SOMMAIRE

Les SÉISMES et MOUVEMENTS de TERRAIN :

TOME 1 : CONCLUSIONS du RAPPORTEUR

TITRE I - Les SÉISMES et le RISQUE SISMIQUE

3 - La prévision des séismes est-elle possible ? 41
3-1 - La prévision à long terme 41
3-2 - La prévision à moyen terme 41
3-3 - La prévision à court terme ou prédiction 42
3-3-1 - Les phénomènes précurseurs 42
3-3-2 - La méthode VAN 44
3-3-3 - La recherche dans des pays à forte sismicité 48
3-3-4 - La recherche en France 60

3 - LA PRÉVISION DES SÉISMES EST-ELLE POSSIBLE ?

On distingue généralement la prévision à long terme (plusieurs dizaines d'années), à moyen terme (entre un mois et une année), à court terme ou prédiction (quelques heures à quelques jours).

La prévision à long terme (plusieurs dizaines d'années), permet la définition d'un mode de construction adapté à une région, et l'éventuel renforcement du bâti existant. La prévision à moyen terme (un mois, une année), permet aux scientifiques d'instrumenter finement et de surveiller la ou les failles menaçantes. Enfin la prédiction à court terme (quelques heures à quelques jours), permet la mise en alerte des réseaux d'intervention de la protection civile, la préparation des secours et éventuellement l'évacuation temporaire des bâtiments.

    3-1 - la prévision à long terme

La prévision à long terme permet de définir l'aléa sismique d'une région, c'est à dire la probabilité d'occurrence d'une secousse dépassant un certain niveau. L'analyse de la sismicité historique (retrouver les magnitudes et les localisations approximatives des failles sources), de la sismicité instrumentale, et l'identification des failles actives sur le terrain, permet de fournir le cadre nécessaire à la définition de l'aléa. Pour un site donné, la magnitude et la distance du ou des séismes à prendre en compte étant définies, il est possible d'estimer les caractéristiques du mouvement du sol.

Mais quel est pour la population l'intérêt de savoir que dans un siècle ou plus un séisme d'importance indéterminée se produira dans la région ? Mis à part la nécessité de construire en respectant des normes parasismiques, la motivation est peu importante.

    3-2 - la prévision à moyen terme

La prévision à moyen terme semble avoir trouvé une voie prometteuse par la technique de reconnaissance des formes, appliquée par une équipe soviétique aux variations dans l'espace et le temps de la sismicité d'une région. Ces chercheurs pourraient ainsi préciser le lieu (à quelques centaines de kilomètres près) des plus grands séismes de l'année qui vient, avec un taux de succès significatif, sur la base des catalogues annuels de sismicité.

Ces résultats, s'ils sont confirmés, sont importants, car les techniques de prédiction à court terme, très coûteuses, nécessitent le choix a priori des failles à surveiller, choix qui pourrait être guidé par la méthode soviétique.

    3-3 - la prévision à court terme ou prédiction

La prédiction sismique consiste à tenter de prévoir le lieu et l'instant d'un futur séisme destructeur. La prédiction à court terme devrait permettre d'évacuer les populations et donc de préserver des vies humaines. Or, le temps de retour moyen d'un séisme destructeur est très variable, de plusieurs dizaines d'années à plusieurs millénaires !

Les cycles sismiques d'une région ne sont pas forcément réguliers, loin s'en faut. Il est donc impossible à partir d'une simple analyse historique de prédire un séisme. Les sismologues doivent donc baser leur prévision sur d'autres observations : celles des phénomènes précurseurs.

      3-3-1 - les phénomènes précurseurs

Les observations des différents séismes ont permis de répertorier de nombreux phénomènes dont certains sont sans doute des précurseurs :

- déformations crustales

- évolution spatio-temporelle de la sismicité

- variation des vitesses de propagation des ondes sismiques

- phénomènes hydrogéologiques et géochimiques

- résistivité électrique

- potentiels spontanés

- émissions électromagnétiques

- variation du champ géomagnétique.

La Chine développe des études de comportement des animaux ; en 1974, le séisme de magnitude 7.4 dans la province de Liaoning n'a fait que quelques milliers de victimes sur les 3 millions d'habitants grâce à une évacuation programmée à la suite de l'observation de ces comportements animaliers anormaux. Par contre, en 1976, rien ne permit de prédire le séisme de Tang-Shan qui fit officiellement 240 000 victimes et certainement beaucoup plus en réalité (3 fois plus ?).

Rien non plus ne permit de prédire le séisme de Mexico (Michoacan le 19 septembre 1985, magnitude 8.1, 20 000 morts, 50 000 sinistrés et 4 milliards de dollars de pertes directes), ni celui d'Arménie (7 décembre 1988, magnitude 6.9, plus de 25 000 morts, 31 000 blessés, 500 000 sinistrés et 14 milliards de dollars de pertes directes), pas plus que celui du Nord-Ouest de l'Iran (21 juin 1990, magnitude 7.7 et 50 000 morts).

Le séisme de Northridge (17 janvier 1994, magnitude 6.7, 61 morts, 8 700 blessés, 12 000 bâtiments endommagés ou détruits, 16 000 maisons et appartements inhabitables, 40 000 personnes sans abri, 60 kilomètres de routes inutilisables, et 20 milliards de dollars de dégâts) n'a pas été prédit, pas plus que ne l'a été celui de Kobe (17 janvier 1995, magnitude 7.2, 5 493 morts, 26 000 blessés, plus de 60 000 habitations endommagées et de 500 à 1 000 milliards de francs de dégâts, chaque jour apportant son lot de constructions inutilisables bien que d'apparence extérieure satisfaisante et dernière estimation de l'ensemble des pertes pour le Japon à 10 % de son PNB).

Des phénomènes précurseurs ont été observés pour le séisme californien du 17 octobre 1989 : deux petits séismes anormaux, en 1988 et en août 1989, ont eu lieu dans une zone habituellement calme, qui s'est avérée être à l'épicentre du séisme de Loma Prieta, et ont donné lieu à un communiqué public trois mois avant le séisme. Mais cela n'a servi apparemment à rien puisque le bilan est le suivant pour Loma Prieta : magnitude 7.1, 63 morts, 3 700 blessés, 12 000 personnes sans abri et 7 milliards de dollars de dégâts.

Ces phénomènes précurseurs peuvent s'expliquer par une fatigue du milieu soumis aux contraintes tectoniques. Les roches autour de la zone source en préparation commenceraient à se fracturer et à se déformer rapidement avant la rupture finale. Mais les modèles théoriques sont encore peu développés, faute de données d'observation. Pour faire progresser cette science débutante des précurseurs, de nombreuses équipes scientifiques se sont donc attelées à la récolte et à l'analyse de données, avec des méthodes diverses.

Ainsi aux Etats-Unis, les chercheurs ont choisi de se concentrer sur un petit tronçon de la faille de San Andreas (site de Parkfield), long de 20 km seulement, que l'on sait prêt à casser par un séisme de magnitude 6 (cycle régulier de 22 ans), pour instrumenter de manière dense. Des mesures de tous les phénomènes précurseurs décrits plus haut sont faites en continu au voisinage de cette faille. De manière analogue, une équipe germano-turque surveille un tronçon de 50 km de la faille nord-anatolienne, à Mudurnu à 200 km à l'Est d'Istanbul, répétant un grand nombre de mesures variées depuis 1985. Au Japon une quinzaine d'instituts effectuent un travail analogue, dans plusieurs régions potentiellement dangereuses de l'archipel et principalement dans la lacune de Tokai. Des recherches similaires sont développées en Chine, en URSS, et dans quelques autres pays. En Grèce, un programme européen a débuté en 1990.

Le point commun de ces recherches est un effort pluridisciplinaire de toutes les disciplines des sciences de la terre, pour comprendre le phénomène de gestation de la rupture sismique; il s'agit pour l'instant de définir des critères de prédiction plus que de faire des annonces publiques de séismes imminents.

      3-3-2 - la méthode VAN

La méthode VAN du nom des chercheurs grecs P. Varotsos, K. Alexandropoulos et K. Nomikos, proposée au début de la décennie 80, est encore en phase d'élaboration. Elle est basée sur les mesures des courants électrotelluriques. L'analyse des fluctuations de la différence de potentiel mesurée entre deux électrodes impolarisables enterrées et distantes d'une dizaine à quelques centaines de mètres, permet d'identifier des signes anormaux, dits "SES" (seismic electric signal). L'interprétation d'un SES se fait sur la base des observations passées, recueilles à la même station et corrélées à des séismes régionaux (qui peuvent être parfois distants de plusieurs centaines de kilomètres de la station d'observation du SES !). Elle conduit à la prédiction d'un séisme dont les performances annoncées sont : moins de trois semaines de délai, une incertitude de localisation inférieure à 120 km et une erreur de magnitude de 0.7, pour des séismes de magnitude supérieure à 5.

La méthode reste cependant fortement contestée par la communauté scientifique internationale, au regard des seuls documents publiés à ce jour par le groupe VAN. D'une part, les enregistrements ne sont pas corrigés des fluctuations du champ externe et d'autre part, les prédictions sont loin d'être systématiques pour les plus gros séismes. Les SES observés dans certaines stations ne pourraient être imputables qu'à une structure électrique particulière de l'Ouest de la Grèce, les seuls séismes de magnitude supérieure à 5.5 ayant fait l'objet d'une prédiction réussie étant situés à l'Ouest du Péloponnèse. En outre, ces signaux sont enregistrés sur des stations situées à plusieurs centaines de kilomètres, alors que des stations beaucoup plus proches de l'épicentre n'ont enregistré aucun signal anormal. Par ailleurs il n'existe pas de modèle physique satisfaisant, capable de rendre compte des niveaux de différence de potentiel élevés (0,1 V), mesurés en des sites d'observation distants de plusieurs centaines de kilomètres des séismes auxquels ils sont associés. Enfin les exemples de succès présentés par le groupe VAN concernent une grande majorité de séismes modérés, de magnitude inférieure à 5. Les corrélations statistiques entre ces événements et les SES enregistrés sont dès lors, sujettes à caution, dans le contexte d'activité sismique élevé propre à la Grèce où la fréquence de ces séismes faibles est très forte.

Une analyse critique approfondie de cette méthode et de ses résultats est nécessaire et plusieurs équipes de recherche, dans le monde, essayent d'éclaircir les points qui demeurent obscurs actuellement.

Votre Rapporteur a rencontré le Professeur Varotsos : on ne peut qu'être interpellé par l'attitude de cet homme. Véritable moine-soldat consacrant sa vie à cette recherche, il a transformé sa propre habitation en un centre de traitement des enregistrements de ses stations. Se levant plusieurs fois par nuit pour surveiller ses terminaux, il compte redévelopper le nombre de ses stations qui avaient été singulièrement réduites lors des années précédentes par réduction de budget et un semblant de désintérêt pour ses travaux de la part du gouvernement grec. De 18 stations jusqu'en 1989, il n'en restait que 4 en 1993. L'appui retrouvé de certaines autorités politiques grecques et la mise à disposition d'un certain nombre de militaires (rappelons que les stations VAN sont installées dans des camps militaires, ce qui les protègent des actes de vandalisme) vont lui permettre de reprendre à grande échelle ses travaux. Toutefois, le mode de communication vers le monde scientifique ne semble pas avoir évolué, ce qui laissera toujours un certain doute jusqu'à ce qu'une ou d'autres équipes aient pu expérimenter et observer des résultats comparables. Depuis 1988, les résultats font l'objet d'une publication à 19 instituts étrangers dont le MIT, Stanford, Caltech pour les Etats-Unis et le CEA/LDG, Labeyrie, M. Haroun Tazieff pour la France.

Le Professeur appuie sa démonstration par deux faits troublants :

Dans le premier cas, en 1988 :

31 août : signaux enregistrés.

2 septembre : annonce par l'équipe VAN pour le gouvernement

grec d'un séisme catastrophique prévu à 240 km

d'Athènes.

3 septembre : annonce officielle au public par M. H. Tazieff.

22 septembre : les premiers séismes arrivent à 5,5.

30 septembre : nouveaux séismes, on insiste sur le fait qu'un plus

grand doit se produire.

4 octobre : nouveaux séismes, on insiste très fortement sur le

fait qu'un plus grand doit se produire.

5 octobre : M. Haroun Tazieff fait une autre annonce.

Les mesures nécessaires sont prises.

6 octobre : Séisme de magnitude 6.

5 à 6 000 maisons détruites, pas de victimes.

Le Professeur Yoshii, de l'Université de Tokyo, a enquêté auprès de la population sur ce cas :

- un tiers de la population n'était pas informé,

- le restant est bien informé, mais certains n'y croient pas.

Mais l'annonce n'émanait pas officiellement du Gouvernement grec, elle venait de l'étranger. Les sismologues grecs disaient que rien ne se passerait.

Parmi les personnes ayant entendu l'information, la réaction avant le séisme était la suivante :

16 % n'y croyaient pas du tout,

34 % étaient indécis,

50 % y croyaient.

Si une nouvelle information venait après le séisme (sur une population de 154 personnes interrogées) :

80 % voudraient une information officielle,

15 % ne peuvent répondre,

5 % ne veulent pas savoir.

Le second cas d'annonce publique en 1993 :

27 janvier : signaux enregistrés.

28 janvier : signaux enregistrés.

29 janvier : signaux enregistrés.

30 janvier : envoi du texte au Gouvernement.

Le Gouvernement ne prend pas de mesures.

14 février : l'activité commence à Pynyos, près d'Olympie.

La population est prévenue, la réaction est très vive dans la presse. La population évacue en partie la ville et se réfugie dans des serres ou des tentes. La situation devient très difficile, car on reproche à l'équipe du Professeur de tuer l'économie de la ville. Les ministres disent que rien ne se passera, "vous pouvez rentrer", mais la population ne bouge pas.

5 mars : premier séisme de magnitude 5.9.

Les enseignants ont fait des leçons quotidiennes sur les séismes et les consignes de sécurité à respecter. Les gardiens du musée d'Olympie avaient pris de mesures pour protéger les statues, cela fut même rapporté dans le journal japonais "Asahi Shimbun".

Nouveaux signaux pendant trois semaines.

Nouvel avertissement au Gouvernement, en précisant

le lieu du séisme.

26 mars : l'Office de prévision et de prévention des séismes

annonce que le séisme n'aura pas lieu.

Trois heures après, le séisme se produit ; 40 % des édifices détruits à Pynyos, une victime de 90 ans par crise cardiaque.

Le Professeur Varotsos précise que les stations VAN ne sont pas équipées pour observer d'autres précurseurs, il n'y a pas de possibilité de croiser des SES avec d'autres signes pour l'instant. Chaque paramètre semble nécessiter un site particulier ; le signal électrique a besoin d'être près d'un canal de conductivité, le radon ne peut être observé que près d'une faille ouverte.

Il est par ailleurs persuadé d'avoir trouver une méthode pour éliminer les bruits parasites dus à l'activité industrielle.

C'est d'ailleurs pourquoi votre Rapporteur a tenu à rencontrer également à Athènes Sylvie Gruszow, qui avec les physiciens de l'Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), a installé deux stations de ce type à 10 et 6 km au NNW de la ville de Ioannina, en Grèce (Epire). Ces deux stations enregistrent les variations du champ électrique pour celle installée en juillet 1993 et celle installée en avril 1994 les variations du champ magnétique.

Une note sur les premiers résultats des travaux enregistrés par Mlle Sylvie Gruszow et le groupe de chercheurs de l'IPG de Paris (Jean-Louis Le Mouël, Jean-Claude Rossignol), du Centre National de la Recherche Scientifique de Sophia-Antipolis (Claude Pambrun) et de l'Université d'Athènes (Andréas Tzanis) et dont votre Rapporteur a eu connaissance grâce à leur amabilité, vient d'être présentée à l'Académie des Sciences.

Dans cette note qui se veut parfaitement objective l'équipe française décrit son travail depuis l'installation des stations. A l'aide des magnétogrammes, les différentes composantes du signal électrique sont analysées. Les caractéristiques des composantes ordinaires de ce signal sont toujours présentes. Des événements plus rares, dont l'origine est inconnue et qui pourraient être engendrés par une activité industrielle ou être des signaux naturels tectonoélectriques ont été détectés.

La station VAN de IOA qui est située à 5,5 km de la station électrique est celle qui a enregistré le plus grand nombre d'événements qualifiés de signaux sismoélectriques (SES). Des SES qui ont été annoncés certains jours par le Professeur Varotsos ont été détectés également par la station de Sylvie Gruszow ; par contre des signaux ont été observés des jours où aucun SES n'a été mentionné.

Les difficultés de communication entre les deux groupes -l'attitude réservée de l'équipe VAN se comprenant fort bien lorsque l'on peut observer la violence des réactions et le rejet total d'autres scientifiques, y compris et peut-être surtout en Grèce- ne facilitent pas le travail.

      3-3-3 - la recherche dans des pays à forte sismicité

Lors des missions, votre Rapporteur a recueilli les avis de grands scientifiques mondiaux. Tous ont été très prudents, même quand ils affirment croire en une prédiction possible.

Mme le Dr. Barbara Romanowicz, Directeur de recherche au CNRS, dirige actuellement la "Seismographic Station" de l'Université de Californie à Berkeley. La mission de cet organisme de recherche universitaire est de suivre la sismicité de Californie du Nord et de fournir des informations pertinentes aux services d'urgence. Pour cela, le laboratoire dispose de stations à large bande permettant d'enregistrer tous les séismes sans aucun phénomène de saturation et de données transmises en temps réel.

Le but ultime recherché actuellement est l'alerte. Mais l'alerte sur des données fondamentales, c'est-à-dire définir une heure avant le séisme à venir sa magnitude et son épicentre, c'est de la recherche fondamentale, et il manque toujours la connaissance du paramètre physique le permettant.

S'il existe un projet de descendre des instruments dans la faille de San Andreas, en grande profondeur qui permettra de mieux connaître certains phénomènes, cela ne résoudra pas tout.

Si au cours de ma mission, je n'ai pu rencontrer, faute de temps, de représentants du Centre d'étude des séismes du Bureau géologique des Etats-Unis (USGS), j'ai eu connaissance de leurs travaux. M. Raoul Madariaga, qui dirige le département de sismologie de l'IPG de Paris, a eu l'occasion de m'en entretenir et je cite la description qu'il fait des travaux de William Bakun et Alan Lindh de l'USGS et du professeur Mac Evilly de l'université de Californie à Berkeley qui ont étudié la sismicité de la faille de San Andreas dans le but d'établir une carte des lacunes. Ils se sont rendus compte que six séismes de magnitude proche de 6 s'étaient produits à Parkfield entre 1857 et 1966, date du dernier tremblement de terre.

L'histoire des tremblements de terre en Californie n'est connue avec précision que depuis un siècle. Avec un taux de récurrence très court, Parkfield est le seul secteur de la faille de San Andreas où l'on peut faire une prévision à long terme fondée uniquement sur des documents historiques et sur la sismicité instrumentale. Pour les autres secteurs de la faille de San Andreas, le taux de récurrence des gros séismes, trop long, ne peut être déterminé qu'à travers des études sismotectoniques.

A partir des données recueillies par différentes méthodes sur la faille de San Andreas, le Groupe de travail sur la probabilité des tremblements de terre en Californie a dressé une carte des sites les plus probables des prochains gros séismes de la région pour la période 1988-2018. Cette carte a fait l'objet de beaucoup de publicité car le site du séisme de Santa Cruz du 17 octobre 1989 y figurait avec une probabilité de rupture proche de 30 %, la plus forte après celle de Parkfield et une autre située près de la frontière entre la Californie et le Mexique. Parkfield apparaît clairement comme le site ayant la plus forte probabilité de subir un séisme de magnitude 6, avec près de 90 % de chances pour la période 1988-2018.

Entre temps, Bakun, Lindh et leurs collègues de l'USGS ont affiné leurs estimations quant à la date du prochain séisme à Parkfield. En Californie centrale, le dernier très gros tremblement de terre a eu lieu en 1857 ; or Parkfield se trouve à l'extrémité nord de la zone de rupture de ce séisme, qui semble être parti de Parkfield ou de son voisinage. Depuis 1857, des séismes ont eu lieu à Parkfield en 1881, 1901, 1922, 1934 et 1966, ce qui correspond à un taux de récurrence de vingt-deux ans, avec une incertitude de cinq ans. Le séisme de 1934 semble s'être produit en avance par rapport à la date que l'on aurait pu prévoir, mais celui de 1966 a eu lieu à la date prévue à partir des séismes plus anciens. En tenant compte de l'incertitude de cinq ans sur le taux de récurrence, les sismologues ont prévu que le prochain séisme de Parkfield aurait lieu en 1988, avec une marge d'incertitude en temps qui s'étend depuis 1983 jusqu'en 1993. On se situe actuellement au-delà de la date prévue, mais toujours dans la marge d'incertitude. Un impressionnant dispositif d'instruments est installé à Parkfield afin de déceler la moindre anomalie qui pourrait être interprétée comme le précurseur du prochain séisme.

L'instrumentation déployée par les chercheurs universitaires et les services de l'USGS comprend un réseau de sismomètres extrêmement sensibles entourant l'ensemble de la région. Les données sont transmises par radio à un site central de traitement et d'interprétation. Plusieurs instruments de très grande sensibilité ont été installés dans un puits de plus de 1 500 m de profondeur, à quelques kilomètres du village de Parkfield et à un kilomètre de la trace de la faille. Un vibrateur sismique, similaire à ceux que l'on utilise en exploration pétrolière, sert à détecter les variations des vitesses de propagation des ondes sismiques

Treize extensomètres à fil d'invar ont été installés sur la trace de la faille ; ces instruments permettent de déceler des glissements de l'ordre de quelques centièmes de millimètres, entre les lèvres de la faille. Ces treize appareils réalisent des mesures toutes les dix minutes et transmettent ces informations par satellite à un site central d'exploitation des données.

A Parkfield, la déformation de la croûte autour de la faille a été étroitement surveillée depuis 1966. En 1984, un réseau de géodimètres à laser - instruments de mesure de distance par interférométrie - bicouleur a été installé de façon permanente: tous les soirs, on effectue avec cet appareil des mesures de distance entre plusieurs monolithes distribués autour de la faille. Ce réseau est complété par d'autres instruments portatifs permettant d'assurer un suivi mensuel de la déformation sur une large zone autour du site du futur séisme. De plus, un réseau de nivellement de haute précision permet de détecter les déformations verticales de la surface.

De nombreux instruments de mesure du champ électromagnétique terrestre ont été mis en place dans cette région depuis plus de dix ans. Des magnétomètres mesurent le champ magnétique absolu, afin de détecter une éventuelle variation dans l'aimantation des roches.

Plusieurs puits de la région sont échantillonnés toutes les 15 minutes et leurs données relayées par satellite jusqu'au site central d'interprétation. Ces mesures permettent de suivre en temps réel le niveau de l'eau dans les puits et les possibles variations de la teneur en gaz et autres éléments dissous dans l'eau.

La prévision n'est toutefois pas le seul objectif de l'expérience de Parkfield. Du point de vue social, la prévention et la construction parasismique sont tout aussi importantes que la prévision. Un réseau très performant d'accéléromètres à enregistrement numérique a été déployé dans la région, aussi bien en surface que dans des puits. Quand le séisme se produira, ces données permettront d'étudier avec une précision inégalée la propagation des ondes de haute fréquence qui sont responsables de la plupart des dégâts provoqués par les tremblements de terre. Ces données serviront à améliorer les accélérogrammes utilisés par les ingénieurs parasismiques dans le calcul de structures d'immeubles, usines, stades, oléoducs, centrales nucléaires, etc. Elles seront aussi précieuses pour l'étude de la source du séisme de Parkfield, car aucune observation détaillée des ondes émises par un séisme à une aussi courte distance de sa source n'existe.

M. le Professeur Yoshio Fukao, Directeur de l'"Earthquake Research Institute" à l'Université de Tokyo me rappelait le 26 septembre 1994 les grandes réformes d'avril 94 confiant à son institut :

- la prédiction des séismes et des éruptions volcaniques, l'institut étant utilisé pour l'ensemble du pays par le monde de l'éducation en général, éducation privée ou publique

- les études fondamentales de la terre (théoriques)

- la prévention des ondes sismiques qui provoquent des dégâts

L'institut comprend 150 personnes, chercheurs et administratifs, L'observation sismique occupe le plus de monde, et dispose du plus gros budget, 6 Universités y participent et surveillent la totalité du territoire.

L'observation permet la prévision à long et à court terme et une approche en 2 temps : si un séisme est prévu dans 20 ans avec une magnitude supérieure à 8, on met en place immédiatement un réseau d'observation.

M. Teruyuki Kato, Professeur associé au "Earthquake Research Institute", est responsable de l'observation par la technique spatiale de type GPS, des mouvements de l'écorce terrestre en temps réel. Avec les 24 satellites GPS en orbite, il y en a toujours 4 ou 5 concernés, cependant la méthode est encore expérimentale, le début des opérations ne remontant qu'en 1993. A partir du satellite, une centaine de points sont observés et on peut observer une variation de l'ordre du millimètre. Si une anomalie est observée, tout le personnel va sur le site.

La géodésie spatiale est un grand espoir, parfois discuté, de nombreux chercheurs.

Deux types de mesures géodésiques sont utilisées dans l'étude de la déformation sismique: le nivellement et la triangulation. Le nivellement permet de mesurer les déplacements verticaux de la surface, tandis que la triangulation sert à déterminer les angles et les distances horizontales. En comparant des mesures faites à des instants différents, on peut donc déterminer la déformation verticale et horizontale en fonction du temps. Des mesures géodésiques de la déformation sont réalisées à intervalles réguliers autour de la faille de San Andreas et d'autres failles actives en Californie, dans plusieurs régions du Japon.

La géodésie est actuellement l'objet d'une profonde mutation avec l'introduction des méthodes spatiales et satellitaires. Des mesures très précises de grandes distances ont été rendues possibles par l'observation simultanée de sources d'émission extragalactiques à partir de deux antennes très éloignées. Cette méthode, connue sous le sigle anglais VLBI, permet de mesurer par interférométrie des variations de la distance entre deux antennes, situées à un millier de kilomètres l'une de l'autre, avec une précision de l'ordre d'un par dix millions (10-7). Actuellement, plusieurs paires d'antennes ont été installées, mais il faudra quelques années avant d'obtenir des résultats significatifs car la Terre se déforme très lentement.

Une autre méthode de mesure des distances horizontales, le positionnement spatial, est basé sur l'utilisation de satellites.

Le système GPS (Global Positioning System), d'origine américaine, repose sur la mesure des déformations de la Terre. Le satellite émet des signaux radio qui sont enregistrés et comparés grâce à des antennes mobiles.

Le système français DORIS, où l'émetteur se trouve sur terre et l'antenne de réception sur le satellite. Sur des points d'observation distants de quelques dizaines de kilomètres, le positionnement spatial permettra de mesurer des distances avec des précisions de l'ordre de 10-7 (un mm sur 10 km). Les nombreuses mesures faites par les méthodes classiques de télémétrie montrent que des déformations de cet ordre se produisent autour d'une faille active sur des laps de temps de l'ordre d'un an au cours de la période de préparation de la rupture. Quand le séisme se produit, les déformations co-sismiques sont de l'ordre de 10-4 ; elles sont facilement mesurables avec des instruments de type GPS, à condition naturellement que la zone en question ait été placée sous surveillance avant le séisme.

Dans d'autres pays, il peut y avoir des séismes dont l'observation est plus facile : en Afrique du Sud, on enregistre des séismes dans le conduit latéral de mines d'or à 2 km de profondeur. Un puits ne suffit pas pour comprendre, il faut savoir comment bougent les plaques. Un plan d'observation des plaques de subduction sous-marines est en cours de réalisation.

Pour le Professeur Yoshio Fukao, 20 à 30 ans ne suffiront pas pour avoir la certitude d'une méthode sûre de prédiction, certains séismes ne semblent pas avoir de signes précurseurs : il faut encore mieux comprendre les séismes. Mais le séisme du Tokaï sera tellement vaste que l'on verra certainement des précurseurs.

M. Kohji Yamashita, Directeur de la section "Disaster Prevention Research" à l'Agence des Sciences et Techniques, avait une position très proche.

L'Agence des Sciences et Techniques a un rôle double :

- coiffer le "National Research Institute for Earth Science and Disaster Prevention" (NIED) qui fait de la prévision et un peu de prévention,

- la coordination des crédits destinés aux sinistres des divers ministères.

Pour ce qui est de la prévision, le 7ème Plan quinquennal en avril 94 a créé une commission constituée d'enseignants et chercheurs (30 membres environ) qui se réunit 4 fois par an au minimum ; cette commission n'est compétente que pour le Tokaï.

Un séisme de 8.4 y est attendu, on pense qu'il y aura des signes précurseurs avec un épicentre très proche de la terre, la péninsule s'affaissera probablement. Pour cela un vaste réseau de 150 points gérés par l'agence météorologique et de 90 points par l'AST a été constitué, mais c'est le GSI (ministère de la construction) qui regroupe toutes les informations pour les séismes de magnitude supérieure à 1.5.

Le ministère est responsable de par la loi d'un seul séisme, celui du Tokaï, donc la seule information concernant un séisme proche qui sera annoncée sera celle-là.

Pour les autres séismes, c'est le comité consultatif présidé par le Professeur Mogi qui doit informer la presse. Mais seul le Tokaï fait l'obligation de prédiction. Le Directeur de l'Agence de la Météorologie informe le Premier Ministre, qui prend la décision de prévenir la population.

Le second risque important pour le Japon concerne le séisme prévisible de Kanto, le conseil interministériel prépare une loi qui doit définir les mesures à prendre.

Le "Japon Meteorological Agency", qui est une agence détachée du ministère des Transports, occupe plus de 6000 personnes et dispose d'un budget de 60 milliards de yens, soit près de 10 millions de yens par employé.

Le "Seismological and Volcanological Department", un des neuf départements de J.M.A., et dont le Dr. Nobuo Hamada dirige le service volcans, compte 300 personnes sur les 6 000 de l'Agence.

A la différence de Météo-France, J.M.A. travaille sur les observations et les prédictions ; cela représente un très vaste domaine de la géophysique. Il dispose d'un institut de recherche à Tsukuba.

Depuis 1875, la météo est chargée de l'observation des séismes. On compte 150 stations d'observations très opérationnelles, et 30 qui sont par contre anciennes avec de vieux équipements. Les stations (télémètres) envoient par téléphone en temps réel leurs enregistrements vers 6 centres de centralisation.

Dans le cadre du programme de prévision sismique mis en place depuis 3 ans avec l'A.S.T. et les universités, le J.M.A. a développé des appareils de mesure de contraintes : dilatation ou contraction des roches à 100 m de profondeur. Une réunion mensuelle de tous les sismologues, même s'il n'y a pas d'anomalie, a lieu.

Actuellement une alerte peut-être donnée 2 à 3 minutes après le séisme, ce qui est très important pour prévenir un tsunami.

Enfin un projet "IRIS" avec les Etats-Unis, similaire au Géoscope français, est en voie de concrétisation actuellement, le centre d'information se trouvera à Hawaii.

Votre Rapporteur a ensuite naturellement rencontré le Professeur Mogi, sur qui repose la décision d'informer la population d'un séisme imminent.

Le Professeur Kiyou Mogi, Président du "Coordinating Comitee for Earthquake Prediction" et Chairman du "Prediction Council for the Area Intensified Mesures Against Earthquake Disaster" a commencé par me rappeler que le Japon avait connu en moyenne un séisme occasionnant 1 000 morts tous les 10 ans et qu'il connaissait un déficit de grand séisme depuis les années 1943/1948. Cet entretien se déroulait le 27 septembre 1994.

Le Professeur Mogi continuait ainsi : "Si les constructions parasismiques, grâce aux chercheurs du génie civil et la coopération des différents milieux professionnels, permettent de réduire les dégâts, la vétusté de certains bâtiments, l'impossibilité d'avoir la perfection en la matière pour une ville entière, nécessitaient de faire avancer les recherches de prédiction.

Lors d'une conférence sur la prévision en 1990, les participants ont voté une résolution disant que la prévision était difficile ! De nombreux pays développés sont pessimistes quant à l'avenir de la prédiction, ils ont une réticence à investir dans des nouvelles études mais le gouvernement japonais a adopté comme projet national l'étude de la prévision. Au monde, il n'y a guère que la Chine et le Japon à être actif en ce domaine.

Malgré des arguments développés pour réduire le budget de la recherche sur la prédiction au profit de programmes post séisme, de mesures de secours, il n'y a pas la volonté politique de le faire. Abandonner les projets et les études en disant que c'est trop difficile est de mon avis inenvisageable au Japon. Si le Japon ne mène pas cette étude, qui le fera ? Le Japon se doit de mettre au point une méthode d'identification des précurseurs."

Ces mêmes critiques ont été faites après Kobe, seront-elles suivies d'effet après cette catastrophe ?

"La recherche n'a pas de financement de la part des industriels dans le domaine de la prédiction, cela ne leur apportant rien ; c'est donc le gouvernement, les pouvoirs publics qui financent la totalité des recherches. Le budget consacré à cette recherche représentait 8 milliards de yens en 1992, 10 milliards de yens en 1993 pour la seule prévision sismique, les salaires de personnel étant non compris.

Un comité rattaché au ministère de l'éducation détermine les différents programmes de recherche ; certains groupes, très réduits en nombre, expérimentent la méthode VAN mais au Japon il y a des bruits parasites électriques si importants que cela rend certainement cette voie très improbable.

D'autres méthodes basées sur les observations de l'activité sismique et des changements de l'écorce terrestre -le Japon a 100 ans d'expérience en ce domaine, les données à très long terme sont très importantes-, des variations au niveau des nappes phréatiques, de l'eau des puits, du gaz radon, sont étudiées. Il est nécessaire de faire des synthèses de toutes les observations, les phénomènes sont examinés sous divers angles par les multiples organismes qui y travaillent.

La méthode GPS est très appréciée, il faut faire confiance en cette voie, mais il faut accumuler les données et les analyser. De toute manière, plus il y a de séismes, plus la progression sera : cet avis des scientifiques ne peut être attendu avec la même sérénité dans les populations.

Pour le Tokaï, si on ne peut prévoir à coup sur le séisme, une forte probabilité existe, l'occurrence des séismes dans cette région étant de 100 à 150 ans, et un système très moderne d'observation a donc été mis en place.

Dans la région voisine du Kanto, les séismes de 1944 et 1946 ont eu des signes précurseurs. Des mesures géodésiques effectuées 2/3 jours avant le séisme avaient révélé des phénomènes anormaux ; la variation de niveau d'eau dans les puits, dans les sources thermales, des marées anormales ont été observées. Si ces signes apparaissent dans le Tokaï et sont identifiés, un grand pas aura été franchi.

Si la structure des couches terrestres est simple, il y a peu de signes précurseurs ; le nombre de signes augmente avec la complexité de la structure, mais il faut tenir compte de caractéristiques régionales.

La meilleure solution serait de pouvoir faire des observations très profondes, il existe 3 puits de 3 000 m de profondeur au Japon, un 4ème est en construction, mais cela est très coûteux.

Toutefois, à ce jour, il n'y a eu aucune prédiction au Japon."

Le Professeur Tsuneo Katayama, de l'Institut des Sciences industrielles, était beaucoup plus réservé sur la prévision, ceci quatre mois avant Kobe. Il pense que la prédiction ne servira pas à grand chose, et ne sera pas opérationnelle d'ici au moins 50 ans.

Le GPS ne sera pas utile pour la prédiction, ce système n'est utile que pour la surveillance. Sauf peut-être pour le Tokaï, mais pour le séisme de moyenne importance (magnitude proche de 7 tout de même) qui aura lieu au Sud de Tokyo la prévision lui semble impossible. Le nombre de sceptiques va donc s'accroître. La tendance mondiale va plus vers l'ingénierie que vers la prévision.

M. le Professeur Torao Tanaka, Directeur du "Disaster Prevention Research Institute" de l'Université de Kyoto, sans être très précis se montrait optimiste : "Il est impossible de prédire, c'est un argument très à la mode. Mais il me semble qu'il y a des éléments qui y préparent."

Des secousses préalables pour les gros séismes sont des précurseurs. Pour les séismes de magnitude inférieure à 5, c'est très difficile à voir.

Spécialiste des mouvements des couches terrestres, il a l'intention de surveiller les déformations et le déplacement de l'archipel nippon tous les mois. Pour cela il instrumente classiquement, par pose d'appareils qui observent en continu les mouvements de terrain et par système GPS.

Les contraintes de déformation sont de l'ordre de 10-8, les appareils ont une tolérance de 10-7. Toutefois pour le déplacement, la précision est moins bonne, de l'ordre du centimètre.

Pour cela, il compte également instrumenter sur la faille anatolienne, dans un programme de coopération avec les Turcs.

La Chine a souvent été évoquée lors des entretiens sur la prédiction que j'ai pu avoir au Japon. Grâce au service culturel de notre ambassade à Pékin, j'ai pu avoir connaissance de la recherche qui y est menée au travers d'une note officielle du Bureau d'Etat des séismes, dont après traduction, j'ai extrait les principaux éléments.

Fondé en août 1971, le Bureau d'Etat des séismes (SSB) est la plus haute autorité pour la recherche sismologique chinoise. Il gère d'une façon centralisée le travail de surveillance des tremblements de terre, la prédiction, la recherche scientifique et l'ingénierie sismologique dans la totalité du pays ; finalise les politiques, programmes, plans et les projets importants relatifs au travail sismologique national, alloue les personnels, fonds et matériels ; et mène à bien la coopération et les échanges internationaux pour les études sur les tremblements de terre.

Le SSB est pluridisciplinaire et regroupe des disciplines telles que : géophysique, sismologie, géologie, géodésie, ingénierie des séismes, géochimie, fabrication d'instruments, techniques informatiques, radiocommunications et télécommunications, etc. On compte 12 instituts, brigades et centres, 26 bureaux sismologiques au niveau des provinces, municipalités, et régions autonomes, une usine d'instruments sismiques, une école de sismologie et une presse sismologique, employant 15 000 personnes au total. Parmi elles, on compte plus de 10 000 chercheurs, dont 1 000 sont de haut niveau et 4 000 de moyen niveau.

Jusqu'ici, le SSB a installé 863 stations sismographiques et observatoires des signes précurseurs, 6 réseaux télémétriques régionaux, 15 réseaux télémétriques locaux, 1 système de banque de données sismiques national, 10 stations sismographiques numériques, 23 stations sismiques réalisées en collaboration internationale, 257 observatoires des mouvements forts, 2 sites expérimentaux de prédiction des séismes, 4 000 postes d'observation mobiles (déformation, gravité et géomagnétisme), 6 banques de données régionales et un système de communication national en cours de réalisation. Pratiquement 30 000 kilomètres de profils de sondage profond des séismes ont été achevés.

Comment réduire le risque de tremblement de terre ? La pratique, l'exploration et la généralisation du travail sur les 20 dernières années, ont conduits à reconnaître que pour matérialiser l'ambition de réduction du risque de tremblement de terre, il est nécessaire de terminer une série de travaux et d'aller au bout d'un certain nombre de procédures, qui, spécifiquement, incluent le travail sous plusieurs aspects.

Le premier aspect concerne la surveillance et la prédiction des séismes. Depuis 1966, un plan de prédiction des tremblements de terre assez complet a été élaboré officiellement et mis en oeuvre progressivement. Des réseaux complets d'observation des séismes, faisant appel à de multiples disciplines, ont été installés dans la plupart des zones sismiques du pays et un nombre important d'études géologiques du terrain, de prospection géophysique et d'expériences en laboratoire ont été conduites. Les données tectoniques et dynamiques d'un séisme, les lois d'occurrence des tremblements de terre, le processus sismogénique et ses signes et mécanismes précurseurs, les méthodes de prédiction des séismes à différentes échelles de temps et les contre-mesures appropriées ont été étudiés attentivement, et leurs réalisations appliquées à la prédiction des séismes.

En recitant Raoul Madariaga, on peut avoir une idée de la pratique réelle en Chine :

"A partir des études de la sismicité historique, de l'activité recensée depuis 1976, de la déformation du sol, etc. il fut prévu, vers 1973, que la plaine du Nord de la Chine allait subir un grand tremblement de terre dans les années suivantes. D'après le professeur Ma Zongjin du Bureau d'État des séismes, la principale observation utilisée pour cette prévision était une migration de séismes depuis le Sud de la mer de Bohaï vers le Nord, à partir de 1966. Cette localisation probable d'un futur tremblement de terre, sans précision de date, est un exemple de prévision à long terme.

En juin 1974, une réunion sur les tremblements de terre dans le Nord de la Chine fut consacrée à l'examen de cette région, et en particulier à l'observation des provinces situées entre Pékin et la mer de Bohaï. L'année 1974 vit l'implantation de nombreuses stations d'enregistrement du mouvement du sol, du champ magnétique terrestre, de la sismicité et du niveau de la mer. A la fin de l'année, une prévision à moyen terme, pour le début de 1975, dans la région de Haicheng, fut effectuée sur la base des nombreuses anomalies observées. A partir de décembre 1974, les observations d'anomalies se multiplièrent et une cellule d'intervention fut constituée à Haicheng afin d'examiner au jour le jour les observations de terrain. Parallèlement, la population de la péninsule de Liaoning fut éduquée et entraînée à se protéger des effets du futur séisme. En janvier 1975, des anomalies dans le niveau d'eau des puits, des variations du champ magnétique et le comportement étrange de certains animaux finirent de convaincre les sismologues de l'imminence du séisme.

Entre le 1er février 1975 et le matin du 4 février, plus de cinq cents secousses de faible magnitude furent enregistrées entre Yingkou et Haicheng. L'arrêt brutal de la sismicité le 4 février décida le gouvernement de la province de Liaoning à faire une prévision à court terme. Le séisme eut lieu dans la nuit du 4 au 5 février 1975. Ultérieurement, des dizaines de géophysiciens eurent l'occasion d'examiner les données utilisées et la façon dont elles furent interprétées : la méthode empirique a incontestablement permis de prédire à court terme le séisme de Haichen.

Deux autres séismes qui se produisirent à Longling, dans la province de Yunnan, en mai 1976, furent l'objet d'une prévision à moyen terme. Mais la sismicité historique de cette lointaine région de la Chine est très mal connue et la magnitude des séismes de mai 1976 ne put être évaluée à l'avance.

Le 28 juillet 1976, le séisme le plus meurtrier de ce siècle se produisit sur une faille qui traverse le socle sous la ville de Tangshan, 200 km à l'Est de Pékin et 300 km au Sud-Ouest de Haicheng. Plus de 300 000 personnes (selon les sources, le chiffre varie dans un rapport de 1 à 3) périrent lors de ce séisme, le plus meurtrier depuis celui de 1556 au Shaanxi, en Chine centrale. Comme celle de Haicheng, la région de Tangshan faisait partie de la zone couverte par la prévision à long terme pour le Nord de la Chine établie en 1974. De nombreuses anomalies furent détectées et, en janvier 1976, une prévision à moyen terme fut faite pour la région de Tangshan-Liaoxi. De nombreux sismologues et géophysiciens travaillaient sur cette région, réunissant des indices qui auraient pu aider à prévoir le tremblement de terre de Tangshan. Alors, pourquoi, malgré toutes les évidences recueillies et l'effort déployé par les chercheurs chinois, ce séisme n'a-t-il pu être prévu à court terme comme celui de Haicheng ?

La réponse est certainement très complexe, dépassant largement le cadre strictement scientifique, car Tangshan est l'une des villes les plus industrialisées de la Chine. Dans une publication récemment traduite en anglais, Ma Zongjin et ses collaborateurs du Bureau d'Etat des séismes analysent la situation et concluent que la prévision à court terme ne fut pas possible pour plusieurs raisons. Tout d'abord, aucun séisme important ne s'était produit à Tangshan au cours de la période historique, et la faille qui provoqua le séisme n'était pas cartographiée, se trouvant cachée sous une épaisse couverture de sédiments. D'autre part, beaucoup de sismologues interprétaient les anomalies observées à Tangshan comme les suites du séisme de Haicheng de 1975, qui s'était produit dans un secteur relativement proche. D'autres attribuaient les anomalies à des séismes plus faibles ayant eu lieu 150 kilomètres au Sud de Tangshan au début de l'année 1976. Par ailleurs, les anomalies observées présentaient une variation temporelle très lente : aucune variation brutale de la sismicité n'avait été observée avant le séisme comme ce fut le cas à Haicheng. Enfin, le coût social de l'évacuation des dizaines de millions d'habitants de la région de Tangshan-Pékin était trop élevé en l'absence d'une prévision absolument fiable.

Le séisme de Haicheng apporta la preuve que la prévision était possible, à condition de consacrer des efforts considérables à l'observation minutieuse de plusieurs types d'anomalies, de façon à disposer d'un ensemble d'indications sur l'imminence du tremblement de terre. Le séisme de Tangshan montra que les phénomènes qui précèdent le déclenchement de la rupture sur une faille sont très variables d'un séisme à un autre, même dans des régions géographiquement proches du Nord de la Chine. En fait, ce qui manqua le plus à Tangshan était une connaissance suffisante des phénomènes qui se produisent sur les failles quelques semaines et quelques jours avant le déclenchement du tremblement de terre. Depuis Tangshan, tout en intensifiant ses efforts sur la prévision, le Bureau d'État des séismes se lança dans un grand programme d'étude sur la sismogenèse et la mécanique de la rupture sismique. Un séisme de magnitude 7.2 fut prévu à court terme peu de semaines après le séisme de Tangshan, dans la région de Songpan-Pingwu, province de Sichuan ; mais certains doutes sur les possibilités de la méthode empirique ne sont pas pour autant dissipés."

La recherche en Grèce se focalise bien évidemment sur le débat pro ou anti VAN. Votre Rapporteur ayant rencontré le professeur Varotsos, d'autres scientifiques grecs opposés à cette "méthode" ont eu, malgré l'accord donné et confirmé pour un entretien, d'impérieuses nécessités ne leur permettant pas de les honorer !

Le Professeur G. Veis fonde beaucoup d'espoir en l'observation satellitaire. Le satellite ERS1 a un radar, sa résolution est proportionnelle à l'ouverture de l'antenne : l'image à partir de la réflexion du satellite vers les points au sol met en relief la topographie très déformée, mais qui reste à interpréter.

Pour mettre fin aux querelles, le Professeur Veis souhaite qu'un organisme fédère les recherches en Grèce, soit au niveau du gouvernement, soit d'une agence créée à cet effet.

      3-3-4 - la recherche en France

En France, la prédiction reste essentiellement du domaine de la recherche scientifique universitaire. Toutefois, la méthode VAN est testée dans le Sud-Est par le C.E.A., sans qu'à ce jour une corrélation claire entre SES et sismicité ait pu être mise en évidence.

Le Laboratoire de Détection Géophysique (LDG) a installé en 1989 un réseau de cinq stations, essentiellement dans les Alpes mais aussi au niveau des Cévennes. L'objectif était de faire un bilan après trois ou quatre ans de résultats de ce réseau, en comparaison avec les résultats du suivi permanent de sismicité obtenus sur d'autres installations.

Ainsi que l'a confirmé M. Yves Caristan, chef du LDG, lors de l'audition publique du 16 février, les résultats ne sont guère probants.

Quelques séismes de magnitude 4 se sont bien produits dans cet intervalle de temps, mais on ne peut pas dire qu'il y ait eu une corrélation entre les signaux telluriques et ces séismes.

Quelques-unes de ces stations ont donc été fermées mais par contre, une station a été dévolue à l'étude plus scientifique des signaux qui peuvent être engendrés par des variations de contraintes dans les roches.

Une expérience est donc actuellement en cours d'installation dans les Alpes, autour de l'un des sites de mesures telluriques, qui va consister à essayer de comprendre les phénomènes constatés et plus particulièrement celui de l'électrofiltration et de la variation de contraintes associée à des variations de niveaux d'eau. Le lac de Beaufort servira de laboratoire à grande échelle.

Afin de mieux comprendre ces signaux électriques, M. Jean-Pierre Pozzi du laboratoire de géologie de l'École normale supérieure de Paris et Mlle Laurence Jouniaux, étudiante en doctorat de l'ENS, ont effectué récemment des mesures de potentiel électrique et de perméabilité sur des échantillons de grès de Fontainebleau. Ces travaux étaient destinés à étudier les phénomènes électriques liés aux circulations de fluides (eau et sels dissous) dans les roches et ont fait l'objet d'un article de Florence Jestin dans la revue "La Recherche" de janvier 1995. "Au moment des tremblements de terre, on observe souvent des perturbations qui sont dues à la déformation des roches. Ainsi, après un séisme, le débit des sources peut augmenter de façon importante. Or ces circulations de fluides peuvent créer des variations de potentiel électrique, comme l'a montré l'équipe japonaise de H. Mizutani en 1976. C'est le phénomène de l'électrofiltration : quand un liquide circule à travers un milieu perméable on y mesure une différence de potentiel due à des interactions entre le solide et le liquide. Le phénomène d'électrofiltration est l'un des mécanismes physiques envisagés actuellement pour expliquer les signaux électriques précurseurs des séismes. Jusqu'à présent, ce type d'expériences n'avait pas été réalisé sur des roches intactes mais sur des roches ou minéraux broyés, situation peu conforme à la réalité. Les variétés de grès ont été sélectionnées pour couvrir une gamme de perméabilités la plus vaste possible. Chaque échantillon cylindrique, de cinq centimètres de hauteur, est saturé en eau distillée, laquelle joue le rôle des fluides de la croûte terrestre. Sa circulation est induite par une différence de pression aux deux extrémités du petit cylindre. Un premier type d'expériences, sans déformer l'échantillon, montre que plus celui-ci est perméable, plus son potentiel d'électrofiltration est fort. Dans un deuxième temps, une presse applique une pression verticale sur l'échantillon. Celui-ci se déforme progressivement jusqu'à sa rupture. A son échelle, cette rupture représente un véritable petit tremblement de terre. Dans ce deuxième type d'expériences, on sait que la déformation se traduit d'abord par une compaction, puis par l'apparition de microfissures, ce qui entraîne des changements de la perméabilité. En effet, la compaction diminue la perméabilité alors que l'apparition de microfissures l'augmente, et plus particulièrement juste avant la rupture. Le potentiel d'électrofiltration reste alors stable jusqu'à l'apparition des fissures et augmente ensuite fortement jusqu'à la rupture.

La perméabilité est un paramètre qui influence fortement le comportement du potentiel d'électrofiltration. On peut donc s'attendre, sur le terrain, à mesurer un potentiel d'électrofiltration d'autant plus élevé que la roche est perméable, toutes choses égales par ailleurs. En outre, à proximité de la faille, de même que dans l'échantillon, la perméabilité évolue au cours de la déformation précédant le séisme et peut alors entraîner des variations du potentiel d'électrofiltration. Les résultats obtenus confirment ainsi que grâce à sa forte augmentation juste avant la rupture, le potentiel d'électrofiltration est un bon signal précurseur des séismes. L. Jouniaux et J.-P. Pozzi proposent également un mécanisme pour expliquer les variations anormales enregistrées à grande distance de l'épicentre. En effet une des objections faites au phénomène de l'électrofiltration concerne la déformation due au futur séisme à de grandes distances de la faille. On estime que cette déformation y est généralement trop faible pour entraîner des mouvements de fluides suffisants. Pourtant, des variations du potentiel électrique sont enregistrées loin de l'épicentre. Une équipe de chercheurs de l'Institut de physique de la Terre à Moscou, dirigée par Dobrovolsky, a montré en 1989 que des circulations d'eau horizontales dans une nappe phréatique ne peuvent pas provoquer d'importants potentiels électriques en surface loin des régions épicentrales. Des mouvements d'eau verticaux sont nécessaires. C'est ce que suggèrent L. Jouniaux et J.-P. Pozzi par l'intermédiaire d'échanges entre les nappes aquifères profondes et superficielles. Dans leurs expériences, l'intensité du potentiel d'électrofiltration peut atteindre cinquante millivolts pour une différence de pression de fluide aussi faible que dix millibars, pression mesurée à la base d'une colonne de dix centimètres d'eau. Loin de l'épicentre, des mouvements de fluides même extrêmement faibles, comme la baisse de niveau d'une nappe phréatique de dix centimètres, peuvent donc engendrer des signaux tout à fait mesurables. Enfin, ces expériences apportent des résultats importants pour mesurer les variations du potentiel d'électrofiltration dans les meilleures conditions.

A circulation de fluides et déformation de la roche égales, plus une roche est perméable plus son potentiel d'électrofiltration est fort. Sur le terrain, on mesure une différence de potentiel entre deux électrodes. Si les perméabilités des roches autour des deux électrodes sont identiques, la différence des deux potentiels sera négligeable. En revanche, si les perméabilités sont très différentes, la différence de potentiel sera très élevée. Or il est classique dans une même formation géologique que la perméabilité varie d'un facteur mille d'un point à un autre. Cette condition de variation de perméabilité est donc très facile à satisfaire sur le terrain. Jusqu'à présent, on recherchait la présence d'une hétérogénéité latérale, faille ou terrains différents, afin d'obtenir une différence de potentiel significative, condition plus difficile à obtenir. En simulant des mini tremblements de terre sur quelques centimètres cubes de grès saturés en eau distillée, ces expériences se révèlent donc fondamentales pour comprendre les causes physiques des signaux électriques précurseurs des séismes".

Cependant, le pas entre le laboratoire et le terrain reste à franchir. Ces résultats prometteurs sur des roches et des fluides simples ne peuvent qu'inciter à continuer dans cette voie sur des échantillons plus hétérogènes et de plus grande taille, l'expérience du LDG est donc particulièrement à suivre.

P. Morat et J.-P. Le Mouël de l'Institut de physique du globe de Paris s'intéressent aux mêmes phénomènes mais à une échelle plus grande, celle d'une carrière de calcaires. Laurence Jouniaux, quant à elle, poursuit ses travaux de recherche auprès de Dale Morgan, au "Massachussetts Institute of Technology" à Boston, à une échelle supérieure, s'intéressant aussi aux effets de la température, domaine quasiment pas exploré à ce jour.

La prédiction des séismes n'est d'aucun apport pour la protection des biens. Toutefois, les résultats de la prédiction d'un séisme et de l'évacuation corrélative des populations seront d'autant plus sûrs, que les ouvrages abritant les personnes et les infrastructures leur permettant de quitter les lieux les plus exposés, resteront opérationnels lors de la secousse.

Reste posé le problème de l'utilisation qui pourrait être faite d'informations relatives à la proximité d'un séisme. Il faut être capable d'assumer face à un événement.

La fiabilité est alors d'une extrême importance face au péril que peut faire courir à une population son évacuation en urgence. Rappelons l'alerte donnée par un scientifique américain prévoyant la destruction de Lima en 1980 à la minute près. Rien ne s'est heureusement produit, mais la crédibilité des recherches a été mise en cause, alors que la théorie de Brady est incompréhensible pour la communauté scientifique.

Ceci étant, la prévision ne peut se passer de la surveillance sismologique en temps réel :

- information sur le lieu et l'importance d'un séisme,

- suivi d'une crise, lors d'un essaim de secousses ou d'un événement majeur accompagné de répliques.

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