N° 2226

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er mars 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1) SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 2132) DE Mme Catherine GÉNISSON ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

PAR M. André VALLINI,

Député.

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Femmes

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Martine Lignières-Cassou, présidente ; Mmes Muguette Jacquaint, Chantal Robin-Rodrigo, Yvette Roudy, Marie-Jo Zimermann, vice-présidentes ; Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Michel
Herbillon, secrétaires ; M. Pierre Albertini, Mmes Nicole Ameline, Roselyne Bachelot-Narquin, M. Patrick Bloche, Mme Danielle Bousquet, M. Philippe Briand, Mme Nicole Bricq, M. Jacques Brunhes, Mmes Odette
Casanova, Nicole Catala, MM. Richard Cazenave, Henry Chabert, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Jean-Pierre Defontaine, Patrick Delnatte, Jean-Claude Etienne, Jacques Floch, Claude Goasguen, Patrick Herr, Mmes Anne-Marie Idrac, Conchita Lacuey, Jacqueline Lazard, Raymonde Le Texier, M. Patrice Martin-Lalande, Mmes Hélène Mignon, Catherine Picard, MM. Bernard Roman, André Vallini, Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 5

TITRE PREMIER : LA MISE EN OEUVRE D'UNE APPROCHE INTÉGRÉE DE L'ÉGALITE PROFESSIONNELLE PAR LE DROIT DU TRAVAIL 7

I. LA LOI DU 13 JUILLET 1983 : UNE VISION RÉELLEMENT NOVATRICE MAIS AUX CONSÉQUENCES PRATIQUES TOUJOURS INSUFFISANTES 7

II. LE RAPPORT ANNUEL DE SITUATION COMPARÉE : UN OBJECTIF AMBITIEUX, DES RÉSULTATS DÉCEVANTS 8

A. UNE APPLICATION DÉFAILLANTE DE LA LETTRE ET DE L'ESPRIT DU DROIT EN VIGUEUR 8

B. UNE NÉCESSAIRE RÉAFFIRMATION DU CONTENU ET DE LA FINALITÉ DU RAPPORT DE SITUATION COMPARÉE 9

III. LE THÈME DE L'ÉGALITE PROFESSIONNELLE : UNE PRÉOCCUPATION RENFORCÉE À TOUS LES NIVEAUX DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE 11

A. L'OBJECTIF : DÉPASSER LA SIMPLE FACULTÉ LAISSÉE AUX PARTENAIRES SOCIAUX 11

B. LA MISE EN PLACE D'UN DISPOSITIF GÉNÉRAL DE NÉGOCIATION PERMETTANT L'ÉLABORATION D'INITIATIVES NOUVELLES 12

C. LES POINTS APPELANT DE POSSIBLES CLARIFICATIONS 14

TITRE II : UNE NÉCESSAIRE PRISE EN COMPTE DE L'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE DANS LA FONCTION PUBLIQUE 15

I. LES FEMMES DANS LA FONCTION PUBLIQUE : UNE ÉGALITÉ DE DROIT, UNE DISCRIMINATION DE FAIT 15

A. LE CONSTAT 15

B. UNE SOLUTION À EXCLURE : LES QUOTAS D'ADMISSION 18

II. DONNER TOUTE LEUR PLACE AUX FEMMES DANS LE STATUT DE LA FONCTION PUBLIQUE 18

III. ASSURER UNE REPRÉSENTATION ÉQUILIBRÉE DES DEUX SEXES AU SEIN DES INSTANCES PARITAIRES 21

IV. FÉMINISER LES JURYS DE CONCOURS ET LES COMITÉS DE SÉLECTION 26

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION 31

ANNEXES : Auditions de la Délégation 32

Mesdames, Messieurs,

Plus de quinze années après l'entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1983, dite « loi Roudy », force est de constater que l'affirmation du principe de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes -qui a, certes, pu trouver un cadre légal dans le droit social français- n'a pas eu tous les effets de réduction des inégalités qu'on aurait pu en attendre, notamment en matière salariale et de formation.

Il faut noter en outre que ce principe d'égalité n'a été véritablement pris en compte par la jurisprudence qu'à partir de la seconde moitié des années quatre-vingt-dix.

Ainsi, l'écart des rémunérations entre les salariés masculins et féminins s'établit à plus de 25 % en défaveur des femmes, en moyenne, selon une étude, portant sur le mois de mars 1998, de la Direction de l'animation, de la recherche des études et des statistiques (DARES) du ministère de l'emploi et de la solidarité.

Les interruptions de carrière des mères de famille ont un impact négatif sur l'évolution salariale du personnel féminin de même que le développement du travail à temps partiel, majoritairement féminin (47 % des femmes occupent un travail à temps complet contre 77 % des hommes). En outre, alors que leur niveau de formation initiale n'a cessé de s'élever depuis trente ans, les femmes accèdent toujours beaucoup plus difficilement que les hommes à des fonctions d'encadrement.

Sur tous ces sujets, les conclusions des missions confiées par le Premier Ministre à notre collègue Mme Catherine Génisson et par M. Emile Zuccarelli à Mme Anne-Marie Colmou, constituent un précieux constat des situations comparées de l'activité féminine et masculine dans les entreprises comme dans la fonction publique à tous les niveaux. Ces rapports comportent également de nombreuses propositions visant notamment à améliorer les droits du travail et de la fonction publique afin de favoriser l'émergence d'une véritable égalité professionnelle, seule à même d'instaurer de façon durable les conditions d'une parité professionnelle.

Telle est l'ambition de la présente proposition de loi qui transcrit un certain nombre de propositions des rapports précités et participe ainsi de la politique décidée par le gouvernement en matière d'égalité professionnelle.

Votre rapporteur se félicite que la proposition de loi traite de l'ensemble des problèmes de l'égalité professionnelle et ne laisse pas à l'écart les différentes fonctions publiques (Etat, territoriale, hospitalière), ce qui n'avait pas été possible dans le cadre de la « loi Roudy ».

Dans sa communication au Conseil des Ministres du 23 juin 1999, Mme Nicole Péry, Secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, a rappelé les trois objectifs d'action retenus :

1. le renforcement de l'égalité d'accès à l'emploi ;

2. l'élargissement de l'accès aux fonctions de responsabilité en matière politique, économique et sociale ;

3. la volonté de rendre plus effectif les droits des femmes.

Le présent rapport examinera donc les problèmes soulevés par l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, aussi bien dans le cadre de l'entreprise (titre I) que dans celui de la fonction publique (titre II).

TITRE PREMIER


LA MISE EN OEUVRE D'UNE APPROCHE INTÉGRÉE
DE L'ÉGALITE PROFESSIONNELLE
PAR LE DROIT DU TRAVAIL

I. LA LOI DU 13 JUILLET 1983 : UNE VISION RÉELLEMENT NOVATRICE MAIS AUX CONSÉQUENCES PRATIQUES TOUJOURS INSUFFISANTES

Antérieurement à la loi du 13 juillet 1983, le droit du travail édictait quelques rares dispositions protectrices pour la santé ou la situation familiale des femmes au travail.

La « loi Roudy » a donné au droit social une dimension égalitariste dépassant le strict cadre de la prohibition des seuls faits mettant en cause l'intégrité physique ou familiale des salariées. Ce texte fondateur a mis en _uvre des principes posés tant par la convention n° 111 du 25 juin 1958 de l'Organisation internationale du travail (O.I.T.) que par la directive européenne n° 76/207 du 7 février 1976.

Afin d'établir une égalité professionnelle fondée sur l'égalité des chances entre les femmes et les hommes dans les entreprises, la loi du 13 juillet 1983 a établi trois dispositifs, en prévoyant :

- l'élaboration d'un rapport annuel sur la situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation, dont le bilan et les objectifs doivent être soumis par l'employeur à l'appréciation du comité d'entreprise ;

- la négociation d'accords d'entreprise entre l'employeur et les syndicats, visant à mettre en _uvre des mesures de rattrapage dans le cadre d'un « plan d'égalité professionnelle » (PEP) ;

- l'aide financière de l'Etat et du Fonds social européen (FSE), accordée à des actions à caractère exemplaire notamment pour la formation et la promotion des femmes, sous réserve d'engagements pris par l'employeur dans le cadre d'un « contrat d'égalité professionnelle » conclu par l'Etat (dispositif créé par le décret d'application n° 84-69 du 30 janvier 1984).

Au niveau interprofessionnel, les partenaires sociaux ont conclu, en 1989, un accord sur l'égalité professionnelle qui visait à inciter chaque branche à établir un constat de la situation du travail des femmes et à engager sur cette base la mise en _uvre d'objectifs concrets. Un seul accord sectoriel a toutefois été conclu, à ce titre. Il concernait d'ailleurs la cimenterie, une activité au demeurant peu féminisée. Bien qu'à l'occasion de la révision de certaines conventions collectives, les préoccupations d'égalité professionnelle aient trouvé une traduction, force est de constater la modestie du bilan des dispositifs énoncés ou inspirés par la « loi Roudy ».

Ainsi, un récent rapport du Conseil d'analyse économique (CAE), institué auprès du Premier Ministre, et consacré aux aspects économiques de l'égalité entre les femmes et les hommes, rappelle la faiblesse de la mobilisation des partenaires sociaux sur le thème de l'égalité professionnelle, et recense, depuis 1983, la négociation de seulement trente-quatre plans d'égalité professionnelle dont vingt-deux ont été éligibles à l'aide de l'Etat.

La proposition de loi entend réaffirmer la nécessité du constat annuel, réalisé par le rapport de situation comparée, afin qu'il donne lieu à un débat contradictoire dans l'entreprise. C'est pourquoi, elle lui confère un rôle plus déterminant dans les procédures internes de négociation. Ce rapport pourra alors constituer un élément important d'appréciation des situations, susceptible de servir à la prise en compte des attentes des femmes, notamment dans le cadre des négociations à conduire sur la réduction et l'aménagement du temps de travail.

II. LE RAPPORT ANNUEL DE SITUATION COMPARÉE : UN OBJECTIF AMBITIEUX, DES RÉSULTATS DÉCEVANTS

A. UNE APPLICATION DÉFAILLANTE DE LA LETTRE ET DE L'ESPRIT DU DROIT EN VIGUEUR

En vertu de l'article L.432-3-1 du code du travail issu de la loi du 13 juillet 1983, les entreprises comptant au moins 50 salariés sont tenues de soumettre pour avis au comité d'entreprise, ou, à défaut, aux délégués du personnel, un rapport annuel sur les conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise.

Le rapport de situation comparée doit obligatoirement comporter une « analyse chiffrée » permettant d'apprécier, pour chaque catégorie professionnelle, les situations respectives en matière d'embauche, de formation et de promotion professionnelles, de classification, de conditions de travail et de rémunération effective.

Ces informations ne se substituent pas à d'autres obligations du code du travail, notamment à celles qui concernent le bilan social (articles L.438-1 et suivants du code du travail), bien que les informations collectées dans ce cadre puissent être utilisées pour la préparation du rapport de situation comparée.

Au-delà d'un simple constat, ce rapport doit également avoir une dimension prospective en précisant non seulement les mesures prises au cours de l'année écoulée en vue d'assurer l'égalité professionnelle, mais encore les objectifs pour l'année à venir et l'évaluation des coûts éventuellement supportés en ce sens. En outre, dans l'hypothèse d'absence de réalisation d'actions initialement prévues ou demandées par le comité d'entreprise, le rapport doit donner les motifs d'inexécution ou d'impossibilité de mise en _uvre.

Ces dispositions n'ont pas, dans les faits, eu les conséquences escomptées.

_· Sur le plan quantitatif, la moitié au moins des entreprises assujetties à cette obligation ne produit pas ce rapport.

_· Sur le plan qualitatif, les informations publiées traduisent souvent, comme le souligne le rapport de Mme Génisson, un état de situation statique et dénué de commentaires analytiques ou de justifications probantes.

La production de ce document reste perçue par de nombreux employeurs comme une formalité supplémentaire dont l'utilité ne leur paraît pas directement évidente.

B. UNE NÉCESSAIRE RÉAFFIRMATION DU CONTENU ET DE LA FINALITÉ DU RAPPORT DE SITUATION COMPARÉE

Les articles premier et 2 de la proposition de loi visent à renforcer la pertinence et la lisibilité des informations contenues dans le rapport.

En premier lieu, l'article premier substitue à l'« analyse chiffrée », considérée comme trop générale, une « analyse sur la base d'indicateurs pertinents définis par décret ».

En second lieu, la proposition de loi a pour objet d'améliorer la lisibilité et l'utilisation ultérieure du rapport de situation comparée.

L'information des salariés sur ces indicateurs est d'ailleurs un enjeu essentiel ; l'article 2 de la proposition prévoit notamment l'affichage obligatoire des indicateurs afin de porter à leur connaissance les modalités de prise en compte de la situation de l'égalité professionnelle dans l'entreprise.

Cette obligation, au demeurant traditionnelle en droit du travail, complète le dispositif actuel (alinéas premier et 5 de l'article L.432-3-1 du code du travail) qui prévoit l'information indirecte (par l'intermédiaire des délégués du personnel ou du comité d'entreprise qui sont destinataires pour avis du rapport) voire directe des salariés (possibilité de mise à disposition du document en cas de demande individuelle à l'employeur). De plus, les délégués syndicaux sont destinataires du rapport.

La définition d'indicateurs réellement « pertinents » est seule à même de fournir aux salariés une grille de lecture satisfaisante de la situation comparée des femmes et des hommes, dans une perspective dynamique.

Au-delà des données statistiques obligatoires et exprimées en pourcentages, qui pourraient être communes à toutes les entreprises tenues de produire le rapport, les indicateurs spécifiques à chaque entreprise concernée et à la branche d'activité dont elle relève paraissent également indispensables.

Si la définition des indicateurs relève effectivement du pouvoir réglementaire, il semble néanmoins envisageable de déterminer dans la loi certaines orientations auxquelles devrait se référer le décret prévu au titre de l'article premier de la proposition de loi qui modifie le premier alinéa de l'article L.432-3-1 du code du travail.

En tout état de cause, des indicateurs précis et dynamiques doivent permettre :

- de renforcer le caractère propre au rapport annuel de situation comparée, en traçant un plan de travail précis à l'employeur  assujetti à cette obligation ;

- de fournir un meilleur support à la négociation collective.

III. LE THÈME DE L'ÉGALITE PROFESSIONNELLE : UNE PRÉOCCUPATION RENFORCÉE À TOUS LES NIVEAUX DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE

A. L'OBJECTIF : DÉPASSER LA SIMPLE FACULTÉ LAISSÉE AUX PARTENAIRES SOCIAUX

Les articles 3 à 9 de la proposition de loi intègrent plusieurs dispositions nouvelles au sein du code du travail. Elles visent à ériger l'égalité professionnelle en tant qu'objectif majeur de la négociation collective au niveau de l'entreprise et de la branche.

La circulaire ministérielle DRT n° 96-12 du 30 octobre 1996, commentant les dispositions légales en vigueur relatives à l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans les conventions collectives, fixait déjà certains objectifs relevant de cette préoccupation.

Après avoir rappelé le principe de la nullité de toute clause conventionnelle discriminatoire et la possibilité offerte aux partenaires sociaux, depuis l'entrée en vigueur de la « loi Roudy », de négocier les mesures de rattrapage au seul bénéfice des femmes, afin d'établir une réelle égalité des chances (article L. 123-3 du code du travail), ce texte précisait que quels que soient les thèmes abordés au cours des négociations, les partenaires sociaux se devaient de faire prévaloir « le souci de concrétiser l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes ».

Dans ce cadre, cet objectif n'avait cependant aucune valeur contraignante.

Or, « la discussion au sein de l'entreprise sur le diagnostic de la situation professionnelle des femmes est l'enjeu principal à partir duquel une évolution deviendra possible », constate Mme Génisson dans son rapport.

A l'évidence, aucune avancée significative ne peut intervenir sans une mobilisation des personnels. Des progrès paraissent possibles, dans la mesure où ces problèmes ne seront plus posés en termes généraux et où l'attention des salariés concernés pourra se fixer sur tel ou tel aspect précis, selon la situation particulière à chaque entreprise.

B. LA MISE EN PLACE D'UN DISPOSITIF GÉNÉRAL DE NÉGOCIATION PERMETTANT L'ÉLABORATION D'INITIATIVES NOUVELLES

Les articles 3 et 5 de la proposition de loi visent à rendre obligatoire, une négociation spécifiquement consacrée à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes pour les entreprises soumises à l'obligation de négociation annuelle prévue aux articles L. 132-27 à L. 132-29 du code du travail.

Ces dispositions qui résultent de la loi du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective obligent, en effet, les entreprises comportant au moins une section syndicale d'une organisation représentative, à négocier (non à conclure) sur des thèmes précis : évolution de l'emploi, salaires effectifs, durée et organisation du travail en prenant notamment en compte, depuis la loi n° 93-1313 du 30 décembre 1993, « la mise en place du travail à temps partiel à la demande des salariés ».

Aussi, l'article 3 complète l'article L.132-27 en instituant une obligation supplémentaire de négocier « sur les objectifs d'amélioration de la situation de l'entreprise au regard de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que sur les mesures permettant de les atteindre... ». Cette nouvelle rédaction traduit ainsi une préoccupation de voir aborder dans la négociation annuelle, des points précis et concernant directement l'égalité professionnelle, au niveau de l'entreprise et, le cas échéant, de ses différents établissements.

En outre, afin de conférer un véritable contenu à la négociation, l'article 3 de la proposition de loi articule son dispositif avec ceux des articles premier et 2, en imposant comme base de discussion le rapport de situation comparée prévu par l'article L. 432-3-1 du code du travail qui devra désormais comporter des indicateurs pertinents concernant les situations respectives des personnels masculins et féminins dans les domaines de l'embauche, de la formation et de la promotion professionnelle, de la qualification, des classifications, des conditions de travail et de la rémunération.

L'article 3 inscrit cette nouvelle obligation dans la périodicité de la négociation annuelle ; il précise toutefois que, lorsqu'un accord sur l'égalité professionnelle est conclu dans ce cadre, et à la condition qu'il porte à la fois sur des objectifs et des mesures, la périodicité de la négociation obligatoire est portée à trois ans.

La nouvelle rédaction proposée sur ce point conduit toutefois à s'interroger sur l'opportunité d'instaurer une formule de vérification de la juste application d'un accord qui comporterait un certain nombre de mesures concrètes et, le cas échéant, de leur calendrier d'entrée en vigueur qui constituerait précisément l'un de ses objets. A cet égard, le caractère pluriannuel d'un accord ne justifie peut être pas une complète exonération légale d'obligation de négocier sur le thème de l'égalité professionnelle, tout au long de la période d'application.

L'article 5 quant à lui pose le principe de la prise en compte obligatoire de l'objectif d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans le cadre de l'obligation de négociation annuelle. L'égalité professionnelle ne doit pas seulement être un des thèmes de la négociation mais doit en être une de ses lignes directrices...

Par ailleurs, les articles 6 et 7 de la proposition de loi visent à imposer, dans le cadre des conventions de branche et des accords professionnels et interprofessionnels, une obligation de négocier à ces niveaux sur les principaux aspects de l'égalité professionnelle. Cette obligation est déjà posée dans l'article L.123-3-1 du code du travail ; mais ces dispositions seront transférées dans un chapitre spécifique du code relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Il s'agit en transposant ces dispositions d'intégrer l'égalité professionnelle dans le dispositif plus général des conventions collectives et d'en faire ainsi un des volets obligatoires de toute négociation. Une périodicité triennale est imposée. Elle permettra d'avoir le recul nécessaire à l'évolution des dispositifs qui ont été mis en _uvre et de permettre aux mesures décidées d'avoir leur plein effet. L'article 7 impose comme plate-forme de discussion de cette négociation « un rapport présentant la situation comparée des hommes et des femmes dans ces domaines, et ...des indicateurs pertinents pour chaque secteur d'activité ». Ainsi, le rapport de situation comparée obligatoire au niveau des entreprises sera-t-il appliqué au niveau des conventions collectives de branche et des accords professionnels et interprofessionnels.

Comme le fait l'article 5 pour les entreprises comportant au moins une section syndicale d'une organisation représentative et soumises à ce titre à l'obligation de négociation annuelle, l'article 8 pose le principe de la prise en compte obligatoire de l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans le cadre des négociations de branche et d'accords professionnels et interprofessionnels.

Enfin, l'article 9 de la proposition élargit les possibilités d'attribution d'aides financières de l'Etat, jusqu'alors limitées aux seules actions de rattrapage arrêtées dans le cadre des plans pour l'égalité professionnelle, à toute mesure prise en ce sens au terme d'un processus conventionnel.

C. LES POINTS APPELANT DE POSSIBLES CLARIFICATIONS

Au terme des auditions et des contacts qu'il a eus avec les organisations représentatives des employeurs et des salariés sur la présente proposition de loi, votre rapporteur souhaite formuler les trois suggestions suivantes :

- s'agissant de la négociation sur l'égalité professionnelle, au niveau de l'entreprise, le critère retenu pour le déclenchement de l'obligation est l'existence d'au moins une section syndicale d'une organisation représentative. Au regard de la faiblesse de l'implantation syndicale selon les secteurs d'activité et la dimension des entreprises, la référence à un seuil de salariés ne souffrant aucune exception dans son application, paraît mieux à même de permettre une généralisation plus objective de cette obligation. Une telle solution, qui dissocierait quelque peu cette obligation spéciale de négociation de celle ayant une portée plus générale prévue aux articles L.132-27 et suivants du code du travail, présenterait néanmoins un avantage de cohérence : les entreprises de 50 salariés au moins sont celles qui sont tenues de produire le rapport de situation comparée dont la réforme est précisément conçue afin qu'il serve de support à une négociation particulière sur le thème de l'inégalité professionnelle ;

- par ailleurs, les questions concernant le harcèlement sexuel (prises en considération par le droit du travail depuis la loi n° 92-1179 du 2 novembre 1992), de même que le harcèlement moral ou psychologique sur les lieux du travail, ne paraissent pas pouvoir être exclues du cadre du rapport de situation comparée et du champ de la négociation sur l'égalité professionnelle. En l'état actuel du droit, seul le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (C.H.S.C.T.) -dont la constitution est d'ailleurs obligatoire dans toute entreprise occupant au moins 50 salariés- « peut proposer des actions de prévention en matière de harcèlement sexuel » (article L.236-2, 6ème alinéa du code du travail) ;

- dans le cadre de l'avis donné par le comité d'entreprise ou, à défaut, par les délégués du personnel, sur le rapport de situation comparée, il devrait explicitement leur être ouvert le droit de demander l'inclusion d'indicateurs spécifiques à la situation de l'entreprise dans le rapport à réaliser pour l'année suivante. Le cas échéant, l'employeur devrait justifier dans ce rapport les motifs pour lesquels l'application ou la mise en _uvre d'un indicateur ayant fait l'objet de cette demande s'est révélée impossible.

TITRE II


UNE NÉCESSAIRE PRISE EN COMPTE
DE L'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE
DANS LA FONCTION PUBLIQUE

I. LES FEMMES DANS LA FONCTION PUBLIQUE : UNE ÉGALITÉ DE DROIT, UNE DISCRIMINATION DE FAIT

A. LE CONSTAT

Un demi-siècle après que le préambule de la Constitution de 1946 a posé le principe, selon lequel « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux des hommes », la mise en _uvre de ces droits dans la fonction publique s'avère particulièrement laborieuse. Si le statut général garantit bien une égalité de droit, les femmes font souvent l'objet d'une discrimination de fait.

En 1998, les femmes représentaient 56,9 % des agents titulaires et non titulaires des trois fonctions publiques (fonction publique de l'Etat, fonction publique territoriale, fonction publique hospitalière). Alors que le secteur privé ne compte que 42,7 % de femmes, cela pourrait laisser supposer que la fonction publique s'est largement féminisée.

Mais, comme l'a bien démontré Mme Anne-Marie Colmou, maître des requêtes au Conseil d'Etat, dans son rapport sur l'encadrement supérieur dans la fonction publique, si les affaires sociales (71,2 % de femmes), l'éducation nationale (65,2 %) ou les métiers hospitaliers sont traditionnellement des administrations fortement féminisées, le ministère de l'Intérieur (26,6 %) ou celui de l'Équipement et des Transports (28 %) n'ont pas suivi la même évolution. On note donc la concentration des femmes dans le domaine social ou éducatif, et leur relative absence dans les filières techniques.

La disparité est encore plus marquée si l'on étudie les différents niveaux hiérarchiques. Les femmes sont rares dans les fonctions d'encadrement et de responsabilité. Un emploi de haut fonctionnaire sur huit est occupé par une femme, 33 % des emplois de catégorie A hors enseignants, 48,5 % des emplois de catégorie B hors enseignants et 52 % des emplois de catégorie C. Il n'y avait que 13 femmes sur 168 directeurs d'administration centrale en juin 1997, alors que le corps interministériel des administrateurs civils compte 25 % de femmes. A la même date, on pouvait recenser 5 femmes sur 109 préfets, 4 sur 30 recteurs, 9 sur 157 ambas-sadeurs, 9 sur 74 membres en activité de l'Inspection générale des finances, 40 sur 201 membres du Conseil d'Etat, 29 sur 217 membres de la Cour des Comptes.

Or, les grands corps de contrôle, outre leurs attributions propres, constituent le vivier traditionnel dans lequel l'Etat puise pour recruter certains des plus hauts responsables des cabinets ministériels, des administrations centrales, ainsi que de l'ensemble du secteur public. Il n'y a d'ailleurs aujourd'hui qu'une seule femme directrice de cabinet, au ministère de l'Éducation nationale.

Un tiers de femmes figurent parmi les admis au concours de l'ENA (pour 40 % de candidates). Certes, des progrès sensibles ont été effectués depuis les années d'après-guerre, où les femmes représentaient entre 2 et 3 % des reçus :

- 2,5 % de reçues en moyenne aux concours externes de l'ENA entre 1945 et 1959 et 3 % aux concours internes ;

- 5,5 % et 6 % de 1960 à 1971 ;

- 12 % et 11 % de 1972 à 1976 ;

- 17 % et 23 % de 1977 à 1982 ;

- 20 % et 25 % de 1983 à 1986 ;

- 20 % et 30 % de 1987 à 1990 ;

- 21 % et 27 % de 1991 à 1995 ;

- 37 % et 28 % en 1996 ;

- 38 % et 34 % en 1997.

De fortes disparités persistent encore entre les hommes et les femmes au long de la scolarité et à la sortie de l'école. Ces disparités sont aggravées dans les grandes écoles donnant accès aux grands corps techniques, l'école Polytechnique, l'école des Ponts-et-Chaussées et l'école des Mines. Alors que la fonction publique hospitalière est très féminisée, il n'y a toujours qu'une seule femme parmi les 29 directeurs généraux de CHU-CHR.

Dans la fonction publique territoriale, 82,6 % des administrateurs territoriaux sont des hommes alors que 56 % des agents communaux et 79 % des agents départementaux sont des femmes. Les femmes sont majoritaires parmi les non titulaires (68 %). Les données statistiques disponibles sont cependant peu précises, en raison de la difficulté de les collecter auprès des 50 000 collectivités et établissements publics concernés.

Dans l'encadrement supérieur de l'administration, la parité peut être mise en _uvre sans révision constitutionnelle et même sans modification législative ou réglementaire. Il s'agit avant tout, comme le Premier Ministre l'a exprimé, de s'engager dans une politique de nomination volontariste : « notre pays est en retard, sur ce point, par rapport à la plupart des grandes démocraties européennes. Nous sommes largement en-dessous de ce qui serait nécessaire. Nous devons donc exercer une poussée volontariste. Au cours du dernier séminaire gouvernemental, j'ai demandé que nous commencions à nommer davantage de femmes dans les postes de chef de bureau, de sous-directeur ou de chef de service pour créer un vivier et pouvoir progresser. » (16 février 1999, séance des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale).

Cette démarche est de nature à compenser en partie le handicap de carrière dont souffrent les femmes qui ont consacré plusieurs années de leur vie à des maternités. Certes, les contraintes spécifiques des mères de famille, liées à leur plus grande implication, de façon générale, dans l'éducation de leurs enfants, ont conduit à leur reconnaître des facilités particulières pour l'accès à la fonction publique. Ainsi, les concours de catégorie A sont ouverts jusqu'à l'âge de quarante-cinq ans aux mères d'un enfant, et les mères de famille de trois enfants et plus ne sont soumises à aucune condition d'âge. Mais, si ces dispositions facilitent l'accès à la base à certains emplois de la fonction publique, elles ne peuvent compenser le profond handicap dont souffrent les femmes pour arriver au sommet de la pyramide.

S'agissant des emplois les plus élevés dans la hiérarchie administrative, les articles 13 et 21 de la Constitution donnent au Président de la République et au Premier Ministre les instruments juridiques d'une politique plus déterminée, sans rompre par ailleurs avec la règle de l'anonymat des concours et la règle constitutionnelle de l'égalité entre les candidats, qui sont « également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » (article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789).

Or, seulement 8 % des emplois exclusivement à la discrétion du Gouvernement sont occupés par des femmes contre 3 % en 1983.

L'engagement du Premier Ministre en faveur de la féminisation de la très haute fonction publique commence toutefois à porter ses fruits, puisque 30 femmes étaient en fonctions à la tête d'une administration centrale au 20 janvier 2000, alors que Mme Colmou n'en avait recensé que 13 en juin 1997 et que le nombre des directions a diminué. Cet effort doit donc être intensifié pour devenir irréversible.

La proposition de loi arrive ainsi en discussion dans un contexte globalement plus favorable aux femmes que celui de la « loi Roudy » en 1983. Elle aborde en parallèle l'égalité professionnelle dans la fonction publique et dans l'entreprise. Il faut d'ailleurs regretter que la « loi Roudy » n'ait pas été applicable à la fonction publique, malgré les intentions très clairement exprimées de son auteur. Et l'expérience montre que sans une loi contraignante, la situation des femmes dans la fonction publique n'évolue pas assez vite. Ainsi, la circulaire du 24 janvier 1983, qui demandait que les avis de concours et les appels à candidature soient rédigés de telle sorte que les femmes, comme les hommes, se sentent concernées, que la dénomination féminine de l'emploi figure systématiquement à côté de la dénomination masculine, que les jurys de concours et les organes consultatifs soient mixtes, et que les critères de sélection pour l'accès aux postes de haute responsabilité soient diversifiés pour ouvrir aux femmes une réelle égalité des chances, n'a jamais été véritablement appliquée.

B. UNE SOLUTION À EXCLURE : LES QUOTAS D'ADMISSION

L'instauration de quotas dans les concours administratifs consisterait à fixer le nombre de postes à réserver au minimum à des femmes (ou à des hommes dans certains cas de déséquilibre inverse, comme celui de l'école nationale de la magistrature), et à organiser des concours séparés. Cette solution radicale irait à l'encontre du principe à valeur constitutionnelle, posé par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel l'accès aux emplois publics ne doit pas être fondé sur d'autre distinction que celle résultant des mérites et des talents. De plus, les femmes ainsi reçues aux concours seraient handicapées tout au long de leur carrière à cause de l'atteinte à l'image d'impartialité de la fonction publique, basée sur le système des concours et des épreuves anonymes.

II. DONNER TOUTE LEUR PLACE AUX FEMMES DANS LE STATUT DE LA FONCTION PUBLIQUE

La proposition de loi tend à reprendre la proposition n° 4 du rapport de Mme Anne-Marie Colmou, en supprimant la référence au sexe dans la liste des « critères de distinction » mentionnés à l'article 6, alinéa 2, de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Elle vise également à transférer l'alinéa 3 de l'article 6 au sein d'un nouvel article 6 bis afin de regrouper dans un même texte les dispositions particulières relatives à la place des femmes dans la fonction publique (articles 10 à 13).

En outre, l'article 13 (article 6 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983) prend en compte les observations de l'Assemblée générale du Conseil d'Etat du 14 octobre 1999 (qui a estimé que les mesures inspirées par le souci de garantir un meilleur équilibre entre les sexes dans la fonction publique relevaient du domaine de la loi et non pas du domaine réglementaire) en mentionnant le principe d'une représentation équilibrée des deux sexes, sous forme d'objectif à atteindre lors de la désignation par l'administration des membres des jurys, comités de sélection et instances paritaires. La mise en _uvre de ce principe est renvoyée aux dispositions spécifiques relatives à chacune des trois fonctions publiques.

Toutefois, la rédaction du dernier alinéa de l'article 13 de la proposition de loi ne paraît pas suffisamment claire et incitative. C'est pourquoi la Délégation a adopté une recommandation afin qu'il soit précisé que la désignation, par l'administration, des membres des jurys et des comités de sélection constitués pour le recrutement et l'avancement des fonctionnaires, et de ses représentants au sein des organismes consultés sur les décisions individuelles relatives à la carrière des fonctionnaires et sur les questions relatives à l'organisation et au fonctionnement des services, doit concourir à une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes.

L'article 14 de la proposition de loi renvoie les dispositions relatives au harcèlement sexuel dans un nouvel article 6 ter, sans les modifier.

Ainsi, à l'exception du troisième alinéa du nouvel article 6 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, le chapitre premier de la proposition de loi permet de mieux mettre en valeur les dispositions en faveur des droits des femmes qui existaient dans le statut de la fonction publique, et de mieux les faire connaître.

La Délégation s'est cependant interrogée sur l'opportunité d'élargir l'article 14 au harcèlement moral, auquel sont confrontés de nombreux salariés, du secteur privé comme de la fonction publique, et notamment les cadres. Il est toutefois apparu difficile de définir le harcèlement moral dans un texte législatif. En outre, si les femmes sont très majoritairement les victimes du harcèlement sexuel, le harcèlement moral ne les concerne pas davantage que les hommes et ce problème ne semble pas devoir être abordé à l'occasion de la discussion d'un texte relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

On pourrait aussi réfléchir à un élargissement de la portée du nouvel article 6 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, en prévoyant l'hypothèse du harcèlement sexuel entrepris par un collègue qui ne serait pas un supérieur hiérarchique. En effet, à l'heure actuelle, le harcèlement sexuel n'est un délit que lorsqu'il se manifeste dans des relations hiérarchiques et non entre personnes de même niveau. Lorsqu'il est le fait d'un collègue, il ne peut pas donner lieu à une condamnation pénale, tout au plus à des poursuites disciplinaires.

Une discussion s'est également engagée au sein de la Délégation sur la reprise, dans le nouvel article 6 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, des deux alinéas selon lesquels « Aucune distinction ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leur sexe. Toutefois, des recrutements distincts pour les hommes et les femmes peuvent, exceptionnellement, être prévus lorsque l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue une condition déterminante d'exercice des fonctions ».

Les cas où la présence des femmes n'est pas possible sont devenus si rares dans la fonction publique qu'on peut s'interroger sur la nécessité de maintenir cet alinéa. Les difficultés ponctuelles devraient pouvoir être gérées par les administrations concernées au niveau des affectations sans qu'il soit nécessaire de prévoir de recrutement distinct. C'est ainsi qu'aucune disposition d'ordre législatif ou réglementaire ne restreignant aujourd'hui l'affectation des femmes dans la police, le fait de ne pas affecter de gardiens de la paix féminins dans les unités de maintien de l'ordre comme les C.R.S. ne relève que d'une mesure interne à la police.

La suppression de ces alinéas, recommandée par la Délégation, permettrait de consacrer une évolution historique du droit de la fonction publique.

Sans remonter trop loin dans le temps, c'est par un arrêt Melle Bobard du 3 juillet 1936, que le Conseil d'Etat a relevé que si les femmes pouvaient accéder à certains emplois publics, le gouvernement avait le pouvoir discrétionnaire de décider « si des raisons de service nécessitent, dans un ministère, des restrictions à l'admission et à l'avancement du personnel féminin ».

L'article 7 du statut général du 19 octobre 1946 traduit le principe du préambule de la Constitution selon lequel « la loi garantit à la femme des droits égaux à ceux des hommes » en affirmant qu'aucune restriction n'est faite pour l'application du présent statut entre les deux sexes.

Puis, une décision d'Assemblée du Conseil d'Etat (6 janvier 1956, syndicat national autonome du cadre d'administration des colonies) constate que « si les femmes ont vocation à remplir tous les emplois publics, il peut cependant être dérogé à ce principe dans les cas où la nature des fonctions exercées et où les conditions d'exercice de ces fonctions l'exigent. »

La loi du 10 juillet 1975 réaffirme le principe selon lequel aucune distinction entre les hommes et les femmes ne peut être faite pour l'application du statut et prévoit la possibilité d'organiser par décret en Conseil d'Etat soit des recrutements exclusifs d'hommes ou de femmes, soit des conditions d'accès distinctes.

A la suite d'une directive européenne du 9 février 1976, la France a modifié sa législation (loi du 7 mai 1982), et a fixé par décret du 15 octobre 1982 une liste de quinze corps pour lesquels des recrutements distincts pourraient être organisés. Toutefois, ce décret a été jugé trop large par la Cour de justice des Communautés européennes, et la France a été condamnée en manquement par une décision du 30 juin 1988.

Des décrets du 16 mai 1989 et du 3 mars 1992 ont tiré les conséquences de cette condamnation en ce qui concerne certains corps de la police nationale et de l'administration pénitentiaire. Aujourd'hui, seuls deux corps de la fonction publique civile connaissent des conditions de recrutement différenciées selon les sexes : les attachés des maisons d'éducation de la légion d'honneur et les gradés et surveillants des services extérieurs de l'administration pénitentiaire.

Il est à souligner que, dans les armées, un décret du 16 février 1998 vient de supprimer le principe de la limitation de l'accès des femmes aux carrières militaires, en renvoyant à un arrêté du ministre de la Défense, la détermination ponctuelle d'emplois qui ne peuvent être tenus que par des hommes, compte tenu de la nature de ces emplois ou de leur conditions d'exercice.

III. ASSURER UNE REPRÉSENTATION ÉQUILIBRÉE DES DEUX SEXES AU SEIN DES INSTANCES PARITAIRES

Les instances consultatives et paritaires de la fonction publique sont insuffisamment féminisées. C'est le cas du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat, où les élus des syndicats étaient 44 hommes et 16 femmes en 1999 (50 hommes et 10 femmes en 1996), alors que la représentation de l'administration est un peu plus équilibrée (53 hommes et 16 femmes en 1996, 37 hommes et 24 femmes en 1999). La situation est encore plus déséquilibrée dans les commissions administratives paritaires et les comités techniques paritaires.

· Dans la fonction publique de l'Etat, les commissions administratives paritaires (C.AP.) sont constituées à égalité de représentants nommés par l'administration et de représentants élus par les organisations syndicales de fonctionnaires. Il y a, en principe, une C.A.P. par corps de fonctionnaires dans la fonction publique de l'Etat. Les C.A.P. connaissent, en matière de recrutement, des propositions de titularisation ou de refus de titularisation. Elles connaissent des litiges relatifs au temps partiel et de toutes questions d'ordre individuel concernant le personnel.

Les comités techniques paritaire (C.T.P.) comprennent aussi un nombre égal de représentants de l'administration et de représentants du personnel. Ils sont constitués, selon les cas, auprès d'un département ministériel, d'un service central ou d'un service extérieur. Ils connaissent des questions et des projets de textes relatifs aux problèmes généraux d'organisation des administrations, à leurs conditions générales de fonctionnement, aux programmes de modernisation des méthodes de travail, aux règles statutaires, aux problèmes d'hygiène et de sécurité, aux critères de répartition des primes de rendement.

Dans la fonction publique territoriale, lorsque la C.A.P. est placée auprès d'un centre de gestion, les représentants de l'autorité territoriale sont désignés par les élus locaux membres du Conseil d'administration du centre de gestion. Les représentants du personnel sont élus, les listes de candidats étant présentées par les organisations syndicales (loi n° 84-594 du 12 juillet 1984). Les C.A.P. connaissent également des refus de titularisation et des questions d'ordre individuel résultant de l'application du statut.

Un comité technique paritaire est créé, dans chaque collectivité territoriale ou établissement public dépendant d'une ou plusieurs collectivités ainsi qu'auprès de chaque centre de gestion pour les collectivités et établissements affiliés employant moins de 50 agents. En outre, un C.T.P. peut être institué par décision de l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement dans les services dont la nature ou l'importance le justifient. Les C.T.P. de la fonction publique territoriale comprennent un nombre égal des représentants de la collectivité ou de l'établissement (qui sont des élus locaux), et des représentants du personnel élus à la représentation proportionnelle, les listes de candidats étant présentées par les organisations syndicales (loi n° 84-594 du 12 juillet 1984). Les C.T.P. sont consultés pour avis sur les mêmes questions que pour la fonction publique de l'Etat.

· L'article 15 de la proposition de loi complète l'article 14 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat par un article 14 bis qui réaffirme l'objectif d'une représentation équilibrée des sexes, pour les membres désignés par l'administration, au sein des commissions administratives paritaires et renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer la proportion des femmes et des hommes. Il résulte de l'article 10 du décret n° 82-451 du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires que les représentants de l'administration sont nommés par arrêté du ou des ministres intéressés et choisis parmi les fonctionnaires d'un grade au moins égal à administrateur de 2ème classe de l'administration intéressée.

Il n'est pas prévu dans la proposition de loi de dispositions analogues pour la fonction publique territoriale en raison de la présence d'élus au sein des commissions administratives paritaires. On peut espérer que la loi qui impose la parité sur les listes aux élections municipales dans les communes de plus de 2 000 habitants se traduira, dans les communes, par la présence d'élues en plus grand nombre dans les C.A.P. et C.T.P.

S'agissant de la fonction publique hospitalière, l'article 20 de la proposition vise à assurer, comme dans la fonction publique de l'Etat, une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes pour les membres représentant l'administration au sein des commissions paritaires.

En ce qui concerne les comités techniques paritaires de la fonction publique de l'Etat, l'article 16 prévoit les mêmes dispositions que l'article 15 pour les commissions administratives paritaires. En application de l'article 7 du décret n° 82-452 du 28 mai 1982, les représentants de l'administration dans les C.T.P. sont désignés par le ministre ou le chef du service concerné.

Ces dispositions correspondent à une évidente nécessité. Il n'est en effet plus admissible qu'il n'y ait pratiquement aucune femme dans les commissions administratives paritaires de la police. Sans prétendre atteindre un objectif de stricte parité, la présente proposition de loi vise ainsi à rééquilibrer la composition des commissions administratives paritaires et des comités techniques paritaires de la fonction publique de l'Etat.

Toutefois, compte tenu du caractère extrêmement vague de la notion de « représentation équilibrée » et afin d'encadrer dans la loi elle-même l'intervention du pouvoir réglementaire, votre rapporteur se demande s'il ne serait pas souhaitable de préciser que la « représentation équilibrée » doit s'entendre « en rapport avec la féminisation du corps de fonctionnaires concerné », tant pour la nomination des représentants de l'administration aux commissions administratives paritaires de la fonction publique de l'Etat qu'aux comités techniques paritaires de la fonction publique de l'Etat et aux commissions paritaires de la fonction publique hospitalière.

· On peut s'interroger sur la possibilité d'imposer aux organisations syndicales de la fonction publique de présenter des listes comprenant autant d'hommes que de femmes, lors des élections aux commissions administratives paritaires. Certains représentants syndicaux auditionnés par la Délégation, n'ont pas marqué d'hostilité à cette proposition, qu'il serait plus aisé, selon eux, de mettre en _uvre dans la fonction publique que dans les entreprises. Une telle obligation serait techniquement envisageable dans la mesure où les représentants du personnel aux commissions administratives paritaires sont élus au scrutin de liste à la représentation proportionnelle (décret n° 82-451 du 28 mai 1982).

Cette parité obligatoire serait plus difficile à imposer en ce qui concerne les représentants du personnel dans les comités techniques paritaires, dans la mesure où, conformément à l'article 8 du décret n° 82-452 du 28 mai 1982, ils sont librement désignés, pour chaque C.T.P. par les organisations syndicales représentatives, en fonction du nombre de voix obtenues dans les C.A.P.

Une disposition visant à imposer la parité sur les listes syndicales aux élections des C.A.P. ou à demander à chaque syndicat, en cas de pluralité de représentants à désigner au sein d'un même C.T.P., de proposer à parité des hommes et des femmes, se heurterait peut-être à un obstacle constitutionnel qu'il convient d'examiner.

Le préambule de la Constitution du 7 octobre 1946, qui fait partie intégrante du « bloc de constitutionnalité », dispose en effet que « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix », et que « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ».

Le Conseil Constitutionnel a eu l'occasion de juger que ce principe s'appliquait aussi aux agents publics et aux fonctionnaires.

On pourrait toutefois être tenté d'interpréter restrictivement le principe à valeur constitutionnelle de « droit syndical » comme le droit d'appartenir à un syndicat. S'agit-il aussi du droit et des libertés applicables aux syndicats eux-mêmes ? Ainsi, dans une décision du 21 janvier 1981, le juge constitutionnel a fait état de « l'exercice des droits syndicaux » sans faire référence au préambule de 1946.

Pour Louis Favoreu et Loïc Philip (Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel), cette ambiguïté a été levée par la décision du 25 juillet 1989 (Prévention des licenciements économiques) : reprenant les termes du 6ème alinéa du préambule de 1946, le Conseil Constitutionnel déclare en effet que « la réaffirmation par ces dispositions de la liberté syndicale ne fait pas obstacle à ce que le législateur soit compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical .... Ceci confirme bien notre interprétation : on peut distinguer la liberté syndicale (droit d'adhérer à un syndicat ou ne pas adhérer) et le droit syndical qui est en quelque sorte le droit applicable aux syndicats. » Dès lors, seule la liberté syndicale serait un principe à valeur constitutionnelle, au sens du 6ème alinéa du préambule de 1946, les principes du droit syndical pouvant être déterminés par le législateur conformément à l'article 34 de la Constitution.

Un autre obstacle constitutionnel pourrait toutefois être soulevé à l'encontre de l'obligation de listes paritaires hommes-femmes pour l'élection des représentants des personnels aux C.A.P. Il s'agit de l'article 3 de la Constitution de 1958, aux termes duquel : « Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret ». De prime abord, ces dispositions ne paraissent devoir s'appliquer qu'aux seules élections par lesquelles s'exprime la souveraineté nationale. Mais, la jurisprudence du Conseil Constitutionnel ne s'est pas tenue à une interprétation aussi restrictive de l'article 3 de la Constitution. La référence faite à l'égalité du suffrage à propos des Conseils de Prud'hommes (décision du 17 janvier 1979) donne à penser qu'aux yeux du Conseil Constitutionnel l'article 3 de la Constitution s'applique non seulement aux élections qui mettent en jeu l'exercice de la souveraineté nationale mais aussi, au moins, à des élections portant sur la désignation de membres d'une instance ayant des pouvoirs juridictionnels, au motif que la justice s'exerce au nom du peuple.

En sens inverse, par une décision du 14 décembre 1982, le Conseil a jugé implicitement que l'article 3 de la Constitution n'était pas applicable aux élections aux conseils d'administration des organismes de sécurité sociale, car ces élections « ne se rapportent ni à l'exercice des droits politiques, ni à la désignation des juges ».

De même, dans sa décision du 18 novembre 1982, à propos du quota de femmes sur les listes aux élections municipales, le Conseil Constitutionnel a rappelé que le principe constitutionnel qui s'oppose à toute division par catégorie des électeurs et des éligibles est applicable à tout « suffrage politique ».

En tout état de cause et outre ces éventuels obstacles constitutionnels, l'idée d'une stricte parité hommes-femmes parmi les membres nommés par l'administration ou les membres élus par le personnel dans les C.A.P. et C.T.P. n'a pas parue très réaliste à certaines organisations syndicales et personnalités auditionnées par la Délégation. En effet, les champs professionnels ne sont pas identiques et certains corps ne comprennent pratiquement pas de femmes (ou d'hommes). Il ne serait pas non plus conforme au principe d'égalité d'imposer aux organisations syndicales de la fonction publique des obligations plus contraignantes que dans les entreprises privées.

IV. FÉMINISER LES JURYS DE CONCOURS ET LES COMITÉS DE SÉLECTION

L'article 17 de la proposition de loi complète le nouvel article 6 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 en réaffirmant, pour la fonction publique de l'Etat, l'objectif d'une représentation équilibrée des sexes au sein des jurys. La présence des deux sexes dans les jurys permet en effet d'enrichir les critères de choix des candidats par la diversification des points de vue correspondant aux besoins et aux réalités de la société.

Ce texte renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer la proportion des membres des jurys appartenant à chacun des deux sexes. Il ne modifie pas l'actuel article 20 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, mais le complète par un article 20 bis, ce qui préserve l'ordonnancement juridique de l'article 20.

L'article 19 de la proposition de loi vise à adopter des dispositions analogues pour la fonction publique territoriale en modifiant l'article 42 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. Contrairement à la fonction publique de l'Etat, il n'est pas fait renvoi à un décret en Conseil d'Etat dans la mesure où l'article 140 de la loi du 26 janvier 1984 prévoit déjà « qu'un décret en Conseil d'Etat détermine en tant que de besoin, les conditions d'application de la loi ».

L'article 42 vaut à la fois pour le jurys des concours de recrutement et pour les jurys et comités de sélection composés pour l'avancement de grade et la promotion des corps, car il renvoie aux articles 39 et 79 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984.

En ce qui concerne la représentation équilibrée dans les jurys et les comités de sélection constitués pour la promotion dans un grade ou un corps d'avancement dans la fonction publique de l'Etat, elle fait l'objet de l'article 18 de la proposition de loi, qui complète l'article 58 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 par un article 58 bis, et renvoie également à un décret en Conseil d'Etat la fixation de la proportion des membres des jurys et comités de sélection appartenant à chacun des sexes.

S'agissant de la fonction publique hospitalière, les articles 21 et 22 de la proposition visent également une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes pour les membres désignés par l'autorité organisatrice des concours de recrutement et des examens professionnels.

Sur tous ces points, votre rapporteur considère que la « représentation équilibrée entre les femmes et les hommes » doit s'entendre « en rapport avec la féminisation du corps de fonctionnaires concerné » afin de mieux encadrer l'intervention du pouvoir réglementaire, qui fixera par décret en Conseil d'Etat la proportion des membres des jurys et comités de sélection appartenant à chacun des sexes.

Il serait également souhaitable de supprimer les dispositions permettant aux statuts particuliers de prévoir que la mixité est assurée par la présence d'au moins un membre de chaque sexe, après avis du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat et des comités techniques paritaires.

Il est à souligner que la présente proposition ne prévoit naturellement aucune sanction à l'encontre d'une administration qui ne respecterait pas les nouvelles dispositions légales relatives à la composition des jurys et comités de sélection. Toutefois, tout individu ou toute organisation ayant intérêt pour agir serait en mesure de demander au juge administratif l'annulation d'une liste d'admission à un concours ou d'une mesure individuelle arrêtées par un jury ou un comité de sélection composés en contradiction avec la loi et ses règlements d'application. Cette sanction, en raison de ses conséquences directes et indirectes pour l'administration, semble suffisamment incitatrice.

*

* *

Lors de l'examen du présent rapport par la Délégation, Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a rappelé les travaux antérieurs de la Délégation sur ce texte et proposé de passer directement à l'examen des recommandations présentées par le rapporteur.

Mme Yvette Roudy a souhaité que la Délégation précise que les informations obligatoirement requises des entreprises devaient être sexuées et chiffrées. Elle a insisté sur l'importance du rôle de l'inspection du travail à qui le Gouvernement doit donner des instructions précises et des moyens adéquats. Rappelant le succès des campagnes publiques d'information qu'elle avait organisées dans ses fonctions ministérielles, elle a souligné la nécessité d'en lancer de nouvelles de manière à sensibiliser les femmes à l'éventail des métiers qui leur sont offerts.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a indiqué que ces campagnes d'information devaient avoir pour objet de convaincre les femmes qu'il n'y a plus de professions qui leur sont inaccessibles.

Mme Danielle Bousquet a souhaité que la Délégation précise que les plans d'objectifs par ministère présentés aux comités techniques paritaires chaque année devaient être actualisés.

Plusieurs membres de la Délégation ont ensuite relevé que la notion de « représentation équilibrée » retenue par la proposition de loi devait être distinguée de celle, beaucoup plus restrictive, de « mixité ». La définition de cette notion étant renvoyée à un décret en Conseil d'Etat, Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a souhaité que la Délégation invite le Gouvernement à présenter un plan d'étapes vers la parité.

Mme Danielle Bousquet, Mme Michèle Rivasi et M. André Vallini, rapporteur, ont alors suggéré d'adopter une recommandation précisant que l'objectif de parité devait être atteint au plus tard en 2010.

Mme Danielle Bousquet a également souligné l'importance d'engager, à l'occasion de la discussion de la proposition de loi, un débat sur le harcèlement moral ou psychologique dans les rapports de travail.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a suggéré de compléter les recommandations proposées par le rapporteur pour insister sur la nécessité d'inciter les organisations syndicales à équilibrer leur représentation, notamment au sein des organismes paritaires des différentes fonctions publiques ainsi que sur l'importance d'une représentation équilibrée des membres désignés par l'administration dans tous les organismes paritaires de la fonction publique de l'Etat et des élus locaux dans les organismes paritaires de la fonction publique territoriale.

Après l'intervention du rapporteur proposant plusieurs modifications visant à prendre en compte ces différentes observations, la Délégation a adopté les recommandations suivantes :

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES
PAR LA DÉLÉGATION

1. Il convient tout d'abord de faire émerger les conditions favorables à l'égalité professionnelle dans toutes les politiques publiques ayant trait à la formation initiale et professionnelle ainsi qu'à l'emploi.

2. Au titre d'une approche intégrée de la question de l'égalité professionnelle, il est souhaitable de prolonger le processus engagé par la proposition de loi, par des informations sexuées et chiffrées, obligatoirement requises des entreprises et notamment dans le cadre du bilan social, du plan de formation et de l'analyse des conditions de travail et des risques professionnels.

3. Le rapport déposé tous les deux ans par le Gouvernement sur le Bureau des assemblées parlementaires, en application de l'article 21 de la loi du 11 janvier 1984, qui ne fait que décrire la situation existante, devrait s'accompagner, pour chaque ministère, d'objectifs chiffrés comportant une définition précise des évolutions à mettre en oeuvre : corps à féminiser, concours à promouvoir... Dans les ministères où le rapport révélerait des déséquilibres, un plan d'objectifs devrait préciser les pourcentages obligatoires à atteindre. Les plans d'objectifs actualisés par ministère devraient être présentés aux comités techniques paritaires (C.T.P.) tous les ans.

4. Il est nécessaire de mieux faire connaître les carrières du secteur privé comme de la fonction publique aux jeunes filles par des campagnes publiques d'information, notamment en éditant des documents adaptés aux différents niveaux de la scolarité, en adaptant les brochures d'orientation, en sensibilisant les conseillers d'information et d'orientation, en améliorant l'information auprès des étudiants dans les filières universitaires et en promouvant une image des grandes écoles qui en démontre l'accessibilité aux femmes comme aux hommes.

5. Dans la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, il conviendrait de supprimer la disposition qui permet l'organisation de recrutements distincts lorsque l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue une condition déterminante de l'exercice des fonctions. Ces recrutements distincts ne subsistent en effet plus que dans deux corps de fonctionnaires et des solutions internes aux administrations concernées devraient pouvoir être avancées.

6. La notion de « représentation équilibrée », qui se distingue de la notion plus restrictive de « mixité », devrait être précisée afin de limiter la marge d'appréciation du pouvoir réglementaire dans la définition de la proportion de représentants appartenant à chacun des sexes.

7. Au dernier alinéa de l'article 6bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, il devrait être précisé que la désignation, par l'administration, des membres des jurys et des comités de sélection constitués pour le recrutement et l'avancement des fonctionnaires et de ses représentants au sein des organismes consultés sur les décisions individuelles relatives à la carrière des fonctionnaires et sur les questions relatives à l'organisation et au fonctionnement des services, doit concourir à une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes. L'objectif est d'atteindre la parité au plus tard en 2010.

8. Il conviendrait de prévoir une représentation équilibrée des élus locaux au sein des commissions administratives paritaires et des comités techniques paritaires de la fonction publique territoriale, avec l'objectif d'atteindre la parité au plus tard en 2010.

9. Il conviendrait, dans la fonction publique de l'Etat, de prévoir également une représentation équilibrée des membres désignés par l'administration au sein du conseil supérieur de la fonction publique et des comités d'hygiène et de sécurité, avec l'objectif d'atteindre la parité au plus tard en 2010.

10. La lutte contre le harcèlement sexuel doit faire l'objet d'une réflexion dans les entreprises comme dans la fonction publique : à cet effet, le rapport de situation comparée et les négociations succédant à sa publication, de même que les débats au sein des comités techniques paritaires des administrations, constituent des cadres propices à une meilleure prise en compte de ces questions.

11. Il conviendrait d'établir un cadre juridique précis afin de permettre aux organes représentatifs des personnels de débattre, dans le secteur privé et dans la fonction publique, sur le thème du harcèlement moral ou psychologique dans les rapports de travail.

12. Il est souhaitable que l'inspection du travail qui, en vertu du droit en vigueur, est déjà destinataire des rapports de situation comparée (article L.432-3-1, 3ème alinéa du code du travail) dispose des moyens lui permettant de veiller à la régularité de la présentation et à la crédibilité des informations de ce document obligatoire. Elle devra également recevoir des instructions précises afin de contrôler la mise en _uvre de l'obligation de négociation sur le thème de l'égalité professionnelle dans les entreprises comme au niveau des branches.

13. Il conviendrait, pour l'Etat, d'inciter les organisations syndicales, par diverses mesures, à équilibrer leur représentation, notamment au sein des organismes paritaires des fonctions publiques, avec l'objectif d'atteindre la parité au plus tard en 2010.

ANNEXES

Auditions de la Délégation ayant donné lieu à procès-verbal :

· mardi 1er février 2000 : Mme Nicole PÉRY, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle........... p. 37

· mardi 8 février 2000 : Mme Catherine GÉNISSON, rapporteuse générale de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes................................................... p. 49

· mercredi 9 février 2000 : Mme Anne-Marie COLMOU, maître des requêtes au Conseil d'Etat.......................................... p. 63

· mardi 22 février 2000 : M. Emile ZUCCARELLI, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation........................................................... p. 71

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Audition de Mme Nicole PÉRY,

secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Réunion du mardi 1er février 2000

Présidence de Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Madame la Ministre, nous souhaiterions vous entendre sur vos deux champs de compétence, droits des femmes et formation professionnelle. Je rappellerai qu'en ce qui concerne les droits des femmes, vous avez lancé un certain nombre de chantiers en ce début d'année, notamment la campagne sur la contraception et la préparation des suites à donner au "rapport Nisand" sur l'interruption volontaire de grossesse.

S'agissant de la formation professionnelle dont le projet de loi ne viendra en discussion devant le Parlement qu'en 2001, nous souhaiterions travailler en amont cette question car elle concerne en premier lieu les femmes qui y ont difficilement accès.

Mme Nicole PÉRY, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle : Je commencerai mon propos en évoquant un dossier qui nous tient à coeur à tous et à toutes, à savoir la campagne de contraception. A cet égard, je vous demanderai de veiller à ce que, dans vos circonscriptions et vos régions respectives, la dynamique mise en place à partir de cette campagne soit réellement présente au rendez-vous. La réussite de cette campagne reposera sur le partenariat construit avec tous les services de l'Etat, les ministères concernés, les associations et les centres hospitaliers. Aussi, est-ce plutôt un appel que je fais sur ce dossier : si vous sentez, dans vos régions, des déceptions, ou si vous observez que tous les services de l'Etat, les associations ou les centres hospitaliers ne travaillent pas dans un esprit de partenariat, alertez-moi car, lorsque nous évaluerons dans un an les résultats de cette campagne, nous essaierons de faire en sorte qu'ils en démontrent l'efficacité. C'est donc plutôt un appel à la vigilance que je vous lance, sachant que nous n'avons pas hésité à consacrer un quart du budget du Secrétariat aux droits des femmes -soit 24 millions de francs- à cette campagne. Ceci démontre mieux que tout discours la priorité politique que j'accorde à cette campagne.

Nous pourrons également dialoguer sur la position actuelle du gouvernement quant aux conclusions du "rapport Nisand" et sur les suites à y donner. Néanmoins, sur ce sujet, ma réponse ne sera pas différente de celle apportée il y a un mois, lors du lancement de la campagne par Mme Martine Aubry. Nous pourrons toutefois reprendre, si vous le souhaitez, un certain nombre de ces points.

Au-delà du sujet des droits propres des femmes, qui constitue une très forte priorité pour cette année 2000, je souhaite aborder brièvement la préoccupation du gouvernement visant à construire l'égalité entre les hommes et les femmes. S'agissant de la parité politique, une première lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale, le 25 janvier dernier, a sensiblement amélioré ce texte. Le gouvernement s'inscrit évidemment dans cette dynamique. Mais, au-delà de l'égalité politique, dans le souci d'étendre l'égalité à tous les champs de la société, il reste à construire l'égalité professionnelle.

Après un nouvel examen de la "loi Roudy" de 1983, nous nous sommes interrogés sur les raisons pour lesquelles elle n'est pas plus utilisée dans les entreprises, par les partenaires sociaux, les syndicats, voire les salariés. Nous avons, sur ce point, longuement consulté le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle que nous avons fait revivre et sur lequel nous nous appuyons. Ce Conseil est une instance très utile pour une Secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle puisqu'il permet de réunir l'ensemble des partenaires sociaux et de connaître leur position sur divers sujets. En ce qui concerne l'égalité professionnelle, j'ai pu mesurer qu'un certain nombre de partenaires sociaux avaient un regard extrêmement attentif et souhaitaient reprendre la dynamique interrompue de 1983. Nous n'avons donc pas hésité à les saisir de la proposition de loi qui reprend les conclusions du rapport de Catherine Génisson sur l'égalité professionnelle.

Il convient de signaler, car c'est une démarche innovante et intéressante, que le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle a manifesté beaucoup d'intérêt à ce travail relativement inédit sur une proposition de loi parlementaire et nous a suggéré des compléments très intéressants. Il en résulte que l'actuelle proposition de loi sur l'égalité professionnelle est plus complète et plus dynamique que le texte initial, car elle tient compte de l'apport des partenaires sociaux, en particulier dans le domaine des obligations qui manquaient à la "loi Roudy" de 1983. Ainsi, trouve-t-on dans le texte de la "loi Roudy" une simple obligation de négociation : les partenaires sociaux doivent se saisir de la question de l'égalité professionnelle et négocier, dans chaque entreprise, avec un objectif d'égalité. Mais, le Conseil supérieur a estimé que l'obligation de négocier dans chaque entreprise n'était pas suffisante et a suggéré que cette obligation soit étendue à chaque branche. Nous avons donc introduit cette suggestion dans le texte, de même que le rythme de l'obligation -3 ans- qui n'existait pas dans la loi de 1983.

La proposition de loi impose également l'obligation de définir des indicateurs. Dans la loi de 1983, il n'était pas possible de mesurer le degré des inégalités et, par conséquent, d'apprécier la réalisation de l'objectif d'égalité. Ces indicateurs -qui seront précisés par décret- feront l'objet de négociations approfondies avec les partenaires sociaux. Le Conseil supérieur a aussi proposé d'imposer une obligation d'affichage de ces indicateurs. Cela permettra à chacun d'avoir connaissance de l'état de ce sujet et mettra fin à la confidentialité qui, jusqu'à présent, entourait cet exercice. Des sanctions pénales sont également prévues si l'entreprise ne se conforme pas, tous les trois ans, à son obligation de négocier l'objectif d'égalité dans l'entreprise et dans la branche.

Au-delà de l'égalité politique et professionnelle, j'ai choisi une méthode de travail inspirée par la dimension européenne de mon parcours politique qui a duré seize ans. Bien que n'étant pas directement en charge des problèmes des droits des femmes -puisque je travaillais plutôt sur les politiques de développement, de coopération avec le tiers monde, sur le droit de la mer et de la pêche- ceux-ci revenaient régulièrement en séance plénière : je me suis donc imprégnée de l'esprit qui prévalait, à savoir une démarche globale sur l'ensemble des sujets de société, avec un objectif : l'égalité dans toutes les politiques et dans tous les champs de la société. J'ai trouvé cette démarche innovante, intelligente et efficace sur la durée. J'ai donc proposé à tous les membres du gouvernement de travailler, en partenariat, sur cette dynamique et d'inclure l'objectif d'égalité dans les politiques qu'ils mènent. Afin d'être bien comprise dans ma démarche, j'ai proposé des sujets bien précis qui restent de la responsabilité de chaque ministère, mais qui viennent ainsi étoffer une plate-forme qui sera présentée publiquement le 8 mars prochain et qui engagera l'ensemble du gouvernement.

Cette politique globale d'égalité ira donc au-delà de la parité politique et de l'égalité professionnelle, même si ces deux dimensions seront présentes dans la plate-forme gouvernementale. D'autres sujets de société seront également présentés, notamment un sujet qui sera important pour notre action en 2000, à savoir les violences dont sont victimes les femmes. C'est un sujet qui est encore aujourd'hui tabou et qui est très mal évalué puisqu'il n'y a, en France, aucune étude ou enquête sur ce sujet. Aucun organisme, ministère ou service n'a pu me fournir un rapport récent sur ce fait de société. Pour ma part, je voudrais connaître le volume des violences subies, et savoir si les chiffres qui circulent ici et là ont une réalité. Comme, sur un tel sujet, il ne m'est pas possible de tenir un discours creux ou ne reposant pas sur des bases acceptées et quasi scientifiques, j'ai décidé de lancer une enquête importante à compter de janvier 2000 et qui se poursuivra jusqu'à l'été. Mes services travaillent sur ce point en collaboration avec l'Institut de la Sorbonne, qui en est maître d'_uvre. A l'issue de cette enquête qui concernera sept mille femmes, dans l'hexagone et les DOM-TOM, nous devrions connaître le volume des violences subies et leur nature : violences domestiques, violences dans les lieux publics, violences sur les lieux de travail.

Pour mener à bien notre action en ce domaine, j'ai notamment proposé à Mme Elisabeth Guigou, Ministre de la Justice, de créer un groupe de travail qui déterminera s'il existe des dispositions dans notre réglementation -même si elles ne sont peut-être jamais utilisées- et de m'aider à dresser un tableau comparatif des législations européennes sur ce sujet. En effet, plusieurs pays d'Europe, du nord et du sud, se saisissent cette année de ce fait de société, le problème des violences demeurant présent d'une façon très préoccupante dans tous les pays, quelle que soit l'évolution positive de la situation des femmes, tant au niveau politique que professionnel. Nous examinerons comment des pays qui élaborent de nouvelles législations (l'Italie, la Grande-Bretagne, l'Espagne) considèrent ce phénomène, vers quels dispositifs ils s'orientent et comment la France pourrait se doter de dispositifs complémentaires. Sur le sujet des femmes en difficulté, je construis également un partenariat avec M. Louis Besson, Ministre du Logement. Toutes les femmes que je rencontre et qui ont connu un problème de précarité et de violences me disent en effet que leur souci premier est le logement. Si elles hésitent à quitter leur domicile, c'est parce que les lieux d'accueil d'urgence les concernent elles-mêmes, mais pas leurs enfants. Il s'agit là d'un souci immense. J'ai donc demandé au ministre de réfléchir à cette question, afin que ces femmes en difficulté soient considérées comme prioritaires et, au-delà de l'accueil d'urgence, que soit menée une politique du logement qui puisse les aider à reconstruire très vite leur cellule familiale et à accueillir leurs enfants. D'ores et déjà, nous avons signé une circulaire commune demandant aux préfets que, dans le cadre des quotas qu'ils ont à gérer en matière de logements sociaux dans les départements, les femmes en situation de grande précarité puissent être considérées comme un public prioritaire.

Ceci vous montre la méthode que j'ai choisie pour que la préoccupation du droit des femmes et de l'égalité entre les hommes et les femmes soit présent dans tous les ministères et toutes les politiques. Je vous donne donc rendez-vous le 8 mars car il est fort probable qu'une réunion extraordinaire du gouvernement se tienne sur ce sujet et qu'il y ait une communication sur cet engagement du gouvernement.

J'évoquerai maintenant la deuxième dimension de mon action, celle de la réforme de la formation professionnelle.

Il est vrai que la réforme sur laquelle nous travaillons croise parfois le sujet de l'égalité entre les hommes et les femmes puisque les femmes, actuellement, ont deux fois moins accès que les hommes à une action de formation tout au long de leur vie. L'inégalité est très forte et particulièrement pour les emplois de femmes peu qualifiés. Les inégalités sont doubles : elles existent entre les deux sexes, d'une façon générale, et entre les niveaux de qualification. L'un des défis de cette réforme est de faire en sorte que le nouveau système de formation professionnelle puisse être un droit que chacun et chacune exerce tout au long de sa vie, ce qui est très loin d'être le cas aujourd'hui. Ce nouveau droit, lorsqu'il sera construit, servira arithmétiquement plus aux femmes qu'aux hommes puisqu'actuellement, ce sont les femmes qui, dans la population active, sont les moins qualifiées. Ce sont elles qui devront avoir accès en priorité à des actions de formation tout au long de la vie. Mon propos peut être illustré par un chiffre très peu connu sur le niveau de qualification de la population active en France : 40 % de la population active, hommes et femmes confondus, ont un niveau de qualification inférieur ou égal au niveau 5, c'est-à-dire le niveau du CAP. Parmi cette population active la moins qualifiée, il y a beaucoup de femmes. Un deuxième chiffre m'a également fait beaucoup réfléchir : 80 % des ouvriers et des employés, en France, sont des femmes.

Le droit individuel de chaque salarié à la formation professionnelle, qui sera l'objet de la loi de 2001, est d'abord, à mon avis, un sujet du dialogue social, une responsabilité des partenaires sociaux.

D'autres volets de la réforme relèvent davantage de la responsabilité de l'Etat, ce qui a permis de les faire avancer plus vite. Cette réforme se traduira par l'examen de plusieurs projets de loi, dont l'un, annoncé par le Premier Ministre à Strasbourg, sera traité en 2000. Le plus important concernera ce que l'on appelle encore aujourd'hui la "validation des acquis" et pour lequel je proposerai les termes de "reconnaissance de l'expérience professionnelle tout au long de la vie" qui me semblent plus compréhensibles.

Cette petite révolution m'a valu un an de travail avec le ministère de l'Education nationale, les autres ministères concernés ainsi que les partenaires sociaux car elle conduit à un véritable bouleversement. Je propose en effet que, demain, on ne reste plus essentiellement ce que l'on est à 20 ou 25 ans, lorsque l'on quitte la formation initiale -même si celle-ci est très importante- mais que chaque homme et chaque femme, plusieurs fois au cours de sa vie professionnelle, puisse demander une reconnaissance de son expérience professionnelle. Ceci implique un très vaste élargissement du champ d'application de la loi de 1992 en ce qui concerne la reconnaissance de l'expérience professionnelle pour la délivrance d'un diplôme. Des dispositions nouvelles permettront de valider l'expérience professionnelle pour l'ensemble des certifications, quel que soit le ministère valideur, que ce soit l'Education nationale, le ministère de l'Emploi, y compris les certifications accordées par les partenaires sociaux et les organismes privés. Cela concernera l'ensemble des formations, des titres et des certifications, ce que la loi actuelle ne permet pas.

La loi de 1992 ne permet actuellement qu'une reconnaissance partielle de cette expérience pour obtenir un diplôme. L'élargissement de son champ d'application fera l'objet d'un projet de loi en l'an 2000. J'insiste sur cette dimension car ce sont en priorité des femmes que l'on pourra ainsi conforter. Ces femmes, qui représentent actuellement sur le marché du travail 80 % des employés et des ouvriers et qui n'ont quasiment pas de formation initiale, ne manquent pas d'expérience professionnelle, de savoir ou de savoir-faire. Mais jusqu'à présent, elles ne pouvaient pas se voir reconnaître cette expérience professionnelle. Dès lors que cela aura été validé, mesuré et reconnu, elles pourront demander la certification correspondante.

Cette réforme interviendra très vite puisque, en principe, le projet de loi de modernisation sociale, dans lequel se situera ce volet formation professionnelle, doit être présenté le 15 mars en conseil des ministres et venir devant votre assemblée en avril prochain.

Volontairement, j'ai essayé de montrer comment, au travers de cette réforme de la formation professionnelle, on pouvait également répondre aux inégalités que subissent les femmes et à la fragilité de leur curriculum vitae, dans le marché de l'emploi. Mais bien sûr, je pourrais l'évoquer sur bien d'autres sujets, puisque c'est une réflexion très large et complète.

M. Michel HERBILLON : Madame la Ministre, je voudrais avoir votre sentiment sur l'ensemble des questions -parité politique, égalité professionnelle...- que vous évoquez en ce qui concerne les droits des femmes. De votre point de vue, où se situe l'équilibre entre une nécessaire égalité des femmes et des hommes dans les différents domaines évoqués et un excès de réglementations, d'obligations allant jusqu'à un degré extrêmement élevé de détails et de contraintes qui pourraient être mal perçus par la société.

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Pourriez-vous nous dire, en quelques mots, les suites que le gouvernement entend donner au "rapport Nisand" ? Vous avez également parlé du lancement d'une enquête sur les violences ; parallèlement, un certain nombre de conseils régionaux -notamment la région PACA- engagent des études pour connaître le phénomène des violences. Y en a-t-il d'autres ? Au sujet des droits propres et de l'égalité des chances, nous travaillons actuellement à la mise en place du document unique de programmation relatif aux fonds structurels : c'est là l'occasion d'appliquer à la fois l'égalité des chances et le "mainstreaming"... Êtes-vous certaine que toutes les déléguées régionales sont intégrées dans les cellules de réflexion constituée autour du SGAR sur les fonds structurels ?

Mme Odette CASANOVA : Je voudrais vous poser quelques questions sur le "rapport Nisand" car, sur le terrain, nous connaissons de gros problèmes dans la pratique de l'IVG par les établissements publics. Il est urgent que le gouvernement intervienne sur ce point.

Vous indiquez qu'une proposition de loi sur l'égalité professionnelle va être déposée. Etait-ce nécessaire alors qu'existe déjà la "loi Roudy" ? N'aurait-il pas été possible d'amender simplement le code du travail, de façon à laisser toute sa valeur à la "loi Roudy" qui a représenté une étape essentielle dans l'histoire des droits des femmes ?

A propos de la connaissance des violences faites aux femmes -pour laquelle ma région est pilote- et du problème du logement des femmes victimes de violences et quittant leur domicile conjugal, j'ai eu connaissance de cas de femmes auxquelles on proposait un logement, mais auxquelles la DDAS enlevait leurs enfants pour des questions de revenus. Au-delà du logement, il y a donc là tout un ensemble de textes à revoir.

Mme Muguette JACQUAINT : La question concernant le "rapport Nisand" et les problèmes qui en découlent est souvent évoquée par les femmes dans toutes nos circonscriptions. Dans les services hospitaliers, les jeunes filles ou femmes qui veulent effectuer une IVG rencontrent un certain nombre de difficultés. En raison de cette situation, des IVG continuent de se faire à l'étranger. En ce qui concerne le délai de l'IVG, certains avancent un délai de 23, voire 30 semaines, ce qui me semble totalement exagéré. Mais, par rapport à l'Europe, la France accuse en ce domaine un retard de deux semaines. Quel délai envisage le gouvernement ?

S'agissant de l'égalité professionnelle, vous avez eu raison, Madame la Ministre, d'indiquer les raisons pour lesquelles la "loi Roudy" n'a pas été appliquée dans les entreprises ; cela relève en général de la responsabilité des partenaires sociaux ainsi que des organisations syndicales elles-mêmes et il faut les y sensibiliser. Les négociations importantes qui se tiennent dans le cadre de la diminution du temps de travail et des 35 heures me semblent être l'occasion de poser à nouveau la question de l'égalité professionnelle. Mais, fallait-il une loi supplémentaire par rapport à la "loi Roudy", qui date de 1983 et qui a rencontré des difficultés d'application ? Il est regrettable, pour appliquer une loi qui est bonne, d'être obligé de faire une seconde loi et d'introduire des sanctions et des contraintes pour que la première s'applique. Mais, cela permettra de relancer le débat sur l'égalité professionnelle qui, à mon avis, a manqué, de même que plus largement tout ce qui concerne les droits propres des femmes. Quoi qu'il en soit, nous manquons en France de statistiques et de références pour mener une étude scientifique sur la discrimination. Dans la prochaine loi sur l'égalité professionnelle, disposer d'indicateurs sur les discriminations et les inégalités dans ce domaine, comme dans d'autres, permettra de s'attaquer aux racines du mal.

Mme Danielle BOUSQUET : En ce qui concerne le rôle essentiel que jouent les chargées de mission aux droits des femmes dans les départements, je voudrais insister sur les propos de Mme la Présidente, à savoir la nécessité de rappeler aux préfets que ces chargées de mission doivent être associées à l'ensemble des travaux relatifs aux contrats de Plan, et en particulier aux contrats de ville. En effet, la population touchée par les contrats de ville est formée à 80 % de femmes et sauf exception, le mot "femme" n'apparaît pas dans le texte des contrats de ville. De plus, aucune action spécifique n'est prévue en matière de santé ou autres les concernant. On dit "on", les "publics en difficulté", comme s'il s'agissait d'un public asexué, alors qu'il est composé de 80 % de femmes. Je souhaite donc que les chargées de mission soient associées aux négociations actuelles des contrats de villes.

S'agissant des femmes victimes de violences, vous avez indiqué très justement que se posait non seulement la question des accueils ou hébergements d'urgence, mais également du logement en général. Or on sait que beaucoup de femmes victimes de violences ne quittent pas leur domicile, non seulement parce qu'elles n'ont pas de logement, mais aussi parce qu'elles n'ont pas de travail. Même si elles ne travaillent pas, elles ne se sont pas forcément inscrites à l'ANPE. Lorsqu'elles quittent le domicile conjugal, elles se trouvent donc dans un hébergement certes, mais sans revenus. La charité ne m'ayant jamais semblé une bonne manière d'aborder les choses, je souhaite savoir si l'on peut envisager qu'elles soient, de manière impérative, prioritaires dans tous les dispositifs existants, même lorsqu'elles n'ont pas d'enfants.

Je voudrais également intervenir sur les suites du "rapport Nisand", à partir d'une situation que je viens de connaître dans mon département. Il se trouve que le service de planification, très soucieux de rendre le service normal qui est celui de l'hôpital public, a souhaité pouvoir élargir la plate-forme de médecins susceptibles d'effectuer des IVG. Il a donc fait appel à l'ensemble des médecins du département. Trois d'entre eux ont répondu, dont deux en retraite ou sur le point de l'être. Or, il est important que ces IVG puissent être effectuées à l'hôpital, sinon elles ne se feront pas. La question est donc posée de savoir comment permettre à des médecins, qui sont les seuls volontaires, de continuer d'exercer alors que, théoriquement, ils ne le peuvent plus. S'ils ne rentrent pas à l'hôpital, il n'y aura plus d'IVG dans les Côtes d'Armor.

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Quel bilan pouvez-vous faire de la mise en application du plan national d'action pour l'emploi, notamment en ce qui concerne les femmes ?

Mme Nicole AMELINE : Il est clair que la formation professionnelle est un problème général, hommes et femmes confondus, dans ce pays. On sait très bien que si l'économie se rapproche du plein emploi, ce sont toujours les emplois peu qualifiés qui resteront les emplois exclus. J'aimerais comprendre les causes de ce non-accès à la formation. Comme vous, je considère que celle-ci est fondamentale pour des femmes qui auront plusieurs vies successives et qui auront besoin de temps pour l'éducation et de temps ensuite pour se réinsérer dans la vie professionnelle. Où se situent les blocages ? J'aimerais comprendre pourquoi des femmes qui ont un parcours scolaire, voire universitaire, remarquable, entrent ensuite dans une culture du renoncement et de la résignation qui fait qu'elles démissionnent. Y a-t-il véritablement des volontés, syndicales ou internes à l'entreprise, qui font qu'elles n'ont pas accès à ce qui est un droit général et universel ? J'aimerais savoir si nous pourrions disposer de comparaisons européennes sur les mesures, en matière de formation professionnelle, qui ont été particulièrement efficaces. Autant s'inspirer des bons exemples.

Mme Jacqueline LAZARD : Ma question concerne également la formation professionnelle car il me semble important d'aller très vite vers la reconnaissance de l'expérience professionnelle. Toutefois, il me paraît difficile de parler de formation professionnelle sans envisager l'orientation. Au niveau de l'orientation, où en sont les travaux que votre ministère mène avec celui de l'Education nationale, pour lutter contre une orientation encore sexuée ?

Mme Odette CASANOVA : Je voudrais appuyer les propos de Mme Danièle Bousquet sur le travail des chargées de mission départementales et sur leur implication auprès des préfets en matière de politique de la ville et d'orientation professionnelle. S'agissant de l'orientation professionnelle, on peut, au niveau des départements, faire des actions importantes si l'on implique les chargées de mission, sous réserve que les préfets, les recteurs et les inspecteurs d'académie aient reçu des directives précises.

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Sans oublier les contrats de plan ainsi que les objectifs 2 et 3 des fonds structurels.

Mme Nicole PÉRY, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle : Monsieur Herbillon, votre question porte sur le point d'équilibre entre l'évolution naturelle des faits de société et la nécessaire réglementation pour faire bouger les choses, quels que soient les sujets. Je répondrai en citoyenne. Peut-être les inspecteurs du travail ont-ils un amour instinctif pour la réglementation et la législation. Moi, je me situe avant tout dans la réflexion politique. Je reste très attentive aux faits de société pour voir de quelle façon les choses évoluent. Force est de constater que les dossiers de société n'évoluent pas par eux-mêmes d'une façon suffisante. Le législateur, quels que soient les gouvernements en place, a la responsabilité de regarder les faits de société. Parfois, le législateur traduit par une évolution législative ce qui, en fait, correspond à une une évolution de société, telle la loi de Simone Veil de 1975 qui a pris acte de ce que la société pratiquait déjà. Parfois, le législateur peut donner une impulsion, quand il existe un blocage, et devancer la société. Je pense notamment au projet de loi sur la parité. Par conséquent, la réponse ne peut être d'une extrême simplicité. Parfois le législateur prend acte et traduit une évolution de société, parfois il prend acte d'un blocage et il essaie, par la législation, de faire bouger les choses.

Parfois aussi, on légifère et les choses ne bougent pas autant qu'on le souhaiterait. Je reprendrai l'exemple de la "loi Roudy" de 1983. Force est de constater que si les citoyens, les partenaires sociaux et les associations ne se saisissent pas de leurs droits, la loi reste pratiquement lettre morte. Sur le sujet de l'égalité professionnelle, lors de ma dernière séance de travail avec le Conseil supérieur, j'ai été frappée par la conviction avec laquelle l'ensemble des syndicats et certaines organisations patronales évoquaient l'égalité professionnelle : je les sentais d'une totale sincérité et soucieux de se saisir du sujet. Je ne dis pas pour autant que la loi de 1983 était en avance sur son temps. Des événements comme la montée croissante du chômage ont peut-être brouillé les priorités. Ce qui était ressenti largement, en 1983, comme une priorité a été surpassé par la priorité absolue de la lutte contre le chômage. Les partenaires sociaux, dans le cadre des conventions collectives dans les entreprises, étaient beaucoup plus préoccupés de l'emploi que de l'égalité devant l'emploi. Cela nécessiterait un travail d'expertise plus approfondi par des sociologues pour mesurer cet état de fait.

Personnellement, il me semble que, sur ce sujet de l'égalité, nous sommes dans une bonne période pour essayer d'aller de l'avant et de faire en sorte qu'il soit pris en compte dans les entreprises. Toutefois, il ne vivra réellement que si les partenaires sociaux en éprouvent le besoin et savent le faire avancer.

La proposition de loi de Mme Catherine Génisson offre des outils d'une certaine souplesse. Ainsi, par exemple, dans la "loi Roudy", il ne pouvait y avoir une contractualisation entre l'Etat et l'entreprise que s'il y avait un plan d'égalité massif, c'est-à-dire concernant l'ensemble du personnel. Après avoir travaillé sur ce sujet avec les partenaires sociaux et le Conseil supérieur, il nous a semblé que l'Etat devrait contractualiser dès lors qu'il y a proposition du chef d'entreprise d'avancer sur un volet de l'égalité, même si ce n'est pas un plan général : par exemple le volet formation continue, ou le volet construction progression de carrière. Au delà de cette souplesse qui sera proposée, nous allons élargir l'objet même de la contractualisation avec une incitation financière.

Pourquoi une proposition de loi, et pourquoi ne pas s'en tenir à la loi de 1983 et agir par décret pour imposer, par exemple, l'obligation de négocier, le rythme de cette obligation, et les sanctions pénales ? Parce que de telles dispositions nécessitent un acte législatif. Nous avons pensé qu'une proposition de loi, additive à la loi de 1983 et respectant le même esprit que celle-ci, était un exercice qui pouvait être défendu comme tel plutôt qu'un nouveau projet de loi gouvernemental.

Pourquoi une telle inégalité dans l'entreprise, entre les hommes et les femmes, devant une action de formation tout au long de la vie ? Dans le livre blanc que j'ai rédigé et qui a été rendu public il y a environ un an, nous avons analysé ces inégalités. J'en rappelle un certain nombre. La première explication est qu'aujourd'hui, les femmes sont très majoritaires dans les emplois peu qualifiés. Or les personnes -hommes ou femmes- qui assument les emplois peu qualifiés, ont très peu accès à une action de formation continue. En effet, les plans de formation établis par les chefs d'entreprise ont jusqu'alors davantage favorisé les cadres que les employés peu qualifiés qui, il faut le souligner, en font beaucoup moins la demande car ils en ressentent beaucoup moins la nécessité.

Je vois aussi une autre explication dans le manque de motivation. Quand on suit un plan de formation ou une action de formation continue, contrairement ce que l'on pourrait penser, ce plus de qualification est très rarement pris en compte dans une construction de carrière, une responsabilité accrue, ou une augmentation de salaire. Cela inciterait plus de personnes si l'évolution professionnelle et personnelle dans l'entreprise était mieux valorisée, mais il faudrait aussi que les salariés les moins qualifiés aient un comportement plus "agressif", c'est-à-dire fassent des demandes répétées et volontaires, dont le chef d'entreprise devrait tenir compte.

La troisième explication est que les femmes, d'une manière générale, assument, dans la vie quotidienne, de lourdes tâches domestiques, le lien avec les enfants, la garde des enfants. On peut le voir à la façon dont les salariés, qui ont un contrat de travail à temps partiel, se situent par rapport à la formation tout au long de la vie. Les hommes, qui ont un contrat à temps partiel, utilisent largement leur temps libre pour suivre une action de formation. En revanche, les femmes utilisent très peu leur temps libre pour des actions de formation car elles ont d'autres charges sur leurs épaules.

C'est donc une addition de facteurs qui explique, à ce point, le niveau des inégalités. Et pour exprimer le cumul de toutes les inégalités dans une phrase image, je dirais que lorsque vous êtes une femme, employée, dans une entreprise de moins de vingt salariés, dans une région éloignée d'une grande ville, vos probabilités d'accès à la formation continue tout au long de la vie sont de 2,5 %. En revanche, quand vous êtes un homme, cadre d'une entreprise de plus de deux mille salariés, proche d'un grand centre urbain, vos probabilités d'accès sont de 70 %.

L'autre sujet, que vous avez largement évoqué, concerne les droits propres, et tout d'abord les suites du "rapport Nisand". Ce sujet est lié à la politique de la santé et n'est pas dans le champ de ma compétence directe, même si, d'une façon naturelle, je suis présente dans tous ces travaux car je considère ce sujet comme un dossier "droits des femmes". Un délai de douze semaines, alors qu'il est de dix actuellement, permettrait de rejoindre la moyenne de l'ensemble des pays de l'Union européenne. Aujourd'hui, même si le sujet suscite encore des débats, on sait que, sur le plan de la santé des femmes, l'on peut aller jusqu'à douze semaines, sans le moindre risque. Ce point faisait débat en 1975. Certains pays de l'Union européenne ont des lois beaucoup plus libérales en ce qui concerne le délai, mais un délai de deux semaines supplémentaires nous permettrait déjà de rejoindre la moyenne de l'Union européenne.

S'agissant des mineures, lors de mes rencontres avec les intervenants du mouvement français du planning familial, des centres d'orthogénie ou de planification dans les secteurs hospitaliers, je constate que déjà, dans la pratique, un certain nombre de centres assument cet acte quand il y a une détresse très forte de certaines mineures. Les médecins, qui sont en première ligne, veulent aujourd'hui être mieux protégés par la loi. Les représentants du planning familial et les responsables des centres de planification sont favorables à ce que nous réfléchissions à un accompagnement de la jeune fille par un adulte. Ils y sont favorables parce qu'eux-mêmes assument ce rôle, qui demande beaucoup de temps, et ils veulent être aidés dans cet accompagnement de la mineure. Cela peut être un parent proche ou un médecin, et quand il y a vacance totale, ce sera l'un des responsables du centre de planification. Ce n'est pas toujours le discours tenu par les associations qui ne demandent pas l'accompagnement de la jeune fille. Toutefois, ceux qui sont en phase directe avec ces difficultés souhaitent que l'on puisse faire accompagner la jeune fille dans cet acte.

Concernant la pratique de l'IVG dans les hôpitaux, je ne suis pas en charge de la santé, mais je puis vous faire part de ce que j'ai constaté lors de mes rencontres, dans le cadre de mes responsabilités. Lorsque je rencontre des gynécologues, chefs de service, ils me disent qu'il y a un "ras-le-bol" chez les gynécologues "militants". C'est vrai qu'on évoque rarement ces médecins qui, sur le plan de la philosophie personnelle, ne sont pas en totale harmonie avec ce droit fondamental, mais qui l'exercent, parfois pendant des heures extrêmement lourdes dans leur emploi du temps, afin de rendre service à ces femmes et assumer la loi. Les chefs de service me font part du "ras-le-bol" de certains gynécologues, car dans certains centres, cela devient beaucoup trop lourd dans le cadre même de leur travail.

Le souhait de ces médecins serait d'instaurer, dans l'ensemble des services hospitaliers, une obligation d'un minimum d'heures consacrées à l'IVG dans l'emploi du temps du gynécologue. Ils estiment que deux ou trois heures par semaine seraient supportables par tous, hormis ceux qui, au nom d'une clause de conscience, refuseraient d'effectuer cet acte. Les médecins souhaiteraient que l'on réfléchisse à cette dimension de l'exercice.

Mme Conchita LACUEY : Cela me choque parce qu'en réalité, on pourrait penser que ce n'est pas un service à part entière.

Mme Nicole PÉRY, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle : Cela ne me choque pas. Je peux comprendre qu'au bout de dix ou quinze ans, certains médecins supportent moins bien de ne faire que cela.

S'agissant de l'enquête sur la violence envers les femmes, elle se fera pendant six mois avec un budget d'environ 4 millions de francs. Certains conseils régionaux, très intéressés, sont partie prenante à cette enquête, telle la région PACA, ce qui permettra de trouver plus facilement un financement.

Quant à l'implication suffisante ou non des chargées de mission dans les politiques pour lesquelles la dimension "égalité" apparaît et sur la prise de conscience par les préfets de leur rôle, j'ai à plusieurs occasions écrit, avec l'autorisation de M. Jean-Pierre Chevènement, aux préfets pour leur expliquer ce point. Dans certaines régions, cela fonctionne très bien, dans d'autres moins bien. Mais des circulaires sont adressées aux préfets de façon régulière. Dans une majorité de départements, la situation est tout à fait correcte. Il est vrai que nous avons oublié, dans les diverses circulaires que j'ai signées, la spécificité "contrats de ville". Nous élaborons actuellement une circulaire afin de rattraper cet oubli.

Les questions portant sur la détresse des femmes battues, le logement, la famille, le revenu, la garde des enfants, la priorité d'accès de ces femmes à un emploi ou à une action de formation, ouvrent un vaste sujet. Je répondrai sur ceux qui relèvent de ma responsabilité. Comment faire pour qu'une femme, qui n'a aucune activité professionnelle lorsqu'elle quitte son domicile conjugal, puisse le plus rapidement possible avoir accès à une action de formation - qu'on lui refuse actuellement - ou à un dispositif de retour vers l'emploi ? J'ai traité ce sujet au travers du plan national d'action pour l'emploi 1999 en demandant que 55 % de l'ensemble des dispositifs de formation pour le retour à l'emploi soient prioritairement accordés aux femmes et plus particulièrement aux femmes en situation de détresse. Cette proposition, qui a été présentée à Mme Martine Aubry qui l'a acceptée, est incluse dans le plan national d'action pour l'emploi.

J'ai mené par ailleurs, auprès de l'ensemble des directeurs de l'ANPE et de l'AFPA, une action de sensibilisation et de mobilisation sur tous ces sujets. J'obtiens maintenant des statistiques sexuées. Au début, ma demande de statistiques systématiquement sexuées n'a pas été comprise. J'ai exposé que ces instruments étaient indispensables pour me permettre d'évaluer les dispositifs, voir si nous sommes sur le bon chemin ou si nous commettons des erreurs qu'il convient de rectifier. Maintenant, cette démarche est comprise et se met en place. Ils ont eux-mêmes changé leurs logiciels et, dans la présentation de leurs statistiques, ont revu tous les formulaires pour que l'on puisse obtenir des statistiques sexuées. Il me sera donc possible de vérifier d'ici un an s'il y a eu un effort accru vers les femmes, sur l'ensemble des dispositifs de retour à l'emploi et d'accès à la formation tout au long de la vie. L'évaluation faite, à ce jour, montre que d'ores et déjà, nous avons atteint 55 % du public féminin, pour l'ensemble des dispositifs de retour à l'emploi et d'accès à la formation.

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Peut-être pourrons-nous refaire un point, dans le cadre du débat budgétaire 2001 à l'automne prochain ?

Mme Nicole PÉRY, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle : Certainement. J'ai le souci de construire des politiques très pragmatiques, mais qui répondent également à ce que j'ai analysé comme étant des besoins prioritaires. J'inscris mes actions dans la durée. Quel responsable politique pourrait croire que l'on peut tout bouleverser du jour au lendemain, quelle que soit la volonté politique des uns et des autres ? On ne change pas une société aussi rapidement. Je crois en l'efficacité d'une démarche de construction de l'égalité au travers de toutes les actions politiques et j'espère que les diverses évaluations permettront de mesurer que nous sommes sur la bonne voie.

Mme Muguette JACQUAINT : La reconnaissance des acquis professionnels sera-t-elle étendue à la fonction publique ?

Mme Nicole PÉRY, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle : Ma compétence professionnelle se limite au monde privé de l'entreprise.

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Cette excellente question signifie que nous devons auditionner M. Emile Zucarelli sur ce problème.

Mme Nicole PÉRY, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle : Je soutiendrai cette démarche. S'agissant de l'orientation scolaire, dont j'ai réellement le souci, je signerai une convention avec M. Claude Allègre et Mme Ségolène Royal, autour du 25 février ou du 3 mars. Avec l'Education nationale, cette convention prendra la forme d'un partenariat qui réaffirmera la nécessité d'une action d'orientation scolaire tant pour les filles que pour les garçons, car il ne me semble pas normal que certains domaines professionnels soient exclusivement féminins. Cette action d'orientation professionnelle sera dirigée vers les filles et les garçons, mais incitera les filles à diversifier leur choix et à faire en sorte qu'elles aient connaissance des espoirs d'emploi dans tel ou tel secteur. Tout en tenant compte de leurs goûts personnels et de leurs aptitudes, il faut leur faire connaître les filières qui seront, demain, plus riches que d'autres en emplois. On connaît les métiers vers lesquels se dirigent encore beaucoup trop de jeunes filles et qui ne débouchent pas ensuite sur des emplois.

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Peut-être aurons-nous l'occasion de nous revoir lors de discussions sur d'autres projets ou propositions de loi. Nous souhaiterions pouvoir également vous auditionner, sur une base régulière, soit dans le cadre du débat sur les orientations budgétaires, soit sur celui de la formation professionnelle, sujet auquel nous tenons tous et toutes. Il me semble que nous aurons maintes occasions, dans les prochains mois, de débattre avec vous à nouveau sur ces questions.

Mme Nicole PÉRY, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle : J'ai très bon espoir que la loi de modernisation sociale vienne en avril en première lecture, avec un volet formation professionnelle

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Merci, Madame la Ministre.

Audition de Mme Catherine GÉNISSON,

rapporteuse générale de l'Observatoire de la parité

entre les femmes et les hommes

Réunion du mardi 8 février 2000

Présidence de Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente,

puis de Mme Yvette ROUDY, vice-présidente.

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Mes chers collègues, nous accueillons ce soir Mme Catherine Génisson, rapporteuse générale de l'Observatoire de la parité et auteur d'un rapport sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Madame, pouvez-vous nous présenter le cadre général de votre rapport et nous indiquer ce qui pourrait donner lieu à un texte législatif ?

Mme Catherine GÉNISSON : Madame la Présidente, j'ai remis, le 2 septembre 1999, un rapport au Premier Ministre qui porte sur l'évaluation de l'application de la "loi Roudy" et sur la condition des hommes et des femmes dans l'entreprise, et qui, à la suite de ce constat, présente un certain nombre de propositions.

Je passerai rapidement sur le constat, car tout le monde le connaît. Il faut rappeler que la "loi Roudy" énonçait deux grands principes : le principe d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes supprimant la protection du travail des femmes et le principe d'interdiction de toutes les discriminations, qu'il s'agisse des discriminations à l'embauche, des discriminations en matière de salaires, des discriminations en matière de promotion ou des discriminations pour l'accès à la formation. Cette loi avait par ailleurs prévu deux outils : un outil d'évaluation, par la production annuelle d'un rapport sur la situation comparée des femmes et des hommes dans les entreprises de plus de 50 salariés ; et un outil de soutien aux entreprises qui favorisaient l'égalité professionnelle, par la mise en place des contrats d'égalité permettant de financer des plans d'égalité, lesquels portaient essentiellement sur la formation des femmes dans l'entreprise et sur l'amélioration des conditions de travail.

En ce qui concerne l'application de la "loi Roudy", on se rend compte, en 1999, que l'élaboration des rapports sur la situation comparée des femmes et des hommes a été assez peu respectée par les entreprises, puisque près de la moitié d'entre elles ne les ont pas établis. Les rapports effectivement rédigés ont rarement été exploités, que ce soit par les salariés eux-mêmes, hommes ou femmes, par les comités d'entreprises, par les partenaires sociaux ou par les chefs d'entreprises ; quant aux services de l'Etat, ils ne se sont pas tellement souciés de la production de ces rapports.

S'agissant des plans d'égalité, il faut savoir que depuis 1983, 35 plans d'égalité ont été signés, dont 24 dans des entreprises de plus de 300 salariés. On peut donc penser que cet outil n'a pas été tellement utilisé.

En ce qui concerne la situation des femmes au travail, il convient de rappeler qu'elles sont rentrées massivement sur le marché du travail : près d'un million entre 1986 et 1996. Entre 25 et 55 ans, elles sont près de 80 % à travailler, quand elles ont deux enfants et 55 % quand elles ont trois enfants. Leur force de production participe au développement économique du pays dans lesquels elles travaillent.

Par ailleurs, elles travaillent dans des conditions très difficiles : 80 % du travail à temps partiel concerne des femmes dont les salaires sont inférieurs ou égaux à 3.650 F par mois en moyenne ; 10 % des femmes qui travaillent sont encore en dessous du seuil de pauvreté ; 60 % des femmes travaillent dans six grands groupes de métiers correspondant à 30 % des métiers, ce qui traduit une grande concentration de femmes sur peu de métiers. Il en résulte, à côté de l'inégalité entre les hommes et les femmes, une inégalité et une concurrence entre les femmes dont un certain nombre sont surqualifiées par rapport aux postes qu'elles occupent.

Les conditions difficiles du travail des femmes existent non seulement quand elles occupent des postes de basse qualification ou à temps partiel -du fait des horaires atypiques, de la grande pénibilité du travail et des difficultés de concilier la vie professionnelle et la vie familiale- mais également quand elles sont nommées à des postes de haute responsabilité ou de cadres : en raison du mode d'organisation du travail, de la nécessaire mobilité et de la durée des journées de travail, à partir d'un certain niveau, les femmes refusent des promotions.

Ainsi, les postes d'employés sont occupés aux trois quarts par des femmes, les professions intermédiaires à 50 % et les fonctions de cadres à 30 %. Dans les 5 000 premières entreprises, seules 7 % de femmes ont accédé à des postes de responsabilité.

Par ailleurs, les femmes continuent très majoritairement -à 80 %- à prendre en charge la vie familiale et l'éducation des enfants. On peut estimer que ces tâches représentent trois heures et demie dans la journée d'une femme et que la réduction du temps consacré à ces activités est beaucoup plus due à la robotisation des tâches domestiques qu'à une prise en charge conjointe par les hommes et les femmes. Une évolution est cependant perceptible chez les jeunes couples : les hommes s'impliquent manifestement plus que leurs pères dans l'éducation et la prise en charge de leurs enfants ; mais ils continuent de délaisser les travaux domestiques.

En ce qui concerne le soutien à la vie familiale, de nombreux progrès ont été faits et la France a aujourd'hui une politique familiale d'accompagnement importante ; mais il faut noter un manque quantitatif et un manque qualitatif dans les conditions d'accueil des enfants et des ascendants : le manque quantitatif s'observe surtout dans les grandes villes et dans le monde rural où l'on rencontre de grandes difficultés à faire garder les enfants ; le manque qualitatif se révèle par le manque de souplesse dans le fonctionnement des structures d'accueil dont les horaires, souvent trop stricts, ne correspondent pas forcément aux horaires de travail, et rendent quasi-impossible l'accueil d'un enfant dans un cas d'urgence. De nombreuses jeunes femmes, parfois chefs de familles monoparentales et qui n'ont pas d'amis ou de famille proche, peuvent ainsi se heurter à des difficultés insurmontables pour la garde en urgence de leur enfant.

Il faut dénoncer également l'inégalité des chances en matière d'orientation scolaire. Un tel constat est un peu estompé par le fait qu'on ne cesse de dire -ce qui est la réalité- que les filles réussissent en général en plus grand nombre et plus brillamment dans leurs études secondaires et supérieures. Mais, quand on approfondit l'analyse, on constate qu'elles réussissent dans les filières des sciences humaines ou des sciences économiques, et rarement dans les filières techniques ou scientifiques qui les conduiraient plus facilement vers le monde de l'entreprise et vers des postes de responsabilité.

Le constat est également quelque peu décevant en ce qui concerne les femmes et l'accès à l'emploi. Bien souvent, les publics prioritaires, les publics en grande précarité, comprennent majoritairement des femmes. Or, on retrouve plus rarement ces femmes quand il s'agit de dispositifs leur permettant de réintégrer un emploi. Elles obtiennent plus facilement des contrats "emploi consolidé" ou des contrats "emploi solidarité", mais peu de contrats en alternance dans le monde de l'entreprise.

J'en viens maintenant au problème des discriminations.

La discrimination à l'embauche existe. Elle est très difficile à objectiver, dans la mesure où elle est complètement interdite. Les employeurs n'écrivent pas qu'ils ne veulent pas embaucher de femmes, mais ils le disent. Cette information est parfois répercutée au niveau des lieux où l'on présente ces embauches -en particulier au niveau des ANPE- car très légitimement, les agents se demandent à quoi sert d'envoyer une femme candidate pour un poste dont l'employeur a indiqué très clairement qu'il n'embaucherait pas de femme.

Les discriminations salariales sont les plus faciles à mettre en évidence. Elles sont encore importantes : pour un même type de fonction, on observe encore 25 à 30 % d'écart salarial entre les hommes et les femmes.

Cet écart s'explique de plusieurs façons.

Tout d'abord, à âge égal et à qualification égale, une femme a deux fois moins de chances qu'un homme d'accéder à une formation professionnelle. De façon plus générale, moins on est formé, moins on a de chance d'accéder à la formation. Or, bien souvent, les femmes occupent les postes les moins qualifiants dans l'entreprise. De plus, elles travaillent souvent dans les PME qui, il faut le reconnaître ont beaucoup plus de difficultés que les grosses entreprises à envoyer leur personnel en formation.

En ce qui concerne la mobilité, qui est un facteur très important de promotion et d'égalité salariale, on observe chez les jeunes couples dont les deux membres ont le même niveau de formation, de qualification, et le même poste de départ, que l'homme auquel est proposée une promotion assortie de mobilité, l'accepte ; et que dans ce cadre là, la femme, en général, démissionne du poste qu'elle occupait, pour redémarrer à zéro là où elle arrive. On voit dès lors, très vite, des écarts importants se creuser entre les hommes et les femmes.

Au-delà de ces explications objectives, il y a aussi le fameux "plafond de verre" qui fait qu'on ne retrouve que peu de femmes aux postes de haute responsabilité. Dès lors, ce sont souvent les hommes qui décident des promotions ; en privilégiant les critères qu'ils connaissent, en retenant leurs modèles masculins, ils favorisent de ce fait la promotion des hommes. A cet égard, il semble important d'indiquer que, quand les femmes seront aux postes de responsabilité et de décision, on verra sans doute changer cette organisation des promotions.

Le constat que je viens d'établir nous permet de conclure que la situation en France n'est pas dramatiquement mauvaise. Il n'y a d'ailleurs pas de modèle européen complètement satisfaisant. Si on a toujours l'habitude de prendre en exemple les pays d'Europe du Nord -à juste titre quand il s'agit d'étudier la façon dont ils ont favorisé l'articulation entre la vie familiale et la vie professionnelle- il faut indiquer que dans ces pays, les femmes travaillent souvent dans la fonction publique, la plupart du temps à temps partiel, et qu'on les retrouve assez rarement dans la sphère économique. En Allemagne et en Autriche, les femmes arrêtent de travailler quand elles ont des enfants. Dans les pays d'Europe du Sud, au contraire, les femmes occupent en grand nombre des postes de haute responsabilité. Mais comme dans ces pays, il n'y a pas de politique d'accompagnement de la vie familiale et de l'éducation des enfants, ces femmes choisissent d'avoir peu ou pas d'enfants et on assiste à une chute dramatique de la natalité.

A l'inverse, la Communauté européenne a été plutôt "avant-gardiste" sur le sujet avec une première directive en 1976, dont s'est largement inspirée la "loi Roudy". Le traité d'Amsterdam comprend quant à lui, un pilier consacré spécialement à l'égalité professionnelle et, dans toutes les politiques mises en place par l'Union européenne, l'égalité professionnelle est une priorité qui doit être intégrée.

Face à ce constat -des femmes que l'on retrouve massivement sur le marché du travail, dans des conditions assez difficiles, et qui occupent davantage les métiers intermédiaires mais rarement les postes de haute responsabilité- quel type de propositions peut-on faire ?

Deux axes sont possibles : soit maintenir et renforcer des mesures spécifiques qui ont valeur de rattrapage pour la situation des femmes ; soit intégrer l'égalité professionnelle dans toutes les politiques publiques que l'on met en place. Il m'a semblé nécessaire de favoriser ces deux voies.

En ce qui concerne les mesures spécifiques, il paraît important de renforcer l'usage de l'outil statistique qu'est le rapport annuel sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l'entreprise, en le rendant beaucoup plus dynamique dans sa présentation et en le faisant connaître à l'ensemble des salariés.

Ensuite, il convient de faire en sorte que, dans les négociations des entreprises, l'égalité professionnelle fasse l'objet de discussions spécifiques mais qu'elle soit également prise en compte dans les discussions ayant un autre sujet tels que la formation ou les plans d'embauches. Il s'agit de créer une double obligation : obligation de négocier de façon spécifique sur l'égalité professionnelle et obligation de négocier en l'intégrant chaque fois que c'est possible. L'obligation de négocier de façon spécifique pourrait d'ailleurs servir de cadre général aux négociations intégrées.

Ces négociations doivent en outre avoir lieu non seulement au niveau de l'entreprise, mais aussi au niveau de la branche professionnelle intéressée.

Enfin, il me semble nécessaire d'assouplir les conditions d'attribution des aides de l'Etat qui accompagnent la mise en place des plans d'égalité, afin que ces aides ne portent pas uniquement -comme cela existait précédemment- sur les plans de formation et sur les conditions d'aménagement des postes de travail des femmes, mais qu'elles concernent aussi des sujets beaucoup plus vastes et plus variés tels que les plans d'embauche ou l'application de la loi sur la réduction du temps de travail. Il serait donc intéressant que les contrats d'égalité et les aides financières de l'Etat qui les accompagnent puissent être ouverts dans toute entreprise qui développerait une politique satisfaisante ou innovante en matière d'égalité professionnelle, ainsi qu'au niveau des branches.

A côté de cela, il me semble important d'intégrer le sujet de l'égalité professionnelle dans toutes les politiques publiques que nous mettons en place en ce qui concerne l'emploi.

C'est ainsi que mes propositions sur l'organisation du travail à temps partiel ont été reprises par le groupe socialiste par voie d'amendement dans la loi sur la réduction du temps de travail.

Il faudrait aussi que l'organisation du travail des cadres soit mieux prise en compte.

J'ai également soulevé le problème du travail de nuit des femmes, qui est actuellement interdit en France. Le travail de nuit est aussi préjudiciable aux hommes qu'aux femmes. C'est une forme de travail qui n'est pas naturelle et qui porte atteinte à l'organisme. Des études ont prouvé que, statistiquement, l'espérance de vie était diminuée pour les personnes qui travaillaient de nuit. Heureusement, ces études ont une valeur statistique et non individuelle ; mais c'est un fait non négligeable : la diminution de l'espérance de vie porte en effet sur cinq ou six ans, ce qui n'est pas rien.

Il me semble important d'être très strict sur les conditions de recours au travail de nuit ; et, à partir du moment où le recours au travail de nuit est limité, il faut être strict sur les conditions de pratique et d'organisation du travail de nuit -durée des postes, succession des postes, intervalle de repos entre les postes- ; il faut également améliorer la condition du travailleur de nuit, peut être par des valorisations salariales, mais plutôt par une diminution du temps de travail de nuit et par l'organisation d'une surveillance médicale stricte. A partir du moment où l'on encadre strictement le travail de nuit, je ne pense pas qu'au nom de l'égalité professionnelle, on puisse maintenir son interdiction aux femmes, d'autant qu'il existe déjà de nombreuses dérogations en France. A cet égard, je citerai la fonction territoriale hospitalière, où le personnel est très majoritairement féminin : or, le travail de nuit d'une aide-soignante dans un service d'urgence, par exemple, est extrêmement pénible, que ce soit psychologiquement ou physiquement, et peut être comparé à l'exercice d'un travail de nuit posté dans une entreprise. J'indiquerai également que dans les services publics, tels que la RATP, on retrouve majoritairement des femmes dans les emplois de service où le travail s'arrête à 1 heure du matin et recommence à 5 heures du matin, ce qui correspond à une logique de travail de nuit.

Comme vous le savez, une directive européenne autorise le travail de nuit, que la France, qui pourrait encourir des sanctions du fait de sa non application, va devoir transposer. En attendant cette transposition, un certain nombre d'entreprises ont déjà intégré le travail de nuit des femmes dans leur mode de fonctionnement : aussi serait-il souhaitable de créer un encadrement social plus favorable dans ce domaine. En ce qui me concerne, j'ai fermement défendu la levée de l'interdiction du travail de nuit des femmes avec toutes les réserves que j'ai émises par ailleurs.

Il convient également d'aborder le sujet de la formation professionnelle et de se pencher sur le problème important de la validation des acquis. Cela concerne les femmes comme les hommes ; mais on sait que les femmes pourraient en être largement bénéficiaires, car bon nombre d'entre elles possèdent une grande expérience professionnelle sans avoir toutefois de diplômes ; or, en l'état actuel des choses, elles ne peuvent pas arguer de cette valeur professionnelle quand elles changent d'entreprise.

La proposition de Mme Péry, d'un droit individuel permanent pendant toute la vie professionnelle, et transférable d'une entreprise à l'autre pour chaque salarié, me semble fondamentale et devra être mise en place. Ce sera un facteur de valorisation de l'ensemble des salariés, dont bénéficieront bien évidemment les femmes. La certification des formations est également un sujet sur lequel il faudra se pencher.

Enfin, il me paraît important de développer la téléformation. Cette proposition, je la fais cependant avec un peu plus de modération, car il convient d'être vigilant pour éviter d'isoler les femmes un peu plus qu'elles ne le sont actuellement.

Il m'a semblé par ailleurs important de présenter un certain nombre de propositions sur l'accompagnement familial de la vie professionnelle, en indiquant qu'il serait sans doute nécessaire de faire preuve de plus d'imagination et de souplesse en ce qui concerne l'organisation des structures d'accueil, la valorisation du travail des assistantes maternelles et leur professionnalisation, afin de parvenir à les sortir un peu de leur isolement actuel et de leur permettre de travailler ensemble. On doit également réfléchir sur les lieux d'implantation de ces structures d'accueil afin de savoir s'ils doivent être plus proches des lieux de vie ou des lieux de travail.

Au-delà des enfants, il y a aussi des réflexions à mener en ce qui concerne les ascendants. On ne peut, en effet, parler de la vie familiale sans masquer cet aspect important. Les parents qui assument l'éducation des enfants bénéficient actuellement de différents dispositifs, en particulier du congé parental qui peut être pris soit par la mère soit par le père. Il ne saurait être question de le remettre en cause, mais il serait peut-être intéressant d'en assouplir les conditions d'octroi. La durée de ce congé est actuellement de trois ans consécutifs. Quand on sait que les enfants entrent à l'école maternelle dès l'âge de deux ans, il serait intéressant de pouvoir fractionner le congé parental et de faire en sorte que, soit le père soit la mère, puisse le prendre plus tard à un moment où par exemple l'enfant est en difficulté dans sa scolarité.

Concernant l'allocation parentale d'éducation, on dispose aujourd'hui du résultat d'études précises sur ce sujet. Octroyée dans un premier temps pour le troisième enfant, elle a été accordée dès le deuxième enfant en 1994 ; les publics concernés étaient très largement des femmes en grande difficulté dans le domaine de l'emploi -femmes au chômage ou à temps partiel- et souvent en situation de grande précarité. Elles se sont massivement insérées dans ce dispositif qui, bien souvent, leur assurait un revenu peu inférieur à celui qu'elles avaient en travaillant et qui leur permettait d'assumer leur fonction familiale plus facilement. Mais, à la sortie de ce dispositif, beaucoup de femmes n'ont pas retrouvé leur emploi : bien que l'entreprise ait une obligation de les réintégrer, elle n'avait pas l'obligation de les réintégrer sur le même emploi, lequel pouvait d'ailleurs ne plus exister. Ces femmes se sont trouvées, après trois ans d'arrêt de travail, dans des situations très difficiles. Bien souvent, soit elles ont démissionné d'elles-mêmes, soit elles ont été licenciées. On se rend maintenant compte que l'application de l'APE dès le deuxième enfant entraîne les mêmes conséquences que le chômage de longue durée sur un travailleur : plus on est sorti longtemps du monde du travail, plus on a de difficultés à y retourner.

Dès lors, plusieurs pistes sont envisageables : il pourrait être important de réduire la durée de l'allocation parentale d'éducation, et de faire en sorte qu'elle puisse être destinée à la fois à l'homme et à la femme -mais il faudrait pour cela lutter contre les obstacles culturels et faire en sorte que l'égalité salariale soit plus importante entre les hommes et les femmes ; elle pourrait également être octroyée dès l'arrivée du premier enfant- on aide toujours les familles qui deviennent nombreuses mais on ne prend pas assez en compte la venue du premier enfant qui bouleverse pourtant beaucoup la vie d'un foyer. Ces pistes de réflexion me semblent d'autant plus à explorer que les comportements sociaux changeront dans les années à venir ; du fait de la loi sur la réduction du temps de travail, les hommes et les femmes resteront moins longtemps sur leur lieu de travail et, en dégageant ainsi plus de temps libre à l'extérieur, ils pourront faire plus de choses ensemble, que ce soit dans leur sphère privée ou dans la sphère publique.

Enfin, le dernier sujet qu'il m'a semblé important de mettre en évidence concerne les mesures qu'il convient de prendre au niveau de l'Education nationale pour assurer une meilleure sensibilisation des enseignants à l'égalité des chances en matière d'orientation des jeunes : obligation pour les collèges et les lycées d'indiquer la façon dont les élèves sont orientés, au niveau tant des conseils d'administration que des conseils de classe où la relation est plus directe entre l'enfant et le professeur ; relations beaucoup plus approfondies entre les professeurs principaux et les conseillers d'orientation ; information plus personnalisée concernant l'orientation des jeunes.

Sur ce dernier point, j'ai vu dans des régions quelques exemples de mise en place de clubs de femmes réunissant des femmes d'origines très diverses, et occupant des postes de haute responsabilité ; elles avaient à c_ur d'expliquer leur parcours, et d'aider les jeunes à suivre des chemins librement choisis et à franchir les obstacles qu'ils pouvaient rencontrer. Parmi ces obstacles, les obstacles culturels sont encore très importants. L'image respective que l'on donne des hommes et des femmes dans les manuels scolaires, dans la publicité, doit être revue. Il y a toujours des stéréotypes très profonds dans nos mentalités. Tous ensemble, nous avons à lutter contre cela.

Enfin, je m'aperçois que j'ai oublié de vous parler d'une proposition que j'avais faite concernant l'entreprise privée, tendant à créer des conditions plus favorables à la présence des femmes sur les lieux de la négociation. Les syndicats ont certes pris à bras le corps le problème de la représentation des hommes et des femmes au sein de leurs structures. Or, si on trouve des femmes à des postes de haute responsabilité -au niveau fédéral ou confédéral- on les rencontre encore trop rarement en tant que déléguées syndicales dans l'entreprise. Pourtant, quand elles occupent ces fonctions, elles interviennent de façon très importante pour la qualité de la négociation, en prenant en compte des éléments qu'oublient souvent les hommes parce qu'ils ne se sentent pas directement concernés. Je faisais donc la proposition, dans mon rapport, que l'Etat module l'aide à la formation qu'il accorde aux organisations syndicales en fonction de leur prise en compte de l'objectif d'égal accès des hommes et des femmes à ces formations.

Cette proposition doit cependant donner lieu à une négociation.

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente. Je souhaiterais que vous reveniez sur les aides de l'Etat attribuées, aujourd'hui, aux entreprises qui mettent en place des actions favorisant l'égalité. Vous nous avez cité les contrats d'égalité prévus par la "loi Roudy" de 1983. Quelles sont les autres actions ? Comment pensez-vous faire évoluer ces aides et la prise en compte de ces aides ?

M. André VALLINI : Tout d'abord, je voudrais souligner combien le rapport de Mme Génisson est excellent. Il balaie un champ très vaste et s'inspire de la nécessité qu'il y a de toujours lutter pour l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Partant du constat que la loi fondatrice, la "loi Roudy" de 1983, est une très bonne loi, mais qu'elle n'a peut-être pas été assez contraignante, il considère qu'aujourd'hui, les grands principes posés par ce texte méritent une application plus concrète, plus contraignante, ce qui impose de légiférer à nouveau dans le domaine de l'égalité professionnelle.

Je voudrais parler de l'Etat employeur, sujet abordé dans la partie "fonction publique" de la proposition de loi. De même qu'on envisage d'améliorer le rapport annuel que doit présenter le chef d'entreprise au comité d'entreprise, ne pourrait-on pas envisager d'obliger l'Etat à fournir chaque année à la représentation nationale -par exemple lors de l'examen du budget de la fonction publique- un rapport précis sur la politique de promotion des femmes dans la fonction publique ?

Comment inciter les syndicats à se féminiser davantage ? La "loi Roudy" et la proposition de loi dont on va débattre dans quelques semaines, sont bien sûr portées par les syndicats au niveau des entreprises et des branches professionnelles ; mais on sait que plus les syndicats seront féminisés, plus ils seront à même de faire appliquer cette loi. Lors l'élaboration de votre rapport et des nombreuses auditions de partenaires sociaux, avez- vous envisagé le problème de la féminisation des syndicats ?

Mme Hélène MIGNON : Tout d'abord, je voudrais féliciter Mme Génisson car l'exposé qu'elle a fait de son rapport est très clair et très complet. Je la rejoins tout à fait quand elle parle de la politique familiale et du problème de l'accueil des très jeunes enfants, notamment quand une femme seule trouve inopinément un emploi ou une formation professionnelle. On constate parfois de tels blocages que, dans certains cas, ces femmes ne peuvent pas accepter la formation ou l'emploi, parce que du jour au lendemain, elles n'ont personne pour garder leur enfant.

A propos de la mobilité des femmes, je voudrais vous rapporter un exemple récent. J'ai reçu hier une employée d'un centre de détention qui me disait : "Il y a dix ans, j'ai passé le concours d'agent administratif ; je n'ai pas pu partir parce que j'avais des enfants en bas âge et que mon mari devait rester dans la région. J'ai vu toute ma carrière, depuis dix ans, freinée par cette difficulté. Aujourd'hui, je viens d'être reçue à un concours de secrétariat ; mais c'est pareil : si je veux partir, il me faut abandonner ma famille et mes enfants". Elle ne voulait pas recommencer à sacrifier sa vie professionnelle, mais elle se demandait en même temps combien de temps elle allait tenir en sacrifiant sa vie familiale.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : En ce qui concerne l'égalité professionnelle, Mme Génisson, vous avez beaucoup parlé de l'accession égalitaire des femmes à un certain nombre de professions. A contrario, je voudrais parler d'égalité professionnelle dans un certain nombre de professions qui, aujourd'hui, sont à mes yeux, beaucoup trop féminisées. Y a-t-il un moyen d'éviter cela ?

Je voudrais également revenir sur la question de la garde des enfants. C'est un énorme problème. Je parle de cas très concrets sur le terrain, je parle d'un bassin d'emploi où l'on manque de main d'_uvre, où un personnel féminin disponible et ne demandant qu'à travailler ne peut pas franchir le pas parce que ces femmes ont des enfants en bas âge qu'elles ne peuvent pas faire garder.

C'est un problème d'autant plus grave qu'avec l'annualisation du temps de travail, des propositions sont faites à ces femmes pour travailler la nuit. Elles ne savent alors pas quoi faire de leurs enfants. Je vous cite un cas que je trouve terrible mais qui est vrai. C'est celui d'une femme qui, travaillant à partir de 4 heures du matin, emmène son enfant avec elle, le laisse dormir dans la voiture sur le parking de l'usine et va l'emmener chez la gardienne, au moment de la pause du matin. Que pouvez-vous proposer pour ce genre de cas très symptomatique et plus fréquent qu'on ne pourrait le croire ?

Mme Yvette ROUDY : Je suis très contente de constater que Mme Génisson a intégré la fonction publique dans ses préoccupations. Cette dimension était exclue de la loi de 1983. En effet, la fonction publique avait fait savoir à l'époque qu'elle n'avait pas besoin d'une loi sur l'égalité, parce que dans les textes la régissant, cette égalité était déjà prévue. La question était alors réglée. Il semble que les faits et le temps font bouger les mentalités, et c'est une bonne chose. Mais quinze ans, c'est assez long pour avoir compris cela.

Il faut donc être attentif à ce qui va être prévu pour la fonction publique. J'ai trouvé cette partie un peu faible dans la proposition de loi qui nous est soumise. Il faut qu'un rapport soit régulièrement demandé à l'administration, pour savoir où l'on en est. Ce rapport devrait non seulement présenter l'état de la situation existante -comme le prévoit l'excellent "rapport Colmou"- mais également énoncer les mesures qui seront prises pour que cela change. Une telle méthode permettrait de se rendre compte de qui est fait régulièrement.

En même temps, on pourrait exiger de la fonction publique des engagements sur un calendrier, et sur des résultats. On parle pour l'instant d'une "préoccupation d'équilibre". Je ne sais pas ce que cela veut dire. Pour moi, équilibrer, cela veut dire : la même chose d'un côté et de l'autre. Il faut donc demander un calendrier avec des progrès graduellement prouvés de façon que l'on voie si des efforts sont accomplis ou non.

La question de la garde des enfants me semble importante. Dans l'hôpital de Lisieux, ville dont je suis maire, nous avons une crèche qui est d'ailleurs ouverte à certaines personnes du voisinage. Des conventions sont établies avec la mairie. Je suppose que des structures semblables existent ailleurs. Il faut savoir que des crèches ou des garderies sont ouvertes dans certaines structures, comme par exemple une entreprise, et peuvent accueillir les enfants du voisinage. Les charges peuvent alors être partagées et une contribution du conseil général peut éventuellement être obtenue. Concrètement, des solutions peuvent être trouvées si on veut bien s'en donner la peine.

Sur le principe même de l'égalité professionnelle, je tiens à rappeler qu'il existe une loi au Québec qui s'est inspirée de la loi de 1983 et qui y a ajouté quelques éléments intéressants, à savoir : l'application du principe de l'égalité professionnelle par branche, en plus des entreprises, et le fait de soumettre l'octroi de toute aide publique à une entreprise à l'obligation d'élaborer un plan d'égalité.

Je trouve par ailleurs, que les sanctions doivent être précisées. Il me semble ensuite, mais cela ne relève probablement pas du cadre d'une loi, et c'est dommage, qu'il faudrait qu'au cours de nos débats le Gouvernement s'engage à donner des instructions très précises aux inspecteurs du travail car ce sont eux qui feront le travail sur le terrain.

Le principe de l'égalité professionnelle commence à entrer dans les mentalités, mais il faut aussi que cela entre dans celles des inspecteurs du travail ; il faut leur donner des instructions et leur proposer une formation. Il faut que nous obtenions au cours du débat des engagements précis du Gouvernement sur ce point.

Il faut également demander au Gouvernement de s'engager à traiter de la question de l'orientation professionnelle. On ne peut pas simplement adopter une nouvelle loi sur l'égalité professionnelle -qui aura un très bel effet d'affichage- sans poser le problème de l'orientation puisque dans cette matière on continue de distinguer les métiers masculins des métiers féminins. C'est ainsi qu'il y a quinze ans -j'ai appris que cela n'avait pas beaucoup changé- on proposait une trentaine de métiers aux filles et près de trois cents métiers aux garçons. Il faut donc réaliser une grande campagne d'information avec le soutien du ministère de l'Education nationale. Accompagnant cette nouvelle loi, il est nécessaire d'élaborer un dispositif qui ne relèverait ni de la réglementation ni de la loi, mais de l'information et d'un certain nombre de directives à donner.

Ce sont les points sur lesquels je souhaitais vivement attirer votre attention, si l'on veut faire _uvre utile et pas seulement créer un effet d'annonce.

Mme Marie-Françoise CLERGEAU : Le rapport de Mme Génisson est très intéressant parce qu'il remet en mémoire des choses que l'on connaît, et qu'il est bon de voir écrites pour pouvoir les traiter ensuite. Mme Génisson, depuis la rédaction de ce rapport, divers textes de lois et différentes conventions ont intégrés certaines de vos propositions. Pourriez-vous nous dire ce qui a déjà avancé depuis votre rapport ?

Mme Catherine GÉNISSON : S'agissant des contrats d'égalité, tels qu'ils existent actuellement, leur octroi est très souple, à la fois en ce qui concerne le niveau d'aide que l'Etat peut apporter aux entreprises, et les objectifs que doivent présenter les entreprises pour les obtenir. Néanmoins, on constate que les plans d'égalité se mettent en place autour de deux grands axes : la formation professionnelle et l'amélioration des conditions de travail des femmes dans l'entreprise. Il semble cependant important d'assouplir encore les conditions d'octroi de ces aides de l'Etat.

La proposition de Mme Roudy concernant l'obligation de faire en sorte que, dans toute négociation, le sujet de l'égalité professionnelle soit pris en compte, me semble importante. Mais elle est satisfaite en partie dans la proposition de loi que j'ai déposée, dans la mesure où l'entreprise aura non seulement l'obligation de négocier de façon spécifique sur le sujet de l'égalité professionnelle, mais aussi l'obligation d'intégrer le sujet de l'égalité professionnelle dans toutes les négociations qu'elle entreprendra.

Par ailleurs, il semble important que ces contrats d'égalité puissent être attribués non seulement au niveau de l'entreprise mais aussi au niveau de la branche.

Le problème de la féminisation des syndicats a été largement évoqué. On sait que cette féminisation aura forcément des conséquences heureuses sur la façon dont sera abordé le sujet de l'égalité professionnelle dans l'entreprise. L'Etat peut contribuer à cette féminisation, en faisant en sorte que les aides qu'il octroie aux entreprises pour la formation de leurs responsables syndicaux, soient modulées en fonction du nombre de femmes présentées dans le cadre de ces formations. Il y a là une incitation forte qui doit pouvoir entraîner une féminisation allant au-delà de la représentation plus juste, voire paritaire, des hommes et des femmes, au sein des instances des syndicats.

Mme Boisseau a évoqué deux sujets. Tout d'abord, la féminisation de certains métiers. Comme je l'ai indiqué en avant-propos de mon exposé, autant l'inégalité professionnelle au détriment des femmes existe en ce qui concerne le nombre des métiers exercés et les niveaux de responsabilité entre les hommes et les femmes, autant, à l'inverse, certains métiers (justice, travail social, Education nationale, santé) sont à tous les niveaux très féminisés.

Beaucoup de ces métiers relèvent de la fonction publique ; des dispositions doivent être prises concernant la féminisation des jurys pour le recrutement ou la promotion des agents de la fonction publique, ou pour la représentation de ces agents dans les différentes instances dans lesquelles l'Etat a pouvoir de nommer. Une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans ces organes devrait conduire à un rééquilibrage dans le recrutement de ces métiers. Une meilleure attention, quant aux conditions de passage du concours, devrait permettre de masculiniser certains métiers très féminisés. Il serait sans doute intéressant de se pencher à nouveau sur la revalorisation, y compris financière, de certains métiers, car on a coutume de dire que les métiers qui se féminisent voient leurs conditions de rémunération se dégrader.

Le problème de l'accueil et de la garde des enfants ne sera pas évoqué dans une loi sur l'égalité professionnelle ; ce problème est beaucoup plus général et concerne à la fois la politique familiale et les collectivités locales ; de plus la mise en place des structures d'accueil et de garde des enfants ne relève ni de la compétence institutionnelle de l'Etat, ni de celle des collectivités locales. Elles le font, mais ce n'est pas inscrit dans leurs compétences spécifiques. Il y a là un sujet qui mériterait réflexion, car ce sont essentiellement les collectivités locales et les entreprises publiques ou privées qui assument cette fonction.

Lors de mes auditions, j'ai rencontré un certain nombre de chefs d'entreprises et de salariés. J'ai rencontré en particulier des chefs d'entreprise qui se trouvaient sur des bassins de population, où compte tenu de la distorsion entre le chômage des hommes et celui des femmes, il fallait embaucher des femmes pour développer une activité économique. Vous avez ainsi le cas de l'entreprise Fleury-Michon qui, devant embaucher des femmes, a fait preuve de beaucoup d'imagination sur de nombreux sujets tels que l'accueil des enfants et la mise en place de congés (congé parental, congé pour enfant malade, etc...). Il y a pour les entreprises des initiatives à prendre, sans pour autant leur imposer l'obligation d'organiser en leur sein une prise en charge de la garde des enfants. Il faut également réfléchir davantage au problème de l'implantation des structures d'accueil -crèches ou autres- sur les zones industrielles ou sur les lieux de vie, plutôt que de se dire que la prise en charge des enfants relève de la fonction de l'entreprise qui doit l'organiser en son sein.

A propos des assistantes maternelles, un rapport du Conseil économique et social ouvre des pistes intéressantes au sujet de la mobilisation de femmes à la retraite.

Au sujet de la garde des enfants, il ne faut pas toujours raisonner à partir de l'équation unique : mère-enfant. Il faut aborder ce sujet de façon parentale en considérant que l'homme est tout autant concerné que la femme. Ensuite pourront venir les mesures d'aide et de soutien qui relèvent de la politique de la famille.

Mme Yvette Roudy a fait allusion au fait que la fonction publique est concernée par la proposition de loi, essentiellement sur deux thèmes : la nécessité de féminiser les jurys qui permettent, soit le recrutement soit la promotion des agents administratifs des différentes fonctions publiques (fonction publique d'Etat, fonction publique territoriale, fonction publique hospitalière), et la nécessité d'une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les instances dans lesquelles l'Etat nomme des agents. Il est important de retenir sa proposition selon laquelle l'Etat doit présenter au Parlement un rapport qui non seulement donne régulièrement une photographie de la situation existante, mais également les mesures à prendre : plans de mise en _uvre de rattrapage, contrats d'objectifs permettant une meilleure représentation des hommes et des femmes dans la fonction publique. Il me semble en outre très important que ce plan contienne une obligation de calendrier et de résultat.

S'agissant de la référence au Québec, nous aurons sans doute à retravailler le texte de la proposition de loi pour faire en sorte qu'il y ait un lien très fort entre la négociation et la mise en place des plans d'égalité dans l'entreprise.

A propos du contrôle de l'application de la loi, il me semble effectivement important que les personnels des directions du travail soient sensibilisés et formés à la question de l'égalité professionnelle. J'ai été frappée, en les rencontrant, tant au niveau institutionnel qu'au niveau des régions, de constater leur mobilisation moyenne sur ce sujet.

Bien évidemment, l'orientation scolaire joue un rôle tout à fait essentiel dans le domaine de l'égalité professionnelle. Je crois savoir qu'une convention est en voie de signature entre le ministère de l'Education nationale et le Secrétariat d'Etat aux droits des femmes, qui reprend un certain nombre des propositions que j'avais élaborées dans mon rapport. Si on ne prend pas le sujet à la base, les problèmes continueront d'exister par la suite.

En ce qui concerne l'accès des femmes à l'emploi, un certain nombre de directives précises ont été données aux services de l'Etat qui ont en charge la réinsertion et l'emploi des publics en grande précarité pour que les femmes, majoritaires dans ces publics se retrouvent également majoritaires -soit à 55 %- dans l'application des dispositifs dont elles peuvent bénéficier.

Par ailleurs, la loi sur la réduction du temps de travail a intégré un certain nombre des propositions qui étaient faites dans mon rapport. Le Gouvernement a également pris deux décrets concernant la féminisation des jurys de concours et la représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les instances de nomination des agents de l'Etat ; mais ces deux décrets, annulés par le Conseil d'Etat, doivent être repris dans le cadre de dispositions législatives.

Sur la politique de la famille, Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour la "famille" du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, doit suivre plus particulièrement la préparation de la conférence nationale de la famille.

Quant à la formation professionnelle, il s'agit d'un sujet majeur. Le projet de loi n'est pas encore déposé devant l'Assemblée nationale ; c'est donc un sujet que nous aurons à aborder ultérieurement.

Mme Yvette ROUDY : Je suis en train de découvrir, à cet instant, un tableau comparatif, que je n'avais pas eu en main jusqu'à présent, entre le droit actuel et la proposition de loi de Mme Génisson.

J'ai une remarque à faire sur un point précis de ce document. Dans l'article premier de la loi de 1983, il était fait référence à "une analyse chiffrée". Le texte proposé vise à remplacer les termes "analyse chiffrée" par les mots "indicateurs pertinents définis par décret". Je ne suis pas d'accord pour renvoyer à un décret la définition des indicateurs car on ne sait pas du tout quand ce texte sera publié. Ainsi, les décrets d'application d'une loi, comme celle sur la bioéthique, votée en 1994, n'ont toujours pas été publiés. De plus, je trouve très floue la notion d'"indicateurs pertinents définis par décret" et j'ai peur que cette nouvelle formulation soit un recul par rapport à la loi actuelle.

Par ailleurs, en ce qui concerne les propositions relatives à la fonction publique, il est dit qu'il y aura des recrutements distincts pour les hommes et les femmes et que "des distinctions peuvent être faites afin de tenir compte d'éventuelles inadaptations physiques". Quelles sont les éventuelles inadaptations physiques qui pourraient justifier que l'on ait des concours différents ?

Mme Catherine GÉNISSON : En ce qui concerne la modification de l'article premier et le remplacement des mots "analyse chiffrée" par "indicateurs pertinents définis par décret", il peut être précisé que l'analyse chiffrée ressemble à une photographie qui ne permet pas toujours de faire la corrélation des données qui existent sur la situation comparée des hommes et des femmes. Les "indicateurs pertinents" doivent permettre de réaliser une corrélation selon différents critères : l'âge, le niveau de formation, le poste occupé dans l'entreprise. La liste de ces indicateurs pertinents, qui peuvent évoluer dans le temps, relève du règlement, et il n'est pas possible de les mettre dans la loi.

Il est en effet difficile d'en donner une liste exhaustive, d'autant que les partenaires sociaux ont indiqué qu'ils souhaitaient des indicateurs pertinents qui prennent en compte l'organisation générale des entreprises et qui servent de référence à l'ensemble des entreprises. Par ailleurs, ils souhaitent pouvoir définir eux-mêmes les indicateurs spécifiques à leur entreprise. En pratique, une telle énumération conduirait à allonger cet article et à la faire précéder du terme de "notamment", que M. Mazeaud souhaitait proscrire des textes de loi. Il faudrait indiquer également que cette liste peut évoluer dans le temps. Et, à côté de cette première liste d'indicateurs obligatoires, il devrait y avoir une deuxième liste des indicateurs spécifiques que les personnels veulent voir préciser dans leur propre entreprise.

La discussion est ouverte sur ce sujet, et nous prendrons nos responsabilités ; mais je ne pense pas que nous clarifierons le texte et lui donnerons plus de force en voulant préciser ce que signifient les termes "indicateurs pertinents".

En revanche, il me semble important d'exiger du Gouvernement que nous ayons le projet de décret quand nous examinerons cette proposition de loi à l'Assemblée nationale.

M. André VALLINI : Je souhaite évoquer encore deux points, Mme la Présidente. Tout d'abord, sur cette question des indicateurs, on pourrait peut-être envisager que la loi prévoie une dizaine de grands indicateurs génériques couvrant l'ensemble du champ qui nous occupe à l'intérieur desquels les branches professionnelles, et même les entreprises, pourraient travailler.

Deuxièmement, le critère de la présence dans l'entreprise d'une ou de plusieurs sections syndicales pour pouvoir négocier l'accord relatif à l'égalité professionnelle est un critère très restrictif car les syndicats ne sont pas représentés dans toutes les entreprises. La loi va donc exclure beaucoup d'entreprises qui n'ont pas de section syndicale. Ne peut-on pas remplacer ce critère par celui du comité d'entreprise ou par une référence au nombre de salariés, en visant les entreprises de plus de dix salariés, ou celles de plus de 50 salariés. Le problème pour l'employeur est d'avoir un interlocuteur. Ne pourrait-on pas aussi se référer au critère du délégué du personnel ?

Mme Catherine GÉNISSON : Il est vrai que la proposition de loi, en l'état actuel des choses, reprend les dispositifs contenus dans la loi de 1983 qui s'appliquaient aux entreprises de plus de 50 salariés ou ayant une section syndicale. Mais vos propositions sont tout à fait intéressantes.

Mme Odette CASANOVA : Les crèches et les gardes d'enfants ne devraient-elles pas être inscrites dans les contrats de plan ou dans les contrats de ville ? Ne faut-il pas des directives en ce sens ? A cet égard, la région PACA va être une région pilote puisque, dans le contrat de plan, nous allons créer un chapitre "droits des femmes" et avoir divers chapitres où la situation des femmes sera prise en compte.

Par ailleurs, ce n'est pas parce que les jurys seront féminisés que les femmes seront plus recrutées. Encore faudra-t-il former les membres du jury ! De mon expérience d'enseignante, j'ai appris que les femmes, qui sont majoritaires dans les collèges et les lycées, n'orientent pas mieux les filles que les hommes. J'ai participé à des conseils d'orientation où des professeurs femmes tenaient des discours encore plus sexistes que les hommes. Là aussi, il faut une formation des enseignants qui pourrait être assurée par une information permanente à destination des lycées et qui, avec la volonté du Gouvernement et du ministère, devrait devenir une obligation. C'est relativement facile à condition que ce soit répété chaque année.

Mme Catherine GÉNISSON : Le sujet des contrats de plan Etat-région est un sujet fondamental que j'ai largement exploré parce que j'ai rencontré bon nombre de déléguées régionales aux droits des femmes : beaucoup d'entre elles s'étaient largement impliquées auprès des préfets de région pour faire en sorte que le sujet de l'égalité professionnelle soit inclus dans toutes les politiques définies dans les contrats de plan à venir. Cela a été repris pour un certain nombre de contrats de plan.

Mme Yvette ROUDY, vice-présidente  : Je crois que Mme Casanova voulait savoir si cette préoccupation ne pouvait pas être incluse dans la loi, sous une forme ou une autre.

Mme Catherine GÉNISSON : Je ne vois pas de quelle manière.

Mme Yvette ROUDY, vice-présidente : Au cours du débat parlementaire.

Mme Catherine GÉNISSON : Dans le débat, le sujet pourra être largement abordé.

Par ailleurs, quand vous parlez de la formation des personnes qui ont des postes de responsabilité, il est évident qu'elles doivent bénéficier d'une formation initiale et d'une formation continue. C'est vrai pour le milieu scolaire, pour les inspecteurs du travail, pour les personnes qui travaillent dans les directions du travail et les lieux de formation professionnelle. Cela me semble évident.

Mme Yvette ROUDY, vice-présidente : Je vous remercie.

Audition de Mme Anne-Marie COLMOU,

maître des requêtes au Conseil d'Etat

Réunion du mercredi 9 février 2000

Présidence de Mme Yvette ROUDY, vice-présidente

Mme Yvette ROUDY, présidente : Madame Colmou, nous sommes heureux de vous accueillir. Vous avez remis au ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation un rapport intitulé : "L'encadrement supérieur dans la fonction publique : vers l'égalité entre les hommes et les femmes". Nous souhaiterions vous entendre sur cette étude très intéressante, alors que la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes étudie la proposition de loi déposée par Mme Catherine Génisson et M. Jean-Marc Ayrault sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dont un des titres concerne spécifiquement la fonction publique.

Mme Anne-Marie COLMOU : Ce rapport qui m'a été commandé par M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, lui a été remis au mois de février 1999.

Les statistiques dont disposaient le ministère de la fonction publique démontraient que les inégalités au détriment des femmes s'accroissaient à mesure que l'on s'élevait dans la hiérarchie administrative : la plus grande proportion de femmes se trouvant à la base de la pyramide alors qu'en haut, elles étaient très peu nombreuses.

Alors que le statut général de la fonction publique ne fait quasiment pas de distinction entre le recrutement des hommes et celui des femmes, et que le concours est anonyme, il était donc très étonnant que les femmes ne soient pas plus présentes dans ces emplois d'encadrement supérieur, d'autant plus que, lorsque l'on regarde les résultats universitaires des hommes et des femmes, on s'aperçoit que les femmes ont de très bons résultats. Dans certaines filières, elles ont d'ailleurs de bien meilleurs résultats que leurs homologues masculins.

Le ministre m'a donc demandé de rédiger un rapport permettant d'identifier les causes de cette situation et de proposer des solutions.

Comme il existait peu d'écrits sur ce sujet, j'ai décidé d'auditionner le plus grand nombre possible de personnes - syndicalistes, politiques, fonctionnaires - avec lesquels j'ai eu des entretiens très libres. Je n'ai pas retranscrit leur propos, mais le rapport est une synthèse de tous ces entretiens.

La première question qui s'est posée était celle de l'instauration ou non de quotas de recrutement. Je me suis aperçue que très peu de mes interlocuteurs le souhaitaient et qu'une telle solution se heurtait à des obstacles, non pas juridiques parce que le droit n'est qu'un outil, mais que l'on était obligé d'en venir à faire des recrutements distincts pour les hommes et pour les femmes. Pour recruter dix postes, par exemple, cinq pour les hommes, cinq pour les femmes, il y aurait les mêmes épreuves, qui seraient donc notées et l'on privilégierait un homme ou une femme parce qu'il est homme ou parce qu'elle est femme, bien qu'ayant eu une moins bonne note... Cela heurte le principe républicain du concours "à chacun selon ses mérites". J'ai donc abandonné cette piste des quotas, avec laquelle je n'étais personnellement pas très en accord.

En fait, il faut arriver à travailler et à raisonner autrement : avoir une fonction publique plus moderne, qui travaille dans des créneaux horaires un peu plus raisonnables qu'actuellement et avoir une gestion des ressources humaines qui tienne compte de la spécificité de la vie professionnelle d'une femme. Dans la fonction publique, il y a des carrières types : il faut à trente-cinq ans avoir pris tel emploi, à quarante-cinq tel autre ; et si une personne s'est absentée, pour élever des enfants par exemple, à son retour on invoque son âge et l'absence de ses états de service pour la faire "passer à la trappe".

Avoir une gestion prévisionnelle des ressources humaines, c'est considérer un agent à l'instant "t" en appréciant non seulement ses diplômes, mais aussi son potentiel de capacités humaines et d'adaptation ; c'est aussi avoir une idée des perspectives de carrière et les gérer dans la durée. Il ne s'agit pas de recruter pour un poste en fonction du niveau des diplômes, car c'est un critère complètement formel qui ne tient pas compte de la nature profonde du fonctionnaire et de l'analyse fine du poste qu'on va lui demander de tenir ou de la fonction qu'on va lui demander de remplir.

Il faudrait arriver à un fonctionnement différent sur ces deux plans : s'organiser mieux dans le travail, avoir des gens mieux gérés.

Il faudrait aussi disposer de statistiques plus fines parce que, pour l'instant, nos statistiques sont assez incomplètes ; ainsi pour la fonction publique territoriale, nous n'avons pas de statistiques. La loi du 26 janvier 1995 a été modifiée pour introduire une obligation statistique qui doit être communiquée tous les deux ans aux comités techniques paritaires, mais il n'y a pas d'obligation de "sexuer" ces statistiques. La Direction générale des collectivités locales m'avait dit à l'époque que le décret d'application de cette loi pourrait prévoir un modèle de statistiques sexuées. Sans doute mais, dans ce domaine, il faut toujours être méfiant vis-à-vis des interprétations restrictives des lois. Il y a certainement là une lacune.

Quant à la fonction publique d'Etat, nous avons maintenant des statistiques année par année ; de plus, la Direction générale de la fonction publique publie tous les deux ans un rapport destiné à la représentation nationale, dans lequel on trouve une photographie des effectifs de fonctionnaires par sexe. Mais il serait, à mon avis, plus utile d'avoir des statistiques de progression de carrière pour pouvoir, promotion par promotion, suivre la progression de carrière des hommes et des femmes afin de voir si, au sein d'une même promotion, les deux sexes avancent de pair, de manière équilibrée.

Par ailleurs, il existe un problème crucial au niveau des filières scientifiques, qui tient à la désaffection des jeunes femmes pour les mathématiques. Mais ce constat n'est pas suffisant : il faut aussi se demander comment les mathématiques sont enseignées ; sur quels critères se font passer les concours ; quelle est la nature des épreuves. Les mêmes questions peuvent être posées pour l'ENA où la proportion d'hommes et de femmes n'est pas équilibrée alors qu'elle l'est dans les IRA.

Parmi les propositions de mon rapport figure la création d'un comité de pilotage qui devrait réfléchir à ces critères de sélection. Pour l'ENA, je me suis amusée à calculer le taux de sélectivité homme/femme. Les femmes sont sélectionnées plus durement que les hommes. La sélection ne se fait pas uniquement sur les épreuves écrites puisque les notes données au cours de la scolarité ne sont pas uniquement fondées sur des épreuves écrites. Le comité de pilotage que je propose me paraît très important. Il ne relève pas du domaine législatif mais du domaine réglementaire et je sais que les services des M. Emile Zuccarelli s'occupent à le mettre en place. J'espère qu'il fonctionnera et qu'il arrivera à trouver des modes de sélection, de formation, des contrôles en cours de scolarité qui tiennent compte autant des aptitudes que l'on dit plutôt féminines que des aptitudes que l'on dit plutôt masculines.

Pour reprendre mes propositions une par une, il faut à nouveau réfléchir sur la mixité dans les établissements scolaires car je crains fort que l'on ait réalisé dans les années 70 la mixité en projetant les filles dans des modèles masculins sans se demander s'il ne fallait pas adapter le système d'enseignement pour que les filles se trouvent sur un pied d'égalité avec les garçons et dans le même état d'attractivité pour les carrières. Dans les couloirs de l'ENA, on peut voir une vieille affiche sur la fonction publique de l'après-guerre qui représente une grosse locomotive noire, très technique. On pense irrésistiblement aux affiches militaires : "Engagez-vous", où l'on voit un marin et on a vraiment l'impression d'entrer dans un monde complètement masculin. Il y a bien des filles qui jouent au train électrique et des garçons qui jouent à la poupée mais, dans l'ensemble, les modèles sont tout de même un peu fixés. Cette réflexion sur la mixité dépasse la fonction publique et relève plutôt de l'Education nationale.

En ce qui concerne la rédaction de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui mélange pêle-mêle l'aptitude physique, les opinions politiques, le sexe, et qui interdit toute discrimination...

Mme Yvette ROUDY, présidente : Un alinéa de cet article est ainsi rédigé : "Toutefois, des recrutements distincts pour les hommes ou les femmes peuvent exceptionnellement être prévus lorsque l'appartenance à un ou l'autre sexe constitue une condition déterminante de l'exercice des fonctions." A votre avis, ne faut- il pas le supprimer ?

Mme Anne-Marie COLMOU : Non, il ne faut pas le supprimer. Je suis tout à fait d'accord avec la façon dont ce point est abordé dans la proposition de loi, c'est-à-dire en scindant l'article en plusieurs parties de façon à isoler les discriminations en raison du sexe, parce qu'elles sont spécifiques. Il n'y a pas de risque de dérive "communautariste" : on peut être handicapé homme ou femme, on peut avoir des opinions politiques étant homme ou femme, mais on ne peut pas être femme et homme en même temps.

Mme Yvette ROUDY, présidente : Avez-vous un exemple de fonction où le sexe est une condition déterminante telle que seul un homme ou seule une femme peut l'exercer ? Il y avait les douaniers, autrefois. Il y avait aussi les pompiers. Mais tout cela est réglé aujourd'hui. Existe-t-il d'autres cas ?

Mme Anne-Marie COLMOU : Je ne sais plus du tout ce qui reste, mais il en reste peut-être deux ou trois.

M. André VALLINI : Nous avons auditionné la CFDT qui serait très favorable à ce que l'on reprenne votre proposition n° 7, portant sur la transparence et la connaissance des déroulements de carrière des hommes et des femmes par des statistiques et des études ainsi que votre proposition n° 8 sur les plans d'objectif.

Mme Anne-Marie COLMOU : Les plans d'objectif s'élaborent ministère par ministère, direction par direction, service par service. Je n'imagine pas la disposition législative impersonnelle et générale qui pourrait les instaurer. Il s'agit là vraiment d'un domaine réglementaire et d'un domaine spécifique à chaque ministère.

Dès lorsqu'il y a une volonté politique, que le Premier ministre fait une circulaire, que le ministre de la fonction publique contrôle, qu'il y a un débat, une transparence, des publications de statistiques, une délégation parlementaire aux droits des femmes, un Observatoire de la parité, un contre-pouvoir s'exerce sur l'action du Gouvernement. Il appartient cependant à chaque ministre de réaliser ses plans d'objectifs. Dans certains ministères, ce sera plus facile que dans d'autres. Dans certains ministères comme l'Education nationale ou les Affaires sociales, il faudra peut-être mener une action en sens inverse. Dans certains autres ministères comme les Affaires étrangères ou l'Intérieur, ce sera très difficile. Les chiffres restent encore très bas pour ces ministères : en 1998, il y avait 4,3 % de femmes préfètes et, en 1999, 5,1 %, ce qui marque une légère augmentation, même si elle n'est pas très sensible ; il y avait 6,5 % d'ambassadrices en 1998 et 6,7 % en 1999. Ce sont les ministères les plus difficiles à convaincre, ceux où la mobilité est la plus forte, ce qui leur permet de se retrancher derrière cette excuse

M. André VALLINI : Puisque c'est une affaire de volonté politique avant tout, c'est bien au niveau du Parlement que l'on pourra impulser cette volonté politique, puisque les ministères et l'administration, vous le dites vous-même, font preuve de trop d'inertie dans ce domaine. Le Gouvernement doit faire un rapport tous les deux ans. Pensez-vous que l'on puisse s'acheminer vers une obligation annuelle pour le Gouvernement de fournir au Parlement, au moment du vote du budget de la fonction publique, un rapport sur l'égalité professionnelle au sein de la fonction publique ?

Mme Anne-Marie COLMOU : Ce serait intéressant, mais je me veux réaliste ; il serait alors nécessaire de gonfler l'outil statistique du ministère de la fonction publique.

Mme Yvette ROUDY, présidente : Vous voulez que l'on demande une augmentation du budget ?

Mme Anne-Marie COLMOU : Pourquoi pas ? Il faudrait renforcer le lien entre le ministère de la fonction publique et l'INSEE.

Mme Yvette ROUDY, présidente : Cela fait des années et des années que nous demandons des statistiques sexuées. Les Suédois et les habitants du Nord de l'Europe en disposent depuis longtemps, ce qui les a beaucoup aidés. Il serait peut-être nécessaire d'exercer une pression plus forte, d'avoir des exigences plus fortes.

Mme Anne-Marie COLMOU : Avoir des statistiques, c'est la seule façon d'éviter les propos passionnels et cela permet de poser les vraies questions. J'ai entendu au cours des auditions auxquelles j'ai procédé, des personnes, et non des moindres, qui m'ont dit ne pas être persuadées de la pertinence du travail que j'entreprenais, considérant que quand une femme voulait réussir, elle réussissait. J'ai alors sorti mes statistiques pour montrer que le problème existe. A défaut, il faut dire que les femmes sont plus bêtes ; mais cela, plus personne n'ose le dire, tout fort en tout cas.

Mme Yvette ROUDY, présidente : Ne pensez-vous pas que l'on pourrait organiser des campagnes d'information au moment des concours ? On pourrait faire des affiches pour inciter les femmes à se présenter aux concours, leur dire qu'ils ne leur sont pas fermés, qu'ils sont aussi pour elles. Il devrait y avoir des instructions dans ce sens. Je crois davantage à cette volonté qu'au vote d'une législation. Mais cela demande une prise de conscience au sein de la fonction publique.

Mme Anne-Marie COLMOU : Et de l'Education nationale.

Mme Yvette ROUDY, présidente : Comment les législateurs que nous sommes peuvent-ils convaincre les décideurs de la fonction publique qu'ils ont une responsabilité dans cette affaire, dans la mesure où le laisser-aller, le laisser-faire n'aboutit qu'à la reproduction des schémas connus et que, ce faisant, nous nous privons de tout un vivier de capacités ? Les pays étrangers ont maintenant compris que la féminisation était aussi un enrichissement des cadres ; des plans existent. Comment le législateur peut-il aider les décideurs de la fonction publique s'ils manquent d'imagination ?

Mme Anne-Marie COLMOU : Dans mon rapport, je propose de revoir les brochures de l'Onisep consacrées à la fonction publique de façon à ce que n'apparaissent pas que des photos d'hommes pour illustrer des emplois d'encadrement. Je pense qu'il faudrait également que des femmes hauts fonctionnaires se déplacent dans les universités, dans les facultés de droit, pour parler de leur métier et montrer que ce ne sont pas des tâches abstraites mais des fonctions très concrètes et positives qui touchent à l'intérêt général, à la vie de la Nation. Cela permettrait de sortir d'un ghetto de recrutement qui fait que l'on entre à l'ENA parce que l'on est d'un certain milieu parisien et que l'on a fait Sciences-Po Paris. Le système actuel ne recrute ni assez de femmes ni assez de provinciaux.

Mme Nicole FEIDT : Dans les contacts que vous avez eus et les auditions que vous avez menées, auriez-vous rencontré, au niveau des ministères, des personnes suffisamment importantes qui auraient suggéré de la discrimination positive ou négative ? Je donne un exemple : nous avons beaucoup de femmes magistrates et l'on dit que, lorsque les femmes passent l'Ecole nationale de la magistrature, il y aurait une discrimination négative envers les femmes. Avez-vous senti que c'est un sentiment qui existe dans les directions des ministères ou est-ce un fait isolé ?

Mme Anne-Marie COLMOU : Vous voulez dire que l'on ferait les jurys, comme on fait les salles ?

Mme Nicole FEIDT : Je pose la question parce que cela m'a été dit, de source crédible.

Mme Anne-Marie COLMOU : Personne ne m'a dit que l'on fait de la discrimination négative envers les femmes dans la haute fonction publique...

Mme Yvette ROUDY, présidente : On sait que cela se fait. On sait que dans certaines hautes sphères de la fonction publique, quand on sent qu'il y a une trop forte féminisation, on prend les mesures nécessaires. Cela ne se dit pas ; les quotas ont toujours été utilisés de tout temps, mais on ne l'a jamais dit. Ils servent à protéger un certain état de fait. Cela m'a été dit par de très nombreuses personnes. Mais on n'en a jamais la preuve parce que personne ne veut le reconnaître publiquement. Cela participe du non-dit, mais nous savons que cela se fait.

Mme Catherine GÉNISSON : Mme Colmou a beaucoup insisté sur la pauvreté des informations dues, entre autres, à l'absence de statistiques sexuées. Cela existe dans la fonction publique comme dans l'entreprise privée. Dans l'entreprise privée, il me semble pourtant qu'il est maintenant obligatoire, pour les services concernés, de fournir des statistiques sexuées. C'est une obligation qu'il serait sans doute nécessaire de mettre en place pour la fonction publique.

On a évoqué l'obligation du gouvernement de produire, tous les deux ans, un rapport sur la situation comparée des femmes et des hommes dans la fonction publique. Ne pourrait-on pas demander que soit associée à ce rapport la définition d'un plan d'objectif, qui resterait souple dans son application, mais qui dresserait au moins les grandes lignes des objectifs de chaque fonction publique ou de chaque ministère pour remédier à la situation ? Cela serait une mesure analogue à celle qui va être demandée aux entreprises.

Mme Anne-Marie COLMOU : Oui. A titre personnel, j'en serais très satisfaite.

Mme Nicole FEIDT : Dans la fonction publique territoriale, quels moyens pourraient favoriser la situation et la promotion des femmes ? Les assemblées sont des assemblées d'hommes, les organismes paritaires sont surtout composés d'hommes. Voyez-vous un moyen de remédier à cette situation ?

Mme Anne-Marie COLMOU : Il faut utiliser les élus. Il existe un projet de loi sur la parité politique qui va permettre à plus de femmes d'être élues. Or les élus siègent dans les organismes paritaires.

Mme Nicole FEIDT : En ce qui concerne les fonctionnaires, comment pourrait-on, selon vous, favoriser l'égalité ? Faut-il imposer des quotas ?

Mme Anne-Marie COLMOU : Dans la fonction publique territoriale,...

M. André VALLINI : Les représentants de la CFDT à qui je posais la question de la féminisation des syndicats, m'ont dit que, sauf à remettre en cause la liberté syndicale, il était difficile d'imposer la parité dans le monde syndical comme cela se fait dans le monde politique. Mais ils pensaient qu'il y aurait une idée à creuser concernant les représentants syndicaux au niveau des organismes paritaires dans la fonction publique et que, sur ce point, on pourrait peut-être avoir une mesure contraignante en ce qui concerne les candidatures.

Mme Anne-Marie COLMOU : On peut avoir une mesure contraignante puisque, dans les organismes paritaires de la fonction publique de l'Etat, des fonctionnaires sont désignés pour y siéger. Cette obligation est d'ailleurs dans la proposition de loi de Mme Génisson, parce que le Conseil d'Etat n'a pas voulu que cela se fasse par décret. Il a considéré que c'était du niveau législatif.

M. André VALLINI: Cela ne vous paraît pas possible pour les représentants syndicaux ?

Mme Anne-Marie COLMOU : Il y a la liberté syndicale : c'est aux syndicats de le décider.

M. André VALLINI: On a bien obligé les partis politiques à présenter une moitié de candidatures de femmes aux élections municipales, régionales et européennes.

Mme Anne-Marie COLMOU : On a modifié la Constitution pour cela. Il faudrait aussi la modifier pour les syndicats. Je n'ai pas fait une étude juridique fine sur ce sujet, mais je pense que ce serait le cas.

Mme Yvette ROUDY, présidente : Je crois, hélas, que vous avez raison.

En ce qui concerne les fonctionnaires territoriaux, je ne suis pas inquiète. Je pense, comme vous, que le fait de féminiser les conseils municipaux fera que les femmes seront davantage présentes dans les administrations municipales. Je suis maire d'une ville. Quand je suis arrivée, il n'y avait pas une seule femme chef de service. Je n'ai rien dit, je n'ai pas donné d'instructions. J'étais là, simplement. Quand des concours ont eu lieu, il est arrivé que l'on me dise que l'on hésitait entre un homme et une femme. J'ai simplement dit : « Prenez le meilleur ». Aujourd'hui, au bout de dix ans, la moitié des directeurs sont des femmes parce que les femmes compétentes existent et se présentent aux concours. Il y a eu des changements depuis une dizaine d'années. Simplement par la présence, attentive et vigilante évidemment, de femmes au sein des conseils municipaux, qui peuvent s'étonner auprès du maire du fait qu'il n'y ait pas une seule femme parmi les directeurs, les choses peuvent avancer car il y fera attention.

Pour les syndicats, je suis navrée d'entendre ce que j'entends, parce qu'effectivement, si c'est la seule façon de les faire bouger, il faudra peut-être y arriver, mais c'est triste.

Madame Colmou, nous vous remercions.

Audition de M. Emile ZUCCARELLI,

ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat

et de la décentralisation

Réunion du mardi 22 février 2000

Présidence de Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation.

Monsieur le ministre, notre Délégation, qui a commencé ses travaux au mois de novembre dernier, a notamment pour mission d'examiner les projets et les propositions de loi concernant les droits des femmes lorsqu'elle est saisie de ces textes par le Bureau ou les commissions permanentes de l'Assemblée nationale. Nous avons déjà examiné, au cours de ces derniers mois, un certain nombre de projets ou propositions de loi -sur la parité homme/femme dans la vie politique, sur les volontariats civils, sur le sport et sur la prestation compensatoire-, et nous avons commencé, voilà une quinzaine de jours, l'examen de la proposition de loi présentée par Mme Catherine Génisson relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ce texte comprend deux parties, la première traitant davantage du monde de l'entreprise et la seconde de la fonction publique d'Etat, territoriale et hospitalière.

Vous avez confié, il y a deux ans, une mission à Mme Anne-Marie Colmou, et nous retrouvons, dans cette proposition de loi, un certain nombre des propositions qu'elle a faites dans le rapport qu'elle vous a remis sur l'encadrement supérieur dans la fonction publique. Nous aimerions connaître vos observations sur cette proposition de loi.

M. Emile ZUCCARELLI : Madame la présidente, je voudrais tout d'abord vous remettre le septième rapport relatif aux mesures prises dans la fonction publique pour assurer l'application du principe d'égalité des sexes : ce rapport a été présenté au Conseil supérieur de la fonction publique d'Etat hier après-midi.

Le souci d'égalité des sexes dans la fonction publique ne date pas d'hier. Si les résultats sont, aujourd'hui, encore modestes, je vous demande de les relativiser car il faut en examiner l'évolution en tenant compte de l'immobilisme des gouvernements précédents.

En 1997, il était aisé de dresser un constat sévère en ce qui concerne l'égalité des femmes et des hommes dans la fonction publique. Cependant, cette inégalité ne se manifeste pas à tous les niveaux ; en effet, 57 % des agents de la fonction publique sont des femmes.

Si l'on affine les pourcentages, l'on s'aperçoit qu'ils sont très inégaux selon les ministères puisque nous trouvons 71 % de femmes au ministère des affaires sociales, 65 % au ministère de l'éducation nationale et 26 % au ministère de l'intérieur.

S'agissant des cadres A, 52 % sont des femmes ; hors éducation nationale, elles ne sont plus que 33 %, et moins de 20 % au ministère de l'équipement. Mais l'inégalité la plus flagrante se trouve au niveau de l'encadrement supérieur -les cadres A+- où si les femmes représentent aujourd'hui un tiers des élèves sortant de l'ENA, le pourcentage de femmes dans les emplois d'encadrement supérieur pourvus à partir de ce vivier est bien inférieur. En 1997, elles représentaient 18 % des chefs de service, directeurs-adjoints et sous-directeurs et 11 % des directeurs, et elles étaient 18 % dans les inspections générales, sauf à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) où elles étaient 30 %. Enfin, l'on trouve 14 % de femmes dans les grands corps de l'Etat.

Des progrès ont été accomplis depuis, même si, il est vrai, ils sont encore insuffisants : entre 1998 et 1999, le nombre de femmes directrices d'administration centrale est passé de 19 à 21 ; le nombre des postes diminuant de 150 à 140, la proportion de femmes directrices est donc passé de 11 % à 15 %.

En 1999, Mme Anne-Marie Colmou m'a remis un rapport tendant à remédier à ces inégalités, à ces déséquilibres, et l'essentiel de ses conclusions a été retenu.

S'agissant des concours de recrutement de cadres supérieurs, les analyses du rapport démontrent que les femmes sont moins souvent candidates que les hommes et plus sévèrement sélectionnées. En outre, elles y obtiennent des places de sortie moins bonnes que les hommes, alors qu'elles ont de meilleurs résultats dans les examens universitaires -en particulier dans les matières utiles aux concours de la fonction publique, c'est-à-dire en droit et en économie.

La sélection pour la haute fonction publique semble donc privilégier, parmi les meilleurs, un éventail de profils trop restreint qui pénalise les femmes. Il s'agit d'une question qui mériterait d'être approfondie.

Le Gouvernement met actuellement en place un comité de pilotage qui réunira des fonctionnaires, des enseignants et des chercheurs. Il sera chargé d'examiner, dans les programmes des concours et le déroulement de la scolarité dans les écoles de fonctionnaires, les éventuels obstacles à un recrutement plus large. Il proposera au Gouvernement des solutions.

Lorsqu'il m'a été demandé de réfléchir à la réforme de l'ENA, je me suis rendu compte qu'il convenait, en effet, de diversifier les profils d'accès, les parcours pouvant mener à l'ENA, et d'analyser les handicaps que les femmes peuvent rencontrer.

Les articles 17 à 19, 21 et 22 de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson proposent une mesure très concrète pour améliorer cette égalité des chances d'accès à l'ENA : changer la composition des jurys chargés de recruter les fonctionnaires, afin de donner aux femmes une plus grande place -vous verrez tout à l'heure que ce souci d'équilibre s'appliquera également aux commissions administratives paritaires (CAP) et aux comités techniques paritaires (CTP).

Le Conseil d'Etat ayant estimé, le 14 octobre dernier, que nous ne pouvions pas, par décret, modifier la réglementation en ce domaine, nous avons choisi d'insérer cette modification dans la proposition de Mme Catherine Génisson.

En ce qui concerne les commissions administratives paritaires, l'administration sera tenue de désigner davantage de femmes (article 15 de la proposition de loi). L'équilibrage de ces instances -jury, CAP- mettra en _uvre un premier bloc des mesures proposées par le "rapport Colmou". Cependant, il est évident que, sans un volontarisme ministériel marqué, nous n'arriverons pas à faire bouger les choses.

L'autorité de nomination désigne les cadres supérieurs en fonction des profils de postes et des compétences des candidats à l'intérieur de viviers dont la féminisation permettra de nommer davantage de femmes. Pour y parvenir, les ministres devront présenter des plans d'objectifs pluriannuels les engageant à rééquilibrer progressivement la composition sexuée de l'encadrement dans des proportions correspondant à celle des viviers utilisés. Une circulaire du Premier ministre est actuellement en cours de publication.

Un haut fonctionnaire, pour chaque ministère, sera chargé de tenir à jour une liste "sexuée" des agents susceptibles de pourvoir les postes d'encadrement ainsi que leur profil professionnel.

Une autre remarque du "rapport Colmou" touche à l'organisation du travail : les femmes se montrent quelquefois moins actives que les hommes dans leur souci d'améliorer leur parcours professionnel. Parmi plusieurs raisons, nous pouvons relever celle des horaires trop contraignants qui s'imposent aux cadres et les rebutent ; la pratique très française des horaires indéfiniment extensibles finit par pénaliser plus nettement les femmes que les hommes.

Une amélioration sera apportée par le rééquilibrage des CTP, des instances paritaires consultées en matière d'organisation du travail : il est prévu aux articles 16 à 20 de la proposition de loi.

En ce qui concerne le Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat, l'effort est déjà visible grâce à l'action de persuasion et de harcèlement qu'a menée la direction générale de l'administration et de la fonction publique. Ainsi, la délégation de l'administration à ce Conseil était tout à fait paritaire, lors d'une réunion qui s'est tenue hier, ce qui n'était pas le cas pour celle des organisations syndicales !

En 1996, les représentants de l'administration au Conseil supérieur de la fonction publique comptaient 53 hommes et 7 femmes, contre 37 hommes et 24 femmes en 1999. En revanche, en 1996, les organisations syndicales étaient représentées par 50 hommes et 10 femmes, contre 44 hommes et 16 femmes en 1999.

Le temps partiel, quant à lui, est un mode de travail choisi surtout par les femmes. En effet, sur environ 150 000 agents ayant choisi le temps partiel, 145 000 sont des femmes. Quatre-vingt mille femmes pour 4 700 hommes ont choisi de ne pas travailler un jour complet, notamment le mercredi. Les agents sont, dans ce cas, favorisés par un abattement de salaire inférieur au temps effectif, le temps partiel à 80 % étant payé à 90 %, ce qui profite d'abord aux femmes.

Mme Martine LIGNIERES-CASSOU, présidente : Monsieur le ministre, je vous remercie.

Ma première question concerne les statuts particuliers : ne convient-il pas de s'interroger également sur les statuts particuliers, tels ceux des militaires, des médecins hospitaliers, des magistrats et du personnel parlementaire ?

Deuxièmement, nous notons tous les efforts réalisés à la fois par l'administration, les chefs d'entreprise et les partis politiques en ce qui concerne la parité. En revanche, nous ne percevons pas ces mêmes efforts chez les organisations syndicales. Il s'agit là, à mon avis, d'une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas beaucoup avancé dans le secteur privé ces dernières années -et je pense à l'application de la "loi Roudy". En effet, les femmes étant peu présentes à la tête des organisations syndicales, la question de la parité est mal reprise dans les négociations. Avez-vous eu des discussions avec les organisations syndicales sur la manière de faire progresser plus rapidement l'idée de parité ?

Troisièmement, cette proposition de loi devrait permettre une représentation équilibrée dans deux types d'instance, les CAP et les CTP. L'article 12 de la loi du 11 janvier 1984 relative à la fonction publique de l'Etat mentionne cependant d'autres instances paritaires, telles que le Conseil supérieur de la fonction publique lui-même et le comité d'hygiène et de sécurité. Ne serait-il pas souhaitable d'élargir les mesures envisagées à ces autres instances paritaires ?

A propos de la fonction publique territoriale, le "rapport Colmou" insiste sur l'absence de statistiques la concernant. Par ailleurs, Mme Anne-Marie Colmou souligne que les statistiques présentées tous les deux ans dans un rapport donnent une photographie à un moment donné plus qu'une vision dynamique et prospective ; elle déplore donc l'absence d'outils d'analyse dans le cadre de la fonction publique territoriale. Votre réflexion a-t-elle évolué en ce domaine ; pouvez-vous aller un peu plus avant ?

Ne serait-il pas bon d'étendre également les dispositions envisagées à la fonction publique hospitalière, je pense notamment aux comités techniques d'établissement qui sont les CTP des centres hospitaliers ?

Monsieur le ministre, vous avez mis en place un comité de pilotage pour examiner les conditions de recrutement et de concours, ainsi que le profil demandé aux candidats pour ces concours. Ne vous paraît-il pas nécessaire -en regroupant les trois fonctions publiques- de créer un comité d'évaluation de la parité qui pourrait mesurer l'avancée des femmes dans les trois fonctions publiques, et notamment dans les postes d'encadrement supérieur ?

Ma dernière observation concerne les négociations dans leur ensemble. Un des axes forts de la proposition de loi est de dire que, dans le secteur privé, toutes les négociations partenariales doivent inclure la question de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ne serait-il pas souhaitable de transposer cette disposition à la fonction publique ?

Mme Catherine GÉNISSON : Monsieur le ministre, afin de mettre en évidence la cohérence globale de cette proposition de loi, et en particulier la cohérence entre son titre I et son titre II, ne serait-il pas opportun, lorsque nous allons demander au monde de l'entreprise de mettre en place des indicateurs pertinents permettant d'apprécier de façon dynamique la façon dont est appliquée l'égalité professionnelle dans l'entreprise, d'avoir la même démarche au niveau des trois fonctions publiques ? Tout en considérant, bien entendu, qu'il puisse y avoir des indicateurs spécifiques à chaque fonction publique.

Dans le même souci de cohérence, ne pourrait-on pas imaginer, comme pour le secteur privé, un Conseil supérieur de l'égalité professionnelle dans la fonction publique qui, dans chaque ministère, serait chargé de surveiller la façon dont sont appliqués les plans d'objectif ?

En ce qui concerne l'article 13 de la proposition de loi qui regroupe un certain nombre d'articles qui étaient dispersés dans le statut de la fonction publique, la disposition selon laquelle "des recrutements distincts pour les femmes ou les hommes peuvent exceptionnellement être prévus lorsque l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue une condition déterminante de l'exercice des fonctions", est-elle encore d'actualité ? Existe-t-il encore des métiers strictement féminins ou masculins ? Doit-on laisser figurer cette discrimination ?

Mme Nicole FEIDT : Monsieur le ministre, pouvez-vous nous révéler la teneur du décret qui précisera les conditions d'application de la loi ? Par exemple, quelle sera la proportion d'hommes et de femmes retenue pour assurer la mixité ? Cette proportion concernera-t-elle l'ensemble des représentants de l'administration, c'est-à-dire les titulaires et les suppléants -les femmes étant le plus souvent suppléantes ?

Par ailleurs, des mesures sont-elles prévues pour élargir le vivier des fonctionnaires susceptibles de représenter l'administration au sein des CAP ? En effet, nous connaissons des problèmes importants dans les collectivités territoriales en ce qui concerne la représentation des femmes ; ainsi, les CTP sont composés de très peu de femmes, notamment dans l'administration départementale.

Mme Muguette JACQUAINT : Monsieur le ministre, ma question concerne la représentation des femmes dans les organisations syndicales. On dit souvent que les femmes ne sont pas candidates, notamment aux postes de responsabilité de la fonction publique. Cette situation ne s'explique-t-elle pas par le fait qu'elles considèrent que cela constituerait pour elles un handicap supplémentaire ? Les organisations syndicales ont certainement leur part de responsabilité, mais les femmes ne craignent-elles pas, en faisant partie d'une organisation syndicale, d'être à nouveau pénalisées ?

M. Emile ZUCCARELLI : S'agissant des statuts particuliers, j'ai cru comprendre que le statut de la magistrature était particulièrement visé...

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Pas plus que celui des militaires ou du personnel de l'Assemblée !

M. Emile ZUCCARELLI : Nous sommes dans une situation assez classique dans la fonction publique, c'est qu'il y a beaucoup de femmes magistrats. Les textes de loi concernant le statut des magistrats qui sont en cours d'examen par le Parlement donneront l'occasion de se pencher sur ce problème et d'examiner ce qu'il peut y avoir de spécifique dans le statut des magistrats.

En ce qui concerne le statut spécial du personnel parlementaire, les assemblées elles-mêmes devraient prendre l'initiative de l'évolution des règles fixant ce statut ; en effet, elles pourraient s'émouvoir que cette initiative provienne de l'exécutif.

Vous avez parlé de la fonction publique territoriale. Si elle n'était pas concernée par ces dispositions, il aurait été inutile de préparer un texte législatif ; s'il s'agissait pour l'Etat de s'obliger lui-même, une circulaire aurait suffi ! Si nous passons par un texte de loi, c'est notamment pour créer les mêmes obligations dans la fonction publique territoriale. Il est vrai que celle-ci connaît des difficultés de rassemblement de l'information, compte tenu de sa dispersion : 50 000 employeurs ayant dans leur grande majorité des effectifs très réduits de fonctionnaires. Par ailleurs, des difficultés existent également pour la fixation des règles relatives aux CAP ou CTP.

Mme Nicole FEIDT : Il conviendrait tout de même de les inciter à en faire davantage !

M. Emile ZUCCARELLI : Tout à fait !

En ce qui concerne le décret d'application fixant la proportion des membres des jurys et des comités de sélection appartenant à chacun des sexes, il sera certainement précisé -la parité absolue, 50/50, n'étant pas possible- que les personnes d'un même sexe ne peuvent pas faire moins du tiers de la représentation. Il s'agit probablement d'une disposition minimaliste, mais c'est un minimum qui me paraît raisonnable et applicable, sachant que l'objectif, à terme, c'est l'équilibre.

Mme Nicole FEIDT : Vous craignez de ne pas disposer d'un vivier suffisant pour les cadres de catégorie A ?

M. Emile ZUCCARELLI : Il existe effectivement des problèmes de viviers pour constituer les CAP dans certaines catégories d'encadrement.

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Ne peut-on pas prévoir dans ce décret en Conseil d'Etat, outre ce plancher d'un tiers, un calendrier permettant d'atteindre progressivement la parité dans 5 ou 10 ans ? Une telle disposition est-elle envisageable ?

Mme Danièle BOUSQUET : Une telle disposition permettrait, en effet, de fixer des objectifs liés à la croissance des effectifs féminins dans les viviers et de mesurer l'efficacité des mesures prises.

M. Emile ZUCCARELLI : Notre intention est bien d'aller dans ce sens, en partant de normes raisonnables ; rien ne serait pire que d'avoir des textes inapplicables.

Mme Hélène MIGNON : Cela doit en effet être réalisé sous forme de perspectives, en faisant régulièrement le point sur l'évolution des effectifs. S'il n'y a pas d'évolution favorable au niveau des effectifs de chaque catégorie, comment pourrions-nous avoir des représentations mieux équilibrées ? Si les femmes ne sont que 30 % dans une instance, on ne peut exiger qu'elles soient 50 % dans les CTP !

Mme Catherine GÉNISSON : Il faut tout de même s'éloigner de la notion de représentation catégorielle ! Les femmes ne représentent pas les femmes et les hommes ne représentent pas les hommes ! On peut tout à fait imaginer qu'à partir du moment où il y a un certain pourcentage dans le vivier, il y ait la parité au niveau du CTP. Le pourcentage de femmes au sein des CTP peut évoluer plus rapidement que le pourcentage d'augmentation de femmes dans le vivier.

M. Emile ZUCCARELLI : Cela va de soi, mais dans certains cas le vivier n'est pas suffisant pour atteindre une certaine parité ; si j'ai quatre personnes à choisir dans un vivier où il n'y a qu'une femme, les femmes ne seront pas plus de 25 % !

Nous devons avancer en mettant en jeu plusieurs moyens à la fois : juridiques, réglementaires, mais également volontaires. Ces derniers, qui sont certainement les plus difficiles à mettre en _uvre, sont probablement les plus puissants.

S'agissant des CTP, les plans d'objectif par ministère leur seront obligatoirement présentés tous les ans ; ce qui est l'équivalent de l'obligation de négocier sur le thème de la parité dans les entreprises.

Mme Génisson, vous vous demandiez quel métier était strictement féminin ou masculin. A ma connaissance, il en existe encore un : il concerne le recrutement séparé du personnel des établissements pénitentiaires. Et le ministère de la Justice ne souhaite pas y renoncer avant une expertise beaucoup plus approfondie de la situation.

Mme Catherine GÉNISSON : Par ailleurs, les hommes n'ont pas le droit de travailler dans la Maison de la Légion d'Honneur qui élève des jeunes filles !

M. Emile ZUCCARELLI : Depuis Robert Badinter, il n'y a plus de bourreaux, ce qui nous enlève une épine du pied ! Je voudrais revenir sur le problème des instances paritaires dans la fonction publique hospitalière, pour préciser qu'elles sont composées également d'élus ; il en résulte une spécificité des comportements et des avancées moins importantes que dans la fonction publique de l'Etat.

Mme LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : En ce qui concerne les organisations syndicales, les dispositions de la proposition de loi font porter l'effort de féminisation des jurys, des CAP et des CTP, non pas sur les organisations syndicales, mais sur l'administration. Avez-vous eu un débat avec les organisations syndicales à ce sujet ?

M. Emile ZUCCARELLI : Non, je ne peux pas dire que j'ai engagé des négociations avec les organisations syndicales sur le problème de la parité ; on en parle lors de nos rencontres, mais il me paraît délicat de leur donner des leçons à ce sujet avant de balayer devant ma porte !

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Il est en effet indispensable que l'administration fasse des efforts, mais il me semble que l'ensemble des partenaires doit aussi être amené à en faire !

Mme Muguette JACQUAINT : Essayons de comprendre pourquoi cela ne fonctionne pas. On peut dire qu'il y a certainement une part de responsabilité des organisations syndicales et un problème de vivier. Mais je le répète, faire partie de la haute fonction publique constitue un handicap supplémentaire pour les femmes.

M. Emile ZUCCARELLI : Si nous devions imposer une règle sur la composition par sexe des représentations syndicales, nous ne serions pas fondés à imposer des règles discriminatoires pour les syndicats de la fonction publique par rapport aux autres syndicats ; nous nous trouverions dans le cas d'une rupture d'égalité entre les associations.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Monsieur le ministre, aller vers une parité au niveau des jurys me paraît être un effort louable. Les plans d'objectif pluriannuels visant à rééquilibrer la proportion d'hommes et de femmes dans la plupart des postes de la fonction publique sont également une bonne chose. Cependant, vouloir à tout prix atteindre la parité absolue 50/50 me paraîtrait une erreur.

Je suis tout à fait favorable à la promotion des femmes, à tous les niveaux, mais il faut savoir raison garder car cela dépendra des fonctions, des années, etc. Ne faisons pas passer le paramètre sexe avant le paramètre valeur personnelle, autrement l'on aura un affaiblissement de la fonction publique.

Par ailleurs, certaines fonctions me paraissent terriblement féminines et d'autres particulièrement masculines. Je comprends la sagesse du ministère de la Justice qui demande à réfléchir avant de mettre des femmes gardiennes dans des prisons d'hommes. De même, dans la fonction publique hospitalière, je ne suis pas pressée de voir 50 % d'hommes aides-soignants.

Je souhaiterais donc que l'on n'agisse pas en aveugle, de manière mathématique, en se fixant un objectif de 50/50 ; la matière humaine est beaucoup plus complexe ! Lorsque vous dites, Monsieur le ministre, que le décret d'application de la loi fixera une proportion d'un tiers pour la représentation féminine, cela me paraît raisonnable ; et notamment pour la magistrature où les femmes représentent 75 % à 80 % des effectifs, ce qui est d'ailleurs regrettable.

Enfin, j'ajouterais que cet effort que nous réalisons ensemble est louable, mais quelque peu artificiel, tant que l'on n'aura pas résolu d'autres problèmes spécifiquement féminins, tels que ceux concernant les tâches ménagères et familiales. De nombreuses femmes, brillantes, refusent d'accéder à des postes de responsabilité pour s'occuper de leur famille.

M. Bernard ROMAN : Toute le monde évoque les contingences culturelles, mais c'est un cercle vicieux ; car c'est aussi en changeant le cadre que l'on fera évoluer les mentalités. Je constate d'ailleurs une évolution très nette des mentalités des jeunes générations pour la prise en charge d'un certain nombre de tâches qui étaient, il y a quelques années encore, jugées spécifiquement masculines ou féminines. Le rôle du législateur, comme pour la parité en politique, est d'essayer de faire bouger le cadre en constatant l'inégalité.

Monsieur le ministre, n'est-il pas envisageable, en constatant aujourd'hui, non pas l'inégalité de présence des femmes dans la fonction publique, mais l'inégalité des femmes dans les postes de responsabilité, d'avoir des attitudes volontaristes ?

Je prendrai deux exemples. Chaque année, il est procédé à des nominations d'administrateurs civils au tour extérieur ; il suffit de regarder les résultats de ces nominations pour constater qu'il n'y a aucune attitude volontariste dans la promotion des femmes. Que l'on ne me parle pas de vivier, car je crois qu'il y a plus de candidatures de femmes au poste d'administrateur civil au tour extérieur que de candidatures d'hommes. N'y a-t-il pas possibilité de provoquer des attitudes volontaristes à cet égard ?

Second exemple : dans la fonction publique territoriale, certaines règles jouent pour les promotions internes chaque fois qu'il est procédé à des recrutements externes. N'y a-t-il pas possibilité, là aussi, de jouer sur l'incitation, sinon l'obligation, à la nomination interne d'attachées qui permette de compenser cette inégalité ? Y compris en autorisant quatre nominations au lieu de trois, s'il y a deux hommes et deux femmes.

M. Emile ZUCCARELLI : Madame Boisseau, il y a peut-être trop de femmes magistrats, mais il n'y a qu'une femme procureur général ! Les femmes représentent 57 % de l'effectif total de la fonction publique, 52 % de l'effectif total des cadres A et un tiers des sortants de l'ENA, école qui donne accès aux fonctions d'encadrement supérieur. Cependant, elles ne sont plus que quelques pour-cent dans les fonctions de haute responsabilité : 6 préfètes en tout, 15 % de directrices d'administration.

Je suis attentif à la demande de Monsieur Roman concernant un rééquilibrage dans les nominations au tour extérieur, mais cette question est secondaire par rapport à celle concernant le choix pour la promotion aux responsabilités ; là, une discrimination s'impose : l'exemple de la magistrature est, à cet égard, particulièrement flagrant.

S'agissant de la fonction publique territoriale, je puis indiquer que, d'après le rapport Schwartz, paru il y a deux ans, la promotion de l'encadrement supérieur -la machine à fabriquer des administrateurs territoriaux- doit s'orienter de plus en plus vers une régulation nationale.

Madame Boisseau, vos remarques sortent un peu du cadre strict de la fonction publique : parité, égalité, etc. Il s'agit là d'un grand débat. Mais il est évident que lorsqu'une situation ne bouge pas, il convient de la faire évoluer avec, peut-être, des méthodes qui paraîtront inadaptées demain, mais qui, dans l'instant présent, sont justifiées et nécessaires.

Prenons l'exemple de la place des femmes dans cette assemblée ; il a bien fallu prendre des mesures pour ne pas rester la honte de l'Europe !

Toutes ces mesures doivent être appréciées dans le temps présent. Peut-être que demain nous devrons prendre d'autres mesures visant à assurer un minimum de représentation masculine ! Je ne suis pas sûr que dans un siècle, il sera encore nécessaire d'avoir une égalité stricte. Il s'agit d'une mesure nécessaire aujourd'hui pour faire sortir notre pays d'une situation moyenâgeuse.

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, présidente : Monsieur le ministre, je vous remercie.

RAPPORT D'INFORMATION par M. André Vallini, au nom de la Délégation aux droits des femmes, sur la proposition de loi n°2132 de Mme Catherine GÉNISSON relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.