, compte tenu de la prégnance de cet espace qu'est la vallée du Doubs et de notre responsabilité collective, établir un contrat spécifique ? Il ne m'appartient pas d'en décider, c'est le rôle du pouvoir politique et je ferai ce que Mme Voynet me dira de faire. Cependant, je suis gardien d'une certaine orthodoxie, c'est-à-dire de l'unité de l'action de l'État. Je me bats pour qu'aucun lieu particulier ni aucun ministère ne bénéficie de contrat singulier. L'État doit jouer la contractualisation d'une façon cohérente - unité de temps, unité de lieu, unité d'action.

Unité de temps : nous devrions tous choisir la période 2000-2006 - M. Jacques Chérèque le préconise dans son rapport -, période de la contractualisation européenne. Nous nous calerions ainsi sur l'Europe, avec deux phases : pour 2000-2003, les contrats seront signés « à l'encre » (ce sont des crédits de paiement) ; pour 2003-2006, les orientations seront définies - ils seront donc signés « au crayon ». J'ai beaucoup de mal à faire entrer tous les ministères dans ce créneau. M. Claude Allègre avait tendance à vouloir commencer dès à présent l'université du troisième millénaire. M. Claude Bartolone, lui, voudrait mettre en _uvre les contrats de ville. Au nom de la cohérence de l'État, je plaide pour l'unité de temps.

Je plaide également pour l'unité de lieu : c'est-à-dire que les contrats doivent être conclus non seulement avec les régions, mais également avec les agglomérations et les pays et que nous devons tous - État, Union européenne, régions - avoir la même référence pour les agglomérations. Nous devons persuader un grand nombre de maires - 30 ou 40 - d'agir ensemble. Le pays de Cornouaille est, par exemple, une réalité. La population souhaite y prendre son destin à bras le corps : on ne compte pas moins de onze communautés de communes - d'où une unité d'action.

Au risque de vous décevoir, je ne suis favorable à des contrats singuliers ni pour des ministères, ni pour des lieux particuliers. C'est dans les contrats de plan 2000-2006 que seront trouvés les crédits dont vous aurez besoin pour vos projets.

M. Claude ROUSSEAU : Le système actuel des contrats de plan sera sans doute repris : croisement entre la planification par chapitre budgétaire et par ministère et la planification par fonction. C'est assez compliqué au niveau administratif. Mais pourquoi ne pas prévoir, en Franche-Comté, et peut-être aussi dans les deux régions adjacentes, une fonction intitulée « suites particulières de l'abandon de Rhin-Rhône ». Cela permettrait de respecter à la fois vos desiderata et l'unicité d'action.

M. Jean-Louis GUIGOU : M. Jean-Claude Gayssot mène le comité de pilotage en présence de tous les ministères. Notre vision est celle d'une grande échelle allant du Nord au Sud et munie de multiples barreaux.

Le transport combiné consiste à faire monter les camions sur les trains et à véhiculer les conteneurs. Je fais partie du conseil d'administration de la SNCF. M. Louis Gallois n'est pas satisfait, et je pense que c'est le moment de pousser vos investigations. En effet, le surcoût du transport combiné est de 300 millions de francs du fait des ruptures de charges. La SNCF est obligée de se lancer dans des investissements onéreux, sans être certaine de remplir ces moyens de communication nouveaux en raison des ruptures de charges au départ et à l'arrivée. Il convient donc, selon M. Gallois, d'augmenter le prix du gazole et de pénaliser les autoroutes sur une période de 10 à 15 ans pour rétablir un juste équilibre, parce que le transport combiné n'est pas spontanément utilisé.

Sachez que nous travaillons sur quatre scénarios d'évolution des modes de transports en 2015. J'interrogerai le ministère pour savoir si je peux vous les adresser. Je pense qu'il serait en effet légitime que vous ayez connaissance de ces scénarios d'évolution sur les capacités de transport en fonction de la croissance économique, du coût du gazole, etc.

Le transport par camion est tellement puissant, rapide et souple - mais polluant - qu'il faudrait un scénario, appelé scénario C et voulu par les Verts, qui augmenterait considérablement le prix du gasoil, pour provoquer une baisse des transports par l'autoroute au profit des transports par rail. Il s'agirait d'une politique redoutable, car elle risque d'entraîner une grève extraordinaire des transporteurs. Le problème est donc délicat.

Quoi qu'il en soit, le transport combiné est la voie de l'avenir. Les Suisses, les Italiens, tout le monde l'adopte. Les Verts craignent que la France ne prenne aucune mesure concernant la pollution par le transport autoroutier et qu'elle devienne le déversoir de l'ensemble des transports venant d'Espagne et d'Italie, soit un immense carrefour, un lieu de passage sans valeur ajoutée. C'est la raison pour laquelle les relations sont très dures entre notre ministre et l'ensemble des autres ministres européens qui sont malgré tout tentés par le libéralisme.

J'ai assisté à l'échange entre Mme Voynet - et ses conseillers - et le ministre anglais, président de la commission sur l'aménagement du territoire, au cours duquel ce dernier déclarait « libéralisons tout et vous aurez beaucoup de camions ! ».

S'agissant du Rhône, je ne suis pas compétent pour vous dire si des études ont été menées pour déterminer comment ce fleuve pourrait être mieux utilisé.

En revanche, je vous conseille de ne pas négliger, dans vos réflexions, le fait que nous allons achever l'autoroute A 75 qui traversera tout le Massif central. L'autoroute A 51, quant à elle, traversera le Massif Alpin - il reste à réaliser le tronçon Grenoble-Sisteron et nous avançons vers un accord. Nous posséderons donc trois axes autoroutiers puissants pour irriguer le Nord et le Sud. Je porte également à votre connaissance - je pense en particulier aux élus de Franche-Comté - que nous mettons en place un commissariat, nouvelle formule, d'industrialisation pour la Bourgogne-Franche-Comté. J'ai reçu la personne qui sera peut-être le commissaire et lui ai imposé la présence d'un Américain et d'un Allemand - avec des carnets d'adresses intéressants et qui travailleraient en Franche-Comté pour attirer les entreprises. Je souhaite donc internationaliser cette région, dont la tradition de manufacture est assez exceptionnelle en France.

Concernant la logistique, je porte à votre connaissance une démarche que nous avons entreprise voilà trois mois. J'ai réuni, à Amsterdam, tous les industriels de la logistique - c'est-à-dire tous les industriels bataves. Ce peuple est un peuple de commerçants - ils ne sont pas manufacturiers comme nous. Sur l'initiative de la DATAR, nous avons donc réuni 80 transporteurs et logisticiens de toute la Hollande. Il ne fait aucun doute qu'il faut les attirer à Marseille. Il faut organiser un congrès où ils passeraient une journée à Lyon et une à Marseille afin que ces hommes du commerce prennent connaissance de toutes les opportunités que cet axe Lyon-Marseille peut leur procurer ; qu'ils prennent bien conscience que Marseille est le débouché naturel du couloir rhodanien vers la Méditerranée. Il faut qu'ils s'installent sur le port de Marseille. Le jour où nous aurons des blonds aux yeux bleus sur le quai de Marseille, ce sera gagné !

Je vous fais part également d'un problème qui nous inquiète. Nous envisageons de contourner, par voies ferrées, Lyon, Dijon et Montpellier. Nous devons travailler - dans la perspective 2010-2015 - au principe du dédoublement du transport de voyageurs et du transport de marchandises. Or, la réflexion est insuffisamment poussée. Le transport de marchandises s'effectue jour et nuit et aboutit à des plates-formes logistiques, ce qui est totalement différent du transport de voyageurs qui obéit à d'autres problématiques. Et, au sein du transport de voyageurs, nous devons faire la différence entre les grandes distances et les relations inter-cités.

Dans une région telle que la vôtre, M. le président, où les villes sont connectées, il conviendrait de réfléchir au transport urbain et périurbain par tramways et train-tram. D'ailleurs, Mulhouse est en train de mettre en place ce concept allemand très riche qu'est le tram-train. Il s'agit d'un train qui, dès qu'il entre dans la ville, se transforme en tramway, puis accélère lorsqu'il repart en banlieue. Imaginez, à Grenoble, Lyon, Saint-Etienne ou en Provence-Alpes-Côte d'Azur ce que le tram-train pourrait apporter !

Nous menons actuellement une étude sur les investissements réalisés par les métropoles dans les transports publics de l'avenir. Celles qui investissent dans ce domaine sont, indiscutablement, en train de prendre de l'avance par rapport aux autres.

Dernier point, les voies d'eau. Votre mission, M. le président, devrait s'intéresser de près à ce problème. Nous avons une inquiétude sur laquelle le Gouvernement n'a pas tranché : Seine-Nord et Seine-Est. La voie Seine-Nord, qui débute au-dessus de Paris, monte à Compiègne, passe à Lille et qui aboutit à Anvers, n'est-elle pas le trajet idéal pour les Hollandais et les Belges qui pourront ainsi descendre et profiter de la richesse vive à Paris - ce qui nous interdirait de développer Le Havre et Rouen ? Il y a là des enjeux d'intelligence économique, d'espionnage économique difficiles. Des ingénieurs généraux doivent nous remettre prochainement un rapport, vous devriez les auditionner.

Bien entendu, il s'agit, là encore, d'une question politique. M. Michel Delebarre se bat et propose même d'en payer la moitié, alors que le Président de l'Assemblée nationale ne veut pas que cela se fasse. Le choix est donc difficile. Imaginez que l'on investisse 1,5 milliard de francs sur Le Havre et qu'ensuite on se lance sur le projet Seine-Nord. On appauvrit Le Havre et on perd 1,5 milliard de francs !

M. Joseph PARRENIN : M. le président, que la vallée du Doubs et la partie alsacienne fassent l'objet d'un contrat de plan particulier ou général, n'est pas fondamental. Il ne faut pas mélanger la réparation due aux habitants de la vallée du Doubs et l'aménagement du couloir pour le transport de personnes et de marchandises.

Peut-on, entre les voies d'eau navigables que sont le Rhin, le Rhône et la Saône, mettre en place un transport multimodal de marchandises ?

M. André VAUCHEZ : Je comprends très bien les demandes de nos collègues des régions du Nord et du Sud qui ne demandent qu'à traverser cette zone difficile qu'est la Franche-Comté.

Pourquoi le fret SNCF n'existe-t-il pas entre la vallée du Rhône et l'Alsace ? Allons-nous organiser dans leur ensemble les schémas nationaux, mais surtout régionaux
- dans une zone où l'on trouve déjà le canal Freycinet, une route nationale, une autoroute, des voies ferrées -, afin que l'on ne fasse plus du « touche à tout » dans cette zone restreinte et vulnérable et que l'on cesse de couper l'espace en petits morceaux ?

M. Jacques REBILLARD : En Allemagne, le transport des matières dangereuses est, paraît-il, interdit par route. Ne pourrait-on pas faire de même en France, afin de favoriser le rail et la voie d'eau que nous souhaitons développer ? Cette question doit se poser avant même de savoir si nous devons construire de nouvelles infrastructures ou augmenter le prix du gasoil. Par ailleurs, nous pourrions, par des mesures législatives, encourager un mode de transport par rapport à un autre. Il serait en outre plus facile de favoriser tel ou tel mode de transport en invoquant des mesures de sécurité plutôt qu'en adoptant des mesures fiscales plus sévères.

M. Jean-Louis GUIGOU : Les deux premières questions remettent en cause le fractionnement des démarches de l'État qui est lié à la puissance des directions de certains ministères.

Il convient de reconnaître que l'obstination de Mme Dominique Voynet à réduire la prééminence de l'offre sur la demande a gagné. Nous avions encore, il y a un an ou deux, des schémas à la « mode Pasqua », à savoir que les ingénieurs « d'en haut » élaboraient, chacun de leur côté, des schémas de routes, d'autoroutes et de TGV que l'on projetait sur le territoire sans demander leur avis aux personnes concernées et qui, en outre, devaient payer.

Mme Dominique Voynet applique une méthode radicalement différente, ce qui a traumatisé le personnel du ministère des transports et de l'équipement. Cependant, le message a été entendu et il n'y aura que deux schémas : un pour les personnes et un pour le transport de marchandises. Par ailleurs, toutes les modalités devront se combiner.

Fin septembre, nous pourrons vous présenter les schémas concernant les transports et les universités. Comme vous pourrez le constater, tout est extrêmement bien coordonné. La distinction entre le directeur des routes, celui des autoroutes et de la SNCF a disparu ; il s'agit maintenant d'un même projet. En outre, la demande sera prise en considération : le débat qui sera lancé en septembre 1998 jusqu'en mars 1999 ne sera pas limité aux seuls élus. Mme Dominique Voynet veut que les opérateurs et les transporteurs soient présents et qu'il y ait une vaste consultation. C'est une transformation radicale.

En ce qui concerne le transport des produits dangereux, la comparaison avec l'Allemagne n'est pas en notre faveur. Dans ce pays, on compte 250 habitants au kilomètre carré, ce qui entraîne des problèmes de nuisances importants. Par ailleurs, le parti des Verts est très puissant et les problèmes écologiques et de voies navigables sont traités avec une grande prudence et beaucoup d'efficacité.

La France, avec 100 habitants au kilomètre carré, n'a pas été assez vigilante ; cependant, nous changeons progressivement de comportement. M. Philippe Vesseron, directeur au ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement de la prévention des pollutions et des risques - risques naturels, risques d'inondation, d'effondrement, risques pour les transports, pour les déchets - a une bonne connaissance de cette législation et je vous suggère de l'auditionner.

M. Claude Martinand peut également vous informer, à partir du mois de septembre, des projets du RFF. Cependant, sachez que le RFF est très docile et ne fera que ce que le Gouvernement lui dira de faire. A la réflexion, ce n'est donc peut-être pas le RFF que vous devriez interroger, mais les services de M. Jean-Claude Gayssot qui possèdent les éléments de la stratégie pour 2015.

M. le Président : M. le délégué, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Je pense que nous aurons l'occasion de vous revoir et je vous remercie par avance pour toutes les informations que vous jugerez utiles de nous transmettre.

Audition de MM. Gaston BESSAY, Vice-président du conseil national des transports,
Président de l'Institut Fer Route Etudes Transports (IFRET)

et Alain BONNAFOUS, Vice-président du conseil national des transports,
Professeur au Laboratoire d'économie des transports de Lyon

(Procès-verbal de la séance du mardi 23 juin 1998)

Présidence de M. Jean-Louis FOUSSERET, Rapporteur

M. Alain BONNAFOUS : Je vais essayer de prendre la mesure de ce que signifie la donne pour le grand Sud-Est, Marseille compris, le projet de grand canal ayant été abandonné, puis examiner les perspectives d'écoulement sur ces grands axes, notamment sur l'axe Rhin-Rhône, les problèmes qui peuvent se poser et la manière dont on peut envisager de les résoudre.

Je ne sais si l'on peut parler de nouvelle donne, mais le fait est que la situation actuelle se maintiendra assez longtemps sans canal. Il n'est donc pas mauvais de s'interroger sur ce que représente cette disparition d'offre de transport qui avait été non seulement programmée, mais inscrite dans une loi avec une procédure d'enquête publique qui avait commencé. Pour prendre la mesure de cette nouvelle donne, le mieux est de regarder ce qu'il serait advenu de cette relation entre Marseille et l'espace rhénan, compte tenu de ce qu'aurait été l'offre de transport avec ce canal. (cf. graphique 1, page 66)

Entre Marseille et l'axe rhénan, il y a le Rhône et la Saône aménagés. Chaque marche d'escalier du graphique représente une écluse. On trouve également des écluses beaucoup plus denses de franchissement de seuil permettant la jonction entre les deux bassins. Enfin, à Strasbourg, se fait la jonction avec le Rhin. Ce premier graphique résume à lui seul la compétition entre les espaces : de Strasbourg à Rotterdam, il faut deux jours. Cela s'explique par le fait qu'il s'agit d'un axe libre d'écluses. De Strasbourg à Fos-Marseille, il eut fallu cinq jours.

La conséquence est extrêmement simple : depuis n'importe quel point de Méditerranée, que ce soit du canal de Suez, d'Afrique du Nord, du Bosphore ou de Gênes, pour envoyer du fret à Strasbourg, il eut été de toute manière plus rapide de passer par Gibraltar et Rotterdam. C'est très facile à calculer, les temps sont connus, les vitesses des navires également, les temps de chargement-déchargement sont à peu près les mêmes selon les ports, et même un peu plus rapides à Rotterdam et il eut été plus rapide de n'importe quel point de Méditerranée de passer par Gibraltar, Rotterdam et le Rhin.

De plus, cela signifie qu'un navire pour un trajet de 800 kilomètres est immobilisé cinq jours. Il faut donc pendant ces cinq jours payer le capital et les marins, alors que ce même navire sur la liaison Strasbourg-Mer du Nord, d'une centaine de kilomètres de moins, ne prend que deux jours et coûte beaucoup moins cher.

Concrètement, de Marseille à Lyon, la tonne-kilomètre est de l'ordre de 11 centimes et l'on ne sait pas descendre en-dessous en dépit du fait qu'il n'existe aucun péage et que ce soit un système très peu taxé quant à l'usage des infrastructures. Sur la partie qui aurait été aménagée en canal, la tonne-kilomètre n'aurait pu être inférieure à 15 centimes - je cite là les chiffres de la CNR qui étaient à mon avis optimistes. De Strasbourg à Rotterdam, le prix actuel du marché est d'environ 5 centimes. Ne parlons pas du maritime qui, par rapport à tout cela, est quasiment gratuit ; compte tenu de la massification du fret, il est très inférieur à 1 centime de la tonne-kilomètre. Donc, non seulement il eut été plus rapide de passer par Gibraltar que par le canal, mais aussi bien moins cher.

En dépit d'études commandées par la CNR, aucun trafic n'était susceptible d'irriguer les régions rhénanes par le canal car à ce jour, on n'a jamais vu un chargeur choisir le moyen le plus coûteux et le plus lent.

Concernant la question prix-temps, sans être trop long, ce deuxième graphique présente l'intérêt, à mon avis, de rendre compte du partage entre les modes de transports en tenant compte du prix et du temps. Ce graphique n'a encore jamais été publié. C'est la première fois que l'on arrive à mettre au point un modèle, tous domaines de l'économie confondus, qui fonctionne sur plus d'un siècle et demi. (cf. graphique 2, page 67)

Ce modèle restitue les trafics uniquement en fonction des prix et des temps, pour les trois modes de transport depuis 1841 à nos jours. En haut la part de marché du fluvial, puis la part de marché du fer, qui a explosé au XIXème siècle et s'est régulièrement dégradée ensuite ; enfin la part de la route qui a presque disparu avec la route du coche et a de nouveau explosé avec le moteur à explosion. Il y a deux courbes : l'une est observée, l'autre théorique. Sur un siècle et demi, elles se ressemblent suffisamment pour considérer que ce trafic théorique, expliqué uniquement par les prix et les temps du transport, suffit à rendre compte du partage modal dans ses grands mouvements. Il suffit en particulier à rendre compte de cette lente déflation du fluvial en part modale, dont je signale qu'elle est équivalente en Allemagne.

Aujourd'hui en Allemagne, la part du trafic fluvial dans le trafic total est de 16 à 17 %. Il y a trente ans, elle était de 29 %. Cette déflation du fluvial n'est pas l'effet du hasard. La compétition du prix et du temps fait de ce mode de transport un mode qui n'est plus pertinent pour les produits transportés aujourd'hui.

La conséquence de cette question prix-temps se lit très bien géographiquement. Il faut l'avoir présente à l'esprit, sinon l'on ne peut comprendre le dossier des franchissements de seuil sur le troisième graphique (cf. graphique 3, page 68) qui représente les trafics allemands. On entend dire que les Allemands sont plus malins que nous, qu'ils ont beaucoup de trafic fluvial. Certes, sur l'axe rhénan allemand, le trafic est énorme par rapport à ce qui transite sur notre Rhin, mais la différence est que sur le Rhin français, on compte déjà dix écluses. Or, de Fos à Strasbourg, avec le canal Rhin-Rhône tel qu'il était projeté, quarante-neuf écluses étaient prévues.

Le trafic sur le Main, à Francfort, représente 17 millions de tonnes. A l'embouchure du Rhin, le trafic s'élève à 150 millions de tonnes. C'est l'un des plus gros trafics fluviaux au monde. Il n'existe de trafic comparable que sur le Saint-Laurent ou le Mississippi. Sur ce Rhin libre d'écluses, on peut faire fonctionner des convois de six énormes barges avec quatre couches de conteneurs. Sur la partie Rhin-Rhône en traversée de Lyon, nous en étions à deux couches de conteneurs, éventuellement trois, si l'on avait trouvé le moyen d'abaisser le niveau de la Saône ou d'élever les ponts de Lyon, ce qui aurait d'ailleurs beaucoup plu aux Lyonnais !

Le rétrécissement constaté sur le Main n'est pas le fait du hasard ni des échanges économiques qui restent ici relativement intenses, car au-delà de Ratisbonne, il y a Passau, Vienne, l'Autriche, la Tchécoslovaquie et au-delà la Yougoslavie. Il y a donc des trafics. Sur le Danube, je ne parle pas bien sûr de la période de guerre, le trafic est tout de même de plus de 40 millions de tonnes à l'embouchure, là où il n'y a pas d'écluses. Mais au franchissement de seuil, on voit bien qu'il se rétrécit et sur le seuil du nouveau canal
- contrairement à ce qui était raconté et même publié par Rhein-Main-Donau AG, qui est l'équivalent allemand de la CNR et qui prend soin d'additionner tous les trafics de Bamberg à Regensburg quand elle publie ses statistiques -, on constate que le canal Rhin-Main-Danube n'a, en fait, jamais atteint 4 millions de tonnes, en dépit de prévisions qui, en 1982, étaient de 20 millions.

Nous ne sommes pas les seuls à faire des travaux de faussaires, même si les nôtres étaient encore plus caricaturaux que ceux des Allemands.

On constate donc que quand le trafic ralentit, cela coûte plus cher. Le mode n'est donc plus concurrentiel et les autres prennent le dessus. En général, pour les produits fluvialisés, c'est le chemin de fer qui l'emporte, sauf sur un marché très spécial qui est celui du conteneur. Là où il n'y a pas d'écluses, avec des navires pouvant tourner à 15 ou 16 km/h de vitesse commerciale et si le fleuve est relativement droit, c'est-à-dire s'il n'y a pas de pertes kilométriques excessives comme, par exemple, dans les boucles de la Seine, celui-ci peut être relativement compétitif en raison du prix vis-à-vis de la route, mais c'est le seul cas. Un conteneur à 5 centimes de la tonne-kilomètre peut s'avérer relativement intéressant dans le cas de produits qui n'ont pas trop de valeur ajoutée, de produits semi-ouvrés, par exemple.

En revanche, partout ailleurs, dès qu'il y a des écluses, il n'existe aucune espèce de concurrence entre le fluvial et le routier. La concurrence se joue donc entre le fleuve et le rail. Le cas le plus intéressant de cette concurrence, parce qu'il s'est joué de manière très serrée sur du prix et du temps entre des opérateurs très modernes et très efficaces, s'est produit à Aschaffenburg et Ratisbonne où, lors de l'ouverture du canal, les marchés de conteneurs avaient été conquis par les opérateurs du fluvial, pour être perdus en décembre 1996. Les conteneurs venant de Rotterdam étaient alors débarqués à Aschaffenburg pour être mis sur train et rembarqués sur bateau à Ratisbonne à destination de Vienne. C'est ainsi que Vienne est actuellement desservie par conteneurs.

Donc, tout le discours sur les conteneurs tendant à dire qu'il s'agit là d'un produit nouveau lié à ces projets, ne tient pas compte du marché.

Cette morphologie, projetée au niveau français, devient plus légère. On retrouve sur le Rhin libre d'écluses, jusqu'à Strasbourg, des trafics qui ne sont pas négligeables, supérieurs à 20 millions de tonnes par an. Sur la Seine, le trafic tourne autour de 10 millions de tonnes. Entre Fos et Lyon, l'intensité de trafic est inférieure à 500 000 tonnes malgré ce fameux gabarit européen qui devait, prétendument, nous assurer des explosions faramineuses de trafic si on avait réalisé la liaison entre les deux bassins. Sur cette partie, la densité d'écluses n'est pas excessive, une dizaine entre Fos et Lyon si je ne m'abuse. C'est trois fois moins que cela n'aurait été sur le nouveau canal.

Ces trafics sont à comparer au trafic ferroviaire. Celui-ci n'est pas glorieux en France par rapport à la densité de notre réseau. Il a été régulièrement grignoté par la route. Les deux lieux de compétition sont le fleuve et le rail pour les pondéreux et le rail et la route pour les produits à valeur ajoutée incorporée. Le quatrième graphique représente le trafic par rail (cf. graphique 4, page 69). On constate un trafic Nord-Sud important, un trafic Est-Ouest intéressant. On note également que le trafic Rhin-Rhône n'est pas un trafic majeur. Ce graphique du fret ferroviaire est le même, en morphologie, que le trafic routier, même si ce dernier est, en quantité, multiplié par quatre. Le fameux axe Rhin-Rhône considéré comme essentiel au plan géopolitique, surtout pour transporter du charbon, est, on le voit, en termes de trafic, beaucoup moins important que ce qui part vers la Ruhr et au-delà du Bade-Wurtemberg, vers Metz, la Sarre, etc. C'est ainsi que l'Europe est configurée selon une vieille habitude. Généralement, les trafics Nord-Sud sont plus puissants sur l'espace européen que les trafics Est-Ouest, à l'exception de cet immense axe rhénan que j'évoquais tout à l'heure.

A partir de ce graphique, on peut commencer à raisonner sur la question de l'axe Rhin-Rhône.

J'aurais volontiers tendance à ne pas limiter notre raisonnement à une relation Rhin-Rhône. Si l'on s'interroge sur cette question, c'est que nous avons dans l'idée qu'il existe pour le grand Sud-Est des enjeux qui peuvent être importants, notamment en termes de liaison avec l'Allemagne et au-delà. Mais il faut également envisager une liaison vers Metz et une autre qui n'est pas négligeable, qui se rapproche plus d'Anvers et du Bénélux. L'axe Rhin-Rhône n'est donc pas concerné à titre principal. Il faut raisonner globalement, en se demandant plutôt pour quel point il y a effectivement des enjeux.

Il n'est pas douteux qu'il y en a un, en effet, pour Marseille, de même qu'il y en a un, sur un autre front maritime, pour Le Havre, au moins aussi difficile à traiter et à gérer. Marseille est à considérer comme un port de la Méditerranée. Je veux dire par là que Marseille est à considérer plus pour ses trafics intraméditerranéens que pour les trafics mondiaux.

Les lignes maritimes aujourd'hui s'organisent d'une manière un peu différente de ce qu'elles étaient autrefois. Ce sont d'immenses lignes, dont certaines font le tour du monde par des itinéraires bien établis, avec d'énormes navires, et de non moins énormes armateurs. Quelques majors dominent ce système au point qu'en matière maritime, pour la première fois en 1998, les programmes ont été établis à partir d'un premier de l'an qui est le premier de l'an chinois.

Dans ce domaine, il se trouve que des ports - prenons en un qui n'est pas dans les enjeux majeurs en matière portuaire aujourd'hui - comme Bordeaux présentent le défaut d'être au fond d'un golfe, en l'occurrence celui de Gascogne. Le malheur pour Marseille est d'être au fond du Golfe du Lion, c'est-à-dire de ne pas être en ligne par rapport à ces grands trajets, contrairement à Gioia Tauro, ce port complètement artificiel, construit de rien, au sud de l'Italie, ou Algeciras, qui n'était pas un port très important, mais qui, situé au plein sud de l'Espagne, l'est devenu. Ces ports ont le formidable atout d'être sur la ligne qui relie le canal de Suez à Gibraltar ; aussi, les navires qui viennent d'Asie, de l'Océan Indien ou du Pacifique et qui passent par Gibraltar n'ont-ils pratiquement pas de détours à faire pour desservir ces ports.

Il y a une desserte de ces ports et, ensuite, du feedering, un peu comme en avion les hubs & spokes, c'est-à-dire que le fret repart de manière éclatée sur des navires plus petits ou par les transports terrestres vers d'autres destinations.

Reste que le port de Marseille a un rôle à jouer pour tout ce qui viendrait de Méditerranée, d'Afrique du Nord mais aussi du Proche-Orient, etc., ou pour des relations directes qui peuvent suffire à charger des navires d'un point quelconque du reste du monde jusqu'à Marseille. Pour cela, il faudra bien qu'existent des écoulements performants.

Il en est de même pour Le Havre qui a, lui, l'avantage d'être situé sur les grandes routes. La desserte naturelle Atlantique-Mer du Nord passe par Le Havre, Anvers, Rotterdam et Hambourg. Cela donne d'ailleurs au Havre une bonne place d'un point de vue technique et stratégique, puisque ce port est le premier servi à l'arrivée et le dernier à servir au départ. Le Havre a donc vocation à devenir une porte d'entrée mondiale ; Marseille a vocation à devenir une porte d'entrée plus spécialisée, plus spécifique et très orientée sur la Méditerranée.

Leur avenir dépendra évidemment de l'efficacité du port, vieux problème en France que l'on connaît et que l'on traite depuis longtemps. Quelques progrès ont été réalisés tout de même avec la mise en _uvre de la loi Le Drian et ses conséquences ; cela a coûté relativement cher, mais a eu quelques résultats. Tout n'est pas parfait, mais la situation semble s'être améliorée dans ces ports.

Donc, l'efficacité économique des ports eux-mêmes, leur coût en termes financiers mais aussi en temps, en risque - risque de grève en particulier - détermineront leur position concurrentielle.

La position concurrentielle est donc la position géographique - sur une grande ligne ou non -, mais elle concerne également le trafic intérieur. C'est sur ce point que nous devons considérer les différents problèmes, dont la relation Rhin-Rhône n'est qu'un chapitre. Des enjeux existent par ailleurs.

Si nous entrons à nouveau, ce que personne ne peut souhaiter, dans une phase de croissance faible, nous n'aurons pas de vrais problèmes. Sur le cinquième graphique figurent des simulations de trafic auxquelles je crois beaucoup parce qu'elles sortent de mon laboratoire et que je pense, bien entendu, que nous avons les meilleurs modèles ! (cf. graphique 5a et b, pages 70-71)

Premièrement, partons de l'hypothèse d'une croissance industrielle zéro. Il pourrait arriver que la croissance soit uniquement une croissance de services, et que la croissance industrielle soit nulle. Nous aurions donc globalement une croissance faible, un chômage qui continuerait à dériver. Dans ce cas, il n'y a pas de problème de trafic ; le fluvial vit alors de sa belle vie, pour ne pas dire de sa belle mort ; le rail continue sa déflation et la route connaît également une période de déflation comme cela c'est produit en période de crise forte, dans les années 1980, lorsque la croissance industrielle était défaillante. On sait que le trafic total - je parle là du trafic terrestre - passera. Les capacités ferroviaires sont suffisantes. Par exemple, sur une ligne comme Mulhouse-Dijon, qui intéresse cette mission, à peine 6 ou 7 % de la capacité sont utilisés. La capacité d'écoulement est au moins de 80 millions de tonnes. Nous n'en utilisons qu'un très faible pourcentage. Nous avons des réserves de capacité, sur l'ensemble du territoire d'ailleurs, tout à fait considérables.

Si, en revanche, nous nous plaçons dans une perspective, qui n'est pas exorbitante, d'une croissance industrielle de 2 % - ce n'est pas énorme, mais c'est déjà la croissance -, ces 2 % de croissance industrielle signifient une croissance du PIB marchand de 3 %, c'est-à-dire le retour d'une croissance vigoureuse bien installée. Dès lors, en 2015, les trafics totaux sont de l'ordre du double de ce qu'ils sont aujourd'hui ; le trafic routier est nettement au double, le trafic ferroviaire un peu en dessus.

Concernant le fluvial, nous pensons que la déflation continuera pour des raisons de rapidité et de prix relatifs. C'est le résultat que donnent nos modèles. Nous pouvons nous tromper. Le lobby du fluvial n'est évidemment pas d'accord avec cela, mais cela fait soixante ans que l'on observe cette baisse.

Se posent alors de réels problèmes. Cette explosion du routier créera de véritables difficultés aux endroits où le trafic ne passe déjà plus. Nous les connaissons bien : il s'agit de la région Ile-de-France, du couloir rhodanien, des franchissements alpins et d'une zone que l'on oublie parfois mais qui risque d'être la plus engorgée, l'A 9, la Languedocienne, plus encore que l'A 7.

Nos ports porraient dès lors avoir des handicaps supplémentaires, liés à l'écoulement qui demande de la fiabilité. Dans un port, un navire part tel jour à telle heure. Il ne peut pas arriver deux heures après. Inversement, quand le port est servi et que les marchandises sont débarquées, il faut pouvoir assurer des délais pour qu'elles soient écoulées dans des temps raisonnables. Donc, une hypothèse de croissance signifierait pour le trafic routier des encombrements tels que, dans le grand Sud-Est, un port comme Marseille pourrait connaître de grosses difficultés si l'A 9 et l'A 7 étaient complètement engorgées et, pour l'instant, nous n'avons pas de garanties que le ferroviaire puisse prendre le relais parce qu'il nous manque deux ou trois petites choses pour que le ferroviaire ait une capacité d'écoulement à la mesure de ce que seraient nos besoins.

Concernant le ferroviaire, vous avez vu la silhouette du trafic. Ce mode présente un intérêt économique et écologique, les deux pouvant être évalués ensemble. Un effet écologique négatif est une perte comparable à une perte économique et un effet écologique positif est comparable à un gain économique, cela se valorise assez raisonnablement en termes monétaires. Il peut y avoir un intérêt à assurer l'écoulement, notamment des conteneurs qui seront le gros du fret concerné par les ports à l'avenir. L'essentiel de la croissance du fret ne se fera pas sur les pondéreux, mais sur les conteneurs. Il faudrait pouvoir les écouler dans des conditions raisonnables.

C'est ce qui se passe aujourd'hui à Rotterdam qui a choisi depuis longtemps cette stratégie, portée par son Gouvernement. Les documents stratégiques néerlandais - j'ai l'occasion de travailler dessus depuis les années 1970 - commencent tous de la même manière : « Nous confirmons nos options stratégiques en matière de transport, l'une qui consiste à assurer un niveau convenable de mobilité aux citoyens, l'autre qui consiste à assurer le développement de Rotterdam. » Rotterdam est un don du Rhin et pour les Néerlandais, c'est une donnée fondamentale. Ils s'arrangent avec leurs divers partenaires pour avoir des dessertes de navettes conteneurs d'une très grande efficacité, qui commencent à aller partout et en tous sens.

Il me semble qu'un montage de navettes conteneurs se prépare entre Rotterdam et Lyon, alors que nous n'avons pas de navette conteneurs entre Lyon et les ports français. Cela montre l'efficacité de certains opérateurs.

Sur le territoire national, bien évidemment, il ne s'agit pas de faire un réseau qui irrigue tous les villages, ce qui serait la meilleure manière de se ruiner et de ne rien faire. Cela correspond à des besoins qui ne sont pas faramineux en termes d'investissement. Pour ne prendre qu'un exemple qui concerne cette mission - la liaison entre Dijon et Mulhouse qui est électrifiée - le passage intégral au gabarit B+, qui permet l'écoulement de ces conteneurs, représente un investissement de moins de 300 millions, soit le centième de ce qu'aurait coûté le canal.

De plus, il existe des possibilités de dérivation. Cela ne passe pas nécessairement en gare de Dijon et avec 300 millions de francs, on assure une capacité qui représentera à peu près huit fois ce qu'aurait apporté en capacité le canal Rhin-Rhône, pour des prix de transport comparables et une vitesse infiniment supérieure.

Actuellement, tout un raisonnement est mené pour préparer les schémas nationaux, qui ne sont pas tout à fait ceux de la loi Pasqua, mais ceux d'une loi revue et corrigée. Cependant, quel que soit l'habillage ou le nom de l'auteur de la loi, il faut résoudre les mêmes problèmes d'écoulement dans des conditions économiques d'efficacité.

Aujourd'hui, on explore sérieusement, pour assurer la desserte des ports dans de bonnes conditions, l'idée d'axes spécialisés fret. La SNCF n'ose pas dire « dévolus au fret ». Si vous auditionnez des cheminots, ils vous parleront, eux, d'axes prioritaires fret, ce qui serait, à mon avis, une catastrophe stratégique.

L'idée serait d'avoir un axe fret Est-Ouest allant du Havre à Metz en contournant Paris, le réseau ferroviaire y étant sursaturé, avec des lignes spécialisées fret qui auraient vocation à continuer vers l'Est et qui croiseraient à Metz un axe Nord-Sud descendant sur Dijon, Lyon, la vallée du Rhône, pour desservir Marseille, et qui irait aussi jusqu'en Catalogne où l'on constate un trafic en très forte expansion, peu marqué sur le ferroviaire puisque nous avons un petit problème avec l'Espagne car nous n'avons pas le même écartement de voies. La rupture de charges à la frontière fait que l'on a, en définitive, plus souvent intérêt à utiliser la route.

Si cela se fait, il pourrait y avoir, aussi bien du Havre que de Marseille, des systèmes de navettes-conteneurs efficaces.

Ces lignes spécialisées fret sont un enjeu formidable parce que si l'on s'en tient à une ligne mixte voyageurs-fret, le voyageur sera prioritaire. Je ne crois pas à des dispositions réglementaires qui feraient du fret une priorité. Quand une région comme la région Rhône-Alpes met presque un milliard de francs sur la table pour assurer ses transports régionaux, on ne lui dit pas que ses voyageurs ne partiront pas à 20 mais à 23 en raison d'horaires cadencés parce qu'un train de fret doit passer. Le bailleur de fonds ne l'accepte jamais. C'est vrai en Rhône-Alpes, ce sera vrai partout. La notion de priorité fret est, à mon avis, une « arnaque intellectuelle ».

La vraie question est de savoir si l'on pourra dégager deux grands axes spécialisés fret, c'est-à-dire sur lesquels les trains peuvent tous circuler à la même vitesse, ce qui représente un gain considérable de capacité et de vitesse commerciale, car si les trains ne roulent pas à la même vitesse, ils doivent se doubler quelque part et cela oblige à organiser les horaires d'une manière telle que le plus lent parte après le plus rapide, de manière décalée - on appelle cela des sillons dans notre jargon. Sans entrer dans le détail, cela est catastrophique pour l'efficacité des services.

En revanche, si les trains circulent à la même vitesse, cette obligation de laisser passer un train n'existe plus. Cela offre, par exemple, la possibilité de pouvoir affréter un train trois fois plus long. On ne peut pas affréter aujourd'hui un train de plus de 750 mètres. S'il doit être doublé, il faut pouvoir le garer. Si les trains sont en circulation parallèle, ils n'ont pas à être garés. Il est donc possible d'en attacher deux, voire trois, avec un personnel beaucoup moins important. On est gagnant sur toute la ligne. Le trafic est massifié, cela coûte moins cher - il y a beaucoup moins de personnels pour emmener la tonne-kilomètre - et l'on va plus vite. Le coût salarial et en machine est inférieur, et en outre, on intéresse mieux le client.

C'est avec des systèmes comme celui-là qu'un pays que l'on considère toujours comme « débile » en matière de transport, celui qui ne comprend pas ce qui se passe, fonctionne ; je veux parler des États-Unis. Pourtant la part de marché du ferroviaire y est de 33 %, soit le double de la nôtre, et elle augmente, tout simplement parce qu'il y a un réseau spécialisé fret.

Le fera-t-on ?

Je sais bien que les Marseillais sont encore fascinés par le canal à grand gabarit Rhin-Rhône parce qu'on leur a fait croire, et ils l'ont cru volontiers, qu'il leur promettait un avenir radieux. J'espère vous avoir montré que ce canal n'apportait rigoureusement rien à ce port. En revanche, le véritable enjeu, si l'on veut qu'un port comme Marseille ou Le Havre puisse jouer dans la cour des grands, sera de les doter de ces systèmes plus efficaces.

Les enjeux financiers ne sont pas du tout du même ordre. Sur la croix Est-Ouest et Nord-Sud, on estime qu'une mise de l'ensemble du réseau au gabarit B + et l'achèvement de l'électrification coûteraient 8 milliards de francs au maximum. Cette somme est à comparer aux 30 milliards de francs qui auraient été nécessaires à la construction de ce malheureux canal pour des trafics qui sont sans aucune commune mesure et pour assurer la desserte de l'essentiel des grands trafics français, au lieu de la seule desserte Mulhouse-Dijon.

Cela dit, cela ne se fera pas facilement. Je fais même le pari ici, devant vous, que cela ne se fera pas avant longtemps parce que cela demande un certain courage politique, exactement comme pour un investissement important, TGV ou autre. Par endroit, spécialiser une ligne fret, cela signifie supprimer des trains de voyageurs de la vie quotidienne ou des services de train. Ces lignes transportent plus de sièges vides que de voyageurs, mais symboliquement, les populations et leurs élus y sont attachés. C'est la raison pour laquelle je suis assez pessimiste sur la faisabilité de tels projets.

Cependant, si cela ne se fait pas, il faudra réfléchir à une politique de traitement de confort pour le fret à la SNCF et faire en sorte qu'il puisse disparaître d'une manière qui ne soit pas trop douloureuse socialement, ce qui serait le moindre des dégâts. Si, au contraire, on pense que cela présente quelque intérêt économique et écologique, il faut s'en donner les moyens. Il y faudra un peu de courage politique !

M. le Président : Nous vous remercions de la clarté de votre exposé et de sa conclusion. J'ai été frappé par la carte où figure le seuil avec le nombre d'écluses. On montrait toujours le canal vu d'en haut en parlant du « maillon manquant ». Mais, présenté en coupe, c'est tout à fait parlant.

M. Alain BONNAFOUS : Le plus triste est qu'en 1961, un commissaire aux comptes, qui était un éminent économiste, M. Pierre Massé, avait écrit au Premier ministre pour lui expliquer que cet ouvrage n'était pas une autoroute fluviale, contrairement à ce qu'en disait la publicité, mais un « escalier d'ouvrages retardateurs ». C'était son expression à l'époque.

M. Joseph PARRENIN : Pourtant, jamais personne à la DATAR ne l'a défendu.

M. Alain BONNAFOUS : Un des délégués était convaincu que ce n'était pas une bonne chose, mais discrètement, car il ne voulait pas trop - ce qui peut se comprendre - contrarier son ministre qui venait de « pondre » une loi sur le développement du territoire. Non, en effet, la DATAR n'a jamais prêché pour.

M. Gaston BESSAY : Je serai bref. M. Alain Bonnafous vous a donné les éléments quantitatifs et des raisons qui expliquent assez bien les difficultés que l'on aurait eues pour justifier l'investissement en question.

Il est intéressant que vous ayez approfondi la problématique du transport de marchandises. On se préoccupe généralement bien davantage des questions de transport de personnes pour les raisons qu'évoquait M. Alain Bonnafous ; le voyageur est un électeur potentiel et la marchandise ne l'est pas directement. Un voyageur s'exprime, une marchandise moins. Lorsque l'on « plante » un voyageur sur un quai, cela n'a pas les mêmes conséquences apparentes. Une tonne laissée, abandonnée sur le même quai, a cependant des conséquence économiques. La marchandise ne sait pas parler, mais elle parle ensuite en termes de compétitivité et de performances de l'économie française.

Il est dommage que l'on parle surtout de stratégie d'offres avant d'analyser la demande.

Il faut au préalable se poser la question de savoir quels éléments caractérisent l'évolution des flux de marchandises.

Le premier est l'internationalisation des échanges. C'est une donne importante qui a une conséquence immédiate sur les transports, l'allongement des distances. Les économistes mesurent cet élément au moyen des flux, import plus export rapportés au PIB. Cela donne un pourcentage d'internationalisation. Dans les années 1950, ce taux d'internationalisation était de 25 %, aujourd'hui, il se situe autour de 50 % et devrait approcher 60 % d'ici dix à quinze ans.

Le deuxième est ce que l'on désigne du terme compliqué de « dématérialisation », c'est-à-dire la modification de la nature de la production. Cela se mesure en faisant le rapport entre la production industrielle et le PIB. Dans les années 1950, 25 % de notre économie étaient dématérialisés. Aujourd'hui, la dématérialisation est de l'ordre de 50 % et d'ici une quinzaine d'années, pourrait atteindre les 70 %. L'économie se transforme donc et en termes de transport, cela change la nature des flux : il y a moins de pondéreux et plus de produits manufacturés.

En mettant cela en perspective, la tendance est claire.

Le troisième élément est la conséquence des deux autres, c'est-à-dire la complexification des processus de production et de distribution. On ne produit plus et on ne distribue plus de la même façon ; les productions ne sont plus localisées au même endroit.

Concrètement, cela signifie qu'il serait intéressant - il faudrait mener une étude sur ce point - de savoir quel était le nombre de lieux de production pour tel type de produits finis il y a trente ans et de les évaluer maintenant.

Les lieux de production sont plus nombreux, ce qui se traduit par des lots de plus en plus éclatés, qu'il faut donc recomposer. Cet éclatement fait émerger une demande de flux de plus en plus tendus et de plus en plus rapides, c'est-à-dire une demande de rapidité et de régularité dans le transport. On a dit que c'était pour des raisons financières et de gestion de trésorerie. C'était sans doute justifié lorsque les taux d'intérêts étaient forts car on essayait de réduire les stocks. Mais aujourd'hui, les flux sont toujours aussi tendus, bien que les taux soient faibles. Ils atteignent peut-être leur plancher.

Liée à tout cela, c'est en fait la mondialisation de l'économie qui nous impose une compétitivité pour tous nos produits, y compris en matière de prix de transport. Cela fait vingt à trente ans que des gens réfléchissent sur ces questions et il se crée parfois un sentiment de désespoir dans la mesure où ces réflexions donnent lieu à des rapports qui sont soigneusement classés dans des armoires. Il n'en est jamais tenu compte, pour diverses raisons, dont des questions d'affichage qui passent avant l'efficacité économique et la bonne gestion des ressources financières publiques.

A cela s'ajoute l'environnement économique et surtout financier. Nous venons d'adhérer à l'euro, ce qui suppose le respect d'un certain nombre de critères. Pour la plupart d'entre eux, la France n'est pas trop mal placée aujourd'hui - taux d'intérêt, taux d'inflation -, mais il en est un sur lequel des difficultés demeurent, il s'agit de la dette.

Les transports ont participé à l'accroissement de cette dette publique. Vous connaissez la situation de la SNCF. Nous étions partisans de la séparation des responsabilités entre exploitation et gestion des infrastructures. Cela n'a pas résolu pour autant les problèmes financiers. Nous avons un trou de 170 milliards de francs et 10 à 15 milliards seront sans doute nécessaires, ce qui ne donne cependant pas les moyens financiers du développement.

Nous avons des contraintes financières. J'ai relu très attentivement ce que disait Alain Bonnafous lors des journées du colloque sur la liaison Rhin-Rhône. On ne peut plus se permettre aujourd'hui ce que l'on se permettait il y a un siècle lorsqu'ont été construites de grandes infrastructures. L'exigence de rigueur financière est aujourd'hui plus importante. Nous avons intérêt à connaître nos besoins. On ne peut se limiter cependant à considérer que la politique des transports repose uniquement sur les équipements existants, car des besoins existent sur un certain nombre d'axes.

M. Alain BONNAFOUS : Je voudrais signaler que ce problème de couloir rhodanien est tel que, même si l'on fait un effort intelligent en matière ferroviaire, le mode routier devra faire face à des problèmes de saturation dans une hypothèse de croissance et l'A 7 ne suffira pas. Il y a un problème de capacité Nord-Sud. Il faudra donc trouver des solutions, dont l'achèvement de Clermont-Béziers et probablement l'A 51. Un moratoire indéfini sur les investissements ne peut être envisagé.

M. Gaston BESSAY : Jusque dans les années 1990 ont été dépensés, pour toutes les infrastructures de transport, à peu près 100 milliards de francs par an sur les quinze à vingt années précédentes, en francs 1993. En ce qui concerne les modalités de financement, le problème est différent : il y a la part de l'État, des collectivités locales, des entreprises, etc. Il s'agit d'un prélèvement global sur les capacités d'investissements de l'économie.

M. Alain BONNAFOUS : Les gros investissemments ne sont pas les autoroutes, mais les routes. Il y a aussi le matériel roulant ferroviaire.

M. Gaston BESSAY : La SNCF porte-t-elle bien ? Il faut y faire attention. On dit aussi qu'aujourd'hui un certain nombre d'équilibres ont été rétablis, mais cela reste assez mécanique et lié à la conjoncture. Tout cela est très fragile.

Si demain, les graves conséquences financières de la crise monétaire asiatique se confirment, les conséquences seront immédiates aux États-Unis, car les échanges financiers sont plus denses entre l'Asie et les Etats-Unis. Puis, les conséquences se porteront sur l'Europe. Un ou deux points de croissance pourraient être rapidement perdus, et cela changerait la donne.

Ce ne serait pas souhaitable, pour l'emploi entre autres raisons. Il me semble donc qu'il est nécessaire de bien cibler les nouveaux investissements et de tirer le maximum du capital d'infrastructures existant.

On a parfois un peu tendance à embellir l'effet des nouvelles infrastructures. J'ai appris récemment que les principaux gains de productivité réalisés par les autoroutes ont surtout été nourris par les contournements d'agglomération. Je ne dis pas pour autant qu'il ne faille faire que des contournements d'agglomération et pas d'autoroutes.

Mais, de même pour la SNCF, on pourrait opter pour la création de toute pièce de nouvelles voies de chemin de fer sur les principaux axes particulièrement congestionnés, comme le corridor Rhin-Rhône, alors qu'en fait, il s'agit plutôt de solutionner des points de congestion bien identifiés. Ce ne sont pas les mêmes natures de projets, ce ne sont pas du tout les mêmes enjeux financiers. On peut trouver les modalités de financements qui sont davantage à la mesure de ce que l'on peut dépenser.

Mais il faut également tenir compte des services. Tout autant que les infrastructures, sinon davantage, la qualité et la compétitivité des services doivent être prises en compte. Prenons un exemple. On dit qu'il faut faire du combiné. Je ne vois pas comment nous pourrions le faire aujourd'hui. La croissance du PIB tourne aujourd'hui autour de 3 %, le potentiel transport évolue à la hausse, beaucoup plus que la croissance elle-même - cela dépend du contenu industriel et de la longueur des échanges ; en cas d'internationalisation et d'un fort contenu industriel, il y a plus de transport. Cette croissance tourne autour de 6 %. Celle de la route est de 7 %. Mais aujourd'hui, on ne peut plus acheter de camions et on ne trouve plus de chauffeurs non plus. C'est vraiment un environnement privilégié pour faire du combiné ! Je ne sais combien de trains de combiné sont bloqués. La croissance du combiné cette année est de 0 %, alors que l'on avait progressé l'année dernière de 17 %.

M. le Président : Il y a donc blocage. Pour quelle raisons ?

M. Gaston BESSAY : Les grèves et les problèmes de bouchon. Mais on manque de façon chronique de conducteurs, ce qui est invraisemblable dans une entreprise où visiblement il y a pourtant quelques sureffectifs. On manque de machines et de sillons. Il est surprenant que dans une période particulièrement favorable, on n'arrive pas à développer le transport combiné. Il se développe mais, en fait, il est dévié de son objet. C'est la caricature du combiné.

M. le Président : Pourquoi n'y a-t-il pas de camions ?

M. Gaston BESSAY : Il y a une telle demande actuellement qu'il faut attendre plusieurs mois pour disposer d'un camion. Il est vrai que la progression n'est pas linéaire et suit avec retard la progression de l'économie. Nous constatons donc aujourd'hui une hausse des immatriculations.

M. le Président : Depuis quand ?

M. Alain BONNAFOUS : Depuis la reprise industrielle, c'est-à-dire depuis le printemps 1997.

M. Gaston BESSAY : Il est intéressant de suivre l'évolution des transports parce que si l'on suivait cet indicateur, je suis persuadé que le Président de la République actuel n'aurait pas procédé à la dissolution de l'Assemblée nationale.

Dès le printemps 1997, Mme Idrac l'avait décelé...

M. le Président : Plus que le bâtiment ?

M. Gaston BESSAY : C'est un très bon indicateur de conjoncture.

M. Alain BONNAFOUS : Tout le monde le savait dans le transport.

M. Gaston BESSAY : La SNCF connaissait un regain d'activité, et elle se situe en amont dans le processus de production...

M. Alain BONNAFOUS : J'ai eu des querelles à ce propos avec la direction de la prévision qui n'était pas du tout d'accord sur les perspectives de croissance.

M. Gaston BESSAY : Pour ce qui est de vous donner une caricature sur le transport combiné, la croissance de la SNCF aujourd'hui est à plus 5 % et celle de la route à plus 7 %. Cela veut dire que la croissance porte, elle a un contenu industriel.

M. Alain BONNAFOUS : L'an dernier, le fer a crû plus que la route grâce au combiné.

M. Gaston BESSAY : Du fait du contenu industriel. Il y avait peut-être aussi à la SNCF un effet de politique interne.

Une analyse sur cinq ans fait ressortir que le combiné s'est développé de plus de 60 %, mais que le matériel de transport combiné, les caisses routières, ont connu une progression de plus 300 %. Je me suis donc penché sur la question. En combiné, une dérogation est offerte à 44 tonnes ; les gens font du combiné route-route et bénéficient de l'aide publique. Tous les routiers connaissent cela. Quand ils se font arrêter avec 44 tonnes, ils déclarent qu'ils font du combiné. Il faut être très attentif aux divergences qui existent entre le discours sur le combiné et la pratique.

M. Alain BONNAFOUS : Pour favoriser le combiné, il a été permis de passer de 40 à 44 tonnes. Cela fait 4 tonnes de plus sur le chargement et sur le fret, cela fait plus de dix.

M. le Président : Vous dites là clairement...

M. Gaston BESSAY : ...Qu'il y a là un détournement complet du combiné, que personne ne connaît, sauf dans le métier.

L'axe développement-amélioration des exploitations et des services me paraît tout à fait prioritaire.

A mon avis, Alain Bonnafous est optimiste. Les raisons économiques, géographiques, culturelles et organisationnelles ne rendent pas optimiste pour Marseille. Je ne sais même pas si, malgré les efforts, on peut l'être pour Le Havre compte tenu des modes d'organisation de nos ports, de leur qualité, de leur compétitivité. Il suffit de faire la comparaison sur ces trois critères avec les ports du Nord pour se demander réellement si l'on peut encore envisager demain de faire du Havre un port à dimension mondiale. Je participais dernièrement à un colloque où les experts maritimes disaient que le problème était organisationnel et était également posé en termes de compétitivité ; différents problèmes doivent être pris en compte. Le problème d'acheminement terrestre n'est qu'un des éléments.

Il faut se dépêcher d'améliorer le fonctionnement de nos ports, d'améliorer celui de la SNCF, d'améliorer l'organisation et l'efficacité des opérateurs de transport combiné. Aujourd'hui, le transport combiné est un club maîtrisé par quelques-uns. Il ne se développera pas s'il reste entre leurs mains, c'est à dire géré par Novatrans et assuré par la SNCF qui freinera parce qu'elle considère que le combiné n'est pas profitable. Mais le transport par wagon ne lui rapporte pas d'argent non plus. Elle pratique du dumping sur tous les secteurs. Alors pourquoi une philosophie différente pour le transport par wagon par rapport au transport combiné ? Il y a là un véritable débat politique.

Il faut donc améliorer l'efficacité des opérateurs, ferroviaires ou de transport combiné. Il faut favoriser aussi l'accès des PME au transport combiné. On va de plus en plus loin aujourd'hui. Donc, pour les PME se pose un problème d'équilibre de fret. Si vous envoyez un camion avec votre chauffeur à l'autre bout de l'Allemagne, il faut savoir ce qu'ils vont ramener. Si vous envoyez une caisse, c'est un peu différent.

Dernièrement, j'ai rencontré des responsables de PME qui voudraient bien faire du combiné mais qui ne le peuvent pas, notamment à partir de Marseille, que ce soit vers le Nord ou vers l'Italie. A Avignon, la situation est différente parce que le lobby transport combiné a suscité les investissements nécessaires, ce qui n'est pas encore le cas à Marseille.

A cet égard, il est intéressant d'étudier les chiffres relatifs à l'évolution des transits. Il est vrai que les flux se sont concentrés sur l'axe Nord-Sud. Cela étant, de 1989 à 1995 - selon les sources du service économique du ministère où j'ai travaillé pendant dix ans -, le transit global qui passe par la France en TK a évolué de 60 %. Les flux qui ont le plus progressé sont, dans l'ordre décroissant : Péninsule ibérique-Bénélux : + 85 % ; Péninsule ibérique-Italie : + 85 % ; Péninsule ibérique-Allemagne : + 80 % ; Péninsule ibérique-autres pays : + 70 % ; Péninsule ibérique-Grande-Bretagne : + 50 % ; Italie-Grande-Bretagne : + 40 % ; Italie-Allemagne : + 40 % ; Italie-Bénélux : + 20 %.

Cela milite en faveur du renforcement de notre capacité d'absorber les flux Nord-Sud. Mais on peut aussi se demander si notre vocation est d'assumer les gestions de flux. Faut-il « pleurer » lorsque ces flux de transit ne passent pas par la France ? J'aurais tendance à penser que les transports ne sont pas faits pour assurer le transit - de façon prioritaire. Ils sont conçus pour donner les moyens à nos produits d'atteindre des marchés, en l'occurrence les marchés étrangers.

Les effets des infrastructures de transport sont très difficiles à mesurer. Il est vrai qu'elles aménagent le territoire et favorisent l'économie, mais elles peuvent tout aussi bien « désaménager » un territoire. Je suis originaire de Tours. Je peux vous dire que le TGV a eu un effet presque nul, pour ne pas dire négatif sur l'activité économique de cette ville. Des milliers de personnes vont travailler à Paris. Tours est dans la situation de villes satellites comme Chartres et Orléans, qui sont à une heure de Paris, car c'est en terme de temps de transport pour aller à Paris qu'il faut raisonner. Peut-être n'a-t-on pas mis en place de politique d'accompagnement, notamment du point de vue touristique. Il faut donc faire très attention. De même pour une autoroute.

Une infrastructure de transport peut aménager, mais aussi « désaménager ». Pour valoriser une infrastructure, on dit toujours qu'elle favorisera l'écoulement de notre production. Certes, mais le « fleuve transport » coule aussi dans l'autre sens. Cela favorise tout autant les importations.

Aux infrastructures s'ajoute une qualité de service. De ce point de vue, faisons très attention à ce qui se passe chez nos amis du Nord. La DB-Cargo filialisée va créer une structure commune avec son homologue hollandais. Ils l'annonceront dans deux ou trois jours. Cela aura un impact considérable sur les flux. Les Hollandais sont toujours performants en matière de transport. Compte tenu de leur position géographique, notamment de leurs ports, ils ne peuvent se permettre d'avoir des transports faibles ; appartenant à un pays relativement étriqué, leur marché, c'est l'Europe et au-delà.

Nous en sommes encore, pendant ce temps, à nous poser la question de savoir si l'on ne pourrait pas dynamiser le fret SNCF, alors que l'on sait très bien que le service SERNAM, par exemple, est en train de mourir. Il n'y a pas moyen de faire de la messagerie avec les cheminots tels qu'ils sont aujourd'hui. Nous sommes sur le marché le plus exigeant. En face, Calberson, qui fait le même métier que la SERNAM, a ses implantations, n'a pas la même culture, la même performance ni la même rentabilité, et n'a aucune envie de fusionner.

Comment gérer cela au plan social ? La baisse des activités entraînera une réduction des effectifs qui tendront vers zéro dans dix ans si aucun changement significatif n'est opéré en termes d'organisation et de performances.

J'insiste beaucoup sur la qualité de nos organisations et de nos services, tout autant que sur la qualité de nos infrastructures.

Il faudra développer les ports d'un point de vue qualitatif et favoriser l'évolution structurelle des transporteurs routiers. Certains opérateurs ne sont pas négligeables dans le domaine de la messagerie, mais globalement nous ne sommes pas très bons. Nos messagers n'ont pas une dimension européenne. Ils ont quelques implantations, mais un opérateur européen n'est pas un opérateur français avec quelques implantations ; il doit être capable d'offrir à son client un maillage suffisamment dense.

Prenons l'exemple de la Redoute. Le messager doit être capable de desservir la moindre commune, même si elle ne compte que cent habitants et trois colis à recevoir par mois. J'habite dans une toute petite commune desservie par trois messagers différents, pour quelques colis. J'ai souvent posé la question de la raison de cette desserte aux grands messagers. Ils répondent que s'ils n'assurent pas la desserte, ils risquent de perdre leurs marchés sur Lyon.

En termes d'aménagement du territoire, la qualité de service offerte par le transport routier est parfaite. Après, est mise en place une péréquation. Les transporteurs ne desserviront pas tel endroit si, dans le même temps, la rentabilité sur l'ensemble de leur activité ne leur est pas assurée.

Il faut que nous soyons plus rigoureux en matière d'utilisation des infrastructures existantes, dans les choix des nouveaux investissements - pour des raisons financières -, et en matière de qualité de nos organisations, ce dont on parle assez peu. Il reste beaucoup à faire dans le domaine des transports routiers, qui doivent être plus performants. Le paysage sociologique des entreprises est différent. Plus on va vers le Sud, plus on a éclatement structurel. Il y a davantage d'entreprises en Espagne, où nous avons de bonnes parts de marché, mais les Espagnols sont en train de les reprendre, ainsi qu'en Italie. Plus on monte vers le Nord et l'Est, plus les entreprises sont structurées. La France est dans une situation assez moyenne. Trente cinq mille entreprises, cela fait beaucoup trop. Cela convenait encore dans un espace français où le trafic international était faible, mais avec l'internationalisation, cela ne correspondra plus à l'enjeu. Il faut avoir des entreprises de taille, de capacité et de performances susceptibles de répondre à des clients comme Bayer, Philips etc., qui sont très exigeants avec leurs transporteurs et qui, de plus, ont tendance à réduire leur portefeuille de transporteurs. Auparavant, les chargeurs acceptaient 200 transporteurs. Du jour au lendemain, il peut être décidé de n'en retenir qu'un seul.

Plus les produits sont à forte valeur ajoutée, plus les risques sont grands - par exemple, dans le secteur de la chimie - et plus les exigences sont grandes en termes de certification. Les normes 9000 ont des cahiers de charge drastiques auxquels les PME ne peuvent répondre. Nous n'avons pas assez d'entreprises structurellement capables de répondre aux exigences de la marchandise et du consommateur.

M. le Président : En conclusion, vous tirez la sonnette d'alarme. Nous risquons fort de nous retrouver dans une situation de blocage dans les années à venir. Vous nous avez donné des chiffres, et vous avez notamment souligné que l'on n'utilise que 6 à 7 % des capacités de la SNCF sur certains axes, comme Dijon-Mulhouse.

M. Joseph PARRENIN : Vous serait-il possible de fournir à la mission un tableau sur une période de plusieurs années sur les 100 milliards de francs d'investissement que vous avez évoqués ?

M. Gaston BESSAY : Un document a été réalisé sur ce sujet, préalablement au XIème plan. Il n'y a pas eu de XIème plan, mais il y a eu des contrats de plan. Pour préparer ces contrats, le Commissariat au plan a établi un document intitulé « Transports : pour une cohérence stratégique », qui contient un tableau extrêmement précieux montrant comment le trafic total est réparti entre les routes, les autoroutes concédées, la SNCF, les TGV, les métros, les opérations de transports urbains, les aéroports, les ports, le fluvial, etc.

M. Joseph PARRENIN : En ce qui concerne le couloir Marseille-Lyon, est-il imaginable d'utiliser l'eau en multimodal jusqu'à Lyon ?

M. Alain BONNAFOUS : Tout est imaginable. C'est un problème de marché. Il n'y a aujourd'hui pratiquement aucun trafic au départ de Fos. Selon les produits transportés, les chargeurs ont besoin d'avoir des propositions de prix et de délais. L'essentiel de ce qui transite par un port comme Marseille concerne le rail et la route, des distinctions devant être établies entre ce qui est conteneurisé et ce qui ne l'est pas. Le fluvial ne peut proposer mieux que 11 centimes à la tonne-kilomètre, ce qui n'est déjà pas rien. Actuellement, sur un gros contrat, la SNCF peut facilement proposer 15 ou 16 centimes. Ce sont des prix qui sont considérés comme un secret commercial, mais on finit par les connaître quand même. Pour 4 centimes de plus, le produit est écoulé en une nuit. Dans l'autre cas, 2 jours sont nécessaires, avec un brouettage, car toutes les destinations ne sont pas mouillées, alors que toutes les destinations sont connectées au rail. La compétitivité du système explique le faible trafic sur le Rhône. Elle est telle que, sauf à taxer considérablement le ferroviaire, on ne voit pas ce qui pourrait sauver le fluvial.

M. le Président : Quel est alors l'avenir de cette liaison ?

M. Alain BONNAFOUS : L'avenir du mode fluvial sur des liaisons de ce type repose sur le tourisme qui a au moins le mérite de créer des emplois. Le tourisme fluvial a dépassé en chiffre d'affaires le fret fluvial en France ; autant concentrer les efforts sur les secteurs où la croissance et des emplois sont possibles.

M. Joseph PARRENIN : Notre mission s'intéresse à l'axe Rhin-Rhône. Il est donc intéressant de savoir si un transport combiné peut être une solution.

M. Alain BONNAFOUS : Pour vous donner un ordre d'idée, sur cet axe, un porte-conteneurs ne peut déjà pas aller au-delà de Lyon avec plus d'une trentaine de caisses, étant donnés les tirants d'eau et les tirants d'air. Sur le Rhin, on compte 400, voire 500 caisses par convoi. Comment voulez-vous que nous soyons compétitifs ? Ce n'est pas possible.

M. le Président : Donc, selon vous, le transport fluvial entre Fos-sur-Mer et Lyon a un avenir très limité ?

M. Alain BONNAFOUS : Extrêmement limité par rapport à ce qu'il faudrait imaginer pour qu'il ait un avenir. D'autant plus qu'il y a sur le Rhône de bons opérateurs. L'avantage de ce fleuve est qu'il a été aménagé et qu'il a été convenu de supprimer le fameux tour de rôle qui imposait aux clients de prendre le bateau qui arrivait. C'était une protection pour les plus faibles, mais cela présentait l'inconvénient de supprimer toute concurrence entre opérateurs et de tuer le système qui s'était mis à ronronner avec de vieux navires, des services de mauvaise qualité. Cela n'existe pas sur le Rhône. Les opérateurs sont dynamiques, vont chercher le fret, se battent sur les prix et sur la qualité des prestations. Malgré tout, leur activité plafonne parce que la proposition économique et technique qu'ils peuvent faire n'est pas très compétitive.

De plus, sur cet axe, la SNCF est plus agressive. Elle a une attitude beaucoup plus commerciale, ce qui est normal.

M. Joseph PARRENIN : En ce qui concerne l'intérêt d'un transit par la France, je souhaiterais savoir si l'on observe, du fait des contraintes imposées pour la traversée de la Suisse en direction de l'Italie, une augmentation du trafic par la France ?

M. Alain BONNAFOUS : Oui, le trafic suisse plafonne depuis 20 ans. L'augmentation du trafic s'est un peu reportée sur l'Autriche depuis que celle-ci est entrée dans l'Union européenne et a dû relâcher ses contraintes, mais le trafic passe essentiellement par les Alpes françaises.

C'est un véritable choix de savoir si l'on doit ou non être réceptacle de tous ces trafics. Cela dit, le choix est prédéterminé dans la mesure où le Traité de Rome assure la libre circulation.

En revanche, heureusement, on peut imaginer de jouer un peu plus sur le péage.

M. Joseph PARRENIN : Ma question n'était pas innocente par rapport à l'axe Nord-Sud.

M. Alain BONNAFOUS : Le rapport de M. Brossier, responsable de la section économique du conseil général des Ponts et chaussées, vient d'être publié et porte sur le problème particulier des franchissements alpins. Vous y trouverez toutes les données et les perspectives.

Nous avons du souci à nous faire pour les Alpes.

Imaginez que 90 % de ces trafics concernent le tunnel du Mont-blanc et le tunnel du Fréjus. Le premier n'est pas très loin de la saturation et il faut voir ce que cela implique dans la vallée de Chamonix. On commence à mesurer les problèmes environnementaux qui sont extrêmement redoutables. Le second tunnel possède encore des réserves de capacités, mais d'après nos calculs, si la croissance revient, le trafic coincera avant dix ans - et plus de dix ans sont nécessaires pour réaliser un tunnel ferroviaire.

M. André GODIN : Avez-vous des éléments d'appréciation concernant les retombées de ce trafic de traversée hors les extrêmes, car je suppose que Marseille, Metz ou Strasbourg en tirent profit ?

M. Alain BONNAFOUS : Nous sommes, de ce point de vue, un peu désarmés. Dans le passé, nous avons très bien étudié les effets de traversée des autoroutes. On constatait toujours le même scénario : un effet de concentration des activités à faible distance des échangeurs, souvent aux dépens de l'arrière-pays, mais pour les régions bien irriguées, l'impact était positif.

Aujourd'hui, la situation est plus compliquée. Le réseau est quasiment maillé. J'ai eu l'occasion d'intervenir pour une grosse multinationale qui avait choisi de localiser un grand centre de stockage-déstockage pour tout le Sud-Europe en Rhône-Alpes. Le raisonnement est très simple : il faut pouvoir assurer la fluidité des trafics dans les quatre directions, voilà tout. Voyez les conséquences que cela peut avoir. Ils avaient initialement sélectionné plusieurs sites, dont Saint-Etienne, qui les intéressait énormément parce qu'il y avait des friches industrielles à n'en plus finir et toutes les primes du monde pour s'installer dans de très bonnes conditions financières. Mais leur responsable de la logistique a récusé ce site parce que la liaison autoroutière entre Lyon et Saint-Etienne n'est pas fiable. L'accès au couloir rhodanien n'aurait pas été sûr. Il suffit d'un accident pour que tout soit bloqué une demi-journée. Ils se sont finalement installés dans la plaine de l'Ain, où les quatre directions leur étaient offertes, vers l'Italie, le Nord, le Sud et l'Ouest. Une autoroute ne va pas déverser l'abondance, en revanche un enclavement relatif peut empêcher certains trafics. Quand on pense au bassin stéphanois, il est désastreux que l'on n'ait pu y implanter plus d'infrastructures. Il y avait une main d'_uvre qualifiée, une tradition industrielle, une culture locale qui ont été très peu valorisées. Cela redémarre, mais très lentement.

M. André VAUCHEZ : Votre analyse est basée sur des constats irréfutables. Nous nous demandions comment aider nos amis de la région rhodanienne pour redynamiser cette voie d'eau. Toutefois, l'avenir nécessite de passer, d'une façon ou d'une autre, à un transport combiné SNCF-route. La progression du transit routier est extrêmement importante. On sait bien ce que cela coûte. Nous avons parlé du déficit de la SNCF. Mais si l'on avait fait payer toutes les infrastructures à tous les utilisateurs de la route, il est évident que le fer serait extrêmement compétitif.

M. Gaston BESSAY : Pas extrêmement.

M. André VAUCHEZ : En tout cas, certainement plus intéressant. On voit bien ce que les communes et les régions payent.

Mais ne pensez-vous pas que nous sommes tenus d'en venir à un transport combiné route et rail parce que sinon, nous irons à la catastrophe, y compris sur le plan écologique ?

M. Alain BONNAFOUS : Il n'y a pas de mystère. Le rail retrouvera sa compétitivité à partir du moment où il proposera des délais, des prix, de la fiabilité. Les chargeurs se moquent du mode de transport. Si le rail est plus compétitif, ils iront vers le rail. Mais il ne faut pas se leurrer, la SNCF a des inerties considérables. J'en donne un exemple : l'an dernier, la progression du transport de conteneurs a été supérieure à 17 %. Tout le monde était content. On s'est dit que l'on était arrivé au seuil à partir duquel on a des effets réseaux, à l'image du Minitel. Nous avons tous été trompés. Je n'ai pas eu le temps d'écrire là-dessus, heureusement, parce que j'aurais écrit des bêtises. Cette année, la progression a été nulle par rapport à l'an dernier.

L'une des explications - ce n'est pas la seule, car il y a aussi, ici ou là, des effets de saturations - est que les opérateurs ont perdu énormément de clients en raison d'incidents liés à des grèves.

Cela n'arrivait pas dans le passé parce que la grève SNCF était la grève classique organisée par la CGT, la CFDT. Il existait des services d'urgence - sortes de service minimum - avec lesquels les opérateurs du combiné pouvaient se débrouiller, envoyaient le plus urgent et le reste par la route. Pour le client, c'était à peine visible. Actuellement, les mouvements sauvages, qui ne sont pas le fruit du hasard, sont en train de tuer le système. Tuer le système peut être astucieux, car un système en décomposition peut engendrer une bonne clientèle syndicale pour certaines idéologies. Il faut oser le dire. La logique est une logique de destruction du malade pour que les vers puissent se nourrir du cadavre.

Les syndicats corporatistes essaient de faire de la surenchère, mais ce n'est pas leur tradition. Ce n'est pas la peine que l'État ait une grande stratégie pour la SNCF s'il ne s'attaque pas à ces problèmes.

M. Gaston BESSAY : Avec 500 préavis de grève chaque année, les gens sont un peu démobilisés.

M. Alain BONNAFOUS : C'est même un peu plus à la SNCF !

M. Gaston BESSAY : L'une des questions politiques qui se pose, mais ce n'est pas à la SNCF de la résoudre, est celle de son positionnement stratégique.

On a conduit cette réforme sans assurer le financement du passé ni celui de l'avenir. La question qui se pose est la suivante : en quoi la collectivité a-t-elle besoin de la SNCF ? La SNCF se prend pour une entreprise classique, veut faire du commercial. Ses employés sont sans doute très bons sur le plan technique, ils devraient être positionnés sur le maillon traction. Quant à faire du commercial, c'est une autre affaire.

En ce qui concerne la complémentarité avec les routiers, ces derniers détiennent 90 % des parts de marché et c'est définitif. On peut essayer de réguler par la congestion, mettre en place des péages, etc., mais la liberté de circulation existe.

M. Alain BONNAFOUS : Un scénario à l'américaine n'est pas totalement exclu. Si un jour se produit une crise telle que tout le monde renonce à sauver la SNCF, il peut y avoir un big bang.

La SNCF est un instrument remarquable qui peut proposer du fret à moins de dix centimes la tonne-kilomètre ; ce jour-là, elle gagnera des parts de marché.

M. Gaston BESSAY : Tout à fait.

De toutes façons, compte tenu de ce qui existe en termes d'infrastructures, la SNCF ne peut plus desservir l'ensemble du territoire. Aujourd'hui, il y a nécessairement un parcours d'approche routier. Hier, vous aviez les embranchements particuliers, c'est fini ; vous aviez les wagons que l'on mettait à disposition, c'est terminé aussi, d'autant plus que le routier décharge lui-même son camion - ce qui, entre parenthèses, n'est pas très normal, ou alors il faudrait rémunérer la prestation.

Il faut sauver la SNCF contre elle-même en la positionnant sur les créneaux qu'elle connaît bien ; il faut avoir plusieurs opérateurs pour pouvoir travailler sur une baisse des coûts. Et que les routiers fassent ce qu'il savent faire, c'est-à-dire se mettre en quatre pour les clients. Cela, un cheminot ne saura jamais le faire. C'est tout le problème du SERNAM. A vingt heures, le cheminot s'arrête. Il faudrait négocier socialement pour changer cela.

M. le Président : On peut aussi penser que le service public peut s'améliorer. Prenez France Télécom, par exemple.

M. Gaston BESSAY : Mais la qualité du débat à France Télécom est bien meilleure que celle du débat à la SNCF.

Sur le plan du management et de l'organisation, France Télécom est autre chose que la SNCF.

M. André VAUCHEZ : A propos de l'axe Nord-Sud, il semble que la SNCF fasse transiter le fret par Dijon, qui remonte ensuite vers le Nord, pour redescendre vers l'Alsace. C'est assez curieux.

M. Alain BONNAFOUS : Ce ne sont pas les mêmes trafics. C'est un trafic rhénan, en provenance de Rotterdam, qui redescend vers l'Alsace.

M. André VAUCHEZ : Peut-être, mais il n'est pas interdit que d'autres trafics, du côté de Strasbourg, montent par le Nord.

Or, pour aller en Franche-Comté, deux voies sont possibles. L'une passe par Dijon et est déjà relativement saturée. L'autre, que l'on oublie totalement et qui a failli être abandonnée, passe par Besançon. Les gens de Besançon, de Bourg, de Lons, ont tout fait pour qu'elle soit électrifiée. Je me souviens que lorsque j'étais enfant, il y avait deux voies. Il est toujours possible de la remettre en marche maintenant, puisque l'emprise est toujours là. La population de la région a dû se battre trois ans avec la SNCF pour pouvoir l'électrifier. C'est incroyable. Depuis Lyon, vous rendez-vous compte de ce qu'on pourrait faire !

M. le Président : Je suis frappé du faible coût dont vous faisiez état. Vous parliez de 8 milliards de francs.

M. Alain BONNAFOUS : On utilise presque partout l'existant. Une dérivation serait peut-être à faire à Lyon car il ne faut pas passer par le centre : du point de vue de la sécurité, c'est très malsain.

M. Gaston BESSAY : Pour ne rien vous cacher, j'ai été ingénieur à la SNCF. J'en suis parti parce que je m'y ennuyais. Ce sont des sociologues qu'il faut à la SNCF. Je ne serais pas contre une vraie régulation. Je suis également favorable à un certain assainissement, mais pas pour mettre en permanence de l'argent dans une entreprise qui ne rend pas à la collectivité ce que l'on peut en attendre.

M. le Président : Vous nous avez beaucoup parlé d'un axe voyageurs et d'un axe fret.

M. Gaston BESSAY : Il faut bien voir que la culture SNCF est une culture voyageurs.

J'étais chef régulateur à la SNCF. Sans entrer dans les détails, il s'agit de faire passer les trains les plus rapides. C'est un problème de rentabilité de la ligne. L'idéal, c'est le métro. La régulation est simple, on s'arrête à toutes les stations. M. Poinssot, qui est parti pour des raisons politiques mais surtout organisationnelles, voulait des voies, des machines, du personnel dédiés au fret. Il faut créer une organisation dédiée au fret et non dépendre de la machine qui est affectée en priorité aux trains voyageurs. Ce n'est pas possible.

Les transporteurs routiers que je vois tous les jours sont un peu plus dynamiques. Le personnel de la SNCF passe derrière les routiers en termes de compétences. Ceci étant, il y a aussi un problème routier.

M. le Président : Que pensez-vous du TGV Rhin-Rhône ?

M. Gaston BESSAY : Mon analyse est simple, son sort est réglé : on fait le TGV-Est ! On reviendra en 2005 pour en discuter.

M. Alain BONNAFOUS : Je m'étais efforcé d'expliquer dans un document que si l'on réalisait un de ces TGV, non seulement on ne ferait pas l'autre, mais aucun autre de ceux qui sont rentables.

M. le Président : Lorsque l'on parle de nouvelles infrastructures ferroviaires, on parle surtout d'infrastructures voyageurs. L'essentiel du discours actuel concerne le TGV Rhin-Rhône et l'on entend très peu parler de toute la problématique du transport. Avez-vous l'impression être entendu ou de prêcher dans le désert ?

M. Gaston BESSAY : Je ne sais pas qui souhaite le TGV-Est. Il coûte quand même 25 milliards de francs. Et encore, je peux vous dire comment sont faits les calculs à la SNCF ! J'ai été rapporteur au conseil d'administration de la commission des marchés. Il existe des situations de monopole dans les travaux publics qui font que les coûts ne sont certainement pas regardés de très près. Par ailleurs, la rentabilité, on la trouve ! Aujourd'hui, des experts extérieurs sont chargés de l'évaluation d'un certain nombre de projets. Mais si on réalise le TGV-Est, on ne peut pas mobiliser d'autres financements.

M. Alain BONNAFOUS : Il y a peut-être une issue. Mais c'est un slalom difficile. On n'a pas voulu sortir pour le TGV-Est du projet TGV classique.

Or, il se trouve que sur ce tracé - ce n'est pas vrai de tous, ce n'est pas vrai, par exemple, du Rhin-Rhône qui est probablement bien « ficelé » compte tenu de la géographie pour un TGV classique - il serait peut-être intéressant d'utiliser un TGV pendulaire, pas un Pendolino. Ce n'est pas la peine de faire une offre de transport qui n'est pas compétitive. Pour qu'elle soit compétitive sur de telles distances, il faut atteindre 300 km/heure. Ce n'est pas la peine de dire que l'on conquerra des parts de marché si l'on ne propose pas mieux que les concurrents, c'est-à-dire la voiture et l'autoroute. On connaît bien ces compétitions ; on peut calculer avec une assez grande précision quand a lieu le basculement vers l'un ou l'autre mode. On peut faire en sorte que dans le cadre de l'engagement d'une liaison TGV, un gain très significatif soit obtenu non pas pour 25 ou 30 milliards de francs, mais peut-être dans un premier temps pour une dizaine, en construisant des voies rapides là où on perd le plus de temps aujourd'hui, le reste étant fait en TGV pendulaire. Les représentants de GEC-Alsthom ont enfin reconnu qu'ils étaient capables de réaliser un TGV pendulaire, alors qu'ils nous ont expliqué pendant vingt ans que c'était impossible. Dans ce métier, on n'arrête pas de découvrir que les choses deviennent possibles du jour au lendemain ! Il existe peut-être une solution qui ne capterait pas tout du financement public.

Si 24 milliards d'argent public sont nécessaires pour le TGV-Est - je connais les comptes de RFF pour m'y être plongé, étant à la fois administrateur et économiste - je vous garantis que l'on ne fera plus aucun TGV pendant au moins une génération. Cela vaut pour le TGV Rhin-Rhône, pour le TGV Lyon-Turin, pour le prolongement sur Bordeaux, pour un grand shunt au sud de Paris, pour une grand nombre de projets qui collectivement apportent quelque chose.

M. Joseph PARRENIN : Je reviens au fluvial. J'ai entendu dire que le canal Seine-Mer du Nord servirai beaucoup plus la Hollande et Rotterdam que Paris.

M. Alain BONNAFOUS : Cela pourrait fonctionner un peu mieux que l'escalier que je vous ai montré. Vous connaissez la géographie. Les seuils ne sont pas tout à fait les mêmes. L'efficacité de ce canal sera un peu moins déplorable. Mais le peu qui marchera sera effectivement plus favorable à Anvers et à Rotterdam. Je suis beaucoup moins inquiet que le patron du port du Havre, parce que ce n'est pas un mode de transport compétitif pour les franchissements de seuils.

M. Joseph PARRENIN : D'après vous, hormis l'achèvement des axes autoroutiers que vous évoquiez sur l'axe Nord-Sud, il semblerait que la priorité doive être mise sur le rail.

M. Alain BONNAFOUS : Etant entendu que l'on ne résoudra pas tout avec des investissements.

M. Joseph PARRENIN : Oui, quand je parle de priorité donnée au rail, j'ai bien intégré l'ensemble.

M. Alain BONNAFOUS : Il n'y a pas cinquante marchés qui peuvent alléger la route, mais trois.

Premièrement, le marché des transports de la vie quotidienne. Un transport collectif performant peut soulager la route. Il doit être doté de moyens que l'on n'osera pas se donner en France avant que tous nos voisins ne l'aient fait, notamment en introduisant un péage urbain. Aux Pays-Bas, ce sera le cas en 2001.

Deuxièmement, le marché de l'interrégional, de plus de 200 kilomètres de distance, qui peut être conquis par le TGV, mais il faut que ce soit de la grande vitesse. Il ne faut pas se raconter d'histoire. Il n'y aura pas de conquête de parts de marché par le rail si les trains n'avancent pas.

Troisièmement, le marché du combiné, à condition que le niveau de prestations soit efficace. S'il doit pénaliser les opérateurs, leur faire perdre des clients en raison d'un manque de fiabilité, il devra être abandonné. Si l'on crée deux lignes spécialisées, on peut imaginer qu'il y ait un accord entre la SNCF et les syndicats pour que sur ces lignes, un service d'urgence soit maintenu en cas de grève.

M. le Président : Il ne s'agit pas uniquement d'un problème d'infrastructure, de matériel, mais aussi d'un problème d'entreprise.

M. Gaston BESSAY : C'est aussi un problème d'efficacité et de dialogue social. France Télécom est assez exemplaire à cet égard.

M. Alain BONNAFOUS : Maintenant, France Télécom est contesté par d'autres opérateurs. L'entreprise acquiert progressivement une culture selon laquelle il faut se battre pour gagner. Tous y gagneront. Les progressions de pouvoir d'achat des salariés de France Télécom n'en seront que meilleures.

M. le Président : Je tiens vraiment à vous remercier pour ces propos « décoiffants », qui nous ont beaucoup éclairés.

M. Alain BONNAFOUS : Je regrette qu'il n'y ait pas eu un partisan du canal dans la salle. Je suis toujours content de les rencontrer, étant donné qu'ils vont disparaître.

M. le Président : Malheureusement, ils ont des empêchements.

L'intérêt de cette mission ne réside pas uniquement dans le fait qu'il y ait des partisans et des opposants au canal, mais dans le fait qu'elle se compose de Marseillais avec les problèmes de leur port, de Lyonnais, d'Alsaciens, de Francs-Comtois. Cela peut initier une véritable réflexion et une volonté d'avancer. Ce que vous nous avez dit leur sera communiqué.

Graphique 1 (1)

Légende : Chaque marche d'escalier correspond à un bief avec son écluse.

--- Canaux et cours d'eau navigables, écluses existantes

--- Projet d'aménagement Saône-Rhin à grand gabarit

Graphique 2 (1) : Modèle séculaire « SD Fret »

Graphique 3 (1) :
Freight traffic on the waterways of the Rhine system 1993

Graphique 4 (1) :
Densité de trafic fluvial et de fret SNCF

Graphique 5a (1)

Graphique 5b (1)

Audition de MM. François BORDRY et Christian PARENT,

respectivement Président et Directeur général de Voies Navigables de France

(Procès-verbal de la séance du mercredi 1er juillet 1998)

Présidence de M. Jean-Jacques WEBER, Vice-président

M. le Président : Vous savez que le problème qui nous réunit est l'ensemble de la problématique soulevée par l'abandon de la liaison Rhin-Saône-Rhône. Vous savez également que je suis particulièrement concerné puisque c'est dans ma circonscription et mon canton qu'a été réalisée la première partie de la liaison, à savoir le canal qui va de Niffer à Mulhouse.

Cette réalisation constituait, à mes yeux, une réussite commune de la CNR, de Voies Navigables de France et de tous les partenaires concernés. J'ai toujours dit que si le reste de la liaison devait s'avérer aussi intéressant que ce tronçon, il s'agirait d'un grand succès.

Malheureusement, le sort des urnes et un certain nombre d'autres facteurs ont conduit à abandonner ce projet et nous réfléchissons aux compensations et aux autres types d'organisations possibles. Il nous a donc semblé intéressant de vous entendre sur ce sujet et de voir comment vous-même appréciez et analysez la situation.

M. le Rapporteur : Effectivement, comme vient de le dire le Président, il ne s'agit pas pour nous de reparler du canal, bien que l'un et l'autre nous ne partagions absolument pas le même point de vue sur la réalité et l'intérêt économiques de la liaison. L'objectif de la mission est de voir simplement ce que sera l'après canal et de connaître votre appréciation, d'abord sur la façon dont se développera le trafic sur le tronçon existant, ensuite sur l'avenir du transport fluvial en France en général, et enfin sur l'avenir qui sera réservé au canal Freycinet.

M. François BORDRY : Comme vous l'avez dit, il ne s'agit pas d'exprimer des regrets ou d'analyser ce qui aurait pu se passer si le canal avait vu le jour, mais bien de voir quelles réponses peuvent être apportées aujourd'hui, en tenant compte, notamment, du petit tronçon du canal à grand gabarit, de Niffer à Mulhouse, réalisé par la CNR, qui a coûté à peu près 500 millions de francs d'investissement total et a été financé à hauteur de 80 % par Voies Navigables de France sur ses ressources propres et à hauteur de 20 % par les collectivités locales.

Cet aménagement, il convient de le signaler, sera achevé cette année par le relèvement du dernier pont SNCF qui bloquait encore un certain nombre de trafics, notamment les chargements de conteneurs jusqu'au port de Mulhouse et qui interviendra au mois d'août prochain.

Telle est donc la réalité : l'aménagement est réalisé, et le port de Mulhouse fonctionne bien - j'ai assisté hier au conseil d'administration des ports rhénans d'Alsace du Sud - puisque son trafic s'élève à environ trois millions de tonnes, ce qui est un élément tout à fait important.

Pour le reste, il est évident que le canal du Rhône au Rhin est au gabarit Freycinet avec, au Sud, le bassin du Rhône et de la Saône qu'il convient de prendre en compte, car les potentialités y sont également extrêmement importantes, même si l'on sait qu'elles auraient été encore différentes si le projet de canal à grand gabarit pour assurer la liaison avec le bassin du Rhin s'était concrétisé. Néanmoins, je crois qu'il faut insister sur le fait que 500 kilomètres à grand gabarit ont déjà été aménagés, à peu près jusqu'à Saint-Jean de Losne. Sous réserve des quelques dragages pour approfondir le chenal sur la Saône qui seront réalisés cette année, le trafic sur le bassin de la Saône et celui du Rhône, certes longtemps insuffisant et négligé pendant de trop longues années par le concessionnaire, la Compagnie nationale du Rhône, a augmenté de 40 % en quatre ans.

M. le Rapporteur : Combien de tonnes cela représente-t-il ?

M. Christian PARENT : En 1993, le trafic était de 450 millions de tonnes-kilomètre et de 660 millions de tonnes-kilomètre en 1997, ce qui correspond à une augmentation de 45 %.

M. François BORDRY : Nous raisonnons en tonnes-kilomètre car le tonnage n'a d'importance qu'en fonction de la durée du transport : il faut multiplier les tonnes par la durée du voyage.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé d'un trafic de 3 millions de tonnes à Mulhouse. J'aimerais savoir combien de tonnes descendent le Rhône.

M. François BORDRY : En tonnes même, il doit y avoir entre 2,5 et 3 millions de tonnes.

M. le Rapporteur : Quelqu'un nous a parlé, ici même, la semaine dernière, d'un million de tonnes.

M. Christian PARENT : La distance moyenne de transport doit se situer entre 200 ou 300 kilomètres, donc le tonnage doit tourner autour de 2 à 3 millions.

M. François BORDRY : Il est important de signaler à propos de ce chiffre, et cela affecte d'ailleurs plus le tonnage que le tonnage-kilomètre, la suppression des transports de sable. Les extractions de sable sur le Rhône ont cessé ces dernières années, ce qui a eu pour effet de faire baisser le trafic même si, la durée et la distance des transports étant relativement courtes, la différence ne s'est pas tellement répercutée sur les tonnes-kilomètre.

Le potentiel de développement du Rhône et du bassin de la Saône est important parce que l'axe rhodanien est notoirement saturé et que la réserve de capacité sur un bassin moderne - les dernières écluses ont entre vingt et trente ans - est réellement élevée.

On assiste depuis deux ans au changement d'attitude de nombreux chargeurs qui passent des contrats de longue durée sur des tonnages importants : je pense à Lafarge, par exemple, à Rhône-Poulenc, à Elf Atochem ou à Total dont les contrats me font penser que le trafic sur le bassin du Rhône et de la Saône peut encore doubler d'ici à trois ou quatre ans.

Evidemment, la gestion dudit bassin aurait été totalement différente s'il avait été relié au bassin du Rhin, ne serait-ce qu'en raison du fait que, pour le moment, faire circuler un bateau supplémentaire sur le Rhône suppose de passer par la mer, ce qui coûte entre 500 000 francs et un million de francs. C'est un risque industriel qui rend difficile la gestion de tous les trafics saisonniers. Mais, en tout état de cause, un bassin de 500 kilomètres sur un axe saturé est un bassin qui peut vivre, se développer - qui aurait pu se développer plus tôt si on s'en était occupé davantage - sous réserve, bien sûr, que le port de Marseille prête un peu plus d'attention, d'une part à son hinterland terrestre et d'autre part à la possibilité d'utiliser le Rhône auquel il se trouve adossé alors que seulement 1 % des acheminements terrestres de ce port emprunte le fleuve, ce qui est, à l'évidence, notoirement insuffisant !

C'est donc là un élément important et notre intention est de poursuivre le développement du Rhône, notamment en accompagnant les investissements des industriels qui ont besoin d'appontements. Il faut également organiser au maximum l'utilisation de l'infrastructure existante qui n'est pas saturée. Ce qui me permet de dire que le trafic sur le Rhône peut être multiplié par sept ou huit sans engager de travaux supplémentaires. C'est un point important !

En ce qui concerne le canal actuel du Rhône au Rhin, donc le réseau Freycinet, il va de soi que le trafic de marchandises y est faible - il est d'à peu près 50 000 tonnes - puisque les péniches qui l'empruntent ont une masse maximale de 250 tonnes et que le potentiel économique, en termes de transport, peut peut-être doubler, voire tripler, mais restera encore relativement marginal par rapport au flux de fret sur cet axe : c'est là, je crois, une évidence !

De même, il est évident que tant que demeurait la perspective d'aménagement du canal à grand gabarit sur la vallée du Doubs, ce dernier, dans la mesure où il était voué à la disparition, a compté parmi les canaux qui ont été le moins bien entretenus et pour lesquels il y a eu le moins d'investissements. En conséquence, logiquement, c'est un canal qui a souffert d'un défaut de restauration pendant très longtemps, à la réserve près qu'il y a environ deux ans, nous avons signé une convention avec la région Franche-Comté lorsque nous sommes parvenus à isoler la partie du canal qui serait, de toute manière, restée en navigation même si le grand canal avait été construit, pour investir là où il y avait certitude de durée de l'infrastructure. Cette démarche nous a permis de retrouver, pour 10 millions de francs par an - ce qui est relativement modeste - une perspective de pérennité de l'ouvrage.

Le trafic de plaisance sur le canal du Rhône au Rhin est faible pour le moment. Il s'élève à peu près à 3 000 bateaux à Dôle et tombe à 1 300 vers Mulhouse pour se situer à moins de 1 000, en moyenne, sur la totalité du canal. Une telle situation s'explique en grande partie par le manque d'entretien et l'insuffisance de l'aménagement touristique.

En voyant ce qui se passe dans les bassins voisins, je suis, pour ma part, persuadé qu'il sera possible, si le canal est remis en état dans des conditions convenables, si les équipements d'accueil du tourisme et de la plaisance qui doivent accompagner l'infrastructure sont organisés - si on établit, par exemple, un schéma directeur du tourisme fluvial sur cet axe et que l'on étudie quels types de halte nautique ou de port de plaisance sont à prévoir de façon à ce que les équipements accompagnent le développement sans se concurrencer - de largement dépasser le cap de 3 000 bateaux par an en moyenne, voire celui de 4 000 ou 5000 bateaux en certains endroits.

Il faut bien voir en effet que la petite Saône vers Gray reçoit plus de 6 000 bateaux par an, ce qui permet d'affirmer qu'il existe certainement un très fort potentiel.

Evidemment, il s'agit là d'un projet relativement onéreux puisqu'il a été évalué à environ 600 millions de francs d'investissement. Tous les travaux ne pouvant être engagés en même temps, il faut probablement prévoir de les réaliser sur une durée de 10 à 15 ans et commencer par les travaux prioritaires. Je suis persuadé que nous pourrons ainsi obtenir un très fort développement du tourisme sans compter, naturellement, l'utilité que présente le canal et le Doubs en termes de navigation commerciale qu'il faut, je pense, maintenir. En effet, je considère qu'il n'y a aucun problème de cohabitation entre la navigation commerciale et la navigation de plaisance sur un canal Freycinet, tout au contraire, lorsqu'il n'y a pas saturation de trafic de marchandises. Or, comme il me paraît difficile de penser que l'on pourrait dépasser 150 000 tonnes par an sur le canal Freycinet, une telle cohabitation s'annonce parfaitement envisageable.

La rivière et le canal ont, pour des activités de loisir - si des équipements sont réalisés et si la qualité de l'eau le permet - un rôle significatif à jouer dans le tourisme fluvial, activité qui, du point de vue économique est, certes, importante en France mais reste néanmoins bien inférieure au tourisme automobile au bord de l'eau. Pourtant, l'attraction de la voie d'eau, si elle est bien organisée, peut devenir très forte. Par exemple, la capacité de mobilisation sur la remise en navigation du Lot dans le sud de la France sert de point d'appui à un développement touristique général axé autour de la rivière. Ce type de développement peut, je crois, être attendu sur le canal lui-même.

M. le Rapporteur : Lorsque vous évoquiez le canal Freycinet, vous avez mentionné un chiffrage d'environ 600 millions de francs pour permettre de développer à la fois un trafic commercial et le tourisme.

Une nuance me semble néanmoins devoir être apportée concernant la Saône, dans la mesure où les écluses y sont moins nombreuses et la navigation beaucoup plus facile que, par exemple, sur le Doubs qui regorge de bas-fonds et d'écueils qui freinent les navigateurs mais où, néanmoins, moyennant un certain nombre d'aménagements, il est également tout à fait envisageable de voir le tourisme se développer.

En revanche, concernant l'aménagement du Rhône, beaucoup estiment que l'un des obstacles majeurs au trafic sur la partie existante du canal entre Lyon et Marseille est le maillon manquant. Ici même, la semaine dernière, MM. Bessay et Bonnafous nous ont démontré de façon assez éclatante et cartes à l'appui que dès que les écluses sont importantes, le trafic diminue, ce qui est d'ailleurs également vrai pour le trafic de plaisance, comme vous l'avez relevé, puisque plus on se rapproche de Mulhouse et moins il y a de bateaux sur la rivière.

Cependant, entre Châlon-sur-Saône et Fos-sur-mer, c'est-à-dire sur les 500 kilomètres aménagés, la navigation est assez aisée. Sachant que la moyenne du transport par voie d'eau est d'environ 300 kilomètres, on peut penser qu'il n'y a pas d'obstacle majeur à un développement du trafic fluvial qui pourtant n'a pas été enregistré. Vous avez parlé de 3 millions de tonnes ; la semaine dernière on nous a cité un chiffre de 1,5 million de tonnes - la réalité se trouve certainement entre les deux, vos chiffres devant être plus actualisés - mais on doit pouvoir faire plus.

En conséquence, puisque notre réflexion porte également sur l'utilisation de ce qui existe actuellement, que préconiseriez-vous en matière d'aménagements ou d'actions pour que ce tronçon de 500 kilomètres, qui est actuellement utilisable, soit encore plus fréquenté ?

M. François BORDRY : Je connais bien les thèses de M. Bonnafous sur l'axe Rhin-Rhône et je ne reviendrai pas sur les polémiques qui ont pu être engagées à ce sujet. Je sais bien qu'il ne faut pas imaginer que si le canal s'était fait, il y aurait eu un trafic Rotterdam-Avignon : ce n'est pas en cela que le canal aurait été le plus utile.

Selon moi, un élément doit être pris en compte : si le maillon n'avait pas manqué, il aurait été possible de capter des trafics saisonniers sur le Rhône et d'adapter l'offre de cales à l'offre de transport.

Je discutais hier avec le directeur général de la CFNR - Compagnie française de navigation rhénane - qui est l'armement français du Rhin et qui a amené récemment un bateau pétrolier sur le Rhône. Il m'a expliqué qu'effectivement, amener un bateau sur le bassin du Rhône coûtait un million de francs quand il s'agissait d'un bateau spécialisé, que cela coûtait un autre million de francs si par hasard les choses ne marchaient pas et qu'il fallait ramener le bâtiment jusqu'à un bassin qui fonctionne : il s'agit là d'un risque industriel important qu'il n'avait lui-même pu courir que parce que Elf Atochem avait passé avec lui un contrat de 300 000 ou 600 000 tonnes par an lui garantissant, sur au moins sept ou huit ans, l'amortissement des frais du bateau.

Evidemment, si un chargeur a une offre trop saisonnière ou qui n'est pas garantie sur du long terme, l'armateur aura des difficultés à fournir un bateau pour répondre à l'offre. C'est là un problème qu'en tout cas le canal aurait permis de résoudre et nonobstant les problèmes de transport fluvial qui auraient eu lieu par ailleurs, c'est un élément intéressant.

L'axe Rhône-Saône, en revanche, peut fonctionner dans sa situation actuelle, comme en témoigne le fait que, malgré la décision d'abandon de la liaison Rhin-Rhône, de nouveaux bateaux sont venus sur le Rhône : j'ai parlé du pétrolier de la CFNR qui est arrivé, mais il y a aussi quatre barges à grand gabarit amenées par Touax l'année dernière ainsi qu'une ou deux autres de la CFT. Du matériel nouveau, qui est d'occasion mais qui fonctionne, est venu sur le bassin, ce qui montre bien qu'il y a un potentiel de développement qui a permis aux armateurs de prendre le risque. C'est, je crois, en grande partie le résultat d'actions que VNF a montées sur le bassin. Elles ont sensibilisé les chargeurs et aidé au montage de logistiques fluviales, tant dans le domaine des conteneurs que dans celui des marchandises. Notamment, conscience a été prise que, sur les matières dangereuses en particulier, le transport fluvial était plus sûr que d'autres modes de transport parce qu'il traverse moins d'agglomérations et que la sécurité du chargement y est supérieure.

M. le Rapporteur : Les risques de collisions sont moindres.

M. François BORDRY : Oui, et en outre le risque principal est lié à la man_uvre de chargement. Alors que, sur un bateau, on charge mille tonnes en une seule opération, et quand on sait que, sur les camions, on ne charge et décharge que vingt tonnes à la fois, on comprend aisément que l'on multiplie les risques dans ce dernier cas. C'est donc un aspect qui a séduit les chargeurs !

Le Rhône, comme vous le savez, est géré par la Compagnie nationale du Rhône et on peut dire très clairement que, pendant très longtemps, cette dernière a vécu son rôle d'aménageur de la vallée, y compris de zones industrielles sur la vallée, comme un rôle de développement économique, mais sans vraiment s'occuper du fluvial.

C'est ainsi qu'elle a loué beaucoup de bases à Intermarché ou à des sociétés qui travaillent beaucoup plus avec le camion ou le chemin de fer qu'avec le bateau. Je tiens d'ailleurs à préciser que les choses ont changé, notamment depuis l'arrivée de l'actuelle équipe de M. le président Ronteix à la tête de la CNR, et que nous avons signé avec cette dernière, il y a maintenant un ou deux ans, un protocole de collaboration dans le domaine du développement du transport fluvial qui produit ses effets et a abouti à la signature d'un certain nombre de contrats avec des chargeurs sur de grosses opérations.

Je signalerai en particulier l'opération qui a été réalisée à Port Tellines, à Fos-sur-mer, pour l'aménagement d'une interface fluviale et maritime dans le port de Fos, spécialisée dans les céréales et qui permet de décharger directement une barge dans un navire ou inversement avec une possibilité de stockage sur place pour faire tampon. Cet aménagement a déjà permis le chargement de 300 000 tonnes cette année, ce qui est important et a permis de crédibiliser l'utilisation du fleuve pour les céréales et notamment pour les céréales bourguignonnes : il faut noter que la Bourgogne et la région Rhône-Alpes, ont investi dans le cadre des contrats de plan dans la plate-forme des Tellines à Fos - c'est un des rares cas où les régions sont intervenues de manière aussi délocalisée et aussi loin de leur base. Cette plate-forme a offert le moyen de basculer vers Marseille une grande partie de la logistique céréalière de la Bourgogne qui, jusqu'alors, était largement axée sur la route et partait généralement par camions vers Nancy et le port de Frouard sur la Moselle, ou directement vers les ports du Nord.

Ce sont des montages compliqués qui demandent que l'on s'en occupe, que l'on recherche et que l'on mette en relation des partenaires. Mais ils peuvent donner des résultats et ont déjà permis la signature de contrats, notamment avec Elf Atochem et Lafarge, pour lesquels nous avons apporté notre aide, notamment en conduisant une politique dite « d'embranchements fluviaux » qui subventionne l'équipement susceptible de permettre à un industriel de charger et de décharger des bateaux au départ de son site.

Nous poursuivrons, bien sûr, cette politique de développement, d'attention au développement possible et de démarchage systématique des chargeurs pour vérifier s'ils peuvent modifier leur logistique et profiter des atouts du fluvial.

On constate en particulier un assez bon essor de la voie d'eau dans le domaine des colis lourds : ce mois-ci, toute une série de convois de colis lourds sont partis de Lyon ou même de Pagny, en Bourgogne, puisque la voie d'eau, avec son gabarit, permet d'effectuer sans déranger le transport de colis encombrants ou de colis lourds. Nous adoptons ainsi une attitude d'incitation, y compris financière, que nous ne manquerons pas de raffermir et qui permettra, j'en suis persuadé, de développer d'autant plus le transport fluvial que les autres modes de transport dans la vallée du Rhône approchent de la saturation et que les seules réserves de capacité de massification sont sur le fleuve.

M. le Rapporteur : Quel objectif poursuivez-vous en termes de tonnage ?

M. François BORDRY : Le doublement du trafic dans les trois ou quatre ans à venir. A mon avis, l'objectif réaliste serait, à un peu plus long terme, d'atteindre 10 millions de tonnes sur le Rhône, ce qui veut dire, en multipliant par 200 kilomètres, 2 milliards de tonnes kilomètres, soit une multiplication par trois du trafic actuel. Il est dommage que l'on n'ait pas commencé plus tôt.

M. le Président : D'entrée de jeu, je vous ai parlé du canal Mulhouse-Niffer et vous rappeliez vous-même que VNF avait investi à hauteur de 80 % et les collectivités locales à hauteur de 20 % - je parle sous le contrôle du maire de Mulhouse qui est également très intéressé par cette question. Qu'en est-il de ces 20 % aujourd'hui ? Nous souhaiterions, bien entendu, savoir ce qu'il adviendra de notre contribution alors que le projet de grand canal a été abandonné. Je vous présente donc le problème très crûment : les collectivités locales souhaitent récupérer cette participation de 20 %, ne serait-ce que pour pouvoir les investir ailleurs.

M. François BORDRY : Je vous comprends parfaitement, M. le président, mais ce n'est pas à VNF qu'il faut poser cette question. Ce langage, c'est à l'État que vous devez le tenir.

M. le Président : J'en ai bien conscience mais, à toutes fins utiles, je soumets le problème à chacun de mes interlocuteurs, car il faut que chacun prenne conscience que nous étions partenaires à hauteur de 20 % d'une réalisation inachevée. Cela représente pour nous une somme importante.

M. François BORDRY : Nous pourrions dire la même chose puisque notre participation de 80 % a été ponctionnée sur le budget normal de VNF et non sur le financement prévu pour le canal Rhin-Rhône !

M. le Rapporteur : C'est certes une vraie question, mais je ne suis pas sûr que l'on puisse y apporter une réponse ici !

M. le Président : Non, mais je n'attends pas, non plus, de M. Bordry qu'il me tende un chèque pour l'Alsace, c'est évident. Si je ne pose pas la question de façon un peu récurrente, on l'oubliera et je ne veux pas que ce soit le cas car, monsieur, si vous avez pnctionné les 80 % sur le budget de VNF, nous avons nous pris les 20 % au contribuable ce qui, malgré tout, n'est pas exactement la même chose !

M. François BORDRY : J'ajouterai un tout petit élément au débat : la surélévation du pont ferroviaire qui sera réalisée au mois d'août sera financée à 100 % par VNF, sur les crédits du FITTVN.

M. Jean-Marie BOCKEL : Non sans peine.

M. François BORDRY : Non sans peine, c'est vrai, mais je pense que, de toute façon, vous n'auriez pas payé.

M. Jean-Marie BOCKEL : Nous avons avec Mme Guinchard-Kunstler une question à deux voix à vous poser.

Cette question qui revient également régulièrement, est celle des projets alternatifs. Nous aimerions connaître votre opinion sur, soit des projets alternatifs de liaison Nord-Sud par la voie d'eau, évitant donc cette branche qui ne sera pas à grand gabarit, soit des projets - c'est une réflexion qui continue à être menée et je ne sais pas ce qu'il faut en penser - d'axes à gabarit moyen.

Ce sont des idées qui ont cours et, n'étant pas spécialiste en la matière, sur lesquelles je ne peux pas me prononcer. Mais dans les deux cas, ces questions nous interpellent. Dans le premier cas, c'est-à-dire si le canal est contourné, même s'il redevient une voie d'eau touristique ainsi que vous l'évoquiez, nous nous demandons si l'hypothèse est sérieuse et quelles pourraient être ses conséquences sur les ports et les trafics existants. Dans le second cas, - et ma question n'est pas uniquement prospective - si le canal doit être un jour élargi aux normes intermédiaires, nous nous posons le problème des emprises foncières et de la manière dont elles seront traitées. Gèlera-t-on encore une partie du territoire - avec la déclaration d'utilité publique ces terrains ont été très souvent acquis - ou les revendra-t-on à tout acquéreur, soit privé, soit public, qui pourra ensuite envisager d'utiliser ces terrains comme il lui plaira et rendre éventuellement impossible l'élargissement du canal, non pas à grand gabarit, je le répète, puisque cette idée paraît définitivement écartée, mais à gabarit moyen ?

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Ce sont exactement les deux questions que je voulais poser !

M. François BORDRY : Peut-être M. Parent pourra-t-il utilement compléter ce que je vais vous dire.

Je pense, en tout cas, qu'il faut prendre les choses dans l'ordre, c'est-à-dire conformément à la façon dont on aborde, à l'heure actuelle, les grandes infrastructures de transport, qu'il s'agisse de voies ferroviaires, de canaux ou d'autoroutes.

Il convient donc d'abord de réétudier la question de savoir si une liaison à gabarit supplémentaire fluviale s'avère utile dans le cadre d'un schéma de service à dix ou quinze ans. Il faut donc ouvrir un vrai débat sur l'opportunité, l'utilité, la rentabilité économique d'une liaison fluviale. Ensuite seulement, il convient non pas de rechercher un tracé - je pense au projet de M. Gaudin sur la liaison Saône-Moselle avec un embranchement à Montbéliard, par exemple - car cette démarche ne me paraît pas s'intégrer dans le bon ordre des choses, mais de faire ce que nous faisons sur Seine-Nord, par exemple, ou ce que font les sociétés d'autoroutes pour les projets d'autoroutes, à savoir vérifier l'utilité du projet, sa pertinence et sa rentabilité économique et étudier tous les tracés possibles sur l'axe défini.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Si on l'avait fait dans le Doubs, nous n'en serions pas là où nous sommes.

M. François BORDRY : Il convient d'éliminer enfin les tracés les moins pertinents pour ne conserver que les plus pertinents et les soumettre à concertation. C'est seulement alors que nous pourrons faire la DUP et réaliser les travaux.

M. Jean-Marie BOCKEL : Voilà pour la méthode, maintenant qu'en est-il de ma question ?

M. François BORDRY : En ce qui concerne les gabarits, M. Parent précisera sûrement ma pensée : si on réalise un canal neuf, à mon avis il faut impérativement viser un gabarit européen directement compatible avec ce qui existe par ailleurs, et ne pas inventer de gabarits intermédiaires.

J'en reviens au projet de M. Gaudin auquel j'ai fait allusion précédemment : on ne peut pas, me semble-t-il, définir à priori un gabarit de 1 500 tonnes comme étant pertinent ! C'est essentiellement l'écluse qui définit le gabarit d'un canal. Tant qu'à faire une écluse, autant la faire directement à un gabarit rhénan permettant la liaison rhénane. Il faut rappeler qu'en France, il n'y a pas si longtemps, ont été inventés des gabarits intermédiaires : le canal du Nord qui relie l'Oise aux canaux du Nord a été réalisé en grande partie avant la guerre de 1914 et terminé en 1960 à gabarit de 600 à 800 tonnes, ce qui est un gabarit complètement inventé pour l'occasion... Or, trente ans plus tard, des études ont été lancées pour porter ce canal à un gabarit européen en classe VB.

M. Jean-Marie BOCKEL : Donc, a priori, vous ne croyez pas trop à cette hypothèse ?

M. François BORDRY : A priori, en tracé neuf, je n'y crois pas.

M. Jean-Marie BOCKEL : S'il s'agit d'un élargissement, on envisage quand même des travaux extrêmement coûteux. Le jeu n'en vaut peut-être pas la chandelle mais, pour nous, il est important d'avoir toutes ces précisions !

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Et des informations, parce que ce sont des points sur lesquels nous sommes constamment interrogés.

M. François BORDRY : Je comprends très bien !

M. le Président : Jean-Marie Bockel parle du gabarit intermédiaire moyen. Au tout début de l'affaire, prenant conscience de l'importance des emprises, nous nous étions demandé s'il n'aurait pas été plus simple de créer un canal à gabarit moyen qui aurait permis, grâce à des bassins d'évitement, de créer des circulations à sens unique pendant un certain moment et éventuellement des remontées par la suite. A ce moment-là, nous avions émis l'idée que le canal à gabarit moyen aurait pu accueillir les bateaux rhénans sur un seul sens.

M. Jean-Marie BOCKEL : Avec d'ailleurs la même remarque sur les écluses.

M. le Président : Effectivement !

On aurait alors pu penser en termes de dépenses de type moyen, d'emprises de type moyen pour un système qui, sans être d'une rentabilité totale puisqu'un train de bateaux aurait dû attendre le passage de l'autre, aurait tout de même présenté l'avantage d'être pratique et de permettre le passage. J'ai toujours défendu une idée de ce genre qui a d'ailleurs été exprimée à plusieurs reprises. A cela, vous ne croyez pas non plus ?

M. François BORDRY : Permettez-moi de laisser M. Parent répondre parce que son approche est plus technicienne que la mienne !

M. Christian PARENT : Le sujet est, de toute façon, très difficile !

Pour essayer d'y répondre, le plus simple serait au fond de se demander, une fois que l'on aurait réalisé un canal de gabarit limité, comment faire pour que, le jour où le trafic ayant augmenté, on puisse l'agrandir ou l'élargir.

Elargir un canal existant est un véritable travail de Romain qui conduit généralement à couper la circulation, donc à tuer le trafic pendant la durée du chantier, chose que l'on s'efforce au maximum d'éviter, connaissant la fragilité du trafic fluvial en France.

M. Jean-Marie BOCKEL : Pour le canal Freycinet, cela ne changerait pas grand chose !

M. Christian PARENT : Pour l'actuel canal du Rhône au Rhin, effectivement, cela ne changerait pas grand chose : vous avez parfaitement raison, d'autant qu'une déviation est possible par le canal de l'Est !

Cela étant, du point de vue du coût, la reprise de tels travaux finit par être aussi onéreuse qu'un canal neuf, c'est pourquoi nous hésitons toujour. D'autant que, comme l'a dit François Bordry, nous sommes « meurtris » par l'expérience du canal du Nord qui était un projet moderne en 1900 et qui, réalisé en 1960, a toujours souffert de ne pas être au gabarit des canaux voisins.

Donc, pour compléter la réponse qui a été faite au sujet de l'intérêt de la liaison Saône-Moselle, ou de Rhin-Rhône, je crois qu'il faut revenir à un regard européen.

Vous savez que le conseil des communautés européennes a approuvé en 1993 le schéma directeur européen des voies navigables. De même qu'il y a un schéma des voies ferrées, il existe un schéma des voies navigables qui reprend tous les grands projets français - Seine Nord, Seine Est, Saône-Moselle, Rhin-Rhône - selon une idée portée par les promoteurs de la voie d'eau depuis déjà quarante ans. Nous avons donc étudié le trafic sur les voies à grand gabarit françaises depuis une dizaine d'années, période durant laquelle, il faut le dire, le trafic fluvial ne s'est, en général, pas très bien porté pour de multiples raisons qui ne tiennent pas uniquement à l'infrastructure mais aussi au fonctionnement du monde du transport fluvial. Il n'y a pas que l'aspect technique ; l'aspect professionnel est également important !

Nous constatons donc que durant ces années, marquées par la récession, les voies à grand gabarit françaises - le Rhin, la Moselle et le réseau du Nord Pas-de-Calais - reliées au réseau européen ont vu leur trafic croître. Certes, cette progression est assez modeste puisqu'elle est de 2,5 % par an sur dix ans. Les autres voies - la Seine et le Rhône - s'étaient à peu près maintenues ou avaient très légèrement reculé, même si le trafic du Rhône, ainsi qu'on l'a expliqué tout à l'heure, a un peu rebondi depuis 1994, tandis que le reste du réseau à petit gabarit s'était, lui, complètement effondré puisqu'il avait perdu 40 %.

Tout cela revient à dire que si nous voulons avoir, demain, un fonctionnement du transport fluvial qui soit à la hauteur des attentes, il faudra bien, le moment venu, disposer d'un réseau qui ne soit pas uniquement constitué de cinq parties non reliées, mais qui rassemble la Seine, le Nord, la Moselle, le Rhin et le Rhône. Sans fixer d'échéances, telle est en fait la logique du système si l'on veut la suivre jusqu'au bout.

Ensuite, il reste à arrêter le choix des tracés. Mais sur la question du gabarit, en regardant chez nos voisins et si nous voulons utiliser leur flotte et accueillir les bateaux qui peuvent transporter à moindre coût sur des voies existantes ou futures, nous n'avons pas intérêt à faire des ouvrages plus petits car nous allons nous retrouver limités dans l'usage des engins modernes qui circulent ailleurs : c'est tout le problème !

M. le Président : Nous ne souhaitions pas un gabarit qui soit inférieur à la taille des péniches rhénanes, mais un gabarit qui leur permette de passer une à une.

M. Christian PARENT : C'est un pari qui peut, bien sûr, fonctionner pendant le développement du trafic, l'inconvénient étant le suivant : si cela ne marche pas, tant pis, on arrête ; mais si cela marche bien, le jour où nous voudrons franchir le pas, nous nous retrouverons dans une situation inextricable.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Vous avez répondu sur la seconde partie de la question de M. Bockel, et je n'y reviendrai pas, d'autant que concernant la possibilité d'une solution plus légère en termes de tonnage, je crois que les réponses sont claires.

En revanche, il me semble que vous n'avez pas répondu à la première partie de la question que je formulerai donc de façon peut-être un peu plus précise : est-ce que dans le cadre des schémas de service, vous réfléchissez actuellement à une liaison Rhin-Rhône, via la Moselle ?

Je crois vraiment qu'il faut que vous preniez conscience que nous sommes sollicités sur ces deux questions : y a-t-il une réelle possibilité de liaison Rhin-Rhône ? Est-ce que des projets sont vraiment à l'étude ?

M. Christian PARENT : La réponse, madame, tient en deux points.

Avant l'arrivée des schémas de service, des études étaient en cours qui portaient sur Seine Nord et sur Seine Est ; je ne parle pas de la liaison Rhin-Rhône qui était très avancée en matière de travaux.

La liaison Saône-Moselle, qui figure comme je l'ai dit au schéma européen, n'est pas, pour l'instant, dans le schéma français. C'est ce qui explique que les études entreprises par VNF, à la demande du ministère des transports, ont porté, d'une part sur Seine Nord où nous sommes aujourd'hui parvenus au stade du choix de tracés qui doivent être arrêtés par le ministre, et d'autre part sur Seine Est où nous sommes parvenus à l'étude de définition de l'intérêt économique qui pourrait donner lieu, du moins si le ministère en décide ainsi, à un débat public dans les mois qui viennent.

Comme la liaison Saône-Moselle ne figurait pas au schéma directeur français de 1985, il n'y a pas eu d'études lancées même si la région Lorraine avait, dans son contrat de plan, émis l'idée qu'il faudrait étudier le sujet.

Maintenant, nous changeons un peu de méthode, puisqu'il est question de schémas de service dont la future loi d'aménagement du territoire devrait définir un peu mieux le contenu. Je crois qu'il faut dire que nous en sommes encore à un stade expérimental et donc que, pour ce qui nous concerne, nous ne savons pas encore très bien comment nous pourrons intégrer les réflexions relatives au fluvial dans un ensemble qui veut porter sur tous les modes de transport .

On peut donc dire qu'actuellement nous sommes « l'arme au pied » dans l'attente de nouvelles définitions.

M. François BORDRY : Nous n'avons pas encore été consultés !

M. André VAUCHEZ : Je suis plus pessimiste sur le transport par voies d'eau que je ne l'étais il y a dix ans ou même plus.

Je pense que les réalités font que l'histoire ne travaille pas en faveur de la voie d'eau et, pour être plus précis, en faveur de la liaison Rhin-Rhône. Je m'explique : il est évident que, comme vous nous l'avez dit, entre Rotterdam et Marseille, il ne peut pas être question de comparer la rentabilité d'un canal à celle de la voie maritime - là-dessus, nous sommes d'accord ! Le canal peut donc être un axe de vie entre des régions très industrialisées mais cette possibilité n'est clairement définie, ni dans vos prospectives, ni d'ailleurs dans celles de certains cabinets que nous avons eu l'occasion d'évoquer.

Donc, on ne parle plus du canal de Freycinet. Mais je crois qu'il convient malgré tout de noter le fait que si le grand canal avait été réalisé en Franche-Comté, cela aurait nécessité de passer 28 écluses.

Aujourd'hui, en effet, sans revenir sur le passé, on peut se demander si ce qui joue contre vous n'est pas précisément le temps de transport et le coût. J'aimerais donc savoir quel est votre point fort dans ce domaine.

Par ailleurs, sauf dans vos tout derniers propos, vous n'avez pas évoqué le problème de la plurimodalité du transport combiné auquel la voie d'eau est contrainte d'avoir recours, sauf dans certains sites extraordinaires.

Dans l'espace entre le Rhin et le Rhône, un mode de transport fonctionne bien : la route. Si VNF n'en est pas responsable puisque le canal n'était pas réalisé, tel n'est sans doute pas le cas de la SNCF, qui longtemps n'a misé que sur les voyageurs, réalisant très tard qu'elle pouvait gagner des parts de marché sur le fret.

J'étais hier, avec quelques collègues, sur la plate-forme de Valenton qui est exceptionnelle et dont la visite a été pour moi une expérience très enrichissante. Je me demande si l'on ne peut pas vous reprocher de commettre l'erreur inverse en ne soutenant pas suffisamment le tourisme fluvial. Certes, vous l'avez cité, mais vous ne l'appuyez pas beaucoup alors qu'il est appelé à se développer. Ne pensez-vous pas qu'il peut constituer plus qu'une complémentarité, non seulement sur le Freycinet, mais aussi sur les grands canaux ?

Je terminerai en parlant de Pagny que vous avez cité et qui a du mal à se développer : c'est l'un des endroits où il faudra bien développer du transport combiné avec la Saône.

Nous avions lancé une étude sur Choisey au cas où le canal y serait passé et nous nous sommes aperçus que cette étude manquait d'envergure. VNF y était partie prenante, puisque vous avez été questionnés par le cabinet responsable de l'affaire dont j'ai d'ailleurs oublié le nom, mais tout était très médiocre et ne faisait que brouiller les choses au point que l'on ne savait plus très bien par quel bout les prendre !

M. le Rapporteur : Je voudrais intervenir, si vous le permettez, M. le président, non pas pour parler des écluses mais du seuil qui est un problème peu évoqué. Le seuil représente 200 mètres à franchir et c'est, à mon avis, un problème insoluble : même si on imagine d'autres solutions pour le canal, nous aurons toujours ce seuil à franchir, avec le temps et la consommation d'eau que cela induit.

Pour en revenir au tourisme fluvial, j'irai dans le sens d'André Vauchez car je considère que, même si l'on sait bien qu'il ne sera un élément important de développement, il n'est pas, pour autant, négligeable.

Par ailleurs, je profite d'avoir l'occasion de rencontrer le président de VNF, pour attirer son attention sur le fait que l'on dit souvent - et je pense que mes collègues qui ont l'occasion de rencontrer les maires de leur circonscription l'entendent dire également - que VNF est un État dans l'État - je le relève vraiment sans aucune agressivité à votre égard - et qu'il est extrêmement difficile de négocier avec vous.

Actuellement, pour négocier avec VNF à propos des chemins de halage et de la superposition de gestion, les difficultés sont si importantes que les maires nous disent qu'ils ne veulent pas investir au motif que cet investissement pourrait être remis en cause. Même si je sais parfaitement que vous allez me répondre que c'est très improbable, nous avons quand même le sentiment qu'il est très difficile de discuter avec VNF. Une modification dans votre système de communication avec les élus s'impose peut-être.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Si vous le permettez, j'aimerais compléter l'intervention de M. Fousseret.

Concernant le tourisme fluvial, une des questions qui se pose très souvent est de savoir si, en l'état actuel des choses, il y a réellement possibilité sur le canal Freycinet, en fonction du tonnage, de faire du tourisme fluvial. On m'oppose très souvent l'argument que les bateaux du tourisme fluvial exigent beaucoup plus de tirant d'eau que les possibilités actuelles n'en offrent.

Par ailleurs, j'aimerais savoir si le nombre de barrages sur le Doubs peut constituer un handicap pour cette forme de tourisme ? Ce sont des questions qui sont au c_ur du débat au conseil régional. Ce n'est donc pas sans raison que je les pose.

M. François BORDRY : Je commencerai par répondre aux questions ayant trait au tourisme fluvial, puis j'en viendrai aux autres, si vous le voulez bien.

Il est vrai que l'administration des Voies Navigables de France, qui était une administration d'État jusqu'en 1991 avant d'être confiée à un établissement public créé spécialement pour l'occasion, est une administration transport. Donc la vocation des services de navigation est une vocation transport et la tutelle de l'établissement relève de la Direction des transports terrestres.

En conséquence, l'adaptation à la plaisance a représenté un changement culturel important pour de nombreux services, ce qui transparaît encore par la fermeture de certaines voies d'eau le dimanche, au motif que les besoins de transport faisaient qu'elles pouvaient ne pas être ouvertes ce jour-là, ni même certains jours fériés et durant certains « ponts » intéressant une clientèle touristique.

Cette évolution vers le tourisme s'est évidemment faite au départ de manière très pragmatique, puisqu'il n'y a pas eu d'organisation ni de volonté de développer le tourisme et que ce sont quelques « illuminés », que ce soit quelques personnes privées qui ont fourni des bateaux, ou des municipalités qui se sont engagées sur des haltes nautiques ou des ports de plaisance, qui ont lancé empiriquement, notamment en s'inspirant des expériences britanniques, le tourisme fluvial en France qui a débuté sur le canal du Midi avant de s'étendre un peu partout sur le reste du territoire.

Aujourd'hui, VNF a reçu pour mission de développer l'ensemble des usages de la voie d'eau navigable. Par conséquent, le tourisme fluvial est devenu une mission assumée clairement par VNF, qui a développé le changement de culture des services mis à disposition et a adopté une véritable attitude de développement du tourisme fluvial s'inscrivant, un peu à l'image des services de l'État, plus dans des relations entre un service et une clientèle que dans des relations entre une administration et des usagers privés de droits, fonctionnant par avis à la batellerie et sans discussion possible.

Cette évolution est, je crois, maintenant assez largement admise. Je dirai que le plus difficile a été de convaincre l'État lui-même que ce n'était pas parce qu'un certain nombre de voies d'eau n'avaient plus de réelles ambitions de transport qu'il fallait fermer, assécher le canal ou le transférer de force à des collectivités locales qui ne veulent pas récupérer, surtout dans cet état, les infrastructures appartenant à l'État et confiées à VNF.

De ce point de vue, l'évolution récente insistant sur la polyvalence de l'eau et l'intérêt du tourisme fluvial est maintenant parfaitement admise par le Gouvernement, de même que son rôle, y compris en termes de gestion de l'eau.

Nous avons, au cours des mois passés, beaucoup travaillé, notamment avec le conseil national du tourisme - pour lequel, à la demande du ministre, j'ai établi un rapport en décembre dernier sur le tourisme fluvial - et Mme Demessine, secrétaire d'État au tourisme. Le tourisme fluvial devient un secteur à part entière puisque, si l'on compte surtout des bateaux à passagers et notamment des bateaux-mouches, que ce soit à Paris ou ailleurs, ce tourisme représente un chiffre d'affaires de 1,1 milliard de francs contre 1,6 milliard de francs pour le transport fluvial.

Bien entendu, tout cela mérite d'être nuancé puisque, par exemple, les bateaux de location ne représentent que 200 ou 250 millions de francs.

Il s'agit donc d'un secteur économique qui doit sortir de son ghetto, être organisé dans la politique du tourisme français et susciter des partenariats.

De ce point de vue, notre attitude tend, depuis quelques années, à susciter des partenariats avec les collectivités locales en organisant, notamment par les commissions territoriales qui permettent d'associer les élus, VNF, les usagers et les partenaires professionnels, des schémas directeurs d'aménagement, en dégageant des visions globales et en faisant naître des possibilités et des attitudes de développement.

C'est donc quelque chose qui est bien ressenti, bien connu et qui fonctionne.

Si vous me permettez de faire maintenant un peu d'autocritique, j'expliquerai que, si sur la liaison Rhin-Rhône quelques problèmes culturels ont peut-être pu se poser, c'est parce que prédominait, depuis vingt ans, la perspective de tout fermer et que cela ne poussait ni à échafauder des projets, ni à faire preuve d'un grand dynamisme.

A l'égard des collectivités locales, notre démarche est de chercher des partenariats de développement. Il est vrai qu'il est toujours un peu compliqué sur un domaine public de mettre en _uvre des conventions, des superpositions de gestion et autres, mais notre attitude est toujours positive. En cas de problèmes, il convient de nous en faire part pour nous permettre d'activer localement leur règlement, à condition cependant que les collectivités comprennent que ce n'est pas parce que l'on n'a rien fait chez nous que l'on peut tout faire sans nous demander notre avis.

Nous souhaitons un vrai partenariat, c'est-à-dire que nos partenaires soient de vrais partenaires.

M. Christian PARENT : Concernant la superposition de gestion, le problème tient à un détail, comme c'est souvent le cas : les services négocient avec les collectivités parce qu'il faut réaliser des chemins pour permettre l'accès au canal, sachant que les chemins de halage qui intéressent beaucoup de monde sont fermés à la circulation, sauf si l'on s'organise autrement et qu'une collectivité en prend la responsabilité. Le problème m'a été présenté tout récemment et je crois que nous trouverons une amélioration possible. Ce qui choque les collectivités, je crois, c'est que, reprenant des formules « mises au point depuis très longtemps », il est écrit dans les conventions : « tout ceci est précaire et révocable » selon la formule consacrée. Mais je crois que l'on pourrait stipuler qu'après trente ans, les dépenses seront amorties et qu'entre zéro et trente ans elles seront remboursées au prorata, ce qui, de toute façon, ne coûtera rien puisqu'il n'y aura pas lieu de le faire.

M. le Rapporteur : Ces chemins peuvent être utilisés pour le VTT et la marche à pied. C'est un thème très mobilisateur dans nos régions et les maires se plaignent de ce que VNF soit un État dans l'État : j'enregistre donc que les choses vont bouger.

M. Christian PARENT : Il y a bien besoin de conventions et de partenariats financiers avec les communes, mais on peut effectivement les rassurer sur ce point : cette formule consacrée peut certainement être modifiée sans que cela ne coûte rien à VNF.

M. François BORDRY : J'aimerais revenir à la question qui m'a été posée sur le transport fluvial. Les problèmes de temps, de durée, de franchissement de seuil sont bien connus et nous n'allons pas y revenir car nous n'allons pas reprendre une polémique qui pourrait nous mener loin et à pas grand-chose par-dessus le marché.

Je pense, en revanche, que l'avantage du fluvial, à partir d'une certaine distance, est la fiabilité, la régularité et la prévisibilité de l'heure et de la date d'arrivée. C'est un élément important et on le voit aussi bien sur la Seine que sur le trajet Lille-Anvers pour les conteneurs : ces derniers mettent trois semaines pour arriver d'Extrême-Orient. Qu'ils mettent vingt heures ou cinq heures pour faire Le Havre-Paris a peu d'importance. Ce qui compte pour la plupart des marchandises, c'est que l'on puisse être sûr de la date et de l'heure d'arrivée.

Si le fluvial permet de réaliser des économies qui peuvent être intéressantes à partir de 200 kilomètres, le fait de devoir franchir dix écluses ne constitue plus forcément un problème dirimant puisque les choses doivent être calculées en termes de logistique.

Effectivement, le transport fluvial est un transport combiné : il y a toujours au moins un « brouettage », sauf si les usines sont « bord à voie d'eau ». Mais pour alimenter un port ou une autre usine « bord à voie d'eau », il va de soi qu'il y a toujours une rupture de charge qui pèse évidemment sur le prix du transport. A partir d'un certain kilométrage, on récupère en économie sur le transport fluvial lui-même ce que peut coûter le transfert de charge : tout est question de distance et d'organisation.

Ce qui est important et M. Parent en a dit un mot tout à l'heure, c'est que des professions s'organisent pour participer à une chaîne logistique et avoir de vrais logisticiens, alors que pendant longtemps la profession fluviale ne s'occupait que de prendre la marchandise au bord du canal pour la poser au bord du canal en allant chercher le transport à la bourse d'affrètement. Aujourd'hui, les méthodes de gestion sont totalement différentes et demandent de participer à une vraie chaîne logistique de porte à porte, de bout à bout, dont le fluvial est un maillon extrêmement important, mais un maillon seulement.

M. le Rapporteur : C'est ce qui nous intéresse, car soyons clairs : ceux qui se sont battus contre le canal ne sont absolument pas des adversaires de la voie d'eau, bien au contraire ! Nous en sommes de fervents partisans partout où cela nous paraît possible. Je tenais à le dire pour que notre position soit bien claire !

M. François BORDRY : Je l'avais bien compris.

M. André VAUCHEZ : Sans abandonner la gestion du canal de Freycinet, est-ce que vous modifiez vos structures de gestion, notamment en ce qui concerne le personnel ?

M. François BORDRY : J'ai lu quelques articles lorsque les grèves ont éclaté du côté de Besançon, mais je répète que nous avons de grandes ambitions touristiques sur le canal du Rhône au Rhin : il faut que les choses soient bien claires !

En termes de trafic, le canal du Rhône au Rhin ne pèse pas d'un grand poids, mais nous savons qu'il a de très fortes potentialités et nous sommes preneurs d'un développement touristique et d'une restauration du canal. Si l'État peut nous aider à monter avec les collectivités, à condition que cela ne pèse pas sur notre budget normal, de vrais projets de développement touristique grâce à la restauration du canal du Rhône-Rhin, nous sommes fortement demandeurs.

M. le Rapporteur : Disposez-vous de quelques crédits pour cela ?

M. François BORDRY : Je crois que Mme Voynet avait prévu des crédits de compensation sur l'aménagement de l'axe qui peuvent être consacrés à cette restauration et nous avons déjà les crédits du budget tels que nous les avons prévus.

En ce qui concerne la gestion du personnel, elle relève de l'État, du ministère de l'équipement et des services de l'équipement mis à disposition de VNF. Ce n'est pas nous qui arrêtons le nombre des agents.

En revanche, les services ont été réorganisés, ce qui était honnêtement plus que nécessaire, dans la mesure où, cet endroit étant voué à disparaître face à la CNR qui prendrait en charge le nouveau futur canal, le secteur était un peu laissé à l'abandon. Des habitudes ont été bousculées, et quelques changements dans l'organisation ont eu lieu pour aboutir à une modernisation de la gestion par les services compétents. Cela était de toute façon indispensable, c'est clair !

Il n'y a pas, pour nous, d'autres projets sur le canal du Rhône au Rhin que de très fortes ambitions dans le domaine du tourisme, il faut que vous en soyez persuadés !

Audition de M. Jean-Claude MARTINAND,
Président de Réseau Ferré de France

(Procès-verbal de la séance du mercredi 28 octobre 1998)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. Claude MARTINAND : Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je commencerai mon exposé en rappelant les missions de RFF et les grands chiffres de l'équation financière du chemin de fer.

Tout d'abord, sachez que la réforme réalisée n'a pas divisé la SNCF en deux, avec l'infrastructure d'un côté et les services de transport de l'autre. Une séparation institutionnelle, une sorte d'agence de l'État, a été mise en place pour lui permettre de contrôler le compte d'infrastructure de la SNCF - plusieurs dizaines de milliards de francs par an - et de disposer d'un outil pour le faire de manière professionnelle.

Quelles sont les missions de RFF ? Propriétaire du domaine public - ce qui est une nouveauté pour un établissement public -, nous déléguons, dans une convention unique de 16,6 milliards de francs, la maintenance et l'exploitation du réseau à la SNCF. Cette délégation est prévue par la loi. Nous travaillons évidemment sur les péages - sujet qui risque d'être tranché dans les prochains jours -, les péages cibles à l'horizon de 2001/2002, et sur la décision pour 1999.

S'agissant de la répartition des sillons, sujet brûlant, la directive 95-19, lorsqu'elle sera transposée, c'est-à-dire d'ici à la fin de l'année, précisera les missions respectives de RFF, de l'État et de la SNCF. En tant que maître d'ouvrage, nous nous occupons de la programmation des financements sous le contrôle de l'État, et dans le cadre du Comité des investissements économiques et sociaux. Nous déléguons la maîtrise d'ouvrage de la plupart des projets, ainsi que la maîtrise d'_uvre à la SNCF. En outre, nous avons la lourde tâche d'apurer le passé pour le compte de l'État et de financer l'avenir.

L'équation simplifiée du chemin de fer, que j'appelle le « carré magique », sinon « le carré tragique », est la suivante : notre perte est de 14,5 milliards de francs pour l'exercice 1997 et notre dette continue d'augmenter. Cela étant dit, les décisions du Gouvernement - 8 milliards de francs de dotation en capital en 1997, 10 milliards cette année, 13 milliards l'an prochain, puis 12 en 2000 et 2001, soit 55 milliards de francs en cinq ans - permettent d'entrevoir la stabilisation de la dette du chemin de fer, sachant que celle de la SNCF est stabilisée par une rétrocession de dette de 134 milliards de francs et de 28 milliards de francs qui ont été enlevés dans un second temps.

Les responsabilités de la SNCF, en matière d'infrastructures, sont inscrites dans la convention de gestion que j'évoquais, de 16,6 milliards de francs. La SNCF paie 6,2 milliards de francs de péages, dont 3,6 milliards de francs sont subventionnés par l'État ; elle ne paie donc que 2,4 milliards de péages, alors que le coût se situe entre 30 et 40 milliards de francs.

Les dotations publiques sont les suivantes : 11,8 milliards de francs pour la dotation aux « charges d'infrastructures » ; 3 milliards de francs de subventions d'investissement de la part de l'État, des collectivités territoriales et de l'Union européenne ; 10 milliards de francs de dotation en capital. Le programme d'investissement de Réseau Ferré de France est de 13,4 milliards de francs, dont 10,3 milliards de francs de financement sur fonds propres de RFF. Cela est extrêmement lourd et c'est la raison pour laquelle, alors que le financement du TGV Méditerranée suit toujours les anciens principes - 85 % pour RFF et 15 % pour les collectivités publiques -, le TGV Est sera financé dans une proportion inverse.

Le programme d'investissement de RFF en 1997 et 1998 est composé de trois parts : 4 milliards de francs consacrés à la régénération - le programme TGV a conduit, dans le passé, à négliger l'entretien lourd du réseau classique et l'ensemble des acteurs ont aujourd'hui la volonté de le remettre à niveau ; 6 milliards de francs en 1997 et 5,5 milliards en 1998 pour la ligne à grande vitesse TGV Méditerranée ; la troisième part étant composée de tout ce que l'on peut trouver dans les contrats État-région, y compris dans celui de l'Ile-de-France qui bénéficie de financements spéciaux, pour 3 milliards de francs, ce qui est nettement insuffisant.

Notre marge de man_uvre sera très faible tant que le TGV Méditerranée ne sera pas terminé en 2001, mais au fur et à mesure de l'avancement des travaux, nous allons pouvoir diminuer le financement sur fonds propres - qui ne correspond pas à un autofinancement sain - et accroître un certain nombre de programmes prioritaires.

Afin de bien comprendre les nouveaux mécanismes du financement des infrastructures ferroviaires, il convient de savoir que l'État décide en dernière instance des projets à réaliser, sa décision étant prise selon une logique socio-économique ou d'efficacité économique et sociale. C'est lui qui approuve les projets et les tracés, qui conduit les procédures de DUP, et qui décide de la programmation des investissements.

Dans notre texte institutif, une règle nous protège des demandes inconsidérées que pourrait nous faire l'État lui-même. Afin d'éviter la dérive financière que l'on a déplorée par le passé, l'État a intégré un article 4 dans le décret n° 97-444 du 5 mai 1997 stipulant que « RFF ne peut accepter un projet d'investissement sur le réseau ferré national, inscrit à un programme à la demande de l'État, d'une collectivité locale ou d'un organisme public local ou national, que s'il fait l'objet de la part des demandeurs d'un concours financier propre à éviter toute conséquence négative sur les comptes de RFF sur la période d'amortissement de cet investissement ».

Cela peut vous conduire à penser que nous raisonnons uniquement selon une logique financière, ce qui est faux. C'est la logique de financement qui s'impose à nous et aux autres cofinanceurs. Le problème est donc celui des crédits publics, sachant que, à ce jour, l'État a la contrainte la plus forte dans le cadre du FITTVN, source unique - à part l'Ile-de-France - de financement des infrastructures ferroviaires. Même si le FITTVN sera augmenté dans son chapitre ferroviaire, il s'agit bien de la contrainte principale.

En fait, plus RFF dispose d'autofinancement, plus il réalise de projets, ce qui nous conduit à prendre en compte les données économiques et la rentabilité socio-économique de manière plus nette que dans le passé. Par ailleurs, si l'on souhaite réaliser de nombreux projets dans le cadre des contrats État-région, il conviendra de ne retenir que les meilleurs d'entre eux.

Comme il est bon, pour faire de la prospective, de se retourner sur son passé, remontons aux Phéniciens : Mare nostrum, la Méditerranée. Depuis longtemps de nombreuses personnes se sont intéressées à la logique euro-méditerranéenne, et les Phéniciens ont été, pendant quelques siècles, les maîtres de la Méditerranée. La Méditerranée occidentale nous intéresse plus particulièrement pour des raisons évidentes, géographiques et historiques.

Si l'on regarde les voies romaines, nous retrouvons l'axe Rhône-Saône-Doubs-Seine, le grand isthme gaulois - le petit isthme gaulois étant Narbonne-Toulouse-Bordeaux. Le grand isthme gaulois partait, quant à lui, d'Arles - Arelatum le grand port de l'époque en concurrence avec Marseille -, remontait par Lyon et avait tendance à aller vers la Seine ou vers Trêves, Coblence, Cologne plutôt que de remonter le Doubs. On s'aperçoit qu'un n_ud majeur varie dans le temps : tantôt il est à Dijon, tantôt à Beaune ou à Autun ; il y a un tronc commun entre Arles et cette zone, puis trois branches qui concernent la Lotharingie, si l'on peut dire. La question est donc de savoir aujourd'hui comment il est possible, par les infrastructures, d'avoir un effet sur le développement économique et territorial.

Si l'on analyse la problématique du rapport entre la croissance des transports et la croissance économique, on constate que la première est liée à la seconde, suivant les fluctuations de la conjoncture et des cycles économiques.

Les moyens de transport sont des facteurs de croissance économique - voir les physiocrates, les saint-simoniens ou les théories de la croissance endogène. Ces théories sont controversées, parce que les infrastructures sont une condition nécessaire mais pas suffisante pour qu'il se passe quelque chose. Les théories de l'économie spatiale appuyée sur des analyses économiques précises, démontrent qu'il ne se passe quelque chose qu'aux n_uds des réseaux. Par ailleurs, il ne se passera quelque chose que si les acteurs économiques et sociaux prennent des initiatives sur place, pour bénéficier de l'apport d'infrastructures nouvelles.

Les transports ont-ils un effet sur la localisation des activités ? Oui, certainement, mais il s'agit d'un effet à long terme. Il faut également s'interroger sur le bon niveau d'analyse : certaines multinationales choisissent leur implantation à l'échelle de l'Europe, alors que d'autres raisonnent au niveau national, régional voire local.

Les mécanismes de l'offre et de la demande évoluent : on améliore l'offre d'infrastructures, voire on anticipe la demande. On localise un certain nombre d'activités nouvelles qui génèrent des demandes futures - et l'on sait que dans les transports les rendements sont croissants.

Certains affirment que les effets structurants sont un mythe politique ; je pense cependant qu'il existe un rapport entre les réseaux d'infrastructures et les territoires. D'ailleurs, lorsque Mme Cresson était Premier ministre, un groupe d'études et de mobilisation (GEM) avait publié un ouvrage sur le sujet. Au niveau urbain, les problèmes sont encore plus visibles aujourd'hui : ségrégation, accessibilité, rôle des transports urbains dans l'organisation de l'espace des agglomérations.

Il existe, par une série de mécanismes très puissants au plan mondial, un effet de polarisation de l'espace et une « métropolisation » tout à fait évidente. Lorsqu'on veut faire de l'aménagement du territoire, il convient de bien comprendre ces mécanismes afin de déterminer dans quelle mesure on peut aller contre eux ou, au contraire, essayer de les utiliser pour infléchir et diffuser le développement économique. Il s'agit de ne pas réserver à quelques n_uds privilégiés, aboutissant à une concentration toujours plus grande des populations, des activités et des nuisances.

Vous connaissez les schémas du géographe Roger Brunet (GIP Reclus), notamment celui de la « banane bleue ». Il y a également le scénario de l'inacceptable, c'est-à-dire celui dans lequel tout se passe vers l'Est pendant que les deux tiers de la France sont à l'écart du développement.

S'il est vrai que les tendances naturelles privilégient les axes Nord-Ouest/Sud-Est, il serait bon de les corriger un peu en créant des axes Nord-Est/Sud-Ouest. Nous sommes là au c_ur du sujet avec le TGV Rhin-Rhône, le TGV Languedoc-Roussillon, c'est-à-dire la liaison entre l'Allemagne du sud, l'Espagne et l'Italie par l'isthme français et non par le Brenner, le Loetschberg ou autre. Il s'agit donc d'engager un certain nombre d'actions volontaristes, au niveau du territoire européen, pour mettre en liaison l'Allemagne du sud, l'ensemble des régions françaises dont on parle aujourd'hui, l'Italie et l'Espagne.

S'agissant de la théorie de Roger Brunet sur les points nodaux stratégiques, vous pouvez constater que certains points - en noir sur le transparent - vivent vraiment, contrairement à un ou deux autres points qui devraient être actifs, mais ne le sont pas ; je veux parler de Dijon, Beaune, Dole et Gevrey-Chambertin qui, au lieu de coordonner leurs actions, sont en concurrence. Il conviendrait donc de polariser un certain nombre d'actions fortes et d'agir en commun. Nous pouvons faire le même constat du côté de Bâle-Mulhouse.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions concernant le TGV Rhin-Rhône. Vous savez que la décision gouvernementale du 4 février a, non pas décidé la réalisation du TGV Est - comme certains peuvent le dire -, mais confirmé que l'État était disposé à engager jusqu'à 8 milliards de francs dans la mesure où le tour de table serait bouclé, ce qui n'est pas encore le cas. Par ailleurs, le Gouvernement a décidé de poursuivre les études pour mettre à l'enquête publique la branche Est-Ouest du TGV Rhin-Rhône - soit Dijon-Mulhouse - et d'étudier une première phase allant de Besançon à Mulhouse - sans exclure d'analyser toutes les possibilités de phasage de ce TGV. Il a également décidé de poursuivre les études de la branche Sud en essayant de rattraper le retard sur la branche Est-Ouest, avec tous les problèmes délicats que cela pose entre les gens du Jura, de la Bourgogne, pour déterminer comment procéder en phases provisoire et définitive - sachant que pour la deuxième partie les représentants de la région Rhône-Alpes ont été associés au dernier comité de pilotage.

Ce projet a une petite longueur d'avance sur les autres projets de TGV, mais il se place derrière le TGV Est qui, me semble-t-il, a toutes les chances de se réaliser. Il s'agit d'ailleurs d'un projet indispensable - à dimension européenne très marquée - eu égard aux possibilités de trafic, que l'on a certainement sous-estimées : dans une Europe en voie d'unification, l'effet de frontière va progressivement s'effacer avec l'Allemagne dans les prochaines décennies.

Il nous appartient donc de bien évaluer les enjeux afin d'inscrire un certain nombre d'actions volontaristes dans les différentes régions, les différentes agglomérations et pour profiter du développement dans une vision géostratégique.

M. le Président : Monsieur le président, je vous remercie de votre exposé, notamment de votre rappel historique. Il est bon d'élever le débat de temps en temps !

Je voudrais vous rappeler que si le titre de cette mission est aussi complexe, c'est parce que nous voulons montrer toutes ses ambitions. Il s'agit d'une « mission d'information commune sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône ». Nous voulons étudier les retombées de la non réalisation du projet de canal Rhin-Rhône, en tenant compte d'éléments très puissants tels que la « banane bleue », de la nécessité de relier la Rhénanie à la région parisienne, etc.

Mais si nous avons une préoccupation d'aménagement du territoire, c'est précisément parce que nous souhaitons imposer une volonté d'aménager et non pas simplement prendre en compte des flux qui peuvent se développer à perpétuité en laissant se marginaliser des pans entiers du territoire national. Cela, nous ne pouvons pas l'accepter.

Nous avons pris acte de la décision du Gouvernement de refermer le dossier du canal Rhin-Rhône, mais partisans et adversaires du canal se sont rassemblés au sein de cette mission pour, dans un délai raisonnable - et après bon nombre de déplacements et d'auditions -, interpeller les pouvoirs publics pour que les flux de développement économique, de transport et de déplacement, soient facilités avec le Sud de la France.

Deux axes se dégagent de façon naturelle dans le développement et l'aménagement du territoire européen, ce sont l'axe du Rhin, dans l'axe de la « banane bleue », et celui du Rhône. Or, il existe une rupture très préoccupante pour tout ce secteur Est et Sud-Est de la France, qui se situe entre l'axe rhénan et l'axe rhodanien. Le canal était une solution, elle est mise de côté par le Gouvernement, il convient donc d'en trouver d'autres.

Le fer peut apporter des solutions à la fois pour le transport à grande vitesse et pour le fret. Nous voudrions, à la fin de notre mission, pouvoir donner une lisibilité à des solutions qui raccorderaient les grands axes rhénan et rhodanien.

Il en va de l'intérêt des régions qui se trouvent entre ces deux axes, certes, mais également de celui des régions Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon ou PACA. La moitié du territoire national est donc intéressée par la réponse que nous pourrons donner à cette question.

Vous avez parlé de l'intérêt à la fois du TGV Est et du TGV Rhin-Rhône. Vous paraît-il rationnel de mettre sur la table simultanément ces deux projets ?

Ou bien le fait d'avoir parlé d'une première phase Dijon-Mulhouse nous permet-il d'avancer dans les choix d'aménagement du territoire que nous avons à proposer à l'État ?

M. Claude MARTINAND : Il y a plus d'un an, M. Gayssot a demandé à M. Gallois et à moi-même d'éclairer les choix du Gouvernement sur l'ensemble de la poursuite du schéma directeur des lignes à grande vitesse. Nous allons très prochainement lui remettre notre copie commune - avec quelques différences d'appréciation sur certains points, le transporteur n'ayant pas les mêmes contraintes que le gestionnaire d'infrastructures.

Il est difficile d'expliquer aux Bretons, aux Aquitains, aux Languedociens, aux Rhône-alpins ou aux Franc-comtois qu'il ne se passera rien chez eux tant que le TGV Est ne sera pas terminé. Nous avons donc élaboré des scénarios qui tiennent compte des conclusions réalistes du rapport Rouvillois, des propositions qui sont à la fois crédibles et qui constituent une perspective positive pour l'ensemble des régions concernées.

Nous avons proposé de déterminer, dans chaque projet, une première phase d'un coût de 5 à 7 milliards de francs, de manière à pouvoir mener en parallèle les cinq autres projets. Comme nous sommes prudents, qu'il ne nous appartient pas de décider quelles sommes il convient d'engager dans le FITTVN ou quelle est la programmation, nous avons travaillé sur deux plans, soit sur une durée d'environ 14 ans. Nous sommes donc en mesure - peut-être avant la fin du TGV Est - de démarrer d'autres projets qui pourraient être Angoulême-Bordeaux, Figueras-Perpignan, Nîmes-Montpellier, Satolas-Chambéry, et le TGV Rhin-Rhône qui a une longueur d'avance sur les autres projets, étant donné qu'il est mentionné explicitement dans la décision du 4 février.

Je ne veux pas m'exprimer à la place du Gouvernement, mais je pense qu'il existe des solutions qui permettraient, dans le montage financier, d'organiser les cofinancements de telle sorte que ces projets démarrent le plus rapidement possible avant même que l'État ne soit en mesure d'intervenir. Il est évident que, dès que l'on aura terminé le TGV Est, nous serons très à l'aise pour réaliser ces cinq projets en parallèle. Ils ont, en effet, une rentabilité permettant d'envisager un autofinancement de RFF de l'ordre du tiers de leur coût, alors que le TGV Est devrait coûter 18,7 milliards de francs dont seulement 2,7 milliards de francs financés par le système ferroviaire.

Personnellement, je pense qu'il serait bon que le projet du TGV Rhin-Rhône démarre avant la fin du XIIe plan et avant la fin du TGV Est. Le temps de conduire les études et les procédures qui sont, vous le savez, de plus en plus complexes et risquées - il a fallu plusieurs mois avant de solder tous les recours contentieux concernant la réalisation du TGV Est. Nous savons parfaitement, par exemple, que nos amis de la vallée de l'Ognon ne manqueront pas de contester l'idée même d'un TGV Rhin-Rhône, nous expliquant que l'on pourrait passer par les lignes existantes, avec quasiment le même temps de parcours. C'est certainement vrai entre Dijon et Dole, où l'on peut rouler assez vite, mais pas entre Besançon et Mulhouse où la voie n'est pas très bonne et où l'on peut gagner du temps.

M. le Rapporteur : Il existe un accord total sur un certain nombre de points, notamment sur le fait de procéder aux études pour la partie Mulhouse-Dijon. Toutes les parties concernées sont également d'accord pour réaliser une nouvelle ligne entre Besançon et Mulhouse. Les opinions divergent lorsqu'il s'agit de savoir si nous devons faire une première tranche Mulhouse-Petite-Croix-Besançon, puis partir provisoirement sur Dole avec la possibilité de desservir le sud du Jura et permettre, par cette voie, l'accès du fret, ou une voie Auxonne-Petite-Croix ou Auxonne-Mulhouse, avec les difficultés que cela posera en termes de financement.

M. André VAUCHEZ : Monsieur le rapporteur, il est indispensable que les Franc-comtois et les Alsaciens se raccrochent le plus rapidement possible à Paris, nous sommes tous d'accord sur ce point. Nous sommes également d'accord en ce qui concerne la première phase Mulhouse-Besançon. Cependant, il convient de ne pas oublier que sur les 91 kilomètres reliant Dijon à Besançon, 19 kilomètres restent à aménager - les trains pouvant atteindre 200 km/h sur 72 kilomètres.

Reste le problème de Dole. On ne peut pas faire passer tous les trains par Dole, et les Jurassiens en sont conscients. Or Dole se trouve à la pointe d'un V et il est très facile, nous semble-t-il, d'aménager une déviation. Nous détenons un projet intéressant sur le plan économique, et avancer la date de son exécution ferait gagner du temps à tout le monde. Enfin, nous sommes tous intéressés par le tronçon Aisy-Dijon.

M. Claude MARTINAND : Je vous rassure, monsieur le député, nous allons approfondir l'étude du tronçon Aisy-Dijon. Mais, comme vous le savez, je ne fais qu'exécuter les directives ministérielles et gouvernementales. Par ailleurs, la traversée de Dijon va également faire l'objet d'études complémentaires.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Il est vrai que tout le monde est favorable à la réalisation d'une liaison rapide reliant le nord de la Franche-Comté à Paris. En revanche, il est nécessaire de travailler sur la question du raccordement, sur la logique Sud Rhin-Rhône. L'endroit du raccordement aura une incidence sur le développement et le positionnement de la Franche-Comté, qu'il s'agisse du transport des hommes ou de celui des marchandises.

J'ai été très intéressée par votre rappel historique, M. Martinand. Il apparaît clairement que deux axes ont toujours été présents : le premier remontant vers le Nord via Dijon, le second suivant la logique Lyon-Bourg-en-Bresse-Besançon-Belfort - l'axe du Rhin, l'Alsace. C'est la même problématique qui est posée aujourd'hui - pour les hommes comme pour les marchandises. Il s'agit, pour les gens du Sud de la Franche-Comté, d'un véritable enjeu d'équilibre régional. Nous souhaitons que la Franche-Comté puisse jouer à nouveau ce rôle d'équilibre, comme elle l'a déjà fait dans le passé.

La question principale, concernant le tracé de la branche Sud, est la suivante : d'où partira-t-elle : de Besançon, de Dole ou de Dijon ?

Par ailleurs, la discussion doit surtout porter sur le transport des marchandises. Pensez-vous que les lignes TGV pourront, un jour, être utilisées par le fret ?

M. Claude MARTINAND : Les lignes TGV libèrent de la capacité sur les lignes du réseau classique fret - bien que les n_uds du réseau restent très difficiles, que ce soit à Metz, Lyon, Nîmes ou Montpellier. Vous me demandez si les lignes nouvelles pourront être utilisées par le fret. Sachez, mesdames, messieurs les députés, que je suis défavorable aux projets visant à créer des lignes nouvelles réservées aux seuls TGV, avec des gares en rase campagne ! Je suis opposé à ces gares isolées qui n'échangent pas avec les TER et qui obligent le fret à passer dans les centres-villes. C'est la raison pour laquelle, si la proposition commune avec la SNCF aboutit, nous réaliserons des déviations fret à Nîmes et à Montpellier, déviations qui pourront être utilisées par les TGV directs.

En ce qui concerne Besançon, la question est la suivante : y aura-t-il un jour une gare à dix kilomètres de Besançon qui n'échangera pas avec les TER ? Je ne suis pas pour ma part favorable à une telle solution.

M. le Rapporteur : Il est important pour les élus bisontins que Besançon, capitale régionale de la Franche-Comté, continue à être desservie par des TGV. En revanche, je ne crois pas non plus à ces gares en rase campagne.

M. Claude MARTINAND : Cela étant dit, je reconnais que, dans un certain nombre de cas, la traversée de la ville peut être une solution provisoire avant la réalisation d'une déviation pour les trains qui ne s'arrêtent pas - c'est d'ailleurs ce qui se passe à Lyon.

Si la première phase est la réalisation du tronçon Besançon-Mulhouse et non celui de Dijon-Belfort comme le préconisent certains, cela veut dire que l'on passera par la gare de Besançon-Viotte, et donc par Dole ; or cela interférerait avec le tracé de la branche Sud. Cependant, il nous appartient, non pas de prendre position, mais de donner tous les éléments d'appréciation à l'ensemble des décideurs nationaux et régionaux.

Le fret passera-t-il sur la ligne du pied du Revermont ? Il s'agit d'une question qui concerne Dijon, Ambérieu, Modane, c'est-à-dire tous les flux qui vont vers l'Italie et que l'on essaie d'améliorer sans attendre le grand tunnel que l'on ne réalisera pas avant 20 ou 30 ans. Nous devons envisager les problèmes sous tous les angles - fret, voyageurs, voyageurs grandes lignes, TGV, voyageurs TER, effets de réseau - et tout le monde ne sera pas satisfait. Nous devrons faire un choix entre la Bourgogne et la Franche-Comté qui, à long terme, sera lourd de conséquences.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Il serait vraiment grave de se retrouver dans un système où les hommes passeraient à l'extérieur de la ville et le fret à l'intérieur. Je pense à Besançon. Ce serait un réel dysfonctionnement.

M. Claude MARTINAND : Il y aura effectivement des contradictions sévères à surmonter.

M. Renaud MUSELIER : La stratégie envisagée par le passé, à savoir le « tout TGV » en termes d'investissement, nous permet-elle de posséder une avance technologique importante sur nos voisins européens, et d'imposer, dans les réseaux que nous tissons actuellement, notre technologie sur les différents réseaux ferrés européens ?

Cette politique du " tout TGV " n'a-t-elle pas des conséquences importantes en ce qui concerne, d'une part, les collectivités territoriales, et, d'autre part, une possibilité de privatisation des lignes à terme ?

Par ailleurs, dans le sud de la France, l'axe rhodanien aboutit aux Bouches-du-Rhône, à Arles, Marseille. La fin de la liaison Rhin-Rhône y entraîne une diminution de la puissance économique de notre n_ud. Dès lors, il convient de faire la distinction entre les hommes et le fret ; il est important, pour un grand port comme Marseille, d'avoir une capacité de services sur l'ensemble du territoire, qui passe par le rail comme par la route.

Un grand port fonctionne s'il est fiable, compétitif et s'il possède une bonne logistique. Naturellement, vous participez à l'amélioration de notre compétitivité par l'intermédiaire de la logistique, puisque la desserte en termes de conteneurs ou de roulants fait en sorte que l'on ne se retrouve pas dans la problématique du TGV.

Comment pouvons-nous imaginer, dans le cadre de notre mission, une stratégie qui serait mise en place par vos services et qui viserait à aménager et à aider le développement commercial de l'activité du fret sur tout notre territoire ?

Vous avez parlé de l'orientation Sud-Ouest/Nord-Est, mais n'oubliez pas qu'il y a également beaucoup de monde entre le Sud-Ouest et le Sud-Est ; c'est l'autre « banane », l'arc méditerranéen.

M. Claude MARTINAND : J'avais organisé à Arles - M. Vauzelle doit s'en souvenir - une réunion des services de l'équipement avec les Italiens et les Espagnols relative à l'aménagement et aux transports de l'arc latin. Je crois beaucoup à cette idée. Je suis désolé qu'à ce jour, les études concernant le prolongement d'un TGV vers la Côte d'azur soient arrêtées. J'espère qu'elles seront reprises, en liaison avec les Italiens.

S'agissant de la privatisation des lignes, je vous rappelle que celle-ci est contraire à la loi. Je suis légaliste et, en tant que fonctionnaire, j'applique les lois que vous votez. La privatisation d'une ligne ne serait possible que dans le cadre de traités internationaux - et concernerait une ligne du type Figueras-Perpignan ou la partie internationale de la liaison Lyon-Turin.

Le financement des projets est un sujet que je connais bien, étant moi-même un partisan de la gestion déléguée. Je me suis rendu dans vingt-six pays pour vanter les mérites de l'expérience française. RFF est capable d'emprunter à trente ans à des taux d'intérêt à peine plus élevés que 5 %. Existe-t-il un seul opérateur privé qui puisse emprunter actuellement à ce taux ? Non. Par ailleurs, les taux d'intérêt des emprunts à trente ans sont plus bas que ceux à quinze ans, ce qui est paradoxal. RFF est donc imbattable sur le financement de projet.

Je connais suffisamment le financement privé pour savoir qu'il ne fait pas le poids face au financement public. Un opérateur privé ne peut financer des projets qui n'atteindront jamais la rentabilité financière suffisante pour être autofinançables. J'ajoute même que le financement privé a tendance à coûter plus cher, puisqu'il nécessite des garanties sérieuses face aux risques élevés.

Le seul intérêt à faire du financement de projet, c'est qu'il nous oblige à analyser les risques et à essayer de les couvrir. Lorsqu'il y a des sinistres publics, on « met un mouchoir dessus » et on n'en parle plus : ça a coûté 30 % de plus que prévu, il y a 30 % de moins de trafic que prévu, les tarifs sont 30 % moins élevés que prévu, c'est donc un vrai sinistre pour ceux qui l'on financé, mais cela ne fait l'objet que de quelques lignes dans le rapport de la Cour des comptes ! S'il s'agit d'un sinistre privé, il se voit, et certains, tels que le Crédit local de France pour Orlyrail, ou les petits actionnaires et les banques pour le tunnel sous la Manche, doivent payer. Cela nous oblige donc à être beaucoup plus rigoureux dans la conception du projet, dans sa réalisation et dans son exploitation. Si nous nous efforçons de respecter cette démarche de rigueur économique et financière, nous aurons les avantages du financement de projet sans en craindre les dangers, voire les tares, dans certains cas.

En ce qui concerne l'interopérabilité ou l'interconnexion, on trouve, dans le traité de Maastricht, un titre 12 relatif aux réseaux transeuropéens qui prévoit l'interconnexion des réseaux, notamment ferroviaires - Thalys ou Eurostar, quatre courants, quatre systèmes de signalisation ! La directive d'interopérabilité ne sera mise en oeuvre que pour les nouveaux projets et cela prendra quelques années. Le chemin de fer n'aura un développement durable qu'à l'échelle du territoire européen, notamment pour le fret, sachant que le transport ferroviaire de marchandises est pertinent au-delà de 300 à 500 kilomètres.

Pour nous, le fret est très important. Il s'agit d'ailleurs de la première question que nous avons étudiée avec Fret-SNCF et les opérateurs de transports combinés. Les ports sont également importants puisqu'ils représentent l'entrée sur le territoire national ; ceux qui ont une vocation internationale sont les ports de Marseille-Fos, Le Havre-Rouen, et peut-être Dunkerque. Il convient donc de les relier aux corridors européens de fret ; c'est la raison pour laquelle nous nous sommes battus pour que le port de Marseille soit rattaché au premier couloir Anvers-Lyon-Italie et à l'Espagne. Nous nous battons vis-à-vis des Allemands pour réaliser un corridor Le Havre-Metz-Allemagne, ou un corridor avec les Anglais, jusqu'en Hongrie.

Telle sera la structuration des grands flux ferroviaires - ou rail-route - à moyen terme. Il est donc vital de disposer, dans et derrière les ports, de tous les éléments nécessaires : plates-formes logistiques, chantiers rail-route. Le débat autour de Marseille n'est pas facile, car à ce jour il existe des chantiers urbains, tels que Le Canet, Distriport, ou Avignon-La Courtine qui est saturé et qu'il conviendrait de dédoubler d'urgence pour faire face à la demande de trafic, et un projet de plate-forme logistique, Grans-Miramas. Par ailleurs, il existe des trafics particuliers de fruits et légumes qui ne relèvent en général pas du combiné - ce sont des trains complets.

Dans le cadre du prochain contrat de plan, je pense que toutes ces questions trouveront des solutions, des programmations, des réponses cohérentes pour donner toutes ses chances au port de Marseille auquel les atouts ne manquent pas et qui doit devenir le grand port de l'ensemble de la Méditerranée. Il faut surmonter les difficultés.

M. Bernard SCHREINER : Je suis élu de l'Alsace du nord, et loin de moi l'idée de vouloir opposer le TGV Est au TGV Rhin-Rhône ! Vous venez de parler d'un axe Le Havre-Metz-Allemagne ; il y a naturellement le raccordement du Rhin-Rhône sur l'ICE allemand. La première phase du TGV Est est prévue entre Metz et Vandières. Avec tous ces axes, n'y a-t-il pas à craindre pour la réalisation du TGV Est européen, c'est-à-dire Paris-Strasbourg vers l'Allemagne ? Où en est exactement l'APD ? Où en sont les projets d'acquisition de terrains ? Y aura-t-il quelques points forts dans cette première phase qui marqueront la volonté du Gouvernement d'aller jusque sur les bords du Rhin pour raccorder Strasbourg à l'ICE ?

M. Claude MARTINAND : Dans la première phase, un nouveau pont est explicitement prévu pour relier l'agglomération de Strasbourg à Kehl. Par ailleurs, les liaisons de voyageurs paraissent avoir vocation à passer par la plaine d'Alsace. Je sais bien que la Lorraine étudie les conflits d'usage dans le couloir mosellan, les besoins de renforcement de ce couloir, mais il me semble que ce qui est prévu concerne bien Strasbourg, Mulhouse, le Rhin-Rhône et au-delà.

En ce qui concerne le TGV Est, la combinaison de la loi de réforme des chemins de fer, d'une part, et de la loi sur la maîtrise d'ouvrages publics, d'autre part, nous a obligés à mettre en compétition la maîtrise d'oeuvre au titre des directives européennes sur les secteurs exclus.

Nous avons sélectionné cinq groupes, en juillet, dont un groupe étranger. Nous leur avons demandé de répondre à la compétition - notamment sur le coût d'objectif - et de proposer des modifications du projet pour essayer de diminuer son coût ou de l'améliorer, par exemple en suggérant une localisation judicieuse de la gare lorraine. Nous devrions recevoir ces offres dans quelques jours. Le calendrier devrait nous permettre de signer des contrats avec deux, trois ou quatre co-contractants ou maîtres d'_uvre qui s'engageront sur des coûts d'objectif au début de l'année prochaine.

Je voudrais vous dire que nous avons acheté à la SAFER de Champagne-Ardenne 18 hectares de vignoble de champagne pour faire les échanges avec l'emprise du TGV, de manière à minimiser les coûts d'indemnisation correspondants.

Mme Gilberte MARIN-MOSKOVITZ : M. Martinand, je représente le Nord de la Franche-Comté qui se trouve très enclavé, mais je ne reviendrai pas sur tous les débats qui ont déjà eu lieu.

J'ai rencontré hier M. Gayssot qui m'a affirmé que la décision de lancer la DUP était établie et qu'il confirmait les décisions prises le 4 février. Je voudrais vous parler, non seulement de la longueur des études, mais également de la façon de mettre en route des plans de financement pour faire avancer un projet. Les élus régionaux et départementaux sont prêts à apporter une contribution financière à cette réalisation ; il n'y a là aucun problème de volonté politique pour trouver les financements.

Quel sera le déroulement de ce projet dans le temps ? Je dois avouer que je suis toujours aussi inquiète quant aux solutions proposées, car le Nord de la Franche-Comté est à nouveau pénalisé.

M. Claude MARTINAND : Le 4 février, le Gouvernement a décidé de poursuivre les études pour constituer un dossier de mise à l'enquête d'utilité publique - dans lequel seront étudiées toutes les hypothèses de raccordement à Mulhouse et à Besançon. Se précipiter, en la matière, pourrait se retourner contre nous, car si des contestations locales naissent par la suite, nous n'avancerons pas plus vite.

Le préfet Guéant, en accord avec le président du Comité de pilotage, a déjà réuni ce dernier deux fois ; nous ne traînons donc pas les pieds. M. Alain Combes, que Louis Gallois a gardé en double fonction quelques semaines, se réinstalle à Besançon, ce qui est un gage de continuité. Il s'agit clairement du projet qui doit arriver après celui du TGV Est. Par conséquent, votre inquiétude ne me semble pas justifiée, madame la députée. Les Aquitains et les Bretons pourraient être plus inquiets en ce qui concerne leurs propres projets.

Selon le calendrier, ces études - qui sont très lourdes - devraient être terminées d'ici à la fin de l'année prochaine. Les lois sont plus complexes qu'auparavant, et il convient dorénavant de prendre en compte la loi sur l'eau, la loi Barnier qui prévoit des enquêtes, des commissions, et la procédure judicieuse de consultation de la circulaire Bianco. Y aura-t-il une commission de suivi du débat ? Je n'en sais rien. Tout cela fait que les études sont plus longues, les intéressés souhaitant que toutes les garanties soient prises. Mais soyez rassurée, le processus est bien lancé.

Je reviendrai sur la question concernant le TGV fret. Il semble qu'à ce jour, non pas sous forme de rames TGV, mais sous forme de trains qui pourraient rouler à 220 km/h ou plus, l'idée d'avoir un certain nombre de liaisons fret express fait son chemin, y compris à la demande de certains aéroports qui voient leurs plates-formes saturées à terme, comme Francfort. L'idée de créer des liaisons entre les trois ou quatre grands aéroports européens, qui déchargeraient le ciel d'un certain nombre de vols moyenne distance au profit des longs courriers, est une idée qui progresse. M. Toubol, le directeur de Fret-SNCF, étudie ce type de projet, notamment sur la ligne Paris/Sud-Est, mais pas sous forme de rame TGV.

Si nous voulons utiliser les lignes TGV pour le fret, il conviendrait de les faire passer en fin de journée, après le dernier TGV, ou en début de matinée, sans entrer en conflit avec les temps d'entretien de la voie.

M. Gérard VOISIN : M. Martinand, les propos que vous avez tenus m'intéressent particulièrement, dans la mesure où ma circonscription comprend la gare de Mâcon-Loché TGV. Donc la liaison Rhin-Rhône intéresse tant la population que les décideurs politiques et techniques de cette région.

Comment la jonction se fera-t-elle : par Dijon, au niveau de la gare de Montchanin, à l'Est de Mâcon-Loché ou directement vers Lyon ?

M. Claude MARTINAND : Monsieur le député, non seulement je suis dans l'incapacité de vous répondre, mais je n'ai pas d'avis, le sujet étant bien trop complexe. Le Gouvernement a demandé de poursuivre et même d'activer les études, parallèlement à celles concernant la DUP de Dijon-Mulhouse. Les différentes options que vous venez d'évoquer seront certainement étudiées et comparées. En toute hypothèse, je pense que l'on aura rejoint la ligne Paris/Sud-Est à Mâcon-Loché au plus tard - ou beaucoup plus en amont si l'on passe par Dijon, bien entendu.

Il ne s'agit pas simplement d'une question de transport, mais d'un véritable sujet d'aménagement du territoire. Je suis donc très sensible à ces questions et je n'imagine pas que l'État puisse faire de tels choix sans disposer de l'ensemble des éclairages - et pas seulement de ceux des transporteurs.

M. le Rapporteur : Sachez, M. Martinand, que l'ensemble des décideurs et politiques franc-comtois veulent trouver une solution pour désenclaver le nord de la Franche-Comté. Simplement, il convient de trouver une solution qui soit la plus consensuelle possible - notamment entre les collectivités locales qui devront participer au financement - pour ne pas bloquer le projet.

M. Claude MARTINAND : L'accord sur la convention de financement des études est déjà un gage important de la volonté des collectivités d'avancer sur ce projet.

M. le Rapporteur : Il convient effectivement qu'un consensus s'établisse, sinon nous prendrons du retard dans ce projet qui me paraît essentiel.

L'un des objectifs de cette mission est d'étudier les solutions possibles pour pallier l'abandon du canal Rhin-Rhône. Comment voyez-vous l'articulation du réseau Rhône sur le Rhin pour le fret qui ne pourra plus passer par le canal ? Pensez-vous que le rail pourra accueillir le fret ? Et par quelle direction ?

M. Claude MARTINAND : Je constate tout d'abord qu'il n'y avait pas de grand canal
- mais un petit canal Freycinet avec des péniches à 38,5 mètres - et que le trafic était faible. Mais le trafic est également faible sur le chemin de fer, alors qu'il n'existe aucun problème de capacité sur cette liaison. Ce n'est pas non plus un problème d'électrification, il suffit de voir ce qui se passe aux États-Unis. Il s'agit donc d'une liaison où les flux ne sont pas très importants ; or il ne nous appartient pas d'orienter les marchandises. Les chargeurs sont très attentifs à leur coût, au temps du parcours, à la qualité du service. Il est évident que les flux de marchandises sont plus importants sur la région parisienne ou à Metz. La rocade minière française est une voie dédiée au fret et elle est très chargée.

M. le Président : Nous arrivons au terme de notre audition, mais je souhaiterais, monsieur le président, avant que nous nous séparions, que vous nous indiquiez les calendriers. Vous avez parlé de première phase pour le TGV Est, mais je voudrais que vous nous rappeliez clairement comment se mettent en phase les deux calendriers TGV Est et TGV Rhin-Rhône.

M. Claude MARTINAND : Le TGV Est est prévu pour 2005. Le TGV Méditerranée devait arriver en l'an 2000 à Marseille, il n'arrivera qu'en juin 2001. Le calendrier actuel prévoit donc la fin du TGV Est en 2005 sur Vaires-Vandières - bifurcation vers Metz et Nancy. Le Gouvernement nous a autorisés à examiner la solution d'aller jusqu'à Baudrecourt - bifurcation vers Strasbourg et Sarrebruck. Il ressort des études que ce morceau de ligne supplémentaire, qui n'est pas très long, est autofinançable dans sa totalité - et ce, du fait de l'accroissement de qualité du service à la fois vers Strasbourg et vers l'Allemagne. Cependant la décision définitive n'est pas prise.

S'agissant du TGV Rhin-Rhône, les études seront présentées d'ici à la fin de l'année prochaine, l'enquête d'utilité publique aura donc lieu en 2000. Ce sera en tout état de cause assez long, puisqu'il y a toute une série de procédures qui conduisent au conseil d'État et à la déclaration d'utilité publique.

Comme je ne peux pas me prononcer à la place du Gouvernement, je ne puis vous dire quand ce dernier sera en mesure de mettre en place ses propres financements. Seuls le ministre chargé des transports, le Premier ministre pourraient vous répondre. Les seules décisions dont je peux vous parler sont celles qui ont été prises le 4 février. Cependant, il ne serait pas raisonnable de passer sous silence, pendant dix ans, les autres projets. Nous serons donc amenés, un jour ou l'autre, à préciser les calendriers.

Par ailleurs, les élus seront peut-être amenés à souligner que le volet ferroviaire du FITTVN n'est pas suffisant pour mener tous les projets à la fois.

M. Gérard VOISIN : S'agissant des contrats de plan État-région, il n'est donc pas raisonnable de penser à 2000-2006.

M. Claude MARTINAND : Si je me réfère aux courriers de M. Gayssot et de Mme Voynet, le Premier ministre a tendance à mettre hors contrat de plan les cofinancements éventuels des lignes nouvelles.

Audition de MM. Jean-Claude BERTHOD, Président directeur général de Novatrans, Président du Comité de liaison du transport et de la logistique (CLTL)
et vice-président de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR)

et Jacques DUMERC, Directeur de Novatrans

(Procès-verbal de la séance du mercredi 4 novembre 1998)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue au sein de notre mission, au titre quelque peu compliqué, mais qui montre bien le cadre de notre travail parlementaire : mission d'information commune sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône.

Un problème de liaison caractérise l'axe rhodanien et l'axe rhénan, axes d'aménagement du territoire national, forts importants pour toutes les régions concernées, de Provence-Alpes-Côte d'Azur et Languedoc-Roussillon jusqu'à l'Alsace, en passant par toutes les régions représentées ici.

La liaison présente une rupture que le canal Rhin-Rhône aurait pu pallier. Ce projet ayant été mis de côté, nous devons étudier des solutions s'inscrivant dans le sens du désenclavement ou de l'amélioration des flux dans les régions qui auraient pu être desservies ou reliées par le canal.

La solution que vous représentez, M. Berthod, à travers votre société, est intéressante, non seulement pour l'axe Rhin-Rhône, mais aussi pour d'autres liaisons vers le Nord de la France ou d'autres transversales. On relève l'engorgement des routes et des autoroutes, les problèmes de pollution, la saturation de la vallée du Rhône. Bref, le ferroutage et tout dispositif lié peuvent apparaître comme une solution d'avenir.

Nous souhaitions vous entendre. M. Berthod, quand on lit votre curriculum vitae, on est impressionné par votre expérience, par le nombre de vos qualités, titres et fonctions. Vous figurez parmi les personnalités les plus compétentes dans ce pays pour renseigner la mission sur le transport combiné rail-route, sur sa valeur économique, son présent, son avenir, sur les types de marchandises transportées, les distances, sur les avantages de cette solution et les problèmes rencontrés.

Au-delà de ce propos général, sans doute conviendrait-il que vous nous indiquiez les perspectives qui, selon vous, pourraient contribuer à résoudre les questions que nous avons à étudier au titre de la liaison Rhin-Rhône, puisque la solution du canal a été abandonnée.

Nous souhaiterions donc quelques propos assez généraux sur le type de prestations que peut offrir une société comme Novatrans et que, en qualité de technicien, vous évoquiez les solutions que pourrait apporter ce mode de transport entre le Nord de l'Europe et le Sud de la France.

M. Jean-Claude BERTHOD : M. le ministre, je vous remercie. Mesdames, messieurs, avant de vous dire exactement le rôle économique de Novatrans, je situerai l'entreprise dans son environnement et rappellerai ce qu'est le transport combiné, car c'est une formule à la mode qui mérite des précisions, sa zone de pertinence n'étant pas aussi large que veulent bien le dire les médias et certains décideurs.

Le transport combiné consiste en l'acheminement de marchandises dans un même contenant en utilisant au moins deux modes de transport. Une telle formule a commencé avec le transport maritime ; ce sont les conteneurs que vous connaissez tous. Le transport combiné rail-route, quant à lui, utilise la caisse mobile ou la semi-remorque, identique à celles accrochées derrière les tracteurs, avec un renforcement particulier pour être manutentionnées verticalement par les portiques.

La définition politique du transport combiné est, selon moi, celle qu'il convient de retenir lorsque l'on évoque Novatrans. La définition technique inclut une succession de modes de transport alors que la définition politique introduit la notion de substitution d'un mode de transport à un autre. Ainsi, le transport combiné rail-route, qui pourrait être un transport routier de bout en bout, utilise, sur son parcours principal, la technique ferroviaire. C'est l'une des spécificités du ferroutage et un élément à prendre fortement en compte, car, si en transport maritime il n'y a pas de solution de rechange, en transport combiné rail-route la solution de rechange est la route. Notre activité commerciale consiste à convaincre les transporteurs routiers que la technique combinée rail-route présente nombre d'avantages. Si, à l'expérience, ils devaient constater le contraire, ils peuvent revenir à la route. La solution n'est pas exempte d'une fragilité particulière et un travail de pédagogie est nécessaire auprès du monde du transport routier.

Le combiné présente un avantage assez intéressant, parce qu'il allie les qualités du chemin de fer et celles de la route : la route de par son maillage et sa flexibilité et le chemin de fer de par sa régularité sur un long parcours.

Il existe deux familles d'opérateurs de transport combiné : l'une d'origine ferroviaire, l'autre d'origine routière. La famille d'origine ferroviaire, en France, est la Compagnie nouvelle de conteneurs - dont, je suppose, vous rencontrerez les dirigeants -, par exemple Transfracht en Allemagne, et ceci existe dans tous les pays. Sur le plan européen, l'opérateur d'origine ferroviaire, Intercontainer, est une filiale des quelque vingt-cinq réseaux ferroviaires européens. Novatrans, elle, est d'origine routière.

Je voudrais démythifier une idée assez répandue sur la guerre des modes entre la route et le fer. C'est une vieille histoire et une bataille terminée. Nul problème n'existe entre le chemin de fer et les transporteurs routiers. J'en veux pour preuve que le président de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) est administrateur de Novatrans et que je suis moi-même vice-président de la FNTR et administrateur de RFF. Vous voyez qu'il n'y a aucun problème. Chaque mode de transport a sa zone de pertinence, les problèmes n'apparaissant que si un mode de transport recherche une extension de pertinence aidée artificiellement et qui ne correspond pas à un besoin économique.

Pourquoi les transporteurs routiers sont-ils favorables au développement du transport combiné ? Tout d'abord, parce que, il faut bien le dire, ils ont gagné la bataille du fret - peut-être d'ailleurs un peu trop fortement. Par ailleurs, les transporteurs routiers sont parfaitement conscients que la croissance du trafic doit être mieux partagée entre le fer et la route. A ce sujet, il y a unanimité des transporteurs routiers, au point que, le ministère ayant envisagé de supprimer l'aide financière qu'il accordait au transport combiné, toutes les fédérations du transport, y compris l'Unostra, fédération de petits transporteurs routiers, ont signé un mémorandum demandant au ministère de ne pas supprimer cette aide financière. Mes propos sont donc confirmés par des faits et ne sont pas uniquement le reflet d'une ambiance.

Les origines ferroviaire et routière ne créent pas entre les deux opérateurs, CNC et Novatrans, de vrais problèmes. En effet, nous organisons des trains communs avec la CNC et, dans certains cas, nous utilisons les chantiers de la CNC - et inversement. D'où une synergie, du reste soulignée par le « rapport Perrod », qui se déroule dans des conditions convenables. Bien entendu, nous sommes concurrents. La CNC compte essentiellement pour clients des industriels, c'est-à-dire des chargeurs, et nous des transporteurs routiers. Là réside la différence de stratégie entre les deux entreprises.

Le potentiel du transport combiné est limité, dans la mesure où 80 % des camions parcourent seulement 150 kilomètres dans la journée. Le transport combiné, à cause des opérations de manutention, entraîne un coût qui ne peut être amorti sur une distance courte. Pour cette raison, il est souvent avancé que le transport combiné ne trouve sa pertinence que sur des distances de 500 kilomètres et plus.

Un opérateur de transport combiné est un gestionnaire de terminaux, c'est-à-dire de chantiers sur lesquels arrivent des voies ferrées et un accès routier. Les engins de manutention et les portiques transfèrent les conteneurs ou les caisses mobiles sur le wagon. Nous sommes un investisseur, car les engins de manutention coûtent cher et nous en possédons beaucoup. Nous sommes également propriétaires de 1200 wagons et en prenons 300 en location. Nous assurons donc une gestion de 1500 wagons. Nous sommes, en outre, gestionnaires de systèmes informatiques, car la gestion recourt fortement à l'informatique, qu'il s'agisse de la gestion du parc de wagons, du suivi des envois ou des informations à donner aux clients. Notre rôle est encore de négocier avec les chemins de fer ; lorsque nous prévoyons un train, encore faut-il un accord de la SNCF - à l'avenir Réseau Ferré de France - pour l'obtention du sillon, c'est-à-dire la possibilité, à un moment donné, d'utiliser une voie. Le vrai problème réside là, tant il est vrai qu'une réelle saturation caractérise certaines régions de France. A ce titre, le développement des TER, trains express régionaux, nous cause quelques problèmes, dans la mesure où les voyageurs sont prioritaires par rapport au fret ; d'où des difficultés. Dans le cadre de la négociation technique avec la SNCF, s'insère une négociation commerciale, car l'opérateur achète le train. En effet, quel que soit le niveau de remplissage du train, nous payons à la SNCF la traction. Le risque commercial est donc assumé par Novatrans ou par la CNC. Nous organisons actuellement 80 trains par jour ; environ la moitié en liaison nationale, l'autre moitié en internationale.

Novatrans, créée en 1967, est une société commerciale de droit privé. Son premier président fut celui de la Fédération nationale des transports routiers. Son capital se répartit entre la profession ferroviaire à hauteur de 40 %, à travers la SCETA et la CNC qui detient 5 % - Novatrans enregistre également 5 % dans le capital de la CNC - et la profession routière à hauteur de 60 %, dont 10 % détenus par la Fédération nationale des transports routiers.

Novatrans compte 360 salariés, 19 terminaux et, comme je l'ai déjà dit, 1500 wagons - 1200 en propriété, 300 en location. Nous enregistrons enfin des participations dans des sociétés européennes. Le rapport Perrod indique qu'il faudrait rapprocher la CNC de Novatrans pour favoriser l'implantation européenne d'un opérateur français de bonne dimension. Il en va toujours de même de ce type de rapport : l'on y trouve ce que nous leur avons dit et, bien souvent, ce que nous déclarons c'est tout simplement ce que nous faisons ! Par exemple, nous sommes propriétaires de 46 % d'une filiale qui organise les transports combinés transmanche d'une société de droit anglais. Nous possédons 13 % dans la « Novatrans » belge, 15 % dans la « Novatrans » espagnole
- j'emploie la dénomination « Novatrans » pour simplifier. Nous comptons en outre 10 % dans la nouvelle société créée en Roumanie pour faire du transport combiné, et nous avons une filiale en Italie, Novatrans Italia, dont le trafic est loin d'être négligeable.

Voilà pour le contexte.

J'en viens maintenant à des réflexions personnelles, fruit d'une expérience professionnelle. Je m'exprime devant vous en qualité de citoyen, c'est-à-dire que je vous dirai ce que je pense et en toute sincérité. Au reste, le lobbying du transport est simplement de la pédagogie, chaque mode ayant son rôle à jouer. Lorsque l'on n'est pas dans le milieu du transport, on a parfois tendance à attribuer au transport combiné des défauts ou des qualités qu'il n'a pas.

Le problème réside dans la nécessité de créer dans la vallée rhodanienne et franc-comtoise des moyens de développer l'économie. Je ne suis pas certain que le transport combiné ait un rôle fondamental à jouer en ce domaine, car il ne peut se développer, comme tous les modes de transport, que là où il y a préalablement trafic. Ce n'est pas lui qui génère le trafic. Il gère un trafic qui existe et si l'on trouve les caractéristiques nécessaires au bon fonctionnement du transport combiné, c'est-à-dire des axes d'une certaine longueur et une masse de trafic suffisante, aux flux équilibrés : il faut une zone de consommation et de production intéressante.

Dans la zone franc-comtoise que je connais bien - je suis du Jura ! -, la CNC avait un chantier à Besançon, qu'elle a été contrainte de fermer. Elle en compte un à Vesoul, essentiellement pour le trafic Peugeot, et n'a aucune envie de créer de nouveaux chantiers dans la région.

Nous sommes en train de mettre en place un nouveau chantier à Dijon, peu distant de Vesoul, et celui de Strasbourg fonctionne médiocrement. La CNC gère un chantier à Mulhouse, lui aussi moyen du point de vue de l'activité. En revanche, plus au Sud, à Lyon, nous avons un chantier très important et un autre en Avignon totalement saturé, que nous essayons d'agrandir avec quelques difficultés. À l'instar des TGV - les hommes politiques veulent la gare, pas la ligne -, ils veulent le transport combiné, mais pas le chantier.

Avignon est une place forte pour le transport combiné, puisqu'elle est magnifiquement située au sommet d'un triangle qui dessert toute la région PACA.

Dans cette région, nous avons un chantier à Marseille, à Montpellier et à Perpignan. Il est certain que si nous voulons développer cette région, le TGV Rhin-Rhône bénéficie d'un sens tout à fait fort. Il offrirait plusieurs avantages. La région Rhône-Alpes serait ainsi liée à l'Allemagne rhénane, au Luxembourg et à la Belgique orientale, ce qui serait très utile. L'utilisation d'un TGV par les voyageurs permettrait de dédier au fret la ligne voyageurs actuelle. Aux Etats-Unis, le transport combiné se développe fortement, parce qu'il n'y a pas de trafic voyageurs et que les lignes sont dédiées au fret.

Dans toute l'Europe, les difficultés sont similaires : nous rencontrons partout un problème de saturation, de manque de capacités des infrastructures ferroviaires. Dès lors, pouvoir dédier une ligne au fret présente un atout très intéressant, à l'instar de la voie de la rive droite du Rhône, dédiée au fret.

Je voudrais insister sur quelques points. Le transport combiné ne crée pas le fret, il vient après le fret. En revanche, les infrastructures peuvent créer le fret, dans la mesure où elles intéressent les industriels qui envisagent de s'implanter.

Le problème des plates-formes logistiques est une sorte de tarte à la crème : on veut en implanter partout ! Ainsi celle de Champigneulles à proximité de Nancy se présente comme un véritable désert, à l'exception d'un chantier CNC au milieu de 40 hectares vides. Cela se nomme « chantier multimodal fer-route-eau » ! Il est situé à proximité de la Moselle, canalisée à cet endroit-là. C'est de l'argent perdu ! Un projet quelque peu identique se monte à Vatry ; il nous laisse perplexes en tant que professionnels. Nous ne voyons pas quel trafic pourrait trouver son essor au milieu d'une zone relativement peu industrialisée. Si vous vous orientez vers la création d'une plate-forme logistique en Franche-Comté, je crains l'investissement inutile et l'échec à moyen terme.

M. le Président : Je pense à la vallée du Rhône marquée par un engorgement formidable de l'autoroute, des problèmes de camions aux frontières italiennes et espagnoles. Quelles conditions faut-il réunir pour espérer faire basculer un trafic extrêmement polluant, encombrant et dangereux, vers le transport ferroviaire ou le ferroutage ? Je comprends bien le problème de distance, mais s'en pose un autre d'engorgement, de danger lié à la pollution, que nous avons à gérer en tant qu'élus de la Nation. Je pense à la vallée du Rhône et à l'axe Nice-Perpignan.

M. Jacques DUMERC : Le transport combiné se présente comme un produit politique de substitution au transport routier, mais son acceptation dans une économie libérale appelle une compétitivité en termes de prix, qualité et régularité. Cela suppose au niveau de l'offre ferroviaire un produit présentant les mêmes possibilités que la route ; cela suppose aussi que nous ayons des chantiers en nombre suffisant afin d'éviter tout engorgement qui perturbe le service, et que les prix relatifs restent liés, de manière à offrir un vrai choix au transport routier. Il faut donc, au départ, retrouver les termes d'une compétition possible.

Le second point consiste à décider les transporteurs routiers à basculer. M. Berthod a effleuré le sujet en rappelant que le transport combiné transportait des caisses mobiles, des conteneurs ou des semi-remorques qui sont manutentionnés dans des chantiers. Ce sont des équipements un peu particuliers par rapport au transport routier pur ; ils sont renforcés pour répondre à la préhension par pinces destinée à les mettre d'un châssis routier sur un wagon.

Pour encourager les transporteurs routiers à retenir le choix de la technique combinée, un certain nombre de Conseils régionaux ont offert des systèmes de subvention pour éliminer le surcoût du matériel combiné par rapport au matériel routier pur, incitant les transporteurs routiers à s'orienter vers le transport combiné et à y rester. C'est le cas du Languedoc-Roussillon, depuis très longtemps ; je crois que PACA en a décidé relativement récemment, le Nord-Pas-de-Calais également, Rhône-Alpes pas encore, mais les Conseils régionaux des régions les plus importantes du point de vue du trafic ont retenu ou vont retenir cette mesure extrêmement encourageante en faveur du transport combiné.

Le transport routier bénéficie d'une productivité à long terme étonnante puisque, avec l'accroissement du réseau autoroutier ou l'amélioration de la conception des véhicules routiers, la productivité routière est extrêmement forte, autorisant le maintien de prix très bas qui, au surplus, se situent dans un contexte de concurrence acharnée. Le prix du transport ferroviaire est plus difficile à maintenir. La SNCF n'est pas engagée dans la même bataille pour la productivité que la route et, de ce côté-là, nous rencontrons quelques difficultés.

Les engorgements sont de deux ordres. Tout d'abord, des engorgements de lignes ou en capacité de traitement des trains du côté ferroviaire. Les réseaux ferroviaires, en France comme en Europe, ont du mal à faire face à la croissance du combiné, extrêmement forte ces dernières années. En 1997, la croissance était de 12 % à Novatrans pour le trafic national et de 18 % pour l'international. Ce sont des chiffres considérables et peu habituels. Le reste de l'économie, en effet, n'est pas habitué à ces rythmes de croissance, d'autant que celle-ci se polarise sur certains axes : Lille, Lyon, Avignon, Marseille, où le taux de croissance s'établit aux environs de 30 %. Nous avons donc des problèmes d'engorgement sur les lignes. Nous en avons aussi sur les chantiers historiquement financés en France, non par les opérateurs qui les exploitent, mais par l'État et la SNCF - aujourd'hui par l'État et RFF. Le rythme de décision de la puissance publique n'est pas toujours cohérent avec le rythme de développement économique du transport combiné, d'où des politiques de frein à certains moments du développement, qui peuvent générer des effets de stop and go, puisque le marché vient vers le transport combiné, constate des difficultés et a alors tendance à se retirer. Un rythme reste à trouver pour le développement futur, grave question qui se pose.

M. le Président : Pourriez-vous nous brosser à grands traits la situation de ces goulots d'étranglement ?

M. Jacques DUMERC : En termes d'infrastructures ferroviaires, un bilan a été dressé entre les opérateurs, la SNCF et Réseau ferré de France. Cinq points furent identifiés, dont le contournement de Lyon, celui de Dijon, l'axe Chambéry-Modane, les environs de Narbonne.

Sur le plan des chantiers, celui d'Avignon est saturé ; celui de Lille, quelque peu éloigné de l'axe Rhin-Rhône, est également saturé, le chantier de Marseille en voie de saturation. En revanche, celui de Lyon a encore des capacités de développement.

Si l'on considère votre mission, je puis ajouter que nous intervenons fortement sur la branche rhodanienne de l'axe Rhin-Rhône, très peu sur les relations entre le sillon Lyon-Marseille et l'Allemagne ou la région Est de la France. A cela deux raisons. D'une part, l'économie de l'Est de la France a été peu orientée vers la Méditerranée et les courants de trafics ne sont pas à ce jour très importants. D'autre part, pour des raisons extrêmement mystérieuses, il n'a jamais été possible de monter une offre de transport ferroviaire entre la France et l'Allemagne.

La SNCF et Deutsche Bundesbahn n'ont jamais pu coopérer et présenter une offre crédible sur le marché tant en termes de prix que de délais. À titre d'exemple, la dernière offre reçue sur ce sujet proposait Paris-Francfort, soit 468 kilomètres, en quinze heures, ce qui est difficilement négociable auprès des transporteurs routiers, surtout eu égard au prix quelque peu exagéré. Les raisons de cette situation sont probablement profondes. J'ai la chance d'appartenir au comité directeur du PREDIT (Programme de recherche et développement pour l'innovation technologique dans les transports) qui a proposé une mission d'enquête auprès des réseaux français et allemands pour découvrir les raisons de ce comportement insolite.

M. André VAUCHEZ : Député du Jura, et de la région de Dole, je suis très satisfait d'entendre que le développement du transport combiné est extrêmement important.

Vous avez déclaré que le transport combiné est amené par le fret, non par le transport organisé - cela est vrai. Vous venez d'évoquer l'Est de la France, le couloir du Doubs, pointant l'absence de demande vers l'Est, l'Allemagne en particulier, mais aussi l'Alsace. Pourtant, la nationale 73, sans parler de l'autoroute - d'autres collègues pourraient le confirmer - connaît un fret routier dense. Nous sommes asphyxiés par le fret routier qui traverse les villes et villages. Vous dites qu'il n'y a pas de problèmes ; or, les routiers passent. Ils vont très loin, viennent de l'Espagne pour monter en Allemagne.

Autre point : dans la région de l'Oise, est implantée l'entreprise chimique Solvay, entreprise intéressante, au même titre que Peugeot dans le nord de la Franche-Comté et d'autres du côté de Mulhouse,. Travaillez-vous avec elle ? Trente pour cent de son transit s'effectuent par voie ferrée. Je crois savoir qu'elle achète ou a des trains. Le fait qu'elle ait des trains ne limitera-t-il pas son extension sur le rail, dans la mesure où elle n'achètera des trains que lorsqu'elle en aura les moyens ? Peut-être n'a-t-elle pas la possibilité de travailler avec vous ?

Pour ce qui est du réseau de lignes, le fret qui monte de la vallée du Rhône passe souvent par Dijon, va en Lorraine et redescend en Franche-Comté par l'Alsace, par le Nord. C'est assez curieux. Une ligne a récemment été électrifiée à l'aide des collectivités ; c'est la ligne la plus directe entre Lyon et l'Alsace, à savoir Besançon par la ligne dite « du Revermont ». Cela désengorgerait certainement la ligne et peut-être pourriez-vous acquérir des marchés sur l'Alsace. Il est inconcevable que nous constations un trafic par la route et aucun par le train. La SNCF a beaucoup de difficultés à évoluer !

M. André GODIN : Monsieur le Président, vous confirmez nettement que l'axe Rhin-Rhône nécessite d'être dédoublé par un trafic voyageurs. C'est important pour nous ; nous savons que les arbitrages gouvernementaux s'inscrivent en ce sens. Dès lors, notre mission doit pouvoir défendre ce projet qui présente un double avantage : permettre la liaison avec l'Europe du Nord et faciliter le ferroutage.

M. Jean-Claude BERTHOD : La France ne peut financer le TGV Est et le TGV Rhin-Rhône. Qui plus est, il ne faut pas oublier qu'il y a une hystérésis d'environ dix ans entre la décision et la mise en service d'une infrastructure lourde. Le TGV Est occupe grandement les esprits aujourd'hui. Certes, aucune décision n'est encore prise, mais le Gouvernement indique qu'il participerait à hauteur de huit milliards de francs ; encore faut-il que les régions décident d'apporter leur financement. Je serais surpris que l'on puisse s'engager sur les deux TGV parallèlement.

Il me semble préférable de consacrer les financements possibles - en priorité - au désengorgement des voies classiques.

M. Jean-Marie BOCKEL : C'est là, en effet, une question que l'on peut poser. Cela dit, suite à l'arbitrage du Premier ministre intervenu au mois de février, le TGV Rhin-Rhône a toutes les chances de progresser. Nous en sommes au stade des études et l'argument du ferroutage est un argument puissant. Tout ce qui peut concourir à le développer dans la course de lenteur dans laquelle nous sommes engagés, au-delà des arbitrages - c'est là un autre débat que je ne veux pas entamer ici - peut servir la cause du TGV Rhin-Rhône, à telle enseigne que l'on parle aussi de développer le fret sur la ligne SNCF située le long du Rhin entre le Nord et le Sud de l'Alsace. La région Alsace est actuellement sollicitée pour rendre possible le fret, moyennant quelques investissements qui, paraît-il, ne seraient pas énormes, ce qui renforce l'axe Nord-Sud dans son domaine d'activité.

M. le Rapporteur : Je partage l'avis exprimé sur la ligne dite « du Revermont » ainsi que celle qui pourrait voir le jour entre Besançon et Mulhouse, dégageant une ligne pour le fret. Cela dit, l'obtention de lignes dédiées appelle des investissements lourds que nous ne pouvons pas mettre en place immédiatement. Dès lors, pensez-vous que, gérant mieux les lignes actuelles, se dégagerait une possibilité de mieux faire ? Selon plusieurs personnes auditionnées, ces lignes pourraient atteindre une meilleure productivité ; elles seraient gérées selon une méthode qui date d'une trentaine d'années !

M. Jean-Claude BERTHOD : La ligne dédiée au fret serait une ancienne ligne voyageurs et non une ligne nouvelle. Les frais de maintenance seraient moins élevés, puisque le coût de maintenance est dû à la mixité - voyageurs et fret - de la ligne.

La solution serait donc une nouvelle ligne TGV et une ligne dédiée au fret, ce qui nécessite quelques aménagements peu coûteux.

Les sillons sont-ils correctement utilisés ? Il faut reconnaître la difficulté à diriger une entreprise telle la SNCF, qui appelle une technique compliquée, des exigences fortes de la clientèle comme des exigences des pouvoirs publics. Aussi je ne voudrais pas être désagréable avec les cheminots dont je comprends la difficulté. Il est certain que la mise en service de TER qui s'opère à l'heure actuelle à un rythme soutenu, notamment en Région Rhône-Alpes, mobilise des sillons qui pourraient être utilisés par des trains de fret. De fait, se posent des problèmes d'horaires marqués d'irrégularité ; c'est pourquoi le transporteur routier revient à la route, car nous ne sommes qu'un transport de substitution. Par ailleurs, une vérité n'est pas agréable à entendre, mais force est de reconnaître que moins de grèves à la SNCF permettrait plus de régularité. Sur ce point, je veux souligner la remarquable discrétion du « rapport Perrod ».

M. Jacques DUMERC : Actuellement, le réseau ferré accueille plusieurs systèmes de transport : les voyageurs grandes lignes, les TER, dont la multiplication pose des problèmes de sillons aux abords des grandes villes, le fret avec la coexistence des trains complets, du lotissement et du transport combiné. Le train complet et le lotissement sont encore des produits purement SNCF. La Société nationale défend avec acharnement les positions acquises, lesquelles, malheureusement, s'érodent beaucoup en ce qui concerne le wagon isolé. Mais l'on perçoit encore une défense du wagon isolé par rapport au développement du transport combiné. Un de mes clients, filiale du chemin de fer, effectue à la fois du transport combiné et du transport ferroviaire classique. Le fait de passer, pour la commodité de son client céréalier, du wagon classique à du wagon plat avec conteneurs, a provoqué une hausse de 15 % de son tarif. Questionnée, la SNCF répond que le problème relève du domaine de la stratégie : il faut privilégier le fret conventionnel par rapport au fret éventuellement combiné. Toutes ces coexistences peuvent poser des problèmes de frontières, qui certes se résolvent progressivement avec le temps, mais qui n'en restent pas moins gênantes.

La politique de la région Rhône-Alpes s'est révélée extrêmement efficace dans le domaine du transport de voyageurs. Un nombre très significatif de TER a été mis en place au cours des deux dernières années et le passage de Lyon devient pour les trains du transport combiné plus difficile.

M. André GODIN : Ma commune fait partie du réseau des villes de Rhône-Alpes et il est vrai que c'est l'une de nos préoccupations. Au reste, Raymond Barre l'a inscrite comme l'une des priorités dans le cadre du contrat État-Région.

Sur le plan des gabarits, des problèmes se posent-ils ?

M. Jacques DUMERC : Je ne connais pas par coeur la carte ferroviaire, mais, effectivement, l'axe Lyon-Rhin doit en rencontrer. La France a un gabarit faible comparé à celui de l'Allemagne, encore que nous développions des wagons surbaissés, ce qui permet de compenser les problèmes de gabarit.

M. Jean-Claude BERTHOD : Avec des roues qui s'usent plus vite parce qu'elles sont plus petites.

M. Gérard VOISIN : Avec l'arrêt du projet de canal Rhin-Rhône, entre Marseille et le Nord du Rhône, la Saône, subsiste-t-il un avenir pour le transport multimodal à Châlon-sur-Saône, Mâcon ou Lyon ? La combinaison reste-t-elle intéressante pour les professionnels que vous êtes ?

M. Jean-Claude BERTHOD : Le transport fluvial est un transport lent. Le transport combiné est un transport routier acheminé par le ferroviaire. Pour le client, les deux types de transport correspondent chacun à des exigences très différentes.

Evoquant les plates-formes logistiques, on dit souvent qu'il faudrait imaginer une plate-forme avec voies ferrées, routes et voie d'eau à proximité. Si cela est possible, pourquoi pas ? Mais, franchement, la recherche de ce type de site est sans grand intérêt.

On cite Garonor ou Sogaris comme exemples de plates-formes logistiques. Je peux vous faire part de mon expérience de P.D.G. de Danzas. Danzas a acheté un terrain mitoyen de Garonor, qui est présentée comme une plate-forme logistique mais qui n'est qu'une zone industrielle pour transporteurs, qui d'ailleurs ne travaillent pas entre eux. Ces transporteurs traitent d'ailleurs leur trafic par route. Bien sûr, parfois, l'un d'entre eux cocharge sur une ligne avec un autre que cela arrange. Les transporteurs que Danzas utilise en sous-traitance ne sont pas implantés à Garonor.

Garonor dispose d'une seule voie ferrée. J'ai commis une erreur en prolongeant cette voie jusqu'à nos bâtiments. Le malheureux wagon qui faisait partie des lotissements, c'est-à-dire des wagons isolés, mettait tellement de temps, parfois plusieurs jours, que nous avons arrêté après quinze jours d'expérience !..

M. le Président : Pourriez-vous revenir sur l'absence d'intérêt des plates-formes multimodales proches de voies d'eau ?

M. Jean-Claude BERTHOD : Le trafic fluvial ne relève pas de la route. Neuf fois sur dix, la voie d'eau concerne un trafic assez lourd. A cela, bien sûr, des exceptions. Renault envoie ses automobiles au Havre depuis Gennevilliers par péniches, et Peugeot aussi, je crois : il ne faut donc pas être trop absolu dans ses affirmations. Le transport traite une série de cas particuliers et toute affirmation d'ordre général souffre des exceptions. L'on peut dire toutefois qu'il s'agit de trafics de natures et d'exigences différentes et que la combinaison fluvial-route n'est que peu usitée.

M. le Rapporteur : Le transfert entre la route et la voie d'eau serait d'environ 2 % dans le cadre du canal à grand gabarit. Confirmez-vous cet ordre de grandeur ?

M. Jean-Claude BERTHOD : Oui, et pour tout vous dire nous n'avons pas vu avec regret l'abandon du projet...

M. le Rapporteur : En ce sens que cela ne vous angoissait pas non plus ! Professionnellement, vous n'étiez pas inquiets par la concurrence du canal...

M. Jean-Claude BERTHOD : Non. Mais en tant que citoyen il est toujours un peu frustrant de voir se réaliser un investissement inutile alors que d'autres - nécessaires - ne sont pas entrepris.

Culturellement, nous ne redoutons pas la concurrence d'un mode. Je ne demanderais pas mieux que le développement du fluvial, qui offre beaucoup d'avantages. C'est là un jugement technique et professionnel. Danzas a une filiale comptabilisant 2 500 wagons. J'ai acquis une culture professionnelle « plurimodale ». Je ne juge pas un mode en termes de concurrence, mais en termes de possibilités offertes à l'entreprise pour organiser des transports efficaces.

M. Jacques DUMERC : Novatrans n'a jamais considéré le transport fluvial sur le canal Rhin-Rhône comme une concurrence ; le point préoccupant résidait dans l'utilisation de crédits publics en faveur d'infrastructures de transport, dans la mesure où le projet n'était pas le meilleur destinataire d'une telle allocation.

Une confusion des esprits transforme souvent les chantiers de transports combinés en éléments structurels d'aménagement du territoire et conduit à des erreurs d'orientation. En voulant faire un élément structurel d'aménagement du territoire, on dépense beaucoup d'argent public - de l'État, comme des collectivités locales - pour des chantiers généralement surdimensionnés et mal localisés. Le chantier de transport combiné est plutôt un élément d'équipement d'infrastructures qui doit accompagner le développement du transport combiné et se réaliser là où il se révèle nécessaire. Il faut conserver à l'esprit que la zone de desserte d'un chantier de transport combiné s'inscrit dans un rayon de l'ordre d'une cinquantaine de kilomètres ; au-delà, le transport par route reprend ses droits. Nous prêchons fortement pour des chantiers modestes, d'un coût peu élevé, afin que la puissance publique ne se sente pas gênée pour suivre le rythme de développement et être en mesure d'y procéder rapidement lorsque nécessaire plutôt que de consacrer des crédits à de gros chantiers.

M. Jean-Claude BERTHOD : Il ne faut jamais perdre de vue que le transport ferroviaire, maritime, aérien ou routier est une activité à faible marge ; dès lors, tout investissement excessif devient rapidement difficile à rentabiliser. D'où notre méfiance vis-à-vis de plates-formes logistiques mal implantées. Les entreprises disposant déjà de leurs installations les quitteraient-elles pour s'implanter sur une plate-forme logistique ? Personnellement, à une telle question, je réponds « non ». Méfions-nous d'un surinvestissement qui ne correspond pas à une vraie demande. La plate-forme logistique ne relève pas de la puissance publique, mais du marché : les entreprises veulent ou ne veulent pas. En revanche, le chantier de transport combiné correspond à la politique globale des transports de la France et de l'Europe. On peut donc comprendre qu'il y ait là allocation financière publique.

M. le Président : Existe-t-il suffisamment de chantiers de transport combiné sur l'axe Rhin-Rhône ?

M. Jean-Claude BERTHOD : La question n'est pas tant celle du nombre que celle de l'agrandissement des chantiers existants.

M. Jacques DUMERC : Actuellement, le chantier d'Avignon est totalement saturé et appelle une extension dans des délais très brefs. Plusieurs sites sont envisagés et en compétition. Dès lors, les décisions n'avancent pas. De même, des décisions sont à prendre sur le site de Marseille. Dans les deux cas, ma préférence va à des agrandissements à proximité immédiate des chantiers existants c'est-à-dire à Champfleury pour Avignon et au Canet pour Marseille. Des sites plus éloignés sont trop excentrés des zones de trafic, tel Grans-Miramas.

M. le Président : Vous évoquez Marseille. En effet, par rapport à la concurrence de Gênes et de Barcelone, disposer d'un grand port sur la Méditerranée s'avère un élément essentiel pour la Nation dans le cadre de l'aménagement du territoire européen. Que représente ce port pour vous ? Est-ce un débouché important ? Comment le désenclaver vers le Nord, vers le Rhin ?

M. Jacques DUMERC : La France compte deux opérateurs : la CNC et nous-mêmes. La CNC a, dès son origine, été spécialisée dans le transport de conteneurs maritimes. Quant à nous, nous développons sur Le Havre et Marseille un transport ferroviaire en prolongement de lignes roll on, roll off. Nous avons beaucoup de clients qui, venant du Nord ou de la Belgique, se dirigent vers la région PACA ou vers l'Afrique du Nord, et empruntent des navires rouliers au départ de Marseille. C'est un trafic qui croît par à-coups et sur longues périodes. Ce trafic est fortement lié à l'aptitude du port à recevoir des dessertes de navires fréteurs afin que les courants soient continus. Jusqu'à présent, nous n'avons pas eu d'ennuis sur Marseille, mais nous en rencontrons sur Le Havre, où nous traitons des lignes qui viennent d'Irlande et de Grande-Bretagne, assurées par des compagnies qui, prises dans le tourbillon de la concurrence transmanche et de la suppression des duty free, cherchent à réduire leurs coûts. Des navires fréteurs, d'un jour à l'autre, disparaissent, et nous nous retrouvons sans alimentation sur notre ligne ferroviaire. Nous n'avons pas rencontré ce type de problème sur Marseille.

M. Jean-Claude BERTHOD : En tant que transitaire, j'ajouterai que Danzas a une agence à Marseille, au Havre, à Dunkerque et à Anvers et Rotterdam. Que recherche le transitaire qui, finalement, est un mandataire du client, si ce ne sont des départs fréquents? Les ports d'une certaine ampleur deviennent de plus en plus gros, parce que les compagnies maritimes sont assurées de trouver sans attendre du fret en quantité. Le processus est, selon moi, incontournable. Nous payons une politique de dispersion et Marseille paye, entre autres, une politique de dispersion des crédits en faveur d'une multitude de ports. Organiser la concentration sur Marseille, Le Havre, Dunkerque et quelques autres, eût été plus astucieux. Un même phénomène est à craindre en matière aérienne. A lire la « loi Voynet », on peut craindre, en effet, une dispersion des crédits pour des aéroports secondaires alors que le vrai problème consiste à favoriser Roissy et Satolas, Satolas pouvant être le troisième aéroport d'Ile-de-France - pour user d'une image un peu audacieuse. Il est évident que Roissy ne pourra pas tout assurer seul. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il faille fermer Nice ou Toulouse, mais, les crédits étant limités, il convient de concentrer les efforts sur quelques axes bien choisis.

M. André GODIN : Ressentez-vous déjà sur vos modes d'organisation les répercussions des décisions prises par les Suisses et les Autrichiens visant à endiguer, voire supprimer, l'évolution du trafic routier ?

M. Jacques DUMERC : Non, si ce n'est sur le monde international du combiné, où nous en ressentons quelques-unes. La Suisse ayant fixé une limitation de tonnage, le transit par camion ne peut plus se faire et conduit beaucoup de transporteurs à s'intéresser au transport combiné, soit sur l'axe qui passe par la Suisse, soit sur celui qui passe par la vallée du Rhône. C'est ainsi que nous enregistrons un trafic élevé - que nous cogérons avec nos collègues belges et italiens -, qui part de Belgique vers l'Italie par Modane, représentant environ 80 trains par semaine, ce qui est considérable.

Dans la compétition entre opérateurs de transport combiné, nous constatons que notre collègue suisse bénéficie de ressources gouvernementales très élevées, puisque les Suisses ont instauré une taxe additionnelle sur le gazole, qui vient directement alimenter un fonds d'aide au transport combiné. La société suisse a une puissance financière inégalée, qui vient de lui permettre de prendre récemment le contrôle total de la société néerlandaise de transport combiné, donc de mettre un peu la main sur les transports combinés de Rotterdam. Cela rejoint ce que disait M. Berthod précédemment : les ambitions européennes des opérateurs français sont pour nous un événement aussi pénible que de voir la Deutsche Bundesbahn racheter les chemins de fer hollandais. Ce système de financement automatique conforte les opérateurs suisses dans leurs ambitions européennes.

M. André VAUCHEZ : Dans le cadre de l'après-canal, le transport combiné est important, car on ne voit pas comment il serait possible de joindre les deux bouts de ce que devait être le canal, surtout si l'on considère ce qu'a très bien rappelé le Rapporteur, à savoir les pourcentages qui auraient dû être versés pour cette voie d'eau.

Je pose une question simple.

Face aux difficultés, vous préconisez des voies spécifiques pour le fret et d'autres pour les voyageurs. Cela coûtera très cher et l'on ignore quand un tel projet pourra être financé. En outre, la SNCF marque une grande inertie dans la gestion de ses flux fret et voyageurs. Maintenant, nous avons RFF pour le financement, ce qui posera encore d'autres problèmes. Avec peu de bonheur, nous avons réuni sur la route les plus gros poids lourds et les plus petites voitures. La SNCF est incapable d'imaginer l'accord entre le fret et certains trains de voyageurs - je pense aux TER. Pourquoi ne pas envisager des sillons où les trains pourraient rouler à 120, 130, 180 kilomètres à l'heure comme le font les TER, éventuellement comme les TGV ? Ne prévoit-on pas que nous connaîtrons un jour des trains de marchandises TGV ? Vous parliez de la maintenance, mais en l'assumant pour les voyageurs, ipso facto elle est assurée pour les marchandises. On s'y retrouve.

Je pose donc la question : ne voit-on pas se profiler la nécessité de créer une structure dynamisante pour la promotion du transport combiné, premier souci à l'origine de notre mission d'information ? Des blocages sont décelés un peu partout. Par exemple, celui que vous évoquez de la SNCF qui a ses wagons, ses trains, qui les fait passer parfois plus vite que les vôtres dans des gares, n'est pas tolérable !

Enfin, M. Patriat, député de Côte d'Or, qui n'a pu venir aujourd'hui, souhaitait recueillir votre sentiment sur l'infrastructure de Pagny-la-Ville.

M. Jean-Claude BERTHOD : Premièrement, nous ne demandons pas que la SNCF crée un réseau dédié au fret. Nous sommes conscients que ce serait un objectif illusoire ! Nous en avons parlé, M. Dumerc et moi-même, à propos du TGV Rhin-Rhône, déclarant que c'était un ajout très intéressant au TGV Rhin-Rhône. Sachez que la SNCF, chaque fois qu'elle peut dédier une voie au fret, ne rêve que de cela !...

M. Jacques DUMERC : Nous ne demandons pas un réseau spécialisé fret, nous demandons une SNCF spécialisée fret, c'est-à-dire des sillons de bonne qualité pour que nos trains puissent passer, mais aussi que la SNCF dédie des moyens au fret en termes de conducteurs et de locomotives, car il arrive encore fréquemment que l'un de nos trains soit arrêté pour prélever le conducteur ou la locomotive en vue de conduire un train de voyageurs. En tant que citoyen, je conçois qu'il est plus facile de laisser dans la nature un train de marchandises qu'un train de voyageurs, mais nos clients le comprennent moins bien que nous. Si donc des moyens étaient dédiés au fret, cela offrirait à la SNCF la facilité de travailler comme une entreprise normale et non comme une entreprise publique.

M. André VAUCHEZ : Et au sujet de Pagny ?

M. Jacques DUMERC : Nous avons un projet de déménagement du chantier de Dijon et de construction d'une nouvelle plate-forme multimodale à Gevrey, parce que le chantier actuel de Dijon-Porteneuve est en voie de saturation. Le projet est mené en liaison avec les collectivités locales. Il sera principalement celui de la CNC avec une participation Novatrans. Nous appliquons, avant l'heure, certaines recommandations du rapport Perrod. Nous travaillons ensemble. Des études sont menées dans le bassin de Chalindrey. Pour l'heure, a été créé un GIE de développement économique du bassin de Chalindrey dans l'optique de réaliser un transport combiné. Nous sommes présents. J'éprouve une petite inquiétude, je l'avoue très franchement, craignant que nous n'arrivions pas à réunir le volume nécessaire. En matière de transport combiné, l'unité de mesure est le train, c'est-à-dire entre vingt-cinq à trente véhicules tous les jours, dans chaque sens et de préférence cinq jours par semaine, soit un volume de trafic relativement significatif.

M. le Président : Vous avez déclaré que le transport combiné ou le ferroutage ne générait pas le trafic ; il le gère si ce trafic existe. Pensez-vous donc que les perspectives du trafic entre l'axe rhodanien et l'axe rhénan sont réunies et qu'il constituerait pour la Nation un bon investissement ?

M. Jean-Claude BERTHOD : La zone est assez riche en PME, auxquelles il faut ajouter Peugeot et Alstom. Ainsi, la succursale de Danzas à Besançon a toujours fonctionné avec un grand nombre d'entreprises moyennes et de très jolis trafics exportés ; ce sont là des entreprises assez compétitives. Il en va de même de l'Alsace, riche en industries. La population et la main-d'oeuvre y sont très appréciées, parce que très professionnelles et sérieuses. Engager des investissements publics participant au développement de ces régions ne serait pas gaspiller de l'argent.

M. Jacques DUMERC : Le premier développement de transport combiné en France s'est réalisé sur l'axe Mer du nord/Méditerranée. Nous constatons que c'est l'un des axes de plus fort développement et que des localisations s'implantent sur le trajet. On partait de la Mer du nord pour aller sur la Méditerranée, mais, finalement, des arrêts se sont faits à Lyon, à Avignon, à Montpellier et à Marseille. Pour l'heure, l'axe rhodanien est pour nous un axe de fort développement qui mérite d'être équipé. L'axe Lyon/Rhin n'est actuellement pas du tout exploité. L'un des points cruciaux réside dans la nécessité qu'émerge la possibilité de faire du transport combiné entre la France et l'Allemagne. Dans le passé, des initiatives de trains de transport combiné entre Lyon et l'Allemagne ont achoppé alors qu'elles étaient fortement soutenues par les pouvoirs publics français et par les opérateurs de transport combiné. L'une des clefs d'un sillon Rhin-Rhône consiste à trouver l'angle d'attaque pour construire un transport combiné entre la France et l'Allemagne. Nous exploitons quelques trains avec nos collègues espagnols et allemands. Une bonne partie de ces trains est consacrée à des transports de pièces détachées automobiles, qui vont de Mannheim jusqu'à Tarragone ou à Saragosse. Mais ce ne sont que deux trains par jour. Le volume nécessaire pour rayonner et parsemer de chantiers cet axe n'est pas atteint. Mais on ne peut générer un trafic à partir de création de chantiers ; les chantiers doivent être la suite logique du développement du trafic.

Audition de MM. Louis GALLOIS, Président de la SNCF

et Armand TOUBOL, Directeur du fret

(procès-verbal de la séance du mercredi 18 novembre 1998)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Nous devons établir un rapport sur un problème difficile et le titre de la mission en démontre toute la complexité : « mission d'information commune sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône ».

Vous connaissez l'origine de cette mission d'information : lorsque nous avons constaté que le Gouvernement de M. Jospin abandonnait le projet de canal Rhin-Rhône, les parlementaires des régions concernées, de l'Alsace jusqu'à la Provence-Alpes-Côte d'Azur, du Nord au Sud du pays, sur un territoire dont l'avenir concerne la nation dans son ensemble, se sont mis au travail afin de savoir comment améliorer les relations entre le Nord et le Sud de notre pays ainsi que, plus largement, de l'Union européenne avec, par exemple, la région rhénane et les Bouches du Rhin.

A cet égard, votre point de vue concernant la poursuite du schéma directeur des lignes à grande vitesse - quelles sont pour vous les priorités ? - sera pour nous d'un grand intérêt. Nous avons reçu récemment M. Martinand et nous savons que vous devez prochainement remettre un rapport à M. Gayssot.

Par ailleurs, nous souhaiterions connaître votre avis quant au développement des capacités d'acheminement ferroviaire sur l'axe Rhin-Rhône, tant en ce qui concerne les voyageurs que le fret.

Je vous laisse sans plus tarder la parole, puis nous vous poserons un certain nombre de questions.

M. Louis GALLOIS : Je vous remercie, monsieur le président, de nous recevoir aujourd'hui pour nous auditionner sur un sujet extrêmement important. Je vais essayer, dans une brève introduction, de vous fournir quelques éléments de notre problématique, puis je laisserai M. Armand Toubol vous parler de ce qui concerne plus spécifiquement le fret.

L'axe que nous appelons Rhin-Rhône pour simplifier, mais qui va évidemment au-delà du Rhin vers le Nord et vraisemblablement au-delà du Rhône vers le Sud - vous avez cité la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, dont une partie du trafic part vers l'Espagne - est un axe de très lourds trafics, quel que soit le mode de transport, entre le Sud et le Nord de l'Europe. Par ailleurs, il s'agit d'un axe où le trafic est dynamique et où les perspectives de croissance sont fortes. Il est tiré par le développement à la fois national et international. Que ce soit le développement de la Catalogne, celui, sur une partie de l'axe, de la région de Turin et Milan, ou que ce soit, au Nord, le développement de la région de Bâle - région très dynamique sur le plan économique - ou celui de Strasbourg vers Francfort.

Il s'agit par ailleurs d'un axe que nous considérons comme particulièrement adapté au ferroviaire, aussi bien dans sa composante Nord-Sud qu'Est-Ouest, dont une partie du parcours relie l'Alsace à Dijon - avec une perspective de raccordement sur la ligne à grande vitesse Paris-Lyon. En effet, de grandes villes jalonnent cet axe
- Strasbourg, Mulhouse, Belfort, Besançon, Dole, Dijon, Lyon, Marseille et Montpellier - ce qui est fort intéressant en termes de voyageurs.

Sur le plan du fret, il existe des axes extrêmement lourds, comme ceux qui sont liés au Rhin, la porte de Bâle, les deux grands ports de Marseille et de Barcelone, et des zones très denses sur le plan industriel, telle la zone lyonnaise.

Mise à part la région parisienne, il y a peu d'axes qui aient des perspectives de développement de trafic aussi dynamiques. Nous avons donc affaire à de très gros trafics de fret, ce qui entraîne des problèmes de saturation des axes routiers, et des problèmes de pollution et de sécurité qui donnent, là aussi, place au ferroviaire.

De lourdes infrastructures sont déjà mises en place : nous achevons le TGV jusqu'à Marseille, nous disposons de voies à grande capacité sur l'axe Lyon-Dijon, et l'axe Dijon-Strasbourg possède déjà un gros potentiel.

Quels sont les problèmes que nous pourrions rencontrer ?

Le premier, c'est que même si les axes routiers sont saturés, ils sont extrêmement denses. Je dois dire que nous regardons avec attention l'importance des investissements routiers qui sont réalisés sur ces axes.

Second point, nous devons être vigilants quant à la rentabilité financière des investissements qui vont être réalisés. Même si l'investissement du TGV Rhin-Rhône n'est pas celui dont la rentabilité est la moins favorable, par rapport aux investissements possibles des lignes à grande vitesse - comme l'a indiqué le rapport Rouvillois -, nous devons veiller à ce que cet investissement soit réalisé dans des conditions qui ne soient pas trop pénalisantes pour la SNCF.

La première phase décidée par le Gouvernement est Dijon-Mulhouse, et la première étape Mulhouse-Besançon. Le souhait de la SNCF est que l'on aille aussi vite que possible dans la réalisation des deux étapes, car il est clair que l'amortissement de l'énorme investissement de matériels roulants que nous avons à faire sera d'autant plus aisé que nous aurons une longueur de ligne nouvelle plus grande. J'ajoute que plus la ligne nouvelle est longue, plus elle participe à la désaturation. Cela étant dit, nous avons pris acte, comme une étape positive, du choix de Mulhouse-Besançon indiqué par le Gouvernement.

J'en viens au point qui me paraît le plus important, avec celui de la rentabilité financière, à savoir le problème de saturation.

Nous devons mener notre politique d'investissement de telle manière que nous ne créions pas de problèmes de saturation insolubles. Je donnerai quelques exemples. Le développement de l'axe Est-Ouest, Dijon-Mulhouse, se traduira inévitablement par des fréquences supplémentaires sur la ligne nouvelle Paris-Lyon, à partir de Montbard jusqu'à Paris. Or, il convient de savoir que nous sommes déjà au bord de la saturation sur cet axe et que nous allons passer à un écart entre les trains de quatre minutes. Vraisemblablement, lorsque le TGV Rhin-Rhône, dans sa branche Est-Ouest, aura développé toute sa dynamique, nous serons obligés de réaliser des investissements pour passer à moins de quatre minutes sur la ligne nouvelle entre Montbard et Paris.

Deuxième élément de saturation : les n_uds. Deux sont significatifs dans la région concernée, les n_uds dijonnais et lyonnais. A mesure que nous générons du trafic, nous renforçons l'engorgement de ces n_uds. Il est clair qu'il sera nécessaire de réaliser des investissements de désaturation autour de Dijon et de Lyon. Je ne parlerai pas des n_uds de saturation se situant plus au sud, autour de Nîmes et de Montpellier, qui, potentiellement, peuvent être de la même intensité.

Nous aurons à réaliser des arbitrages pour le passage des trains entre nos différents trafics. Nous avons trois grands types de trafic : les trains de grande ligne, les TER (trains express régionaux) et les trains de fret. La régionalisation se traduit heureusement par une intensification des dessertes régionales, notamment dans les étoiles des grandes agglomérations. Mais cela pose, pour le fret, des problèmes de saturation qui peuvent être préoccupants à terme, notamment, comme je l'ai indiqué, autour de Dijon et de Lyon - Nîmes et Montpellier relevant de la même dynamique. Lorsqu'on construit des lignes nouvelles et qu'elles débouchent dans ces n_uds, nous créons des problèmes supplémentaires. Il nous appartient cependant de poser ces problèmes et de les résoudre.

Il existe des problèmes de saturation sur l'axe Dijon-Lyon car il s'agit d'un axe lourd qui récupère le trafic venant du nord de Dijon (Metz-Nancy), ainsi que le trafic de l'axe Rhin-Rhône.

La voie de la Bresse, pour le fret, ne peut pas régler tous les problèmes de trafic, parce qu'une partie des marchandises va vers Lyon. Si l'on envisageait un service de trains à grande vitesse entre Mulhouse et Dijon, on souhaiterait que les trains roulent le plus vite possible entre Dijon et Mâcon sur la ligne classique. Il existe en effet une pression pour faire passer à 220 km/h cette ligne Dijon-Mâcon, ce qui nous pose un problème majeur pour le fret. En effet, les trains de fret ne roulant pas à cette vitesse, des embouteillages en résulteront. Nous devons actuellement arbitrer entre la nécessité d'aller plus vite pour les voyageurs, de passer à 220 km/h, et la nécessité d'écouler un trafic fret extrêmement massif - il s'agit là d'un de nos principaux axes fret.

Ces problèmes de saturation sont absolument décisifs dans l'analyse que l'on fait de la liaison Rhin-Rhône et de son potentiel de développement. Ils sont pour nous aussi importants que la mise en place des lignes nouvelles. C'est la raison pour laquelle nous demandons que la politique d'investissement d'infrastructures sur l'ensemble de l'axe, depuis Strasbourg jusqu'à Montpellier, soit mise en cohérence de telle manière que nous n'ayons pas de chaînons de grande qualité qui butent sur des n_uds de saturation qui en réduiraient l'intérêt. Je plaide donc pour une approche globale de l'investissement d'infrastructures sur l'ensemble de l'axe, quitte bien sûr à travailler par étapes mais en respectant la cohésion d'ensemble.

S'agissant du calendrier de la SNCF pour ce qui concerne les lignes à grande vitesse, nous devons remettre très prochainement un rapport commun RFF/SNCF au Gouvernement. Il est clair que pour ce qui concerne le TGV Rhin-Rhône dans sa branche Est-Ouest, notre rapport reprendra les décisions du Gouvernement qui sont de lancer la DUP (déclaration d'utilité publique) de Mulhouse à Dijon et de faire une première étape entre Mulhouse et Besançon. Je voudrais néanmoins insister sur le fait que nous devons aborder rapidement la question de la branche Sud et, étant donné les problèmes de saturation, savoir comment va se développer le trafic Nord-Sud à partir de Dijon, c'est-à-dire sur la branche dont le tracé n'est pas encore fixé, mais qui devrait intéresser des villes comme Lons-le-Saunier et qui pique vers la Bresse et ensuite va vers Lyon.

Je vais maintenant laisser la parole à Armand Toubol pour ce qui concerne le fret. Je suis évidemment à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.

M. Armand TOUBOL : Monsieur le président, je vais simplement décliner quelques-uns des éléments de la problématique que le président Gallois a présentés.

Sur le plan économique, la logistique des chargeurs est désormais devenue européenne. Par conséquent, nous devons, pour favoriser le développement économique de l'ensemble des régions concernées par cet axe, disposer des meilleures relations possibles pour le fret avec les grands centres d'activités qui ont été cités.

On voit d'ailleurs sur la carte qui est présentée ici (1) les principaux axes de fret. L'axe qui nous concerne est l'un de ceux qui supportent les plus gros trafics - plus de 110 trains de fret par jour circulent entre Metz et Dijon, 80 circulent vers Modane, l'un des points sur lesquels nous essayons d'améliorer les conditions d'exploitation. Lorsqu'on se penche sur la desserte des grandes zones d'activités européennes se situant, soit vers Bâle, soit vers la région lyonnaise, ou dans le centre de l'Allemagne, on s'aperçoit que la concurrence est extrêmement vive avec les ports de l'Europe du Nord et du Bénélux. L'amélioration des dessertes vers le port de Marseille doit donc être prise en considération.

La difficulté principale est le n_ud lyonnais. Si nous ne savons pas passer ce n_ud dans des conditions favorables, il est clair que nous aurons de très grandes difficultés sur toute la zone méditerranéenne ; nous n'arriverons pas à nous placer favorablement par rapport à des ports pour lesquels les Gouvernements, en particulier le Gouvernement néerlandais, sont prêts à consentir des investissements massifs pour desservir, par voies ferroviaires, le centre de l'Allemagne. Il y a donc là un enjeu stratégique majeur. Les concepts de priorité fret, qui permettent de prendre des engagements plus fermes à l'égard des chargeurs, ne peuvent être mis en application que sur certains tronçons de voies sur lesquels il y a des trafics fret majeurs tout en développant de façon harmonieuse les diverses activités de l'entreprise.

Il s'agit clairement de ne pas perdre, du fait de la saturation, la qualité indispensable à l'existence de ces trafics. Les chargeurs se détournent du mode ferroviaire, soit parce qu'il n'est pas compétitif, soit parce que sa qualité n'est pas bonne.

Par ailleurs, l'évolution vers une logistique européenne a fait disparaître le principe de répartition entre le trafic de fret, concentré uniquement la nuit, et celui des voyageurs, uniquement le jour. Cette évolution appelle aujourd'hui une politique de désaturation. Il s'agit pour nous, et pour l'activité économique, d'un enjeu majeur.

Nous avons, sur l'axe Lyon-Mulhouse, des réserves de capacité importantes : 10 millions de tonnes de capacité supplémentaire, ce qui représente 670 000 poids lourds par an. Ce chiffre démontre qu'il y a là un potentiel important de développement de notre activité qui a des retombées positives sur l'ensemble des régions traversées, puisqu'elles peuvent, en matière de fret, se relier très facilement.

Les délais de transport sont également des éléments importants. Nous y travaillons activement en essayant de repositionner les périodes de maintenance de l'infrastructure. Il y a par ailleurs des techniques d'exploitation et de maintenance qui nous permettent d'améliorer à la fois la qualité, la compétitivité et la vitesse moyenne de transport. Par exemple, grâce à la politique des grands corridors de fret qui a été mise en oeuvre récemment, nous avons pu constater des améliorations de vitesse commerciale très significatives, puisque nous avons progressé dans ce domaine de 20 à 30 %.

Nous sommes obligés de passer par cette étape d'amélioration des conditions d'exploitation de l'infrastructure existante, car tous les investissements dont nous parlons sont des investissements à moyen et long terme qui permettront d'améliorer globalement les capacités. Les problèmes de congestion que nous pouvons rencontrer sont, quant à eux, des problèmes qui se posent à court terme, compte tenu notamment des développements légitimes des transports de la vie quotidienne autour des grandes agglomérations.

S'agissant de l'axe qui va en direction de Mulhouse, nous avons, au niveau du gabarit, très peu de contraintes. Il reste toutefois une zone sur laquelle les conteneurs ou les caisses mobiles des plus grands gabarits ne pourraient pas passer sans quelques travaux d'investissement. Les investissements principaux seront donc ceux concernant la désaturation, dont parlait le président Gallois.

Tels sont, très schématiquement, les éléments que je pouvais vous apporter. Nous sommes, bien entendu, très attentifs à l'utilisation de la ligne de la Bresse, car pour une partie du trafic qui va vers l'Italie c'est une ligne sur laquelle nous comptons bien développer une forte activité. Il s'agit d'un axe extrêmement actif et dynamique, et très concurrencé par les axes qui contournent la France et qui passent par la Suisse - et demain par les tunnels ferroviaires que les Suisses envisagent de construire pour aller directement en Italie.

M. le Président : Vous l'avez bien compris, monsieur le président, nous sommes sensibles, puisqu'il s'agit de l'axe Rhin-Rhône, à ce qui se situe entre Mulhouse et Lyon, mais les perspectives d'aménagement du territoire européen nous préoccupent également.

M. André VAUCHEZ : Monsieur Toubol, vous avez parlé de concurrence avec la route, ce qui est vrai, mais les transporteurs routiers disent aujourd'hui que la voie ferrée peut sauver la route, car on ne continuera pas à faire des autoroutes.

Ce qui nous intéresse, c'est évidemment l'axe Alsace-Méditerranée, notamment certains n_uds et points particuliers.

Tout d'abord, j'ai été surpris que n'ayez pas parlé de la ligne du Revermont. Il me semble que cette voie pourrait être un « plus » pour le transit Méditerranée-Alsace, puisque c'est le chemin le plus court. Je m'inquiète donc du fait que personne ne s'intéresse à cette ligne qui, je le rappelle, a été électrifiée avec l'aide des collectivités locales.

Je suis également surpris de constater que le fret qui doit venir de Lyon et monter sur l'Alsace pour irriguer cette région, passe en fait par Metz, le nord de la Lorraine, la région de Sarrebourg et redescend sur l'Alsace. Pourquoi donc faire tourner les trains au nord et faire en sorte que Dijon soit le n_ud dont vous vous plaignez à juste titre ?

S'agissant du TGV, il est évident qu'il doit être un outil d'aménagement du territoire qui permette de rapprocher les métropoles, mais nous devons nous préoccuper également de l'aménagement du territoire local. Le Gouvernement a constaté que « cela coinçait » au niveau du TGV Rhin-Rhône branche Est-Ouest, et que s'il y avait un accord unanime sur Besançon-Mulhouse, il existait de nombreuses difficultés entre Besançon et Dijon, tant avec les élus locaux qu'en ce qui concerne le coût. Par conséquent, on se demande s'il ne convient pas de proposer une nouvelle solution, à savoir la mise à 220 km/h de l'intégralité de cette partie Dijon-Besançon, soit 21 km sur 91 km (dont un pont).

On s'aperçoit par ailleurs que l'on ne gagnerait - sur cette partie de la ligne - que quelques minutes à rouler à 220 voire 300 km/h ; or l'arrêt du TGV à Dijon dure entre neuf et treize minutes. On se demande alors s'il n'y a pas un paradoxe à construire des trains rapides alors que les arrêts sont si longs !

S'agissant du problème de saturation, je suis tout à fait d'accord avec vous, des déviations sont nécessaires. Reste le problème des gares TGV en communication avec les TER. Il était d'usage, à une époque, de construire des gares au milieu des champs de betteraves ; il conviendrait aujourd'hui d'évaluer la dynamique que l'on espérait en tirer ; par exemple, dans le cas de Montchanin, on peut s'interroger sur ce que la gare a apporté. La vie se fait avec les hommes et les femmes et je ne sais pas si les usagers apprécieront de prendre le TGV en rase campagne pendant que les trains de marchandises et les TER passeront en ville.

En ce qui concerne la branche Sud, elle n'a d'intérêt que s'il y a des gares pour prendre les trains ; il convient donc d'annoncer clairement les choses avant de susciter les convoitises.

Enfin, je souhaiterais savoir si, au niveau de la concertation, vous faites participer les usagers par des enquêtes globales ou ciblées. Je vous remercie.

M. Louis GALLOIS : S'agissant de la ligne du Revermont, je ne voudrais pas vous faire une réponse rapide et peu satisfaisante. C'est la raison pour laquelle nous vous enverrons une réponse écrite.

En ce qui concerne la partie Dijon-Mulhouse, sachez que nous acceptons totalement - nous n'avons d'ailleurs pas à nous exprimer sur ce point - le choix de Mulhouse-Besançon qui a été fait par le Gouvernement. Cependant, il faudra bien, un jour, aller jusqu'à Dijon, puis peut-être, vers l'Ouest, jusqu'à Montbard. Nous devons donc réfléchir à la continuation de cette voie.

Sachez également que pour équiper la ligne Mulhouse-Besançon - dont le nombre de kilomètres est relativement limité -, nous allons devoir acheter la quasi totalité d'une desserte TGV, soit une trentaine de rames - ce qui correspond à 3,5 milliards de francs d'investissement, une rame TGV simple coûtant 115 millions de francs.

En ce qui concerne la mise à 220 km/h de la partie Dijon-Besançon, vous avez proposé une alternative que nous devons examiner. Cependant, il est clair que les trains de fret sont très mal à l'aise sur des voies où l'on roule à 220 km/h.

S'agissant des arrêts trop longs en gare de Dijon, je partage votre sentiment, mais cela démontre que nous avons des problèmes d'exploitation dans le n_ud dijonnais.

Pour les gares en rase campagne, l'on peut citer l'exemple emblématique de la gare des betteraves. Il existe une gare dont les résultats sont décevants, c'est la gare de Mâcon-Loché. En revanche, je ne partage pas votre diagnostic concernant la gare du Creusot-Montchanin qui possède son propre trafic.

S'agissant de la gare de Satolas, son trafic n'est pas aujourd'hui encore satisfaisant. Nous avons le devoir collectif de développer cette gare, car il n'est pas admissible qu'un tel investissement ne se traduise pas, dans une région aussi dense, aussi peuplée et avec un aéroport qui a un tel dynamisme, par une augmentation du trafic.

S'agissant de la participation des usagers, vous n'êtes pas sans savoir qu'elle est de droit dans les DUP. En outre, il s'agit d'une préoccupation constante pour nous, maintenant que nous appelons les usagers des « clients » et que nous souhaitons qu'ils montent en grand nombre dans nos trains. Cependant, nous sommes amenés à arbitrer, car chacun voudrait que le TGV s'arrête devant chez soi ! Or il ne peut pas s'arrêter partout, sinon ce n'est plus un TGV !

M. André GODIN : Monsieur le président, le contournement Est de Lyon est un sujet de préoccupation. Nous avons évoqué ce problème avec M. Raymond Barre - président du réseau des villes de Rhône-Alpes - et son souhait est de pouvoir l'inscrire au XIIe plan. Cela vous paraît-il possible ?

M. Louis GALLOIS : C'est également notre souhait, et nous allons le proposer pour le prochain contrat de plan. Peut-être pas dans sa totalité, mais dans une première étape significative qui se traduirait par un desserrement de l'étau que représente le n_ud lyonnais. Nous sommes en train d'étudier, avec RFF, des systèmes qui nous permettraient de « phaser » les investissements et de rendre la première étape immédiatement productive.

M. Lionnel LUCA : Monsieur le président, vous avez fait allusion tout à l'heure à ce qui se passe au-delà du Rhône du côté de l'Espagne, mais pas suffisamment du côté de l'Italie. Je souhaiterais connaître les perspectives du trafic de voyageurs vers l'Italie, en partance de Marseille.

M. Louis GALLOIS : Au-delà de Menton, la ligne du côté italien est de qualité très limitée et de caractéristique peu favorable au développement du trafic.

M. Lionnel LUCA : Il n'existe aucune perspective de travaux ?

M. Louis GALLOIS : Les Italiens affirment qu'ils vont en faire, mais on ne voit rien venir ! Manifestement, il ne s'agit pas d'une priorité pour les Italiens qui doivent financer l'arête du squelette de la botte, de Naples jusqu'à Milan et Turin, ce qui constitue un investissement très lourd. En outre, sur le plan du fret, ils sont en train de travailler avec les Suisses pour essayer d'aller vers le haut.

Nous interrogeons évidemment nos collègues italiens sur ce point. Nous essayons de les attirer sur un autre axe franco-italien, celui de Turin-Modane-Lyon. Nous rencontrons des difficultés à les détourner de leur tropisme Nord-Sud vertical dans l'axe de la botte. S'agissant des débouchés vers Nice, ils ont des projets, mais rien de concret ne se réalise.

M. Lionnel LUCA : Il nous est souvent dit, notamment au conseil général des Alpes-Maritimes, que les Italiens avancent, même jusqu'à Vintimille.

M. Louis GALLOIS : Il s'agit là d'une ligne à voie unique, ce qui est un handicap majeur pour nous car nous assistons à des détournements de trafics importants de l'Espagne vers le nord de l'Europe à travers l'axe Barcelone-Gênes en bateau - la voie de chemin de fer n'étant pas de qualité.

Pour les voyageurs, les Alpes-Maritimes sont un marché.considérable. La prolongation du TGV Méditerranée vers Nice n'est pas seulement une question de rentabilité de l'investissement, mais aussi de faisabilité réelle : il est difficile, aujourd'hui, de tracer une ligne nouvelle dans cette région. L'axe Marseille-Toulon est extrêmement chargé. Si nous pouvions aller jusqu'aux Arcs avec une ligne à grande vitesse, nous aurions certainement une desserte nettement améliorée de la Côte d'azur qui possède un énorme potentiel de voyageurs.

M. Joseph PARRENIN : Je voudrais sortir de ces considérations un peu trop géographiques pour vous poser une question plus générale. Un projet d'investissement dans le ferroviaire sur 20 ans dépend de choix politiques par rapport aux moyens de transport de demain. Par ailleurs, les lignes TGV concernent indirectement la stratégie des moyens de transport pour le fret de demain. Le rapport qui doit être remis au Gouvernement prend-il en compte ces deux données du problème - voyageurs et fret ?

M. Louis GALLOIS : Bien sûr. Il est clair que nous avons à gérer trois grands trafics. Cela nous conduit à des arbitrages qui ne peuvent pas tous être faits en faveur des grandes lignes et des voyageurs. L'importance du trafic fret est telle que nous commençons à faire des arbitrages de sillons en sa faveur, ce qui est nouveau. Nous venons de donner aux trains de la Sernam un numéro - comme aux trains de voyageurs -, si bien que les postes de commandement de la SNCF ne les distinguent plus des trains de voyageurs.

Cela va donc nous conduire à des arbitrages. Et nous aurons - je m'adresse là à un président de conseil régional - à discuter avec les conseils régionaux dans le cadre d'expérimentations ; lorsqu'ils nous demandent des augmentations de dessertes dans les n_uds, dans les étoiles des grandes agglomérations, nous devons avoir une vision d'ensemble des trafics que nous faisons passer.

La SNCF a clairement exprimé son point de vue sur la politique d'infrastructures. Notre priorité n'est pas seulement la construction de lignes nouvelles. Nous souhaitons d'abord l'amélioration de l'infrastructure existante sur laquelle nous avons des problèmes d'entretien et de mise à niveau.

Notre seconde priorité, c'est la désaturation. Nous sommes actuellement, sur un certain nombre d'axes, dont celui dont vous vous occupez, en voie de saturation. Ensuite, viennent les lignes nouvelles.

Claude Martinand et moi-même avons écrit au ministre - qui est tout à fait d'accord sur le principe - afin de lui soumettre l'idée que, dans les programmes d'investissement, les lignes nouvelles ne devraient pas représenter plus de la moitié des dépenses - contrairement à ces quinze dernières années, pendant lesquelles on a construit le réseau à grande vitesse français.

M. Joseph PARRENIN : Pouvez-vous nous donner une estimation du coût des investissements nécessaires à cette désaturation dans les vingt ans qui viennent ?

M. Armand TOUBOL : De l'ordre d'une trentaine de milliards de francs. Certains points sont extrêmement lourds, en particulier sur la grande ceinture de Paris, la région lyonnaise et dans la zone de Nîmes-Montpellier, et nécessitent des investissements importants.

M. Louis GALLOIS : Pour bien faire, il conviendrait de consacrer 1,5 ou 2 milliards de francs par an à la désaturation - pont de la gare Saint-Jean à Bordeaux, investissements de la grande ceinture liés à la mise en place des tangentielles autour de Paris, contournement fret de Lyon, aménagements et amélioration du transit à travers Dijon, contournement de la gare de Toulouse, etc. Cela intéresserait les voyageurs autant que le fret, et permettrait le développement du transport régional.

M. André GODIN : Si l'installation des gares en rase campagne n'a pas été à la hauteur de nos espérances, cela est-il envisageable pour le fret - notamment lorsque nous constatons des embouteillages dans une gare mixte telle que la nôtre ?

M. Louis GALLOIS : Les gares de fret ne sont pas au même endroit que les gares pour les voyageurs. Contrairement à vous, nous sommes en train de nous demander s'il ne faut pas que nous revenions dans l'urbain ; si le chemin de fer déserte l'urbain, de plus en plus de camions de gros tonnages pénétreront dans les villes. C'est la raison pour laquelle nous réfléchissons à de nouveaux concepts avec lesquels - avec des matériels adaptés, notamment pour la région parisienne - nous pourrions pénétrer dans l'urbain, sur nos emprises actuelles, pour que la desserte ne soit plus qu'une desserte locale, notamment pour la grande consommation. Cela étant dit, le grand triage dans votre région a lieu à Ambérieu, qui n'est pas une zone extrêmement urbanisée.

M. Armand TOUBOL : En réalité, il y a deux types de problématique. Tout d'abord, la problématique de la desserte logistique urbaine, que l'on retrouve dans les grandes agglomérations européennes, et pour laquelle un certain nombre de solutions commencent à être testées. Je puis vous citer celle consistant à utiliser les emprises ferroviaires pour y amener des trafics, avec des techniques acceptables pour l'environnement - c'est-à-dire avec des plates-formes aux abords des grandes agglomérations qui soient reliées au rail, puis des transbordements permettant de pénétrer à l'intérieur de la ville dans des conditions qui ne suscitent pas de nuisances pour les habitants.

Il existe par ailleurs une deuxième problématique : un certain nombre de zones se développent à l'extérieur des agglomérations, sur lesquelles des activités industrielles se concentrent. Nous étudions donc toutes les possibilités. Actuellement, nous faisons la promotion d'une technique bimodale, celle du roadrailer, qui nous permettra d'avoir une certaine flexibilité. Il s'agit d'une technique bimodale rail-route autonome, c'est-à-dire que le camion lui-même devient le wagon - technique très utilisée aux États-Unis - ce qui permet d'avoir une flexibilité de desserte, y compris dans certaines agglomérations qui ne sont pas aussi industrialisées que d'autres, avec une efficacité intéressante.

M. le Président : Vous avez évoqué, monsieur le président, un point intéressant et préoccupant pour le président de région que je suis, je veux parler du trafic entre Barcelone et Gênes qui se développe faute de possibilités de passage convenables en Provence.

Dans un souci d'aménagement du territoire national et de bon développement de l'espace français dans l'Union européenne, on voit bien le rôle que pourrait jouer le port de Marseille par rapport à Barcelone et à Gênes. Encore faudrait-il que le désenclavement de Marseille vers le Nord soit correct ! De ce point de vue, le canal aurait pu jouer un rôle ; en tout cas le train, notamment le ferroutage pour le fret, pourrait jouer ce rôle important.

Le port de Marseille est-il réellement un débouché intéressant - il faut absolument que vous me répondiez oui ! - et, en matière de fret, comment éliminer le goulot d'étranglement de Lyon ? Par ailleurs, quel est votre sentiment sur les grands corridors européens de fret, comme celui qui joint la Belgique à l'Italie et l'Espagne ? Enfin, existe-t-il un important marché potentiel de transport combiné rail-route avec l'Allemagne ?

M. Armand TOUBOL : Le port de Marseille est, pour la France, un atout majeur. Le port doit cependant offrir à ses clients un service fiable. Le développement des ports de Barcelone et de Gênes est en partie dû au problème de la fiabilité de la chaîne logistique.

Aujourd'hui, les infrastructures du port de Marseille sont remarquables et les capacités de développement sont exceptionnelles - elles sont très au-delà de ce que peut offrir le port de Gênes. Par conséquent, nous nous devons de miser sur le port de Marseille. Il est cependant un peu excentré par rapport aux très grands bassins de développement économique que l'on trouve, soit dans le centre de l'Allemagne, soit dans la région de Milan et de Turin, qui sont extraordinairement dynamiques en termes de développement. Nous devons donc être extrêmement efficaces pour desservir ces régions et concurrencer les voies alternatives de Gênes, Barcelone et Rotterdam.

Par conséquent, pour nous, l'enjeu - et nous sommes en train de réaliser des expérimentations à cet effet - est de réaliser un saut d'efficacité sur les liaisons entre Marseille, Lyon et le centre de l'Europe, et entre Marseille, Lyon et l'Italie. Nous expérimentons des trains plus longs - qui permettront de mieux utiliser les capacités disponibles sur les lignes - ainsi que des techniques de freins électroniques. Nous faisons également des recherches pour des techniques de radio-commandes de locomotives qui permettront d'avoir des trains plus longs. Le principe est le saut d'efficacité.

Nous sommes allés récemment aux États-Unis où les trains font 12 000 tonnes. Bien entendu, nous ne pourrons jamais construire de trains à double niveau (double stack) - au premier tunnel, nous nous mettrions à les décharger ! -, mais nous devons les allonger pour gagner en efficacité et pour mieux utiliser le réseau. Cela exige qu'un certain nombre de conditions soient remplies, telles que le renforcement d'installations électriques. Mais il ne s'agit que de problèmes techniques de second rang, sur lesquels nous devons nous pencher pour améliorer cette efficacité, mais qui pourront être surmontés.

Reste le problème lyonnais qui est crucial. Il s'agit d'un élément de la qualité du service que nous offrons à notre clientèle. Ce problème doit être absolument résolu ; il le sera certainement par la technique du contournement.

Par ailleurs, il existe effectivement un problème vers l'Italie ; nous devons améliorer notre efficacité de pénétration en Italie. La voie côtière, voie unique et de faible capacité, est difficilement exploitable pour nous, puisque nous dépendons totalement des Italiens. Il ne reste que Modane. Sur ce plan, nous avons fait de gros efforts de négociation avec les Italiens pour améliorer le franchissement des Alpes. Vous connaissez la problématique qui s'attache à la création d'un nouveau tunnel qui pourrait être utilisé aussi bien par le fret que par les voyageurs. Par anticipation, nous avons des possibilités de gain en termes de capacité qui sont extrêmement fortes : on peut envisager un doublement de l'activité de passage vers l'Italie en passant par Modane.

S'agissant des grands corridors européens, bâtis sur la base de la directive 91-440 et en coopération avec les grands réseaux voisins, ils sont en train de démontrer leur efficacité. En effet, ils ont entraîné une amélioration de la qualité. Tous les acteurs se sont efforcés de donner de meilleurs sillons et ont amené implicitement cette perception de la nécessité d'une priorité fret sur ces grands corridors pour que le service offert aux chargeurs soit de meilleure qualité.

Nous croyons donc au développement de ces corridors et nous pensons qu'ils ne fonctionneront pas à sens unique. Nous savons pertinemment que les ports sont desservis à taux de fret maritime à peu près constant, que ce soit au Nord ou au Sud de l'Europe. Par conséquent, c'est véritablement la qualité et la performance de la chaîne logistique terrestre qui fera le succès d'un ou de plusieurs ports - la fiabilité étant l'élément incontournable.

M. Louis GALLOIS : Nous avons mis en place entre Marseille et Lyon une navette. On nous demande maintenant d'assurer, pour le trafic de cette navette, non seulement la liaison avec Fos, mais également la liaison avec le port de Marseille, ce qui est tout à fait possible dès lors que l'on nous assure que les trains seront suffisamment chargés.

La discussion avec le port de Marseille est de meilleure qualité que dans le passé, ce qui est un progrès. Nous développerons le trafic ferroviaire à partir du port sur la base à la fois de nos propres efforts et de ceux que le port pourra réaliser.

M. Armand TOUBOL : Je n'ai pas répondu à votre question, monsieur le président, concernant le transport combiné. Le transport combiné est pour nous un axe stratégique de développement. En revanche, ce n'est pas un axe de rentabilité immédiate pour l'entreprise et nous avons de grands progrès d'efficacité à réaliser. Comme vous le savez, les avantages indirects du transport combiné sont non pour l'entreprise mais pour la collectivité. L'entreprise se trouve être le maillon central d'une chaîne logistique complexe qui comporte des routiers et des opérateurs qui font les transbordements ; par conséquent, c'est le maillon ferroviaire qui est la variable d'ajustement du prix pour s'aligner sur le prix routier de bout en bout.

Il est clair que l'État doit soutenir ce mode de transport, car c'est le meilleur moyen pour transférer du trafic de la route vers le rail dans de brefs délais. Les autres méthodologies utilisant des techniques de transport ferroviaire conventionnelles mettront beaucoup plus de temps à être efficaces.

Les problèmes des chantiers de transbordement sont importants. Actuellement, dans la région de Marseille, le chantier Marseille-Canet a encore quelques possibilités de développement. Le secteur d'Avignon est très porteur. Quand nous remontons, vous savez que des points, notamment dans le secteur de Lyon, dans celui de Dijon, proche du Jura, avec un chantier à Gevrey, permettent d'avoir des dessertes intéressantes. Nous sommes donc attentifs au système bimodal qui nous permet de desservir des zones où l'on ne peut pas avoir la même densité qu'autour des grandes agglomérations.

Nous essayons donc de développer le transport combiné avec les adaptations nécessaires pour pouvoir être performant sur les flux les plus massifs ainsi que sur ceux qui le sont un peu moins.

M. Jean-Jacques WEBER : Nous n'avons pas encore évoqué l'entretien que nous avons eu, ici, avec Mme Voynet. Elle nous avait laissé entendre que le canal pourrait être avantageusement remplacé par un système SNCF nouveau avec des wagons à gabarit élargi, ce qui m'avait semblé un peu fantaisiste. Un tel système est-il envisageable ?

Par ailleurs, à propos de la plurimodalité, vous savez que les Suisses travaillent actuellement sur ce problème. Il s'agit donc de savoir si nous sommes capables, soit dans le sillon rhodanien, soit dans la traversée de la Franche-Comté vers l'Alsace, d'apporter une réponse à ce problème, sinon les trafics passeront directement par l'Allemagne.

Je voudrais, en outre, faire une remarque. J'ai pu constater encore récemment que de nombreux cargos sont obligés d'attendre, pour charger ou décharger, que le port de Marseille se libère, ce qui est désolant pour l'économie de notre pays. Je pense par ailleurs que le tronçon de canal manquant va handicaper notre pays, notamment le port de Marseille, en termes de fret.

M. Louis GALLOIS : Pour passer à des conteneurs de plus gros gabarit, nous devons réaliser des investissements sur les voies d'un montant d'environ 250 millions de francs. Ensuite, l'axe Strasbourg-Marseille acceptera les plus gros gabarits de conteneurs existants. Je ne pense pas que l'on ait la possibilité d'aller au-delà, car si l'on construisait des trains de capacité exceptionnelle par rapport au reste du réseau européen, ces trains ne pourraient plus circuler en dehors de France. C'est la raison pour laquelle Armand Toubol expliquait qu'il convenait de faire des trains plus longs, ce qui est tout à fait envisageable.

Plutôt que les autoroutes ferroviaires, c'est le transport combiné qui se développe actuellement en Europe. Les Suisses, pour réaliser des parcours très courts, utilisent des systèmes d'autoroutes ferroviaires : le camion monte sur les plates-formes. Or, il s'agit là d'une solution très coûteuse. En effet, vous êtes obligés, pour passer sous les tunnels et les catenaires, d'avoir des roues d'un diamètre plus réduit, elles s'usent donc plus rapidement que les autres ; en outre, vous transportez en même temps que la charge utile le tracteur et la plate-forme qui sont des charges mortes. Or ce qui coûte le plus cher, dans le transport, c'est le poids.

Cette solution est donc surtout adaptée aux parcours courts où les contraintes sont très fortes - en Suisse, cela évite la traversée des vallées alpines par les camions. En revanche, cette solution paraît trop coûteuse pour se développer à grande échelle sur les longs parcours. Nous sommes en pourparlers avec une entreprise qui voudrait que l'on fasse Toul-Rivesaltes avec ce système ; l'économie ne nous paraît pas du tout évidente par rapport à l'idée simple qui est de prendre la caisse, de la mettre sur un wagon et de trouver un tracteur à l'arrivée. Cela dit, nous travaillons sur ce concept pour voir si on peut en améliorer l'économie pour les longs parcours.

Ce que nous envisageons sur l'axe qui vous intéresse, monsieur le député, c'est la mise à grand gabarit de l'ensemble de cet axe pour les grands conteneurs.

Vous avez évoqué les trafics qui montent par la Suisse. Un des éléments principaux est la fusion des activités fret des chemins de fer suisses et de la FS, associés à la construction, au coût de dizaines de milliards de francs, de deux grands tunnels transalpins en Suisse. Dans ce cas, une part très accrue du trafic, à partir de Milan, pourrait monter tout droit vers l'Allemagne au lieu de passer par Modane.

Actuellement, Modane est un itinéraire très important pour nous, puisqu'il représente 15 % du trafic fret français. Nous avons à le défendre et à l'améliorer pour faire face à la concurrence du trafic vers le Nord qui débouche sur Bâle, où les marchandises ont le choix entre trois modes de transport, la voie fluviale, le passage par la rive droite ou celui par la rive gauche.

Carte

Audition de M. Jean-Claude GAUDIN,
Sénateur-maire de Marseille

(extrait du procès-verbal de la séance du vendredi 11 décembre 1998 à Marseille)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Après la décision du Gouvernement de Lionel Jospin de renoncer au projet de canal Rhin-Rhône, la nouvelle majorité, dont les partisans du canal - comme je l'étais et comme je le demeure - et les adversaires de ce projet dans une perspective dynamique - comme M. Jean-Louis Fousseret, notre Rapporteur - a décidé d'avoir une vision dynamique du problème et d'examiner les autres moyens de développement de l'axe Rhin-Rhône. L'intitulé de la mission d'information, à laquelle participent des membres de tous les groupes de l'Assemblée, est la suivante : « Perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône ». Cet axe va des Bouches du Rhin aux Bouches du Rhône, avec tout l'intérêt que peut porter la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur au développement de cette liaison entre le Sud de la France et le Nord de l'Europe, grâce à la liaison entre l'axe rhodanien et l'axe rhénan, axes majeurs pour le développement européen et l'avenir de Marseille.

Après avoir procédé à des auditions à l'Assemblée, notre mission d'information est aujourd'hui sur le terrain pour recueillir l'avis des acteurs de la vie politique et économique de la région PACA.

M. Jean-Claude GAUDIN : J'ai été très surpris de la rapidité avec laquelle le Gouvernement a décidé l'abandon du canal Rhin-Rhône, alors que ce projet avait été approuvé dans une loi qui n'a pas été abrogée. C'est d'autant plus regrettable que les financements étaient prévus. Les décisions prises jusqu'à présent par le Gouvernement de M. Lionel Jospin ne nous satisfont pas avec, d'une part la suppression du canal Rhin-Rhône, et d'autre part un quasi abandon de l'autoroute A 51 du Val de Durance pour laquelle la région avait fait des efforts considérables, puisque M. Michel Vauzelle inaugurera bientôt le dernier tronçon Sisteron-La Saulce. Il est dommage de s'arrêter là, sachant que les impératifs financiers sont très importants. Pour en terminer avec cette affaire, que l'on ne nous dise pas que le passage de la vallée du Buech n'a jamais été sérieusement étudié et coûterait aussi cher que l'autre passage.

M. le Président : C'est-à-dire le passage par Gap.

M. Jean-Claude GAUDIN : Exactement, et la vallée de l'Avance.

Après l'abandon du canal Rhin-Rhône, il est aujourd'hui impératif de développer un corridor ferroviaire adapté à la desserte de Marseille et de son port pour développer le transport combiné. C'est un outil adapté à la desserte terrestre des grands ports - notamment au trafic de conteneurs - et des grandes agglomérations par ses possibilités de massification des flux. La ville de Marseille demande :

- la modernisation urgente de la gare de transport combiné du Canet, aujourd'hui vétuste et saturée ;

- une étude sur les investissements nécessaires à long terme pour un axe ferroviaire complet de Marseille à Mulhouse qui entraînera la réalisation prioritaire du contournement de Lyon.

- une étude sur les mesures réglementaires de valorisation de cet axe (priorité des circulations fret, tarifs, concurrence, association du port de Marseille au suivi de l'exploitation et de la qualité de la prestation SNCF etc).

Sur ce point, je n'ai pas pu intervenir hier matin au Sénat dans le débat sur l'aménagement du territoire. J'y ai assisté et mes collègues de la majorité sénatoriale m'ont rendu hommage pour le travail que j'avais accompli en qualité de ministre pour la mise en place de la loi Pasqua. Durant les vingt mois que j'ai passés à la tête du ministère de l'aménagement du territoire, j'ai fait rédiger 94 décrets d'application de la loi et 11 circulaires. Je voulais entendre M. Jean François-Poncet le dire devant Mme Dominique Voynet, qui parlait déjà de supprimer le canal, le jour de la passation de pouvoirs entre nous. C'était imprudent, car l'expérience montre qu'il est préférable de dire par quoi on va remplacer ce que l'on a décidé de supprimer. Cela heurte moins ceux qui se sont beaucoup investis. C'était notre cas dans cette affaire, grâce notamment à Edgard Faure.

La région PACA a dépensé beaucoup d'argent pour cette liaison Rhin-Rhône. A Arles par exemple, nous avions refait le seuil de terrain que M. Michel Vauzelle connaît parfaitement bien, et nous nous étions même engagés sur des travaux extérieurs à la région. Il est exact que la liaison Rhin Rhône coûtait cher, cela ne nous échappe pas, mais si on la supprime il faut la remplacer par autre chose. Vous y réfléchissez et vous aurez notre appui dans cette recherche avec les quelques demandes que je me suis permis de formuler et que je répète : modernisation urgente de la gare du Canet, étude sur les investissements nécessaires à long terme pour un axe ferroviaire Marseille-Mulhouse, réalisation du contournement de Lyon et étude sur les mesures réglementaires de valorisation de cet axe. Voilà ce que l'on peut vous dire sur cette liaison Rhin-Rhône ferroviaire adaptée au développement du transport combiné.

M. le Rapporteur : Il y avait une différence d'analyse sur l'opportunité du projet. On ne peut pas revenir sur la décision prise qui fait suite à un engagement pris avant les élections législatives par M. Lionel Jospin. Il faut donc positiver et voir comment on peut améliorer les liaisons sur ce corridor.

M. Jean-Claude GAUDIN : En tant que républicains convaincus, nous savons que la nouvelle majorité décide. A mon avis, elle aurait dû décider moins brutalement. Pour autant, elle a le droit de choisir la méthode qu'elle veut. Cependant, si les projets du Gouvernement, notamment en matière d'aménagement du territoire, consistent à faire des coupes sombres dans la région, cela ne peut pas avoir notre assentiment.

M. le Rapporteur : En ce qui nous concerne, la liaison Rhin-Rhône est capitale. La divergence portait sur l'utilité économique et la rentabilité du canal, entre autres entre Saint Symphorien et Mulhouse. Par contre, nous nous retrouvons sur la nécessité de mettre en place un corridor ferroviaire. Quand vous dites que vous souhaitez une étude ferroviaire complète de Mulhouse à Marseille, cela me paraît nécessaire.

M. Jean-Claude GAUDIN : Le récent rapport intitulé « Dix propositions pour un développement durable du transport combiné » du président du conseil national des transports, M. Pierre Perrod, remis à M. Jean-Claude Gayssot en juillet dernier, propose des mesures importantes pour le développement du combiné. Pour Marseille, il demande « la modernisation urgente du Canet - rejoignant ainsi notre propre demande - le réexamen du projet de la gare de Grans-Miramas, jugée inadaptée - Ce n'est pas nous qui le disons ! - la modernisation du Canet (80 MF) nécessite de nouvelles voies de 750 mètres, ce qui pourra permettre d'accueillir des trains plus longs et de gagner en capacité. Parallèlement, Mourepiane accueillera une petite partie du trafic maritime sur le terminal conteneur. En trafic, le Canet est le troisième de France avec Avignon, et en matière de combiné continental, le Canet est d'ores et déjà saturé. Il s'agit d'un investissement urgent. » Je ne continue pas plus loin. Pour le reste, s'il y a un plus dans le contrat de plan et sur lequel nous serions d'accord dans le cadre de la proposition formulée par M. Michel Vauzelle, nous y souscrirons, puisque cette demande émane aussi de la ville de Marseille. Sur ce point, nous n'avons pas de difficulté avec la région.

M. Renaud MUSELIER : On essaie de tirer le Rhône vers le Sud, ce qui pour nous à l'échelon local, peut constituer une difficulté, sachant que les membres de la mission sont plutôt originaires du Nord, de l'Est et du centre Est.

M. le Président : C'est-à-dire ceux qui sont le plus concernés par le lieu géographique.

M. Renaud MUSELIER : Dans cette logique, ils risquent d'oublier que la liaison Rhin-Rhône va jusqu'au Sud. C'est pourquoi nous le rappelons. Notre département et notre région ne doivent pas être pénalisés par l'abandon de ce projet. Il faut donc mettre en place des corridors, des dispositifs qui permettent de compenser cette décision que nous ne partagions pas au départ mais que nous respectons.

M. le Rapporteur : Une décision a été prise et nous essayons les uns et les autres de voir comment on peut positiver tout cela et faire en sorte qu'il y ait effectivement une liaison.

M. Jean-Claude GAUDIN : Les demandes que la ville de Marseille formule devraient entrer dans le cadre du contrat de plan Etat-région en tous les cas, c'est ce que nous demanderons. Il semble qu'un CIAT est prévu bientôt.

M. le Président : Le 15 décembre.

M. Jean-Claude GAUDIN : Nous verrons ce que le Gouvernement attribue à Marseille en la circonstance. La première des choses que nous souhaitons est le respect de la parole donnée. Des engagements ont été pris, notamment en matière de délocalisations, et n'ont pas encore été concrétisés. Nous aimerions bien que cela le soit. Pour les contrats de plan, le président du conseil régional consultera les maires des villes importantes de cette région. Je connais la procédure, l'ayant moi-même mise en _uvre par deux fois. C'est un travail de romain : de nombreux déplacements, la consultation de tous les conseils généraux, où chacun ne voit que ce qui l'intéresse spécifiquement, l'intérêt général étant moindre chez ces élus locaux, parfois parlementaires. Ensuite, il faut faire le tri. Nous aurons à formuler au président du conseil régional un certain nombre de demandes relevant d'un intérêt général et qui ne devraient pas poser trop de problèmes. Nous n'avons pas de demandes partisanes. Je souhaite que l'on ait un langage clair avec moi et la ville. On ne peut pas dire tout le temps que l'on va aider Marseille, et faire des démarches auprès des ministères pour que cela ne réussisse pas ou envoyer des lettres pour dire qu'une délocalisation est prévue à Marseille, mais que par pitié, il faut l'envoyer sur l'Arbois. Une lettre en ce sens a été signée par deux parlementaires socialistes. Ce n'est pas concevable. On ne nous fera pas cela longtemps !

M. le Président : Ce qui n'est pas bien de leur part, c'est de l'avoir écrit.

M. Jean-Claude GAUDIN : Bien sûr, car bien entendu, la lettre me revient d'une manière ou d'une autre. « C'était prévu pour Marseille, mais surtout ne le donnez pas à Marseille et mettez le sur l'Arbois ». En tant que président du conseil régional, j'ai porté l'Arbois à bout de bras pour faire plaisir aux socialistes contre l'avis de mes propres amis politiques. Et c'est moi qui défendais ce projet en séance publique car généralement, ils n'étaient plus là. Voilà la position de la ville de Marseille. Par conséquent, c'est clair et nous sommes sur la même ligne que ce que défend le président de la région.

M. le Rapporteur : Quel bilan tirez-vous de la navette ferroviaire entre Lyon et Marseille ?

M. Renaud MUSELIER : Les résultats ont été multipliés par trois. C'est un dossier très bien défendu par M. Henry Roux-Alezais, président du port autonome. Les Lyonnais en sont contents ainsi que les Marseillais. La SNCF en est également satisfaite.

M. le Rapporteur : Cela n'assèche-t-il pas quelque peu les liaisons fluviales ?

M. Jean-Claude GAUDIN : C'est possible.

M. le Rapporteur : Vous voyez pour quelle raison je vous dis cela : c'est une constatation.

M. Jean-Claude GAUDIN : Passer dans un autre mode nécessite aussi des changements de comportements, d'habitudes. Avec la SNCF, dans le cadre d'Euro Méditerranée, nous remettons à niveau le tunnel de la Joux en vue de la réalisation d'une liaison ferroviaire qui existe, mais qui avait été abandonnée depuis longtemps entre le port et la gare Saint Charles.

M. Renaud MUSELIER : La SNCF discute le prix de la navette, car la montée en puissance a nécessité un investissement important. Mais cela ramène des marchandises vers le Sud alors que, la plupart du temps, ces marchandises ne passaient pas par le fleuve mais partaient vers les grands ports d'Europe du Nord.

M. le Rapporteur : Selon vous, cela renforce donc la région.

M. Renaud MUSELIER : C'est incontestable.

M. le Président : La multiplication par trois des résultats, à quand remonte-t-elle ?

M. Renaud MUSELIER : A cette année. Nous étions à Lyon il y a deux mois, dans le cadre des rapports Lyon-Marseille, et les techniciens des ports nous expliquaient l'évolution du système. Par le fleuve, cela existait auparavant et cela marchait, mais le rail est plus performant par la qualité du service, d'où l'importance des liaisons rail-route pour assurer une continuité.

M. le Rapporteur : Quelle est votre analyse quant à la situation du port de Marseille ? Comment envisagez-vous le développement du port de Marseille compte-tenu de la concurrence ?

M. Jean-Claude GAUDIN : « Peut mieux faire », et de beaucoup.

M. le Rapporteur : J'ai constaté que le port a un nouveau directeur général.

M. Jean-Claude GAUDIN : Oui, il y a un nouveau directeur général. Vous le rencontrerez, ainsi que le président du port. Le port a un peu progressé, mais le directeur Éric Brassart vous dira qu'on pourrait beaucoup mieux faire. En réalité, le port est sous la dépendance de la CGT qui peut à tout moment le bloquer. Quand la CGT bloque le port, combien perd-on par jour ?

M. Renaud MUSELIER : Cela dépend s'il s'agit du trafic conteneurs ou marchandises, puisqu'ils ne bloquent plus la totalité du trafic.

M. Jean-Claude GAUDIN : En tout cas, le blocage du port coûte un argent fou.

M. Renaud MUSELIER : De l'ordre de 20 millions de francs par jour. Cependant, les choses ont quand même beaucoup changé depuis septembre 1994, date des dernières manifestations violentes sur le port. Il n'y a pratiquement plus de grèves, même si des conflits sociaux persistent. On a réglé le problème des acconiers et celui de la réparation navale. Nous avons aujourd'hui un vrai problème, celui de la SNCM qui se positionne sur le marché européen et qui essaie de savoir si elle bénéficiera de la continuité territoriale ou si les liaisons qu'elle assure seront ouvertes aux bateaux italiens et aux autres. Il y a là une question vitale pour la survie de l'entreprise. C'est l'une des raisons si ce n'est la seule - pour laquelle des grèves ont récemment eu lieu sur le port. Les dockers, entre le bassin Est et le bassin Ouest, ne se battent plus, ou se battent trop pour être solidaires. Il n'y a plus de conflit.

La mentalité sur le port a beaucoup évolué puisque nous avons aménagé, dans le cadre d'Euro-Méditerrannée, les grands hangars qui étaient sur le port, des friches industrielles qui ont été cassées, sans un jour de grève, sans un jour de violence. A ma demande et à celle des autorités du port, le maire de Marseille s'est rendu sur le port. Il faut savoir qu'aucun maire de Marseille n'était allé visité le port depuis 1926. Il n'y avait pas de discussion entre le premier magistrat de la ville et la communauté portuaire représentée par des personnalités très différentes les unes des autres, mais complices dans une certaine mesure et abandonnées par ailleurs par le pouvoir central. C'est ahurissant, quel que soit ce pouvoir. Dans ces conditions, il était difficile d'avoir un dialogue, une quelconque évolution puisque les conflits s'enlisaient. On a donc assez bien réussi.

M. Jean-Claude GAUDIN : C'est vrai qu'il n'y a pas d'hostilité avec la ville. Sous ma présidence de la région, celle-ci a été la seule institution à donner 50 millions de francs au port autonome de Marseille. Ils n'ont même pas été capables de dépenser cette somme ! Il reste encore de l'argent qui n'est pas sorti des caisses de la région.

Nous avons passé un accord avec le port, selon lequel la ville de Marseille lui attribue 20 millions de francs pendant trois ans à partir de cette année.

M. Renaud MUSELIER : Alors qu'elle n'avait jamais rien donné. Pas un franc, jamais.

M. le Rapporteur : La richesse de Marseille s'est pourtant faite autour de son port.

M. Jean-Claude GAUDIN : Il y avait une tradition de puissance des communistes jusqu'à la Libération et les années d'après-guerre. Ensuite, la situation s'est modifiée avec Gaston Defferre qui s'est plus appuyé sur le patronat pour lutter contre les communistes durant une grande partie de sa vie politique ; Gaston Defferre a été allié à Marseille avec la droite pendant vingt-quatre ans. J'étais un jeune homme, mais j'étais déjà présent. C'était une époque où la droite de la ville s'alliait aux socialistes pour empêcher les communistes d'avoir la mairie.

M. le Rapporteur : Je ne prendrai peut-être pas parti.

M. Jean-Claude GAUDIN : Nous non plus. C'est l'histoire. Ce ne sont pas de très bons souvenirs pour nous. Cela n'a pas duré un jour, mais vingt quatre ans ! Pourtant, cela correspond aux vingt quatre meilleures années du développement de Marseille. Il reste donc dans le subconscient des Marseillais que cette alliance n'a pas été quelque chose d'infamant ou de pénalisant, mais au contraire, quelque chose d'assez positif. Il y a des explications historiques et locales à cela. Depuis lors, les choses ont évolué. Nous avons donc rétabli un dialogue qui fait que les choses se passent mieux. Il est vrai que négocier la disparition des J3, des J4 qui étaient des symboles de l'après-guerre, vétustes mais qui empêchaient les Marseillais d'atteindre la mer, était une bonne chose. Nous avions d'ailleurs fait appel au débat public.

M. le Rapporteur : Dernière question. Puisque notre mission d'information traite des aspects culturels et sociaux, que pensez-vous d'un grand axe de communication pour intégrer les nouvelles technologies entre l'Alsace et le Sud ?

M. Jean-Claude GAUDIN : M. Michel Vauzelle vous le dira : nous avons déjà des autoroutes de l'information financées par la région.

M. le Rapporteur : Une autoroute qui remonterait jusqu'à l'Alsace ?

M. Jean-Claude GAUDIN : Je ne sais pas jusqu'où elle remonte actuellement. Concernant les pôles technologiques, beaucoup de choses ont été faites qui méritent d'être remises au goût du jour, modernisées.

M. le Rapporteur : Pour schématiser, ne faudrait-il pas développer une fibre optique qui aille du port de Marseille à un port que nous puissions connecter.

M. Jean-Claude GAUDIN : Le système de communication mis en place par la région sur le port correspond à cela, mais dans un axe privilégié depuis le nord jusqu'ici. Nous y serions favorables. Nous sommes désireux de faire tout progresser dans la modernité. Par conséquent, s'il faut s'associer à ces choix, nous le ferons, et le cas échéant, nous financerons puisque nous sommes les premiers à financer les investissements, après la région, sur le port de Marseille. M. Éric Brassart vous confirmera sans doute les chiffres que j'ai cités précédemment. Ils sont un peu meilleurs, mais on pourrait faire nettement mieux sur le port de Marseille. Par contre, en matière de conteneurs, cela marche très fort.

M. Renaud MUSELIER : Intra muros Marseille.

M. Jean-Claude GAUDIN : Nous sommes nous-mêmes surpris du boom que provoquent les croisières. Cette année, nous évaluons leur part à 100 millions de francs dans l'économie de la ville. Beaucoup plus que le Mondial qui a généré un état d'esprit très bénéfique, même au plan politique. Depuis il y a eu un changement d'état d'esprit. Nous considérons que l'image de la ville se redresse. Nous avons eu quelques bons chiffres, mais cela n'exclut pas que nous ayons besoin des autres collectivités pour réussir et pour financer un certain nombre de choses dont nous avons besoin.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de MM. Gilbert PAYET,
Secrétaire général pour les affaires régionales
à la préfecture de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur,

et Hubert PEIGNÉ,
Directeur régional de l'équipement

(extrait du procès-verbal de la séance du vendredi 11 décembre 1998 à Marseille)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Notre mission a été créée à la suite de l'abandon, par le Gouvernement de M. Jospin, du projet de canal Rhin-Rhône. Cette mission d'information, qui rassemble toutes les sensibilités de l'Assemblée nationale, doit déposer, au printemps prochain, un rapport sur les perspectives de l'axe européen Rhin-Rhône, ce qui intéresse au premier chef le devenir de Marseille et de la région Provence Alpes Côte d'Azur.

Nous souhaitions donc vous rencontrer, Messieurs, pour avoir votre point de vue sur les perspectives régionales dans ce domaine. Nous venons de rencontrer M. Jean-Claude Gaudin, et nous rencontrerons MM. Jauffret, Cardella, Guérini, Roux-Alezais, Brassart... Peut-être désirez-vous commencer par aborder certains sujets de manière assez globale, puis attirer l'attention de la mission sur quelques points ?

M. Gilbert PAYET : J'aimerais vous présenter M. Jean Bonnier, directeur d'études au secrétariat général pour les affaires régionales et excuser M. Jean-Paul Proust, préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, préfet des Bouches du Rhône appelé à Paris pour une réunion des préfets.

Bien entendu, avant cette réunion, j'ai interrogé M. le préfet de région sur les priorités de l'Etat au regard de l'abandon du canal Rhin-Rhône. Pour nous, la première réponse à l'abandon de ce projet est très clairement de donner la priorité à ce que l'on appelle parfois le « Rhin-Rhône ferroviaire ». Cet axe ferroviaire pourrait permettre au port autonome de Marseille, et à l'ensemble de la région de manière plus générale, d'améliorer ses relations avec le nord et surtout le centre est de l'Europe.

S'agissant de l'Europe du nord proprement dite, la question se pose de savoir, dans le cas de la mise en place d'un corridor et d'un accès direct entre Rotterdam et Marseille, si c'est Marseille qui irriguera l'Europe du nord, ou si ce n'est pas plutôt Rotterdam qui viendra dans le secteur de Lyon prendre une partie de notre clientèle !

En revanche, il est important d'améliorer la desserte vers le nord et le centre-est de l'Europe, et qui dit Rhin-Rhône ferroviaire dit d'abord investissements très lourds. La solution pour régler le problème du n_ud lyonnais serait le contournement ferroviaire de Lyon.

S'agissant de ce contournement ferroviaire, nous souhaitons porter une attention particulière au phasage des travaux, pour tout ce qui concerne l'amélioration de la circulation entre le nord de Lyon et l'Italie et l'amélioration de la circulation entre le sud de Lyon et donc la région PACA - et l'Italie. Un scénario relativement catastrophique serait que parallèlement à certains projets, concernant notamment Lyon-Turin, l'on mette en place de manière décalée dans le temps, d'une part une amélioration entre Lyon, l'Europe du nord et le centre-est de l'Europe, et que l'on traite le trafic en provenance du sud seulement dans un second temps. La priorité numéro un est donc bien ce couloir rhodanien et le n_ud lyonnais. Toujours dans la même logique, même si le lien avec Rhin-Rhône est un petit peu plus ténu, l'idée est de faire sauter le deuxième goulet d'étranglement - Nîmes-Montpellier - en matière de trafic fret ferroviaire lourd. Voilà donc les deux grandes priorités.

Ensuite, il y a toutes les mesures annexes visant à fluidifier le trafic fret, à améliorer la coordination entre trafic passagers et trafic fret dans ce couloir rhodanien déjà saturé, et notamment l'utilisation éventuelle des voies TGV pour du trafic fret, selon un phasage effectivement assez délicat à mettre en _uvre. Le second élément de priorité concerne bien entendu les traversées alpines, avec notamment l'autoroute A 51 qui n'est pas une traversée transnationale.

Au moment où l'on s'approche de la mise en service du second barreau permettant d'éviter le couloir rhodanien pour les trafics autoroutiers, il est impératif d'accélérer les travaux sur la liaison Grenoble-Sisteron. Nous y reviendrons, mais je prêche à un convaincu. Voilà donc les deux grandes priorités. Je ne sais pas si M. le Directeur régional veut ajouter quelque chose à ce sujet. On pourrait ensuite passer en revue les différents thèmes : le ferroviaire, les liaisons vers le nord, les liaisons est-ouest, etc.

M. Hubert PEIGNÉ : Le problème ferroviaire est le problème numéro un : par rapport à la fin du canal Rhin-Rhône, Rhin-Saône est une alternative.

En matière de voies ferroviaires, je donnerai quelques exemples de mesures qui pourraient être réalisées à relativement court terme, sans donner d'ordre de priorité. Je me demande s'il n'y a pas une liaison rapide à trouver entre la vallée du Rhône, secteur de Valence, et Grenoble, pour avoir un raccourci en venant du sud, vers tout le secteur de Modane et du tunnel de Fréjus. M. Payet a souligné que, globalement, tout ce qui concerne le grand Lyon, (nord-est et est), y compris le contournement, serait tout à fait capital pour la région, bien que cela soit hors de ses limites.

Un autre domaine sur lequel j'insisterai, c'est tout ce qui concerne les chantiers rail-route, plates-formes et mesures d'accompagnement que l'Etat - puisque c'est de lui notamment dont il est question - pourrait encourager : c'est la cohérence des chantiers et des plates-formes, ce sont certainement des moyens financiers supplémentaires.

M. le Rapporteur : Je suis tout à fait satisfait d'entendre vos propos. On pourrait peut-être passer en revue les différents axes que vous évoquiez tout à l'heure.

M. Gilbert PAYET : Nous pouvons peut-être commencer par entrer dans le vif du sujet en ce qui concerne le ferroviaire. Vous allez rencontrer, cet après-midi, les dirigeants du port autonome de Marseille qui représente évidemment un élément très important dans le trafic et le fret qui viennent alimenter les liaisons nord-sud ou, à un moindre degré aujourd'hui, les liaisons est-ouest. Si l'on examine la situation actuelle du port autonome de Marseille, même s'il reste le premier port de la Méditerranée, tous trafics confondus, nous voyons qu'il est dans une situation assez ambiguë, puisqu'une bonne partie de son trafic provient du vrac liquide, qui circule ensuite par pipe-line, et n'a pas une valeur ajoutée très importante. Or, compte tenu de la situation de l'ensemble du marché pétrolier, c'est un trafic sur lequel pèsent un certain nombre d'incertitudes. En revanche, le port autonome de Marseille, comme le fait ressortir son plan d'entreprise, a perdu très régulièrement, ces dernières années, des parts de marché en matière de trafic conteneur, alors même que celui-ci connaît une augmentation considérable par ailleurs. Dans ce domaine, Marseille a été doublé soit par des ports traditionnels comme Barcelone, soit par de nouveaux ports comme Gioia Tauro. Cela n'a pas marché pendant 25 ans, jusqu'au jour où cela a démarré, et depuis ce moment-là, effectivement, si je puis dire, plus personne ne l'arrête. Il y a donc un objectif clairement affiché par le port autonome : la reconquête de parts de marché sur ce trafic conteneur et, dans un premier temps fixé par le plan d'entreprise, le doublement de ce trafic.

Or, le fret ferroviaire - M. Brassart vous en parlera longuement - représente un enjeu majeur pour le port autonome. En effet, nous devons réussir à régler les problèmes liés aux infrastructures et aux transports effectifs, notamment aux problèmes d'exploitation et de suivi de la marchandise sur les trains, afin éviter que ne se reproduise la situation que l'on a vécue cette année, et au cours de laquelle quelques centaines de trains étaient « perdus », c'est-à-dire que personne ne savait où étaient les trains sur lesquels étaient placés les conteneurs.

M. le Rapporteur : C'est incroyable !

M. Gilbert PAYET : C'est effectivement assez incroyable. Aujourd'hui, dans une logique de chaîne, les ports ont complètement changé : un port n'est plus seulement là pour accueillir des bateaux, les charger et les décharger. On se situe davantage dans une logique de chaîne complète de traitement d'une marchandise, depuis un point de départ jusqu'à un point d'arrivée : le port n'est qu'un maillon, et, pour répondre aux attentes de ses clients, il doit en permanence pouvoir dire où est la marchandise qu'ils attendent, quand elle sera chez eux, et ensuite où elle se trouve une fois qu'elle a quitté ses locaux. Dans ce domaine, le port autonome de Marseille a encore beaucoup de progrès à faire. Il s'y attelle en modernisant de manière considérable son système informatique. A l'heure actuelle, sur certains terminaux conteneurs, il est encore dans une situation où il est capable de situer l'aire de stockage de la marchandise, sans pouvoir toujours situer avec précision l'emplacement du conteneur ! Ce système est en cours de révision. Le fret ferroviaire représente une donnée très importante pour le port. Mais il est confronté à une difficulté double : au niveau de l'exploitation des navettes ferroviaires, la qualité du service ne répond pas tout à fait à ses attentes ; et en tout état de cause, il y a des problèmes d'infrastructure, en raison du conflit entre trafic passagers et trafic fret à certains endroits du couloir rhodanien.

Lorsqu'il s'agit de traverser Lyon, notamment, on a une limitation des capacités, d'où un projet, en deux temps, de ce que l'on appelle parfois le contournement ferroviaire. Dans un premier temps, il s'agit de trouver les solutions pour essayer de fluidifier le trafic à la traversée de Lyon. Dans un second temps, un horizon plus lointain que M. Hubert Peigné pourra peut-être nous préciser, on pense à la mise en place d'un véritable contournement ferroviaire de Lyon .

M. le Président : Quand vous parlez de « fluidifier », à Lyon nous sommes d'ores et déjà très handicapés par ce n_ud ferroviaire lyonnais.

M. Hubert PEIGNÉ : Oui. C'est tout l'accès, aussi bien vers Bâle, Berne, que vers l'Italie, et aujourd'hui le passage est pratiquement obligé par Lyon même. Dans ce secteur - La Part-Dieu et les environs immédiats, le sud immédiat de La Part-Dieu notamment - on a une confusion de toutes sortes de trafic sur quelques points.

M. le Rapporteur : Comment le fret remonte-t-il en provenance d'Algésiras ?

M. Hubert PEIGNÉ : Par camions.

M. le Rapporteur : Ce fret d'Algesiras encombre-t-il vos liaisons ferroviaires, ou se fait-il plutôt par camions ?

M. Hubert PEIGNÉ : Plutôt par camions. Mais c'est aussi un trafic maritime. C'est la rupture de la ligne est-ouest, avec du fret qui part vers l'Afrique de l'Ouest...

M. le Rapporteur : Nous parlions de l'éclatement du fret d'Algésiras. Avant, le fret venait à Marseille et était éclaté éventuellement vers l'Afrique. C'est donc ce fret qui est maintenant éclaté à Algésiras.

M. Gilbert PAYET : On a assisté en fait à une évolution technique dans le trafic conteneurs, notamment dans la taille des navires. Les ports comme Gioia Tauro ou Algésiras ont réussi à se positionner sur le créneau, commercialement très important, qui consiste à accueillir les navires les plus gros et à « éclater » leurs chargements, éventuellement, sur de petits navires allant desservir les autres ports. Marseille a beaucoup perdu dans sa fonction d'accueil des navires les plus importants, soit pour alimenter directement des liaisons ferroviaires, soit pour aller desservir ensuite, presque par cabotage si je puis dire, les autres ports de la Méditerranée.

M. Renaud MUSELIER : C'est le port de Fos qui a les moyens d'entrer en compétition dans ce jeu-là. Là, on a perdu. Par contre, le port de Marseille, se plaçant sur les petits conteneurs, donc sur le cabotage, se trouve dans une situation où il récupère des marchandises. Mais quand le port de Marseille-Fos fait cinq ou six points d'augmentation, les autres en font 80 ou 100, et Marseille intra-muros 20. On voit bien comment sont transférés les flux de marchandises. Pour les gros conteneurs, les gros bateaux, les trafics nord-sud ou est-ouest, on a pris la place de la plate-forme de Fos. Et sur la plate-forme de Marseille intra-muros, nous sommes compétitifs sur les petits conteneurs.

M. Gilbert PAYET : En terme d'équipement, on peut noter que, grâce notamment aux fonds européens et à l'objectif II, Marseille dispose aujourd'hui d'atouts très importants : non seulement, les conditions nautiques sont favorables, mais le port autonome dispose de tous les équipements nécessaires, y compris pour le traitement des très gros bateaux. Il n'y a pas d'investissements lourds à faire aujourd'hui du côté du port autonome, il s'agit davantage d'améliorer la capacité de traitement de la marchandise, une fois que celle-ci quitte le port.

M. le Rapporteur : Il paraît donc important d'améliorer la qualité du transport ferroviaire. Le port de Marseille dispose des infrastructures, c'est donc au niveau de la qualité du suivi et du marketing qu'il faut agir.

M. Hubert PEIGNÉ : Le port de Marseille a un programme d'équipement pour lequel il a obtenu - pour les deux ou trois prochaines années, je crois - le concours de la région, du conseil général et de la ville, pour des compléments de quais, des terre-pleins pour les conteneurs, a réorganisation de ses équipements etc. Au-delà, son inquiétude réside dans les liaisons ferroviaires avec, d'une part, les problèmes d'équipement ferroviaire, et d'autre part, le fait que l'exploitant SNCF n'accorde pas encore grande importance au fret. Je ne parlerai pas de priorité, parce que la priorité est aux voyageurs, mais il n'y a peut-être pas discussion sur les priorités avec l'ensemble des usagers. La SNCF se fixe ses priorités, et aujourd'hui elle a du mal à entendre les usagers-fret, elle découvre ses difficultés en termes de qualité de service après coup.

M. le Rapporteur : Pour elle, le transport des voyageurs est plus noble que celui du fret...

M. Hubert PEIGNÉ : Sans aucun doute. Cependant, avant de faire des investissements lourds, des mesures d'exploitation de faible coût pourraient être envisagées. La difficulté, c'est que non seulement ce n'est pas dans sa culture de priorité, mais d'autre part, lorsque cela concerne des mesures délicates, il est difficile à quelqu'un d'extérieur à la SNCF de lui dire ce qu'elle doit faire ; nous n'avons pas les éléments. Nous sommes doublement handicapés, d'abord par cette culture, et ensuite par le fait que c'est la SNCF, seule, qui peut maîtriser ces questions d'exploitation. Or l'expérience montre que souvent, lorsque l'on optimise l'exploitation, on retrouve des marges de man_uvre importantes.

M. le Rapporteur : Cette exploitation serait un petit peu archaïque ?

M. Hubert PEIGNÉ : Elle n'est en tout cas pas optimisée.

M. le Rapporteur : Ni optimisée, ni dédiée au fret. Avec les conflits que vous évoquiez tout à l'heure entre les passagers et le fret.

M. Hubert PEIGNÉ : Les gains de capacité générés par des mesures d'exploitation peuvent être très importants. Aujourd'hui, il est vrai qu'assez souvent c'est plutôt un aiguillon extérieur qui aide la SNCF à évoluer ou qui travaille avec elle. Je ne voudrais surtout pas faire de procès d'intention, mais je crois qu'il faut aider la SNCF et travailler avec elle sur ce point. Je pense, par exemple, à l'utilisation de la voie rive droite du Rhône. C'est elle qui est maîtresse du jeu. Il y a un effort à faire en ce sens.

M. le Rapporteur : Il y a aussi la possibilité de réutiliser la ligne Lyon-Saint-Amour par le Jura, totalement inexploitée, pour en faire un corridor de fret. Avez-vous déjà des expériences de Belifret ?

M. Hubert PEIGNÉ : Pas encore. C'est encore trop récent. Mais je crois qu'on est très loin, encore aujourd'hui, de la capacité que la SNCF a réservée pour ce corridor. A ma connaissance, il y a encore de la marge.

M. le Rapporteur : Vous avez dit tout à l'heure que pour les chantiers rail-route et les plates-formes, la cohérence était très importante. Je brûle peut-être des étapes, mais je voulais vous demander s'il vous était possible de préciser ce point.

M. Hubert PEIGNÉ : En fait, nous avons effectivement des plates-formes logistiques et des chantiers de transbordement, des chantiers rail-route où il y a plusieurs projets, que l'on peut qualifier de concurrents au départ. Actuellement, notre travail consiste à regarder s'il y a réellement concurrence ou si, en fait, il ne s'agirait pas à la fois d'aires géographiques et de clients qui seraient assez nettement différents, et donc d'une concurrence seulement à la marge. L'autre aspect de la concurrence, qui lui est réel, est de savoir choisir à un moment donné les priorités, s'il y a des équipements à réaliser. De mémoire, en espérant ne pas en oublier, il y a d'abord ce qui concerne Distriport. Ce n'est pas vraiment un chantier rail-route, mais c'est une priorité.

Je cite Distriport en premier parce que c'est vraiment un cas particulier. C'est un équipement logistique aux portes du port, si je peux m'exprimer ainsi. Mais c'est certainement une priorité pour valoriser le port.

Ensuite, il y a effectivement les chantiers de Marseille. Le Canet est un chantier-ville, et Mourepiane est un chantier-port de Marseille. Ensuite, il y a le projet de Grans-Miramas, autrement dit CLESUD, qui accompagne le projet de plate-forme. Nous finalisons actuellement la recherche de financement du raccordement ferroviaire de la plate-forme ; nous n'en sommes pas encore au futur chantier rail-route. Enfin, il y a le grand Avignon : c'est à la fois Avignon, Cavaillon, Carpentras, etc.

Le plus souvent, les études déjà faites semblent montrer que les clientèles ont des franges de recouvrement mais sont assez différentes. Il reste donc, dans certains cas, à préciser le projet, notamment pour le grand Avignon. On a des projets soit concurrents, soit qui pourraient venir les uns après les autres : une première tranche à Avignon même, une seconde tranche peut-être à Cavaillon... Il faut regarder quelles sont les disponibilités foncières, quels sont les raccordements ferroviaires... Tout cela n'est pas encore étudié. La question consiste à arrêter un principe, un schéma, et ensuite des priorités de financement, plutôt que d'arbitrer des concurrences. Je crois que cela se fera plus en terme d'espacement dans le temps qu'en terme qu'exclusion.

M. Gilbert PAYET : Par rapport à notre problématique centrale, on retrouve la même difficulté par rapport à l'exploitation ferroviaire et la mise en harmonie, au regard notamment des capacités d'infrastructure. C'est-à-dire que la question est de savoir comment, à partir des plates-formes, on va finir par arriver sur le fer. La politique en cours tend à la massification. De la même manière que, pour les conteneurs, on a des bateaux de plus en plus gros, les trains sont de plus en plus longs ; fabriquer, composer un train exige une science particulière. Il faut de la marchandise ; il faut souvent massifier les marchandises en fonction de lieux divers ; il faut composer le train à un endroit donné, et ensuite il faut que ce train puisse circuler. La SNCF n'envisage à aucun moment de constituer des trains de 800 ou de 1 200 mètres sur Distriport, sur Mourepiane... L'un des projets consiste à réunir en un lieu qui pourrait être commun à plusieurs plates-formes des bouts de train pour les lancer dans le couloir rhodanien. Second problème : l'exploitation même de la SNCF ; encore faut-il qu'il y ait un suivi correct de ces marchandises, une fois installées sur le train.

M. Renaud MUSELIER : Si je puis me permettre, pour répondre à la question posée sur le problème de la logistique, comment arriver, en fonction de nos différents bassins et des différentes marchandises (les fruits et légumes n'ont rien à voir avec les conteneurs, ou la desserte informatique d'une BMW qui arrive du Japon via Francfort...) à desservir, comme dans les grands ports du Nord, en 24 heures à domicile ? Voilà l'enjeu ! A partir de là, comment s'organiser localement ? Il y a une compétition institutionnelle, sur ce territoire, entre diverses plates-formes logistiques. C'est ainsi qu'il faut poser le problème. On peut dire qu'on peut l'espacer dans le temps, de façon à ne pas faire d'exclusion, mais cela revient souvent à des classements verticaux pouvant être considérés comme des dossiers poubelles, ce qui n'est pas acceptable pour les différentes collectivités, compte tenu des rapports de force politiques de ce territoire. Je crois que le marché prime, quoi qu'il arrive, et que Grans-Miramas est indispensable. On n'échappera pas à un aménagement sur les territoires de Marseille, du Canet ou de Mourepiane. Il devrait y avoir continuité territoriale entre mer, route et fer, c'est obligatoire. Ce serait une erreur stratégique et économique de ne pas le faire. Je pense que c'est quelque chose d'absolument indispensable. Le cas d'Avignon est différent ; je connais moins bien le dossier parce que se sont les fruits et légumes, c'est un peu différent, et c'est l'accessibilité du couloir rhodanien. Distriport est sur la zone de Fos, c'est une entreprise plus privée que publique. Ce sont des logiques différentes, avec des partenaires différents, mais avec un soutien politique permanent de l'État qui essaie de coordonner cela afin d'avoir la meilleure logistique.

M. Gilbert PAYET : Avec sur le Canet-Mourepiane, une spécificité que soulignait notamment le rapport Perrod, à savoir que le Canet, c'est d'abord un trafic et une plate-forme justifiés par une taille d'agglomération, avec tout ce que cela implique comme trafic généré automatiquement, et pour lequel il faut une réponse.

M. le Rapporteur : Grans-Miramas... La base est à combien de Marseille ?

M. Gilbert PAYET : Une demi-heure environ.

M. Renaud MUSELIER : Il faut surtout bien faire le calcul quand on parle de base logistique, du coût de transport d'un conteneur. Quand il arrive sur un gros bateau à Fos, il faut l'amener jusqu'à Marseille pour l'envoyer dans le couloir, ou jusqu'à Grans. Chaque fois, ce sont des coûts supplémentaires, et ces coûts-là sont parfois plus élevés que le déplacement du conteneur de Hongkong à Marseille. C'est considérable comme prix ! Il n'est pas possible d'avoir un conteneur venant de Hongkong qui coûte 2 000 ou 3 000 francs, et d'avoir 300, 400 ou 500 francs de déplacement entre Fos et Grans ou Marseille et Grans. Il y a quelque chose qui ne va pas.

M. Hubert PEIGNÉ : C'est à peu près de cet ordre là. L'avant et l'après-voie ferrée coûtent très cher par rapport au parcours lui-même.

M. le Rapporteur : Les Suisses, qui envoient généreusement leurs camions sur nos autoroutes, ont de grands projets de percement au Lötschberg-Simplon. Quelles sont, pour vous, les conséquences possibles au niveau du trafic dans la région, en termes économiques également, puisque cela risque de détourner une partie importante du fret ? Avez-vous déjà analysé cela ?

M. Hubert PEIGNÉ : Une étude a été faite par le conseil général des ponts et chaussées sur les transports terrestres dans les Alpes.

M. le Rapporteur : Votre avis est-il plutôt favorable ou défavorable ? A-t-on intérêt à récupérer les camions sur nos routes, ou à les laisser passer par la Suisse, pour faire en sorte de mieux utiliser nos corridors ferroviaires et nos autoroutes ? Quel est l'intérêt économique de faire passer ces flux par nos autoroutes et nos voies ferrées ?

M. Hubert PEIGNÉ : L'intérêt serait plutôt de les faire passer sur nos voies ferrées.

M. le Rapporteur : Sur les autoroutes, quel est l'intérêt, outre l'activité des restaurants autoroutiers ?

M. Hubert PEIGNÉ : L'acceptabilité sera vite limitée. C'est en quelque sorte ce qu'ont vécu les Suisses et ce que vivent les Autrichiens. La solution de faire passer les quelques dizaines de millions de tonnes attendues par le Saint-Gothard dans les 20 ou 30 ans à venir, je ne sais pas... Je n'arrive pas à imaginer qu'elles pourraient passer par les autoroutes françaises ; je n'arrive pas à l'envisager. Par contre, en garder ou en capter une partie sur des systèmes ferroviaires français, oui, pourquoi pas ? Ne serait-ce qu'un avantage, comme le disait M. Payet : dans le ferroviaire, la massification attire la massification, et donc privilégie à la fois des pôles et des couloirs. Si vous offrez un bon itinéraire ferroviaire, il est certain que ce qui est à l'origine, et à la fin bien sûr, et même tout du long, ce sont des pôles, des destinations privilégiées par rapport à d'autres.

Pour le Löteschberg-Simplon et pour le Saint-Gothard, on peut dire que l'ouverture ne se fera pas avant quinze ou vingt ans. On travaille sur le long terme. Par conséquent pouvons-nous lancer quelque chose ? Je pense qu'il ne faut pas stopper les autres études en cours sur Lyon-Turin ; je crois que les Gouvernements français et italien, enfin je l'espère, ne les ont pas arrêtées. Comme le Gouvernement l'a à la fois choisi et annoncé, lorsque M. Gayssot, est venu à Lyon il y a trois mois environ, à court ou moyen terme des choses vont se faire, même si on ne peut pas réaliser le grand tunnel Lyon-Turin tout de suite : il s'agit d'améliorations dans le secteur de Chambéry, dans le secteur de la Momaurienne, Ambérieu, enfin toute une série d'améliorations valant peut-être quelques milliards de francs, mais certainement à notre portée pour les années qui viennent, sans attendre ni l'ouverture des tunnels suisses, ni les améliorations du Brenner en Autriche, ni le grand tunnel Lyon-Turin.

Personnellement, j'aurais envie de plaider pour des mesures rapides. On s'aperçoit que ces mesures de quelques milliards - c'est un ordre de grandeur que je vous livre sous le contrôle de Jean Bonnier - que je suis incapable de vous détailler, donnent tout de suite des capacités beaucoup plus importantes : sur Modane, c'est tout de suite 50 % de plus, par exemple.

M. Renaud MUSELIER : Je sais que nous discutons de l'intérêt national, mais on est sur une liaison Rhin-Rhône. Or là, vous êtes en train de nous expliquer qu'on va mettre en place une liaison Lyon-Turin. Nous sommes déjà un peu le « cul-de-sac » de la France... Soit on estime que l'on est un carrefour, c'est-à-dire que Marseille devient un carrefour dans l'arc méditerranéen, et on veut repositionner Marseille - c'est la volonté de l'État dans le cas d'établissements publics d'intérêt national en Méditerranée - pour lui redonner son rôle de capitale régionale, ou en tout cas un rôle important dans l'arc méditerranéen. Soit on fait abstraction de tout le sud-est de la France, parce qu'avec Lyon-Turin on coupe le sud de la France...

M. le Rapporteur : Nous parlions de l'axe Lötschberg-Saint-Gothard, qui a une influence certaine sur l'axe Rhin-Rhône .

M. Renaud MUSELIER : Il faut faire attention... C'est une dérive qui peut être dangereuse.

M. le Président : Cela contredit même l'intitulé de la mission : « l'axe européen Rhin-Rhône », c'est-à-dire Marseille-Rotterdam. Le sens de notre action, c'est l'intérêt de la région avec tout ce que cela représente, mais aussi l'intérêt national qui consiste à bien irriguer, à bien rattacher l'ensemble du territoire national, du sud du pays, dans cet ensemble-là. Si le pays s'arrête à Lyon-Turin...

M. Renaud MUSELIER : Gênes, Milan, etc.

M. le Rapporteur : Ce n'était pas le sens de ma question.

M. le Président : Il était bon que l'on précise ces choses, parce que c'est quand même le but de la mission.

M. Jean BONNIER : L'une des réponses à votre question se trouve dans le propos de M. Hubert Peigné sur la rapidité. Actuellement, il y a une course de vitesse. Les Italiens se sont arrangés pour que Gioia Tauro débouche vers le nord. La stratégie des Italiens et des Espagnols est d'éviter le sud-est français ; c'est clair, ils veulent aller vers le nord.

La première chose à faire, ce n'est pas Marseille-Gênes, mais il faut faire en sorte que Marseille prenne place dans le concert sud-nord. Et quand Marseille sera renforcée, si on arrive à renforcer Marseille en gagnant sur la vitesse, alors on pourra peut-être contrebalancer les tendances à la fois italienne et espagnole. C'est un problème de phasage plus que de territoire, qui serait immobile. Actuellement, personne ne financera quoi que ce soit entre Marseille et Gênes de façon raisonnable, dans un délai raisonnable.

M. Gilbert PAYET : Il ne faut pas se tromper de trafic. A aucun moment, par exemple, il n'y a une demande des élus alpins pour que le trafic Turin-Rotterdam passe par chez eux. Cela ne se pose pas du tout en ces termes, et on n'aura jamais en France un projet analysant la rentabilité économique d'un tunnel afin d'essayer de récupérer les trafics poids-lourds en trouvant la rentabilité à partir du péage. L'objectif premier est bien d'éviter l'enclavement de la région PACA, et notamment de faire en sorte, pour les besoins du développement économique de l'arc latin, qu'il puisse y avoir une solution de rechange, une véritable liaison Marseille-Turin, qui ne soit pas celle qui existe à l'heure actuelle et qui est excessivement longue. Il est sûr que si, pour l'accès à Turin, le passage obligé est Lyon, Marseille sera totalement enclavée par rapport à Barcelone et à Gênes. Ce n'est plus la peine de parler de l'opération ! Puisqu'un débat existe pour savoir s'il faut privilégier Marseille-Turin ou Nice-Turin - mais de toute façon la traversée va servir aux deux - la réalisation d'une liaison en PACA doit permettre à la fois de générer le développement économique lié à ces échanges entre le centre-est de l'Europe et la région Provence Alpes Côte d'Azur, et d'éviter cet enclavement.

M. Renaud MUSELIER : La liaison Rhin-Rhône a été faite nord-sud. Dès lors qu'elle est nord-sud et qu'il n'y a plus de liaison fluviale, il est absolument indispensable de renforcer les bassins est et ouest de Marseille et de les conforter au plan logistique. A partir de ce moment-là, nous serons compétitifs sur le marché international et nous pourrons vraiment affronter le reste du bassin méditerranéen, nous positionner au niveau international, et avoir une chance que tout le sud de la France ne serve pas simplement à être ouvert sur la Méditerranée.

M. Gilbert PAYET : Le second élément, qui rejoint celui des traversées, est le problème de l'autoroute A 51. Souhaitez-vous en parler ?

M. le Président : Dans le rapport que nous allons établir, il y a le problème du désenclavement de Provence Alpes Côte d'Azur, qui est très important. On peut donc évoquer l'A 51.

M. Gilbert PAYET : En introduction, on peut dire que l'expression « grand sud-est » est un peu tabou car il n'y a rien d'institutionnel, il n'y a pas d'organisation administrative derrière le grand sud-est. Mais, comme vous le savez, dans le cadre des schémas de services collectifs - qui sont nationaux - le Gouvernement a souhaité que, lorsque c'était utile, une réflexion sur ces services collectifs intervienne dans un cadre interrégional. L'interrégionalité en question est d'ailleurs modulable ; si pour certains sujets on travaille beaucoup avec Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon, cela n'interdit pas à Languedoc-Roussillon de travailler avec PACA et Midi-Pyrénées, par exemple, sur d'autres sujets. Le but est d'élargir la vision de l'échelon régional au moment où il se penche sur ces questions. De ce point de vue, il est clair que le sujet « transports » - dans le cas du fret, cela explique l'importance des échanges sur le n_ud lyonnais ou les autoroutes - mérite d'être étudié dans un cadre beaucoup plus large.

A propos de l'A 51, quand on élargit l'échelle, on est d'abord frappé par le fait qu'à échéance très brève, avec l'achèvement de cette branche nord parallèle dans deux ans environ, on aura effectivement, entre Grenoble et Dijon, une autoroute évitant complètement le passage par l'A 7. Le trafic arrivera à Grenoble et devra, pour pouvoir descendre vers le sud, repartir vers Lyon et retrouvera le problème classique dans le couloir rhodanien. C'est un élément qui renforce encore la nécessité de l'achèvement du barreau manquant - encore un - au niveau de Grenoble-Sisteron. M. Hubert Peigné pourrait nous donner très brièvement le calendrier.

M. Hubert PEIGNÉ : Le ministre a annoncé que les compléments d'études qu'il a demandés lui seraient fournis mi-1999. Il compte faire son choix au cours du second semestre 1999, après achèvement de la concertation, qu'il réalisera après la remise de l'étude. Actuellement, je suis cette phase d'étude, et le calendrier est respecté. Nous respectons cette échéance de mi-99.

M. le Rapporteur : Quels sont les axes ?

M. Gilbert PAYET : Il est un axe dont on n'a pas parlé pour le fer, que l'on a juste mentionné au début : il s'agit de l'axe est-ouest, avec le problème de Nîmes-Montpellier. On est un peu moins, mais seulement un peu, dans la logique Rhin-Rhône , en sachant quand même qu'on retrouve là, à l'inverse, tout le problème Barcelone-Gênes et Barcelone-nord de l'Europe. Aujourd'hui, le port autonome a un hinterland assez peu tourné vers l'ouest. L'objectif, dans le cadre de cette volonté de conquête de parts de marché, est d'essayer de grignoter du territoire et d'élargir l'hinterland du port en direction de Toulouse, voire de Bordeaux demain ou après-demain. Pour cela, on retrouve au niveau de Nîmes-Montpellier les mêmes problèmes de franchissement qu'au niveau de Lyon. Parallèlement aux réflexions sur la fluidification et le contournement ferroviaire, le Gouvernement a décidé de lancer des études sur le problème du trafic au niveau de Nîmes-Montpellier, mais les études sont relativement peu avancées.

M. le Rapporteur : Quelle serait la nature du trafic qui se dirigerait vers Toulouse et Bordeaux ?

M. Gilbert PAYET : Trafic fret ferroviaire conteneur.

M. Hubert PEIGNÉ : Dans son plan d'entreprise, le port y a consacré quelques pages, il a des éléments très précis sur ce qu'il avait autrefois, et qu'il a effectivement perdu, et sur les secteurs où il espère pouvoir gagner quelques centaines de milliers de tonnes ici ou là. Ce sera ferroviaire ou routier, donc il espère bien que ça se passera par le ferroviaire. Il pourra vous dire ce sur quoi il peut compter pour le fret Midi-Pyrénées et Aquitaine.

M. le Rapporteur : On a beaucoup parlé de fret. J'en reviens à l'intitulé de la mission sur les perspectives économiques et sociales. Il est vrai que les échanges et le développement économique peuvent aussi passer par les échanges culturels et autres, par exemple entre universités. Avez-vous une réflexion à ce sujet ? Avez-vous réfléchi à la mise en réseau des différents réseaux de communication, d'intercommunication, de liaisons informatiques à grande vitesse tout au long de cet axe Rhin-Rhône ? Dans un premier temps, l'augmentation des échanges culturels entraîne une augmentation des échanges économiques, ce qui est prouvé et reconnu. On sort peut-être du fret, mais je pense que nous aurions intérêt à y réfléchir, en gardant bien en tête la logique qu'a rappelée le président sur Rhin-Rhône.

M. Gilbert PAYET : Sur l'université et la recherche, compte tenu de ce cadre interrégional de réflexion, un groupe de travail a été constitué et une étude confiée au recteur de Montpellier, avec le délégué régional à la Recherche et à la technologie de Provence Alpes Côte d'Azur, afin étudier justement les interactions entre ces différentes universités et les besoins, notamment en matière d'échanges. Ce groupe doit rendre ses conclusions en janvier. L'étude porte davantage sur les réseaux d'échange que sur les infrastructures d'échange, et je ne suis pas certain qu'il y ait dans ce groupe d'étude des éléments sur l'après-Renater et, au niveau de la région PACA, sur le remplacement de R3T2. Il faut savoir que ce Renater amélioré à très haut débit et R3T2, ce n'est pas tout à fait une ligne propriétaire à très haut débit reliant tous les organismes au sein de la route des hautes technologies, mais cela a été une prestation de service achetée à France Télécom pour permettre d'améliorer les débits entre ces diverses zones, qui vont donc des Alpes-Maritimes, avec Sofia-Antipolis, jusqu'aux Bouches du Rhône.

M. le Rapporteur : La route des hautes technologies va d'où à où ?

M. Gilbert PAYET : De Sofia-Antipolis à Cadarache, via Chateau-Gombert. Elle va jusqu'à Agroparc, à Avignon. Ce qu'on appelle le réseau R3T2 est un réseau à haut débit, une prestation de service achetée à France Télécom. A l'expiration du contrat, les lignes ne resteront pas propriété de ceux qui ont acheté la prestation de service ; à la fin du contrat, il n'y a rien. Mais une réflexion est en cours, au conseil régional notamment, sur l'après-R3T2. Mais je ne pense pas que la partie infrastructure des communications ait été intégrée jusqu'à aujourd'hui.

M. le Rapporteur : Cela vous paraît-il important ?

M. Gilbert PAYET : Je vous livre un sentiment personnel ; il y aura un schéma de service sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication. La tendance dominante à l'échelon national est de dire : « Ne vous occupez pas d'infrastructure. A la limite, cela ne vous regarde pas beaucoup, et en tout état de cause, aujourd'hui, les infrastructures sont l'affaire des grands exploitants ». L'expérience montre que les interventions publiques n'aboutissent souvent pas aux résultats escomptés. Il existe une incitation assez forte pour demander aux collectivités locales de surveiller ce qui se passe en évitant d'intervenir. Mon sentiment personnel est que, dans le cadre d'une analyse globale des besoins de certaines parties de territoire (je pense notamment aux Hautes Alpes et aux Alpes de Haute-Provence), on ne peut pas s'interdire d'intégrer une réflexion sur les infrastructures ou plus exactement, dans un premier temps, une réflexion sur les services, les capacités offertes. Et si l'on constate véritablement un déficit d'intervention d'un certain nombre d'exploitants privés, pourquoi ne pas se demander comment encourager la mise en place d'infrastructures ? Je crois, à titre personnel, qu'il faut tout faire pour éviter la mise en place de structures de gestion de ces infrastructures, parce que ce n'est pas le travail des collectivités quelles qu'elles soient.

A la limite, il faut privilégier la solution « subventions » permettant de compenser un éventuel déséquilibre économique. En tout cas, cette interdiction d'intervention sur les infrastructures fera en sorte que, malgré les discours tenus sur les nouvelles technologies, certaines parties de territoire vont se trouver oubliées. Il est facile de dire qu'avec Internet, aujourd'hui de Gap on est immédiatement à New-York, quand il n'y a rien qui passe. Les entreprises, les unités de recherche, n'ont pas besoin d'aller chercher trois images, ils ont besoin de capacités relativement importantes et d'une qualité de service garantie dans le temps. On aboutira au maintien de l'enclavement de ces zones.

M. Renaud MUSELIER : Quand on voit la rapidité du développement de ces nouvelles technologies, de celui des opérateurs privés internationaux face à l'évolution technologique : satellite, câble, Internet, la gamme complète... Quelle est notre capacité pour les investissements en termes d'infrastructures, compte tenu de la rapidité de cette évolution ? Le temps de prendre une décision, de la financer, de la mettre en place, on a déjà dix ans de retard. Ce n'est pas le cas des partenaires privés dans ce genre d'affaires, on le voit bien depuis dix ans, quand on a fait les systèmes d'opérations câblées en ville pour la télévision ou le téléphone. Quand on a fait le Minitel, nous avons immédiatement été débordés, non pas que notre idée ou notre technologie étaient mauvaises, mais nous avons été trop lents pour nous adapter à un marché qui va très vite, trop vite.

Face à une telle évolution, comment aménager l'espace et le territoire sans dépenser de l'argent public ce qui risque d'être inefficace ? Sur ce point, je ne suis sans doute pas tout à fait en phase avec vous ; j'ai l'intime conviction qu'Internet, Intranet, etc. vont tout balayer.

M. le Rapporteur : Raison de plus, à mon avis, pour être très vigilants par rapport à cela. M. le Secrétaire général dit qu'il ne s'agit pas d'agir à la place des opérateurs privés. Ils savent faire certaines choses beaucoup mieux que nous. Mais il faut fédérer certaines initiatives pour donner un élan, afin peut-être de constituer les maillons manquants.

Un axe - route ou autoroute - de haute technologie qui irait de Marseille à Mulhouse ou Strasbourg serait attractif puisque tout autour de cet axe des industries pourraient s'installer, et permettraient ensuite des échanges économiques importants.

M. Renaud MUSELIER : Une question technique : la route des hautes technologies telle qu'elle a été bâtie dans le passé, entre Sofia et Chateau-Combert, en passant par Cadarache ce qui à mon avis était nécessaire en son temps, n'est-elle pas dépassée par Internet ?

M. le Rapporteur : Je ne sais pas. A la limite, je n'ai même pas de solution. Je m'interroge, tout simplement.

M. le Président : Il y a Sofia-Antipolis, et puis après...

M. Gilbert PAYET : N'oublions pas que ce que l'on appelle la « route » n'est pas une liaison, ce n'est pas un câble. La route des hautes technologies est d'abord un club, et la mise en commun, d'échanges entre un certain nombre d'institutions, et notamment la mobilisation d'un certain nombre de chercheurs pour sensibiliser les entreprises et y développer une culture technologique. Cela dit, à mon sens, la route des hautes technologies souffre beaucoup d'être la propriété des scientifiques « traditionnels ». Derrière le concept de la route des hautes technologies, on voit les nouvelles technologies de l'information et de la communication grâce à la présence du sénateur Lafitte. En fait, la route des hautes technologies est un club de scientifiques de bon niveau, mais pour lesquels les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont plutôt une activité à laquelle s'ingénient des amateurs.

M. Renaud MUSELIER : Ce n'est pas de la logistique, mais un réseau.

M. Gilbert PAYET : Revenons à l'exemple de Gap. Je ne dis pas que la région doive mettre en place une infrastructure sur Gap. Je dis que si l'on constate qu'il y a un manque d'équipement et un problème de capacité de liaison sur Gap, il appartient aux responsables régionaux, quels qu'ils soient, de savoir quelles réponses peuvent être apportées. Cela peut être une incitation à certains opérateurs privés, en disant : « Ecoutez, cher ami, dans le cadre des bonnes relations que nous entretenons, est-ce que vous pourriez... » ; dans certains cas il peut s'agir d'un subventionnement pour essayer d'accélérer un certain nombre de procédures. Cela peut également être, et plusieurs collectivités s'y sont lancées avec succès, la mise en place de fibres noires : prenons le cas de l'A 51 ; quand vous construisez une telle autoroute, vous mettez une fibre et ensuite vous trouvez quelqu'un pour l'exploiter. On peut également mettre en place des boucles locales. On n'aura aucun mal à obtenir d'un opérateur privé qu'il vienne.

M. Renaud MUSELIER : Même si vous ne mettez pas la fibre, si vous êtes simplement propriétaire du terrain et que vous offrez la possibilité de mettre la fibre, alors les opérateurs se battent pour l'avoir.

M. Jean BONNIER : Pour répondre à votre question sur le problème de cohésion, de problèmes sociaux et autres, dans cette région Alpes Côte d'Azur, il ne faut pas oublier Nice et sa liaison avec le nord dans la conception Grenoble-Nice. On dit toujours Grenoble-Marseille, mais Grenoble-Nice est une partie de Grenoble-Marseille. Il est très important qu'un million d'habitants, avec Sofia-Antipolis, avec toute cette puissance économique, puissent aller vers le nord sans dépendre de l'axe est-ouest. A la fin, je pense que cela renforce l'axe est-ouest. Si l'on facilite la relation de Nice avec Grenoble et avec le nord, on renforce l'axe Marseille-Nice par voie de conséquence. Je crois que ceci, finalement, fait partie de votre mission

M. le Président : On voit bien que les développements des relations sud-sud ne prendront leur intérêt que si d'abord, ou en même temps, il y a ce renforcement. C'est ce que vous disiez à propos de l'intérêt de MarseilleGênes, qui passe avant tout par un renforcement de Marseille.

M. Jean BONNIER : Je crois qu'il s'agit effectivement d'un facteur de cohésion nationale très fort. Au niveau des universités, par exemple, c'est tout à fait évident. Il y a deux grosses universités à Grenoble et à Nice, qui n'ont pas de relations physiques. Si un professeur va donner un cours, il est obligé de passer par Aix et par la vallée du Rhône. C'est fou ! Tout ce système péri-alpin... On n'a pas parlé de la rente du Rhône. Est-ce à dessein ?

M. le Président : Allez-y, parlez-nous de la rente du Rhône. Existe-t-elle déjà ?

M. Jean BONNIER : Oui, elle existe. Il y a quand même une redevance qui est payée. Enfin je crois, non ?

M. le Rapporteur : La rente du Rhône aurait surtout existé si le canal avait existé.

M. Jean BONNIER : On avait prévu d'utiliser cette rente pour favoriser le financement du canal. Dès lors qu'on ne réalise plus le canal, pourquoi ne pas mobiliser cette manne pour réaliser le contournement ferroviaire de Lyon ou le chaînon manquant de l'autoroute A 51 ?

M. Renaud MUSELIER : Il me semble que lors de la première intervention que j'avais faite, à l'occasion de la première réunion de la mission à l'Assemblée, j'avais posé le problème de l'argent, puisqu'on a décidé d'abandonner la liaison Rhin-Rhône, par choix politique. Nous menons cette mission pour savoir comment on peut compenser, mais l'argent programmé pour cette opération-là est bien quelque part, quand même ! Il doit donc être ventilé sur les choix prioritaires, parmi lesquels le bas de la ligne, c'est-à-dire le département des Bouches du Rhône...

M. le Rapporteur : Je n'ai pas la réponse. Une partie de la rente du Rhône était générée par de nouveaux barrages qui devaient être mis en place sur le canal. Si ce canal n'existe plus, une partie de la rente disparaît.

M. Hubert PEIGNÉ : Il est vrai que cette rente était a priori liée à l'opération du nouveau barrage.

M. le Président : La rente ne venait pas de l'organisation du canal. Elle devait servir à le payer...

M. Renaud MUSELIER : Cet argent était dans une cagnotte ?

M. le Président : Le sujet est écarté pudiquement depuis qu'on a renoncé à faire le canal. Nous allons poser la question très fortement, car cette rente existe.

M. Renaud MUSELIER : Nous sommes d'accord. Je souscris pleinement à cette démarche, Monsieur le Président. C'est très important. On ne peut pas dire qu'on veut désenclaver cette règion, l'organiser, mettre en place des systèmes logistiques... Très bien, on peut gamberger, discuter les calendriers, les priorités... D'accord, pas de problème ! Mais il faudra du financement. Or, on peut quand même récupérer une partie de l'argent qui était dans cette enveloppe...

M. Hubert PEIGNÉ : Je voudrais dire un mot sur le problème des moyens. Je n'ai plus les chiffres en tête, mais il me semble que pendant plusieurs années, l'Etat a finalement mis peu de moyens dans le fret SNCF, qu'il s'agisse de chantiers ou d'autres investissements, quelle que soit leur taille ou leur importance. Je sais que M. Gayssot a augmenté ces moyens, qui restent cependant limités. Ils ont fortement augmenté en pourcentage, mais ils restent assez limités. Je rebondis sur ce que disait M. Muselier tout à l'heure. En effet, on voit bien que dès aujourd'hui, des opérateurs sur des chantiers de transports combinés refusent du trafic, alors qu'on voudrait au contraire développer ce trafic ferré. Ils refusent du trafic, à la fois parce qu'ils ont du mal à l'acheminer - c'est le problème des voies ferrées - mais aussi parce qu'ils ont du mal à le traiter dans leurs chantiers. Quand on voit le rythme possible du développement du transport combiné, on se dit qu'un retard de quelques années peut être dramatique. Pour en revenir aux moyens, je pense qu'on ferait très peu d'erreurs, y compris sur le plan de la rentabilité de l'argent qu'on y consacrerait, si par exemple on décidait de faire tout de suite la première phase de Grans-Miramas et d'Avignon-Champfleury, et la rénovation...

M. Renaud MUSELIER : Non, le Canet-Mourepiane !

M. Hubert PEIGNÉ : Si on décide tout de suite, sans trop s'occuper de la bonne date, on sait qu'on a tout de suite besoin de Grans-Miramas, Champfleury, la première tranche d'Avignon ; on a besoin également de travaux sur le Canet et Mourepiane à Marseille, alors on ne fait pas d'erreur. Que représente, dans une affaire comme celle-ci, le fait d'être en avance de deux ans par rapport à l'optimum ? Aujourd'hui, personne n'est capable de dire quelle est la date optimale. On sait, par contre, que si nous sommes en retard sur l'optimum, ce retard sera dramatique en terme d'image, de désorganisation des liaisons.

M. Renaud MUSELIER : Revenons à la donnée de base. Le canal Rhin-Rhône a été fait pour faciliter la logistique entre le nord et le sud, ou le sud et le nord. A partir du moment où le projet est abandonné, on cherche à trouver des formules de remplacement. Il faut donc y mettre tout ou partie des moyens mis à disposition et gardés par quelques entreprises voulant préserver leur pécule quels que soient les Gouvernements et les cohabitations. Nous voulons une logistique entre le nord et le sud ; cette logistique est changée en terme de stratégie. Quelle autre logistique et quels moyens mettre en place, notamment autour du port de Marseille ? C'est cela, la réalité.

M. Hubert PEIGNÉ : En disant cela, je ne veux pas viser petit, mais je rappelle que sur les chantiers rail-route, tout ce que je cite représente moins d'un milliard. Ces choses, capitales, ne sont pas très coûteuses. On est loin des énormes montants que l'on peut évoquer pour les tunnels ou pour Rhin-Rhône. Cette mesure, et les quelques mesures d'exploitation que l'on évoque pour les secteurs de Lyon, Grenoble et Valence, ne représentent pas des sommes très élevées. Simplement, par rapport au zéro d'il y a quelques années, il est vrai que cela paraît considérable.

M. Renaud MUSELIER : Moi, j'étais pour la liaison Rhin-Rhône, mais il est vrai que lorsqu'on voyait le coût de la liaison Rhin-Rhône, on pouvait se demander si on n'était pas comme le Minitel par rapport à Internet. C'était une très bonne idée, mais...

M. le Rapporteur : M. Renaud Muselier va bientôt être d'accord avec nos conclusions ! C'était un bon projet il y a un certain nombre d'années, mais il n'aurait pas été rentable économiquement. Je sors un peu de l'objet de la mission.

M. Renaud MUSELIER : Cela ne me gêne pas de faire marche arrière et d'évoluer, il n'y a que les imbéciles qui n'évoluent pas. La seule chose, c'est que si l'on supprime la liaison Rhin-Rhône, trop chère et trop longue, et qu'on ne met rien en place à côté, alors qu'il y a des sous dans une cagnotte..! C'est grave.

M. le Rapporteur : Cher collègue, c'est l'objectif même de cette mission.

M. Jean BONNIER : On peut aussi penser que l'exploitant va se diversifier, comme le disait M. Hubert Peigné tout à l'heure.

M. Hubert PEIGNÉ : En deux ans, les choses changent radicalement.

M. le Président : Merci, Messieurs pour cet entretien fort enrichissant.

Audition de MM. Gilbert JAUFFRET,
Président de la Chambre de commerce et d'industrie du pays d'Arles

et Jean-Claude JUAN,
Directeur du développement régional à la Chambre régionale de commerce et d'industrie Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse

(extrait du procès-verbal de la séance du vendredi 11 décembre 1998 à Marseille)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Monsieur le Président, Monsieur le directeur, nous souhaitons que vous nous fassiez part de vos préoccupations sur cette grande perspective d'aménagement du territoire, qui dépasse largement le problème du canal Rhin-Rhône : la liaison entre la voie d'eau du Rhône et celle du Rhin, les Bouches du Rhône et les Bouches du Rhin par un dispositif concernant le fret, les voyageurs...

M. Gilbert JAUFFRET : Merci, Monsieur le Président. Messieurs, je vous remercie d'avoir songé à m'entendre. C'est un problème important bien sûr, et bien que les préoccupations locales et régionales soient très importantes pour moi, je ne peux m'empêcher de repositionner le problème dans sa complexité européenne et mondiale.

La France fait partie de l'Europe, et la région PACA appartient aux régions méditerranéennes. Elle devrait être un point important de l'arc latin qu'il nous faut absolument réaliser, car cet arc latin va permettre à l'Europe de développer une politique méditerranéenne efficace. Mais pour que l'Europe puisse développer cette politique méditerranéenne, encore faut-il que l'arc latin soit relié au reste de l'Europe par des couloirs. Un certain nombre de couloirs existent, d'autres sont en projet ou en cours de réalisation. Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement, c'est le couloir Rhin-Rhône, nord-sud. La problématique sera, d'une part, pour la région, d'avoir à constituer son arc latin, c'est-à-dire une ouverture vers l'Italie et l'Espagne. Cela semble pratiquement acquis vers l'Espagne, au niveau autoroutier. Vers l'Italie, les traversées alpines, par la route ou le rail, restent à faire. C'est un problème que les responsables politiques régionaux doivent prendre en compte. Ils doivent en présenter les différents aspects à l'Assemblée nationale, avec force, non pas égoïstement, pour les régions elles-mêmes, mais parce que nous estimons que nous sommes les mieux placés pour être les vecteurs de cette politique méditerranéenne que l'Europe devra mener.

Venons-en au couloir nord-sud. On avait mis beaucoup d'espoir dans le canal Rhin-Rhône. J'ai moi-même été un fervent défenseur de ce projet, car je suis intimement convaincu que la voie d'eau, à l'instar de ce qui se fait dans d'autres pays européens, est un vecteur important pour le transport des marchandises. Il faut savoir que la voie fluviale assure 20 % du trafic en Allemagne, et 50 % au Pays-Bas. Il était tout à fait légitime, et je pense qu'il aurait été bénéfique pour l'Europe, de pouvoir relier le réseau français, déjà très important, de la mer jusqu'à un peu avant Pagny, au réseau européen. Politiquement, une décision a été prise : elle s'impose. Dont acte. Rhin-Rhône ne se fait pas. Pour autant, les problèmes subsistent. Il faut relier cet arc latin, en cours de constitution, avec le reste de l'Europe, par un couloir nord-sud performant et multimodal.

Si l'on examine ce qui se passe, au niveau de la route et de l'autoroute, nous avons des liaisons autoroutières qui nous relient au réseau européen, avec le constat suivant : dès que l'on arrive dans la vallée du Rhône, il y a saturation. Cette saturation se fait, suivant les estimations des techniciens, à partir de 60 000 véhicules / jour en moyenne. Mais s'il passe 60 000 véhicules en dix heures, ce qui fait 60 000 véhicules / jour, cela ne signifie pas que ces véhicules sont échelonnés pendant toutes les heures. Cela bloque à certains moments. En 2010, on ne saura plus faire passer les 75 000 véhicules / jour que l'on attend dans la vallée du Rhône. Quelles sont les alternatives à ce couloir rhodanien autoroutier ? On pourrait d'abord songer à augmenter le nombre de voies existantes, et passer à cinq voies, avec des voies spécifiques pour les véhicules lourds. C'est une hypothèse que l'on peut formuler. Deux autres voies peuvent être envisagées pour alléger le couloir rhodanien. Il s'agit bien sûr de l'autoroute A 51 qu'il faudrait achever, et d'autre part de l'autoroute Clermont-Ferrand / Montpellier. Ce sont, en quelque sorte, trois itinéraires autoroutiers complémentaires, alternatifs nord-sud. Au niveau des autoroutes, il me paraît important de mesurer qu'il faudra agir rapidement, car la saturation est déjà observable à certains pics de la journée.

Si nous examinons maintenant le mode de transport ferroviaire, on a pu lire dans la presse ces jours derniers que l'exploitant, la SNCF, n'est parfois pas suffisamment performant pour satisfaire les demandes des industriels. J'en veux pour preuve la décision d'Atochem d'enlever 300 000 tonnes d'acheminement de produits chimiques par le rail pour les passer sur la voie d'eau.

Malgré le manque de performance que peuvent parfois présenter les services de la SNCF, force est de constater que c'est un mode incontournable qu'il va falloir développer.

M. le Rapporteur : Qui a retiré 300 000 tonnes ?

M. Gilbert JAUFFRET : Atochem. Je peux peut-être, si cela vous intéresse, vous communiquer une coupure de presse parue dans un journal spécialisé dans les transports, l'Antenne. Je vous laisse en prendre connaissance. Le développement du transport par le rail est incontournable. Quand on voit effectivement ce qui est prévu pour le réseau des corridors de fret, on s'aperçoit qu'il est urgent de faire ce raccordement entre Lyon et Mulhouse, là où il devait y avoir Rhin-Rhône. Il n'y a plus Rhin-Rhône, il y a certes une voie ferrée pouvant acheminer un certain fret, mais c'est insuffisant. Rhin-Rhône ou Saône-Rhin ne se faisant pas, il faut optimiser la voie ferrée. Or, la voie ferrée sert actuellement au transport des passagers et du fret. Il y a le TGV Rhin-Rhône, appellation abusive dans le projet actuel, puisqu'il s'agit plutôt du TGV Mulhouse-Paris. Si, par contre, le TGV Rhin-Rhône descend au sud, notamment jusqu'au niveau de la branche sud de Dijon vers Lyon, si l'on peut libérer la totalité des voies existantes jusqu'à le raccorder avec le TGV Méditerranée, à ce moment-là sur les voies libérées et mises au gabarit européen, on pourrait assurer un véritable flux ferroviaire performant. Mais pour cela, il ne faut pas que le TGV Rhin-Rhône, tel qu'on l'appelle, ne fasse pas la liaison avec le Rhône.

M. le Rapporteur : Il existe tout de même une liaison que vous ne citez pas, passant par le Jura ; elle est actuellement électrifiée et peut être mise à deux voies très facilement ; c'est une alternative très intéressante, où il suffit d'une mise au gabarit européen, avec la continuation vers Mulhouse par la vallée du Doubs, à partir du moment où l'on aura fait la première tranche du TGV Rhin-Rhône entre Mulhouse et Besançon.

M. Gilbert JAUFFRET : Ce ne sera pas de trop, il faudra les deux.

M. Jean-Claude JUAN : Il y a même trois lignes sur cet itinéraire. Le problème est de savoir si l'on veut garder Dijon comme dispositif nord du couloir de circulation, ou non. Il y a la logique de l'axe Rhône-Saône qui fait que jusqu'à Pagny-Seurre on peut utiliser la voie d'eau. Si on a la possibilité d'installer une plate-forme d'échange intermodale, on peut très bien envisager un véritable couloir intermodal. Il est vrai que la ligne qui borde le Jura est intéressante et peut être aménagée, mais elle est un peu déconnectée des autres modes de transport. Je pense qu'il faut envisager une interconnexion des différents modes. C'est sans doute pour cela que l'on insistait sur l'aspect Mulhouse / Dijon, Dijon / Macon.

M. Gilbert JAUFFRET : Pour en revenir à tout ce qui concerne la partie voie ferrée, il est important de prolonger le TGV de Dijon jusqu'à Macon, de façon à pouvoir libérer ces voies qui viendront s'ajouter à celles dont vous parliez. Cela me paraît tout à fait intéressant, parce que le rail ne pourra pas tout acheminer. Dans ce cadre, il convient également de prévoir le contournement ferroviaire de Lyon. Je crois que le président Roux-Alezais, que vous recevrez en sa qualité de président de la Chambre régionale, vous remettra un document à ce sujet. J'essaie d'être complémentaire avec ce qu'il va vous dire ; il parlera au nom du port, mais aussi de la Chambre régionale. Moi, je suis président de la Chambre d'Arles, mais aussi président du groupement interrégional Rhin-Rhône qui regroupe toutes les Chambres de commerce de la vallée de la Saône, du Rhône et du Rhin. Il paraît également important d'essayer de valoriser au maximum l'existant en matière de voies fluviales. Il y a là, quand même, un minimum de travaux à finir. Pour aller de la mer à Villefranche, il n'y a pratiquement pas de problèmes, mais il serait dommage ne pas prendre en compte les importants travaux réalisés par la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) en créant le port de Pagny, qui constitue une plate-forme intéressante avec une potentialité multimodale au c_ur de la Saône-et-Loire. Ce port est en pleine terre ; il était prévu de faire un port qui devait être mis en eau par le canal Rhin-Rhône. Le canal ne se faisant pas, d'importants investissements ont été réalisés en pure perte. Il y a donc un aménagement à faire, il faut l'achever et aller jusqu'à Pagny pour mettre le port en eau. Par la même occasion, il va falloir draguer la Saône, opération indispensable pour permettre le passage des convois au gabarit européen. Je sais que le ministère de l'Environnement et de l'aménagement du territoire est hostile à la demande de rescindement des méandres de la Saône. Or, il n'est pas pratique, avec des bateaux de grand gabarit, un peu lourds, de suivre les méandres de la Saône. Il faut envisager le rescindement de certains méandres.

M. le Rapporteur : Entre où et où ?

M. Jean-Claude JUAN : En amont de Chalon... Sur ce qui est en amont de Lyon sur la Saône, les méandres actuels ne permettent pas de faire passer des convois poussés à deux barges en ligne. Il faut séparer les convois. Il est vrai que les convois poussés sont longs ; on peut bien faire attendre un avalant par rapport à un convoi qui monte. On ne peut pas croiser les convois. Il y a donc un problème de gabarit qui se pose. Aujourd'hui, ce n'est pas urgent, compte tenu de la nature des convois. Mais si les trafics se développent en amont de Lyon, comme cela semble devoir se faire avec de nouveaux trafics venant sur le fleuve, la capacité des convois exigera que la Saône soit mise en conformité. C'est une question de logique. C'est la continuité des caractéristiques techniques sur l'ensemble des 500 kilomètres de la voie d'eau qui est en cause. A Mulhouse, il est prévu, avec la portion de canal réalisée, de surélever les ponts pour permettre un tirant d'eau suffisant. Il existe peut-être quelques problèmes de ce genre à régler au niveau du trafic sur la Saône, dans la traversée de Lyon.

M. Gilbert JAUFFRET : Un dogme circule dans les administrations, et notamment dans le corps des Ponts et chaussées, qui dit que la voie d'eau est obsolète, périmée, ne peut plus rendre service. Cependant, on n'a pas le droit de ne pas utiliser ce tronçon allant de Pagny, quand on l'aura mis en eau, jusqu'à la mer, et qui doit être valorisé.

Une décision des chargeurs me paraît symbolique. Depuis cette année, 300 000 tonnes de céréales descendent par le fleuve jusqu'à Port-Saint-Louis du Rhône. C'est une première étape, on pense aller jusqu'à un million de tonnes, ce qui va alléger d'autant, soit la voie ferrée soit l'autoroute. En matière de conteneurs, il y a un port avancé du port autonome de Marseille à Lyon - notre ami Roux-Alezais vous en parlera ce soir - et là, il y a une concentration importante de conteneurs, et des navettes fluviales font Lyon / la mer - le port autonome - pour un nombre de plus en plus important de conteneurs. La voie d'eau existe. Il y a un petit investissement à faire pour la valoriser. Il faut également aller jusqu'au bout.

Il n'y a pas que les infrastructures, mais aussi le mode de fonctionnement. Le rail, c'est formidable si cela marche bien ; le fleuve aussi. Il faut entreprendre toute une série de réformes pour lever les blocages existant dans une profession qui n'a pas évolué depuis cent ans. Je crois qu'on pourra améliorer la fluidité de l'axe nord-sud si l'on tient compte de ces remarques, en insistant sur le rail. Mais cela ne résoudra pas tout. Il faut optimiser le fluvial, et il y a peu de choses à faire, et ensuite les voies autoroutières.

Je reviens au début de mon propos - je m'adresse aux marseillais et au Président de la région - : il faut s'assurer que l'extrémité sud de ce couloir nord-sud ne soit pas un cul-de-sac. Si c'est un cul-de-sac, nous allons droit à la catastrophe : nous allons être court-circuités par un axe Milan-Turin-Lyon-Barcelone. Nous allons peut-être devenir une belle région touristique où nous ne serons pas gênés par toutes sortes de nuisances comme c'est le cas actuellement, mais ce n'est pas notre ambition. Nous sommes une région industrielle, technologique et très agréable à vivre. Je voudrais insister sur le fait qu'au-delà des problèmes du couloir nord-sud, nous devons poser la problématique dans un contexte européen et mondial. Si nous voulons vraiment que l'Europe s'ouvre sur le monde par la Méditerranée, le canal de Suez, etc., il faut que demain Marseille soit l'euro-métropole que l'on souhaite, et qui est nécessaire à la France. Pour cela, il ne faut pas en faire un cul-de-sac, mais une charnière, un carrefour. Pour conclure, je vous laisserai quelques petites notes sans prétention. Je voudrais également vous remettre le double d'un courrier adressé en son temps, en novembre 1997, à M. Claude Vilain, inspecteur général des finances, coordinateur de la mission interministérielle chargée d'étudier les conséquences de l'abrogation de la déclaration d'utilité publique du canal Rhin-Rhône. Je ne reprends pas les explications, mais ceci complète ce que je viens de dire. J'étais un peu l'avocat des six régions concernées par l'abandon du canal : Alsace, Franche-Comté, Bourgogne, Rhône-Alpes, Languedoc Roussillon et PACA. J'avais attiré l'attention de M. Vilain sur le fait que la décision d'abandonner le canal Rhin-Rhône n'était pas pénalisante seulement pour la Franche-Comté, une partie de l'Alsace et de la Bourgogne, mais pour toutes les régions. Il eut été tout à fait légitime que l'État en tire les conséquences en proposant, dans le cadre du quatrième contrat de plan Etat régions, d'inclure des moyens supplémentaires afin d'assurer les développements prévus grâce à la création du canal Rhin-Rhône, car il y avait une véritable effervescence au niveau des industriels et des chargeurs pour prendre en compte, anticiper la voie d'eau à construire. Et d'un seul coup, on a constaté un arrêt de cette effervescence, ce qui est dommage.

M. le Rapporteur : J'ai vu très souvent le président Vauzelle s'exprimer dans ce sens.

M. Gilbert JAUFFRET : Je me suis permis de vous remettre une carte, que vous devez avoir, sur les corridors européens prévus. Il y a sans doute quelques remarques à faire à ce sujet.

M. Jean-Claude JUAN : Les corridors trans-européens ferroviaires nord-sud sont parallèles, comme vous le constatez sur la carte. Ce pointillé est fondamental. L'important est de rejoindre les deux corridors nord-sud.

M. le Rapporteur : Vous avez été très clair. Nous avons, au sein de notre mission, l'un des grands spécialistes des problèmes d'Arles. Simplement, personne n'a dit que la voie d'eau n'était pas un moyen écologique, sûr, économique. La divergence par rapport au canal, quand vous avez cité la Hollande, est que l'on ne peut pas comparer la traversée du plat pays hollandais avec la traversée de la chaîne du Jura.

M. Gilbert JAUFFRET : Je suis avant tout positiviste.

M. le Rapporteur : Il nous paraît important de voir, le canal ne se faisant plus, comment on peut mettre en place des moyens de transport, des moyens logistiques pour relier le sud au nord. Quand vous parlez d'optimisation de ce qui existe, je crois qu'effectivement...

M. Gilbert JAUFFRET : Il n'y a pas de volonté de mettre cela en place. Il y a encore en France trop d'opposition dogmatique, et cela est regrettable. Ce matin encore, j'étais à la Direction régionale de l'équipement où l'on nous a présenté une étude. Ce n'est pas une administration de l'État, mais un service public, la SNCF, présentant les alternatives pour l'autoroute A 51. Je me suis rendu compte que la voie d'eau était appréhendée de manière tout à fait dogmatique et peu objective. C'est dommage. Cela dit, je pense que c'est par la démonstration qu'il faut prouver que cela fonctionne. Il y a également un document de Voies Navigables de France qui a fait la liste de tout ce qu'il conviendrait de faire afin d'optimiser le réseau fluvial français, et notamment l'axe Rhône-Saône. Il s'agit du schéma directeur des ports fluviaux du bassin Rhône-Saône.

M. Renaud MUSELIER : M. Jauffret a défendu les différents moyens de déplacements entre le nord et le sud, et la nécessité de ne pas être dans un cul-de-sac. J'ai deux questions. La première question, soulignée dans la lettre envoyée à M. Vilain, concerne le problème de la rente du Rhône. Après les objectifs, parlons des moyens. Il était prévu, dans le cadre de l'organisation du fleuve Rhin-Rhône, un montant financier, évoluant en fonction des experts qui donnent le chiffre ou de ceux qui doivent payer.

M. le Rapporteur : Tout à fait. Disons entre quinze et cinquante milliards.

M. Renaud MUSELIER : Je crois savoir que, quelque part, il existe une « cagnotte » qui était programmée pour financer le projet. On n'en parle plus. Connaissez-vous l'existence de cette cagnotte ? En connaissez-vous le montant ? Savez-vous si elle est susceptible d'être disponible ? Dans le cadre d'une redéfinition de la logistique entre le nord et le sud, quelles seraient les priorités à améliorer ? Quels seraient les montants à investir, par rapport à cette « cagnotte », pour au moins répondre en grande partie à tous les efforts de logistique nécessaires que vous avez soulignés au départ ?

M. le Rapporteur : L'administrateur de la SORELIF peut-il nous dire où est la « cagnotte » ?

M. Gilbert JAUFFRET : La défunte SORELIF, ou la CNR. Le président Vauzelle a été un brillant administrateur de la CNR. C'est une question extrêmement délicate. Je vais essayer d'y répondre clairement et sommairement. Au départ les choses sont simples. La CNR reçoit de l'État une concession sur le Rhône jusqu'en 2023. L'État lui donne quatre missions, dont celle de fabriquer de l'hydroélectricité. La CNR décide alors de construire des centrales hydroélectriques. Pour les financer, elle emprunte. EDF souhaitant que les kilowattheures ainsi produits lui reviennent décide de rembourser l'emprunt de la CNR, et de récupérer 26 milliards de kilowattheures par an ! Les emprunts ne vont pas jusqu'à la fin de la concession, ils cessent en 2006. La convention passée entre la CNR et l'EDF précise que, jusqu'à ce que les emprunts soient remboursés, les kilowattheures reviendront à EDF.

M. Édouard Balladur, dans le cadre de l'article 36 de la loi Pasqua, décide de faire le canal. J'ai quelque peu été à l'origine de ce qui a permis de financer Rhin-Rhône, en conseillant à EDF et à la CNR d'arrêter de se disputer. Pourquoi, en effet, ne pas prolonger la convention liant EDF à la CNR jusqu'à la fin de la concession par l'État à la CNR, c'est-à-dire en 2023, les kilowattheures produits et l'argent de leur vente pouvant servir à réaliser le projet Rhin-Rhône. La vente de ces kilowattheures à produire jusqu'en 2023 représente à peu près 60 milliards de francs au prix actuel. C'est ce que l'on appelle la fameuse « rente du Rhône ». Mais il ne s'agit pas d'une cassette remplie de lingots ; ce sont des kilowattheures à produire.

M. le Rapporteur : La cassette n'existe pas pour l'instant.

M. Gilbert JAUFFRET : Elle est potentielle et virtuelle. Les choses se compliquent ensuite lorsque l'État décide d'arrêter Rhin-Rhône. On revient au point de départ. Second élément à prendre en compte : en vertu d'une directive européenne en cours de transposition, EDF ne peut plus avoir le monopole de la production d'électricité, il faut obligatoirement des opérateurs et producteurs indépendants autonomes. La CNR entrevoit un avenir nouveau, à savoir devenir producteur indépendant d'électricité. C'est ce qui est en train de se mettre en place. La rente potentielle du Rhône, produite chaque année par la vente des kilowattheures, peut être colossale puisqu'un kilowattheure se vend 0, 30 francs : lorsque vous en avez 26 milliards, cela fait quand même plus de 7 milliards disponibles par an. EDF va essayer de récupérer ces kilowattheures au meilleur prix et la CNR tentera d'assurer son avenir ; en effet c'est la pérennité de la CNR qui est en jeu à partir du moment où l'on ne fait plus le canal Rhin-Rhône.

La CNR a maintenant comme objectif de continuer à exister, en prenant une partie de la rente du Rhône, après que l'État sera soit servi, par un prélèvement fiscal de taxes venant alimenter le Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables (FITTVN). Actuellement, il y a une véritable course, chacun s'efforçant de se placer le mieux possible.

C'est un sujet politique puisqu'il y a eu une décision essentiellement politique, et non pas vraiment économique. C'est un engagement électoral. Ensuite, ceux qui pourraient agir et auraient intérêt à le faire, ce sont les actionnaires de la CNR. Il y a trois catégories d'actionnaires : EDF détient 16 % des parts, la SNCF en détient 16 %, il y a aussi la ville de Paris - de nombreux actionnaires pensaient qu'ils allaient payer l'électricité moins cher - et les collectivités, notamment les conseils régionaux, les conseils généraux, les Chambres de commerce. L'ensemble des collectivités à caractère public représente plus de 66 % des parts. Le pouvoir est là. Cependant, il y a actuellement des divergences de vue, pour ne pas dire autre chose, qui font que la cohésion que l'on avait pu observer afin que cette rente serve à la réalisation du canal, ce qui était l'engagement de la région et du département, est moins évidente aujourd'hui. On se trouve avec des positions fortement marquées par des considérations politiques, et cela rend difficile une convergence d'intérêts et d'actions.

M. le Rapporteur : Je vais vous poser une question très provocatrice : quel est l'intérêt de la CNR ? Exister pour exister, ou bien exister pour faire quelque chose, et pour faire quoi ? Éclairez-moi. Vous nous avez expliqué qu'il y avait une lutte à couteaux tirés entre EDF et la CNR pour récupérer ces 26 milliards de kilowattheures. Quel est l'intérêt de la CNR ? Dans quel but veut-elle se maintenir ?

M. Gilbert JAUFFRET : La CNR vient d'approuver un projet d'entreprise dans laquelle elle a reprécisé les missions données par la loi de 1948.

M. le Rapporteur : 1921, je crois.

M. Gilbert JAUFFRET : Il y a eu une modification en 1948. Un certain nombre de missions d'aménagement du fleuve devaient se prolonger par le canal Rhin-Rhône. On ne fait plus Rhin-Rhône, mais il faut quand même entretenir le Rhône, il y a des plates-formes. Il y a 1 000 hectares le long du Rhône, prêts à recevoir des entreprises, pour peu qu'on sache vendre ou amodier ces territoires. Les résultats ne sont peut-être pas à la hauteur des ambitions. Il y a aussi un rôle de régulation des crues, etc. avec la gestion des débits. Il y a également un rôle pour l'agriculture, pour l'irrigation, un rôle d'ingénierie, de gestion de l'environnement. Toutes ces fonctions de service public génèrent des recettes ne permettant pas d'équilibrer le budget, d'où la nécessité d'avoir, soit un soutien de l'État, soit des recettes extérieures provenant de l'hydroélectricité, ce qui était l'une des missions confiées à la CNR.

M. le Président : S'il n'y a pas plus de questions, nous vous remercions de votre collaboration très intéressante.

Audition de M. Claude CARDELLA,
Président de la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille-Provence

(extrait du procès-verbal de la séance du vendredi 11 décembre 1998 à Marseille)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Monsieur Cardella, nous vous remercions de bien vouloir nous présenter votre point de vue sur l'axe européen Rhin-Rhône ; nous vous poserons ensuite quelques questions.

M. Claude CARDELLA : Comment peut-on compenser l'abandon du projet de canal Rhin-Rhône ? Des solutions alternatives existent. Il faudrait associer le fluvial, le routier, le ferroviaire, développer le transport combiné... C'est essentiel. Le point sur lequel je voudrais insister, c'est l'urgence. Il me semble que c'est ce que j'ai proposé tout à l'heure à M. Peigné, en lui disant qu'il fallait que la DDE et la DRE fassent un travail de fond, et qu'il serait intéressant, sur le plan de la méthode, d'établir un certain nombre de fiches, de façon à déterminer les investissements prioritaires dans un schéma global, ce qui permettrait un effet de levier considérable.

On parlait de hiérarchiser tout à l'heure. J'ai été effrayé en entendant M. Raymond Barre à Marseille raconter l'histoire de Rhin-Rhône. Je ne voudrais pas que l'on bâtisse un certain nombre de projets et que, dans vingt ans, nos successeurs en parlent encore. Sinon Marseille, le département et la région seront un vrai désert, ou un lieu essentiellement touristique. Notre vrai problème est un problème de délai. Comment faire pour mobiliser suffisamment d'argent, pour faire les choses urgentes qui permettraient d'attendre un peu que le reste se mette en _uvre ? Je pense qu'il s'agit d'une question de méthode. Il me semble qu'on doit être capable de le faire sans trop de difficultés. Nous parlions de Grans-Miramas, où il y a des aménagements à faire d'urgence. Faisons-les ! Cela permettrait de pallier un peu les difficultés dans lesquelles nous nous trouvons.

Je ne reviendrai pas sur ce que le Président Vauzelle a du vous dire sur le positionnement de la ville et du département par rapport à la Méditerranée et à l'euro-Méditerranée. Ne perdons pas de temps, vous connaissez tout cela mieux que quiconque. C'est une course par rapport au temps car, dans peu de temps, en 2005-2010, la Méditerranée sera une zone de libre-échange. C'est un marché considérable qui s'ouvre, et Marseille est tournée vers ce marché. On a là des possibilités considérables. Vous verrez le Président du port autonome tout à l'heure, qui vous dira tout ce qui est important pour le port de Marseille. Ce qui est valable pour le port l'est pour Marseille. Si nous ne sommes pas capables d'aller très vite de l'avant, nous serons en difficulté, Barcelone et Gênes prendront une avance que nous ne remonterons plus. C'est le message le plus fort que j'aimerais vous faire passer : attention, nous avons un vrai problème de calendrier.

M. le Rapporteur : Ne recommençons pas l'erreur du canal. N'attendons pas trop longtemps. Les faits sont là et eux n'attendront pas !

M. Claude CARDELLA : Surtout compte tenu de l'environnement dans lequel nous nous trouvons.

M. le Rapporteur : C'est d'autant plus vrai que chacun s'accorde à dire que 2005 sera aussi l'époque où les liaisons routières seront saturées.

M. Claude CARDELLA : Nous allons nous retrouver dans une conjugaison infernale : un marché considérable va être ouvert en Méditerranée, et l'Europe sera constituée et fonctionnera correctement. Nous nous retrouverons avec des axes complètement saturés. Je ne vois pas comment on va faire. Il est vrai que, dans ce cas-là, la tentation de faire Barcelone-Lyon, et d'ignorer le sud, est une solution qui pourrait être plus simple. Il y a donc là une vraie question de survie...

Autre point sur lequel je voudrais insister : lorsque nous essayons de faire de la promotion, de faire venir des investisseurs ici, nous tentons de développer la position de « carrefour ». Aujourd'hui, on a des possibilités : le port, l'aéroport, le fret, la route. On a ce qu'il faut, sur le plan régional. Dès que l'on veut jouer un rôle international, on est handicapés. Or, les investisseurs viennent dans cette perspective. On a réussi quelques opérations grâce au conseil régional, au conseil général, en faisant venir des industries, notamment dans le domaine de la technologie, qui avaient besoin d'avoir des moyens de transport différents, rapides et multimodaux : l'avion, mais aussi le train, la route... Lorsque les investisseurs sont ici, je ne parle pas de toute la zone de Fos, pour l'industrie, dont on connaît bien les problèmes... Je parle surtout de la zone d'Aix, Rousset, Cadarache, zone un peu déportée par rapport au port, mais qui a une production de plus en plus importante à expédier et des échanges à réaliser grâce à notre situation géographique. Si la région devient un cul-de-sac, les entreprises repartiront.

M. le Président : Nous avons envisagé ces problèmes, ce matin avec M. Gaudin, c'est un débat permanent au conseil régional pour l'aménagement du territoire, pour l'avenir, et même pour des décisions devant être prises très rapidement dans le cadre du prochain avenant à l'actuel contrat de plan qui se termine. Je l'ai bien compris, c'est très important pour renforcer la position de Marseille par rapport au reste du dispositif. Comment voyez-vous les arbitrages entre tous les projets de développement, de création de plates-formes multimodales ? Chacun voudrait avoir sa plate-forme, il y a Grans-Miramas, Mourepiane, le Canet, la zone de Champfleury à Avignon. De votre point de vue, il y a t-il une cohérence, des priorités, ou bien y a-t-il un éparpillement ? En ce moment, il y a un manque absolu de lisibilité.

M. le Rapporteur : J'ai en tête les réflexions du patron de Novatrans, M. Berthod, disant que les plates-formes multimodales ne créent pas le trafic, et qu'elles doivent aller là où se trouve le trafic.

M. Claude CARDELLA : Il a raison et tort à la fois. Il a parfaitement raison parce que l'investisseur vient s'implanter là où il y a le trafic. S'il n'y a pas d'industries, pas d'arrière-pays, pas d'hinterland, pas de chargeurs, une plate-forme d'échanges qui n'a pas de valeur ajoutée n'intéresse personne. Ce qui est intéressant, c'est la valeur ajoutée par la logistique. En matière de logistique, il faut savoir que le coût par rapport au prix du produit est considérable. Les experts l'évaluent entre 5 et 20 %. C'est un élément de compétitivité. Quand on dit que ce n'est pas très lisible, c'est peut-être parce que nous avons mal fait notre travail. On n'a peut-être pas suffisamment bien communiqué pour montrer qu'il y avait une réelle cohérence. Ces plates-formes n'ont pas la même fonction, le même rôle. Grans-Miramas est un chantier rail-route européen. Distriport est port-route-rail aussi, mais cela concerne avant tout la mer, c'est donc international. Mourepiane et le Canet sont aussi portuaires, et donc utilisateurs du rail la plupart du temps. Aujourd'hui, nous travaillons sur des flux tendus partout. Il n'y a plus d'industriels voulant travailler avec du stock. La logistique devient donc de plus en plus importante. De gros volumes doivent être stockés, répartis en fonction des zones. La logique est donc totalement différente. C'est parfaitement cohérent avec nos projets. Nous avons créé Grans-Miramas après une étude longue de plusieurs mois, pour trouver la bonne localisation. Il est important de rappeler qu'Avignon était saturé, tout comme le Canet. La vraie discussion qui semblait opposer la ville à Grans-Miramas, par exemple, relevait d'une incompréhension totale. En réalité, cela voulait dire : « Nous avons des travaux à faire, des investissements à trouver pour la voie ferrée. Nous craignons, si vous allez investir à Grans-Miramas, de ne pas pouvoir le faire ici. Et si nous prenons ce retard, cela sera catastrophique pour Marseille ». Compte tenu des enjeux formidables pour la région, il y a peut-être des urgences. Essayons d'orienter les moyens disponibles vers ces urgences pour débloquer des situations et nous repositionner de façon cohérente par rapport aux flux extrêmement importants qui arrivent. Vous parliez tout à l'heure de nouvelles technologies ; je disais à M. Vauzelle que j'étais très discret, parce que je pensais que c'était à vous de vous exprimer ; je n'ai pas voulu vous gêner. Bien entendu, ce sont ces nouvelles technologies qui, aujourd'hui, vont entraîner les nouvelles modalités du transport et de la logistique, ainsi que tout ce qui va favoriser les n_uds dont vous parliez. Autour de ces n_uds, il y aura des activités très importantes. Il se trouve que nous sommes un n_ud très important au niveau des réseaux. Nous avons le câble souterrain le plus long : Marseille-Singapour. Nous avons eu le premier téléport expérimental. Pour simplifier, nous sommes ici vraiment un n_ud de télécommunications considérable.

M. le Rapporteur : Cela peut donc être une tête de pont fantastique pour un relais vers le nord de l'Europe ?

M. Claude CARDELLA : Absolument. Nous avons beaucoup travaillé sur le contenu et les savoir-faire autour de ces techniques.

M. le Rapporteur : Avec tous les nouveaux métiers et le développement économique qu'elles génèrent...

M. Claude CARDELLA : Nouveaux métiers mais aussi technologies avancées, avec beaucoup de services. Toute cette marchandise qui a besoin d'être transportée devra être suivie plus finement par rapport aux flux dont on parlait et aux répartitions rapides. Là, on aura donc un avantage considérable. Il serait dommage d'avoir cet avantage sans le conjuguer avec le reste.

M. le Rapporteur : Nous évoquions, ce matin, la difficulté de savoir où se trouvait le fret sur le territoire national européen. Je suis d'accord avec vous, effectivement ces moyens-là peuvent faciliter la tâche, d'autant que ces investissements _ vous parliez d'urgence _ ne sont pas nécessairement très importants. Il peut y avoir volonté d'impulser de la part des collectivités puis mise en place par des opérateurs privés. Cela peut donc être quelque chose de déterminant.

M. Claude CARDELLA : Il y a un point que je voulais souligner, parce qu'il semble être occulté, alors qu'à mon avis il est primordial dans la démarche : demain, on ne fera plus de la logistique, comme on la faisait auparavant. Quand on parle de 5 à 20 % du coût du produit, c'est considérable. Si on peut baisser ce coût, on pourra trouver de la compétitivité. Il y a un enjeu formidable que l'on a des chances de gagner.

M. le Rapporteur : Aujourd'hui, je pense qu'on n'a pas bien mesuré encore l'impact culturel des nouvelles technologies de l'information et de la communication, même si on le mesure mieux qu'il y a quelques années. Notre civilisation risque de changer.

M. Claude CARDELLA : Quand nous avons imaginé le Téléport, en 1992, c'était hier. Aujourd'hui, on vient de le vendre à la RSL.COM, au fils d'Estée Lauder, Ronald Lauder. Lui qui a toute une logique de réseaux n'a pas choisi Marseille au hasard. La Méditerranée l'intéresse, et il a des réseaux à très hauts débits. Bref, quand nous avons imaginé le Téléport, nous n'arrivions pas à convaincre. Les gens ne nous croyaient pas.

M. le Rapporteur : Je n'y croyais pas, il a cinq ou six ans.

M. Claude CARDELLA : Je suis très heureux d'avoir réussi ce combat, parce que cela nous permet aujourd'hui d'afficher un savoir-faire, et d'avoir autour du Téléport des entreprises et des services venus s'installer parce qu'il y avait ces moyens. Il suffit de voir les docks. Et ce n'est pas fini. La logistique, tout ce dont on parle ici, sera tributaire de ce savoir-faire.

M. le Président : On l'a évoqué pendant le déjeuner : je me propose, lorsque les choses deviendront plus claires au niveau interrégional, de continuer les fructueux échanges que nous avions entrepris, lorsque j'étais au conseil général et que vous étiez à la Chambre de commerce de Lyon. Quel bilan tirez-vous de ces relations ? Quelles perspectives d'avenir ont-elles ? Comment voyez-vous l'évolution des relations entre rhodaniens ?

M. Claude CARDELLA : Aujourd'hui les choses se passent mieux, mais il reste beaucoup à faire si nous voulons être efficaces. Il y a des synergies à trouver avec les entreprises, avec cet espace lyonnais très industriel. Des entreprises partenaires pourront ainsi attaquer des marchés à l'extérieur. Exactement ce que l'on imagine avec la Méditerranée : il y a des alliances nécessaires pour conquérir des marchés. Aujourd'hui, on ne sait pas trop le faire, mais petit à petit on sent que les choses s'améliorent. Il faut de vrais leaders qui prennent cela à c_ur, et qui trouvent les bonnes formules pour qu'au-delà de l'intention on passe aux actes. Il ne faut pas oublier que le TGV qui nous mettra à quelques minutes, à une heure environ de Lyon, va tout changer. C'est vraiment, selon l'expression consacrée, la banlieue.

M. le Rapporteur : Paris-Marseille durera trois heures et quart. En termes de liaison aérienne, cela va tout révolutionner. On ne fera plus Paris-Marseille en avion.

M. Claude CARDELLA : Nous avons mesuré l'impact pour notre aéroport. On a fait des hypothèses à moins 10, moins 20, moins 30 %. C'est nous qui avons imaginé cela lorsque nous avons voulu faire le port avancé puis la navette ferroviaire. Cet été, le taux de remplissage était de 80 %. C'est un succès considérable, alors que nous sommes freinés par de petits problèmes internes, de concurrence avec des partenaires qui ne sont pas toujours très corrects. Mais cela marche très bien. Voilà un exemple de chose à organiser et amplifier. Quelquefois, dans la liste de ce qu'il serait intéressant de faire, il y a des investissements lourds ; mais parfois, ce sont de petits investissements de fonctionnement qui peuvent tout changer. C'est cela qu'il faudrait répertorier.

M. le Rapporteur : Pourrait-on vous demander d'en faire une liste non exhaustive ?

M. Claude CARDELLA : Je me suis proposé de travailler sur ce dossier. Nous allons établir des fiches, avec M. Peigné. Je ne saurais pas faire l'évaluation de certaines fiches, mais cela permettra de voir l'investissement nécessaire pour l'amélioration des liaisons et ce que cela donnerait en valeur ajoutée. Et on verra vite le coût économique. La navette, par exemple, qui n'était pas un investissement lourd, a tout changé. Concrètement, des conteneurs arrivent et les « boîtes » sont déposées. Soit on pose la marchandise sur la navette, un train qui porte les conteneurs, et qui vient à Fos pour être déchargé et chargé sur le bateau, ou à Marseille après. Soit on utilise le fleuve. Selon le délai, les entreprises peuvent choisir l'un ou l'autre. La plupart du temps, c'est moins cher par le fleuve que par le rail. Selon l'urgence, on choisit l'un ou l'autre.

M. le Président : C'est un trafic que vous captez sur la région lyonnaise ?

M. Claude CARDELLA : Oui.

M. le Président : Et ce trafic intéresse-t-il essentiellement l'industrie lyonnaise ?

M. Claude CARDELLA : On se sert de cet espace pour essayer de rapatrier le maximum de flux. Là, c'est point A / point B. On ne vient pas capter tout ce qui pourrait l'être. Dans un sens ou l'autre, les bateaux arrivent et on fait la même chose. Cela fonctionne bien depuis un an et demi, notamment parce que la place portuaire est dans le coup et que les industriels lyonnais jouent le jeu. Au niveau des transports, les choses se passent bien.

M. le Président : Sur quelle voie fonctionne cette navette ? Rive droite ou rive gauche ?

M. Claude CARDELLA : Bonne question, mais je suis incapable de vous le dire. Je crois que c'est la gauche.

M. le Rapporteur : Comment les conteneurs que vous chargez à Lyon, sur cette navette, ont-ils été acheminés jusqu'à Lyon ?

M. Claude CARDELLA : Par la route. Dans cette logistique, ce qu'il faut bien voir, ce sont les ruptures qui coûtent très cher. Si on n'avait pas besoin de faire la rupture, on ne la ferait pas. Cela se fait essentiellement par la route.

M. le Président : Cette rupture, qui s'opére à Lyon, ne fait-elle pas un peu l'affaire des lyonnais ? Ils ne sont pas très pressés pour le contournement ferroviaire de Lyon. S'il y a une rupture à Lyon, il faut peut-être en profiter pour avoir des activités sur place ou des zones de stockage.

M. Claude CARDELLA : Vous dites qu'ils ne sont pas très pressés, sauf que cela commence quand même à les gêner. Ils sont encombrés, et ne bénéficient pas d'un flux rapide. D'autre part, ils disent que cela prendra tellement de temps pour arriver au bout qu'il faut y aller, parce qu'au moment où cela se fera, ils seront complètement saturés.

M. le Rapporteur : Nous rencontrerons ce soir le Président du port, nous en parlerons avec lui. Mais vous, en tant que Président de Chambre de commerce, quelle est votre vision du développement du port, de son positionnement par rapport aux autres ports de la région ?

M. Claude CARDELLA : Je ne sais pas ce que dira le Président du port, mon collègue Roux-Alezais, mais je pense que cela sera très pertinent, comme d'habitude. Ce port est en difficulté _M. Roux-Alezais ne vous le dira peut-être pas_ parce que, depuis 1992, il connaît des problèmes qui n'en finissent plus, en particulier en termes de fiabilité. Aujourd'hui, un garçon comme Eric Brassart, le nouveau directeur du port qui vient d'arriver, a pris les choses à bras-le-corps. Il gère le port autonome avec une vraie logique économique. Il fait travailler tous les métiers autour du port, ce qu'on appelle la place maritime, pour essayer de trouver une vraie logique et une véritable économie sur tous ces chaînons ; tous ces métiers travaillent à la suite les uns des autres. Il y a un travail à faire pour améliorer la qualité, pour réduire les coûts et pour garantir une plus grande fiabilité. Ce qui paraît invraisemblable aujourd'hui, c'est de voir le port de Fos avec si peu de trafic de conteneurs, compte tenu des investissements considérables. Il y a cependant de vraies raisons. Nous essayons de gommer tout cela. On n'a pas d'arrière-pays, on ne peut pas capter les trafics. S'il y avait eu le canal Rhin-Rhône, si Rhin-Rhône fonctionnait aujourd'hui, le port de Marseille - qui est le premier de Méditerranée - serait certainement le premier port français devant le Havre, sans difficulté. On a donc quelques soucis, mais aujourd'hui le port est en train de se redresser. M. Brassart est là depuis un an, enfin pas tout à fait, depuis février dernier. Ce qui est positif sur le port, comme pour les autres ports, ce sont les hydrocarbures qui permettent d'être déficitaire sur les autres produits. Comme les hydrocarbures ont baissé, si on ne prend pas tout de suite les mesures pour augmenter le trafic, avoir un vrai marketing et être opérationnel sur le plan commercial, il y aura du souci à se faire. Nous en sommes conscients, et tout le monde travaille dans ce sens. C'est un atout formidable pour l'économie, pour les transports et pour la logistique. D'autre part, le port a une avance considérable sur les échanges informatiques et travaille actuellement avec d'autres ports européens pour mettre en commun tous ces logiciels, de manière à suivre les « boîtes » partout en temps réel. Je pense, que cela nous donnera une avance certaine.

M. le Rapporteur : Vous avez bien insisté sur les points essentiels et sur l'urgence d'une prise de décision. Il faut essayer de phaser les choses et aussi de lister un certain nombre d'éléments susceptibles de constituer des points de départ.

M. Claude CARDELLA : Il faudrait donc trouver les points qui, avec peu d'investissements, débloqueraient des situations.

M. le Rapporteur : Votre réflexion sera terminée d'ici combien de temps ?

M. Claude CARDELLA : D'ici une bonne année.

M. le Rapporteur : Avez-vous déjà quelques pistes ?

M. Claude CARDELLA : On a quelques pistes. On a une équipe formidable ici, à la Chambre de commerce, dirigée par Jacques Truau, président des pilotes. Il nous a beaucoup aidés sur Clef-sud, lui et son équipe ont réalisé le plan de cinq ans pour le port en 1992. Cette équipe-là est très opérationnelle et a des idées formidables sur le sujet.

M. le Président : Monsieur le Président, nous vous remercions.

Audition de M. Jean-Noël GUÉRINI,
Président du conseil général des Bouches-du-Rhône

(extrait du procès-verbal de la séance du vendredi 11 décembre 1998 à Marseille)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Il était souhaité et souhaitable qu'après l'abandon du projet de canal Rhin-Rhône, une mission parlementaire soit créée pour trouver une solution alternative au canal.

Cette initiative suppose d'étudier, depuis le TGV Rhin-Rhône jusqu'à une solution routière, aéroportuaire ou portuaire, toutes les propositions qui intéressent notre région qui est obsédée par l'idée d'être désenclavée par rapport à la zone rhénane et au c_ur industriel de l'Europe.

Cette mission, à l'origine de laquelle sont des députés socialistes partisans, comme moi, ou adversaires, comme le rapporteur, du canal s'est constituée et comprend des représentants de tous les groupes de l'Assemblée nationale. Elle remettra son rapport avant l'été prochain.

Ce rapport aura un rôle politique important, dans la mesure où il devra attirer l'attention du Gouvernement à un moment où on aura beaucoup travaillé sur les contrats de plan et sur les perspectives qui se dégagent pour les vingt prochaines années, sur l'aménagement d'un territoire qui s'étend de l'Alsace à Marseille, avec une grosse rupture dans les voies de communication entre la vallée du Rhin, depuis Rotterdam jusqu'à Strasbourg et Mulhouse et la vallée rhodanienne de Lyon à Marseille. Compte tenu de l'intérêt que nous portons - je parle en tant qu'élu régional - à l'avenir de Marseille, il est indispensable que vous insistiez sur ce qui vous paraît important pour l'avenir de la ville et du département. C'est pour cela que la mission a souhaité se déplacer ici. Nous avons rencontré M. Jean-Claude Gaudin ce matin, nous verrons tout à l'heure M. Henry Roux-Alezais. Nous avons rencontré d'autres personnalités dont M. Claude Cardella.

M. Jean-Noël GUERINI : Pour nous, cet arrêt du canal entraîne un certain nombre de problèmes. Certes, ce dossier figurait dans le programme de Lionel Jospin. Il n'a trompé personne. Bien au contraire, il a mis face à leurs responsabilités les Français et l'ensemble du monde économique concernés par l'aménagement de l'axe Rhin-Rhône en annoncant les décisions qu'il comptait prendre.

Pour répondre à ces enjeux, il faut pouvoir proposer des alternatives assurant des fonctions voisines à celles qui auraient été offertes par le canal Rhin-Rhône. Cela imposera à la région et au département des contraintes considérables au plan économique. En même temps, cela doit permettre d'inscrire l'agglomération marseillaise dans le flux d'échanges entre le nord, le sud, l'est et l'ouest. Economiquement, par rapport au port de Marseille, c'est essentiel.

Le constat, vous le connaissez tous : l'aménagement de l'axe Rhin-Rhône recouvrait plus que jamais des enjeux stratégiques en matière d'équilibre du territoire. Pas seulement en matière de transports, mais en termes d'aménagement du territoire, pour l'ensemble du département des Bouches du Rhône.

Ce qui m'intéresse aujourd'hui, ce n'est pas du tout de faire le constat de la situation ni des conséquences, mais de savoir ce qui pourra se substituer au canal Rhin-Rhône ? Quelle est la définition des nouveaux objectifs que nous aurons à prendre en compte ? J'intitulerai cela l'alternative à l'annulation de la mise à grand gabarit du canal Rhin-Rhône. Je vais envisager un certain nombre de propositions dans le domaine ferroviaire, qui est essentiel. Pour le conseil général des Bouches du Rhône, c'est le mode de transport s'approchant le plus du fluvial par son adaptation aux types de marchandises concernées, ses coûts, son impact et son environnement. Concrétiser le projet de TGV Rhin-Rhône est essentiel - pour les voyageurs, on n'y échappera pas - afin de libérer les lignes existantes pour le trafic de marchandises. Pouvons-nous donner, au TGV Rhin-Rhône, une dimension européenne permettant de concevoir à terme un couloir international nord-sud ? Cela me paraît essentiel. Cette concrétisation, telle que je la définis, doit s'accompagner, dans le domaine ferroviaire, de la création d'un axe de marchandises au niveau international. Là aussi, c'est une donnée essentielle. Il convient d'accompagner les études préparatoires du TGV d'un examen approfondi des perspectives de développement du fret, du chiffrage des investissements correspondants et d'un calendrier de réalisation. Ce fret doit être complémentaire par rapport au fret que nous traitons et traiterons demain sur le port autonome de Marseille-Fos. Après des études sur la question ferroviaire, le conseil général pense qu'une telle liaison favorisera la structuration d'un axe ferroviaire moderne entre le Rhin, le Rhône et la Méditerranée permettant des liaisons fiables à moindre coût.

La seconde proposition de l'alternative est de favoriser le transport combiné. Aujourd'hui, on constate un engorgement progressif des réseaux routiers. On le voit à une échelle beaucoup plus modeste dans les Bouches du Rhône, car nous allons favoriser, avec Michel Vauzelle, le réseau des transports rapides. Cet engorgement progressif des réseaux routiers concerne l'axe rhodanien, la liaison avec l'Espagne et l'Italie. Pour la partie ferroviaire l'accent doit être mis sur les dessertes ferroviaires et même fluviales, qui semblent seules être à même de dégager les marges nécessaires pour le port de Marseille
- je ne vois pas d'autre solution - afin de conforter le positionnement du département comme plate-forme logistique pour la distribution terrestre dans le sud de la France et de l'Europe. Cette orientation est conforme aux prises de positions du Gouvernement dans le cadre du schéma multimodal des services de transport de marchandises qui engagera le développement du trafic ferroviaire fret et des transports combinés qui sont jugés prioritaires. Cela étant dit, il reste à favoriser, tel que nous le préconisons, le contournement ferroviaire fret d'agglomérations telles que Lyon, Nîmes, Montpellier : contournement nécessaire à une bonne fluidité de l'axe ferroviaire que revendique Marseille avant toute chose, tant pour la desserte de son port que pour les échanges entrants et sortants de l'agglomération.

Dans notre réflexion, il ne faut pas que la région lyonnaise prenne le pas et, au-delà, que cela soit la priorité des priorités par rapport à l'axe, non pas seulement marseillais, mais aussi régional. A cet égard, nous serons bienveillants et essaierons d'être une force de proposition, mais nous ne nous laisserons pas faire. Autre point auquel j'attache une grande importance : favoriser les connexions ferroviaires, c'est-à-dire le transport combiné rail-route, les plates-formes logistiques locales. Je souhaite même des plates-formes multimodales locales, et en même temps des plates-formes logistiques que constituent les ports de Marseille, Fos, Port-St Louis, la plate-forme multimodale de Grans-Miramas et le port fluvial d'Arles. Ensuite, il y a le domaine des équipements logistiques connexes. Il s'agit de développer des actions concertées en direction du terminal de conteneurs de Fos afin de lui donner une dimension internationale, ce qui est nécessaire au développement du port.

Nous abordons le domaine délicat du réseau routier et ferré. Il est nécessaire d'améliorer la liaison de la métropole marseillaise à Lyon. Pour nous, si l'on améliore cette liaison, cela signifie que nous luttons contre la saturation de l'autoroute A 7, dramatique aujourd'hui. Je ne parlerai pas en terminant des axes complémentaires comme l'autoroute A 51 et le tronçon Clermont-Ferrand-Montpellier, ou encore le recalibrage de la N 86 qui donne sur la rive droite du Rhône. Cela intéresse plus le Président Vauzelle en tant que président de région. Il est essentiel également pour faire aboutir les projets de la percée alpine entre les Alpes du sud en direction de l'Italie et de l'Europe du nord et de l'est, d'examiner les conditions d'un transit ferré pour le briançonnais. C'est l'intérêt de toute la région qui est en jeu.

A ce stade du raisonnement, qui fait quoi ? Qui finance quoi ? L'Etat va-t-il financer ? Y aura-t-il des crédits européens ? Nous posons des questions. Nous verrons les réponses plus tard. Une partie de ces investissements pourrait-elle être financée par la rente du Rhône, qui était destinée à financer les travaux de la mise à grand gabarit du canal Rhin-Rhône ?

M. le Rapporteur : Nous en avons parlé déjà aujourd'hui. Il apparaît que c'est un sujet majeur.

M. Jean-Noël GUERINI : ..le positionnement d'EDF d'ici 2023.

M. le Rapporteur : entre 2006 et 2023, date de la fin de la concession.

M. Jean-Noël GUERINI : C'est un enjeu important et fondamental. Là aussi, par rapport à ce dossier délicat, que va-t-il se passer ? EDF aura à se positionner, surtout dans le domaine de la production. Selon les chiffres indiqués, 60 milliards de francs devraient compenser les kilowattheures produits par les 18 centrales entretenues par la CNR.

M. le Rapporteur : Nous avons rencontré le président Jauffret qui nous a largement entretenu de tout cela.

M. Jean-Noël GUERINI : Il y a aujourd'hui un débat avec la CNR.

M. le Rapporteur : Avec le fait qu'en raison de l'ouverture à la concurrence d'EDF, il n'y a que EDF ou la CNR qui peuvent prendre en compte la gestion de ces 26 milliards de kilowattheures annuels, il y a une difficulté supplémentaire.

M. Jean-Noël GUERINI : La question que nous nous posons, nous, conseil général des Bouches du Rhône, est l'utilisation de la rente du Rhône. J'étais étonné de lire récemment que la rente du Rhône appartenait aux actionnaires de la CNR. La note que l'on m'a faite à ce sujet est peut-être inexacte ?

M. le Rapporteur : C'est une affaire apparemment très complexe.

M. Jean-Noël GUERINI : Nous intégrons, par ailleurs, à notre réflexion le fait que MM. Gaudin et Barre défendent un nouveau tracé par la Saône et la Moselle.

M. le Rapporteur : Entre nous, cela ne risque pas de voir le jour rapidement.

M. le Président : M. Gaudin n'en a pas dit un mot ce matin.

M. Jean-Noël GUERINI : Tant mieux, car il y a quelques mois, lors d'une réunion à Marseille, ils avaient posé la question.

M. le Rapporteur : Cela ne paraît pas d'actualité.

M. Jean-Noël GUERINI : Tant mieux ! Quel est le devenir pour les 700 hectares de terres acquis par la CNR pour le projet de canal aujourd'hui abandonné ?

M. le Rapporteur : C'est un problème en passe d'être réglé.

M. Jean-Noël GUERINI : Y aura-t-il maintien ou non de la CNR ?

M. le Rapporteur : Là, c'est une vraie question et un vrai problème.

M. Jean-Noël GUERINI : Cette société publique emploie 650 personnes. Enfin, dernière question, quid de l'affectation des 17 milliards, budgétés par EDF pour construire l'ouvrage aujourd'hui annulé ?

M. le Rapporteur : Ces 17 milliards n'existent pas pour l'instant. Ils devaient être prélevés, mais ils ne le sont pas... Ils devaient être prélevés sur les kilowattheures qu'auraient payés les Français.

M. Jean-Noël GUERINI : Il avait été fait un certain nombre de simulations d'ordre budgétaire à court, moyen et long terme.

M. le Rapporteur : J'assimile cela à l'article 40 de la Constitution que nous oppose souvent le Gouvernement dans le cadre des discussions au parlement. Une augmentation de la taxe sur les tabacs ou sur l'essence était prévue pour financer le canal. On avait, effectivement, budgété 17 milliards. Cela fait beaucoup de questions.

M. Jean-Noël GUERINI : Me limitant aux Bouches du Rhône, qu'attendons-nous ? Des réponses sur le plan économique. Face à cette décision annoncée très clairement dans un programme politique auquel les Français ont adhéré, mon rôle de président du conseil général est de demander ce qui peut se substituer au canal pour favoriser le développement économique des départements concernés.

J'attends beaucoup de vous, car, dans les Bouches du Rhône, je fais de l'aménagement du territoire la priorité des priorités. C'est par l'aménagement du territoire
- cela n'engage que moi mais je tiens à le dire - que j'arriverai à endiguer l'hémorragie du chômage en réalisant des projets structurants. J'attends beaucoup des alternatives qui se substitueront demain à Rhin-Rhône. Pour moi, dès lors qu'une décision est prise, je n'ai plus à la commenter ; c'est l'avenir qui compte. Notre objectif est donc de travailler pour les générations à venir avec les régions, les départements et le Gouvernement. Nous, nous y sommes prêts. Vous pouvez compter sur nous. Mais, aujourd'hui, la situation économique de notre département est telle qu'il est urgent d'avoir des réponses aux questions et aux alternatives que nous nous posons. J'ai été un peu long, mais je souhaitais vous dire ce que je pensais tout à fait librement.

M. le Rapporteur : On veut surtout entendre les questions et les resituer dans un contexte global. Ce sera l'objet de notre rapport. Ensuite le Gouvernement décidera. Nous ne pouvons qu'être les avocats de cet axe, et donc de ce que vous venez de dire. Je suis cependant plus optimiste que vous. Bien qu'ayant été un opposant au canal, les divergences étant d'ordre économique je ne suis pas venu en ennemi des Bouches du Rhône. Mon analyse est que ce que vous décrivez n'aurait pas été réglé par le canal. Je pense que les transferts de la route sur la voie d'eau représentent 2 %. Or, nous sommes dans une société où il faut aller très vite. On travaille à flux tendu, à délai zéro, sans stock. Le canal n'aurait pas réglé ces problèmes. On y aurait investi 50 milliards sans un taux de retour suffisant. En investissant beaucoup moins, on peut faire beaucoup plus pour le développement de cette région, en évitant d'en faire un cul de sac.

M. Jean-Noël GUERINI : Il n'y a pas antinomie entre mes propos et les vôtres. On a abandonné le canal. En amont, je dis : « nous proposons ». C'est tout. Aujourd'hui, nous attendons une décision importante qui se substitue au canal.

M. le Rapporteur : Le rapport de la mission doit insister sur la nécessité d'accélérer la mise en place de moyens multiples qui pourront établir ce lien qui n'existe pas actuellement. Cette possibilité n'existant plus, il faut mettre quelque chose en place pour développer cet axe Rhin-Rhône. Les questions que vous posez sont les bonnes questions. Si je souriais quand vous avez évoqué la rente du Rhône, c'est que nous en avons déjà beaucoup parlé. C'est une question complexe. J'ai le sentiment que cette rente existe potentiellement, mais je ne suis pas sûr que les milliards soient entassés dans un quelconque endroit. Cette rente du Rhône existerait à partir de 2006. On chiffrait le coût du canal à 23 milliards, qui devenaient 50 milliards en tenant compte des intérêts, parce que l'on commençait à financer quelque chose alors que l'on n'avait pas les crédits necessaires.

M. Jean-Noël GUERINI : J'ai peur que l'on parle trop de la région lyonnaise avec son poids économique et industriel, et que nous, région marseillaise, encore une fois..

M. le Rapporteur : Je suis sûr que non, car Michel Vauzelle ne cesserait de le rappeler.

M. le Président : Oui, mais ce n'est pas suffisant, car on a quelques handicaps majeurs, notamment avec cette ligne Turin-Lyon qui nous pose un très sérieux problème. Vu de Bruxelles ou de Paris, la correspondance avec l'Italie du nord et cet ensemble de développement géant autour de Milan et Turin passe par là. Cela va de soi, même si c'est un très gros investissement et si c'est à très long terme. Mais nous, nous sommes obligés de nous battre pour qu'il y ait autre chose pour le sud-est de la France. C'est pourquoi notre mission est très importante, car notre rapport sera remis en avril prochain, à un moment où cela peut représenter un geste politique fort de dire qu'une ligne d'aménagement du territoire européenne et nationale est vitale pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et Marseille.

M. le Rapporteur : Cela sera renforcé quand, en 2005, il y aura une zone de libre-échange sur la Méditerranée. Cet axe sera un axe pénétrant pour l'Europe. C'est aussi un élément fort à développer.

M. Jean-Noël GUERINI : La région marseillaise n'a plus droit à l'erreur vis-à-vis de son port. Nous devons redynamiser le port en relation avec les enjeux économiques et sa situation géographique. Nous avons la plus belle situation géographique de toute la Méditerranée. Ne l'oublions pas ! Mais c'est un grand défi. Nous attendons beaucoup de vos propositions.

M. le Président : Je vous remercie M. le président.

Audition de MM. Henry ROUX-ALEZAIS et Éric BRASSART,
respectivement Président et Directeur du port autonome de Marseille

(extrait du procès-verbal de la séance du vendredi 11 décembre 1998 à Marseille)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : La mission d'information que nous animons avec M. Jean-Louis Fousseret qui en est le rapporteur et des représentants de tous les groupes de l'Assemblée nationale doit permettre d'explorer tout ce qui peut être fait d'une part pour dynamiser les deux grands axes de développement économique que sont la vallée du Rhin et la vallée du Rhône, d'autre part pour que la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ne reste pas à la périphérie de la « banane bleue », de l'axe de flux qui va de Turin à Lyon et de Lyon à Barcelone.

Nous avons auditionné et nous auditionnerons encore un certain nombre de personnalités. Nous venons à Marseille, puis nous irons à Lyon, à Besançon, à Mulhouse pour entendre les personnalités locales sur cette question, qui n'est pas limitée à la région dont M. Fousseret est l'élu, c'est à dire la région du Doubs, mais qui intéresse tout le territoire national depuis Strasbourg jusqu'à Marseille.

Nous sommes contents de vous rencontrer pour vous entendre réagir spontanément sur le fond du dossier et répondre à quelques unes de nos interrogations.

M. Henry ROUX-ALEZAIS : Je suis accompagné par Eric Brassart, le Directeur du port qui est très compétent dans ce domaine en raison de ses fonctions actuelles et de ses fonctions précédentes puisqu'il était, auparavant, directeur départemental de l'équipement des Bouches du Rhône. Je tiens à souligner, en préambule, l'importance que nous attachons à votre démarche dans l'intérêt du port. Vous avez rencontré mon ami et collègue Gilbert Jauffret, ce matin, qui a évoqué l'axe Rhin-Méditerranée. Que vous preniez un point de vue économique général ou un point de vue portuaire, les choses se relient, puisque c'est la même logique économique. Pour nous, acteurs économiques, cette liaison
- on ne parle plus du fleuve pour l'instant - vers l'Alsace avec l'ouverture sur la Suisse, le sud de l'Allemagne, est essentiel pour le port de Marseille. Comme nous sommes éloignés d'un certain nombre de centres économiques lourds, et que notre arrière-pays est enclavé, elle est fondamentale. Sinon, nous ne serions dans l'avenir qu'un port régional. Nous avons des qualités nautiques, des facilités, un positionnement qui présentent un certain nombre d'avantages, à condition que les pré et post-acheminements des marchandises puissent être faits dans de bonnes conditions économiques. Ce grand axe Rhône-Saône-Rhin est fondamental, d'autant que nos concurrents - Barcelone d'un côté, Gênes de l'autre - ne bénéficient pas d'une telle percée nord-sud. Une fois que l'on a dit cela, il existe aujourd'hui un problème essentiel, c'est le contournement de Lyon. Ce n'est pas le seul.

M. Eric BRASSART : L'intitulé de la mission d'information étant : « Perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe Rhin-Rhône, » je reviens en quelque sorte au cahier des charges de la liaison : c'est bien de permettre que les biens et marchandises puissent transiter entre « la banane bleue » et l'arc méditerranéen. Cela amène à recentrer le problème en termes de trafic de marchandises. Qui peut transporter les marchandises entre l'un et l'autre ? La route, le fer, la voie d'eau. Il n'y a pas réellement d'autres perspectives. Ce n'est pas le domaine de pertinence du transport aérien, ni d'autres moyens de transport. Je rappelle, en revanche, qu'un transport de plusieurs millions de tonnes de pétrole se fait tous les jours par oléoduc depuis le port de Fos en direction du Rhin. Il y a donc déjà un axe Rhin-Rhône extrêmement lourd pour l'économie nationale et européenne et auquel on tient dans la perspective des restructurations du raffinage.

Second élément de réflexion, actuellement sur cent tonnes qui passent par le port de Marseille, à peu près les deux tiers sont traitées, par la route, hors des terminaux. Sur le tiers restant, environ 5 % passent par la voie d'eau, et par conséquent un peu moins de 30 % passent par la voie ferrée. La situation n'a cessé de se dégrader pour le fer et est restée relativement constante pour la voie d'eau. Il faut savoir que la voie d'eau n'est pas compétitive pour l'instant pour desservir le secteur de Marseille. Je reviendrai sur les causes, importantes à mon sens, de cette situation pour savoir ce qu'il faut faire pour l'avenir. Le fer connaît des problèmes d'exploitation qui pénalisent son usage, et le niveau de ses tarifs fixe les limites de notre hinterland en situation concurrentielle par rapport au fer à 400 kilomètres en moyenne de distance de Marseille. Les imperfections de l'exploitation de la SNCF font qu'il n'y a pas de développement sur le fer actuellement malgré nos efforts en la matière, même dans ces limites.

Pour l'avenir, dans le cadre du plan d'entreprise du port autonome, notre souhait est que la part de la route retombe progressivement à environ 50 % au fur et à mesure du développement. Il ne s'agit pas de régresser mais, du fait de l'extension du marché de ramener la part de la route à 50 %, la part de la voie d'eau augmenterait dans la mesure du possible, et l'essentiel de la croissance devrait se faire sur le fer. Il parait souhaitable que le fer passe de 30 à 40 % des acheminements du port de Marseille. Compte tenu de la croissance des volumes à traiter, cela impliquerait un doublement du trafic pré et post acheminé par le fer d'ici 2004. Il n'est pas inutile de rappeler que ce qui passe par le port de Marseille représente la moitié du trafic total de fret SNCF des régions PACA et Languedoc-Roussillon. La SNCF a parfois perdu cela de vue, car le port n'est pas identifié comme un client unique, du fait de la multiplicité des donneurs d'ordres. Cependant, un client qui représente la moitié de leur trafic est un enjeu considérable.

Pourquoi la voie d'eau ne s'est-elle pas développée ? Dans quelles conditions peut-elle se développer ? La grosse différence entre le port de Marseille et les ports du nord, qui ont un acheminement par voie d'eau beaucoup plus important, est le fait que les voies d'eau qui desservent Anvers, Rotterdam ou le Havre sont des rivières ou des canaux bordés d'usine. Je prendrais un exemple pour que l'on comprenne bien : quand on fait un métro, on va d'un point A à un point B, mais le métro n'est efficace qu'en fonction des stations qui existent entre les points A et B, pour qu'il ramasse le plus de monde. Quelle que soit l'importance de A ou de B, un métro qui va de A directement à B est moins efficace que s'il se détourne par des zones de chargement.

La situation est la même pour la voie d'eau : elle ne devient concurrentielle par rapport au fer qu'à partir d'une zone d'environ 400 kilomètres de distance, mais elle n'est performante, efficace de point à point, et donc rentable que si l'on charge des marchandises au long de la voie. Or, malheureusement, sur le Rhône, entre Arles et le sud de Lyon, il y a très peu d'usines au bord de l'eau. Après Arles, en remontant vers Avignon, on trouve quelques chargeurs - on a les papeteries à Tarascon ; à Valence ou Donzère, on trouve un ou deux chargeurs marginaux qui ne sont pas réguliers. L'Isère n'est pas navigable. Il faut arriver au sud de Lyon, à partir de Vienne pour trouver des usines qui soient des chargeurs réguliers. Nous sommes dans une situation où entre A et B, c'est-à-dire entre Fos et Vienne, il y a très peu de chargeurs réguliers directs sur le Rhône. Or, les chargeurs indirects, à cette distance de Fos, préfèrent éviter le surcroît d'une rupture de charge route-fleuve. Le trafic fluvial sur le Rhône ne peut être rentable que s'il est rapide ou s'il est en soi très économique. Mais pour le massifier, il faut plus de chargeurs directs. Nous sommes là dans un cercle vicieux qui explique les difficultés que l'on a à développer le transport sur le fleuve afin de desservir les ports de Fos et Marseille.

Personnellement, je suis sensible aux arguments écologiques qui ont conduit à la décision du Gouvernement d'arrêt du projet de canal Rhin-Rhône par le Doubs. Concernant le problème hydrologique, je pense que les arguments qui ont été évoqués ne pouvaient pas être écartés. Le problème écologique n'est cependant pas le seul. Le vrai problème est qu'il n'y a pas de pression économique actuellement pour prolonger le canal vers le Nord, au-delà de Mâcon ou Chalon. Pour qu'il y ait une telle pression, la question n'est pas de savoir si on crée l'infrastructure ou si on crée l'offre mais de savoir si l'on crée la demande, si l'on peut implanter plus d'usines à fort chargement au bord du Rhône, en commençant par la zone d'Arles et en remontant tout au long du fleuve.

On a là un enjeu majeur qui pourrait devenir une priorité d'aménagement du territoire pour le Gouvernement. Si on commence par dire qu'on va accueillir des chargeurs au bord des voies d'eau, en faire une zone d'installation prioritaire, cela change la donne. J'ai été directeur de la DDE de la Drôme pendant quatre ans, et j'ai pu constater que, depuis 20 ans, on a toujours donné la priorité aux installations au bord de l'autoroute et que l'on n'a rien fait pour privilégier les installations au bord du Rhône, que ce soit à Montélimar, Valence ou Donzère. Je le dis car je pense que derrière cela, il y a un problème d'aménagement du territoire qui peut être sensible dans les schémas de service actuels ou à venir.

Il n'est donc pas envisageable de développer fortement le transport fluvial pour desservir le port de Fos sur les trafics traditionnels, parce nous sommes dans une zone où l'on n'a pas les moyens de massifier pour baisser les prix par rapport au fer, compte tenu des distances que l'on a à gérer. Le créneau de développement est celui que le port de Marseille a développé depuis deux ans sous l'autorité du président et de mon prédécesseur : ce sont les navettes en direction de Lyon qui sont bimodales, à la fois la navette ferrée et voie d'eau. Concernant la navette ferrée, le port de Marseille a choisi, il y a deux ans, de faire arriver son point final à Lyon au port Edouard Herriot, et non pas à Vénissieux, ce que la rationalité ferrée aurait conduit à faire car toutes les navettes de la SNCF y arrivent. Le port de Marseille a choisi de le faire au port Edouard Herriot, sur le bord à quai, ce qui a permis de doubler le trafic de conteneurs sur le Rhône entre Fos et Lyon depuis un an et demi, et de jouer sur le bimodal fer-voie d'eau. Paradoxalement, cette liaison bimodale fer-voie d'eau, ne joue pas à plein en faveur de la voie d'eau, car les armements fluviaux, constatant que le fer n'est pas plus cher, ont parfois tendance à penser qu'il est plus simple de faire transporter par le fer en prenant une commission sur cet envoi plutôt que de le transporter eux-mêmes. C'est un dossier que le ministère des Transports doit gérer puisque Delta-box, l'armement sur le Rhône, a largement bénéficié de subventions que le ministère a décidé d'arrêter récemment, car elles alimentaient des mécanismes financiers et non pas des mécanismes industriels.

Concernant la desserte ferrée, nous avons un énorme problème : Lyon. J'y reviendrai en disant quelques mots sur le secteur ferré. Nous n'avons pas de difficulté pour aller jusqu'à Lyon en fer, mais nous avons un gros problème pour traverser Lyon. Il serait cependant possible de contourner Lyon, en attendant, par la voie d'eau. Un conteneur qui monte de Fos au port Edouard Herriot par la voie d'eau ne met que 8 heures de plus que par la voie ferrée. Par la voie ferrée, il faut qu'il passe par Miramas avec rupture de charge : un conteneur qui va de Fos à Edouard Herriot par le fer met environ 12 heures. Par la voie d'eau, il met 20 heures. La différence n'est pas si forte, en considérant les incidents de toutes natures qui retardent les conteneurs. Si par la voie d'eau, les conteneurs passent comme c'est le cas, au lieu d'être bloqués à Lyon par le fer, et s'ils continuent sur Mâcon ou Chalon, sur la Bourgogne et le sud de la Franche-Comté, il y a un créneau pour les armements fluviaux qui permettrait de doubler nos transports fluviaux. On en est là actuellement. On n'a pas trouvé l'armement fluvial qui ait envie de le faire. Il est vrai qu'en France, on ne regorge pas d'armements fluviaux et ce sont des armements qui ont des logiques financières avant d'être productives. Notre point de vue est qu'il est possible comme on l'a démontré au cours de l'année passée de doubler le trafic fluvial en choisissant non pas le créneau traditionnel du transport de masse de grand vrac mais en se positionnant sur le transport de conteneurs et en profitant des difficultés du fer dans les dix années qui viennent à faire transiter les marchandises dans des conditions correctes au-delà de Lyon.

Concernant le fer, j'ai évoqué la question à travers ce que je viens de dire. Le gros enjeu pour nous est d'aller sur notre hinterland économique qui est la région Rhône-Alpes principalement, sur l'axe Rhin-Rhône et, au-delà, sur la Franche-Comté, car il y a de gros chargeurs comme Peugeot, la Suisse alémanique et le sud de l'Allemagne. Les chargeurs importants, réguliers de cette zone se partagent, actuellement entre les ports du nord, Anvers et Rotterdam et Marseille. On n'a donc pas tout perdu. Notre part de marché est inférieure à 30 % dès lors que l'on passe au-delà de Lyon, mais n'est pas de 0 % comme lorsque l'on arrive dans le secteur de Paris ou au nord de Paris. Ce sont donc des secteurs dans lesquels on peut reprendre des parts de marché sur Anvers et Rotterdam. Pour ce faire, nous avons l'énorme problème de la fiabilité du transport ferré. Il est à peu près fiable si l'on excepte des incidents divers qui se reproduisent à raison d'un mois par an entre Lyon et Fos. Mais, pour traverser Lyon, cela se passe très mal. Les wagons attendent, se perdent. Dans la situation actuelle de juste-à-temps, il faut savoir que, pour ce qui part sur l'Asie, ce n'est pas un gros handicap, mais pour ce qui part ailleurs, les armements qui touchent avec leurs bateaux à Fos vont après cela au Havre ou dans les ports du Nord, et cela nous défavorise considérablement par rapport au Havre ou à Anvers. Cette perte de qualité des transports ferrés dans la traversée de Lyon et au-delà, dans l'embranchement sur Lyon, nous coûte plusieurs millions de tonnes par an. Du coup, ces tonnages se retrouvent sur Anvers et le Havre parce que les bateaux y vont directement plutôt que de venir ramasser un trafic aléatoire chez nous.

La priorité est que le contournement ferré de Lyon se fasse, mais il faut entre cinq et dix ans selon la diligence qui y sera mise. Je crains que cela soit plutôt dix ans parce que faire une voie ferrée marchandises en banlieue lyonnaise ne me paraît pas plus facile à faire qu'un TGV en Provence. A priori, beaucoup de gens vont protester. Quand on va leur expliquer qu'il s'agit d'un grand axe européen et que des trains de marchandises vont circuler à flux continu, les gens vont protester. Protéger contre le bruit des voies ferrées n'est pas plus simple que de le faire contre les bruits autoroutiers. Il ne faut pas se faire d'illusion. Certains parlent de cinq ans pour faire le contournement par voies ferrées de Lyon. C'est probablement plutôt dix ans en faisant la concertation nécessaire, en arrivant à faire comprendre ce qu'il faut. Cela signifie que, pendant dix ans, notre situation restera difficile. On peut certainement tenter de l'améliorer par des mesures d'exploitation qui supposent que la SNCF prenne vigoureusement en main cette question, que l'on n'arrivera pas à résoudre complètement.

Cela va se compliquer avec la politique européenne de corridor qui, vraisemblablement et par nécessité, va favoriser les grands opérateurs ferrés, donc a priori plutôt les opérateurs des chemins de fer du nord, Deutsche Bahn et Chemins de fer néerlandais. Cela va leur apporter des sillons qui, dans ces conditions, compte tenu des accords qu'ils ont avec Rotterdam et Anvers, seront plutôt des sillons qui viendront chercher de la marchandise dans le sud et qui vont nous retirer des parts de marché dans notre hinterland immédiat, y compris en Provence, plutôt que nous apporter des possibilités de massifier de la marchandise. Il s'agit là d'une évolution inquiétante de la politique ferroviaire. Techniquement, on est très désireux que le contournement ferré de Lyon soit engagé le plus vite possible, et qu'on le présente dans des conditions qui ne l'opposent pas à tout le reste.

Le fait qu'il s'agisse d'un investissement à venir devrait crédibiliser la voie d'eau. Dans le même temps, une politique d'aménagement du territoire en matière d'aide à l'installation des chargeurs et en matière de logistique devrait conduire à favoriser des zones au bord du Rhône. A Montélimar, à Valence, il y a des zones industrielles à moitié vides. Celles des autres villes ne sont pas mieux loties. Il y a donc un créneau de développement pour le fleuve sur un marché qui n'est pas un marché traditionnel. Cela offrirait des possibilités économiques de justifier à terme la reprise de projets fluviaux de liaison Rhin-Rhône. Il y a bien eu certaines idées, évoquées par les uns et les autres sur d'autres tracés que le tracé du Doubs. Là-dessus, le port de Marseille s'est exprimé. Nous avons été très clairs. Nous sommes très réservés sur les tracés autres que le tracé du Doubs. Nous y sommes quasiment opposés, à court terme, pour une raison simple. Un tracé fluvial n'a de sens, ce qui est vrai entre Lyon et Fos est vrai au-delà, que s'il répond à certaines conditions : le tracé du Doubs est intéressant parce qu'il passe près de grands chargeurs, alors que le tracé de la Moselle passe dans un désert industriel. Par conséquent, un tel tracé n'aurait pour unique fonction que de rendre beaucoup plus accessible la zone de Lyon, à un prix très bas, à Anvers et Rotterdam. Nous sommes certains que l'investissement qui pourrait se faire dans le tracé de la Moselle serait, pour nous, un investissement dangereux qui réduirait nos parts de marché.

M. Henry ROUX-ALEZAIS : C'est une autoroute vers le nord.

M. Eric BRASSART : Cela nous amène à penser que pour aller vers les zones qui nous intéressent beaucoup, comme le sud de l'Allemagne, la Franche-Comté, la Suisse alémanique, notre intérêt serait que le TGV Rhin-Rhône se fasse. S'il se fait en incluant dans le projet, soit l'idée qui avait été évoquée il y a quelques années, de faire un TGV marchandises la nuit, soit si décidément ce n'est pas possible, en utilisant les voies ferrées existantes pour que s'y organise une desserte sérieuse des marchandises, cela intéresse finalement beaucoup plus le port de Marseille.

Au total, pour le port de Marseille, tout en restant prudent dans ma façon de le dire, l'abandon du projet Rhin-Rhône par le Doubs n'a rien de dramatique, dans la mesure où il aurait pris une dizaine d'années pour aboutir. Notre gros enjeu est la massification par le fer, et par conséquent, c'est le contournement ferré de Lyon et l'accès plus au nord, mais pas seulement. Par conséquent, la solution TGV Rhin-Rhône ou une autre solution de type vallée du Rhône au sud nous permettrait d'avoir le même service économique pour relier l'arc méditerranéen à « la banane bleue ».

Autre considération, à court terme, il nous semble que quelque chose de pertinent peut être fait avec des armements fluviaux, qui, pour l'instant ne sont pas en mesure de le faire, pour développer le trafic fluvial. Entre le court terme immédiat et les dix ans auxquels on réfléchit pour le canal Rhin-Rhône, le TGV Rhin-Rhône, le contournement de Lyon etc., il nous semblerait souhaitable que soit initiée une politique d'aménagement du territoire qui favorise un peu plus le chargement sur le fleuve. C'est là que l'on a le plus à espérer. C'est cela qui peut être le moteur le plus durable de l'accroissement du trafic sur le Rhône. Les usines de la vallée du Rhône qui chargent devraient se positionner au bord du Rhône et non pas au bord de l'autoroute A 7. Cela pourrait accessoirement régler quelques problèmes de doublement de l'autoroute dans la vallée du Rhône ou du moins, en retarder l'échéance.

J'ai négligé un point très important pour Marseille : le passage ferré à Modane vers l'Italie. Pour nous, le dossier « Rhin-Rhône » comprend l'accessibilité à la partie alpine, le secteur de Grenoble et de l'Italie du nord. Pour aller en Italie du nord, la seule solution ferrée est de passer par Modane, c'est-à-dire par Lyon. Modane donne accès à la zone autour de Milan, zone de chargement considérable où on a des chances de reprendre des parts de marché par rapport aux ports du nord. Rotterdam monte des navettes quasi quotidiennes entre Rotterdam et Milan. Il faut que le port de Marseille puisse y aller. Paradoxalement, c'est plus facile pour Rotterdam que pour Marseille, car nous avons les obstacles liés au passage ferré de Modane. L'amélioration de la continuité ferrée entre l'Italie et la France se fera en résorbant à très court terme les problèmes sociaux, techniques qu'il y a à Modane. Il parait que c'est en cours. Nous espérons que ce sera effectif d'ici un an.

Deuxièmement, il faut organiser ce chantier pour avoir une productivité beaucoup plus forte. Il faut avoir des navettes plus nombreuses et voir si, en attendant le contournement de Lyon qui permettra d'aller à Modane en venant de Fos, il ne serait pas possible de travailler sur la voie ferrée qui va de Valence à Grenoble. C'est une voie ferrée à voie unique ne permettant le passage de voyageurs qu'en très petit nombre et de très peu de marchandises. Mais elle relie l'arc méditerranéen au moins à la zone alpine et donc à l'Italie du nord. C'est très important à défaut de faire des percées alpines dans les Alpes Maritimes. Il y a là un projet franco-français qui permettrait de mieux resituer la partie française et le sud de la vallée du Rhône à partir de Valence sur les axes économiques dans les cinq ou six ans qui viennent. Cela peut se faire en deux ou trois ans, alors que le contournement de Lyon ne peut raisonnablement pas se faire en moins de cinq ans.

Pour nos parts de marché, il me paraît important que vous ayez en tête que sur PACA, le fret passe à 80 % par le port de Marseille. Sur Rhône Alpes, on a repris plusieurs points de parts de marché et on est à 57-58 % par le port de Marseille, le reste étant fait par les autres ports.

Au-delà, dans tous les cas de figure, on est en-dessous de 40 %.

M. Henry ROUX-ALEZAIS : Je vous remettrai cette note, réalisée par les services de la Chambre régionale, et qui montre simplement comment améliorer la situation de cet axe de façon significative. Une partie concerne l'exploitation maximum des capacités du tronçon fluvial entre Saint Jean de Losne et Marseille. Ensuite, il y a l'offre ferroviaire entre les deux corridors : le barreau Macon-Dijon-Mulhouse. On parle toujours de Mulhouse-Dijon mais s'il n'y a pas Dijon-Mâcon, cela ne nous sert pas à grand chose. Si on ne fait que l'est du barreau et si on ne va pas jusqu'au sud au point de vue ferroviaire, cela ne résout pas notre problème. Il y a donc un certain nombre de remarques sur ce point.

Enfin, il y a la fluidité du tronçon Lyon-Marseille, le tronçon final. Je suis administrateur des Autoroutes du sud de la France, on voit déjà que cette autoroute est en passe d'être saturée. Doit-on l'élargir ou la doubler ? Il y a un vrai problème. A mon avis, nous aurons besoin de tout, de la route, du fer, du fleuve.

Pour nous, l'enjeu est essentiel. Ce n'est pas accessoire. Ce que l'on craint, c'est que l'Etat se défausse et laisse aux régions le soin de financer tout cela en leur disant de se débrouiller. Ce serait grave car on pénaliserait le premier port français avec tout ce que cela comporte comme enjeux économiques et sociaux. Il faut donc être très attentifs. Mais il est très important que l'Etat ait des actions significatives dans ce domaine, ne se contente pas de botter en touche, en ayant fait une belle économie sous prétexte ou sous raison écologique, et s'en tienne à ce que les régions se débrouillent pour en faire leur affaire. C'est ce que nous craignons quand même.

M. le Président : C'est ce que nous craignons aussi. En tout cas, moi !

M. Henry ROUX-ALEZAIS : Pour toutes nos industries françaises plus celles que nous pouvons capter, nous avons un avantage compétitif : une position qui fait que vers le Moyen Orient et l'Extrême Orient, sans parler, tant cela est évident, de la Méditerranée du sud cela représente cinq jours de mer de moins. Cet avantage compétitif de « transit time », qui compte beaucoup dans la compétition internationale avec la notion de flux tendu, n'a sa pertinence que si les pré et post-acheminements sont économiques. S'ils coûtent le double, on rattrape le coût en question. C'est un enjeu national pour valoriser nos entreprises qui sont en compétition notamment avec la Lombardie, la Catalogne et sur les marchés extrêmes orientaux. Nous devrions pouvoir bénéficier de cet avantage compétitif à condition de régler ce problème. D'où la stratégie du port qui consiste à d'abord rapprocher l'hinterland en créant des navettes. Nous avons commencé avec celle de Lyon et nous allons poursuivre sur Mulhouse, l'Italie, Bordeaux et Toulouse pour ramener l'hinterland le plus tôt possible.

M. le Rapporteur : Une navette sur Mulhouse ?

M. Eric BRASSART : Nous allons mettre en place une navette ferroviaire sur Mulhouse, Bâle..

M. le Rapporteur : En passant par Dijon ? On parle peu de cette ligne du Revermont que vous devez connaître.

M. Eric BRASSART : Il y a beaucoup de chargeurs de vin et ils passent tous ou presque par le Havre et Anvers. Le port de Marseille est sur la défensive depuis quelques années. La stratégie que l'on a, en raison des pré- et post-acheminements, ne nous place pas dans une situation agressive, comme Rotterdam qui est prête à dépenser de l'argent à perte pour aller chercher du trafic à Milan tous les jours. Notre problématique pour quelques années est de conforter les secteurs où l'on n'a pas trop perdu en parts de marché. Malheureusement, en Bourgogne, le vin ne passe presque plus par Marseille. Nous ne tentons aucune offensive dans ce secteur, nous cherchons plutôt à conforter notre position dans le secteur de la vallée du Doubs.

M. le Rapporteur : Dans la vallée du Doubs, les seuls chargeurs sont Peugeot et Solvay ?

M. Eric BRASSART : Oui. Il y a aussi beaucoup de petites industries qui font beaucoup de conteneurs.

M. le Rapporteur : Peugeot utilise-t-il le port de Marseille ?

M. Eric BRASSART : Peugeot utilise le port de Marseille dans des conditions qui sont à peu près équilibrées avec le Havre. C'est du 50/50.

M. le Rapporteur : S'agit-il d'un pré acheminement par la route ou par le rail ?

M. Eric BRASSART : Par le rail.

M. le Président : Quand vous parlez de navette vers Mulhouse, par où passe-t-elle ? N'avez-vous pas le problème de Lyon ?

M. Eric BRASSART : Si et cela peut nuire à sa fiabilité. Par contre, quand on fait une navette qui va au-delà de Lyon, notre problème est d'apporter un service qui ne soit pas que ferré. En vérité, notre problème est d'amener les services, notamment informatiques, du port de Marseille au-delà, jusqu'à l'endroit où va se trouver le départ de la navette. C'est le problème du port avancé au-delà de Lyon. On fait des navettes pour faire des ports avancés et réciproquement. Pourquoi parle-t-on plus volontiers de navettes que de ports avancés, lorsqu'on développe ce type de prestations de services ? Un certain nombre d'entreprises de la place, des transitaires, des commissionnaires, n'ont pas forcément envie que l'on fasse des ports avancés de plus en plus loin de Marseille, car cela rapporte du trafic, mais cela oblige ces entreprises locales à travailler dans des conditions différentes et moins rentables.

Schématiquement, cela peut conduire à embaucher un agent à Mulhouse plutôt qu'à Marseille. Cela ne détruit pas l'emploi sur Marseille, puisque cela amène du trafic, mais cela oblige à des organisations plus performantes que les organisations traditionnelles. Nous avons à faire face à l'évolution des professions portuaires qui est difficile à gérer, puisqu'il faut les obliger à bouger et à entrer dans la guerre économique, mais en même temps, il faut le faire avec précaution. Nous avons un vrai problème et c'est pour cette raison que nous sommes un peu hypocrites. Quand on fait le port avancé de Lyon, le service principal est la navette, et le service secondaire est ce que l'on offre au port, le dédouanement directement sur le port Edouard Herriot et les services informatiques qui permettent à la marchandise de quitter le port et de se retrouver à Hong Kong sans problème. Quand on va faire un port avancé à Bâle ou Mulhouse, le service principal est le dédouanement et l'informatique, et le service secondaire est la navette ferrée, car elle restera fatalement de mauvaise qualité pendant quelques années entre Mulhouse ou Bâle et Lyon.

M. Henry ROUX-ALEZAIS : Edouard Herriot est considéré comme un bassin du port de Marseille. Cela veut dire qu'on peut enregistrer de la marchandise pour Djakarta.

M. Eric BRASSART : Je préférerais qu'on ait le contournement de Lyon, car alors, on aurait la même stratégie pour tout port avancé au delà de Lyon.

M. le Rapporteur : Quand vous dites navette, cela veut dire que c'est régulier que cela soit plein ou pas ?

M. Eric BRASSART : Le train circule ; le nombre de wagons dépend du nombre de pleins, mais la traction est payée et c'est elle qui coûte.

M. Henry ROUX-ALEZAIS : Tous les trois jours par le fleuve, tous les deux jours par la navette.

M. Eric BRASSART : J'ai oublié une donnée qui sera éventuellement favorable au fleuve, hypothétique pour les années qui viennent mais crédible, c'est le développement du « short-sea » sur la Méditerranée, c'est-à-dire le cabotage par des navires qui prennent les marchandises à Barcelone ou à Séville et les amènent à Fos pour éviter le passage par la route.

Ce développement est soutenu par la Communauté européenne. Nous essayons de le relayer. Cela commence. Il y a un début de cabotage entre de Barcelone et Gênes. Nous allons essayer de monter des projets ; cela peut accroître le nombre des navires fluviaux, voire maritimes qui pourraient remonter sur le Rhône, comme cela se passe sur les grands fleuves du nord. Il y a une perspective de développement important sur lequel on va jouer le développement du cabotage Espagne-Fos, mais en l'état actuel des services fluviaux, ce sera plutôt du transbordement sur le fer. Si l'on arrive à muscler les services fluviaux et surtout de services qui remonteraient jusqu'à Mâcon, Chalon, et passeraient Lyon, nous aurions alors un créneau de développement pour le fleuve qui deviendrait très intéressant à l'horizon de cinq ans, c'est-à-dire au moment où la pression de la Communauté européenne deviendra très forte sur les questions de l'environnement pour repousser ce type de marchandises sur le cabotage. Un conteneur qui va en bateau de Barcelone à Fos accepte de prendre quelques heures de retard sur le train ou la route. On peut imaginer qu'il accepte encore quatre heures de retard sans difficulté, si le bateau remonte à Lyon plutôt que de passer par la route.

Le « just in time », qui régit complètement les chaînes logistiques internationales actuellement, ne doit pas être compris comme voulant dire le plus vite possible ; cela veut dire arriver à temps. Je vois bien les réactions des chargeurs : « Je choisis le moins cher s'il me permet d'arriver à temps. Si cela prend 2 jours de plus, mais que le différentiel est de 10 %, je le fais ! Si c'est sûr, comme cela coûte un peu moins cher, je le prends »

C'est ce créneau-là qui représente l'avenir du fleuve. Pour le Rhône, nous ne sommes pas dans la situation d'un fleuve comme le Rhin où le transport fluvial de base sera toujours le transport de vrac. Pour le Rhône, compte tenu des contraintes d'environnement, d'aménagement du territoire, l'avenir du fleuve, c'est le transport de conteneurs en « just in time » parce que l'on joue sur quelques heures.

M. Henry ROUX-ALEZAIS : Sur le plan du vrac, nous avons développé le telline à Port Saint Louis qui fait du grain à l'export. Cela représente 350.000 tonnes cette année, alors que l'on faisait zéro il n'y a pas si longtemps encore ! On va bientôt faire de l'import à l'envers. Cela a été fait avec toutes les Chambres de commerce le long du Rhône et de la Saône. Elf Atochem qui n'est pas satisfait des performances de la SNCF, passe au fleuve ! Nous avons intérêt à être en multimodal, à tout points de vue. Sinon, on est coincé. Quand la SNCF connait son mois de grève annuel, il faut avoir une alternative.

M. Eric BRASSART : Le mois que l'on vient de connaître a été dramatique du point de vue commercial. Les conséquences pour le trafic passant par le port de Marseille et pour l'économie nationale sont dramatiques.

Le navire venant d'Asie, qui s'arrête à Fos pour débarquer la marchandise, continue la plupart du temps sur les ports espagnols. Là, la SNCF est incontournable. Après cela, il va au Havre qui est aussi incontournable et il termine à Anvers et Rotterdam qui est quasiment le point final de toutes les lignes mondiales. Quand on a des situations telles que celles que l'on vit depuis un mois, on sait que des chargeurs de Dijon qui attendraient un conteneur par Fos, le feraient passer par Rotterdam, car c'est plus sûr. Il y a quatre jours de plus, mais ils sont sûr de réceptionner à quatre jours plus un de train ou de camion. Alors que par Fos !

M. le Rapporteur : Quelle est alors la situation du port de Marseille ?

M. Eric BRASSART : Elle est contrastée. On a des indices très positifs par certains aspects, mais par ailleurs, on n'a pas réglé tous nos problèmes de fiabilité.

M. Henry ROUX-ALEZAIS : On fait du vrac, du roulier, du conteneur, des voitures, des fruits, des passagers, des croisières. Tout dépend de ce dont on parle.

Pour le port de Marseille, le pétrole représente une grosse partie de son activité, avec des problèmes comme le ralentissement de la consommation. Concernant les conteneurs, si on parle des bassins de Marseille-est le trafic se développe bien. Mais à Fos, il est très gêné par la crise asiatique. C'est donc très équilibré, mais on est pénalisé par la non fiabilité de la France en général et du port de Marseille en particulier.

M. Eric BRASSART : Nous avons la malchance d'être très dépendants de la route et du fer. Le fleuve reste marginal et ne peut pas devenir compétitif, sauf à avoir une politique organisée sur l'ensemble du fleuve. Par conséquent, tout dépend de la route.

La fiabilité portuaire s'est améliorée, mais pas la fiabilité du para portuaire. On vient de le voir encore avec la SNCF. Le mois de juin a été bien pire. Cette année, nous avons eu deux mois terribles, avec des conditions qui sont dramatiques : des wagons perdus pendant plusieurs jours en juin. Ce n'est pas compréhensible pour les Japonais. Je les ai reçus, ils nous ont expliqué qu'ils ne comprennaient pas. Tout dépend donc de la route. Celui qui veut un suivi fiable est obligé de passer par la route, les grèves des routiers étant heureusement beaucoup plus rares. Mais la route n'est plus concurrentielle au-delà de 400 kilomètres. On a donc un système qui nous rend dépendants d'un hinterland de 400 kilomètres.

M. Henry ROUX-ALEZAIS : Notre fragilité est la dépendance, et c'est dommage parce que nous avons le plus beau site portuaire de la Méditerranée. C'est indiscutable du point de vue de la qualité maritime et de l'espace géographique. 10.000 hectares en bord de mer comme à Fos, cela n'existe nulle part ailleurs sur la Méditerranée, ni à Barcelone, ni à Livourne, ni à Gênes, ni à Naples ou Valence.

Mais nous sommes pénalisés par nous-mêmes, par notre incapacité logistique. Nous serions en mesure de doubler l'activité de ce port si nous avions un pré- et post-acheminement fiable et compétitif.

M. le Rapporteur : Sentez-vous une évolution des mentalités au sein du port de Marseille ?

M. Henry ROUX-ALEZAIS : Pour le port autonome qui traite avec les opérateurs prévus, tout évolue beaucoup en ce moment. Ce qui évolue moins, c'est la SNCF.

M. le Rapporteur : Monsieur Brassart, si vous deviez donner quatre ou cinq mesures d'urgence hiérarchisées, assez simples, quelles seraient les mesures de première urgence que vous pourriez préconiser ?

M. Eric BRASSART : Sur l'aspect liaison, et non sur le domaine portuaire ?

M. le Rapporteur : Sur l'ensemble. Le désenclavement.

M. le Président : Il y en a une qui est de faire sauter le n_ud ferroviaire de Lyon.

M. Eric BRASSART : C'est une urgence à engager mais cela représente cinq ans de procédure. La décision est quasiment prise, car M. Gayssot l'a annoncée à deux reprises, mais elle n'est pas signée.

M. le Rapporteur : Il est au moins urgent de prendre la décision, même si les effets ne se font pas sentir.

M. Eric BRASSART : Il faut engager les procédures de schéma de service, ce qui représente encore deux ans. S'il faut attendre deux ans que le schéma de service soit approuvé par le Gouvernement pour dire que l'on commence à faire les études sérieuses pour le TGV Rhin-Rhône, c'est deux ans perdus. Je crois qu'une décision devrait être prise maintenant. Au point où en sont les déclarations gouvernementales, on sait que cela sera dans le schéma de service.

Comme mesures d'urgence, nous avons à régler les problèmes de l'exploitation du réseau ferré en certains points précis. Par exemple, à Miramas, à Modane, il y a des blocages qui peuvent être levés. Ce sont des blocages mixtes du point de vue social et du point de vue organisation.

La SNCF est une entreprise très rigide. De temps en temps, les blocages sociaux sont la bonne excuse pour ne pas toucher à l'organisation et inversement. A Miramas, il faudrait pouvoir organiser un grand n_ud de transbordement de façon à nourrir la logistique des différentes plates-formes multimodales de la région marseillaise tout au moins ou des Bouches du Rhône. Pour ce faire, il faut lever un certain nombre de blocages et faire quelques investissements.

M. le Rapporteur : Quels investissements ? Pouvez-vous le préciser ?

M. Eric BRASSART : Je peux vous le préciser très rapidement puisqu'on a commandité une étude à la SNCF sur la question. Elle sera prête dans un mois et je peux vous l'adresser. Grosso modo, on parle de près de 20 MF, mais surtout du courage qu'il faut pour dire qu'il faut traiter cette question et réorganiser...

Nous avons parlé du fer. L'autre point important en cours de traitement, je ne sais pas à quel degré, concerne le chantier de Modane. Je pense qu'en tant qu'élus nationaux, vous devez avoir à l'esprit qu'il constitue un élément primordial pour les échanges entre l'Italie du nord - la partie essentielle du pays au plan économique -et le secteur sud de la France.

M. le Rapporteur : Parce que l'écartement des voies n'est pas le même ? (M. Brassart approuve) Est-ce valable pour toute l'Italie ou seulement à cet endroit ?

M. Eric BRASSART : Vous me posez une colle. Je sais que c'est ainsi à cet endroit.

M. le Président : Quels aménagements cela suppose-t-il ?

M. Eric BRASSART : C'est très facile maintenant. Des boggies qui rétrécissent existent. Comme pour Miramas, le vrai problème est que les douaniers français et italiens n'avaient pas envie que cela se fasse. Et les gens de la SNCF non plus. Les élus locaux sont attentifs à ce que l'on ne touche pas à l'emploi, ce qui semble normal. Néanmoins, le résultat est dramatique sur le plan économique pour la France, car cela signifie que ce sont autant de trains qui passent par la Suisse et qui vont vers Rotterdam. Voilà ce que je trouvais urgent sur le plan ferré.

Au plan fluvial, il y a un vrai problème qui n'a pas de solution dans le cadre des politiques semi-libérales actuelles. Comment soutenir un armement fluvial sur le Rhône qui se rémunère sur le transport et non pas sur la commission ? La difficulté actuelle est que l'armement sur le Rhône, Delta Box, est essentiellement privé, puisque son actionnaire principal est la CFT. Cette société gagne de l'argent sur la commission de transport, et non pas sur le transport lui-même. Elle a donc intérêt à prendre la commission et à faire faire le transport par la route ou par le fer.

Il faut donc conforter ces armements sur un plan industriel et non financier. Dans l'intérêt des communes qui sont au bord du Rhône, d'Arles jusqu'à Chalon, il y a quelque chose de pertinent à faire.

Autre mesure, je pense que dans le cadre des recommandations qui sont en cours d'élaboration, dans les directives territoriales d'aménagement (DTA), comme celle du grand Lyon, les études que la DATAR a lancées sur le secteur du grand Avignon, ou ce qui peut se passer autour du Rhône et dans la DTA métropolitaine, qui ne va pas jusqu'à Arles pour l'instant, on doit expliquer qu'il faut réorienter les aménagements d'industries donnant lieu à chargement au bord du Rhône autant que possible. C'est peut-être par des mesures particulières de primes à l'aménagement du territoire que cela peut se faire. A Valence ou à Montélimar, les zones aménagées par la Chambre de commerce en ports fluviaux ne sont pas aidées plus ou différemment que celles qui sont en bordure de l'autoroute A 7. Peut-être serait-il judicieux d'y mettre une prime à l'aménagement du territoire pour créer une différence, ou faire prendre en charge par le Fonds d'aide à l'aménagement du territoire l'aménagement des quais pour que les industriels soient à armes égales par rapport au fer. Si on lui aménage le quai, on lui assure le service transport à la porte en quelque sorte.

Le problème Rhin-Rhône étant à forte charge symbolique, il occulte les problèmes d'exploitation qui sont plus difficiles à résoudre, qui demandent du courage sur le terrain et qui débouchent sur des petites mesures qui ont de grands effets, résolvant à terme des problèmes. Si on se trouve avec des zones de chargement fort de Vienne jusqu'à Arles, il n'y aura plus de problème d'armement et il n'y aura plus de problème pour savoir s'il faut étendre ou pas les capacités fluviales : cela sautera aux yeux.

Sur la route, nous n'avons rien de spécial à dire.

M. Henry ROUX-ALEZAIS : Sauf à évoquer les problèmes pratiques de la saturation.

M. Eric BRASSART : A moins de basculer beaucoup de choses sur la voie ferrée et le fleuve, cela bloquera. Un porte conteneurs qui décharge mille boites à Fos, cela fait 600 camions actuellement.

M. Henry ROUX-ALEZAIS : Elargir la A 7, développer le fleuve et aménager les voies libérées par le TGV pour que les trains-blocs puissent mieux fonctionner. Il faudra faire les trois.

M. Eric BRASSART : Cela dit, je ne voudrais pas que vous ayez une mauvaise idée de la SNCF au travers de ce que l'on a dit. On trouve, à la direction régionale de la SNCF, des gens extrêmement coopératifs, mais qui sont confrontés à une logique de système bien plus dramatique que celle du port autonome de Marseille.

M. Henry ROUX-ALEZAIS : C'est une culture voyageurs et non pas une culture fret. Ils ont perdu plus de cent trains cet été, pendant plusieurs semaines. Perdu !

M. Eric BRASSART : Les cadres de la SNCF se défoncent dans un cas comme cela pour retrouver les wagons perdus. C'était l'enfer pour eux, cet été.

M. Henry ROUX-ALEZAIS : L'entreprise ne peut pas supporter plus de 5 % de progression. A 5 %, c'est l'ankylose. Une entreprise qui ne peut pas absorber 5 % de développement, c'est dramatique !

M. le Président : Avec les difficultés rencontrées pour le contournement de Lyon, que vous avez expliquées et que l'on a entendues à plusieurs reprises, comment peut-on parler de corridor européen ? Cela fonctionne-t-il ? Quand on parle de corridor européen de Rotterdam à Gioia Tauro, est-ce une réalité ?

M. Eric BRASSART : Un corridor, c'est un train qui passe. Les trains ont des sillons, et on décide que tant de sillons sont réservés au corridor.

M. le Président : Cela fonctionne-t-il ?

M. Eric BRASSART : C'est en service sur le secteur Anvers-Marseille avec, pour l'instant, très peu d'effet parce que trop peu de trains circulent, ce n'est pas significatif. Il y a des effets de masse.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de M. Jean-Michel DANCOISNE,
Président du directoire de la Compagnie Nouvelle de Conteneurs

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 20 janvier 1999)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. Le Président : Nous accueillons Monsieur Jean-Michel Dancoisne, Président du directoire de la Compagnie Nouvelle de Conteneurs.

Monsieur le Président, je vous remercie de vous être rendu à l'invitation de notre mission d'information et je vous souhaite la bienvenue.

M. Jean-Michel DANCOISNE : Merci Monsieur le Président.

Je ne reviendrai pas sur les avantages du transport combiné qui, je crois, sont connus.

Je vais vous présenter sommairement la CNC et son activité, notamment sur l'axe Rhin-Rhône. Je dirai ensuite quelques mots de la situation actuelle. Enfin je vous proposerai quelques éléments de réflexion sur le problème qui vous intéresse.

La Compagnie Nouvelle de Conteneurs est une société anonyme dont les principaux actionnaires sont :

- pour 70 % SNCF Participations, nouveau nom du holding de la SNCF qui s'appelait SCETA,

- pour 10 % la Société belge Inter Ferry-Boats, filiale des chemins de fer belges, qui a la même activité que nous, avec laquelle nous avons des partenariats qui se consolident et dans laquelle CNC a également 10 % de participation avec un croisement d'administrateurs,

- pour 5 % la Société Novatrans, avec là aussi des participations croisées (CNC possède 5 % du capital de Novatrans) et un échange d'administrateurs motivés par le fait que nous travaillons assez fréquemment en complémentarité ou en assistance,

- un peu moins de 5 % sont possédés par Danzas, qui appartient aujourd'hui à la poste allemande,

- le reste représente une centaine de porteurs avec des participations plus faibles, nous pouvons citer quelques transporteurs comme les transports Dubois ou Mory.

Notre métier est d'être un transporteur très spécialisé dans le transport rail-route, porte à porte, c'est-à-dire acheminant et offrant une prestation depuis l'usine expéditrice jusqu'à l'entrepôt destinataire ou encore depuis le port jusqu'au destinataire final. Si je mets à part environ 5 % de prestations aux tiers comme des manutentions, des locations de wagons ou autres, nous réalisons 35 % de notre activité dans le transport de conteneurs maritimes. Dans cette activité nos clients sont des armateurs ou des transitaires. Les conteneurs appartiennent aux compagnies maritimes ; nous ne faisons pas de transport maritime. Nous offrons à ces clients le transport depuis les ports ou vers les ports - les manutentions sont effectuées dans les ports par les manutentionnaires portuaires - jusqu'au client ou destinataire final. Dans cette activité, nous servons essentiellement les ports français, à plus de 90 % cette activité s'exerce vers les ports français. Le port de Marseille-Fos représente environ 25 % de cette activité. Cette activité nous distingue de notre confrère Novatrans.

60 % de notre activité concerne ce que nous appelons du transport continental. C'est du transport industriel pour lequel nos clients sont les chargeurs, des industriels ou de gros distributeurs. Nous transportons leurs marchandises dans nos propres caisses mobiles qui sont des conteneurs aux normes routières. Nous transportons ce fret de porte à porte en utilisant des transporteurs routiers partenaires pour faire les parcours d'approche de nos terminaux, et en transférant les caisses sur des wagons dans ces terminaux. Le parcours principal se fait par fer vers un autre terminal rail-route. Là nous faisons les transbordements et allons livrer par camion chez le client. Cette activité est fortement internationale : pour environ 50 %, il s'agit de transports transfrontaliers. Nous avons d'ailleurs développé un réseau de filiales dans les pays limitrophes essentiellement pour cette activité de transport de fret industriel. Nous avons des filiales en Grande-Bretagne, en Belgique en partenariat avec la Société IFB, en Allemagne, en Italie et en Espagne.

Nous avons un système de transport qui s'appuie sur des trains directs, mais aussi et de plus en plus sur un système de plateformes de correspondance. Un triage nous est dédié en banlieue parisienne, à Villeneuve-Saint-Georges. Cela veut dire que tous les soirs des trains partent de nos chantiers, arrivent en début de nuit à Villeneuve-Saint-Georges. Là, les wagons sont rebrassés et constituent de nouveaux trains qui partent en fin de nuit vers nos centres pour être livrés en début de matinée. Ce système nous permet de relier entre elles toutes les régions françaises, puisque nous avons un réseau d'une forte densité avec 40 terminaux, c'est à dire 40 sites desservis par nos trains. Nous sommes fortement intégrés puisque nous maîtrisons la chaîne de bout en bout. Nous disposons d'un parc d'environ 5 600 wagons en location et d'environ 5 000 caisses mobiles appelées dans notre jargon les unités de transport intermodal. Nous représentons environ 900 emplois directs. Ce sont des agents qui assurent l'exploitation, qui sont des grutiers dans la trentaine de terminaux que nous possédons en propre et qui suivent également l'exploitation ferroviaire. Notre réseau commercial est développé puisque nous devons nous adresser à la clientèle des armateurs et transitaires ainsi qu'à tous les chargeurs, ce qui nécessite une bonne couverture du territoire.

Auprès de ces chargeurs nous sommes aussi, et vous l'avez compris, en concurrence directe avec les transporteurs routiers et donc toutes les entreprises routières françaises ou européennes. Mais nous sommes aussi en partenariat avec environ 230 entreprises routières de différentes tailles qui assurent pour nous les tractions routières terminales. Nous évaluons les emplois ainsi générés, chez ces transports routiers terminaux, entre 1 200 et 1 400 emplois.

Notre chiffre d'affaires pour l'année 1998 sera légèrement supérieur à 1,6 milliard de francs, ce qui correspond au transport d'environ 500 000 boîtes.

Pour vous donner une idée de ce que nous représentons sur le marché, les boîtes sont soit des boîtes de 13 m de longueur correspondant aux semi-remorques de 38 tonnes, soit des demi-boîtes, appelées des 20 pieds, correspondant à un camion normal non semi-remorque.

Une autre particularité de notre activité : nous nous rencontrons avec le fluvial parce que nous sommes actionnaires dans deux ports fluviaux :

- le port de Gennevilliers dépendant du port autonome de Paris,

- le port Edouard Herriot à Lyon.

Nous sommes dans ces deux plates-formes où il y a une activité non seulement fluviale mais aussi ferroviaire. Nous travaillons en complémentarité avec le mode fluvial sur la Seine, où les modes dominants sur la relation entre Le Havre et la partie nord-ouest de Paris sont la route et la barge avec la Société Logiseine.

Nous avons également l'expérience de la relation entre le port de Marseille-Fos, c'est-à-dire Fos et les bassins de Marseille et Lyon où nous avons développé, avec les partenaires portuaires, un système qui s'est enrichi au cours du temps et qui est une réussite. A fin septembre, la progression de l'utilisation du mode ferroviaire est de 30 % en 1998 par rapport à 1997, ce qui est tout à fait significatif.

Compte tenu du marché de l'état du marché et des particularités du transport fluvial, nous avons pu constater que celui-ci peinait à jouer un rôle majeur du fait de la concurrence de la route et de cette offre très forte du mode ferroviaire. Nous sommes en discussion avec la Société Deltabox pour améliorer les complémentarités entre ces modes, étant entendu que, dans ce cas précis, tout le monde s'accorde pour dire que le mode fluvial ne peut être complémentaire qu'à la marge. En revanche, nous sommes en concurrence forte à Strasbourg. C'est une concurrence sur le Rhin non pas entre le ferroviaire que nous maîtriserions vers les ports du Nord, mais entre une desserte par la barge de Strasbourg et les prolongements vers les ports du Nord et une desserte ferroviaire transitant par Le Havre. Nous pouvons constater là toute la pertinence économique du transport fluvial et les difficultés que nous avons pour résister à ces offres sur barges au départ de Strasbourg.

Sur l'axe Rhin-Rhône, nous avons toute une chaîne de terminaux : Strasbourg, Mulhouse, Vesoul qui est un chantier avec un client très important, le Groupe Peugeot. Nous sommes présents à Dijon, à Châlon sur le site portuaire sans être actionnaire, à Macon de la même façon sans être actionnaire, mais nous avons des agents d'exploitation sur ces sites. Nous sommes présents à Lyon avec Vénissieux et au port Edouard Herriot, à Avignon et bien sûr à Marseille-Fos où nous avons, sur Marseille-Canet, une activité pour le maritime et pour le continental. A Fos, nous n'avons, qu'une activité maritime. Il est important de savoir que, sur l'axe Rhin-Rhône, circulent environ 40 trains par jour pour la seule activité de CNC, sachant que, d'un point de vue global, CNC doit représenter entre le quart et le tiers de l'activité de transport combiné en France, transit inclus.

Je voudrais dire quelques mots sur la situation actuelle qui, depuis le début du deuxième trimestre 1998, se révèle assez catastrophique pour le transport combiné en général et pour la CNC en particulier.

Comme vous le savez sans doute, il y a eu de nombreux problèmes d'acheminement pendant cette période avec des causes diverses. Ces problèmes se trouvent aggravés, lorsqu'ils se conjuguent avec des problèmes sociaux à la SNCF. Il est malheureusement vrai que la région de Marseille est particulièrement difficile de ce point de vue. Nous nous trouvons encore aujourd'hui dans une situation difficile pour toutes les circulations de la région, en raison de la grève des dépôts SNCF de Marseille et d'Avignon. Alors que le transport combiné et la CNC connaissaient une progression très forte depuis trois ans - nous avions eu une progression en volume et chiffre d'affaires supérieure à 25 % les trois dernières années -, nous avons connu une véritable cassure ce qui explique qu'en cumul nous stagnons, nous sommes en très légère régression en 1998 par rapport à 1997.

Depuis novembre avec la multiplication des conflits sociaux, nous sommes à moins 15 % en chiffre instantané par rapport à l'an dernier, ce qui se confirme malheureusement en ce début d'année 1999. Nous sommes atteints, alors que nous étions en plein essor ce qui génère des difficultés économiques et l'obligation d'adapter nos effectifs ; nous sommes malheureusement contraints de réduire, dans l'immédiat, nos effectifs directs d'une centaine d'emplois. Aujourd'hui notre stratégie consiste à sauvegarder tout le réseau que nous possédons, à l'exception, vraisemblablement de Nice qui est dans une situation très difficile. Ceci pose un vrai problème de confiance vis à vis des chargeurs qui croyaient à la fiabilité du transport combiné. Ce mode de transport leur donnait la possibilité d'être inclus dans des chaînes logistiques avec des rendez-vous, des organisations, - ce qui allait bien dans le sens d'une organisation plus saine des modes de fonctionnement routier - des rendez-vous dans les entrepôts et chez les grands distributeurs. Tout ceci est actuellement cassé. L'offre routière étant actuellement de bonne qualité, sans hausse tarifaire et plutôt en surcapacité compte tenu des investissements massifs qui ont été réalisés, tout naturellement les chargeurs se tournent vers un mode qu'ils considèrent comme fiable par rapport à un mode dans lequel ils n'ont plus confiance. Cela dépasse l'objet de cette réunion, nous pensons que tout ceci cessera, mais il faudra beaucoup de temps pour convaincre, à nouveau, les chargeurs de revenir vers le transport combiné et de se conforter dans l'idée qu'il est devenu, à nouveau, un transport intéressant et fiable pour eux.

Notre enjeu immédiat - si cette mission s'était réunie il y a un an, mes propos auraient été assez différents - est de sauver le combiné, de consolider les trafics, de reconquérir la confiance de la clientèle une fois que la situation sera stabilisée à la SNCF. Nous sommes convaincus que ce mode de transport a un véritable avenir. La progression des dernières années avec une aide gouvernementale qui, somme toute, était relativement réduite en valeur absolue, a montré que cela correspondait à un véritable besoin et répondait bien aux aspirations de la clientèle qu'elle soit maritime ou continentale. C'est ce qui, heureusement, nous conforte dans l'idée que c'est simplement une mauvaise passe à traverser.

En ce qui concerne la problématique de la mission d'information, nous considérons qu'au niveau actuel d'activité dans les années à venir, la couverture du territoire avec ce réseau dense, relié à l'ensemble du réseau européen est bonne. Nous avions constaté des problèmes de saturation de certains chantiers. Je pense que le transport combiné va repartir et que ces problèmes vont resurgir. J'espère que les projets destinés à y remédier ne seront pas remis en cause par l'accident actuel. L'axe nord-sud est un axe très lourd et bien situé, aussi bien en national qu'en international, il est donc appelé à se développer. Nous avons déjà des problèmes de saturation des infrastructures et nous sommes très vigilants et très désireux que ces points de saturation puissent être débloqués. A ce titre, nous sommes tout à fait favorable au projet qui existe en matière de contournement de Lyon et également à tous les projets qui, indirectement, peuvent conduire à désaturer les lignes ferroviaires existantes, notamment par le transfert de transports voyageurs grandes lignes sur des lignes nouvelles. Nous espérons récupérer ainsi des sillons qui nous font déjà défaut aujourd'hui et qui nous feront encore davantage défaut dans les années à venir, sachant qu'il y a aussi la nécessité de cohabiter sur ces lignes classiques avec les transports régionaux de voyageurs qui se développent également.

M. Le Président : Je vous remercie. Je vais tout de suite donner la parole à mes collègues, mais puisque vous venez de parler de ces questions comme le contournement de Lyon souvent évoqué ici ou encore de la nécessité de dégager des sillons pour le fret, pouvez-vous nous donner un sentiment - c'est une question un peu naïve ou faussement naïve - sur ce qui, entre le TGV Rhin-Rhône, le TGV Est et le flux que vous apercevez, vous paraît le plus urgent, s'il est possible de poser la question ainsi ?

M. Jean-Michel DANCOISNE : Je vois bien le caractère difficile, un peu subjectif et les enjeux qu'il peut y avoir derrière la réponse !

J'aurais tendance à dire que, sur l'axe nord-sud, il y a à coup sûr de nombreux flux. Il y a également l'Espagne, l'Italie. Nous avons un mini hub à Lyon et nous avions le projet - il a été contrarié par la conjoncture, mais nous le reprendrons - de bien relier Lyon et d'en faire un second hub international. Ce dernier permettrait notamment à Marseille de bénéficier de l'apport centré sur Lyon de ce qui venait d'Italie, d'Espagne pour faire des pénétrations aussi bien vers l'Allemagne que vers le Benelux. Nous pouvons dire que cet axe est vraiment un axe très lourd. Il est le barreau entre deux entonnoirs qui, normalement sont très riches.

L'autre axe l'est également et nous sommes en discussion avec la communauté portuaire havraise pour développer cette relation. C'est peut-être plus la partie Le Havre, région parisienne et le contournement de la région parisienne avec les projets qui existent sur la grande ceinture, qu'il me paraît prioritaire de dégager avec cet objectif de faire profiter la façade atlantique de meilleurs débouchés ferroviaires.

M. Renaud MUSELIER : Vous avez une entreprise de grande dimension, importante en matière de transport de conteneurs. Vous avez des contacts internationaux partout et votre impératif est de transporter au plus vite, partout et avec la plus grande fiabilité les marchandises qui vous sont confiées. Cela est lié à l'activité des ports. Un port ne peut en effet être opérationnel et fonctionnel que dans la mesure où il est fiable, compétitif avec une bonne base logistique. En tant que marseillais, nous sommes la base de la chaîne, puisque vous avez souligné tout à l'heure que, chaque fois qu'il y a une ville et qu'on se rapproche de Marseille, le trafic double en termes de volumes.

Je souhaiterais avoir votre avis sur :

- la situation du port franc à Lyon, sur la liaison Lyon-Marseille,

- le Comité d'aménagement du territoire qui a mis en avant la plate-forme d'Avignon notamment pour les fruits et légumes,

- le multimodal de Grans Miramas, qui est une base logistique,

- le Canet dont vous avez parlé.

Marseille vient d'être rétrogradé au rang de quatrième port européen. Vous avez très délicatement expliqué que la situation dans la région Provence-Côte-d'Azur, dans le département des Bouches-du-Rhône, la grève SNCF avaient des conséquences sur votre activité. Cela veut-il dire que ces conséquences sur votre activité entraînent naturellement des flux à l'extérieur ?

Est-ce qu'une fois de plus le climat social gênant la base logistique et donc sa fiabilité, les pôles de notre région se retrouvent discrédités ce qui nécessitera, pour l'avenir, une démarche commerciale supplémentaire importante ? S'il peut être porté remède à cette situation, vous qui avez une démarche stratégique permanente pour pouvoir rester compétitif, si vous étiez à notre place, pouvoir politique, en admettant que nous ayons des moyens, que feriez-vous ? Vous nous avez soufflé qu'il fallait remédier à la saturation d'un certain nombre d'infrastructures, que nous inviteriez-vous à faire pour être parfaitement performants dans le cadre de votre activité ?

M. Jean-Michel DANCOISNE : Vous posez beaucoup de questions, je vais m'efforcer d'y répondre. Sur les conséquences du climat social de la SNCF, non seulement cela pose un problème à mon entreprise en ce sens que les chargeurs ou les armateurs constatent que le transport par la CNC n'est pas fiable, ce qui les invite, même spontanément, dès l'annonce d'un mouvement social ou d'une tension à la SNCF, à se reporter de plus en plus fortement et systématiquement vers la route.

Même si le trafic réussit à être traité, les acteurs économiques considérant que si leurs marchandises sont remises sur le rail, elles peuvent parfois être bloquées directement ou indirectement tout ceci a un impact très négatif sur l'ensemble de l'attractivité des ports français. Il faut le dire très clairement. Un armateur qui se trouve dans le Nord de l'Europe, voire plus loin, ne fait pas vraiment la distinction sur les causes d'un dysfonctionnement. Il constate simplement qu'à Marseille ou au Havre, toutes causes confondues, il doit faire face à un défaut de fiabilité. C'est assez dramatique par l'effet cumulatif. Je pense que ce n'est pas irréversible, mais il faudra une longue période de stabilité pour consolider les efforts déjà réalisés et les réalités déjà constatées dans la fiabilisation des ports français. La fiabilisation de la chaîne logistique et notamment ferroviaire, fait partie de l'image, très importante dans la compétition internationale.

En ce qui concerne l'axe vers Lyon, les perspectives sont réelles, malgré toutes les difficultés inhérentes aux projets rassemblant de nombreux acteurs, dont les points de vue et les intérêts peuvent parfois diverger ou varier dans le temps.

Les chiffres que j'ai cités toutes organisations confondues, montrent que le développement du transport combiné a eu un impact très positif sur les relations entre l'ensemble des bassins du port autonome de Marseille et Lyon, mais aussi les autres destinations même si j'ai focalisé mon propos uniquement sur la zone de Lyon.

Si le transport combiné a un rôle à jouer, c'est bien en offrant un service qui soit fiable, attractif et massif. Un des avantages du transport combiné par rapport à la route est sa capacité à mobiliser et, en agrégeant des flux d'origines diverses à faire face aux fluctuations inhérentes à l'activité maritime.

En ce qui concerne les problèmes que je sais être délicat des plates-formes logistiques, mon confrère de Novatrans et moi, avons eu à plusieurs reprises l'occasion d'exprimer notre point de vue. Celui-ci a été repris dans les différents rapports qui se sont penchés sur la problématique des plates-formes logistiques et des terminaux de transport combiné. Aujourd'hui, le transport combiné est dans une situation très difficile sur le plan économique par rapport à la concurrence routière. Nous sommes obligés de limiter nos investissements et de réduire nos coûts d'exploitation qui ont un poids très important dans nos prix de revient. La traction ferroviaire représente 40 % de nos coûts. Sauf en 1998, nous étions en équilibre très précaire et nous régulions de façon à pouvoir autofinancer nos investissements de développement et de modernisation. Atteindre l'équilibre dans un marché dont le prix est imposé par la route, exige d'avoir des trains quasiment pleins c'est-à-dire au-delà de 80 %. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas anticiper des développements et créer l'offre avant l'existence du marché. En tant qu'entreprise, nous n'avons pas les moyens financiers de le faire. Ceci nous amène à nous focaliser sur les plates-formes déjà créées et à mieux les situer par rapport à une chalandise elle-même existante. Nous avons un raisonnement qui tient compte des distances routières pour essayer de limiter ces coûts routiers et de massifier sur les terminaux existants. Aujourd'hui avec les localisations industrielles et les niveaux de trafics existants, nous préférons d'abord consolider le point de concentration marseillais. Il est entendu que, dès que par son activité logistique la plate-forme sera capable de générer un trafic pouvant économiquement être desservi au niveau de la liaison ferroviaire, nous avons toutes les possibilités de créer une antenne du point nodal et donc de raccorder cette plate-forme à l'ensemble du réseau.

C'est le gros avantage du mode d'exploitation que nous avons choisi, c'est-à-dire pouvoir raccorder l'ensemble du territoire à l'ensemble de l'Europe par une liaison intermodale.

C'est bien une problématique de moyens pouvant être allouée en termes d'exploitation par rapport à un volume de marché dans une situation économique excessivement difficile sur le plan concurrentiel. La décision consistant à couvrir un déficit d'exploitation pour créer une offre potentielle et attirer des clients échappe à une entreprise comme la nôtre. D'un point de vue technique, nous sommes capables d'offrir le service grâce à notre système de point nodal.

M. Jacques PELLISSARD : J'ai une question technique.

Vous dites que 60 % de vos transports industriels sont continentaux. A partir de quelle distance vos transports sont-ils compétitifs par rapport à un transport de proximité par la voie routière ?

Ma deuxième question prolonge la question du Président Vauzelle sur le TGV Rhin-Rhône. Le TGV Rhin-Rhône pour le moment en est à la première phase, Belfort, Besançon, Dijon. Pour nous, je suis du Jura, le TGV Rhin-Rhône c'est l'ensemble de l'architecture, y compris ce qu'on appelle la branche sud, c'est-à-dire Besançon, Dijon, Lyon et au-delà. Dans votre réponse sur l'intensité des liaisons par le sillon rhônalpin et la nécessité de privilégier cet axe par rapport au TGV Est, c'est bien l'ensemble de l'architecture que vous prenez en compte ?

M. Jean-Michel DANCOISNE : Je parle de liaison Rhin-Rhône et de projets capables de détourner sur des infrastructures nouvelles le trafic voyageurs qui nous gêne sur cet axe dont le développement à venir sera fort. Je ne connais pas dans le détail le phasage de ce projet, mais l'ensemble des mesures qui peuvent concourir à nous restituer des capacités sur les infrastructures existantes qui nous intéresse.

Concernant la première question, cela dépend de l'intensité de la concurrence routière, donc de la distance des marchés et du fait de savoir si nous nous trouvons sur un axe très dense sur le plan routier ou sur des destinations un peu moins bien desservies par la route. Il est clair que l'axe nord-sud que j'évoquais est très riche en offre routière et particulièrement difficile pour nous. De façon générale, nous considérons que la distance minimale est de 500 km sauf dans les cas particuliers où, compte tenu de la densité du trafic et de la capacité que nous avons à bien remplir les trains, nous pouvons tomber sur des distances plus faibles ce qui est le cas entre Marseille, Fos et Lyon, où nous savons que, pour obtenir l'équilibre, il faut un taux de remplissage de plus de 90 % et où les volumes qui existent rendent ceci accessible.

M. le Rapporteur : Vous avez une utilisation potentielle des sillons qui viendraient à se libérer et entre des itinéraires dédiés ou une priorité mieux gérée, bien sûr les deux sont intéressants pour vous, vous portez un intérêt certain aux sillons dédiés. Vous avez également évoqué rapidement le transport fluvial. J'ai noté que, pour vous, l'intérêt était assez marginal. Quelles en sont les conséquences ?

M. Jean-Michel DANCOISNE : Mon propos ne visait que le transport de conteneurs.

M. le Rapporteur : Bien sûr. Quelles sont pour vous les conséquences de l'arrêt du canal Rhin-Rhône ? Est-ce quelque chose de très important pour vous ou pensez-vous pouvoir le compenser très facilement par le trafic ferroviaire ? Cela met-il en difficulté votre entreprise ?

M. Jean-Michel DANCOISNE : Non, pour nous cela met fin à une concurrence potentielle, même si nous considérons que le marché se prête peu à l'utilisation du fleuve. Mais, pour une fraction du marché qui aurait pu être accessible par le fleuve, cela nous retire un concurrent, il faut le dire clairement. De ce point de vue, cela nous permet de reporter sur nos moyens les trafics potentiels ce qui est favorable à la massification, à une meilleure économie de nos systèmes. De par la nature des flux, de l'évolution du marché et des destinations géographiques, nous ne nous trouvons pas dans une problématique identique à celle qui est rencontrée vers le Nord. Sous réserve d'avoir les sillons nécessaires, nous sommes tout à fait capables non seulement d'absorber mais aussi de participer au développement des flux sur cet axe.

M. le Rapporteur : Un certain nombre de conseils généraux - je parle sous le contrôle du Président de la région PACA - offre des systèmes de subventions pour favoriser le transport combiné. Que pensez-vous de ces subventions ? Selon vous, quelles seraient les mesures qui pourraient donner un coup d'accélérateur au transport combiné ? Nous avons bien noté qu'en termes de qualité de l'offre, il y avait un certain nombre de problèmes, mais outre cela ?

M. Jean-Michel DANCOISNE : C'est une considération incontournable. En dehors de cela, nous sommes dans une équation économique très difficile par rapport à une concurrence routière qui a fait des progrès de productivité, qui s'organise. Il faut favoriser les investissements et donc poursuivre les actions déjà engagées de financement ou d'aide au financement des chantiers qui doivent être développés. Nous n'avons pas les moyens d'autofinancer, avec l'équation économique actuelle, ces chantiers. La deuxième opération est que toute mesure qui nous permet de retrouver la compétitivité économique par rapport au mode routier, est bonne. Nous sommes pris en tenaille entre les prix du transport routier et la fourniture de prestations ferroviaires qui représente 40 % de nos coûts et sur lesquelles nous ne pouvons que constater ces dernières années des hausses supérieures à l'inflation et aux possibilités du marché.

Toutes les mesures susceptibles d'être prises dans le respect du droit de la concurrence et du droit communautaire ne peuvent être que favorables et sont nécessaires. Nous sommes plutôt en ce moment dans une phase d'écrasement entre ces deux données exogènes que dans la phase d'ouverture que nous avions connue grâce aux aides mises en place les précédentes années.

La cassure actuelle est liée à la qualité.

M. André VAUCHEZ : Vous avez évoqué la situation actuelle consécutive à la fin de l'année et je voudrais vous interroger sur le fait que la SNCF, qui est l'opérateur exploitant du réseau, a vite fait de mettre la situation sur le dos des mouvements sociaux plutôt que sur ses difficultés à s'adapter. En dehors de Marseille, ce qui s'est passé fin 1998 a surtout touché le transport de voyageurs et en particulier les contrôleurs. A Marseille, je ne sais pas, il est vrai que c'est un peu particulier. Il y a une certaine inertie de la SNCF et je voudrais vous interroger là-dessus. Lorsqu'on nous dit qu'il y a des difficultés pour trouver des sillons, on parle tout de suite de n_uds. J'ai l'impression que ce sont les n_uds ferroviaires qui bloquent l'ouverture de voies ferroviaires, que ce soit à Lyon ou Dijon. Lorsque je vois Dijon qui se trouve être un n_ud pour le transit qui monte en Alsace, en Lorraine et qui descend du Nord vers le Sud, je trouve cela complètement ahurissant, alors qu'il faudrait peut-être moderniser sans beaucoup d'argent, certaines lignes qui existent et qui pourraient donner satisfaction. Je répète toujours que c'est la ligne du Revermont qui est le plus court chemin de l'Alsace à Lyon, pour ce qui concerne la Franche-Comté. A mon avis, ce problème de n_ud est très important. Lorsqu'on nous explique par exemple, à la SNCF, que certaines lignes sont intéressantes parce qu'on peut mettre des trains de 2 000 tonnes et d'autres ne le sont pas du tout parce qu'on n'y met que 1 200 tonnes, je me dis que nous marchons sur la tête. Si nous attendons d'avoir des lignes TGV qui, dans toute la France, libéreront des lignes dites anciennes, qu'apportera le TGV Est pour le transport combiné, lorsque nous aurons une ligne TGV Est ? Je reviens encore au problème du combiné. Combiné veut dire, et vous le savez mieux que moi, combiné avec d'autres, pas tout seul. Il est vrai que la SNCF ayant une participation majoritaire de 70 % dans votre société, vous êtes très lié à cette société nationale. Que pensez-vous des relations que vous avez avec elle ou avec RFF ? Est-ce qu'ils se comportent comme des partenaires et recherchent des solutions au problème posé ? Agissent-ils avec souplesse et des méthodes innovantes ou, au contraire, vous répondent-ils toujours en ouvrant le vieux livre des communications ou de je ne sais quoi du passage dans les n_uds ferroviaires qui date de 1946 ? Qui pilote le transport combiné, la SNCF ou vos sociétés ? Est-ce seulement une réponse au marché ? N'y a-t-il pas quelqu'un d'incontournable dans ce type de transport ? Qu'attendez-vous des politiques ? Nous sommes là pour vous écouter.

M. Jean-Michel DANCOISNE : Concernant la première question - si je ne l'ai pas fait, je tiens à le préciser dans mon propos - je crois avoir dit que, depuis avril 1998, nous avons connu des problèmes de qualité graves dans les acheminements ferroviaires avec diverses causes et que ces problèmes se sont trouvés aggravés par les mouvements sociaux, notamment lorsqu'ils ont pris une durée significative. Cela a été le cas à plusieurs reprises, notamment dans la région de Marseille.

M. André VAUCHEZ : J'ai compris les problèmes sociaux, mais quels sont les autres problèmes ?

M. Jean-Michel DANCOISNE : Ce sont des problèmes de rupture de fourniture de traction, de retard ou de qualité. Mon propos doit être bien compris. Nos difficultés ne sont pas liées uniquement aux problèmes sociaux. Nous avons connu des problèmes de qualité, de fiabilité des acheminements ferroviaires qui, de façon périodique et récurrente, se sont trouvés aggravés par des ruptures totales ou partielles d'acheminement.

Celles-ci ont fait plusieurs fois le tour de France, même si elles n'ont pas été médiatisées comme a pu l'être le problème des contrôleurs. Pendant les grèves des contrôleurs, il y avait aussi certains dépôts de locomotives, de traction fret en grève. Seulement on n'en parlait pas car, pour les media, c'était bien sûr la grève des contrôleurs qui était importante. Pendant cette période, nous avons été perturbés par d'autres grèves qui n'avaient rien à voir avec ces mouvements. J'ai un comité d'entreprise très vigilant, nous savons bien qu'il ne s'agit pas de charger ou de chercher une seule cause, nous constatons qu'il y a un ensemble de causes. Cela a commencé par le blocage de Calais et des circulations sous le tunnel pendant plusieurs semaines ensuite, c'est descendu sur Marseille et Nîmes. Au départ de Lyon, nous avions ouvert une ligne sur Barcelone pour le trafic non pas maritime mais continental que nous avons dû arrêter, car au mois de mai, nous avons pu assurer la circulation trois fois seulement.

Je ne vais pas revenir sur le cas de Nice, mais pendant le mois de novembre, nous avons pû desservir Nice neuf fois seulement et nous sommes repartis pour une cessation d'activité ferroviaire pendant encore quelques jours. Un chargeur qui constate cela ne peut pas prendre ce risque car il perd son marché avec son client. Nous avons été en rupture de fourniture pour IKEA, client très important. Par rapport aux mouvements sociaux de 1995 qui étaient massifs mais qui, à la limite, nous avaient permis ainsi qu'aux chargeurs de mieux nous organiser, c'est le caractère aléatoire, toutes causes confondues, des dysfonctionnements, qui rend la situation très perturbante pour les clients. Ceci nous conduit à nous organiser et comme le font d'autres rail-routiers qui étaient fortement à dominante ferroviaire, qui ont créé un département route, nous sommes en train de développer notre activité routière de façon à pouvoir revenir vers les chargeurs et leur explique que, quoi qu'il arrive, nous sommes capables de ne pas nous retrouver dans la situation que nous connaissons depuis plusieurs mois. C'est un constat que nous n'avions jamais été amenés à faire avant cette période de 1998.

En ce qui concerne les relations avec RFF et la SNCF, nous sommes actuellement soucieux des risques qui existent, semble-t-il, avec l'identification de comptes séparés, que cette désagrégation ne soit pas un jeu à somme nulle. Dans le passé, nous payions à la SNCF une prestation comprenant la traction donc la locomotive, le conducteur, l'infrastructure et l'usage des terminaux. Nous sommes dans un cercle qui, normalement, doit être vertueux, c'est-à-dire qu'il doit responsabiliser les uns et les autres et amener à prendre des décisions en meilleure connaissance de cause. Il distingue :

- la redevance que nous devons pour l'utilisation de terminaux confiés à RFF,

- le péage de l'infrastructure proprement dit,

- la traction ferroviaire fournie, c'est-à-dire locomotive plus mécanicien.

Compte tenu de la situation financière des deux acteurs, nous sentons que chacun cherche à dire qu'il doit être justement rémunéré et lorsque nous faisons l'addition, c'est loin d'être ce que nous payions initialement lorsque tout ceci était agrégé. Pour être clair, nous craignons que ce qui doit être normalement un cercle vertueux, ne soit un jeu de dupes pour nous, que nous ne pouvons pas supporter compte tenu de notre situation économique.

M. André VAUCHEZ : Pouvez-vous nous donner des éléments chiffrés ?

M. Jean-Michel DANCOISNE : Aujourd'hui, nous sommes dans la phase transitoire et, compte tenu de notre situation, les différents acteurs se disent qu'ils risquent de tuer la bête qui doit, au-moins partiellement, les nourrir. Mais c'est un problème fondamental. Le problème de l'équation totale du transport combiné est un problème posé qui, aujourd'hui, ne nous semble pas résolu dans la durée.

M. André VAUCHEZ : Qui pilote la politique du transport combiné ?

M. Jean-Michel DANCOISNE : Chaque acteur cherche à la piloter avec son point de vue.

M. André VAUCHEZ : C'est le marché ?

M. Jean-Michel DANCOISNE : Oui. Dans notre monde qui est totalement ouvert, c'est le marché qui choisit en fonction :

- de la qualité au niveau de la fiabilité,

- de l'offre (répond-elle ou non à ce qu'il attend ?)

- du prix. Que ce soit dans le maritime avec la crise asiatique ou dans le monde industriel et de la distribution avec la concurrence qui existe, les prix sont soumis à une pression très forte et il ne faut pas espérer restaurer la rentabilité des transports combinés par une hausse des prix de marché.

L'élément positif que je retire de mon expérience de trois ans et demi est que, dans sa définition, le transport combiné est un produit qui répond bien aux attentes des chargeurs qu'ils soient maritimes ou continentaux. C'est un produit qui s'insère bien dans leurs objectifs logistiques. Les deux problèmes auxquels le transport combiné est confronté sont la fiabilité dont nous venons de parler ainsi que l'équation économique. Aujourd'hui, sans intervention et mobilisation des responsables politiques pour que l'égalité des chances soit garantie, nous connaîtrons d'énormes difficultés. Si le marché joue seul sans intervention, nous serons éliminés pour une raison économique, alors que sur le plan du produit ce qui me frappe c'est que tous les chargeurs ou les décideurs économiques sont convaincus que ce mode de transport finira par prendre une part plus importante. Il ne faut pas non plus oublier que, dans d'autres pays, les acteurs se mobilisent avec parfois un environnement plus favorable.

Nous avons la chance actuellement avec Novatrans et CNC d'avoir deux acteurs importants reconnus dans le monde européen, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui dans tous les pays. Il y a un enjeu, comme ce qui s'est passé dans l'aérien ou actuellement dans la messagerie, consistant à faire en sorte que ces acteurs puissent jouer le rôle qui revient au pavillon français dans les années à venir.

M. Le Président : Une dernière question, si nous regardons la géographie européenne en ce qui concerne le transport combiné, comment voyez-vous la position de la France ? Quel est le développement de ce type de transports dans les autres pays ? Comment pouvons-nous jouer tout notre rôle dans l'avenir ?

M. le Rapporteur : En complément, vous avez dit qu'il y avait une mobilisation dans d'autres pays et une mise à disposition de moyens par rapport au transport combiné, pourriez-vous très rapidement nous en dire un mot ?

M. Jean-Michel DANCOISNE : La France a une certaine chance en ce sens qu'avec ses ports, son industrie et sa position géographique, elle a un tissu lui permettant d'être un récepteur et un émetteur de marchés. Elle court un risque parce qu'elle est également un pays de transit. Toute la question est de savoir si nous devenons un noyau auquel nous réussirons à agréger les autres pour faire un bloc qui sera un bloc émetteur-récepteur et qui pourra profiter de ces échanges intérieurs ou vers l'Est de façon homogène ou si nous laisserons se développer d'autres blocs, d'autres alliances et, à ce moment-là, nous ne serons plus qu'un lieu de passage. Dans un monde qui devient totalement concurrentiel, y compris dans ce métier, la France peut être un véritable pays émetteur-récepteur avec un réseau dense desservant l'ensemble des régions et qui agrège tous ces flux de trafic pour pouvoir faire des pénétrantes allant loin. Dans une autre conception, la France peut cependant aussi n'être qu'une destination d'un réseau européen qui ne serait plus maîtrisé par le pavillon français. Dans une vision purement capitalistique qui ne tiendrait pas compte de l'aménagement du territoire ni de la volonté politique de développement de l'industrie et des ports français, il suffirait de desservir trois ou quatre gros pôles. Le bloc allemand avec les alliances ferroviaires qu'il vient de réaliser, la fusion avec les chemins de fer hollandais pour le fret, la façon dont il a lui-même dissuadé les opérateurs existants de continuer à opérer et une maîtrise qu'il a naturellement plus facilement d'un certain nombre de destinations vers l'Est est un exemple à méditer. Il faut que nous puissions jouer dans la même cour.

M. Le Président : Monsieur Dancoisne, je vous remercie infiniment pour la qualité de vos réponses.

Audition de M. Jean CHAPON,
Président de l'association des utilisateurs de transports de fret

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 27 janvier 1999)

Présidence de M. Jean-Louis FOUSSERET, Rapporteur

M. le Président : Je vous remercie, M. le président, d'avoir bien voulu répondre à l'invitation de notre mission d'information et je vous souhaite la bienvenue. Je vous prie de bien vouloir accepter les excuses de notre Président Michel Vauzelle qui, retenu par des obligations tout à fait imprévues, nous rejoindra peut-être en cours de réunion.

M. le président, de par votre parcours professionnel - votre curriculum vitae est impressionnant - vous avez une très grande expérience et vous êtes un fin connaisseur des questions de transport, en particulier dans le domaine maritime et fluvial. Vous êtes aujourd'hui Président du conseil national des Usagers du Transport et de l'Association des Utilisateurs de Transport de Fret, c'est pourquoi nous sommes très intéressés par votre témoignage qui repose sur une expérience multiforme.

M. Jean CHAPON : M. le président, Messieurs, je vous remercie de m'avoir fait l'honneur de m'entendre et je vais faire de mon mieux pour contribuer efficacement aux travaux de votre mission d'information.

Le problème posé étant celui de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône, mon intervention sera essentiellement axée sur les questions de transport. Il est maintenant et depuis quelques années, bien reconnu que l'économie a besoin d'un système de transport performant. Depuis le dernier conflit mondial, nous avons constaté que les échanges de personnes et de biens, et surtout les échanges de biens, ont toujours augmenté à un rythme plus élevé que la production industrielle brute et même lorsque celle-ci a baissé, le taux des échanges a moins baissé. Avec la mondialisation de l'économie, la compétition croissante à laquelle sont confrontées toutes les économies mondiales, les producteurs de biens industriels et agricoles sont tenus d'avoir des produits compétitifs. Le transport, qui est un élément souvent déterminant de la compétitivité d'un produit, doit être intégré à la chaîne qui va de l'approvisionnement à la livraison chez le client, en passant par la production, la commercialisation, etc.

Un principe auquel les chargeurs français tiennent est celui de la liberté d'entreprendre. La liberté d'entreprendre est le moteur le plus efficace de l'économie mais cette liberté doit respecter celle des autres. La liberté d'entreprendre doit s'exercer dans un contexte de saine et loyale concurrence sans abus de position dominante entre les producteurs, mais aussi entre les transporteurs ou les modes et dans le respect de la liberté des tiers. Cela veut dire que le transport, comme la production industrielle, doit se faire en assurant la sécurité et en respectant l'environnement naturel et humain.

Autrement dit, cette liberté d'entreprendre ne signifie nullement l'anarchie, mais suppose un cadre que chacun doit respecter pour que la liberté ait un sens. C'est vrai au plan national, c'est vrai au plan communautaire. L'Europe, en particulier, a le devoir de mettre en place le cadre de cette saine concurrence, en ne faisant pas d'angélisme, c'est-à-dire en appliquant le principe de la réciprocité qui consiste à exiger de la part des partenaires des pays tiers, le respect des mêmes valeurs que celles auxquelles nous sommes attachés.

A cet égard, tous les modes de transport ont leur rôle à jouer selon les échanges considérés ; il n'y a pas de bon et de mauvais mode de transport. Pour un échange déterminé sur une relation déterminée, il y a toujours un mode de transport plus performant. Pour cela, il faut que les transports puissent s'effectuer librement en répondant aux besoins de l'économie.

Il faut donc que les transports disposent d'infrastructures adaptées en qualité et en capacité, qu'il y ait des entreprises de transport compétentes et en bonne santé économique et une règle du jeu pour les relations entre transporteurs, entre chargeurs et transporteurs, et entre eux et leur environnement humain et naturel.

Bien évidemment, une autre donnée doit être prise en compte dans les choix d'infrastructures : celle de la limitation des ressources disponibles - particulièrement sensible depuis le premier choc pétrolier - car la croissance n'est plus là pour rattraper les erreurs en matière de décisions de réaliser une infrastructure.

Avant, lorsqu'on s'était trompé, une croissance de 10 % permettait, en quelques années, de « rattraper » l'erreur de prévision commise pour l'utilisation d'une infrastructure. Avec des croissances de 1 % à 2 %, nous ne pouvons plus en dire autant. Il faut donc faire des infrastructures rentables pour la collectivité et mieux, qui aient un taux de rentabilité collectif suffisant.

Comment un chargeur choisit-il un mode de transport ou un itinéraire pour les marchandises qu'il doit faire transporter ? Le chargeur analyse ce que lui coûte le transport de bout en bout, c'est-à-dire le prix total qu'il paye entre le point d'approvisionnement de la matière première et son usine ou au contraire entre son usine et la livraison chez le client. Il est d'usage de parler de coûts du transport et d'éléments qualitatifs du transport. En réalité, pour le chargeur, ce qui compte, c'est le coût complet en valorisant les éléments qualitatifs. Autrement dit, le fait de livrer une marchandise en bon état dans un délai déterminé chez le client a un prix. Je peux vous donner un exemple : lorsque nous avons fait des études de coût de passage portuaire, pour les expéditions de colis, en l'espèce des rouleaux métalliques, les firmes ont calculé que les dégradations subies par la manutention ne s'appréciaient pas uniquement sous forme d'un dommage psychologique ou qualitatif, mais que cela avait un coût qu'il était possible de chiffrer à 1 F près. Un retard de livraison s'évalue de la même manière. C'est bien le prix global du transport de bout en bout qui compte et c'est particulièrement important.

Pour le choix du mode de transport, il n'y a pas de recette imposée. Chaque relation, chaque nature de trafic conduit à choisir le mode de transport le plus performant. Force est de constater qu'actuellement, pour des distances de l'ordre de quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres, lorsqu'il n'y a pas de rupture de charge « géographique » - je veux dire de bras de mer à traverser ou de montagnes trop hautes à franchir - les chargeurs préférent le transport routier. Mais le chargeur n'a pas du tout de religion, de foi imposée dans tel mode de transport déterminé, ni d'aversion à l'égard de tel autre. Il utilisera aussi bien le fer que la voie d'eau ou le transport combiné, si ce mode de transport présente un avantage pour ses échanges.

Au cas particulier de la voie d'eau, puisque dans le cas de Rhin-Rhône, le problème de la voie d'eau s'est posé, il faut, pour comprendre ce problème, avoir trois valeurs en tête.

Le transport d'une marchandise coûte :

- par camion, 30 à 35 centimes par tonne kilomètre,

- par le train, 20 à 25 centimes,

- par voie d'eau à grand gabarit, par barge de 1 200 tonnes, ou convoi de 3 000 tonnes, de 7 à 8 centimes, disons une dizaine de centimes.

A ces conditions, c'est la totalité du trafic qui devrait logiquement passer sur la voie d'eau ! Mais ces prix sont ceux « d'engin de transport à engin de transport », autrement dit, pour le chargeur - et j'ai insisté tout à l'heure sur le fait qu'il s'agit d'un prix de bout en bout - à ces prix, il faut ajouter le chargement et le déchargement du moyen de transport, voire dans certains cas, le transport de pré- et post-acheminement.

Dans le cas de la voie d'eau, il faut prendre en compte le coût du transport pour amener la marchandise jusqu'à la voie d'eau, la charger sur le bateau, la décharger à l'autre bout et l'apporter ensuite à l'usine.

Dans certains cas et même souvent, le chargement et le déchargement des bateaux est plus cher que le chargement et le déchargement d'un camion ou d'un wagon. Pour charger des céréales, par exemple cela coûte environ le même prix, puisqu'on charge par gravité, mais pour décharger, dans le cas d'un camion ou d'un wagon, il suffit d'ouvrir une trappe, le grain coule sur une bande transporteuse. Dans le cas d'un bateau ou d'un navire de mer, il faut « plonger » dans la cale et aspirer le produit, ce qui coûte plus cher que pour décharger un camion ou un wagon.

Si l'on prend en considération l'économie de 15 centimes par tonne kilomètre que permet la voie d'eau par rapport au train :

- un transport fluvial sur 100 km permet de gagner 15 F par tonne par la voie d'eau, ce qui paye à peine la manutention aux deux bouts ;

- si le parcours fluvial est de 1 000 km, le gain est de 150 F la tonne et paye non seulement la manutention aux deux bouts, mais également un transport d'approche sur 50 km.

Le transport par voie navigable n'a donc de chance de se développer que s'il s'effectue sur une distance relativement longue, disons au moins 500 km. C'est vrai d'une façon générale pour le transport combiné. Le transport combiné rail-route, voie fluviale-route, ne peut s'effectuer d'une manière compétitive par rapport à un transport monomodal que sur des distance d'au moins 400 à 500 km, en raison du coût de cette rupture de charge.

Quid du délai du transport ?

Le temps, c'est de l'argent, d'autant que certains produits ne supportent pas un délai très long. On parle aujourd'hui du délai zéro, du stock nul. Là encore, il faut peut-être revenir sur terre ! Une grande surface indiquait que son stock - je ne parle pas des poissons ou des produits frais - est normalement de quinze jours à trois semaines. De son côté, un industriel ne prendra jamais le risque d'avoir un stock rigoureusement nul avec le danger d'une rupture de production, il a toujours un certain stock de sécurité. Ce stock peut cependant se trouver sur un moyen de transport, par exemple sur un bateau, car dès lors qu'il y a une fiabilité quant au délai d'approvisionnement, on peut facilement utiliser le transport comme un moyen de stockage.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu'avec le conteneur, notamment les conteneurs réfrigérés, des produits sensibles peuvent supporter un délai d'acheminement de huit jours sans aucun problème. Autrement dit, la lenteur, qui est une caractéristique de la voie d'eau, n'est en réalité un handicap que pour certains produits et certains échanges, et n'est pas forcément un handicap aussi lourd que ce que l'on a coutume de le dire.

Pour que les échanges par voie navigable se développent, il faut donc :

- des produits pouvant tolérer ces transports ; on ne prendra pas le risque de transporter par voie d'eau des _ufs frais ou du poisson, mais vous pouvez vous permettre de transporter des produits non périssables et même des produits chers (comme le whisky) sur des distances relativement longues ;

- une distance suffisamment longue pour que le maillon fluvial permettre au transport d'être compétitif.

Autrement dit, si on considère la géographie des voies navigables françaises, on s'aperçoit qu'en-dehors du Rhône-Saône, qui permet un parcours fluvial de 400 à 500 km, toutes nos voies d'eau françaises sont « très courtes » :

- la Seine fait un peu plus de 300 km,

- le canal Dunkerque-Valenciennes fait une centaine de kilomètres.

Ce n'est donc qu'en maillant ce réseau, en reliant ces voies d'eau entre elles, que nous pourrons avoir un développement significatif du transport par voie navigable, à l'image de ce qui se passe à l'étranger sur la Moselle ou le Rhin, où sont atteintes précisément ces distances et où le maillage entre les grandes voies permet de desservir un vaste territoire.

C'était le but de la liaison fluviale Rhin-Rhône. A cet égard les études économiques l'ont montré, cette liaison était un moyen de développer des transports sur 7 à 800 km, avec une part non négligeable de trafic généré par les ports de Marseille ou de Sète, c'est-à-dire du trafic venant de beaucoup plus loin.

Sans être négligeables, les échanges de produits qui peuvent se faire à l'intérieur d'une telle liaison (entre deux points localisés de quelques centaines de kilomètres) ne sont pas très importants. Ce sont vraiment les échanges sur longue distance qui peuvent conduire à un trafic significatif.

L'axe Rhin-Rhône se caractérise par l'existence d'un certain nombre de pôles de développement importants :

- l'agglomération marseillaise,

- celle d'Avignon,

- l'agglomération lyonnaise,

- l'agglomération de Dijon,

- dans la vallée du Doubs, le pôle de Dôle-Tavaux, Besançon, Belfort, Montbéliard, Sochaux,

- enfin, la vallée du Rhin.

Il y a là une chaîne de centres économiques déjà développés dont la liaison économique est inscrite dans la géographie.

Pour conforter et permettre le développement de ces différentes agglomérations et régions, il faut un réseau d'infrastructures de transport permettant des échanges de personnes et de biens dans les meilleures conditions possibles.

La décision concernant la réalisation du canal Rhin-Rhône a été rapportée alors que les études économiques qui ont été faites concluaient à une rentabilité beaucoup plus importante que l'ont dit ses détracteurs : l'étude réalisée par le bureau d'étude hollandais NEA aboutissait à des échanges de l'ordre d'une quinzaine de millions de tonnes à échéance de l'ouverture du canal ; le projet présentait un taux de rentabilité supérieur à 10 %, c'est-à-dire tout à fait comparable à celui des grandes infrastructures considérées comme les plus rentables. Il s'agissait, certes, de prévisions et comme toute étude économique, il y a une part de « boule de cristal », mais l'étude avait été faite de façon très sérieuse. En tout cas, il faut savoir que la base de données à partir de laquelle elle a été faite a été utilisée pour l'étude de la liaison ferroviaire Lyon-Turin. Or, si la base de données est valable pour un mode de transport, il y a de fortes chances qu'elle le soit pour les autres. Je ne crois pas que cette base de données utilisée plusieurs fois par la Communauté Européenne puisse être contestée.

Le canal Rhin-Rhône a été abandonné pour des motifs aussi bien économiques qu'écologiques et en ce qui concerne les motifs économiques, je répète que l'étude NEA était beaucoup plus sérieuse et plus positive que ce qu'on a bien voulu dire !

Sur le plan écologique, il est bien certain que la réalisation d'une voie d'eau à grand gabarit modifie la situation naturelle. Notamment pour franchir un seuil, c'est-à-dire un endroit où par définition il n'y a pas de voie d'eau, le fait d'en créer une, changera automatiquement quelque chose. Le changement est-il nécessairement mauvais ? C'est une autre question et je vais citer un souvenir qui vous permettra de toucher du doigt, si j'ose dire, le problème de l'écologie des voies d'eau. Le canal du Nivernais est une voie construite au siècle dernier. Dans les années 70, compte tenu du fait qu'il n'y avait plus un gramme d'activité de transport, nous nous sommes posés la question de sa fermeture. Nous l'avons finalement fermé et mis à sec. C'était une voie de 30 m de largeur, 1 m 80 de profondeur au grand maximum, « une petite rigole ». Nous nous sommes aperçus au bout d'un an que nous bouleversions considérablement l'écologie, à la fois les cultures au voisinage, les puits, etc. Autrement dit la suppression de ce vecteur d'eau avait une influence sur plusieurs kilomètres. Nous rétablissions l'équilibre écologique qui existait 150 ans avant, mais plus personne ne se rappelait la situation antérieure à la réalisation du canal et les riverains s'étaient adaptés à un autre équilibre.

Il faut donc être très prudent lorsqu'on parle de bouleversement d'équilibre écologique lié à une voie d'eau. Dans le cas de la vallée du Doubs, ce bouleversement paraissait d'autant moins grave que, contrairement à ce qu'on raconte là encore, le Doubs n'est pas une rivière naturelle : il est déjà aménagé par une série de barrages et le canal du Rhône au Rhin actuel. Le bouleversement écologique lié à la réalisation de la voie d'eau grand gabarit n'aurait pas sensiblement modifié ce système et en tout cas, le côté un peu artificiel de la voie d'eau.

Ceci dit, la décision a été prise et on parle maintenant de réaliser à la place une liaison TGV à grande vitesse.

Une liaison ferrée à grande vitesse peut-elle présenter de l'intérêt ?

Le développement économique d'une région suppose des échanges de personnes et de biens. Il est bien évident que le fait de faciliter les échanges de personnes est un atout pour développer l'économie d'une région. Si c'est une condition nécessaire, ce n'est pas une condition suffisante. Regardez l'impact limité qu'a eu, par exemple, la réalisation du TGV Sud-Est sur le développement du Creusot, nous ne pouvons pas dire qu'il y a eu une explosion de développement économique dans ce secteur. Je vous suggère de prendre connaissance d'une étude économique réalisée par le service des études économiques du ministère de l'équipement pour apprécier l'impact de la liaison TGV Atlantique sur le développement des villes traversées, en particulier Le Mans et Nantes
- elle conclut en ce sens.

Vous vous apercevrez que ces liaisons ont incontestablement un effet positif sur le développement des agglomérations existantes, notamment sur les activités de service, mais que leur effet structurant est extrêmement limité pour le développement industriel, pour la bonne raison que si c'est une condition nécessaire, ce n'est pas une condition suffisante. La condition suffisante, c'est l'existence de moyens performants pour échanger des marchandises.

Il faut, certes, reconnaître que la réalisation d'une voie ferrée rapide permettrait d'alléger la ligne ferroviaire actuelle qui pourrait être mieux utilisée par les marchandises : ce serait un avantage incontestable. En revanche - je n'ai pas fait d'études économiques très approfondies, je vous donne simplement un sentiment - je pense que cette ligne est actuellement loin d'être saturée. Le fait d'alléger la circulation sur la voie actuelle libérera des sillons pour les transports de marchandises, mais l'impact de cette libération sera, au moins dans un premier temps, relativement limité, pour la bonne raison qu'aujourd'hui les marchandises y passent facilement. Ceci dit, pour ce qui est du taux de rentabilité de la ligne TGV, proprement dite, je n'ai pas d'éléments, mais des études ont été réalisées et il n'y a pas de raison de douter de leur sérieux.

En tout cas, ma conviction est que si nous voulons développer l'axe Rhin-Rhône qui est une réalité - je vous ai donné tout à l'heure la séquence des grands centres urbains et industriels - je crois qu'il faut effectivement le structurer.

Les infrastructures de transport sont, en effet, l'ossature du territoire et constituent le meilleur moyen de l'aménager en permettant aux régions de faire valoir leurs atouts économiques et naturels, sans artifices. Bien entendu il faut que les transports soient payés à leur coût et il ne s'agit pas de faire des infrastructures non rentables. Je pense que l'axe Rhin-Rhône déjà inscrit dans la géographie, mérite d'être structuré convenablement.

Si vous le permettez, je m'arrêterai là pour répondre à vos questions.

M. le Rapporteur : Je vous remercie beaucoup, M. le président, pour cet exposé.

Nous avons bien compris votre attachement au projet de canal pour des raisons économiques. Je tenais à préciser que cette mission d'information est partagée pratiquement à parité d'anciens pro-canal et d'anciens anti-canal. Nous n'en reparlerons pas aujourd'hui.

L'intérêt de cette mission est de faire un certain nombre de propositions par rapport à la situation que nous connaissons aujourd'hui alors que le projet de canal est définitivement abandonné. A part cela, je ne ferai pas de commentaire. C'était votre analyse, une position que nous connaissons bien.

M. Jean CHAPON : Que je n'ai pas toujours eue !

M. le Rapporteur : Si nous commençons à entrer dans le débat en termes d'écologie ou d'arguments économiques, nous serons les uns et les autres tellement passionnés que l'heure de midi arrivera sans que nous n'ayons beaucoup avancé. Je répète qu'une décision a été prise, il s'agit de voir maintenant pour notre mission comment nous pouvons aller de l'avant. C'est pour cette raison que votre expérience nous paraît tout à fait utile.

Pourriez-vous nous donner la composition du conseil national de l'Association des Utilisateurs de Transport de Fret ?

M. Jean CHAPON : L'AUTF (Association des Utilisateurs de Transport de Fret) est une association loi de 1901 qui a succédé au conseil national des Usagers des Transports (CNUT).

Elle résulte de la fusion du CNUT avec trois autres associations de même nature :

- l'ASIT qui était une association de chargeurs, surtout petits et moyens et utilisant essentiellement des transports routiers,

- l'Association des propriétaires d'embranchements ferroviaires particuliers,

- l'Association des transports pour compte propre.

L'AUTF est une association dont les adhérents sont les grandes fédérations professionnelles (par exemple la Fédération de l'acier, du pétrole, de la chimie, etc.), des grands groupes industriels publics et privés (Elf Aquitaine, Rhône-Poulenc, EDF-GDF, Charbonnages de France, etc.) mais également des PME.

Elle comprend également des associations régionales de chargeurs, notamment celles de Rhône-Alpes, de Marseille et de l'Alsace.

C'est une association de chargeurs recouvrant pratiquement tous les secteurs d'activité.

M. le Rapporteur : Quelle est votre analyse ? Pensez-vous que les flux actuels et prévisibles rendent nécessaires le développement des communications et des capacités d'acheminement sur cet axe ? Est-ce un axe prioritaire ?

M. Jean CHAPON : L'axe est inscrit dans la géographie actuelle physique et économique. La vallée du Rhône et de la Saône constitue déjà un axe économique naturel. La vallée du Doubs, elle aussi, est un axe économique avec ses pôles Dôle-Tavaux et Belfort, Montbéliard, Sochaux ; Besançon qui est une grande ville. Il débouche sur la vallée du Rhin, l'agglomération de Mulhouse et la région bâloise, etc.

Un axe du même genre existe au Nord de la Saône mais seulement à partir de Nancy en descendant la Moselle ; entre la Saône et Nancy, c'est un peu le désert !

Vous retrouvez la même situation avec les vallées de la Seine et de l'Oise, jusqu'à la région du Nord. Mais entre cet axe et l'est de la France, il y a une sorte de trou, la Champagne...

En économie, comme en physique, on peut appliquer la loi de Newton : des économistes ont démontré que l'attraction entre deux pôles économiques obéit à une loi qui est sensiblement celle de Newton : l'attraction est proportionnelle aux masses des deux pôles et inversement proportionnelle au carré de la distance, avec un certain coefficient traduisant la difficulté géographique de passer de l'un à l'autre.

Lorsque vous considérez l'axe Rhin-Rhône par la vallée du Doubs, vous voyez bien qu'il y a une continuité qui me paraît devoir être confortée et préservée. La vallée du Doubs, notamment, présente la particularité d'avoir ses points économiques forts, et entre eux, une nature extrêmement riche qu'il faut absolument sauvegarder.

L'environnement au sens noble et scientifique du terme ne peut plus être négligé. Mais, je crois qu'il est possible de faire un aménagement de cette vallée qui respecte précisément ses richesses aussi bien humaines que naturelles.

M. André GODIN : Quelle est votre analyse sur l'évolution du trafic Marseille et Gênes, sur toute cette façade méditerranéenne ?

M. Jean CHAPON : Du point de vue des conteneurs par exemple, Marseille, Gênes, et Barcelone sont confrontées à un challenge redoutable, puisque, actuellement, les échanges ont tendance à massifier les transports de conteneurs par des navires de 4 000 voire 6 000 boites. Or ces navires ne peuvent pas multiplier leurs escales dans de trop nombreux ports .

Algésiras est sur la ligne directe entre le canal de Suez et l'Atlantique ; il en est de même de Malte ou du nouveau port créé, également, au Sud de l'Italie, placés sur la ligne directe. Et pour « monter » à Gênes, Marseille ou Barcelone, il faut vraiment avoir intérêt à y aller.

Si nous arrivions à détourner les navires pour les amener au plus près, la lutte serait rude entre Barcelone, Gênes et Marseille et tous ne seraient pas gagnants.

Le problème est donc celui de la compétitivité des places portuaires françaises par rapport aux places portuaires étrangères. L'un des éléments déterminants de la compétitivité de la place portuaire est, certes, la fiabilité de son fonctionnement.

Lorsque le fait de passer par un port français devient une loterie où le gagnant est celui qui a la chance de tomber le jour où il n'y a pas grève - et ça vaut pour la SNCF - vous vous doutez bien que le chargeur ne prendra pas le risque de faire piéger ses colis.

Mais il faut également prendre en compte le coût de passage. Évidemment dès lors qu'on est assuré que le trafic peut passer, il faut regarder à quel endroit il passe au moindre coût, tout en étant conscient qu'en matière de transport maritime, là encore, il faut valoriser les éléments qualitatifs.

Le transport d'un conteneur de 40 pieds de Lyon à Hong-Kong coûte :

- environ 800 F la tonne de Lyon à Marseille,

- 1 200 F de Marseille à Hong-Kong avec les très grands navires.

Si vous transportez le même conteneur de 40 pieds de Lyon à Chicago, cela vous coûte :

- de 800 à 1 000 F pour aller au Havre,

- de 1 500 à 1 800 F pour traverser l'Atlantique,

- de 1 000 à 1 200 F de New-York à Chicago.

Autrement dit le transport terrestre coûte plus cher que le transport maritime. Le transport de pré-post-acheminement portuaire est un élément déterminant de la compétitivité des ports. Le coût de passage portuaire représente lui-même une fraction non négligeable de ce coût de transport maritime.

M. le Rapporteur : Par rapport à ce que vous venez de dire, l'amélioration des liaisons avec l'Espagne et le développement de l'axe Rhin-Rhône ne risquent-ils pas de faire de notre pays un axe de transit ?

M. Jean CHAPON : Il l'est déjà indiscutablement.

Mais le problème est de savoir si ce transit s'effectue via un port français ou étranger. Si, quels que soient les modes de transport retenus, nous desservons correctement Marseille, Fos et Sète, cela donnerait à nos ports une chance incontestable.

Rappelez-vous ce que je vous ai dit : en général, le coût du transport intérieur est déterminant. Le fait que vous puissiez faire « monter » la marchandise le plus haut possible dans cette Méditerranée est un atout pour Marseille par rapport à Barcelone et à Gênes. Ceci suppose bien entendu que la marchandise puisse être correctement traitée, qu'il n'y ait pas une grève ce jour-là ! Vous me direz qu'un moyen simple consisterait à ne pas faire la liaison entre l'Espagne et la France ou entre l'Italie et la France. Il ne faut pas faire comme les Espagnols ! Les Espagnols ont fait, au siècle dernier, des voies à un gabarit supérieur à celui des autres pays européens pour éviter d'être envahis. Or ils s'aperçoivent aujourd'hui que cela ne leur permet pas de « sortir ». Actuellement, ils sont en train de mettre leur réseau au gabarit européen, car ils se rendent compte de leur isolement économique.

M. André SCHNEIDER : Le sujet me passionne. Je suis député de Strasbourg, la moitié de ma circonscription est Strasbourg Ville. La liaison avec le sud est vitale pour cette région. Nous avons d'excellentes liaisons vers le Nord, un port autonome très performant sur le Rhin. Je ne reviendrai pas non plus là-dessus, c'est une raison pour laquelle nous militions, de façon assez _cuménique d'ailleurs, pour le canal Rhin-Rhône.

Vous avez répondu sur le projet de TGV. Vous avez dit que le train était un moyen de transport dont le développement pourrait être positif. Si nous ne pouvons pas davantage utiliser la voie fluviale puisque nous ne la réalisons pas, nous avons aussi peur de devenir simplement un couloir. Nous nous inquiétons d'être un cul-de-sac du Nord avec terminus à Bâle.

D'un autre côté, nous avons aussi peur d'être uniquement un axe de transit. Nous parlons déjà des Hollandais chez nous avec tout ce que vous savez vous aussi, c'est qu'ils se contentent de passer, sans rien apporter à l'économie locale. Comment voyez-vous cet axe déjà très chargé ? Nous sommes tous, ne serait ce qu'à titre personnel, de temps en temps utilisateurs de l'autoroute du soleil. A votre avis, comment en sortir ?

M. Jean CHAPON : Il faut regarder les choses en face. La liaison entre Strasbourg et Anvers-Rotterdam bénéficie de la voie d'eau et du train et de l'autoroute. C'est une liaison qui bénéficie de tous les modes de transport et qui est performante. Vers le Sud, il n'y a que l'autoroute et la voie ferrée et il faut que le transport ferroviaire puisse mieux jouer son rôle.

En ce qui concerne le problème du transport ferroviaire, je vous répète que ce sont les voyageurs qui emprunteront une liaison TGV et peut-être quelques colis express, mais cela libérera des sillons sur la liaison actuelle, ce qui facilitera le développement des transports de marchandises.

Une amélioration est incontestablement necéssaire pour les marchandises : à certains endroits, nous pouvons améliorer la ligne actuelle. Il serait même nécessaire d'envisager sur cette liaison, des tronçons dédiés au seul fret - ce qui améliorerait encore sa performance.

M. le Rapporteur : Libérer des corridors est l'un des objectifs de la liaison Rhin-Rhône.

M. Jean CHAPON : Je crois que c'est indispensable, compte tenu de la décision d'abandonner le projet de canal. Mais j'insiste sur le fait qu'actuellement, le problème de la liaison ferroviaire est dominé par le problème de sa fiabilité : le développement du transport combiné rail-route, et plus généralement du transport ferroviaire est essentiellement conditionné par la fiabilité de la SNCF.

Notre association a de très bonnes relations avec la SNCF (et je connais la maison SNCF par « l'intérieur », puisque j'en ai été administrateur pendant quinze ans jusqu'au mois de mars 1998) : la Direction Fret de la SNCF fait des efforts considérables au plan commercial. Nous avons des discussions parfois un peu rudes et, en tout cas, des échanges constants pour essayer de trouver des solutions et améliorer la part du fret. Je ne suis pas pessimiste, le rail peut encore prendre des parts de marché pour autant que la SNCF aura une gestion fiable et évidemment que des mesures soient prises pour qu'il rende des services meilleurs.

En tout cas, compte tenu de l'abandon du projet de canal, il est absolument indispensable de réaliser des investissements pour les autres infrastructures de transport, et en particulier pour le fer

M. Jacques PELISSARD : La différence est qu'entre Strasbourg et la Mer du Nord, c'est beaucoup plus plat qu'entre Strasbourg et la vallée du Rhône, il y a moins de montagnes à franchir.

M. Jean CHAPON : C'est vrai, il n'y a pas de seuils à franchir.

M. Jacques PELISSARD : M. le président vous avez une approche globale, puisque vous avez une association nationale, et vous avez une approche économique, parce que c'est votre logique de fonctionnement. J'aimerais connaître votre point de vue sur les différents projets TGV. Il y a une multitude de projets TGV ; or les fonds publics que sont les finances de l'État, les dotations de Réseau ferré de France et ceux des régions ne pourront pas tout financer ; c'est évident, il faut choisir des priorités.

Pour vous, avec votre approche globale, économique et votre connaissance de ce secteur, quelle est, dans les différentes priorités, celle qui vous paraît la plus incontournable ? Je pense en particulier au TGV Rhin-Rhône par rapport à l'Est et à d'autres.

M. Jean CHAPON : Je suis bien embarrassé pour vous donner une réponse valable, car je ne dispose pas véritablement d'informations récentes que sur les transports de marchandises mais le TGV n'est pas fait pour transporter des marchandises, excepté des colis postaux ou autres du même genre.

Faut-il commencer par le TGV Est ou par le TGV Rhin-Rhône ? C'est d'abord un problème dont la solution repose sur la considération des échanges de personnes.

Étant donné que les voies actuelles ne sont pas saturées sur l'une et l'autre liaisons - du moins pour la liaison Nord-Sud sur la partie Saône-Rhin -, les marchandises arrivent à passer, contrairement à la vallée du Rhône où le « franchissement de l'agglomération de Lyon » connait des difficultés. L'amélioration de l'axe ferroviaire Rhône-Saône est un problème à résoudre, que nous fassions ou non la liaison jusqu'au Rhin. Si nous faisons la liaison, à plus forte raison, il faut donner une priorité à l'amélioration de la liaison ferrée dans la vallée du Rhône.

Mais je peux donc difficilement vous indiquer la priorité à donner aux TGV voyageurs. Les deux sont certainement utiles.

M. le Rapporteur : La réalisation du projet TGV Rhin-Rhône dégagera des sillons importants.

M. Jacques PELISSARD : Ces sillons devraient permettre d'acheminer l'équivalent des 15 millions de tonnes prévus sur le canal. Si ces 15 millions de tonnes deviennent une réalité par le canal, ils seront aussi une réalité par le fer. Il faut donc bien dégager des sillons sur Rhin-Rhône.

M. Jean CHAPON : Oui et non, car les échanges n'existent pas nécessairement, tout dépend des conditions de transport. S'il n'y a pas d'infrastructures de transport, les échanges seront identiquement nuls. En revanche, un mode de transport très performant peut engendrer des échanges supplémentaires.

Dans ces 15 millions de tonnes, il y a une bonne part de trafic qui viendrait d'Outre-Mer par les ports et si la liaison ne permet pas d'avoir des coûts de transport suffisamment bas, ce trafic peut aussi bien passer par Anvers et Rotterdam et redescendre par la vallée du Rhin pour aller dans la région de Francfort ou en Alsace. Je ne sais si des études économiques ont été faites, mais il faudrait vérifier à quel prix nous arriverions avec la voie ferrée et si cet abaissement du prix obtenu par le train lui permettrait de capter cette quinzaine de millions de tonnes. Ce n'est pas évident, mais ce n'est pas non plus impossible.

Le TGV améliorera indirectement le transport des marchandises, mais ne le bouleversera pas car on peut considérer que les conditions offertes aux chargeurs lorsque le TGV sera réalisé ne seront pas fondamentalement différentes de celles d'aujourd'hui.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous des corridors de fret ?

M. Jean CHAPON : Ces corridors sont incontestablement une condition du développement du trafic de fret dans la mesure où avec la suppression des frontières, la route perd un avantage. Il ne faut pas oublier que tant qu'il existait des frontières économiques, le conducteur du camion avait deux « casquettes » : c'était la personne qui conduisait le camion mais aussi celle qui accompagnait la marchandise et accomplissait les formalités à la frontière. S'il n'y a plus de formalités, le train perd son handicap. Si en plus de cela, il sait améliorer son offre commerciale, il a alors toutes ses chances.

Alors qu'à partir de 5 ou 600 km, le train est manifestement plus intéressant que la route. Nous pouvons, cependant, nous étonner que sa part de trafic international ne soit pas plus forte mais mettez-vous à la place d'un chargeur de la Ruhr qui envoie un produit au Portugal : ce chargeur s'adressera à la Deutsche Bahn dont le parcours de transport dans la Sarre n'excédera pas 30 à 40 km ; la SNCF ne va pas le démarcher puisqu'il est en Allemagne, le chemin de fer portugais encore moins. Tant qu'il n'y aura pas une entité qui fera une offre globale, une sorte d'agence internationale du fret, il ne faudra pas s'étonner que le transport international de fret n'augmente pas.

M. le Rapporteur : Rien n'existe actuellement ?

M. Jean CHAPON : Elle existe, pour certains conteneurs sous la forme de compagnies internationales, filiales de la SNCF, des chemins de fer belges, allemands, etc.

Ce qui est surprenant (mais cela s'est finalement arrangé), c'est que la Commission Européenne avait commencé à engager une action au motif d'entente. Or le but de cette organisation est précisément d'offrir au chargeur un interlocuteur unique.

Avec la libéralisation progressive du chemin de fer, théoriquement le chemin de fer français peut faire des offres au chargeur allemand et il en est de même pour le Portugais.

En-dehors de la facilité physique de circulation, le corridor de fret correspond également à cette idée que le chargeur a, en face de lui, un seul interlocuteur. Dans le corridor entre Lyon et le port hollandais, c'est au Luxembourg qu'a été localisé cet interlocuteur unique.

Cette unicité d'interlocuteur est indispensable pour que le rail reprenne des parts de marché. Je vous rappelle que les chargeurs n'ont pas de religion a priori. S'il n'y a pas de voie d'eau, ils prendront le train à condition qu'il fonctionne correctement.

M. le Rapporteur : Nous avons parlé tout à l'heure de la liaison France-Espagne, pensez-vous qu'il y a des risques de contournement de l'axe Rhin-Rhône par la Suisse et l'Italie par exemple ?

M. Jean CHAPON : Par la Suisse et l'Italie, je ne crois pas.

Il y a certes une concurrence très réelle par Trieste vers le nord, notamment un oléoduc qui fonctionne très activement mais c'est actuellement le principal risque.

Fort heureusement, la géographie nous aide. Pour passer de Gênes vers le nord, il y a la barrière des Alpes ! En plus, de ce côté, les Suisses nous « rendent également service » avec toutes les restrictions de circulation qu'ils imposent sur la route. Mais cela veut dire que le trafic routier passera par la France, ce qui n'est pas forcément très bon au plan écologique.

Cela ne veut pas dire pour autant que le port de Gênes ou celui de Barcelone ne risquent pas de concurrencer dangereusement Marseille. Mais en l'espèce, nous avons la chance que le passage du trafic par ces ports doit subir un transport de pré- et post-acheminement plus long.

Ceci dit, si Marseille n'est cependant pas assez compétitif, le chargeur ira à Barcelone ou à Gênes pour finalement rejoindre l'axe Rhin-Rhône.

M. le Rapporteur : La compétitivité du port de Marseille passe aussi - et vous l'avez bien expliqué - par des moyens d'acheminement de qualité et à moindre coût.

M. Jean CHAPON : Absolument, le transport de pré- et post-acheminement est devenu fondamental.

M. André GODIN : En tant qu'ancien administrateur de la SNCF, pouvez-vous nous dire s'il y avait des tarifs différents pour le fret suivant la durée ou la rapidité des transports ?

Pour les voies navigables, comme vous l'avez indiqué pour un certain nombre de produits, nous travaillons sur une chaîne de stock.

La SNCF en est-elle capable ? Le fait-elle déjà ?

M. Jean CHAPON : Les tarifs SNCF de marchandises sont librement négociés. La SNCF ne se prive pas de faire des contrats particuliers aux clients.

Je rappelle simplement une chose que nous oublions souvent. Notre législation française est telle que, d'un point de vue commercial, la différence entre ce qui est permis à un service public et à une prestation privée est pratiquement nulle.

Le service public doit respecter l'égalité des usagers devant le service, étant précisé qu'un service public peut avoir une véritable politique commerciale : ainsi dans les ports, les droits de port sont différents suivant que le navire fait une escale pour charger ou décharger peu ou au contraire beaucoup de conteneurs. Lorsqu'un navire n'en laisse pas beaucoup, le droit de port est allégé pour « escale incomplète ». Cette souplesse qui est permise pour un tarif de service public est, à plus forte raison, possible pour des prestations qui ne relèvent pas du service public, comme c'est le cas du trafic ferroviaire de marchandises (même si ce trafic est assuré par une entreprise du secteur public).

Mais n'oubliez pas que, pour une prestation privée, la loi Royer impose de traiter de la même manière deux clients qui sont dans la même situation : pendant dix ans de ma vie, j'ai été pétrolier à ELF France ; j'avais du fuel excédentaire à la raffinerie de Feyzin, cela m'aurait arrangé de vendre aux industriels à un prix moindre que les tonnages déjà placés, plutôt que de le redescendre à Marseille pour l'exporter. Je n'avais pas le droit de vendre à l'industriel ces tonnes là moins cher que les premières. Je pouvais faire des prix très différents à celui qui prenait 1 000 tonnes et à celui qui ne m'en prenait qu'une, à celui qui enlevait régulièrement une certaine quantité tous les jours et à l'autre qui ne venait le prendre que lorsque cela l'arrangeait. Je pouvais faire cela, à la condition expresse de faire le même prix à deux clients qui étaient dans la même situation.

Dans le respect de cette règle (qui est saine pour éviter les abus de position dominante) le prestataire de service dispose d'une grande souplesse et la SNCF ne se prive pas d'en jouer, heureusement ! Notre association ne manquerait pas de le lui rappeler dans le cas contraire. Comme je l'ai dit, les rapports entre la SNCF et les clients-fret sont bons. Autant nous sommes sévères sur la question de la fiabilité, autant nous reconnaissons le sens commercial de la direction du fret.

M. le Rapporteur : Vous pensez quand même que le ferroutage a un très grand avenir.

M. Jean CHAPON : Sûrement ! Et plus généralement pour tout le transport combiné. Est-ce le sens de votre question ?

M. le Rapporteur : Oui.

M. Jean CHAPON : Le transport combiné est un excellent choix, mais il ne faut pas rêver, il y aura toujours une limite liée au coût de la rupture de charge et dans une certaine mesure à celui du pré et post acheminement : en-dessous de 400 km, le transport monomodal - notamment par la route - est plus compétitif et le restera pendant longtemps !

M. le Rapporteur : Je crois qu'en 1996 les échanges entre la France et l'Allemagne étaient de 11 millions de tonnes en transport combiné. C'est énorme !

M. Jean CHAPON : Oui, mais la distance de transport le justifie. Les chargeurs utilisent le transport combiné chaque fois qu'il est plus compétitif. Il est également certain que, pour le franchissement des Alpes, le transport combiné est intéressant.

M. le Rapporteur : Si mes collègues n'ont plus de questions, je vous remercie beaucoup, Monsieur Chapon, de cet exposé clair qui nous permettra de continuer à enrichir notre réflexion.

Audition de MM. Pierre-Gérard MERLETTE,
Adjoint au directeur du tourisme au secrétariat d'État au tourisme

et Philippe MOISSET, Directeur de l'agence française de l'ingénierie touristique

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 10 février 1999)

Présidence de M. Jean-Louis FOUSSERET, Rapporteur

M. le Rapporteur : Cette mission d'information a été créée, à la suite de l'abandon du canal Rhin-Rhône, pour réfléchir sur les perspectives d'aménagement durable sur la partie du territoire allant de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur jusqu'à l'Alsace et envisager un projet de développement cohérent des communications sur l'axe Rhin-Rhône. Le tourisme fluvial a souvent été évoqué comme un atout pour tout ce territoire entre Saône et Rhin et plus largement entre la Méditerranée et l'Alsace. Nous souhaiterions connaître votre point de vue sur cette question.

M. Pierre-Gérard MERLETTE : Dans le cadre de la déconcentration et de la répartition des compétences en matière de tourisme, le secrétariat d'État a été chargé de travailler sur Rhin-Rhône par un courrier de Mme Dominique Voynet, qui a déconcentré non pas la responsabilité, mais l'action à notre délégation régionale au tourisme de Franche-Comté. Le secrétariat d'État est concerné également par des inscriptions de crédits dans le cadre des contrats de plan État-Régions (CPER) en cours de négociation. Pour le moment, ce sujet n'a pas fait l'objet d'études globales du secrétariat d'État, mais d'un accompagnement du directeur régional du tourisme. Si un besoin d'analyse de telle ou telle filière s'exprimait, il serait examiné favorablement par le secrétariat d'État, qui pourrait demander à l'Agence française de l'ingénierie touristique (AFIT) d'intervenir, en particulier, pour toute étude de commercialisation ou de produits touristiques. Je rappelle toutefois que la faiblesse du budget du secrétariat d'État au tourisme ne permettra pas d'y consacrer des fonds très importants. Mais, les fonds engagés pourront favoriser l'intervention de partenaires. De plus, dans le cadre des contrats de plan État-Régions futurs, outre la part demandée dans le cadre du Fonds National pour l'aménagement du territoire, il est prévu, en plus de ce qui avait été proposé, un accompagnement pour la formation, notamment celle des acteurs touristiques - formation et professionnalisation qui sont, à nos yeux, des atouts essentiels du développement d'un produit, puisqu'en matière de tourisme, un produit n'a de valeur que s'il a des clients. Actuellement, plusieurs études sont en cours.

L'une porte sur l'inventaire de l'existant entre Niffer et Saint Jean de Losne en Côte-d'Or. Elle représente un coût de 160 000 francs, intégralement financé sur les crédits tourisme de l'actuel contrat de plan. Cette étude devrait être remise fin mars. Il s'agit d'un inventaire, que ce soit les maisons éclusières ou toute autre potentialité autour du canal. Elle sera complétée par une étude sur les retombées économiques du tourisme fluvial sur l'axe Rhin-Rhône, confiée à un cabinet d'audit de Saint-Malo, Actes Ouest, pour un coût de 170 000 francs. Cette dernière étude qui demande plus de temps ne sera remise que fin août-début septembre. Par ailleurs, est d'ores et déjà prévue une troisième étude, dont 50 % seraient financés par Voies Navigables de France (VNF) et 50 % seraient sollicités sur les crédits du ministère de l'équipement. Son cahier des charges n'est pas encore établi. Elle porterait sur les vélos-routes et l'utilisation des chemins de halage, cette activité pouvant éventuellement connaître un certain développement. Voilà où en est le secrétariat d'État.

M. Philippe MOISSET : Je dirige l'Agence technique du ministère du tourisme (AFIT). Nous sommes des techniciens susceptibles d'être sollicités pour approfondir telle ou telle idée, démarche ou initiative en matière de développement touristique. A ce jour, l'AFIT n'a pas été saisie de ce dossier. Je ne puis, par conséquent, vous livrer que des considérations relativement générales sur la façon dont on peut imaginer de développer le tourisme sur un grand axe autour d'une voie d'eau.

M. le Rapporteur : Pour préciser l'objet de cette audition, je dirai que nous souhaitons effectivement des idées générales sur les développements possibles en la matière. J'entends bien qu'il n'existe pas d'études sur ce thème, ou des études limitées sur le territoire Saône-Rhin. Mais notre mission doit réfléchir de façon beaucoup plus ample, au développement de l'axe allant de la Méditerranée à l'Alsace. Nous serions donc intéressés si vous pouviez nous donner une analyse globale de la situation du tourisme fluvial en France, de ses atouts et de ses faiblesses sur l'axe Rhin-Rhône, de son évolution et des retombées économiques que les régions traversées peuvent en attendre.

M. Philippe MOISSET : L'AFIT a été amenée il y a trois ou quatre ans à conduire, conjointement avec VNF, un travail d'analyse sur le tourisme fluvial, dont les principaux éléments n'ont pas dû être fortement modifiés, et que je pourrais communiquer à votre mission.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous la faire parvenir ?

M. Philippe MOISSET : Je le ferai dans les jours qui viennent. Il ressortait de cette analyse qu'il existe deux grands volets en matière de tourisme fluvial : le volet des transports de voyageurs collectifs, que l'on connaît bien sur le Rhin, pratiqué par quelques entreprises sur le Rhône et, bien sûr, sur la Seine entre Paris et Honfleur, et le volet de la location de bateaux, de « houseboats ». En gros, le chiffre d'affaires de cet ensemble était légèrement supérieur à un milliard de francs - vous trouverez les chiffres précis dans l'étude, je donne ici des ordres de grandeur - ; celui des transporteurs - bateaux-restaurants, bateaux de circuit, etc. - tourne autour de 750 millions de francs et celui de la location de bateaux est de l'ordre de 250 millions de francs. Pour situer le chiffre d'affaires actuel du tourisme fluvial par rapport aux grandes masses du tourisme, je rappelle que la somme des dépenses annuelles des touristes en France se situe autour de 600 milliards de francs. C'est un petit milliard par rapport à 600. Cela indique bien l'importance du tourisme fluvial : une activité qui reste, pour le moment, relativement marginale, surtout en ce qui concerne la location de « houseboats ».

Je vais revenir sur les raisons pour lesquelles ce secteur ne s'est pas plus développé. Je suis représentant du ministère de l'équipement au conseil d'administration de VNF. Notre étude a fait découvrir à VNF, si l'on compare le chiffre d'affaires du tourisme par rapport au chiffre d'affaires du transport de marchandises, que, finalement, nous étions dans des ordres de grandeur totalement comparables, c'est-à-dire que, contrairement à l'idée que l'on peut avoir, le chiffre d'affaires des transporteurs de pondéreux sur les voies navigables en France, n'est pas cinq ou dix fois ce chiffre, il est du même ordre de grandeur. Cette constatation a amené VNF à prendre conscience du fait que si l'on veut considérer l'usage économique de la voie d'eau, pour des raisons techniques, parce qu'il est clair que, pour une partie des voies, l'avenir du transport de pondéreux passe par des travaux et des investissements extrêmement importants et que des contraintes techniques pèsent sur les voies qui sont demeurées à petit gabarit, notamment dans la partie amont de votre champ de réflexion, il faut s'intéresser plus activement à son développement touristique alors que la tradition des ingénieurs des Ponts et Chaussées, qui ont été chargés de la gestion de la voie d'eau, est une tradition de transporteurs.

M. le Rapporteur : Le poids économique du transport des pondéreux est égal au poids économique du transport touristique sur l'ensemble de la France ? 

M. Philippe MOISSET : Oui, si l'on considère les chiffres d'affaires des entreprises. C'est surprenant mais c'est ainsi. Je vous donnerai les chiffres précis, mais ce sont les mêmes ordres de grandeur. Pour être totalement objectif, il est vrai que, dans ce chiffre d'affaires des entreprises touristiques, il en est une partie dont on peut se poser la question de savoir si ce sont vraiment des transports sur la voie d'eau car elle est, par exemple, le fait des bateaux-mouches à Paris.

M. le Rapporteur : En tout cas, le rapport n'est pas de un à dix.

M. Philippe MOISSET : Non, pas du tout. Ce sont les mêmes ordres de grandeur. C'est le premier constat. Le second est de savoir ce qui peut s'opposer au développement de la première catégorie, les transports collectifs de voyageurs pour faire des petites croisières. C'est avant tout un problème lié aux flux touristiques existants parce que ces transporteurs - exceptée la petite catégorie que sont les bateaux-hôtels qui exploitent un créneau relativement haut-de-gamme, touchant quelques flux légers d'Américains qui viennent passer huit ou dix jours - effectuent avant tout des transports pour une promenade d'une à trois heures, éventuellement pour la demi-journée avec un repas à bord. Vous connaissez ce type d'activité sur le Rhin. Il doit exister aussi quelques entreprises sur le Rhône aval. Mais ce ne sont pas ces entreprises qui constituent, en elles-mêmes, le motif de déplacement des touristes. Elles sont plutôt une séquence à l'intérieur d'un voyage : un voyagiste, organisant un déplacement d'un groupe, organise au passage, une promenade ou un déjeuner sur l'eau. Donc, sauf dans les sites urbains comme Paris, Lyon ou quelques grandes agglomérations, qui sont eux-mêmes des sites très touristiques, ces entreprises se développent en captant des flux préexistants, ce ne sont pas elles qui les créent. Ce sont donc, vous le voyez, des entreprises étroitement liées à l'activité touristique de la zone. Elles ne peuvent la précéder parce qu'un bateau de ce genre est un investissement relativement lourd. Par conséquent, dès lors qu'il est mis en service, il faut qu'il atteigne un taux d'activité suffisant pour se rentabiliser. J'en viens à la seconde catégorie, les locations de bateaux. En France, vous le savez, l'origine de cette activité est avant tout britannique, puisque les Britanniques ont des traditions de pratique de la voie d'eau bien plus anciennes et intensives que nous - vous avez tous en mémoire « Three men in a boat ». Ce sont des entreprises britanniques qui ont développé le produit en France et, assez curieusement, il a relativement peu percé sur le marché français, c'est-à-dire que la clientèle est principalement une clientèle étrangère.

A l'occasion des réflexions que nous avons conduites lors de cette analyse du tourisme fluvial en France, nous avons pu constater que ce produit perçait mal sur le marché français pour plusieurs raisons. La première tient sans doute au fait que c'est un produit qui est considéré comme cher et il est vrai que si le coût de location ramené à la personne et à la durée reste dans des créneaux très raisonnables, l'affichage du prix de location d'un bateau pour la semaine paraît relativement élevé. Même si l'on peut ensuite faire la division par six ou huit pour obtenir le coût réel du séjour, il n'empêche que l'affichage est élevé, donc dissuasif. Deuxièmement, les entreprises de location de bateaux ne sont pas d'une taille très importante et il n'y a pas de regroupement entre elles. Par conséquent, leur capacité à communiquer sur le marché du tourisme a été faible jusqu'à présent. C'est d'ailleurs pour réagir contre ce relatif silence des entreprises de location de bateaux sur le marché français qu'une campagne a été organisée l'année dernière en concertation avec le ministère du tourisme, VNF et les entreprises. Cette petite campagne, d'un montant de deux millions de francs, a donné des résultats concrets parce que, la saison suivante, les loueurs de bateaux nous ont fait part du fait que cela n'allait pas si mal que ça, c'est-à-dire que cela n'allait pas mal du tout.

Donc, petite taille, prix un peu dissuasif et organisation commerciale un peu faible. Parmi les points à régler pour développer ce genre d'activité, la première idée serait probablement de mieux organiser la filière, éventuellement avec le concours de VNF, de telle sorte que le consommateur soit mieux informé sur la réalité de l'offre des coûts - coût ramené à la journée client, en expliquant, ce qui est vrai, qu'une fois sur un bateau les dépenses annexes sont relativement modestes puisque vous êtes logés, vous avez le spectacle, vous prenez vos repas à bord parce que c'est amusant. Il faudrait organiser une meilleure information de la clientèle française sur la réalité du produit. La seconde idée est liée aux infrastructures parce qu'un itinéraire de croisière sur un bateau de location est fait d'un ensemble d'organisations techniques, sur lesquelles VNF réfléchit et a pris des initiatives : créer des haltes nautiques, faire bouger, peu à peu, les pratiques des éclusiers car se posent des problèmes d'ouverture le dimanche, le jour de Pâques, bref, tout un ensemble de problèmes dont VNF se préoccupe. Vous avez auditionné ou auditionnerez certainement VNF, qui vous exposera sa politique en la matière. Il existe donc des problèmes techniques, mais il existe aussi des problèmes d'attractivité. De ce point de vue, le développement d'un itinéraire pour la pratique du tourisme fluvial ne peut se faire qu'en concertation étroite entre les organisateurs de croisière, les loueurs de bateaux et les collectivités territoriales de la zone traversée, puisqu'il faut flécher, mettre en valeur, ouvrir du patrimoine, des restaurants, des bistrots, tout ce qui fait que ce voyage a le charme de la traversée d'une zone touristique. Ce sont toutes ces petites entreprises qu'il faut stimuler, développer. Excusez-moi de revenir en arrière, mais une autre entrave au développement de cette activité de location de bateaux est que la clientèle n'est pas consciente du fait que ces bateaux sont relativement faciles à piloter. Il s'agit de bateaux peu puissants, dont le pilotage ne nécessite aucun permis. On a beau le dire, la clientèle touristique n'imagine pas que, sans expérience, elle puisse se retrouver sur l'eau, livrée à elle-même. Pour des urbains, ce n'est pas évident. Probablement, faudrait-il une action dans ce sens.

M. le Rapporteur : Quel est pour vous l'avenir du tourisme fluvial en France, spécialement sur cet axe ? 

M. Philippe MOISSET : A mon avis, c'est un problème de volonté d'organisation. De même que sur la vallée du Lot, une politique est en train de se mettre en place pour, à partir de cette idée de navigabilité, restaurer des flux, de même, si l'on veut engendrer un développement touristique important sur cet itinéraire, il faudrait mettre des moyens qui correspondent aux objectifs que l'on cherche.

Qu'entend-on par moyens ? En fait, on cherche à créer une destination touristique linéaire. Cela veut dire qu'il faut que le client identifie cet axe comme un axe de pratique et de séjour. Pour le moment, ce qui fait obstacle, c'est qu'il n'existe pas d'organisation en matière de tourisme capable de concevoir l'ensemble des activités tout au long de l'itinéraire, d'en assurer l'unité, ni d'assurer l'unité des communications sur le sujet pour que, peu à peu, les touristes identifient cette zone comme une zone de pratiques touristiques. L'organisation territoriale actuelle du tourisme pousse chaque département et chaque région à conduire sa propre politique touristique mais, à ma connaissance, il n'existe pas d'organisation transversale systématique, ni dans la façon dont on conçoit le produit physiquement sur le terrain, ni dans la façon dont on organise sa mise sur le marché, ni dans la façon dont on communique sur la destination. C'est l'un des problèmes à régler. Sur le Lot, il existe une organisation interdépartementale qui recrute actuellement un chef de projet pour le développement touristique. J'ai beaucoup insisté sur ce point auprès des responsables de la vallée du Lot, en leur disant que s'ils voulaient que la vallée du Lot devienne une destination touristique, l'organisation devait rassembler les départements de la Lozère, de l'Aveyron, du Tarn-et-Garonne et qu'il fallait que la communication s'organise en direction des clientèles, faute de quoi, ils n'auraient pas de plus-value.

Une autre idée est que le développement du tourisme concrètement ce ne sont pas seulement des investissements publics, mais qu'il faut que l'on génère la prise de risque de petites entreprises. Je suis un ancien de la DATAR, je sais ce que c'est que d'essayer de faire du développement économique, puisque j'ai été commissaire au développement du Massif central pendant de nombreuses années. Pour assurer le développement du tourisme, il faut que des petites entreprises se créent parce que ce ne sont pas les collectivités publiques qui vont ouvrir les cafés, les restaurants, les hôtels, etc. Il faut donc réfléchir à la façon de monter une intervention publique afin de stimuler et focaliser le long de cet axe des PME qui accepteront de prendre des responsabilités et d'investir. C'est là une tâche ardue, car il est toujours difficile de trouver des chefs d'entreprise et de les aider à investir dans des conditions acceptables.

Il faut vraiment réfléchir à cet aspect des choses, parce que - c'est un point de vue de technicien - si l'on se fie aux réseaux actuels, qui sont des réseaux régionaux et départementaux, vous aurez une juxtaposition d'approches plutôt administratives de financement de projet et non une approche dynamique stimulant la recherche d'investisseurs, par des aides au montage d'opérations. Je vous invite à réfléchir à la façon de promouvoir une structure de stimulation de la densité tout au long de l'itinéraire. La troisième idée que je voudrais vous faire partager sort peut-être du tourisme fluvial au sens strict. Tout le monde sait bien qu'aujourd'hui le tourisme d'itinéraire, avec des pratiques relativement douces, est en développement en France. Des projets se développent sur de grands itinéraires, notamment cyclistes.

M. le Rapporteur : Comme celui des bords de Loire.

M. Philippe MOISSET : Nous avons, en effet, incité les responsables de Pays de Loire et de la région Centre à venir voir comment fonctionnait l'itinéraire cycliste du Danube, qui est très fréquenté et génère des retombées économiques très importantes. Cette découverte a incité ces deux régions à mettre en place un projet qui est en train de se réaliser. Nous avons co-financé toute la signalétique d'un grand itinéraire cycliste le long de la Loire. Dans les réflexions du ministère de l'environnement sur les véloroutes, cet itinéraire pourrait très bien rejoindre, au moins dans sa partie haute, un itinéraire Rhin-Rhône. Incontestablement, l'organisation systématique d'itinéraires, peut vraiment générer de réelles retombées économiques.

M. le Rapporteur : Ce serait bien que vous puissiez communiquer à notre mission quelques informations sur ces points.

M. Philippe MOISSET : Bien entendu. Nous avons fait une petite étude sur le développement de ce cyclotourisme, il y a quelques années. Nous pourrons aussi vous communiquer le dossier sur l'itinéraire ligérien.

M. Gérard VOISIN : L'approche vis-à-vis de l'axe Rhin-Rhône est aujourd'hui très différente en raison du coup d'arrêt qui a été donné. Sur le plan économique, il faut donc prendre des dispositions nouvelles et il est clair qu'au-delà du transport qui peut s'opérer entre Chalon-sur-Saône et la Méditerranée, c'est vers le tourisme qu'il faut se tourner. Je souscris tout à fait à ce que vous disiez à l'instant sur une mixité terrestre et fluviale. En Saône-et-Loire, nous sommes partis sur un principe identique à celui de la Loire ; nous mettons en place une voie verte de Mâcon à Chalon avec retour sur les berges - pédestre, équestre et cycliste. Ce sont des investissements qui se mettent en place pour générer de l'économie. On doit se réapproprier la rivière ou le fleuve et faire sur les deux berges une sorte de littoral sport, tourisme et loisir. Cela me semble être une solution intéressante, même si elle l'est globalement moins que si l'on avait fait le canal, puisqu'il aurait été possible de le faire de la Mer du Nord à la Méditerranée. Le tourisme fluvial aurait pu exploser, les pays nordiques sont en avance dans ce domaine et s'ils avaient pu franchir la Franche-Comté, cela aurait été une magnifique réussite touristique en plus d'une réussite de transport de marchandises.

Ce qui m'a inquiété en vous écoutant, c'est que ce soit la Franche-Comté qui mène cette opération. L'arrêt du canal Rhin-Rhône oblige maintenant l'État à choisir une autre option que la conduite par la Franche-Comté, donc par Mme Dominique Voynet, d'un projet sur Rhin-Rhône. Des moyens financiers importants doivent être mis en place pour réussir cette reconversion économique par le tourisme, le sport et les loisirs. L'État ne pourra pas faire l'économie d'une transposition des crédits qui étaient prévus pour la construction du canal Rhin-Rhône - les lignes budgétaires le permettent. Il faudra qu'il s'implique totalement pour qu'il y ait une mixité avec les collectivités territoriales et locales qui, elles, ont pris déjà depuis longtemps le parti de ces investissements touristiques qui sont une potentialité économique forte pour notre pays. Il faut des moyens, vous l'avez dit. Vous n'attirerez pas des investisseurs privés s'ils n'ont pas une aide conséquente, ne serait-ce que logistique. Il est de même des collectivités locales. Il faut aussi une implication plus forte des ministères. Mme Dominique Voynet a mis le coup d'arrêt au canal Rhin-Rhône, maintenant, ce sont les ministères du tourisme, des sports et d'autres ministères qui sont concernés. Celui de l'environnement a aussi son rôle à jouer parce que tout ce développement doit se faire dans le respect de l'environnement, mais il n'est plus le seul à avoir droit au chapitre.

M. le Rapporteur : Je précise que nous avons auditionné Mme Voynet, mais nous avons surtout auditionné des représentants du monde des transports. La vision globale de la mission n'est pas du tout une vision environnementale, ou uniquement environnementale.

M. Gérard VOISIN : Je l'ai bien compris, mais aujourd'hui nous auditionnons les représentants du ministère du tourisme, et veuillez m'excuser de dire cela, ils ne m'ont pas donné l'impression, au début de leurs propos, d'être les dirigeants de l'opération.

M. le Rapporteur : Non, mais la mission d'information intègre le tourisme. Je suis d'accord avec vous pour dire que la vision que nous devons avoir de cet aménagement est une vision globale, pas uniquement environnementale. Nous aborderons les nouvelles technologies de l'information et de la communication bientôt. Nous avons également rencontré des représentants de la SNCF et du transport combiné.

M. Gérard VOISIN : Je n'ai pas été rassuré par ces auditions.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais que l'on revienne aujourd'hui sur l'aspect tourisme, en prenant naturellement en compte ce que vient de dire notre collègue.

M. André VAUCHEZ : Je suis député de Dôle, j'étais le suppléant de Mme Voynet. Je comprends qu'il y ait un différend. En fait, nous croyons fondamentalement, après analyse économique, que cette réalisation était une mauvaise chose, pour différentes raisons que nous ne passerons pas en revue maintenant, mais toutes les personnalités du monde des transports que nous avons auditionnées nous ont dit qu'effectivement le transport par voie d'eau avait été fondamentalement modifié ces dernières décennies et qu'il fallait qu'il soit aidé par d'autres modes de transport, les transports combinés par exemple.

J'en citerai un simple exemple. Vous avez parlé du déplacement touristique sur la voie d'eau. J'habite une commune située à douze kilomètres de Dôle. Si les habitants de ma commune viennent à Dôle, ce serait très bien qu'ils viennent par la voie d'eau car c'est en ligne directe, mais ils vont passer trois écluses. Imaginez ce que donnait le canal Rhin-Rhône à grand gabarit avec ce type de dénivelé. Sur ce point, nous sommes en désaccord. Si l'on veut mettre sur pied un transport par voie d'eau autour de Dôle, peut-être également autour de Besançon et de Montbéliard, nous nous heurterons à de véritables difficultés à cause des écluses, parce qu'il faut quand même que le transport n'aille pas trop lentement. La situation est différente pour les gens qui font du tourisme pur car, eux, ne courent pas contre la montre. Aujourd'hui, sur le canal de Fressinet, on ne passe plus avec une péniche de 200 tonnes.

M. Gérard VOISIN : C'est bien le problème.

M. André VAUCHEZ : C'est le problème. Donc, premier point, on sait qu'il y a des travaux importants à faire. Deuxième point, dans cette vallée du nord au sud et en partant même sur le canal à partir de Saint Jean de Losne, on peut rayonner, il y a des possibilités de découverte du tourisme. Vous avez évoqué tous les obstacles à surmonter et l'insuffisance des partenariats. Il n'y a pas de volonté politique aujourd'hui pour développer le tourisme, ou alors chacun dans son coin.

M. le Rapporteur : Il n'y a pas de volonté transversale.

M. André VAUCHEZ : Il faut faire quelque chose, mais nous ne savons pas qui va piloter, ni comment cela doit s'articuler. Comment créer des synergies ? Je souscris à tout ce que vous avez dit. A Dôle, la mission locale pour l'emploi a créé il y a quelques années une association qui a mis sur pied une base de bateaux qui a été, ensuite, reprise par une entreprise à capitaux anglais. Cette activité commence à rencontrer quelque succès. Votre analyse est excellente, il faut effectivement créer des PME. Comment faire pour organiser cela au plus haut niveau avec le maximum de taux de réussite ? Les collectivités, VNF, les décideurs économiques sont d'accord, comment fait-on ? 

M. Pierre-Gérard MERLETTE : On parle de tourisme fluvial, mais c'est l'axe fluvial que l'on valorise actuellement, et c'est tout. Or, une destination, comme le rappelait Philippe Moisset, c'est un ensemble : c'est le moyen de transport - on l'a, c'est l'hébergement - on l'a, en partie puisqu'il se peut que sur certaines pénichettes vous ayez plus de personnes que de couchages. Donc, centrer de cet axe fluvial, il faut promouvoir ce qui existe, ce qu'il y a à voir. C'est peut-être là où nous avons une dichotomie dans la promotion, car le loueur de péniche actuellement fait la promotion du voyage mais, très souvent, ne fait que signaler des villages sans dire ce que l'on peut y voir. Il manque donc, pour le moment, de véritables destinations. Quels sont les moyens ? 

M. Philippe MOISSET : Vous sentez bien que c'est une action qui implique les collectivités publiques et nécessite en même temps le développement d'entreprises. C'est une action forcément mixte entre les gens dont le métier est de créer les interfaces avec les PME et le secteur public et vous sentez aussi que l'idée est de mettre régulièrement autour d'une table, pour travailler ensemble, des responsables du tourisme au niveau régional, départemental, des responsables de l'administration d'un côté et des responsables des collectivités publiques, de l'autre, c'est-à-dire comités régionaux et départementaux du tourisme. Vous avez donc à trouver une structure pour ce travail d'itinéraires.

M. le Rapporteur : Cela peut-il entrer dans les contrats de plan ? 

M. Philippe MOISSET : Je me retourne vers le ministère.

M. Pierre-Gérard MERLETTE : Certainement.

M. Philippe MOISSET : En termes de fonctionnement, il faut créer une entente interdépartementale de développement de l'axe. La structure juridique, vous pouvez l'imaginer.

M. le Rapporteur : Le rôle de notre mission - je réponds à notre collègue, Gérard Voisin - est justement de faire des propositions. Ce dont vous parlez en terme de moyens peut faire partie des propositions qui figureront dans le rapport final.

M. Bernard SCHREINER : En ce qui concerne le tourisme fluvial, il y a eu un développement assez important sur le Rhin jusqu'à la Mer du Nord. Il y a également un tourisme fluvial sur le canal de la Marne au Rhin, qui est malheureusement dans un triste état, tout comme le canal des houillères.

L'axe Rhin-Rhône commence en Mer du Nord et aboutit en Méditerranée. Ce qui manque actuellement sur cet axe Rhin-Rhône, c'est une organisation au niveau national, une chaîne de dynamisation, de mobilisation de crédits, certes au niveau du territoire national, mais aussi des régions, parce que la région Alsace subventionne la mise en place de petits ports de tourisme sur le canal de la Marne au Rhin, puis sur le Rhin-Rhône ; mais surtout, puisque ce tourisme fluvial se développe par les bateaux qui viennent d'Allemagne, de Hollande et de Belgique, les pays scandinaves, la proposition serait que le ministère du tourisme organise, sur le territoire national, une meilleure concertation et une plus grande dynamisation de la volonté politique pour susciter les crédits en provenance des différents ministères, elle serait de porter aussi le problème sur le plan européen, car c'est de l'Europe que nous pouvons attendre un développement touristique important de cet axe Rhin-Rhône. Essayons de voir plus loin que les frontières de l'Hexagone.

M. André GODIN : Comme vous l'avez souligné, la difficulté est de faire ce maillage sur l'ensemble des acteurs, ce qui est déjà difficile à réaliser au sein d'un département. Cette audition montre qu'il faudrait que nous puissions proposer qu'il y ait un chef de projet, de manière à ce que cette relation d'abord hexagonale, puis internationale, puisse se faire. Mais il faut trouver un moyen de sensibiliser les offices de tourisme afin que ce maillage se fasse secteur par secteur. Il est important que nous puissions offrir des produits. Tant que l'on ne sera pas capable de dire que pour 100 francs, on vous offre une heure sur la Saône... Il faut pouvoir faire figurer cela sur un catalogue. C'est la difficulté pour un grand nombre d'entre nous en tous cas.

M. le Rapporteur : Il y a beaucoup d'initiatives, mais qui souffrent d'un trop grand morcellement.

M. Pierre-Gérard MERLETTE : Si vous pensez développement économique, vous pensez clients. Or, les clients ne connaissent pas les limites administratives. Il faut qu'ils aient les moyens d'identifier la continuité dans un itinéraire. Je citais le cas des collectivités locales le long de la Loire. Elles l'ont très bien compris, puisqu'on a fait avec les deux régions un travail de définition de la signalétique de l'itinéraire ligérien sur l'ensemble des départements. Il y a cette nécessité de cohérence pour le client. Le client ne veut pas changer d'image, de signalétique, de carte chaque fois qu'il passe une frontière administrative. Il ne s'agit sûrement pas de penser à des structures qui remplaceraient les structures locales, mais d'organiser la cohérence et la concertation entre les personnes dont c'est le métier sur le territoire.

M. le Rapporteur : Comme notre objectif n'est pas de tout réinventer, il est important que vous puissiez nous donner ces informations, afin que nous puissions intégrer tout le travail qui a déjà été fait pour déboucher sur des propositions. J'ai une petite expérience personnelle du tourisme fluvial. Lorsque l'on change de région, si l'on n'a pas une vision globale, c'est assez dissuasif, sans parler du prix, mais vous avez très bien expliqué qu'il fallait présenter les choses d'une manière différente en termes de coûts. Vous avez parlé d'une étude qui serait rendue au mois de septembre. Disposerez-vous d'un rapport d'étape de cette étude ? 

M. Philippe MOISSET : Nous pourrons le demander.

M. le Rapporteur : Il serait bon que vous puissiez nous le communiquer.

M. Gérard VOISIN : Je reviens sur les propos de M. André Godin, qui a dit ce qu'il fallait dire. Il faut un chef de projet. Je parlais tout à l'heure du sport, du tourisme, des loisirs. Cela demande une coordination interministérielle, avec un ministère chef d'un projet Rhin-Rhône tourné vers le tourisme et les loisirs. Il y a des points extrêmement forts. A la grande époque du canal Rhin-Rhône, Mâcon était le port de Genève ! Tout cela est parti à l'eau. Il faut revenir à des projets de ce type. Sans véritable chef d'équipe interministériel, nous n'y arriverons pas.

M. le Rapporteur : Je vais dans votre sens en disant qu'il faut développer ce qui existe déjà. Sur l'axe franc-comtois il existe déjà un chef de projet, c'est le préfet de Franche-Comté...

M. Gérard VOISIN : Ce n'est pas normal...

M. le Rapporteur : Laissez-moi aller jusqu'au bout ! J'ai dit qu'il fallait développer cette idée. Il y a donc déjà un préfet coordinateur qui coordonne l'ensemble des ministères sur cet axe. J'entends bien votre demande qui est d'élargir et faire qu'à l'échelle de toute la liaison entre les Bouches-du-Rhône et les Bouches du Rhin, entre Marseille et Strasbourg, il y ait un chef de projet alors qu'actuellement, il n'y aura qu'un chef de projet - puisqu'il y aura un contrat de plan, vous le savez - sur la vallée du Doubs. Il faut une vision globale.

M. Pierre-Gérard MERLETTE : Il existe un exemple à prendre en compte et en considération, celui des organisations de voyage sur la Moselle, où l'on part de France, pour aller jusqu'à Trèves et remonter jusqu'en Allemagne, et retour. C'est un produit complet, avec, en particulier, des guides-interprètes de très grande qualité. L'exemple est à retenir, puisque nous sommes, de surcroît, transfrontaliers.

M. le Rapporteur : Des idées très intéressantes en termes d'itinéraires ont été évoquées aujourd'hui. Il faut cependant tenir compte de la nature des rivières. Le Doubs entre Dôle et Montbéliard n'est pas la Saône ; il a un dénivelé beaucoup plus important, plus d'écluses...

M. Gérard VOISIN : C'est ce que nous voulions changer.

M. Philippe MOISSET : Je ferai une simple remarque technique. Autant il faut que l'administration d'État se coordonne et désigne un leader et un préfet coordonnateur, autant il faut bien voir qu'il faut organiser, en face, la coopération sur des structures de collectivités locales. Cette organisation de la coopération de structures touristiques, qui ont leurs compétences, qui ont fait des choses, qui savent beaucoup de choses sur leur région, qui, quelquefois, comme la région Bourgogne, ont pris des initiatives de qualité en matière de tourisme fluvial, doit bénéficier d'un chef de projet d'une grande compétence en matière de tourisme. C'est par cette compétence qu'il arrivera à rassembler les organisations touristiques autour de lui.

M. le Rapporteur : Par exemple, l'Agence Française de l'Ingénierie Touristique.

M. Philippe MOISSET : Non, l'AFIT ne peut sûrement pas faire ce travail. En revanche, elle peut aider à définir le cahier des charges.

M. le Rapporteur : La mise en valeur du tourisme fluvial pourrait être l'une des conclusions de ce rapport. J'ai beaucoup apprécié votre idée du « sport, loisirs, tourisme ». Il y a certainement une action à mener dans ce sens tout au long de cet axe, un itinéraire à tracer. Le projet de la vallée de la Loire est intéressant, mais il serait peut-être plus intéressant de voir quelque chose qui fonctionne déjà.

Si vous n'avez pas d'autres questions à poser, mes chers collègues, je remercierai en votre nom MM. Pierre-Gérard Merlette et Philippe Moisset. Nous avons eu un échange intéressant, ouvrant un certain nombre de pistes et d'idées, sur lesquelles nous aurons à travailler.

Audition de M. Hubert du MESNIL,
Directeur des transports terrestres
au ministère de l'équipement, des transports et du logement

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 3 mars 1999)

Présidence de M. Jean-Louis FOUSSERET, Rapporteur

M. le Président : Merci d'avoir répondu, Monsieur le directeur, à notre mission d'information. Après la décision de ne pas construire le canal du Rhône au Rhin, l'Assemblée a voulu disposer d'éléments lui permettant d'évaluer les possibilités alternatives de développement de cet axe. Il nous a paru judicieux de recueillir votre avis, à la fois pour savoir si les perspectives de développement de cet axe de transport majeur nécessitaient la construction d'infrastructures nouvelles, notamment ferroviaires, mais aussi plus simplement, pour savoir si une amélioration des structures existantes, une adaptation de leur mise en _uvre pouvaient favoriser la croissance du transport combiné et désengorger ainsi la vallée du Rhône, l'une des voies les plus saturées en Europe pour le trafic routier de marchandises.

M. Hubert du MESNIL : Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, merci de m'accueillir dans cette mission pour évoquer ce sujet très important mais en même temps difficile de l'axe Rhin-Rhône, pour essayer de vous faire part de quelques réflexions et répondre à vos questions.

Je commencerai par un témoignage personnel. Je ne sais pas s'il est convenable de tenir des propos un peu personnels, mais j'en prends le risque. Il se trouve, qu'au cours de ma carrière, j'ai travaillé plusieurs années au port de Marseille et les premiers souvenirs que j'ai du canal Rhin-Rhône, ce sont des souvenirs de Marseillais. A l'époque, les « portuaires » de Marseille étaient préoccupés - comme tous les « portuaires » - par la desserte de leur hinterland à l'échelle de l'Europe ; c'est l'objectif des grands ports et comme tel, nous étions attirés par cette partie de l'Europe centrale dont tout le monde sait que s'y jouent les grands enjeux économiques.

Bien entendu, nous plaidions, comme beaucoup d'autres, pour la réalisation de ce canal et en même temps - si ce n'était pas dit, c'était pensé et vécu - que nous le souhaitions, nous en avions aussi un peu peur, car si l'on regarde l'Europe, l'on voit bien que Marseille est le grand port du Sud, mais qu'il y a un ou deux grands ports au Nord et que cette liaison marchande dans les deux sens peut être aussi une manière de renforcer la concurrence que les ports du Nord exercent sur l'ensemble de l'Europe.

Nous pensions que ce grand projet avait certainement l'avantage de mailler des éléments de réseaux de canaux à grands gabarits, et qu'il avait un caractère très structurant pour le réseau fluvial européen. Par rapport aux intérêts portuaires et pour simplifier, c'était une affirmation de conviction et de raison, mais en même temps il y avait sans doute une part d'inquiétude du fait de la concurrence qui pouvait en résulter. La deuxième fois que j'ai entendu parler de ce projet, c'est lors de ma prise de fonction de directeur des transports terrestres, en 1995, la loi Pasqua venait d'être votée et l'une de mes premières missions a été de mettre en place la structure de réalisation de cet ouvrage avec la création de la Sorelif, filiale de la CNR. Aujourd'hui, avec un peu de recul, et grâce aux questions de votre mission, je me demande, au fond, dans quelle situation nous trouvons-nous sur cet axe et quelles sont les données du problème en matière de transport ? Je ne parlerai que de transport terrestre, qui est mon domaine de compétence. Par rapport à cette non-réalisation, que pouvons-nous dire et quelles actions permettraient de donner à cet axe la place qui est la sienne dans l'ensemble du réseau de transport européen ? Avons-nous des regrets à avoir ou des consolations à nous donner, avons-nous une vision différente des choses aujourd'hui, et quelles perspectives pouvons-nous tracer ? Je crois que, si nous voulons être lucides et objectifs, il me semble que le grand projet du canal visait davantage à mailler le réseau des voies navigables qu'à répondre à des besoins de transport précisément identifiés. Pour preuve, je n'ai pas trouvé, en arrivant, dans les dossiers du ministère, d'études très fines permettant de montrer quels étaient les flux de trafics interrégionaux, internationaux et de transit, puisque nous pouvons classer ces flux en trois catégories, ceux qui relient les régions françaises entre elles, ceux qui font partie du commerce international français, et le transit.

Je crois que le canal était plus une réponse à la question : nous pensons qu'il faut avoir en Europe un réseau fluvial maillé, la France n'en a pas, au moins en réseaux à grands gabarits, et il faut qu'elle en ait un. Le canal Rhin-Rhône était un maillon qui permettait d'avancer vers cet objectif stratégique, mais, je ne crois pas que nous puissions dire que le canal était présenté comme une réponse au besoin de transport et d'échange de marchandises relevant des différentes catégories que je viens d'indiquer : l'interrégional, l'international et le transit. Non pas que le canal n'apportait pas une réponse complémentaire à ces besoins de trafic, mais je crois qu'il n'avait pas été porté, promu, poussé avec cet objectif précis.

Nous devons donc aujourd'hui reformuler cette question à partir d'une connaissance plus précise des échanges de marchandises, mais aussi de voyageurs sur cet axe-là, une meilleure connaissance des prévisions à moyen et à long termes. Quelles réponses en termes d'infrastructure et de services pouvons-nous chercher à apporter afin que les flux qui passent par cet axe trouvent des moyens de transport satisfaisants par rapport aux besoins de développement économique et aux préoccupations de l'environnement ?

Cet axe-là est évidemment très important pour l'Europe, c'est une évidence, car c'est un axe qui relie des régions importantes en France, mais aussi des régions importantes et même presque dominantes dans les états voisins, puisque la Catalogne, le Nord de l'Italie, la Ruhr sont des régions très puissantes. Cet axe est en quelque sorte un chaînon des régions qui représentent des atouts économiques essentiels. C'est encore plus évident dans le domaine routier, car la majorité des trafics routiers entre l'Allemagne et l'Espagne passe par là.

Sur les autres modes, je voudrais immédiatement faire une observation, car cet axe-là comporte une autre branche qui n'est pas dans le sujet de votre investigation, mais dont il faut parler un peu, c'est la branche que j'appellerais mosellane, c'est-à-dire celle qui file tout droit vers le Nord, la Saône, la Lorraine et qui va vers le Luxembourg et la Sarre.

Pourquoi est-ce que je fais allusion à cette branche ? C'est parce que, sur le plan ferroviaire, actuellement, cette branche est plus importante que la branche Saône-Rhin. On pourra se poser la question de savoir pourquoi, mais c'est un fait. Lorsque le projet Rhin-Rhône a été envisagé, je ne suis pas sûr que l'on ait poussé très loin l'analyse, l'étude, la réflexion sur la comparaison des besoins respectifs de cette branche Saône-Rhin avec la branche mosellane. En particulier, lorsque nous voyons les trafics actuels sur le plan ferroviaire et les risques de saturation, nous avons là un axe dont il faut aussi s'occuper sur le plan ferroviaire et peut-être sur le plan fluvial. Comme vous le savez, les réflexions ont été relancées sur les liaisons fluviales Saône-Moselle qui vont vers le Nord et desservent la Lorraine et la Sarre. Il faut y faire attention, car autant les liaisons entre l'Allemagne, une bonne partie de la France et l'Espagne transitent essentiellement, sur le plan routier, par l'axe Saône-Rhin et la descente vers le Sud, autant il ne faut pas négliger - et peut-être a-t-on commis une erreur d'appréciation géo-économique - le fait que le fret de l'Allemagne rentre en France principalement par la Sarre et qu'il y a là quelque chose de très important. J'observe au passage que, dans la décision que nous venons de prendre pour le TGV Est, nous avons poussé jusqu'à Baudrecourt la première phase et il y a eu un encouragement très fort à aller jusque là. Les Allemands que j'ai vus encore hier me l'ont redit, ils comptent beaucoup sur cet axe Francfort-Mannheim pour développer leur trafic ferroviaire avec la France.

Je ferme cette parenthèse et je reviens sur l'axe Rhin-Rhône. Il est aujourd'hui traversé par trois modes de transport possibles. Il y a d'abord un axe autoroutier continu entre le Nord et le Sud qui est bien composé, bien structuré. Il pose peut-être, de-ci de-là, des problèmes d'encombrement, mais cette continuité routière me paraît de bonne qualité et nous voyons bien qu'il s'y développe un trafic en croissance forte. Je reviendrai sur le plan du trafic de marchandises très largement dominant puisque, là comme ailleurs et peut-être plus qu'ailleurs, la domination de la route est réelle, 75 à 80 % des trafics qui sillonnent cet axe sont routiers.

Il est également parcouru par des voies ferroviaires qui sont abondantes, puisqu'il y a, sur une bonne partie de l'axe, deux voies et non pas une. Il s'en trouve une dans la partie Franche-Comté, et assez vite par la ligne de la Bresse, il y en a une deuxième et sur tout l'axe vertical Saône-Rhône, il y a deux voies ferrées, donc une infrastructure ferroviaire qui existe aujourd'hui et qui donne une capacité loin d'être négligeable, même s'il y a quelques points sensibles et difficiles sur lesquels il faut travailler, nous y reviendrons. Puis il y a la voie d'eau avec deux parties : l'axe Saône-Rhône, à grand gabarit, ou presque, qui peut accueillir des trafics de bonne qualité et le Doubs, pour simplifier, le canal Freycinet, qui, lui, est en mauvais état puisqu'on l'avait quasiment abandonné, sur lequel le trafic est très faible sur le plan commercial et qui n'apporte pas, actuellement, une solution pour le trafic de marchandises. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas d'intérêt sur le plan du tourisme ou de l'aménagement local.

Donc trois modes de transport, l'un de très bonne qualité et très largement dominant : la route, le deuxième représentant une capacité importante mais relativement peu ou mal utilisé : le ferroviaire, et le troisième qui, au moins sur la partie verticale Saône-Rhône, représente un axe qui ne fera pas du transit, il faut le reconnaître, mais qui, pour les trafics interrégionaux et la desserte du port de Marseille notamment, représente un atout véritable dont nous n'avons certainement pas tiré encore tous les avantages.

Face à ce panorama, quelles sont les actions que nous pouvons imaginer et les objectifs que nous pouvons poursuivre ? Nous avons à prendre en compte deux sujets ; le premier c'est que cet axe est un axe de transit, le principal axe de transit Allemagne-Espagne à dominante routière et nous pouvons pronostiquer que ces trafics de transit vont se développer au fur et à mesure que l'Europe va s'élargir, c'est une évidence.

Le second sujet que nous devons prendre en compte c'est que cet axe dessert les régions françaises avec, notamment, le port de Marseille, les régions Rhône-Alpes et Franche-Comté et qu'il constitue pour ces régions un élément déterminant puisque, en les traversant, il les relie à d'autres régions françaises et surtout étrangères qui sont des interlocutrices très importantes en raison de leur propre activité économique et de leur commerce extérieur.

La préoccupation que nous avons est double : c'est comment faire pour que ces régions puissent profiter pleinement de cette liaison interrégionale et internationale importante pour leur propre développement et faire en sorte que l'ensemble des trafics qui vont s'y développer le fassent dans des conditions satisfaisantes par rapport à la qualité de la vie, à la sécurité et à l'intérêt général ?

Comment pouvons-nous poursuivre ces objectifs simultanément et sur quoi pouvons-nous jouer ? Le sujet le plus important, et en même temps le plus difficile, c'est évidemment d'essayer d'agir pour un rééquilibrage intermodal. Nous pourrions dire que le fil de l'eau est une politique possible et qu'avec l'autoroute cela crée un axe tout à fait satisfaisant dont le trafic augmente vite. Un jour ou l'autre, si nous extrapolons les tendances passées, cet axe autoroutier va être rapidement saturé et il faudra en prévoir un deuxième. C'est une solution possible avec sans doute un certain nombre d'inconvénients, car, que nous le voulions ou non, quelles que soient les préférences que nous pouvons avoir pour tel ou tel mode, au moins pour la partie du trafic international et du transit Allemagne-Espagne, il n'est pas satisfaisant de se dire que nous allons construire une deuxième autoroute pour permettre aux camions espagnols d'aller en Allemagne, et réciproquement surtout si l'on observe qu'aujourd'hui, dans le transit entre l'Espagne et l'Allemagne, nous sommes dans une situation de domination routière vraiment très forte, plus qu'ailleurs, puisque, comme vous le savez, les Espagnols ont développé la route et non pas le chemin de fer et qu'en plus, il y a ces fameuses contraintes d'écartement de rails qui font qu'actuellement la part du trafic entre l'Espagne et l'Allemagne, qui se fait par le chemin de fer, est encore plus faible que pour tous les autres trafics européens. Nous partons donc d'une situation où l'histoire, la nature et la géographie, peut-être la politique, ont fait que nous sommes dans une domination routière presque totale. Par conséquent, je n'imagine pas que nous puissions avoir comme seul objectif de répondre à cette demande des Espagnols d'augmenter nos capacités d'infrastructures routières pour leur permettre de se rendre en Allemagne. Nous leur devons le passage, mais quels moyens devons-nous leur offrir ?

Je crois que cette première politique, qui consisterait à répondre à cette demande croissante du trafic routier par une seule offre complémentaire d'infrastructures autoroutières, ne paraît pas satisfaisante et que l'on ne peut se contenter d'extrapoler une situation considérée comme une fatalité.

Puisque nous avons deux autres infrastructures disponibles, n'y a-t-il pas un meilleur parti à en tirer ? J'ai déjà évoqué le canal Rhône-Saône. Il ne répondra pas à la demande de transit des Espagnols car il n'est pas relié à l'Allemagne. En revanche, par rapport aux trafics interrégionaux, et notamment les trafics Nord-Sud de la Saône, du Rhône vers le port de Marseille, il ne fait pas le plein, mais ce n'est pas dû à l'absence du canal Rhin-Rhône. S'il n'y a pas davantage de trafics qui vont de la Saône à Marseille ou de Lyon à Marseille, ce n'est pas le fait d'un maillon manquant vers le Rhin, mais parce que d'autres raisons ont freiné la bonne utilisation du Rhône, raisons qu'il faut rechercher, d'une part dans les difficultés de la profession de transporteur fluvial, profession qui a tardé à se moderniser, d'autre part, dans le port de Marseille qui, il faut le reconnaître, n'a pas traité la voie d'eau avec suffisamment d'intérêt et qui, dans les ruptures de charge, dans les problèmes de manutention, a connu des freins à une utilisation optimale de ces opérations fluviales. J'ajoute aussi que, culturellement, en France, les opérateurs de transport ne sont pas très intermodaux mais sont cloisonnés avec une tendance à choisir la solution de facilité qui est la route. Il y a peut-être aussi des jeux d'intérêt qui font que les transitaires de Marseille se sentent plus proches des transporteurs routiers et que, par conséquent, ils les accueillent plus facilement que les transporteurs fluviaux. Il y a aussi des freins inhérents à la culture des professions du transport en France. Il faudrait peut-être en prolonger l'analyse, mais je ne vais pas trop m'y attarder.

La première idée, c'est que l'axe Rhône-Saône n'est pas suffisamment exploité, à ce jour dans sa partie fluviale, pour les trafics interrégionaux qui trouvent leurs débouchés vers Marseille.

La deuxième idée concerne le ferroviaire, et je voudrais insister sur ce point car je suis convaincu que c'est un bon moyen de répondre aux besoins de trafic au-delà d'une certaine distance - on dit en général que c'est de l'ordre de 500 km, admettons cet ordre de grandeur. Sur cet axe-là, beaucoup de trafics font plus de 500 km et une bonne partie des trafics interrégionaux ou entre les régions françaises et l'étranger, vont au-delà. Nous avons là un axe ferroviaire qui, actuellement, est déjà desservi mais qui est encore peu utilisé. Je reviens sur ce sujet : aujourd'hui, le ferroviaire le plus utilisé continue vers le Nord. Pourquoi n'utilisons-nous pas davantage les voies ferroviaires qui traversent la Franche-Comté ? Là encore, beaucoup de raisons doivent être avancées. Quoi qu'il en soit, il ne faut pas mettre en avant des raisons de capacité ferroviaire. Ce n'est pas en construisant une voie ferrée de plus dans l'immédiat, en Franche-Comté, qu'il y aura davantage de trains de fret. Il y a une voie ferrée mais pas suffisamment de trains de fret. La première chose à considérer est que le système ferroviaire en tant que tel n'a pas répondu suffisamment bien aux besoins des chargeurs de fret ; or c'est un moyen qui peut être performant, rapide et de bonne qualité, mais qui ne l'est pas suffisamment aujourd'hui.

La fiabilité est insuffisante, l'attention que la SNCF a porté à ces trafics l'est également. Il a été dit, et je crois que c'est vrai, que la SNCF s'était en quelque sorte épuisée, en tout cas avait consacré l'essentiel de ses ressources, de son énergie et de son intelligence à la réalisation d'un réseau moderne de voyageurs TGV et n'avait pas développé le même dynamisme, la même imagination et la même énergie pour répondre aux besoins du fret. Vous connaissez, aujourd'hui, cette situation assez désolante pour avoir écouté les industriels parler de trains qui sont « calés » ou restés en rade, pas seulement quelques heures ce qui serait supportable, mais parfois plusieurs jours, parce que le système ferroviaire dans son ensemble, en France, n'a pas accordé au fret la priorité. Pour caricaturer, nous pouvons dire que l'on continue à traiter le fret comme on traitait les trains de charbon. A la limite, il y avait des trains de charbon partout sur le réseau qui servaient de stockage, les trains arrivaient quand ils pouvaient, créant des stocks partout. On vivait ainsi. La réponse attendue, aujourd'hui, par les chargeurs n'est pas celle d'un train qui resterait une semaine sur une gare de triage, mais plutôt : « Je pars à 20 heures, j'arrive à 7 heures comme le voyageur ». Il ne devrait plus y avoir de différence. Je ne parle pas des questions de sécurité, dans un cas nous avons des personnes, dans l'autre des marchandises, mais en exagérant je voudrais bien montrer que la première raison pour laquelle le fret ferroviaire n'a pas la part qu'il mérite sur cet axe, c'est que la SNCF, et peut-être tous les partenaires professionnels, n'ont pas accordé au fret ferroviaire un intérêt suffisant. Nous n'avons pas su le faire évoluer pour répondre aux besoins moderne du transport de marchandises. Cette raison, plus le fait que l'Espagne ait été isolée sur le plan ferroviaire et n'emprunte que la route, ces deux motifs cumulés ont conduit à ce déficit de l'utilisation du ferroviaire.

Ce constat réalisé, quelles actions pouvons-nous mener ?

Évidemment, je voudrais parler du TGV, non pas pour me contredire, car je viens d'évoquer le fait que nous avons peut-être dépensé trop d'énergie dans le TGV, mais je dirais que lorsque les TGV ont été conçus, c'était pour répondre exclusivement au besoin de déplacement rapide des personnes. Ils n'ont pas été conçus pour étoffer un réseau ferroviaire et lui permettre globalement de mieux répondre, à la fois, aux besoins de déplacement rapide des personnes, et à ceux de capacité et de qualité du fret.

Pour preuve, les dossiers de TGV que j'ai découverts il y a quatre ou cinq ans, y compris ceux du TGV Rhin-Rhône, ne parlaient pas du fret. On n'en parlait pas davantage en ce qui concerne le TGV franco-espagnol, ni dans le TGV Lyon-Turin. C'est une orientation nouvelle, prise il y a quelques années, très importante. Lorsque l'on parle d'un projet TGV Rhin-Rhône, il ne s'agit pas uniquement de tracer une voie réservée aux voyageurs pour qu'ils aillent vite sans se poser la question du devenir des autres trafics et de leur valorisation. Il faut se poser les deux questions en même temps : permettre, à la fois, aux voyageurs d'aller vite et développer simultanément de nouvelles ressources de transport ferroviaire, y compris pour le fret. Ce projet du TGV Rhin-Rhône est évidemment au c_ur de notre problème. Comme je l'ai dit, nous le faisons évoluer pour qu'il prenne en compte les voyageurs et le fret. Nous avons encore quelques difficultés à savoir à quels besoins il doit répondre en priorité, et face à ce débat un peu douloureux entre le TGV Rhin-Rhône dans une vision orientée vers Paris qui accorderait une priorité à l'axe Paris-Mulhouse, et cet autre TGV Rhin-Rhône qui permettrait d'aller de l'Allemagne à l'Espagne, j'ai envie de dire : « entre les deux, notre c_ur balance » en permanence.

On va évidemment conclure qu'il faut les deux, parce qu'il y a une réalité française de Paris, la capitale, qu'il fait prendre en compte et que personne n'arrivera vraiment à assumer le choix entre faire un axe entre l'Allemagne et l'Espagne et être reliés ou non à Paris.

Nous sommes en quelque sorte condamnés à vivre en permanence cette compétition entre la priorité sur Paris et une sorte de priorité européenne Rhin-Rhône vers le sud, d'où ce TGV en triangle, mais il ne suffit pas de dire que nous ferons tout, il faut peut-être approfondir, travailler davantage sur les priorités, l'ordre dans lequel il faut le faire, les connexions du réseau l'un dans l'autre. Nous avons donc un très gros travail à faire sur ce TGV Rhin-Rhône. Vous connaissez les décisions du Gouvernement : le lancement de la déclaration d'utilité publique sur la branche Est et le lancement simultané des études sur la branche Sud.

Le TGV Rhin-Rhône n'a pas de sens si on ne le conçoit pas comme la globalité d'un croisement Est-Ouest, Paris-Mulhouse pour simplifier et Nord-Sud, Allemagne-Espagne. Nous avons relancé les études sur la branche Sud, il y aura un débat sur cette branche, sur sa position, les villes qu'elle doit desservir, l'endroit par lequel elle doit passer. C'est un sujet sur lequel nous travaillons actuellement. Mais en même temps qu'il structurera ce double axe Est-Ouest et Nord-Sud pour les voyageurs, le TGV Rhin-Rhône libérera des capacités ferroviaires fret supplémentaires et nous pourrons développer du fret, en termes d'infrastructures, qui sera très important.

J'évoque très rapidement, pour ne pas être trop long, la réalisation du TGV Méditerranée en cours et presque terminée qui libérera une capacité supplémentaire dans l'axe rhodanien. Je voudrais évoquer le TGV franco-espagnol notamment parce qu'il représente un atout tout à fait considérable car, en supprimant la rupture de charge et les deux heures perdues à la frontière, il apportera une possibilité de faire avancer les liaisons ferroviaires sur l'Espagne mais, encore une fois, ce TGV n'a pas de sens s'il ne répond pas aux besoins du fret. Or l'objectif de réaliser le TGV a été annoncé, confirmé, les études se poursuivent. Alors que nous avons un délai tendu, 2004, nous n'avons pas encore suffisamment bien traité la question du fret : par où passera-t-il ? Devrons-nous le faire passer par le tunnel principal ? Dans l'affirmative, il y aura des débats techniques compliqués concernant la pente afin que les trains de fret puissent passer, car la difficulté c'est que les TGV peuvent prendre des pentes très fortes, alors que les trains de fret ne le peuvent pas. Quand une ligne nouvelle est conçue, il faut savoir, dès le départ, si elle l'est uniquement pour le TGV ou si le fret doit également l'emprunter. L'objectif, pour les responsables du projet, c'est qu'ils puissent faire circuler les trains de fret ou, si cela n'est pas possible, qu'ils nous disent par où les faire passer, sinon ceci ne servirait à rien ; nous raterions l'objectif si nous nous contentions de permettre aux gens de Barcelone d'aller un plus vite à Nîmes, Lyon ou Paris, et si l'aspect essentiel des dessertes ferroviaires était négligé.

En complément de ces grands projets de TGV, je voudrais citer des projets ferroviaires complémentaires dont on ne parle pas beaucoup, mais qui sont très importants, car autant nous avons des réserves de capacité et nous en aurons encore plus dans la partie Franche-Comté, autant nous avons quelques points sensibles sur l'ensemble de l'axe Lyon-Nîmes-Montpellier, villes qui sont trois passages difficiles, car la voie ferrée les traverse et il y a une compatibilité difficile à trouver entre les trafics rapides grandes lignes, les trafics régionaux de voyageurs, et les trafics de fret. Nous avons donc à travailler sur les contournements de ces trois villes de manière à ce que le fret ne soit pas bloqué dans ces gares en pleine ville. Le souhait du ministre des transports est de faire remonter dans les priorités le traitement de ces trois points : contournements de Lyon, Nîmes, Montpellier. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas faire complètement la ligne nouvelle entre Montpellier et Perpignan, mais que la priorité est de traiter ces trois points. Cela ne sert à rien d'aller très vite entre deux villes. Si c'est pour ensuite tomber sur un n_ud impossible à franchir en traversant une ville complètement saturée. Voilà pour le plan ferroviaire.

En ce qui concerne le plan fluvial, en terminant, je voudrais rappeler pour mémoire que le CIAT du 15 décembre 1998 a pris la décision d'un programme de remise en état du canal Freycinet, même si, sans doute, cela n'amènera pas de développements significatifs du trafic de marchandises. J'aimerais citer également le projet d'aménagement de la plateforme multimodale de Pagny dont des aménageurs locaux seraient chargés d'achever la darse fluviale et d'envisager l'embranchement ferroviaire pour la rendre complètement multimodale. Nous aurons dans cette partie Nord, au bout de l'axe Rhône-Saône, une plateforme qui permettra de développer les activités intermodales et, peut-être, de redistribuer des marchandises sur les différentes régions voisines.

Ma conviction est que cette politique de rééquilibrage et de meilleure utilisation des infrastructures ferroviaires, sans oublier le fluvial qui a aussi sa part à jouer, ne pourra pas réussir si nous n'avons pas, comme je l'ai déjà dit, une mobilisation très forte de l'entreprise ferroviaire SNCF, mais aussi une collaboration de la SNCF avec sa voisine, la Deutsche Bahn (DB), et ce n'est pas la chose la plus facile. Ces deux entreprises ferroviaires n'ont pas l'habitude de coopérer ; elles sont toutes deux très puissantes, mais n'ont pas une culture commune très forte, or le trafic international franco-allemand ne peut pas se développer si cette collaboration entre les deux entreprises fait défaut.

Vous savez qu'un corridor de fret a été réalisé sur l'axe Nord-Sud, la Belgique, le Luxembourg, la France vers le Sud. L'idée sur laquelle il faut insister serait qu'en plus du corridor Nord-Sud, il faudrait un vrai corridor qui irait vers l'Allemagne, par l'axe Saône-Rhin, ce qui nécessite une collaboration entre la DB et la SNCF. Nous devons tous inciter la SNCF, nos collègues et nos partenaires politiques ou administratifs allemands, pour qu'eux-mêmes engagent vivement la DB vers ce rapprochement.

L'avenir du ferroviaire, en Europe, passe en grande partie par la capacité de ces deux entreprises à s'entendre. Pour ma part, je compte utiliser le TGV Est pour cela. Les Allemands sont très intéressés par cette utilisation du TGV Est par leur propre développement. Ce sera du donnant-donnant. Il faudra que la collaboration entre les deux entreprises s'élargisse au delà du TGV Est, à l'ensemble de nos réseaux communs, au-delà de la liaison parisienne. La liaison Allemagne-Espagne nous intéresse beaucoup sur le plan ferroviaire. Il faut que les Allemands acceptent de collaborer et l'objectif serait de réaliser un corridor de fret ferroviaire c'est-à-dire une entente entre les entreprises ferroviaires, pour accélérer le rythme des trains et offrir un service international de bonne qualité. C'est la première conclusion pour la réussite de cette politique.

La deuxième conclusion, c'est que nous ne réussirons pas cette politique de rééquilibrage si nous continuons à laisser les trafics routiers se développer en toute liberté, non pas que j'ai dans l'idée de restreindre la liberté qui relève des principes de l'Union européenne - le cabotage est libre, les Espagnols roulent sur nos routes sans difficultés et elles leur sont ouvertes - mais parce qu'il nous faut réguler le transport routier, les conditions dans lesquelles il est exercé, avec les questions d'harmonisation de la durée du travail, d'harmonisation fiscale, le terme barbare « d'internalisation des coûts » c'est-à-dire, pour parler clairement, du véritable coût de la route. Si ce sujet du coût de la route ne connaît pas d'évolution, à la fois dans le sens d'une harmonisation européenne et dans le sens d'une augmentation juste et raisonnable de ces coûts, nous n'y arriverons pas. Il faut vraiment travailler sur les deux leviers, améliorer le ferroviaire à la fois en capacité d'infrastructures mais surtout en qualité de service et, dans le même temps, faire accepter l'urgence d'une harmonisation sociale du transport routier et une meilleure prise en compte de ses coûts réels.

J'étais hier, pour terminer sur une anecdote, non pas sur cet axe, mais plus au Nord, vers la Lorraine, pour effectuer un contrôle routier, ce que je fais régulièrement. C'est tout à fait édifiant, car cela permet de se rendre compte de la réalité, de ce qui se passe sur nos routes. Nous avons arrêté un Espagnol, comme nous le faisons régulièrement quoique pas plus que les autres. Je vous assure que ce que nous découvrons dans les pratiques des transporteurs routiers espagnols, est parfois inquiétant. Ceci pose des problèmes dans nos relations avec ce pays voisin et ami. J'ai beaucoup de contacts avec mes homologues. Ils nous reprochent quelquefois de mener une sorte de politique anti-espagnole et je les invite à venir sur nos routes arrêter les véhicules français, italiens, allemands et espagnols ; ainsi ils verront eux-mêmes cette réalité difficile, dérangeante, d'un trafic routier espagnol qui s'est accoutumé à des taux d'infractions élevés. Si nous n'arrivons pas, ensemble, à lutter de manière formelle, rigoureuse, ferme, volontariste contre ces dérapages, nous pourrons mener toutes les politiques que nous voudrons au niveau du ferroviaire, la route continuera à triompher.

M. le Président : Merci pour cet exposé très intéressant.

M. Jacques PELISSARD : Nous avons tous noté, c'est une réalité, que le réseau ferré sur le tracé Rhin-Rhône n'a pas son utilisation optimale. Le ministère de l'équipement mène t-il une réflexion pour, dans une période au moins transitoire, améliorer les transports de personnes et de marchandises, et passer à la technique du pendulaire ? Nous avons une voie ferrée Lyon-Strasbourg qui est électrifiée depuis quelques années. Les départements, la région, les communes ont participé à l'électrification. L'utilisation de trains pendulaires sur ce tracé peut-elle être envisagée ?

Deuxième question : j'ai beaucoup apprécié ce que vous disiez, le TGV Rhin-Rhône n'aura pas de sens s'il n'est pas conçu dans sa globalité, y compris sa branche Sud ; par rapport au TGV Est qui est une réalité, ne doit-on pas privilégier précisément la liaison Rhin-Rhône dans sa branche Sud, par rapport à sa branche Est ?

M. André VAUCHEZ : C'est intéressant d'entendre ce genre d'analyse prospective. Nous regrettons tous, ici, que les grands schémas se fassent dans les bureaux. En ce qui concerne le problème du fret, nous vous rejoignons pleinement, moi en particulier. L'axe Nord-Sud ferroviaire, le plus court existant, c'est la Franche-Comté. Or, vous avez dit que la SNCF avait abandonné cette voie et même une partie d'une voie. Heureusement, elle est électrifiée. Aujourd'hui, il faut s'interroger sur la façon dont nous pouvons l'utiliser car elle débloquerait systématiquement ce qui se passe autour de Dijon. Et lorsque nous voyons les schémas faits par je ne sais qui, selon lequel le trafic ferroviaire de l'Alsace monte par la Lorraine, repart du côté de la Sarre et redescend sur l'Alsace, « on marche sur la tête ».

Deuxième point, nous avons apprécié l'analyse que vous avez faite sur la création des voies nouvelles, c'est vrai qu'il faut avoir une vue globale, le TGV ne peut pas être pris seul, il y a le module transports et le module voyageurs et, sur ce point précis, nous devons aboutir à un aménagement du territoire réfléchi et accepté par tous. Nous pouvons faire accepter à certains des équipements, à condition que ce soit l'intérêt général. Par contre, je m'interroge sur ce que va donner demain le maillage TGV Est-TGV Rhin-Rhône avec la branche Paris pour l'Alsace, c'est-à-dire Mulhouse-Strasbourg-Paris. Comment cela va-t-il s'articuler ? Allons-nous toujours privilégier Mulhouse-Paris ou Mulhouse-Strasbourg-Paris ?

M. André GODIN : Monsieur le directeur, vous avez évoqué la nécessité d'une réflexion au sujet de la coexistence des voyageurs et du fret. Les personnes que nous avons auditionnées jusqu'à présent ont toutes défendu la nécessité d'avoir des sillons spécifiques pour le fret et pour les voyageurs, car il semblait que la SNCF avait privilégié les voyageurs et qu'à partir de là, le fret passait en second, mais l'argumentation de la SNCF était de dire : « Nous n'avons pas suffisamment de capacité sur une seule voie ». Y a-t-il, dans votre esprit, la nécessité d'avoir des sillons différents ? Pour nous élus de la région Rhône-Alpes, il est plus important d'avoir cette liaison Rhin-Rhône qu'Est-Ouest car le branchement avec l'Espagne et l'Allemagne doit passer dans ce sillon alpin et que les développements se feront sur cette ligne.

M. le Président : L'une des raisons de la construction de la ligne nouvelle du TGV Rhin-Rhône, entre Besançon et Mulhouse, c'était la volonté de dégager la ligne de la vallée du Doubs pour faire passer du fret.

M. André SCHNEIDER : Etant Député du Bas-Rhin, Monsieur, je suis courroucé car, pas une seule fois, vous n'avez prononcé le mot Alsace. Je remercie mon collègue de l'avoir fait, lui, trois fois. Nous avons l'habitude : cela fait trente ans, quels que soient les gouvernants, que nous sommes en tête de peloton pour ce qui est de la fiscalité par tête d'habitant et en queue de peloton pour ce qui est de l'investissement en matière d'aménagement du territoire, c'est incontestable, ce n'est pas un propos politicien mais un propos de politique générale qui s'adresse à tous les gouvernements quels qu'ils soient. Vous avez balayé d'un revers de main le canal Rhin-Rhône en disant : « J'ai noté qu'évidemment les besoins n'étaient pas analysés, que c'était simplement une question de maillage ». C'est faire peu de cas des élus régionaux et d'ailleurs transrégionaux qui ont travaillé sur ce dossier pendant des années.

M. le Président : Nous ne refaisons pas le débat.

M. André SCHNEIDER : J'ai une observation à faire à ce sujet. Concernant le TGV, vous vous êtes arrêté en Lorraine et vous avez parlé de la jonction sur Mannheim et Francfort, et vers le Sud sur Mulhouse, merci à mon collègue d'avoir posé la question : quid de Strasbourg ? A une époque où l'on parle beaucoup de Strasbourg, et on en parlera beaucoup dans les semaines qui viennent, je ne l'ai pas entendu mentionner une seule fois ce matin. Quid de Strasbourg dans tout cela ? Le Rhin-Rhône, Nord-Sud et Est-Ouest sur le TGV.

L'autoroute, avez-vous dit, est parfaite. Je voudrais bien que vous me montriez l'autoroute qui va de Strasbourg à Mulhouse, si ce n'est de l'autre côté du Rhin. Encore une fois, on passe en dehors de l'Alsace. Je dis quid de l'Alsace dans l'ensemble de votre schéma.

M. le Président : J'ai apprécié vos analyses et entre autres celle sur la problématique consistant à construire des autoroutes pour faire passer les camions espagnols et à être de ce fait une terre de transit. Beaucoup de choses ont été dites, mais une réflexion m'inquiète un peu, vous dites que nous n'avons pas une connaissance précise des flux en termes de transport, de marchés et de passagers, et effectivement, nous devrions l'avoir. Vous avez raison de le dire, car il est inquiétant que personne n'ait pensé à faire ces analyses précises et que nous n'ayons seulement, pour l'instant, que les chiffres de la SNCF.

Ne serait-il pas envisageable de faire une analyse indépendante, un audit. J'ai une grande confiance dans l'entreprise nationale même si je constate que très souvent les remarques la concernant convergent. Cependant, je considère que ce n'est pas à la SNCF de faire ce type d'analyse. Il faudrait que nous ayons une analyse indépendante, un audit effectué par un cabinet qui ne serait peut-être pas le cabinet NEA, qui avait fait les études sur le canal, mais qui puisse nous permettre d'avoir une vision plus précise des problèmes. Vous avez dit aussi que le TGV devait avoir une vision globale, et il est vrai qu'il y a un problème Mulhouse-Paris, je dirai même sur toute l'Alsace, tout le bas de l'Alsace vers Paris, et également en ce qui concerne la branche Sud, la desserte et de l'irrigation du Jura. Permettez à l'élu bisontin de poser une question, comment voyez-vous la desserte d'une capitale régionale forte, Besançon, dans le cas du TGV Rhin-Rhône ?

M. Hubert du MESNIL : Je voudrais tout d'abord exprimer ma sympathie envers l'Alsace. J'ai le sentiment que le TGV Est répondait tout de même à une aspiration alsacienne. C'est une question de définition. En ce qui concerne l'axe Rhin-Rhône, je n'ai pas prolongé le long du Rhin, je me suis arrêté peut-être un peu trop vite en arrivant au Rhin, c'est-à-dire à Mulhouse, pensant que nous arrivions au bout de cet axe. Nous aurions pu, effectivement, prolonger pour traiter, plus scientifiquement, le problème alsacien, c'est une lacune de ma part.

Pour reprendre certaines des questions et ce que vous venez de dire concernant un certain manque de connaissances des échanges économiques actuels et futurs le long de cet axe, ce n'est pas une critique que j'adresse aux élus qui ont agi pour la réalisation du canal, mais une critique que j'adresse aux services de l'État, car ce ne sont pas les élus qui doivent faire des études de trafic, ce sont les services compétents. Cette critique, je l'adresse à nous-mêmes et je reconnais que les services de l'État, notamment ceux de l'équipement, ont tardé à avoir une approche globale et multimodale des problèmes de trafic de marchandises. Nous avions un peu, dans notre culture, une vision technique sur les questions d'infrastructure et, lorsque l'on réalisait une voie ferrée, on ne s'occupait pas de la route, alors que nous sommes en train d'apprendre que le problème n'est pas d'abord de se polariser sur tel ou tel ouvrage, mais de comprendre quels sont les besoins économiques de flux de marchandises et les perspectives de développement. Ce n'est qu'à partir de cette connaissance, aussi approfondie que possible, que l'on doit regarder comment il est possible d'utiliser ces différents modes pour répondre aux besoins. Dans le passé, nous avons manqué de cette vision intermodale et cela s'est traduit par le fait que, dans l'histoire du canal Rhin-Rhône, il y a eu des polémiques sur la qualité des études économiques présentées par les uns et les autres, notamment parce que les services de l'État n'avaient pas, eux-mêmes, construit leur propre vision globale et intermodale des choses. Nous étions donc à la merci de tel ou tel bureau d'études dont la vision n'était peut-être pas complètement objective. Pour l'avenir, il nous faut faire cet effort. Vous avez dit tout à l'heure que nous devions rattraper ce retard, il a donc été décidé de consacrer des moyens d'études importants coordonnés au niveau interrégional par le Préfet de région Franche-Comté pour animer en même temps une discussion avec tous les services concernés afin d'obtenir cette vision globale intermodale des flux impliqués par l'ensemble de cet axe.

Nous attendons les résultats de ces études dans le milieu de l'année 1999 et nous aurons à communiquer, à donner les résultats et à entretenir des débats ou des discussions à leur propos.

En ce qui concerne la question du train pendulaire, qui est un sujet nouveau en France, la SNCF n'ayant pas intégré cette technique dans son portefeuille de moyens ferroviaires, nous savons qu'un certain nombres d'expérimentations sont réalisées pour voir quelles sont les réponses que le pendulaire peut apporter. Cet axe-là et les axes transversaux font partie des axes sur lesquels le pendulaire peut apporter une réponse. Nous avons simplement demandé à la SNCF de faire une étude sur une meilleure valorisation des lignes existantes dans cette région « fret et voyageurs », car nous devrons attendre quelques années avant que les TGV soient faits. Étant donné que nous ne pouvons pas vivre que d'espoir, il y a des choses immédiates et simples à faire, il faut les faire.

Dans l'immédiat, que pouvons-nous faire pour que les trains arrivent plus vite, répondent mieux à la demande des voyageurs et des marchandises, afin de tirer un meilleur parti de cette infrastructure ? Nous avons fait part de cette réflexion à la SNCF. Le pendulaire sera-t-il un des éléments qui apporteront une solution ? Il faut observer les limites du pendulaire qui nécessite, pour apporter un avantage en termes de temps, que nous ayons du matériel adapté et qu'il puisse fonctionner le plus possible à sa vitesse maximale, c'est-à-dire au moins à 160 km/h, voire 200 ; or pour rouler à cette vitesse, il y a des dépenses d'investissement, d'infrastructure importantes, car on ne peut pas rouler à 160 lors de la traversée de passages à niveaux. Il faut les supprimer, résoudre un certain nombre de problèmes d'infrastructure qui font que la facture ne correspond pas uniquement au changement de train, il faut également dépenser de l'argent pour la voie. Il faut évaluer l'avantage des minutes gagnées par le pendulaire par rapport aux coûts d'investissement qui ne sont pas négligeables. C'est cette comparaison qui donnera la réponse pour savoir si cela en vaut la peine ou non.

M. le Président : Est-il juste que ce soit uniquement la SNCF qui fasse ce type d'étude ?

M. Hubert du MESNIL : Non, maintenant c'est RFF qui est notre partenaire. Ils sont au moins deux, car s'il faut modifier la voie, c'est à RFF de le faire. L'autre solution c'est de considérer que ces sujets intéressent tout le monde et pas uniquement les transporteurs ferroviaires, mais aussi les collectivités territoriales et les régions qui sont de plus en plus impliquées en matière ferroviaire.

Sur le Paris-Toulouse, nous avons constitué un Comité interrégional qui groupe les trois régions traversées et participe et finance des études dans lesquelles la SNCF et RFF sont impliquées, et où il possible de faire appel à des intervenants extérieurs. De plus en plus, en matière ferroviaire, nous avons besoin d'une expertise complémentaire renouvelée ayant une vision plus large, non pas que nous mettions en doute la compétence de la SNCF, qui est réelle, mais comme le dit le Président de RFF, la mono-expertise, la mono-connaissance ou la mono-science ne sont jamais satisfaisantes pour l'esprit. La contradiction, le débat enrichissent la connaissance de tous et ce n'est pas uniquement vrai en ce qui concerne le ferroviaire.

Sur la partie branche Sud-branche Est du TGV Rhin-Rhône, jusqu'à présent dans le schéma directeur cette branche était en pointillé. Nous avons une vision prioritairement nationale, donc orientée vers Paris, et, sur le plan des marchandises, cela veut dire que nous n'avons pas accordé au transit Espagne-Allemagne un intérêt très soutenu car nous avons une vision insuffisamment internationale.

Bien entendu, ce n'est pas vrai pour l'Alsace, car ce sont les régions frontalières qui nous apprennent l'ouverture internationale. Première conséquence, autant la branche Est a avancé, autant la branche Sud était en pointillé, et, deuxième conséquence, sur l'exploitation du réseau de ces régions Franche-Comté et Alsace, il faut reconnaître que la SNCF en particulier, mais aussi les pouvoirs publics, n'y ont pas apporté assez d'intérêt. Si les élus locaux n'avaient pas insisté, les aménagements n'auraient peut-être pas été effectués. C'est un élément de notre histoire, de notre culture, d'avoir tardé à découvrir cette vision européenne des réseaux. Maintenant, cette prise de conscience existe vraiment, mais il ne suffit pas de dire que les réseaux doivent être vus à cette échelle européenne, il faut le concrétiser, et faire rattraper le retard de la branche Sud. Il m'appartient de faire en sorte que la connaissance que nous avons, les études que nous avons faites et les procédures de concertation sur le tracé permettent aux responsables politiques d'assumer leurs choix sur ces priorités. Si nous n'avons pas d'études sur la branche Sud, il est évident que les responsables politiques auront des difficultés à décider quoi que ce soit. Notre responsabilité technique est de leur donner des éléments d'analyses et de propositions. Il me semble que notre conscience européenne évolue et que, de ce fait, l'intérêt pour l'axe Nord-Sud traversant la région Rhin-Rhône est en train de grandir par rapport à ce qu'il était dans le passé.

Vous dites que nous avons un peu délaissé cette région Franche-Comté plus je crois que la région Alsace, mais j'estime qu'aujourd'hui, les consciences évoluent à propos de l'importance de cet axe.

Sur le TGV Est européen, vous connaissez la décision, cela ira bien jusqu'à Strasbourg, et c'est tout de même une sacrée décision qui a été prise !

J'ai été très impliqué dans le TGV Est depuis quatre ans, l'une de mes premières actions a été de présenter la déclaration d'utilité publique du TGV Est au Conseil d'État et lorsque j'ai dû m'engager dans ce projet, qui est une énorme affaire, je ne suis pas certain que l'on ait bien réalisé ce que représentait le lancement TGV Est. Ceci est fait. L'Alsace aura le choix, elle aura à la fois Strasbourg et Mulhouse, elle aura deux TGV.

M. André SCHNEIDER : Ce n'est pas antinomique.

M. Hubert du MESNIL : Je n'ai pas le sentiment que vous êtes oublié. Comment la répartition se fera-t-elle entre Strasbourg et Mulhouse ? Je n'ai ni les données ni les réponses. Cela va complètement modifier les structures de dessertes régionales et interrégionales, et changer très profondément le système des relations entre le Nord et le Sud de l'Alsace, la Franche-Comté et la Suisse.

A propos des sillons spécifiques et des problèmes de capacité, je vais faire un clin d'_il à mes amis de la SNCF : ils disent très vite qu'ils ont des problèmes de capacité, or, je ne comprend pas très bien car il y a quelques années, il n'y avait pas plus de voies ferrées qu'actuellement et il y avait plus de trains qui circulaient.

Pourtant, nous avons davantage de systèmes de contrôle de vitesse, de signalisation informatique il y a, donc, un problème. Pour quelles raisons y a-t-il des problèmes de capacité alors que le trafic a diminué ?

Certes, il y a des problèmes de capacité que nous avons tardé à prendre en compte. Il y des n_uds où cela coince. Il y a quelques difficultés dans la région parisienne, c'est évident, ceux que j'évoquais auparavant. De là à dire que nous manquons de place pour faire passer les trains, je ne peux pas globalement le croire. Ce n'est pas le problème numéro un. Le problème numéro un, c'est que les trains de fret ne passent pas assez rapidement et avec une régularité et une fiabilité suffisantes. Ce qui dégrade cela, c'est ce que la SNCF appelle les « situations perturbées », c'est-à-dire qu'il suffit que se produise un petit incident, pour que le train de fret soit mis de côté et, dans ce cas, on ne sait plus le rechercher rapidement pour le remettre en service.

C'est là où la réponse des sillons spécifiques peut être intéressante. Ceci dit, nous n'allons pas avoir deux réseaux en France, le réseau exclusivement réservé aux voyageurs et celui réservé au fret. Il y a sans doute des voies qu'il est intéressant de réserver au fret, c'est le cas sur cet axe, car lorsqu'il y a deux voies disponibles, on peut en réserver une au fret. Lorsqu'il y a des voies mixtes, il est utile de réserver quelques sillons au fret, d'avoir des sillons spécifiques, mais je ne crois pas que ce sera la réponse absolue et qu'il faille attendre cela pour faire passer du fret. Il est possible, dans bon nombre d'endroits, de faire passer des voyageurs et du fret, mais il faut s'organiser pour que, lorsque qu'il y a un incident, le train de fret ne soit pas oublié, lorsqu'il y a une grève, l'on évite d'accumuler les trains de fret dans un triage et que le dommage provoqué à l'ensemble du réseau soit disproportionné par rapport à l'origine du conflit.

Voilà les quelques éléments de réponse que j'ai essayé de vous apporter.

M. André VAUCHEZ : Vous n'avez pas répondu à ma question sur la desserte de Besançon ?

M. le Président : Le Préfet de région aura l'occasion de faire le point, en milieu d'année 1999, sur l'ensemble des études qui ont été menées, pour présenter cette vision globale de l'ensemble des flux concernés par cet axe-là. Il s'agit d'expliquer franchement d'où viennent les marchandises, où elles vont, par où elles passent et comment nous pensons que cela va évoluer dans l'avenir. En ce qui concerne la desserte de Besançon, je n'ai pas de réponse, ni d'a priori sur cette question, et j'aurais tendance à dire que nous avons installé un comité de pilotage qui réunit, au niveau de la région concernée, les élus, la SNCF et RFF. Ce sont eux qui sont les plus compétents pour nous répondre.

M. le Président : Quelle est votre vision par rapport à ce qu'on appelle les « gares garrigues » ?

M. Hubert du MESNIL : Je fais partie de ceux qui ont appuyé pour que la conception du TGV pure et dure qui était la conception initiale, évolue vers celle d'un TGV intégré dans un réseau, ce qui veut dire que le TGV doit pouvoir passer par une gare existante, se croiser avec un TER, et non pas être dans une espèce de site propre, réservé, exclusif de toute autre solution.

J'ai une préférence pour les traversées des villes et, pour reprendre l'exemple des villes, je verrais bien des TGV qui traverseraient la ville et des trains de fret qui en feraient le tour, ce serait plus normal que l'inverse, or dans le schéma initial, c'était plutôt le contraire. Il ne faut pas être excessif et passer d'un point de vue à un autre, il y a un certain nombre d'endroits où une gare TGV, desservie par la route dans la nature, peut répondre à un certain nombre de besoins. Il y a des cas où, faire passer les TGV dans une ville, provoque des ralentissements tels que cela perturbe l'ensemble de l'axe TGV. Il ne faut plus se dire que le TGV ne peut s'arrêter que dans une gare « betteraves » et dans la mesure du possible, il est souhaitable que les TGV passent dans les villes, mais il ne faut pas exclure, lorsque cela est nécessaire, de s'arrêter en périphérie. Par contre, du côté de Besançon, la question me paraît très ouverte.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de Mme Annie CHANUT,
Présidente de la Chambre de commerce et d'industrie Nord-Isère,

MM. Jacques ESTOUR et Claude CHARDON,
respectivement Président et Directeur de l'Office interconsulaire
des transports et des communications du Sud-Est,

Pierre ALLOIN,
Président de la Chambre de commerce
et d'industrie de Villefranche et du Beaujolais,

Pierre BITOUZET et Guy BRUN,
respectivement Vice-Président délégué et Président de la commission développement économique de la Chambre de commerce et d'industrie de Lyon

(extrait du procès-verbal de la séance du vendredi 5 mars 1999 à Lyon)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. Jacques ESTOUR : Nous avons réuni aujourd'hui les principaux responsables des Chambres de commerce concernées par ces questions, la Chambre de commerce de Lyon, la Chambre de commerce Nord-Isère, la Chambre de commerce de la Drôme et la Chambre de commerce de Villefranche. M. Chardon est le responsable administratif de l'office des transports du grand Sud-Est, office interrégional qui couvre à la fois les régions PACA (dans l'office des transports, c'est PACAC), Rhône-Alpes, Auvergne et Bourgogne. C'est au sein de cet office que l'on réfléchit à tous les problèmes de transport intéressant nos entreprises, personnels comme marchandises.

Nous avons préparé un dossier dans lequel sont résumés nos axes de réflexion, mais le dialogue permettra de répondre de façon plus concrète aux préoccupations qui sont les vôtres.

M. le Président : Monsieur le président, je sais gré, au nom de notre délégation et en mon nom personnel, de votre accueil. Nous vous remercions de nous permettre de commencer cette mission à Lyon en rencontrant des personnalités particulièrement qualifiées pour répondre à nos préoccupations. A titre personnel, je me retrouve ici avec plaisir parce que je suis un pur Rhodanien. Né dans la Drôme à Montélimar, j'ai passé toute ma jeunesse à Lyon. Si je vous parle ainsi de moi, c'est simplement pour vous dire que je suis Rhodanien par le c_ur et par mon histoire et très sensible aux problèmes que nous allons évoquer.

La mission d'information porte un titre quelque peu compliqué : mission d'information commune sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône. La perspective est lourde : elle répond au souci que nous avons eu, représentants de la nation, lorsque le Gouvernement s'est mis en place et que M. Lionel Jospin a tenu la promesse qu'il avait faite, fâcheuse à mes yeux, heureuse à d'autres, d'abandonner le projet du canal Rhin-Rhône. Plutôt que de protester, nous avons souhaité que la représentation nationale, tous groupes confondus, désigne une mission d'information qui étudie comment non pas préconiser une solution qui soit une alternative au canal, mais interpeller le Gouvernement, à l'orée des décisions sur les contrats de plan et les schémas régionaux d'aménagement du territoire et au niveau européen sur les fonds structurels. De l'Alsace à la Provence-Alpes-Côte d'Azur, il importe que nous nous rapprochions pour demander à la Nation de consentir un effort de solidarité et de bonne gestion de son territoire dans une idée très globale d'aménagement du territoire européen. Plutôt que d'avoir un aménagement du territoire qui continue à se construire en étoile autour de Paris, et pour prendre en compte l'intérêt que nous portons au développement des relations directes entre le nord de l'Italie et l'Allemagne, par la Suisse et l'Autriche, et qui tout naturellement nous inquiètent tous - Alsaciens, Franc-Comtois, Rhônalpins, Provençaux - nous souhaitons que la mission étudie toutes les possibilités de développement économique de cet axe européen Rhin-Rhône et donc d'infrastructures, qui doivent être décidées maintenant car elles représentent souvent des coûts fort importants à long terme.

Je souhaitais vous expliquer le cadre de notre travail et vous indiquer notre volonté de parler haut et fort, lorsque nous remettrons notre rapport, pour que le Gouvernement nous entende.

M. Jacques ESTOUR : Nous sommes bien au c_ur des sujets qui vous préoccupent. Nous sommes de très anciens défenseurs du couloir Rhin-Rhône. Si les Chambres de commerce sont à hauteur de 16 % dans le capital de la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), ce n'est pas par hasard. Effectivement, nous étions persuadés que le canal n'était pas uniquement un vecteur de transport par une péniche de 100 à 2 000 tonnes d'un point à un autre, mais qu'il était aussi un des éléments structurants d'un grand axe européen, qui devait doubler la fameuse banane bleue, toute cette Europe du Nord vers la Méditerranée (via la Savoie et l'Italie), qui est un des axes futurs du développement économique et démographique dans cette partie du continent. Il y avait le canal Rhin-Rhône, pour le transport fluvial. Comme vous le savez, avec la CNR, on a géré l'irrigation, les équipements hydrauliques etc. Et nous entendions en tant qu'actionnaires, comme tout gestionnaire de société, poursuivre avec les moyens dont nous disposions l'achèvement de cet équipement. L'abandon du canal Rhin-Rhône a suscité le regret unanime des Chambres de commerce. C'est une décision politique. Nous ne pouvons que nous incliner, tout en étant toujours de ceux qui se disent que si l'on ne veut pas passer par l'Alsace, et je le regrette pour M. Schneider, peut-être un jour faudra-t-il passer par la Moselle, car peut-on abandonner une liaison entre l'Europe du Nord et la Méditerranée ?

On n'a pas le droit de laisser transférer non seulement le transport mais l'économie, au sens large du terme, la culture et tout ce qui va avec, vers cet axe centre-européen, qui offre une ou deux voies que l'on connaît bien aujourd'hui, qui est en train de s'équiper lourdement en équipements de communication, connaît une démographie forte et possède une économie forte. Ce serait un appauvrissement non seulement pour nos régions, mais pour tout l'Ouest de notre continent ; en effet la façade atlantique a besoin d'un axe Rhin-Rhône fort pour pouvoir communiquer avec le reste de l'Europe. Votre mission, si elle peut être entendue, a un rôle très important à jouer.

Participant moi-même au Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire (CNADT) et au Conseil national des transports (CNT), j'essaie de faire entendre ces messages. Mais ce n'est pas toujours facile. Il n'en reste pas moins une certitude aujourd'hui : l'abandon du canal, quelle qu'en soit la cause, est une décision lourde pour les raisons que je viens d'évoquer et par rapport à ce qui avait déjà été entrepris. En effet, il n'y a pas que la partie du Rhône lui-même, dont nous reparlerons au cours de cet entretien, qui est concernée, tout au moins dans son utilisation future. Il faut penser aussi à tous ceux qui sont ici, ou à leurs prédécesseurs, qui ont investi lourdement pour équiper cette voie fluviale. Qu'il s'agisse de collectivités ou de Chambres de commerce, ce sont des centaines de millions qui ont été mis sur l'environnement du fleuve pour préparer l'arrivée du canal Rhin-Rhône. Quand, du jour au lendemain, on nous enlève l'espoir, que l'on ne reste pas sur une ligne politique continue, on constate les résultats de la gestion de nos ports, qui commencent à poser des problèmes et l'on se dit qu'il faut absolument que cet axe Rhin-Rhône soit défendu.

Rhin-Rhône est abandonné en tant que canal, mais il ne faut pas pour autant abandonner la liaison Rhin-Rhône ; il reste un certain nombre d'aménagements structurants à poursuivre. Nous sommes à une date importante de ce point de vue et votre influence peut être très grande. En effet, il y a - c'est le premier point - la décision sur la fameuse « rente » du Rhône. Je sais bien que l'on peut diverger sur sa valeur, mais nous avons construit les barrages - je dis « nous » parce que nous sommes actionnaires - et nous n'avons aucune raison de faire des cadeaux royaux à des compagnies nationales qui détournent cette rente pour en faire autre chose. Le débat sur l'utilisation de cette rente est un débat dans lequel le retour vers la région qui a produit cette richesse doit être incorporé. On n'a pas le droit de dire que l'on va prendre cet argent pour équilibrer telle part du budget national sans qu'il y ait un retour sur notre région.

Deuxième point, les contrats de plan se préparent actuellement. On passe aux contrats à sept ans pour se calquer sur les échéances européennes. Dans ce contrat de plan, le volet fluvial est un volet de misère, si l'on en croit les premiers projets que l'on voit circuler. Nous aimerions qu'en ce qui concerne l'exploitation du fluvial existant, parce que le canal Rhin-Rhône est abandonné, on n'abandonne pas tout le fleuve. Il faut que les péniches puissent continuer à circuler. Il ne faut pas que le Rhône s'envase alors que, tous les ans, on perd vingt centimètres de hauteur de tirant d'eau.

Le troisième point, ce sont les fonds structurels liés indirectement aux contrats de plan. L'Europe réfléchit à nouveau à ces fonds structurels et a donné un certain nombre de priorités quant à ses interventions. Il y a, là aussi, un lien à entretenir.

Le quatrième point, ce sont les fameux schémas de service. On sait bien qu'il y a aujourd'hui des religions dominantes quant à l'économie des transports. Il n'empêche qu'il y a des besoins à satisfaire, tant pour les voyageurs que pour les marchandises. Il faut mettre en face des moyens. Nous souhaitons la transparence de l'organisation de ces moyens. On n'a pas le droit de faire des investissements, sans dire ce qu'ils coûtent, ce qu'ils rapportent. Que les politiques puissent faire des choix en toute connaissance de cause, au moins sur quelque chose de transparent ! Dans ce domaine, vous avez vu les quatre prospectives A, B, C et D qui ont été faites sur les évolutions des transports de voyageurs comme de marchandises sur les quinze ans à venir et qui devraient permettre des décisions politiques orientant l'utilisation de différents modes de transport. Tout le monde doit avoir sa place. Les autorités consulaires sont les défenseurs de la multimodalité. Même dans l'hypothèse D, on reste à plus de 80 % de transport routier ; on n'a donc pas le droit de le négliger et de supprimer les investissements. Il y a, bien sûr, la place pour le ferré mais il ne peut pas tout faire. Il y a également la place pour le fluvial et pour les autres moyens de transport, notamment l'aérien. Dans ces schémas de service, nous aimerions que, dans le Sud-Est, des décisions soient prises qui permettent au moins la vie. Il existe actuellement des points de rupture sur le plan fluvial. Il en existe aussi sur le plan ferré ; les derniers plans d'investissement présentés par M. Gayssot proposent d'en faire sauter quatre, ce qui n'est pas négligeable : ceux de Lyon, Montpellier, Nîmes, Lyon-Turin et de prendre en compte l'axe alpin Genève-Valence. Ce sont des axes qui, sur le plan ferroviaire, sont très importants. Il existe aussi des bouchons routiers. On ne peut pas laisser dire, avec de faux discours, que l'autoroute de Gap désengorgera la vallée du Rhône. C'est peut-être vrai sur le plan touristique l'été, mais on sait très bien que tel n'est pas le cas toute l'année. Le trafic étant essentiellement régional, il faudra bien traiter ce bouchon en acceptant la création d'une deuxième infrastructure autoroutière, l'autoroute A 79.

Voilà donc ce qu'il en est de tous les moyens de transport dans notre région et, de ce point de vue, les schémas de service ont un rôle important à jouer. Votre mission étant plus générale, nous espérons qu'elle pourra avoir quelque influence pour que, dans ce grand axe Rhin-Rhône, et en conséquence dans la région, des décisions soient prises qui, hors des guerres de religions, permettent de satisfaire la réalité de l'économie ; car l'économie, il ne faut pas s'y tromper, si elle n'a pas les outils nécessaires à son développement, va ailleurs.

M. Pierre ALLOIN : Ou elle piétine.

M. Jacques ESTOUR : Mes collègues ont, chacun dans leur domaine, des applications concrètes de ces grandes perspectives que je viens de tracer à vous présenter.

M. le Rapporteur : Nous n'allons pas rouvrir le débat sur le canal, d'autant qu'ici, je serais particulièrement mal à l'aise. L'intérêt est de voir comment, dès lors que la décision a été prise, nous pouvons, ensemble - provençaux, rhônalpins, francs-comtois et alsaciens - faire des propositions qui aillent dans le sens de l'intérêt général et renforcent l'axe européen Rhin-Rhône. Le point sur lequel nous sommes d'accord, c'est la nécessité de maintenir cet axe Rhin-Rhône. Il ne sera pas fluvial. Mais vous avez parlé d'éléments structurants. C'est là-dessus, avec des exemples concrets, que je souhaiterais que vous développiez quelques solutions.

Mme Annie CHANUT : M. Jacques Estour a déjà bien brossé le problème de l'aval. Avec mon collègue Pierre Allouin, nous ne sommes pas tout à fait sur la même longueur d'onde puisqu'il a, pour sa part, la chance - ou la malchance - d'être en amont de Lyon, sur la Saône. Nous, en ce qui concerne le fluvial, nous sommes déjà sur le Rhône et avons peut-être d'autres possibilités de développement, du moins l'espérons-nous, puisque nous avons le dernier grand port avant Lyon, ce qui devrait permettre, si les moyens financiers nous en sont donnés (ainsi qu'à Valence d'ailleurs) de prendre un certain nombre de dispositions supplémentaires pour désengorger cette vallée du Rhône. La Chambre de Nord-Isère a fait de très lourds investissements par rapport à la faiblesse de ses moyens, parce que nous croyions très fort au canal à grand gabarit. Notre port est très jeune, il a une quinzaine d'années, et il est très bien structuré. Nous espérons donc en un avenir meilleur. Pierre Allouin vous dira peut-être des choses différentes en ce qui concerne la Saône, car il y a là un bouchon inextricable que l'on ne réussira pas à faire sauter. Après le fluvial, le second point sur lequel nous attirons votre attention, est celui des engorgements routiers, qui sont absolument dramatiques. Peut-être un jour une autoroute redescendra-t-elle qui débouchera quelque part dans le département de l'Isère, sur Grenoble alors que l'autoroute A 51, pour le moment, est complètement arrêtée. Ce sont, à nouveau, de gros problèmes de circulation qui s'annoncent. Vous connaissez tous notre région. C'est une région parfaitement asphyxiée. Je suis une habitante de Rhône-Alpes depuis extrêmement longtemps et sur le plan de la qualité de la vie - ce n'est pas à vous, monsieur Fousseret, qui, si j'ai bien compris, êtes pour l'environnement naturel...

M. le Rapporteur : Vous avez mal compris. Je suis pour l'environnement, mais pour le développement économique également. Si j'étais un opposant au canal, c'est que je pense que, justement, il n'allait pas régler ces problèmes. Mais c'est un autre débat. Je ne suis pas un écolo pur et dur.

Mme Annie CHANUT : Je le regrette un peu, parce que vous auriez peut-être mieux compris nos préoccupations en matière d'environnement.

M. le Rapporteur : Je connais votre région..., que l'on a d'ailleurs le temps d'apprécier puisque nous y sommes régulièrement coincés dans les voitures.

Mme Annie CHANUT : Nous vivons là-dedans 365 jours par an. Habitant ici et ayant des amis à Lyon l'été, dont certains ont déjà dû déménager pour cause de santé tellement Lyon est pollué l'été, je puis vous assurer qu'il y a certainement des choses à faire en ce sens. Mes collègues vous parleront mieux que moi du contournement, qu'il soit Est ou Ouest. Mais indiscutablement, un jour ou l'autre, il faudra le faire. Dans notre région, le pourcentage de trafic déjà dédié au fer est nettement plus élevé que le pourcentage moyen français. Il faut donc absolument des solutions alternatives.

M. Jacques ESTOUR : Dans les documents que nous vous avons donnés sont résumés les éléments factuels. Vous trouverez aussi une plaquette dans laquelle sont indiquées les propositions que nous avons votées, toutes Chambres de commerce de la région Rhône-Alpes confondues. Nous y avons joint également une cartographie. Vous retrouverez tous les éléments énoncés par les Chambres de commerce Nord-Isère, de Villefranche, de la Drôme et de Lyon, dans le dossier qui s'intéresse aux problèmes ferrés, routiers, fluviaux le long de l'axe Rhin-Rhône. Y figurent les investissements qui nous paraissent indispensables. Savoir par quel canal ceux-ci passeront, c'est autre chose.

Mme Annie CHANUT : « Par quel canal », sans jeu de mots !

M. Jacques ESTOUR : Comme le disait Mme Chanut, nous avons tous investi parce que le fleuve était un élément d'un ensemble. C'est valable aussi pour Valence. L'ennui, c'est que les investissements sur les fleuves, c'est nous qui les avons faits et les budgets de nos Chambres consulaires sur le canal sont grevés par ce que l'on appelle le « grand équilibre », que l'on arrive, selon les Chambres, à atteindre ou pas, mais ce grand équilibre incorporant les amortissements de l'équipement, il faut trente à quarante ans pour le réaliser. Or, cela fait quinze à trente ans que nos Chambres ont investi et les investissements lourds - quais, silos, bâtiments, embranchements - se sont faits dans la perspective du canal.

Mme Annie CHANUT : Mais en dehors du problème financier lui-même, nous avions cru à cette alternative fluviale, tout simplement pour désengorger la vallée du Rhône, car il y a des marchandises que l'on aurait pu transporter sur l'eau, qui le sont maintenant sur camions. Je le dis, même si ne vais pas me faire un ami de mon collègue de Villefranche.

M. le Rapporteur : Le transfert entre le canal et la route a été chiffré par les cabinets d'étude à 2 ou 3 %. Cela ne vous avait pas échappé ?

Mme Annie CHANUT : Cela ne nous a pas échappé, mais quand on fait des études sur quelque chose qui n'existe pas, c'est très différent que lorsque cela existe. Comment voulez-vous que l'on envoie quelque chose en Mer du Nord ou en Europe du Nord de cette manière puisque, de toute façon, cela n'existe pas...

M. le Rapporteur : De toute façon, pour aller en Mer du Nord, on ne passera pas par là...

Mme Annie CHANUT : ... et que cela n'aurait pas existé avant quinze ou vingt ans.

M. le Rapporteur : ... on passera par les ports du Nord.

Mme Annie CHANUT : Surtout si l'on ne fait rien !

M. Jacques ESTOUR : Rotterdam est là, en effet.

Par contre, dans ce que disait Mme Chanut, il y a la question de l'intermodalité. Nous y sommes très favorables. Avec 50 % de croissance des transports de marchandises dans les 15 ans à venir, qu'il faudra mettre quelque part, la voie routière, quelles que soient les alternatives, restera d'après les études de l'ordre de 80 %.

Pour la voie fluviale, on parle de 2 à 4% selon les régions. Il est certain que lorsqu'on parle du tonnage national sur voie fluviale, on parle de la Seine, un peu du Rhône, certainement pas de la région Centre ou de l'Ouest de la France. Dans l'axe Rhin-Rhône, il existe forcément un pourcentage plus important, mais on peut le laisser tomber à 1 %. Même un ou deux pour cent de gagnés, cela compte.

Quant à la voie ferrée, elle peut rester à 15 %. Nous avons eu un entretien avec M. Gayssot, lundi dernier, qui réunissait les utilisateurs de transports de marchandises, l'office des transports et MM. Gallois et Martinand - ainsi que les quatre plus gros chargeurs français pour lui dire pourquoi ces derniers étaient en train de transférer 15 à 20 % de leur fret hors de la SNCF alors qu'à eux quatre, ils représentent presque 40 % du chiffre d'affaires de la SNCF. Dans l'intermodalité, il y a aussi des conditions d'usage qui comptent. La qualité et la précision du transport, le respect des délais d'acheminement sont une condition indispensable. On en est trop loin actuellement.

M. le Rapporteur : Quelles étaient ces raisons ?

M. Jacques ESTOUR : C'est très simple. Quand vous êtes à 60 ou 65 % de taux de fiabilité, se pose le problème de l'arrivée à temps de la marchandise. Je prends l'exemple de Péchiney avec l'alumine qui doit aller dans les usines : si elle arrive trois jours en retard, c'est fini et l'entreprises choisit les camions. Huit à dix préavis de grève par jour à la SNCF, ça compte ! C'est la seconde chose. Troisièmement, la priorité du passager sur la marchandise constitue un problème. Comme il n'y a pas de voie ferrée dédiée à la marchandise, ce sont les mêmes que prennent les TGV, les TER et, de temps à autre, un train de marchandises. Il est certain que le train de marchandises est toujours repoussé en numéro trois.

M. le Rapporteur : Je vous posais la question pour vérifier que votre analyse correspondait bien à celles que nous avons entendues.

M. Jacques ESTOUR : Cela fait longtemps qu'on le dit dans les commissions nationales, mais il n'est pas toujours facile de faire passer un message qui soit totalement perçu.

M. le Rapporteur : Il est vrai que lorsque l'on prend un train de voyageurs, on part et l'on sait à quelle heure on arrive. Les chargeurs ont aussi besoin de savoir exactement l'heure d'arrivée des trains.

M. Guy BRUN : Tout à fait.

M. Jacques ESTOUR : Il n'est donc pas question de supprimer la voie fluviale, la voie ferrée ou la voie routière. De toute façon, il y aura les trois, quelles que soient les hypothèses envisagées, mais il faut que les investissements soient réalisés. Il ne faut pas que se crée un blocage. Nous vous parlerons de ce qui nous paraît indispensable. Oui, il faut des investissements ferrés. Nous les avons tous matérialisés. Oui, il faut des investissements routiers. Oui, puisque l'on ne construit pas de nouvelle voie fluviale, il faut au moins entretenir l'existant alors que le budget d'entretien des voies fluviales de Voies Navigables de France (VNF) est d'un niveau ridicule. Si, en plus, on en consacre une bonne partie pour « recanaliser » autour du Parlement européen à Strasbourg, que restera-t-il pour investir ? Pas grand chose. Cent millions ? Même pas. Ils n'arrivent pas à draguer le Rhône, les cargoliners de 1500 tonnes ne peuvent déjà plus monter. On est descendu à 1400 tonnes. Puis, à 1300 tonnes. Or, de nos ports, on fait partir des marchandises directement vers l'Égypte et la Tunisie. Il faut entretenir la voie fluviale.

M. Pierre ALLOIN : Je suis président, depuis un an, d'une petite Chambre de commerce, celle de Villefranche-sur-Saône. Nous pouvons nous positionner comme le port nord de Lyon. Lyon avait un port à l'intérieur de sa ville que vous connaissiez certainement, monsieur Vauzelle, il s'agissait du port Rambaud.

M. le Président : En effet.

M. Pierre ALLOIN : Ce port n'avait plus de raison d'exister. Aujourd'hui, Lyon doit avoir un port sud et un port nord, et même deux ports sud : Édouard Herriot et Vienne. Le Port nord, ce sera Genay et Villefranche-sur-Saône.

Il n'en demeure pas moins que, dans notre Chambre, nous avons connu deux grandes désillusions : l'abandon du Rhin-Rhône et l'abandon de l'autoroute A 89. Je ne suis pas inquiet pour ma ville, nous avons des atouts, mais je suis inquiet plus généralement pour la France, parce que j'ai l'occasion de me balader souvent dans les grandes régions que sont l'Alsace, le Nord, Paris et Rhône-Alpes. Il y a dix ans, on traversait Strasbourg à huit heures du matin sans problème. Aujourd'hui, c'est une heure de bouchon. Lille, c'est pareil. Lyon, cela s'est un peu amélioré, mais c'est en train de se perturber à nouveau. Globalement, on s'aperçoit que l'on prend du retard en termes de capacités des réseaux de communication. D'un côté, on invite à faire du développement et de la croissance, parce que c'est cela qui générera de l'emploi, mais l'on sait très bien, de l'autre, que pour développer la croissance, il faut développer les échanges et que pour développer les échanges, il faut des moyens de communication.

Je suis un opérateur de la route, mais j'ai toujours défendu le multimodal. J'ai toujours défendu le fluvial et j'ai été très peiné lorsque l'on a abandonné le canal Rhin-Rhône, pour plusieurs raisons : tout d'abord, pour la ville où je suis ; ensuite, pour le multimodal et surtout pour l'aménagement du territoire français, parce qu'à mon avis c'était un des grands moyens de désenclaver Paris et d'avoir des métropoles en France qui soient équilibrées.

Il est regrettable que l'on s'oppose à la route. Je ne pense pas qu'en termes d'équilibre budgétaire elle soit déficitaire parce qu'elle paie un lourd tribut sur le carburant. Un transporteur routier verse 15 % de son chiffre d'affaires par le biais de la TIPP, qui devraient aller aux investissements routiers, sans compter tout l'environnement économique qui tourne autour de la route et sur le détail duquel nous n'entrerons pas maintenant. Il est regrettable aussi qu'aujourd'hui, il y ait une concurrence déloyale entre le rail et le fluvial, qui se fait sur le dos du contribuable d'ailleurs. A Lyon, nous en avons un exemple frappant. Nous sommes en pleine aberration. Malgré tout, toutes ces opérations étant en gestation, ce qui nous inquiète est que l'on a l'impression que l'on prend du retard dans les investissements nécessaires aux échanges de demain. Personnellement, je suis très inquiet en ce qui concerne les investissements routiers parce que l'on ne sait plus où nous allons faire passer nos camions dans cinq ou six ans. Tous les grands couloirs sont bloqués, alors que l'on a un développement fort. Aujourd'hui, ce n'est plus un problème de concurrence entre les modes de transport, il s'agit d'avoir les moyens de faire circuler les marchandises sur les territoires français et européen.

M. le Rapporteur : On voit souvent des camions qui portent votre nom. Je pense que vous êtes le patron de cette grande entreprise de transport.

M. Pierre ALLOIN : Pas si grande.

M. le Rapporteur : Vous indiquez justement que les autoroutes vont être saturées. Mais on sait très bien que si l'on met des autoroutes en construction, il faudra des années. Il va donc y avoir un engorgement, des difficultés. Aussi, j'aimerais avoir votre avis sur le multimodal. Comment mieux utiliser la voie ferrée, en termes de transport combiné, pour pouvoir faire passer ces flux de circulation car, actuellement, c'est vrai, nos autoroutes sont très encombrées, entre autres par des camions qui font l'Espagne, l'Allemagne...

M. Jacques ESTOUR : Ce n'est pas le cas.

Mme Annie CHANUT : Non, absolument pas.

M. Pierre ALLOIN : Il faut sortir de ces idées !

M. le Rapporteur : Ce n'est pas exactement la réponse que l'on nous donne. C'est donc important que vous nous disiez, vous qui êtes opérateur routier, ce que vous en pensez. On nous dit que le flux des camions Allemagne-Espagne ou Espagne-Allemagne est un flux important qui encombre l'autoroute.

M. Jacques ESTOUR : Cela représente 8 % du trafic.

M. Pierre ALLOIN : Tout à fait.

M. Jacques ESTOUR : Vous avez ces chiffres dans le dossier.

M. Claude CHARDON : Les derniers chiffres de la direction régionale de l'équipement donnent 8 % de trafic de transit international, c'est-à-dire de camions qui ne viennent ni pour charger ni pour décharger. C'est une part qui augmente mais qui, en fait, reste encore très inférieure à ce que l'on peut imaginer. Le second aspect qui trompe aussi, c'est que nous avons énormément de camions étrangers dans la vallée du Rhône, mais, avec le cabotage, même si ce sont des camions étrangers - espagnols ou autres - ils peuvent très bien assurer des trafics nationaux depuis ou vers Rhône-Alpes.

M. Pierre ALLOIN : Pour ce qui est de la multimodalité, le transport combiné rail-route représente 10 % du trafic routier et se développe au même niveau que le trafic routier. Il a connu de gros problèmes cette année liés au fait que la SNCF, soumise à une surcapacité d'activité, a connu des problèmes de fiabilité énormes dont parlait le président tout à l'heure et qu'en termes d'amélioration de sa productivité et de ses capacités de produire du transport, elle plafonne.

M. Jacques ESTOUR : La multimodalité n'est pas une réponse à tous les trafics. Il est certain que quand on parle de trajets de plus 500 kilomètres, le transport combiné avec la voie maritime est possible. On l'oublie trop souvent. En France, on a oublié que l'on avait des ports, c'est dommage - le Havre, Marseille. Il y a vraiment besoin d'améliorer les communications. La multimodalité s'applique dans certains cas. Mais prenez l'exemple de mon entreprise : je suis à Valence ; je bouge 7 à 8000 tonnes de marchandises, mais si je veux faire un wagon, il faut que je vienne le charger à Vénissieux. Vous pensez bien qu'il y a bien longtemps que mon transporteur m'a déjà apporté la marchandise à domicile. Le multimodal n'est donc pas fait pour tous. Nous y sommes favorables mais cela suppose qu'un certain nombre de conditions soient réunies. Tout d'abord, au niveau politique : les entreprises qui gèrent cette multimodalité, qu'elles soient possédées par l'État ou qu'il s'agisse d'entreprises privées, ne peuvent pas investir dans un mode de transport si elles n'ont pas des assurances sur la durée dans le temps des décisions prises. Si tous les quatre ou cinq ans, on change d'orientation et de politique d'organisation des transports, tous les investisseurs bloqueront leurs investissements en attendant d'avoir une certitude. Or, la multimodalité implique des investissements.

Pour ne parler que des n_uds d'échange, un rapport a été rédigé sur les plates-formes multimodales, internationales ou nationales, à mettre en place. Elles sont indispensables, mais où va-t-on les faire, quand va-t-on les faire, comment va-t-on les équiper ? Celle de Lyon est déjà quasiment à saturation. Celle d'Avignon également. Y en aura-t-il d'autres autour : à Montpellier, Nîmes, Valence, Lyon ou Bourg ? On ne sait rien. Les équipements existants sont déjà presque à saturation et nous ne voyons se dessiner aucun projet d'investissement clairement identifié. Ensuite, cela ne répond pas à toutes les questions. Enfin, se pose le problème de la fiabilité. Pourquoi y a-t-il eu cette année une chute du fret ferroviaire ? C'est la conséquence de l'indisposition des utilisateurs qui, devant un certain nombre de dérégulations, ont refait passer du fret ailleurs. Il faut absolument que la SNCF accepte d'être une entreprise gérée comme toutes les entreprises qui interviennent sur un marché économique. On ne peut pas faire de la SNCF une entreprise à part, obéissant à des règles de fonctionnement social à part. Il faut qu'elle soit soumise à la loi générale du marché. Alors, il y aura peut-être fiabilité. Nous sommes tout à fait d'accord pour ce type de transport mais, pour l'instant, il ne représente que quelques pour cent. Vous avez les chiffres exacts dans le dossier. Le trafic international représente 8 %. Sur le plan ferré, si vous deviez retenir des orientations fortes de la région en matière d'investissements, elles sont très claires : il y a effectivement Rhin-Rhône, mais pas Mulhouse-Paris. Vous parliez de changer la politique de l'étoile, mais on parle de Rhin-Rhône et on fait Mulhouse-Paris ! C'est très bien pour Mulhouse, sûrement très bien pour Bâle, mais ce n'est pas Rhin-Rhône !

M. le Rapporteur : Voilà au moins un point d'accord entre nous.

M. Jacques ESTOUR : Avec vous, j'irai même plus loin : à notre avis, la branche sud de Rhin-Rhône ne doit pas utiliser les voies existantes. Il faut une voie nouvelle, irriguant l'hinterland - la Franche-Comté, etc.

M. le Rapporteur : Si je puis me permettre une critique : vous ne vous êtes pas beaucoup fait entendre jusqu'à présent à propos de cette branche sud de Rhin-Rhône. Ou pas assez.

M. Jacques ESTOUR : Pas assez. Nous vous remettrons nos documents à ce sujet. Le deuxième investissement important pour nous, c'est Lyon-Turin, avec tous ses aménagements périphériques. Vous savez qu'il y a des décisions par tranche, avec le problème, qui a été évoqué, de mixité ou de non mixité des transports de marchandises sous le grand tunnel qui, lui, est assez lointain. Mais des branches intermédiaires démarrent. Le troisième, c'est l'organisation du trafic ferré autour de Lyon. Ce trafic est saturé mais 25 % des voies sont bloqués uniquement pour des problèmes internes de la SNCF qui n'a pas su mettre ses locomotives à côté de leur point d'utilisation. C'est tout de même curieux. En dehors de ce problème, se pose celui du contournement ferroviaire de Lyon. Il faut faire sauter le bouchon lyonnais et que Lyon et la gare de la Part-Dieu ne soient plus un axe de passage de trains de marchandises. C'est donc le troisième investissement important pour nous.

Le quatrième, c'est l'utilisation de la rive droite du Rhône sur laquelle passe un train de temps à autre. C'est une des rares voies en France qui pourrait être dédiée à 100 % à la marchandise. Il y a là des possibilités importantes d'utilisation, mais tant que les n_uds de Nîmes et de Lyon ne seront pas dénoués, son utilisation restera limitée. Enfin, le cinquième, c'est l'axe alpin. Il s'agit de faire de l'axe Suisse-vallée du Rhône - Annecy, Chambéry, Grenoble, Valence - un axe utilisé. Il l'est pour les voyageurs un peu, mais il peut être aussi un axe important de désengorgement de la région lyonnaise sur le plan des marchandises. C'est un projet que M. Gayssot a incorporé dans son plan d'investissement à 120 milliards.

M. le Président : De quel axe s'agit-il exactement ?

M. Jacques ESTOUR : C'est Genève-Valence. C'est un très vieil axe, qui est équipé de voies ferrées, mais qui sont à moderniser et même, pour partie - 50 kilomètres - à électrifier. Tels sont, pour nous, les investissements nécessaires sur le plan ferré.

M. Pierre ALLOIN : Je voudrais revenir sur ce qui a été dit sur le transport combiné. C'est la visibilité des opérateurs privés comme nous à propos de la politique des transports de la SNCF sur plus de cinq ans qui pénalise le plus le combiné aujourd'hui.

Le problème du combiné est qu'il nous retarde globalement, mais surtout qu'il nous impose des investissements entre cinq et dix ans. Pour investir, il faut avoir une visibilité à cette échéance. Beaucoup d'opérateurs sont revenus en arrière sur le combiné parce qu'effectivement, il y avait trop d'aléas, notamment la politique sociale de la SNCF bien trop perturbée par les grèves. Aujourd'hui, vous pouvez constater que même dans les grands groupes industriels, on n'entend plus parler de grève. Chez Renault ou chez Peugeot, une grève, c'est une fois tous les cinq ans et puis, c'est terminé. Une grève tous les cinq ans, ce n'est pas grave, mais une toutes les semaines, c'est plus difficile.

M. le Rapporteur : A partir du moment où vous ne pouvez pas faire passer vos camions facilement, il y a intérêt à mettre une partie du fret sur le rail pour circuler rapidement, le récupérer au bout de la chaîne et faire du transport adapté.

M. Jacques ESTOUR : En sachant que ce n'est qu'une part du trafic, car la distance moyenne parcourue ici par les poids lourds est de 120 kilomètres. Pour utiliser le ferroviaire, il faut compter 500 kilomètres.

M. Pierre ALLOIN : Entre les grosses métropoles françaises.

M. le Rapporteur : Oui, mais quand vos camions sont bloqués sur les autoroutes, ils ne sont pas d'une très grande utilité pour les entreprises.

Mme Annie CHANUT : Encore faut-il qu'ils aillent suffisamment loin pour que ce soit rentable de les mettre sur le chemin de fer.

M. Jacques ESTOUR : La limite se situe à 500 kilomètres.

Mme Annie CHANUT : Or c'est ce genre de circulation qui, actuellement, dans la région Rhône-Alpes, est totalement asphyxiée. Je comprends très bien que vous ayez une vision très européenne, mais il est aussi de notre devoir de vous faire part de nos problèmes journaliers.

M. Jacques ESTOUR : Que la SNCF joue le jeu : la région lyonnaise et Marseille ont été choquées par l'action de la SNCF ces derniers temps concernant le transport des conteneurs entre Lyon et Marseille. Des navettes fluviales ont été organisées. C'était l'idéal : on chargeait des boîtes à Lyon et elles allaient directement à Marseille. La SNCF est allée voir tous les chargeurs qui utilisaient cette voie fluviale et leur a demandé leur facture fluviale, leur offrant une réduction de 10 % par rapport au prix pratiqué pour passer par la voie ferrée. La SNCF est en train de tuer la navette fluviale au profit d'une navette ferrée. Quand on connaît le résultat d'exploitation de la SNCF à la fin de l'année, les cinquante et quelques milliards de déficit, cela fait mal, parce que quand on parle de la lutte entre les modes de transport, le problème n'est pas de tuer l'un ou l'autre. Quand on a 50 % de croissance de trafic de marchandises à gérer, on sait que, dans les quinze ans à venir, il faudra augmenter de 50 % les capacités de transport. Il faut donc que la SNCF continue de progresser, que la voie routière continue de progresser et que la voie fluviale continue aussi. Il ne s'agit pas qu'ils se tuent l'un l'autre. Ce n'est pas ainsi qu'ils progresseront.

M. Pierre BITOUZET : Il y a un problème de vérité des coûts. Il faudrait une honnêteté complète de ce point de vue. En ce qui concerne Lyon proprement dit, on a parlé du Sud, de Vienne, et du nord avec Villefranche. Lyon est bien évidemment entre les deux et bénéficie d'une situation géographique excessivement privilégiée, mais le contexte géographique fait aussi que Lyon est aujourd'hui complètement engorgée avec des problèmes de circulation aussi bien ferrée que routière, des problèmes de pollution, qu'elle soit atmosphérique ou sonore, parce que la pollution sonore occasionnée par la circulation des trains dans Lyon, ce n'est pas rien ! Vous avez dit que le fret ne passait pas forcément par la gare de la Part-Dieu. Eh bien, si ! Dans la gare, il passe à côté de tous les autres trains. C'est véritablement un gros problème. Tout ce que le président Estour a développé, concernant les contournements ferrés est excessivement important.

En ce qui concerne le routier, il est bien évident qu'il va falloir un jour s'arrêter de passer dans ce tunnel de Fourvière. Ce n'est pas raisonnable. Un contournement, il en faut un qui marche. Peu importe qu'il soit à l'est ou à l'ouest, mais quand on sait que le projet actuel de contournement Est est à vingt kilomètres de plus que le contournement Ouest, croyez-vous que les gens vont l'utiliser ? Il faudra un contournement que les gens utilisent, qui soit efficace. On peut s'interroger, faire des études, mais il faut un équipement structurant, qui soit utilisé.

Ces équipements structurants, il est de notre devoir est d'en faire faire dès à présent. Ce n'est pas après que l'on décidera. Autrement, on asphyxie non seulement les lyonnais du Grand Lyon du point de vue atmosphérique, mais aussi l'économie. Notre problème, c'est d'essayer de faire vivre et développer nos entreprises. De ce point de vue, je regrette aussi que la voie fluviale ne se soit pas faite. Il va falloir trouver des solutions et il va falloir que cela se débloque, et vite - pas à un horizon de vingt ans !

M. le Président : Nous sommes bien d'accord avec vous.

M. le Rapporteur : Pour l'instant, on n'entend plus parler de la liaison Mulhouse-Paris, qui est indispensable certes, mais il est aussi important de faire des réunions et des colloques relatifs au TGV Rhin-Rhône. Je dois avouer que je trouve les lyonnais particulièrement absents de ce débat. En tout cas, ils se font peu entendre.

M. Jacques ESTOUR : Nous avons tellement milité pour le canal Rhin-Rhône qu'aujourd'hui, nous sommes désabusés et n'avons plus envie de nous battre. Je vous avais vu à la « grand messe » de Besançon. Aujourd'hui, dans la région, quand on recommence à parler du fluvial, on a l'impression de mener un combat d'arrière-garde, perdu d'avance.

M. le Rapporteur : En ce qui concerne le rail, tout le monde nous a parlé du problème de la régularité, mais on sait la difficulté qu'il y a à faire circuler ensemble sur une même voie des trains qui roulent à 270 km/h et des trains de marchandises. Il importe donc de dégager des corridors de fret. C'est en cela que la branche sud du TGV est importante. Besançon-Mulhouse permettra de mettre la voie actuelle au gabarit B+. Il existe aussi une voie électrifiée par la Franche-Comté, le département du Doubs et les villes de Besançon et de Lons-le-Saunier, qui offre la possibilité d'ouvrir une seconde voie ferrée. Mais tout cela reste lié à la réalisation rapide de la branche sud du TGV Rhin-Rhône, qui, pour nous, est aussi capitale que pour vous.

M. Jacques ESTOUR : Pour ce qui est de la communication, vous avez raison, mais il faut se rappeler que M. Allouin est chef de son entreprise de transport, Mme Chanut est aussi chef de son entreprise de BTP, moi, de mon entreprise de fabrication d'emballages en papier et que nous sommes de ceux qui participent à un certain nombre d'organes consultatifs. Comme, en général, nous sommes un ou deux professionnels sur cent à le faire, nous avons beaucoup de mal à tout suivre.

Le deuxième thème que nous voulions aborder concerne la voie routière. Premièrement, nous souhaiterions faire passer un message concernant la médiatisation dont le transport routier est l'objet.

Nous l'avons dit à M. Gayssot, il faudrait peut-être qu'au niveau de la communication, on cesse de faire la chasse aux sorcières vis-à-vis du transport routier. C'est assez scandaleux parce qu'il rend des services que personne d'autre ne peut rendre actuellement. A Privas ou à Laguiole, exemples que je cite toujours dans les commissions nationales, sans transport routier, il n'y aurait plus d'économie. Laissons utiliser ce qu'il convient. Pour faire cent kilomètres, pour aller dans des régions où il n'y a pas de voie ferrée, il y a, et c'est heureux, le transport routier. D'ailleurs, si les entreprises publiques, la SNCF, la première, font partie des plus grandes entreprises de transport routier, c'est qu'il y a des raisons. Ce n'est pas un hasard. Sans cela, elle mettrait tout sur la voie ferrée. Pourquoi ont-elles des camions ?

Aussi, le show politico-médiatique sur le transport par route est-il un peu agaçant pour les professionnels, mais aussi pour les utilisateurs du transport routier, car l'économie actuelle, la façon dont une voiture est construite chez Peugeot, la durée et la précision d'arrivée du transport sont un facteur essentiel de la vie économique. De ce point de vue, le transport routier rend de réels services.

Donc, sur le plan médiatique, arrêtez de dire que la route coûte, alors qu'elle est, en fait, le seul moyen de transport qui ne reçoit pas un centime de subvention de l'État et que les équipements autoroutiers, je parle des plus importants, sont autofinancés ! Contrairement à ce qui se disait, un rapport corrige ces fausses rumeurs, à l'échéance des sociétés autoroutières, l'équilibre est réalisé.

Je ne parle pas des autres taxes qui sont prélevées sur le transport routier. Un train de marchandises paie sur RFF la même taxation qu'une voiture qui fait le même trajet. Faire Metz-Marseille avec un train de 2000 tonnes coûte à la SNCF le prix du péage autoroutier de Metz à Marseille pour une voiture particulière ! Si l'on voulait tout médiatiser, on créerait des conflits de gaulois qui ne servent à rien.

Deuxièmement, il y a des besoins d'investissement. Des coups de frein ont été donnés récemment et des réorientations proposées. Nous ne sommes pas contre le plan de 120 milliards d'investissement ferré de M. Gayssot, mais il ne faut pas pour autant oublier l'investissement routier. Sur la carte, il est évident que le contournement de Lyon est un facteur essentiel. Le doublement de la vallée de Rhône, tout le monde sait que c'est obligatoire. Ce n'est pas vrai que pour aller de Lyon à Marseille, on va passer par Clermont-Ferrand. C'est une sottise. Que le transport touristique d'été pour aller de Paris en Espagne passe par Clermont-Ferrand ou par Grenoble-Sisteron, si un jour cette autoroute sort des cartons, ou même s'il y a un axe amélioré Grenoble-Sisteron, c'est très bien. Mais l'axe de la vallée du Rhône est l'axe le plus « circulé » de France, plus que Paris-Lille, et son taux de croissance de trafic ne cesse, et ne cessera, de croître tous les ans. Donc, depuis le Nord, pour nous, le contournement de Lyon est indispensable. Nous l'avons matérialisé sur la carte qui est dans le dossier par le contournement de ce que nous appelons la A 79. Politiquement, il ne fallait plus parler d'une autoroute dans la vallée du Rhône, on parle donc d'un « axe qui permette d'assurer l'écoulement du trafic ». Quand on fait l'extrapolation, vous avez raison de dire que c'est long à réaliser. Il faut plus de dix ans après une décision. Mais maintenant, on recule même la décision, en parlant de la reporter peut-être en 2010. C'est une véritable catastrophe pour la région. Si l'on attend 2010 pour décider d'un équipement autoroutier nouveau dans la vallée du Rhône, il y aura longtemps que l'activité sera partie ailleurs. Toutes les courbes le montrent. La direction des routes le sait parfaitement bien, mais elle reçoit des ordres. Vous avez des axes parallèles. Nous, nous sommes favorables à un axe alpin - qu'il passe par le col de la Croix Haute ou par Gap, ce sont des décisions politiques qui jouent et non des décisions techniques, tout le monde le sait -, qu'il soit en autoroute à péage ou en voie express - c'est aussi une décision politique et de financement -, mais il en faut un qui passe par là. L'axe Lyon-Saint-Etienne est aussi important pour nous. L'autoroute de Saint-Etienne est l'une des plus anciennes de la région. Elle est hyper-saturée. Pour ceux qui l'ont pratiquée, elle est très dangereuse. La décision doit être annoncée par le Préfet de région ces jours-ci, mais il faut le faire rapidement.

Pour éviter la traversée de Lyon, il y aussi l'axe nord Lyon-Balbigny, mais là aussi, il y a des guerres de chefs-lieu de canton...

M. Pierre ALLOIN : Si l'on double l'autoroute A 45 avant de créer l'autoroute A 89, l'axe Bordeaux-Genève arrivera au sud de Lyon et nécessitera la traversée de Lyon. Ce sera une surcharge supplémentaire. Je prêche un peu pour ma paroisse, mais il n'en demeure pas moins que la logique du Bordeaux-Genève, c'est quand même la ligne droite qui permet de récupérer la A 43, Lyon-Genève, au nord de Lyon sans passer dans Lyon.

Mme Annie CHANUT : J'ajouterai une petite anecdote. Tout à l'heure, nos amis lyonnais vous ont parlé de contournement en disant qu'il faudra choisir un axe qui soit effectivement emprunté. Il y a deux ans, Lyon était effectivement complètement asphyxiée - vous savez que cela arrive souvent - et le préfet - à l'époque, Paul Bernard - avait pris un arrêté interdisant la traversée de Lyon aux camions qui n'avaient rien à y faire, afin qu'ils ne passent plus sous ce fameux tunnel de Fourvière, que toute la France connaît. Juridiquement, il a été mis en porte-à-faux, il n'avait pas le droit de le faire. Il n'avait pas le droit d'imposer de passer par le contournement actuel. Le jour où il existera un autre contournement, s'il est mal commode - il faut reconnaître que sur l'actuel contournement, il y a des pentes trop importantes pour certains poids lourds -ou trop cher, il faudra essayer de faire en sorte que des moyens juridiques existent pour qu'il soit possible d'obliger les poids lourds à contourner Lyon. Je ne sais pas si vous avez connu cela dans vos régions, mais nous l'avons vécu très difficilement.

M. Pierre BITOUZET : Le préfet a été déjugé.

M. Jacques ESTOUR : Sur le plan juridique également, il y a, pour cet axe vertical, une peur panique dans nos régions, mes collègues de Marseille disent d'ailleurs la même chose, c'est la fameuse modulation des péages. On ne résout pas un problème de saturation autoroutière, quand il n'y a qu'un seul axe, par la modulation positive des péages.

Pour une modulation négative, tout le monde sera toujours d'accord. Faire une modulation négative sur le pont de Millau, ou sur l'axe qui se construit progressivement entre Bourg-en-Bresse et Grenoble, pourquoi pas ? Mais sur un axe que tout le monde utilise, mettre des modulations positives, c'est une catastrophe, car la distance moyenne parcourue sur cette autoroute par un véhicule est de 70 kilomètres. C'est le seul axe dans la vallée du Rhône. Il n'est même pas question de parler de la Nationale 7, c'est une route départementale. Essayer d'aller de la Coucourde (Montélimar) à Lyon par la N7, vous verrez le temps que vous mettrez. C'est impensable ! L'autoroute est le seul axe possible. Mettre des modulations positives, en disant aux gens que pour aller de Lyon à Montélimar ou de Lyon à Villefranche cela leur coûtera 80 francs au lieu de 40 francs, pour décourager le passage sur l'autoroute à une heure donnée, c'est bien gentil, mais par où vont-ils passer ? Nous attirons donc votre attention sur cette question des modulations, qui est intéressante quand il s'agit de faire Paris-Dijon par Troyes à un tarif minoré dans le but d'alléger l'autoroute A 6 dans le Morvan. Mais utiliser la modulation positive, quand il n'y a qu'un seul axe, il ne faut pas s'y essayer. Un autre axe routier important, pour nous, même s'il est pourtant légèrement au nord, c'est l'axe Atlantique-vallée de la Saône, cette fameuse route qui, à coup de plan, c'est-à-dire de vingt kilomètres par an, doit relier La Rochelle à Mâcon. On en fait un petit bout tous les ans. Malheureusement, ce n'est pas très rapide. Or, c'est une voie économique importante que les poids lourds empruntent beaucoup. C'est l'un des seuls axes qui pourrait être complété pour aller de la façade atlantique jusque dans nos régions. Cela pose le problème du financement des routes. L'autoroute, quand c'est le consommateur qui paie, cela se fait assez vite ; en contrat de plan, c'est vingt kilomètres par an et les axes nécessaires ne se construisent pas. Enfin, nous tenons beaucoup également à la continuité de l'axe routier reliant la Franche-Comté à Grenoble. Il est tracé sur la carte moitié en jaune, moitié en rouge. Il est décidé sur le plan du principe.

Mme Annie CHANUT : C'est la Cévenole ?

M. Jacques ESTOUR : Non. La Cévenole, c'est la A 79, c'est-à-dire le doublement dans la vallée du Rhône jusqu'aux environs de Loriol, puis la bifurcation vers Béziers de façon à désengorger les deux parties de l'autoroute les plus saturées actuellement, Valence Sud-Orange et la région de Montpellier. Il y a aussi un projet dont tout le monde parle, dont tout le monde sait que le dossier existe, mais qu'il est interdit de sortir, c'est celui de la mise à deux fois cinq voies entre Valence Sud et Orange. L'autoroute A 79, interdiction d'en parler également. Tous les CETE ont fait pourtant des études et disposent des éléments. C'est la décision politique qui manque maintenant.

M. le Président : Vous avez parlé des attaques dont le transport routier peut être l'objet sur le plan médiatique pour des raisons politiciennes. En réalité, il ne faut pas tout mélanger. Il est bien certain que pour aller à Vienne, il faut prendre un transport routier, mais il y a aussi une pédagogie à faire, en tout cas dans ma région, par rapport à la voiture. Cela ne concerne pas les poids lourds, mais il faut faire prendre conscience aux gens que l'on ne pourra pas continuer à vouloir vivre en Provence avec des cyprès et des oliviers, tout en continuant à développer des parkings et à élargir les autoroutes pour que chacun puisse prendre sa voiture.

Le président de région que je suis essaie, depuis quelques mois, d'orienter les investissements vers les transports régionaux ferroviaires concernant les voyageurs et donc les voitures, et pas du tout les poids lourds. Dans cette pédagogie, vous avez peut-être pu voir des accents qui attaquaient le « tout autoroute », et le transport routier, par amalgame, mais mon propos est surtout de dire aux gens que nous allons essayer de leur permettre de laisser leurs voitures, de ne plus avoir besoin de passer une heure dedans pour entrer dans Marseille et d'avoir un métro entre Aix et Marseille.

M. Jacques ESTOUR : Vous avez raison.

M. le Président : Nous vous avons écouté avec beaucoup d'attention, nous avons quitté l'Assemblée nationale pour cela. Je pense qu'il faut qu'au-delà des orientations politiques des uns et des autres, nous essayions de mieux communiquer sur le grand axe que nous sommes en train de défendre. J'ai trouvé aimable de la part de M. Gaudin et de M. Barre qu'ils restent assez discrets sur l'abandon du canal alors que M. Barre avait pourtant joué un rôle considérable dans cette bataille. En revanche, je pense que dans la mesure où, pour le moment, le canal est abandonné, il faut que des voix soient plus fortes pour défendre une alternative. Il est vrai que l'on n'a pas entendu grand chose. A un moment où de grandes projets sont en train de se dessiner, il faut que les élus parlent. Ils parleront d'autant plus fort qu'ils seront soutenus par des gens comme vous. Pour le moment, je trouve, comme M. le rapporteur, que nous sommes un peu isolés. Nous pensons donner un grand coup de poing sur la table au moment où nous remettrons le rapport en disant que pour le moment, nous faisons contre mauvaise fortune bon c_ur, qu'il n'y a pas de canal, mais que nous avons de très lourds investissements - TGV, routes etc. - à réaliser.

M. le Rapporteur : Concernant la route, le problème est au sud de Lyon parce qu'au nord, avec les autoroutes A 39, A 36 et A 5, on a pratiquement deux voies pour monter sur Paris et une voie assez facile pour aller vers l'Alsace. Au nord, il y a donc possibilité de circuler. Le problème, c'est le sud de Lyon.

M. Jacques ESTOUR : Il reste quelques projets à vous exposer dans le domaine fluvial, que l'on a tendance à oublier mais qui existent quand même.

Il faut que ce qui existe soit entretenu. Or, actuellement le budget de VNF ne lui permet pas d'assurer cet entretien sur l'ensemble des voies navigables françaises. Dans la vallée du Rhône, dans le canal Saône-Rhône, le flux des alluvions qui arrivent tous les ans provoque un engorgement progressif et si l'on n'entretient pas, par des dragages systématiques, le chenal de navigation de la vallée du Rhône, on diminue les capacités d'utilisation du fleuve.

Le deuxième point, ce sont les équipements qui ne sont encore que des pointillés depuis le nord. Il y a donc une série d'investissements à poursuivre le long du couloir Saône-Rhône qu'il ne faut pas abandonner. Les engagements ont été pris officiellement, ce sont des engagements oraux.

Troisième point, nous avons tous besoin, pour nos budgets, d'avoir en face de nous des ministères qui comprennent le problème et qui ne nous répondent pas, comme le disait tout à l'heure M. Allouin, que, pour telle ou telle raison, ils ne nous suivront pas.

On cherche les compensations. Il y en a plusieurs. Il y a le problème de l'organisation des plates-formes d'échange. Il se trouve que les ports structurés le long du Rhône comprennent voies ferrées, voies routières et voies d'eau. Avant de créer ici ou là des plates-formes d'échange pour le fret marchandises, au moins déjà faudrait-il valoriser au maximum ce qui existe.

Enfin, il ne faut pas oublier l'aspect touristique. C'est une des ressources économiques qui se développe. Or, l'utilisation totale du couloir Saône-Rhône, avec le fameux projet de chemin de randonnée piétonnier, équestre et cyclable nécessite des investissements. Je pense que les collectivités devraient vous en parler. Un projet global est effectivement enclenché. Il ne serait pas anormal qu'une partie de la rente du Rhône vienne conforter ce complément en équipement dans la vallée qui est l'atout touristique.

M. le Président : Connaissez-vous le montant de la rente du Rhône ?

M. Claude CHARDON : 100 milliards, entre 1959 et 2023, date de la fin de la concession.

M. le Rapporteur : Nous avons beaucoup de difficultés à obtenir des chiffres là-dessus.

M. Jacques ESTOUR : D'aujourd'hui à 2023, c'est 50 milliards.

M. le Rapporteur : C'est un peu virtuel.

M. Jacques ESTOUR : Ce n'est pas tout à fait virtuel. Comme tout chef d'entreprise, quand nous investissons dans notre entreprise, nous en tirons des profits ; puis, au fur et à mesure de l'amortissement dégagé, nous refaisons de l'investissement.

La CNR a fait des investissements. Elle a construit des barrages. Je ne reviendrai pas sur le protocole passé avec EDF, que l'on oublie parfois mais qui existe. Finalement, comme ces barrages continuent de fonctionner, que l'eau ne coûte rien puisqu'elle descend toute seule, au bout d'un certain temps on n'a plus d'investissement à amortir. Il ne reste donc que de l'entretien et du fonctionnement. Le prix de l'hydroélectricité chute. Si on laisse la CNR vendre son hydroélectricité au prix de revient classique de l'électricité sur le marché français, il suffit de faire la différence. Actuellement, c'est EDF qui l'empoche. Cette différence, nous l'avons évaluée jusqu'à 2023, l'échéance du contrat. Cela représente à peu près 50 milliards.

M. le Président : Ce qui nous a intrigué, c'est que l'on paraissait vouloir nous cacher la somme.

M. Claude CHARDON : Ce chiffre a été cité à de nombreuses reprises par différentes sources, mais fait effectivement peu l'objet de médiatisation ! Ce chiffre provient du raisonnement suivant : EDF récupère des kilowatts qui lui coûtent non pas le prix marchand mais le remboursement des emprunts des barrages de CNR. Lorsqu'en 1921, on a fait la loi, au lieu de cautionner la CNR par l'État, pour qu'elle emprunte et qu'elle rembourse ses emprunts par la vente de son kW, c'est EDF qui a emprunté et payé ces barrages. En échange de quoi, CNR lui donne son kW. D'où l'idée un peu virtuelle de rente du Rhône qui est, en fait, le différentiel entre ce qu'EDF paie ce courant électrique - un remboursement d'emprunt qui, aujourd'hui, arrive à quasiment zéro puisque les barrages sont totalement remboursés - et ce qu'EDF paierait si elle fabriquait elle-même son courant. La rente du Rhône, c'est donc la différence entre le prix le plus bas du kW fabriqué par EDF par rapport au remboursement.

M. Jacques ESTOUR : Avec une petite différence. Comme pour le transport routier où l'on a créé le FITT pour transférer les subsides des autoroutes vers d'autres moyens de transport, sur l'électricité, une taxe spéciale a été créée et l'on en est maintenant à 1,2 milliard.

M. le Rapporteur : Beaucoup disent que la rente du Rhône n'existe pas.

M. Jacques ESTOUR : Elle existe, mais à qui doit-elle appartenir ? A EDF ou aux riverains ?

M. Claude CHARDON : La CNR est une société anonyme dans laquelle il y a des actionnaires. Donc, contrairement à d'autres systèmes, les actionnaires de la CNR sont en droit de réclamer un certain rôle ; aujourd'hui, en poussant les choses, s'il y avait recours en justice, l'on dirait probablement qu'il y a une position dominante d'un actionnaire, EDF, dans le système. Nous disons simplement qu'à travers les différentes taxes qui ont été prises pour alimenter le F.I.T.T.V.N. (600 millions en 1997, 1200 en 1998 et 1200 à nouveau en 1999), il reste de moins en moins d'argent dans les caisses d'EDF au nom de la « rente du Rhône ».

M. Pierre ALLOIN : C'est un abus de bien social.

M. Claude CHARDON : Le président Estour voulait souligner que si demain, la CNR se trouve, dans le nouveau système, fabriquant et vendeur d'électricité à un coût serré, le Rhône - qui est actuellement entretenu, vous le savez, non par VNF mais par CNR à travers tout ce système - ne le sera plus. Les riverains du Rhône, les collectivités, le disent déjà. Nous avons tenu plusieurs réunions d'actionnaires en Chambres de commerce auxquelles participaient les collectivités locales. Elles nous ont dit avoir déjà des problèmes de berges et elles sont, comme nos Chambres de commerce, inquiètes car le risque est demain de n'avoir plus personne pour assurer cet entretien. Le budget de VNF sera réparti sur l'ensemble du territoire national et c'est dans cette enveloppe globale qu'il faudra aller chercher les sommes pour entretenir le Rhône et assurer sa navigabilité.

M. le Rapporteur : Je reviens sur un point qui ne nous avait jamais été signalé, celui de l'enlisement. Vous disiez que vous perdiez 200 tonnes par an.

M. Jacques ESTOUR : Jusqu'à Valence, on pouvait monter avec des cargoliners de 1500 tonnes. Nous avons monté une usine du traitement du bois à Valence pour exporter des bois qui ne sont plus utilisés par la papeterie, puisque nous recyclons, nous utilisons beaucoup moins de bois et nous le vendons en Tunisie, en Libye, etc. De 1500 tonnes, on est passé à 1300 tonnes ; on ne pouvait plus faire monter des 1500 tonnes car, peu à peu, le tirant d'eau diminue.

M. le Président : C'est la première fois que nous en entendons parler.

M. Claude CHARDON : Le tirant d'eau diminue également pour une autre raison, c'est que EDF, pour mouliner le maximum d'eau, a tendance à faire baisser le niveau. Ce n'est pas que le seuil ne soit pas toute l'année au bon niveau, mais comment pouvez-vous garantir des tonnages à des affréteurs ?

M. le Rapporteur : Il est vrai qu'un canal consomme de l'eau !

M. le Président : J'aurais aimé que l'on nous parle du port Édouard Herriot et de l'« assèchement » par la navette ferroviaire du trafic fluvial.

M. Guy BRUN : Le port ne fait plus partie de notre Chambre de commerce.

M. Jacques ESTOUR : Nous sommes tous gestionnaires de ports et les Chambres de commerce s'étaient regroupées pour alléger les coûts de gestion dans une structure commune qui s'appelait « Aproport ». Depuis que la perspective Rhin-Rhône a été abandonnée, il y a des dégagements et la société « Aproport », qui était une société commune de gestion et de commercialisation, est en train de tomber non pas en faillite mais en situation difficile. Les Chambres de commerce, les unes après les autres, vont voir le ministère de tutelle en demandant ce qu'il faut faire pour le port. Il y a des contradictions. Dans le grand port de Marseille, on a organisé une plate-forme de communication entre la voie fluviale et la voie maritime pour que les péniches puissent charger directement dans les bateaux qui partent ensuite vers de grandes destinations. Donc, on investit d'un côté et de l'autre, on est obligé de se dégager. Cela pose un problème global d'environnement financier - soit de dégagement, soit d'équipement - de cet axe Rhin-Rhône.

M. Pierre ALLOIN : Je me demande si l'on n'est pas aujourd'hui en train d'enterrer le transport fluvial. Pourquoi ? Parce que celui-ci fonctionne avec des ports. C'est une évidence. A ce jour, les ports ont été soutenus par les Chambres de commerce. La Chambre de commerce de Villefranche, qui est une petite Chambre de commerce, a consacré en vingt ans 20 % de son prélèvement fiscal pour le port de sa ville. Mais, face à l'abandon du Rhin-Rhône et devant le peu de considération accordée au fluvial, nous avons énormément de difficultés à convaincre nos ressortissants de continuer à mettre de l'argent dans le port. Par conséquent, nous nous posons aujourd'hui la question de savoir s'il ne vaudrait pas mieux le fermer. Si les ports ferment, le Rhône redeviendra un fleuve long et tranquille...

M. Jacques ESTOUR : Soyons clairs : personne autour de cette table ne le souhaite.

M. Pierre ALLOIN : Et les conséquences vont encore se reporter sur le couloir rhodanien. Or, je suis tout à fait d'accord avec le président pour dire que ce couloir est le véritable problème.

Mme Annie CHANUT : Je peux dire la même chose de la Chambre Nord-Isère parce que nous avons envisagé, même assez froidement, de rendre le port de Vienne soit à l'État soit à la CNR. Pour le moment, nous en sommes encore au stade de la réflexion. Nous ne pouvons pas continuer pendant des années à mettre autant d'argent, d'autant que notre circonscription a été touchée de plein fouet par un autre gros problème économique, l'arrêt de Creys-Malville. Le problème financier se pose de façon accrue. Pour Creys-Malville, nous n'avons pas les moyens de faire quoi que ce soit. On nous demande énormément d'appui logistique de tous ordres pour essayer, autant que faire se peut, de rendre moins douloureuses les conséquences de l'arrêt du surgénérateur. Nous ne sommes pas en train de demander l'aumône, ce n'est pas le genre de notre Chambre de commerce, mais de demander que l'on nous donne les moyens de mettre le port en bon état de marche, au niveau de l'expansion, y compris en prenant appui sur d'autres, par exemple conjointement avec Valence, parce que nous croyons dur comme fer au transport fluvial.

M. Pierre BITOUZET : Je voudrais simplement ajouter, par rapport à ce scénario catastrophe de disparition de voies fluviales, qu'il existe des transports lourds par voie fluviale. Si l'on ne pouvait plus les faire, ce serait dramatique. Économiquement, ce serait épouvantable.

Mme Chanut vient de parler de Creys-Malville, il se trouve que je suis directeur de Framatome et que nous avons une usine unique au monde située à Chalon-sur-Saône. A partir de celle-ci, nous expédions non pas vers le Nord mais vers le Sud, y compris pour aller vers le Nord, tous nos produits lourds. Le jour où il n'y aura plus de voies fluviales, on fermera l'usine et la France ne sera plus leader mondial dans ce domaine. Il est évident qu'il faut attacher énormément d'importance à ce type de problème.

M. le Rapporteur : De plus, personne en France n'a dit que le transport fluvial était un transport économique.

M. Jacques ESTOUR : L'est-il ?

M. le Rapporteur : Oui, je le pense. La tonne transportée est la plus économique ; cela dépend seulement de l'endroit. Personne n'a dit qu'il fallait supprimer le transport fluvial. Mais il est vrai que la façon la plus économique et la plus rapide actuellement de faire Marseille-Rotterdam, c'est encore de passer par Gibraltar.

M. le Président : Nous vous remercions.

N°1920. - RAPPORT D'INFORMATION de M. Jean-Louis FOUSSERET déposé en application de l'article 145 du Règlement par la mission d'information commune sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône (Tome II - auditions, 1ère partie)

Source : SNCF

() cf. document page 129