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N° 3055

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 mai 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES(1) en conclusion
des travaux d'une
mission d'information
(2) sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe et des opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, à des risques sanitaires spécifiques

et présenté par
M. 
Bernard CAZENEUVE,
Mme Michèle RIVASI et M. Claude LANFRANCA,
Députés.

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TOME I

RAPPORT

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

(2) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Défense.

La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de :

M. Paul Quilès, président ; MM. Didier Boulaud, Jean-Claude Sandrier, Michel Voisin, vice-présidents ; MM. Robert Gaïa, Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, secrétaires ; MM. Jean-Marc Ayrault, Jacques Baumel, Jean-Louis Bernard, André Berthol, Jean-Yves Besselat, Bernard Birsinger, Jacques Blanc, Loïc Bouvard, Jean-Pierre Braine, Philippe Briand, Jean Briane, Marcel Cabiddu, Antoine Carré, Bernard Cazeneuve, Guy-Michel Chauveau, Alain Clary, François Cornut-Gentille, Charles Cova, Michel Dasseux, Jean-Louis Debré, François Deluga, Claude Desbons, Philippe Douste-Blazy, Jean-Pierre Dupont, Christian Franqueville, Pierre Frogier, Yves Fromion, Yann Galut, René Galy-Dejean, Roland Garrigues, Henri de Gastines, Bernard Grasset, Jacques Heuclin, Elie Hoarau, François Hollande, Jean-Noël Kerdraon, François Lamy, Claude Lanfranca, Jean-Yves Le Drian, Georges Lemoine, François Liberti, Jean-Pierre Marché, Franck Marlin, Jean Marsaudon, Christian Martin, Guy Menut, Gilbert Meyer, Michel Meylan, Jean Michel, Charles Miossec, Alain Moyne-Bressand, Arthur Paecht, Jean-Claude Perez, Robert Poujade, Mme Michèle Rivasi, MM. Michel Sainte-Marie, Bernard Seux, Guy Teissier, André Vauchez, Emile Vernaudon, Jean-Claude Viollet, Aloyse Warhouver, Pierre-André Wiltzer.

La mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe et des opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, à des risques sanitaires spécifiques est composée de :

M. Bernard Cazeneuve, président ; M. Charles Cova, vice-président ; Mme Michèle Rivasi, M. Claude Lanfranca, rapporteurs ; MM. Jean-Louis Bernard, Alain Clary, René Galy-Dejean, Guy Teissier, André Vauchez et Aloyse Warhouver.

INTRODUCTION 9

PREMIÈRE PARTIE : LA GUERRE DU GOLFE : UN DÉFI AUTANT LOGISTIQUE ET SANITAIRE QUE MILITAIRE 15

I. - LE CONTEXTE OPÉRATIONNEL 15

A. UNE GUERRE AÉRIENNE D'ENVERGURE 16

1. Une stratégie efficace 16

a) Un ennemi redouté 16

b) Une intervention en plusieurs étapes 17

c) Des bombardements de grande ampleur 18

2. La contribution française aux opérations 20

a) Les composants aériens du détachement français 20

b) Les missions remplies 21

B. UNE OFFENSIVE TERRESTRE ÉCLAIR 23

1. Une guerre au sol de quatre jours 24

2. L'engagement de la Division Daguet 27

a) Les forces relevant de la Division Daguet 27

b) Des conditions de déploiement difficiles, facteurs de stress 29

c) Les objectifs opérationnels et leur réalisation 31

3. Le déploiement d'un détachement Daguet à Koweït City 35

C. DES CONDITIONS DE CIRCULATION DE L'INFORMATION ENTRE ALLIÉS PAS TOUJOURS CLAIRES 36

1. La chaîne de commandement des forces françaises dans le Golfe 36

2. Des incohérences parfois manifestes dans la diffusion de l'information 39

a) Qui savait que les forces américaines employaient des munitions à uranium appauvri ? 39

b) Y a-t-il eu dysfonctionnement dans la chaîne de commandement ? 41

II. - LE RÔLE DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES (S.S.A.) 42

A. UNE SPHÈRE DE RESPONSABILITÉ RÈGLEMENTAIREMENT ENCADRÉE 42

1. Un rôle de conseil du commandement 42

2. Un champ d'intervention néanmoins étendu en pratique 45

a) Un devoir de proposition et de conception 47

b) Une obligation d'entretenir des relations de qualité avec le commandement 47

3. Un rôle d'anticipation des conflits à venir 49

a) L'expérience des opérations passées 49

b) Les insuffisances dans la recherche d'informations postérieurement au conflit du Golfe 50

B. LA MULTIPLICITÉ DES DÉFIS À RELEVER 54

1. Le défi logistique 54

a) Un maillage sanitaire au plus près des forces 54

b) Un dispositif établi a priori sur des perspectives de durs combats 56

c) Un bilan heureusement inférieur aux prévisions de pertes 57

d) Un soutien psychologique intégré d'emblée au dispositif sanitaire 63

2. La menace nucléaire, biologique et chimique (« NBC ») 66

a) Le risque nucléaire 66

b) Les risques d'agressions de nature biologique 68

c) La diversité des risques de nature chimique 71

INTRODUCTION

La question des pathologies spécifiques auxquelles auraient pu être exposés les anciens combattants de la guerre du Golfe prend son origine dans les revendications formulées, dès 1992 et 1993, par des vétérans américains, canadiens et britanniques. Ce conflit qui, du 16 janvier au 28 février 1991, vit une coalition comportant notamment 697 000 Américains, 4 500 Canadiens, 54 000 Britanniques et 26 000 Français (pour ne parler que des principaux contingents), affronter les forces armées irakiennes et contraindre l'Irak, par leur victoire militaire, à quitter le sol koweïtien annexé le 2 août 1990.

Les plaintes d'anciens combattants, combinées à la mise en évidence de l'existence sur le terrain de réels risques, notamment chimiques, amenèrent les Gouvernements des trois premiers pays cités à mettre en place des organismes officiels à l'intention des veterans et de leurs associations ainsi qu'à lancer des études épidémiologiques sur les troubles ou affections qu'ils manifestaient.

On notera, d'emblée, que le déploiement des forces alliées composant la coalition s'est progressivement réalisée, à partir de la fin de l'été 1990, sur les territoires de l'Arabie Saoudite, du Qatar et des Emirats Arabes Unis (EAU). Les forces de la division française Daguet créée dès le 19 septembre 1990 par décision du Président de la République, ont ainsi été complétées jusqu'au 13 janvier 1991, date à laquelle cette division a atteint un plein effectif. De ce fait, nombre de militaires relevant des forces de combat comme des unités de soutien ou à vocation purement logistique, ont effectué des séjours de plusieurs mois dans le Golfe. Cet élément est à retenir. Il faut en effet distinguer ces durées de la brièveté des engagements armés ayant caractérisé les opérations du Golfe. L'attente et des conditions matérielles souvent difficiles, ne serait-ce qu'en raison des distances et du climat, ont constitué des données importantes pour le quotidien des troupes dépêchées sur place.

· Aux Etats-Unis, en 1996, fut créé auprès du Secrétaire à la Défense, le poste d'Assistant spécial pour les maladies de la guerre du Golfe (Special assistant for Gulf War illnesses), ayant notamment pour tâches de coordonner l'information et l'assistance auprès des anciens combattants, de susciter des enquêtes médicales sur leurs maladies, et de formuler des propositions en matière de règles de déploiement des forces qui tiennent précisément compte de l'expérience du Golfe.

Des enquêtes épidémiologiques ont effectivement été conduites. Une des plus récentes publications de cette nature est une étude de l'Institute of Medicine, organisme indépendant faisant partie des National Academies et intitulée : « Gulf War and Health : volume 1, Depleted uranium, Sarin, Pyridostigmine bromide and Vaccines » (Guerre du Golfe et santé : volume 1, uranium appauvri, sarin, bromure de Pyridostigmine et vaccins).

· Au Royaume-Uni, une politique spécifique à l'attention des anciens combattants de la guerre du Golfe a été également mise en place. Articulée autour de deux volets, elle consiste principalement à :

- assurer le lien avec les anciens combattants, notamment via un site Internet (hptt://www.gulfwar.mod.uk), afin que ceux d'entre eux qui présentent des maladies puissent se faire connaître et faire l'objet d'un suivi médical spécifique ;

- conduire des études épidémiologiques sous l'égide d'organismes indépendants ; une des plus importantes a été publiée en janvier 1999 et a été menée au sein de la Guy's King's and St Thomas Medical School à Londres. Cette étude porte à la fois sur l'examen d'anciens combattants du Golfe et de membres de deux groupes témoins composés de militaires ou anciens militaires ayant participé à d'autres opérations que la guerre du Golfe (opérations en Bosnie-Herzégovine, par exemple).

Il faut noter que ces deux processus se recoupent. Ainsi, le programme médical spécifique aux anciens combattants du Golfe ou Medical Assessment Programme (MAP) a, depuis 1994, examiné près de 3 000 patients aux fins de soins, et publié en 1999 une étude portant sur les 1 000 premiers d'entre eux ; une autre concernant une seconde tranche de 1000 vétérans est sur le point de l'être au printemps 2001.

· Au Canada, à partir de 1995, le Service de santé des forces canadiennes (SSFC) a lancé une action spécifique auprès des anciens combattants de la guerre du Golfe. Deux cent vingt anciens combattants ont été reconnus comme souffrant de maladies.

Deux études épidémiologiques officielles ont successivement été lancées, en 1995 et en 1997. La seconde, qui portait sur quelque 3 000 anciens combattants du Golfe et un groupe témoin de même importance, constitué de militaires n'ayant pas participé à ce conflit, a été publiée en 1998 au terme d'un travail réalisé par la firme Goss Gilroy Inc. rassemblant des experts-conseils civils.

*

L'ensemble de ces études a abouti au même type de conclusions. Chaque fois, elles font ressortir une plus forte incidence des problèmes de santé au sein du groupe des anciens combattants de la guerre du Golfe qu'au sein des groupes témoins.

Les pathologies recensées et constatées sont assez diverses mais les symptômes présentés par les anciens combattants du Golfe paraissent tous correspondre à des maladies connues. Les Américains les ont regroupés en trois groupes : troubles cognitifs (troubles de la mémoire, dépression, insomnie, maux de tête migraineux etc...), confusion-ataxie (confusion et désorientation, étourdissement, troubles du raisonnement, impuissance sexuelle etc...) arthro-myo-neuropathie (douleurs musculaires et articulaires, perte de tonus, picotement et perte de sensation, fatigue, etc...).

A la lecture des rapports d'experts, la corrélation entre les symptômes n'est pas encore suffisante pour justifier l'utilisation du terme de « syndrome ». Le rapport publié au Etats-Unis par l'Institute of Medicine souligne même que : « Nous ne disposons pas d'assez d'éléments pour lier ces problèmes de santé à long terme à l'exposition à certains médicaments, agents chimiques et vaccins présents durant la guerre du Golfe ».

Au bout du compte, les conclusions actuelles sont celles d'une morbidité des anciens combattants de la guerre du Golfe apparaissant à peine supérieure à celle des autres populations comparables, dans le cadre de pathologies connues et sans que les symptômes observés puissent être corrélés de façon suffisamment certaine pour justifier médicalement l'expression de « syndrome de la guerre du Golfe », qui n'est donc employée que par défaut.

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En France aussi, des anciens combattants du Golfe se sont plaints, mais beaucoup plus tardivement. A ce jour, il a été adressé quelque 300 demandes de pensions au titre du code des Pensions militaires d'invalidité. Cent vingt ont été concédées, les neuf dixièmes d'entre elles pour blessures.

Une association, Avigolfe, s'est spécialement créée en juin 2000 pour regrouper l'ensemble des anciens combattants du Golfe malades et qui attribuent leurs pathologies à leur participation à cette guerre afin de faire valoir leurs revendications. A ce jour, et selon la déclaration de son Président devant la mission d'information, elle ne compterait toutefois que quelque 180 membres. Ce chiffre doit être rapporté au total des effectifs dépêchés par la France, même si d'autres organisations du monde combattant, plus anciennes et plus représentatives, comptent parmi leurs adhérents d'anciens militaires ayant participé à la guerre du Golfe et souvent antérieurement ou postérieurement, à d'autres opérations extérieures sur des théâtres difficiles.

Pour ce qui est des pathologies évoquées ci-dessus, le Service de santé des Armées s'en est tenu strictement au fait que, s'il y avait là des affections qui devaient donner lieu à soins et pouvaient ouvrir droit à pension, il n'y avait pas de pathologie spécifique justifiant de déroger au régime traditionnel d'imputabilité au service. A l'évidence pourtant, et quelles qu'aient été les règles de prudence opérationnelle, notamment sur le plan médical, les forces françaises ont vécu dans le même environnement que les autres forces alliées.

Soucieux de répondre aux légitimes attentes de soldats ayant servi les intérêts de la Nation, les membres de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées, saisis de demandes visant à faire la lumière sur les circonstances exactes de l'engagement des militaires français ayant participé à la guerre du Golfe, ont décidé, le 2 octobre 2000, de créer une mission d'information composée de dix députés.

Ce choix a fait l'objet de critiques. Elles reposent davantage sur une méconnaissance manifeste des prérogatives, des pouvoirs d'investigation et de l'intérêt des missions d'information, que sur des fondements juridiques solidement établis. Il n'appartient pas aux deux co-rapporteurs de développer, une nouvelle fois, les arguments qui ont milité en faveur de la création d'une mission d'information. La démonstration de M. Claude Lanfranca, dans son rapport fait à l'automne 2000 sur la proposition de résolution n° 2562 tendant à créer une commission d'enquête1 sur ce sujet, se suffit à elle même.

Au demeurant, les membres de la mission d'information considèrent que les résultats de leurs travaux, dont le présent rapport ne constitue qu'un premier volet exclusivement consacré aux conditions d'engagement des militaires français au cours de la guerre du Golfe, constitueront en eux-même une véritable réponse aux contestations dont ils ont fait l'objet.

· D'un point de vue méthodologique, la mission d'information a voulu procéder avec une rigueur similaire à celle qui caractérise l'application de protocoles scientifiques.

De nombreuses auditions, souvent ouvertes à la presse, de responsables politiques, militaires, scientifiques, associatifs, actuels ou de l'époque, ont été menées. Des déplacements ont également eu lieu à l'étranger, à Londres, à Washington ainsi qu'à New York.

De même, une masse de documents secrets (ordres opérationnels, comptes rendus d'unités, télégrammes, notes des Etats-majors etc...), dont la liste figure en annexe2, a été déclassifiée par le ministère de la Défense à l'attention du Président et des co-rapporteurs. Cette méthode, inaugurée en 1998 avec le rapport de la mission d'information sur les opérations menées au Rwanda de 1990 à 1994, a également été mise à profit par les missions d'information de la Commission de la Défense sur le conflit du Kosovo puis sur le contrôle des exportations d'armement, dont le sérieux des investigations a été reconnu.

Dès lors que des incertitudes existaient ou que des contradictions se faisaient jour, des demandes de compléments d'information étaient systématiquement adressées au Ministre de la Défense qui, il faut le souligner, a répondu favorablement à nos requêtes et, le plus souvent, dans des délais décents.

La mission d'information a ainsi analysé minutieusement une masse conséquente de documents. Elle n'a cependant pas exclu, à l'occasion, les sources ouvertes ou indépendantes. Autant dire qu'elle a accompli un véritable travail de recherche documentaire sur des supports parfois non accessibles au public, jusqu'à ce jour.

La démarche de rigueur et de transparence qui a été adoptée au long des sept mois d'enquête a permis d'établir la vérité sur le déroulement des événements et d'aboutir à des conclusions quant aux risques auxquels nos soldats auraient été exposés durant la guerre du Golfe.

Complémentaire de l'analyse de la littérature scientifique sur le sujet et réalisée par le groupe des experts nommés par le Gouvernement mais indépendants, que préside le Professeur Roger Salamon, il était apparu à la mission d'information que son travail pouvait être utile aux scientifiques afin de comprendre les origines médicales des pathologies éventuellement subies par certains anciens combattants de la guerre du Golfe. Le ministère de la Défense et celui de la Santé n'ont pourtant pas attendu les conclusions de la mission d'information pour rendre public le rapport du groupe d'experts présidé par le Professeur Salamon, le 24 avril dernier.

Pour aborder les opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, objet qui a été adjoint à son champ d'investigation par la Commission de la Défense, le 10 janvier 2001, la mission d'information prendra le temps nécessaire à l'accomplissement le plus complet possible de ses travaux ; ceci, afin de parvenir à ses objectifs selon la méthode qu'elle a suivie jusqu'à présent. A cet égard, le strict délai de six mois impérativement imparti à toute commission d'enquête s'avérait inadapté à la tâche lui incombant.

· Avant d'analyser plus avant le fond du problème, il convient de rappeler quels ont été les objectifs que la mission d'information s'est constamment efforcée de poursuivre et d'atteindre.

Créée pour mettre au jour les expositions éventuelles de militaires français au cours de la guerre du Golfe à des risques sanitaires spécifiques, la mission d'information ne s'est pas cantonnée à un simple établissement des faits, comme il lui en a été fait le procès d'intention. Ses membres ont cherché en toute liberté à formuler des préconisations de nature à, d'une part, améliorer le sort des anciens combattants présentant des pathologies dont le lien avec l'engagement resterait difficile à déterminer (à la différence de blessures par exemple), et d'autre part, à promouvoir la sécurité des militaires susceptibles d'être déployés à l'avenir sur d'autres théâtres extérieurs.

Convaincus de l'intérêt de leur démarche, les membres de la mission d'information se sont fortement impliqués dans un travail d'analyse et de réflexion, dont le présent rapport se veut une synthèse fidèle dénuée de toute subjectivité. La mission a en effet cherché à vérifier, point par point, sur la base des déclarations faites devant elle et des documents dont elle a demandé la transmission intégrale, tous les faits et données portés à sa connaissance, y compris par la lecture de la presse ou d'articles scientifiques et en évitant de donner corps à ce qui relève des allégations ou des présupposés.

*

* *

PREMIÈRE PARTIE :
LA GUERRE DU GOLFE : UN DÉFI AUTANT LOGISTIQUE ET SANITAIRE QUE MILITAIRE

Il est indispensable de rappeler l'environnement de la guerre du Golfe. Il resitue en effet les conditions tant matérielles que psychologiques dans lesquelles les militaires ont été déployés dans le Golfe arabo-persique.

Dix ans après les faits, un bref retour en arrière s'avère nécessaire à la compréhension globale du conflit et de la manière dont il a été conduit, ce second aspect n'étant pas sans incidence pour la sécurité sanitaire des soldats engagés contre l'Irak.

I. - LE CONTEXTE OPÉRATIONNEL

Lorsque le 2 août 1990, l'Irak envahit et occupe le Koweït, le même jour, le Conseil de sécurité des Nations Unies ordonne, par la résolution n° 660, le retrait immédiat et inconditionnel des forces irakiennes de ce pays. Le 29 novembre, il décide, par la résolution n° 678, de donner mandat à une coalition militaire internationale d'y procéder par la force si nécessaire.

Au terme de tractations avortées à cause de l'intransigeance de Saddam Hussein, la guerre du Golfe est déclenchée le 16 janvier 1991. Une première phase, aérienne, prépare les conditions d'engagement des troupes au sol. L'affrontement terrestre commence le 24 février et se termine quatre jours plus tard.

D'après le message n° 4866/COMFOR DAGUET/RENS du 6 mars 1991, portant compte-rendu hebdomadaire, le conflit se solde pour l'Irak par la perte de 40 des 42 Divisions blindées engagées, 294 appareils aériens (99 chasseurs, 7 bombardiers, 19 avions de transport, 33 hélicoptères et 141 aéronefs détruits sous des hangarettes), et tous les bâtiments de la marine.

Côté allié, le rapport du directeur du service de santé des forces françaises stationnées en Arabie Saoudite, en date du 18 juillet 1991, recense quant à lui 132 tués, dont 2 Français, et 386 blessés, dont 33 Français. De même, le message mentionné précédemment précise que 81 appareils aériens (dont 48 américains, 7 britanniques et 3 saoudiens) sont détruits.

A. UNE GUERRE AÉRIENNE D'ENVERGURE

La fiche technique n° 53 portant rappel de la chronologie des événements, rédigée par l'Etat-major des Armées le 14 mars 1991, précise qu'au terme de la planification initiale, « l'opération Desert Storm comportait cinq phases principales3 », au premier rang desquelles se trouvait une « action aérienne (prévue sur 15 jours) ».

Cette première phase a duré plus longtemps que ce qui était envisagé puisque les bombardements alliés sur les installations irakiennes basées au Koweït et sur l'Irak se sont échelonnés du 17 janvier 1991 (le D-day) au 23 février (veille de l'offensive terrestre), soit cinq semaines. Par la suite, les avions de la coalition alliée ont appuyé les actions au sol jusqu'au 28 février, date à laquelle les missions ont été cantonnées à des missions de reconnaissance et de surveillance.

L'objectif des frappes alliées était donc, dans un premier temps, de fragiliser le potentiel offensif et défensif irakien, de manière à préparer l'intervention terrestre qui se voulait décisive, puis dans un second temps, d'appuyer l'action engagée au sol.

1. Une stratégie efficace

Face à un adversaire occupant un territoire qu'il connaissait bien et disposant d'armes de destruction massive ainsi que de nombreuses forces conventionnelles, la coalition internationale a mobilisé sa supériorité aérienne afin de s'assurer progressivement les chances de succès d'une entrée de vive force des troupes au sol dans le Koweït et dans le sud du territoire irakien.

a) Un ennemi redouté

Pour comprendre le recours de la coalition alliée aux frappes aériennes, il n'est pas inutile de rappeler l'importance du dispositif irakien sur le théâtre. A cet égard, l'ordre d'opération de l'Etat-major concernant l'opération Daguet, en date du 30 octobre 1990, est révélateur. Il y est indiqué en effet que :

« Au sud du parallèle de Bassorah, le volume global des forces terrestres irakiennes est de 430 000 hommes disposant de plus de 3 500 chars et 2 000 pièces d'artillerie.

Articulées en 22 Divisions au moins (12 Divisions d'Infanterie, 5 Divisions Blindées et 5 Divisions mécanisées) et 3 brigades Frog, ces forces se sont solidement installées en défensive ; leurs capacités offensives dans la zone restent cependant considérables puisqu'une réserve forte de 2 000 chars et composée de 4 Divisions Blindées (dont 2 de la garde présidentielle), 3 Divisions mécanisées (dont 1 de la garde présidentielle), et 1 Division de forces spéciales de la garde présidentielle, est regroupée au sud-ouest de Bassorah, de part et d'autre de la frontière irako-koweïtie. Elle est en mesure, grâce à des travaux d'aménagement de l'infrastructure, de parcourir en moins de 6 heures la distance qui la sépare de la zone des trois frontières.

Ces forces terrestres peuvent bénéficier sans délais du soutien d'unités de missiles sol-sol (24 lanceurs Frog et un nombre indéterminé de missiles Scud), et d'une soixantaine d'avions de combat basés à proximité. En outre, l'essentiel de l'aviation d'appui, soit plus de 200 appareils, pourrait intervenir au profit des troupes au sol avant et après le déclenchement d'une offensive.

Des attaques chimiques sont par ailleurs très probables en cas de conflit. Les Irakiens produisent des vésicants (ypérite), des hémotoxiques (acide cyanhydrique) et des neurotoxiques (sarin, tabun et/ou soman). L'aviation est leur vecteur privilégié, mais ils disposent aussi de munitions chimiques pour leurs canons de 155 mm ; en outre, il est possible qu'ils aient réussi à fabriquer des têtes chimiques pour leurs missiles à moyenne et longue portée ».

L'étendue de la menace irakienne apparaît donc suffisamment importante pour expliquer que les Alliés aient tout d'abord cherché à affaiblir l'ennemi avant d'entrer directement en confrontation avec lui, au sol. C'est à la lumière de ce contexte que l'ordre d'opération de l'Etat-major mentionné précédemment qualifiait de « primordiale » la « bataille pour la supériorité aérienne ».

b) Une intervention en plusieurs étapes

Au cours de son audition par la mission d'information, le 28 novembre 2000, le Général d'armée Jean Fleury, ancien Chef d'Etat-major de l'armée de l'Air au moment des faits, a détaillé les modalités d'action qui ont été assignées aux forces aériennes engagées dans le conflit :

« Il y a eu trois phases très différentes dans la bataille.

La première, au cours des dix premiers jours, était la conquête de la supériorité aérienne. Les objectifs étaient de neutraliser les pistes, pour que les avions irakiens ne puissent pas décoller, et de détruire les radars et les systèmes de communication de la défense aérienne irakienne.

Lors de la deuxième phase, les trente jours suivants, nous avons préparé l'attaque de l'armée de Terre. Il s'agissait de casser tous les flux logistiques qui pouvaient aider l'Irak et de détruire son artillerie. Le Général Janvier vous parlera sûrement des " sacs à feu ", sortes d'entonnoirs équipés de pièces d'artillerie pour pulvériser toute Division arrivant par les axes de pénétration. Nous avons attaqué ces dispositifs en liaison avec l'armée de Terre, bien sûr, pour savoir ce qu'il valait mieux attaquer, et comment s'y prendre.

Enfin, lors de la troisième phase, c'est-à-dire lorsque l'armée de Terre a été engagée, nous avions une coordination complète. C'est la raison pour laquelle j'avais installé un radar de l'armée de l'Air auprès de la Division Daguet ».

En conséquence, il apparaît que les raids alliés avaient plus particulièrement pour objectifs :

- de détruire ou endommager des capacités militaires de l'ennemi (bases, Divisions, pièces d'artillerie ou rampes de lancement de missiles, et aussi sites de production de produits chimiques et biologiques) ;

- de désorganiser le dispositif militaire irakien (coupures des moyens de communication et des axes de circulation) ;

- d'atteindre le moral des troupes adverses (par la permanence des raids et l'intensité des bombardements) ;

- d'assister, dès leur engagement, les forces terrestres alliées (en leur apportant une couverture contre les blindés irakiens encore opérationnels).

c) Des bombardements de grande ampleur

L'essentiel des avions déployés sur zone étaient américains. La note n° 786 de l'Etat-major interarmées datant du 2 mai 1991 et présentant la synthèse des coordonnées de tir des avions français donne un bon aperçu de leur nombre. Y sont notamment recensés, au 28 février 1991 : 66 B 52, 168 F 15, 243 F 16, 82 F 111, 132 A 10, pour ce qui concerne les missions offensives, 218 ravitailleurs KC 135 et 112 avions de transport C 130, pour ce qui concerne le support logistique.

A la lecture des télégrammes Grand Duc Daguet, les cibles retenues étaient essentiellement des objectifs militaires ou des centres de production d'armes de destruction massive. Ainsi peut-on lire, pour le 16 janvier 1991 :

« L'attaque aérienne contre les forces irakiennes a été déclenchée à 2 h 14 C. Les principaux objectifs visés étaient :

- les Postes de Commandement et les centres de commandement et de contrôle (C.2) ;

- les systèmes d'armes sol-air et leurs radars associés ;

- les rampes et stocks de missiles sol-sol ;

- les centres de transmissions et les générateurs électriques ».

De même, pour la seule journée du 27 janvier, on observe que « les objectifs prioritaires sont (...) :

- les Scud (110 sorties) ;

- la Division de la garde Adnan (250 sorties) ;

- les terrains d'aviation (96 sorties) ;

- les moyens de commandement, le C3 et Bagdad (50 sorties) ;

- les unités du champ de bataille (356 sorties) ».

L'intensité des bombardements alliés semble avoir été décisive pour la victoire. La fiche n° 53 de l'Etat-major en date du 14 mars 1991, citée plus haut, corrobore ce constat en précisant que l'action aérienne « a été payante dans la durée » et que l'« on pouvait constater, au 23 février, une diminution importante des capacités de combat adverses (50 % des pièces d'artillerie et 30 % des chars) ». Et le document d'ajouter que « les bombardements répétés ont eu un effet significatif sur le moral des forces irakiennes, y compris sur les unités aguerries ». De ce fait, la stratégie adoptée a complètement rempli les objectifs qui étaient poursuivis.

De même, s'agissant des actions entreprises par l'aviation contre les blindés irakiens au moment de l'engagement terrestre, il convient de souligner l'efficacité avec laquelle les hélicoptères (Gazelle français, entre autres) et les avions antichars (dont les fameux A 10 américains) ont mené des raids d'appui. Tous se sont révélés utiles au cours des quatre jours durant lesquels les alliés se sont battus au sol face à 42 Divisions irakiennes (40 d'entre elles étant détruites à la fin du conflit).

2. La contribution française aux opérations

Le 15 septembre 1990, le Président de la République François Mitterrand décide que les armées françaises participeront à l'opération « Bouclier du désert ». Le déploiement français implique l'envoi d'avions et/ou de détachements de personnels de l'armée de l'Air en Arabie Saoudite (opération Daguet), et également au Qatar (opération Méteil) et aux Emirats Arabes Unis (opération Busiris).

a) Les composants aériens du détachement français

Le Général d'armée Jean Fleury, ancien Chef d'Etat-major de l'armée de l'Air, a précisé au cours de son audition quelle était l'organisation du détachement aérien des forces françaises déployées dans le Golfe :

« En janvier 1991, le dispositif de l'armée de l'Air était le suivant : nous avions une base aérienne opérationnelle à Al Ahsa dotée de quarante avions de combat, d'un Transall d'écoute électronique, de deux hélicoptères Puma, d'un radar, de défenses contre les avions ennemis et d'un effectif en personnel de support d'environ mille personnes placées sous les ordres du Colonel Amberg, promu Général depuis lors.

La base de Riyadh assurait le transport et le ravitaillement en vol avec cinq avions ravitailleurs, cinq Transall, deux appareils de liaison et environ quatre cents personnes.

Quatre autres détachements étaient situés à Dhahran, sur la base américaine, où quarante mécaniciens de l'armée de l'Air française mettaient en _uvre les Mirage F1 koweïtiens qui avaient pu s'échapper au moment de l'invasion du Koweït, à Doha où nous avions un escadron de mirages F1 pour la défense aérienne du Qatar, aux Emirats Arabes Unis où nous disposions de missiles sol-air Crotale et de mécaniciens pour les Mirage 2000 des Emirats. Enfin, nous avions quelques personnels auprès de la Division Daguet, avec des missiles Crotale et un radar permettant le guidage des avions au-dessus des troupes ».

Selon les bilans du commandement opérationnel Air qui ont été fournis à la mission d'information, le déploiement des aéronefs français (hors éléments précurseurs) a commencé dès le 2 octobre 1990 et s'est échelonné jusqu'au 20 janvier 1991. Au 23 février, se trouvaient ainsi en Arabie Saoudite : 28 Jaguar, 14 Mirage 2000, 6 Mirage F 1 CR, 6 C 135, 10 C 160, 2 C 130, 1 N 262, 1 Mystère 20, 2 hélicoptères Puma. Par ailleurs, 8 Mirage F 1 C étaient stationnés à Doha.

D'après les mêmes documents, les personnels ont été dépêchés sur le terrain entre le 10 août 1990 et le 15 janvier 1991 : 1 765 militaires de l'armée de l'Air étaient ainsi en Arabie Saoudite au 15 février 1991 ; à cette même date, le nombre de soldats en mission au Qatar était de 66 et aux Emirats Arabes Unis, ils étaient 109.

b) Les missions remplies

Les ordres n° 11/DEF/EMA/EMP.3 du Chef d'Etat major des Armées, le Général d'armée Maurice Schmitt, pour le Général de corps d'Armée Michel Roquejeoffre, Commandant les forces françaises, le 16 janvier 1991, établissent clairement les missions assignées aux éléments aériens français déployés dans le Golfe.

En effet, on peut lire sur ce document :

« Le Président de la République ayant donné son accord à l'engagement des forces françaises dans les opérations offensives visant à libérer le Koweït, je vous autorise dès réception :

PRIMO : à placer vos forces aériennes sous contrôle opérationnel d'AFCENT pour l'exécution des missions offensives aériennes dans les conditions que je vous ai fixées, à savoir :

ALPHA : raid Jaguar sur Al Jaber le D-Day,

BRAVO : attaque d'objectifs côtiers situés au Koweït pour D + 1 et D + 2,

CHARLIE : à partir de G - 4, attaque d'objectifs situés en Irak dans la zone prévue pour l'engagement de la Division Daguet,

DELTA : à partir de G-Day, appui de l'offensive des forces alliées avec priorité à l'appui de la Division Daguet ».

De fait, les appareils français ont mené les missions correspondantes, sans jamais bombarder, d'après les bilans du commandement opérationnel mais aussi les déclarations du Général d'armée Jean Fleury, ancien Chef d'Etat major de l'armée de l'Air, de sites irakiens de production d'agents chimiques. Seuls deux dépôts de munitions ont été attaqués par l'aviation française, le 2 février 1991 (6 Jaguar) et le 15 février (6 Jaguar également). Le reste des cibles était essentiellement constitué de postes de commandement, de pistes d'aérodromes, de bases logistiques, de positions d'artillerie ou de blindés.

Le tableau suivant illustre le nombre de sorties de l'ensemble des appareils de l'armée de l'Air tout au long de leur déploiement dans le Golfe.

NOMBRE DE SORTIES DES APPAREILS FRANÇAIS
DÉPLOYÉS DANS LE GOLFE

Type d'appareils

Avant le 17 janvier 1991

Du 17 janvier au 27 février

Du 28 février au 31 mars

TOTAL

Mirage 2000

659

512

284

1 455

Mirage F1 CR

398

96

97

591

Jaguar

778

568

197

1 543

Total Avions
de Combat

1 835

1 176

578

3 589

C 135

62

213

284

1 455

C 160

312

757

97

601

C 130

-

31

284

315

C 160 Gabriel

38

4

97

139

Hélicoptères Puma

81

87

197

365

Total Avions
de transport

493

1 092

959

2 875

Source : bilans du commandement opérationnel Air transmis par le ministère de la Défense.

On observera plus particulièrement le nombre de missions des appareils de combat (3 589 sorties), marque du caractère offensif de l'intervention aérienne. Le tableau ci-après, qui en analyse le détail au cours de la phase armée du conflit (du 17 janvier au 28 février 1991), souligne le rôle joué par les avions d'assaut, tout particulièrement les Jaguar. Il faut noter qu'au cours de l'attaque terrestre, ces avions de combat ont opéré 140 sorties, la plupart au profit de la Division Daguet.

MISSIONS AÉRIENNES OFFENSIVES
MENÉES PAR LES APPAREILS DE L'ARMÉE DE L'AIR
DU 17 JANVIER AU 28 FÉVRIER 1991

 

MIRAGE 2000

JAGUAR

MIRAGE F 1 CR

Assaut

 

536

48

Escorte
Reconnaissance
Assaut


77
95

   

Combat aérien

336

   

Reconnaissance
Sauvetage/recherche
Imagerie-photo

 



13


21
25

Autres

4

19

2

TOTAL

512

568

96

Source : bilans du commandement opérationnel Air transmis par le ministère de la Défense.

Au total, l'armée de l'Air a apporté un soutien significatif à la coalition alliée lors de la guerre du Golfe.

B. UNE OFFENSIVE TERRESTRE ÉCLAIR

La fiche technique n° 53 de l'Etat-major des Armées portant rappel de la chronologie des événements, dont il a déjà été fait mention, indique que « la Division Daguet », dont la plupart des éléments ont été déployés en Arabie Saoudite entre le mois d'octobre 1990 et la première semaine de janvier 1991, « a fait mouvement les 17 et 18 janvier vers la zone de Rafha, à 300 kilomètres nord ouest de la Cité du Roi Khaled, pour y assurer la couverture de la mise en _uvre du 18ème corps d'armée américain.

[...] Le 10 février, toutes les forces coalisées se trouvaient positionnées dans leur zone de déploiement. La première quinzaine de février était consacrée à l'entraînement et à la coordination des appuis inter-alliés.

Durant cette période, les coalisés ont eu à contrer des offensives irakiennes limitées dont la plus importante a duré 3 jours (Khafji).

Dans leur zone, les Français ont eu quelques accrochages avec des patrouilles irakiennes avant d'exécuter, à partir du 19 février des incursions au delà de la frontière, de nuit avec de l'infanterie, de jour avec des hélicoptères. Ces actions ont occasionné quelques pertes à l'adversaire notamment au cours d'un raid d'hélicoptères effectué le 22 février matin (5 véhicules dont 3 blindés et 3 positions défensives détruits) ».

Le G-Day (Ground day), marquant le début de l'offensive terrestre était fixé au 24 février 1991. Cette bataille n'a duré que quatre jours, la résistance irakienne se révélant fortement atteinte par plus d'un mois de bombardements intensifs.

1. Une guerre au sol de quatre jours

Le message Grand Duc Daguet n° 4122 du 24 février 1991, portant compte rendu des événements majeurs sur le théâtre d'opérations, indique en « PRIMO : Début de l'offensive terrestre coalisée ». Celui du 28 février (n° 4471), quatre jours plus tard, rapporte que « l'arrêt des opérations, décidé par les forces coalisées, est effectif depuis 08 h 00 C le 28 février. Au plan terrestre, on peut considérer que la guerre des cent heures est terminée ».

Le 24 février 1991, alors que les Irakiens s'attendent à une offensive frontale sur le territoire koweïtien, la coalition internationale entreprend une man_uvre de contournement par l'ouest, désorganisant ainsi la défense ennemie, pendant que deux Divisions de Marines, appuyées par les alliés saoudiens, koweïtiens et syriens s'engagent dans la libération du Koweït. Ainsi, le message Grand Duc Daguet n° 4223 du 25 février 1991 fait état de ce que « la résistance des forces irakiennes à l'offensive terrestre coalisée s'est avérée généralement faible au cours des premières 24 heures. Elle a été marquée par des tirs d'infanterie sporadiques et quelques tirs d'artillerie exécutés pour la plupart sans plan de feu. Il n'y a pas de man_uvre de la part des Irakiens, les quelques mouvements observés se faisant sans coordination en raison probablement du manque de liaison et de coordination entre les unités ».

De même, dans le message Grand Duc Daguet n° 4310 du 26 février 1991, on peut lire à propos des forces irakiennes que : « les principaux éléments du 3ème corps commenceraient un mouvement de retrait. Les 8ème et 18ème Divisions d'infanterie sont considérées comme détruites. La capacité de combat des 1ère Division mécanisée et 3ème Division blindée est très dégradée. Les restes de la 5ème Division mécanisée, au sud du Koweït, ont été dépassés et sont encerclés. Les 7ème, 14ème et 29ème Divisions d'infanterie sont détruites. Au 4ème corps, la 36ème Division d'infanterie est détruite. La 6ème Division blindée s'est installée en ligne pour s'établir en défense ferme face à la direction de l'attaque des coalisés. Des éléments de deux brigades tentent de s'opposer à l'attaque de la 1ère Division blindée britannique. Dans la profondeur, la 49ème Division d'infanterie s'installe en défense ferme. La 45ème Division d'infanterie est détruite ».

Surprises, les troupes irakiennes essaient de se replier en désordre dès le 25 février. La puissance de feu des forces coalisées inflige alors des pertes importantes, comme l'illustre ce passage du message Grand Duc Daguet n° 4408, du 27 février : « Les forces irakiennes (...) ont perdu toute possibilité de mener des réactions offensives. Les dernières unités, après avoir tenté de freiner l'avance des coalisés au sud ouest de Bassorah pour permettre le retrait d'un maximum de Divisions, se replient à leur tour vers Bassorah avant d'essayer de rejoindre Bagdad.

Les corps d'armée n'existent plus en tant que tels. Les Divisions suivantes peuvent être considérées comme anéanties :

- Divisions d'infanterie : 14ème, 29ème, 48ème, 45ème, 26ème, 20ème, 30ème, 7ème, 36ème, 8ème, 18ème, 28ème, 27ème, 42ème, 19ème, 11ème, 21ème et 16ème D.I. ;

- Divisions mécanisées : 1ère et 5ème D. méca ;

- Divisons blindées : 17ème et 52ème D. blindées ;

- unités de la garde : la Tawakalna est anéantie. Les reliquats des Divisions Medinah et Hamurabi tentent de gagner Bassorah.

Il n'y a plus de coordination et la garde républicaine elle même est désorganisée ».

Le 28 février, le Koweït est complètement libéré et le sud de l'Irak, jusqu'à l'Euphrate, est occupé par la coalition internationale. Le tableau ci-après présente le nombre et l'origine des forces terrestres qui ont participé aux opérations.

LES FORCES TERRESTRES COALISÉES
ENGAGÉES CONTRE L'IRAK (DU 23 AU 28 FÉVRIER 1991)

Etats de la coalition

Forces terrestres
(personnels de soutien logistique inclus)

Afghanistan

300 hommes

Allemagne

-

Argentine

450 hommes

Australie

-

Bahreïn

3 500 hommes

Bangladesh

2 000 hommes

Belgique

-

Canada

1 700 hommes

Danemark

-

Egypte

40 000 hommes ; 400 chars

Etats-Unis

697 000 hommes ; 4 000 chars

France

20 000 hommes ; 350 chars

Royaume-Uni

54 000 hommes ; 440 chars

Grèce

-

Hongrie

40 hommes (équipe médicale)

Honduras

150 hommes

Italie

-

Koweït

11 500 hommes

Maroc

2 000 hommes

Niger

480 hommes

Norvège

-

Nouvelle-Zélande

-

Oman

25 000 hommes ; 75 chars

Pakistan

10 000 hommes

Pologne

1 équipe médicale

Portugal

-

TOTAL

868 120 hommes ; 5 265 chars

Source : Military Review, septembre 1991.

2. L'engagement de la Division Daguet

Le rôle de la Division Daguet dans le cadre de l'offensive terrestre était important : positionnés à l'ouest du dispositif allié, les régiments français devaient prendre l'aérodrome irakien d'As Salman à 150 kilomètres à l'intérieur du territoire ennemi et assurer le contrôle d'un n_ud de communications routières se trouvant à proximité, l'axe « Texas », afin de faciliter la man_uvre de contournement dont le 18ème corps américain était le fer de lance.

Lors de son audition par la mission d'information, le 12 décembre 2000, le Général d'armée Bernard Janvier, Commandant de la Division Daguet, a insisté sur ce point en ces termes :

« Les missions dans le cadre de l'assaut vous ont certainement déjà été rapportées, mais je tiens à les préciser. Elles sont capitales pour le 18e corps. Je vous rappelle que la Division française s'engage un jour avant les autres unités ; elle opère un mouvement tournant dans le désert et doit livrer As Salman au 18e corps, un aérodrome et un carrefour pivots dans la man_uvre américaine, puisque c'est à partir d'As Salman, 150 kilomètres au nord de la zone de déploiement, que les unités américaines doivent prendre plein est le long de l'Euphrate. Il s'agit ensuite de protéger l'ensemble du dispositif allié vers le nord, nord-ouest, et d'assurer la sécurité de l'axe de ravitaillement principal, " MSR Texas " ».

En tout état de cause, cette mission n'était pas la moins exposée de celles qui étaient assignées aux différentes composantes de la coalition internationale.

a) Les forces relevant de la Division Daguet

D'après la note d'information de l'Etat-major de l'armée de Terre n° 1050, en date du 25 mars 1991, la Division Daguet est passée d'un effectif de 3 616 militaires au 24 septembre 1990 à celui de 8 626 soldats au 15 février 1991, soit quelques jours avant l'offensive. S'y ajoutaient les 2 500 hommes du 2nd bataillon de la 82ème Division aéroportée américaine ainsi que les 2 000 hommes de la 18ème brigade d'artillerie, placés sous commandement français.

Les régiments composant la Division Daguet étaient les suivants : le 2nd Régiment d'Infanterie de Marine (2nd RIMa), le 3ème Régiment d'Infanterie de Marine (3ème RIMa), le 4ème Régiment des Dragons (4ème RD), le 1er Régiment de Hussards Parachutistes (1er RHP), le 1er Régiment de Parachutistes d'Infanterie de Marine (1er RPIMa), le 13ème Régiment de Dragons Parachutistes (13ème RDP), le 6ème Régiment Etranger de Génie (6ème REG), le 11ème Régiment d'Artillerie de Marine (11è RAMa), le 2nd Régiment Etranger d'Infanterie (2nd REI), le 1er Régiment de Saphis (1er RS), le 1er Régiment Etranger de Cavalerie (1er REC), les 1er et 3ème Régiments d'Hélicoptères de Combat (1er et 3ème RHC), et le 6ème Régiment de Commandement et de soutien (6ème RCS).

Le tableau suivant précise les principaux matériels à disposition de cette Division au cour des opérations.

MATÉRIELS MAJEURS DE LA DIVISION DAGUET
POUR L'OFFENSIVE TERRESTRE

Type de matériels

Nombre de matériels

Véhicules légers tous terrains

794

Camionnettes

448

Camions

1 130

Véhicules de l'avant blindé

424

ERC Sagaie

12

Chars AMX 10 RC

104

Chars AMX 30 B2

46

Chars AMX de déminage

6

Canons de 155 mm

20

Canons de 120 mm

20

Missiles MISTRAL

27

Missiles STINGER

6

Missiles MILAN

115

Hélicoptères

127

Source : note d'information de l'Etat-major de l'armée de Terre n° 1050, 25 mars 1991.

Au cours des opérations, la Division Daguet était plus particulièrement organisée en deux groupements :

- d'une part, le « groupement est », composé des 4ème RD, 3ème RIMa, 2nd bataillon de la 82ème Division aéroportée américaine, éclairé et soutenu par le 1er RHC ;

- d'autre part, le « groupement ouest », comprenant le 1er RS, le 2nd REI, le 6ème REG, appuyé par le 3ème RHC.

b) Des conditions de déploiement difficiles, facteurs de stress

Pour comprendre le stress intense auquel étaient soumis les militaires français, il convient de souligner la dureté du cadre climatique et géographique dans lequel les soldats de la Division Daguet se sont retrouvés, ainsi que l'extrême tension nerveuse due aux incertitudes quant à l'intention de l'ennemi avant l'expiration de l'ultimatum qui lui avait été adressé par le Président américain, George Bush, pour évacuer le Koweït.

Le Général d'armée Bernard Janvier, Commandant de la Division Daguet, n'a pas manqué d'insister sur cet aspect :

« Il est indispensable de rappeler - car cela joue beaucoup pour la suite des événements et dans l'attitude de nos soldats - que plus de 3 500 soldats français de la division sont engagés dans l'opération depuis le 29 septembre 1990. Ils vont assurer une mission essentielle pour le dispositif allié dans le cadre du dispositif " Bouclier du désert " : ils verrouillent, en effet, par leur position, à proximité de Hafar Al Batin, l'accès au c_ur même de l'Arabie Saoudite. Ils sont placés directement derrière les unités syriennes, égyptiennes et saoudiennes. Rappeler leur engagement dans ces circonstances, c'est peut-être comprendre une partie des lourdes contraintes subies par ces soldats.

Leur déploiement s'est opéré dans le désert et le restera, ce qui nous vaudra les plus vifs éloges de la part des Américains et des Saoudiens. Certains soldats ne rencontreront aucune maison depuis leur lieu de débarquement à Yanbu jusqu'à leur lieu d'embarquement, et ne seront confrontés qu'aux visages de leurs camarades de combat ou de leurs chefs - et cela du mois d'octobre au mois de mars.

Au début, la chaleur est extrême, puis c'est le froid - moins 5 degrés aux alentours du 28 janvier. Il y a également les vents de sable, puis de la pluie très violente. Les difficiles conditions d'alimentation du début vont peu à peu s'améliorer, ainsi que les conditions de vie, mais cela restera extrêmement rude. Les entraînements opérationnels intensifs, les préparatifs vigilants ne peuvent effacer l'attente. La menace chimique potentielle est une réalité : de nombreux exercices à caractère tactique ou technique sont exécutés. La vie quotidienne est marquée par les mesures de protection contre la menace des armes chimiques : mise en veille des appareils de détection, vêtements de protection, masques respiratoires, etc. ».

La pression psychologique vécue par les éléments précurseurs ainsi que les plus jeunes de la Division Daguet ne doit donc pas être sous-estimée. Le Général d'armée Maurice Schmitt, n'a pas exclu qu'elle ait pu avoir des incidences sur la santé des personnels, comme l'illustre cet extrait du procès verbal de son audition :

« M. Aloyse Warhouver : Mon Général, je vais m'appuyer sur des témoignages recueillis dans ma circonscription auprès de militaires qui étaient engagés dans la division Daguet, donc des jeunes gens qui étaient sur le terrain.

Il convient d'abord de tenir compte du conditionnement entretenu par les médias américains dans ce conflit. La diabolisation de l'Irak de Saddam Hussein a eu pour effet psychologique de mettre le monde entier en émoi devant cette armée que l'on allait affronter. Parmi les engagés, certains jeunes avaient à peine 18 ans. Ils n'avaient pas été préparés à une guerre " exotique ", en milieu désertique, avec des dangers réputés terribles.

Ne pensez-vous donc pas qu'un choc psychologique a pu les marquer davantage que les médicaments ? (...)

Général Maurice Schmitt : Monsieur le député, je vous remercie pour cette excellente question. Lors de la guerre du Golfe, nous avions eu la possibilité, la menace européenne étant supprimée, de porter le taux d'encadrement à pratiquement le double de celui des unités stationnées en France. Le danger avait donc été pris en compte ; vous le savez comme moi, plus une unité est encadrée, moins le risque psychologique est fort.

J'ai vécu Diên Biên Phu. Il est tout à fait clair que dans les unités fortement encadrées, telles que celles des parachutistes ou des légionnaires, les personnels ont mieux supporté de dures voire de sanglantes conditions - à quelques exceptions près, bien entendu -, alors que dans d'autres unités, il y a eu des désertions à l'intérieur même du camp retranché.

Ce que vous dites, M. le député, n'est donc pas exclu. Je pense en particulier à des militaires se trouvant dans des unités logistiques et devant aller chercher de l'essence à Dhahran. Je pense que c'est même beaucoup plus vraisemblable que les autres causes de séquelles évoquées jusqu'à maintenant.(...) ».

De fait, il semblerait que le contexte du déploiement des unités de la Division Daguet (le phénomène apparaissant moins prégnant pour les éléments de l'armée de l'Air stationnés plus en retrait de la ligne de front et à proximité de centres urbains), ait pu provoquer des troubles psychologiques. Le rapport du Médecin en chef Gallé-Tessonneau, en date du 4 juin 1991, indique à cet égard que 12 % des personnels évacués l'ont été pour des raisons psychiques. S'agissant des cas individuels, les troubles étaient fréquemment liés à des états anxieux, parfois spectaculaires ; s'agissant des comportements collectifs, il a été observé une corrélation entre le stress et la menace chimique et bactériologique de même que des difficultés liées à l'attente.

c) Les objectifs opérationnels et leur réalisation

Les ordres du 16 janvier 1991 émanant du Chef d'Etat-major des Armées, le Général d'armée Maurice Schmitt, pour le Général de corps d'Armée Michel Roquejeoffre, Commandant les forces françaises, auxquels on a déjà fait référence, fixent les missions de la Division Daguet.

Celles-ci consistent à :

« ALPHA : faire mouvement (...) vers une zone de déploiement d'attente dans la région de Rafha ; arrivée en ZDA, s'entraîner en vue des opérations ultérieures avec les éléments du 18ème corps américain (...),

BRAVO : y couvrir face au nord le déploiement du 18ème corps,

CHARLIE : lors de l'engagement des forces terrestres (G-Day) :

CHARLIE UN : dans un premier temps :

- prenant sous contrôle opérationnel une brigade de la 82ème Division Aéroportée et une brigade d'artillerie,

- bénéficiant des feux de deux brigades d'artillerie,

chargée de l'effort principal du 18ème corps, attaquer et détruire les forces irakiennes d'As Salman.

CHARLIE DEUX : dans un deuxième temps :

- renforcée de moyens restant à déterminer :

prendre le contrôle du terrain d'aviation et du n_ud routier d'As Salman pour permettre l'établissement des lignes de communication du 18ème corps,

couvrir le 18ème corps sur son flanc ouest et assurer la sécurité de ses flux logistiques ».

La chronologie de la réalisation de ces ordres de mission a été décrite par le Général d'armée Bernard Janvier, Commandant de la Division Daguet, lors de son audition :

« Les actions préliminaires ont été décidées et s'engageront avant le D. Day, fixé le 24 février. Il s'agit de l'infiltration de nos commandos en vue de saisir des renseignements dans les premiers kilomètres, et de la conquête d'un escarpement rocheux qui se trouve devant nos unités et qui pourrait poser problème. Cela se déroule le 22 février, sans opposition. Le 23, profitant de cet espace acquis sur la frontière irakienne, je déploie le premier échelon d'assaut en Irak ; mon PC se trouve donc en territoire ennemi le 23 février, dans la nuit. Je donne alors l'ordre d'engagement : s'agissant des Français, cet ordre est décidé pour 5 h 30, heure locale. Cette nuit-là, les conditions météo sont stables et peuvent favoriser des frappes chimiques au lever du jour ; nous redoutons un raid de l'artillerie irakienne le long de l'axe " Texas " ou un épandage chimique de l'aviation à réaction irakienne ou par des avions légers.

La journée du 24 est marquée par la destruction du môle principal. Il s'agit d'une man_uvre de contournement puis d'attaque latérale par le groupement est sur l'axe principal, tandis que le groupement ouest s'infiltre largement avec comme objectif, plus au nord, As Salman. Le 24 au soir, nous sommes sur notre objectif. Je dois arrêter la progression en raison de l'imbrication des unités et surtout parce qu'une forte tempête de sable s'est levée.

A l'aube, l'offensive reprend pour le deuxième temps. Alors que l'échelon central continue son attaque le long de l'axe " Texas ", en direction d'As Salman, le groupement ouest aborde l'aérodrome d'As Salman et le carrefour routier, pour s'en emparer vers 17 heures. Je me porte immédiatement avec mon PC avancé, derrière les premiers échelons d'assaut.

Le 25 au soir, nous sommes maîtres de notre objectif. Le 26, nous fouillons le village d'As Salman et complétons notre déploiement dans la zone afin de permettre aux Américains de déboucher vers l'est à partir du village d'As Salman. Le cessez-le-feu intervient le 28 février à 9 heures, ainsi que l'arrêt des opérations, et les premières unités françaises - celles qui sont arrivées au mois de septembre - quittent As Salman le 12 mars ».

Ces éléments sont illustrés par une chronologie plus complète et un schéma, tous deux extraits de la note n° 53 de l'Etat-major (14 mars 1991) portant chronologie des opérations, dont il a déjà été question précédemment.

chronologie du déroulement de l'attaque
de la division Daguet (24-28 février 1991)

Le 24/02 à 04h00 : les unités d'infanterie, les CRAP4 et la 2/82ème Air Borne se saisissent des débouchés sur l'escarpement.

Le 24/02 à 05h30 : les deux groupements entament leur mouvement vers As Salman.

Le 24/02 à 11h30 : le « groupement est » est positionné au sud et au sud-est de Rochambeau5.

Le 24/02 de 11h30 à 12h30 : préparation d'artillerie. Fin de positionnement du « groupement ouest » 20 km à l'ouest et au nord-ouest de Rochambeau.

Le 24/02 à 12h30 : le groupement est attaque Rochambeau.

Le 24/02 à 14h30 : la position est réduite. Faible résistance.

Le 24/02 de 15h00 à 18h00 : fin du positionnement du dispositif de nuit de la Division.

Le 25/02 à 04h00 : reprise du mouvement vers As Salman, à 08h00 destruction d'une compagnie de chars par le « groupement est ».

Le 25/02 au soir : le « groupement ouest » s'est emparé du terrain d'aviation d'As Salman. Le « groupement est » borde l'agglomération au sud. Il est décidé de stopper l'attaque pour éviter les pertes civiles.

Le 26/02 à 05h00 : la Division fait mouvement vers les objectifs de la ville (carrefours et installations militaires), elle ne rencontre qu'une faible résistance.

Le 26/02 à 09h30 : As Salman est entièrement sous contrôle de la Division et l'axe Rafha-As Salman est ouvert à la circulation de la logistique du 18ème corps. En fin d'après-midi, les CRAP prenant pied dans le fort d'As Salman subissent des pertes (2 tués et 25 blessés) par l'explosion de mines.

Jusqu'au 28/02 : la Division continue à compléter son dispositif de couverture ouest du 18ème corps à la frontière à l'Euphrate.

Le 28/02 à 08h00 : Cessez-le-feu.

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Au cours de son action, la Division Daguet a détruit 18 chars, 18 blindés légers, 73 pièces d'artillerie, 59 véhicules divers et 18 bunkers. Elle a par ailleurs capturé 3 000 soldats irakiens. Ses propres pertes s'élevaient à 2 tués et une trentaine de blessés.

3. Le déploiement d'un détachement Daguet à Koweït City

L'envoi de soldats à Koweït City constituait la phase ultime de la planification opérationnelle mentionnée par la note n° 53 de l'Etat-major des Armées, citée auparavant. Dès le 26 février 1991, un élément précurseur a pris position à l'Ambassade de France au Koweït. Le Détachement Daguet n'a pu le rejoindre que le surlendemain.

A la suite de la cessation des hostilités, des renforts ont été dépêchés à Koweït City en vue d'assurer jusqu'au 15 mai 1991, aux termes de l'ordre complémentaire à l'ordre d'opération n° 4472 du Détachement Daguet à Koweït City émanant, le 24 mars 1991, du Général Commandant les forces françaises dans le Golfe, des missions de « déminage », de « dépollution » et de « remise en état des lieux publics ».

L'ordre d'opération initial du Détachement Daguet à Koweït City émanant, le 27 février 1991, du Général commandant les forces françaises dans le Golfe précisait que :

« Le Détachement, sous l'autorité du COMFOR6 Daguet, comporte :

- une composante Terre ;

- une composante Marine.

Le Détachement est aux ordres d'un COMDET7, appartenant à l'EMIA8 Daguet ».

Il était composé, dans un premier temps, de 31 éléments de commandement, 80 CRAP et 110 soldats du 17ème RGP pour le détachement Terre et de 80 Commandos de marine ainsi que de l'équipage du navire de santé Foudre pour le détachement Marine. A partir du 24 mars, il a été rejoint par des démineurs du 6ème REG. Son effectif est ainsi passé de 385 à 804 soldats.

Le Détachement Daguet a principalement assuré la destruction des munitions, résidus de munitions ou pièges aux abords de l'Ambassade de France, des Ambassades se trouvant aux alentours et des plages avoisinantes. Il a également participé au déminage du port de Koweït City.

C. DES CONDITIONS DE CIRCULATION DE L'INFORMATION ENTRE ALLIÉS PAS TOUJOURS CLAIRES

La guerre du Golfe a été menée par une coalition de 21 Etats. Compte tenu de l'importance de leur contingent et de la supériorité technologique de leurs équipements, les Etats-Unis ont supervisé et coordonné les opérations.

Nombre de détachements, à commencer par les forces françaises déployées en Arabie Saoudite, ont été placés sous contrôle opérationnel du commandement américain. Bien que la chaîne de commandement soit formellement restée nationale, il en a résulté une certaine dépendance en matière de diffusion du renseignement et d'information sur la conduite des opérations.

La mission d'information constate que cette chaîne de commandement a présenté quelques carences.

1. La chaîne de commandement des forces françaises dans le Golfe

Lors de son audition par la mission d'information le 31 octobre 2000, le Général d'armée Michel Roquejeoffre, ancien Commandant des forces françaises en Arabie Saoudite, a explicité l'organisation de la chaîne de commandement dont relevaient les militaires français engagés dans le conflit :

« Les troupes françaises (...) auraient dû être mises sous contrôle opérationnel des forces saoudiennes ; cela n'a pas été le cas puisqu'en novembre intervenait le vote de la résolution de l'ONU stipulant que si l'Irak n'avait pas évacué le Koweït le 15 janvier 1991, on pouvait utiliser la force. A partir de là, nous sommes donc entrés dans la planification offensive qui, elle, ne se faisait plus avec les Saoudiens mais avec les Américains. Le 9 janvier 1991, j'ai reçu une directive particulière du Général Schmitt qui m'autorisait à planifier la man_uvre offensive, notamment avec le commandement américain. Il y était précisé : " Vous restez et resterez sous mes ordres directs. La division Daguet pourra, sur mon ordre, être placée sous contrôle opérationnel du 18ème Corps américain, les forces aériennes sous contrôle opérationnel de AFCENT ... " - AFCENT étant le " Air force central ", commandement aérien américain sur place - " ... et la logistique restera sous commandement national ".

Cela confirme le fait que je sois toujours resté sous les ordres français, que je n'ai jamais été placé sous les ordres américains et que les forces elles-mêmes n'ont jamais été sous commandement américain mais sous contrôle opérationnel, ce qui constitue une différence fondamentale (...) ».

Et le Général d'armée Roquejeoffre de préciser : « Qu'est-ce que le contrôle opérationnel par rapport au commandement ? Quand on met une troupe aux ordres d'une entité supérieure, cela signifie qu'elle obéit à tous les ordres, quels qu'ils soient, que délivrera ladite entité. Le contrôle opérationnel - création française dans le cadre de l'OTAN, soit dit au passage - vise précisément et délibérément à ne pas se mettre sous les ordres mais à passer un contrat avec " un employeur " comme ce fut le cas lors du protocole que j'ai passé avec le Général Schwarzkopf. Ce contrat dit que l'on met des forces à disposition pour une mission bien déterminée, pour une durée précise, dans un secteur bien défini, sans pouvoir les affecter à d'autres missions mais en pouvant les retirer en tant que de besoin ».

Formellement au moins, le commandement des forces françaises est donc resté national. Les ordres du Chef d'Etat-major des Armées au Général d'armée Roquejeoffre, en date du 16 janvier 1991, sont à cet égard très clairs, le Général d'armée Maurice Schmitt spécifiant : « Vous soumettrez à mon approbation toute nouvelle mission qui vous serait proposée par le commandement allié ».

Cependant, d'après la définition donnée à la notion de contrôle opérationnel, il apparaît évident que les forces françaises ont été ponctuellement sous l'autorité indirecte du commandement américain pour remplir certains objectifs.

Le schéma suivant synthétise l'architecture de la chaîne de commandement des troupes françaises déployées en Arabie Saoudite.

CHAÎNE DU COMMANDEMENT OPÉRATIONNEL

Commandant des forces américaines

déployées dans le Golfe

(Général Norman Schwarzkopf)

CEMA

(Général Maurice Schmitt)

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COMELEF DAGUET

(Général Michel Roquejeoffre)

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2nd RIMa, 3è RIMa, 4è RD, 1er RHP, 1er RPIMa, 13è RDP,

6è REG, 11è RAMa, 2nd REI, 1er RS, 1er REC, 3è RHC, 1er RHC, 6è RCS

+

2nde brigade de la 82è Air Borne, 1 bataillon de génie de la 18è brigade d'artillerie et 1 bataillon d'artillerie du 18è corps d'armée

· sigles du schéma :

COMELEF : Commandant des éléments français en Arabie Saoudite

COM DIV : Commandant de la division Daguet

COM AIR : Commandant des éléments aériens

CEMA : Chef d'Etat major des Armées

AFCENT : Air Force Central (commandement aérien américain)

· liste des régiments de la Division Daguet :

2nd RIMa : 2nd Régiment d'Infanterie de Marine

3è RIMa : 3è Régiment d'Infanterie de Marine

4è RD : 4è Régiment des Dragons

1er RHP : 1er Régiment de Hussards Parachutistes

1er RPIMa : 1er Régiment de Parachutistes d'Infanterie de Marine

13è RDP : 13è Régiment de Dragons Parachutistes

6è REG : 6è Régiment Etranger de Genie

11è RAMa : 11è Régiment d'Artillerie de Marine

2nd REI : 2nd Régiment Etranger d'Infanterie

1er RS : 1er Régiment de Saphis

1er REC : 1er Régiment Etranger de Cavalerie

3è RHC : 3è Régiment d'Hélicoptères de Combat

1er RHC : 1er Régiment d'Hélicoptères de Combat

6è RCS : 6è Régiment de Commandement et de soutien

Il apparaît en fait que le commandement américain avait la possibilité opérationnelle et matérielle de remplir les missions de son choix, la réciproque n'étant pas vraie pour les autres coalisés même s'ils conservaient une certaine autonomie dans la réalisation de leurs objectifs.

Le rapport du Commandant de la défense aérienne Norlain au Chef d'Etat-major de l'armée de l'Air, en date du 28 décembre 1990, n'annonçait-il pas de façon prémonitoire : « Il ne fait aucun doute que (...) la machine américaine prendra de facto le contrôle opérationnel de l'ensemble des forces de la coalition, c'est-à-dire assumera la conduite des opérations et, si besoin est, assurera seule l'exécution des opérations » ?

2. Des incohérences parfois manifestes dans la diffusion de l'information

A l'occasion d'interrogations portant sur les armements que les forces américaines mettaient en _uvre sur le théâtre, la mission d'information a mis en exergue qu'une certaine obscurité, potentiellement préjudiciable à la sécurité des soldats français déployés en Arabie Saoudite, entourait la transmission des données au sein de la hiérarchie militaire.

a) Qui savait que les forces américaines employaient des munitions à uranium appauvri ?

Lors des auditions, la co-rapporteure de la mission d'information, Mme Michèle Rivasi, a souhaité savoir à plusieurs reprises si les Généraux français avaient été informés par leurs homologues américains de l'emploi de munitions à uranium appauvri.

Des propos des différents Généraux en charge des opérations, il ressort une certaine confusion.

Certains, à l'Etat-major des Armées, connaissaient l'existence et l'emploi de telles munitions, sans pour autant que la hiérarchie américaine les ait informés. Tel est du moins le cas du Général d'armée Maurice Schmitt, Chef d'Etat major des Armées à l'époque, comme l'illustre cet échange avec la co-rapporteure de la mission d'information au cours de son audition, le 7 novembre 2000 :

« Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Mon Général, les Américains vous avaient-ils informé qu'ils utilisaient de l'uranium appauvri dans les avions A 10 et peut-être dans certains chars ?

Général Maurice Schmitt : Nous n'avions pas besoin d'être informés par les Américains, nous le savions. »

Le Général d'armée Jean Fleury, ancien Chef d'Etat-major de l'armée de l'Air, était lui aussi au fait de l'existence d'obus américains incorporant de l'uranium appauvri. Il a cependant été moins affirmatif quant à leur emploi :

« Oui, je connaissais l'existence d'obus-flèches à uranium appauvri, mais je ne peux pas garantir qu'ils aient été utilisés. Ces armes entraient toutefois dans la panoplie américaine, je le confirme ».

D'autres généraux n'auraient pas eu connaissance de l'utilisation de telles armes sur le terrain. C'est du moins ce qu'illustre cet extrait du procès verbal de l'audition du Général d'armée Michel Roquejeoffre, Commandant les forces françaises en Arabie Saoudite lors de la guerre du Golfe :

« Général Michel Roquejeoffre : Dans toute opération, il est procédé à ce que l'on appelle " un appui-feu " qui est assuré par l'aviation et l'artillerie. L'armée française n'ayant pas, et n'ayant d'ailleurs toujours pas la possibilité de procéder à ces opérations par des avions d'appui rapproché, elle utilise des avions de chasse, en particulier des Jaguar, dont ce n'est pas la spécialité et qui sont plus adaptés aux actions dans la profondeur. En conséquence, l'appui rapproché qui s'exécute à un ou deux kilomètres devant le front des troupes terrestres était, effectivement, assuré essentiellement par des avions A 10 américains.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Avec des obus à base d'uranium ?

Général Michel Roquejeoffre : Cela, je ne l'ai appris qu'après !

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Vous confirmez que vous ne l'avez appris qu'après ? C'est important !

Général Michel Roquejeoffre : Oui, et j'ajoute que je ne l'ai même pas appris par les officiers américains mais par la presse, puisqu'on a commencé à parler de l'uranium appauvri que beaucoup plus tard ».

En témoigne également cette réponse du Général d'armée Bernard Janvier, Commandant de la Division Daguet au moment des opérations terrestres :

« Je savais que l'avion A 10 tirait des obus, mais j'ignorais qu'ils contenaient de l'uranium appauvri ».

b) Y a-t-il eu dysfonctionnement dans la chaîne de commandement ?

Afin de l'éclairer, la mission d'information a demandé par courrier au Secrétaire d'Etat américain, M. Colin Powell, Chef d'Etat-major des Armées américaines à l'époque, de préciser si le commandement du théâtre ou l'Etat-major des Armées françaises avaient été avertis de l'emploi de munitions à uranium appauvri.9

En l'absence de réponse de sa part, la mission d'information ne peut qu'émettre des hypothèses.

Il semblerait tout d'abord que les Généraux en charge des opérations de la guerre du Golfe n'étaient pas informés de l'utilisation par les forces américaines de ces munitions sur le terrain.

A cet égard, la divergence des propos des Généraux Roquejeoffre et Janvier avec ceux du Général Schmitt n'est pas sans conséquence. On est en droit de se demander si l'Etat-major a véritablement averti le Commandant des forces françaises en Arabie Saoudite ainsi que le Commandant de la Division Daguet que les forces américaines recouraient à ce type de munitions, le contraire constituant une faute grave compte tenu des responsabilités opérationnelles qui incombaient à ces derniers.

Ceci étant, les responsables militaires qui étaient informés de l'utilisation de munitions à uranium appauvri s'accordent à dire qu'ils ne savaient pas quelle était la nocivité potentielle des munitions en cause. Manifestement, le simple fait que les troupes américaines les utilisaient apparaissait de nature à annihiler leur méfiance.

Le Général d'armée Maurice Schmitt a d'ailleurs excipé de cet argument pour justifier que la question de l'emploi de munitions à uranium appauvri n'ait pas été évoquée par le Général Roquejeoffre avec ses homologues :

« Je ne sais pas exactement ce que vous a dit le Général Roquejeoffre. Il a dû vous dire que la question n'avait pas été évoquée entre lui et le Général Schwarzkopf, ce qui est probablement vrai. Cette question allait de soi. Du moment que les chars Abrams disposaient d'obus-flèches à uranium appauvri, que les A 10 disposaient de projectiles à uranium appauvri et qu'à notre connaissance l'utilisation de cet armement était sans conséquence dommageable, je le répète, il n'y avait donc pas lieu de poser la question ».

De fait, on ne peut reprocher à la hiérarchie militaire française de ne pas avoir su, en 1990, quels risques étaient associés à l'emploi d'armes incorporant de l'uranium appauvri, dès lors que la France n'en produisait ni n'en disposait à cette époque et que les experts chargés d'étudier ce type de munitions n'avaient pas attiré leur attention sur de quelconques risques y afférents.

Toutefois, dans l'hypothèse où les armées américaines auraient véritablement connu ces risques, le fait qu'elles n'en auraient pas informé leurs alliés, s'il s'avérait confirmé, constituerait un manquement grave à leurs obligations à l'égard de leurs partenaires de la coalition. La responsabilité d'expositions éventuelles de soldats aux conséquences sanitaires de l'emploi de telles armes leur incomberait donc, au moins sur le plan moral. Par extension, la chaîne de commandement de la coalition aurait comporté d'importantes carences.

II. - LE RÔLE DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES (S.S.A.)

Pour comprendre les faits qui ont présidé à la création de la mission d'information, il est également nécessaire de s'attarder sur les missions et l'action du Service de santé des Armées (S.S.A.), aspects souvent méconnus des campagnes militaires, mais qui dans le cas présent, revêtent une importance toute particulière.

A. UNE SPHÈRE DE RESPONSABILITÉ RÈGLEMENTAIREMENT ENCADRÉE

Comme tout service, le S.S.A. procède d'un cadre réglementaire qui définit son mode de fonctionnement ainsi que ses relations avec le commandement.

1. Un rôle de conseil du commandement

Dans tout contexte opérationnel, les médecins du Service de santé des Armées (S.S.A.) ont principalement un rôle de « conseil » à chacun des niveaux du commandement, c'est-à-dire depuis la conception et la définition des modalités de l'action jusqu'aux différents stades de l'exécution au sein des unités.

Les dispositions de l'instruction sur l'organisation et le fonctionnement du Service de santé des Forces terrestres en opérations (document approuvé le 17 juin 1982 sous le N° 21 407 /DEF/EMAT/SOU/SAN/DR) fondent ce principe essentiel sur lequel la mission d'information a observé l'insistance des principaux responsables du Service de santé à mentionner l'importance. Ce texte détaille le rôle précisément dévolu aux membres du S.S.A., à chaque niveau d'intervention, de la Division aux sections de base.

En application de l'instruction précitée (article 4211) « Le Médecin chef du Service de santé de la Division est placé sous les ordres directs du Général commandant la Division et sous l'autorité technique du directeur du Service de santé du corps d'armée. Il est le conseiller du Général commandant la Division pour tout ce qui concerne l'organisation et le fonctionnement du Service de santé dans la zone de la Division. »

L'article 4 212 insiste, par ailleurs, sur la position et le pouvoir de proposition dévolus au Médecin chef du Service de santé d'une Division :

« Art. 4 212 - Placé auprès de l'antenne logistique, il participe à l'élaboration des ordres pour le Service de santé et à l'établissement des comptes rendus.

Il propose notamment :

- l'emploi, la répartition et l'implantation des postes de secours et des véhicules sanitaires de ramassage, organiques ou attribués en renfort à la division ;

- les modalités de mise en _uvre des moyens de triage organiques ou mis à la disposition de la division par le C.A. ;

- l'organisation des évacuations primaires en zone divisionnaire compte tenu des moyens aériens ou routiers attribués par le corps d'armée ;

- l'organisation du ravitaillement sanitaire des formations ;

- les mesures d'hygiène et de prophylaxie qu'il juge indispensables.

Il veille à la coordination du ramassage et du triage en zone divisionnaire et au bon fonctionnement du transport sanitaire, principalement en cas d'élongation des communications et au moment de la relève d'un triage en activité.

Il provoque les mesures qu'impose la situation, notamment les demandes de renforcement en triage et en moyens d'évacuations par voies aérienne et terrestre.

Représentant le Général commandant la Division, il contrôle la mise en _uvre et le fonctionnement des unités du Service de santé et la bonne exécution des missions qui lui ont été confiées ».

D'autres dispositions de l'instruction font expressément état de la position des médecins militaires dans leurs rapports avec le commandement. Ainsi, les missions logistiques intègrent des attributions importantes en matière de conduite du soutien sanitaire. A ce stade, les membres du Service de santé se voient reconnaître un large champ d'action :

« Art. 4 321 - LE COMMANDEMENT (CELLULE LOGISTIQUE DU P.C. ARRIERE)

Au sein de la cellule logistique, l'équipe « santé » est chargée de :

- provoquer la livraison des hôpitaux d'évacuation acheminés par voie ferrée ;

- effectuer en temps utile les commandes de sang conservé (1) ;

- rédiger le paragraphe « santé » de l'ordre administratif et logistique du corps d'armée, en liaison avec la cellule logistique du P.C. avant où la man_uvre a été conçue et le directeur du Service de santé ; ce document précise notamment les renforcements à attribuer aux Divisions, ainsi que le volume des moyens d'évacuation à mettre en place auprès des centres de triage de chacune d'elles... »

La rédaction du paragraphe « santé » de l'ordre visé au quatrième alinéa de l'article précité n'implique toutefois les médecins du S.S.A. que pour des mesures d'exécution de portée administrative et logistique, sans leur conférer pour autant un pouvoir d'intervention, du moins directement, sur les ordres à vocation opérationnelle.

Enfin au niveau des unités de base, l'article 4 111-1 fixe les attributions des médecins, chefs de corps de troupe :

« Le Médecin-chef d'un corps de troupe (régiment, bataillon ou unité formant corps) assure son service sous les ordres du chef de corps et l'autorité technique du chef du Service de santé de l'échelon supérieur.

Ses attributions sont de deux ordres.

a) Responsable du soutien sanitaire du corps :

- informé de la mission opérationnelle de l'unité, il propose au chef de corps l'emploi des moyens sanitaires dont il dispose (moyens organiques et de renforcement), notamment l'emplacement des postes de secours, et les mesures d'hygiène et de prophylaxie qu'il estime indispensables ;

- il organise en conséquence le dispositif sanitaire :

● en répartissant les moyens entre les postes de secours déployés,

● en actionnant directement les moyens de transport sanitaire en liaison étroite avec le chef de corps ;

- se tenant constamment au courant de la situation tactique, il prend l'initiative des mesures qu'elle impose sous réserve d'en rendre compte au chef de corps et au Médecin-chef de l'échelon supérieur ;

- il met en _uvre lui-même le poste de secours principal.

b) Chef du service médical du corps :

- il a autorité technique sur tous les personnels sanitaires du corps, assure leur instruction technique en vue de leur emploi opérationnel et répartit leurs tâches ;

- il veille à l'entretien de l'ensemble de la dotation en matériels sanitaires du corps et au maintien des approvisionnements à un niveau garantissant en permanence la disponibilité opérationnelle de son service. »

2. Un champ d'intervention néanmoins étendu en pratique

Le mode d'organisation défini par l'instruction de 1982 justifie ainsi que les ordres opérationnels, y compris leurs paragraphes « santé » le plus souvent énoncés dans des annexes à caractère sanitaire, ne sont signés que par le haut commandement. Les médecins militaires et notamment les responsables centraux du S.S.A. ne figurent donc pas parmi les signataires d'ordres opérationnels.

Au cours de son audition par la mission d'information, le Médecin-général inspecteur Jean Bladé, Directeur central du S.S.A. à l'époque de la guerre du Golfe, a néanmoins souligné avec une certaine satisfaction, qu'il avait été, à cette occasion, le premier responsable dans l'histoire de ce service à signer un ordre d'opération. Cet ordre portait essentiellement sur le dispositif interne au S.S.A. et la répartition de son personnel10. En conséquence, il ne constituait pas une exception au principe de l'unité de responsabilité du commandement : les modalités d'organisation particulière au S.S.A. et plus particulièrement sur le territoire français étaient visées dans ce cadre.

La limitation du rôle des médecins militaires au conseil du commandement au travers d'un pouvoir de proposition ne leur confère cependant pas une place secondaire ou subséquente.

En premier lieu, la Direction centrale du S.S.A. (DCSSA) a le devoir d'informer le plus précisément possible l'Etat-major des Armées sur les moyens de se prémunir contre les risques sanitaires et sur les mesures à prendre en ce sens de façon prioritaire. Cette mission est essentielle dans la phase de préparation d'une opération extérieure qui, dans le cas de la guerre du Golfe, supposait connu un degré élevé de probabilité d'agressions bactériologiques ou chimiques de la part de l'ennemi. Par ailleurs, les données climatiques particulières à la région de l'intervention constituaient, d'emblée, un facteur qui devait obligatoirement faire l'objet de considérations médicales ou sanitaires spécifiques.

Le deuxième point est lié à la vocation du S.S.A. d'être à même de prévoir les données concernant des épidémies ou d'éventuelles endémies qui existeraient dans toute région où un déploiement de forces est projeté. Il lui revient ainsi de maintenir un dispositif permanent de veille épidémiologique et de collecte d'informations sanitaires au niveau mondial. Les données disponibles auprès d'institutions telles que l'Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.) et une connaissance approfondie de la littérature médicale internationale sont les moyens les mieux assurés pour satisfaire à cette obligation (à ce sujet, une fiche de la Sous-direction « Action Scientifique » de la DCSSA avait établi un bilan des données climatiques pathologiques, ainsi qu'une hiérarchie des risques sanitaires potentiels)11.

Enfin, le S.S.A. qui dispose d'éléments précieux d'appréciation sur l'état de santé des forces, au travers du suivi médical régulier effectué au niveau régimentaire comme des consultations plus spécialisées également destinées aux personnels militaires au sein de ses structures hospitalières, doit être capable de hiérarchiser et, dans une certaine mesure, d'anticiper les besoins sanitaires auxquels il faudra impérativement répondre.

a) Un devoir de proposition et de conception

S'ils ne signent pas les ordres à vocation opérationnelle, les médecins militaires ne sont pas pour autant absents de la phase de rédaction de ces documents.

D'une part, les annexes « sanitaires » comprises dans les ordres opérationnels sont, au moins en partie, préparées par le S.S.A.. A cet égard, certaines de leurs dispositions et plus particulièrement celles des annexes concernant les risques « NBC » (Nucléaires, Bactériologiques et Chimiques) semblent relever d'une catégorie de documents-types, simplement révisés ou actualisés en fonction des caractéristiques de chaque opération.

D'autre part, le S.S.A. dispose nécessairement au niveau des unités d'un pouvoir d'adaptation et d'interprétation sur les dispositions des paragraphes « santé » des ordres opérationnels une fois réceptionnés pour exécution par les chefs de corps et leurs subordonnés.

Ce pouvoir est probablement à l'origine du caractère à tout le moins succinct de la mention de l'annexe 5 « NBC » à l'ordre opérationnel N°618/COMDIV DAGUET/OPS/ du 11 février 1991 (figurant en annexe), signé par le Général d'armée Bernard Janvier, qui disposait que la prise préventive de Pyridostigmine devait être généralisée dès le niveau de protection 1 à la date G - 1 de l'offensive terrestre. Cette mention d'importance n'a effectivement pas été complétée par d'autres éléments écrits sur la posologie de ce médicament. En effet, cet ordre n'a nullement fait état des cas connus, même les plus généraux, de contre-indications. En revanche, la composition et la localisation des postes de décontamination différée (PDD) font l'objet de descriptions détaillées dans cette annexe.

b) Une obligation d'entretenir des relations de qualité avec le commandement

En tout état de cause, les relations entre le commandement et les médecins militaires doivent reposer sur une confiance réciproque dans la sphère des activités qui leur revient. Les chefs militaires accaparés sur le terrain par des considérations de nature opérationnelles n'ont ni le temps, ni les compétences scientifiques pour analyser le bien fondé ou les limites d'un traitement ou d'un acte médical dont ils ordonnent pourtant l'exécution. S'agissant des médecins militaires et des personnels infirmiers qui les assistent, leur intervention au niveau des unités doit d'abord se manifester par une constante préoccupation de bonne application et de respect de toutes les consignes sanitaires et médicales, notamment lorsqu'il a été décidé qu'un médicament ou une molécule fera l'objet d'une administration aux troupes voire d'une distribution généralisée. Il en va de même pour d'autres mesures de précaution tenant, par exemple, à la nourriture et aux boissons ou encore à d'éventuelles obligations de jeûne ou de repos qui précéderaient ou succéderaient à une vaccination.

Le dialogue entre l'État-major des Armées (EMA) et le S.S.A. revêt ainsi une importance toute particulière. Les responsables de ce service doivent à tout moment, être à même de fournir les explications les plus complètes sur les choix médicaux à arrêter. Ils ont, à ce niveau, l'obligation d'avertir le haut commandement sur les conséquences susceptibles d'être encourues d'un point de vue médical par la mise en _uvre d'un dispositif spécifique et de lui proposer, le cas échéant, d'effectuer des analyses, relevés ou prélèvements dès qu'un doute se fait jour pour une situation ou une exposition donnée.

Ce principe doit aussi être traduit en acte, dès la phase de préparation à la man_uvre :

« La Direction centrale du Service de santé, qui ne fut invitée aux exposés de situation du Centre opérationnel des Armées qu'à partir du 20 février 1991, doit être associée au plus tôt aux travaux de planification réalisés par l'État-major des Armées ; c'est à elle de proposer à l'EMA l'organisation du soutien médical à déployer. »

Publiée dans un document officiel du S.S.A. qui a sans nul doute fait préalablement l'objet d'une relecture attentive et d'éventuelles corrections de la part de la haute hiérarchie du Service, cette mention a valeur de mise en cause12.

A la même page de ce document, une autre mention mérite d'être reproduite :

« L'importance du soutien médical n'a pas été perçue initialement par le commandement comme une priorité ; plusieurs exemples le démontrent :

- le médecin de l'état-major du COMELEF13 ne sera autorisé à rejoindre son poste que deux semaines après son commandant ;

- la réalité de la menace chimique sera minimisée au mois d'août 1990 malgré l'avis de la Direction centrale du Service de santé des Armées ;

- l'autorisation de l'envoi de psychiatres sera longue à obtenir du commandement en dépit des risques psychologiques évidents. »

3. Un rôle d'anticipation des conflits à venir

a) L'expérience des opérations passées

Dans ce domaine, des défaillances ont malheureusement émaillé les déclarations officielles.

Au cours de son audition, le Médecin général Daniel Gautier a loyalement reconnu la responsabilité de son Service dans les imprécisions émanant de sources pourtant officielles mais trop longtemps maintenues et qui concernaient l'administration généralisée de la Pyridostigmine, à titre préventif, aux forces ayant participé à l'offensive.

Le S.S.A. a, en outre, vocation à être la mémoire médicale des conflits passés, notamment afin de tirer les conséquences des observations alors constatées au sein des forces françaises ou étrangères, pour mieux préparer les opérations futures.

Dès la première audition publique tenue par la mission d'information, celle du Général d'armée Michel Roquejeoffre, le 31 octobre 2000, il a pu être enfin clairement établi que ce médicament avait bien fait l'objet d'un ordre du commandement afin de distribution aux troupes à G - 1, c'est-à-dire à la veille du déclenchement de l'offensive terrestre du 24 février 1991. Le Général Roquejeoffre a précisé qu'une simple recherche dans ses archives personnelles lui avait permis de mettre à jour ce fait objectif qui depuis plusieurs mois donnait lieu à contestation voire à polémique.

Tant au niveau de l'Etat-major des Armées que de la Direction centrale du S.S.A., il reste surprenant qu'une préoccupation de consultation approfondie des archives officielles ne soit pas intervenue. La tâche n'apparaissait pourtant pas insurmontable pour un conflit conduit il y avait à peine dix années !

A ce manquement, s'est ajoutée une autre imprécision sur ce même sujet de la Pyridostigmine.

A l'occasion de leur audition du 8 novembre 2000, le Médecin général Gautier et le Médecin en chef Brunot ont affirmé que les forces britanniques n'avaient pas, pour leur part, utilisé la Pyridostigmine mais une autre substance à savoir le physostigmine, un agent qui, selon les propos tenus par le Médecin général Gautier, « passe la barrière hémato-encéphalique », contrairement à la Pyridostigmine « ... qui ne franchit pas la barrière hémato-encéphalique ».

Cette précision médicale apparemment importante s'est avérée infondée. Dans une lettre adressée au Président de la mission (figurant en annexe), l'actuel Directeur central du S.S.A. a souhaité corriger ce propos en précisant :

« S'agissant d'un sujet en dehors des compétences du Service de santé des Armées et touchant les mesures adoptées par d'autres armées, j'ai fait vérifier cette assertion. En fait, il est vraisemblable qu'à l'époque du conflit du Golfe, les britanniques utilisaient comme les armées françaises, le bromure de Pyridostigmine. Ce n'est qu'ultérieurement que les autorités anglaises ont mené des études sur la physostigmine. »

L'intervention dans le cadre d'une coalition comme les échanges réguliers au sein de l'OTAN constituent des opportunités qu'il convient de mettre à profit pour établir des comparaisons et des bilans entre les différents dispositifs sanitaires mis en _uvre en opérations par les forces de pays comparables à la France sans oublier, bien évidemment, les États-Unis.

A cet égard, l' « après-Golfe » ne semble pas avoir fait l'objet d'une préoccupation de cette nature. Aux questions de la mission d'information sur les contacts éventuellement pris par le S.S.A. avec ses principaux homologues, les responsables centraux de ce service se sont montrés plutôt évasifs.

Lors de l'audition précitée, le Médecin en chef Brunot qui accompagnait le Médecin général Gautier a simplement fait mention de contacts de caractère plus informels qu'officiels, notamment avec les services médicaux des armées américaines. Alors que les premiers articles de presse relatifs à des vétérans du Golfe se déclarant souffrants dataient de 1992-1993 aux États-Unis et en Grande-Bretagne, le S.S.A. ne paraît avoir pris l'initiative d'échange d'informations, à cette période. Les contacts sur ce thème avec ses principaux homologues étrangers sont probablement beaucoup plus récents.

b) Les insuffisances dans la recherche d'informations postérieurement au conflit du Golfe

La mission d'information ne dispose d'ailleurs pas de comptes rendus de réunions ou de notes et rapports de synthèse internes au S.S.A. sur d'éventuelles discussions et échanges auxquels auraient participé des membres du Service. Cette absence d'implication internationale peut trouver plusieurs explications. Le secret n'est sans doute pas la principale. Ce repliement résulte sans doute du postulat longtemps avancé selon lequel les troubles et affections dont se plaignaient des militaires relevant des forces étrangères impliquées dans la guerre du Golfe n'étant pas observés en France, ils devaient, de ce fait, être rangés au titre des spécificités liées à certaines mesures arrêtées dans le cadre de dispositifs sanitaires d'armées ayant des approches ou des pratiques distinctes de la nôtre, notamment en matière de vaccination. Forte de cette croyance, le S.S.A. ne s'est pas assigné une obligation qui lui aurait permis dès cette époque, d'en savoir plus par la mise en pratique d'une quête d'informations qui relève pourtant d'un principe minimal de précaution.

Il convient néanmoins de constater que les responsables médicaux n'ont pas été seuls à méconnaître l'intérêt d'intensifier les contacts avec nos alliés sur ces questions. En réponse à ses demandes adressées au Ministre de la Défense pour que lui soit communiquée l'intégralité des notes et télégrammes rédigés sur le « syndrome du Golfe » par les Attachés de défense de nos principales ambassades, le nombre de documents qu'elle a obtenus démontre que l'Etat-major des Armées ne s'est guère enquis auprès de ces postes de l'évolution d'un problème qui préoccupait manifestement dans ces pays, sur la période 1993-1999, non seulement les milieux militaires, mais également des responsables politiques des sphères scientifiques civiles, voire une partie de l'opinion.14

Cette abstention dans la recherche d'informations extérieures est d'autant plus regrettable que les rapports d'activité rédigés au terme des opérations du Golfe par les médecins militaires témoignent d'une réelle liberté d'esprit et de ton.

Ainsi qu'en témoignent les bordereaux de transmission, la remontée de ces analyses par la voie hiérarchique, s'est effectuée dans les délais relativement brefs. Il est, en revanche, difficile pour la mission d'apprécier le degré comme la durée de leur éventuelle exploitation.

Un des comptes rendus d'activité les plus complets et d'ailleurs souvent pertinent est le rapport rédigé par le Médecin en chef Y. F. Cudennec, Professeur agrégé, (N°4/810 HMC du 25 mai 1991), sous le sceau de l'Ecole d'application du Service de santé pour l'armée de Terre. La mission d'information s'est référée pour plusieurs de ses thèmes d'investigation à ce document qui retrace l'action du 810ème hôpital mobile de campagne réduit d'active (HMCRA), dont le Professeur Cudennec a assuré le commandement.

Cette structure médicale a joué un rôle important dans le cadre d'une mission couvrant la période allant du 29 septembre 1990 au 28 mars 1998, date de son retour en France. Initialement mis en alerte, dès la fin du mois d'août 1990 dans le cadre de l'opération « Salamandre », le 810ème HMCRA s'est d'abord déployé à la Cité du roi Kahled (CRK ou KKMC : King Khaled Military City) puis a été implanté à proximité de la ville de Rafha (350 km au nord-ouest de CCR), aux environs de laquelle stationnait la majeure partie des forces constituant la Division Daguet.

Sur cette implantation, le 810ème HMCRA a été regroupé avec différentes unités sanitaires dont le 815ème HMCRA, l'Antenne chirurgicale aéroportée 19 et une section d'hospitalisation, afin de constituer l' « Hôpital de campagne Daguet » (HC Daguet). Un hôpital militaire américain, le 93ème EVAC Hospital de l'US Army était installé à 500 mètres de l'implantation française. Ce voisinage fournira l'occasion de coopérations notamment par la mise en place d'un site commun de décontamination.

A ce stade des observations, il paraît utile à la mission d'information de reproduire intégralement (ci-après) la chronologie des rapports de travail entretenus sur le terrain entre le S.S.A. et son homologue américain15.

Dans son rapport d'activité rédigé le 4 avril 1990 (bordereau de transmission à la sous-direction « Organisation-Logistique » de la DCSSA, en date du 28 juillet 1990), le Médecin général Vilaine, Directeur du Service de santé des forces françaises stationnées en Arabie Saoudite pendant la guerre du Golfe, fait état d'une réunion tenue à l'hôpital militaire de CRK, le 26 décembre 1990, en cours de laquelle a été effectué la « présentation d'un projet de protocole de coordination des services de santé alliés par le chef santé US ».

Cette initiative n'a pas abouti ; aucune autre source officielle (essentiellement les messages « santé » et les rapports d'activité des médecins militaires) que la mission d'information a pu examiner, à la suite de ses demandes, ne mentionne, en effet, la moindre conséquence de l'éventuelle entrée en vigueur d'un tel protocole interallié.

CHRONOLOGIE
DES PRINCIPALES ACTIONS DE COOPÉRATION FRANCO-AMÉRICAINES
EN MATIÈRE SANITAIRE

19 au 21 novembre 1990

Premier cours relatif à la prise en charge des blessés contaminés par agent chimique organisé par le XXIIIè Tactical Hospital de l'US Air Force de Riyadh.

08 au 10 décembre 1990

Deuxième cours identique.

Au total 12 officiers du Service de santé français ont suivi ces cours.

12 décembre 1990

Réunion des responsables des Services de santé à Dahran.

26 décembre 1990

Réunion interalliée à l'hôpital militaire de CRK.

02 janvier 1991

Réunion avec des responsables américains au sujet de la menace biologique

Réunion, à CRK, de la majeure partie des personnels santé du Groupement de Soutien Logistique et de la Division pour présentation de la doctrine américaine de prise en charge des blessés contaminés par agent chimique.

07 janvier 1991

Réunion à Riyadh du directeur du Service de santé Daguet et de son homologue américain sur la coordination franco-américaine dans le cadre de l'engagement terrestre.

07 janvier 1991

Conférence franco-américaine sur des thèmes de chirurgie de guerre (participation de 6 chirurgiens français - exposé sur le fixateur externe du Service de santé des Armées).

08 janvier 1991

Visite du XXIIIè Tactical hospital de l'US Air Force à Riyadh par le directeur central du Service de santé.

12 janvier 1991

Le Médecin chef de la Division Daguet participe à une réunion préparatoire à l'engagement terrestre à Dahran.

24 janvier 1991

Contact entre les chirurgiens de l'HMCTA et leurs homologues américains.

Janvier - Février 1991

Nombreux contacts entre les psychiatres de l'HMCTA avec leur homologues du « Stress Management Center » de Riyadh.

Mars 1991

Relations suivies entre la 19ème ACA et les 93ème et 114ème Evacuation Hospital américains de CRK.

Engagement aérien

Au cours de deux missions de sauvetage, les hélicoptères PUMA et les équipes SAR de la base d'Al Asha ont récupéré trois pilotes américains éjectés.

Par ailleurs, ce rapport émanant d'un responsable ayant eu sous ses ordres plus de 1 000 militaires du S.S.A., s'avère quelque peu décevant. Pour l'essentiel, ce document se limite à établir une simple chronologie du déploiement du Service de santé. Les enseignements de l'opération se résument à quatre pages à vocation plus descriptive qu'analytique, hormis quelques considérations sur la nécessité de créer des unités professionnalisées de soutien « santé » au niveau de la Division et de renforcer les moyens de vie courante et d'administration des formations « santé » alors mises en place qui ne comportaient que des éléments techniques, en personnel comme en matériel.

B. LA MULTIPLICITÉ DES DÉFIS À RELEVER

Dans le contexte de la guerre du Golfe, la tâche du S.S.A. ne fut pas aisée. En effet, à plus d'un titre, le mode d'engagement des forces françaises participant au conflit relevait d'une conception nouvelle, reposant non pas sur la défense du territoire mais sur la projection sur un théâtre d'opérations extérieur, conception à la laquelle le S.S.A. a dû s'adapter autant que possible.

1. Le défi logistique

a) Un maillage sanitaire au plus près des forces

A l'occasion du conflit du Golfe, les effectifs déployés par le Service de santé des Armées, représentaient globalement environ 10 % de nos forces. Ce ratio qui semble effectivement élevé a été souligné lors de leurs auditions par les responsables passés et actuels de ce service comme tout à fait comparables et même souvent supérieurs à celui de chacune des autres nations de la coalition16.

En ce domaine, la mission constate l'effort en personnels et matériels alors réalisé. Elle ne saurait cependant apprécier précisément l'avantage réellement apporté à la France par de telles comparaisons. Il conviendrait, en effet, de réaliser de véritables « audits » rétrospectifs sur les modalités d'organisation particulières à chacun des services de santé, leur disponibilité opérationnelle, la qualification comme le degré d'entraînement des équipes et le rôle dévolu à chacune des catégories de personnel, y compris les infirmiers et assistants, impliquées dans la constitution d'une chaîne santé.

De telles études ne correspondent ni à la compétence ni aux moyens d'une mission d'information parlementaire, d'autant que le conflit du Golfe, s'est heureusement caractérisé par un faible nombre de pertes au sein des forces coalisées dont les équipes médicales n'ont pas été amenées à relever puis à traiter des afflux massifs de grands blessés (personnels brûlés ou contaminés) sur de très courtes périodes.

De plus, les pratiques médicales au combat diffèrent toujours sensiblement selon les pays, pour des motifs de doctrines d'emploi, voire des raisons culturelles, notamment en matière de « triage » (selon la terminologie militaire) ou d'évacuation des blessés.

Les données analysées par la Direction centrale du Service de santé des Armées (pièce non classifiée sur « le soutien sanitaire de l'opération Daguet » datée de décembre 1991) montrent effectivement que les effectifs réalisés au titre du soutien sanitaire, au moment de l'offensive terrestre, s'élevaient (toutes catégories confondues) à 1 214 personnes17 pour un effectif global de 12 800 militaires déployés, en février 1991, au sein de la Division Daguet.

Un peu plus du dixième du total des personnels sanitaires (soit 149 personnes) était cependant mis en alerte en France dans le cadre des mission de convoyage.

Il convient également de souligner que des moyens matériels et en personnels étaient dégagés pour l'éventuel accueil en métropole d'un flux quotidien de blessés rapatriés dans quatre hôpitaux militaires d'Ile-de-France (Val de Grâce, Begin, Percy et Larrey) et trois autres établissements de province (Desgenettes à Lyon, Laveran à Marseille et Sainte-Anne à Toulon) choisis en raison de leurs capacités (1 650 lits réservés) et des facilités aériennes de proximité.

A la page 10 du document, une observation était faite au titre du bilan de l'opération :

« La majorité des personnels des antennes et des hôpitaux de campagne provenait des formations hospitalières de France et des Forces françaises d'Allemagne (FFA). Pour ceux qui périodiquement remettent en cause l'existence des hôpitaux militaires, la guerre du Golfe apporte la réponse : les hôpitaux des Armées représentent le noyau dur autour duquel s'articule le soutien des forces en temps de guerre et garantissent le soutien d'une force engagée hors d'Europe. »

b) Un dispositif établi a priori sur des perspectives de durs combats

S'agissant des « pertes santé » l'Etat major opérationnel (EMO) avait abouti à une évaluation de 3 % par jour sur la base d'un effectif de 10 000 hommes se répartissant ainsi (page 3 du document) :

- 90 urgences absolues (dont 15 extrêmes urgences et 75 premières urgences ou U1)

- 210 urgences relatives (dont 90 - deuxièmes urgences - U2 - et 120 troisièmes urgences - U 3)

Le principe de l'autosuffisance nationale fut arrêté a priori : aucune prestation de la notion-hôte (Arabie Saoudite) et des alliés ne pouvait en effet être escomptée, du moins lors de la conception du déploiement « santé ».

L'importance des portées logistiques sur le théâtre des opérations comme entre les zones de déploiement et la France (plus de 5 000 km) a nécessité un recours massif à la voie aérienne. La deuxième incidence par rapport aux schémas définis pour des engagements de type « Centre-Europe » a consisté à arrêter le principe d'un traitement des extrêmes urgences, dès le triage, au niveau divisionnaire et d'un traitement des U2 sur le théâtre des opérations, « les délais préopératoires à cette catégorie de blessés (18 heures) étant insuffisants pour envisager sans risque une évacuation d'emblée sur Djibouti et a fortiori sur la métropole » (page 4).

Sans prétendre procéder à une description exhaustive du dispositif, on notera que le Groupement de Soutien Logistique (GSL) - Avant, s'est vu attribuer la mission de traiter les U1 par deux hôpitaux mobiles de campagne réduits d'active (810ème et 815ème HMCRA) et une antenne chirurgicale aérotransportable (ACA) renforcée de trois équipes chirurgicales.

Enfin, un important groupement santé a été constitué à Riyadh. Il comprenait :

- un hôpital médico-chirurgical et de transit aérien (HMCTA), formé pour la circonstance par l'Elément médical militaire d'intervention rapide (EMMIR), d'une formation de type hôpital mobile de 100 lits (HMC 100) et de 7 équipes chirurgicales pluri-disciplinaires ;

- un point d'embarquement par voie aérienne (PEVA/AVANT), pour préparer les blessés à une évacuation ;

- une section de ravitaillement sanitaire.

Les rapatriements sur la métropole étaient rendus possibles par les moyens de l'armée de l'Air (cargos tactiques C 130 et DC 8) et, le cas échéant, par des appareils commerciaux d'Air France spécialement équipés « EVASAN » (évacuation sanitaire).

Ce dispositif complété notamment par un élément chirurgical à la base aérienne d'Al Asha et d'un GSL-Arrière à Yanbu (équipes chirurgicales de deux bâtiments de la Marine et une ACA), n'a effectivement pas eu à traiter dans l'urgence un grand nombre de blessés, du moins pour faits de guerre.

c) Un bilan heureusement inférieur aux prévisions de pertes

Le bilan officiel publié en page 22 du document précité est le suivant pour l'activité sanitaire française sur la période du 1er octobre 1990 au 24 mars 1991 :

- 21 778 consultations 18 ;

- 722 admissions aux infirmeries ;

- 523 admissions aux hôpitaux ;

- 577 blessés, dont 39 pour faits de guerre ;

- 219 évacuations sanitaires.

Le document intitulé « Le Service de santé des Armées pendant les opérations au Moyen-Orient - 1990 - 1991 » (Tome 1, page 86), précise :

« L'ensemble du personnel en alerte quitta la France par voie aérienne les 17 et 18 janvier 1991 à la demande du Service de santé des Armées qui souhaitait une rapide réalisation complète de l'ensemble de ses moyens.

Ainsi, le volume des effectifs « santé » a évolué jusqu'à représenter près de 10 % des effectifs, soit un taux sensiblement équivalent à celui des américains ».

Le tableau ci-dessous figurant également à cette même page, retrace la mise en place des moyens en personnel :

 

Chaîne santé

Soutien santé organique

TOTAL

15 octobre 1990

173

26

199

15 décembre 1990

173

53

226

15 janvier 1991

398

113

511

27 février 1991

1 083

131

1 214

S'agissant du bilan des pertes par combat, tel que retracé dans un autre document, le nombre total s'élève à 35 pour l'offensive terrestre.

 

TUÉS

BLESSÉS

TOTAL

 

graves

légers

Lundi 25 février 1991

-

-

2

2

Mardi 26 février 1991

2

10

18

30

Mercredi 27 février 1991

-

1

2

3

Total

2

11

22

35

Tués Américains

79

     

Tués Britanniques

16

     

Tués Arabes alliés

44

     

Source : Note d'information « Daguet » n° 1050/DEF/EMAT/EMPL/EUR/31/DR du 25 mars 1991 « diffusion restreinte » (page 53).

Au cours de l'offensive terrestre, des pertes françaises ont été enregistrées.

En pages 96 et suivantes, le document précité « le Service de santé des Armées pendant les opérations du Moyen-Orient - 1990 - 1991 », relate un épisode majeur dans l'engagement de la Division Daguet.

« La plus grande part des blessés français provenait de deux explosions de mines le 26 février sur le site de As Salman ; deux explosions successives : la première faisant deux morts et, lors de l'arrivée des secours (à 15 h 30 locale), une deuxième 24 blessés. Tous les blessés furent triés au niveau de la Division et 12 d'entre eux admis à l'HMC Daguet entre 16 h 30 et 18 h 30 soit avec un délai moyen d'évacuation de 2 h 15 grâce, notamment, à l'utilisation des hélicoptères de man_uvre. A l'hôpital de campage :

- un blessé fut admis en réanimation et évacué dans la soirée vers Riyad pour une intervention de neurochirurgie (plaie pénétrante cranio-cérébrale),

- cinq furent admis directement au bloc opératoire (une amputation du membre inférieur, deux explorations vasculaires, deux polycriblages avec délabrement des parties molles),

- cinq furent placés en section d'hospitalisation pour intervention différée (quatre seront opérés en soirée pour parage et ablation de gros éclats),

- un blessé de troisième urgence fut évacué immédiatement sur l'HMCTA de Riyad.

Au total, 9 interventions furent pratiquées à Rahfa ; 10 blessés couchés et 10 blessés assis transitèrent par le PEVA avant le 26. Tous les opérés furent évacués sur l'HMCTA le lendemain.

Dix-huit des 24 blessés (dont le Médecin-chef du 1er Régiment Parachutiste d'Infanterie de Marine) furent évacués par DC.8 cargo vers Paris. Ils arrivèrent le 28 février à 2 h 15 à Orly et furent répartis entre le Val de Grâce, l'hôpital D. Larrey de Versailles et l'hôpital Begin à Saint-Mandé. Les autres rentrèrent en métropole les jours suivants.

Le parcours des deux blessés les plus graves fait l'objet de la fiche ci-après. »

PARCOURS DES DEUX BLESSÉS LES PLUS GRAVES DE L'EXPLOSION DE AS SALMAN.

1. Blessé atteint d'une plaie cranio-cérébrale

AS SALMAN

26 février

 

15 h 30

H

Explosion

       

ROCHAMBEAU

26 février

Arrivée

16 h 00

H+ 0H30

Triage ACA 9

 

Départ

17 h 45

H+ 2H15

RAHFA

26 février

arrivée

18 h 10

H+ 2H40

HMC PEVA

 

départ

20 h 50

H+ 5H20

RIYAD

26 février

Arrivée

23 h 10

H+ 7H20

Intervention

27 février

départ

20 h 00

H + 28H30

HMCTA

       

ORLY

28 février

Arrivée

2 h 15

H + 34H45

PADB

(heure française)

débarquement

2 h 35

H + 34H55

HIA VAL DE GRACE

28 février

Arrivée

3 h 10

H+ 35H30

2. Blessé atteint d'un « pied de mine » bilatéral

AS SALMAN

26 février

 

15 h 30

H

Explosion

       

ROCHAMBEAU

26 février

Arrivée

16 h 30

H+ 1H00

Triage ACA 4

 

Départ

17 h 05

H+ 1H35

RAHFA

26 février

arrivée

17 h 30

H+ 2H00

Intervention HMC PEVA

 

départ

10 h 30

H+ 19H00

RIYAD

26 février

Arrivée

12 h 15

H+ 21H15

HMCTA

27 février

départ

20 h 00

H + 28H30

ORLY

28 février

Arrivée

2 h 15

H + 34H45

PADB

(heure française)

débarquement

2 h 35

H + 34H55

HIA BEGIN

28 février

Arrivée

3 h 10

H+ 35H30

Ce document fait état de la relation des faits, tels qu'ils ont été rapportés à sa hiérarchie par le Médecin-adjoint du 21ème RIMA affecté, en cours d'opération, au 3ème RIMA :

« En milieu d'après-midi, vers 16 heures nous sommes appelés d'urgence au PC du régiment situé près du fort Bastille où la mission nous a été signifiée : le 1er Régiment Parachutiste d'Infanterie de Marine venait de subir des pertes au fort situé au nord-est d'As Salman probablement du fait de mines. Mon équipe devait se rendre sur les lieux, renforcée par l'autre élément santé présent dans la ville (un VAB sanitaire avec l'aumônier de H., auxiliaire sanitaire, et deux hommes du rang). Le Capitaine G. commandant la 3ème compagnie m'avait affecté en plus un Marsouin pourvu d'un appareil de détection de mines et mit directement à ma disposition l'auxiliaire sanitaire de la compagnie celui de la 1ère section. Guidée par le Capitaine H. officier adjoint de la 3ème compagnie accompagnée d'une section de protection (1ère section : Lieutenant de B.), la progression fut quelque peu gênée par les convois américains embouteillant l'artère principale d'As Salman. Au cours du trajet, l'autre VAB sanitaire nous rejoignait tandis qu'un premier compte rendu annonçait, deux morts et dix blessés.

En arrivant sur place, il nous a été demandé de laisser les véhicules à l'extérieur du périmètre du fort supposé miné et de ne marcher que sur les zones goudronnées. Au même moment un premier hélicoptère sanitaire demandé par le Médecin chef du 3ème Régiment d'Infanterie de Marine atterrissait et les premiers blessés y étaient embarqués. J'ai pris contact avec le Médecin chef du 1er Régiment Parachutiste d'Infanterie de Marine lui-même blessé, le membre supérieur droit en écharpe, et un sergent-chef, vraisemblablement l'infirmier major.

Les blessés étaient regroupés sous un préau situé dans la partie Est du fort. Tous les blessés étaient perfusés et les pansements correctement posés, il a juste été nécessaire d'immobiliser une fracture du fémur et de vérifier toutes les tensions artérielles avant l'évacuation de ces urgences en majorité de type 1 que le médecin B. de la section de ramassage arrivé avec le 2ème hélicoptère a organisé.

Il restait donc à examiner tous les blessés légers et compléter les soins. Deux autres hélicoptères sanitaires ont atterri et j'ai demandé au pilote de couper les moteurs ainsi qu'au Colonel R., commandant le 1er Régiment Parachutiste d'Infanterie de Marine de faire rassembler tous les personnels atteints. En effet, j'ai dû aller chercher moi-même un blessé qui ne voulait pas quitter son poste.

Un medic américain voulait faire embarquer les blessés sans examen préalable (tactique sanitaire de l'US ARMY), je l'ai prié de participer plutôt aux soins. Les blessés qui n'avaient pas encore reçu d'injection de morphine en ont reçu. Les plaies en séton dues au polycriblage ont été nettoyées par injection locale de Bétadine après exploration rapide. Tous les blessés ont été traités par injection intramusculaire de 5 millions de pénicilline tandis que les personnels non médicaux (Capitaine H. et pilotes VAB) remplissaient la partie état-civil des fiches médicales de l'avant. Après le triage, la décision d'évacuation a donc reposé sur des arguments :

- cliniques :

● plaies nécessitant un geste chirurgical ou des soins prolongés,

● sujets hébétés laissant prévoir une réaction psychique secondaire,

- psychologiques : il fallait éviter de « décapiter » cette unité traumatisée, et donc bien que blessés légèrement, le chef de corps et le commandant en second n'ont pas été évacués,

- opérationnels : ne sachant pas si l'offensive se poursuivait et si le régiment devait remplir d'autres missions, il fallait essayer de traiter sur place le maximum de personnels.

Ce n'est qu'après concertation avec le Colonel que la décision d'évacuer tous les personnels atteints en dehors du chef de corps et du commandant en second a été prise.

Le 1er Régiment Parachutiste d'Infanterie de Marine ne disposant pas de train de combat n°1 et afin de soulager le régiment, j'ai demandé au Colonel T., commandant de 3ème Régiment d'Infanterie de Marine, l'autorisation de ramener les corps des deux tués à As Salman. Après les formalités nécessaires (constat de la gendarmerie prévôtale, reconnaissance par le chef de corps) les honneurs ont été rendus et les corps ramenés au dispensaire d'As Salman, et une fois conditionnés, évacués par le 3ème régiment d'infanterie de marine. A mon retour j'ai rendu compte oralement de mon intervention au Colonel T. »

Ce compte rendu montre précisément l'action médicale au combat. Il paraît intéressant de souligner que la doctrine médicale opérationnelle des armées américaines diffère sensiblement de celle du Service de santé français sur des questions aussi essentielles que celle des soins à administrer sur place.

d) Un soutien psychologique intégré d'emblée au dispositif sanitaire

 Une louable préoccupation débouchant sur une nouvelle forme d'analyse d'un conflit

Dans ses rapports d'activité, le Médecin en chef B. Lafont, psychiatre de l'hôpital de campagne Daguet et conseiller du commandement en matière d'hygiène mentale pour cette opération, relate l'essentiel de ses constatations effectuées dans le cadre de sa mission qui, pour la première fois, s'intégrait dès le début de l'opération au sein du soutien sanitaire des troupes19. Il a mené ce travail en collaboration avec le Médecin en chef Raingeard.

A la mission traditionnelle de prévenir et de traiter les cas individuels, s'ajoutait ainsi un rôle nouveau de conseil du commandement en matière d'hygiène mentale et collective.

Dès ses premières réflexions, le médecin en chef Lafont relève :

« Outre MM. les Généraux de Division commandant la Division Daguet, les unités implantées sur le terrain ont été visitées à tous les temps du séjour. Ce travail de représentation et d'information auprès des chefs de corps mais aussi d'unités élémentaires a toujours trouvé le meilleur accueil. Il est remarquable de noter que les relations n'ont jamais été affectées par aucune dimension de contentieux. »

Dans son compte-rendu, le Médecin en chef Lafont relève un phénomène de « blues des militaires français » intervenu à la fin de l'année 1990, soit trois à quatre mois après l'arrivée dans le Golfe :

« Il s'agissait de l'expression partagée par un grand nombre des personnels d'une lassitude teintée d'affects dépressifs (approche des fêtes de fin d'année, survenue d'alertes réelles à partir du 2 décembre 1990, montée en puissance avec arrivée de renforts confirmant les préparatifs de guerre, diminution de l'indemnité de résidence) ».

Cette baisse de moral ne traduisait pas pour autant, selon ce spécialiste, une manifestation pathologique d'importance :

« ... à aucun moment on ne constatait de symptômes évoquant une pathologie collective (augmentation des consultations, des troubles des conduites et des infractions à la discipline par exemple). »

Le Médecin en chef Lafont insiste toutefois sur le discours à tenir par le commandement comme moyen de rétablir la situation en indiquant que ses conseils de psychiatre ont alors porté sur « la compréhensibilité du phénomène, traduisant une souffrance, mais aussi à rassurer sur le caractère adapté de son expression (directe et verbale) et, au bout du compte, sur l'équilibre psychologique du groupe », mais en ajoutant qu'il « ...fut plutôt suggéré de ne pas trop s'attacher à réprimer cette expression, en restreignant les possibilités de communication des individus, car il apparaissait comme un utile exutoire, y compris dans sa répercussion par un média, et donc de le laisser s'éteindre, évitant de le faire se déplacer vers d'autres formes éventuellement plus préoccupantes ».

Puis, abondant les facteurs de l'hygiène mentale au cours de l'opération Daguet, le Médecin en chef Lafont énumère, à ce titre, différents éléments dont :

- la transplantation géographique et climatique ;

- la transplantation culturelle ;

- l'alimentation ;

- le courrier ;

- la rémunération ;

- l'attente ;

- l'information.

On notera pour les trois derniers aspects cités, certaines observations du Médecin en chef Lafont. Il considère, par exemple, que la rémunération « ...aurait été pour certaines catégories militaires (militaires du rang, jeunes sous-officiers) inférieure à celle perçue au cours d'autres séjours outre-mer. » Il remarque que « les modalités de calcul en sont compliquées et souvent mal comprises, voire mal expliquées, comme cela a été le cas lors de l'ajustement à la baisse de l'indemnité de résidence en raison de la fluctuation de la parité du cours des monnaies (3 décembre 1990) qui a été perçue, au lendemain de la première alerte réelle, comme une mesure discriminatoire intentionnelle ».

S'agissant de l'attente et de l'information, il ne semble pas accorder la place d'un élément déterminant à ces dimensions, en considérant que l'attente recouvrait des situations très diverses selon les catégories de personnels, qu'elles atteignent rapidement leur pleine activité ou connaissent des situations plus statiques ou qu'elles relèvent de renforts plus ou moins récents. Il conclut que : « dans l'ensemble, il apparaît après coup que les contraintes de l'attente ont constitué un facteur d'aguerrissement des troupes, favorisant l'accession à la réalité des conditions de guerre et l'accession à un état psychologique particulier tendant vers une mise à distance de l'angoisse (toujours plus nette et plus libre chez les arrivées récentes), une meilleure tolérance aux frustrations, une plus grande maîtrise et acceptation du risque (pouvant même aller jusqu'à sa sous-estimation) et, finalement, vers l'expression du souhait de voir se dénouer les tensions dans le passage à l'action ».

Une insistance toute particulière est donnée à « l'information par le commandement » qui, selon ce psychiatre, « est la seule source crédible d'information, notamment pour ce qui concerne les échéances, les relèves, les directives d'emploi » en observant qu' « une évolution des esprits, semble, dans ce domaine, nécessaire afin que l'information ne soit pas considérée comme un ferment de troubles mais comme un témoignage de confiance qui lie les personnes et évite les rumeurs et fausses nouvelles, autrement plus nuisibles ».

En revanche, le Médecin en chef Gallé-Tessonneau également dépêché dans le Golfe semble, pour sa part, considérer que l'attente qu'il distingue de l'inactivité opérationnelle, a pu jouer un rôle non négligeable en insistant sur une première phase « caractérisée par une réaction de stress face à une situation inquiétante au regard de certaines menaces. La deuxième phase étant caractérisée par des difficultés tenant à l'attente et à l'inactivité ». Ce psychiatre indiquait, par ailleurs, que « l'inconfort, les difficultés matérielles initiales, les alertes, le manque de sommeil, la fatigue ont eu un retentissement psychologique important pour des sujets mal préparés et mal prévenus de ce qui les attendait ».

S'agissant de l'observation des personnels du Service de santé, le docteur Gallé-Tessonneau notait un « certain degré de régression marqué par des attitudes juvéniles » en soulignant que « l'inactivité technique a été dans l'ensemble mal supportée par certains spécialistes hospitaliers »20.

 Un petit nombre de spécialistes pour la mise en pratique d'une approche traditionnelle

L'organisation du soutien psychologique des forces ayant été prévue dans le dispositif sanitaire initial, les renforts en psychiatres (quatre spécialistes), n'ont toutefois été envoyés sur place que peu de jours avant l'offensive terrestre, le 17 janvier 1991. Le document « Le Service de santé des Armées pendant les opérations du Moyen-Orient » - 1990 - 1991 (Tome 1, page 54) fait état de la concentration, à Riyadh, de trois psychiatres dépêchés en renfort au sein de la cellule psychiatrique de l'HMCTA :

« L'organisation mise en place visait à appliquer au mieux les données classiques du traitement des réactions de combat, selon les principes de Salmon édictés dès 1917 (Brevity-Immediately-Centralicity-Expectancy-Proximity-Simplicity soit BICEPS), en français :

- l'immédiateté,

- l'expectative,

- la proximité,

- la simplicité. »

Pour sa part, le Médecin en chef Cudennec souligne néanmoins :

« On peut regretter que les pertes psychiatriques éventuelles n'aient pas été réellement prises en compte, ni par les autorités sanitaires, ni par le commandement de l'opération et que, de ce fait, les modalités de triage, de l'évacuation et de la destination de ces patients n'aient pas fait l'objet de directives précises » (page 24).

2. La menace nucléaire, biologique et chimique (« NBC »)

a) Le risque nucléaire

Cette dimension spécifique de la menace « NBC » a été analysée par une fiche de l'EMA/MOO66/N°15/DEF/EMO/TMON du 29 janvier 1990. Son objet était : « l'emploi éventuel des déchets radioactifs en Irak ». D'emblée, le rédacteur se posait pour principe l'absence « d'effets militaires à attendre de la dispersion d'éléments radioactifs. En revanche, l'impact médiatique et les effets psychologiques possibles doivent être pris en compte ».

Après avoir examiné les possibilités de dispersion de ce type de matières par l'ennemi, la fiche précise : « le potentiel irakien en produits radioactifs à forte activité paraît très limité ».

S'agissant des moyens d'une possible mise en _uvre de telles frappes, l'hypothèse d'une agression au moyen de Scud était analysée comme « un risque de contamination faible sur la zone d'impact ».

Deux éléments étaient toutefois soulignés (page 2) :

« III. Détection

La radioactivité n'est pas détectable si sa présence n'est pas annoncée ou si des mesures ne sont pas effectuées a priori ».

« IV. Protection

Pour les forces, les mesures de protection chimique englobent très largement les mesures de protection contre les effets d'une contamination externe ou interne. »

Au regard des moyens disponibles sur place, cette fiche indiquait notamment qu'il convenait de renforcer le dispositif de matériels adaptés à la détection nucléaire (LON 307/IPAB) en ajoutant : « Par ailleurs, les forces américaines et britanniques disposent probablement de moyens de détection de radioactivité ».

Les mesures proposées en conclusion de la fiche étaient les suivantes :

« - En fonction de l'évaluation des risques, mettre en place auprès du COMFOR un officier breveté nucléaire, conseiller local du COMFOR et correspondant de la cellule spécialisée qui serait mise en place à l'EMA.

- Prévoir la réunion à l'EMA d'une cellule spécialisée dans les problèmes de sécurité nucléaire (EMA-FN- Service mixte de sécurité radiologique - Service de protection radiologique des Armées - CEA) qui serait en liaison avec la cellule correspondante de MINDEF.

- Renforcer les éléments de reconnaissance NBC terre et air en place par des matériels adaptés de sécurité nucléaire.

- Mettre en _uvre systématiquement les mesures de détection de radioactivité sur les zones d'impact missile en zone arrière en liaison avec les alliés.

- Possibilité d'acheminer un groupe du Centre de recherches du Service de santé des Armées (CRSSA) (5 personnes) spécialisé en radiobiologie ».

b) Les risques d'agressions de nature biologique

Sur ce thème, une note pour l'Etat major des Armées (N° 11/DEF/DCSSA/AST/TEC/CD du 4 janvier 1991), signée par le Médecin général inspecteur Bladé, se contentait de mentionner :

« Selon la presse américaine, l'Irak aurait mené des recherches sur :

- le charbon ;

- la peste ;

- la tularémie ;

- le butulisme.

D'autres sources ont fait état d'études sur :

- la variole ;

- le choléra ».

Cette note considérait, en outre, que l'utilisation massive de telles armes n'apporterait pas d'avantages décisifs par rapport à l'arme chimique et imposerait même d'énormes contraintes à l'agresseur, « ... dont les troupes et la population civile ne sont pas à l'abri de retombées ».

Elle estimait, en revanche, que des utilisations d'ordre terroriste sur « des cibles très localisées et judicieusement choisies » restaient une éventualité à prendre en compte en ajoutant : « ces actions peuvent ne pas se limiter à la zone du champ de bataille ».

Une telle analyse montre la difficulté pour la France d'obtenir des renseignements plus précis sur ce potentiel de risques notamment au travers d'échanges directs d'informations avec ses principaux partenaires.

Ce point est corroboré par l'imprécision des sources dont fait état le Médecin général inspecteur Bladé :

« Diverses informations permettent de penser que l'US Army a :

- peut-être vacciné certains personnels particuliers par anatoxine anti-botulique,

- pris la décision de vacciner une partie de ses effectifs contre le charbon au moyen d'un nouveau vaccin,

- envisagé de vacciner tous ses personnels contre le choléra au moyen du nouveau vaccin Pasteur-Merieux non encore disponible et dont la production débutera dans deux mois.

De sources hautement confidentielles l'Armée britannique a commencé le 2 janvier 1991 une vaccination de certains de ses personnels contre le charbon ».

S'agissant, par exemple, des différents vaccins envisagés contre le charbon, les comparaisons restaient fondées sur des renseignements d'origine parfois non officielle :

« - vaccin français qui n'est pas produit en masse, 3 injections à 6 semaines d'intervalle, rappel tous les 6 mois, efficacité 90 %,

- vaccin américain qui serait efficace en une injection, taux d'efficacité inconnu, éventualité d'une production en France après accord avec les autorités US.

- vaccin britannique qui se pratique en deux injections à 3 semaines d'intervalle (l'armée britannique vaccine ses troupes depuis le 2 janvier mais il y a actuellement pénurie de ce vaccin ; les britanniques ont fait savoir qu'il approvisionneraient leurs alliés dès que leur production deviendra suffisante (Information Confidentielle)21 ».

Toutefois, s'agissant du botulisme présenté comme « ...le poison le plus violent au monde (100 mg de toxine purifiée versée dans un réservoir d'eau de 15 m3 entraîneront la mort de toute personne ingérant seulement 10 ml de cette eau) », la connaissance semblait plus assurée :

« Il existe un vaccin américain produit en petites quantités, destiné à des personnels de laboratoire exposés, offrant une protection certainement insuffisante face à une intoxication massive d'origine criminelle ».

Les conclusions alors tirées à destination de l'Etat-major des Armées par le Directeur central du S.S.A. sont intégralement reproduites ci-dessous :

« Il faut rappeler :

- l'importance de la protection physique que confèrent le masque et le port de vêtements fermés face aux aérosols biologiques,

- l'importance des précautions élémentaires d'hygiène alimentaire et corporelle,

- l'importance des contrôles et du traitement (filtration-chloration) de l'eau ainsi que de la cuisson des aliments.

Dans la perspective d'une couverture vaccinale élargie à toutes les possibilités actuelles, conformément aux directives du C.E.M.A., des dispositions complémentaires sont actuellement décidées.

1) Vaccination anti-cholérique : le vaccin actuel par voie injectable est jugé insuffisant, dépassé et agressif. Une commande urgente du nouveau vaccin en cours de production à Marne la Vallée par voie orale dont l'efficacité est élargie aux « Escherichia coli » vient d'être passée à l'Institut Pasteur-Merieux, afin de prendre rang avant la commande urgente de l'US Army. Cette vaccination ne pourra intervenir avant 8 semaines mais ce délai à des contre parties techniques qui le rendent acceptable.

2) Vaccination anti-charbonneuse : des rapports viennent d'être établis avec le service de santé Britannique qui selon les derniers renseignements a entamé la vaccination de ses troupes et fera tout son possible pour nous approvisionner en vaccin dès que la production atteindra un niveau suffisant. Le Service de santé des Armées envisage donc d'inclure cette vaccination dans le calendrier en cours de détermination, la parade immédiate est la sensibilité du germe aux pénicillines.

3) La vaccination anti-botulinique qui s'étend sur une trop longue période avec injections répétées ne peut être actuellement retenue et un effort particulier porte sur la détection de la toxine dans l'eau par des kits en cours de fabrication par le C.R.S.S.A..

4) Face au danger d'une agression biologique par la variole on constate que la plupart des personnels engagés a dû déjà bénéficier d'une primo-vaccination et d'un rappel jusqu'en 1985. 500 000 doses de vaccin en cas de besoin sont immédiatement disponibles ».

c) La diversité des risques de nature chimique

 L'Irak au c_ur d'un phénomène particulièrement inquiétant de prolifération

A l'occasion de son audition, le Général d'armée aérienne Jean Fleury a remis, de sa propre initiative, à la mission d'information, la copie d'une note technique sur les armes chimiques, datant du 12 décembre 1988, rédigée par ses soins, alors qu'il était chef de l'Etat-major particulier du Président de la République, fonction exercée jusqu'au 24 avril 1989, date à laquelle il sera nommé Chef d'Etat-major de l'armée de l'Air. A ce poste, il a assuré durant la guerre du Golfe, l'implantation des unités « Air » françaises au Moyen-Orient, et leur soutien logistique, deux facteurs ayant conditionné le bon déroulement des missions offensives, défensives et d'escorte opérées par nos forces aériennes entre le 17 janvier et le 28 février 1991.

Les préoccupations du Général Fleury concernant les moyens de défense contre le risque chimique semblent anciennes. Elles ont probablement été renforcées par son expérience, de 1983 à 1985, alors qu'il exerçait des fonctions de sous-chef d'Etat-major des Armées, plus spécialement chargé de la programmation militaire. Quoi qu'il en soit, sa note du 12 décembre 1988 visait à insister sur la nécessité de ne pas « baisser la garde » en ce domaine, sans toutefois souligner, du moins explicitement, un retard particulier de la France par rapport aux autres puissances occidentales. Ce document précise néanmoins, dès l'introduction, que le risque chimique n'a généralement pas fait l'objet d'une attention majeure sur la période allant de la fin de la Seconde guerre mondiale jusqu'à une relative prise de conscience notamment suscitée par le conflit Iran-Irak quant à l'existence d'une prolifération.

Il est d'ailleurs souligné (page 1 de l'annexe 5 « Prolifération chimique ») que l'Irak s'inscrit effectivement parmi les cinq nations qui disposent de l'arsenal chimique le plus important aux côtés de l'URSS, des Etats-Unis, de la Corée du Nord et de la Syrie.

Dans ce document à vocation technique, figurent également une classification des agents chimiques, une liste des toxines militaires, un aperçu de l'évolution des techniques, une analyse des critères techniques de prolifération (recherche et développement, conditionnement, usage au combat) ainsi qu'une classification des critères pouvant servir à évaluer pour chaque pays, sa capacité à participer à la prolifération.

Enfin une annexe 4 de deux pages consacrée à « la défense chimique » fait le point sur la détection et l'alerte, les modes de protection individuelle et collective, la décontamination et le traitement médical. Cette dernière annexe ne pas fait pas mention des matériels ou des médicaments, même préventifs, en usage ou disponibles dans les armées françaises. Aucune proposition nouvelle n'est formulée en ces domaines.

Dans ses déclarations devant la mission d'information, le Médecin général inspecteur Jean Bladé qui a assuré la responsabilité de la Direction centrale du Service de santé des Armées (S.S.A.) du 31 octobre 1990 au 18 septembre 1994, après y avoir occupé au cours des trois années précédant son accession à ce poste, des fonctions de sous-directeur puis de directeur-adjoint, a particulièrement insisté sur le degré de préparation du Service à la guerre chimique. Ayant tenu à communiquer ultérieurement au Président de la mission d'information, par l'intermédiaire du Ministre de la Défense, le texte de sa déclaration faite en introduction à son audition dont la transcription figure d'ailleurs intégralement en annexe du présent rapport, nous reproduisons ce passage : « Mais la plus importante, la plus redoutable des menaces nouvelles était la menace CHIMIQUE. Elle n'était pas prise à la légère, il faut avoir connu la tension très perceptible au cours des alertes ou chacun "capelait" son masque. Ici, ce n'était plus pour exercice, et cela se sentait.

Nous avions observé de très près les résultats de la guerre Iran-Irak, recueilli toutes les observations publiées à l'Ouest et à l'Est concernant les blessés chimiques traités dans d'autres pays d'accueil, conscients du risque que représentait le retour en forme de l'ypérite, le service avait élargi, le service avait élargi ses axes de recherche à ce gaz vésicant ancien.

Mais surtout le Centre de Recherches du Service de santé des Armées (CRSSA) avait développé une réponse adaptée et efficace contre les neurotoxiques, un autoinjecteur à trois compartiments.

Pourquoi trois compartiments : faisons une approche simplifiée mais indispensable : le neurotoxique s'attaque à un enzyme, la cholinestérase qui elle même contrôle au niveau des plaques motrices le médiateur chimique qui prend le relais de l'influx nerveux. Celui-ci est permanent. S'il n'est pas contrôlé c'est la surproduction et l'intoxication mortelle dans un affreux tableau. Cette acétylcholine a un antagoniste, l'atropine, l'atropine dilate la pupille, l'acétylcholine la contracte.

Nous trouvons dans le 1er compartiment de l'atropine.

Dans le 2ème un régénérateur de la cholinestérase, le contrathion.

Dans le 3ème un anticonvulsivant qui est du valium.

A côté de cette défense médicale, le combattant avait bien sûr l'ANP ou masque à gaz (appareil normalisé de protection), des tenues NBC : poncho, cagoule, gants, chaussettes carbonées, lunettes, le tout à la limite du supportable dans un char sous le soleil, dans le désert. »22

 Une préoccupation de protection confrontée aux réalités du terrain

Dans le rapport précité du Professeur Cudennec sur l'activité du 810ème HMCRA intégré à l'hôpital de campagne Daguet (HC Daguet), on relève des observations très précises sur la menace chimique (pages 37 et 38). L'ensemble de ces données relatent ce que cette unité a vécu dans un contexte d'incertitude pesante, tant pour le régime des alertes que pour la prévention médicamenteuse :

« Elle a été constamment sous-jacente à toutes les activités du GSL23 et constitué une préoccupation permanente par les commandants et les personnels des FSC24, dans la mesure où elle entravait l'activité normale et imposait à tout moment une adaptation des moyens techniques, des conduites à tenir, de l'organisation des secours, et plus généralement de tous les actes ordinaires de notre mission. La fréquence des alertes (51 en 6 mois) a largement contribué à la mise en condition physique et psychologique des personnels, qui ont fini par intégrer cette nouvelle donnée de façon satisfaisante. Ce facteur d'habituation n'a pas joué pour les renforts qui ont rejoint au moment de l'offensive aérienne et qui ont dû s'adapter rapidement à ce contexte particulier. Cette menace, qui constitue l'une des originalités de ce conflit, a suscité de nombreux débats entre spécialistes, personnels du Service de santé, officiers d'armes, français ou étrangers, qui ont déjà été évoqués. Malheureusement, ces échanges de vues ont connu quelques difficultés pour aboutir à des attitudes pragmatiques et efficaces, notamment en raison de querelles d'écoles et sans doute aussi, et plus simplement, parce que cette situation concrète était vécue pour la première fois " en vraie grandeur ". Certains comportements ont bien montré que ce contexte nouveau était appréhendé avec difficulté :

- Multiplicité des notes de service concernant le régime des alertes au Groupement de soutien logistique (GSL), toutes plus compliquées les unes que les autres, envisageant une multiplicité de cas de figure et à terme tout à fait inefficaces parce que proposant des modes de réaction trop variés et non applicables dans des délais convenables. Ce n'est que très tardivement (décembre) qu'il sera enfin adopté un mode de réaction univoque et simple à toutes les alertes, considérées a priori comme chimiques et réelles.

- Ce que l'on pourrait appeler la " saga de la Pyridostigmine " en est un autre exemple. Cette prémédication est prescrite à tous les personnels sur décision du commandement et, en principe, en présence d'une menace réelle ou au moins probable. Or l'on a assisté, à partir de l'offensive aérienne, à une telle succession d'ordres et de contrordres, parfois d'un jour à l'autre et apparemment en méconnaissance totale de l'intérêt des doses cumulatives de ce produit pour obtenir une protection efficace, que la motivation des personnels à utiliser cette prophylaxie s'en est trouvée singulièrement affectée. Il ne semble pas que les règles d'utilisation de cette médication soient bien connues, ni que l'avis du Service de santé ait été sollicité sur ce problème.

Un certain nombre d'autres difficultés liées à cette menace chimique ont été évoquées par ailleurs, notamment :

- Inadéquation de la cellule NBC des HMCRA à sa mission, tant sur le plan des matériels que sur celui des effectifs,

- Non adaptation des matériels de ventilation à la configuration d'activité en ambiance chimique (annexe II) : les HMCRA devraient être dotés de matériels de protection chimique supplémentaires pour cet usage,

- Nécessité d'une dotation en personnels destinés à la réanimation des blessés en cours de décontamination,

- Organisation de l'activité d'une FSC sous menace chimique et de la conduite à tenir en cas d'exposition au risque,

- Imprécisions concernant la durée d'efficacité des matériels de protection spécifiques. »

N°3055 - RAPPORT D'INFORMATION - COMMISSION DE LA DÉFENSE -Engagement des militaires français - Guerre du Golfe - Balkans : risques sanitaires spécifiques -M.Bernard CAZENEUVE, Mme Michèle RIVASI, M.Claude LANFRANCA - Rapport - 1ère Partie

1 Rapport n° 2598 de M. Claude Lanfranca sur la proposition de résolution (n° 2562) de M. André Aschiéri et plusieurs de ses collègues, tendant à créer une commission d'enquête sur l'impact sanitaire réel chez les vétérans de la guerre du Golfe des armes utilisées durant l'opération Daguet et sur les responsabilités de l'Etat en la matière.

2 Annexe n° 4.

3 Ces phases étaient : 1) action aérienne, 2) mise en place des unités sur leur base de départ, 3) destruction des forces irakiennes au sud de l'Euphrate, 4) occupation de Koweït City, 5) libération de Koweït City.

4 Commandos de Recherche et d'Action dans la Profondeur.

5 Zone de 60 km de long de part et d'autre de la route vers As Salman.

6 Commandant de la Division.

7 Commandant du Détachement.

8 Etat-major interarmées.

9 Lettre du 7 février 2001 cosignée par le Président et les deux co-rapporteurs de la mission d'information.

10 Ordre d'opération Santé du 16 janvier 1991 (N° 51 / DEF / DCSSA / OL / OME / CD).

11 Document N° 2476DEF/DCSSA/AST/TEC/DR du 13 septembre 1990.

12 « Le Service de Santé des Armées pendant les opérations du Moyen Orient - 1990 - 1991 » ; Tome 1, chapitre VII 2- : « Les enseignements en matière d'organisation et de moyens », page 160.

13 Commandant des éléments français.

14  Ont officiellement répondu qu'aucun document n'avait jamais été produit par eux sur le sujet dit du « syndrome du Golfe », les missions militaires et postes de Défense auprès de nos Ambassades dans les pays suivants : Koweït, Qatar, Danemark, Pays-Bas (recherche toutefois encore en cours au sein des archives et du centre de documentation de l'ambassade !), Arabie Saoudite et Italie. Les missions au Canada et en République tchèque ont fourni, pour leur part, des extraits de la presse locale assorti d'un bref commentaire pour le second de ces postes. Seuls les postes de Washington, Londres et Bruxelles ont transmis quelques données que la mission n'aurait pu par elle-même se procurer.

15 Source : « le Service de santé des Armées pendant les opérations du Moyen-Orient - 1990-1991 - » Tome 1, chapitre IV 11. « Coopération médicale franco-alliée » pages 122 et 123.

16 Le n° spécial « Le Service de santé dans « la guerre du Golfe » de la revue « Médecine des Armées » Tome 20 - n°1 (1992) fait état, page 42, de la mise en place d'un lit d'hôpital pour 9 hommes contre un pour 37 chez les Américains et d'un personnel de santé pour 9 hommes contre un pour 25 dans les forces américaines.

17 19 femmes appartenaient sur place à la chaîne médicale.

18 dont 405 consultations au profit d'Irakiens.

19 Document inclus dans le rapport précité N° 4/810 HMC (Annexes IA et IB).

20 Rapport sur le séjour opérationnel effectué à l'Hôpital médico-chirurgical et de transit Air (HMCTA) de Riyadh (17 janvier-15 mars 1991).

21 Mention entre parenthèses figurant en gras dans le texte de la note.

22  Ces affirmations corroborent les propos tenus par le Médecin général inspecteur Bladé, dans un entretien accordé au journaliste Bruno Keller du « Quotidien du Médecin », le 30 janvier 1991, et insistant notamment sur le défi posé par la menace chimique.

23 Groupe de soutien logistique.

24 Formation sanitaire de campagne.