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N° 1920

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 novembre 1999.

RAPPORT D'INFORMATION

déposé en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D'INFORMATION COMMUNE

SUR LES PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES DE L'AMÉNAGEMENT
DE L'AXE EUROPÉEN RHIN-RHÔNE (1)

Président

M. Michel VAUZELLE,

Rapporteur

M. Jean-Louis FOUSSERET,

Députés.

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TOME II

AUDITIONS

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Aménagement du territoire.

La mission d'information commune sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône est composée de : M. Michel VAUZELLE, Président ; MM. André GERIN, Jean-Jacques WEBER, Vice-Présidents ; M. Thierry MARIANI, Mme Gilberte MARIN-MOSKOVITZ, Secrétaires ; M. Jean-Louis FOUSSERET, Rapporteur ; MM. Stéphane ALAIZE, Jean-Pierre BAEUMLER, Eric BESSON, Jean-Marie BOCKEL, André BOREL, Yves BUR, Jean CHARROPPIN, Jean-Marie DEMANGE, Dominique DORD, Jean-Michel DUBERNARD, André GODIN, Michel GREGOIRE, Mmes Paulette GUINCHARD-KUNSTLER, Cécile HELLE, MM. Gabriel MONTCHARMONT, Renaud MUSELIER, Joseph PARRENIN, François PATRIAT, Jacques PELISSARD, Bernard PERRUT, Jacques REBILLARD, Jean-Luc REITZER, Marc REYMANN, Jean RIGAUD, Mme Michèle RIVASI, MM. Jean ROATTA, André SCHNEIDER, Bernard SCHREINER, Pascal TERRASSE, Joseph TYRODE, Jean UEBERSCHLAG, André VAUCHEZ, Michel VAXÈS, Gérard VOISIN.

TOME SECOND
(2ème partie)

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la mission

(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

 

Pages

__ Mme Dominique VOYNET, Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement (mardi 19 mai 1998).

7

 

__ M. Jean-Claude GAYSSOT, Ministre de l'équipement, des transports et du logement (mardi 26 mai 1998).

22

__ MM. Jean-Louis GUIGOU, Délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale et Claude ROUSSEAU, Chargé de mission région Rhône-Alpes (mardi 16 juin 1998)


33

__ MM. Gaston BESSAY, Vice-président du conseil national des transports, Président de l'Institut Fer Route Etudes Transports (IFRET) et Alain BONNAFOUS, Vice-président du conseil national des transports, Professeur au Laboratoire d'économie des transports de Lyon (mardi 23 juin 1998)



43

__ MM. François BORDRY et Christian PARENT, respectivement Président et Directeur général de Voies Navigables de France (mercredi 1er juillet 1998).

72

__ M. Jean-Claude MARTINAND, Président de Réseau Ferré de France (mercredi 28 octobre 1998)

89

__ MM. Jean-Claude BERTHOD, Président directeur général de Novatrans, Président du Comité de liaison du transport et de la logistique (CLTL) et vice-président de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) et Jacques DUMERC, Directeur de Novatrans (mercredi 4 novembre 1998).



102

__ MM. Louis GALLOIS, Président de la SNCF et Armand TOUBOL, Directeur du fret (mercredi 18 novembre 1998).

116

__ M. Jean-Claude GAUDIN, Sénateur-maire de Marseille (vendredi 11 décembre 1998 à Marseille).

130

__ MM. Gilbert PAYET, Secrétaire général pour les affaires régionales à la préfecture de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et Hubert PEIGNÉ, Directeur régional de l'équipement (vendredi 11 décembre 1998 à Marseille).


137

__ MM. Gilbert JAUFFRET, Président de la Chambre de commerce et d'industrie du pays d'Arles et Jean-Claude JUAN, Directeur du développement régional à la Chambre régionale de commerce et d'industrie Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse (vendredi 11 décembre 1998 à Marseille).



152

__ M. Claude CARDELLA, Président de la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille-Provence (vendredi 11 décembre 1998 à Marseille).

159

__ M. Jean-Noël GUÉRINI, Président du conseil général des Bouches du Rhône (vendredi 11 décembre 1998 à Marseille).

165

__ MM. Henry ROUX-ALEZAIS et Éric BRASSART, respectivement Président et Directeur du port autonome de Marseille (vendredi 11 décembre 1998 à Marseille).

171

__ M. Jean-Michel DANCOISNE, Président du directoire de la Compagnie Nouvelle de Conteneurs (mercredi 20 janvier 1999).

184

__ M. Jean CHAPON, Président de l'association des utilisateurs de transport de fret (mercredi 27 janvier 1999).

196

__ MM. Pierre-Gérard MERLETTE, Adjoint au directeur du tourisme au secrétariat d'État au tourisme et Philippe MOISSET, Directeur de l'agence française de l'ingénierie touristique (mercredi 10 février 1999).


211

__ M. Hubert du MESNIL, Directeur des transports terrestres au ministère de l'équipement, des transports et du logement (mercredi 3 mars 1999).

221

__ Mme Annie CHANUT, Présidente de la Chambre de commerce et d'industrie Nord-Isère, MM. Jacques ESTOUR et Claude CHARDON, respectivement Président et Directeur de l'Office Interconsulaire des transports et des communications du Sud-Est, Pierre ALLOIN, Président de la Chambre de commerce et d'industrie de Villefranche et du Beaujolais, Pierre BITOUZET et Guy BRUN, respectivement Vice-Président délégué et Président de la commission développement économique de la Chambre de commerce et d'industrie de Lyon (vendredi 5 mars 1999 à Lyon).






235

__ MM. René TRÉGOUËT, Sénateur, Premier vice-président du conseil général, Georges BARRIOL, Cinquième vice-président du conseil général chargé des transports et Bernard RIVALTA, Conseiller général de Villeurbanne, Président du groupe socialiste au conseil général (vendredi 5 mars 1999 à Lyon).



254

__ Mme Anne-Marie COMPARINI, Présidente du conseil régional Rhône-Alpes, Adjointe au Maire de Lyon et MM. Gérard GEOFFRAY, Président du conseil économique et social régional, Bernard SOULAGE, Président du groupe socialiste du conseil régional, Charles PERSONNAZ, Premier vice-président du conseil régional, Jean-Michel BOCHATON, Conseiller régional communiste, Philippe MACKE, Conseiller régional du groupe Indépendants, Entreprise et Ruralité - IER - (vendredi 5 mars 1999 à Lyon).






263

__ MM. Raymond BARRE, ancien Premier ministre, Député, Maire de Lyon, Président de la communauté urbaine de Lyon et Jacques MOULINIER, Adjoint au Maire de Lyon, responsable des politiques d'agglomérations (vendredi 5 mars 1999 à Lyon)



276

__ M. Jean SIVARDIÈRE, Président de la fédération nationale des associations d'usagers des transports (mercredi 24 mars 1999)

285

__ M. Joël de ROSNAY, Directeur de la stratégie à la Cité des sciences et de l'industrie de la Villette (mercredi 31 mars 1999).

299

__ M. Claude GRESSIER, Directeur du transport maritime, des ports et du littoral au ministère de l'équipement, des transports et du logement (mercredi 7 avril 1999).

313

__ M. Gérard BAILLY, Président du conseil général du Jura (mercredi 5 mai 1999 à Besançon)

323

__ M. Christian PROUST, Président du conseil général du territoire de Bellfort (mercredi 5 mai 1999 à Besançon)

331

__ MM. Robert SCHWINT, Maire de Besançon, Jacques VUILLEMIN, Daniel ANTONY, Gérard BOICHON et Michel LOYAT, Adjoints au Maire de Besançon, et de membres du district du grand Besançon (mercredi 5 mai 1999 à Besançon)



346

__ M. Jacques LESIRE, Président de la Chambre régionale de commerce et d'industrie de Franche-Comté accompagné de Mme Dominique LANDRY, Responsable de l'aménagement du territoire à la CRCI de Franche-Comté et de M. Michel VIENNOIS, Directeur de l'aménagement à la CCI du Doubs (mercredi 5 mai 1999 à Besançon)





355

__ M. Jacques SICHERMAN, Directeur régional de l'équipement, et des représentants de PSA Peugeot Citroën : MM. Hervé PICHON, Délégué pour les relations avec les assemblées et les élus, Roger GARNIER, Directeur du centre de production de Sochaux, et Denis DUCHESNE, Directeur du centre de production de Mulhouse (mercredi 5 mai 1999 à Besançon)





369

__ MM. Gilles SENÉ, Porte-parole du collectif Saône-Doubs vivants-Sundgau vivant et François JEANNIN, Vice-président de la fédération nationale des associations d'usagers des transports (mercredi 5 mai 1999 à Besançon)



382

__ MM. Jean-Claude DUVERGET et Bernard CHAINEAUX, respectivement Vice-président et Directeur général des services du conseil régional (mercredi 5 mai 1999 à Besançon)



392

__ M. Jean-Paul MARBACHER, Président de la Chambre de commerce et d'industrie Sud-Alsace, accompagnés de MM. Philippe LESAGE, ancien Président de la CCI et Patrick HELL, chargé de mission transports à la CCI et de M. Jean-Pierre PRIGENT, Président des ports Mulhouse-Rhin (mercredi 19 mai 1999 à Mulhouse)




400

__ M. Eugène RIEDWEG, Premier adjoint au Maire de Mulhouse, accompagné de M. Gérard MARBACH, Directeur du développement économique et des affaires générales (mercredi 19 mai 1999 à Mulhouse)



413

__ MM. Constant GOERG et Philippe GALLI, respectivement Président et Directeur général du conseil général du Haut-Rhin (mercredi 19 mai 1999 à Colmar)


423

__ MM. André BAYLE, Directeur du port autonome de Strasbourg, Chef du service de la navigation et Directeur régional des Voies Navigables de France, Michel CHALOT, Président de la Chambre professionnelle des transporteurs routiers du Bas-Rhin, Jean-François ABY, Président de la métallurgie bas-rhinoise, Jean PERRIN, Permanent de la Chambre de commerce et d'industrie de Colmar et Jean-Pierre PRIGENT, Président des ports de Mulhouse-Rhin (mercredi 19 mai 1999 à Strasbourg)







428

__ M. André HOREL, Secrétaire général des affaires régionales et européennes d'Alsace, Mme Françoise CASTANY, Directrice déléguée au fret (SNCF), MM. André BAYLE, Directeur du port autonome de Strasbourg, Chef des services de la navigation et Directeur régional des Voies Navigables de France, Daniel WAHL, Responsable de l'Observation régional des transports, et Maurice ZYGLER, Direction régionale de l'environnement (mercredi 19 mai 1999 à Strasbourg)






443

__ M. Roland RIES, Maire de Strasbourg (mercredi 19 mai 1999 à Strasbourg)

452

__ Mme Margrith HANSELMANN et M. Matthias RINDERKNECHT, respectivement Sous-directrice et Collaborateur de la section politique et planification de l'Office fédéral des transports avec la participation de Mme Jacqueline MILLER-VOYATZAKIS et M. Ludovic HAREN, respectivement Conseillère économique et commercial et Attaché commercial de l'Ambassade de France en Suisse (mardi 15 juin 1999 à Berne)






455

__ MM. Charles FRIDERICI, Président de l'association suisse des transporteurs routiers (ASTAG), Membre de la commission transport et télécommunications du conseil national (Assemblée nationale) et Michel CRIPPA, Directeur de l'ASTAG (mardi 15 juin 1999 à Berne)




470

__ M. Pierre MOSCOVICI, Ministre délégué chargé des affaires européennes (mardi 29 juin 1999)


484

__ M. Jean-Pierre RONTEIX, Président de la Compagnie nationale du Rhône (mardi 29 juin 1999)


492

Contributions écrites

__ M. Jean-Stéphane DEVISSE, Responsable du programme « Transports durables », Fonds Mondial pour la Nature (WWF) France


502

__ M. Jean-Paul PROUST, Préfet de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur et des Bouches-du-Rhône


507

Audition de MM. René TRÉGOUËT,
Sénateur, Premier vice-président du conseil général,

Georges BARRIOL,
Cinquième vice-président du conseil général chargé des transports

et Bernard RIVALTA,
Conseiller général de Villeurbanne, Président du groupe socialiste au conseil général

(extrait du procès-verbal de la séance du vendredi 5 mars 1999 à Lyon)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Aujourd'hui, où vous accueillez dans cette ville le Président de la République, je vous remercie d'avoir maintenu cette réunion de travail avec notre mission.

Cette mission au nom un peu compliqué - mission d'information commune sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône - l'est moins dans sa conception. En effet, nous avons pris acte les uns et les autres, que nous soyons ou non partisans du canal Rhin-Rhône à grand gabarit, de la volonté du Gouvernement d'y renoncer et avons jugé utile que la représentation nationale, dans sa diversité, tous groupes parlementaires représentés, étudie la façon dont les régions directement concernées par la construction de ce canal, de l'Alsace à Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) en passant par la région centrale qu'est Rhône-Alpes, pouvaient envisager d'autres équipements structurants permettant un développement économique correct dans le cadre de l'aménagement du territoire national et européen.

Nous avons auditionné de nombreuses personnalités nationales à Paris et avons décidé de nous rendre sur place à Marseille, Lyon, Besançon, Mulhouse et Strasbourg, pour écouter les personnalités locales et les élus. Nous comptons rendre notre rapport à la fin du printemps. Ce serait l'occasion de manifester, d'une part, l'intérêt de ces régions pour ce grand axe d'équipement et de développement, qui doit contrebalancer la qualité et la constance de l'étoile rayonnant autour de Paris et, d'autre part, les inquiétudes que l'on peut éprouver à l'égard de la banane bleue et de tout ce qui peut se dessiner en matière de flux économiques et de développement entre le nord de l'Italie et l'Allemagne en passant par la Suisse et l'Autriche. Ce sera là une excellente occasion d'attirer l'attention du Gouvernement, de l'État en général, et de l'opinion publique sur ces questions. Nous sommes donc venus vous écouter aujourd'hui pour connaître vos préoccupations en tant qu'élus du conseil général du Rhône.

M. René TRÉGOUËT : Il est certain que le département du Rhône étant presque un passage obligé - c'est la géographie qui le veut ainsi - les liaisons nord-sud au niveau français, mais aussi au niveau européen, nous posent un énorme problème. Il ne date pas d'hier et a fait l'objet de très nombreux débats au sein de notre assemblée départementale ; ceux-ci se poursuivent d'ailleurs, car si de grands investissements ont été faits ces dernières décennies, chacun connaît, malheureusement, Lyon et son tunnel de Fourvière.

Nous avons apporté une première réponse qui, hélas, n'est pas suffisante, par le contournement routier à l'Est de Lyon. Actuellement, nous menons une réflexion sur le trafic autoroutier pour voir comment les flux nord-sud peuvent traverser l'agglomération et le département. Nous nous préoccupons également du fret SNCF qui aujourd'hui passe non seulement dans l'agglomération, mais au c_ur même de celle-ci, puisque, à moins de faire un très long détour entre le Nord et le Sud, les trains de marchandises sont obligés de passer par la gare de la Part-Dieu. Cela ne se fait pas sans risque. Nous en avons d'autant plus conscience qu'au cours des vingt dernières années, deux accidents se sont produits sur des voies de marchandises un peu au sud de Lyon, dont l'un, celui de Charantay, a beaucoup marqué les esprits, car il impliquait un wagon transportant des matières dangereuses. Si un tel accident s'était produit à hauteur de la Part-Dieu, au c_ur de Lyon, les conséquences auraient pu être très graves. Ce sont deux sujets majeurs auxquels nous portons une attention tout à fait particulière. Par ailleurs, à la demande des présidents de notre assemblée et de la communauté urbaine, j'ai été désigné pour préparer le contrat de plan et, dans ce cadre, nous avons aussi traité de l'axe Rhin-Rhône en tant que fleuve. Cet axe est important, mais quand on le compare au reste de l'Europe, à l'autre partie de l'Europe qui dessert l'arrière-pays allemand mais aussi une grande partie de notre région, la zone de Rotterdam-Anvers, la zone du Rhin et de la Meuse, on s'aperçoit qu'un des éléments essentiels, si nous voulons réussir un jour à être crédibles - et ce n'est pas au maire de Arles que je l'apprendrai - est d'avoir la certitude que la plate-forme de Fos, qui donnera sur la Méditerranée, et tout son arrière-pays, fonctionnera aussi bien que celle de Rotterdam. Pour nous, Lyonnais, qui sommes l'arrière-pays du vôtre, monsieur le président, c'est essentiel, car quand on visite Rotterdam et que l'on voit la capacité de cette plate-forme et les technologies qui y sont en _uvre, on se rend compte qu'il y a là un véritable défi à relever.

Telle est la vision que nous avons de ce problème. Mes collègues pourront utilement vous apporter quelques précisions.

M. Bernard RIVALTA : Je suis président du groupe socialiste mais, sur les grands projets d'aménagement, nous n'avons pas de divergence majeure.

Je n'étais pas opposé au canal Rhin-Rhône, mais quand on connaît les participations qui étaient demandées aux collectivités locales compte tenu de tout ce que nous avons à développer par ailleurs autour de l'agglomération lyonnaise, des choix financiers s'imposaient. Dès lors que le Gouvernement a pris la décision d'arrêter le canal Rhin-Rhône, nous retombions sur des choix initiaux et urgents. Ceux-ci sont de deux natures : ferroviaire et routière.

Lyon est un véritable goulet d'étranglement pour ce qui vient du Nord, de l'Allemagne, de la région parisienne, voire de l'Angleterre. C'est une vraie difficulté en matière d'environnement. Dans des villes comme Bron ou Villeurbanne, il passe 140 000 véhicules par jour, dont de nombreux camions, sous les fenêtres des habitants. Le contournement Est, échappatoire partiel du tunnel de Fourvière, est devenu la voie où il y a le plus d'accidents mortels ; année après année, le chiffre ne cesse de monter. C'est un vrai cauchemar.

Plus globalement, la liaison Rhin-Rhône nous pose un certain nombre de problèmes, car des positions prises ici ou là en matière routière dépassant largement le cadre de l'agglomération l'affectent tout de même.

Ainsi, lorsque Dominique Voynet supprime la liaison Gap-Sisteron, cela renvoie automatiquement la circulation sur Lyon. Il en va de même si l'on ne développe pas l'axe Paris-Clermont-Ferrand-Toulouse. Il faut donc que des choix clairs soient faits en termes d'équipements routiers parce que cela aura une influence sur les décisions des uns et des autres. Je ne suis pas sûr que les choix soient déjà faits. Lors de la réunion que nous avons eue avec M. Gayssot il y a trois ou quatre mois, nous avons posé ce type de problèmes. Les choix qui seront faits au niveau national en matière de voirie auront une influence sur l'axe qui vous préoccupe. Un certain nombre de barreaux sont en cours de réalisation et d'autres sont prévus aux alentours de Bourgoin, qui peuvent modifier l'évolution du trafic. Je parle du trafic routier, mais ce qui vous intéresse plus, je pense, est le trafic poids lourds. Globalement, le flux est de l'ordre de 30 000 par jour. Nous pouvons vous faire parvenir une étude là-dessus. C'est énorme. Un jour ou l'autre, nous aurons une réaction de la population. Dans des collectivités au sang plus chaud qu'à Lyon, il y a belle lurette que les gens auraient barré la route.

M. le Président : Si vous avez des chiffres à nous communiquer, nous vous en serions gré ; peut-être certaines données ne sont-elles pas claires dans certains esprits. Il est important de connaître véritablement l'importance de ce trafic, qui n'apporte rien à nos régions, ne faisant que passer pour polluer, et constituant un danger. J'ai le même problème avec le trafic entre le Portugal, l'Espagne et l'Italie.

M. Bernard RIVALTA : Je suis de ceux qui disent que chacun assume sa part de responsabilité. On ne va pas interdire les camions, ce n'est pas le propos, mais quand on réfléchit en termes stratégiques, je ne vois pas d'autres solutions que d'éclater le trafic sur les trois axes.

M. le Président : Oui.

M. Bernard RIVALTA : Oui, mais quand, par ailleurs, pour d'autres raisons, une décision est prise pour Gap-Sisteron...

M. le Président : C'est fini, cela. On n'en parle plus.

M. Bernard RIVALTA : On n'en parle plus, mais en attendant les camions passent par Lyon. On n'a plus que deux accès, ce qui signifie que, sur Lyon, comme c'est ingérable aujourd'hui, il va falloir trouver des solutions qui soient des solutions moins tangentielles à l'agglomération, des solutions qui passent plus loin et chacun sait que quand on décide de construire une autoroute, des protestations commencent par s'élever de tous cotés.

Le deuxième aspect, c'est le transport ferroviaire. Nous avons le TGV Lyon-Paris depuis longtemps. C'est un instrument qui fonctionne bien. A terme, je pense que la liaison TGV vers Strasbourg ou l'Est sera une des conditions incontournables du développement du déplacement, tout comme le TGV Lyon-Marseille qui sera mis en route en 2001. Pour les voyageurs qui doivent se rendre souvent à Paris, se retrouver en plein centre de Paris en deux heures grâce au TGV a été une vraie révolution culturelle. C'est un aspect qu'il faudra faire passer dans ce rapport. Pour les entreprises privées aujourd'hui, la conception du rapport avec Paris ou avec d'autres communes a été totalement modifiée. Il en ira vraisemblablement de même entre Lyon et Marseille dès que le TGV sera mis en route. Si l'on veut aussi développer cet état d'esprit vers l'Est et l'Allemagne, la liaison TGV dans ces secteurs sera donc un élément incontournable. Dès que l'on aura sorti le trafic voyageurs des lignes classiques, on pourra aborder le développement des lignes fret. Aujourd'hui, les réseaux sont relativement saturés. Je suis élu de Villeurbanne. Les voies passent à la limite de Lyon et de Villeurbanne, entre le parc de la Tête d'Or et le quartier du Tonkin qui abrite 25 000 habitants. Les trains de marchandises qui passent toute la nuit, c'est un vrai cauchemar. Sans parler, comme le disait M. Trégouët, des bombes roulantes qui passent juste sous les fenêtres des habitants. Si cela explose,...

Une des premières données du plan Gayssot est le barreau qui passerait par Satolas, venant de Genève ou de Paris ; il couperait au niveau de Satolas vers le Sud pour redescendre sur les lignes de Valence, avec un éclatement à partir d'Avignon. Cela créerait deux potentialités : la rive gauche du Rhône, qui est actuellement une voie voyageurs, ou la rive droite où circulent déjà beaucoup de marchandises. Ces deux faisceaux descendent et je pense qu'il y aurait là une possibilité d'augmenter la capacité marchandises. J'ai été frappé l'autre jour quand le préfet a donné, à propos du grand contournement Ouest, les chiffres de transport de fret par rail. C'est un chiffre impressionnant. Je pensais qu'il s'établissait autour de 5 % ; il est, en fait de l'ordre de 17 %.

Le débat sur contournement autoroutier reprend et un document qui pourrait vous être utile devrait être prochainement diffusé par le préfet portant sur l'ensemble des trafics et des flux dans Lyon. Comme nous sommes obligés d'étudier les grands contournements Est ou Ouest de l'agglomération, il faut commencer par savoir combien passent de camions, de tonnes de fret par route, par train, etc. Le préfet a à peu près tous ces chiffres. Je dois préciser que ces pourcentages fer-route de partage modal concernent le trafic de transit. Les parts de ferroviaire sur le transit sont actuellement assez fortes dans le couloir rhodanien, de l'ordre de la moitié, ce qui n'enlève rien aux remarques relatives au nombre élevé de camions sur la route.

En matière fluviale, le fait d'abandonner le projet du canal Rhin-Rhône donnera à la place de Lyon, au port Édouard Herriot, une nouvelle orientation. Il aurait dû être un port de passage et de distribution ; il sera, par rapport à Marseille, un point d'arrivée. Il nous faudra donc étudier, si l'on veut le développer, les possibilités de branchement au fer et à la route. Au lieu d'une plate-forme classique, nous aurons une plate-forme avec une fonction un peu particulière, sachant que du fret remonte - d'Italie et d'ailleurs - par les voies fluviales. Nous devrons vraisemblablement mener une nouvelle réflexion sur « Lyon : port fluvial », car si le port Édouard Herriot devient un terminus, pour pouvoir profiter de la voie jusqu'à Lyon, il faudra mettre en place une nouvelle conception de plate-forme en matière de distribution, notamment du trafic de marchandises. Et l'on revient à la question de M. Trégouët : quelle liaison entre Lyon et Marseille ? Comment ces deux pôles travaillent-ils en fluvial ? Et aussi comment travaillent-t-ils en interactif avec le chemin de fer et la route si l'on veut rejoindre la zone de Strasbourg et l'Allemagne ? Nous n'avons pas encore beaucoup travaillé sur ce thème. Sur le rail comme sur la route, nous commençons à y voir assez clair, mais sur cette question du fluvial et du pôle intermodal, tout reste à faire.

C'est secondaire, mais je pense également que l'aéroport de Satolas en termes de fret est bien mieux situé - je ne dis pas cela pour vous peiner - que l'aéroport de Marignane, plus engoncé. Si l'on fait le fameux barreau, le trafic passera par Satolas. Avec l'autoroute, le TGV et le chemin de fer c'est un potentiel fantastique...

M. René TRÉGOUËT : Marignane est-il connecté au réseau TGV ?

M. le Président : Ne me parlez pas de ça ! J'en suis malade. Nous avons fait une gare sur le plateau de l'Arbois, alors qu'il la fallait, évidemment, à Marignane.

M. Bernard RIVALTA : Nous avons donc, à Satolas, le quatrième élément, la dimension fret aérien. On peut penser qu'un jour, Satolas puisse devenir un des aéroports de Marseille, Nice ou Nîmes, en termes de fret dès lors que tout sera raccordé et situé au même endroit. On dit souvent - j'avais posé une question à M. Gayssot en ce sens - que Satolas, qui a encore des capacités énormes de développement, pourrait être le troisième aéroport de l'agglomération parisienne, dans la mesure où il sera plus facile et rapide avec le TGV d'aller de Satolas à Paris que d'Orléans ou de Chartres aux aéroports parisiens, avec les difficultés qu'il y a à entrer dans Paris.

Tels sont les axes de développement que je vois, avec donc, deux points particuliers : le port de Lyon, sa nature et sa fonction, et la plate-forme de Satolas.

M. le Président : Maintenant que je sais que Satolas est l'aéroport de Paris et de Marseille, je peux rentrer chez moi !

M. René TRÉGOUËT : Depuis quelques mois, nos techniciens attirent notre attention sur une problématique nouvelle qui jouera son rôle sur le destin de nos deux régions - Rhône-Alpes et PACA. Il s'agit du fait que le centre de gravité de l'Europe étant en train de se déplacer vers l'Est, les Allemands, aidés très fortement par les Suisses et leurs récentes décisions, auront de plus en plus tendance à descendre par d'autres chemins vers le bassin méditerranéen, reprenant en quelque sorte le parcours lotharingien. Vu les forts investissements que vont faire les Suisses, puisque maintenant que c'est voté, ils iront bien plus vite que nous. Nous, nous avons un programme Lyon-plaine du Pô-Turin, nous aurions pu faire une alternative très importante à la fois pour votre région et notre région, en maintenant un parcours naturel.

Le problème fondamental du XXIème siècle se pose en ces termes. Il faudrait mieux avoir une perspective parce que, aujourd'hui, on se plaint d'avoir un fort trafic, mais il faut quand même considérer que ce fort trafic concourt à notre dynamisme économique, tant de la région Rhône-Alpes que de PACA. Nous nous plaignons du nombre de poids lourds, mais c'est tout de même une source d'enrichissement en ce sens qu'il y a beaucoup d'activités économiques qui se connectent sur tout cela. Or, si cet axe se connecte plus à l'Est, il faut que vous sachiez que nous y sommes très sensibles et c'est pour cela que nous voudrions que le Gouvernement examine de très près la liaison Lyon-Turin, car c'est la façon, pour nous mais aussi pour vous, en faisant la connexion avec PACA, puisque l'on peut tout à fait remonter l'Isère, de rejoindre cette zone de regroupement à l'entrée des Alpes. C'est une position à défendre pour l'avenir.

M. le Président : Dans le choix TGV Rhin-Rhône ou TGV Lyon-Turin, qu'allez-vous appuyer ?

M. René TRÉGOUËT : Dans l'immédiat, c'est Rhin-Rhône, mais l'un n'est pas exclusif de l'autre. Du moins, nous ne le voyons pas comme cela.

M. le Président : Mais s'il faut faire un choix ?

M. René TRÉGOUËT : Ce serait Rhin-Rhône parce que c'est quand même plus naturel.

M. Bernard RIVALTA : Pour ma part, je ne suis pas persuadé que l'agglomération de Lyon ne défende pas plutôt le Lyon-Turin. Il faut parler franchement : la dynamique avec le nord de l'Italie et Genève est forte. Je pense que, d'une façon générale, les élus de région défendront plus facilement le Lyon-Turin. Je suis convaincu que le Rhin-Rhône est effectivement prioritaire, mais je ne suis pas sûr que l'on arrive à faire passer ce thème. Loin s'en faut.

M. le Président : Mais quel Rhin-Rhône ?

M. le Rapporteur : C'est très important.

M. Bernard RIVALTA : Oui, pour vous, sans doute,... Nous nous regardons la fonction

M. le Rapporteur : Même pour vous. D'après ce que j'ai cru comprendre, ce matin, à la Chambre de commerce, le fait qu'il y ait une branche Sud du TGV Rhin-Rhône qui irrigue toute la région lyonnaise pourrait être fort important. Le choix n'est donc pas innocent. Et il est vrai que nous constations que, dans le débat TGV Rhin-Rhône, la région lyonnaise s'est montrée très discrète, alors qu'en terme d'attractivité, de dynamisme économique, il est très important d'obtenir cette branche Sud du TGV qui, depuis Mulhouse, dessert directement votre région.

M. Bernard RIVALTA : Je ne prendrais pas partie pour savoir si cela doit passer par Mulhouse ou ailleurs, mais on voit bien qu'il existe un processus de traversée de l'Alsace, descente de l'Allemagne, par le Jura jusqu'à Lyon. Par ailleurs, dans l'esprit lyonnais, pour bon nombre d'élus, cette liaison Lyon-Turin est aussi importante car il est nécessaire d'avoir cette liaison avec le nord de l'Italie. C'est le choix de l'Allemagne ou de l'Italie. Il se pose en termes géostratégiques, c'est tout.

M. le Rapporteur : Avez-vous une réflexion de vos services sur ce point ?

M. André SCHNEIDER : A propos du choix entre Italie et Allemagne, s'il s'agit de capter le trafic qui vient du nord pour le distribuer ensuite vers le sud, je pense qu'il vaudrait mieux commencer par cette branche nord. Je suis un élu de Strasbourg et je constate aujourd'hui déjà que, de chez nous, les flux se font de plus en plus vers la rive gauche du Rhin, vers la Suisse, où quelques problèmes se posent encore, mais cette dernière fait de gros efforts et, vous l'avez dit, ils seront résolus rapidement. Une fois que nous aurons établi le circuit par-là, il ne reviendra plus de l'autre côté. Et comme nous nous sentons terriblement isolés à l'heure actuelle, faites-moi confiance, nous cherchons à passer par ailleurs !

M. Georges BARRIOL : Je partage tout à fait le sentiment de mon collègue sur les différents dossiers, notamment sur le développement nécessaire de Satolas. L'important dossier du contournement de fret par l'Est au niveau de Satolas me semble être l'un des axes majeurs à travailler, bien que l'échéance me paraisse assez lointaine, malheureusement, en regard des possibilités de faisabilité. Il y a là une certaine urgence.

Sur les grands dossiers de voirie, j'émettrai une note un peu discordante par rapport à ce qu'ont dit mes collègues, non parce que je suis un élu de l'ouest, mais parce que, dans le débat d'opportunité qui démarre sous l'égide de M. le préfet à partir du 15 mars, à la question posée - faut-il un contournement à l'ouest ou à l'est de l'agglomération ? - je répondrais qu'il en faut un à l'ouest, mais qu'il en faut aussi un à l'est.

A l'est tout d'abord, parce que les grandes plates-formes économiques dont nous avons parlé nécessitent une irrigation, qui paraît tout à fait indispensable.

A l'ouest, ensuite, pour le trafic nord-sud ; en effet en termes d'aménagement du territoire tel qu'il se présente depuis un certain nombre d'années et tel que le débat d'opportunité que nous allons avoir semble le préfigurer, les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a un grave danger à envisager un contournement ouest si proche de l'agglomération, à une douzaine de kilomètres seulement de Bellecour quand on sait le transit poids lourds particulièrement dense qui y circulera, avec ses effets polluants et avec un engorgement supplémentaire de la vallée du Rhône, parce que les raccordements actuellement envisagés risquent de se faire en amont de Vienne, venant encore encombrer les secteurs particulièrement saturés. L'argument que l'on m'oppose est que ce contournement ferait vingt kilomètres de moins, et que cela serait plus attractif pour les poids lourds ; mais pour ceux qui vont de la Hollande au sud de l'Europe, vingt kilomètres de moins, c'est tout à fait négligeable !

Il ne s'agit pas là d'un point de vue particulièrement partisan de défense de nos territoires, même s'il est vrai aussi que l'ouest lyonnais est le poumon vert de l'agglomération avec le parc départemental de Lacroix-Laval sur 120 hectares, lieu de week-end privilégié. En tant que décideurs, il est important de se projeter dans l'avenir et si l'on envisageait un contournement ouest tel que celui qui risque d'être décidé, je pense que l'on ferait la troisième erreur de l'agglomération, après le tunnel sous Fourvière et la rocade Est qui a été une erreur parce qu'elle draine un mélange des trafics, un trafic d'agglomération et un trafic national. Le contournement ouest ne réglera pas du tout les problèmes de trafic local ; il ne faut pas oublier que sous le tunnel de Fourvière, circulent seulement 20 % de transit national pour 80 % de trafic d'agglomération. Je souhaiterais simplement, dans le cadre de cette intervention, attirer l'attention sur les risques que l'on encourt à vouloir avoir un transit de cette importance qui passe à l'intérieur d'agglomérations, dont cela définirait d'ailleurs aussi les limites d'urbanisation. Il y a là un réel danger.

M. le Rapporteur : Peut-être pourriez-vous nous parler du port ?

M. René TRÉGOUËT : Le port Édouard Herriot se spécialise de plus en plus dans le trafic de conteneurs. Il y aurait peut-être une synchronisation à faire de ce point de vue entre nos deux régions, PACA et Rhône-Alpes, plus particulièrement PACA et le département du Rhône et la communauté urbaine, car j'ai appris récemment qu'il y a eu des accords au niveau du conteneur SNCF. Il faudrait coordonner nos actions, il serait ridicule de développer des équipements et que la SNCF aille prendre plus loin les conteneurs.

M. Bernard RIVALTA : Je rappelle que le port est géré par la Compagnie Nationale du Rhône. Il y a une coordination entre le transport ferré et le transport fluvial, mais il y a un fort développement du trafic de conteneurs en liaison avec Fos.

M. le Président : Il y aussi des ports plus au nord.

M. Bernard RIVALTA : Ensuite, cela dépend du gabarit des péniches. Au-delà d'Édouard Herriot, vous ne passez plus avec les porte-conteneurs. Une fois que vous traversez Lyon, il n'y a plus que la Saône qui est navigable.

M. le Rapporteur : C'était d'ailleurs le problème du canal.

M. Bernard RIVALTA : Oui, bien sûr. Il fallait faire sauter tous les ponts à Lyon. Je ne connais pas les tonnages des péniches classiques, mais ce sont les péniches que l'on connaît depuis qu'on est gamin, c'est ce type de péniches qui passent.

M. Georges BARRIOL : Pour être plus précis, ce n'est pas le grand gabarit du canal Rhin-Rhône, mais c'est un gabarit de l'ordre de 1200 tonnes. Ensuite, au nord de Lyon, on reprend le grand gabarit.

M. Bernard RIVALTA : Pour schématiser, tout ce qui est marchandises développées par le port Édouard Herriot s'arrête à Lyon. Ensuite, cela ne passe plus.

M. René TRÉGOUËT : Il existe un dernier aspect sur lequel, monsieur le président, les enjeux sont beaucoup moins importants financièrement mais qui, à mon avis, va croître très rapidement. Face à la demande, d'ailleurs, de premières décisions ont déjà été prises par la CNR, il s'agit de l'aspect touristique.

J'ai la chance de faire à la fois du bateau et du vélo. Ce sont deux activités que le Rhône appelle. Il serait bien d'avoir une piste cyclable sur tout son parcours, partant de Lyon jusqu'à la Méditerranée. Ce parcours représente un potentiel énorme pour le tourisme estival et d'intersaison, à l'automne, vu la qualité du parcours. Il y a également un besoin d'aménagement orienté vers le tourisme fluvial. Cela fait trois fois que je remonte le Rhône avec un petit bateau. Je rencontre beaucoup d'Allemands, pour lesquels c'est un raccourci de passer par le Rhône. Mais pour ces personnes qui font du bateau, il n'existe que des amarrages en eau vive. Or, le Rhône est quand même assez rapide et il est peu agréable de laisser son bateau amarré en eau vive. Il faudrait faire quelques plates-formes en eau calme le long du Rhône permettant de faire des haltes pour le tourisme fluvial. Cela ne coûterait pas très cher et donnerait une nouvelle image du Rhône. Et l'on pourrait continuer en remontant la Saône et aller bien au-delà.

Et il faut également une piste cyclable. Quand l'on remonte ainsi un fleuve, l'intérêt, c'est d'avoir des vélos à bord et qu'une partie de la famille parte faire du cyclotourisme le long du fleuve. J'ai fait le canal du Midi comme cela. C'est un tourisme familial qui se développe beaucoup. Je pense qu'il ne faut pas oublier l'importance touristique de cet axe.

M. le Président : Vous avez remonté ou descendu le Rhône en bateau plusieurs fois récemment. Les paysages n'ont-ils pas été tellement abîmés que l'intérêt touristique devient mineur ?

M. René TRÉGOUËT : Il est vrai que partout où l'on a canalisé, c'est très uniforme. Mais si l'on faisait des haltes régulières pour permettre d'utiliser le vélo, cela pourrait être bien parce que l'on passe tout de même près de sites extraordinaires : Arles pour commencer, avec le grand Rhône et le petit Rhône, Avignon,... Même nous, à Lyon, nous ne prêtons pas assez d'attention aux fleuves car je vous assure, très sincèrement, que pour s'arrêter dans Lyon avec un petit bateau, il faut avoir du courage !

M. Bernard RIVALTA : Il faut reconquérir le fleuve.

M. René TRÉGOUËT : Nous avons deux fleuves qui traversent Lyon mais rares sont ceux qui vont sur les fleuves. Le nord de Lyon est splendide par exemple, quand on monte vers le Beaujolais, que l'on traverse les Monts d'Or. La plus belle vue que l'on puisse avoir sur les Monts d'Or, c'est depuis un bateau sur la Saône. Tout cela, on ne l'exploite pas, malheureusement. Là, nous pourrions avoir des actions coordonnées.

M. le Rapporteur : Ce que vous dites peut être utilement pris en compte vers le nord jusqu'à l'Allemagne.

M. André SCHNEIDER : Il faut retenir l'idée d'un aménagement global parce que si l'on n'aménage qu'un petit bout, ce n'est pas suffisant. Pour le tourisme, la liaison existerait jusqu'à Strasbourg par l'ancien canal.

M. le Rapporteur : Mais il faut l'aménager. Il ne faut pas penser qu'aux mariniers professionnels, il faut aussi penser aux touristes. Chez nous, il y a de plus en plus de petits ports de plaisance.

M. René TRÉGOUËT : Nous avons Condrieu au sud, où vous pouvez laisser votre bateau, sinon il faut monter à Villefranche au nord, où il n'y a pas beaucoup de places, ou à Mâcon.

M. André SCHNEIDER : Le tourisme fluvial a des retombées économiques qui sont loin d'être négligeables.

M. Georges BARRIOL : Dans le projet d'urbanisme de la ville de Lyon, est prévu l'aménagement d'un port de plaisance dans le secteur de la presqu'île.

M. le Président : Nous vous remercions de votre accueil.

Audition de Mme Anne-Marie COMPARINI,
Présidente du conseil régional Rhône-Alpes, Adjointe au Maire de Lyon

et MM. Gérard GEOFFRAY, Président du conseil économique et social régional,

Bernard SOULAGE, Président du groupe socialiste du conseil régional,

Charles PERSONNAZ, Premier vice-président du conseil régional,

Jean-Michel BOCHATON, Conseiller régional communiste,

Philippe MACKE,
Conseiller régional du groupe Indépendants, Entreprise et Ruralité (IER)

(extrait du procès-verbal de la séance du vendredi 5 mars 1999 à Lyon)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

Mme Anne-Marie COMPARINI : Nous sommes heureux de vous accueillir. Lorsque vous avez pris contact avec moi en janvier ? j'ai pensé que ce serait une excellente idée que l'ensemble de mes collègues de la région Rhône-Alpes puissent vous rencontrer. En tant qu'élus locaux, nous voyons en effet au quotidien tout l'intérêt, pour l'activité économique et l'emploi, des flux de transport dans le contexte européen. Il est donc important que les uns et les autres puissent donner leur sentiment au nom de l'ensemble du conseil régional, car au delà de nos familles politiques, il y a un combat commun.

On évoque souvent le fer et la route, et l'on oublie le fleuve. Or, il y a certainement des réflexions à conduire sur ce thème pour éviter - nos deux régions, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur, sont concernées - que nous devenions une sorte de lieu de passage de l'Europe du Nord et que nous n'en tirions pas le bénéfice. Pour ces deux raisons majeures, les conseillers régionaux ainsi que le conseil économique et social, représenté par M. Geoffray, sont heureux de vous accueillir.

M. le Président : Je vous remercie, madame la présidente. Je suis naturellement, à de nombreux titres, très heureux de me trouver auprès de vous dans cette région, à ce moment de l'histoire de la région.

Notre mission a un titre quelque peu compliqué - mission d'information commune sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône -, ce qui ne veut pas dire que son objet soit aussi complexe. Nous avons simplement pris acte de la décision du Gouvernement Jospin, quels qu'aient été notre groupe politique et notre option en faveur ou contre le canal Rhin-Rhône, et avons décidé de nous rassembler pour avoir une vision du futur au lieu de nous appesantir sur des regrets concernant désormais le passé. C'est ainsi que nous avons souhaité que l'ensemble de la représentation nationale, toutes sensibilités confondues, examine, avec les élus des régions concernées et avec les représentants du monde économique et social, les solutions alternatives au canal, en étudiant notamment les grands équipements routiers, autoroutiers, ferroviaires, aériens qui permettraient à ce grand axe, qui va de l'Alsace à la Provence, au c_ur duquel se trouve Lyon et sa région, d'avoir des perpectives de développement dans l'aménagement du territoire national et, plus largement, dans l'aménagement du territoire européen. Du côté de la DATAR, nous avons constaté que l'on insistait beaucoup sur le fait qu'il y avait un axe rhénan et un axe rhodanien et qu'un barreau, utile pour le développement économique de Lyon comme de Mulhouse, de Strasbourg, de Besançon ou de Marseille, manquait. C'est là un sujet d'intérêt national qui nous conduira, en tant que représentants de la Nation, à déposer un rapport au printemps prochain pour indiquer nos souhaits en matière d'équipement, interpeller le Gouvernement et l'État, mais aussi les habitants de nos régions sur les décisions qui doivent être prises, dès maintenant, compte tenu de l'importance des travaux envisagés, de leur coût et du calendrier de leur réalisation. Il faut qu'en cette année de discussion des schémas régionaux d'aménagement du territoire et des contrats de plan État-régions, nous parvenions à quelque chose de fort, d'autant que même si l'État a la volonté d'aménager le territoire entre Alsace et Provence, en passant par Rhône-Alpes et la Franche-Comté, on voit bien dans ses projets, parce que c'est une tradition multiséculaire, transparaître une tendance à disposer à nouveau en étoile autour de Paris les équipements, qu'il s'agisse du TGV, du tunnel sous la Manche et d'autres aménagements de grand coût.

Nous pensons qu'il est nécessaire de faire entendre, d'une voix forte, une volonté différente, celle de cet axe franco-européen qui relierait le Rhin et la vallée du Rhône. Cela nous semble d'autant plus utile qu'une menace pèse maintenant sur nous, qui ne semblait pas peser sur Lyon auparavant : à la suite des décisions prises en Suisse, les flux risquent d'aller directement du Nord de l'Italie vers l'Allemagne, et inversement, évitant Lyon, ce que l'on croyait impossible, en tout cas jusqu'à présent.

Tout cela nous amène à nous rapprocher et a conduit notre mission, qui a écouté de nombreuses personnalités, à se déplacer dans les régions - hier Marseille, aujourd'hui Lyon, demain Mulhouse, Strasbourg ou Besançon - pour écouter les élus et les responsables car ils savent mieux que nous, en tout cas, pour ce qui ne concerne pas directement nos propres circonscriptions, les besoins de nos régions. C'est la raison de notre visite aujourd'hui. Nous avons ce matin rencontré les Chambres de commerce de la Région Rhône-Alpes, ainsi que le conseil général du Rhône, puis, après un déjeuner de travail avec le Préfet de région et le SGAR, nous voici maintenant devant vous, avant de rencontrer, en fin d'après-midi, le maire de Lyon.

M. Gérard GEOFFRAY : Nous vous remercions d'essayer de faire en sorte que nos régions proches du tracé du canal puissent se retrouver et exprimer de la voix la plus concordante possible les intérêts des diverses contrées traversées.

Il faut que vous sachiez que les conseils économiques et sociaux ont, périodiquement, l'occasion de se rencontrer ; nous essayons de définir, comme vous le disiez fort justement, au travers des contrats de plan ou des schémas régionaux, un tronc commun à nos approches pour pouvoir, en présentant simultanément celui-ci pour chacune de nos régions, avoir encore plus de poids vis-à-vis de nos interlocuteurs. Sachez également que se sont réunis ici même, à Charbonnières à l'automne dernier, les six présidents de conseils économiques et sociaux des régions limitrophes à Rhône-Alpes, c'est-à-dire Provence-Alpes-Côte d'Azur, Auvergne, Bourgogne, Franche-Comté et Languedoc-Roussillon, puisque nous avons une ligne commune dans le Sud-Est. Nous en sommes à la finalisation du document de synthèse, qui devrait sortir dans les quinze jours. Il sera, bien sûr, communiqué à Mme la présidente et à vous-même en son temps.

Cet axe nord-sud et le passage dans la région lyonnaise, et dans le couloir rhodanien, est un élément déterminant du devenir de nos régions. C'est également un couloir important pour le maintien de l'intégration du Sud-Est de notre pays, et du pays dans son ensemble, à l'Europe qui voit actuellement son centre de gravité tiré plus à l'Est, avec l'ouverture vers les pays de l'Est. Donc, pour nous, il est important qu'à la fois l'axe nord-sud, qui intéresse directement notre région et la vôtre, mais aussi les liaisons est-ouest puissent prendre corps.

Concernant les liaisons nord-sud, tout le monde s'accorde sur un accroissement du trafic à venir ; le DATAR parle d'un doublement du trafic marchandises à l'horizon 2020. Dans une telle perspective, il est, à mon avis, illusoire d'imaginer que des aménagements de l'existant ou des dérivatifs, tels la liaison Grenoble-Sisteron ou même Clermont-Ferrand-Narbonne, soient suffisants pour désengager l'axe nord-sud de la vallée du Rhône, sachant - et les Chambres de commerce ont dû, j'imagine, vous le rappeler ce matin - que les trois quarts des flux, si ce n'est plus, mesurés sur cet axe de la vallée de Rhône sont des dessertes locales. On a l'impression que l'on est envahi par des gens qui vont du Nord au sud ou du sud au Nord. C'est en partie vrai, ça l'est sûrement pendant les périodes de transhumance, de congé, mais, au quotidien, la vallée du Rhône doit sa saturation aux flux de desserte locale.

On a dû vous dire, également, que la distance moyenne parcourue sur cet axe par les véhicules légers est de 90 kilomètres et par les poids lourds de 120-130 kilomètres, ce qui confirme bien que ce n'est pas en recherchant une solution ailleurs que l'on va fondamentalement trouver une réponse à la congestion que l'on voit venir de la vallée du Rhône.

En ce qui concerne la partie ferrée, le TGV Méditerranée nous apportera un bon ballon d'oxygène, et encore plus dans la mesure où il pourra se poursuivre au-delà de Montpellier jusqu'en Espagne.

Au niveau ferré, pour nos régions et pour le Sud-Est de la France, il est clair que c'est la percée alpine qui nous préoccupe et qui reste la priorité des priorités, sans sous-estimer le barreau sud du TGV Rhin-Rhône, qui irait de Dôle à quelque part au Nord de Lyon. Mais je pense que, dans les urgences, la priorité serait à donner à l'ouverture sur le nord de l'Italie qui, pour nous et pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur constitue un élément capital de l'aménagement des voies ferrées. Mais, on le sait bien, cet aménagement passe également par d'autres projets, comme le contournement Est, car Lyon est, effectivement, le point de saturation, vrai mélange de TER, de TGV, de fret marchandises et de voyageurs. C'est un point crucial, comme le sont d'ailleurs certains autres contournements de villes - je pense à Avignon, Nîmes ou encore Montpellier. Puis, il y a également, avec la libération de certains sillons sur les voies normales actuelles, la possibilité d'affecter probablement encore plus que cela ne l'est aujourd'hui la voie ferrée rive droite du Rhône à un usage fret. C'est déjà le cas, mais son utilisation pourrait être encore renforcée.

J'ajouterai deux mots sur le mode fluvial. Cette potentialité que nous avons de relier le Rhône aux Bouches-du-Rhône par le fleuve qui les lie est sûrement encore mal utilisée. Seulement 4 % du trafic des marchandises est transporté par le Rhône, même si cette année 1998 a marqué une augmentation de 10 % du trafic fluvial. Il faut manifestement poursuivre dans ce sens, en sachant bien toutefois qu'arriver dans un presque cul-de-sac au Nord est, pour ce grand axe fluvial, un handicap certain. On ne désespère pas. Si le canal Rhin-Rhône par le Doubs est rayé de la carte, pourquoi, à terme, ne pas reprendre quelques études pour faire la jonction par un tracé moins mouvementé, en rejoignant, par exemple, la Moselle un peu plus au nord ? Tant que le Rhône ne sera pas relié au réseau fluvial du Nord de l'Europe, nous aurons une petite desserte, de cabotage, sans plus.

Je dirai également deux mots du problème de la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) puisqu'un certain nombre de collectivités de la région Rhône-Alpes étaient actionnaires de cette société. Je pense, pour ma part, que l'on peut aspirer, après l'arrêt du financement d'un canal qui n'existe plus, à voir néanmoins maintenues dans les régions dont les collectivités s'étaient engagées à côté d'EDF au sein de la CNR, les ressources qui ne leur seraient plus affectées, ou pour être plus précis, qu'elles ne se retrouvent pas diffuses au sein de Voies Navigables de France (VNF), avec des financements relativement limités. Il faudrait insister et rappeler ce qu'était initialement la vocation de la CNR - les anciens s'en souviennent tous. C'était, bien sûr, premier volet, produire de l'électricité, mais c'était aussi, deuxième volet, assurer la navigation. Même si le canal du Doubs est rayé de la carte, je pense que l'on veut toutefois maintenir le potentiel de navigation sur la partie navigable de nos fleuves. Il faut donc en assurer l'entretien et accorder les moyens nécessaires pour le faire. Le troisième volet était l'irrigation.

Je précise en outre, parce qu'on l'a constaté dans le temps, l'effort à faire pour assurer au débit du fleuve, en particulier à proximité des barrages, une alimentation suffisante pour que les bras morts retrouvent vie. Cela demande des travaux. On ne peut pas se contenter d'être dans le pot commun, et admettre qu'il n'y ait pas, compte tenu de l'antériorité du financement qui a été celui des collectivités locales, un retour plus substantiel et marqué de la part de VNF, puisque je crois savoir que maintenant c'est elle qui aura en charge tout ce qui relevait de la CNR, mis à part la production d'électricité.

M. Bernard SOULAGE : Je suis président du groupe socialiste et c'est à ce titre que je m'exprimerai, mais en tant que président de la commission des transports, je vous dirai que c'est un domaine que nous commençons à aborder. Nous serons en effet saisis dès la semaine prochaine d'un dossier sur le TGV Rhin-Rhône.

Je partage beaucoup des points de vue que vient d'exprimer le président Geoffray, à quelques remarques et quelques compléments près. Le premier petit désaccord, mais c'est un point important, concerne la nature exacte du trafic sur la partie sud de Lyon-Marseille. J'avais des chiffres en tête légèrement différents, notamment la distance parcourue par les camions, puisque nous nous sommes promenés assez longtemps avec le concept d'autoroute ferroviaire qui n'a de pertinence que lorsque l'on peut mettre un camion pendant au moins 300 kilomètres, et même plutôt sur 600. Je n'avais pas les mêmes chiffres que vous.

Deuxième point, je ne suis pas sûr que l'hypothèse retenue il y a maintenant onze ans par le ministre Maurice Faure soit aussi peu efficace que cela. Je pense, pour ma part, que les deux axes parallèles à la vallée du Rhône ont leur pertinence sur un certain type de flux et qu'il faut donc les poursuivre. Mais, en effet, il ne faut pas rêver, l'axe Grenoble-Sisteron, quelle que soit sa forme, n'a pas vocation à drainer des poids lourds. De ce point de vue, je rejoins votre interrogation ; la question du passage des poids lourds demeure, même si elle peut être traitée de façon un peu différente. Pour nos deux régions, aujourd'hui, le problème majeur se situe au sud de Valence. En amont de Valence, les problèmes sont moins complexes. Toutes les études de trafics sont très claires sur ce point. En revanche, entre Valence et Orange, le problème est immédiat.

J'étais personnellement contre le canal Rhin-Rhône dans sa conception initiale. Cela avait même fait l'objet de grands débats, depuis trente ans, avec mon professeur Raymond Barre. Je n'y ai jamais été favorable pour des raisons d'équilibre économique du projet. Par contre, j'ai toujours pensé qu'une sortie plus au nord avait certainement une vraie pertinence. Je ne sais pas où la discussion en est sur ce point. Ce thème a été repris par le Premier ministre ; peut-être pourriez-vous nous éclairez, vous devez connaître le sujet mieux que nous.

Pour parler des infrastructures, il y a quelques questions majeures devant nous.

Le TGV Rhin-Rhône est une vraie question, y compris dans son tracé. Nous avons à nous positionner. Ce sera l'objet de notre débat la semaine prochaine, mais aussi dans les mois qui viennent, sur ce que l'on entend par son débouché lyonnais. Il y a là une vraie question d'aménagement du territoire. Se raccordera-t-il au nord de Lyon ou ira-t-il, via Bourg-en-Bresse, se raccorder aux alentours de Satolas ?

Mme Anne-Marie COMPARINI : Ce qui n'est pas du tout pareil.

M. Bernard SOULAGE : En effet. A vingt kilomètres près, on change la nature du problème. Je rappelle que le député-maire de Bourg-en-Bresse, André Godin, milite fortement, avec de bonnes raisons, pour que ce TGV passe par sa ville et continue en direction de Satolas, avec un raccordement à Satolas sur la ligne du TGV Méditerranée. Il y a là un enjeu majeur qui s'articule d'ailleurs avec notre préoccupation commune sur la transalpine parce que, selon l'hypothèse choisie, l'articulation se fait ailleurs et différemment. En termes de fret notamment, on repositionne complètement en amont de Lyon une plate-forme multimodale, qui se situe alors autour d'Ambérieux et qui a sa vocation propre, grand point nodal de toutes nos opérations puisqu'il peut servir d'initialisation à deux logiques d'autoroute ferroviaire, l'une allant vers la vallée du Rhône via la rive droite du Rhône, et l'autre étant transalpine. Il ne faut pas se tromper parce que nous n'avons pas l'argent pour tout faire à la fois. Par contre, on sait et on le voit bien sur la transalpine, mais aussi sur le Rhin-Rhône ; dès lors que l'on est capable de mettre du fret et des voyageurs sur la même ligne, on gagne en rentabilité économique de façon absolument considérable. Il y a donc là quelques enjeux qui ne sont pas négligeables. En ce qui concerne les TGV, il ne faut pas sous-estimer l'impact de ce qui sera dans deux ans pour nous une chance, qui est le fait d'avoir un TGV pouvant être desservi de presque tous les points de Rhône-Alpes. Avec un TGV, Grenoble-Marseille ou Grenoble-Montpellier, c'est deux heures. C'est moins que la route, même en allant très vite et en dépassant les limites de vitesse. Cela peut drainer tout le sillon alpin.

La connexion avec Saint-Etienne et l'ouest de la région a été mal conçue. Nous avons toujours un problème sur la façon dont ce TGV-Méditerranée est utilisé par l'est et l'ouest. Nous sommes en train de trouver un schéma pour l'est de notre région, en drainant à travers le sillon alpin une fois qu'il sera électrifié mais, pour l'ouest, le problème n'est pas bien réglé. Il serait dommage que nos amis de l'ouest de la région n'aient pas la possibilité de bénéficier à plein de l'effet TGV-Méditerranée pour aller vers votre belle région. C'étaient quelques remarques sur les infrastructures. Je voudrais maintenant insister sur deux autres points.

Je pense qu'à l'échelle de ces régions, nous devons avoir un dialogue sur d'autres questions que les infrastructures. Vu de très loin, il y a vraisemblablement un quart sud-est de la France. Je ne sais pas s'il commence en Alsace mais, en tout cas, il n'implique pas que Provence-Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes. Nous avons en matière économique des choses à construire, un dialogue lors de la préparation de nos contrats de plan État-régions respectifs. Il ne faut pas rêver, nous n'allons pas faire des contrats de plan État-régions communs, mais peut-être une ou deux actions sur la dynamique économique.

De la même façon que nous avons été quelques-uns à militer dans notre propre région pour le rapprochement entre Lyon et Grenoble, sur le plan universitaire et sur le plan scientifique pour éviter que l'on fasse tout et n'importe quoi, à cette échelle aussi des complémentarités devraient apparaître. Elles ont été mises en évidence par des gens qui connaissaient bien nos deux régions. Nous avions, par exemple, au niveau du réseau des villes de Rhône-Alpes, mandaté quelqu'un qui a été à la fois directeur du Centre nucléaire de Grenoble et du CEA de Cadarache, M. Michel Suscillon. Il a trouvé beaucoup de choses. Il connaît bien ces deux régions. On sent bien que du côté du nord, sur une partie de la Bourgogne et de la Franche-Comté, il y a aussi des enjeux réels. Il ne faut pas les surestimer, parce qu'il ne faut pas croire que l'on va réinventer des choses, mais c'est un point sur lequel je voulais insister.

Permettez-moi, enfin, une dernière remarque d'ordre socioculturel : vous êtes la porte de la Méditerranée, mais nous en sommes l'arrière-pays. Il ne faut jamais oublier cela. L'un des grands défis de la France - ce n'est pas à M. Michel Vauzelle que l'on peut donner des leçons là-dessus - est de savoir ce que l'on fait avec le bassin méditerranéen, y compris pour traiter certains problèmes de politique intérieure. Lui tournons-nous le dos, comme on le fait, ou, au contraire, entrons-nous dans une logique de dialogue et faisons-nous du bassin méditerranéen ce qu'il est, à savoir notre proximité immédiate ? De ce point de vue, Provence-Alpes-Côte d'Azur est certes la frontière mais, derrière, il y a un arrière-pays. Pour être un peu braudeliens, nous savons tous que les gens remontent très progressivement certes, mais qu'ils remontent et que nous sommes, nous aussi, terre d'accueil et que nous devons traiter cette question. Ce que peut faire Marseille, ce que peut faire la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, nous avons tous à l'accompagner. Il nous faut travailler ensemble pour que toutes les communautés, qui sont très nombreuses ici, soient en relation. Cet aspect Méditerranéen est un véritable enjeu pour nos régions et, derrière cela, il y aussi certainement des choses à construire ensemble.

M. Jean-Michel BOCHATON : Je suis conseiller régional communiste, membre de la commission aménagement du territoire. Nouvel élu, je ne maîtrise pas l'ensemble des éléments, mais je suis Drômois et, dans la Drôme, les problèmes de transport, de transit et les réflexions qu'ils suscitent amènent à avoir une vision prospective qui ne soit pas seulement intra muros au département, car pour bien aménager il faut une vision plus globale.

Tout d'abord, je pense que Rhône-Alpes est un maillon, en termes de communications mais aussi de déplacements marchands, entre l'Est et le Sud. Tant il est vrai qu'une liaison est en train de se constituer peu à peu dans le cadre de la construction européenne. De ce point de vue, l'avenir de nos régions est intimement lié, même si chacune doit se développer et avoir son identité propre.

Je faisais partie - je le précise puisque, y compris dans mes rangs, il y avait des divergences - des partisans du canal. Je pense que c'est une infrastructure qui devra, à une échelle de temps que je ne connais pas, être mise en place même si plus le temps passe et plus les grands travaux de cette nature effraient, sont mis en débat et deviennent des dossiers nationaux. Nous n'y couperons pas si nous voulons résoudre intelligemment ces questions de manière complémentaire avec la réflexion que l'on peut avoir sur le fer et la route, tant il est vrai qu'en Rhône-Alpes, en matière de routes, il est difficile de faire plus, à moins d'aggraver les conditions de vie.

J'ai appris récemment, et c'est un point que je souhaiterais soulever devant vous, que la mise en place du corridor fret entre la France, la Belgique et le Luxembourg, démarre bien. J'ai été étonné de découvrir, par exemple, qu'un wagon marchandises faisait 14 km/h et que l'on en est maintenant à 60 km/h. Le problème principal, c'est celui du n_ud ferroviaire et du blocage lyonnais. Si l'on était capable de le résoudre, et toute une réflexion est menée en ce sens avec la SNCF, on serait en passe de régler le problème du trafic vers PACA et vers l'Espagne, car, après, on doit pouvoir résoudre les difficultés, même si cela demande des infrastructures. Il y a là une réflexion à conduire sur la possibilité de faire passer du fret de manière très importante. Il faut aussi garder présent à l'esprit que le fret transite à l'heure actuelle sur la rive droite, côté Ardèche, mais, que dans deux ans, la mise en service de la ligne TGV au-delà de Valence, permettra de libérer une partie du trafic sur la voie rive gauche actuellement accaparée par le TGV. La mise en service de la ligne TGV autorise donc une réflexion sur les transports ferroviaires, y compris de marchandises.

Nous avons en tout cas une réflexion à mener dans l'optique du transport de marchandises. La rive droite pouvant être affectée à des trains de marchandises tels que ceux qui circulent actuellement, on pourrait réfléchir, pour la rive gauche, à l'idée de mettre aux normes, au gabarit, une série d'infrastructures de tunnels, notamment dans la Drôme, qui pourraient permettre de faire passer des convois d'un nouveau type, en transportant en particulier des camions ou des doubles containers, comme cela est envisagé actuellement au départ du port de Marseille. Comme on a une montée en puissance des ports de Marseille et de Lyon, il y a un effet aspirant en marchandises et en fret qui devrait déboucher avec l'Est de manière intéressante.

Concernant le TGV Rhin-Rhône, comme l'indiquait mon collègue Soulage, il n'est pas indifférent de savoir où l'on fait la connexion : sur l'agglomération ou plus à l'Est ou au-dessus de Lyon ?

Comme le président du CESR, j'attire votre attention sur l'avenir de la CNR. Je compléterai son propos, en précisant qu'en dédiant l'essentiel de l'activité de la CNR à la production d'électricité, on va vers un désengagement de tout ce qui était sa vocation d'aménagement et d'entretien du Rhône. D'après les informations dont je dispose, il paraît difficile qu'à l'heure actuelle la CNR assume son activité de fabricant d'électricité et celle de service public ; il y aurait, cependant, quelques risques à reporter sur les collectivités riveraines la charge d'entretien du fleuve. Il y a là encore un débat à avoir.

Dans la réflexion qui anime votre mission, l'avenir de la CNR ne peut être occulté, même si elle suit le tracé du Rhône et la réflexion pourrait être aussi au-dessus, notamment tout le secteur Est du pays, bien évidemment. C'est ma préoccupation. Je pense qu'au-delà des consultations que vous pouvez avoir et qui, bien évidemment, ne peuvent préjuger de vos conclusions, il serait peut-être intéressant que, dans l'optique des contrats de plan et des schémas d'aménagement, vous puissiez nous dire ce qui s'esquisse ou ce qui est consensuellement admis à travers différentes rencontres que vous faites, afin de nous permettre de savoir ce vers quoi nous allons.

M. Charles PERSONNAZ : Comme de nombreuses personnes, je fais le constat que l'évolution des différentes modalités de transport va beaucoup plus vite que les moyens que nous sommes capables de mobiliser pour les traiter ; dans le domaine autoroutier, je suis bien d'accord sur le fait que l'autoroute A 51 n'a pas pour finalité de doubler l'axe rhodanien, car il concerne un autre public que celui des gros transports. Nous avons beaucoup de retard dans les réflexions par rapport à la vitesse à laquelle l'économie se développe, à la montée en charge du transport. Même si on la volonté demain matin d'arrêter la construction d'automobiles, je ne vois pas comment dire à des constructeurs qui annoncent quotidiennement ou mensuellement des progressions constantes de développement et de capacité de production que l'on arrête, que l'on ne veut plus de voitures sur les routes. L'accroissement du transfert routier est considérable et la capacité à mettre du fret sur la voie ferrée, par rapport aux moyens financiers que cela suppose, sera difficile.

Personnellement, je pense que les axes nord-sud sont importants mais je reviendrai sur un certain nombre de problèmes qui sont les axes Est-Ouest et le positionnement de notre région, point de passage obligé vers le nord de l'Italie. Je pense d'ailleurs que PACA est aussi concernée par cela. Nous sommes dans ce quart sud-est de la France, où nos liaisons transversales vont être très importantes entre l'Italie du Nord qui, culturellement, est plus proche de nous, même si des projets de développement nord-sud passent par l'Autriche et que de grands investissements sont faits. Nous sommes culturellement plus proches des Italiens, y compris en termes industriels. Il suffit de voir les transferts de capitaux que l'on voit s'opérer en ce moment, où des Français investissent en Italie et des Italiens investissent chez nous. Nous avons des relations culturelles et économiques anciennes, qui devraient se poursuivre.

Je vous rappelle que le premier client en international, dans un sens comme dans l'autre, de la région Rhône-Alpes, est l'Italie. C'est donc une nécessité de voir nos liaisons améliorées, rejoindre la vallée du Rhône, nous permettant de développer le nord de l'Espagne et s'inscrivant dans un rééquilibrage de l'économie européenne, de la fameuse banane bleue un peu trop tournée vers le nord de l'Allemagne, la Hollande, la Belgique et l'Angleterre. Pour ce rééquilibrage économique, nos régions sont parfaitement bien placées.

Il y a, en effet, au niveau de l'avenir économique de nos régions, un regard particulier à porter sur le bassin méditerranéen, parce qu'en termes d'évolution des démographies, les populations sont dans ce bassin. Nous sommes particulièrement bien placés et, même si ce n'est pas dans le cadre du contrat de plan des six ou sept ans qui viennent, le développement économique de nos régions, de la zone économique du nord de l'Italie allant jusqu'à l'Espagne, devrait être tourné vers le bassin méditerranéen. Si nous parlons à vingt ou trente ans, l'économie de notre région doit être tournée vers le Bassin méditerranéen.

M. Philippe MACKE : Monsieur le président, président d'un groupe trop hétéroclite pour parler en son nom, je m'exprimerai en mon nom propre. Le problème du rattachement au réseau ferroviaire Saint-Etienne-Roanne est quelque chose d'important. En réseau autoroutier également, le contournement ouest de Lyon, et la transversale Bordeaux-Lyon par Clermont-Ferrand me paraissent vital pour le nord de ce département, Roanne étant loin de tout réseau autoroutier.

Au nord-ouest du département de la Loire, on n'a pas réglé l'ensemble des problèmes qui se posent dans le cadre de l'unité nationale. Si vous réussissez sur cet aspect, je crois qu'en dehors de tout caractère politique, l'ensemble de nos collègues du département de la Loire seraient d'accord.

M. le Président : J'observe, madame, que vous avez parlé d'une culture du fleuve que nous avons perdue de Lyon à Arles, vers lequel nous devrions nous tourner, qui nous rapprochera.

Autre point évoqué, plus prosaïque mais fort important aussi : la rente du Rhône. En effet, comment faire en sorte que le Rhône soit entretenu et qu'il ne soit pas à la charge des collectivités ? Comment l'employer au mieux alors que la vallée du Rhône est engorgée de la manière que nous savons, en tout cas sur le plan routier et autoroutier.

Le deuxième point qui me paraît très intéressant, c'est l'évocation de l'intérêt lié de nos deux régions. Il me paraît indispensable - et je saisis naturellement l'occasion de le faire, surtout en votre présence - que Provence-Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes cheminent d'un même pas, si possible, dans les mois qui viennent parce que des décisions d'intérêt national et d'intérêt européen doivent être prises en tenant compte de notre avenir commun.

Je suis ravi que vous preniez vous-même en compte le fait que notre avenir est commun, que l'on regarde vers la Méditerranée. Des propos très responsables et très politiques ont été tenus de ce point de vue.

Par ailleurs, nous avons besoin, en effet, de travailler avec vous pour nos infrastructures depuis les percées alpines, car les relations avec l'Italie du Nord sont aussi vitales pour vous que pour nous. Nous devons trouver des solutions ensemble pour que ce qui ne nous relie pas encore nous relie enfin, comme l'autoroute A 51, et pour traiter ce problème de trafic, terrifiant sur le plan environnemental mais aussi devant la pression économique et le flux croissant dans la vallée du Rhône tant du point de vue ferroviaire et du ferroutage que du point de vue routier ou autoroutier.

Le préfet de région en est bien d'accord d'ailleurs, ainsi que le SGAR ; nous souhaitons pouvoir travailler avec vous dans les semaines et les mois qui viennent, pour faire un certain nombre de propositions à l'État dans le cadre des futurs contrats de plan État-régions. C'est, à mon avis, très important. En tout cas, le préfet, qui est chargé d'une mission interrégionale également pour le Languedoc, est tout à fait d'accord pour que nous trouvions une méthode de travail dans ce domaine.

Si vous le permettez, j'ai également deux points à souligner : le contournement ferroviaire de Lyon nous paraît être un élément essentiel parce que de grands corridors ferroviaires sont indispensables pour relier Rotterdam au sud de l'Europe. Ils buttent pour le moment sur le n_ud ferroviaire lyonnais et nous sommes heureux de constater que les lyonnais sont décidés à faire sauter eux-mêmes ce n_ud ferroviaire. Des mauvais esprits disaient qu'en réalité, certains le maintenaient pour arriver à avoir des ruptures de charge ou contrôler, ce que je pensais irréaliste, mais il a été intéressant de le vérifier auprès de vous.

L'autre point est que nous avons été un peu surpris de la discrétion - ce n'est pas un reproche, mais une simple remarque - des élus de Rhône-Alpes sur une alternative au canal. On était ou pas partisan du canal. Je l'étais, M. Fousseret ne n'était pas. En tout cas, il ne se fait pas. Mais nous aurions aimé, et nous l'espérons encore, que des voix fortes s'élèvent de Rhône-Alpes pour obtenir ce qui doit remplacer le canal ou du moins apporter d'autres solutions, c'est-à-dire pour obtenir ces équipements ferroviaires, routiers, autoroutiers qui doivent relier, à travers la Franche-Comté, nos régions à l'Alsace, à l'Allemagne, au c_ur industriel de l'Europe. Devant la timidité de vos réactions, nous nous sommes posés la question de savoir si, d'aventure, vous ne privilégieriez pas, dans votre for intérieur, la liaison Lyon-Turin en pensant que Rhin-Rhône viendrait plus tard, au second rang.

Or, c'est tout le c_ur du débat, car nous avons vu les tracés, ils relient l'Alsace et l'Est à Paris, une nouvelle fois ; c'est très bien - mon camarade et ami strasbourgeois a là-dessus son opinion sans doute - mais je crois important que nous ne négligions pas le combat très fort que nous devons mener pour le TGV Rhin-Rhône. Sur cet aspect, il faut que nous ayons, dès aujourd'hui, et dans les jours qui viennent un échange.

M. le Rapporteur : Je précise tout d'abord que nous en sommes encore au stade de l'écoute, pas encore à celui des propositions. Notre volonté est de vous écouter, de nous rendre compte qu'un certain nombre de propos convergent et que d'autres, sans vraiment diverger, ne sont pas totalement similaires. Mais il y a beaucoup de convergences.

On a beaucoup parlé des relations liées à l'histoire et la géographie. M. Michel Vauzelle vient de rappeler à l'instant les relations entre Lyon et Marseille. Il ne faut pas cependant perdre de vue celles existant avec le nord de notre pays et cet axe fort, européen, qui, des Bouches-du-Rhône aux Bouches du Rhin, nous emmène, entre autres, vers l'Allemagne et les pays de l'Est. A cet égard, j'ai noté que M. Soulage avait insisté, à juste titre, sur la problématique du raccordement du TGV de Lyon sur Satolas ou un peu au-dessus. Il est vrai que c'est important. On peut d'ailleurs penser que le raccordement sur Satolas, sur une gare TGV, est certainement une bonne idée. Je voudrais insister cependant sur un point qu'il ne faut pas perdre de vue, et dont M. Vauzelle a parlé, c'est l'autre raccordement, à l'autre bout ; il faut que vous puissiez aussi donner votre avis sur la branche Sud du TGV Rhin-Rhône parce qu'actuellement, la liaison Rhin-Rhône est, en fait, une liaison Mulhouse-Paris, ce n'est pas vraiment une liaison Strasbourg-Marseille.

M. Bernard SOULAGE : Choisir entre Mme Voynet et M. Chevènement, c'est très difficile !

M. le Rapporteur : Il ne s'agit pas de choisir l'une par rapport à l'autre. Pour l'instant, les études préalables à la déclaration d'utilité publique indiquent bien que l'on va faire Mulhouse-Dijon. Cependant, je pense, comme le président Vauzelle, qu'il y a peut-être eu trop de discrétion de la part des rhodaniens quant à cette branche sud, qui viendrait pourtant irriguer prioritairement votre région et créer un véritable corridor de circulation dégageant des lignes pour le fret, qui existent déjà pour partie et que l'on pourrait réactiver très facilement en les faisant passer au gabarit B+. Je pense, par exemple, à la ligne qui passe par Lons-le-Saunier, celle du Revermont, qui a été électrifiée par les conseils régionaux. Il existe donc des possibilités et il me paraît important que vous soyez vigilants par rapport aux études sur cette branche sud et que vous puissiez vous positionner. Il ne s'agit pas du combat Chevènement-Voynet, les deux ont leur pertinence, mais il serait, à mon sens, très préjudiciable pour l'Alsace, la Franche-Comté, Rhône-Alpes et PACA que seule la branche Mulhouse-Dijon soit faite et pas la branche sud.

Mme Anne-Marie COMPARINI : Ce barreau sud.

M. Bernard SOULAGE : J'ai, malheureusement, une commission Finances qui m'attend, mais je dirai un mot sur la question posée. Je reconnais - il est bien de se dire les choses franchement - que nous avons un problème entre Rhin-Rhône et Lyon-Turin. C'est bien que M. Michel Vauzelle en ai parlé et ce n'est pas la peine de se raconter des histoires, nous avons encore besoin de crédibiliser le projet Lyon-Turin. Mais le message est reçu. Avec le président Geoffray, nous avons ce problème devant nous, mais il est vrai qu'aujourd'hui, ce projet était un peu déstabilisé par le sommet franco-italien de Chambéry où nous nous sommes demandé si tous y croyait encore. Il faut que l'on fasse des choix. Nous aurons ce débat la semaine prochaine.

M. le Rapporteur : Lyon-Turin passe par la construction de tunnels importants qui ne seront peut-être pas opérationnels avant 2015. La première tranche, que vous appelez le Val de Savoie, me semble-t-il ?

Mme Anne-Marie COMPARINI : La Combe de Savoie, mais qui peut se raccrocher à la sortie...

M. le Rapporteur : Mais cela ne réglerait pas le problème de la liaison avec l'Italie.

Le problème que nous avons actuellement, c'est celui d'une vallée du Rhône engorgée, mais il faut que nous soyons très vigilants. La présentation de ce rapport sera peut-être l'occasion pour nous tous, c'est-à-dire Provence-Alpes-Côte d'Azur, Rhône-Alpes, Franche-Comté, Alsace, si nous sommes cohérents et unis, de dire que nous travaillons pour l'avenir et que si l'on n'y prend garde, dans dix ou vingt ans, le problème sera inverse, parce qu'un axe Trieste-Allemagne,...

Mme Anne-Marie COMPARINI : Allant sur Gênes.

M. le Rapporteur : ..., suite aux décisions qui viennent d'être prises, ferait que le problème de l'engorgement de la vallée du Rhône ne se poserait plus. Le port de Gioia Tauro pourrait prendre la suite du port de Marseille créant un axe qui éviterait tout l'Est de la France. C'est pourquoi il faut avoir une démarche qui soit une démarche quart sud-est, donc, Rhin-Rhône. C'est aussi cela le sens de notre mission.

M. André SCHNEIDER : Il faut, en effet, concevoir la chose dans sa globalité. Cela suppose des choix financiers importants et l'on comprend parfaitement votre souhait de voir se réaliser le Lyon-Turin, mais si l'on veut que l'axe Rhin-Rhône reste un axe européen, il faut aussi immédiatement penser à la branche qui vient du nord, avant que la « déviation » ne se fasse. Nous les Alsaciens, nous y tenons beaucoup parce que, pour nous aussi, la tentation est forte d'utiliser tout de suite l'autre côté.

M. Bernard SOULAGE : Ce sont des schémas que nous connaissons vraiment bien. Le risque de Gênes, on le mesure depuis 1000 ans.

Mme Anne-Marie COMPARINI : C'est un élément de base de notre réflexion.

M. Bernard SOULAGE : A chaque fois que nous avons des rencontres, c'est bien sur ce terrain-là que nous nous plaçons, voire encore au-delà, vers la plaine du Danube. Mais vous allez, sur ce sujet, entendre M. Barre tout à l'heure ; il vous dira encore mieux que nous à quel point il craint la Mitteleuropa.

M. André SCHNEIDER : C'est une réalité que nous connaissons dans les discussions interrégionales que nous avons avec les Länder voisins.

Mme Anne-Marie COMPARINI : Il est très intéressant que nous ayons pu avoir ce dialogue, à la veille des négociations sur les contrats de plan, à la veille d'une réflexion de notre conseil, puisque le 11 mars, nous devons évoquer en assemblée plénière le principe du barreau sud, du TGV Rhin-Rhône et de notre participation. Nous ne vivons plus dans un monde où l'on peut rester repliés sur nos régions. On le voit bien, nous sommes interdépendants pour de nombreuses choses et je crois que, pour l'ensemble de nos collègues, c'est une réflexion plus large qui est offerte. En ce sens, la proposition qui est faite d'avoir ce volet interne dans la relation contractuelle avec l'État est une bonne chose. Même pour nos universités, nombre de jeunes de Mâcon viennent dans les universités de la région Rhône-Alpes. Nous sommes en train, avec nos TER, de nous mettre d'accord avec la Franche-Comté et surtout la Saône-et-Loire. Pour ces grandes infrastructures, face à un enjeu qui est national, voire européen - comment rendre la fluidibilité à notre couloir rhodanien -, il faut maintenant que l'on trouve des solutions.

La région Rhône-Alpes doit comprendre que son positionnement géographique qui est un plus, on le dit souvent, la conduit aussi à avoir des obligations, dont la première, très concrète, est le choix de l'arrivée du barreau sud de Rhin-Rhône. Cela demande de grandes négociations avec Provence-Alpes-Côte d'Azur. Que fait-on de Satolas gare qui, pour l'instant, est sous-utilisée ? Il est vrai que l'arrivée du barreau sud à Satolas serait un plus pour cette gare qui a besoin d'avoir plus de trains. De plus, l'arrivée à Satolas - cela répond à ce que M. Fousseret disait tout à l'heure - permet de se raccrocher à ce premier tronçon de ce qu'est le Lyon-Turin. Bernard Soulage le disait tout à l'heure : l'arrière-pensée que nous avons et c'est peut-être la raison pour laquelle nous vous sommes apparus, les uns et les autres, un peu repliés sur ce TGV Lyon-Turin, c'est que, dans notre esprit, il était, dans un premier temps, un des éléments du réseau intercités et permettait à Chambéry et Grenoble d'être rapidement sur Satolas-aéroport ou sur Lyon vers le TGV. Il ne faut pas oublier - M. Geoffray le disait, mais c'était en filigrane de ce que vous disiez, et lors d'une réunion au Sénat, je le rappelais à M. Gayssot - que nous avons tous les jours 14 millions de déplacements dans la région Rhône-Alpes ; ces déplacements à plus de 50 % n'excèdent pas 80 kilomètres. C'est dire que cette notion de fluidité est importante aussi pour nous parce que sinon, tous les jours, les gens qui vont travailler d'un point à l'autre de la région se retrouvent dans des bouchons.

Notre rencontre sera aussi utile pour la réflexion qui arrive pour le contrat de plan État-régions. Lors de la dernière CRADT, nous nous sommes fixés deux objectifs : premièrement, le n_ud lyonnais. Je crois qu'au niveau du Gouvernement, on est tout à fait d'accord pour considérer que c'est un impératif majeur. Deuxièmement pour le contournement ouest, dégager la Loire de son enclavement, les études que j'ai vues par ailleurs ne sont pas suffisantes et l'on n'évitera pas de les poursuivre sur Ambérieux et sur la partie Grenoble.

Vous le voyez, dans notre contrat État-régions, la part consacrée aux problèmes de déplacement sera extrêmement forte de par notre positionnement qui est source de richesses. Comme dans toute activité humaine, on a le devoir lorsque l'on a des chances, de travailler aussi sur les faiblesses. Les contacts que nous avons eus avec vous nous aident à aller un peu plus loin dans l'anticipation ou l'élargissement de notre réflexion et je vous en remercie.

M. Gérard GEOFFRAY : Je reviens sur quelques points en marge des infrastructures. Je ne vous surprendrai pas en disant que le transfert du transport marchandises sur le ferroviaire n'est pas la réponse dans la vallée du Rhône. Il faut être conscient que le cabotage qui existe dans la vallée ne trouvera pas sa réponse par des solutions ferroviaires, en raison des distances car, je le rappelle, cela ne devient intéressant qu'autour de 500 kilomètres, alors que la distance moyenne parcourue pour les transports de marchandises dans la vallée du Rhône est de l'ordre de 120 kilomètres. Le ferroviaire ne constitue donc pas une réponse. Néanmoins, je voudrais insister auprès de vous pour que la SNCF prenne aussi conscience que, pour gagner des parts de marché dans le domaine du ferroviaire, il y a des efforts internes à faire. Quand on voit le nombre de rames marchandises calées, qui ne cesse d'augmenter, on peut penser que cela ne va pas dans le sens de la qualité qu'attendent les utilisateurs de la SNCF. C'est un premier point.

Deuxième point : le développement ou la meilleure utilisation de la voie fluviale, ne serait-ce qu'entre Marseille et Lyon, mériterait d'être étudié de près quant aux conditions concurrentielles entre le fleuve et la voie ferrée. Un container vingt pieds vide, chargé à Lyon, coûte à celui qui charge 600 francs pour aller à Fos, qu'il utilise le chemin de fer ou la voie d'eau. Quand il vient charger à la SNCF, celle-ci bénéficie de la part de l'État d'une subvention de l'ordre de 160 francs par conteneur. Or, le transporteur fluvial qui ne bénéficie pas d'une telle aide, doit payer un surcoût de manutention à Fos de 100 francs le conteneur par rapport au mode ferroviaire et un surcoût d'assurances de 25 francs le conteneur ; ceci sans oublier des taxes que paie également la SNCF mais pas à un niveau permettant de rééquilibrer la concurrence.

D'un côté, on entend dire que l'on veut pousser ou rendre plus attrayant le transport fluvial mais, dans la réalité, on met les atouts ailleurs. C'est assez étonnant.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de MM. Raymond BARRE, ancien Premier Ministre, Député,
Maire de Lyon et Président de la communauté urbaine de Lyon

et Jacques MOULINIER,
Adjoint au Maire, responsable des politiques d'agglomération

(extrait du procès-verbal de la séance du vendredi 5 mars 1999 à Lyon)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Je voulais, en introduction, essayer d'expliciter le titre d'une mission qui a dû vous paraître bien compliqué, puisqu'elle s'intitule mission d'information commune sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône. La chose s'énonce avec quelques difficultés, elle est cependant fort simple. La nouvelle majorité à l'Assemblée nationale a naturellement soutenu le Gouvernement dans sa décision, annoncée lors de la campagne électorale, d'abandonner le projet de canal Rhin-Rhône, pour lequel j'avais milité à vos côtés.

M. Raymond BARRE : Je le sais. Vous avez d'ailleurs été le seul à faire une déclaration à ce sujet. J'ai admiré votre courage.

M. le Président : Je vous remercie. Ce n'était pas excessif.

M. Raymond BARRE : Excessif par rapport au silence des autres.

M. le Président : En tout cas, il nous a semblé sage, tous groupes de l'Assemblée nationale confondus, de réunir ceux qui, après cet abandon, souhaitaient se tourner vers d'autres formules pour développer la liaison entre l'axe rhénan et l'axe rhodanien, où il y a manifestement un barreau manquant. Cette liaison ne pouvant plus être réalisée par le biais du canal, il fallait se pencher sur les solutions routières, autoroutières ou ferroviaires. Nous avons donc rassemblé les partisans du canal et ceux qui ne l'étaient pas au sein de cette mission d'information pour étudier les solutions, en auditionnant les personnalités qui connaissent ces questions - SNCF, transport fluvial, etc. - et en allant à la rencontre des élus. Nous l'avons fait à Marseille. Nous le ferons à Strasbourg et Mulhouse. Aujourd'hui, nous sommes à Lyon : nous avons rencontré ce matin les présidents des Chambres de commerce de la région, le conseil général, nous avons eu un déjeuner de travail avec le Préfet de région, nous avons ensuite travaillé avec Mme Comparini et les membre de son conseil régional. Temps fort de notre journée à Lyon, nous avons souhaité écouter les observations de l'homme qui symbolise la ville sur cette nécessaire liaison qui nous rapprochent, vous, Rhodaniens, nous, Provençaux, ainsi que les Alsaciens et les Francs Comtois.

Nous craignons, en effet, qu'en cette année où l'on parle beaucoup d'aménagement du territoire avec les schémas régionaux d'aménagement du territoire et les contrats de plan État-régions, la vieille tentation de retisser la toile d'araignée autour de Paris ne domine dans certaines administrations, sinon au sein du Gouvernement, alors que l'on voit se dessiner ce que l'on appelait autrefois la « banane bleue » qui, aujourd'hui, prend une autre forme avec les décisions prises par les Suisses ; nous redoutons que s'établisse un flux direct Italie - Suisse - Allemagne, qui n'est pas sans rappeler le Saint Empire romain germanique.

M. Raymond BARRE : Tout à fait : Lombardie-Suisse-Mitteleuropa.

M. le Président : Nous sommes des militants d'une autre façon d'aménager le territoire européen, surtout avec les perspectives méditerranéennes auxquelles je vous sais très sensible.

M. Raymond BARRE : Je me bats pour rallier Genève et Turin ; Genève, inquiète de voir les activités se déplacer vers Bâle et Zurich et, au-delà, vers la Mitteleuropa ; la Lombardie, historiquement tournée vers la Mitteleuropa, l'Autriche et l'Allemagne.

Nous essayons de travailler à faire en sorte que Lyon-Turin-Genève, liées à Marseille et à Barcelone, constituent ensemble les pôles essentiels d'un Sud-Est européen, en appuyant le fameux arc latin Barcelone-Marseille-Gênes. Nous y travaillons, avec quelques résultats puisque nous avons déjà un contrat de mairie avec Marseille. Mais le tout est de savoir comment traverser cet espace vide entre la Franche-Comté et l'Alsace, d'une part, et la région Rhône-Alpes et la région marseillaise, d'autre part. Pour nous, je l'ai toujours dit, le canal n'était pas l'essentiel. Il était utile pour le port Édouard Herriot, et parce que nous avons constaté, depuis l'accord avec Marseille - et vous-mêmes à Arles, monsieur Vauzelle -, que les trafics entre Lyon, Arles et Marseille par la voie fluviale ont connu l'an dernier un tiers d'augmentation. J'ai toujours eu deux inquiétudes : la première, c'est que le développement des échanges aille croissant avec le grand marché européen et que ce développement soit freiné et bloqué par le fait que nous ne pouvons pas continuer à remplir le sillon rhodanien. C'est bien là le problème : le sillon physique rhodanien, où l'on ne peut faire de nouvelles routes. Nous avons besoin à Lyon d'un contournement Ouest parce que nous sommes absolument suffoqués.

Par ailleurs, le TGV ira jusqu'à Marseille. Peut-on envisager de faire du ferroutage ? Quelles sont les possibilités en la matière ? M. Gayssot nous a dit qu'il développerait sur l'Est le contournement fret, mais jusqu'où pouvons-nous faire cela, quand on voit les phénomènes de saturation auxquels nous avons à faire face ?

M. Jacques MOULINIER : Ce contournement fret est également important pour Marseille et la Provence parce qu'il permettra d'accéder au marché de manière plus rapide en évitant la traversée de Lyon qui est, la plupart du temps, un véritable goulot d'étranglement. C'est donc un enjeu capital pour nous, mais aussi pour vous.

M. Raymond BARRE : Oui, c'est un contournement qui vous serait également très utile. Je vous disais quelle était ma première inquiétude : l'augmentation des échanges et des transports. La seconde est que nous rencontrions une réaction analogue à celle que les Suisses ont connue que les populations finissent par s'opposer à de nouvelles voies routières, autoroutières ou ferroviaires. Mais je vous dirai qu'à Lyon, à l'heure actuelle, nous concentrons nos efforts sur le contournement Est, dont M. Moulinier vient de vous parler. En ce qui concerne le contournement Ouest, le préfet a mis la question à l'étude et nous attendons. J'en ai d'ailleurs parlé à M. Jospin parce que c'est une affaire capitale pour la ville qui est asphyxiée. Avez-vous entendu le bruit cet après-midi à la Halle Tony Garnier ? Tous ces poids lourds, c'est épouvantable. Telles sont, en quelques mots, nos préoccupations. Si vous trouvez des solutions, nous vous soutiendrons, bien entendu. M. Chevènement, que j'ai rencontré la semaine dernière et que je verrai prochainement, m'a dit qu'il souhaitait me parler du TGV Rhin-Rhône. Il passe par Mulhouse...

M. le Rapporteur : Il s'agit de Mulhouse-Besançon-Dijon dans sa phase actuelle, aux termes de la déclaration d'utilité publique.

M. Jacques MOULINIER : C'est la branche Est, mais la branche Sud nous intéresse beaucoup, évidemment.

M. le Rapporteur : Ce qui est important, effectivement, pour une partie de la Franche-Comté, à savoir le Jura et la région de Lons-le-Saunier mais aussi, je crois, pour Lyon, c'est l'urgence de réaliser parallèlement - je ne suis pas sûr que ce soit l'avis de M. Chevènement - la branche Sud et un embranchement au niveau de Dôle, permettant de faire un vrai TGV Rhin-Rhône qui ne se limite pas à un trajet Mulhouse-Paris.

M. Raymond BARRE : C'était notre crainte.

M. le Rapporteur : Étant Bisontin, j'ai assisté à de nombreuses réunions sur le TGV. Si je puis me permettre de reprendre ce que le président Vauzelle a dit, lors d'autres rencontres aujourd'hui, il faudrait que les Rhodaniens se prononcent plus fortement sur ce dossier, même si actuellement, pour eux, la liaison Lyon-Turin est prioritaire. Cette mission pourrait être l'occasion pour le Sud-Est de faire entendre une voix unie.

M. Raymond BARRE : Mon sentiment personnel est que Lyon-Turin est une affaire à long terme. Notre intérêt majeur, c'est que l'Alsace, Besançon, Lyon et au-delà, Marseille, forment un axe. Il nous faut quand même un axe qui ne soit pas un axe passant par Paris ! Je vous soutiendrai totalement là-dessus. Il n'y a aucun problème.

M. André SCHNEIDER : Je suis très sensible à ce que vous venez de dire, monsieur le Premier ministre, parce que vous êtes une des rares personnalités à avoir, aujourd'hui, prononcé le mot d'Alsace et de Strasbourg. Nous ne voulons pas perdre ce flux, avec toutes les difficultés qu'il comporte ; nous avions quand même entrepris le drainage des passages du Nord et du Sud. Nous finirons, nous aussi, Alsaciens, par nous tourner plus à l'Est.

M. Raymond BARRE : Mais bien sûr, vous basculez alors dans la banane. Alors qu'avec le projet de canal, notre objectif était tout de même que Strasbourg devienne une plaque tournante pour orienter un trafic vers le Sud. Il faudra que vous trouviez le moyen de passer de la voie d'eau au fer. Ce sera un aspect important.

M. André SCHNEIDER : C'est ce que les élus alsaciens de toutes tendances essaieront d'exposer au président Vauzelle lors de la prochaine visite de la mission.

M. Raymond BARRE : Je tiens à vous dire qu'en souvenir du passé, je soutiens tout à fait la position alsacienne.

M. André SCHNEIDER : Merci, monsieur le Premier ministre.

M. Raymond BARRE : J'ai toujours craint cet axe Rotterdam-Méditerranée orientale, qui nous isolerait progressivement, sans que l'on s'en rende compte.

M. André SCHNEIDER : Qui est redoutable et à redouter pour de multiples raisons.

M. Jacques MOULINIER : Nous sommes très attentifs à la branche Sud.

M. le Président : Et le contournement ferroviaire, y êtes-vous favorable ? Car certaines mauvaises langues laissaient entendre le contraire.

M. Jacques MOULINIER : Au contraire.

M. le Président : La branche Sud est également très importante aussi. Nous avions peur que vous ne privilégiez Lyon-Turin. Ce sont des éléments qui sont primordiaux pour nous.

M. le Rapporteur : En précisant bien que le projet de branche Sud n'est pas du tout incompatible, dans mon esprit du moins, avec l'autre. Le meilleur moyen de ne rien faire serait justement de les opposer.

M. Raymond BARRE : Mais bien sûr. Je me bats pour Lyon-Turin depuis des années, mais il y a un problème : trouver l'argent ! Nous ferons peut-être quelque chose entre Lyon et le sillon alpin, mais cela n'a absolument aucun rapport avec le franchissement du Rhin. Ce qui est important, c'est de contribuer à redonner à Marseille un élan, un essor. Je vois toujours au-delà de Marseille, l'Afrique du Nord avec laquelle les relations se développeront considérablement. Il faut que nous ayons la possibilité d'acheminer les trafics vers la Méditerranée. Dans cette perspective, tous les substituts au canal doivent être envisagés.

M. le Président : En ce qui concerne l'engorgement de la vallée du Rhône, vous avez indiqué que le trafic a augmenté entre nos ports. Il s'agit d'une augmentation considérable en pourcentage , mais qui porte finalement sur des quantités limitées.

M. Raymond BARRE : Certes.

M. le Président : On nous explique partout qu'il y a une grande rigidité et que l'on ne fera jamais passer sur le fleuve les gros trafics attirés par les solutions autoroutières.

M. Raymond BARRE : En tout cas, je puis vous dire que nous avons fait ici, depuis deux ans, une plate-forme logistique. Nous développons notre rôle de place logistique. M. Moulinier s'en est beaucoup occupé.

M. Jacques MOULINIER : Nous pouvons vous faire parvenir un rapport à ce sujet.

M. Raymond BARRE : Le succès est considérable. Nous sommes situés à un n_ud autoroutier, les trafics augmentent sans cesse. Nous avons des terrains disponibles, et nous ferons une seconde plate-forme lorsque cela sera nécessaire. Les courants d'échanges se développent de plus en plus et nous en arriverons à penser que le canal n'était pas du tout contraire à d'autres modes de développement. Le multimodal est indispensable.

M. Jacques MOULINIER : Au sein de la région urbaine de Lyon, association présidée par M. Barre, qui rassemble la communauté urbaine, la région Rhône-Alpes et les quatre départements - Ain, Isère, Loire et Rhône -, nous travaillons sur de grands thèmes. Le premier thème sur lequel nous nous sommes penchés est celui de la logistique dans lequel sont évoqués ces grands dossiers. J'ai deux exemplaires de notre rapport à votre intention ; nous pouvons vous en envoyer d'autres.

M. Raymond BARRE : Vous avez parlé de ces questions avec la région ?

M. le Président : Bien sûr et nous avons établi, avec Mme Comparini, une méthode de travail consistant, lorsque nous aurons les uns et les autres fait adopter nos budgets, à cheminer ensemble dans la discussion des contrats de plan avec l'État, car de nombreux équipements concernent à la fois les régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur. Nous sortons un peu ici du cadre de travail de la mission, mais il est clair que pour les percées alpines, l'autoroute A 51 et la vallée du Rhône, nous avons beaucoup à faire ensemble.

M. Raymond BARRE : Sans oublier les compétences en matière de transport...

M. le Président : En ce qui concerne un sujet qui était abordé avec beaucoup de précaution à la CNR, mais que nous voyons resurgir ici ou là au cours de notre mission, avez-vous une opinion, monsieur le Premier ministre, sur ce que l'on appelle communément la « rente du Rhône » ?

M. Raymond BARRE : Bien sûr. Vous ne disposerez pas de cette rente.

M. le Président : Pourquoi ?

M. Raymond BARRE : Parce que le financement assuré par la « rente du Rhône » d'EDF n'est plus disponible. Il ne faut pas se faire d'illusion. Je me suis battu pour faire accepter à EDF la décision de M. Balladur, puis de M. Juppé ! Les chiffres étaient indiscutables. La commission d'enquête du Sénat avait calculé que la « rente du Rhône » s'élevait jusqu'en 2015 à 60 milliards de francs, ce qui couvrait amplement le coût du canal, même s'il était de 30 milliards. Cela en laissait la moitié. Maintenant, c'est fini. La direction du budget a pris cette affaire en main. Notre politique était d'éviter que cette rente ne tombe dans son escarcelle. On pouvait négocier avec EDF. C'est d'ailleurs ce que nous avions fait : EDF finançait, mais contrôlait. Tout cela s'était très bien passé. Nous évitions le budget ; c'était un argument pour EDF qui conservait son argent, la « rente du Rhône ».

M. le Président : Donc, elle est aujourd'hui très virtuelle. Elle n'existe même plus.

M. Raymond BARRE : Il y a un problème. Comme vous l'avez vu, le projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité prévoit que la CNR doit devenir un producteur indépendant. La réplique d'EDF a été immédiate : se faire rembourser tous les équipements mis en place depuis 1920. Heureusement, nous avions pris quelques précautions. M. Mercier, moi-même ainsi que le président de la Chambre de commerce, avons écrit au Premier ministre pour attirer son attention sur cette attitude parce que, au lieu de faire cela, EDF va faire des investissements à l'étranger. Je veux bien qu'EDF investisse à l'étranger mais des tâches nationales doivent être financées.

M. le Président : Avez-vous entendu dire que l'entretien du cours du Rhône n'était pas convenable et que les bateaux de gros tonnage remontaient d'autant plus difficilement jusqu'à Lyon ?

M. Raymond BARRE : Je n'en ai pas entendu parler, mais je sais que la CNR souhaite attirer l'attention sur l'entretien fluvial.

Il est certain que si l'on pouvait depuis Lyon jusqu'à Marseille utiliser la relation fluviale pour dégager un peu le trafic, ce ne serait pas mauvais. Je suis convaincu qu'il faudra y recourir à un moment donné. Nous devrons réfléchir, lorsque le contournement de fret sera créé, à la façon dont on peut orienter certains trafics routiers vers la voie d'eau sur l'axe Lyon-Arles-Marseille.

M. le Rapporteur : Vous avez beaucoup parlé, et c'est bien normal, des relations privilégiées qui se nouent entre les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes, mais comment voyez-vous les relations possibles avec la Franche-Comté, voire l'Alsace, en termes de synergies sur cet axe Rhin-Rhône ? Cela vous paraît-il possible ? Souhaitable ?

M. Raymond BARRE : Cela me paraît souhaitable. Et possible, si vous arrivez à mettre au point un projet à l'égard duquel nous pourrions déterminer la façon dont nous nous y rattacherions. Nous sommes prêts, s'il existe un projet valable, à examiner les liens entre notre région et vos régions. Nous ne tenons pas être isolés sur le Sud-Est européen, surtout pas.

M. le Rapporteur : Oui, nous avons un intérêt commun. Si nous voulons que le couloir rhodanien, qui est fort occupé, reste très actif du point de vue économique, il ne faut pas qu'il soit isolé par rapport à l'autre axe que vous évoquiez avec le président Vauzelle. Nous avons un intérêt commun à développer un projet qui aille vraiment du Rhône au Rhin, en incluant la Franche-Comté, l'Alsace et la Bourgogne.

M. Raymond BARRE : Mais il faut que vous étudiez ce qui peut se faire en matière ferroviaire.

M. le Rapporteur : Notamment avec la ligne du Revermont qui peut constituer une ligne intéressante en termes de fret, quand on sait quelles sont les difficultés à juxtaposer des trafics de voyageurs et de fret. A terme, il faudra avoir des couloirs dédiés au fret.

M. Raymond BARRE : A mon avis, c'est la solution, avec des autoroutes réservées aux poids lourds. Dans le cas contraire, nous ne nous en sortirons pas.

M. Jacques MOULINIER : Nous sommes tout à fait d'accord pour aller avec vous dans ce sens, notamment en liaison avec le travail que nous avons entrepris au niveau de la région de Lyon. Cette fonction logistique est fondamentale, elle s'appuie notamment sur les relations avec d'autres grandes régions.

M. Raymond BARRE : Nous y sommes d'autant plus attentifs que je constate le succès de notre plate-forme et que je crains l'engorgement. Je redoute qu'à un moment donné, nous soyons un goulot d'étranglement et que nous ne puissions pas distribuer. Nous sommes en train de devenir un grand centre de redistribution. Il faut bien réfléchir, parce qu'il peut être plus intéressant non pas simplement de faire descendre le trafic d'Alsace vers Marseille, mais de le faire remonter.

M. le Président : Nous avons parlé du fer, mais vous aviez aussi évoqué tout à l'heure l'autoroute, et les réactions possibles de la population.

M. Raymond BARRE : Regardez l'Autriche.

M. le Président : Avez-vous l'impression que la vallée du Rhône puisse supporter un doublement, voire un triplement des autoroutes ?

M. Raymond BARRE : A mon avis, ce n'est plus possible. C'est pour cela que nous demandons le contournement autoroutier à l'Ouest. Nous avons celui de l'Est. Le contournement autoroutier de l'Ouest allégerait considérablement le trafic et permettrait de dégager des axes de communication.

M. Jacques MOULINIER : Il est indispensable de réaliser le grand contournement Ouest-Est au niveau de l'agglomération.

M. Raymond BARRE : Il rejoindrait le Sud.

M. Jacques MOULINIER : Les deux axes du Massif Central et celui qui passe par les Alpes sont aussi très importants pour éviter de doubler, ou de tripler les autoroutes de la vallée du Rhône.

M. Raymond BARRE : Mais compte-tenu du développement des associations de riverains, nous nous trouverons dans des situations impossibles.

M. le Président : Donc, selon vous, l'autoroute A 79 est complètement utopique ?

M. Raymond BARRE : Qu'est-ce que la A 79 ?

M. le Président : Il y a, d'une part, le doublement de l'autoroute, qui me paraît difficile à admettre, mais que tous les interlocuteurs semblent considérer comme acquis. Ou, d'autre part, une future autoroute qui passerait par l'Ardèche et qui s'appellerait la A 79. 

M. Raymond BARRE : Avec le relief de l'Ardèche, cela me semble irréalisable.

M. le Président : Nous avons vu que cette autoroute figurait sur les plans de la Chambre de commerce. Elle partirait à l'Est et, après Valence, passerait par Privas et Alès. Mais peut-on élargir l'autoroute, déjà très polluante, de la vallée du Rhône ?

M. Raymond BARRE : Je remontais de Valence à Lyon il y a quelques jours ; les files de camions y sont effrayantes.

M. le Rapporteur (montrant une carte) : Voici la A 79 représentée sur cette carte.

M. Raymond BARRE : Et voilà le TGV Rhin-Rhône. Mulhouse-Dijon dont la branche Sud couvrirait la partie, qui n'est pas faite, du canal.

M. Jacques MOULINIER : Si votre mission pouvait faire avancer ce dossier...

M. le Président : Nous allons taper du poing sur la table. C'est pour cela qu'il est important que nous ayons votre appui pour pouvoir parler d'une voix forte.

M. Raymond BARRE : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Cela permettrait de dégager des voies pour le fret. Ce serait possible avec la ligne qui passe par Lons-le-Saunier, revient jusqu'à Besançon, et prendrait ensuite l'ancienne ligne de la vallée du Doubs, pour faire passer le fret qui remonte vers Strasbourg. On créerait un véritable axe Rhin-Rhône ferroviaire, d'une part, pour le transport des voyageurs et, d'autre part, pour le transport du fret.

M. Raymond BARRE : Donc, il s'agirait de cette seconde ligne ?

M. le Rapporteur : Je connais peu ce document, nous l'avons eu ce matin. La ligne dont nous parlons était à deux voies, dont l'une a été électrifiée par la région de Franche-Comté, Lons-le-Saunier et Besançon. Il serait possible de la transformer en voie réservée au fret.

De Besançon, la voie nouvelle part sur Belfort et l'ancienne passe le long de la vallée du Doubs avec, bien entendu, le problème de la liaison entre Besançon et Dijon. Je ne sais pas où passerait la branche Sud mais, sur cette carte, elle n'est pas très bien positionnée parce qu'elle va pratiquement jusqu'à Dijon. A mon avis, elle doit passer plutôt vers Lons-le-Saunier.

M. Raymond BARRE : Il est certain que l'une de ces lignes me paraît plus orientée vers Strasbourg, tandis que l'autre est orientée vers Paris.

M. André SCHNEIDER : C'est clair.

M. le Président : Nous avons parlé de Satolas, ce matin. L'ambition de la Chambre de commerce à propos de son rôle dans l'avenir nous a interpellés. Nous avions l'impression que c'était l'aéroport qui allait desservir à la fois Marseille et Paris. J'ai failli en tomber de ma chaise.

M. Raymond BARRE : Je n'y crois pas du tout. Satolas sera l'aéroport de toute la région Rhône-Alpes ; les huit villes centre de Rhône-Alpes sont intéressées - Genève l'est aussi. Le tout est de mettre en place des liaisons rapides. Le jour où nous y arriverons, Satolas sera le troisième aéroport français, mais sa zone de pertinence demeurera au niveau régional. L'aéroport de Marseille jouera par ailleurs son rôle.

M. Jacques MOULINIER : Satolas compte cinq millions de passagers, ce qui est important mais, à Munich où j'étais avant-hier, l'aéroport enregistre dix-neuf millions de passagers. Le trafic de Manchester est du même ordre. Nous devons monter en puissance, c'est certain, mais les échelles sont différentes. La directive territoriale d'aménagement et les programmes d'intérêt général devraient se traduire par l'arrêt de l'urbanisation autour de Satolas pour permettre le développement et la valorisation de l'aéroport qui, effectivement, fonctionne bien, avec Air France notamment.

M. Raymond BARRE : Avez-vous vu avec la région comment coordonner notre contrat de plan et le vôtre ?

M. le Président : Oui.

M. Raymond BARRE : C'est très important.

M. le Président : Cela constitue une véritable révolution culturelle dans l'approche qu'ont les Lyonnais des Marseillais et la considération que l'on veut bien accorder au sérieux des gens du Sud. Il y a, par ailleurs, une vraie prise de conscience du fait que Lyon a besoin d'avoir un port, une ouverture vers la mer. Nous avons besoin d'avoir un hinterland, si je puis m'exprimer ainsi pour parler de Rhône-Alpes. Nous avons donc un intérêt très lié, qui se poursuit ensuite vers les bouches du Rhin, venant des bouches du Rhône.

M. Raymond BARRE : Je me réjouis de deux efforts : les relations entre Lyon et Grenoble et Lyon et Marseille, car ces villes s'ignoraient. Heureusement, les maires ont changé. Michel Destot et moi, nous nous entendons bien. M. Gaudin et moi sommes de vieux amis. Cela arrange les choses.

M. le Président : Les habitants de nos régions ont besoin de vous voir travailler ensemble. C'est important.

M. Jacques MOULINIER : Si nous créons un prolongement de ce travail commun avec la Franche-Comté et l'Alsace, c'est formidable. Rhône-Alpes travaille beaucoup avec l'Allemagne.

M. le Rapporteur : Je crois savoir que vous avez aussi de bonnes relations avec le président de la région Franche-Comté, M. Jean-François Humbert ?

M. Raymond BARRE : Je ne le connais pas encore personnellement, mais je suis persuadé que je m'entendrai bien avec lui, car nous avons des intérêts communs. M. Moulinier, responsable des politiques d'agglomérations, suit ces questions à la mairie en liaison avec le conseil régional. Il serait intéressant de faire apparaître nos éléments de convergence. Nous pouvons y travailler et, cela fait, nous pourrions ensemble prendre une position claire et publique.

M. le Rapporteur : Sur nos régions et sur l'Alsace également. PACA, Rhône-Alpes, Franche-Comté, Alsace, cela donnerait quelque chose de fort. C'est vraiment un axe Rhin-Rhône.

M. Raymond BARRE : Mais oui, c'est bien un axe Rhin-Rhône ; un axe qu'il aurait fallu faire, même si l'on avait réalisé le canal, parce que je demeure convaincu que le multimodal aura une importance considérable dans les années à venir. Il faut éviter les goulots d'étranglement.

M. le Président : Monsieur le Premier ministre, je vous remercie beaucoup de votre accueil.

Audition de M. Jean SIVARDIERE,
Président de la fédération nationale des associations d
'usagers des transports

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 24 mars 1999)

Présidence de M. Jean-Louis FOUSSERET, Rapporteur

M. le Président : Nous remercions M. Sivardière d'avoir bien voulu répondre à l'invitation de notre mission d'information au sein de laquelle siègent des élus de l'ensemble de l'axe Rhin-Rhône.

M. Jean SIVARDIERE : Je vais commencer par une présentation rapide de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (FNAUT). Notre fédération regroupe à peu près 150 associations très variées : des associations d'usagers des transports urbains, du train, de l'autocar ; des associations de piétons, de cyclistes, de défenseurs de l'environnement, de personnes également préoccupées par la sécurité routière. Ces associations forment un assemblage un peu hétéroclite a priori, mais nous avons, je crois, une vision très cohérente de la politique des transports.

Voici quelle est, très schématiquement, notre analyse : nous estimons qu'il y a trop de voitures dans les villes, trop de camions sur la longue distance et trop d'avions sur les courtes distances.

Nos propositions se situent dans une perspective de « développement durable ». Nous voulons davantage de transports collectifs urbains, davantage de trains pour les voyageurs et pour les marchandises et des investissements routiers et aériens moins importants. Et puis, bien entendu, nous souhaitons un aménagement du territoire plus équilibré qu'aujourd'hui et un urbanisme qui permette de limiter les besoins de déplacement.

Nos actions sont orientées dans deux directions : d'une part, la défense des usagers actuels des transports publics. Ce qui nous amène à intervenir, d'une part, sur le plan national, essentiellement auprès de la SNCF et de la RATP, bien sûr, d'autre part, par des actions de lobbying auprès du Parlement, du Gouvernement et de l'administration.

Au cours de mon exposé, je voudrais essentiellement traiter du projet de TGV Rhin-Rhône, préciser notre analyse du problème et nos propositions. Je vous présenterai également nos options en matière de transport de marchandises.

Avant d'en venir au TGV Rhin-Rhône, je voudrais resituer ce problème dans la problématique du TGV en France. La première question qu'on peut se poser à propos du TGV, c'est : faut-il poursuivre l'extension du réseau TGV ? Nous répondons « oui » pour trois raisons :

D'abord, parce que le TGV permet d'améliorer le service rendu à l'usager du transport. A notre avis, ce n'est pas là le point fondamental, parce qu'on n'en est pas à 10 minutes près quand on fait un voyage de plusieurs centaines de kilomètres, d'autant que le développement du TGV peut avoir des effets pervers, sur lesquels je reviendrai tout à l'heure. S'il faut poursuivre l'extension du réseau TGV, c'est essentiellement parce que nous pensons que le rail a à sa disposition, avec le TGV, un outil très performant pour concurrencer à la fois la route et l'avion et qu'il faut effectivement faire jouer cet outil parce que, aujourd'hui, les coûts, à la fois économiques et externes, de la route et de l'avion sont devenus prohibitifs. Les aéroports et les routes sont souvent saturés et il faut investir de manière coûteuse pour lutter contre cette saturation. Tout le monde sait, par ailleurs, que les coûts externes - les accidents, la pollution, l'effet de serre, etc. - sont très onéreux pour la collectivité. La troisième raison pour laquelle nous pensons souhaitable de développer le réseau TGV, c'est que la création de lignes nouvelles devraient permettre de désaturer le réseau classique au profit du trafic régional voyageurs et du trafic de fret. Cela nous semble d'autant plus important que, pour l'essentiel, le réseau ferré français en est encore à ce qu'il était au début de ce siècle.

S'il faut poursuivre l'extension du réseau TGV, il faut, cependant, le faire avec prudence. D'abord parce que, dans le passé, un certain nombre d'erreurs ont été commises. Par exemple, le tracé du TGV Nord a été mal choisi, cette ligne aurait dû passer à Amiens. Ensuite, de nombreuses erreurs, répétées, ont été commises avec le positionnement des gares nouvelles ; il n'y a pas que la gare d'Ablaincourt-Pressoir sur le TGV Nord qui est mal positionnée ; en fait, les erreurs ont commencé dès la création de la ligne Paris-Lyon : les gares de Mâcon et de Montchanin - j'y suis encore passé tout à l'heure - ont été implantées de manière complètement stupide, à moins d'un kilomètre d'une ligne transversale.

Enfin, il faut se méfier des prévisions de trafic qui, au moins à court terme, peuvent être surévaluées. Il importe enfin de faire attention à ne pas consacrer trop d'argent au TGV, le réseau classique ayant besoin d'être modernisé d'urgence, puisqu'il souffre de sous-investissements depuis de très nombreuses années.

Étant posée l'idée qu'il faut poursuivre le réseau TGV, quels projets retenir ?

Je dirai d'abord un mot du TGV Est. Ce projet, nous l'avons toujours soutenu, parce que nous pensons que, même si sa rentabilité financière est très faible, sa rentabilité économique et sociale - de l'ordre de 8 ou 9 %, je crois - est correcte. D'autre part, et c'est l'essentiel du point de vue de l'aménagement du territoire, cette ligne nouvelle permettra de rééquilibrer la desserte TGV du territoire et de ne pas laisser toute une partie de la France sans TGV. Enfin, nous avons soutenu ce projet en disant que, si on le décidait, il fallait le faire bien. Fort heureusement, c'est ce qui vient d'être décidé par le Gouvernement, puisque la ligne nouvelle venant de Paris ne s'arrêtera pas à la Moselle, mais ira jusqu'à Baudrecourt, ce qui permettra de gagner à peu près 20 minutes pour les destinations situées plus à l'Est et donc d'élargir l'effet TGV.

Il reste à savoir quels autres projets envisager. Lorsque le schéma directeur du TGV a été publié, en 1991 je crois, nous l'avons critiqué en disant que certains projets n'étaient absolument pas justifiés. Et, effectivement, c'est ce point de vue qui a été retenu par la suite, puisque le rapport Rouvillois n'a retenu que cinq projets : le TGV Ouest, l'Aquitaine, le Languedoc-Roussillon, le Nord-Isère - amorce du futur Lyon-Turin - et le projet Rhin-Rhône. Le problème qui se pose maintenant, c'est de définir l'ordre de programmation de ces cinq projets.

Nous avons essayé de définir quelques critères qui permettaient de choisir entre ces projets : la première idée, c'est que, sur un itinéraire donné, il ne faut pas rechercher la performance maximale, mais ce que nous appelons la performance optimale. C'est-à-dire qu'il faut à notre avis, en priorité, chercher à atteindre le seuil de performance qui permettra au TGV de concurrencer efficacement la route et l'avion, mais pas forcément la performance la meilleure possible. Par exemple, en ce qui concerne le TGV Est, pour y revenir juste un instant, nous disons que 2 h 20 pour Paris-Strasbourg, tel que cela est prévu aujourd'hui, est amplement suffisant pour concurrencer l'avion et l'automobile et qu'il est inutile - du moins dans un premier temps, à moyen terme - de viser mieux. On peut effectivement gagner une demi-heure de plus en prolongeant la ligne nouvelle de Baudrecourt jusqu'à Strasbourg, mais cela ne nous semble pas extrêmement intéressant ; en tout cas, pas d'actualité aujourd'hui. Donc, première idée, pour employer une formule : pas de fétichisme de la minute gagnée. Je me souviens avoir entendu un conseiller général d'Angers, qui réclamait que la ligne TGV Paris-Le Mans soit prolongée jusqu'à Nantes et qui disait (je le cite) : « si on ne gagne pas ces 10 minutes, l'Anjou deviendra une réserve d'Indiens, les industriels ne voudront plus s'implanter à Angers ». Cela ne nous semble vraiment pas sérieux.

Deuxième idée : la technique pendulaire. On a beaucoup parlé de cette technique, lorsqu'elle a enfin été admise. Il y a longtemps que nous réclamons la technique pendulaire, mais en songeant surtout à des lignes très sinueuses du réseau classique, à des transversales comme Lyon-Bordeaux, par exemple, ou Lyon-Nantes. Il nous semble, cependant, que ce n'est absolument pas la panacée. Nous nous sommes renseignés auprès d'une bonne source, en particulier auprès de Philippe Essig, qui est un expert reconnu, a été président de la SNCF et est consultant aujourd'hui. Philippe Essig, qui est un fervent partisan du pendulaire, reconnaît lui-même que faire circuler un train ou un TGV pendulaire nécessite de gros investissements sur les lignes existantes. On ne peut pas faire circuler un TGV pendulaire sur une ligne existante sans précautions et l'investissement est très important : il faut renforcer la voie dans les virages, supprimer tous les passages à niveau, bien sûr, pour pouvoir rouler à 220 ou 230 km/h. Cela peut représenter entre 30 et 50 % du coût d'une ligne nouvelle. Autre remarque : le matériel pendulaire TGV serait beaucoup plus coûteux que le matériel habituel. Enfin, on risque d'avoir des conflits entre des TGV pendulaires sur lignes classiques et les autres trains circulant en régional ou fret, du fait de l'hétérogénéité des vitesses. Cela peut beaucoup réduire les capacités. Si on envisage un TGV pendulaire, c'est à dire des investissements sur les voies classiques, cela suppose qu'on envisage de le faire uniquement sur des lignes très sinueuses - sinon, on ne gagne pas de temps. Il faut évidemment qu'une ligne nouvelle soit exclue à long terme, puisqu'on ne va pas dépenser la moitié du coût d'une ligne nouvelle pour recommencer pour deux fois plus cher en parallèle dix ans après.

Troisième idée : concernant la programmation des différents investissements TGV, il nous semble que l'idée directrice doit être de maintenir une desserte homogène du territoire. Autrement dit, de ne pas concentrer tous les investissements dans une même région. Cela signifie que, en ce qui concerne les projets qui ont survécu, qui sont cités dans le rapport Rouvillois, il faut arriver à les phaser et, au fond, à définir des opérations d'importance moyenne : 100 kilomètres de ligne qui coûteraient 6 milliards de francs à peu près - c'est un ordre de grandeur - et qui feraient gagner 20 minutes sur l'itinéraire considéré, par exemple.

De telles opérations sont intéressantes parce qu'il est, à ce moment-là, possible d'en mener plusieurs en parallèle. Exemple typique d'une opération de ce type : Le Mans-Laval - c'est ce qui semble se dessiner actuellement pour le TGV Ouest - ; ou bien encore Angoulême-Bordeaux pour le TGV Atlantique.

J'en viens maintenant au TGV Rhin-Rhône. Excusez-moi d'avoir un peu insisté sur notre analyse de départ, pour expliquer dans quel esprit nous abordons le problème du TGV Rhin-Rhône.

M. le Président : Est-ce qu'un TGV pendulaire peut devenir un TGV normal ? C'est-à-dire, est-ce qu'un TGV pendulaire, lorsqu'il circule, peut être pendulaire, pour donner un exemple précis, entre Besançon et Dole, et redevenir un TGV 270-300 km/heure le reste du parcours ?

M. Jean SIVARDIERE : C'est parfaitement envisageable. Par exemple, pour desservir Paris-Quimper, la technique pendulaire peut être intéressante, parce que, si la ligne nouvelle ne va que jusqu'à Laval, il y aurait une grande partie du parcours - presque la moitié - qui se ferait sur ligne classique. A ce moment-là, le TGV roulera à 300 km/heure jusqu'à Laval ; et, au-delà, il roulera sur la ligne classique, suivant l'état de la voie, entre 160 et 220 km/heure. C'est le même véhicule, qui ne pendule pas dans les virages sur une ligne nouvelle - il n'y en a pas besoin, il n'y a pas de virages - et qui pendule sur la ligne classique.

Donc, j'en viens au TGV Rhin-Rhône. Comme vous le savez peut-être, un membre de la FNAUT, le docteur Bermond, qui est un de nos vice-présidents, a été l'un des premiers, en 1986, à lancer l'idée d'un TGV Rhin-Rhône ; c'est-à-dire d'une liaison performante entre l'Alsace et la région lyonnaise et, au-delà, entre l'Allemagne et le sillon rhodanien. Cette idée était très séduisante. Ce projet, qui a été qualifié à l'origine de « décentralisateur », puisqu'il ne passe pas par Paris, a été remarqué en particulier par le conseil national des transports qui, en 1990, dans un rapport sur le TGV, a approuvé ce projet et suggéré une première réalisation entre Mulhouse et Dole. Ensuite, comme vous le savez, le projet a été modifié, puisque aujourd'hui, au moins dans une première phase, on envisage une réalisation entre Dijon et Mulhouse ; autrement dit, on peut parler d'une sorte de réorientation Est-Ouest. Je sais que l'orientation Nord-Sud n'est pas abandonnée, mais elle apparaît aujourd'hui secondaire. Autrement dit, nous constatons que le projet actuel est au fond - malgré son intérêt, qu'il faut reconnaître, pour la liaison Strasbourg-Lyon -, une sorte de projet de TGV Est bis. Plus que Rhin-Rhône, c'est plutôt, tel qu'il est conçu actuellement, un TGV Rhin-Seine.

Que penser de ce TGV Est bis ? Premier point : il nous semble que ce projet, s'il doit être réalisé d'un seul bloc, est trop coûteux. On parle de 12 milliards de francs, à peu près, pour l'ensemble de la ligne de Dijon jusqu'au nord de Mulhouse - Lutterbach - et cela correspond à deux des opérations moyennes dont j'ai parlé tout à l'heure. Il nous semble à priori dangereux de vouloir réaliser un tel investissement en bloc, parce qu'on concentrera beaucoup d'investissements dans la même région, une région qui aura déjà bénéficié du TGV Est. Donc, premier argument : on risque de concentrer trop d'argent dans une région qui aura déjà bénéficié des 20 milliards de francs du TGV Est. Ensuite, nous considérons qu'il n'y a pas véritablement urgence à réaliser un tel investissement pour raccourcir les temps de déplacement entre Paris et la région concernée. En effet, si on considère les meilleurs temps de transport actuels, ils sont les suivants : pour Dole, 2 h 05 par la ligne classique, par Dijon ; pour Besançon, 2 h 34. Il n'y a aucun besoin d'aller plus vite. J'habite à Grenoble, qui est à 3 heures de TGV de Paris.

Si nous prenons le cas de Mulhouse, j'ai noté qu'actuellement il faut 4 h 13 pour le meilleur temps Paris-Mulhouse par la ligne qui passe par Troyes et Chaumont. Effectivement, c'est trop, parce que cela rend difficile un aller-et-retour dans la journée ; en outre, l'avion et la route ne sont pas concurrencés. Donc, il faut faire quelque chose sur Mulhouse. Mais, compte tenu du prolongement de la ligne Paris-Strasbourg jusqu'à Baudrecourt, on peut penser que la desserte de Paris-Mulhouse par Strasbourg pourrait se faire, en gros, en 3 h 1/4, puisqu'il faudrait 2 h 20 pour Strasbourg et que la ligne de la plaine d'Alsace étant très performante, il faut moins d'une heure pour aller de Strasbourg à Mulhouse.

3 h 1/4 pour Paris-Mulhouse par l'itinéraire du TGV Est est tout à fait acceptable. Il y a encore deux ou trois ans, c'était le temps qu'on passait sur l'itinéraire Paris-Grenoble. Évidemment, on préfère passer ¾ d'heure de moins dans chaque sens, mais je considère, pour l'avoir vécu plusieurs années, que, 3 h 1/4, c'est une performance qui est déjà très satisfaisante.

M. le Président : D'autant plus que quand on a un aéroport, comme vous, on a aussi l'avion.

M. Jean SIVARDIERE : Oui, mais je pense que, quand le TGV mettra 3 h 1/4 pour Mulhouse, l'avion sera beaucoup moins utile. L'exemple de Paris-Grenoble est assez révélateur. Il est un peu comparable, parce que l'aéroport de Grenoble-Saint-Geoirs est assez excentré, à 30 km de Grenoble, mais très accessible par route et, actuellement, sur l'ensemble du marché train plus avion, le train assure à peu près 80 %. Le basculement du train à l'avion se fait à partir d'une durée de trajet de 3 h 1/4-3 h.

Nous considérons que nous n'avons pas un besoin urgent du TGV Rhin-Seine, sauf en ce qui concerne Belfort. Paris-Belfort représente 3 h 42, il faut chercher à améliorer la performance du train entre ces deux villes. Autres critiques qu'on peut adresser au projet tel qu'il est envisagé actuellement - je cite un peu dans le désordre - : faire une ligne nouvelle entre Dijon et Besançon n'est pas très justifié, dans la mesure où cela revient à doubler, entre Dijon et Dole, une voie ferrée qui est déjà de très bonne qualité ; il suffirait de peu d'investissements pour que l'on puisse circuler déjà à 220 km/h entre Dijon et Dole. C'est une raison analogue qui nous a fait critiquer le projet de TGV Paris-Nantes puisque, si ce projet avait été retenu, on aurait doublé une ligne - la ligne classique Le Mans-Angers, qui est d'excellente qualité -, par une ligne nouvelle. Cela nous semble une sorte de gaspillage. Autre remarque : le projet actuel laisse l'agglomération de Dole à l'écart. Dole n'est pas une métropole, il y a à peu près 50 000 habitants dans l'agglomération, mais, si on peut éviter de la laisser à l'écart, mieux vaut le faire.

Ensuite, le projet actuel implique la réalisation d'une gare nouvelle à Besançon.

M. le Président : A Devecey.

M. Jean SIVARDIERE : C'est une gare un peu excentrée au nord de Besançon.

M. le Président : Une gare au milieu des betteraves.

M. Jean SIVARDIERE : En quelque sorte, oui. Là, ce ne seraient peut-être pas des betteraves. Dès que la gare n'est pas centrale, il y a des problèmes. D'abord d'accès : si on veut y aller en voiture (et si on en a une), ce n'est pas à côté ; et, d'autre part, il n'y a pas de connexion possible avec le réseau régional ferroviaire. Cela nous semble donc une mauvaise solution.

Enfin, dernière remarque que l'on peut faire concernant cette hypothèse d'une ligne nouvelle entre Dijon et Besançon : son tracé n'est pas favorable pour la future branche Sud, puisque le point d'embranchement logique en ligne droite, en quelque sorte, d'une telle branche Sud, concerne beaucoup plus Dole que Dijon, ou même Auxonne.

Pour toutes ces raisons, nous pensons que le projet tel qu'il est conçu actuellement n'est pas urgent et qu'il présente un certain nombre d'inconvénients à caractère technique ou économique.

Quelle conclusion peut-on tirer de cette analyse ? Nous pensons qu'il est aujourd'hui plus intéressant de privilégier la liaison Strasbourg-Lyon que la liaison Mulhouse-Paris. Autrement dit, il nous semble qu'il faille renverser l'ordre des priorités dans cette affaire. Concrètement, que proposons-nous ? La meilleure formule serait de réaliser, dans un premier temps, une liaison entre Besançon et Mulhouse - plus précisément Lutterbach, au nord de Mulhouse -, parce que ce tronçon est commun à toutes les hypothèses. Il fait partie du projet actuel Dijon-Lutterbach. Il est indispensable dans l'hypothèse où l'on privilégie la liaison Nord-Sud, et il ne préjuge pas des décisions futures. Son coût semble acceptable, puisqu'il serait de l'ordre de 6 à 7 milliards de francs. C'est une hypothèse acceptable dans la perspective que nous avons définie d'opérations d'importance moyenne à mener de front.

Quels seraitent alors les gains de temps ? En ce qui conerne Paris-Belfort, il faut actuellement à peu près une heure par le train entre Besançon et Belfort sur la ligne classique ; elle est très sinueuse et les vitesses maximales faibles. On peut penser, vue la sinuosité, que le gain de temps serait de l'ordre d'une demi-heure. Pour Paris-Belfort, on ramène la durée du trajet de 3 h 42, le meilleur temps actuel, à environ 3 h 15. Dans un premier temps, pour l'agglomération de Belfort-Montbéliard, c'est une perspective qui nous semble satisfaisante ; elle n'est pas mirobolante, nous en avons bien conscience, mais cela ramènerait le temps de transport de trajet vers Paris depuis Belfort à celui qu'on obtiendrait depuis Mulhouse avec le TGV Est.

M. le Président : Combien de temps le trajet Paris-Grenoble prend-il ?

M. Jean SIVARDIERE : Actuellement, le meilleur temps est de 3 heures. Pendant longtemps, avant que le contournement Est de Lyon ne soit réalisé, c'est-à-dire le passage par Satolas, il était plutôt de 3 h 20. J'ai connu cette situation pendant une dizaine d'années, elle est supportable.

Ensuite, en ce qui concerne l'axe Nord-Sud, c'est-à-dire Strasbourg-Lyon, le gain de temps serait un peu plus important, puisqu'on cumulerait un gain de temps entre Besançon et Belfort et un gain de temps entre Belfort et Lutterbach, la ligne nouvelle évitant Mulhouse. Donc, on peut estimer le gain de temps à environ ¾ d'heure. Là encore, ce n'est pas mirobolant, mais c'est quand même sensible ; d'autant que, plus au Sud, on peut certainement obtenir de la SNCF une amélioration des temps de transport. Nous avons été très déçus de constater que, lorsque l'électrification complète de la ligne Besançon-Saint-Amour - dans tout ce secteur, deux tronçons formaient des hiatus non électrifiés - a été terminée, les gains de temps ont été pratiquement négligeables parce que, parallèlement, la SNCF a détendu ses horaires.

Donc, il nous semble que, indépendamment de ce premier tronçon Lutterbach-Besançon que nous proposons, on peut faire gagner du temps au train Paris-Strasbourg par des mesures d'exploitation sur la ligne classique. Pour terminer ce que je voulais vous dire sur le TGV Rhin-Rhône, il faut ensuite s'interroger sur ce qu'on peut faire après une telle opération.

Si cette opération était réalisée d'ici 2010, compte tenu de la concurrence d'autres projets de TGV situés dans d'autres régions de France, le résultat serait intéressant.

Que peut-on envisager ensuite ? Nous pensons qu'il faudrait peut-être - cela pourra être discuté en son temps et cela semble plus intéressant - privilégier la branche Sud à partir de ce moment-là. Mais il est difficile de dire aujourd'hui quel serait le meilleur tracé de la branche Sud du TGV Rhin-Rhône. En effet, cela dépendra beaucoup
- d'ailleurs, cela a été souligné dans le rapport Chassande - de l'état de saturation de la ligne nouvelle Paris-Lyon. Il est difficile de prévoir ce que sera cet état de saturation. La saturation est déjà perceptible dans la partie Nord de la ligne, il est vraisemblable qu'elle va s'étendre puisque, d'ici là, dans deux ans maintenant, on aura mis en service le TGV Paris-Marseille. La desserte Paris-Genève sera renforcée, puisque des travaux permettront de raccourcir le temps de trajet d'une demi-heure et qu'il est déjà prévu, dès maintenant, d'augmenter les fréquences. Que faudra-t-il faire à ce moment-là ? Est-ce qu'il faudra prolonger la ligne nouvelle de Besançon jusqu'à Dole ; est-ce qu'il faudra se diriger vers Mâcon ou, au contraire, plus à l'Est, vers la zone d'Ambérieu ? Je ne suis absolument pas capable de le dire, je crois que personne n'en sait rien aujourd'hui. Il est un peu trop tôt pour pouvoir faire des propositions précises. D'ailleurs, le rapport Chassande n'avait pas conclu de manière extrêmement nette sur ce point.

Pour en revenir à la destination de Paris, depuis la région Franche-Comté, il nous semble qu'il serait plus intéressant dans une deuxième phase, pour réduire les temps de trajet, de prolonger la ligne nouvelle depuis Paris, au-delà de l'embranchement d'Aisy, jusqu'à Dijon. Cette opération permettrait de raccourcir les temps de trajet pour l'ensemble des destinations au-delà d'Aisy. C'est-à-dire, bien sûr, Dijon et Châlon-sur-Saône, Besançon et au-delà - Mulhouse, Bâle, Dole, Lausanne et Berne. Il nous semble qu'il serait certainement plus intéressant de gagner du temps, par exemple, entre Paris et Belfort. Au fond, peu importe dans quelle région on gagne du temps, du moment qu'on le gagne ; autant d'ailleurs gagner du temps sur un tronc commun, qui permettra de faire gagner du temps sur d'autres destinations.

Voilà donc à peu près comment nous voyons les choses : dans un premier temps, réaliser le tronçon Lutterbach-Besançon. Dans un deuxième temps, et suivant les disponibilités financières, à notre avis, sans doute privilégier la branche Sud, avec un tracé qui reste à déterminer. Et, pour ce qui est de la destination parisienne, plutôt jouer la carte de la réduction de temps entre Aisy et Dijon qu'entre Dijon et Besançon.

M. le Président : Je vous remercie. J'aimerais que vous me donniez une précision - je n'ai pas les chiffres en tête - : entre Mulhouse et Paris par une voie nouvelle tout le long, combien de temps faudrait-il ?

M. Jean SIVARDIERE : Je pense qu'il faudrait 2 h 1/2.

M. le Président : Bien. Et sur Mulhouse-Paris, en tenant compte de l'amélioration entre Lutterbach et Besançon, avec un TGV pendulaire et une amélioration de la voie entre Besançon et Dijon - puisque la voie est effectivement très bonne ; et, ensuite, sur Dijon-Aisy en voie nouvelle, combien de temps durerait le trajet ? En un mot, sur le trajet Mulhouse-Paris, en créant le maximum de capacité de nouvelles voies, quelle serait la durée ?

M. Jean SIVARDIERE : En fait, la différence n'est pas grande. Parce que, entre Besançon et Dole, selon notre proposition, il y aurait dans une deuxième phase une ligne nouvelle, puisqu'il faut aller ensuite vers le Sud.

La ligne nouvelle Lutterbach-Besançon serait prolongée jusqu'à Dole.

M. le Président : Par une voie nouvelle ?

M. Jean SIVARDIERE : Oui, en direction du Sud. Qui doublerait, en gros, la voie existante.

M. le Président : C'est quelque chose qui n'a jamais été évoqué. La voie nouvelle serait le tracé actuel ?

M. André VAUCHEZ : Il était prévu qu'on puisse doubler tout simplement, quasiment sur l'emprise un peu écartée de la SNCF actuelle, par une voie spéciale qui pourrait descendre sur le Sud.

M. le Président : Une autre hypothèse avait été également soulevée avec le pendulaire : c'était, justement, de mettre Besançon-Dijon en pendulaire.

M. André VAUCHEZ : C'est une question que je pose également : aujourd'hui, Dijon-Besançon, représente 91 kilomètres. 72 kilomètres permettent le 220 km/h. Il en reste, c'est vrai, 19.

M. le Président : C'est cela : comment aménager ces 20 kilomètres restants ?

M. André VAUCHEZ : Si une ligne nouvelle telle que l'envisage le projet actuel est créée, calculs en main, nous estimons que 4 minutes coûteront 5 milliards.

M. Jean SIVARDIERE : Cela, c'est du gaspillage. Il vaut mieux mettre ailleurs les 5 milliards.

M. André VAUCHEZ : Tout à fait.

M. Jean SIVARDIERE : Pour en revenir à votre question : si une ligne nouvelle continue Paris-Dijon-Besançon-Mulhouse est créée, Paris-Mulhouse se fait en 2 h 30, à peu près. S'il y a un hiatus de ligne nouvelle entre Dijon et Dole, il y aura 5 minutes de différence. Elles seront liées au fait qu'on allonge le parcours, bien entendu ; au lieu d'aller directement de Dijon à Besançon, on fait un crochet par Dole, dans cette hypothèse. En outre, il n'y a pas de ligne nouvelle, dans notre optique, entre Dijon et Dole. Cela peut représenter un bon quart d'heure.

Je le répète : Paris-Grenoble représente 3 heures ; si c'était 2 h 45 ou 2 h 50, je préférerais, mais cela n'est pas indispensable.

M. le Président : Si on arrivait à mettre le trajet Besançon-Dijon, c'est-à-dire les 92 kilomètres à 220 km/h...

M. Jean SIVARDIERE : De Dole à Besançon, on retrouve une ligne nouvelle puisqu'il faut la faire pour aller vers le Sud. Donc, la perte de temps par rapport à la solution actuellement envisagée serait minime : à mon avis inférieure au quart d'heure.

M. le Président : Un élément est également important pour les Franc-Comtois. Je sors de mon rôle de rapporteur et de la stricte objectivité : il n'est absolument pas acceptable que la gare de Besançon, gare de la tutelle régionale, ne soit plus la gare TGV en raison des liaisons intermodales qui peuvent s'y faire.

M. Jean SIVARDIERE : Pour préciser les choses, je vais vous faire un petit schéma pour me faire comprendre. La ligne classique passe à travers Besançon. Si une ligne nouvelle est créée - je la fais en pointillés -, à notre avis, il faut un embranchement avant et après Besançon, comme cela se fait en Allemagne. Il n'est pas évident que les TGV directs de très longue distance, par exemple un Strasbourg-Barcelone, s'arrêteront systématiquement à Besançon ; en tout cas, il faut que les trains qui marquent l'arrêt à Besançon s'arrêtent dans la gare centrale. Autrement dit, il faut un raccordement avant et après et, cela, c'est la méthode qui est systématiquement utilisée en Allemagne.

M. le Président : Mais vous maintenez quand même la voie nouvelle ?

M. Jean SIVARDIERE : Sur ce secteur-là.

M. le Président : Après ?

M. Jean SIVARDIERE : Je n'en sais rien. Cela dépend de l'argent qui sera disponible. Ce n'est pas essentiel. Mais si on veut vraiment faire une liaison Nord-Sud performante, il faut envisager le maximum de lignes nouvelles. Sur de tels itinéraires, il n'est pas évident que la technique pendulaire soit très utile, à terme. Cela se discute. Je crois qu'il ne faut pas avoir de vision idéologique du pendulaire. Pendant un temps, la SNCF n'en voulait plus.

M. le Président : Est-ce qu'un TGV traditionnel, sur une voie aménagée, entre Dijon et Dole, par exemple, peut rouler à 220 km/h ?

M. André VAUCHEZ : Oui, tout à fait.

M. le Président : Il n'y a même pas besoin de pendulaire, effectivement.

M. Jean SIVARDIERE : Pour qu'on puisse rouler sur lignes classiques à 220 km/h, comme c'est le cas aujourd'hui entre Le Mans et Angers, il faut systématiquement supprimer les passages à niveaux - au-delà de 160 km/h, c'est trop dangereux - ; et il peut y avoir des petites reprises du tracé, des ripages de voies.

M. André VAUCHEZ : C'est une analyse très lucide et à caractère durable que vous proposez à la SNCF et à RFF. Il est vrai que le point crucial pour les habitants de la Franche-Comté, du Doubs, et du Jura surtout est effectivement la partie Dijon-Besançon. C'est un raisonnement que peu d'observateurs peuvent contourner. Qui sont ceux qui risquent de le contourner ? Ce sont évidemment celles et ceux qui font du lobbying de façon un peu détournée de l'objectif de desservir les villes importantes dans le cadre du TGV Rhin-Seine et Rhin-Rhône au profit de la seule recherche d'un gain d'une minute ou de trois minutes. L'histoire nous l'a montré, que ce soit à Montchanin ou autre. Les élus locaux nous disent qu'à Montchanin, rien n'a été engendré, d'autant plus qu'il faut se déplacer pour aller à la gare. Je rejoins totalement votre analyse. Toutefois, des éléments nouveaux apparaissent.

En ce qui concerne Besançon, nous réfléchissons beaucoup sur les lieux où devrait s'implanter la gare du TGV, compte tenu des nécessaires connexions avec le réseau express régional. C'est le premier point. Deuxième point : la municipalité de Dijon défend aujourd'hui, me semble-t-il, le maintien de la gare de Dijon là où elle est ; avec, bien sûr, un aménagement. Si bien que, quand on reprend la carte que vous évoquiez tout à l'heure, les deux gares - Dijon et Besançon - qui devaient se trouver au Nord de ces deux villes vont maintenant être intégrées plus ou moins dans la ville, surtout si Besançon continue à agir dans ce sens-là. Ce qui fait que l'embranchement qui devra se faire sur Dijon ne se fera plus n'importe où autour de Dijon, mais à partir de Genlis. On ne pourra pas rentrer dans Dijon autrement. C'est ce que dit également la municipalité dijonnaise. Cela signifie que, pour le tracé raccourci par les vallées de l'Ognon - sans parler de l'environnement, mais mettons-le en réserve -, l'économie qui est faite pour celles et ceux qui croient gagner 10 minutes est extrêmement faible. Nous aurons effectivement des coûts de réalisation élevés.

J'ajoute pour terminer que le carrefour de Dole est difficile à contourner. Il est prévu - et il est très facile de le faire à la pointe du « V », puisque Dole se trouve à la pointe du « V », entre Besançon et Dijon -, un évitement, une déviation ferroviaire, qui fait gagner encore énormément de temps et qui pourrait s'intégrer également dans le schéma Sud que vous évoquiez tout à l'heure.

Il s'agit, en conclusion, d'un projet réfléchi, susceptible de susciter les adhésions.

Je terminerai en insistant sur la nécessité de réaliser une voie nouvelle jusqu'à Aisy. Il est incohérent qu'aujourd'hui les plus grands défenseurs des gains de temps ne se mobilisent pas en faveur de cette amélioration. J'avais oublié Châlon dans mon analyse ; mais, vous venez de le dire : tout le monde y gagne.

M. le Président : Combien de temps gagne-t-on, sur ce petit tronçon ?

M. Jean SIVARDIERE : On doit gagner un bon quart d'heure, je pense. En plus de cela, on résout un problème de saturation de la ligne actuelle. Les tunnels de Blaisy-Bas n'ont que deux voies. C'est au Nord qu'on retrouve quatre voies. J'aimerais faire deux commentaires, si vous permettez, sur la desserte de Dijon et sur celle de Mulhouse.

Le projet que nous proposons est un tracé qui est d'ailleurs envisagé par tout le monde, de Besançon jusqu'à Lutterbach, laissant de côté l'agglomération de Mulhouse. Cela pose un problème, mais qui ne nous semble pas rédhibitoire. Parce que, si on envisage des TGV longue distance - Zurich-Marseille, par exemple -, passant par Mulhouse, la ville de Mulhouse serait desservie pour aller vers le Sud. Pour aller vers le Nord, jusqu'à Francfort, par exemple, on peut imaginer que les habitants de Mulhouse, qui n'iront pas tous les jours à Francfort, bien sûr, puissent utiliser le train régional - il y aura bientôt un train-tramway à Mulhouse - et accéder à Lutterbach. L'intérêt d'une gare à Lutterbach est que ce n'est pas vraiment une gare dans les betteraves, c'est une gare du réseau actuel.

Maintenant, une remarque concernant Dijon : pendant longtemps, j'ai entendu les élus de Dijon, en particulier, souhaiter être situés sur le tracé du TGV Rhin-Rhône. Mais je n'ai jamais compris cet argument, puisqu'ils ont fini par admettre qu'à plus long terme, la branche Sud quitterait l'itinéraire Paris-Mulhouse à Auxonne. Autrement dit, à long terme, tel que cela est envisagé aujourd'hui, les futurs TGV Francfort-Barcelone ou Strasbourg-Lyon ne passeraient pas par Dijon. Il y aurait, de ce fait, une difficulté d'accès depuis Dijon jusqu'à Auxonne. Il faut donc une navette. Cette navette peut très bien aller un peu plus loin, jusqu'à Dole ; mais, en fait, ce n'est pas la bonne solution. Pour la desserte de Dijon vers le Sud, il faut imaginer un autre axe sur lequel les trains seraient accélérés. C'est-à-dire un axe Luxembourg-Metz-Nancy-Dijon ; et puis, ensuite, la vallée de la Saône. C'est plutôt sur cet axe-là qu'il faut essayer d'améliorer la desserte de Dijon.

M. le Président : J'ai encore quelques questions à vous poser.

Concernant les infrastructures routières, quelles seraient vos priorités ? Même si, je l'ai bien compris, vous étiez très orienté sur l'amélioration de la desserte ferroviaire.

Vous pouvez peut-être nous dire aussi un mot de ce que vous pensez du fret. Pensez-vous que la SNCF intègre bien les nouvelles priorités en matière de fret, à savoir la ponctualité et la régularité demandées par les chargeurs et utilisateurs de la SNCF que nous rencontrons, qui sont, à cet égard, assez critiques ?

Et, troisièmement, nous avons évoqué, lors d'une audition que nous avons eue à Lyon avec M. Vauzelle, M. Barre et Mme Comparini, le risque d'assèchement de l'axe Rhin-Rhône, qui pourrait être, à terme, la conséquence de la mise en place à travers la Suisse, grâce aux tunnels du Lötschberg et du Saint-Gothard, d'un axe Lombardie, Mittleuropa, comme le soulignait M. Barre, qui souhaite rendre l'axe Rhin-Rhône beaucoup plus attractif, entre autres par la branche Sud du TGV, pour lutter à armes égales face à la concurrence que constituera, à terme, cet axe - c'est vrai essentiellement pour le fer - qui irait entre le port de Gioia Tauro et l'Allemagne.

M. Jean SIVARDIERE : Premier point : les routes. Je ne vous répondrai rien de précis, parce que je ne connais personnellement pas assez la région.

Je crois que la première question à se poser, est la suivante : l'autoroute A 36 est-elle saturée ou pas ? J'avoue que je n'en sais rien. A notre avis, s'il y a trop de camions, il ne faut pas élargir l'autoroute, mais se débarrasser des camions. Voilà notre raisonnement. Le transport de marchandises est effectivement le problème, que ce soit dans la vallée du Rhône ou sur l'autoroute A 36. Il y a beaucoup de poids lourds et on ne cherche pas vraiment à les transférer.

Je pense que sur un tel axe Rhin-Rhône, la voie d'eau ne peut pas jouer un rôle important. Parce que la voie d'eau fonctionne bien entre un port et un hinterland ; mais, pour relier des bassins différents, l'expérience montre qu'il n'y a pas de trafic. Nous avons d'ailleurs beaucoup critiqué, en son temps, le projet de canal à grand gabarit Rhin-Rhône. Nous critiquons aujourd'hui le projet Seine-Nord, qui nous semble tout à fait comparable. C'est-à-dire extrêmement coûteux et, finalement, peu intéressant pour transférer du trafic routier. J'ai lu qu'il était question de moderniser le canal Freycinet Rhin-Rhône.

M. le Président : Surtout pour éviter qu'il ne s'effondre, et le réouvrir au tourisme.

M. Jean SIVARDIERE : Y a-t-il un peu de trafic touristique ?

M. le Président : Encore quelques « pénichettes ».

M. André VAUCHEZ : 200 tonnes, pas plus.

M. Jean SIVARDIERE : Effectivement, si cela ne coûte pas très cher, c'est quelque chose d'intelligent. D'abord parce que, le tourisme fluvial est un apport économique important. Je rappelle que le chiffre d'affaires des Voies navigables de France est à peu près de 2 milliards de francs par an, dont la moitié pour le trafic fluvial. Le trafic fluvial peut donc présenter beaucoup d'intérêt. Pour ce qui est du trafic de marchandises sur un tel canal, il ne sera jamais très performant, par définition, puisque le gabarit est faible.

Si on veut vraiment améliorer l'écoulement des marchandises sur l'axe Rhin-Rhône et prendre du trafic à la route, c'est essentiellement la carte ferroviaire qu'il faut jouer. La première chose à faire est d'améliorer le gabarit entre Mulhouse et Dole. Il reste encore un tronçon, Belfort-Besançon, qui n'est pas au gabarit « B + » nécessaire pour le transport des conteneurs. C'est une opération qui est quand même très peu coûteuse comparée à d'autres grands projets ; il y en a pour moins de 500 millions. Il y a cinq ans, la SNCF parlait de 250 millions. Disons que 3 ou 400 millions sont peut-être nécessaires. C'est un ordre de grandeur, mais il ne s'agit pas de quelques milliards de francs. Si cet investissement est réalisé, il faut voir ensuite comment les marchandises peuvent s'écouler plus vers le Sud. On peut caractériser la situation en disant qu'il y a globalement surcapacité ferroviaire, mais qu'il y a des goulets d'étranglement. Quels itinéraires peuvent prendre les marchandises une fois arrivées à Dole, en venant d'Alsace ? On peut renvoyer le trafic fret vers Dijon et, ensuite, la vallée de la Saône. On peut l'envoyer sur la ligne du Piémont du Jura, par Lons-le-Saunier et Saint-Amour. Ou bien, on peut imaginer aussi
- c'est une idée qui mériterait peut-être d'être étudiée - de l'envoyer directement sur la ligne de la Bresse ; on passe par Louhans, qui est une ligne électrifiée et qui aboutit à Ambérieu. Quand on regarde une carte, entre Dole et Saint-Jean-de-Losne, il n'y a pas 300 kilomètres, mais un petit nombre de kilomètres. D'ailleurs, autrefois, une voie ferrée permettait d'aller de Dole à Saint-Jean-de-Losne. Au Sud de Dole, il y a trois itinéraires. Globalement, la capacité est suffisante, on pourrait doubler ou tripler le trafic ferroviaire de marchandises sans grandes difficultés ; mais il y a des goulets d'étranglement. A l'Ouest, c'est Dijon. Ensuite, j'ai parlé du raccordement éventuel entre Dole et Saint-Jean-de-Losne. Puis, à l'Est, la voie entre Franois et Saint-Amour est une voie unique, au moins sur une grande partie. La doubler est peut-être souhaitable à long terme ; elle l'a été autrefois. Mais, le minimum à faire, qui pourrait suffire, sans doute, pendant vingt ans, est de créer des évitements, des points de croisement des trains Nord-Sud et Sud-Nord. Ce n'est pas extrêmement coûteux. Ensuite, plus au Sud, on retrouve des goulets d'étranglement, notamment le n_ud ferroviaire lyonnais. Il y a un grand projet - qui coûte 6 ou 7 milliards de francs - de contournement ferroviaire de Lyon par l'Est. Un contournement qui peut être phasé, réalisé par morceaux successifs ; ce qui est d'ailleurs envisagé, au moins en partie, pour le prochain plan, M. Gayssot l'a fait savoir récemment. Cela répond vraiment à une nécessité parce que, à cause du n_ud ferroviaire lyonnais, le nombre de trains régionaux doit être limité pour faire passer les trains de fret et les trains de voyageurs. Ensuite, si on se dirige vers le Languedoc, on retrouve des goulets d'étranglement : Nîmes et Montpellier. Et, là encore, des contournements sont envisagés pour le prochain contrat de plan.

Dans la vallée du Rhône, il n'y a aucun problème de saturation : la ligne du TGV Méditerranée sera prochainement ouverte, la capacité sur la ligne de la rive droite sera suffisante, passant en Ardèche qui est dédiée au fret actuellement. Sur la rive gauche, une ligne très performante pourra également augmenter le nombre de trains de fret.

Restent, évidemment, les problèmes de fonctionnement de la SNCF ; puis des autres opérateurs pour ce qui est du transport combiné. Je vous renvoie au rapport Perrod, qui a fait une très bonne analyse de ces problèmes.

Des problèmes d'interface entre transports routiers et transports ferroviaires se posent pour ce qui est du combiné ; des chantiers de transbordement sont saturés et fonctionnent parfois assez mal. Et puis, bien sûr, il y a des problèmes internes à la SNCF : d'une part, les mouvements de grève, qui sont très fréquents ; d'autre part, des problèmes d'organisation interne : manque de matériel, manque de locomotives, manque de conducteurs. Il faut reconnaître qu'il n'est pas facile de gérer un tel système ferroviaire qui, par définition, a peu de souplesse. Quand on est en période de régression économique, de récession ou de stagnation, comme au début des années 90, l'entreprise a trop de conducteurs. L'État lui dit : « faites des économies, vous avez trop de déficit » ; on réduit, donc, le nombre de conducteurs. Puis, quand la reprise économique est là, il n'y a plus assez de conducteurs. Se pose également le problème du manque de locomotives. La SNCF n'a pas voulu acheter trop de locomotives pour le fret pendant toute une période : le trafic stagnait, elle n'en avait pas besoin. Et puis, tout d'un coup, le trafic repart ; mais il faut le temps de fabriquer les locomotives.

Je pense qu'on peut quand même être optimiste. Parce que pour ce qui est de l'organisation interne, les choses tendent à s'améliorer. Maintenant, je crois qu'il est admis que le fret ne doit pas être sacrifié au transport des voyageurs. Nous sommes les premiers à le dire. Si on sacrifie le fret, si on ne donne pas une certaine priorité de circulation au fret sur les voyageurs, les voyageurs circulent mieux, mais on retrouve des problèmes d'environnement, parce que les poids lourds sont trop importants.

M. le Président : Cela veut dire que vous acceptez d'une certaine façon, une priorité du transport de fret par rapport à celui de voyageurs ?

M. Jean SIVARDIERE : Nous souhaitons surtout que la capacité globale du système ferroviaire soit suffisante pour qu'il n'y ait pas de conflits. Mais il est certain que, quand il y a conflit, il faut peut-être, dans certains cas, arbitrer davantage en faveur du fret.

M. le Président : Cela suppose quand même un changement de mentalité.

M. Jean SIVARDIERE : Oui, c'est un changement de mentalité, absolument.

M. le Président : Concernant le renforcement des transports publics régionaux, avez-vous, concernant l'axe Rhin-Rhône, des idées précises ?

M. Jean SIVARDIERE : Personnellement, non. Je crois qu'il faut que l'expérimentation Haenel soit généralisée le plus vite possible à l'ensemble des régions ; notamment à la Bourgogne et à la Franche-Comté, qui ne sont pas concernées à l'heure actuelle.

On se rend compte que c'est une excellente chose. La régionalisation a suscité beaucoup de réticences au sein de la SNCF, au sein de la hiérarchie, parmi le personnel aussi. Mais, en définitive, le résultat est très probant. On s'aperçoit que, lorsque les régions sont maîtres d'ouvrage, la SNCF n'a plus qu'un rôle d'opérateur. Mais cela lui suffit largement, alors qu'auparavant elle était chargée de décider elle-même de l'étoffement des dessertes. Aujourd'hui, les sept régions pilotes décident. Et, en Rhône-Alpes, cela se passe très bien ; la région est incitée à investir. Cela est normal parce que, quand le décideur est un élu, quelqu'un qui est sur place et pas dans un bureau parisien, il connaît davantage les problèmes, est sensible aux besoins de la population et les progrès sont visibles ; en Rhône-Alpes, c'est absolument spectaculaire. En Nord-Pas-de-Calais et en Alsace, cela se passe également très bien. Il y a des investissements, davantage de circulation, les fréquences sont augmentées. Il y a parfois des investissements de voies, des investissements de matériel. Les élus sont motivés et la SNCF est responsabilisée parce que, quand il y a un système bonus malus, elle est tenue à la qualité.

Je ne peux rien vous dire de plus précis parce que je ne connais pas votre région, mais je crois qu'il faut vraiment que, le plus rapidement possible, les régions soient responsables du transport ferroviaire régional.

M. le Président : C'était très clair. Entre autres, ce que vous nous avez dit sur le TGV Rhin-Rhône est important pour notre rapport et je vous remercie.

Audition de M. Joël de ROSNAY,
Directeur de la stratégie de la Cité des sciences et de l
'industrie à la Villette

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 31 mars 1999)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : M. Joël de Rosnay, qui est directeur de la stratégie de la Cité des sciences et de l'industrie à la Villette, a bien voulu venir devant notre instance et je l'en remercie. Il maîtrise en effet des disciplines qui peuvent ne pas être inutiles à notre réflexion.

Dans le cadre de cette mission d'information commune sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône, nous nous sommes rassemblés -  anciens partisans du canal ou anciens adversaires du canal et toutes sensibilités politiques confondues -, après la décision, annoncée avant les élections législatives de 1997 par M. Lionel Jospin, d'abandonner le projet de canal, pour voir comment faire face à l'abandon de ce projet et interpeller le Gouvernement sur la nécessité de prévoir des équipements qui permettraient à l'axe Bouches-du-Rhin-Bouches-du-Rhône de se développer. Il s'agit, notamment, de vérifier comment tracer le barreau, qui est manifestement bien faible, entre la vallée du Rhin et la vallée du Rhône, et au-delà de ce problème - qui intéresse beaucoup nos collègues de Franche-Comté, évidemment -, de trouver le moyen de développer les relations, de Marseille, des Bouches-du-Rhône et en général de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, avec le nord de l'Europe, le c_ur industriel de l'Europe. Nous sommes un peu obsédés par l'existence de la fameuse « banane bleue » et nous aimerions nous désenclaver, malgré une vallée du Rhône bien engorgée et la barrière alpine.

Nous avons reçu beaucoup d'intervenants à Paris. Nous nous sommes déplacés à Marseille, nous y avons été reçus par le maire et par des personnalités de la région. Nous sommes allés à Lyon, où nous avons vu, notamment, M. Raymond Barre et Mme Anne-Marie Comparini. Nous devons aller à Besançon, à Strasbourg. Notre mission se termine dans deux mois. Nous remettrons notre rapport à l'Assemblée et j'espère bien que nous ferons, soit à la fin du printemps, soit au début de l'automne, un colloque sur ce sujet.

M. de Rosnay, nous vous écoutons

M. Joël de ROSNAY : Ce que je vais vous dire va se situer dans le contexte de la société de l'information. Nous vivons une troisième révolution industrielle. La première révolution était une révolution agricole. Elle a permis aux hommes de domestiquer l'énergie solaire, par les plantes, qui leur ont fourni les aliments pour eux et pour les machines qu'ils utilisaient à l'époque, c'est-à-dire les animaux. Et cela a duré des millénaires. La deuxième révolution industrielle a été plus courte dans le temps. Elle a résulté de la conquête des énergies fossiles - principalement du charbon et du pétrole -, avec l'apparition des moteurs - moteurs thermiques et moteurs électriques -, qui ont changé radicalement notre manière de conquérir l'espace et même le temps, par les déplacements en commun et les déplacements individuels - il est inutile d'insister sur le succès de l'automobile. La troisième révolution, que nous vivons aujourd'hui, n'est plus seulement fondée sur les machines, mais sur les microprocesseurs et sur les réseaux interactifs multimédia. C'est la révolution de la société de l'information. Et c'est dans ce contexte, en introduction, que je voudrais faire la différence avec l'aménagement du territoire au sens traditionnel du terme, fondé sur l'énergie, les routes, les grands transports en commun que sont les chemins de fer, les TGV, les canaux - éventuellement -, pour les marchandises, et les centrales de production d'énergie. Ces termes sont importants : centrales électriques, centrales nucléaires, villes avec leurs banlieues, axes de transport pour les personnes et pour les marchandises, TGV. Ils sont tout à fait typiques de cette phase de conquête de l'énergie et de conquête de l'espace résultant de la deuxième révolution industrielle.

Aujourd'hui, nous devons réfléchir à un aménagement du temps et de l'espace qui se fonde sur des concepts différents de la relation humaine en société, à la fois pour le travail, les loisirs et la culture. C'est pourquoi il est très important de mettre en avant les effets, sur l'aménagement du territoire, de la révolution de l'information.

Deux mots sur cette révolution de l'information. Puis, je dirai quelques mots sur ses implications dans le cadre de la mission qui est la vôtre. D'abord, cette révolution de l'information résulte de la convergence - c'est le terme le plus employé aujourd'hui - entre l'informatique, les télécommunications et la télévision. Ces trois entités vont continuer à se développer, bien entendu, chacune dans son créneau, mais la convergence des trois conduit à un nouvel espace ; on pourrait presque dire à un nouvel espace-temps, parce qu'il concerne autant les déplacements physiques que l'échange des données. Ce nouvel espace-temps, on l'appelle, d'une manière un peu spectaculaire dans l'immédiat, le « cyberespace » ; mais, en fait, il est la marque de nouvelles formes d'échanges. Des échanges qui ne sont plus seulement matériels, mais immatériels, dont le principal effet, le plus spectaculaire, est ce que l'on appelle aujourd'hui le « commerce électronique », ce qui est, à mon avis, un terme inadapté, parce qu'il concerne non seulement la vente d'objets par les réseaux, mais l'ensemble des affaires, l'ensemble de l'industrie et de l'économie qui devra, d'une manière ou d'une autre, utiliser des réseaux interactifs.

Cette convergence conduit, aujourd'hui, à des réorganisations sociales et à l'avènement d'une nouvelle forme d'économie, par rapport à laquelle il faut se situer quand on parle de « désenclavement ». Elle génère de nouvelles organisations, parce que les structures traditionnelles de gestion de nos sociétés complexes - qu'il s'agisse d'entreprises, d'organismes de l'État, de régions, de collectivités publiques - sont des organisations de nature pyramidale, avec un pouvoir restreint en nombre de personnes au sommet et des tâches d'exécution qui se déroulent en descendant la pyramide sociale. Avec la société de l'information et l'interactivité qui naît des échanges, du commerce électronique bien entendu, mais aussi de l'accès aux bases d'information pour l'éducation et la culture, cette pyramide s'aplatit et nous voyons apparaître des réseaux de pouvoir répartis avec la possibilité, par exemple, pour des entreprises, de jouer un rôle régional qui peut devenir national, et même international. Pour employer une phrase un peu spectaculaire, je dirai qu'aujourd'hui, avec l'avènement des réseaux interactifs multimédia comme Internet, une entreprise peut être unipersonnelle et multinationale. C'est un peu une boutade, mais cette boutade illustre le fait que quelques personnes, situées n'importe où en France, si elles proposent un produit ou un service performant dans le domaine du commerce, de l'information, de la culture et dans tous les domaines d'interactivité humaine, peuvent développer leurs sociétés à l'échelle internationale et faire concurrence à de très grandes sociétés particulièrement bien placées au plan mondial.

Donc, changement des organisations. Les organisations s'aplatissent ; les modèles de référence qui étaient mécaniques - l'engrenage, la pyramide, l'organigramme - font place progressivement à des modèles qui sont plus biologiques ; on parle de tissu social, d'organes, de système nerveux ; et ce n'est pas un hasard, c'est le passage à un nouveau paradigme, plus biologique que mécanique.

Nous entrons, avec ces réseaux, dans une nouvelle forme de management, qui n'est plus seulement l'exercice traditionnel du pouvoir hiérarchique par programmation des tâches et contrôle de l'exécution de ces tâches sous un angle taylorien, dirons-nous, mais une forme de gestion - qu'il s'agisse des organismes publics, des régions, de l'État ou des entreprises - qui s'inspire plus du pilotage. Et même - c'est un terme qu'il ne vous étonnera pas d'entendre un biologiste prononcer - de catalyse. L'art des organismes privés, des organismes publics, des régions, des instances nationales, c'est de catalyser l'émergence des talents, des savoir-faire et de l'intelligence collective, c'est-à-dire de permettre à chacun de résoudre les problèmes qui se posent où ils se posent.

Enfin, changement dans l'économie, parce que nous assistons à une nouvelle forme d'économie, qui n'est plus liée à l'économie d'échelle traditionnelle, c'est-à-dire aux grands regroupements, aux grandes concentrations, mais à une économie des effets d'amplification, de niches. On emploie le terme de « cercle vertueux », pour caractériser les effets boule de neige typiques des sociétés en réseaux, que l'on constate aujourd'hui sur Internet. La plupart de ces entreprises connaissent un très grand succès par leur croissance quasi exponentielle, liée à des effets d'amplification. Une niche est en synergie avec une autre et ses effets s'amplifient dans le temps et dans l'espace, pour conduire à des accroissements assez considérables de leur chiffre d'affaires, de leurs profits, ou de leur valeur en bourse.

La question qu'on peut se poser en terminant, c'est : qui seront les leaders dans cette société de l'information ? Et pourquoi ces leaders vont-ils influencer très profondément l'aménagement de l'espace et du temps qui nous concerne, en tant que planificateurs du futur ou constructeurs de l'avenir pour nos concitoyens ?

Ces leaders doivent se situer dans une évolution technologique que je vais simplement brièvement résumer, mais qu'il est important de connaître, puisque tout va changer dans les cinq ans qui viennent. Nous avons encore à peine vu le début de la société de l'information, même si l'essor d'Internet est très spectaculaire et si les médias en parlent beaucoup. Tout va changer avec l'accroissement des débits ; ce sont ces fameuses autoroutes de l'information. Aujourd'hui, le débit que nous recevons par le téléphone est extrêmement modeste : 56.6 kilobits par seconde avec le meilleur des modems. On peut s'attendre, dans les cinq ans qui viennent, grâce au câble de la télévision, à la fibre optique, à l'ATM (Asynchromous Transfer Mode), et surtout aux satellites à orbite basse - qui sont déjà lancés et qui seront opérationnels en 2003 - à la possibilité de recevoir le multimédia à haut débit en n'importe quel point du globe, mais même si ce pays n'est pas irrigué en lignes téléphoniques classiques.

Je rappelle qu'il existe aujourd'hui 700 millions de lignes téléphoniques dans le monde, que le nombre des portables s'accroît d'une manière quasi exponentielle et que la prochaine norme, qui ne sera pas le GSM (Global System for Mobile communications), mais l'UMTS ( Universal Mobile Telecommunications System), entrera en vigueur dans quatre ans et permettra d'accéder à des débits d'information de 2 millions de bits par seconde sur des téléphones portables, ce qui va autoriser sur des mobiles la visio-communication, l'accès à l'Internet et le télétravail.

Deuxièmement, fusion d'Internet et de la télévision. Aujourd'hui, nous connaissons les défauts de l'Internet - son faible débit - et nous connaissons les défauts de la télévision - sa non-capacité de navigation. A la télévision, la seule chose que l'on peut faire, c'est « zapper » d'une chaîne à l'autre ; mais c'est extrêmement radical, c'est binaire : on passe d'une chaîne à l'autre. Sur l'Internet, comme vous le savez, la force du réseau, c'est d'être capable de « surfer », c'est-à-dire de cliquer sur un lieu et de se retrouver sur un autre.

Ces deux avantages de la télévision et de l'Internet vont fusionner dans les cinq ans à venir et créer un média dont nous n'avons encore aucune idée, qui va bouleverser à la fois le commerce et la politique, d'une certaine manière, par la possibilité de joindre qui l'on veut et de recevoir une information en retour à très haut débit par rapport, disons, à l'aspect pointilliste des messageries électroniques actuelles sur l'Internet.

Enfin, troisième bouleversement technologique qui, lui également, va changer l'accès à la société de l'information, c'est l'interface entre l'homme et les machines. Aujourd'hui, nous communiquons avec un ordinateur par un clavier, par une souris, par des menus déroulants. Déjà, certains d'entre nous parlons à notre ordinateur pour dicter des textes longs. Cette voix est parfaitement comprise, le texte est parfaitement intégré - je suis désolé pour certains métiers d'aujourd'hui, mais, dans quelques années, les mots seront transportés directement de la voix vers le traitement de texte - et, déjà, nous utilisons ces capacités de communication vocale avec l'ordinateur. Sans parler de toutes les interfaces qui se mettent en place et qui vont là, encore une fois, créer une accessibilité encore plus grande de très nombreuses personnes à la société de l'information.

Les leaders : qui sont-ils, qui vont-il être et pourquoi vont-ils compter dans le paysage qui est en train de se dessiner ? En gros, il y a cinq catégories d'entreprises nationales et internationales qui se placent dans ce domaine du « network média » - au-delà du multimédia, on l'appelle le « network média » - : Premièrement, ce sont les opérateurs de télécommunications : France Télécom, British Télécom, Deutsch Télécom, ATT, etc. Deuxièmement, ce sont les producteurs de logiciels et de matériels de type Microsoft, Intel et les autres. Il est clair qu'ils veulent conquérir une part de marché dans les autoroutes de l'information et dans le multimédia. Troisièmement, ce sont les spécialistes de l'édition, de type Hachette, Bertelsmann, Time Warner, etc. Ceux qui ont fait jusqu'à présent du papier, mais qui ont racheté ou qui ont fusionné avec des entreprises du multimédia. Quatrièmement, ce sont les chaînes de télévision. canal + en France, bien sûr, mais aussi CNN, ABC News et les autres. Enfin, cinquièmement, ce sont les fabricants de matériel pour le grand public, de type Philips, Sony, les producteurs de jeux vidéo qui connaissent bien les demandes du public et du terrain. Il est tout à fait intéressant de voir que ceux qui se positionnent pour être les vrais acteurs du futur sont ceux qui maîtriseront ces cinq savoir-faire, qui seront à la fois dans les télécommunications, dans la télévision, dans l'édition, dans les produits grand public. Ce n'est pas la peine de chercher en France qui est le mieux placé, son nom commence par un V. C'est effectivement la stratégie d'une entreprise qui, jadis, se chargeait de distribuer de l'eau et qui, aujourd'hui, a intégré le téléphone, la télévision, l'édition et se propose de racheter des entreprises de multimédia à l'échelle internationale. Ces acteurs vont jouer un rôle extrêmement important dans les années à venir pour permettre à chacun d'accéder à cette société de l'information, aux entreprises de s'y installer et de devenir compétitives, par leur créativité et leur originalité, avec les entreprises mondiales.

Il résulte de tout cela - je termine maintenant, je serai tout à fait heureux de répondre à vos questions, peut-être même de vous donner des éléments un peu plus techniques sur ce que je viens de vous dire - que nous entrons dans une société où c'est le management de l'intelligence, la gestion des savoirs, l'accès à l'information, la vitesse et l'adaptabilité des entreprises qui vont primer sur les démarches classiques de compétition territoriale en termes de frontières et de transport physique des objets d'un endroit à l'autre.

C'est dans ce contexte, me semble-t-il, que votre mission - elle l'a déjà certainement fait - doit réfléchir pour désenclaver, comme on le dit, des lieux prisonniers des montagnes d'un côté, des canaux ou des fleuves de l'autre, présents entre des grandes agglomérations ; il peut s'agir, par les moyens classiques, d'emmener les autoroutes, les canaux ou les TGV à l'endroit où l'on voudrait créer des emplois, de la richesse et de la croissance. Or, il faut vraiment se poser la question de savoir si c'est la meilleure des solutions. Il y a un capital environnemental qui fait souvent l'attrait des régions, attire du monde entier des visiteurs et, par conséquent, crée des emplois liés au tourisme, qui risque de se trouver dégradé en partie par des grandes infrastructures, alors que l'on n'a pas suffisamment prévu les infostructures. Le défi, aujourd'hui, c'est de rendre complémentaires les infrastructures et les infostructures. De faire en sorte qu'on réinvente un aménagement de l'espace et du temps qui se fonde non seulement sur de gros dispositifs - des villes, bien entendu, des centrales, des autoroutes, des TGV et des canaux - mais qui, en même temps, réfléchisse à la préservation du capital environnemental créateur d'emplois indirects dans toute une série de services qui lui sont liés, s'appuyant sur un maillage de plus en plus étroit, de plus en plus serré de liaisons à haut débit, à bas débit et à moyen débit, permettant de créer le système nerveux de nos sociétés de demain et, donc, l'intelligence et la compétitivité d'un pays.

M. le Président : Merci beaucoup. Le problème, pour nous, est d'autant plus urgent que nous sommes au début d'une concertation qui doit se terminer cette année par une contractualisation avec l'État au niveau des régions et de réflexions à plus long terme, puisque le schéma régional d'aménagement du territoire doit être conçu dans la perspective de 2020. Quand on voit l'actualité internationale, ce que vous venez de nous dire, les phénomènes de mondialisation, il est très difficile de faire des choix en matière d'infrastructures, même quand ces équipements paraissent indispensables. Je prendrai comme exemples d'investissements les percées alpines ou bien les tunnels sous Toulon qui feraient que l'argent public, qui doit être orienté vers des grands équipements nécessaires soit au confort de la population, soit au développement économique, pourrait ne servir qu'à deux ou trois grandes opérations. Par ailleurs, il ne faut pas passer à côté de certaines possibilités nouvelles qui sont évidentes pour vous à 4 ou 5 ans et pas encore perceptibles pour nous. Est-ce qu'on peut d'ores et déjà, peut-être dans la réflexion que nous allons avoir cette année, remettre en question certains investissements qui aujourd'hui, apparaissent prioritaires pour l'opinion publique, tel que les tunnels ou les canaux, en raison de cette révolution que vous annoncez ? Aura-t-on, grâce à cette évolution, la possibilité de développer notre économie locale en dépit des barrières alpines et de la saturation de la vallée du Rhône ? C'est une question un peu naïve et très globale, qui reprend ce que vous venez de dire. D'autant plus que nous sommes très sensibles dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur au fait que, si on conserve nos paysages, notre qualité de vie - exceptionnelle dans le sud -, on peut en effet préserver un environnement adéquat, attirer des gens qui viendront travailler dans le sud plutôt que d'aller travailler dans le nord, tout simplement parce qu'il y a du soleil. A condition, encore une fois, que la qualité de vie et les paysages, qui ont déjà été abîmés, soient préservés. Est-ce qu'on en sait assez, d'ores et déjà, pour pouvoir peser sur des choix que nous nous apprêtons à faire ou bien, est-ce qu'il y a un décalage ?

M. Joël de ROSNAY : La première réponse qu'on peut faire, c'est que nos choix et nos raisonnements doivent, dans la mesure du possible, essayer de sortir de la logique de l'exclusivité. On raisonne, le plus souvent, en termes mutuellement exclusifs : ou l'on fait cela, ou l'on fait cela. La grande difficulté de la société dans laquelle nous entrons, la société de l'information, c'est que l'on peut faire cela et cela, de manière différente. Je m'explique : vous vous êtes interrogé sur le point de savoir s'il faut encore percer des tunnels, faire de grands canaux ? La réponse est très délicate. Il est probable que, plus la société de l'information va croître, plus le commerce électronique va se développer, plus les produits auront besoin de circuler entre les gens. DHL, Fedex, Chronopost connaissent grâce au commerce électronique, une croissance impressionnante de leurs transferts et, donc, de leur chiffre d'affaires. La société de l'information entraîne paradoxalement des mouvements physiques. Il faudra donc des tunnels, des voies de chemin de fer.

La grande question, c'est : comment utiliser au mieux l'énergie et l'information pour réguler les flux physiques ? J'illustre cette question : faire passer, par exemple, des poids lourds dans des tunnels avec des risques d'incendie, c'est une aberration ; faire passer des poids lourds sur des chemins de fer à voie spéciale, dont les motrices, les chaînes de trains sont régulées les unes par rapport aux autres, grâce au GPS (Global Positioning System) utilisant le satellite, qui permet de savoir à tout instant à quel endroit ils sont, donc de gérer les flux d'ensemble - les macro-flux, pourrait-on dire - à l'échelle de l'ensemble d'un pays, cela, c'est une voie intelligente qui permet, à la fois, les transferts d'objets, mais aussi la régulation informatique très subtile de la manière dont ces objets sont transférés. On peut également imaginer qu'une entreprise de camionnage et de transport de biens à l'échelle de toute la France - et cela commence à être le cas - soit gérée par Internet et par GPS. De telle sorte que l'ensemble de la flotte des quelques 500 ou 1000 camions soit visible, repéré, de manière à assurer des rotations plus efficaces des conducteurs et à réduire les accidents dus à la pression du rendement, à la torpeur de la nuit. Et c'est ainsi qu'on voit comment l'énergie et l'information peuvent se réguler l'une et l'autre. D'ailleurs, en tant que biologiste, je peux vous dire que c'est la manière dont notre corps se régule : toute l'énergie du corps est régulée par de l'information. C'est cette information subtile qui va permettre de gérer au mieux l'énergie. Dans le monde de la finance et de l'économie, ce sont de subtiles informations, comme à la bourse, qui permettent de réguler l'ensemble de l'économie.

Il faut des tunnels, des TGV ou des transports de poids lourds sur le rail, mais il faut une régulation extrêmement subtile de l'ensemble, utilisant justement les réseaux et les moyens informatiques dont on peut disposer.

Il ne s'agit pas d'opter soit pour les autoroutes de l'information - qui sont d'ailleurs beaucoup moins coûteuses, toutes proportions gardées, que les très grosses infrastructures -, pour les infostructures, ou les infrastructures. Il faut faire les deux en les rendant complémentaires. Et cela implique une démarche totalement différente de celle qui a été suivie jusqu'à présent, où il s'est agi de voter des budgets sur le long terme, de mobiliser les élus, de convaincre les électeurs, de travailler avec les médias pour leur expliquer que votre solution est la bonne. Cela nécessite une longue concertation, la participation des experts, la participation des universités, des citoyens pour leur faire prendre conscience de l'indissociable régulation mutuelle des infrastructures et des infostructures.

C'est toute une autre politique d'information qui doit se situer dans le long terme. Vous avez dit prévoir à 20 ans, c'est très difficile, compte tenu des incertitudes politiques, des fluctuations économiques. Paradoxalement, c'est notre métier de futurologues - puisqu'il paraît que cela s'appelle comme cela - de prévoir très loin. Et, finalement, de manière plus sûre que dans la conjoncture irrégulière de l'économie ou de la politique. Pourquoi ? Parce que notre métier est d'analyser les grandes tendances convergentes et de voir qu'avec l'inertie des systèmes sociétaux et des progrès technologiques, on est à peu près sûr de ce qui va se passer sur le plan de la relation entre les grandes infrastructures et les infostrucutures, de ce qui va se passer dans le développement de la société de l'information, dans le développement de l'informatique, de la miniaturisation des ordinateurs dans les 20 ans à venir.

D'ailleurs, si vous avez lu quelques uns de mes livres, en 1975 dans le « macroscope », j'avais prévu le minitel, l'Internet, les biotechnologies. Et dans « l'homme symbiotique », en 1995, je me projette bien au-delà de 2020, je pense à 2030, 2040.

M. Renaud MUSELIER :Vous avez soulevé tout à l'heure la question de la fusion de la télévision et d'Internet ; c'est évident. Vous nous dites : il faut que les gens y adhèrent. Vous avez raison, c'est indispensable. Par contre, vous vous positionnez sur 2020, alors que, pour nous, le schéma d'aménagement du territoire doit être décidé demain. Comment peut-on mobiliser des experts, vis à vis tant de l'administration que des politiques, pour une nouvelle réflexion et prendre dans le même temps des décisions rapides.

Comment - c'est une question qui n'a pas un rapport direct avec la liaison Rhin-Rhône - voyez-vous, avec votre _il de scientifique ou de futurologue, les projets de lois sur l'audiovisuel tels qu'ils sont programmés à l'heure actuelle, sachant qu'on n'intègre pas ce que vous venez de dire, c'est-à-dire la fusion de la télévision et d'Internet ?

En matière d'aménagement du territoire, nous sommes, dans le département des Bouches du Rhône, dans une situation difficile, avec un passé industriel fort, un port qui a été très puissant et qui a fait la richesse de ce territoire, mais qui a eu un problème de compétitivité face à la concurrence internationale. Que feriez-vous, si vous étiez à notre place, pour pallier à la suppression du canal Rhin-Rhône pour tirer l'Europe un peu vers le sud et ne pas la laisser se déplacer vers le nord ? Comment pensez-vous que nous pourrions retrouver, très rapidement, dans les nouvelles technologies, une situation de pionniers ? Je lance une idée : est-ce qu'il ne peut pas y avoir, pour notre région, notre département, une prime d'aménagement du territoire spécifique aux nouvelles technologies, au multimédia, à tout ce que vous définissez, de façon à ce que l'on puisse compenser le dysfonctionnement du port ? C'est d'autant plus important que vous parlez des trois révolutions. La première révolution a été très longue. La deuxième est assez courte. La prochaine sera très rapide, mais on n'en connaît pas la durée. C'est difficile de dire ce qui va se passer en 2020, sachant qu'on est dans un laps de temps qui va, bien entendu, modifier tout le jeu - vous l'avez très clairement exprimé - ; mais, pour combien de temps, on ne le sait pas.

Troisième question, qui est importante. La Villette, qui est outil assez exceptionnel, présente, selon moi, plutôt les lois de la physique, je dirai, les première et deuxième révolutions et pas forcément la troisième révolution. Je suis allé, il y a 15 jours, à New-York et à San Francisco. J'ai visité l'Exploratorium de M. Delacotte qui, lui, a une logique qui correspond un peu - mais c'est très différent comme système - à votre outil. Qu'en pensez-vous ? Et est-ce qu'on n'aurait pas intérêt à présenter, à la Villette, au grand public, la troisième génération en mariant la Cité à une université pour créer une nouvelle logique de réflexion, de mise en relais des cerveaux, sur un territoire bien spécifique, emblématique, qui permettrait d'être un peu les pionniers dans ce domaine.

M. Joël de ROSNAY : Il y a trois questions. Je vais répondre d'abord à la dernière et à la première et accorder un peu plus de développement à la deuxième. La dernière question sur la Cité des sciences et notre attachement à la première et à la seconde révolution industrielle mérite d'être nuancée. Et c'est de notre faute, sans doute, parce que nous ne vous avons pas assez bien informés.

M. Renaud MUSELIER : J'ai été - excusez-moi - naturellement un peu provocateur.

M. Joël de ROSNAY : Je prends cela comme un défaut d'information de notre part, parce que, en fait, l'accent est mis à la Cité des sciences sur les sciences de l'information et les sciences du vivant.

Nous estimons que les sciences de la vie - les biotechnologies, la transgénique -, d'une part, et les sciences de l'information - je viens d'en décrire rapidement le paysage - vont être les éléments déterminants du 21ème siècle. La Cité des sciences présente une exposition qui a déjà accueilli 1 500 000 personnes et qui va être prolongée jusqu'au mois d'août, qui s'appelle : « Nouvelles images, nouveaux réseaux, passeport pour le cyber-monde », - qui correspond exactement à la présentation, pour le grand public et pour les décideurs, de ce que j'ai rapidement décrit en quelques mots dans mon introduction.

Deuxièmement, en tant que directeur de la stratégie, le président de la Cité des sciences m'a chargé d'être le commissaire général du programme : « Les défis du vivant pour 2001 ». En 2001, la Cité des sciences - expositions permanentes, expositions temporaires, salles de spectacles, restaurants - sera totalement au diapason des sciences du vivant. Nous sommes donc très engagés dans les sciences de l'information et nous serons de plus en plus engagés dans les sciences du vivant, préparant ainsi la troisième et la quatrième révolution industrielle.

En ce qui concerne la loi sur l'audiovisuel, elle ne tient pas suffisamment compte de la fusion de la télévision et de l'Internet, alors que le paysage change complètement. On peut se demander quel est le rôle du CSA, par exemple, par rapport aux frontières. La révolution de la télévision de demain sera la télévision faite par les gens, comme sur des sites web. Aujourd'hui, un des grands succès des sites web, ce sont les pages personnelles, qui posent d'ailleurs un autre problème, dont je vais parler dans un instant. C'est la révolution des pages personnelles. Chacun s'affiche, chacun a sa vitrine, chacun a pignon sur rue. Des hommes politiques, plutôt que d'avoir leur permanence physique au 15 avenue quelque chose, ont désormais leur permanence sur le réseau, avec des personnes qui répondent à leur messagerie et qui exercent une influence assez considérable.

Ce phénomène de la page personnelle est caractéristique de l'évolution d'aujourd'hui, qui est très « gutenbérienne » : cela s'appelle une « page », c'est la révolution liée à l'imprimerie. Le web, c'est une énorme machine à diffuser du texte et quelques graphiques. Mais, attention : avec l'augmentation des débits, le web va diffuser des images comme la télévision. Le phénomène de la page personnelle va se transformer en phénomène de la chaîne personnelle. La « home page » va devenir le « home channel ». Toute association, toute personne privée, toute petite entreprise va pouvoir émettre sur le réseau mondial. Comment voulez-vous qu'un CSA contrôle ce type de diffusion de l'information ? Comment voulez-vous que nos règles juridiques actuelles, qui ont fait payer une amende colossale à un jeune hébergeur de sites parce qu'une des personnes hébergées a diffusé, à son insu, des photos d'une vedette qui a porté plainte, considérant qu'elles portaient atteinte à son image, perdurent ? Le Ministre de l'Économie et des Finances et le Premier Ministre ont, à cette occasion, considéré que la législation devait s'adapter à ces phénomènes de société liés à la diffusion personnelle d'informations sur les réseaux. Or, la loi sur l'audiovisuel ne tient pas compte de ces éléments ; sa conception a été difficile parce qu'elle touche à de très nombreux aspects, et plus seulement à la publicité à la télévision ou à la qualité des images qui sont diffusées. Je ferme la parenthèse, c'est un autre débat.

S'agissant du développement du sud-est de la France et les décisions importantes que les politiques auront à prendre, pas dans 20 ans, mais dans les années à venir, que faudrait-il faire ? Je crois qu'il faut d'abord une nouvelle attitude culturelle des décideurs politiques. Ensuite, il y a des aménagements physiques à réaliser pour mettre en réseaux les acteurs.

Il faudrait afficher clairement que, aujourd'hui, l'aménagement du territoire en termes d'infrastructures, d'investissements lourds, ne peut plus se faire avec du béton seulement, mais doit se faire en respectant les critères et les contraintes de la société de l'information. Le minitel a joué un rôle très important en France, l'Internet remplit ce rôle aujourd'hui. Dans des familles des gosses de 10 ans savent parfaitement se servir des réseaux et ils ont formé leurs parents. Il y a donc un effet de télescopage des générations qui fait qu'aujourd'hui, dans une famille où les parents ont entre 30 et 40 ans, avec deux ou trois enfants de 10 à 15 ans, il y a une culture - on le voit, c'est notre métier à la Cité des sciences de sonder ces familles - qui a complètement changé en 5/10 ans et qui fait que ces acteurs, ces électeurs sont prêts à entendre un discours qui les responsabilise face à l'accès à l'information, au partage des savoirs, au partage des connaissances, à la coéducation, à la mise en réseaux de l'intelligence. Il faut le leur dire. C'est l'aspect culturel. Comment le dire ; avec les médias, en annonçant que les grands critères de succès de la société de demain, ce sont l'intelligence, la vitesse et l'adaptabilité. Le dire, le montrer en insistant sur l'importance de la complémentarité entre la société informationnelle, les infostructures et les infrastructures, me paraît de nature à débloquer des initiatives et à responsabiliser les gens.

Deuxièmement, il faut réaliser un certain nombre d'infrastructures sur le terrain, et rapidement, en impliquant les gens par communautés. Lesquelles ?

D'abord, le câblage, la réalisation physique des boucles locales. Il apparaît clairement, par exemple, que les efforts de France Télécom pour câbler en ADSL (Asymmetric Digital Suscriber line) - c'est une technique qui permet d'utiliser de très hauts débits sur des distances courtes, de 6 à 8 kilomètres, idéales pour les villes -, concernent la portion terminale d'un réseau. Vous avez un réseau fibres optiques et on finit en ADSL sur du cuivre. Ce n'est pas la peine de tout recâbler, puisqu'on a déjà le réseau téléphonique. L'ADSL, c'est une technique géniale, mais sur des distances courtes. France-Télécom va câbler 20 villes, 200 villes, 2000 villes ; c'est ce qu'on appelle des plaques. Ces plaques ADSL vont se connecter les unes aux autres et interconnecter toute la France. Y a-t-il d'autres acteurs ? Oui, les Allemands veulent rentrer sur la France, les Anglais aussi, pour offrir de l'ADSL. Avec la dérégulation, dans les trois ou quatre ans, on sera en face de propositions extrêmement variées, avec des prix très différents. Je passe sur les détails : câblage en fibres, câblage en ADSL, utilisation des satellites hertziens, voire des réseaux électriques.

Cela contribuera à la création d'incubateurs et de pépinières d'entreprises locales. Cela, c'est une politique souhaitée par le Ministère de l'Économie et des Finances et elle va tout à fait dans le sens de cette société en réseaux. Il y a une différence entre les incubateurs et les pépinières. Les incubateurs, ce sont des lieux où on fait en sorte que les étudiants, que les gens qui ont des idées, trouvent des outils pour tester leurs idées. Cela reste dans un environnement très expérimental et assez universitaire. La pépinière, c'est le relais. Si les idées qui sont nées de l'incubateur sont intelligentes, il faut les financer ; assurer une logistique juridique, technique, secrétariale pour que l'entreprise puisse se développer et éventuellement atteindre une taille nationale, voire internationale. L'incubateur est proche des universités et met en relation des professeurs, des étudiants et des financiers locaux en vue notamment de la création d'un réseau d'échange d'informations et de savoir-faire. Cet échange d'informations est amplifié par le financement de petits journaux, de newsletters, de sites web. Ce n'est pas lourd, ce n'est pas cher ; ce ne sont pas des infrastructures, mais c'est extrêmement efficace.

Dans vos régions, vous pourriez créer des lieux catalytiques d'intelligence collective. Je ne vais pas dire cela dans les médias, parce que, si je dis cela à la télé, on va penser que je suis un scientifique compliqué, il faut donc créer des structures qui catalysent l'émergence de l'intelligence et responsabilisent les gens. Quelles sont-elles, et pourquoi ?

On a des modèles, dans le monde. Quand j'étais attaché scientifique à l'ambassade de France aux États-Unis, j'ai fait une étude qui a eu pas mal d'impact en France, notamment avec l'université de Compiègne, qui était : le pourquoi de la route 128 autour de Boston, pourquoi cette route 128 était-elle une pépinière d'entreprises high-tech ? Nous avons fait des études sur la Silicon Valley. Pourquoi la Silicon Valley a-t-elle cet effet catalytique sur des entreprises de biotechnologie et d'informatique ? Nous le savons maintenant, cela tient à trois choses. C'est ce modèle qu'il faut recopier. Je reprendrai d'ailleurs ce mot de « recopier » dans un instant. Ce n'est pas une transposition systématique. Mais, d'abord, il faut identifier les ingrédients qui font que cela marche. Il y a trois raisons, trois mots : mobilité, réseaux, transferts. Premièrement : mobilité. Mobilité des hommes : il faut créer des conditions d'emplois qui vont souvent à l'encontre de notre culture d'entreprises privées ou publiques, qui assurent la mobilité des hommes. Mobilité des idées, qui va avec celle des hommes : les idées s'échangent par les réseaux Internet, les news-letters, les universités, les associations, les sociétés savantes, etc. Mobilité des capitaux, si nous avons la mobilité des hommes et celle des idées sans investissements possibles fluides et flexibles, ce qu'on appelle le « venture capital », si on n'a pas cela et qu'on n'a que des financements publics à long terme, avec 36 formulaires à remplir, on n'a pas la capacité de catalyse.

Deuxièmement : réseaux. Il faut, grâce à toute cette infostructure, créer de réseaux maillés entre les universités, les petites entreprises de pointe, les incubateurs, les pépinières, les médias locaux, les associations, etc. Et ceci doit se savoir. C'est-à-dire que la télévision locale, les journaux locaux, doivent permettre de montrer ce qui est invisible ; ce qui est implicite et pas explicite. En général, on voit les infrastructures. On voit un barrage, on voit une route, on voit un TGV, on voit une centrale nucléaire, mais les infostructures ne se voient pas. La force de l'amplification, c'est de faire révéler ces infostructures par les médias existants, que l'on peut intéresser à ce sujet. Et enfin, troisièmement - règle encore de la Silicon Valley ou de la route 128 -, les transferts.

Transferts de financement du public vers le privé. Ces petites entreprises se sont développées parce qu'elles ont eu, pendant deux ou trois ans, des financements publics et qu'elles ont ensuite atteint leur régime de croisière. Transferts de capitaux privés vers des petites entreprises, qui sont rachetées et fusionnées par des grandes. Transferts vers la bourse ; puisque le NASDAQ a toujours aux États-Unis le rôle que l'on sait ; malheureusement pas encore en Europe, même si on a une EASDAQ en Europe et un second marché. C'est un stimulant extrêmement fort. Et, bien entendu, transferts internationaux et ouvertures internationales.

Donc, ces trois éléments : mobilité, réseaux et transferts sont les ingrédients du succès de régions catalytiques comme la Silicon Valley ou les autres.

Il n'est pas du tout impossible, ni même impensable de transférer ces concepts en les adaptant à la France. Il ne s'agit pas de plaquer un des éléments sur le nôtre. J'ai vécu l'aventure consistant à faire du plateau d'Orsay une sorte de Silicon Valley française. Je faisais partie des commissions de réflexion des universitaires, des grandes écoles, etc. La grande idée de tous, c'était de faire une route, une infrastructure qui relierait tout le monde, comme la route 128 ou cette fameuse route à Palo Alto. Cela ne suffit pas. C'est très spectaculaire, mais c'est un système, qu'il faut construire ; un système de communication, et pas un simple ingrédient. Ce n'est pas parce qu'on va faire une route sur le plateau d'Orsay que l'on va créer des entreprises de pointe et des emplois.

Cela relève d'une pensée systémique et pas d'une pensée analytique. C'est une des plus grandes difficultés, permettez-moi de le dire, du politique en général, c'est qu'il raisonne en termes de court terme, de frontières, de zones géographiques, d'électorat. Et il a une difficulté naturelle, par sa fonction, à raisonner en termes systémiques, c'est-à-dire en prenant en compte l'interdépendance des facteurs, la dynamique des évolutions dans le temps et l'ouverture sur l'extérieur. C'est difficile, mais il faut le faire.

Un des seuls moyens de réussir ces grandes opérations d'aménagement des régions, qui doivent à la fois conserver leurs qualités touristiques et promouvoir leur savoir-faire international industriel et commercial, c'est effectivement d'arriver à créer ces infostructures permettant de catalyser l'intelligence et de penser en termes systémiques plutôt qu'en termes analytiques, en termes de gros objets à construire et à inaugurer.

M. Renaud MUSELIER : Il y a un point sur lequel je souhaiterais aller un peu plus loin. Est-ce qu'on a la possibilité de créer, dans le région Provence-Alpes-Côte d'Azur, un gros outil, comme celui de la Villette, orienté vers les nouvelles technologies, vers cette révolution cyber nouvelle, bâti sur le principe de la Villette, ou sur celui de l'Exploratorium ?

M. Joël de ROSNAY : Réponse « oui », avec une nuance puisqu'on est en région. Si on prend la France, les aménageurs ont compris qu'il fallait dans les régions des pôles culturels un peu différents de ceux qu'on a bâtis traditionnellement, qui étaient des pôles généralistes. Ces pôles culturels sont en train de se faire dans toute la France autour de thèmes : Océanopolis, par exemple, sur l'Océan, le futur Bioscope sur la biologie, à Strasbourg, le futur Vulcania, sur les volcans, en Auvergne, la Cité de l'espace à Toulouse, l'Exploradôme au jardin d'acclimatation, la Cité du surf dans le sud-ouest, etc ... Nous sommes tous en train de collaborer à ce travail, à l'échelle de la France, il y a 15 projets ou réalisations. Des lieux spécifiques autour d'un thème, qui vont attirer une clientèle particulière de voyageurs et une clientèle internationale.

Pourquoi ne pas trouver, dans le sud et dans la région qui vous concerne, une niche qui n'a pas encore été exploitée par les autres, parce que cela va très vite : il y a déjà Société de l'information, Espace, Biologie, Océan, Géologie, Chimie - l'Archimium est un grand projet près de Grenoble et de Lyon. Il faut trouver une niche qui vous permette d'exploiter un espace de visites accueillant de l'ordre de 600 000 à 1 million de visiteurs chaque année. Les petits prévoient 200 à 300 000, les grands prévoient jusqu'à 1 million. le Futuroscope fait 750 000/800 000, à peu près. Il ne faudrait pas que ce grand dispositif culturel, très spectaculaire en région, concentre trop de moyens aux dépens de ceux dont nous avons parlé tout à l'heure, mais c'est un moyen de faire la lumière, de jeter un coup de projecteur sur l'attitude d'une région face au futur et au long terme. Nous serions évidemment prêts à nous y associer.

M. le Président : C'est une bonne idée pour notre région.

Comme il nous reste peu de temps, pour revenir tout à fait à notre sujet, parce que, là, vous nous avez ouvert un horizon ...

M. Joël de ROSNAY : Ce sont les questions de M. Muselier qui m'ont entraîné dans ces considérations.

M. le Président : C'était important ; on ne pouvait pas vous laisser passer à l'Assemblée nationale sans profiter du fait que vous nous permettez d'ouvrir un peu notre horizon. Pour revenir au sujet qui nous préoccupe, qui est le désenclavement de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, dans le cadre du développement de l'axe européen Rhin-Rhône, en dépit des nouvelles infrastructures décidées par les suisses, quels seraient les conseils que vous pourriez nous donner pour utiliser les nouvelles technologies dans cette perspective ? Je crois que vous avez fait des propositions pour l'Aquitaine ?

M. Joël de ROSNAY : Oui, absolument. Dans le cadre d'« Aquitaine 2020 ».

D'abord, permettez-moi de vous poser une question, en retour : est-ce que, quand vous parlez d'axe, vous pensez obligatoirement à un axe physique réel, à un axe virtuel ou à la complémentarité entre les deux ?

M. le Président : Je songe à la complémentarité entre les deux. Parce que je pense que nous devons apprendre, et apprendre aux autres, par le rôle pédagogique que devraient avoir tous les élus, le fait qu'on ne peut plus maintenant simplement se limiter à des implantations industrielles ou - vous l'avez dit vous-même tout à l'heure - des équipements physiques, qui restent nécessaires, mais qui peuvent être induits par le développement de la communication et de l'information.

Je pense aux deux choses. Je prends un exemple très concret, le port de Marseille a besoin de développer les possibilités de fret qui lui permettraient de faire remonter le fruit de ses activités économiques vers le nord de l'Europe. Pour cela, il faut bien évidemment, en matière ferroviaire par exemple, le TGV Rhin-Rhône qui ne doit pas être un TGV Paris-Est, mais bien un TGV Rhin-Rhône et aussi un certain nombre de sillons afin de pour mettre des camions sur des trains ou des containers qui viennent du port de Marseille et qui aillent vers l'Alsace et vers le Rhin. Il y a une série de décisions à prendre sur lesquelles il faut qu'on se batte sérieusement, parce qu'on sent bien que la tentation traditionnelle de la France, c'est de continuer le développement en étoile autour de Paris.

M. Joël de ROSNAY : Je vais essayer de répondre en reprenant un peu d'histoire et en vous faisant part des réflexions qu'on avait dans le cadre d'« Aquitaine 2020 ».

D'abord, en reprenant l'histoire de la « banane bleue », terme utilisé par la DATAR pour illustrer ce croissant industriel et lumineux au centre de l'Europe. J'ai dans mon bureau une carte satellite qui montre l'Europe la nuit où l'on voit effectivement cet îlot de lumières qui va d'Édimbourg jusqu'à Milan, qui trace cette zone de l'industrie, de la concentration des habitants et des réseaux de communication. Quand on réfléchit, c'était quoi, l'histoire de cette région ? C'était le fait que, entre Gênes et Venise, qui étaient deux culs-de-sac de la Méditerranée et de l'Adriatique, les grands commerçants de la soie, des épices qui venaient à Gênes et à Venise - les deux grands ports stratégiques de l'Europe - écoulaient leurs marchandises là où il y avait l'argent, c'est-à-dire dans l'axe hanséatique : Bruges, la Baltique et l'Angleterre. Et c'est ainsi que, par les passages par Zurich, par les lacs italiens et la remontée vers le Rhin, se sont construites ces routes, qui ont tissé l'Europe industrielle à l'époque du duc d'Orléans et des batailles épiques.

Mais, si on regarde ces routes, elles n'étaient pas seulement fondées sur le commerce et l'industrie naissante, elles étaient fondées aussi sur la finance et la culture. C'est parce que les grands peintres de Bruges pouvaient discuter avec ce qu'on appelait les primitifs italiens de l'époque, en 1450, 1460, 1470, que s'est tissée cette Europe de la culture, cette Europe de la finance et cette Europe des marchandises. C'était un tout. Je pense que pour éviter - effectivement, vous avez 100 % raison - la poursuite du développement en étoile autour de Paris, avec des périphériques qui l'encerclent de plus en plus, 1ère, 2ème et 3ème génération, les axes nord de l'Europe-sud de la France sont absolument essentiels et doivent être pensés, pas seulement en termes de transport, fret, route, containers, TGV, marchandises et personnes, mais balisés par des dispositifs culturels, touristiques et de protection de l'environnement. C'est-à-dire que le travail est encore plus difficile. Il ne s'agit pas de voter des crédits importants pour aménager des transports colossaux de poids lourds de 20 tonnes sur des trains - puisqu'il faudra en faire de toute façon, on ne pourra plus continuer comme cela -, mais d'aménager en même temps des parcours culturels, touristiques, entrepreneuriaux. C'est-à-dire semer dans cet humus, ce canal, ce sillon, ces axes - comme vous les appelez -, des zones humaines d'échanges, des zones de lien social, de convivialité, d'ouverture à l'autre.

Je reprends l'exemple de l'Aquitaine parce que, là aussi, je vais faire une remarque en forme de boutade que j'avais faite à l'époque. Nous étions en train de discuter avec des Espagnols à Barcelone ; il y avait une quarantaine de personnes, tout le monde parlait de l'Aquitaine en 2010, 2015 ou 2020. Et l'un d'entre nous avait montré cette fameuse carte de l'Europe - du monde, d'ailleurs - montrant la France et les lumières, prise par satellite un jour où il faisait très beau. Effectivement, on voit que la France est un trou noir, avec une grosse tache au centre qui est Paris. Et, tout autour, il y a des îlots de lumière extraordinaires. D'ailleurs, les Espagnols se félicitaient que, de Barcelone, le sud de la France et le Nord de l'Italie, un peu l'arc du sénateur Laffite, l'arc high-tech de Milan à Barcelone était très éclairé. Et, ils disaient : regardez, nous sommes en train de rattraper le Nord de l'Europe en termes d'irradiations lumineuses, ce qui est le signe de notre activité industrielle. Je leur ai dit : regardez le triangle du sud-ouest, de Bordeaux à Toulouse, c'est noir. Est-ce que, plutôt que d'irradier des calories, des photons et de l'entropie - je parle un instant comme les physiciens -, au lieu d'irradier de la perte d'énergie, du gaspillage vers le ciel comme tous ces autoroutes belges éclairées sans arrêt, est-ce qu'on ne ferait pas mieux d'irradier de la matière grise ? Parce que cela ne se voit pas, irradier de la matière grise, ce n'est pas aussi visible.

Ce que je voulais dire, c'est que le sud-ouest est un triangle très intéressant entre la mer, la montagne et la Nive, si on veut aller de Toulouse à Hossegor-Cap breton, en gros. L'idée de faire passer les TGV là-dedans, où il n'y a plus beaucoup de place entre la voie actuelle, l'autoroute passant à travers les villages traditionnels du pays basque, était un projet européen. Il l'est toujours en filigrane. Le financement manque et on se demande quel est l'intérêt de gagner 6 minutes entre Dax et la frontière espagnole, compte-tenu des coûts que cela va représenter. La question était posée aux élus locaux et aux électeurs, qui se sont tous mobilisés pour dire : non, c'est une région touristique extraordinaire, la qualité de la vie est liée à la montagne, à l'air, au surf, au golf, aux promenades en montagne, aux petits villages basques ; si on fait passer de grandes tranchées dans tout cela, avec 15 ans de travaux, peut-être que cela va désenclaver, mais, en même temps, cela va détruire un capital environnemental générateur d'emplois par le tourisme ou tout autre service.

Donc, je pense qu'il faut toujours avoir présent à l'esprit cet équilibre entre le capital environnemental générateur d'emplois et le capital industriel et économique, également générateur d'emplois, mais dégradant à court terme ce capital du futur.

C'est peut-être la dernière phrase que je prononcerai, à titre un peu de regard sur le futur : désenclaver, oui, créer des sillons, des axes, certes, mais penser à la complémentarité d'une manière systémique, en termes de liens humains, de tissu humain, en termes de société de l'information et d'infostructures et en termes de préservation du capital environnemental. C'est difficile. Mais, bien annoncé à nos concitoyens, c'est de nature à les faire adhérer à des grands projets. Conçu par des technocrates, des experts ou des politiques dans l'ombre de leur cabinet, cela ne passera pas.

M. le Président : M. de Rosnay, vous nous avez apporté beaucoup d'éléments de réflexion et je vous remercie infiniment de vous être déplacé jusqu'à nous, parce qu'on a rarement l'occasion d'entretiens de cette qualité. Si vous le voulez bien, vous pourrez nous communiquer, le cas échéant - si cela ne vous ennuie pas - une note, à la suite des échanges que nous avons eus.

M. Joël de ROSNAY : Si vous voulez des chiffres, vous m'enverrez le texte, que je corrigerai, et je rajouterai des notes de manière plus précise, notamment sur le développement des accès réseaux, des hauts débits, etc. Sinon, sur le reste, je n'ai rien à ajouter.

Vous pouvez aller sur ma page web et trouver beaucoup plus d'articles.

M. le Président : Nous n'y manquerons pas.

M. Joël de ROSNAY : Le « carrefour du futur », www.cite-sciences.fr. Si vous allez directement sur la page, c'est www.cite-sciences.fr/derosnay. Sinon, vous cliquer sur la Cité des sciences ; vous voyez le menu et, dans la Cité, il y a le carrefour du futur, vous cliquez et vous retombez sur ma page.

M. le Président : Merci beaucoup.

Audition de M. Claude GRESSIER,
Directeur du transport maritime, des ports et du littoral
au Ministère de l
'équipement, des transports et du logement

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 7 avril 1999)

Présidence de M. Jean-Louis FOUSSERET, Rapporteur

M. le Président : Monsieur le directeur, je vous remercie vivement d'avoir répondu à l'invitation de la mission d'information commune sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône.

Après un exposé liminaire de votre part, nous procéderons sous forme de questions et de réponses.

M. Claude GRESSIER : Mon exposé, que je centrerai surtout sur les problèmes de desserte et d'hinterland du port de Marseille, sera bref afin de vous laisser le temps de me poser un certain nombre de questions.

Vous m'excuserez d'enfoncer peut-être des portes ouvertes, mais il faut rappeler, en préambule, que des ports importants, tels ceux de Marseille et du Havre, ne pourront véritablement survivre dans la compétition internationale que s'ils parviennent à se doter d'un hinterland aussi étendu que possible. Bien entendu, la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur et celle de Rhône-Alpes qui est également une grande région industrielle, fournissent des marchandises à importer et à exporter depuis Marseille, mais ce n'est pas suffisant. L'hinterland de Marseille doit pouvoir s'étendre jusqu'au nord de l'Italie, à la Suisse et au sud de l'Allemagne, mais aussi à la Franche-Comté, à l'Alsace et, bien entendu, à la région parisienne pour quasiment tous les produits et plus spécialement pour le développement du trafic de conteneurs. Le développement de l'hinterland est pour le port de Marseille, comme pour celui du Havre et d'autres, une obligation. Il repose, d'une part, sur l'action commerciale à l'égard des armateurs et des grands chargeurs et, d'autre part, sur les transports terrestres.

Évoquons les transports terrestres et, tout d'abord, la desserte routière. La part de marché du mode terrestre du port de Marseille-Fos est de l'ordre de 75 % à 80 %, sachant que celle afférente au transport ferroviaire varie entre 15 % et 19 % et celle relative au transport fluvial représente entre 3 % et 4 %. Le problème essentiel de la desserte terrestre est celui de l'axe nord-sud, un axe extrêmement encombré, comme vous le savez, notamment par un trafic de poids lourds très important. Le port de Marseille est attentif au délestage de cet axe envisagé dans les schémas en cours, d'une part, par l'autoroute A 75 qui traverse le Massif Central et, d'autre part, par l'autoroute A 51 Marseille-Grenoble. Les difficultés diverses, notamment dans le domaine environnemental, qui freinent le bouclage de l'autoroute A 51, peuvent présenter un handicap pour le développement du port en raison de la concentration des trafics sur l'autoroute A 7, l'axe nord-sud Marseille-Lyon-Beaune. Tel est le seul point que je tenais à souligner s'agissant de la desserte routière.

La desserte ferroviaire ne représente aujourd'hui que 15 % à 19 % du trafic, mais il est clair que, dans une stratégie de développement d'un port et de massification, la part de marché du ferroviaire devrait augmenter. La mise en service de navettes ferroviaires, c'est-à-dire de trains complets chargés de conteneurs à destination de différentes villes de France ou de l'étranger, devrait permettre d'obtenir des prix de revient et des conditions de qualité d'acheminement bien supérieurs à ceux offerts par la desserte routière. Au titre de la massification et de la qualité de desserte, le transport ferroviaire revêt donc une importance particulière. Le réseau ferroviaire lui-même est déjà complet et performant. La relation ferroviaire Dijon-Lyon-Avignon connaît malgré tout un certain nombre de problèmes de saturation et de gabarit. En ce qui concerne la mise au gabarit B + de la ligne Paris-Dijon-Marseille-Fos, il est important que soient réglés les problèmes non plus d'ordre technique qui l'ont été, mais de mise en circulation de l'itinéraire de la rive droite du Rhône généralement utilisée par le fret, la rive gauche l'étant plus actuellement par les trains de voyageurs grandes lignes ou les trains régionaux de voyageurs. La ligne de la rive droite du Rhône devrait permettre la desserte de Marseille par le gabarit B +. Les travaux étant réalisés, la SNCF doit donner son feu vert pour la mise en circulation effective. Par ailleurs, il s'agit également d'expérimenter et de mettre en service des trains longs toujours sur le même axe, celui de la rive droite du Rhône, pour massifier et diminuer les prix de revient du ferroviaire pour le port.

En outre, deux ou trois points de blocage, qui nécessiteront à terme plus ou moins rapproché des contournements ferroviaires, méritent d'être soulignés. Le problème majeur de la desserte de Marseille, outre celui qui se pose déjà vers Nîmes et Montpellier, est celui du contournement de Lyon. En attendant la réalisation de ce contournement qui sera évidemment très coûteuse, il est possible d'imaginer une meilleure utilisation de la ligne ferroviaire existante Valence-Grenoble. Cette solution d'utilisation plus importante par le fret est actuellement examinée par Réseau Ferré de France. Au nord, se pose le problème du contournement de Dijon. L'étoile de Gray devrait permettre une meilleure fluidité des échanges avec la Bourgogne, la Suisse et l'Allemagne du sud. Dans cet esprit, il faut également poser la question de la mise au gabarit B + du tronçon Dijon-Mulhouse.

Après avoir évoqué les dessertes ferroviaires classiques, abordons les corridors de fret. Comme vous le savez, le port de Marseille-Fos a été raccordé, en mai de l'année dernière, au premier corridor de fret initié par la Commission de l'Union européenne sur un axe nord-sud reliant Muizen au Pays-Bas, Lyon, Barcelone et Gênes. Le port veille donc avec la SNCF au bon usage des sillons dégagés et parallèlement procède à la mise en place d'un certain nombre de navettes. En complément de cet axe totalement nord-sud et dans le cadre du développement de l'hinterland du port de Marseille notamment vers la Suisse et l'Allemagne du sud, il serait très intéressant de réaliser un corridor ferroviaire Marseille-Lyon-Mulhouse-Bâle-Strasbourg-Stuttgart-Mannheim. Si l'on parvenait à développer un corridor dans lequel le fret ait une vraie priorité avec des sillons qui lui soient véritablement réservés, offrant donc, outre l'infrastructure, une qualité de service, l'on ferait un pas très important pour l'amélioration et l'élargissement de l'hinterland de Marseille.

Par ailleurs, Marseille envisage également deux autres corridors dont celui de Marseille au Havre, ce qui peut paraître surprenant mais l'objectif est de parvenir à un pont terrestre susceptible de faciliter un certain nombre de transbordements. Il existe déjà des corridors entre Rotterdam et Gioia Tauro dans le sud de l'Italie et entre Rotterdam et Barcelone. Des liaisons ferroviaires entre Marseille et le Havre, via Paris, permettraient pour certains trafics à destination soit de l'Amérique du nord, soit de l'Asie du sud-est une très bonne complémentarité de ces deux grands ports au titre du trafic de conteneurs. Dans le même esprit, des études sont également lancées par le port de Marseille pour réaliser, peut-être pas un corridor, mais en tout cas une liaison entre Marseille et Rostock pour établir des complémentarités entre les ports de la Mer du nord et ceux de la Méditerranée.

S'agissant des dessertes fluviales, comme vous le savez, actuellement les liaisons canalisées sur le Rhône et la Saône permettent de rejoindre Chalon-sur-Saône, donc la Bourgogne. Il existe essentiellement un service de conteneurs entre le port de Marseille-Fos et le port Édouard Herriot de Lyon. Cet axe bénéficie d'un service à la fois fluvial et ferroviaire de conteneurs. Le service ferroviaire, aidé au départ par la place portuaire qui a bien rempli son office, si j'ose dire, a aujourd'hui une capacité et une rentabilité suffisantes. La subvention a donc été supprimée, ce qui permet d'éviter toute distorsion, ce qui était le cas auparavant, entre la navette ferroviaire et la desserte fluviale. Cette dernière enregistre malgré tout un certain nombre de difficultés financières que la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) et ses responsables examinent actuellement. En tout cas, entre Lyon Terminal et Marseille-Fos, en 1998, 21 000 conteneurs ont été acheminés par voie ferroviaire et 6 000 par voie fluviale. Nous pouvons penser que le trafic, qui a quasiment doublé en deux ans, devrait se développer également par les voies fluviale et ferroviaire. Par voie fluviale, il se développera surtout si le port de Marseille, ce qui est bien dans ses intentions, développe un terminal fluvial à Fos, dans la zone dite des Tellines qui est proche du terminal des conteneurs, dit de Graveleau. L'aménagement de ce terminal fluvial rendrait plus performant l'acheminement des conteneurs entre le port de Fos, dont la croissance du trafic de conteneurs devrait être la plus importante, et Lyon Terminal.

Par ailleurs, au titre du développement du trafic ferroviaire, le port de Marseille envisage en liaison avec la SNCF, d'une part, à Marseille-ville, l'aménagement du terminal de Mourepiane situé juste derrière le terminal marseillais de conteneurs, celui du Canet étant saturé et, d'autre part, au nord de Fos, le réaménagement indispensable du Terminal de Grans-Miramas. Ce projet devrait permettre de bénéficier d'un nouveau terminal ferroviaire performant et de développer le trafic ferroviaire, notamment les différentes navettes ferroviaires vers Paris, le Havre, la Suisse ou l'Allemagne du sud.

Ces liaisons posent des problèmes, d'une part, de montée en puissance, donc de volume et de massification qui sont de la responsabilité de la place portuaire et, d'autre part, de qualité de service et de prix qui sont de la responsabilité de la SNCF et de sa filiale, la Compagnie Nouvelle des Conteneurs (CNC). Un accord a déjà été trouvé notamment pour la navette Marseille-Fos-Lyon. Des discussions sont en cours pour mettre en service des navettes et des trains allant plus au nord. Personnellement, je plaide pour des contrats pluriannuels prévoyant à l'avance les augmentations tarifaires afin d'éviter qu'elles soient aléatoires chaque année. De son côté, la place portuaire doit s'engager à acheminer un minimum de volume. Si la SNCF ne peut évidemment pas réserver un train sans un volume suffisant à la clé, elle doit, en contrepartie, s'engager à offrir une qualité de service dont le non-respect serait sanctionné par des pénalités. Ce type de contrat pluriannuel devrait permettre une évolution dans le bon sens de la desserte ferroviaire du port de Marseille.

Tel est rapidement brossé le tableau de l'état des lieux et des développements paraissant souhaitables pour le port de Marseille au niveau de l'axe Marseille-Lyon et de ceux desservant l'Ouest, c'est-à-dire Paris et Le Havre, mais aussi et surtout l'Est, c'est-à-dire la Bourgogne, Strasbourg et l'Allemagne du sud.

M. le Président : En ce qui concerne le transport ferroviaire, vous avez parlé de qualité de service. Qu'entendez-vous par-là et quelles sont les remarques que vous pourriez formuler à cet égard ?

M. Claude GRESSIER : La qualité de service concerne moins la rapidité que le respect des délais d'acheminement prévus et contractualisés. Si vous annoncez à votre client que son conteneur partant de Marseille arrivera à Duisbourg ou à Strasbourg le lendemain matin - très bien ! - ou après-demain matin - tant pis ! -, le délai doit être respecté : il n'est pas question d'acheminer le conteneur trois jours après. Or comme vous le savez, en mai et juin derniers notamment, alors que la SNCF enregistrait une forte augmentation du trafic de marchandises et de voyageurs, les conducteurs et les locomotives étaient en nombre insuffisant. Les voyageurs étant de facto prioritaires, la SNCF a affecté des conducteurs et des locomotives aux trains de voyageurs, et ce au détriment des trains de marchandises. Ainsi en deux mois, 300 trains ont été perdus dans la nature, si je puis dire, ce qui a généré des délais d'acheminement absolument épouvantables. La situation s'est légèrement améliorée depuis mais pas suffisamment. En tout cas, le transport combiné a accusé une chute massive, alors qu'il enregistrait régulièrement, et ce depuis quelques années, une croissance annuelle de l'ordre de 10 %.

M. le Président : Vous semblez expliquer cette situation de mai et juin derniers plus par l'absence de matériels ou de personnels que par des mouvements sociaux. Je vous pose cette question pour essayer de faire la part des choses parce que plusieurs intervenants l'ont déjà évoquée.

M. Claude GRESSIER : La situation de mai et juin derniers était due non pas tant à des mouvements sociaux, auxquels la SNCF doit par ailleurs régulièrement faire face, qu'à l'insuffisance de matériels et de personnels.

M. le Président : C'est ce que l'on appelle les trains « calés », c'est-à-dire sans locomotive et sans conducteur.

M. Claude GRESSIER : Tout à fait ! Toutefois, il est vrai qu'à ce manque de matériels et de personnels, s'ajoutent régulièrement, en particulier dans le Midi, des mouvements sociaux qui, du reste, se produisent également au port de Marseille.

M. le Président : Certes, il convient de s'organiser pour éviter les mouvements sociaux et privilégier le dialogue social à la SNCF, mais ceux-ci font quasiment partie de la donne, alors que le manque de matériels et de conducteurs est un problème susceptible d'être réglé de façon tout de même assez simple.

M. Claude GRESSIER : Absolument !

M. le Président : Il s'agit donc bien de deux éléments différents.

M. Claude GRESSIER : Tout à fait, mais la situation que j'ai relatée était vraiment due à un manque de matériels et de conducteurs.

M. le Président : Nous ne connaissions pas ce chiffre tout de même éloquent de 300 trains calés et le fait que la SNCF avait affecté en priorité des locomotives et conducteurs aux trains de voyageurs. A propos de la navette ferroviaire que vous avez évoquée, est-il vrai, comme il a été dit, qu'elle « assèche » le canal Rhin-Rhône ? Compte tenu du transport ferroviaire, existe-t-il encore un intérêt à acheminer des conteneurs par le canal ?

M. Claude GRESSIER : La navette ferroviaire, comme toutes les navettes du reste, a eu du mal à démarrer compte tenu de la nécessité d'un certain volume pour assurer sa rentabilité. D'emblée, elle a été toutefois aidée par le port ou la place portuaire en général, ce qui n'a pas été le cas pour le fluvial. Il est donc tout à fait exact qu'une distorsion de concurrence s'est produite au départ. Compte tenu d'une montée en puissance relativement rapide, nous avons décidé, mon collègue directeur des transports terrestres, le directeur général du port de Marseille et moi-même, de supprimer les subventions qu'allouait le port de Marseille à cette navette ferroviaire. Cette navette, entre le port de Marseille et la CNC, est maintenant purement commerciale ; elle est aujourd'hui en concurrence normale et loyale avec le trafic fluvial de conteneurs assuré par la CFT. Pour des raisons que je ne parviens pas bien à saisir, il semblerait, d'après le directeur général de la CNR, que la CFT perde de l'argent sur les navettes fluviales entre le port de Marseille et le port Édouard Herriot de Lyon.

Dans ces conditions, faut-il, dans l'avenir, tout miser sur le ferroviaire au détriment du fluvial ? Je n'irai pas jusque là parce que ces axes ferroviaires sont extrêmement chargés, comme je le soulignais tout à l'heure. Par conséquent, à condition que les prix soient compétitifs avec ceux pratiqués par le fer, j'aurais tendance à privilégier l'acheminement par voie fluviale au port Édouard Herriot de Lyon ou mieux à Chalon-sur-Saône, encore que se posera un problème de rentabilité, les conteneurs les uns sur les autres ne passant pas sous tous les ponts de l'agglomération lyonnaise.

Les axes ferroviaires, déjà relativement saturés, seront certes un peu déchargés avec la mise en service l'an prochain de la nouvelle ligne de TGV, mais les lignes de la rive gauche connaîtront probablement un développement des services régionaux. Par conséquent, autant réserver la ligne de la rive droite qui sera essentiellement consacrée au trafic de fret au transport de plus longue distance, notamment à destination de la Bourgogne, l'Alsace et le sud de l'Allemagne. Pour tout ce qui doit être acheminé à Lyon, privilégions le transport par voie fluviale, ce qui justifie l'aménagement de cette plate-forme de Tellines dont je parlais tout à l'heure et qui est située dans la zone de Fos, à proximité du terminal de Graveleau. Bien entendu, cela suppose toutefois que la voie fluviale soit rentable.

M. le Président : Lors d'un récent colloque à l'Assemblée nationale, le délégué général à la DATAR, M. Jean-Louis Guigou a préconisé la concentration des efforts de développement portuaire. Dans ces conditions, pensez-vous que le Gouvernement mettra l'accent sur le port de Marseille pour qu'il devienne « le grand port » par rapport à d'autres tels que celui du Havre ?

Dans le même ordre d'idée, selon Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement qui en a fait à juste titre, me semble-t-il, un de ses thèmes favoris, la voie la plus rapide et la plus économique pour le transport entre Rotterdam et Marseille, c'est non pas l'axe Rhin-Rhône ni le canal, mais la voie maritime via Gibraltar. Pensez-vous que ce type de transport est susceptible de concurrencer l'axe Rhin-Rhône ? Quel type de transport est-il possible d'y affecter ? Existe-t-il une pertinence forte sur cet axe ?

M. Claude GRESSIER : En réponse à votre première question, la France métropolitaine
- je mets de côté les départements et territoires d'outre-mer - compte six ports autonomes et quinze ports d'intérêt national. On peut considérer que ce nombre est trop important et que l'on se disperse.

M. le Président : Pour notre part, nous n'avons pas d'avis à ce sujet.

M. Claude GRESSIER : Personnellement, je ne suis pas de cet avis parce que j'estime que les ports sont un enjeu assez fort d'aménagement du territoire, soit au plan national s'agissant de grands ports tels que Dunkerque, Rouen, Le Havre, Nantes, Marseille, La Rochelle et Calais, soit au plan régional s'agissant des ports de Bordeaux, Bayonne, Brest, Saint-Malo ou Boulogne-sur-Mer. Mon souci consiste actuellement à examiner, en liaison avec les responsables de ces ports, qu'il s'agisse des Chambres de commerce et d'industrie lorsqu'elles sont chargées de les gérer ou des directeurs de port, quelle est la stratégie de ces ports et sur quels types de filières ils sont susceptibles de se développer. Par exemple, le développement du port de Rouen repose de toute évidence sur des filières essentiellement agro-alimentaires. Des investissements considérables ont été consentis par les industriels de l'agro-alimentaire, notamment en termes de silos et d'usines de transformation. Le port de La Rochelle est un des principaux d'Europe pour le commerce du bois. Le port de Bayonne a réussi à attirer une usine sidérurgique espagnole qui génère un trafic considérable. Bref, chacun des différents ports a une vocation spécifique, son créneau et ses filières. Mon souci est de veiller à éviter tout investissement simplement destiné à « piquer » du trafic au port voisin et à assurer une complémentarité la plus importante possible. Dans le cadre de la compétition européenne, notre pays ne comptera que deux ports majeurs qui seront des têtes de ligne, soit pour les grands pétroliers, soit surtout pour les grands porte-conteneurs. Celui du Havre, avec une progression du trafic de conteneurs de 18 % en 1997 et de 11 % en 1998, me paraît aujourd'hui avoir plus de chances de rester dans la cour des grands, si je puis dire. Certes, il est un peu détaché de Rotterdam et d'Anvers sans en être cependant trop éloigné. Il est derrière Hambourg mais il devance Zeebrugge et Gand et rattrape actuellement des parts de marché. Dans la Méditerranée, le port de Marseille a également un avenir qui est cependant plus problématique. Marseille qui était le premier port à conteneurs de la Méditerranée voilà dix ans, est le dixième aujourd'hui.

M. le Président : Le dixième ?

M. Claude GRESSIER : Tout à fait ! Le port de Marseille a perdu énormément de parts de marché, et ce pour deux raisons. La première est liée aux grands hubs situés au milieu de la Méditerranée, c'est-à-dire sur la ligne droite entre le canal de Suez et Gibraltar, et dédiés à un ou deux armateurs. Se sont développés M.S.C, me semble-t-il, à Gioia Tauro, C.M.A-C.G.M à Malte et Maerks à Algésiras. Par rapport aux ports voisins dotés d'un hinterland, celui de Marseille enregistre une croissance de son trafic de conteneurs variant entre 17 % et 20 % depuis 1990, alors que celui de Gênes a progressé de 100 % et celui de Barcelone de 200 %. Bref, même si Marseille demeure un grand port, rien n'est gagné d'avance. Je suis confiant quant à ses perspectives, son nouveau directeur lui donnant beaucoup de tonus, mais beaucoup reste à faire. La seconde raison réside dans le coût de passage mais surtout dans la dégradation de la fiabilité sociale du port de Marseille. Les armateurs que je rencontre régulièrement ont une bonne image de la fiabilité du port du Havre qui connaît pourtant aussi de temps en temps des mouvements sociaux, mais une très mauvaise image de celui de Marseille. C'est une des raisons pour lesquelles le trafic de conteneurs se développe moins que nous pourrions l'espérer. Il s'agit d'un problème moins de coût de passage que de fiabilité. Par conséquent, malgré ces grands hubs, le port de Marseille peut se développer à l'instar de ceux de Gênes et de Barcelone, à condition qu'il affiche une volonté très forte à la fois sur l'hinterland, la modernisation des terminaux à conteneurs et la paix sociale.

M. André SCHNEIDER : Monsieur le directeur, étant député du Bas-Rhin, j'entends ce matin avec satisfaction que Strasbourg fait partie de l'hinterland de Marseille, ce qui a vraiment un sens dans notre région. Nous étions déjà dans l'hinterland de Rotterdam. En revanche, je m'inquiète du devenir du port fluvial de Strasbourg, et je ne suis pas le seul, les responsables politiques étant unanimes à ce sujet. Vous avez évoqué la saturation des axes ferroviaires, ce qui n'est pas le cas dans notre région, compte tenu des problèmes de desserte auxquels nous sommes confrontés. Nous sommes d'ailleurs des défenseurs du TGV Rhin-Rhône à condition que celui s'arrête, non pas seulement à Mulhouse, mais aussi à Strasbourg.

Nous serions ravis d'apporter notre contribution au développement du port de Marseille, mais s'agissant de l'axe Rhin-Rhône, votre ministère pourrait-il nous apporter des éléments plus complets quant à la desserte de la trouée de Belfort, et ce jusqu'en Alsace ? Le fait d'être associé à Stuttgart-Mannheim me convient dans ce sens, mais cela me plaît moins dans le sens Paris-Stuttgart-Mannheim via Vaudrecourt !

M. le Président : Vous avez beaucoup parlé d'une desserte ferroviaire forte entre Marseille, Lyon, Dijon et Paris. Vous m'avez quelque peu inquiété lorsque vous avez parlé de la liaison vers l'Est passant par Marseille, Lyon, l'étoile de Gray, donc Dijon, et l'Alsace. Une autre ligne actuellement disponible n'attend que le passage du fret pour se développer, celle du Revermont via Saint-Amour, qui a été électrifiée voilà peu et qui peut être mise à deux voies. En fait, la liaison au gabarit B + doit être réalisée entre Belfort et Mulhouse pour desservir de manière très directe toute la partie franc-comtoise. Mes propos vont dans le même sens que ceux tenus à l'instant par M. André Schneider, s'agissant d'un sujet d'importance pour nous.

M. Claude GRESSIER : J'ai cité les deux axes de transport de fret : d'une part, la desserte de la Bourgogne par Dijon, avec l'étoile de Gray et, d'autre part, la liaison directe Marseille-Lyon, sans toutefois préciser son prolongement vers Mulhouse, Bâle, Strasbourg, Stuttgart et Mannheim. S'agissant des trafics de fret susceptibles d'intéresser sa clientèle, le port de Marseille doit pouvoir assurer son développement commercial, compte tenu du nombre de ses lignes tout de même assez important vers l'Asie du sud-est. Encore faut-il réaliser un corridor de fret satisfaisant, de bonne qualité et assurant un minimum de massification des flux à partir de l'Alsace, la Franche-Comté et l'Allemagne du sud, par toutes les lignes permettant le développement du trafic de fret, y compris celle du Revermont. Ces développements me semblent s'inscrire dans les perspectives commerciales normales d'une place portuaire comme celle de Marseille.

M. le Président : Cette hypothèse, qui nous intéresse au premier chef, est donc largement étudiée par vos services.

M. Claude GRESSIER : Elle l'a surtout été par les services du port de Marseille qui examinent quels sont les clients, les chargeurs implantés là-bas et éventuellement intéressés.

M. le Président : Il est vrai que Strasbourg est plus facilement dans l'hinterland du port de Marseille, la région parisienne étant davantage dans celui du port du Havre.

M. André SCHNEIDER : S'agissant de l'axe Rhin-Rhône, nous avons souvent discuté du transit de trafics, mais vous nous avez interpellé en nous indiquant que le port de Marseille avait perdu des parts de marché par rapport à celui de Barcelone, par exemple. Il serait donc opportun de développer, sur cet axe Rhin-Rhône, les points qui nous intéressent. Il ne s'agit pas seulement d'assurer et de faciliter le transit de fret pour les Espagnols. Apportons le plus rapidement possible notre utile contribution à ce développement qui nous rendrait service autant vers le Nord, Strasbourg étant considéré comme un axe fluvial important, que vers le Sud, en l'occurrence vers Marseille. S'il devenait plus attractif pour les grands transporteurs de transiter plutôt par le port de Marseille que par celui de Barcelone, en leur évitant ensuite d'emprunter des liaisons routières, nous aurions apporté un élément majeur au développement de l'axe Rhin-Rhône qui est vital et que personne ne conteste, en admettant que sa continuité soit assurée sur Belfort et l'Alsace.

M. Claude GRESSIER : Vous m'avez posé une question tout à l'heure sur les coûts comparés ou l'efficacité comparée des trafics maritimes entre Rotterdam et Marseille. Il est vrai que le transport maritime, très peu cher, est préférable s'il s'agit uniquement de transbordements. En revanche, dès que l'on se situe très légèrement dans l'hinterland, donc avec de multiples problèmes de reprise, le coût du transport augmente tout de suite. Dès lors, le transport terrestre retrouve toute son efficacité.

Sans aller jusqu'à Rotterdam, l'armement italo-suisse MSC vient de développer une ligne venant d'Asie du sud-est, faisant escale, non plus à Valence en Espagne, mais à Marseille où des conteneurs destinés aux États-Unis sont embarqués et acheminés au Havre par la mer. Là, le transbordement est assuré avec un autre bateau desservant les États-Unis. Si MSC procède ainsi, c'est certainement parce que cela est intéressant. En revanche, ce propos n'est pas contradictoire avec celui que je tenais tout à l'heure : de correctes relations ferroviaires entre Marseille et Le Havre, sachant qu'actuellement la concurrence n'est pas possible, nous permettraient d'envisager une meilleure répartition des trafics selon qu'ils sont à destination de l'Asie du sud-est ou des États-Unis et selon les lignes desservant chacun des ports, Marseille et le Havre. Nous pourrions mieux jouer aussi, me semble-t-il, sur la complémentarité.

M. le Président : Lors de notre déplacement à Lyon, M. Raymond Barre a surtout insisté sur les dangers de l'axe de la Mittle Europa en raison de la mise en service prochaine des tunnels du Lotschberg et du Saint-Gothard.

M. Claude GRESSIER : La réalisation du tunnel du Saint-Gothard est prévue avant celui du Lotschberg.

M. le Président : Connaissez-vous l'échéance de réalisation ?

M. Claude GRESSIER : D'ici à une dizaine d'années !

M. le Président : Ne pensez-vous pas que la survie sera difficile pour l'axe Rhin-Rhône quand sera réalisée cette liaison reliant la Lombardie et l'Allemagne via la Suisse ?

M. Claude GRESSIER : Sachez que le port de Gioia Tauro situé en Calabre, donc tout à fait dans la botte de l'Italie, et ceux de Malte et d'Algésiras sont avant tout aujourd'hui des ports de transbordement immédiat, bateau-bateau. Il s'agit de transborder les chargements de gros bateaux de 4 000, 5 000 ou 6 000 boîtes venant d'Asie vers des bateaux de 800 ou 1 000 boîtes qui font ensuite du port à port.

La réalisation de ces tunnels permettant de relier l'Allemagne à l'Italie aura sans nul doute des conséquences, d'où l'intérêt de développer sans attendre l'hinterland de Marseille par des actions commerciales et ferroviaires.

M. le Président : Pour que par la suite, ce soit incontournable.

M. Claude GRESSIER : Voilà ! Fidélisons des clients et développons de bonnes liaisons ferroviaires de qualité avec des navettes et des acheminements performants. Il sera toujours temps de voir quelle réponse apporter et d'évaluer l'attractivité de ces axes. Sans attendre dix ans, il est possible aujourd'hui, comme je viens de l'indiquer, d'assurer le développement commercial du port de Marseille à condition de se doter d'une bonne desserte terrestre non seulement en Franche-Comté et en Alsace, mais aussi dans le sud et le centre de l'Allemagne.

M. le Président : Pensez-vous qu'il existait réellement un axe Rhin-Rhône avec le canal ou plutôt deux axes : Strasbourg-Anvers-Rotterdam et Strasbourg-Lyon-Marseille ?

M. Claude GRESSIER : Personnellement, je pense qu'il s'agissait plutôt de deux axes. Sur le canal lui-même, je ne me prononcerai pas, mais selon certains observateurs, il aurait eu pour conséquence, certes l'élargissement de l'hinterland du port de Marseille, mais avant tout de celui du port de Rotterdam.

M. le Président : Cela n'était d'ailleurs pas faux !

M. Claude GRESSIER : Il était non pas aberrant mais légitime de craindre que l'hinterland du port de Rotterdam s'étende jusqu'à Lyon. En tout cas, tel n'est plus le problème. Celui qui se pose aujourd'hui est véritablement d'assurer une bonne desserte entre Marseille, l'Alsace et le sud de l'Allemagne. Je pourrais tenir le même propos s'agissant du port du Havre qui a actuellement une navette en projet sur Strasbourg, le sud de l'Allemagne et jusqu'à Vienne en Autriche. Il s'agit plus de complémentarité que de concurrence, car actuellement une partie importante de ces trafics issus ou allant vers ces zones de l'Alsace, du sud de l'Allemagne ou de l'Autriche est assurée vers d'autres ports que les ports français, qu'il s'agisse de Marseille ou du Havre. Les actions commerciales de ces deux grands ports n'ont sans doute pas été suffisantes, mais les transports terrestres sont dirigés plus naturellement vers le Nord que vers le Sud, sur Marseille, ou vers l'Ouest, sur Le Havre. A cet égard, certains moyens du transport ferroviaire mériteraient d'être mieux exploités.

M. le Président : Quelle pourrait être l'influence de la réalisation du canal Seine-Nord par rapport à l'hinterland de nos grands ports ?

M. Claude GRESSIER : On peut considérer que la réalisation du canal Seine-Nord pourrait élargir l'hinterland du port du Havre, mais aussi celui des ports d'Anvers et de Dunkerque. Cet instrument de transport peut finalement être bien partagé entre les ports de Rouen, du Havre, de Dunkerque et ceux du Bénélux. Compte tenu de la compétitivité réelle des ports de Rouen, du Havre et de Dunkerque, je ne pense pas que l'on puisse considérer la réalisation du canal Seine-Nord comme une catastrophe et estimer que le trafic partira sur Anvers. En toute objectivité, nous ne pouvons pas raisonnablement le dire aujourd'hui, même si, au salon international du transport et de la logistique de l'année dernière, dans les documents remis par le port d'Anvers, figurait parmi ses atouts le canal Seine-Nord ! (Sourires.) La compétitivité des trois grands ports français concernés par Seine-Nord est telle qu'ils peuvent élargir leur hinterland.

M. le Président : En tant que directeur des ports, votre souci est bien celui d'assurer la compétitivité de Marseille.

M. Claude GRESSIER : L'année dernière, le trafic des ports autonomes a enregistré une croissance de 6,3 % soit 11 % toutes marchandises confondues pour celui du Havre, 21 % pour Nantes et 7 % pour Dunkerque, alors que le port de Marseille accusait une baisse de 1 %, notamment à cause du pétrole. Le port n'y est cependant pour rien puisque la situation est liée à des fermetures de raffineries comme en Alsace dont l'approvisionnement est cependant assuré par tuyaux. Le reste du trafic se développe mais pas à rythme suffisant. Bien que je sois très confiant, beaucoup reste encore à faire pour le développement du port de Marseille.

M. le Président : Je vous remercie vivement de votre contribution, et ce d'autant plus que cet aspect de la liaison entre Marseille et le Havre ne nous avait jamais été souligné, alors qu'il est d'importance.

M. Claude GRESSIER : C'est moi qui vous remercie de m'avoir reçu.

Audition de M. Gérard BAILLY,
Président du conseil général du Jura

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 1999 à Besançon)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Je ne ferai pas de grande introduction. Cette mission au titre un peu compliqué, rassemble des députés de la majorité comme de l'opposition, de toutes sensibilités politiques, et qui étaient partisans de la liaison par le grand canal Rhin-Rhône ou au contraire opposés à ce projet. Ils ont décidé de rassembler, quelle qu'ait été leur opinion sur ce sujet, leur bonne volonté au service de la nation pour étudier les besoins de nos grandes régions, depuis l'Alsace jusqu'à la vallée du Rhône. Ce projet de grand équipement, qui à tort ou à raison était considéré comme très important pour les communications et le développement économique de notre territoire, ayant été abandonné, nous souhaitons identifier nos besoins en matière de développement économique et social des territoires concernés et les équipements nécessaires. L'objectif (que ce soit en matière ferroviaire, routière, ou autre) est d'avoir une réflexion commune et de faire en sorte que les pouvoirs publics ou le Gouvernement prennent cette réflexion en compte, surtout en cette année de discussion sur l'aménagement du territoire, de préparation des contrats de plan et d'autres schémas de développement.

Nous étudions un axe européen. A l'heure actuelle, on insiste beaucoup sur le fait qu'il manquerait un chaînon entre la vallée du Rhin et la vallée du Rhône. Nous nous déplaçons donc (outre les auditions que nous effectuons à l'Assemblée nationale), comme nous l'avons fait à Lyon ou à Marseille, nous le ferons à Mulhouse ou à Strasbourg, et comme c'est le cas aujourd'hui à Besançon, afin d'écouter les élus et les responsables du secteur économique. Notre objectif est de réunir l'ensemble des points de vue sur ce sujet.

L'expression « axe européen » apparaît dans le titre ; au delà de l'aménagement du territoire national et d'équipements qui concernent un quart du territoire national, c'est la question du développement européen qui se pose.

Cette mission que je préside a pour rapporteur M. Jean-Louis Fousseret, député du Doubs. Cette audition fait l'objet d'un enregistrement : tout ce qui sera dit pourra être retenu contre vous ! Naturellement, nous vous soumettrons le texte de cette audition.

M. Gérard BAILLY : Merci de nous accueillir et de nous permettre d'exprimer notre avis. Il est vrai que le département du Jura et plus largement la Franche-Comté ont souvent des problèmes d'infrastructures et de désenclavement. La particularité du Jura est d'avoir de nombreuses PME-PMI réparties sur l'ensemble de son territoire. On entend souvent les Jurassiens - notamment les entreprises - réclamer le désenclavement afin de pouvoir vivre dans ce pays de montagne, voisin de la Suisse. Nous sommes donc très sensibles à tout ce qui relève du domaine des infrastructures routières, ferroviaires, voire des voies d'eau.

Ne reprenons pas le débat sur le canal ; certains y étaient favorables, d'autres défavorables. Aujourd'hui, on ne parle plus de grande voie d'eau ; nous sommes dans ce que j'appelle « l'après-canal », depuis les mesures annoncées par le CIADT du 15 décembre. Nous avons des réunions fréquentes sur la ventilation des crédits et les orientations du département ou du conseil régional pour financer de nouvelles opérations.

Personnellement, j'aurais souhaité que ces crédits soient davantage concentrés sur le développement économique de cette vallée, de ce secteur, et aussi sur son désenclavement. L'objectif du grand canal était d'assurer le trafic de marchandises. Il faut aujourd'hui trouver d'autres solutions ; les infrastructures en matière de route ou de fer deviennent capitales.

Nous devons remettre en état le canal « Freycinet » ; cela a fait l'objet d'une réunion entre VNF et le conseil régional, durant laquelle un réaménagement sur une durée de sept ans a été évoqué. Le conseil régional et le département du Jura - ainsi que les autres départements - s'estiment satisfaits ; il serait en effet difficile de supprimer ce canal, même s'il n'a pas fait l'objet de travaux depuis bien des années. Nombre de projets ont en effet été subordonnés à la réalisation possible du grand canal.

Dans le domaine économique, notamment sur le plan routier, je souhaite souligner les problèmes de la nationale 73 - qui traverse la même vallée que le canal - sur laquelle la circulation est dense. Les élus de cette vallée souhaitaient que la nationale 73 soit aménagée. Une récente réunion au niveau départemental estimait à 70 millions de francs la coût des travaux afin de réaliser quelques aménagements prioritaires. Nous regrettons que les estimations actuelles ne soient que de l'ordre de 33 millions de francs pour cette nationale 73, et encore faudrait-il que la région participe à hauteur de 11 millions de francs, le conseil général versant 11 millions de francs et l'État 11 millions de francs. A notre avis, c'est nettement insuffisant. C'est cette nationale, parallèle à la voie d'eau, qui aurait vraiment dû être faite. Les arrêtés de certains maires, visant à supprimer le trafic nocturne des poids lourds, ont été annulés. Il y a un réel problème.

Nous espérions que la réalisation du grand canal aurait un impact sur le développement économique. Mon sentiment, ainsi que celui d'un certain nombre de mes collègues - même s'il n'y a pas encore eu débat sur ce point au conseil général - est que les propositions actuelles sont essentiellement axées sur des politiques environnementales, comme la politique de l'eau. Vous savez que le Jura y est très sensible, nous sommes même en avance dans de nombreux domaines, notamment celui de la politique des déchets. Des projets plus ambitieux auraient pu être faits, notamment en matière de zone industrielle, de développement économique et touristique, mais ils sont assez peu présents dans les propositions qui nous sont faites.

Une enveloppe n'est jamais assez importante : le conseil général est de plus en plus sollicité ; nous-mêmes attendons toujours plus de l'État. Les crédits alloués par l'État sont de plus de 700 millions de francs. Sur 2,8 milliards de travaux, l'État récupérera environ 600 millions de francs au titre de la TVA ; sa contribution nette sera donc de 150 à 200 millions de francs au maximum, et les collectivités ou les conseils généraux participeront pour plus de 450 millions de francs si on suit les propositions. Compte tenu de la récupération de la TVA par l'État, l'après-canal ne coûtera pas bien cher à ce dernier ! Les collectivités locales, pour beaucoup sollicitées, financeront donc une partie importante de cette politique.

Je voudrais également parler de l'importance des infrastructures pour le département du Jura ; elles sont capitales. Votre région, éloignée de la nôtre, doit être sensible à l'axe nord-sud. Nous avons plus d'affinités en ce qui concerne ces grands aménagements que l'on pourrait en avoir avec le président de la région bordelaise, nantaise ou normande. Pour nous, l'axe TGV est important, et les Jurassiens acceptent difficilement la décision de débuter par une première phase Mulhouse-Besançon-Dijon, qui fait fi du passage actuel du TGV par Dole ; cette première phase de TGV oubliera Dole et le Jura. On nous dit qu'une branche sud passera dans le département du Jura, mais nous n'avons pas de garanties.

Les Alsaciens, ou les voyageurs venant du Nord de l'Europe passeront par Dijon. Notre crainte est que l'on reprenne la ligne Mâcon-Lyon, en ne passant plus par le Jura qui, de ce fait, risquerait d'être complètement exclu des dessertes de TGV. Selon l'ancien président du conseil régional de Bourgogne, M. Bazin, Dijon sera enfin le grand pôle ferroviaire, et les trafics en provenance de Metz, de l'Alsace et du Sud aboutiront à Dijon. Si la première branche ne passe pas par Dole, nous ne sommes pas certains que la ligne passant par Lons-le-Saunier, Bourg-en-Bresse et Satolas sera mise en place.

Même si c'est le cas, on risque de buter sur les difficultés financières actuelles concernant les grandes infrastructures. Nous parlons de très long terme ; nos projets concernent un TGV dans lequel nous ne monterons probablement jamais et qui ne fonctionnera que dans 20 ou 30 ans. Nous devons prévoir ce qui se passera dans les décennies à venir. Le département du Jura a toujours souhaité que la première phase porte sur Mulhouse-Besançon-Dole-Dijon, puisque le TGV Rhin-Rhône ira probablement à Dijon et non à Lyon. Dans notre esprit, cette ligne devait relier le Rhin (à partir de Mulhouse) à Lyon. Prenez une carte de France : vous voyez bien que cette ligne ne devrait pas passer par Dijon ! De plus, un passage par Dijon allonge le trajet de 80 à 100 km, en partant de Lyon par Lons-le-Saunier, Besançon...

Le rapport Chassande a proposé des alternatives, mais ce n'est qu'un rapport, non une décision financière. Nous craignons de rencontrer de nombreuses difficultés si la première branche du TGV est Mulhouse-Dijon. Selon certains, la ligne Mâcon-Lyon est saturée, mais pourrait également constituer une ligne parallèle. Les techniques évoluent, il sera peut-être possible, demain, qu'un TGV à 2 étages accueille plus de voyageurs... Nos craintes ne sont pas du tout apaisées.

Concernant le Nord-Sud, on doit prendre en compte la ligne ferroviaire Besançon-Lons-le-Saunier-Saint-Amour-Bourg-en-Bresse, qui a été électrifiée il y a une petite dizaine d'années...

M. André GODIN : Il y a une quinzaine d'années, pour l'ensemble de la ligne.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Cela a été terminé à Bourg-en-Bresse en 1995.

M. le Rapporteur : On ne va pas contredire le maire de Bourg-en Bresse !

M. Gérard BAILLY : L'objectif était de redonner de la vitalité à cette ligne nord-sud. C'est la plus courte, la plus rapide entre Besançon et Lyon ; elle pourrait également être aménagée. Cette ligne n'ayant qu'une voie, un investissement peu important suffirait à lui donner un potentiel plus fort.

M. le Rapporteur : On pourrait la transformer en deux voies sans frais importants.

M. Gérard BAILLY : Nous souhaiterions que cette ligne puisse retrouver un certain rôle dans le trafic de marchandises ou de voyageurs.

Concernant les axes autoroutiers, l'autoroute A 39 (Lyon, Bourg-en-Bresse, Lons-le-Saunier, Dole, Dijon) est bien fréquentée ; elle accueille 13 000 véhicules par jour, dont 38 % de camions. C'est une surprise, mais cela donne satisfaction. Cet axe passe à la limite ouest du Jura, sur la Saône et Loire ou sur l'Indre, et frôle le département. Le Jura a de très mauvaises liaisons avec la Suisse : il s'agit soit du col de la Faucille, soit du col de Saint-Cergue. Le trafic trans-frontalier s'écoule mal, du fait de la distance entre les villes de Saint-Claude et de Genève, ou entre Morez et Genève. Dans le Doubs, le handicap est moindre ; pour notre région, c'est un véritable obstacle. Le passage est plus facile vers Vallorbe. Une ligne - d'environ 70 km - passant par Poligny et Vallorbe pourrait créer une ouverture vers la Suisse et les autoroutes découlant du réseau suisse. Leur autoroute s'arrête à la frontière. En ce qui nous concerne, une branche a été construite, qui vient à Poligny. 70 Km restent maintenant à construire, soit sous la forme d'une branche autoroutière, soit sous celle d'un aménagement important en infrastructure routière classique, ce qui pourrait être attractif pour les voyageurs en provenance du sud et se dirigeant vers cette partie de la Suisse, ou vers l'Allemagne.

Voilà, Monsieur le Président, les grandes lignes de nos réflexions en termes d'infrastructures, et mes réactions sur l'objet de votre mission.

M. le Président : S'il y avait des « priorités prioritaires » pour votre département, (on voit bien que les moyens sont limités), quelles seraient-elles ? Existe-t-il des arbitrages, que ce soit en matière de fer ou de route ?

M. Gérard BAILLY : Je pense qu'il est impossible que le Jura ne soit pas situé sur l'axe du TGV. Dans le Jura, le monde industriel est prédominant, notamment dans les secteurs du jouet, de la lunette, du bois... ; les PME-PMI sont nombreuses. Qui dit vitalité d'entreprise dit besoins importants en matière de moyens de communication et de relations. Aujourd'hui, le ferroviaire est capital. Il faut garder à Dole une vitalité en termes d'infrastructures ferroviaires.

M. le Rapporteur : Votre plus grande priorité est donc la branche sud du TGV, et le renforcement, le développement de la ligne Frasnois-Saint-Amour ?

M. Gérard BAILLY : Quand on connaît les priorités en matière de lignes à grande vitesse, il est clair qu'il est inutile de se faire des illusions pour ce qui est des priorités de financement : nous raisonnons sur du long terme. Et à long terme, il est impossible de ne pas opter pour cette infrastructure nord-sud. Satolas serait l'aéroport. L'objectif de désenclavement concerne Bourg-en-Bresse-Satolas, bien plus que Roissy. Ce n'est pas comparable.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué le désenclavement ferroviaire, mais vous n'avez pas parlé de l'aménagement de la RN 83. N'est-ce pas aussi une priorité ? Il existe une liaison autoroutière, mais aussi routière entre la Franche-Comté et la région lyonnaise. Si l'on veut maintenir ces axes d'échange, c'est la RN 83 qui, entre Besançon et Lons-le-Saunier, par exemple, aurait besoin d'aménagements structurants.

M. Gérard BAILLY : Oui, mais les financements sont ce qu'ils sont... L'axe comporte quand même l'autoroute A 39, et il existe une alternative autoroutière. Aujourd'hui, le trajet de Lons-le-Saunier à Lyon ou à Dijon se fait par l'autoroute. Sur l'autoroute A 83, des opérations de sécurité sont certes nécessaires, et peut-être faut-il également réaliser quelques aménagements pour permettre aux véhicules de se doubler, mais on ne va pas faire une autoroute A 83 à quatre voies alors qu'il existe l'autoroute ! Des aménagements peuvent être faits.

Je n'ai pas parlé de la déviation de Lons-le-Saunier. Cette ville risque l'asphyxie si 1 500 voitures s'ajoutent au trafic existant. On ne pourra bientôt plus circuler près de la gare. Dans le contrat de plan qui arrive à son terme, la déviation de Lons-le-Saunier était déjà prévue, mais les commissaires enquêteurs ont souhaité que la copie soit revue. Il y a sept ou huit ans, la concertation a été insuffisante sur ce projet, avant de le soumettre à la consultation. La déviation de Lons-le-Saunier devrait améliorer le trafic. Pour en revenir à l'autoroute A 73, il me semble indispensable d'aller au-delà de ce qui a été prévu, afin qu'il y ait une route parallèle à l'autoroute A 36.

On peut également évoquer la nationale 5 : le trajet de Poligny aux Rousses est des plus pénible ! Il existe une seule zone de doublement de 800 mètres (c'est le minimum). Mais le secteur étant rocheux, le coût des opérations est considérable.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : J'aimerais savoir si le conseil général a officiellement demandé à la mission TGV et à l'État de mener une réelle étude relative à l'utilisation, par le TGV, de la partie Besançon-Bourg-en-Bresse-Lyon. J'ai l'impression qu'une telle étude n'a pas été clairement demandée. En tant que conseiller général, avez-vous fait cette demande officielle, ou avez-vous choisi de vous battre en faveur d'un passage par Dole ? Y a-t-il eu une demande réelle de votre part sur ce secteur ?

D'autre part, le Jura est un département de Franche-Comté où les forces d'attraction sont divergentes : le sud du Jura sur la partie de Lyon, le nord sur Oyonnax, et la partie Dole sur Dijon. Ma seconde question est la suivante : avez-vous déjà mené des études pour voir comment éviter les fuites ? Je connais particulièrement la situation des étudiants du Jura partant sur Dijon ou Lyon ; qu'est-ce qui les ferait rester en Franche-Comté, quelle force d'attraction plus forte pourrait-il y avoir ?

Enfin, dans le cadre de cette mission, il me semble important de rappeler la force économique du Haut-Jura, malgré l'absence de voies de communication de grande qualité. C'est vraiment l'exception : on se demande pourquoi le Haut-Jura fonctionne aussi bien au niveau industriel avec de telles routes. Quand on voit dans quelles conditions peut travailler Smoby en matière de communication... C'est pourtant une entreprise qui se développe bien. On a toujours tendance à dire que les voies de communication sont un élément de développement, mais le Jura constitue une exception remarquable.

M. Gérard BAILLY : Pour répondre à votre dernière question, Je vous parlerai de ceux qu'on appelle les « papys ». Comme beaucoup de régions, le Haut-Jura avait une vocation agricole. La montagne est source de difficultés, d'où la pluriactivité : agriculture-diamantaire, agriculture-tournerie, agriculture-lunetterie, etc. L'agriculteur faisait autre chose en raison des six mois de neige ; il était créateur dans l'âme. Aujourd'hui, le groupe Smoby représente 1 200 emplois, mais il a débuté par une personne dans l'atelier du père Breuil, au fond d'une grange. C'est à Lavon-les-Saint-Claude, dans son pays, sa région, qu'il avait ses racines, et il voulait donner de la vitalité à son pays.

Les choses évoluent : aujourd'hui, les directeurs généraux de ces entreprises ne raisonnent plus en fonction de leurs racines; ils sont davantage des économistes. Leur credo change ; ils veulent bien rester dans la région, à condition qu'elle soit désenclavée, alors que les créateurs de ces entreprises (le père Dallo , le père Breuil, le père Mozoni, des hommes qui ont aujourd'hui entre 80 et 95 ans) restaient par amour de la montagne. Il y avait un esprit d'entreprise : leurs ouvriers étaient plus des collaborateurs, des camarades qui travaillaient chez eux ; la bonne entente qui régnait dans ces entreprises du Jura a contribué à faire rester la population. Je me demande même si les grèves touchent les entreprises du Haut-Jura, hormis Mozoni.

Mais aujourd'hui, le désenclavement est une nécessité pour les directeurs des entreprises. C'est pourquoi le département investit actuellement beaucoup d'argent : 180, 5 millions de francs pour la Vallée de la Vienne ; pour Lons-le-Saunier on vient réaliser la déviation de Moirans ; on envisage celle d'Orgelet qui va coûter 130 millions de francs au département. Il y a également la liaison Saint-Claude-Lons... C'est beaucoup, mais cela permettra aux entreprises de rester dans le Haut-Jura, puisqu'il est le troisième bassin économique de Franche-Comté après le Nord et Besançon.

Pour répondre à votre première question sur Lons-le-Saunier, mon vice-président s'est rendu récemment à une réunion portant sur une éventuelle mise en pendulaire de cette ligne. Officiellement, une telle étude n'a jamais été demandée, mais le conseil général y était favorable, afin de donner à cette ligne une plus grande vitalité. Nous avons tous (État, département, région, SNCF) fait un investissement important pour électrifier cette ligne. Ensemble, nous devons essayer de lui donner davantage de vitalité, mais les coûts sont importants ; une étude serait nécessaire.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Avez-vous officiellement demandé une étude sur cette partie-là, à la SNCF ou à la mission TGV ?

M. Gérard BAILLY : Officiellement, non.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Nous avons eu de nombreuses discussions identiques quand j'étais membre du conseil Général ; l'absence de connaissance réelle est peut-être l'une des faiblesses dans l'étude globale.

M. Gérard BAILLY : Aux débuts du projet de TGV Rhin-Rhône, le conseil régional estimait que cette ligne faisait partie des possibilités, elle était même l'une des priorités. Puis, Rhône-Alpes n'a plus fait partie du comité de pilotage du Rhin-Rhône. Les Bourguignons sont revenus en force, exerçant une pression pour que le TGV Rhin-Rhône passe par Dijon et non plus par Lyon. Depuis, on n'a plus parlé de cette ligne susceptible de devenir la ligne TGV, et qui correspondait à l'axe Rhin-Rhône. A mon avis, les Dijonnais ont été les plus forts dans la discussion. Il se peut également que la région Rhône-Alpes ait eu d'autres préoccupations, et qu'elle n'ait pas fait de cette ligne une priorité.

M. le Rapporteur : En fait, la priorité était le Lyon-Turin ; ils nous l'ont dit. Ce que vous dites est vrai.

M. Gérard BAILLY : C'est mon analyse. On ne reviendra pas là-dessus, même si je ne peux qu'y souscrire complètement. Cela répond à votre seconde question ; vous parliez des Jurassiens (notamment les étudiants) attirés par d'autres pôles que Besançon. Venir de Saint-Claude à Besançon, c'est une sinécure !

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Il est plus facile d'aller à Lyon.

M. Gérard BAILLY : En effet. Le non-passage par Dole du TGV va plutôt attirer les Jurassiens vers Dijon ou vers Bourg-en-Bresse ; cela ira à l'encontre de l'unité de la Franche-Comté. Avec une ligne Dole-Besançon-Belfort-Mulhouse, on était sur l'axe Rhin-Rhône ; si on ne passe plus par le Jura, il faudra prendre des lignes pour aller à Dijon, redescendre sur Lyon ou remonter sur Besançon...

M. le Président : Nous nous étions donné une demi-heure. Néanmoins, si des collègues veulent s'exprimer... En tout cas, merci, Monsieur le Président.

M. André SCHNEIDER : Un petit clin d'_il : je note avec satisfaction que les Alsaciens sont ardemment désirés dans le Jura. Si M. Gérard Bailly veut bien étendre son propos nord-sud jusqu'à Strasbourg, je pense que nous, Alsaciens, pourrions faire alliance objective avec le Jura.

M. Gérard BAILLY : Quand je parle de Mulhouse, c'est à propos du raccordement ! Dans mon esprit, il s'agit bien de se rattacher à l'Alsace, grâce au passage du TGV par Mulhouse.

M. le Rapporteur : Lors de nos rencontres, essentiellement à Lyon avec M. Raymond Barre et Mme Anne-Marie Comparini, la « démission » de la région Rhône-Alpes concernant le TGV a été évoquée. Ils semblent maintenant avoir d'autres envies ou d'autres projets. Mais entre temps, un élément nouveau est survenu, à savoir ce qui s'est passé sous le Mont-Blanc, qui risque peut-être de relancer (et de façon plus intense) les problèmes du Lyon-Turin.

Des actions peuvent certainement être mises en place sur l'axe Rhin-Rhône depuis PACA jusqu'à l'Alsace, en passant par Rhône-Alpes et la Franche-Comté, afin de créer une cohérence en matière de développement économique.

M. Gérard BAILLY : Nous sommes tout à fait d'accord, mais nous ne voulons pas que tout passe par Dijon.

M. Joseph TYRODE : Je pense que l'erreur qu'a commise le Jura dans toutes ces discussions depuis une dizaine d'années, c'est d'avoir parlé du sud par opposition à l'autre branche. Je suis convaincu qu'il nous faut changer de stratégie dans cette région de Franche-Comté ; les deux branches sont nécessaires et complémentaires. On ne peut pas faire l'impasse sur les deux plates-formes importantes d'activité économique que sont Mulhouse et Montbéliard, avec les deux sites Peugeot.

Vous avez déclaré que les entreprises fondées par les « papys » du Haut-Jura n'avaient plus tout à fait la même stratégie et n'étaient plus attachées au territoire. On sait fort bien (on le verra du reste probablement cet après-midi) qu'également le groupe PSA n'est plus attaché à Sochaux. Les raisons sentimentales ne jouent plus du tout ; aujourd'hui, les gestionnaires d'entreprises sont très exigeants.

L'erreur qui a été faite (tout le monde y a peut-être contribué, d'une certaine manière) a été d'opposer les deux branches. Les deux sont complémentaires ; on aura les deux ou rien du tout. Je voudrais connaître votre avis sur ce point.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Pour compléter ce que dit M. Tyrode, tout se jouera entre la ligne nouvelle et la gare Viotte de Besançon. Vos demandes sont intimement liées, nous en avons déjà discuté ensemble il y a très longtemps. Mais notre travail de fond concerne la liaison entre la ligne nouvelle et la gare Viotte, qui devrait permettre de modifier la liaison TGV vers l'ensemble du Sud, et au Jura en particulier.

M. Gérard BAILLY : Pour répondre à M. Joseph Tyrode, il est vrai qu'aujourd'hui la ligne passe par Dole. Au départ, nous pensions qu'elle partirait de Bourg-en-Bresse ; dans notre esprit, elle ne pouvait pas passer par Dole. Les études ont montré (et c'est peut-être pour cela que les Jurassiens ont réagi ainsi) que le passage par Dole allongeait la durée du trajet de 2 minutes 30. On pouvait gagner plus de 20 minutes en améliorant Aisy-Dijon ; pourquoi ne pas l'avoir fait ? On gagnait alors vingt minutes par rapport à la ligne de Lausanne. A la sortie de Dole, il était possible de revenir sur la ligne de Lausanne, et on améliorait ainsi la ligne de Lausanne à Dijon en grande vitesse. Or, elle n'est toujours pas à grande vitesse.

Nous n'avons pas compris ! Nous avons seulement pensé que M. Bazin (je n'ai jamais été d'accord avec lui) voulait en fait remporter une victoire : le TGV ne passant pas par Dole, Dijon devenait la grande étape ferroviaire, la grande gare bourguignonne. Or, toutes les études ont prouvé que passer par Dole prenait 2 minutes 30 de plus, tandis qu'on pouvait en gagner 20 avec Aisy-Dijon. De cela, on ne dit mot.

M. André VAUCHEZ : Quel était le coût d'une telle opération ?

M. Gérard BAILLY : Je ne l'ai pas en tête.

M. Joseph TYRODE : Je n'ai jamais entendu parler de ces 2 minutes 30 d'écart ; j'aimerais que le dossier me soit communiqué.

M. André VAUCHEZ : Un très bon rapport existe, il s'agit d'un excellent document, avec de nombreuses précisions ; il serait intéressant de le remettre à tout le monde. C'est un rapport qu'a fait devant la mission M. Sivardière, président de la Féderation nationale des usagers des transports.

M. Gérard BAILLY : Combien de kilomètres supplémentaires représenterait cette opération ?

M. Joseph TYRODE : Je conteste fortement l'estimation selon laquelle le passage de Dole allongerait la durée du trajet de 2 minutes 30. Nous ne parlons pas de la même chose.

M. Gérard BAILLY : Si la ligne TGV allant directement de Besançon à Dijon passait par Dole (je ne parle pas des trains s'arrêtant à Dole, qui sont en nombre plus réduit), la différence serait de 2 minutes 30 ; je le confirme.

M. le Président : Monsieur Bailly, je vous remercie.

Audition de M. Christian PROUST,
Président du conseil général du territoire de Belfort

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 1999 à Besançon)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Les responsables qui sont ici réunis représentent les régions de l'Alsace jusqu'à la Côte d'Azur, en passant par la Franche-Comté. Le mieux est que je vous donne la parole pour que vous nous fassiez part de votre sentiment, puis les parlementaires qui m'entourent vous poseront des questions. Je vous remercie de vous être déplacé. Je vous informe que vos propos sont pris en note ; le compte-rendu vous sera présenté.

M. Christian PROUST : Madame et Messieurs les parlementaires, en ce qui concerne le territoire de Belfort et le nord de la Franche-Comté dans son ensemble, notre préoccupation, concernant l'aménagement de ce couloir, passe par trois grandes priorités : l'aménagement d'infrastructures de transport qui nous placeront dans les grands circuits d'échanges européens ; la construction et le renforcement d'agglomérations puissantes (c'est le problème du développement équilibré de Besançon et de Belfort-Montbéliard : sur ce couloir on ne peut pas avoir d'aménagement du territoire sans s'appuyer sur de grandes agglomérations) ; enfin, l'amélioration de la compétitivité de l'ensemble des systèmes productifs sur ce secteur, et cela passe par le développement de la recherche et de la technologie. Le sous-développement de ce secteur est préoccupant ; c'est donc pour nous une priorité.

En ce qui concerne les problèmes d'infrastructures de transports, nous avons toujours été opposés au grand canal. Dans le territoire de Belfort et dans le nord de la Franche-Comté, nous considérons que la remise en cause de ce projet est un élément positif. Mais la dépense de 25 à 30 milliards de francs sur le territoire régional aurait eu des retombées indiscutables au niveau de l'économie et de l'organisation régionales ; l'effort financier que l'État et la collectivité nationale auraient dû consentir pour cette infrastructure pourrait en partie être redéployé pour financer des équipements plus utiles, à la fois au développement régional et à la communauté nationale.

Aujourd'hui, il est clair que la dynamique de développement de l'espace Rhin-Rhône passe par le projet de TGV Rhin-Rhône ; je pense que l'ensemble de vos interlocuteurs vous confirmeront ce point de vue. Ce n'est pas un projet facile ; il subit
- dans une certaine mesure - des arbitrages marqués par une logique encore profondément centralisatrice, concentrant les grands choix autour de Paris. Par exemple, le choix du TGV-Est est typiquement centralisateur. Le TGV Rhin-Rhône aurait présenté, à notre avis, un intérêt bien plus grand. Le problème est de concilier la réalité des rapports de force existants dans le système français avec nos intérêts. Cela suppose un TGV pouvant s'organiser en éléments successifs, s'articulant pour aboutir à ce qui est notre projet, à savoir un axe de desserte entre l'Allemagne et l'Espagne, desservant les régions Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, et permettant de relier le sud de la France avec les grandes régions productives de l'Allemagne. Il y a là un enjeu tout à fait central.

La difficulté est que, dans notre économie, les capitaux (en particulier publics) sont rares. Il faut donc phaser ce projet de la façon la plus profitable possible pour ce qui est de ses premiers éléments. Autour de cette question de phasage se développent aujourd'hui des tensions régionales retardant le projet. Je suis persuadé que la double orientation des trafics, à la fois vers la région parisienne et vers le sud, est un élément tout à fait essentiel à la réussite du projet, et permettra progressivement de le mettre en _uvre. Puisqu'il faut bien démarrer par un maillon, il est logique de commencer par celui qui présente le maximum d'avantages.

Second élément : de toute évidence, à côté d'infrastructures destinées aux voyageurs, nous avons besoin de développer les infrastructures dédiées au fret. Nous attachons une grande importance au projet de mise au gabarit B+ de l'actuelle voie ferrée entre Besançon et Belfort ; c'est un élément essentiel dans la politique d'aménagement du territoire. Entre la Belgique et l'Italie, d'après les statistiques qui nous ont été fournies récemment, la proportion de trafic ferroviaire de fret est de 25 % ; entre l'Espagne et l'Allemagne elle est de moins de 10 %. Les marges de développement sont donc considérables en matière de circulation ferroviaire. D'après les éléments qui nous ont été fournis, le gabarit actuel renchérit de 50 % environ les coûts du transport pour le transport combiné, mettant le transport ferroviaire dans une situation non compétitive par rapport à la route. C'est un élément essentiel de l'organisation de nos axes de transport.

Ma dernière remarque concerne les infrastructures routières ; elle porte sur la liaison entre Paris et le nord de la Franche-Comté, à savoir l'axe de la RN 19. Vous avez sans doute entendu parler de cette négociation et de ce projet. Le Gouvernement Juppé avait pris un engagement dans le cadre de la professionnalisation des armées et de la suppression des deux régiments de Lure et de Montbéliard. A titre de compensation, il avait été promis aux Aucélois et aux Montbéliardais qu'une autoroute serait réalisée entre Langres et l'autoroute A 36, plate-forme de Montbéliard. Cette autoroute n'a jamais été inscrite de façon définitive dans le schéma autoroutier, mais l'engagement de sa création avait été pris de façon claire et officielle par le Premier ministre. Aujourd'hui, un débat s'est engagé avec une convergence assez large des opinions, même si le consensus n'est pas général ; une très grande majorité est favorable à une solution qui pourrait comporter 15 à 20 kilomètres d'autoroute dans le secteur de Langres, pour en faire le contournement en prolongement direct de l'autoroute actuelle, puis un axe deux fois deux voies sur le reste de l'itinéraire. L'autoroute représente une dépense de plus de six milliards de francs, alors que le coût de la solution mixte serait de 4 ou 4, 5  milliards de francs selon les choix faits, avec un accord de l'ensemble des partenaires pour prolonger cette route à deux fois deux voies jusqu'à la frontière suisse.

Les Suisses réalisent actuellement un axe autoroutier entre la frontière de Delle, le territoire de Belfort et leur réseau autoroutier. Tout le long du canton du Jura est né un énorme projet en Suisse, à savoir la réalisation d'un axe autoroutier nord-sud. Il serait cohérent, pour l'organisation régionale, qu'à cette autoroute suisse aboutisse au moins une route deux fois deux voies. Il nous paraît important d'engager une négociation, avec un financement de 75 % par l'État et 25 % par les collectivités locales. L'idée est d'exclure cet axe de la négociation du contrat de plan pour pouvoir, dans l'enveloppe du contrat de plan, financer le contournement de Besançon et sa poursuite, ainsi que l'aménagement de la RN 57. On pourrait mettre en _uvre deux priorités régionales importantes : la RN 19 hors du contrat de plan, et la RN 57 dans le contrat de plan ; c'est l'équilibre souhaité par une grande majorité des élus régionaux.

Le second problème concerne le développement des agglomérations. Je défends depuis très longtemps l'idée que le développement régional des villes moyennes et du secteur rural de la Franche-Comté ne peut se construire que sur la force des agglomérations. La Franche-Comté est affaiblie ; le couloir Rhin-Rhône est lui aussi affaibli par deux agglomérations auxquelles n'ont jamais été données les moyens d'un véritable développement. Besançon et Belfort-Montbéliard sont deux enjeux d'aménagement du territoire importants pour le pays, il faut leur assurer les moyens d'un développement important. Cela passe sûrement par une politique de coopération entre agglomérations voisines : Dijon avec Besançon et Mulhouse avec Belfort-Montbéliard. Pour l'instant, ces pôles se livrent une assez grande concurrence. Une complémentarité des politiques au niveau de ces connexions régionales pourrait être un élément important pour le développement de ces agglomérations.

Prenons l'exemple de l'université de médecine de Besançon. Il est incohérent que deux universités de médecine, deux grands pôles de formation se développent à moins de 100 kilomètres l'un de l'autre. Des accords sont nécessaires entre les universités de Besançon et de Dijon, sur leurs pôles de compétence respectifs. Il faut arriver à dépasser le seul cadre de la région ; une dynamique interrégionale reste à construire en ce qui concerne les agglomérations. C'est d'ailleurs l'intérêt de notre mission que de réfléchir à un axe, de dépasser la logique des régions. Je pourrai éventuellement compléter ces analyses.

Enfin, je voudrais aborder la question de la recherche et du développement. La Franche-Comté, qui représente 1,7 % du PNB et 1,9 % de la population nationale, reçoit 0,35 % de la dépense publique de recherche ; cette faiblesse nous est extrêmement préjudiciable. Nos industries sur des secteurs de pointe sont en constante évolution, en compétition avec des entreprises du monde entier, ouvertes à la concurrence internationale (Alstom, Peugeot, les horlogers et les bijoutiers...). L'ensemble de nos industriels doit faire face à la mondialisation. La Franche-Comté est une grande région exportatrice, et pour nous la faiblesse du développement de la recherche handicape nos industries et notre développement. Une des orientations fortes de notre travail est donc de développer la recherche, le transfert technologique et l'université ; c'est pour nous un axe tout à fait essentiel. Bien entendu, cela doit s'inscrire dans des schémas de développement d'autoroutes de l'information, de mise en place de réseaux à haut débit ; c'est un enjeu important pour la Franche-Comté.

M. le Président : Merci beaucoup, Monsieur le Président.

M. André SCHNEIDER : Monsieur le Président, je suis assez choqué par le mépris désinvolte avec lequel vous avez écarté l'Alsace. Dans vos propos (« inutile que le TGV Rhin-Rhône passe par là »...), vous n'avez pas prononcé une seule fois les noms d'Alsace, Mulhouse ou Strasbourg. L'alsace n'est-elle pour vous qu'un marché pour les automobiles construites à Montbéliard, et Strasbourg que le siège d'un Parlement européen au sein duquel on se bat pour sièger ? Vous parliez de coopération interrégionale ; je parlerais plutôt de coopération inter-départementale. Vous êtes le premier département voisin... Vous aurais-je mal compris ?

M. Christian PROUST : D'abord, j'ai cité Mulhouse. J'ai plaidé pour le développement d'une coopération très forte entre les agglomérations de Belfort-Montbéliard et Mulhouse. Je suis très attaché à ce que l'on puisse avoir des relations dynamiques avec l'Alsace. Mais je pense que l'Alsace (tout particulièrement Strasbourg) n'a pas traité le TGV Rhin-Rhône de façon équilibrée par rapport au TGV-Est. Je suis persuadé que pour la défense du rôle de Strasbourg comme capitale européenne, le TGV Rhin-Rhône aurait été un atout plus important que le TGV-Est. La relation avec Paris n'est pas vraiment la préoccupation essentielle des autres députés européens.

Je n'ai jamais été candidat aux élections législatives ni aux élections européennes, je suis un élu local. Je défends le territoire de Belfort et la région de Franche-Comté, et je vous parle très franchement : je pense que l'Alsace a tout intérêt à s'inscrire dans la dynamique Rhin-Rhône, et qu'elle ne l'a pas fait suffisamment dans le passé. C'est ainsi que nous considérons les choses.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué trois thèmes : les infrastructures de transports, la construction d'agglomérations fortes et le développement de la recherche et de la technologie. Sur les deux derniers points, je pense que nous sommes totalement d'accord avec vous. Il est vrai que si « guéguerre » il y eut entre Besançon et Belfort, elle est aujourd'hui totalement dépassée ; il faut tabler sur une totale complémentarité. Dans le cadre de cette mission, il est important de le dire.

Vous avez parlé de politique interrégionale et de transversalité. Avez-vous des projets concrets et complémentaires que nous pourrions inscrire dans le cadre des prochains contrats de plan, entre les régions Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Rhône-Alpes, la Franche-Comté et l'Alsace (nous ne l'oublions pas) ? Ce thème pourrait-il ressortir dans le cadre de la rédaction de ce rapport ?

Concernant les infrastructures de transports, vous avez dit que chacun était d'accord avec le projet de TGV. Mais vous n'êtes pas sans savoir que tout le monde n'est pas forcément d'accord sur le tracé. Il y a effectivement l'option que vous défendez (avec d'autres) entre Mulhouse et Dijon, et le problème de la branche sud a été longuement évoqué par votre prédécesseur il y a quelques instants. Estimez-vous que ces deux projets sont complémentaires ? Selon moi, ces deux projets doivent s'affirmer comme étant complémentaires, faute de quoi on risquerait de les voir retardés, voire annulés.

Voilà mes deux questions : la première porte sur un projet interrégional, la seconde sur le TGV.

M. Christian PROUST : Un mot pour revenir sur la relation avec l'Alsace et fournir quelques précisions : dans le cadre d'un réseau de villes de Rhin-Sud, Belfort est reliée à Mulhouse, Colmar et Montbéliard-Héricourt. Elle développe actuellement des stratégies de coopération avec l'agglomération de Mulhouse et le Haut-Rhin. Nous mettons en place une association pour le développement du transfert technologique ; elle est soutenue par la DATAR. Il existe donc un travail de coopération entre le sud de l'Alsace et le nord de la Franche-Comté, travail concret qui met en place des relations entre les universitaires et les industriels, et qui s'inscrit donc dans une logique de coopération - que nous souhaitons forte - avec l'Alsace. Il serait intéressant de soutenir ce type de projet.

M. le Rapporteur : Ne faudrait-il pas l'élargir ?

M. Christian PROUST : En tout cas, du fait de la présence de Peugeot à Mulhouse et à Montbéliard, en ce qui concerne la question des transports, il est intéressant de réfléchir au développement d'instruments universitaires adaptés et d'outils entre le sud de l'Alsace et la Franche-Comté.

Pour répondre à votre seconde question, portant sur le TGV, le dossier est extrêmement confus. Il faut distinguer les objectifs à long terme. Nous sommes fondamentalement attachés au développement du TGV Rhin-Rhône dans toutes ses dimensions : la liaison avec Paris, mais aussi avec Lyon et Marseille, et - pour les Jurassiens - la liaison avec Lausanne. Ce sont les trois branches (est, ouest, sud) du TGV Rhin-Rhône. Nous considérons que la relation avec la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, le Languedoc-Roussillon et l'Espagne est une dimension essentielle. Elle n'est pas mise en question.

Je rappelle que la première phase du TGV Rhin-Rhône représente 12 à 14 milliards de francs, et que la seconde phase (la branche sud) représente au moins autant. Les études de rentabilité ont montré que si l'ensemble du phasage (25 milliards de francs au départ) était réalisé, le taux de rentabilité serait de 1 ou 2 %, c'est à dire insupportable. Les conditions de financement des infrastructures mises en place, avec l'organisation de Réseau Ferré de France, ne permettent pas de dégager suffisamment de ressources publiques pour financer un projet de ce type. Il doit donc être réalisé selon des phases successives.

Il ne doit pas y avoir d'ambiguïté sur ce point : nous sommes tous fondamentalement attachés au TGV Rhin-Rhône, dans l'ensemble de ses dimensions. Nous le souhaitons, et nous sommes tout à fait intéressés par la construction, un jour, d'une gare bressane qui puisse desservir Bourg-en-Bresse, Mâcon, Lons-le-Saunier et l'ensemble de cette région. Nous sommes favorables à une amélioration de la desserte du sud du Jura et de l'Ain ; c'est tout à fait évident. Le problème auquel nous sommes confrontés est que nous ne pouvons pas réaliser cette opération en une seule phase ; c'est l'évidence.

Il y a, de ce fait, des pressions de la part de ceux qui ne seront pas desservis lors de la première phase, pour faire en sorte que le délai de réalisation entre la première phase et les suivantes soit le plus court possible. Il est clair que les territoires sont en compétition. Le Jura considère qu'il est actuellement très bien desservi. Depuis Dole, Paris est atteint en deux heures, avec 8 ou 9 TGV par jour, et la liaison est de grande qualité. Nous souhaitons, par contre, une amélioration du raccordement avec le nord de la Franche-Comté qui, lui, est à 3 heures 45.

Nous soutenons tout à fait les demandes du Jura en ce qui concerne la branche sud. Nous souhaitons que la réalisation de l'ensemble du TGV Rhin-Rhône soit la plus rapide possible. Nous sommes par ailleurs partisans d'une amélioration de la relation Dole-Lausanne. Cet investissement n'est d'ailleurs pas considérable : la SNCF l'a chiffré autour de 200 millions de francs. L'amélioration de l'électrification permettrait de gagner un quart d'heure ou vingt minutes entre Dole et Lausanne, et conforterait la desserte des Jurassiens par le TGV actuel.

Pour nous, le phasage est donc indispensable. Nous considérons que la réalisation de la branche sud sera davantage déterminée par l'engorgement de la ligne actuelle (la desserte Paris-Lyon) que par la seule exigence du trafic sur l'axe Rhin-Rhône.

De la même façon que l'autoroute A 39 a permis de désengorger l'autoroute A 6, nous sommes persuadés que, d'ici dix ou quinze ans, une décision de doublement de la ligne actuelle Lyon-Paris sera nécessaire, avec un tracé à peu près parallèle à celui de l'autoroute A 39. Il doit être parfaitement clair que nous avons la même position que les Jurassiens en ce qui concerne le projet Rhin-Rhône dans son ensemble. En Franche-Comté, il n'y a pas de désaccord sur les demandes des Jurassiens.

M. le Rapporteur : Le problème, c'est le phasage.

M. Christian PROUST : Le problème est effectivement celui du phasage. Dès lors que l'on est d'accord sur l'organisation générale d'un projet, le phasage doit être la façon la plus efficace d'aboutir au résultat souhaité par tous. Il doit être déterminé par les conditions optimales de rentabilité des investissements. L'opération doit donc être phasée de façon pragmatique. Sur ce point, il y a un double débat : l'un concerne la première phase du TGV, l'autre la tranche. Le Gouvernement a décidé la mise en _uvre de la première phase du TGV, la liaison Dijon-Mulhouse, dont le coût se monte à 12 milliards. Une étude est réalisée pour diviser cette phase en deux tranches (la première pourrait être de neuf milliards) afin de réduire son impact sur les finances publiques, car il est clair que l'on ne pourra pas bénéficier d'une aide publique de plus de 3 à 4 milliards de francs. C'est pourquoi nous sommes envieux de l'Alsace, qui a bénéficié de concours financiers tout à fait considérables pour le TGV-Est. Nous ne comprenons pas pourquoi une région aussi riche que l'Alsace bénéficie d'un soutien national de près d'une dizaine de milliards de francs, alors que nos régions de Bourgogne et de Franche-Comté, en difficulté, ne pourront bénéficier au maximum que d'une aide de 3 à 4 milliards de francs dans le cadre du phasage Rhin-Rhône. Je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'ils seront obtenus.

Nous devons passer à une phase de travaux dont le coût est de 9 milliards. Un grand débat agite la Franche-Comté, entre les tronçons d'Auxonne-Petit Croix ou de Besançon-Mulhouse. Personnellement, je n'ai pas d'autre souci que la réalisation de l'ensemble du projet. La position du Territoire de Belfort est de soutenir l'option la plus rentable pour l'État, la SNCF, et les finances publiques en général ; c'est le plus raisonnable. Nous ne disposons pas encore de données chiffrées, mais un comité de pilotage doit se tenir en juin. Des estimations commencent à circuler ; de ce point de vue le tronçon d'Auxonne-Petit Croix semble être de loin plus rentable que l'autre tracé ; cela permettrait de bénéficier de l'ensemble des trafics.

On présente rarement le choix fait comme celui de l'ensemble des Gouvernements qui se sont succédé : le choix de Dijon-Mulhouse est antérieur à 1993, et quatre Gouvernements successifs ont pris des décisions pour le valider. A l'évidence, si on ne veut pas réaliser l'ensemble du tracé à 25 milliards de francs, c'est-à-dire à la fois les branches sud et nord, on est obligé de passer par Dijon. L'intérêt est alors d'y arriver le plus vite possible et de faire en sorte que le choix du phasage et des tranches soit cohérent avec cette destination.

M. André SCHNEIDER : Je pense que tous les chiffres nous seront précisés clairement dans quinze jours. Pour l'instant, le TGV-Est (dont le financement est réglé) n'a pas atteint l'Alsace, et pourtant elle paie déjà un lourd tribut.

Concernant les chiffres, je ne connais pas très bien le dossier. Je ne suis ni conseiller régional ni conseiller général, je suis contre le cumul. Il est clair que nous n'avons pas exactement la même vision du dossier.

M. le Rapporteur : Comme nous n'avons pas la même vision que M. Proust.

M. le Président : Il faut cesser d'agresser l'Alsace.

M. Christian PROUST : Je dis exactement ce que je pense : l'Alsace a bénéficié de décisions extrêmement favorables, alors que c'est une région française riche ; son taux de chômage est bas.

M. André SCHNEIDER : Parce qu'on y travaille !

M. Christian PROUST : Parce que vous avez un formidable groupe de pression, dont je salue l'efficacité.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Ce que vous avez dit sur le TGV ne me surprend pas, c'est une position que vous avez toujours défendue jusqu'à présent, en tant que président du conseil général ou conseiller régional.

J'aimerais revenir sur une problématique plus générale que celle du TGV. On voit bien que le problème de la Franche-Comté, située entre le Rhin et le Rhône, est l'organisation d'une logique de déplacements permettant un lien solide entre ces deux axes. C'est bien la problématique propre à la Franche-Comté : il y a eu le débat sur le grand canal, et maintenant le débat sur le TGV. Certes, il peut constituer un vrai lien et contribuer au développement de la Franche-Comté, mais il peut également provoquer des phénomènes de fuite hors de cette région. Dès lors que le TGV sera mis en place, notamment pour les étudiants et les universités (mais pas seulement), il peut favoriser des fuites, vers Strasbourg par exemple. L'enjeu de la Franche-Comté est certes la réalisation d'une bonne liaison entre le Rhin et le Rhône, mais aussi la nécessité (vous y avez largement fait allusion) de la mise en place de pôles d'agglomération solides et de pôles carrefours.

Ma question est simple : pour le président du conseil général du territoire de Belfort, quels sont les carrefours essentiels pour maintenir la cohérence et favoriser le développement de la Franche-Comté ? Quelles sont les conditions obligatoires pour que des carrefours solides se mettent en place ?

M. Christian PROUST : Pour moi, la réponse est claire : les grands carrefours européens sont en dehors de la Franche-Comté, et c'est l'un de nos problèmes.

Deux grands carrefours se situent en dehors de la Franche-Comté. Il s'agit du carrefour de Mulhouse-Bâle et de celui de Dijon. C'est la réalité géographique : quand on regarde la carte des grands trafics routiers ferroviaires au niveau européen, Dijon bénéficie effectivement d'un trafic tout à fait considérable, descendant de l'Allemagne via Metz et Nancy, et se raccordant à Lyon. Il suffit d'étudier les cartes du plan régional pour le constater.

C'est évidemment un inconvénient pour nous. C'est pour cela, à mon sens, que la Franche-Comté doit s'organiser selon une connexion étroite entre Besançon-Dijon et Belfort-Montbéliard-Mulhouse. Je suis partisan d'une coopération avec l'Alsace. Il est de l'intérêt de Strasbourg de renforcer sa relation avec le sud. Le tracé du TGV-Est est réglé, félicitations ! Nous pouvons nous battre ensemble pour le TGV Rhin-Rhône.

Concernant les problèmes de positionnement sur les grands axes, je ne pense pas qu'on puisse défendre les idées d'une seule région. Il y a une communauté d'intérêt entre l'Alsace, la Franche-Comté, la Bourgogne et Rhône-Alpes. La desserte du Jura et de l'Ain, et le grand contournement est de Lyon appartiennent à une même problématique d'ensemble. C'est d'ailleurs pour cela que nous sommes obligés de phaser : s'il n'y avait pas cette dimension interrégionale, si seul le Jura avait été concerné, ce problème aurait pu être réglé financièrement. Or le problème concerne le Jura, l'Ain et le contournement de Lyon ; c'est un ensemble. Je crois profondément qu'à ce niveau, il faut sortir d'un débat purement régional et mener une réflexion commune sur toute cette façade de l'est de la France. Le Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Rhône-Alpes, Franche-Comté, Bourgogne et Alsace, ont un intérêt majeur à construire un grand itinéraire de transport sur l'ensemble de la façade est. Il constituera un élément décisif de notre compétitivité dans les quinze à vingt prochaines années.

Le dernier point concerne la Franche-Comté elle-même. Il n'y a pas d'agglomération sans un écartèlement ou une rencontre d'axes. Il faut essayer de renforcer nos axes RN 19 et RN 57 ; je partage la préoccupation des Bisontins. Je pense qu'il serait plus raisonnable de les concevoir comme des moyens de raccordement de nos agglomérations au réseau autoroutier, pour leur permettre de bénéficier de bonnes conditions de circulation, en restant dans des problématiques intermodales, et en essayant de conjuguer l'ensemble des modalités de transports. Sur la RN 19, circulent 10 ou 11 000 véhicules/jour en dehors du trafic d'agglomération ; les chiffres sont presque identiques pour la RN 57. Ce ne sont pas de grands axes européens ; ce ne sera jamais le cas. Ce sont des aménagements du territoire ; il vaut mieux être réaliste à cet égard.

M. Joseph PARRENIN : Concernant le problème de la recherche, je crois qu'on peut partager ce point de vue. Récemment, j'étais dans une entreprise du groupe PSA qui se plaignait (dans sa recherche pour les pots catalytiques) d'avoir peu de possibilités de recours à la recherche universitaire. Cela a lieu à proximité de Montbéliard. C'est pourtant un sujet très important ; on parle beaucoup de pollution de l'air.

Concernant les villes, on parle de Besançon-Dijon et de Belfort-Montbéliard-Mulhouse. N'est-ce pas plutôt un réseau complet entre Strasbourg et Lyon qu'il faut établir ? Il ne faut pas reproduire les fractures.

Concernant le TGV, j'aimerais entendre l'avis de M. Proust. On travaille à long terme. Au début de la mission, M. Bonnafous nous a dit que, selon les études, après quinze ans de croissance entre 2 et 3 %, le couloir serait complètement bloqué avec les moyens dont on dispose. Ne doit-on pas être plus pertinents les uns et les autres (y compris au sein de cette mission), et dire que cela ne se fera pas dans trente ans, qu'il faut aller plus vite que cela ? Non pas pour donner satisfaction aux Jurassiens, mais parce que le besoin s'en fera ressentir. J'en discutais encore avec quelques personnes en préfecture il y a peu ; il sera même inutile de demander la réalisation de la branche sud : elle s'imposera. Dans dix ans, il n'y aura pas d'autre choix. Ne faut-il pas d'ores et déjà faire de ce couloir une priorité nationale ?

M. Christian PROUST : Je vais d'abord répondre à la dernière question. Si on est persuadé qu'il est inutile de la demander et qu'on aura la branche sud sans se battre, il serait absurde de conditionner notre accord sur la branche nord par un accord immédiat sur la branche sud. C'est ce qui est train de se passer ; le drame est qu'actuellement une partie de la Franche-Comté prend en otage l'autre partie, dans une bataille au niveau national. La situation est la suivante : le travail incessant de retardement du dossier est évident, tout cela pour obtenir des garanties dont on n'a pas besoin (j'en suis persuadé). En effet, il serait absurde de réaliser ce projet immédiatement : les trafics sont insuffisants pour cela.

Au mieux, nous aurons notre TGV en 2007 ou 2008. Dix ans après, viendra le TGV sud ; 2020 n'est pas une perspective déraisonnable. Si sa réalisation intervient avant, ce sera très bien pour tout le monde, mais on connaît l'inertie des projets. Ce dont nous sommes sûrs, c'est qu'on ne peut pas tout faire en même temps, et qu'il faudra donc passer par Dijon pour assurer notre desserte avec le Sud. Ces deux points nous paraissent tout à fait évidents.

Concernant les agglomérations, le problème de la Franche-Comté est aussi celui du sud de l'Alsace (peut-être moins fortement) : nous sommes une grande région industrielle avec un très faible développement tertiaire. La fuite d'un certain nombre de centres de décision tertiaires menace à la fois Belfort-Montbéliard et Besançon ; dans les vingt à trente prochaines années, ce qui ce qui s'est passé dans l'industrie, dans la recherche de gains de compétitivité, se produira dans le tertiaire. Pour toutes les capitales régionales, les enjeux seront très lourds.

C'est le problème de Besançon ; les agglomérations de 100 ou 150 000 habitants sont dans une position de fragilité car le repositionnement des centres de décision et d'organisation se fera selon une logique d'agglomérations plus puissantes. Il est tout à fait dans l'intérêt de Besançon comme dans celui de Dijon, de Belfort-Montbéliard comme de Mulhouse, d'entrer en relation. Cela est difficile pour les Francs-comtois : Belfort-Montbéliard est moins important que Mulhouse, et Besançon moins important que Dijon. Il est pourtant indispensable d'organiser la répartition de nos fonctions à cette échelle.

Ensuite, bien entendu, pourquoi ne pas concevoir que cette mise en relation s'étende à un réseau de villes allant de Strasbourg à Marseille ? Mais cela ne nécessitera pas les mêmes arbitrages et les mêmes relations. L'enjeu consiste à assurer le dynamisme de l'économie de l'ensemble des régions traversées. C'est l'intérêt commun de l'ensemble des agglomérations. Il s'agit moins d'arbitrage que de coopération pour le développement économique.

M. André VAUCHEZ : Notre ami Christian Proust est conscient que nous sommes dans un corridor. Il faut effectivement donner une vie à ce corridor, soit en créant des carrefours (qui existent déjà de par l'histoire, et que la technologie des siècles passés a institués), soit en le dynamisant (ce peut être un complément). C'est le problème de tout ce qui touche aux agglomérations et au développement de la recherche.

En simplifiant, la Franche-Comté est écartelée. L'objectif n'est pas de recréer des régions aux frontières extrêmement fermées ; au contraire, nous sommes conscients qu'il faut un réseau, déjà à l'intérieur de notre région (Alsace, du nord de Rhône Alpes au sud), et qu'il faut travailler avec les autres régions. Il convient néanmoins d'éviter un morcellement de la région. Nous l'avons ressenti pour l'enseignement, l'éducation et la formation (et je parle au nom des Jurassiens que je connais un peu mieux), mais également en ce qui concerne des projets d'avenir. Nos situations respectives, dictées par la géographie et le relief, sont telles que la branche sud du TGV dont parlait M. Parrenin, s'impose. Il est inconcevable qu'aucune infrastructure dédiée aux voyageurs n'existe entre Strasbourg et Lyon.

Par contre, une desserte sur Paris et sur la Suisse est nécessaire pour le Nord. Je ne connais pas bien le sujet pour ce secteur ; je le connais mieux pour la région de Dijon, du Nord-Jura et du Sud-Jura. Il est évident que nous avons tout à y gagner.

Nous avons intérêt à mener une réflexion commune. J'ai relevé quelques uns de vos propos. Il est évident que toutes les suggestions sont à prendre en compte. En tant qu'acteur sur le terrain du Jura, je tiens à dire que nous n'avons aucune agressivité - même verbale - vis-à-vis du nord de la Franche-Comté ; au contraire, nous ne concevons pas de rester à l'écart de Paris (à presque quatre heures de train). Par contre, il convient de faire la part entre grands et petits problèmes. Un petit problème est actuellement monté en épingle et pourrait effectivement, à terme, retarder le projet Rhin-Rhône. Il s'agit de celui que vous avez évoqué entre Mulhouse et Dijon. Ce petit problème a de grands effets en ce qui concerne l'économie et la branche sud. Il faut relire le rapport de M. Sivardière. Il montre que si l'on fait le phasage en deux tranches (Besançon dans un premier temps, puis Dijon), trois possibilités s'offrent pour aller dans le sud. La première, que vous évoquiez tout à l'heure, est proche du Revermont ; la seconde serait éventuellement dans la région d'Auxonne ou Haute-Saône et la troisième, au pire (il ne faut pas l'exclure) serait un carrefour au niveau de Dijon, déjà recréé au niveau des autoroutes, et qui risque maintenant de l'être au niveau des voies ferrées.

Concernant le fret, il faut être clair : les gestionnaire de la SNCF et de Réseau Ferré de France nous ont montré des diagrammes incroyables. Le fret nord-sud à destination de Strasbourg et Mulhouse passe par Dijon : c'est l'axe Lyon-Dijon. Le volume du trafic est incroyable. Si on demande quelle est la ligne la plus directe entre Strasbourg, Mulhouse, Besançon et Lyon, on nous désigne une petite ligne. La situation est insupportable : c'est celle d'un n_ud ferroviaire à Dijon, avec des marchandises montant par la Lorraine, peut-être en direction de la Sarre, et redescendant jusqu'à Mulhouse. Nous devons en être conscients. On ne peut plus supporter cela. Je crois qu'il faut revitaliser notre axe, recréer une dynamique pour accélérer l'agrandissement, le confortement de nos carrefours. Le fret est très important.

M. Christian PROUST : Nous soutenons toutes les revendications des Jurassiens. Le seul point de désaccord avec les Jurassiens concerne le passage du TGV à Dole même.

Ce que vous venez d'évoquer quant au problème des lignes de fret montre bien le n_ud du désaccord. Nous ne sommes plus dans une société où les infrastructures commandent à elle seules les trafics. Ce sont les services organisés autour de ces infrastructures qui commandent les pratiques. Si la SNCF utilise une ligne plus qu'une autre, c'est qu'elle y trouve son avantage. On ne peut pas imaginer que ce soit pour ennuyer les Jurassiens ou les Francs-comtois !

Au nord de la Franche-Comté, la desserte TGV a été organisée en créant une gare entre Belfort et Montbéliard. Cela ne nous pose aucun problème si les gares TGV sont des gares d'agglomération, qui ne sont pas situées au centre de chaque ville moyenne desservie par le TGV. Autant nous soutenons l'idée que la capitale régionale (c'est une grande agglomération) doit avoir des TGV partant de la gare centre, autant nous considérons que chaque agglomération doit avoir, quant à elle, une gare permettant une desserte facile de l'ensemble de l'agglomération du TGV. Si l'on croit au TGV, on ne peut pas souhaiter faire passer dans l'ensemble de nos villes 60, 70 ou 80 trains par jour à une vitesse de 250 ou 300 km/heure. Cela est inconcevable !

M. le Rapporteur : Le maximum prévu est de douze trains.

M. Christian PROUST : Douze trains, parce que nous sommes au début de l'opération ! On ne peut imaginer qu'à terme on construise une infrastructure de ce type en souhaitant rester à 10 trains par jour. Chacun est conscient de l'intérêt qu'il y a à développer le trafic. On crée une infrastructure d'un type complètement nouveau, avec des prestations nouvelles. Ce sont des lignes aériennes au sol ; c'est la grande vitesse ; les gains de temps sont considérables. Il faut optimiser la relation avec ce service dans des conditions nouvelles, en dehors des grandes capitales comme Paris, Marseille ou Lyon. A Lyon, on voit bien qu'une desserte s'organisera progressivement en dehors de l'agglomération, car tout le monde en aura besoin.

M. Joseph TYRODE : Je pars du principe suivant : le grand canal avait l'avantage de relier le nord et le sud de façon naturelle. Ce projet n'a pas été adopté pour différentes raisons : l'écologie, son non-fonctionnement dans une structure industrielle très rapide... Il est intéressant de réfléchir à un grand axe allant du nord au sud ; c'est l'une des préoccupations que nous devons avoir aujourd'hui.

Il faut, parallèlement, prendre en compte la ligne Besançon-sud, à laquelle manque un maillon, à savoir le viaduc de Myon. Si, en se déportant un peu à l'est, cette infrastructure rapide était mise en place, elle devrait être pensée davantage selon une problématique de fret que selon une problématique de voyageurs. Ces infrastructures peuvent être concomitantes, mais le fret et les voyageurs correspondent à deux problématiques totalement différentes. Sur cet axe Rhin-Rhône, nous devons aussi nous préoccuper de nos voisins allemands, en dehors de l'Alsace. J'emploierai la notion de pays dans le cadre suivant : tout ce qui concerne la frontière, étant entendu qu'elle vise l'Allemagne, la Suisse et l'Italie. Les liaisons que l'on pourrait avoir avec ces différents pays ne pourront être instaurées de façon cohérente que si, de notre côté, nous avons un axe fort nous permettant d'aller un peu plus loin.

J'ajoute que je suis tout à fait d'accord avec Mme Guinchard-Kunstler. Si nous n'avons pas une dimension suffisamment grande, nous risquons de faire face à des phénomènes de fuites. En effet, des liaisons très rapides desserviront la périphérie de la Franche-Comté, et nous perdrons un certain poids. Il faut créer un véritable axe nord/sud, et non se disperser, d'un côté comme de l'autre.

M. Christian PROUST : Lors du colloque de Mulhouse, le directeur national du fret de la SNCF avait souligné que des itinéraires devaient être dédiés au fret, que c'était dans la souplesse et la flexibilité de l'offre aux logisticiens que résidait la capacité de la SNCF à développer une activité fret importante. De ce point de vue, le fait de ne pas passer par Dole est un élément important du schéma, car la ligne actuelle, à hauteur de Besançon ou de Dole, doit aussi servir de ligne de fret.

M. André VAUCHEZ : De quel fret s'agit-il ?

M. Christian PROUST : Nous souhaitons (et c'est l'un des éléments importants de notre position) qu'une ligne nouvelle soit créée sur l'ensemble du tracé, afin d'avoir une stratégie de ligne nouvelle de Dijon à Mulhouse ; c'est aussi le choix des différents Gouvernements.

M. André VAUCHEZ : Et en ce qui concerne Aisy-Dijon ?

M. Christian PROUST : Je le répète : nous sommes d'accord avec toutes les revendications des Jurassiens à l'exception d'une seule, à savoir l'utilisation de la ligne actuelle...

M. le Rapporteur : Aisy-Dijon, c'est vingt minutes.

M. Christian PROUST : Je suis d'accord ; cette ligne constitue un gain pour tout le monde, pour les Jurassiens, pour le Nord, pour l'Alsace...

M. le Rapporteur : Pour la France entière.

M. Christian PROUST : Nous sommes tout à fait d'accord pour Aisy-Dijon ; ce n'est pas un problème pour les Chalonnais.

M. André SCHNEIDER : Je voudrais faire une petite observation sémantique. Nous travaillons dans une mission Rhin-Rhône. Parfois on dit qu'il ne faut pas perdre le Nord, mais ici tâchons de ne pas perdre le Rhin ! André Vauchez, dans sa grande sagesse, a signalé que son département, par la voie ferroviaire, était à quatre heures de Paris (comme Strasbourg-Paris) ; il est tout à fait normal de souhaiter que ce temps soit réduit.

Par ailleurs, s'il y a effectivement un axe Bâle-Belfort (que je ne condamne pas), c'est parce que, comme beaucoup d'Allemands, nous n'avons pas de descente autoroutière convenable à partir de Strasbourg. Il faut donc effectuer le trajet de l'autre côté ; on rentre souvent par Bâle. En continuant ainsi, nous pouvons aussi traverser la Suisse, aller directement vers l'Italie et ignorer totalement le reste du couloir, comme lui, souvent, nous ignore.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : On peut se demander pourquoi le fret va passer dans les villes- c'est la solution proposée - alors que les voyageurs seraient obligés de se rendre à l'extérieur. Ce sera l'une des complications et des contradictions très fortes.

Seconde remarque : dans le débat sur le TGV, pour l'ensemble de la vraie liaison Rhin-Rhône, tout l'enjeu réside dans la qualité de la relation entre la ligne nouvelle et la gare Viotte de Besançon. C'est là que réside la solution. Les études menées jusqu'à présent ne tiennent pas suffisamment compte de la qualité de cette relation. Elle ne s'oppose pas forcément aux demandes émanant du nord, mais peut être une véritable solution à l'ensemble de la problématique régionale et interrégionale. Je souhaite que nous allions beaucoup plus loin dans la qualité de la relation entre la ligne nouvelle et la gare Viotte. C'est un élément essentiel pour la mission ; et qui permet de bien comprendre la problématique de l'adossement de l'ensemble de notre secteur au développement du Rhin, du Rhône et de la liaison.

Ma troisième remarque concerne la logique des agglomérations. Je suis tout à fait d'accord : des réseaux avec des villes trop éloignées sont inutiles. C'est au contraire un vrai travail de qualité, entre villes très proches, qui est nécessaire. C'est par exemple le cas entre Lyon d'un côté et Strasbourg de l'autre. Ce travail n'a jamais été réellement fait. Il ne faudrait pas oublier non plus la Suisse, en particulier Lausanne. Il existe un lien très fort entre Dijon, Besançon et Lausanne, en particulier dans les domaines universitaire et culturel. Depuis plusieurs années, le secteur universitaire a su nouer des liens avec l'École Polytechnique de Lausanne et la faculté de sciences ; un travail très important a été réalisé. Mais dans le domaine culturel, certaines relations, qui avaient un bon potentiel, n'ont pas été suffisamment soutenues par le conseil régional entre Dijon, Besançon et Lausanne. Je souhaite que la mission le reconnaisse et l'entende.

M. le Rapporteur : On ne va pas répéter le grand débat comtois entre nous, je ne voudrais pas ennuyer nos collègues alsaciens ou de Bourg-en-Bresse.

La qualité de la desserte de Besançon est primordiale ; pour nous c'est une condition tout à fait indispensable. A tel point qu'hier j'ai posé la question à M. Jean-Claude Gayssot ; son service de presse nous communiquera certainement la réponse prochainement. On ne pourra pas accepter, quelle que soit la solution choisie, que la capitale régionale soit à l'écart et qu'il n'y ait plus de desserte de qualité. Personnellement, je ne crois pas vraiment aux gares betteraves, car nous avons actuellement dans notre pays des exemples (à Montchanin ou ailleurs) de gares de ce type qui ne fonctionnent pas. Pour répondre à la pertinente question de Mme Guinchard-Kunstler, nous avons besoin de gares TGV à l'intérieur des villes.

Nous rediscuterons du tracé, mais nous n'accepterons pas que Besançon ne soit plus desservi directement par le TGV. J'ai noté qu'un accord existait sur la liaison Dijon-Aisy. Il s'agit d'une mission Rhin-Rhône. Le TGV Rhin-Rhône passera par Dijon ; la liaison par le Rhône sera difficile, parce que l'axe Dijon-Lyon est très encombré à l'heure actuelle ; descendre sur la Méditerranée sera très compliqué.

On en a beaucoup parlé, entre autres à Lyon : actuellement, les Francs-comtois ont besoin d'un axe Rhin-Rhône économiquement fort. Cet axe est actuellement encombré. Le risque est que dans quelques années (comme cela a été dit aussi à Marseille) un autre axe se développe : l'axe Lombardie-Allemagne, quand les Suisses auront ouvert les tunnels du Loschberg et du Saint-Gothard. Cet axe sera alors parallèle au nôtre.

La décision de créer cet axe a été prise, et sa réalisation sera rapide, d'une durée d'environ dix ans. Le risque est que l'axe Rhin-Rhône, actuellement encombré et vital pour nous économiquement, soit déserté lorsque la Lombardie sera opérationnelle. D'où la nécessité de créer une véritable dynamique Rhin-Rhône entre les régions Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Rhône-Alpes, Franche-Comté, Bourgogne et Alsace. Cette dynamique est indispensable ; nous en avons tous besoin.

M. le Président : Cette solidarité est en train de naître. Elle suscite un intérêt nouveau, on l'a senti à Lyon. A la suite des décisions prises par les parlementaires suisses concernant un axe Lombardie-Allemagne, duquel la région lyonnaise est également à l'écart, et avec les problèmes du tunnel du Mont-Blanc, une réelle préoccupation émerge.

M. Christian PROUST : Tout le monde s'accorde sur l'idée d'une compétition entre les grands couloirs européens. Il est frappant de constater qu'une fois cette volonté affirmée, chacun prend en otage le projet pour obtenir, parce qu'il n'a pas confiance en l'avenir de son territoire, telle ou telle garantie, tel ou tel aménagement, en pensant que la réalisation de cette grande infrastructure pourrait compromettre la qualité de sa desserte.

Je suis frappé que le député de Besançon exige que sa ville ne perde pas de qualité de service. C'est tout à fait normal, mais ce qui me surprend, c'est qu'il puisse craindre une telle chose ! Il est évident que la réalisation de cette grande infrastructure apportera, quelles que soient les conditions de sa réalisation, une amélioration considérable dans les relations entre Besançon et Strasbourg, par exemple. Actuellement, ces relations sont d'une extraordinaire médiocrité : il est invraisemblable qu'il faille trois ou quatre heures de train ! Entre Belfort et Besançon, les trains mettent 1 heure 20, voire une heure et demie... Il n'y a aucun risque de dégrader la desserte de Besançon par la réalisation du TGV Rhin-Rhône.

M. le Rapporteur : Je n'ai pas dit cela ; j'ai parlé de la nécessité d'une bonne desserte par la gare Viotte. Que l'on parte de Besançon-sud ou de Besançon-Viotte pour aller à Mulhouse, quel que soit le tracé retenu, il est évident qu'il y aura gain.

M. Christian PROUST : C'est cet écart que je voulais souligner, et que l'on ressent un peu à Besançon. Il y a un écart entre la prise de conscience d'un intérêt national qu'il y a à se placer sur un grand axe européen, et la volonté d'en aborder les conditions de réalisation. J'adhère à l'idée de desservir Besançon par la gare Viotte pour la relation avec Paris.

Il se peut que le coût du projet (un milliard de francs), compromette sa réalisation. Je signale à la mission que les demandes, suivant leur orientation, risquent de compromettre le projet. Le Gouvernement français ne mettra pas un milliard de francs sur Besançon !

M. le Rapporteur : Pourquoi pas ?

M. Christian PROUST : Aucun Gouvernement ne le fera, vous le savez bien.

M. Joseph PARRENIN : Je souhaiterais que, dans le cadre de la mission, on vérifie auprès des grandes villes l'évolution du temps d'accès aux gares.

M. André VAUCHEZ : Pour les Alpes ?

M. Joseph PARRENIN : Pour toutes les villes. Si je viens à la gare à six heures le matin, je mets déjà cinquante minutes depuis chez moi. Mes enfants ont déjà manqué une ou deux fois le train de 18 heures 24 le dimanche, en partant une heure et demie avant, parce qu'on ne peut plus accéder à la gare. C'est de la haute démagogie de dire qu'on va desservir le centre de Besançon. Il ne faut pas confondre les villes où il existe des trafics souterrains (comme à Paris) et où les gares peuvent être situées dans le centre, et les villes dépourvues de trafic souterrain, pour lesquelles il faudra créer des accès.

M. le Rapporteur : Dijon suit la même logique. Pourquoi ce qui serait bon pour Dijon et Mulhouse ne serait pas bon pour Besançon ?

M. Christian PROUST : Si l'on voulait faire un contournement de l'agglomération de Dijon, la dépense serait considérable : trois à quatre milliards de francs. Alors qu'on n'a pas besoin de contourner Besançon, puisqu'on passe à côté ; il est inutile de créer une ligne express. C'est la dynamique même de la ligne qui fait qu'elle contourne l'agglomération de Besançon. Dans l'accord passé au niveau régional, les Haut-saonois n'ont donné leur accord au projet de TGV Rhin-Rhône qu'à la condition d'avoir une gare accessible dans de bonnes conditions. La DDE locale a mené une étude sur Besançon, qui souligne que la gare d'Ouxon serait accessible en un quart d'heure pour 75 % de la population.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Il ne faut pas se limiter à la problématique interne à Besançon. J'insiste sur la qualité de la relation entre la ligne nouvelle et la gare Viotte. Besançon ne pourra être relié qu'à Paris depuis la gare Viotte. Si un autre choix est fait, la ville pourra être reliée y compris à Strasbourg. Les conséquences seront différentes, en particulier pour Lons-le-Saunier, Bourg-en-Bresse et Lyon.

C'est un point important, pour Strasbourg autant que pour Bourg-en-Bresse. Si la liaison entre la ligne nouvelle et la gare Viotte est réalisée selon ces modalités, la liaison ne sera correcte qu'avec Paris, et pas Bourg-en-Bresse ou Strasbourg.

M. Christian PROUST : Bourg-en-Bresse également.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Oui, par le sud, mais pas par Lons-le-Saunier.

L'autre problème, c'est la liaison entre Besançon et Strasbourg qui ne serait pas correcte.

M. le Rapporteur : La plate-forme TER est à Besançon.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : C'est vraiment l'enjeu qu'il faut avoir à l'esprit. Le choix de la qualité est primordial.

M. Christian PROUST : La ligne ancienne permettra de rejoindre Bourg-en-Bresse.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Non, compte-tenu du système actuel.

M. Christian PROUST : Pourquoi mettre le TGV sur la ligne ancienne ?

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Cela permettrait de relier Lons-le Saunier et Bourg-en-Bresse sur une ou deux liaisons mensuelles. Pourquoi pas ?

M. Christian PROUST : C'est nouveau : faire passer le TGV sur 250 km de voies traditionnelles, c'est original ! Ces villes seraient desservies par un TGV roulant à 90 km/h.

M. André GODIN : Nous venons de recevoir un rapport du conseil économique et social régional concernant nos régions (Bourgogne, Franche-Comté, Provence-Alpes-Côte-d'Azur et Rhône-Alpes) et contenant un certain nombre d'informations. Ce rapport est récent ; nous l'avons reçu le 29 avril. Nous allons vous le transmettre.

L'axe Strasbourg-Lyon, puis vers Barcelone, donne lieu à un consensus. Aussi bien à Strasbourg qu'en Rhône-Alpes, nous n'avons pas correctement apprécié la dimension européenne. Il est manifeste que cet axe aurait dû être prioritaire à tous points de vue (voyageurs et fret). Aujourd'hui, du fait des difficultés financières, il faudra attendre.

La situation créée par la fermeture du Mont-Blanc va certainement nous obliger à réfléchir autrement. Une grève aura probablement lieu dans le tunnel de Fréjus, car les transporteurs ne supportent plus ces attentes. C'est le cas en amont pour tenter de disperser le fret. Cela sera aussi un élément de notre réflexion.

M. le Président : Merci d'avoir été aussi complet, Monsieur Proust.

Audition de MM. Robert SCHWINT, Maire de Besançon,

Jacques VUILLEMIN, Daniel ANTONY, Gérard BOICHON et Michel LOYAT, Adjoints au maire de Besançon,

et de membres du district du grand Besançon

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 1999 à Besançon)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. Robert SCHWINT : Mesdames et messieurs, je suis heureux de vous accueillir.

M. le Président : Des éléments divers nourrissent notre réflexion. Ce qui s'est produit sous le tunnel du Mont Blanc n'est pas dénué de lien avec les réflexions que nous devons conduire maintenant sur les percées alpines ou sur nos relations avec l'Italie. Nous connaissons les décisions prises par nos voisins suisses pour le passage direct de l'Italie du Nord à l'Allemagne. On pressent bien le poids de Berlin dans l'avenir, et celui de l'axe entre cette partie de l'Allemagne, devenue centrale d'un point de vue européen, et l'Asie. Le futur rôle de Trieste doit également être pris en compte. Nous ne voulons pas être à la marge de ces grands axes de développement. Entre la vieille tendance centralisatrice concentrant autour de Paris tous les grands réseaux de communication, et l'orientation croissante des flux vers l'Est et le centre de l'Europe, nous devons imposer notre façon de voir, sinon il ne s'agira plus de tourner la page du canal, mais celle de notre avenir commun.

Nous avons auditionné des personnalités du monde économique, des responsables des transports, des élus ; nous nous sommes déplacés à Marseille, Lyon, Besançon. Nous serons dans quelques semaines à Strasbourg et Mulhouse. Naturellement, on évoque des problèmes d'équipement d'intérêt régional - c'est bien légitime - mais à travers les travaux que nous conduisons, il est également intéressant de noter l'émergence d'une prise de conscience de notre intérêt commun à défendre ce grand axe de développement européen, donc national - et pour nous interrégional - que constitue l'axe Rhin-Rhône.

Préalablement à la remise à l'Assemblée nationale d'un rapport à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet - rapport qui fera l'objet d'un débat - nous nous proposons d'insister sur ce qui doit être réalisé en matière de TGV, de fret, de ferroutage, de routes et d'autoroutes. Nous sentons bien que si nous n'élevons pas la voix très fort, nous risquons de ne pas être entendus. Nous n'envisageons pas de compensation aux conséquences de l'abandon du projet de grand canal ; ce serait une formulation stupide. Si nous travaillons ensemble, de l'Alsace à la Provence, sur les deux ou trois points essentiels qui nous paraissent en effet indispensables au développement commun de nos régions, et si nous parvenons à faire entendre cette voix commune, cela ne manquera pas d'impressionner l'opinion publique et la représentation nationale, voire le Gouvernement. Voilà la raison de cette mission.

Depuis mon arrivée, je suis sous le charme de Besançon. Jusqu'ici, Arles était pour moi la plus belle ville du monde ; tout cela est remis en question. Dans cette région, le patriotisme est formidable ; connaissant l'histoire de la Franche-Comté, je ne m'en étonne guère et cela fait chaud au c_ur. Il est agréable de ressentir cette chaleur, surtout quand elle n'est pas xénophobe, et de voir que l'on accueille volontiers un Provençal ici.

M. le Rapporteur : La mission d'information commune porte sur les perspectives économiques et sociales d'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône ; sa dénomination permettait d'intégrer en son sein des membres de diverses commissions et résume bien son objet. Je ne reviendrai pas sur ce qu'a fort bien exprimé Michel Vauzelle. Il est toujours difficile de se trouver dans sa région : je connais en grande partie les réponses aux questions qui vous seront posées, puisque nous avons déjà évoqué ces sujets à de nombreuses reprises entre nous. Il est important de pouvoir les poser à nouveau de manière très formelle, afin qu'elles figurent dans le rapport que nous publierons fin juin ou début juillet. Par ailleurs, un colloque sera organisé à la rentrée à l'Assemblée nationale, en septembre ou en octobre.

Nous avons rencontré beaucoup de monde, de Marseille à Besançon, avant d'aller à Mulhouse et Strasbourg. Nous avons évoqué beaucoup de thèmes, comme le transport par voie d'eau ou le transport routier, avec l'information que chacun connaît, à savoir que si nous n'y prenons garde, d'ici cinq à dix ans l'ensemble des autoroutes seront saturées. Il faut donc trouver une alternative. Cette alternative n'étant pas la voie d'eau, c'est de voie ferrée qu'il s'agit, comme nous l'évoquions au travers notamment du ferroutage. Nous nous intéressons aussi au TGV - notamment le TGV Rhin-Rhône - mais également à la nécessité d'une dynamique sur l'axe Rhin-Rhône ; il faut trouver des projets fédérateurs entre la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Rhône-Alpes, la Bourgogne, la Franche-Comté, et l'Alsace.

Nous vous donnons donc la parole, afin que vous puissiez expliquer aux membres de la mission quelles sont les problématiques régionales, vos projets et vos interrogations. A titre d'exemples : après la disparition du projet de grand canal, quels retards estimez-vous nécessaire de combler ? Quelle est la position du district de Besançon en ce qui concerne ce TGV ? Comment envisagez-vous la reconversion du site du port fluvial ?... Voilà quelques unes des problématiques que nous aimerions vous voir développer.

Je rappellerai que cette mission entend « balayer large » et n'entre pas directement dans le prolongement de ce que l'on appelle l'avenir du territoire Saône-Rhin. Il faut bien distinguer le contrat de plan, le plan spécifique sur l'avenir du territoire Saône-Rhin et cette mission d'information commune, chargée de réfléchir beaucoup plus largement et de faire des propositions au Gouvernement au cours de cette année un peu particulière où nous allons préparer les contrats de plan État-régions. Il faudra que nous puissions, tous ensemble, parler suffisamment fort pour nous faire entendre. Au fur et à mesure des auditions, on s'aperçoit d'ailleurs qu'il existe des points d'intérêt commun et que les quatre ou cinq régions que j'ai citées ont tout intérêt à être unies pour dynamiser ce projet d'intérêt général - mais aussi national et européen - et pour lutter contre la concurrence des axes se mettant en place actuellement. Je veux parler notamment de l'axe Italie-Allemagne.

M. Robert SCHWINT : Au nom de la ville et du district, je voudrais signaler qu'un dossier a été remis à la mission, comportant la position du district et de la ville sur le développement du secteur Saône-Rhin. Vous y trouverez l'essentiel des réflexions du district et de la ville. Nous y avons ajouté la dernière lettre du district rappelant les grands axes de travail de ce dernier sur les quatre points suivants :

1 - la préservation des ressources en eau ;

2 - le développement durable de l'activité des territoires concernés ;

3 - l'organisation des transports des personnes, du fret, etc. ;

4 - la valorisation des ressources humaines sur le territoire concerné.

C'est la preuve que le district et la ville ont bien engagé une réflexion commune qui pourra vous être utile dans la préparation de votre rapport. A titre d'anecdote, il est rappelé ici ce qu'est le district du grand Besançon, en attendant le projet de M. Chevènement relatif à l'intercommunalité. Après cette introduction, je laisse la parole aux responsables de la ville, du conseil général, du district et de certaines communes.

M. Yves TARDIEU : En tant que maire d'une petite commune, je me sens en décalage avec votre présentation. Évidemment, nous nous rejoignons tous quant à la nécessité de liaisons entre Nord et Sud. Tout le monde en parle et nous sommes tous d'accord avec cela.

Représentant d'une petite commune, je suis également représentant de l'association des maires ruraux qui avait constitué un groupe de travail. Nous sommes situés sur le chaînon manquant du grand canal pour de nombreuses raisons que je ne vais pas rappeler. Quoi qu'il en soit, le projet de grand canal a été abandonné ; nous en sommes revenus au « petit canal ». Cette attente a conduit à des blocages divers et continuels pendant une vingtaine d'années. Toutes les actions de développement qui auraient pu être entreprises le long de la vallée du Doubs n'ont pas été réalisées. Va-t-on rattraper, dans le cadre d'un seul contrat de plan, le retard accumulé sur plus d'une vingtaine d'années ? Je ne le crois pas. Ce qui est proposé dans le contrat spécifique pourra-t-il permettre un démarrage ? Sûrement. Cela correspondra-t-il à un développement réel de la vallée ? Nous avons des doutes ; nous nous interrogeons. Le travail est considérable, et pas seulement d'un point de vue quantitatif ; la rapidité d'exécution est également indispensable.

Tout le long du Doubs est parsemé de ruines ; les bâtiments sont anciens. En vingt ans, ils sont devenus en voie de grave dégradation. Des exigences absolues existent donc dans ce domaine, notamment des exigences de sécurité. En outre, nous considérons que le chaînon manquant dans la vallée du Doubs est, en grande partie, le développement touristique. Si l'on se promène dans le secteur du Doubs directement concerné par la problématique du grand canal, la question qui se pose est essentiellement celle de la mise en valeur de cette vallée et des petites communes. Je ne dis pas que les grandes communes n'ont pas d'importance ; en tant que membre du district, j'aurais un problème ! Mais dans ce domaine, les petites communes sont complètement dépassées. Cette dimension doit absolument être prise en compte. Même si on parle d'intercommunalité, si on regroupe des petites communes sans ressources ou sans possibilités, il n'y a pas d'intercommunalité au sens de développement large de cette vallée. L'intercommunalité a ses limites.

Nous sommes en présence de problèmes d'envergure. Aux extrémités de l'axe Rhin-Rhône, se situent les grands centres et ces derniers ont une responsabilité par rapport aux petites communes. Seuls les grands centres bénéficient d'équipements, de bureaux techniques ; ce sont eux qui peuvent apporter une aide aux petites communes. En outre, se pose le problème des crédits alloués par les communes, à hauteur de 50 %, au financement des gros investissements. Cette charge financière est insupportable, tant pour les petites communes que pour les grandes. C'est un goulot d'étranglement évident ! Nous avons le sentiment que tout le travail accompli depuis plusieurs mois ne peut aboutir pour des raisons que nous ne dominons pas, que nous ne pouvons pas maîtriser.

M. Robert SCHWINT : Le rapport qui vous a été remis évoque la difficulté pour les petites communes de financer 50 % de gros investissements indispensables pour une même région ; le problème se pose également pour les grandes communes. Mais le district ne peut pas, lui non plus, supporter une telle charge financière. Il faut faire un certain nombre de réalisations. Les questions qui se posent sont : comment ? Qui les financera ? Le district et les grandes villes ne peuvent pas financer les équipements pour les petites communes, l'aide de l'État étant relativement faible.

M. le Rapporteur : Je tiens à préciser afin d'éviter tout malentendu que le rôle de cette commission parlementaire n'est pas de discuter dans le détail le plan sur l'avenir du territoire Saône-Rhin. Pour cela, des groupes de travail existent à la préfecture qui seront chargés de répartir les trois milliards de francs sur ce contrat de plan. Le rôle de cette mission est de mener une réflexion très large sur l'avenir du développement du territoire allant des Bouches-du-Rhône aux Bouches-du-Rhin.

M. Jean BOUSSET : Vous parliez de faire contre mauvaise fortune bon c_ur... Autant je me suis battu pour le grand canal, autant je me bats pour l'aménagement de la vallée du Doubs. Je suis situé en aval de Besançon ; j'ai les mêmes problèmes que M. Tardieu qui est en amont : comment financer l'aménagement des friches industrielles sur nos petites communes ? C'est un grave problème. Ce financement est impossible à hauteur de 50 % ; nos projets ne pourront donc être menés. Le point central et qui pose problème est celui du financement. Alors, monsieur le Président, faîtes entendre nos demandes afin que puisse se réaliser ce que nous réclamons depuis déjà une vingtaine d'années ! Mon deuxième souhait serait que notre vallée du Doubs qui est magnifique - cela a été une des causes d'avortement du grand canal - reste la vallée du Doubs et soit aménagée sans être bétonnée. On n'a rien sans rien. Le tourisme est une bonne chose, mais je doute de sa rentabilité. Ce contrat de plan doit permettre de renforcer notre économie et de mettre en _uvre l'aménagement de la vallée du Doubs.

M. Joseph PARRENIN : Vous traitez actuellement la problématique Saône-Rhin. Ce n'était pas l'objet de la réunion, mais il est bon d'apporter quelques précisions. Les services de l'État pourraient les apporter mieux que moi. Dans le document qui nous a été remis, les chiffres suivants sont mentionnés en ce qui concerne la répartition des crédits : 4 % pour les crédits européens, 15 % pour l'État, 10 % pour la région, 10 % pour le département... Il s'agit de moyennes de répartition. Nous ne sommes pas ici pour discuter de répartition de crédits. Il existe une enveloppe d'État, une enveloppe de région, une enveloppe de crédits européens, une enveloppe de l'agence de bassin. Toutes les politiques auront ces clés de financement. Une autre séance de travail doit être consacrée à des projets sur Saône-Rhin.

M. Robert SCHWINT : Il est intéressant que les maires soulignent leurs difficultés.

M. Yves TARDIEU : Sinon, nous traitons le problème à l'échelle de l'Europe, et nous n'intervenons plus.

M. le Président : Il est légitime que vous profitiez de l'occasion pour parler de ce problème.

M. Joseph PARRENIN : Je voulais insister sur le fait que ces clés de répartition du financement ne sont pas appliquées dossier par dossier. Elles correspondent à une moyenne, dont l'auteur m'est inconnu.

M. Michel LOYAT : Je voudrais évoquer de nouveau l'axe Saône-Rhin et souligner un malentendu. Les informations fournies par la préfecture, et plus précisément par le SGAR, nous ont induits en erreur dans la mesure où le thème traité a été celui de Saône-Rhin. Le document qui vous est fourni se situe dans cette optique, qu'il s'agisse des enjeux, des problèmes qui viennent d'être soulignés en termes de financement... Il fallait souligner ce malentendu, sans que cela nous empêche de traiter d'autres thèmes. C'est le sujet que nous avions préparé en réunion de district ou par écrit.

Deuxième remarque : les enjeux économiques peuvent paraître faiblement soulignés dans le document que nous vous avons remis, non pas parce qu'ils ne nous paraissent pas importants, mais pour tenir compte de la grille de financement. Nous avons ajusté les enjeux et les projets possibles à cette grille de financement. Nous avons vu que les projets les plus directement économiques n'étaient pas ceux qui pouvaient être les mieux financés. Nous avons davantage souligné les autres enjeux.

Voilà les deux remarques principales, surtout méthodologiques, que je voulais faire en ce qui concerne le document qui vous a été remis. Par exemple, nous n'y avons pas abordé la question du TGV. C'est pourtant pour nous un dossier très important, que ce soit dans le district ou dans le cadre des discussions en cours pour l'élaboration d'un schéma directeur. Bien des débats ont lieu dans l'agglomération !

M. Gérard BOICHON : Monsieur le président, concernant le périmètre de votre mission, c'est à dire l'axe Rhin-Rhône, je voudrais formuler deux remarques d'ordre général. La première concerne Marseille, et la problématique relative à ce pôle maritime en concurrence avec les ports italiens. Le chaînon de départ ou d'arrivée est un problème important à résoudre. La seconde ville que vous n'avez pas citée dans le cadre de vos visites est Lyon ; l'aire urbaine lyonnaise est incontournable. En ce qui concerne cette aire urbaine, située à seulement deux heures de voiture de Besançon, quels axes de développement votre mission envisage-t-elle ?

Pour en revenir à ce qui nous préoccupe, j'aurai trois points à mettre en évidence. Le premier concerne le partage des zones aidées. Sans argent, on ne fait pas grand-chose. Si nous voulons une dynamique commune sur l'axe Rhin-Rhône, une cohérence est nécessaire lors de la mise en place des zones aidées.

Le second point - qui me semble être incontournable - porte sur le développement du ferroutage. Dans le couloir rhodanien et dans le couloir de la vallée du Doubs, il ne peut être question, pour les années à venir, de trafic de marchandises sans évoquer le ferroutage. J'entends par là, bien sûr, les voies de ferroutage, mais aussi toutes les plates-formes, intermodales ou multimodales. Nous n'avons pas ce type d'équipements dans la vallée du Doubs.

Le dernier point touche au développement économique : il concerne la mise en valeur et la mise en circuit de ce que l'on appelle les systèmes productifs locaux (SPL). Lorsqu'il est question d'axe de transport, ils doivent être pris en compte dans une problématique économique, car chaque SPL a ses spécificités. Besançon fait partie du SPL microtechnique. On peut envisager, dans le cadre de l'axe Rhin-Rhône, un SPL unique avec des spécificités complémentaires.

M. le Président : Je répète ce que j'ai déclaré dans mon propos introductif. Nous sommes allés à Marseille et à Lyon ; nous avons rencontré MM. Gaudin et Guérini (président du conseil général), la chambre de commerce, toutes les personnalités du monde politique, économique et social. A Lyon, nous avons rencontré Mme Comparini, M. Barre, la chambre de commerce... Nous menons notre mission avec beaucoup de soin et d'attention. Le petit quiproquo de cette réunion tient au fait que nous ne sommes pas ici pour apprécier dans quelle mesure la région ou un secteur précis de cette région doivent être indemnisés par rapport à ce que vous devez encaisser ou décaisser pour ledit canal. Il s'agit de savoir comment vous réagissez sur un grand axe de développement qui nous concerne tous depuis la Provence jusqu'à l'Alsace, même si la représentation massive de la Franche-Comté dans cette délégation peut faire penser qu'une position prédomine. M. Godin et moi-même sommes venus renforcer les rangs des non Francs-Comtois. Il s'agit d'une problématique immense, européenne, concernant la place de notre pays dans l'aménagement du territoire européen. Il n'y a pas de petits maires ou de grands élus dans ce débat ; nous sommes tous concernés par ces questions.

Je vous ai écoutés avec respect et attention. Vous avez des problèmes d'ordre régional et local que vous réglez avec vos maires et vos parlementaires. Le président de Provence-Alpes-Côte-d'Azur n'a pas à intervenir dans ces questions, qui relèvent de votre compétence.

Qu'attendez-vous du TGV ? Est-il utile pour vous, même si vous n'êtes pas situés sur le parcours du TGV ou si la gare TGV n'est pas sur votre commune ? Quel tracé souhaitez-vous ? Où doit se situer la gare ? Qu'attendez-vous du ferroutage ? Comment envisagez-vous le développement de la relation routière avec le Sud, l'Alsace, et la Suisse ? De telles questions n'intéressent pas seulement le maire de Besançon - que je remercie encore pour son hospitalité - ou les parlementaires européens. C'est pourquoi nous sommes venus à Besançon interroger les personnalités que nous avons reçues depuis ce matin, le président du conseil général du Jura et le président du conseil général du territoire de Belfort ; nous rencontrerons ensuite le président de la chambre régionale de commerce. Toutes ces questions relèvent d'une solidarité interrégionale.

Les questions du TGV Rhin-Rhône, du commerce fluvial, des grands axes de communication, de l'attractivité touristique, de la pollution due aux poids lourds avec les problèmes d'environnement et de développement économique qui y sont liés, se posent aussi aux maires des petites communes. Dans cinq ans, si la vallée du Rhône est complètement engorgée, des effets secondaires immédiats sur le développement économique de la Franche-Comté apparaîtront. Si nous ne pouvons pas répondre au problème que nous a posé récemment l'accident du tunnel du Mont-Blanc, il existera un risque de détournement du trafic à destination de l'Italie. La liaison avec l'Alsace est également importante, car les trafics sont susceptibles d'emprunter directement la vallée de la Saône, pour se diriger vers d'autres régions. D'autre part, Paris conserve de vieilles habitudes. L'appareil d'État a une culture centralisatrice, de même que la SNCF ou d'autres institutions de ce type. Sur tous ces sujets, vous avez quelque chose à dire. Nous voulons vous écouter pour que vous confortiez les requêtes que nous présenterons au Gouvernement dans quelques mois.

M. Jacques VUILLEMIN : Nous sommes à quelques jours du 9 mai. Vous évoquez beaucoup la dimension européenne. A l'échelle de l'Europe, la Franche-Comté et Besançon ne pèsent certainement pas aussi lourd que votre région ou d'autres grandes villes de l'axe Rhin-Rhône. Notre problème est alors peut-être d'exister. Exister, c'est communiquer, échanger, attirer, d'où l'importance des voies de communication et du tourisme.

La principale difficulté ne sera-t-elle pas de concilier les grands enjeux et les enjeux locaux ? A travers les questions posées, perce la crainte de ne pas voir pris en compte les problèmes des petites communes, dans cette vaste réflexion sur l'axe Bouches du Rhin-Bouches du Rhône. En effet, cet axe ne compte pas que des villes de la taille de Marseille, Lyon ou Strasbourg. C'est cette crainte que nous avons voulu exprimer. Nous avons tous des problèmes, depuis un certain nombre d'années, car de nombreux projets ont été gelés. Comment ces problèmes seront-ils pris en compte dans le cadre de la réflexion qui s'engage à l'échelon européen ? Je le répète, c'est l'un des points importants de notre réflexion.

M. Daniel ANTONY : On nous a signalé que la réflexion ne devait pas porter sur des aspects trop locaux. Je suis moi-même gêné car j'avais prévu une intervention portant davantage sur l'après grand canal. Comme j'ai la parole, permettez-moi de m'inquiéter des financements envisagés par le CIADT de décembre 1998 pour l'après grand canal. Il me semble qu'il existe un déséquilibre des grandes masses financières, en faveur des aspects proprement environnementaux - peut-être faut-il y voir le poids de Mme Voynet ? - aux dépens des problèmes évoqués tout à l'heure. Un faible rôle est attribué au développement économique dans ce contrat décisif. Il en est de même en ce qui concerne les transports. Ce qui précisément devait structurer cette grande liaison Nord-Sud me semble être le parent pauvre dans le cadre de l'après grand canal. Il me paraît nécessaire de compenser ces faiblesses dans les contrats de plan État-régions, et l'on rejoint là le débat plus large évoqué par Jean-Louis Fousseret précédemment.

Par ailleurs, il me semble que la part de l'État dans les financements est quelque peu faible, représentant un peu moins du quart des investissements. Je souhaiterais que l'État montre l'exemple et accroisse cet investissement en faveur de la liaison Saône-Rhin.

M. Robert SCHWINT : En dessous de 20 % de participation de l'État, on finance l'État.

M. Joseph PARRENIN : Je précise que les concours de l'État sont trop faibles ; en outre la notion de TVA est mal employée. Elle intervient certes dans le cadre de maîtrises d'ouvrage communales ou départementales, par le biais du FCTVA. Mais cela ne concerne pas les maîtrises d'ouvrage de l'État. L'État ne récupère la TVA que dans le cadre de ses maîtrises d'ouvrage. Dans le cadre de maîtrises d'ouvrage privées ou exercées par les collectivités, le FCTVA intervient.

M. Raymond REYLÉ : Tout ceci risque d'aller à l'encontre de notre but qui est de préserver la vallée, autant que possible, du béton et des grandes infrastructures. Ces équipements sont nécessaires, mais il ne faudrait pas que soit reproduit l'équivalent d'un canal avec les infrastructures autoroutières prévues pour l'après grand canal. Il est nécessaire de prendre conscience du problème actuel de préservation agricole. Si rien n'est prévu pour que les pâtures restent pâtures, rien n'empêchera les agriculteurs de labourer, de déverser des pesticides susceptibles de polluer. Enfin, ma troisième remarque concerne le problème du financement : qu'il s'agisse de contributions à hauteur de 20 ou de 50 %, les investissements nécessaires n'ayant pas été faits depuis trente ans, il faut les multiplier par 30. Les communes relativement pauvres de la vallée, qui n'arrivent même pas à mettre en _uvre des projets de petite envergure, pourront difficilement fournir un tel effort contributif. La participation de l'État à ces financements reste insuffisante.

M. Yannick DESSENT : Je suis maire d'une petite commune et je voudrais donner mon impression générale en ce qui concerne l'axe européen Rhin-Rhône. Vous évoquiez tout à l'heure l'hypothèse d'un engorgement de la vallée du Rhône. Il me paraît nécessaire de prendre en compte l'agglomération de Besançon. Elle est géographiquement fort bien située pour connaître un développement économique. Il est important - à la fois pour la ville de Besançon et pour les communes périphériques - de réfléchir à un développement économique commun. Cela n'est pas toujours facile pour nous, petites communes, car de surcroît, avec le contrat spécifique, nous avons une réflexion à mener, certes pas dans la précipitation, mais rapidement. Nous n'avons pas encore adhéré à des structures intercommunales. Il est peut-être important d'y réfléchir et d'adhérer aux structures existantes, de mener une réflexion dépassant l'agglomération de Besançon, mais il faudrait nous laisser le temps d'apprécier la situation. Nous avons des projets pour notre vallée du Doubs, mais pas encore forcément les structures porteuses. Il est important de ne pas entraver des projets alors que la structure porteuse n'existe pas encore. C'est un point fondamental.

En ce qui concerne l'axe européen, je voudrais poser une question. Le grand canal n'existe plus. Il y a le canal au gabarit Freycinet depuis la frontière allemande jusqu'au Rhône, et ce canal doit exister. Je voudrais savoir quels axes de développement économique peuvent être renforcés. Il y a bien évidemment le tourisme, mais il faut également prévoir d'autres axes de développement. De ce fait, la restauration de ce canal paraît être très importante.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : La ville et le district ne commettent pas d'erreur en insistant fortement sur les enjeux du réaménagement de l'ensemble de l'axe du Doubs de l'après grand canal. Cela fait plus de trente ans que le projet de grand canal pèse sur l'ensemble de notre développement, en termes de voies de communication ou d'aménagement concret ; c'est un vrai problème. Il me semble essentiel que l'ensemble de mes collègues puissent entendre, écouter et avoir une vraie connaissance de la réalité de cette situation, qui pèse lourdement sur le développement de Besançon et de l'agglomération.

Par exemple, sur les Prés de Vaux, grosse zone industrielle de Besançon actuellement en friche, aucun projet de réhabilitation n'a pu voir le jour, car le projet de grand canal était prioritaire. Nous entendons les mêmes propos sur l'ensemble de l'axe du Doubs et à Montbéliard. Cet état de fait a pesé lourdement sur le développement de l'agglomération de Besançon et de la ville. Il me paraît essentiel que la mission comprenne cette réalité et la difficulté de trouver les systèmes de financement de projets nécessaires, les problèmes de l'intercommunalité, les réalisations de friches industrielles dans certaines petites communes. Nous avons à faire face à de vraies difficultés. Ces éléments devront être repris par la mission.

Par ailleurs, nous avions listé un certain nombre de questions dans le cadre de la mission. Je souhaite qu'une question soit posée officiellement au district et à la ville de Besançon : qu'attendez-vous du TGV Rhin-Rhône ? D'autres moyens de désenclavement vous paraissent-il aussi utiles- voire plus utiles - et en quoi ?

Le TGV Rhin-Rhône est bien l'élément structurant pour nos régions, en tout cas ce projet est beaucoup plus solide que celui de grand canal. Il est important que la ville et le district puissent nous dire ce qu'ils attendent réellement de ce projet.

M. le Rapporteur : Pour compléter la question : quel tracé et quelle place pour la gare de Viotte, gare de la capitale régionale ?

M. Michel BOURGEOIS : J'aimerais parler du TGV Rhin-Rhône et poser une question au président de Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Je comprends l'intérêt régional de faire arriver les TGV à la gare de Viotte, mais pour cela, il faut traverser l'agglomération Nord de la capitale régionale. Je souhaiterais qu'une commission de concertation se tienne rapidement afin d'étudier la liaison éventuelle par la gare de Viotte qui pose un certain nombre de problèmes.

La question que je vous pose, M. le président, concerne le TGV Rhin-Rhône. Je suis enseignant de géographie ; pour moi, Rhin-Rhône n'est pas Paris. Vous avez souligné la tendance centralisatrice de l'État et de la politique de transport ferroviaire. Cela dit, vous qui êtes président de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, la ligne Dôle-Satolas-Marseille vous convient-elle ? Êtes-vous un fervent partisan de la branche Sud ?

M. le Président : Je suis ici en tant que président de la mission, et non pas en tant que président de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Pour mon pays, le nôtre, je souhaite une ligne TGV franchement Rhin-Rhône et non une ligne qui ne serait pas la liaison la plus directe possible entre l'Alsace et la Provence. Cela concerne particulièrement la Franche-Comté, qui en constituera un élément essentiel.

M. Robert SCHWINT : Certains points sur l'axe Rhin-Rhône sont des carrefours. Il ne faut pas oublier les autres liaisons latérales. La question a été évoquée plusieurs fois. Il faut, à certains endroits - comme Besançon - mettre en place un carrefour entre Nord et Sud, entre Est et Ouest.

M. Michel LOYAT : Il y a eu un malentendu. Serait-il possible de compléter ce document ?

M. le Président : Bien sûr, il est possible d'intégrer une note ; cela me paraît d'ailleurs indispensable.

Audition de M. Jacques LESIRE,
Président de la chambre régionale de commerce et d'industrie de Franche-Comté

accompagné de Mme Dominique LANDRY,
Responsable de l'aménagement du territoire à la CRCI de Franche-Comté

et de M. Michel VIENNOIS, Directeur de l'aménagement à la CCI du Doubs

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 1999 à Besançon)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

Le Président expose l'objet de la mission d'information.

M. le Rapporteur : Je pense qu'il est plus intéressant d'entendre dès maintenant les représentants de la chambre de commerce.

M. Jacques LESIRE : Pour être concis, précis et gagner du temps, je vous propose une intervention liminaire. Ma collaboratrice Mme Landry va vous distribuer un dossier complet.

Je vous remercie vivement d'avoir convié la chambre régionale de commerce et d'industrie pour une consultation sur l'axe Rhin-Rhône. Il n'est pas fréquent que des parlementaires sollicitent officiellement les milieux consulaires pour une audition, qui plus est sur un sujet des plus importants pour notre région. Aussi, vous renouvelant mes remerciements, vais-je vous présenter un certain nombre de considérations et d'avis du groupe des chambres de commerce et d'industrie de Franche-Comté sur le thème du couloir Rhin-Rhône.

Je profite d'être le porte-parole du groupe des chambres de commerce et d'industrie de Franche-Comté, des 31 500 entreprises et leurs 200 000 salariés, pour réaffirmer l'importance qu'attache le monde consulaire franc-comtois à l'avenir de sa région et pour vous remettre le document de propositions que nous avons élaboré pour le prochain contrat de plan : « Franche-Comté 2006 ».

La chambre régionale de commerce et d'industrie de Franche-Comté a toujours considéré que l'axe Rhin-Rhône constituait une priorité stratégique fondamentale pour notre région. Articulée entre la plaine d'Alsace au nord et le Lyonnais au sud, la Franche-Comté a vocation évidente à s'insérer sur cet axe vertical pour renforcer son développement.

Les faits parlent d'eux-mêmes :

- au nord, l'histoire de la Franche-Comté se confond avec celle du sud de l'Alsace, sur les plans industriel, économique et social ; la proximité frontalière de la Suisse s'ajoute encore à ces caractères communs. La particularité de la Franche-Comté est d'être adossée à une frontière, en l'occurrence avec l'Allemagne et la Suisse. Son avenir dépend de ses ailes et de ce qui lui fait face.

- au sud, le Jura s'articule avec la zone géographique de Rhône-Alpes, par exemple avec le secteur de la plasturgie qui s'étend du sud du Jura à la « Plastic Valley » d'Oyonnax ; ou avec les liens de proximité qui existent à Satolas ou Eurexpo.

- au-delà de ses articulations limitrophes, la Franche-Comté est bien entendu solidaire et dépendante des grands ensembles régionaux ou inter-régionaux sur cet axe nord-sud. Le couloir Rhin-Rhône reste l'une des grandes vocations de notre région qui en constitue le trait d'union entre la partie nord, le bloc rhénan, et la partie sud qui s'étend jusqu'à la façade méditerranéenne. Ce trait d'union correspond précisément à la limite de « partage des eaux », à hauteur de Montbéliard, limite qui découpe de grands bassins hydrogéologiques, limite qui est aussi plus qu'un symbole.

La Franche-Comté est en effet un des passages obligés du couloir Rhin-Rhône. Aussi, notre chambre régionale de commerce et d'industrie a-t-elle toujours été militante pour faire avancer des actions de mise en valeur de ce couloir.

Le projet de mise à grand gabarit du canal Rhin-Rhône a progressivement cristallisé les enjeux de tous les développements sur cet axe. Voici quelques rappels :

- le président de la chambre de commerce et d'industrie du Doubs et de la chambre régionale de commerce et d'industrie de Franche-Comté a créé, en 1986, le GIRR (Groupement Interconsulaire Rhin-Rhône) qui a regroupé plusieurs dizaines de chambres de commerce et d'industrie le long du Rhône et du Rhin.

- à cette date, la chambre régionale de commerce et d'industrie est devenue également actionnaire de la CNR.

- dès 1988, la commission régionale d'aménagement du territoire de la chambre régionale de commerce et d'industrie a développé de nombreux travaux et a initié des démarches en vue de ce grand projet.

- la chambre régionale de commerce et d'industrie de Franche-Comté en liaison avec le GIRR a organisé, en 1994, un colloque international sur « l'Autoroute Bleue », à Besançon.

- enfin, la chambre régionale de commerce et d'industrie a monté un projet de développement partenarial avec la SORELIF en 1997.

Or, la décision du Gouvernement d'abandonner le projet de mise à grand gabarit a annulé toute cette longue préparation qui a pu impliquer des acteurs multiples. En ce qui nous concerne, nous avons pris acte de cette décision, dont les conséquences juridiques, à ma connaissance, ne sont pas toutes réglées.

Certes, nous avons un projet d'opération « Avenir du territoire entre Saône et Rhin » dont je parlerai tout à l'heure. Mais il est clair que ce projet qui correspond à une emprise foncière très précise et finalement très limitée, ne peut pas répondre intégralement aux questions interrégionales et internationales posées par l'évolution des échanges du troisième millénaire sur l'ensemble du corridor Rhin-Rhône.

A notre avis, les problèmes se posent globalement à deux niveaux :

- problèmes de transit et de transport de marchandises ;

- problèmes de développement économique.

1 - Les problèmes de transit et de transport de marchandises.

Au moment où le projet de mise à grand gabarit du canal Rhin-Rhône prenait corps, des détracteurs soulevaient fréquemment la question des besoins de transport fluvial sur cet axe. Ils nous demandaient sans cesse quels chargeurs étaient finalement concernés et pour quels volumes. Évidemment, les entreprises régionales se gardaient de s'engager sur des besoins prévisionnels à quantifier quelques dix ou quinze ans à l'avance !

Ceci étant, cette question lancinante des besoins et trafics nous a conduit à amasser de nombreuses données sur la conteneurisation ou le vrac et sur les destinations. Nous avons alors été amenés à estimer qu'en Franche-Comté, les volumes qui devraient transiter à l'horizon 2010, seraient de 100 millions de tonnes.

Cette approche a paru purement gratuite pour certains qui ont contesté ces données. Or, nous avons aujourd'hui des confirmations sur l'importance des volumes et surtout leur progression :

- le schéma de services collectifs « transport » qui vient d'être finalisé en Franche-Comté révèle que des tronçons routiers vont être « très saturés » à de nombreux endroits ;

- la grande étude multimodale dans un ensemble grand-est et régions périphériques, étude financée par « Avenir du territoire entre Saône et Rhin », avance les chiffres suivants :

- trafic actuel sur le corridor Rhin-Rhône : 429 millions de tonnes par an, toutes destinations et départs confondus, à savoir : trafic interne, échanges, transit.

- trafic à l'horizon 2020 : 631 millions de tonnes par an, dont route : 558 millions de tonnes par an ; fer : 50 millions de tonnes par an ; fluvial : 24 millions de tonnes par an.

Cela ne prend pas en compte les échanges - non mesurables pour l'instant - avec les pays de l'Est. Quand la guerre sera terminée, il faudra reconstruire. Je connais un transporteur de Strasbourg qui avait d'énormes trafics au départ de la Roumanie, et qui ne peut plus importer du fait de la rupture des échanges. Il faudra tenir compte de ce facteur à l'avenir.

Ces chiffres, en cours de finalisation, démontrent donc que l'évolution des trafics et transits est certaine, et sur des niveaux élevés. Qui plus est, elle porte essentiellement sur le mode routier.

Bien des exemples confirment ces tendances :

- l'ouverture de l'autoroute A 39 (Dole-Bourg) venant en délestage de l'autoroute A 6 qui dépasse largement les prévisions de trafic. Après neuf mois de mise en service, le nombre de véhicules/jour est deux fois supérieur aux prévisions, du fait des poids lourds en particulier. A titre personnel, je n'ai pas cru aux éternels calculs de probabilités. Lorsque la population dispose d'un axe de trafic et que cet axe lui convient, chacun l'utilise. Quand le passage convient à la population et à l'économie, des goulets d'étranglement se créent forcément.

- le problème des tunnels : le dramatique accident du tunnel sous le Mont-Blanc révèle la vulnérabilité de certains axes, les transferts sur d'autres tunnels - en l'occurrence le Fréjus - n'étant qu'un pis-aller. Comme moi, vous écoutez la radio et vous connaissez le problème actuel.

On retrouve donc le concept de « thrombose » qui a fleuri dans un certain nombre de rapports. Cette thrombose n'est pas le résultat de prévisions alarmistes. De proche en proche, elle commence à s'observer sur des sites névralgiques, comme celui de Beaune sur l'autoroute A 6.

La chambre régionale de commerce et d'industrie de Franche-Comté n'affirme pas que, face à ces prévisions de saturation dangereuse, le seul recours soit la mise à grand gabarit du Rhin-Rhône. Mais elle considère qu'il est urgent de réfléchir concrètement aux solutions possibles à mettre en _uvre à l'avenir. Et donc, monsieur le président, je vous félicite pour le réalisme de vos propos.

C'est pourquoi la chambre régionale de commerce et d'industrie de Franche-Comté, outre sa participation au comité de pilotage de l'étude multimodale citée plus haut, a choisi de financer aux côtés de la direction régionale de l'équipement et du conseil régional de Franche-Comté une étude sur les besoins logistiques des entreprises franc-comtoises. Les résultats de cette étude seront disponibles courant juin et je ne manquerai pas de vous en adresser copie.

Pour en revenir au transport fluvial, la chambre régionale de commerce et d'industrie a toujours précisé que le développement de ce mode de transport est fortement lié au développement du multimodal :

- la conteneurisation s'impose et s'imposera de plus en plus, du fait du trafic fluviomaritime, et progresse dans les hinterlands, comme solution logistique multimodale.

- les regroupages et dégroupages en matière de fret se développent fortement et associent la route, le fer, le fluvial et l'aérien.

- l'optimisation des coûts logistiques conduit également à profiter des vecteurs les moins chers chaque fois que cela est possible ; c'est la loi économique.

Ce sont autant de facteurs qui vont imposer au niveau européen le multimodal entre route, fer, fluvial sans oublier le fret aérien.

Il faut aider à développer ces échanges multimodaux sur l'axe Rhin-Rhône, en créant des infrastructures et des équipements d'un niveau de qualité adéquat, avec une offre de service attractive : logistique, transport, dédouanement, entreposage, conditionnement, expéditions, etc.

Je précise que ces questions doivent être examinées très rapidement. En effet, pour certaines entreprises, comme Peugeot à Vesoul (Centre de stockage et d'expédition des pièces détachées dans le monde entier), les aménagements d'infrastructures doivent être engagés sans délai, sauf à s'exposer aux décisions de désinvestissement, avec toutes les conséquences pour un site qui emploie directement près de trois mille salariés. Pour votre information, un directeur de site de chez Peugeot est dans l'impossibilité d'investir au delà de tout retour à huit ans. Un directeur de site peut donc, du jour au lendemain, recevoir une décision de Paris indiquant la fermeture de tel ou tel site à échéance de X années. Ils ne vous le diront pas, mais mon rôle est de vous en informer.

Que faut-il donc retenir comme mode de transport et transit prioritaire pour assurer les échanges Rhin-Rhône et garantir l'activité à venir ?

Pour le mode fluvial, nous continuons à penser que la mise à grand gabarit s'imposera un jour ; j'en ai personnellement l'intime conviction. Évidemment, les socioprofessionnels et les organismes consulaires du département du Doubs conservent l'idée du tracé par la vallée du Doubs. Les Hauts-Saônois ne manquent pas, eux, de rappeler l'intérêt du tracé alternatif par la Saône. C'est le fameux Y que vous avez certainement pu constater.

Cette relance d'une infrastructure fluviale pose immédiatement la question de l'évolution de la CNR : la décision du Gouvernement d'abandonner la mise à grand gabarit du Rhin-Rhône a provoqué la tourmente sur cette compagnie dont l'avenir peut être menacé. Là, nous sommes directement concernés.

Nous considérons qu'on ne pourra faire l'économie de cet organisme en tant qu'aménageur exploitant. Si nous voulons demain disposer d'un opérateur expérimenté, capable d'apporter les réponses pour tout ce qui concerne le fluvial, il y a intérêt à conserver la CNR. Par contre, si les pouvoirs publics estiment que la CNR n'a plus à tirer bénéfice de l'exploitation des turbines hydroélectriques sur le Rhône, alors nous n'avons plus de raison de continuer à être actionnaires.

Outre le mode fluvial, il y a le fer : il paraît nécessaire de réaliser une ligne à gabarit B+ dans la vallée du Doubs. C'est une de nos propositions pour l'avenir du territoire entre Saône et Rhin, proposition qui ne se comprend que si la ligne fonctionne au nord et au sud au-delà de notre zone géographique. Nous reviendrons sur ces propositions.

Cette grande ligne dédiée au fret s'impose non seulement pour des questions de gabarit, mais aussi en raison des contraintes multiples s'exerçant sur les réseaux ferrés actuels, dont les sillons disponibles pour le fret pénalisent les délais et les coûts. Comme pour le fluvial, construire une telle ligne nécessitera de redéployer également l'offre de services aux entreprises en intégrant des prestations multiples, qui seules valoriseront cette infrastructure.

Après le fluvial et le ferroviaire, il y a la route et bien sûr, l'autoroute. Chacun sait qu'entre Montbéliard et Mulhouse, l'autoroute A 36 est déjà saturée et qu'il convient d'entreprendre rapidement les travaux pour un élargissement de l'autoroute en 2 x 3 voies.

Enfin, je terminerai sur ce chapitre des trafics et modes de transport, en signalant que toutes ces infrastructures et équipements butent en France sur des législations et réglementations de plus en plus pesantes. Dans notre pays, il devient de moins en moins évident de créer de nouvelles infrastructures : pour preuves, je citerai une extension aéroportuaire bloquée pour des raisons de fouilles archéologiques, les enquêtes préalables et autres DUP qui font courir les délais et les demandes de recours, les associations s'opposant au tracé de nouvelles lignes ferroviaires, etc. Cela m'intrigue toujours. En France, il nous faut sortir de notre pré carré pour, lorsque cela est nécessaire, défendre la cause publique d'intérêt national, en y intégrant notre environnement. Voyez, ainsi, à quelle vitesse réagissent à l'heure actuelle les grands groupes au niveau de l'Europe, les fusions de la Poste ou des grandes sociétés de transport. Tous ces mouvements sont freinés sur le terrain, et cela pose problème.

Les députés doivent comprendre que les évolutions qui s'imposent à très court terme - 2020, c'est demain - s'accommodent mal de ces contraintes, liées à l'exigence d'une stricte démocratie, mais qui méconnaît l'accélération des besoins de l'économie mondialisée, actuelle et future. Permettez-moi d'insister ; c'est le message que je souhaitais faire passer, entre autres choses.

2 - Les problèmes de développement économique.

Il serait dommage de réduire l'axe Rhin-Rhône à un seul couloir d'échanges, même multimodaux. Car les enjeux européens en font un arc de développement important pour nos régions et pour les échanges entre pays du nord, pays de l'est et pays méditerranéens. Les cartes parlent d'elles-mêmes.

Il est ici nécessaire de reprendre les dispositions du SDEC (Schéma de Développement de l'Espace Communautaire), présenté à la réunion des ministres de l'aménagement du territoire des États membres en juin 1997. Dans ce document, un projet d'agenda européen de développement territorial vise notamment les « euro-corridors multimodaux existants ». Dans la première liste figure, entre autres, l'axe Rotterdam-Ruhr-Rhin-Main. Le document propose d'y adjoindre tout chaînon manquant.

Il y a donc nécessité de demander une prolongation de cet « euro-corridor », qui doit intégrer le couloir rhodanien jusqu'à la façade méditerranéenne. Le Gouvernement pourrait utilement transmettre cette demande qui nous ferait figurer sur la carte des grands projets européens.

Différents projets doivent à la suite s'intégrer dans cet « euro-corridor », à commencer par le TGV Rhin-Rhône. La chambre régionale de commerce et d'industrie de Franche-Comté suit ce dossier très attentivement et demande qu'aucun retard ne soit pris. En particulier, elle demande :

- que la branche sud fasse intégralement partie de ce dossier TGV Rhin-Rhône ; des décisions sont à prendre dès à présent en matière d'études de tracés et d'études préalables. Il est à noter ici que cette branche sud a solidarisé d'une façon originale de nombreuses collectivités territoriales, en particulier les départements du Doubs, du Jura et de l'Ain.

- que l'étude des financements soit réalisée durant cette année 1999. La chambre régionale de commerce et d'industrie a d'ailleurs voté à ce sujet une motion portant sur l'urgence à mettre en place le sous-groupe financement, motion qui a été adressée aux collectivités et organisations concernées par ce TGV Rhin-Rhône. Cela nous a valu en retour un grand nombre de réponses de soutien dont copie vous sera remise dans votre dossier.

Ce TGV est intéressant à plus d'un titre pour le développement de notre « euro-corridor », non seulement pour le trafic de voyageurs sur un plan davantage européen, mais également du fait des développements à attendre autour, par exemple, des nouvelles gares à créer : elles peuvent donner lieu à de nouveaux développements économiques sur l'axe (bureaux, implantations de services et d'entreprises, accueil touristique).

D'autres projets de développement doivent aussi s'intégrer dans cet « euro-corridor », et être inclus dans le SDEC :

- les trois régions Alsace, Rhône-Alpes et Franche-Comté sont certes de taille différente, mais leur caractère très industriel est affirmé, d'autres secteurs sur la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur ayant aussi cette caractéristique. C'est pourquoi il me paraît utile de réfléchir à nos potentiels. Les nombreuses entreprises de sous-traitance franc-comtoises participent à des salons professionnels. Pourquoi ne pas un jour se fédérer ? C'est la politique que je prône au sein de la chambre régionale vis à vis de nos chambres départementales, et c'est pourquoi je préfère la notion de groupe des chambres à celle de chambre régionale de commerce et d'industrie.

- la frontière avec la Suisse constitue une autre originalité de nos territoires : n'y a-t-il pas un intérêt à échanger des informations relatives à nos actions respectives, par exemple dans le cadre des programmes Interreg, de Mulhouse à la Savoie, en passant par la Franche-Comté ?

D'autres pistes peuvent également exister pour valoriser nos potentiels, notamment en ce qui concerne :

- la fréquentation touristique qui emprunte le couloir rhodanien et qui constitue un gisement considérable au regard d'autres régions ;

- notre armature urbaine ;

- nos réseaux d'écoles ou filières universitaires.

Autant de domaines où il n'y a pas eu beaucoup de réflexions prospectives en dehors de travaux de la DATAR - mais sans concertation - et où les acteurs économiques et les concitoyens montrent les voies à venir, puisque notre proximité géographique engendre spontanément des échanges et des relations dans tous ces domaines.

Je souhaite aussi évoquer le plan de relance de l'agglomération bisontine et le projet de création d'un commissariat régional à l'industrialisation pour la Bourgogne et la Franche-Comté, dont la réelle finalité ne m'est pas encore clairement apparue.

3 - Propositions en vue d'une structure de concertation.

Ces observations montrent l'intérêt qu'il y a à développer une réflexion organisée sur tous ces thèmes liés à notre « euro-corridor ». Ne faut-il pas prévoir une organisation souple, qui permettrait d'engager les échanges et les développements de politiques communes sur les grands sujets qui nous préoccupent ?

Les chambres consulaires ont créé les offices interconsulaires de transport et de communication, les OITC. Il existe notamment un OITC Sud-Est qui fonctionne bien. Les présidents des chambres régionales de commerce et d'industrie Grand-Est se concertent actuellement pour élargir l'OITC anciennement Sud-Alsace-Franche-Comté, afin qu'il devienne Grand-Est.

Pourquoi ces deux offices ne pourraient-ils pas apporter leur pierre à l'édifice d'une concertation interrégionale sur notre « euro-corridor » ? Pourquoi ne pourrions-nous pas bénéficier d'un soutien technique de la DATAR et de l'Union européenne ? La notion de Grand-Est se développe ; elle est très importante pour nous. On s'aperçoit très nettement dans nos milieux économiques que tout département ou toute région est interdépendant, par exemple, lorsqu'on parle de la nationale 57, de l'autoroute A 39 maintenant, de la voie rapide que le président Poncelet a suggérée et menée à bien, mise à 2 x 2 voies depuis maintenant plusieurs années, de la voie rapide gratuite par laquelle vous allez au Luxembourg, en Belgique, en Hollande dans d'excellentes conditions... L'économie est ainsi faite et les flux sont ainsi faits, que nous avons décidé de donner un essor particulier à la notion de Grand-Est. Nous sommes persuadés que la notion territoriale, même si elle existe - parce qu'elle recouvre une réalité administrative - reste une donnée actuelle et ancienne. Mais on doit maintenant aller au-delà. L'Hexagone à quatre ou cinq grandes régions n'est pas forcément une vue de l'esprit.

Je ne voudrais pas terminer cette intervention sans revenir sur cette opération « Avenir du territoire entre Saône et Rhin », encore appelée « Après-canal ». Je tiens à remercier M. le préfet de région et ses services qui nous ont parfaitement associés aux travaux de réflexion.

La chambre régionale de commerce et d'industrie de Franche-Comté a été amenée à fédérer les chambres de commerce et d'industrie situées sur ce territoire, depuis Mulhouse jusqu'à Chalon-sur-Saône. Nous avons ainsi remis une série de propositions, dont une liste est jointe à votre dossier.

Les chambres de commerce et d'industrie demandent que pour cet espace entre Saône et Rhin, dont une large partie foncière a été gelée pendant de nombreuses années, soit instauré un véritable contrat de plan particulier, sur le long terme, qui serait à la fois distinct et complémentaire des contrats de plan État-régions alsacien, bourguignon et franc-comtois.

Après un premier dossier réalisé en juillet 1998, les chambres de commerce et d'industrie préparent un deuxième dossier plus complet et plus précis avec des projets concernant :

- le transport de marchandises ;

- la revalorisation de friches industrielles, au profit d'un développement durable ;

- la valorisation de la ressource hydraulique avec le développement du tourisme fluvial et des centrales hydroélectriques.

Pour les transports de marchandises, il s'agit de :

- développer le rôle d'interface fluvial-ferroviaire-routier des ports situés aux extrémités du territoire Saône-Rhin et au-delà, en particulier pour les ports rhénans du Sud-Alsace (Mulhouse, Ottmarsheim et Mulhouse Ile Napoléon) avec la ligne ferroviaire Mulhouse-Bantzenheim ;

- valoriser et optimiser des sites à vocation plurimodale, notamment Val de Saône-Pagny et Choisey, zone vierge qui a réellement son devenir - et par l'intermédiaire de ces réunions « après-canal ». Je dirais modestement que nous avons assez bien réussi à mettre en phase le Jura et une partie de la Franche Comté avec une partie de la Bourgogne, qui présentent une complémentarité et non pas une dualité. Je tiens également à citer la plate-forme rail-route de Besançon-Chemaudin et la plate-forme bimodale au sud de Dijon. Dans le domaine des sites à vocation plurimodale, monsieur le président, lorsqu'il y a saturation bourguignonne, Paris-Dijon et Dijon-Lyon sont des plaques tournantes en termes de flux,

- mettre au gabarit B + la ligne ferroviaire existante entre Besançon et Belfort pour assurer le transport de conteneurs de taille plus importante.

Pour la revalorisation des friches industrielles, les projets prioritaires des chambres de commerce et d'industrie sont :

- à partir de la zone des Prés de Vaux, port fluvial de Besançon, organiser une plate-forme de livraisons pour le centre-ville, fondée sur l'utilisation de véhicules non polluants, régulant le trafic des professionnels du transport et contribuant à la réduction de la pollution ;

- requalifier la zone portuaire de Dole qui avait été mise en sommeil ; je me permets d'attirer votre attention sur ce point.

A propos de la valorisation des ressources hydrauliques, nos projets vont vers :

- le tourisme fluvial, avec l'équipement du port de tourisme de Saint Jean de Losne et l'aménagement de la boucle de Cîteaux sur la Saône ;

- la modernisation et l'optimisation environnementale des centrales hydroélectriques.

J'ajouterai à ces projets le raccordement demandé par de nombreuses entreprises au réseau gaz haute pression pour Besançon et ses alentours depuis Dijon, ce qui permettrait ensuite de desservir Pontarlier.

Je ne voudrais toutefois pas laisser entendre que notre implication en faveur du développement de cette zone, vaut complet assentiment. Les moyens financiers ne sont pas au rendez-vous ; en effet, suite au CIADT du 15 décembre, des décisions, intéressant en particulier la Franche-Comté, ont été prises. Les médias ont colporté le chiffre de 3 milliards. Or, je ferai deux observations. D'une part, le financement qui était acquis pour les travaux sur le grand chantier par la SORELIF, principalement dans notre région, était de l'ordre de 20 milliards. D'autre part, les 3 milliards précités ne correspondent, en fait, qu'au coût des opérations, l'État ne devant participer au financement qu'à hauteur de 700 à 800 millions de francs, ce que certains analysent comme le montant de la TVA. Je vous provoque un peu, de manière à obtenir des informations précises. Certes, le CIADT de juin devrait prendre des décisions complémentaires. Mais je crains que nous ne soyons loin du compte.

C'est pourquoi il est utile d'agir de façon solidaire sur l'ensemble de l'axe Rhin-Rhône, afin que les pouvoirs publics mesurent les enjeux et interviennent avec des financements spécifiques et supérieurs à ceux actuellement envisagés pour l'avenir du territoire entre Saône et Rhin.

En conclusion, je souhaite à votre mission parlementaire une pleine réussite sur un dossier difficile. En effet, pour le transport de marchandises, le rôle de l'État, en liaison avec les acteurs économiques et les représentants des différents modes de transports, est prépondérant. A lui de résister à des flux de demandes contradictoires, à lui de faire prendre conscience aux diverses collectivités que l'amélioration du transport du fret, c'est une meilleure activité économique et davantage d'emplois ; à lui de contribuer au rééquilibrage, quand c'est possible, entre les différents modes de transports. Je crois que le piège à éviter sera le saupoudrage et qu'au risque de faire naître des mécontentements, il faudra savoir se limiter à des objectifs réalisables dans un temps délimité et à partir d'enveloppes et de financements définis.

Sachez que le groupe des chambres de commerce et d'industrie de Franche-Comté reste à votre disposition pour travailler plus avant avec vous. Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre attention. Peut-être ai-je été un peu long, mais notre rôle était de ne rien oublier.

M. le Président : Votre intervention est extrêmement riche, pesée, précise et apporte une contribution remarquable à notre travail, si vous me permettez une appréciation flatteuse. Je donne la parole à mes collègues et en premier lieu à notre rapporteur ; ils auront peut-être des précisions à vous demander, même si ce document est déjà fort précis.

Tout à l'heure, M. le rapporteur me faisait remarquer un point intéressant dans vos suggestions, à savoir le rôle que nous pourrons jouer sur les futurs événements. On observait ce matin que c'était peut-être la première fois qu'un président de Provence-Alpes-Côte-d'Azur venait à Besançon pour des raisons non privées ; cela prouve la prise de conscience d'une nécessaire solidarité sur cet axe. C'est un point très intéressant. Si en effet, les élus, les responsables de la Franche-Comté, au côté des Alsaciens, des Rhône-Alpins, des Provençaux, Alpins, Azuréens se mettent d'accord pour déterminer nos intérêts communs dans l'avenir, nous avons une chance d'être entendus. Comme nous avons du plaisir à travailler ensemble, comme c'est utile, cet espace de discussion pourra peut-être trouver une pérennité. On ne va pas multiplier les instances, car il y en a déjà trop, mais pourquoi ne pas mettre en _uvre, à intervalle régulier, un suivi des décisions prises par l'État et les régions en matière de contrat de plan État-régions ? Pourquoi ne pas prendre l'habitude de travailler ensemble régulièrement, comme vous l'avez indiqué, sur le plan interrégional et international, avec nos voisins ? Des questions sont à aborder ; nous ne sommes pas toujours en concurrence ou en guerre économique. Nous pouvons discuter ensemble sur certains aménagements. C'est ce que je ressens, en tant que Provençal, vis à vis de nos partenaires ligures et piémontais. Je pense que c'est la même chose pour les Suisses ou les Allemands.

Merci encore pour votre intervention. Si vous-même avez, avant la remise du rapport qui aura lieu fin juin, une note complémentaire à nous transmettre, n'hésitez pas à le faire.

M. le Rapporteur : Cette note est très complète et résume bien l'ensemble de la problématique. Je vous remercie, monsieur le président, pour la qualité de votre réflexion et celle de votre groupe de chambres.

Je ne suis pas forcément d'accord avec tout ce que vous avez dit, notamment en ce qui concerne le transport fluvial. Cependant, l'objectif n'est pas de relancer le débat sur le canal, ni de savoir s'il se fera dans les années à venir. Peut-être le verrons-nous d'ici vingt ou trente ans, mais il n'est pas question de relancer le débat.  Par contre, beaucoup de choses me paraissent intéressantes. Nous pourrions intégrer votre réflexion à notre rapport, notamment en ce qui concerne la nécessité de mettre en place une structure pour travailler ensemble. Cela a été déjà longuement évoqué ce matin. Cet axe Rhin-Rhône, cet axe européen, est l'addition d'un certain nombre de régions ; entre régions, nous avons tout intérêt à travailler ensemble. Je suis également d'accord avec vous lorsque vous parlez des problèmes de développement économique, et lorsque vous déclarez qu'il faudrait rajouter un chaînon rhodanien au projet du SDEC. Nous l'avons déjà évoqué à plusieurs reprises. Cela va dans le bon sens et cela pourrait figurer dans notre rapport.

Néanmoins, je ferai deux remarques relatives au financement. Tout d'abord, cette fameuse « rente du Rhône » de 20 milliards est totalement virtuelle ; elle n'existe pas. Si vous pouvez me dire où l'on peut la trouver et comment on peut l'utiliser, nous sommes preneurs ! C'est une contribution qu'EDF devrait verser dans les années à venir à la CNR. C'est pourquoi, lorsqu'on parlait du projet de grand canal, on parlait d'intérêts intercalaires.

En ce qui concerne l'État, il n'y a aucune caisse contenant vingt milliards. Cela n'existe pas et il est important que je vous le dise, vous qui êtes un haut responsable économique. Ces vingt milliards ne sont pas disponibles ; on ne peut pas distribuer quelque chose qui n'existe pas.

D'autre part, concernant la TVA, on ne peut pas dire que les 700 à 800 millions de francs financés par l'État représentent le montant de la TVA, puisqu'un certain nombre de travaux sont entrepris par des collectivités locales. Ce sont ces dernières qui vont récupérer la TVA, et non l'État. L'État récupérerait la TVA sur les travaux dont il aurait la maîtrise d'ouvrage, mais en ce qui concerne les maîtrises d'ouvrage départementales ou municipales, ce sont les collectivités qui récupèrent la TVA. On ne peut donc pas dire que les 800 millions de francs de travaux sont pour l'État une opération blanche. Ce serait juste de le dire pour des travaux qui seraient totalement en maîtrise d'ouvrage de l'État, mais ce n'est pas le cas en l'occurrence. C'est une petite remarque au niveau financier.

M. Jacques LESIRE : Notre rôle à tous est de dresser un inventaire précis. Tout n'est pas possible. Nous ne sommes pas là pour jouer au chat et à la souris. Concernant les financements demandés aux collectivités locales, je crains que bon nombre d'entre elles n'en aient pas les moyens. Ce sera à l'État de juger du montant de sa contribution.

Concernant la nécessité d'un travail commun, je rejoins les propos du président. Il va de soi qu'au plan économique, on ne peut créer une structure supplémentaire. Elle s'ajouterait aux structures existantes et coûterait de l'argent ; c'est un problème. On butterait de nouveau sur le problème banal de l'imposition. Un de mes bons amis, président de la chambre de commerce, dit toujours que choisir, c'est se priver. Je reprends son propos. Il faut choisir ce que l'on peut financer logiquement. Je vous remercie de nous recevoir et de prendre conscience du problème de notre région, et au sens large, de nos régions. L'avenir économique de nos régions se joue aujourd'hui. Dans beaucoup de domaines, cela fait plus de dix ans que l'on discute de certains sujets et pour certains sujets, on discute depuis dix ans de la même chose. Or le virage à prendre est à prendre maintenant. Si vous êtes d'accord avec moi, nous sommes tous d'accord.

M. le Rapporteur : Je termine. Lorsque vous parlez - en page 8 de votre note - de la nécessité d'avoir une démarche solidaire, nous ne pouvons qu'être entièrement d'accord. J'ai déjà eu l'occasion de le dire et je m'excuse de le répéter. Nous n'arriverons à rien sans une démarche unitaire. Je suis encore d'accord avec vous quand vous dites qu'il faut éviter le piège du saupoudrage. Dans le cadre des différents projets, notamment concernant l'avenir du territoire Saône-Rhin, il ne faut pas saupoudrer. Il faudra nous concentrer sur quelques projets fédérateurs, structurants, plutôt que de tomber dans le travers du saupoudrage qui n'apporterait rien à notre région.

A l'exception de quelques remarques plus idéologiques, je trouve que votre analyse économique comporte des aspects intéressants, susceptibles d'être intégrés dans le cadre de notre rapport.

M. le Président : Je vous rappelle que notre temps est compté. Je vous demande d'être très brefs.

M. André VAUCHEZ : En page 3, vous évaluez le trafic pour les vingt années à venir. Vous prévoyez une progression de l'ordre de 1 % par an ; ce n'est pas beaucoup et je pensais que c'était davantage. De toute façon, effectivement, si vos prévisions sont avérées justes, nous allons asphyxier nos routes avec 85 % de transit.

J'en viens à ma question. Vous nous parlez longuement de zones plurimodales ou multimodales intégrant l'eau, le fer, la route. Selon vous, selon quelles modalités ces infrastructures pourraient-elles être mises en place dans la région?  Pensez-vous qu'il existe un potentiel suffisant pour réaliser des zones multimodales de taille importante ? Faut-il que la SNCF revoie sa politique de transit de marchandises, afin que les petites entreprises locales, en dehors de Peugeot ou de Solvay dans le Jura, puissent utiliser le fer ? Aujourd'hui, elles en sont dissuadées par la SNCF, pour des raisons évidentes que vous connaissez mieux que moi. Avez-vous des propositions à nous faire ?

M. Jacques LESIRE : Les mouvements de personnes et les flux correspondent simplement à une notion de pratique et à une notion économique. Peut-être n'y aura-t-il que des flux de transit, c'est-à-dire que les frets ne feront que passer... De mémoire, je crois que la région de Franche-Comté exporte plus qu'elle n'importe, à l'échelle nationale. Il revient à la Franche-Comté de déterminer ce qu'elle veut. Mais une bonne gestion des flux passe par des itinéraires sûrs, reconnus et fiables économiquement. C'est pourquoi je citais la périphérie de Dijon, parce que Dijon est remarquablement placée au niveau géographique entre Paris et Lyon.

M. André VAUCHEZ : Et qu'en est-il de l'Alsace ?

M. Jacques LESIRE : Il existe des tractions de nuit entre l'Alsace et les plates-formes de Dijon, par l'autoroute A 36. Les flux de nuit, les groupages, les colis, les plates-formes, les voyageurs partant de Mulhouse peuvent utiliser des tractions de nuit qui aboutissent au n_ud constitué par Dijon. Il existe également, au départ de la Haute-Saône, des tractions de nuit qui vont aussi en plate-forme à Dijon, parce que Dijon est très bien placée. Ensuite, entre en jeu la notion de multiple de distance.

M. André VAUCHEZ : Vous oubliez le maillon de la vallée du Rhône avec l'Alsace.

M. Jacques LESIRE : La Franche-Comté, si elle veut tirer son épingle du jeu, doit investir et se positionner par rapport à Dijon. Tout retard pris en la matière ne fera qu'accroître l'attractivité de Dijon. En outre, la gestion des frets par la SNCF n'a de sens, en toute objectivité, que sur de longues distances. Le problème est qu'aujourd'hui, le nombre de sillons est insuffisant. Personnellement, je suis favorable au Fercam dont parlait monsieur le président, mais qu'est-ce au juste? Economiquement parlant, il correspond à 700 ou 800 kilomètres.

M. le Rapporteur : Au delà de 500.

M. Jacques LESIRE : L'ensemble de ces données économiques forme un tout et nécessite de mener des études finement. Il convient par ailleurs de prendre en compte la nouvelle gestion sociale des transports routiers, qui repose sur les notions de gestion journalière, de coupure, d'heures d'arrêts nocturnes. De deux choses l'une : soit on prend conscience de ces contraintes et on agit en conséquence, soit on les ignore.

M. le Rapporteur : Si elles relèvent de la loi, on ne peut pas les ignorer.

M. Jacques LESIRE : Je raisonne de façon pragmatique et économique. Ce que vous dites est vrai. De plus en plus, la notion de route au sens large, qui recouvre les flux de voyageurs et de fret, rend inévitable - ne prenez pas mal mon propos - un retour à l'ère des diligences. De plus en plus de relais seront nécessaires ; c'est bien le fond du problème. Qui dit relais...

M. le Rapporteur : ...qui existent déjà sur les autoroutes...

M. Jacques LESIRE : J'entends, par relais, des infrastructures permettant une redistribution du fret, comme celles actuellement mises en place à Besançon, de façon à ce que moins de véhicules ne circulent en centre ville. Je ne visais pas le relais en rase campagne.

M. Joseph PARRENIN : Ce qui me gêne un peu, même si le document me paraît fort complet - et je ne tiens pas ces propos parce que je faisais partie des « anti-canal » - c'est que l'on reparle du mode fluvial. Ma position est la suivante. Je considère que ce mode est lent, ne correspond pas aux attentes des entreprises. En tant qu'élu de Montbéliard, je sais comment cela se passe. A Morteau, six coups de téléphone sont donnés par jour pour livrer des pare-chocs dans les deux heures. J'avais quelques inquiétudes, mais je me disais que cela pouvait s'arranger.

L'autre problème, plus fondamental - et que nous, députés, évoquons sans cesse avec les ministres - est celui du financement des équipements. Pour moi, le choix était simple. On ne peut pas avoir trois stratégies de transport dans le couloir. Les investissements sont tels qu'il est indispensable d'opérer un choix entre le rail, la route et l'eau. Il ne s'agit pas de ranimer une querelle, mais il me semble que nous devons nous mettre d'accord et abandonner le mode fluvial pour nous battre sur le fer et la route. Des améliorations sont encore possibles concernant la route, pour aboutir ensuite, comme l'a dit ce matin le président, sur les couloirs...

M. Jacques LESIRE : Mon propos n'a pas pour but de rouvrir des plaies. C'est le propos d'un représentant des milieux économiques. Qui plus est, comme nous avons l'honneur d'être en face de M. le président de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, j'imagine que nous avons vraisemblablement les mêmes sensibilités. L'hypothèse d'un maillon manquant est, économiquement, vraisemblable. D'où l'intérêt d'une réunion comme celle d'aujourd'hui. Les choses avanceraient plus vite, si les sensibilités propres à chacun étaient moins prises en compte.

Partons donc du discours économique, qui dresse un constat. On ne peut pas nier qu'il existe un chaînon manquant, dont la finalité peut être économique, y compris touristique.

M. le Rapporteur : Nous évoquions un passage par la Haute-Saône. De grandes entreprises sidérurgiques sont situées au bord de la Saône et un tourisme extraordinaire s'y développe.

M. Jacques LESIRE : Le port de Gray, l'écluse de Gray, petite ville de Haute-Saône, enregistrent 3 000 passages par an. (protestations de M. Fousseret.)

On ne peut pas convaincre quelqu'un qui ne veut pas être convaincu !

M. le Président : Monsieur Lesire, nous avons des préoccupations communes. Nous sommes tous au service de la patrie et de la nation. Je ne suis pas ici en tant que président de Provence-Alpes-Côte-d'Azur, mais en tant que député. Je renouvelle mes compliments adressés de la part des membres de la mission, où votre région, vous l'aurez remarqué, est surreprésentée. Heureusement que M. Godin et mon collègue Schneider sont là pour m'aider un peu dans cette vision interrégionale ! Merci ; ce n'est qu'un début.

Nous continuerons ce travail, prenons l'habitude de travailler ensemble. Il existe une véritable solidarité sur l'axe Rhin-Rhône, qui ne me laisse pas du tout insensible.

Audition de M. Jacques SICHERMAN,
Directeur régional de l'équipement,

et des représentants de PSA Peugeot Citroën : MM. Hervé PICHON,
Délégué pour les relations avec les assemblées et les élus,

Roger GARNIER,
Directeur du centre de production de Sochaux,

et Denis DUCHESNE,
Directeur du centre de production de Mulhouse

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 1999 à Besançon)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

Le président Michel Vauzelle expose l'objet de la mission d'information.

M. le Président : La parole est à M. Sicherman.

M. Jacques SICHERMAN : Monsieur le Président, je vous remercie. J'ai été convié pour exposer trois points : deux études que nous avons lancées, dont une avec l'Assemblée régionale, et les perspectives de réalisations ferroviaires sur l'axe Rhône-Rhin que nous envisageons et que nous proposerons au Gouvernement.

C'est une gageure de présenter tout cela en une demi-heure. Nous essaierons d'être brefs. Pour gagner du temps, j'exposerai les deux derniers points : les études et les perspectives en matière de transport de marchandises sont assez centrales dans le dispositif que nous mettons en place sur le territoire Saône-Rhin.

J'ai lu rapidement l'exposé précédent. Il dit clairement à quel point l'arrêt du projet du grand canal a suscité, dans les milieux économiques, des inquiétudes sur la capacité de l'axe Saône-Rhin à assumer sa fonction de transit de marchandises. Inquiétudes qui montrent combien il serait grave pour la région de ne pas avoir de possibilité suffisante de transit. Elles se cristallisent sur deux aspects : la possibilité pour les entreprises locales d'avoir accès à des infrastructures sur de longues distances pour leurs propres échanges, puis l'idée, un peu confuse, que la saturation d'infrastructures qui traversent la région, a des répercussions sur les gens qui les utilisent pour leur déplacement local, notamment pour des raisons économiques.

Cette inquiétude nous a conduits à poser le problème dans toutes ses dimensions, notamment multimodale, en étudiant toutes les possibilités de transports de part et d'autre de notre corridor Saône-Rhin et toutes les concurrences possibles en termes d'axes de transport de marchandises.

Pour revenir sur l'exposé précédent, un tableau résume cette inquiétude dans le dossier transmis par la chambre régionale de commerce. Ce tableau, qui fait apparaître une saturation complète à terme de toutes les infrastructures de notre région, repose sur des hypothèses que nous avons contestées. Nous nous en sommes expliqués avec la chambre régionale de commerce.

L'étude que nous menons est donc nécessaire pour éclairer les esprits sur ce thème. Nous avons d'ailleurs obtenu un financement à 100 % du Fonds national d'aménagement du territoire.

Cette étude est complexe. Nous nous sommes entourés, à la fois au plan technique et au plan de la représentation locale, des compétences nécessaires de suivi, dès l'élaboration du cahier des charges. Nous n'étions en effet pas certains à la DRE d'avoir toutes les compétences pour le suivi d'une telle étude. C'est pourquoi elle est suivie à la fois par les experts de divers modes de transports, y compris au niveau national, et par les représentants d'acteurs locaux, dans la mesure où la connaissance du terrain et la réaction de ces derniers, y compris des associations locales représentant des intérêts plus larges que ceux du transport, pouvaient être intéressantes.

L'étude a pour objectif d'analyser les besoins de transport de fret par rapport à l'offre existante sur l'axe Rhin-Rhône. Je reviendrai sur cette offre et sur l'axe. Elle devait évaluer la demande potentielle à terme et les réponses possibles sur la base de scénarios d'évolution de l'offre.

L'objectif final était d'identifier, sur la base des infrastructures existantes et des projets définitivement adoptés, les stratégies à mettre en place, notamment en matière d'infrastructures pour satisfaire ces besoins.

Nous en sommes, aujourd'hui, à une connaissance de la demande potentielle dans le scénario de référence. Vous verrez tout à l'heure que les conclusions auxquelles on arrive, notamment en ce qui concerne le ferroviaire, sont déjà assez frappantes à ce stade.

Ce qui a été pris en compte en tant que demande se trouve dans le secteur vert. Tout ce qui figure dans le secteur vert foncé et qui transite vers le corridor est pris en compte, y compris ce qui y entre à partir de destinations plus lointaines.

C'est donc l'ensemble du corridor Rhin-Rhône, au sens le plus large, et l'ensemble des échanges Méditerranée-Mer du Nord qui sont pris en compte dans le cadre de cette étude.

Dans ce corridor, il faut distinguer les flux internes, les flux d'échanges, qui ont leurs origines ou leurs destinations dans le corridor, et les flux de transit.

Il est intéressant de voir que le transit représente seulement 10 % de l'ensemble des flux. Ce résultat est connu des spécialistes de transport, et relativise ce que l'on entend par transit. Cela correspond pour l'ensemble du corridor à 429 millions de tonnes.

Le diagnostic met en évidence une prédominance du mode routier ; cela n'étonnera personne. Le pourcentage du mode routier en tonnage de marchandises sur le corridor est supérieur au pourcentage national qui est de l'ordre de 80 %.

Il faut cependant relativiser ; il n'y a pas de bon critère en matière de transport Le tonnage surestime la route et les courtes distances. Si l'on utilise le critère des tonnes kilométriques, ce n'est pas parfait non plus car les circuits empruntés ne sont pas toujours les plus directs pour chaque marchandise. Comme il n'y a pas de critère parfait, prenons celui-là.

L'autre élément du diagnostic est que l'offre routière est attractive alors que l'offre ferroviaire présente un certain nombre d'inconvénients en terme d'organisation et d'adaptation face à la demande. Le fer n'assure que 10 % du tonnage transporté dans le corridor. Le faible gabarit de la voie entre Besançon et Belfort, qui limite le développement du combiné, est un des inconvénients.

L'offre ferroviaire présente encore toute une série d'autres inconvénients, notamment pour les relations internationales. Il s'agit d'inconvénients matériels, ou qui sont liés aux modes d'organisation des opérateurs avec une qualité de service qui ne rencontre donc pas toujours les besoins des usagers.

En matière d'intermodalité, sur notre corridor comme ailleurs, il existe des freins à l'amélioration de la qualité du transport ferroviaire. Nous avons parlé du faible gabarit de la ligne entre Besançon et Belfort. Il comporte de multiples inconvénients, notamment du fait des difficultés de gestion du parc de wagons surbaissés, car les semi-remorques ne peuvent pas être transportés avec des wagons normaux.

Pour analyser le scénario de référence, nous nous sommes fondés sur l'un des scénarios arrêtés pour les schémas de service. Il me faut vous expliquer les raisons de ce choix, qui n'est pas celui retenu par le Gouvernement.

Ce scénario A, dans la mesure où la crainte de saturation routière est importante, pousse au bout la logique routière, pour mieux mettre en évidence la nature des difficultés que tout le monde craint ici.

A contrario, ce que l'on découvrira en matière de transport ferroviaire sera particulièrement intéressant. S'il existe des blocages pour l'usage du fer, y compris dans les hypothèses qui ne sont pas nécessairement très favorables au ferroviaire, il faut s'y attaquer rapidement.

Concernant ce scénario, je passerai rapidement sur les conclusions du rapport en matière de flux interne d'échange et de transit. On remarque que l'augmentation globale des tonnages à transporter est de l'ordre de 40 %, et davantage encore pour les flux internes.

Dans l'hypothèse retenue, le mode routier connaît une augmentation globale, mais théorique, de 50 %. Le mode routier explose donc, ce qui correspond au scénario retenu.

Mais la demande pour le mode ferroviaire augmente également beaucoup, du fait de la croissance de l'ensemble de la demande de transports, à hauteur d'un tiers. Je précise qu'il s'agit de l'analyse théorique de l'augmentation des besoins et de leur répartition par mode, sans tenir compte des effets de saturation des infrastructures. Nous allons nous apercevoir qu'il est intéressant d'y introduire cet effet de saturation.

En ce qui concerne le mode fluvial, vous connaissez le corridor. Une partie du canal est à grand gabarit, le fluvial n'est donc pas complètement inexistant. Néanmoins, dans cette hypothèse, le transport fluvial augmente en valeur absolue en raison de la forte croissance de la demande de transports, mais diminue en pourcentage.

Le mode routier, par rapport à cette hypothèse très « routière », se porte pourtant relativement bien, puisque les saturations restent très ponctuelles. Je n'ai pas pris en compte la saturation ponctuelle entre Montbéliard et Belfort.

M. Roger GARNIER : Il s'agit de Mulhouse-Montbéliard, si je peux me permettre.

M. Jacques SICHERMAN : Cette saturation n'est pas un obstacle au passage de 50 % de trafic supplémentaire. En revanche, en mode ferroviaire, le résultat est intéressant. On a vu précédemment que ce mode, selon ce scénario très routier, avait théoriquement un besoin supplémentaire d'échange et de transit de 16 millions de tonnes dans le corridor. Or, même dans un scénario très routier, du point de vue de l'évolution des coûts, le ferroviaire n'est pas en mesure de tenir sa part de marché, qui est pourtant en diminution. Tel est le résultat essentiel de l'étude dans la phase actuelle.

Par rapport aux résultats théoriques de répartition modale, le mode ferroviaire se trouve dans l'impossibilité d'accepter une partie importante du trafic qui devrait s'y reporter (11 millions de tonnes !). On obtient ainsi une répartition modale encore plus favorable à la route que le modèle théorique.

Excusez-moi d'avoir été aussi rapide et synthétique. A présent, compte-tenu des données ainsi réunies, notre étude doit établir des scénarios de politique de transport et de réalisation d'infrastructures - mais pas seulement - qui seront contrastés et qui permettront de savoir ce qui se passe dans tel ou tel type d'hypothèse.

Le document que je vous ferai parvenir est intéressant à lire. Il éclaire beaucoup sur le rôle de tel ou tel élément de blocage. Il nous a fallu, par exemple, un certain temps pour comprendre pourquoi le gabarit A était limitant. Beaucoup de types de transports peuvent transiter en gabarit A mais à condition d'utiliser des wagons adaptés, ce qui est très contraignant et limite l'attractivité de ce gabarit pour les chargeurs.

Vous verrez en quoi l'organisation même des transports, la rationalité des acteurs des transports, font que le B + était indispensable. Tel est, Monsieur le Président, résumée très rapidement, la situation actuelle.

M. le Président : Merci pour votre exposé remarquable de précision et de concision. Il contient des éléments très parlants concernant le mode ferroviaire et des éléments très intéressants, notamment sur les niveaux de transit possible.

Mes chers collègues, avez-vous des questions à poser à M. le Directeur régional ?

M. Jacques SICHERMAN : Le temps me sera peut-être donné de vous dire deux mots de l'étude des fonctions logistiques de la Franche-Comté ?

M. le Président : Bien sûr.

M. Jacques SICHERMAN : Cette étude des fonctions logistiques en Franche Comté n'entre plus seulement dans le cadre du développement durable du territoire Saône-Rhin, mais concerne l'ensemble de la région. Elle a pour objectif de déterminer si des actions collectives peuvent être entreprises pour favoriser la fonction logistique au service de l'entreprise, sans déterminer à l'avance qui serait responsable de ces éventuelles réalisations, et sans non plus se limiter à ce dont on parle beaucoup, à savoir les plates-formes multimodales.

La logistique est bien autre chose que cela ; elle est tout ce qui concerne les approvisionnements et, réciproquement, tout ce qui concerne les expéditions en y incluant, non seulement le stockage et les matériels, mais également l'organisation, le conditionnement, etc. Tout cela doit être abordé par cette étude.

Je peux vous présenter l'objectif de cette étude logistique en quelques instants. Cette étude a été réalisée en partenariat avec la chambre régionale de commerce et d'industrie ainsi qu'avec le conseil régional. Elle a pour objectif d'établir clairement ce qu'est l'organisation de l'activité logistique en Franche-Comté et ce que sont les possibilités de l'offre logistique régionale au profit des entreprises et donc d'identifier ce que pourrait être le rôle des pouvoirs publics dans l'amélioration d'une offre au service des entreprises. Elle tient compte, bien entendu, de l'apport des collectivités et des chambres de commerce.

Elle comporte quatre parties. Tout d'abord l'identification des filières qui permettraient de caractériser l'offre. Huit filières ont été identifiées, c'est-à-dire huit branches de l'industrie pour lesquelles notre bureau d'études a interviewé des représentants d'entreprises.

La deuxième partie consiste en une analyse de l'offre régionale de services logistiques. La troisième est une analyse de la demande en services de transport et de logistique.

Actuellement, nous terminons la troisième partie. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas encore grand-chose à vous dire sur les résultats concrets eux-mêmes, sinon que l'on est dans une situation de flou suite aux résultats des interviews. Nous y travaillons afin d'y voir plus clair.

Dans le même temps, les entreprises demandent des services mais sont, dans de nombreux cas, réticentes à externaliser. On a l'impression que si on leur offrait des services de stockage, il n'est pas sûr qu'ils seraient utilisés, notamment dans le domaine automobile, d'après ce que nous ont rapporté les enquêteurs. L'organisation logistique y est tellement fine que l'externalisation, pour la majorité des entreprises, n'est pas souhaitable, même si certaines font des rêves dans ce domaine. Elles en rêvent donc parfois, mais elles ne sont pas prêtes à se lancer, car ce serait rompre avec une organisation bien rodée.

Le 20 mai, nous avons une nouvelle étape de comptes rendus qui nous permettra d'y voir plus clair.

M. le Rapporteur : Il serait intéressant de disposer du compte rendu de l'étude pour pouvoir l'intégrer dans le cadre de notre rapport.

M. Jacques SICHERMAN : S'il nous reste du temps, je vous propose de laisser la parole aux représentants de Peugeot, avant de reprendre éventuellement le détail de l'exposé ferroviaire.

M. le Président : Messieurs les représentants de PSA Peugeot Citroën, je vous remercie de votre présence. Notre emploi du temps est quelque peu restreint. Nous avons une longue série d'auditions. Je voudrais vous rappeler, pour qu'il n'y ait pas de malentendu, que notre mission n'est pas d'intérêt local ; elle s'inscrit dans une vision nationale.

L'Assemblée nationale nous confie une mission d'information sur un grand axe européen de développement, l'axe Rhin Rhône, qui va de la Méditerranée à la Mer du Nord. Il s'agit de rien moins qu'une vaste perspective de développement qui intéresse plusieurs régions françaises et l'ensemble de la nation. C'est à ce titre que nous sommes là. Nous n'allons pas étudier tel bout d'autoroute ou contournement autoroutier.

Nous souhaitons connaître votre sentiment sur le fait que depuis que le Gouvernement de la République a abandonné l'idée d'un canal, nous avons le souci, depuis Marseille jusqu'à Strasbourg et au-delà, et plus particulièrement dans cette région, d'un axe de développement et de communication fort : TGV, ferroutage, fret, routes, autoroutes, etc. C'est dans cette perspective très vaste, qui concerne votre entreprise et la région, que nous souhaitons que vous nous éclairiez.

M. Roger GARNIER : Notre présentation concerne l'axe Rhin-Rhône, mais cela dépend de l'étendue que l'on fixe à cet axe. Cela dépend de la marge que l'on se donne de chaque côté de ce sillon.

Nous voulions alerter votre mission. Nous faisons partie de cet axe Rhin-Rhône alimenté par l'autoroute qui joint la partie Sud de la France au Nord de l'Europe. Toutefois, pour que cet axe fonctionne bien, des liaisons Est-Ouest sont également nécessaires pour drainer ou pour alimenter d'autres raccordements vers des zones européennes particulièrement denses et des marchés particulièrement importants en matière d'automobiles.

Dans le rapport qui vous a été remis, nous souhaitions alerter la mission sur le fait que la région de Mulhouse, Langres, Besançon, qui fait partie de cet axe Rhin-Rhône, est totalement dépourvue de liaisons avec la partie Nord par l'axe Est-Ouest. Pour que l'axe Nord-Sud fonctionne, un raccordement Est-Ouest sera nécessaire pour irriguer et développer les activités économiques.

Cette région est enclavée, non seulement par manque de TGV - vous l'avez souligné, mais ce n'est pas mon propos - mais également par manque de liaisons Est-Ouest.

Quand on observe une carte de l'Europe et que l'on considère les grands marchés du Nord de l'Europe, la Grande-Bretagne, toute la partie Nord de la Franche-Comté, on se rend compte que les infrastructures sont insuffisantes pour irriguer cette zone économique qui concerne particulièrement le groupe PSA.

Dans cette zone située entre Langres, Besançon, et Mulhouse, trois grandes implantations fabriquent des voitures mais aussi des pièces mécaniques, avec des flux d'échanges très importants. Un autre centre est situé à Vesoul. Il fabrique également des pièces, mais a un rôle de plate-forme pour expédier partout dans le monde des produits automobiles sous forme de pièces de rechange. C'est également un centre d'expédition de collections à destination des usines d'assemblage dans le monde entier.

Le président du groupe PSA Peugeot Citroën, M. Jean-Martin Folz a rappelé notre volonté de nous développer dans les pays émergents qui ne pourront certes pas faire toutes les pièces. Des bases d'expédition depuis les deux grands centres de Sochaux et de Mulhouse seront donc nécessaires, en transitant par Vesoul, afin d'expédier les pièces dont nos usines d'assemblage auront besoin partout dans le monde.

Or, pour développer ces échanges nombreux et variés dans des conditions optimales, il faut naturellement des moyens de communication modernes et rapides avec les autres grands axes européens. Dans la région de Vesoul, plus de 120.000 camions par an devront transiter. Des réseaux autoroutiers seront indispensables pour approvisionner les centres et usines de montage et communiquer avec les nombreux fournisseurs implantés dans la région, afin de satisfaire les exigences du « Juste à temps », mode de logistique impératif pour réduire nos coûts.

Cela ne peut pas se faire sans avoir des liaisons efficaces. Parmi ces liaisons nécessaires, il est impératif, pour l'avenir de la région du Nord Franche-Comté et du Sud de l'Alsace, de disposer d'un moyen de communication Est-Ouest, pour l'instant absent de la toile d'araignée qui vous a été montrée sur la carte d'Europe. C'est pourquoi nous voulions alerter votre mission sur cette nécessité impérative.

Ce barreau autoroutier, qui prolonge l'autoroute A 5, avait été projeté une première fois, puis a été mis en cause dernièrement pour différentes raisons. Il ne m'appartient pas de les juger, mais j'estime qu'elles doivent être examinées avec un maximum de vigilance et selon une vision économique. Il s'agit du développement futur de cette région économique, non seulement pour PSA, mais aussi pour le Nord de la Franche-Comté, qui a connu le succès parce qu'elle avait des moyens de communications adaptés à l'époque. Ces moyens sont aujourd'hui vieillissants et ne sont plus adaptés aux exigences de communication et d'échange de l'activité économique, en particulier de l'automobile.

Si on ne fait pas attention à cela, une récession accélérée risque sans doute d'atteindre cette région.

Autrement dit, nous voulions attirer votre attention sur le fait qu'il faut un axe Rhin-Rhône fort, mais que cet axe doit pouvoir communiquer avec d'autres axes, en particulier, l'axe Est-Ouest.

Si vous souhaitez des données chiffrées, le dossier en comporte. Nos trafics augmentent, il est donc impératif pour nous d'avoir ces moyens de communication.

Si vous souhaitez poser des questions, Denis Duchesne peut compléter.

Je peux vous montrer deux images qui sont très parlantes (développant un plan). Sur le tracé actuel, on constate deux axes parallèles, avec l'autoroute A 36 qui rejoint Beaune. Pour maintenir une activité forte en matière automobile dans cette région, Sud Alsace, Nord Franche-Comté, il manque la liaison nécessaire qui alimenterait l'axe Rhin-Rhône. Si on veut que cet axe soit le plus profitable à cette région, un barreau doit relier le Nord de l'Europe avec l'Angleterre. Vous savez que notre groupe a une usine en Angleterre. Les 206 sont fabriquées à Mulhouse et à Ryton. Nous insistons sur le TGV, qui figure en bonne place, et sur l'aspect routier.

M. le Rapporteur : Cela a été réglé par la décision prise concernant la RN 19.

M. Roger GARNIER : Nous n'avons pas besoin de route à deux fois deux voies ou
- comme je l'ai entendu récemment - d'une fois une voie et de zones de délestage de double dépassement. La RN 19 est aujourd'hui saturée. Ce n'est pas un emplâtre qui peut résoudre le problème important que j'ai soulevé. C'est totalement inadapté.

Deux fois deux voies, pourquoi pas ? Notre crainte, en tant qu'industriels, est qu'il en résulte un appel à des crédits publics. Il est normal que les élus soient soucieux des deniers publics. Nous proposons une autoroute qui ferait appel à des fonds privés et pour l'utilisation de laquelle chaque utilisateur paierait. Nous paierions pour faire circuler nos camions. C'est plus juste pour la collectivité. Les autres industriels de la région sont avec nous. Il paraît plus juste de faire appel à des fonds privés et de verser une redevance pour bénéficier d'un service dont nous avons besoin.

M. le Rapporteur : En ce qui concerne la deux fois deux voies, vous avez des réticences eu égard au temps de réalisation. Nous avons entendu ce matin le président du conseil général du Territoire de Belfort, selon lequel des décisions seraient prises au niveau du conseil et de l'État, à savoir qu'il y aurait un contrat de plan spécifique : on abandonnerait les contrats de plan État-région pour réaliser très rapidement cette deux fois deux voies.

La difficulté qui se pose au niveau européen, en ce qui concerne l'autoroute, est la suivante : l'autoroute ne peut pas être financée par les sociétés d'autoroutes traditionnelles sans la participation des collectivités locales. Par conséquent, il est presque impossible de financer cette autoroute, puisqu'une prolongation de concession pour la société concessionnaire d'autoroute serait nécessaire et que cela n'est plus possible au niveau européen. Je suppose que vous êtes au courant.

M. Roger GARNIER : Je n'ai pas bien compris pourquoi cette autoroute ne serait pas rentable. Je n'ai pas accès au dossier que détient le directeur régional de l'équipement. Je fais simplement une constatation, en tant qu'utilisateur de l'autoroute A 36 pour aller en direction de Beaune.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas répondu à ma question. Si une deux fois deux voies est réalisée dans un délai rapide, cela vous convient-il ou pas ?

M. Roger GARNIER : Nous parlons de deux contrats de plan, cela veut dire 14 ans.

M. Jacques SICHERMAN : Non. On parle de deux contrats de plan, car quand bien même une autoroute serait réalisée, la décision en étant prise maintenant, le temps dévolu aux études et aux acquisitions de terrains dépasserait les sept ans du contrat de plan actuel. De toute façon, à supposer - ce que tout le monde souhaite - que l'on réalise cette infrastructure en une seule fois, elle ne serait pas terminée en 2005. Les financements chevaucheront donc deux plans.

Je ne veux pas dire que tout est prêt pour le financement. C'est ce que le préfet souhaite. Il a déclaré publiquement que le Gouvernement avait assuré qu'une tranche significative serait inscrite au prochain plan. Mais le fait que le projet relève de deux plans n'est pas l'indication que sa réalisation durera plus longtemps que s'il s'agissait d'une autoroute.

M. Roger GARNIER : En effet, le délai nous préoccupe. Vous avez dû constater que le monde automobile, depuis ces cinq dernières années, était en évolution rapide dans un monde très concurrentiel. Il faut faire vite pour réduire nos coûts et favoriser les échanges. Les longs discours sont inutiles : chacun est convaincu que plus on mettra de temps, moins on aura de chance de maintenir une activité forte dans cette région. Si cela devait durer trop longtemps, l'activité de Vesoul, en tant que plate-forme d'expédition, pourrait être remise en cause.

Nous sommes ici aujourd'hui pour vous convaincre de l'urgence de la réalisation d'une deux fois deux voies, mais sous réserve que les crédits soient débloqués. Eu égard au tronçon en direction de la Suisse, entre Besançon et Vallorbe, on ne peut pas dire que cela ira très vite.

Dans le paysage, cela « fait pauvre » d'avoir 130 kilomètres qui seraient une deux fois deux voies. Quand on regarde la carte et le no man's land qui règne en matière d'autoroutes, notamment dans les Vosges, on se demande pourquoi ne pas faire cette liaison aujourd'hui ?

Je ne connais pas le fond des études. Lorsque nous nous rendons les uns et les autres en direction de Beaune, nous nous rendons compte que le trafic de camions est important, jusqu'à Dole. Après, il n'y a plus rien ! Cela montre bien qu'un trafic vient du Nord ou du Sud de l'Allemagne, qu'il a besoin de se diriger vers la région parisienne ou le Nord de l'Europe. Cette liaison amènerait beaucoup de trafic vers l'autoroute A 5, qui serait ainsi mieux irriguée et bénéficierait d'une meilleure rentabilité, tout en délestant l'autoroute A 36 dont le trafic a considérablement augmenté ces cinq dernières années. Ce serait une bonne opération.

Une deux fois deux voies, en supposant que les crédits soient débloqués dans un laps de temps court, n'est pas une formule qui garantira un avenir lointain. On risque de faire deux fois la dépense en vingt ans. Je ne sais pas si c'est un bon calcul.

M. le Rapporteur : Ce qui prime pour vous, c'est la rapidité d'exécution ?

M. Roger GARNIER : Une voie à 110 kilomètres/heure avec de nombreux embranchements, donc des zones de ralentissement vers les agglomérations, est un handicap à un trafic fluide et rapide.

M. Joseph PARRENIN : Je partage l'inquiétude de M. Garnier en ce qui concerne le Nord de la Franche-Comté qui, aujourd'hui, n'a plus de moyens de communication appropriés. Faut-il une autoroute ? Hormis l'aspect réglementaire et les conséquences financières qui nous bloquent, je partage l'opinion de M. Garnier. Nous avons travaillé récemment sur le fait que n'ont pas été calculées toutes les incidences en matière de transfert de flux si ce barreau existe, y compris depuis la Suisse.

Christian Proust nous a appris ce matin que la voie trans-Jura ne sera terminée qu'en 2010-2015. Je suis convaincu qu'il y aura un transfert important sur cette liaison.

La solution la plus rapide techniquement, à condition que les financements suivent, est certainement la deux fois deux voies. Je sais que vous êtes inquiets en ce qui concerne la proposition de réaliser un tronçon. Il est vrai que le trafic n'est pas dense sur un tronçon, environ 4 000 véhicules par jour. Il avait été proposé de maintenir ce tronçon en deux fois une voie.

M. Jacques SICHERMAN : De l'aménager en voie expresse.

M. Joseph PARRENIN : Tout le monde a été unanime pour dire que l'on ne pouvait pas tout faire à la fois, mais qu'il fallait envisager deux fois deux voies tout le long. Tout un phasage est à mettre en place. Il faudrait y travailler très vite. Tout d'abord, des contournements doivent être mis en place. Les deux fois deux voies permettent les dépassements. Il y a matière, si on y travaille bien, à améliorer très rapidement la circulation sans que les travaux ne soient terminés sur cette RN 19. C'est ce qu'il faut demander. Il faut appuyer notre demande au niveau de l'État central, afin que les crédits soient débloqués et que l'on choisisse les phasages qui permettent une amélioration rapide.

M. Roger GARNIER : A la page 2 du document, vous trouverez les trafics, ainsi que les réseaux économiques. Vous verrez qu'ils sont très importants.

Je crains que, avec une deux fois deux voies, on ait des feux rouges à l'approche des agglomérations, qui entraînent des ralentissements importants. Le délai me semble parfois prohibitif et dissuasif pour le développement économique. Il faut faire vite.

Cette région, comme d'autres, doit faire face à la concurrence. Pour développer une activité économique, il faut des moyens de transports et de communication efficaces, surtout aujourd'hui dans notre métier.

Il faut aussi des pôles d'excellence industrielle. Dans le Nord Franche-Comté et dans le Sud de l'Alsace, nous les représentons. Il faut également des universités très développées. Ces trois axes doivent être développés de manière cohérente et concomitante. Si l'on développe le pôle d'excellence industrielle tel que notre groupe en a la volonté dans la région Vesoul-Mulhouse-Sochaux, nos efforts seront vains si nous ne disposons pas de moyens de communication rapides.

Vous connaissez les efforts réalisés en matière d'université et notre volonté. Il faut maintenant réaliser rapidement ce barreau autoroutier dans l'intérêt de l'axe Rhin-Rhône et dans l'intérêt de la région Nord Franche-Comté et Sud de l'Alsace. Si je peux me permettre un conseil d'industriel, il faut aller vite.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Si j'ai bien compris votre propos, vous parliez de Vesoul.

M. Roger GARNIER : Je parlais de Vesoul, de Mulhouse, de Sochaux, mais aussi, d'une manière générale, de toute l'activité économique de cette région. Je suis membre du conseil économique et social régional. J'ai eu l'occasion de le dire dans cette assemblée et de le rappeler au préfet de région quand il a présenté son contrat de plan État-région. Je l'ai redit hier dans d'autres instances. Je ne mène pas une campagne qui dépasse mes compétences, mais j'essaie de bien sensibiliser les élus que vous êtes à notre activité automobile et à l'urgence de faire quelque chose.

M. Denis DUCHESNE : Vesoul correspond à une activité spécifique d'expédition. C'est une plate-forme d'expéditions et, à ce titre, elle est très intéressée par cet équipement. Le second aspect est le développement du pôle automobile que représente Sochaux-Mulhouse qui, contrairement à une idée reçue, n'est pas un pôle automobile en situation stable, mais un pôle automobile en développement.

Nous sommes confrontés très régulièrement à des besoins d'implantation d'un certain nombre d'entreprises sous-traitantes, de grands groupes ou de petites entreprises. Je puis vous assurer que certaines renoncent à s'implanter en Sud Alsace parce que les communications sont insuffisantes. Il est vrai que nos besoins de communications sont sur un axe Sud Alsace, Montbéliard, plutôt vers la région parisienne et le Nord. Ce tronçon manquant est frappant. On a chaque fois l'impression de faire un détour.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : La majorité de vos relations depuis Montbéliard et Vesoul sont dirigées principalement vers le Nord.

M. Denis DUCHESNE : Nos usines d'organes mécaniques sont dans le Nord (Valenciennes, Metz, etc.). Des flux très importants se dirigent vers la région parisienne : des composants de voitures, indépendamment des véhicules proprement dits, qui sont majoritairement expédiés par transport ferroviaire, pour 80 % environ.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Si l'on part du principe que le barreau autoroutier est réalisé, que deviendrait la ligne Paris-Bâle ? Vous utilisez actuellement cette ligne pour la majorité de vos expéditions.

M. Denis DUCHESNE : Il n'est pas question de changer la proportion d'expéditions. Le trafic de Vesoul est essentiellement constitué de transport par camion.

M. le Rapporteur : Dans vos expéditions, quelle est la part de la route, du rail ? Quelles sont les perspectives dans les années à venir ? Entendez-vous favoriser le transport routier, malgré les problèmes de saturation que nous allons connaître dans certaines régions, ou le transport combiné, le ferroutage ? Cela nous intéresse.

M. Denis DUCHESNE : Le ferroutage ne nous semble pas idéal. Nous privilégions l'expédition des voitures finies par le rail, à hauteur de 70 à 80 %.

Ce système sera maintenu, car, pour les voitures finies, il est assez pratique. En revanche, pour tout ce qui concerne l'approvisionnement de pièces, de composants ou l'expédition de pièces ou de composants, c'est essentiellement le transport par camion qui est utilisé.

M. le Rapporteur : En imaginant que la voie ferrée assure une qualité et une régularité d'approvisionnement, pourriez-vous revoir votre position ?

M. Denis DUCHESNE : Si un transconteneur tombe de la voie ferrée, il faut le charger sur un camion pour l'amener à pied d'_uvre, ce qui crée donc une rupture de charge supplémentaire. Alors que le camion va jusqu'au quai où se trouve le transconteneur.

Une vraie solution pourrait être de mettre le camion sur le rail et de lui redonner son autonomie à l'arrivée. On en a beaucoup parlé, mais cela n'existe pas pour le moment. Si cela existait, je ne vois pas pour quelle raison je ne l'utiliserais pas.

M. Roger GARNIER : Pour compléter le propos de M. Duchesne, deux points sont à considérer. Lorsqu'on observe l'implantation de nos fournisseurs, on constate que l'essentiel de l'activité automobile se situe au Nord de la Loire. La majorité des fournisseurs se trouve dans ces régions du Nord, soit l'Allemagne, pour certains composants, et soit, pour beaucoup en France, dans le bassin parisien, en Normandie, dans le Nord de la France et du côté de l'Angleterre.

Demain, un certain nombre de composants viendront des pays d'Europe centrale et orientale, ce qui engendrera du trafic en direction de ces pays, qui sont des pays porteurs, émergents en matière de voitures.

Le problème du ferroutage est un problème d'unité de charges et de densité de réseau pour récupérer les pièces chez nos fournisseurs disséminés un peu partout. Le rail le permet, mais, compte tenu de la diversité de nos fournisseurs, nous nous approvisionnons en petites quantités de pièces, avec des circuits de ramassage, comme c'est le cas des bus dans une ville.

Le ferroutage est utile pour des transports de pondéreux. Nous utilisons le fer pour nous approvisionner en rouleaux de tôle, en sables de fonderie, etc., et pour l'expédition des voitures. En revanche, pour les petites pièces, compte tenu de la répartition des fournisseurs, le transport se fait par ramassage.

M. Denis DUCHESNE : Il ne faudrait pas penser que nous avons tendance à privilégier la route par facilité. Nous aurions tendance à choisir toutes autres solutions, car elles sont en général plus régulières. Je prends un exemple ; nous avons commencé à expédier des collections de pièces vers l'Argentine, notamment dans le cadre de la fabrication de la Peugeot 206 dans ce pays. Nous le faisons par le canal pour aller jusqu'à Anvers. Tout cela pour vous dire que l'on déploie de l'imagination pour essayer de sortir de la route.

M. le Rapporteur : En une phrase, le canal vous aurait-il intéressé ?

M. Denis DUCHESNE : Oui, clairement.

M. Roger GARNIER : Je ne suis pas de cet avis.

M. Denis DUCHESNE : J'ai un avantage, car j'ai un quai dans l'usine.

M. le Rapporteur : Prenons l'exemple du centre de production Sochaux Montbéliard.

M. Roger GARNIER : La réponse était non au moment où nous avons été consultés.

M. Joseph TYRODE : Cela fait plus de dix ans que je défends cet axe autoroutier, et j'ai été déçu. C'est du passé. Cet axe est-il nécessaire plus particulièrement pour Vesoul ?

M. Denis DUCHESNE : Pour nous, c'est également nécessaire.

M. Joseph TYRODE : Il est important de le repréciser.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Tel que vous le présentez, l'enjeu du lien entre les deux grands axes est essentiel, et pas seulement pour le Nord, mais pour l'ensemble de la Franche-Comté. En revanche, je suis ravie de vous entendre dire que l'enjeu de l'autoroute ou de la liaison n'est pas lié au site de Vesoul comme on a voulu nous le faire dire ou comme cela a été dit depuis deux ou trois ans.

M. Roger GARNIER : Vesoul est un site important en tant que plate-forme d'expédition, de pièces détachées dans le monde entier. Vesoul est donc très demandeur, ainsi que le centre de Mulhouse, celui de Sochaux et l'ensemble des fournisseurs présents.

Le conseil économique et social dont je fais partie avait voté à l'unanimité une motion en faveur d'un barreau rapide. Les députés du Doubs ici présents sont convaincus de cet intérêt. A mon avis, il convient donc de remettre l'ouvrage sur le métier.

M. Joseph PARRENIN : Aux centres que vous avez cités, il faut ajouter tous les sous-traitants de l'automobile qui ne livrent pas que Peugeot Sochaux et Peugeot Mulhouse.

M. Roger GARNIER : Ils travaillent aussi pour d'autres entreprises qui peuvent être situées en Allemagne ou à Ryton en Angleterre. Les fournisseurs ne travaillent pas que pour nous.

M. Joseph TYRODE : Concernant l'ensemble de la desserte telle que vous l'avez définie, il est vrai qu'il semble peu rationnel de faire un tel détour au départ de Paris, alors qu'on peut le faire autrement !

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : On nous a dit que les enjeux financiers sont tels que nous sommes obligés de choisir des priorités. Je ne nie pas que ces choix sont essentiels pour vous, mais d'autres priorités sont à prendre en compte en ce qui concerne les carrefours à réaliser le long de l'axe Rhin-Rhône, en particulier la RN 57.

Ces luttes sont sûrement du même ordre. Je ne souhaiterais pas que l'on en privilégie une en oubliant une autre. C'est mon souci. Il faudra que l'ensemble des responsables économiques et politiques de la région soient capables de montrer que, certes la RN 19 est essentielle et suffisante pour l'activité du Nord de la Franche-Comté et Mulhouse, mais que l'aménagement complet de la RN 57 est essentiel pour la cohésion et pour la capitale régionale.

M. Roger GARNIER : Je le pense également. Quand je me rends en Suisse et que je retrouve à Vallorbe une route digne de ce nom, je suis très heureux d'avoir passé la frontière. Le problème est que de Besançon à Pontarlier, le trajet est difficile. Cette voie est très risquée, par rapport à la Suisse. Il serait bien d'y penser également.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Tout à fait. Je tenais à noter, dans le cadre de cette mission, que l'enjeu de la RN 57 est aussi important.

M. le Président : Je vous remercie beaucoup de votre contribution.

Audition de MM. Gilles SENÉ,
Porte-parole du collectif Saône-Doubs vivants-Sundgau vivant

et François JEANNIN,
Vice-président de la fédération nationale des associations d'usagers des transports

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 1999 à Besançon)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. Michel Vauzelle, président expose l'objet de la mission d'information.

M. le Rapporteur : François Jeannin et Gilles Sené sont deux amis, et ont été les moteurs de la lutte anti-canal.

M. le Président : Je vous rappelle le but de notre mission. Les députés, partisans du canal et leurs adversaires, se sont rassemblés pour servir l'avenir et la nation dans son ensemble. Des représentants de toutes les régions concernées par ce grand axe Rhin-Rhône sont présents ici.

La page du canal étant tournée, nous devons trouver une solution alternative pour l'emploi, le développement économique de nos régions, en menant notamment une réflexion sur le train, le fret ferroviaire, le ferroutage, l'autoroute, en cherchant à éviter la pollution de nos paysages, le stress, et l'encombrement des routes et des autoroutes.

Comme ces solutions sont très coûteuses et longues dans leurs réalisations, nous devons décider vite. Notre mission va bientôt arriver à son terme. Elle nous a conduits de Marseille à Lyon, de Lyon à Besançon, puis en Alsace. Nous avons reçu à Paris des élus, des représentants du monde économique, des grandes entreprises qui peuvent nous donner leurs lumières sur cet avenir. Nous sommes heureux de vous écouter. Je vous donne la parole.

M. Gilles SENÉ : Il me paraît utile de faire un retour en arrière. Nous faisons partie du monde associatif qui a été l'un des moteurs essentiels dans la chute du projet du grand canal.

Sans reprendre l'historique, je voudrais simplement vous faire comprendre que, au départ, les préoccupations du monde associatif, vis-à-vis de ce projet, étaient environnementalistes. Au fur et à mesure que nous avons eu connaissance du dossier, nous nous sommes rendu compte que le thème des transports et l'aspect économique étaient une donnée essentielle, mais que, au-delà, l'aspect social, notamment en matière de création d'emplois pour lesquels avait été fait de la publicité (par la CNR et autres ...), et plus largement la démocratie, étaient concernés.

On s'est rendu compte que le projet de grand canal recouvrait tout un ensemble de problématiques. Il y a eu un effet de catalyseur quand l'ex-majorité est tombée et que la nouvelle majorité a renoncé au canal. Cela correspondait à la nouvelle logique impulsée par Mme Voynet, en collaboration avec l'ensemble du Gouvernement, en ce qui concerne la « politique de développement durable pour le territoire Saône-Rhin ».

Dans la lettre de mission adressée par Mme Voynet aux préfets, le rôle majeur des associations en tant que force de proposition était bien spécifié. Nous n'avons pas décliné l'offre. Nous avons joué le jeu, en tenant ce rôle de consultant pour la mise en place de ce projet de territoire, son contrôle et son élaboration.

Si l'on concentre notre analyse sur les transports, les problèmes sont à nos yeux la route, le moteur à combustion qui génère de trop importants problèmes (santé, temps perdu, vies humaines, etc.), pour une rentabilité à court terme très discutable.

Nous souhaitons que soit mise en place sur cet axe Rhin-Rhône, qui déborde largement du cadre régional de la Franche-Comté, une nouvelle politique de transports, qui n'a pas existé depuis trente ans. Les prémisses de cette politique étaient contenues dans la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI), mais n'ont jamais donné lieu à une application pratique cohérente. Cela se retrouve de façon certaine dans la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, qui aborde le problème avec une philosophie différente, non plus par le biais des modes de transport mais par le biais des schémas de service.

Dans ce cadre, notre activité a permis de générer toutes sortes de communiqués de presse ou de travaux. Les problématiques peuvent être plus ou moins locales et générales : journées sans automobile, problème du TGV existant actuellement, hécatombe routière, notamment suite à l'accident dramatique du Tunnel du Mont-Blanc, projet de plate-forme de Plagny ainsi que schémas de service appliqués à l'échelon régional.

Il faut donc bien dissocier les aspects fret et personnes, bien que, dans certains cas, il puisse y avoir des problèmes de concurrence entre ces deux aspects.

Pour le fret (transit sur de longues distances), les efforts devront porter essentiellement sur la suppression des camions. Je pense que l'on peut parler de suppression comme objectif, même si à moyen terme ce sera une limitation. Cela peut passer par diverses techniques : ferroutage, transport combiné etc.

Nous soutenons une politique forte pour favoriser le rail pour tout ce qui est transport de fret.

Concernant le transport de personnes, l'essentiel du problème réside dans les villes. On déborde largement le problème des transports dans la mesure où cela concerne aussi les problèmes d'urbanisme.

Si on parle de durabilité, il faut voir les choses à long terme, et on ne résoudra pas les problèmes de transports, si on ne résout pas les problèmes liés aux zones commerciales dans un endroit, à l'emploi dans un autre, et aux habitations. Toute une politique est à mettre en place, à des niveaux différents, mais dont le point commun est la construction d'infrastructures.

Une infrastructure n'est pas neutre. Par les usages qu'elle va générer, elle peut conditionner des pratiques largement dommageables en termes de santé publique, environnement, etc.

M. le Rapporteur : L'une des grandes questions que nous traitons est le problème de la place du fret, de la route, de la voie ferrée. Profitant de votre expérience, il serait bon que vous puissiez parler du TGV Rhin-Rhône, de son tracé, des options possibles, de la philosophie de ce projet, de la place du fret dans le transport ferroviaire de marchandises, des itinéraires. Quelles sont les opportunités qui peuvent exister ?

De même, en termes d'aménagement de plate-forme, de structure, que serait-il important de mettre en place rapidement afin de conforter le développement économique de cet axe Rhin-Rhône ?

Nous n'allons par parler des problèmes d'urbanisme ou de déplacements urbains, même s'ils sont essentiels, mais abordons surtout le fret, le TGV, les itinéraires de substitution.

M. Gilles SENÉ : Nous sommes un collectif informel d'associations regroupant des personnes morales et des personnes physiques. Nous rassemblons aussi des associations de protection de la nature, de consommateurs, d'usagers des transports. C'est à ce dernier titre que François Jeannin est présent ce soir.

M. le Rapporteur : Monsieur Jeannin, je tiens à vous féliciter pour votre nomination au poste d'adjoint de M. Sivardière, président de la fédération nationale des associations d'usagers des transports (FNAUT).

M. François JEANNIN : Quand la FNAUT, sur proposition du ministère de l'aménagement du territoire, a été désignée comme l'interlocuteur des pouvoirs publics et du ministère des transports pour le comité de pilotage du TGV Rhin-Rhône, il a fallu que M. Gayssot fasse preuve de son autorité de ministre pour imposer, comme représentant, ce que les élus du nord franc-comtois appelaient un petit expert local, à savoir moi-même, pour participer à ce comité de pilotage. Le bureau national de la FNAUT m'a désigné à l'unanimité. Je n'en tire aucune vanité personnelle, mais je travaille depuis plusieurs décennies, à titre personnel, sur les dossiers des transports de la région.

Je crois savoir quelles sont les personnes que vous avez rencontrées depuis le début de votre mission. Beaucoup de mes amis en font partie. Vous avez entendu des gens comme Jean Sivardière, mon président et ami. Je suis un émule et condisciple de Gaston Bessay que vous avez reçu et qui vous a fait part de ses compétences en matière de transport.

Le fait d'avoir fréquenté des universitaires de Lyon 2, de la région parisienne pro ou anti-canal et ma propre philosophie sur les transports m'amènent à dire que, sur ce territoire, l'enterrement du dossier grand canal a ouvert un immense chantier de réflexion entre Rhin et Rhône, entre Saône et Rhin, même s'il y a eu quelques « bavures », notamment dans les comités de suivi chargés d'examiner le développement du trafic de fret dans le projet d'avenir du territoire entre Saône et Rhin.

La région Franche-Comté prépare en ce moment son contrat de plan État-région. Nous répétons certaines choses depuis plusieurs mois. Cela part d'un certain nombre de lignes de force. A la limite, on ne peut plus continuer. Il faut d'abord redéfinir une politique des transports et, sur l'axe en particulier, dire que la solution routière est périmée. Elle n'a aucun avenir. Il n'y a aucune possibilité d'amélioration par la solution routière.

Par habitude, tous les partenaires économiques ou les représentants des chambres de commerce et du monde industriel demandent plus d'infrastructures sans se demander qui les paie et comment cela se passe.

Il faut parfois rappeler les accidents comme celui du Mont-Blanc pour confronter nos concitoyens à la réalité et voir où conduit l'absence de régulation, que nous dénonçons depuis fort longtemps comme un des péchés majeurs, sans parler de l'absence de planification dans les transports et du fait qu'aucune décision d'aménagement du territoire cohérent n'est prise.

Traduit dans les faits, j'évacue volontiers le dossier TGV. Je connais les positions du collectif Saône-Doubs Vivants puisque nous y travaillons ensemble. Ce dossier TGV Rhin-Rhône a été bien conduit jusqu'à présent. Du point du vue du promoteur, il n'a pris aucun retard. Il est à la veille d'une épreuve cruciale qui peut être le point de rupture tel que l'a été celui de grand canal.

A partir du comité de pilotage qui se réunira le 28 juin, les choix qui vont être pris peuvent avoirs plusieurs conséquences : il se peut que les régions intéressées par ce projet continuent à travailler ensemble. Elles peuvent aussi voler en éclat, voire susciter un grand élan d'opposants qui vont se retrouver sur des bases voisines et communes de celles qui s'opposaient au grand canal.

Dire aujourd'hui, alors que l'on vient de prendre la décision de Paris-Strasbourg, que l'on veut faire un Paris-Mulhouse ! Quand une réflexion nationale est menée sur les infrastructures TGV sans tenir compte des besoins de Bordeaux, de l'Aquitaine, de la Bretagne, de l'Auvergne avec Clermont-Ferrand, du Midi...

Par exemple, une fois le TGV Méditerranée achevé, quid de la liaison sur l'Espagne ? Les liaisons entre Marseille et Nice restent ce qu'elles sont ; il n'y a pas de grand projet. Pour désenclaver cette région, ce ne sera pas facile. Il y a d'excellentes liaisons entre Nice et Paris, mais vous n'aurez pas de liaison avec Marseille autre qu'avec Paris dans de bonnes conditions.

Je ne parle pas du désenclavement horizontal : la perspective de faire un Paris-Mulhouse après un Paris-Strasbourg est inacceptable. En revanche, laisser en l'état la liaison Strasbourg-Lyon, alors que le vrai enjeu européen est bien de venir de l'Allemagne du nord... De même que Rotterdam-Marseille se fera toujours par la mer, Francfort Barcelone se fera par avion pendant très longtemps et non par TGV, fut-il de nuit.

Qu'il y ait du cabotage avec des ruptures de charges à Marseille, Lyon ou Strasbourg, c'est possible, mais Francfort-Barcelone n'est pas prêt de se faire ainsi.

Certains souhaitent forcer la main pour aller de Mulhouse à Dijon, sous prétexte que le cahier des charges en est à ce stade de propositions, alors que les décisions gouvernementales de l'an dernier sont en faveur d'une première étape qui pourrait être Mulhouse Besançon. Cette première étape fait le consensus de tous les partenaires. Elle est intéressante pour tous les aspects du projet TGV Rhin Rhône. Nous pouvons nous y rallier. Nous savons bien que la voie ferrée épouse tous les méandres. Le profil est trop sinueux pour y faire passer des trains suffisamment intéressants.

Mulhouse Dijon, c'est autre chose. C'est valoriser une relation avec Paris au profit de la Bourgogne et de l'Alsace sans gros intérêt pour la Franche-Comté, mis à part Belfort-Montbéliard, contrairement à ce que nous proposons et qui a l'avantage d'utiliser Paris-Bâle. C'est respecter alors l'orientation, la philosophie et les directives gouvernementales.

Revaloriser Paris-Bâle, c'est faire passer Vesoul à égalité de temps, par rapport à Paris avec le TGV Rhin-Rhône. Noidans-Vesoul, c'est la première plate forme conteneurs de province, pour les prestataires existants ; elle peut avoir un rayonnement important autour d'elle, pour autant que les liaisons routières soient améliorées.

Tout le bassin Bâle-Mulhouse, pendant des années, sera intéressé par le TGV Est. C'est le principe retenu. Je ne vous donne pas les documents du comité technique. Ils restent confidentiels quelque temps. On est sûr de cela. Mais si on décide d'aller au-delà de Besançon, c'est à Besançon-Viotte.

Il n'y a aucun intérêt à construire de nouvelles gares « betteraves ». Ces gares ne sont pas fréquentées. La ville de Besançon y perdrait. Une telle gare TGV serait néfaste pour Besançon, quel que soit le type de navette entre Besançon et la gare extérieure, où qu'elle se situe.

Enfin, au conseil économique régional, le travail en cours est fondé sur la complémentarité et les niveaux de desserte. Nous envisageons que les autoroutes fonctionnent avec une amélioration des infrastructures routières à partir de la RN 57 et de la RN 19. La RN 19 en 2 x 2 voies, c'est mieux qu'une autoroute A 5 entre Langres et Belfort.

C'est continuer à renforcer le lobby routier pour l'amener à des goulots d'étranglement sans donner de perspectives d'échappatoire.

Notre particularité ici est d'avoir une longue frontière avec la Suisse. Les dispositions légales suisses sont telles que l'accès des camions sera limité en 2002. Dès lors que les camions de 40 tonnes arrivant de Pologne vers Vallorbe devront traverser la Suisse, ils devront être chargés sur un train. Autant le faire tout de suite !

La Franche-Comté, quant à elle, a peu de chance d'avoir de vraies plates-formes logistiques. Cela étant dit, je crois savoir à peu près quelles sont les personnalités éminentes que vous avez pu auditionner. Je ne voudrais pas redire ce qu'elles ont pu dire. Je connais le discours de chacun. Je voudrais conclure, en tant que militant, sur deux dossiers : le schéma régional des transports collectifs et le TGV. Je voudrais qu'ils soient bouclés au mieux pour cette région à laquelle je suis très attaché et pour le pays.

Ce qui importe aujourd'hui, c'est d'éviter les erreurs magistrales telles que celles constatées dans le passé.

Les associations comme le FNAUT essaient d'avoir une cohérence dans un raisonnement global et intégré ; alors que la tentation est grande, notamment pour les élus, de se limiter chacun à son barreau TGV ou autoroutier, son aéroport, son canal, sa ligne TER ou de bus etc. Raisonner autoroute et TGV en intégrant ces infrastructures de haute performance et en les articulant avec les réseaux de routes nationales, grandes lignes SNCF, TER et bus régionaux, transports urbains, telles est notre démarche.

Notre ministre nous a lancé le défi et un projet ambitieux de territoire entre Saône et Rhin. Dans notre champ de compétence, les transports, nous faisons des propositions qui se réclament de cette cohérence, articulant des réseaux intégrés dans un plan global multimodal. Notre action s'inscrit à plein dans les objectifs d'aménagement et développement durables de ce grand territoire. Et cela commence dès le transfert, par exemple, du camion vers la voie d'eau, en gabarit Freycinet, sur automoteur de 300 à 400 tonnes, des flux de matériaux, voitures, gravats etc.

Aujourd'hui, dans la « Vie du rail », on étudie l'arrivée des techniques pendulaires dans les réseaux européens à très grande vitesse. Ils vont tous moins vite qu'en France, que ce soit en Suède, en Allemagne, ou ailleurs, qu'on l'appelle ICE, pendolino, ATR... En revanche, ils passent au c_ur des villes. Cela change tout.

Mettre Besançon à 2 heures, au lieu de 2 heures 30 de Paris, on y a bien travaillé. Belfort est à 2 heures 30, alors que c'était 4 heures, on a bien travaillé. Mais si les Belfortains, les Bisontins, au lieu d'aller à la gare de leur ville, sont obligés de prendre une navette plus une voiture, ils prendront leur automobile et seulement elle. Il faudra d'immenses parkings. C'est fini ; c'est une notion complètement périmée. Je l'ai dit à nos amis de Franche-Comté, la chance de la gare Méroux-Moval est d'être au c_ur d'une agglomération de 300 000 habitants. Sinon, nous tiendrions exactement le même raisonnement.

Je serais curieux de savoir comment le maire de Mulhouse, M. Bockel, défend sa gare à Lutterbach. Nos amis de Sundgau vivant ont le même raisonnement que nous. Aujourd'hui, imaginez tous les confluents qui permettent de prendre les trains à Besançon-Viotte ou à Belfort ! Demain, ces trains du schéma régional des transports collectifs obligeront les usagers à prendre une ou deux correspondances qu'ils n'ont pas aujourd'hui.

Les Francs-Comtois qui viendront de Baume-les-Dames ou de Dole pour prendre leur TGV, - comme il n'est pas possible de faire un TER Dijon-Sennecey (Gare TGV)-Belfort - descendront à Besançon ; ils devront prendre une navette. Cela veut dire que l'on prendra sa voiture. Personne n'ira prendre son TGV à Devecey en venant de St Vit ou de Baume-les-Dames avec deux changements.

C'est complètement opposé à notre conception des transports collectifs. Il faudra faire deux fois deux voies entre Devecey et la gare de Besançon Viotte. C'est complètement aberrant, on ne peut plus continuer.

M. Joseph PARRENIN : Comment votre passager va-t-il venir prendre le train à la gare Viotte ?

M. François JEANNIN : Si l'on va au bout des crédits importants votés pour ce premier contournement...J'ai entendu dire qu'il y avait un désenclavement important.

M. le Président : Si la gare en centre ville a tout son intérêt, pour les citadins, en revanche ceux qui ne résident pas dans l'agglomération vont perdre une heure pour y entrer et atteindre une gare, où ils auront en outre, des difficultés pour se garer. Comment résoudre ce problème ? D'autant plus que la population de la ville protestera en les voyant venir de tous les coins et laisser leurs voitures, etc. Cela va les ennuyer.

M. François JEANNIN : Je vais vous dire pourquoi nous avons choisi Viotte. La conception que nous avons d'une grande gare multimodale à Besançon, c'est que Besançon est la ville la mieux située. C'est le passage obligé de tous les TER de toutes origines, de toutes destinations : Lyon comme Paris, Dole et Dijon, comme les petites lignes régionales venant de Morteau et de Devecey. S'il reste ce petit tronçon de ligne de 9 km, c'est parce que les cheminots se sont battus pour sa survie et ont fait en sorte que cette ancienne ligne à double-voie venant de Vesoul puisse être modernisée pour un coût raisonnable, pour moins de 300 millions de francs. On peut la remettre à double voie ou encore à voie unique, bien équipée, sur ces 9 Km.

Le seul investissement routier que je considère comme important, est celui qui permettrait éventuellement de venir de Valentin à la gare Viotte. Il n'y aurait que cela à mettre en place. L'accès routier est aussi bon qu'aujourd'hui. L'accès venant de la RN 57, depuis Pontarlier, est garanti car il est existant.

M. Joseph PARRENIN : A 6 heures du matin, je mets 50 minutes ; à 7 heures, je mets une heure ; à 8 heures 24, je mets 1 heure 25. Je ne parle pas du dimanche où je manque le train à 18 heures 24.

M. François JEANNIN : Et pour aller à Devecey ?

M. Joseph PARRENIN : Il y aura le contournement.

M. Gilles SENÉ : Cela correspond à notre volonté de voir une reconsidération du rail dans les villes. Il faut que l'axe nord-sud et sud-ouest de Besançon se développe pour des personnes qui viennent régulièrement et pas seulement pour des personnes qui font des voyages interrégionaux.

M. Joseph PARRENIN : Je n'ai pas été du tout d'accord avec l'idée selon laquelle les élus seraient moins responsables que les membres des associations. Je pense que l'on peut faire fonctionner la gare de Viotte. Il faut faire des aménagements routiers, des parkings. Des immeubles sont à détruire. Ce ne sont pas les associations qui prendront les arrêtés pour le faire ; ce sont les élus.

M. François JEANNIN : J'ai été chef de gare à Besançon pendant des années. Aujourd'hui, le parasite sur le site de la gare de Besançon-Viotte, c'est l'immense hall Sernam où ne viennent que des camions de 40 tonnes toutes les nuits. La plate-forme routière se trouve à Valentin. Ils n'ont rien à faire dans le centre ville. En son temps, nous avions contesté le parking construit par la filiale de la SNCF. La façon dont il a été conçu est une hérésie. On ne peut même pas y faire circuler un autobus. L'harmonisation avec le réseau urbain a été un échec. Il est impossible de prendre un bus pour une quelconque destination depuis le quai de Besançon Viotte. C'est aujourd'hui la seule gare de capitale régionale sans un seul escalator. Je ne veux pas en faire le procès. Des hectares sont disponibles au c_ur de la ville, des terrains et voies militaires.

Quand on voit ce que l'on a fait à Fribourg, sur une portion de territoire bien moins importante, ce que l'on peut faire en Suisse sur des petits bouts de territoire où la place coûte cher, on voit que l'on peut faire mieux que cela : on peut faire du somptueux.

J'avais cru comprendre que ce serait le prochain grand enjeu municipal de cette ville aux élections de 2001. Nous ferons en sorte que ce soit bien cela. Quand on arrive à Planoise par les transports collectifs, qu'ils soient du district, du grand Besançon, de la banlieue, - nous n'avons pas renoncé à voir des parkings extérieurs plutôt que des silos sous-terrains, sous le conseil régional, etc -... La complémentarité veut que nous ayons des parkings de bon niveau à toutes les entrées de la ville.

La question est cruciale et mal comprise des Francs-Comtois. Venant de Pontarlier, on ne peut pas prendre son parti de la situation sur la route de Morre aujourd'hui. On ne peut pas non plus dire que l'on ne peut rien faire. A hauteur du village de Morre, nous avions expliqué il y a 20 ans avec un ingénieur de la DRE qu'une infrastructure était totalement vide, disponible, sauf 15 minutes par jour : c'était la plate-forme ferroviaire. On peut venir de Morre en 2 minutes par le train au lieu des 40 minutes nécessaires actuellement. Ce n'est pas la place qui manque à Morre pour faire une gare d'accès.

M. le Rapporteur : Comment voyez-vous le développement du fret en termes de voies, de corridor ? Au-delà de la mise au gabarit B+ entre Besançon et Belfort, quelles sont les grandes pistes que vous souhaiteriez souligner ?

M. François JEANNIN : Si on aborde maintenant le fret, tenons compte du fait que le premier maillon Mulhouse Besançon, peut-être le seul en l'état actuel des choses, est fait à 260 ou 300 km/h. Des sillons sont disponibles, le gabarit B+ est acquis entre Belfort et Besançon. Que fait-on de ces flux de trafics fret à partir de Besançon ? Nous disons que tout ne peut pas passer par la vallée du Loup. Un certain nombre de trains sont disponibles parce que les sillons, les voies sont disponibles. Par Dole, Dijon, il y a de la place.

On sait que le n_ud ferroviaire de Dijon représente un obstacle possible. La carte ferroviaire publiée aujourd'hui par la « Vie du Rail » ne donne pas encore le triage de Dijon Perigny. On parle beaucoup du goulot d'étranglement de Lyon, mais pas de celui de Dijon. Si on raisonne à long terme, Dijon est là.

On peut, à partir de Dole, rattraper la ligne de la Bresse, entre Dole et Dijon. On rattrape la ligne de la Bresse. On pourrait même, au départ de Dole, aller en site propre par une ligne électrifiée jusqu'à la seconde entreprise industrielle de cette région, qui est Solvay. Nous sommes en direction de la voie ferrée de la Bresse ; on a une plate-forme aéroportuaire, un carrefour autoroutier, autoroute A 39-autoroute A 36. C'est le lieu par excellence d'un point d'échange à destination de cette région. Le fret peut passer par là.

Je ne voudrais pas oublier Strasbourg-Lyon en ce qui concerne le fret. Une convention a été passée entre la région et l'État pour l'électrification de la ligne à raison de 60-40 % d'investissement chacun. Nous avons été un peu abusés par l'opérateur unique SNCF. Je ne suis pas de ceux qui regrettent la séparation entre RFF et SNCF. Aujourd'hui, cela permet de faire des choix plus judicieux, notamment, entre Mouchard et Saint-Amour. On n'a pas écouté les propositions faites par les associations et les syndicalistes. Cette ligne aurait pu être modernisée avec plus d'efficacité pour très peu d'argent supplémentaire. Il faut augmenter le débit et la capacité de cette ligne qui peut absorber beaucoup de trains de fret. C'est déjà le cas la nuit.

Plus il passera de trains de fret sur cette ligne, moins la Franche-Comté aura à payer l'électrification, puisque cela fait partie de la convention. Plus il passe de trains de fret, plus on vous rembourse votre part d'investissement.

Le contournement est de Lyon sur lequel sont basées toutes les études, vaut la peine que l'on s'y intéresse. Dans la région lyonnaise, à l'est comme à l'ouest, en Saône-et-Loire comme dans l'Ain, il y a d'anciennes voies utilisables ou réaménageables. Quand on a pris la ligne dite « des Carpathes » pour faire le TGV entre Bourg et Genève par Bellegarde, on est tout à fait capable d'utiliser les lignes de la Bourgogne, de Rhône Alpes, dans l'Ain, pour faire les transits de fret contournant Lyon par l'est, en direction de la rive droite du Rhône. Il n'est pas exclu de penser que le premier projet de ferroutage serait Lyon-Turin. Nous pensons que Lyon-Turin est prioritaire à d'autres investissements autoroutiers que pourraient réclamer quelques-uns de cette région. Je continue à dire qu'emmener les 40 tonnes à Vallorbe - sachant qu'en Suisse, c'est le goulot d'étranglement et qu'ils ne voudront pas que l'on traverse leur territoire comme cela - c'est ne pas vouloir tenir compte ni respecter la démocratie de la Suisse et de l'Autriche, en leur amenant nos polluants, nos pollueurs, dans les conditions où on les y autorise.

M. Gilles SENÉ : Je voudrais rajouter qu'en Suisse, l'interdiction et la limitation des camions a été due à une initiative populaire. En complémentarité de ce refus des camions, le trafic a été doublé entre Lausanne et l'Italie. Aucune voie supplémentaire n'a été construite. Cela s'est fait uniquement par modernisation des lignes, par l'informatisation. Des moyens sont à mettre en place, mais sans forcément être coûteux en termes de paysage et d'environnement.

M. le Rapporteur : Les propositions qui sont faites sont passionnantes. Mais pourriez-vous nous faire une contribution écrite que nous pourrions, par rapport à la ligne des « Carpathes », intégrer dans le rapport ?

M. Gilles SENÉ : Beaucoup d'éléments sont déjà dans le dossier.

Pour conclure, du point de vue de la démocratie, cela fait quatre décennies que le monde politique et le monde technocratique se sont fourvoyés. Les solutions qui ont été proposées sont fausses. Il est apparu que ces solutions ont, en proposant des infrastructures supplémentaires, généré du transport supplémentaire. Cela équivaut à constater que l'on va vers le mur, et à y aller de plus en plus vite.

Le comportement responsable serait de prendre le temps de réfléchir sur l'existant et l'internalisation, c'est-à-dire prendre en compte tous les coûts d'un mode de transport, en termes de santé publique, accident, pollution...

Il faut aller vers la démocratie, c'est cela seulement qui permettra à notre pays de prendre en compte la chose politique de façon concrète. Voilà tout un travail d'éthique, démocratique qui peut se décliner sous forme de développement durable. En Franche-Comté, nous aimerions voir que soient conjugués deux projets majeurs : ce projet de développement durable du territoire et le projet de TGV avec la même philosophie. Ce n'est actuellement pas le cas.

M. le Rapporteur : Je vous remercie.

M. Gilles SENÉ : Vous nous avez quelque peu frustrés.

M. le Rapporteur : Ne le soyez pas, car certains n'ont bénéficié que d'une demi-heure.

M. le Président : Depuis ce matin, nous avons un rythme d'auditions important. Ce que vous avez dit était très important.

M. François JEANNIN : Peut-on demander que vous vous rapprochiez des conclusions de ce qui se fait dans cette région sous la direction de la DRE qui pilote les schémas de circuits ? La qualité du travail en cours avec la DRE est remarquable.

M. le Rapporteur : Il y a eu une présentation de la DRE avant.

Audition de MM. Jean-Claude DUVERGET et Bernard CHAINEAUX,
respectivement Vice-président et Directeur général des services du conseil régional

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 1999 à Besançon)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

Le président Michel Vauzelle expose l'objet de la mission d'information.

M. le Président : Après la décision du Gouvernement de ne pas réaliser le projet de canal Rhin-Rhône, des députés membres de la majorité et de l'opposition ont pris l'initiative de former une mission d'information commune pour étudier ensemble comment on pouvait soutenir le développement économique et social des régions concernées par ce projet. Ce soutien passe notamment par une réflexion en matière de chemin de fer, TGV, fret, ferroutage, liaisons routières ou autoroutières.

On voit bien qu'il existe un grand axe de développement européen qui va des Bouches du Rhône aux Bouches du Rhin, en incluant notamment cette région-ci. Nous voyons émerger une prise de conscience, partout où nous nous rendons, de nos intérêts communs à avoir ce grand axe d'aménagement européen d'intérêt national.

Connaissant l'étendue des investissements et des délais, nous devons tenter notre chance pour presser le Gouvernement à prendre les décisions qui s'imposent dans ce domaine. Les préoccupations d'ordre environnemental, de qualité de vie ne doivent pas être perdues de vue, même si l'on doit songer au développement économique et à l'emploi. C'est pourquoi nous souhaitions vous entendre ce soir. Je vous donne la parole en m'excusant pour ce retard considérable.

M. Jean-Claude DUVERGET : Tout d'abord, je vous apporte le salut de mon président Jean-François Humbert, retenu au Sénat. Sur ce dossier, je vous remercie d'auditionner la région. Je suis en compagnie de Bernard Chaireaux, directeur des services de la région.

Pour confirmer l'une de vos premières phrases, nous avons des intérêts communs dans l'inter-région formée par l'Alsace, la Bourgogne, Rhône-Alpes. Nous faisons partie de l'hinterland de Marseille. C'est une affirmation qui demande à être largement confirmée dans la réalité.

J'en viens au fait. Nous sommes, en Franche-Comté, sur un corridor qui, historiquement, est majeur, mais qui, économiquement, n'est pas encore utilisé dans une stratégie véritablement européenne. Ce corridor est un lieu de passage, mais pas un lieu d'irrigation pour notre région ; il privilégie sur son passage un certain nombre d'agglomérations, mais ne dessert pas convenablement l'ensemble de notre région.

Ce corridor ne profite que partiellement à l'inter-région, aussi bien dans le domaine des communications que dans les domaines économique ou intellectuel.

L'essentiel des crédits du futur contrat de plan concernera les voies de communication. L'un de nos soucis est de trouver dans la région un élément de carrefour. Nous ne pouvons pas nous contenter d'être l'arrière pays de Marseille ou de Hambourg et nous dire que nous sommes le cordon ombilical qu'il s'agit de renforcer. Si l'on renforçait ce cordon, notre région serait simplement une zone de passage. Notre volonté est de trouver en Franche-Comté des lieux qui soient des carrefours et sur lesquels on pourrait avoir des systèmes plurimodaux et plurinodaux, ces deux notions étant différentes.

J'ai évoqué récemment cette question : « Cherchons carrefour franc-comtois désespérément ». Sachant que nous avons à l'Est la plaine d'Alsace, la région bâloise et la Suisse, et à l'Ouest, la Lorraine, Nancy, Dijon, Lyon.

L'un des éléments de ce carrefour peut être une identité régionale qui fixe un axe longitudinal. Nous faisons partie de l'espace alpin périphérique et sommes situés sur un axe transversal par rapport à l'espace alpin. Comment pénétrer dans l'axe alpin en venant de Paris, de Langres, de Besançon ?

Nous voulons bien faire partie de cet axe longitudinal de liaison Nord-Sud, Hambourg-Bâle-Lyon-la Méditerranée, mais nous devons, pour éviter qu'il ne constitue qu'un lieu de passage, renforcer notre statut de carrefour.

Notre seconde préoccupation en matière de communications concerne le rail. La priorité revendiquée par la région, mais avec des soubresauts liés à des différences d'appréciation entre le Nord et le Sud de la région, est le TGV Rhin-Rhône. Pour le conseil régional, la synthèse est simple : il faut une branche Est, plus une branche Sud pour parler vraiment de TGV Rhin-Rhône et non pas simplement d'une liaison Est-Ouest. Relier le Nord de la Franche-Comté à Paris en un temps record n'est pas suffisant.

Le second aspect concernant le rail est le fret. Nous avons actuellement un problème majeur : la voie traditionnelle voyageurs, marchandises le long de la vallée du Doubs, entre Besançon et Montbéliard, n'est pas viable. Il nous faut donc permettre à des convois de gabarit B+ de pouvoir utiliser nos voies aménagées.

Pour le rail, les priorités sont claires, mais, sur le plan de la réalisation, des divergences apparaissent à l'intérieur de notre région. C'est à nous de les régler. C'est aussi un élément à envisager au plan national et international. Au plan international, quel est le parti pris en matière de communication ? Va-t-on privilégier le fret, les transports de plate-forme de camions sur le rail ? Est-ce une politique qui se développe dans l'équilibre des transports en France ? Nous devons le savoir.

Sur le plan des routes, nous sommes sensibles à l'amélioration des possibilités de flux sur l'autoroute A 36, notamment entre Mulhouse et Montbéliard et essentiellement sur Belfort-Montbéliard. Nous sommes dans une situation quelque peu difficile en matière de sécurité ; la confusion est totale entre trafic longitudinal et trafic urbain. Cela arrive de temps en temps dans certaines périphéries. Cette confusion totale entre les deux trafics, qui apparaît sur un tronçon, pose des problèmes considérables de sécurité et de différentiel de vitesse. Nous devons trouver des renforcements pour cette partie de l'autoroute A 36.

Il faut aussi terminer la RN 57. C'est un élément primordial, puisqu'elle couvre la Lorraine, la Franche-Comté, la Suisse et l'Italie, notamment le contournement de Besançon, et toute la partie au Sud de Pontarlier en direction de la Suisse. Par rapport à nos voisins suisses qui font d'énormes efforts, nous sommes en décalage complet en termes de connexion de réseau routier, alors même que l'on évoque la coopération avec un programme inter-rail, etc.

Enfin, il est nécessaire de prendre en compte un élément qui est sous les feux de l'actualité. Il s'agit de l'irrigation du Nord de la Franche-Comté avec l'axe Langres-nord Franche-Comté, dont, pour l'instant, on peut penser qu'il s'agira d'une deux fois deux voies. Mais il faut aussi envisager des portions autoroutières pour sortir du pays de Montbéliard. Cela fait partie de nos critères d'appréciation.

Voilà ce que je voulais dire en matière de communication, sachant que l'on peut renforcer l'axe Rhin-Rhône sans pour autant renforcer la Franche-Comté. Ce danger doit être perçu. C'est ce qui s'est passé depuis un certain nombre d'années.

A travers la mission que vous menez, nous voudrions évoquer ces nécessaires plates-formes plurimodales, ces zones de rupture de charge. Comment les organiser ? Comment peuvent-elles devenir un ferment de développement économique ? C'est le second aspect important après celui des voies de communication. Je n'entre pas dans le détail des voies aériennes, qui est un sujet quelque peu marginal en Franche-Comté. Hélas ou tant mieux, je n'en sais rien.

Cela étant dit, sur le plan économique, nous devons absolument favoriser la localisation sur des carrefours ou sur des lieux de changement de mode de transport, de rupture de charge.

Pour l'instant, nous avons quelques idées. Je pense que, sur ce plan, on ne sera pas tout à fait au point.

D'un point de vue économique, l'une des caractéristiques de la Franche-Comté est le taux de population active dans l'industrie, lié à la présence d'importants établissements industriels et à la très grande dispersion des entreprises, notamment ces PME-PMI du Haut Doubs et du Jura. L'irrigation de ces entreprises, par un réseau pertinent de voies de communication dans le tissu économique, est donc également primordiale.

Je ne sais si la notion de pays pourra y pourvoir en partie, si elle sera un élément de fédération. Si nous ne voulons pas que notre développement économique se fasse uniquement sur l'axe Rhin-Rhône, il faudra relier le mieux possible les pôles situés en périphérie de cet axe, grâce à un effet de « peigne » ou de « râteau ». L'axe Rhin-Rhône et la Franche-Comté se développent grâce à ces activités de PME.

Je suis également très attaché à la coopération intellectuelle, dans le cadre de nos intérêts communs. En l'occurrence, je veux parler de tous les réseaux nouveaux de communication qui recouvrent tout ce qui est immatériel et relatif à la coopération universitaire, par le biais de relations très personnelles. Sur la coopération universitaire ce sont plus les relations individuelles d'universitaires à universitaires, qui arrivent à jeter des ponts entre les établissements universitaires, qu'une volonté des diverses institutions regroupées, régions, départements et villes, sur lesquelles sont situés ces établissements universitaires.

Or, dans un cadre européen, les réseaux universitaires seront aussi des éléments d'attractivité de nos régions. Nous attachons beaucoup de prix à cette coopération et au développement de pôles de recherches identifiés ; il s'agit de faire quelque chose qui ne se fait pas partout.

Pour conclure, cette région peut être une zone de confluence ou au contraire d'étirement et d'éclatement, tel un élastique, selon la façon dont on conçoit l'axe Rhin-Rhône.

Si les responsables de Marseille - je sais que vous y êtes attaché, ainsi qu'à la région PACA - considèrent simplement qu'il faut renforcer l'axe Rhin-Rhône parce qu'il constitue un passage obligé pour avoir facilement accès à la Bavière, au Bade-Wurtemberg, aux États allemands dynamiques, nous considérons que ce n'est pas suffisant comme volonté de coopération. Si, en revanche, la volonté existe, tout au long de l'axe Rhin-Rhône, de développer un certain nombre de points forts, de carrefours et d'implantations industrielles relais, nous serons alors totalement impliqués et partenaires.

Nous sommes une région périphérique de l'arc alpin et, comme toute région périphérique, nous pouvons avoir une situation tangentielle ou de carrefour. Nous situons le carrefour à trois niveaux : Bisontin, région de Dole, et nord Franche-Comté. Besançon est la capitale régionale, mais son rôle reste fragile, non pas institutionnellement, mais du fait de son faible pouvoir de commandement. A mon sens, le premier effort doit porter sur le carrefour bisontin.

M. le Rapporteur : M. Duverget a déjà répondu à certaines questions que nous aurions pu lui poser. Tout au long des auditions que l'on a pu mener avec cette mission, apparaît la nécessité de travailler ensemble. Cet axe européen majeur Rhin-Rhône, axe économique fort, le restera ou le deviendra encore plus si on peut créer une dynamique au long de cet axe. Vous avez évoqué PACA, la région lyonnaise, l'Alsace. Puisque vous êtes premier vice-président de la région...

M. Jean-Claude DUVERGET : Je suis vice-président délégué chargé du plan d'aménagement du territoire.

M. le Rapporteur : La région de Franche-Comté a-t-elle la volonté de s'engager dans cette réflexion pour mettre en place des collaborations inter-régionales qui permettraient d'aller plus loin dans ce projet national et européen ? Comment peut-on faire pour travailler ensemble ?

Nous sommes d'accord pour tout ce qui touche aux nouvelles technologies de l'information, êtes-vous prêts à vous engager ? Et comment ? Avec PACA, Rhône-Alpes, l'Alsace, voire la Bourgogne ?

M. Jean-Claude DUVERGET : Avec nos partenaires traditionnels, nous sommes engagés dans le grand Est. Les relations que nous avons eues au cours des années et des plans précédents concernaient essentiellement nos quatre voisins du grand Est.

En revanche, sur des dossiers spécifiques (parcs naturels, etc.) marginaux, nous travaillons avec d'autres régions. Nous avons un effort important à faire en matière de travail avec les régions situées au Sud.

M. le Rapporteur : Si nous voulons parler haut et fort et nous faire entendre quand nous remettrons ce rapport, nous devons être en mesure de faire des propositions, avoir des axes concrets de collaboration entre nos différentes régions. Je le dis sous le contrôle du président de PACA, qui est d'accord sur cet axe de travail.

M. le Président : C'est une nécessité. Il y a toujours une tentation parisienne - qui n'est pas celle du Gouvernement - une espèce de culture prise par les services de l'État dont la compétence, le dévouement, l'histoire, font que l'on continue de raisonner sur des schémas en étoile. D'autre part, nous avons des voisins actifs ; les Italiens, les Suisses, les Allemands. La géographie économique de développement peut se déplacer : la capitale allemande change de localisation, les Suisses ont pris des décisions pour faciliter la traversée de leur territoire, les Italiens sont tout autant tournés vers l'Europe que vers le Centre et la Méditerranée.

Il faut être attentifs à ne pas être à la « périphérie » pour voir passer au loin les trains, les bateaux, les voitures, etc., et que ce trafic irrigue nos régions. C'est le moment pour faire entendre notre voix. Nous serons mieux entendus si l'on sent un vrai projet pour tout l'Est du territoire national dans les solidarités qui se seront établies de l'Alsace jusqu'à la Provence autour d'une idée d'aménagement de territoire européen. Une méthode de travail doit être trouvée ; en ce moment, on inaugure. Il faudra peut-être insister sur certains thèmes, mais surtout se concerter.

Concernant le contrat de plan que l'on prépare pour la région PACA, on dit que l'on a la tentation, pour le prochain contrat de plan, d'insister sur les prochains équipements ferroviaires, pour des raisons de qualité de vie, d'environnement. La politique du « tout automobile » a régné pendant des années ; la Côte d'Azur et la Provence sont défigurées par la voiture.

Quand on voit la somme des investissements à faire et les engagements pris au plan routier et autoroutier, je ne sais pas quelle sera notre marge de man_uvre.

Comment, au niveau de la région, allez-vous faire dans ce cas ? Pourrons-nous échanger dès lors que nous ne pourrons pas prendre nos décisions en tant que Provençaux ? Il faut que nous sachions ce que vont faire nos voisins Rhône-alpins. Même les Lyonnais, qui éprouvaient quelque condescendance envers les Marseillais, commencent à se dire que quelque chose d'intéressant est à faire avec eux, et qu'au Nord, l'axe continue vers vous et vers le Rhin. Si l'on veut vraiment avoir un axe Rhin-Rhône, il faut qu'il passe par la Franche-Comté. Si c'est un faux axe Rhin-Rhône qui passe par Paris, cela ne va pas. Ces sujets sont très intéressants et très actuels.

M. Jean-Claude DUVERGET : Notre culture nous poussait à envisager des relations plus poussées avec l'environnement bourguignon, champenois, lorrain et alsacien, mais, sur le débat concernant la branche sud du TGV Rhin-Rhône, nous nous sommes tournés vers Rhône-Alpes. Les contacts ont été menés de façon très approfondie. Le Jura a instauré une forme de lobby avec une partie de Rhône-Alpes pour justifier, argumenter si besoin en était encore, la nécessité d'une branche Sud par une voie nouvelle.

M. Bernard CHAINEAUX : Une voie nouvelle passant par le Jura !

M. Jean-Claude DUVERGET : Nous devons éviter de nous entendre sur des choses artificielles. J'ai été très attentif lors d'un colloque sur les régions de l'arc alpin. Sujet très intéressant car c'était précisément une réponse à la lutte contre l'étoile parisienne.

On s'est aperçu que nous avions de nombreux intérêts communs sur le plan économique : économie mixte, économies de plaine, de plateau ou de montagne. Sur le plan démographique, de grandes disparités existent entre les zones de montagne et des vallées. Sur les voies de communication, il fallait privilégier les longitudinales ou les pénétrantes. Cette réunion doit en appeler d'autres, car certaines solidarités se sont dégagées, notamment en matière de voie de communication.

M. Joseph TYRODE : J'ai cru ressentir dans vos propos que vous étiez inquiets que la Franche-Comté ne soit qu'une zone de transit. Vous dites cela du fait d'un vécu ou cette inquiétude est-elle due à un manque de force de la région par rapport aux autres régions ?

M. Jean-Claude DUVERGET : Il y a un peu des deux. Les statistiques montrent que nous sommes avant tout une région de transit. Nous sommes une région de faible densité face à des régions où la densité est deux ou trois fois plus forte, comme celles de l'autre côté du Rhin, et Rhône-Alpes en-dehors du massif montagneux. L'attractivité de notre région liée à la masse de population est relativement faible. Les deux aspects sont donc présents.

Nous ne sommes plus à l'époque de la création de Paris où le pont permettait de passer à l'Ile de la Cité. Ce n'est plus cela un pôle de développement. Mais je reste très attaché à cette recherche de carrefours pour y placer des activités.

Vous n'êtes pas très loin géographiquement d'un autre inconvénient que nous connaissons, à savoir le vide franc-comtois, à mi-chemin entre Baume-les-Dames et Montbéliard. Cette transversale se situe entre Villersexel jusqu'à Maîche, passe par la plaine et traverse le Doubs. Nous sommes là dans une rupture. Cela explique aussi l'image que je donnais tout à l'heure de l'élastique : le talon d'Achille de la Franche-Comté est situé là. Si on ne prend pas une décision volontariste de développement, je crains que tout le reste ne soit qu'illusoire.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Vous êtes le premier à le souligner dans le cadre de la mission : il y a effectivement une vraie rupture en termes d'activités économiques, démographiques, de richesses. Le schéma 2005 du conseil régional est très clair. Il y a un risque réel de rupture si des travaux et des réflexions ne sont pas menés.

M. Jean-Claude DUVERGET : Nous avons travaillé pour préparer le futur schéma régional, portant sur la synthèse d'une dynamique démographique entre 1990 et 1997, le nouveau recensement étant en cours. (Pointant une carte) Ce qui apparaît en bleu représente les zones de déshérence démographique. La zone que j'évoquais se situe ici. L'axe passe au travers. L'élastique casse à cet endroit depuis des dizaines d'années.

M. le Rapporteur : Je voudrais préciser que la mission n'est pas composée que de parlementaires francs-comtois.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Il est important de mesurer que tout ce qui a été dit depuis ce matin figurera au rapport, même si tous les députés et membres de la mission n'étaient pas présents. Ils seront porteurs d'une proposition et d'un regard sur cet axe, à travers le rapport de Jean-Louis Fousseret.

M. Joseph PARRENIN : On peut retenir des propos de Jean-Claude Duverget que, du côté de la région Franche-Comté, la volonté de rechercher des partenariats avec le Sud est plus forte que par le passé.

M. Jean-Claude DUVERGET : C'est indispensable.

M. le Rapporteur : Je crois que la faute est partagée. Le Sud ne cherchait pas non plus à entrer en relation avec notre région. Nous l'avons dit à M. Raymond Barre : en ce qui concerne le TGV, ils ont été très discrets, discrétion motivée par le fait qu'ils étaient préoccupés par le Lyon-Turin.

M. Jean-Claude DUVERGET : Cette préoccupation n'est pas uniquement liée à la branche Sud du TGV. Ce n'est pas un alibi, mais une volonté globale d'amarrage et de réponse.

Je voulais vous montrer la carte de la DATAR qui avait été faite il y a quelques années, et où l'on montrait que Besançon faisait partie d'un ensemble incertain, mais plutôt suisse et relié avec Dijon, alors que le Nord Franche-Comté était relié à l'Alsace, cette dernière étant elle-même reliée a un ensemble lorrain.

Nous sommes très critiques à cet égard. On ne doit pas privilégier tel ou tel arrimage. On sait que l'on doit s'arrimer du côté Nord, du côté Sud et du côté de la Suisse avec laquelle nous avons 250 kilomètres de frontière commune. Cela compte, et actuellement cet aspect est sous-utilisé. Nous sommes un maillon.

M. Joseph PARRENIN : Onze mille travailleurs frontaliers quotidiens !

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Une étude avait été menée par la DATAR à la demande de la Préfecture, et portait sur les liens possibles avec la Bourgogne, et Châlon en particulier. Reprenez-vous ces éléments dans vos travaux de réflexion sur le schéma régional ?

M. Jean-Claude DUVERGET : Non, très peu. Sur cette carte, Besançon apparaît en rouge. Nous étions très loin de Rhône-Alpes ; nous étions « nulle part ». Or, on n'aime pas être nulle part.

Nous ne sommes pas au bout de nos travaux de réflexion sur le schéma régional. Si la préoccupation de coopération inter-régionale est présente, elle n'a pas été suffisamment creusée. Nous ne sommes pas à la fin de notre opération. Quant à la question de la coopération, soit avec les régions du grand Est, soit plus précisément avec la Bourgogne, la réponse est « peu » aujourd'hui, même si elle n'est pas définitive.

M. Bernard CHAINEAUX : Cela dit, au-delà des déclarations en faveur du grand Est, pour une coopération Bourgogne-Franche-Comté et peut-être demain Franche-Comté-Rhône-Alpes, il n'est pas si facile que cela d'arriver à concrétiser de véritables coopérations induites ou accompagnées, voire inspirées par la volonté des collectivités, qu'il s'agisse de la région Franche-Comté ou des collectivités, x, y ou z qui nous entourent. Les régions savent organiser leur développement, elles en ont en tout cas la volonté. On ne sait pas trop ce que l'on doit entreprendre avec la région voisine. Ce n'est pas facile, car de nombreuses règles institutionnelles rendent les choses difficiles, sans compter quelques problèmes d'esprit de clocher.

Heureusement, les autres acteurs privés ou publics ne nous ont pas attendus pour mettre en _uvre des coopérations. Les hôpitaux de Dijon et de Besançon travaillent ensemble. Les universités de Dijon et de Franche-Comté également. Une multitude d'organisations publiques ou privées, les banques, SNCF, EDF, ont déjà des organisations territoriales qui font abstraction des frontières entre nos deux régions.

Entre les services de l'État auxquels j'appartenais et les services de la région auxquels j'appartiens aujourd'hui, la question a été posée plusieurs fois : en quoi, sur quoi pourrait-on travailler ensemble ? Comment ? Ce n'est pas facile. Certes, le problème des réseaux de transport se pose. Il détermine la possibilité de travailler ensemble, de se rejoindre, de se rencontrer, etc., et concerne l'ouvrage, l'infrastructure, l'autoroute, la route nationale. Mais au-delà, cela fait des années que l'on demande à gérer ensemble un outil commun, à avoir un aéroport inter-régional - Dôle-Tavaux pour ne pas le nommer - commun à la Franche-Comté et à la Bourgogne, mais rien n'a bougé. Dijon s'accroche à son aéroport de Dijon-Longvic. La Franche-Comté s'accroche au sien. Lorsque vous voulez prendre l'avion pour une destination lointaine, vous allez à Bâle, à Satolas ou à Paris. Ce n'est donc pas facile.

M. le Président : Il suffit de voir comment, à partir des structures routières ou ferroviaires, nous devons communiquer. Lorsqu'il s'agit d'établir des alliances, de la coopération inter-régionale, des jumelages, les déclarations sont merveilleuses, mais vous avez raison, l'esprit de clocher demeure.

En revanche, il faut qu'une autoroute débouche de l'autre côté de la frontière régionale. Nos voisins doivent être consultés et nous verrons comment gérer la vallée du Rhône. Nous sommes bien obligés de travailler avec Lyon. Marseille a besoin d'un hinterland, et s'il n'y a pas de canal à grand gabarit, il y aura d'autres moyens de développement. Il faut créer des sillons, il faut donc en discuter. Nous devons étudier ce qui se passe en Alsace et du côté de l'Allemagne. C'est à ce moment-là que nous entrons en discussion avec vous. C'est à ce niveau que je pense à des groupes, des méthodes ou des habitudes de travail. Ce serait déjà bien si cela existait.

Pour l'autoroute A 51, nous devons nous concerter avec Grenoble. Ils ne veulent pas nous voir arriver n'importe où ! Je l'ai bien compris en discutant avec le maire et le député de Grenoble.

De même que pour nos équipements - vous parlez de la Suisse et nous avons l'Italie - il est clair que pour avoir une voie rapide ferroviaire qui aille de Marseille vers Nice, il faut savoir ce qu'il y a de l'autre côté de la frontière.

Je vous remercie en tout cas pour votre analyse et votre visite. J'espère que notre coopération sera bonne, après ces premiers échanges fructueux.

M. Jean-Claude DUVERGET : Merci de votre écoute, M. le président.

Audition de M. Jean-Paul MARBACHER,
Président de la Chambre de commerce et d'industrie Sud-Alsace,

accompagné de MM. Philippe LESAGE, ancien Président de la CCI

et Patrick HELL, Chargé de mission transports à la CCI

et de M. Jean-Pierre PRIGENT, Président des ports Mulhouse-Rhin

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 19 mai 1999 à Mulhouse)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Nous auditionnons des personnalités qui peuvent donner leur sentiment sur ce qu'il est possible de faire pour assurer le développement des régions situées sur l'axe Rhin-Rhône. Il ne s'agit pas de reparler du canal lui-même, mais de voir comment interpeller les pouvoirs publics - surtout dans une année où nous préparons les contrats de plan État-régions - sur les questions nécessaires pour développer cet axe national et européen. Il est d'autant plus urgent d'y réfléchir que nos amis suisses semblent développer des flux de transport allant directement de Lombardie vers l'Allemagne en passant par la Suisse. Nous, y compris la région Rhône-Alpes, sommes donc très intéressés de voir ce qui se passe chez vous.

M. Jean-Paul MARBACHER : De plus, il ne faut pas que ce l'on aurait dû faire par la voie d'eau se déporte automatiquement vers la route. Il s'agit donc d'un problème de transport de marchandises qui doit privilégier la voie ferrée. C'est ce que notre collaborateur, M. Hell, a appelé le « Rhin-Rhône d'acier ».

Notre première préoccupation n'est pas de « bricoler ». Cette liaison ferroviaire doit être vraiment performante. Je connais moins la situation des régions situées plus au Sud. A Lyon, le problème est celui du contournement Est de Lyon ; nous n'y reviendrons pas.

Il ne faut pas oublier le problème des voyageurs et du TGV Rhin-Rhône. Nous sommes vigilants pour que s'appliquent les décisions prises en février 1998 par M. Gayssot ; une déclaration d'utilité publique devra paraître avant 2001. Cela concerne le transport « voyageurs », avec toutefois une influence sur nos problèmes « marchandises », puisqu'il s'agit aussi de délester des lignes qui sont actuellement en service. Le TGV Rhin-Rhône permettra aux lignes existantes d'être plus aptes à résoudre le problème du transport de marchandises dans l'axe Rhin-Rhône en favorisant leur spécialisation dans ce domaine.

J'avais commencé par le Sud et je remonte vers le Nord. Nous en sommes au Rhin, dans notre région. Le port de Mulhouse-Ottmarsheim est un établissement public géré par la chambre de commerce. M. Prigent est le président des ports de Mulhouse-Rhin. Nous avons trois unités sur le Rhin : Ottmarsheim, Huningue au Sud, près de Bâle, et Ile Napoléon près de Mulhouse, relié au Rhin par une section du canal Rhin-Rhône portée au grand gabarit européen (Mulhouse-Niffer).

M. Jean-Pierre PRIGENT : Il s'agit du terminal du canal à grand gabarit Niffer-Mulhouse, qui était la première tranche du canal à grand gabarit Rhin-Rhône. Depuis que le port de l'île Napoléon a été mis à ce gabarit, en 1995 pour le tirant d'eau et l'année dernière pour le tirant d'air, le trafic du port qui oscillait entre 800 000 à 1 million de tonnes par an en moyenne avant 1995, est passé à 1,3 et 1,4 million de tonnes. Cela représente une progression du tonnage annuel de 20 à 30 % environ.

M. Jean-Paul MARBACHER : Le dimanche, les gens viennent pêcher ou faire du vélo. Il y a des zones humides superbes. C'est parfait sur le plan écologique.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Ces trois ports sont gérés comme les trois bassins d'un même port. Ils sont à quelques dizaines de kilomètres les uns des autres.

M. Jean-Paul MARBACHER : Ils représentent, réunis, le troisième port fluvial après Paris et Strasbourg.

M. Jean-Pierre PRIGENT : « Port » n'est peut-être pas le terme adéquat car il s'agit de plates-formes multimodales. En 1998, le trafic fluvial s'est élevé à 5 millions de tonnes, le trafic ferroviaire à 1 million de tonnes, essentiellement à Ottmarsheim, et le trafic routier à 1,8 million de tonnes. Notre vocation est donc bien intermodale.

M. Jean-Paul MARBACHER : Le point clef, qui par ailleurs est un sujet à la mode, est l'intermodalité. A Ottmarsheim, nous avons une plate-forme de tout premier ordre. Un peu plus à l'Est de la ville, le pont ferroviaire de Chalampé franchit le Rhin, nous permettant de nous relier au réseau allemand. De nombreux problèmes sont liés à la concurrence entre la SNCF et la Deutsche Bundesbahn. Il importe pourtant de valoriser un système qui coordonne les équipements et prestations ferroviaires de part et d'autre du Rhin (Alsace, Pays de Bade).

Le TGV Est induira un trafic voyageurs important. Mulhouse est une ville très industrielle. Vous connaissez notre région, monsieur le président, mais je voudrais quand même vous préciser sa géographie par une image : en rejoignant Bâle, Fribourg, au Nord de Bâle, en face Colmar, Mulhouse jusqu'à Belfort-Montbéliard, vous avez la figure astronomique de la Grande ourse.

Dans cette Grande ourse, nous avons une force considérable. Nous sommes dans la « banane » : nous avons tout, sauf la mer. Nous avons 2,5 millions de personnes et un aéroport international qui est l'Euro Airport, en liaison avec la Suisse, car c'est un aéroport binational franco-suisse. A Bâle s'est développée l'industrie pharmaceutique et chimique, à Mulhouse l'industrie automobile avec Peugeot et l'industrie chimique. Fribourg est une grande ville universitaire et Colmar, une ville touristique. Nous avons donc une microrégion européenne de tout premier ordre.

Sur ce plan, nous pensons maintenant au problème des marchandises. Il est évident qu'il faut renforcer le barreau ferroviaire Mulhouse-Rhin (Mulhouse-Bantzenheim-Neuenburg). Pour qu'il fonctionne bien, il faut qu'il y ait, tout au long, des équipements performants, notamment un pont. Nous l'avons, il existe, mais il est malheureusement à voie unique. La ligne est cependant électrifiée.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Il faut situer la ligne.

M. Jean-Paul MARBACHER : C'est pourquoi je commence par le pont ferroviaire de Chalampé qui fait le lien entre deux régions. Ensuite, nous parvenons à la zone multimodale - Ottmarsheim - et de là, vers Mulhouse, nous avons la gare de Bantzenheim qui est la deuxième gare de trafic fret en Alsace après Strasbourg.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Elle dessert le trafic ferroviaire du port d'Ottmarsheim qui s'élève annuellement entre 800 ou 900 000 tonnes. C'est la seconde gare de marchandises d'Alsace en tonnage, après celle de Strasbourg, bien avant celle de Mulhouse. C'est dire son importance. Pour relier la seconde gare de marchandises d'Alsace à Mulhouse et au réseau français, la ligne ferroviaire est à voie unique !

M. Jean-Paul MARBACHER : C'est une chaîne de maillons faibles. J'ai commencé par le pont. Il y a cette ligne à voie unique et ce n'est pas fini. D'ailleurs, à Marseille, on prend conscience de l'importance de la chaîne amont. Il y a longtemps que les gens du Nord - Anvers et Rotterdam -pensaient déjà aux chaînons qui allaient vers le Sud, jusque chez nous. Ils y ont pensé avant nous. Ne refaisons pas l'histoire !

M. Jean-Pierre PRIGENT : Il y a quelques semaines, un représentant de la direction commerciale du port de Marseille est venu visiter nos ports, notamment celui d'Ottmarsheim, pour voir s'il ne pourrait pas réaliser l'équivalent du port avancé de Marseille qui existe à Lyon, dans le Sud Alsace, soit à Bâle, soit à Mulhouse. L'objectif est d'assurer dans le Sud de l'Alsace un interface entre le transport fluvial européen et le transport ferroviaire français en provenance ou à destination de Marseille. Comme il n'y a plus de canal et que la volonté émerge de développer vers le Nord l'hinterland du port de Marseille, un développement du mode ferroviaire est nécessaire. C'est donc un dossier qui est ouvert par le port de Marseille, sur son initiative.

M. Jean-Paul MARBACHER : La SNCF a tout intérêt à ce que la voie ferroviaire du Rhin à Mulhouse se développe. Nous sommes tellement cartésiens que nous disséquons chaque problème, mais le vrai problème est de faire le lien. Il faut jouer sur les chaînons faibles d'un système que nous voulons fort. Voilà comment je résume la situation, sans être moi-même un grand spécialiste des transports. J'ai à mes côtés un super spécialiste qui a fait toute sa carrière dans les transports.

Il y a bien sûr des intérêts divergents. Entre Strasbourg et Mulhouse, nous avons dans certains cas à nous concerter et à accepter des compromis. Nous avons du mal à le faire, mais j'espère que nous y arriverons un jour, mieux que par le passé. C'est une opinion personnelle que j'exprime ici.

M. André SCHNEIDER : Nous partageons votre opinion. Les bons compromis vont dans les deux sens.

M. le Rapporteur : Tout au long de la mission, M. Schneider veille à ce que l'on parle régulièrement de l'Alsace.

M. André SCHNEIDER : Votre image de la Grande ourse me fait penser au fait que l'on détermine la position de l'étoile polaire par rapport à la base de la Grande ourse : l'étoile polaire serait Strasbourg.

M. Jean-Paul MARBACHER : De même que Paris n'est pas la France, Strasbourg n'est pas l'Alsace.

M. le Rapporteur : Il est dommage que la queue de la Grande ourse ne descende pas jusqu'à Besançon.

M. Jean-Paul MARBACHER : Nous parlons du développement de l'Euro-airport. Il faut aller beaucoup plus loin pour étendre les zones de chalandise.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Nous avons dans les ports de Mulhouse-Rhin, une quarantaine de clients en Franche-Comté et même en Bourgogne, avec des courants de trafic très intéressants. Par exemple, la maison Bourgeois reçoit des rouleaux métalliques ; pour eux, les meilleurs proviennent de Lituanie, par bateau jusqu'à Rotterdam, montent jusqu'au port de l'île Napoléon et de là, partent par la route. En effet, ils ont mis en compétition le fer et la route, mais la route l'a emporté. Tout cela pour vous dire que, pour les entreprises franc-comtoises, les ports fluviaux sont ceux de Mulhouse. Nous menons donc une action commerciale. Ce trafic fonctionne depuis trois ans.

M. Jean-Paul MARBACHER : La compétition internationale portera de plus en plus sur le coût des transports. C'est l'argument que nous soulevions pour le canal. Nous avons atteint une grande productivité sur le plan industriel. Maintenant, les écarts se feront sentir sur la compétitivité de nos moyens de transport, tous confondus.

Nous avons misé sur un seul mode, celui de la route. Il faut tous les valoriser : rail, air, route et eau. J'avais tendance à dire que ce sont des choses R.A.R.E. (rail, air, route, eau). Il faut gérer cette rareté, au niveau des pouvoirs publics en général. C'est vrai qu'il existe des intérêts particuliers, mais il faut jouer la compétitivité de chacun de ces modes de transport.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Vu des ports de Mulhouse et concernant le transport de marchandises, pour en arriver au Rhin-Rhône d'acier, il faut que la ligne ferroviaire Müllheim, en Allemagne, Mulhouse en passant par Bantzenheim, ait une capacité améliorée, voire doublée.

M. le Rapporteur : C'est cette ligne qui est à voie unique actuellement ?

M. Patrick HELL : L'emprise d'une seconde voie existe, puisqu'il s'agissait d'une liaison internationale à deux voies jusqu'à la seconde guerre mondiale.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Je vois tout le circuit que font nos marchandises pour descendre vers le Sud. Après, elles traversent la Franche-Comté où l'on parle toujours du problème de gabarit du tunnel entre Belfort et Besançon, avec le gabarit B +. En matière de transport combiné, on manutentionne environ 70 000 conteneurs, équivalent vingt pieds, sachant que les vingt pieds et les quarante pieds passent sous le tunnel actuel. Aujourd'hui, les Américains ont mis en service des « high cubes » de 53 pieds. Cela coince pour les tunnels ! Profitons-en pour revoir les ponts.

Ensuite, si l'on étudie la liaison la plus directe entre Besançon et Lyon, on s'aperçoit qu'elle passe par Mouchard-St Amour qui est à voie unique. Si l'on veut développer une alternative ferroviaire au canal à grand gabarit Rhin-Rhône, des risques de blocage existent.

Le quatrième problème examiné est le contournement ferroviaire de Lyon. C'est un problème d'investissement énorme, environ 7 à 8 milliards d'après la SNCF. Avec tout cela, on vous fait un Rhin-Rhône d'acier du feu de dieu ! (Rires.)

M. André VAUCHEZ : Quelqu'un a dit que l'on avait enlevé la deuxième voie sur une partie de cet espace entre Besançon et Lyon, entre Saint-Amour et Mouchard. Toutefois, l'emprise est maintenue. Quant aux ponts, c'est autre chose.

M. Patrick HELL : C'est le même problème que pour Müllheim-Mulhouse : l'emprise est maintenue, mais il y a des problèmes au niveau des ponts.

M. le Rapporteur : La ligne Saint-Amour-Mouchard est-elle électrifiée ?

M. Jean-Pierre PRIGENT : De la même façon que Müllheim-Mulhouse est électrifiée.

M. le Rapporteur : La ligne Müllheim-Mulhouse est-elle au gabarit B + ?

M. Jean-Pierre PRIGENT : Il n'y a pas de tunnel. Il n'y a que quelques ponts. Quand le président Marbacher et moi-même avons rencontré le président de la SNCF récemment, j'ai « sorti mon couplet » sur la ligne Mulhouse-Müllheim. M. Gallois m'a répondu qu'avec un système de signalisation moderne, on peut doubler la capacité d'une voie unique sans doubler cette voie.

M. Jean-Paul MARBACHER : Nous nous sommes permis d'en douter. J'ai parlé de « bricoler ». Il faudrait qu'une fois, en France, on fasse quelque chose de bien. Pour l'économie, c'est fondamental.

M. le Rapporteur : Quel est le pont dont vous parliez ?

M. Jean-Pierre PRIGENT : C'est le pont qui est au-dessus du Rhin, du grand canal d'Alsace et qui permet au ferroviaire de rejoindre l'Allemagne.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous situer la ligne Mulhouse-Müllheim où se trouve ce pont ?

M. Patrick HELL : A Chalampé. La photo du pont figure dans le livret.

M. le Rapporteur : La voie Müllheim-Mulhouse passe-t-elle par ce pont ?

M. Jean-Pierre PRIGENT : Oui, c'est un pont rail-route à voie unique. Il est d'autant plus important pour nous que la ville de Mulhouse a un projet de tram-train. Il est envisagé, dans les projets, de desservir par tram-train la liaison Mulhouse-Fribourg. Cela fait passer cette ligne par le pont.

Ce qui m'inquiète, c'est que la SNCF donne toujours la priorité au trafic passagers par rapport au trafic marchandises.

M. le Rapporteur : C'était le cas, mais cela change.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Si le trafic ferroviaire du port d'Ottmarsheim entre en compétition avec le tram-train, je ne voudrais pas que cela nuise à la bonne desserte ferroviaire du trafic de marchandises.

M. le Rapporteur : Il s'agit de doubler la capacité du pont en le mettant à deux voies.

M. Patrick HELL : Selon la SNCF, on peut « bricoler » la ligne pour développer la capacité marchandises, mais si l'on se place dans la perspective d'une réouverture de la ligne au trafic voyageurs, notamment intercités entre Fribourg et Mulhouse, il faut prévoir le doublement de la ligne.

On nous a suffisamment taraudé l'esprit avec l'alternative ferroviaire au canal Rhin-Rhône. Que l'on permette maintenant à ce Rhin-Rhône d'acier de fonctionner de façon performante et optimale. Il faut donc un projet ambitieux, prévoyant le doublement de cette ligne ferroviaire entre Mulhouse et le Rhin.

M. Jean-Paul MARBACHER : Si la rente du Rhône, qui est affectée au FITTVN, pouvait profiter à notre région, cela ne nous ferait pas de mal. Malheureusement, elle se perd dans d'autres méandres.

Cette carte est représentative : j'ai un peu exagéré puisque comme vous le voyez, les quatre villes dont j'ai parlé ne forment pas vraiment un beau carré. Mais je suis d'accord avec vous, il manque Besançon.

M. le Président : Je ne me rends pas bien compte : quelle est à peu près la distance entre Mulhouse-Müllheim, Colmar et Bâle ?

M. Jean-Paul MARBACHER : Elle est de 20 kilomètres entre Mulhouse et Müllheim, 40 entre Colmar et Mulhouse, 35 entre Mulhouse et Bâle. (Assentiment.)

M. Jean-Pierre PRIGENT : Je me permets de vous remettre une note sur les problèmes évoqués, avec un schéma de la SNCF.

M. Jean-Paul MARBACHER : Un certain nombre d'investissements sont à prévoir, notamment pour la plate-forme d'Ottmarsheim. Cela entre aussi dans le cadre des contrats de plan du XIIe Plan.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Ainsi que dans le programme spécifique Rhin-Saône complémentaire. Un comité de suivi aura lieu vendredi prochain.

M. Jean-Paul MARBACHER : Si tout le monde est d'accord sur tout... Il y en a un ou deux qui sont de trop.

M. le Rapporteur : Je suis d'accord avec vous quant à la nécessité de mettre en place ce maillon manquant. C'est d'ailleurs la première fois que l'on nous parle, dans le cadre de la mission, de maillons manquants entre Müllheim et Mulhouse. Avez-vous une idée du coût de l'investissement que cela représenterait ? On sait que le coût de la mise en gabarit B+ de la vallée du Doubs entre Mulhouse et Belfort serait d'environ 600 à 700 millions de francs.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Un dossier de la SNCF est déposé dans le cadre du contrat de plan, sans doute avec le contrat Rhin-Saône. Mais je ne sais pas ce qu'il comporte techniquement. Il ne doit pas inclure la mise à deux voies. La SNCF a indiqué une étude de faisabilité pour un montant de 400 000 francs. Elle prévoie des investissements sur la période 2000-2006 d'environ 130 millions de francs. Mais cela ne comporte pas le doublement de la voie.

Une chose nous gêne : l'optique de la SNCF est de raccorder cette voie dans les meilleures conditions à la gare de marchandises de Mulhouse, mais d'ignorer totalement l'Est, la traversée du Rhin ; la liaison avec l'Allemagne reste telle qu'elle est.

M. André VAUCHEZ : Qu'en dit l'Allemagne ?

M. Patrick HELL : Cela ne concerne que le territoire français de toute façon. L'Allemagne n'intervient pas, l'Europe non plus.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Quand il s'agira de doubler le pont, je pense que nous pourrons obtenir des crédits européens.

M. Jean-Paul MARBACHER : Avec les collègues de Fribourg et de Bâle que je rencontre régulièrement, nous avons des opinions identiques et des possibilités de pression qui risquent d'être efficaces. Mais nous nous heurtons quand même à la SNCF qui n'est pas la DB (Deutsche Bahn). Les coopérations sont encore timides. Mais lorsque ce problème aura disparu, il est certain que le transfert d'une ville à l'autre pourra s'effectuer dans de bonnes conditions.

M. le Rapporteur : Quel est votre avis en ce qui concerne un éventuel transport de marchandises par le canal Freycinet ?

M. Jean-Pierre PRIGENT : Il y a encore quelques années, près de 200 000 tonnes arrivaient dans nos ports depuis la Franche-Comté et la Bourgogne, essentiellement des céréales. Le mauvais état du canal a provoqué une chute de ce trafic. L'année dernière, seules 50 000 tonnes de marchandises sont passées sur le Freycinet.

Dès lors que l'on remet le canal Freycinet en ordre de marche et qu'on le modernise, je suis sûr que le trafic réaugmentera pour atteindre 300 000 tonnes par an. Pour réaliser cela, encore faut-il qu'il y ait de la cale, que des artisans bateliers s'y intéressent.

M. le Rapporteur : Un tonnage de 300 000 tonnes par an est quand même important.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Le problème est que, par rapport à ces tonnages assez importants sur le canal Freycinet, je ne suis pas sûr que de la cale sera disponible. Les milieux bateliers s'y intéressent. J'ai eu connaissance d'un projet pour construire une péniche Freycinet porte-conteneurs. Je ne peux pas vous en dire plus. Le port de Lille, sur des canaux de mille tonnes, accueille des trafics de conteneurs avec de plus petits bateaux.

Je pense qu'avec un bon canal bien restauré, des écluses automatiques, le trafic reprendrait. La capacité du canal est d'un maximum de 800 000 tonnes par an, ce que l'on n'atteindra pas. Mais on pourrait arriver à un trafic de 300 000 tonnes, avec notamment des céréales et du gravier alsacien. Sur un camion, on charge 20 tonnes ; si l'on divise 800 000 tonnes par 20, cela fait une belle économie de camions !

M. le Rapporteur : Si on rapproche cela de la capacité théorique du canal de 1,3 million de tonnes, on se rend compte que ce n'est pas ridicule.

M. Jean-Pierre PRIGENT : J'ai toujours plaidé pour la restauration du canal Freycinet. Ma crainte est que cette restauration se fasse dans la perspective du tourisme fluvial et qu'elle ne prenne pas en compte les nécessités du transport de marchandises.

Lors des réunions préalables à l'élaboration du contrat Rhin-Saône, j'ai toujours dit que j'étais d'accord pour la restauration du canal, mais pas uniquement dans l'optique d'un développement du tourisme fluvial. Il faut prendre en compte les impératifs du transport de marchandises. A condition qu'il y ait la cale !

M. Jean-Paul MARBACHER : Vous avez posé une question importante sur le coût estimé de ce type d'opération.

M. Patrick HELL : Dans une première étape, la SNCF a chiffré le « bricolage » des voies d'évitement pour augmenter la capacité marchandises à 120 millions de francs pour la ligne entre Mulhouse et le pont de Chalampé. Le doublement de la ligne avec un aménagement du pont se chiffrerait aux environs de 400 millions de francs. C'est encore à préciser.

M. le Rapporteur : La mise au gabarit de cette ligne entre Besançon et Müllheim se chiffre à environ un milliard de francs.

M. Patrick HELL : Pour avoir un Rhin-Rhône d'acier performant.

M. Jean-Paul MARBACHER : J'aime avoir quelques chiffres clés.

M. Philippe LESAGE : Juste quelques mots de présentation avant de passer à l'aspect européen. Je suis le prédécesseur de M. Marbacher. J'ai également touché à tous les modes de transport, étant commissionnaire moi-même. J'ai aussi été membre du conseil de la SNCF, après avoir été président du syndicat des transports routiers et administrateur de la CNR. Un journal a même écrit que j'étais multimodal. Une coquille a voulu que je sois « multimoral » !

Depuis cinquante ans, il existe, créée par le président de la chambre de commerce de Rotterdam, une union de chambres de commerce qui s'appelle « Européenne ». Elle regroupe 90 chambres le long du Rhin, du Rhône et du Danube, dans dix pays. Les Suisses et les Autrichiens ne pensent qu'à la traversée des Alpes et à l'exclusion d'un nombre maximal de camions ; les Français ne sont pas très intéressés parce que l'Europe est très loin, au-delà de la frontière, et enfin, les Allemands ne sont qu'un pays de passage. On retrouve également la Belgique.

L'objet de cette union porte uniquement sur le transport, à travers, d'une part, des infrastructures et, d'autre part, toutes les réglementations qui émanent quotidiennement de Bruxelles et qui se superposent à une législation française déjà complexe.

Notre association fait du lobbying pour faire passer les idées de chacun des pays et se mettre d'accord entre chaque pays pour une politique commune. Ce n'est pas facile. Entre les uns et les autres, les opinions peuvent diverger. Un président tourne tous les trois ans. Je termine mon mandat de l'ensemble de l'union en septembre prochain et Rotterdam reprend le flambeau.

Qu'a-t-on fait en pratique ? Il y a quelques mois, a été élaborée une liste des maillons faibles du transport, vu sous l'angle européen. Donner la priorité à nos problèmes, par rapport à ceux des uns et des autres, n'est pas chose facile. Nous pouvons vous transmettre ce document. Il ne s'agit pas de notre petit problème en amont, sur la France. Je parle de l'ensemble de l'Europe, avec une forte poussée des Allemands pour s'étendre vers l'Est, avec notamment Berlin. Pour eux, ce point est important.

Concernant la voie d'eau, il fut un temps où n'existait qu'une commission « voie d'eau ». Aujourd'hui, on y a adjoint le transport ferroviaire, routier et combiné.

Après demain, nous nous prononcerons vigoureusement en faveur du TGV Rhin-Rhône. Il s'agit d'un TGV Nord-Sud et non Est-Ouest. C'est un élément clé du réseau européen. Il n'est pas fait pour aller de Dijon à Paris, mais pour aller de Francfort ou même de Hambourg à Barcelone. C'est là le point essentiel.

Par ailleurs, nous réfléchirons à la politique des transports en Europe. Elle sera fondée sur un compromis entre les Suisses, les Allemands et les Français.

Pour conclure, l'abandon du canal à grand gabarit n'est pas encore accepté par les Allemands. Ils nous conseillent de protester. Vue de l'Europe, l'appréciation de la voie d'eau est très différente de la nôtre. Selon nos voisins, la désaffectation à l'égard du mode fluvial n'est peut-être qu'épisodique. D'après eux, il reviendra un jour : il convient donc de penser à l'avenir et de ne pas faire de projets qui compromettraient l'avenir dans dix, vingt ou quarante ans, notamment s'agissant des dimensions du canal. En effet, pour le canal Rhin-Danube, de nombreuses années ont été nécessaires pour passer d'une phase de « sympathie » à une phase de réalisation. Concernant l'Europe, il faut penser au développement et à l'opinion de nos voisins. Il ne faut pas se limiter simplement à l'Alsace ou au tronçon entre Mulhouse et Lyon. Ne soyons pas franco-français, bien qu'il soit difficile de faire bouger les chambres de commerce françaises. Pour le reste, je me tais.

M. le Rapporteur : C'est très intéressant. En effet, dans l'intitulé de la mission, l'aspect européen est capital et fortement mentionné. Monsieur le président, il serait important que nous disposions de ce document. Il serait bon d'avoir un document écrit qui synthétise le tout, afin que nous puissions avoir une vision européenne intégrée.

M. André SCHNEIDER : Une petite remarque. Je voudrais dire à mes amis mulhousiens que le TGV-Est n'est pas en compétition avec le TGV Rhin-Rhône et que la transversale est également européenne. Le débat n'est pas alsaco-alsacien.

M. Philippe LESAGE : La bataille pour le TGV-Est a été gagnée. C'est terminé, mais il ne faut pas dire que tout est fini et s'occuper d'autre chose. L'axe Nord-Sud est fondamental.

M. André SCHNEIDER : Je me suis mal fait comprendre. Nous soutenons également l'axe Nord-Sud.

M. Philippe LESAGE : D'autres régions françaises estiment que les Alsaciens sont servis et que cela leur suffit.

M. Jean-Paul MARBACHER : Vous nous soutenez et c'est très bien. Il y avait en fait compétition entre ces deux voies. Le choix a été fait. De même que pour la voie d'eau, le choix a été fait. Voilà deux coups durs pour Mulhouse ! Nous accusons le coup.

M. André SCHNEIDER : Strasbourg a été également touché.

M. André VAUCHEZ : Le TGV-Est vous est, en fait, partiellement étranger.

M. Jean-Paul MARBACHER : Non, mais il ne présente pas le même intérêt que le TGV Rhin-Rhône.

M. le Rapporteur : Quelle est votre position en ce qui concerne le TGV Rhin-Rhône ? J'ai cru comprendre que vous souteniez le tracé Mulhouse-Paris, dont on parle.

M. Jean-Paul MARBACHER : Cela a été considéré comme tel.

M. le Rapporteur : Alors que vous venez de dire que vous souteniez fortement la branche Sud.

M. Jean-Paul MARBACHER : Il faut être philosophe dans la vie et accepter les décisions qui ont été prises par les pouvoirs publics.

En ce qui concerne Strasbourg, je ne veux pas que vous considériez ma position comme une attaque. Nous parlons de transport et il faut parler en vérité. Mon opinion est peut-être contestable. Si l'on considère les deux TGV, la ligne Est a fait l'objet d'une décision favorable, alors que la ligne Rhin-Rhône est toujours en grande difficulté. Je ne me fais aucune illusion car le projet est très mal parti. La concurrence est vive. Je comprends très bien qu'après l'accident du Mont-Blanc, pour M. Barre à Lyon, le TGV Lyon-Turin soit un enjeu important.

Je me suis placé du côté d'un Mulhousien et d'un Strasbourgeois qui, tous deux, se rendent à Paris. Je me place, pour le TGV Rhin-Rhône, sur la première phase Mulhouse-Dijon qui est un axe Est-Ouest géographiquement, mais qui raccourcit le trajet de Mulhouse vers Lyon. Ces deux personnes vont à Paris par le TGV-Est seul. J'ai totalisé les économies que ce Mulhousien et ce Strasbourgeois peuvent faire grâce au TGV-Est : 2 heures 30. Voilà le total des économies.

Si seul le TGV Rhin-Rhône avait été réalisé, le trajet vers Lyon, Nord-Sud, aurait été très rapide et le trajet vers Paris considérablement amélioré, soit au total pour Strasbourg et Mulhouse, un gain de 6 h 30 pour la 1ère phase. Ceci pour un coût de 22 milliards dans le premier cas (TGV Est) et de 12 milliards pour le second (TGV Rhin-Rhône), avec deux fois plus de passagers pour le second. Voilà les décisions que l'on prend en France ! Comme cela a été le cas pour le canal, quand on a décidé de l'arrêter. Sur un plan purement économique, les coûts sont cependant cinq fois inférieurs au kilomètre par la voie d'eau, comparés à la route. Je n'en dirai pas plus.

Par ailleurs, je souligne que la liaison Nord-Sud Strasbourg est très déficiente.

M. André SCHNEIDER : Ce n'est pas le but de la mission.

M. Jean-Paul MARBACHER : Je me suis permis de le préciser.

M. le Rapporteur : D'autant que les décisions sont prises. Quelle est votre vision exacte en ce qui concerne le TGV Rhin-Rhône ?

M. Jean-Paul MARBACHER : Nous avons tellement intérêt à nous occuper des problèmes actuels, ceux dont nous venons de parler portant notamment sur la gare de Bantzenheim, la plate-forme intermodale de Mulhouse-Ottmarsheim, etc., ainsi que sur les maillons manquants ou faibles de la ligne du Rhin-Rhône d'acier... Le TGV Rhin-Rhône est quelque chose que je verrai peut-être dans ma vieillesse. Mais il est très important que des compensations soient attribuées au niveau régional. Adrien Zeller, président de notre conseil régional, le sait : il faut un équilibre. Or, quand je le dis aux Strasbourgeois, je me fais honnir alors que l'équilibre de l'Alsace, en terme de transport, est en jeu.

Il reste un sujet dont on parle peu aujourd'hui, l'aéronautique. J'ai parlé du rail, de l'air, de la route et de l'eau. J'ai tout dit sur le rail, mais sur l'aéronautique, nous avons cet aéroport très important qui doit se développer mondialement. Il existe maintenant une ligne pour New York depuis Bâle-Mulhouse. Là aussi, le ferroviaire doit jouer un rôle important car il est nécessaire d'augmenter sa zone de chalandise en facilitant son accès, notamment depuis la Franche-Comté.

Depuis la gare de Strasbourg, l'aéroport de Bâle-Mulhouse serait joignable en 60 minutes environ. Un voyageur qui est à la Concorde et qui doit aller à Orly ou Roissy, doit y consacrer quarante-cinq minutes ou une heure. Si, sur le réseau alsacien, de la gare de Strasbourg, on peut joindre en 60 minutes l'aéroport de Bâle-Mulhouse, pourquoi construire deux aéroports à cent kilomètres l'un de l'autre pour des milliards ? C'est aberrant sur le plan économique.

M. André SCHNEIDER : Cela fait six mois que je travaille sur la mission parlementaire. J'ai toujours parlé de l'Alsace et je suis frappé qu'on ne parle que du Sud et qu'apparemment, le Nord ait tous les défauts.

M. Jean-Paul MARBACHER : Nous n'en parlons pas. Certaines actions sont entreprises au Nord et pas au Sud.

M. Philippe LESAGE : Il ne faut pas baisser les bras en ce qui concerne le TGV Rhin-Rhône. Il intéresse toute l'Alsace. La proposition de faire un tronçon Petit-Croix/Auxonne n'est pas de notre seul fait.

M. Jean-Paul MARBACHER : Mais elle été assortie d'une nouvelle valeur, le « shunt Mulhouse ». Ce qui est inacceptable.

M. Philippe LESAGE : On explique que c'est le tronçon principal et qu'ensuite, on réalisera des extensions vers le Nord et vers le Sud. C'est très dangereux. Il faut se battre. Notre opinion était qu'il fallait un axe Nord-Sud et pas Est-Ouest.

M. le Rapporteur : Je partage votre avis ; vous avez annoncé que vous mènerez une action forte. Je crois donc comprendre que vous êtes pour un véritable TGV Rhin-Rhône : non pas un Mulhouse-Paris, mais un Mulhouse-Marseille.

M. Philippe LESAGE : Tout à fait.

M. Jean-Paul MARBACHER : Accessoirement, il fait les deux.

M. Philippe LESAGE : Hambourg, Francfort, Barcelone.

M. André SCHNEIDER : Merci pour Francfort... Cela passera par Strasbourg !

M. Philippe LESAGE : Strasbourg est directement concernée par le TGV Rhin-Rhône.

M. le Rapporteur : Vous pensez qu'il est nécessaire d'étudier la branche Sud du TGV, en même temps que la branche Nord-Est. C'est mon avis et celui des Lyonnais.

M. Jean-Paul MARBACHER : Ainsi que celui de Mme Voynet.

M. Philippe LESAGE : Les Alsaciens ne pouvaient pas se battre pour le Doubs contre la Bourgogne et faire l'arbitrage. C'est à l'intérieur des deux régions que devait se faire la bataille. Nous sommes pour le TGV Rhin-Rhône Nord-Sud ; je le dis avec force.

M. le Rapporteur : Vous êtes pour un TGV Rhin-Rhône et non pas un TGV Rhin-Paris.

M. Jean-Paul MARBACHER : Voilà ! Mais bien sûr !

M. Patrick HELL : C'est pourquoi, dans la première phase du TGV Rhin-Rhône, Mulhouse-Dijon, il est important de déterminer la première étape en fonction de critères objectifs.

M. Jean-Paul MARBACHER : Ne surestimez pas mes propos sur les discussions alsaco-alsaciennes.

M. André SCHNEIDER : Dans le Bas-Rhin, nous n'avons pas du tout cette farouche opposition.

M. Jean-Paul MARBACHER : On a parlé du canal. On ne l'a pas. Pour ce qui concerne le TGV, vous l'avez. Vous le faites. C'est quand même important. Tant mieux. Je n'ai rien contre.

M. André SCHNEIDER : Nous sommes la plus petite région de France. Nous passons notre temps à nous chamailler et cela ne m'étonne pas que l'on passe pour des Gaulois...

M. Philippe LESAGE : Cela est dépassé. Mais concernant le TGV, je rappelle qu'il y quinze ans, existait le BCK, c'est-à-dire le Bockel-Chevènement-Klifa. J'étais farouchement contre, car il s'agissait d'un axe Paris-Belfort-Mulhouse. A l'époque, on disait que c'était absurde, car il s'agissait d'un doublon du futur TGV-Est avec beaucoup moins de passagers ; il serait sans intérêt. Puis le choix s'est porté sur un axe Nord-Sud.

M. Jean-Paul MARBACHER : Nous avons beaucoup parlé, mais peut-être avez-vous d'autres questions ?

M. le Président : Vos interventions étaient très complètes et très denses. Nous avons pris conscience de problèmes très locaux que j'ignorais, notamment concernant la traversée du Rhin, la voie ferrée Mulhouse-Rhin (Mulhouse-Bantzenheim-Müllheim) à voie unique, le rôle du port de Ottmarsheim et cette perspective européenne que vous êtes bien placé pour saisir.

M. Patrick HELL : Pour revenir sur l'importance du port de Mulhouse-Ottmarsheim, ce document est issu du projet de schéma de service, préparé par la DRE d'Alsace. La DRE propose Mulhouse-Ottmarsheim comme point d'interface privilégié entre le fleuve et le rail, dans le cadre de ce Rhin-Rhône d'acier.

C'est la proposition qui sera faite au ministère des transports dans le cadre de la préparation du schéma de service « transport ».

M. le Président : Merci pour l'intérêt de cette rencontre. Nous avons un programme très lourd. Nous allons essayer de remettre notre rapport fin juin et nous tiendrons un colloque à l'Assemblée nationale en octobre. Nous voulons dès le mois de juin donner un coup de projecteur sur ces problèmes, compte tenu du calendrier de négociation et du contrat de plan, ainsi que sur les perspectives de l'aménagement du territoire. Nous voulons remettre l'ouvrage sur le métier à la rentrée avec le colloque qui aura un certain retentissement et où vous serez amenés à vous exprimer.

Audition de M. Eugène RIEDWEG,
Premier adjoint au maire de Mulhouse,

accompagné de M. Gérard MARBACH,
Directeur du développement économique et des affaires générales

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 19 mai 1999 à Mulhouse)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. Michel Vauzelle, président, présente l'objet de la mission d'information.

M. le Président : Nous sommes ici pour prendre des notes et intégrer vos propos dans le rapport que nous déposerons fin juin. Un colloque aura lieu à la rentrée, de façon à attirer l'attention de l'opinion publique nationale sur la solidarité nécessaire pour attirer des équipements indispensables au développement d'un grand axe Nord-Sud, à l'Est du territoire national. Nous garderons, par ailleurs, un regard attentif sur ce que feront les Suisses, les flux de trafics qui existeront entre le Nord de l'Italie et le Sud de l'Allemagne, directement par la Suisse.

Voilà, monsieur l'adjoint, ce que nous voulions vous dire. Nous compléterons ces propos par des questions.

M. Eugène RIEDWEG : Permettez-moi de vous accueillir au nom de M. le député-maire de la ville de Mulhouse. Comme vous l'avez dit, l'abandon du projet de canal à grand gabarit est une perte sensible pour la ville de Mulhouse. Le canal traversait le centre de la ville. Depuis que les schémas directeurs ont été mis en place, la Ville de Mulhouse a été amenée à geler le développement de cette partie de la ville et à mettre entre parenthèses un certain nombre de voiries structurantes, notamment une voie sur berge, prévue pour faire pendant à l'autoroute, de manière à éviter la circulation dans le centre ville.

Nous sommes particulièrement touchés, d'autant plus que nous étions de farouches partisans du canal. M. Bockel a toujours défendu ce projet ; le conseil municipal s'était prononcé en sa faveur. Malgré cet abandon, nous continuons à penser que les voies d'eau ont un avenir en France. Pour l'instant, peut-être cet avenir est-il incertain, mais dès lors que l'on réfléchit en matière d'aménagement du territoire, il faut aussi réfléchir sur le long terme.

Personne ne sait ce qui se passera dans vingt ou trente ans. Compte tenu du développement des transports et au vu de ce qui se passe, nous pensons qu'il faut préserver l'avenir. Nous avons procédé à des acquisitions de terrains dans la ville de Mulhouse. En rase campagne, cela pose moins de problèmes, mais dans une agglomération telle que celle de Mulhouse, c'est important. Nous pensons que ces terrains acquis doivent être préservés pour l'avenir.

Nous nous sommes peut-être trompés sur le gabarit de la voie d'eau : peut-être ne fallait-il pas prévoir un canal à 4 000 tonnes. En Allemagne, même le canal de Rhin-Main-Danube est à 3 300 tonnes. Ce n'est pas le même type de voie d'eau. C'est la classe inférieure. Pour Mulhouse, nous n'étions pas obligés d'avoir un canal aussi large. Un sens unique aurait pu être prévu dans le centre de la ville. Les péniches ne circulent pas toutes les cinq minutes.

Personnellement, je ferai en sorte que, quand les divers équipements seront réalisés, une marge soit préservée pour que peut-être un jour, on puisse réaliser le canal à grand gabarit et éventuellement adapter le canal Freycinet.

Il nous paraît dommage d'avoir réalisé la mise à grand gabarit du tronçon entre le canal d'Alsace et Mulhouse, et de rester en panne à l'entrée de Mulhouse. Ensuite, il faut continuer. Je ne sais pas comment.

Notre philosophie est que la voie d'eau a un avenir.

M. le Rapporteur : Le canal s'arrête vraiment à l'entrée de Mulhouse ?

M. Eugène RIEDWEG : Tout à fait. Il s'arrête au port de Mulhouse-Ile Napoléon. Le tronçon Niffer-Mulhouse a été réalisé. Depuis la mise à grand gabarit de l'écluse, le canal a été réalisé sans aucun problème. De plus, la participation des collectivités locales a été sollicitée à hauteur de 20 % pour le financement d'une infrastructure nationale, voire européenne. C'est quand même une grande première en France.

Exit le canal à grand gabarit ; reste le canal Freycinet qui a un avenir touristique. Il faudra donc le remettre en état de fonctionnement car, depuis vingt ans, les portes d'écluses sont pourries, les berges s'effondrent... Toute une remise aux normes du canal est à entreprendre, ainsi que les travaux d'entretien qui n'ont pas été faits. Il faut ensuite étudier, dans le secteur considéré, comment développer cet aspect touristique. Les bateaux qui passent ici vont du Rhin jusqu'à la Méditerranée. C'est donc un petit complément, mais non pas l'objet principal.

Le canal est en panne, mais nous n'avons pas perdu espoir.

D'autres projets de canaux seront faits par ailleurs et nous serons forcément en concurrence avec d'autres projets. Au niveau européen, on ne peut pas ne pas réunir la mer du Nord et la Méditerranée. Nous avons des voies d'eau. Les Allemands l'ont fait ; ils ont réalisé leur projet dans une zone qui n'est guère plus facile, voire même plus difficile que la nôtre. Il n'y a aucune raison pour que l'on n'y arrive pas.

Le problème de la voie routière doit également être pris en compte. L'autoroute est saturée de camions. Dans Mulhouse, le problème est plus que d'actualité puisque du retard a été pris sur la mise à deux fois trois voies de l'autoroute. Dans Mulhouse, circulent entre 60 000 et 70 000 véhicules par jour. Aux heures de pointe, on a du mal à passer.

Il y a donc cet aspect de la question. Le trafic des camions nous préoccupe. Tous ceux qui sont situés sur le tracé ont en tête cette augmentation du trafic de camions. Des projets, notamment en Suisse, visent à les dissuader de passer. Par conséquent, nous allons retrouver ces camions sur notre autoroute, puisque c'est la seule dans l'axe Nord-Sud de l'Europe, sur la fameuse « banane bleue », sur le grand axe européen.

Le souci est donc de transférer ce trafic routier. Comme on ne peut pas le transférer sur le canal, il ne reste plus que le mode ferroviaire. Tout le problème est là : comment transférer ce trafic et ce fret d'importance de l'autoroute sur le rail...

M. le Rapporteur : Dans l'axe rhénan ?

M. Eugène RIEDWEG : Dans l'axe rhénan. Là se pose tout le problème des liaisons qui n'existent que très partiellement avec le réseau allemand.

Si je vous suis, nous sommes dans la bonne logique, celle de l'axe Hambourg, Francfort, Bâle, Lyon et Méditerranée, pour bifurquer ensuite en direction de l'Espagne ou de l'Italie. C'est le grand axe Nord-Sud de l'Europe. Il passe dans notre région. Nous n'avons pas de nombreuses possibilités de le faire passer. Actuellement, il n'existe qu'une seule voie ferrée qui doit à la fois accueillir le trafic de voyageurs et le trafic de marchandises. C'est là que se pose le problème du TGV Rhin-Rhône, qui nous intéresse plus particulièrement à Mulhouse, même si nous soutenons le TGV Est.

M. André SCHNEIDER : Merci.

M. Eugène RIEDWEG : Je ne tiendrai pas un autre langage. Nous soutenons le développement de la région. C'est important.

Je dirai que ces deux TGV doivent être réalisés de manière concomitante - on entre là dans la complexité - avec un phasage sur un tronçon entre Auxonne et Petit-Croix, en utilisant la voie ferrée actuelle entre Petit-Croix - c'est-à-dire Belfort - Mulhouse, Auxonne et Dijon. Encore que dans ce secteur, il y ait des possibilités. Toutefois, cela posera un problème car le fret doit utiliser les mêmes voies entre Belfort et Mulhouse.

M. le Rapporteur : Aujourd'hui, le tronçon Auxonne-Petit-Croix ne libère pas de sillons pour le fret. On ne peut pas réaliser Besançon-Mulhouse uniquement pour le fret. Sur Petit-Croix, combien y a-t-il de kilomètres avant Belfort ?

M. Eugène RIEDWEG : Petit-Croix-Mulhouse représente une trentaine de kilomètres.

M. le Rapporteur : Aujourd'hui, Auxonne-Petit-Croix règle peut-être le problème du TVG voyageurs, mais pas celui du fret.

M. Eugène RIEDWEG : Nous n'avons qu'une voie ferrée. Puis se pose le problème de la liaison avec l'Allemagne. Il semblerait que l'on avance en ce qui concerne le contrat de plan spécifique Saône-Rhin. Le CIADT du mois de juillet devrait prendre en compte cette donnée et permettre de développer la liaison entre Mulhouse et Müllheim, à savoir la voie ferrée existante entre les réseaux allemand et français, le franchissement du Rhin se faisant au pont de Chalampé. La voie ferrée Chalampé-Müllheim, à voie unique, a été construite par les Allemands dans les années 1880. A cette époque, on ne réalisait que des liaisons transrhénanes. Elle est à voie unique pour le moment.

M. le Rapporteur : Cela figure-t-il dans le contrat spécifique ?

M. Eugène RIEDWEG : C'est une chose que l'on nous a demandée et que nous soutenons. Les services de l'État l'ont proposé ; cela a donc des chances de progresser. C'est la liaison qui figure sur ce plan entre les deux réseaux français et allemand.

M. le Rapporteur : Aujourd'hui, très peu de liaisons existent entre les deux.

M. Eugène RIEDWEG : Tout à fait. En dehors de la liaison ferroviaire, cela nécessite également la réalisation d'un petit « shunt » à hauteur de Mulhouse Nord-Est. Le problème de Mulhouse est que nous sommes entourés d'une ceinture ferroviaire totale.

M. le Rapporteur : Mulhouse est entièrement ceinturée.

M. Eugène RIEDWEG : Cette ceinture ferroviaire a été réalisée avant la Guerre de 1914-18. Cela pose d'ailleurs de gros problèmes parce qu'à l'intérieur de Mulhouse, toutes les voies convergent en étoile sans qu'existent les voiries de contournement nécessaires. D'où la nécessité de réaliser cette voie sur berge, qui n'est plus, pour nous à ce jour, une voie sur berge, mais une voie qui doit permettre l'accès à l'espace plurimodal ou multimodal que sera la gare de Mulhouse. A terme, le TGV doit y accéder.

Nous avons également un projet de tram-train, projet le plus avancé en France, qui doit également arriver en gare. Nous souhaitons faire de cette gare de Mulhouse le n_ud d'un certain nombre de types de transports.

M. le Rapporteur : Les TGV arriveront en gare de Mulhouse. Vous ne voulez pas d'une gare dans les betteraves !

M. Eugène RIEDWEG : Non. Il est prévu depuis longtemps que la gare de Mulhouse devienne une gare TGV. De cet endroit, se « dispatcheront » tous les transports régionaux.

Pour nous, cette voie le long de l'ancien canal devient une nécessité vitale. Il faut désengorger le centre ville. Le PDU prévoira une réduction drastique de la circulation en centre ville. Il faudra bien la faire passer ailleurs.

M. le Rapporteur : A quel horizon le tram-train se profile-t-il ?

M. Eugène RIEDWEG : S'agissant du tram-train, nous en sommes à la phase de prise en considération. Le début de travaux aura lieu après les élections municipales en 2001, avec une mise en service en 2004.

M. le Président : Sur quelle distance ?

M. Eugène RIEDWEG : Environ dix-neuf kilomètres sur deux lignes, plus la ligne SNCF qui part de Mulhouse et qui desservira toute la vallée de Thann.

M. le Président : Le TGV est prévu pour 2006.

M. Eugène RIEDWEG : Oui. S'agissant du TGV, se pose le problème de l'interconnexion avec les réseaux allemand et suisse. Les Suisses, notamment Zurich, sont très intéressés par une liaison par Bâle qui, pour eux, est la plus rapide. Il faudra avoir la liaison avec Bâle. Un petit risque de conflit existe avec les Allemands qui voudraient également aller directement sur Bâle avec leur réseau ICE à grande vitesse. Nous défendons la liaison plus rapide, mais cela suppose un doublement de la ligne Mulhouse-Chalampé. Tout le monde évite soigneusement cet objet de friction dans toutes les discussions. On passe cela sous silence. Voilà donc le schéma général.

M. Gérard MARBACH : Nous avons élaboré un petit plan, dans le cadre du programme Saône-Rhin, qui fait apparaître un axe Nord-Sud ferroviaire très fort, passant près de Nancy, en direction de Dijon. Cet axe doit aussi être développé à partir de notre région en direction du Rhône, ce qui présente quelques difficultés du fait d'une discontinuité en termes d'aménagement. C'est le gabarit B + qu'il faut réaménager, ainsi que la liaison entre Mulhouse et le réseau allemand, pour permettre l'interconnexion.

M. le Rapporteur : Où se situe Petit-Croix par rapport à Belfort ?

M. Gérard MARBACH : Près de Belfort, en direction de Mulhouse.

M. le Rapporteur : Mulhouse, au travers de l'Association TGV Rhin-Rhône, dont le président est son maire, a toujours soutenu le TGV Rhin-Rhône et sa première phase Mulhouse-Dijon. Un certain nombre de tracés sont possibles, comme Mulhouse-Besançon-Dijon ou Auxonne-Petit-Croix.

Une difficulté se pose dans le cas d'Auxonne-Petit-Croix : le transit de marchandises sur la voie qui allait être dégagée sera impossible. Quelle est la position de la ville de Mulhouse quant au tracé Auxonne-Petit-Croix ? Y est-elle favorable ou est-elle plus favorable à un tracé Mulhouse-Besançon qui permettrait, pour un coût modeste, de mettre au gabarit B + la ligne que vous venez de citer, qui actuellement ne permet pas de transporter des conteneurs ? Si elle était remise au gabarit, cette ligne permettrait de faire transiter de la marchandise par voie ferrée de manière plus aisée.

M. Eugène RIEDWEG : Il faut appréhender le problème dans son ensemble. Nous avons à la fois, un problème de trafic de voyageurs et de marchandises. Si une réponse est apportée, elle doit l'être aux deux problèmes en même temps, sans user d'expédients.

M. le Rapporteur : Quelle est la position de Mulhouse sur ce point ? Ce n'est pas une question piège.

M. Eugène RIEDWEG : Il faudrait que l'on arrive à Lutterbach, c'est-à-dire Mulhouse-Besançon.

M. Gérard MARBACH : Ou, encore mieux, Mulhouse-Auxonne.

M. le Rapporteur : Pour tout projet, un consensus est nécessaire.

M. André VAUCHEZ : Pensez-vous effectivement descendre sur le Sud depuis Auxonne ?

M. Gérard MARBACH : Non, il existe trois ou quatre autres possibilités.

M. Eugène RIEDWEG : Honnêtement, nous ne nous sommes jamais réellement positionnés sur ce point. Il est ennuyeux de nous positionner par rapport aux Francs-Comtois. Nous savons ce que nous voulons chez nous. Ensuite, c'est plus délicat. Mais il faut concilier le trafic de marchandises et le trafic de voyageurs.

M. le Rapporteur : Si vous alliez vos forces à celles de Besançon pour un tracé Mulhouse-Besançon, cela peut être un élément de poids pour éviter un tracé Auxonne-Petit-Croix.

M. Gérard MARBACH : La difficulté d'un tracé Auxonne-Petit-Croix est qu'il faudrait réaliser un « shunt » en pleine ville, c'est-à-dire un viaduc d'un kilomètre de long pour permettre la liaison directe des trains venant de Belfort et allant sur Strasbourg. Je crois que la ville n'y est pas favorable.

M. Eugène RIEDWEG : La ville est totalement opposée à ce « shunt ». Nous n'avons pas encore été saisis officiellement sur ce point. Nous savons officieusement que Réseau Ferré de France a un projet à travers la plaine de l'Ill, mais cela équivaudrait à défigurer la ville. Nous y sommes totalement opposés.

M. le Rapporteur : Vous auriez du mal, à deux ans des élections municipales, à faire passer un viaduc en ville.

M. Eugène RIEDWEG : De plus, cela concerne la partie verte de la ville : les terrains de camping, les stades, l'hôpital...

M. le Rapporteur : Il est incroyable que RFF puisse même simplement imaginer un tel projet.

M. Eugène RIEDWEG : Il est vrai qu'il n'y a aucune habitation dans la plaine de l'Ill, mais dans un rayon de 500 mètres, cinq à six mille habitants sont directement concernés par ce projet.

M. le Rapporteur : Avez-vous des projets de développement subordonnés au grand canal qui ont été abandonnés et qu'il conviendrait de rattraper ?

M. Eugène RIEDWEG : Il s'agit essentiellement d'un projet de voirie qui concerne Mulhouse et son agglomération, c'est-à-dire six communes. Avec ces dernières, nous avions mis sur pied un comité de pilotage dans le cadre du projet de canal. Celui-ci ayant capoté, le comité de pilotage a continué de fonctionner car cette voirie est une nécessité pour tout le monde, Mulhouse, depuis Brunstatt jusqu'au port de Mulhouse, avec trois communes, Rixheim, Illzach, et Riedisheim.

Nous sommes tous concernés, notamment à Brunstatt où la suppression d'un passage à niveau situé en pleine ville devient d'autant plus nécessaire que le trafic ferroviaire se développera. C'est l'un des derniers passages à niveau dans une agglomération de cette importance, il faut le remplacer par un passage souterrain. Ce passage à niveau conditionne également l'accès à l'hôpital pour une grosse partie de l'agglomération mulhousienne. En effet, du fait de cette ceinture ferroviaire, doublée par le canal, seuls quatre ponts permettent d'accéder à l'hôpital sur l'agglomération mulhousienne. C'est un gros problème. Le remplacement de ce passage à niveau semble en tout cas être pris en compte par le prochain CIADT.

Par contre, il nous a été impossible de faire prendre en compte toute l'infrastructure routière. Nous sommes en désaccord profond avec le SGAR de Franche-Comté qui ne veut pas tenir compte des travaux d'infrastructure routière, ce projet de contrat de plan spécifique étant financé par le FNADT, qui ne doit pas servir, sauf dérogation, à financer des projets routiers.

Nous contestons cette interprétation car tout le monde a reconnu - à commencer par le préfet de Franche-Comté - que si certains projets sont en panne depuis près de trente ans sur Mulhouse, ce sont bien les projets d'infrastructure routière. Il nous faut les réaliser d'urgence car nous avons le couteau sur la gorge. Nous réclamons donc une dérogation pour l'usage du FNADT. Non pas dans sa totalité, mais au moins pour pouvoir réaliser deux ponts indispensables. Il nous faut déplacer deux ponts et une écluse. Quant au reste, nous verrons avec les autres collectivités concernées.

Ensuite, se posent les problèmes d'aménagement lié au canal, notamment l'aménagement touristique. On reparle justement de la plaine de l'Ill où RFF veut réaliser le viaduc. Si un nouveau port doit être créé à Mulhouse, c'est l'endroit pour le faire, nous avons les terrains. C'est une zone d'activités de loisirs qui s'y prête à merveille et où l'on peut développer ce genre de tourisme. A Mulhouse même, non. On ne peut pas dire que nous sommes restés en panne car cette zone était située de part et d'autre du canal. Nous aurions pu faire des projets d'urbanisme, mais pas des projets de développement économique. On ne peut pas dire que sur Mulhouse, nous ayons été bloqués de ce côté-là. Par contre, tous les projets d'aménagement de la ville sont bloqués. Le canal traverse la ville sur toute sa longueur. Tout l'aménagement urbain doit être freiné. Le canal pourrait entraîner, pour la ville de Mulhouse, des travaux à hauteur de un milliard de francs. La SORELIF (Société de réalisation de liaisons fluviales) était importante pour nous.

M. le Rapporteur : Y a-t-il intérêt, en ce qui concerne ce canal qui s'arrête à l'entrée de la ville, de le prolonger de quelques kilomètres pour lui faire traverser la ville ?

M. Eugène RIEDWEG : Non.

M. le Rapporteur : Je ne connais pas bien la topographie. N'y a-t-il pas une zone industrielle au nord de la ville qui pourrait l'utiliser ?

M. Eugène RIEDWEG : Non, il n'y a pas d'intérêt majeur. Nous avons quand même deux plates-formes importantes : Ottmarsheim et Müllheim. Les ports rhénans sont situés sur trois sites : Huningue, Ottmarsheim et l'Ile Napoléon.

Tous les bateaux ne pouvaient pas aller à cette dernière plate-forme, mais celle-ci étant à 15 kilomètres de Ottmarsheim, une rupture de charge est possible ; qu'elle ait lieu à l'Ile Napoléon ou à Ottmarsheim, c'est quasiment la même chose, d'autant que Ottmarsheim est desservi au plan ferroviaire.

Le problème est que l'on a dépensé des sommes importantes pour réaliser cette mise à grand gabarit et qu'on en reste là. C'est dommage. D'autant plus qu'on a fait la démonstration, sur ce tronçon, que l'on pouvait entreprendre des aménagements en parfaite harmonie avec l'environnement, notamment sur le plan écologique.

M. le Président : La liaison avec les canaux du centre de l'Europe vous apporte-t-elle une activité importante ou, dès lors qu'il n'y a pas de liaison avec le bassin méditerranéen, c'est un cul-de-sac et cela ne sert à rien ?

M. Eugène RIEDWEG : Rotterdam est le premier port du monde parce qu'il a un hinterland formidable qui va jusqu'à Bâle et en Alsace. Le problème de Marseille est qu'il n'y a pas d'hinterland ou très peu. Mulhouse, et tout l'axe Rhin-Rhône, auraient pu être l'hinterland de Marseille. C'est le fond du problème.

Ce n'est pas pour rien que Rotterdam s'est développé ainsi. Dans le passé, la potasse partait sur la Belgique et la Hollande par le Rhin. Peugeot aurait pu utiliser le canal pour faire ses liaisons au lieu d'utiliser des camions.

M. le Rapporteur : Ils sont assez réservés sur ce point. Au sein de la même société, les avis divergent.

M. Eugène RIEDWEG : Peugeot s'est pourtant délibérément implanté à proximité du canal dans cette perspective.

M. le Rapporteur : Deux avis s'opposent entre Sochaux et Mulhouse, Mulhouse y étant plutôt favorable et Sochaux défavorable.

M. Eugène RIEDWEG : On ne peut pas raisonner sur le moyen terme. Il faut garder présent à l'esprit le long terme. Si les transports continuent à augmenter de la sorte, nous serons confrontés à des difficultés majeures ; il faudra bien trouver des solutions de remplacement.

M. le Rapporteur : Mulhouse, hinterland du port de Marseille, ne peut maintenant se faire que par la voie ferrée.

M. Eugène RIEDWEG : Pour le moment, oui. Il faut voir plus loin en matière de voies ferrées. Sont concernées toutes les liaisons avec l'Espagne, Barcelone, pas seulement Marseille. Cela concerne le grand axe Nord-Sud de l'Europe de Barcelone à Hambourg, voire au-delà.

M. le Rapporteur : En matière de TGV, vous parlez beaucoup du TGV Rhin-Rhône qui va vers Paris. Quel est son intérêt pour vous ? Vous parlez peu de la branche Sud.

M. Eugène RIEDWEG : La branche Sud est aussi importante que celle de Paris. La branche de Paris nous importe cependant beaucoup, dans la mesure où nous sommes, en matière de liaisons ferroviaires, plus que sous-développés. Au minimum, nous mettons quatre heures et quart pour faire le trajet Mulhouse-Paris. C'est aberrant.

Mon fils met plus de deux heures pour aller de Paris jusqu'à Valence, alors que c'est plus loin. Cette région est quand même très densément peuplée. La répartition de la population française se fait sur la périphérie. Il y a un siècle et demi, lors du développement des chemins de fer, tout l'Est de la France était en pointe. Mulhouse était pionnière en matière de chemins de fer. Aujourd'hui, nous sommes complètement laissés à l'écart des TGV.

Je comprends que, dans le cadre de l'aménagement du territoire français, il y ait des axes : un axe Paris-Lyon-Marseille, un axe Ouest, un axe méditerranéen. Mais on ne peut plus raisonner comme il y a trente ans ; la réflexion doit se faire au niveau de l'espace européen. Le réseau français doit donc se raccorder à l'ensemble de l'espace européen.

M. le Rapporteur : On entend beaucoup parler de l'axe Mulhouse-Paris par le TGV Rhin-Rhône...

M. Eugène RIEDWEG : Pour nous, Rhin-Rhône, cela dit bien ce que cela veut dire.

M. le Rapporteur : C'est aussi mon avis. Même au sein de l'association et dans les études en cours, la priorité semble être la liaison Mulhouse-Paris plutôt que la liaison avec la branche Sud.

M. Eugène RIEDWEG : Il y a quelques blocages avec la branche Sud.

M. le Rapporteur : J'ai noté que votre intérêt est donc au moins aussi grand pour cette dernière.

M. Eugène RIEDWEG : Bien sûr. C'est ce que nous avons toujours défendu. C'est l'axe Nord-Sud de l'Europe. Si cet axe est réalisé, on a forcément la liaison avec Paris. On défend l'axe Nord-Sud de l'Europe : Hambourg, Francfort...

M. Gérard MARBACH : Rhin-Rhône, Méditerranée.

M. Eugène RIEDWEG : Quand le colloque TGV a été tenu à Mulhouse, M. Pujol, pour les Catalans, a fortement soutenu le projet car il était directement concerné.

M. André SCHNEIDER : Si j'ai bien compris, monsieur l'adjoint, Rhin-Rhône ne passe quand même pas par Strasbourg.

M. Eugène RIEDWEG : Si ! Strasbourg est sur le Rhin.

M. Gérard MARBACH : Il s'agit d'un axe Hambourg-Marseille-Barcelone.

M. Eugène RIEDWEG : Il ne faut pas se leurrer : nous aurons un problème avec les Allemands car ils voudront pousser jusqu'à Bâle. Cela ne fait l'affaire ni de Strasbourg ni de Mulhouse.

M. André SCHNEIDER : On nous dit partout que le TGV-Est est acquis. Pour l'instant, il s'arrête en Lorraine. On lorgne vers le Nord : Mannheim, Francfort. Il n'est écrit nulle part qu'il ira à Strasbourg. On nous qualifie de nantis, alors que ce n'est pas le cas. Pour l'instant, le TGV s'arrête en Moselle. Les Allemands nous disent déjà : « Wir kommen aus Frankfurt und Mannheim. ». Cela étant dit, je suis très content de cette solidarité intermétropoles alsaciennes et je reconnais bien là la patte de votre collègue, Jean-Marie Bockel.

M. le Président : Monsieur le premier adjoint, nous vous remercions de votre accueil.

M. le Rapporteur : Nous avons aussi évoqué le tram-train. Vous pouvez envoyer à la mission les documents qui y sont relatifs, pour ma culture personnelle.

M. André SCHNEIDER : Nous sommes en train de réaliser, sur la communauté urbaine de Strasbourg, la ligne B du tram dont le terminus se trouve à Hoenheim - la ville dont je suis maire - et nous avons déjà une option du conseil régional sur l'intermodalité entre Strasbourg-Lauterbourg.

M. le Président : Avez-vous des contacts réguliers sur ce point avec vos voisins allemands ?

M. Gérard MARBACH : Trois structures se réunissent très souvent : le conseil rhénan, la « Regio Tri rhena » et la Conférence franco-germano-suisse.

Audition de MM. Constant GOERG et Philippe GALLI,
respectivement Président et Directeur général du conseil général du Haut-Rhin

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 19 mai à Colmar)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

Le président Michel Vauzelle présente l'objet de la mission d'information.

M. le Président : Il s'agit pour nous de voir comment, par des solutions telles que TGV, voie ferrée, fret ferroviaire, routes, autoroutes, toute autre solution possible, nous pouvons créer ce barreau manquant entre la vallée du Rhin et la vallée du Rhône et qui nous permettrait de bénéficier de l'expansion économique qui pourrait se développer sur un axe allant des Bouches du Rhin aux Bouches du Rhône. Évidemment, vous êtes particulièrement concerné par cette réflexion. Le but de notre visite est de vous entendre sur ce sujet.

M. Constant GOERG : Suite à l'abandon de l'aménagement du canal à grand gabarit, nous travaillons actuellement sur l'avenir du territoire Saône-Rhin. Dans le cadre de la construction du canal Rhin-Rhône, était prévue la création de certaines infrastructures qui ont été abandonnées par la suite. Dans le cadre d'un contrat complémentaire au contrat de plan État-région, nous essayons de trouver quelques compensations.

L'essentiel est de déterminer les moyens que l'on veut bien mettre à disposition pour la réalisation des projets. Il semble que les moyens dont nous serions crédités atteindraient 0,8 à 0,9 milliards de francs, à répartir sur trois régions comprenant six départements. La portion réservée par l'État au département du Haut-Rhin porte sur une enveloppe d'environ 190 millions de francs, étalée sur une période relativement longue.

M. le Président : Vous parlez de l'enveloppe pour les contrats de plan de 2000-2006 ?

M. Constant GOERG : Non, j'évoquais l'enveloppe du contrat de plan spécifique.

Votre réflexion porte sur l'ensemble de l'axe Rhin-Rhône. Cela va donc largement au-delà de ce que je viens d'aborder, mais qui doit également être pris en compte.

Les débats ont été engagés il y a plusieurs années déjà ; l'un de nos objectifs est d'obtenir le TGV Rhin-Rhône. Récemment, dans le cadre d'un engagement contractuel concernant le TGV Est, le Haut-Rhin a participé à hauteur de 230 millions de francs. Je crois savoir que notre collectivité et l'ensemble des collectivités alsaciennes seraient prêts à contribuer également au TGV Rhin-Rhône. Ne nous faisons pas d'illusions : en France, il n'y aura plus de TGV sans contribution des collectivités locales.

Des aménagements routiers sont également nécessaires. Ils ne concernent pas seulement la liaison Nord-Sud, mais aussi des liaisons transversales que nous essaierons de faire inscrire dans le contrat de plan État-région. Nous devons en effet privilégier les transports, non seulement ferroviaires, mais aussi routiers, et il est bien dommage que nous ne puissions le faire pour le transport fluvial comme nous l'espérions.

Dans un premier temps, nous avons contribué à l'aménagement du bief de Niffer. C'était le premier tronçon sur lequel le département avait contribué à hauteur de 32 millions de francs. Les crédits affectés à l'époque sont plus ou moins perdus aujourd'hui, mais nous avons au moins une jonction assez intéressante entre le Rhin et le port de Mulhouse. Mais pour le reste, il n'y a pas de suite.

Nos projets portent surtout sur l'aménagement de voies sur berge, notamment dans la région mulhousienne dont Mulhouse est fortement demandeur, sachant que tout cela avait été conditionné par cette grande opération. Il y a un engorgement notoire de la circulation à Mulhouse. La mise à deux fois trois voies de l'autoroute A 35 est prévue par l'État, bien que Mulhouse et les communes du secteur privilégient plutôt la construction d'une voie sur berge.

En ce qui concerne les divers axes de communication, beaucoup d'améliorations restent à apporter vers le Nord, notamment entre Colmar et Strasbourg. Nous rencontrons des problèmes, plus particulièrement entre Colmar et Sélestat.

M. Philippe GALLI : L'autre sujet important est celui du fret. Aujourd'hui, l'axe de circulation principal Nord-Sud en Europe, longeant en partie l'axe rhénan, est essentiellement un axe de fret, avec des camions ou des péniches. Il fonctionne bien vers le Nord, moins bien vers le Sud.

Suite aux récents incidents du tunnel du Mont-Blanc, la géographie des déplacements vers la Méditerranée et la péninsule italienne va probablement évoluer. Nous sommes régulièrement interpellés, notamment par les Allemands qui construisent de véritables bases de fret multimodales - trains, camions, voire bateaux. Dans ce domaine, nous sommes encore en attente de savoir comment les choses pourraient évoluer.

Aujourd'hui, un entrepreneur alsacien devant envoyer un chargement vers le bassin méditerranéen le fait plus facilement en passant par Rotterdam qu'en descendant l'axe rhodanien pour ensuite aller charger à Marseille ; il suffit de voir les tonnages des uns et des autres. Dans ce domaine, nous n'avons probablement pas su jouer toutes les cartes pour entretenir un port de haut niveau sur le bassin méditerranéen et assurer une desserte convenable vers le Sud.

Une question que pose le développement du fret est que passer par la route doublerait sans doute le nombre de camions qui saturent déjà assez largement le réseau routier, en particulier en Alsace. D'ailleurs, en Allemagne, l'autoroute dite HAFRABA (Hambourg-Fribourg-Bâle) est en permanence saturée et les Allemands exercent une forte pression pour faire dériver une partie du flux chez nous. Heureusement, il manque aujourd'hui quelques tronçons pour faire ces connexions, mais à terme, je ne vois pas ce qui pourrait s'y opposer. C'est un vrai problème.

M. le Président : Quel est votre point de vue sur le TGV Rhin-Rhône ?

M. Constant GOERG : La situation du Haut-Rhin est particulière. En termes de créneaux horaires, le TGV Rhin-Rhône nous aurait permis de rejoindre Paris pratiquement dans les mêmes délais que le TGV-Est et présenterait également l'avantage de pouvoir utiliser le circuit vers le Sud.

L'ensemble des Alsaciens attendent donc avec une certaine impatience que ce TGV voie le jour. Les discussions actuelles portent sur l'opportunité de savoir si on installera une ligne nouvelle de Dijon à Mulhouse, voire au-delà, ou si l'on s'arrêtera à Belfort, en utilisant les lignes existantes pour rejoindre Mulhouse. Pour le TGV Rhin-Rhône, un intérêt très fort est également exprimé par les Suisses avec une desserte possible sur Bâle.

M. le Rapporteur : Les attentes en ce qui concerne le TGV Rhin-Rhône paraissent plus fortes, pour la branche Mulhouse-Dijon-Paris ou Mulhouse-Besançon-Dijon-Paris que pour la branche Sud Mulhouse-Besançon-Dôle-Lyon. Pourtant, dans votre analyse, la branche Sud semble tout aussi importante - sinon davantage - que la branche qui vous reliera à la région parisienne.

M. Constant GOERG : A partir de Colmar, les avis sont partagés. Peut-être que plus on descend dans le Sud du département, plus l'axe Mulhouse-Dijon-Paris est privilégié.

M. le Rapporteur : Sur le plan économique, votre directeur général, M. Galli, a mentionné le problème du fret. Je suis d'accord avec votre analyse ; la liaison TGV s'arrêtant à Belfort ne réglerait pas le problème du fret pour vous puisqu'en utilisant les mêmes voies, on aurait une saturation des voies SNCF pour le fret.

M. Constant GOERG : Dans le Sud du département, nous avons l'Euro Airport de Bâle-Mulhouse, le second en France pour le fret. Cela montre l'importance de cette activité de transport de fret. Il est vrai que nous avons peu de solutions de rechange possibles.

M. le Rapporteur : Le vrai TGV Rhin-Rhône reliant l'Alsace à Marseille, n'est pas celui qui vous apparaît comme étant prioritaire.

M. Philippe GALLI : Il s'agirait en fait véritablement d'un TGV Barcelone-Hambourg passant par Strasbourg. La nécessité de connecter Paris apparaît clairement. On la résoudra par le TGV-Est, dans des conditions d'amélioration réelles, mais probablement pas aussi bonnes qu'en passant par l'axe connu, via Dijon.

M. Constant GOERG : Un axe jusqu'à Barcelone via Strasbourg passerait en Alsace. Néanmoins, il n'y a aucune discussion, aucun projet en cours portant sur l'installation de voies nouvelles dans la traversée alsacienne entre Mulhouse et Strasbourg. Actuellement, il n'est question de Rhin-Rhône qu'avec la variante d'une voie nouvelle jusqu'à Belfort ou jusqu'à Mulhouse.

M. le Rapporteur : Il s'agirait d'un tracé Auxonne-Petite Croix ou Besançon-Mulhouse.

M. Constant GOERG : Une troisième variante était prévue ; elle a été plus ou moins écartée. Il s'agissait de Besançon-Belfort.

M. André VAUCHEZ : Pour le TGV, l'alternative est entre Besançon-Dijon en direct par une vallée nouvelle et Besançon-Dôle-Auxonne-Dijon avec, en corollaire, les projets de descente vers le Sud, pouvant être réalisés soit à partir de Besançon ou éventuellement de Dôle-Auxonne, soit de Dijon. Les trois possibilités offrent un choix intéressant pour l'avenir. Et surtout, cela permettrait de phaser ce projet de telle sorte que les premiers crédits apporteraient immédiatement une solution, en particulier aux Alsaciens et aux gens de Belfort et Besançon.

Je pensais que vous évoquiez le fret. C'est vrai qu'il se fait dans le sens Nord-Sud. Aujourd'hui, il ne fonctionne pas bien pour la simple raison que nous avons un n_ud ferroviaire à Lyon, bien sûr, mais aussi à Dijon. Le fret arrivant en Alsace monte par la Lorraine avant de redescendre sur Strasbourg ; je ne sais pas s'il revient jusqu'à vous. La ligne dont parlait M. Fousseret est effectivement une ligne SNCF reliant directement Lyon à Besançon par le bord du Jura. C'est une voie qui, hélas, était sur le point d'être abandonnée. Elle est à nouveau électrifiée et compte une bonne cinquantaine de kilomètres à une seule voie ; l'emprise est heureusement maintenue.

Je remarque que s'agissant du fret, nous avons eu une réflexion voisine à Besançon.

M. Philippe GALLI : La contribution des collectivités alsaciennes aux TGV ne pose pas de problème. Ce qui pose problème, c'est de participer au financement de projets n'ayant aucun impact direct sur le territoire alsacien, ni lignes nouvelles, ni travaux, même si leur effet peut s'y faire ressentir.

La région Alsace s'interroge avec nous sur le triplement de la voie centrale Nord-Sud Alsace, aujourd'hui saturée. Si le TGV y passe, il n'y aura plus de place pour le fret ou les trains express régionaux auxquels nous sommes très attentifs dans le cadre de notre politique de transports périurbains et interurbains.

M. le Rapporteur : L'intérêt est justement de maintenir - voire d'amplifier - les possibilités de fret entre Marseille et Strasbourg, pour ne mentionner que l'Hexagone. Cela paraît un enjeu essentiel dans le cadre notre mission.

Cette grande liaison Nord-Sud ou Sud-Nord manque ; elle est indispensable aux Rhône-Alpins, aux Francs-Comtois, aux Alsaciens et aux habitants de Provence-Alpes-Côte d'Azur.

M. le Président : La région PACA, dont je suis président, a le sentiment d'être très enclavée, en dépit de l'image qu'elle peut donner : d'un côté, il y a la barrière des Alpes, de l'autre, la mer qui ne nous est pas ouverte parce que le port de Marseille ne joue pas son rôle ; nous craignons la concurrence de Gênes et de Barcelone. Enfin, la vallée du Rhône est très encombrée et actuellement, c'est un endroit qui se bloque. Nous n'avons pas les communications que nous pourrions souhaiter avec la région Rhône-Alpes : c'est le problème de l'autoroute A 51 vers Grenoble.

Nous sommes bien situés, mais paradoxalement, nous avons l'impression d'être enclavés, avec la fameuse « banane bleue » dont on parle souvent, qui, de la Lombardie, remonte vers l'Angleterre en passant par chez vous, me semble-t-il.

Peut-être avez-vous moins ce sentiment en Alsace, du fait de votre situation au c_ur du c_ur du développement européen.

Bien qu'étant dans une région particulièrement privilégiée au c_ur de l'Europe, ressentez-vous, comme nous, la nécessité de développer cet axe de communication vers le Sud ?

M. Constant GOERG : Personnellement, je considère que notre région, bien que géographiquement bien placée dans le contexte que vous venez de décrire, a néanmoins des voisins puissants par rapport auxquels nous sommes quelque peu délaissés, notamment sur le plan des différentes infrastructures. Nous n'avons pas réellement de quoi répondre efficacement aux nombreuses sollicitations dont nous faisons l'objet. Pourtant, le développement économique passe aussi par l'amélioration des voies de communication et dans ce domaine, nous ne sommes pas les mieux situés.

Vous dites vous sentir enclavés. Nous avons, nous aussi, quelques soucis à nous faire, car si vous avez les Alpes, nous avons les Vosges qu'il n'est pas simple de traverser. Nous avons un tunnel qui n'est pas satisfaisant à Sainte Marie aux Mines. Plus loin, la nationale 66 qui compte 25 000 véhicules/jour exigerait un aménagement qui, s'il devait être réalisé, entraînerait un coût de plus de 3 milliards de francs. Compte tenu de nos finances, nous en aurions au moins pour une quarantaine d'années avant de réaliser cette jonction entre les Vosges et l'Alsace, l'Allemagne, la Suisse et l'Italie pour trouver un autre passage que le passage traditionnel.

M. André SCHNEIDER : C'est justement tout le danger que je soulignais pour le couloir français. Nous cherchons des couloirs extérieurs ; lorsque nous parlons d'autoroute, il ne faut surtout pas parler d'autoroute Nord-Sud en Alsace : on prend celle du voisin.

Notre préoccupation est de sortir de cet isolement géophysique, mais aussi psychologique. Tout au long de cette mission, nous avons pu sentir que les Alsaciens étaient parfois traités à part. Parfois, nous cultivons aussi notre originalité, confessons-le. Si Strasbourg a vocation à être capitale européenne, pour ce qui est des moyens nécessaires, on n'y est pas encore ! Il faut entendre les doléances des étrangers arrivant à Strasbourg et ne pas s'étonner ensuite que l'on en conteste l'implantation du Parlement européen.

M. Constant GOERG : Je pense que le président Vauzelle connaît très bien le problème que M. Schneider vient d'évoquer.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de MM. André BAYLE, Directeur du port autonome de Strasbourg,
Chef du service de la navigation et Directeur régional de Voies Navigables de France,

Michel CHALOT,
Président de la Chambre professionnelle des transporteurs routiers du Bas-Rhin,

Jean-François ABY, Président de la métallurgie bas-rhinoise,

Jean PERRIN, Permanent de la Chambre de commerce et d'industrie de Colmar,

et Jean-Pierre PRIGENT,
Président des ports de Mulhouse-Rhin

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 19 mai 1999 à Strasbourg)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Ce matin, nous avons fait des rencontres fort intéressantes à Mulhouse et à Colmar. Après un déjeuner intéressant avec le préfet de région, cette séance de travail réunit des représentants du monde économique et socio-professionnel.

Le président Michel Vauzelle présente l'objet de la mission d'information.

Vous avez la parole pour vous exprimer à tour de rôle sur ce vaste sujet. Ensuite, nous vous poserons éventuellement quelques questions.

M. André BAYLE : Compte tenu des orientations prises, il est certain que la voie d'eau à petit gabarit ne peut pas jouer de rôle majeur sur cet axe, même si des efforts sont aujourd'hui déployés pour sa restauration. Elle est importante, mais dans une optique qui est davantage celle du développement touristique que celle d'un axe majeur au niveau des infrastructures de transport de marchandises.

Concernant la liaison vallée de la Saône-vallée du Rhin, nous sommes dans une problématique de concurrence ou de complémentarité des chaînes logistiques par rapport à d'autres axes Nord-Sud existants - Allemagne-Italie ou sillon Mosellan-Vallée du Rhône.

De notre point de vue, les plates-formes portuaires alsaciennes, plurimodales, du Nord au Sud, (Strasbourg, Colmar et Mulhouse) sont des points de traitement des marchandises, d'échanges entre modes. Elles doivent jouer un rôle si l'on veut que la réflexion fasse intervenir les divers modes de transport en tenant compte des réserves de capacité.

Sur le Rhin supérieur, la voie d'eau au droit de Strasbourg charrie environ 23 millions de tonnes de trafic par an. Les réserves de capacité y sont importantes (le trafic pourrait doubler, sans investissement supplémentaire) ; il en est de même sur le Rhône. Dès lors, des complémentarités entre la voie d'eau et le rail peuvent être développées, et ce d'autant que les ports alsaciens, par essence plurimodaux, sont assez bien desservis par le mode ferroviaire ; il ne faut bien entendu pas oublier le rôle essentiel de la route. Mon voisin en parlera sans doute davantage.

Concernant la navigation ou les ports, le rôle et le développement des plates-formes d'éclatement des établissements portuaires doivent être mis en avant et soutenus dans les prochaines années. L'infrastructure rhénane ne connaît pas de problème d'engorgement.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé de 23 millions de tonnes au droit de Strasbourg. Après Strasbourg, j'ai cru comprendre ce matin qu'à Mulhouse, un million de tonnes transitaient.

M. André Bayle présente le document de la DRE Alsace (division économie des transports).

M. André BAYLE : Le Rhin se poursuit sur les secteurs allemand et néerlandais. Strasbourg est à 700 km de la mer et Mulhouse à 800 km. Au niveau de Strasbourg passent environ 23 millions de tonnes ; au niveau de Mulhouse-Ottmarsheim, au droit du Rhin, on est à 15 millions de tonnes environ : 10 millions de tonnes à Bâle. Au droit de Bâle, on n'a plus que le port de Bâle et ensuite, sur l'embranchement Niffer-Mulhouse se raccordant à Niffer au grand canal d'Alsace - qui devait être l'amorce de la liaison Rhin-Rhône - nous avons 1, 4 ou 1, 5 million de tonnes desservant le port de l'Ile Napoléon, l'un des trois sites portuaires de Mulhouse. Cela ne concerne que ces 15 km.

M. le Rapporteur : Entre Strasbourg et Mulhouse, on a donc perdu pratiquement 10 millions de tonnes.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Le port de Bâle représente quand même 10 millions de tonnes environ.

M. André BAYLE : Les principaux ports sont Bâle, qui enregistre huit ou neuf millions de tonnes ; du côté allemand, Weil représente quelques centaines de milliers de tonnes ; les ports de Mulhouse représentent au total 5 millions de tonnes en fluvial ; Colmar, 700 000 tonnes. Ensuite, Brisach représente assez peu ; Kehl représente 3 millions de tonnes. Strasbourg, avec ses différentes installations, en représente 9. Au fur et à mesure que l'on avance sur le Rhin supérieur, le trafic diminue. Sur le Rhin moyen, au niveau de Mannheim, on est à plus de 50 millions de tonnes  ; au niveau de la frontière germano-néerlandaise, on est à 140 millions de tonnes. Effectivement, le trafic s'intensifie en aval.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Ce matin, j'ai bien parlé d'un million de tonnes pour le trafic ferroviaire des ports de Mulhouse.

M. le Rapporteur : D'accord. J'avais retenu 1 million, plus 30 % d'augmentation ; cela faisait donc 1,3 million. Je n'ai peut-être pas été attentif.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Je parlais uniquement du trafic fluvial du port de l'Ile Napoléon ; avant l'agrandissement, le trafic oscillait entre 800 000 et un million de tonnes par an. Le principal port de Mulhouse est Ottmarsheim ; c'est le port fanion où il y a le plus de tonnage. L'ensemble des trois ports représente 5 millions de tonnes fluviales et un million de tonnes ferroviaires. Les notes que je vous ai remises contiennent les chiffres exacts.

M. le Rapporteur : Nous avons évoqué ce matin avec M. Prigent - et votre président en parlait ce midi - l'intérêt d'une remise en état du canal Freycinet. Bien entendu, l'intérêt est triple : pour le patrimoine alsacien et franc-comtois ; pour le tourisme, même s'il ne faut pas imaginer que des dizaines de milliers de bateaux y circuleront ; enfin, pour les quelques centaines ou milliers de tonnes qui pourraient continuer à transiter sur ce canal par le biais de péniches de 200 ou 300 tonnes s'il était remis en état, automatisé et quelque peu rénové. Nous sommes toutefois conscients que cela ne constituerait pas un axe économique fort ; vous aviez cité le chiffre de 200 à 300 000 tonnes par an.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Sous réserve qu'il y ait de la cale.

M. André BAYLE : Effectivement, j'avais évoqué très rapidement la restauration et la revalorisation du canal à petit gabarit qui nous tient à c_ur. Il ne faut pas négliger le tourisme fluvial. Dans la partie Nord de notre région, entre l'Alsace et la Lorraine, notamment au niveau de la traversée des Vosges sur le canal de la Marne au Rhin, des points sont très forts en termes de fréquentation touristique. C'est le troisième bassin après le Midi et la Bourgogne.

Sur la Vallée de la Saône également, ce tourisme fluvial se développe de manière très importante. Rien n'avait été fait sur une grande partie du linéaire dans l'attente de la liaison, mais le potentiel de développement est intéressant sur ce canal. En matière de développement local, les retombées ne sont pas négligeables ; le tourisme « terrestre » autour d'un canal est souvent encore plus important. C'est l'un des aspects importants, avec l'environnement, que vous citiez.

Le transport de marchandises est tombé à 50 000 tonnes de trafic par an ; c'est peu. Si le canal est restauré, il le sera à des fins multiples ; cela permettra d'assurer le transit des marchandises. Plusieurs éléments sont positifs pour les prochaines années, notamment la libéralisation complète des transports fluviaux au niveau intérieur. Il n'y aura plus de tour de rôle, mais liberté de contracter. Nous attendons donc un dynamisme commercial plus important avec la restauration du canal.

Pour autant, il est certain que cela reste une infrastructure à petit gabarit, avec un nombre d'ouvrages et des temps de transit plus importants.

De plus, globalement, sur l'Est de la France, nous avons un problème de manque de cale. Par rapport au trafic actuel, nous perdons certainement des dizaines de milliers de tonnes car finalement, assez peu de péniches circulent sur le bassin Lyon-Strasbourg-Nancy. Avec la libéralisation, les bateaux à petit gabarit devraient être moins présents sur les bassins de la Seine ou du Nord, où la navigation à grand gabarit est possible, et se réorienter davantage vers les canaux à petit gabarit sur lesquels ils seront les mieux placés. On devrait donc réduire ce manque de cale.

Dans les prochaines années, nous espérons une augmentation des trafics afin de retrouver des trafics de l'ordre de 200 000 tonnes ; cela nous paraît un objectif raisonnable. Cela dit, au début des années 70, on devait avoir un million de tonnes sur ce canal. Sur le canal de la Marne au Rhin, le trafic était alors de 2 millions de tonnes. Ceci montre bien qu'il n'y a pas de difficulté en terme de capacité au niveau actuel (mais de fiabilité et de compétitivité).

M. le Rapporteur : C'est d'un intérêt non négligeable.

M. André BAYLE : C'est un aspect qu'il ne faut pas occulter dans le cadre de la restauration. Cela doit permettre de maintenir la liaison inter bassins. Mais les 200 000 tonnes ne sont pas à l'échelle des flux de trafic dont on parle...

M. le Rapporteur : Si l'on divise par 30 tonnes, cela représente des camions en moins.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Sur un camion, on charge moins de 30 tonnes. Il ne roulent pas tous pleins.

M. André BAYLE : Les ports alsaciens sont des gares de marchandises importantes, sûrement les trois principales. Mulhouse doit enregistrer un trafic d'un million de tonnes ; le port autonome de Strasbourg 1,6 million et Colmar 600 ou 700 000 tonnes. Les chiffres sont tout de même assez importants. Traditionnellement, ces ports ont toujours été des points d'échanges entre modes avec des réseaux ferroviaires développés.

M. le Rapporteur : On entend souvent dire - pas forcément dans le cadre de cette mission - que VNF est un État dans l'État et que les problèmes qui se posent concernent les difficultés d'utilisation des chemins de halage pour la valorisation touristique. Etes-vous conscient de ces difficultés ?

M. André BAYLE : C'est une réputation usurpée. Nous n'avons pas cette prétention, compte tenu de la taille modeste de l'établissement public et de l'indigence des moyens mis à notre disposition.

Le vrai problème est celui de l'inadaptation d'une réglementation très ancienne - un décret de 1932 - qui nous bloque dans ces impasses ; nous savons pertinemment qu'elle n'est pas adaptée. Notre préoccupation est d'ouvrir la fréquentation au droit des canaux. Aujourd'hui, la seule solution est la superposition de gestion. Dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin - cela se fait également en Moselle - des linéaires très importants d'itinéraires cyclables le long des canaux ont été développés. On trouve des solutions.

Cela commence également sur le Territoire de Belfort. Par exemple, sur le Bas-Rhin, nous avons réalisé plus de 200 km le long des canaux. Mais il est vrai que cela reste un obstacle malgré tout ; il faut que cette réglementation évolue. Les discussions sont en cours ; je n'ose pas avancer de délai, mais je pense que d'ici quelques mois devraient apparaître des projets concrets de modifications.

M. le Rapporteur : Le réaménagement du canal y est très lié.

M. André BAYLE : C'est lié à son ouverture, à son agrément, à la proximité d'itinéraires cyclables. Cela fait un tout qu'il faut valoriser.

M. le Président : On voit donc se réduire, depuis les bouches du Rhin jusqu'à Bâle et Mulhouse, les volumes de marchandises remontant le Rhin. Selon vous, que peut-on faire d'utile pour établir un flux rejoignant la vallée du Rhône ? Quelle est la solution ? Au contraire, les choses ne s'arrêtent-elles pas là ? Comment rouvrir une voie qui n'a pas été ouverte ? Ou alors, peut-on dire que cette voie ne répondrait pas à une vraie nécessité car au fond, on n'en aurait pas vraiment besoin ? Comment ressentez-vous ce problème ?

M. André BAYLE : Les flux d'échanges sont très importants pour cet axe Nord-Sud sur lequel souhaitent se positionner les opérateurs rhénans ou les établissements portuaires. Dans la mesure où l'alternative fluviale à grand gabarit est éliminée, je pense que pour certaines opérations fluviales, il serait souhaitable de développer une coopération fluvial-ferroviaire ou fluvial-routier.

M. le Président : Existe-t-il une demande forte ou est-ce en créant les moyens que l'on créera la demande ? Comment percevez-vous cette situation ? Sentez-vous l'urgence d'apporter une solution à ce problème ?

M. André BAYLE : En ce qui concerne le port de Strasbourg, depuis quelques temps nous discutons avec des opérateurs ferroviaires. Aujourd'hui le combiné fluvial est surtout du voie d'eau-route. Quelques opérations ponctuelles ont pu être lancées en voie d'eau-rail, mais il s'agit d'un produit nouveau à lancer. Les habitudes de travail en commun entre opérateurs fluviaux et ferroviaires sont à créer : les ports sont prêts à jouer l'interface. Il faut identifier des segments de marché pertinents, développer des actions communes, pour que des conditions compétitives puissent se créer. L'ensemble de ces éléments fait que jusqu'à présent, on n'a pas trouvé ou mis en place des outils adaptés au marché.

M. Michel CHALOT : Je suis ici au titre de remplaçant du président Danner. Je suis transporteur routier à la tête d'une entreprise de quarante véhicules et également président des transporteurs départementaux du Bas-Rhin, vice-président au niveau régional.

Aujourd'hui, on ne parle plus du Rhin-Rhône à grand gabarit. Dès lors, un choix doit être fait pour les entreprises qui s'installent. Certaines entreprises de l'industrie lourde ou de l'industrie agro-alimentaire utilisent des produits dits « vrac » ; jusqu'à présent, elles passaient par la voie rhénane. Ne nous faisons pas d'illusions : elles ne partiront pas plus loin et s'arrêteront à Mulhouse. Même chose pour l'industrie chimique : certaines industries rhénanes importantes dans le sillon rhénan n'ont aucun intérêt à aller plus loin sans transports de masse.

Je connais une grande partie des clients dont certains sont chez M. Bayle, notamment les grosses industries agro-alimentaires utilisant entre 3 000 et 5 000 tonnes de maïs par semaine ; ce n'est pas rien ! Deux énormes usines sont installées dans le département : une au Nord à Beinheim et une au Sud à Marckolsheim. Celle du Nord avait fait totalement confiance au trafic ferroviaire ; elle a tout basculé sur le fluvial. Ce n'est pas que le ferroviaire était mauvais, mais à un moment donné, l'exploitation du ferroviaire n'a pas pu répondre à leurs attentes.

M. le Président : Pour quelle raison ?

M. Michel CHALOT : Deux mouvements de grève importants et une usine bloquée ont suffi. Les industriels en ont eu assez et ont pris des décisions. Vous en subissez les conséquences, non pas un mois, mais deux mois et demi du fait de la priorité des voyageurs, avec un trafic complètement basculé sur la voie routière. Dès lors qu'il y a des coûts supplémentaires au niveau du fret et que la garantie n'est plus assurée, vous abandonnez et vous changez de mode. Cela a été le motif principal.

M. le Rapporteur : ... pour basculer sur...

M. Michel CHALOT : ...le fluvial. Avec la mondialisation, les approvisionnements se feront depuis les grands lacs canadiens. Il n'y aura pas de rupture de charge ; cela se fera par des porte-barges de 3 000 tonnes montés par ascenseur pour passer l'Atlantique et cela passera à Rotterdam ou à Anvers sans rupture de charge. Ce sera du combiné maritimo-fluvial.

La barge sera chargée au Canada dans un porte-barge de un ou deux étages. C'est impressionnant, mais ne nous ne leurrons pas : c'est ainsi que s'organiseront les transports de masse.

L'autre mode susceptible de se développer, idéal en multimodal, est le conteneur. Le gros problème n'est pas son coût de fabrication, mais celui de sa location. Une fois que vous arrivez en maritime - ce sont les maritimes qui tiennent le marché - vous avez un délai pour y revenir. Aujourd'hui, très souvent, l'hinterland se dessert par voie routière jusqu'à 900 km, uniquement parce qu'aucun autre mode de transport ne peut y répondre dans les délais. En outre, le conteneur coûte trop cher : 250 dollars d'immobilisation par jour. Il n'y a pas d'autre méthode.

Selon moi, il est évident que le sillon rhénan est un axe Nord-Sud. Un tel axe est vital. Il y trop de ruptures dans les Vosges pour parler d'un axe Est-Ouest. Dans un axe Nord-Sud, on a tous les pays latins au Sud et tous les pays anglo-saxons au Nord. C'est là qu'il faudra chercher nos trafics. Aujourd'hui, l'autoroute A 36 - Dijon-Besançon-Belfort - est loin d'être saturée, exception faite des zones urbaines. Il y a un peu de trafic en période de congés, sinon elle fonctionne bien.

M. le Rapporteur : La saturation se situe au Sud.

M. Michel CHALOT : Effectivement. A partir de Lyon, vous avez un problème de saturation. Mais quand je vois les autoroutes en Allemagne et les axes Nord-Sud, je peux vous dire qu'on ne connaît pas notre bonheur ! Si vous voulez voir des autoroutes en état de saturation, c'est là qu'il faut aller !

Toutes les études prouvent que le transport et les tonnages vont augmenter de 200 % dans les dix prochaines années. Quel est aujourd'hui le moyen de transport capable de répondre à une telle évolution ?

M. le Rapporteur : C'est la question que nous nous posons.

M. Michel CHALOT : Je ne dis pas cela parce que je suis transporteur routier. Ce n'est pas parce que nous faisons ce que nous voulons. Nous répondons simplement au désir d'une clientèle.

M. le Rapporteur : N'est-ce pas suite aux difficultés que vous rencontrez au niveau de la SNCF et que l'on nous a déjà signalées par ailleurs ? 

M. Michel CHALOT : Dans certains cas, c'est la fiabilité qui est en cause ! Il est sûr que cela a son importance.

M. le Rapporteur : L'avenir ne serait-il pas une coopération renforcée avec le fer ?

M. Michel CHALOT : Elle a toujours eu lieu.

M. le Rapporteur : Vous parlez de 900 km dans l'hinterland. Ne peut-on pas avoir un mode de transport différent sur ces 900 km entre le fer et la route ?

M. Michel CHALOT : Mais il y a rupture de charge.

M. le Rapporteur : En tant que transporteur routier, vous y trouveriez votre intérêt ; on sait très bien que le transport routier ne pourra pas être remplacé. Il n'y a aucune opposition entre les deux.

M. Michel CHALOT : Le transport routier est un transport de terminal.

M. le Rapporteur : Ne faut-il pas réfléchir en termes de complémentarité afin d'utiliser le bon moyen de transport au bon endroit ? S'il y a des convois de camions sur les autoroutes, vos camions seront englués sur ces autoroutes.

M. Michel CHALOT : C'est déjà le cas maintenant, alors un peu plus ou un peu moins ! J'ai dit que le trafic doublerait et quel moyen de transport pourrait répondre à cette augmentation.

Le drame du Mont-Blanc est caractéristique. 2 400 camions par jour, cela représente un train toutes les sept minutes. Aucun moyen n'est capable de faire face à cela. Après 25 ans, il a fallu qu'un camion flambe dans un tunnel pour qu'il y ait une prise de conscience ; c'est malheureux !

M. le Rapporteur : D'autant plus qu'il y a eu quarante morts !

M. Michel CHALOT : Vous avez raison. En outre, nous sommes parmi les premières victimes. Nous n'avons pas été capables de voir cela. Venez voir dans la vallée de Chamonix et vous vous direz qu'ils sont fous ! D'en bas, c'est impressionnant. On se demande comment cela n'est pas arrivé plus tôt.

Nous sommes dans cette situation non pas parce que nous le voulions, mais parce qu'aucun autre système n'était possible. Que s'est-il passé après ? Le tunnel du Fréjus ! Vous avez vu le drame : la semaine dernière, il a été décidé de limiter le trafic à 140 véhicules par heure. Cela a duré deux jours ; résultat : 1 000 camions en stock et sept heures d'attente ; plus personne ne passe. Les Italiens ont tapé du poing sur la table en rappelant que tout le trafic de l'Italie du Nord transitait par cet endroit. Il n'y a que deux solutions pour passer - en éliminant la Suisse d'office - : le Brenner, le Mont-Blanc, le Fréjus ou par le Sud, Ventimiglia-San Remo.

M. le Rapporteur : Vous éliminez la Suisse ? !

M. Michel CHALOT : La Suisse n'est pas traversable et les Suisses ne travaillent pas dans une optique européenne ; ils ont une mentalité fermée et veulent toujours se débarrasser des problèmes épineux. On l'a vu avec Tchernobyl, avec Sandoz, etc.

Le développement que connaît l'Alsace n'est pas dû au fait que cela arrange les gens, mais simplement parce que c'est moins cher chez nous. Achetez 10 m² en Allemagne et la même chose en France, et vous comprendrez. C'est la seule raison pour laquelle nous avons cette implantation.

Nous avons une chance, dans ce sillon rhénan : nous sommes dans la région la plus riche d'Europe en termes de PIB par habitant. Si vous considérez les régions alentours - le Bade-Wurtemberg ou la Suisse - vous avez des industries de pointe et des industries lourdes. Automatiquement, il faudra les desservir par des transports.

Le canal Rhin-Rhône à grand gabarit est aujourd'hui éliminé, mais c'est une erreur. Je le pense sincèrement. Tout le monde a fait ses choix et je ne reviendrai pas là-dessus, mais cela va complètement à l'encontre de ce qui se passe. On n'arrivera à rien ; on se dirige la tête dans le mur.

Même si demain les entreprises de transport routier sont taxées en France, ce ne sera pas un problème ; on paiera et on répercutera. Mais si nous ne le faisons pas, d'autres Européens s'en chargeront. Aujourd'hui, ils peuvent aller n'importe où. Le problème ne sera pas réglé, il sera simplement déplacé.

M. le Rapporteur : Nous avons donc vocation à construire des autoroutes pour que les camions ne pouvant pas traverser la Suisse passent par chez nous ?

M. Michel CHALOT : Il ne faut pas se faire d'illusions ; on ne traversera pas la Suisse.

M. le Rapporteur : Quelle solution proposez-vous ?

M. Michel CHALOT : D'une part, une charge doit être transférée au rail.

M. le Rapporteur : On ne pourra plus construire d'autoroutes dans les années à venir ; on acceptera les blocages.

M. Michel CHALOT : On ne peut pas construire d'autoroutes. Il faudra augmenter la capacité d'une voie, ensuite de deux. On ne pourra pas y échapper ; je ne vois pas d'autre solution. Aujourd'hui, la réactivité s'impose ; la plupart des usines et des clients mettent leurs stocks dans des camions. Aujourd'hui, un stock coûte cher et les industriels veulent l'éliminer. Le stock se trouve en fait dans la chaîne de transport, que ce soit en fluvial ou en ferroviaire. Il n'y a plus d'énormes hangars, les stocks sont dans les camions.

M. André VAUCHEZ : Pourquoi ?

M. Michel CHALOT : A cause du coût.

M. le Président : Si on laisse faire sur cette voie que vous avez fort bien dépeinte, on ne s'arrêtera jamais. On trouvera toujours des économies à faire ; donc pas de rupture de charge, on ne charge pas sur le train, plus d'ateliers-dépôts, etc.

M. le Rapporteur : C'est pourquoi il faut être vigilant. A un moment donné, le système sera complètement bloqué, grippé et il s'arrêtera. Pour en revenir à la situation que vous avez décrite à propos du tunnel du Mont-Blanc, on sait que d'ici cinq à dix ans, deux endroits en France seront complètement bloqués, à savoir l'Aquitaine et la vallée du Rhône ; les camions ne passeront plus. Il faut donc trouver d'autres solutions. Chacun ne doit-il pas être à sa place ? Ne faut-il pas utiliser des moyens de transport tels le fluvial ou le fer quand c'est possible ?

M. Michel CHALOT : Si l'on considère les grands flux de marchandises, la vallée du Rhin est devenue un cul-de-sac. On ne passe plus par la Franche-Comté, sinon en camion. Tous les jours, 300 camions circulent ; ce n'est rien par rapport à tout ce qui passe dans la vallée du Rhin. Derrière ce cul-de-sac, il n'y a plus rien.

M. André VAUCHEZ : Il faut savoir où va la marchandise transportée. La France a une situation particulière dans ce domaine : elle est balayée du lundi matin au dimanche soir. Les camions étrangers circulent souvent sans appliquer les règles européennes. Etant situé sur l'A 73, je vois monter et descendre les camions. Partant de ce constat, il n'est pas normal qu'entre l'Espagne et l'Allemagne, quasiment aucun plein ne soit fait en France ; il reste quelques péages. Et encore ! Ils prennent souvent les routes nationales.

M. Michel CHALOT : C'est l'éternel problème. Nous sommes tous consommateurs ; voyez ce qui se passe avec les fraises en provenance d'Almeria !

M. André VAUCHEZ : Que peut-on investir pour ce problème européen ?

M. Michel CHALOT : On va investir pour les autres !

M. le Président : Je ne suis pas un technicien, juste un observateur. Je suis sensible à vos propos quant à la voie d'eau. Mais quelque chose existe : le Rhin d'un côté, le Rhône de l'autre. La vallée du Rhône est engorgée car on ne pourra pas tailler les collines pour élargir l'autoroute à l'infini ; il me semble néanmoins que l'on peut circuler sur le Rhône et la Saône, là où ils sont navigables ; on peut circuler sur le Rhin. La question n'est pas de doubler les autoroutes ou de percer des tunnels ; il s'agit de résoudre ce problème avec des solutions ferroviaires entre les vallées du Rhin et du Rhône.

M. Michel CHALOT : Oui, mais vous serez confrontés au problème fondamental de la rupture de charge qui est hors de prix. Et vous la placez à deux endroits. Aujourd'hui, les conteneurs sont amenés par voie routière de Rotterdam ; c'est quand même phénoménal !

M. le Rapporteur : Est-ce vraiment normal ?

M. Michel CHALOT : Non. Je suis d'accord avec vous.

M. le Rapporteur : Tout le monde dit que la voie d'eau est le moyen de transport le plus économique et le moins polluant. Si l'on amène des conteneurs par camion de Rotterdam alors qu'on pourrait le faire par voie d'eau, cela veut dire que la voie d'eau n'est pas pertinente.

M. André BAYLE : Cela se développe tout de même de manière pertinente sur la voie d'eau.

M. le Président : Je vous propose de poursuivre le tour de table.

M. Jean-François ABY : Trésorier de la chambre de commerce régionale, je suis aussi membre du conseil économique et social, rapporteur de tous les problèmes relatifs au plan et président de la métallurgie bas-rhinoise.

Au cours du déjeuner, nous avons certes parlé de l'avenir, mais il faut partir de la situation présente. M. Chalot a assez bien décrit la situation. Le problème majeur du transport routier est qu'il n'est pas fluide partout. En Alsace, il y a quelques gros goulots d'étranglement, notamment au passage des villes, pour lesquels il faudra faire quelque chose.

Il faut se placer dans une perspective à quinze ou vingt ans : comment maîtriser le transport ? On estime que le fret Nord-Sud doublera dans les dix à quinze prochaines années. Un côté est déjà saturé et le réseau ferré alsacien, par certains côtés, est déjà lui aussi à la limite de la saturation. Nous faisons partie de l'expérimentation régionale ; on ne parvient pas à cadencer le TER car on ne dispose pas encore de sillons suffisants. Un sillon spécial ou prioritaire pour le fret Nord-Sud serait une bonne chose, le Nord de l'Alsace commençant à Lauterbourg et finissant à Huningue.

L'intitulé de votre commission montre bien le problème de la liaison Mer du Nord / Méditerranée. Il faut examiner l'ensemble du problème dans cette perspective. On connaît les problèmes de saturation ; actuellement, l'une de nos craintes est que l'Alsace se situe en dehors des grands courants de trafic. Certains estiment qu'il s'agira simplement de transit, mais nos amis de Réseau Ferré de France seraient peut-être intéressés par du passage de volume, d'autant que la partie Nord est déjà saturée et que, pour le transfert des pays de l'Est vers le Sud, la solution n'est peut-être pas de passer plus à l'Ouest. Nous sommes donc très attachés à ce que cela passe par le sillon rhénan ; cela implique obligatoirement une troisième voie.

Vous avez mentionné ce matin les contraintes budgétaires. Sur ce point, je partage l'analyse du président Zeller : il nous faudra être imaginatifs en matière de financement. Nous ne pouvons pas nous permettre de différer de 25 à 30 ans la réalisation d'équipements dont la compétitivité de notre région dépendra dans cinq ans. Si on ne fait pas ces choix aujourd'hui, il risque d'être trop tard.

Prenons exemple sur les efforts entrepris du côté allemand ; ils sont d'abord autoroutiers. On voit très souvent, sur l'autoroute allemande, des deux fois quatre voies, voire deux fois cinq voies à certains endroits, alors qu'au départ, n'existaient que des autoroutes à quatre voies. Dans ce domaine, nous devons fournir un effort particulier. Les Allemands me paraissent beaucoup plus conscients que nous du problème du fret ; ils sont en train de doubler le réseau ferroviaire nord-sud tout en gérant le problème de l'ICE. On sait que le réseau allemand a connu quelques gros problèmes ces derniers temps pour d'autres raisons, mais en ce qui concerne le traitement du volume, la solution allemande me semble tout à fait adaptée.

Tout en étant écologistes, les Allemands ne sont pas désintéressés. On est écologiste des deux côtés du Rhin, mais les Allemands ont bien réfléchi ; les travaux d'infrastructures réalisés d'un côté du Rhin et pas de l'autre bénéficieront à l'économie allemande et pas à l'économie française. Dans ce domaine, il faut être attentif à l'ensemble de l'économie du bâtiment et du ferroviaire, ces deux branches de l'économie étant bien représentées en Alsace.

La solution d'une voie ferroviaire spécialisée nous paraît indispensable, notamment si l'on veut que l'Alsace reste compétitive par rapport au Bade-Wurtemberg, le Land le plus dynamique de l'Allemagne. Dans l'avenir, avec la réunification, il faudra nous situer davantage à l'Est, car les travaux réalisés dans la partie Est de l'Allemagne feront que les Länder les plus compétitifs induiront du trafic Est-Ouest et Nord-Sud. Pour que ces produits circulent jusqu'à la partie méditerranéenne - on revient sur le problème de la conception où il faut examiner la longueur des trajets -, il faudra bien passer quelque part. L'Alsace est géographiquement idéalement placée, avec malgré tout un certain nombre de contraintes : nous sommes une région à forte densité, la plaine compte 400 habitants au km², avec une sensibilité écologique dont nous sommes fiers. Essayons de rendre compatibles les infrastructures en conservant un paysage de qualité, de manière à ce que les habitants se sentent bien. Cela posera des problèmes sur le plan des infrastructures.

Par certains côtés, la solution qui consiste à vouloir passer le long du Rhin nous paraît illusoire, dans la mesure où dans toute cette partie, certains sites sont protégés ou en voie de l'être. La solution serait d'assurer le triplement de la ligne actuelle plutôt que de vouloir construire ailleurs, d'autant que les problèmes d'emprise seraient alors plus limités.

Selon nous, une infrastructure est un élément de développement économique. Le travail avec la Franche-Comté nous paraît très important. Au lieu de faire passer le fret par Dijon en irriguant des régions ayant déjà un développement économique correct, le faire passer par le bord du Jura serait pour nous un élément de croissance économique très important dans une perspective de 10 ou 15 ans. On connaît les problèmes de la Franche-Comté avec l'automobile ; si on ne donne pas de meilleure échéance, un bon réseau de transport ferré peut contribuer à assurer un bon désenclavement de toute la Franche-Comté. C'est pourquoi, personnellement, je plaiderais pour une solution de transport fret passant par la Franche-Comté au lieu de sortir très rapidement sur le côté Saône.

Comme le rappelait le président Zeller, un problème de phasage se pose. Sachant que tout ne pourra pas être fait en même temps, il conviendrait de voir quelle partie du tronçon doit être réalisée en priorité, et quelle partie peut être provisoirement contournée. Mais la solution d'avenir, dans une perspective de 15 ou 20 ans, reste malgré tout une liaison Nord-Sud assez directe.

Cela a été également dit ce matin : les réglementations suisse et autrichienne vont rabattre sur nos régions du trafic de fret. Outre la croissance normale, nous aurons une croissance par report du transit Nord-Sud - de l'Autriche et de la Suisse - par le réseau ferré français.

Au début, les chambres de commerce étaient favorables aux canaux. Nous regrettons cette décision, prise démocratiquement, et nous n'y reviendrons donc pas. Sur le réseau Freycinet, des choses sont à faire, d'autant qu'il a été laissé en déshérence tant on était persuadé que le canal à grand gabarit verrait le jour. Nous avons été négligents. Les canaux Freycinet réaménagés pourraient assurer une partie du trafic, même si des péniches de 300 tonnes ne sont pas la solution idéale. Dans l'avenir, nous n'aurons guère le choix ; il faudra être complètement multimodal si l'on veut gérer l'ensemble de ces flux de trafic. Sur ce point, je partage tout à fait l'analyse du président Zeller.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Sans répéter ce que j'ai déjà dit ce matin, je voudrais réagir aux propos que j'ai entendus autour de cette table. M. Aby disait qu'au trafic Nord-Sud s'ajouteraient des trafics Est-Ouest en provenance de l'Est, puisque l'Europe se développe de ce côté. Il est important de prendre en compte la création de ces nouveaux courants de trafic. On le voit déjà dans les ports - j'imagine que cela est également ressenti à Strasbourg ou à Colmar - où commencent à prendre forme des relations via le Rhin et le Danube. En ce moment, tout est bloqué sur ces deux fleuves du fait de la situation dans cette région, mais c'est conjoncturel.

Parallèlement aux efforts de la République fédérale d'Allemagne en matière d'autoroutes et de voies ferrées, il y a aussi un gros effort à faire dans le domaine des voies d'eau. J'ai parlé de Rhin-Main-Danube ; actuellement, un programme « pharaonesque » vise à mettre à gabarit européen le Mittelandkanal de la Ruhr à Berlin. 23 ponts de l'agglomération de Hanovre viennent d'être relevés avant l'exposition universelle - M. Bayle vous l'expliquerait sans doute mieux que moi. Les Allemands construisent des ouvrages colossaux. Il faut tenir compte de cette ouverture vers l'Est.

Concernant le ferroviaire, je partage tout à fait l'analyse du représentant de la chambre de commerce de Strasbourg : certains chargeurs sont aujourd'hui dégoûtés par ce mode. La réforme est maintenant entreprise dans ce domaine. Actuellement, se joue une véritable partie de monopoly dans le ferroviaire européen ; les grandes compagnies européennes se marient ou divorcent. La SNCF n'a plus le monopole sur le réseau français.

Je me demande si cela ne nous permettrait pas de jouer à nouveau, avec des chances de succès, la carte du ferroviaire. Je pense que cela pourrait fournir des justifications supplémentaires aux demandes d'investissements ferroviaires dont vous avez entendu parler ce matin, qu'il s'agisse d'aller à Strasbourg ou Mulhouse.

J'ai évoqué un certain nombre d'investissements ferroviaires qui permettraient peut-être de créer davantage de trafic fluvio-ferroviaire. Il faut non seulement raisonner par rapport à la situation actuelle, mais encore par rapport à demain, avec un changement fondamental du régime d'exploitation des réseaux ferroviaires.

M. le Président : Il n'y a pas d'alternative. Si on ne fait pas de grand canal et si on ne peut pas raser les collines et les montagnes de la vallée du Rhône pour élargir des autoroutes à huit ou dix voies, il faut bien se tourner vers le ferroviaire, en tenant compte de l'évolution culturelle que nous observons.

M. Jean-Pierre PRIGENT : Je suis d'accord. Les ports alsaciens sont des professionnels de la rupture de charge. On essaie de la rendre la plus courte possible, car le temps d'escale des bateaux a un coût. Quand on visite des ports presque vides, on se frotte les mains : les bateaux ne doivent pas rester à quai dans les ports, ils doivent naviguer. Nous devons limiter les ruptures de charge. Rapidité et réduction des coûts de transbordement sont deux priorités. Compte tenu du nouveau contexte ferroviaire européen, il y a une nouvelle carte à jouer.

M. Jean PERRIN : Je ne reprendrai pas les excellents propos des uns et des autres. Sur le secteur de Colmar, nous avons toujours essayé de défendre et de promouvoir la complémentarité des modes. Nous étions, nous aussi, très attachés à la réalisation du canal à grand gabarit, à tel point que, sans être situés sur son tracé, nous avions donné un million de francs. Aujourd'hui, nous constatons que, n'étant pas sur le tracé, nous ne faisons pas partie de ceux auxquels on veut bien apporter quelques compensations, comme c'est le cas - et nous nous en réjouissons - jusqu'à Mulhouse inclus. C'était ma première remarque.

Ceci dit, nous ne baissons pas les bras, puisqu'au port de Neuf-Brisach, nous investissons avec l'aide de différents partenaires, collectivités et État, afin de développer une plate-forme conteneurs à la dimension de l'arrière-pays du port de Colmar. Nous avons déjà un certain nombre d'équipements, dont un pont portique, un équipement lourd grâce auquel nous pouvons nous lancer dans un investissement de taille raisonnable sans que cela entraîne des débours trop conséquents.

Il y a un marché à saisir, même à l'échelle de l'infra région de Colmar. Une étude menée auprès des entreprises montre que le conteneur se développe - ce n'est pas nouveau - et que, en direction des ports d'Anvers et de Rotterdam, le trafic se fait essentiellement par voie routière avec les risques décrits sur le moyen et long terme. Il s'agit là d'un investissement complémentaire à ceux du Sud et du Nord, et qui permettra de ne pas accroître les flux de transports routiers et l'engorgement, notamment de la métropole strasbourgeoise.

Nous souhaitons tous que le ferroviaire qui, sans être la panacée, reste une solution, se développe. M. Aby a fort justement plaidé pour le renforcement de l'axe Nord-Sud alsacien. Cette affaire représente quelques milliards ; ce n'est certes pas anodin, mais on voit mal comment les uns et les autres pourraient en faire l'économie.

Nos entreprises veulent bien faire le pari du ferroviaire. Actuellement, elles le font peu - et de moins en moins, malheureusement - car elles sont largement rebutées par la rigidité des conditions d'exploitation. Il faut signer des contrats draconiens, remplir X wagons à l'année ou payer des pénalités ; certains axes sont trop lents pour acheminer la marchandise et surtout, quand les gens ont goûté à l'une ou l'autre grève - il y en a trois ou quatre assez conséquentes par an -, ils sont généralement assez définitivement vaccinés.

Tout en étant un représentant économique, je situerai le débat sur un terrain très politique. Les entreprises sont favorables au ferroviaire ; il y a une contribution plus importante à apporter ainsi à l'acheminement et au transit des marchandises, mais il faut revoir complètement l'exploitation, les conditions commerciales et l'environnement social du transport ferroviaire. Sinon, cela restera un v_u pieux et dans vingt ans, on en sera au même point.

Il y a là une révolution culturelle de fond à provoquer ; faute de quoi, on va vers l'embolie, la thrombose. Certes, on peut améliorer le réseau routier et il faut sans doute le faire, mais on ne pourra pas le faire éternellement dans les proportions impliquées par le développement du trafic. Il faut donc valoriser davantage la voie d'eau. Enfin, le ferroviaire - en déshérence en ce qui concerne le fret - doit absolument reprendre « du poil de la bête ».

Il faut saisir l'opportunité de la perspective à moyen terme du TGV Rhin-Rhône pour valoriser, sous l'angle du fret, l'axe ferroviaire existant par Besançon, le Jura, etc., avec ce que cela implique en termes de travaux de calibrage des tunnels. C'est la suite logique de ce que nous devons faire en Alsace.

De même, s'agissant toujours du ferroviaire - la SNCF a attiré notre attention sur ce sujet - nous devons examiner de très près la liaison vers la Lorraine du nord et le Nord de la France ; les problèmes de capacité deviendront plus aigus quand le TGV-Est arrivera à Strasbourg dans quelques années.

Un mot enfin sur le routier. Même si cela ne concerne pas tout à fait l'axe Nord-Sud, tout ce que l'on pourra faire pour valoriser le barreau intermédiaire Belfort-Langres améliorera les conditions de circulation, notamment dans le secteur Belfort-Montbéliard. Sans forcément revendiquer une autoroute, je crois qu'une route à deux fois deux voies serait profitable.

M. le Rapporteur : Le problème est quasiment réglé pour l'instant.

M. Jean PERRIN : Sur le principe, il semble que les décisions soient prises, mais il faudrait que cela se fasse assez vite. C'est un apport à l'amélioration de la capacité de l'autoroute A 36.

M. Jean-François ABY : Nous avons justement évoqué ce problème lors de la venue de Mme Voynet. Je lui ai dit que nous étions tout à fait favorables à une meilleure répartition des activités économiques sur l'ensemble de l'Alsace, mais que pour ce faire, nous avions besoin d'un réseau routier de qualité. Ce n'est pas contradictoire avec les solutions ferroviaires qui doivent drainer sur des distances plus importantes des produits pour lesquels l'exigence de fiabilité n'est pas contestable. Toute une série d'entreprises travaillent de plus en plus en flux tendu.

Je connais un fabricant de sièges d'autobus, installé en face de son client Mercedes à Rachstag. Son délai de livraison est de six heures entre la commande et la livraison. Vous calculerez ce qui reste pour le transport : pas grand-chose ! Cela peut paraître paroxystique.

M. le Rapporteur : Mais c'est la réalité.

M. Jean-François ABY : La concurrence internationale fait que nous, industriels, sommes bien obligés de passer par ce genre de solutions.

M. le Président : Pour nous, à la veille des négociations de contrat de plan, les choix sont totalement impossibles. Avec ou sans canal, nous disons tous qu'il faut développer le transport ferroviaire. Pour développer le fret ferroviaire, le TGV est nécessaire. Cela représente des investissements très lourds, sans que cela allège le programme routier. En effet, il faut continuer à développer les rocades, les autoroutes.

Au lieu de faire un choix comme on prétend le faire, et comme j'avais pu, dans ma naïveté, prétendre le faire au moment des débats électoraux pour les régionales en PACA, je vois qu'en réalité, nous sommes coincés de toutes parts : il faut miser sur la voie ferrée, mais aussi continuer à faire des routes. Comme on ne peut pas tout faire, cela risque d'être difficile. Cela dit, nous sommes là pour ça !

M. Jean-François ABY : Il faut garder en tête cette perspective de dix à vingt ans. Il ne suffit pas de se dire qu'aujourd'hui nous n'avons pas les moyens de tout faire, mais faire preuve de créativité. Nous pouvons envisager des autoroutes à péage. Il faudra bien faire cela ; il n'y a plus d'autre alternative.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions d'être venus jusqu'à nous.

M. le Rapporteur : Au fur et à mesure de notre mission, certaines choses se dégagent et se précisent.

M. le Président : Ce qui est très intéressant, c'est cette prise de conscience. Si l'on m'avait dit, il y a dix ou vingt ans, que les Alsaciens, les Provençaux et les Francs-Comtois ont une vraie solidarité face à un problème considérable qui concerne tout le monde, j'aurais cru rêver !

M. le Rapporteur : Si nous voulons progresser, cette prise de conscience est nécessaire et il faut une volonté affirmée des différentes régions, PACA, Alsace, Rhône-Alpes et Franche-Comté, de travailler ensemble pour se faire entendre au niveau national.

M. Jean-François ABY : C'est aussi un problème au niveau européen. On ne construit plus la France, mais l'Europe.

M. le Président : C'est une véritable révélation pour l'opinion publique de voir cette solidarité sur cet axe où l'Alsace est considérée comme une région très riche, PACA comme une région ensoleillée, etc.. Et soudain, toutes ces régions désignent ensemble le même problème. L'opinion publique est toujours étonnante.

M. Jean-François ABY : L'Alsace est une région frontalière, et donc confrontée à la concurrence internationale depuis longtemps. Nos entreprises sont très exportatrices. L'industrie et l'économie alsaciennes sont très liées avec les économies allemande, américaine ou japonaise. Nos industries ne sont performantes que dans la mesure où elles sont dans le mouvement mondial des échanges. Cela signifie que nous avons besoin de moyens de transport performants.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de M. André HOREL,
Secrétaire général des affaires régionales et européennes d'Alsace,

Mme Françoise CASTANY, Directrice déléguée au fret (SNCF),

MM. André BAYLE, Directeur du port autonome de Strasbourg, Chef des services de la navigation et Directeur régional des Voies Navigables de France,

Daniel WAHL, Responsable de l'Observation régional des transports,

et Maurice ZYGLER, Direction régionale de l'environnement

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 19 mai 1999 à Strasbourg)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

Le président présente l'objet de la mission d'information.

M. le Président : En raison de notre emploi du temps chargé, nous avons malheureusement peu de temps devant nous. Ces conditions étant à la limite de la correction, je vous demande de nous en excuser. Je vous remercie de vous être déplacés et vous donne la parole.

M. André HOREL : Je me permets de planter le décor rapidement et modestement, n'étant pas spécialiste de ces choses. Il me paraît intéressant de présenter quelques éléments.

Selon le rapport Bonnafous, à moyen et long terme, le mode routier possède la dynamique de transport la plus importante. Je voudrais également évoquer l'environnement réglementaire et financier à l'échelle française, mais aussi européenne. La question qui se pose est celle de la marge de man_uvre des pouvoirs publics pour infléchir telle ou telle évolution. De ce point de vue, je pense que l'exemple suisse cité précédemment doit être retenu et analysé. Voilà un pays qui fait des choix, politiques et financiers.

J'ai relevé avec beaucoup d'intérêt l'observation du président Zeller sur la difficulté actuelle des pays développés à financer dans des conditions optimales des infrastructures à durée de vie très longue. Les financements à court terme et aux taux de rentabilité élevés pénalisent finalement des politiques plus volontaristes.

S'agissant plus particulièrement de l'Alsace, rappelons le caractère essentiel de la dimension transfrontalière de la région. C'est à dessein que j'ai mentionné les investissements importants réalisés de l'autre côté du Rhin. Personnellement, en visitant ces chantiers, j'ai été très frappé : on sent bien qu'ils résultent d'une programmation très volontariste, décidée il y a longtemps, et que l'on déroule sur des durées relativement longues.

En termes d'enjeux, le TGV Rhin-Rhône est essentiel en tant que tel, mais aussi parce qu'il représente une possibilité importante de libérer des capacités de transport de fret sur des lignes classiques.

J'insisterai sur l'enjeu qui s'attache, en Alsace, au développement du fret ferroviaire. Nous avons quelques projets en la matière. Il est nécessaire de concevoir la multimodalité dans un cadre transfrontalier à l'échelle du sillon rhénan et pas seulement à l'échelle de la plaine d'Alsace. Dans l'exercice qui est le vôtre, il ne faut pas s'arrêter à Mulhouse qui fait partie des villes pénalisées de fait par l'abandon du projet de grand canal. Mulhouse ne doit pas être conçue comme un point d'aboutissement, mais comme un point nodal ou d'articulation entre la Franche-Comté, le sillon rhodanien et Strasbourg. Il faut examiner ce couple Strasbourg-Mulhouse. L'idée évoquée tout à l'heure de points d'intermodalités aux deux extrémités de l'Alsace, étroitement connectées à la voie fluviale, représente un enjeu stratégique fondamental.

Enfin, j'évoquerai rapidement le canal Freycinet, puisque votre mission n'est pas totalement déconnectée du projet de territoire Saône-Rhin, qui a fait l'objet de décisions de la part du Gouvernement. Nous ne négligeons pas du tout le réseau Freycinet
- qu'il faut remettre en état - dans le territoire Saône-Rhin et dans ses prolongements en plaine d'Alsace et entre l'Alsace et la Lorraine, avec le canal de la Marne au Rhin et celui des houillères de la Sarre. Nous estimons que cet enjeu est important pour la navigation commerciale - même s'il ne faut sans doute pas s'attendre à un développement considérable de cette dernière compte tenu des caractéristiques des ouvrages - et pour le développement du tourisme fluvial, qui peut avoir des retombées importantes.

Voilà ce que je voulais rappeler dans cette brève introduction.

M. André BAYLE : Je prendrai brièvement la parole en tant que chef des services de la navigation et directeur régional de VNF. Les trois ports alsaciens sur le Rhin représentent environ 15 millions de tonnes - les 23 millions de tonnes précédemment cités incluant le trafic allemand ou suisse - soit 30 % de ce que fait la voie d'eau en France, dans les statistiques nationales.

S'agissant de conteneurs, les deux ports de Mulhouse et Strasbourg représentent aujourd'hui 70 000 équivalents 20 pieds et 70 % de la voie d'eau. Le monde de la voie d'eau est certes petit dans ce domaine, mais le Rhin a toujours eu un rôle de précurseur. Le trafic combiné voie d'eau-route s'est développé de façon importante à partir des années 60 sur le Rhin supérieur.

La liaison à grand gabarit étant abandonnée - alors que la voie d'eau est la plus pertinente pour les transports de masse - il nous semble important de restaurer le réseau existant à petit gabarit et de développer le rôle des plates-formes portuaires qui sont des plates-formes d'échange intermodal.

Mme Françoise CASTANY : S'agissant du domaine ferroviaire, particulièrement en région frontalière, nous avons nécessairement une vision internationale des choses, la moitié de l'activité fret de la SNCF étant internationale. Nous devons avoir une visibilité à long terme des infrastructures saturées sur des n_uds ou des sections de lignes ; c'est le cas de Strasbourg-Bâle. Ce sera également le cas du tronçon Strasbourg-Metz. Ces deux lignes constituent un des deux itinéraires français entre le Bénélux et l'Italie, l'autre passant par Metz-Dijon-Modane. Nous sommes sur l'un des axes internationaux concurrents de la rive droite du Rhin. De la compétitivité de cet itinéraire dépend en grande partie celle de nos ports et la création de services de transport combiné entre la voie d'eau et le fer.

Actuellement, la saturation de certains tronçons pose problème. Nous devons avoir une vision à long terme des investissements à réaliser sur ces tronçons. Certes, le TGV Rhin-Rhône constitue pour nous un ballon d'oxygène qui libérera des sillons pour le fret sur la ligne classique, mais ce n'est pas la solution à tous les problèmes d'engorgement. Sur Strasbourg-Bâle, nous réalisons une étude sous maîtrise d'ouvrage RFF pour définir les investissements nécessaires, soit ponctuels, soit pour construire une ligne nouvelle entre Mulhouse et Strasbourg. L'étude n'étant pas terminée, je ne peux en dire plus. Sur le Nord de l'Alsace - entre Strasbourg et la frontière du Bénélux - l'étude n'est pas encore commandée.

Je constate simplement qu'à l'heure actuelle, la définition d'itinéraire à dominante fret n'existe pas encore réellement en France. L'idée commence seulement à prendre corps. L'Alsace n'est pas une région principalement orientée vers Paris. Or, traditionnellement, en France, on raisonne beaucoup en termes de radiales. Notre région manque peut-être un peu d'attention au niveau national. En particulier, la valorisation du potentiel de la façade rhénane n'est pas assez prise en compte au niveau national. Ce sentiment est ici largement partagé.

M. Wahl m'a communiqué les chiffres que l'Observatoire régional des transports - dont il a la charge - a établis en Alsace. Ce document présente schématiquement le volume de fret transitant sur les rives du Rhin. Les Allemands ont conçu un plan sur plusieurs années ; ils dédoublent leurs principaux axes ferroviaires. Ils disposeront ainsi de deux fois deux voies sur tous les grands axes de maillage de leur territoire : deux voies rapides et deux plus lentes, pour une vitesse maximale de 120 km/h, spécialisées pour le fret. Sur ces voies d'intérêt majeur, il n'y aura plus de signaux mais un système de signalisation à bord comme dans nos TGV. Je constate qu'en France, le fret n'a pas encore les mêmes moyens.

M. le Rapporteur : Quelle est la vitesse de ces trains à grande vitesse ?

Mme Françoise CASTANY : Les ICE roulent communément à environ 250 km/h et leur vitesse maximale peut atteindre 280 km/h. Mais ils couvrent un territoire plus dense ; leurs arrêts sont beaucoup plus fréquents. Pour eux, cette vitesse est suffisante.

M. le Rapporteur : La vitesse des trains à grande vitesse allemands est donc de 250 km/h et non pas de 320 comme chez nous.

M. Daniel WAHL : La philosophie du « TGV allemand », l'ICE, n'est pas la voie nouvelle et dédiée spécifiquement au TGV. Les trains sont plus lourds qu'en France, et nécessitent une assise plus forte. Les voies peuvent également être, à l'occasion, dédiées au fret.

M. le Président : C'est une philosophie différente.

M. Daniel WAHL : Comme dans beaucoup de domaines.

M. le Rapporteur : Nous sommes très attentifs au problème du fret dans le cadre des études préliminaires à la DUP pour le TGV Rhin-Rhône. Comment la SNCF pense-t-elle régler ce problème entre Petite-Croix et Mulhouse, si le tronçon réalisé est Auxonne-Petite Croix, sachant que la portion Petite Croix-Mulhouse devrait supporter à la fois le fret et le TGV ?

Mme Françoise CASTANY : Elle devrait également supporter du transport de proximité pour les voyageurs. Pour l'instant, je n'ai pas de réponse à cette question.

M. le Rapporteur : Il serait pourtant intéressant que vous en ayez une.

Mme Françoise CASTANY : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Cela nous inquiète un peu, car si une voie nouvelle Besançon-Mulhouse était établie, elle libérerait totalement l'ancienne voie que la SNCF s'empresserait de mettre au gabarit B+. Si la voie nouvelle passe par Petite Croix, un tronçon de 30 km supportera des TER, des TGV et du fret. Cela ne réglera pas le problème du fret sur l'ensemble de la région.

Mme Françoise CASTANY : On en revient au souci d'avoir des itinéraires étudiés de bout en bout.

M. le Rapporteur : Ce n'était peut-être pas une bonne question.

Mme Françoise CASTANY : La question est excellente. Vous avez parlé des gabarits ; le problème ne se pose peut-être pas de façon urgente dans l'immédiat, mais on sait que ce sera le cas. Deux itinéraires sont concurrents, à savoir la rive droite et la rive gauche du Rhin. Sur l'un, il est possible de faire passer dès maintenant des caisses mobiles de grande dimension, mais pas sur l'autre. A l'heure actuelle, aucune offre n'a été refusée, malgré cette impossibilité de faire transiter des caisses de grande dimension, mais nous savons qu'un jour ou l'autre cela se produira et que la contrainte d'utiliser des wagons surbaissés rendra moins attractif le passage par la France aux yeux des opérateurs internationaux.

M. le Rapporteur : Pour notre information personnelle, auriez-vous quelques notes sur ces travaux très importants réalisés en Allemagne ?

Mme Françoise CASTANY : Ils sont réalisés par la DB (Deutsche Bahn Aktiengesellschaft). Effectivement, nous pourrions éventuellement vous transmettre un document.

M. le Rapporteur : Merci. J'ignore si nous aurons la possibilité de nous rendre en Allemagne pour étudier cela. Il serait intéressant d'intégrer ce type d'informations à notre rapport, si le président de la mission d'information en est d'accord.

M. Daniel WAHL : Je suis quelque peu gêné puisque, à l'équipement (direction régionale), je suis censé être celui qui défend les transports « soft ». Comme nous avons déjà parlé des voies navigables et du chemin de fer, il me reste l'aérien - qu'il ne faut pas oublier - et la route.

Un mot sur l'aérien. En Alsace, nous avons deux aéroports. C'est assez original pour une région composée de deux départements. Ces deux aéroports sont de très bonne taille, puisque celui de Bâle-Mulhouse accueille trois millions de passagers par an ; il est aussi, avec celui de Marseille, le premier aéroport fret de province en France, camionné et avionné compris. On confond souvent les deux ; « camionné » signifie qu'on enregistre le fret à l'aéroport et qu'ensuite on le dirige par camion sur un hub, généralement sur Roissy.

Strasbourg-Eintzheim enregistre un fret de 14 000 tonnes, dont l'essentiel est camionné et génère donc un trafic routier.

M. André VAUCHEZ : Vous dites que l'on part de Mulhouse par camion pour aller à Roissy ?

M. Daniel WAHL : Oui. C'est ainsi que cela se passe aujourd'hui.

M. André VAUCHEZ : Pourquoi ne pas aller à Roissy directement ?

M. Daniel WAHL : C'est une question de localisation des entreprises.

M. André BAYLE : Il s'agit de groupages de commandes.

M. Daniel WAHL : On parle d'aéroport, mais c'est plutôt dans ce cas un centre de groupage. Les compagnies sont certainement mieux armées pour faire les enregistrements. Il y a donc aussi du fret à Strasbourg, même s'il est plus faible qu'à Bâle-Mulhouse.

S'agissant de transport de passagers, nous avons dépassé les deux millions de passagers. Strasbourg est un ancien aéroport militaire qui a été reconverti. Le débat sur l'avant projet de plan de masse doit définir les perspectives de cet aéroport à long terme, à savoir l'emprise générale de l'aéroport, les entreprises pouvant s'installer sur la plate-forme, la longueur des pistes...

A Bâle-Mulhouse, c'est déjà fait. On sait où l'on va, puisque d'ores et déjà est programmée la construction d'une seconde piste et une sensible extension de l'aérogare. L'aéroport de Bâle-Mulhouse connaît une situation assez favorable du fait de la saturation de l'aéroport de Zurich. Tous les grands aéroports sont saturés, et nécessitent donc un aéroport de report. Dans le cas de Zurich, il s'agit de Bâle-Mulhouse. Cross air, compagnie suisse, s'est installée à Bâle-Mulhouse. C'est un atout considérable pour un tel aéroport d'avoir le hub d'une grande compagnie sur sa plate-forme.

Considérant le grand axe du nord de l'Europe vers le Sud, en matière routière, nous avons des infrastructures des deux côtés du Rhin. Sur la rive droite - la rive allemande -, on accroît actuellement la capacité de l'autoroute (HAFRABA) entre Hambourg, Francfort et Bâle afin de la faire passer, dans un premier temps de deux à trois voies et pour aller jusqu'à quatre voies dans un avenir plus lointain. Ces travaux, en cours, sont réalisés jusqu'au Nord de Strasbourg.

Côté français, l'originalité de l'Alsace consiste en l'absence d'autoroute à péage sur l'axe Nord-Sud. Cette décision a été prise dans un passé lointain par Pierre Pfimlin, éminent représentant de l'Alsace, et a eu des conséquences très positives, mais comporte aussi des aspects négatifs. Ce qui est positif, c'est qu'on circule en Alsace sans payer le péage ; on a préservé mieux qu'ailleurs l'environnement. Mais d'un autre côté, il n'existe toujours pas, dans la région, de continuité autoroutière du Nord au Sud.

M. le Rapporteur : Nous l'avions remarqué !

M. André SCHNEIDER : Les nantis ne sont pas si nantis que cela... !

M. Daniel WAHL : C'est ce que nous essayons de faire comprendre aux instances parisiennes ! Nous aurons bientôt cette continuité autoroutière, puisqu'au prochain contrat de plan, nous essaierons de réaliser ce dernier maillon manquant. Quelques autres maillons faibles subsistent, car l'autoroute alsacienne traverse trois grandes agglomérations, aussi bien Strasbourg et Mulhouse avec leurs congestions permanentes aux heures de pointe
- plus de 60 000 véhicules/jour à Mulhouse et plus de 160 000 à Strasbourg - que Colmar.

Entre Colmar et Sélestat, nous avons une deux fois deux voies avec limitation de vitesse à 110 km/h ; la géométrie en est quelque peu tourmentée. A terme, il faudra intervenir dans une vision de développement durable pour améliorer les tracés, plutôt que de faire quelque chose de totalement nouveau.

Pour le fret, le chargement de l'axe Nord-Sud alsacien est de l'ordre de 5 000 à 6 000 camions par jour, selon les tronçons. Cette autoroute se raccorde au Nord à la Lorraine, à travers le col de Saverne.

M. André SCHNEIDER : Là, on paie !

M. Daniel WAHL : Il faut payer à partir de Brumath. Au Sud, il y a deux embranchements, l'un vers Bâle, et l'autre vers la Franche-Comté. Dans le Nord, nous avons pour l'instant un faux « Y » de transit ; l'autoroute française se termine à la frontière en impasse. Les Allemands auraient à construire un petit cordon pour la relier à l'autoroute allemande, mais il devrait traverser une zone très sensible au plan écologique et cela retarde le projet. Nous craignons, une fois ce cordon ouvert, un déferlement de camions.

Mme Françoise CASTANY : Je tiens à signaler que chaque été, notre région franchit des pics d'ozone impressionnants, et que cela peut se produire même en hiver ! (Assentiment de M. Schneider.) A La Petite-Pierre, à plus de 400 mètres d'altitude, nous sommes, si l'on peut dire, aussi bien servis qu'à Strasbourg.

M. André SCHNEIDER : Sachant que nous avons les meilleurs instruments de mesure installés en France : ceci explique peut-être cela !

M. le Président : C'est une bonne transition pour M. Zygler.

M. Maurice ZYGLER : Je ne reviendrai donc pas sur l'ozone puisque cela a été fait, mais il y a également de très bons appareils dans d'autres grandes villes.

Je n'aurai pas la prétention de faire un discours sur les transports et les meilleurs systèmes de transit, ce domaine n'étant pas ma spécialité. Par contre, je voudrais attirer votre attention sur certains points concernant l'Alsace.

Vous avez dû le voir dans différents documents, cette région est densément peuplée : la pression au sol est considérable et rend le terrain très précieux. Sur le plan patrimonial, les enjeux sont assez importants.

Le problème en Alsace - et la région étudie actuellement cette question - est de créer une trame verte de façon à relier tous les ensembles naturels ou semi-naturels, de façon à créer des endroits agréables où les gens des villes puissent circuler le week-end.

Lorsqu'on aborde la notion de développement durable, il y a nécessairement dans l'espace concerné, des priorités. Ainsi, lorsque la question de la construction d'une route est posée, on la construit ou ne la construit pas. Il n'y a pas, à priori, de solution intermédiaire. Nous avons un réseau d'espaces d'intérêt assez important, avec des engagements européens comme le réseau Natura 2000, le schéma des espaces naturels ruraux en cours d'élaboration dans le cadre de l'aménagement du territoire, et ce système de trames pour résoudre ces problèmes.

Pour développer un système, il faut en examiner les impacts ; c'est ce qui a été fait pour le canal à grand gabarit. Les techniques pour étudier les impacts sont de plus en plus poussées, pour les mouvements de nappes par exemple ; les technologies et les simulations se sont développées.

Les souhaits en matière d'environnement sont affichés dans la loi d'aménagement du territoire et portent bien sur le développement durable. C'est un vaste problème, car ce développement nécessite de concilier les infrastructures naturelles et artificielles. Il y a là peut-être des solutions. Pour certains secteurs, des centres d'études techniques de l'équipement, notamment celui de l'Est, des réflexions ont été engagées. En cas de croisements d'infrastructures artificielles et naturelles, on peut construire des passages souterrains, mais cela entraîne des problèmes d'investissement.

M. André HOREL : Je me permets de vous interrompre, car nous avons dépassé l'horaire.

M. Maurice ZYGLER : Ce qui est très intéressant s'agissant du canal Freycinet, c'est qu'un canal peut à la fois développer le tourisme vert et permettre le développement des trames vertes. Aujourd'hui, en Alsace, pour relier les éléments naturels, nous avons les canaux ou les rivières.

Concernant le contournement de Strasbourg, la raison fondamentale des embouteillages n'est pas liée au trafic de transit, mais au trafic local. L'amélioration du trafic de transit par le contournement Ouest ne réglera pas le problème fondamental et prioritaire du trafic local, mais l'inverse oui.

M. André SCHNEIDER : Le tram permettra peut-être de régler en partie ce problème.

M. André HOREL : Pour en revenir à l'objet même de votre mission qui est l'axe européen Rhin-Rhône, il s'agit d'un enjeu dans lequel l'Alsace se sent totalement engagée. Cet enjeu intéresse les régions concernées ; c'est un enjeu national au moment où le centre de gravité de l'Europe se déplace vers l'Est. Quand on considère les travaux réalisés dans des pays voisins, je crois qu'il n'est pas nécessaire d'insister davantage.

La mise en _uvre de ce projet suppose des choix qu'il n'appartient pas aux fonctionnaires de faire, mais si l'on veut avoir des perspectives de développement et, plus tard, de rentabilité, il faut prendre en considération les propos de Mme Castany et prévoir des itinéraires suffisamment longs. Les décisions publiques doivent être cohérentes avec cet impératif.

Le choix global d'aménagement est nécessairement multimodal. A priori, il doit plutôt privilégier le fret ferroviaire et l'interconnexion avec le mode fluvial. Il nous semble que c'est le seul choix compatible avec une préoccupation de développement durable, qui revêt en Alsace une acuité particulière en raison de l'étroitesse du territoire et de ses caractéristiques géographiques, en particulier le problème de qualité de l'air.

M. le Rapporteur : J'avais même compris que vous ne vouliez plus que les vignobles montent jusqu'au sommet des collines.

M. André HOREL : La vigne, ici et là, entend grignoter des territoires intéressants.

M. le Président : Nous retrouvons cette étroitesse dans toutes les régions.

Autrefois, on s'inquiétait des finistères ; on pensait à la Bretagne et à la Cornouailles, ou bien à la Galice. On n'avait pas d'état d'âme à l'époque, puis on a commencé à s'inquiéter. Cela a été le cas de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur qui se sent maintenant enclavée entre les Alpes, la vallée du Rhône et la mer. Rhône-Alpes, qui portait beau, commence également à s'inquiéter de voir la « banane bleue » se redresser vers je ne sais quelle autre perspective qui la laisserait à l'écart. Et voilà qu'on découvre une solidarité avec l'Alsace, qui paraissait vraiment au c_ur de l'Europe et qui, aujourd'hui, entreprend également une démarche solidaire avec nous.

Nous cherchons des flux de trafic ; apparemment, c'est très important. Chaque fois qu'on ouvre un passage pour le trafic- on l'a vu pour un morceau d'autoroute à la frontière allemande - la crainte apparaît de voir passer des trains, des bateaux, des wagons, des avions - que sais-je encore - et d'être écrasé sans en tirer aucun bénéfice. C'est le cas dans ma région où le trafic de camions portugais transitant entre l'Italie et l'Espagne est gigantesque, alors qu'il ne nous apporte rien, sinon des accidents et de la pollution.

Concernant l'autoroute A 51 vers Grenoble, on nous dit qu'il ne faut surtout pas l'ouvrir parce que de trop nombreux camions y passeraient pour éviter la vallée du Rhône.

Comment faire pour que les hommes politiques - qui ne sont pas des techniciens et qui ont besoin d'être éclairés - fassent la part des choses ? D'un côté, on accepte l'ouverture à des transits dont nous n'avons que faire, qui nous apportent pollution et mille nuisances ; de l'autre, sans trafic, on se sent à l'écart de tout et on pense qu'on va mourir. C'était la même chose avec les villes qui refusaient le TGV et qui ne voulaient pas être traversées par des trains à grande vitesse ; ensuite, elles pleurent parce qu'elles auraient souhaité avoir une petite gare pas trop éloignée pour bénéficier du TGV. C'est quasiment insoluble !

Mme Françoise CASTANY : Qu'ont fait les Suisses? Suite aux événements du Mont-Blanc, ils ont été sollicités par les Italiens pour laisser passer les camions de 40 tonnes puisque le Fréjus est saturé. La Suisse a répondu : « Prenez nos trains ! ». Ce sont des mesures contraignantes.

M. André HOREL : Ce que font les Suisses est exemplaire.

M. le Président : Monsieur le préfet de région a précisé que la loi nous autorisait à interdire aux poids lourds de prendre l'autoroute. Notre préfet de région, M. Proust, n'arrive pas à préserver la Camargue des poids lourds qui, pour éviter les péages de l'autoroute vers l'Espagne, circulent dans le parc régional de Camargue. On nous dit que légalement, on ne peut pas les empêcher de passer.

M. André VAUCHEZ : Il existe un arrêté administratif de Besançon à ce sujet.

M. André HOREL : Il est possible de le faire, même si l'itinéraire est à péage, dès lors qu'il s'agit de trafic de transit.

M. le Président : Veuillez pardonner la brièveté de notre échange. Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. Roland RIES,
Maire de Strasbourg

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 19 mai à Strasbourg)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

Le président Michel Vauzelle expose l'objet de la mission d'information.

M. Roland RIES : Je considère que l'objet de votre mission est particulièrement important ; il dépasse largement les seuls aspects économiques pour englober l'ensemble des éléments qui détermineront l'avenir de la région.

Le risque auquel l'Alsace, et au-delà l'axe Rhin-Rhône, est exposée est que les flux économiques contournent notre région. Notre souci doit être de favoriser la circulation des hommes et des marchandises, en prenant en compte la préoccupation de préserver notre environnement. Il conviendrait ainsi notamment de remédier à la situation et aux nuisances créées par l'intensité de la circulation des poids lourds sur la rive droite du Rhin.

Mon sentiment est que l'abandon du projet de canal Rhin-Rhône à grand gabarit, ou tout au moins son report, doit conduire à décider de solutions alternatives non pénalisantes. Celles-ci comportent la réalisation du TGV Rhin-Rhône et son interconnexion à Strasbourg avec le TGV Est.

Nous devons également conduire une réflexion à propos des solutions à mettre en _uvre pour faire face à la croissance des trafics de fret, en proposant d'autres options que celle purement libérale, qui fait la part trop belle au transport routier.

Nous avons la volonté de fortement favoriser sur ce point le développement du transport combiné et du ferroutage. Cette solution requiert à la fois la construction de voies nouvelles et l'aménagement des voies existantes, qui bénéficieront du délestage du trafic passagers, du fait de l'existence du réseau TGV.

S'agissant du réseau autoroutier, je ne suis pas convaincu que nous ayons besoin d'infrastructures nouvelles, car celles-ci risquent d'aboutir surtout à attirer de nouveaux flux de trafics internationaux en provenance d'Allemagne. Je préfère de ce point de vue que nous visions à privilégier les moyens de développement qui ont le moins d'impact sur l'environnement.

Enfin, à propos de la voie d'eau, il conviendra de réaménager le canal Rhin-Rhône existant, à petit gabarit, tant pour le transport des marchandises que pour les besoins du développement de l'activité touristique.

M. le Rapporteur : Quel tracé privilégiez-vous pour le futur TGV Rhin-Rhône ?

M. Roland RIES : Désormais, il existera une voie royale qui reliera Paris et Strasbourg par le TGV ; il s'agit bien entendu du TGV Est. C'est pourquoi, à notre avis, le tracé du TGV Rhin-Rhône devra relier Marseille et Strasbourg. Je sais cependant que nos voisins du Haut-Rhin ont un autre point de vue. Mais, dès lors que la réalisation du TGV Est est décidée, le TGV Rhin-Rhône doit être un axe Nord-Sud.

Aujourd'hui, le mode de transport principal pour relier Paris et Strasbourg est l'avion ; sur les 2,2 millions de passagers qui utilisent l'aéroport de Strasbourg-Entzheim, 55 à 60 % arrivent ou sont à destination de Paris. Il est dès lors évident que, lorsque le TGV Est desservira la gare centrale de Strasbourg, qui se trouve à 500 mètres du centre géographique de la ville, cette desserte ferrée captera une partie du trafic de cet aéroport.

Je vous rappelle que, dans une première phase qui doit être achevée en 2005, Strasbourg sera situé à 2 h 22 de Paris par TGV. Cette phase correspond à la réalisation de la voie nouvelle à grande vitesse entre Vaires, en région parisienne, et Baudrecourt, en Lorraine. Lorsque l'ensemble des voies nouvelles prévues sera réalisé, le temps de transport diminuera encore d'une demi-heure, pour s'établir à 1 h 52. Mais cette dernière tranche ne sera achevée qu'autour de 2015.

La desserte de Strasbourg par le TGV nécessite le réaménagement de la gare centrale de la ville. Il s'agit notamment de réaliser une connexion directe avec l'autoroute A 35 et de construire des parcs de stationnement de voitures, pour favoriser la multimodalité. En outre, la gare sera desservie par une nouvelle ligne de tramway, à laquelle s'ajoute un projet de tram-train pour desservir les zones périurbaines.

L'ensemble de ces travaux d'aménagement représente un coût total estimé à 600 millions de francs. Toutefois, si nous espérons que leur réalisation sera inscrite au prochain contrat de plan, les collectivités locales intéressées n'ont pas encore pu régler entre elles le problème du montant de leurs contributions respectives.

Ce chantier est important, car il représente un complément indispensable à la réalisation du TGV Est. Sans ce complément, les connexions entre le TGV, les trains régionaux, les transports urbains et la route n'existeraient pas. Compte-tenu de l'importance des investissements requis par le TGV proprement dit, il s'agit d'un effort bien plus modeste qui donnera sa pleine ampleur à la liaison à grande vitesse Paris-Strasbourg.

M. le Président : Ne craignez-vous pas qu'en retenant une solution de desserte du TGV en centre ville, plutôt que celle d'une gare plus périphérique, vous créiez des difficultés d'accès pour les passagers du train en provenance de la région, qui devront ainsi traverser la ville de Strasbourg pour accéder au train ?

M. Roland RIES : Non, car nous bénéficions d'une conjonction exceptionnelle de facteurs permettant une desserte rapide et dédiée de la gare centrale, à partir de la périphérie de la ville : l'autoroute A 35 passe en ville et, de plus, d'importants terrains militaires, devenus inutiles, se trouvent situés derrière la gare. Ils permettront de réaliser sur leur emprise les rocades et les parkings nécessaires.

Je souhaiterais ajouter un mot à propos du TGV Rhin-Rhône. Contrairement à ce que beaucoup pensent, la communauté urbaine de Strasbourg est très attachée à sa réalisation. C'est si vrai que les collectivités locales alsaciennes ont déjà décidé de leur contribution aux investissements complémentaires, nécessaires à la bonne fin du projet. La clef de répartition (1) s'établit comme suit :

- département du Bas-Rhin : 25 %,

- communauté urbaine de Strasbourg : 12,5 %,

- département du Haut-Rhin, Colmar et Mulhouse : 12,5 %,

- région Alsace : 50 %.

M. André SCHNEIDER : J'avais rappelé ce point important lors de la conférence de presse qu'avait donnée la mission d'information, le 5 mai dernier, durant notre visite à Besançon.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de Mme Margrith HANSELMANN et M. Matthias RINDERKNECHT, respectivement Sous-directrice et Collaborateur de la section politique et planification de l'Office fédéral des transports

avec la participation de Mme Jacqueline MILLER-VOYATZAKIS
et M. Ludovic HAREN, respectivement Conseillère économique et commercial
et Attaché commercial de l'Ambassade de France en Suisse

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 15 juin 1999 à Berne)

Présidence de M. Jean-Louis FOUSSERET, Rapporteur

Suite à un entretien avec le Ministre M. Moritz Leuenberger, chef du département de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication, le président expose l'objet de la mission d'information.

M. le Président : Nous souhaiterions connaître votre conception du transport, en particulier en matière de transit et de ferroutage.

Mme Margrith HANSELMANN : Je vous présenterai un bref exposé concernant le raccordement de la Suisse au réseau français des TGV pour souligner notre intérêt pour le TGV Rhin-Rhône. Nous aurions également quelques question à vous poser. M. Matthias Rinderknecht, qui m'accompagne, pourra nous aider.

Tout d'abord, notre but principal est d'apporter une amélioration de nos liaisons franco-suisses. A cet effet, nous avons donc analysé les intérêts respectifs de la France et de la Suisse à court, moyen et long termes (2020) dans le nouveau raccordement au réseau français des TGV, dont le TGV Rhin-Rhône.

Nous avons choisi les trois portes suivantes :

1.- Genève-Mâcon ;

2.- Lausanne/Neuchâtel (Berne) - Dole-Dijon -Lausanne-Berne ;

3.- Bâle-Mulhouse.

Vous constaterez dans nos mesures à court, moyen et long termes notre grand intérêt pour le TGV Rhin-Rhône. Les Bâlois sont aussi très intéressés par le TGV Est.

M. Jean-Marie BOCKEL : On peut dire aujourd'hui que c'est parti.

Mme Margrith HANSELMANN : Ce ne sont pas des mesures fixes avec de grandes infrastructures nouvelles, mais des mesures consistant à ajouter des modules les uns aux autres pour améliorer les liaisons et surtout raccourcir les temps de parcours.

Ce qui nous intéresse surtout est de connaître l'état des travaux de planification du TGV Rhin-Rhône et de mesurer l'influence que cela pourra avoir sur l'ensemble des raccordements franco-suisses. Vous nous avez expliqué que tout est prêt, que l'embranchement est assuré. Ou en êtes-vous exactement et quelles sont les liaisons prévues ?

M. Jean-Marie BOCKEL : J'ai voté hier soir en conseil municipal de Mulhouse la participation de la ville que je dirige au financement du TGV Est. La bonne nouvelle est qu'il se situe en Champagne Lorraine, jusqu'à Baudrecourt. Ensuite, le train TGV continue en voie classique jusqu'à Strasbourg. De Paris à Strasbourg, le train mettra moins de 2 heures 30 contre 4 heures aujourd'hui. Pour Mulhouse, ce sera 3 heures 15 contre 4 heures 15 dans le meilleur des cas aujourd'hui. Cela signifie donc que le TGV Est a déjà une influence significative sur le Paris-Bâle.

Aujourd'hui, la décision est prise ; le financement est trouvé. L'État et les régions se sont engagés ; les votes ont eu lieu. Les travaux débuteront fin 2000-début 2001. Normalement, en 2006, cela doit fonctionner.

Pour ce qui est du TGV Rhin-Rhône _ je le dis sous le contrôle des amis et élus locaux attentifs à ce dossier _, nous sommes tous d'accord pour dire que la première phase du TGV Rhin-Rhône concerne grosso modo Dijon-Mulhouse. Nous étudions déjà la phase sud. De plus, nous commençons à étudier les conditions de la remontée vers Paris qui, jusqu'à présent, devrait se faire en voie classique.

Cette première phase, dont le principe est admis, sur laquelle les études sont en cours, devra se découper en tranches fonctionnelles. La prochaine décision devrait être prise le 5 juillet par la désignation du comité de pilotage.

Sans vouloir trancher, il y a deux hypothèses de choix : l'hypothèse Dijon jusqu'à l'approche de Belfort et l'hypothèse Besançon-Mulhouse. Mais le choix sera fait et à partir de là, les études de financement de la première tranche pourront commencer. L'objectif de M. Gayssot est que les études de déclaration d'utilité publique soient terminées fin 2001, de manière à ce qu'ensuite, les travaux puissent s'enclencher dès que les financements seront trouvés.

On peut dire clairement que nous avons aujourd'hui un engagement clair des trois régions françaises concernées au premier chef : Bourgogne, Franche-Comté, Alsace. Les trois présidents de région étaient à Besançon samedi pour accorder leurs cofinancements. Nous avons aussi le soutien de la région PACA Provence-Alpes-Côte d'Azur, ainsi que de nos amis suisses, même si je n'ai pas à le dire à votre place.

A partir de là, le débat qui s'instaure en France et qui dépasse tel ou tel tracé, est d'avoir la capacité de financer plus d'un seul TGV à la fois. Dès que seront terminés les travaux en cours du TGV Méditerranée jusqu'à Marseille et au-delà, nous aurons les moyens de financer le TGV Est pour ce qui concerne la part de l'État. Néanmoins, dans l'état actuel des financements de l'État, nous ne pourrons pas commencer le TGV Rhin-Rhône.

Dès que les études seront terminées - on commence à en voir le bout _, le problème sera d'avoir l'argent pour que le chantier puisse commencer. L'incertitude, quel que soit le choix de la première tranche, est de savoir si les travaux de cette première tranche du TGV Rhin-Rhône pourront commencer quand nous aurons terminé les procédures préalables, c'est-à-dire, peut-être en 2002 ou 2003, ou si nous devons attendre 2006 que la première phase du TGV Est soit terminée. C'est une question de volonté et de décision politique sur laquelle nous avons un débat en France. Je ne perds pas l'espoir que l'on décide de mettre plus l'accent sur le ferroviaire, d'autant plus que nous avons également en France une pression très forte sur les transports publics urbains. Après avoir supprimé les tramways à une époque, on les voit refleurir un peu partout. Nous les remettons en place. Vous avez eu l'intelligence de ne pas les supprimer !

Restent quelques petits débats que nous devrons avoir résolus rapidement sur le choix de la première tranche. Quel que soit ce choix, ce sera le bon choix !

M. le Président : Un accord existe concernant la première phase de Dijon-Mulhouse. Sans préjuger le choix qui sera fait, la première tranche sera Mulhouse-Dijon ou encore Mulhouse-Dijon-Auxonne-Petit-Croix.

M. Jean-Marie BOCKEL : Nous n'allons pas avoir ici de débat franco-français.

M. le Président : J'indique l'état actuel du dossier.

Dans le cadre de cette carte et d'un point de vue économique, il serait intéressant de savoir ce qui vous paraît prioritaire en termes de réalisation. Sans entrer dans les débats économiques, on a bien observé que vous aviez trois portes : une vers Mâcon, une vers Dole et une vers Mulhouse.

L'intérêt est-il égal en termes économiques et de développement ? Je ne veux pas vous mettre en position délicate si vous ne souhaitez pas répondre.

Mme Margrith HANSELMANN : C'est une question politique. Certaines régions ont un intérêt à avoir un meilleur raccordement que d'autres. Nous avons donc décidé une planification comprenant des modules. Nous ne disons pas encore clairement que l'on mène telle ou telle action à tel ou tel moment, mais dès qu'il y a les possibilités, dès que vous êtes prêt côté français, nous réalisons les mesures que nous avons envisagées. Il s'agit d'une série de mesures pour lesquelles nous n'avons pas fixé les dates, mais qui seront réalisées dès qu'il y aura le besoin, les demandes, les financements et l'intérêt côté français et suisse.

M. Jean-Marie BOCKEL : Nous avons le sentiment que le TGV Rhin-Rhône rencontre l'adhésion de nombreux cantons germanophones et francophones et non pas uniquement Bâle et le Jura.

Mme Margrith HANSELMANN : Les discussions que nous avons eues avec les cantons concernés sont claires ; ils ont toujours affirmé que le TGV Rhin-Rhône est prioritaire pour eux.

M. Matthias RINDERKNECHT : C'est essentiellement sur la branche Est que l'intérêt se concentre en raison des raccordements avec la partie nord-ouest de la Suisse et la région de Berne ; aujourd'hui, les flux de trafics passent par le pôle de Bâle. On devrait donc gagner significativement en temps de parcours en direction de Paris.

M. Jean-Marie BOCKEL : C'est aujourd'hui que cela se joue en France.

M. Matthias RINDERKNECHT : Je veux parler de la branche Dijon-Mulhouse (branche Est du projet)

M. le Président : C'est donc la phase Bâle- Mulhouse Dijon.

M. Matthias RINDERKNECHT : L'intérêt des diverses régions suisses peut être différencié selon les régions linguistiques et culturelles. Pour les régions presqu'exclusivement francophones, comme la région du bassin lémanique avec Genève, Lausanne et l'arrière pays vaudois, l'attraction de la capitale française est claire et nette : les flux vont vers Paris.

Pour Bâle, en raison des différences de langue et des différences culturelles, Paris est un pôle d'attraction comme d'autres en direction de l'Ouest et du Bénélux/Londres. Il y a moins de concentration des déplacements sur Paris que dans le cas de Genève et Lausanne. C'est à prendre en compte dans les priorités que nous avons à élaborer.

Le projet de TGV Rhin-Rhône constitue un cas de planification et probablement de réalisation d'une ligne nouvelle à grande vitesse, d'un projet interne à la France, alors que dans les autres cas de raccordements franco-suisses, il s'agit de modernisation de ligne, de mesures ponctuelles d'aménagement d'antennes sur des axes existants et de raccordements transfrontaliers Suisse-France.

M. André SCHNEIDER : Dans le premier cas que vous évoquez, on ne parle que de voyageurs. Si vous parliez de rapprochement culturel, d'attraction de Paris, il s'agit de personnes et non pas de transport de fret.

M. Matthias RINDERKNECHT : Cette question a été discutée au comité de pilotage qui a élaboré le projet de convention. On y a aussi inclus les questions de fret dans des projets ultérieurs. Nous pensons qu'il sera en tous temps possible d'entamer des discussions sur l'aménagement de certaines voies en fonction des besoins pour le trafic marchandises. Cela ne devrait pas poser de problème car des deux côtés, il y a une bonne entente sur cette question.

Jusqu'à maintenant, les lignes d'accès à Genève ainsi que les lignes donnant sur Lausanne, Neuchâtel et Berne sont presque exclusivement utilisées pour le trafic voyageurs. Pour la ligne transjurassienne en provenance de Dole, le potentiel de développement en matière de fret n'est pas négligeable.

Cela dit, pour Bâle, la situation est différente. Bâle est un pôle aussi bien voyageurs que marchandises. La situation est différente de celle de Genève, Lausanne, Neuchâtel. Il faudra voir, quand il s'agira de planifier le raccordement sur Mulhouse, dans quelle mesure les sillons seront « garantis » pour le trafic fret depuis Strasbourg, Mulhouse, etc.

M. Jean-Marie BOCKEL : Il est clair que cela se traduira nécessairement _ et la région Alsace en a conscience _ par un renforcement des capacités classiques. Il y a déjà saturation actuellement en plaine d'Alsace. C'est l'un des éléments que la région Alsace, au moment où elle s'apprête à cofinancer le TGV Rhin-Rhône, met en avant pour affirmer ce besoin de renforcer ses capacités.

M. le Président : Par rapport à cette carte, si l'on veut être objectif, on ne peut pas dire que les choix actuels sont ceux-là. En termes de lignes nouvelles à grande vitesse, l'étude préalable à la déclaration d'utilité publique porte là-dessus : c'est Mulhouse-Dijon et la branche sud viendrait verticalement.

Mme Margrith HANSELMANN : Concernant l'état des travaux, on a discuté de la convention avec les représentants de la direction des transports terrestres à Paris. On vient de finaliser le texte et les Gouvernements devraient l'approuver. Il servira de base de travail.

M. Matthias RINDERKNECHT : Le comité de pilotage franco-suisse s'est mis d'accord sur les trois portes d'entrée, concernant les trois accès (Bâle, arc jurassien, Genève). Il a laissé ouvert des possibilités d'aménagement entre ces trois portes principales. Par exemple, vous connaissez la situation dans le Jura suisse et le Territoire de Belfort et les besoins en transports publics de ces régions. Dans le bassin lémanique, le Conseil du Léman parle souvent de l'aménagement de la ligne sud du Léman. Ce sont plutôt des questions d'aménagement régional auxquelles on pourrait trouver des solutions dans le cadre de cette convention, mais les exemples ne sont pas mentionnés expressément dans le texte. Dans le texte, on se concentre sur les axes de Bâle, de l'arc jurassien et de Genève.

Pour Genève, la problématique est liée à l'aménagement de la ligne utilisée jusqu'aux années 1980 et hors service depuis bientôt 10 ans. La ligne du Haut-Bugey fait la liaison entre Bourg-en-Bresse, La Cluse, Nantua et Bellegarde. En l'occurrence, il s'agit de moderniser la ligne existante, d'aménager les tunnels au gabarit nécessaire, mais surtout d'aménager les passages à niveau. Si vous passez en voiture sur ce tronçon, vous constaterez qu'ils sont nombreux. Il faut électrifier la ligne et faire un aménagement de grande envergure au centre de Bellegarde.

Côté Bourg-en-Bresse, il y a plusieurs variantes ou options. On pourrait envisager de construire un nouveau tunnel sous le massif de Ceyzériat qui raccourcirait le trajet de quelques kilomètres et de quelques minutes. Le gain de temps serait d'environ 5 minutes.

On voit donc plusieurs possibilités. L'étude effectuée sous la responsabilité de Réseau ferré de France (RFF) a estimé le coût de ces aménagements entre 1,1 et 1,6 milliard de francs français selon les options.

Voilà à grands traits la problématique de l'aménagement de l'axe de Genève.

En dehors de Bourg-en-Bresse, il n'y a plus de projet envisagé puisque la vitesse actuelle est déjà de l'ordre de 140 à 160 kilomètres/heure. Augmenter la vitesse nécessiterait des aménagements d'un coût beaucoup trop élevé par rapport au gain de temps réalisé. Il s'agirait essentiellement de supprimer les passages à niveau pour le passage à grande vitesse, à partir de 160 km/heure.

Pour l'accès à l'arc jurassien par Dole, en direction Lausanne et Neuchâtel-Berne, des mesures plus ponctuelles sont prévues. D'une part, elles concernent l'alimentation électrique du côté ouest de la rampe du Jura. Là, les trains ne sont pas en mesure d'atteindre leur vitesse maximale en raison d'une insuffisance d'alimentation. Il faut donc augmenter par des sous-stations électriques la capacité d'alimentation électrique. Il faut aussi aménager quelques sections en virages entre Frasne- Dole et Dijon, selon les options.

M. André VAUCHEZ : Sur Auxonne.

M. Matthias RINDERKNECHT : Il y a des tronçons à aménager entre Dole et Frasne dans la région des grandes forêts, notamment la forêt domaniale d'Arbois. Ainsi, toute une série de mesures seraient envisageables tout en étant « phasables ». Il n'y a pas d'interdépendance des diverses mesures. On pourrait envisager telle ou telle autre mesure sans passer à la mise en _uvre de telle ou telle amélioration. Il y a là des options coûtant de 300 à 500 millions de francs français.

Du côté du raccordement de Bâle, tout est ouvert. Il s'agit essentiellement de raccorder la ligne existante Bâle-Mulhouse à la nouvelle ligne à grande vitesse. Eventuellement, on pourrait envisager de petites mesures ponctuelles à la frontière, entre Saint-Louis et Bâle-Gare CFF (Chemins de fer fédéraux). On pourrait aussi envisager des liens futurs avec l'aéroport de Bâle-Mulhouse.

M. Jean-Marie BOCKEL : Sujet d'actualité avant les travaux !

M. Matthias RINDERKNECHT : C'est une option ouverte en fonction des besoins des divers acteurs.

M. Jean-Marie BOCKEL : Excusez-moi de vous interrompre. Je suis au conseil d'administration pour le côté français, où je vais intervenir la semaine prochaine pour que l'on ait une prise en considération claire à ce sujet, sans faire forcément tout de suite l'investissement d'un éventuel raccordement ferré. Si on commence à dépenser le milliard et demi de francs pour les travaux sans tenir compte de cela, on n'aura plus que des navettes à installer en gare de Saint-Louis et nos larmes pour pleurer. Et on aura raté quelque chose. C'est actuellement l'enjeu dans les semaines qui viennent.

M. Matthias RINDERKNECHT : Avec les représentants de l'aéroport, on est en discussion sur l'aménagement simple, en transport public, en divers modes.

M. Jean-Marie BOCKEL : D'autant que nous avons, à Mulhouse, un projet de tramway qui a vocation à aller jusqu'à l'aéroport, puis à Bâle.

M. Matthias RINDERKNECHT : Eventuellement, il y aura un TGV à voie étroite.

Tout ce projet du pôle de Bâle est en discussion ; il est à définir de façon plus détaillée selon les besoins, selon les perspectives de développement, tant du transport aérien que du ferroviaire. En effet, Bâle est pour la région le n_ud à prendre en considération de façon prioritaire.

M. André VAUCHEZ : Combien de milliards cela va-t-il coûter ?

M. Matthias RINDERKNECHT : On n'a pas encore d'idée précise.

M. André SCHNEIDER : Quel est l'aéroport le plus important : Bâle ou Zurich ?

M. Matthias RINDERKNECHT : Zurich.

M. Jean-Marie BOCKEL : Zurich fait 20 millions de passagers par an, tandis que Bâle-Mulhouse en fait 3 millions, ce qui le place au sixième rang français, loin devant Strasbourg. Mais on n'est cependant pas dans la même catégorie que Francfort ou Zurich.

M. Matthias RINDERKNECHT : Voilà donc les mesures qui sont en partie mentionnées dans le texte, sous-entendues par des formules comme « articulation avec les transports régionaux » et qui pourraient concerner la région du Jura, le Territoire de Belfort, la région de Bâle/Département Haut-Rhin et le bassin lémanique.

M. André SCHNEIDER : Chacun sait que, dans les textes, ce sont les sous-entendus qui sont les plus importants.

M. André GODIN : Pour la porte Genève-Mâcon, quelle est l'échéance des négociations au plan de la convention financière ? Actuellement, d'après ce que vous nous dites, on semble s'acheminer vers un projet de 1,1 à 1,5 milliard de francs. A quelle échéance cela pourrait-il intervenir ?

Mme Margrith HANSELMANN : On ne peut pas encore le savoir. RFF, la SNCF et les CFF discutent actuellement le cahier des charges pour l'avant projet sommaire. On en discutera encore dans le cadre du comité de pilotage pour savoir qui paie quoi, la procédure, et surtout le contenu du cahier des charges.

M. Matthias RINDERKNECHT : C'est là que l'on voit que l'intérêt pour la SNCF et pour RFF est d'agir rapidement en fonction de la répartition des voies et sillons pour le fret et les voyageurs. La région d'Ambérieux sera un point de développement pour les plates-formes.

M. le Président : S'agissant de fret, il y a les ports de Marseille et Gênes, voire Rotterdam. A votre avis, quel est le plus attractif du point de vue suisse pour amener le fret ? De quelle façon ? Voyez-vous des difficultés par rapport au port de Marseille ? Quel est pour vous le plus intéressant et le plus compétitif entre Rotterdam, Marseille et Gênes ?

Mme Margrith HANSELMANN : Comme le ministre fédéral chargé des transports l'a déjà expliqué, le trafic le plus intéressant, - si l'on prend le trafic combiné non accompagné - ce serait celui qui vient du nord de l'Allemagne, c'est-à-dire Rotterdam, Hambourg, Anvers jusqu'en Italie, Milan et Gênes ou plus au sud. Voilà pour nous les axes les plus intéressants pour le trafic de fret. Cela dit, je ne peux pas vous répondre sur les chiffres marchandises du port de Marseille vers la Suisse.

M. Matthias RINDERKNECHT : Pour nous, c'est clairement concentré sur l'axe principal nord-sud (Allemagne-Italie).

M. le Président : On ne peut pas dire que la Suisse fasse partie de l'hinterland du port de Marseille ; il n'y a pas vraiment de liaisons significatives.

M. Matthias RINDERKNECHT : Les liaisons ne sont pas compétitives.

Mme Margrith HANSELMANN : Ce que nous cherchons, ce sont les lignes passant par Dole, Lausanne, et ensuite en direction du Simplon qui pourraient être intéressantes dans ces politiques de transfert de la route vers le rail.

M. le Président : En termes d'approvisionnements, certaines catégories d'approvisionnement se font plus sur Marseille que sur Gênes. C'est pourquoi je vous posais la question de savoir si, à votre connaissance, des flux de fret pourraient, de cet axe Rhin-Rhône, remonter vers la Suisse. Si vous ne les connaissez pas, c'est qu'il n'est pas significatif pour vous.

M. Matthias RINDERKNECHT : Jusqu'à présent, depuis Marseille, les flux marchandises sont plus importants du côté de la route que du côté ferroviaire.

M. le Président : Entre ces deux axes, il y a ici un axe Rhin-Rhône et un axe Italie-Allemagne en termes de fret. A votre sens, n'y a-t-il pas d'interaction est-ouest ?

M. Matthias RINDERKNECHT: Peu.

M. le Président : Vous n'en sentez pas le besoin ?

M. Matthias RINDERKNECHT : On est en discussion sur la construction des deux tunnels en Suisse. La France et l'Autriche  estiment que la Suisse devrait prendre une partie du trafic sur la route. Il est prévu qu'on en reprenne une partie. Je ne connais pas exactement les prévisions, mais l'idée est que les tunnels de base qui traversent la Suisse, permettraient de reprendre le trafic de contournement des camions de 40 tonnes sur le rail.

Vous seriez positivement touchés par les mesures que l'on prend, comme les Autrichiens d'ailleurs. Actuellement, notre interdiction porte sur les plus de 28 tonnes qui contournent la Suisse par le Mont Blanc, le Fréjus ou par le Brenner.

M. le Président : Par rapport à ce que vous appelez « l'initiative des Alpes », des taxes ont été instaurées et il y a une offre ferroviaire attractive avec la méthode du « pull and push ».

Qu'y a-t-il pour vous de plus efficace ? Selon vous, la solution de la taxe va-t-elle dissuader les transporteurs ou entraîner une offre ferroviaire attractive, voire les deux ? Sur quoi comptez-vous le plus ? La taxe permettra-t-elle de payer les infrastructures et les investissements ?

Mme Margrith HANSELMANN : Nous espérons un peu des deux. Des variations de prix sur le marché des transports en général provoquent des réactions immédiates, aussi bien du côté de la route que du rail. C'est très sensible.

Le prix et la qualité sont les deux points les plus importants pour drainer le fret sur le rail. On l'a aussi vu dans ces discussions : le prix est toujours déterminant. Si vous manquez des trains ou si vous attendez quatre heures à la frontière, cela signifie que vous ne respectez plus le principe du « juste in time». C'est là où le chemin de fer perd : du point de vue de la qualité et du prix.

M. le Président : C'est une donnée que nous avons effectivement retrouvée tout au long de notre mission. Pouvez-vous nous éclairer sur le point de la coopération entres sociétés nationales des chemins de fer ?

Mme Margrith HANSELMANN : Nous avons un peu changé le système. Depuis le 1er janvier 1999, nous avons transposé en Suisse les dispositions de la fameuse directive 91.440, pour séparer l'opérateur de l'exploitation et le gestionnaire de l'infrastructure. Nous avons créé une société anonyme avec les chemins de fer fédéraux suisses et nous avons ouvert, libéralisé quelque peu le trafic marchandises. En Suisse, nous avons près de 70 petites entreprises de chemin de fer privées, qui font du trafic régional.

M. Matthias RINDERKNECHT : La plus petite ligne exploitée fait quatre kilomètres.

Mme Margrith HANSELMANN : Cela a changé depuis le 1er janvier 1999. Les entreprises sont en train de chercher leur place sur le marché. Nous avons libéralisé l'accès. C'est un tout nouveau système, ce qui explique qu'il nous est difficile de dire dès aujourd'hui quelles sont les relations entre sociétés de chemin de fer en Suisse.

M. le Président : Avant le 1er janvier, comment cela se passait-il ? Y avait-il une bonne coopération entre les chemins de fer fédéraux, entreprise intégrée et la SNCF ?

Mme Margrith HANSELMANN : Cela fonctionne très bien entre CFF et SNCF.

M. Matthias RINDERKNECHT : Pour le fret, il y a des négociations en cours entre CFF cargo et FS. D'autres coopérations se font entre le BLS et la Deutsche Bahn AG. Cette nouvelle coopération au niveau du trafic marchandises international est en train de se développer et devrait porter ses fruits dans les années à venir.

Mme Jacqueline MILLER-VOYATZAKIS : Y a-t-il déjà des allocations de sillons ?

Mme Margrith HANSELMANN : A peu près 20 par mois.

M. André SCHNEIDER : Quand vous parlez de qualité, englobez-vous le tarif ?

M. Matthias RINDERKNECHT : Les deux, mais la qualité recouvre nombre de critères : il y a les arrêts aux frontières, la régularité etc.

M. le Président : Il faut savoir où se trouvent les conteneurs. Les chargeurs veulent savoir ce qui se passe tout au long du parcours de façon très régulière. Les wagons de chemin de fer constituent les magasins de stockage ; on stocke aussi dans les wagons et sur les plates-formes des camions.

Mme Margrith HANSELMANN : Pour moi, le point important est l'accès au réseau. Cela doit être réglé avec la France dans le cadre de l'accord Suisse-Union européenne, qui permet aux entreprises de chemins de fer de pouvoir accéder aux réseaux des autres pays.

Ensuite vient la question de la qualité que l'on doit absolument améliorer et la question du prix, où l'on doit trouver une solution harmonisée. La Commission européenne cherche à trouver des solutions pour harmoniser le système de prix de sillons ferroviaires. C'est très difficile.

Les chemins de fer ont toujours travaillé dans une optique nationale, que ce soit en Suisse, en France, ou en Allemagne ; ils n'ont pas l'habitude de travailler ensemble. En outre, on retrouve des disparités techniques dans les réseaux, le courant électrique, etc. La recherche d'une harmonisation doit se développer. Il faut trouver les moyens pour améliorer le rapport qualité/prix et unifier les normes techniques.

M. André SCHNEIDER : Il y a deux systèmes d'utilisation : ou taxer les autres modes de transports ou jouer sur la politique tarifaire avec ou sans subvention.

Les transporteurs, ici comme ailleurs, malgré la taxe sur la route, préfèrent continuer à utiliser ce vecteur. Qu'en pensez-vous ? Vous parlez de plusieurs petites sociétés concurrentes à l'intérieur de la Suisse. A moyen terme, la concurrence va-t-elle entraîner des diminutions de tarifs suffisantes pour que les transporteurs aient une qualité de service et de coût représentant une incitation réelle et efficace à choisir le rail ?

Mme Margrith HANSELMANN : Six mois, c'est encore trop court pour juger. Mais la concurrence provoque l'amélioration de l'offre. C'est un mécanisme classique qui commence à produire ses effets. Il faut ajouter que cela se constate plutôt dans le domaine des marchandises. C'est aussi dans cette branche que l'on espère obtenir les meilleurs résultats.

Si vous êtes intéressés, je peux encore évoquer le système de subventionnement. S'agissant du trafic marchandises, nous avons jusqu'à présent accordé des subventions à l'exploitation marchandises aux seuls CFF. Aujourd'hui, nous avons décidé de modifier le système et de traiter toutes les entreprises de chemins de fer sur un pied d'égalité.

Dans la législation, il est désormais prévu que le trafic marchandises doit atteindre un équilibre financier, c'est-à-dire sans subvention. Cela dit, dans le cadre de l'accord Suisse-Union européenne, pendant une période transitoire qui va de 2001 à 2004, des solutions transitoires ont été mises en place.

Vu les conditions pour le transport ferroviaire, nous avons décidé d'accorder des subventions aux chemins de fer. Le Parlement décidera donc des subventions, qui viseront deux objectifs. Le premier objectif est de baisser le prix du sillon jusqu'en 2010. En l'occurrence, tout le trafic marchandises en profite.

Le second objectif est de provoquer une amélioration de l'offre de services de la part des chemins de fer. Il a également été décidé de susciter des offres, efficaces, innovatrices, qui permettent d'améliorer globalement la qualité de l'offre de transport, par le transfert de la route au rail.

On a ainsi pu modifier notre système de subventions. Nous n'aidons plus seulement les CFF, mais nous baissons le prix du sillon et tout le monde en profite. Cela explique les difficultés que nous pouvons rencontrer : en effet, si les pays voisins augmentent les prix, cela réduit nos efforts à néant. Il faut donc harmoniser tout cela, nous en discutons avec nos partenaires européens.

S'agissant du montant des subventions accordées par la Confédération, le Parlement en débat. Jusqu'à présent, nous avons versé annuellement environ 125 millions de francs suisses. Le Parlement envisage désormais d'accorder entre 200 et 300 millions de francs suisses par an.

M. André SCHNEIDER : Là, vous subventionnez le transporteur.

Mme Margrith HANSELMANN : L'opérateur.

M. André SCHNEIDER : Cela sera-t-il identique pour les marchandises en transit total et pour les marchandises à destination de la Suisse ?

M. Matthias RINDERKNECHT : Peu importe ; la subvention est accordée par sillon. Si l'opérateur a besoin d'un sillon à travers la Suisse que ce soit un transport intérieur ou d'import-export, c'est pareil.

M. André SCHNEIDER : Nous sommes confrontés au même problème. Notre couloir rhodanien est aussi une zone de transit.

M. André GODIN : Je crois que cela fait partie de la discussion entre RFF et la SNCF.

Mme Margrith HANSELMANN : Nous n'avons sans doute pas tout à fait le même système : chez nous, l'État finance l'infrastructure. En revanche, l'exploitation doit atteindre son équilibre financier, sans subventions, avec interdiction de financement transversal.

Mme Jacqueline MILLER-VOYATZAKIS : Quand vous dites « On commande des offres efficaces », qui passe les commandes ?

Mme Margrith HANSELMANN : C'est l'État qui commande auprès des opérateurs sur la base d'appels d'offre dans un but d'amélioration du transfert de la route vers le rail.

Mme Jacqueline MILLER-VOYATZAKIS : C'est donc une mise en concurrence de l'offre d'opérateurs qui pourraient ainsi être subventionnés. Mais cela peut-il être des opérateurs suisses et européens ? (assentiment de Mme Hanselmann)

M. Ludovic HAREN : Lorsque vous évoquez une augmentation des subventions, celle-ci s'ajoute-t-elle aux mesures prises dans le cadre des accords bilatéraux ?

Mme Margrith HANSELMANN : Il convient d'être très précis dans ce domaine. L'accord Suisse-Union européenne évoque des mesures d'accompagnement. En Suisse, à côté de cet accord, on parle aussi de mesures d'accompagnement.

Les 200 à 300 millions de francs suisses dont on parlait précédemment concernent les mesures d'accompagnement en Suisse. Dans le paquet, le premier point fort est l'augmentation de productivité du rail. Le second point fort est le contrôle plus intensif des règles de la législation routière pour harmoniser les conditions de concurrence. Le troisième point important concerne d'une part les subventions accordées, pour baisser les prix,et d'autre part, la commande des offres. Voilà le paquet de mesures qui est prévu pour cette période transitoire , qui s'achèvera en 2005.

M. Matthias RINDERKNECHT : Je veux rappeler également la participation au financement des plates-formes de terminaux situées à l'étranger, dans les régions voisines de la Suisse : en Italie du Nord ou en Allemagne. Il est prévu de cofinancer ces installations jusqu'à hauteur de 18 millions de francs suisses par an sur cette période limitée.

C'est aussi un moyen d'incitation pour rendre les trains de la chaussée roulante plus rapidement opérationnels. Par exemple, les trains de ferroutage pour transporter les camions entiers ou pour développer davantage le transport combiné non accompagné.

M. le Président : Vous avez parlé des plates-formes en Allemagne et dans le Nord de l'Italie. Et en France ?

M. Matthias RINDERKNECHT : Il n'y a rien en France car il n'y a pas de projet. Notre axe principal est l'axe Nord-Sud pour le fret. Nous y construisons les deux nouveaux tunnels de base aux coûts que vous connaissez, c'est-à-dire 13,5 milliards de francs suisses échelonnés sur une quinzaine d'années. Cet axe Nord-Sud est prioritaire. S'il y a d'autres problèmes à résoudre sur l'axe Est-Ouest en coopération avec la France, c'est certainement à discuter.

Mme Margrith HANSELMANN : Cette mesure est limitée et vise avant tout le transfert de la route vers le rail. Elle porte sur l'axe présentant le plus fort trafic de marchandises. Si le trafic Est-Ouest augmente, des possibilités nouvelles apparaîtront et pourraient être prises en considération à condition que cela favorise le transfert de la route au rail.

M. André GODIN : Sur la plate-forme d'Ambérieux, il n'y a pas eu de réflexion.

M. Matthias RINDERKNECHT : Pas particulièrement, car la plate-forme d'Ambérieux est orientée vers le Mont Cenis et non pas vers Genève, en tout cas jusqu'à présent. Je pense que c'est en discussion dans les divers organismes français. Cette problématique de développement du trafic marchandises depuis cette région en direction du Léman sud reviendra en discussion.

M. André VAUCHEZ : On voit bien les efforts que vous consentez pour vous libérer des contraintes insupportables des transits des poids lourds. Actuellement, avant que les tunnels soient créés et en dehors de l'utilisation du train, quelle est votre politique concernant les transports de 40 tonnes qui empruntent l'autoroute chez vous ? Combien paient-ils aujourd'hui et combien paieront-ils demain avec la taxe ?

Deuxième question. Vous parliez de ferroutage. Aujourd'hui, le transit se fait plutôt par conteneur. Demain, quand vous aurez votre grande traversée des Alpes, voyez-vous se développer plutôt le ferroutage ou le transport combiné ?

Enfin, ne peut-on pas s'interroger, de façon plus générale _ l'exemple du Mont Blanc le prouve - avant que l'on puisse réaliser au plan européen tout ce maillage pour le fret ferroviaire ? Ne peut-on imaginer que l'on établisse des navettes ferroviaires sous tunnel, comme par exemple le Tunnel du Mont Blanc qui nous intéresse aussi ? Elles permettent le transport en ferroutage sur une petite distance comme la traversée de tunnel. Au lieu de faire des aménagements qui coûteront fort cher et qui n'apporteront pas les garanties totales pour le transit de poids lourds qui roulent par leurs propres moyens, ne peut-on envisager le ferroutage uniquement sous le tunnel quand cela s'impose ?

Vous avez votre politique. Mais que fait-on dans le Mont-Blanc ? Vous devez avoir quelque idée ?

M. Matthias RINDERKNECHT : Vous avez posé la question du prix actuel du passage des camions de 40 tonnes. Leur passage n'est pas autorisé en Suisse, à l'exception de ceux qui bénéficient du régime dérogatoire accordé pour certaines marchandises périssables.

Dans l'accord de transit de 1992, il y a un système de surplus, à savoir que les camionneurs demandant une dérogation, doivent obligatoirement demander une place au train de ferroutage. S'il n'y a pas de place, ils auront une autorisation d'exception.

Mme Margrith HANSELMANN : Le passage routier d'un camion de 28 tonnes est pratiquement gratuit aujourd'hui.

M. Matthias RINDERKNECHT : C'est 25 francs suisses par passage.

Mme Margrith HANSELMANN : A partir de 2001, les 34 tonnes devront payer 172 francs suisses en moyenne pour chaque passage. Après 2005, vous aurez 40 tonnes et les fameux 330 francs cités tout à l'heure. Le système prévoit que l'on passe de 28 tonnes à 34 tonnes puis à 40 tonnes. Nous avons décidé de ne pas changer le régime tout de suite pour permettre une adaptation progressive et, en même temps, augmenter graduellement le prix.

M. le Président : On donne du temps à la montée en puissance dans le temps pour permettre l'adaptation.

Mme Margrith HANSELMANN : La différenciation des tarifs se fera en fonction du niveau des émissions polluantes des camions (euro 1, euro 2 et euro 3). Les plus pollueurs paieront plus cher. Mais le système de base reposera sur la prise en compte du poids total autorisé, à savoir 28, 34 ou 40 tonnes.

M. André VAUCHEZ : Sur le plan technique, quel est à votre avis le type de transport intermodal d'avenir ? Transport combiné ou ferroutage ? Existe-t-il des trains qui puissent monter rapidement ?

M. Matthias RINDERKNECHT : Les tunnels existants ne sont pas au gabarit de 4 mètres de hauteur d'angle des camions. Il y a des trains-navettes depuis l'Allemagne du Sud qui passent à travers le tunnel du Saint-Gothard jusqu'en Italie, via Chiasso. Ces trains peuvent faire du ferroutage avec des camions jusqu'à 3,80 mètres de hauteur, mais pas 4 mètres.

A partir de fin 2000, un corridor ouvert au ferroutage pour les camions de 4 mètres de hauteur d'angle passera par le Lötschberg et le Simplon. Il permettra le passage des navettes depuis Fribourg jusqu'à Novara où il existe des terminaux pour le transport combiné. Ce sont des navettes qui pourraient transporter, à partir de la fin de l'an 2000, 65 000 véhicules par an. C'est peu mais c'est un début. La capacité du corridor atteindra 105 000 véhicules par an en 2002 ou 2003. Ultérieurement, il faudra voir si la demande est suffisante pour développer ce mode.

M. André VAUCHEZ : Quel sera le prix pour un 40 tonnes entre Fribourg et l'Italie sur le train ?

Mme Margrith HANSELMANN : Aujourd'hui, de Lugano à Bâle, vous payez près de 600 francs. Nous souhaiterions diminuer ce tarif de moitié et rapprocher ainsi les prix du rail et de la route. Par exemple, Bâle-Chiasso serait à 300 francs par la route. Ensuite, nous aimerions baisser encore les prix pour le rail pour attirer les clients.

M. André VAUCHEZ : Le ferroutage vous intéresse beaucoup.

Mme Margrith HANSELMANN : Pour nous, à long terme, le ferroutage n'est pas prioritaire. Notre objectif est en fait le transport combiné non-accompagné.

M. le Président : Le transport accompagné étant l'autoroute roulante.

Mme Margrith HANSELMANN : Le transport combiné accompagné est une solution à court terme. On est obligé de le poursuivre jusqu'à ce que les transporteurs aient modifié leurs équipements. A court terme, il y a donc l'autoroute roulante et, à long terme, le transport combiné non accompagné.

M. le Président : Il y a donc toujours cette notion de donner du temps et de procéder par étapes.

M. André VAUCHEZ : Question tout à fait différente : certains élus ont émis l'idée de provoquer la construction d'une autoroute entre l'A 39 de Poligny jusqu'à Vallorbe au travers des monts du Jura. C'est peut-être un lobby pour l'instant, mais beaucoup de gens rallient cette idée. Nous nous interrogeons. Cela peut-il vous être favorable ? Comment, sans parler du coût, voyez-vous une telle réalisation dans l'avenir ?.

M. Matthias RINDERKNECHT : C'est un sujet qui nous intéresse, mais dont nous ne sommes pas responsables puisque c'est l'Office fédéral des routes qui s'en occupe. C'est le même ministère, mais pas le même office.

La problématique de cette autoroute nous est connue et je crois que la planification va dans le sens d'un aménagement à voie rapide de cette route pour libérer les voies pour les camions. Déjà une amélioration en voie rapide apporte des avantages aux utilisateurs, tant du côté suisse que du côté de la Franche-Comté.

Bien entendu, il y a des cantons, notamment le canton de Vaud, qui ont un intérêt à un développement routier au-delà des frontières nationales. A notre avis, le canton de Vaud pourrait se montrer assez favorable à un tel développement autoroutier.

Cela étant, d'un point de vue plus global, le développement des infrastructures des transports en général, en direction de la Franche-Comté et de la Bourgogne nous apportent des avantages qui vont s'avérer plus importants à long terme.

La concurrence autoroutière affaiblirait cependant les recettes des entreprises ferroviaires et ce n'est pas forcément dans l'intérêt de l'Office fédéral des transports qui s'occupe des transports publics.

M. le Président : Madame, Messieurs, il nous reste à vous remercier.

Audition de MM. Charles FRIDERICI,
Président de l'association suisse des transporteurs routiers (ASTAG),
Membre de la commission transport et télécommunications du conseil national

et Michel CRIPPA, Directeur de l'ASTAG

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 15 juin 1999 à Berne)

Présidence de M. Jean-Louis FOUSSERET, Rapporteur

M. Charles FRIDERICI : Contrairement aux associations françaises qui sont organisées par professions, nous n'avons en Suisse qu'une seule association routière qui regroupe aussi bien les transporteurs agissant pour compte propre que pour compte d'autrui. Nous fêtons cette année les vingt ans de la fusion des deux anciennes associations : l'association des transports pour compte propre et l'association des transports pour compte d'autrui.

M. Michel Crippa, qui m'accompagne, après avoir été employé dans le privé, au groupe EXXON, fut directeur général des Chemins de fer suisses pendant huit ans avant de retourner dans le privé pour devenir directeur de l'ASTAG.

Je suis moi-même député au Conseil national depuis 1987 et président de l'ASTAG depuis 1991. Je viens d'être réélu à ce dernier poste, mais je signale qu'en principe, le président de l'ASTAG doit être un parlementaire. Si je n'étais pas réélu cet automne aux élections législatives, je devrais donc remettre mon mandat à disposition. Les membres seraient libres alors de me réélire ou de demander mon départ.

Nous connaissons l'objet de votre mission d'information et nous sommes particulièrement fiers que vous souhaitiez nous auditionner. J'espère que nos quelques connaissances pourront vous être utiles.

M. le Président : Je vous remercie d'avoir accepté de nous recevoir aujourd'hui dans le cadre de notre mission d'information sur les perspectives économiques et sociales de l'axe européen Rhin-Rhône.

Cette mission parlementaire, qui regroupe des parlementaires de toutes tendances politiques, témoigne de notre souci, résultant de l'abandon du projet de canal Rhin-Rhône et s'enquiert des moyens d'améliorer les relations entre les Bouches du Rhin et les Bouches-du-Rhône. Notre mission se place dans une perspective de développement économique et de développement du territoire. Sont concernées la Région Est de la France, la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - son président, M. Michel Vauzelle, président de la mission d'information, absent aujourd'hui, nous a demandé de le représenter - la région Rhône-Alpes, l'Alsace et la Franche-Comté. Mais notre réflexion s'étend au-delà des frontières de la France, car les flux s'apprécient en effet au-delà, en Europe.

Nous avons commencé un cycle d'auditions au cours desquelles nous avons rencontré de nombreux partenaires économiques et des représentants des institutions. Cette mission d'information s'achève. Dans un mois, nous remettrons un rapport à l'Assemblée nationale. Nous avons souhaité vous rencontrer pour avoir un échange de vues avec vous sur ce sujet. Cet entretien fait l'objet d'un enregistrement par sténotypie. Nous pourrons l'utiliser dans notre rapport. Il vous sera communiqué et ne serait pas publié sans votre accord.

M. Michel CRIPPA : Il s'agit donc pour vous, de connaître la politique et la situation des transports en Suisse.

M. le Président : Cela nous intéresse. Dans ce cadre, il serait intéressant que vous puissiez nous préciser le rôle des transporteurs suisses par rapport au fret qui traverse votre pays. Quelle est la proportion de ce trafic de transit sur l'ensemble ? Quelles sont les conséquences de « l'initiative des Alpes » sur vos activités et quelles sont vos relations avec la France ? Selon vous, quelles sont les choses à améliorer dans ce domaine ? Quelles infrastructures nouvelles seraient nécessaires ?

Par ailleurs, même si nous avons conscience qu'en termes de desserte portuaire, vous travaillez plus avec les ports du Nord ou le port de Gênes en Italie, comment ressentez-vous la présence du port de Marseille ? Quel intérêt vous pousserait à aller vers Marseille ou quels sont les problèmes que cela vous pose ? Enfin, quels enseignements de l'expérience suisse vous paraissent transposables en France ?

M. Michel CRIPPA : La situation des transports en Suisse résulte d'un marché libéralisé et le libre choix du mode de transport est garanti par la Constitution. Dans cet ensemble, il faut opérer une césure claire entre le trafic intérieur que nous appelons en Suisse le transport « indigène » et trafic international.

Sur le trafic indigène d'abord 90 % des prestations de transport sont assurées par la route et 10 % par le chemin de fer. La route comprend à peu près 7 000 entreprises de transport pour compte propre ou des professionnels, avec une structure typique de PME, sachant que 85 % d'entre elles ont de un à cinq véhicules et de un à dix collaborateurs.

La distance moyenne de transport en Suisse est de l'ordre de 28 kilomètres ! Cela montre à quel point la Suisse, au regard de la problématique des transports, est à considérer plutôt comme une grande agglomération que comme un pays. La charge utile par camion est de l'ordre de 5,5 tonnes.

Le transport routier suisse diffère du transport routier français en ce sens que les conducteurs de poids lourds sont réunis en une même organisation, « les Routiers suisses » qui compte près de 15 000 chauffeurs. Nous avons également réussi, comme pour d'autres secteurs, à avoir une situation non conflictuelle entre les entreprises de transport et les routiers. Il est clair, comme dans toute entreprise, qu'il existe des tensions, mais nous n'avons jamais eu des grèves ou des manifestations telles que vous les connaissez malheureusement en France.

S'agissant du trafic indigène au plan ferroviaire, la position du chemin de fer s'est affaiblie, comme dans toute l'Europe au cours de ces dernières années, pour la simple raison que la Suisse ne produit pratiquement plus de produits lourds.

Nous avons de plus en plus une fabrication indigène en technologies de pointe, avec comme corollaires la miniaturisation et la légèreté des produits, ainsi qu'une valeur ajoutée élevée. Ces produits ne relèvent pas de la vocation primaire du chemin de fer.

S'agissant du trafic international, la Suisse est un pays de transit. Les trafics internationaux sont générés au sud et au nord de l'Europe aussi bien par le rail que par la route, souvent en dehors de nos zones d'influence. Hors l'import et l'export de marchandises, le trafic international relie notamment Londres, Le Havre, Rotterdam, Hambourg et l'Italie.

La Suisse a une situation quelque peu spécifique dans le sens où, jusqu'à présent, nous avons protégé le territoire suisse par la limitation à 28 tonnes des camions autorisés à transiter. Cette mesure a été plutôt favorable au chemin de fer. La part du rail dans le transport de transit est donc beaucoup plus élevée que dans nombre de pays.

Ainsi 75 % du trafic de transit marchandises se font par le rail, les 25 % restant se faisant par la route. Cette limitation à 28 tonnes, complétée par d'autres mesures, a renforcé la position du rail. Par exemple, les poids lourds se voient interdire la circulation de nuit à partir de 22 heures jusqu'à 5 heures du matin ; ils sont également soumis à une interdiction totale de circuler le dimanche, à l'exception de certains transports de denrées délicates ou devant être transportées dans des conditions particulières (fleurs, fruits). Le marché est très restrictif, ce qui a permis aux chemins de fer de garder une position relativement forte dans le trafic de transit.

Dans le trafic international routier, la Suisse avait une position relativement forte ces vingt dernières années ; cette position s'est affaiblie pour deux raisons : d'une part, le fait que l'on n'avait pas de poids lourds de 40 tonnes en Suisse alors qu'ils étaient le moyen de transport habituel en Europe. Les entreprises à vocation internationale se sont donc délocalisées et ont transféré leur siège pour poursuivre leur activité internationale en dehors de la Suisse. La plupart se sont domiciliées soit à Bruxelles, soit à Luxembourg pour pouvoir utiliser les poids lourds de 40 tonnes.

D'autre part, cette délocalisation leur a permis de bénéficier d'une fiscalité plus favorable.

Cette situation s'est modifiée avec les accords bilatéraux que la Suisse a signés avec l'Europe. A partir de 2005, le trafic des camions de 40 tonnes sera totalement libéré pour les Européens, à l'exception du trafic de nuit et de celui des samedis et dimanches. Le territoire suisse sera ouvert aux 40 tonnes dans le cadre de ces accords bilatéraux.

Durant une période intermédiaire allant de 2001 à fin 2004, des contingents annuels de 200 à 300 000 véhicules seront accordés tant aux étrangers qu'aux Suisses. Pour les étrangers, l'axe principal Bâle-Chiasso fera l'objet d'une prétendue « taxe », adaptée aux prestations que le Gouvernement a imposées à l'ensemble de l'économie, d'un montant de 330 FS pour un 40 tonnes.

Cela peut paraître élevé, mais il suffit de rapprocher ce montant du prix du péage du tunnel du Mont Blanc, 245 FS pour une longueur de 12 km, pour comprendre que la Suisse a fait là de gros sacrifices vis-à-vis de l'Europe en ouvrant son territoire à un prix aussi bas.

Ce qui nous préoccupe, c'est que le Gouvernement a cherché, dans le cadre de sa politique des transports, à imposer que cette fameuse taxe soit sur le poids nominal du véhicule. Le Gouvernement peut imposer le trafic routier avec une taxe de 3 centimes la tonne par kilomètre parcouru. L'utilisation d'un 40 tonnes, possible en Suisse à partir de 2005, au tarif maximum envisagé par le Gouvernement coûtera 1,20 FS/km tant pour la remorque que pour le camion que ceux-ci soient pleins ou vides. Cette taxe de 1,20 FS/km sera perçue pour chaque km parcouru en Suisse par un véhicule de 40 tonnes, indépendamment de sa charge (à vide ou chargé, c'est le même prix !). Il est surprenant que l'Union européenne ait accepté une telle taxe sur l'ensemble du territoire helvétique. Cette taxe est à payer aussi bien par les détenteurs de véhicules suisses qu'étrangers.

C'est le résultat d'une politique qui se veut dirigiste, voire fondamentaliste. Le Gouvernement et le Parlement partent de l'idée qu'en imposant une taxe aussi élevée qui devrait rapporter 1,5 milliard de FS à la Confédération, on arrivera à assumer ou à faciliter le transfert de la route au rail. La grande philosophie de la politique suisse des transports est d'amener une partie du trafic de la route au rail non seulement pour le trafic indigène, mais encore pour l'ensemble du trafic européen.

L'ASTAG en particulier et certains mouvements politiques se sont battus contre cette loi. Vous connaissez notre système de votation, et malheureusement, nous avons eu une votation populaire au terme de laquelle le peuple a adopté cette taxe avec une majorité de 53 % des voix. Cela conduira nos entreprises à augmenter leurs tarifs afin de récupérer le coût de la taxe. Nous pensons que c'est une lourde pénalisation pour l'économie suisse.

Nous ne sommes pas défavorables au chemin de fer, qui est très adapté aux transports de gros volumes sur de longues distances. Mais il était inopportun de pénaliser l'ensemble de l'économie au travers de cette taxe pour mettre un frein à l'arrivée des poids lourds de 40 tonnes.

Votre question sera sans doute de savoir ce qui sera fait de tout cet argent. Il devra servir à financer les deux tunnels alpins de base à travers le Lötschberg et le Saint-Gothard - deux tunnels alpins qui ne correspondent à aucun besoin si l'on sait que l'activité actuelle globale du Gothard et du Lötschberg avoisine les 20 millions de tonnes, soit un taux d'utilisation de 50 %. Il n'y avait donc aucune nécessité de faire deux tunnels alpins. Mais nous vivons dans un pays où le sentiment « Märklin » (célèbre firme allemande de modélisme ferroviaire) est fortement développé, en oubliant qu'à l'échelle d'un Etat, cela ce chiffre en milliards !

M. Charles FRIDERICI : Cette politique des transports est née dans les années 1960. A l'époque, une commission a été créée, destinée à définir une conception globale suisse des transports. Elle était déjà contestée par certains mouvements, principalement des associations patronales, qui estimaient que lorsque le Gouvernement ne veut plus prendre de décision, il nomme une commission pour enterrer l'objet ou prendre la décision à sa place.

M. le Président : Cela existe également chez nous !

M. Charles FRIDERICI : Quelques années plus tard, cette conception globale suisse des transports a été définie. Elle était assez équilibrée à mon sens. Par la suite, le monde politique s'est emparé de cette conception globale pour élaborer une politique coordonnée des transports qui était déjà nettement plus orientée et qui prévoyait déjà à l'époque un transfert du trafic marchandises de la route au rail.

Cette politique coordonnée des transports a été refusée par le peuple, il y a une dizaine d'années, mais le Conseil fédéral a continué à travailler dans la même direction.

Est venue ensuite une initiative populaire, pour laquelle il suffit de rassembler 100 000 signatures en 18 mois pour que le texte constitutionnel soit soumis au peuple après être passé devant les Chambres. Contrairement à toute attente, cette « initiative des Alpes » a été acceptée par le peuple. Il faut préciser qu'une vraie campagne émotionnelle avait été orchestrée où l'on voyait de nombreux poids lourds se suivre sur une route. Cela devait sans doute se passer au tunnel du Mont-Blanc et non pas au Saint Gothard qui ne connaissait pas un tel trafic.

L'article 36.6 de la Constitution fédérale entérinant cette « initiative des Alpes » comporte trois alinéas :

1° La protection des Alpes contre le trafic de transit sans spécifier lequel. Cela peut donc concerner le trafic de transit de personnes ou de marchandises.

2° Un transfert total, d'ici à 2005, du trafic de transit de marchandises de frontière à frontière de la route au rail.

3° Prévoir la non possibilité d'augmenter la capacité de routes de transit à travers les Alpes.

J'étais déjà parlementaire à l'époque et j'avais souligné que l'alinéa 2 ne pouvait être appliqué, en raison des accords internationaux de la Suisse, sauf à les dénoncer.

Là-dessus, nous avions commencé à négocier l'accord de transit avec l'Union européenne. Suite au refus par le peuple suisse d'intégrer l'Espace économique européen, nous avons entamé des négociations bilatérales qui viennent de s'achever. La Suisse a d'ores et déjà signé cet accord, qui a reçu le paraphe de l'Union européenne.

Que prévoit cet accord bilatéral, notamment en matière de transports terrestres ? Il ne prévoit pas l'interdiction du trafic de marchandises en transit à travers la Suisse. Bien au contraire, il prévoit entre 2001 et 2002, la possibilité de transit pour des camions de plus de 34 tonnes provenant de l'Union européenne.

Il faut savoir en effet que, d'ici au 1er janvier 2001, la limite de poids total en charge en Suisse va passer de 28 à 34 tonnes. Les camions européens de 34 tonnes pourront transiter sans contingent aucun. En revanche, le contingent de camions de 34 à 40 tonnes sera limité à 300 000 véhicules pour traverser la Suisse.

Entre 2003 et 2004, on reste toujours à un poids total de 34 tonnes, mais le contingent de véhicules européens de 40 tonnes passe de 300 000 à 400 000, auquel il faut ajouter de 2001 à 2005, un contingent spécial de 220 000 véhicules par année pour les véhicules de moins de 28 tonnes, « à vide » ou chargés de marchandises légères.

Pour l'instant, seuls les milieux bien informés du transport routier se rendent compte qu'on ne respecte pas l'« initiative des Alpes » puisqu'à partir de 2005, tous les camions de 40 tonnes de l'Union européenne pourront traverser la Suisse au prix de 320 à 330 FS. En outre, au lieu de faire un transfert de la route au rail, on aboutira à un transfert du rail à la route.

Aujourd'hui en effet, la limite des camions à 28 tonnes existe. Tout camion de plus de 28 tonnes qui veut traverser la Suisse de Bâle à Chiasso doit transiter sur le train, au moyen de la chaussée roulante, au prix de 530 FS par passage.

Cela signifie qu'à partir de 2001, les véhicules en-dessous de 34 tonnes n'auront plus de raison de prendre le train. Entre 34 et 40 tonnes, ils auront le choix de prendre le train ou de bénéficier de l'un de ces 300.000 contingents. Il y aura donc une forte baisse de l'utilisation du rail sur le système de la « chaussée roulante ».

On reviendra sur l'avenir de cette chaussée roulante qui n'est pas un système viable à long terme : le fait de charger un moyen de transport sur un autre moyen de transport engendre trop de poids mort et pas assez de poids net.

M. Michel CRIPPA : Dans les négociations bilatérales, les pays voisins
- alors qu'on avait cherché à les informer par le biais de l'IRU - n'ont pas pris conscience d'un point important, toute la discussion européenne s'étant concentrée sur le prix de transit pour 300 kilomètres à travers la Suisse. Le véhicule étranger paiera à partir de 2001 une taxe dès qu'il accédera au territoire suisse, indépendamment du fait qu'il fasse du transit ou pas. Il nous a toujours semblé étonnant que les pays voisins n'aient pas pris conscience de cette nuance : le camion français qui ferait un transport d'Annecy vers Fribourg paierait une taxe de 1,10 FS/km, qu'il soit plein ou vide, simplement pour accéder au territoire suisse.

Nous avons toujours été surpris et nous avons cherché à sensibiliser aussi bien les Français, les Italiens, les Autrichiens ou les Allemands sur le fait que c'était une première en Europe. Que l'on paie une redevance pour un passage alpin est accepté et reconnu dans l'acquis communautaire, mais nous sommes le seul pays qui aura une taxe d'utilisation du territoire suisse où chaque poids lourd, qu'il soit plein ou vide et en fonction de sa capacité de transport total, pour chaque kilomètre parcouru, devra payer 1,10 FS/km, devra s'arrêter à la frontière afin de faire enregistrer son compteur, à l'entrée et à la sortie du territoire. La différence enregistrée constituera le montant de la facture à régler. On en est pratiquement à l'« octroi » qui était pratiqué au Moyen Age pour le franchissement des ponts.

M. Chares FRIDERICI : Au delà la question du transit , il y a le problème des transports bilatéraux à l'import et à l'export car les transporteurs qui ne payaient rien jusqu'à présent vont pouvoir s'inquiéter de cette « redevance poids lourds liée aux prestations » (RPLP).

M. Michel CRIPPA : L'ensemble reste toujours placé dans l'optique de favoriser le rail ; or, les affréteurs expliquent clairement les raisons pour lesquelles ils abandonnent le chemin de fer pour passer à la route : ce n'est pas parce que le système ferroviaire est mauvais, mais parce que les exigences des affréteurs se sont modifées (Just in time, rapidité, flexibilité). Ce sont ces raisons qui font que le rail est en perte de vitesse en trafic marchandises, tant sur le plan de la qualité que du prix de l'ensemble de la prestation.

M. Charles FRIDERICI : Dans cette affaire, je ne me fais pas de souci pour l'Union européenne, car elle a fort bien négocié cet accord sur les transports terrestres. Je discutais récemment avec M. Chesley, directeur de la DG VII, à Bruxelles pour le féliciter de la manière dont il a conduit ces négociations, mais je n'en dirais pas autant des négociateurs suisses qui étaient principalement des gens du département fédéral des transports, des télécommunications et de l'énergie. Ils avaient une moins bonne connaissance des dossiers que les négociateurs européens.

Sur ce point, l'Union européenne a donc fort bien négocié. On verra par la suite que ce qui a été accordé aux transporteurs européens ne pourra pas l'être aux transporteurs suisses. En tant que membres du conseil des transports du Conseil national, nous votons actuellement des mesures d'accompagnement qui vont pénaliser l'économie suisse.

M. le Président : A moins que la Suisse n'entre dans l'Europe.

M. Charles FRIDERICI : J'ai demandé à M. Chesley si, selon lui, la RPLP (redevance poids lourds liée aux prestations) que nous avons introduite en Suisse est « euro compatible ».

La réponse a été celle d'un homme politique rompu aux négociations : « Si la Suisse entrait dans l'Europe aujourd'hui - ce qui m'étonnerait - ou dans les années à venir, ma réponse serait non. Elle n'est pas euro-compatible. Par contre, on ne sait pas ce qui se passera en Europe dans 10 ans avec l'euro-vignette etc. Mais je serais étonné que l'euro-vignette arrive à des sommets aussi élevés que la RPLP. Je pense donc que le jour où la Suisse demandera son adhésion, nous serons obligés de modifier certaines choses. »

M. le Président : Vous allez donc pousser à la demande.

M. Charles FRIDERICI : Je suis pro-européen depuis des années. Dans notre organisation, certaines personnes qui avaient voté contre l'Espace économique européen reconnaissaient qu'au sein de l'Europe, ils n'aurait pas pu faire ce genre de « bêtise ».

On vous a dit qu'il y aurait pénalisation des transporteurs français, par exemple, qui feront du transport à l'import-export. Aujourd'hui en effet, ils entrent librement, mais à l'avenir, ils devront payer la redevances poids lourds. Les camionneurs suisses devront la payer aussi ; il n'y aura donc pas de réel déséquilibre.

Cela dit, qui va payer le transport ? Si c'est un transport à l'import, c'est généralement le destinataire qui paie le transport. Il devra donc payer cette RPLP dans le prix de transport que lui facturera le transporteur français.

Si c'est à l'export, en général, l'expéditeur qui envoie sa marchandise en France ou ailleurs fait une offre, franco usine. Il devra consentir un abattement sur le prix de sa marchandise pour qu'elle soit concurrentielle avec le marché international.

Cela a toujours été mon analyse de la situation : la RPLP est un but contre son camp marqué par la Suisse à l'égard de son économie tout entière et non pas uniquement à l'égard de ses transporteurs. Voilà pour « l'initiative des Alpes ».

A part cela, les Suisses parlent beaucoup du transport combiné, mais ils en font fort peu. Le transport combiné en Europe a été inventé par les entreprises françaises - Novatrans et autres - qui ont été précurseurs en la matière.

Nous, Suisses, nous avons inventé la chaussée roulante - système condamné à terme, car il ne peut se justifier que pour des transports sur courte distance, sous la Manche ou pour la traversée des Alpes. Mais quand on parle de chaussée roulante entre Lille et Marseille, je la vois très mal se faire. Il vaut mieux favoriser le transport combiné non accompagné car la charge utile est beaucoup plus importante.

M. Michel CRIPPA : Il est intéressant de noter que le transport des camions par le train prête même à discussion dans des milieux écologiques, voire au parti socialiste et au sein du mouvement vert en Allemagne. Le nouveau ministre allemand des transports, d'obédience « rouge-verte », a reconnu que l'argument écologique contre le camion par rapport au rail est complètement dépassé. Dans dix ans, la qualité du parc de poids lourds en Europe ne permettra plus de dire que, pour des raisons de protection de l'environnement, il faut moins de camions.

Certes, l'encombrement jouera. Mais en Suisse, on se bat toujours contre le poids lourd en disant qu'il pollue plus que le chemin de fer. Pourtant, même les milieux écologistes admettent que, grâce à l'évolution rapide de la technique applicable aux camions, cet argument ne sera plus valable dans les prochaines années.

Comme le Conseil fédéral s'aperçoit qu'il a été trop généreux à l'égard de l'Europe, la Suisse veut limiter le trafic de transit à 650 000 véhicules par an.

Le pays compte plusieurs axes de transit passant par le Grand Saint-Bernard, le Saint-Gothard, le Petit Saint-Bernard et le Simplon sur lesquels le trafic pourrait être limité à 650 000 véhicules par an ! Sachant qu'il n'y a aucun moyen de limitation vis-à-vis de l'Europe pour qui l'accès est libre, c'est l'économie suisse qui pâtira de cette mesure sous forme de restrictions et de non obtention des autorisations de transit. Pour nous, l'important concerne les autorisations d'import et d'export, sachant que nous avons peu de trafic de transit.

M. Charles FRIDERICI : Avec cette limitation à 650 000 véhicules par an pour le franchissement des Alpes, l'Union européenne obtiendra 620 000 autorisations contingentées jusqu'en 2005, sans parler de celles qui ne le sont pas. Pratiquement, l'Union européenne, en 2005, utilisera un million de passages à travers les Alpes. On veut les limiter à 650 000 sans pouvoir limiter les Européens. Cela signifie que les transporteurs suisses auront un contingent de zéro et qu'ils seront obligés de faire les transports internes en Suisse uniquement par chemin de fer parce qu'on ne pourra pas les faire par camion.

M. Michel CRIPPA : Ou les transporteurs étrangers viendront assurer les transports d'import-export générés par l'activité suisse du fait qu'ils bénéficieront de contingents alors que les Suisses n'en bénéficieront pas.

M. le Président : Ce sera bon pour les transporteurs français. Cela dit, quelles solutions voyez-vous à cela ? Je comprends vos remarques et votre position quant à la politique actuelle du ministre des transports. Il semble que l'option rail soit prise pour le fret.

Comment voyez-vous l'articulation, la possibilité de coopération entre le transport par route et le fer ? On estime souvent que le rail nécessite quand même 400 ou 500 kilomètres de distance à parcourir pour être concurrentiel par rapport à la route.

M. Charles FRIDERICI : Chez nous, cette distance est de 750 kilomètres.

M. le Président : Si j'étais président de la Fédération des transports routiers suisses, je parlerais sans doute comme vous. Cela dit, il apparaît que le choix de développer le fret par le rail est fait, pas uniquement en Suisse d'ailleurs. Quelles autres solutions préconiseriez-vous, sachant que l'obstacle majeur - au-delà de l'aspect écologique - est l'encombrement des réseaux routiers ? C'est vrai aussi chez nous d'ailleurs. Dans la vallée du Rhône, on sait bien que, dans les cinq ou dix ans, les transporteurs suisses qui voudront remonter la vallée du Rhône seront bloqués et qu'il faudra trouver des solutions.

Ensuite, comment voyez-vous l'amélioration des infrastructures nécessaires dans vos liaisons avec la France ? Cet axe vers la vallée du Rhône vous semble-t-il important dans la mesure où vous avez évoqué un trafic important en provenance du Havre. Quelle est l'importance de ce trafic ? On nous a beaucoup parlé de l'axe Gênes-Suisse, Rotterdam-Suisse. Quelle est l'importance de cet axe ouest-est Le Havre-Suisse ?

M. Michel CRIPPA : Tous ceux qui s'occupent de transport en Europe sont confrontés au même phénomène. Nous avons fait faire une enquête très sérieuse par un institut spécialisé pour connaître l'opinion des affréteurs. La décision du mode de transport utilisé est prise par l'affréteur, par l'industriel ou le chargeur. Les chargeurs suisses que nous avons questionnés (250 grandes entreprises) nous ont dit que ce qui pouvait être sur le rail en Suisse l'était déjà. Pour le marché suisse, il n'y a pratiquement pas de transfert : on estime à 3 % la part des volumes qui pourraient encore être transférés de la route au rail.

Au plan international, notre pouvoir politique semble vivre dans les illusions : la Suisse est bien sûr dépendante de l'amélioration du système ferroviaire international du fait que nous sommes un pays de transit. Le trafic est généré en France par la SNCF, en Allemagne par la Deutsche Bahn, et en Italie par les chemins de fer italiens. On a essayé de faire un pool entre les chemins de fer italien et suisse. L'acquisition du trafic n'est pas entre les mains des chemins de fer suisses, mais entre celles des chemins de fer étrangers. Là, nous n'avons aucun pouvoir. L'Allemagne, par exemple, décide seule de son mode de transport en fonction de l'activité des chemins de fer allemands. Quand on voit à quel point la collaboration des chemins de fer est difficile à l'international, il ne faut pas espérer de grandes améliorations pour ce trafic.

Un exemple concret : l'un de nos membres transporte des voitures Volvo de Belgique en direction de l'Italie. Jusqu'à présent, il avait trois trains par semaine qui faisaient la navette Bruxelles-Milan. Jeudi dernier, nous étions à un séminaire où l'on parlait de l'avenir du transport marchandises avec les représentants de l'Office fédéral des transports et le directeur de la division marchandises des chemins de fer fédéraux helvétiques (CFF). On a parlé de l'amélioration des prestations du rail. Ce directeur du trafic marchandise des CFF a dit qu'il voulait développer ce trafic, ainsi que le trafic combiné. Le mardi, les mêmes CFF allaient chez notre transporteur lui disant qu'il lui fallait arrêter ce transport Bruxelles-Milan parce qu'ils estimaient que cela ne leur rapportait pas assez.

C'est le transporteur qui avait fait les investissements. Il lui avait fallu 15 mois pour que les chemins de fer belges, allemands, suisses et italiens impliqués dans ce système arrivent à faire cette offre. Après 15 mois, on lui dit qu'il faut arrêter l'exercice au prétexte qu'il n'est pas intéressant.

Quand les chemins de fer allemands, sans concertation avec les partenaires du marché, augmentent les tarifs du transport combiné de 15 %, on ne peut être surpris que le trafic combiné ferroviaire ne fonctionne pas. On ne doit pas s'attendre à des miracles.

Qu'on le veuille ou non, je pense que la solution sera quand même de développer en priorité le réseau routier, d'améliorer les infrastructures routières. Ensuite, il faudra arriver à des systèmes électroniques de réglementation du trafic pour améliorer la performance et la capacité d'absorption du réseau routier.

Tout en étant ouvert au chemin de fer, je crois qu'il est faux de s'imaginer qu'il pourra résoudre ce problème d'engorgement des routes. On ne peut espérer que le chemin de fer puisse faire mieux du fait que plus les chemins de fer sont privatisés en Europe, moins ils sont disposés à collaborer.

M. Charles FRIDERICI : En tout cas, nous avons pu constater ces derniers mois que vous aviez une année d'avance sur nous avec la libéralisation des réseaux _ le free access _ puisque nous avons commencé au 1er janvier 1999 alors que vous avez commencé au 1er janvier 1998.

Nous avons discuté avec ceux de nos membres qui sont de gros opérateurs de trafic combiné. Il nous ont dit que jusqu'à présent, la libéralisation s'était traduite par une augmentation des tarifs alors qu'on affirmait que la concurrence allait les diminuer. Ils notaient également une moins bonne qualité de service qu'auparavant. La moyenne de 2 à 3 heures de retard des trains est aujourd'hui portée à 10 ou 12 heures.

Sur la libéralisation de l'accès au réseau, mon analyse est la suivante : auparavant, nous avions des compagnies nationales dont les réseaux étaient assurés de pouvoir gérer leur clientèle sur leur territoire. Aujourd'hui, on a un système de concurrence qui est fait d'alliances entre différentes compagnies. Je prends l'exemple de la Suisse avec les CFF qui ont passé un accord avec les FS (chemins de fer italiens). Il est clair que la DB (Deutsche Bahn) qui a passé un accord avec une entreprise suisse privée (Bâle - Lötschberg - Simplon) ne va pas aider les CFF lors de leur entrée en Allemagne. Ils vont leur accorder des sillons qui ne sont pas les plus performants.

M. le Président : La privatisation et la libéralisation irait donc dans le sens contraire de la qualité et du développement du rail ?

M. Charles FRIDERICI : Pas forcément. Je crois qu'il n'y a pas, au sein des compagnies ferroviaires, une culture de concurrence comme cela existe dans les autres secteurs, notamment dans le secteur routier. Ils veulent préserver leurs monopoles en n'accordant pas les sillons intéressants.

En Suisse, on aurait dû subdiviser les chemins de fer en quatre sociétés : une société qui s'occupe des infrastructures et accorde les sillons ; une société voyageurs ; une société marchandises ; enfin, une société qui s'occupe des domaines. Ils sont les plus importants propriétaires immobiliers et fonciers de Suisse et la gestion de ce parc n'est pas optimale.

Si l'on avait séparé en quatre entités, et cela au niveau européen, la compagnie qui gère l'infrastructure aurait eu intérêt à ce que celle-ci soit aussi rentable que possible. Toutes les compagnies ferroviaires auraient été traitées sur un pied d'égalité. Mais en gardant une attache entre l'exploitation et l'infrastructure, ils cherchent toujours à favoriser leur propre exploitation.

Deutsche Bahn et BLS se plaignent de ne pas obtenir les sillons horaires en Italie parce que les Italiens sont associés avec les Suisses. Les Suisses, eux, se plaignent que les Allemands ne leur accordent pas les sillons horaires. D'où cette détérioration de l'offre et du trafic ferroviaires.

Le transporteur qu'évoquait M. Crippa, avait ces 2 à 3 sillons hebdomadaires à travers l'Europe, entre Bruxelles ou Liège et Milan. Les premiers essais sont malheureusement mal tombés avec le Mondial qui avait monopolisé toutes les locomotives sur Paris et Lyon. Le résultat a été un retard de 72 heures pour le premier train entre Bruxelles et Milan. Il n'y avait pas de locomotive à Bruxelles, toutes les locomotives étant à Paris.

Voilà pour la petite histoire. Quand je lui ai demandé où il en était avec Galiléo (train combiné entre Bruxelles/Liège-Milan), il m'a répondu que c'était pire encore : les CFF envisageaient d'abandonner alors qu'il avait fait tous les investissements.

Si on n'arrive pas au niveau de l'Union européenne à faire collaborer les compagnies ferroviaires entre elles, ce qui prendra une bonne dizaine d'années, on n'arrivera pas à développer le transport ferroviaire comme on veut le faire.

En revanche, j'en arrive à un point que je n'ose pas trop développer auprès des membres de l'ASTAG : on peut se poser la question de savoir si, pour une bonne partie des transports, le camion est encore nécessaire, si le chemin de fer est encore nécessaire, et s'il n'y aurait pas avantage, au cours des prochaines années, à développer d'autres moyens de transports. Je pense notamment au fait de construire, le long des autoroutes, des tunnels à palettes avec des interfaces tous les 50 kilomètres qui permettraient d'expédier via ces tunnels.

La technologie existe : des palettes « intelligentes », guidées par code barre, pièce magnétique, etc. Tous les 50 kilomètres, vous faites un interface où vous pouvez ressortir les palettes, puis les livrer au moyen de véhicules dans les régions.

M. le Président : Une espèce de chaussée roulante pour palettes.

M. Charles FRIDERICI : Non, car à l'inverse de la chaussée roulante, vous supprimez le poids mort du véhicule primaire. Toute la technologie existe.

M. le Président : Si vous développez cela à l'ASTAG, vous risquez de ne pas être réélu président. Cela dit, on peut se poser la question.

M. Charles FRIDERICI : On peut se poser la question : les transporteurs ont-ils véritablement intérêt à déplacer de l'acier et du caoutchouc ? N'ont-ils pas intérêt à offrir des prestations et à en mettre un certain nombre en commun ?

A Lyon, vous avez un institut des transports extrêmement développé. Nous avons à Lausanne, l'Ecole polytechnique fédérale où le département des transports est très avancé également. Il y a, à ce niveau, des synergies. La région lyonnaise est très intéressée par Suisse Métro, qui est un système parfait. C'est pratiquement le principe du Val souterrain avec le train allemand à sustentation magnétique, mais dans un tunnel sous vide d'air partiel. Ce train pourrait se déplacer à 500 km/heure en vitesse de pointe grâce au vide d'air qui évite toute friction. On pourrait traverser la Suisse en une heure sur sa longueur de 300 km.

M. André SCHNEIDER : Mais vous ne pouvez pas transporter n'importe quoi.

M. Charles FRIDERICI : Non, mais vous modifiez une bonne partie de la philosophie des transports. C'est une réflexion. Dans les transports, nous cherchons à améliorer les transports du siècle dernier et du début de ce siècle. Ne faut-il pas voir dans une autre direction ?

M. le Président : Il est vrai que votre réflexion selon laquelle les transporteurs pourraient avoir un autre rôle en apportant plus de logistique, plus de qualité, en développant des prestations, en prenant plus près de chez eux - les colis, le fret -, en les déployant sur le territoire, est en effet une vision intéressante.

M. Charles FRIDERICI : Réfléchissez ! S'il existait un tunnel à palettes avec des citernes de 1 000 litres contenant du combustible ou du fuel domestique, vous n'auriez plus besoin d'une citerne de 4 à 5 000 litres pour chauffer votre maison. Vous commandez une citerne par internet ; avec une citerne de réserve chez vous, le transporteur vous livre le lendemain la citerne en provenance de Marseille ou Rotterdam, peu vous importe. Il récupère la citerne vide, la remet dans le système et c'est fait. 50 % des marchandises peuvent se transporter ainsi. Vous enlevez ainsi 50 % du trafic longue distance en surface et vous avez réglé votre problème.

M. Michel CRIPPA : Ces vues sont très intéressantes et futuristes, mais dans le domaine du transport, il faut savoir que l'on en est encore à préparer la dernière guerre. Les seuls qui dans le domaine des transports ont une vue relativement claire - je l'ai vécu aux CFF -, c'est la SNCF et la France en général, qui ont eu le courage de fixer des priorités. Dans le transport voyageurs, le train à haute vitesse a toutes les chances. Le train régional par rail n'a, en revanche, aucune chance, à l'exception de la région parisienne. Dans le trafic marchandises, il n'y a que les trains complets de 1 000 à 1 500 tonnes, voire plus, et le trafic combiné qui sont viables.

Tant que l'on n'aura pas le courage de faire cette segmentation très claire telle qu'elle a été faite par la SNCF, on reste dans l'approximatif. Ce que l'on fait en Suisse actuellement ne prend en compte aucune vision de l'avenir et les vues que le président développait sont tout à fait justes.

M. le Président : Comme le dit le président, on en est vraiment dans ce domaine avec une guerre de retard, mais on réfléchit, on essaie de moderniser, d'adapter. Cela risque de ne pas aller beaucoup plus loin, et il faut peut-être avoir une vision beaucoup plus large, totalement différente.

M. Michel CRIPPA : Vous nous avez demandé des chiffres ; nous n'en avons aucun en direction de Lyon ou du Rhône. Tout le trafic analysé en Suisse vous donne la vue du trafic à travers les Alpes. On peut voir ce qui se passe par la route en Autriche, en France, mais rien de bien important.

M. Charles FRIDERICI : Le trafic est beaucoup plus dense dans le Jura ; il représente trois à cinq fois le trafic qui passe à travers les Alpes, mais on s'en rend moins compte. S'il fallait développer un axe à travers le Jura, ce serait spécialement l'axe sur Pontarlier, Vallorbe où quelques petites routes mériteraient d'être améliorées.

M. le Président : Comme la mise au gabarit de Vallorbe-Pontarlier ! Ces aménagements sont prévus.

M. Charles FRIDERICI : Là, il y aurait un itinéraire de délestage possible suite à l'accident du Mont Blanc. En Suisse, le trajet vers le Grand Saint-Bernard est entièrement autoroutier.

Pour ce qui nous concerne, vous seriez assurés de notre soutien auprès de notre ministre des transports. Il a été quelque peu sec lorsqu'il a présenté sa fin de non recevoir aux demandes italiennes. Nous n'avons pas d'alternative au Mont Blanc par chemin de fer, mais ils ne veulent pas l'admettre.

Seul l'axe Bâle-Chiasso offre encore des capacités par chemin de fer, mais il est sûr qu'il n'était pas concurrentiel pour le Mont Blanc ; celui-ci n'était pas concurrencé par un passage suisse.

M. Michel CRIPPA : Si vous placez cela dans une perspective européenne, la forte augmentation de trafic ne touchera _ heureusement ! _ ni la France, ni la Suisse, ni le trafic bilatéral entre ces deux pays, mais bien le trafic nord-est et est-ouest, l'Allemagne en particulier. Ce pays a des problèmes considérables, d'une part avec l'augmentation du trafic générée par les échanges entre l'Allemagne orientale et les pays de l'Est, tant en matière ferroviaire que routière, et d'autre part avec le dumping pratiqué par les transporteurs des pays de l'Est qui, pour 200 dollars, assurent la trajet Sofia-Hambourg.

M. Charles FRIDERICI : En matière de ports, j'ai discuté avec les Suisses romands qui regrettent la baisse de qualité sur le port de Marseille. Les grèves ont pénalisé fortement le port de Marseille. Aujourd'hui, d'autres ports offrent plus d'intérêt que celui de Marseille.

Un port qui est en train de percer, surtout dans le trafic de l'Est, c'est Gioia Tauro, à la pointe sud de l'Italie. On va même assister à un délestage de Rotterdam au profit de ce port. Il faut savoir en effet qu'une bonne partie des expéditions du nord de l'Italie partait par Rotterdam ou Anvers en raison de prestations de meilleure qualité qu'à Gênes. Mais aujourd'hui, les Italiens du Nord utilisent beaucoup plus le port de Gioia Tauro.

M. le Président : Vous avez raison de souligner les difficultés auxquelles est confronté le port de Marseille. Je crois néanmoins pouvoir dire que les autorités responsables en sont conscientes et que des actions correctrices ont été mises en place. Je ne suis pas mandaté par ce port. Mais, en tant qu'élus français, nous avons rencontré les représentants et le directeur du port de Marseille. Ils sont tout à fait conscients de ces problèmes et une action très forte est entreprise pour y améliorer la qualité. Cela donne déjà de premiers résultats. Ils se sont rendu compte en effet que le port de Marseille avait beaucoup perdu au détriment des ports de Gênes, Rotterdam, voire Le Havre.

Il y a un contexte que vous connaissez et qui est pris en compte par les professionnels. C'est l'un des grands soucis de M. Michel Vauzelle, le président de cette mission d'information qui est aussi président de la région PACA, de pouvoir redonner une vigueur nouvelle à Marseille et développer l'hinterland de ce port.

M. Charles FRIDERICI : Les gens de Genève m'en parlaient car ils sont tournés naturellement vers Marseille. Parmi les gros chargeurs, Givaudan et Firmenich, les numéros un et trois dans le domaine des colorants et arômes, se sont arrangés, alors qu'ils sont concurrents, pour avoir une plate-forme commune à Lyon où ils dédouanent leurs marchandises. Ils utilisent Lyon pour les livraisons dans toute l'Union européenne pour alléger les contraintes de la barrière douanière suisse. Cela leur facilite notamment les choses dans leurs opérations de TVA. Là, vous êtes gagnants en France. Cela se pratique donc déjà. Les rapports, surtout entre la Suisse romande et la France, sont excellents.

M. le Président : De nombreuses entreprises suisses viennent s'établir en Franche-Comté pour avoir une tête de pont dans l'Union européenne. Personnellement, nous ne pouvons que nous en réjouir, mais cela peut nous poser problème par ailleurs.

Il nous reste à vous remercier de votre accueil, de vos exposés et des pistes intéressantes que vous nous avez indiquées.

M. Charles FRIDERICI : J'ai passé toute une nuit à discuter avec un ingénieur à propos de son projet de « tunnel à palette ». A 3 heures du matin, il avait réussi à me convaincre qu'il avait trouvé une solution pour le Mont Blanc et pour tous les tunnels d'Europe, pour que l'on arrête les moteurs au début du tunnel et que l'on « réembraye » à l'autre bout. Au départ, son idée ma paraissait aberrante, mais ses essais ont été semble-t-il, concluants. Il s'agit d'un exemple des prospectives à développer pour envisager l'avenir des transports.

M. le Président : Un document à ce sujet nous intéresserait. Je vous remercie de votre contribution à nos travaux.

Audition de M. Pierre MOSCOVICI,
Ministre délégué chargé des affaires européennes

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 29 juin 1999)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Monsieur le ministre, je suis très heureux de vous accueillir dans le cadre de notre mission d'information sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône. Sa mise en place visait à réfléchir à tout ce qui peut être entrepris pour que le barreau manquant entre le développement des activités dans la vallée du Rhône, d'une part, dans la vallée du Rhin d'autre part, puisse disposer des équipements nécessaires, à défaut de la construction du grand canal.

Nous en arrivons au terme de notre travail. Nous avons auditionné le maximum de personnalités - élus, monde économique, responsables des différents types de transport. Nous nous sommes déplacés à Marseille, à Lyon, à Besançon, à Strasbourg et à Mulhouse. Nous avons pu ainsi constater que les soucis étaient partagés de l'Alsace jusqu'à la Provence quant à la possibilité du développement d'un axe central de flux économiques et de transports en Europe, entre l'Italie et l'Allemagne - à l'Est, donc -, et la tentation constante de développer tout ce qui ramène l'activité vers Paris ou à partir de Paris.

Nous souhaitons connaître votre sentiment sur la prise en compte, non seulement par la France, mais également par la Communauté européenne, de la nécessité de développer ou de créer ce barreau de communication manquant, tant en matière routière qu'en matière de transport ferroviaire, de ferroutage ou de transport de fret.

M. Pierre MOSCOVICI : Je vous remercie de bien vouloir m'auditionner dans le cadre de cette mission qui s'efforce d'élaborer une synthèse sur un sujet qui a fait brûler les passions et qui n'a d'ailleurs pas encore fini de susciter des débats très animés. Le rapport de votre mission d'information sera un élément de sagesse. Il contribuera à éclairer le débat public dont je suis moi-même un acteur engagé. Vous ne m'en voudrez pas si mon exposé, tout en s'efforçant de répondre aux questions que vous m'avez adressées, sera également marqué par cette réalité dont personne ne peut se départir.

Même s'il faut se tourner résolument vers l'avenir, je veux revenir à la décision d'abandon du projet de canal Rhin-Rhône. Il s'agit d'un dossier auquel je me suis intéressé de très près en son temps, notamment en tant qu'élu de Franche-Comté, au côté de votre rapporteur dont l'action a été déterminante. Un coût exorbitant, une utilité économique et sociale douteuse, des atteintes à l'environnement irréversibles en particulier pour certaines régions traversées, une concertation mal menée avec les élus et les populations concernées, voilà ce qui, selon moi, faisait de ce projet un produit d'une conception archaïque de la gestion des affaires publiques, même si son bien fondé pouvait être débattu. Nous lui avons substitué une méthode fondée sur le recours à une expertise impartiale et le souci permanent du dialogue avec toutes les parties concernées.

L'abandon de ce projet installe le débat que nous devons avoir sur l'aménagement de l'axe Rhin-Rhône sur des bases plus saines. Comme le souligne à juste titre l'intitulé de votre mission d'information, l'axe Rhin-Rhône, au c_ur de l'Union et de la zone euro, est un axe européen. Il met en communication l'Europe du Nord et celle du Sud, les mondes germaniques et latins, la mer du Nord et la Méditerranée dont la rencontre, depuis des siècles, fait l'identité et la richesse de l'Europe. En tant que ministre délégué chargé des affaires européennes, je voudrais donc en montrer l'importance stratégique pour l'Union et détailler ce que celle-ci peut et doit faire pour son développement.

En tant que Français, je voudrais également mettre l'accent sur la chance que représente cet axe pour notre pays, en particulier la capacité de l'arrimer à la « banane bleue », cette aire économique la plus développée de l'Union. Enfin, en tant qu'élu local de Franche-Comté, je pense que cette région a un rôle particulier à jouer à la charnière des sillons rhénan et rhodanien, et des actions à entreprendre pour devenir un maillon solide de cet axe.

Première priorité. Il s'agit d'aménager l'axe européen Rhin-Rhône pour lui permettre de faire face au développement des échanges commerciaux et à la concurrence européenne. Pour cela, nous devons construire le barreau manquant du transport de marchandises entre le Nord et le Sud de l'Europe.

Même si le grand canal était une mauvaise solution, l'augmentation de la capacité de fret entre les sillons rhénan et rhodanien constitue bel et bien un impératif pour le développement durable et équilibré du territoire européen dans le contexte d'un développement des échanges stimulé par le marché unique et l'adoption de l'euro. On sait, par exemple, que la demande de transports de marchandises va s'accroître de près de 50 % d'ici à quinze ou vingt ans sur cet axe qui relie l'Europe du Nord, très développée, et un arc méditerranéen dynamique, de la Catalogne à la Lombardie, puis à terme, à tout le monde méditerranéen. En effet, celui-ci a vocation, dans le cadre du processus engagé à Barcelone, à devenir une zone de libre-échange, ce qui, au passage, ne peut que conforter la position stratégique du port de Marseille et contribuer à étendre son « hinterland » vers le Nord.

Les distances sont généralement suffisantes pour permettre d'envisager un autre mode de transport que le fret routier. La recherche d'une solution alternative, complémentaire à la route se justifie par le souci de la préservation de la qualité de notre environnement, et de la sécurité de nos systèmes de transport, une priorité que l'actualité nous rappelle, hélas, régulièrement.

L'autre axe qui relie le Nord et le Sud de l'Europe, en traversant la France par la Moselle, apparaît déjà en voie de saturation. En revanche, les relations directes, par la Suisse et la Lombardie vont se développer. Tout en prévenant la congestion de l'axe Rhin-Rhône, il faut aussi veiller à éviter sa marginalisation à l'extérieur de la « banane bleue » qui a déjà tendance à contourner notre pays.

A mon sens, ces perspectives plaident en faveur d'un certain nombre d'investissements. D'abord, la réhabilitation du canal Freycinet, paradoxalement sous-équipé et sous-utilisé depuis des décennies du fait même du projet de grand canal.

Ensuite, la mise au gabarit B + ou B 16 de la voie ferrée entre Mulhouse et Dijon afin de permettre le transport de containers de grande taille et le transport combiné. On comprendrait mal que les pouvoirs publics ne mènent pas à bien cette dernière opération dans le cadre du programme interrégional Saône-Rhin, qui a justement été décidé à la suite de l'abandon du projet de grand canal. Les évaluations conduites sous l'impulsion du préfet de Franche-Comté à la suite du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 15 décembre 1998 en démontrent la pertinence. Il n'y aucune raison que la voie ferroviaire n'assure que 5 % du fret entre l'Allemagne et la péninsule ibérique qui transite par l'axe Rhin-Rhône contre 13 % pour le sillon mosellan.

Enfin, il est important de construire le TGV Rhin-Rhône, sujet sur lequel je vais revenir plus longuement, car il permettra de libérer des sillons pour le fret ferroviaire, et donc d'assurer une qualité de service dont chacun sait qu'elle est le déterminant fondamental de son développement. Il s'agit d'ouvrir la voie à la réalisation d'un corridor ferroviaire Mannheim-Stuttgart-Strasbourg-Bâle-Mulhouse-Lyon-Marseille.

A ces trois investissements, j'ajoute la nécessité de construire des plates-formes multimodales dont l'implantation doit faire l'objet d'une réflexion approfondie à l'échelle de tout l'axe Rhin-Rhône, notamment pour éviter une concurrence coûteuse et stérile.

Deuxième priorité. Aménager l'axe Rhin-Rhône pour en faire, comme à la Renaissance, un des principaux axes de la circulation des hommes et une terre de rencontres en Europe. C'est à ce sujet que je voudrais parler en détail du TGV-Rhin-Rhône, qui vise à construire le barreau manquant du transport de voyageurs entre le Nord et le Sud de l'Europe tout en améliorant les relations entre l'Est et l'Ouest de notre continent. La réalisation du TGV Rhin-Rhône constitue une condition indispensable du développement harmonieux de deux grandes diagonales européennes : Est et Ouest, de l'Angleterre à la Suisse, en passant par Paris ; Nord et Sud, entre d'un côté l'Allemagne, le Nord de la Suisse, l'Est de la France et, de l'autre, l'arc méditerranéen.

Le TGV Rhin-Rhône permettra d'interconnecter de nombreuses lignes à grande vitesse à l'étude ou en cours de construction, en Allemagne, Ruhr-Francfort, en Espagne, Barcelone-Madrid, en France, TGV Méditerranée, TGV Languedoc-Roussillon, et à plus long terme, en Italie, Lyon-Turin. A contrario, sa non réalisation ou un simple retard pénaliserait le futur réseau européen auquel nous songeons.

La branche Sud, qui permettra de relier directement l'Alsace et la Franche-Comté à la vallée du Rhône, constitue le prolongement naturel, et même l'aboutissement, après la mise en service des TGV Sud et Méditerranée, de cette stratégie de renforcement de l'axe Rhin-Rhône. Elle est aussi d'un intérêt primordial pour le département du Jura. C'est pourquoi j'attache la plus grande importance à l'avancement de cette branche Sud : la décision de lancer les études afférentes doit être mise en _uvre sans retard, parallèlement à la préparation de la déclaration d'utilité publique de la première phase Mulhouse-Dijon.

L'Union a déjà reconnu le TGV Rhin-Rhône comme un des maillons clés du futur réseau européen des lignes ferroviaires à grande vitesse dans le schéma directeur de 1990, actualisé en 1995. Du reste, elle participe au taux maximal de 50 % au financement des études préalables au lancement de la déclaration d'utilité publique. Cependant, il me semble qu'il reste beaucoup à faire, pour sensibiliser à l'importance de ce projet les autorités allemandes qui auront un rôle essentiel à jouer, et c'est pourquoi il me semble particulièrement approprié de soumettre ce sujet à l'ordre du jour d'un prochain sommet franco-allemand, voire du prochain sommet franco-allemand.

Pour que le TGV Rhin-Rhône soit mis sur le même plan que les quatorze projets prioritaires dont la liste a été arrêtée au sommet d'Essen en 1994, il faut réparer cet oubli. La possibilité nous en est maintenant offerte puisque le dernier Conseil européen, réuni à Cologne, a invité la Commission et les Etats membres à présenter une liste élargie de projets prioritaires, et à accélérer leur processus d'approbation. A cet égard, une prise de position de votre mission pourrait constituer un élément utile du débat public.

En tant qu'élu local, vous me permettrez de souligner que le développement du TGV-Rhin-Rhône est un instrument indispensable pour le développement et la diversification économique de la Franche-Comté, en particulier pour désenclaver sa partie Nord. Il faut donc tout faire pour que ce projet se réalise le plus rapidement et dans les meilleures conditions possibles.

Les conséquences très positives que l'on peut en attendre sont subordonnées à la mise en _uvre d'un vrai TGV, en particulier d'une première phase allant de Mulhouse à Dijon, conformément à la décision du comité interministériel du 4 février 1998, même si des conditions financières peuvent bien sûr justifier une réalisation progressive.

Les premiers résultats des études réalisées en vue du comité de pilotage du 5 juillet prochain semblent établir que l'hypothèse d'une première de travaux entre Auxonne et Petit-Croix, près de Belfort, est d'un meilleur rapport « qualité-prix » qu'une première tranche Besançon-Mulhouse : pour un coût à peine supérieur, elle permet d'envisager des gains de temps de parcours et de fréquentation plus importants.

En tout état de cause, le ministère de l'équipement devrait confirmer le choix du comité de pilotage dans le courant de l'été, pour que le dossier d'enquête publique soit prêt d'ici à la fin de l'année et que la déclaration d'utilité publique puisse intervenir d'ici fin 2001, comme prévu. Il convient également d'engager sans délai la réflexion du comité du comité de pilotage sur les questions du financement et de procéder à la nomination d'un « monsieur financement », comme cela a été fait pour le TGV-Est, en veillant à ce que ce plan de financement porte d'emblée sur l'ensemble de la première phase.

Il faut également penser à l'amélioration de plusieurs dessertes routières concernant la Suisse, qui contribuera également à l'amélioration de la desserte de l'axe Rhin-Rhône. Dans le même ordre d'idées, l'amélioration des liaisons ferroviaires Paris-Dôle-Vallorbe-Lausanne, et Paris-Bâle, représentent un enjeu important pour cette partie de l'axe Rhin-Rhône.

Troisième priorité. L'axe européen Rhin-Rhône, qui ne saurait se réduire à une terre de passage et de rencontre, doit se structurer pour tirer tout le profit de sa position stratégique.

Pour que l'amélioration du transport de voyageurs et de marchandises sur l'axe Rhin-Rhône contribue pleinement au développement des territoires concernés, ou, pour parler plus brutalement, pour éviter qu'elle n'en fasse un simple couloir, il faut également s'efforcer de renforcer leur armature urbaine, en particulier le long du Doubs. Cette démarche doit cependant associer toutes les régions de l'axe Rhin-Rhône, de l'Alsace à la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Je souhaite ardemment que votre travail collectif puisse servir de point de départ à des échanges et à une collaboration permanente et approfondie entre toutes les régions intéressées par ce dossier. Des relations de travail doivent s'établir entre elles.

Cette coopération doit également avoir une dimension européenne, et je coudrais insister en particulier sur la nécessité de développer les relations entre l'Est de la France et la Suisse, même si celle-ci ne fait pas encore partie de l'Union. Au titre de mes fonctions de ministre chargé des affaires européennes, je considère qu'elles sont aujourd'hui insuffisamment développées au regard de l'interpénétration économique et sociale des régions situées des deux côtés de la frontière.

Les coopérations ponctuelles, encouragées par le programme INTERREG II, constituent un premier pas important, mais elles ne définissent pas le cadre global à la hauteur de ce défi. C'est pourquoi je soutiens l'idée de créer une structure de coopération inter-étatique pour traiter les problèmes de voisinage entre la Franche-Comté et les cantons suisses frontaliers, comme il en existe pour l'Alsace et la région Rhône-Alpes.

La dimension européenne des perspectives économiques et sociales de l'axe Rhin-Rhône renvoie également à la définition des futurs zonages objectif 2 pour la période 2000-2006. Cela suppose que les pouvoirs publics utilisent les marges de zonage qui leur sont laissées par la réglementation communautaire pour tenir compte des besoins de développement des régions concernées.

Tel est, brossée à grands traits, ma vision du projet d'aménagement de l'axe Rhin-Rhône, qui est marqué à la fois par une volonté d'ambition européenne, par le souci de bien prendre en compte les liaisons transfrontalières avec la Suisse, et aussi par la prise en compte d'un élément sensible de ce barreau, la région dont je suis élu et les régions proches.

Ces perspectives doivent, selon moi, mettre en cohérence une réflexion collective que l'on pourrait presque qualifier de « géopolitique » sur l'avenir de cet axe dans l'espace européen. Il faut entreprendre sans retard toute une série de réalisations, d'ampleurs très différentes, car c'est en ce moment que se structure cet espace. Il faudra utiliser l'année à venir pour mettre en _uvre des décisions européennes. En outre, la présidence française de l'Union européenne au cours du premier semestre de 2000 avec la volonté qu'elle ne manquera pas d'avoir, de relancer la dynamique de grands travaux en Europe, peut constituer un moment utile, sans oublier la nécessaire relance de la coopération franco-allemande.

M. le Président : Monsieur le ministre, vous avez fait allusion à la liste des quatorze projets prioritaires, arrêtés au sommet d'Essen. Le TGV Rhin-Rhône n'y figure pas. Dès lors, comment « raccrocher » ce projet prioritaire aux quatorze projets définis par le Conseil européen ?

Par ailleurs, vous avez évoqué les fonds structurels. Comment procéder pour espérer une mention particulière de l'axe Rhin-Rhône dans cette nouvelle politique des fonds structurels qui nous inquiète beaucoup ?

M. le Rapporteur : Comment trouver, pour une partie du territoire, un bras de levier auprès de l'Union européenne pour accéder à la demande formulée par M. Pierre Moscovici ?

Monsieur le ministre, vous avez parlé d'un programme de relance de grands travaux. Quelles seraient les conditions financières nécessaires au lancement d'une pareille souscription ? Cet aménagement de l'axe Rhin-Rhône peut-il être éligible à ces ressources nouvelles ?

A côté de l'axe Rhin-Rhône, il existe également un axe Hambourg-Gênes. Quelle importance respective la Commission européenne accorde-t-elle à ces deux corridors ? Lequel de ces deux corridors sera le plus défendu, à votre sens, par la Commission ?

M. Jean-Marie BOCKEL : Existe-t-il des chances que la question du TGV Rhin-Rhône soit inscrite à l'ordre du jour d'un prochain sommet franco-allemand ?

M. Pierre MOSCOVICI : Vous avez posé des questions auxquelles je peux répondre, d'autres auxquelles je ne le peux pas. J'ai lancé quelques suggestions, libre à votre mission de les reprendre ou non, en fonction des priorités qu'elle dégagera.

A Essen, en 1994, une liste de quatorze grands projets d'infrastructures - ferroviaires, pour l'essentiel -, a bel et bien été arrêtée, parmi laquelle ne figurait pas le TGV Rhin-Rhône, à l'inverse du TGV-Est. Je ne veux pas revenir sur ce débat qui présente un intérêt polémique limité. Des décisions ont été prises : réaliser le TGV-Est et s'engager vers le TGV Rhin-Rhône, en le déclarant d'utilité publique, d'ici à la fin 2001. A mes yeux, ces deux projets ne sont nullement concurrents et peuvent être complémentaires.

Si l'un a d'ores et déjà trouvé son financement, l'autre est dans les limbes, même s'il peut être considéré par certains comme aussi rentable, voire plus rentable, et d'un intérêt aussi grand que le premier. Cela dit, ne nous tournons pas vers le passé, mais vers l'avenir.

A mon sens, ces considérations sur l'intérêt stratégique du TGV Rhin-Rhône, sur sa rentabilité élevée, rendent ce projet prioritaire au plan national, même s'il faut encore attendre les décisions du Gouvernement en la matière, ainsi que celles de Réseau Ferré de France et de tous les partenaires financiers, en particulier les régions.

A partir du moment où ce projet est prioritaire, l'Union européenne doit faire partie des financeurs potentiels. C'est pourquoi nous pourrions demander qu'il soit considéré au même plan que les quatorze projets prioritaires. Nous en avons aujourd'hui la possibilité puisque la liste des ces quatorze projets à été réouverte par le dernier Conseil européen de Cologne qui, dans ses commissions, a invité « la Commission et les Etats membres a présenté une liste élargie de projets prioritaires, et à accélérer leur processus d'approbation ». Il s'agit là d'une sorte de fenêtre de tir que nous pourrions exploiter. C'est un problème de volonté politique, et votre rapport sera important à cet égard. Pour cela, il faudra passer par le canal gouvernemental, et par celui de la Commission. C'est dans ce contexte que j'évoquais la présidence française.

Pour répondre à Jean-Marie Bockel, il me semble tout à fait approprié d'inscrire ce sujet à l'ordre du jour d'un prochain sommet franco-allemand. A partir du moment où le comité de pilotage se sera réuni, et où le ministère de l'équipement aura pris des décisions pour conforter les options retenues par ce comité, on peut penser l'inscrire au prochain sommet franco-allemand. Le rapport de votre mission sera là encore un aiguillon pour le Gouvernement.

Je ne suis pas capable de sonder les profondeurs de la Commission ; je ne peux donc pas répondre à la question de votre rapporteur sur les préférences de la Commission en la matière, mais je m'engage à l'interroger, et à vous faire parvenir une réponse dans les meilleurs délais, même si je doute que la réponse soit parfaitement claire à ce niveau là.

Les fonds structurels constitueront un sujet douloureux qui sera à l'ordre du jour dès cet été. Les décisions du sommet de Berlin sur l'Agenda 2000 réduisent de 25 à 18 % la population de l'Union couverte par les fonds structurels. Cette diminuation concernera la France, où la population couverte passera de 41 à 31 %. Des choix douloureux sont donc à opérer. Une première carte a déjà circulé, et l'élu du Doubs que je suis a eu la douloureuse surprise d'apprendre que ce département qui, aujourd'hui encore, est concerné à hauteur de 70 % par les fonds structurels serait tout simplement supprimé de la carte. Cependant, la Commission pourra intégrer des données objectives, et heureusement, le ministre de l'aménagement du territoire aura la faculté de prévoir une certaine souplesse, dans la limite de 50 % des zonages. Il y aura donc une modulation nationale, qui ne parviendra néanmoins pas à compenser les pertes subies.

Il s'agit dont là d'un dossier hautement politique. C'est pourquoi votre mission d'information aurait tout intérêt à mettre en évidence une priorité stratégique sur l'axe Rhin-Rhône : elle pourrait être prise en compte par le ministère de l'aménagement du territoire pour réfléchir à la modulation des zonages, tout en précisant que la concertation avec le ministère se déroulera probablement au plan des régions. Mais une vue globale sur le sujet ne serait pas inutile.

S'agissant des grands travaux, je n'ai fait que rappeler le discours constant de l'actuel majorité : la relance de l'investissement et de la croissance en Europe que nous souhaitons. Nous souhaitons que cette priorité soit prise en compte pour les grands travaux dont on parle depuis le livre blanc de Jacques Delors, publié en 1993. Nous n'avons pas été pleinement entendus. Encore faut-il signaler qu'à Cologne, nous avons décidé l'élargissement potentiel de la liste des grands projets finançables par l'Union européenne, et nous avons également augmenté de façon substantielle l'enveloppe budgétaire de 50 % pour la période financière 2000-2006, pour atteindre 4,6 milliards d'euros.

Nous sommes cependant loin du compte, et autant nous avons des excuses lorsque nous n'assurons pas la présidence de l'Union, autant il ne serait pas logique que la France ne se saisisse pas de cette idée dont elle est, au fond, à l'origine. Le Gouvernement devra donc réfléchir, en liaison avec la présidence française, à la relance de cette dynamique.

Il me semble donc - je m'exprime comme un homme libre devant une mission d'information parlementaire -, qu'il est de la responsabilité de la France de reprendre ce dossier et que l'axe Rhin-Rhône doit être l'un des vecteurs privilégiés par notre conception de la politique de grands travaux, pas seulement pour notre pays, mais en Europe. C'est pourquoi il est très important que votre mission mette l'accent sur la dimension européenne de cet axe.

M. le Rapporteur : Compte tenu du paquet « infrastructures ferroviaires » adopté le 17 juin dernier, vers quelle politique de développement du fret ferroviaire communautaire le Gouvernement se dirige-t-il ?

M. Pierre MOSCOVICI : Je ne suis pas le plus qualifié pour répondre à cette question qui est du ressort de mon collègue Jean-Claude Gayssot.

M. le Rapporteur : La structure de caractère inter-étatique évoquée par Pierre Moscovici dans son intervention me paraît très intéressante. Elle vise à mettre en _uvre une collaboration entre l'ensemble des régions traversées. Elle va dans le sens de ce que nous avons pu ressentir dans le cadre de cette mission.

M. Pierre MOSCOVICI : Votre mission a travaillé en tournant la page du grand canal, et toutes les sensibilités politiques de votre assemblée ont pu s'exprimer. Son rapport est donc très attendu, et je souhaite qu'on lui donne le relief qu'il mérite pour qu'il puisse peser sur des décisions gouvernementales et européennes. Plus ce rapport sera clair dans ses conclusions, plus il nous sera utile pour prendre des décisions.

M. le Président : Etant donné que vous connaissez bien le calendrier gouvernemental et européen, auriez-vous un conseil à nous donner pour la date de dépôt de notre rapport ? Faut-il le présenter au mois de juillet, ou peut-on attendre le mois de septembre ?

M. Pierre MOSCOVICI : Nous allons rapidement être confrontés à des décisions à prendre. Je vous ai rappelé le calendrier : réunion du comité  de pilotage du TGV Rhin-Rhône le 5 juillet, qui se prononcera notamment sur une première tranche de réalisation, et je pense que le ministère des transports fera connaître son sentiment au cours de l'été. Si les propositions que je vous ai présentées vous intéressent - inscription à l'ordre du jour du prochain sommet franco-allemand, puis saisine de la Commission et du Conseil -, il me paraîtrait dommage de présenter votre rapport après les premiers jours de septembre, et après les décisions que prendra le ministre des transports.

Je vous conseille donc de présenter assez rapidement votre rapport.

M. André VAUCHEZ : Une priorité doit être donnée au fret, car avec l'augmentation du trafic routier, notre vallée est saturée. Il faut s'en inquiéter au plus haut niveau européen et ne pas se borner à l'inscrire en annexe du projet relatif aux voyageurs.

M. Pierre MOSCOVICI : Votre préoccupation rejoint le premier point de mon intervention.

M. le Président : Y a-t-il d'autres observations ?

M. Pierre MOSCOVICI : Je tiens à vous signaler qu'après la publication de votre rapport, vous pourrez compter sur moi lorsque la France présidera l'Union.

M. le Président : Je vous propose de clore cette réunion en vous remerciant, monsieur le ministre, de votre participation.

Audition de M. Jean-Pierre RONTEIX,
Président de la Compagnie nationale du Rhône

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 29 juin 1999)

Présidence de M. Michel VAUZELLE, Président

M. le Président : Nous allons achever nos travaux avec l'audition du président de la Compagnie nationale du Rhône. Notre mission visait à réfléchir sur les équipements nécessaires au développement solidaire du barreau de la vallée du Rhône à la vallée du Rhin.

Nous souhaitions avoir le sentiment du président de la Compagnie nationale du Rhône, non pas sur l'abandon du projet de grand canal - la page est tournée -, mais sur les perspectives de la CNR, sur le canal Freycinet, et son approche de ce qu'on a pu appeler la « rente » du Rhône.

M. Jean-Pierre RONTEIX : Monsieur le président, messieurs les députés, permettez-moi tout d'abord de vous remercier de m'avoir invité à m'exprimer devant vous.

La Compagnie nationale du Rhône est une entreprise publique, soumise en tant que telle à la tutelle de l'État assurée par deux commissaires du gouvernement et un contrôleur d'État, et à un contrôle de la Cour des comptes. Nous sommes une société anonyme d'intérêt général, avec les obligations liées à la loi de 1966 sur les sociétés
- assemblée générale, conseil d'administration, commissaires aux comptes -, sauf sur quelques points limitativement énumérés où les statuts peuvent déroger, ce qui fait d'ailleurs que la compagnie nationale du Rhône (CNR) relève largement du législateur.

Le capital de la société est très modeste - 36 millions de francs -, et son actionnariat réparti à 66 % entre les collectivités territoriales, les chambres de commerce et les ports, à 16 % à la SNCF, et 16 % à EDF.

Nous sommes concessionnaires de l'État, pour l'énergie hydraulique, la navigation, l'irrigation et autres usages agricoles, de la frontière suisse à la mer.

Du vote de la loi de 1980 à celui du 15 juin dernier adoptant la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire qui n'a pas encore été promulguée, la CNR a été compétente pour la construction, l'exploitation et l'entretien de la liaison fluviale du Rhône au Rhin.

De cette mission temporaire sur Rhin-Rhône, mais aussi de sa mission permanente sur le Rhône, la CNR a pu tirer quelques enseignements. Nous estimons ainsi qu'avant de réaliser de nouveaux aménagements, il serait plutôt préférable d'utiliser les équipements actuels, encore insuffisamment utilisés. Le Rhône, en effet, est aménagé au gabarit international, de Lyon à la mer.

Pendant la période où la CNR a été en charge de l'aménagement de la Saône, elle a réalisé la dérivation de Mâcon, et elle vient d'achever la mise à 3,50 mètres du tirant d'eau de la Saône au nord de Châlon. On peut donc regretter que, dans de telles conditions, le trafic fluvial soit insuffisant puisqu'il ne représente que 3 à 4 % du trafic sur l'axe Rhône-Saône.

Je crois cependant qu'il faut rappeler, ne serait-ce que pour aller contre l'image morose et passéiste que beaucoup associent à ce mode de transport, qu'en 1998 sur l'ensemble de la France, en tonnes-kilomètres, le taux de progression du transport fluvial a été de 9,2 %, et sur les quatre premiers mois de 1999, toujours en tonnes-kilomètres, le taux de progression est de 12,8 %.

S'agissant du Rhône, la croissance du trafic fluvial constatée depuis 1996 s'est poursuivie en 1998. Même si le chiffre reste modeste, 3,3 millions de tonnes ont été transportées sur le fleuve.

En tonnes-kilomètres, la progression a été de 8,7 % en 1998. Il me paraît également intéressant de souligner que le trafic fluvio-maritime est en progression constante : en 1998, 548 000 tonnes, soit un sixième du trafic du fleuve en tonnes-kilomètres, et une progression de 19 % par rapport à 1997. L'actualité me permet de dire que sera ouverte dans les semaines qui viennent une liaison hebdomadaire entre Lyon et Barcelone.

Le trafic de conteneurs sur l'axe fluvial Rhône-Saône s'est élevé à 6 520 « équivalents vingt pieds » contre 4 924 en 1997, soit une progression de 32 % en une année, conséquence heureuse d'une politique de massification des flux sur les plates-formes fluviales.

Au-delà des trafics traditionnels dont certains connaissent une baisse historique, comme l'extraction du gravier, je voudrais souligner le dynamisme non seulement du trafic céréalier, essentiellement bourguignon. La CNR a joué un rôle actif et je crois déterminant dans la mise en place d'une plate-forme intermodale au lieu dit des Tellines, à Fos. Il faut également souligner le dynamisme de certains trafics nouveaux.

Il y a deux ans, j'ai participé à l'inauguration des installations fluviales des Ciments Lafarge, au Teil, dans l'Ardèche. C'est fort de son expérience américaine que le premier cimentier mondial a décidé de se tourner vers le fleuve. Si les débuts peuvent paraître modestes - 200 000 tonnes -, c'est tout de même 100 à 200 bateaux qui viennent remplacer 6 000 à 12 000 camions dans la vallée du Rhône.

Plus récemment, à Pierre-Bénite-Feyzin, c'est-à-dire la sortie sud de Lyon, nous avons mis en place un embranchement fluvial qui permet à Achotem de transférer sur le fleuve le transport d'un gaz dangereux, le monochlorure de vinyle, permettant la fabrication du PVC. Le trafic ainsi généré sera de 400 000 tonnes par an.

La sécurité est sans aucun doute mieux assurée, et c'est un gain de 10 % pour le trafic fluvial, ce qui est considérable.

Tout ceci s'inscrit dans le cadre d'un protocole entre Voie Navigable de France et la CNR que j'ai signé avec le président Bordry le 6 février 1996 « pour le développement du transport de marchandises par voie d'eau sur l'axe Rhône-Saône ». L'objectif affiché, certes ambitieux, est d'atteindre 10 % du trafic de l'axe.

Le fleuve permet de transporter, sans nouvel aménagement, jusqu'à 10 ou 12 millions de tonnes. La question qui peut se poser est celle de la fiabilité du transport fluvial, qu'on peut aussi appeler continuité du service public de la navigation. Le Rhône est un des seuls axes européens qui soit équipé par un système d'écluses uniques. En cas d'accident, et chaque année pendant l'entretien, qui est maintenant du gros entretien, le trafic est interrompu.

La direction des transports terrestres du ministère de l'équipement, des transports et du logement vient de confier à l'Inspection générale de l'équipement une mission d'évaluation et de propositions sur les conditions d'exercice par la CNR de ses missions dans le domaine de la navigation. La question du doublement des écluses sur le Rhône a été évoquée lors de notre conseil d'administration du 20 mai 1999. Inutile de dire qu'il s'agit d'un investissement important.

J'entends souvent évoquer par les riverains du Rhône le retour souhaitable des sommes prélevées sur l'électricité produite par le Rhône au profit du FITTVN. Je livre ce sujet à leur réflexion.

Après ces observations d'ensemble sur l'axe Rhône-Saône, vous me permettrez quelques propos sur le port de Lyon. Il s'étend sur le Rhône de Lyon à Ternay, à 15 kilomètres au sud de Lyon. Lyon-Edouard Herriot a été la première réalisation de la CNR avant Génissiat. Il figure parmi les dix premiers ports fluviaux français. C'est une plate forme multimodale importante qui s'étend sur 184 hectares, et le conseil d'administration de la CNR vient d'adopter un schéma directeur pour ce port, dont la réalisation progressive doit s'étendre jusqu'à 2010.

Comme vous le savez, dans le cadre général d'une coopération voulue par les autorités politique de Lyon, de Marseille et des régions intéressées, nous avons entrepris de faire de Lyon-Edouard Herriot un port avancé du port de Marseille. Il y a moins d'une semaine, un projet de protocole entre la CNR, le port autonome de Marseille, la Compagnie nouvelle des conteneurs, filiale de la SNCF, et notre filiale Lyon-Terminal qui gère le terminal à conteneurs sur le port Lyon-Edouard Herriot a été examiné par le conseil d'administration de la CNR. Il s'agit d'exprimer, dans ce protocole, un engagement cohérent des partenaires pour promouvoir les transports massifiés - fer, voie d'eau -, sur l'axe Marseille-Fos-Lyon ; de conforter le site du port de Lyon, sans méconnaître l'implantation de la CNC à Vénissieurs ; de contribuer à l'amélioration de la desserte du port de Marseille.

Pour conclure mon propos, je voudrais exprimer ma conviction que la France dispose, avec le Rhône et la Saône aménagés, d'un axe de transport performant que, pour des raisons diverses, elle n'utilise pas au mieux de ses possibilités. Cet axe pourrait être cependant un instrument privilégié d'aménagement du territoire.

Vous entendrez peut être dire que les dirigeants de la CNR, et son président en particulier, ne songent qu'à la transformation de la CNR en producteur d'électricité indépendant et de plein exercice.

Je m'inscris en faux contre de telles affirmations.

Conformément aux directives du Gouvernement qui se sont traduites par une lettre de mission que m'ont adressée le 29 octobre dernier le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le ministre de l'équipement, des transports et du logement, et le secrétaire d'État à l'industrie, cette transformation voulue par le Gouvernement s'inscrit dans le respect des missions que lui confie la loi de 1921, et donc de sa mission de navigation.

M. le Président : Pour quelles raisons ne profite-t-on pas davantage de l'axe fluvial Rhône-Saône ?

M. Jean-Pierre RONTEIX : Nous avons tous notre part de responsabilité dans cette conception bien française qui ne privilégie pas le transport fluvial. Depuis quatre ans que j'exerce la présidence de la CNR, j'ai entendu les ministres successifs parler du nécessaire rééquilibrage entre les modes de transport, mais je constate que lorsqu'on parle du transport combiné, on parle toujours, quelque soit le gouvernement, du transport combiné entre la route et le fer. Or, je crois que nous disposons des instruments sur le Rhône pour un transport combiné entre le fleuve, le fer et la route.

La vallée du Rhône, vous le savez mieux que moi, me paraît très encombrée sur le plan routier, comme sur le plan ferroviaire, et relativement désertique sur le plan du transport fluvial. Comparativement au trafic qui s'exerce sur la Seine, j'ai le sentiment que le Rhône n'est pas utilisé comme il devrait l'être.

Sans revenir sur l'abandon du canal Rhin-Rhône, la difficulté principale réside dans l'absence de réseaux. Il existe bien un axe profond de 500 kilomètres, mais il se termine en cul-de-sac, et je ne pense pas que le réseau Freysinet permette de le compléter. Cela dit, la rentabilité du transport fluvial est réelle : comme il est moins onéreux, la longueur de cet axe permet de libérer et de récupérer les surcoûts que représentent le transbordement des marchandises.

En revanche, la distance de Lyon à Marseille est sans doute un peu courte, et nous rencontrons des difficultés à rentabiliser une société dans laquelle nous avons une participation, chargée de faire du transport de conteneurs. Des navettes fluviales ont été mises en place entre Lyon et Fos-sur-mer, mais la concurrence du fer et de la route est redoutable.

Dans la mesure où le transport ferroviaire entre Lyon et Marseille est soumis à la libération des voies ferrées, je constate donc qu'il existe des instruments sous-employés, alors que d'autres sont suremployés.

M. le Président : Y a-t-il une volonté des gouvernements de ne pas favoriser le trafic sur la voie d'eau ? Alors que les voies routières, autoroutières et ferroviaires sont engorgées, par quelle sorte de mauvais esprit les ministres des transports successifs ne favorisent-ils pas la voie d'eau ? Ne faut-il pas plutôt chercher les responsabilités du côté des clients des transporteurs routiers qui eux, demandent plus de rapidité, de précision dans les délais de livraison des marchandises ?

M. Jean-Pierre RONTEIX : Ce n'est pas la faute des ministres successifs, c'est plutôt la faute de l'État au sens large du terme. A cet égard, le Conseil d'État, dans son avis sur la déclaration d'utilité publique du canal Rhin-Rhône, s'est cru devoir mettre en garde le gouvernement de l'époque contre l'insuffisance du trafic fluvial.

M. le Président : Quel est votre sentiment sur la responsabilité des transporteurs routiers et de leurs clients ?

M. Jean-Pierre RONTEIX : Certains trafics ne peuvent pas relever du fleuve. En revanche, beaucoup de trafics pourraient en relever. La recherche des responsabilités n'est peut être pas le thème le plus exaltant. En revanche, je pense que nous devrions nous organiser davantage pour favoriser le transport fluvial.

M. le Président : S'il existe une vive concurrence avec la route et le fer, c'est peut être parce que certains y trouvent un intérêt immédiat en matière de délais de livraison et de précision dans le lieu de livraison.

M. Jean-Pierre RONTEIX : C'est une des dimensions du problème. Sans être un économiste, je pense que la prise en compte des coûts externalisés tels la pollution ou l'insécurité rendrait rentable le transport fluvial.

M. Jacques MICHEL : Comme les armateurs ne sont pas très combatifs, il faudrait les encourager à l'être.

M. le Rapporteur : Vous avez dit que le Rhône est un instrument sous-employé. Pourriez-vous être plus précis ? Quels sont les aménagements qu'il faudrait mettre en place pour mieux utiliser ses potentialités ?

M. Jean-Pierre RONTEIX : Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un problème d'aménagement : le Rhône est équipé, sous réserve du problème, que j'ai déjà évoqué, du doublement des écluses afin d'assurer la continuité du service.

M. le Rapporteur : A quel problème faites-vous allusion ?

M. Jean-Pierre RONTEIX : La navigation sur le Rhône reste une opération délicate, et à la suite d'un accident mortel, nous avons été amené à interrompre le trafic pendant trois semaines. Chaque année, nous mettons en _uvre une opération de chômage pour l'entretien des écluses, et c'est pourquoi nous aurions intérêt à doubler notre matériel. Pour des trafics un peu sophistiqués, les utilisateurs accepteront mal un chômage qui peut durer une quinzaine de jours, compte tenu du fait que certaines écluses ont 40 ans et qu'il s'agit maintenant de gros entretien.

S'agissant des aménagements, nous devons faire un effort pour les aménagements des zones situées le long du fleuve. Car si les équipements de l'axe Rhône-Saône sont relativement satisfaisants, l'orientation vers l'utilisation du fleuve n'est pas suffisante. Nous devons donc nous efforcer de susciter des initiatives pour que de grandes entreprises utilisent davantage le fleuve. J'ai appris récemment que l'évacuation des déchets urbains de Lille allait se faire par la voie fluviale : l'utilisation de la voie fluviale pour le même type d'opération devrait donc être imaginée pour la ville de Lyon.

M. Gérard VOISIN : Nous sommes réunis pour questionner M. Ronteix, mais également pour réfléchir aux problèmes de l'aménagement de l'axe Rhône-Saône. Continuer des investissements sur plusieurs ports, comme vous nous l'avez rappelé, M. Ronteix, est votre mission. Néanmoins, les élus du nord de Lyon ne peuvent aller dans ce sens sous peine du ridicule. Vous avez également rappelé la distance trop courte entre Lyon et Marseille qui pénalise le transport fluvial.

L'arrêt du canal Rhin-Rhône a brisé les plus grands espoirs de transports fluviaux entre Lyon et le nord de notre pays. Vous avez laissé entendre que l'Etat, beaucoup plus que les ministres, était responsable de la situation. Certes, mais l'arrêt total est le fait du ministère actuel. Ce sont donc bien les choix d'un gouvernement qui ont pénalisé la promotion du transport fluvial.

Pourriez-vous me dire combien à coûter le canal de dérivation de Mâcon, alors que la voie d'eau était souhaitée par les transporteurs routiers qui ne s'opposaient par au transport multimodal ? Certains transporteurs routiers de Bourgogne sont ainsi très intéressés par la voie d'eau. Encore faut-il que l'opération soit rentable.

M. Jean-Pierre RONTEIX : La CNR, je vous le rappelle, est concessionnaire de l'État. L'autorité concédante est donc l'État. Lorsque l'État nous demande de mettre en _uvre le canal Rhin-Rhône, nous essayons de le réaliser, non sans difficultés, d'ailleurs. Lorsque l'État décide de stopper le projet, nous mettons fin à nos travaux, même si, dans le même temps, nous aurons à demander à l'État l'indemnité que le concessionnaire est en droit d'obtenir dans ce genre de situation.

Quant au contournement de Mâcon, il a coûté 150 millions de francs.

M. le Président : Avez-vous une idée du montant de l'indemnité que vous demanderez à l'État.

M. Jean-Pierre RONTEIX : Je peux seulement vous indiquer que l'ensemble des dépenses réalisées s'élèvent à un milliard deux cent soixante dix millions, tous financements confondus, et ont précisé que ces francs dépensés ont des valeurs différentes selon l'époque où les études et les travaux ont été réalisés.

M. André GODIN : Compte tenu de l'engorgement routier, pensez-vous qu'il existe une chance de promouvoir le transport fluvial ?

M. Jean-Pierre RONTEIX : Mes lectures de travaux universitaires sur les coûts externalisés du transport m'ont beaucoup appris. Tant que l'on fait supporter par tel ou tel mode de transport uniquement les charges d'exploitation, nous n'arriverons pas à contrer la situation. Certes, comme nous sommes bloqués après 500 kilomètres, du fait de l'absence de réseau, l'axe n'intéresse pas tellement les initiatives privées, et un dynamisme plus important des armateurs seraient sans doute souhaitable. Cela dit, la France est à un tournant et l'arrivée d'un certain nombre d'armateurs étrangers notamment hollandais devrait dynamiser le secteur.

Au demeurant, je suis assez optimiste sur le rôle que devrait jouer la Bourgogne, tant dans les exportations de ses produits céréaliers que dans l'importation des matières premières nécessaires à son agriculture.

Par ailleurs, si le trafic des transports exceptionnels ne représentent pas des tonnages considérables, l'utilisateur est prêt à payer des sommes importantes pour échapper aux difficultés routières qui se multiplient.

Comme vous le savez, dans le cadre de la liaison Rhin-Rhône, la CNR a réalisé un équipement important à Pagny. Mais avec l'arrêt du grand canal, nous ne sommes plus compétents depuis le début de l'année pour gérer Pagny. Après avoir procédé à une consultation juridique, nous devrons remettre à l'État cette réalisation pour laquelle les collectivités territoriales viennent de se constituer en syndicat mixte. Nous ferons le nécessaire pour les aider. L'union des céréales de la Côte d'Or est d'ailleurs décidée à s'installer sur le site de Pagny.

M. Jacques MICHEL : Lorsqu'on parle de plurimodalité, on ne pense trop souvent qu'au rail et à la route, à mettre des camions sur des trains. Cela me choque, car l'outil parfait de l'intermodalité existe : c'est le conteneur. Développer des recherches pour mettre des camions sur des trains me semble d'autant plus absurde que cela suppose des investissements gigantesques.

M. Gérard VOISIN : Bien sûr !

M. Jacques MICHEL : Sans toucher un seul pont en aval de Lyon, il est possible de faire naviguer sur le Rhône des unités compétitives et modernes, chargés à trois couches de conteneurs, sans toucher un seul des ponts du fleuve.

M. le Rapporteur : Pourquoi ne le fait-on pas ?

M. Jacques MICHEL : Comment voulez-vous qu'un armateur privé investisse dans un bateau moderne ? Voilà le problème ! L'État pourrait donner l'exemple en participant à un investissement d'une ou deux barges modernes.

M. Jean-Pierre RONTEIX : La prise en compte du transport fluvial dans le transport combiné n'est pas, en effet, une préoccupation des personnes en charge du transport combiné - fonctionnaires ou élus. Or, une notion complète du transport combiné devrait prendre en compte - et donc aider -, le transport fluvial.

M. Jacques MICHEL : Je veux dire également que les réserves de capacité sur le Rhône sont gigantesques. Avec l'équipement actuel, la voie d'eau, à saturation, est de l'ordre de 22 millions de tonnes. En outre, le doublement des écluses est d'ores et déjà prévu s'agissant des terrains nécessaires, et n'entraînerait donc aucune contrainte sur les riverains, et les investissements complémentaires à réaliser sur les 300 kilomètres entre Lyon et la mer seraient de l'ordre de moins de 6 milliards de francs, soit moins de 20 millions de francs par kilomètre. Aucun des deux autres modes de transport ne pourrait proposer l'équivalent.

M. André VAUCHEZ : Tous les interlocuteurs que nous avons auditionné sur cette question du transport combiné nous ont posé les mêmes questions que vous, M. Michel. Chacun campe sur ses positions et attend de son côté. Dans ces conditions, on sait bien que c'est la route qui gagne, du fait de sa souplesse. Quelle est la structure qui devrait être mise en place par l'État pour inciter et coordonner le transport combiné ?

En décidant de ne pas mettre en _uvre le canal Rhin-Rhône, ne doit-on pas saisir la complémentarité du rail pour faire en sorte que ce qui pourrait être déposé au port de Lyon-Edouard Herriot puisse monter jusqu'en Alsace, et éventuellement plus loin encore ? On gagnerait en temps ce que l'on a perdu en moindre coût du transport par eau.

N'espérez-vous pas faire remonter certains produits jusqu'à Pagny ?

M. Jean-Pierre RONTEIX : En effet, je considère que Pagny doit pouvoir conserver son intérêt et prendre son essor.

Sans être un spécialiste du transport ferroviaire, j'entends souvent dire que, pour des raisons liées au développement du trafic voyageur, la priorité est donnée à ce trafic, et que la desserte par le fret souffre de cette situation.

Atochem, par exemple, n'est pas venu naturellement au fleuve. Il a fallu construire des barges particulières, et il a fallu former du personnel pour mener un bateau chargé de monochlorure de vinyle. Atochem a choisi le fleuve parce que cette société avait du mal à avoir un approvisionnement régulier. Comme il n'était pas souhaitable de faire transiter leur marchandise par la route, pour des raisons de sécurité, le transport fluvial leur est apparu un avantage, même s'il a fallu mettre en place un appontement que nous avons financé.

Atochem est donc venu au fleuve en ayant confiance dans la fiabilité de ce mode de transport.

Par ailleurs, je crois que c'est largement à notre initiative que rentre dans notre organisation la CNC, la filiale conteneur de la SNCF. Etant donné notre mission, il est important que nous arrivions à mêler cette filiale de la SNCF à notre action. La société dans laquelle nous avons une participation minoritaire, chargée des liaisons fluviales de conteneurs entre Lyon et Marseille aura dans son actionnariat, la filiale conteneurs de la SNCF : c'est une première qui méritait d'être soulignée.

M. Gérard VOISIN : Vous ne nous avez pas communiqué le montant des indemnisations relatives à l'abandon du projet de grand canal, mais il devrait être assez colossal. Peut-on imaginer qu'une décision politique inverse celle qui vient d'être prise ? La décision d'arrêt du projet est-elle totalement irréversible d'un point de vue technique ?

Quel pourcentage du potentiel initial espéré sur Pagny pourra être récupéré ?

Quel est votre sentiment sur la disparition quasi totale sur la disparition des voyageurs sur la ligne Lyon-Marseille, avec la mise en place du TGV qui libérera des sillons marchandises très importants ?

M. Jean-Pierre RONTEIX : Vous comprendrez que je ne peux pas m'exprimer sur votre première question en ma qualité de président de la CNR. A titre personnel, je crois que le projet précédent présentait deux caractéristiques. D'une part, le canal passait par la vallée du Doubs, et je crois qu'il n'y aura pas d'autres projets pour la vallée du Doubs. D'autre part, le système de financement organisé échappait aux contraintes budgétaires. Ce système était la meilleure chance de réalisation du projet. Comme ce système a disparu, il n'existe plus de rente du Rhône, au sens où on l'entendait traditionnellement.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous préciser le fonctionnement de la rente du Rhône, et les raisons pour lesquelles elle n'existe plus.

M. le Président : C'est une question centrale, car tout au long de notre mission, certains d'entre nous ont dit qu'elle n'avait jamais existé, d'autres qu'elle existait toujours.

M. Jean-Pierre RONTEIX : Les investissements réalisés sur le Rhône l'ont été par la CNR. Les installations appartiennent à la CNR, au nom de l'État, et seront remises à l'État en 2023, sauf si la CNR est de nouveau concessionnaire du Rhône.

Les premiers investissements ont été réalisés en 1948, et les plus récents en 1986. Ils ont été réalisés et financés par des emprunts qui, progressivement, sont remboursés. L'amortissement financé était fonction de la durée accordée à l'emprunteur. Ainsi, l'an dernier, nous avons remboursé un emprunt de 800 millions de francs. La dette de la CNR est donc en forte diminution.

Une « super-rentabilité » des investissements réalisés s'est donc progressivement dégagée, que l'on a appelée « rente du Rhône » : les recettes tirées de l'électricité sont devenus supérieures aux charges de fabrication de l'électricité.

Le législateur de 1995 a estimé que ces recettes pourraient financer la liaison Rhin-Rhône, ainsi que le fond d'investissement des transports terrestres et des voies navigables.

En décidant en 1997 de ne pas réaliser le projet de grand canal, EDF récupérait dès lors le financement du projet. La loi de finances de 1998 a porté le prélèvement, au titre du FITTVN, de 4,2 centimes à 8,4 centimes par kilowattheure.

M. le Rapporteur : En considérant qu'il n'avait plus à construire le canal.

M. Jean-Pierre RONTEIX : En effet. Certains membres du Gouvernement ont alors estimé qu'EDF s'en tirait bien. Le Premier ministre a ainsi été saisi d'une demande tendant à augmenter davantage le prélèvement. Le Gouvernement s'en est inquiété, et a demandé à une mission dirigée par un inspecteur général des finances, M. Vilain, d'examiner la situation. J'ai reçu M. Vilain, car c'est la CNR qui paye la taxe. Cela dit, nous sommes remboursés par EDF, puisqu'il s'agit d'une dépense de fabrication d'électricité. La charge finale, dans l'état actuel de nos relations contractuelles avec EDF, revient à EDF.

Je n'ai pas eu connaissance du rapport de M. Vilain. Se plaçant dans la perspective où la CNR devenait un producteur d'électricité indépendant, il a examiné si l'équilibre de la concession était respecté avec un prélèvement de 8 centimes par kilowattheure, où si le prélèvement pouvait être supérieur. J'ai crû comprendre qu'il a conclu qu'il ne fallait pas aller plus loin puisque le Gouvernement s'en est tenu à 8 centimes.

Les 8 centimes font-ils disparaître la rente du Rhône ? Ce chiffre a été calculé avec une électricité au prix actuel de 21 centimes au Kilowattheure. L'entrée en vigueur d'une relative concurrence, mais également le fait que le prix de l'énergie soit à la baisse, sur le plan mondial, auront des conséquences sur l'électricité qui subira de plein fouet la concurrence du gaz. Dès lors, un prix de 21 centimes n'est plus garanti dans les années à venir.

A regarder ce qui se passe aux frontières de la France, il faut se préparer à ce que le prix de l'électricité soit de 16 centimes. Dès lors, avec 8 centimes de prélèvements parafiscaux, non seulement il n'y a plus de rente du Rhône, mais la rente est négative.

M. le Rapporteur : Qui a financé les investissements sur le Rhône ?

M. Jean-Pierre RONTEIX : Les investissements sur le Rhône ont été payés par la CNR. EDF nous rembourse tous les frais que nous avons réalisés pour fabriquer l'électricité.

M. le Rapporteur : Vous êtes donc totalement remboursés.

M. Jean-Pierre RONTEIX : Oui, mais le système sera interrompu.

M. le Rapporteur : A quelle date ?

M. Jean-Pierre RONTEIX : Elle dépend de l'adoption de la loi transposant la directive européenne.

M. le Rapporteur : Vous deviendrez alors producteur d'électricité.

M. Jean-Pierre RONTEIX : Oui, tout en gardant des liens multiples avec EDF.

M. le Rapporteur : Si vous deveniez producteur, EDF ne financera plus les 8 centimes.

M. Jean-Pierre RONTEIX : La rente du Rhône n'appartient pas à la CNR, ni à EDF. On peut considérer qu'elle appartient à la nation ou à l'État. En revanche, je considère que la CNR, comme tout concessionnaire, a droit à une juste rentabilité de son activité.

M. le Rapporteur : En conclusion, la rente du Rhône n'existe pas pour financer d'éventuels investissements.

M. Jean-Pierre RONTEIX : En effet. Il y a une rente du Rhône avant prélèvement parafiscal, mais après prélèvement parafiscal, il n'y a plus de rente du Rhône.

Ce que je crois, et c'est un propos que j'entends souvent dans la vallée du Rhône, c'est qu'il n'y a pas de raisons que le Rhône ne bénéficie pas des prélèvements FITTVN. Ce serait un paradoxe.

M. Voisin avait posé une question relative à la situation de Pagny. D'après des études réalisées pour le projet Rhin-Rhône, et dont certaines ont été critiquées, la part du transport d'origines internationales sur la voie fluviale était de l'ordre de 70 à 80 %, et la part régionale était de l'ordre de 20 %. C'est la part qui reste à Pagny. Ce n'est pas satisfaisant, mais il est peut-être possible de susciter des implantations dédiées au trafic fluvial.

M. le Président : Y a-t-il d'autres questions ?

En l'absence d'autres observations, je vais conclure cette réunion en vous remerciant, M. Ronteix, pour votre courtoisie, votre compétence et le caractère très complet de vos propos.

Contribution de M. Jean-Stéphane DEVISSE,
Responsable du programme « Transports durables »
Fonds Mondial pour la Nature (WWF) France

Transports et infrastructures sur l'axe Rhin-Rhône-Méditerranée

Quelques affirmations couramment entendues avant l'abandon du projet de grand canal Rhin-Rhône forment le point de départ de notre réflexion sur les transports sur l'axe Nord-Sud via la vallée du Rhône, et des problèmes de saturation auxquels est confronté ce dernier.

La première de ces affirmations provient d'un directeur de Peugeot-Sochaux, lors de l'assemblée générale de l'OITC Alsace-Franche-Comté le 6 décembre 1996, à Besançon. Il disait en substance : « nous ignorons si nous transporterons quelque chose sur le grand canal Rhin-Rhône. Tout ce que nous savons, c'est que sa mise en service pèsera lors de nos négociations avec les transporteurs ». Cette assertion révèle deux sous-entendus :

- si, effectivement, l'on ne multiplie les infrastructures que pour fouetter la concurrence et tirer les prix vers le bas, nous n'avons plus qu'à stopper là nos débats : nous sortons complètement du champs de l'économie des transports.

- de manière détournée, il s'agit d'une confirmation connue des spécialistes : la seule création d'une infrastructure ne suffit pas à générer a priori un flux de transport. Nous y reviendrons.

Le second point relève à la fois de la macro-économie et des limites de la prospective : dans leurs estimations, les promoteurs de Rhin-Rhône annonçaient en 1990 un doublement du transport de marchandises (en tonnes par kilomètre) à l'horizon 2010, avec un taux d'accroissement de 4 points par an. Ils le justifiaient notamment par l'allongement des distances à l'import-export. Ce doublement ne sera certainement pas atteint. D'une part, les perspectives de croissance reposent plutôt, aujourd'hui, sur le marché intérieur - cela se traduit notamment, depuis 1997, par une croissance nulle, voire négative, sur le segment des longues distances à l'international - ; d'autre part, si la mobilité et le déplacement des marchandises créent de la valeur ajoutée et, partant, de la richesse et de la croissance, les parités sur le marché des échanges (Dollar américain contre Euro), le taux de l'inflation, l'évolution de la taxation et de la réglementation sont des paramètres déterminants. N'oublions pas que selon l'INRETS, la part du transport et de logistique dans le prix final du produit s'élève à 13 % et, si l'on exclue la logistique (pré et post-acheminement), elle s'effondre à 1,5 %.

Voici qui aide à revaloriser les certitudes économétriques en forme de prolongement des courbes.

Le troisième point porte sur les capacités de transport de l'ancien projet de grand canal : 13 à 14 millions de tonnes par an selon la Compagnie Nationale du Rhône, 5 à 6 millions de tonnes pour le CGPC et l'IGF - à rapprocher des 4 à 5 millions de tonnes par an relevés sur le canal allemand RMD. Prenons, pour hypothèse d'école, la fourchette la plus haute : ces 13 à 14 millions de tonnes par an forment l'équivalent de 50 trains de marchandises par jour (1 000 tonnes de charge utile), dans les deux sens de l'axe Nord-Sud, 250 jours par an.

Rappelons que l'investissement consenti par l'article 36 de la loi du 4 février 1995, destiné à la réalisation du grand canal Rhin-Rhône, s'élevait à plus de 20 millions de francs hors taxe, selon la CNR et l'IGF. Notre réflexion est la suivante : à budget comparable, l'on pourrait créer 250 Km de voies ferrées entièrement nouvelles, aptes à la grande vitesse. Or, la capacité moyenne de saturation d'une voie normale est de 240 à 300 trains par jour, soit approximativement 60 millions de tonnes par an de marchandises transportées. Ce chiffre est comparable, dans son ordre de grandeur, aux 90 millions de tonnes par an qui empruntent l'axe des autoroutes A 6, A 7 et A 9.

Venons-en à la prospective sur l'axe Rhin-Rhône-Méditerranée, dont les réseaux seraient saturés. Rectifions : la saturation du réseau autoroutier s'effectue aujourd'hui à raison de quelques jours par an (départs et retours de vacances en particulier). Davantage demain, c'est certain. Mais c'est beaucoup moins évident pour le fer... Exceptés les franchissements désormais difficiles de Dijon, Lyon, Nîmes, Montpellier ; hormis la saturation de la plate-forme multimodale d'Avignon. Ce sont donc ces points durs qu'il convient de traiter en priorité. Je n'en ignore pas le coût : 4 à 7 millions de francs pour le seul goulet lyonnais.

Le fleuve Rhône ne présente, quant à lui, aucun phénomène comparable : le trafic qu'il reçoit (3 à 5 millions de tonnes par an) n'occupe que 10 % de sa capacité. On ne peut pas croire que le seul défaut d'interconnexion avec les bassins rhénan et mosellan en constitue la raison, alors que la distance moyenne parcourue en fluvial atteint 240 Km sur le grand gabarit de l'Europe du Nord ! Il nous semble aussi que Lyon et Marseille sont les 2ème et 3ème puissances économiques françaises, et que ces positions génèrent à elles seules un important flux interrégional.

Au crédit de notre analyse, notons que la mise en service d'une navette ferroviaire entre le port Édouard Herriot de Lyon et le port autonome de Marseille rencontre un vrai succès, en dépit d'une rupture de charge obligatoire tant à Lyon qu'à Marseille. Pourquoi ce qui serait possible pour le fer, à savoir la récupération de parts de marché, ne serait pas possible, sur le même itinéraire, par le Rhône ? La rapidité n'entre guère en jeu, puisque dans la pratique du « juste à temps », la régularité prime. Une question de service ? Pas davantage. Mais bel et bien une histoire de coût.

Ainsi, la CNC et le PAM qui réalisent cette navette ferroviaire, bénéficient via le FITTVN des crédits qui permettent à cette dernière de rester compétitive face au mode routier. Celui-ci, nous ne l'ignorons pas, impose des tarifs d'autant plus modestes qu'il externalise l'essentiel des coûts d'usure des infrastructures qu'il emprunte, et des coûts environnementaux.

Mais il y a quelque chose de pervers au royaume du transport. Face au couple CNC-PAM, la société rhôdanienne d'acheminement fluvial de conteneurs Delta Box voit les prix chuter et ne parvient à sauver sa cale qu'au prix d'une telle baisse de ses propres tarifs qu'elle a frôlé, en 1998, le dépôt de bilan : je suis bien placé pour le savoir car, en tant que membre du conseil d'administration de VNF, j'ai voté pour une aide financière exceptionnelle permettant à Delta Box de se « maintenir à flots ». Quelle ironie ! Le FITTVN exacerbe une « concurrence cannibale » entre le rail et le fluvial alors que le législateur l'a conçu pour aider ces modes à résister aux camions. L'on mesure sans peine le danger qu'il y a à s'aligner sur la politique tarifaire déloyale qui caractérise aujourd'hui la route, et je ne suis pas certain que cette situation corrobore la définition habituelle de l'intermodalité, supposée synonyme de complémentarité.

Revenons sur les causes de la saturation routière de l'axe Nord-Sud.

A hauteur de 70 %, évalue l'OITC du Sud-Est, les trafics sont locaux et régionaux. Nous entendons par-là qu'une part majeure est constituée du flux de nos concitoyens qui font en voiture la navette quotidienne du domicile au lieu de travail entre Lyon et Saint-Etienne, Valence et Montélimar, Nîmes et Montpellier, Chalon et Villefranche sur Saône, etc.

Face à cette situation, et tout en prônant la réduction à la source de ces déplacements - concilier travail et domicile/loisirs relève d'un perpétuel débat de société -, une seule solution : l'amélioration de l'offre en transports en commun, le cadencement ferroviaire, des trafics plus attractifs, une restriction des possibilités de stationnement. Si nous ignorons s'il faut multiplier les péages urbains ou non alors qu'ils pénalisent les plus précaires d'entre nous, en revanche, nous plaidons pour l'encouragement, au niveau des entreprises, du transport collectif privé et du covoiturage. L'argent que « perdrait » l'entreprise qui offrirait ces prestations à ses salariés retournerait positivement au bilan, grâce au dimensionnement réduit des surfaces de stationnement, aux économies foncières, etc.

A 35 % pour la France entière, estime l'ADEME, les camions transportent des déchets, des produits de récupération, des ordures (des produits de faible valeur) du centre-ville à l'incinérateur ou à l'enfouissement ultime, du tri sélectif au reconditionnement, etc. Cette proportion atteint 45 % sur l'arc Atlantique, et elle doit être également très forte sur l'axe de la vallée du Rhône, puisque l'Espagne et le Portugal sont, dans le secteur de la transformation de ces matériaux, très attractifs. Pourquoi ces produits, de faible valeur, circulent-ils aussi rapidement par la route ? Par défaut d'harmonisation réglementaire - à vous de jouer, Mesdames et Messieurs les parlementaires, si je puis me permettre - et, élément récurrent de la compétition tarifaire, parce que le coût du transport routier est moins élevé que pour le rail et le fluvial.

Pourtant, lorsque l'effort porte simultanément sur la tarification, la réglementation et la volonté politique, des revirements modaux sont permis : la vallée de la Maurienne transporte sur le rail ses déchets jusqu'à Chambéry ; le département de l'Aveyron met à profit les lignes que la SNCF n'a pas fermées ; la communauté urbaine de Lille vient de confier ses ordures aux péniches. Ne peut-on imaginer une offre similaire entre Dole et Besançon, entre Arles et Valence, Chalon et Saint-Jean de Losnes ? Ce que les collectivités paieraient en surplus de transport, elles l'économiseraient dans l'entretien du réseau routier et...le bien être des habitants.

Reste l'épineux problème du transport sur longues distances, particulièrement le transit international. Écartons d'emblée le trafic de contournement de la Suisse : seule y mettra fin une harmonisation européenne de la réglementation - cela représente 15 à 20 % des camions entre l'échangeur de Beaune, et Lyon-sud.

Concentrons-nous sur le trafic Allemagne-Bénélux-Italie-péninsule ibérique : 800 KM, au bas mot, par le réseau routier français. Seule une palette de mesures pourrait en venir à bout et pour commercer, le respect de la réglementation sociale en matière de temps de conduite. Souvenons-nous de cette opération, conduite par la CFDT, il y a quelques mois, sur les aires de repos de l'axe A 6 et A 7 : pratiquement tous les « mouchards » contrôlés affichaient un dépassement flagrant des durées légales de conduite. Comprenez bien que je n'accuse nullement les salariés-conducteurs d'entreprises connues pour la coercition qui règne en leur sein ; ni les artisans-transporteurs, patrons d'un unique camion, qui enchaînent des cadences d'enfer pour répondre à des appels d'offre irresponsables. Mais le contrat de Progrès, dans un tel contexte, ne pénalise que ceux qui le respectent, et cela ne règle certainement pas le problème des transports. Respect de la réglementation, première mesure qui de facto, fera remonter les tarifs des prestations, et rendra les autres modes un peu plus concurrentiels.

Seconde mesure, le transport combiné. Notez que sa généralisation ne dépend nullement des énormes investissements de Lyon-Turin ou d'une fantasmatique liaison transpyrénéenne dédiée au fret. Le transport combiné, sur l'axe Rhin-Rhône-Méditerranée, c'est avant tout la mise au gabarit B+ (plus gros conteneurs maritimes) ou C (les camions sur les trains) de la ligne SNCF de la vallée du Doubs ; c'est la ligne de la Bresse et la rive droite du Rhône. C'est, mais ne rêvons pas trop tant les pentes sont fortes et le parcours sinueux sur l'admirable ligne des Cévennes entre Béziers et Clermont-Ferrand.

Le combiné consiste à répondre favorablement aux transporteurs privés qui, à l'instar de l'allemand Roos-Rail, basé à Metz, sollicite la SNCF sans relâche - mais sans succés ! - pour que celle-ci délivre trois sillons par jour, afin de délester les autoroutes de ses quelques 70 camions quotidiens jusqu'à Rivesaltes.

C'est, enfin, la solution aux étranglements ferroviaires que nous évoquions plus haut, et le recours au maritime pour les longues distances Europe du nord-péninsule ibérique, par exemple.

Nous affirmions en préambule que la seule mise à disposition d'une infrastructure ne génère pas automatique un flux de transport. En effet, il faut organiser l'offre et, en matière de transport combiné, la simplifier quelque peu, en supprimant la surabondance d'opérateurs sur un trajet donné afin de n'en conserver qu'un seul. L'on peut également s'interroger sur la pertinence du choix de la SNCF de reléguer le fret aux seuls sillons nocturnes, situation qui provoque de sérieux retards d'acheminement sur des parcours jugés stratégiques. Enfin, nous enfonçons une porte ouverte en répétant qu'il faut revoir les raisons profondes d'une telle disparité tarifaire entre modes, qui confère à certains trafics routiers une connotation de dumping.

Il faut également promouvoir le recours aux infrastructures existantes ; dans le domaine de la route, puisqu'il paraît évident que nous circulerons en voiture et en camion pendant quelques années encore, encourager un report sur l'autoroute A 75 plutôt que de spéculer sur les hypothétiques bienfaits d'une autoroute A 79 Lyon-Béziers par la corniche cévennole - pour désenclaver Privas, Aubenas et Alès ? Qui le croit vraiment ? - ou de sa cousine l'autoroute A 51 entre Dole et Sisteron. Car, à l'évidence, ces projets relèvent davantage des travaux publics que de l'économie des transports.

En conclusion, rappelons que divers rapports traitent en partie des solutions relatives à la dessaturation de l'axe Nord-Sud via la vallée du Rhône :

- le rapport du Plan : Transport 2010 (1992),

- le rapport Carrère : Transport destination 2002 (1992),

- le rapport Brua : Accessibilité des zones à faible densité d'habitat (1993),

- le rapport boiteux : Transport, pour un vrai choix des investissements (1994),

- le rapport Dron : Pour une politique soutenable des transports (1995),

- le rapport Bonnafous : Transport, le prix d'une stratégie (1996),

- le rapport Perrot, sur le transport combiné (1998),

- le rapport Brossier, sur les traversées alpines (1998).

Ces divers documents ont sans conteste fortement enrichi les débats relatifs à la loi d'orientation de l'aménagement du territoire qui ont animé votre Assemblée au mois de janvier dernier.

Contribution de M. Jean-Paul PROUST,
Préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et des Bouches-du-Rhône

1.- La région Provence-Alpes-Côte d'Azur souffre d'un très important retard en infrastructures et en service de transport.

Le retard d'infrastructures concerne d'une part les Alpes du Sud, mal connectées à l'Italie aussi bien que l'axe littoral totalement saturé à certaines périodes de l'année.

Le retard en service concerne essentiellement les transports collectifs en agglomérations (Marseille, Nice, Toulon et Avignon).

Les problèmes de saturation se posent principalement dans la vallée du Rhône et sur l'arc Méditerranéen littoral (A8 au droit d'Arles, de Aix , Nice et la Côte d'Azur).

Les aéroports de Nice Côte d'Azur et de Marseille-Provence dont le développement est très important risquent d'être saturés d'ici une dizaine d'années.

D'autres goulets d'étranglement existent en plus de ceux cités ci-avant, aux limites de la région PACA aussi bien à l'Ouest vers Nîmes Montpellier qu'à l'Est vers l'Italie. Le franchissement du n_ud lyonnais est également problématique.

2.- L'analyse des flux de trafic fret est donnée en annexe ci-jointe. Pour ce qui concerne les flux de voyageurs, par mode, ces données sont détaillées dans l'annuaire statistique des transports publié par l'Observatoire Régional des Transports de la région.

La région Provence-Alpes-Côte d'Azur est caractérisée par une dominance de la route pour le transport de marchandises - Route 67 %, Fer 29 %, Voies navigables 4 %.

3.- Les investissements prioritaires sont :

- Pour le transport des voyageurs, la création d'une ligne ferrée à grande vitesse entre l'aire marseillaise et l'Italie, qui permette d'offrir une réelle alternative au transport individuel par route et autoroute dont on connaît les limites, en particulier au droit des agglomérations, ainsi que le soulagement de la ligne ferrée existante datant du siècle dernier et qui ne peut répondre au développement démographique du littoral.

- Pour les marchandises, les plates-formes logistiques et chantiers rail-route afin d'ancrer les circuits logistiques (évite les détournements de trafic et développement du transit (effet aspirateur), de créer par conséquent plus de valeur ajoutée, des emplois, et un développement durable.

Fos-Distriport ; Miramas-Grans (CLESUD) ; Cavaillon (ORIUS) ; Avignon-Champleury ; Marseille-Canet

_ le couloir logistique (auto)routier Fos-Miramas-Salon-Cavaillon

_ hors PACA, le contournement ferroviaire de Lyon

4.- L'amélioration des services ferroviaires pour le fret entre la région PACA et le port de Marseille et la « banane bleue » est nécessaire au développement de l'économie régionale.

L'hinterland du port de Marseille doit s'étendre vers la Suisse et l'Allemagne pour reconquérir des marchés.

5.- L'élargissement de l'hinterland du Port de Marseille est nécessaire. Il passe par certaines conditions :

_ des investissements en infrastructures, principalement ferroviaire dont le franchissement du n_ud lyonnais,

_ une amélioration des conditions d'exploitation du transport ferroviaire et rail-route,

_ des investissements sur le port de Marseille-Fos, principalement les bassins Ouest (Fos) avec un deuxième terminal conteneurs,

_ une politique commerciale dynamique du Port Autonome de Marseille en faveur des marchandises diverses, en particulier conteneurisées (bientôt conteneurisation mondiales à 80-90 %).

Un grand itinéraire de transport Est-Ouest conduirait au développement du transit fret (effet aspirateur aux deux bouts) avec tous les effets pervers habituels, si au préalable l'amélioration de l'axe ferroviaire Sud-Nord et l'ancrage des circuits logistiques n'étaient pas réalisés.

6.- Pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et le Grand Sud Est de la France, le TGV Rhin-Rhône n'est utile que s'il est relié dans des conditions performantes au sud de le France (accrochage avec le TGV Méditerranée, mixité des trafics fret et voyageurs, relations internationales vers la Suisse et l'Allemagne, correspondances assurées, complémentarité avec l'avion etc.) Il convient d'insister plus particulièrement sur la prise en compte du transport des marchandises. Ce nouvel axe n'aurait qu'un intérêt limité s'il ne prenait en compte que le transport « voyageurs ». Les flux de marchandises sont essentiels pour les régions concernées et pour assurer le développement des régions Est et Sud.

7.- Le TGV Rhin-Rhône est un maillon supplémentaire dans l'organisation du transport des voyageurs au niveau européen.

On peut constater que si les liaisons vers le Nord de l'Europe se développent, celles du pourtour méditerranéen restent en panne.

Les liaisons de l'arc Méditerranéen vers l'Italie (TGV Côte d'Azur), vers l'Espagne (Catalogne), dans le Grand Sud-Est (Marseille-Bordeaux) passent au second plan. Pourtant au regard des données démographiques et économiques publiées par la DATAR, le bassin méditerranéen se présente comme un espace d'échanges fondamental dans l'équilibre européen.

Le TGV Rhin-Rhône est un maillon de cet espace. Mais sans jonction performante avec les pays méditerranéens sous-équipés, il ne restera qu'un embryon du réseau TGV européen.

N°1920. - RAPPORT D'INFORMATION de M. Jean-Louis FOUSSERET déposé en application de l'article 145 du Règlement par la mission d'information commune sur les perspectives économiques et sociales de l'aménagement de l'axe européen Rhin-Rhône (Tome II - auditions, 2ème partie)