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N° 2490

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 juin 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES (1), sur les actions destinées à renforcer le lien entre la Nation et son Armée

et présenté par

MM. Bernard Grasset et Charles Cova,

Députés.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Défense.

La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de :

M. Paul Quilès, président ; MM. Didier Boulaud, Arthur Paecht, Jean-Claude Sandrier, vice-présidents ; M. Robert Gaïa, Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, secrétaires ; MM. André Aschieri, Jean-Marc Ayrault, Jacques Baumel, Jean-Louis Bernard, André Berthol, Jean-Yves Besselat, Bernard Birsinger, Jacques Blanc, Jean-Marie Bockel, , Loïc Bouvard, Jean-Pierre Braine, MM. Philippe Briand, Jean Briane, Marcel Cabiddu, Antoine Carré, Guy-Michel Chauveau, Bernard Cazeneuve, Alain Clary, Charles Cova, Michel Dasseux, Jean-Louis Debré, François Deluga, Claude Desbons, Philippe Douste-Blazy, MM. Jean-Pierre Dupont, François Fillon, Christian Franqueville, Yves Fromion, , Yann Galut, René Galy-Dejean, Roland Garrigues, Henri de Gastines, Bernard Grasset, Elie Hoarau, François Hollande, Jean-Noël Kerdraon, François Lamy, Claude Lanfranca, André Lebrun, Jean-Yves Le Drian, Georges Lemoine, François Liberti, Jean-Pierre Marché, Franck Marlin, Jean Marsaudon, Christian Martin, Guy Menut, Gilbert Meyer, Michel Meylan, Jean Michel, Charles Miossec, Alain Moyne-Bressand, Jean-Claude Perez, Robert Poujade, MM. Michel Sainte-Marie, Bernard Seux, Guy Teissier, André Vauchez, Jean-Claude Viollet, Michel Voisin, Aloyse Warhouver, Pierre-André Wiltzer, Kofi Yamgnane.

SOMMAIRE

INTRODUCTION : GENÈSE ET MÉTHODOLOGIE DE LA MISSION 11

A. PÉRENNISER LE LIEN ENTRE LA NATION ET SON ARMÉE 11

1. L'armée doit évoluer en phase avec la société 11

2. Privilégier la concertation et garantir une certaine liberté d'expression dans les armées 13

B. MÉTHODOLOGIE : UNE IMMERSION AUPRÈS DES TROUPES 14

1. De multiples visites dans les unités 14

2. Nos autres sources d'information 15

PREMIÈRE PARTIE : L'ARMÉE ET LA SOCIÉTÉ : REGARDS CROISÉS 17

I. - COMMENT L'ARMÉE S'ESTIME PERÇUE PAR LES CIVILS 17

A. UNE IMAGE PLUTÔT FAVORABLE AUPRÈS DE LA POPULATION 17

1. L'image d'une armée efficace dotée de matériels performants 18

2. La suspension de l'appel sous les drapeaux 19

3. Les effets des projections extérieures et intérieures 19

B. L'ARMÉE SE CONSIDÈRE MAL AIMÉE PAR LES POUVOIRS POLITIQUES 21

1. L'absence d'organismes de représentation 21

2. Une variable d'ajustement commode 22

3. Un corps qui s'estime trop peu défendu 23

C. UN PHÉNOMÈNE ACCENTUÉ DANS LA GENDARMERIE 23

1. Une charnière entre les mondes civil et militaire 24

2. Un sentiment d'incompréhension lié à des griefs d'ordre matériels 25

3. La crainte d'une remise en cause du corps 25

4. La tentation de la surenchère 25

II. - LA CONFRONTATION AVEC LA SOCIÉTÉ CIVILE 25

A. LE REGARD CRITIQUE DE L'ARMÉE SUR LES CIVILS DE LA DÉFENSE 25

1. L'arrivée inéluctable des civils dans les armées 25

2. Un certain désenchantement 25

3. Un refus sans équivoque du syndicalisme 25

4. La crainte de perdre certaines prérogatives 25

B. LA NÉCESSAIRE RECONVERSION DES MILITAIRES 25

1. Des carrières relativement courtes 25

2. Des différences notables entre les armées 25

3 Un effort substantiel consenti par les armées 25

4. La question du préavis et des stages de reconversion 25

C. LES ENJEUX DE LA PÉRENNITÉ DE LA PENSION DES MILITAIRES 25

1. Une compensation des contraintes militaires 25

2. Les conséquences de l'évolution démographique 25

3. Les dangers d'une remise en cause de la pension des militaires 25

DEUXIÈME PARTIE : L'ARMÉE FACE À ELLE-MÊME 25

I. - UNE CONCERTATION ET UN DIALOGUE IMPARFAITS 25

A. LA CIRCONSPECTION SUSCITÉE PAR LES INSTANCES DE CONCERTATION NATIONALES 25

1. Un mode de désignation insatisfaisant 25

2. Un processus sous le contrôle total du ministère 25

3. Des retombées décevantes 25

B. LE RÔLE ESSENTIEL DES PRÉSIDENTS DE CATÉGORIE 25

1. Des limites catégorielles fluctuantes 25

2. Un système de désignation perfectible 25

3. Un relais primordial avec le commandement malgré des moyens limités 25

C. L'ABSENCE DE CRÉDIBILITÉ DU RAPPORT SUR LE MORAL 25

1. Un rapport édulcoré ? 25

2. Le procédé original mis au point par la Marine 25

3. L'absence de retombées concrètes 25

II. - LES RAPPORTS HIÉRARCHIQUES TRÈS VARIABLES D'UNE ARMÉE À L'AUTRE 25

A. UNE DOUBLE CÉSURE AU SEIN DE LA GENDARMERIE 25

1. Une première ligne de fracture avec les officiers généraux et les officiers supérieurs 25

2. Incompréhension et craintes 25

B. DES PROBLÈMES SPÉCIFIQUES À LA MARINE NATIONALE 25

1. Une barrière héritée du passé 25

2. Avant tout une affaire de mentalité 25

C. UN « CLIMAT SOCIAL » PLUS DÉTENDU DANS LES ARMÉES DE TERRE ET DE L'AIR 25

1. L'armée de Terre se caractérise par une proximité de terrain 25

2. L'armée de l'Air se compare mieux à une grande entreprise 25

D. LE SENSIBLE APPAUVRISSEMENT DE LA PENSÉE MILITAIRE 25

1. La quasi absence d'expression des militaires 25

2. Les effets du « conditionalat » 25

TROISIÈME PARTIE : LES PROPOSITIONS DE LA MISSION 25

I. - INSTAURER UN MÉDIATEUR DU PERSONNEL MILITAIRE 25

A. LA NÉCESSITÉ DE COMBLER UN MANQUE DE REPRÉSENTATION 25

1. Une idée bien accueillie 25

2. Des voies de recours actuellement insuffisantes 25

3. Des expériences étrangères largement positives 25

B. LE CHOIX D'UNE AUTORITÉ ADMINISTRATIVE INDÉPENDANTE 25

1. Une autorité nommée par l'exécutif de préférence au législatif 25

2. Une nomination en Conseil des ministres conforme à nos usages 25

3. Un maximum d'indépendance pour exercer librement ses attributions 25

C. SAISINE ET CHAMP DE COMPÉTENCE DU MÉDIATEUR 25

1. Une saisine limitée aux personnels militaires 25

2. La question du champ de compétence 25

II. - PRIVILÉGIER LA CONCERTATION 25

A REVALORISER LE RÔLE DES PRÉSIDENTS DE CATÉGORIE 25

1. Généraliser l'élection des présidents 25

2. Accorder davantage de temps et de moyens aux présidents 25

3. Former et réunir les présidents 25

4. Etendre la notion de président à toutes les catégories 25

B. REVALORISER LES CONSEILS DE LA FONCTION MILITAIRE (CFM) 25

1. Laisser le sort choisir les membres des CFM parmi des élus 25

2. Elire les représentants au Conseil supérieur parmi les membres des Conseils 25

3. Améliorer la formation des représentants et la préparation des Conseils 25

C. RENDRE SON CRÉDIT AU RAPPORT SUR LE MORAL 25

1. Joindre systématiquement la lettre du président 25

2. Communiquer la réponse de l'état-major 25

III. - AMÉLIORER D'UNE MANIÈRE GÉNÉRALE LA CONDITION MILITAIRE 25

A FAVORISER LA RECONVERSION 25

1. Aménager la contribution aux stages de reconversion 25

2. Prévenir les intéressés le plus tôt possible 25

3. Systématiser la parution d'annuaires 25

B. ACTUALISER LE STATUT DES MILITAIRES 25

1. Encourager la libre expression des militaires 25

2. Repenser le régime des punitions 25

3. Moderniser le régime d'autorisation au mariage 25

4. Permettre aux militaires d'être jurés 25

C. UNE CONTROVERSE SUR L'ARTICLE 10 DU STATUT 25

1. Pourquoi il faut autoriser l'adhésion des militaires en activité aux associations d'anciens militaires (par Charles Cova) 25

2. Pourquoi il convient de rester très prudent avec les associations professionnelles (par Bernard Grasset) 25

3. Les propositions de modifications consensuelles de l'article 10 25

D. LES AUTRES MESURES 25

1. Harmoniser les réglementations interarmées 25

2. Des mesures spécifiques à la Gendarmerie 25

3. Encourager les commissions extra-municipales 25

4. Le rôle des commissions de la défense du parlement 25

CONCLUSION 25

EXAMEN EN COMMISSION 25

ANNEXE I : COMPARAISONS AVEC QUELQUES ARMÉES VOISINES 25

LE SOLDAT-CITOYEN DE L'ARMÉE ALLEMANDE 25

CONCERTATION ET REPRÉSENTATION DANS L'ARMÉE DES ÉTATS-UNIS 25

CONCERTATION ET DROIT D'EXPRESSION DANS LES FORCES ARMÉES BRITANNIQUES 25

LE SYSTÈME DE CONCERTATION ITALIEN 25

LE MÉDIATEUR À LA DÉFENSE NORVÉGIEN 25

LA MÉDIATION SUÉDOISE 25

ANNEXE II : LISTE DES UNITÉS VISITÉES ET DES PERSONNALITÉS RENCONTRÉES 25

INTRODUCTION : GENÈSE ET
MÉTHODOLOGIE DE LA MISSION

Le présent document a pour point de départ un précédent rapport d'information que l'un des auteurs, Bernard Grasset, a établi, en 1999, sur la nécessité de « renforcer le lien entre la Nation et son armée » et que la Commission de la Défense a publié le 10 février 1999. L'évolution du paysage militaire et les réactions suscitées par la publication de ce rapport ont amené les auteurs du présent document à souhaiter approfondir certains sujets qui sont apparus particulièrement sensibles en cette période de suspension programmée du service national. Ils ont été nommés, sur leur demande, rapporteurs d'information sur les actions destinées à renforcer le lien entre la Nation et son armée le 22 juin 1999. Ils ont alors, pour accomplir leur mission d'information, décidé de « s'immerger » pendant quelques mois auprès des troupes.

A. PÉRENNISER LE LIEN ENTRE LA NATION ET SON ARMÉE

La pérennisation du lien entre la Nation et son armée passe par la nécessité, pour l'institution militaire d'évoluer en phase avec la société. Pour cela, il est nécessaire de privilégier la concertation et de garantir une certaine liberté d'expression dans les armées.

1. L'armée doit évoluer en phase avec la société

La mission d'information qui nous a été confiée s'inscrit dans le cadre de la professionnalisation, aujourd'hui largement entamée, de nos armées. Cette évolution nous a amenés à nous interroger sur les moyens de rapprocher les militaires de la société civile, de faire en sorte que nos armées soient bien ou mieux perçues et que les militaires occupent la place qui revient à tout citoyen.

Le lien entre la Nation et son armée, entend-on dire, était assuré par le service national qui conduisait chaque citoyen à servir pendant une longue période l'institution militaire et, ainsi, à établir un lien fort avec elle. Si cette assertion a pu être pertinente à une époque révolue, il nous faut tordre le cou à certains mythes aujourd'hui dépassés.

Que l'armée de Valmy, composée en réalité de volontaires encadrés par d'anciens officiers du roi, ait donné une forte cohésion à la Nation française, que le service militaire universel, instauré seulement en 1905 après la suppression du tirage au sort et du système de remplacement, ait contribué, pendant plusieurs décennies, à l'existence d'une armée citoyenne et relativement égalitaire est indéniable.

Mais l'armée d'après la guerre froide n'était ni celle de Valmy, ni celle de la Grande guerre, ni celle de « l'amalgame » du Maréchal de Lattre de Tassigny, ni celle de la guerre d'Algérie. D'abord, dans une société de plus en plus soucieuse de l'égalité entre les sexes où la parité entre hommes et femmes est désormais inscrite dans la Constitution et dans la loi, le service national concernait seulement la moitié masculine de notre jeunesse. Ensuite, le service militaire, qui n'était qu'une des multiples formes du service national, avait tellement évolué qu'il ne restait plus beaucoup de points communs avec celui effectué naguère. La durée de 24 ou 18 mois avaient été raccourcie à 12 puis 10 mois.

Le conscrit vivant en caserne et ne bénéficiant que de parcimonieuses permissions avait été remplacé par un appelé arrivant le lundi matin et repartant le vendredi après-midi, lorsqu'il n'avait pas la chance de rentrer chez lui tous les soirs. Enfin, le service national s'était transformé en une machine reproduisant et amplifiant les inégalités de la société civile car il n'y avait plus rien de commun entre, d'une part les jeunes sans relations qui étaient envoyés dans une caserne peu accueillante ou un camp militaire battu des vents, et ceux, d'autre part, qui effectuaient un service civil en qualité « d'experts » dans la coopération, dans une ambassade sous les tropiques, voire dans des entreprises privées qui pouvaient, de cette manière, sélectionner et former leurs futurs cadres.

Ce mythe d'une armée égalitaire et citoyenne, qui résistait de moins en moins à l'épreuve de la réalité ne pouvait, de surcroît, tenir bien longtemps face à la conjonction de deux phénomènes : la chute du mur de Berlin et la disparition d'un ennemi clairement identifié, d'une part, la nécessité de disposer d'une armée, certes réduite en nombre, mais de plus en plus technique et mobile, d'autre part. Le président de la République et le Parlement en tirèrent clairement les conséquences, en 1996 et 1997, en décidant la suppression du service national et la professionnalisation des armées.

Or, une armée professionnelle composée d'engagés volontaires, hommes et femmes du métier de la défense, ne se conduit plus comme une armée d'appelés dociles et nombreux, contraints d'effectuer gratuitement ou presque, une année de service. Les militaires professionnels rempliront d'autant mieux leurs missions qu'ils s'intégreront à la Nation, se sentiront à l'aise et s'épanouiront dans leurs fonctions. Si tel n'était pas le cas, l'institution militaire, dans le contexte de la baisse du chômage que chacun souhaite durable, risquerait de connaître de grandes difficultés de recrutement. Il suffit de s'intéresser aux problèmes actuels de recrutement des armées américaine et britannique pour s'en convaincre.

Ce bien être nécessaire aux militaires passe, avant tout, par l'obligation pour l'institution de respecter un droit d'expression minimum et de promouvoir une plus large concertation interne.

2. Privilégier la concertation et garantir une certaine liberté d'expression dans les armées

En raison de la hausse continue du niveau des études en France, on constate que de plus en plus de militaires du rang sont bacheliers et de plus en plus de sous-officiers sont d'un niveau bac + 2 ou bac + 3. Cette évolution est évidemment extrêmement bénéfique puisque cela signifie que l'armée peut compter sur un personnel plus compétent et mieux formé qu'il y a dix ou vingt ans.

Mais ce phénomène a également des conséquences inattendues sur la façon de commander. On ne commande plus une armée de diplômés comme on commandait, il y a encore quelques années des conscrits dont beaucoup avaient à peine le brevet des collèges. Lorsque le niveau d'instruction des subordonnés tangente celui de leurs officiers, l'explication, la concertation et la persuasion deviennent plus que jamais nécessaires, même si la discipline et l'obéissance hiérarchique doivent rester les fondements de toute armée. Proposer des pistes de réflexion pour améliorer le système de concertation est un des objectifs de ce rapport.

Plus largement, notre attention a été attirée par la vaste question de la représentation des militaires. La loi du 13 juillet 1972, portant statut général des militaires est très stricte sur ce point. Le droit de grève et l'existence de syndicats y sont considérés incompatibles avec la discipline militaire, en conséquence de quoi il appartient au chef de veiller aux intérêts de ses subordonnés.

Or, au cours d'une audition, l'un des intervenants représentant une association d'anciens militaires, a laissé entendre devant la Commission de la Défense nationale et des forces armées que le système d'expression et de représentation n'était plus adapté à la société moderne et a prédit l'arrivée de syndicats dans les armées si rien n'était fait pour améliorer la situation.

La vision, en 1989, de gendarmes exprimant anonymement leur désarroi par médias interposés a choqué beaucoup d'entre nous et la circulation, depuis quelques mois, de lettres anonymes révélatrices d'un sentiment de « grogne » nous a, à nouveau, alertés sur un risque de dégradation de l'esprit militaire. Convaincu qu'en l'état, l'introduction du syndicalisme tel qu'il existe de nos jours dans notre pays, au sein de l'institution militaire n'est ni souhaitable ni souhaité, nous avons voulu proposer des pistes permettant de désamorcer l'apparition de conflits par une meilleure communication interne.

B. MÉTHODOLOGIE : UNE IMMERSION AUPRÈS DES TROUPES

Notre méthode a consisté en de nombreuses visites directement auprès d'unités opérationnelles des trois armées et de la Gendarmerie, ainsi qu'en des rencontres avec des hauts responsables de notre défense et de la défense de pays étrangers.

1. De multiples visites dans les unités

Nos visites se sont voulues multiples et le plus diversifiées possible. Nous avons visité ou rencontré des soldats d'une quarantaine d'unités, totalisant 69 tables rondes qui nous ont mis en contact avec près d'un millier de militaires de tous grades avec lesquels nous avons eu des échanges directs. La liste de nos visites et rencontres est annexée au présent rapport. Nous avons tenu à diversifier au maximum nos visites, nous rendant dans des unités de l'armée de Terre très différentes les unes des autres (infanterie, artillerie de montagne, blindés, légion étrangère, troupes de Marine, parachutistes, ALAT...), visitant à la fois Toulon et Brest avec à chaque fois des représentants de bâtiments de tailles très diverses pour la Marine, ainsi que des gendarmes mobiles et départementaux, nous rendant dans des brigades de gendarmerie à la fois en zone périurbaine et en zone rurale. Pour compléter notre information, nous avons rendu visite aux trois armées et à la Gendarmerie dans un département d'outre-mer, la Guyane, ainsi que dans un pays étranger, Djibouti.

Sans pouvoir présenter le caractère scientifique d'un sondage basé sur un échantillonnage rigoureux de la population concernée, ces visites nous ont offert un panorama assez précis et révélateur de l'état d'esprit et des sujets de préoccupation des militaires.

Le mode de discussion privilégié était la table ronde qui rassemblait entre 10 et 15 militaires des catégories concernées, pendant une heure trente à deux heures. Si nous laissions, bien sûr, toute latitude au commandement de chaque unité pour désigner les personnels appelés à nous rencontrer, il nous est apparu que les chefs de corps avaient bien joué le jeu, respectant notre volonté de rencontrer des militaires de spécialités, d'ancienneté et d'horizons divers. Chaque fois que cela était possible, les personnels féminins étaient représentés. D'une manière générale, il ne nous est pas apparu que les personnels en question aient été choisis en fonction de leurs opinions ou de leur docilité. Dans de nombreux cas, les chefs de corps avaient d'ailleurs délégué à leurs présidents de catégorie la mission de choisir les participants. Si certaines réunions ont pu être préparées, il ne nous a pas semblé que c'était dans le but de verrouiller la conversation et de choisir les réponses à nous apporter, mais plutôt avec l'objectif d'enrichir le débat.

Pour garantir un maximum de spontanéité et de franchise, nous avons tenu à ce que ces tables rondes se déroulent, sauf rares exceptions, hors de la présence de tout supérieur hiérarchique, notamment pour celles qui rassemblaient les militaires du rang et les sous-officiers. Il était convenu dès le début que les propos étaient libres et que nous ne voulions connaître ni les noms ni les grades. Des questionnaires, qui pouvaient être remplis de façon anonyme, ont été distribués en fin de table ronde dans le cas où certains de nos interlocuteurs auraient souhaité prolonger la réflexion. Nous en avons reçu plusieurs dizaines.

Au total, les armées ont parfaitement joué le jeu de la transparence que nous leur avions demandée et que le ministre de la Défense nous avait garantie. Nous ne sommes pas sûrs que beaucoup d'autres administrations ou entreprises privées auraient agi de la sorte.

2. Nos autres sources d'information

La vision qui nous a été rapportée par la base de la hiérarchie fut extrêmement enrichissante car trop rare. C'est sans doute la première fois que des parlementaires se rendaient dans un « tour de France » des armées, pour y rencontrer, des heures durant, de simples militaires du rang ou même des sous-officiers. Mais le travail n'aurait été que partiel si nous n'avions pas rencontré, également, des responsables de la haute hiérarchie militaire.

Nous avons rencontré M. Alain Richard, ministre de la Défense. Le Secrétaire général de la défense nationale (SGDN) ainsi que certains chefs d'états-majors ont spontanément demandé à nous rencontrer. Nous avons également sollicité des entretiens avec les directeurs du personnel militaire (DPM) de la Gendarmerie et des trois armées, ce que nous avons obtenu très rapidement, sauf pour l'armée de l'Air dont le général en charge des questions de personnel a repoussé si souvent notre demande de rendez-vous que nous avons renoncé à le rencontrer, ce qui ne nous a pas permis d'approfondir autant que nous le souhaitions notre connaissance du fonctionnement de l'armée de l'Air.

Nous avons également rencontré des généraux ou amiraux commandant de régions militaires, à Brest pour la Marine et à Bordeaux et Metz pour l'armée de Terre. Nous avons aussi pris l'attache du contrôleur général des armées assurant le secrétariat général du Conseil supérieur de la fonction militaire.

Enfin, dans le cadre de notre réflexion sur l'instauration d'un médiateur chargé du personnel militaire, nous avons rencontré, en France, le Médiateur de la République et nous nous sommes rendus en Allemagne, en Norvège et en Suède où existent des médiateurs compétents dans ce domaine avec lesquels nous avons pu nous entretenir, avant de prendre également l'avis des autorités militaires concernées. De même, nous nous sommes entretenus avec le président d'Euromil, association européenne à dominante allemande, fédératrice de groupements professionnels militaires.

*

* *

Cette mission d'information, qui s'est voulue consensuelle et hors de toute polémique partisane, a été menée par deux députés, appartenant l'un à la majorité, l'autre à l'opposition parlementaires, parce que les sujets qui concernent la défense de la Nation donnent rarement lieu à polémique au sein de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées de l'Assemblée nationale.

Cette approche a sans doute incité nos interlocuteurs à s'exprimer avec d'autant plus de franchise. Nous avons souhaité travailler pour l'institution militaire, et elle seule, et donc pour la Nation dont elle émane.

PREMIÈRE PARTIE :
L'ARMÉE ET LA SOCIÉTÉ : REGARDS CROISÉS

La première partie de ce rapport commence par un regard croisé entre la sphère militaire et le monde civil qui nous semblent évoluer trop fréquemment en parallèle, se rencontrant trop peu souvent. Nous avons longuement interrogé nos interlocuteurs sur la manière dont ils estiment que la société civile perçoit l'armée, puis sur leur propre perception, souvent critique, de la société civile à travers leur expérience professionnelle, au sein du ministère de la Défense, mais aussi par rapport à la question de leur reconversion et de leur retraite.

I. - COMMENT L'ARMÉE S'ESTIME PERÇUE PAR LES CIVILS

Le besoin de reconnaissance de la part de la Nation est le souhait le plus ardent que nous avons entendu de la part des militaires. Et lorsque les militaires utilisent ce mot, ils ne l'emploient pas, ou pas seulement, dans le sens d'une rétribution financière comme la polysémie du terme pourrait le laisser imaginer, mais ils souhaitent plutôt que le rôle de l'armée dans la société soit constaté, admis et que sa place ne soit pas de plus en plus marginalisée comme certains peuvent en avoir l'impression.

En dépit de ces impressions, les militaires considèrent cependant dans leur grande majorité que l'armée d'aujourd'hui a une image plutôt positive auprès de la population en général, même si la spécificité du métier des armes conduit parfois à une certaine méconnaissance par les civils.

Dans leur ensemble, les militaires que nous avons rencontrés estiment que l'image de l'armée est relativement bonne et, en tous cas, qu'elle s'est améliorée depuis quelques années. Nous nous en félicitons dans la mesure où les rapports avec la société civile sont au c_ur du lien entre la Nation et son armée.

A. UNE IMAGE PLUTÔT FAVORABLE AUPRÈS DE LA POPULATION

Le caractère professionnel d'une force dotée de matériels performants, la suppression de l'obligation du service national ainsi que les nombreuses missions de projection, souvent à caractère humanitaire, aussi bien intérieures qu'extérieures sont très certainement à l'origine de cette bonne impression.

1. L'image d'une armée efficace dotée de matériels performants

Considérée comme très technique, d'un excellent niveau, l'armée dégage un sentiment de rigueur et de professionnalisme. Elle attire généralement de très nombreux visiteurs lorsque des journées « portes ouvertes » sont organisées. Les visites de navires, de bases aériennes ou d'engins blindés connaissent généralement un franc succès, de même que les défilés du 14 juillet, les prises d'armes que tant de maires, surtout dans les régions rurales, réclament dans leur commune, les concerts d'orchestres militaires ou les spectacles de la Patrouille de France.

Les grands programmes d'équipement de l'armée française sont plus suivis qu'on ne l'imagine par toute une partie de la population, pas forcément fanatique de la chose militaire mais intéressée par la défense de son pays et les matériels de haute technologie. Ainsi, l'évolution du programme du char Leclerc, les lancements de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, les performances du Rafale ou les acquisitions d'Awacs et d'Hawkeyes font l'objet d'un suivi assez régulier par la presse généraliste et intéressent indéniablement un large public qui se présente toujours plus nombreux, par exemple, lors du salon du Bourget.

Même si elle n'a pas fait véritablement l'objet d'un débat de société comme cela aurait pu être le cas dans d'autres pays, la construction d'un porte-avions, par surcroît à propulsion nucléaire, a également été suivie avec intérêt par une bonne partie de la population et si une certaine presse a pu donner l'impression de s'amuser un moment de quelques difficultés techniques relatives à sa mise au point, l'attrait d'une partie de la population était certainement plus profond. La présence du pavillon français sur les mers du globe participe également du sentiment de fierté nationale.

Seules ombres au tableau : une partie de la population, mais qui semble en régression, continue de considérer les militaires comme des privilégiés, leur prêtant, au delà des compensations existantes sur lesquelles nous reviendrons, des avantages imaginaires.

Par ailleurs, certains détails montrent que les militaires ne semblent pas encore considérés comme des citoyens à part entière par une frange de la population. Un exemple : lorsqu'un militaire est en litige avec un civil, il n'est pas rare que ce dernier se plaigne par écrit auprès du colonel de la base dont dépend le militaire en question alors qu'il ne viendrait à l'idée de personne de s'adresser au PDG d'une entreprise privée dans des circonstances analogues... Autre exemple : lorsque un civil est responsable d'un accident grave de la circulation ou d'un acte répréhensible susceptible d'intéresser les journaux, sa profession n'est jamais (ou très rarement) mise en exergue. Lorsqu'il s'agit d'un militaire, ce n'est plus monsieur Untel, mais l'adjudant Untel qui est pris en défaut, la fonction étant mise en cause.

2. La suspension de l'appel sous les drapeaux

Du fait de la suspension de l'appel sous les drapeaux, l'armée n'est plus considérée par les jeunes gens comme l'endroit « où on est contraint de mettre entre parenthèse une année de sa vie », comme beaucoup le pensaient avant la réforme. On ne va plus dans les casernes à reculons comme cela pouvait être le cas lors du Conseil de révision.

L'instauration de la Journée d'appel de préparation à la défense (JAPD) contribue également à la bonne image de l'armée. Les jeunes gens et jeunes filles pour qui cette journée est souvent le premier contact avec l'univers militaire découvrent un monde rigoureux et souvent différent de l'image qu'ils en avaient auparavant. Alors que beaucoup se rendent à cette journée parce qu'il s'agit d'une formalité obligatoire, plus de 80 % en ressortent satisfaits et 32 % d'entre eux se déclarent intéressés par une deuxième journée.

Cette journée, même si elle est évidemment perfectible, apparaît globalement comme indispensable dans la mesure où il s'agit, pour la plupart des personnes convoquées, d'une occasion unique d'entendre parler une fois dans leur vie de la défense de leur pays, pourtant l'un des principaux postes budgétaires, alors qu'ils sont tous contribuables et s'apprêtent à devenir électeurs.

3. Les effets des projections extérieures et intérieures

La dernière décennie a vu se développer les opérations militaires à l'extérieur de nos frontières, qu'il s'agisse de missions offensives (la libération du Koweït), humanitaires (la Somalie) ou d'interposition (les Balkans). L'ensemble de ces opérations, où nos soldats ont administré la preuve de leur savoir-faire et de leur courage et dont certaines ont été coûteuses en vies humaines ont contribué fortement à rehausser le prestige des armées.

De ce point de vue, le bon accueil réservé à nos soldats, à l'issue de la guerre du Golfe, en 1990 semble avoir marqué un tournant. Les slogans antimilitaristes de mai 1968 paraissent désormais lointains et la population s'avère plutôt sensible au rôle que jouent nos troupes dans des opérations d'aide humanitaire, de déminage ou de maintien de la paix à l'extérieur de nos frontières.

De même, la participation efficace et rapide de l'armée aux opérations d'assistance et de secours des personnes victimes de la tempête ainsi que leur contribution au nettoyage des plages atlantiques souillées par la récente marée noire ont apporté beaucoup plus, en terme d'image, que nombre de campagnes publicitaires. Il en est de même pour les militaires qui participent au plan Vigipirate et qui contribuent, dans les grandes agglomérations à assurer une présence rassurante dans les réseaux de transports en communs et les principaux lieux publics. Faut-il dire ici que nous considérons ces missions hautement nécessaires mais aussi limitées dans le temps et que leur prolongation, au delà de l'urgence, va à l'encontre de la mission essentielle des armées ?

La plupart des militaires que nous avons rencontrés se sont déclarés fiers d'appartenir à l'armée et de le faire savoir, alors qu'il était peut-être moins valorisant d'indiquer une telle profession il y a dix ou vingt ans. D'ailleurs, le nombre de personnels de tous grades que l'on rencontre en uniforme dans la rue ou dans les transports, même s'il reste encore relativement faible, nous semble évoluer significativement.

Outre-mer, le service militaire adapté (SMA), qui a une finalité autant militaire que sociale et qui contribue à la formation professionnelle de milliers de jeunes, est apprécié de tous, civils et militaires et, malgré la suppression progressive du service national, le nombre de candidats, garçons et filles, est en constante augmentation. Voilà encore un élément qui contribue à donner de l'armée, au moins sur le plan local, une excellente image de qualité. Profitons de l'occasion qui nous est donnée pour réaffirmer la nécessité de défendre et de conserver cette institution, un temps menacée, et pour insister sur le besoin d'améliorer son niveau d'encadrement, devenu inférieur à celui de l'ensemble des armées.

Même la Gendarmerie qui aurait pu craindre une détérioration de son image après les affaires récentes de Rivesaltes ou de Corse considère que sa perception au sein de la population est restée bonne.

Dans une société où les problèmes d'incivisme, de délinquance et de violences préoccupent l'opinion publique, l'armée apparaît comme un pôle de stabilité et de sécurité.

Mais si l'armée s'estime regardée avec sympathie par la population dans son ensemble, une partie des militaires, en particulier parmi les officiers, pense que l'institution militaire ne jouit pas de toute la considération qu'elle mérite de la part des élites de la Nation, et notamment des décideurs politiques.

B. L'ARMÉE SE CONSIDÈRE MAL AIMÉE PAR LES POUVOIRS POLITIQUES

Les militaires considèrent que l'absence d'organismes de représentation indépendants conduit les autorités politiques à utiliser l'armée dans des missions pour lesquelles elle n'est pas conçue à l'origine et à utiliser son budget comme une variable d'ajustement commode. Mais le manque de reconnaissance et de défense dans les plus hautes sphères de l'institution les gêne tout autant.

1. L'absence d'organismes de représentation

Les militaires que nous avons rencontrés ont parfois le sentiment que les interrogations ou les inquiétudes de l'armée ne sont pas suffisamment pris en compte par l'exécutif car les militaires, n'étant pas syndiqués et n'ayant pas le droit de grève, ne suscitent aucune inquiétude. Ils partagent une opinion répandue selon laquelle les gouvernements mettent en _uvre une politique qui est fonction des tensions et des conflits sociaux qui se succèdent. Du coup, l'armée qui ne peut être gérée selon ce schéma-là se trouve défavorisée, en quelque sorte en raison de sa discipline.

Il apparaît en effet que les autorités qui savent pouvoir compter sur l'armée en toute occasion pour des raisons statutaires, l'utilisent, parfois, pour accomplir des tâches qui ne sont clairement pas les siennes.

Si le travail des militaires sur les plages de l'Ouest de la France, dans les jours qui ont suivi la marée noire de décembre 1999 a été unanimement apprécié, nous nous interrogeons sur le bon emploi de l'armée, six mois plus tard, lorsque nous constatons que plusieurs centaines de militaires (au moins) sont employés à laver à grandes eaux un port de plaisance à quelques semaines du début de la saison touristique, dans le but avoué de ne pas indisposer les plaisanciers qui y entreposent leurs voiliers.

De la même manière, ce sont toujours les militaires qui sont appelés, lorsque la santé publique est menacée par une grève un peu trop longue d'éboueurs. On demande alors à ces techniciens généralement bien formés de remplacer des salariés grévistes et de ramasser les ordures à leur place, étant entendu qu'il est plus facile de faire appel à une armée disciplinée que de réquisitionner des salariés syndiqués, voire de faire appel à une autre société privée. De là à considérer que l'armée est parfois utilisée pour briser des grèves, il n'y a qu'un pas que certains n'hésitent pas à franchir.

D'un autre côté, on trouve des autorités politiques qui, loin de reconnaître les mérites et les apports de l'institution militaires la négligent à peu près complètement. Exemple qui nous paraît significatif d'un état d'esprit : nous nous sommes rendus dans une petite ville dans laquelle les militaires et leurs familles représentent, d'après ce qui nous a été dit, un sixième de la population mais où, malgré cela, les indicateurs routiers n'indiquent pas les casernes et où il n'existe pas de logements réservés aux militaires.

Le réflexe, de plus en plus développé parmi les autorités politiques de faire appel à l'armée chaque fois que quelque chose ne va pas semble de plus en plus développé : marée noire, tempête, plan Vigipirate, bogue de l'an 2000, grèves d'éboueurs, feu de forêts, multiplication des opérations extérieures... Il s'agit pourtant d'un réflexe qui s'accommode de plus en plus d'une autre attitude : celle qui consiste à diminuer régulièrement les moyens financiers et humains de cette même armée.

2. Une variable d'ajustement commode

Le « reformatage » des armées, la « refondation » de l'armée de Terre, la suspension du service national et les profondes modifications décidées ces dernières années par le pouvoir politique ont été globalement bien acceptés par les militaires. Les baisses de crédits qui en ont résulté ont également été comprises comme la conséquence de l'évolution de la situation géostratégique. Par contre, les militaires ont davantage de difficultés à admettre que les mesures décidées par le Parlement, qu'il s'agisse des lois de programmation militaire ou des lois de finances annuelles soient rarement respectées. D'« encoches budgétaires » en arrêtés d'annulation, il a été relevé que le ministère de l'économie et des finances, bouc émissaire parfois trop commode de beaucoup de militaires que nous avons rencontrés, a supprimé plusieurs milliards de francs au budget d'équipement des armées.

Cette politique est d'autant moins appréciée qu'elle oblige les autorités militaires à passer des commandes sur des petites séries, ce qui renchérit le coût à l'unité. Les annulations de commandes contribuent à tendre les relations avec les fournisseurs et le trop grand étalement de certains programmes tels que le porte-avions Charles-de-Gaulle (treize ans entre la pose de la première tôle et l'admission au service actif) ou l'hélicoptère NH 90 aboutissent à renchérir considérablement le coût final. Les militaires qui oublient quelquefois que le vote du budget n'est qu'une autorisation de dépenses donnée à l'exécutif par le pouvoir législatif, jamais une obligation, considèrent néanmoins que la simple réalisation du budget voté serait déjà de nature à rétablir une confiance ébranlée entre l'institution et le pouvoir politique.

Au total, nombre de militaires estiment que leur institution est perçue par les pouvoirs politiques comme un « parasite budgétivore », transformé en variable d'ajustement budgétaire à la baisse alors même que les missions de l'armée, loin de diminuer, augmentent régulièrement.

3. Un corps qui s'estime trop peu défendu

Les militaires s'estiment non seulement mal lotis sur le plan budgétaire mais également mal défendus sur un plan plus général. Dans ce corps où la notion de hiérarchie est à la base du fonctionnement et où les supérieurs sont responsables des actes de leurs subordonnés, l'armée a du mal à admettre que des militaires mis en cause, et empêchés en raison du devoir de réserve qui s'impose à eux de s'exprimer, ne soient pas davantage défendus par le pouvoir politique.

L'absence de débat relatif à la défense nationale, en dehors de la très convenue discussion budgétaire annuelle et de la non moins convenue loi de programmation militaire, tous les six ans, est regrettée par la plupart des acteurs du secteur. Est-ce par un respect scrupuleux du devoir de réserve, par habitude de la discipline ou par souci de ne pas compromettre leur carrière que les militaires les plus hauts placés de la hiérarchie s'expriment si peu ? Tout en reconnaissant qu'une certaine réserve s'impose lorsqu'il s'agit de discuter de la défense de la Nation et que le devoir d'obéissance reste plus que jamais sacré, il peut sembler regrettable que le débat relatif à la défense soit, aujourd'hui, aussi atone.

En conséquence, si les militaires d'active considèrent, d'une manière générale, les associations d'anciens assez peu représentatives, ils leur reconnaissent au moins le mérite de représenter utilement l'institution lorsque celle-ci est critiquée sans que les acteurs mis en cause puissent se défendre en raison du devoir de réserve qui leur est imposé.

C. UN PHÉNOMÈNE ACCENTUÉ DANS LA GENDARMERIE

Placée à la charnière entre la société civile à laquelle elle se réfère continuellement et le monde militaire auquel elle revendique farouchement son appartenance, la Gendarmerie ne peut échapper à ses contradictions.

Le sentiment d'incompréhension, favorisé il est vrai par de réels besoins matériels qui n'ont été satisfaits que trop lentement, attise une certaine forme de peur chez ceux qui craignent de voir disparaître le caractère militaire de ce corps et redoutent une fusion avec la police nationale. Tentés de jouer sur plusieurs tableaux à la fois, d'aucuns n'hésitent pas à surenchérir.

1. Une charnière entre les mondes civil et militaire

Seule arme en contact permanent avec la population civile, la Gendarmerie est placée à la charnière entre les mondes civil et militaire. A travers ses 126 escadrons de Gendarmerie mobile, ses 3 600 brigades territoriales, ses 150 escadrons et pelotons d'autoroute et ses unités motorisées, de montagne ou encore fluviales, c'est souvent la seule présence militaire dans des départements d'où l'armée de Terre s'est retirée. C'est en outre un corps dans lequel la tentation de la comparaison avec un corps civil analogue, la police, est grand. Il suffit d'ailleurs de lire les revues d'associations d'anciens gendarmes pour être parfaitement au fait du statut et des conditions de travail des policiers, tant les comparaisons y sont omniprésentes.

Si on se place sur le terrain de la comparaison, il est évident qu'un premier regard laisse apparaître un réel désavantage, sur le plan des conditions matérielles de travail, aux forces de Gendarmerie. Alors que le secteur civil, fonction publique comprise, s'oriente vers la semaine de 35 heures, les gendarmes font remarquer que leurs horaires sont plus souvent proches de 50 que de 40, voire supérieures, sans compter les heures d'astreinte qui peuvent difficilement être considérées comme des périodes de loisir à part entière, même si certains les considèrent abusivement comme des heures de travail. Toutefois, l'établissement de ces comparaisons ne doit pas faire perdre de vue que nombre de fonctionnaires de police (et d'autres administrations) ne ménagent ni leur temps ni leur peine et que malgré leur statut civil, tous ne quittent pas leur service sitôt leur horaire hebdomadaire achevé.

Les gendarmes que nous avons rencontrés ont toutefois insisté sur le fait que lorsqu'une brigade d'une douzaine de militaires est remplacée par un commissariat de police lors d'un redéploiement géographique, ce sont souvent une trentaine de fonctionnaires qui viennent en remplacement des gendarmes.

De la même manière, nombreux sont les gendarmes qui expriment leur incompréhension devant l'entrée en application d'une obligation de mobilité qui, à terme, conduira chaque gendarme à changer d'affectation géographique tous les dix ans, c'est-à-dire deux à trois fois pour une carrière comprise entre 30 et 40 ans. Cette mesure a été décidée pour éviter que ne se renouvellent de malheureux phénomènes de collusion, voire de corruption, entre des forces de l'ordre particulièrement bien insérées dans le tissu local et la population.

Il s'agit cependant d'une mesure qui, alors qu'elle n'aura parfois pour effet de ne déplacer les intéressés que d'un canton vers un autre, est particulièrement mal ressentie, notamment par les gendarmes mobiles qui s'estiment « mobiles » par définition et qui, n'ayant pas la qualité d'officiers de police judiciaire, se considèrent moins exposés que leurs collègues de la départementale aux risques évoqués. Les gendarmes mobiles rappellent par ailleurs que leurs escadrons étant moins nombreux que les brigades, ils seront amenés, lors de leurs mutations, à changer de département, avec les inconvénients que cela entraîne pour l'emploi du conjoint et la scolarité des enfants. Les gendarmes mobiles basés à Satory, par exemple, ne pourront plus effectuer la totalité de leur carrière dans leur caserne versaillaise, comme c'était le cas pour certains, mais devront déménager, au risque de se retrouver, par exemple, à Maisons-Alfort ou à Aubervilliers. Là aussi, certains font remarquer que les policiers, ne sont pas soumis à ces obligations de mobilité, sauf en cas de franchissement de grade.

Ce faisant, les gendarmes qui tiennent ce langage oublient que la Gendarmerie étant un corps militaire, ils sont soumis aux mêmes droits et obligations que les autres soldats de l'armée française. Ainsi, sur le plan des horaires, ils doivent garder présent à l'esprit que la disponibilité totale dont doivent faire preuve les militaires fait partie intégrante de leur statut, au même titre que l'obligation de mobilité. D'ailleurs, si cette obligation est respectée de manière identique dans la Gendarmerie et les trois armées pour ce qui concerne les officiers, avec une mutation tous les deux à trois ans, le sort des sous-officiers de Gendarmerie reste encore assez favorable puisqu'avec une obligation de mobilité tous les dix ans, ils semblent un peu mieux lotis que les sous-officiers des autres armées qui semblent statistiquement bouger tous les sept à neuf ans. Et que dire des marins, régulièrement mutés de Toulon à Brest et de Brest à Toulon ?

On peut admettre que, dans la société actuelle où les conjoints ont tendance à travailler davantage que par le passé, les mutations soient plus difficilement acceptées. Elles entraînent d'ailleurs un célibat géographique de plus en plus important et nuisent parfois à l'intégration dans la société locale. Mais il s'agit d'un problème concernant l'ensemble du personnel militaire et il n'y a pas lieu de traiter différemment la Gendarmerie sur ce point. Après tout, si une réflexion devait s'engager sur ce sujet et notamment sur un éventuel ralentissement du rythme des changements d'affectations, notamment en fin de carrière, nous n'y verrions pas d'inconvénient, à condition que tous les militaires soient traités de manière égalitaire.

Par ailleurs, comparer les contraintes peut quelquefois se révéler dangereux dans la mesure où la comparaison s'avère incomplète si elle ne s'étend pas aux avantages. Ainsi, les sujétions réelles relatives à la condition de militaire ont trouvé, dès l'origine, une compensation par des avantages qui ont été octroyés aux militaires et dont ne bénéficient pas les civils.

Ainsi, sur le plan des pensions de retraite, les règles de calcul favorisent déjà les emplois publics au sens large : en effet, la durée de cotisation nécessaire à l'obtention d'une pension de retraite à taux plein (75 % calculés sur les six derniers mois) est de 37,5 annuités, contre 40 pour le régime général où la pension de retraite ne représente que 50 % du salaire moyen calculé sur les vingt-cinq dernières années d'activité, ce qui est évidemment beaucoup moins avantageux.

Mais les militaires bénéficient en outre d'avantages par rapport aux fonctionnaires civils. D'abord, après avoir accompli quinze ans de services effectifs, une bonification d'une annuité de cotisation leur est octroyée par tranche de cinq ans de service, avec un maximum de cinq années de bonification : ainsi, après par exemple 25 années réelles de service, le militaire quittant l'armée est réputé avoir cotisé 30 annuités. Ensuite, les personnels servant en opération extérieure bénéficient également d'une bonification : en fonction de la localisation géographique, la durée de leur « campagne » peut compter double ou triple, au regard de leur pension de retraite. Le statut des personnels navigants et des parachutistes est encore plus favorable sur ce point. Quand aux marins, ils perçoivent la « solde à la mer », les mieux lotis d'entre eux étant les sous-mariniers. Par ailleurs, la durée des campagnes permet, dans de nombreux cas, de porter le taux de la pension de retraite de 75 % à 80 % du montant des six derniers mois de solde. Ainsi, il n'est pas rare de rencontrer des personnes ayant quitté l'armée vers l'âge de quarante-cinq ans, au bout de vingt-cinq ans de services réels mais qui perçoivent une pension calculée sur trente-cinq à quarante annuités de cotisations par le jeu des bonifications.

Par ailleurs, les militaires non officiers qui quittent l'uniforme après quinze ans de service peuvent bénéficier, avec jouissance immédiate, d'une pension de retraite calculée de manière proportionnelle à leur temps de service. Cette pension est cumulable avec toute autre source de revenus, excepté, dans certains cas, avec un traitement de fonctionnaire.

Sur le plan des horaires de travail, s'il est vrai que le statut des militaires prévoit une disponibilité totale, cette contrainte est compensée par l'octroi de quarante-cinq jours de permission par an, soit l'équivalent de neuf semaines, alors que les salariés civils, fonctionnaires ou pas, ne bénéficient selon le droit commun (et sauf exceptions) que de cinq semaines. Avec les repos hebdomadaires et les jours fériés, il ne reste aux généralement aux militaires qu'environ 210 jours de travail effectif par an sur 365. Enfin, il convient de noter que l'ensemble des gendarmes sont logés gratuitement, « par nécessité impérieuse de service », généralement en casernement, avec certes le handicap de ne pas pouvoir choisir son domicile et de rester dans le milieu professionnel, mais avec un avantage évident sur les plans pécuniaire et sécuritaire.

Ces éléments statutaires sont connus et acceptés. Ils ne sont à nos yeux que la contrepartie légitime des nombreuses contraintes liées à la condition militaire et dont chacun peut constater la réalité, à commencer par l'acceptation du sacrifice suprême. Ils font partie du contrat lorsqu'un militaire s'engage et il conviendrait de mesurer toutes les conséquences, notamment sur le plan du recrutement, avant d'envisager de les modifier. Mais il est nécessaire que chacun ait ces éléments présents à l'esprit au moment d'établir des parallèles avec d'autres professions. Autant que les comparaisons soient complètes.

2. Un sentiment d'incompréhension lié à des griefs d'ordre matériels

Le sentiment d'incompréhension, mais aussi d'injustice, provient sans doute du manque de moyens matériels dévolus à la Gendarmerie alors que sa charge de travail, liée à la population qu'elle gère, notamment dans les zones périurbaines, a connu une très forte augmentation. Malgré d'importants gains de productivité, des besoins nouveaux en matière d'informatique ou de téléphonie mobile, par exemple, sont à satisfaire. Il est clairement établi que de nombreux gendarmes se sont équipés sur leurs propres deniers en ordinateurs et en téléphones portables. Même si certains de ces équipements connaissent sans doute une utilisation mixte, professionnelle et privée, il n'en reste pas moins anormal que des agents de l'Etat aient dû financer une partie de leur outil de travail. Comment auraient réagi, dans de telles circonstances, les salariés d'une entreprise privée ?

De la même manière, les crédits octroyés par brigade pour le téléphone ou le carburant s'avèrent régulièrement insuffisants. Alors que les crédits inscrits au titre V (investissement) de la loi de finances ne sont jamais tous consommés pour des raisons de procédure liées aux marchés publics, les crédits inscrits au titre III (fonctionnement) sont chroniquement insuffisants. Pour beaucoup de gendarmes, la préparation de leur budget peut se résumer ainsi : « expliquez-nous de quoi vous avez besoin, nous vous expliquerons comment vous en passer ».

Une partie du parc automobile qui nous a été présenté dans certaines brigades visitées était dans un état médiocre, certains véhicules n'étant pas considérés comme aptes à satisfaire au contrôle technique, ce qui est un comble pour une force publique chargée de contrôler, entre autres, le respect de ce contrôle technique. Du point de vue anecdotique, il nous a été raconté que l'entretien courant des véhicules, et notamment les vidanges, doivent être effectués par les gendarmes eux-mêmes, à l'échelon de la brigade. Or, il n'est pas prévu de clé de vidange dans les brigades...

Autre exemple : l'obsolescence des actuels gilets pare-balles du GIGN semble avoir été constatée dès la prise d'otages de l'Airbus de Marignane, en 1994. Des études techniques ont été menées par une société aujourd'hui en dépôt de bilan par absence de commande, alors même que la fabrication d'un gilet plus solide et plus léger semblait possible. Le refus de commander ce gilet, imputé semble-t-il à l'absence de concurrence, mais peut-être dû à des lourdeurs administratives paraît d'autant plus regrettable qu'il concerne de faibles quantités de matériels (200 à 300 unités pour la Gendarmerie) et qu'il risque de mettre en cause la sécurité de personnels dévoués et de haut niveau.

Ce sont sans doute également des considérations financières qui ont conduit les pouvoirs publics à recruter des gendarmes adjoints volontaires en remplacement des gendarmes auxiliaires, appelés en voie d'extinction. Le recrutement de ces personnels fait l'objet de critiques dans la mesure où, moins qualifiés et moins bien formés que des gendarmes titulaires, ils nécessitent une attention particulière et doivent être encadrés en permanence. Leur gestion semble impliquer un surcroît de formalités administratives (délivrance de titres de transports de permission, comptabilisation des repas...) qui s'apparente à une charge de travail supplémentaire.

Les gendarmes adjoints sont souvent des personnes dont la candidature n'a pas été retenue ou qui ont échoué aux tests de sélection pour devenir gendarme. Moins bien rémunérés et moins motivés, ils renâclent parfois à effectuer certaines tâches matérielles et sollicitent moins souvent le renouvellement de leur contrat. Selon une opinion communément répandue, le niveau des gendarmes adjoints volontaires tendrait à baisser, beaucoup cherchant à intégrer la Gendarmerie pour obtenir un emploi, sans forcément disposer du sens du service public. D'ailleurs le taux de recrutement des gendarmes adjoints ne peut que nous inciter à nous interroger sur la qualité des nouvelles recrues : alors qu'en 1998 un candidat sur cinq seulement était engagé, le ratio est passé à un sur trois en 1999 et à un sur deux pour les cinq premiers mois de cette année. Chez les sous-officiers, ce taux reste à peu près stable, à un recruté pour cinq à six candidats.

Toutefois, le sentiment d'incompréhension perceptible entre la Gendarmerie et ce que les militaires nomment « les élites » ne provient pas uniquement d'un manque de reconnaissance matérielle. La trop faible reconnaissance de leur travail et la quasi absence de défense de l'institution, notamment après les événements de Corse, ont été soulevées par l'ensemble des personnels que nous avons rencontrés, quels que soient les grades et les spécialités. Ces personnels dont beaucoup, visiblement, ne ménagent ni leur temps ni leurs efforts dans le cadre d'une mission qu'ils accomplissent avec passion et fierté, semblent avoir été profondément meurtris par l'opprobre et la suspicion jetés sur l'ensemble de leur institution à l'occasion des événements de Corse. L'absence de syndicats dans l'armée et le devoir de réserve qui s'impose à tout militaire les ont évidemment empêchés de réagir par eux-mêmes et ils ont été d'autant plus amers que les réactions de leur hiérarchie et du ministre n'ont que très peu été relayées par la presse.

La décision du ministre de l'intérieur de prendre en charge les frais d'avocats et de justice du préfet mis en cause alors qu'un choix différent était fait par le Ministre de la Défense, n'a pas été de nature à dissiper les sentiments de malaise et d'incompréhension que nous avons perçus lors de nos visites.

3. La crainte d'une remise en cause du corps

Les gendarmes que nous avons rencontrés ont tous exprimé leurs craintes de voir leur corps perdre son caractère militaire et être regroupé avec la police en un vaste « ministère de la sécurité ».

Plusieurs indices, selon eux, accréditeraient la crainte d'un tel rapprochement : la recherche d'équivalences militaires entre la police et la Gendarmerie, avec la création, par exemple, des grades de « lieutenants de police », l'évolution de la réglementation européenne et l'exemple récent de pays comme la Belgique.

Ces arguments peuvent être assez rapidement balayés, dans la mesure où l'apparition de grades à consonance militaire dans la police, en toute logique, devrait plutôt conduire à un raisonnement inverse de celui tenu : une militarisation peut-être regrettable de la police et non une « civilianisation » de la Gendarmerie. Or nous savons que ce n'est pas le cas. Par ailleurs, il ne semble pas dans les compétences de l'Union européenne de s'intéresser à l'organisation des forces de sécurité dans les pays membres. Dans un pays fédéral comme les États-Unis, chaque État fédéré dispose de ses forces de sécurité et de son propre droit pénal. Enfin, le cas de la Belgique n'est pas vraiment transposable à la France dans la mesure où il s'agit d'un pays de taille réduite et relativement homogène sur le plan de l'urbanisation et dans lequel la notion de « zone police » et de « zone Gendarmerie » a une pertinence moins forte que dans notre pays qui connaît encore des zones rurales et urbaines très différenciées.

Mais c'est la modification du recrutement avec la création d'une école spécifique et ce qui est ressenti comme une « éviction » de la Gendarmerie du concours de Saint-Cyr, qui apparaît, surtout aux officiers issus de cette école, comme l'un des signes les plus forts d'une « démilitarisation » rampante de cette arme.

Ainsi, des officiers de Gendarmerie que nous avons rencontrés se sont montrés très réservés sur la récente création du concours direct d'officier qui va dissocier la formation des officiers de Gendarmerie de celle de leurs homologues de l'armée de Terre les faisant intégrer la Gendarmerie sans suivre la scolarité à Saint-Cyr, ce qui aurait pour résultat de séparer un peu plus la Gendarmerie des autres armées. Ceux qui sont passés par cette école ont pu constater la valeur du recrutement de Saint-Cyr, richesse dont ils estiment regrettable de priver leur arme. En outre, ils font remarquer que la population admise dans cette école est, par définition, entièrement orientée vers le métier des armes, alors que les candidats au concours direct pourront être des personnes sans engagement militaire particulier mais tentant leur chance d'entrer dans une administration après avoir échoué à l'Ecole Nationale d'Administration, à l'Ecole Nationale de la Magistrature, au concours de commissaire de police ou à un autre.

Si certains de ces arguments ne sont pas dépourvus de bon sens, sans doute faut-il voir dans la création d'une scolarité spécifique à la Gendarmerie une volonté de dissociation dans la mesure où cette arme particulière est appelée à côtoyer en permanence le monde civil et où les connaissances en droit (pénal, procédure...) y sont plus nécessaires que dans la Marine, l'armée de Terre ou l'aviation. La Gendarmerie ne saurait être une armée comme les autres et si la France veut conserver la dualité police - Gendarmerie qui est certainement, à nos yeux, une richesse, peut-être est-il nécessaire que le maintien de l'ordre ne soit pas confié à de « purs » militaires.

Même si certains mauvais esprits murmurent que le choix des meilleurs officiers classés à Saint-Cyr avait tendance à se porter de plus en plus systématiquement sur la Gendarmerie au point d'en devenir irritant pour l'armée de Terre, la création d'une école spécifique à la Gendarmerie ne doit pas être considérée comme un signe avant-coureur d'une démilitarisation de ce corps mais plutôt comme la reconnaissance, à l'instar de la Marine et de l'armée de l'Air, de la spécificité de l'arme.

4. La tentation de la surenchère

Le sentiment de malaise exacerbé au sein de la Gendarmerie a déjà conduit, dans un passé récent, à des actions répréhensibles. 1989 avait vu l'apparition de lettres anonymes et de gendarmes s'exprimant anonymement sur les écrans de télévision. C'est, entre autres, la perception d'un nouveau malaise qui nous a poussés à rechercher un maximum d'informations. Des tracts anonymes ont récemment fait leur réapparition et, nouveauté, des conjoints de gendarmes ont appelé à manifester, les gendarmes eux-mêmes n'en ayant juridiquement pas la possibilité.

Conscient de l'attente des gendarmes, le Ministre de la Défense a annoncé le déblocage de moyens financiers supplémentaires : 500 millions de francs en moyens matériels et la création, sur trois ans, de 1 500 postes correspondants à une somme de 300 autres millions de francs. Il faut espérer que ces mesures permettront d'apaiser les esprits et que cette arme retrouvera toute sa sérénité.

Toutefois, il a été relevé que certaines mesures annoncées, notamment sur le plan des horaires et des conditions de travail, ne seraient appliquées que « dans la mesure où le service le permet », ce qui, selon nos interlocuteurs, peut ouvrir la porte à l'arbitraire, les dispositions risquant d'être appliquées de manière inégalitaire.

Pour autant que nous ayons pu en juger, ces mesures répondent à une attente certaine sur le plan matériel. Cependant, et bien que ce soit rarement exprimé de façon claire, il apparaît de plus en plus visiblement que les gendarmes attendent également une reconnaissance qu'il faut comprendre comme financière et individuelle. Continuant à se comparer à la police, certains ont ouvertement revendiqué une prime identique à celle perçue par leurs collègues du ministère de l'intérieur à l'occasion des travaux liés à la prévention du « bogue de l'an 2000 ». Ce faisant, les gendarmes font semblant d'oublier qu'ils perçoivent, comme tous les militaires, une « indemnité pour charges militaires », perçue mensuellement, même si on peut considérer qu'elle n'est sans doute pas assez élevée et mérite d'être relevée pour l'ensemble des militaires.

Une telle attitude, de plus en plus revendicative, outre qu'elle présente un caractère peu compatible avec les obligations liées à la fonction de militaire, menace de s'étendre au reste de l'armée si on n'y prête garde. Nous avons entendu à plusieurs reprises, au sein de régiments ou de bases, des soldats désabusés constater avec amertume que les mouvements d'humeur de la Gendarmerie, pour critiquables qu'ils soient, avaient quand même abouti au déblocage de plusieurs centaines de millions de francs...

On peut se demander d'ailleurs à quel point la haute hiérarchie de cette arme, pourtant si critiquée par les sous-officiers, ne tend pas à favoriser des revendications de « sa base » dans la mesure où les résultats obtenus permettent de compenser les surcharges de travail tant décriées.

Il n'en reste pas moins vrai qu'une antinomie profonde existe chez de nombreux gendarmes qui, d'un côté, souhaitent ardemment conserver leur statut militaire avec les spécificités qui y sont attachées mais qui, d'un autre côté, entretiennent des comparaisons régulières avec la police et réclament un alignement de leur situation sur celle des policiers. Ce discours, pour le moins contradictoire, pourra difficilement être tenu longtemps sans risquer de devenir, à terme, un argument redoutable militant en faveur de la fusion des deux corps.

II. - LA CONFRONTATION AVEC LA SOCIÉTÉ CIVILE

Indéniablement, c'est la méfiance qui nous paraît marquer les rapports qu'entretiennent les militaires avec le monde civil. En effet, de par la nécessaire solidarité qui existe en son sein, l'armée apparaît pour les militaires comme une grande famille protectrice, notamment vis-à-vis du secteur civil privé avec lequel peu de militaires se sentent des affinités.

Le fait que de nombreux militaires soient eux-mêmes fils ou filles de soldats et qu'ils baignent depuis leur enfance dans un univers familier leur fait parfois appréhender le contact avec une société civile dans laquelle les repères ne sont pas toujours les mêmes.

On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, si le premier regard porté par les militaires sur les civils, notamment ceux qui arrivent de plus en plus nombreux dans l'armée d'aujourd'hui, est plutôt critique, voire désabusé. L'inévitable reconversion et le basculement dans la vie civile que cette dernière implique ne contribuent pas à réduire ce sentiment d'appréhension par ailleurs alimenté par le débat récurrent sur la pension à jouissance immédiate dont bénéficient les militaires et par les menaces qui pèsent, d'une manière générale, sur l'ensemble des régimes de retraites.

A. LE REGARD CRITIQUE DE L'ARMÉE SUR LES CIVILS DE LA DÉFENSE

La sévérité du regard porté par les militaires sur les civils est alimentée par l'arrivée dans les unités militaires d'un grand nombre de civils décidée dans le cadre de la professionnalisation et de la refonte du format des armées. Le désenchantement provoqué par certaines attitudes que les militaires jugent peu compatibles avec le fonctionnement efficace des armées les conduit à rejeter sans la moindre ambiguïté le syndicalisme tel qu'ils le perçoivent à travers le comportement de ces civils. Au-delà, d'aucuns se demandent si cette évolution ne va pas conduire les militaires à perdre une partie de leur influence et de leurs prérogatives.

1. L'arrivée inéluctable des civils dans les armées

La suspension du service national, la disparition progressive des appelés et la réduction des effectifs conduisent l'armée à recentrer l'activité de ses soldats sur des tâches essentiellement militaires, ce qui est perçu de façon plutôt positive par les personnels que nous avons rencontrés. En contrepartie, de plus en plus de civils, qu'il s'agisse de fonctionnaires des catégories B et C ou de sous-traitants du secteur privé, sont appelés à occuper, dans des régiments ou des bases, des emplois précédemment tenus par des militaires. Ce phénomène a donné lieu à la création d'un nouveau barbarisme en vogue dans l'armée : la « civilianisation ».

Ainsi, il est fait appel de plus en plus à la sous-traitance pour certaines fonctions qui ne sont pas directement liées à l'activité de défense, comme le gardiennage, le jardinage ou les métiers liés à la restauration. Dans le même temps, la décision de réduire assez fortement les effectifs de la Direction des constructions navales (DCN) et de Giat-Industries a libéré de nombreux ouvriers et employés à qui des postes ont été proposés au sein des unités.

Mais ces personnels ayant un statut d'agent public civil et n'étant pas soumis à une obligation de mobilité, il est très difficile de les redéployer géographiquement. Ainsi, les unités stationnées dans des régions traditionnellement peu demandées comme le Nord et l'Est continuent à connaître des déficits d'effectifs civils alors même qu'il existe une offre locale qui ne peut malheureusement pas être prise en compte pour l'instant. Ce problème peut être considéré comme passager dans la mesure où il est lié à la résorption de sureffectifs dans d'autres branches du ministère de la Défense.

Dans l'ensemble, l'arrivée de civils au sein des unités se passe assez bien, même s'il apparaît que les militaires les considèrent parfois avec la méfiance inspirée par ce qui est inconnu : « on ne connaît ni leurs droits ni leurs devoirs », « les régimes de solde sont différents des régimes de traitement », « on risque de considérer les civils comme des appelés en leur faisant faire la même chose », « nous ne sommes pas formés à travailler avec des civils » sont des remarques qui sont souvent revenues au cours de nos entretiens...

Dans la plupart des régiments de l'armée de Terre qui voient arriver une quarantaine de civils sur un effectif total de 800 à 1 200 militaires, l'osmose se fait assez rapidement, ce qui contribue, entre autres, à la consolidation du lien entre la société civile et l'armée. Des malentendus, voire des incompréhensions peuvent néanmoins apparaître.

2. Un certain désenchantement

Des malentendus peuvent naître entre civils et militaires pour différentes raisons. En premier lieu, la tendance bien naturelle à comparer les statuts et les conditions de travail peut évidemment donner lieu à des réactions partiales, chaque catégorie remarquant les avantages de l'autre, mais occultant les sujétions. Ainsi, il semblerait que certains civils ne soient pas loin de considérer les militaires comme d'éternels privilégiés, notamment en raison du régime particulier des pensions et du différentiel du nombre de jours de congé. Ce faisant, ils oublient les contraintes du métier des armes, qu'il s'agisse de la fréquence des mutations, de la disponibilité exigée, de la dangerosité et, d'une certaine manière, de la précarité. Ils oublient aussi qu'outre-mer leur traitement est majoré de 40 % contre seulement 25 % pour la solde des militaires.

D'un autre côté, de nombreux militaires nous ont fait part de leur amertume devant le rythme de travail des salariés civils qui quittent leur poste sitôt leurs 39 et bientôt 35 heures achevées alors qu'eux-mêmes sont quasiment corvéables à merci. Cette vision caricaturale qui voudrait aboutir à ce que nous établissions des comparaisons entre des réalités, des situations et des statuts qui n'ont pas lieu d'être comparés, ne parviennent pas pour autant à nous faire oublier que de nombreuses casernes ou bases ont tendance à se vider assez rapidement de leur personnel, quel que soit son statut, passé dix-sept heures trente.

La situation peut paraître d'autant plus gênante que certains militaires sont désormais placés sous l'autorité de fonctionnaires civils de catégorie B et que les équivalences entre les grades civils et militaires restent encore assez floues. Or plusieurs de nos interlocuteurs ont semblé reprocher à certains civils leur propension à vouloir « commander » des militaires, peut-être de manière à s'affirmer. « Il faut être officier, ou quasiment, pour pouvoir donner des ordres aux civils, surtout quand ils ont de l'ancienneté », nous a-t-on confié. Il a également été relevé que des civils pouvaient témoigner d'un respect nuancé vis-à-vis des militaires, en fonction de leur grade, et ne s'adressaient pas toujours de la même manière à leur interlocuteur, selon qu'il s'agissait d'un homme du rang, d'un sous-officier ou d'un officier subalterne.

Habitués à une plus grande égalité de traitement, les militaires ont du mal à admettre ce type d'attitude qui suscite chez eux une certaine amertume, à défaut d'acrimonie. Dans des unités du matériel où la proportion d'ouvriers civils peut atteindre jusqu'à la moitié des effectifs, la situation pourrait se détériorer et des incompréhensions ou des malentendus se manifestent déjà.

Les militaires interrogés nous ont par ailleurs mis en garde contre les dangers qu'il y aurait à introduire une trop grande proportion de civils dans les unités militaires, notamment en matière de disponibilité. En effet, en cas d'un départ impromptu d'une unité la nuit ou un dimanche, les militaires ne sont pas sûrs de pouvoir compter sur des civils qui ne sont pas soumis au même régime d'astreinte. Leur absence peut alors s'avérer pénalisante sur le plan opérationnel, les soldats devant être capables de pallier le manque ainsi créé.

Dans l'état-major d'une région militaire de l'armée de Terre où des civils sont employés en grand nombre, il nous a été expliqué que le vendredi après-midi, au delà d'une certaine heure que nous ne préciserons pas, les militaires se retrouvent bien seuls au quartier. « Nous travaillons côte à côte, mais pas vraiment ensemble » nous a-t-on résumé. Dans la mesure où on ne demandera jamais la même chose à un civil et à un militaire, il importe de bien différencier les postes de travail.

Dans la Marine, l'appréciation contrastée que portent les militaires, sur l'état d'esprit général des personnels de la Direction des constructions navales (DCN) peut parfois correspondre à une faible image de la société civile. La nomination dans des unités militaires de certains de ces employés, arrivés avec le maintien de leurs acquis et avec des primes conséquentes n'a pas toujours été ressenti favorablement : « mettez-vous à la place des jeunes marins, chichement payés » nous a-t-on suggéré...

D'autres marins nous ont également informés des inconvénients inattendus liés à une arrivée trop importante de civils dans leur armée : comme les civils n'embarquent pas, ils ont tendance à accaparer les postes à terre, réduisant ainsi d'autant le nombre d'emplois terrestres disponibles pour les marins qui ne peuvent ou ne souhaitent plus embarquer...

L'intégration des civils doit faire l'objet d'une priorité. L'état-major de l'armée de Terre, mais il n'est pas le seul, en est conscient puisqu'il préconise, pour faciliter l'osmose, de les inviter systématiquement aux manifestations militaires, sans que leur présence ait un caractère obligatoire. De la même manière, dans les régiments, les civils sont invités à assister au lever des couleurs, là aussi sans obligation. Mais on ne saurait s'en tenir à ces propositions. Les problèmes d'astreinte, de disponibilité et de hiérarchie doivent pouvoir trouver une solution rapide sinon cette nécessaire intégration posera rapidement des problèmes.

3. Un refus sans équivoque du syndicalisme

Le syndicalisme, assez bien implanté chez les civils employés par le ministère de la Défense, est perçu très négativement par les soldats qui occultent les avancées sociales que le mouvement syndical a pu obtenir par le passé et dont ils ont, en fin de compte, bénéficié. Ils en retiennent essentiellement l'aspect conflictuel, ce qui les conduit unanimement, quelle que soit leur armée ou leur arme, à rejeter l'idée d'une syndicalisation des militaires. Considérant que le syndicalisme pouvait bloquer certaines institutions, qu'il empêchait l'efficacité et la projection dans l'avenir, qu'un soldat syndiqué au quartier le restait en opération extérieure, ils estiment que cette réalité est difficilement compatible avec la mentalité du soldat professionnel ni avec ce qui lui est demandé, en particulier en matière de disponibilité. Nous avons entendu à ce sujet des propos sans ambiguïté.

En fait, d'une manière légèrement ambiguë, beaucoup de militaires semblent se satisfaire de la situation actuelle, en particulier parce que les résultats obtenus par les syndicats de fonctionnaires leur sont automatiquement acquis.

L'idée de créer une association professionnelle relevant de la loi de 1901, à l'instar de la Bundeswehrverband allemande, suscite à peine plus d'intérêt dans la mesure où elle pourrait se heurter à un problème de représentativité.

Au total, si les militaires en activité sont fondamentalement opposés à l'introduction du syndicalisme dans l'armée, nous constatons que les rares défenseurs de cette introduction sont des retraités, probablement animés par le souci de sauvegarder les régimes de retraite.

Précisons d'ailleurs qu'il n'existe pour le moment qu'une seule association d'anciens militaires prônant ouvertement le syndicalisme dans les armées. Notre enquête démontre sans l'ombre d'un doute que cette revendication ne répond pas à une attente.

4. La crainte de perdre certaines prérogatives

Mais les plus grandes inquiétudes suscitées par une trop grande arrivée de civils ne sont pas toujours celles qui sont clamées le plus haut. Les militaires semblent craindre, peut-être de manière plus secrète, de perdre au profit des civils une part de leur pouvoir et de leur prérogatives, d'une part au niveau de l'unité élémentaire et d'autre part tout au sommet de la hiérarchie.

A l'échelle d'un régiment ou d'une base, les civils deviennent désormais l'élément stable de l'unité. Alors que les officiers sont mutés tous les deux ou trois ans et les sous-officiers tous les six à dix ans, les civils qui ne sont pas soumis à cette obligation peuvent rester pendant plusieurs décennies, voire leur carrière entière, au sein de la même unité. Par ailleurs, les militaires sont appelés à quitter régulièrement leurs quartiers pour des opérations extérieures ou intérieures, des man_uvres, etc. Les civils, deviennent ainsi la mémoire de l'unité, ceux qui en connaissent tous les rouages, l'histoire et les habitudes. Si chacun reconnaît l'intérêt que peut apporter un élément de permanence et de continuité au sein d'une unité appelée à bouger fréquemment, d'aucuns considèrent que cette évolution, qui conduira bientôt à regarder les civils comme indispensables, risque de devenir préjudiciable au caractère opérationnel et au bon fonctionnement de l'unité militaire ainsi « subordonnée » à la technocratie administrative civile.

Cette crainte d'une perte de certaines prérogatives est confirmée, au sommet de la hiérarchie, par la transformation de postes militaires en postes civils au sein de hautes instances. Ainsi, la nomination de civils à la tête du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN) ou de la Direction de la communication du ministère de la Défense (Dicod, anciennement Sirpa) sont vécus comme des régressions qui suscitent des ranc_urs et attisent l'inquiétude. « Quand viendra le tour de l'IHEDN d'être dirigé par un civil ? » nous a-t-on demandé. Il est vrai, par exemple, qu'on peut difficilement s'improviser directeur de la communication. Il n'est donc pas déraisonnable de confier ce genre de poste à un civil ayant une bonne connaissance du domaine.

Cette méfiance est révélatrice de l'incompréhension qui imprègne parfois les rapports entre les militaires et la société civile. Si, dans ce genre de situation, des efforts doivent certainement être déployés par les deux parties pour dissiper ce sentiment, nous avons rencontré plusieurs militaires considérant que l'armée adoptait trop souvent une attitude introvertie, ne manifestant pas assez la volonté de s'ouvrir sur le monde civil, que ce soit par manque d'habitude ou par méfiance. On peut se demander dans quelle mesure la (trop ?) grande prise en charge des militaires, sur de nombreux plans, qui peut parfois s'apparenter à de l'assistanat, n'a pas un effet déresponsabilisant. Il n'est pas jusqu'aux loisirs ou jusqu'aux activités des conjoints qui ne soient pas, dans de nombreux cas, organisés par l'armée. Il serait dangereux d'en arriver à une situation où se multiplieraient les attitudes comme celle de cet officier que nous avons rencontré et qui était fier ne n'avoir pour amis ou connaissances que des militaires. Un tel mode de vie n'est certainement pas de nature à favoriser la pérennité des liens entre la Nation et son armée, ni à faciliter la reconversion professionnelle des militaires.

B. LA NÉCESSAIRE RECONVERSION DES MILITAIRES

La question de la reconversion des militaires est primordiale dans la mesure où elle conditionne, à nos yeux, la réussite de la professionnalisation des armées. Entouré par une hiérarchie qui le dirige et le protège dans la vie quotidienne, le militaire court le risque d'être déresponsabilisé, ce qui n'est bon ni pour l'institution militaire qui doit attendre de la part de ses personnels un minimum d'esprit d'initiative, ni pour les intéressés, notamment dans le cadre de leur reconversion civile.

1. Des carrières relativement courtes

Le recrutement, en quantité et en qualité, ne s'avérera satisfaisant que dans la mesure où l'armée se montrera capable d'offrir à ses engagés volontaires des perspectives de reconversion sérieuses. En effet, la défense du pays reposera de moins en moins sur des carrières longues, quel que soit le grade. Les contrats des militaires du rang engagés variant d'une durée de trois à cinq ans, éventuellement renouvelables, la plupart d'entre eux sont appelés à quitter l'uniforme après huit ou onze ans de service, bien avant l'échéance des quinze ans qui permet aux militaires du rang sous-officiers de jouir d'une pension, au demeurant assez faible car proportionnelle au nombre d'annuités de cotisation.

Cette évolution doit être présentée sans ambiguïté aux engagés volontaires au moment de leur recrutement. Divers témoignages ont pu nous laisser penser que ce n'était pas forcément le cas, à moins que les nouvelles recrues en question n'aient entendu que ce qu'elles voulaient bien entendre.

Au total, la plupart des militaires du rang ou des sous-officiers qui quittent l'armée sont appelés à se reconvertir dans un emploi civil. Il est primordial que les nouveaux engagés soient bien sensibilisés sur ce point dès leur recrutement et surtout qu'ils soient informés du fait que la plupart d'entre eux n'effectueront qu'une partie de leur vie active sous l'uniforme. Nos concitoyens doivent s'habituer à l'idée qu'ils effectueront plusieurs carrières au cours de leur vie professionnelle et qu'ils occuperont des emplois différents en fonction des opportunités qui se présenteront et de l'évolution de la société. C'est déjà le lot de bien des secteurs de la société civile et, de ce point de vue, l'armée ne devrait pas échapper à la règle commune. De plus en plus, les militaires d'active seront d'anciens civils appelés à le redevenir plus tôt et dans des proportions plus grandes qu'auparavant, ce qui renforcera d'autant le lien entre l'armée et la société civile. Des officiers nous ont affirmé que l'idée même de reconversion était désormais intégrée par certains dès Saint-Cyr.

Il est à noter que dans toutes les armées, le travail et les compétences des bureaux chargés de la reconversion ont été unanimement salués et qu'un gros effort a visiblement été entrepris par les états-majors sur ce point, même si la conjoncture économique actuelle facilite, heureusement, cette lourde tâche. Au sein même des unités, les militaires que nous avons rencontrés nous ont paru la plupart du temps pleinement conscients de la nécessité qu'ils auraient, à terme, à envisager leur reconversion dans le civil, même si certains, comme les militaires du rang de l'armée de Terre, au statut des plus précaires regrettent de ne connaître que trop tard le durée exacte de leur engagement.

Même dans la Gendarmerie qui offre pourtant la possibilité d'effectuer une carrière complète, il nous a été assuré que les temps où les intéressés donnaient rendez-vous discrètement dans un café aux personnels chargés de la reconversion ou se rendaient en cachette dans leurs bureaux un casque intégral vissé sur la tête pour qu'on ne les reconnaisse pas dans l'escalier étaient révolus : il n'est plus honteux de montrer qu'on peut envisager de quitter ce corps pour mettre ses compétences au service d'un métier civil. « Beaucoup partent sans aide car passer la porte du bureau de reconversion, c'est être marqué d'une croix rouge. Quelqu'un qui fait connaître son intention de quitter l'institution ne reçoit plus de promotion » nous a-t-on affirmé dans une autre armée. Cet avis, que nous avons entendu à plusieurs reprises, témoigne du poids des mentalités : « Les anciens faisaient toute leur carrière dans l'armée. Quand on leur annonce qu'on n'a signé que pour cinq ou dix ans et qu'ensuite on partira essayer autre chose, on passe presque pour des traîtres à leur yeux ».

2. Des différences notables entre les armées

La question est diversement ressentie en fonction des armées et des spécialités. Si, pour des raisons différentes, la situation est assez bonne pour l'armée de l'Air, la Marine et la Gendarmerie, elle l'est un peu moins pour l'armée de Terre.

La Gendarmerie, l'armée de l'Air et la Marine

C'est dans ces corps que la reconversion pose le moins de problème. Pour la Gendarmerie, la raison en est très simple : après un premier contrat de cinq ans, la quasi totalité des personnels de la Gendarmerie nationale ont la possibilité d'effectuer une carrière complète dans leur corps et n'ont donc pas à se reconvertir pour mener une seconde carrière.

L'armée de l'Air, par contre, n'offre que très peu de carrières complètes et la plupart de ses personnels doivent se reconvertir à la fin de leur engagement. Toutefois, il s'agit d'une armée particulièrement technique et dont la plupart des spécialités se rencontrent dans le civil. Depuis les pilotes jusqu'aux techniciens spécialisés dans l'entretien des appareils, en passant par les aiguilleurs du ciel, on retrouve les mêmes spécialités dans le civil, à un moment où la croissance de l'activité de l'aviation civile n'a jamais été aussi forte. Le statut d'ancien militaire, formé et expérimenté, joue en général en faveur de ces personnels qui ne semblent pas éprouver, dans leur ensemble, trop de difficultés à négocier leur reconversion. Cette appréciation générale est toutefois à nuancer pour certaines catégories du personnel dont la formation n'est pas directement en liaison avec le domaine de l'aviation, comme par exemple les personnels chargés de la sécurité des enceintes militaires. Mais il est toujours possible à ces militaires de se reconvertir dans les métiers civils du gardiennage qui sont eux aussi plutôt en expansion actuellement.

La Marine nationale est elle aussi une armée de spécialistes et la question de la reconversion se pose dans des termes proches de ceux de l'armée de l'Air. Ses personnels sont également appréciés en raison de leur formation et de leur expérience, ce qui leur permet en général de se reconvertir assez rapidement.

L'armée de Terre

Armée numériquement la plus nombreuse, c'est celle qui présente sans doute la plus grande diversité de situations, mais aussi les plus grandes difficultés de reconversion. Si certaines spécialités connaissent des équivalences dans le civil et offrent donc de bonnes perspectives d'embauche (ALAT, train, transmissions, matériel), c'est la plus grande partie des militaires, occupés à des tâches de combat sans équivalent dans le civil, qui éprouvent le plus de difficultés à retrouver un emploi en quittant l'armée.

En effet, pour techniques que soient ces métiers, il faut bien reconnaître qu'en dehors des qualités reconnues à l'ensemble des militaires (sens des responsabilités, discipline, esprit d'équipe, dévouement...), les qualités professionnelles d'un artilleur, d'un missilier, d'un chef de char ou d'un voltigeur sont difficilement négociables dans le civil. Nous avons rencontré certains fantassins qui essayent de retarder au maximum leur départ de l'armée en raison des difficultés de reconversion qu'ils pressentent. Insistons bien sur le fait que cette inadéquation avec les métiers proposés dans le civil n'enlève absolument rien à la technicité et au professionnalisme des militaires en question.

Souvent, ces personnels trouvent à se reclasser dans des métiers liés à la sécurité, tels que le gardiennage. Le développement de la sous-traitance, notamment dans ce domaine, pourrait conduire certains d'entre eux à être employés, par le biais d'une société privée, à la surveillance d'installations militaires. Notons toutefois que certains nous ont mis en garde : « on sait faire autre chose que du gardiennage ou du transport ».

Un regret revient régulièrement dans les propos de nos interlocuteurs : que les emplois de civils prévus au sein de chaque régiment soient dans leur totalité réservés aux employés en sureffectif à la DCN ou chez Giat-Industries. En effet, si l'embauche était plus libre, elle permettrait à d'anciens militaires ayant une bonne connaissance de l'armée de Terre de se reconvertir dans un métier civil tout en restant dans le milieu militaire, voire dans le même régiment.

Nous restons très prudents à l'égard d'une trop forte « endogamie » au sein des unités de l'armée de Terre et la création d'une quarantaine de postes de civils au sein des régiments ne doit pas être détournée pour servir systématiquement de reconversion aux anciens militaires. Toutefois, comme leur statut protège les anciens employés de la DCN ou de Giat-Industries contre toute mutation d'office, il en résulte un déficit certain en civils dans les unités qui sont géographiquement les moins attractives. Il nous paraît donc raisonnable de proposer qu'un peu de souplesse soit introduite dans les restrictions aux embauches de manière à ce que les régiments les plus déficitaires puissent partiellement recruter des civils sur une base locale, ce qui leur permettrait, d'une part de compléter leurs effectifs, d'autre part de proposer des débouchés à leurs anciens soldats.

3 Un effort substantiel consenti par les armées

Conscientes de la nécessité d'accompagner ce bouleversement que constituent pour la plupart des militaires la reconversion et le reclassement, les armées ont mis en place un dispositif d'aide conséquent à destination des militaires ayant plus de quatre ans de service. « La reconversion est une obsession à laquelle on est préparé dès l'arrivée au régiment » nous ont affirmé des militaires du rang de l'armée de Terre. Notons que 22,9 % des intéressés quittent le service sans solliciter aucune aide.

Un crédit-temps qui prend la forme d'un congé initial de six mois, suivi d'un congé complémentaire qui peut également durer six mois, a été mis en place afin de permettre aux militaires de préparer leur reconversion.

L'armée organise des sessions collectives d'orientation d'une durée de trois à quatre jours ainsi que des bilans individuels de compétence (douze heures), l'ensemble ayant pour objectif de dresser un bilan professionnel et de valider les acquis afin de définir un projet professionnel compatible avec les compétences du militaire et le marché de l'emploi. Plusieurs structures interviennent dans ce cadre : l'Association pour la reconversion civile des officiers et sous-officiers (ARCO), les Centres interarmées de reconversion (CIR). Des associations non officielles, comme celle des Anciens officiers dans les carrières civiles (AOC), _uvrent également dans ce sens.

Puis, en fonction des projets professionnels retenus, les militaires peuvent bénéficier d'aides spécifiques à dominante « formation professionnelle », notamment au Centre militaire de formation professionnelle (CMFP), ou à dominante « accompagnement vers l'entreprise ». Ces mesures aussi peuvent prendre la forme d'un financement de formation professionnelle ou de prêts à la création d'entreprise.

Les anciens militaires bénéficient par ailleurs d'une disposition particulièrement avantageuse de la loi n° 70-2 du 2 janvier 1970 qui permet aux officiers et aux sous-officiers de carrière des grades de major et d'adjudant-chef ayant au moins dix ans de service et étant à plus de cinq ans de la limite d'âge d'être recrutés directement dans la fonction publique à un indice au moins égal à celui détenu dans leur corps militaire d'origine. Selon le Ministre de la Défense, entre 1970 et 1997, seuls 1 665 militaires ont bénéficié de ce mode d'intégration, ce qui représente 65 personnes par an. Dans le cadre de la professionnalisation des armées les pouvoirs publics ont consenti un important effort pour augmenter le contingent de postes offerts qui a triplé en quelques années et qui devrait se stabiliser autour de 400 par an. Malheureusement, le nombre de candidats admis dans l'administration par ce biais n'est jamais parvenu à épuiser ce contingent d'emplois, même si le pourcentage de postes pourvus à tendance à augmenter.

Les emplois réservés dans la fonction publique (dits « loi n° 70-2 »)

 

1995

1996

1997

1998

Nombre de postes offerts

140

319

478

418

Nombre de candidats admis

90 (64 %)

220 (68 %)

284 (59 %)

320 (77 %)

(Source : ministère de la Défense)

D'autres dispositions, adoptées en 1995 (loi n° 95-116 du 14 février 1995) permettent également aux militaires admis d'office ou sur leur demande à la position statutaire de retraite de bénéficier d'un accès garanti à un emploi public, sous réserve de satisfaire aux examens spécifiques à ce mode de recrutement. Là encore, les emplois mis à disposition des anciens militaires par l'administration sont loin de tous trouver preneurs. En 1998, alors qu'un total de 4 887 postes étaient proposés aux militaires dans le cadre des lois 70-2 et 95-116, seuls 643 étaient pourvus et 4 244 remis à la disposition de l'administration, principalement en raison de l'insuffisante préparation de la plupart des candidats, comme l'ont reconnu certains militaires que nous avons rencontrés, ou de l'inadéquation (parfois géographique) des postes offerts.

Les remarques que nous avons entendues sur le trop petit nombre d'emplois réservés proposés aux militaires dans le cadre de leur reconversion tombent donc d'elles-mêmes. On ne peut, par contre, qu'encourager les bureaux d'aide à la reconversion à adapter la formation des intéressés aux exigences des emplois en question.

Au total, la conjoncture économique aidant, les indicateurs relatifs à la reconversion sont plutôt bons, notamment pour les officiers et les sous-officiers dont la formation est appréciée et qui retrouvent en général un emploi rapidement et à un niveau de responsabilité élevé. L'effort maximum doit être porté sur les militaires du rang, notamment ceux issus des unités de combat.

4. La question du préavis et des stages de reconversion

Le contrat qui lie le militaire à l'armée peut être plus ou moins long et il peut être renouvelé. Au total, un militaire du rang ou un sous-officier peut passer, selon les armées, trois, quatre, huit, ou onze ans sous l'uniforme, plus rarement quinze ou vingt-deux ans. Chaque échéance présente donc un risque, chaque cocontractant étant libre de ne pas renouveler le contrat. La situation se trouve en outre compliquée par les fréquents changements de réglementation que l'armée a connus ces dernières années. Par conséquent, afin, d'une part, de préserver autant que possible la tranquillité d'esprit de ceux qui verront leur lien renouvelé et, d'autre part, de prévenir le plus tôt possible les autres, il apparaît souhaitable qu'une éventuelle décision d'absence de renouvellement soit annoncée le plus tôt possible aux intéressés. Actuellement, les armées sont censées prévenir au minimum six mois avant l'échéance mais nous avons pu constater que, lorsque cela était possible, elles essayaient d'augmenter les délais de manière à donner le maximum de temps aux intéressés pour préparer leur reconversion.

Cette volonté est louable, mais il n'est malheureusement pas toujours possible de la respecter notamment pour certains personnels embarqués, dans la Marine, ou pour des militaires servant en opérations extérieures. Dans ces cas, les délais ne permettent pas toujours aux intéressés de préparer leur départ avec toute la minutie nécessaire et peuvent perturber, en particulier, le suivi de certains stages de formation. Notons que la Marine, particulièrement concernée par ce problème en raison de l'éloignement de ses personnels embarqués, offre à ceux-ci la possibilité de prolonger leur contrat de la durée du stage que les marins n'ont pas pu suivre pendant le service actif.

Nos interlocuteurs nous ont abondamment entretenu des stages sous l'angle de leur financement. En effet, depuis peu, les autorités militaires demandent une participation financière fortement accrue (elle peut atteindre plusieurs milliers de francs) pour les stages les plus onéreux, ce qui a ému, de façon compréhensible, les candidats à la reconversion, d'autant plus que la mesure n'a sans doute pas assez été expliquée. Il s'agissait, en fait, en demandant une contribution aux stagiaires, de responsabiliser ces derniers pour éviter que des stages n'offrant que peu de perspectives de reconversion ou ayant de trop lointains rapports avec l'activité militaire des intéressés soient choisis. Il s'agissait également d'inciter, par cette participation, les militaires à suivre leur formation jusqu'au bout, en un mot d'éviter le gaspillage des deniers publics.

Partant d'excellentes intentions, cette mesure a néanmoins pu pénaliser certains personnels sans grandes ressources, confrontés à des stages pour lesquels la participation financière demandée était vraiment importante. Nous avons eu l'exemple d'un militaire visiblement gêné pour financer un stage de plongeur ou de scaphandrier, qui semblait pourtant cohérent avec ses activités dans l'armée. Nous développerons donc, dans la troisième partie de ce rapport, parmi les propositions de la commission, une proposition visant à ne pénaliser par une participation financière que les stagiaires ayant manifestement abandonné leur stage en cours, et éventuellement ceux qui choisissent un stage sans perspective réaliste de réinsertion professionnelle, mais nous suggérons de revenir sur une mesure de participation systématique qui met parfois en difficulté des personnes méritantes et qui nous ont fait remarquer, à juste titre, qu'il était sans doute plus facile de bénéficier gratuitement de certains de ces stages dans le civil que dans l'armée.

C. LES ENJEUX DE LA PÉRENNITÉ DE LA PENSION DES MILITAIRES

La question de la pension de retraite des militaires a bien sûr été abordée à maintes reprises par nos interlocuteurs, inquiets de son devenir. Les rumeurs les plus infondées, sur une éventuelle modification de son statut, voire sa suppression pure et simple en application de prétendues directives européennes (comme l'Union européenne a bon dos !) nous ont été communiquées.

1. Une compensation des contraintes militaires

Les menaces, réelles ou supposées qui planeraient sur le régime des pensions militaires préoccupent très sérieusement les personnels dans la mesure où la jouissance d'une pension proportionnelle après quinze ans de service est un droit reconnu par la loi et constitue une des principales mesure de compensation, avec les quarante-cinq jours de permission annuelle, les bonifications d'annuités et les réductions tarifaires ferroviaires, à une condition de militaire qui exige bien des sujétions.

Outre l'esprit de sacrifice, que nos compatriotes ont tendance à oublier parce que nous vivons une époque heureusement relativement calme, ce qui n'empêche pas des pertes humaines sur de nombreux théâtres d'opération où nos forces sont engagées, la fonction militaire demande une disponibilité absolue et de fréquentes mutations qui pénalisent souvent les relations familiales, comme en témoigne l'augmentation du nombre de célibataires géographiques et de divorces dans les armées et la Gendarmerie. C'est pour compenser ces charges que quelques mesures de compensation, dont la pension proportionnelle au bout de quinze ans de service, ont été instaurées.

Mais les militaires que nous avons rencontrés nous ont fait remarquer, à juste titre, que ces compensations n'étaient pas aussi exorbitantes qu'il y paraissait au premier abord et qu'elles avaient même tendance à se réduire avec l'évolution de la société. Les quarante-cinq jours de permission annuels, par exemple, représentent l'équivalent de neuf semaines de congés payés. Lorsque la durée légale des congés dans le civil était de quatre semaines, cela représentait un bonus extraordinaire de 125 %. Avec l'octroi de la cinquième semaine de congé payé à l'ensemble des salariés, cet avantage n'a plus représenté que 80 %. Aujourd'hui, le passage aux trente-cinq heures se concrétise dans de nombreuses entreprises par l'octroi d'une sixième semaine de congé, ce qui ne porte plus, dans ce cas, le bonus des militaires qu'à 50 %. Sans parler d'autres catégories de fonctionnaires (enseignants, magistrats...) qui bénéficient de régimes également assez favorables.

De son côté, si la pension de retraite à jouissance immédiate (cumulable, sauf exception, avec une autre rémunération) peut apparaître comme exorbitante par rapport au droit commun, elle doit être replacée à ses justes proportions : ainsi, la pension d'un militaire du rang qui quitte l'armée après quinze ans de service ne s'élève qu'à environ 3 200 francs nets mensuels, soit un montant plus proche du RMI que du SMIC.

2. Les conséquences de l'évolution démographique

Les rumeurs relatives à une éventuelle remise en question de cette pension de retraite sont évidemment liées à la réflexion générale lancée dans le pays sur l'avenir des régimes de retraites. Le défi démographique auquel la France va devoir faire face à brève échéance est pourtant a priori heureux, puisqu'il résulte entre autres facteurs d'un fort accroissement de l'espérance de vie, chacun d'entre nous gagnant, en moyenne, un trimestre d'espérance de vie chaque année, soit une année tous les quatre ans. Mais ce phénomène a pour conséquence de détériorer l'équilibre qui existe entre la population active et les retraités. Si la reprise économique et l'accroissement de la population active qui en résulte peuvent nous laisser espérer que ce problème pourrait s'avérer un peu moins grave qu'envisagé initialement, il n'en reste pas moins que la difficulté concerne l'ensemble de notre société.

Des mesures ont déjà été décidées pour le secteur privé, comme l'accroissement de la durée de cotisation qui a été portée 37,5 ans à 40 ans et l'élargissement de la base de référence pour le calcul des pensions, qui est passée des dix meilleures années aux vingt-cinq meilleures. Des idées ont déjà été émises pour adapter également le calcul dans le secteur public, afin d'éviter que ne se développe une société trop inégalitaire. La durée de cotisation pourrait également être allongée, en contrepartie d'une intégration de certaines primes dans le calcul de la pension. Ce serait mentir que d'affirmer que l'état-major de l'armée n'a pas engagé de réflexion sur ce sujet. Mais entre une réflexion qui s'impose à tous, en tant que citoyen responsable, et la remise en cause de la pension à quinze ans, il y a une marge qui a, nous l'espérons, très peu de chances d'être franchie. En effet, modifier cette disposition législative aurait immanquablement de très graves répercussions sur le plan du recrutement. La condition militaire impose de telles contraintes que des compensations sont nécessaires pour attirer les personnels de valeur dont les armées ont besoin. Comme l'attrait peut difficilement venir de la solde, les contreparties sociales ont toutes leur importance.

3. Les dangers d'une remise en cause de la pension des militaires

La reprise de l'activité économique et l'embellie qui en découle sur le plan de l'emploi seront peut-être les meilleures alliées des militaires dans ce domaine. Il suffit de se référer aux exemples britannique et américain pour constater que dans ces pays, qui ont connu une baisse du chômage bien antérieure à la nôtre, les armées ne parviennent plus, depuis plusieurs années, à recruter suffisamment de volontaires. Les candidats potentiels sont généralement attirés par le secteur privé, plus rémunérateur et moins contraignant. En 1999, l'armée de Terre américaine connaissait un déficit de recrutement de 8 %, soit l'équivalent d'une division d'infanterie ! L'armée de l'Air présentait de son côté un déficit de recrutement de 5 % et la situation n'était guère plus brillante chez les marins. Si la France ne connaît pas (encore ?) un tel phénomène, la situation évolue néanmoins défavorablement. Alors qu'il y a quelques années l'armée de Terre comptait quatre à cinq candidats pour un poste proposé, elle n'en compterait désormais plus qu'un ou deux. La situation serait également critique pour les emplois hautement qualifiés, comme les métiers liés à l'informatique dont les spécialistes sont très courtisés et bien mieux rémunérés dans le secteur privé.

Par conséquent, nous réaffirmons avec conviction qu'il serait très dangereux de réduire ou supprimer les avantages liés à la condition militaire, qui sont la contrepartie des sujétions qu'elle impose, et en particulier le régime des pensions de retraite. De telles mesures ne manqueraient pas, en effet, d'avoir des conséquences graves sur le recrutement et la pérennité d'une armée par ailleurs en pleine mutation et dont les personnels sont particulièrement sollicités sur le plan national comme sur le plan extérieur. Nous avons rencontré plusieurs militaires ayant déjà atteint les quinze ans de service et qui ont expliqué qu'ils quitteraient l'armée préventivement, bien qu'à regret, de manière à pouvoir bénéficier in extremis du système, si l'octroi des pensions de retraite après quinze ans devait être remis en cause.

DEUXIÈME PARTIE :
L'ARMÉE FACE À ELLE-MÊME

Après avoir examiné les rapports complexes que le monde militaire entretient avec la société civile, il nous paraît indispensable de décrypter le fonctionnement interne de l'armée qui nous semble reposer sur un double paradoxe propre à cette institution : comment organiser une concertation et un dialogue francs et fructueux dans une institution où l'absence de représentation institutionnelle fait reposer sur la hiérarchie l'obligation « de veiller aux intérêts de ses subordonnés » et dont le bon fonctionnement repose avant tout sur le respect de cette hiérarchie et une discipline rigoureuse ?

Ces questions nous ont conduits à nous interroger sur les imperfections de la concertation interne et à constater à quel point les relations hiérarchiques pouvaient être différentes, et parfois décevantes, d'une armée à l'autre.

I. - UNE CONCERTATION ET UN DIALOGUE IMPARFAITS

La mise en place de ces instances de concertation nationales a commencée en 1969, quelques mois après les événements de mai 1968. Elles avaient pour objectif d'introduire un début de concertation dans une institution militaire jusque là assez fermée à la consultation et au débat. En mai 1968, l'armée, et les forces de l'ordre d'une manière générale, furent parmi les rares institutions à rester fidèles au gouvernement et à ne pas rejoindre les grévistes. Mais l'avertissement avait été suffisamment sérieux pour que les autorités décident la création d'une instance nationale de concertation : le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM).

En 1989, à la suite de la « grogne » des gendarmes, ce dispositif fut élargi : un Conseil de la fonction militaire (CFM) fut créé dans chaque armée et dans la Gendarmerie tandis que le CSFM fédérait l'ensemble. Un certain nombre de modifications furent également apportées au fonctionnement des instances locales de concertation. Après une trentaine d'années de fonctionnement, même si les plus âgés de nos interlocuteurs ont reconnu que l'état d'esprit avait évolué et que la concertation avait progressé, il n'est pas inutile de s'interroger sur les inévitables évolutions à apporter à ce système, alors qu'une armée de conscription cède la place à une armée professionnelle, surtout si on souhaite éviter de réformer dans l'urgence, comme ce fut le cas après les événement de 1968 et 1989.

A. LA CIRCONSPECTION SUSCITÉE PAR LES INSTANCES DE CONCERTATION NATIONALES

Dans une société devenue plus démocratique et transparente qu'il y a trente ans, les critiques principales portent sur le mode de désignation discutable des participants à ces conseils, sur le contrôle total du ministre sur l'ordre du jour et le déroulement des réunions ainsi que sur la quasi absence de retombées concrètes.

1. Un mode de désignation insatisfaisant

Mis en place en 1969, le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) est un organisme consultatif dans lequel siègent 79 représentants des personnels militaires de la défense en activité et 6 retraités. Ces membres sont répartis selon un savant dosage par catégories hiérarchiques et par les différentes armées ainsi que les services communs.

COMPOSITION DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA FONCTION MILITAIRE
(militaires en activité)

Catégories de militaires

Armée
de Terre

Marine

Armée de l'Air

Gendar-merie

Arme-ment

Service de santé des
armées

Service des
essences des
armées

Mili-taires en retraite

TOTAUX

Officiers supérieurs

2

1

1

1

1

1

   

7

Officiers subalternes

3

2

2

2

1

1

1

 

12

Majors, sous-officiers ou
officiers mariniers supérieurs et gradés de la Gendarmerie

6

3

3

8

       

20

MITHA* soumis aux lois et aux règlements applicables aux officiers et aux sous-officiers

         

1

   

1

Sous-officiers ou officiers mariniers subalternes
et gendarmes

7

4

4

8

       

23

Militaires du rang

9

2

4

     

1

 

16

Militaires en retraite

             

6

6

Totaux

27

12

14

19

2

3

2

6

85

* Militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées

Le CSFM exprime son avis sur les questions de caractère général relatives à la condition et au statut des militaires. Depuis 1990, il a été démultiplié par la création de quatre conseils de la fonction militaire, pour chacune des armées et la Gendarmerie. Ces CFM peuvent être saisis ou peuvent se saisir de l'étude de toute question d'intérêt général de vie courante, de condition ou d'exercice du métier des armes et d'organisation des tâches propres à l'armée dont ils relèvent. Ils procèdent en outre à une première étude des questions inscrites à l'ordre du jour du CSFM et émettent un avis sur les projets de loi ou de décret soumis à ce dernier.

Depuis la réforme de 1990, les participants aux Conseils de la fonction militaire ainsi qu'au Conseil supérieur de la fonction militaire sont désignés par le hasard parmi des listes de volontaires, alors qu'auparavant le tirage au sort des membres du CSFM concernait la population militaire dans sa totalité. Cette mesure a été décidée afin de susciter une plus grande motivation des participants.

Dans la mesure où le principe d'élections de représentants des militaires pour siéger dans des instances nationales a été écarté, il a donc été décidé de laisser le hasard choisir.

Ce choix fait l'objet de critiques dans la mesure, d'une part, où les représentants ne sont pas toujours très représentatifs et où, d'autre part, le volontariat peut être plus ou moins suggéré par la hiérarchie. On nous a cité le cas d'unités dans lesquelles les chefs de corps ont demandé qu'un maximum de leurs subordonnés (dans un cas, il s'agissait même de tous les sous-officiers) se portent candidats, de manière à augmenter les chances de voir leur régiment représenté lors du tirage au sort. La conséquence inévitable de ce type de pratiques (condamnées par les états-majors et dont on nous a assuré qu'elles ne devraient plus se reproduire) est que certaines armes ou certaines unités sont beaucoup plus représentées que d'autres. Par ailleurs, les « volontaires » tirés au sort dans ces conditions n'ont pas toujours grand chose à dire, peuvent ne pas être très motivés ou ne sont pas préparés à ce genre d'exercice, même si une formation a été mise en place depuis peu.

Mais le système en vigueur est assez proche de ce que les états-majors des armées, à l'heure actuelle, sont susceptibles d'accepter.

2. Un processus sous le contrôle total du ministère

Une des critiques que nous avons le plus souvent entendues concerne la préparation, la définition de l'ordre du jour et le déroulement de ces conseils, présidés par le Ministre de la Défense et que les militaires considèrent comme entièrement sous le contrôle de ses services. Un exemple : pour des raisons de temps, le ministre ne peut répondre qu'à cinq ou six questions sur la vingtaine qui sont généralement préparées par les participants. Même si l'ordre d'appel des questions est fixé par les membres du Conseil et si aucune n'est réfutée, il en naît inévitablement un sentiment de frustration bien compréhensible.

Il faut bien admettre, par ailleurs, que l'armée, comme le reste de l'administration, est bâtie sur le principe d'obéissance hiérarchique et que le chef suprême, dans son fonctionnement courant, en est le Ministre de la Défense. Nous avons entendu des militaires demander davantage de démocratie au sein de ces instances : une maîtrise partagée des ordres du jour, un suivi plus strict des propositions qui y sont faites, un pouvoir décisionnel plus important, voire un statut délibératif.

Au delà de ces considérations, les militaires considèrent que ces conseils, « trop dirigés et pas toujours d'une grande liberté » servent à « donner bonne conscience » à la haute hiérarchie tandis que les sous-officiers et les militaires du rang qui y siègent éprouvent bien du mal à faire entendre les préoccupations de la catégorie qu'ils représentent.

3. Des retombées décevantes

Sur le plan concret, les militaires regrettent la faiblesse, pour ne pas dire la quasi inexistence, de retombées concrètes en raison de contraintes budgétaires compréhensibles. De ce point de vue, nombreux sont les personnels qui considèrent que les instances nationales de concertation ont pour principal objectif de faire entériner par la troupe les restrictions financières imposées par le ministère des Finances et les conséquences matérielles qui en découlent.

Les militaires regrettent également que les CFM, qui se réunissent deux fois par an, soient quelquefois utilisés pour faire avaliser des réformes généralement impopulaires, comme celle instituant une mobilité dans la Gendarmerie, sans que ces organismes consultatifs disposent du pouvoir de remettre en cause ou aménager des projets déjà tout prêts et considérés comme non négociables par le ministère.

Par ailleurs, le moins qu'on puisse dire est que les retours d'informations des CFM et du CSFM ne satisfont pas les militaires de base, en particulier ceux dont l'unité n'a pas été représentée. L'austère et volumineux compte rendu de chaque session, expédié à toutes les unités et plus communément surnommé « le pavé » n'est pas, reconnaissons-le, d'une lecture aisée et par conséquent, il est assez rarement consulté. D'une manière générale, il semble que les personnels ne sont pas assez sensibilisés à l'intérêt des Conseils de la fonction militaire.

Consciente de la difficulté de faire redescendre l'information, l'autorité hiérarchique qui considère davantage le compte-rendu comme un document de référence que comme un outil d'information, privilégie d'autres canaux pour diffuser les principales conclusions des CFM et du CSFM. Elle publie des articles dans les revues professionnelles comme « Terre magazine » ou « Cols bleus » et utilise également des supports modernes comme Internet ou l'intranet des armées. Encore faut-il avoir la possibilité matérielle, par exemple en opération extérieure, de lire ces informations.

D'une manière plus générale, bien que nous ayons constaté que les états-majors et les directions du personnel de chacune des armées avaient entrepris depuis peu un important travail de communication par l'intermédiaire de notes internes (« DPMM info » pour la Marine...), de mémentos ou d'insertions dans les revues professionnelles, il apparaît que l'information ne circule pas encore aussi bien qu'elle le devrait. Dans ce domaine, les associations d'anciens, pour leur aspect informatif sont appréciées : « dommage qu'il faille attendre de quitter l'armée pour apprendre certaines choses » nous a-t-on avoué.

B. LE RÔLE ESSENTIEL DES PRÉSIDENTS DE CATÉGORIE

Les différentes catégories de militaires (officiers, sous-officiers, militaires du rang) sont représentées, auprès de leur chef de corps par un président de catégorie. Le caractère variable, d'une armée à l'autre, des compétences catégorielles et d'un mode de désignation par ailleurs perfectible n'empêchent pas les présidents de jouer un rôle primordial de relais avec le sommet de la hiérarchie malgré des moyens limités.

1. Des limites catégorielles fluctuantes

Le découpage des compétences catégorielles des présidents est on ne peut plus différent d'une armée à l'autre.

Avec la progressive disparition des appelés remplacés par des engagés, l'armée de Terre a créé récemment un président pour ses militaires du rang, (qu'elle appelle EVAT : engagés volontaires de l'armée de Terre), en remplacement des présidents des caporaux-chefs. Le travail de ces nouveaux présidents s'annonce particulièrement lourd : même si la professionnalisation, en améliorant le taux d'encadrement, a légèrement réduit le nombre de militaires du rang, les régiments comptent généralement 500 à 600 EVAT, ce qui représente une charge de travail considérable pour des personnels placés au bas de l'échelle hiérarchique et peu formés à ce genre de tâches. En outre, le caporal-chef qui, de par ses fonctions de président trouve un accès privilégié auprès de son chef de corps, est évidemment placé en situation délicate vis-à-vis de ses sous-officiers.

En attendant que se développe le rôle des présidents des militaires du rang, ce sont les présidents des sous-officiers qui demeurent la cheville ouvrière du système tandis que les officiers subalternes sont représentés par un président, contrairement aux officiers supérieurs, qui ont un accès plus direct au chef de corps.

Dans l'armée de l'Air, qui visiblement ne suit pas le même raisonnement, un seul président représente l'ensemble des officiers, subalternes et supérieurs. Les sous-officiers ont évidemment leur président, mais pas les militaires du rang, sans doute en raison de leur faible nombre, qui n'ont jusqu'à présent comme intermédiaire qu'un « représentant des militaires du rang engagés ». Mais comme dans l'armée de Terre, un président des militaires du rang devrait bientôt être instauré.

Dans la Marine, le découpage est encore différent puisque seul le représentant des officiers mariniers supérieurs a une fonction de président de catégorie. A ce titre, il est conseiller du commandant pour les affaires intéressant les officiers mariniers. Il participe également aux conseils de discipline et d'avancement concernant les officiers mariniers et l'équipage. Il a accès direct au commandant. Les autres représentants sont « représentants de catégorie » : officiers supérieurs (quand ils sont plus de dix), officiers subalternes, officiers mariniers subalternes et quartiers-maîtres majors. Ce dernier a accès direct à l'adjoint du commandant chargé de l'équipage. Il ne faut pas perdre de vue que la Marine se caractérise par un nombre important d'unités, près de trois cents, mais dont beaucoup ont un effectif réduit : ainsi, une centaine d'unités comprennent moins de 50 marins alors que moins de dix formations dépassent les 500 marins.

La Gendarmerie, enfin, ne possède pas de militaires du rang, au sens employé dans les autres armées. Un président des gendarmes et un président des gradés (sous-officiers) ont été institués dans chaque formation [compagnie, escadron, groupe de commandement (groupement), état-major...]. Les officiers de Gendarmerie et les sous-officiers du corps de soutien technique et administratif sont représentés au niveau du groupement et de la légion (région). Le représentant des gendarmes adjoints assiste à la réunion de la commission de participation du groupement lorsque des questions relatives à cette catégorie de personnels sont inscrites à l'ordre du jour.

2. Un système de désignation perfectible

Bien que comportant des nuances, la procédure de désignation est assez proche dans l'armée de Terre, la Marine et l'armée de l'Air.

Le président de chaque catégorie dans l'armée de Terre est désigné par le chef de corps sur une liste d'au moins deux volontaires établie par ordre de préférence. Cette liste est proposée par le titulaire quittant ses fonctions conformément au résultat de la consultation opérée auprès de ses pairs au niveau de l'ensemble du corps. Cette consultation revêt souvent dans la pratique un caractère assez formel : entretien du président avec ses différents adjoints, réunion au cercle des sous-officiers sous l'autorité de son président... Il n'existe pas de procédure de vote à bulletin secret. Cette procédure investit le président d'une double légitimité : celle de ses pairs par la consultation préalable qu'elle institue et celle du commandement par le choix final qui incombe au chef de corps. En outre, et depuis décembre 1998, cette désignation des présidents fait l'objet d'un procès-verbal, inscrit au registre des actes administratifs du corps, visé au cours des différentes inspections de commandement.

Dans la Marine, le président sortant a toute latitude pour établir une liste : elle est élaborée la plupart du temps, sous forme de réunion informelle ou par cooptation au niveau de la communauté ; la procédure par vote ne semble pas usitée, même dans les grandes unités. Il n'y a pas de publicité ni de communication publique de la liste des candidats : l'appel à la candidature, dans chaque catégorie, se fait au sein de la communauté, la plupart du temps par simples discussions. Le mode de désignation s'établit autour d'une concertation entre le président sortant et le commandant d'unité : l'expérience ne fait pas état de difficultés particulière ou d'un manque de volontariat habituel. Le président sortant présente les candidats qu'il estime les plus aptes.

Dans l'armée de l'Air, un bureau chargé, sous la responsabilité du président de la catégorie concernée, du bon déroulement du processus est mis en place. Il recueille les candidatures et fait réaliser un dossier de présentation pour chaque candidat. Puis, se réunit la commission participative de base aérienne (CPBA) restreinte à la catégorie de personnel concernée. La commission examine les dossiers des candidats puis établit un classement préférentiel. Un procès-verbal est rédigé et enregistré sur le registre des actes administratifs de la base. La liste des candidats ainsi établie est alors remise au chef de corps qui choisit un président et un vice-président.

Dans aucun cas le chef de corps n'est tenu de motiver son choix qui relève d'une décision de commandement. Il choisit d'ailleurs le plus souvent le premier de la liste et on peut concevoir que l'exercice normal du commandement le conduise à recevoir, le cas échéant, le « favori » de la liste qu'il aurait été amené à récuser au profit d'un autre candidat moins bien placé.

Comme on peut le constater, la décision de la nomination des présidents de catégorie échoit en définitive au chef de corps, malgré les avis dont il s'entoure. Pour donner un caractère plus transparent à cette désignation, la Gendarmerie à mis en place un dispositif original dont nous envisageons de nous inspirer.

La procédure instaurée par la Gendarmerie se distingue de celle des autres armées dans la mesure où les présidents de catégorie sont désignés par leurs pairs par un vote à bulletins secrets qui respecte un processus rigoureux :

- deux mois avant la date de renouvellement du mandat d'un président de catégorie, il est procédé à un appel à volontaires par le commandant d'unité ;

- au plus tard un mois avant la date de renouvellement, chaque militaire reçoit la liste des volontaires ;

- le militaire entoure sur la liste le nom de la personne qu'il propose, puis envoie cette liste au commandant d'unité, sous double enveloppe, après avoir inscrit sur l'enveloppe extérieure son grade, son nom, son unité et la mention « désignation du président des (indication de la catégorie) » ; l'enveloppe intérieure contenant la liste ne devant comporter aucune indication ;

- le décompte des propositions exprimées en faveur de chaque militaire figurant sur la liste est effectué par un bureau, formé du commandant d'unité et des présidents de catégorie en fonction (à défaut, un militaire de la catégorie tirée au sort) ;

- est retenu, comme titulaire, le militaire qui a recueilli le plus grand nombre de propositions et, comme suppléant, le militaire arrivant immédiatement derrière lui (à égalité de propositions, le plus ancien dans le grade le plus élevé est choisi) ;

- un procès-verbal des opérations et des résultats est dressé par le bureau, puis le commandant d'unité procède à la désignation du président de catégorie.

Les gendarmes adjoints sont représentés au niveau du groupement (département). Ces personnels sont tirés au sort parmi les volontaires qui totalisent au moins six mois de service. A défaut de volontariat, il est procédé à une désignation d'office par le commandant de groupement.

3. Un relais primordial avec le commandement malgré des moyens limités

Les présidents de catégorie exercent un double rôle vis-à-vis du chef de corps et vis-à-vis de leur catégorie.

Le commandant d'unité sollicite leur avis chaque fois qu'il le juge utile, notamment pour les décisions d'affectation, d'orientation et de déroulement de carrière, ainsi qu'à l'occasion de récompenses et de punitions. Ils sont directement associés par le chef de corps à toute étude portant spécifiquement sur leur catégorie et notamment à la rédaction du rapport sur le moral.

Sans se substituer à leur chef hiérarchique, les présidents sont des guides et des animateurs pour les personnels de leur catégorie. Ils jouent un rôle particulier à l'égard des jeunes, participent à la résolution de leurs problèmes professionnels, personnels ou familiaux. Ils cherchent à promouvoir l'entraide et la cohésion au sein de leur formation et de leur catégorie.

Toutefois, pour mener à bien ces missions, les présidents de catégorie ont besoin d'un certain nombre de moyens matériels, actuellement en augmentation, même si les situations peuvent être très différentes d'une unité à une autre.

Dans l'armée de Terre, 90 % des présidents de sous-officiers bénéficient d'un bureau spécifique et d'un téléphone, les trois quarts disposant également d'un ordinateur et de documentation pour mener leur action. Cette dotation est moindre pour les autres présidents du fait soit du volume de la population concernée (cas des officiers subalternes) soit, pour le président des engagés volontaires, du fait de la relative jeunesse de la fonction. L'armée de l'Air, la Marine et la Gendarmerie procurent à leurs présidents de catégorie des moyens similaires, chacune essayant dans la mesure du possible, de faciliter leurs déplacements.

Mais la question de la disponibilité est sans doute aussi importante que la satisfaction des besoins en moyens matériels. Sur ce plan, la situation est moins favorable. Si, comme nous l'ont fait remarquer les marins, des décharges d'activité ne se justifient certainement pas dans les petites unités embarquées, elle sont sans doute nécessaires dans des unités plus importantes. D'ailleurs, dans les écoles, les bases aéronavales, le commandement de la base opérationnelle et de l'escadrille de SNLE, le président est souvent exempté de service. Mais d'une manière générale, la réglementation ne prévoit pas de décharges de service.

Les textes de l'armée de l'Air ne prévoient pas de dispense de service pour les présidents. Ils sont titulaires d'un poste de travail et participent également, comme leurs camarades, au service intérieur. Sur un petit nombre de bases aériennes, des présidents de sous-officiers exercent leurs fonctions à temps plein. Cette facilité relève simplement de la volonté et de la conception que se fait le chef de corps du travail de président des sous-officiers et elle peut ne pas être reconduite lors du changement de commandant.

L'armée de Terre procure à ses présidents les meilleures conditions : ils y bénéficient très généralement d'une décharge partielle de service, s'agissant notamment des permanences ou des gardes. En revanche, il n'existe pas de fonction unique de président de catégorie, les présidents conservant toujours une activité pour le bien de l'ensemble de la collectivité et non seulement de leur catégorie. Dans les faits, l'armée de Terre préconise l'affectation des présidents de sous-officiers et des engagés volontaires dans les bureaux traitant de ressources humaines au sein de la formation : bureau recrutement - reconversion et condition du personnel (BRCP) ou bureau de gestion des ressources humaines (BGRH). C'est dans ces secteurs, en effet, que leur activité professionnelle se rapproche le plus de leur activité de président.

Dans la Gendarmerie, les présidents de catégorie occupent un poste prévu au tableau des effectifs et en aucun cas leur fonction ne peut représenter leur seule activité. Néanmoins, en Gendarmerie départementale, compte tenu de la dispersion des unités, ils disposent d'une journée par mois pour exercer leur fonction.

La formation et l'information des présidents sont un élément essentiel si on veut que ces derniers remplissent leur rôle efficacement. Dans l'armée de Terre, il existe depuis une dizaine d'années un stage d'information d'une semaine au profit des présidents de sous-officiers dont la conclusion revient au chef d'état-major. En outre et tirant les conséquences de la professionnalisation, l'armée de Terre organise, depuis deux ans, un stage de deux jours pour les présidents d'engagés volontaires et, depuis cette année, une première journée d'information des présidents des officiers subalternes. Comme nous avons pu le constater, ces stages sont plébiscités.

Dans la Gendarmerie, sept stages de formation de trois jours, regroupant à chaque fois trente présidents de sous-officiers, sont organisés chaque année à l'école de Montluçon. Compte tenu du nombre important des présidents de catégorie (près de 2 200), il n'est pas possible d'organiser des rencontres annuelles. La Marine et l'armée de l'Air, par contre, n'organisent aucun stage de formation.

Notons enfin que dans les plus grandes unités de l'armée de Terre et de la Marine, des adjoints aux présidents peuvent être désignés en fonction de l'importance des effectifs. Des adjoints aux présidents, qui portent dans l'armée de l'Air le titre de « vice-président » existent sur toutes les bases aériennes, aux côtés des présidents de catégorie. Mais étant donnée la faiblesse des effectifs de la plupart de ses unités, la Gendarmerie n'a pas instauré une telle fonction.

C. L'ABSENCE DE CRÉDIBILITÉ DU RAPPORT SUR LE MORAL

Soucieux de connaître le plus précisément possible l'état d'esprit et les préoccupations de leurs troupes, les états-majors ont mis en place des dispositifs qui se veulent complémentaires aux conseils de la fonction militaire, trop centralisés et convenus, et à l'action, davantage locale, des présidents de catégorie.

C'est ainsi que la Marine a mis en place une cellule consacrée aux condition de vie (Covie) de ses marins et que l'armée de l'Air a installé, au sein même du cabinet de son chef d'état-major, un sous-officier ancien surnommé « l'électron libre », dotée d'une grande marge de man_uvre pour prendre le pouls de la base. De son côté, l'armée de Terre qui a déjà mis en place un bureau traitant de la « condition militaire » est en train de recréer une cellule « commandement moral », proche de la cellule Covie de la Marine.

Mais les armées attachent une grande importance au rapport sur le moral transmis par chaque unité de base à l'état-major et qui est censé informer lui aussi la hiérarchie sur « le moral », au sens large, des militaires. Malheureusement, à l'exception de la Marine qui a mis au point un procédé original, ce rapport, qui franchit tous les échelons hiérarchiques, est considéré comme trop édulcoré et perd sa crédibilité en l'absence de retombées concrètes.

1. Un rapport édulcoré ?

Le rapport sur le moral est une institution très ancienne dans l'armée française. Selon une périodicité qui peut varier d'un à deux ans selon les armées, un rapport relatif au « moral des troupes » est adressé à l'état-major par chaque unité afin d'éclairer le ministre et la haute hiérarchie de chaque armée de l'état d'esprit des militaires, puisqu'en l'absence de syndicats, ces derniers ont peu de moyens de faire entendre leur voix.

Le rapport, qui s'appuie sur un questionnaire, est élaboré à la base, unité élémentaire par unité élémentaire et chaque militaire peut y apporter sa contribution. Puis, le document remonte la hiérarchie, en passant par différents niveaux qui le synthétisent, jusqu'au chef de corps, chargé de rédiger le document final qui est transmis à l'état-major. A l'état-major même, une synthèse est préparée à l'attention des principales autorités.

Toutefois, des militaires de l'armée de Terre reprochent parfois l'aspect « orienté » du rapport sur le moral (qu'un officier a qualifié de « farce ») basé sur un questionnaire préétabli permettant, selon certains, de laisser de côté les véritables préoccupations : les militaires consultés doivent citer trois faits positifs et trois faits négatifs, ce qui est évidemment un moyen commode d'équilibrer les choses. Par ailleurs, des contraintes informatiques liées aux nouvelles grilles désormais utilisées ne permettent pas de développer pleinement les arguments des uns et des autres. « Les rapports sur le moral devraient être plus honnêtes » nous a déclaré un officier. D'ailleurs, nous a-t-on fait remarquer, l'état-major n'est pas dupe puisque des sondages anonymes thématiques sont régulièrement effectués auprès des militaires. Ces sondages seraient-ils nécessaires si le rapport sur le moral était réellement crédible ?

Comme on l'a vu, le cheminement est long depuis la section jusqu'au bureau du chef d'état-major et les synthèses nombreuses. Le résultat en est un lissage compréhensible, bien que regrettable, des officiers, désireux de montrer que la situation morale de l'unité dont ils ont la responsabilité est plutôt bonne et que les sujets d'inquiétude ou de mécontentement sont à relativiser. Si telle n'est peut-être pas l'attitude générale, c'est en tout cas ainsi que le rapport sur le moral est apprécié par les militaires du rang et les sous-officiers et nous ne doutons pas que ce sentiment recouvre une part de réalité.

2. Le procédé original mis au point par la Marine

La Marine nationale a mis au point un procédé original et très intéressant pour rendre de leur crédit aux rapports sur le moral : les présidents des officiers mariniers (équivalents des sous-officiers dans les autres armées) qui estiment que le rapport sur le moral de leur commandant ne reflète pas fidèlement la réalité de la situation dans l'unité ont la faculté de joindre à ce document un courrier qui est transmis intégralement à l'état-major.

Le commandant de l'unité peut, à son tour, exercer un droit de réponse par l'intermédiaire d'un nouveau document qui est également transmis à l'état-major.

3. L'absence de retombées concrètes

Comme pour les instances de concertation nationales, le rapport sur le moral est critiqué pour son absence de retombées visibles. La réponse du chef d'état-major au chef de corps, de plus en plus fréquente, est encore trop peu souvent communiquée aux subordonnés. Même lorsque c'est le cas, les retombées concrètes, qu'elles soient trop onéreuses ou longues à être mises en place, ne sont pas perçues par les personnels qui ont été mis à contribution pour élaborer le rapport sur le moral, ce qui crée en eux un sentiment de frustration.

D'une manière générale, les militaires regrettent, outre l'absence de retombées concrètes de ces consultations, que ne leur soient même pas communiqués les résultats des sondages et autres consultations auxquels ils ont été soumis.

On peut admettre toutefois que le rapport sur le moral étant une lettre confidentielle adressée par un chef de corps à son état-major, le contenu n'en soit pas publiquement divulgué. Si le commandant devait rendre public son rapport auprès de l'ensemble de ses subordonnés, sans doute se sentirait-il davantage lié et moins libre de s'exprimer. Le rapport sur le moral, tel qu'il est conçu par la haute hiérarchie, ne doit pas constituer la synthèse de ce qui est dit par les troupes, encore moins un relevé de revendications, mais la perception que le commandant a du moral de ses subordonnés. Cela explique, au moins en partie, les changements qui apparaissent entre sa première ébauche et la version qui parvient à l'état-major, ainsi que la discrétion qui entoure l'élaboration finale et la réponse de l'état-major.

II. - LES RAPPORTS HIÉRARCHIQUES TRÈS VARIABLES D'UNE ARMÉE À L'AUTRE

Bien que reposant essentiellement sur des rapports humains, les liens hiérarchiques sont très différenciés d'une armée à l'autre. Dans deux armées, la Gendarmerie et la Marine, les relations hiérarchiques sont clairement apparues problématiques, la Gendarmerie cumulant une double césure au sein de sa hiérarchie. Pour des raisons différentes, l'armée de Terre et l'armée de l'Air bénéficient de ce qu'on pourrait appeler un « climat social » beaucoup plus détendu.

A. UNE DOUBLE CÉSURE AU SEIN DE LA GENDARMERIE

L'arme dans laquelle les rapports hiérarchiques nous ont semblé les plus dégradés est sans conteste la Gendarmerie. Nous y avons perçu une double ligne de fracture, d'une part entre les sous-officiers et les officiers à l'échelon des brigades, groupements et légions, et d'autre part entre une grande partie de l'institution et les officiers généraux, voire colonels à qui il est reproché d'être trop peu présents sur le terrain.

1. Une première ligne de fracture avec les officiers généraux et les officiers supérieurs

La trop faible perception du rôle et du travail sur le terrain des officiers généraux de Gendarmerie est sans doute une réalité, puisque la remarque nous a été faite lors de chacune de nos tables rondes. Mais ce phénomène doit pouvoir s'expliquer logiquement par le faible nombre de généraux de Gendarmerie, une trentaine, pour 97 000 gendarmes disséminés dans 3 600 brigades réparties sur l'ensemble du territoire, 130 d'escadrons de Gendarmerie mobile, sans compter les escadrons et pelotons d'autoroute, les brigades départementales de renseignement judiciaire, les pelotons de montagne, la garde républicaine, etc. Ces chiffres doivent être comparés, par exemple, avec les 215 généraux que compte l'armée de Terre pour un effectif total de 170 000 militaires1, certes plus important, mais réparti sur un nombre d'implantations beaucoup plus faible (environ 500) : un colonel de l'armée de Terre est toujours au contact des hommes de son régiment car il se trouve sur un même lieu géographique. Il est instantanément informé des problèmes qui concernent son unité. Dans un département, le colonel de Gendarmerie est forcément éloigné de la plupart de ses brigades et le contact qu'il entretient avec les militaires placés sous ses ordres ne peuvent forcément pas être les mêmes.

Par ailleurs, en l'absence de moyens suffisants, les officiers généraux ne peuvent que faire serrer les rangs pour assurer la continuité du service. Leur attribuer la totalité des éventuels dysfonctionnements du corps n'est guère réaliste.

2. Incompréhension et craintes

Mais l'évolution du recrutement des officiers de Gendarmerie est également mis en avant pour expliquer la distance ressentie par les sous-officiers. Ainsi, les officiers issus du rang, beaucoup plus nombreux il y a vingt ou trente ans semblent plus proches de leurs subordonnés que les jeunes saint-cyriens, techniquement très brillants mais qui, à vingt-cinq ans et alors qu'ils n'ont pas suivi une préparation suffisante dans ce domaine, éprouvent plus de difficultés à communiquer avec les gendarmes de base dont ils sont, la plupart du temps, géographiquement éloignés. En outre, comme les personnels ont la possibilité d'accomplir une carrière complète dans la Gendarmerie, ils ont une moyenne d'âge plus élevée que dans le reste de l'armée, ce qui explique que les jeunes officiers soient souvent confrontés à des subordonnés bien plus âgés qu'eux, pères de famille, qu'il est plus délicat de commander qu'un EVAT de vingt ans.

A l'échelle des brigades départementales, une autre ligne de fracture est nettement perceptible entre les sous-officiers présents sur le terrain, confrontés aux réalités quotidiennes de leur mission et une hiérarchie départementale, bien souvent considérée comme « carriériste », qui n'hésite pas à exiger le maximum de ses subordonnés pendant le temps de son commandement, avant de céder la place à une autre hiérarchie qui agira de la même manière. Un des principaux reproches adressés à cette hiérarchie, est son absence de soutien lorsque des missions supplémentaires viennent s'ajouter à une activité déjà bien chargée et que les moyens matériels ne suivent pas. A tort ou à raison, les gendarmes de base ne sont pas loin de considérer que leurs officiers, dans le but évident ne pas déplaire, sont prêts à accéder sans rechigner à toutes les demandes en provenance de la haute hiérarchie, demandant à leurs subordonnés de toujours « en faire plus avec autant de moyens ».

Mais ce qui nous a le plus surpris, au cours de nos visites, est l'atmosphère de crainte qui semble caractériser bon nombre de relations entre officiers. La plupart d'entre eux, du grade de lieutenant jusqu'à celui de lieutenant-colonel semblent avoir peur de s'exprimer librement devant leur hiérarchie et craignent que leur carrière n'en pâtisse. C'est d'ailleurs auprès de certains officiers de ce corps que nous avons recueilli les propos les plus sensibles à ce sujet. Des officiers que nous avons rencontrés, préoccupés par des problèmes personnels, nous ont assuré ne pas pouvoir s'en ouvrir à leur hiérarchie par peur des conséquences possibles sur leurs carrières ou les mutations attendues.

B. DES PROBLÈMES SPÉCIFIQUES À LA MARINE NATIONALE

La Marine a mis en place une structure originale au sein du cabinet du chef d'état-major. Il s'agit de la cellule « Covie », compétente pour les conditions de la vie et d'une manière générale pour tout ce qui est social. Elle prépare les réunions du Conseil de la Fonction militaire Marine, reçoit systématiquement les rapports sur le moral qu'elle synthétise à l'attention du chef d'état-major et organise de fréquentes consultations sur le terrain. Malgré cela, nous avons été désagréablement surpris par l'ambiance régnant au sein de cette armée où nous avons constaté une nette césure entre les officiers et leurs subordonnés, et où un effort de longue haleine devra être mis en _uvre pour modifier certaines habitudes de commandement.

1. Une barrière héritée du passé

Dans la Marine nationale, que d'aucuns continuent d'appeler la « Royale », une barrière hiérarchique nette nous est apparue entre les officiers et les officiers mariniers. Cette césure est une vieille tradition dans la Marine et trouve son origine dans le manque d'espace et la vie continuellement commune que connaissent les marins à bord de leurs bâtiments. Il est alors compréhensible que le « pacha » du navire et son état-major éprouvent le besoin de se préserver d'une trop grande promiscuité. Cette nécessité semble d'ailleurs ressentie dans les deux sens puisque l'usage veut que le commandant d'une unité navale ne se rende dans le carré des officiers mariniers que lorsqu'il y est invité, à l'occasion de la célébration d'une fin de mission par exemple.

Le caractère contraignant de la vie à bord, pendant plusieurs mois, dans un espace réduit, avec, pour la plupart des marins, une couchette pour seul espace d'intimité, explique l'existence d'un certain nombre de rituels et de traditions qui trouvent leur origine dans les efforts nécessaires qui doivent être consentis par chacun pour rendre conviviale la vie à bord. Il en est ainsi de l'attention portée à la qualité de la nourriture, les repas constituant un moment de détente privilégié. Témoin également la codification officieuse mais bien réelle des sujets de discussions prohibés à table (politique, vie personnelle...).

Ces raisons parfaitement compréhensibles ne doivent toutefois pas conduire à certains abus préjudiciables à l'image de la Marine, d'autant plus que les aménagements de nos jours plus spacieux et conviviaux des bâtiments de la flotte ne justifient plus cette distance entre officiers et officiers mariniers qui est souvent une affaire de personnes. Le matériel utilisé dans les armées est de plus en plus technique et les utilisateurs de ces appareils ont un bagage intellectuel de plus en plus élevé ce qui ne les empêche pas d'être traités en fonction de leurs galons et pas de leurs capacités. Tous les officiers n'ont pas la même conception des rapports hiérarchiques et de l'encadrement. Dans ce domaine aussi, les mentalités, particulièrement celles des jeunes enseignes de vaisseau issus de l'Ecole navale doivent évoluer.

2. Avant tout une affaire de mentalité

Nous avons entendu des propos très vifs au sujet des jeunes officiers fraîchement sortis de l'école navale, accusés de cultiver une distanciation à l'égard de leurs subordonnés dès leur entrée au service actif. Les mots de mépris, morgue, dédain, sont revenus plusieurs fois de façon inquiétante dans la conversation et nous ont laissé un sentiment de malaise que nous n'avions pas ressenti chez les terriens ou les aviateurs. La formation reçue à l'Ecole navale doit absolument évoluer pour y introduire davantage de notion de management du personnel. Un enseignement identique aux trois armées et à la Gendarmerie ne pourrait-il pas être imaginé dans ce domaine ?

Le directeur du personnel de la Marine lui-même a reconnu que la formation humaine à l'Ecole navale était insuffisante en raison de la quantité de matières scientifiques exigées par le diplôme d'ingénieur. Nous considérons que cette formation doit impérativement être revue et les programmes d'enseignement rénovés. Les officiers issus du rang, peut-être justement parce qu'ils ont connu les deux côtés de la barrière, semblent échapper aux critiques des sous-officiers qui les reconnaissent plus proches.

Le plus regrettable dans cette absence de considération, mais c'est sans doute inévitable, est que l'attitude adoptée en mer est conservée à terre. Ainsi, dans une base aéronavale où nous nous sommes rendus, nous pensions découvrir une ambiance plus proche de celle d'une base aérienne que d'un navire de guerre. La réalité fut toute autre : « la Marine a reproduit un porte-avions sec » avons nous entendu. La rigidité hiérarchique y semble aussi lourde qu'à bord d'un navire alors même que l'espace ne manque pourtant pas et que les conditions de travail sont tout autres. Suivant la même logique, le mess des officiers et celui des sous-officiers y sont strictement séparés et un projet de modernisation en cours de réalisation semble accorder aux premiers une superficie n'ayant que peu de rapport avec leur nombre. De même, le temps accordé au personnel pour déjeuner varie selon qu'il est officier marinier ou officier. Des explications complémentaires données au personnel auraient été souhaitables.

Au Centre d'instruction naval (CIN) de Saint-Mandrier, autre grosse unité de la Marine basée à terre, beaucoup de personnes ne connaissent pas leur commandant qu'ils ne voient qu'une seule fois, lorsqu'ils sont au garde-à-vous, le jour de la prise de commandement. Pour être entièrement honnêtes, ils lui trouvent des circonstances atténuantes en raison de la taille de l'unité et de la configuration des lieux. Il n'empêche qu'en cas de problème même grave, un quartier maître ne s'adressera pas à son chef de corps, mais à son lieutenant de vaisseau, voire à son premier maître.

Une circonstance atténuante toutefois : il apparaît que les difficultés relationnelles sont davantage marquées dans les grandes unités que dans les petites où cela semble mieux se passer. Or, les grandes unités sont relativement peu nombreuses (quatre-vingt-dix ont entre cent et cinq cents marins, dix en comptent plus de cinq cents alors qu'une centaine comprennent moins de cinquante marins). Et même parmi certaines grandes unités, l'ambiance peut être très bonne. Nous avons pu le constater avec l'équipage d'un sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) que nous avons rencontré. Mais les marins embarqués sur ce genre de bâtiments sont particulièrement sélectionnés dans la mesure où, d'une part, ils s'agit de techniciens hautement formés et où, d'autre part, la vie à bord d'un submersible en patrouille pendant deux mois exige encore plus d'efforts de cohabitation que sur toute autre unité.

Avec le développement des structures interarmées, il faudrait éviter, comme nous l'avons constaté, que des marins se retrouvent à pouvoir discuter librement avec un colonel de l'armée de Terre tandis qu'à bord de leur navire, il n'est pas d'usage de s'adresser à son commandant en dehors des questions relatives au service. Alors qu'il nous a semblé que le tutoiement s'était de plus en plus répandu dans l'armée de Terre entre officiers et subordonnés, nous avons rencontré des officiers de Marine qui, dans une attitude quasiment aristocratique, refusent encore de serrer la main de leurs officiers mariniers, se contentant du salut réglementaire. Heureusement, tous ne partagent pas cette attitude et nous avons aussi rencontré des commandants qui serrent les mains de leurs subordonnés tous les matins.

Il y a là un problème de culture récurent qui doit être réglé rapidement. Les jeunes sous-officiers titulaires de diplômes quasiment identiques à ceux des officiers sortant de l'école navale n'accepteront plus longtemps d'être commandés comme il y a dix ou vingt ans.

C. UN « CLIMAT SOCIAL » PLUS DÉTENDU DANS LES ARMÉES DE TERRE ET DE L'AIR

Si la présence permanente des officiers auprès de leurs soldats contribue à resserrer les liens hiérarchiques dans l'armée de Terre, c'est peut-être une plus grande proximité avec la vie civile qui détend ces relations dans l'armée de l'Air.

1. L'armée de Terre se caractérise par une proximité de terrain

Les relations hiérarchiques dans l'armée de Terre nous ont paru beaucoup plus décontractées que dans la Gendarmerie et la Marine. Les rapports nous ont été décrits comme basés sur la « franchise », « courtois » et « directs ». A quoi faut-il attribuer cette différence ? Si nous mettons de côté le cas de la Gendarmerie, assez peu comparable de par ses missions et sa structure, nous constatons que les officiers de l'armée de Terre ne cultivent pas la même distanciation avec leurs subordonnés que les officiers de Marine.

En outre, à la différence des autres armées, l'armée de Terre se caractérise par la présence de militaires du rang en forte proportion. Or, à de rares exceptions près, les rapports entre les engagés volontaires du rang et le reste de la hiérarchie se déroulent plutôt bien. Si certains EVAT considèrent que les sous-officiers les plus anciens ont encore trop tendance à diriger les engagés volontaires comme des appelés contraints, dans l'ensemble, les relations avec la hiérarchie sont empreintes de confiance. « La discipline existe mais n'est pas trop pesante. L'image extérieure est assez différente de la réalité » avons nous entendu de la part de militaires du rang. A titre d'exemple, plusieurs régiments ont fusionné la salle de vie des militaires du rang avec celle des sous-officiers, qui, plus âgés et souvent chargés de famille, la fréquentent sans doute moins, il est vrai.

Les seules petites récriminations que nous avons entendues émanent de sous-officiers qui regrettent que l'attention portée aux conditions de vie des EVAT, dont les logements font l'objet d'une importante amélioration en vertu du plan Vivien, ne concerne que marginalement leur catégorie. De la même manière, les sergents se plaignent de l'effet de « tuilage » qui aboutit à ce que les soldes des militaires du rang les plus anciens sont supérieures aux leurs, pendant les premières années de carrière. Ces mesures, qui ne soulèvent qu'une animosité limitée sont dictées par la nécessité de proposer aux EVAT, dont l'armée de Terre a besoin en grandes quantités, des conditions de vie et de rémunération attrayantes sous peine de manquer de volontaires. Dans la mesure où la plupart des sous-officiers logent à l'extérieur des casernements et où l'effet de tuilage des soldes ne dure qu'un temps limité, ces éléments sont relativement bien acceptés lorsqu'ils sont expliqués et ne semblent pas de nature à remettre en cause la cohésion de l'armée de Terre.

Mais il est vrai que les grands espaces dont bénéficient les terriens ne sont pas comparables à la promiscuité qui peut régner à bord d'une unité navale en mer pendant plusieurs mois. Au contraire, tout en sachant conserver les distances nécessaires à l'exercice du commandement, les officiers de l'armée de Terre nous ont donné l'impression d'une plus grande proximité avec leurs hommes dans la mesure où ils effectuent ensemble les mêmes exercices, dorment sur le terrain sous les mêmes tentes, endurent les mêmes intempéries, traversent à pied, le cas échéant les mêmes forêts, se retrouvent en première ligne dans les mêmes blindés et sautent en parachute au milieu de leurs soldats lors de l'entraînement. Nous avons plusieurs fois entendu dire que les chefs de corps étaient devenus plus ouverts, qu'en cas de problème réel, il était plus facile de frapper à leur porte, même sans rendez-vous, surtout par l'entremise du président de catégorie.

Pour utiliser une métaphore, nous pourrions presque affirmer que l'eau saumâtre des marécages de Guyane où la boue froide des terrains d'entraînement de Champagne dans laquelle tous pataugent ont tendance à effacer des marques hiérarchiques par ailleurs devenues bien moins perceptibles depuis l'adoption sur les tenues de combat des nouveaux galons « basse visibilité ».

2. L'armée de l'Air se compare mieux à une grande entreprise

L'armée de l'Air est une armée très différente des autres. Née au vingtième siècle, c'est la plus jeune de toutes, et si, durant sa brève histoire, elle a pleinement participé aux conflits qui ont mis en jeu notre pays au même titre que les autres armées, elle est probablement celle sur laquelle pèse le moins le poids des traditions telles qu'on le ressent dans la Marine ou dans l'armée de Terre. Le moindre rôle joué par le poids du passé contribue sans doute à ce que les relations internes y soient plus détendues qu'ailleurs.

Armée la plus féminisée (environ 12 % de ses membres sont des femmes), elle est regroupée sur seulement une trentaine de sites, ce qui contribue sans doute également à sa cohésion. Les bases aériennes sont généralement de grande taille (2 000 à 3 000 personnes) et peuvent laisser penser à des établissements d'une grande entreprise.

L'armée de l'Air présente une particularité essentielle : à l'exception des personnels navigants, l'immense majorité de ses personnels, bien qu'ayant la qualité de militaire, n'ont pas vocation à se retrouver directement exposés au combat, contrairement à l'armée de Terre et à la Marine dont la mission de la majeure partie des membres est de combattre directement l'ennemi au péril de leur vie. Cette circonstance n'enlève évidemment rien à la valeur de ces personnels dont les conflits les plus récents ont prouvé l'extrême utilité, mais contribue certainement à expliquer, par ce caractère moins guerrier, certaines différences par rapport aux autres armées.

Mais, en conséquence, les personnels peuvent parfois ressentir un certain individualisme. L'esprit de corps est un peu moins développé entre les personnels susceptibles d'être projetés à l'extérieur, très minoritaires, et la majorité du personnel, qui ne l'est pas. Les exercices communs se sont raréfiés, peut-être aussi en raison de la disparition du bloc de l'Est et du danger immédiat, et les horaires de travail qui nous ont été avancés (8 h 15-17 h 20) rappellent plus une administration qu'une armée.

Les métiers qui y sont pratiqués sont pour la plupart, des métiers qui ont leur équivalent dans le civil : techniciens occupés à l'entretien des appareils, aiguilleurs du ciel, métiers de soutien... Même les pilotes, pourtant formés à des missions ayant une finalité militaire, exercent une profession qui, au quotidien, n'est pas si différente que cela de celle de leurs homologues civils. Seuls les personnels chargés de la sécurité des sites et des armements s'écartent de ce schéma. En ce sens, l'armée de l'Air diverge assez notablement de l'armée de Terre dans laquelle la plupart des militaires exercent des fonctions purement militaires et sans équivalent dans le civil (fantassins, artilleurs, parachutistes, équipages de blindés...). De son côté, les vastes superficies qui caractérisent généralement les bases aériennes contribuent, au contraire de la Marine où l'espace à bord des unités est compté, à faciliter les relations humaines en évitant toute promiscuité.

Par ailleurs, la quasi absence de man_uvres hors de la base, la faiblesse de la population concernée par les opérations extérieures, l'application d'horaires plus réguliers que dans les autres armées et la possibilité qu'ont la quasi totalité des personnels de vivre hors de l'enceinte militaire dans les villages environnants contribuent certainement à favoriser une certaine décontraction et un certain bien-être qui, loin de remettre en cause les aptitudes des militaires en question, favorisent la qualité des rapports humains en général et hiérarchiques en particulier.

D. LE SENSIBLE APPAUVRISSEMENT DE LA PENSÉE MILITAIRE

Comment peut-on expliquer que la pensée militaire ait connu un si faible développement au cours de ces dernières années ? La rigueur de l'article 7 du statut des militaires, conjuguée aux règles propres à la haute hiérarchie apparaissent comme un début d'explication.

1. La quasi absence d'expression des militaires

Le droit d'expression dans l'armée est rigoureusement encadré par l'article 7 du statut général des militaires. L'expression du militaire est subordonnée au devoir de réserve, à l'exigence du secret propre au domaine militaire et à l'autorisation préalable du Ministre de la Défense lorsqu'il s'agit d'évoquer, dans ce dernier cas, les questions relatives à la politique ou mettant en cause une puissance étrangère ou une organisation internationale.

Le caractère contraignant de ces exigences incite les militaires à faire preuve de prudence, voire de pusillanimité en ces domaines. Considérant trop souvent que s'exprimer représente un risque inutile, il préfèrent « l'ennui plutôt que les ennuis ». La comparaison avec l'armée américaine où les militaires s'expriment beaucoup plus librement et où les revues professionnelles proposent des tribunes libres dignes de ce nom n'est pas à l'avantage de notre pays. Cela n'empêche nullement, ensuite, les officiers américains d'exécuter rigoureusement les ordres reçus.

Cet assujettissement, qui va bien au-delà du simple devoir de discipline et qui remonte peut-être à l'époque où la doctrine nucléaire fut mise au point et où il aurait été inimaginable qu'elle fût remise en question, aboutit à ce que les chefs d'état-major ne commencent réellement à se faire entendre que lorsqu'ils ne sont qu'à quelques mois de la retraite. De nos jours encore, il semble difficile à un militaire de remettre en cause la doctrine d'emploi des forces sans conséquence sur la carrière de l'intéressé. Pour être tout à fait honnêtes, reconnaissons que, dans le civil, la promotion d'un cadre d'une multinationale qui remettrait publiquement en cause la stratégie de son entreprise serait au moins autant compromise.

C'est donc clairement par crainte des conséquences de leurs propos que si peu de militaires osent s'exprimer. A moins de considérer que les limites à la liberté d'expression se trouvent tout autant dans les textes que dans les esprits, sous la forme d'une certaine autocensure. Le résultat en est identique : le colonel de Gaulle, de nos jours, publierait-il encore « Vers l'armée de métier » ?

2. Les effets du « conditionalat »

L'attitude plus que prudente de la haute hiérarchie trouve également son origine dans un mécanisme propre aux officiers généraux, le conditionalat : lorsqu'un officier supérieur est promu, il doit signer une lettre par laquelle il s'engage à quitter l'armée dans des délais qui lui sont imposés par sa hiérarchie et qui sont habituellement de deux à trois ans. S'il donne satisfaction dans ses fonctions, il peut obtenir une nouvelle promotion, sa première lettre de démission étant alors détruite au profit d'une nouvelle. Ce mécanisme qui ne repose sur aucun fondement légal aboutit évidemment à fabriquer des officiers généraux parfaitement disciplinés, voire soumis, sur lesquels est suspendue une sorte d'épée de Damoclès sous la forme d'une lettre de démission signée par avance. Comment serait considéré, dans le secteur privé, le patron qui ferait signer à ses salariés une lettre de démission non datée, en contrepartie d'une promotion ?

Déjà, dans un précédent rapport d'information paru en juin 1994 et intitulé « La seconde carrière des militaires », Charles Cova écrivait : « (...) la pratique qui consiste à exiger une lettre de démission non datée en échange d'un passage plus rapide au grade supérieur semble s'être développée récemment sans aucune base légale. Il ne paraît ni souhaitable ni convenable de la poursuivre ».

Ce procédé, qui est une pratique déjà ancienne, rend les grades de généraux et d'amiraux presque aussi précaires que les contrats des engagés volontaires et empêche de fait la plupart des officiers généraux d'arriver à la limite d'âge de leur grade, pourtant fixée par les statuts de leur armée. Au total, la plupart des officiers généraux quittent l'armée entre 55 et 60 ans, alors que d'autres catégories de hauts fonctionnaires tels les magistrats, à titre de comparaison, peuvent voir leur carrière être prolongée dans certains cas jusqu'à 65 ans. Cette pratique pour le moins discutable et qui fut mise sur pied dans le but d'écrêter le sommet de la pyramide hiérarchique pourrait aboutir, si on n'y prend garde, à une certaine docilité de la haute hiérarchie qui perdrait ainsi une partie de sa crédibilité à l'égard de ses subordonnés.

TROISIÈME PARTIE :
LES PROPOSITIONS DE LA MISSION

Au moment de présenter des propositions pour améliorer la concertation et l'expression dans l'armée et, d'une manière générale, la condition militaire, nous ne pouvons que confirmer les réticences évidentes de l'immense majorité des acteurs pour l'introduction du syndicalisme dans l'armée. Au-delà du manque d'intérêt des centrales syndicales classiques et de la crainte de la hiérarchie et du ministère du point de vue de l'efficacité des armes, le syndicalisme est rejeté par les militaires en raison du caractère conflictuel de sa conception et de son fonctionnement dans notre pays, à la différence des syndicats ou groupements professionnels allemands et scandinaves qui ont une approche des rapports avec les pouvoirs publics plus orientée vers la négociation. Sans nous prononcer sur une éventuelle corrélation, nous constatons que le syndicalisme en France n'a jamais regroupé qu'une faible minorité de salariés, à l'inverse des pays que nous venons de citer.

La mission d'information a donc abouti à un certain nombre de propositions dont la plupart nous paraissent applicables et acceptables par l'institution en l'état actuel et qui pourraient faire l'objet d'un consensus. Le manque indéniable de représentativité que nous avons constaté nous conduit à proposer l'instauration d'un médiateur pour le personnel de la défense. La nécessaire amélioration de la concertation et de l'expression internes aux armées doit passer par une modernisation et une revalorisation des instances existantes telles que les présidents de catégorie, les conseils de la fonction militaire et le rapport sur le moral. Un troisième ensemble de mesures relatives, entre autres, à la reconversion, à des modifications du statut général des militaires de 1972 ou au rôle de la commission de la défense de l'Assemblée nationale sera également proposé.

I. - INSTAURER UN MÉDIATEUR DU PERSONNEL MILITAIRE

La nécessité de combler un manque de représentativité qui s'est révélé au cours de nos travaux nous conduit à proposer la création d'une instance de médiation qui pourrait anticiper les éventuelles tensions en en révélant les prémices. L'obligation de transparence inhérente à la mise en place d'un médiateur nous amène à proposer le choix d'une autorité administrative indépendante qui, par analogie avec le Médiateur de la République, disposerait d'un large champ de compétence.

A. LA NÉCESSITÉ DE COMBLER UN MANQUE DE REPRÉSENTATION

L'évolution de la société et la profonde mutation que connaissent les armées nous imposent de modifier les relations avec la hiérarchie et les personnels. L'idée d'instaurer un médiateur du personnel militaire a été bien accueillie en raison de l'insuffisance des voies de recours actuelles. Des expériences étrangères en la matière ont incontestablement démontré l'utilité d'une telle instance.

1. Une idée bien accueillie

Privés de droit syndical, ce dont ils ne se plaignent pas comme nous l'avons vu, les militaires doivent pourtant se sentir représentés, voire défendus face à des instructions ou à des ordres qui pourraient leur sembler injustes, arbitraires, iniques... Des instances existent déjà. Nous avons vu qu'elles n'échappaient pas à la critique et nous proposerons des modifications pour les rendre plus efficaces. Mais, avant d'examiner ces suggestions, nous souhaitons proposer la création d'une instance nouvelle dans le cadre militaire : un médiateur du personnel militaire.

Plusieurs médiateurs existent déjà en France : citons d'abord le Médiateur de la République, compétent pour les litiges entre les administrés et leurs administrations, mais pas pour les litiges opposant les fonctionnaires, civils ou militaires, et leur hiérarchie. Sans chercher à être exhaustifs, notons qu'il existe également, dans des domaines très divers, un médiateur du cinéma, un médiateur de l'éducation nationale ou encore un « défenseur » des enfants dont le statut s'apparente de très près à celui d'un médiateur. L'idée nous est donc venue de proposer que les militaires, qui ne peuvent être défendus ni par des syndicats ni par des associations professionnelles, pourraient tirer profit de l'instauration d'une telle instance de médiation.

Lorsque nous avons soumis cette idée à nos interlocuteurs militaires du rang, sous-officiers ou officiers, nous n'avons relevé aucune réaction négative. Certains d'entre eux étaient intéressés par les possibilités nouvelles d'exprimer leurs inquiétudes ou de présenter des situations personnelles qu'ils pouvaient considérer comme injustes, d'autres paraissaient plus curieux par l'aspect de forum de discussion que pourrait apporter ce médiateur, notamment par l'intermédiaire de son rapport annuel dont nous envisageons d'assortir sa charge.

2. Des voies de recours actuellement insuffisantes

Pourquoi instaurer une instance supplémentaire de recours alors que les voies actuelles sont déjà nombreuses, nous a-t-on demandé ? Un militaire qui s'estime victime d'une injustice peut, en effet, actionner déjà plusieurs leviers : il peut, pour commencer, s'adresser à ses supérieurs dans le but d'obtenir une modification de la décision incriminée : c'est le recours hiérarchique. Mais, comme en général la décision contestée émane de cette hiérarchie, il n'y a que peu de chance pour qu'elle soit remise en question. Il peut également saisir l'inspection générale de son armée. Mais un caporal ou un sergent qui bien souvent ne côtoie comme officier que son lieutenant ou son capitaine osera-t-il s'adresser à un officier général à cinq étoiles, qui dépend directement du ministre, et pourra-t-il plaider son cas en toute liberté et sérénité ?

L'inspecteur général est un supérieur hiérarchique qui risque, par nature, de se retrouver plus proche de la position de ses colonels que de ses caporaux. Dernière possibilité : le recours devant un tribunal administratif. Même si le nombre de recours soumis aux magistrats suit la tendance générale de la société et augmente régulièrement, point n'est besoin d'insister sur le caractère lourd, pour ne pas dire traumatisant d'une telle procédure dont chacun est bien persuadé qu'elle ne peut pas être favorable à l'avancement de celui qui l'entame. Par ailleurs, déposer un recours devant un tribunal est un acte d'une portée telle que beaucoup de militaires, entrés dans l'institution par passion pour leur métier, auraient du mal à l'envisager.

3. Des expériences étrangères largement positives

Plusieurs autres pays ont déjà instauré une telle instance de médiation : Allemagne, Norvège, Suède, Canada... Nos travaux, dont vous trouverez le détail en annexe, nous ont montré que cette institution répondait bien à une demande, même si les modalités pratiques de fonctionnement sont parfois très différentes d'un pays à l'autre. La médiatrice allemande reçoit une moyenne de 6 000 requêtes par an, dont plusieurs émanant d'officiers généraux (onze en 1998). S'il est encore trop tôt pour tirer des conclusions du médiateur canadien, installé depuis quelques années à peine, les exemples scandinaves s'avèrent pour leur part très instructifs, notamment sur l'intérêt que la hiérarchie militaire porte à cette institution qui permet d'éviter que des malentendus ou des situations malsaines ne se développent.

A l'aune de ces exemples, nous nous sommes interrogés sur les modalités pratiques de nomination et de fonctionnement d'une telle instance. Devait-on faire élire un parlementaire par ses pairs, comme en Allemagne ? Devrions-nous faire désigner par le Parlement, comme en Suède ou en Norvège, une personnalité non politisée ? Devrions-nous au contraire, selon une habitude plus française, faire désigner par l'exécutif un haut fonctionnaire rigoureusement sélectionné pour sa neutralité et son objectivité ? Devrait-il dépendre du Ministre de la Défense comme au Canada, du Parlement comme en Allemagne, en Norvège et en Suède ou constituer une autorité administrative indépendante ? Devons-nous suggérer de choisir un militaire ou un civil à ce poste ? Quel sera son champ exact de compétence ?

B. LE CHOIX D'UNE AUTORITÉ ADMINISTRATIVE INDÉPENDANTE

Les modes de désignation des médiateurs qui existent déjà en France sont variables. Sans aller jusqu'au modèle allemand où le médiateur est élu par le Parlement, plusieurs choix sont possibles. Notre préférence, dans un souci d'indépendance, va vers un médiateur choisi par le pouvoir exécutif, en Conseil des ministres.

1. Une autorité nommée par l'exécutif de préférence au législatif

A la lumière de nos déplacements et de nos rencontres, nous nous sommes demandé si le médiateur ne devrait pas être élu par l'Assemblée nationale, comme il l'est par les chambres élues au suffrage universel direct en Allemagne, en Norvège et en Suède. Plusieurs éléments nous ont fait rapidement écarter une telle hypothèse. En effet, le choix, au sein du pouvoir législatif, d'un médiateur intervenant dans la gestion interne du ministère de la Défense irait à l'encontre du principe de la séparation des pouvoirs. En outre, l'élection d'une personnalité politique à une fonction de médiation serait sans doute moins bien perçue que chez nos partenaires scandinaves ou d'outre-Rhin. Enfin, l'existence dans le parlement français de deux assemblées qui présentent des différences de nature beaucoup moins grandes qu'au sein du parlement allemand aurait rendu la situation plus inextricable encore : quelle légitimité aurait un médiateur élu par l'Assemblée nationale (par exemple sur proposition de sa Commission de la Défense) vis-à-vis du Sénat ? Si le pouvoir d'élire un médiateur était également reconnu au Sénat, comment organiser la coexistence de deux médiateurs ou, dans une autre configuration, comment organiser une désignation conjointe par les deux chambres ?

Quand à l'hypothèse de la nomination par l'exécutif sur proposition du législatif, elle est également apparue incompatible avec la séparation des pouvoirs.

C'est probablement le lourd passé militaire de l'Allemagne qui a permis une telle intrusion du pouvoir législatif dans le fonctionnement interne des forces armées, ainsi peut-être que le moindre rôle dans ce domaine de la deuxième chambre du Parlement, le Bundesrat. Il est à noter toutefois que le médiateur allemand a un rôle de contrôle qui va bien au-delà de la seule médiation. La Norvège et la Suède accordent également à leurs médiateurs de très larges pouvoirs de contrôle.

Compte tenu des spécificités et des traditions françaises en matière de répartition des pouvoirs exécutifs et législatifs, l'indispensable contrôle parlementaire des forces armées ne saurait dans notre pays être délégué à une instance autonome, même désignée par l'une des chambres, le contrôle démocratique de la politique militaire et de la gestion des armées devant être assuré directement par le Parlement par l'intermédiaire de ses commissions permanentes.

Il paraît donc, dans ces conditions plus raisonnable et plus conforme à nos traditions que le médiateur du personnel militaire soit nommé par le pouvoir exécutif. Se pose alors l'inévitable question du choix entre une nomination par le Président de la République ou par le Premier ministre seul (voire le Ministre de la Défense). Les deux hypothèses sont envisageables, puisqu'aux termes de la constitution, si « le Président de la République est le chef des armées » (art. 15) et « nomme aux emplois civils et militaires de l'État » (art. 13), c'est le Premier ministre qui « dispose de l'administration et de la force armée » (art. 20) qui « est responsable de la Défense nationale » et qui, sous réserve des dispositions de l'article 13, « nomme aux emplois civils et militaires » (art. 21).

2. Une nomination en Conseil des ministres conforme à nos usages

Sans entrer dans un débat approfondi de droit constitutionnel, nous avons constaté l'existence dans notre pays de plusieurs médiateurs dont l'action était appréciée. Certains, comme le Médiateur de la République ou le défenseur des enfants ont été érigés en autorités indépendantes dont le détenteur de la charge est nommé en Conseil des ministres, donc avec la signature du Président de la République, et ne reçoit d'instruction d'aucune autre autorité, dans le cadre des ses attributions. D'autres sont nommés par leurs ministres de tutelle : il s'agit par exemple du médiateur du cinéma, nommé conjointement par le ministre de l'économie, des finances et par celui de la culture, ou du médiateur de l'éducation nationale, nommé par le ministre en charge de ce secteur. Il nous semble préférable d'opter pour une nomination en Conseil des ministres qui présente l'avantage d'associer les différentes têtes de l'exécutif à la décision.

Par ailleurs, sans remettre en cause l'impartialité des instances de médiation nommées par leur ministre, il nous semble que l'attitude du médiateur, ou celle de ses interlocuteurs, aura tendance à être différente selon qu'il sera nommé par le Ministre de la Défense ou qu'il aura reçu sa charge en Conseil des ministres, de l'ensemble de l'exécutif. L'univers militaire étant tout entier bâti sur le poids de la discipline et sur le respect dû aux supérieurs hiérarchiques, il nous semble qu'un tel mode de désignation, extérieur au cadre du ministère, est le plus à même de garantir au médiateur une totale indépendance.

Dans ce même ordre d'idées, le choix d'un civil nous paraît plus approprié que celui d'un militaire en activité, même si on peut évidemment envisager que cette personne soit secondée par des personnels détachés des armées et de la Gendarmerie, dans le but de lui apporter une meilleure connaissance technique du monde de la défense. D'ailleurs, à notre connaissance, dans les pays où un tel médiateur existe déjà, c'est toujours un civil qui occupe ces fonctions.

3. Un maximum d'indépendance pour exercer librement ses attributions

Toujours dans le but de conférer la plus grande indépendance possible au détenteur de cette charge, un mandat d'une certaine durée (nous proposons six ans, comme pour le Médiateur de la République) et non renouvelable nous paraît approprié. Par ailleurs, le médiateur du personnel militaire ne pourra, pendant la durée de ses fonctions, être candidat à un mandat électif local s'il n'exerçait le même mandat antérieurement à sa nomination. De la même manière, il ne pourra, pendant son mandat, recevoir de décoration émanant d'une autorité française.

L'attribution principale du médiateur doit être de servir d'intermédiaire entre les personnels militaires du ministère de la Défense qui auraient le sentiment d'être victimes d'une injustice et qui ne seraient pas entendus par leur hiérarchie. Son rôle pourrait être d'essayer de régler un maximum de litiges sans en passer par la procédure autrement plus lourde des tribunaux. A ce titre, le médiateur aurait le pouvoir de formuler de manière non publique des avis et recommandations d'ordre individuel au Ministre de la Défense.

Enfin, comme c'est le cas pour tous les médiateurs français ou étrangers que nous connaissons, il nous semble utile de demander au médiateur du personnel militaire de présenter un rapport annuel public dans lequel il établirait le bilan de ses activités et pourrait suggérer toute modification des textes législatifs ou réglementaires visant à améliorer la condition militaire. Largement diffusé et remis aux principales autorités de l'État (Président de la République, Premier ministre, présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat), ce rapport pourrait faire l'objet d'un débat annuel en commission de la Défense en présence du Ministre de la Défense.

C. SAISINE ET CHAMP DE COMPÉTENCE DU MÉDIATEUR

Les grands principes de nomination et des attributions du médiateur du personnel militaire posés, il reste à examiner les grandes lignes de son fonctionnement et notamment de sa saisine et de son champ de compétence.

1. Une saisine limitée aux personnels militaires

Pourquoi créer un médiateur du « personnel militaire » et non pas du « personnel de la défense », notion plus vaste puisqu'elle englobe également les civils travaillant pour le compte du ministère de la Défense ? Comme nous l'avons expliqué précédemment, c'est parmi les militaires qu'un certain malaise nous est apparu. Les civils ont, en effet, un statut totalement différent avec une différence essentielle par rapport à leurs collègues militaires : ils peuvent se syndiquer ou se regrouper en associations à caractère professionnel, ce qui leur permet de s'exprimer et, le cas échéant, d'être défendus lorsqu'ils s'estiment victimes d'une situation injuste. Les fonctionnaires, d'une manière générale, sont également représentés auprès de leurs administrations au sein de commissions mixtes paritaires ou de comités mixtes pour les décisions les plus importantes relevant de l'avancement ou de la discipline. Les militaires, eux, sont placés sous un statut totalement différent et n'ont pas accès à ces possibilités. C'est donc pour pallier ce manque qu'il nous apparaît utile d'instaurer une instance de médiation propre au personnel militaire.

Par ailleurs, sur le plan du droit, si nous donnions la possibilité aux employés civils du ministère de la Défense de saisir une instance de médiation pour les litiges les opposant à leur administration, nous créerions une distorsion entre ces personnels et l'ensemble des autres fonctionnaires, employés par d'autres ministères ou d'autres administrations et qui, eux, ne bénéficieraient pas d'une telle possibilité. Par contre, on peut envisager, par un souci d'équilibre, de permettre au Ministre de la Défense et aux inspecteurs généraux des armées de saisir le médiateur.

Enfin, la question se pose de savoir si la saisine du médiateur du personnel militaire devrait être libre ou bien, comme c'est la cas pour le Médiateur de la République, soumise à un filtre. En raison de l'effectif limité de la population concernée, un filtre n'est peut-être pas indispensable : en effet, en 2002 l'armée française ne comptera plus que 357 000 militaires alors qu'une population d'environ 40 millions d'adultes est susceptible de saisir le Médiateur de la République. Dans un premier temps, l'instauration d'un filtrage ne nous semble donc pas indispensable. Si, à l'usage, le nombre des requêtes devait s'avérer trop important, sans doute faudrait-il approfondir la question.

2. La question du champ de compétence

Nous ne serions pas honnêtes si nous affirmions que tous les militaires rencontrés se sont montrés enthousiastes à l'idée de créer un médiateur des personnels militaires. C'est, d'une façon bien compréhensible, parmi la haute hiérarchie de certaines de nos armées que nous avons rencontré le plus de réticence. Si personne ne s'est opposé à l'idée sur son principe, nous avons été mis en garde sur le risque, que certains considèrent comme réel, de voir cette instance remettre en cause, d'une certaine manière, l'autorité hiérarchique.

Il s'agit là d'un principe fondamental sur lequel sont bâties les armées. L'autorité hiérarchique, fondement de la discipline, ne doit absolument pas être remise en cause sous peine de risquer de voir l'institution militaire se déliter et nous en sommes bien conscients. Des domaines dans lesquels l'armée doit absolument rester souveraine nous ont alors été présentés : la discipline et l'avancement. Certes... Puis on a attiré notre attention sur un autre point très important : les affectations. Ces trois points, nous faisait-on valoir, devaient rester en dehors du champ de compétence du médiateur. Mais à bien y réfléchir, et tout en comprenant les soucis des armées, ne risque-t-on pas, en restreignant le champ de compétence du médiateur, de vider son rôle de sa substance ? Ne risque-t-on pas de susciter chez les militaires de base un scepticisme, pour ne pas dire de la défiance ou de la prévention à l'égard d'une instance qui, à la demande de la haute hiérarchie, ne sera pas concernée par les sujets qui intéressent le plus les militaires ?

Pour ne prendre qu'un seul exemple, le célibat géographique est sans doute une des questions qui préoccupent le plus les militaires. Si nous suivons les recommandations qui nous sont faites, ce thème ne sera pas de la compétence du médiateur. Voilà un élément qui ne sera pas de nature à renforcer la confiance des soldats envers l'institution. Nous avons rencontré au cours de nos visites un sous-officier qui cherchait à se rapprocher de son épouse travaillant à 500 km de son affectation. Il prétendait avoir trouvé deux volontaires pour permuter et ne comprenait pas que la procédure soit bloquée : dans un tel cas, le médiateur aurait trouvé toute sa place, soit pour expliquer à l'intéressé les raisons du blocage, soit pour faciliter la recherche d'une solution. Et que dire des deux gendarmes maritimes mutés de Toulon vers d'autres cieux dans des circonstances contestées par les intéressés. Est-ce qu'une instance de médiation n'aurait pas pu éviter à cette affaire de prendre les proportions que nous connaissons et de se poursuivre devant les tribunaux et les médias ?

A l'exception des décisions relatives à l'emploi opérationnel des forces, qui sont des décisions relevant exclusivement du pouvoir politique et qui ne sont d'ailleurs pas susceptibles de faire l'objet d'un recours judiciaire ou administratif pour des raisons d'efficacité et de crédibilité bien compréhensibles, il ne nous semble donc pas opportun de limiter le champ de compétence d'un éventuel médiateur du personnel militaire.

Demander la restriction de son champ de compétence serait, en outre, paradoxal dans la mesure où les tribunaux administratifs, eux, sont compétents sur les questions évoquées et peuvent se prononcer, notamment pour vérifier s'il ne s'agit pas de sanctions déguisées, sur les problèmes de notation, de discipline ou de mutation. Rappelons qu'un médiateur n'a aucun pouvoir propre, si ce n'est celui d'essayer de trouver une solution amiable qui satisfasse les parties en cause et qu'il n'est pas tenu de donner suite à des demandes qui lui paraîtraient infondées voire abusives. Comment pourrait-on expliquer qu'un conciliateur, sans grand pouvoir en dehors de son sens de la persuasion, ne serait pas compétent là où un juge administratif qui a le pouvoir, reconnu par tous, d'annuler et de condamner, l'est ?

Par ailleurs, rogner les compétences d'un conciliateur n'est sans doute pas le meilleur moyen de réduire le nombre de recours déposés devant la justice administrative.

II. - PRIVILÉGIER LA CONCERTATION

La création d'une instance de médiation hors hiérarchie ne doit pas exonérer l'armée de développer des efforts pour améliorer la concertation interne en privilégiant trois axes : la revalorisation du rôle des présidents de catégorie, la modernisation des conseils de la fonction militaire et la nécessité de rendre son crédit au rapport sur le moral.

A REVALORISER LE RÔLE DES PRÉSIDENTS DE CATÉGORIE

La fonction des présidents de catégorie nous est rapidement apparue comme primordiale au sein des unités. Personne de confiance, d'expérience, parfois porte-parole des préoccupations de ses collègues, le président de catégorie est un des principaux interlocuteurs du chef de corps ou du commandant d'unité. Il constitue un relais très utile à la remontée de l'information vis-à-vis de la hiérarchie et peut s'avérer un élément indispensable au chef de corps avec lequel il est primordial qu'il entretienne de bonnes relations, ce qui est d'ailleurs le plus souvent le cas. Nous suggérons donc plusieurs mesures pour revaloriser son rôle de manière à ce que le personnel se sente parfaitement représenté par ses présidents, tout en sachant qu'il sera difficile de mettre en _uvre l'ensemble de nos propositions de manière strictement identique dans toutes les armées, en raison des spécificités et des contraintes de chacune d'elles.

1. Généraliser l'élection des présidents

La désignation des représentants catégoriels doit répondre à une double exigence : elle doit, autant que possible, recueillir l'assentiment général des personnels, sans quoi les présidents perdent évidemment toute crédibilité, mais elle doit également demeurer dans une certaine mesure sous le contrôle du chef de corps, sous peine de voir l'autorité de ce dernier remise en cause et les présidents se transformer en délégués du personnel ou en représentants syndicaux, ce qui n'est évidemment le souhait de personne. Cette double exigence nous conduit à proposer le dispositif suivant :

Dans le but de renforcer la légitimité des présidents de catégorie, nous suggérons de généraliser la procédure mise en place dans la Gendarmerie et qui semble donner satisfaction : l'élection par leurs pairs des présidents de catégorie. Jusqu'à preuve du contraire, l'élection demeure le système de choix le plus démocratique. Toutefois, pour laisser une marge de man_uvre aux chefs de corps et éviter que soient élus des candidats dont le profil pourrait ne pas correspondre à l'emploi, ou qui pourraient ne pas développer des relations de confiance avec le commandant de l'unité, il nous semble indispensable de laisser une possibilité de récusation à ce dernier.

Toutefois, il nous semble que la récusation d'un candidat fraîchement élu risquerait de paraître pour le moins peu démocratique et d'aboutir à l'effet inverse de celui recherché. Nous proposons donc que la possibilité de récusation offerte au chef de corps s'exerce en amont, au moment du dépôt des candidatures. Le chef de corps serait par ailleurs tenu de motiver sa décision, ce qui aurait pour effet de réduire, aux yeux de ses subordonnés, les risques de décisions considérées comme arbitraires.

Nous avons conscience qu'un tel dispositif peut conduire à un plus grand formalisme dans la désignation des présidents de catégorie, mais cela nous semble un gage d'efficacité et de cohésion, tout en évitant que soit remise en question l'autorité de la hiérarchie. Par ailleurs, bien que cela ne soit pas officiellement prévu par les textes qui régissent la désignation des présidents en dehors de la Gendarmerie, il semble bien que des élections soient déjà organisées, de manière tout à fait officieuse, dans certaines unités. Dans ces conditions, pourquoi ne pas généraliser, avec les précautions que nous proposons, ce mode de désignation à l'ensemble des armées ?

Il va de soi que les candidatures ne pourraient qu'être individuelles, toute campagne électorale basée sur de la propagande politique, philosophique ou religieuse étant rigoureusement proscrite à l'occasion de ces scrutins.

Enfin, dans le but d'éviter que les présidents ne « s'installent » trop longuement dans leurs fonctions électives au détriment de leurs activités militaires, nous proposons que la durée du mandat ne soit pas trop longue et n'excède pas une période de deux ans, renouvelable une seule fois.

2. Accorder davantage de temps et de moyens aux présidents

La fonction de président de catégorie peut s'avérer extrêmement prenante, en particulier dans les unités d'une certaine importance. Dans le but de faciliter la tâche des personnels exerçant ces fonctions, nous suggérons de leur accorder plus généreusement des décharges de service leur permettant de dégager le temps nécessaire à l'exercice de la fonction de président. Nous nous sommes interrogés sur l'opportunité d'accorder ou non des décharges totales de service aux présidents de catégorie. Il nous est apparu que, sur ce point, les situations sont tellement différenciées d'une armée à l'autre, d'une unité à l'autre et aussi d'une catégorie à l'autre qu'il serait prudent de nous garder de toute généralisation et de laisser le ministre et les états-majors s'organiser en fonction des circonstances.

Une dispense totale de service peut sembler injustifiée dans une petite unité. Elle peut également paraître inadaptée pour le président d'une catégorie comme celle des officiers dont les membres sont sans doute plus libres de rencontrer le chef de corps ou de résoudre par eux-mêmes leurs problèmes. Par contre, sur une base aérienne de 3 000 personnes, le président des sous-officiers verra peut-être un intérêt à être entièrement libéré de ses occupations de service. De même, dans l'armée de Terre, la hausse du taux d'encadrement a fait augmenter le nombre de sous-officiers d'environ 150 à 300 par régiment et, pour les militaires du rang, les effectifs sont plus importants encore. Dans de tels cas, une dispense totale de service peut se justifier. Un risque apparaît toutefois : que l'absence d'activité de service ne coupe le président de la réalité de la vie quotidienne. Ce danger devrait être conjuré par la limitation de la durée du mandat évoquée plus haut.

L'armée de Terre tente, dans la mesure du possible, de confier aux présidents de sous-officiers un emploi compatible avec leurs fonctions de président, en les affectant, dans les régiments par exemple, au bureau chargé de la reconversion, ou de l'aide aux familles. L'utilisation de tels postes, à dominante sociale, nous paraît judicieuse et doit être encouragée.

Quoi qu'il en soit, l'attribution de décharges de service, en proportion variable, doit être examinée à la lumière des difficultés qu'éprouvent certains chefs de corps à trouver des volontaires pour exercer les fonctions de présidents de catégorie. Devant l'impossibilité d'accorder des compensations pécuniaires ou en matière d'avancement, ce qui reviendrait à rompre l'égalité des militaires, il nous apparaît indispensable d'accorder aux titulaires de ces postes les moyens, en temps et en facilités matérielles d'exercer leur mission.

Sur le plan matériel, il nous semble en effet primordial d'accorder aux présidents des moyens qui leur permettent d'assurer leur mission. Outre un bureau, un téléphone et l'accès à un ordinateur, il paraît utile que les présidents qui exercent leur mandat dans des unités géographiquement éparpillées puissent bénéficier de facilités de déplacement pour se rendre auprès de leurs collègues. Sans qu'on puisse évidemment demander qu'un véhicule de fonction soit mis à leur disposition, un minimum de facilité doit leur être accordé pour se déplacer au sein de leur unité. C'est d'ailleurs déjà le cas dans un certain nombre de régiments de l'armée de Terre.

Notons que, dans l'armée américaine, les présidents de catégorie, qui sont organisés de manière à être représentés à différents niveaux de la hiérarchie et qui jouent un rôle très important, disposent d'un site Internet officiel et de toute une équipe de travail structurée.

Dans les plus grandes unités, lorsque le nombre le justifie, il est devenu fréquent de « démultiplier » les présidents de sous-officiers en leur adjoignant des vice-présidents ou des présidents délégués au sein des unités élémentaires. Comme les présidents de sous-officiers sont traditionnellement des sous-officiers supérieurs et les président des EVAT des caporaux-chefs, l'armée de Terre veille à ce que les vice-présidents soient des sous-officiers subalternes ou des caporaux, de manière à ce qu'un maximum de catégories soient représentées. Dans l'armée de l'Air, cette pratique est généralisée en raison de la dimension des bases. Cette pratique doit être encouragée en veillant à diversifier la provenance et le profil de ces délégués ou vice-présidents. Par exemple, lorsque les présidents catégoriels sont essentiellement (pour ne pas dire exclusivement) des hommes, il est souhaitable que des personnels féminins soient désignés comme délégués ou vice-présidents.

3. Former et réunir les présidents

La formation des présidents de catégorie est également une donnée essentielle. Les présidents doivent être tenus informés de l'évolution de la réglementation car ils représentent un vecteur de transmission évident. Ils doivent également recevoir une formation sur leur rôle, leurs fonctions et leurs prérogatives. Etant appelés pour certains à s'exprimer en public lors de réunions et éventuellement lors de CFM ou de CSFM, une préparation à la conduite de réunions et à la prise de parole en public peut également s'avérer souhaitable.

L'armée de Terre a pris conscience de cet enjeu depuis déjà plusieurs années et organise un stage d'information d'une semaine au profit des présidents de sous-officiers. Un mémento est alors remis aux intéressés. Les présidents des militaires du rang engagés volontaires bénéficient pour leur part d'un stage de deux jours depuis deux ans. Depuis cette année, les présidents d'officiers subalternes ont aussi bénéficié d'une journée d'information.

La Gendarmerie organise également des stages de formation de trois jours pour ses présidents de sous-officiers, mais compte tenu du nombre élevé de présidents (près de 2 200) dans cette arme, il n'a pas été jugé possible de les réunir dans le cadre de rencontres annuelles.

La Marine et l'armée de l'Air, en revanche, sont en retrait. La Marine n'organise aucun stage de formation initiale, se contentant de modules de formation qui présentent le rôle des présidents de catégorie, dans le cadre de la formation interne. L'armée de l'Air n'organise pas, non plus, de stage de formation, se contentant d'associer les présidents aux réunions annuelles du chef d'état-major et à la journée d'information animée par le sous-officier adjoint « moral » auprès du chef d'état-major.

Au-delà de la formation des présidents qui nous semble indispensable, un système de réunions annuelles nous paraît particulièrement utile sur le plan de l'information. En effet, tous les présidents de sous-officiers de l'armée de Terre que nous avons rencontrés et qui se retrouvent régulièrement lors du stage annuel organisé à Saint-Maixent ont attiré notre attention sur l'intérêt de ces réunions qui regroupent des militaires d'armes, de spécialités et d'horizons géographiques différents, qui peuvent confronter leurs expériences et échanger ainsi de précieuses informations.

Enfin, la définition de fiches de tâches et de compétences, homogènes pour l'ensemble des présidents, nous paraît aussi indispensable. Le rôle du président des sous-officiers doit-il aller, comme nous l'a suggéré un président particulièrement consciencieux, jusqu'à prospecter, parmi les militaires du rang, ceux qui feraient de bons sous-officiers dans le but de les motiver et de les inciter à suivre les préparations et à présenter les examens adéquats ? La question mérite d'être posée.

4. Etendre la notion de président à toutes les catégories

Le point commun de toutes les armées est le président des sous-officiers que l'on retrouve dans pratiquement chaque unité, mais nous avons vu que la situation était très variable pour les militaires du rang et les officiers. Nous considérons que cette situation doit être unifiée et que les militaires du rang, lorsqu'il y en a, doivent être représentés, au même titre que les sous-officiers, par un président. C'est ce qu'a fait l'armée de Terre et c'est ce qu'est en train de mettre en place l'armée de l'Air : il faut encourager ce mouvement dans toutes les armées, en particulier dans la mesure où le militaire du rang, placé tout en bas de la chaîne hiérarchique, a sans doute besoin plus que tout autre d'un intermédiaire entre lui et le sommet de la hiérarchie. Par ailleurs, c'est dans cette catégorie de personnel que vont se porter les plus gros efforts de recrutement et il n'est donc ni justifié ni souhaitable qu'elle soit moins bien traitée que les autres.

A l'autre bout de l'échelle se pose une question similaire : quel sort réserver aux présidents des officiers ? Certains officiers subalternes de l'armée de Terre que nous avons rencontrés nous ont fait comprendre que la suppression du président de leur catégorie ne les choquerait pas, au motif que les officiers ont plus de facilités pour faire part de leurs soucis et de leurs problèmes à leur supérieurs. A l'inverse, d'autres considèrent que les officiers supérieurs doivent également être représentés par un président, comme dans l'armée de l'Air. Nous sommes plus proches de ce second avis notamment dans la mesure où il n'y a pas de raison particulière pour que les règles qui s'appliquent aux militaires du rang et sous-officiers ne s'appliquent pas également aux officiers, surtout si elles peuvent présenter un certain avantage. Dans certaines fonctions comme celles exercées en état-major, on rencontre parfois des proportions considérables d'officiers et il est illusoire de croire que tous ont un accès direct et immédiat à leurs officiers généraux. Après être passé du président des lieutenants à celui des officiers subalternes, il n'est pas absurde d'en arriver à un président des officiers.

Nous proposons donc d'instaurer, lorsque ce n'est pas déjà fait, un président pour les militaires du rang dans les armées où il y en a, un autre pour les sous-officiers et un troisième pour l'ensemble des officiers subalternes et supérieurs. Ainsi, à l'exception bien compréhensible des officiers généraux, l'ensemble des militaires seraient représentés par un président, en un groupe s'apparentant à la fois à une association et à un club.

B. REVALORISER LES CONSEILS DE LA FONCTION MILITAIRE (CFM)

Les conseils de la fonction militaire, ainsi que leur émanation, le Conseil supérieur de la fonction militaire, sont, à une autre échelle, un élément essentiel de la concertation au sein de l'armée française. Afin de rendre de l'intérêt à ces conseils et de les revaloriser à l'égard des militaires, nous proposons un certain nombre de mesures relatives, notamment, à la désignation de ses membres.

1. Laisser le sort choisir les membres des CFM parmi des élus

Le tirage au sort, même parmi des personnels censés être volontaires, n'étant ni un principe très démocratique, ni un système très efficace, nous proposons d'instiller « une dose d'élection » dans la détermination du choix des militaires siégeant dans les CFM. Comme, par ailleurs, il paraît difficile d'organiser des scrutins au niveau de chaque armée pour désigner ces représentants (bien que la Gendarmerie y semble prête), il nous semble que leur mode de désignation pourrait combiner le tirage au sort et l'élection, en laissant le hasard choisir parmi les présidents de catégorie, dont on a vu que nous souhaitions généraliser leur désignation par élection.

Nous sommes bien conscients qu'un tel mode de désignation risque de privilégier des militaires ayant une certaine ancienneté. Chez les sous-officiers, par exemple, les présidents sont presque toujours des sous-officiers supérieurs, majors ou adjudants-chefs. Pour éviter une frustration des plus jeunes, nous suggérons donc que le tirage au sort ait lieu parmi les présidents et les vice-présidents, puisqu'on a vu que ces derniers étaient issus de catégories subalternes : sous-officiers subalternes ou caporaux, par exemple. Ainsi, un maximum de grades pourraient être représentés dans les instances de représentation de la fonction militaire.

Un tel système présenterait l'avantage de n'envoyer dans les CFM que des représentants déjà élus par leurs pairs à l'échelle de l'unité et reconnus par leurs commandants. Ces personnels, de par leurs fonctions de présidents ou vice-présidents de catégorie auraient l'avantage de connaître particulièrement bien les questions quotidiennes relatives à la condition militaire. Le tirage au sort ne risquerait donc pas d'envoyer siéger dans un Conseil de la fonction militaire une personne n'ayant qu'une connaissance limitée du milieu militaire et s'étant portée volontaire parce que son commandant souhaitait que son unité ait plus de chance d'être représentée, comme cela nous a été rapporté. En effet, dans un tel système, toutes les unités auraient des chances similaires, en proportion du nombre de présidents qu'elles comptent en leur sein, et nous réduirions les risques que certaines soient plus ou moins représentées que d'autres.

Nous proposons également d'interdire tout mandat impératif, afin de ne pas nuire à la qualité des débats.

2. Elire les représentants au Conseil supérieur parmi les membres des Conseils

Le Conseil supérieur de la fonction militaire est la plus haute instance de représentation de l'institution militaire. Il nous semble donc nécessaire que les représentants des personnels disposent d'une légitimité supérieure à celle conférée par un tirage au sort, si on veut rendre un peu de crédibilité à cet organe. Nous suggérons donc d'organiser, au sein des CFM, un scrutin par lequel les représentants des personnels choisiraient leurs représentants au CSFM. Au total, les personnes siégeant dans ce conseil supérieur seraient donc doublement élues : au sein de leur unité comme président de catégorie, puis au sein du CFM de leur armée comme représentant au CSFM. Ils recevraient en outre l'agrément de leur hiérarchie militaire dans le cadre de leur candidature au poste de président catégoriel et seraient également désignés par le sort pour siéger au CFM de leur armée. Au total, même si ce mode de désignation peut paraître complexe, il nous semble présenter l'avantage de réduire la part du hasard, dont la qualité première n'est pas le discernement, et d'assurer que le plus grand nombre possible de militaires siégeant au CSFM soient au fait des questions d'actualité et aient un point de vue à défendre.

Il va de soi que comme pour l'élection des présidents de catégorie, les candidatures ne pourraient qu'être individuelles, toute propagande politique, philosophique ou religieuse étant également proscrite à l'occasion de ces scrutins.

3. Améliorer la formation des représentants et la préparation des Conseils

Comme pour les présidents de catégorie, il nous semble nécessaire de fournir une préparation solide aux personnels désignés pour siéger dans les CFM et le CSFM.

Pour le moment, la seule préparation que reçoivent, depuis peu, les participants à ces conseils consiste en trois journées au cours desquelles on « forme » les intéressés à la prise de parole en public, à la tenue de réunions ainsi qu'au droit. Vaste programme. Il pourrait également être utile d'accorder des décharges de service partielles (quelques demi-journées par mois) aux membres de ces instances afin qu'ils puissent mieux préparer leurs réunions en s'informant et en communiquant avec leurs collègues. Si on pousse la comparaison avec le secteur civil, on constate que les délégués du personnel ou les délégués syndicaux disposent de telles facilités. Par ailleurs, une information générale des commissions participatives locales, au niveau des unités, puis une réunion d'une journée au niveau régional des représentants siégeant au CSFM constituent un début de régionalisation qui reste à nos yeux insuffisant. L'effort doit donc être poursuivi dans ce domaine.

Par ailleurs, il nous paraît souhaitable que les représentants des personnels militaires puissent donner leur avis et émettre des propositions sur l'ordre du jour de ces conseils, aujourd'hui prérogative exclusive du ministre.

En effet, le CSFM doit devenir un véritable lieu d'échange, de concertation et de débat, davantage partagé entre les militaires et la hiérarchie et ne doit plus apparaître seulement comme un instrument placé uniquement entre les mains du ministre comme les militaires en ont aujourd'hui l'impression. Le fait que le ministre ne réponde directement, faute de temps, qu'à cinq ou six questions sur la vingtaine ou la trentaine qui sont préparées par les intervenants ne peut qu'accroître la frustration qui y est actuellement ressentie.

Ainsi réformée, cette structure pourrait alors plus efficacement participer à la liberté d'expression des militaires et perdre son image de lieu de confrontation, aimable certes, entre les militaires et leur hiérarchie, malheureusement trop souvent considérée comme rigide et donnant d'une certaine manière l'impression d'être soumise à une forme de tutelle du ministère de l'économie et des finances.

C. RENDRE SON CRÉDIT AU RAPPORT SUR LE MORAL

Considéré comme édulcoré par les militaires qui participent à son élaboration en raison des nombreuses synthèses hiérarchiques dont il est l'objet, le rapport sur le moral est pourtant un indicateur particulièrement utile dans la mesure où il émane de toutes les unités de l'armée française et fournit un panorama d'ensemble de son état d'esprit. Donner la possibilité aux présidents de catégorie de joindre une lettre à ce rapport et communiquer la réponse de la hiérarchie devrait permettre de lui rendre une partie de son crédit.

1. Joindre systématiquement la lettre du président

Nous avons constaté que le rapport sur le moral était particulièrement déconsidéré dans la plupart des unités militaires, en raison de la tendance naturelle qu'éprouve la hiérarchie à minimiser les difficultés et à polir les rugosités du métier. Seule la Marine échappe en grande partie à cette critique en raison de la possibilité qui est donnée au président des officiers mariniers de joindre au rapport de son commandant une lettre qui accompagne le rapport sur le moral jusque sur le bureau du chef d'état-major.

Nous proposons donc aux autres armées d'étendre cette pratique à l'ensemble des rapports sur le moral des armées : il s'agit d'offrir aux présidents de catégorie la possibilité de joindre au rapport sur le moral qui les concerne une lettre dans laquelle ils pourraient insister sur certaines questions qui pourraient n'être pas assez développées, voire occultées par un rapport édulcoré. Les sous-officiers des armées autres que la Marine que nous avons interrogés sur ce point se sont montrés très favorables à l'introduction d'une telle pratique.

Afin de ne pas porter atteinte à l'autorité hiérarchique la possibilité serait évidemment donnée, comme dans la Marine, au commandant d'unité d'apporter une réponse jointe par écrit au courrier du ou des présidents concernés. La réponse du commandant serait à la fois communiquée au président concerné et annexée au rapport sur le moral afin que l'état-major soit parfaitement éclairé.

2. Communiquer la réponse de l'état-major

Une des récriminations les plus fréquemment entendues au sujet du rapport sur le moral est qu'une fois le document expédié, les militaires qui ont participé à son élaboration ne sont tenus informés ni des éventuelles retombées de celui-ci, ni de l'éventuelle réponse de l'état-major. Nous avons heureusement rencontré des commandants d'unités qui réunissaient régulièrement leurs subordonnés pour leur communiquer la substance des réponses envoyées par leur haute hiérarchie.

Mais cette pratique nous a semblé encore trop peu répandue et, comme nous ne considérons pas que la divulgation, qui peut être partielle, des grandes lignes de la réponse de l'état-major soit contraire à la nécessaire discrétion qui est la règle au sein des armées, nous encourageons de telles initiatives, considérant que rien n'est pire, à l'heure actuelle, que ce sentiment d'inutilité qui entoure le rapport sur le moral.

III. - AMÉLIORER D'UNE MANIÈRE GÉNÉRALE LA CONDITION MILITAIRE

L'amélioration plus générale de la condition militaire passe par une série de mesures concrètes et d'une envergure certes moins grande que celles envisagées précédemment qui ne doivent pas être négligées en raison de l'importance qu'elles peuvent prendre dans la vie quotidienne des militaires. Elles concernent à la fois la reconversion, le statut des militaires et divers autres points dont le rôle de la Commission de la Défense de notre assemblée.

A FAVORISER LA RECONVERSION

La réussite de la reconversion est une des clés, peut-être la principale, de la réforme de nos armées. Nous sommes persuadés, comme beaucoup de militaires, que nos armées ne recruteront des professionnels de manière satisfaisante que si les soldats qui sont rendus à la vie civile arrivent à se reclasser aisément. Il nous est apparu, au cours de notre enquête, qu'un gros effort était consenti, notamment dans l'armée de Terre, dans ce domaine. Nous nous permettons néanmoins de proposer quelques mesures qui nous paraissent de bon sens pour _uvrer dans ce sens.

1. Aménager la contribution aux stages de reconversion

Le ministère de la Défense a récemment décidé que les personnels quittant l'armée et désireux de bénéficier de stages de reconversion devraient apporter une participation financière, pour des montants s'élevant en général à plusieurs milliers de francs. Cette mesure, peu ou mal expliquée, a sans doute été prise pour impliquer davantage les acteurs dans le but de lutter contre les abus, certains militaires demandant des stages apparemment sans rapport avec leur profil professionnel ou abandonnant leur stage par manque d'intérêt.

Toutefois, cette mesure aboutit au résultat de pénaliser l'ensemble des militaires en cours de reconversion alors que l'immense majorité d'entre eux se reconvertissent avec sérieux, faisant remarquer que dans le civil, beaucoup de ces stages sont pris en charge intégralement par les entreprises privées ou des organismes de formation.

Nous demandons donc aux autorités d'adopter une autre attitude en revenant au principe de la gratuité des stages de reconversion, tout en prévoyant une participation financière large, mais a posteriori, pour les personnes n'ayant pas suivi avec sérieux leur formation. Un dispositif doit également être mis en place en ce qui concerne les stages qui semblent sans rapport avec le profil de carrière des intéressés, car l'armée n'a évidemment pas pour vocation de procurer des formations gratuites qui pourraient dans un premier temps ressembler à une activité de loisir, telles que l'_nologie ou l'horticulture. Pourtant, on peut difficilement envisager de voir l'institution militaire s'ériger en juge et décider que telle reconversion conviendra ou non à tel ou tel de ses soldats.

Nous suggérons donc, lorsqu'un stage ne paraît pas, au premier abord, en liaison avec le profil professionnel d'un candidat, de rester sur le principe d'une gratuité a priori mais assortie d'une large participation postérieure si le bénéficiaire dudit stage n'apporte pas la preuve qu'il s'est reconverti dans le secteur lié au stage qu'il a choisi.

Les professionnels qui s'engagent dans l'armée aujourd'hui savent, à peu d'exceptions près, qu'ils ont toutes les chances de quitter l'institution militaire au bout de quelques années sans y mener une carrière complète. Une seconde carrière professionnelle avec une reconversion à préparer les attend immanquablement à l'issue de leur engagement. Le maximum doit donc être fait pour préparer dans les meilleures conditions possibles le retour à la vie civile des serviteurs militaires de la Nation.

2. Prévenir les intéressés le plus tôt possible

Le non renouvellement, par l'institution militaire, du contrat d'engagement est une épée de Damoclès suspendue au-dessus des personnels militaires. L'armée s'est engagée à prévenir ces derniers le plus tôt possible, au moins six mois à l'avance. Dans les faits, ce délai est largement respecté, mais est considéré par certains comme trop bref, tant il est vrai qu'une reconversion professionnelle demande parfois beaucoup de temps. Nous demandons donc que, dans la mesure du possible, ce délai soit porté à un an minimum, dans le souci de laisser aux personnes en cause suffisamment de temps pour se reconvertir. Toute prolongation supplémentaire de ce délai sera bienvenue, certains engagés volontaires de l'armée de Terre préparant leur reconversion deux ans avant leur départ.

En effet, le développement des projections intérieures ou des opérations extérieures contribue à rendre difficile la mise en place de stages de reconversion. Les personnels en poste outre-mer ou à l'étranger, ainsi que les marins embarqués, peuvent également éprouver des difficultés à gérer depuis leur affectation lointaine ou depuis la mer le calendrier et la préparation de leur reconversion, même s'il est en principe possible, pour les marins, d'être affecté à terre dans un tel cas.

3. Systématiser la parution d'annuaires

S'il existe bien des listes d'anciens élèves issus des écoles militaires, il semblerait que l'édition d'annuaires d'anciens militaires exerçant une activité dans le civil, quelle que soit leur origine, par grades et par armées ne soit pas encore systématique. Or, de tels documents, qui ne pourraient évidemment que reposer sur le volontariat, pourraient aider efficacement les personnels quittant l'uniforme en leur fournissant, à travers des réseaux d'entraide, des contacts dans le monde de l'entreprise et du secteur privé. Il conviendrait donc de favoriser la parution de tels annuaires, qui devraient concerner tous les grades, depuis les militaires du rang jusqu'aux officiers, quand ils n'existent pas encore.

B. ACTUALISER LE STATUT DES MILITAIRES

La loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut des militaires a été adopté à une époque où les circonstances (guerre froide, menace du pacte de Varsovie, armée de conscription) étaient radicalement différentes de celles que nous connaissons aujourd'hui. Après vingt-huit ans d'application, nous estimons que certains points, concernant en particulier la liberté d'expression, de mariage ainsi que le régime des punitions doivent être libéralisés. L'interdiction pour un militaire d'active d'être membre d'un jury de cour d'assises qui relève, elle, du code de procédure pénale, nous apparaît également désuète. L'article 10 du statut, qui restreint les droits des militaires dans le domaine associatif fera l'objet d'un traitement séparé.

1. Encourager la libre expression des militaires

L'expression individuelle des militaires est encadrée strictement par l'article 7 de la loi de 1972 portant statut général des militaires. La liberté d'expression y est subordonnée au devoir de réserve et à l'autorisation préalable du Ministre de la Défense lorsque il s'agit d'évoquer « publiquement des questions politiques ou mettant en cause une puissance étrangère ou une organisation internationale ».

Ces exigences peuvent sembler aujourd'hui inutilement contraignantes et l'expression des militaires doit faire l'objet d'un réel assouplissement non seulement dans les textes mais aussi et surtout dans les esprits. Cette évolution doit participer à l'enrichissement des réflexions et des idées nouvelles en matière militaire et doit s'accompagner d'une plus large information sur les possibilités offertes aux militaires. Il s'agit de modifier les réflexes et de convaincre nos soldats de la nécessité de s'exprimer.

Par ailleurs, l'arrivée de personnels civils de plus en plus nombreux au sein des unités pose le problème de l'application de statuts très différents à des personnels exerçant des fonctions similaires. Il paraît de moins en moins compréhensible d'imposer à un militaire travaillant dans le même service administratif qu'un agent civil d'un régiment de l'armée de Terre, par exemple, des contraintes plus strictes alors que ces deux personnes peuvent avoir des activités professionnelles et des responsabilités très voisines.

Il nous appartient de donner un signal fort à l'intention des militaires en soulignant, comme l'indiquait Michel Debré en 1973, que la notion de devoir de réserve doit avant tout chercher à responsabiliser les auteurs ou les intervenants.

En accord avec la Convention européenne des droits de l'homme qui considère la liberté d'expression comme universelle, même si ce texte envisage d'éventuelles restrictions, nous considérons que les autorités politiques et militaires doivent faire confiance au loyalisme et au sens des responsabilités de ces serviteurs de l'État disposés à sacrifier leur vie pour la défense de la France. Nous proposons donc un assouplissement des règles relatives au droit d'expression des militaires, passant par l'abrogation des dispositions de l'article 7 du statut des militaires, qui ne permettent une prise de position publique sur des questions essentielles pour la défense qu'après l'autorisation préalable du Ministre de la Défense, à l'exception bien entendu des sujets couverts par le secret, afin d'aligner le régime des personnels militaires sur celui du droit commun des agents de l'État.

2. Repenser le régime des punitions

Le chapitre IV du statut général des militaires ainsi que le règlement de discipline générale dans les armées prévoient encore des punitions privatives de liberté, c'est-à-dire des jours d'arrêt. On peut se demander quelle est la légitimité d'une telle sanction exorbitante du droit commun à une époque où, dans le civil, même les placements en détention provisoire font l'objet d'une procédure contradictoire avec la possibilité d'interjeter appel. Cette mesure qui se justifiait à une époque où l'armée employait des centaines de milliers d'appelés contraints et parfois récalcitrants a-t-elle encore sa place dans une institution bientôt composée uniquement d'engagés volontaires ?

En outre, s'agissant d'engagés, les chefs hésitent de plus en plus à les sanctionner sévèrement car ce genre de sanction est inscrit au dossier des intéressés, ce qui les pénalise lourdement dans leur carrière. Dans l'armée de Terre, un militaire du rang puni de cinq jours d'arrêt perd tout espoir de devenir sous-officier. En conséquence, les supérieurs n'osent plus punir, se contentant de réprimander. Ne pourrait-on pas imaginer l'instauration de « pénalisations professionnelles » non inscrites au dossier et qui, n'ayant pas d'incidence sur l'avancement, pourraient être utilisées avec moins d'hésitation par la hiérarchie ? Dans l'armée de Terre, l'ALAT a déjà instauré un système de suppression de points et l'état-major de l'armée de Terre envisage de promouvoir ce système qui fonctionne assez bien.

3. Moderniser le régime d'autorisation au mariage

L'article 14 du statut général des militaires contient des dispositions qui nous paraissent archaïques, pour ne pas dire vexatoires. Cet article, déjà modifié en 1975, prévoit l'obligation, pour tout militaire d'obtenir l'autorisation préalable du Ministre de la Défense lorsqu'il souhaite contracter mariage avec un conjoint de nationalité étrangère. Cette autorisation préalable est obligatoire quelle que soit la nationalité du conjoint lorsque le militaire en question sert à titre étranger.

Nous comprenons tout à fait l'utilité pour la hiérarchie militaire de connaître la nationalité des conjoints étrangers de militaires en activité. En effet, lorsqu'il s'agit d'envoyer des soldats français assurer le maintien de la paix, lors d'une opération extérieure, dans des territoires où plusieurs communautés cohabitent en se vouant une haine ancestrale, il peut être utile de connaître lesquels, parmi nos militaires, ont un conjoint appartenant à l'une ou l'autre des communautés en question, de manière à prévenir, le cas échéant, le moindre risque de partialité de la part de nos troupes.

Mais il existe une marge importante entre connaître et autoriser. En effet, le mariage est un acte qui concerne chaque individu au plus profond de son intimité et demander l'autorisation d'accomplir un tel acte éminemment personnel peut être ressenti comme une vexation, en tous cas comme une procédure administrative injustifiée pour beaucoup de militaires. Nous avons déjà tendance à considérer que l'armée « materne » parfois un peu trop ses militaires, ce qui n'est pas sans conséquence lorsque ceux-ci retrouvent la vie civile. Une telle mesure ne risque pas d'aller dans le sens d'une plus grande responsabilité de nos soldats. Par ailleurs, l'autorisation préalable est requise pour le mariage alors qu'elle ne l'est ni dans le cadre du concubinage ni, et pour cause, dans le cadre du pacte civil de solidarité, ce qui risque de conduire certains intéressés à préférer l'une de ces deux solutions, moins contraignantes de ce point de vue, au mariage.

On peut par ailleurs se demander ce qui se passerait si le Ministre de la Défense décidait d'opposer son veto au mariage d'un militaire. Comment serait ressentie une telle intrusion de l'employeur dans la vie privée d'un individu ? Comment réagirait le Conseil d'Etat ou la Cour européenne des droits de l'Homme saisis d'une telle affaire ? Quelle serait la réaction de l'opinion publique si le patron d'une entreprise privée interdisait à l'un de ses employés d'épouser un conjoint étranger ? Les services du ministère de la Défense, interrogés à ce sujet, n'ont pas pu nous fournir la date du dernier refus de mariage opposé par un Ministre de la Défense à un militaire en exercice, confirmant ainsi le caractère désuet de cette disposition.

Par conséquent, nous proposons de la moderniser en remplaçant l'obligation d'autorisation préalable du ministre par une simple déclaration à ce dernier en cas de mariage ou d'adhésion à un pacte civil de solidarité, entre un militaire français et son conjoint étranger. Il en irait de même pour les militaires servant à titre étranger.

4. Permettre aux militaires d'être jurés

Une autre modification relative à la fonction de militaire nous semble utile si on souhaite rapprocher l'armée de la Nation. Cette disposition ne figure pas dans le statut général des militaires mais dans le code de procédure pénale : elle concerne l'interdiction faite aux militaires en activité d'être membre d'un jury de cour d'assises, au même titre que les fonctionnaire des services de police ou de l'administration pénitentiaire (article 257). Si l'on peut comprendre que les deux dernières catégories de personnels soient considérées de manière particulière, sans doute parce que les membres des professions concernées ont pu être amenés à être en contact avec les prévenus dans le cadre de l'enquête ou de la détention préventive, il est plus difficile de justifier l'interdiction faite aux militaires. Par parallélisme avec la police, on peut admettre que les gendarmes officiers de police judiciaire soient exclus des jurys de cour d'assise. Mais comment justifier qu'un fantassin, un artilleur, un radariste embarqué, un aiguilleur du ciel ou un pilote aient des fonctions incompatibles avec celles de jurés, sans sous-entendre qu'il s'agit de citoyens pas tout à fait comme les autres ?

Notre souci de rapprocher les militaires du droit commun pour resserrer les liens unissant l'armée à la Nation nous conduit donc à proposer de modifier l'article 257 du code de procédure pénale afin de permettre aux militaires, même en activité de service, à l'exception des officiers de police judiciaire, d'exercer les fonctions de juré.

C. UNE CONTROVERSE SUR L'ARTICLE 10 DU STATUT

Arrivés à ce stade de l'exposé, les auteurs doivent reconnaître que malgré le caractère très largement consensuel de leur mission d'information, une divergence de vue subsiste entre eux sur les modifications à apporter à l'article 10 du statut général des militaires qui restreint les droits des militaires en matière syndicale et associative. Dans un système démocratique, ce genre de controverse, légitime et naturel entre deux députés appartenant à des groupes politiques différents, enrichit la réflexion.

1. Pourquoi il faut autoriser l'adhésion des militaires en activité aux associations d'anciens militaires (par Charles Cova)

Nous ne pouvons qu'être d'accord pour maintenir l'interdiction faite aux militaires d'adhérer à un groupement à caractère syndical. Contester cette restriction reviendrait à mettre en cause les principes de discipline et d'obéissance auxquels nous sommes attachés. Maintenir cette interdiction revient, en outre, à écarter tout risque d'accès au droit de grève.

Toutefois, les militaires aspirent à voir leurs intérêts matériels et moraux défendus. Remarquons d'ailleurs que si un militaire en activité ne peut théoriquement pas adhérer à une association d'anciens militaires, rien ne l'empêche de détourner la difficulté en y adhérant par l'intermédiaire de son conjoint ou en s'abonnant aux revues qu'elle diffuse sans en être officiellement membre. Ainsi, un capitaine peut aisément prendre connaissance du contenu de « L'épaulette », un gendarme de celui de « L'essor », un second maître des propos tenus dans « L'officier marinier ».

En ce qui concerne cette dernière publication, près de 6 000 officiers mariniers en activité y sont d'ores et déjà abonnés. En outre, l'interdiction établie par les textes aux militaires d'adhérer à des groupements d'associations doit être relativisée dans la mesure où, dans les faits, certains d'entre eux sont membres de conseils d'administration de telles associations. Un assouplissement des règles statutaires dans ce domaine contribuerait à mettre un terme à une hypocrisie répandue.

Nous savons bien que ces revues circulent dans les casernes où elles connaissent une importante diffusion. Beaucoup, du reste, les considèrent comme une salutaire soupape de sécurité qui permet à nombre de militaires de lire ce qu'eux ne peuvent exprimer.

Ce souci de défense des intérêts du personnel militaire risque de se développer d'autant plus que nos soldats sont de plus en plus souvent en contact avec les militaires d'autres nations dans le cadre d'opérations menées par l'OTAN et l'ONU. Comme nous l'avons déjà évoqué, l'armée allemande bénéficie dans ce domaine d'un régime particulièrement libéral. Qui plus est, la professionnalisation renforcera au sein des unités et des services les contacts avec le personnel civil. Ces deux phénomènes constitueront des éléments de comparaison non négligeables.

Je suggère donc, dans le souci de rapprocher le statut des militaires d'active du droit commun, et de ce fait, de la Nation, de mettre un terme à l'interdiction très théorique d'adhésion aux associations d'anciens militaires, à condition toutefois que ces dernières précisent explicitement dans leurs statuts qu'elles renoncent à toute action à caractère syndical, c'est à dire non seulement, cela va de soi, à la grève, mais aussi aux rassemblements, défilés et autres manifestations.

2. Pourquoi il convient de rester très prudent avec les associations professionnelles (par Bernard Grasset)

Si nous sommes d'accord sur la nécessité de ne pas modifier le premier alinéa qui constate « l'incompatibilité » de groupements professionnels militaires à caractère syndical « avec les règles de la discipline militaire », il ne m'apparaît pas opportun, non plus, de remettre en cause l'interdiction faite aux militaires d'active d'adhérer à des associations professionnelles.

Je considère, en effet, qu'une telle autorisation aboutirait inévitablement à la création d'une multitude d'associations spécialisées par armée voire par arme, par grade, par type de fonctions, et qui entreraient dans une concurrence qui ne pourrait qu'encourager une surenchère incompatible avec l'efficacité et la disponibilité attendues d'une armée professionnelle ainsi que des revendications catégorielles néfastes à la cohésion du corps.

Permettre aux militaires d'adhérer à des associations d'anciens ne paraît pas, non plus, la bonne solution car les militaires d'active considèrent qu'un trop grand décalage existe avec ceux qui ont quitté le service, trop rapidement déphasés par l'évolution rapide de l'armée. Par ailleurs, le formidable éparpillement des associations d'anciens militaires conduirait également aux travers décrits plus haut.

Enfin, interdire aux militaires d'adhérer à des syndicats tout en leur permettant de rejoindre des associations à caractère professionnel peut sembler pour le moins artificiel dans la mesure où la différence entre les deux types de groupements apparaîtra bien vite comme très ténue.

Sélectionner des associations dites « représentatives » afin de prévenir un trop grand éparpillement pourrait s'avérer délicat tandis que la création d'une grande association consensuelle, une sorte « de Bundeswehrverband » ou « d'Euromil » à la française à laquelle adhéreraient à la fois les militaires du rang et les officiers généraux telles qu'elles existent en Allemagne ou en Europe du nord, nous paraît peu compatible avec l'individualisme et l'état d'esprit qui caractérisent notre société. Par ailleurs, le risque de création d'un syndicat maison ou d'une association institutionnelle officielle risquerait d'aboutir à l'effet inverse de celui recherché en favorisant une sorte de « pensée unique » et en bâillonnant tout pluralisme d'expression.

3. Les propositions de modifications consensuelles de l'article 10

La suite de l'article, en revanche, ne nous paraît plus entièrement compatible avec la situation nouvelle d'une armée professionnelle. Encore actuellement, si les militaires en activité peuvent adhérer librement aux associations qui ne sont ni à caractère professionnel, ni à caractère syndical, ils doivent rendre compte à leur hiérarchie des fonctions de responsabilité qu'ils y exercent, le ministre pouvant « leur imposer d'abandonner lesdites fonctions et, le cas échéant, de démissionner du groupement ». Nous avons rencontré un militaire à qui le bureau des statuts du ministère de la Défense avait clairement déconseillé, sans toutefois lui interdire, de devenir trésorier du Lion's club.

Considérant qu'il importe de rapprocher les militaires du droit commun, nous proposons que les militaires ne soient plus tenus de rendre compte à leurs supérieurs de leurs activités associatives. En effet, la plupart des associations auxquelles adhèrent les militaires n'ont pas de rapport avec l'armée et ne sont pas susceptibles d'avoir de conséquences sur les activités professionnelles de leurs adhérents. De plus en plus, l'intrusion de la hiérarchie dans un engagement personnel est vécue comme une immixtion pas toujours bien supportée dans la vie privée à laquelle chacun a droit.

En outre, un tel contrôle, même s'il est le plus souvent symbolique, va à l'encontre de l'objectif de rapprocher les militaires de la Nation. Comment justifier qu'un militaire secrétaire d'une association de parents d'élèves ou trésorier d'une association de généalogie soit obligé de rendre compte à sa hiérarchie alors que dans le même temps, un commerçant, un cheminot ou un artisan n'a de compte à rendre à personne, dans la mesure où le droit commun est respecté ? Ne pas permettre aux militaires d'accéder à des fonctions de responsabilité au sein d'associations qui ne présentent ni caractère syndical ni caractère professionnel revient à les priver, inutilement à notre avis, d'un droit qui fait partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Ajoutons que le contrôle du ministre est censé s'exercer a posteriori, une fois que l'intéressé a accepté les responsabilités soumises à déclaration. Que se passe-t-il alors si l'autorité supérieure demande au militaire de renoncer à sa responsabilité de président ou de trésorier ? Doit-il se rendre piteusement à la première réunion du bureau de son association pour y annoncer, avec regret, que son ministre n'ayant pas jugé son engagement associatif souhaitable, il doit laisser vacante la fonction pour laquelle il avait été élu ?

Nos rencontres nous ont permis de nous apercevoir que de nombreux militaires adhèrent de fait à des associations et que certains d'entre eux y exercent des responsabilités, sans en avoir rendu compte à leur hiérarchie, presque en cachette. Avouons que si notre objectif est de faire en sorte que les militaires se sentent plus à l'aise, ce n'est peut-être pas le meilleur moyen. Renseignement pris auprès du ministère, il semblerait que les interventions du Ministre de la Défense en ce domaine soient devenues rarissimes. Il nous semble par conséquent que c'est en pleine cohérence avec l'évolution de la société que nous proposons la suppression du troisième alinéa de l'article 10 du statut général des militaires.

Cette modification n'empêcherait toutefois pas le Ministre de la Défense de demander à certains militaires de mettre fin à leurs occupations associatives, si celles-ci s'avéraient incompatibles avec leur statut. Mais une telle démarche ne devrait être entreprise qu'à l'initiative motivée de la hiérarchie, à la suite de troubles graves survenus dans le service et directement liés à l'appartenance de la personne concernée à un mouvement associatif.

D. LES AUTRES MESURES

L'amélioration de la condition militaire passe également par l'adoption de mesures simples et pragmatiques telles que l'harmonisation d'un maximum de réglementations interarmées qui nourrissent des comparaisons pas toujours saines, ainsi que l'adoption de quelques mesures spécifiques à la Gendarmerie destinées à alléger certaines de ses missions qui ne nous semblent pas prioritaires. Enfin, le rapprochement de l'armée et de la société civile passe par le développement des liens avec les élus locaux et avec les commission compétentes pour les questions de défense du Parlement.

1. Harmoniser les réglementations interarmées

La rationalisation du fonctionnement des armées et la volonté de réduire les coûts conduisent de plus en plus souvent les états-majors à mettre leurs forces en commun et à travailler en mode interarmées. Or, ce mode de fonctionnement qui conduit des militaires des trois armées et de la Gendarmerie à travailler ensemble amène inévitablement les uns et les autres à comparer leurs conditions, sachant que chacun ne retient généralement que les aspects positifs de la situation de ses collègues, parfois pour les revendiquer, en prenant soin d'oublier les sujétions correspondantes.

Plusieurs différences existant entre les armées et qui nous ont paru difficiles à justifier nous ont été exposées : ainsi, certains militaires se sont plaints de ce que dans leur armée, leurs repas, lorsqu'ils sont pris dans le cadre du service mais à l'extérieur de leur casernement, n'étaient pas ou mal remboursés alors que d'autres comme les marins ne règlent pas les repas pris à bord. L'armée de Terre, de son côté, dispose d'un autre régime avec un quota d'une soixantaine de repas pris gracieusement. La réglementation est encore différente dans la Gendarmerie. Dernier exemple : les gardes du dimanche ne semblent pas rémunérées selon les mêmes barèmes dans la Marine et dans l'armée de Terre. Les gendarmes eux, nous ont déclaré ne rien percevoir pour ces gardes dominicales, « mais nous compensons par des journées de récupération, lorsque c'est possible », nous a-t-on précisé...

Ces différenciations, qui puisent probablement leurs origines à l'époque où les différents ministères de la Guerre, de la Marine et de l'Air adoptaient des réglementations qui leurs étaient propres n'ont plus aujourd'hui de raison valable de se perpétuer.

Ce phénomène semble aggravé outre-mer où il nous a été expliqué que la réglementation relative aux cadres de déménagement varie d'une armée à l'autre, les aviateurs, terriens et gendarmes considérant avec envie la situation des marins qui ont la possibilité d'emmener avec eux leur véhicule particulier, alors que ce n'est pas le cas des autres militaires. Nous pourrions citer également des différences de régimes qui nous ont été rapportées en ce qui concerne le remboursement des frais de déménagement, de logement, de transport...

Pour rester dans le cadre des déplacements outre-mer, il conviendra également d'engager une réflexion sur la légitimité de certaines différences de traitement qui peuvent exister en fonction des grades. De nombreux militaires du rang nous ont exprimé leur amertume de voir un officier célibataire être remboursé de ses frais de déménagement pour un cubage pratiquement aussi important qu'un militaire du rang ayant charge de famille. A nombre d'enfants égal, un capitaine peut faire transporter un cubage plus important qu'un caporal chef. « Comment expliquer à mes enfants qu'on ne peut pas emmener leurs vélos outre-mer alors que les enfants du capitaine, eux, ont cette possibilité ? » Nous considérons que le cubage autorisé doit être fonction des charges de famille et non du grade des intéressés.

N'oublions pas que les militaires disposent aussi des moyens de comparer leur situation avec celle des soldats des armées étrangères qu'ils côtoient sur les théâtres d'opérations extérieurs et, qu'évidemment, leur attention est plus souvent attirée par les facilités des armées plus riches, principalement l'armée américaine, que par celles d'armées moins bien loties.

Ces comparaisons tous azimuts, humainement compréhensibles pourraient à terme s'avérer préjudiciables pour le moral et contribuent à attiser un climat de rivalité entre les trois armées et la Gendarmerie, ce qui n'est pas toujours très sain. Nous conseillons donc vivement aux autorités militaires d'_uvrer le plus rapidement possible pour une harmonisation maximale de la réglementation, d'autant plus que l'interarmées (et les comparaisons qui l'accompagnent) est appelé à se développer dans le cadre d'une défense professionnelle moderne. Cette harmonisation ne devra toutefois pas se traduire par un nivellement par le bas, bien tentant pour le ministère de l'économie et des finances, mais pourrait s'effectuer à masse budgétaire constante, certains réajustements en compensant d'autres.

Nous rappelons ici avec insistance notre volonté de voir l'indemnité pour charges militaires, dont chacun reconnaît qu'elle est actuellement trop basse être sérieusement revalorisée. L'article premier du statut général des militaires ne dispose-t-il pas que « les devoirs qu'il comporte et les sujétions qu'il implique méritent le respect des citoyens et la considération de la nation » et qu'il « prévoit des compensations aux contraintes et exigences de la vie dans les armées » ?

2. Des mesures spécifiques à la Gendarmerie

Une attention particulière nous semble devoir être portée à la Gendarmerie en raison d'une part du caractère particulier de cette arme et d'autre part de la grande charge de travail qui affecte la plupart des brigades. Comme nous l'avons vu précédemment, il n'est pas rare que des sous-officiers ou des officiers de Gendarmerie accumulent des semaines de plus de 50 heures de travail.

Il nous paraît par conséquent important de recommander aux autorités d'engager une réflexion sur les moyens de réduire certaines charges qui nous paraissent injustifiées, de manière à diminuer autant que possible certaines contraintes de cette arme et d'utiliser ces militaires à d'autres tâches. Prenons trois exemples :

Premièrement, les déclarations d'armes et les déclarations de pertes de documents. La Gendarmerie se heurte de plus en plus à des municipalités qui refusent d'enregistrer ces déclarations et qui renvoient leurs administrés devant les forces de l'ordre. Au motif qu'en zone de police c'est la police nationale qui est compétente pour ces tâches, les forces de Gendarmerie doivent également enregistrer ces déclarations. Sans sous-estimer la complexité du problème, il nous semble dommage de mobiliser sur des missions purement administratives des militaires, tout aussi bien que des policiers civils, qui seraient sans doute mieux employés à d'autres tâches plus purement liées à la sécurité publique. Ne serait-il pas possible, par exemple de confier ces enregistrements de déclaration à l'autorité municipale ou préfectorale ?

Deuxièmement, les transfèrements de détenus. Avec l'augmentation continue de la population pénale et la complexité des procédures aussi bien administratives que judiciaires, les gendarmes sont amenés à procéder de plus en plus souvent à des transfèrements. Or, généralement, outre les heures de trajet parfois nécessaires, les gendarmes qui, c'est bien connu, se déplacent toujours par deux au minimum sont conduits à attendre avec le détenu pendant de longues heures dans les antichambres des cabinets de juges d'instruction. Et lorsque le détenu est reçu par le magistrat, il ne s'agit parfois que de lui faire signer un document administratif ou de l'interroger pendant quelques instants sur des points quelquefois anodins. Sans mésestimer, là non plus, la lourdeur des contraintes liées aux procédures et de la charge de travail des magistrats, ne serait-il pas possible de donner des instructions pour que les procédures s'effectuent au maximum par écrit, notamment lorsqu'un transfèrement est justifié par la seule signature d'une pièce administrative ? Les techniques modernes aidant, ne pourrait-on pas envisager, lorsque un magistrat n'a que quelques brefs propos à échanger avec un détenu, d'utiliser un système de vidéoconférence certes onéreux à l'installation mais qui serait largement rentabilisé par les économies de trajet et de disponibilité du personnel de Gendarmerie ?

Troisièmement, les missions de renseignement. Nous avons également été conduits à nous interroger sur l'utilité des missions de renseignement conduites par la Gendarmerie sur le territoire national. Ne pourrait-on pas raisonnablement imaginer une coopération plus étroite entre d'une part les différents services de l'Etat dont la mission même est fondée sur le renseignement et, d'autre part, les forces de l'ordre ? Une telle mise en commun des moyens permettrait à la Gendarmerie d'abandonner certaines tâches déjà effectuées par d'autres services et de se recentrer sur sa vocation première qui demeure la sécurité publique.

3. Encourager les commissions extra-municipales

Les unités militaires représentent un poids économique et politique trop souvent négligé par les municipalités sur le territoire desquelles elles sont implantées. Actuellement, leur statut ne permet pas aux militaires en activité d'être élus dans un scrutin local. En effet, si les candidatures sont évidemment libres, tout militaire détenteur d'un mandat public électif doit obligatoirement être placé en position de service détaché, ce qui signifie, entre autre, qu'il ne perçoit plus sa solde. Lorsqu'on connaît la modicité des indemnités perçues par la plupart des conseillers municipaux, on comprend qu'il s'agit là d'un frein important aux vocations électorales municipales.

Ces éléments ne doivent pas pour autant conduire à une situation d'indifférence, voire d'ignorance entre les unités militaires et les communes d'accueil. Un régiment implanté dans une municipalité représente un pouvoir d'achat certain et en nette augmentation depuis que les appelés ont été remplacés par des professionnels. Il représente également une population qui vit et qui vote, ce que certains conseils municipaux finissent parfois par comprendre. Le cas nous a été cité d'une ville qui vivait dans la quasi ignorance de son régiment, implanté en son centre depuis des décennies et qui était presque considéré comme « faisant partie des meubles ». La municipalité a fini par prendre en considération les militaires lorsque le chef de corps, qui réclamait depuis longtemps l'aménagement d'un terrain vague en parc de stationnement pour son personnel, a fait comprendre au maire que la plupart de ses subordonnés étaient inscrits sur les listes électorales de sa commune. Le parking fut rapidement aménagé.

Pour éviter d'en arriver à de tels rapports avec les municipalités, nous proposons d'instaurer, lorsque cela n'est pas déjà fait, des commissions extra-municipales composées à la fois d'élus de la municipalité et de représentants des militaires. Cette instance, qui devrait être peu formalisée afin de conserver une certaine souplesse, pourrait se réunir selon une périodicité à fixer en fonction des circonstances locales et pourrait contribuer à animer le dialogue entre les élus et des militaires parfois si discrets qu'on en oublie leur présence. Outre la meilleure connaissance du monde militaire qu'elle pourrait apporter à la société civile, cette commission aurait pour objectif d'attirer l'attention des élus sur certaines questions de la vie courante liées à la municipalité (crèches, ramassage scolaire, stationnement, pistes cyclables...) et de faire avancer les dossiers.

Nous sommes cependant conscients que si une telle instance peut s'avérer très utile dans des villes d'une certaine importance qui accueillent en leurs murs une ou plusieurs unités militaires (Clermont-Ferrand, Tarbes, Castres, Montauban, Brest, Toulon... entre autres), elle serait plus difficile à créer lorsque le régiment est implanté dans une ou plusieurs petites communes rurales comme c'est souvent le cas des bases aériennes, heureusement installées en général à l'écart des centres urbains et dont les personnels vivent éparpillés sur vingt ou trente communes aux alentours. Il nous semble donc nécessaire de laisser un certaine marge de liberté aux responsables militaires et civils dans ce domaine, tout en encourageant, chaque fois que possible, la création de commissions associant élus municipaux et représentants des militaires.

4. Le rôle des commissions de la défense du parlement

Chaque fois que nous avons interrogé des militaires sur l'utilité et l'intérêt de nos visites, notre démarche a été accueillie avec chaleur. Les visites que nous avons effectuées dans les unités ont semblé répondre à un besoin dans la mesure où les militaires, qui comme tout le monde, ont besoin de se sentir soutenus pour ne pas dire aimés, ont le sentiment depuis quelques années, d'être délaissés. Le budget sans cesse revu à la baisse de la défense nationale et un certain manque d'intérêt de la part de la population y sont pour beaucoup. Par conséquent, aller à leur rencontre, dans leurs casernes pour leur demander, comme nous l'avons fait, de « vider leur sac » et de nous exposer leurs tracas de leur condition de militaires, outre le côté psychologique, les a grandement intéressés, d'autant plus que, sans doute pour la première fois, des parlementaires venaient dans une enceinte militaire non pour y rencontrer seulement les officiers, mais aussi pour y passer une heure et demie, voire plus, avec des militaires du rang et autant avec des sous-officiers. Un légionnaire nous a fait la réflexion suivante : « en vingt-trois ans de service, c'est la première fois que des députés viennent à notre rencontre ».

Par conséquent, nous estimons qu'il est de la plus haute importance que les représentants de la Nation se rendent plus souvent sur le terrain. Le Ministre de la Défense et les états-majors des armées et de la Gendarmerie, qui ont parfaitement joué le jeu pendant cette mission en mettant leurs moyens à notre disposition, y sont tout à fait favorables. Les commandants d'unités s'estiment en général très honorés par une telle visite et leurs subordonnés qui ont ainsi l'occasion de s'exprimer librement, ont la possibilité d'être entendus et pris en considération par le monde politique. A condition, bien sûr de ne pas se contenter d'aller serrer la main aux officiers supérieurs, mais de prendre aussi la peine de discuter, parfois longuement et, si possible, en dehors de la présence de leurs supérieurs, avec des sous-officiers et militaires du rang. Au prix de cet effort qui n'est pas bien considérable, nous aurons la possibilité de prendre le pouls de l'institution militaire mais aussi, et ce n'est pas négligeable, d'expliquer et de faire mieux connaître au sein des troupes notre rôle, notre travail, nos pouvoirs et nos contraintes de parlementaires.

Ainsi, sans qu'il soit nécessaire de modifier les textes, nous proposons à la Commission de la Défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale, mais aussi à celle compétente pour la défense au Sénat, de multiplier les missions auprès de nos forces, car nous considérons qu'elles sont encore trop peu nombreuses. A cet effet, nous suggérons d'instaurer chaque année un calendrier de visites sur lequel nos collègues seraient conviés à s'inscrire, en évitant si possible de ne visiter que des unités localisées dans leur circonscription. Pour les unités se trouvant en France métropolitaine, ce genre de déplacement n'est pas très onéreux, d'autant que l'armée met souvent ses moyens à notre disposition. Par contre, le crédit de l'institution parlementaire et la connaissance de notre commission s'en trouveraient grandement augmentés.

Par ailleurs, la préparation de la discussion budgétaire est traditionnellement l'occasion d'entendre un certain nombre d'acteurs du monde militaire : nous recevons traditionnellement, outre le ministre, les différents chefs d'état-major des armées et le directeur général de la Gendarmerie nationale. Nous recevons également des représentants des associations d'anciens militaires, qui pour certains ont quitté l'institution militaire depuis fort longtemps. Mais aucune place n'est laissée aux militaires d'active ayant moins de cinq étoiles, ce que nous trouvons regrettable. Quitte à alourdir un peu plus la procédure et à rallonger les débats, nous proposons donc d'entendre désormais des représentants des militaires d'active, qu'ils soient officiers, sous-officiers ou militaires du rang. Nous sommes parfaitement conscients du caractère quasi révolutionnaire de cette proposition. Nous l'estimons pourtant souhaitable dans la mesure où elle permettrait à la commission d'être en prise directe avec des personnels qui vivent la réalité militaire au quotidien, sur le terrain, parfois au bas de l'échelle.

Se pose évidemment la question du choix de ces personnes. Cohérents avec notre souhait de faire élire au sein des CFM les représentants au CSFM, nous pourrions envisager qu'à la même occasion soient désignés par scrutin quelques militaires représentatifs des diverses catégories hiérarchiques des trois armées et de la Gendarmerie qui viendraient s'exprimer devant notre commission.

CONCLUSION

On ne saurait laisser au lecteur une image trop contrastée des armées françaises. Si nous avons relevé un certain nombre de difficultés, nous avons également pu constater les qualités d'une armée solide et performante et dont les personnels sont animés d'un excellent esprit et dotés des connaissances techniques suffisantes.

En cette période de bouleversements, nous avons trouvé une très large majorité d'officiers, de sous-officiers et de militaires du rang capables de s'adapter aux profonds changements induits par la professionnalisation.

L'armée nous est toujours apparue solide et disciplinée : on nous a cité le cas de militaires rentrés du Kosovo le 15 décembre 1999 après quatre mois passés dans des conditions parfois très difficiles, loin de leurs familles et rappelés dès le 26, à cause de la tempête ou de la marée noire. Ces sujétions sont acceptées sans états d'âme, car les militaires savent que l'objet même de leur engagement est de se mettre au service de la population. Même si, comme on nous a fait remarquer, « à la longue c'est quand même usant ». On est cependant jamais éloigné d'un suremploi préjudiciable à la longue au moral et aux capacités physiques des personnes et par conséquent, à l'efficacité des unités.

Lorsque nous avons demandé aux militaires ce qui leur manquait le plus en opérations extérieures, la plupart nous ont spontanément répondu « nos familles ». Les témoignages recueillis concordent en effet : l'armée française a accompli d'énormes progrès en une décennie. Elle sait s'adapter partout et s'intégrer aux populations locales. Elle établit de bons contacts sur place. Matériellement, elle semble également très performante : téléphones, douches, sanitaires de campagne...

Malgré tout, des problèmes se posent comme nous venons de le souligner dans le présent rapport : qu'il s'agisse de certaines rivalités avec les civils, de relations hiérarchiques parfois tendues, d'une concertation et d'un dialogue imparfaits ou d'une trop grande disparité entre les règlements des armées régissant la vie courante des personnels. Ces difficultés doivent trouver une solution si on ne veut pas que s'installe, ce qui est déjà perceptible dans la Gendarmerie, un malaise qui finira par être préjudiciable à tous.

On ne commandera plus, au XXIème siècle, une armée projetable, entièrement professionnalisée et d'une très haute technicité de la même manière qu'on dirigeait aux XIXème ou au XXème siècles des masses de conscrits destinées à arrêter les invasions à nos frontières.

Dans les bouleversements et les difficultés que les armées traversent avec courage et succès, nous devons préserver un équilibre entre la spécificité du métier des armes, spécificité nécessaire et à laquelle les militaires demeurent particulièrement attachés, et la volonté légitime des jeunes soldats de voir leur statut se rapprocher d'une citoyenneté ordinaire.

Il est nécessaire de repenser les conditions de préparation aux concours des grandes écoles militaires, de revoir les programmes, de construire un système de passerelles entre l'Université et l'Armée. Car l'officier d'aujourd'hui et de demain est tout à la fois un chef, un ingénieur, un manager et un citoyen qui respecte et qui défend les lois de la République.

Il est donc indispensable de mettre en place des solutions - nous en proposons quelques unes - pour donner à nos forces les moyens d'achever leur vaste mutation, car il y va de la pérennité du lien entre la Nation et son armée.

Tel est le véritable enjeu du renforcement du lien entre la Nation et son armée que nous devons avoir présent à l'esprit de manière constante pour le bien des armées et de la France.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mardi 21 mars 2000, la Commission a entendu une communication de MM. Bernard Grasset et Charles Cova, rapporteurs d'information sur les actions destinées à renforcer le lien entre la Nation et son Armée.

M. Bernard Grasset, rapporteur d'information, a indiqué que la mission qu'il conduisait avec M. Charles Cova répondait au souci d'éviter que la disparition des appelés ne creuse un fossé entre l'institution militaire et la société civile. Par ailleurs, la technicité croissante d'un métier militaire qui nécessite un niveau de formation de plus en plus élevé conduit inévitablement à une évolution des modes de commandement et de fonctionnement des services que la Commission se doit de suivre.

M. Bernard Grasset a ensuite apporté quelques précisions sur la méthode adoptée pour l'élaboration du rapport d'information : les rapporteurs se rendent aussi souvent que possible dans les unités des trois armées et de la Gendarmerie, à la rencontre de militaires de tous grades et de toutes spécialités. Des tables rondes sont organisées par catégories hiérarchiques, hors de la présence du chef de corps. La participation de deux parlementaires appartenant respectivement à la majorité et à l'opposition permet aux échanges de se dérouler dans un climat de consensus.

S'agissant des rapports de l'institution militaire avec la société civile, M. Bernard Grasset a noté que l'image des armées s'était améliorée, notamment grâce à leur participation récente à des missions de sécurité (Vigipirate) ou de secours (tempête, marée noire). Certaines missions de formation à contenu civil, comme le service militaire adapté dans les DOM-TOM, consolident cette amélioration. L'image de la Gendarmerie ne semble pas avoir été affectée par les mises en cause récentes du comportement de certains de ses membres.

La perception que les militaires ont de la société civile, par contre, semble moins favorable. Si l'intégration d'un nombre limité de civils dans les régiments de l'armée de Terre s'effectue assez bien, l'arrivée plus massive d'ouvriers et de salariés en provenance de la DGA ou de Giat-Industries dans des unités plus réduites est moins bien ressentie, notamment en raison de différences statutaires, parfois mal acceptées, surtout lorsque des militaires sont placés sous l'autorité de fonctionnaires civils.

Le syndicalisme, bien implanté chez ces civils, y est, en conséquence, perçu assez négativement par les militaires, qui paraissent peu conscients des progrès sociaux que le mouvement syndical a pu obtenir dans le passé, et dont ils ont en fin de compte bénéficié, et n'en retiennent que la vision conflictuelle. Pour leur part, ils rejettent quasi unanimement l'idée de permettre la constitution de syndicats dans l'armée.

Faisant observer que l'ensemble des actifs, civils et militaires, prenaient conscience qu'il leur faudrait, à l'avenir, pour un grand nombre d'entre eux, effectuer plusieurs carrières au cours de leur vie professionnelle, il a insisté sur l'importance des questions de reconversion et de retraite, eu égard notamment à leurs conséquences sur le recrutement des engagés volontaires. M. Bernard Grasset a mis en évidence les différences de situation entre les personnels exerçant des métiers techniques, pour lesquels la recherche d'un second emploi soulève peu de difficultés et ceux titulaires de spécialités dites de « mêlée » pour lesquelles la reconversion est plus délicate. Il a suggéré que les militaires dont le contrat n'est pas renouvelé soient informés plus tôt, si possible un an avant l'échéance, afin qu'ils puissent mieux se préparer à leur retour à la vie civile. Il a également proposé la mise en place systématique d'annuaires qui pourraient, à la sortie des armées, permettre de faciliter les contacts d'embauche.

S'agissant de l'inquiétude ressentie par les militaires quant à l'avenir de leur retraite, il a souligné que le problème démographique qui allait se poser à l'ensemble de la société française n'était pas spécifique aux armées. Il a toutefois fait valoir que les avantages dont les militaires bénéficient en matière de retraite ne sont que la contrepartie des sujétions liées à leur condition et qu'il convenait de mesurer les conséquences d'éventuelles modifications en ce domaine, notamment sur le plan du recrutement.

Abordant la question de la concertation au sein des armées, M. Charles Cova, rapporteur d'information, a regretté une certaine méconnaissance parmi les militaires des structures existantes : commissions participatives, Conseils de la fonction militaire (CFM), Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) et un certain scepticisme à leur égard.

Saluant le rôle primordial joué au plan local par les présidents de catégorie, il a proposé plusieurs mesures de nature à revaloriser cette tâche pour laquelle l'armée trouve de moins en moins de volontaires en raison de son caractère ingrat. Il a proposé d'accorder davantage de décharges de service, en particulier aux présidents d'unités importantes, d'accroître les moyens matériels qui sont mis à leur disposition, notamment en matière de locaux, de communications et de déplacements. Il a également suggéré que, à l'instar de l'armée allemande, les présidents soient élus par leurs pairs, selon des procédures excluant toute campagne électorale et laissant la possibilité aux chefs de corps de récuser, par décision motivée, certaines candidatures.

Afin de rapprocher les Conseils de la fonction militaire de la réalité quotidienne de la vie des unités, il a suggéré la mise en place de structures régionales décentralisées. Il a également proposé que, à l'exemple de ce qui est pratiqué dans la Marine, les présidents des sous-officiers puissent joindre au rapport sur le moral une lettre à l'attention du chef d'état-major afin de rendre un peu de crédit à ce rapport, dont il a souligné qu'il était édulcoré à chaque niveau hiérarchique.

Il a en outre déclaré réfléchir à l'instauration d'une instance de médiation hors hiérarchie à laquelle les militaires pourraient exposer directement leurs préoccupations, à l'exception des questions de discipline et d'avancement, selon des règles inspirées des dispositifs existant dans des pays comme l'Allemagne ou la Suède.

M. Charles Cova a également fait part du décalage qu'il a pu constater entre certaines positions prises par des associations d'anciens militaires et la réalité décrite sur le terrain par les personnels d'active. Du fait de la rapidité des évolutions que connaissent les armées, les militaires d'active lui ont déclaré ne pas se reconnaître entièrement dans le discours des anciens. Ils n'ont en particulier pas exprimé le souhait que soit modifié l'article 10 du statut général des militaires pour leur permettre d'adhérer à des associations à caractère professionnel et en particulier aux associations d'anciens militaires.

Evoquant la condition militaire dans son ensemble, M. Charles Cova a constaté une nette césure entre les sous-officiers et les officiers de la Marine et de la Gendarmerie, alors que cette séparation est apparue beaucoup moins forte dans les autres armées. Notant que les conditions de vie propres aux unités opérationnelles de la Marine pouvaient expliquer certaines attitudes hiérarchiques, il a fait part de ses inquiétudes quant à la situation de la Gendarmerie où les relations entre les catégories de personnels paraissaient plus difficiles et où une autre ligne de fracture semblait se dessiner avec les officiers généraux, considérés comme trop peu présents sur le terrain.

Enfin il a noté que le développement des structures interarmées conduisait les personnels à comparer plus fréquemment leurs situations respectives, exprimant le v_u que les autorités en charge des armées _uvrent rapidement dans le sens d'une harmonisation des règlements qui leur sont applicables.

M. Charles Cova a conclu en insistant sur le fait que le malaise, perceptible dans l'ensemble des forces armées, qui connaissent une profonde mutation, semblait exacerbé dans la Gendarmerie, arme qui se trouve à la charnière des mondes civil et militaire et qui se compare souvent à la police. Il a également insisté sur l'intérêt suscité dans les armées par la mission d'information et par le rôle de la Commission de la Défense de l'Assemblée nationale en général, suggérant de développer les rencontres, au sein d'unités, entre les membres de la Commission et des militaires de tous grades.

Après avoir salué le travail objectif réalisé par les rapporteurs, M. Gilbert Meyer s'est interrogé sur les différences d'organisation au sein des armées pour répondre à des nécessités d'ordre général.

Evoquant les contrats courts proposés par la Marine, M. Jean-Noël Kerdraon a souligné que l'inquiétude de leurs titulaires provenait quelquefois des projets tendant à confier des postes qu'ils occupent à des personnels civils. Il a rappelé que l'objectif de nombreux sous-officiers ou hommes du rang engagés était d'accomplir quinze années de service afin de pouvoir disposer d'une pension à jouissance immédiate après leur départ de la Marine. Or, si deux tiers de ces personnels pouvaient espérer atteindre l'objectif des quinze ans de carrière dans une armée mixte, il semble que seul un quart d'entre eux pourra y parvenir au sein d'une armée professionnalisée. M. Jean-Noël Kerdraon a souligné à ce propos la nécessité d'informer suffisamment tôt les personnels militaires concernés que leur contrat ne sera pas renouvelé.

Il a également fait observer que le nombre des départs de marins dans le bassin d'emploi de Brest allait passer de 250 à 750 par an et souligné, en s'appuyant sur cet exemple, la nécessité d'attribuer des moyens supplémentaires aux structures de reconversion professionnelle de la Marine.

M. Charles Cova a relevé qu'il était difficile de comparer les unités des armées et de la Gendarmerie en raison des différences de nature de leurs métiers et de leur organisation. Après avoir souligné que la Marine avait mis en place la formule des contrats courts pour faciliter l'intégration sociale de jeunes gens en difficulté, il a estimé que l'expérience n'avait pas produit les résultats attendus, seul un très petit nombre de ces jeunes gens étant en mesure de prolonger leur engagement dans la Marine à l'issue de leur contrat court initial.

Faisant ressortir les différences de situation des unités des différentes armées, M. Bernard Grasset a relevé que les bases aériennes regroupaient dans un milieu clos des pilotes et des techniciens qui accomplissaient souvent leur carrière dans une même région, que les problèmes de confinement qui se posaient sur les bâtiments de la Marine contribuaient sans doute à un certain repli de cette armée sur elle-même en raison des contraintes de l'organisation du travail en mer alors que les unités de l'armée de Terre semblaient bien intégrées dans leur environnement, les régiments bénéficiant en général d'une bonne image dans la société civile de leur zone d'implantation.

Il a par ailleurs estimé que le succès de la professionnalisation des armées dépendrait en grande partie des systèmes de reconversion professionnelle des personnels militaires, regrettant leur trop grande complexité et hétérogénéité.

M. Jean-Louis Bernard s'est étonné que des militaires aient regretté de n'avoir rencontré pratiquement jamais de parlementaires, eu égard notamment à la participation des membres du Parlement aux cérémonies militaires et aux contacts très fréquents de beaucoup d'entre eux avec la Gendarmerie. Il s'est demandé si ce type de perception ne venait pas d'un manque de dialogue dans l'autre sens, à l'initiative des armées vers le Parlement. Il a ensuite souhaité des précisions sur l'attitude des militaires à l'égard du principe de la syndicalisation.

M. Guy Teissier, rappelant le rôle traditionnel de promotion sociale des armées, a mis en garde contre une élévation des critères de sélection, correspondant à une forme d'élitisme dans le recrutement des personnels non-officiers. Convenant que la Marine n'avait peut-être pas choisi le meilleur vivier pour le recrutement des titulaires de ses contrats courts, il a considéré que les armées devaient néanmoins continuer à offrir des perspectives d'insertion professionnelle à des jeunes sans qualification initiale.

Il a ensuite insisté sur la question de la réinsertion, déjà bien connue dans les régiments professionnels, et notamment sur celle des militaires du rang, dont le contrat peut être plusieurs fois reconduit sans qu'ils réussissent à accéder à un grade de sous-officier, ce qui les place dans la situation difficile de devoir trouver un nouvel emploi leur offrant des conditions équivalentes dans le secteur civil après plus de dix années passées dans les métiers et l'environnement des armées.

M. Robert Gaïa a également considéré que les difficultés du système des « Contrats courts Marine » était sans doute plus dues aux affectations, le milieu confiné des navires de guerre n'étant pas des plus faciles, qu'aux populations. Il s'est également inquiété des conséquences de la multiplication des carrières courtes, de sept à huit ans, s'achevant sans pension de retraite à jouissance immédiate, sur les équilibres locaux du marché de l'emploi et sur le recrutement. Il a considéré que les armées devraient mener une action volontariste en direction de l'environnement économique extérieur pour le recrutement des personnels en fin de contrat, cette action lui paraissant indispensable pour la réussite d'un système qui vise à permettre aux forces et services de disposer en permanence d'un personnel jeune et aussi qualifié que possible.

Il s'est enfin inquiété des difficultés que pouvait poser la coexistence de personnels civils et militaires, aux statuts extrêmement différents, sur les mêmes lieux de travail.

M. André Vauchez s'est demandé si la professionnalisation ne risquait pas d'aboutir à un repli des armées sur elles-mêmes, et s'est déclaré préoccupé des risques d'un désintérêt de la Nation à l'égard de l'institution militaire.

M. Charles Cova a apporté les éléments de réponse suivants :

- l'exemple de sous-officiers regrettant de ne pas avoir eu de contacts avec les parlementaires pendant des années s'entend de contacts et de réunions sur le terrain et de visites dans les casernes ;

- même si une adaptation des contrats courts Marine peut être suggérée, il s'avère que l'intégration à bord des personnels ainsi recrutés a fait naître des difficultés relationnelles inédites, qui apparaissent pénalisantes pour les commandants d'unité ;

- il n'y a pas de risque de dépérissement du lien entre la Nation et son Armée, à condition de ne pas placer les militaires dans une situation où ils se sentiraient considérés comme une catégorie à part. Il apparaît cependant que l'élite militaire n'a pas le sentiment que lui soit accordée la reconnaissance qu'elle souhaite. Sur ce point, le « conditionalat », c'est-à-dire la pratique consistant à conditionner les promotions aux grades d'officiers généraux à la remise d'une lettre de démission à échéance anticipée par rapport à la limite d'âge, est mal vécue.

M. Bernard Grasset a, pour sa part, apporté les éléments de réponse suivants :

- l'ensemble des militaires sont hostiles à l'instauration de syndicats dans les armées. En revanche, certains souhaiteraient que, eu égard à l'absence de structures syndicales prenant en charge la défense de leurs intérêts, une considération plus grande leur soit accordée en matière d'expression comme dans leur situation matérielle ;

- s'agissant des « Contrats courts Marine », il y a sans doute eu inadaptation à la fois du choix des personnels à recruter et des affectations proposées.

Au cours de sa réunion du 21 juin 2000, la Commission a procédé à l'examen du rapport d'information de MM. Bernard Grasset et Charles Cova sur les actions destinées à renforcer le lien entre la Nation et son armée.

Le Président Paul Quilès a rappelé que ce rapport d'information s'inscrivait dans la continuité d'un travail engagé par M. Bernard Grasset sur la question des relations entre la communauté militaire et le monde civil.

Ce travail a déjà donné lieu à un premier rapport d'information sur les relations entre la Nation et son armée, dont la publication a été autorisée par la Commission le 10 février 1999. M. Charles Cova s'étant associé à la démarche de M. Bernard Grasset, les deux rapporteurs ont mené auprès de nombreuses unités des trois armées et de la Gendarmerie une enquête précise et détaillée sur les conditions de vie et de travail des militaires et leurs relations avec le monde civil.

M. Bernard Grasset, rapporteur d'information, a rappelé que la mission qu'il conduisait avec M. Charles Cova répondait à une interrogation sur l'évolution de l'institution militaire, dans le nouveau contexte de la professionnalisation des armées et de la suspension du service militaire. Parmi les thèmes qui avaient retenu l'attention des rapporteurs, il a évoqué des points de vue annonçant la prochaine irruption du syndicalisme dans les armées, dont une association d'anciens militaires s'était fait l'écho devant la Commission au cours d'une audition.

Après avoir souligné qu'après leur nomination par la Commission le 22 juin 1999, les deux rapporteurs d'information s'étaient « immergés » dans le milieu militaire, en allant à la rencontre d'une quarantaine d'unités des trois armées et de la Gendarmerie, il a rappelé la communication qu'ils avaient présentée à la Commission le 21 mars dernier sur l'état de leurs travaux. Cette communication leur avait permis de faire part à la Commission de leurs premières observations sur les regards croisés que se portent les militaires et les civils, mais aussi sur les lacunes de la concertation, du dialogue et de la communication au sein des armées.

Il a brièvement rappelé que, si les militaires considèrent qu'ils sont plutôt bien perçus par la société civile, notamment grâce aux missions de projection intérieure qu'ils assurent (Vigipirate, marée noire, tempête...), ils s'estiment moins appréciés par les autorités politiques. Ils jugent en particulier que les dépenses militaires représentent pour ces autorités une variable d'ajustement budgétaire commode. Quant aux rapports hiérarchiques, très différenciés d'une armée à l'autre, s'ils apparaissent satisfaisants et détendus dans l'armée de Terre et dans l'armée de l'Air, il semblent source de certaines difficultés dans la Gendarmerie et la Marine.

M. Bernard Grasset a ensuite présenté quelques-unes des propositions auxquelles la mission d'information a abouti :

Une première proposition porte sur l'instauration d'un médiateur qui offrirait au personnel militaire une voie de recours supplémentaire. En effet, les rapporteurs estiment que le recours auprès des supérieurs directs ou des inspecteurs généraux est trop marqué par le poids de la hiérarchie pour être efficacement utilisé par un militaire du rang ou un sous-officier. Par ailleurs, le recours devant les tribunaux administratifs peut apparaître comme trop lourd, voire pénalisant, pour nombre de militaires.

L'expérience d'autres pays (Allemagne, Norvège, Suède, Canada...) montre que le médiateur du personnel militaire répond bien à une demande, la hiérarchie militaire elle-même étant, dans ces pays, très attachée à cette institution dans la mesure où elle permet d'éviter des malentendus nuisibles à tous.

Le médiateur proposé, qui n'appartiendrait pas au ministère de la Défense, pourrait être, conformément aux traditions administratives françaises, nommé en Conseil des ministres, pour un mandat non renouvelable, en gage d'indépendance. Il aurait le pouvoir de formuler, de manière non publique, des recommandations ou des avis d'ordre individuel au ministre de la Défense. Il établirait également un rapport annuel public où il ferait le bilan de ses activités et pourrait suggérer toute modification des textes législatifs ou réglementaires visant à améliorer la condition militaire.

Ce médiateur ne pourrait être saisi que par des militaires, afin de ne pas introduire de distorsion entre les fonctionnaires civils du ministère de la Défense et ceux dépendant d'autres administrations. La situation des civils ne nécessite d'ailleurs pas qu'ils puissent s'adresser à un médiateur, dans la mesure où ils sont soumis à des statuts très différents de ceux des militaires avec des droits (syndicalisation, grève...) dont l'exercice est interdit à ces derniers.

A l'exception des décisions relatives à l'emploi opérationnel des forces qui dépendent du seul pouvoir politique, la compétence du médiateur porterait sur tous les aspects de la gestion du personnel militaire, notamment la discipline, l'avancement ou les mutations... En effet, les militaires ne comprendraient pas que les domaines qui les intéressent le plus soient exclus des attributions du médiateur, alors que, par ailleurs, les tribunaux administratifs, dont les pouvoirs sont autrement plus étendus, ont, eux aussi, une compétence large.

Une deuxième proposition consiste à revaloriser la fonction de président de catégorie en généralisant l'élection de leurs titulaires par leur pairs, procédure déjà appliquée dans la Gendarmerie et qui semble donner satisfaction. Le chef de corps conserverait néanmoins la faculté de récuser les candidatures par décision motivée. M. Bernard Grasset a expliqué que la revalorisation du rôle des présidents de catégorie passait également par une augmentation des décharges de service, partielles ou totales selon les cas, qui leur sont accordées ainsi que par un accroissement des moyens matériels mis à leur disposition et par une formation accrue.

Enfin, il a attiré l'attention sur la nécessité d'harmoniser la réglementation interarmées, alors que, de plus en plus souvent, les militaires des différentes armées sont appelés à travailler ensemble pour des raisons d'efficacité et de coût. La disparité des règlements en vigueur dans chacune des armées entraîne inévitablement des comparaisons d'autant plus malsaines que chacun ne retient généralement que les aspects positifs de la situation de ses collègues en occultant les sujétions correspondantes.

En conclusion, M. Bernard Grasset a insisté sur la nécessité de trouver un équilibre entre la spécificité du métier des armes et le nécessaire rapprochement de la situation des militaires avec celle des autres citoyens : on ne dirigera plus, au XXIème siècle, une armée projetable, entièrement professionnalisée et d'une très haute technicité de la même manière qu'on commandait aux XIXème ou au XXème siècles des masses de conscrits destinées à arrêter les invasions aux frontières.

M. Charles Cova a, pour sa part, présenté les propositions de la mission destinées à revaloriser le rôle des Conseils de la fonction militaire (CFM) et du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), après avoir regretté qu'un contexte budgétaire peu favorable, dû notamment aux annulations de crédits en cours d'exercice, donne souvent le sentiment aux militaires que leur rôle dans la Nation n'est pas suffisamment reconnu. Il a fait ressortir l'inadaptation de l'actuel système de désignation des membres du CFM représentant les personnels par tirage au sort parmi des volontaires. Les rapporteurs proposent en conséquence de lui substituer un système de désignation, également par tirage au sort, mais parmi les présidents et vice-présidents de catégorie, dont ils préconisent par ailleurs l'élection systématique. Les représentants des personnels militaires au CSFM seraient en outre élus par ceux des CFM. M. Charles Cova a souligné à ce propos que les différentes élections envisagées par les rapporteurs excluaient toute campagne électorale et tout mandat impératif, les candidatures n'étant présentées qu'à titre individuel.

M. Charles Cova a ensuite présenté plusieurs propositions de modification du statut général des militaires. L'une de ces propositions consiste à supprimer l'autorisation préalable du ministre, aujourd'hui nécessaire pour qu'un militaire puisse s'exprimer publiquement sur certaines questions. Il a jugé que cette exigence paraissait aujourd'hui inutilement contraignante et préjudiciable à l'enrichissement de la pensée militaire. De plus, il devient de moins en moins compréhensible d'imposer aux militaires des contraintes plus strictes qu'aux civils, dont le nombre s'accroît dans les unités, en particulier lorsque ces deux catégories de personnels exercent des activités et des responsabilités très voisines.

Une autre proposition tend à supprimer une disposition du statut général des militaires soumettant à autorisation ministérielle préalable l'exercice, par un militaire, de responsabilités dans une association où sa participation est pourtant licite dès lors qu'elle n'a aucun caractère syndical ou professionnel.

M. Charles Cova a alors indiqué que Bernard Grasset et lui-même restaient en désaccord sur l'opportunité d'un éventuel assouplissement des dispositions concernant l'adhésion des militaires à des associations à caractère professionnel. M. Charles Cova estime en effet souhaitable de reconnaître aux militaires d'active le droit d'adhérer à des associations d'anciens. Il considère que cette réforme mettrait fin à une situation ambiguë dans laquelle certains militaires adhèrent déjà de fait à ce type d'associations ou s'abonnent à leurs revues, ce qui a souvent, en pratique, le même effet. M. Charles Cova a indiqué que M. Bernard Grasset restait, pour sa part, opposé à cette évolution, parce qu'il considérait qu'elle conduirait rapidement à transformer les associations d'anciens militaires en syndicats de fait.

M. Charles Cova a ensuite présenté deux autres mesures jugées également souhaitables par les deux rapporteurs : la substitution, à l'autorisation ministérielle de mariage, d'une simple obligation de déclaration, pour les militaires souhaitant épouser un conjoint étranger et la suppression de l'interdiction faite aux militaires d'appartenir aux jurys de cours d'assises.

Enfin, une dernière proposition commune aux deux rapporteurs vise à accroître le rôle joué par les commissions permanentes du Parlement compétentes pour les questions de défense dans le débat sur l'évolution de la condition militaire. Elle prévoit des déplacements plus fréquents de délégations de ces commissions dans les unités, ainsi que des auditions de militaires en activité n'exerçant pas de hautes fonctions de commandement.

M. Robert Poujade, après s'être félicité de l'esprit de cohabitation fraternelle qui avait présidé à l'élaboration du rapport d'information, a jugé que les armées devaient adapter leurs modes de fonctionnement pour tenir compte non seulement des conséquences de leur professionnalisation mais aussi de l'évolution de l'esprit public. Reconnaissant qu'elles devaient s'ouvrir aux exigences de la société civile, il a néanmoins demandé que cette ouverture s'accomplisse avec précaution en raison des débordements auxquels elle pouvait donner lieu. S'agissant de la proposition d'instituer un médiateur militaire, il a déclaré n'y être pas opposé a priori, soulignant le succès de ce type d'institutions dans des pays comme la Suède. Il a cependant fait part de ses réticences devant la perspective d'une saisine sans restriction de ce médiateur, exprimant la crainte de le voir débordé par un torrent de récriminations. Il s'est alors demandé s'il ne faudrait pas prévoir un dispositif de filtrage des demandes adressées au médiateur. Il s'est également interrogé sur la compatibilité de ses interventions avec le respect du secret de la défense nationale.

Il a par ailleurs observé que l'adhésion de militaires d'active à des associations d'anciens militaires revêtirait un caractère paradoxal, des personnels en activité choisissant, pour promouvoir leurs intérêts professionnels, une organisation défendant ceux des retraités. Estimant qu'une fois ouvertes aux militaires d'active, les associations d'anciens militaires deviendraient, en droit sinon en fait, des quasi-syndicats, il a exprimé son inquiétude à l'égard de la situation équivoque qui en résulterait.

Après s'être déclaré d'accord avec les rapporteurs d'information sur le caractère dépassé de certaines obligations comme celle de solliciter l'autorisation du ministre, préalablement à un mariage avec un conjoint étranger, il a relevé que le rapport d'information traitait plus de la vie interne des armées que de l'attitude de la Nation à leur égard. Il a, à ce propos, estimé nécessaire de rechercher de nouveaux lieux de rencontres entre les armées et la Nation, soulignant que le risque principal auquel était exposée une force professionnalisée résidait dans son éloignement de la société civile, l'appel de préparation à la défense (APD), aussi bref que sommaire, n'étant pas de nature à réduire ce risque de manière significative.

Le Président Paul Quilès a alors rappelé que le premier rapport d'information présenté par M. Bernard Grasset avait proposé diverses mesures destinées à rapprocher la Nation des armées, ajoutant que la Commission avait décidé qu'un bilan de leur prise en compte par le ministère de la Défense serait établi.

Après avoir estimé qu'il serait hasardeux de faire référence à la baisse des crédits de la défense, la Commission ayant toujours approuvé les projets de budget présentés par le Gouvernement, quelle que soit la majorité en place, M. Didier Boulaud a proposé une audition du Chef du Contrôle général des armées en raison de l'autorité et de l'expérience qui s'attachent à cette fonction.

M. André Vauchez, s'interrogeant sur l'ouverture des armées à la société civile, a proposé un développement en leur sein des instances de concertation et de médiation. Il s'est par ailleurs demandé si les militaires de carrière en activité souhaitaient maintenir de manière générale l'incompatibilité de leur situation professionnelle avec le mandat de conseiller municipal. Il a néanmoins reconnu que cette incompatibilité restait nécessaire dans certains cas, comme celui des gendarmes, dans la zone où ils exercent leurs fonctions.

M. Charles Cova a apporté les éléments de réponse suivants :

- dans la mesure où les questions qui seront portées devant le médiateur concerneront des situations individuelles, elles ne paraissent pas susceptibles, en règle générale, d'être couvertes par le secret de la Défense nationale ;

- l'interdiction actuelle faite aux militaires d'active d'adhérer à des associations de militaires de réserve ou retraités n'a pas empêché le développement d'une situation équivoque. Les revues de ces associations sont en effet lues et commentées par les militaires d'active, y compris sur les lieux de cantonnement et de travail ; autoriser les militaires d'active à adhérer à ces associations aurait l'avantage de la clarification ;

- la baisse continue des budgets consacrés à la défense depuis une dizaine d'années résulte de décisions prises par l'ensemble des gouvernements qui se sont succédés au cours de cette période. C'est également un phénomène général dans les pays industrialisés. Il est cependant logique que cette baisse préoccupe les militaires et qu'ils en aient fait part aux rapporteurs ;

- la condition militaire est aujourd'hui objectivement peu compatible avec l'exercice d'un mandat d'élu local. En effet, soit les militaires sont affectés en un point du territoire pour une courte période, de deux ou trois ans, et alors cette brièveté les empêche de faire valoir utilement une candidature, soit, notamment dans la Gendarmerie, ils sont affectés pour une période longue, et alors c'est la nature de leurs fonctions qui s'oppose généralement à l'exercice d'un mandat d'élu local.

M. Bernard Grasset a ajouté les éléments d'information suivants :

- l'expression publique par les militaires d'une opinion politique est ressentie comme problématique, ce qui rend difficile leur participation à une élection locale. Cependant, c'est moins le fait de ne pouvoir être candidat que celui de ne pas participer à la vie municipale qui préoccupe le plus les militaires. Les modes de participation à développer relèvent donc sans doute de modèles comme les commissions extramunicipales, permettant d'établir une relation entre le conseil municipal et des délégations de l'unité concernée, de façon à ce que les souhaits des militaires en matière de vie locale puissent être pris en compte ;

- le risque d'un afflux de saisines du médiateur n'a pas échappé aux rapporteurs, mais ils se sont heurtés à la difficulté de définir de manière pleinement satisfaisante le filtre qui pourrait être institué pour en réduire le nombre. Il convient, en tout état de cause, de s'en remettre à l'expérience pour vérifier la nécessité de ce filtrage ;

- il y a un point de désaccord entre les deux rapporteurs sur la participation des militaires d'active aux associations d'anciens militaires. On peut en effet se demander, quelle différence il peut y avoir entre une association à caractère professionnel et un syndicat, dès lors que l'exercice du droit de grève est prohibé. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer l'éventualité d'une multiplication des associations professionnelles dans l'hypothèse où les militaires d'active seraient autorisés à y adhérer et surtout le risque de création d'organisations pour les différentes catégories de grade, à l'instar de ce qui se passe dans la police.

MM. Bernard Grasset et Charles Cova ont souligné que l'attribution du rapport d'information à deux députés, l'un membre de la majorité, l'autre de l'opposition, et non pas à un seul, membre de l'une ou de l'autre, avait été perçue de manière très positive par leurs interlocuteurs, les militaires rencontrés ayant vu dans cette décision une garantie d'objectivité et de sincérité dans le compte rendu et le traitement qui serait fait de leurs propos.

La Commission a alors autorisé la publication du rapport d'information conformément à l'article 145 du Règlement.

ANNEXE I

COMPARAISONS
AVEC QUELQUES ARMÉES VOISINES

L'étude des instances de concertation et de l'expression des militaires a été l'occasion de comparer l'armée française avec celles d'autres pays. Le lecteur trouvera une brève description des armées allemande, américaine, britannique et italienne vues sous cet aspect. Les médiateurs norvégiens et suédois compétents dans le domaine de la défense font également l'objet d'une présentation.

Nous aurions aussi souhaité disposer d'éléments de comparaison avec deux autres États : le Canada, qui a mis en place depuis quelques années un système de médiation original puisque le médiateur est placé sous l'autorité du Ministre de la Défense qui, probablement, doit le nommer. Nous désirions également obtenir des éléments sur la concertation et l'expression dans l'armée du Japon. Grand vaincu en 1945, ce pays est aujourd'hui devenu une véritable démocratie. Qu'en est-il de son armée ? Malheureusement, les attachés de défense français en poste dans ces deux pays, saisis le 11 février 2000 et relancés en avril, ne nous ont toujours pas fait parvenir le moindre document à l'heure où nous présentons ce rapport, le 21 juin 2000. Preuve, s'il en était besoin, que le contrôle démocratique de l'exécutif par le législatif est, dans notre pays, largement perfectible.

LE SOLDAT-CITOYEN DE L'ARMÉE ALLEMANDE

L'actuelle armée allemande, la Bundeswehr, a été créée en 1956, en pleine guerre froide. Dès l'origine, cette armée considérée comme la première armée de conscription démocratique du pays a été conçue comme une contribution à l'Alliance atlantique et non comme une armée purement nationale. L'armée allemande, en pleine restructuration elle aussi, compte actuellement environ 330 000 militaires dont 190 000 de carrière et 135 000 appelés auxquels il convient d'ajouter 140 000 civils. Au lendemain de la réunification, elle comptait 509 000 militaires.

Le concept de l'Innere Führung et le citoyen en uniforme

Le très lourd poids du passé, omniprésent dans la culture militaire allemande, a conduit les autorités à concevoir une armée particulièrement encadrée et surveillée avec pour objectif de réduire l'écart la séparant de la société civile. Cela a abouti au concept de l'Innere Führung, formation civique et morale destinée à éviter que ne se reproduisent les erreurs du passé et qui a pour mission d'aider à atténuer et concilier les tensions qui résultent de l'antagonisme entre les droits et libertés du citoyen, d'une part, et les obligations et devoirs militaires, d'autre part, le but étant d'unir les forces armées dans l'accomplissement de leur mission aux valeurs de la Loi fondamentale allemande.

Ainsi, l'Innere Führung est conçu pour atteindre les objectifs suivants :

- apporter des explications pour le service quotidien militaire ;

- promouvoir l'intégration de la Bundeswehr et du soldat ;

- renforcer la disponibilité du soldat à servir, la discipline et la cohésion ;

- organiser le fonctionnement interne des armées en conformité avec la constitution allemande.

Cette conception démocratique de l'armée a abouti à la consécration du soldat « citoyen en uniforme ». Le soldat allemand se définit par les trois caractéristiques suivantes :

- il est avant tout un citoyen conscient de ses responsabilités ;

- il est également une libre personnalité ;

- il est évidemment un soldat opérationnel.

Dans ce cadre, les principaux droits du soldat allemand sont :

- le respect et la protection de la dignité humaine ;

- le libre épanouissement de la personnalité ;

- la libre expression de la pensée (sous certaines réserves).

La limitation de certains droits fondamentaux n'est admise que dans un cadre strict et lorsque les besoins du service la rendent indispensable. En contrepartie, la limitation de l'exercice de l'autorité et du devoir, la possibilité d'appartenir à un mouvement et le droit à une instruction civique et politique sont reconnus.

La concertation et l'expression dans la Bundeswehr

Le moral et la vie des unités

Un bureau chargé de veiller à l'état interne et social de la Bundeswehr centralise les comptes-rendus annuels des unités qui sont l'équivalent des rapports sur le moral que connaît l'armée française. Il est également destinataire de tous les rapports relatifs aux incidents ou accidents à signaler : morts accidentelles, suicides, rixes, pertes d'armes... Ce bureau réalise également des sondages trimestriels auprès des appelés et des engagés et s'appuie sur un certain nombre d'enquêtes sociales relatives aux conditions de vie et de logement des militaires.

La « personne de confiance »

Les militaires du rang, sous-officiers et officiers élisent, par collège, un représentant dénommé « personne de confiance », ainsi que deux adjoints. Cette personne, qui peut s'apparenter à un président de catégorie dans l'armée française, est chargée d'assurer la coordination entre les échelons supérieurs et subalternes et est habilitée à accéder directement, quand elle le souhaite, à tout niveau de la hiérarchie sans en rendre compte. La personne de confiance est saisie systématiquement dans les affaires disciplinaires et de mutation.

L'éducation politique

L'éducation politique, qui est à prendre dans le sens d'instruction civique, est un enseignement obligatoire pour les soldats de la Bundeswehr. Les appelés suivent 28 heures de cours d'instruction civique par mois, ce qui correspond à une journée entière par semaine et est considérable ; les engagés, eux, ne bénéficient que de 3 journées d'instruction civique par an auxquelles s'ajoutent des sessions d'une demie heure par semaine consacrées à la diffusion des informations courantes.

Les églises au sein de l'armée

Le rôle des églises reste considérable dans ce pays qui demeure toujours sous le régime du concordat. Des contrats ont été conclus avec les deux principales confessions du pays, la religion protestante et l'église catholique. C'est ainsi que des prêtres servent comme aumôniers militaires pendant quelques années avant de retourner dans leur diocèse civil. Pendant la durée de leur service dans l'armée, ils sont pris en charge par les autorités militaires, ainsi que leurs déplacements.

L'éligibilité des militaires allemands

Contrairement au système français, être élu à quelque niveau que ce soit a non seulement été jugé compatible avec l'état de militaire mais semble même être encouragé par les autorités militaires, dans la mesure où cela permet de rapprocher l'armée de la Nation et de valoriser l'institution militaire.

Tous les soldats étant éligibles, c'est à l'armée de s'adapter aux contraintes créées par l'éventuelle élection d'un militaire. Ainsi, l'armée allemande compte actuellement entre 6 et 10 de ses membres élus au Bundestag ou dans un parlement régional. Ces personnes bénéficient de décharges de service, ce qui leur permet de continuer à bénéficier des droits à l'avancement et à la pension de retraite.

L'armée allemande compte un nombre encore plus grand d'élus municipaux pour lesquels le mandat s'exerce en même temps que le service, ce dernier étant aménagé : les mutation, par exemple, font l'objet d'une attention particulière.

Le commissaire parlementaire aux forces armées

Institué en 1956, lors de la résurrection de l'armée allemande, le commissaire parlementaire aux forces armées a pour objet de contrôler les forces armées allemandes dans l'optique d'éviter que ne se reproduisent les errements passés. Créé sur le modèle suédois de l'Ombudsman militaire, ce commissaire dont la fonction figure dans la constitution allemande est un membre de la commission de la défense du parlement allemand, le Bundestag, élu au scrutin secret par ses pairs pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois et démissionne aussitôt de son mandat de parlementaire. Le commissaire parlementaire dispose d'une équipe d'une soixantaine de collaborateurs, tous civils, mais dont certains, anciens militaires ou anciens membres du cabinet du Ministre de la Défense, lui apportent une expérience précieuse.

Responsable uniquement devant le Bundestag auquel il remet un rapport annuel et dont il bénéficie du soutien total, le médiateur présente un diagnostic de l'armée allemande et en résume les déficiences. Le rapport est présenté et discuté en commission de la défense, devant le Ministre de la Défense, puis en séance publique devant l'ensemble des députés.

Sa mission est double : d'une part, il est chargé de contrôler les forces armées, sur pièces et sur place, y compris à l'étranger. D'autre part, il est une instance de pétition pour tous les militaires allemands, exerçant à ce titre des fonctions proches de celles d'un médiateur.

Un très large pouvoir de contrôle

Dans le cadre de ses fonctions de contrôle, le médiateur, ou plutôt la médiatrice devrions nous dire puisque les fonctions sont actuellement occupées par madame Marienfeld, n'annonce que très rarement ses visites, se présentant à la porte des casernes ou des bases navales ou aériennes de manière impromptue. Seules ses visites à la brigade franco-allemande sont assorties d'un préavis, par courtoisie à l'égard des militaires français. Depuis que des troupes allemandes sont stationnées hors des frontières du pays (en ex-Yougoslavie), madame Marienfeld se rend trois fois par an auprès de ces soldats expatriés afin d'observer les conditions de vie sur place et de témoigner de l'importance attachée par le parlement à ces opérations extérieures. Le commissaire parlementaire a accès à tous les dossiers, sauf ceux pour lesquels, mais ils sont rares, le secret défense est opposé. Toutes ses questions doivent obtenir une réponse.

Un médiateur à l'écoute des militaires

Dans le cadre de ses fonctions de médiateur, le commissaire parlementaire reçoit selon les années entre 6 000 et 8 000 recours émanant de toutes les catégories de militaires.

Ainsi, sur les 6 500 requêtes reçues en 1999, 11 provenaient de généraux ou d'amiraux et 309 d'officiers d'état-major même si, évidemment, l'immense majorité émane de militaires du rang ou de sous-officiers, bien plus nombreux. 40 % des recours concernent la gestion du personnel, qu'il s'agisse des appelés ou des engagés, 27 % les droits, les ordres et la conduite des hommes, 12,6 % les rémunérations et les questions sociales, 7 % l'approvisionnement et le soutien, 5 % le logement, la nourriture et l'habillement.

En tant que médiateur, le commissaire n'a pas le pouvoir d'intervenir directement mais peut adresser des propositions aux autorités militaires ou au pouvoir législatif, afin de faire modifier la législation. Son rôle se borne essentiellement à vérifier que les droits fondamentaux des soldats sont bien sauvegardés, à surveiller l'obsolescence des équipements militaires qui pourrait avoir une influence préjudiciable sur le moral et, dans un grand nombre de cas, à expliquer certaines décisions à des plaignants qui n'ont pas toujours une vision globale des choses. Car le commissaire parlementaire ne s'intéresse pas qu'aux intérêts des soldats et, loin de jouer un rôle de super représentant syndical, partage également le soucis de la bonne marche de l'armée.

Sa fonction d'autorité morale permet au commissaire parlementaire d'avoir toujours entretenu d'excellentes relations avec le Ministre de la Défense, quelle que soit la majorité au pouvoir, ainsi qu'avec les officiers supérieurs de l'armée allemande, intéressés par l'expérience d'une personne à qui leurs subordonnés parlent souvent plus librement qu'à un supérieur hiérarchique.

Les associations à caractère professionnel

La principale association professionnelle allemande s'appelle la « Bundeswehrverband », que l'on peut traduire par « Association de la Bundeswehr », nom de l'armée allemande. Ce groupement rassemble 65 % des militaires allemands en activité, sans distinction de grade. Chez les officiers généraux, ce taux monte à 90 %. Le Ministre de la Défense en est membre.

La Bundeswehrverband est l'un des membres fondateurs de l'association européenne fédératrice « Euromil », créée au début des années 70 et basée à Bruxelles. En fait d'européenne, cette association qui revendique 500 000 membres est largement dominée par les Allemands qui représentent les deux tiers des adhérants, aux côtés de quelques associations, principalement de retraités et de réservistes, mais aussi de militaires d'active, de différents pays d'Europe du nord et de l'est. Depuis peu, l'Italie (avec deux associations affiliées), l'Espagne (3 associations) et la France (2 associations) y sont représentées. Selon les termes mêmes de son président, l'amiral allemand Hundt, la principale activité d'Euromil est « le lobbying auprès de la Commission europénne, du Parlement et du Conseil, dans le but d'harmoniser la législation européenne concernant les soldats ».

Fondamentalement différente d'un syndicat classique dans la mesure où ses adhérants ne disposent pas du droit de grève et où il n'existe aucune convention collective, l'association se veut solidaire avec le gouvernement. Outre les intérêts individuels de ses membres, elle représente, en accord avec ses statuts, la Bundeswehr en tant qu'institution. Cela ne l'empêche pas de donner son point de vue sur la politique de défense de l'Allemagne. Si les militaires en activité ne peuvent pas critiquer la politique gouvernementale, la Bundeswehrverband peut se le permettre en raison de son poids et de l'élection démocratique de ses représentants. Elle permet ainsi de concilier la nécessaire obéissance des militaires et la possibilité pour eux de s'exprimer.

Notons qu'il existe une seconde association professionnelle, très minoritaire, qui est l'émanation d'un syndicat civil.

Au total, protégé par de puissantes associations, le soldat allemand bénéficie d'un nombre considérable de garanties et dispose de voies de recours diversifiées. S'il s'estime victime d'une injustice, il peut :

- attirer l'attention de sa hiérarchie par l'intermédiaire du compte-rendu annuel ;

- s'adresser à la personne de confiance de sa catégorie ;

- exercer un recours hiérarchique à son supérieur immédiat, droit garanti par l'article 18 de la constitution ;

- exercer son droit de pétition, garanti par l'article 17 de la constitution. La pétition est adressée directement au ministre ;

- s'adresser au commissaire parlementaire à la défense, sans passer par la voie hiérarchique ;

- adresser un recours hiérarchique à son chef d'unité ;

- adresser une requête auprès du tribunal militaire ou administratif compétent.

Comme on peut le constater, le poids des régimes totalitaires au cours desquels le soldat allemand n'était qu'un instrument docile et sans personnalité a abouti à doter les militaires d'outre Rhin d'un statut particulièrement protecteur et citoyen. Au traumatisme de la période nazie s'est ajouté depuis 1990 le poids de l'absorption de l'armée populaire est-allemande dont la tradition n'avait rien de démocratique et qui participa à la répression du soulèvement de Budapest en 1956 et du Printemps de Prague en 1968. Si, dans les faits, la Bundeswehr n'a admis dans ses rangs que quelques milliers de militaires particulièrement sélectionnés, certaines unités ayant appartenu à la défunte République démocratique allemande y sont encore représentées, même si elles ont depuis changé d'appellation.

CONCERTATION ET REPRÉSENTATION
DANS L'ARMÉE DES ÉTATS-UNIS

En l'absence de conscription, les forces armées des Etats-Unis sont constituées exclusivement de professionnels. Elles regroupent 1 587 000 militaires dont 495 000 dans l'armée de Terre, 462 000 dans l'aviation et 630 000 dans la Marine, sans compter environ un million de réservistes.

Dans une économie florissante où règne une situation de plein emploi, les métiers militaires sont fortement concurrencés par le secteur civil qui offre des situations mieux rémunérées pour des contraintes de disponibilité moindres.

Les militaires américains quittent facilement le métier des armes vers le civil lorsque des occasions se présentent où lorsque les avantages qu'ils retirent de leur situation ne compensent plus les inconvénients. Les grades les plus bas ont légalement droit à l'aide publique aux défavorisés, avec distribution de vêtements et de nourriture. En conséquence, les armées éprouvent de plus en plus de difficultés pour recruter et retenir leurs soldats.

Dans ce contexte très ouvert, la concertation et le droit d'expression devraient être favorisés afin de faire évoluer et de modifier le cadre et les conditions d'emploi des militaires pour les adapter aux transformations que connaît la société.

Ce n'est pas le cas. Même si les différentes armées utilisent fréquemment des méthodes modernes comme les sondages pour évaluer les diverses facettes de la condition militaire et du moral des forces, même si le Congrès possède des pouvoirs d'investigation importants qu'il ne se prive pas d'employer, il manque encore une communication structurée comparable à celle mise en place dans les armées françaises.

Cependant, par tradition, toute éventuelle dégradation du climat général ne s'exprime pas par un mécontentement revendicatif, mais par des démissions.

Les structures de concertation

Les structures de concertation comparables aux nôtres (commission participative d'unité, Conseil de la fonction militaire, Conseil supérieur de la fonction militaire) n'existent pas dans les forces armées américaines. C'est la chaîne hiérarchique qui est chargée de recueillir les souhaits et les observations du personnel, afin de mettre en _uvre les mesures correctives. Cette responsabilité, à la charge des chefs d'état-major de chaque armée, incombe directement aux inspecteurs généraux placés à leurs côtés. Ces derniers ont en effet tout particulièrement en charge le moral, les conditions de travail et le soutien aux familles. Ils disposent à cet effet d'un état-major en propre et procèdent par missions.

A l'occasion de chacune de ces missions d'inspection dans les forces, ils évaluent à l'aide d'un système formalisé les efforts consentis par l'autorité pour tenir compte des souhaits du personnel et ils rencontrent les présidents de catégorie.

Les présidents de catégorie

Seules, les fonctions de « Présidents de catégorie » existent aux Etats-Unis pour les personnels non-officiers, les hommes du rang étant représentés au niveau des unités élémentaires par un de leur pairs, conseiller du sous-officier président des « engagés ».

Les présidents des « engagés », les Command Sergeant majors ou Master Chief Petty Officer pour la Marine, existent à tous les niveaux de la hiérarchie, depuis celui du bataillon, du petit bâtiment ou de l'unité aérienne élémentaire à celui du chef d'état major de chaque armée.

Leur mission est de représenter le personnel non-officier (enlisted) vers le chef de corps ou d'unité auprès duquel ils sont placés mais aussi vers la chaîne directe du Master Chief aux différents niveaux de commandement (unité, commandement subordonné, grand commandement, état-major central). Leur rôle est beaucoup plus important que celui de leurs homologues français. On peut considérer qu'ils sont, après le commandant en second l'autre interlocuteur et relais du commandant d'unité.

Ces Command Sergeant majors ou Master Chief Petty Officer font en particulier remonter vers le commandement toutes les informations qui ne touchent pas à l'exécution de la mission : état du moral, problèmes rencontrés dans la vie quotidienne, amélioration possible des conditions de travail par exemple, organisation sociale des familles...

Ils sont choisis par le commandement parmi des volontaires en fonction de leurs qualités et de l'exemple qu'ils donnent.

Au niveau des chefs d'état majors, les Sergeant majors de l'armée de Terre et du corps des marines, les Master Chief Petty Officer de la Marine et les Chief Master Sergeant de l'armée de l'Air existent depuis vingt-cinq ans environ. Ils sont des interlocuteurs privilégiés pour les chef d'état-major et pour les directeurs du personnel de chaque armée.

Ils sont également des conseillers pour les différentes organisations qui traitent des affaires de personnel. Ils représentent, par ailleurs, les sous-officiers et des hommes du rang dans les manifestations officielles et le représentant central de chaque armée peut être appelé à témoigner devant le Congrès.

Ils disposent de moyens modernes (site Internet officiel, équipe de travail) pour communiquer avec les représentants au niveau des grands commandements et des unités.

Le rapport sur le moral

Le rapport sur le moral tel qu'il est conçu dans l'armée française (c'est à dire une synthèse élaborée par le commandement après consultation des diverses catégories de personnel) n'existe pas dans l'armée américaine. Occasionnellement, une analyse (Command Climate Survey) est conduite pour saisir l'état d'esprit d'une l'unité : en général elle suit la prise de commandement d'un chef. Chaque commandant d'unité organise à sa guise, ou à la demande des intéressés, des réunions sur le moral des différentes catégories de personnel.

Le plus fréquemment, l'institution militaire procède par enquêtes et sondages pour étudier un aspect particulier du moral ou de la condition militaire. Ces consultations peuvent être initiées

- par les armées (Chief of staff ou inspecteurs) ;

- par le secrétaire en charge de chaque armée ;

- par le Pentagon ;e

- par le GAO (General Accounting Office) qui est l'équivalent de la Cour des Comptes.

Par exemple, l'US Air Force effectue une fois tous les deux ans une étude à l'échelle nationale, la CSAF Survey (Chief of Staff of the Air Force Survey), qui permet de mesurer le moral et la qualité de vie de ses personnels militaires et civils.

La dernière étude, menée du 30 septembre au 29 octobre 1999, a permis à 206 000 membres de l'armée de l'Air, soit 39 % de son personnel, de s'exprimer sur divers sujets (retraite, hôpitaux) Les résultats ont été communiqués en janvier dernier au chef d'état-major de cette armée.

Les organismes chargés de ces études pour l'armée de Terre sont l'Army Research Institute ou (ARI) et l'Army Personnel Survey Office (APSO) qui est l'équivalent du centre de relations humaines de l'armée de Terre française.

Ces formules par sondage sont attrayantes car aisées à mettre en _uvre pour de vastes organisations mais elles affaiblissent le dialogue direct entre le chef et ses subordonnés, alors qu'un certain déficit de communication se fait déjà sentir dans les forces armées américaines.

Le personnel et la qualité de la vie font également l'objet du chapitre 10 du rapport annuel au Président et au Congrès préparé par le secrétariat d'Etat à la Défense. Sont plus particulièrement abordés dans ce chapitre l'égalité des chances, le rôle des femmes et des civils dans les armées.

La prise en compte de statistiques permettant de mesurer pour un personnel le temps passé en déplacement (PERSTEMPO) ou pour une unité, le temps passé en opération (OPTEMPO) ont permis, pour l'armée de l'Air par exemple, la mise sur pied du concept EAF (Expeditionnary Air Forces), visant une meilleure prise en compte de la planification des missions extérieures.

Les associations professionnelles

Le règlement de discipline générale énonce que la condition militaire est incompatible avec l'appartenance à un syndicat. Néanmoins, ce règlement prévoit que tout militaire peut en contrepartie :

- appartenir à toute organisation ayant une existence légale pourvu que ce ne soit pas un syndicat ;

- présenter une réclamation au travers de la chaîne hiérarchique ;

- rechercher toute information ou conseil auprès de toute source autorisée ;

- se faire représenter par un avocat ou tout autre conseiller ;

- déposer une pétition auprès du Congrès des Etats-Unis. Mais si un groupe directement concerné par un problème a le droit de signer une pétition, cela ne veut pas dire pour autant qu'il puisse faire circuler cette pétition.

- entreprendre toute action judiciaire ou administrative conformément à la loi.

Le syndicalisme dans les armées n'est pas une question à l'ordre du jour ; elle n'est même pas dans les esprits. Lorsqu'un militaire n'est pas satisfait de sa situation, il quitte le service et a toutes les chances de retrouver un emploi très rapidement.

Si les militaires ne sont pas autorisés à adhérer à un syndicat, ils peuvent en revanche rejoindre des associations, notamment pour les militaires de l'armée de Terre, l'AUSA (Association of the United States Army) qui est dirigée par un ancien chef d'état major de l'armée de Terre et la Navy League pour la Marine. Les cadres de cette association sont des officiers à la retraite, connaissant bien l'institution et qui, n'étant plus tenus par une chaîne hiérarchique, ont une grande liberté d'analyse et de commentaire.

Le poids de ces institutions tient également au grand nombre de leurs adhérents, (plus de 100 000 pour l'AUSA), à leur symbiose avec les éléments de l'armée et à la qualité de leur réseau de relations tissé avec les grands groupes industriels.

Par exemple, l'AUSA constitue un groupe de pression non négligeable dont l'action est visible au travers :

- de nombreuses publications (mensuels, études) ;

- des activités des groupes de travail armée-industrie qui sont un reflet du lien « militaro-industriel » et permettent l'échange des idées, besoins et difficultés de part et d'autre ainsi que la promotion du matériel ;

- des médias qui sont systématiquement invités à témoigner de la créativité et du dynamisme de l'association ;

- et surtout, d'une forte activité de « lobbying » ciblée sur le Congrès et l'administration.

Il existe également des Comités, non limités à une armée particulière, qui défendent les intérêts d'un groupe ou d'une minorité, par exemple le Defence Advisory Committe on Women in the Services (DACOWITS).

Dans la vie courante, les militaires se plaignent surtout du phénomène de « surchauffe » (moins de personnel, de plus en plus d'opérations) qui s'installe, auquel il faut ajouter une grande mobilité professionnelle qui peut nuire à la vie de famille.

Pour la Marine, la surveillance constante de l'action des commandants d'unités par de trop nombreuses inspections, ayant été identifiée comme un facteur de départ des jeunes capitaines de frégate, le processus a été corrigé par la hiérarchie qui avait interrogé les catégories de personnel.

Le poids du législatif

Le Congrès des Etats-Unis, dont les pouvoirs sont plus largement utilisés que par le Parlement français, compte dans ses rangs des autorités qui suivent de très près les intérêts des personnels militaires, et tendent à les faire respecter. Les groupes de pression, les fameux lobbies, jouent ici un rôle déterminant.

La Chambre des Représentants et surtout le Sénat dont l'action est relayée par un personnel important, n'ignorent pas la défense. Le Congrès est appelé à arbitrer entre les armées qui, disposant chacune en propre d'un budget, sont souvent concurrentes.

Les sénateurs et les représentants sont généralement portés à défendre les intérêts locaux : amicales de vétérans qui sont un pilier de l'Amérique traditionnelle, sites industriels travaillant pour la défense, poids de la garde nationale dans les différents États entraînent la plupart des élus à s'intéresser aux questions militaires.

Enfin, le Congrès peut convoquer les militaires qu'il souhaite entendre dans le cadre de ses investigations.

Les structures de médiation

Il n'existe pas de structure de médiation à proprement parler. Deux organismes particuliers sont chargés de protéger les individus.

L'inspecteur général de chaque armée, déjà évoqué, s'intéresse aux dysfonctionnements constatés dans l'armée dont il a la charge et traite en particulier tout ce qui s'apparente aux abus de commandement.

Le bureau d'Equal Opportunity organise la prévention et lutte contre toutes les formes de discrimination ou de harcèlement sexuel. Il veille à l'égalité des chances de chacun, quelle que soit son origine ethnique, son sexe, ses opinions philosophiques ou religieuses. Pour la surveillance du harcèlement sexuel, il enquête sur les manquements aux règles nombreuses et précises qui régissent les comportements entre hommes et femmes outre Atlantique.

L'expression des militaires

Le droit d'expression, garanti par le premier amendement de la constitution, s'applique sans restriction aux militaires. Néanmoins, dans la vie courante, il existe au moins deux limites :

- les auteurs ne doivent pas publier d'informations classifiées sous peine de poursuites ;

- les publications ou déclarations qui s'écartent des idées retenues par le commandement ne favorisent pas toujours un déroulement de carrière harmonieux, même si l'originalité de la réflexion est encouragée.

Les jeunes recrues s'engageant dans les forces reçoivent dès leur incorporation une carte, la « bill of rights », qui leur rappelle leurs droits, au nombre de six2, et plus particulièrement ceux en matière de harcèlement sexuel et discrimination.

La carte comporte les numéros de téléphone de la chaîne de commandement, y compris ceux des inspecteurs généraux ainsi que l'équivalent d'un numéro vert valable dans le monde entier.

Il faut noter, enfin, l'existence de nombreux magazines militaires indépendants du ministère de la Défense, tout au moins sur les plans juridique et financier, et qui constituent des forums d'opinions souvent intéressants.

Les militaires d'active peuvent :

- voter et exprimer une opinion politique à condition qu'ils ne parlent pas au nom de l'armée ;

- faire des dons à des organisations politiques ;

- participer à des réunions politiques à condition de ne pas porter l'uniforme.

S'ils n'ont pas le droit de participer à une campagne électorale, les militaires américains sont autorisés à mener toutes les actions qui s'apparentent à de l'éducation civique. Enfin, ils ne peuvent pas se porter candidat à un poste électif fédéral ou d'Etat.

CONCERTATION ET DROIT D'EXPRESSION
DANS LES FORCES ARMÉES BRITANNIQUES

Pour une population de soixante millions d'habitants, le Royaume-Uni dispose d'une armée qui compte environ 220 000 militaires ainsi répartis : 115 000 dans l'armée de Terre, 47 000 dans la Marine et 56 000 dans l'armée de l'Air. Professionnalisée de longue date, l'armée britannique ne compte aucun conscrit.

Une absence de structures participatives

Les forces armées britanniques n'ont pas de structures de concertation comparables à celles en vigueur dans les forces armées françaises (présidents de catégorie, commissions participatives d'unité, Conseils de la fonction militaire, Conseil supérieur de la fonction militaire, rapport sur le moral...). Les préoccupations des militaires sont habituellement relayées par la voie hiérarchique ou soulevées à la faveur des inspections. Toutefois, une équipe de liaison, placée auprès de chaque chef d'état-major d'armée (briefing team dans l'armée de Terre), composée de deux à trois officiers et sous-officiers effectue des visites d'unités, procède à des entretiens confidentiels avec les différentes catégories de personnels et rend compte directement au chef d'état-major de chaque armée ou à son adjoint des difficultés constatées.

En outre, tous les six mois, un sondage (continuous attitude survey) élaboré et exploité par des psychologues du ministère de la Défense, destiné à évaluer le degré de satisfaction, l'état d'esprit et les grandes tendances qui se dessinent, est réalisé sur quelques points particuliers prédéterminés.

Il n'existe pas de médiateur compétent dans le domaine militaire au Royaume-Uni.

Les forces armées n'ont pas de syndicats. Mais les militaires peuvent adhérer à des syndicats d'autres organisations professionnelles ou à des associations et assister individuellement à des réunions, à condition de ne pas porter l'uniforme et d'éviter toute implication dans les questions purement politiques.

Une protection principalement assurée par la hiérarchie et les règles de droit.

En ce qui concerne les soldes des militaires, un organisme, l'Independent Pay Review Body, composé de personnalités civiles, propose tous les ans un certain nombre de recommandations au Premier ministre. Elles sont généralement acceptées. Pour ce qui concerne les questions de harcèlement sexuel et de discriminations sexuelle et raciale, dans chaque régiment ou formation autonome est affecté un equal opportunities adviser, du grade d'officier ou de sous-officier (senior NCO), qui conseille le commandement. En outre s'agissant des litiges dans le domaine de la solde, du harcèlement sexuel ou de la discrimination raciale, les militaires ont accès aux juridictions professionnelles (qui correspondraient, en France, aux Conseils des Prud'hommes).

Enfin, les militaires qui ont des doléances à exprimer peuvent le faire par la voie de la chaîne hiérarchique jusqu'au Defence Council pour les sous-officiers, et de la Reine (en fait, le Ministre de la Défense) pour les officiers. Cette procédure est désignée sous le nom de redress system.

En matière de droit d'expression, les militaires ne peuvent ni s'exprimer sur les questions de défense qui pourraient d'une manière ou d'une autre gêner le gouvernement ni aborder des sujets politiques.

Toutes les règles relatives aux statuts ou à la discipline sont contenues dans les Queen's Regulations, c'est-à-dire le règlement de chaque armée, qui sont révisées tous les cinq ans par une loi (Act of Parliament).

LE SYSTÈME DE CONCERTATION ITALIEN

Peuplée de 58 millions d'habitants, l'Italie dispose d'une armée de 295 000 militaires dont 188 000 pour l'armée de Terre, 63 000 pour l'armée de l'Air et 44 000 pour la Marine. A ces forces, il convient d'ajouter les Carabiniers et la Garde des finances. L'armée italienne fait appel à la conscription.

L'Italie est un pays qui a longtemps entretenu une certaine défiance vis-à-vis de ses forces armées. Aussi, les rapports entre les forces armées et les représentants nationaux ont toujours été plus proches du rapport de force que de la relation de confiance.

Un système de concertation moins étendu que le nôtre...

A première vue, le système de concertation et d'expression italien semble moins développé que le système français ou que les systèmes nordiques : il n'existe pas dans l'armée italienne l'équivalent des présidents de catégorie. Il n'existe pas non plus d'équivalent au rapport sur le moral, même si le chef de chaque unité adresse à sa hiérarchie un rapport qui est surtout un état des lieux de son unité et un bilan sur son fonctionnement : punitions, évolution du recrutement... Il n'existe pas non plus de médiateur militaire.

La concertation dans l'armée italienne repose essentiellement sur un ensemble d'organes collégiaux qui se situent à trois niveaux :

- 360 conseils de base (Cobar) à l'échelon de l'unité ou de la base. Les militaires sont représentés à proportion d'un délégué pour 250 hommes ou femmes dans cette instance qui rappelle les Commissions participatives d'unité de l'armée française ;

- 10 conseils intermédiaires (Coir) à l'échelon des commandements de région ;

Un conseil central interarmées (Cocer) à l'échelon du chef d'état-major des armées. Cet organisme est subdivisé en cinq sections dans lesquelles sont traités les problèmes spécifiques aux armées ainsi qu'aux différentes catégories de personnels : officiers, sous-officiers, militaires du rang et appelés. Le Cocer, qui fait penser à notre CSFM, compte actuellement 69 membres dont 13 pour sa section Cocer/terre.

... mais basé sur l'élection des représentants

Les représentants des militaires siégeant dans les Cobar et les Cocer sont élus par leurs pairs au terme d'une procédure qui se veut la plus démocratique possible. C'est au chef de corps qu'échoit la responsabilité d'organiser des réunions informatives sur le rôle de ces organismes ainsi que sur le bilan des conseils sortants.

Il doit également organiser l'emploi du temps de ses subordonnés de manière à leur permettre de participer à toutes les phases de l'élection, inciter éventuellement ceux qu'il juge les plus aptes à se présenter et établir la liste des candidats et des électeurs.

Dans les dix jours précédant la date de l'élection, les candidats mènent leur campagne électorale dans l'unité, oralement ou par voie d'affiches. Une fois élus, les délégués restent dans leur emploi et sont tenus de continuer à remplir leurs fonctions au sein de leur organisme d'affectation.

Afin de s'assurer de la représentativité des délégués, ne peuvent être élus au niveau central (Cocer) que les délégués déjà élus au niveau de la base (Cobar). Le mandat, renouvelable tant que l'intéressé porte l'uniforme, est de trois ans pour les militaires de carrière, d'un an pour les militaires du rang engagés volontaires et de six mois pour les appelés.

Les attributions et le fonctionnement de ces conseils

Aux termes de la loi, les Cobar doivent se réunir au moins une fois par mois, le Coir et le Cocer une fois tous les six mois. La présidence de chaque conseil est assurée par le militaire le plus ancien dans le grade le plus élevé.

Ces conseils de représentation ne peuvent s'exprimer que sur des sujets relevant de la condition militaire (moral, solde, loisirs, familles...) à l'exclusion de tout ce qui relève de l'organisation, de l'entraînement et de l'emploi opérationnel des forces.

Chaque réunion fait l'objet d'un procès-verbal qui remonte à l'échelon supérieur, c'est à dire du Cobar vers le Coir et de ce dernier vers le Cocer. Toute question posée doit recevoir une réponse dans les soixante jours, faute de quoi la question remonte à l'échelon supérieur.

Les dérives possibles du système

La loi étant assez libérale avec les déclarations à la presse, certains membres du Cocer n'hésitent pas à s'exprimer librement, ce qui peut avoir de fâcheuses conséquences lorsque le chef d'état-major, par exemple, est mis en cause.

En outre, la légitimité assurée par leur élection peut inciter ces mêmes délégués à entrer en contact direct avec le Ministre de la Défense ou les commissions parlementaires compétentes pour la défense en contournant l'autorisation hiérarchique de l'état-major prévue par les textes. Un danger sérieux de politisation guette donc ce système de représentation.

Malgré cela, l'action des conseils de représentation est jugée largement positive, la majorité des problèmes étant résolus de manière satisfaisante et rapide. Ainsi, le statut juridique des cadres, la réinsertion des appelés dans le monde du travail et d'une manière générale la condition militaire ont été améliorés grâce au travail de ces conseils.

LE MÉDIATEUR À LA DÉFENSE NORVÉGIEN

Comme beaucoup de pays d'Europe du nord, la Norvège se caractérise par un contrôle réel du législatif sur l'exécutif. Les médiateurs nommés par le parlement en sont l'un des éléments. S'il ne faut sans doute pas surestimer leur rôle au sein d'une armée bien plus petite que la nôtre, nous devons constater que leur pouvoir moral est très grand, ce qui facilite les contacts avec la hiérarchie militaire. Mais le médiateur n'est qu'une voie de recours parmi d'autres.

Un contrôle hautement démocratique du législatif sur l'exécutif

La Norvège est un pays dans lequel le parlement, le Storting, dispose de larges pouvoirs. C'est lui qui nomme les membres de l'équivalent local de la Cour des comptes. Le Storting nomme également depuis 1963, un médiateur pour l'administration civile et, depuis 1952, une instance de médiation à la défense, l'Ombudsmann for Forsvaret. Il est d'ailleurs intéressant de relever que dans ce pays, le médiateur civil, dont le rôle s'apparente à notre Médiateur de la République, a été créé onze ans après le médiateur à la défense, grâce aux enseignements apportés par ce dernier. Notons qu'il existe d'autres instances de médiation, nommées par le gouvernement, mais aucune d'elles n'a de compétence dans le domaine militaire.

L'instance de médiation compétente pour les affaires de défense est en fait un comité de sept personnes, dont le président, actuellement M. Per A. Utsi, est plus particulièrement chargé de traiter les requêtes individuelles, tandis que ses six collègues (actuellement trois hommes et trois femmes) examinent plutôt les questions d'ordre général : retour des soldats du Kosovo, emploi des hélicoptères de secours, nombre de médecins dans les forces armées... L'ensemble des membres de ce comité exerce également une mission de contrôle au quotidien des casernes, de la nourriture, des équipements, des conditions de vie et des loisirs des militaires. Un compte-rendu est publié à l'issue de toutes les visites effectuées sur le terrain tandis qu'un rapport général de l'activité de l'instance de médiation est publié chaque année. Quatre fonctionnaires secondent les sept médiateurs.

La nomination des sept médiateurs à la défense est le premier acte du nouveau parlement, tous les quatre ans, lors du début d'une nouvelle législature. Le mandat est renouvelable indéfiniment, M. Utsi étant en poste depuis quinze ans.

En raison de sa nomination et son rôle, cette instance de médiation fait penser à une super commission de la défense, la commission parlementaire de la défense du Storting ne comptant que dix membres. De par leur nomination, les sept médiateurs sont souvent choisis parmi le personnel politique et sont parfois d'anciens parlementaires, mais ce n'est évidemment pas une condition car leur rôle ne se veut pas politique. Nos amis norvégiens nous ont expliqué que leur nomination par le Storting était une condition indispensable pour qu'ils puissent exercer un véritable pouvoir de contrôle sur l'exécutif.

Une quantité de requêtes à l'échelle d'une petite armée

Les requêtes doivent en principe prendre une forme écrite, mais de nombreux litiges, voire des malentendus, sont réglés par téléphone. Le médiateur ne donne pas de suite aux demandes anonymes, quelle que soit leur forme. Le médiateur à la défense reçoit environ 130 requêtes écrites par ans, chiffre qui peut sembler faible mais qui doit être rapporté à l'échelle de l'armée norvégienne qui compte 12 500 militaires d'active, 20 000 appelés et 11 000 civils. Il existe en outre une garde territoriale composée de 80 000 personnes qui sont, en fait, des réservistes territoriaux effectuant une semaine d'exercices par an. Rappelons que la Norvège ne compte que 4,2 millions d'habitants.

La plupart des requêtes émanent des officiers et des militaires du rang, même s'il arrive que des officiers généraux saisissent le médiateur : récemment, un général s'est plaint d'être moins bien rémunéré que lorsqu'il était colonel. Le médiateur a pris son parti. Notons qu'il n'existe plus en Norvège de sous-officiers. 40 % des requêtes proviennent des civils du ministère de la Défense, 33 % de l'armée de Terre, 12 % de la Marine, 12 % de l'armée de l'Air et 3 % de la garde nationale. Les requêtes portent principalement sur des questions de discipline, les litiges relatifs aux mutations des officiers étant négligeables. On estime que 1 % des décisions relatives à la discipline font l'objet d'un recours.

Une excellente coopération entre le médiateur et l'état-major

L'action du médiateur ne semble pas paralyser la hiérarchie militaire dans la mesure où le recours n'est pas suspensif et où les ordres sont exécutés. Le fait pour un appelé de savoir qu'il a déposé une requête devant le médiateur peut même l'inciter à continuer à obéir à sa hiérarchie, sachant que l'instruction suit son cours. L'avis du médiateur n'intervient qu'a posteriori et n'a donc pas, selon les termes mêmes du président de la commission de la défense du Storting, de conséquence opérationnelle.

La neutralité et l'objectivité de l'instance de médiation sont reconnues par la hiérarchie militaire qui lui accorde de ce fait un grand crédit. Les remarques et les demandes du médiateur sont généralement prises en considération par une hiérarchie militaire qui lui communique tous les documents demandés, comme cela est prévu par la loi instaurant les Ombudsmannen for Forsvaret. Le médiateur semble jouir d'un immense pouvoir moral qui lui permet d'être respecté par tous les acteurs du domaine de la défense, d'autant plus qu'il ne rend que des avis non contraignants. Il nous a, par ailleurs, été indiqué que le médiateur pouvait avoir un effet modérateur sur le comportement de certains officiers.

Une question reste toutefois en suspens : quel sera son rôle dans le cadre des opérations extérieures auxquelles la Norvège participe depuis peu et quelles seront les conséquences sur le plan opérationnel de cette petite armée qui n'a plus connu de combat depuis soixante ans ? Le médiateur n'a, en effet, pas encore été saisi par un militaire en opération hors du territoire national. La décision de n'envoyer en opérations extérieures que des volontaires même parmi les officiers de carrière devrait faciliter les choses.

Les autres voies de recours

Outre le médiateur, les militaires norvégiens peuvent bien sûr s'adresser à « l'homme de confiance » de leur unité, qui est l'équivalent des présidents de catégorie dans l'armée française. Ils peuvent déposer un recours devant leur hiérarchie. Le recours hiérarchique n'est pas un préalable obligatoire à la saisine du médiateur, de même que les tribunaux civils ou administratifs peuvent être saisis directement. Mais en passant par l'entremise du médiateur, le militaire a l'assurance de voir son dossier traité à fond et dans des délais raisonnables, ce qui peut rendre inutile la saisine de la justice.

Enfin, même s'ils ne disposent pas du droit de grève, les militaires norvégiens ont également la possibilité de faire appel à un syndicat ou à une association professionnelle pour défendre leurs droits, mais sauf question de principe, ces derniers s'intéressent davantage aux sujets d'ordre général qu'aux litiges personnels. Enfin, le recours aux tribunaux leur est bien entendu pleinement ouvert, même s'il reste assez rare.

LA MÉDIATION SUÉDOISE

La Suède est le pays qui a la plus longue expérience en matière de médiateur puis que le premier « Ombudsman » fut créé en 1809. C'est quelques années après que le pays devint neutre. Peuplé de 9 millions d'habitants, la Suède compte environ 56 000 militaires, dont à peu près 40 000 pour l'armée de Terre, 7 000 pour l'aviation et 9 000 pour la Marine. La conscription existe toujours en Suède, mais en réalité, comme les besoins des armées sont faibles, seuls 30 % à 35 % des jeunes gens d'une classe d'âge, en fait quasiment des volontaires, sont appelés sous les drapeaux.

Une culture de la médiation

La Suède peut être considérée comme le « paradis » des médiateurs : il en existe dix. Six sont nommés par le gouvernement (la création d'un septième serait à l'étude) : il s'agit du médiateur des consommateurs, de celui de l'égalité des chances, de celui contre la discrimination ethnique, de celui des enfants, de celui des handicapés et de celui de la presse.

Dans le cadre du contrôle qu'il exerce sur le pouvoir exécutif, le parlement, le Riksdag, en élit quatre autres dont les champs de compétence recouvrent, au total, l'ensemble de l'activité du gouvernement. Ainsi, le médiateur compétent pour la défense s'occupe également de l'administration pénitentiaire, de la police, des services fiscaux et des assurances sociales. Au total, les quatre médiateurs parlementaires gèrent un budget de 44 millions de couronnes (environ 35 millions de francs ou 5,3 millions d'euros) et sont aidés par une cinquantaine de fonctionnaires.

Les médiateurs parlementaires (Justitieombudsmännen) sont élus pour un mandat de quatre ans, traditionnellement à l'unanimité. Ces mandats sont renouvelables et l'actuel médiateur compétent pour la défense, M. Jan Pennlöv, est en poste depuis dix ans. Les médiateurs sont souvent d'anciens juges sans profil politique.

Une grande liberté de saisine

Bien qu'élu par le parlement, le médiateur dispose d'une totale liberté vis-à-vis du Riksdag qui ne peut influer sur ses décisions. Les sujets sur lesquels il se penche émanent généralement de saisines, mais le médiateur peut également se saisir de toute question ayant attiré son attention par l'intermédiaire de la presse ou par tout autre moyen. Il peut également classer sans suite certaines requêtes qui lui paraissent injustifiées. Ni le parlement ni le gouvernement n'ont d'influence sur le choix des affaires traitées. N'importe qui peut saisir le médiateur, sans condition de nationalité ni de résidence. Seule restriction : la saisine doit être écrite.

Le Justitieombudsmän compétent pour les affaires militaires reçoit environ 5 000 requêtes par an, mais seulement une trentaine concernent l'armée, la plupart relevant de ses autres champs de compétence. Ce faible nombre s'explique par l'importante baisse des effectifs de l'armée suédoise et notamment des conscrits. Jusqu'en 1967, époque à laquelle existait un médiateur entièrement spécialisé dans le domaine militaire, le nombre de requêtes annuelles pouvait dépasser les 2 000. Les principaux types de requêtes qu'il reçoit sont les suivants :

- infractions aux règles de sécurité ;

- litiges relatifs à la discipline, aux sanctions et mauvais traitements infligés aux appelés ;

- litiges relatifs à la responsabilité, lorsqu'une décision n'a pas été prise par la bonne autorité ;

- litiges relatifs à l'accès à certains documents.

Des pouvoirs très étendus

Outre son travail de médiation proprement dit, le médiateur a également une fonction de contrôle qui le conduit à se rendre dans les casernes, consacrant 20 à 25 jours par an à ses déplacements. Il rencontre à la fois le commandant de l'unité et les simples militaires du rang. Il contrôle les conditions de vie (logement, soins, nourriture...) ainsi que toutes les pièces relatives aux sanctions. Le médiateur a accès à tous les documents et on ne peut lui opposer aucun secret civil ou militaire. Il prévoit de se rendre prochainement au Kosovo où des troupes suédoises sont déployées.

Les pouvoirs des médiateurs parlementaires suédois sont particulièrement étendus et peuvent même nous paraître surprenants dans la mesure où, même si cette pratique semble assez peu courante, ils ont la possibilité de mettre en examen et de déférer devant la justice des personnes qui aurait commis des actes répréhensibles. Enfin, le médiateur rend un rapport annuel. Par souci de transparence, les requêtes, décisions et avis sont tous rendus publics avec les noms des personnes en cause.

De très bonnes relations avec l'état-major

La surveillance que le médiateur exerce sur l'administration publique est culturellement admise et les militaires, comme les autres, acceptent que le Justitieombudsmän vérifie la bonne application des textes en vigueur. Les relations du médiateur avec l'état-major semblent particulièrement bonnes, les critiques émises étant généralement prises en compte. Les recommandations du médiateur n'ont pas de caractère coercitif et ne revêtent que la forme d'avis, souvent suivis d'effets. Le grand intérêt que la presse semble accorder à l'action des médiateurs semble expliquer l'empressement que mettent les armées à suivre les conseils du médiateur.

Comme chez leurs voisins norvégiens, les Suédois s'interrogent sur les conséquences de l'action du médiateur sur le plan opérationnel de leur armée, notamment lors d'opérations extérieures. Si, en théorie, il est envisageable que des décisions opérationnelles fassent l'objet de contestation, il est par contre exclu que le médiateur accepte des requêtes mettant en cause des décisions issues de l'ONU ou de l'OTAN.

Rappelons enfin que, comme en Norvège, les militaires suédois ont la possibilité de se syndiquer (taux de syndicalisation : 90 %) et bénéficient même du droit de grève qui n'a jamais été mis en _uvre, même si des préavis ont parfois été déposés.

ANNEXE II
LISTE DES UNITÉS VISITÉES ET DES PERSONNALITÉS RENCONTRÉES

1. 24 novembre 1999 : rencontre avec le général Desjardin, directeur du personnel militaire de la Gendarmerie.

2. 24 novembre 1999 : rencontre avec le vice-amiral d'escadre Bereau, directeur du personnel militaire de la Marine.

3. 30 novembre 1999 : rencontre avec le général Rideau, directeur du personnel militaire de la armée de Terre.

4. 1er décembre 1999 : table ronde avec des personnels du Centre d'instruction naval de Saint-Mandrier.

5. 1er décembre 1999 : table ronde avec des personnels des équipages embarqués de l'aviso QM Anquetil et du chasseur de mines L'aigle.

6. 13 décembre 1999 : 3 tables rondes avec des militaires du 93ème régiment d'artillerie de montagne de Varces.

7. 14 décembre 1999 : 3 tables rondes avec des militaires du 92ème régiment d'infanterie de Clermont-Ferrand.

8. 21 décembre 1999 : 2 tables rondes avec des personnels de la base aérienne 132 de Colmar.

9. 19 janvier 2000 : 4 tables rondes à Satory avec les gendarmes mobiles du GBGN (groupement blindé) et du GSIGN (groupement de sécurité et d'intervention).

10. 25 janvier 2000 : rencontre avec le colonel Gertz, président de la Bundeswehrverband, principale association allemande de militaires, et avec l'amiral Hundt, secrétaire général d'Euromil, fédération européenne d'associations militaires.

11. 25 janvier 2000 : rencontre au Bundestag avec Mme Marienfeld, commissaire parlementaire aux forces armées.

12. 26 janvier 2000 : rencontre avec le général Sohst, responsable du personnel au ministère allemand de la défense.

13. 8 février 2000 : 3 tables rondes avec des militaires du 1er Régiment de hussards parachutistes de Tarbes.

14. 9 février 2000 : 3 tables rondes avec des militaires du 1er Régiment parachutiste d'infanterie de Marine de Bayonne.

15. 10 février 2000 : une table ronde avec des présidents de sous-officiers de la région Terre de Bordeaux.

16. 10 février 2000 : rencontre avec le général de Lambert, commandant militaire de la région de Bordeaux.

17. 1er mars 2000 : 3 tables rondes avec des officiers mariniers, des officiers de Marine et des gendarmes maritimes basés à Cayenne, en Guyane.

18. 1er mars 2000 : 2 tables rondes avec des sous-officiers puis des officiers de la brigade de Gendarmerie de Cayenne.

19. 2 mars 2000 : 3 tables rondes avec des militaires de tous grades du 9ème RIMA de Cayenne.

20. 2 mars 2000 : 2 tables rondes avec des militaires du rang et des sous-officiers du 3ème REI de Kourou.

21. 3 mars 2000 : table ronde avec des officiers et des sous-officiers du GSMA de Saint-Jean-du-Maroni,

22. 3 mars 2000 : table ronde avec des sous-officiers de la brigade de Gendarmerie de Saint-Laurent-du-Maroni.

23. 4 mars 2000 : 2 tables rondes avec des sous-officiers et des officiers de la base aérienne de Rochambeau, en Guyane.

24. 6 mars 2000 : rencontre avec le général Fournaise, commandant l'école des officiers de la Gendarmerie nationale de Melun.

25. 7 mars 2000 : 3 tables rondes avec des officiers et des sous-officiers de la brigade de Gendarmerie de Beauvais, puis de Senlis.

26. 8 mars 2000 : rencontre avec monsieur Alain Richard, Ministre de la Défense.

27. 15 mars 2000 : table ronde avec une quinzaine de colonels du CHEM, à l'école militaire.

28. 23 mars 2000 : 3 tables rondes avec des militaires du rang, sous-officiers et officiers du 5ème RIAOM et de la 13ème DBLE stationnés à Djibouti.

29. 23 mars 2000 : table ronde avec les gendarmes de la Gendarmerie prévôtale de Djibouti

30. 25 mars 2000 : 3 tables rondes avec des militaires techniciens de l'air, sous-officiers et officiers de la base aérienne de Djibouti Ambouli.

31. 26 mars 2000 : 2 tables rondes avec des officiers mariniers et des officiers de Marine basés à Djibouti.

32. 4 avril 2000 : rencontre avec les responsables du Centre d'information et de recrutement (CIR) et du Centre d'orientation et de reconversion (COR) de la Gendarmerie nationale.

33. 5 avril 2000 : 3 tables rondes avec des militaires du 40ème régiment d'artillerie de Suippes,

34. 5 avril 2000 : 3 tables rondes avec des militaires du 3ème régiment d'hélicoptère de combat (ALAT) à Etain.

35. 6 avril 2000 : 3 tables rondes avec des militaires du 1er/2ème chasseurs, à Verdun.

36. 6 avril 2000 : table ronde avec des présidents de sous-officiers de l'ensemble de la région Terre de Metz.

37. 6 avril 2000 : rencontre avec le général de corps d'armée Patois, commandant la région militaire de la région de Metz.

38. 18 avril 2000 : 2 tables rondes avec des officiers et des officiers mariniers de la base aéronavale de Landivisiau.

39. 18 avril 2000 : table ronde avec des présidents d'officiers mariniers.

40. 18 avril 2000 : rencontre avec le vice-amiral d'escadre Naquet-Radiguet, commandant la région maritime atlantique.

41. 19 avril 2000 : 2 tables rondes avec des officiers et des officiers mariniers du Groupe d'action sous-marine (GASP)

42. 19 avril 2000 : 2 tables rondes avec des officiers mariniers et des officiers de deux Sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE).

43. 2 mai 2000 : rencontre avec le contrôleur général des armée Rebmeister.

44. 10 mai 2000 : table ronde avec des gendarmes de la brigade de Gendarmerie d'Aigrefeuille d'Aunis et de celle de Surgères.

45. 10 mai 2000 : table ronde avec le personnel de l'école de Gendarmerie de Rochefort-sur-Mer.

46. 11 mai 2000 : 2 tables rondes avec des officiers et avec des sous-officiers de la base aérienne de Rochefort-sur-Mer.

47. 16 mai 2000 : rencontre avec l'amiral Delaunay, chef d'état-major de la Marine.

48. 17 mai 2000 : rencontre avec M. Jean-Claude Mallet, secrétaire général de la défense nationale.

49. 31 mai 2000 : rencontre avec le Médiateur de la République, M. Bernard Stasi, et son secrétaire général, le contrôleur général des armées Delbauffe.

50. 13 juin 2000 : rencontre avec cinq des dix parlementaires de la commission de la défense du parlement norvégien, conduits par leur président, M. Røsjorde.

51. 13 juin 2000 : rencontre avec M. Per A. Utsi, médiateur à la défense de norvège (Ombudsmannen for Forsvaret).

52. 13 juin 2000 : rencontre avec le colonel Per Inge Olsen, du service du personnel de l'état-major norvégien des armées, chef de la section chargée des questions sociales, de la condition militaire et du service national.

53. 14 juin 2000 : rencontre avec M. Jan Pennlöv, médiateur des forces armées suédoises.

54. 14 juin 2000 : rencontre avec le colonel Bernhard Issal de la direction du personnel et avec Mme Ulrika Plantin du service juridique des forces armées suédoises.

2490 - Rapport d'information de MM. Bernard Grasset et Charles Cova sur les actions destinées à renforcer le lien entre la Nation et son Armée (commission de la défense)

1 En mai 2000, la proportion des officiers généraux dans chaque armée est la suivante : 1 pour 3 036 dans la Gendarmerie (31 officiers généraux), 1 pour 1 028 dans l'armée de Terre (215 officiers généraux), 1 pour 821 dans la Marine (73 officiers généraux), 1 pour 944 dans l'armée de l'Air (84 officiers généraux).

2 Etre informé des lois et des règlement ayant une incidence sur l'entraînement et la vie quotidienne.

- Recevoir une formation et un entraînement militaires de qualité.

- Travailler et vivre au sein d'un environnement exempt de toute discrimination raciale ou de harcèlement sexuel.

- Refuser les ordres, suggestions ou demandes immoraux ou inappropriés de la part de quiconque (instructeur, hiérarchie, civil ...).

- Etre traité avec respect et dignité.

- Dénoncer le comportement immoral ou inapproprié de ses propres autorités, en passant ou non par la voie hiérarchique.