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N°  3081

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 mai 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1) en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle constituée le 20 décembre 2000 (2),

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Yves TAVERNIER,

Député.

--

MM. AUGUSTIN BONREPAUX ET JEAN-PIERRE DELALANDE, Présidents

M. DIDIER MIGAUD, Rapporteur général


sur
LE FINANCEMENT ET LA GESTION DE L'EAU

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

(2) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Eau.

La Commission des finances, de l'économie générale et du Plan est composée de : M. Henri Emmanuelli, président ; M. Michel Bouvard, M. Jean-Pierre Brard, M. Yves Tavernier, vice-présidents ; M. Pierre Bourguignon, M. Jean-Jacques Jégou, M. Michel Suchod, secrétaires ; M. Didier Migaud, Rapporteur Général ; M. Maurice Adevah-Poeuf, M. Philippe Auberger, M. François d'Aubert, M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Gérard Bapt, M. François Baroin, M. Alain Barrau, M. Jacques Barrot, M. Christian Bergelin, M. Éric Besson, M. Alain Bocquet, M. Augustin Bonrepaux, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Nicole Bricq, M. Christian Cabal, M. Jérôme Cahuzac, M. Thierry Carcenac, M. Gilles Carrez, M. Henry Chabert, M. Didier Chouat, M. Alain Claeys, M. Yves Cochet, M. Charles de Courson, M. Christian Cuvilliez, M. Arthur Dehaine, M. Jean-Pierre Delalande, M. Yves Deniaud, M. Michel Destot, M. Patrick Devedjian, M. Laurent Dominati, M. Julien Dray, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Louis Dumont, M. Daniel Feurtet, M. Pierre Forgues, M. Gérard Fuchs, M. Gilbert Gantier, M. Jean de Gaulle, M. Hervé Gaymard, M. Jacques Guyard, M. Edmond Hervé, M. Pierre Hériaud, M. Jean-Louis Idiart, Mme Anne-Marie Idrac, M. Michel Inchauspé, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Marc Laffineur, M. Jean-Marie Le Guen, M. Maurice Ligot, M. François Loos, M. Alain Madelin, Mme Béatrice Marre, M. Louis Mexandeau, M. Gilbert Mitterrand, M. Pierre Méhaignerie, M. Jean Rigal, M. Gilles de Robien, M. Alain Rodet, M. José Rossi, M. Nicolas Sarkozy, M. Gérard Saumade, M. Philippe Séguin, M. Georges Tron, M. Jean Vila.

*

* *

La mission d'évaluation et de contrôle est composée de : MM. Augustin Bonrepaux, Jean-Pierre Delalande, présidents ; M. Didier Migaud, rapporteur général ; MM. Michel Bouvard, Jean-Pierre Brard, Mme Nicole Bricq, M. Alain Claeys, Yves Deniaud, Daniel Feurtet, Gilbert Gantier, Jean-Jacques Jégou, Marc Laffineur, Pierre Méhaignerie, Jean Rigal, Michel Suchod, Yves Tavernier, membres titulaires ; MM. Jacques Barrot, Jérôme Cahuzac, Gilles Carrez, Yves Cochet, Christian Cuvilliez, Laurent Dominati, Jacques Guyard, Pierre Hériaud, membres suppléants.

M. Daniel Marcovitch, membre de la commission de la Production et des Échanges, a participé à ses travaux.

INTRODUCTION 7

CHAPITRE PREMIER : LES COMPOSANTES DU PRIX DE L'EAU ET LEUR ÉVOLUTION 13

I.- LE PRIX DE L'EAU EST LE RÉSULTAT DE CHOIX DIFFICILES, ENCORE INSUFFISAMMENT MAITRISÉS PAR LES COLLECTIVITÉS 14

A.- LE CHOIX DU MODE DE GESTION DU SERVICE PUBLIC DE L'EAU ET DE L'ASSAINISSEMENT A DES CONSÉQUENCES SUR LE PRIX DE L'EAU 14

1.- Les différents modes de gestion offerts aux collectivités territoriales 15

a) Le cadre commun à tous les modes de gestion 15

b) Une gestion directe en déclin relatif 16

c) Les délégations 17

2.- L'impact du mode de gestion sur le prix de l'eau 19

a) Une différence de prix moyen non négligeable 20

b) Les effets sur le prix du changement de mode de gestion 21

B.- L'AMÉLIORATION RÉCENTE DES RÈGLES DE GESTION NE SUFFIT PAS À RÉSOUDRE TOUTES LES DIFFICULTÉS 22

1.- Une législation progressivement renforcée en réponse à certaines dérives 22

a) Des dysfonctionnements nombreux et variés 22

b) Des avancées réelles 25

2.- La persistance de difficultés préjudiciables à l'usager 25

a) Les difficultés de mise en _uvre de la nouvelle législation 26

b) La persistance de pratiques conduisant à faire peser des charges indues sur les usagers 27

C.- LA STRUCTURE DU PRIX EN BINOME, QUOIQUE CONTESTÉE, S'AVÈRE INDISPENSABLE POUR LES COLLECTIVITÉS LOCALES 29

II.- REDEVANCES ET TAXES ALOURDISSENT LE PRIX PAYÉ PAR LES USAGERS SANS ETRE PARFAITEMENT JUSTIFIÉES 30

A.- LES PRÉLÈVEMENTS SUR L'EAU SONT NOMBREUX 30

1.- Les redevances perçues par les agences de l'eau 30

2.- D'autres taxes plus secondaires en montant 31

3.- La TVA s'applique au taux réduit 32

B.- ILS NE RESPECTENT PAS PARFAITEMENT LE PRINCIPE SELON LEQUEL « L'EAU PAIE L'EAU » 32

1.- Les redevances des agences de l'eau posent des problèmes de constitutionnalité, d'équité et d'efficacité 32

2.- Les autres prélèvements sont en partie contestables 34

CHAPITRE II : POUR UN PRIX DE L'EAU TRANSPARENT ET LÉGITIME 37

I.- LA MEILLEURE MAÎTRISE, PAR LES COLLECTIVITÉS LOCALES, DE LEURS SERVICES DE L'EAU PERMETTRA UNE MODÉRATION DE L'AUGMENTATION DU PRIX 38

A.- AMÉLIORER LE CONTRÔLE ET L'EXPERTISE 38

a) Le contenu du rapport du délégataire doit être précisé 38

b) Le conseil aux collectivités locales doit être amélioré 39

c) Les avantages de l'intercommunalité dans le domaine de l'eau 40

B.- FACILITER LE CHANGEMENT DE MODE DE GESTION 41

a) La possibilité de changer de mode de gestion doit être préservée 41

b) Certaines difficultés peuvent être levées 42

II.- LES CONDITIONS DE FONCTIONNEMENT DU MARCHÉ ET LE CONTENU DES CONTRATS DOIVENT ÊTRE REVUS 43

A.- RENFORCER LE FONCTIONNEMENT CONCURRENTIEL DU MARCHÉ 43

B.- IMPOSER DES OBJECTIFS QUALITATIFS AUX DÉLÉGATAIRES PAR DES CONTRATS PLUS ÉQUILIBRÉS 46

III.- UN RENFORCEMENT DE L'INFORMATION ET DE LA CONSULTATION DES USAGERS RENDRA LES ÉVOLUTIONS DU PRIX DE L'EAU PLUS COMPRÉHENSIBLES 50

A.- AMÉLIORER L'INFORMATION 50

B.- CONSULTER LES USAGERS 51

CONCLUSION 53

RÉSUMÉ DES PROPOSITIONS 55

EXAMEN EN COMMISSION 57

AUDITIONS  :

1.-  8 février 2001 : M. Bernard Schockaert, administrateur de l'UFC - Que choisir ? ; M. Antoine Grand d'Esnon, directeur de Service public 2000, et M. Bruno Johannes, directeur adjoint ; M. Michel Moreaux, professeur de sciences économiques à l'Université de Toulouse I 71

2.-  29 mars 2001 : M. Dominique Bur, directeur général des collectivités locales (DGCL) au ministère de l'Intérieur, accompagné de MM. Freysselinard et de Manheulle ; M. Bernard Baudot, directeur de l'Eau au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement ; M. Luc Valade, chef du service des produits et des marchés au ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie 99

3.-  26 avril 2001 : MM. Alexandre Colin, président du groupe Eau du MEDEF, et Christian Lacotte, directeur pour l'environnement ; MM. Bernard Guirkinger, président de la Lyonnaise des eaux France, et Jean-Luc Trancart, directeur de la clientèle  ; MM. Olivier Barbaroux, directeur général de la Générale des eaux, et Daniel Versanne, directeur général délégué 131

ANNEXES  :

1.- Liste des personnes auditionnées par le rapporteur 163

2.- Le prix moyen de l'eau en France rurale, par région 164

3.- Note sur l'apport des Chambres régionales des comptes 165

4.- Avis du Conseil de la Concurrence sur le prix de l'eau en France 166

INTRODUCTION

Pour la plupart de nos concitoyens l'eau est un don du ciel, disponible sans contrainte, consommable sans limite. Elle n'est objet de préoccupation que lorsqu'elle tombe en trop grande abondance ou lorsque sa composition la rend impropre à la consommation.

En temps ordinaire elle est perçue comme un produit de cueillette. Son coût devrait être minime. Or si l'eau que l'on consomme est toujours douce, sa facture est trop souvent salée (1).

La consommation moyenne d'un ménage évaluée à 120 m3 entraîne une dépense annuelle légèrement supérieure à 2.000 francs (304,90 euros). Certes, il est possible de considérer que le coût est élevé pour un bien offert gratuitement par la nature. Mais si l'on considère que ce bien doit être pompé, transporté, stocké, traité, assaini après usage, un prix inférieur à deux centimes, environ 1,7 centime (soit 0,26 centime d'euro), le litre peut paraître bien raisonnable. Il suffit de le comparer aux prix d'un litre de supercarburant. L'eau est quatre cents fois moins chère que l'essence !

Est-il scandaleux que chaque famille dépense chaque jour six francs pour sa consommation d'eau et ses besoins en assainissement ? C'est, en gros, le prix d'une baguette et demi de pain. Pour un ménage aux revenus modestes, la dépense n'est cependant pas négligeable.

En réalité, ce qui pose problème n'est pas seulement le montant de la facture, mais sa forte augmentation au cours des dernières années et sa trop grande disparité d'une commune à l'autre.

Entre 1975 et 1985, le prix moyen a progressé de 170 % en francs courants. Entre 1985 et 1990, le prix de l'eau a augmenté, certes plus vite que l'inflation, mais à un rythme raisonnable d'environ 5 % par an (inflation de 3,2 %) (2) ; entre 1991 et 1994, la hausse atteint en revanche 11 % par an, avant d'être ramenée à 6 % par an en 1995 et 1996. Entre 1997 et 1999, elle s'est à nouveau réduite, passant de 3  % à moins de 2  % par an. Comme l'illustre le graphique suivant, en 1999, le prix moyen d'un mètre cube d'eau était, selon les sources d'information, compris entre 15,56 francs (2,37 euros) et 17,07 francs (2,60 euros). Cette moyenne cache des différences relativement marquées selon les communes : les prix varient de 1 à 7, fourchette qui peut être ramenée de 1 à moins de 2 si on retire les 10 % de prix les plus éloignés de la moyenne.

ÉVOLUTION DU PRIX UNITAIRE DE L'EAU DU MOIS DE JUILLET
SELON LES TROIS SOURCES NATIONALES DISPONIBLES (1990-1999)

F/m3

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Sources : Syndicat professionnel des distributeurs d'eau (SPDE), Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Les disparités départementales sont loin d'être négligeables. Pour 120 m3 d'eau, une famille paie 1.400 francs (213,43 euros) dans le Puy-de-Dôme et près de 2.600 francs (396,36 euros) en Seine-et-Marne(3). Le prix peut varier du simple au double d'une commune à l'autre.

Ainsi, les Français peuvent avoir le sentiment de payer de plus en plus cher un bien essentiel, dont la qualité, à la source, se détériore d'année en année. Ils s'interrogent sur la légitimité d'une facture dont le contenu ne leur apparaît pas toujours clair.

Certes, il est facile de comprendre que le prix de revient d'un litre d'eau ne peut pas être identique à la ville et à la campagne, en plaine ou à la montagne. L'éloignement et l'importance de la ressource, la densité ou la dispersion de l'habitat, la topographie des lieux et la qualité des sources sont autant de variables qui expliquent et justifient les écarts.

Mais l'ampleur des écarts de prix pour les consommateurs est trop importante pour être acceptée. Dans la mesure où l'eau est un bien essentiel à la vie, chaque homme et chaque femme doivent pouvoir en disposer dans des conditions relativement égalitaires. Si un prix unique est inconcevable, la jungle des prix est inacceptable.

Cette exigence d'équité et de transparence a fait, ces dernières années, irruption sur la scène politique avec une très grande force. Plusieurs scandales ont fait apparaître la responsabilité pénale de certains maires et des groupes industriels avec lesquels ils avaient traité.

Plus généralement, la gestion de l'eau a été à l'origine de la constitution de deux des plus grands groupes industriels français. Les bénéfices qu'ils ont enregistrés en vendant de l'eau, leur a permis de diversifier leurs activités et de partir à la conquête du monde. Ce qui conduit le consommateur à s'interroger sur la relation entre le montant de sa facture d'eau et le service réellement rendu.

La récente condamnation de l'État par la Cour européenne de justice, en mars 2001, et par le Tribunal administratif de Rennes en avril dernier, pour avoir manqué à ses obligations en matière de qualité de l'eau du robinet en Bretagne, pose un réel problème de responsabilité.

Il peut paraître pour le moins singulier qu'une des deux grandes sociétés fermières ait traduit l'État en justice et obtenu qu'il soit condamné à lui verser 751.440 francs (114.556,29 euros) pour manque de vigilance à l'égard des pollutions agricoles. Qu'une société, dont les pratiques ont été dénoncées à l'occasion de certains scandales, apparaisse comme le défenseur de l'intérêt général ne manque pas de surprendre. En l'espèce, la mise en cause de l'État était justifiée. Mais peut-on alors limiter les responsabilités à la seule puissance publique ? Le partenariat, si souvent revendiqué par les différents acteurs de la politique de l'eau, ne peut pas se limiter, pour le secteur privé, aux seules données techniques et comptables.

La question est d'autant plus pertinente que l'eau est un bien commun, qui appartient à la Nation. Il doit être disponible pour chacun d'entre nous. Chaque français dispose d'une réserve annuelle d'eau de 4.000 m3, infiniment plus qu'il lui est nécessaire.

La production et la distribution de l'eau potable sont, depuis la Révolution française, de la responsabilité de la commune. La loi sur l'eau du 3 janvier 1992 a ajouté à cette responsabilité celle de l'évacuation et du traitement des eaux usées. Ainsi le maire est personnellement, politiquement, judiciairement, responsable de la qualité des services et des tarifs appliqués aux usagers.

C'est pourquoi l'eau devrait être un enjeu majeur de la démocratie locale. Chaque année, le conseil municipal doit voter, en équilibre, un budget eau et un budget assainissement. Chaque année le maire doit présenter un rapport sur la gestion du service public de l'eau. La composition chimique et bactériologique de l'eau de consommation doit être affichée régulièrement en mairie.

Or, le décalage entre les principes et la réalité est saisissant. La maîtrise du service par les élus reste à démontrer. L'information des usagers est encore à inventer. La démocratie locale, faite de proximité, de contrôle local, d'information et de transparence, est trop souvent phagocytée par un système qui transfère le pouvoir réel à des sociétés qui ont fait de l'opacité l'instrument de leur pouvoir.

Le service public et l'intérêt général sont alors mis au service d'intérêts privés. Le consommateur en est-il victime ? La réponse n'est pas évidente.

Force est de constater que, quels que soient les défauts du système français, fait de régie directe et de délégation de service public, la France dispose depuis longtemps d'un service d'eau potable, de bonne qualité, mis à la disposition de chaque foyer à un coût qui se situe dans la moyenne européenne(4). Dans le domaine de l'assainissement, la performance est moindre. Nous accusons un important retard.

Ainsi l'eau constitue un enjeu politique, économique et financier considérable. Financé par les usagers, placé sous la responsabilité des maires, il représente des sommes très élevées. Chaque année, les dépenses dans le domaine de l'eau et de l'assainissement s'élèvent à plus de 100 milliards de francs (15,24 milliards d'euros). Les dépenses d'investissement approchent les 30 milliards de francs (4,57 milliards d'euros).

La valeur du patrimoine dans les domaines de l'eau et de l'assainissement peut être estimée, en coût de renouvellement à neuf au niveau national, à plus de 1.300 milliards de francs (198,18 milliards d'euros), soit 21.000 francs (3.201,43 euros) pour chaque Français. C'est un capital très important, immobilisé sur une longue durée.

Il est donc normal que la Mission d'évaluation et de contrôle se préoccupe du fonctionnement d'un marché qui relève du service public et gère des sommes considérables, provenant, pour l'essentiel, de tous les ménages français.

Il est nécessaire d'y voir clair afin de mieux informer les maires et les municipalités qui ont la responsabilité de la gestion et qui doivent rendre des comptes à leurs concitoyens. Il faut donner aux usagers les moyens de mieux contrôler l'utilisation de leur argent.

Telles sont les préoccupations et les objectifs qui ont guidé la rédaction de ce rapport. Il doit répondre à l'attente des Français, sensibilisés à ces problèmes au cours des dernières semaines par de nombreux articles de la presse nationale et régionale. Il contribuera au débat qui s'ouvrira prochainement au Parlement sur le projet de loi portant réforme de la politique de l'eau.

Avant de faire des propositions visant à limiter, sinon à éviter, l'augmentation du prix de l'eau, le rapporteur de votre Mission a jugé indispensable d'en préciser la Composition et l'évolution.

*

* *

Votre Rapporteur tient à souligner le caractère cordial et constructif des débats de la Mission, dont les membres ont été très présents. Il tient à remercier vivement de M. Daniel Marcovitch, qui représentait la commission de la production et des échanges, pour son assiduité et son apport aux travaux de la Mission.

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CHAPITRE PREMIER

LES COMPOSANTES DU PRIX DE L'EAU
ET LEUR ÉVOLUTION

Si les coûts de production et de transport de l'eau sont très variables, on estime qu'en moyenne 42 % du prix correspond à l'ensemble des opérations de puisage, de traitement, de transport et de gestion du système d'adduction, ce qui constitue le service de distribution d'eau, et que la collecte et le traitement de l'eau usée avant son rejet dans le milieu naturel (service de l'assainissement) représente environ 31 % du prix, payé sous la forme de ce que l'on appelle la redevance d'assainissement. Le reliquat (27 %) couvre différentes taxes et redevances (5).

Sur la période 1991-1999, le montant « distribution de l'eau » a augmenté de 32 % en valeur absolue, mais a diminué en valeur relative, passant de 54 % à 42 % du prix ; le montant « collecte et traitement des eaux usées » a augmenté de 66 % mais sa part dans la facture globale est stable (31 %) ; les redevances des agences de l'eau ont augmenté de 266 %, passant de 8 % à 17 % de la facture, tandis que le montant des taxes a crû de 215 %, passant de 7 % à 10 % du prix total.

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I.- LE PRIX DE L'EAU EST LE RÉSULTAT
DE CHOIX DIFFICILES, ENCORE INSUFFISAMMENT
MAITRISÉS PAR LES COLLECTIVITÉS

A.- LE CHOIX DU MODE DE GESTION DU SERVICE PUBLIC DE L'EAU ET DE L'ASSAINISSEMENT A DES CONSÉQUENCES SUR LE PRIX DE L'EAU

La France compte environ 15.000 services d'eau et d'assainissement, dont chacun dessert entre quelques centaines et plusieurs millions d'usagers. Les régies concernent le plus souvent de petites communes, tandis que la délégation de service public est choisie par les plus grandes.

LES MODES DE GESTION DES SERVICES DE DISTRIBUTION D'EAU ET D'ASSAINISSEMENT EN FRANCE

Mode de gestion

Part des communes

(en %)

Part de la population

(en %)

· Service de distribution d'eau

   

- régie

48

21

- délégation de service public

52

79

dont affermage

88

(n.c.)

dont concession, régie intéressée, gérance ou autre

12

(n.c.)

· Service de l'assainissement collectif (1)

   

- régie

62

47

- délégation de service public

38

53

dont affermage

85

(n.c.)

dont concession, régie intéressée, gérance ou autre

15

(n.c.)

(1) L'assainissement collectif est assuré dans 58 % des communes abritant 93 % de la population.

Source : direction de l'eau, ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement.

Or le choix, par la collectivité territoriale, de l'un ou l'autre de ces modes de gestion se traduit par une différence de prix de l'eau relativement limitée, mais non négligeable. En 1998, les écarts de prix entre les régies et les services délégués étaient de l'ordre de 13 %, selon la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

1.- LES DIFFÉRENTS MODES DE GESTION OFFERTS
 AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

a) Le cadre commun à tous les modes de gestion

Service public de compétence communale, la desserte en eau potable doit respecter les principes qui s'imposent à tout service public : continuité, égalité de traitement des usagers, transparence et équilibre financiers. Il en est de même pour le traitement des eaux usées, qui constitue un service distinct du premier.

Le service de la distribution d'eau destinée à la consommation humaine est un service public industriel et commercial. A ce titre, et conformément à l'article L. 2224-1 du code général des collectivités territoriales, qu'il soit exercé en gestion directe ou confié à un prestataire de services, il doit disposer d'un budget distinct permettant de déterminer le coût du service rendu et d'assurer son équilibre, éléments indispensables à la détermination du juste prix que doit payer l'usager, et respecter les règles de l'instruction M. 49.

La règle de l'équilibre financier impose que les dépenses d'investissement et de fonctionnement soient couvertes par les recettes du service. A titre exceptionnel, des subventions en provenance du budget général des collectivités ou de l'établissement public de coopération intercommunale peuvent être admises (article L. 2224-2 du code général des collectivités territoriales) dans deux cas :

- si la collectivité impose à l'exploitant des contraintes « particulières » de fonctionnement fondées sur des « exigences » de service public ;

- si le fonctionnement du service public exige la réalisation d'investissements qui, en raison de leur importance et eu égard au nombre d'usagers, ne peuvent être financés sans une augmentation « excessive » des tarifs.

La règle de l'équilibre financier connaît aussi des assouplissements pour les communes de petite taille. Les communes de moins de 3.000 habitants, ou leurs établissements publics de coopération intercommunale, peuvent subventionner leur service d'eau avec des ressources du budget général et fusionner leurs budgets eau et assainissement, dès lors que les deux services sont gérés selon le même mode et soumis aux mêmes règles d'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée ; le budget et les factures doivent cependant faire apparaître certaines distinctions entre les deux services(6). Les communes de moins de 500 habitants dont les services sont en régie ne sont pas astreintes à la présentation d'un budget annexe(7).

Assouplies pour certains cas spécifiques et sous conditions, ces règles s'appliquent dans toutes les autres situations. Ainsi, comme l'a souligné la chambre régionale des comptes d'Île-de-France à propos du service de l'eau de la ville de Paris(8), ce n'est pas parce qu'une commune a délégué à la fois la gestion et le contrôle de la gestion de ses services d'eau et d'assainissement qu'elle peut se dispenser de présenter un budget annexe relatif à ces services.

Enfin, quel que soit le mode de gestion, la fixation du prix de l'eau est par nature une compétence propre de l'assemblée délibérante de la collectivité ou du groupement compétent, dont elle ne peut se départir au profit de l'exploitant(9).

Les autres règles régissant la gestion des services d'eau et d'assainissement sont en revanche très différentes selon le mode de gestion choisi.

b) Une gestion directe en déclin relatif

Le code général des collectivités territoriales distingue trois formes de gestion directe, regroupées sous le nom de régies :

- la régie simple, ou directe, que les communes ont la faculté de conserver si elle est antérieure au 28 décembre 1926 (article L. 2221-8 du code général des collectivités territoriales) ;

- la régie dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière, véritable établissement public local ;

- la régie dotée de la seule autonomie financière.

La première forme est de loin la plus fréquente, car elle est appréciée pour sa simplicité (pas d'organes distincts de ceux de la commune, simplicité de la comptabilité) tandis que la deuxième est très rare en matière de distribution d'eau, surtout à cause de sa complexité.

Si la plupart des quelque 7.000 régies concernent de petites communes, il existe des régies très importantes, notamment à Strasbourg, Nancy, Reims, Amiens, Nantes, Tours, Limoges.

Pourtant, et malgré le retour récent de certaines communes (Grenoble, Alès, Pertuis...) à ce mode de gestion - on compte six cas de retours en régie en 1998, quatre en 1999 -, le nombre de régies décline progressivement. En 1980, plus de 40 % des volumes d'eau étaient distribués en France par des régies ; elles n'en représentent aujourd'hui qu'environ 20 %. Ce relatif déclin est lié à plusieurs facteurs :

- le renforcement des normes de qualité de l'eau a rendu nécessaire le recours à des techniques de plus en plus complexes et difficiles à maîtriser pour les communes ;

- l'utilisation de ressources d'eau plus éloignées et/ou de moins bonne qualité et la généralisation de l'assainissement ont impliqué de gros investissements que les petites communes n'avaient pas les moyens de financer directement ;

- les élus sont réticents à prendre en charge la responsabilité directe de fortes hausses de prix.

c) Les délégations

Alors que la régie constitue le mode de gestion directe du service public par la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale, un service est délégué lorsque sa gestion est confiée par voie contractuelle à une entreprise privée, dont la rémunération est « substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation ». Cette définition est d'origine jurisprudentielle(10) : l'expression de « délégation de service public » figure à plusieurs reprises dans la loi mais cette dernière n'en précise pas le contenu. Elle est pourtant indispensable puisque la loi du 29 janvier 1993, dite loi « Sapin », soumet les délégations à des contraintes qui leur sont propres. Aussi votre Rapporteur se réjouit-il que l'article 3 du projet de loi portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, adopté en première lecture par votre Assemblée le 2 mai dernier, donne valeur législative à cette définition jurisprudentielle.

LES TYPES DE DÉLÉGATION DE SERVICE PUBLIC

Traditionnellement, sont distingués trois types de délégation : la régie intéressée, la concession et l'affermage.

- Dans le cadre de la régie intéressée, le régisseur n'a pas la propriété de l'installation et est rémunéré par la collectivité en fonction des résultats, par le biais d'une prime de gestion ou d'une participation aux bénéfices. Ce type de gestion, souvent pratiqué en région parisienne par la Compagnie générale des eaux, est très minoritaire sur le plan national.

- Dans le cadre d'une concession, le concessionnaire doit assumer les frais de construction et d'entretien des installations, lesquelles reviennent à la collectivité en fin de contrat ; il est responsable de la gestion du service dont il assume les risques et il se rémunère directement auprès des usagers.

- Dans le cadre de l'affermage, le fermier a la responsabilité de la gestion du service et se trouve rémunéré au moyen d'une redevance directement prélevée sur les usagers, tandis que les coûts de l'installation sont pris en charge par la collectivité. Aujourd'hui, plus de 85 % des délégations dans le secteur de l'eau sont qualifiés d'affermage.

Il faut évoquer enfin la gérance, qui se rapproche d'une régie intéressée mais s'en distingue par le fait que le gérant est rémunéré par un forfait, et non par une prime. Il s'agit le plus souvent de marchés publics, et non de délégations de service public.

Si concession et affermage sont de loin les types de délégation les plus fréquents, ils existent rarement « à l'état pur ». En pratique, le concessionnaire se voit souvent confier des ouvrages préexistants, comme en matière de canalisation, dont le réseau existant couvre déjà largement le territoire national. Inversement, le fermier est rarement chargé seulement de la gestion des installations et de la distribution d'eau : il est souvent amené à réaliser des travaux de renouvellement ou d'extension des ouvrages existants. Ainsi, les contrats mixtes sont les plus fréquents, ce qui n'est pas sans entraîner de réelles difficultés dans la répartition du coût de certains investissements entre la collectivité et le délégataire.

Le succès de la délégation s'explique essentiellement par les difficultés rencontrées par les régies pour répondre à l'évolution des exigences de tous ordres dans le domaine de l'eau. Ce choix apparaît aux collectivités comme le plus efficace et le plus simple, dans la mesure où il semble les libérer d'une lourde tâche. Elles ont en effet souvent tendance à négliger la contrepartie de la délégation, qui consiste en un contrôle vigilant de l'activité du délégataire.

Or ce contrôle est d'autant plus indispensable que les entreprises délégataires du service public de l'eau et de l'assainissement sont très puissantes et peu nombreuses.

Le marché privé de la distribution d'eau et de l'assainissement est considérable, comme en attestent ses 30 milliards de francs (4,57 milliards d'euros) de chiffre d'affaires annuel(11). Mais il repose essentiellement sur trois opérateurs privés, français mais très actifs au niveau international, aux compétences mondialement reconnues, qui détiennent plus de 98 % des contrats.

LES PRESTATAIRES PRIVÉS DU MARCHÉ DE LA DISTRIBUTION D'EAU ET DE L'ASSAINISSEMENT EN 2000

Nom de la société

Groupe

Part des abonnés desservis

Type de collectivités concédantes

Nombre de contrats (1)

Générale des eaux

Vivendi Environnement

51 %

grandes villes, en particulier en Île-de-France

4.800

Lyonnaise des eaux

Suez

24 %

communes rurales, quelques villes importantes

3.000

Société d'aménagement urbain et rural (SAUR)

Bouygues

13 %

communes rurales, villes petites et moyennes

7.000

Filiales communes

Générale et Lyonnaise (douze filiales)
Lyonnaise et SAUR (2 filiales) (2)

10 %

grandes villes et agglomérations

(n.c.)

Une dizaine de sociétés indépendantes

-

2 %

communes rurales, petites villes

(n.c.)

(1)   Le nombre de contrats a été fourni par les distributeurs.

(2)   Deux des douze filiales communes à la Générale et la Lyonnaise auraient récemment été démantelées.

Source : d'après le conseil de la concurrence, avis n° 00-A-12 du 31 mai 2000 sur le prix de l'eau en France et Stéphanie Wormser, « La distribution de l'eau en France : une gestion originale », La semaine juridique Entreprises et affaires, n° 17, 27 avril 2000, pp. 692-697.

La concentration particulièrement forte qui règne sur ce marché est de nature à entretenir des doutes quant à son caractère concurrentiel. Elle met les collectivités désireuses de déléguer leur service public de l'eau et de l'assainissement dans une situation particulièrement inconfortable : d'une part, ces dernières ne disposent pas d'une expertise technique suffisante face à la spécialisation et à l'expérience des ces grands groupes ; d'autre part, faute d'une réelle situation de concurrence, elles ne sont jamais sûres que l'offre qu'elles acceptent est effectivement la meilleure, qu'il s'agisse de la qualité du service ou de son coût. Comme ce coût est payé in fine par l'usager, il est essentiel de veiller à ce que les contrats de délégation ne soient pas déséquilibrés au profit du groupe délégataire et au détriment des usagers. C'est ce à quoi le législateur s'est attaché depuis une décennie, sans parvenir encore à combler parfaitement le déséquilibre structurel entre les acteurs.

2.- L'IMPACT DU MODE DE GESTION SUR LE PRIX DE L'EAU

Ce déséquilibre joue certainement un rôle dans le processus de fixation du prix et pourrait expliquer une partie de la différence du prix de l'eau selon le mode de gestion du service.

a) Une différence de prix moyen non négligeable

Selon la DGCCRF, le prix moyen de l'eau distribuée par les régies était de 13 % inférieur à celui de l'eau fournie par des services délégués. Cet écart a tendance à se réduire : il était de 22 % en 1992, mais il reste relativement important. Comment peut-il s'expliquer ?

Les délégataires mettent en avant les charges que seules les entreprises privées ont à supporter : taxe professionnelle et redevance pour occupation du domaine public, par exemple. En revanche, il n'est plus justifié d'invoquer la réalisation d'investissements plus importants : « Compte tenu des conditions économiques actuelles, la concession a pratiquement disparu parmi les contrats de délégation récents. Aujourd'hui, la nécessité de construire des ouvrages n'a plus d'incidence sur le mode de gestion, puisque le financement est presque toujours assuré par la collectivité avec des aides publiques (agence de l'eau, conseil général, FNDAE) »(12). Cette évolution a probablement contribué à la réduction de l'écart du prix entre gestion directe et gestion déléguée.

Il ne faut pas pour autant négliger les effets de structure : les collectivités territoriales délèguent volontiers le service lorsque celui-ci présente des difficultés qui auront logiquement une répercussion sur son prix. C'est pourquoi les délégations sont dominantes dans les grandes villes qui ne peuvent souvent être alimentées que par de l'eau puisée au loin et acheminée sur des distances importantes.

Il n'en demeure pas moins surprenant que des groupes de la taille de ceux qui dominent le marché français de l'eau et de l'assainissement ne fassent pas bénéficier les usagers d'économies d'échelles permises par le nombre considérable de contrats qu'ils détiennent.

De plus, les régies sont, elles aussi, soumises à des contraintes particulières : il leur est en particulier interdit d'effectuer des placements de trésorerie, qui sont source de produits financiers pour les délégataires.

Pourtant, une récente enquête(13) conduite par le service central des enquêtes et des études statistiques (SCEES) et l'Institut français de l'environnement (IFEN) a même conclu à une différence de prix nettement plus marquée que celle mise à jour par la DGCCRF. Elle n'atteindrait pas 13 % pour l'ensemble du service, mais 27 % pour la distribution d'eau et 20,5 % pour l'assainissement. L'écart serait même de 44 % entre les communes entièrement en régie communale et celles entièrement en affermage intercommunal. Cette très importante différence serait due à la composition de l'échantillon de communes pris en compte : la nouvelle enquête aurait étudié les prix pratiqués dans des communes plus rurales que celles, essentiellement grandes et urbaines, retenues par la DGCCRF. Il semblerait donc bien que les communes déléguantes les plus petites, et donc celles qui disposent du moins d'expertise en la matière, signent des contrats particulièrement déséquilibrés au profit des délégataires. A moins que la différence de prix ne soit liée à la qualité du service, qui serait nettement moins bon lorsqu'il est assuré par une régie, en particulier dans les communes rurales, ce qui paraît difficilement explicable...

b) Les effets ambigus et parfois paradoxaux du changement de mode de gestion sur le prix

Le problème de la différence de structure des services entre régies et délégations, les unes assurant en moyenne des services moins complexes que les autres, est gommé lorsque l'on prend en compte l'évolution du prix payé par les usagers d'une même collectivité à la suite du changement du mode de gestion.

Dans son rapport particulier de 1997, la Cour des comptes estime que « la hausse du prix est bien à mettre en relation avec la délégation du service dans de nombreux cas examinés par les chambres régionales des comptes »(14). Elle explique ce phénomène par le manque de clarté des contrats, l'information lacunaire de la collectivité ou des usagers, l'insuffisance des contrôles, l'absence de véritable concurrence.

Dans son rapport de décembre 1999 intitulé Quelle régulation pour l'eau et les services urbains ?(15), le Haut conseil du secteur public présente, à partir d'une enquête réalisée par la DGCCRF, les conséquences des changements de mode de gestion ou de délégataire intervenus entre 1993 et 1998. Sur les dix cas observés, six collectivités passent d'un service en régie à un service affermé. Dans deux cas, ce changement se traduit par une baisse du prix, d'environ 13 % dans un cas, de moins de 4 % dans le second. Trois collectivités voient leur prix de l'eau croître nettement, dont une de près de 50 %, tandis que la quatrième connaît une hausse du prix de la distribution d'eau et une baisse de celui de l'assainissement. Les changements de délégataires se traduisent plutôt par une hausse des tarifs. En revanche, les deux retours à la régie permettent une baisse des prix, atteignant 30 % dans un cas.

Nous ne pouvons par entrer ici dans l'analyse de chaque situation particulière, mais il semble que le passage à la délégation entraîne plus souvent une hausse du prix de l'eau, alors que le retour à la régie a l'effet inverse.

Il est par ailleurs intéressant de constater que le renouvellement d'un contrat ou la signature d'un avenant se traduit paradoxalement nettement plus souvent par une hausse que par une baisse du prix. Le Haut conseil du secteur public commente cette enquête en ces termes : « Sur 35 avenants répertoriés entre 1991 et 1998, 6 seulement (dont ceux relatifs à Grenoble et à Lille) se sont traduits par des baisses tarifaires, tandis que certains autorisaient des hausses importantes, allant jusqu'à 30 % dans l'année suivant leur entrée en vigueur »(16).

La direction de l'eau a en revanche indiqué à votre Rapporteur que la baisse des prix consécutive à une renégociation de contrat atteint en moyenne 10 % en 1999 (9 % en 1998), mais qu'elle profite moins aux petites collectivités.

Le diagnostic de la relation entre mode de gestion et niveau de prix demeure donc incertain.

B.- L'AMÉLIORATION RÉCENTE DES RÈGLES DE GESTION NE SUFFIT PAS À RÉSOUDRE TOUTES LES DIFFICULTÉS

Si plusieurs textes récents sont intervenus dans le domaine des délégations de service public de l'eau et de l'assainissement, c'est notamment en raison du fait que le début des années 1990 a été marqué par la multiplication des scandales impliquant à la fois des élus et des grands groupes.

1.- UNE LÉGISLATION PROGRESSIVEMENT RENFORCÉE EN RÉPONSE À CERTAINES DÉRIVES

a) Des dysfonctionnements nombreux et variés

- Des procédures de délégation opaques

Jusqu'au début des années 1990, la passation d'un contrat de délégation de service public était souvent entourée de pratiques peu transparentes.

Le versement, par l'entreprise délégataire, « d'un droit d'entrée » à la collectivité déléguante était pratique commune : une somme souvent très élevée était versée au budget général de la collectivité territoriale qui la dépensait à son gré, pour financer un équipement quelconque sans aucun lien avec l'eau, ou pour combler un déficit... Le groupe bénéficiaire du contrat répercutait naturellement le coût de ce droit d'entrée sur le prix payé par l'usager. Ce dernier assumait ainsi une charge qui aurait dû revenir au contribuable, en infraction évidente avec le principe selon lequel « l'argent de l'eau va à l'eau ». Dans son rapport particulier de 1997, la Cour des comptes portait ce jugement très sévère : « Les besoins de financement des collectivités constituent parfois le motif essentiel de la mise en affermage de leurs services. La délégation est alors détournée de son objet pour devenir une technique élaborée de financement du budget principal, défavorable à l'usager-contribuable »(17).

Comme la passation d'un contrat de ce type n'était pas régie par le droit des marchés publics et n'était soumise à aucune mise en concurrence obligatoire, les contrats étaient renouvelés sans qu'un changement de partenaire soit envisagé ni que les conditions soient renégociées au profit des usagers. En pratique, la collectivité était captive du délégataire. La durée souvent très longue des contrats - une durée de trente ans était très fréquente, certains contrats allaient jusqu'à quarante ans - et la multiplication des avenants en cours de contrat afin de les prolonger étant monnaie courante, la situation des groupes délégataires s'est avérée particulièrement rémunératrice, au détriment des usagers qui, sans le savoir, finançaient par l'intermédiaire du prix de l'eau l'extension des ces groupes à l'étranger.

- Le médiocre rendement de certaines régies

Dans son rapport particulier(18), la Cour des comptes dénonce le médiocre rendement de certaines régies, lié à des défauts dans leur organisation. Alors que les régies doivent mettre en _uvre des technologies complexes afin de satisfaire les exigences croissantes de qualité de l'eau, de plus en plus strictes, leur personnel est parfois pléthorique mais insuffisamment qualifié. De plus, le mauvais état de leurs réseaux entraîne des surcoûts, tandis que l'absence de rigueur des procédures de facturation, de recouvrement et de remise gracieuse contribue à des rendements faibles.

- Un contrôle insuffisant des collectivités

A l'opacité qui régnait en amont de la conclusion des contrats répondait le laxisme, voire la totale inexistence, du contrôle des activités des délégataires.

La Cour des comptes insiste sur le coût et la difficulté de réalisation de ce contrôle : « La mise en place d'un contrôle du délégataire n'est pas toujours ressentie comme une démarche normale et utile ; elle est plutôt considérée comme une charge supplémentaire imposée à l'usager »(19). Ce coût existe effectivement, mais si ce contrôle était efficace, il permettrait pourtant aux collectivités de négocier des baisses de tarif. La Cour des comptes observe notamment que les formules de révision des prix sont souvent injustifiées et abusives, que les délégataires omettent volontiers l'imputation de produits financiers en atténuation des charges supportées par les usagers, que les fonds de travaux ne sont pas systématiquement utilisés pour le financement d'investissements, que les charges de personnel sont parfois surévaluées.

Le même type de problème se pose pour les régies. Les régies dotées de la personnalité morale sont rares, et celles qui sont financièrement autonomes ne respectent pas toujours les dispositions du code général des collectivités territoriales qui prévoient l'établissement d'un règlement intérieur, la mise en place d'un conseil d'exploitation et la nomination d'un directeur, afin d'assurer l'efficacité et l'indépendance du service public. Les usagers ne sont pas non plus suffisamment consultés, bien que l'article 26 de la loi d'orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République rende obligatoire dans les communes de plus de 3.500 habitants la constitution de commissions consultatives pour les services publics locaux.

Souvent mal organisées et peu contrôlées, les régies ne sont pas poussées à maximiser leur rendement de façon à obtenir une plus grande efficacité du service, à moindre coût. De même, les délégataires, moins soumis à la pression de la collectivité, réalisent des profits conséquents grâce notamment à une surestimation des charges et à des gains de productivité qui ne sont pas répercutés sur le prix payé par l'usager.

b) Des avancées réelles

Devant les scandales financiers entourant certaines délégations des services d'eau et d'assainissement et le mécontentement croissant des Français face à l'augmentation du prix de l'eau, le législateur a mis en place un important dispositif juridique destiné à encadrer la délégation de service public. Il se compose essentiellement de trois lois :

- la loi dite « Sapin » n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques prévoit un terme aux contrats de délégation, organise la publicité et la mise en concurrence, impose un examen des offres par une commission d'ouverture des plis et encadre la négociation, sans revenir sur le principe du libre-choix ;

- la loi dite « Barnier » n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement définit le rapport annuel du maire présenté au conseil municipal, limite la durée de délégation à 20 ans, sauf dérogation après avis du trésorier-payeur général, et interdit les droits d'entrée ;

- la loi dite « Mazeaud » n° 95-127 du 8 février 1995 relative aux marchés publics et délégations de service public limite les prolongations de contrats, définit le rapport du délégataire, permet le contrôle des comptes des délégataires par les chambres régionales des comptes, impose une commission d'ouverture des plis pour les avenants importants et punit les délits de favoritisme.

Ces textes témoignent du souci du législateur d'encadrer les délégations à tous les niveaux. Les conditions de conclusion des contrats sont précisément définies, la durée des conventions est limitée et les contrôles exercés, par la collectivité locale et par les juridictions financières, sont nettement renforcés. L'information des usagers sur le fonctionnement du service est améliorée, grâce au rapport annuel qui doit être mis à la disposition du public.

2.- LA PERSISTANCE DE DIFFICULTÉS PRÉJUDICIABLES À L'USAGER

Cet effort de transparence et de moralisation a commencé à porter ses fruits. Mais beaucoup reste à faire. En effet, d'une part, l'application de certaines dispositions s'est avérée délicate ; d'autre part, des pratiques irrégulières subsistent tandis que de nouvelles apparaissent, lesquelles échappent à la législation en vigueur(20).

a) Les difficultés de mise en _uvre de la nouvelle législation

La première difficulté tient au faible nombre de conventions qui arrivent à leur terme chaque année : il faudra longtemps avant que toutes les conventions aient été conclues conformément au nouveau cadre législatif. Ce problème est aggravé par le fait que de nombreux contrats ont été renégociés, parfois avant leur terme normal, quelques mois ou semaines avant l'entrée en vigueur de la loi « Sapin ». Une partie du dispositif légal a ainsi été privée d'application immédiate, et pour une longue période.

Le fort encadrement, puis l'interdiction de la pratique du « droit d'entrée » n'ont pas empêché la poursuite de la pratique de la redevance d'occupation du domaine public, qui est même parfois capitalisée. En 1997, la Cour des comptes estimait que « cette redevance se présente aujourd'hui comme un véritable « succédané » de droit d'entrée ». Si le principe d'une telle redevance est justifiable, sa légitimité dépend de la juste évaluation de son montant. Quand il est sans rapport avec le coût réel de l'utilisation de la voirie communale par le délégataire, il y a abus et détournement de l'objet de la redevance.

La procédure de mise en concurrence prévue par la loi « Sapin » comporte une première phase d'appel d'offre, semblable à celle qui existe pour les marchés publics, puis une deuxième phase de négociations libres entre l'exécutif de la commune ou du groupement de communes et les candidats au contrat de délégation, phase qui est spécifique aux contrats de délégation de service public et vise à respecter la liberté de choix de la collectivité locale et la tradition d'une conclusion intuitu personae, en considération de la personne même du cocontractant. Cette seconde phase, décisive, permet souvent au délégataire sortant de gagner le renouvellement de son contrat, alors même que les conditions qu'il avait proposées au moment de l'appel d'offre n'étaient pas les plus favorables. La mise en concurrence apparaît ainsi plus formelle que réelle.

De même, si les lois de 1995 ont prévu l'une le rapport annuel du maire sur le prix et la qualité du service public de l'eau et de l'assainissement (article 73 de la loi du 2 février 1995), l'autre le rapport annuel du délégataire (article 2 de la loi du 8 février 1995), aucune n'indique précisément quels éléments doivent y figurer. Certes, le décret n° 95-635 du 6 mai 1995 relatif aux rapports annuels sur le prix et la qualité des services publics de l'eau potable et de l'assainissement précise les conditions de publicité du rapport annuel du maire, mais il ne donne de détails que sur les indicateurs techniques et financiers qui doivent y figurer, sans évoquer les questions de qualité. Aussi, l'efficacité de ces deux rapports apparaît, pour le moins, perfectible.

D'après l'enquête ECOLOC réalisée chaque année par le BIPE, le taux de réalisation du rapport « du maire » est passé de 40 % en 1996 à 76 % en 1999. Mais nombreuses sont les collectivités qui confient la tâche de réaliser ce rapport à leur délégataire, ce qui laisse perplexe sur l'impartialité de son contenu. La loi, par les délais qu'elle impose, laisse d'ailleurs peu de temps au maire pour préparer son rapport : le rapport du délégataire doit être présenté avant le 1er juin(21) alors que celui du maire doit l'être dans les six mois qui suivent la clôture de l'exercice concerné, soit avant le 30 juin(22). Si le maire veut, et c'est parfaitement logique, tenir compte des informations fournies par le délégataire, il n'a donc qu'un mois pour rédiger ce rapport, délai qui est réduit en pratique à une quinzaine de jour dans la mesure où le maire doit réunir le bureau municipal et la commission compétente avant la présentation de son rapport devant le conseil municipal. D'autre part, les informations ne sont pas toujours compréhensibles par le public et les rapports sont souvent exclusivement financiers, alors qu'ils doivent porter sur le rapport « prix-qualité », ce qui explique en partie que les usagers demandent rarement à les consulter.

Aucun chiffre n'est disponible quant au taux de réalisation du rapport du délégataire, mais les chambres régionales des comptes font de fréquentes critiques sur les données qui y sont analysées : il est impossible aux collectivités d'en contrôler l'exactitude et de nombreux éléments qui seraient utiles au véritable contrôle du délégataire n'y figurent pas. De plus, il arrive que le délégataire sous-traite des pans entiers de l'activité qui lui a été confiée, qui échappent ainsi à toute possibilité de contrôle par le déléguant. Finalement, la direction de l'eau a fait part à votre Rapporteur de ses « doutes sur l'impact de nombre de rapports et l'atteinte des objectifs recherchés ».

b) La persistance de pratiques conduisant à faire peser des charges indues sur les usagers

Si le renforcement des règles a permis de mettre un terme à certaines pratiques abusives et a renforcé les moyens d'information et de contrôle des collectivités territoriales et des usagers, il ne suffit pas à résoudre toutes les difficultés. Les critiques faites très récemment par les chambres régionales des comptes dans leurs lettres d'observations portant sur le fonctionnement de nombreux services des eaux et de l'assainissement montrent clairement la persistance de pratiques douteuses : qu'elles soient illégales ou seulement illégitimes, beaucoup conduisent à faire peser sur l'usager des charges indues en contribuant à augmenter le prix de l'eau.

Dans de nombreuses collectivités, le prix de l'eau, tel qu'il est payé par le consommateur ne peut être réellement justifié faute d'une connaissance précise des charges assumées par le délégataire et d'une étude prévisionnelle des investissements à réaliser. Cela se traduit notamment par des garanties de renouvellement(23) surestimées et non utilisées : d'une part, le délégataire est supposé rembourser le trop perçu en fin de contrat, ce qui n'est jamais absolument sûr et revient, étant donné la longueur des contrats, à faire payer une génération pour en rembourser - dans le meilleur des cas - une autre ; d'autre part, les produits financiers de ces sommes sont rarement inscrits dans les comptes du délégataire alors qu'ils devraient agir à la baisse sur le prix de l'eau. Il convient, à cet égard, de souligner que la capacité d'investigation des chambres régionales peut se heurter aux limites de leur droit de communication, notamment lorsque les services délégataires ne sont pas constitués en entités sociales. Dans ce cas, l'accès aux informations comptables et financières relatives aux imputations de charges indirectes, à la trésorerie dégagée par les contrats, aux produits financiers qu'elle génère, ou encore au besoin en fonds de roulement, n'est pas juridiquement prévu. Des améliorations sont donc encore possibles en ce domaine.

De même, les formules d'indexation des tarifs au cours de l'exécution des contrats ne sont pas toujours représentatives de l'évolution réelle des coûts du service et permettent souvent au délégataire de faire progresser régulièrement ses marges. Ce dernier négocie volontiers la révision de certaines clauses financières des contrats à son avantage sans baisser pour autant les prix.

Dans un autre domaine, les chambres régionales des comptes dénoncent la pratique très courante des transferts de charges entre catégories d'usagers ou entre usagers et contribuables. Il est ainsi fréquent que le prix de l'eau facturé aux agriculteurs soit inférieur au prix de revient du service, tandis que l'équilibre des comptes est obtenu par une majoration du prix facturé aux industriels et aux particuliers. Ailleurs, la gratuité de l'eau accordée à certains services publics, comme pour la lutte contre les incendies, conduit à faire supporter leur coût par les usagers de l'eau, soumis à un prix plus élevé, alors qu'il devrait être financé par les contribuables.

Si l'information des usagers est désormais une obligation légale, elle n'en demeure pas moins, parfois, de piètre qualité. Au-delà des insuffisances du rapport annuel du délégataire, les informations à l'attention des usagers ne sont adressées qu'aux seuls abonnés, si bien que les locataires ou copropriétaires d'immeubles soumis à un seul abonnement sont privés d'une partie des données communiquées. La pratique de l'abonnement collectif est par ailleurs préférée par nombre de délégataires qui font ainsi des économies pour les relevés, la facturation et le recouvrement, au détriment de l'usager qui ne connaît même pas le niveau réel de sa consommation et n'est pas incité à la réduire.

C.- LA STRUCTURE DU PRIX EN BINOME, QUOIQUE CONTESTÉE, S'AVÈRE INDISPENSABLE POUR LES COLLECTIVITÉS LOCALES

Qu'il s'agisse de la distribution ou de l'assainissement, la tarification binôme est le mode de tarification pratiqué dans la grande majorité des services d'eau. Elle se traduit par la décomposition du prix de l'eau en une partie fixe, calculée indépendamment du volume d'eau consommé, et une partie calculée en fonction de ce volume(24).

La partie fixe est d'un montant très variable selon les services : alors qu'elle n'existe pas dans certaines communes, elle est fixée à plusieurs centaines de francs dans d'autres. Selon les données provenant d'observatoires de bassin mis en place dans les agences de l'eau, la part fixe s'élève en moyenne en 1998 à 339 francs (51,68 euros) pour une facture type de 120 m3, soit 17 % du prix total. Cette même année, la part fixe a atteint un maximum de 1.427 francs (217,54 euros), soit 44 % du prix de 120 m3 d'eau dans la commune concernée.

Il apparaît néanmoins que la fourchette de variation de la part fixe tend à se resserrer. Entre 1994 et 1998, la part fixe relative au service « distribution d'eau » est passée de 226 francs (34,45 euros) à 239 francs (36,44 euros) et celle relative au service « collecte et traitement des eaux usées » est passée de 91 francs (13,87 euros) à 100 francs (15,24 euros). L'augmentation en valeur absolue (+ 7 %) s'accompagne d'une diminution de la part relative de 2 %, suite à l'abandon des « quasi-forfaits ».

Demeure néanmoins la possibilité, pour les petites communes(25), d'appliquer une tarification au forfait, indépendante de toute relation avec le volume d'eau consommé, sous certaines conditions : faible nombre d'usagers, ressource en eau naturellement abondante, autorisation préfectorale à titre dérogatoire. Mais une telle tarification est contraire à l'idée de gestion équilibrée de la ressource en eau. Aussi le Gouvernement envisage-t-il de la supprimer, ce que votre Rapporteur approuve.

Poussés par une double logique de responsabilisation des usagers face à leur consommation d'eau et de simplification de la tarification, certains se prononcent en faveur de la suppression pure et simple de la partie fixe de la tarification au profit d'un calcul strictement proportionnel au volume consommé. Cette solution mettrait pourtant les communes qui connaissent de fortes variations saisonnières de la consommation d'eau, en particulier les communes touristiques, dans l'impossibilité d'équilibrer leur budget de l'eau, sauf à augmenter fortement le prix au mètre cube, ce que personne ne souhaite.

Pour cette raison, votre Rapporteur n'est pas favorable à la suppression de la partie fixe, mais souhaite que sa composition soit encadrée et limitée à certains éléments, tels les frais de tarification et de compteur et l'amortissement des investissements, et que les usagers soient informés de cette composition.

II.- REDEVANCES ET TAXES ALOURDISSENT LE PRIX PAYÉ PAR LES USAGERS SANS ETRE PARFAITEMENT JUSTIFIÉES

La DGCCRF estime que, sur une facture moyenne de 2.049 francs (312,37 euros) pour 120 m3 d'eau, 15 %, soit 315 francs (48,02 euros) reviennent à la redevance pollution domestique, 2 %, soit 33 francs (5,03 euros) à la redevance de préservation de la ressource, donc un total de 348 francs (53,05 euros) pour les agences de l'eau, tandis que 196 francs (29,88 euros) (près de 10 % du total) sont prélevés au titre de taxes diverses.

A.- LES PRÉLÈVEMENTS SUR L'EAU SONT NOMBREUX

1.- LES REDEVANCES PERÇUES PAR LES AGENCES DE L'EAU

Les redevances perçues par les six agences de l'eau(26) représentent environ 17 % du montant de la facture d'eau.

Depuis leur création par la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, les agences de bassin, devenues depuis agences de l'eau, perçoivent principalement deux types de redevances assises sur la distribution d'eau : le premier type de redevance, assise pour chaque payeur sur la pollution qu'il émet, est la redevance pour détérioration de la qualité de l'eau, dite « redevance pollution » ; le second type de redevance, assise pour chaque utilisateur sur la quantité d'eau qu'il prélève et qu'il consomme est appelé redevance de prélèvement, ou « redevance ressource ». Le produit de la redevance pollution est le plus important puisqu'il assure environ 80 % des ressources des agences.

Le budget de ces dernières atteint une dizaine de milliards de francs par an, principalement utilisés pour subventionner des investissements communaux destinés à améliorer les ressources ou à traiter les eaux usées, mais aussi pour financer des aides destinées aux secteurs industriel et agricole.

Sur la facture moyenne de 120 m3 d'eau précitée, le prélèvement au profit des agences de l'eau est passé de 95 francs (14,48 euros) en 1991 à 348 francs (53,05 euros) en 1999, soit une augmentation de 266 %. Cette forte augmentation a correspondu à la mise en place, à partir de 1992, du VIème programme des agences de l'eau qui autorisait le doublement des aides distribuées, et, en conséquence, celui des redevances.

2.- D'AUTRES TAXES PLUS SECONDAIRES EN MONTANT

Compte spécial du trésor créé en 1954, intégré depuis la loi de finances initiale pour 2000 dans le Fonds national de l'eau, qui comprend aussi le Fonds national de solidarité sur l'eau, le Fonds national de développement des adductions d'eau (FNDAE) apporte aux communes rurales une aide financière pour leurs travaux d'alimentation en eau potable et d'assainissement.

Ce fonds est financé, d'une part, par un prélèvement sur les recettes du pari mutuel urbain et, d'autre part, par une redevance assise sur tous les volumes d'eau distribués sur le territoire national par le réseau public d'eau potable, dans les communes urbaines et rurales. Cette redevance est fixée depuis le 1er janvier 1996 à 0,14 franc (2 centimes d'euro) par m3 et représente, selon les années, entre 45 et 55 % des recettes du fonds. C'est ainsi environ 0,8 % du montant de la facture d'eau qui va au FNDAE, lui permettant de financer près d'un milliard de francs (150 millions d'euros) d'intervention par an (989 millions de francs, 150,77 millions d'euros, en 2001).

Une fraction du prix de l'eau du même ordre de grandeur (inférieure à 1 %) est reversée par les collectivités locales à l'établissement public à caractère industriel et commercial Voies navigables de France (VNF), lequel a remplacé en 1991 l'Office national de la navigation. Cette taxe hydraulique, payée par les entreprises, les agriculteurs et les collectivités locales sur la base de leurs prélèvements et rejets, constitue la première recette des VNF en assurant, à hauteur de 525 millions de francs (80,04 millions d'euros) près de la moitié de leur budget de fonctionnement de 1,2 milliard de francs (180 millions d'euros) en 2000. Électricité de France paie 75 % du total et 14 % seulement sont financés par les distributeurs publics d'eau, qui en répercutent une partie sur les usagers, si la collectivité locale les y a autorisés(27). L'ensemble des usagers ne participe donc au financement de VNF qu'à hauteur de quelques dizaines de millions de francs par an.

3.- LA TVA S'APPLIQUE AU TAUX RÉDUIT

Enfin, la fourniture d'eau par un réseau d'adductions, quelle que soit la personne qui la réalise et quels que soient les usages de l'eau, est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au taux réduit de 5,5 %. Celle-ci, en application normale de l'article 267 du code général des impôts et de l'article 11 de la Sixième directive du Conseil de 1977 relative à la TVA dans la communauté européenne, est calculée sur une assiette intégrant l'ensemble des prélèvements précédemment mentionnés.

B.- ILS NE RESPECTENT PAS PARFAITEMENT LE PRINCIPE SELON LEQUEL « L'EAU PAIE L'EAU »

1.- LES REDEVANCES DES AGENCES DE L'EAU POSENT DES PROBLÈMES DE CONSTITUTIONNALITÉ, D'ÉQUITÉ ET D'EFFICACITÉ

Il apparaît, en premier lieu, que le système de fixation de l'assiette et des taux des redevances, reposant sur la compétence des agences, sans encadrement législatif suffisant, n'est pas conforme à la Constitution. Le Conseil constitutionnel a en effet estimé, dans une décision n° 82-124 du 23 juin 1982, que les redevances devaient être rangées dans la catégorie « des impositions de toute nature dont l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement ». Le Conseil d'État a entériné cette position à plusieurs reprises(28).

Mais la loi de 1992 n'a pas fait mention des agences de l'eau et n'est pas intervenue pour régler cette difficulté. Votre Rapporteur se félicite de ce que l'avant-projet de loi portant réforme de la politique de l'eau aborde le problème et entreprenne de le résoudre en encadrant plus étroitement les compétences des agences de l'eau en la matière, notamment par la fixation d'une fourchette de taux et la définition des assiettes. Il en appelle à la plus grande vigilance sur ce point : l'encadrement législatif doit être strict et le Parlement doit obtenir un droit de regard sur l'utilisation qui sera faite des sommes ainsi perçues. Aussi, si le projet de loi n'était pas déposé sur le bureau des assemblées avant la prochaine loi de finances, votre Rapporteur ne manquerait pas de déposer, sous forme de proposition d'article additionnel, les dispositions relatives aux règles de prélèvement des redevances des agences.

Pour ce qui est de l'efficacité de l'action menée par les agences grâce aux recettes de ces redevances, le Commissariat général du plan a bien résumé la logique suivie pour la distribution de leurs aides : « [les agences de l'eau] n'appliquent pas le principe pollueur-payeur au sens que l'économiste donne généralement à cette expression. Tout au contraire, du fait que les aides relèvent d'un dispositif géré et négocié, (...) les redevances s'organisent selon une autre logique que celle du pollueur-payeur : celle du pollueur-sociétaire. Dans un tel système, chaque participant a le sentiment de payer des cotisations et estime avoir droit, sur la longue période, à un juste retour du montant cotisé »(29).

Le jugement porté sur l'efficacité de cette méthode de distribution des aides est sans appel : « (...) pas plus que les règles de répartition des aides, elle ne conduit à économiser les ressources. Elle est au contraire compatible avec des sous-investissements ou des sur-investissements, et n'incite pas toujours les pollueurs à adopter des comportements plus respectueux de l'environnement. »(30).

Il apparaît clairement que les plus gros pollueurs ne sont pas les principaux payeurs de ces redevances, et qu'elles induisent au contraire un important transfert de charges entre catégories d'usagers de l'eau. La répartition des redevances est en effet très défavorable aux usagers domestiques, notamment à cause du coefficient de collecte qui multiplie la part de redevance pollution payée par ces derniers. Ainsi, les particuliers paient 84 % de la redevance pollution totale, alors qu'ils contribuent environ à hauteur de 35 % à la pollution par matière organique et à 20 % de la pollution par l'azote et qu'ils bénéficient, à travers les collectivités locales, d'environ 70 % des aides versées par les agences. La participation des industriels correspond grosso modo à la réalité de leur situation, mais celle des entreprises agricoles est très faible : la part de redevance pollution qu'elles financent est inférieure à 1 %, alors qu'elles sont à l'origine d'un tiers de la pollution par matières organiques et de près des trois quarts de la pollution due à l'azote, et qu'elles reçoivent environ 15 % des aides des agences.

Votre Rapporteur est donc favorable d'une part à un rééquilibrage entre contributeurs et bénéficiaires, à enveloppe constante, ce qui permettrait une baisse de la part financée par les usagers domestiques, et donc une baisse de ce poste dans le prix de l'eau, et d'autre part à un effort pédagogique : les redevances ne doivent pas être trop élevées afin de ne pénaliser aucun secteur économique, mais elles doivent avoir un impact réel sur les comportements.

2.- LES AUTRES PRÉLÈVEMENTS SONT EN PARTIE CONTESTABLES

Plus encore que les redevances des agences de l'eau, le prélèvement au profit du FNDAE pose le problème du transfert de charges entre urbains et ruraux. Ce fonds n'intervient en effet, nous l'avons vu, qu'au profit des communes rurales. Il vise, à l'origine, à lutter contre les écarts de prix entre les communes rurales et urbaines dans la mesure où les premières possèdent en moyenne deux fois moins d'habitants pour la même longueur de réseau, ce qui induit des investissements lourds et difficiles à amortir.

Il faut néanmoins observer que, depuis 1997, le fonds participe aussi, à hauteur de 150 millions de francs (22,87 millions d'euros) par an - soit plus de 15 % de son montant -, au financement du programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA), ce qui accroît le soutien des usagers domestiques aux agriculteurs, sans que les premiers en aient forcément conscience. L'efficacité du programme a par ailleurs été vivement contestée(31). Les crédits du FNDAE sont enfin notablement sous-consommés(32), alors qu'il y a beaucoup à faire, notamment dans le secteur de l'assainissement.

Le prélèvement au profit de VNF n'est guère conforme au principe selon lequel « l'eau paie l'eau ». L'entretien et les investissements sur les réseaux de voies d'eau et les ouvrages n'ont pas de lien direct avec l'eau distribuée. Il semblerait, dans ce cas, que l'eau ait été utilisée comme support à un prélèvement sans rapport avec sa distribution ou son assainissement, à une époque où son prix était bas et cette taxation indolore. L'augmentation du prix de l'eau et l'attention accrue qu'elle a entraînée sur ses composantes mettent aujourd'hui en évidence le caractère peu justifié de ce prélèvement. Si le financement de cet établissement public par l'impôt n'est pas illégitime, le recours à une taxation sur l'eau est sans doute critiquable.

Étant donné l'encadrement communautaire de la TVA, les objections faites par les associations de consommateurs quant à son application à l'eau ne peuvent être prises en compte. Elles contestent le fait que la taxe s'applique sur l'ensemble du prix de l'eau, prélèvements compris, mais les normes nationales et communautaires l'exigent pour toutes les livraisons de biens et services, sans aucune exception. L'application du taux réduit de 5,5 % est autorisée au niveau communautaire, mais certains s'étonnent que l'eau ne bénéficie pas, malgré son caractère vital, du taux particulier de 2,1 %. Le maintien de ce taux pour un nombre réduit de produits et d'opérations (dont les publications de presse, certains médicaments, certaines représentations théâtrales...) n'ayant été autorisé par l'Union européenne que pour une période transitoire et uniquement lorsqu'il existait avant l'entrée en vigueur de la Sixième directive, il est impossible, sauf modification hautement improbable de cette dernière, de l'étendre dans l'avenir à l'eau. Il n'en demeure pas moins que l'assiette et le taux de la TVA contribuent à alourdir le prix payé par le consommateur.

La composition du prix de l'eau s'avère ainsi relativement complexe. Depuis quelques années, un effort important a été engagé pour l'expliquer aux abonnés des services d'eau. A la suite d'un arrêté du ministre de l'Économie et des Finances du 10 juillet 1996, la présentation de la facture a été notablement améliorée et clarifiée. Ainsi, la facture d'eau doit comporter les indications portées sur les compteurs pour les périodes de références, leur différence donnant le volume consommé pendant la période de facturation, d'une durée de six mois au maximum. Le montant de la partie fixe (abonnement) doit être indiqué ainsi que le coût unitaire du mètre cube et ses composantes : part de la collecte et du traitement, part de l'assainissement, cotisations aux agences de l'eau et au FNDAE, taxes.

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CHAPITRE II

POUR UN PRIX DE L'EAU TRANSPARENT
ET LÉGITIME

Si l'augmentation du prix de l'eau est actuellement moins forte en proportion qu'elle ne l'était dans la première moitié des années 1990, elle est toujours sensible, et d'autant plus perceptible en montant que les prix sont déjà élevés. Il est donc indispensable de s'interroger sur les facteurs qui pourraient encore accroître le prix de l'eau et sur les moyens que le législateur pourrait mettre en place pour éviter cette hausse.

Le rapport du BIPE(33) mentionne une série de facteurs d'évolution du prix de l'eau en France, à moyen terme. Il prend essentiellement en compte le fait que toutes les communes n'étant pas dotées de réseaux d'assainissement collectif et ceux-ci devant être de plus en plus efficaces, le prix du poste assainissement va encore progresser à moyen terme. S'il estime que la différence de prix entre service délégué et service en régie est due à des différences de prestation, il considère néanmoins que la poursuite du mouvement de passage à la délégation entraînera une hausse des prix moyens. La modification de l'environnement législatif et réglementaire et la plus grande concurrence qu'il doit entraîner devraient en revanche jouer en faveur d'une certaine baisse des prix. Mais, au total, il faut s'attendre à une hausse globale des prix, liée aux exigences accrues en matière de qualité et de sécurité de l'eau potable et de l'assainissement, résultant des nouvelles normes communautaires. Actuellement la moitié des communes françaises concernées, et en particulier Paris, Lyon, Marseille, Lille et Bordeaux, ne respectent pas la directive communautaire n° 91/271 du 5 mai 1991 relative au traitement des eaux résiduaires urbaines, tandis que la transposition de la directive n° 98/83 du 3 novembre 1998 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine entraînera des coûts de mise aux normes très élevés, de l'ordre de 20 à 30 milliards de francs (3,05 à 4,57 milliards d'euros) d'ici à 2015 pour les collectivités locales, en ce qui concerne la seule division par cinq de la teneur maximale en plomb. Le traitement des boues, produites en quantité croissante par les stations d'épuration, risque lui aussi d'entraîner des surcoûts considérables.

Le problème de la qualité de l'eau distribuée en France, qu'il n'était pas possible de traiter dans le cadre du présent rapport, est un enjeu essentiel. C'est en effet dans le souci principal de la qualité de l'eau que sont réalisés les investissements qui pèsent sur son prix. Dans cette perspective, votre Rapporteur propose de demander à la Commission de saisir de cette question l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

La poursuite d'une certaine hausse du prix de l'eau semble donc inévitable, comme l'ont confirmé les différentes personnes entendues par votre Mission d'évaluation et de contrôle ou par votre Rapporteur. Des voies sont néanmoins ouvertes au législateur pour limiter cette progression attendue.

I.- LA MEILLEURE MAÎTRISE, PAR LES COLLECTIVITÉS LOCALES, DE LEURS SERVICES DE L'EAU PERMETTRA UNE MODÉRATION DE L'AUGMENTATION DU PRIX

Les collectivités locales n'ont pas toujours les moyens ou la volonté de contrôler leurs services d'eau et d'assainissement, quel que soit leur mode de gestion. Il ne fait pourtant aucun doute que des contrôles fréquents et rigoureux et une négociation efficace des contrats de délégation permettraient de faire baisser les prix des services, toutes choses étant égales par ailleurs. Il faut donc poursuivre l'effort de rééquilibrage de la position des collectivités locales, face aux groupes qui assurent ces services.

A.- AMÉLIORER LE CONTRÔLE ET L'EXPERTISE

a) Le contenu du rapport du délégataire doit être précisé

La commune ou la structure intercommunale qui a délégué un service public doit être en mesure de suivre l'évolution économique du contrat de délégation, de même que les conditions de son exécution, aussi bien sur le plan technique que sur le plan financier. Elle doit pouvoir s'assurer de l'adéquation du contrat à la situation du moment, pour être en mesure d'exercer, si nécessaire, son pouvoir de résiliation unilatérale ou négocier avec le délégataire des ajustements contractuels qui s'imposeraient. Elle doit aussi pouvoir être suffisamment informée pour reprendre le service en régie ou le confier à un autre délégataire, notamment en fin de contrat. Pour cela, la collectivité doit pouvoir suivre chaque année l'évolution des investissements réalisés ainsi que les conditions d'entretien et de renouvellement des équipements à sa disposition.

Or, les collectivités locales sont loin de disposer de tous les éléments nécessaires. En effet, aucun décret n'est venu préciser le contenu de ce rapport créé par l'article 2 de la loi dite « Mazeaud » du 8 février 1995 précitée, qui indique seulement que le rapport comporte « notamment les comptes retraçant la totalité des opérations afférentes à l'exécution de la délégation de service public et une analyse de la qualité de service »(34).

Le minimum serait de normaliser le cadre comptable afin de s'assurer que les comptes donnent une image fidèle des opérations de délégation et de rendre possibles des comparaisons valables entre services et d'une année sur l'autre. Il faut parallèlement exiger plus de détails dans les comptes du délégataire, et en particulier la présence d'éléments de bilan et des précisions sur les méthodes de calcul des amortissements, des provisions, des produits financiers et de la répartition des charges indirectes.

Pour votre Rapporteur, il est aussi nécessaire que les collectivités locales et les usagers connaissent précisément la part du prix de l'eau qui rémunère le délégataire. Le fait que celui-ci se réserve une marge est parfaitement légitime, mais encore faut-il que ceux qui financent cette marge le fassent en connaissance de cause. Or, les dirigeants des grands groupes délégataires entendus par votre mission d'évaluation et de contrôle ou par votre Rapporteur n'ont pas répondu de manière satisfaisante à la question qui leur était posée sur le niveau de leur marge : les réponses étaient floues ou inexistantes. Pour que la transparence soit réelle, il faut donc exiger que la marge réalisée sur chaque contrat figure dans le rapport annuel du délégataire.

Enfin, les collectivités locales devraient avoir la possibilité de faire contrôler les informations fournies par le délégataire. La certification par un commissaire aux comptes de la partie financière du rapport garantirait la sincérité et la régularité des comptes présentés.

b) Le conseil aux collectivités locales doit être amélioré

Le caractère déficient du contrôle exercé par les collectivités et la faiblesse de la négociation sur les contrats sont directement liés à leur manque d'expertise. Cela est particulièrement visible pour les petites collectivités qui ont peu de personnels et n'ont guère les moyens d'avoir recours à un cabinet de conseil privé. La création, en 1996, de l'association Service Public 2000, sur l'initiative conjointe de l'Association des maires de France et de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, a constitué un réel progrès dans ce domaine, mais ce sont les collectivités les plus importantes qui ont le plus souvent recours à ses services.

Plusieurs orientations peuvent être envisagées pour améliorer la situation. Il faut d'abord observer que le secteur du conseil aux collectivités comprend de nombreux cabinets aux compétences variables et dont l'indépendance vis-à-vis des grands groupes délégataires ne semble pas toujours suffisante. Des normes de qualité du service pourraient utilement être élaborées pour que les collectivités puissent y voir plus clair.

D'autre part, les communes les plus modestes font en général appel aux conseils des directions départementales de l'équipement (DDE) ou de l'agriculture et de la forêt (DDAF). Or il apparaît que celles-ci, rémunérées en fonction du montant de l'investissement lorsqu'elles sont chargées de la maîtrise d'_uvre, ne donnent pas toujours des conseils parfaitement objectifs et désintéressés et qu'elles ne disposent en général ni de compétences ni de personnels suffisants pour assurer ce rôle pourtant essentiel. Comme ce dernier ne relève pas directement des missions des agences de l'eau, qui interviennent seulement en accordant ou non une subvention à un projet, beaucoup de collectivités se trouvent sans interlocuteur externe fiable.

Deux solutions sont envisageables : soit renforcer la capacité d'expertise des services départementaux concernés, notamment en favorisant la constitution des missions inter-services de l'eau (MISE) et en les dotant de personnels compétents en nombre suffisant ; soit confier explicitement aux agences de l'eau la mission de conseiller les collectivités locales qui négocient un contrat, indépendamment de la demande éventuelle d'une aide. Dans la mesure où les agences de l'eau possèdent déjà une expertise reconnue en ce qui concerne l'ensemble des problèmes liés à la gestion de l'eau, votre Rapporteur est favorable à ce qu'elles soient aussi chargées de conseiller les collectivités locales. Par ailleurs, la généralisation et la meilleure organisation des MISE doivent être favorisées afin d'offrir un interlocuteur unique aux usagers et de rendre la police de l'eau plus efficace.

Enfin, on ne peut que déplorer la rareté des saisines des chambres régionales de comptes par les préfets sur le contenu des contrats signés par les collectivités. Cette possibilité, ouverte par l'article 47 de la loi du 6 février 1992, offre à ces dernières une possibilité de bénéficier de l'expertise incontestée des chambres(35). Le Gouvernement pourrait attirer l'attention des préfets sur ce type de saisines.

c) Les avantages de l'intercommunalité dans le domaine de l'eau

Il ne fait aucun doute que toutes les collectivités locales, et les plus petites en particulier, peuvent améliorer considérablement leur capacité d'expertise et de maîtrise technique en se regroupant et en constituant des syndicats intercommunaux. L'enquête menée par le SCEES et l'IFEN mentionnée plus haut, a permis de montrer que, pour le service de distribution d'eau, 66 % des communes sont organisées en intercommunalité, ce qui correspond à 54,5 % de la population. La proportion est donc déjà importante. En revanche, beaucoup reste à faire pour le service de l'assainissement collectif, qui n'est assuré par des structures intercommunales que dans 26 % des communes représentant 33 % de la population.

S'il apparaît que le prix moyen du service est supérieur dans les structures intercommunales (de 17,8 % pour la distribution, de 26,4 % pour l'assainissement), indépendamment du mode de gestion, c'est parce que la création de syndicats intercommunaux correspond à la réalisation d'infrastructures lourdes. Il n'en demeure pas moins que l'intercommunalité permet de faire davantage, mieux et plus vite grâce à l'optimisation de la gestion de la ressource en eau, la mise en _uvre de stratégies pluriannuelles intégrant les contraintes de renouvellement du patrimoine. En outre, face à un délégataire, un groupement de communes est en meilleure position pour négocier ; il peut, plus facilement qu'une commune isolée recourir à une expertise extérieure. Le niveau plus élevé du prix moyen correspond à un service de meilleure qualité et plus pérenne. A terme, la gestion plus rationnelle se traduira par une moindre hausse du prix.

Pour que l'intercommunalité fonctionne au mieux, il est essentiel que les compétences de chacun soient précisément définies. Or, actuellement, l'intercommunalité, fruit de l'histoire, se traduit souvent par des chevauchements de compétences entre les niveaux communal et intercommunal, d'une part, et entre les différentes structures intercommunales, d'autre part, problème qui est particulièrement marqué dans le secteur de l'eau. Pour plus d'efficacité, les compétences doivent être clairement réparties.

B.- FACILITER LE CHANGEMENT DE MODE DE GESTION

a) La possibilité de changer de mode de gestion doit être préservée

Actuellement, la plupart des changements de mode de gestion du service de distribution ou d'assainissement d'eau s'opère de la régie vers la délégation. Nous avons vu que cela répondait à la nécessité de gérer des investissements lourds et de recourir à des techniques complexes. Dans la mesure où le changement permet d'améliorer le service et où il n'entraîne pas une hausse du prix plus élevée que celle justifiée par les investissements supplémentaires réalisés, il n'est nullement critiquable en soi.

Le passage de la délégation à la régie, système historiquement premier, est relativement rare. Pourtant il permet une baisse des prix et parvient à assurer la poursuite d'un service de qualité constante. Mais il fait peur aux collectivités locales : les élus qui ont fait ce choix peuvent néanmoins témoigner du fait que cette voie est difficile, mais pas impossible.

Même si la décision du retour à la régie n'est pas prise, il n'en est pas moins utile de l'envisager et d'étudier sa faisabilité et son coût, ne serait ce que pour faire pression sur un éventuel délégataire au moment de la négociation d'un contrat.

b) Certaines difficultés peuvent être levées

L'information s'avère là encore un élément décisif : la connaissance de l'état du réseau existant et des coûts réellement supportés par le délégataire est indispensable à toute collectivité qui envisage un retour à la régie. Les délégataires doivent absolument mettre ces informations à sa disposition.

Dans l'avis qu'il a rendu à la demande de votre commission des finances sur le prix de l'eau en France(36), le Conseil de la concurrence propose de banaliser le retour à la régie en prévoyant une consultation de l'assemblée délibérante de la collectivité concernée sur le principe d'un tel retour, à l'échéance de chaque convention de délégation. Il souligne les difficultés objectives du retour à la régie mais estime que « la possibilité de retour à la régie peut servir de menace et stimuler ainsi les opérateurs privés. Il importe donc que cette menace soit suffisamment crédible ».

Des éléments de comparaison devraient être mis à la disposition des collectivités locales afin qu'elles puissent évaluer, au cas par cas, les avantages et les inconvénients de la régie. L'assemblée délibérante s'exprimerait ensuite explicitement et en connaissance de cause en faveur de la reconduction de la délégation ou du retour à la régie.

II.- LES CONDITIONS DE FONCTIONNEMENT DU MARCHÉ ET LE CONTENU DES CONTRATS DOIVENT ÊTRE REVUS

Il est essentiel de mettre les collectivités locales en mesure de peser face aux délégataires. Mais leur marge de man_uvre reste limitée dans la mesure où les délégataires potentiels sont en nombre restreint et donc fondamentalement en position de force. Votre Rapporteur estime qu'il est urgent de rendre plus concurrentiel le marché des services liés à l'eau, actuellement véritable oligopole, notamment en aidant à l'émergence d'exploitants indépendants, et de préciser le contenu des contrats.

A.- RENFORCER LE FONCTIONNEMENT CONCURRENTIEL DU MARCHÉ

Deux problèmes essentiels se posent en matière de concurrence : d'une part, les groupes susceptibles d'assurer les délégations en matière d'eau - mais aussi d'autres services urbains, tels la collecte des déchets, les transports en commun... - sont peu nombreux et entrent peu en concurrence pour l'obtention d'un contrat ; d'autre part, la durée des contrats est un obstacle à une mise en concurrence fréquente.

Le second problème a déjà été abordé par la loi « Barnier » qui fixe la durée maximale des contrats de délégation à 20 ans, une durée plus longue pouvant être décidée après avis du trésorier-payeur général. Cette disposition s'est déjà traduite par un raccourcissement réel de la durée moyenne des nouveaux contrats : elle est passée de 17 à 11 ans entre 1995 et 1999. Parallèlement, alors que seules 300 renégociations sont intervenues en 1997, elles étaient 680 en 1999. Votre Rapporteur est favorable à la poursuite de la réduction de cette durée maximale, jusqu'à 12 ans, voire 10 ans. Le fait que la très large majorité des contrats sont des affermages autorise cette réduction, d'autant que la possibilité, encadrée, de durée plus longue en cas d'investissements lourds serait maintenue. Cela permettrait à la fois une plus fréquente mise en concurrence et une plus grande responsabilisation des élus. Un contrat conclu par une majorité communale en début de mandat pourrait de ce fait être renégocié avant la fin du mandat suivant.

Pour ce qui est du faible nombre des délégataires potentiels, la solution du problème est plus délicate. S'il n'est guère possible de pousser de nouvelles entreprises à intervenir dans ce domaine et si la puissance actuelle des trois groupes qui dominent le marché est une situation avec laquelle il faut compter, des efforts peuvent cependant être faits en faveur du développement de la concurrence.

Le Conseil de la concurrence observe dans le rapport précité que la faible proportion de contrats qui changent de délégataire (5 % en 1997) peut être interprétée par le fait que « les entreprises titulaires des délégations s'accordent, au moins implicitement à ne pas faire jouer la concurrence lors des renouvellements des conventions ». La part des « changements de main » a progressé ces dernières années, passant de 8 % en 1998 et à 18 % en 1999, mais le problème demeure. Chaque appel d'offre n'entraîne en moyenne que trois candidatures et la part des exploitants indépendants reste faible (moins de 2 % de l'ensemble des contrats) même si elle augmente (les indépendants se sont adjugé 18 % du nombre de contrats renégociés en 1999).

Or les indépendants, qui sont actuellement une dizaine en France, jouent un rôle essentiel, souligné par le Conseil de la concurrence : il apparaît que leur présence dans un appel d'offre se traduit systématiquement par une baisse des prix, qui peut aller jusqu'à 30 ou 40 % du prix proposé par le délégataire sortant. S'ils n'obtiennent pas un nombre de contrats très important malgré des prix proposés bas, c'est en raison du fait que la phase de négociation prévue par la loi « Sapin » à la suite de l'appel d'offre(37) permet à un grand groupe, en général le délégataire titulaire du contrat qui s'achève, de faire une offre légèrement inférieure : il peut conclure un contrat à perte dans la mesure où il détient nombre d'autres contrats rentables, ce qui n'est pas possible pour un indépendant de moindre taille. Si l'usager peut y gagner en matière de prix à court terme, il y perd certainement à long terme, dans la mesure où la concurrence se voit progressivement éliminée.

Votre Rapporteur juge nécessaire de donner aux exploitants indépendants les moyens d'exister et de faire du marché des services de l'eau un marché réellement concurrentiel. Leur faible dimension les prive de la possibilité de concurrencer les grands groupes pour les contrats concernant les communes les plus peuplées, mais il est indispensable de soutenir leurs efforts sur les autres segments du marché. Aussi s'inquiète-t-il du fait que l'extension de la convention collective nationale des entreprises des services d'eau et d'assainissement, réalisée par un arrêté du 28 décembre 2000, puisse être utilisée comme un moyen pour limiter la concurrence. L'objectif parfaitement louable de cet arrêté est d'harmoniser des régimes sociaux disparates et de permettre la reprise des personnels dans les meilleures conditions en cas de changement d'exploitant. L'obligation du transfert de l'ensemble du personnel d'un délégataire à son successeur pour le même contrat (article L. 122-12 du code du travail) est une excellente décision, à condition que le transfert soit réalisé dans la plus parfaite transparence. Or, les sociétés délégataires font travailler leur personnel sur différents sites et imputent leurs charges salariales à leur guise sur les différents contrats. Lors de la perte d'un contrat, elles peuvent être tentées d'attribuer au site perdu un personnel inadapté. Elles poussent ainsi au retrait ou à l'échec leur concurrent qui n'a pas la taille pour répartir son personnel sur plusieurs contrats. Le Conseil de la concurrence reconnaît que cette disposition « est de nature à aggraver les distorsions de concurrence entre les concessionnaires sortants et les soumissionnaires »(38). Il faudra donc veiller à la réalité du rattachement des personnels à tel ou tel contrat, dans le cas d'un changement de délégataire, afin d'éviter de tels abus, ce qui passe notamment par la présentation d'un état annuel précis du personnel affecté au service dans le rapport du délégataire.

Pour renforcer la concurrence, et notamment faciliter l'entrée sur le marché français d'entreprises étrangères - à ce jour, seul le groupe Thames Water a fait une offre, dans le cadre du renouvellement de la convention de délégation de la ville de Quimper -, il est essentiel de mettre à la disposition de toutes les entreprises du secteur une information complète : échéancier de renouvellement de tous les contrats, description des services dont la convention de délégation va être renégociée... Dans cette perspective, votre Rapporteur soutient le projet de création d'un Haut conseil qui aurait pour mission première de collecter et de diffuser des informations précises relatives aux services de distribution et d'assainissement d'eau. Il disposerait ainsi des données nécessaires à une analyse comparative des services existants, prenant en compte leur durée et les efforts consentis en faveur de l'entretien et de la préservation du patrimoine dans le domaine de l'eau.

Votre Rapporteur propose même d'aller plus loin et de confier à ce Haut conseil une mission plus large et plus délicate. Il serait en effet très utile qu'une autorité soit habilitée à veiller au fonctionnement concurrentiel du marché et à la répartition équitable des coûts entre les différentes catégories d'usagers. La transformation en véritable autorité de régulation du Haut conseil envisagé dans l'avant-projet de loi serait donc une avancée importante, même si elle se heurte à certaines difficultés : contrairement aux autorités administratives indépendantes qui exercent actuellement une fonction de régulation dans plusieurs secteurs, celle-ci ne seraient pas chargée de réguler les relations entre les usagers et des entreprises privées, mais entre des collectivités et leurs délégataires privés, ce qui risque d'être difficilement compatible avec la libre administration des collectivités locales consacrée dans la Constitution. D'autre part, de telles autorités étaient justifiées par le rôle de l'État dans les secteurs concernés : il y était à la fois juge et partie, ce qui n'est par le cas dans le secteur de l'eau. Enfin, sous réserve qu'il soit saisi, le Conseil de la concurrence remplit actuellement cette mission de contrôle du respect des règles concurrentielles. Le Haut conseil doit au moins avoir le droit de saisir le Conseil de la concurrence lorsqu'il a des doutes quant au fonctionnement concurrentiel du marché dans une zone.

B.- IMPOSER DES OBJECTIFS QUALITATIFS AUX DÉLÉGATAIRES PAR DES CONTRATS PLUS ÉQUILIBRÉS

Actuellement, les conventions de délégation apparaissent largement déséquilibrées au profit des délégataires. Un contrôle plus strict de la part de la collectivité concédante est de nature à améliorer la situation. Mais le principal enjeu réside dans le contenu même de la délégation.

Les lois de décentralisation ont entraîné la suppression du caractère obligatoire du cahier des charges type utilisé auparavant par les collectivités locales. Depuis, c'est le plus souvent le délégataire qui impose ses conditions et propose aux assemblées délibérantes un contrat type tout préparé qu'elles n'ont plus qu'à approuver. Pour tenter de renverser ce rapport de force, il apparaît nécessaire de mettre à la disposition des collectivités concédantes un nouveau cahier des charges type qui serait seulement indicatif mais les guiderait dans leurs négociations et leur permettrait d'éviter certains pièges. Votre Rapporteur salue, quant à son principe, l'initiative lancée en ce sens par l'Association des maires de France et la Fédération des collectivités concédantes et régies (FNCCR), mais il estime que le texte actuellement proposé, qui n'a pas l'approbation de la FNCCR, peut être revu, amélioré et complété, notamment en collaboration avec les pouvoirs publics et les associations de consommateurs. Il lui semble que le Haut conseil qu'il appelle de ses v_ux, dont l'indépendance face à toute pression ne saurait faire de doute, pourrait très utilement participer à l'élaboration d'un tel instrument.

Ce cahier des charges doit constituer un soutien pour les collectivités déléguantes, et non une arme que les délégataires pourraient retourner contre elles. Il doit être suffisamment précis pour permettre aux candidats au contrat de délégation de bien appréhender les demandes de la collectivité et de les prendre en compte dans leur offre. La multiplication de paramètres techniques est de nature à rendre le choix du délégataire plus objectif, alors qu'il reste aujourd'hui en partie irrationnel ; elle contribuera aussi à rendre plus juste la concurrence entre les candidats délégataires, chacun pouvant faire ses propositions sur les différentes exigences.

Un nouveau cahier des charges protecteur des intérêts des collectivités et des usagers, et les futurs contrats qu'il pourrait inspirer, devrait restaurer la notion de risque pris par le délégataire. Aujourd'hui les obligations de moyens prennent le pas sur le contrat d'objectifs de jadis et le risque « quantitatif » a disparu des contrats de délégation dans le secteur de l'eau. Les « risques et périls » du concessionnaire, qui constituent un élément central de la définition jurisprudentielle de la délégation(39), doivent désormais porter sur la qualité du service rendu et sur des indicateurs de performance, ceux-ci devant déterminer le niveau de la rémunération du service. C'est dans cette perspective que l'École nationale du génie rural des eaux et forêts élabore actuellement, des indicateurs de performance simples et compréhensibles par la majorité des usagers. L'Association française de normalisation (AFNOR) travaille aussi dans cette direction. Il s'agit de prendre en compte la qualité du service rendu aux usagers, mais aussi les efforts en faveur de la maintenance et du renouvellement des équipements, dans une perpective de bonne gestion patrimoniale. Les contrats qui intégreront de tels éléments pousseront les délégataires à faire mieux au meilleur prix et mettront un terme aux rentes de situation qui existent actuellement.

PRINCIPALES AVANCÉES ET CRITIQUES DU PROJET DE
CAHIER DES CHARGES TYPE, RELATIF À L'AFFERMAGE, ÉLABORÉ PAR L'AMF

I.- Les principales avancées portent sur deux axes :

A.- Un renforcement de la maîtrise de la collectivité sur le service :

- par l'obligation d'un état des lieux concernant les forages, canalisations, châteaux d'eau, stations d'épuration, etc. Il sera ensuite tenu à jour afin de permettre une connaissance exacte du réseau et donc de mieux négocier le contrat et les travaux s'y rapportant ;

- par l'obligation pour le délégataire de renouveler les compteurs à une fréquence fixée par la collectivité, compteurs qui, pour couper court aux difficultés liées à la fin du contrat, sont désormais la propriété de la collectivité ;

- par la nécessité d'une décision de la collectivité pour tout investissement ;

- par l'organisation du renouvellement des installations en un programme « patrimonial » d'un côté, et un renouvellement fonctionnel de l'autre, correspondant à l'obligation de bon fonctionnement qui s'impose au fermier à ses frais. La collectivité décide de la politique qu'elle souhaite conduire en matière de maintien du patrimoine de son service. Elle laisse, en revanche, au délégataire le soin de gérer, à ses risques, l'optimisation entre les dépenses d'entretien et la partie aléatoire du renouvellement. Par un choix judicieux de son programme « patrimonial », la collectivité maîtrise ainsi les charges de renouvellement en s'exonérant du risque de dépenses imprévues, qui pourraient être générées par la détérioration soudaine d'une installation. La partie « fonctionnelle » du renouvellement est incluse dans le prix et payée forfaitairement au délégataire lequel fait son affaire de son financement ;

- par une plus grande transparence de la gestion du fermier, grâce à un pouvoir de contrôle de la collectivité défini de manière très large, lui donnant accès à toutes les informations se rapportant au contrat, même en cas de gestion mutualisée de plusieurs contrats ;

- par des sanctions plus dissuasives que celles prévues dans les contrats en vigueur, portant non seulement sur les manquements au fonctionnement du service, mais aussi sur la tenue de l'inventaire, la production du rapport annuel,...

B.- Un renforcement des responsabilités du fermier et une liberté de gestion correspondante :

Outre le fait que l'inventaire des installations et la définition des programmes de travaux tendent à clarifier les responsabilités respectives des parties, celles du fermier sont notamment renforcées par :

- la fixation d'objectifs à remplir en matière de rendement et de quantité, pression et qualité de l'eau distribuée ;

- la garantie de bon fonctionnement qui lui impose une obligation de résultat, sans qu'il puisse augmenter pour autant le prix de l'eau s'il s'est trompé à son détriment sur l'évaluation qu'il avait faite de l'importance et du coût des réparations nécessaires à ce titre pendant la durée du contrat, lorsqu'il a signé celui-ci ;

- par les obligations mises à sa charge en fin de contrat, afin que soit assuré un transfert sécurisé du service au délégataire suivant ou à la collectivité.

II.- Les principales critiques portées à la connaissance de votre Rapporteur sont les suivantes :

- Il semble que le projet de cahier des charges type n'ait pas fait l'objet de suffisamment de négociations (par exemple les consommateurs n'ont pas été consultés) et ne fasse pas l'objet d'un consensus total, y compris parmi ceux qui ont participé à son élaboration ;

- ce cahier des charges pose le problème de son impact sur les négociations entre collectivités locales et délégataires privés : il ne doit pas conduire à ce que les collectivités qui seraient en mesure de négocier des clauses plus favorables soient renvoyées aux dispositions de ce cahier ;

- il prévoit de laisser au délégataire le bénéfice des provisions constituées pour le renouvellement fonctionnel mais non utilisées. Ce choix, critiqué par certains, s'accompagne cependant de l'obligation pour l'exploitant d'assumer, inversement, les éventuels suppléments de dépenses;

- la possibilité de prévoir une rémunération supplémentaire du délégataire sous forme de bonus si un niveau de qualité élevé est atteint n'est pas envisagée alors qu'elle est défendue par l'un des promoteurs initiaux du cahier des charges type. L'AMF considère que ce type de contrats d'objectifs serait légitime, mais demeure aujourd'hui prématuré, notamment faute d'indicateurs scientifiquement éprouvés, et le cahier des charges se contente de mécanismes de sanctions des insuffisances en matière de qualité  de l'eau ;

- il ne détermine pas les limites ou les modalités de calcul des clefs de répartition des charges mutualisées sur plusieurs contrats. Il revient donc à la collectivité elle-même de contrôler a posteriori la pertinence et la justification de ces clefs de répartition, - compte tenu cependant de possibilités accrues d'accès aux informations comptables liées, directement ou non, au contrat -, ou, le cas échéant, d'imposer dans le contrat une comptabilité séparée ;

- il prévoit de fixer contractuellement une liste de travaux incombant à la collectivité locale dans un délai donné et dont la non-réalisation pourrait être considérée comme dégageant la responsabilité du délégataire. Selon l'AMF, cette disposition a pour objet de clarifier les responsabilités respectives et va dans le même sens que l'obligation d'inventaire préalable.

III.- UN RENFORCEMENT DE L'INFORMATION ET DE LA CONSULTATION DES USAGERS RENDRA LES ÉVOLUTIONS DU PRIX DE L'EAU PLUS COMPRÉHENSIBLES

L'information et la consultation des usagers, indispensables en particulier quand le prix de l'eau est à la hausse, ont été renforcées tout au long de la décennie 1990. Mais elles demeurent imparfaites.

A.- AMÉLIORER L'INFORMATION

La part la plus importante de l'information des usagers, et surtout celle qui a le plus d'impact, figure sur la facture d'eau. Le contenu de celle-ci s'est amélioré, mais est encore perfectible : les usagers pourraient être consultés sur sa présentation, sa périodicité pourrait être raccourcie pour, par exemple, devenir trimestrielle, comme le préconise M. René Boué dans son rapport pour le Comité économique et social(40), la mention des volumes consommés sur longue période permettrait de déceler les fuites.

Mais la facture est envoyée aux seuls abonnés, et non à chaque usager. Dans les immeubles collectifs, les locataires ou les copropriétaires qui consomment l'eau ne reçoivent pas de facture puisqu'ils paient l'eau parmi leurs charges au prorata de leurs tantièmes ou, parfois, du nombre d'habitants déclarés du logement. Ils sont donc privés de toute information sur sa qualité, comme sur son prix, et même sur la quantité qu'ils utilisent. Dans la mesure où ils sont équipés d'un compteur divisionnaire, pratique qui doit se généraliser, la quantité d'eau consommée devrait être indiquée sur le détail de leurs charges. Les informations relatives au prix et à la qualité de l'eau pourraient très utilement être affichées dans les immeubles collectifs.

De qualité variable et peu consulté, le rapport annuel du maire est aujourd'hui de faible utilité pour les usagers. Il pourrait être plus riche si le maire bénéficiait d'un délai plus long pour le préparer : alors qu'il ne dispose actuellement que du mois de juin, un délai de l'ordre de deux mois serait bien utile. Pour cela, il est possible soit d'exiger que le délégataire rende son propre rapport à une date plus avancée que le 1er juin, le 15 avril par exemple, soit de permettre au maire de présenter le sien à une date plus tardive, jusqu'à la mi-septembre.

De plus, votre Rapporteur serait favorable à ce qu'une réunion soit organisée chaque année, au cours de laquelle le maire informerait les usagers du contenu de son rapport, en présence du délégataire qui répondrait aux questions du public. Il serait appréciable qu'il contienne des éléments de comparaison entre le service concerné et d'autres services comparables.

B.- CONSULTER LES USAGERS

L'eau, son prix, sa qualité et celle des différents services qui la concernent, doivent devenir un véritable enjeu de la démocratie locale. La commission consultative des services publics locaux est le lieu privilégié de ce débat. Pourtant, malgré son caractère obligatoire pour les communes de plus de 3.500 habitants et les établissements publics de coopération intercommunale comprenant au moins une commune de plus de 3.500 habitants(41), la création de cette commission demeure rare. Ce peu de succès aurait pour origine le caractère très général de la définition de cet organe dont la composition exacte n'est pas précisée ; il n'existe pas non plus de liste des documents relatifs à la gestion des services publics locaux qui pourraient lui être soumis pour avis.

Pour votre Rapporteur, le respect de l'obligation législative doit être imposé. Cela peut passer par la mise en place de sanctions mais le plus efficace serait de fixer dans la loi les cas dans lesquels cette commission doit être obligatoirement consultée, notamment avant la signature d'un contrat de délégation. Les collectivités locales seraient ainsi contraintes de les constituer, faute de quoi leurs décisions pourraient être entachées d'illégalité.

Par ailleurs, pour être en mesure de jouer véritablement son rôle de contre-pouvoir, la commission consultative doit être composée de membres formés aux problèmes qui lui sont soumis. Une formation adaptée doit donc absolument leur être proposée.

CONCLUSION

Les Français ont le sentiment que l'augmentation très rapide et mal répartie du prix de l'eau engendre de nouvelles inégalités sociales. Ils acceptent difficilement que le prix de l'eau pèse essentiellement sur les consommateurs urbains et que, dans les immeubles, il soit inclus dans les charges locatives. Ils ne comprennent pas que la production agricole échappe au principe pollueur-payeur et continue à dégrader la qualité des nappes phréatiques en toute impunité. Ils s'interrogent sur l'opacité qui règne dans la gestion du service public de l'eau. Ils éprouvent, enfin, de très grandes difficultés à comprendre leur facture d'eau.

Ces interrogations majeures pour un bien aussi essentiel, qui appartient à tous, illustrent les faiblesses de notre législation et la nécessité de la réformer en profondeur. Quelques principes simples doivent guider notre réflexion et inspirer nos propositions :

- le droit à l'eau pour tous, en qualité satisfaisante et à des conditions de prix raisonnables ;

- la solidarité à l'égard des plus démunis et de ceux qui sont le plus directement touchés par les risques d'inondations et de pollution ;

- la transparence et la démocratie pour éviter la confiscation du service public au bénéfice de grands groupes privés ;

- l'application du principe pollueur-payeur ;

- l'information complète et rigoureuse des collectivités locales et des usagers.

Pour remplir ces objectifs, il convient de compléter la législation, mais aussi de veiller à l'application effective des lois déjà en vigueur. Ainsi, alors que la loi sur l'eau du 3 janvier 1992 rend obligatoire l'élaboration de schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), il n'est pas acceptable que trois SAGE seulement aient été approuvés à ce jour. Il faut absolument que les services de l'État intensifient leurs efforts pour que la loi soit enfin mise en _uvre, près de dix ans après son entrée en vigueur.

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PROPOSITIONS DE VOTRE RAPPORTEUR

· Proposer d'intégrer dans la prochaine loi de finances l'assiette et le taux des redevances des agences de l'eau, si le projet de loi sur l'eau n'a pas été déposé avant l'automne.

I.- Favoriser la maîtrise par les collectivités de leurs services de l'eau

A.- Améliorer le contrôle et l'expertise

· Préciser le contenu du rapport du délégataire :

- normaliser les comptes des délégataires

- exiger plus de détails : éléments de bilan, mode de calcul des amortissements, des provisions, des produits financiers, imputation des charges indirectes

- faire figurer la marge réalisée sur chaque contrat

- faire certifier les comptes par un commissaire aux comptes et améliorer l'accès aux informations comptables par les CRC

· Améliorer le conseil aux collectivités locales :

- élaborer des normes de qualité du service de conseil privé aux collectivités

- charger les agences de l'eau de conseiller les collectivités qui négocient leur contrat de délégation

· Développer l'intercommunalité dans le secteur de l'eau

B.- Faciliter le changement de mode de gestion

· Mettre à la disposition des collectivités des éléments de comparaison entre régie et délégation

· Rendre obligataire la consultation de l'assemblée délibérante en charge du service sur le choix entre régie et délégation à chaque renouvellement du contrat de concession

II.- Revoir les conditions de fonctionnement du marché et le contenu des contrats

A.- Renforcer le fonctionnement concurrentiel du marché

· Réduire la durée maximale des contrats à 12 voire 10 ans, sauf exception motivée

· Combattre les dérives éventuelles en matière de transfert du personnel entre délégataires successifs

· Créer un Haut conseil chargé de collecter et de diffuser des informations portant notamment sur :

- l'échéancier de renouvellement des contrats de délégation

- le rapport « qualité-prix » des services

· Doter ce conseil de pouvoirs d'intervention réels, comme la saisine du Conseil de la concurrence

B.- Mieux équilibrer les contrats

· Favoriser la rédaction d'un cahier des charges type facultatif dans le cadre d'une large consultation

· Prévoir un lien direct entre qualité du service rendu, évaluée grâce à des indicateurs de performance, et rémunération

III.- Renforcer l'information et la consultation des usagers

A.- Améliorer l'information

· Faire afficher les informations relatives au prix, au coût éventuel des relevés de compteurs et à la qualité de l'eau dans les immeubles collectifs

· Allonger le délai entre la présentation du rapport du délégataire et celle du rapport du maire et inclure dans ce dernier des éléments de comparaison avec des services comparables

B.- Consulter les usagers

· Fixer dans la loi les cas où la commission consultative des services publics locaux doit obligatoirement être consultée

· Organiser la formation des membres de cette commission

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EXAMEN EN COMMISSION

La Commission des finances a examiné, au cours de sa séance du mardi 22 mai 2001, en application de l'article 145 du Règlement, les conclusions de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) présentées par M. Yves Tavernier sur la gestion et le financement de l'eau.

Votre Rapporteur a d'abord rappelé certaines données chiffrées : 100 milliards de francs, c'est-à-dire autant que pour l'ensemble du réseau routier, dont 30 milliards de francs d'investissements, sont dépensés chaque année pour l'eau. 1.300 milliards de francs de patrimoine lui sont affectés, ce qui en fait un enjeu financier considérable. Chaque ménage dépense annuellement environ 2.000 francs pour la distribution et l'assainissement de l'eau, ce qui représente 6 francs par ménage et par jour et 1,7 centime par litre. En 1999, 42 % de ce prix revenaient à la distribution (puisage, transport, traitement), 31 % à l'assainissement et 27 % à diverses taxes et redevances. Mais ces moyennes cachent, en réalité, de fortes disparités : les prix vont du simple au double selon les régions et même de 1 à 7 selon les communes, le rapport n'étant plus que de 1 à 2 si l'on retire les 10  % des communes les plus éloignées de la moyenne. C'est au cours des années 1990 que le prix de l'eau a enregistré ses plus fortes augmentations.

La distribution et l'assainissement de l'eau relèvent de la responsabilité du maire, ce qui doit faire de ces questions un enjeu majeur de la démocratie locale. Environ 80 % de la population consomment de l'eau distribuée par des délégataires privés, parmi lesquels deux groupes assurent 85 % du marché, la part des régies communales ou intercommunales étant en diminution constante. Selon les sources, le coût des services délégués seraient de 13 % à 22 % plus élevé que celui des services en régie, mais toute comparaison est délicate, la qualité et la difficulté du service pouvant être très variables. De même, il est mal aisé de savoir si, en moyenne, les renouvellements de contrat et les changements de délégataire se traduisent par une hausse ou une baisse du prix de l'eau. Si, jusqu'à la loi « Sapin », premier effort d'encadrement législatif, les collectivités locales étaient encore plus « captives » des délégataires, beaucoup reste encore à faire pour assurer un fonctionnement véritablement concurrentiel de ce marché, comme l'a notamment souligné le rapport particulier de la Cour des comptes de 1997, qui critiquait aussi le médiocre rendement de certaines régies.

Les taxes et redevances sont, en partie, contestables. Les redevances bénéficiant aux agences de l'eau, qui représentent 17  % du prix total, ont fortement augmenté dans les années 1990 alors que la fixation de leur taux, de leur assiette, ainsi que leur mode de recouvrement sont contraires à la Constitution et qu'elles ne respectent pas vraiment le principe pollueur-payeur. Les taxes (TVA, taxe au profit de du Comité de Voies navigables de France et prélèvement au profit du FNDAE) sont également critiquables.

Le renforcement des exigences en matière de qualité de l'eau et les nouvelles contraintes communautaires ne rendent pas envisageable une véritable baisse du prix de l'eau ; il est donc d'autant plus nécessaire et urgent d'améliorer la transparence des conditions dans lesquelles ce prix est établi.

Votre Rapporteur a ensuite présenté ses propositions qui s'articulent autour de trois axes : favoriser la maîtrise des services de l'eau par les collectivités, améliorer le fonctionnement du marché et le contenu des contrats, renforcer l'information et la consultation des usagers.

Il apparaît indispensable de rééquilibrer la position des collectivités locales vis-à-vis des délégataires, en améliorant le contrôle et l'expertise. Pour que le rapport annuel du délégataire permette une véritable connaissance du réseau, il convient d'en préciser le contenu par un décret d'application de la loi « Mazeaud », notamment en exigeant un cadre comptable normalisé, la mention d'éléments de bilan et de la marge bénéficiaire réalisée sur chaque contrat, des précisions sur les méthodes de calcul et la certification du rapport par un commissaire aux comptes.

Le Président Henri Emmanuelli a demandé pourquoi aucun décret d'application de la loi « Mazeaud » n'avait encore été pris.

Votre Rapporteur a expliqué ce silence par le fait que la loi ne prévoyait pas explicitement un tel décret.

Les délais de présentation des différents rapports sont également critiquables. Alors que le délégataire peut rendre son rapport jusqu'au 1er juin, le maire doit présenter le sien avant le 30 juin, délai réduit de facto par la nécessité de réunir le bureau du conseil municipal et la commission compétente avant cette date. Le maire n'a donc guère le temps de préparer un rapport qui prenne des distances vis-à-vis de celui du délégataire. Une évolution législative sur ce point serait très utile.

Les communes doivent pouvoir disposer d'une meilleure expertise. Les directions départementales de l'agriculture et de la forêt et les directions départementales de l'équipement manquent de moyens et d'indépendance, car elles sont intéressées au volume des investissements réalisés.

Le Président Henri Emmanuelli a souligné la gravité de ce problème.

Votre Rapporteur a estimé que le rôle de conseiller des collectivités locales pourrait être confié, dans ce domaine, aux agences de l'eau. Le contrôle de légalité devrait être plus vigilant et constructif et les chambres régionales des comptes pourraient être plus souvent saisies par le préfet, afin de pouvoir apporter leur aide aux collectivités locales qui négocient un contrat. Le développement de l'intercommunalité est à même de permettre aux communes de rééquilibrer les négociations avec les délégataires.

Le retour à la régie n'est possible que si la collectivité locale connaît bien son réseau et les coûts réels du service. Dans la mesure où l'envisager sérieusement peut permettre d'obtenir une baisse des prix proposés par le délégataire, cette possibilité devrait être toujours étudiée et l'assemblée délibérante devrait être systématiquement consultée sur le principe du retour à la régie avant chaque renouvellement de contrat, comme le propose d'ailleurs le Conseil de la concurrence.

Le marché de l'eau s'avère encore particulièrement peu concurrentiel, notamment à cause de phénomènes d'entente implicite entre grands groupes et de l'existence d'un duopole de fait. L'application de la loi « Sapin » s'avère peu satisfaisante dans la mesure où la phase de négociations qu'elle prévoit à la suite de l'appel d'offres permet aux délégataires sortants de baisser leurs prix au niveau de ceux proposés par leurs concurrents pour conserver le marché. L'ouverture de la concurrence à des entreprises étrangères passe par une meilleure information relative au calendrier de renouvellement des conventions de délégation, mission que pourrait remplir le Haut conseil du service public de l'eau et de l'assainissement dont la création est envisagée par le Gouvernement. Ce Haut conseil sera en position de réaliser des analyses comparatives et de surveiller le fonctionnement du marché, ce qui implique de lui donner la possibilité de saisir le Conseil de la concurrence.

Afin que les collectivités locales soient en mesure de proposer des contrats plus équilibrés à leurs délégataires, l'élaboration d'un nouveau cahier des charges-type s'avère nécessaire. Sur le principe, le travail accompli en ce sens par l'Association des maires de France est positif, même si le projet actuel fait l'objet d'un certain nombre de critiques, notamment liées à l'absence de concertation avec les pouvoirs publics et les consommateurs. Le cahier des charges proposé semble en fait aborder les problèmes essentiels. Il devra bien intégrer les notions de risque, en particulier en matière de qualité, et fixer des indicateurs de performances permettant de faire dépendre le niveau de rémunération de la qualité du service.

En ce qui concerne l'information et la consultation des usagers, la présentation de la facture mériterait d'être plus claire, sa périodicité plus courte, par exemple trimestrielle, et son contenu plus précis, en incorporant les éléments pris en compte dans le calcul de la part fixe, éléments qu'il faut encadrer. Dans la mesure où il existe des compteurs divisionnaires, dont l'installation doit être favorisée, chaque ménage habitant un immeuble collectif devrait connaître le montant de sa consommation et ne payer que le prix correspondant ; la qualité de l'eau distribuée pourrait être affichée dans l'immeuble. Le maintien d'une part fixe, limitée et justifiée, est souhaitable.

Le rapport du maire devrait faire l'objet d'un débat public annuel en présence du délégataire et la commission consultative des services publics locaux doit être effectivement mise en place. Pour cela, il convient de préciser la composition de cette commission et de lui conférer des compétences obligatoires.

Dans la mesure où les redevances des agences de l'eau sont actuellement contraires à la Constitution, il est indispensable que soit adopté un article dans la prochaine loi de finances, afin de régulariser la situation, si le projet de loi sur l'eau n'a pas été discuté avant la prochaine période budgétaire. Si nécessaire, un amendement en ce sens sera déposé.

Usant de la faculté reconnue par l'article 38, alinéa 1er du Règlement, aux députés qui ne sont pas membres de la commission d'y prendre la parole, M. Daniel Marcovitch, qui représentait devant la MEC la commission de la production et des échanges, a déclaré partager pleinement les analyses et les conclusions présentées par le rapporteur. Quelle que soit l'autorité compétente, commune ou syndicat intercommunal, quel que soit le mode de gestion en régie directe ou en délégation de service public à une société privée, seul le maire est responsable à tous les niveaux du service, du prix et de la qualité de l'eau distribuée aux usagers de sa commune. Quelle que soit l'origine de la ressource, et donc son degré de pollution, eau profonde ou eau de surface, quel que soit le niveau d'investissement prévu pour les réseaux d'adduction ou de collecte, les usines de traitement ou d'assainissement, quelles que soient les aides apportées par les agences de l'eau, la facture finale, qui comporte la totalité de ces investissements est réglée par l'usager. Malgré les sommes en jeu, on sait que tant les élus que les usagers sont le plus souvent tenus à l'écart de l'information réelle sur la gestion des services de l'eau et de l'assainissement. Cette méconnaissance ne permet donc pas une véritable mise en concurrence. Dans les rapports marchands habituels, qui mettent en jeu des producteurs des vendeurs et des consommateurs, la concurrence s'exerce à plusieurs niveaux : entre les producteurs au niveau de la qualité et des prix, au niveau du commerce de détail par le choix des produits mis en vente et le service rendu à la clientèle, au niveau du consommateur par le choix de la boutique où il souhaite se fournir.

Rien de ceci n'existe dans le domaine de l'eau et de l'assainissement, car l'élu qui passe les contrats de délégation de service public ne possède pas les éléments objectifs de choix. Quant à l'usager, il est totalement captif du service unique, pour un bien indispensable, et vital.

La loi d'orientation n° 92-125 du 6 février 1992, relative à l'administration territoriale de la République, a rendu obligatoire la création de commissions consultatives des usagers des services publics locaux. L'eau et l'assainissement sont, bien sûr, concernés par ces dispositions. Or, il serait abusif d'affirmer que ces commissions fonctionnent réellement.

L'avant projet de loi sur l'eau envisage de rendre plus impérative la consultation de la commission, mais que vaudra-t-elle si les membres qui la constituent, en particulier les élus et les représentants des usagers, ne possèdent pas la formation nécessaire à une analyse critique ? Il pourrait revenir aux agences de bassin d'organiser régulièrement des formations pour les membres de ces commissions consultatives.

Ainsi que le montre le rapport, il existe une concentration, laquelle fausse bien évidemment toute forme de concurrence véritable. Le très faible nombre de filiales communes aux grands groupes ne doit pas faire illusion sur la réalité des conflits d'intérêt qui les opposent pour la gestion des services d'eau et d'assainissement. Bien d'autres lieux peuvent être la source de profits importants. Leur absence dans la direction de certaines structures communales ou intercommunales ne les empêche pas d'être les véritables destinataires des investissements.

L'usine d'assainissement de Colombes, récemment mise en service par le Syndicat interdépartemental d'Assainissement de l'Agglomération Parisienne (SIAAP) en est un exemple particulièrement éloquent. Cette structure, véritable vitrine de la technologie de ses constructeurs a été réalisée par trois sociétés : OTV, filiale de Vivendi, Dégremont, filiale de la Lyonnaise des Eaux, et Stéréau, filiale de Bouygues, qui se sont partagé le marché d'environ 2,3 milliards de francs (350 millions d'euros). Cette structure moderne a été totalement payée par les usagers, soit directement par leur facture d'eau, soit à travers les redevances des agences de l'eau, qui ont subventionné presque la moitié de l'investissement.

M. Daniel Marcovitch a ensuite soulevé le problème d'une application peu probable d'une TVA au taux particulier de 2,1%, dont on connaît la nature tout à fait exceptionnelle. L'avant-projet de loi sur l'eau se donne, entre autres objectifs, de rendre conforme à la Constitution les redevances des agences de l'eau, qui sont considérées comme des impositions de toute nature. Lorsque le Parlement votera ces redevances, confirmant de la sorte leur caractère d'imposition, la question restera posée de l'application de la TVA à la totalité de la facture, ce qui reviendra à appliquer une taxe sur un impôt. La directive européenne du 23 octobre 2000 comporte, entre autre, la nécessité de revenir à une teneur en plomb inférieure à 10 µg par litre. Ce résultat ne peut être obtenu qu'en supprimant la totalité des canalisations et des soudures en plomb, qu'elles soient dans le domaine public, dans les immeubles collectifs ou dans les maisons individuelles. Le montant total des travaux est estimé à 90 milliards de francs (13,72 milliards d'euros), dont un tiers pour le domaine public. Ces travaux gigantesques renchériront très certainement le prix de l'eau dans les années à venir.

Le bien-fondé de cette mesure est contestable, car elle signifierait que, jusque dans les années 50, tous les usagers de l'eau, c'est-à-dire tous les français, étaient atteints non pas d'un véritable saturnisme mais d'une intoxication chronique par le plomb, dont on sait qu'elle entraîne une altération des facultés intellectuelles. Pierre et Marie Curie, Marcel Proust, Picasso, le Général De Gaulle et tant d'autres n'étaient donc pas des buveurs d'eau... Cependant, comme il s'agit d'une directive européenne, il conviendra de l'appliquer.

Une partie des travaux du domaine public pourrait être subventionnée par les agences de l'eau, alors que les deux tiers de ces travaux devront être financés par les particuliers, parfois modestes propriétaires de pavillons, souvent petits copropriétaires d'immeubles anciens, voire vétustes. A l'instar de ce qui a été fait pour la mise aux normes des bâtiments agricoles avec le Programme de Maîtrise des Pollutions d'Origine Agricole (PMPOA) qui finance sur fonds publics les deux tiers des travaux, dont un tiers pour l'État et un tiers pour les agences de l'eau, on peut imaginer de créer un Programme de maîtrise du Plomb dans les Eaux domestiques (PMPED), subventionné pour partie par l'État ou les agences de bassin.

Faut-il aller vers une disparition de la part fixe dans le prix de l'eau ? C 'est là certainement un des rares points sur lequel il pourrait y avoir divergence entre lui-même et le rapporteur. L'avant projet de loi envisage un encadrement et une définition précise du contenu de la part fixe, exception faite des communes à forte variation saisonnière de population et donc de consommation d'eau. Plutôt que de maintenir une part fixe destinée à faire face aux besoins d'investissements pour les périodes de forte consommation, les communes concernées pourraient affecter une part des ressources issues des activités touristiques ou des taxes perçues sur les résidences secondaires pour financer une partie des équipements supplémentaires.

M. Michel Bouvard a demandé quelles étaient ces ressources.

M. Daniel Marcovitch a précisé qu'il souhaitait affecter une part des ressources tirées de l'activité touristique aux investissements précités. Quoi qu'il en soit, seule l'individualisation des consommations, mais surtout de l'abonnement permet à l'usager de maîtriser sa consommation et donc le montant de sa facture. Parallèlement, la maîtrise du bon entretien des canalisations dans les parties communes et dans les parties privatives des immeubles doit permettre de substantielles économies. La charte Solidarité-Eau, lorsqu'elle fonctionne, repose sur la base d'abandons de créance pour les plus démunis et s'assimile plus au principe de l'aumône qu'à l'exercice du droit à l'eau. Seule une aide versée aux familles ou aux distributeurs pour l'eau et l'énergie, peut remplir cette fonction.

En conclusion, le corpus législatif qui encadre la gestion des services de l'eau et de l'assainissement mérite certainement d'être précisé et approfondi, car son application est loin d'être satisfaisante. La mise en concurrence pourrait être améliorée en facilitant le retour à la régie. Le rôle des agences de l'eau se doit d'être confirmé avec de nouvelles missions de formation, d'information et de contrôle. La transparence des prix et de la consommation doit progresser, en particulier par l'individualisation des abonnements et surtout des contrats. Tout ceci confirme l'absolue nécessité d'une nouvelle loi.

M. Jean-Jacques Jégou a salué la qualité du travail du rapporteur et l'apport de M. Daniel Marcovitch à la MEC. Toutefois, le débat ressemble plutôt à celui que suscite un rapport d'information qu'un travail de la MEC. Ainsi, le titre du rapport devrait faire allusion à « la gestion des services de l'eau et de l'assainissement » ou au « prix de l'eau et de l'assainissement », formulations plus exactes par rapport à la réalité. Il n'est pas exact de dire que la qualité se détériore d'année en année. Pour la grande majorité des français, cela n'est pas le cas, bien au contraire. Par ailleurs, dans certaines régions où la qualité se détériore effectivement, comme en Bretagne, la faute ne revient certainement pas aux entreprises ou aux collectivités, mais bien à l'État, qui est pourtant celui qui taxe le plus en matière d'eau.

Le rapport insiste à juste titre sur la transparence et la concurrence en matière de gestion déléguée. Cependant, les critiques à ce sujet sont anciennes, compte tenu des lois intervenues depuis 1990, que ce soit pour la gestion de l'eau ou d'autres délégations de services publics. De même, il ne faut pas confondre la gestion des services de l'eau avec les « scandales » du début des années 90. Certaines expressions du rapport, comme « la jungle des prix », sont totalement excessives et injustifiées. Enfin, les doutes quant au caractère concurrentiel du marché de l'eau sont également injustifiés, surtout lorsqu'on compare ce marché à ce qui se passe pour l'électricité ou le téléphone.

Sur le rôle, la responsabilité et le contrôle des collectivités et des élus locaux, il n'est pas acceptable de lire, dans le rapport, que « la démocratie locale est phagocytée par un système qui transfère le pouvoir réel à des sociétés, qui ont fait de l'opacité l'instrument de leur pouvoir ». Il ne tient qu'aux maires et aux élus de prendre leur responsabilité face à ce type de situation et il est faux de dire qu'ils ont abandonné ce pouvoir auprès des entreprises privées gestionnaires des services de l'eau. En revanche, le manque d'efficience du rôle de l'État est significatif.

En matière de choix de gestion, régie ou service délégué, le rapport cite un écart de prix de 13 % entre les deux modes de gestion. Mais est-on sûr que les choses sont bien égales par ailleurs : niveau d'investissement, renouvellement des conduites, sans parler de la qualité dont le rapporteur se plaît à dire qu'elle ne cesse de se dégrader ?

M. Michel Bouvard a rappelé que certaines régies étaient très bien gérées.

M. Jean-Jacques Jégou a observé que, dans le préambule du rapport, l'État est finalement totalement exonéré de ses incuries, et surtout de sa responsabilité qui débouche sur les dérapages de sur-taxation en matière de gestion de la ressource. La MEC, dont le rôle est de contrôler la dépense et d'en évaluer l'efficacité, n'y retrouve pas son compte.

La part des taxes dans la formation du prix de l'eau est extrêmement importante, ainsi que l'augmentation de ces taxes ces dernières années. En particulier, il ressort que les prélèvements effectués sur les agences de bassin, donc sur ce qui est ponctionné sur le particulier, ne servent qu'à une catégorie de la population, qui n'est pas celle qui paie l'eau le plus cher, bien au contraire ; en outre, le système pose un problème de constitutionnalité. Dans ce cas précis, il s'agit des communes urbaines, qui paient pour les communes rurales, et particulièrement pour la pollution produite par l'agriculture. L'agence de l'eau Seine-Normandie a été ponctionnée, à deux reprises, de 500 millions de francs au profit de l'État. Le véritable scandale réside dans la non application, par les agences de l'eau, du principe pollueur-payeur. Il y a donc là un véritable rééquilibrage à mettre en _uvre. Par ailleurs, vouloir leur conférer un rôle de conseil auprès des collectivités, alors que ce sont elles qui distribuent les subventions ne paraît pas logique. Concernant les différentes taxes, il faudrait en effet revoir l'assiette et le taux de la TVA, qui s'applique sur la totalité de la facture.

Les collectivités ont tout à fait la possibilité de faire contrôler les informations fournies par le délégataire. Quant à imposer une certification des comptes, cela reviendrait à imposer une dépense supplémentaire aux communes, simplement pour s'entendre dire que tout va bien.

Le principe de « menacer les opérateurs privés » d'un retour à la régie n'est certainement pas de bonne politique. Ce n'est pas comme cela que l'on gère des relations avec les entreprises. La situation d'« oligopole » des sociétés gérant l'eau en France, à la supposer établie, n'existe pas uniquement s'agissant de l'eau, mais aussi du gaz, de l'électricité ou du ramassage des ordures ménagères. En toute hypothèse, contrairement à ce qui est dit dans le rapport, le marché se régule de lui-même. Il serait inacceptable d'aider des entreprises émergentes. Le principe de libre concurrence doit jouer, et faire émerger les meilleures. Le nombre très important de renouvellement de contrat chaque année, même s'il n'aboutit pas à un changement de délégataire, permet de faire jouer la concurrence et d'obtenir ainsi de meilleures conditions économiques.

M. Michel Bouvard a indiqué que, malgré le caractère parfois rapide des analyses qu'il comporte et certaines formulations excessives, notamment à l'égard des grandes entreprises concernées, il y a lieu de publier ce rapport. Il faut être conscient de ce que le rééquilibrage, souhaité par tous, de la charge du traitement des pollutions d'origine agricoles, ne pourra pas être mis uniquement à la charge des exploitants agricoles. Les PMPOA, dont le financement et la mise en place sont difficiles, ne suffisent pas aujourd'hui à traiter le problème des zones à relief, et ne concernent guère que les pollutions dues aux grands troupeaux.

Plus généralement, le rapport pose la question du financement de la préservation de la ressource, question la plus cruciale à long terme ; ce financement ne peut être supporté uniquement par les consommateurs et par les agriculteurs, les industriels assumant approximativement, de leur côté, la part dont ils sont responsables. Sur un autre plan, le rapport aurait pu insister sur la nécessité d'un soutien mieux organisé des services déconcentrés de l'État, pour soutenir et conseiller les petites communes, auxquelles cette capacité d'analyse fait défaut, notamment lorsqu'il s'agit des cahiers des charges. La création de cellules d'appui technique aux collectivités locales, regroupant les services de l'Etat compétents, constituerait une solution opportune pour répondre à ce problème essentiel.

M. Gérard Saumade a souligné l'intérêt du rapport, et regretté l'assistance trop peu fournie des commissaires pour un sujet aussi important notamment en terme de gestion locale. L'analyse du marché de l'eau comme oligopole, telle qu'elle ressort du rapport, paraît bien correspondre à la réalité, et on peut même considérer que son autorégulation ne constitue pas la garantie du minimum de concurrence nécessaire. De manière plus générale, il y a toutefois lieu de regretter que le rapporteur, comme M. Daniel Marcovitch dans son intervention, n'aient abordé la question de l'eau que sous l'angle du bien de consommation, et non comme facteur de production, ce qu'elle est pourtant depuis toujours. S'agissant de l'assainissement, il ne paraît pas possible d'envisager de faire peser la totalité de son financement sur les seuls agriculteurs.

On peut également regretter que les services de l'État se concentrent trop exclusivement sur leur mission de contrôle, et ne développent pas assez un rôle de conseil dont les collectivités locales ont pourtant fortement besoin. Deux voies paraissent aujourd'hui de nature à faciliter la tâche des collectivités locales. La première serait la nationalisation de l'eau, ou sa départementalisation, opérations qui transféreraient la maîtrise de la ressource à la collectivité et seraient des solutions efficaces, mais aucune de ces hypothèses n'est jugée actuellement opportune. L'autre solution consisterait à ce que les communes bénéficient, comme cela a été proposé, des conseils des services de l'État, alors qu'aujourd'hui il n'y a, de leur part, qu'un contrôle. Cette situation constitue un effet pervers de la décentralisation. Faute de cet appui, et même en se regroupant dans un cadre intercommunal, les communes n'ont pas les moyens, à elles seules, d'affronter la capacité d'expertise juridique des grands groupes. Même dans le cadre d'un appel d'offre européen, seules quatre ou cinq entreprises sont susceptibles de concourir. Les collectivités locales sont des nains juridiques face à des groupes qui n'hésitent pas à intenter des procès, alors qu'elles-mêmes hésitent beaucoup, car elles ne disposent pas des mêmes structures juridiques. Il ne suffit pas de vouloir améliorer la transparence. Encore faut-il que les collectivités locales soient dotées des moyens nécessaires pour atteindre cet objectif.

M. Jacques Guyard a souhaité, en ce qui concerne le haut conseil dont l'avant-projet de loi sur l'eau prévoit la création, que ce nouvel organisme soit qualifié explicitement d'autorité de régulation, si tel est l'objectif recherché. Les autorités de régulation, dont la mise en place s'avère plutôt satisfaisante pour les secteurs pour lesquels elles ont été prévues, gagneraient en effet, pour la lisibilité de leur mission, à une certaine uniformisation de leurs intitulés. Les services déconcentrés de l'Etat, notamment de l'équipement, ne paraissant pas, en l'état actuel des choses, être susceptibles de rendre les services qui leur sont demandés par les précédents intervenants, la formule de l'autorité de régulation pourrait se révéler une solution adéquate.

M. Thierry Carcenac a remercié le rapporteur pour les éléments de clarification contenus dans son rapport. L'eau est un bien naturel marchandisé, et si le principe mis en avant est que « l'eau paye l'eau », la réalité est différente : dans de nombreux départements, les interventions des conseils généraux permettent de contribuer à abaisser les prix, sous la forme de subventions, au-delà même de la répartition du FNDAE. Les départements peuvent également mettre en place des structures de conseils techniques pour les petites communes, notamment pour la protection de leurs ressources, ou pour la mise en place de stations d'épuration.

Le Président Henri Emmanuelli a exprimé ses doutes quant à l'argument tiré de l'impuissance des collectivités locales face aux grandes sociétés. Cette tonalité est surprenante, et souvent susceptible d'être démentie par les faits. Ainsi la création d'un syndicat mixte chargé de l'eau et de l'assainissement dans le département des Landes a-t-il permis le développement de capacités de contre-expertise dans ce domaine. Il est possible aux collectivités concédantes de peser dans la négociation des appels d'offre, et donc sur les prix. On peut au demeurant rappeler que la situation d'oligopole est la résultante d'une évolution historique à laquelle l'État n'est pas étranger. Le problème est donc bien une certaine passivité des élus locaux. Il faut donc se défier de tout pessimisme : les prix peuvent baisser, pour l'eau comme pour le traitement des déchets.

Le Président Henri Emmanuelli a en outre proposé de saisir l'Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques de la question de la qualité de l'eau. Si les travaux de la MEC doivent en effet aborder les aspects financiers, notamment la question des disparités des prix de l'eau, il n'est pas pour autant possible d'ignorer les questions plus qualitatives d'assainissement ou de traitement des pollutions. Il paraît donc opportun de saisir l'office de cette question, les commissions pouvant en effet le saisir directement.

Votre Rapporteur a fait part de son total accord sur cette suggestion, retenue par la commission. Puis il a répondu aux intervenants en rappelant que le sujet traité est complexe et que, dans le cadre étroit et nécessairement limité de la MEC, il ne prétendait pas en avoir épuisé le champ. Le contexte du rapport est en outre différent des autres sujets traités par la MEC, puisque l'État intervient faiblement dans ce domaine, qui est de la compétence première des collectivités locales. Les agences de l'eau sont des entités distinctes de l'État. Enfin, votre Rapporteur a précisé que sa remarque sur la détérioration de la qualité des eaux valait pour la situation des nappes phréatiques et non pour l'eau distribuée.

Votre Commission a ensuite, en application de l'article 145 du Règlement, autorisé la publication du présent rapport.

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AUDITIONS

1.- Le 8 février 2001 :

a)  9 heures : M. Bernard Schockaert, administrateur de l'UFC - Que choisir ? 71

b) 10 heures : M. Antoine Grand d'Esnon, directeur de Service public 2000, et M. Bruno Johannes, directeur adjoint 78

c) 11 heures : M. Michel Moreaux, professeur de sciences économiques à l'Université de Toulouse I 90

2.- Le 29 mars 2001 :

a)  9 heures : M. Dominique Bur, directeur général des collectivités locales (DGCL) au ministère de l'Intérieur, accompagné de MM. Freysselinard et de Manheulle 99

b) 10 heures : M. Bernard Baudot, directeur de l'Eau au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement 110

c) 11 heures : M. Luc Valade, chef du service des produits et des marchés au ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie 122

3.- Le 26 avril 2001 :

a)  9 heures : MM. Alexandre Colin, président du groupe Eau du MEDEF, et Christian Lacotte, directeur pour l'environnement 131

b) 10 heures : M. Bernard Guirkinger, président de la Lyonnaise des eaux-France, et M. Jean-Luc Trancart, directeur de la clientèle 141

c) 11 heures : M. Olivier Barbaroux, directeur général de la Générale des eaux, et M. Daniel Versanne, directeur général délégué 151

1.- Auditions du 8 février 2001 :

a) 9 heures : M. Bernard Schockaert, administrateur de l'UFC - Que choisir ?

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 8 février 2001)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, co-président.

La séance est ouverte à 9 h 25.

Après avoir salué la présence de M. Bernard Menasseyre, président de la 7ème chambre de la Cour des comptes, de M. Michel Raséra, président de la Chambre régionale des comptes de Bretagne, et de M. Daniel Marcovitch, rapporteur pour avis de la commission de la Production, le Président a rappelé à M. Bernard Schockaert les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il a ensuite donné la parole à M. Yves Tavernier, rapporteur.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Ma première question portera sur la réalité de la concurrence en matière d'eau. Vous savez que l'eau est un bien commun, que sa distribution est de compétence communale et que, pour leur plus grande part, les communes la délèguent, soit dans un cadre de concession, soit dans un cadre d'affermage, à des sociétés.

En réalité, trois groupes se partagent l'essentiel du marché, soit directement, soit à travers leurs filiales.

L'observation que vous pouvez avoir de cette réalité vous conduit-elle à considérer qu'il y a une véritable concurrence ? En effet, on observe notamment que, dans certains cas, ces groupes ont en commun des filiales qui ont le monopole de la distribution de l'eau dans un certain nombre de villes et non des moindres : je pense à Marseille, à Douai et à quelques autres.

Par conséquent, est-on dans un système de concurrence ou dans un système de monopole déguisé, d'entente entre les grands groupes qui, à ce moment-là, fixent à leur guise les conditions de leurs relations avec les collectivités concédantes ?

M. Bernard Schockaert : Tout d'abord, merci de m'avoir invité à répondre à vos questions.

Il y a un paradoxe dans la distribution de l'eau alors que c'est un service décentralisé. En effet, comme la France compte 36 000 communes et un certain nombre de syndicats intercommunaux, on peut avoir l'impression qu'il y a de la concurrence, ce qui est faux, puisque, en fait, une grande partie de cette distribution de l'eau est déléguée à trois grands distributeurs.

Or nous remarquons, lorsque nous faisons des enquêtes, que ces grands groupes fixent non seulement le prix de l'eau (via, bien entendu, les collectivités locales, qui ont la responsabilité de la fixation du prix de l'eau) mais le prix des services. En effet, ces groupes disent qu'ils apportent un service alors que ce service est partagé entre ces trois grands groupes.

En matière de concurrence, lorsque le consommateur doit faire appel à un service pour distribuer son eau chez lui, il se retrouve fasse à un distributeur et il ne peut pas en changer. C'est là que réside le problème. Non seulement trois grands groupes se partagent - je dis bien se partagent - le service de l'eau en France et sa distribution, mais le consommateur, lui, se trouve dans un état de dépendance vis-à-vis de son distributeur, contrairement à d'autres services tels que le téléphone.

Pour l'électricité, c'est un autre problème puisque le prix est le même partout et qu'il va y avoir des ouvertures à la concurrence. Pour ce qui concerne l'eau, le consommateur ne peut pas changer de distributeur. C'est le principal problème.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Il ne peut pas changer parce que les contrats de concession ou d'affermage sont des contrats de longue durée.

Je précise ma question. A l'heure actuelle, les contrats sont de l'ordre de vingt ans, ce qui pose d'ailleurs un problème de démocratie, puisque cela représente plus de trois mandatures de collectivité territoriale. Le projet de loi sur l'eau qui devrait venir devant le Parlement au printemps prochain propose de réduire à douze ans la durée maximale des conventions de délégation. Or les groupes font observer que c'est un temps trop court pour assurer l'amortissement des investissements et que cela se traduira par une augmentation du prix de l'eau.

Je voudrais avoir votre avis sur cette question.

M. Bernard Schockaert : La distribution de l'eau est un ménage à trois, entre le consommateur, la collectivité et le concessionnaire ou le fermier. Le consommateur peut-il agir aujourd'hui pour faire en sorte, à partir du moment où il n'est pas content du service et du prix de l'eau, qu'il y ait modification de la gestion de l'eau ? Le problème est là. Aujourd'hui, lorsque le consommateur arrive dans son appartement ou son pavillon, il demande l'ouverture de son compteur et il est abonné à un distributeur sans pouvoir en changer s'il n'est pas content du service.

Ce sont ces rapports entre le consommateur, la collectivité et le fermier ou le concessionnaire qu'il convient de modifier afin qu'à partir du moment où il y a monopole - et nous disons que c'est le cas - les rapports entre le consommateur, la collectivité et le distributeur soient assouplis. Cela permettra d'avoir plus de transparence dans le service de distribution de l'eau.

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Quelles seraient vos propositions sur ce point ?

M. Bernard Schockaert : Lorsque, à l'issue d'un contrat, la collectivité doit renouveler ou renégocier le contrat, il s'agirait de faire en sorte que les consommateurs soient impliqués dans cette renégociation.

C'est pourquoi nous demandons que les comités locaux de service public en matière d'eau soient effectivement mis en place afin que les consommateurs, avec les collectivités, puissent apporter leur avis et qu'il soit pris en compte.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Vous ne m'avez pas répondu sur la durée des contrats.

M. Bernard Schockaert : En ce qui concerne la durée des contrats, c'est une bonne chose que le projet de loi sur l'eau insiste sur le fait que les contrats soient diminués dans leur durée. En effet, nous estimons que les contrats actuels sont trop longs et que les collectivités sont en quelque sorte prises en otage, même si c'est un bien grand mot. A partir du moment où un contrat est signé, du fait de la durée actuelle des contrats, il est relativement difficile de modifier un contrat ou de changer de concessionnaire.

M. Daniel Marcovitch : Monsieur Schockaert, je voudrais vous interroger sur un point particulièrement litigieux actuellement : celui de la part fixe dans la facture d'eau. Nous savons tous que la loi française, comme la loi européenne, prévoit que la facture d'eau doit être assise sur le volume consommé mais que, selon les communes, la part fixe, qui peut trouver sa justification, va de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de francs.

La future loi sur l'eau prévoit que cette part fixe soit encadrée et représente des éléments bien précis, qui sont des éléments de comptage et de facturation. Nous savons également que, dans un certain nombre de localités à taux de consommateurs variables, en particulier celles qui ont de nombreuses résidences secondaires utilisées seulement l'été et les week-ends et où il y a de fortes variations de population pour des raisons touristiques, il faut maintenir des possibilités de part fixe plus élevée compte tenu des investissements nécessaires.

J'aimerais donc avoir votre position, celle de votre organisation et celle des consommateurs en général sur la réalité de l'encadrement de la part fixe en rappelant que, dans certains endroits, cette part fixe n'existe pas du tout ; je pense en particulier à Paris.

M. Bernard Schockaert : Nous pouvons avoir une position dure en ce qui concerne la partie fixe en disant que nous ne voulons plus de partie fixe sur la facture d'eau, tout simplement parce que, au regard de la loi sur l'eau de 1992, qui donnait la possibilité aux collectivités de mettre en place une partie fixe, nous avons vu apparaître un certain nombre de dérives qu'ont mises en évidence les enquêtes que nous avons menées auprès de beaucoup de consommateurs.

Cela dit, on nous oppose le fait que les communes touristiques qui ont fait de forts investissements pour attirer - je dis bien attirer - les touristes, doivent, en période où les touristes ne sont pas là, répercuter le prix de ces investissements sur les consommateurs locaux et que, sans la partie fixe, le prix de l'eau serait très élevé.

Il y a donc un blocage dans les discussions que nous menons parce qu'à chaque fois que nous mettons en cause la partie fixe, on nous oppose ces arguments. Or nous démontrons que ce n'est pas forcément dans les communes touristiques que l'on trouve des dérives importantes en matière de partie fixe : dans la France profonde, nous trouvons aussi des parties fixes extrêmement élevées.

Nous avons quelques documents, actuellement, concernant ce projet de loi sur l'eau, sachant que la ministre de l'environnement veut encadrer cette partie fixe. Or certains projets nous inquiètent parce qu'on voit apparaître dans ces parties fixes (mais je ne sais pas où en est le projet actuellement) la possibilité d'inclure des investissements ou des remboursements d'emprunts, ce qui aggrave encore la situation parce que nous allons assister à des dérives encore plus importantes.

Notre position est donc de dire que nous ne voulons pas de partie fixe parce qu'aujourd'hui, nous ne savons pas ce que cette dernière recouvre. Est-ce un choix économique ? Est-ce un choix politique de façon à privilégier telle ou telle catégorie d'usagers industriels ou d'agriculteurs et à répercuter des tarifs dégressifs sur les consommateurs ? Nous ne le savons pas.

Par conséquent, tant que nous n'aurons pas de garanties, notre position est de dire que nous ne voulons pas de partie fixe tant pour la distribution d'eau qu'en matière de service de l'assainissement.

M. Jean-Pierre Brard : Je reviens en arrière sur la participation des consommateurs. J'adhère à votre idée, mais quelles peuvent être les modalités pratiques ? Comment faire pour que la présence, d'une manière ou d'une autre, des consommateurs, du fait de la complexité extrême de cette matière, ne devienne pas un alibi permettant à certains de continuer à opérer tranquillement en disant : « le consommateur était là et il n'y a donc pas de problème » ?

Par ailleurs, quand nous avons parlé de la loi sur l'exclusion ou d'une autre loi ici, certains d'entre nous avaient proposé, considérant que l'eau était un produit vital, qu'il y ait une sorte de franchise sur le prix de l'eau pour les consommateurs, par exemple 5 m³ gratuits pour chaque citoyen du pays avec une sorte de tarif progressif ensuite, en estimant que chacun a le droit d'avoir une piscine mais qu'il est alors légitime que le propriétaire de la piscine acquitte une quote-part plus importante que celui qui a besoin de l'eau simplement pour boire, se laver ou cuire les légumes.

M. Bernard Schockaert : Je réponds à votre première question sur l'aspect « consommateurs alibis ». Il faut être réaliste : ces comités locaux doivent exister mais il sera difficile de les mettre en place et il faudra trouver les personnes pour les faire vivre. Il faudrait que, dans 36 000 communes, il puisse y avoir un comité local.

Nous pensons que c'est au niveau de l'intercommunalité qui se met en place et qui doit prendre la gestion de l'eau à sa charge que pourrait se définir, avec les consommateurs et les représentants des associations de défense de l'environnement ou des usagers, cette politique locale de l'eau.

Quant à la deuxième question, nous rejoignons votre idée. Simplement, la franchise n'est pas vraiment quelque chose de bon. Le fait de rendre gratuit quelque chose n'est pas de nature à responsabiliser les consommateurs. Il est entendu qu'il faut un prix très bas de l'eau pour un certain nombre de mètres cubes et nous nous accordons à dire que le tarif progressif pourrait être une bonne chose compte tenu du fait qu'il ne faudrait pas - c'est là que nous rejoignons ce que nous avons dit tout à l'heure - que la partie fixe, si elle existe, soit très élevée.

Dans mon département, je connais une petite commune rurale dans laquelle un consommateur, avant d'ouvrir son robinet, et même s'il a 5 m³ d'eau gratuits, doit déjà payer 1.200 francs de partie fixe.

Il faut être rationnel là-dessus et c'est pourquoi nous sommes très attentifs à la façon dont on va tarifer le prix de l'eau.

M. Michel Bouvard : Je voudrais poser trois questions à notre invité.

Premièrement, dans votre association, vous êtes saisi régulièrement de contentieux entre des consommateurs et des exploitants d'eau ou des collectivités. Savez-vous ce que cela représente ? Avez-vous une idée du nombre de personnes qui vous saisissent chaque année et quelles sont les principales sources de contentieux ?

Ma deuxième question concerne la part fixe. Vous avez évoqué tout à l'heure la situation des communes touristiques et vous avez conclu en disant que vous n'étiez pas favorable à la part fixe. En l'état actuel des choses, dans quelles conditions une part fixe pourrait-elle être admissible ?

Ma troisième question s'adresse à nous tous. J'aimerais savoir, s'agissant des 36.000 communes de France, si on sait aujourd'hui combien de communes ne gèrent plus leur eau directement, combien sont en régime de concession, combien sont en régime d'affermage et quelles sont les populations représentées. Je crois que c'est un élément de base. La Cour a sans doute ces éléments, mais je dois dire qu'à titre personnel, je les ignore alors que c'est important pour savoir quels volumes de population sont concernés par les différents modes d'exploitation qui existent aujourd'hui et, le cas échéant, pour avoir des comparatifs de prix en fonction des modes d'exploitation.

M. Jean-Pierre Delalande, co-président : Ma question est dans le prolongement de la question de mon collègue Bouvard.

Dans la formation du prix de l'eau, il y a un enchevêtrement et un empilement de taxes, y compris la TVA sur un certain nombre de taxes. C'est ainsi que, lorsqu'un consommateur reçoit sa facture, il a le sentiment de payer plus de taxes que d'eau.

Dans les contentieux ou les réclamations que l'on vous fait, est-ce une remarque qui revient souvent et votre organisation a-t-elle une réflexion sur la fiscalité de l'eau et ses conséquences ?

M. Bernard Schockaert : La première question concerne les sources de contentieux. Je n'ai pas une synthèse nationale des sources de contentieux parce que nous avons deux cents unions locales qui gèrent les litiges sur le terrain (le problème de l'eau est un problème de terrain), mais je peux vous donner un certain nombre de causes.

Il y a déjà les problèmes de difficultés de payer.

Il y a ensuite des problèmes qui sont liés aux fuites. Lorsque le consommateur a une fuite importante chez lui, il faut mener une négociation avec le distributeur.

Il y a aussi les problèmes de dépôts de garantie. En effet, les consommateurs refusent de plus en plus de s'acquitter de ce dépôt de garantie. Jusqu'ici, nous avons évité les contentieux parce que nous nous apercevons aujourd'hui que les collectivités, avec les fermiers, suppriment ce dépôt de garantie, mais il restera à savoir par quoi il va être remplacé.

Nous avons aussi des contentieux qui apparaissent de plus en plus actuellement sur la partie fixe, non pas sur la mise en cause de la partie fixe par elle-même, si ce n'est quant à sa hauteur, mais sur le fait que, dans des habitats collectifs, que ce soit en copropriété ou en locatif, on voit apparaître, là où il n'y a qu'un seul compteur général et donc un seul abonné qui est le propriétaire ou le syndic, plusieurs parties fixes par appartement alors que les gens ne sont pas abonnés. C'est une source actuelle de contentieux et il serait bon que la loi y remédie.

Pour ce qui est de la répartition entre les régies, les concessions et les affermages, je ne pourrai pas répondre, mais quelqu'un pourra sans doute le faire à ma place.

En ce qui concerne les taxes, c'est tout le problème de la lisibilité de la facture.

En plus des taxes, on peut évoquer les redevances aux agences de l'eau, qui sont incompréhensibles pour le consommateur, ainsi que cette fameuse taxe sur les voies navigables que nous dénonçons fortement et qui n'a rien à faire sur la facture d'eau.

On pourrait aussi parler de la TGAP, bien qu'elle n'apparaisse pas sur la facture d'eau, que nous dénonçons aussi.

Enfin, il y a aussi, malheureusement, la TVA.

M. Jean-Jacques Jégou : Je voudrais revenir sur une réponse de notre invité à propos de la future loi sur l'eau qui devrait nous être présentée au printemps et prévoir la réduction des concessions de vingt à douze ans.

Sans hypothéquer sur le bien-fondé de cette réduction, n'y a-t-il pas un risque pour vous, association de consommateurs, de voir augmenter le prix de l'eau par la réduction du temps qui ne permettrait pas aux contrats d'affermage et aux concessionnaires de pouvoir amortir les investissements qui sont tout de même très importants ? C'est une première question.

Ma deuxième question s'inscrit dans le prolongement de celle du président Delalande. Vous avez certainement indiqué cela dans vos publications, mais est-il bien connu de tous vos consommateurs que la facture d'eau ne comporte pas que de l'eau ? Quand on examine l'évolution des prix entre les factures dites de l'eau entre 1994 et 1999, on s'aperçoit que ce n'est pas l'eau qui a augmenté le plus mais l'assainissement.

Êtes-vous bien en phase avec les problèmes des collectivités locales qui, en fait, sont obligées de passer par l'augmentation de la taxe d'assainissement qui entre dans le prix de l'eau pour améliorer l'assainissement dans notre pays ? On voit bien que, dans certaines régions, des surtaxes d'assainissement sont nécessaires pour le financer - c'est d'ailleurs la loi - car les communes, dans le budget annexe de l'assainissement, sont obligées de prélever des taxes qui sont en fait un prélèvement pour service rendu.

La formation du prix du mètre cube de l'eau est-elle bien identifiée par votre association comme étant un tout qui n'est pas simplement de l'eau ?

M. Bernard Schockaert : Nous avons bien compris que le prix de l'eau ne recouvre pas forcément l'eau qui sort du robinet mais aussi l'eau qui part de la maison et qu'il faut assainir pour la rejeter dans le milieu naturel. Le problème n'est pas de savoir s'il faut augmenter ou baisser le prix de l'eau ; le problème, pour le consommateur, est de savoir ce qu'il paie.

Pour ce qui est de la concession et de la question de savoir si le raccourcissement des contrats va augmenter le prix de l'eau, je ne peux pas vous répondre pour la bonne raison qu'aujourd'hui, on ne sait pas ce que le prix de l'eau représente. C'est ce que nous demandons : nous aimerions savoir ce que représente le prix de l'eau lorsqu'il est distribué au consommateur et ce que représente le prix de l'assainissement.

La modification des redevances d'assainissement pourrait aller dans ce sens puisqu'il est dit dans l'article : « à partir du moment où on va fonctionner sur la pollution rejetée, pourquoi ne pas en faire profiter le consommateur sur le prix de l'eau lorsque la station va être aux normes et qu'il n'y aura plus de pénalité pour la collectivité ? » Nous n'avons malheureusement jamais vu un consommateur profiter des améliorations...

M. Jean-Jacques Jégou : Avant d'en profiter, il faut les financer ...

M. Bernard Schockaert : Il faut les financer, bien sûr, mais je pense que tout le problème réside justement dans cette transparence du prix de l'eau. On a amélioré la présentation de la facture. Il est vrai qu'à une époque, je ne dirai pas que la facture était imbuvable - ce serait un mauvais jeu de mot -, mais on a réussi à homogénéiser la présentation des factures. Cependant, ce n'est pas pour autant que l'on comprend ce que représentent les postes qui sont sur cette facture. Il est vrai que c'est une pierre d'achoppement.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Monsieur le Président, si j'ai bien compris, vous avez exprimé votre hostilité à la TGAP. J'aimerais que vous précisiez ce point.

Cela dit, je vais compléter ma question. Dans le domaine de l'assainissement, les ménages paient à peu près 85 % du coût, les industriels payant entre 10 et 15 % et les agriculteurs à peu près rien, alors qu'ils sont parmi les principaux pollueurs. La TGAP est un élément qui, au contraire, entre dans la problématique « pollueur-payeur ». Vous exprimez votre hostilité sur ce point, d'où mon interrogation.

J'en profite pour vous poser une deuxième question, si vous le voulez bien. La loi du 3 janvier 1992 crée deux obligations. La première consiste à afficher la qualité de l'eau mensuellement dans les mairies ; la deuxième est de demander au concessionnaire ou au fermier de remettre un rapport annuel qui doit être présenté devant le conseil municipal.

Estimez-vous que les rapports tels qu'ils sont faits à l'heure actuelle sont satisfaisants et suffisants ? Sont-ils un élément satisfaisant d'information des consommateurs ? La proposition qui pourrait consister à faire obligation que, dans chaque commune, les concessionnaires non seulement rendent public leur rapport mais aient aussi l'obligation de le présenter au cours de réunions publiques auxquelles serait conviée la population vous paraîtrait-elle utile et devoir faire l'objet d'amendements par la voie parlementaire ?

M. Bernard Schockaert : Je reviens sur la question de la TGAP. J'ai dit que nous étions hostiles à la TGAP non pas sur son principe mais sur son application. Si on en reste sur l'eau, la pollution de l'eau et la TGAP qui frappe les consommateurs, je donnerai l'exemple de la TGAP qui a été mise en place sur les lessives : on taxe les lessiviers sur les phosphates qui composent en partie les lessives.

Si on peut admettre cela, selon le principe « pollueur-payeur », on peut déplorer qu'aucune démarche éducative n'ait été faite vis-à-vis des consommateurs parce qu'en fait, ce sont eux qui utilisent les lessives. L'intérêt de cette TGAP, si elle était bien appliquée, serait d'impliquer les utilisateurs. Or, que je sache, dans les rayons de grandes surfaces, aucune publicité n'est faite sur les lessives sans phosphates ni sur la composition des lessives, qui pousserait les consommateurs à se responsabiliser. On n'a pas responsabilisé les consommateurs dans cette affaire alors que nous demandons qu'ils soient impliqués. On se contente de faire payer les lessiviers qui vont répercuter le coût sur le consommateur, mais cela ne va pas plus loin.

Je pense qu'une démarche éducative doit donc être menée dans cette affaire.

En ce qui concerne les rapports, je vous rejoins parce qu'il n'y a aucune publicité, en général, qui est faite sur la publication de ces rapports de façon que le consommateur puisse s'y intéresser. Il faut déjà qu'il fasse la démarche auprès de la collectivité et on sait bien que c'est toujours difficile.

Il faudrait donc organiser la publication de ce rapport soit, comme vous le dites, par des réunions publiques menées par la collectivité et le fermier, ce qui serait une bonne chose, soit en impliquant les comités locaux de service public dans ce rapport. Je pense en tout cas qu'il faut nettement et fortement améliorer la publicité qui est faite sur les rapports, tant sur la qualité que sur le coût.

M. Daniel Marcovitch : Je vais vous poser une question brève et simple. Vous savez que l'une des principales raisons pour laquelle on doit faire une nouvelle loi sur l'eau, c'est que les redevances sur les factures d'eau sont assimilées à des impôts de toute nature et doivent donc être encadrées par le Parlement avant d'être fixées par les agences de bassin. Je rappelle d'ailleurs que ces redevances servent surtout à un réinvestissement, puisque c'est un système mutualiste : on prélève sur les uns pour permettre les réinvestissements, en particulier dans le domaine de l'assainissement.

Cependant, il s'avère qu'en bas de la facture de l'eau, il y a la TVA, qui s'applique à la totalité de la facture de l'eau, et qu'en particulier, la TVA est appliquée aussi sur la part de redevance assimilée à des impôts de toute nature. Les consommateurs ont-ils une position sur cette TVA assise sur les impôts ?

M. Bernard Schockaert : Cela fait déjà plus d'une fois que nous le dénonçons, tant au point de vue de l'eau que sur l'électricité, car il y a aussi des taxes sur les taxes.

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Vous n'avez plus d'autres questions, mes chers collègues ? Je vais donc remercier M. Schockaert de ses réponses précises. Je pense qu'il a apporté une information utile à la mission et que cela nous permettra de faire des propositions le moment venu. Je vous remercie.

b) 10 heures : M. Antoine Grand d'Esnon, directeur de Service public 2000, et M. Bruno Johannes, directeur adjoint

Le Président accueille M. Antoine Grand d'Esnon, directeur de Service Public 2000, et M. Bruno Johannes, directeur adjoint de cette association, avant de donner la parole à M. Yves Tavernier, rapporteur.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Je vous poserai une première question, monsieur le Directeur, concernant votre mission et son efficacité. De quelle manière et dans quelles proportions votre présence auprès des communes permet-elle une baisse du prix de l'eau ? Quel est le coût de votre intervention et quel est le retour moyen sur investissement des conseils que vous facturez ?

Enfin, pouvez-vous nous dire dans quelle mesure ces conseils sont suivis et pour quelles raisons ils ne le seraient éventuellement pas ?

M. Antoine Grand d'Esnon : Service public 2000 a été créé en 1996 par l'Association des maires de France (AMF) et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) pour mettre une équipe d'experts à la disposition des communes et groupements de communes qui en ont besoin pour la gestion de leurs services publics locaux.

Service public 2000 intervient essentiellement dans le domaine de l'eau, mais travaille aussi dans le domaine des déchets ou d'autres secteurs comme la restauration scolaire et les transports.

Nous intervenons pour aider les collectivités à déléguer leur service et à contrôler ou expertiser leur délégation. L'objet est de mieux comprendre combien coûte le service, sachant que, malheureusement, il n'existe pas de marché de l'exploitation en France actuellement, et, ensuite, d'animer la négociation, puisqu'elle seule peut faire apparaître un prix qui soit le plus près possible du coût réel de l'eau.

Nous intervenons sur une centaine de collectivités chaque année, ce qui est très peu au regard de l'énorme activité des collectivités françaises dans ce domaine, mais ce qui est suffisant pour avoir un impact, notamment parce que nous travaillons sur des collectivités importantes (elles sont peu nombreuses parmi l'ensemble des collectivités dans lesquelles nous intervenons, mais elles sont importantes) et que nos interventions - je ne sais pas si c'est l'_uf qui fait la poule ou l'inverse - ont lieu assez souvent lorsqu'il y a un pressentiment de concurrence ou un cadre qui se prête à la concurrence.

C'est ainsi que nous avons, dans l'année 2000, renégocié un certain nombre de contrats qui ont été plus ou moins médiatisés mais qui ont apporté des baisses importantes de prix ; des contrats anciens se sont ainsi trouvés un peu bousculés. Cela a été le cas à Quimper ou dans un gros syndicat à côté de Bayonne, où les usagers ont bénéficié d'une baisse de 25 % de la part fermière du tarif de l'eau, ce qui est très important.

Cela fait de Service public 2000 aujourd'hui, dans le paysage français, l'un des principaux éléments de régulation locale, parce que nous avons une vision nationale et que nous intervenons localement, les choses se passant localement.

M. Jean-Pierre Delalande, co-président : Ce que vous dites est tout à fait intéressant, mais du fait que vous conseillez peu de communes, la réaction du concessionnaire n'est-elle pas de se dire : « je suis obligé de faire des concessions là où Service public 2000 intervient mais je vais répercuter la baisse consentie ici sur ceux qui, ailleurs, ne sont pas conseillés » ? N'y a-t-il pas des phénomènes de transfert et d'accroissement des inégalités en conséquence de votre intervention ?

M. Antoine Grand d'Esnon : On peut le penser. Pour faire simple, je dirai qu'il se négocie chaque année un millier de délégations dans le domaine de l'eau. Aujourd'hui, dans la majorité, cela concerne de toute petites collectivités, comme vous pouvez l'imaginer.

80 % de ces délégations sont réalisées par les communes avec « l'assistance » des services déconcentrés de l'État. Je mets ce mot entre guillemets parce qu'elle est plus ou moins définie et appuyée.

20 % se font soit directement par la collectivité, sans appui, ce qui est de plus en plus rare, soit avec l'intervention de cabinets conseils de tous ordres, de tous niveaux, de toutes motivations et de tous types d'indépendance.

Service public 2000 est le seul qui ne soit rattaché ni à l'administration de l'État, ni à un quelconque intérêt privé, politique ou financier d'aucun ordre. C'est ce qui fait probablement notre influence.

Ensuite, sur la question de savoir s'il y a un report sur d'autres, je pense qu'aujourd'hui, le climat général est au retour du contrôle de son service par la collectivité. Nous sommes donc dans une période de réaction, même si elle est lente. Autrement dit, les choses avancent globalement dans le bon sens, même sans nous, fort heureusement.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Si je peux me le permettre, ce n'est pas du tout ce que constate le Haut Conseil du service public qui, dans un rapport récent, dénonce le fait que, dans la grande majorité des cas, lorsqu'il y a renégociation ou renouvellement des contrats, cela se traduit par une augmentation des coûts.

M. Antoine Grand d'Esnon : C'est le cas de la moitié des délégations.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Cela fait déjà beaucoup.

M. Antoine Grand d'Esnon : C'est énorme, en effet. Dans la moitié des délégations, le fermier arrive seul et c'est donc la seule offre. Il dit : « Il faut mettre à niveau votre service, monsieur le Maire ; on était à 3,50 francs le m³ et on est obligé de passer à 5 francs ». C'est le cas dramatique de beaucoup de petites communes.

La concurrence ne s'invente pas et on est soumis à un diktat. On peut faire appel à d'autres délégataires mais ils ne viendront pas ; ils ne soumissionnent pas. Dans ce cas, seule la négociation peut jouer et la seule pression que l'on peut exercer sur eux est le fait que l'on va retrouver ces mêmes fermiers dans d'autres communes où ils seront peut-être moins confortables.

Aujourd'hui, il y a un vrai problème pour les petites délégations.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Vous ne m'avez pas répondu sur le coût de vos prestations.

M. Antoine Grand d'Esnon : Service public 2000 est une association à but non lucratif qui fonctionne selon le régime de la loi de 1901, qui ne touche aucune subvention pour respecter les règles du domaine concurrentiel du conseil et qui facture ses interventions sur la base d'un coût permettant d'équilibrer son budget : 6.000 francs par jour.

M. Daniel Marcovitch : Monsieur Grand d'Esnon, dans la région parisienne, il y a certains syndicats d'eau d'importance réelle. Je sais d'ailleurs que vos services sont intervenus sur le prix de l'eau dans cette structure et que les recommandations n'ont pas toujours été suivies d'effet, mais ce n'est pas de cela que je voudrais parler. Intervenez-vous non seulement sur les conditions du contrat mais aussi sur le niveau de réalisation des objectifs ?

Je m'explique. Si on estime que certaines technologies ultra-modernes doivent être mises à l'essai (je pense en particulier à la nano-filtration, qui est une technologie tout à fait irremplaçable pour dessaler l'eau de mer), il est clair que le prix de l'eau va tenir compte des investissements nécessaires pour ce type d'usine ultra-moderne qui servira bien sûr de vitrine à son concepteur.

J'étais la semaine dernière à Colombes, qui possède l'une des usines les plus modernes d'assainissement dont le directeur est très fier : il m'a dit qu'il recevait des visites du monde entier. Il s'agit du syndicat interdépartemental de l'agglomération parisienne (SIAAP). Je lui ai demandé si le SIAAP toucherait des royalties dans le cas où ce système serait exporté et il m'a répondu : « évidemment, non, pourtant cette usine a été conçue par trois sociétés qui sont les trois filiales d'assainissement des trois groupes distributeurs d'eau, à peu près à parts égales qui, évidemment, en bénéficient. Néanmoins, cette vitrine est payée par le consommateur ».

Quelle est la position de Service public 2000 sur cette façon de répercuter sur les usagers toute la publicité que les industriels de l'eau se font, à tort ou à raison d'ailleurs ?

M. Antoine Grand d'Esnon : Je vais faire une réponse peut-être choquante. Je pense que si les délégataires répercutaient sur les usagers uniquement leurs coûts, ce serait déjà un énorme progrès. Ils peuvent faire de la publicité, rayonner et exporter la technologie française grâce aux exemples qu'ils ont en France, mais si ces exemples, en France, étaient payés par l'usager à leur coût, je crois que l'on serait déjà très heureux.

M. Jean-Pierre Brard : Monsieur le Directeur, combien y a-t-il d'experts à SP 2000 ?

M. Antoine Grand d'Esnon : Une dizaine.

M. Jean-Pierre Brard : Vous savez que les députés lisent les gazettes. Or nous avons lu quelque part que, depuis votre arrivée, la moitié d'entre eux sont partis. Est-ce exact ?

M. Antoine Grand d'Esnon : C'est faux.

M. Jean-Pierre Brard : Il y en a plus qui sont partis ou moins ?... (Rires.)

M. Antoine Grand d'Esnon : La vie d'une petite structure de conseil est difficile. Ce n'est pas propre à Service public 2000 mais à toutes les petites structures de conseil. Service public 2000 a évolué depuis cinq ans. Il y a eu cinq départs en 1999, avant mon arrivée, et trois départs en l'an 2000. Il est vrai qu'il y a eu un turnover, mais il est naturel et normal car c'est un métier qui use. Ces départs ont largement été compensés par l'arrivée d'experts de grande qualité.

Les commentaires qui peuvent être faits sur ce point ont pour but de desservir Service public 2000. Je cherche à qui profite le crime.

M. Jean-Pierre Brard : Sur ce thème, Monsieur le Directeur, SP 2000 est une structure très originale et intéressante et vous avez déjà répondu par anticipation à une question que j'avais l'intention de vous poser : « comment a-t-on envie de devenir directeur de SP 2000 ? » Vous y avez répondu brièvement tout à l'heure mais, pour satisfaire davantage ma curiosité, pouvez-vous me dire comment, concrètement, on est recruté à SP 2000 et, si ce que nous avons lu toujours dans les gazettes est exact, c'est-à-dire que vous êtes passé par la Générale des Eaux auparavant, et, si c'est le cas, ce que cela vous a apporté ? Pouvez-vous m'indiquer les anomalies que vous avez pu relever au cours de votre passage éventuel à la Générale des Eaux, si vos responsabilités de l'époque vous permettaient d'avoir un regard sur ce point, entre le délégataire et les collectivités et les leçons que vous en tirez pour votre travail aujourd'hui ?

M. Antoine Grand d'Esnon : : Merci de « positiver » la question.

M. Jean-Pierre Brard : Honni soit qui mal y pense...

M. Antoine Grand d'Esnon : Je ne pensais pas être interrogé sur ce point. Il y a onze ans, j'ai fait effectivement un stage de douze mois à la Générale des Eaux, dans le cadre d'une immense « rafle » des ingénieurs des services techniques de l'État et des grands corps de l'État, pour organiser le développement de la Générale des Eaux, qui devenait un groupe international. C'était la politique du précédent président, Guy Dejouany, de former à la chinoise de jeunes brillants diplômés sur le terrain, dans l'eau, parce que l'eau était porteuse de toutes les philosophies des services publics qui allaient se développer de par le monde : le câble, la communication mais aussi les déchets. Il était donc de bon ton de faire un stage initiatique dans les tuyaux, au sens propre du terme, pour apprendre ce beau métier.

J'y suis arrivé trop tard. C'est comme le service militaire : il ne faut pas le faire à 30 ans ; on n'y croit plus. Je n'avais pas suffisamment de passion technique pour vibrer avec la caméra qui traverse les égouts tous les jours et je n'avais pas assez de naïveté pour apprécier le mode de comportement de ces entreprises dans le paysage où elles étaient à l'époque, je dis bien à l'époque.

Mon séjour s'est donc arrêté au bout de douze mois et je suis retourné dans l'administration, où j'ai développé le suivi des services en aidant les élus à négocier et à suivre leur délégation. J'ai fait cela à l'École du génie rural, où j'ai monté un laboratoire pour mettre au point des méthodes d'assistance à la gestion financière, technique et juridique de l'eau parce qu'elles font cruellement défaut aux élus aujourd'hui. Ils manquent de méthode, notamment financière ; ils sont en face d'entreprises qui gèrent sur le long terme et ils manquent malheureusement à la fois de connaissances et d'outils pour gérer sur le long terme. La gestion publique est mal adaptée à la gestion à long terme.

C'est ce que j'ai fait depuis dix ans. Cela a démarré par un stage initiatique à la Générale des Eaux, où j'ai appris beaucoup de ficelles et de technique. J'ai appris à lire des comptes-rendus financiers.

Je ne suis pas extrémiste. Je pense que les acteurs économiques doivent gagner leur vie, ce qui est normal, mais je pense qu'il faut que ce soit équilibré et que les connaissances soient partagées par tous.

M. Jean-Pierre Brard : Vous n'avez pas répondu à la question portant sur la manière dont vous avez été recruté. Avez-vous été reçu par le président de l'AMF lui-même ? De plus, vous nous mettez l'eau à la bouche quand vous parlez du « comportement » de ces entreprises. Qu'entendez-vous par là ?

M. Antoine Grand d'Esnon : Je ferai un petit développement à ce sujet. Depuis 1850, en France, dans certaines collectivités, on a des contrats anciennement dits « de concession » et nouvellement dits « d'affermage », selon la part de travaux, qui sont de très longue durée et que les entreprises ont appris à faire vivre en utilisant certains termes : on appelle cela le « jardinage des contrats » ou la technique de « l'avenantage ».

Le but est de pousser la collectivité à améliorer son tarif et ses équipements et à faire vivre ce milieu afin qu'un contrat médiocre au départ devienne quelque chose de durable, de serein et de lucratif. C'est ainsi que trois petites entreprises sont devenues des entreprises mondiales. Cela ne correspond pas à ma vision du service public dans la mesure où l'usager est obligé de payer.

J'en viens maintenant à la manière dont j'ai été recruté. Je travaillais depuis cinq ans à l'École du génie rural où j'avais monté et je dirigeais le laboratoire de gestion de l'eau et de l'assainissement de l'ENGREF, dans lequel on développait à la fois des méthodes et un certain nombre de concepts, en cherchant à retrouver des contrats à risque et péril, comme autrefois, mais basés aujourd'hui sur la qualité du service : qui dit moins de qualité dit des tarifs plus bas.

Cela m'a amené à intervenir de façon publique en France et beaucoup à l'étranger et donc à rentrer dans ce petit monde des gens qui réfléchissent à la gestion de l'eau et à la façon de l'améliorer dans un cadre d'indépendance. Vous savez en effet que le cadre de l'indépendance, en France, n'est pas très répandu.

Naturellement, la FNCCR, avec qui j'étais en relation depuis plus de dix ans, m'a demandé de poser ma candidature. Cela m'offrait la possibilité d'appliquer sur le terrain les idées et les méthodes que nous avions développées et il était tout à fait logique que je sois séduit par cette proposition, parce que j'ai pensé que c'était sur le terrain que les choses se passaient et non pas dans les universités ni, encore moins, au niveau du gouvernement.

Je pense que c'est au niveau de la collectivité que se prend la décision et donc j'ai vu ma nomination à Service public 2000 comme l'opportunité de développer ces idées pour améliorer le service public. Je ne suis pas carriériste ; j'ai quitté mon pays, les Cévennes, pour monter à Paris, ce qui a un prix, et cela ne correspond à aucune autre ambition que celle d'apporter ma contribution à la gestion des services publics en France, que j'aime, que je respecte et qui sont un exemple au niveau européen.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Vous venez d'indiquer que vous avez dirigé pendant cinq ans ce laboratoire de l'ENGREF qui réfléchissait sur le prix de l'eau, ses composantes, etc. Avez-vous fait des publications ? Vous avez parlé de méthodes, d'analyses et d'idées qui ont été développées. Tout cela s'est-il traduit par des écrits ?

M. Antoine Grand d'Esnon : Oui.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Dans ce cas, nous souhaiterions, si vous le voulez bien, les connaître et en disposer.

M. Antoine Grand d'Esnon : Nous avons travaillé dans deux grands domaines : d'une part, celui de la gestion publique, de la part publique du prix de l'eau, de la gestion des investissements et tout ce qui tourne autour de la M 49, qui désempare tant de petits élus et, d'autre part, la performance.

La notion de risque et péril a été perdue alors qu'elle existait sous Napoléon III. A l'époque, le concessionnaire ne savait pas si les gens allaient acheter un branchement, alors qu'aujourd'hui, tout le monde a un branchement et consomme et que l'on sait très bien combien consomment les gens. Nous estimons qu'il faut basculer cette notion de risque et péril, qui se perd, de la quantité d'autrefois vers la qualité de demain et nous souhaiterions donc que les contrats prennent en compte des critères de qualité.

Nous avons donc défini des indicateurs de performance avec un groupe européen de l'Association Internationale de l'Eau et nous souhaitons maintenant les traduire dans la communication que peuvent faire les élus de leur service et également, contractuellement, en régulation interne, dans la tarification de l'eau.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Vous avez indiqué de manière très directe qu'à votre avis, il n'y avait pas de concurrence mais une entente entre les grands groupes qui se répartissent le marché. L'élargissement à la concurrence européenne peut-il modifier cette situation ?

M. Antoine Grand d'Esnon : Je vous prie de pardonner mes propos directs. Il y a un concurrent potentiel de taille importante pour les grandes entreprises : qui serait Thames Water, qui vient de fusionner avec RWE, et nous voyons se constituer, au niveau européen, des groupes multiservices qui s'occupent, en général, d'énergie, d'une part, et d'eau et d'environnement, d'autre part.

Je ne suis pas très optimiste sur la concurrence et le grand nombre de ces groupes. Il y en a quatre ou cinq au niveau international aujourd'hui et le jeu des rachats et des fusions ne me semble pas de nature à créer, avant dix ans, une véritable concurrence.

A côté de ces quatre ou cinq entreprises, trois françaises et deux étrangères, il existe quelques entreprises de taille plus modeste, plus ou moins récentes, certaines étant très anciennes, qui voient dans la nouvelle concurrence offerte par la loi Sapin la possibilité de pénétrer le marché de l'exploitation des services de l'eau qui, finalement, n'est pas extrêmement difficile à réaliser. Ces entreprises, qui ont une farouche volonté de pénétrer le marché, constituent aujourd'hui un facteur de concurrence.

Le troisième facteur de concurrence, peut-être encore plus crédible et plus proche de nous, c'est le possible retour à la régie ou le changement de mode de gestion. La crise de 1995 a poussé un certain nombre d'élus à changer de mode de gestion et à revenir à la régie. Que ce soit passé dans les actes ou que ce soit une menace crédible, c'est aujourd'hui le principal facteur de concurrence et, dans cette mesure, nous sommes extrêmement favorables à avoir des régies en bon état (les régies françaises travaillent bien) et à rétablir un équilibre entre les deux systèmes, comme l'école publique et l'école privée, les cliniques privées et l'hôpital public. Je crois que c'est une bonne chose aujourd'hui.

M. Daniel Marcovitch : Monsieur Grand d'Esnon, il y a un point qui pose problème actuellement : les provisions pour grosses réparations. On sait que, la plupart du temps, ce sont les industriels qui les font, que les fermiers gardent chaque année une partie non négligeable de la facture d'eau et qu'en fin de contrat, cela peut atteindre des sommes qui sont souvent de plusieurs centaines de millions de francs (je pense à Paris en particulier), ces sommes étant non seulement un capital mais générant aussi de la trésorerie. On sait qu'il y a aussi d'autres façons de faire de la trésorerie avec des redevances publiques.

Quelle est la position de Service public 2000 sur ce problème précis des provisions pour grosses réparations ?

M. Antoine Grand d'Esnon : Ma position rejoint celle des délégataires qui font deux choses : ils exploitent le service d'eau (la maintenance, l'entretien et la gestion clientèle) et ils font des travaux. Nous souhaitons que les travaux prévus par les délégataires correspondent à un programme chiffré avec un échéancier.

Par contre, nous souhaitons que le tarif fasse apparaître clairement dans le contrat la part qui revient à l'exploitation et celle qui revient aux travaux, la part qui revient à l'exploitation subissant évidemment une formule d'évolution liée à l'exploitation et la part qui est liée aux travaux subissant une formule d'évolution liée aux travaux.

Évidemment, nous souhaitons que, si les travaux ne sont pas réalisés selon le programme, l'argent actualisé retourne à l'usager, ce qui est la jurisprudence actuelle en matière de clause concessive.

Nous estimons que les travaux pour grosses réparations, qui ne sont jamais totalement inattendus, relèvent du renouvellement patrimonial, que c'est un programme qui a été décidé par la collectivité avec son délégataire selon un échéancier, un montant et donc un tarif et que, par conséquent, s'ils ne sont pas réalisés à la fin du contrat, il faut un retour.

M. Daniel Marcovitch : A l'usager ?

M. Antoine Grand d'Esnon : A l'usager mais, peut-être, par le biais de la collectivité pour des questions de simplification administrative. Cela revient au même : la surtaxe diminuera d'autant.

M. Daniel Marcovitch : A Saint-Étienne, les usagers ont été remboursés personnellement, du moins pour partie.

M. Antoine Grand d'Esnon : Disons que ce retour doit être fait à l'usager, à la collectivité représentant les usagers ou aux usagers directement.

M. Jean-Jacques Jégou : Personnellement, j'apprécie la franchise de votre ton et je trouve cela rafraîchissant. Vous nous avez parlé de l'absence de concurrence ainsi que, à l'interrogation de notre collègue, de votre recrutement et d'où vous veniez. Pourriez-vous maintenant nous dire si, dans Service public 2000, vous vous occupez aussi de l'imbrication avec l'assainissement, puisque vous avez parlé des difficultés des petites collectivités à comprendre la M 49 ?

Quand on parle de la facture de l'eau, on oublie toujours une chose qui est très coûteuse aussi : l'assainissement. A cet égard, la clarification et la transparence sont très approximatives et les taxes qui sont afférentes, les agences de bassin et la lutte contre la pollution ne sont pas des éléments qui concourent à la clarté.

Ma question portera sur deux aspects. Concernant l'amélioration de la lisibilité et l'éventuelle séparation de ces éléments, indépendamment de l'obligation de financer dans nos budgets annexes l'assainissement par la taxe d'assainissement qui entre sur la facture d'eau, avez-vous des propositions complémentaires et, lorsque des collectivités vous consultent, avez-vous la possibilité de rendre les coûts plus lisibles et plus transparents ?

Je vois dans les évolutions du montant des factures entre 1995 et 1999, qui nous a été communiqué par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, que l'assainissement constitue maintenant un vrai problème, indépendamment de tout ce que vous venez de nous dire sur l'absence de concurrence qui augmente indéniablement le coût, ce dont nous sommes tous convaincus. En effet, les communes font des efforts énormes en matière d'assainissement.

On a parlé tout à l'heure d'une station d'épuration en Ile-de-France, mais, étant du Val-de-Marne, je peux dire que celle de Valenton est aussi exceptionnelle. De tels équipements ont un coût et on sait bien qu'aujourd'hui, la formation du prix du mètre cube d'eau comporte une part d'assainissement extrêmement importante dont on parle peu. A chaque fois que l'on fait des investissements en la matière, on vient abonder le prix de l'eau et le rendre d'autant moins lisible pour le consommateur final.

M. Antoine Grand d'Esnon : Tout ce que vous dites est entièrement vrai, mais ce que j'ai dit jusqu'à présent s'applique aussi bien à l'eau qu'à l'assainissement et quand je dis « eau », j'entends cette facture qui couvre l'eau et l'assainissement. C'est donc un ensemble.

Le problème, c'est qu'il y a paradoxalement une contradiction entre transparence et lisibilité. Plus on est transparent, plus on va détailler, moins le consommateur et les élus vont comprendre et plus ils vont soupçonner telle ou telle chose qui n'existe pas forcément.

Dès lors, j'en suis à imaginer des mesures plutôt radicales que je vais vous soumettre parce que vous m'en donnez l'occasion, bien qu'elles ne reflètent pas les positions de l'AMF et de la FNCCR

Nous nous sommes interrogés tout d'abord sur le problème de la partie fixe. Il n'y a pas de réalité technique derrière : il faut couvrir des coûts et on a l'habitude, traditionnellement, suite à la disparition des forfaits, de mettre une partie fixe ou un abonnement, comme pour le téléphone, et un prix à la consommation.

S'il faut simplifier le prix de l'eau, supprimons carrément la partie fixe, auquel cas on aura un prix au mètre cube dont les gens pourront parler simplement. On saura que lorsque deux personnes parlent du prix de l'eau, elles parlent de la même chose.

Deuxièmement, il existe, sur l'eau, un certain nombre de taxes qui nuisent à la lisibilité et dont la justification n'est souvent qu'historique. Évidemment, les gens qui travaillent sur ces taxes et qui en bénéficient sont de farouches défenseurs de leur maintien, mais on peut penser que l'eau a été un peu utilisée comme un objet de facturation parce qu'on avait la possibilité de fermer le robinet aux mauvais payeurs.

On peut s'interroger sur la taxe pour les Voies navigables de France (VNF), qui est de 2 centimes par mètre cube. Cela ne fait pas beaucoup mais c'est une ligne de plus et c'est dommage ; il y a peut-être d'autres façons de financer l'entretien des voies navigables.

On peut aussi s'interroger sur le Fonds national pour le développement des adductions d'eau (FNDAE), qui est une survivance du développement des années 50 et 60 et qui correspond à 1 % du prix de l'eau dans une comptabilité qui pourrait être simplifiée.

Ce sont des rêves que je vous expose tout à fait librement, en sachant qu'ils peuvent être considérés comme des anathèmes.

Enfin, sur la présentation, je pense qu'il est nécessaire de mener un travail de communication intermédiaire. Il est à mon avis important de réclamer aux gestionnaires des services un certain nombre de données sur la constitution du prix et sur la composition des coûts.

Je pense ensuite que c'est à chaque collectivité, se faisant aider si elle le souhaite, de trouver les meilleurs moyens pour communiquer avec ses usagers de façon exacte, compréhensible et sereine. Ce travail n'est pas évident. Si on publie des analyses d'eau en mairie, par exemple, et si la ménagère qui les consulte voit qu'il y a de l'antimoine dans l'eau, elle ressort affolée, même s'il n'y a que quelques microgrammes. Ce n'est pas forcément une communication très efficace. Il y a un travail formidable à faire pour communiquer.

M. Jean-Pierre Delalande, co-président : Vous avez répondu pour partie à la question que je voulais vous poser, mais on peut peut-être la creuser encore. J'ai sous les yeux la décomposition de la facture d'eau en 1999 : 10 % FNDAE, VNF et TVA ; 42 % distribution d'eau ; 2 % redevance préservation des ressources ; 31 % collecte et traitement des eaux usées ; 15 % redevance pollution.

De par votre expérience, outre les postes que vous avez déjà évoqués, quels sont ceux sur lesquels, à votre avis, on peut faire des économies importantes ? C'est ma première question.

J'en aurai une deuxième. Mon expérience de maire rejoint ce que vous dites sur la communication : c'est extraordinairement difficile. Maintenant, on nous communique en effet les analyses chimiques de l'eau distribuée dans la commune ; elles doivent être publiées et nous les publions, mais la vérité, c'est que le maire n'y comprend rien, pas plus que son secrétaire-général. Nous ne sommes pas chimistes.

Par conséquent, dès qu'il y a une petite variation par rapport aux fourchettes dans lesquelles doit se trouver tel ou tel pourcentage de tel ou tel métal, il y a évidemment une interrogation de la population. Or nous avons un mal de chien à avoir des éléments précis. Le maire s'inquiète immédiatement en se disant : « s'il y a le moindre problème, on sait qui est responsable avec la pénalisation ; on va nous accuser de n'avoir rien fait ! »

Tout cela est absolument ingérable et, à vrai dire, on est obligé de s'en remettre, en étant quasiment pieds et poings liés, aux informations que l'on nous donne et de les reprendre avec un scepticisme prudent.

Ma dernière question, pour ne pas abuser, concerne la renégociation des contrats. J'ai des souvenirs cuisants à cet égard. J'ai été obligé de renégocier le mien alors qu'il datait de 1932. Nous y avons passé un temps considérable ! Mon secrétaire-général, le directeur des services techniques, mon adjoint et moi-même, avons passé des après-midi entiers à essayer de comprendre comment cela marchait et à quoi cela correspondait ! Nous ne comprenions rien et il y avait des formules complètement absconses, compliquées à souhait par des générations successives d'ingénieurs.

Nous avions le sentiment de ne pas pouvoir obtenir les renseignements alors que la date de l'échéance arrivait et que nous allions être dans l'illégalité. Nous étions donc contraints de faire approuver un contrat par le conseil municipal mais nous n'étions pas convaincus de ce à quoi nous étions arrivés. Il nous a fallu encore deux ou trois ans d'efforts inlassables pour obtenir des informations et essayer de modifier les choses.

La vérité, c'est que, dans ces affaires, le maire, au bout du compte, est considéré comme responsable par la population alors qu'il n'a que très peu de moyens. Peut-être ne nous étions-nous pas fait suffisamment conseiller...

Toujours est-il que je suis ressorti, après ce parcours du combattant, avec le même sentiment d'impuissance renforcée et, surtout, d'insécurité absolue dans tous les domaines. Donc je pense que nous nous heurtons à une vraie difficulté.

M. Antoine Grand d'Esnon : Ce sont des questions difficiles.

Comment baisser le prix de l'eau ? Nous souhaitons baisser le prix de l'eau parce qu'il y a des investissements à faire et que nous avons un grand retard en matière d'assainissement et de qualité de réseau en France. Je vois donc mal aujourd'hui comment l'usager et ses élus vont accepter d'augmenter le prix de l'eau pour faire des travaux qui sont indispensables si on ne veut pas les reporter sur les générations futures. Donc il faut baisser le prix de l'eau aujourd'hui avant de le réaugmenter pour faire des travaux. Il faut que les travaux puissent se faire à prix constants, ce qui suppose de baisser le prix de l'eau dans un premier temps.

Dans la salle : Et les provisions ?

M. Antoine Grand d'Esnon : Il faut les payer un peu chaque année. C'est un vrai enjeu.

M. Jean-Pierre Delalande, co-président : Excusez-moi, mais j'ai une chose à ajouter sur le même sujet. Je le dis parce que nous nous parlons franchement : j'ai été complètement déstabilisé aussi par les ingénieurs qui me faisaient les plans d'assainissement. J'avais tout à refaire et ils changeaient complètement la conception de l'assainissement dans ma ville tous les deux ans en disant : « Monsieur le Maire, on s'est trompé »...

Ensuite, il se trouve que la ville dont j'étais le maire se situe dans un endroit où des études météorologiques ont montré qu'il pleuvait beaucoup plus qu'ailleurs, et ce qu'on me présentait comme risque décennal ou cinquantenaire arrivait tous les deux ou trois ans ...

Nous avions donc des discussions et des batailles incroyables sur les sections nécessaires pour essayer d'éviter que mes braves concitoyens soient perpétuellement inondés et tout cela s'ajoutait à l'instabilité complète. On pouvait espérer que le fait que les plans fussent établis par des ingénieurs de la direction départementale de l'équipement assurait leur indépendance et nous apportait la compétence ; sur l'indépendance, je veux bien le croire, mais sur la compétence, je me pose des questions.

M. Antoine Grand d'Esnon : Pour baisser le prix de l'eau, il y a deux voies aujourd'hui, sachant que l'on ne peut pas baisser les taxes, évidemment.

La part collectivité devrait pouvoir baisser avec une amélioration de la gestion publique, particulièrement pour les services d'eau, sachant que les services d'assainissement sont très endettés en France aujourd'hui et que les services d'eau sont en général excédentaires pour des raisons d'ancienneté. Il y a donc des gains à faire en qualité de gestion publique.

Pour les services qui sont délégués, c'est-à-dire 80 % de l'eau française, tout repose sur la qualité de la négociation que l'on a menée avec son ou ses délégataires. L'enjeu est là.

Vous avez posé une deuxième question qui portait sur la complexité. J'ai une anecdote à ce sujet. Quand je faisais ce stage à la Générale des Eaux, il y a onze ans, j'avais suggéré de supprimer les douze tranches tarifaires qui étaient instaurées selon qu'on consommait de 0 à 50 m³, de 51 m³ à 98 m², etc., et de n'en mettre qu'une ou deux, parce que ce serait beaucoup plus simple et compréhensible. On m'a alors répondu : « tu n'y penses pas ! Les gens comprendraient le prix de l'eau et pourraient alors reconstituer notre recette ».

Soudainement, le ciel s'est éclairci et j'ai compris qu'il y avait une volonté délibérée de rendre les choses compliquées. Notre métier, c'est justement de dire que l'eau, c'est simple, qu'il y a des investissements qu'il faut rembourser et qu'ensuite, il faut exploiter les ouvrages. On peut l'expliquer en termes simples.

C'est un travail de tous les jours et cela rejoint la question précédente. Je pense que l'on doit pouvoir faire simple. Nous travaillons sur des modèles de cahiers des charges qui sont écrits en français, que les gens peuvent comprendre, dans lesquels les obligations sont clairement réparties, sans un jargon technique qui ne correspond plus à la réalité. Je pense que c'est avec cela que l'on pourra s'attaquer progressivement aux grands enjeux des vingt prochaines années, qui sont très probablement du renouvellement d'ouvrage.

M. Jean-Jacques Jégou : Je souhaite revenir sur une chose qui peut paraître choquante, mais je ne pense pas que ce soit dans votre esprit. Vous avez dit en effet : « on ne peut pas baisser les taxes ».

M. Antoine Grand d'Esnon : Ce n'est pas de notre compétence !... (Rires.)

M. Jean-Jacques Jégou : Êtes-vous sûr que toutes les taxes que l'on connaît mais qui n'ont pas été forcément toutes énoncées (vous avez parlé d'un certain nombre), par exemple les transferts qui se font sur les taxes de bassin et les transferts de solidarité qui ne sont pas contestables, ont une efficacité ?

Je pense que nous avons bien évalué, maintenant, le problème de la concession ou de l'affermage, mais il reste aussi le problème de l'argent public, en se demandant si les taxes prélevées sont bien utilisés. N'y a-t-il pas une espèce de « racket » à cet égard ?

En tant qu'élu d'Ile-de-France et breton par la diaspora, si j'ose dire, je suis vraiment effondré de voir qu'alors que l'Ile-de-France fournit des ressources financières énormes à la Bretagne, cette dernière ne dispose toujours pas d'eau assainie.

Quelle est l'efficacité des taxes qui sont prélevées sur la facture d'eau et qu'énumérait le président Delalande, c'est-à-dire les taxes de pollution, les taxes de bassin, etc., qui entrent pour des parts non négligeables aujourd'hui ? Quand on voit l'évolution des prix de l'eau et de l'assainissement, on se dit que c'est quand même l'assainissement qui a le plus augmenté. Toutes ces taxes qui représentent plus que des cagnottes sont-elles bien utilisées et n'y a-t-il pas matière à ce qu'on y regarde de plus près quant à leur efficience ou leur efficacité ? Après tout, une taxe est acceptée par le consommateur quand il sait ce qui en est fait.

M. Antoine Grand d'Esnon : Je ne pourrai évidemment pas me prononcer sur l'efficacité de la politique publique parce que je n'ai aucun élément pour le faire et parce que je souhaite m'en abstenir par pudeur.

Les taxes sur l'eau, globalement, rapportent 11 milliards de francs et sont destinées à couvrir l'investissement, à l'aider, à le déclencher et à le motiver. L'investissement dans le domaine de l'eau est, globalement, de l'ordre de 30 milliards de francs, c'est-à-dire qu'elles en couvrent un bon tiers. C'est tout ce que j'en sais. Je n'ai pas d'éléments pour me prononcer sur leur aspect incitatif et leur aspect de péréquation.

M. Michel Bouvard : Service public 2000 s'occupe évidemment de l'aspect conseils juridiques et conseils sur les termes des contrats, quand il y a des renouvellements ou des renégociations de concession ou d'affermage. Avez-vous également une capacité d'expertise technique sur les solutions qui sont mises en _uvre ? Jean-Pierre Delalande parlait tout à l'heure de la situation du maire confronté à ces questions.

Pour la mise en _uvre d'une station d'épuration, par exemple, sur laquelle on peut avoir des solution plus ou moins coûteuses ou adaptées, y a-t-il une capacité d'expertise technique par rapport à ce que va proposer le concessionnaire ou le fermier ?

Ma deuxième question concerne les retours aux régies. Avez-vous eu l'occasion de suivre des cas de retour à des régies, la transformation s'est-elle faite dans un certain nombre de cas et dans quelles conditions ?

Troisièmement, vous avez évoqué tout à l'heure le fait qu'environ mille collectivités ou groupements de collectivités, chaque année, étaient amenées à conclure des délégations ou à renégocier des contrats et vous avez indiqué que, dans 80 % des cas, les services déconcentrés de l'État servaient d'assistance. Avez-vous un avis - mais c'est peut-être plus délicat - sur la qualité du conseil des services de l'État aux collectivités qui font appel à eux pour effectuer ces négociations avec les sociétés d'eau ?

Enfin, vous avez tout à l'heure indiqué que le FNDAE était une espèce de survivance du passé, si je vous ai bien compris. Est-ce la position du technicien de Service public 2000 ou la position de l'AMF ?

M. Antoine Grand d'Esnon : Je commence par la dernière question. Je représente Service public 2000 et, évidemment, personne d'autre. Je suis en faveur de la simplification, qui ne peut pas se faire sans dégât. C'est clair.

A Service public 2000, nous avons une juriste (nous en aurons bientôt deux), trois financiers et quatre ingénieurs qui sont spécialisés dans le domaine de l'eau, qui savent donner des conseils techniques et porter des jugements techniques et qui savent combien coûtent les équipements à construire et à exploiter, ce qui était jusqu'à récemment top secret. Mais nous ne sommes pas un bureau d'étude technique ; c'est une autre profession qui existe et qui est représentée en France. La conception technique n'est pas de notre ressort.

Votre deuxième question concerne les régies. C'est la même chose : je m'abstiendrai de tout commentaire sur la qualité de l'un par rapport à l'autre, le prix de l'un par rapport à l'autre. Il y a à cet égard des débats toujours fallacieux et chargés d'arrière-pensées. Il y a d'excellentes régies en France et aussi des mauvaises ; il y a d'excellents services délégués et aussi des exécrables.

Vous m'avez aussi interrogé sur les retours en régie. Les retours en régie ou les passages en délégation font partie du choix du mode de gestion et relèvent du pouvoir des élus, et nous souhaitons que ces derniers en aient la liberté. Nous faisons donc tout pour que cela se passe bien et que ce soit crédible. C'est malheureusement rendu difficile par une multitude de complexités juridiques qui sont l'évaluation des biens de retour, l'amortissement de la TVA sur les investissements de moins de dix ans et de moins de vingt ans, la reprise du personnel, avec le célèbre article L. 122-12 et avec ou sans les conventions collectives, etc. Tout cela n'est pas toujours très facile, mais on constate que cela marche et se passe plutôt bien.

Quand le service est très compliqué et qu'il y a des ouvrages de traitement complexes, il faut évidemment prendre des précautions, être sûr d'avoir un chimiste et un électromécanicien qui connaît bien l'ouvrage si on veut assurer la continuité, parce qu'il ne s'agit pas d'avoir une période où les usagers ont de l'eau polluée ou pas d'eau du tout. Il ne s'agit pas non plus d'avoir une période sans facturation, ce qui est très embêtant également. Il faut donc assurer les deux continuités : la gestion de la clientèle et la gestion technique.

Je constate qu'alors que l'on avait prédit l'apocalypse aux collectivités qui se sont lancées dans cette aventure, cela n'est pas arrivé. A priori, cela fonctionne, mais nous souhaitons, afin d'identifier les biens de retour et les biens du fermier, que les compteurs appartiennent à la collectivité pour qu'en fin de contrat, cela se passe mieux. Nous aimerions aussi simplifier le régime de la TVA, qui est complexe, afin qu'il y ait plus d'égalité de gestion entre les deux modes.

Quant à la qualité des services de l'État, qui fait l'objet de votre dernière question, je viens de passer cinq ans à former au conseil aux collectivités, dans ce domaine, les ingénieurs des services de l'État. Vous comprenez bien que je les aime et que je souhaite qu'ils fassent le meilleur travail possible.

Je conçois que le système est un peu atypique dans notre monde. Si on considère cela sur le plan libéral, cela relève-t-il vraiment des missions de l'État ? Je m'abstiendrai de porter un quelconque jugement sur ce point.

Cela dit, il se trouve qu'avec la myriade de petites collectivités qui fait notre paysage français et qui est une exception européenne, les services déconcentrés de l'État, après avoir aidé les petites collectivités à investir, cherchent à les aider à gérer. Je crois que c'est une bonne chose. Il faudrait simplement essayer de savoir ce qui se passerait s'ils n'existaient pas. Ce serait probablement moins bien. Mais ce service est très inégal d'un département à un autre.

M. Jean-Pierre Brard : Évidemment, le positionnement d'une collectivité est d'autant plus pertinent qu'elle est bien conseillée. Je peux témoigner de la qualité des services rendus par SP 2000 pour le Syndicat des eaux d'Ile-de-France. Vous avez parlé de pudeur tout à l'heure, monsieur le Directeur, et vous êtes dans un lieu où non seulement vous pouvez vous exprimer librement mais vous le devez sans retenue excessive.

Je souhaiterais savoir si vous avez une opinion sur le degré d'indépendance de certains cabinets par rapport aux délégataires quand ils donnent des conseils. Pour être encore plus précis, avez-vous une opinion sur des cabinets comme le cabinet Barbier et Frinault, qui a été retenu en évinçant SP 2000 dans son activité de conseil auprès du Syndicat des eaux d'Ile-de-France alors que vous aviez formulé des préconisations dont nombre d'entre les responsables du syndicat avaient pensé qu'elles étaient pertinentes ?

Je vous ai dit que la pudeur n'était pas de mise ici et je vous le demande donc sans tomber dans l'exhibitionnisme parce que, globalement, vous avez été très précis dans vos réponses, sauf sur une question à laquelle vous ne m'avez pas répondu tout à l'heure.

M. Antoine Grand d'Esnon : J'ai oublié de vous répondre sur la procédure de recrutement que j'ai subie.

M. Jean-Pierre Brard : Vous n'aviez pas oublié la question... (Rires.)

M. Antoine Grand d'Esnon : J'ai été recruté après un déshabillage psychologique mené par un cabinet de recrutement spécialisé accompagné d'une série d'auditions à la FNCCR qui s'est terminée par une espèce de grand oral auquel participait l'AMF, que je rencontrais pour la première fois, et la FNCCR.

Évidemment, je ne pensais pas être pris. J'ai pourtant été retenu. Je n'ai aucun autre commentaire à faire sur la procédure de recrutement. Très franchement, je ne pensais pas être pris, mais je suis très heureux de diriger Service public 2000.

Maintenant, concernant votre question sur le conseil aux collectivités, je vais quand même essayer d'avoir de la pudeur.

Service public 2000 ne travaille que pour des collectivités ou des établissements publics. Nous n'avons aucun contact financier avec le secteur privé. Nous n'avons aucun lien avec un quelconque parti politique ou une quelconque tendance politique ; nous sommes d'une neutralité totale. C'est une situation exceptionnelle et unique. Je ne pense pas qu'elle soit partagée par beaucoup d'entreprises privées françaises ou américaines travaillant en France, parce que la vie économique est difficile et qu'il peut être tentant d'avoir des clients réguliers parmi des grandes entreprises de service public. Naturellement, cela entache l'indépendance de ces bureaux d'études.

Par ailleurs, nous travaillons dans un secteur du conseil qui est une jungle dans laquelle il n'y a pas de déontologie, de charte de qualité ou de définition des missions. A partir d'une proposition, n'importe qui peut dire n'importe quoi et c'est très difficile.

Je peux toujours vous dire que nous sommes meilleurs que les autres. C'est évidemment ce que nous pensons mais j'aurai la pudeur de ne pas vous le dire. Simplement, il serait nécessaire de réglementer ce secteur.

M. Jean-Pierre Brard : Parmi les entreprises américaines, pensez-vous au cabinet Andersen ?

M. Antoine Grand d'Esnon : Je pense que la majorité des cabinets d'audits sont américains et je trouve dommage que les communes françaises soient conseillées par des cabinets américains.

M. Pierre Hériaud : Vous nous avez dit que vous n'étiez pas un cabinet de consultants mais une association loi 1901 indépendante. Vous avez quand même un conseil d'administration. Pourrait-on en connaître la composition ?

M. Antoine Grand d'Esnon : Nous avons deux co-présidents : Josy Moinet, président de la FNCCR, et Jean-Paul Delevoye, président de l'AMF ; nous avons un trésorier, Michel Charasse, et un secrétaire, Christian Martin, député du Maine-et-Loire.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Je souhaite revenir sur vos derniers propos avant la réponse sur le conseil d'administration. Le projet de loi sur l'eau qui est en préparation prévoit la création d'un haut conseil du service public de l'eau et de l'assainissement. Je voudrais donc savoir ce que vous en pensez et si les propositions législatives qui sont faites répondent aux questions que vous vous êtes posées, notamment sur le contrôle des prix, la transparence, l'encadrement, etc.

M. Antoine Grand d'Esnon : Je vais vous faire une réponse de normand : partiellement oui et partiellement non. Je trouve très bien qu'il y ait une haute autorité au sens moral, au sens de la vérité des sages. Les usagers, en France, en ont besoin. Il est vrai que les hautes autorités correspondent à une tendance et à une mode, mais je crois que cela va dans le bon sens aujourd'hui.

Mais son positionnement est délicat. En effet, je ne vois guère comment l'État peut faire du conseil dans un domaine de concurrence. Par ailleurs, il est possible de transmettre des informations, mais est-ce motivant à long terme ? Quant à légiférer, certainement pas. La place du haut conseil n'est pas forcément facile à trouver et je pense que le rôle des gens qui y travailleront ne sera pas simple. Le créneau est étroit.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Peut-il répondre aux interrogations ou aux exigences que vous avez formulées tout à l'heure concernant la définition du prix de l'eau, son encadrement et la légitimité des exigences exprimées notamment par les concessionnaires ?

M. Antoine Grand d'Esnon : Nous pensons que tout ce qui ira dans le sens de la communication dans le secteur de l'eau et de l'information ira dans le bon sens. Par conséquent, je dirai sous la forme d'une boutade : « bienvenue au club », avec en plus cette force de la haute autorité. Il n'y a pas assez d'informations exactes, sereines et indépendantes dans ce secteur.

M. Jean-Pierre Delalande, co-président : Puisque, apparemment, la concurrence n'est pas aussi développée qu'on pourrait le souhaiter - c'est un heureux euphémisme -, pourquoi n'y a-t-il pas de plainte au Conseil de la concurrence ? Pourquoi le droit de la concurrence n'est-il pas plus prégnant ?

M. Antoine Grand d'Esnon : Je me pose tous les jours la même question ...

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Je remercie M. Grand d'Esnon de ses réponses. J'espère que cela a permis d'éclairer la mission. Nous en tirerons le plus grand profit pour notre prochain rapport

c) 11 heures : M. Michel Moreaux, professeur de sciences économiques à l'Université de Toulouse I

Le président accueille M. Michel Moreaux, lui présente les membres et les travaux de la mission et donne la parole à M. Yves Tavernier, rapporteur.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Monsieur le Professeur, notre première interrogation porte sur la nature du marché de l'eau. S'agit-il d'un marché concurrentiel ou sommes-nous dans une situation d'entente qui, en fait, donne le monopole à quelques grands groupes, peu nombreux, qui se répartissent le territoire ?

Votre connaissance du marché de l'eau vous conduit-elle à conclure que cette force de concentration aboutit à des économies d'échelle ou, au contraire, à une élévation injustifiée du prix de l'eau au profit des entreprises qui contrôlent le marché ?

M. Michel Moreaux : Concernant la première question, à savoir la nature concurrentielle du marché, je suppose que vous parlez uniquement de la situation française.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Oui.

M. Michel Moreaux : Il est de notoriété publique que nous avons un certain nombre de grands groupes, disons deux principaux et un plus petit, qui se partagent une partie importante du marché. Cela dit, il est toujours très difficile d'apprécier, lorsqu'il y a un nombre restreint d'acteurs, s'ils sont effectivement en concurrence ou s'ils constituent une entente implicite.

Comment l'apprécier ? Premièrement, il y a une certaine concurrence en matière de mise en adjudication des services délégués, mais il pourrait y avoir une entente. Le problème est de la prouver, ce qui n'est pas évident.

Deuxièmement, quand on examine les prix de l'eau en France, on s'aperçoit qu'ils ne sont pas spécialement élevés par rapport à ceux d'autres pays européens. Par conséquent, si on compare les prix de l'eau en France et ailleurs, et si le prix de l'eau est l'indicateur d'un abus de position dominante, il n'est pas du tout évident qu'un tel abus existe.

Une autre façon de procéder serait de comparer les prix de l'eau lorsque les services sont gérés par ces grandes compagnies et ces grands groupes, et les prix des régies directes. Là aussi, il faut faire très attention dans les comparaisons parce que, bien souvent, les services ont été délégués alors qu'il n'y avait pas eu un renouvellement suffisant du capital et des réseaux, si bien que la charge en capital est revenue aux délégataires privés alors qu'il ne pouvait plus y avoir de financement public ou que cela impliquait une charge extrêmement lourde. C'est extrêmement difficile à apprécier.

Je n'ai pas l'impression qu'il y ait un abus de position dominante criant en France actuellement sur le prix de l'eau, ce qui ne veut pas dire que les entreprises ne font pas des profits. Elles font des profits. Elles font des profits normaux et c'est leur rôle de faire des profits.

En ce qui concerne les économies d'échelle - c'est la difficulté de la gestion de ce bien -, il est clair qu'on ne peut pas dupliquer les installations car cela serait extrêmement coûteux et entraînerait des gaspillages. Donc on se trouve dans des situations de monopole naturel qui sont à peu près celles de toutes les industries de réseaux. Quand on regarde la manière dont se sont constitués la plupart des services publics en France, on s'aperçoit qu'ils se sont créés parce qu'il y avait un problème de réseau et que l'on a souvent opté pour une gestion publique, alors que, dans d'autres pays, il y a une autre tradition, de gestion privée.

Nous avons, en France, d'excellents services publics. Je pense notamment aux Ponts & Chaussées, mais aussi à tous les grands services publics.

Il est très difficile de gérer privativement ce genre d'industrie sans un contrôle strict. On pourrait mettre en place des instances de régulation qui permettraient éventuellement, lorsqu'on constate une asymétrie de pouvoirs entre une commune, - puisque c'est en général le maire qui a le pouvoir de déléguer -, et un grand groupe, de faire systématiquement un audit. Si on pense qu'il y a une asymétrie de pouvoirs, une instance de régulation qui serait chargée de la constater ou de vérifier s'il y a ou non abus de position dominante est alors nécessaire.

J'ajoute qu'en France, il existe actuellement des instances auxquelles on peut recourir si on pense qu'il y a des abus de position dominante, notamment le Conseil de la concurrence. Des actions sont parfois menées contre certains groupes pour abus de position dominante. On pourrait étendre ces procédures. A chaque fois que l'on a dérégulé des services publics en France, ont été mises progressivement en place des instances de régulation. On l'a fait notamment pour les télécommunications, pour l'électricité, pour le gaz. C'est donc le type d'institution vers lequel on serait amené à aller naturellement.

J'ajoute que l'instance de régulation devrait aussi réguler ce qui se passe quand il y a une gestion directe et non pas seulement quand il y a une gestion déléguée, parce qu'il peut y avoir aussi des abus de position dominante par la puissance publique. Il n'y a pas les « méchants » d'un côté et les « bons » de l'autre.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Quand on fait des comparaisons, il faut avoir en mémoire que l'eau est un bien commun et que seules les collectivités et les communes ont juridiquement, et ce depuis 1791 - c'est donc très ancien -, la responsabilité de l'approvisionnement en eau de nos concitoyens. Nous sommes donc dans un cas différent des autres services publics dont vous avez parlé.

Malgré tout, vous dites qu'il y a peut-être plus de concurrence qu'on ne l'imagine. Je voudrais avoir votre opinion sur le fait que les grands groupes ont créé ensemble des sociétés qui, elles, dans de très grandes villes, sont dans une situation de monopole. Lorsque, à Marseille, la seule société qui soit sur les rangs est une filiale de la Générale des eaux et de la Lyonnaise des eaux, ce n'est pas ce qu'on peut appeler de la concurrence. Je prends cet exemple mais je pourrais en prendre d'autres à Arles, Douai, etc.

M. Michel Moreaux : Il y a toute la partie industrie de l'eau, mais comme ce sont en général des industries de réseau, elles savent bien gérer les réseaux et tout ce qui concerne les stocks, les réservoirs, les parkings, etc. Pour voir s'il y a éventuellement abus de position dominante, il faudrait regarder non seulement la partie eau mais aussi d'autres éléments comme la gestion des parkings, la distribution par câble ou d'autres infrastructures.

Pour analyser s'il y a vraiment abus de position dominante (je ne suis pas sûr que ce ne soit pas un abus consenti quelquefois), il faudrait regarder d'autres activités que le seul secteur de l'eau.

Par ailleurs, je pense qu'il faudrait systématiquement - la loi l'oblige - séparer toutes les opérations et faire des adjudications décomposées au maximum avec, évidemment, la difficulté que cela peut poser en matière de coordination : plus on fragmentera, plus on aura des problèmes de coordination entre les différents bénéficiaires des adjudications. En tout cas, il faudrait promouvoir ce genre de séparation. Dans ce cas, il est possible que les situations auxquelles vous faites allusion ne se reproduiraient pas, ou moins fréquemment.

Il est clair, par exemple, que s'il ne faut pas dupliquer les usines de traitement d'eau avant la distribution aux usagers, on n'est pas pour autant obligé de donner tout le traitement avant distribution à une seule entreprise. Il peut y avoir des prélèvements à différents endroits.

Actuellement, par exemple, il y a des discussions au Québec pour savoir si on va privatiser un certain nombre de services. Or, beaucoup de choses peuvent être décomposées. Ainsi, on peut avoir des usines de taille différente. Tout ne passe pas nécessairement par une seule grosse usine. Les grandes villes sont généralement très étalées géographiquement et il existe - parce que c'est moins coûteux - plusieurs usines et plusieurs sources d'approvisionnement, et ces activités peuvent être données en fermage ou gérées par des entreprises différentes.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Vous avez étudié particulièrement la question de la tarification du service de l'eau. Je voudrais donc vous demander brièvement quelles sont vos conclusions en la matière, et les conséquences pratiques qui peuvent en être tirées. C'est un sujet très complexe et l'usager a beaucoup de difficultés à s'y retrouver. Quelles sont donc, à la fois en termes de transparence et de simplification, les propositions qui pourraient être faites ?

M. Michel Moreaux : Avant de répondre, je vais vous demander une précision sur la question. Quand on regarde l'usage de l'eau en France, on s'aperçoit que l'agriculture est le premier consommateur net. Or l'agriculture paie une redevance de prélèvement qui est minime, alors qu'elle ne paie absolument pas de redevance pour pollution. Il s'agit là d'une sorte de « serpent de mer », qui resurgit régulièrement. Certes, on essaie de prendre les agriculteurs dans des « filets » qui sont lancés par différents organismes ou ministères pour faire contribuer l'agriculture à l'assainissement avant rejet. Mais je pense que c'est là le problème principal.

L'agriculture est le plus gros consommateur net : 80 % de l'eau prélevée est consommée dans l'agriculture et la redevance pour prélèvement est très faible. Or une loi simple, en économie, veut que si on ne paie pas, on tend à gaspiller le bien qu'on ne vous fait pas payer. Ce n'est d'ailleurs même pas de l'économie, mais du bon sens.

Je pense qu'il y aurait une réflexion importante à mener sur ce point, d'autant plus que, finalement, la situation actuelle oblige à faire des transferts d'imputation budgétaire. En effet, si on a une agriculture qui n'est pas gérée à son coût réel de fonctionnement, cela veut dire que les comptes de ce secteur sont artificiellement « gonflés », et que les charges sont réparties sur d'autres acteurs.

Actuellement, je pense qu'il s'agit vraiment là du problème principal en matière d'eau et que, pour des cultures très demandeuses en eau, comme le maïs, il existe un certain gaspillage de l'eau.

Par ailleurs, on connaît certaines régions (cela a fait l'objet de reportages dans la presse, et traduit une situation profondément déséquilibrée) dans lesquelles les nappes se dégradent et d'autres régions dans lesquelles il n'y a pas de nappes, mais où les eaux de ruissellement sont complètement dégradées. Je pense que l'on évitera difficilement une discussion de fond sur ce problème. C'est un premier point à souligner.

Ensuite, en matière de tarification, il y a le problème des services publics qui ne paient pas. On sait que, dans certaines régions, on ne facture que 60 % de l'eau sortant des usines de traitement. Certes, il y a toujours des pertes dans les canalisations, mais certains services communaux, certains hôpitaux, certaines écoles ne paient pas l'eau. Je ne suis pas favorable à ce que ceux-ci paient l'eau trop cher, mais il faudrait que l'on sache combien nous coûtent réellement nos services publics. Si on ne leur fait pas payer certains biens qu'ils utilisent, il est évident que leur rentabilité apparente est artificiellement gonflée.

Ce sont là le plus souvent des situations héritées du passé. On a ainsi un certain nombre de situations qui étaient peut-être justifiées au départ mais qui, soixante ou quatre-vingts ans après, peuvent paraître curieuses quand on ne connaît pas cette histoire en détail. C'est donc un autre point qui devrait être examiné.

Sur la tarification elle-même, s'il s'agit de très gros consommateurs, on sait qu'ils vont négocier et qu'il faut donc prendre en compte beaucoup d'éléments. Quant à l'usager de type ménages, bien que, la plupart du temps, il ne sache pas qu'il paie des taxes, il supporte une taxe redevance, une taxe d'assainissement et ce que l'on appelle un tarif binaire, à savoir un abonnement complété par un montant qui dépend de sa consommation. Toutes les expériences montrent que, s'il n'y a pas de compteur individuel, les usagers ne sont pas au fait de ce qu'ils consomment réellement et n'arrivent pas à le reconstituer. Ce n'est pas le cas lorsqu'il y a une tarification individuelle.

Il est connu que, jusqu'à il y a une quinzaine d'années, les factures d'eau étaient relativement faibles, mais actuellement, un ménage standard de quatre personnes consomme 150 à 180 m³ d'eau par an, ce qui, à 20 francs le m3, représente 3.000 à 4.000 francs par an. Pour un ménage de condition modeste, cela constitue un poste budgétaire sensible.

Cette consommation représente essentiellement des éléments de confort et d'hygiène et non de première nécessité. En effet, la consommation pour les besoins du corps ne représente qu'à peu près trois litres par jour. Pour 365 jours, cela fait environ un m3 par an et, pour un ménage de quatre personnes, 4,5 m³. On est donc loin des 150 m³ consommés et constatés en moyenne.

M. Daniel Marcovitch : Je voudrais revenir sur une question posée tout à l'heure par M. Yves Tavernier sur les économies d'échelle. Pour parler d'une région que je connais bien, c'est-à-dire Paris, je m'aperçois que les économies d'échelle amènent théoriquement à créer des groupements d'intérêt économique et à diviser les services, ce qui, évidemment, ne va pas du tout dans le sens de la transparence ni du respect de la loi de 1992 qui prévoit que l'eau doit aller à l'eau, et quand je dis cela, je ne veux pas dire « allo », c'est-à-dire au téléphone, mais « à l'eau », ce qui n'a pas toujours été le cas, surtout pour certains distributeurs.

Comment peut-on réaliser ces économies et avoir une véritable transparence ? Je pense éventuellement à la société Eau et Force, qui n'est qu'un établissement d'une société beaucoup plus vaste sur laquelle nous n'avons strictement aucun contrôle possible. Comment fait-on dans de telles conditions ?

M. Michel Moreaux : Il faudrait d'abord obliger systématiquement chacune des grandes composantes, soit des groupes, soit des groupements d'intérêt, à avoir des comptabilités analytiques bien faites, sans être pour autant naïf sur ce que peuvent indiquer les comptabilités analytiques. En général, seul celui qui les a faites sait réellement ce qu'il y a dedans. Cependant, si on était obligé de les produire et s'il y avait des audits systématiques, je pense que cela pourrait progressivement donner une information assez fiable.

Ensuite, en ce qui concerne les groupements de production ou de distribution d'eau, il faudrait que l'on ait une imputation intégrale. Ce n'est pas facile par définition dans des éléments de monopole communs. C'est la même chose pour le rail : il est très difficile d'imputer un prix au kilomètre à telle ou telle compagnie si on veut multiplier les compagnies exploitantes et maintenir Réseau ferré de France comme compagnie gérant le réseau en fixant un tarif à ceux qui utilisent les voies. C'est une idée qui avait déjà été lancée au moment de la création des chemins de fer et ce sont d'ailleurs toujours les mêmes idées qui circulent depuis deux siècles.

Il s'agirait donc d'essayer d'avoir des comptabilités isolées et d'obliger les groupements à décomposer les opérations au maximum pour gêner ou empêcher les transferts entre services, ce qu'on appelle les subventions croisées avec, finalement, une situation dans laquelle c'est le ménage qui subventionne l'usine. En soi, je n'ai rien contre le fait que les ménages subventionnent les usines, mais il faut que ce soit connu, que l'on sache ce qu'on fait. Cela devrait donc faire partie de la loi.

La loi de 1992 a quand même représenté un progrès. Il y a quinze ans, on ne pouvait pas savoir ce qui se passait dans une comptabilité communale, par exemple. Depuis, des progrès ont été faits parce qu'on est obligé d'avoir une comptabilité spécifique.

Ensuite, on aura tous les problèmes de gestion des monopoles naturels, parce qu'il est vrai que, dès que l'on ne duplique pas le réseau, on a toujours un élément en monopole. Cela dit, si, par ailleurs, on a des audits avec une instance de régulation puissante capable de collecter l'information, je pense que l'on pourra éviter beaucoup de problèmes, à condition que cette instance ait un véritable pouvoir d'investigation.

Le problème des commissions de régulation réside en ce que, en général, il y a une forte asymétrie d'informations entre le régulé et le régulateur. Les régulés disent : « Les régulateurs ne savent pas du tout comment cela se passe : ce sont des ingénieurs et cela fait vingt ans qu'ils ne font plus de technique » et les régulateurs disent : « Les régulés croient qu'on n'y comprend rien, mais on sait exactement ce qu'ils font ». C'est exactement comme la délégation générale de l'armement lorsqu'elle contrôle les fabricants d'armes. On retrouve en permanence les mêmes problèmes.

Certes, il y a une certaine spécificité concernant l'eau, avec les problèmes qui ont été évoqués et qui tiennent au statut juridique de l'eau sur laquelle il est très difficile de définir des droits. Cela date du droit romain, qui n'avait même pas pu définir des droits bien spécifiés pour l'eau. Comme l'eau coule et s'évapore, on ne peut pas définir un droit de propriété simple. C'est pourquoi l'eau a un statut juridique spécifique dans toutes les sociétés.

M. Daniel Marcovitch : Pensez-vous que la future Haute autorité du service public de l'eau et de l'assainissement actuellement envisagée puisse répondre à la demande que vous formulez ?

M. Michel Moreaux : A condition qu'elle soit vraiment conçue comme une instance de régulation et d'enquête et qu'elle dispose aussi de services d'audit.

Pour de très grandes villes, il est possible que le problème ne se pose pas parce que celles-ci ont les moyens techniques ou financiers de recourir à des audits, mais pour les villes plus petites qui ne se sont pas regroupées en syndicats, je pense qu'il y a un énorme problème d'asymétrie d'informations entre celui qui a le pouvoir de déléguer et celui qui en bénéficiera éventuellement. Il faudrait donc mettre en place un organisme puissant, capable de réaliser systématiquement des audits ou d'examiner les contrats. Mais cela ne peut être fait que par des professionnels, car un contrat de délégation comporte parfois plusieurs milliers de pages.

Mme Nicole Bricq : Vous avez évoqué tout à l'heure la différence de traitement, en matière de tarification et de prix, entre les gros consommateurs et ce qu'on peut appeler la clientèle captive que sont les ménages.

J'ai été amenée à travailler sur la transposition des directives européennes sur le gaz et l'électricité, surtout sur le gaz, et j'ai bien vu ce qui s'est passé lorsqu'on est passé de situations monopolistiques à des situations d'ouverture (on peut considérer que l'eau est quasiment une situation monopolistique). A cet égard, peut-on établir un parallèle ?

On voit bien que l'autorité de régulation à laquelle vous faites référence et qui est mise en place pour le gaz et pour l'électricité a pour fonction, bien sûr, de contrôler la réalité de la concurrence et de vérifier qu'elle joue aussi un rôle en matière ce contrôle des prix. Or on se rend compte que les clients éligibles, c'est-à-dire les gros consommateurs, négocient les prix et qu'il faudra bien que les entreprises s'y retrouvent quelque part.

Avez-vous réfléchi, à la lumière de ce qui se passe quand on libéralise un secteur, au parallélisme que l'on pourrait établir en ce qui concerne le secteur de l'eau ? J'ai toujours été étonnée de voir que, dans ce domaine, il n'y avait pas de directive européenne. Or les directives obligent les entreprises à une séparation des comptes très nette et notamment, par rapport à ce que vous évoquiez tout à l'heure au sujet de l'eau, entre ce qui relève du traitement, ce qui relève de l'exploitation et ce qui relève des réseaux. C'est là le fond des directives concernant l'énergie.

La distribution de l'eau est constituée de tuyaux et d'un produit qui y circule. Je ne vois donc pas de différence de nature, avec par exemple, le gaz. C'est vous qui avez parlé de la nécessité d'une instance de régulation et je suis d'accord avec vous, mais ce n'est pas cela que l'on nous prépare avec la loi sur l'eau. Il s'agit en réalité de créer une simple instance d'information et de concertation, mais pas du tout une instance chargée de vérifier les conditions de la concurrence - même si le Conseil de la concurrence peut le faire par ailleurs - ni la manière dont le prix est fixé afin que les captifs ne paient pas pour ceux qui peuvent négocier leur prix. Avez-vous réfléchi à cela ? Cela me semble être la solution pour se sortir des problèmes de l'eau.

M. Michel Moreaux : Il est vrai qu'il y a de fortes analogies avec le gaz, plus d'ailleurs qu'avec l'électricité, parce que le flux ne circule que dans un sens alors que l'électricité circule dans les deux sens sur un réseau.

Mme Nicole Bricq : En fait, on va libéraliser un secteur qui était en monopole public et on ne peut pas le faire dans un secteur qui est un monopole privé. Je trouve cela vraiment paradoxal.

M. Michel Moreaux : Cela traduit historiquement le fait que, depuis très longtemps, il y a eu une exploitation déléguée des réseaux d'eau, ce qui n'est pas toujours le cas des autres secteurs. Mais, historiquement, sur le gaz et l'électricité, il y a eu pendant très longtemps des compagnies privées. Le monopole de la distribution du gaz et de l'électricité date de la Libération.

Je pense que le problème risque d'être encore plus important pour l'eau que pour l'électricité, parce que, pour cette dernière, la capacité d'un grand opérateur à se fournir à l'extérieur est forte alors que, sur l'eau, ce n'est pas du tout évident : il faut en effet qu'il dispose d'une autorisation de prélèvement qui lui soit délivrée soit par la DRAF, soit par la DRIRE, selon le niveau de son prélèvement. On a donc une situation dite de « monopole bilatéral intrinsèque » beaucoup plus fréquemment en matière d'eau qu'en matière de fourniture d'électricité, pour ceux qui ont le choix de leur fournisseur.

On sait bien qu'en cas de monopole bilatéral, il s'établira une répartition ou un marchandage. La question est de savoir comment. C'est un problème, certes, mais le gros client va se trouver certainement beaucoup plus captif de la puissance publique, si je puis dire, que dans le cas de l'électricité. Dans l'électricité, il peut s'échapper, ce qui ne sera pas possible dans l'eau, ou disons qu'il a moins d'opportunités.

Mme Nicole Bricq : Les ménages ne peuvent jamais s'échapper, qu'il s'agisse de l'eau, du gaz ou de l'électricité.

M. Michel Moreaux : Ils ne peuvent pas s'échapper du jour au lendemain, mais c'est quand même l'un des thèmes forts de beaucoup de campagnes municipales et les ménages ont le pouvoir de voter. Évidemment, ce n'est pas un marché qui fonctionne comme un marché classique, mais cela fait partie quand même, je pense, des éléments de discussion dans les campagnes municipales. Il suffit de voir la fréquence avec laquelle ce thème revient dans beaucoup de communes.

M. Jean-Pierre Brard : Je voudrais vous poser deux questions, monsieur le Professeur.

Premièrement, avez-vous repéré, dans la formation du prix de l'eau, des gisements factices de rétribution ? Je pense par exemple à la location des compteurs qui, en Ile-de-France, représente entre sept et dix fois la redevance aux Voies navigables de France, qui elle-même ne me paraît pas légitime.

Deuxièmement, alors que vous avez parlé d'audits à plusieurs reprises, avez-vous une opinion sur la fiabilité et l'objectivité des « professionnels », comme vous les avez appelés, quant à leur indépendance, - objective ou culturelle -, par rapport aux délégataires ? Je veux parler d'une indépendance objective par rapport à une tradition ou un intéressement qui ne prend pas nécessairement une forme sonnante et trébuchante.

M. Michel Moreaux : Sur le premier point, si je prends l'exemple d'un tarif « binôme », celui-ci est, en général, présenté comme composé de la location de compteur et de la facturation de la consommation d'eau, mais on sait bien que personne n'est dupe sur ce point. De toute façon, il n'y a pas à être dupe parce qu'il ne s'agit que d'un habillage qui force le système de tarification. On n'a pas à justifier un tarif « binôme » par un raccordement d'une part, et une consommation d'autre part. Je veux dire par là que l'on peut avoir des tarifs « binômes » parce qu'on pense que c'est bien en soi, au même titre que, si vous avez un abonnement sur Air France ou à la SNCF, on ne vous fait pas payer une location de compteur ou quelque chose d'approchant, plus des kilomètres.

Je pense que l'on devrait concevoir les tarifs de cette façon. Souvent, on est contraint de les présenter sous la forme location-consommation, mais, en soi, on ne devrait pas avoir à le faire, parce qu'il peut être optimal d'avoir des tarifs « binômes » pour bien décomposer deux choses : d'une part, la partie proportionnelle qui donne la bonne incitation et, d'autre part, la partie fixe qui redistribue. Dans un tarif, il y a toujours deux aspects : un aspect d'efficacité, pour inciter les usagers à utiliser efficacement le bien ou la ressource, et un aspect de redistribution, qui est inévitable.

Or, les tarifs « binômes » ou « multinômes » ont l'intérêt de décomposer assez bien la partie redistribution de la partie incitation, la partie incitation étant donnée par l'élément proportionnel à la consommation et la partie redistribution par l'élément fixe.

Ensuite, y a-t-il d'autres choses plus fictives ? Je n'en ai pas vu plus là qu'ailleurs. De toute manière, si elles étaient réussies, elles n'étaient pas visibles. Méfions-nous de la théorie de l'histoire par complot : « Avez-vous des preuves ? » « Non ». « Cela prouve que le complot existe et est bien organisé »... (Rires.)

M. Jean-Pierre Brard : C'est une prime à la « truanderie de talent ».

M. Michel Moreaux : Oui, mais la « truanderie » est comme le reste : soit c'est fait avec talent et cela passe, soit c'est fait sans talent et cela passe plus difficilement. Il en est de même au théâtre ou dans le domaine de la chirurgie. La plupart des activités posent ce genre de problème.

Pouvez-vous me rappeler quelle était votre deuxième question ?

M. Jean-Pierre Brard : Il s'agissait de l'objectivité et de l'indépendance.

M. Michel Moreaux : Si l'on crée une instance de régulation, on est confronté à un phénomène bien connu : celui de la captation du régulateur par le régulé, qui est un phénomène classique et qui peut prendre plusieurs formes. Toutes les instances de régulation butent sur ce problème dans tous les pays, parce que, pour être informé, il faut faire partie de la profession.

Mme Nicole Bricq : Pas au Royaume-Uni.

M. Michel Moreaux : Pas au Royaume-Uni, mais aux États-Unis, où il y a beaucoup d'instances de régulation, on assiste très souvent à ce phénomène de captation. Ensuite, il faut avoir une longue observation de ce qui s'est passé pour savoir s'il y a captation ou non, parce que cela doit s'observer sur une très longue période.

Si je prends l'exemple de la régulation de l'eau au Royaume-Uni, qui est relativement récente, il est encore difficile de savoir si ce sera le cas ou non.

Il y a aussi une politique qui consiste à dire qu'il faut, certes, des experts techniques mais aussi des experts d'autres disciplines pour éviter ce genre de captation. Maintenant, nous avons beaucoup d'exemples de captation du régulateur par le régulé. Ce n'est pas simple à organiser.

Je pense que l'une des solutions consisterait à donner beaucoup de moyens au régulateur et, en particulier, à bien le rémunérer pour ne pas le tenter d'être rémunéré autrement.

M. Jean-Jacques Jégou : CQFD.

Mme Nicole Bricq : Une dernière question très simple : pourquoi, à votre avis, aucune entreprise étrangère ne vient-elle pas soumissionner en France sur le marché de l'eau et de l'assainissement ?

M. Michel Moreaux : Je pense que cela va commencer. Ce n'est pas parce que peu de contrats ont été passés que cela ne va pas se faire, même si cela prendra un certain temps. Les contrats sont en général à long terme et les fréquences de renouvellement sont faibles. L'entrée d'autres compétiteurs viendra assez naturellement. Cela dépendra aussi de la volonté et de l'initiative de ceux qui délèguent. C'est un mouvement dans les deux sens.

Le fait d'investir un marché représente un investissement important pour une entreprise ou un groupe, notamment sur le plan relationnel. Je ne fais pas allusion à des choses illégales, mais, par exemple, il faut connaître le terrain. Si, par ailleurs, ceux qui sont demandeurs du bien n'ont pas l'air intéressé par le fait d'avoir d'autres offreurs, ce n'est pas non plus un signe très encourageant.

Cependant, je pense que cela se fera et qu'il y aura des pressions pour que cela se fasse de plus en plus. De toute façon, on aura des pressions européennes, à terme, pour que cela se fasse. Cela finira ainsi. Si ce n'est pas nous qui le faisons, on nous l'imposera.

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Mes chers collègues, je pense que vous êtes suffisamment informés et je vais donc vous proposer d'arrêter cette séance.

Je remercie M. Moreaux des réponses qu'il a pu nous faire et j'espère qu'elles seront utiles aux deux rapporteurs lorsqu'ils auront à faire leur rapport.

(La séance est levée à 11 h 55).

2.- Auditions du 29 mars 2001 :

a) 9 heures : M. Dominique Bur, directeur général des collectivités locales (DGCL) au ministère de l'Intérieur, accompagné de MM. Freysselinard et de Manheulle

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 29 mars 2001)

Présidence de M. Jean-Pierre Delalande, co-président

La séance est ouverte à 9 heures 10.

Le Président accueille M. Dominique Bur, directeur général des collectivités locales au ministère de l'Intérieur, accompagné de MM. Freysselinard et de Manheulle. Il rappelle le mode de fonctionnement de la mission et donne la parole à M. Yves Tavernier, Rapporteur.

M. Yves Tavernier : Les premières auditions que nous avons réalisées sur ce dossier montrent à l'évidence que le marché de l'eau se caractérise par une grande opacité, un réel manque de transparence, une mauvaise information des usagers et des collectivités territoriales lorsqu'elles ont délégué leur service public de l'eau. L'audition notamment des membres de cours régionales des comptes est, à cet égard, éclairante.

La première question porte sur l'appréciation que vous faites de la nature du marché de l'eau. Il apparaît que les ententes entre les groupes faussent assez généralement les appels d'offres, que lorsque les quelques PME qui ont encore résisté aux dures lois de la concurrence avec les trois grands groupes tentent de participer aux appels d'offres, elles rencontrent beaucoup de difficultés. La renégociation possible, avec ajustement de prix après les premiers appels d'offres, pose à l'évidence, dans le cadre de la mise en _uvre de la loi Sapin, un problème réel.

On observe d'ailleurs curieusement que lorsqu'il y a renégociations, celles-ci se traduisent par une augmentation des prix alors qu'on serait en droit d'attendre une diminution. J'aimerais donc savoir ce que vous pensez de la transparence et l'équité dans la passation des marchés.

Ma deuxième question porte sur les régies et les délégations de service public. On constate, semble-t-il, un écart de prix de 13 % entre l'exploitation en régie et l'exploitation déléguée. On observe également des obstacles majeurs au retour à la régie, lorsque les maires et les conseils municipaux le souhaitent. J'aimerais avoir votre avis sur ces questions.

D'une manière générale, il est établi que, dans le dialogue entre les collectivités territoriales et les grands groupes et leurs filiales qui contrôlent le marché, l'équilibre est loin d'être réalisé. Au regard d'un projet de loi de l'eau qui va venir très prochainement devant le Parlement, quelles sont, selon vous, les dispositions qui pourraient être retenues pour renforcer la législation afin d'établir un meilleur équilibre entre les collectivités locales concédantes et les groupes candidats à une convention de délégation de service public ?

J'aimerais également avoir votre avis sur la durée des délégations et des concessions. Ce sujet est actuellement en débat et l'avant-projet de loi propose de ramener à douze ans la durée maximale des conventions de délégation, sauf exception.

M. Dominique Bur : Je souhaite tout d'abord préciser que la direction générale des collectivités locales et le ministère de l'Intérieur ne sont intéressés à ce sujet - prix, qualité et gestion de l'eau - de façon générale, que par l'aspect collectivités locales. En matière d'eau, plusieurs directions couvrent ce champ, notamment la direction de l'eau, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la direction générale de la santé, sachant que les informations en ce domaine dont nous-mêmes disposons sont assez parcellaires, comme le révèlent les éléments que j'ai pu vous fournir.

Les questions du rapporteur comportent les aspects qui concernent notamment l'information, la transparence, l'équité, l'accès à l'information à la fois des collectivités locales et des usagers. Par ailleurs, un aspect porte plus particulièrement sur les relations entre les collectivités et leurs délégataires, et les conditions dans lesquelles s'effectuent ces relations, notamment les renégociations récentes.

Sur le premier aspect - la transparence et l'équité -, il est vrai que la relation entre les collectivités locales et leurs co-contractants ou délégataires, dépendant de la façon dont est géré le service, peut parfois apparaître comme inégale, dans la mesure où les collectivités sont de taille variable et donc de capacité et puissance variable, et disposent de moyens également variables, alors qu'ils ont souvent en face d'eux des entreprises puissantes.

La loi est venue, à plusieurs reprises, fixer un certain nombre de règles de manière à établir un meilleur équilibre entre les deux co-contractants. Elle a créé l'obligation pour le délégataire d'informer la collectivité, puisque les lois de 1995 ont obligé le délégataire à fournir un rapport d'information à la collectivité, le maire devant en faire part à l'assemblée délibérante.

Il y a également la nécessité, pour la collectivité et le maire, dans les communes de plus de 3.500 habitants, de créer une commission consultative des services publics locaux, ayant vocation à associer les usagers à la diffusion de l'information sur ces sujets. Malheureusement, et malgré le manque de données exhaustives, cette commission ne semble pas avoir été créée dans toutes les communes dans lesquelles la loi en faisait obligation.

Nous travaillons actuellement sur un projet de disposition qui permettrait de faire entrer dans les faits ces commissions consultatives des services publics locaux. En effet, dans le cadre du projet de loi « démocratie de proximité » que le Premier ministre avait annoncé lors du débat d'orientation sur la décentralisation à l'Assemblée nationale, l'une des dispositions, qui s'insérerait dans ce projet de texte, conduirait notamment à prévoir l'obligation, pour les communes de plus de 10.000 habitants, de créer cette commission consultative, avec un élément contraignant, dans la mesure où le maire serait obligé annuellement de lui fournir les rapports du délégataire et les informations sur le fonctionnement des régies. Toutefois, l'élément le plus déterminant dans l'obligation de créer cette commission est qu'elle serait consultée pour avis, avant toute création d'un nouveau service public ou lors d'une délégation de service public.

Cette disposition, si elle est adoptée par le Parlement, conduirait à traduire, dans la réalité, cette commission consultative des services publics locaux qui serait constituée à la fois de membres du conseil municipal, de représentants d'associations d'usagers et de personnes qualifiées.

Dans l'ensemble de ces textes qui sont venus régir le secteur, que ce soit la loi de 1992 sur l'eau et celles de 1995, je n'oublierai pas la loi Sapin de 1993 qui, en encadrant la délégation de service public par un certain nombre de règles et en fixant notamment une obligation de procéder à un appel d'offres, contribue également à la transparence de ce secteur.

Le deuxième aspect que vous évoquiez portait sur la renégociation des contrats et des conventions d'affermage et de concession, et les conditions dans lesquelles ces renégociations s'effectuent, notamment si elles sont bénéfiques pour le service et la collectivité.

Sur la base d'éléments parcellaires, je soulignerai que l'évolution s'est faite vers une limitation de la durée de ces conventions puisqu'elles ont d'abord été limitées à vingt ans. Puis le projet du gouvernement est d'arriver à une nouvelle réduction de ces durées dans la mesure où la plupart des investissements et équipements existent. Par conséquent, les longues durées du passé n'ont plus la même raison d'être.

Les informations parcellaires dont nous disposons montrent que, dans les renégociations récentes, on assiste à une réduction progressive de la durée. Le seul élément de nature statistique dont je dispose est que les dernières renégociations se sont faites sur des durées moyennes inférieures à douze ans.

S'agissant encore des renégociations, on constate, selon des chiffres dont je dispose, une amélioration non seulement de la qualité des prestations, mais aussi une réduction du prix dans ces nouvelles conventions.

M. le Président : Cette évolution peut être considérée comme saine. Sur la durée des concessions, avez-vous envisagé la possibilité de deux durées de concession, celle correspondant à de nouveaux investissements ou renouvellements d'investissements, et celle pour lesquels les investissements sont déjà réalisés et en parfait état de fonctionnement ? Si cela a été envisagé, dans quelles conditions s'orienterait-on ?

M. Dominique Bur : En effet, on aurait pu l'imaginer, en fonction des perspectives d'amélioration du réseau, notamment compte tenu des normes européennes qui sont déjà fortes sur le sujet et qui vont se renforcer. De nouvelles directives ont été émises par l'Union européenne et vont devoir être transposées. Or nous savons qu'elles vont générer d'importants investissements à la fois pour les concessionnaires et pour les collectivités en régie.

Dans les réflexions en cours, à moins que les ministères avec lesquels nous travaillons soient sur d'autres lignes, nous ne sommes pas sur l'idée de durées différenciées. En revanche, nous travaillons actuellement sur un problème de provisions dans la mesure où sont apparues des discussions sur la nature des provisions qui auraient pu être constituées par les sociétés délégataires et sur leurs destinataires, à la fin du contrat de concession.

L'une des dispositions sur laquelle nous travaillons, dans le projet de loi sur l'eau, porte notamment sur une meilleure réglementation de ces provisions afin que l'on sache parfaitement à qui elles sont destinées et à quoi elles doivent servir, et qu'elles ne soient pas simplement considérées comme un bénéfice du délégataire, à l'issue de la concession.

M. le Président : J'aimerais creuser cet aspect des provisions qu'il n'est pas toujours évident de retrouver dans les comptes des sociétés, car elles sont souvent mélangées. C'est peut-être un mécanisme intéressant, mais néanmoins très difficile à contrôler.

Si je me permets d'insister et de réfléchir à cette idée, c'est que nous avons maintenant une certaine expérience de la durée d'amortissement des canalisations. En essayant de bien cadrer la durée de concession pour les nouveaux investissements, il me semble que cela donnerait des arguments pour raccourcir, de manière plus importante, la durée des concessions correspondant aux investissements existants et donc d'appliquer un meilleur contrôle de qualité et une meilleure évaluation de la part des collectivités locales et des différentes parties prenantes.

M. Daniel Marcovitch : Sur cette question précise, lorsqu'il s'agit de contrats non pas de concession globale mais d'affermage avec entretien des réseaux, ne pensez-vous pas que la durée du contrat, lorsqu'il n'y a pas d'investissement au départ, doit être de même nature ? Je citerai l'exemple de Paris où les distributeurs ont fonction d'entretenir et de rénover les réseaux et pour lesquels il y a un contrat ancien, antérieur aux lois Barnier et Sapin, de vingt-cinq ans. Or ces investissements se font au jour le jour, financés uniquement avec l'argent des usagers, au fur et à mesure du paiement des factures d'eau, malgré des sommes prélevées depuis quinze ans s'élevant à plusieurs dizaines de millions de francs.

M. Dominique Bur : J'ai bien noté votre préoccupation. L'évolution est évidemment en ce sens. Nous le constatons avec la législation et la réglementation. La question reste maintenant de savoir s'il faut aller au-delà, légiférer et réglementer de manière encore plus précise. Nous sommes là aussi dans une situation où il faut trouver un équilibre dont le principe premier serait la libre administration des collectivités locales.

Par conséquent, les durées de douze ou vingt ans, que nous avons citées, étaient des plafonds dans lesquels les collectivités avaient liberté de négocier. A défaut d'équilibre respectif des uns et des autres, la loi est là pour aider les collectivités à faire face à ces négociations. Le futur projet de loi sur l'eau, dans ce domaine, va prévoir une série de nouvelles dispositions.

Faut-il aller au-delà de ces douze ans ou différencier ? Je reconnais que l'on peut s'interroger sur ce point. Néanmoins, il y a un principe de libre administration des collectivités locales. Sous réserve de discussions, faut-il les enserrer encore plus ou fixer un cadre encore plus étroit qui serait là pour les aider ? Le souhaitent-elles ? D'un autre côté, à force de fixer des cadres et des limitations, peut-on encore parler de liberté contractuelle et de l'exercice, par les collectivités, de leur libre administration ?

M. Jean-Jacques Jégou : Je voudrais insister sur ce point. Il est à la mode de parler de la réduction de la durée des contrats pour une meilleure transparence. Je ne vois pas en quoi la transparence en serait améliorée...

Je voudrais revenir sur les investissements réalisés. Dans certains secteurs, les canalisations d'eau ont été faites, après la guerre, en fonte de mauvaise qualité et aujourd'hui tout le réseau est à changer. Il y a aussi des phénomènes de qualité de l'eau comme la dureté. Par conséquent, cela suppose de gros investissements de décarbonatation. Je ne suis pas certain que ce soit en réduisant les durées d'affermage que l'on pourra réaliser les investissements.

A l'examen de l'excellent travail de la Cour des comptes sur les régies municipales, on constate quelquefois que les investissements, voire la gestion purement comptable, au vu de la pléthore de personnel municipal, tranche avec les gestions plus restreintes et plus efficaces des contrats d'affermage. Sur le terrain, en tant qu'élus locaux, nous constatons le besoin d'avoir des partenaires qui soient capables de réaliser les investissements.

Sur les provisions que vous proposez, elles engendreront aussi une augmentation du coût de l'eau. Nous voulons pour nos concitoyens le meilleur prix et le meilleur service. Il faut réfléchir avant de considérer peut-être que la transparence et l'efficacité viendraient d'une réduction pure et simple. Le président a évoqué l'idée de différencier le fonctionnement et l'investissement, c'est un minimum. Il ne faut pas s'emballer sur des décisions qui, sur le terrain, pourraient provoquer des problèmes de fonctionnement et de qualité de l'eau, voire une augmentation du prix.

M. Dominique Bur : Je note qu'il existe des approches complémentaires au sein de la mission. Si un certain nombre d'éléments peuvent amener à réduire ces durées, d'autres éléments, au contraire, peuvent conduire, pour être certain de pouvoir faire face à des investissements lourds et coûteux, à avoir des durées suffisamment longues afin que les délégataires soient en mesure de les réaliser. C'est encore une fois une question d'équilibre.

Nous sommes à vingt ans maximum. Faut-il passer à douze ans ? C'est encore un projet à ce stade. Pour certains, ces douze ans sont trop longs ; pour d'autres, trop courts. C'est le Parlement qui en décidera puisque c'est une disposition de nature législative. Ces douze années seront l'occasion de voir si l'équilibre est atteint.

M. le Président : C'est de nature contractuelle, en réalité, mais il faut que le contrat puisse être établi dans des conditions équilibrées. C'est là la difficulté.

M. Yves Tavernier : Le marché de l'eau est dominé par trois grands groupes. Se pose la question de l'équilibre dans les relations entre les collectivités territoriales, lorsqu'elles se situent dans le cadre d'un contrat d'affermage ou de concession. La distinction entre les deux est généralement plus délicate sur le terrain, car il y a rarement des contrats d'affermage purs ou des contrats de concession purs.

Je voudrais aborder ce problème d'équilibre sur deux points. Il existait autrefois une convention cadre qui aidait les collectivités territoriales à négocier avec les groupes qui se répartissent le marché. C'est pourquoi je vous interrogeais sur votre appréciation, du point de vue du ministère de l'Intérieur qui est en relation permanente avec les collectivités territoriales, sur la réalité du marché de l'eau et de la concurrence.

Il y avait autrefois une convention cadre qui a disparu avec la décentralisation. Ne serait-il pas nécessaire de trouver les modalités pour rétablir et négocier une convention cadre ? Aujourd'hui, les conventions cadres sont élaborées par les grands groupes et, pour résumer, on demande aux collectivités de signer en bas à droite ou à gauche.

De même, toujours pour préciser ma question, un élément important de la loi de 1992 sur l'eau porte sur la transparence et l'information des élus et des usagers. Cela se traduit notamment par le rapport du maire, qu'il doit faire devant le conseil municipal, et le rapport des sociétés délégataires. On observe, notamment selon les observations des chambres régionales des comptes, que les rapports des sociétés concessionnaires, étant donné l'imprécision de la loi, ne sont pas satisfaisants et ne donnent pas les informations nécessaires. Par ailleurs, il arrive très souvent qu'elles fassent à la fois leur propre rapport et celui du maire. Quelles dispositions devraient être introduites, selon vous, dans la loi pour faire en sorte que les rapports des sociétés délégataires répondent aux critères d'information et de transparence ?

M. Dominique Bur : Vous avez posé deux questions. La première porte sur la nature des relations et la question de l'équilibre entre des collectivités de taille variable et des grands groupes. Sur la nature du marché, je n'apporterai rien de plus à la connaissance qu'a la mission de l'existant. Nous savons tous que c'est un marché largement dominé par des grands groupes. Toutefois, sous l'impulsion de l'Union européenne et des textes législatifs qui les transcrivent dans le droit positif français, l'évolution s'est faite sur une plus grande ouverture et mise en concurrence, et sur des règles qui ont pour objet de limiter le déséquilibre existant entre les deux contractants.

Il me semble, selon des chiffres que j'ai consultés avant cette audition, que dans les renégociations récentes, la proportion de sociétés indépendantes, qui bénéficiaient des nouveaux contrats ces dernières années, était sensiblement en croissance. Par conséquent, les nouveaux mécanismes de mise en concurrence étaient en évolution positive par rapport aux contrats conclus par les trois grands groupes.

La convention cadre, telle qu'elle existait auparavant, pourrait-elle être un instrument de rétablissement de cet équilibre ? Je souhaite rappeler que ces conventions cadre ont disparu à la suite de la loi du 2 mars 1982. Nous savons tous qu'elles contenaient des dispositions qui conduisaient à considérer, à l'époque, que l'ensemble de ces conventions, textes, accords et règlements cadre constituaient des normes qui étaient imposées aux collectivités locales - souvent par décret, parfois par circulaire - et ne répondaient plus à la libre administration des collectivités locales, telles qu'elles ressortaient des lois de décentralisation.

Il est vrai que ces textes ont disparu en tant que normes qui s'imposaient aux collectivités locales. Depuis lors et probablement à la suite des interrogations, voire des regrets qui ont pu s'exprimer, je sais que certains types d'encadrement ou de convention type, dans différents domaines - mais pas dans le secteur de l'eau - sont réapparues de manière tout à fait ponctuelle. Je sais aussi que c'est une idée qui est dans l'air. J'ai notamment cru comprendre que la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) travaillait à l'idée d'un modèle type ou d'une convention cadre, mais qui serait laissé à la libre appréciation des utilisateurs, c'est-à-dire membres.

Cela pose d'abord des problèmes juridiques si l'on peut imposer ces conventions cadre par la voie réglementaire. En principe, toute norme qui s'impose à une collectivité locale doit l'être par la voie législative.

Sur l'information des élus et la transparence, telles qu'elles résultaient des différents textes évoqués, notamment la loi de 1995, c'est-à-dire des rapports que le maire doit faire au conseil municipal, parmi les informations qu'il doit donner au conseil municipal, figure le rapport du délégataire du service public. C'est vrai que l'obligation de la fourniture de cette information figure dans la loi, laquelle n'a pas été complétée, à ce stade, par des dispositions d'ordre réglementaire de façon à préciser le contenu.

C'est la voie sur laquelle nous travaillons. Un projet de décret, préparé fin 1998 début 1999, avait suscité un certain nombre de questions justifiées. A titre d'exemple, les informations, rendues obligatoires au travers de ce projet de décret et devant figurer dans le rapport du délégataire, ne correspondaient pas, au vu des observations faites par les sociétés concessionnaires, à des informations disponibles. Par exemple, on avait prévu de fournir un bilan du service. Or ces sociétés ont fait observer, à juste titre, que pour chacune des concessions, n'est pas créée une entité juridique propre. Il n'est donc pas possible de fournir un bilan au sens strict juridique, tel qu'il est prévu par les textes sur les sociétés.

Par conséquent, nous travaillons actuellement sur ce projet de décret afin de définir, de manière claire et appropriée, les documents tels qu'ils peuvent être fournis par le délégataire, afin que l'information du conseil municipal soit la plus complète possible.

M. Daniel Marcovitch : Les questions qui ont été posées ont déjà nettement déblayé le terrain. Néanmoins je voudrais revenir sur certaines et les approfondir. On a parlé de la capacité des communes à faire face aux délégataires dans le rapport de compétences, de connaissances et de moyens qui les différencient. Quel est, à votre sens, le périmètre normal que devrait avoir une collectivité territoriale pour pouvoir avoir un service d'eau et d'assainissement ? S'il faut pour cela passer par l'intercommunalité, quels sont les moyens que l'on devrait donner aux communes pour les inciter à se regrouper pour avoir des services communs d'eau et d'assainissement ?

S'agissant de la commission consultative, nous sommes tous favorables à ce qu'il y ait, dans les communes de plus de 3.500 habitants et a fortiori dans les communes de plus de 10.000, une véritable commission consultative. Néanmoins, la loi prévoit ces commissions consultatives, mais ne prévoit rien au cas où le maire ne les réunirait pas ou ne les créerait pas.

Par ailleurs, pour participer à celle de Paris, qui est une grosse commune, je suis bien placé pour savoir que les documents fournis, dans les quinze jours qui précèdent, aux usagers et aux représentants des associations des consommateurs et autres, sont de telle nature que si l'on ne passe pas plusieurs heures à les analyser, ils sont inutiles. Quels types d'aides - et sous quelles formes - pourra-t-on donner aux associations pour qu'elles puissent former leurs mandants pour ces commissions, leur permettre d'y assister de façon régulière et y recevoir une véritable formation ?

De même a-t-on, dans toutes les collectivités territoriales, les représentants nécessaires ? Ne serait-ce pas plutôt au niveau départemental que les associations pourraient efficacement participer aux différentes commissions des collectivités territoriales ?

Il a également été question, tout à l'heure, des provisions pour grosses réparations qui sont faites par les sociétés délégataires. Sur Paris, nous savons que, pendant quinze ans, plusieurs dizaines de millions de francs ont été mis en réserve, chaque année, non utilisés et non réaffectés l'année suivante. On parle aujourd'hui de remboursement en fin de contrat. Qui doit être remboursé ? La collectivité territoriale ou l'usager, car ces provisions sont prises sur le prix de l'eau, donc sur la facture de l'usager ?

Par ailleurs, faire rembourser en fin de contrat n'est-ce pas garantir, pendant quinze ou vingt ans, vingt-cinq en l'occurrence pour Paris, la trésorerie de sociétés dont les bénéfices ne réapparaissent pas en comptabilité ?

Autre point que je souhaitais évoquer, celui de la part fixe dans les collectivités territoriales ayant une forte modification du nombre d'habitants selon les saisons. C'est une justification que l'on donne à l'existence de la part fixe, puisque le nombre d'habitants cotisant au prix de l'eau ou aux investissements n'est pas suffisant sur l'année complète. Mais nous savons aussi que ces collectivités territoriales ont bien d'autres ressources grâce au tourisme et aux résidences secondaires, ressources qui ne génèrent pas de dépenses comme des crèches, des écoles ou des aides sociales. Une partie des bénéfices générés par ces touristes ou cette occupation temporaire ne pourra-t-elle pas être affectée aux investissements supplémentaires liés à cette population ? C'est un problème de comptabilité publique.

Autre point, celui du Haut conseil de l'eau et de l'assainissement. Pensez-vous qu'il pourra être saisi également par les membres des commissions consultatives locales et non pas uniquement par les élus ou les associations nationales ? A cet égard, il faudra lui donner plus de moyens d'exercer ces contrôles, en étant saisi par les usagers eux-mêmes, sur des problèmes locaux.

Dernier point, l'assainissement est d'une compétence communale. Nous sommes actuellement confrontés à un problème très précis en région parisienne. Le Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (SIAAP) est, comme son nom l'indique, un syndicat interdépartemental et actuellement le préfet du Val-de-Marne refuse d'avaliser la signature des investissements faite par la section d'assainissement du département. Cela pose un réel problème de blocage qui ne pourra être résolu que par la loi. Avant que cette loi soit votée, beaucoup d'eau risque de passer par les services d'assainissement. Actuellement, nous avons un véritable problème de blocage entre délégation collectivité locale ville et réalité départementale, en ce qui concerne l'ancien département de la Seine.

M. Didier Migaud : Je voudrais prolonger la première question de M. Marcovitch sur l'assistance technique que les collectivités locales peuvent se donner au niveau intercommunal, voire au niveau du département. L'État lui-même a créé - le rapport de la Cour des comptes en faisait état - les missions interservices de l'eau et les pôles de compétence. Avons-nous un bilan d'efficacité de ces structures mises en place et dans quelle mesure l'État peut-il apporter cette assistance technique aux collectivités locales ?

M. Dominique Bur : Le premier sujet portait sur l'intercommunalité. Elle a été, de tout temps et sous des formes diverses, pour les collectivités, un instrument de mutualisation des coûts de réalisation, notamment d'investissement en matière d'adduction d'eau. Nous avons d'ailleurs, encore que les chiffres ne soient pas récents, au total quatre mille groupements qui ont dans leur compétence l'eau et l'assainissement et qui couvrent 50 millions d'habitants. La quasi-totalité du territoire est donc couverte par des groupements.

Si l'on s'en tient aux groupements à fiscalité propre, bien que le chiffre ne soit pas à jour compte tenu de la loi de 1999 qui a fait apparaître une série de nouveaux groupements, j'ai noté qu'il y avait 1.500 groupements et 8 millions d'habitants couverts par l'intercommunalité à fiscalité propre.

Faut-il inciter ? Je ne sais pas s'il faut le faire de manière particulière. L'incitation a toujours existé, dans la mesure où les communes se sont naturellement regroupées pour faire ces investissements qui souvent les dépassaient. Quant aux structures plus récentes, elles ont, dans ce domaine, la compétence de l'assainissement qui a été liée par la loi de 1999. Cela signifie qu'elle ne peut plus être tronçonnée, comme elle l'est parfois dans les syndicats, les syndicats intercommunaux à vocation unique (SIVU) ou les syndicats intercommunaux à vocations multiples (SIVOM), où la collectivité gardait l'investissement, confiait la distribution à un premier syndicat et la production de l'eau à un autre syndicat.

La loi de 1999 ayant rendu impossible ce sectionnement, la compétence est donc obligatoirement un tout pour les communautés urbaines, en application de la loi. La communauté urbaine doit exercer cette compétence et, par conséquent, les communes en sont privées. Cette compétence est optionnelle pour les communautés d'agglomération et les communautés de communes. Je rappelle qu'elle est également obligatoire pour les syndicats d'agglomération nouvelle, qui constituent un dispositif particulier.

Je pense que le développement de l'intercommunalité, résultant notamment de la loi de 1999, va permettre progressivement l'intégration de cette compétence. De fait, nous voyons se réduire le nombre de syndicats, SIVU ou SIVOM, compte tenu de l'intervention de cette nouvelle intercommunalité.

Il ne me semble pas qu'une incitation particulière soit nécessaire ; c'est un mouvement naturel, compte tenu notamment des lourds investissements à faire, en particulier de ceux qui résulteront des directives communautaires sur la qualité des eaux de consommation humaine.

S'agissant de la commission consultative des services publics, il est vrai qu'elle est actuellement en principe obligatoire à compter de 3.500 habitants. Elle n'a malheureusement pas connu le succès que l'on pouvait souhaiter. Dans le projet de loi « démocratie de proximité », actuellement en cours de préparation et dont devrait être saisi le Parlement, est prévue la création obligatoire de cette commission dans les communes de plus de 10.000 habitants. Elle comporte un élément très contraignant : non seulement doivent lui être soumis les rapports sur le fonctionnement des régies et des services publics, mais elle doit aussi être consultée obligatoirement pour toute création d'un service public nouveau en régie ou en délégation de service public. C'est un élément de la procédure, mais si cette consultation n'est pas faite, cela pourrait être considéré comme viciant la procédure. L'aiguillon de constitution de ces commissions sera extrêmement fort.

Sur l'aide aux associations, je me permettrai de vous renvoyer à d'autres ministères, notamment le ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement. Je note que l'action de ces associations a été forte puisqu'elle a contribué à une prise de conscience générale sur ce sujet et les actions qu'elles ont menées, sur le plan juridictionnel, ont abouti à quelques arrêts dans ce domaine.

Bien évidemment, ces associations sont une des catégories qui seront représentées dans la commission consultative des services publics qui devrait être constituée au niveau communal, à partir de 10.000 habitants.

Sur les provisions dont certaines ont fait débat en raison de leur importance, les uns les considèrent comme des provisions destinées à réaliser les investissements et à améliorer le fonctionnement du service, d'autres, notamment certaines sociétés, les considèrent comme un résultat d'activité et donc comme un bénéfice de l'exploitation. Le projet de loi sur l'eau en préparation se penche sur ce sujet et comporte des dispositions destinées à mieux encadrer la définition de ces provisions et mieux prévoir leur destination et leur vocation à assurer les investissements de renouvellement à réaliser.

Je note aussi, comme vous évoquiez une difficulté de connaissance et transparence, que la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes se sont beaucoup intéressées au sujet. En dehors de leur rapport de 1997, une mission de suivi est en cours et examine les suites données aux observations et aux constatations faites à l'époque.

Ces institutions peuvent également examiner les comptes des délégataires et non seulement ceux des collectivités locales. Sur la façon d'associer la formation et la transparence, l'objectif du gouvernement est de réformer l'observatoire de l'eau qui n'a pas connu le succès espéré et qui ne s'est réuni que deux fois, et de le remplacer par un haut conseil de l'eau et de l'assainissement. Celui-ci aurait une constitution tout à fait différente, avec moyens propres, une permanence et une capacité à mener des études, des enquêtes et des investigations propres à mettre à la disposition des collectivités locales, des associations et des usagers, l'ensemble des informations et de faire les comparaisons nécessaires. C'est vrai que nous manquons assez cruellement d'éléments d'information exhaustifs et de comparaisons.

Sur la question du Val-de-Marne, j'ai cru comprendre que c'était un reste de l'ancienne organisation de la région parisienne. Je n'ai pas une connaissance fine de ce dossier. L'affaire est aussi devant le Conseil d'État en cassation. Il y a donc une procédure juridictionnelle en cours. Il faudrait attendre l'issue de cette procédure, sauf s'il y avait urgence à prendre un certain nombre de dispositions. Je me permettrai de regarder le dossier et d'interroger le préfet du Val-de-Marne sur ce sujet.

S'agissant des pôles et des missions de l'eau, dans le cadre de la meilleure façon de travailler ensemble, localement au niveau de la région et des départements, les préfets ont reçu instruction et possibilité de regrouper les services de l'État sous forme de missions ou de pôles sur des thèmes ou des sujets transversaux, associant différents services déconcentrés de l'État.

Je n'ai malheureusement pas de chiffres exhaustifs sur ce qui a été fait dans l'ensemble des départements. Je crois que sur l'eau, de façon générale, cette formule a connu un assez large développement. Dans les départements, me semble-t-il, des pôles de l'eau se sont constitués avec notamment la direction de l'Agriculture, la direction des Affaires sanitaires et sociales, la direction de l'Équipement et la DCCRF.

M. Jean-Pierre Brard : Le fait que la MEC se soit saisie de cette affaire de l'eau vient du fait que nous avons estimé qu'il pourrait y avoir un problème. En écoutant la discussion de ce matin, j'ai le sentiment d'être dans une réunion irréelle lorsque l'on parle de rapports d'information à la collectivité. Je suis maire et vice-président du syndicat des eaux d'Île-de-France. Le rapport soumis au conseil municipal est d'une telle opacité que le citoyen lambda ou le maire ne peut rien y comprendre.

En ce qui concerne la commission consultative d'usagers, cela me laisse perplexe. Vous parlez par ailleurs de sociétés indépendantes dont j'aimerais être sûr qu'elles le sont. Il faudrait s'intéresser de très près à la composition du capital. Comme il faut de véritables compétences pour l'eau, je doute fort qu'il n'y ait aucune relation de cousinage, voire de filiation plus directe parfois.

En réalité, les collectivités n'ont aucun moyen d'investigation et de contrôle pertinent et compétent, ce dont la direction générale des collectivités locales et le ministère de l'Intérieur sont pour partie responsables. Je vais vous expliquer pourquoi.

Les trois grands groupes comportent un grand nombre de polytechniciens, plus quelques centraliens et unités de l'École nationale d'administration. Lorsque vous mélangez tout cela, vous obtenez les gens qui travaillent à la direction de ces grands groupes. Comment voulez-vous que nous contrôlions quoi que ce soit ? Si, par hasard, nous arrivons à attirer quelqu'un d'une compétence équivalente, comment être sûr de la qualité ou de l'indépendance de l'expertise ? Actuellement, les seuls qui nous aident sont les chambres régionales des comptes.

S'agissant du syndicat d'Île-de-France, la chambre régionale des comptes a mis le doigt d'une façon fort pertinente, mais hélas incomplète, sur divers éléments. Toutefois les observations de la chambre régionale nous ont rendus plus curieux. Nous avons détecté des choses étonnantes comme les bancs d'essai pour les compteurs. Tout cela sert à « pomper » des fonds qui permettent de financer d'autres dépenses. On sait, par des articles publiés sur ce sujet, que les excédents réalisés sur le syndicat d'Île-de-France en particulier ont permis de financer des investissements dans l'audiovisuel.

Ma question est la suivante. Imaginez-vous donner la possibilité aux syndicats intercommunaux et aux communes de pouvoir embaucher des gens d'égale compétence, ce qui pose la question des salaires ? Ou bien peut-on imaginer d'autres solutions pour s'assurer de l'indépendance des expertises auxquelles nous pouvons avoir recours ? Ou encore les collectivités locales pourraient-elles faire appel aux chambres régionales des comptes qui les assisteraient pour y voir clair dans ce domaine ?

Lorsque le syndicat d'Île-de-France a eu recours à un cabinet d'audit, un des avocats de ce cabinet avait, dans une vie antérieure très proche, travaillé pour le fermier. Comment être sûr de l'indépendance de cette personne certainement compétente, mais qui gère aussi son projet de vie et de carrière ? Comment être sûr que l'intérêt public est bien défendu ?

J'avoue que je suis encore plus habité par le doute à la fin de cette réunion qu'à son début. Pour l'instant, les possibilités que la loi nous a données sont complètement virtuelles ; elles ne permettent pas de contrôler effectivement la formation du prix de l'eau.

M. Dominique Bur : Je vais essayer d'apporter quelques éléments de réponse. Mon intention n'est pas de suggérer que la situation est parfaitement claire et transparente. Ce n'est pas un sujet nouveau, c'est un sujet lourd et complexe. Sur les possibilités des collectivités, je rappelle que la collectivité peut exercer sa compétence en régie, même si ce n'est pas le mouvement général de ces dernières années. Nous avons noté quelques retours à la régie, mais ils sont restés ponctuels.

L'autre élément que je vous rappelle est que vous êtes à la tête d'un puissant syndicat qui peut s'adjoindre les services d'un ingénieur. Je ne peux croire qu'un tel syndicat, qui regroupe des collectivités aussi puissantes, soit incapable de s'entourer des compétences nécessaires.

Par ailleurs, vous évoquez la possibilité de saisine de la chambre régionale des comptes. Il me semble que rien ne vous empêche d'informer le préfet qui peut saisir juridiquement et de manière claire la chambre régionale des comptes ou lui signaler un certain nombre de comportements ou d'éléments qui ne vous paraissent pas clairs. Ainsi, lorsqu'elle examinera les comptes de la collectivité et ses relations avec le délégataire, elle pourra rentrer dans les comptes et répondre aux questions soulevées.

S'agissant des sociétés indépendantes, j'ai noté que, dans la renégociation des récentes conventions, les parts de marché leur revenant étaient croissantes. Le ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement serait plus à même, sur ce sujet, de fournir des éléments d'information.

M. Yves Tavernier : Les chiffres qui nous sont donnés sur la progression dont vous parlez sont un passage d'un peu plus de 0 % à 1 %. Il serait utile que vous puissiez nous préciser ces réalités.

M. le Président : Merci beaucoup.

b) 10 heures : M. Bernard Baudot, directeur de l'Eau au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement

M. Bernard Baudot est introduit. Le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la mission et donne la parole à M. Yves Tavernier, rapporteur.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Je voudrais tout d'abord remercier M. Baudot et la direction de l'Eau qui a répondu au questionnaire que nous lui avons adressé de manière extrêmement satisfaisante.

Ma première question porte sur votre appréciation du marché de l'eau, de la situation d'oligopole qui caractérise ce marché dominé par trois groupes et des procédures mises en _uvre.

Lorsque vous avez un appel d'offres pour un affermage ou une concession, c'est, dans un premier temps, un appel d'offres normal, fermé. On observe généralement des différences très fortes entre les propositions qui sont faites. Ensuite, on entre dans une phase de négociation. Il apparaît qu'il n'est pas rare de voir des écarts de 30, 40, voire 50 % entre le prix annoncé par les grands groupes qui pensaient qu'il n'y aurait pas une grande concurrence, et le prix lorsqu'un indépendant postule. La phase de négociation permet aux groupes de baisser leurs prix au-dessous du niveau de ceux des indépendants pour conserver le marché. Cela pose un réel problème d'équité et de moralité sur la nature du marché, les procédures d'appels d'offres, les procédures de renégociation. J'aimerais avoir votre avis sur ce premier point qui n'est pas sans incidence sur le problème qui nous préoccupe, à savoir le prix de l'eau.

M. Bernard Baudot : J'aurai quelques difficultés à répondre à cette question. Je n'ai pas l'habitude de renvoyer auprès de mes collègues, mais je pense que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) serait mieux à même d'y répondre. La direction générale des collectivités locales (DGCL) doit aussi posséder des informations à ce sujet, dans la mesure où ce sont les collectivités locales qui concluent les marchés.

M. Jean-Pierre Delalande, co-président : Il faut que vous travailliez ensemble.

M. Bernard Baudot : C'est juste, mais le problème de l'eau est tout de même très partagé. Même s'il y a une direction de l'eau pour coordonner, certaines compétences relèvent de la direction du ministère de l'Intérieur, dans la mesure où ce sont des collectivités ou de la DGCCRF quand ce sont des marchés. Ma direction n'intègre pas tous les actes liés à la gestion de l'eau.

Cela étant, une partie de la réponse est dans votre question. Vous avez cité la notion d'oligopole. Selon une étude que nous avons menée avec l'École nationale du génie rural des eaux et des forêts (ENGREF), il y a en moyenne trois candidats pour chaque appel d'offres. Il y a déjà une limitation dans le nombre d'organismes qui répondent à l'appel d'offres. Ensuite, le fait que le prix, dans le cadre des négociations que vous évoquez, baisse d'une manière aussi impressionnante, amène à se poser des questions sur le fait de savoir si, dans le cadre de cette situation oligopolistique, il y a une réelle concurrence. Je ne peux pas en dire plus car je n'ai aucun élément technique ou concret qui me permette d'aller au-delà de cette réponse. C'est un des points importants que je n'arrive pas, à mon niveau, à contrôler. C'est vrai que cela a un impact non négligeable sur le prix de l'eau, au-delà d'autres éléments.

Vous citiez 1 % de passages de la délégation à la régie directe. C'est aussi le chiffre donné par cette même étude. Dans les 680 contrats qui ont été renégociés en 1999, les indépendants en ont obtenu environ 18 %, ce qui est beaucoup mieux que les années précédentes où on était autour de 5 à 6 %. Il semblerait que certains organismes indépendants commencent à prendre une part de marché. Cela étant, globalement, sur l'ensemble des contrats, c'est encore très faible, moins de 1 % du total.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Concernant le prix de l'eau, je voudrais avoir une précision sur les écarts moyens constatés entre régie directe et affermage. La DGCCRF indique un écart de 13 % et vous un écart de 27 %, ce qui est une différence assez considérable. Le prix du service de distribution d'eau serait inférieur dans le cadre de la régie directe de 27 % au prix dans le cadre de l'affermage ou de la concession. Cela demande précision et explication.

Toujours sur le prix, j'ajoute qu'au cours des dix dernières années, l'augmentation du coût a été de 32 % pour la distribution d'eau, de 66 % pour l'assainissement, mais de 215 % pour les taxes, et de 266 % pour les redevances des agences. Tout cela demande quelques explications.

M. Bernard Baudot : Pour ce qui concerne la différence entre la DGCCRF et nous, elle est liée à l'échantillon. La DGCCRF s'appuie sur un réseau relativement limité et plutôt urbain. L'enquête, que nous avons faite en 2000 avec le service statistique du ministère de l'Agriculture (SCEES) et l'Institut français de l'environnement (IFEN), repose sur un échantillon représentatif de 5.000 communes, en partie rurales. Dans le monde rural, on constate qu'il y a des écarts plus importants en coûts de délégation, peut-être dus au moindre pouvoir de négociations ou du fait d'éléments techniques. On constate quand même que l'ensemble de ces deux éléments fait que nous arrivons à trouver, pour ce qui concerne la distribution d'eau, un écart entre la régie et la délégation de 27 %. Pour ce qui concerne la délégation du service de l'assainissement, on constate un écart de 20 %. De son côté, la DGCCRF, sur l'ensemble, constate 13 % de différence, avec un resserrement puisqu'en 1994 la différence atteignait 21 %. En fait l'échantillon est complètement différent.

Pour ce qui nous concerne, c'est une photographie que l'on a mise en place dès cette année, grâce à l'enquête IFEN-SCEES. Nous comptons faire cette enquête tous les trois ans et regarder les indicateurs de qualité. On parle toujours du prix, mais on va être obligé, de plus en plus, de travailler le rapport du coût ou du prix par rapport à la qualité des prestations de services rendus aux usagers. La seule notion de prix est insuffisante pour juger de l'évolution dans un sens ou un autre. On constate depuis quelque temps que le prix de l'eau croît beaucoup moins vite. La progression était, dans les années 1991-95, de plus 11 %, ensuite de plus 6 %, et maintenant de l'ordre de 2 %.

Face à cette diminution de la hausse du prix, faut-il voir quelle est la qualité des services et la prestation qui correspond, tant en régie qu'en délégation de service public. Nous n'avons pas encore la possibilité de faire cette analyse de façon approfondie. J'y reviendrai car c'est une des missions que l'on souhaiterait confier au Haut conseil des services publics de l'eau et de l'assainissement.

Cela étant, tout consommateur actuellement est prêt à payer l'eau. Personne ne le conteste. En revanche, les usagers contestent le fait que le prix de l'eau n'est pas suffisamment transparent, qu'ils n'ont pas assez d'information. Par ailleurs, à l'intérieur du prix de l'eau, ils se plaignent de ne pas avoir la connaissance des différents tarifs qui existent, notamment les tarifs spéciaux qui peuvent être négociés pour les usagers non domestiques.

S'agissant de la croissance, je ne peux contester les chiffres que vous avez cités car c'est nous qui vous les avons fournis. Il est clair que les taxes ont augmenté au fur et à mesure, mais c'est lié aux autres chiffres que vous citez tout à l'heure : 60 %, 266 % pour les redevances. Il faut quand même relativiser. Les redevances étaient relativement faibles. En valeur absolue, elles ont un poids qui n'est que de 17 % sur la facture de l'eau.

Mais limiter la croissance des redevances des agences ne suffit pas à résoudre tous les problèmes. En effet, on fait supporter la quasi-totalité de cette augmentation de la redevance de pollution aux usagers domestiques, alors que, d'une part, ce ne sont pas ceux qui polluent le plus et que, d'autre part, ils n'ont pas la capacité de maîtriser de façon significative leur pollution. Environ 50 % des entreprises sont raccordés aux services publics alors qu'elles paient trois fois moins de redevances pollution que les usagers domestiques. C'est un des points sur lequel le projet de loi souhaite revenir pour rééquilibrer la participation des différents usagers de l'eau, dans un souci d'une plus grande équité.

M. Jean-Pierre Delalande, co-président : Il y a des choses que nos concitoyens ont du mal à comprendre. Voici une facture d'eau telle que je l'ai vue : consommation d'eau = zéro et montant de la facture = 650 francs. C'est difficile à comprendre. De plus, quand on épluche les factures d'eau, le montant des taxes et des redevances est supérieur au prix de l'eau consommée. Cela prête à interrogation.

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Sur ce point, je voudrais que l'on puisse nous donner quelques explications et, en tout cas, quelques garanties. J'ai eu l'occasion de protester dans le passé lorsque des prélèvements ont été effectués sur le Fonds national des adductions d'eau (FNDAE), c'est-à-dire sur le produit d'une taxe payée par les consommateurs, pour contribuer à la dépollution d'un certain nombre d'exploitations agricoles. J'avais alors expliqué que l'on était loin du principe pollueur-payeur.

Actuellement, un prélèvement est effectué sur les redevances des agences. Pouvez-vous nous assurer que ces prélèvements, qui sont payés uniquement par les consommateurs, sont bien destinés à des missions d'intérêt public et comment, dans l'avenir, comptez-vous faire respecter cette règle selon laquelle les pollueurs, et non les consommateurs, doivent être les payeurs ?

M. Bernard Baudot : Je voudrais d'abord rebondir sur la première question du président, à savoir la facture telle que vous l'avez présentée. Derrière, il me semble qu'il y a un débat à avoir sur la notion de part fixe et de part proportionnelle. La loi de 1992 avait été très claire sur ce point, à savoir que le prix de l'eau devait être proportionnel au nombre de mètres cubes consommés.

Ce principe doit être mieux appliqué car c'est un système qui responsabilise les consommateurs. Notre souhait est de passer progressivement d'une gestion de l'offre à une gestion de la demande. En effet, nous considérons que, jusqu'à maintenant, on a développé la vente de l'eau, considérant cette dernière avant tout comme un bien marchand classique.

Or, l'eau est une ressource naturelle et un bien public. De plus, cette ressource est limitée. Aussi, souhaitons-nous qu'il y ait une limitation de la part fixe et qu'on rééquilibre la part proportionnelle par rapport à cette part fixe pour les raisons suivantes. Les personnes âgées ou seules consomment peu d'eau. Mais on a tendance à répercuter une partie non négligeable des coûts des prélèvements d'eau sur ces catégories-là.

Par ailleurs, nous pensons, surtout pour des questions d'économie, qu'il est nécessaire de responsabiliser les usagers. Je vous rassure, cela ne signifie nullement que l'on veuille, dans le projet, supprimer la part fixe. Nous souhaiterions l'encadrer et faire en sorte que les postes qu'elle inclut, soient clairement identifiés. En effet, la première demande des usagers est au moins de savoir comment a été calculée cette part fixe. Actuellement aucun élément ne nous permet de savoir quel a été le calcul fait entre la part fixe et la part proportionnelle et quels sont les postes qui ont été inclus dans la première.

Notre souhait n'est donc pas de la supprimer, mais de l'encadrer en proposant, dans le projet de loi, de donner une série de postes de dépenses qui peuvent être inclus dans la part fixe sans que cela pose un problème d'équilibre du budget annexe. Je signale aussi que des collectivités ne facturent aucune part fixe. Il n'y a aucune obligation en la matière. La règle générale de la loi de 1992 est très claire, c'est la proportionnalité. Il y a, par ailleurs, la possibilité de prévoir une part fixe, notamment pour les communes touristiques. Actuellement, il y a certains abus, avec des taux qui vont jusqu'à 40 à 45 % de la facture en part fixe, la moyenne étant autour de 20 %.

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Attention ! Il y a à ne pas faire payer les personnes âgées pour les régions touristiques car, dans le secteur touristique, il y a des investissements importants, voire exorbitants, et si vous vous attaquez à la part fixe sans tenir compte de cette spécificité des communes touristiques, ce sont ceux que vous voudriez préserver qui vont payer pour les autres.

M. Bernard Baudot : Nous sommes conscients de cela et nous avons prévu dans le projet de loi de préciser les conditions spécifiques de détermination de la part fixe pour les communes touristiques. Mais cela rejoint le débat de savoir si, pour la commune touristique, du fait du surdimensionnement des travaux, de branchements supplémentaires, du fait de la nécessité de préserver l'eau et d'assurer l'alimentation en eau aux périodes de pointe, il faut considérer la part fixe d'une manière spécifique

Beaucoup d'usagers nous écrivent en disant que les communes touristiques bénéficient de nombreuses ressources supplémentaires. On pourrait concevoir que ce ne soit pas aux usagers de l'eau, par une part fixe, de permettre l'amortissement des investissements des usagers venant en résidence secondaire ; dans la mesure où il y a des rentrées financières supplémentaires au profit du budget communal, pourquoi ne pas concevoir que la commune verse une subvention spécifique au budget de l'eau ?

Le budget de l'eau est autonome, mais il y a des possibilités dans certains cas de prévoir des dérogations, notamment pour les eaux de pluie et de ruissellement. Cela pourrait être le cas également pour les communes touristiques. Nous ne l'avons pas envisagé pour l'instant, mais c'est une possibilité.

Je n'ai pas abordé le problème de FNDAE car il relève du ministère de l'Agriculture. En revanche, je suis concerné par le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA) et c'est là-dessus que je répondrai. Il a été décidé, il y a trois ans, de prévoir un prélèvement sur le FNDAE pour financer le PMPOA destiné à aider la mise aux normes des agriculteurs en matière de pollution.

Le PMPOA fait l'objet d'un financement tripartite : l'État, les collectivités et les agences de l'eau qui, pour un tiers, ont été sollicitées. Cela ne me choque pas que les agences de l'eau participent à la réduction des pollutions d'origine agricole, mais il n'est pas normal que ce soit à sens unique. Il nous semble logique, au ministère de l'Environnement, que le pollueur, quelle que soit son activité, soit responsable et qu'il contribue de façon significative à la réduction des pollutions. A cet égard, il faut bien reconnaître que la contribution du monde agricole est très faible par rapport au soutien des agences de l'eau, d'une manière générale, et du PMPOA, d'une manière plus particulière. Nous sommes dans un rapport de 0,5 % d'un côté à 10 % de retour des aides des agences.

Cela pose un problème vis-à-vis des autres usagers. Ce n'est pas, en ce qui nous concerne, un problème idéologique. Certes, les industriels et les usagers domestiques acceptent une certaine solidarité vis-à-vis du monde agricole, mais néanmoins ils se posent des questions quant au niveau de la contribution de solidarité des budgets des agences, voire des budgets du FNDAE.

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Je suis choqué que l'on fasse participer les consommateurs à des mesures de dépollution dont ils ne sont pas responsables. Je vous renvoie à votre réponse de tout à l'heure : s'il faut aider, le budget de l'État est là pour cela, mais ce n'est pas aux consommateurs de payer. J'aimerais que vous puissiez nous affirmer que les prélèvements effectués sur les agences de bassin sont bien tous destinés à des opérations d'intérêt public.

M. Bernard Baudot : A priori, je peux vous donner une réponse positive. Ce sont ces opérations d'intérêt public tout à fait conformes aux missions des agences. C'est plutôt un problème d'équilibre entre les priorités des agences, entre la maîtrise des pollutions d'origine agricole ou d'autre origine, la restauration des rivières, ou l'amélioration de la sécurité de l'alimentation en eau potable.

Cela étant, je ne suis pas choqué par le fait que les usagers participent, dans la mesure où cela rejoint la protection des captages et de l'alimentation en eau potable. Le problème est plutôt de fixer un équilibre entre ces différents usagers, en termes de contribution, d'une part, et de retour des aides publiques, d'autre part.

M. Jean-Jacques Jégou : Je voudrais appuyer les propos de M. Bonrepaux.

Le montant des redevances des agences est très élevé et fait l'objet de transferts entre bassins. Personne ne sait ni comment il est dépensé ni quels sont les résultats de ces actions en terme de réduction de la pollution.

Il faut absolument informer les consommateurs de ce qui est fait avec la part du prix de l'eau qui ne couvre pas sa distribution. Cette dernière ne coûte que 7 francs sur un m3 payé 23,5 francs : où va donc la différence ?

M. Daniel Marcovitch : Je voudrais rappeler que la plupart des élus sont membres des comités de bassin et que les taux des taxes sont votés par les comités de bassin, comités que l'on a appelé, à tort, parlement de l'eau, puisqu'il ne s'agissait pas d'élus mais de gens représentants les usagers et les industriels. Ces taxes étaient donc votées.

Deuxièmement, ces taxes ne sont pas des impôts même si elles sont vécues comme tel. Ce sont des prélèvements qui seront réinvestis, d'ailleurs au grand bénéfice des industriels, dans les adductions d'eau et majoritairement l'assainissement, et n'iront pas dans les poches de l'État. Arrêtons de parler de taxes. Cet argent des redevances va dans la poche des distributeurs, par l'intermédiaire de leurs filiales. Ainsi, 2,3 milliards de francs, financés à 45 % par l'agence de bassin Seine-Normandie, ont permis la construction de l'usine d'assainissement de Colombes et c'est OTV, filiale de la Générale, Degrémont, filiale de la Lyonnaise, et Stéreau, filiale de la SAUR, qui ont construit cette usine et qui se sont mis les 2,3 milliards de francs dans les poches, grâce à l'argent des redevances. Ce n'est pas Mme Voynet qui les a mis dans sa poche !

(Protestations.)

M. Jean-Pierre Delalande, co-président : Il n'est pas d'usage que l'on s'interpelle dans notre commission. Monsieur le directeur, pouvez-vous apaiser nos craintes et nous éclairer sur ce qui est fait avec l'argent prélevé sur le prix de l'eau ?

M. Bernard Baudot : Je voudrais distinguer deux points. Je répondrai sur la partie prix de l'eau et la composition du prix de l'eau. Vous avez raison de dire que les usagers sont très peu informés sur les éléments de la facture. Un exemple, s'agissant de la part fixe : moi-même dans ma facture pour une résidence secondaire, je paie quatre parts fixes : celle du fermier pour l'eau, celle de la collectivité pour l'eau, celle du fermier pour l'assainissement et celle de la collectivité pour l'assainissement. Comment les consommateurs peuvent-ils s'y retrouver dans toutes ces répartitions d'affectation de sommes ?

Je crois que M. Tavernier a précisé la composition du prix de l'eau. Vous avez raison car il faut bien déterminer ce qu'est le prix de l'eau. C'est d'abord le prix de l'eau de l'usager domestique. Il est composé de plusieurs postes. Le prix total atteint 2.059 francs pour 120 m3 si mes souvenirs sont bons, soit en moyenne 17 francs au mètre cube. C'est le prix de l'eau tout confondu : la distribution de l'eau pour 42 %, l'assainissement pour 31 %. Ce dernier poste augmente et c'est normal car on généralise le traitement des eaux usées. On a construit des équipements de desserte d'eau et on en est désormais à la deuxième période, c'est-à-dire la modernisation et au renouvellement, qui est un vrai problème y compris par rapport aux provisions dont on a parlé tout à l'heure. Le poste assainissement augmente de manière absolue, mais est stable, en proportion, à 31 %. Vous avez ensuite 17 % pour les redevances agence. C'est un poste qui a fortement augmenté dans les dernières années, mais pour aider les collectivités en partie à respecter la directive « eaux résiduelles urbaines » et à mettre en place les stations d'épuration.

Je tiens à souligner que l'action des agences de l'eau, du moins selon les études faites actuellement, montre, qu'au moins sur les principaux cours d'eau, il y a eu amélioration de la qualité des eaux. Cela signifie qu'il y a eu un impact. Là où nous avons un problème, c'est sur l'amont des bassins versants, les petits cours d'eau dans les zones rurales, notamment en Bretagne. Ces redevances ont eu un impact et reviennent systématiquement à l'eau.

Puis vous avez 10 % de taxes dont le FNDAE, la TVA, le prélèvement au profit de Voies navigables de France (VNF), qui complètent la facture et évoluent en fonction des augmentations des trois premiers postes.

Pour les fonds prélevés, il y a d'abord un prélèvement sur l'usager au profit du FNDAE. Le fonds National de Solidarité eau (FNE) comporte désormais deux sections. Il y a le FNDAE, qui existe depuis 1954 et qui avait pour vocation de financer les équipements et les dessertes en eau des communes rurales, dont les crédits sont réaffectés en grande partie vers les conseils généraux. C'est le ministère de l'Agriculture qui le gère.

Une deuxième section, le fonds national de solidarité de l'eau (FNSE), a été créée en 2000. Il englobe des fonds de concours de 250 millions de francs, qui existaient déjà depuis 1997 et son montant total a été fixé par le Parlement à 500 millions de francs en 2001. C'est un prélèvement sur les agences qui n'est utilisé par l'État que pour des actions dans le domaine de l'eau. Ce fonds est strictement affecté à la solidarité et à la connaissance dans le domaine de l'eau.

Il est évident que certaines agences sont plus riches que d'autres. Il y a des études interbassins qui nécessitent d'avoir une politique homogène. Je pense à un seul exemple. Actuellement, nous revoyons tous nos réseaux de mesure et notre réseau d'information en matière de qualité de l'eau, pour appliquer progressivement la directive cadre communautaire qui va nous mettre dans un cadre de politique européenne de l'eau. Il est clair que chaque agence a ses méthodes et son rythme. Certaines ont mis plus de moyens que d'autres. Le FNSE sert à financer, par exemple, la mise à niveau des réseaux d'observation de la qualité de l'eau.

M. Yves Tavernier, rapporteur : C'est plus une interrogation qu'une question. Quand j'observe la mise en _uvre de la loi sur l'eau de 1992, je suis sceptique sur la volonté de l'État. Par exemple, au c_ur de la loi de 1992, il y a les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) et les communautés locales de l'eau. Dix ans après le vote de la loi, vous connaissez le bilan. Il y a, me semble-t-il, trois SAGE approuvés à l'heure actuelle en France. Cela veut dire que les administrations, et en particulier les préfets, ne font pas correctement leur travail.

J'aimerais avoir votre avis sur ce point parce que la gestion de l'eau par bassin versant, qui était au c_ur du dispositif, dix ans après, on en est quasiment au point mort.

En 1996, il a été créé un observatoire de l'eau qui n'a eu aucun effet. On ne lui a donné aucun moyen, et cet observatoire est mort de sa belle mort. On nous annonce un haut conseil des services publics de l'eau et de l'assainissement. Connaîtra-t-il le même sort ? Le Parlement peut voter des lois, mais sans la volonté politique de les mettre en _uvre et l'appui effectif des administrations, dans les départements, je pense aux préfets et aux deux administrations qui jouent un rôle majeur en termes de conseils des collectivités territoriales, à savoir les directions départementales de l'agriculture (DDA) et les directions régionales de l'environnement (DIREN), elles ne peuvent être appliquées. Le bilan de ces dix dernières années, avec la loi de 1992 et la loi de 1995, me laisse songeur.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Pourriez-vous répondre sur le bilan d'efficacité des missions interservices de l'eau qui ont été mises en place il y a quelques années ? Cela rejoint la question de notre collègue sur l'efficacité de l'organisation de l'État en ce domaine.

M. Bernard Baudot : Pour ce qui concernent les SAGE et les communautés locales de l'eau, c'est l'Assemblée qui a introduit cet article par amendement. Nous considérons que c'est un très bonne procédure à mettre en place dans les bassins. Les schémas d'aménagement de gestion de l'eau nous paraissent tout à fait en continuité du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE).

Le SDAGE a été mis en place dans les bassins en 1995-96. On ne pouvait pas faire de SAGE, qui sont des inclusions à l'intérieur de chacun des bassins, sans que le comité de bassin ait préalablement adopté les grandes orientations du schéma directeur d'aménagement. Je suis d'accord avec vous, on aurait pu néanmoins commencer la réflexion.

En ce qui nous concerne, nous constatons que pour l'instant, trois SAGE viennent d'être approuvés : le SAGE de la Drôme en Rhône-Méditerranée-Corse, le SAGE de la Largue dans le bassin Rhin-Meuse, et le SAGE de la Mauldre dans le bassin Seine-Normandie. Six autres devraient être prochainement approuvés.

Sur les trois premiers, deux reposent sur des structures intercommunales qui existent déjà. La communauté locale de l'eau est une structure intercommunale qui est décidée par les communes pour mettre en _uvre le SAGE. Quand des structures intercommunales existent, l'utilité de la communauté locale de l'eau n'est pas évidente. En tout cas il appartient aux élus locaux de juger s'il est opportun ou pas de la mettre en place.

Ceci étant, 57 SAGE sont en cours d'élaboration. Il faut attendre leur montée en puissance. Il me semble que c'est une bonne approche des problèmes locaux de gestion de l'eau. D'ailleurs, beaucoup d'élus me disent être intéressés et vouloir mettre en place un SAGE. Il faut rappeler que le législateur a voulu que ce soit l'élu le porteur de projet d'un SAGE.

Nous essayons de mobiliser l'Administration au sens large et plus particulièrement les services de l'État pour sensibiliser et mieux informer les élus, car ils ne sont pas censés connaître tous les éléments dont ils peuvent disposer dans ce domaine. Il faudrait aussi que les services de l'État se mettent plus activement à la disposition des élus quand il y a un projet de SAGE.

Mais il faut reconnaître que les services de l'État ont déjà beaucoup à faire, notamment au niveau de la police de l'eau, et peut-être ont-ils tendance à privilégier ces tâches-là avant de s'impliquer dans d'autres domaines. Il en résulte que le conseil aux collectivités n'est pas suffisamment positif et actif dans le cadre des SAGE.

Pour faciliter la mise en place des SAGE, nous proposons dans le projet de loi sur l'eau de donner la possibilité de créer, dès que le périmètre du SAGE a été arrêté, une structure de maîtrise d'ouvrage - ce peut être un groupement d'intérêt public, mais aussi une communauté locale de l'eau - de manière à porter les études et les financements publics qui leur permettront d'élaborer le SAGE. Ceci étant, cela ne suffira pas. Il faut une volonté à la fois des élus, des services de l'État, et créer une réelle participation des usagers à l'intérieur du SAGE.

S'agissant de l'observatoire de l'eau, il fait un peu figure d'homme préhistorique par rapport au Haut Conseil en projet. Mis en place en 1996, il n'avait pas de moyens propres. Il devait se réunir deux fois par an pour débattre de manière générale sur les données publiées par les autres acteurs sur l'eau. Sans moyens, il n'avait la possibilité ni de mettre en place des enquêtes, ni de réaliser des études. Il n'avait aucun pouvoir de décision, pas de mission en matière de régulation, même pas de régulation d'information. C'est certainement pour ces raisons qu'il est mort de sa belle mort au bout de deux réunions.

Le Haut Conseil, dont la création est proposée dans le projet de loi, relève d'une plus grande ambition. On ne peut toutefois le considérer comme une instance classique de régulation car, en France l'eau est un monopole « local » de la responsabilité des collectivités. Nous ne sommes donc pas du tout dans le même contexte que celui de la régulation de l'audiovisuel ou des télécommunications.

En revanche, nous avons souhaité que le Haut Conseil des services publics de l'eau et de l'assainissement soit structuré de la même manière que les instances de régulation. La proposition, qui est faite dans le projet, est que trois conseillers soient nommés par décret, un par le président de l'Assemblée nationale, un par le Sénat et un par le président du Conseil économique et social. Ce sera un organisme permanent qui aura des moyens, du personnel et qui sera chargé d'assurer la régulation de l'information.

On constate actuellement que beaucoup de collectivités ont besoin de certains conseils, d'éléments comparatifs dans leur strate de commune, par rapport à la délégation, la qualité du service, des indices de performance et de qualité, en particulier pour se former un jugement en cas de renouvellement de contrat. L'idée de ce haut conseil est d'en faire une instance de régulation par l'information et la transparence de l'information. Il aura aussi pour vocation de mettre en place toute une série d'indicateurs de performance et de qualité qui pourront être comparatifs entre les différentes collectivités. Nous n'avons pas souhaité actuellement aller au-delà, c'est-à-dire faire du haut conseil une instance avec pouvoir juridictionnel et pouvoir d'injonction.

Il pourra s'auto-saisir des problèmes qui touchent le domaine de l'eau, faire des propositions au niveau du gouvernement et rendre publics ces avis et propositions. Il pourra aussi être saisi, par les élus, les collectivités, les associations, les usagers, sur des points d'éléments comparatifs.

Par contre, il a été considéré que le contrat entre une collectivité locale et son délégataire ne nécessitait pas d'être analysé par une instance nationale pour juger si ce contrat était bon ou non quant à son contenu. De même, il n'est pas prévu que le Haut Conseil puisse formuler, en cours de contrat, un avis sur la bonne pratique ou non du contrat mis en place entre les délégataires et la collectivité locale.

Le Haut Conseil aura aussi vocation à apporter un conseil aux collectivités dans le domaine des indicateurs de qualité. Il aura accès à toutes les informations nécessaires qui devront lui être fournies par les collectivités et leurs délégataires. Ceci étant, il n'aura pas le pouvoir d'aller contrôler ni dans les régies directes, ni chez les délégataires, la validité de ces informations, du moins dans l'état actuel du projet de loi.

M. Daniel Marcovitch : On a parlé tout à l'heure, à plusieurs reprises, du fait que les citoyens usagers étaient prêts à payer l'eau à un prix raisonnable, à condition de savoir ce qu'il comprenait et aussi de payer la réalité de leur consommation. Or la question est posée aujourd'hui de la facturation individuelle et aussi de l'individualisation des contrats, et non pas seulement du comptage individuel.

Quelle est la position de la direction de l'eau sur ce problème de l'individualisation des factures ? Je rappelle que personne n'envisagerait de payer son électricité ou son téléphone au prorata des millièmes de sa copropriété ou de la surface de son appartement.

Par ailleurs, nous savons également que, lorsqu'il y a des impayés d'eau, qui sont intégrés dans les charges locatives, cela peut aller jusqu'à l'expulsion locative pour impayés de charges, mais il peut aussi y avoir une coupure d'eau lorsque la facture d'eau est individualisée. La charte solidarité eau permet-elle éventuellement des abandons de créances entre les distributeurs et les centres communaux d'action sociale (CCAS) ? Ne pensez-vous qu'il faudrait plutôt aller vers une forme d'aide a priori pour les plus démunis à la place de ce système d'abandon de créances qui relève plus de l'aumône et de la charité que du vrai droit à l'eau ?

M. Bernard Baudot : Pour ce qui concerne l'abonnement individuel, notre position est très claire. La loi dite « solidarité et renouvellement urbain » clarifie une partie du système. Il est clair que nous souhaitons la généralisation du compteur individuel quand cela est possible, et du compteur divisionnaire dans le cas des habitations collectives. Cela pose quelques problèmes techniques qu'il faudra résoudre, au-delà de l'aspect du financement.

Cela rejoint la notion de responsabilisation quant à la consommation d'eau et à la nécessité de faire en sorte que les usagers, qui consomment plus d'eau que d'autres, dans du collectif, paient leur facture réelle de consommation d'eau. Il faut rechercher la transparence et l'équité dans le domaine du prix de l'eau, de manière à ce que chacun ne paie plus, à terme, en tantième d'immeubles collectifs.

Pour ce qui concerne la solidarité, comme nous le rappelons dans le projet de loi, nous faisons en sorte que les services informent systématiquement les usagers, quand ils sont en difficulté, de l'existence de dispositifs de solidarité.

D'autre part, il existe une convention « solidarité-eau » qui vient d'être renouvelée entre l'État - ministère de la Santé -, les distributeurs d'eau et les associations d'élus, qui permet de prendre en charge, au même titre que pour le téléphone ou l'électricité, des impayés de ces personnes en difficulté.

Par ailleurs, je voudrais signaler certaines pratiques, au niveau de la facture d'eau et du fonctionnement des services, qui posent un problème d'accès à l'eau pour les personnes modestes. Il existe encore toute une série d'obstacles préliminaires, tels que des cautions solidaires, des frais d'accès à l'eau, des frais d'ouverture, de branchement. Dans le projet de loi, nous souhaitons remettre en cause ces différents dispositifs qui gênent plus particulièrement les familles modestes. Cela peut aller jusqu'à un coût de 1.000 francs avant d'avoir le premier mètre cube d'eau.

S'agissant des missions interservices de l'eau (MISE), il faut lever l'ambiguïté. En tant qu'ancien directeur départemental de l'agriculture et de la forêt, je connais bien leur fonctionnement. Plus de 90 % des MISE sont animées et coordonnées, sous l'autorité du préfet, par un agent de la DDAF. Je voudrais tout d'abord souligner que le dispositif des MISE est déjà un progrès par rapport à ce qui existait auparavant.

En effet, dans le passé, plusieurs services (directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), directions départementales de l'équipement (DDE), subdivisions départementales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), services vétérinaires pour les installations classées, DDAF, éventuellement services de la navigation) donnaient chacun des avis, souvent contradictoires, en tout cas non discutés entre eux sur des problèmes de police de l'eau.

Il convient de rappeler que les MISE ont été créées pour assurer une meilleure efficacité des services de l'État dans les décisions et les instructions que l'État doit prendre en ce qui concerne à la fois la police administrative et la police répressive. La police judiciaire ou répressive est faite en liaison étroite avec les procureurs, et la police administrative a pour charge d'instruire les autorisations et les déclarations de police de l'eau.

Les MISE constituent un progrès car elles ont permis de coordonner et d'animer l'ensemble des services de l'État. Elles doivent aussi constituer un guichet unique pour les usagers et les collectivités, qui sont souvent perdus parmi tous les différents services. Je ne suis pas persuadé qu'il y ait des guichets uniques partout et que les MISE fonctionnent de manière totalement efficace partout.

A ce sujet, une mission interministérielle a été mise en place par le premier ministre et présidée par le préfet Dominique Dubois. Un des souhaits que j'ai formulé auprès de cette mission, c'est que des règles communes soient instaurées sur le territoire pour que les MISE fonctionnent et s'organisent de la même manière d'un département à l'autre. Pour l'instant, leur organisation relève de la responsabilité de chaque département, d'où une organisation multiforme qui pouvait se concevoir pendant les premières années mais qui nécessite d'être rendue plus homogène pour être plus efficace et plus lisible par les citoyens.

Vous demandez aux MISE d'être conseil des collectivités. Mais je viens de vous rappeler que leur rôle premier, c'est la police. Nous sommes suffisamment critiqués sur ce point-là pour le traiter de façon prioritaire. Par ailleurs, les MISE sont constituées de peu d'agents, alors que j'ai trois cents ordonnateurs secondaires, c'est-à-dire chefs de service, qui s'occupent de police de l'eau. Cela pose un véritable problème et il me paraîtrait utile d'identifier un seul responsable départemental en matière de police de l'eau agissant sous l'autorité du préfet du département.

Le débat relatif à la réforme des services de l'État est en cours. Il est certain que des missions que l'État faisait depuis la guerre sont à revoir et qu'un rééquilibrage est en train de s'opérer entre les différents services de l'État. Il faut concentrer les moyens sur des missions d'intérêt public, liées aux attentes et aux besoins de la société actuelle.

M. Pierre Méhaignerie : Vos réponses ont été directes et concrètes. C'est en général le cas des directeurs qui ont une expérience du terrain. Cela m'amène à vous poser une question d'organisation. Une partie de nos retards, de nos difficultés et de nos coûts proviennent, dans ce secteur comme dans d'autres, de formidables éparpillements des responsabilités et de la multiplication des structures.

Quand je regarde le problème de l'eau, nous ne savons jamais s'il faut s'adresser aux DDA, aux DDE, à l'agence, aux DDAS, à la DIREN, aux préfets. Certains préfets délèguent, d'autres refusent de déléguer. Cela provoque des délais extrêmement longs. La coordination ne fonctionne pas très bien car aucun directeur ne veut perdre une partie de son pouvoir.

Ne croyez-vous pas, si nous voulons avancer plus vite et avoir une plus grande efficience, qu'il faut changer franchement et aller plus loin que la simple coordination des directions ?

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Pour ma part, je m'interroge sur la façon dont on va pouvoir limiter le prix de l'eau dans la mesure où, d'un côté, on constate des prélèvements qui sont certes d'intérêt public mais sur des agences de bassin qui, de ce fait, ont tendance à limiter leur action et leur soutien à l'équipement des collectivités rurales et, d'un autre côté, nous allons être confrontés à des règles européennes qui vont encore exiger des investissements nouveaux. Comment faire pour éviter que cela ait des répercussions excessives sur le prix de l'eau ?

M. Bernard Baudot : J'ai déjà un peu répondu tout à l'heure à M. Méhaignerie en signalant que c'était une étape, que déjà c'était mieux que ce qui existait avant, même si c'est encore multiforme sur le territoire. Déjà avoir un guichet unique permet à la collectivité ou l'usager, quand il a un problème d'eau, de savoir qu'il y a un guichet au niveau duquel il peut déposer son dossier et où il aura la synthèse des informations nécessaires.

Il ne m'appartient pas, en ce qui me concerne, de dire comment il faut réorganiser. Toutefois, en tant que directeur de l'eau, compte tenu des difficultés que j'ai pour appliquer effectivement la police de l'eau, au niveau départemental, je ne peux qu'approuver le fait qu'il faudra certainement aller plus loin dans la structuration et l'identification des services de l'État chargés de la gestion de l'eau au niveau départemental, de manière à ce que toute collectivité ou tout citoyen puisse identifier clairement le responsable de son dossier. Je ne peux qu'approuver cette proposition, sachant qu'il convient de laisser la réflexion se poursuivre au niveau de la mission interministérielle chargée de faire des propositions dans ce domaine.

M. Jean-Pierre Delalande, co-président : On effectue des prélèvements sur les agences de bassin dans des missions d'intérêt général, certes. Par ailleurs, les agences de bassin ont tendance à réduire leur participation sur les investissements des collectivités locales et, de plus, nous allons être confrontés à des règles supplémentaires. Comment faire pour que cela n'ait pas une incidence excessive sur le prix de l'eau ? Vous avez indiqué tout à l'heure que les réglementations européennes allaient nous inciter à des investissements, me semble-t-il, supplémentaires.

M. Bernard Baudot : Il faudra encore les chiffrer et ce n'est pas seulement les agences de l'eau qui y participeront.

Avant de répondre plus précisément à votre question, je voudrais signaler que le vrai problème que vont avoir les collectivités, dans les années à venir, concerne le renouvellement des équipements. Afin de résoudre cette difficulté, nous prévoyons notamment, dans le projet de loi, de permettre aux régies de faire des excédents budgétaires pour prévoir, à l'avance, les moyens de réaliser des équipements importants. Par ailleurs, il est prévu de réglementer beaucoup plus les provisions pour renouvellement dans la relation entre les délégataires et les collectivités territoriales.

Pour ce qui concerne les agences, nous souhaitons, dans le cadre du projet de loi, limiter l'augmentation des redevances des agences. En effet, nous considérons qu'il faut stabiliser maintenant les redevances des agences dans la mesure où il y a eu une très forte progression au cours des dernières années. L'objectif est de ne pas aller en-deçà des moyens d'intervention dont les agences disposent actuellement, mais de ne pas augmenter, hormis l'augmentation classique liée à l'inflation, les budgets des agences. En effet, nous pensons qu'au sein des budgets actuels, il y a des priorités à définir et des choix à faire.

D'une manière générale, à ma connaissance, le niveau actuel d'intervention des agences sur les collectivités n'a pas baissé. C'est dans le cadre des comités de bassin, dont beaucoup d'élus locaux et de députés font partie, que sont et seront déterminées les priorités. Certaines priorités actuelles pourront être revues à la hausse ou à la baisse mais il n'y a pas de raisons objectives pour que les interventions en faveur des collectivités soient revues à la baisse.

Les agences ont fait un très bon travail depuis 37 ans. Elles ont participé et incité à une amélioration de la qualité de l'eau. Elles ont aidé les collectivités, les usagers et l'ensemble des partenaires. Ceci étant, la logique de la loi 1964 était la suivante : « Nous avons des problèmes environnementaux. Nous réfléchissons sur un programme lequel coûte X millions de francs que l'on répercute ce coût sur les usagers ».

On pouvait le concevoir au début, quand il en coûtait 1 ou 2 milliards. Mais nous en sommes maintenant à plus de 10 milliards de prélèvement qui sont des prélèvements fiscaux, des impositions de toute nature et qui, à ce titre, en vertu de l'article 34 de la Constitution, doivent être votés par le Parlement.

Nous inversons, dans ce projet de loi, la logique antérieure. Les taux, les assiettes, et le mode de recouvrement sont votés par le Parlement parce que c'est une imposition de toutes natures et non une redevance affectée au bénéficiaire. Les recettes qui en résultent permettent de construire un budget et donc un programme d'orientation et de priorités qui sera de la responsabilité des comités de bassin.

M. Pierre Méhaignerie : Et une recentralisation.

M. Bernard Baudot : Si le vote au Parlement est une recentralisation, peut-être, mais en tout cas ce n'est pas une recentralisation au niveau du ministère de l'Environnement, loin de là. En effet, jusqu'à maintenant, on procédait par décret et arrêté. Même si les propositions émanaient des comités de bassin, on pouvait les remettre en cause.

M. Jean-Pierre Delalande, co-président : Je vous remercie.

c) 11 heures : M. Luc Valade, chef du service des produits et des marchés à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie.

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, co-président.

M. Luc Valade est introduit. M. le Président lui rappelle le fonctionnement de la mission puis donne la parole à M. Yves Tavernier, rapporteur.

M. Yves Tavernier : J'aimerais que vous nous donniez votre sentiment sur ce que sont les réalités du marché de l'eau. Y a-t-il un véritable marché concurrentiel ? Sommes-nous - ce qui parait beaucoup plus évident - dans une situation d'oligopole où trois grands groupes ont la mainmise quasi totale sur le marché ?

Puisque vous assistez aux appels d'offres à travers vos responsables départementaux, j'aimerais avoir votre sentiment sur la manière dont se déroulent les appels d'offres en ce domaine. D'une manière générale, il nous est indiqué que lorsqu'il y a un appel d'offres pour un contrat d'affermage ou de concession, très souvent, il y a deux, trois, au plus quatre candidats. A l'évidence, dans beaucoup de cas, il semble qu'il y ait des ententes préalables, de telle sorte qu'un seul candidat puisse être retenu, selon une répartition géographique entre les différents groupes.

Quand, d'aventure, un tiers non prévu se présente et qu'il propose des prix beaucoup plus bas, la procédure de négociation qui suit la procédure d'appel d'offres aboutit parfois à des diminutions de prix considérables, qui conduisent à s'interroger sur la légitimité et la véracité des prix proposés au stade de l'appel d'offre.

C'est un problème majeur car ce marché représente des sommes considérables. L'eau, qui est un bien public, est payée par les consommateurs. On est dans le cadre d'un service public dont la responsabilité incombe aux collectivités territoriales et on peut avoir l'impression que ceux qui concourent à la détermination du prix n'obéissent pas aux règles que l'on est en droit d'attendre dans un pays de droit. Ma question est directe, mais elle est au coeur de votre responsabilité

M. Luc Valade : Effectivement, votre question est très directe. Elle est au coeur d'une problématique fondamentale touchant au marché de l'eau, qui est la problématique concurrentielle et qui est bien entendu la problématique de la direction que je représente, la directions générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

En observant les prix de l'eau depuis deux décennies, on constate des évolutions à la hausse significativement importante et assez atypique par rapport à l'évolution générale des prix et celle des prix dans tous les autres secteurs de l'activité économique.

Lorsqu'on regarde, au fil de l'eau, les évolutions, on se rend compte que les situations sont très contrastées selon les périodes et selon les zones. Par exemple, en 1999, on s'est aperçu que le rapport entre la commune où le prix de l'eau est le plus bas et celle où il est le plus haut est de un à sept. Si on élague les 10 % où l'eau est le plus cher et les 10 % où elle est le moins cher, le rapport passe à 1,7. Ces évolutions contrastées, qui traduisent néanmoins une augmentation continue du prix de l'eau, sont-elles liées à des facteurs technico-économiques ou à d'autres éléments ? Vraisemblablement, cette évolution est liée à des facteurs technico-économiques, aux efforts faits en matière d'investissement, notamment aux 6e et 7e programmes, mais ces facteurs-là sont loin d'expliquer la tendance haussière continue des prix de l'eau, même si, dans la période récente, on a observé un phénomène assez sensible de décélération de l'augmentation. En effet, sur les deux ou trois dernières années, on s'aperçoit que le prix de l'eau a tendance à augmenter à un rythme proche de celui des prix. Mais en la matière, on a appris à raisonner sur le moyen et long terme.

Il doit donc y avoir d'autres raisons qui expliquent ces évolutions du prix de l'eau, certainement qui touchent aux comportements. Nous nous trouvons clairement dans une situation de marché qui ne pousse pas à la modération du prix de l'eau. Nous sommes dans une situation d'oligopole et nous avons le sentiment que nous subissons tous, les collectivités concédantes, les concurrents potentiels, mais aussi sans doute les services de contrôle, cette situation d'oligopole.

La structure concurrentielle du marché à l'heure actuelle ne semble pas permettre l'entrée de nouveaux opérateurs sur ce marché. C'est le point qui me parait tout à fait fondamental. Parfois nous sommes pris de pessimisme, car nous voyons bien que le marché de l'eau se développe à travers une mosaïque de concessions et de petits marchés locaux, et que prendre pied sur un petit marché local n'assure pas spontanément à un nouvel intervenant une surface suffisante pour commencer à avoir une base de développement.

C'est un aspect technique qui constitue une grande difficulté pour ceux, rares jusqu'à présent, opérateurs étrangers ou opérateurs nouveaux entrants, qui souhaitent arriver sur le marché. Il y a peut-être des solutions, mais pour l'instant, si tant est que les communes souhaitent vraiment étudier des candidatures venues de toute l'Europe, les rares opérateurs qui ont tenté d'entrer sur le marché français de l'eau ou de l'assainissement ont échoué. C'est la loi de l'oligopole.

Pour le service de contrôle, nous avons parfois le sentiment d'être mis en échec. La logique de l'oligopole est ainsi faite que, finalement, il n'est pas vraiment nécessaire que deux ou trois opérateurs bien établis qui participent à l'oligopole se réunissent et s'entendent formellement pour se partager le marché. Il nous est donc très difficile de rassembler des preuves matérielles de l'entente, même si, de fait, le résultat est bien celui d'une entente.

Si on se place du point de vue de l'abus de position dominante - car c'est l'abus seul qui est répréhensible - nous nous heurtons aussi à bien des écueils. Lorsqu'un candidat au renouvellement, déjà en place, ne répercute pas totalement les coûts liés à la nouvelle concession et mutualise ces coûts sur les communes ou les zones proches, il est très malaisé d'appréhender de manière fine, dans la comptabilité analytique, que le délégataire n'a pas bien imputé les coûts sur le projet de délégation qui lui est proposé. Naturellement, je ne vous cacherai pas que nous avons, dans ce domaine, de plus en plus de plaintes, à l'occasion de la passation de contrat de délégation de service public, de la part d'opérateurs qui sont éliminés et qui ont pour recours d'interpeller la direction de la concurrence, voire de saisir le conseil de la concurrence. Ils nous parlent tous de prix abusivement bas.

Comment apprécier si le prix est bas, si c'est un prix d'éviction ou un prix de renouvellement obtenu grâce aux efforts de négociation de la commune ? En effet, nous voyons qu'à l'heure actuelle, les renouvellements dans le domaine de l'eau se font à des prix légèrement en baisse lorsque c'est le même opérateur qui est renouvelé. En gros, pour le prix, on tourne autour de moins 9 ou 10 % par rapport aux anciens contrats. Il y a donc une évolution favorable. Il est difficile de faire la part entre la capacité de négociation qu'a eu la commune pour faire baisser le prix et la volonté de celui qui est déjà en place de trouver un niveau de prix pour évincer le concurrent.

Caractériser une entente ou un abus de position dominante dans le domaine de la délégation de service public reste très délicat. Quelques affaires sont actuellement pendantes, suite à des enquêtes, devant le conseil de la concurrence, mais elles sont en petit nombre.

S'agissant des nouveaux entrants, les services de contrôle subissent la logique de l'oligopole, de même que sans doute les communes elles-mêmes. Lorsqu'elles sont liées, depuis de nombreuses années, à un opérateur, les communes ont beaucoup de difficultés à franchir le pas et à changer d'opérateur, tout simplement parce qu'elles n'ont pas toujours cette capacité d'expertise qui les mettrait sur un pied d'égalité avec l'opérateur.

Bien sûr, les syndicats intercommunaux, les regroupements de communes donnent sans doute une meilleure capacité d'expertise. Mais il nous a semblé qu'à l'inverse, les regroupements de communes et les syndicats intercommunaux ont un petit handicap qui est celui de réaliser leur propre consensus. Mais c'est une impression générale.

Les communes ont tout de même le souci - c'est notre expérience - de ne pas mettre tous leurs _ufs dans le même panier si bien que, lorsqu'elles ont des marchés publics de collecte des ordures ménagères avec un membre de l'oligopole, elles auront plutôt tendance à aller vers un autre membre de l'oligopole pour la concession d'un autre service public. En résumé, elles ne vont pas se lier à un seul opérateur. Mais on reste globalement dans le monde de l'oligopole.

M. Daniel Marcovitch : Je suis, depuis six ans, administrateur de la société anonyme de gestion des eaux de Paris (SAGEP). A ce titre, je suis destinataire de la totalité des comptes rendus d'appels d'offres. Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu une seule fois, en face du nom du représentant de la DGCCRF, une signature. Il a toujours été, à ma connaissance, absent et excusé. Or il s'agit souvent de marchés importants.

On peut se poser la question de savoir si votre rôle n'est pas largement obéré par une insuffisance de fonctionnaires, qui ne vous permet pas d'être réellement présents lors de ces appels d'offres.

Deuxième point, il y a donc appel d'offre lorsqu'il s'agit de trouver un délégataire pour le service de l'eau et/ou de l'assainissement. Une fois que ce délégataire a été trouvé, il dispose d'une liberté totale pour passer les marchés nécessaires, comme il l'entend, avec les entreprises qu'il souhaite choisir lui-même, sans appel d'offres cette fois-ci, et qui sont en général ses propres filiales. Je le dis à propos des délégataires, mais c'est aussi valable pour des syndicats interdépartementaux, comme c'était le cas pour le syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (SIAAP), où c'est une entente entre les trois grands distributeurs et assainisseurs qui a permis de construire l'usine de Colombes. Les trois étaient associés pour remporter la totalité du marché.

Le plus critiquable dans l'affaire, c'est que cette usine sert surtout aujourd'hui de vitrine à ces producteurs. Finalement, ce sont les usagers de la région parisienne qui paient les frais de représentation de groupes qui n'en ont manifestement pas besoin. Comment réintervenir dans de tels cas sur la réalité de la concurrence ?

M. Luc Valade : Je ne vous cacherai pas que nous ne sommes pas présents systématiquement à toutes les commissions d'ouvertures de plis. Quand vous me demandez si la direction générale compte assez de fonctionnaires, j'ai toujours des scrupules à dire que ce n'est pas le cas. Nous sommes un service de contrôle qui a des enquêteurs très aguerris, souvent de formation universitaire, mais dans le domaine des marchés publics, nous sommes obligés de cibler nos enquêtes.

En matière d'ouverture des plis, cette technique de ciblage n'est certainement pas la plus appropriée mais nous ne pouvons pas être présents à toutes les commissions de toutes les ouvertures de plis. En matière de marchés publics, je crois pouvoir citer le chiffre d'environ un quart des commissions d'appels d'offres dans lesquelles nous sommes présents car, matériellement et physiquement, nous ne pouvons pas assister à toutes.

Chacune de nos directions départementales compte un spécialiste des marchés publics. Lorsqu'il observe qu'il y a deux ou trois commissions d'appels d'offres, la même matinée, il ne peut pas assister à toutes. Là aussi nous ciblons et allons vers les marchés importants pour lesquels il y a eu des antécédents concurrentiels.

Sur le deuxième aspect, la questions de savoir si le délégataire choisit ses partenaires pour les marchés, la réponse est tantôt oui, tantôt non. Lorsqu'il doit passer des marchés de travaux publics après avoir été choisi comme délégataire, il ne choisit lui-même que lorsqu'il s'agit de concessions. Mais lorsque nous sommes, et c'est le cas majoritaire en matière de distribution d'eau et d'assainissement, dans la situation de l'affermage, c'est la commune ou le syndicat de communes qui va formellement préparer et passer le marché.

C'est là que nous avons une difficulté, en termes concurrentiels, et c'est un des domaines où nous essayons de faire porter en priorité nos contrôles : nous observons que les fermiers assistent les communes pour élaborer les marchés et que souvent les marchés sont attribués à des filiales du délégataire, en tout cas à des filiales qui appartiennent au même groupe que le délégataire. Nous avons observé, à cette occasion, que parfois il existe des circuits directs d'information du candidat au marché public. Nous enquêtons sur quelques affaires et avons saisi le conseil de la concurrence.

Je ne vous parlerai pas plus avant de ces affaires qui sont en cours mais qui touchent peut-être très directement un sujet auquel vous venez de faire allusion. Lorsque nous approfondissons l'examen de ce qui se passe sur le terrain, nous voyons bien qu'il y a des biais par lesquels le fermier, qui ne passe pas formellement le marché public, peut donner un avantage à une société filiale du même groupe que lui. C'est dans ces domaines que nous attendons le plus de contentieux dans l'avenir.

M. Daniel Marcovitch : L'arbre de la délégation ne doit pas cacher ce type de forêt qui est certainement beaucoup plus importante, y compris sur le plan financier.

M. Luc Valade : Je suis d'accord. Il y a actuellement couplage entre la délégation de service public et le marché de travaux, et nos efforts portent sur ce couplage.

M. Daniel Marcovitch : Vous avez soulevé tout à l'heure le problème des filiales et le fait qu'il n'y a jamais de sociétés totalement constituées pour un service donné. Il y a une grande difficulté, dans ce cas, à pouvoir individualiser la comptabilité.

Je reprends l'exemple de Paris. L'un des distributeurs, la Lyonnaise des Eaux, n'a pas du tout de société puisqu'il ne s'agit que d'un établissement d'une société nationale ; il n'y a pas de comptes individualisés. Quant à l'autre, un groupement d'intérêt économique (GIE) régional, il permet tous les jeux d'écritures possibles et imaginales entre les services. Ceci entraîne une opacité réelle. Imaginez-vous une solution pour revenir à l'individualisation réelle et contrôlable des comptes ?

M. Luc Valade : Je n'ai pas spontanément de solution. Il me semble que l'obligation pour le délégataire de faire rapport chaque année a été déjà un premier pas vers une certaine transparence des comptes, même si cela paraît relativement limité.

L'obligation de faire rapport à la collectivité délégante l'amène à justifier l'exécution du service public. On a pu observer qu'il y avait là des éléments nouveaux sur la transparence des coûts. De là à dire que la collectivité délégante dispose pleinement de la comptabilité analytique du délégataire, certainement pas. On voit bien que, même dans les affaires contentieuses pour lesquelles il y a examen systématique des comptes par les services enquêteurs pour vérifier si les coûts ont bien été imputés, la comptabilité reste grossière.

Je n'ai pas spontanément de solutions techniques à préconiser. Peut-être des obligations nouvelles à caractère législatif touchant à la présentation des comptes pourraient faire avancer les choses. S'il y a eu amélioration, nous sommes loin du compte, en termes de clarté des comptes.

M. Yves Tavernier : Pour prolonger ce que vous venez de dire, vous constatez que le rapport que le délégataire doit faire n'est pas très satisfaisant. Souvent d'ailleurs le délégataire fait à la fois le rapport du délégataire et celui du délégant. Quelles propositions faites-vous pour améliorer les choses ? La loi est très vague sur ce point. Nous attendons toujours, depuis 1995, qu'il y ait des décrets d'application qui fixent de manière plus rigoureuse ce que doit être le rapport du délégataire. Cela aurait dû être fait dans la mesure où on a constaté que la loi n'est pas correctement mise en oeuvre. Quelle évolution législative serait souhaitable pour que les rapports des délégataires répondent à l'exigence de transparence et que la bonne information des élus et, au-delà, des usagers, soit assurée ?

Par ailleurs, on observe que les prix en affermage sont supérieurs de 27 % à ceux de la régie directe, en ce qui concerne la distribution d'eau. Or il semble que les cas de passage d'affermage en régie directe sont très peu nombreux et qu'il y ait des obstacles forts à une évolution allant dans ce sens. Pouvez-vous nous éclairer sur les obstacles et les moyens de les surmonter ?

Enfin, le conseil de la concurrence estime que les saisines par les organisations de consommateurs sont étonnamment peu nombreuses. Pour quelles raisons ? On fait appel aux associations de consommateurs. Or il semble qu'elles sont peu présentes dans le débat et qu'il y ait très peu de saisines de leur part.

M. Luc Valade : Il est vrai que l'obligation de faire bilan à la collectivité a été considérée comme une innovation majeure. C'est rendre compte, mais on constate que cette obligation est peut-être, telle qu'elle a été mise en oeuvre, un peu décalée par rapport aux ambitions initiales. Nous-mêmes nous subissons cette situation car nous n'arrivons pas facilement à rétablir la bonne comptabilité analytique, quand nous recherchons si tel ou tel coût est bien imputé, à l'occasion des enquêtes et des affaires de concurrence.

La préconisation de caractère législatif qui pourrait être faite serait certainement d'aller plus loin dans les exigences imposées aux délégataires en matière d'information de la commune ou des communes, en demandant qu'ils présentent tous les éléments de coûts fiables et vérifiables se rapportant à l'exécution du service public en question. En effet, nous avons vraiment le sentiment qu'il y a une certaine confusion.

J'ai parlé tout à l'heure de mutualisation des coûts entre les divers services publics et portant sur des opérations concernant plusieurs autorités concédantes. Il faut imposer l'obligation d'isoler de manière très précise tous les éléments de comptabilité analytique se rapportant à une opération donnée. Cela supposera, en contrepartie, un effort particulier de contrôle, mais qui ferait ces contrôles ?

Il est bien évident que, s'il y avait des dispositions législatives de cette nature, notre direction serait amenée à faire ces contrôles, mais à partir d'obligations précises. Nous serions certainement amenés prioritairement à faire ce type de contrôle, d'autant que le service de contrôle a l'impression d'une forte déperdition d'énergie dans ce domaine, parce qu'on ne peut pas aller jusqu'au bout de nos analyses concurrentielles, précisément à cause du peu de transparence qui existe dans les comptabilités.

Quant à votre deuxième question, vous dites qu'il y a très peu de retour aux régies. C'est vrai : tout simplement parce que beaucoup de communes n'osent pas franchir le pas et revenir à une gestion directe.

Quels sont les obstacles ? Je serais tenté de dire que le premier obstacle, ce sont toutes les passerelles que mettent les délégataires pour assurer leur propre renouvellement. Dans la période qui a précédé la loi de 1993, il y a eu beaucoup de renouvellements. Dans les années qui précèdent la fin d'une délégation, il y a souvent l'engagement de travaux qui vont justifier ou des prorogations ou le choix du maintien du délégataire. Cela fait que, au total, nous observons que les changements de titulaire restent très minoritaires. On l'évalue à entre 5 et 8 %, mais pas plus.

Il y a un moment charnière pour le délégataire, c'est lorsque arrive l'échéance du contrat. Il dispose ainsi de moyens pour obtenir le renouvellement et rester dans la place. Cela étant, sans faire de procès d'intention, je crois qu'il y a aussi le fait que nous sommes entrés dans une période, depuis dix ans, de fort accroissement des investissements dans le domaine de l'eau.

Avec la directive de 1998 sur la qualité de l'eau, nous n'allons certainement pas vers une décroissance des investissements dans le domaine de l'eau. Nous sommes dans une phase ascendante. Je ne suis pas sûr que les communes ou les syndicats de communes soient spontanément candidats à prendre en charge directement un service pour lequel il y a des difficultés accrues liées à la montée en puissance des travaux.

S'agissant des associations de consommations, je n'ai pas beaucoup de réponses à vous apporter. La réflexion que vous faites à propos de l'intérêt qu'elles portent à l'eau, j'aurais plutôt tendance à la faire de manière générale. Les associations de consommateurs en France sont fragiles et faibles ; elles ne constituent pas un contre-pouvoir.

Dans un domaine aussi délicat et sensible que celui de l'eau, où le consommateur est aussi directement concerné, il serait utile que les associations de consommateurs soient un vrai contre-pouvoir. Au cours de ma carrière à la DGCCRF, j'ai vu des associations de consommateurs prendre le pouvoir dans le domaine de la sécurité alimentaire, en 1996 et 1997, lors de la crise de la vache folle ; elles ont dit à la filière ce qu'elles voulaient et la filière s'est soumise. Ainsi la France a anticipé de trois ans l'obligation d'informer le consommateur, d'étiqueter les viandes, etc.. Mais ce sont des cas exceptionnels. Il faut qu'il y ait situation de crise pour que les associations de consommateurs se mobilisent de manière unanime, parce c'est le consensus qui leur manque. Quand les associations sont nombreuses, le consensus est difficile à trouver. Force est de constater que les consommateurs sont peu présents dans le débat sur l'eau.

M. Daniel Marcovitch : Ils n'ont pas vraiment le choix. Ils ne peuvent pas choisir entre deux sociétés distributrices et deux types d'eau alors qu'on peut choisir entre deux boucheries, deux filières bovines ou non bovines. C'est la grande différence sur le pouvoir des consommateurs qui, en plus de cela, ne sont pas réellement informés sur la réalité de la constitution du prix de l'eau.

M. Luc Valade : Si on devait mettre aussi les consommateurs parmi ceux qui subissent l'oligopole, je le ferai volontiers avec vous.

M. Didier Migaud : Sur cette question de la concurrence, que peut-on attendre de l'élargissement à la concurrence européenne ? Y a-t-il un certain nombre d'éléments qui nous permettrait de penser que la situation que vous avez décrite, pourrait se modifier ?

M. Luc Valade : Nous avons le sentiment qu'on ne décrète pas la concurrence et que, par conséquent, la concurrence doit pouvoir jouer normalement sur le marché. Ce qui nous semble actuellement faire difficulté, c'est l'entrée de nouveaux opérateurs sur le marché pour que la concurrence devienne réalité. Que manque-t-il actuellement aux opérateurs ? D'abord, les communes devraient être plus ouvertes à des candidatures à caractère européen.

Deuxièmement, des opérateurs sont intéressés et ont commencé à venir sur le marché, mais pour l'instant, n'ont pas réussi à s'implanter. La difficulté, dans le système de micro-marchés que nous connaissons, est de prendre pied. Les opérateurs, qui seraient candidats sur le marché français, nous disent que le marché est trop éclaté, qu'ils n'ont pas suffisamment d'information à l'avance sur le marché lui-même, d'échéanciers prévisionnels des renégociations des délégations de service public.

Le conseil de la concurrence a fait cette proposition. Nous la reprenons tout à fait à notre compte. Si une société est capable, à partir d'un échéancier prévisionnel, d'établir une stratégie d'arrivée sur marché, un premier pas serait franchi pour le succès de cet ou ces opérateurs.

A mon avis, c'est vraiment un des points clés pour mettre le marché en concurrence, c'est-à-dire sortir le marché de sa situation de totale certitude où chacun sait, notamment parmi les membres de l'oligopole, qui va remporter le marché. Il y a une transparence peut-être négative qui joue en ce sens.

Pour nous, la concurrence, c'est l'incertitude qui amène l'opérateur candidat à faire des propositions honnêtes, à tirer ses prix, à rechercher le meilleur coût. Il n'y a pas actuellement cette situation. Pour faire venir un tel opérateur, il faut qu'il puisse développer une stratégie d'implantation qu'il n'aura que s'il a une visibilité suffisante sur le marché à travers, effectivement, un échéancier complet des délégations de service public.

M. Yves Tavernier : Avez-vous fait des études comparatives dans le domaine du prix de l'eau, au niveau européen ? On dit qu'en France, le prix est dans la moyenne. Avez-vous des données plus précises sur ce point ?

M. Luc Valade : Non, nous n'avons pas de données très précises sur ce point. Nous savons que des études internationales ont été faites, mais nous portons des appréciations très prudentes vis-à-vis des données qui sont apportées par ces études. En effet, ces données sont relativement brutes et nous ne sommes pas sûrs que les prix recouvrent les mêmes services, des services de qualité égale.

Ce qui est en train de faire la différence sur le marché de l'eau, c'est la qualité du service et de l'eau. Je crains que ces études qui nous situent dans une moyenne, soient à lire avec prudence, pour le moins, et soient même à certains égards, contestable. La prise en compte de la qualité du service suppose certainement une étude très approfondie qui pourrait être confiée au futur haut conseil de l'eau, mais aussi une méthodologie très sophistiquée pour pouvoir faire demain des comparaisons valables au niveau européen.

M. Yves Tavernier : Un bureau d'étude vient de sortir, ces jours-ci, un très gros rapport sur le prix de l'eau : Eléments de comparaison entre mode de gestion en France et en Europe. Qu'en pensez-vous ?

M. Luc Valade : Nous ne l'avons reçu que ce matin.

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Tout cela doit être très difficile à comparer.

M. Luc Valade : Il me semble que c'est plus simple dans le secteur de l'électricité par exemple.

M. Yves Tavernier : Quel est votre avis sur la durée des concessions et des contrats d'affermage ?

M. Luc Valade : Nous ne sommes pas loin du régime de croisière en matière de renouvellement. Sur 15.000 ou 16.000 délégations, il y a eu environ 800 renégociations en 1999, c'est-à-dire 5 %. Ces renouvellements ont été retardés par le phénomène un peu massif de prorogation des contrats de délégation avant la loi Sapin. Mais nous abordons maintenant le vrai rythme de croisière et nous aurons, désormais, chaque année, environ un millier de renouvellements.

La délégation moyenne, à l'heure actuelle, est inférieure à vingt ans et doit être d'environ douze ans. Le fait de ramener à douze ans au maximum la durée de la délégation va donner une chance supplémentaire aux communes ou aux groupements de commune de négocier ou de renégocier. En effet, on s'aperçoit que, même si la concurrence est souvent formelle, les communes commencent à se doter de moyens d'expertise, sont peut-être plus lucides sur la situation des prix. Par conséquent, il commence à y avoir, dans bien des cas, des éléments forts de négociation, donc de renégociation des prix. Nous observons que des communes, même petites, s'adjoignent le concours non seulement des services administratifs de la direction départementale de l'agriculture, mais également de conseils privés pour pouvoir négocier de manière plus efficace.

Le fait de remettre en négociation le prix du service de façon plus fréquente est certainement une chance nouvelle pour les communes de pouvoir tirer les prix vers le bas. De ce point de vue, je serais plutôt optimiste. Mais cela n'aura d'intérêt que si l'on crée, sur le marché, les conditions d'une vraie concurrence, c'est-à-dire que si d'autres opérateurs ont les moyens de s'y faire une place.

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Je vous remercie.

(La séance est levée à douze heures dix).

3.- Auditions du 26 avril 2001 :

a)  9 heures : MM. Alexandre Colin, président du groupe Eau du MEDEF, et Christian Lacotte, directeur pour l'environnement

(Extrait du procès verbal de la séance du 26 avril 2001)
Présidence de Monsieur Bonrepaux, co-président.
La séance est ouverte à 9 h 05.

Le Président accueille Monsieur Alexandre Colin, président du groupe eau au MEDEF et Monsieur Christian Lacotte, directeur pour l'environnement du MEDEF, et donne la parole à M. Yves Tavernier, rapporteur.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Je voudrais vous poser trois questions. Tout d'abord, nous constatons, entre les régies directes et les délégations de service public, en coût pour l'usager, une différence de 13 à 20 % selon les sources d'information, ce qui signifie que dans le cadre de la délégation de service public, le coût de l'eau pour l'usager est nettement plus élevé qu'en régie directe.

Du point de vue du MEDEF, comment peut-on expliquer économiquement l'écart important entre les deux modes de gestion ?

Par ailleurs, dans le cas de renégociation ou de renouvellement des contrats, alors que l'on pourrait espérer que les prix diminuent, en moyenne les prix augmentent de manière sensible. Je pense que vous l'avez constaté comme nous, quelle explication pouvez-vous donner ?

Pour terminer, je voudrais avoir votre avis sur la nature du marché de l'eau. Nous sommes, semble-t-il, dans une situation d'oligopole où trois groupes se partagent le marché et l'observation que l'on peut avoir de la réalité nationale du marché de l'eau montre que les quelques petits groupes indépendants ont de nombreuses difficultés à survivre. Lorsque parfois il leur arrive d'emporter un marché, ils se heurtent à des tracasseries, y compris judiciaires, de la part des trois groupes. Nous avons un certain nombre d'exemples.

Je voudrais connaître votre réflexion sur l'état du marché de l'eau, la situation d'oligopole qui se traduit par une absence totale de transparence, par une mauvaise information des collectivités territoriales et par une très mauvaise information des usagers.

M. Alexandre Colin : Vous parlez d'oligopole : on peut se demander s'il y a véritablement oligopole dans la mesure où seulement 40  % de la distribution de l'eau sont effectivement concédés à des entreprises et que le reste est effectué par les municipalités elles-mêmes en direct.

Ceci étant, ces entreprises qui ont des concessions ne font qu'exercer de façon déléguée un monopole de l'eau qui existe au niveau municipal ou au niveau des groupements de communes.

M. Yves Tavernier, rapporteur : La délégation concerne 55 % des communes et 75 % de la population, ce qui change tout de même la perspective.

M. Alexandre Colin : Oui effectivement, 40 % est le chiffre qui concerne la part de l'assainissement qui est concédée. Quoi qu'il en soit, je pense que les nouvelles dispositions européennes sont susceptibles d'élargir l'appel à la concurrence, si toutefois les communes le désiraient, et je pense que ces entreprises y sont prêtes, surtout si la réciproque existe, et il me semble que c'est le cas sur les autres grands marchés européens.

Quant aux premières questions, et notamment la première, je crois que tout à l'heure vous auditionnerez successivement les représentants des deux principales entreprises ; ils sont plus compétents que nous pour y répondre, mais je pense que Monsieur Lacotte est en mesure de vous donner quelques éléments.

M. Christian Lacotte : Pour donner quelques éléments de réponse à vos trois questions, j'apporterai un complément d'information sur le marché oligopole que vous mentionnez. Il est exact de dire que quelques compagnies sont très présentes sur le marché français.

Il y a une raison à cela : ces compagnies existent, notamment pour la Compagnie générale des eaux, depuis plus d'un siècle et elles ont développé une expertise dans ce domaine qui en font des leaders mondiaux dans leur secteur d'activité et qui leur permet de capter un certain nombre de marchés internationaux puisque leur expertise en matière de distribution et traitement de l'eau est reconnue.

Par ailleurs, comme l'a mentionné Monsieur Colin, on observe depuis quelques années une ouverture plus large à la concurrence de la part des régies en tant que telles. A cela deux raisons : probablement la loi Mazeau qui implique une communication financière et économique sur les contrats et la loi Sapin qui oblige depuis 1993 à passer par des appels d'offres pour le renouvellement des contrats.

A signaler d'ailleurs que les contrats sont aujourd'hui davantage des contrats d'affermage que de concession car la majorité des Français dispose déjà d'un réseau d'eau potable. Des investissements très lourds ont dû être réalisés pour parvenir à cette situation et, dans ce contexte, les collectivités locales ont souvent fait appel à des entreprises privées dont l'expertise est reconnue et qui avaient la possibilité de mobiliser ces importantes ressources.

Concernant votre question sur la différence de prix entre régies directes et régies municipales et distributeurs ou régies déléguées, donc le privé, comme le dit Monsieur Colin, des groupes pourront certainement vous répondre de façon plus détaillée, mais je ferais simplement quelques observations.

On peut parler d'une certaine distorsion de concurrence entre régies publiques et délégataires privés. Par ailleurs, l'écart de prix entre régies municipales et délégataires privés a tendance à se rapprocher, mais on a observé ces dernières années, notamment pour les régies, des augmentations significatives du prix de l'eau, ce qui n'est pas le cas des services délégués.

Lorsque je dis qu'il est très difficile de comparer les deux situations, c'est au vu de certains postes, notamment celui de la main d'_uvre : en général le coût de la main d'_uvre d'une régie est inférieur au coût du privé car les conditions des charges sociales, des salaires et retraites etc. ne sont pas les mêmes.

Concernant la sous-traitance, on peut dire probablement que son coût pour une régie est peut-être plus élevé ; pour les consommables c'est similaire. Un troisième poste différencie les structures de prix, ce sont les impôts et les taxes diverses.

Les régies ne sont pas soumises à la taxe professionnelle, ni à la taxe foncière, ni à l'impôt sur le revenu ; pour les régies, les coûts administratifs de charges sociales, salariales etc. sont moins élevés que dans le privé ; en revanche, le privé supporte aussi des coûts importants de Recherche & Développement.

C'est un tableau rapide et contrasté mais qui montre combien il est difficile d'établir un comparatif très simple pour expliquer pourquoi le coût d'une régie est inférieur au coût d'un service privé. Il y a un certain nombre de paramètres à prendre en compte. Je pense sincèrement que l'on peut parler d'une certaine distorsion de concurrence pour les raisons que je viens d'évoquer.

Vous dites que le prix de l'eau est à la hausse lors de renégociations ou de renouvellements des contrats. Je pense ne pas me tromper en disant que le prix de l'eau est fixé par le maire ou les collectivités locales, et que ce prix concerne ou comprend non seulement un certain nombre de paramètres que je viens d'indiquer, mais anticipe des renouvellements d'infrastructures, des provisions pour travaux futurs ou mise en _uvre de directives européennes ou lois françaises. Dans le prix de l'eau, il faut tenir compte d'une vision à long terme de l'évolution des réglementations européennes qui se traduisent en lois françaises.

Aujourd'hui, le prix de l'eau en France répond globalement aux conditions fixées par la directive cadre sur l'eau ; ce prix reflète assez fidèlement le coût réel, ce qui n'est pas forcément le cas dans la plupart des pays européens. Le prix de l'eau en France se situe en dessous de celui de l'Allemagne ou de la Belgique et il est comparable à ce qui se pratique au Royaume-Uni, il se situe en fait dans la moyenne européenne.

On peut aussi dire à propos du prix de l'eau que, depuis 3 ans, son augmentation est quasiment nulle. Si l'on se base sur la référence INSEE, soit une consommation moyenne des ménages de 120 m3, et que l'on prend un prix moyen de l'eau en France de l'ordre de 16 ou 17 F le m3, on arrive à un coût pour les ménages de l'ordre de 1 % de leur revenu, ce qui n'est pas énorme. Si l'on regarde par exemple le coût d'une voiture qui est de 40.000 francs par an, on peut dire que cette dépense ne représente pas une forte charge sur le budget des ménages.

Depuis 1998, il y a eu à peu près 600 appels d'offres pour renégociation de contrats et environ 8 % des contrats ont changé de nature. Cela signifie que le système en place avec les nouvelles dispositions loi Mazeau et Sapin, etc. n'a pas provoqué de bouleversements dans la gestion de l'eau en France et que les collectivités locales sont globalement satisfaites du service apporté par les délégataires actuels.

Il y a environ 12.000 contrats de délégation en France. D'ici quelques années un nombre encore supérieur de contrats sera en renégociation : pour 2005, on parle de 2.000 contrats, mais la concurrence existe, elle est ouverte entre plusieurs acteurs français, régies et même des acteurs internationaux.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Je vous ai entendu avec plaisir, tout va bien selon vous ! Ce n'est pas l'appréciation généralement admise, nous prenons toutefois acte de votre analyse.

Dans le prolongement de la question, il y a dans un certain nombre de régions, où le marché n'est pas oligopolitique, mais monopolistique dans la mesure où par exemple Vivendi et la Lyonnaise ont ensemble des filiales communes. Trouvez-vous cela normal ? Dans ce cas, il n'y a pas de choix possible puisqu'il y a une seule filiale et qu'il y a entente entre les groupes. Je voudrais votre avis sur ce point.

Je voudrais aussi avoir votre avis sur la durée des contrats de concession, qui est en débat, notamment dans le projet de loi sur l'eau. On s'interroge sur la durée des concessions et la tendance est de les ramener à une durée maximale plus courte fixée par la loi.

Enfin, la loi fait obligation aux concessionnaires de présenter annuellement un rapport aux municipalités qui ensuite établissent un rapport « du maire » présenté devant le conseil municipal. Généralement, ces rapports sont très critiqués, un certain nombre d'observateurs considérant que, dans la majorité des cas, ils sont illisibles et d'une consistance douteuse.

Je voudrais connaître votre avis sur ces trois points. Il ne faut pas oublier que l'eau est un bien commun et qu'elle s'inscrit dans une problématique d'intérêt général de service public. Nous sommes dans le cadre de ce que j'appellerais la démocratie locale sous la responsabilité des municipalités, or des contrats de 15 ou 20 ans posent des problèmes majeurs de ce point de vue.

Enfin, je voudrais votre avis sur les rapports des concessionnaires ou des fermiers.

M. Alexandre Colin : N'étant pas maire, je n'ai pas l'expérience nécessaire pour savoir si un rapport remis par le concessionnaire est lisible ou pas ; je n'ai ni expérience, ni écho à ce sujet. Il me semble que si un rapport est mal fait, on peut demander à son auteur soit de le refaire, soit de donner des précisions.

Concernant l'appréciation générale que vous portiez sur notre intervention première, je dirais que notre optique n'est pas de dire que tout va bien : notre propos était plutôt de dire que, s'il y a eu des dérives, il y a des explications, que cela va mieux et que les choses se redressent.

S'il y a eu de l'émotion sur l'augmentation du prix de l'eau il y a quelques années, vous savez très bien qu'elle s'explique par des raisons objectives : on a développé massivement l'assainissement, ce dont personne ne se plaindra.

Cet effort a démarré au début des années 90 et ne pouvait se faire sans répercussion sur le prix des distributions concernées directement par la mise en place de l'assainissement et, a fortiori, sur la moyenne constatée du prix de la fourniture d'eau. Mais depuis que cet effort d'équipement est réalisé et que l'incrément se répartit sur une masse plus grande, l'augmentation moyenne du prix de l'eau est beaucoup moins forte.

Vous savez aussi que l'augmentation du prix de la distribution d'eau potable fait l'objet d'une hausse bien moins forte que celle du prix total de l'eau englobant celui de l'assainissement.

Et je vous rappelle qu'en matière d'assainissement, la proportion concédée est bien moins forte que la proportion réalisée par les municipalités elles-mêmes.

Actuellement, un mouvement se dessine - et le projet de loi en fait état - pour diminuer la durée de renouvellement des contrats, se fondant d'ailleurs de façon plus ou moins valable sur une moyenne qui serait constatée au cours de ces dernières années. Le chiffre n'aurait pas été choisi au hasard mais refléterait la moyenne de la durée des renouvellements effectués au cours de ces dernières années.

Si la loi consacre l'usage, pourquoi pas ? Mais ceci étant, il faut s'interroger : l'abaissement uniforme de la durée ira-t-il dans le sens recherché ?

Le projet comporte aussi une disposition qui demande aux concessionnaires de prélever des sommes qui seront reversées si les travaux prévus n'ont pas été réalisés par ses soins.

Du point de vue de l'orthodoxie fiscale, n'y a-t-il pas un problème et quelque chose à mieux affûter de manière à ce que ce ne soit pas une sorte de prélèvement déguisé ? Il y aura peut-être ici quelque chose à étudier de près pour être parfaitement net du point de vue réglementaire.

M. Christian Lacotte : La hausse du prix de l'eau constatée ces 10 dernières années et depuis 3 ans sa stagnation sont notamment dues à l'application de la directive de 1991 sur les eaux usées urbaines qui a nécessité des investissements extrêmement importants qui se sont aussi traduits, d'une part, par des hausses de redevances assez conséquentes et, d'autre part, par des taxes relativement importantes. Ce sont les deux postes qui ont le plus augmenté pendant ces différentes années.

Quant à votre première question, je pense que les groupes seront davantage en mesure d'y répondre, connaissant mieux que nous le contexte historique, local etc.

Pour la durée des contrats, il faut prendre en compte le principe de caducité, c'est-à-dire que les investissements réalisés doivent être amortis pendant la durée du contrat. Si ces amortissements sont inférieurs à 12 ans, cela ne pose pas de problème, mais si ces investissements doivent être amortis sur 12 ans, ceci risque d'engendrer une répercussion sur le prix de l'eau.

Il est à constater que, à l'international, les contrats sont plutôt de l'ordre de 20 à 25 ans. Cela a longtemps également été le cas en France. On voit aujourd'hui que, parfois, certains renouvellements portent sur une durée de 12 ans, mais il faut laisser la liberté aux collectivités locales de décider conjointement avec ses prestataires quelle doit être la durée du contrat en fonction du service demandé au délégataire.

M. Jean-Pierre Brard : Tout cela est fort intéressant, comme vous l'avez dit Monsieur Colin, il faut être net, mais sans être transparent, c'est tout le problème. Dans votre discours, certains points me gênent, vous avez parlé de 40 % des services en délégation, notre rapporteur parle de 55 %, un écart pareil n'est pas un écart sur la virgule, comment s'explique-t-il ? J'ai mon idée sur la question mais je préférerais avoir la vôtre.

Pouvez-vous nous dire quel est le taux de rentabilité dans le secteur de l'eau ? Dans le secteur aussi pointu que le traitement de surfaces des métaux on connaît les taux de rentabilité de l'activité, donc pour l'eau on doit avoir une idée de ce que cela rapporte.

Vous nous avez dit que le prix de l'eau est le reflet du coût, nous ne sommes pas très renseignés, que mettez-vous dans le coût ? Comment se compose le prix de l'eau ? Vous avez apporté des réponses partielles, parlé des dépenses d'assainissement, des taxes qui sont très importantes, mais cela ne nous renseigne pas complètement.

Par ailleurs, que pensez-vous du régime de la régie intéressée qui n'est pas un problème secondaire à l'échelle du pays ?

M. Alexandre Colin : J'ai fait une confusion que j'ai rectifiée tout à l'heure, car je ne pense pas me tromper en disant que l'assainissement est réalisé à environ 40 % en concessions.

Il y a un élément important qui a été souligné par Monsieur Lacotte : dans les éléments du prix de revient de l'eau, il y a eu de fortes augmentations de taxes, décidées au début des années 90, destinées à permettre de contribuer au financement massif des investissements qu'il fallait réaliser et qui l'ont été.

Nous n'étions, pour notre part, pas du tout favorables à cette hausse aussi massive et nous pensions que des pourcentages un peu plus mesurés que le doublement auraient pu être pratiqués à l'époque, mais nous n'avons pas été suivis. Les pouvoirs publics voudraient agir de façon à frapper l'opinion. On a sans doute été un peu loin mais, ceci étant, des progrès importants en matière d'assainissement ont été réalisés et c'est le résultat qui compte.

Vous parlez de rentabilité, je crois savoir que les entreprises concernées, qui exercent pour le compte des municipalités, sont organisées maintenant en sociétés qui distinguent l'activité en France et que des comptes relatifs à l'activité française seront dorénavant disponibles.

Actuellement, on ne peut pas, dans le cadre des résultats globaux fournis par les groupes, la déterminer. Je ne sais pas s'ils ont ces données et s'ils pratiquent des contrôles de gestion suffisamment pointus pour y arriver et être d'ailleurs certains que cela reflète la réalité.

Je crois qu'Ondeo sera prête à publier d'ici peu ses comptes français de l'activité concernée.

Vous parliez des coûts : l'évolution législative et réglementaire au cours de cette dernière décennie vise à faire en sorte que l'eau paie bien l'eau et qu'il n'y ait pas de tentations diverses et variées d'utiliser l'eau comme un vecteur pour d'autres activités.

Le dispositif arrive à maturité et au fil des ans nous aurons une notion de plus en plus précise du prix de revient de l'eau. Que l'activité de prestataires de services se fasse à coûts plus bénéfices ne me choque pas et la publication des comptes des sociétés que je viens de citer nous en apprendra plus.

Je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'un élément d'accroissement de coût non négligeable se profile à nouveau sur le prix de l'eau, il s'agit de l'élimination des boues. Nous devons trouver un moyen de mettre un frein à ce qui se dit actuellement, que ces boues de stations urbaines seraient très mauvaises pour l'épandage agricole, car vous en connaissez la contrepartie. L'interdiction de l'épandage aboutirait à des hausses sensibles du prix de l'eau pour les collectivités qui se verraient privées de cet exutoire utilisé depuis des décennies. Il s'agira de pourcentages très sensibles, bien au-delà de l'ordre du 1,7 % cité tout à l'heure.

Voilà une question par laquelle nous sommes tous fortement concernés. Il faut trouver le moyen de résoudre ce problème correctement.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Je voulais prolonger votre réponse Vous mettez en avant l'augmentation d'un certain nombre de taxes en disant que cela peut expliquer l'augmentation du prix de l'eau, mais il existe d'autres interrogations de la part de nos concitoyens et des élus, notamment comment certaines sociétés ont pu dégager des bénéfices tels qu'elles ont pu investir dans d'autres secteurs et nos concitoyens se demandent si, pendant très longtemps, ils n'ont pas payé l'eau à un prix trop élevé.

Je vous trouve assez approximatif dans vos chiffres et on ne peut pas considérer que vos réponses soient complètement satisfaisantes. Pourriez-vous nous en dire plus sur le prix de revient de l'eau, sur ce qu'ont pu être - du moins ce que vous en connaissez - les marges des différentes sociétés ?

Nous en recevrons quelques-unes, elles pourront nous le dire, mais si vous avez éprouvé le besoin d'avoir une direction de l'environnement au MEDEF et que vous avez la responsabilité de suivre les problèmes de l'eau, c'est que vous avez un certain nombre d'éléments d'information, sinon votre fonction ne se justifierait pas.

Pouvez-vous nous en dire davantage, surtout sur les prix de revient, les marges etc. ? Vous nous dites que d'ici quelque temps nous en saurons davantage, mais cela fait suffisamment longtemps que nous sommes dans ce secteur afin que vous puissiez nous en dire davantage aujourd'hui.

M. Alexandre Colin : Je tiens tout d'abord à vous rassurer sur la justification de mes fonctions. Elles sont totalement bénévoles et ne relèvent d'un emploi fictif !

Ce sont les nombreux problèmes de caractère industriel qui nous concernent essentiellement. Toutes ces questions concernant l'organisation des distributions publiques, leur évolution, la forme à leur donner, ce que cela peut rapporter ou pas, nous ne sommes pas chargés de les suivre et d'avoir à leur sujet des indicateurs. De ce point de vue, une organisation professionnelle, qui s'appelle le SPDE, est qualifiée et a éventuellement qualité pour vous donner des informations à ce sujet.

Je ne suis pas en mesure de juger de la rentabilité de ces groupes, ce n'est pas mon rôle. Ce n'est pas dans ce dessein que nous avons une direction environnement opérationnelle au MEDEF et que nous avons des groupes de travail présidés par des personnes qui donnent leur temps bénévolement.

M. Christian Lacotte : Concernant les entreprises et certaines conséquences du projet de loi de la réforme de la politique de l'eau, il y a un certain nombre de points que nous aimerions aborder avec vous.

Pour répondre à votre première question, je pense que les groupes qui vont me suivre seront mieux placés que nous pour vous apporter des éclaircissements aux questions que vous posez. On peut le dire de façon générale, le prix de l'eau en France est dans la moyenne européenne et, en général, il est admis, que ce prix de l'eau couvre les différents coûts.

Lorsque vous êtes une entreprise privée, que vous avez des contrats d'affermage, vous assumez un risque - il y a toujours un risque - vous gérez des actifs qui ne sont pas les vôtres et que vous devez rendre à certaines conditions, le prix est fixé par la collectivité locale, le maire, plusieurs instances, le Comité de bassin, les collectivités locales, une réunion de consommateurs est prévue dans le cadre de la loi ; en général, le prix prévoit des formules de révision.

C'est ce qui se pratique, non seulement dans le secteur de l'eau, mais également dans d'autres secteurs. Je me suis occupé d'environnement pour un certain nombre de groupes industriels et nous avions des formules de ce type, nous partions sur des négociations avec des formules de révision tenant compte d'un certain nombre de paramètres. Il y a dans le prix de l'eau, un certain nombre de paramètres comme les coûts d'exploitation, d'investissement, le coût du capital, etc.

M. Christian Lacotte : Les groupes qui vont suivre pourrons vous donner davantage de détails. Nous ne sommes pas rentrés dans la profondeur de ces détails car nous traitons notamment des sujets touchant les entreprises et les industriels. Je crois que c'est à peu près ce que l'on peut dire de la situation existante.

Je rappelle aussi que ces groupes, d'une manière générale, effectuent de la Recherche & Développement car nous faisons parfois face en France - pour des raisons que vous connaissez - à une dégradation de la qualité de l'eau, en particulier pour des raisons de pollution diffuse de nature agricole. La Cour européenne de justice vient de condamner la France au sujet d'un problème de nitrates en Bretagne, je crois.

M. Michel Bouvard : Il vient de nous être indiqué qu'il y avait dans les coûts l'importance des investissements. Je voudrais savoir si le MEDEF connaît l'évolution du coût des investissements au cours des dernières années, à caractéristiques équivalentes, concernant le secteur de l'eau, et notamment si on a une idée, dans cette évolution du coût des investissements, de l'impact d'évolution des normes.

L'important à mon sens est de pouvoir nous assurer pour l'avenir. Si nous devons toucher à la durée des concessions, il faut s'assurer que les nouvelles durées de concession permettent de satisfaire aux besoins d'investissement et notamment aux évolutions normatives.

Avez-vous fait quelques travaux à ce sujet ? Possédez-vous certains éléments ?

M. Alexandre Colin : Là aussi, et je m'en excuse auprès du rapporteur, nous ne pouvons vous donner que des informations de caractère sensible, nous ne pouvons pas vous donner d'éléments qui auraient un caractère chiffré, nous ne sommes pas chargés de suivre ce genre de questions. Cela n'entre pas dans les compétences dévolues à l'organisation professionnelle que nous sommes.

Ceci étant, j'en ai cité une qui existe déjà pour certaines municipalités, il s'agit de la norme d'élimination des boues et je l'ai citée car elle est très sensible et massive. C'est un coût de massue qui arrive brutalement, alors qu'un certain nombre d'autres normes produisent un effet progressif, qui n'est pas nécessairement généralisé d'un seul coup.

Mais il est exact qu'en matière de stations d'épuration, les traitements ont tendance à être de plus en plus fins. Des traitements biologiques sont mis en place dans nombre de grandes usines depuis longtemps, dont le coût n'est pas négligeable.

Il en est de même concernant le suivi, la fiabilité des équipements, c'est important, il ne suffit pas d'avoir une installation en place pour être satisfait, encore faut-il que cette installation fonctionne au moins 340 jours. Tout ceci se fait avec des équipements de surveillance et de contrôle de plus en plus sophistiqués qui augmentent bien entendu le coût de l'investissement.

En matière de coût de collecte, on n'accepte plus que les réseaux fuient car il paraît qu'une bonne partie de l'eau n'arrive pas à l'endroit où l'on doit la traiter. Il faut mettre ici aussi des canalisations de meilleure qualité et, comme on ne va pas les changer constamment, il faut qu'elles durent plusieurs dizaines d'année et qu'au bout de 50 ou 60 ans elles ne se transforment pas en passoires. Elles coûteront plus cher, bien qu'il y ait heureusement, par ailleurs, des éléments d'abaissement des coûts.

C'est le jeu de l'économie moderne où l'on fait des choses plus sophistiquées mais dont certains éléments abaissent les prix de revient. Il convient que des spécialistes vous parlent des autres éléments. Vous connaissez les investissements considérables nécessaires à la nano-filtration et l'amélioration remarquable qui en résulte pour la qualité de l'eau du point de vue des normes sanitaires.

Voilà peut-être un problème sur lequel nous pouvons nous pencher. Cette course en avant en matière de normes est un sujet grave. Lorsque l'on abaisse un seuil de 50 à 25 % par exemple, on pense _uvrer pour le bien commun sans nécessairement voir qu'on engage des coûts considérables.

On peut aussi se demander si certaines normes ont toujours leur raison d'être. Je me suis laissé dire qu'aux États-Unis on vient de revoir à la hausse la norme sur l'arsenic. Voilà un fait assez rare. Je suppose qu'ils savent ce qu'ils font.

M. Michel Bouvard : J'ai bien compris qu'il existait des éléments que vous n'aviez pas et que les personnes que nous devons auditionner auront. Par contre, vous pouvez peut-être nous indiquer au cours des dernières années quelle a été la contribution des industriels à l'assainissement des rejets qu'ils effectuent dans l'eau.

En effet, on parle beaucoup des pollutions agricoles, mais pendant très longtemps il y a eu aussi pollution de l'eau par les industriels avec des rejets directs dans les rivières. On sait que beaucoup d'investissements ont été faits dans ce domaine, a-t-on une idée aujourd'hui de ce que cela représente ?

Savez-vous, par rapport aux établissements industriels qui appartiennent au MEDEF, quelle est la proportion de ceux qui respectent aujourd'hui les normes en matière de rejets ? Peut-être pouvez-vous être plus précis sur ce secteur qui concerne directement votre champ d'activité ?

M. Alexandre Colin : Tout à fait, d'autant plus que les résultats sont connus et satisfaisants. Dans la reconquête des milieux aquatiques - qui a été l'objectif des législations mises en place au début des années 60 - c'est à l'industrie que l'on a demandé en premier de faire des efforts importants.

Cela était assez légitime dans la mesure où la pollution industrielle résultait essentiellement de sources ponctuelles et qu'il était possible d'intervenir sur ces sources, bien qu'à l'époque les technologies n'aient pas toujours nécessairement existé. Aujourd'hui on sait beaucoup mieux enlever certaines pollutions qu'on ne savait le faire à l'époque.

Ainsi cela fait longtemps que les industries qui rejettent en direct dans le milieu naturel épurent leurs eaux à plus de 90 % en moyenne, ce qui signifie qu'un certain nombre d'entre-elles épurent à 95 ou 98 %, et cela en permanence, pas simplement en résultat de pointe. La situation est en général satisfaisante et nous sommes proches de l'asymptote.

Il y a une autre catégorie d'industries, ce sont des industries raccordées, où on a en général davantage affaire à des petites ou moyennes entreprises d'activités extrêmement variées. Là, nous rencontrons un peu tous les cas, mais certaines entreprises, notamment des entreprises de la mécanique qui rejettent dans le réseau de collecte publique une pollution plus dense. Elles ne peuvent pas, de par la réglementation technique, rejeter plus que ce qui leur est toléré. Et c'est extrêmement faible, comme en matière d'ions de métal par exemple.

J'ai vu, pour des entreprises de la région parisienne, la facture de redevance calculée sur ce qu'elles rejettent : en brut, c'est élevé mais en net, c'est-à-dire ce qu'elles ont à payer, c'est quasiment proche de zéro puisqu'elles ne peuvent rien rejeter.

En clair, du côté de l'industrie, les efforts ont été faits ; ils sont dus, d'une part, aux réglementations techniques, à la surveillance de la part des services des installations classées et, d'autre part, à ce mécanisme performant mis en place par la loi de 1964 et concrétisée par les agences de bassin.

Nous constaterions dans un certain nombre de régions des situations moins dégradées qu'aujourd'hui, si tous les acteurs économiques avaient été concernés par ce dispositif responsabilisant, c'est-à-dire que pour tout polluant une redevance ait été versée, et qu'à l'inverse on leur ait proposé un système de conseil, d'aide et d'assistance.

Si l'industrie n'avait pas fait en 1964 ce qui a été fait, je me demande dans quelle situation insupportable elle serait. C'est entre 1970 et 1985 que le plus grand du progrès a été réalisé. A l'époque, nous marchions d'un même pas avec les collectivités, puis dans la décennie 80, il y a eu un certain relâchement de leur côté. L'impact du redressement décidé au début des années 90 a toutefois été sensible et une importante partie du retard a été rattrapée même s'il reste encore des choses à faire. Bien entendu, tous ces chiffres par branche d'activité industrielle existent de façon plus détaillée et nous pouvons vous les fournir.

M. Jean-Jacques Jégou : Je voulais émettre une observation en disant que, maire moi-même, je ne pense pas que les maires fixent le prix de l'eau : en régie éventuellement, mais en concession ou en affermage, certainement pas. Les travaux réalisés peuvent faire varier le prix de l'eau, mais on ne peut pas dire que, dans une concession ou en contrat d'affermage, le maire fixe le prix de l'eau.

Je voudrais revenir sur un point : lorsque la mission d'évaluation et de contrôle a décidé de se saisir du sujet, le maître mot de ce problème fût la transparence. Jusqu'à présent, nous avons beaucoup abordé le passé et je voudrais demander au MEDEF s'il a des propositions d'avenir.

En effet, on voit bien que depuis le début de l'ouverture de ces travaux - je l'ai souvent exprimé ici lors des auditions - lorsque nous parlons du prix de l'eau, nous oublions l'assainissement. Cela a l'air de vous surprendre, il y a peut-être un problème sur l'eau, mais je suis frappé que, lorsque les Français reçoivent leur quittance de consommation d'eau, l'assainissement soit la partie immergée de l'iceberg. C'est sur ce poste que l'on fait varier le prix de l'eau.

Je rappelle que sur un petit syndicat dont je m'occupe en région parisienne, le prix du m3 d'eau est de 7 francs et le prix total de l'eau est de 23 francs, nous avons tous des documents montrant que l'assainissement a beaucoup augmenté.

Concernant la transparence, l'ensemble des acteurs, que ce soient les élus, les sociétés, les concessionnaires et les pouvoirs publics ne devraient-ils pas expliquer ce que comporte la facture d'eau avant de connaître le prix du m3 et la marge ?

En 2005, 2.000 contrats d'affermage seront remis en jeu, il y a des propositions sur le texte que nous n'avons pas encore, on entend un certain nombre de choses. Sur la durée des concessions, en matière de transparence, avez-vous des propositions puisque l'on dit que c'est ou trop long ou trop court ? En fait là aussi on ne sait pas de quoi on parle.

S'il s'agit de faire fonctionner un service et de distribuer l'eau, il faut que ce contrat soit très court. S'il y a un mélange des genres et qu'il y a au long de ce contrat des changements de canalisations âgées de plusieurs dizaines d'années, il y a des investissements très lourds et aucun fermier ou aucun concessionnaire n'acceptera de signer un contrat très court, s'il ne peut pas amortir ses investissements.

Nous avons beaucoup parlé du passé ou de la situation mais avez-vous des considérations pour améliorer la transparence, des propositions sur ce que pourraient être des contrats d'affermage ou de concession ?

M. Alexandre Colin : Vous avez raison de dire que la durée devrait être variable selon ce que l'on demande. J'ai rappelé tout à l'heure que dans le projet de loi actuel, il faut se pencher sur certaines dispositions qui accompagnent la réduction de durée des contrats pour savoir si elles répondent parfaitement à l'orthodoxie fiscale.

Lorsqu'il y a constitution de provisions, reversées au concédant si les travaux n'ont pas été réalisés pendant la durée du contrat et qu'ils le seront après, n'y a-t-il pas une sorte de prélèvement assimilable à de l'impôt ?

Je n'en dirai pas plus, je pense qu'il y a des personnes compétentes pour s'assurer de la validité du dispositif.

Il est exact qu'il existe une grande confusion génératrice de polémique quand on parle du prix de l'eau. Deux éléments sont confondus : la fourniture d'une eau potable distribuée, activité fort ancienne, et la collecte avec le traitement des eaux usées correspondantes plus récente.

C'est cette partie qui, de par l'accélération de son développement, a eu un impact sur cette facture globale de l'eau. Faudrait-il mieux faire deux factures ou non ? Je ne sais pas.

De même, c'est sur l'eau distribuée que portent les redevances de pollution, alors que celles-ci devraient avoir un impact sur la collecte et le traitement des eaux usées, mais le projet de loi introduira un élément de redressement de ce point de vue. Ce n'est pas une mauvaise chose puisqu'on voit que la façon actuelle de procéder est génératrice de confusion.

Tous ces éléments vont encore concourir à la transparence. Je crois qu'il y a déjà de très nombreux éléments de transparence : l'Observatoire de l'eau, les études de l'INSEE, la DGCCRF qui elle-même suit cela de très près. La création programmée d'un haut Conseil de l'eau devrait constituer un pôle de régulation, de conseil et un élément supplémentaire de transparence. Je pense qu'il y en a déjà beaucoup et qu'on ne sait pas nécessairement les utiliser.

L'Observatoire de l'eau n'a jamais fonctionné aussi correctement qu'on aurait pu l'envisager. Peut-être que son positionnement dans le dispositif administratif n'avait pas été bien pensé lorsqu'il a été créé. C'est toujours un élément important pour le bon fonctionnement des choses.

M. Christian Lacotte : Si j'ai commis une erreur en disant que c'était le maire qui fixait le prix de l'eau, il me semble que le prix de l'eau est tout de même fixé par les élus, il y a des négociations de contrats avec les délégataires pour fixer ce prix avec des formules de révision etc. Je ne dis pas que c'est le maire en tant que tel qui décide.

M. Jean-Jacques Jégou : Ce n'est pas une décision politique du maire, c'est le résultat d'un contrat.

M. Christian Lacotte : C'est cela, c'est le résultat d'un contrat, d'une négociation menée par la collectivité locale. Je vous prie de m'excuser de l'impair que j'ai commis en disant que c'était le maire qui décidait, mais c'est le résultat de la négociation d'un contrat.

Sur la durée du contrat, je suis en phase avec ce que dit Monsieur Colin, cette durée doit être proportionnelle à la nature du service demandé qui est discuté lors du contrat.

Par ailleurs, concernant la transparence et la cherté de l'eau, vous avez raison de mentionner ce point, c'est une image un peu répandue par les concitoyens français, il existe une certaine opacité du prix de l'eau.

Outre les éléments que Monsieur Colin a mentionnés, il me semble que les distributeurs d'eau donnent depuis un certain temps des factures très détaillées du prix de l'eau et ceci va dans le sens d'une meilleure compréhension par le consommateur de sa facture.

Lorsque l'on parle de cherté de l'eau, on fait un faux procès, car nous sommes en France dans la moyenne européenne. Et si on estime ce prix de l'eau sur ce qu'a indiqué l'INSEE sur 120 m3, si l'on prend une moyenne nationale de 16 à 17 francs, cela fait une facture de 2.000 francs par an. L'INSEE et d'autres l'estiment à 1 % du revenu des ménages. Il faut aussi ramener les choses à leur juste proportion.

M. Jean-Jacques Jégou : Ce n'est pas la question que j'ai posée, je n'ai pas évoqué le fait que l'eau soit chère ou non, j'ai dit qu'il fallait savoir ce que les consommateurs payaient et que l'eau était chère car nous payions en plus l'assainissement.

Malgré le détail qui est fait, ceux qui veulent se donner le mal de lire la quittance d'eau trouvent de tout, mais vous savez que ce n'est pas le cas de la majorité des consommateurs et pourtant c'est la facture d'eau qui est récriminée. Je parle de la confusion.

M. Alexandre Colin : À ma connaissance, la facture d'eau distingue bien les deux termes.

M. Jean-Jacques Jégou : Oui, maintenant c'est indiqué « et d'assainissement » mais, dans le public, les personnes disent que l'eau est à 23 francs le m3, c'est en fait 7 francs le m3 plus 16 francs de taxe d'assainissement.

M. Alexandre Colin : C'est dans les copropriétés qu'il y a peut-être encore un problème de transparence.

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Nous aurons d'autres auditions, je vous propose donc d'arrêter là le débat.

b) 10 heures : M. Bernard Guirkinger, président de la Lyonnaise des eaux-France, et M. Jean-Luc Trancart, directeur de la clientèle

Le président accueille M. Bernard Guirkinger, président de la Lyonnaise des eaux-France, et M. Jean-Luc Trancart, directeur de la clientèle, et donne la parole à M. Yves Tavernier, rapporteur.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Monsieur le Président, vous ne serez pas étonné que ma première question porte sur la nature du marché de l'eau. Il y a, à cet égard, de nombreuses interrogations. Les observateurs notent après maintes études qu'il n'y a véritablement ni un marché ouvert, ni la transparence que l'on serait en droit d'attendre sur ce terrain.

Le constat est, pour l'essentiel, que nous nous trouvons dans une situation d'oligopole, que la concurrence est faussée et qu'il n'y a pas de transparence. Les choses s'aggravent lorsque votre société, avec d'autres grandes sociétés - je pense à Vivendi et à la SAUR - créent des filiales communes qui sont seules sur le marché pour un certain nombre de villes ou de régions.

Cette situation se traduit, semble-t-il, par une différence, significative, de prix et de coût pour les usagers puisque le prix de l'eau dans le cadre de la concession de l'affermage serait de 13 à 20  % plus élevé que dans le cadre de la régie directe. Comment expliquez-vous cette situation ?

Ma deuxième question porte sur la renégociation des contrats. On constate, alors qu'on devrait s'attendre à une amélioration de la situation pour l'usager, c'est-à-dire à une baisse des coûts, que la renégociation aboutit souvent à une augmentation du prix de l'eau pour les usagers.

La troisième question porte sur les problèmes de cahiers des charges. Il existait autrefois, lorsque l'État assurait la tutelle des collectivités territoriales, des cahiers des charges types obligatoires qui ont disparu avec la décentralisation. Il semble qu'il y ait discussion entre l'Association des Maires de France (AMF) et un certain nombre de ses partenaires pour l'élaboration d'un cahier des charges type, et que cela fasse l'objet de certaines polémiques. Je voudrais connaître votre avis et savoir si vous êtes associé à cette discussion avec l'AMF.

M. Bernard Guirkinger. : Je vais répondre aux trois premières questions que vous avez posées et je suppose que vous allez revenir sur d'autres points que vous avez évoqués dans votre introduction.

Je vous présente M. Jean-Luc Trancart qui est directeur délégué à la clientèle et je vous remercie de m'avoir invité à cette audition. Je suis très honoré de pouvoir m'exprimer devant des parlementaires et très heureux de parler d'un métier que j'exerce avec beaucoup de passion depuis une vingtaine d'années.

Vous avez souligné que l'eau et l'assainissement en France font l'objet de nombreux débats, parfois très contradictoires, voire polémiques. Je pense que ces questions doivent être abordées avec beaucoup de sérénité. Certaines choses vont bien, mais d'autres sont à améliorer pour répondre aux attentes nouvelles des consommateurs, des pouvoirs publics et des élus.

Je vais essayer de répondre aux questions qui me seront posées avec beaucoup de sincérité et de simplicité et j'essayerai d'être le plus court possible pour donner un caractère « interactif » à cette audition.

La première question concerne la différence de prix qui existe lorsque les services sont délégués, et lorsqu'ils sont gérés en régie. Je pense que lorsque l'on compare les services, qu'ils soient gérés en régie ou en services délégués, il est important de comparer à la fois la qualité et le prix, sinon on peut être induit en erreur sur la qualité du service rendu.

C'est la première remarque que je voulais faire avec beaucoup de force et je rappelle par exemple un élément qui me paraît très important : selon la dernière étude publiée sur la qualité de l'eau par la direction générale de la santé, la qualité de l'eau distribuée par les services délégués en France est meilleure que celle distribuée par les services en régie.

Ma deuxième remarque est que, lorsqu'une collectivité locale décide de passer en délégation, c'est souvent parce qu'il existe un certain nombre de problèmes à résoudre. Lorsque les choses vont très bien, généralement, la collectivité continue d'assurer le service en régie.

Ma troisième remarque porte sur les différences de coûts qui peuvent exister entre les coûts que nous supportons et les coûts que peut supporter un service en régie. Nous payons des taxes, des impôts locaux. Nos coûts salariaux sont plus élevés : la différence a été estimée dans une étude du Conseil de la concurrence à 10  % de la masse salariale, en raison notamment des taux de cotisation chômage et retraite.

L'autre point que je voulais souligner concerne le fait qu'il existe un écart significatif entre régies et services délégués sur les petites collectivités locales. Pour les collectivités de moins de 3.500 habitants, la comptabilité M49 qui oblige normalement à intégrer les amortissements dans le budget spécial ne s'applique pas. Il peut donc y avoir des transferts entre budget général et budget eau et assainissement. Dans les petites collectivités locales, il faut également mentionner un certain nombre de prestations réalisées par les élus de la collectivité qui s'investissent personnellement dans la gestion du service des eaux. Il est certain que, dans ce cas, nous ne pouvons pas être compétitifs sur les prix.

Je serais heureux de revenir sur ces différentes questions si vous le souhaitez.

M. Yves Tavernier, rapporteur. : La première question portait sur votre appréciation sur la nature du marché et l'état de la concurrence.

M. Bernard Guirkinger. : S'agissant de la nature du marché, je répondrai également à la question portant sur ce qui se passe lors des renouvellements de contrats en termes d'augmentation de prix. En France, lorsque l'on regarde le marché de l'eau, 75 % des Français reçoivent une facture envoyée par un délégataire privé, soit inversement 25 % des Français dont le service des eaux et assainissement est assuré totalement en régie.

Lorsqu'il y a délégation de service public - je parle des 75 % des Français habitant dans des communes dans lesquelles existe une délégation de service public - celle-ci est souvent partielle, c'est-à-dire qu'elle peut concerner l'eau ou l'assainissement ou bien une partie du service assainissement, par exemple la gestion de la station d'épuration. Elle peut aussi concerner une part plus ou moins importante des investissements.

Si l'on regarde le marché français en valeur, aujourd'hui l'ensemble des factures eau et assainissement payées par les Français est estimé à 67 milliards de francs . Sur ce total, les premiers acteurs économiques sont les collectivités locales qui perçoivent pour leurs propres dépenses environ 31 milliards de francs , soit 46 %. Les délégataires, pour la partie qui les concerne, encaissent environ 23 milliards de francs, donc 35 %. Le troisième acteur économique est représenté par les agences de l'eau et certaines redevances et taxes collectées pour l'État.

Si on regarde maintenant le deuxième acteur économique comme un ensemble, c'est-à-dire les entreprises privées qui encaissent les 23 milliards de francs précités, il existe trois acteurs nationaux : Générale des Eaux, la Lyonnaise des Eaux-France et la SAUR, et de très nombreux acteurs régionaux (SOGEDO, Ruas, etc.) ayant une implantation plus régionale.

La dynamique de ce marché représente 700 appels d'offres en France et, dans les prochaines années, compte tenu des échéances à venir, nous monterons à 2.000 appels d'offres sur le marché de la délégation de service public en France.

Il n'y a aucun pays au monde - cela a été dit récemment dans un rapport du BIPE - où le marché soit aussi dynamique. C'est un cas unique d'avoir un marché sur lequel se trouvent plusieurs intervenants privés, avec une concurrence et des appels d'offres.

Je voudrais donner quelques éléments complémentaires sur cette partie de la concurrence, sur la dynamique du marché. Vous savez que nos entreprises sont réputées mondialement pour leur savoir-faire et ont été capables de conquérir un certain nombre de marchés en dehors de nos frontières. Or, c'est l'aspect concurrentiel du marché français qui nous a appris à conquérir des marchés à l'étranger.

Par ailleurs, vous avez certainement à l'esprit ce qui s'est passé au début des années 90 où il y a eu en France une concurrence sauvage sur les droits d'entrée. On a ainsi vu les droits d'entrée augmenter fortement avec l'impact que l'on peut imaginer sur le prix de l'eau et sur l'équilibre économique du contrat. Il est heureux à cet égard que le législateur ait supprimé les droits d'entrée.

J'en arrive à la question de l'augmentation du prix de l'eau lors du renouvellement de contrats. Une étude ENGREF commandée par le ministère de l'Environnement a porté sur les renouvellements de contrats en 1998. Ces renouvellements de contrats effectués et négociés en 1998 ont abouti à une baisse du prix du délégataire de 8 ou 9 %.

M. Yves Tavernier, rapporteur. : Je n'arrive pas à comprendre un point que vous venez de mentionner : vous avez indiqué que, dans le cadre de la délégation de service public, environ 75  % de la population était concerné et 25  % dans le cadre de la régie.

Lorsque vous parlez globalement de ce que paient les usagers, nous avons une inversion et vous dites : « Les régies touchent 41 % et les délégataires 35 % ». Je ne comprends pas votre calcul, 75 % donneraient 35 % et 25 % donneraient 41 % ?

M. Bernard Guirkinger. : Je n'ai peut-être pas été assez clair sur cette partie. Aujourd'hui, je le répète, 75 % des Français reçoivent une facture d'eau envoyée par un délégataire. Cela signifie que lorsque les collectivités ont délégué leur service de l'eau, il y a un délégataire présent dans 75 % des communes en France. La facture eau intègre aussi la facture assainissement et je vais scinder services de l'eau et services de l'assainissement.

Le fait que 75 % des factures soient envoyées par un délégataire privé signifie qu'il y a délégation de service public dans environ 75 % des communes pour la partie eau. Sur cette partie distribution de l'eau potable - et je détaillerai l'assainissement tout à l'heure - même lorsqu'il y a délégation de service public, vous savez que le délégataire encaisse souvent une partie de sommes qu'il reverse à la collectivité locale.

En effet, la plupart de nos contrats en France aujourd'hui dans le domaine de l'eau sont des contrats d'affermage, c'est-à-dire que la collectivité a continué à assurer les investissements et doit rembourser les annuités des investissements, que le délégataire encaisse pour le compte de la collectivité et reverse au budget de l'eau et de l'assainissement de la collectivité.

Lorsque vous regardez la partie assainissement de la facture - et j'insiste sur le fait que la partie assainissement de la facture d'eau est devenue plus importante que la partie eau potable - vous constatez que la délégation de service public dans le domaine de l'assainissement est beaucoup moins importante que dans le domaine de l'eau potable. Et lorsqu'elle existe, elle est souvent plus partielle. C'est ce que j'évoquais en disant qu'elle peut porter sur l'exploitation de la station d'épuration uniquement.

Cela signifie que la collectivité continue d'assurer tous les investissements, que ce soit les réseaux ou la station d'épuration, et continue d'assurer la collecte et l'entretien du réseau assainissement proprement dit.

Bien entendu, lorsque cette somme est collectée sur la facture eau, alors qu'elle concerne la partie assainissement, elle est reversée à la collectivité locale pour la quote-part qui lui revient. C'est ce qui permet de dire que lorsque les Français paient 67 milliards de francs, il s'agit du total des factures payées par les Français. Les entreprises privées encaissent...

M. Michel Bouvard. : ... Les 100 %, y compris ceux qui sont en régie ?

M. Bernard Guirkinger : Tout à fait. L'ensemble des Français paie 67 milliards de francs, les collectivités locales gèrent 31 milliards de francs , soit 46 %, les entreprises privées gèrent 23 milliards de francs pour le service qu'elles rendent aux collectivités locales, soit 35 % et les agences de l'eau de l'ordre de 9 à 10 milliards de francs ainsi qu'un certain nombre de taxes et de redevances.

M. Didier Migaud, rapporteur général : On pourrait revenir sur le prix. Nos concitoyens sont toujours surpris de la capacité d'investissement dans d'autres secteurs de la part de vos groupes. Ils se demandent donc s'ils n'ont pas payé un prix de l'eau plus élevé qu'ils n'auraient dû, compte tenu de la capacité de ces groupes à dégager des bénéfices pour investir dans d'autres secteurs.

Nous avons évoqué le poids des taxes avec le représentant du MEDEF, mais les taxes sont réinvesties pour que des progrès soient accomplis dans le domaine de l'assainissement.

Compte tenu de la santé florissante de vos groupes, ne peut-on pas penser que le prix de l'eau a été supérieur pendant de longues années au prix normal qu'auraient dû payer les usagers et pourriez-vous nous préciser comment vous établissez le prix des services proposés ?

Pourriez-vous également nous donner des indications sur l'ordre de vos marges ? Comment ont-elles évolué dans le passé ? Comment évoluent-elles sur le moyen terme ?

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Je vous remercie de la clarté de vos explications, mais il est vrai que si nous sommes en mesure de contrôler les prélèvements des agences et de mieux connaître ceux des collectivités locales, on peut en revanche s'interroger sur le prélèvement des délégataires. Est-ce que ce qui est prélevé correspond réellement aux services rendus ou n'y a-t-il pas autre chose ?

M. Bernard Guirkinger : Je vais vous répondre de manière très précise sur les marges car nous entendons ces critiques sur nos marges et sur leur position relative compte tenu de la taille des groupes dont nous faisons partie et des investissements qu'ils font, dans des métiers de l'eau en dehors de la France, et dans des métiers différents.

Comment établissons-nous nos coûts ?

Lorsque nous remettons un prix à une collectivité locale, nous calculons les coûts sur service, l'ensemble des coûts affectés nécessaires à la maintenance du service, que ce soit des dépenses internes, la main d'_uvre qui est nécessaire pour faire tourner les installations, des achats, des consommables ou des sous-traitances, par exemple les curages de réseau sont parfois faits en interne, parfois sous-traités, etc.

Nous faisons une projection de ces dépenses sur la durée du contrat et nous remettons à la collectivité locale un prix qui intègre la marge qui nous est nécessaire pour rémunérer notre savoir-faire ainsi que nos investissements.

Quel est le montant de nos résultats et de nos marges en France ?

Pendant très longtemps, Lyonnaise des Eaux-France et le groupe Suez étaient une entité unique sur le plan juridique et il y avait un manque de lisibilité sur les résultats de l'eau en France en particulier.

Nous avons décidé, il y a environ un an, dans un souci de lisibilité de nos organisations et afin de bien identifier les résultats économiques de Lyonnaise des Eaux-France par rapport à ceux du groupe, de filialiser entièrement nos activités en France.

Nous avons créé une société qui regroupe l'ensemble des contrats que nous gérons pour les collectivités de l'eau en France et pour l'ensemble de nos filiales. Ces filiales sont filiales de Lyonnaise des Eaux-France. Cette société sera prochainement opérationnelle et nous avons sollicité le transfert de nos contrats auprès des collectivités clients.

Nous avions 2.200 contrats à transférer. Ce travail est achevé et la société existera physiquement à partir du 1er juin. L'ensemble des comptes sera disponible à compter du 1er janvier de cette année, et ils seront auditionnés et certifiés par un Commissaire aux comptes etc.

Ceci étant, nous n'avons pas attendu l'existence de la filiale pour calculer le résultat de Lyonnaise des Eaux-France. Ce résultat est comparable à celui d'autres entreprises privées ou publiques chargées de service public. Je vous laisserai tout à l'heure notre premier rapport d'activité 2000 de Lyonnaise des Eaux-France dans lequel vous trouverez les chiffres que je vais vous indiquer.

Notre résultat est de l'ordre de 400 millions de francs en France, cela représente environ 3 % de notre chiffre d'affaires, et de 5 % si j'enlève la partie qui est reversée aux collectivités locales dont je parlais précédemment.

Je voudrais insister sur deux autres aspects. Ce résultat représente 1/20ème du résultat du groupe Suez et concernant les investissements dans les diversifications ou des investissements dans les métiers de l'eau en dehors de la France, je vous donne un chiffre pour vous montrer que nous ne sommes pas dans les mêmes proportions. Notre groupe a beaucoup investi aux États-Unis dans le domaine de l'eau, et l'ensemble des investissements que nous avons faits en 1999 et 2000 a représenté 100 fois le résultat annuel de l'eau France.

M. Jean-Pierre Brard : Merci Monsieur le Président, vos réponses sont très intéressantes, vous maîtrisez parfaitement votre matière. Je voulais simplement poser une question sur deux points. L'un concerne la composition du prix de l'eau qui renvoie à la question de la rentabilité, et l'autre, sur les modalités de gestion.

Sur la composition du prix de l'eau il y a des gisements qui peuvent être fort intéressants. Vous me pardonnerez certainement le caractère pointu de ma question sur les compteurs d'eau. En combien d'années amortissez-vous un compteur d'eau ? Combien de temps le gardez-vous en usage ? Et avez-vous des bancs d'essais pour les compteurs d'eau ? Ce n'est pas une question anodine malgré son apparence.

Par ailleurs, concernant les modalités de gestion, en dehors de la discussion privé/public, quelle est votre opinion respective sur la concession, l'affermage et la régie intéressée ?

M. Didier Migaud, rapporteur général : Vous nous avez parlé du résultat, pourriez-vous apporter des précisions complémentaires sur les marges qui ne sont pas obligatoirement le résultat ?

M. Bernard Guirkinger : Sur les compteurs d'eau, votre question est assez pointue mais je vais essayer de vous répondre. L'amortissement d'un compteur posé par un délégataire de service public répond à des règles fiscales. De mémoire, je dirais 12 ans.

La décision de changer un compteur est prise en fonction de critères très techniques portant sur leur vieillissement. Les compteurs vieillissent et au bout d'un certain nombre d'années ils sous-comptent.

L'intérêt du gestionnaire d'un service des eaux, qu'il soit public ou privé, est de changer le compteur lorsqu'il estime que le sous-comptage devient trop important. Mais il y a une optimisation à faire car changer un compteur d'eau coûte et doit donc répondre à un optimum économique classique.

En interne, on change les compteurs au moins tous les 15 ans pour les petits compteurs et plus le compteur est gros plus le taux de rotation est important. Nous avons un banc d'essai agréé SIM à Lyon.

M. Jean-Pierre Brard : Tous vos compteurs passent-ils sur ce banc d'essai et, s'ils n'y passent pas, quelle en est la raison ?

M. Bernard Guirkinger : Un compteur est agréé SIM au moment où vous le posez. Un compteur d'eau est un instrument de mesure dont le SIM donne une validation du bon comptage, qui est réglementé.

Le banc d'essai nous sert lorsqu'il y a contestation sur un compteur. Dans le cas où un client nous fait savoir qu'il n'est pas d'accord avec le volume comptabilisé, on peut le passer sur le banc d'essai. Par ailleurs, il nous sert à définir nos propres règles de renouvellement. Nous faisons des essais sur les compteurs au bout de 2 ou 3 ans sous forme d'échantillonnage.

Sur les différentes formes de contrats, vous avez cité au moins trois formes importantes, l'affermage, la concession et la régie intéressée. La gérance existe également mais a été un peu oubliée.

Avant de répondre, je voudrais rappeler qu'une collectivité locale peut faire appel aux prestations d'une entreprise comme la nôtre dans le cadre normal d'un marché de type public pour des prestations de facturation, d'entretien etc. J'insiste car on a tendance à l'oublier, mais lorsqu'il y a délégation de service public, cela signifie que la responsabilité du délégataire est plus importante.

Aujourd'hui, la forme du contrat la plus répandue en France est l'affermage, en dehors de la France c'est la concession. Personnellement le contrat qui nous permet d'exprimer notre savoir-faire et de l'appliquer avec le plus d'efficacité est la concession car dans un métier d'eau et d'assainissement il faut avoir en permanence le souci d'optimiser les investissements et l'exploitation. Il y a une relation totale entre la conception, la réalisation, la qualité d'un investissement et les coûts d'exploitation s'y rattachant.

Si vous m'interrogez sur la forme de contrat que je préfère, je dirais que c'est celui de la concession, mais nos propositions dépendent de ce que souhaite la collectivité locale en France ou dans le monde.

La régie intéressée existe en France, mais elle est peu diffusée. De mon point de vue, c'est un type de contrat qui ne pousse pas à la productivité car la régie intéressée fait que l'on comptabilise simplement les dépenses du délégataire, avec une marge appliquée dessus pour rémunérer son savoir-faire. Je ne trouve pas cela motivant ni pour le délégataire, ni pour le client final.

Sur la marge et les résultats, je ne suis pas certain d'avoir complètement compris le sens de votre question, je vous ai donné le résultat tel qu'il apparaît au bas d'un compte de résultat d'une société, qui sera publié et bien entendu, lorsque nous le publierons de manière formelle, vous trouverez les recettes, les soldes intermédiaires, les dépenses d'exploitation, la marge sur les dépenses d'exploitation, les amortissements...

M. Didier Migaud, rapporteur général : ...Quel est le taux de rémunération moyen que se reconnaît votre entreprise ?

M. Bernard Guirkinger : Le résultat correspond à la marge totale figurant en bas du compte de résultat après les frais financiers - j'étais interrogé sur le financement d'activité en dehors de l'eau - et c'est celle à partir de laquelle nous payons les dividendes.

Tout ce qui est au-dessus du compte de résultat et du versement des dividendes est de l'argent qui tourne en France pour les métiers de l'eau et de l'assainissement en France. Nous investissons aujourd'hui en France 1,2 milliard de francs et nous finançons ces investissements soit avec la marge opérationnelle, soit avec de l'endettement car nous avons de la dette au niveau du bilan de l'eau France.

M. Jean-Jacques Jégou : Il suffit de donner un chiffre simple. Lorsque vous signez un contrat, quel est le montant de votre marge brute ?

M. Bernard Guirkinger : Je suis un peu gêné de le dire. Si je prends la façon de négocier un compte d'exploitation prévisionnel, je reprends mon explication, bien entendu nous mettons l'ensemble de nos dépenses directes pour le service des Eaux en question, l'ensemble de nos dépenses indirectes, les frais généraux, les services du siège, la Recherche & Développement etc...

Ensuite, nous calculons les investissements qui seront à faire sur le contrat, soit à l'origine, soit sur la durée du contrat. Aujourd'hui en France, nous travaillons avec une rémunération des capitaux employés que nous imputons lorsque nous investissons autour de 9 à 10 %. Et lorsque nous avons imputé l'ensemble des coûts s'appliquant au service, nous essayons d'obtenir une marge minimale de 4 à 6 %.

Je ne sais pas si cela répond à votre question. Mais veuillez m'excuser pour m'être un peu enfermé dans le compte de résultat de l'entreprise, alors que votre question portait davantage sur le compte d'exploitation.

Je vais prendre les deux questions auxquelles je n'ai pas répondu concernant les filiales paritaires et le cahier des charges de l'AMF qui a défrayé la chronique ces dernières semaines.

Sur les sociétés paritaires, j'utilise le terme paritaire car c'est celui que l'on utilise le plus souvent. Vous avez vous-même parlé de sociétés communes. Il existe des sociétés paritaires associant la Lyonnaise et le Générale des Eaux ou la Lyonnaise et la SAUR, pour celles qui nous concernent. Certaines d'entre elles sont un héritage du passé.

La Société des Eaux du Nord existe depuis 1912, la société des Eaux de Marseille existe depuis les années 40. Certaines de ces sociétés paritaires - je pense à la Société des Eaux de Marseille - sont devenues un groupe et fonctionnent même en dehors de la France.

J'insiste sur le fait que les sociétés paritaires existent parce que les élus ont fait jouer une concurrence acharnée entre les différentes entreprises présentes sur le marché français ont négocié le meilleur de chacune d'entre elles, ont mis l'ensemble dans un pot commun et leur ont ensuite demandé de s'associer.

Je peux vous dire que sur la Société stéphanoise des Eaux à Saint-Étienne, être pour nous aujourd'hui présents dans son capital est une victoire commerciale, car nous avons voulu ce contrat et nous nous sommes battus pour l'obtenir.

Ceci étant, j'entends toutes les critiques sur ces sociétés communes. Elles sont mal comprises et je pense qu'il faut en tenir compte. Notre objectif est d'en réduire le nombre. Il en est ainsi d'une société au sud de Paris, les Eaux de Sénart et une autre en Gironde, que nous venons de supprimer.

Je peux prendre l'engagement que nous n'accepterons plus de créer des sociétés communes, même si les élus nous le demandent et que notre objectif est de continuer à réduire leur nombre et de les supprimer à terme. Nous y travaillons, mais pour le faire, il faudra avoir l'accord des collectivités concernées ainsi que celui des pouvoirs publics.

Concernant le cahier des charges de l'AMF, je dirais qu'il n'y a plus de cahier des charges modèle en France depuis 1980. Le dernier cahier des charges existant servant de référence en matière de négociation entre un délégant et un délégataire date de 1980. Cela signifie qu'il est complètement obsolète : il n'a pas été mis à jour ; il n'intègre pas la loi de 1992 ; il n'intègre pas les lois ultérieures « Sapin », « Barnier », « Mazeau »; il n'intègre pas l'évolution de ce qui s'est passé depuis 1980 sur les métiers de l'eau et de l'assainissement en France.

L'AMF souhaite depuis plusieurs années refaire un cahier des charges et fournir un guide pour les collectivités locales car, depuis la loi de décentralisation, un cahier des charges n'est plus opposable, ni aux délégants, ni aux délégataires. L'objectif de l'AMF est de fournir un guide, une référence pour les collectivités locales.

Elle travaille sur le dossier depuis plusieurs années avec des avocats de droit public, avec la FNCCR, avec un certain nombre d'experts et avec des représentants des délégataires. Le cahier des charges a abouti à un document très épais donnant énormément de variantes, expliquant ce qu'il faut faire dans tel cas ou ne pas faire dans tel autre et il définit mieux les responsabilités entre délégants et délégataires. Cependant, il imposera de nouvelles contraintes aux délégataires, qui répondent à un certain nombre d'attentes et de points que vous avez évoqués tout à l'heure, comme les risques qualité, la résiliation anticipée en cas d'intercommunalité, les pénalités, etc...

Je n'ai pas d'autres commentaires à faire sur cette question. Je pense que l'article qui est paru dans un quotidien du soir avait un caractère outrageusement polémique, sur lequel je n'ai pas à me prononcer.

M. Michel Bouvard : Vous avez parlé du financement des investissements, vous financez une partie par emprunt, pouvons-nous en connaître la proportion ? Vous financez une autre partie par ressources propres, y a-t-il un niveau de rémunération des capitaux que vous engagez ? Il serait intéressant de connaître le taux de rémunération des capitaux retenus.

A nombre d'équivalent habitants, pouvez-vous estimer quelle a été l'évolution du coût des investissements ces dernières années sur la réalisation des stations d'épuration, compte tenu de l'évolution des normes ?

Chiffrez-vous les gains de productivité que vous pouvez obtenir lorsque vous reprenez des régies pour les exploiter dans le cadre de délégations de service public ?

Enfin, est-on capable aujourd'hui de chiffrer le surcoût des stations d'épuration dans des secteurs fortement touristiques, c'est-à-dire où existent des amplitudes saisonnières de consommation d'eau ? On sait qu'elles génèrent des surcoûts davantage en montagne que sur le littoral car les amplitudes thermiques s'ajoutent aux amplitudes de traitement d'eau. Peut-on chiffrer le surcoût par rapport à une station avec un nombre d'habitants desservis permanents équivalent ?

M. Bernard Guirkinger : Sur les aspects financements, nous finançons une partie sous forme de capitaux propres et une partie sous forme de dette, je n'ai pas en tête les propositions relatives.

Je dirais que comme nous allons publier les comptes 2001 avec actif/passif, vous aurez des comptes certifiés. Sachant que, jusqu'à présent, il s'agissait davantage d'évaluations internes. Notre objectif est d'être en mesure de fournir des éléments précis.

En ce qui concerne la rémunération des capitaux, elle est de l'ordre de 9 à 10 % lorsque nous remettons un prix à une collectivité locale.

Sur les prix des stations d'épuration je n'ai pas de chiffres précis à vous donner, les nouvelles réglementations sur la qualité des rejets, sur le traitement de l'azote, sur le traitement du phosphore, sur le traitement des boues sur lequel je voudrais alerter votre mission, conduisent à des augmentations du prix des stations d'épuration.

Je voudrais vous apporter un témoignage personnel sur le prix des stations d'épuration en France. J'ai travaillé pendant plusieurs années en Allemagne et j'ai négocié un important contrat de concession avec une collectivité allemande. Dans ce contrat, il y avait le financement et la réalisation d'une station d'épuration.

Lorsque nous avons remis le prix de la station d'épuration en Allemagne, prix qui était confortable par rapport à celui pratiqué en France, nous avons eu énormément de difficultés à convaincre la collectivité que ce serait une station d'épuration de grande qualité car nous étions 50 % inférieur au prix de la même station d'épuration vendue par des sociétés allemandes.

Il y a augmentation du prix des stations, mais je n'ai pas les chiffres. Concernant le surcoût des stations d'épuration dans les zones touristiques, si la commune touristique accueille deux fois plus d'habitants que la normale en été, cela coûte deux fois plus cher, c'est proportionnel.

Concernant les gains de productivité, je voudrais vous apporter un témoignage sur le fonctionnement d'une entreprise comme la nôtre. Aujourd'hui, pour arriver à maîtriser nos marges et nos résultats, nous sommes obligés de réaliser des gains de productivité internes de manière très forte.

Nous étions, il y a quelques années, dans une situation très difficile car nos dépenses augmentaient plus vite que nos recettes. Pourquoi ? Pour des raisons que vous connaissez bien, car vous gérez tous des problèmes de masse salariale. Si on ne fait rien, la masse salariale a tendance à déraper, donc on est obligé de réaliser des gains de productivité et la complexité de nos métiers et les charges nouvelles ont conduit à un dérapage des prix. Nous avons un programme de recherche de gains de productivité sur la masse salariale et nous faisons des efforts sur les achats etc...

Je souhaiterais, avec Jean-Luc Trancart, évoquer deux ou trois sujets sur lesquels je voudrais vous alerter. Lorsque l'on interroge les Français sur leurs préoccupations dans nos métiers, ce qui vient en premier lieu dans tous les sondages et ce que nous disent tous nos clients concerne le problème de la qualité de l'eau. Les Français ont perdu confiance dans la qualité de l'eau.

Nous avons un véritable problème de dégradation des ressources : il faut résoudre les problèmes existants et rassurer les Français sur les problèmes de qualité de l'eau.

Par ailleurs, nous avons du retard dans l'application des directives européennes, la moitié des collectivités françaises concernées par les échéances de 1998 et de 2000 n'ont pas réussi à respecter les échéances de la directive 1991. Et lorsque l'on interroge les Français, il faut savoir qu'ils sont préoccupés par les problèmes de protection de l'environnement. Ils mettent même, dans leurs priorités, la protection de l'environnement avant le développement économique.

Le troisième sujet sur lequel je voulais vous alerter est celui des boues de station d'épuration. Compte tenu des efforts des collectivités pour mieux protéger l'environnement, en effet, les stations d'épuration fonctionnent de mieux en mieux, la quantité de boues à gérer augmente sans cesse à un moment où la valorisation agricole dans sa forme traditionnelle est remise en cause.

L'Union européenne prépare une nouvelle directive sur les boues. Je vous assure que, concernant les exploitants, qu'ils soient délégataires privés ou régies, c'est une préoccupation majeure qui nécessite véritablement une mobilisation de tous les acteurs, pouvoirs publics, élus et opérateurs privés, sinon nous allons vers des situations catastrophiques.

Je vous donne deux exemples : l'été dernier, nous avons été obligés de transporter les boues de la station d'épuration de Bordeaux vers le Havre et pour celles de la station d'épuration de Cannes, nous étions en échec total, nous n'avions plus de solution.

Je vous ai donné tout à l'heure les poids économiques relatifs des acteurs privés et le poids économique des régies. Je vous ai dit que nous étions favorables à la concession car c'est ce qui nous permet de nous exprimer le mieux et j'aimerais insister sur le fait que nous, Lyonnaise des Eaux-France, sommes prêts à investir plus en France, et ce, de la même manière que nous le faisons à la demande des Anglais, des Argentins et des Marocains. Nous sommes prêts à nous mobiliser et à investir davantage.

Je laisse la parole à Jean-Luc Trancart afin qu'il dise quelques mots complémentaires.

M. Jean-Luc Trancart : Je voulais alerter la mission sur le fait que pour les consommateurs c'est le rapport qualité/prix qui a du sens et ce n'est pas, d'un côté, le prix et de l'autre, la qualité.

Nous sommes dans une situation où nous disposons de nombreuses études comparant le prix de l'eau puisqu'il y en a au moins une par an. Elles sont issues soit du Ministère de l'environnement ou de ses établissements associés, soit de la DGCCRF. Mais nous n'avons plus aucune donnée sur la qualité de l'eau potable depuis 1995.

Pour discuter du rapport qualité/prix, il est impératif que nous ayons les données réelles des systèmes d'eau en France et, notamment, la comparaison privé/public.

Dans les dernières statistiques, notamment de 1995, la performance du secteur privé était de 17  % supérieure à celle du secteur public. D'une certaine manière, j'y vois une forme d'injustice dans l'examen du rapport qualité/prix.

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Je vous remercie de vos réponses et de ces indications.

M. Pierre Méhaignerie : Combien coûterait l'incinération des boues - à laquelle nous serons condamnés dans certaines régions - pour un ménage consommant 120 m3 par an ?

M. Bernard Guirkinger : Nous avons une réponse précise.

M. Jean-Luc Trancart : J'ai le prix à la tonne, il s'agit de 1.000 francs/tonne, mais je ne me souviens pas combien de tonnes produit un ménage.

M. Bernard Guirkinger : Cela peut avoir un impact important sur le prix de l'eau, car c'est de l'ordre de 50 centimes à 1 franc du m3.

Puisque vous me parlez de boues, je voudrais insister sur le fait qu'il faut mettre en place des concepts de valorisation des boues. Il ne faut pas considérer la boue uniquement comme un déchet, car lorsqu'elle est bien gérée et lorsque le service d'assainissement est de bonne qualité, on peut la valoriser en agriculture, à condition de réaliser un produit très élaboré, séché, qui ressemble à du compost du type de ce que vous achetez dans un supermarché.

Je vous assure que nous sommes capables de produire des produits de très grande qualité. Nous avons ainsi construit une plate-forme de traitement à Bury, mais nous pouvons faire mieux. C'est la seule façon de sauver la valorisation agricole et c'est la solution la plus économique pour le client.

Il faut creuser une autre filière sur laquelle nous avons des expériences plus avancées en dehors de France et il faut faire de la valorisation énergétique. En effet, parce qu'une boue de station d'épuration contient du carbone, nous sommes capables de fabriquer du gaz, de faire tourner des turbines électriques. Nous sommes capables de la valoriser sur le plan énergétique et lorsque nous l'incinérons en complément sur des unités d'ordures ménagères ou des cimenteries, qui est une des voies possibles, nous sommes capables de récupérer de l'énergie.

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Je vous remercie.

c) 11 heures : M. Olivier Barbaroux, directeur général de la Générale des eaux, et M. Daniel Versanne, directeur général délégué.

Le Président accueille M. Olivier Barbaroux, directeur général de la Générale des eaux, et M. Daniel Versanne, directeur général délégué.

M. Augustin Bonrepaux, co-président : J'ai bien reçu la lettre de l'Association de coordination des consommateurs d'eau nous demandant si les pouvoirs publics étaient décidés à protéger les consommateurs et les élus. C'est le rôle de cette mission d'y parvenir et nous avons déjà eu l'occasion d'auditionner UFC-Que choisir ?, donc ces travaux permettront certainement de répondre à leurs préoccupations.

M. Yves Tavernier, rapporteur : M. le directeur général, hier soir sur France 3, j'ai entendu un débat sur le prix de l'eau entre M. Jean-Marie Messier et M. José Bové. M. José Bové faisait observer que l'eau payée par les usagers avait servi à payer Canal Plus, SEAGRAM et quantité d'autres choses. J'avoue que M. Messier m'a paru « botter en touche ».

Ma première question porte sur le marché de l'eau, dont on dit qu'il est de nature oligopolistique, qu'il n'y a pas de véritable concurrence et un manque de transparence, que cela a conduit les trois grands groupes contrôlant le marché à faire des bénéfices très importants qui ont été ainsi utilisés dans d'autres domaines que celui de l'eau et de l'assainissement.

On observe d'ailleurs qu'entre les régies directes et les contrats d'affermage ou de concession, il y a une différence de prix de l'ordre de 13 à 20 % pour les consommateurs.

J'aimerais votre avis sur la nature du marché de l'eau, sur les problèmes de concurrence faussée - c'est ainsi que la direction de la concurrence analyse le marché - et savoir ce que vous pensez de la différence de prix. On observe d'ailleurs, qu'en cas de renégociation, généralement il n'y a pas baisse des prix mais, en moyenne, une augmentation sensible.

Je voudrais avoir enfin votre avis sur le cahier des charges type facultatif qui a été présenté par l'Association des maires de France (AMF) et qui a été, je crois, discuté et élaboré en relation avec les sociétés concessionnaires.

M. Olivier Barbaroux : Merci de nous donner l'occasion de répondre à vos questions et d'exposer notre point de vue sur ce qui, pour un groupe comme le nôtre, est au centre de nos préoccupations, c'est-à-dire l'eau en général.

Votre question comporte de nombreux éléments et je vais essayer d'y répondre rapidement.

Sur le problème de la concurrence : la particularité du modèle français n'est pas la délégation de service, car elle est la norme dans tous les pays du monde, à l'exception de l'Angleterre et du Chili. La particularité de l'école française de l'eau est la mise en concurrence de ces délégations de service public à intervalles réguliers.

Nous sommes les défenseurs dans le monde de ce système de concurrence, c'est celui que nous mettons en avant lorsque nous cherchons à obtenir des contrats en Allemagne qui délègue le service de l'eau à des Stadtwerke, c'est-à-dire à des régies appartenant aux municipalités, mais sur des contrats à durée indéterminée.

Nous défendons la concurrence qui fait la force du modèle français car nous pensons que c'est le plus efficient et le meilleur et c'est dans ce contexte que nous le défendons à l'étranger. Nous n'allons pas le défendre à l'étranger et ne pas l'appliquer chez nous.

Nous pensons qu'il y a concurrence, que celle-ci s'exerce très bien et je suis surpris d'entendre que les autorités de la concurrence pensent qu'il n'y en a pas car il existe des lois précises en la matière et nous sommes prêts à en répondre devant toutes les juridictions.

Il y a un petit nombre d'acteurs nationaux qui sont au nombre de trois, voire éventuellement quatre, si on compte les quatre sociétés qui participent au syndicat professionnel des distributeurs d'eau ayant une vocation nationale. Il y a une petite dizaine d'opérateurs plus régionaux qui sont, en général, issus d'entreprises de travaux publics et, systématiquement, dans chaque réponse aux appels d'offres ou aux renouvellements que nous faisons dans les collectivités locales, le retour à la régie est un concurrent sérieux. Un peu moins de la moitié de la centaine de contrats que nous avons perdus ces trois dernières années l'ont été au profit de régies municipales.

Concernant la question portant sur l'utilisation des financements pour développer d'autres activités et donc le fait que le prix de l'eau n'irait pas à l'eau : ceci est faux. Nous avons dans notre groupe, multiplié l'activité eau de la Compagnie générale des eaux en 10 ans de près de 8, nous sommes passés de 10,6 milliards de francs en 1990, réalisés dans l'eau globalement pour la Compagnie générale des eaux, à près de 13 milliards d'euros 10 ans plus tard.

Cela a nécessité des investissements très importants. Tout d'abord les activités que nous exerçons en France sont réalisées dans un cadre réglementaire juridique extrêmement précis qui nous oblige à mettre en _uvre l'essentiel des moyens, des coûts, des investissements et des amortissements de ces investissements dans les contrats que nous exerçons. Ceci de façon très contrôlée et transparente et je pense que nous y reviendrons lors d'autres questions.

Nous réinvestissons nos bénéfices à l'extérieur de ces contrats, ceux-ci sont effectivement importants, mais ils sont dans la norme de toutes les industries. En l'an 2000 le résultat consolidé que nous avons réalisé sur l'ensemble de l'activité en France au sein de la Compagnie générale des eaux est de 268 milliards d'euros, ce qui représente 4,7 % de notre chiffre d'affaires eau en France.

4,7 % de résultat net hors structure financière - il n'y a pas de frais financiers pour les diminuer - pour des activités réalisées par des groupes privés n'est pas un pourcentage élevé ; il est comparable à celui de l'ensemble des entreprises réalisant une activité économique dans l'économie traditionnelle et inférieur à celui de certaines nouvelles activités.

Nous réinvestissons ces bénéfices dans l'eau et ils ont servi au développement très important que nous avons réalisé sur les 10 dernières années. Lorsqu'en 1999, nous devenons le leader mondial en matière d'équipements et de systèmes de vente d'équipements et de systèmes de l'eau dans le monde par l'acquisition d'US Filter qui représente un investissement de 8,5 milliards d'euros, cela nécessite, non seulement le réinvestissement de nos bénéfices passés de l'eau, mais aussi des contributions tant de nos actionnaires que de nos banquiers prêteurs.

Nous n'avons pas assez des résultats - il est normal que nous les réinvestissions ailleurs et qu'ils ne se fassent pas au détriment des usagers - pour financer le développement d'un superbe groupe français dans le secteur de l'eau.

Nous reviendrons sur la différence entre le traitement par une délégation de service public à un professionnel privé comme nous ou de délégation à une régie ou un travail direct en régie municipale. Les chiffres sont relativement différents suivant les statistiques, celles qui sont publiées par la DGCCRF donnent un encart moyen de prix de l'ordre de 13 % entre les délégations de service public au privé et la gestion en régie directe.

Il y a plusieurs éléments et le principal d'entre eux est qu'on ne compare pas la même chose. Il est normal lorsque vous achetez une Twingo qu'elle soit moins chère qu'une Laguna. Vous demandez davantage à une Laguna, plus de service, un confort, une qualité différente de celle d'une Twingo. Si vous comparez le prix des fabricants de Twingo au prix des fabricants de Laguna, vous aurez un différentiel.

Il existe une demande de plus en plus grande en matière de qualité et de sécurité environnementale nécessitant des investissements plus importants sur le plan technique et, de plus, le passage en délégation de service public se fait vers des professionnels qui apportent des technologies, celles-ci et les services additionnels afférents coûtent plus cher et le prix explique l'essentiel de la différence.

Il y a des différences de comptabilité sur lesquelles nous pourrons revenir et notamment concernant l'implication dans les dernières statistiques non publiées qui donneraient des écarts de 20 % de communes rurales qui en fait n'incluent pas de la même façon dans leur comptabilité les développements dans l'assainissement.

Un autre élément est à considérer, il s'agit du problème d'une éventuelle augmentation de prix à l'occasion des renouvellements de contrats. Mes concurrents doivent être meilleurs que nous car, en ce qui nous concerne, l'essentiel des renouvellements de contrats se font avec des prix en baisse. C'est le résultat de la mise en concurrence en délégation de service public. Lorsque nous donnons une réponse, nous calculons des éléments de gain de productivité à venir et nous les imputons dès la première année.

Par rapport au contrat précédent, les dernières années ayant servi à payer les avances sur gain de productivité faites les premières années, nous les diminuons. C'est la règle un peu partout.

J'ajoute que l'un de nos concurrents principaux - le principal contrat que nous avons renouvelé à Quimper le montre bien - est le retour en régie. Comme le retour en régie se fait sur la base d'une qualité maintenue et de prix relativement bas, même si vous pensez qu'il n'y avait pas d'autre concurrence, je peux vous dire le contraire, le résultat fait que nous passons rarement des contrats à des prix supérieurs lors de renouvellements.

Il est exact qu'à l'occasion d'un renouvellement, un nouveau projet eau et une nouvelle politique sont appliqués par la collectivité locale. Ce projet apporte de nouveaux services ou de nouveaux besoins et le coût devient supérieur car il y a davantage de services.

M. Yves Tavernier, rapporteur : Je fais référence au rapport du haut Conseil du service public réalisé sous la responsabilité d'un de nos collègues qui fait ce constat.

C'est une des grandes difficultés que nous avons dans ce domaine, les données qui nous sont fournies, y compris par les services de l'État et les différents ministères, ne sont pas toujours concordantes. C'est pourquoi je vous ai posé la question.

M. Olivier Barbaroux : Nous avons, en son temps, lu le rapport de M. Baert que nous avons trouvé intéressant, mais nous l'avons contesté sur plusieurs points, dont celui-ci. Nous pourrons vous communiquer les éléments de réponse que nous avions donnés à l'époque, ainsi que les évolutions de prix pour nous-mêmes.

A partir du moment où le prix moyen de l'eau évolue sur les deux dernières années de 1,8 % et de 1 % pour l'année dernière - ce qui est un rythme inférieur à l'inflation à un moment où de nombreux renouvellements baissent le prix, sauf concernant les parties fixes, dans les formules d'indexation - je vois mal comment sont faits les calculs du rapport en question.

Il y avait un dernier élément dans votre question concernant le cahier des charges que l'AMF prépare. Je ne crois pas à un cahier des charges type qui couvrirait l'ensemble des problématiques françaises. Produire et distribuer de l'eau à Évian est plus simple et pose d'autres problèmes que produire et distribuer de l'eau en Bretagne.

Je ne suis pas sûr qu'un cahier des charges national puisse couvrir la totalité du problème. La particularité de l'eau, qui est différente de l'électricité, est de se trouver dans une décentralisation complète de la décision et de la souveraineté politique au niveau des collectivités locales ; ce sont ces dernières qui décident car c'est un problème local.

Je peux comprendre que dans les soucis d'aide d'une association vis à vis de ses membres, on donne des guides. L'Association des Maires de France nous a demandé notre avis ainsi que d'émettre des suggestions sur ce projet, nous l'avons fait. Le projet, qui à ma connaissance n'est pas finalisé, est très ample du fait de la problématique et, en outre, il me paraît très contraignant et sera probablement un peu difficile à utiliser. Il ne m'appartient pas d'en juger.

M. Yves Tavernier, rapporteur : On constate, au moment de l'appel d'offres, que les prix proposés par les filiales de votre groupe sont supérieurs à ceux proposés par les exploitants indépendants. Ensuite, il y a une phase de négociation et, dans ce cadre, on constate une baisse de prix en deçà de celle proposée par les indépendants. Combien la baisse de prix atteint-elle en moyenne ?

M. Olivier Barbaroux : Je n'ai pas ce type de constatation.

D'abord sur des réponses à des appels d'offres, les critères utilisés par les collectivités locales sont de trois ordres, la loi Sapin ne demande pas de prendre le moins cher, mais le meilleur.

Il y a trois critères :

- Un critère de qualité de service qui représente essentiellement de la technologie et des services commerciaux additionnels, sur lesquels nous avons un avantage comparatif en tant que grand groupe national grâce à la mutualisation que nous pouvons faire à un niveau, non seulement français, mais mondial.

- Un critère de garantie et de sécurité. Notre couverture nationale, puisque nous sommes un grand groupe, nous facilite la vie par rapport à d'autres groupes plus petits.

Lorsqu'en 1999 à Rennes une canalisation casse, le problème est résolu en très peu de temps, parce que l'ensemble des équipes de Bretagne, même venant de Brest, s'est mobilisé.

Ce sont deux critères qui nous avantagent.

- Le critère du prix nous désavantage, notamment vis-à-vis des indépendants qui sont des petites entreprises locales de travaux publics avec des conventions collectives différentes et qui travaillent davantage sur la gestion au moindre coût d'un service donné.

Malheureusement, nous avons perdu un certain nombre de contrats sur les 96 que nous avons perdus les trois dernières années, et nous en avons perdu 55 vis à vis de confrères, certes les deux principaux, SAUR et Lyonnaise mais aussi un certain nombre d'indépendants.

Vous dire qu'il y a baisse de prix pour nous aligner sur des petits indépendants... Je dirais que nous ne vendons pas le même produit et ce n'est pas en baissant le prix de ma Laguna pour l'aligner sur la Twingo que nous gagnerions. Nous gagnons sur un autre terrain face à eux.

Lorsque la collectivité locale décide de déléguer au moindre prix et d'en faire son argument, nous perdons au profit de ces entreprises d'eau d'origine travaux publics. Je ne peux pas donner de réponse concrète.

M. Yves Tavernier, rapporteur : La durée de concession constitue un débat dans le cadre du projet de loi sur l'eau qui devrait arriver prochainement devant le Parlement, je voudrais votre avis sur ce point.

M. Olivier Barbaroux : La durée des 4.800 contrats que nous avons, est adaptée aux durées d'amortissement des investissements, tant d'ailleurs de nouvelles usines que de renouvellements réalisés.

Cette durée est décidée souverainement par la collectivité locale lorsqu'elle décide de bâtir son projet et de le mettre en appel d'offres. Elle est encadrée par les lois sur les délégations de service public, quel que soit le métier, eau, transports, mais pas sur l'électricité. Les contrôles sur ces durées et leur adaptabilité existent mais elles sont renforcées au-delà d'une certaine durée et nécessite une approbation spécifique du Trésorier-Payeur général.

Je ne vois pas l'intérêt de revenir sur ce sujet et de recentraliser au niveau national et gouvernemental pour réduire la durée en ce qui concerne le métier de l'eau, ce qui posera un problème d'investissement et d'amortissement, alors que le véritable problème est celui de la qualité de l'eau et de la sécurité environnementale qui nécessitera des investissements importants.

Si nous voulons stabiliser le prix de l'eau comme nous l'avons fait sur les trois dernières années tout en réalisant des investissements importants, il faut laisser aux collectivités locales le choix de bâtir les projets avec les contrôles nécessaires de l'administration d'État, des juridictions telles les chambres régionales des comptes, pour être certains que ce soit adapté. Pourquoi voudrions-nous limiter ce droit aux collectivités locales ?

Nous pensons que la base de ce système français basé sur la souveraineté des élus et des collectivités locales dans le choix de leur politique de l'eau est un des fondements de ce système français qui est le meilleur dans le monde.

M. Pierre Méhaignerie : Je reconnais la pertinence des réponses quant à la comparaison régie/concession, car ce ne sont pas des éléments toujours comparables et nous avons tous souvent besoin dans les systèmes difficiles du soutien d'une logistique importante que la régie ne peut pas apporter.

Par contre, l'expérience de Quimper nous a laissé songeurs et nostalgiques, dans la mesure où pour l'avenir nous aurons tendance à étudier les bases d'une régie car nous savons que si nous présentons une alternative, nous obtiendrons des prix aussi attractifs que ceux que vous avez faits à Quimper en baissant aussi fortement le prix d'une concession à l'autre.

Je m'interroge sur l'expérience de Quimper et sur la forte diminution que vous avez acceptée. Si Quimper n'avait pas étudié la régie, probablement n'aurait-elle pas eu la baisse des propositions telles que vous les avez énoncées.

M. Olivier Barbaroux. - Malheureusement, nous n'avions pas seulement la régie comme concurrent. Je crois savoir, vu les discussions âpres de fin de négociation, que nous sommes restés plus cher que la régie car nous apportions plus de services et qu'en outre, nous apportions plus de garanties et de sécurité. Avec les récentes inondations, vous savez que ces problèmes de rapidité d'intervention sont très importants.

A l'inverse, il faut voir qu'une baisse sensible, dont la presse s'est fait l'écho, a eu lieu à Quimper. Toutefois elle ne provient pas uniquement d'une baisse de prix, mais d'une importante baisse de coûts.

Lorsque nous démarrons à Quimper la première expérience de relevés de compteur en radio-relevés à l'échelle d'une collectivité locale, nous diminuons les coûts en apportant un service et un confort complémentaire car nous n'intervenons pas chez l'usager.

Certaines économies sur le projet de Quimper nous ont permis de baisser les prix, projet qui était à la base du critère principal demandé par la ville de Quimper, un critère de qualité et de développement de service.

La contrainte concurrentielle qui s'est exercée, non pas uniquement de la régie, mais aussi des concurrents privés, nous a fait avancer les gains de productivité que nous ferons ultérieurement, peut-être un peu plus que nous l'aurions souhaité. Ceci dit, c'est à la portée de chacune des collectivités locales et elles ne s'en privent pas. A l'occasion des discussions de révision que nous avons périodiquement avec chacun de nos clients, nous voyons apparaître très fortement ce type de sujet.

M. Jean-Pierre Brard : Dans une réunion la semaine dernière où il était souvent question d'eau, on m'a dit que M. Messier transférerait le siège du groupe à New York. Il serait intéressant d'avoir une information à ce sujet.

Vous parliez d'amélioration de la productivité, tout le monde y est attentif, mais concernant l'Ile-de-France vous avez fait l'objet d'observations assez sévères de la chambre régionale des comptes et l'examen attentif de ces observations a prouvé à quel point elles étaient pertinentes. Il est certain que le filon n'est pas épuisé, mais nous verrons cela dans les années à venir.

Gain de productivité certes, mais on peut penser parfois que des gains n'ont pas une légitimité bien assise. Je reviens à mon affaire des compteurs : comment peut-on réduire le prix de l'eau sans altérer la qualité du service ? Pouvez-vous nous dire en combien d'années vous amortissez un compteur ? Quelle est sa durée de vie ? Avez-vous des bancs d'essai ? À quoi servent-ils et qui desservent-ils ?

Vous acceptez des modalités de gestion différentes sans tenir compte de l'avis de vos partenaires - vous êtes obligés d'en tenir compte à un moment donné - mais quelle est selon vous la meilleure solution pour assurer la qualité et le meilleur coût ? La concession, l'affermage ou la régie intéressée ?

M. Olivier Barbaroux : Concernant le transfert du siège de Vivendi Universal à New York, M. Jean-Marie Messier a fait une réponse précise au journal qui avait évoqué cette information en précisant que le siège de Vivendi Universal ne sera pas déplacé à New York ; il n'en a jamais été question.

Concernant votre question sur le syndicat des eaux d'Ile-de-France, laissez-moi le soin d'en discuter directement avec ce syndicat et la chambre régionale des comptes, et de répondre de façon plus générale sur les contrôles que nous avons de la part de la Cour des Comptes mais aussi des chambres régionales des comptes. Ce sont des contrôles très fréquents - nous pensons que l'eau est le métier le plus contrôlé - et vous savez peut-être qu'actuellement nous avons un nouvel examen de la chambre régionale des comptes sur ce contrat.

Ce sont plutôt les collectivités locales - mais cela nous implique directement - qui reçoivent des remarques sur le service que nous rendons, sur la transparence que nous mettons en _uvre et comme nous sommes contrôlés tous les trois à six ans en moyenne suivant la taille des contrats, périodiquement, nous avons des observations sur ce que nous avons réalisé sur la période.

Nous pensons être, tant les collectivités locales que nous-mêmes, dans un système de suivi et d'audit performant de la part des autorités de contrôle de l'État concernant l'eau.

Pour les compteurs, l'amortissement est autorisé fiscalement, donc sa durée de vie est de l'ordre de 12 ans, conformément à des règles fiscales fondées sur des durées de vie historiques. La durée de vie réelle est plus longue, de l'ordre de 15, voire 20  ans, et dépend surtout de la qualité des compteurs, mais aussi de leur capacité, et nous avons des contrôles réguliers basés sur des tests d'évolution des consommations.

C'est d'autant plus important que si certains usagers peuvent se plaindre d'un éventuel sur-comptage, il en est de même pour nous avec un sous-comptage. Lorsque nous demandons à l'ensemble de nos équipes de réaliser des gains de productivité de 1 %, il faut absolument éviter toute erreur de compteur de 1 à 2 %.

Nous nous sommes dotés d'un certain nombre d'organisations et d'ateliers de tests physiques de compteurs, sur lesquels nous faisons des statistiques ; ils sont au nombre de trois dans des sociétés différentes du groupe, en Île-de-France, à Rennes et Nancy.

Notre réorganisation de 1997 a eu pour but de mutualiser l'ensemble du dispositif de la Compagnie générale des eaux qui comprend 46 sociétés, dont certaines à vocation nationale. Nous avons mutualisé l'ensemble de nos moyens au service de l'ensemble de nos contrats et ces trois entités travaillent pour l'ensemble des services Compagnie générale des eaux, ils peuvent même travailler d'ailleurs pour d'autres sociétés.

Il y a un cas particulier dans celui de l'Ile-de-France car, comme c'est un contrat en régie intéressée, il y a une volonté du client Syndicat des Eaux d'Ile-de-France de suivre plus attentivement l'exposition de coûts que nous faisons en son sein, donc cet ensemble est plutôt destiné au Syndicat des Eaux d'Ile-de-France.

Quel contrat préférons-nous ?

Nous sommes structurés en affermage et ce sont nos contrats principaux. Ce sont les contrats que nous préférons. Je pense personnellement que notre métier d'industriel dans l'eau implique une prise de responsabilité sur la qualité réelle du service que nous fournissons.

Aujourd'hui, même lorsque des problèmes de ressources incombent à l'État, c'est l'image Générale des eaux qui est exposée. Nous sommes de plus en plus amenés à investir et je pense que pour le financement des investissements les plus importants, tant en assainissement qu'en eau potable, pour répondre au problème de qualité et de sécurité environnementale, la concession deviendra de plus en plus l'un des éléments importants car il faudra de plus en plus faire appel à des financements privés pour ces grands investissements.

Ma réponse en tant que groupe Compagnie générale des eaux est de privilégier l'affermage, et à titre personnel, de me préparer pour répondre à la problématique des concessions.

M. Jérôme Cahuzac : Je voudrais donner acte à M. Barbaroux du fait que Vivendi est un superbe groupe. Je le remercie de nous avoir expliqué que l'internationalisation de son métier historique, l'eau, se réalisait par le réinvestissement de bénéfices réalisés sur son marché domestique, le recours à l'actionnaire et le recours à l'emprunt.

J'en conclus que la transformation de la Générale des eaux, groupe fondé sur le service aux collectivités en un groupe de communication mondiale se fait uniquement par le recours à emprunt, ce qui signifie que vous avez des banquiers prêteurs.

Par ailleurs, que pensez-vous d'un contrat de 60 ans conclu par une commune au début des années 60 ? Et en déduisez-vous qu'un contrat d'une telle durée suppose que des investissements considérables ont été réalisés ? Je vous pose cette question car j'adhère au raisonnement qui veut qu'un contrat long ne puisse être justifié que par la réalisation d'investissements conséquents.

Je voudrais vous poser une deuxième question : nous avons demandé à votre principal concurrent ce qu'était la marge brute de sa société lorsqu'il signait un contrat et il a très clairement répondu qu'il n'envisageait pas de marge inférieure à 6 ou 7 %, la moyenne étant autour de 10 %. Pouvez-vous nous indiquer vos chiffres ?

M. Olivier Barbaroux : Je me permettrai une remarque, en matière du financement des autres activités du groupe. Elles ne sont pas uniquement dans la communication. Je rappelle que nous avons multiplié nos métiers de déchets et de transport par plus de 60 sur la période des 10 dernières années, en même temps nous multiplions l'activité de l'eau par 8.

La plupart de ces investissements n'ont pas été faits uniquement par endettement à l'origine, mais également par nos actionnaires. Le groupe s'est lancé dans les années 80 et début 90 dans d'importants investissements de développement de divers métiers. Traditionnellement, la Compagnie générale des eaux, devenue ensuite Vivendi et aujourd'hui Vivendi Universal, est une société qui a investi largement plus que ses cash-flow et qui a donc recouru à ses actionnaires et à ses banquiers.

La plupart, fort heureusement, ont été de merveilleuses réussites à partir de rien, comme CEGETEL, comme CGEA devenue Onyx et Connex ; certaines ont été plus douloureuses, comme l'immobilier, et ont apporté des recentrages importants à partir de 1995 et 1996 et ont constitué la troisième source de financement.

Les cessions de parts entières de nos activités dans les parkings, dans la santé, dans le BTP, dans la production d'électricité, ont permis de réallouer des fonds pour le développement des autres activités.

Concernant la confiance que nous font, autant les banquiers que les actionnaires, en tant que partie importante de Vivendi Environnement, je dois dire que nos actionnaires, et notamment les actionnaires français, nous ont fait largement confiance et ils en ont eu le remerciement.

Concernant la commune de Villeneuve-sur-Lot dont je connais moins bien les détails, j'ai tendance à faire une réponse plus générale. Il appartient aux élus et aux maires des collectivités locales et au maire de Villeneuve-sur-Lot d'adapter son projet lorsqu'il est lancé.

Un réseau de distribution a une durée de vie de 50 ans. Une fois que ce projet est lancé, si on le finance entièrement par amortissement sur la durée et que l'on fait un contrat de 50 ans, il est possible que plusieurs mandatures s'écoulent avant de revoir tel et tel sujet. La durée moyenne est plutôt de l'ordre de 15 à 20 ans plutôt que de 50 ans. Mais, effectivement, plusieurs mandatures gèrent ce contrat.

Les contrats sont adaptables, si nous avons renouvelé 300 contrats par an en moyenne ces dernières années, nous avons également passé un nombre d'avenants qui se situent entre 4 à 500 par an, et qui s'inscrivent dans une modification des projets, dans une modification des évolutions économiques et la plupart du temps - contrairement à ce que j'entends dire - à la demande des collectivités locales qui sont nos clients. Nous sommes toujours prêts et je suis prêt à discuter avec le maire de Villeneuve-sur-Lot sur le ce sujet particulier.

Concernant la marge brute, nous n'allons tout de même pas communiquer l'ensemble de nos chiffres à nos chers concurrents ni la nature de notre objectif sur un contrat, sachant la transparence dans laquelle nous nous situons et sachant qu'ils ont nos comptes.

Nous remettons aux collectivités locales des comptes-rendus d'activité chaque année dans un cadre légal précis. Il y a un volet financier correspondant à des comptes d'exploitation. La somme des comptes-rendus financiers est égale aux comptes de la Compagnie générale des eaux pour la partie française.

Ces comptes étant publics, il est un fait que je ne vais pas ouvrir sur les objectifs futurs de réponses au contrat. Comme M. Guirkinger s'est permis de dire jamais moins de 10...

M. Jérôme Cahuzac : Non, jamais moins de 5.

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Mes chers collègues, laissez répondre M. Barbaroux.

M. Olivier Barbaroux : Pour l'ensemble de nos projets au niveau mondial, parce que la concurrence est aujourd'hui sensiblement plus forte en France du fait de la tradition, nous réfléchissons en rentabilité sur capitaux employés, qui est en moyenne aujourd'hui de 8 % et qui varie - la France étant à risque zéro - en plus ou en moins en fonction des risques particuliers, soit technologiques que nous prenons, soit des risques pays. C'est la moyenne de nos contrats.

Nous ne pouvons pas prendre des grands contrats au démarrage, ni prendre des grands renouvellements dans une situation concurrentielle avec 8 % de rentabilité sur capitaux employés.

Tout dépend ensuite des investissements que nous faisons, nous comptons non seulement les investissements initiaux lorsqu'il y a par exemple une délégation de service public sur une station d'épuration avec exploitation après, mais aussi les investissements ultérieurs en renouvellement.

Voilà ce que je peux répondre sur le sujet. Ensuite, les marges brutes sur chiffre d'affaires sont variables en fonction de la typologie des contrats et je préfère ne pas trop répondre sur ce sujet. Je vous ai donné le résultat net que nous réalisions de façon consolidée, permettez-moi d'en rester là.

M. Michel Bouvard : Dans les documents que vous nous avez distribués, il y a un écart de 50 centimes sur le prix de l'eau indiqué entre deux feuilles et uniquement pour la France, alors que dans les autres pays les choses paraissent stables. Au 1er juillet 2000, il est indiqué 7,14 francs en France et dans ce document 7,64 francs. Il y a sans doute une explication technique.

Vous avez parlé des gains de productivité, pouvons-nous connaître, sur la période de 10 années écoulées, les gains de productivité que vous estimez avoir pu accomplir et quels sont les objectifs que vous fixez ?

S'agissant des investissements, pouvons-nous savoir quelle est la proportion des investissements pour laquelle vous devez recourir à l'emprunt extérieur à votre groupe ?

Pouvez-vous nous indiquer, à équivalent habitants constants, quelle est l'estimation de hausse du coût d'investissement des stations d'épuration tel qu'on peut la chiffrer au cours de la décennie écoulée ? C'est un élément important : on sait que l'assainissement est une part qui progresse dans le prix de l'eau payé par le consommateur et dans le prix de revient ; il serait intéressant de voir, à nombre d'habitants équivalent desservis pour une station et compte tenu de ce qu'a été l'évolution des normes, quel est le surcoût que l'on a pu enregistrer au cours des 10 dernières années et si vous avez une prospective en la matière ?

M. Olivier Barbaroux : Concernant l'écart des prix entre les deux documents, les sources sont différentes : une révision rapide nous laisse penser que les 7,64 francs correspondent davantage au prix que vous avez en tête. Mais compte tenu de cette erreur typographique, nous vous enverrons à tous un rectificatif. Les 7,14 francs concernent les gros consommateurs.

Concernant la proportion d'investissements que nous devons financer sur emprunt, ma première réponse concernant la France est la suivante : au rythme actuel, et tant que les demandes n'augmentent pas, nous finançons très largement nos investissements français sur la base de nos cash-flow français, donc nous n'avons pas besoin de faire appel aujourd'hui à de l'emprunt de façon significative, si ce n'est pour des raisons de gestion financière, pour les investissements en France.

Nous pensons que nous serons amenés à développer, notamment dans l'assainissement, mais aussi en matière de qualité de l'eau dans le Grand Ouest, des investissements importants et nous proposons une série de projets aux collectivités locales qui, s'ils sont décidés, peuvent venir demander davantage de fonds.

A l'inverse, au niveau mondial, dans l'eau, nous investissons de l'ordre de 20 à 30 % de plus que nos cash-flow eau au niveau mondial. Effectivement, avec des croissances d'activité qui ont été de l'ordre de 10 % par an, nous sommes amenés à faire évoluer notre dette à laquelle nous avons répondu ces deux dernières années par des cessions d'actif. À l'occasion des grandes acquisitions que nous en avons faites, nous avons des pans d'activité, notamment aux États-Unis, ne correspondant pas à notre corps de métier eau que nous avons été amenés à vendre.

Pour la France, la réponse est de ne pas faire appel à l'emprunt. Par contre, nous travaillons énormément auprès des industriels qui représentent une clientèle croissante, 30 % de la clientèle de Vivendi Water dans le monde.

Nous sommes le leader mondial sur la clientèle industrielle et elle nous demande des investissements relativement importants. Nous mettons en place des systèmes avec nos partenaires banquiers pour financer ces investissements et nous envisageons avec les mêmes partenaires banquiers d'en transférer une partie sur les collectivités locales, si celles-ci le demandent.

Je pense que nous ne connaissons pas la hausse précise du coût d'investissement d'une station d'épuration par équivalent habitants. Il est clair que le prix augmente car il y a de plus en plus de contraintes sur la qualité de l'eau que l'on rejette dans la nature et qui ne doit pas polluer la ressource en eau. Ceci représente des investissements de plus en plus importants.

On passe de plus en plus à des technologies pointues comme les technologies membranaires et il y a des coûts très sensiblement augmentés par équivalent habitants. Cela dépend aussi un peu du lieu des contraintes et du projet développé par les collectivités locales concernées. Toutefois, nous pouvons réaliser une statistique et vous l'envoyer.

M. Augustin Bonrepaux, co-président : Mes chers collègues, il me reste à remercier M. Barbaroux de ses réponses, j'espère que cela permettra à notre rapporteur de nous présenter un projet de rapport pour la séance du 9 mai.

A partir de là, la Commission des finances pourra se prononcer et j'espère que cela pourra aller dans le sens de ceux qui souhaitent que la qualité soit améliorée et que le prix ne soit pas aussi excessif qu'aujourd'hui.

ANNEXES

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1.- LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR VOTRE RAPPORTEUR

- M. Jean-Raphaël BERT, consultant, ancien expert à Service public 2000 ;

- M. Jean-Louis BESEME, directeur de l'agence de l'eau Loire-Bretagne ;

- M. René BOUÉ, membre du Conseil économique et social, rapporteur sur la réforme de la politique de l'eau au nom de la section du cadre de vie, et M. Francis VANDEWEEGHE, membre du Comité économique et social, rapporteur pour avis au nom de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie ;

- M. Olivier BOUYGUES, président-directeur général de la Société d'aménagement urbain et rural (SAUR), filiale du groupe Bouygues, et M. Yves GABRIEL, directeur général ;

- M. Yves BUCHSENSCHUTZ, président de la commission environnement de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA), M. Benoît MANGENOT, directeur général et Mme Marie-Sophie FAUCHER, chargée de mission environnement ;

- M. Jean-Paul DELEVOYE, président de l'Association des maires de France (AMF), M. Brice LALONDE, vice-président, en charge de la commission environnement ;

- M. Michel RASÉRA, président de la chambre régionale des comptes de Bretagne et coordinateur de l'étude actuellement en cours sur les suites données au rapport public particulier de la Cour des comptes de 1997 consacré à la gestion des services publics locaux d'eau et d'assainissement, et ses collaborateurs : M. Albert SAINT-JOURS, président de section à la chambre régionale d'Île de France, M. Jacques BASSET, président de section à la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes, Jacques MEROT, conseiller à la chambre régionale de Bretagne, Mme Chantal CHAMBELLAN LE LEVIER, conseiller à la chambre régionale d'Île de France et M. Christian BERNINGER, conseiller à la chambre régionale d'Île de France ;

- M. Pierre-Alain ROCHE, directeur de l'Agence de l'eau Seine-Normandie ;

- M. Bernard ROUSSEAU, pilote du réseau eau de l'association France-nature environnement et membre du Comité national de l'eau ;

- M. Michel RUAS, président du syndicat des exploitants indépendants des réseaux d'eau et d'assainissement, et M. Pierre ETCHART, membre du syndicat.

- M. Guy VASSEUR, président de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher, membre du Comité national de l'eau ;

- M. Jean-Claude VIAL, sous-directeur de l'aménagement et de la gestion de l'espace rural au ministère de l'Agriculture et de la Pêche.

2.- LE PRIX MOYEN DE L'EAU EN FRANCE RURALE
PAR RÉGION
(1)

Source : Enquête Eau 1998 - IFEN-SCEES - Agences de l'eau

(1) Prix moyen du mètre cube pour les communes rurales raccordées à une station d'épuration.

graphique

3.- L'APPORT DES CHAMBRES RÉGIONALES
DES COMPTES

Le déroulement de la mission d'évaluation et de contrôle a clairement mis en évidence le fait que les analyses des chambres régionales des comptes dans le contrôle des délégations de service public peuvent constituer un apport considérable pour les communes, en leur donnant des éléments essentiels pour renégocier certaines dispositions contractuelles avec les délégataires, ou pour élaborer leurs cahiers des charges et leurs contrats lors de renouvellement.

Parmi les points essentiels pour lesquels la compétence financière et juridique des juridictions financières s'avérerait particulièrement utile, peuvent être cités les suivants :

1°) Sur le contrôle des contrats en cours :

- Appréciation de la pertinence de la durée des contrats et des conditions de passation des avenants qui peuvent l'allonger considérablement, au regard des investissements effectivement supportés par le délégataire ;

- Analyse et contrôle de la précision suffisante du contrat en ce qui concerne le contenu du rapport annuel que doit fournir le délégataire ;

- Analyse de la pertinence des charges imputées aux contrats par les délégataires, de l'utilisation des provisions inscrites par ceux-ci, et évaluation du montant des produits financiers retirés du placement des disponibilités;

- Analyse de la pertinence des formules de révision des tarifs (pour l'eau) et de la rémunération (pour l'assainissement), souvent très complexes et aux incidences parfois mal mesurées initialement.

2°) Sur les renouvellements de contrats :

- Contrôle de la régularité des procédures, de la vérification du respect des règles de mise en concurrence, et des conséquences des négociations permises par la loi Sapin dans le cadre des appels d'offres pour les délégations de service public. Ces négociations aboutissant souvent à reconduire le délégataire sortant, peuvent conduire, à terme, à réduire le nombre des opérateurs susceptibles d'être candidats même si, pour la collectivité locale concernée, ces négociations peuvent permettre de réduire les prix ;

- Vérification de la réalité des personnels affectés par les délégataires à chaque contrat de délégation, notamment parce que, dans le cas de renouvellement, et en application de l'extension de la convention collective récemment opérée, le délégataire reprenant un contrat perdu par le délégataire sortant doit reprendre ces personnels, ce qui peut peser sur ses propositions de prix.

*

La portée des contrôles par les chambres est cependant limitée par leur pouvoir d'accès aux informations comptables et financières. En particulier, lorsque les délégataires n'ont pas constitué le service exploitant en société, l'accès aux informations relatives aux charges indirectes, à la trésorerie et aux produits financiers qu'elle génère, ainsi qu'à l'analyse du besoin en fonds de roulement peut s'avérer, en droit, voire en pratique, impossible. Il conviendrait donc d'améliorer le droit de communication des CRC sur ces différents points.

Plus généralement, les chambres régionales peuvent apporter aux communes les conseils de gestion qui leur font actuellement défaut. A cet égard, on ne peut que regretter le nombre insuffisant de saisine des CRC par les préfets. Ces saisines, par exemple au moment du renouvellement d'un contrat, permettraient d'éviter que les CRC n'interviennent qu'a posteriori, ce qui est particulièrement dommageable s'agissant de contrats d'une durée très longue, qu'il est au demeurant souvent difficile de renégocier.

4.- AVIS DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
N° 00-A-12 DU 31 MAI 2000
SUR LE PRIX DE L'EAU EN FRANCE

Le Conseil de la concurrence (formation plénière),

Vu la lettre enregistrée le 16 décembre 1999, sous le numéro A 286, par laquelle la Commission des finances, de l'économie et du plan de l'Assemblée nationale a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 5 de l'ordonnance n° 861243 du 1er décembre 1986, d'une demande d'avis sur le prix de l'eau en France ;

Vu l'ordonnance n° 861243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence, notamment son article 5, et le décret n° 861309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ;

Le rapporteur, le rapporteur général et le commissaire du Gouvernement entendus ;

Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :

Par lettre en date du 16 décembre 1999, la Commission des finances, de l'économie et du plan de l'Assemblée nationale a invité le Conseil de la concurrence à " réaliser une étude relative au prix de l'eau en France " et a précisé qu'elle souhaitait que " le Conseil se penche sur la formation des prix de l'eau, sur les écarts constatés entre les communes et, d'une manière plus générale, sur la structure (du marché de l'eau)".

Il ressort par ailleurs d'échanges informels avec les services de ladite Commission que cette dernière souhaite que l'avis soit limité au secteur de la distribution de l'eau, à l'exclusion de celui de l'assainissement (c'est-à-dire la collecte, le transport et l'épuration des eaux usées) et que le Conseil de la concurrence s'attache plus particulièrement à l'application des règles de concurrence aux comportements susceptibles d'être constatés sur le marché de l'eau.

L'étude du secteur de l'eau a permis de mettre en évidence que le prix de l'eau a augmenté à un rythme sensiblement plus rapide que l'indice INSEE du coût de la vie. Ce phénomène, en partie dû à la faiblesse de la concurrence, appelle un certain nombre de solutions.

Le présent avis porte, dès lors, sur les points suivants : structure et niveau des prix (section I), structure du marché (section II), solutions (section III) et synthèse (section IV).

Il convient au préalable de préciser que :

1) Conformément au souhait de la Commission des finances, de l'économie et du plan de l'Assemblée nationale, la plupart des informations chiffrées contenues dans le présent avis ne concernent que la production et la distribution de l'eau à l'exclusion de l'assainissement.

Cette approche permet de mieux mettre en évidence l'importance de la hausse des prix de la distribution de l'eau : entre 1992 et 1998, l'abonnement et la consommation d'eau ont augmenté respectivement de 60 et 18 %, soit une hausse moyenne pondérée de 24 %, alors que l'indice général des prix n'a augmenté que de 9,6 %. Or la présentation conjointe de la distribution et de l'assainissement a souvent permis de justifier la facture d'eau par l'augmentation des prix de l'assainissement, présenté comme une dépense en forte progression.

Cependant, l'individualisation des prix de l'eau n'a pas toujours été possible. Tel est le cas notamment des écarts de prix selon les modes de gestion. Par ailleurs, même si la plus grande partie de l'avis concerne l'eau potable, les constatations relatives à la structure du marché et aux prix sont souvent comparables à celles du marché de l'assainissement. Enfin, les développements relatifs au droit de la concurrence sont largement transposables à l'assainissement. Certaines différences importantes séparent cependant les secteurs de l'eau potable et de l'assainissement : ainsi, si le prix de l'eau (postes "abonnement" et "consommation" de la facture d'eau) a augmenté de 24 % entre 1992 et 1998, la hausse du poste "collecte et traitement des eaux usées" a été sensiblement plus élevée (49 %) pour la même période.

2) Il n'appartient pas au Conseil de la concurrence, saisi d'une demande d'avis sur le fondement de l'article 5 de l'ordonnance précitée, de qualifier les pratiques de tel ou tel opérateur, au regard des dispositions des articles 7 ou 8 de ladite ordonnance. Seules une saisine contentieuse et la mise en _uvre de la procédure pleinement contradictoire prévue par le titre III de l'ordonnance sont de nature à conduire à une appréciation de la licéité de la pratique ou des pratiques considérées au regard des dispositions prohibant les ententes illicites ou les abus de position dominante ou de dépendance économique.

SECTION I : STRUCTURE ET NIVEAU DES PRIX

D'une manière générale, l'étude du niveau et de l'évolution des prix sur un marché peut déboucher sur la découverte d'indices de pratiques anticoncurrentielles. Par exemple, un marché géographique donné peut connaître des prix plus élevés qu'un autre parce que l'offre y est plus concentrée ; ou encore, une brusque élévation des prix pratiqués par l'ensemble des opérateurs peut s'expliquer par une entente entre ces derniers. Il ne suffit évidemment pas de constater une anomalie dans le régime des prix pour en déduire que le marché ne fonctionne pas de façon concurrentielle, mais il s'agit d'une première démarche utile. En ce qui concerne le secteur de l'eau, elle se heurte cependant à des difficultés particulières. Les chiffres disponibles permettent de mesurer le prix payé pour l'usage final. L'on verra que ce prix intègre des charges diverses qu'il faut écarter pour aboutir au prix économiquement facturé par les offreurs. Surtout, ces derniers ne fixent pas réellement les prix facturés à l'usager : les prix initiaux, ainsi que leur évolution, sont déterminés par les clauses du contrat de délégation. La collectivité déléguante joue donc, elle aussi, un rôle dans la fixation du prix. Ainsi, les évolutions de prix constatées dépendent de formules de variations dont les caractéristiques peuvent tenir à des considérations totalement étrangères à la concurrence, par exemple au fait que, bien qu'il ne présente plus un caractère obligatoire, le cahier des charges type qui avait été approuvé par le décret du 17 mars 1980 est encore fréquemment employé. Par ailleurs, les statistiques disponibles agrègent des prix pratiqués dans le cadre de conventions signées à des dates très diverses : il n'est pas possible, dans ces conditions, de rapprocher mécaniquement le niveau et l'évolution des prix, d'une part, des conditions de fonctionnement de marché à un instant donné, d'autre part.

Il n'en demeure pas moins qu'au moment où la collectivité déléguante choisit la délégataire et discute avec elle du niveau et des conditions d'évolution des tarifs, et alors qu'on peut la supposer animée du désir de voir les usagers payer l'eau au prix le plus bas possible, le fait, pour cette collectivité, de faire face ou non à un marché fonctionnant de façon concurrentielle est déterminant. Il est donc possible, mais avec toute la prudence qu'imposent les considérations qui précèdent, de tirer du niveau et de l'évolution des prix des indices relatifs au fonctionnement du marché.

A. Formation des prix

La DGCCRF réalise chaque année, depuis 1992, une enquête d'observation des prix facturés aux ménages. Une facture type a été établie sur la base d'une consommation annuelle de 120 mètres cubes. L'échantillon utilisé couvre l'ensemble des départements du territoire métropolitain (chaque département est représenté par un nombre de communes compris entre cinq et dix) et représente plus de 23 millions d'habitants.

Les 738 communes de l'échantillon se répartissent comme suit :

Composition de l'échantillon de la DGCCRF

Tableau n° 1

Nombre de communes de plus de 100 000 habitants

34

Nombre de communes comprises entre 50 000 et 100 000 habitants

60

Nombre de communes comprises entre 10 000 et 50 000 habitants

386

Nombre de communes comprises entre 5 000 et 10 000 habitants

168

Nombre de communes de moins de 5 000 habitants

90

Nombre total de communes

738

(source : DGCCRF)

Les données statistiques figurant dans les tableaux ci-après sont essentiellement le résultat de l'enquête réalisée en 1998.

1. Les différentes composantes de la facture d'eau

Répartition des postes de la facture "distribution de l'eau"

Tableau n°2

 

Montant en francs
d'une facture annuelle d'eau de 120 m3 (1998)

%

Consommation

686

54 %

Abonnement " eau "

165

13 %

Redevance préservation des ressources

34

3 %

Redevance pollution

304

24 %

FNDAE + VNF + TVA

84

6 %

TOTAL EAU TTC

1 273

100 %

La facture de l'eau comprend deux parties : une partie liée à la distribution de l'eau, qui comprend ellemême l'abonnement et la consommation, et une partie comprenant les redevances et les taxes. Ces éléments représentent respectivement 54 % (consommation), 13 % (abonnement), 3 % (redevance préservation des ressources), 24 % (redevance pollution) et 6 % (taxes) de la facture d'eau.

a) La distribution d'eau

Le poste "distribution" de la facture d'eau a augmenté de 24 % entre 1992 et 1998, soit plus du double de l'augmentation de l'indice INSEE du coût de la vie. Cette hausse est, certes, en partie imputable à la réglementation relative à la qualité de l'eau (cependant, il n'a pas été possible de mesurer l'impact de la réglementation sur la pureté de l'eau dans le prix payé par l'usager). Mais il convient aussi de relever que les entreprises gestionnaires des réseaux ont enregistré une hausse importante de leurs marges. Sans qu'il soit encore possible, à ce stade, d'en tirer des conclusions définitives, il faut observer que chaque fois que des facteurs de concurrence se manifestent (intervention d'une petite entreprise, consultation anticipée, etc.) on assiste à une réduction sensible de la rémunération du délégataire.

Le prix pratiqué par les entreprises délégataires résulte d'une négociation qui s'appuie sur un compte d'exploitation prévisionnel. Le prix finalement obtenu évolue selon une formule d'actualisation prévue au contrat. Le prix et la formule de variation peuvent être révisés, en général tous les cinq ans, pour tenir compte des éventuelles évolutions techniques, financières et administratives survenues depuis la conclusion du contrat ou de la dernière révision.

Pour les services gérés en régie, il appartient aux collectivités de voter, chaque année, un tarif garantissant l'équilibre du service. Celui-ci doit, par ailleurs, faire l'objet d'une comptabilité distincte de celle de la collectivité de rattachement. Enfin, sous réserve de quelques assouplissements, le financement du service doit être assuré par l'usager (1), ce qui exclut notamment le recours à des subventions d'exploitation.

Conformément à la loi du 3 janvier 1992, la tarification comprend une partie proportionnelle et, le cas échéant, une partie fixe.

· La consommation

Le poste " consommation " de la facture d'eau a augmenté de 18 % entre 1992 et 1998 (cf. tableau n° 3).

· L'abonnement

Le poste "abonnement" de la facture d'eau a augmenté de 60 % entre 1992 et 1998 (cf. tableau n° 3). Cette augmentation s'explique, en partie, par le remplacement prévu par la loi du 3 janvier 1992, à compter de 1994, de la facture forfaitaire par une facture comprenant une partie fixe, l'abonnement, et une partie liée à la consommation. On notera notamment qu'en 1994, le poste "abonnement" a augmenté en moyenne de 13 % par rapport à l'année précédente.

Le montant de la partie fixe est très variable d'une collectivité à l'autre : de zéro, dans quelques cas (l'abonnement ne s'impose pas si les consommations sont stables d'une année sur l'autre et si les abonnés consommant peu d'eau ex. : résidences secondaires, zones touristiques sont en nombre restreint) à plus de 2000 F. Cette tarification " binôme " ne fait pas l'unanimité. On a notamment soutenu qu'elle favorisait le gaspillage de l'eau ; on a même parfois suggéré de supprimer la partie fixe du prix. Les partisans de la tarification binôme font pour leur part valoir que la suppression de la part fixe se traduirait notamment par une augmentation de la partie variable de la facture, ce qui pourrait alourdir sensiblement la facture des consommateurs moyens, des familles nombreuses et des résidents permanents dans les localités comportant une proportion importante de résidences secondaires. Une étude réalisée par le Syndicat départemental d'alimentation en eau potable de la Vendée montre ainsi que, dans les conditions de fonctionnement de ce syndicat, la suppression de la partie fixe produirait les effets suivants si le revenu d'exploitation était maintenu : elle bénéficierait aux consommateurs utilisant de faibles volumes d'eau (30 m3 par an ou moins), mais alourdirait sensiblement les factures des consommateurs moyens utilisant 120 m3 par an (consommation moyenne d'un ménage de quatre personnes selon l'INSEE).

Il convient par ailleurs de relever que l'abonnement permet de garantir une certaine stabilité des recettes, surtout dans les zones (notamment touristiques) dont la consommation d'eau varie fortement en fonction des aléas climatiques.

b) Redevances et taxes

La facture d'eau comprend également une composante fiscale et parafiscale qui, en 1998, a représenté 33 % de cette facture et qui a doublé entre 1992 et 1998. Cette composante fiscale comprend ellemême des redevances et des taxes.

· Les redevances

Deux redevances, dont le produit est versé au budget des agences de bassins, apparaissent sur la facture du consommateur d'eau :

· la redevance "préservation des ressources" est calculée selon un système particulièrement complexe et peu homogène d'une agence à l'autre. Elle a augmenté en moyenne de 89 % entre 1992 et 1998 (cf. tableau n° 3) ;

· la redevance pour détérioration de la qualité de l'eau (redevance "pollution"), assise sur la pollution émise par le payeur, diffère dans son montant selon qu'elle s'applique aux collectivités locales, aux industriels ou aux agriculteurs. Le montant de la redevance due par les ménages est obtenu en divisant le montant de la redevance payable par la collectivité locale par le nombre prévu de mètres cubes consommés annuellement par la collectivité. Elle a augmenté en moyenne de 127 % entre 1992 et 1998 (cf. tableau n° 3).

· Les taxes

Les taxes sont fixées au niveau national (Fonds national d'adduction d'eau, voies navigables de France et TVA au taux de 5,5 %). Elles ont augmenté en moyenne de 53 % entre 1992 et 1998 (cf. tableau n° 3).

B. Écarts des prix

Contrairement à certains services publics nationaux, tel que l'acheminement du courrier, dont la tarification s'applique sur l'ensemble du territoire national, le secteur de l'eau, caractérisé par une gestion locale, ne connaît pas de péréquation tarifaire nationale. Les prix de l'eau peuvent ainsi varier selon les bassins, la taille des communes ou encore les modes de gestion ; l'instruction a également montré de fortes disparités entre les différentes catégories d'usagers. Enfin, une étude de l'OCDE fait apparaître que le prix de l'eau en France est parmi les plus élevés dans le monde développé.

1. Écarts des prix selon les bassins

La politique de l'eau repose sur une structure interrégionale comprenant six bassins créés par la loi du 16 décembre 1964 : Artois Picardie, Seine Normandie, Rhin Meuse, Loire Bretagne, Rhône Méditerranée Corse et Adour Garonne. Des écarts de prix importants ont pu être constatés entre eux. Ainsi, en 1998, une différence de 18 % séparait le bassin dont les prix étaient les plus élevés (Rhône Méditerranée Corse) et celui dont les prix étaient les plus bas (Artois Picardie). Cet écart est en voie de diminution puisqu'il était de 27 % en 1992.

2. Écarts des prix selon la taille des communes

La taille des communes a une incidence réduite sur le montant des factures d'eau (cf. tableau n° 5). Ainsi, seule une différence de 8 % sépare la catégorie des communes de moins de 5 000 habitants (dont les prix sont les plus faibles) de la catégorie des villes comprenant entre 50 000 et 100 000 habitants (dont les prix sont les plus élevés). Cet écart pourrait s'expliquer, en partie tout au moins, par l'existence de ressources plus abondantes et moins polluées dans les zones rurales (2). Une autre explication réside dans le recours au bénévolat dans les petites communes : "De nombreuses communes rurales isolées gèrent directement la distribution d'eau potable à un tarif généralement faible grâce au bénévolat largement répandu et à une main d'_uvre locale peu coûteuse et sans frais de déplacement" (3).

3. Écarts des prix selon le mode de gestion (4)

Pour assurer le service de l'eau, la commune, qui en a la responsabilité, peut agir seule ou dans le cadre de regroupements (syndicats à vocation unique ou multiple, syndicats mixtes, districts, communautés urbaines, etc.). Les communes ou leurs regroupements peuvent, par ailleurs, gérer le service directement ou bien le déléguer dans le cadre de contrats de concession, où l'entreprise privée exécute à ses frais les travaux d'infrastructure du réseau et exploite celuici à ses risques et périls, d'affermage, où l'entreprise gère à ses risques et périls une installation réalisée et financée par la commune, de gérance, où la commune conserve l'essentiel de la responsabilité du service, dont la gestion est assurée par une entreprise privée forfaitairement rémunérée, ou encore de régie intéressée, où l'entreprise privée, simple agent de la collectivité, perçoit une rémunération qui comprend une prime fixe et une prime de productivité.

Les écarts de prix entre les régies et les services délégués étaient, en 1998, de l'ordre de 13 %. Ils sont en nette diminution par rapport à 1992 : 22 %.

Les écarts de prix liés au mode de gestion sont parfois expliqués par les charges (taxe professionnelle et redevance pour occupation du domaine public, par exemple) que les entreprises privées sont seules à supporter. En revanche, et comme l'a souligné la FNCCR, il n'est pas exact d'invoquer la réalisation d'investissements pour justifier le surcoût des services délégués : "Compte tenu des conditions économiques actuelles, la concession a pratiquement disparu parmi les contrats de délégation récents. Aujourd'hui, la nécessité de construire des ouvrages n'a plus d'incidence sur le choix du mode de gestion, puisque le financement est presque toujours assuré par la collectivité avec des aides publiques (agence de l'eau, conseil général, FNDAE)" (5).

4. Écarts selon les usagers

Conformément au principe de l'égalité des usagers devant les services publics, les prix sont, en principe, fixés en fonction des quantités consommées (ils peuvent être progressifs ou dégressifs, selon la politique adoptée par la collectivité) et non par type d'usagers. De fortes disparités peuvent cependant exister entre les différentes catégories d'usagers. Ainsi, une partie de l'eau consommée par les agriculteurs est gratuite : " Le niveau des prélèvements réalisés par le secteur agricole reste aujourd'hui pour une large part inconnu. De nombreux forages ne sont pas répertoriés et, même répertoriés, nombre d'entre eux ne sont pas équipés de compteurs d'eau. Dans ces cas, la ressource est entièrement gratuite et sa consommation ne fait l'objet d'aucune contrainte " (6).

5. Écarts selon les pays

Une étude réalisée par l'OCDE montre que le prix du m3 d'eau en France (distribution de l'eau et assainissement) se situe, avec 3,11 dollars, au troisième rang, avec l'Angleterre, après le Danemark (3,18 dollars) et les PaysBas (3,16 dollars) (7).

Il ressort de ce qui précède que la facture d'eau varie selon les bassins, la taille des communes, le mode de gestion et même selon les différentes catégories d'usagers. On s'accorde en général, à admettre qu'une péréquation nationale, pour chacune des lignes de la facture, ne serait pas souhaitable. Au contraire, il existe un attachement fort à la prise en compte des conditions locales de production et à la différenciation géographique. Au demeurant, comme le souligne le rapport du Commissariat général au Plan de septembre 1997, il existe déjà une certaine péréquation à l'échelle du bassin : " à l'intérieur de chaque bassin, sous couvert de solidarité, se sont effectivement développées deux formes de transferts à travers les seules redevances : un transfert des collectivités et des industriels vers les agriculteurs ; un transfert de l'urbain vers le rural ".

C. Évolution des prix

L'évolution des différentes composantes du prix de l'eau a déjà été examinée, il n'est pas nécessaire d'y revenir, sauf à rappeler qu'entre 1992 et 1998, le poste "distribution" de la facture d'eau a augmenté de 24 % alors que l'indice du coût de la vie n'a augmenté que de 9,6 %. Il reste en revanche à examiner l'évolution générale ainsi que l'évolution par bassin, selon la taille des communes et selon le mode de gestion.

1. Évolution générale

Le prix de l'eau (abonnement + consommation + redevances + taxes) a augmenté à un rythme plus rapide que l'indice général des prix. L'enquête de la DGCCRF montre même qu'entre 1992 et 1998, il a augmenté quatre fois plus vite (42,7 % contre 9,6 %).

Évolution générale du prix de l'eau

Tableau n° 3

 

Montant en francs d'une facture annuelle d'eau de 120 m3

 

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Abonnement " eau "

103

110

125

132

151

162

165

Evolution cumulée

 

6,8 %

21,4 %

28,2 %

46,7 %

57,2 %

60,2 %

Consommation

582

621

640

661

671

680

686

Evolution cumulée

 

6,7 %

10 %

13,6 %

15,2 %

16,9 %

17,9 %

Redevance préservation des ressources

18

20

26

31

32

33

34

Evolution cumulée

 

11,1 %

44,5 %

72,2 %

77,8 %

83,3 %

88,9 %

Redevance pollution

134

165

220

253

284

291

304

Evolution cumulée

 

23,1 %

64,2 %

88,9 %

111,9 %

117,2 %

126,9 %

FNDAE + VNF + TVA

55

64

72

75

82

85

84

Evolution cumulée

 

16,4 %

30,9 %

36,4 %

49,1 %

54,6 %

52,7 %

TOTAL EAU TTC

892

980

1 083

1 152

1 220

1 251

1 273

Evolution cumulée

 

10,9 %

21,4 %

29,1 %

36,8 %

40,2 %

42,7 %

Evolution cumulée de l'indice général des prix

 

2 %

3,8 %

5,3 %

7,7 %

8,8 %

9,6 %

(source : DGCCRF)

Outre le caractère peu concurrentiel du marché, les phénomènes de pollution et les besoins croissants de traitement qui en résultent (élimination des nitrates, des pesticides, etc.) et, comme le souligne la Cour des comptes (8), l'opacité tarifaire (manque de clarté des contrats, manque d'information de la collectivité ou des usagers, insuffisance des contrôles) sont invoqués pour expliquer ces chiffres.

2. Évolution des prix par bassin

Des écarts importants séparent les taux d'augmentation des factures enregistrés dans les différents bassins entre 1992 et 1998. L'écart le plus important sépare les bassins RhinMeuse et ArtoisPicardie, avec des taux d'augmentation respectifs de 38 et 19 %.

Évolution des prix de l'eau par bassin

Tableau n° 4

 

Montant TTC en francs d'une facture annuelle d'eau
de 120 m3

(9)

 

1992

1998

% d'évolution

Artois-Picardie

742

881

19 %

Seine-Normandie

764

949

24 %

Rhin-Meuse

660

908

38 %

Loire-Bretagne

751

962

28 %

Rhône-Méditerranée-Corse

836

1038

24 %

Adour-Garonne

764

944

24 %

(source : DGCCRF)

3. Évolution des prix selon la taille des communes

Les prix de la ville de Paris ont subi une très forte augmentation entre 1992 et 1998 (47 %), mais restent largement inférieurs à la moyenne nationale (916 F contre 969 F (10) ).

Par ailleurs, la fourchette des taux d'augmentation des prix selon la taille des communes est relativement réduite : l'écart maximum concerne les communes de moins de 5 000 habitants et celles comprenant entre 50 000 et 100 000 habitants, dont les taux d'augmentation respectifs, entre 1992 et 1998, sont de 32 et 21 %.

Évolution des prix de l'eau selon la taille des communes

Tableau n° 5

 

Montant TTC en francs d'une facture annuelle d'eau de 120 m3

Taille des communes

1992

1998

%
d'évolution

Paris (hors location du compteur)

Plus de 100 000 habitants

Entre 50 000 et 100 000 habitants

Entre 10 000 et 50 000 habitants

Entre 5 000 et 10 000 habitants

Moins de 5 000 habitants

553

803

846

778

748

717

812

993

1 027

989

955

948

47 %

24 %

21 %

27 %

28 %

32 %

(source : DGCCRF)

4. Évolution des prix selon le mode de gestion (11)

L'ancienne Commission de la concurrence avait attribué aux formules d'actualisation la responsabilité des distorsions, dans l'évolution des prix de l'eau, entre la gestion directe et la gestion déléguée, cette dernière enregistrant à l'époque des hausses de prix plus importantes. Ce constat l'avait conduite à émettre l'avis que les paramètres représentatifs des charges des entreprises dans les formules d'actualisation du prix de base assurent à celuici une évolution trop rapide au regard de l'évolution réelle des coûts correspondants. Le Conseil ne peut que regretter que cet avis n'ait pas toujours été suivi d'effet. La Cour des comptes a, notamment, relevé plusieurs exemples de formules paramétriques permettant aux délégataires d'obtenir une augmentation injustifiée de leurs marges. L'exemple de Lorient est très clair à cet égard : les salaires sont pris en compte pour 45 % alors qu'ils ne représentent que 31 % des charges (12).

Cependant, entre 1992 et 1998, ce sont désormais les prix des services en régie qui ont augmenté le plus (52 %), alors que ceux des services délégués n'ont augmenté que de 41 %. Trois facteurs sont avancés pour expliquer la hausse moins rapide des prix en délégation : l'interdiction de faire subventionner le service d'eau par le budget général, l'ouverture des mises en délégation à la concurrence du fait de la loi Sapin et, enfin, des renégociations de prix avant l'échéance. Il reste que la hausse des prix en délégation a été elle-même, entre 1992 et 1998, beaucoup plus rapide que le coût de la vie.

L'une des causes des constatations faites ci-dessus pourrait être un fonctionnement insuffisamment concurrentiel du ou des marchés. Il convient donc d'examiner la structure du marché et le comportement des opérateurs sur celui-ci.

SECTION II : STRUCTURE DU MARCHÉ

Le marché examiné ci-après est celui des services d'approvisionnement et de distribution d'eau. Sur ces marchés, les collectivités publiques sont en situation de demandeur : elles recherchent un prestataire de services qui livrera l'eau jusqu'aux consommateurs finaux. Le marché est partagé pour l'essentiel entre trois groupes :

· Vivendi (ex Compagnie générale des eaux) : 51 % + 5 % (part de l'entreprise dans les filiales communes) = 56 %.

· SuezLyonnaise des eaux (ci-après Lyonnaise des eaux) : 24 % + 5 % (part de l'entreprise dans les filiales communes) = 29 %.

· SAUR (groupe Bouygues) : 13 %.

Une dizaine d'entreprises, représentant globalement une part de 2 %, sont également présentes sur le marché.

Une telle structure est typique d'un marché très concentré. L'indice de Hirschman Herfindahl, dont la valeur est égale à la somme des carrés des parts de marché, est égal à 4250 ; or il est admis qu'au delà de 2000, l'indice exprime une présomption de structure particulièrement concentrée qui doit conduire les autorités de la concurrence à une vigilance particulière.

De plus, dès lors que la SAUR semble concentrer ses efforts sur les communes de moins de 100 000 habitants (il existe de rares exceptions à ce constat), seuls Vivendi et Lyonnaise des eaux sont susceptibles de répondre aux appels d'offres pour les grandes villes : la concentration de l'offre est donc considérable pour ces dernières.

Cette structure peu concurrentielle est le résultat d'opérations de concentration successives ; elle est aggravée par la création de filiales communes dans certaines zones géographiques et par la faiblesse de la concurrence à l'échéance des conventions.

A. Opérations de concentration

Alors qu'il y a une cinquantaine d'années, le marché de la délégation du service de la distribution de l'eau était partagé entre plusieurs dizaines d'entreprises de taille moyenne, il ne reste plus aujourd'hui que quelques entreprises.

Cette situation est le résultat d'opérations de concentration dont on se bornera à mentionner les dernières.

1. Acquisition de la SDEI par la Lyonnaise des eaux (1991)

Cette opération a été notifiée au ministre chargé de l'économie le 22 janvier 1991. Le Conseil de la concurrence, saisi pour avis par le ministre de l'économie, avait relevé qu'en admettant que l'opération accroisse la tendance à la formation d'un duopole sur le marché national de l'eau distribuée sous le régime de la gestion déléguée entre la Lyonnaise des eaux et la CGE, cette éventualité ne suffisait pas en elle-même à établir que la concurrence se trouverait affectée sur le plan national dans des conditions telles qu'elles justifieraient une opposition à l'ensemble de la concentration.

Il a cependant estimé qu'en raison du poids des situations acquises, dû notamment à la durée des contrats et à l'attrait que présentent pour les collectivités publiques des prestations directement ou indirectement liées à la distribution de l'eau, l'entreprise titulaire d'affermages ou de concessions dans une zone déterminée bénéficie d'un avantage certain par rapport à d'autres offreurs. Cette situation se traduisait, selon le Conseil, par de considérables disparités dans les positions respectives des offreurs de gestion déléguée suivant les zones géographiques examinées. Il a, dès lors, estimé que l'appréciation des effets de l'opération sur la concurrence, à laquelle il devait procéder en application du titre V (relatif à la concentration économique) de l'ordonnance de 1986 ne pouvait, dans les circonstances propres à l'espèce, être utilement faite qu'en tenant compte des conditions locales.

Approuvant cette analyse, le ministre a autorisé l'opération notifiée, mais à la condition que le nouveau groupe limite à 50 % sa part de marché dans cinq départements (Ain, Côte d'Or, Dordogne, Jura et Gironde) en procédant aux rétrocessions nécessaires (13).

2. Acquisition de la CISE par la SAUR (1997)

Cette opération a été notifiée au ministre chargé de l'économie, le 30 janvier 1997. Après avoir observé que les parts cumulées de la SAUR et de la CISE atteignaient 14 % sur le marché de l'eau et de l'assainissement et que l'opération faisait disparaître un opérateur sur un marché déjà très concentré, le ministre délégué aux finances et au commerce extérieur a néanmoins relevé que la part de marché de la nouvelle entité était très nettement inférieure à celles détenues par ses concurrents la Lyonnaise des eaux et la CGE. S'agissant des marchés locaux, le ministre avait noté un renforcement de la position de la nouvelle entité dans un nombre limité de départements, mais, du fait de la configuration du marché national, il a estimé que ces nouvelles positions n'étaient pas de nature à porter en elles-mêmes significativement atteinte au fonctionnement de ces marchés. En outre, précisait le ministre, les deux parties à l'opération étaient beaucoup moins présentes dans l'ensemble des départements limitrophes. Il n'a donc pas saisi le Conseil de la concurrence de l'opération (14).

B. Création de filiales communes

Les groupes Vivendi et Lyonnaise des Eaux ont créé des entreprises communes pour assurer la distribution de l'eau dans certaines zones géographiques. Il s'agit de douze filiales ou sous-filiales, créées de longue date (sauf la Sté des eaux de Sénart et la Sté stéphanoise des eaux, créées respectivement en 1991 et 1992), qui, en général, approvisionnent des zones géographiques importantes :

· Société nancéienne des eaux

· Société des eaux d'Arles

· Société des eaux de Douai

· Société des eaux de Marseille

· Société des eaux de Versailles et de Saint-Cloud-Sevesc

· Société des eaux du Nord

· Société guyanaise des eaux

· Société provençale des eaux

· Société ciotadenne des eaux

· Société martiniquaise des eaux

· Société des eaux de Sénart

· Société stéphanoise des eaux

A ces entreprises communes s'en ajoutent deux autres créées par la SAUR et la Lyonnaise des eaux :

· Compagnie bourdonnaise de services et d'environnement

· Société des eaux du district urbain de Dinan Sedud

L'ancienne Commission de la concurrence avait relevé que l'existence de ces entreprises communes avait conduit à multiplier les occasions de coordination et de concertation pour les dirigeants des deux groupes concernés (15).

C. concurrence à l'échéance des conventions

1. Faiblesse de la concurrence

Dans le domaine de l'eau potable, les articles L 14111 et suivants du code général des collectivités territoriales, résultant des lois du 29 janvier 1993 (loi Sapin), et du 8 février 1995 (loi Barnier), limitent à vingt ans la durée des délégations de service public et imposent une mise en concurrence, notamment à l'échéance des contrats. Cependant, les opérateurs ont, avant l'entrée en vigueur de la loi Sapin, renégocié, avant leur échéance normale, un grand nombre de contrats, notamment ceux de collectivités importantes ; ils sont ainsi parvenus à retarder, jusqu'à environ 2005, une véritable ouverture à la concurrence pour les collectivités importantes.

Par ailleurs, le taux de changement des délégataires est particulièrement faible : " 5 % de non reconduction du délégataire antérieur, soit, au rythme actuel des consultations, environ trois contrats sur mille (...) changeraient chaque année de titulaire " (16). Une interprétation possible de cette situation pourrait être que les entreprises titulaires des délégations s'accordent, au moins implicitement, à ne pas faire jouer la concurrence lors des renouvellements des conventions. A ce jour, aucune condamnation n'a été prononcée de ce chef, mais cette hypothèse n'est pas, pour autant, à exclure.

Par ailleurs, le comportement des collectivités déléguantes contribue à cette situation : " quel que soit le nombre de candidatures manifestées ou étudiées, l'attribution revient presqu'inéluctablement au titulaire précédent. Celui-ci paraît disposer partout d'un net avantage comparatif, renforcé par une tendance à peine camouflée des collectivités à vouloir continuer à travailler avec le même prestataire s'il a donné satisfaction (...). La loi Sapin a provoqué une pression concurrentielle et une plus grande transparence, sans avoir changé le résultat final des consultations, à savoir la reconduction des sortants (...). Les collectivités (...) ont tendance à écarter hâtivement pour références insuffisantes des sociétés qui se présentent aux consultations " (17).

Le délégataire en place est, dès lors, souvent seul à présenter une offre (18). Enfin, même lorsque les deux plus grands groupes sont en concurrence lors du renouvellement d'une délégation, ce facteur ne suffit pas, en général, à lui seul à réduire sensiblement les prix (contrairement à ce qui a pu être observé lorsqu'une autre entreprise SAUR ou petite entreprise est également appelée à faire une offre).

Il en résulte en quelque sorte une situation de monopole de fait : " on est ainsi fondé à s'interroger sur le fonctionnement concurrentiel du secteur, voire à se demander si l'on n'est pas en présence d'un monopole de fait, en raison de l'adoption d'un " code de bonne conduite " implicite " (19).

Une amélioration, cependant, mérite d'être relevée : même si des statistiques fiables n'ont pu être recueillies sur cette question, il est probable que le taux de changement de délégataire à l'échéance des conventions est aujourd'hui supérieur à 5 % (toutefois, ces remplacements ne concernent que des collectivités petites ou moyennes).

2. Existence de facteurs de concurrence dont la portée est très réduite

Des facteurs de concurrence existent, mais leur portée est très réduite.

a) Retour à la régie

Les collectivités peuvent opérer un retour à la régie. Un tel retour suppose, néanmoins, des investissements en matériels (ex. : rachat des compteurs) et est freiné par une perte de savoirf aire dont l'ampleur peut produire, sur les collectivités, un effet dissuasif. Plusieurs retours en régie ont cependant été observés au cours des dernières années (ex : Grenoble, Alès et Pertuis).

b) Consultation anticipée

Une consultation anticipée peut être envisagée. L'expérience montre qu'elle peut être source de profits importants pour les abonnés car elle peut inciter le titulaire à réduire sensiblement ses prix. Cette procédure consiste, pour la collectivité qui estime que les prix convenus avec le délégataire revêtent un caractère anormalement élevé, à lancer une consultation bien avant le début du déroulement normal de la procédure de mise en concurrence. L'objectif est de parvenir à une vérité des prix et, le cas échéant, de négocier une baisse de ces prix, qui interviendrait à l'échéance de la convention en cours, voire avant même ce terme. Le district de la Côte Vermeille a recouru à cette procédure après qu'un expert désigné par lui a estimé que le montant de la rémunération perçue par le délégataire était deux fois plus important que le montant jugé normal. Alors que la convention expirait le 31 décembre 1999, le district a lancé une consultation anticipée au début de l'année 1997. Cette consultation a conduit le délégataire à accepter que sa rémunération (produits d'exploitation) diminue d'environ un tiers à compter de l'entrée en vigueur de la nouvelle convention, c'estàdire au 1er janvier 2000. Après une nouvelle négociation, le délégataire a même accepté une application anticipée de cette réduction dès le premier semestre 1998 (la réduction de la rémunération entre le premier semestre 1998 et la fin 1999 était cependant moins importante). Il importe de préciser que ce résultat, particulièrement avantageux pour les abonnés, s'explique en partie par le fait que le délégataire a étendu la mise en concurrence à de petites entreprises, telles que la SOGEDO et RUAS, dont les propositions étaient particulièrement attractives.

Même si cet exemple n'est pas isolé, le nombre de consultations anticipées est fort réduit. Il faut d'ailleurs souligner que la formule ne peut se développer que pour autant que les concurrents ont le sentiment d'avoir des chances réelles d'obtenir la délégation lors de son renouvellement.

c) Influence des petites entreprises

L'expérience montre que l'intervention d'une petite entreprise lors de la mise en concurrence peut être un facteur important de réduction de prix. L'exemple de l'approvisionnement en eau du Syndicat des eaux du centre est du Jura permet d'illustrer le propos (20) : en 1999, ce Syndicat a lancé un appel à concurrence pour la production de l'eau. Seuls deux grands groupes ont répondu. Sur les conseils de la DDCCRF et de la DDA, qui estimaient que les prix proposés étaient trop élevés, un deuxième appel à concurrence a été lancé. Cette fois, la SOGEDO a été admise à faire une offre (fort intéressante selon le Syndicat), ce qui a conduit l'ancien délégataire à réduire son prix de 45 % par rapport à sa première offre.

Cependant, la plupart des petites entreprises ne s'intéressent qu'aux petites collectivités. Par ailleurs, elles ne peuvent espérer obtenir qu'un nombre très limité de contrats chaque année. Leur pérennité est en outre précaire, le risque d'absorption par les grands groupes étant réel.

d) Ouverture à la concurrence étrangère

Si le marché français est ouvert à la concurrence étrangère, en réalité peu d'entreprises étrangères participent aux appels à candidatures. La Commission européenne attribue cette situation à divers facteurs et notamment à la divergence des réglementation dans les différents Etats membres (21). Le désintérêt manifesté par les entreprises étrangères pourrait également s'expliquer par le fait que peu de délégations d'une importance pouvant les intéresser ont fait, depuis l'adoption de la loi Sapin, l'objet d'une mise en concurrence. Une troisième explication réside enfin dans l'absence de lisibilité du marché français. Ainsi, il n'existe pas de calendrier systématique des échéances des délégations. Les entreprises, et notamment les entreprises étrangères, ne disposent, dès lors, que d'informations ponctuelles qui ne leur permettent pas de programmer des offres.

Quelques rares initiatives étrangères méritent toutefois d'être évoquées ici. D'abord, celle de US Filter, entreprise américaine qui a pour principale activité la fourniture d'équipements et la conception de stations de traitement de l'eau. Cette entreprise s'est portée candidate pour l'exploitation de l'eau dans quelques communes importantes, avant d'être rachetée par le groupe Vivendi, qui était en concurrence avec cette entreprise sur certains marchés. La deuxième initiative est celle de l'entreprise britannique Thames Water, troisième groupe mondial pour l'exploitation de l'eau (après Vivendi et Lyonnaise des eaux) qui, après un important développement en Asie, vient de créer à Paris un pôle de développement pour l'Europe et l'Afrique ; cette entreprise a fait une offre dans le cadre du renouvellement de la convention de délégation de la ville de Quimper. D'autres entreprises européennes ont également manifesté un intérêt pour le marché français, mais ne se sont pas encore installées sur le territoire national.

A l'issue de cette analyse des faiblesses de la concurrence sur les marchés de l'eau, il apparaît que l'explication des hausses de prix par un fonctionnement imparfait du marché est loin d'être dépourvue de vraisemblance même si la procédure légère de l'avis ne permet pas d'aller au delà de cette affirmation prudente. Les indices rassemblés sont toutefois suffisants pour qu'il soit justifié de rechercher les voies et moyens de renforcer l'intensité de la concurrence sur les marchés de l'eau.

SECTION III : SOLUTIONS

L'application des principes qui régissent le droit de la concurrence doit permettre en principe de remédier aux dysfonctionnements des marchés lorsqu'ils proviennent de comportements interdits. Cette voie comporte cependant des limites, notamment dans le cas d'anomalies d'ordre structurel. D'autres solutions seront donc envisagées.

Deux observations préalables s'imposent avant d'examiner ces solutions. La première concerne la sensibilisation des collectivités territoriales aux problèmes posés par le prix de l'eau. Il conviendrait, en effet, dans la ligne de l'avis rendu le 28 octobre 1980 par l'ancienne Commission de la concurrence (22), d'inciter ces collectivités à faire davantage appel à la concurrence. Cela implique notamment de ne pas privilégier de façon systématique les anciens titulaires des délégations (prime au sortant), mais aussi d'envisager un retour à la régie ou une consultation anticipée lorsque les prix paraissent anormalement élevés. Cela peut impliquer aussi, notamment en cas de monopole sur le marché de la fourniture en gros de l'eau potable, de distinguer la production et la distribution de l'eau lors des renouvellements des délégations ; les entreprises concurrentes pourraient ainsi participer à la consultation même si la collectivité n'est pas propriétaire des installations de production d'eau.

La seconde observation concerne l'amélioration de la transparence non pas tant en ce qui concerne les tarifs (qui sont publics), qu'en ce qui concerne les informations relatives aux coûts, lesquelles sont beaucoup moins accessibles. La transparence est parfois présentée comme une solution aux pratiques de prix abusivement élevés. Elle peut cependant présenter des inconvénients sur un marché concentré. La position adoptée par la Cour de justice des Communautés Européennes dans l'affaire Fiatagri mérite à cet égard d'être rappelée ici : il s'agissait, en l'espèce, d'un échange d'informations sur les immatriculations de tracteurs agricoles, mais la position de la Cour peut être étendue aux informations portant sur les prix ; par ailleurs, les informations avaient été échangées entre opérateurs, mais les risques soulignés par la Cour de Justice seraient analogues même si cette information devait transiter par un organisme tiers. L'arrêt s'exprime ainsi : " en principe, la transparence entre les opérateurs économiques est, sur un marché véritablement concurrentiel, de nature à concourir à l'intensification de la concurrence entre les offreurs, dès lors que, dans une telle hypothèse, la circonstance qu'un opérateur économique tienne compte des informations dont il dispose pour adapter son comportement sur le marché n'est pas de nature, compte tenu du caractère atomisé de l'offre, à atténuer ou supprimer, pour les autres opérateurs économiques toute incertitude quant au caractère prévisible des comportements de ses concurrents " (...) en revanche, un échange d'informations précises (...) est de nature, sur un marché oligopolistique fortement concentré, (..) à altérer sensiblement la concurrence qui subsiste entre les opérateurs économiques "(23).

Cette position ne condamne pas toute forme de transparence sur un marché oligopolistique, mais, à tout le moins, invite à la prudence. D'une manière générale, si des données statistiques devaient être publiées, il conviendrait de s'assurer qu'elles n'incitent pas les opérateurs à s'aligner sur des prix moyens. De ce point de vue, une publication de fourchettes de prix serait préférable à celle de prix moyens. Par ailleurs, la base géographique devrait être suffisamment étendue. Ainsi, si des statistiques départementales semblent pouvoir être acceptables, en revanche, une base géographique plus réduite pourrait comporter des risques sérieux d'alignement.

A. Application du droit de la concurrence aux comportements des opérateurs du marché

Lorsqu'il est saisi à titre contentieux, le Conseil de la concurrence examine si les pratiques en cause entrent dans le champ des articles 7, 8 et 10I de l'ordonnance n° 1243 du 1er décembre 1986 (titre III de l'ordonnance), qui interdisent les ententes anticoncurrentielles, les abus de position dominante, les abus de dépendance économique et les prix abusivement bas (24). Il est également compétent pour appliquer les dispositions des articles 81 et 82 du traité de Rome (respectivement anciens articles 85 et 86), qui interdisent les ententes anticoncurrentielles et les abus de position dominante.

La démarche adoptée ci-après ne consistera pas à recenser tous les comportements possibles des opérateurs du marché qui pourraient être sanctionnés par le Conseil de la concurrence. Un tel exercice, purement théorique, présenterait un intérêt limité. A titre d'exemple, il n'a pas paru utile de consacrer de longs développements aux pratiques de prix prédateurs. Selon la jurisprudence tant communautaire que nationale, la pratique d'un prix inférieur à la moyenne des coûts variables (c'est-à-dire de ceux qui varient en fonction des quantités produites) peut dénoter une volonté d'éliminer un concurrent et constituer donc un abus de position dominante. Une entreprise dominante n'a en effet aucun intérêt, en tout cas lorsqu'il s'agit de produits et services non différenciés, à pratiquer de tels prix, si ce n'est celui d'éliminer ses concurrents, puisque chaque vente entraîne pour elle une perte, à savoir la totalité des coûts fixes (c'est-à-dire ceux qui restent constants quelles que soient les quantités produites) et une partie des coûts variables afférents à l'unité produite. Lorsqu'ils sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent, des prix sont également abusifs s'ils se situent entre la moyenne des coûts totaux (coûts fixes et coûts variables) et la moyenne des coûts variables (25).

Cette jurisprudence est peu pertinente dans le secteur de l'eau dans la mesure où il est peu probable qu'une entreprise de ce secteur recoure à des prix prédateurs. En effet, lorsqu'elle propose un prix, elle sait qu'elle s'engage pour une très longue période, ce qui repousse à un avenir très éloigné la période au cours de laquelle les pertes pourraient être récupérées.

Il a donc semblé préférable d'analyser les règles et la jurisprudence les plus pertinentes et d'essayer d'en dégager quelques enseignements pour le cas où le Conseil serait saisi de comportements anticoncurrentiels dans le cadre d'une procédure contentieuse.

Il convient au préalable de noter que le droit de la concurrence tant national que communautaire s'applique aussi bien aux personnes privées qu'aux personnes publiques. C'est en effet la nature économique de l'activité affectée et non la qualité de l'opérateur ou la forme selon laquelle il intervient qui détermine l'application des règles de concurrence. Ainsi, les dispositions de l'ordonnance de 1986 " s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public " (art. 53 de l'ordonnance précitée).

Le Conseil a ainsi pu condamner, pour abus de position dominante, diverses pratiques mises en _uvre par la régie municipale des pompes funèbres de Marseille (26).

Il convient aussi de noter qu'au contrôle effectué a posteriori par le Conseil sur les comportements anticoncurrentiels, s'ajoute le contrôle a priori effectué par le juge de la légalité des actes administratifs sur la base d'un bloc de légalité comprenant notamment les règles de la concurrence (27).

Le Conseil n'est compétent qu'à l'égard de pratiques qui affectent le fonctionnement normal du marché. Il importe, en conséquence, de définir au préalable les contours de ce marché avant d'examiner les pratiques d'ententes et les abus de position dominante qui sont susceptibles d'être constatées sur ce marché.

On précisera également que l'application du droit des ententes n'exclut pas celle des règles sanctionnant les abus de position dominante et inversement. A titre d'exemple, si la mise en commun de leurs moyens par des entreprises concurrentes et la durée excessivement longue des conventions de délégation pourraient être visées par le droit des ententes, elles pourraient également être appréhendées sous l'angle de l'abus de position dominante par exemple lorsque, comme cela se produit dans certaines régions, une entreprise dispose non seulement de la concession de réseau de distribution mais de la maîtrise, en amont, de la ressource en cause dont ses concurrents ont besoin pour alimenter les réseaux de distribution dont ils cherchent à devenir délégataires. Cette dernière approche pourrait, notamment, faciliter les poursuites à l'encontre non seulement du délégataire, mais aussi de la collectivité déléguante. Il résulte en effet d'une jurisprudence tant communautaire (28) que nationale (29) que le fait de placer un opérateur économique en situation d'abuser de sa position dominante constitue un abus.

On notera, enfin, que si l'instruction du présent avis a mis à jour, dans le secteur de l'eau, un certain nombre d'indices de pratiques anticoncurrentielles (certaines d'entre elles seraient aujourd'hui couvertes par la prescription), en revanche, le Conseil a été très rarement saisi de ces pratiques.

1. La définition du marché pertinent

Aux fins de l'application des titres III et IV de l'ordonnance de 1986, le marché pertinent, c'est-à-dire le marché au regard duquel sont analysées les pratiques en cause, est le lieu théorique où se rencontrent l'offre et la demande de produits ou de services qui sont considérés par les acheteurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres produits ou services. Il doit être déterminé dans sa dimension sectorielle et géographique. Il n'est pas possible, dans le cadre de la présente consultation, de déterminer à coup sûr la dimension que retiendrait le Conseil dans l'hypothèse où il serait saisi à titre contentieux. Les contours d'un marché dépendent en effet de facteurs très variés. Le marché peut notamment avoir une dimension différente selon la nature du problème de concurrence en cause. La Commission Européenne a choisi l'exemple suivant pour illustrer cette difficulté : " l'étendue du marché géographique peut être différente selon que l'on examine une concentration, où l'analyse est essentiellement prospective, ou un comportement passé. L'horizon temporel différent envisagé dans chacun de ces cas peut déboucher sur le résultat que des marchés géographiques différents sont définis pour les mêmes produits, selon que la Commission examine un changement structurel de l'offre (comme dans le cas d'une concentration ou d'une création d'entreprise commune coopérative) où les problèmes soulevés par un comportement passé "(30). Le présent avis se borne donc à quelques commentaires s'appuyant sur la jurisprudence et la pratique décisionnelle des autorités de concurrence aux niveaux tant national que communautaire.

a) Dimension sectorielle du marché

Dans son avis du 28 octobre 1980, la Commission de la concurrence a estimé qu'il existait un marché de la gestion déléguée du service de distribution d'eau : " la gestion déléguée du service de distribution d'eau constitue un marché en soi sur lequel la concurrence ne peut pratiquement jouer que ponctuellement et à des intervalles éloignés dans le temps ; (...) en effet, à un moment donné, la demande sur ce marché émane des collectivités qui ont décidé d'abandonner la gestion directe et de celles qui, ayant délégué la gestion de leur service, voient leur contrat venir à échéance ". Cette position a été confirmée à plusieurs reprises et notamment par le Conseil, dans son avis du 25 juin 1991 relatif à l'acquisition de la société de contrôle Merlin par la société Lyonnaise des eaux Dumez (31), et par la cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 29 juin 1998 concernant des faits s'inscrivant dans le cadre du renouvellement de contrats d'affermage du service de distribution d'eau (32).

Il est clair, par ailleurs, que les acteurs publics locaux et les sociétés privées spécialisées n'interviennent pas sur le même marché : " en règle générale, chacune des régies existantes n'assure la distribution de l'eau que pour le compte de la ou les collectivités fondatrices ; (...) si quelques unes peuvent atteindre une certaine dimension, soit parce qu'elles relèvent d'un syndicat regroupant de nombreuses communes, soit parce qu'elles assurent la gestion du service d'eau d'une ville importante, fort peu nombreuses sont celles qui ont vocation à étendre de façon significative le champ géographique de leurs activités ; (...) ainsi les collectivités qui peuvent, pour différentes raisons, éprouver le besoin ou même se trouver dans la nécessité d'abandonner la gestion directe de leur service d'eau n'ont guère la possibilité sauf dans quelques zones géographiques peu nombreuses et peu étendues de faire appel à d'autres partenaires que les entreprises privée spécialisées " (33).

Il existe également des marchés de la vente en gros de l'eau potable. Tel est le cas chaque fois qu'un opérateur économique entend répondre à un appel à la concurrence pour la distribution de l'eau mais doit faire appel à une entreprise tierce pour la fourniture de cette eau. Ce cas est cependant rare puisque les collectivités sont en général propriétaires des infrastructures.

Le marché pertinent pourrait également être celui de la distribution de l'eau aux usagers. Tel pourrait être le cas pour l'appréciation de certains comportements du délégataire pendant la durée de la convention de délégation : prix abusivement élevés facturés aux usagers (mais l'appréciation d'une telle pratique doit prendre en compte le rôle capital joué par la collectivité déléguante dans la détermination de ce prix) ; prolongation anormalement longue de la convention de délégation, sans appel à la concurrence : cette dernière pratique a cessé après l'entrée en vigueur de la loi Sapin, mais, comme il a déjà été mentionné, de nombreuses délégations ont été renouvelées sans concurrence, peu avant l'entrée en vigueur de cette loi, afin de la contourner.

b) Dimension géographique du marché

Les autorités de concurrence, tant communautaires (34) que nationales (35) ont, dans des affaires de concentration, retenu un marché national de l'approvisionnement en eau. Cependant, une telle position, qui peut parfaitement se justifier dans ces affaires, n'est pas forcément transposable dans d'autres affaires de concentration (à titre d'exemple, dans l'affaire GEAL/CREA/CGE (36), la Commission a estimé qu'il n'était pas, au cas d'espèce, nécessaire de procéder à une définition plus précise du marché dans la mesure où de toute façon l'opération en cause n'aurait pas renforcé une position dominante) et encore moins dans des affaires contentieuses.

Il résulte, par ailleurs, d'une jurisprudence bien établie que le marché pertinent peut être un marché local, se réduisant par exemple au territoire d'une commune (37).

Pour ce qui concerne le marché de la délégation de service public de la distribution d'eau potable, celui de la vente en gros de l'eau potable ou celui de la distribution de l'eau aux usagers, diverses contraintes, d'ordre technique, juridique, financier ou comportemental, pourraient conduire le Conseil, s'il était saisi à titre contentieux, à retenir un marché géographique local. Il pourrait par exemple être amené à tenir compte de l'inexistence de possibilités de production d'eau potable alternatives, et notamment des difficultés de prélèvement d'eau dans la nappe souterraine ainsi que des coûts et délais de forage. Il pourrait également tenir compte du refus de vente opposé par l'exploitant d'une canalisation d'eau potable susceptible de desservir la collectivité concernée.

2. Les ententes illicites

L'article 7 de l'ordonnance de 1986 dispose :

"Sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :

· limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

· faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

· limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;

· répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement".

Une interdiction similaire est prévue à l'article 81 du traité de Rome. Ce texte n'est toutefois applicable que si le commerce intracommunautaire et la concurrence sont susceptibles d'être affectés de manière sensible.

Les prohibitions des articles 7 et 81 susvisés s'appliquent à toutes sortes d'accords de volontés : actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites, coalitions sous quelque forme et pour quelque cause que ce soit. De tels accords de volontés sont constitués chaque fois que plusieurs entreprises se concertent, se communiquent des prix ou toutes autres informations, par écrit, par téléphone ou par tout autre moyen. La forme de l'entente importe peu : il peut s'agir d'un accord formel entre plusieurs entreprises, mais aussi d'un acte émanant des organes d'un groupement, ou encore d'une entente non formalisée. Outre les preuves formelles, une entente anticoncurrentielle peut être établie par un faisceau d'indices graves, précis et concordants constitués par le rapprochement d'éléments qui, pris isolément, peuvent ne pas avoir un caractère probant.

Il importe d'examiner l'applicabilité de ces dispositions au secteur de l'eau. L'analyse portera plus particulièrement sur l'association des moyens pour formuler les propositions aux collectivités et la durée excessivement longue des conventions de délégation ; elles se prêtent en effet à une application efficace du droit des ententes. En revanche, il convient d'observer ici, pour ne plus y revenir, que, si le fait, à le supposer établi, que certaines entreprises du marché ne remettent pas en cause les relations existantes lors des renouvellements des conventions pourrait constituer un indice d'entente ou de concertation au sens des articles 7 ou 81, il ne suffit pas à lui seul à constituer une telle infraction. En effet, le parallélisme de comportements est, en l'absence d'autres éléments, insuffisant pour établir l'existence d'une entente.

a) La mise en commun des moyens

L'ancienne Commission de la concurrence avait été saisie par le ministre de l'économie de pratiques d'ententes constatées dans le secteur de la distribution de l'eau. Après avoir constaté que tombaient sous le coup du droit des ententes les pratiques par lesquelles, à l'occasion d'appels à la concurrence pour la délégation de services de distribution de l'eau, la Compagnie générale des eaux et la société Lyonnaise des eaux et de l'éclairage s'étaient entendues pour soumettre des offres mises au point en commun, pour tenter d'écarter des entreprises tierces et pour se partager des marchés de travaux, la Commission a émis l'avis d'infliger une sanction pécuniaire de 2 millions de francs à chacun des deux groupes en cause. Elle a, par ailleurs, recommandé aux deux groupes de ne plus associer leurs moyens dans le domaine de la gestion de réseaux de distribution de l'eau lorsque, présentant des propositions à des collectivités locales, ils seront en mesure de mettre en oeuvre ces moyens de façon séparée et concurrentielle. Elle a également recommandé aux ministres compétents de surveiller avec attention l'évolution de la concentration sur le marché de la gestion déléguée de la distribution de l'eau. La Commission a enfin émis l'avis que les paramètres représentatifs des charges diverses dans les formules d'actualisation du prix de base de l'eau assurent à celui-ci une évolution au plus égale à l'évolution réelle des coûts correspondants. Elle a encore émis l'avis qu'il convenait d'inciter les collectivités locales à faire davantage appel à la concurrence (38).

Adoptant les considérants de l'avis de la Commission, le ministre de l'économie a infligé une sanction pécuniaire de 1 million de francs à chacun des deux groupes en cause et a souligné l'importance qu'il attachait à ce que les groupes en cause n'associent plus leurs moyens dans le domaine de la gestion des réseaux de distribution de l'eau, lorsque, présentant des propositions à des collectivités locales, ils sont en mesure de mettre en _uvre ces moyens de façon séparée. Le ministre a également fait sienne la proposition de la Commission concernant les clauses de variation des prix (39)

La Commission de la concurrence et le ministre de l'économie ont ainsi considéré que la mise en commun des moyens dans le secteur de l'eau pouvait tomber sous le coup du droit des ententes.

Les développements qui suivent seront limités à cette pratique. La question examinée est de savoir dans quels cas concrets le droit des ententes pourrait être appliqué à cette pratique. L'analyse portera sur la création d'entreprises communes et sur la conclusion de conventions de délégation de service de distribution d'eau. On notera que de telles pratiques ont également été observées sur des marchés connexes, par exemple celui des travaux.

· Création d'entreprises communes

Le fait pour deux opérateurs économiques de créer une entreprise commune et de lui laisser le soin de répondre à l'appel à concurrence lancé par une collectivité est susceptible de relever du droit des ententes ; l'application de ce droit peut, notamment, être envisagée si les entreprises fondatrices continuent d'exercer des activités significatives sur le même marché.

Cependant, l'application du droit des ententes ne trouve sa place dans une telle hypothèse que si le droit des concentrations n'est pas applicable. En effet, les règles relatives d'une part aux pratiques anticoncurrentielles, et notamment aux ententes, et, d'autre part, aux opérations de concentration sont exclusives l'une de l'autre.

C'est ce qui résulte d'un arrêt du 28 juin 1994 de la cour d'appel de Paris : "les procédures prévues par le titre III relatif au contrôle des ententes et par le titre V relatif au contrôle des concentrations sont différentes et inconciliables entre elles (...), il résulte de la combinaison des textes du titre III et de ceux du titre V que les opérations répondant à la définition de la concentration de l'article 39 du titre V sont exclues du champ de compétence du Conseil statuant au contentieux" (40). La Cour de cassation a par ailleurs rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt en précisant que "les parties litigieuses n'ayant pas fait état de pratiques illicites issues de ces accords pouvant faire l'objet, le cas échéant, d'une saisine distincte du Conseil de la concurrence sur le fondement des articles 7 et 8 de l'ordonnance, c'est à bon droit que la cour d'appel (...) a déclaré irrecevables devant le Conseil de la concurrence les saisines visant ces opérations de concentration économique" (41).

La Commission européenne a, dans une communication de 1994, établi une grille d'analyse permettant de distinguer les entreprises communes de plein exercice, qui relèvent du droit des concentrations, des entreprises communes coopératives, qui relèvent du droit des ententes :

"La création d'une entreprise commune "de plein exercice" constitue normalement une concentration au sens de l'article 3 du règlement sur les concentrations, à moins qu'elle n'ait pour objet ou pour effet une coordination du comportement concurrentiel d'entreprises indépendantes, de nature à entraîner une restriction de concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1 du traité. Pour déterminer si une entreprise commune est de nature coopérative, il est nécessaire d'établir s'il y a coordination entre les entreprises fondatrices en ce qui concerne les prix, les marchés, la production ou l'innovation. La coordination entre les entreprises fondatrices et l'entreprise commune évoquée à l'article 3 paragraphe 2 deuxième alinéa (du règlement "concentration" de 1989) n'entre en ligne de compte que dans la mesure où elle est un instrument de coordination ou de renforcement de la coordination entre les entreprises fondatrices. Lorsqu'il y a une restriction de ce genre, la Commission doit examiner l'applicabilité de l'article 85 à l'ensemble de l'opération".

La position du Conseil de la concurrence sur cette question est proche de celle de la Commission (42).

Dans l'hypothèse où la création d'une entreprise commune serait considérée comme ne relevant pas du droit des ententes, elle pourrait, sous réserve de dépassement du seuil du chiffre d'affaires de part de marché prévu au titre V de l'ordonnance du 1er décembre 1986, être appréhendée sous l'angle du droit des concentrations et notamment de l'article 43 de l'ordonnance de 1986 selon lequel "Le Conseil de la concurrence peut, en cas d'exploitation abusive d'une position dominante ou d'un état de dépendance économique, demander au ministre chargé de l'économie d'enjoindre, conjointement avec le ministre dont relève le secteur, par arrêté motivé, à l'entreprise ou au groupe d'entreprises en cause de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé, tous accords et tous actes par lesquels s'est réalisée la concentration de la puissance économique qui a permis les abus même si ces actes ont fait l'objet de la procédure prévue au présent titre". Dans une telle hypothèse, le Conseil pourrait notamment demander au ministre d'ordonner le retrait de l'un des actionnaires de la filiale commune.

· Conclusion d'une convention de délégation de service de distribution d'eau par une entreprise commune

Lorsque les facteurs qui sont à l'origine de la restriction de concurrence peuvent être dissociés de la création de l'entreprise commune elle-même, ces facteurs sont appréciés sur la base du droit des ententes (43).

A titre d'exemple le fait, pour deux opérateurs économiques, de laisser à l'entreprise commune qu'ils ont créée le soin de répondre à l'appel à concurrence lancé par une collectivité est susceptible de relever du droit des ententes. Une telle pratique est prohibée lorsqu'elle cherche à diminuer de façon sensible la concurrence sur un marché ou lorsqu'elle a un tel effet. C'est notamment le cas lorsqu'un petit nombre d'opérateurs est présent sur le marché. Le fait que deux d'entre eux s'unissent pour répondre en commun à un appel d'offres peut priver la collectivité publique de toute alternative et, donc, réduire dramatiquement l'intensité concurrentielle régnant sur le marché. Le Conseil ne peut que constater que la Générale des eaux et la compagnie Lyonnaise des eaux ont créé dans le passé un certain nombre d'entreprises communes dont certaines continuent à répondre à des appels à candidature. Dans la mesure où ces deux sociétés constituent ces deux principaux opérateurs de marché, il n'est pas exclu, sauf à ce qu'une instruction contradictoire aboutisse à une meilleure appréciation qu'une telle pratique tombe sur le coup de la prohibition instituée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

b) Durée excessive des conventions de délégation

La durée excessive des conventions de délégation a souvent été dénoncée. En effet, elle permet de conforter durablement la position du délégataire au niveau local, en lui évitant d'être confronté à la concurrence, de limiter les possibilités des entreprises concurrentes d'accéder au marché et de limiter la liberté des collectivités de choisir leur cocontractant. De fait, certaines conventions ont été conclues pour des durées supérieures à quarante ans. Par ailleurs, certaines conventions actuellement en vigueur ne parviendront à échéance qu'après 2020. La question examinée ici est de savoir si les collectivités disposent de moyens efficaces pour réduire la durée des conventions lorsqu'elle est anormalement longue. Une réponse affirmative peut être envisagée.

Les moyens classiques ont fait la preuve de leur inefficacité. La résiliation de la convention, par exemple, donne lieu au versement de pénalités, dont le montant est souvent dissuasif. L'approche législative comporte, pour sa part, des limites. L'article L 14112 du code général des collectivités territoriales limite à vingt ans les délégations de service public, notamment dans le secteur de l'eau. L'expérience des dernières années montre même que la durée des délégations est en général de l'ordre de douze à quinze ans. Ceci est un réel progrès par rapport à la période antérieure. Cependant, il ne peut être exclu que les exigences du droit de la concurrence imposent des durées plus courtes, s'il pouvait être démontré que la convention de délégation (qui, parce que l'une de ses parties est une entreprise, peut entrer dans le champ de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) a pour objet ou pour effet d'évincer d'autres entreprises. Comme l'a observé le commissaire du Gouvernement dans l'affaire Million et Marais (44) " pour être encadrée par d'autres textes, la durée d'une concession nous paraît malgré tout pouvoir être contestée au regard du droit de la concurrence ". Une justification devrait alors être fournie au cas par cas, notamment au regard de la durée de l'amortissement des installations.

3. Les abus de position dominante

L'article 81 de l'ordonnance de 1986 prohibe les abus de position dominante.

Une interdiction similaire est prévue à l'article 82 du traité de Rome. Ce texte n'est toutefois applicable que si le commerce intracommunautaire et la concurrence sont susceptibles d'être affectés de manière sensible.

En matière d'abus de position dominante, deux questions devraient être examinées :

a) une position dominante peut elle être envisagée sur le marché pertinent ?

b) quels comportements pourraient être considérés comme un abus de cette position dominante ?

a) Position dominante

Une position dominante est une situation fournissant à une entreprise ou un groupe d'entreprises la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et finalement des consommateurs (45).

Deux cas peuvent être distingués ici : s'agissant d'apprécier le comportement d'une entreprise ou d'un groupe d'entreprises à l'occasion d'une mise en concurrence pour la distribution de l'eau à une collectivité, le marché pertinent pourrait être celui de la gestion déléguée du service de distribution d'eau ou celui de la vente en gros de l'eau potable. Pour déterminer l'existence d'une position dominante, il convient dans ce cas de tenir compte de toutes les sources alternatives d'approvisionnement susceptibles de réduire le pouvoir de marché de l'entreprise en cause ; la prime au sortant, déjà évoquée, dont bénéficie le délégataire, constitue également un facteur déterminant pour apprécier l'existence d'une position dominante.

S'agissant d'apprécier le comportement du délégataire pendant la durée de la convention de délégation, ce délégataire est en situation de monopole sur le marché de la distribution de l'eau aux usagers. Il détient, dès lors, une position dominante mais dans des conditions très particulières puisqu'une bonne partie de ses comportements sont contrôlés par la collectivité déléguante, notamment les prix dont l'évolution est généralement encadrée par la convention de délégation.

b) Exploitation abusive d'une position dominante

Selon la Cour de justice des communautés, " la notion d'exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où... le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle... au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence " (46).

Les exemples qui suivent permettent d'illustrer l'application qui pourrait être faite des articles 81 de l'ordonnance de 1986 et 82 du traité dans le secteur de l'eau. Ces dispositions pourraient en effet s'appliquer aux pratiques de prix abusivement élevés, aux refus de vente ou de prestation de service, et notamment aux refus d'accès aux installations essentielles et aux refus de communication des barèmes et conditions de vente.

Il convient au préalable d'observer que l'application de l'interdiction des abus de position dominante à ces pratiques est soumise à des conditions strictes. Ainsi, les prix abusivement élevés (qui s'entendent ici non comme le prix final facturé à l'usager mais comme l'ensemble des conditions tarifaires proposées par l'entreprise qui répond à un appel à la concurrence) n'ont lieu d'être sanctionnés que si une position dominante peut être établie au moment de l'appel à concurrence lancé par la collectivité et à condition que le niveau de prix dépasse de façon manifeste ce à quoi l'on aurait pu s'attendre en situation de concurrence normale ; à ces difficultés, s'ajoute le fait que la sanction des prix abusivement élevés intervient a posteriori, c'est-à-dire après le dommage causé par cette pratique. Par ailleurs, le problème du refus d'accès aux installations essentielles et du refus de communication des barèmes et conditions de vente ne se pose que dans les rares cas où la collectivité n'est pas propriétaire des installations.

· Prix abusivement élevés

L'application du droit des abus de position dominante aux prix abusivement élevés est délicate. En effet, l'ordonnance du 1er décembre 1986 a établi clairement que les prix sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. Ainsi, les règles de concurrence ne font pas obstacle à ce que le fournisseur prélève une marge supérieure à celle qui lui permettrait de rentabiliser les investissements réalisés. Cependant, cette liberté comporte des limites. Ainsi, une entreprise détenant une position dominante abuse de cette position, au sens des articles 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou 82 du traité de Rome, si elle pratique un prix manifestement trop élevé. Ces dispositions pourraient également s'appliquer lorsque la structure des formules d'actualisation des prix contenues dans les conventions de délégation ne reflète pas celle des coûts mis en _uvre pour assurer le service.

Le prix abusivement élevé est déterminé par rapport aux prix pratiqués par les concurrents nationaux et le cas échéant par des entreprises opérant dans d'autres pays. Cette approche se heurte cependant au fait que, dans le secteur de l'eau, chaque contrat constitue un cas d'espèce. La comparaison avec les coûts de production ou de commercialisation pourrait également être envisagée ; mais cette approche est délicate sur un marché oligopolistique où les entreprises ne jouent pas le jeu de la concurrence et où, par conséquent, les opérateurs ne déploient pas tous les efforts souhaités pour réduire leurs coûts.

Il n'appartient pas au Conseil, dans le cadre de la présente consultation, de déterminer la frontière entre le prix licite et le prix abusivement élevé. Une telle analyse ne pourrait être effectuée qu'au cas par cas, dans le cadre d'une procédure contentieuse. Il résulte cependant de la jurisprudence communautaire et de la pratique décisionnelle de la commission européenne, que le droit de la concurrence n'a pu être appliqué de façon efficace que lorsque la différence par rapport aux prix des concurrents ou par rapport aux coûts est importante.

Il faut enfin insister sur le fait que le prix facturé à l'usager étant négocié par la collectivité déléguante, le prix manifestement élevé est celui que l'entreprise va obliger la collectivité à imposer parce que celle-ci n'aurait pas d'autre choix, faute de concurrence effective au moment de la sélection du délégataire.

· Refus d'accès à une installation essentielle

Le fait, pour une entreprise détenant une position dominante, d'opposer un refus à la demande de produit ou de prestation de service formulée par un partenaire économique est susceptible de constituer un abus de position dominante. Les articles 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou 82 du traité de Rome sont ainsi applicables lorsqu'une telle entreprise empêche un concurrent de participer à une consultation lancée par une collectivité en lui opposant un refus de vente de l'eau en gros.

Le délégataire pourrait également abuser de sa position dominante s'il acceptait de fournir l'eau, mais à des prix et conditions moins favorables que ceux qu'il s'applique à lui-même ou qu'il applique à un autre client ou lorsqu'il applique un prix abusif, non proportionné à la nature et à l'importance du produit demandé, non orienté vers les coûts de ces services, interdisant ainsi au client de faire des offres dans des conditions compétitives avec les siennes. Constitue également un abus le refus de communiquer aux concurrents potentiels les prix et conditions de vente de l'eau en gros leur permettant de faire de telles offres.

En effet, l'eau potable produite par le titulaire d'une délégation de service public d'approvisionnement en eau potable est susceptible de constituer une ressource essentielle.

Il existe dans ce domaine une abondante jurisprudence tant communautaire que nationale. Il convient, cependant, de préciser que son application dans le secteur de l'eau devrait être relativement rare puisqu'en général les délégataires ne sont pas propriétaires des installations de captage, de stockage et d'acheminement de l'eau. A titre d'exemple, elle a été soulevée récemment dans deux affaires.

Il s'agissait de deux demandes de mesures conservatoires présentées d'une part par la commune de Saint Michel sur Orge et l'Union fédérale des consommateurs " Que Choisir ", et, d'autre part, par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, concernant des pratiques de la Lyonnaise des eaux à l'occasion du renouvellement de la délégation de service de la distribution d'eau potable dans diverses communes du département de l'Essonne.

Demandes de mesures conservatoires présentées par la commune de Saint-Michel-sur-Orge et l'Union fédérale des consommateurs " Que Choisir ".

A l'occasion du renouvellement de la délégation de service de la distribution d'eau potable dans la commune de Saint-Michel-sur-Orge, plusieurs entreprises sélectionnées lors de la mise en concurrence (CGE, SAUR, SOAF et SCET) ont dû s'adresser à la Lyonnaise des eaux pour connaître ses conditions de vente d'eau en gros et, en raison des difficultés qu'elles ont rencontrées pour obtenir communication de ces conditions, elles ont renoncé à présenter une offre. Dès lors, seule la Lyonnaise des eaux, ancien titulaire du contrat, a présenté une proposition complète. Les plaignants ont soutenu que les pratiques de la Lyonnaise des eaux, mettant " des obstacles à l'intervention d'autres compétiteurs " et imposant " des conditions unilatérales et inéquitables de prix " constituaient un abus de dépendance économique dans laquelle la commune de Saint-Michel-sur-Orge se trouvait vis-à-vis de la Lyonnaise des eaux et ont demandé au Conseil d'enjoindre cette entreprise, d'une part, de " poursuivre le service de distribution d'eau dans la commune de Saint-Michel-sur-Orge aux conditions en vigueur et acceptées par la (Lyonnaise des eaux (...) jusqu'à la décision du Conseil au fond " et, d'autre part, de " communiquer aux sociétés CGE, SAUR, SOAF, SCET, un prix de fourniture de l'eau à la sortie des usines dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et en fonction du coût réel de cette fourniture ". Le Conseil (47), approuvé par la cour d'appel de Paris (48), a rejeté la demande de mesures conservatoires au motif que les parties saisissantes n'avaient pas apporté d'éléments suffisamment probants pour établir que les pratiques dénoncées porteraient une atteinte grave et immédiate au secteur intéressé ou à l'économie en général.

Le Conseil a néanmoins estimé qu'il n'était pas exclu que le refus de la Lyonnaise des eaux de communiquer ses conditions de vente d'eau en gros aux distributeurs sélectionnés lors de la mise en concurrence puisse constituer un abus prohibé par les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance de 1986. Cette position était motivée par le fait que les possibilités d'alimentation en eau potable de la commune de Saint-Michel-su-rOrge par d'autres producteurs que la Lyonnaise des eaux sont réduites et difficiles à mettre en _uvre. Ainsi cette commune ne dispose pas de ressources propres en eau, les possibilités de forage sont hypothétiques et le seul réseau d'alimentation en eau potable existant, susceptible de desservir la commune de Saint-Michel-sur-Orge, appartient à la Lyonnaise des eaux.

Demandes de mesures conservatoires présentées par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

A l'occasion du renouvellement de la délégation de service de la distribution d'eau potable dans plusieurs communes de l'Essonne, la Lyonnaise des eaux a refusé de communiquer à deux entreprises, sélectionnées lors de la mise en concurrence, ses conditions de vente d'eau en gros. Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a considéré que ce refus, opposé par une entreprise détenant une position dominante sur le marché de la production d'eau, constituait un abus au sens de l'article 8 de l'ordonnance de 1986. Il a dès lors demandé au Conseil qu'il soit notamment fait injonction à la Lyonnaise des eaux 1) de communiquer son prix de vente en gros de l'eau potable à tout tiers qui en ferait la demande dans le but de se porter candidat à la procédure de mise en concurrence lancée par les communes concernées et à ces communes elles-mêmes ; 2) d'établir son prix de vente de l'eau en gros en se fondant sur des coûts de nature analytique, en écartant tout coût qui serait étranger à la production, et de communiquer au Conseil, dans un délai de trois semaines suivant l'adoption de la décision de mesures conservatoires, les offres qu'elle aura proposées à ses concurrents, accompagnées de toute justification.

La cour d'appel de Paris (49) a estimé que les sociétés retenues pour participer à la mise en concurrence, qui ne disposaient d'aucune ressource substituable à l'eau produite par la Lyonnaise des Eaux, devaient avoir accès à celle-ci à des conditions tarifaires objectives, transparentes et non discriminatoires leur permettant de concourir utilement aux marchés pour lesquels elles sont consultées. Or, il était établi par l'enquête administrative que la Lyonnaise des eaux a " de manière générale et par principe ", refusé de communiquer aux entreprises avec qui elle était en concurrence, le prix de vente en gros de l'eau qu'elle produit.

La cour d'appel de Paris en a conclu que les entreprises retenues pour participer à la mise en concurrence ont été empêchées de concourir normalement pour l'obtention des marchés d'affermage concernés, pratique qui, émanant d'une entreprise détenant une position dominante, est visée à l'article 8 de l'ordonnance de 1986. Elle a aussi estimé qu'en raison de sa nature même, la pratique constituait une atteinte grave et immédiate à l'économie en général et à celle du secteur intéressé. Elle a, en conséquence, enjoint à la Lyonnaise des eaux de communiquer, dans un délai de quatre jours de la notification de l'arrêt, son prix de vente de gros de l'eau potable, à tout tiers qui en ferait la demande, dans le but de se porter candidat aux procédures de mise en concurrence.

· Refus de communication des barèmes et conditions générales de vente

Outre les cas examinés ci-dessus à propos des entreprises détenant une installation essentielle, le Conseil a appliqué les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance de 1986 à des entreprises qui refusaient de communiquer leurs barèmes et conditions générales de ventes aux opérateurs qui en faisaient la demande.

Ces précédents devraient encourager les entreprises à établir par écrit des conditions tarifaires sans attendre une injonction du Conseil.

L'efficacité potentielle du droit de la concurrence est donc réelle mais elle ne produit tous ses effets que si le Conseil de la concurrence est saisi, ce qui, dans le secteur de l'eau, n'a pratiquement jamais été le cas bien que le ministre chargé de l'économie, les associations de consommateurs et les collectivités territoriales aient à la fois une bonne connaissance des problèmes et la capacité juridique de saisir le Conseil.

B. Autres propositions

1. Mise en place d'une autorité de surveillance

La question est parfois posée de savoir si la mise en place d'une autorité de régulation ne permettrait pas de remédier au problème des prix de l'eau.

Il convient d'abord de noter qu'il existe déjà plusieurs mécanismes de régulation dans le secteur de l'eau. En effet, que l'exploitation de l'eau soit assurée en régie ou par délégation, un strict contrôle est, en principe, opéré par la collectivité délégataire qui ellemême est soumise au contrôle de légalité et au contrôle juridictionnel ou quasi juridictionnel assuré par les tribunaux administratifs et les chambres régionales des comptes. Il faut ensuite rappeler que la régulation se justifie, en général, par le souci d'assurer la transition entre une situation de monopole et un régime de marché, lorsque la présence d'un opérateur historique est susceptible de faire obstacle à l'entrée de nouveaux opérateurs sur le marché. Or une telle situation n'existe pas dans le secteur de l'eau puisque l'on est en présence d'un oligopole soumis aux règles de concurrence, du moins au stade du choix du délégataire.

Par ailleurs, l'utilité d'une régulation nationale apparaît surtout évidente lorsqu'il existe un seul appareil de production. Or les conditions de production de l'eau sont locales (15 000 collectivités sont concernées et il existe même 20 000 forages).

En revanche, l'instruction a montré qu'il existe sur le marché de l'eau une masse importante d'informations dont la diffusion serait susceptible d'améliorer le fonctionnement de la concurrence mais qui s'avèrent d'un accès difficile dans la mesure où elles sont inorganisées. A titre d'exemple, la connaissance de la date d'échéance de toutes les conventions de délégation permettrait aux opérateurs économiques et notamment aux entreprises étrangères, d'organiser de façon efficace leurs réponses aux appels à concurrence lancés par les collectivités. En l'absence d'une telle information, les entreprises sont contraintes de prendre contact avec chacune des collectivités susceptibles de les intéresser, ce qui s'avère particulièrement lourd, ou bien d'attendre la publication des appels à concurrence, ce qui ne leur donne pas suffisamment de recul pour adopter une stratégie globale efficace.

Dans le même ordre d'idées, les délégataires et les collectivités sont tenus par la loi d'établir des rapports annuels détaillés sur le fonctionnement du service de la distribution de l'eau. Ces rapports contiennent des informations, notamment sur les caractéristiques des infrastrutures et sur la qualité de l'eau, qui pourraient être fort utiles pour les différentes entreprises qui répondent à des appels à concurrence mais qui, en réalité, sont mal utilisées car d'un accès difficile.

La problématique des prix illustre les graves insuffisances de système d'information actuel. Certes, des statistiques agrégées sur les prix pratiqués sont disponibles. Mais, comme cela a été souligné à plusieurs reprises dans le présent avis, il n'est pas possible de tirer des conclusions de certaines de ces données. La comptabilité analytique souvent insuffisante des exploitations en régie directe, les âges divers des conventions dont les clauses déterminent le niveau actuel des prix, zone par zone, l'absence d'information disponible sur les coûts de mise aux normes de la ressource en eau, sur les différences dans la qualité de service (qui va bien audelà de la qualité chimique de l'eau pour englober par exemple la rapidité de réparation, la régularité de la pression, etc.), l'acceptation de surcoûts par les collectivités satisfaites du transfert de responsabilité, notamment pénale, qui accompagne la gestion déléguée : tous ces éléments devraient être évalués et pris en compte pour donner toute leur portée aux comparaisons de prix.

La création d'une autorité chargée de collecter, de traiter et de diffuser ces informations permettrait, dès lors, d'améliorer le fonctionnement de la concurrence.

L'urgence d'une telle mesure doit être soulignée. Comme il a déjà été indiqué cidessus, des entreprises étrangères manifestent une réelle volonté de pénétrer le marché français. L'une d'elles a déjà commencé à prospecter le marché mais se heurte à des difficultés pour accéder aux informations nécessaires.

Cette autorité pourrait être, dans les faits, une personnalité dotée de moyens lui permettant de mobiliser les structures déjà existantes (DGCCRF, INSEE, directions de l'eau des ministères de l'environnement, de l'agriculture et de l'équipement, collectivités, etc..). En revanche, et sauf à dupliquer les contrôles juridictionnels et quasi juridictionnels déjà évoqués, et à moins d'accepter de revenir, dans le secteur de l'eau, sur vingt années d'expérience de décentralisation, il ne paraît pas approprié de confier un rôle d'injonction ou de sanction à l'autorité de surveillance, notamment dans la mesure où le régime juridique des contrats de délégation réserve un tel pouvoir à l'autorité déléguante. En revanche, cette autorité devrait pouvoir saisir le Conseil de la concurrence de toute pratique qui lui semblerait contrevenir au droit de la concurrence. Il conviendrait également d'éviter de dupliquer les services, déjà rendus aux collectivités, tels que Service Public 2000 créé conjointement en 1996 par l'Association des maires en France.

L'autorité ainsi créée pourrait également apporter sa contribution à l'élaboration des projets de législation ou de réglementation concernant les problèmes de l'eau. Elle pourrait aussi être consultée sur diverses questions liées au prix de l'eau, par exemple sur l'utilité de la négociation prévue à l'article L14111 du code général des collectivités territoriales ou sur la durée des conventions de délégation.

a) Utilité de la négociation

La stabilité du marché s'explique en partie par l'avantage que l'article L 14111 du code général des collectivités territoriales confère au titulaire de la délégation en permettant à l'autorité déléguante de négocier librement les offres des entreprises participant à la mise en concurrence. Cette négociation a clairement pour conséquence d'accentuer l'effet de "prime au sortant" déjà évoqué. Elle permet au sortant de se faire communiquer les conditions proposées par ses concurrents et de faire une offre comparable à la meilleure offre. Il est clair, dans ces conditions, que le délégataire n'est pas incité à faire des efforts de prix dans sa proposition initiale. Il peut même éviter d'être confronté à une réelle concurrence. Le Conseil est dès lors d'avis qu'il conviendrait d'engager des réflexions sur l'utilité de la négociation prévue à l'article L 14111.

Cette recommandation se situe dans la ligne de la jurisprudence constante du Conseil. Les exemples les plus récents se trouvent dans les affaires LNF, Decaux et TDF. Dans la première, le Conseil a estimé que la clause de préférence contenue dans les contrats de parrainage conclus par Adidas (obligation d'informer Adidas des propositions des concurrents et de conclure avec celle-ci si elle offre des conditions équivalentes) privait pour une durée artificiellement longue les autres équipementiers de la possibilité de faire des offres (50). Le Conseil a également, dans l'affaire Decaux, condamné une clause de préférence faisant obligation aux collectivités d'informer le groupe Decaux des offres éventuelles des entreprises concurrentes concernant l'installation de mobiliers supplémentaires. Cette clause permettait à Decaux d'éviter d'être confronté à la concurrence et de conserver l'exclusivité de l'installation des principaux types de mobiliers urbains publicitaires, dans les villes où il était implanté, pour des durées excédant largement celles fixées dans les contrats initiaux (51). Enfin, dans l'affaire TDF, le Conseil a condamné un contrat conclu entre TDF et TF1 au sujet de la diffusion des émissions de TF1, qui prévoyait la possibilité pour TF1 de réduire le nombre de stations concernées par le contrat à la condition que " dans l'hypothèse où, préalablement à la suppression effective d'une station B, TF1 envisagerait de construire une autre station, TDF pourra faire des propositions à TF1 et bénéficier, à tarif et à niveau de qualité de prestation comparables, d'un droit de préférence sur d'autres prestataires potentiels " (52).

A ce stade, le Conseil se garde cependant de préconiser purement et simplement la suppression de la possibilité de négociation ouverte par l'article L 14111, eu égard à la possibilité offerte par cette disposition d'obtenir des baisses de tarifs ou une amélioration des prestations.

D'autres autorités se sont d'ailleurs également prononcées, mais dans des directions variées, sur les modalités de la négociation. Tel est le cas de la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies) : " il faut améliorer la procédure de la loi Sapin quant à la désignation du délégataire. Les élus, de manière assez générale, entretiennent avec les 1délégataires des rapports tels qu'à qualité de service équivalente et à prix égal avec de nouveaux entrants sur le marché, les mêmes entreprises sont souvent confirmées. Cela ne facilitant pas l'entrée de nouveaux opérateurs, il serait donc opportun d'ouvrir plus largement les négociations à tous les candidats ayant remis des offres sérieuses " (53).

b) Durée des conventions de délégation

Comme il a déjà été indiqué, les exigences du droit de la concurrence pourraient conduire à imposer des durées de convention inférieures au maximum légal de 20 ans. Il convient cependant de noter que des durées trop courtes seraient susceptibles, elles aussi, d'engendrer des inconvénients en termes de concurrence : alors que les entreprises sont en principe enclines à déployer tous les efforts nécessaires pour obtenir un contrat de longue durée, susceptible de leur permettre de rentabiliser leurs investissements, cette incitation serait, en revanche, beaucoup plus faible pour des contrats de courte durée ; par ailleurs, l'incitation à adopter un "code de bonne conduite implicite" ou un "pacte de non agression" serait d'autant plus forte avec des contrats de courte durée que la fréquence plus grande des renouvellements faciliterait la mise en place d'ententes de répartition des marchés. Il conviendrait donc d'engager des réflexions sur la durée optimale des conventions de délégation.

c) Taille et diversification des opérateurs

La taille considérable des principaux opérateurs présents sur le marché se manifeste de deux façons : l'importance de leurs parts de marché dans le secteur de l'eau et le fait qu'ils sont simultanément présents sur d'autres marchés de prestations de service en direction des collectivités territoriales. Une fois que de tels ensembles se sont constitués, le droit de la concurrence ne peut plus que sanctionner certains de leurs comportements anticoncurrentiels, lorsque ceux-ci sont détectés et prouvés ; sauf à mettre en _uvre le mécanisme jusqu'ici inutilisé de l'article 43 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il est impuissant à remettre en cause les structures ainsi constituées. Seul le législateur disposerait, s'il le souhaitait, des moyens juridiques de corriger certaines situations en décidant, par mesure autoritaire, de diviser certaines entreprises ; une telle mesure n'a pas de précédent mais ne devrait pas, pour autant, être écartée. Encore faut-il s'assurer que les situations qui ont été mises en évidence sont véritablement dangereuses pour l'économie.

S'agissant du poids des opérateurs sur les marchés de l'eau, la problématique est simple mais encore insuffisamment étudiée : les économies d'échelle réalisées par les trois " majors " justifient-elles les risques que la concentration du marché fait peser sur la concurrence ?

S'agissant de la diversification de ces mêmes opérateurs dans les services connexes rendus aux collectivités, qui englobent par exemple assainissement, enlèvement des déchets et transport, la problématique soulevée est de même ordre. Les synergies entre ces différents services peuvent sans doute permettre aux entreprises de diminuer leurs coûts et, le cas échéant, d'en faire bénéficier les consommateurs. Mais cette multiplicité des services rendus pourrait aussi créer une dépendance économique des collectivités à l'égard des entreprises. Le bénéfice de prix bas sur certains services pourrait être lié au fait que la collectivité aurait contracté pour une série d'autres services, parfois à des prix relativement élevés. De plus, les délégations consenties sur des services différents ayant des dates d'échéance différentes, une collectivité peut hésiter à se séparer d'un opérateur en ce qui concerne la distribution d'eau alors qu'elle va lui rester liée plusieurs années pour d'autres services. Enfin, le fait, pour de nombreuses collectivités, de faire appel à la même entreprise pour assurer tous les services publics pourrait constituer un obstacle à l'accès aux marchés locaux pour les autres concurrents et avoir en fin de compte des incidences négatives sur les prix. A titre d'illustration, dans l'affaire de la fusion entre la Lyonnaise des eaux et la SDEI, compte tenu de l'attrait que présentaient pour les collectivités des prestations liées à la distribution de l'eau, le ministre de l'économie s'est borné à enjoindre la Lyonnaise des eaux de limiter à 50 % sa part du marché de l'eau dans certains départements en procédant aux rétrocessions nécessaires (cf. supra).

Des réflexions fondées sur une analyse très précise des économies d'échelle et des synergies pourraient être ainsi engagées afin d'effectuer un bilan entre leurs avantages et les inconvénients résultant de la taille et de la diversification des opérateurs. Elles seraient susceptibles, le cas échéant, de conduire à des recommandations dont le législateur pourrait tirer profit pour modifier autoritairement, si cela apparaissait nécessaire, la structure de l'offre.

2. Consultation sur le principe d'un retour à la régie

Le retour à la régie n'est pas impossible mais il se heure à plusieurs obstacles :

1. les collectivités qui ont délégué le service des eaux ont perdu le " savoir faire " indispensable pour mener à bien cette activité.

2. les élus locaux répugnent à endosser la responsabilité d'un service qui est une source inévitable et fréquente de contentieux et où leur responsabilité personnelle pourrait se trouver engagée.

3. le coût d'une reprise d'une activité économique par une collectivité locale peut être élevé et il n'est pas sûr qu'au cas d'espèce, l'opération soit toujours rentable pour le consommateur et pour le contribuable.

Cependant, la possibilité de retour à la régie peut servir de menace et stimuler ainsi les opérateurs privés. Il importe donc que cette menace soit suffisamment crédible.

Afin de faciliter un retour à la régie, une consultation de la collectivité locale sur les avantages et inconvénients de ce mode de gestion devrait être envisagée à l'échéance de chaque convention : à l'image de la procédure instaurée par la loi Sapin afin de permettre à la collectivité de choisir la délégation à la place de la régie (art. L 14114 CGCT), le code général des collectivités territoriales pourrait être modifié afin de contraindre la collectivité, à l'échéance de la convention, à s'exprimer explicitement en faveur de la reconduction de la délégation ou du retour à la régie. Cette consultation serait d'autant plus sérieuse que l'autorité de surveillance disposerait de données sur les régies existantes et aiderait les collectivités à évaluer avec précision la faisabilité économique d'un retour à la régie, ce qu'elles n'ont guère les moyens de faire aujourd'hui.

SECTION IV : SYNTHÈSE

Entre 1992 et 1998, le poste "distribution" de la facture d'eau a augmenté de 24 % alors que l'indice du coût de la vie n'a augmenté que de 9,6 %.

Le Conseil estime avoir réuni des indices qui, s'ils ne constituent pas une preuve, dès lors qu'aucune procédure contradictoire n'a été mise en _uvre, permettant de formuler une hypothèse relativement crédible selon laquelle la structure trop concentrée du marché et les comportements des opérateurs qui y sont actifs pourraient expliquer les chiffres observés.

Certes, plusieurs facteurs de concurrence existent mais leur portée est limitée. La participation de petites entreprises à des appels à la concurrence permet d'obtenir des réductions importantes de prix, mais la plupart des petites entreprises ne s'intéressent qu'aux petites collectivités. Le recours aux consultations anticipées permet également d'obtenir des réductions importantes. Cependant, leur nombre est fort réduit.

D'autres facteurs sont plus prometteurs. Tel est le cas de la menace d'un retour à la régie (le nombre de retours à la régie est en augmentation au cours de la période la plus récente) ou de l'ouverture du marché à la concurrence étrangère (plusieurs entreprises européennes manifestent un réel intérêt pour le marché français).

Pour remédier à la situation décrite ci-dessus, plusieurs solutions peuvent être envisagées.

Les premières solutions relèvent du droit de la concurrence. Le contrôle des concentrations permet de s'assurer que les opérations structurelles des entreprises n'entraînent pas de préjudice durable pour la concurrence. Par ailleurs, de nombreux comportements constatés sur le marché sont susceptibles d'être appréhendés sur le fondement des règles interdisant les ententes illicites ou les abus de position dominante. Tel est le cas, par exemple, lorsque des entreprises mettent en commun leurs moyens pour répondre aux appels à concurrence lancés par les collectivités alors qu'elles sont en mesure de mettre en _uvre leurs moyens de façon séparée et concurrentielle. Tel est également le cas lorsque les entreprises concluent des accords dont la durée est supérieure à la durée d'amortissement des installations.

Une autre série de solutions implique une meilleure prise de conscience des avantages que l'on retirerait d'un fonctionnement normal de la concurrence : ainsi, les collectivités territoriales devraient prendre conscience de l'intérêt de faire participer les petites entreprises et les entreprises étrangères aux consultations. Une consultation anticipée devrait également être envisagée chaque fois que le prix en vigueur apparaît excessivement élevé.

Mais, ces premières solutions comportent des limites. Ainsi, l'application du droit de la concurrence ne permet pas de régler tous les problèmes observés sur le marché de la distribution de l'eau. A titre d'exemple, les prix abusivement élevés ne peuvent être sanctionnés pour abus de domination que si une position dominante peut être établie et si les prix sont manifestement supérieurs au prix de référence. Par ailleurs, le fait que certaines entreprises du marché ne remettent pas en cause les relations existantes lors des renouvellements des conventions ne suffit pas à lui seul à constituer une entente illicite. Il convient dès lors d'envisager aussi l'adoption de mesures spécifiques.

A cet égard, il apparaît que, pour améliorer le fonctionnement de la concurrence sur les marchés de l'eau, et notamment pour favoriser l'accès à ces marchés de nouveaux opérateurs, la question de la collecte, du traitement et de la diffusion des informations disponibles est cruciale. Elle pourrait donc justifier la création d'une autorité de surveillance qui aurait une mission d'observation, d'information et de conseil. Cette autorité devrait être dotée de la faculté de saisir le Conseil de la concurrence des pratiques qu'elle constaterait et qui lui paraîtraient anticoncurrentielles ; elle pourrait également suggérer les modifications de législation ou de réglementation qui lui paraîtraient nécessaires.

Une modification législative pourrait également être envisagée afin de rendre obligatoire une consultation de l'assemblée délibératoire de la collectivité territoriale à l'échéance de la convention de délégation afin de débattre des avantages d'un retour à la gestion directe.

En conclusion, le Conseil

a) concernant l'application du droit de la concurrence :

· estime qu'il appartient au Gouvernement de surveiller avec une attention particulière l'évolution de la concentration dans le secteur de l'eau potable pour mettre en _uvre, le cas échéant, les dispositions du titre V de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

· considère que le droit de la concurrence permet de lutter contre 1) la mise en commun de leur moyens par des entreprises invitées à participer à une mise en concurrence lancée par une collectivité, lorsque ces entreprises sont en mesure de mettre en _uvre ces moyens de façon séparée et concurrentielle ; 2) les durées excessivement longues des conventions de délégation ; 3) les prix abusivement élevés ; 4) le fait, pour le titulaire d'une délégation de distribution d'eau potable, propriétaire des installations de captage, de refuser de façon injustifiée de fournir cette eau à une entreprise souhaitant se porter candidate à une procédure de mise en concurrence.

· recommande aux entreprises de ne plus associer leurs moyens dans le domaine de la gestion de réseaux de distribution de l'eau lorsque, présentant des propositions à des collectivités locales, elles seront en mesure de mettre en oeuvre ces moyens de façon séparée et concurrentielle.

b) concernant la nécessité de faire jouer la concurrence à l'échéance des conventions de délégation :

· estime que les collectivités locales devraient être incitées à faire davantage appel à la concurrence lorsqu'elles désirent soit faire exploiter le service de distribution de l'eau, soit proroger ou modifier des contrats en cours.

c) concernant l'adoption de règles normatives :

· suggère la création d'une autorité de surveillance permettant la mise en commun et la diffusion des informations détenues par les différentes administrations ou organisations déjà présentes dans le secteur, qui jouerait un rôle d'observation, d'information et de conseil et qui pourrait saisir, le cas échéant, le Conseil de la concurrence de toute pratique prohibée par les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

· estime qu'il conviendrait d'ajouter dans le code des collectivités territoriales une disposition imposant aux assemblées délibérantes des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics de se prononcer expressément sur le principe d'un retour à la régie à l'échéance des conventions de délégation.

Délibéré, sur le rapport de M. Arhel, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, viceprésidente, M. Jenny, viceprésident, MM. Bargue, Nasse et Robin, Mmes Mader-Saussaye et Perrot, membres.

Le rapporteur général,

La présidente,

Patrick Hubert

Marie Dominique Hagelsteen

(1) Rapport de 1997 de la Cour des comptes sur la gestion des services publics d'eau et d'assainissement, p. 28 et s.

(2) Rapport du Haut Conseil du Secteur Public, "Quelle régulation pour l'eau et les services urbains ?", décembre 1999, p. 13.

(3) FNCCR, La Lettre Service des Eaux n° 154 du 13 août 1999.

(4) Les chiffres analysés ci-dessous concernent le prix global de l'eau, qui comprend la distribution et l'assainissement (il n'a pas été possible d'individualiser le prix de la distribution).

(5) FNCCR, La Lettre Service des Eaux n° 154 du 13 août 1999.

(6) Rapport du Commissariat général du Plan, préc. p. 111.

(7) Le prix de l'eau en France - Les tendances dans les pays de l'OCDE, OCDE 1999, p. 86.

(8) Rapport préc. p. 90.

(9) Non comprise la redevance pollution.

(10) Y compris la location et l'entretien d'un compteur de 12/15 mm de diamètre.

(11) Les chiffres analysés ci-dessous concernent le prix global de l'eau, qui comprend la distribution et l'assainissement (il n'a pas été possible d'individualiser le prix de la distribution).

(12) Rapport préc. p. 119.

(13) Arrêté ministériel du 20 juil. 1991, BOCCRF 20 juil.1991.

(14) Lettre du ministre du 7 mars 1997, BOCCRF du 22 avr. 1997.

(15) Com. Conc. avis du 28 oct. 1980 relatif à des pratiques constatées dans le secteur de la distribution de l'eau, publié dans le rapport annuel de la Commission pour 1981, p. 110.

(16) Rapport du Haut Conseil du Secteur Public, "Quelle régulation pour l'eau et les services urbains?", déc. 1999, p. 20.

(17) Note d'information DGCCRF n° 1999-143 du 18 août 1999, p. 4 et 5.

(18) Rapport du Haut Conseil du secteur public, préc. p. 20.

(19) Rapport du Haut Conseil du Secteur Public, préc. p. 7.

(20) Voir aussi supra l'exemple du district de la Côte Vermeille.

(21) Com. CE aff. n° IV/M.1365 du 4 mars 1999, FCC/Vivendi, pt. 33.

(22) Avis publié dans le rapport d'activité pour 1981.

(23) TPI 27 oct. 1994, aff. Fiatagari, T34/92, Rec II, p. 905.

(24) L'article 10-I de l'ordonnance interdit "les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un marché ou d'empêcher d'accéder à un marché une entreprise ou l'un de ses produits". Ne sont donc pas visées les offres faites par les entreprises dans le cadre des appels à candidature lancés par une collectivité territoriale pour la distribution de l'eau ; en effet, dans un tel cas, la commune n'est pas un consommateur puisqu'elle cherche à satisfaire les besoins de ses habitants et non ses propres besoins (Cons. Conc. déc. n° 99-PB-01 du 21 déc. 1999, Syndicat des exploitants indépendants des réseaux d'eau et d'assainissement, BOCCRF 31 mars 2000).

(25) CJCE 3 juill. 1991, Akzo no C-62/86, Rec. 3359.

(26) Cons. Conc. déc. n° 97-D-92, Pompes funèbres de Marseille, BOCCRF 28 déc. 1997.

(27) CE 3 nov. 1997, Sté. Million et Marais.

(28) CJCE 23 avr. 1991, Höfner et Elser, Rec. 1979; 10 déc. 1991, Port de Gênes, Rec. 5889; 5 oct. 1994, Centre d'insémination de la Crespelle, 12 févr. 1998, Rec. 5097; Silvano Raso, etc.

(29) CE 3 nov. 1997, préc.

(30) Communication de la Commission sur la définition du marché aux fins du droit communautaire de la concurrence, pt. 12 : JOCE n° C372, 9 déc. 1997.

(31) Cons. Conc., avis n° 91-A-06 du 25 juin 1991 ; cette opération a permis à la Lyonnaise des eaux d'acquérir la SDEI.

(32) C.A. Paris 29 juin 1998, BOCCRF du 16 juillet 1998.

(33) Com. Conc avis du 28 oct. 1980, préc.

(34) Com. CE aff. n° IV/M.1186 du 18 juin 1998, GEAL/CREA/CGE ; Com. CE aff. n° IV/M.1365 du 4 mars 1999, FCC/Vivendi.

(35) Cons. Conc. avis n° 91-A-06, préc.

(36) préc.

(37) ex. : CJCE 10 déc. 1991, aff. n° C179/90, Merci, Rec. 5523 ; Cons. conc. déc. n° 97-D-92, préc.

(38) Com. Conc. Avis du 28 oct. 1980, préc.

(39) Déc. n° 81-03/DC du 13 janv. 1981, publiée dans le rapport annuel de la Commission pour 1981, p. 108.

(40) CA Paris 28 juin 1994, BOCCRF 14 juil.1994.

(41) Cass. Com. 26 nov. 1996.

(42) Cons. Conc. rapp. act. 1990, p. XLIV.

(43) Voir en ce sens, Com. CE communication relative à la distinction entre entreprises communes concentratives et entreprises communes coopératives établie par le règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, pt. 17 : JOCE C 385 du 31 déc. 1994, p. 1.

(44) CE 3 nov. 1997, préc. CE 3 nov. 1997, préc.

(45) Définition donnée par la Cour de Justice des Communautés Européennes dans l'arrêt du 13 février 1979 dans l'affaire 85/76, Hoffman-La Roche, Rec. 461.

(46) CJCE 13 fév. 1979, Hoffmann La roche, Rec. 461.

(47) Cons. Con. déc. n° 98-MC-02 du 31 mars 1998, BOCCRF du 15 mai 1998.

(48) CA Paris, 19 mai 1998.

(49) CA Paris 29 juin 1998, BOCCRF du 16 juillet 1998.

(50) Cons. Conc. déc. n° 97-D-71 du 7 oct. 1997, BOCCRF 31 déc. 1999.

(51) Cons. Conc. déc. n° 98-D-52 du 7 juil. 1998, BOCCRF 7 oct. 1998.

(52) Cons. Conc., déc. n° 99-D-14 du 23 fév. 1999, BOCCRF 27 juil. 1999.

(53) Rapport du Haut Conseil du Secteur Public p. 7.

Quatrième de couverture du rapport sur le financement et la gestion de l'eau

Alors que la question du prix de l'eau retient actuellement l'attention de l'opinion publique, la Mission d'évaluation et de contrôle a jugé opportun de consacrer ses travaux à la composition de ce prix et au fonctionnement du marché des services de distribution d'eau et d'assainissement en France.

Pour un ménage, la facture d'eau atteint 2.000 francs en moyenne, mais elle varie considérablement entre communes et correspond à des services de qualité très variable. Les délégataires privés, trois grands groupes pour l'essentiel, assurent la distribution de l'eau à près de 80 % des Français et les services d'assainissement à plus de la moitié de la population, tandis que la part revenant aux régies communales ou intercommunales se réduit progressivement.

Après avoir analysé les différentes composantes du prix de l'eau et le fonctionnement, bien peu concurrentiel, du marché, le rapporteur de la Mission, M. Yves Tavernier, a élaboré une série de propositions articulées autour de trois axes : favoriser la maîtrise par les collectivités de leurs services de l'eau, revoir les conditions de fonctionnement du marché et le contenu des contrats et renforcer l'information et la consultation des usagers. Une partie de ces propositions pourra être intégrée dans le futur projet de loi sur l'eau.

Titre

De l'opacité à la transparence : le prix de l'eau

N°3081- Rapport d'information déposé par la commission des finances en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle par M. TAVERNIER sur le financement et la gestion de l'eau

() Guy MALANDAIN et Yves TAVERNIER, Pour sauver l'eau, éditions Michel Rino, 1991, 127 pages.

() Yves TAVERNIER, rapport d'information sur le financement à long terme de la politique de l'eau, Assemblée nationale, IXème législature, n° 1358, 17 mai 1990, p. 37.

() Voir l'annexe 2 pour avoir une idée du contraste des prix entre régions du Nord et de l'Ouest, où l'eau est en moyenne plus chère, et régions du Sud et de l'Est, où les prix sont plus modérés.

(1) Différentes sources sont disponibles en matière de comparaisons internationales :

Bureau d'informations et de prévisions économiques (BIPE), Prix de l'eau : éléments de comparaison entre modes de gestion, en France et en Europe, janvier 2001.

OCDE, Le prix de l'eau. Les tendances dans les pays de l'OCDE, 1999.

National utility service France, l'Observatoire international des coûts énergétiques, Étude internationale sur le prix de l'eau (juillet 1999-juillet 2000), octobre 2000.

() Ces données chiffrées proviennent de l'enquête sur le prix de l'eau 1994-1999 réalisée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

() Article L. 2224-6 du code général des collectivités territoriales, issu de l'article 74 de la loi n° 95-101 du 2 février 1995.

() Article L. 221-11 du code général des collectivités territoriales issu de l'article 84 de la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998.

() Lettre d'observation de gestion de la chambre régionale des comptes d'Île-de-France du 7 septembre 2000.

() Ce principe a été récemment réaffirmé par la Cour administrative d'appel de Lyon dans l'arrêt SA COMALAIT industrie du 20 mai 1999.

() Conseil d'État, 15 avril 1996, Préfet des Bouches-du-Rhône contre commune de Lambesc et 30 juin 1999, Syndicat mixte du traitement des ordures ménagères Centre Ouest seine-et-marnais (SMITOM), jurisprudence appliquée au secteur de l'eau par la décision du 7 avril 1999, Commune de Guilherand-Granges.

() Le chiffre d'affaires relevant de la délégation de service public au sens strict, c'est-à-dire hors prestations de service aux collectivités et aux industries, travaux et comptes de tiers, atteindrait 23 milliards de francs (3,51 milliards d'euros) en 2000, selon les informations données à la Mission par le président de la Lyonnaise des eaux-France.

() Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, La lettre Service des eaux, 13 août 1999, n° 154, citée par le Conseil de la concurrence, avis n° 00-A-12 du 31 mai 2000, reproduit en annexe 4 du présent rapport.

() Institut français de l'environnement, « Eau potable : diversité des services... grand écart des prix », Les données de l'environnement, avril 2001, n° 65.

() Cour des comptes, La gestion des services publics locaux d'eau et d'assainissement, janvier 1997, p.89.

() Haut conseil du secteur public, Quelle régulation pour l'eau et les services urbains ?, décembre 1999, p. 26 et annexe.

() Ibidem.

() Cour des comptes, La gestion des services publics locaux d'eau et d'assainissement, op.cit., p.88.

() Ibidem, pp. 68-74.

() Ibidem, p.118.

() Voir notamment, le rapport public 2000 de la Cour des comptes, pp. 727-745.

() Article L. 1411-3 du code général des collectivités territoriales.

() Article L. 2224-5 du code général des collectivités territoriales.

() Il s'agit de provisions destinées à financer les travaux d'entretien du réseau et de ses équipements pendant la durée du contrat de délégation.

() Article L. 214-15 du code de l'environnement.

() Elles doivent compter moins de 1.000 habitants depuis le décret n° 93-1347 du 28 décembre 1993 relatif au régime exceptionnel de tarification de l'eau prévu au II de l'article 13 de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau.

() Il en existe pour chaque bassin versant : Seine-Normandie, Rhin-Meuse, Loire-Bretagne, Rhône-Méditerranée-Corse, Adour-Garonne.

() Décret n° 93-620 du 27 mars 1993 relatif aux conditions dans lesquelles le montant de la contre-valeur de la taxe due à Voie navigable de France par les titulaires d'ouvrages pourra être mis à la charge des usagers des services publics de distribution d'eau et d'assainissement.

() L'arrêt de principe est celui du 20 décembre 1985, SA Etablissements Outters contre Agence financière de bassin Seine-Normandie.

() Commissariat général du plan, Évaluation du dispositif des agences de l'eau, rapport au Gouvernement, La documentation française, 1997, p. 97.

() Ibidem.

() Rapport d'évaluation commandé le 8 avril 1999 par les ministres de l'Agriculture, de l'Environnement et des Finances à l'inspection générale des finances, au comité permanent des corps d'inspection du ministère de l'Agriculture et au conseil général du génie rural des eaux et forêts, dont les conclusions ont été diffusées début 2000. Sur ces questions, voir aussi les rapports d'information de Mme Nicole BRICQ, Pour un développement durable : une fiscalité au service de l'environnement, Assemblée nationale, XIème législature, n° 1000, 23 juin 1998 et de M. Yves TAVERNIER, La fiscalité au secours de l'eau, Assemblée nationale, XIème législature, n° 1807, 22 septembre 1999.

() En 1999, la consommation n'a atteint que 43,1 % des crédits, en recul d'un demi-point par rapport à 1998. Sur cette question, voir le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution des lois de finances pour l'année 1999, pp. 228-229.

() BIPE, Prix de l'eau. Éléments de comparaison entre modes de gestion, en France et en Europe, op. cit., p. 151 et sqtes.

() Le délégataire et la collectivité peuvent bénéficier de l'expérience de l'ordre des experts comptables, Le rapport annuel du délégataire de service public. Analyse de l'obligation et du contenu du rapport, Le courrier des maires et des élus locaux, 1998, complété par une analyse spécifique au secteur de l'eau et l'assainissement en 2000.

(1) Voir annexe 3 sur le rôle d'appui que les chambres régionales des comptes peuvent jouer auprès des collectivités locales dans le secteur de l'eau.

() Conseil de la concurrence, Avis n° 00-A-12 du 31 mai 2000 dont le texte intégral figure en annexe 4 du présent rapport.

() Le dernier alinéa de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités locales, issu de l'article 38 de la loi « Sapin », dispose que les offres « sont librement négociées par l'autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire ».

() Conseil de la concurrence, Avis n° 00-A-30 du 4 décembre 2000 relatif à une demande d'avis de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies sur la convention collective des entreprises des services d'eau et d'assainissement.

() Conseil d'État, 7 avril 1999, Commune de Guilherand-Granges.

() M. René BOUÉ, La réforme de la politique de l'eau, Conseil économique et social, 2000.

() Article L. 2143-4 du code général des collectivités territoriales.